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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 41

  • CHRONIQUES DE POURPRE 566 : KR'TNT 566 : SAN FRANCISCO NUGGETS / O' JAYS / STARLINGS / LUMER / ROBERT PLANT + ALISON KRAUSS / MATHIAS RICHARD

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 566

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    15 / 09 / 2022

      SAN FRANCISCO NUGGETS / 0’ JAYS

    STARLINGS / LUMER

    ROBERT PLANT + ALISON KRAUSS

    MATHIAS RICHARD

    Sur ce site : livraisons 318 – 566

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    If you’re going to San Francisco - Part One

     

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                    Tout le monde se souvient du délicieux Scott McKenzie et de son invitation à venir le rejoindre à San Francisco avec des fleurs dans les cheveux - Be sure to wear some flowers in your hair - Il te promet en plus que tu vas y rencontrer des gens très gentils - You’re gonna meet some gentle people there - Bon les fleurs et les gentils gens, c’est une chose. La scène de San Francisco en est une autre. On l’appelait à l’époque le Frisco Sound. Il n’était à nul autre pareil. Plus exotique, d’essence purement psyché, avec un fouillé de son dans les guitares qui le rendait unique. Pour concocter Love Is The Song We Sing/San Francisco Nuggets 1965-1970, les gens de Rhino ne se sont pas fourré le doigt dans l’œil : ils ont opté pour une esthétique particulière, celle d’un livre ancien, tel qu’on le trouve chez un antiquaire. En plein dans le mille ! On pense aux maisons en bois et aux Charlatans. L’exotisme vient précisément de ce mélange de modernité et de brocante.

             La mauvaise nouvelle, c’est que ça sort sur Rhino après qu’Harold Bronson ait été viré. Il n’est donc pas impliqué dans ce projet. Dommage, car c’est un spécialiste des Nuggets. Il en fit trois boxes au temps où il présidait aux destinées de Rhino, label historique dont il était le co-fondateur. C’est Alec Palao qui mène le bal compilatoire et Prairie Prince qui signe la couve de cet objet somptueux. Dans les remerciements, on trouve les noms de Joel Selvin, de Roy Loney et de Peter Albin.

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             C’est donc un book richement illustré de 120 pages qui se dévore comme un chef-d’œuvre littéraire. On en savoure surtout l’idée. Il fallait y penser. Dans la troisième de couve sont encartés quatre CDs censés illustrer le bref âge d’or du Frisco Sound, qui, pour ceux qui s’en souviennent, nous fit tellement baver. On discutait un jour du Frisco Sound avec Marc Z, évoquant ces guitaristes qui jouaient en picking sur scène à Monterey (du jamais vu alors dans des groupes de rock - John Cipollina, Roger McGuinn, James Gurley) et Marc déclara qu’en fait l’avènement de cette scène constituait une révolution. Il semblerait que le Rhino book-box soit là pour nous le rappeler.

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             Une révolution ? Oui, même si Dino Valenti ouvre le bal du disk 1 avec «Let’s Get Together» et qu’il en fait trop, même si tu refais une overdose de Country Joe & The Fish et du «Feel Like I’m Fixing To Die Rag» trop vu à Woodstock. Mais après, tu vas te régaler, notamment des spectaculaires harmonies vocales des We Five («You Were On My Mind»), ou encore le «Number One» des Charlatans qui entre dans la mythologie par la grande porte - Americana with a twist of acid - Son et voix, tu as tout - Surnommés «the ones that started it all», nous rappelle Palao qui ajoute : «Vêtus de leurs costumes victoriens, les Charlatans implantèrent la première concession de ce qui allait devenir la ruée vers l’or of San Francisco’s rock’n’roll renaissance.» - Le groove des Charlatans est du génie pur. Pas étonnant qu’on l’ait retrouvé dans le «Frisco Band» de Loose Gravel. Palao baptise le disk 1 ‘Seismic Rumbles’. Il le voit comme le disk des racines du Frisco Sound, d’où Valenti et Country Joe.

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    Palao indique en outre que le «You Were On My Mind» des We Five eut autant d’impact en Californie que le «Mr Tambourine Man» des Byrds. Tu croises aussi la pluie d’étoiles des Beau Brummels («Don’t Talk To Strangers») avec ce surdoué de Sal Valentino, et plus loin, le fabuleux décollage de l’Airplane avec «It’s No Secret». Par contre, The Great! Society retombe comme une soufflé. On retrouve avec un plaisir non feint l’excellente cover du «Who Do You Love» de Quicksilver Messenger Service et la grosse cerise sur le gâtö du disk 1 est bien sûr le «She’s My Baby» des Mojo Men, amené à la grosse fuzz avec en contrepoint la guitare fantôme de Brian Jones. Parfait équilibre fuzz/phantom. C’est Sly Stone qui amène l’harmo, la fuzz bass et les vocal interjections. Oh et puis le «Fat City» des Sons Of Champlin, que Frank Weber qualifiait de «Beach Boys with balls». Sur tous ces groupes, Palao est intarissable : 12 pages de détails, rien que pour le disk 1. Comme dans les compiles Ace, ces textes éclairent bien les cuts. Il est recommandé de lire après écoute.

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             Dans sa brillante introduction générale, Palao rappelle le particularisme du Frisco Sound : «Historiquement, le climat de tolérance et l’ouverture culturelle de la Bay Area ont favorisé l’éclosion d’une communauté vibrante qui s’est passionnée de jazz - both hot and cool - folk and blues et qui a bien accueilli le rock des mid-1950s.» Il ajoute que la psychedelia a trouvé sa spiritual home in the Bay Area, favorisée par un environnement et une philosophie collective. D’où la qualité de cette scène. S’ensuit un beau texte d’un mec de Rolling Stone, Ben Fong-Torres, suivi d’un texte de Gene Sculatti qu’on ne présente plus. Fong-Torres rappelle que beaucoup de choses ont été inventées à San Francisco : les light shows, les posters psychédéliques, les radios libres, les Ballrooms et Rolling Stone magazine, suite à la rencontre de Jann Wenner avec Ralph J. Gleason. Dans Smartass, Joel Selvin nous brosse un portrait superbe de Gleason. Rolling Stone allait réinventer la presse rock et braquer les projos sur toute la scène locale : The Grateful Dead, l’Airplane, Big Brother & The Holding Company, Steve Miller Band, Santana, Sly & the Family Stones, Country Joe & The Fish, Creedence Clearwater Revival. Pardonnez du peu. Il ajoute un peu plus loin les Mystery Trend, les Beau Brummels, Quicksilver Messenger Service et les Charlatans. Il tient toutefois à préciser que chaque groupe a un son spécifique, mais de l’autre côté de l’Atlantique, le fan de base s’acharne à voir un dénominateur commun à tous ces groupes : la modernité (pour l’époque). Bon, Fong-Torres réfléchit un moment et commence à énumérer quelques points communs à tous ces groupes : la plupart étaient musicalement wide open. Leurs racines plongeaient dans le blues, le folk, la country et le jazz. Ils jouaient plus pour les danseurs que dans les studios. Ils expérimentaient les drogues, surtout sur scène, et cultivaient the stoned good times parfois au détriment de la technique. Les mauvaises langues disaient que la principale caractéristique du Frisco Sound était le out of tune. Janis parlait de liberté créative.

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    Attirés par l’ambiance libérale de Frisco, les vieilles maisons victoriennes en bois et ses loyers bon marché, ils sont venus de partout, du Texas (Janis, Chet Helms, les 13th Floor, Doug Sahm, Boz Scaggs) de New York (Jesse Colin Young et Dino Valenti), de Chicago (le Texan Steve Miller, Michael Bloomfield) et de Los Angeles (Country Joe McDonald et George Hunter des Charlatans). Fong-Torres qualifie San Francisco de «pleasure city», the only city in the United States that can support a scene, à l’opposé de New York (too large and too confused) et de Los Angeles (super-uptight plastic America). À l’origine de cette scène, on trouve Big Daddy Donahue qui signe sur son label Antumn les Beau Brummels en 1964 et qui engage Sly Stone comme producteur. Donahue auditionne aussi les Charlatans et les Warlocks, futurs Grateful Dead. Il signe encore The Great! Society avec Grace Slick.

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    Steve Miller qui arrive de Chicago est effaré au début par le bas niveau des groupes de San Francisco. Il vient d’une scène hautement concurrentielle, the blues scene, et il assiste à la ruée vers l’or des maisons de disques : «Les gens des maisons de disques qui ne comprenaient jamais rien ont reçu des instructions pour signer des groupes de San Francisco.» Ils voulaient leur part du gâtö. Miller est approché par ce qu’il appelle un «suit», c’est-à-dire un mec en costard, et il négocie une avance de $50,000, le double de ce qu’avait obtenu l’Airplane. C’est la curée. Tous ces groupes font des albums qui se vendent comme des petits pains : l’Airplane, le Dead, Country Joe, Quicksilver, Big Brother, Creedence, Santana, Moby Grape, Electric Flag, les Youngbloods, Blue Cheer, il en pleut comme vache qui pisse, Fong-Torres cite encore Mother Earth, Sopwith Camel, the Loading Zone. Et d’autres groupes qui ne vendent pas grand chose comme les Mystery Trend, les talentueux Sons Of Champlin et les Ace Of Cups, un groupe de petites gonzesses passé à l’as de l’Ace. Les Charlatans n’ont pas non plus réussi à décoller. Et, puis tu as Bill Graham, une révolution à deux pattes.

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             Baptisé ‘Suburbia’, le disk 2 grouille de grosses poissecailles comme les Count Five avec l’insubmersible «Psychotic Reaction» (Roi de la formule qui fait mouche, Palao déclare : «The Count represent the quintessential suburban punk achievement»), The Syndicate Of Sound avec le puissant «Rumours», fruité à outrance, gorgé d’échos de Gloria, le Chocolate Watchband avec sa belle crise de Stonesy, «No Way Out» et la belle descente orientaliste de Mark Loumis, et l’excellent «Thing In E» des mighty Savage Resurrection, real deal de wild guitar drive, joué à l’insistance mesmérique. Comme les Count Five, les Chocolate et les Syndicate Of Sound font partie de la scène de San José. Palao : «Ils se sont arrangés pour cristalliser some kind of inspired magic into one astounding record.» James Brown leur demandé d’ouvrir pour lui au Cow Palace de San Francisco en 1966, ce qui fit leur fierté. Palao dit des Chocolate qu’ils furent the quintessential psychedelic garage band. Et il ajoute, avec un spasme de tribun : «with their slightly feaky veener, ils ne pouvaient être originaires que de la Bay Area.» Mais les plus spectaculaires de tous ces wild rockers étaient sans doute les Savage Resurrection, un nom de groupe inspiré par le fait que certains membres du groupe étaient indiens et qu’ils n’hésitaient à slasher leurs amplis à coups de Bowie knifes et à balancer des smoke bombs dans le public, lors des concerts. Les surprises viennent de Public Nuisance, dont l’«America» incarne le power absolu, là tu as le brave petit son de tiguili. Palao rappelle que les héros des Public Nuisance étaient les Seeds, les Pretties et The Music Machine. Palao dit aussi qu’ils mélangeaient an Anglophillic pop aestheric with moody grunge-noir. Puis de The New Breed, avec «Want Ad Reader» et sa belle persistance du piercing de chœurs de chat perché, soutenue par une fuzz d’essaim - a fiesty, talented bunch - Mieux encore : The Oxford Circle avec «Foolish Woman», vraie ferveur de fever, wild de tears in my eyes - a potent brew of Yardbirds riffage, sonic experimentation and pure punk frenzy - avec Paul Whaley, futur Blue Cheer, et les mecs de Kak. Whaley quitte le groupe en 1967 pour rejoindre Blue Cheer.

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    Coup de génie avec le «Suzy Creamcheese» de Teddy & His Patches, noyé d’orgue, véritable prototype de gaga californien. Palao les qualifie de straighter-than-straight, c’est vrai que sur la photo, ils ressemblent à des premiers de la classe, mais Greg Shaw s’éprend de «Suzy Creamcheese» : «The Patches took a Frank Zappa idea and added some Louie Louie consciousness.» Palao lui parle d’«incoherent trash full of bubbling feedback». Oh et puis voilà les proto-punks de la baie, The Otherside, avec «Streetcar», fabuleuse attaque de wild guitar in your face. Encore un groupe de San José qui fait ce que Palao appelle un «who-soaked nugget». Il va plus loin en parlant d’une influence by the Shepherds Bush Mods. Selon Palao, Skip Spence aurait fait brièvement partie des Otherside, juste le temps de leur proposer ce nom de groupe.  

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             Sculatti s’amuse bien avec ses souvenirs. Il raconte comment il allait chaque vendredi soir avec Greg Shaw à l’Avalon Ballroom papoter avec Chet Helms. Shaw et Sculatti étaient alors obsédés par les Seeds qui étaient basés à Los Angeles et ils demandaient à Chet Helms de les programmer à Frisco, alors Helms leur répondait : «Never !» Pourquoi ? - They’re kind of an El Lay tenny-bop act and not exactly the kind of things we’d like to showcase: i.e, neither Doors-heavy, nor Love-arty nor Springfield-credentialed - Sculatti rappelle aussi que les Count Five et les Syndicate Of Sound ont décroché des hits bien avant les grands noms du Frisco Sound. L’élément important pour lui est aussi le folk-rock, minor-key melodies and chiming 12-string, qu’on entendait partout en 1965, et qu’on retrouve chez les We Five et les Beau Brummels. Sculatti qualifie le Frisco Sound de «fresh & freewheeling». Il parle aussi d’«art sans visée commerciale», mais comme chacun sait, rien ne dure très longtemps et cette scène fut éphémère. It was all gone, et Sculatti ajoute dans un dernier râle : «But Christ, what a ball it was.» Il rallonge la sauce en affirmant que cette scène est toujours aussi excitante, dès l’instant où on écoute l’un des quatre disks de cette box - and catch a buzz from some of the magic conjured in that unique, irretrievable time and place - S’ensuit une galerie de portraits de 50 pages qu’il faut l’avoir vue au moins une fois dans sa vie. Car que de chocs visuels et que de présence ! Charlatans, Savage Resurrection à bord d’un voilier, l’Airplane dans les bois, Janis et ses petits seins en pommes sous le voile à peine clos, les Moby Grape assis devant la vitrine du brocanteur, comme sur la pochette du premier album, les six Santana fabuleusement présents dans le clair-obscur, les Count Five et leurs capes de vampires, les mystérieux Mystery Trend de Ron Naggle qui est un chouchou de Sculatti, des Quicksilver vertigineux sur les marches du palais, la classe du Steve Miller Band avec Tim Davis, son batteur noir, Sly & the Family Stone, juste avant les excès, Public Nuisance et son chanteur en costard rayé, les parfaits outsiders du Dead, les trois Blue Cheer qui ressemblaient déjà à des héros, les Groovies dominés par l’immense Danny Mihm, Grace Slick, belle à croquer, et tous les autres.

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             Les géants fourmillent encore sur le disk 3, baptisé ‘Summer Of Love’ : à commencer par Carlos Santana qui fout le feu à son «Soul Sacrifice», une sorte de groove définitif dont on ne s’est jamais lassé depuis Woodstock. Il est bon de le rappeler, Santana fut l’un des groupes phares de cette scène bouillonnante. Pour Palao, 1967 est l’année où some of the best records of the era were made et la premier Santana en fait partie - The distinctive rock/Latin fusion de Santana était sans précédent - Le groupe commence par s’appeler The Santana Blues Band car Carlos est un fervent admirateur de Mike Bloomfield. Et puis Blue Cheer, bien sûr, avec «Summertime Blues», quasi-mythique, saturé de son, Leigh Stephens fait la pluie et le beau temps dans cette tornade sonique - Blue Cheer fixated on the gonzoid power of bone-crushing volume and relentless riffery - et Palao sort son meilleur humour anglais pour lester sa chute : «For better or worse, the genre would never be the same again.» Il a raison de rigoler car ce genre nouveau qu’on appelait alors le hard rock allait vite dégénérer.

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    Encore des héros de Woodstock avec Sly & The Family Stone et «Underdog», Sly Stone, yeah yeah, il chauffe sa chapelle à l’oooh oooh. Palao voit Sly comme l’un des «renaissance men» des sixties californiennes - Il est certainement le meilleur exemple du potentiel que pouvait se permettre the Bay Area’s liberal musical community - Affûté par ses deux années de prod chez Autumn (Beau Brummels et The Great! Society), Sly était en outre fasciné par Dylan, les Stones et les possibilités du rock.  La fête continue avec l’expat texan Steve Miller et son Steve Miller Band, «Roll With It», tiré de Children Of The Future, enregistré à Londres et devenu un classique. Le Frisco Sound est une source inépuisable de très grands artistes et de très grands albums. L’Airplane fait son retour avec «White Rabbit» et on monte encore d’un cran avec les Charlatans et «Alabama Bound», grosse ambiance de picking, Mike Wilhelm is on fire - Don’t you leave me here - Palao rappelle que les Charlatans n’ont pas eu beaucoup de chance et qu’ils ont passé trop peu de temps en studio : une audition bâclée pour Autumn, un projet d’album avorté pour Kama-Sutra et enfin des sessions auto-financées, qu’Ace/Big Beat a fini par exhumer en 1996. Grand retour de Country Joe & The Fish avec «Superbird», fin et racé, et David Cohen - et non Barry Melton - à la clairette maladroite. Palao nous dit qu’Electric Music For The Mind And Body, leur premier album, reste l’un des albums chouchous du Frisco Sound.

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    Mais le cake, c’est Sal Valentino qu’on retrouve avec les Beau Brummels et «Two Days ‘Til Tomorrow», Valentino et sa fabuleuse présence de fantôme dans l’écho du son, une prod géniale signée Larry Waronker. Palao salue the rich cinematic panorama des compos de Ron Elliott et dit des Brummels qu’ils sont l’un des meilleurs American groups of the decade. Autre coup de tonnerre : l’«Omaha» de Moby Grape, effervescent, là tu as tout ce que tu dois savoir sur le Frisco Sound : l’énergie, le foutraque et l’insolente modernité. Pour Palao, les Grape avaient plus de points communs avec les Byrds et Buffalo Springfield, mais ils étaient surtout les plus brillants représentants du Frisco Sound. C’est David Rubinson qui produit leur premier album et «Omaha» is a highlight among many. C’est vrai que l’album est assez explosif. Un de plus ! On n’échappe pas à la mort, c’est bien connu, alors voici the Dead avec «The Golden Road», finement joué à la surface d’un mythe miteux, invitation à rejoindre the party, every day. Les Quicksilver tapent dans Buffy Sainte-Marie avec «Codine» et ce pauvre Freiberg n’est pas si bon au chant. Alors elle, la Janis, on la connaît par cœur : elle chante «Down On Me» avec Big Brother & The Holding Company, live au Grande Ballroom de Detroit. Mais on écoute surtout James Gurley et sa crazy guitar. C’est Gurley le guitar wiz de San Francisco. Et puis on accueille à bras ouverts le «Think Twice» de Salvation, car c’est du pur Frisco Sound avec un gros solo de fuzz. On le serre dans nos bras.

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             Les géants sont de retour sur le disk 4 : Carlos Santana refout le feu à «Evil Ways», Moby Grape se tape un coup de génie avec «Murder In My Heart For The Judge», tiré du deuxième album Wow, les guitares de Jerry Miller et de Skip Spence sonnent le tocsin, c’est Don Stevenson qui chante, et pouf, Jerry Miller passe un solo des enfers et avec l’explosion finale, tu as tout. Palao revient brièvement sur Santana pour indiquer que de tous les artistes issus du Frisco Sound 1965-1970, Carlos Santana est le plus endurant de tous - Carlos Santana is the city’s true ambassador of music, enjoying international acclaim for four decades, yet always focused on the purity of the craft - Il suffit d’écouter ces deux effarants albums que sont Africa Speaks et Power Of Peace, enregistré avec les Isley Brothers. Retour de Quicksilver aussi avec «Light Your Windows», et Cippo on lead, ah il faut le voir monter au créneau ! Palao rappelle que trois producteurs ont bossé sur Quicksilver, leur premier album, ce qui explique peut-être le côté «difficile» - disons hétéroclite - de l’album. Retour de Steve Miller aussi, avec «Quicksilver Girl», tiré de Sailor, un Miller qui se dit fier d’être produit par l’anglais Glyn Johns, car oui, tu as tout de suite du son et du Miller, mais on aurait préféré «Gangster Of Love». Pour Palao, Sailor est le «quitessential San Francisco album of the late 60s». Il adore les quintessences, notre ami Palao, il ne rate pas une seule occasion d’en placer une. C’est vrai que sans quintessence, on ne va pas loin. Il ajoute que Sailor est «le parfait amalgame d’experiment et de songcraft». Il est bien certain que les cinq premiers album du Steve Miller Band sont des albums magiques. La chance qu’on avait de pouvoir écouter tout ça dans les early seventies ! Retour de Blue Cheer avec «Fool» et sa belle prestance d’I like the way you smile. «Fool» est tiré du quatrième album, Blue Cheer. C’est Gary Lee Yoder, un ex-Oxford Circle et ex-Kak qui chante et Bruce Stephens qui joue lead. Yoder dirige Blue Cheer vers un horizon plus psychédélique, d’où la déception, à l’époque.

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    Retour encore de Janis avec l’excellent «Mercedes Benz» qui est en fait «Hey Gyp» - Aw Lawd won’t you buy me a night in the town - Comme chacun sait, «Mercedes Benz» figure sur Pearl, son album posthume. On passe à travers le «Dark Star» du Dead, mais ce n’est pas nouveau. Kak et son «Lemonaide Kid», c’est bien, mais pas de quoi se rouler par terre. Fin, mais pas définitif, même si Palao n’en finit plus de porter aux nues l’album de Kak en parlant d’enduring magic. Kak comprenait des membres de The Oxford Circle. Marqué par le destin, Kak auditionna le jour où Bobby Kennedy fut dégommé et ne dura qu’un an. On accueille les Sons Of Champlin à bras ouverts : leur «1982-A» sonne bien, mais ça se complique à la longue. Palao parle d’un «jazzy brew of Beatles and Stax». Pour lui, le groupe aurait dû devenir célèbre mais il est resté un phénomène local. Mad River ? Pas si bon, d’ailleurs les deux albums sont repartis à la vente. Beaucoup de bruit dans «Amphetamine Gazelle» pour rien. Palao parle d’un «uncommercial brand of acid rock» qui mélange tout : «les Beatles, les Ayler Brothers, le bluegrass et le r’n’b». On s’ennuie avec Seatrain et It’s A Beautiful Day. On s’ennuyait déjà dans les années 70 quand on écoutait ces albums chez le disquaire qui croyait pouvoir nous les vendre. La bonne surprise vient des Youngbloods avec le «Get Together» de Dino Valenti. On avait pourtant revendu leurs albums avec ceux des Good Rats, car cette pop refusait d’obtempérer. Mais avec le temps, on y revient, car Jesse Colin Youg est un mec assez fin. Il a tellement de son. Rien de plus pur. Comme Valenti, Jesse Colin Young avait ramé en tant que folk troubadour sur l’East Coast avant d’émigrer vers la West Coast. Et puis les cakes du disk 4 sont bien sûr les Groovies avec «I’m Drowning», le summum du swing, Roy Loney au chant et Dave Alexander on the walking bass. Palao salue Sneakers, ce mini-album enregistré en une seule session en 1968 et bourré de ce good time/jugband style qui fait tellement la différence avec les autres groupes locaux, à l’époque.  

             Tout ça pour dire que ce Rhino book-box est une fabuleuse machine à remonter le temps.

    Signé : Cazengler, San Franciscon

    Love Is The Song We Sing: San Francisco Nuggets 1965–1970. Rhino Box set 2007

     

      

    Ship thrills

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             L’autre jour... Il devait être midi, l’heure d’écouter un album. Tiens la pile des O’Jays qui bouge. Elle tend les bras. Moi ! Moi ! Bon d’accord. Early O’Jays ? Late O’Jays ? Tapons donc dans les Mid O’Jays. Tiens... Pas de souvenir de cette pochette. Ship Ahoy ? C’est un choc. Ils sont là tous les trois, sous le ciel étoilé, on sent bien qu’il y a un problème. Regarde de plus près. Tu vas voir la peur dans les regards. Le rond est coupé en deux. En bas, tu as Eddie Levert, Walter Lee Williams et William Powell, et en haut, tu as le groupe d’hommes noirs, une dizaine, nus avec des pagnes blancs, sans doute remontés la nuit sur le pont pour on ne sait quelle raison, pour prendre l’air ? Mais tu entends le ressac, tu sens peser le poids d’une histoire détestable, retourne la pochette et tu vas voir le voilier négrier de profil, avec sous la coque les âmes des hommes noirs rassemblés sur le pont. On dirait des algues. De grandes algues. Des ectoplasmes. Alors tu écoutes «Ship Ahoy», le morceau titre, ça commence mal - As far as your eye can see/ Men, women and baby slaves/ Coming to the land of Liberty - Ahoy tu parles d’un choc !

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             D’autant plus un choc... Comme par hasard, vu la veille les quatre épisodes d’une série documentaire, Les Routes De l’Esclavage, réalisée par Daniel Cattier, Juan Gélas et Fanny Glissant. On peut les choper sur le site d’Arte. Et ce n’est même pas «on peut», c’est «on doit». Tant qu’on a pas vu ces quatre heures d’horreur totale, on se sait rien. De la même façon qu’on ne sait rien tant qu’on a pas vu la version longue de La Shoah, qui à l’époque de sa sortie dans les salles signait l’arrêt de mort du cinéma. Car que pouvait-on filmer après La Shoah ? Rien. Les Routes De l’Esclavage, c’est encore pire, car on se fait tous des petites idées sur l’histoire de l’esclavage, on a tous des petites infos stockées dans un coin du cerveau et prêtes à être réchauffées pour les besoins de la conversation, lorsque l’occasion se présente. Mais le problème, ici, c’est que les quatre heures de docu te disent en gros : ferme ta gueule et écoute, car ceci est la vérité, et quand tu connaîtras la vérité, tu fuiras les conversations de salon comme la peste. Au début, on ne se méfie pas, le premier épisode nous ramène dans l’Antiquité et nous explique que les Arabes étaient les grands spécialistes de la traite des noirs. Ah les Arabes ! On n’en finirait pas avec ces gens-là. Ils avaient déjà tous les défauts, et là on leur en remet une couche, mais comme c’est l’Antiquité et que c’est loin, ça ne nous concerne pas vraiment, ça donne juste quelques petites informations complémentaires pour le stock à réchauffer. On savait que Rome avait intégré l’esclavage comme modèle socio-économique, donc une sorte de normalité, et de toute façon, à cette époque, la vie ne valait bien cher.

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    Et puis d’épisode en épisode on va voir la pression monter sur l’Afrique, véritable vache à lait de tout cet épouvantable business. Les premiers à mettre la pression sont les Portugais, historiquement les gens les plus cupides de l’histoire de l’humanité, de l’or, de l’or, ils veulent de l’or, ils ne pensent qu’à l’or, ils en rêvent la nuit, ils en cherchent partout, ils n’en trouvent pas, alors ils font le commerce d’êtres humains, ça rapporte plein d’or, de l’or, de l’or, ils n’ont que ce mot là à la bouche, comment peut-on être cupidement con à ce point-là ?, alors ils construisent des caravelles, des comptoirs, ils font des razzias sur les côtes africaines, viens par là toi négrillon, viens par là toi la petite négresse, ils détruisent des villages et ramènent plein de nègres au Portugal, et que fait le docu ? Il nous montre l’intégration des esclaves nègres dans les familles, c’est assez marrant, on les voit à table avec les Portugais sur des tableaux peints au XVIe siècle. Le problème, c’est que le ver est dans le fruit, c’est-à-dire dans la mentalité des Occidentaux. Bateau + nègres gratuits = fortune, montagnes de blé, palais, carrosses, robes brodées d’or, ces rats d’Occidentaux ne se cachent plus, la traite devient vite un gros business, on arme des gros bateaux, on recrute de rudes capitaines, on commence à monter des usines à sucre en Afrique, tout le monde au boulot, allez hop, toi tu vas crever dans l’usine et toi aussi, et toi on va te violer et tu fermes ta gueule, le patron blanc, il a droit de vie et de mort sur des milliers de nègres qui ne comprennent rien et qui doivent couper la canne et fabriquer du sucre pour ces gros cons de blancs dégénérés. Mais comment veux-tu qu’après tant de siècles d’un tel traitement les noirs puissent respecter les blancs ? Mais c’est impossible ! Alors la farce du sucre continue, elle devient même la guerre du sucre, tout le monde veut du sucre, du sucre !, du sucre !, tout le monde veut des bonbons, tout le monde veut des gâtös, miam miam, et pour développer ce business jusqu’au délire, ces rats de commerçants esclavagistes exportent le modèle dans les îles des Caraïbes, où les conditions climatiques sont, nous dit le docu, comparables à celles de la côte africaine.

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    Alors ça repart de plus belle, avec des beaux bateaux bien profilés sous le vent, avec des braves capitaines grassement payés et des bons matelots ravis d’aller violer des négresses impubères la nuit dans les cales, et soudain l’océan Atlantique devient le théâtre d’un immense cauchemar à ciel ouvert orchestré par une poignée de riches investisseurs blancs que l’immoralité et l’argent facile ont transformés en monstres dégénérés. Tous ces gens savent très bien ce qu’ils font, les rouages de la machine tournent merveilleusement bien, l’argent coule à flot, c’est la naissance du capitalisme sauvage, avec le concours avide des banques et des assurances, notamment en Angleterre. Maximum de profit, zéro charges sociales et réservoir de main d’œuvre inépuisable ! L’El Dorado ! Le dernier épisode du docu est celui qui va te foutre en l’air, on estime à 50 millions le nombre de gens arrachés à leurs villages et transportés comme des bêtes vers les Caraïbes et le Brésil. Si tu veux te choper une belle nausée, regarde ça et tu auras honte de faire partie de ce qu’on appelle la civilisation occidentale. Dans Occident, il y a occis. La traite des noirs n’est en fait qu’une machine de mort extrêmement rentable, ship ahoy, ca grouille de détails qui te feraient presque dire : «Ouf heureusement que je n’étais pas noir à cette époque !», car tomber dans les pattes des négriers, ça devait être quelque chose de terrifiant. Violence, sexe, cupidité et racisme, cocktail superbe ! Les pires sont les convaincus de la légitimité de ce business, avec toutes les théories à la mormoille de la supériorité la race blanche, le même genre de délire qu’on a vu revenir avec la race aryenne, ça donne le mal de mer de penser à tout ça, le mal de mer on l’a de toute façon quand on voit ces bateaux qui puent la mort et quand on voit ces belles demeures bourgeoises de Nantes et de Bordeaux, celles des armateurs qui ont bâti leur fortune sur le commerce de la mort, alors les O’Jays repartent de plus belle - Can’t you feel the motion of the ocean/ Can’t you feel the cold wind blowing by/ There’s so many fish in the sea - Tu écoutes ça et tu demandes dans quel monde tu vis, et comment ont fait tous ces pauvres noirs pour survivre à une telle œuvre de destruction massive - Get a little something/ Gonna land in jail/ Somebody bite the whip/ I’m your master/ And you’re my slave/ And you’re my slave/ I’m your master - tout à coup tu es submergé par le flot des immondes informations, 50 millions d’informations de la mort, autant que les noirs arrachés à la terre d’Afrique, et puis tu as les trafiquants noirs, ceux qui commercent avec les blancs, tu as aussi les sultans sur la côte Est qui eux aussi veulent en croquer, et puis enfin arrivent les révoltes d’esclaves, Saint-Domingue qui va devenir Haïti, mais de toute évidence, ces endroits bâtis sur le chaos de l’humanité ne connaîtront jamais la paix, et puis tu as le Brésil, apparemment le plus gros consommateur d’esclaves pendant trois siècles, mais curieusement le destin du Brésil ne semble pas aussi tragique que celui du Deep South, aux États-Unis, tellement exacerbé par le peu qu’on sait de l’histoire du blues,

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    toutes ces photos de champs de coton et ces quelques films qui tentent de régler des comptes avec l’inréglable. Car quand on se prétend civilisé, on ne fait pas travailler des gens à l’œil. Ah ils se sont régalés les riches planteurs revus et corrigés par Hollywood, avec les robes en crinoline et les beaux Fedoras en paille blanche, tous ces enfoirés s’en sont foutu plein les poches, pas de cotisations sociales, pas d’Urssaf, pas d’Arrco, coco, pas d’RTT, Toto, pas d’indexation ni de revalorisation, pas de rien, allez-y les bestiaux, bossez et prenez ça dans vos gueules, des bons coups de fouet, rien de tel que des bons coups de fouet pour dresser des êtres inférieurs. Tu m’étonnes que l’Amérique blanche ne s’en sorte pas. Elle ne pourra pas s’en sortir, c’est le même problème en Allemagne, l’histoire les rattrape au moindre signe de violence. L’Allemagne restera attachée à ses fours comme l’Amérique à ses génocides, et pas seulement les noirs, mais aussi les Indiens et les Vietnamiens. Trois millions de Viets, quand même, c’est pas autant que les 50 millions de la traite, mais c’est un bon départ - Men, women, and baby slaves/ Coming to the land of Liberty - Les O’Jays continuent d’onduler sous la houle de Ship Ahoy. Ce que ne dit pas le docu, c’est la façon dont ces pauvres gens voyaient les choses. Les O’Jays en donnent une idée. Le monde est tout pourri, mais on ne se doute pas à quel point. On croit à un moment que ça va se calmer avec l’arrivée des Abolitionnistes en Angleterre, mais pas du tout, ça ne raisonne qu’en termes de développement économique. Les Anglais sont les premiers à comprendre qu’on ne peut pas faire évoluer l’Occident en maintenant l’esclavage. Pour eux, les esclavagistes ne sont pas civilisés. Il faut un nouveau concept. Alors ils proposent le colonialisme. Et qui va servir de laboratoire ? L’Afrique ! Et pouf, ça repart de plus belle, avec tout le délire du travail forcé, les mains coupée du Congo belge, les missionnaires dans la forêt équatoriale, les colons français en Algérie, les mines d’Afrique du Sud et tout le bordel, le bordel sans fin. Les gens qui naissent noirs dans ce monde de blancs sont toujours aussi mal barrés, quoi qu’on en dise.

    Signé : Cazengler, cheap aouille

    Les Routes De l’Esclavage. Daniel Cattier, Juan Gélas, Fanny Glissant. 2018. 

    O’Jays. Ship Ahoy. Philadephia International Records 1973

     

     

    Inside the goldmine - Shooting Starlings

     

    Il s’en fout Cosmo. Une dette c’est une dette, et après ? 23 000 $ ? Pffff.... Il rentre à l’aube, dépose ses trois poules chez elles et va prendre son breakfast dans un bar du Strip. Scotch à l’eau. Grand verre, à ras-bord. Il le boit d’un trait, comme s’il crevait de soif. Derrière sa caméra, Cassa lui dit d’en siffler un autre. Cosmo le regarde et lui dit :

             — Sure ?

             Cassa chope l’incertitude en contre-champ. Il sait que ce sera l’un des meilleurs plans du Chinese Rock. Cassa cherche à capter le spirit des bars aux wee wee hours. Ah quand Scorse va voir ça, il va baver. Cassa décadre sur le champ. De toute façon, la grosse tête de Cosmo ne rentre pas. C’est pour ça qu’il l’a casté, pour sa grosse tête. Cassa mise tout sur Cosmo. Comme Cosmo bouffe le screen, Cassa peut démonter la gueule du script. Eaaasy. Cassa n’intervient pratiquement pas. Cosmo fait tout le boulot. Il bute le Chinese Rock, il drive Mister Sophistication, il offre des orchidées, il reçoit même des balles. Pas à blanc, Cassa veut du real blood. Cassa prône le réalisme socialiste. Real blood and real gang. Cosmo joue son propre rôle, son rôle de shooting star. S’il court dans Cielo Drive, il court dans Cielo Drive. S’il pose son sourire, il pose son sourire. S’il craque sa voix, il craque sa voix. S’il monte dans une Corvette, il monte dans une Corvette. Cassa le suit comme son ombre. Cassa le décadre à l’infini. Cassa cultive le brouillon du plan. Cosmo ne pourrait pas jouer Napoléon, ni Jésus, ni Raspoutine, ni Rodin, il ne peut jouer que Cosmo, il est trop Cosmo. Comme Bickle est trop Bickle. Ce genre de mec ne peut pas échapper à son destin. Même s’il meurt, il reste éternel. C’est toute la différence entre Cosmo et nous.   

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             Parmi les shooting stars retombées dans les ténèbres, on peut aussi citer les Starlings qui eurent leur petit moment d’éclat fragile dans les années quatre-vingt-dix. L’âme de ce groupe depuis longtemps oublié s’appelle Chris Sheehan, un Néo-Zélandais débarqué en Angleterre dans les années 90, après un crochet par Los Angeles. On trouve tout le détail sur Internet. L’essentiel est de savoir qu’on comparait ce mec à Chris Bailey et qu’il trimballait à Londres une belle réputation de junkie. Il tenta de faire décoller les Starlings qui étaient plus ou moins un one-man band évolutif, mais il se fit jeter par son label Anxious Records qui était en fait le label de Dave Stewart. Et donc boom à dégager, malgré deux bons albums prometteurs.

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             Sur Valid, le premier album des Starlings paru en 1992, on trouve pas mal de choses intéressantes. C’est d’ailleurs pour ça qu’on achète des disks, pour les choses intéressantes. Le «Unhealthy» qui ouvre le bal est une espèce de coup de génie, le son est immédiat, ainsi que la voix. C’est tout simplement le groove de «Death Party» et là t’es baisé - Excuse my actions/ Please kind sir - Chris Sheehan a la voix d’un chef de meute - I hear too many stupid questions and dumb replies - Aristocratie du groove, entre le Gun Club et Chris Bailey - Wow the circles getting smaller for the final kill/ The final thrill - et il chute avec Probably will. Excellent ! Ce mec a des accointances avec les squelettes, comme le montre «Sick Puppy». Il tape son groove de feel alrite au fuck all nite, il sonne comme a nasty bitch - My nervous twich - Il est terrific. Si tu es passé à côté des Starlings, pas de chance, car d’une certaine manière, ils sont le vrai truc de cette époque, avec le Gun Club et les Saints. Il noie son «Now Take That» dans le groove - There’ll be seven sorts of trouble - C’est insidieux, plein de jus purulent. Ce mec a du son. Une fantastique présence encore avec «That Is It You’re In Trouble», petite merveille de soft pop. Chris Sheehan est un dieu du stade. Il transforme le plomb en or du Rhin. Petite démonstration de force avec «Bad Dad». Il peut jouer sur tous les tableaux. C’est un admirable activiste, il envoie la bass fuzz au front, il ramone sa dinde, c’est la basse qui bourre le mou du son, alors qu’une guitare malade erre dans le couloir d’hôpital. Ce mec s’implique jusqu’au bout. On le voit aussi se frotter l’épaule contre le son d’orgue dans «Shoot Up Hill», pour un résultat très profond, très secret, joué très loin dans la mort de tout.        

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              Paru deux ans plus tard, Too Many Dogs est un bel album de groove. Ouverture de bal avec le Big Atmospherix de «Tears Before Bedtime». Son énigmatique mais beau, un peu espagnol. Buste droit. Chris Sheehan chante à la réalité de sa véracité. Il est certainement l’un des chanteurs majeurs du XXe siècle. Mais le sait-on vraiment ? Il entraîne son Tears dans la démence ambiancière, il descend dans le gusto du chant d’impression. S’ensuit une autre petite merveille, «Loch AAngeles (sic) Monster». Il a la voix, mais il travaille en plus le spirit du son. Belle avancée dans le groove underground. Il descend des fleuves, comme Rimbaud, il a la voix, comme Rimbaud avait la vision. Avec «As Long As You Feel Worse», il s’enfonce dans le deepy deep de deepah, ça groove sous le boisseau - Well I fucked your wife - Il a raison, il se coule dans l’underground des fleuves perdus. Encore du groove interlope avec «Mr Wishy Washy», il jette tout dans la balance, à force de tailler sa route et ses roots, il en devient presque américain. Comme les Limiñanas, il propose un mix étonnant de groove et rêve et de voix de rêve. 

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             Le Letters From Heaven EP vaut le rapatriement, car c’est là que se niche le hit des Starlings, «Razor Girl». C’est même un énorme hit, chanté à la morgue verte, celle de Peter Perrett, c’est excellent, ça marque la mémoire au fer rouge. Après ça, on n’oublie jamais les Starlings. Les deux cuts de l’A sont aussi très fascinants, car chantés à la vraie voix. Chris Sheehan était alors sur la bonne voie, il aurait dû exploser.

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             Si tu vas sur Wiki, tu verras que Chris Sheehan a joué dans d’autres groupes. Mais c’est le chanteur qui nous intéresse et en 1995, il enregistre un album solo, Out Of The Woods. Il est précisé sur la pochette que l’album est recorded in the goat shed at the edge of the woods. On est saisi dès le morceau titre d’ouverture de bal, il a tout derrière lui, alors il peut donner de la voix. On croit que ce mec va se calmer, pas du tout ! Il joue un groove fantôme. Il tape ensuite une cover du «Fly Like An Eagle» de Steve Miller, c’est du primitive de cabane avec des osselets dans le son, il est perdu, il a vendu son âme au diable et donc le son est là. C’est le groove fantôme des bois. Le «Boss» qui suit est énorme, il l’amène à la techno mais il sait ce qu’il fait. Il revient au chant dans cette orgie de son alors ça prend du relief et ça devient énorme. Il ramène des sons incroyables dans ses cuts, il les truffe de deepy deep et ça reste rock, il se glisse dans tous ses plans comme un serpent («Bother Be»). Présence vocale inexorable avec «Halloween Candy» et il donne une belle leçon d’exotica avec «One Day». Il ondule des reins entre tes reins, avec une basse qui bouffe le son, joli beat de stalwart underground. Il renoue avec le groove des cimetières dans «Johnny Come Home», c’est excellent, très city of the dead, New Orleans, avec une guitare qui shlurpe comme si elle suçait goulûment des queues. Nouveau coup de cœur avec «I Feel Able», il crée les conditions d’un beat tribal, mais à l’oh yeahhhh et c’est beau, bien tamponné à la racine du son, il répond merveilleusement bien aux attentes, c’est fin et ça capte.

    Signé : Cazengler, Starperlipopette

    Starlings. Valid. Anxious Records 1992         

    Starlings. Too Many Dogs. Anxious Records 1994 

    Starlings. Letters From Heaven EP. Bad Girl 1990

    Chris Sheehan. Out Of The Woods. Anxiou

     

     

    L’avenir du rock

    - Lumer qui baigne les golfes clairs

     

             Il fut un temps qu’on appelait le temps des poètes chantants. En ce temps-là, l’avenir du rock allait par les chemins, chantant du soir au matin. Verlainien dans l’âme, il allait de ferme en château, il chantait pour de l’eau et il chantait pour du pain. Comme les gens très pauvres, l’avenir du rock savait se contenter de peu, il se disait heureux, il n’avait rien mais il avait tout, puisqu’il pouvait dormir sur l’herbe des bois, conter fleurette aux divinités de la nuit et à la lune qu’il voyait se faufiler parmi les cimes des arbres. Il se rendit un jour chez la comtesse. Le laquais chinois qui le reçut lui indiqua qu’elle était absente mais qu’elle lui avait fait préparer un plat de riz. Oh merci monsieur le laquais, fit l’avenir du rock qui repartit sur le chemin en chantant. Car tel était son destin. Et puis un jour le destin se montra plus cruel et lui joua un vilain tour. Chacun sait qu’un plat de riz ne nourrit pas son homme, même s’il est servi par un laquais chinois dans le château de la comtesse. En conséquence de quoi l’avenir du rock s’écroula au creux d’un sentier. Deux gendarmes vinrent à passer et l’avenir du rock leur tendit la main, leur demandant de l’aide, implorant leur pitié, mais frisant leurs moustaches, les gendarmes emmenèrent l’avenir du rock non pour le secourir, mais pour le jeter au cachot, car au temps des poètes, on enfermait les vagabonds. On leur disait : «Vagabond ! Ton compte est bon !». Si la morale était chiche, la rime était riche. «Avenir du rock qu’es-tu devenu ?», hulula-t-il dans sa cellule, en écho à Guillaume Apollinaire, victime lui aussi d’une grave injustice. Comme il ne pouvait concevoir la vie sans liberté, il détacha la ficelle qui lui servait de ceinture et se pendit pour retrouver sa liberté. Il devint un très joli fantôme et se mit à hanter les bois et à chanter Lumer qui baigne les golfes clairs.

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             Pas beaucoup d’infos sur les golfes clairs de Lumer. Nord de l’Angleterre, nouvelle génération, vieux son, Manchester années 80. Brut de décoffrage. Grosse énergie. Quatre petits mecs amateurs de petits fracas. Four lads looking for small havocs.

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    Vont chercher la petite bête. Décrochent leur pompon. En quête de l’inaccessible étoile. Brûle encore. Mettent les corps en branle. Visent le pandémonium. Twist & Shout. Angleterre profonde, comme on dit France profonde. Des non-fringues et des tatouages. Street on stage. Something weird. Indiscutable présence. Indéniable prestance. Indéfinissable aisance. Son qui vole comme un essaim de bourdons. Attaque. Sauve-qui-peut la vie. God art ! So goooood ! Pas ton son, mais ta came. Tu finis par céder. En trois cuts, les golfes clairs emportent la partie.

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    Wham bam thank you la post (Hello Gildas). Sale son qui va pas bien, mais prescience qui les absout de tous leurs sins. Jesus died for everybody’s sins. Sun of the sins. Jouent sous le sun de la Friche. Pas encore la tombée du jour. Red sun. Éclats des deux Fenders. Démantibules de cordes. Patibules de gestes. Mandibules d’hip-shake. Vestibules de shout. Marcel noir sur tattoo horizontal, d’une épaule l’autre. Exacerbation des jus corporels. Incubation des pus caractériels. Percolation des guts intemporels. Réprobation des crus immatériels. Titubation des flux artériels.

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    Golfs clairs dans la tempête. Âcreté fondamentale. Post-punk tue-l’amour. Please kill me. Nul repos en leur bas monde. Tourmentes de shakedown. Down on your knees. Need nobody. Hip yourself. Northern Soul de working class lads. Sad Division. No dreams. Death sound. Ring my bell. Mort et renaissance instantanée. Phoenix Division. Not alive & well, but dead & well. No future sound of no-well land. Vie et mort des golfes clairs. Épais mystère. Tentation de Saint-Antoine. Flop-bert. Apocalypse now. Now ? Now. Oh now now now. Golf clair éructe. Lumer fait la lumière. Four kids on stage, au fond de nulle part. Dans l’improbabilité d’une misérable foire à la saucisse.

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             L’an passé sortait The Disappearing Act. Pas beaucoup d’infos au dos de la pochette, il faut aller sur leur Bandcamp pour savoir que le jeune shouter s’appelle Alex Evans, son copain guitar slinger est un certain Ben Jackson, le bassman en marcel noir et au regard d’aigle s’appelle Benjamin Morrod et le power beurreman Will Evans.

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    On retrouve le son de l’essaim de bourdons dans le «She’s Innocent» d’ouverture de balda. Alex Evans est un excellent frontman qui entre dans la catégorie des Ian Curtis, pour l’obsessionnel et le dark, et des Bryan Ferry, pour l’aspect mec brun leader of the pack. Il chante à l’Anglaise, au pur sound, et l’ingé-son arrondit fantastiquement bien le bassmatic. Côté guitares, les dissonances sont admirables. On y revient. La tension règne encore dans «First It’s Too Late», ils cultivent l’art du Northern post-punk, un son terriblement British. Ces mecs ne vivent que pour la tentation de Saint-Anthony, monté sur le meilleur rebondi de tatapoum. Le «White Czar» qui ouvre le bal de la B sonne presque comme un hit. Ils continuent de cultiver l’art des dissonances de la concordance. Alex Evans prône bien la violence. Voilà encore un cut remplisseur de spectre, bien heavy et hanté par des clameurs superbes. Evans sait haranguer ses harengs, il n’a aucun problème de ce côté-là. Lumer sonne très Manchester années 80, très stéréotypé, monté aux échos des Smiths et des ambiances passagères. Encore du son Brit avec «Sheets», cette fois, ils frisent l’Adorable de twilight zone et on observe un très bel élan composital. Ils recoulent le Cool Britannia dans le moule de bushow. Voilà, c’est à peu près tout ce qu’on peut en dire.       

    Signé : Cazengler, Lumerde à Vauban

    Lumer. Friche Lucien. Rouen (76). 3 juillet 2022

    Lumer. The Disappearing Act. Beast Records 2021

     

     

    ROBERT PLANT & ALISON KRAUSS

    2007 - 2009

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    RAISIND SAND

    ( Rounder Records / Octobre 2007 )

     

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                Sable qui vole, un titre nostalgique qui nous invite à profiter des bons moments qui passent, Robert Plant et Alison Kraus debout sur une plage, ils ne nous regardent pas, sourient à l’on ne sait quoi, peut-être à eux-mêmes. Au dos de la pochette ils nous tournent le dos, Alison se retourne pour nous sourire, et nous dire merci de les avoir écoutés. Une pochette toute simple, légèrement voilée de sable, comme un rappel des photos-sépia de l’ancien temps, signature de Pamela Springteen, la sœur du Boss, elle avait déjà réalisé en 2001 la couve qui ne manque pas d’humour de New Favorite d’Alison Krauss + Union Station.

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    T-Bone Burnett : production, guitares basses, il a entre autres produit Roy Orbison et participé à la Rolling Thunder Revue de Bob Dylan  / Marc Ribot : guitares, banjo, dobro : l’on ne compte plus ses participations, nous n’en citerons que trois : Norah Jones, Tom Waits, Bashung / Norman Blake : guitare acoustique : accrochez-vous aux petites herbes a joué avec  : Johnny Cash, Dylan, Kris Kristofferson, Joan Baez notamment sur le The day they drove Old Dixie downGreg Leiz : guitare, pedal steel guitar ; a joué pour tout le monde de Lucinda Williams à Sam Phillips, de Clapton à Springfield… / Riley Baugus : babjo  a joué avec Willie Nelson et dans de nombreux groupes à cordes des Appalaches. Mike Seeger : autoharpe : multi instrumentiste, demi-frère de Pete Seeger, fondateur des New Lost City Rambler, son importance dans le mouvement folk a été reconnue par Dylan. Denis Crouch : contrebasse : on le retrouve derrière Johnny Cash, Imelda May, Steven Tyler, Emmylou Harris et quelques autres du même tonneau… Patrick Warren : claviers, piano, orgue, harmonium : toujours la même limonade : Dylan, Springfield et Lana Del Rey pour changer un peu. Jay Bellerose : batterie, percussions : pour ne pas allonger la liste jusqu’à l’infini je ne citerai que Ricky Lee Jones … Pour résumer : la crème des crèmes.

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    Rich woman : ( les rockers dresseront l’oreille en entendant le nom de la compositrice de ce morceau écrit en 1955 Dorothy LaBostrie, l’auteur de Tutti Frutti dont elle a toujours revendiqué l’intégrale maternité ) : n’écoutez cette chanson qu’une fois, sinon vous êtes foutu, elle n’a l’air de rien, un truc gentillet, une petite rythmique simplette, passez à la suivante, sinon vos céderez au vertige, terriblement hypnotique, s’ installe dans votre tête et trotte en rond sans fin, derrière les musicos vous bernent par ce l’on appellera des effets de style minimalistes, des leurres auxquels vous prêtez attention alors que vous êtes en train de dévaler la pente raide de la folie douce, pas bête le Robert se fait tout petit,  laisse Alison mener la sarabande, n’est-ce pas en quelque sorte un hymne féministe, vous suivez tout heureux, et vous souriez lorsque les portes de l’asile se referment sur vous…et puis cette intro diabolique qui ressemble à une fin de bande que l’on laisse filer pour rajouter quelques secondes à un morceau trop court.  Killin the blues : ( un morceau de Roland Salley compositeur, chanteur et guitariste de Chris Isaak ), le titre est trompeur, rien à voir avec le blues, une ballade country parmi tant d’autres, une chanson d’amour triste à pleurer, Alison et Robert jouent sur du velours mouillé, la pedal steel guitar pleurniche dans son coin, votre cœur se serre, pas de panique vous survivrez, c’est beau mais un peu ennuyeux, nos deux tourtereaux nous en donnent une version parfaite, hélas nous vivons dans un monde imparfait, ses éclaboussures nous manquent. Sister Rosetta goes before us : (un titre de Sam Phillips, rien à voir avec les Studios Sun, chanteuse, compositrice, encore l’épouse de T-Bone Burnett au moment de cet enregistrement, l’on ne présente pas Sister Rosetta Tharpe, à qui certains thuriféraires prêtent l’invention du rock ‘n’ roll, cette musique du Diable, les accointances christologiques de Sam Phillips expliquent l’écriture de ce morceau,  le nom de Sister accolé  à  son prénom  est un témoignage de la foi ardente de Rosetta. ) : tout simple, un léger gratouillis de cordes, le rythme martelé de Jay Bellerose, plus la voix et le violon d’Alison, par-dessous des chœurs fantomatiques, un instant de grâce, une revisitation du gospel d’autant plus heureuse que l’original se présente comme une ballade assez roots. Pour réussir une telle interprétation, l’est nécessaire d’avoir cette voix d’Alison si pure qu’on lui donnerait Sir Rosetta Tharpe sans confession. Polly come home : ( de Gene Clark des Byrds, sur l’album Through the morning, through the night paru en 1969 ) : Plant a maintes fois répété que ce fut de toute sa vie de chanteur, une chanson des plus difficiles à chanter, l’est vrai que cette interprétation se démarque de celle de Gene Clark qui apparaît de ce fait comme une simple ballade harmonique, le ralentissement du rythme donnerait à penser que la tâche en aurait été rendue plus aisée, il n’en est rien, la difficulté de l’enregistrement fut sans doute due au fait que là où Clark interprète une chanson triste, Plant s’est complu à transformer cette amourette désolée en drame universel, malgré son minimalisme instrumental ce morceau est le seul du disque à sonner comme un morceau de Led Zeppelin, Plant se charge du vocal, le doux murmure d’Alison quasi inaudible romantise à l’excès l’éloignement de Poly. Gone, gone, gone : ( pas étonnant de trouver sur cet album un titre des Everly Brothers, surprenant n'ont pas choisi une mélodie sucrée du duo, ont jeté leur dévolu sur un rock plutôt enlevé qui rompt avec l’ambiance de l’album, l’en existe une vidéo officielle grand-public de fort mauvais goût qu’il vaut mieux oublier ) : z’ont dû s’amuser comme des petits fous dans le studio, se lâchent tous, à pleins gosiers et à cordes rabattues, une version country rock, une de ces petites merveilles qui n'invente pas le feu mais qui enflamme les pinèdes mentales partout où elle passe. Trough the morning, through the night : ( retour à l’album de Gene Clark et Doug Dillard ) : de tous les originaux utilisés sur l’album, c’est celui qui se rapproche de la musicalité des interprétations de Plant & Krauss, morceau country classique, totalement transcendé par la voix d’Alison, ce qui chez Clark vous a des airs de jérémiade incapacitante  touche ici à l’intemporalité de toute expérience humaine.

     

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      Please read the letter : ( Plant reprend la main avec un de ses morceaux  tiré de Walking into Clarksdale ) : évidemment ils n’ont pas la guitare de Page, ils s’en passent très bien, l’orchestration minimaliste choisie colle davantage aux paroles typiquement country de Plant, Alison mêle sa voix à celle de Robert sur les refrains et vous transfigure la pacotille en poussant son violon vers les azurescences du désespoir. Une réussite.  Trampled Rose : ( écrite par Kathleen Brennan pour son mari Tom Waits ) :  drôle de défi pour nos deux oiseaux, comment donner à ce titre davantage de force que l’engorgement déchiré de Tom Waits, Alison Krauss ne recule pas, là où Waits traîne sa chenillesque misérabilité sur le sol du désespoir, elle hausse sa voix vers les anges, elle ne frappe pas à la porte du paradis, elle est déjà à l’intérieur, l’orchestre s’est contenté de jeter sous ses pieds un tapis de roses, qu’elle n’effleure même pas laissant couler les larmes du banjo  que ses yeux n’ont pas versées. Fortune teller : ( tous les groupes anglais reprenaient cela dans les sixties, la première fois que j’ai entendu ce titre j’ai cru qu’il s’agissait d’une histoire de pirates, non c’est seulement une facétie de l’amour ) : évidemment Robert Plant est comme un poisson dans l’eau avec ce titre d’Allen Toussaint, doit lui rappeler sa jeunesse, l’orchestre lui prépare un background rocko-cubano-pseudo-calypso aux petits oignons, l’est tout en joie, le vieil étalon gambade tel un poulain échappé de l’écurie, n'a besoin de personne Robert avec sa diseuse de bonne aventure, ce qui n’empêche pas Alison de se glisser dans le morceau, elle glapit entre ses dents  comme une renarde amoureuse, et cette voix animale venue de si loin vous rend tout chose. Stick with my baby : ( n’y a pas que Lee Hazlewood qui a enregistré avec Nancy Sinatra, Mel Tillis aussi, mais ici il s’agit d’un titre écrit pour les Everly Brothers ) : la chantent à deux, Alison en haut de la portée, Robert tout en bas, ne nous trompons pas, inutile de les écouter ils font le job, mais les boss ce sont les musicos qui produisent une merveilleuse parodie des slows sixties, tout en finesse sur un tempo plus enlevé que l’on ne s’y attendrait. Le morceau le moins réussi de l’album. Nothin’ : ( Un déchiré de la vie, l’on peut résumer l’existence de Townes Van Zandt,en deux mots, Elvis et Alcool,  des paroles fortes sans concessions, le country qui vous file le bourdon et le bourbon ) : lorsque Zandt chante, les mots suffisent, pour égaler cette force qui sourd de lui, ici les guitares électriques donnent tout ce qu’elles peuvent, le violon d’Alison mêle sa plainte longiligne à leur fureur, Plant prend sa voix la plus creuse, celle dans laquelle résonnent toute la solitude du monde, parfois l’on croirait qu’il se parle à lui-même, le violon funèbre d’Alison se plante dans votre cœur. Vous n’avez plus besoin de rien. Superbe. Let your loss be your lesson : ( Milton Campbell a enregistré chez  Sun, Chess et Atco, essayez de faire mieux ) ; pour ce morceau de pur rhythm ‘n’blues l’on se disait que Plant allait prendre la main, ben non Alison est au taquet, pas de cuivres dans le studio, pas de problème les guitares lui préparent un groove de derrière  les fagots embrasés, l’on s’aperçoit combien elle a du talent, chante tout ce qu’elle veut, frôlant chaque fois la perfection sans jamais donner l’impression qu’elle se renie ou qu’elle suit la mode. Your long journey : ( avec ce titre de la Watson Family enregistré en 1963 l’on touche à l’essence même du country, du bluegrass et du folk, pas étonnant que l’album se clôt sur ce retour aux racines ) : les cordes carillonnent à la façon des boîtes à musique, chantent tous deux à l’unisson, cette fois-ci aucun ne domine l’autre, donnent à ce morceau une touche religieuse que la nudité l’interprétation originale gomme quelque peu. Touchant, quoi de plus émotionnel de terminer un disque sur une chanson d’adieu éternel. De rappeler que la mort nous attend. Typiquement country dans l’esprit.

    2

             L’enregistrement de Raising Sand sera suivi d’une tournée au travers des Etats-Unis. Les quelques vidéos qui relatent le grand voyage valent le déplacement. Elles sont supérieures à celles de la tournée d’aujourd’hui. Une explication très simple, Robert Plant et Alison Krauss ont une quinzaine d’années de moins, autant dire que Plant a une quinzaine d’années de plus et cela se ressent… nos vies défilent à la vitesse d’une poignée de sable qui s’écoule entre nos doigts.

    D’abord cette vidéo du :

    HARDLY STRICKY BLUEGRASS FESTIVAL

    GOLDEN GATE PARK / SAN FRANCISCO / 03 / 10 / 2008

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                    Si l’on sent s’en réfère aux programmations successives de ce festival strictement  Bluegrass il y a de quoi s’inquiéter, apparemment l’idée que l’on se fait du Bluegrass du côté de Frisco n’est pas du tout sectaire puisque toutes sortes d’artistes et de styles sont représentés. Mais avec cette scène de grosses planches sise sous d’épaisses frondaisons d’arbres centenaires nous ne sommes pas loin des vidéos de Paige Anderson et de Two Runenr que nous aimons  à regarder.

             Maintenant on ne s’attend pas à ce que l’on va entendre. Pas donné à tout le monde de caresser dans le sens du poil un chien noir avec un banjo, une contrebasse et une batterie minimale.  Oui il s’agit bien d’une version de Black Dog, l’un des morceaux les plus fragmentés et les plus violents de Led Zeppelin. Alison dans une épaisse robe rouge, le vent souffle assez fort, Frisco frisquet, Robert chemise blanche, veste noire, sont immobiles devant leur micro, ressemblent à des clergymans qui se recueillent avant de communiquer la parole de Dieu à l’assistance, entament maintenant à pas lents une espèce de ballet  de rapprochement, cris dans la foule, Plant murmure les premiers lyrics, derrière la big mama pousse l’escarcelle du rythme, Alicia mêle sa voix à la sienne, une guitare klaxonne à la manière d’une voiture de pompier, tout rentre dans l’ordre, tout doucement au vocal qui fait une pause pour laisser la batterie faire le break tandis que la guitare embraye aussitôt sa partition de déchaînements, et l’on recommence au début, tout doux, c’est reparti pour un tour, l’on n’espère que le manège ne s’arrêtera jamais, tous deux prennent le temps de sourire et entament un étrange danse pratiquement statique pour laisser leur quart d’heure de gloire aux musicos, nous passent le film au ralenti, et c’est fini. La foule enthousiaste acclame.

    LIVE FROM THE GREEK  THEATRE

    ( Night 1 / Concert complet / 2008 )

             Vous ne croyez quand même pas que l’on vous emmène en Grèce sur les gradins de pierre sur lesquels Aristote et Alcibiade se sont assis, vous avez Alison et Robert, cela vous suffit amplement. Nous ne quittons pas la Californie. A mon humble connaissance cet état possède deux théâtres grecs, l’un à Berkeley, la célèbre université, l’autre à Los Angeles, z’ont joué dans les deux, mais deux nuits de suite à Los Angeles, c’est donc le concert 1 du 23 juin 2008.

    Attention ce n’est pas une vidéo prise par un portable tremblotant, nous avons droit à une production de pro ( lmage Factory Productions Kissinger ), les caméras ne quittent pas les artistes, le public est totalement ignoré, jamais nous n’apercevrons les gradins aux fauteuils rouges, ce parti-pris crée une impression d’intimité d’autant plus que la scène n’est pas vraiment grande et encombrée de matos.

    Cordes : Buddy Miller, Stewart Duncan, T-Bone Burnett / Contrebasse : Dennis Crouch / Batterie : Jay Bellerose.

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    Débutent par Rich Woman, la caméra s’attarde sur les guitaristes, elle a raison ; ils mènent le bal électrique, c’est un plaisir de les entendre, derrière leur micro nos deux ténors ne poussent pas à la consommation, émission oblige, l’on peaufine les morceaux, on prend le temps, Alison enchaîne avec Leave my woman alone de Ray Charles (très vite repris par les Everly ), Plant se charge du gros du vocal, très rock, quatre fois Alison mène la charge sur son violon, ça cavalcade à tous crins, un solo de banjo à décoiffer les hirondelles en plein vol, et l’on passe Black Dog, je n’insiste pas, le son est bien meilleur que sur la vidéo précédente, l’on en profite pour admirer la robe amarante à motifs blancs d’Alison, le visage de vieux loup de mer du Capitaine Plant, et les superpositions d’images du montage,  Sister Rosetta goes before us, sans aucun doute, Alison ne bouge pas, sa voix s’élève, moment magique, par deux fois son archet glisse sur son violon, il devrait être interdit d’être aussi douée, lui suffit d’ouvrir la bouche pour que nous soyons persuadés qu’on la suivra jusqu’au bout du monde et plus loin encore, Trough the morning, trough the night, les messieurs sont sur le pont, les cordes pleurent et le backing vocal est tout attentionné, ce n’est pas que l’on s’en fout, c’est que l’on s’en contrefout, Alison Krauss chante et la quintessence de la country vous enveloppe, si à la place de ces cadors derrière vous aviez une chorale de maternelle qui braillerait ce serait aussi beau, Goodbye ans so long for you, la garce continue avec un de ses titres, fini la romance larmoyante, elle règle ses comptes, les filles savent être cruelles, votre cœur percé de mille flèches ressemble à un hérisson, tout est dans l’intonation, un mot de plus et vous êtes mort, les musicos peuvent galoper derrière elle, ils ne la rattraperont jamais,

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    Fortune Teller, Plant revient, heureusement on avait oublié qu’il existait, remet très vite les pendules à l’heure, poupée si tu ne sais pas ce que c’est qu’un rocker tu vas l’apprendre, L’Alison peut bien venir pousser les sirènes, Ulysse Plant ficelé à son micro imperturbable continue son numéro et l’ignore superbement, In the mood ( into Mattie Grooves ), ont fait la paix, on s’ennuie, Plant bégaye un peu, un duo de violons sauve la mise, sans attendre Alison reprend la barre et le vieux morceau de Fairport Convention, Plant revient et ça se termine beaucoup mieux qu’ils n’ont commencé, Black country woman il n’y a qu’un pas de Fairport Convention, à cette reprise de Physical Graffity, l’acoustique de Page qui gratouille et gazouille sur la cime de l’arbre et le vocal de Plant qui influe au country la désespérance désirable du blues, bref un morceau idoine ce soir pour Plant, n’a pas perdu sa voix, côté Led Zeppe III vous avez le banjo et le violon de Krauss qui cherche les crosses, puis s’y mettent tous pour un beau raffut qui dépasse en intensité l’original, et surprise, mais logique car après le trois il y a quatre, Plant s’enflamme et nous offre des départs dignes du dernier couplet de Stairway, rien à redire. Plant ne se plante pas.  Faut contenter tout le monde deux titres de T Bone Burnett, c’est d’ailleurs lui qui s’avance, acoustique en main, l’a un peu rectifié sa mèche qui d’habitude lui mange la moitié du visage,  n’a pas choisi dans son répertoire les morceaux les plus sombres, mais Primitive n’est pas gai non plus même s’il essaie de prendre la mine d’un croque-mort  qui s’astreint à endosser sa figure la plus avenante pour venir vous enterrer… sur Creole Song ( le traditionnel Bon temps roulet ) il termine en une espèce d’apothéose bruitiste musicale pas très éloignée de Led Zeppe, il est urgent de farfouiller dans la discographie de ce grand monsieur, se recule dans le noir pour annoncer Alison Krauss

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    Trampled rose, j’aime quand elle glapit comme le renard dans le désert, une longue plainte désespérée, magnifique cette voix si tendre alternée par ces cris de souffrance ou d’appel, véritable prouesse vocale que ces changements de timbres, très habilement les images perdent leurs couleurs, passent en blanc et noir, batterie et contrebasse s’efforcent à ne pas faire de bruit, vifs applaudissements, on ne quitte pas cette darkness, elle se métamorphose en innocente transparence, ne riez pas vous n’avez donc pas entendu parler du gars qui transforma l’eau en vin, voici Green pasture notamment illustré par Emmylou Harris, si vous êtes chrétiens vous adorez, ce n’est pas un ange qui passe mais le Christ en personne, les bondieuseries des amerloques me fatiguent un peu ( m’énervent beaucoup ) toutefois Alison chante comme l’oiseau sur la branche qui est sûr que le bon dieu lui donnera sa becquée… Down to the river to pray, un traditionnel américain dont l’origine se perd dans le temps, negro-spiritual antérieur au blues sans aucun doute, elle chante a cappella, soutenue au refrain par le chœur des boys, comment peut-on posséder tant d’harmoniques dans son gosier, s’il est un miracle, c’est bien celui-là, Plant la rejoint pour Killin the blues, après l’émotion suscité par ce qui précède, c’est mignon tout plein mais l’on est descendu de trois ou quatre crans, la chansonnette pleine de bons sentiments qui mettra tout le monde d’accord, les spots tournent au bleu, c’est ce que l’on doit appeler dorer la pilule… Nothing, lui refilent une chatoyante atmosphère orientalisante très zéplinéen mais cette goutte de néant et de finitude humaine qui manquait nous rend le bonheur plus âcre,  plus incertain, Robert Plant impérial dans son interprétation, retrouve ses intonations du temps du Dirigeable, cris de joie pour l’égrenage de l’intro de The battle of ever more, Plant en grande forme, normalement n’importe qui devrait avoir peur de le rejoindre au vocal, Alison s’installe dans le morceau comme vous sur le canapé devant la télé, l’est à son aise, sa voix se durcit et ne jure en rien avec celle de Robert, magnifique sans compter les boys qui derrière avancent à grands pas sur la chaussée des géants… Please read the letter, Plant s’empare du vocal et ne lâchera pas une once de terrain, Alison module à peine, c’est son violon qui parle pour elle, c’est là que l’on s’aperçoit que Paige et Plant en duo sans leurs  habituels acolytes  n’étaient pas au mieux, quand la magie est partie, elle est partie… Gone, gone, gone, rien de mieux qu’un bon petit rock’n’roll pour se remettre en forme et chasser les idées grises, c’est étrange ils sonnent comme les Animals ( qui auraient oublié de descendre l’orgue du camion ) dans I’ m crying, cette remarque n’engage que moi, de toutes les manières, c’est fini, saluent tous ensemble, mais non ils reviennent, pour un Don’t knock, une espèce de gospel laïcisé de Mavis Staples, un moment de délassement facile à chanter, facile à jouer, après quoi Plant se lance dans One-woman man de Johnny Horton un petit rockabilly des familles qui flirte autant avec le gospel que le cajun, Alison joue la mégère apprivoisée pour le second couplet, une scie de violon, et hop emballé c’est pesé, le concert finit comme Raisin’ sand, Your long journey rien de tel qu’une ballade pour  calmer les esprits… Bonne nuit les petits !

             Conclusion irrémédiable : les concerts de 2008 furent très supérieurs à ceux de 2021, n’enfonçons pas de porte ouverte et ne soulevons pas le couvercle du cercueil de Plant, surtout que cette histoire se termine comme un conte de fée. L’album Raising Sand se vendra à un million d’exemplaires aux Etats Unis. N’y a pas que l’argent dans la vie,  y a aussi les hochets de la gloire, en février 2009, aux Grammy Hawards ( méfions-nous comme de la peste de ce genre d’institutions ) Raising sand rafle tous les prix : l’est élu Album de l’année, Album country de l’année, meilleur album folk de l’annéeenregistrement de l’année section meilleure collaboration pop avec chant pour Please read the letter, meilleure collaboration country avec chant pour Killin the blues… Question dorures sur tranche vous trouverez difficilement mieux…

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                    Pour les acharnés, une vidéo YT de quatre minutes sur la remise du prix meilleur album, le truc attendu pas folichon, et une autre sur laquelle ils interprètent, Rich Woman et Gone, gone, gone, bien sûr nous donnerons le prix beauté à Alison Krauss, mais pour la meilleure dégaine ce sera T-Bone Burnett, une classe incroyable, ce type mérite le détour.

    Damie Chad.

     

    *

    Dans notre livraison 543 du 24 / 02 / 2022 nous chroniquions une mince plaquette de Mathias Richard :  L’année où le Cybergpunk a percé, voici qu’il nous revient avec un gros livre de quatre cent trente pages. Ce n’est pas l’épaisseur de l’opus qui nous a interpellé mais la première phrase de la quatrième de couverture dans lequel l’ouvrage est qualifié de livre-somme et son ‘’ grand-œuvre de poésie’’. Voilà qui exige attention.

    Nota Bene : Dans cette première chronique, nous ne nous livrons à aucune ‘’étude du texte’’, nous nous contentons de poser les armatures mentales nécessaires à l’éclosion d’un tel livre.

    A TRAVERS TOUT

    ( POETRY STRIKES BACK )

    MATHIAS RICHARD

    ( Tinbad / Août 2022 ) 

    1

    N’aurions-nous pas compris que la mention en lettres rouges sous le titre nous obligerait à nous poser quelques questions. Il est peu d’auteurs de nos jours qui osent arborer une telle étamine, en notre langue françoise La poésie contre-attaque.  Si ce n’est pas de la provocation, c’est au moins une terrible assurance.  

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             Pour ceux qui ne connaissent pas la démarche de Mathias Richard, l’expression livre-somme entrera en contradiction avec la deuxième  phrase de la présentation : ‘’ Une démarche totale, textuelle, vocale, performative, existentielle ‘’  nous sommes donc face à une somme qui ne contient pas tout, puisque certains textes avant d’être réunis pour l’impression ont été l’objet de performances vocales, musicales, de danses, de vidéos… le livre est à lire comme le témoignage d’une démarche qui a eu lieu, à déchiffrer comme des traces de pas sur le sable de notre époque mouvante et les cendres d’une existence calcinée personnelle. En d’autres termes ce n’est pas une collection de poèmes mais un recueil d’expériences cruciales. Un chemin de poésie.

             Heidegger nous a prévenus : à un moment donné tout chemin, fût-il de poésie, s’infléchit sur lui-même, en d’autres termes si la poésie traverse la totalité du monde, cette même totalité du monde traverse la poésie, pour faire simple nous dirons que cette présence du monde dans l’écriture se remarque dans l’écriture de la poésie.

    Nous sommes descendus dans la formulation scripturale de l’écriture. A ce niveau-là Marx affirmerait que l’écriture sera dominée par l’idéologie de son époque. Heidegger est plus précis, il définit notre époque comme celle qui est dominée par la technique. Cela ne signifie pas expressément que si Lamartine utilisait une plume deux siècles plus tard l’on se sert de l’ordinateur. Non, pour Heidegger l’arraisonnement de l’Homme par la technique implique un changement de ce qu’Aristote nommait l’entéléchie de l’être humain, cette force qui le pousse à être ce qu’il est. Heidegger explicite, si une force extérieure s’en vient à changer le rapport de l’Homme à son être, l’Homme exilé en quelque sorte de lui-même connaîtra l’angoisse de l’exil de son être. D’où un malaise inextinguible.

    A travers tout nous montre bien un être en crise. Certes il impute cette crise au monde ( économico-politico-social ) dans lequel il vit, mais ce monde est justement la manifestation agissante de cet arraisonnement du monde par la technique. Le serpent se mord / se mort la queue. L’on navigue sans cesse entre désespoir et absurdité, entre drame humain et comédie poétique.  Entre les arabesques de l’esprit qui zigzague pour échapper à sa situation et au grotesque de ces situations dans lesquelles l’on marche (peut-être même y piétine-t-on ), si l’on préfère s’en référer à Edgar Poe.

    La lucidité ne facilite pas le chemin. Il convient d’élaborer une fine stratégie. L’égo cogito cartésien ne suffit pas, il analyse, il décrit, il comprend mais il ne permet ni d’avancer, ni de se protéger, encore moins de contre-attaquer. Mathias Richard adopte la technique indienne du tipi que l’on emporte avec soi, en terme philosophique, il se réfugie dans le Moi fichtéen, le Moi, un Moi monté sur roue qu’il déplace à sa guise. Partout où il est, partout où il va, il est dans son Moi, l’est comme le centre du cercle de l’univers infini qui dans n’importe quel endroit où il se trouve délimite l’endroit exact du centre de l’univers.  Il fut un temps, mal vu en nos jours démocratiques, où une telle position poétique se nommait poésie de tour d’ivoire.

    Mathias Richard ne se prend pas pour le centre du Monde. Il ne se vantardise pas en tant que son Moi, il use du pronom personnel Je. Un historien de la philosophie allemande nous expliquerait que de la position toute théorique fichtéenne il passe à la position praxistique stirnériene. Il métamorphose son Moi souverain en Je excessif. Devient un peu le pot de terre du Moi ( = Je ) contre le pot de fer du monde. N’arrête pas de prendre des coups, à la page suivante il a recollé les morceaux et s’apprête encore à faire face. Indéfiniment ?

    Nous avons posé l’armature physico-métaphysique de la position poétique de Mathias Richard. Rappelons que si l’Homme est un être physique dès qu’il entre en rapport avec autre chose ( quelle qu’elle soit, êtres animés ou objets inanimés ) que lui-même, il entretient un rapport métaphysique avec le monde, puisque celui-ci se situe à l'extérieur, après, méta,  sa propre constitution physique. D’où l’importance du concept de mouvement dans le développement de la philosophie occidentale, mais ceci est une autre histoire qui nous entraînerait trop loin de notre sujet.

    Sujet qui est le développement de l’affirmation : la poésie contre-attaque. Nous entrons-là dans l’historialité de l’écriture de ce livre.

    2

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             Pourquoi et comment la poésie contre-attaquerait-elle par ce livre. Voilà le genre de questions qui appelle des réponses sujettes à d’amples controverses.

             La première ( Pourquoi ) sous-entend la nécessité d’une contre-attaque. Ce qui laisse supposer l’idée critique – donnons à ce mot le sens d’examinatoire - d’un certain délabrement de la production poétique contemporaine. Que personnellement nous partageons, à l’exception que la parution d’A travers tout nous enjoint de penser que l’effort qu’exige l’écriture d’une œuvre capable de poser la problématique de l’écriture d’une telle œuvre reste encore pour certains, dont expressément Mathias Richard, l’exigence essentielle de l’écriture poétique. Pour nous, si nous mettons un tréma au mot poëte c’est justement pour signifier par ce signe ( aujourd’hui ) distinctif que le poëte n’a d’autre raison d’être que cette exigence essentielle et absolue. Preuve que tout n’est pas perdu.

             La réponse à la seconde ( Comment ) ne peut être que l’analyse des moyens ( d’écriture ) qui concourent à mettre en œuvre cette exigence fondamentale de l’élaboration d’une œuvre qui puisse embrasser la totalité de cette exigence de telle manière que la volonté de rendre-compte de la totalité du monde soit le signe de la plus grande exigence poétique.

             Si vous voulez le tout, il est nécessaire que votre tout englobe le rien, sans quoi il n’est pas tout, tout au plus un presque rien. D’où la nécessité d’user de la positivité de toute chose mais aussi de la négativité de toute chose. Ce qui équivaut à dire que le livre doit totaliser la positivité de la poésie et la négativité de la poésie. La positivité de la poésie est facile à définir, c’est la beauté du poème ( pour reprendre les mots de l’esthétique dix-neuviémiste ) en nos jours de modernité l’on parlera de force du texte, de son irradiation… La négativité de la poésie ne saurait être son absence malevitchienne, l’écriture d’un livre blanc par exemple. Elle ne saurait être non plus l’absence de ces diverses apparitions (performances, vidéos, etc…) dont la typographie est incapable de rendre compte. La négativité de la poésie réside en le fait que la poésie ne se suffit pas à elle-même, qu’elle a besoin de dire qu’elle est poésie. Ce sont ces moments où la poésie éprouve la nécessité non pas d’apparaître en ce qu’elle est, mais de se mettre à penser qu’elle est poésie, ce pour quoi elle laisse place à la pensée.

             Ce mouvement de retrait, phénoménologique nous murmure narquoisement Hegel à notre oreille, de la poésie qui ne peut être totalement que par ce retrait d’elle-même, vous le trouverez (mais pas uniquement) dans les dernières pages du volume.

             Bonne lecture.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 565 : KR'TNT 565 : LOVIN' SPOONFUL / EDDIE PILLER / PICTUREBOOKS / SOUR JAZZ / LED ZEPPELIN / LE CRI DU COYOTE / ROCK BALLAD / SOUL BAG / ROBERT PLANT + ALISON KRAUSS

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 565

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    08 / 09 / 2022

    LOVIN’ SPOONFUL / EDDIE PILER

    PICTUREBOOKS / SOUR JAZZ

    LED ZEPPELIN / LE CRI DU COYOTTE  

    ROCK BALLAD / SOUL BAG

    ROBERT PLANT + ALISON KRAUSS

    Sur ce site : livraisons 318 – 565

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    Spoonful on the hill

     

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             Les Lovin’ Spoonful illuminèrent les hit-parades des sixties avec deux hits mirobolants, «Daydream» et «Summer In The City». Les Anglais ça appellent des anthems. C’est le propre de la pop que d’être universelle. John Lennon avait diablement raison d’affirmer - pour déconner - que les Beatles étaient plus célèbres que le Christ. Les Lovin’ Spoonful auraient pu devenir aussi célèbres que les Beatles, et donc plus que le Christ, s’ils avaient un tant soit peu songé à se déniaiser. Ceci pour dire que leur véritable histoire n’est pas dans leurs cinq albums (comme ça pourrait être le cas des Pixies), mais dans le recueil de souvenirs de Steve Boone, le bassman du groupe.

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             Et quel recueil les amis ! Voilà un mec qui sait raconter sa vie ! Hotter Than A Match Head: My Life On The Run With The Lovin’ Spoonful est un petit livre palpitant, au moins autant que celui de Tommy James, qui raconte dans Me The Mob And The Music ses démêlés avec la mafia new-yorkaise. Après être devenu une rock star, comme il le dit lui-même, Boone s’est retrouvé embringué dans une affaire pas terrible avec la brigade des stups, puis il est entré en délinquance, comme d’autres en religion, en transportant des tonnes d’herbe à travers la mer des Caraïbes. Pirate, comme il dit, mais par nécessité économique. Le récit de ses expéditions en Colombie rend le dernier quart de book palpitant. Du coup, son récit autobiographique dégage un violent parfum d’aventure. Qui aurait cru que le bassiste d’un groupe pop new-yorkais allait devenir un pirate des Caraïbes ? Est-ce qu’il est devenu pirate pour se racheter de l’épisode du bust au cours duquel les stups les ont forcés lui et Zal Yanovsky à coopérer ?

              Si Boone prend le temps d’écrire l’histoire de sa vie, c’est forcément pour en parler et faire un peu la lumière sur cette sinistre affaire, qui rappelons-le, a quand même réussi à couler les Lovin’ Spoonful. Zal et lui sont arrêtés le 20 mai 1966 à San Francisco pour possession de marijuana. Les stups leur proposent un deal : soit Zal et Boone coopèrent un introduisant un flic en civil dans une party, soit ils sont condamnés et Zal, qui est canadien, sera expulsé, sans possibilité de retour aux États-Unis, donc plus de Lovin’ Spoonful pour eux. Boone rappelle que leur bust se produit bien avant que ça ne devienne la mode, bien avant que les stups ne harcellent les rock stars un peu partout dans le monde. Boone évoque quand même les jazzmen arrêtés pour usage d’héro et Johnny Cash arrêté à la frontière mexicaine avec un flacon de pills, mais c’est tout. Boone insiste pour dire à quel point Zal et lui avaient la trouille, ce jour de mai 1966. Boone craint pour ce qu’il appelle sa «carrière», son petit confort de rock star. Mais s’ils acceptent de se rendre dans une party accompagnés du flic en civil, on leur promet que les charges seront abandonnées. Zal et Boone commettent la grosse erreur de prendre la décision tout seuls, sans en parler aux deux autres. Ils commettent la pire erreur de leur vie : faire passer un flic de la brigade des stups pour un ami. L’horreur. Donc ils y vont. Le pire, c’est que le flic ressemble à un flic. Puis ils doivent retourner au commissariat pour le debrief. Ils croient qu’on va leur foutre la paix. Mais l’affaire s’ébruite, évidemment. Le mec de la party qui a été arrêté a fini par raconter que Zal et Boone lui avaient présenté le flic. Tout le monde à San Francisco est au courant. La presse s’empare de l’affaire. On les traite de balances, on appelle à boycotter leurs concerts, leurs disques et on incite même les filles à boycotter leurs parties de cul. Zal et Boone entrent alors en enfer. Les pages au long desquelles Boone relate cet épisode sont d’une pénibilité sans fin, car il essaye de justifier l’injustifiable.

             Par contre, il s’en sort mieux avec l’épisode de la piraterie, comme il l’appelle. Boone est un mec qui a grandi sur la côte en Floride et qui adore les bateaux. Donc il sait naviguer, comme Croz. Il vit quelques années à bord d’un bateau dans les Caraïbes puis un jour un mec lui propose d’aller charger en Colombie une grosse cargaison d’herbe à bord d’un voilier et de la ramener aux États-Unis - 6,500 pound load - Trois tonnes ! - Being a pirate m’a donné tout ce que je voulais. La possibilité de naviguer, toute l’herbe que je pouvais fumer et plus d’argent que je n’en avais jamais vu dans toute ma vie - Un peu plus tard, il repend la mer à bord du Carolina Garnet et charge quatre tonnes d’herbe. Le jeu consiste à éviter les patrouilleurs de la marine américaine. Il repart une troisième fois à bord du Do Deska Din charger dix tonnes d’herbe en Colombie. Quand Captain Boone informe son commanditaire qu’un patrouilleur a repéré le Do Deska Din, il reçoit d’ordre de couler le bateau. Ne jamais laisser de traces. Un peu plus tard, il reprend la mer à bord du Carolina Garnet, mais ça se passe mal. Le vent casse le grand mât et le bateau dérive vers la côte cubaine, et comme il n’a pas envie de finir sa vie au fond d’une taule cubaine, Captain Boone décide de couler le bateau avec sa cargaison. Il envoie un SOS et y fout le feu. L’équipage est recueilli par un patrouilleur américain, mais comme il n’existe pas de preuve de trafic, on relâche Captain Boone et ses hommes. 

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             Alors Boone aventurier ? Pas évident. On trouve dans les pages photo du book un portrait de Boone ado. Il est spectaculairement laid. Il est aussi laid que Joe Butler - batteur des Spoonful - est beau. Deux extrêmes. Ça s’arrange un peu avec les cheveux longs, mais quand même, le Boone n’est pas joli. Quand il essaye de se faire passer pour une graine de violence au lycée, on ne peut pas le prendre au sérieux. C’est plus facile avec Marlon Brando.

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             Quand on lui dit qu’il sera bassiste dans le groupe, il sort deux ou trois anecdotes marrantes sur le statut du bassiste : Mike Watt qui dit que généralement, dans un groupe, on choisit celui qui est le plus mentalement retardé pour jouer de la basse. Il cite aussi Dave Davies qui indique qu’ils ont joué à pile ou face le job de bassiste dans les Kinks et que Pete Quaife a perdu. Boone apprend donc à jouer de la basse à Greenwich Village et là ça devient passionnant. Il découvre Lenny Bruce en 1962 au Village Vanguard. C’est l’époque où Dylan débute et Boone dit que grâce à lui, il apprend à réfléchir - Dylan m’a inspiré pour écrire des folk-songs qui étaient un peu stupides. Mais au moins j’écrivais... et je réfléchissais - Comme tous les kids qui écoutaient Dylan à cette époque, Boone se croit intelligent. Puis en 1964, il fait son Marlon Brando et part faire le biker plusieurs mois en Europe. Son pote Peter Davey et lui débarquent à Londres et s’achètent une moto chacun. Peter Davey se paye une Triumph Tiger Club deux cylindres 500 cm3 et Boone une Matchless G80 mono-cylindre 500 cm3. Vroaaaaaaaaarrrr ! Ils sillonnent toute l’Europe pendant quatre mois. Puis retour à Greenwich Village. Au Night Owl Cafe, il voit le concert le plus extraordinaire du monde : Buzzy Linhart au vibraphone, Felix Pappalardi à l’electric Guild bass, Fred Neil à la douze et John Sebastian, second guitar. Boone est émerveillé. Dans la foulée, Seb lui présente l’ex-US marine Tim Hardin. Il faut imaginer ce concentré de légendes vivantes. Merci Boone de nous faire assister à un tel spectacle. Une nommée Ruth lui présente aussi le Trol. Quoi ? Boone ne sait pas qui est le Trol. Oh fait Ruth, c’est un amphète, l’Escatrol. Tout le monde en prend. Popping pills, ça s’appelle. Tu ouvres le bec et tu pop ta pill. Tu te retrouves debout toute la nuit à bavacher. Alors Boone pop sa pill. Et là il comprend soudain pourquoi tous ces mecs dans le bar parlent si fort et tous en même temps : tout le monde tourne au Trol. Fantastique ! 

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             Au moment où Boone rencontre Zal et Seb, ils cherchent un  bassman et un beurreman pour monter un groupe. Ça tombe bien, car Boone est bassman. Seb explique aussitôt à Boone qu’il adore le blues et qu’il a accompagné Mississippi John Hurt. Seb est un petit mec extrêmement doué qui impressionne beaucoup Boone. Seb s’appelle en réalité Giovani Puglese. Quant à Zal qu’on surnomme Zalman, c’est un sacré zozo, un guitariste qui zèbre son jeu de «whoops and grunts». Joe Butler est engagé au beurre et une fois le groupe complet, Seb propose le nom de Lovin’ Spoonful, tiré d’une chanson de Mississippi John Hurt. Boone est contre, car il pense que le spoon renvoie à l’héro, mais le nom est voté. Chez les Spoonful, on vote à la majorité. Seb, Zalman, Butler et Boone jouent leur premier concert en février 1965 au Night Owl Cafe. Ils fument un joint de Mexican weed et montent les marches qui conduisent directement de la loge à la scène, comme des gladiateurs qui entrent dans l’arène. Boone nous décrit tout ça dans le détail. Le démarrage d’un groupe est toujours la période la plus fascinante : des gens se rencontrent, montent leur projet, apprennent à jouer ensemble et déboulent sur scène pour la première fois. Rien de plus excitant. Puis c’est le premier hit, «Do You Believe In Magic». Comme le Velvet, ils jouent au Cafe Bizarre et sont payés en sandwiches au thon, ce qui les arrange bien, car ils crèvent de faim. Les gens commencent à s’intéresser à eux, et pas n’importe lesquels : Phil Spector et Jac Holzman. Les Spoonful la jouent fine et laissent monter les enchères. Le duo Koppelman et Rubin s’occupe d’eux. Ils leur décrochent un deal avec Kama Sutra. Les Spoonful font plus confiance au duo qu’à Totor. Dommage, car Totor aurait pu tirer d’eux ce qu’il a tiré des Righteous Brother et de Dion. Ça ne les empêche pas de participer au Big TNT Show avec les Supremes, qu’organise  Totor, un an après le prestigieux TAMI Show. Les Spoonful débarquent donc à Los Angeles et Boone rencontre Croz avec lequel il sympathise car ils ont deux passions en commun : les voiliers et les voitures de sport. Alors Croz propose à Boone une virée dans sa nouvelle Porsche. Vroaaaaaaarrrr ! mais comme toujours, la fête ne dure qu’un temps. Les rapports entre Seb et Zal se détériorent. Zal fait le con sur scène. Seb finit par réunir Boone et Butler pour mettre aux voix le saquage de Zal. Deux voix contre une. Boone prend bien soin de préciser qu’il a voté contre. C’est le mari de Judy Henske, Jerry Yester, qui remplace Zal. Puis en 1968, Seb annonce qu’il quitte le groupe. Fin des Spoonful. Ils n’auront duré que trois ans. Ce qu’on appelle un feu de paille.

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             Pendant cette brève période de gloriole, Boone aura réussi de jouer de la basse pour Dylan sur «Maggie’s Farm», l’un des killer cuts de Bringing It All Back Home. Boone se souvient aussi avoir passé une journée avec lui, à rouler en ville dans son Plymouth wagon station, à fumer des joints et à causer motos. L’autre rencontre dont il est fier est celle de Totor qui vient voir les Spoonful backstage pour leur proposer de les signer et de les produire. Boone le trouve charmant, et de toute façon, à cette époque, tout le monde adule Totor. Boone évoque aussi le fameux concert du Rose Bowl à Los Angeles avec le Bobby Fuller Four. Il les revoit tous les quatre sortir de leur trailer en refermant leurs braguettes. Ils venaient tout juste de se taper les groupies qu’on entendait gueuler. Boone ajoute que de bourrer des groupies n’était pas le genre des Spoonful et qu’on a retrouvé Bobby Fuller clamsé sans sa bagnole à Hollywood. La rumeur dit qu’il aurait fricoté avec la copine d’un truand local et que ça n’aurait pas plu du tout à ce monsieur.

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             On apprend aussi que juste avant de recruter les Monkees, Bob Rafelson et Bert Schneider ont proposé les rôles aux Spoonful. Ils cherchaient déjà quatre personnalités bien distinctes pour reproduire le modèle d’Hard Day’s Night et les Spoonful correspondaient parfaitement à leurs critères - Joe for his chick-magnet good looks ans Zally for his zanniness and over-the-top personality - Jerry Yester faillit bien être retenu, mais il a décliné l’offre quand les producteurs ont refusé de voir les autres membres de son groupe, The Modern Folk Quartet.

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             Autre rencontre déterminante : pendant la tournée avec les Supremes en 1965, Boone est assis dans le bus à côté de James Jamerson qui lui montre des trucs à la basse - His long fingers stretched across the octaves in perfect time. Bum-ba-ba-bum, ba-ba-ba-bum-ba-ba-bum. Well, fuck - Lors d’un voyage en avion, les Spoonful repèrent Miles Davis, assis comme eux en première classe. Alors Seb se dévoue pour aller lui présenter les hommages du groupe. Miles le laisse déballer ses salades et, en le fixant droit dans les yeux, lui lâche : «I don’t talk to honkies.» Quand Seb revient à sa place, les autres Spoonful sont hilares. Pendant tout le reste du voyage, nous dit Boone, chaque fois que Seb essayait de reprendre la conversation, on lui disait : «I don’t talk to honkies.»

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             Lorsqu’ils tournent en Angleterre, les Spoonful rencontrent tout le gratin dauphinois. Ils sont même invités par le riche héritier et proche des Stones Tara Browne dans son château en Irlande pour faire la fête. Huit mois plus tard, Tara Browne allait se tuer à Londres au volant de sa Lotus Elan. Boone aime bien les voitures de sport. Il se paye en 1966 une Ferrari 250 GT Lusso, la même que celles de Clapton et de George Harrison. Côté groupes, Boone déteste les Doors, l’Airplane et le Grateful Dead - All of whom I frankly thought sucked - Boone voit les Doors chez Ungano’s à New York et les trouve boring and a downer. Il trouve que les paroles de «Light My Fire» frisent la pornographie - It was saying little more than «come on baby suck my dick» - Pauvre Boone, il n’a rien vraiment compris au film. Ça ne le grandit pas de démolir des Doors. Déjà qu’il n’a pas les cuisses très propres. Pour rester au rayon sales bonhommes, voilà Nash, comme par hasard. Nash traîne alors à Greenwich Village avec Croz, Stephen Stills et Seb. Croz et Stills envisagent déjà de monter un super-groupe (CS&N) et proposent à Seb d’en faire partie, mais Seb décline l’offre. Puis quand il apprend que Nash se tape sa fiancée en douce, il quitte New York pour la Californie. C’est une manie chez Nash que de se taper les copines des autres. On appelle ça une mentalité. On reste encore au rayon sales bonhommes pour un drôle d’épisode. En 1991, Seb réussit à obtenir par voie de justice un accès aux royalties des Spoonful. Il fait venir Butler et Boone pour proposer de partager les royalties en quatre, avec Zal. Cette fois c’est Boone qui refuse. Pourquoi partager avec lui, ça va nous faire de l’argent en moins ! Seb est choqué. Il indique que c’est le seul moyen de faire venir Zal pour une reformation des Spoonful. Alors ils votent tous les trois comme ils l’ont fait 24 ans plus tôt pour virer Zal du groupe. Deux voix contre le partage à quatre, une voix pour, celle de Seb. Stupeur ! Alors Seb leur dit à tous les deux : «You guys will regret this, wait and see.» Finalement, tout cette histoire n’est pas très sympa, mais il faut féliciter Boone pour sa franchise. Il lâche des trucs qui ne sont pas faciles à lâcher.  

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             Les Spoonful s’étaient déjà reformés en 1980 pour jouer dans un film de Paul Simon, One Trick Pony. La critique a coulé le film qui a disparu sans laisser de trace. Puis Boone va découvrir l’héro et s’y adonner corps et âme avant de réussir à se detoxer. Sacré Boone il aura réussi à collectionner toutes les conneries. Au fond, c’est pour ça qu’on l’aime bien. D’une certaine façon, il ressemble au Grand Duduche. 

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             Si on ne craint pas de s’ennuyer, on peut écouter ou réécouter les cinq albums des Lovin’ Spoonful, parus sur Kama Sutra, label fondé par Art Ripp. Les Groovies firent paraître Flamingo sur Kama Sutra, qui était aussi le label des Fifth Dimension, de NRBQ et du Gene Vincent de la fin des haricots. On trouve les Spoonful tout souriants sur la pochette du premier album, Do You Believe In Magic, paru en 1965. Le morceau titre de l’album est en réalité le troisième hit des Lovin’ Spoonful. C’est une belle pop sixties admirablement emballée par Seb le dreamer. Mais le reste de l’album donne véritablement le ton du groupe : un son de jug-band bien enraciné dans l’Americana et une tendance naturelle à la good time music, qui est en fait leur pré carré. Du blues aussi avec «Sportin’ Life». Seb y sonne comme un expert du feeling. Son rendu de glotte est superbe. Tout est délicieusement bien intentionné sur cet album. C’est le côté souriant des sixties, la part de rêve, l’antithèse des Rolling Stones. Avec «Fishin’ Blues», ils tapent dans le country-rock à la new-yorkaise, alerte et vitaminé, gratté à la mode des Appalaches. En B, on trouve d’autres jolies choses comme «Wild About My Loving», une pièce de pop habilement montée sur une carcasse de blues et richement instrumentée. Mais le cut qui fend vraiment le cœur, c’est bien sûr l’«Other Side Of This Life» de Fred Neil, un groove psyché digne des Byrds d’«Eight Miles High». S’ensuit un balladif d’orfèvre intitulé «Younger Girl», mais l’«On The Road Again» qu’on trouve ensuite n’est pas celui de Canned Heat. Seb nous embarque plutôt dans un petit coup de boogie rock classique et sans histoires.    

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             «Summer In The City» se trouve sur Hums Of The Lovin’ Spoonful, paru l’année suivante. Ils sont toujours très souriants sur la pochette. Ils attaquent cet album avec une grosse rasade de country-rock de bastringue («Lovin’ You» et «Best Friends»). Ils sonnaient déjà trop américains pour les oreilles européennes. Seb essaye de faire son Wolf dans «Voodoo In My Basement» et ils reviennent à leur chère Americana avec «Darlin’ Companion» et au western swing avec «Henry Thomas». Ils sont dans leur monde. En B, il passent du groove jazzy des Caraïbes («Coconut Grove») au gaga («4 Eyes»), en passant bien sûr par le country-rock avec «Nashville Cats». «Summer In The City» qui clôt la B sauve l’album. 

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             Dernier album de l’âge d’or des Spoonful : Daydream, paru la même année. Le morceau titre est l’un des hits quintessentiels des sixties, joué au pur swing new-yorkais, siffloté et franchement digne des Groovies de Sneakers. John B Sebastian signe ce coup de génie. Ils sont plusieurs à savoir chanter dans le groupe. Joe Butler prend «There She Is» à la belle énergie. Ce groupe pouvait avoir très fière allure, c’est vrai. Seb chante «Warm Baby» d’une voix d’ange, mais hautement prévisible. Il faut bien admettre que l’originalité brille par son absence. De toute évidence, ces mecs sont fans de blues. Seb revient attaquer «Let The Boy Rock & Roll» avec cette intro magique - I heard Mama & Papa talk that night/ I heard Mama tell Papa/ Let the boy rock & roll - En B, ils ont un cut de pop franchement digne des Beatles : «You Didn’t Have To Be So Nice».

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             Everything Playing est un album beaucoup trop fleur bleue. Et puis le groupe a pris un mauvais coup, avec l’arrestation de Zal et Boone pour possession de marijuana. Les flics les ont terrorisés pour les forcer à coopérer. Évidemment, ça n’a pas plu en Californie et on a vu paraître dans la presse des appels à boycotter les Lovin’ Spoonful, comme déjà dit plus haut. Terminé, tout le monde descend. Sur cet album, ils essayent de revenir à un format plus pop avec des trucs comme «She Is Still A Mystery To Me» et «Six O’Clock». On sent la pop artisanale, travaillée avec passion, à la lueur d’une bougie. C’est peut-être avec «Old Folks» en B que Seb se rapproche le plus de John Lennon, avec des intentions généreuses un peu typées années trente. Par contre, ils reviennent à leur cher folky folkah avec «Money».

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             Fin des haricots avec Revelation - Revolution 69. Tout le monde est parti, sauf Butler qui passe du statut de batteur à celui de leader du groupe. Butler est assez malin pour aller taper dans des grosses compos du genre «Never Going Back», joliment soutenu par une guitare folk-rock. On se régale de «The Prophet» et de son weird sound absolument somptueux. Butler plonge dans la belle pop arpegiée avec «Only Yesterday», qu’il finit en sifflant. Finalement, tout n’est que balladif enchanté sur ce disque et Butler se paye même une tranche de heavy groove avec le morceau titre, brillamment éclairé par un solo de guitare américaine. Encore de la pop ambitieuse et terriblement chargée d’affect avec «Me About You». Ça sent terriblement bon le songwriter et Butler finit son petit album avec «Words», une belle pièce de pop classique. Une fois de plus, il se rapproche des Beatles. Cette pop est un vrai travail d’orfèvre, bâti sur des arches solides. C’est d’ailleurs Butler qu’on voit courir sur la pochette, à côté du lion. On a là l’une des pochettes les plus ridicules de l’histoire du rock.

             Dans le Boone book, on voit une photo de reformation récente des Spoonful avec Butler, Boone et Jerry Yester. Butler ressemble à un retraité de l’éducation nationale, Duduche Boone n’a plus un cheveu sur le caillou et Yester s’en sort un tout petit peu mieux. On se console en retournant voir les pochettes des trois premiers albums.

     Signé : Cazengler, emporté par la Spoonfoule qui nous trrrraîne et nous entrrrraîne

    Lovin’ Spoonful. Do You Believe In Magic. Kama Sutra 1965  

    Lovin’ Spoonful. Hums Of The Lovin Spoonful. Kama Sutra 1966

    Lovin’ Spoonful. Daydream. Kama Sutra 1966

    Lovin’ Spoonful. Everything Playing. Kama Sutra 1968 

    Lovin’ Spoonful. Revelation - Revolution 69. Kama Sutra 1969   

    Steve Boone. Hotter Than A Match Head: My Life On The Run With The Lovin’ Spoonful. ECW Press 2014.

     

     

    In Mod We Trust - Piller tombe pile (Part Three)

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             Avec son nouveau box set, Eddie Piller tombe plus pile que jamais. Il tombe mille fois pile et c’est peu dire. Cent cuts de pure Mod craze, cent singles tirés de sa collection personnelle, sans doute tient-t-on là la plus grosse compile de l’histoire des compiles, c’est le Nuggets des Mods, c’est aussi l’un des pires moments à passer, pour des oreilles de chrétien, le moindre single tiré de l’obscurité sonne comme un hit dans les pattes de Piller, il a cette facilité à imposer des choix qui nous renvoie aux grands spécialistes du genre, c’est-à-dire Guy Stephens et les gens d’Ace. Cent cuts de ce niveau, ça veut dire quatre soirées sur des charbons ardents, quatre soirées à encaisser des coups de Jarnac, quatre soirées à bénir les dieux du rock, quatre soirées à se dire que finalement la vie n’est pas si pourrie, tu aurais presque envie de collectionner tous ces singles dont on voit les rondelles dans les pages du booklet. Cent cuts et mourir, pourrait-on s’exclamer, plutôt que d’aller voir Rome. Les cent cuts de la vingt-cinquième heure, la compile qui tombe du ciel. Pourtant ce n’est pas la première box qu’il fait, son précédent exploit concernait le Mod Revival, cette fois, il remonte à la racine de ce phénomène tellement unique que les Anglais appellent Mod tout court, un phénomène qui est à la fois élitiste (au sens des élus), working-class (au sens des racines), et qui repose sur l’énergie (au sens de la chimie) et la vraie culture (au sens de l’intelligence). Mod, c’est un peu comme l’early rockab, celui de Charlie Feathers, c’est un gigantesque feu de paille auquel on peut consacrer toute une vie de fan. De box en box, Eddie Piller s’évertue à nous montrer l’éclat de ce feu de paille. Quand Piller fait sa box, il faii des choix, il rassemble sous son aile et il ne commet jamais aucune erreur. En même temps, il nous rappelle qu’on ne connaît grand-chose. Non seulement ça passe parce que c’est lui qui le dit, mais en plus il a raison. Tu écoutes les 100 cuts et souvent tu te demandes d’où sort ce truc-ci et d’où sort ce truc-là, malgré tes cinquante ans de fouilles et de recherches appliquées. Et tu as même l’impression que plus tu fouilles et plus tu recherches, et moins tu connais de choses. Ça te permet de reprendre de la distance avec ta fucking suffisance de pseudo-érudit à la petite semaine, avec ta misérable auto-satisfaction de collectionneur bidon. Piller te ramène au point de départ. T’as douze ans, tu ne sais rien et tu écoutes des 45 tours. Alors tu peux jerker dans ta chambre.

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             Cette box s’ouvre comme un livre. Si tu l’ouvres, tu pars en voyage. Cette notion de voyage est primordiale, car elle s’accompagne de découvertes. Piller t’emmène. Avant même de lancer le premier cut, tu sais que tu vas te régaler comme un régalien. C’est automatique. Mais tu ne sais pas à quel point tu vas te régaler. Petit conseil : étale ça sur quatre soirées, car chacun des quatre disks est beaucoup trop dense. Gros risque d’overdose. Il est essentiel d’attaquer chacun des quatre disks avec une oreille aussi fraîche qu’une laitue de jardin.

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             «I’m The Face» sonne comme un évidence. Le voyage ne pouvait commencer qu’avec les High Numbers, c’est-à-dire les early Who. Là tu as tout : le coup d’harp de triomphe et l’expert du Mod expect. Piller tombe toujours pile, il faut bien se rentrer ça dans le crâne. Il va chercher les vieux crabes, Cyril Davies, Tom Jones (Hello Gildas) et John Mayall, ils amènent de l’énergie, énormément d’énergie, surtout le «Country Line Special» de Cyril Davies, jamais on aurait cru que ça pouvait sonner comme un shoot de wild trashy r’n’b de London town, Tom Jones shoute en plein dans le Mod boom avec «Chills & Fever» et puis voilà les Koobas avec «You’d Better Make Up Your Mind» et soudain, le voyage monte en puissance avec l’enchaînement «Desdemona» (John’s Children), «Tick Tock» (heavy Mod rock de Shyster, c’est-à-dire les Fleur de Lys) et «Wasn’t It You» (Billie Davies). Rien qu’avec Billie Davies et Shyster, t’es content de faire partie du voyage. Et tu n’es qu’à mi-chemin du disk 1 ! Piller continue de te gaver comme une oie avec Kenny Lynch (une vraie sinécure), The Frays (avec une cover hargneuse du vieux classique de Big Dix «My Babe»), The Shots («Keep A Hold Of What You Got Now Baby», wild Bristish beat, pur genius), l’encore plus fantastique Mike Stevens & The Shevelles (Get on board «The Go-Go Train») et ça grimpe encore en température avec P.P. Arnold et «(If You Think You’re) Groovy». Et là tu vas rester au sommet avec Dusty Springfield (Hello Jean-Yves) qui fait son Aretha blanche avec «Little By Little». Elle te firmamente ça fermement. Bienvenue au paradis. On est chaque fois subjugué par la qualité des choix d’Eddie Piller. Il sait exactement ce qu’il fait. Rien d’étonnant à voir arriver The Poets de Glasgow avec «Wodden Spoon», hey hey hey, et des filles qui font ouh ouh ouh au fond de l’écho du temps, et ça repart comme si de rien n’était avec les excellents Muleskinners et leur cover de «Backdoor Man», wow, câdö d’Ed le jerkeur, version imbattable, grosse tension nerveuse, il faut entendre ces Anglais faire leur Wolf, et puis voilà ce shouter héroïque, Jimmy Winston qui fait son «Sorry She’s Mine» dans la prod bourbeuse d’un obscur single, l’occasion de mesurer une fois de plus la grandeur d’âme d’Ed Piller, car voilà un homme qui donne chaque fois qu’il le peut une dernière chance à un single menacé de disparaître définitivement. Derrière ça, il ramène Rod Stewart («Good Morning Little Schoolgirl»), les Yardbirds (l’effarant «Over Under Sideways Down», l’un des plus beaux singles de tous les temps), James Royal («A Little Bit Of Rain») et les Rockin’ Vickers («It’s Altight», l’early Lemmy fan des Beatles) qui ont eu plus de chance. On l’a un peu oublié, James Royal, mais Piller lui n’oublie pas ce fabuleux shouter qui danse sous la pluie de London town.

     

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             Le disk 2 ? Encore pire qu’Ali Baba, c’est Ali Boom-Boom, ça part en «Circles» avec les mighty Fleur De Lys, heavy craze de Mod pop psyché, au somment du lard de round and round, genius direct, avec le killer solo qui s’étrangle dans le cours du fleuve, là tu es au maximum overdrive du swingin’ London. Ne pouvait leur succéder que David Bowie et son fabuleux «Can’t Help Thinking About Me», bourré de tension Moddish, en plein cœur de la cocarde. On reste dans le club des aristos de la lanterne avec Georgie Fame («Sweet Thing») et les imparables Small Faces («Don’t Burst My Bubble»), tu crois une fois de plus avoir atteint le sommet. Grave erreur, camarade, le sommet le voilà : Tony & Tandy avec «Two Can Make It Together». Tony & Tandy ? Mais oui, Tony Head, plus connu sous le nom de Dave Antony, l’un des later members des Fleur de Lys, et Tandy n’est autre que Sharon Tandy qu’on va retrouver, rassure-toi, sur le disk 4 avec «Hold On», l’un des singles historiques du Swingin’ London. On ne remerciera jamais assez Eddie Piller d’avoir exhumé ce hit de Tony & Tandy. Et il continue d’en déterrer d’autres comme l’excellent «Ain’t No Big Thing» de Jimmy James & The Vagabonds, cut de rêve qui te lèche les cuisses dans la chaleur de la nuit, et voilà l’autre tenant de l’aboutissant Soul à Londres, Geno Washington & The Ram Jam Band avec «Michael (The Lover)», cut nickel, tiré à quatre épingle. S’ensuit une cover monstrueuse de «Big Bird» par Dog Soul, version extrêmement musculeuse, à l’anglaise, avec une basse qui vibre, tellement elle sature. Rien de plus violent en matière de shuffle que l’«Henry’s Panter» de Wynder K. Frog, suivi d’Alan Bown Set avec «Emergency 999», tapé à la voix de Soul Brother, oh no no no. Ed Piller aménage ensuite une petite phase groovy avec Timebox («Soul Sauce») et Harold McNair («The Hipster»), ça groove à la flûte et ça fuse un certain jazz. C’est une fois de plus l’occasion de mesurer le génie sélectif du Piller System. Un Piller qui reprend du poil de la bête avec l’«High Time Baby» du Spencer Davis Group et son big bass fuzz, suivi d’un «Gotta Get A Hold Of Myself» chanté au puissant front corporatif des Zombies. Nouvelle poussée de fièvre jaune avec le «Don’t Ask Me What I Say» de Manfred Mann, claqué juste derrière l’oreille du beignet, aïe, ça fait mal ! Paul Jones siffle comme un voyou, il est bien plus déniaisé que Jag et ça bascule dans la pure Mod craze, Manfred Mann est l’un des meilleurs groupes de l’époque, il faut s’en souvenir. Avec «I’m A Man», The Top Six recycle l’infernal shuffle du Spencer Davis Group. Ils n’ont pas la voix, mais ils ont les brûlots, ils ramènent leur petite niaque des faubourgs et on serre la pince d’Ed pour lui dire merci, car quelle tarte ! Il va ensuite enchaîner trois monstres sacrés : Steve Ellis avec Love Affair («Everlasting Love», voix unique, vrai maître de cérémonie), Madeline Bell («Picture Me Gone», Madeline elle aime bien ça, elle gueule par-dessus la coupole de Saint-Paul, elle éclaire la nuit) et Cliff Bennet qui vient stormer «Good Times» avec ses Rebel Rousers. Il faut faire gaffe avec Cliff Bennett, il va ensuite former Toe Fat.

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             Nouvelle rafale de noms mythiques avec le disk 3 : Syndicats, Attack, Artwoods, Creation, Sorrows, Birds, Eyes, Move. Eddie Piller ne nous épargne rien. Ce ne sont que des hits intemporels qui constituent les fondations d’une culture. Piller ouvre son bal des vampires avec le «Crawdaddy Simone» des Syndicats - He got no friends - la pire craze de toutes, avec bien sûr un killer solo flash au coin de la rue, «Crawdaddy Simone» est avec «Gloria» l’emblème du gaga Brit de brutes, le rave-up définitif. John Du Cann fait des étincelles dans le «Magic In The Air» d’Attack et Dave Davies passe un killer solo flash dans le «She’s Got Everything» des Kinks. Piller est culotté d’avoir choisi ce cut pas très connu des Kinks. Big sound encore avec le «Who’s Wrong» de The Truth, ces mecs rôdent dans le Mod rock avec du gusto, on sent chez eux une appétence pour la violence. C’est le bassmatic qui dégomme l’«I Take What I Want» des Artwoods. Art Wood y fait son white nigger. On n’en finirait plus avec tous ces géants. Piller les collectionne. Le festin se poursuit avec le «Making Time» des Creation, une cathédrale de son engloutie, quand ça part, ça ravage tout, même chose avec les Sorrows et l’excellentissime «Take A Heart», ils arrivent par en haut pour mieux gicler. Piller tape encore dans la crème avec The MeddyEvils et «Ma’s Place», de parfaits inconnus et tu n’as même pas le temps de souffler car voilà qu’arrivent les Birds avec «How Can It Be» (d’une extrême violence, l’un des cuts les plus violents jamais enregistrés en Angleterre) et l’«I’m Rowed Out» des Eyes (claqué dans l’écho, aussi bon que les Who et les Creation). Le «Bald Headed Woman» des Sneekers est une giclée de rave-up que tu reçois dans l’œil. Et quand on entend la violence du shuffle d’orgue de «Bert’s Apple Crumble», on comprend qu’Ed Piller ait pu craquer sur the Quik. On ferait tous la même chose. Ça repart en trombe avec «You’re The One I Need» des Move, ses chœurs de Mods de Brum City, sa guitare fantôme, son énergie fondamentale et Carl Wayne qui chante comme Stevie Winwood. On revient au pré-Creation et Mark Four avec «I’m Leaving», fabuleux raw de British beat, digne des Downliners Sect et des early Stones. Tout le monde danse sur le «Hay That’s What Horses Eat» des Nocturnes : shuffle épouvantable dans les clameurs de la civilisation occidentale. Encore un vrai brûlot avec l’«Everything’s Alright» des Mojos, hot as hell, tout est vraiment parfait dans cette box, chaque cut brille d’un éclat particulier. On ne dit pas ça parce qu’on admire Eddie Piller, mais parce que c’est une réalité. Il nous déterre aussi un single de The Silence, c’est-à-dire les early John’s Children, avec Andy Ellison et John Hewlett : «Down Down», fabuleux petit shoot de London swing. Apostolic Intervention est le premier groupe de Jerry Shirley qu’on va ensuite retrouver dans Humble Pie : «Madam Garcia» est comme on s’en doute un instro assez puissant, sinon, il ne figurerait pas sur le disk 3 d’une Piller box. On croit que la messe est dite. Non, il reste encore le coup du lapin : The Deejays avec «Blackeyd Woman», pur jus de wild gaga à gogo, London blast qui nous replonge au cœur du mayhem de la cocarde, les Deejays ont le feu au cul, c’est demented are go. 

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             On se doutait bien qu’Ed allait ouvrir la bal du disk 4 avec the Action. Belle embardée que ce «Never Ever». Tu as là-dedans tout le son des pantalons à carreaux. Joli shoot de wild British beat avec l’«Anytime» de The Riot Squad où traîna un temps David Bowie et puis voilà The Spectres avec «(We Ain’t Got) Nothing Yet». Piller est dingue de ce son et il a raison, cette belle cover des Blues Magoos vaut son pesant d’or du Rhin. On tombe ensuite nez à nez avec l’«Hold On» de Sharon Tandy, hit emblématique des nuits chaudes de Harlem avec cette garce de Sharon a dada sur le beat, rien de plus parfait que ce cut transpercé par le wild killer solo de Bryn Haworth. On reste dans le mythe pur avec l’«Early Roller Engine» de Quiet Melon, et ses échos de Rod the Mod dans le chant : c’est en gros les Small Faces + le Jeff Beck Group, alors quel bazar ! Qui dira la violence du beat de «Think About Love» par Dave & The Diamonds ? C’mon c’mon, c’est une dévastation d’une incroyable sauvagerie. Encore du solide avec le «Reservations» de Simon Dupree & The Big Sound. Une fois de plus, Piller tombe pile, comme Simon Dupree, c’est un wild entertainer, il ouvre sa boîte Pandore et répand sur la terre tout le Mod craze. Avec «Elbow Baby», The Habits proposent un shoot de wild r’n’b de c’mon babe. Ils jouent ça au fond de leur cave d’undergut. Plus loin, les Shapes Of Things révèlent un goût pour la profondeur avec «Striving», c’est excellent, complètement obscur, en plein dedans, comme d’ailleurs les singles de Maxine, des Blue Rondos et des Mindbinders qui précèdent. On applaudit bien fort l’«I’m Out» de The Richard Kent Style, car voilà du London swing staxé jusqu’à l’os. Nouvelle surprise de taille avec Sean Buckley & The Breadcrumbs et «No Matter How You Slice It», énorme Mod sound, from the back of my brain ! Piller ne peut pas s’empêcher de sortir le Syd’s Crowd single («Times Are Good Babe») qu’on dit être un single de l’early Syd Barrett, et Tony Colton va plus sur le jazz avec «Further On Down The Track». Diable, comme ça swingue ! Quasi Georgie Fame. Piller renouvelle son coup du lapin avec The Troop et «You’ll Call My Name», un single saturé de belle sature, big muddy sound, ils avancent dans l’épaisseur du son avec un killer solo au coin du bois. Et ce beau voyage s’achève avec Dave Anthony’s Mood, c’est-à-dire le Tony Head des Fleur de Lys et de Tony & Tandy.

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             Eddie Piller ne signe que la préface de la box. Il commence par dire qu’il est impossible de faire the definive Mod collection et ce, pour deux raisons. Un, la subjectivité de ses choix et il ajoute que quoiqu’il fasse, il y aura toujours des gens qui ne seront pas d’accord avec ses choix. Deux, la difficulté d’obtenir des licences : «I haven’t been able to secure important tracks from the likes of The Graham Bond Organisation, The Rolling Stones, Brian Auger Trinity, The Who, Them, Linda Lewis, The Andrew Loog Oldham orchestra and a dozen more, all for a variety of often quite bizarre reasons!». Il rappelle aussi que «the most important thing about the Mod scene was that is was about the music and the dancing as much as it was the clothes and the scooters. From jazz and Blues to R&B and Soul, from Ska and Rocksteady to Freakbeat and Psych, it’s a very broad church.» Et il conclut en écrivant : «J’espère que vous allez écouter cette collection avec autant de plaisir que j’ai eu à la constituer.»    

    Signé : Cazengler, tripe à la mode de Caen

    Eddie Piller Presents British Mod Sounds Of The 1960s. Box Edsel 2022

     

     

    L’avenir du rock - Picturebooks of Lily

     

             S’il est une chose que l’avenir du rock adore par dessus tout, c’est feuilleter ses livres d’art. Il déambule devant les étagères et en choisit un au hasard. Tiens, aujourd’hui, pourquoi pas replonger dans le délire des visages angulaires d’Otto Dix et errer une fois encore dans le cauchemar graphique de l’Allemagne de l’entre-deux guerres, lorsque les bourgeois ressemblaient à des porcs et les soldats de la Grande Guerre à des pantins brisés. Oh et puis Christian Shad, découvert dans le petit musée Maillol de la rue de Grenelle, Shad et sa prostituée au visage barré d’une gigantesque cicatrice, cet hyperréalisme troublant, cette véracité des présences qui défie le temps. Oh et le catalogue de l’expo Picabia au Palais de Tokyo, Picabia-Jésus-Christ et ses machines symboliques, Picabia-rastaquouère et son hyperréalisme de carte postale, Picabia-je-ne-suis-pas-peintre et le parfum enivrant d’une modernité de chaque instant, et bien sûr ce portrait d’Apollinaire à l’encre sur papier, auquel on revient toujours, comme on revient à ses premières amours. Pascin fait partie de ceux qui ressortent le plus souvent de l’étagère, pour sa fantastique liberté de ton, la poésie de sa touche, sa légèreté de pendu, Pascin admirable prince de la nuit dans son autoportrait en costume de toréador. Et puis Andy Warhol, forcément, toujours réactualisé par les écoutes furtives du Velvet, toujours dans son époque, le plus moderne d’entre tous, critiqué par les esprits médiocres, adulé par les autres, le Warhol des crânes et d’Elvis, le flaming Warhol de Marilyn et d’Audrey Hepburn, d’Elizabeth Taylor et de Mao. Ces tonnes de grands formats qui n’en finissent plus de te rappeler que l’histoire de l’art est mille fois mieux documentée que celle du rock, d’une part, et qu’elle se révèle mille fois plus passionnante, d’autre part. Chaque année au printemps, l’avenir du rock s’en retourne Gauguiner paisiblement à Pont-Aven et aux Marquises. Il va aussi s’enivrer des aplats rouges et verts de Van Dongen, des demi-teintes d’Edgar Degas, des chairs marbrées d’Édouard Manet. Ahhh les Picturebooks ! Seraient-ils le sel de sa terre ?

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             Grâce au hasard des programmations, on découvre qu’il existe aussi des Picturebooks en chair et en os.

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     Rien qu’à voir le kit du batteur, on sait que le set sera bon. C’est un vieux kit de bric et de broc, composé des deux énormes tomes de chèvre et d’une grosse caisse, pas de cymbales, avec en plus des bricoles accrochées en hauteur. C’est donc une première partie de concert en forme de pochette surprise. On ne sait rien d’eux. Ça fait partie du jeu. Ça permet de découvrir. Pas d’a priori. Pas d’idées préconçues.

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    Autre élément qui joue en leur faveur : le logo du groupe affiché en grand sur le fond de scène : c’est le travail d’un graphiste doué, les mots ‘Picture’ et ‘Books’ encadrent un poignard de pirate et l’ensemble est dessiné au trait dans un style primitif qui fonctionne bien. Donc on se dit que si le groupe est à la hauteur de son logo, on va se régaler. Ils arrivent et ne sont que deux, un batteur et un chanteur guitariste. L’option à la mode : le duo minimaliste à la Black Keys. On a vu tellement de duos minimalistes à la Black Keys qu’on finit par en connaître les limites, même si certains d’entre eux, comme The Left Lane Cruiser, parviennent à transcender ces limites. On salue leur audace, car rien n’est plus difficile que de tenir une heure sur scène à deux.

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    Le barbu chevelu qui bat le beurre le bat comme un sourd et devient très vite l’attraction principale. Jamais encore on avait vu un mec frapper ses fûts avec autant de violence. Il utilise des maillets à boules rouges qu’il finit par briser, tellement il ratacogne. Il frappe de toutes ses forces, on se demande comment tiennent les peaux sous les coups de cette brute atroce. Il aurait une petite tendance à vouloir voler le show.

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    Mais heureusement, le chanteur guitariste n’est pas né de la dernière pluie. Il est même taillé pour la route. Il reprend les choses là où Rory Gallagher les a laissées, pas seulement au niveau du son, mais surtout au niveau du look : même crinière, mêmes rouflaquettes, même stature de Taste-man, ce mec qu’on prend d’abord pour un Anglais est extrêmement brillant et surtout extrêmement rock’n’roll. Il ne porte que du noir et il gratte une acou électrifiée. Il ne joue pas d’accords, il tartine son heavy blues au bottleneck. À lui seul, il est capable de balayer tous les discours annonçant la mort du rock, il jette toute son énergie dans la balance et il sonne incroyablement juste. Le rock a la peau dure, comme disait Schmoll. Tant que des mecs comme lui vont monter sur scène, le rock peut dormir sur ses deux oreilles. En plus, il sait chauffer une salle, il établit un excellent contact avec le public, il parle aux gens entre chaque cut et promet de revenir jouer dans cette ville qu’il dit bien aimer. Le set des Picturebooks est un véritable festival de blues-rock qui navigue au même niveau que ce qu’on a déjà pu voir de bien dans le genre, notamment Left Lane Cruiser et Daddy Long Legs. On découvre après coup que le duo est allemand et que le guitar god habillé en noir s’appelle Flynn Claus Grabke. Il a tout l’avenir du rock devant lui.  

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             On découvre ensuite que les Picturebooks ont six albums au compteur. Sur les deux premiers, ils sont trois. C’est après le départ du bassman qu’ils vont devenir un duo. Alors faut-il écouter tout ça ? La réponse est comme d’habitude dans la question.

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               List Of People To Kill date de 2009. Dix ans de carrière déjà ! Ils font sensation avec le morceau titre, qui est comme porté par une énergie glam dévastatrice, bien urbaine, en plein dans le mille de l’idée. Du coup ça sonne comme un petit coup de génie. Ils travaillent l’art de la clameur. Autre surprise de taille : «Take It», tapé au big bass drum. Ils visent les plus hauts standards en raclant les fonds de tiroir du heavy trash gaga. Encore une énormité avec «Hustler», bien démoli de l’intérieur, chanté au laid-back de heavy stomp. C’est noyé de son et de chœurs déviants, ils sont dessus, c’est indéniable. Autrement, ils sortent des cuts comme ce «Bloody Lies» vite fondu dans le four Bessemer. En matière de fours, les German boys s’y connaissent. Ils sont aussi capables du pire, comme cette new-wave de la poste, «Prince Traffic Light» ou encore «Machine», hardcore germanique trop extrême pour être catholique, même si on y entend des accords stoogy. Grabke chante «Les Chats Noirs» en français pour mieux les noyer dans la soupe de tatapoum. Ils terminent cet album intéressant avec «Simple Solution» amené au petit gratté gaga, comme s’ils négociaient leur entrée dans nos oreilles. Ils s’y prennent comme des vétérans de toutes les guerres et travaillent l’effet heavy punk blues qui deviendra leur fonds de commerce.

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             Big album que cet Artificial Tears et sa pochette rouge, comme au temps de Grand Funk Railroad ou de Slade Alive. Et ça explose très vite avec «Twisted Truth/Milslead Youth». Grapke s’accroche à son chant à coups de twisted truth, il est d’une crédibilité sans nom, on assiste à un développement de cut spectaculaire, bien pulsé par les chœurs. Avec «Finders/Keepers», ils visent clairement l’apocalypse, ils sonnent comme l’un des grands power trios et la plongée dans le son est garantie. Grabke tape «I’m Drawing Hearts On Your Jean» au heavy blues-rock de préfiguration. Il sait allumer un feu, pas de problème. Il est dans l’écho du temps du blues, oh oh oh. C’est avec «Running Out Of Problems (You Can Have Some Of Mine)» qu’ils se mettent à sonner comme le JSBX. Mêmes coups de guitare en biseau, ils connaissent bien les ficelles. «Sensitive Feeling All Electric» montre encore leur sens de l’attaque, c’est presque un modèle du genre, leurs cocotes sont hard, ces mecs allument au premier degré. Encore une belle flambée de violence avec «Kiss Me Goddbye». Ils sont capable d’excellence. Ils terminent avec un «Phone Won’t Ring For You Tonight» gratté au delà de toute attente. Non seulement le son suit, mais the sound suits. Bien vu les Books. 

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             Après le départ du bassman Tim Bohlmann, les Books deviennent un duo et enregistrent Imaginary Horse en 2014. Ils semblent alors monter d’un cran avec cet album de rock primitif germanique. Ils tapent leur «Your Kisses Burn Like Fire» au heavy tribal Krupp, c’est assez demented, mille fois plus puissant que ne le seront jamais les Black Keys. Les Books visent clairement la démesure et là, on les prend vraiment au sérieux. Ils saturent littéralement l’écho. Pire encore, voici «1000 Years Of Doing Nothing». Voilà comment on bombarde un coup de génie : au pilon des forges Krupp. L’écho rend gorge, complètement saturé. On n’entend ça nulle part ailleurs. Nouveau départ avec «The Rabbitt & The Wolf». Grapke ne trompe pas sur la marchandise. «These Bridges I Must Burn» est très connoté - Ain’t no coming back - Grapke passe une sorte de solo de gras double, trois notes pas plus, mais c’est un riff du plus bel effet. Ça grouille d’idées chez les Books.

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             On ne comprend pas pourquoi ils ont mis une petite gonzesse à poil sur la pochette d’Home Is A Heartache, mais bon, c’est pas grave. On ne compte pas moins de trois bons cuts sur l’Home, à commencer par «Fire Keeps Burning». Le heavy trash-blues leur va bien. Comme ils ont du son, on guette la magie. Ils taillent leur petite bavette au heavy revienzy. Mais attention au son trop allemand, l’efficacité peut leur jouer un mauvais tour. Avec «I Need That Ooh», ils visent l’explosion du big American raunch et ils ont raison. Ils touillent leur soupe à deux, ils ont beaucoup plus d’ampleur que les Black Keys. Ils descendent au bord du fleuve avec «Zero Fucks Given». Leur heavy beat est tout de même bien allumé. Ils se prennent pour des mecs de Memphis, ils sont marrants. Leur «Cactus» est très puissant mais ils redeviennent trop allemands avec «Get Gone». C’est vite écrasé de son. On pourrait parler de grosse Bertha. Ils mettent le paquet sur «Heathen Love», c’est pas mal, mais on voit un peu à travers. Même s’ils ne sont pas aussi bons que GA-20, ils font leur biz et c’est bien que des groupes taillent la route à deux avec du son.

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             Une petite gonzesse tire la langue sur la pochette de The Hands Of Time. Ils rendent très vite un énorme hommage à Wolf avec «Howling Wolf», à coup de gros tatapoum et de clameurs de Salammbô. Très radical et même imparable. On aime bien ces deux mecs, ils font du bon barouf. Ils jouent leur va-tout en permanence. Ils maîtrisent bien leur tribalisme de Grosse Bertha. Ils amènent leur morceau titre au heavy beat de bottleneck. On se croirait chez les trash-punks d’Alabama. Remember the Immortal Lee County Killers ? Et voilà qu’ils flirtent avec le glam dans «Electric Nights». C’est bien embarqué, quasi T. Rex. Ils font du heavy glam de Books, c’est très intéressant. Côté photos, ils flirtent avec Easy Rider. On les voit tous les deux avec leurs choppers dans des déserts américains. Auraient-ils besoin de se faire mousser ? Le petit coup de génie arrive : il s’appelle «Lizard», amené au big drive de ventre à terre, c’est excellent, un vrai son de Harley, une belle dégelée dans la barbe du dieu des autoroutes. Les dynamiques sont des modèles du genre, c’est dingue comme ces deux petits mecs savent exploser la rondelle des annales et à la fin, un riffing d’acier dévore vivante cette hideuse énormité. Ils ont un fabuleux sens de la destruction massive. C’est là où tu les prends encore plus au sérieux. Fini de rigoler.

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             The Major Minor Collective est l’album des collaborations : des invités en pagaille. Pas mal de déchets, mais trois bonnes pioches. Trois, c’est leur moyenne. C’est déjà mieux que zéro. Ils font un «Corrina Corrina» superbe avec Neil Fallon de Clutch. Ils poussent bien le bouchon du heavy mud. C’est avec le heavy mud qu’on fait les grands albums. Ils font aussi un «Here’s To Magic» avec Dennis Lyxzen des Refused, un sacré screamer qui arrache bien le limon du Gulf, il tape ça à la hurlette de Justify. C’est la petite blonde des Blues Pills qui chante sur «Too Soft To Live & Too Hard To Die». Elle ramène sa fraise bien fraîche. C’est vite expédié en enfer. Quelle aventure ! Le reste est assez compliqué. Ils font du heavy blues avec le mec de Black Stone Cherry («Catch Me If You Can») et ça n’a aucun intérêt. Il faut faire gaffe avec les congrégations à la mormoille. «Beach Seduction» vire petite pop et avec le glam germanique d’«Holy Ghost», on se croirait dans le catalogue de la Redoute. La petite gonzesse qui chante «Rebel» ferait mieux de la fermer et celui qui braille «Multidimensional Violence» sort tout droit d’une caverne de cro-magnon. Drôle de mélange des genres. Les petits Books se grillent avec cet album un peu raté. La fin est pénible. On ne l’écoute que par sympathie.      

    Signé : Cazengler, Biturebook

    Picturebooks. Le 106. Rouen (76). Le 28 juin 2022

    Picturebooks. List Of People To Kill. Nois-O-Lution 2009

    Picturebooks. Artificial Tears. Nois-O-Lution 2010

    Picturebooks. Imaginary Horse. RidingEasy Records 2014

    Picturebooks. Home Is A Heartache. RidingEasy Records 2017

    Picturebooks. The Hands Of Time. Century Media 2019

    Picturebooks. The Major Minor Collective. Century Media 2021

     

    Inside the goldmine - Sour Jazz comme un pot

     

             Il s’agissait d’une invitation à réveillonner en bonne et due forme. Chez Jack, un peintre suisse installé à Saint-Denis. L’un des derniers surréalistes. Dans le salon trônait un bronze de Giaco assez massif et haut d’environ 1,20 m. Dès notre arrivée, notre hôte nous conduisit dans une pièce annexe pour nous montrer sa collection d’art nègre. Comme Breton et Apollinaire, Jack aimait à partager sa fascination pour les masques africains ramassés dans les villages par les colonialistes et dont on faisait à Paris dans l’entre-deux guerres un commerce intensif. Il accompagnait la description de chaque pièce d’un luxe de détails frisant le délire surréaliste, ça faisait partie du jeu, il promenait ses doigts de sorcier sur les bois rugueux jadis sculptés au plus profond des savanes et des forêts tropicales. L’épisode dura un peu plus d’une heure et quand nous revînmes au salon, les autres convives sablaient déjà le champagne. La charmante compagne de Jack nous proposa de rattraper le peloton de tête en remplissant des flûtes qui semblaient elles aussi sortir d’une collection d’objets d’art. Au mur trônaient quelques huiles que notre hôte s’abstint de commenter, nous laissant le soin de trouver nous-mêmes les noms des peintres. Certains devaient être des fauves, et des choses plus abstraites en petit format durent faire l’objet de trocs à l’époque avec des gens comme Juan Gris ou Braque dont Jack aimait à rappeler qu’il appréciait la fréquentation. L’hôtesse fit passer de main en main un plateau d’amuse-gueule que Jack s’empressa de nous recommander, car ils étaient fourrés à l’opium. En hôte parfait il ne cachait rien de ses addictions et nous passâmes à table dans un état qu’il fallait bien qualifier de second. La conversion repartit sur les métaphores sexuelles dont grouille la poésie de Rimbaud et sans qu’on eut pu le prévoir, l’atmosphère se tendit lorsque le nommé Bernard eut le mauvais goût de s’en prendre à la mémoire de Paul Gauguin, la traitant littéralement de «sale mec» et de «tripoteur de gazelles», ce qui déclencha une violente polémique, d’un côté les infâmes détracteurs, Jack et son sbire, de l’autre les Gauguineurs qui tentaient en vain de promouvoir cet idéal de liberté à tout crin auquel Gauguin conforma sa vie. L’échange dégénéra sur fond de free jazz et des assiettes volèrent à travers la pièce. Sour jazz. Jack nous jeta dehors comme des malpropres et, en arrivant dans la rue où nous l’avions garée, nous découvrîmes que la bagnole avait disparu. Nous décidâmes de rentrer à pieds en passant par le pont de l’Ile-Saint-Denis mais un petit gang de blacks nous prit en filature. La copine crevait de trouille. Rien ne pouvait plus la rassurer, les blacks rappaient derrière nous et s’adressaient à elle, «Pétasse suis-moi dans mon hôtel/ Pour une agression sexuelle volontaire». Ça valait bien Rimbaud après tout. 

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             Ce quatuor new-yorkais nommé Sour Jazz fit des siennes dans les années 2000 et dans le temps de sa courte existence, ces surdoués enregistrèrent quatre albums qui restent pour beaucoup des objets hautement référentiels. Le chanteur Lou Paris bénéficiait du double avantage de ressembler à Lux Interior et de chanter comme Iggy. Pour les amateurs de mythologie facile, Lou Paris était le client idéal. Et les albums ? Oh quels albums !

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              Départ en trombe en 1999 avec No Values. Joli clin d’œil à Iggy. D’ailleurs, deux cuts semblent fortement inspirés par les Stooges : «Fortune Cookie» et «(I’m A) Prick». Ces mecs adorent jouer avec le feu. Ratboy fait du pur Ron Asheton. Le Prick est d’obédience purement stoogienne, riffé à la vie à la mort. L’intensité est réelle, elle n’est pas là pour rigoler, Lou Paris chante au burning down, mais avec de l’harp et du sax en fin de parcours. Sur «I Live On A Street Called Rock’n’Roll», il sonne comme un Iggy des bas-fonds de New York City. Il fait du stomp d’urbi & d’orba, et Ratboy sort le son le plus acide de son époque. Cocotte grave et sans pitié. Lou Paris est un fantastique chanteur, on l’entend encore faire autorité dans «I Gotta Change». Il déroule bien son story-telling et fait bien l’Iggy doux dans les baisses de tension. Ratboy amène énormément de son dans la soupe de «Crawling». Il est de toutes les clameurs, il distribue tous les retours de manivelle. Il fait encore son nid dans un «Mountain High» noyé de sax, de chant et cette belle aventure se termine avec «Steamroller», l’awite d’intro est du pur Iggy et ça tourne à la belle dégelée de bonne aventure, avec tout le ras-de-marée habituel. Lou Paris y va au ridin’ high et à l’another glass of wine, pendant que Ratboy contre-casse tout ça à coups de power chords.

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             On trouve un gros clin d’œil de péripatéticienne aux Stooges sur Lost For Life : «No Fun (House)». C’est même l’un des hommages stoogiens les plus distingués de l’histoire de la stoogerie. Ils tapent ça au deepy deep avec un Lou Paris qui fait son Iggy à coups de baby. C’est en plein dans le mille, en plein dans les expectatives, awite ! «Mr Popular» fait aussi des étincelles, c’est extrêmement bien balancé, chanté à l’effarée avec des faux accents iguanesques. Encore une énorme présence du son dans «Easy As PI». Lou Paris compte parmi ceux qui comptent. Et cet «Hold On Me» vaut pour un fiévreux mid-tempo d’adjonction métempsychotique. Le bassmatic qui porte le «Dig It Up» de bal de B vaut lui pour un modèle de groove urbain. Et c’est là sur ce deuxième album que se niche la fameuse cover des Saints, «Messin’ With The Kid». Lou Paris fait son Chris Bailey dans un espace noyé de son. On y retrouve tout le pathos génial des Saints avec les arrangements de trompettes. C’est du pur génie interprétatif. 

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             Produit par Daniel Rey, Rock And Roll Ligger pourrait être un album des Stooges, pour au moins quatre raisons, à commencer par le «Big Generator» d’ouverture de bal. C’est Stoogy, mais seulement du chant. Lou Paris est le sosie vocal d’Iggy. Il refait son Iggy dans «King Me» et cette fois Mr Ratboy ramène de la wah pour faire bonne mesure - Come on/ Get along  with me/ King me - Ils stoogent encore la baraque avec «That’s Cool Too», ils sont l’un des groupes capables de stooger pour de vrai, la pulsion stoogienne n’a aucun secret pour eux, c’est la voix de Lou Paris qui fait tout le boulot. Down on the street encore avec «Know Where To Hide». C’est en plein dedans. Et Mr Ratboy est en plein dedans lui aussi, ils sont dans le c’mon viscéral des Stooges, c’est battu à la régalade, ils coulent un bronze qui fume, les accords que joue Mr Ratboy sont bien ceux du grand Ron Asheton - There’s nowhere to hide - Ils font un «Rock’n’Roll Star» bien supérieur à celui d’Oasis. Mr Ratboy y rajoute quelques explosions stoogiennes et ça fait toute la différence. Lou Paris attaque son «Drinking Alone Under The Moon» par en dessous, c’est un scenester énorme, aussi powerful qu’Iggy. Encore deux dégelées de stoogerie avec «Panzer» et «Antecedent». Jamais aucun mec n’a aussi bien égalé Iggy.

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             On retrouve une belle petite stoogerie sur American Seizure. Elle s’appelle «Fun Dumb Dance», c’est balayé par des vents ashetoniens et Lou Paris refait son Iggy. Ça cogne dans les tibias, tout prend feu, c’est le même genre de folie sonique, mais un peu plus sophistiquée. Si on aime les énormités, on va se régaler de «Cigarettes & Coughing», cette fois c’est Mr Ratboy qui fait des ravages avec son soloing envenimé qui croise un big drive de basse. Ils attaquent «Nippon Trust» au pushin’ in. Lou Paris plonge dans le groove comme le fait Elvis - Come along baby/ Cause we’re going downtown - Avec «Bad Times Coming», Lou Paris se rapproche de Peter Perrett. Les accords de «Without You» sont ceux des Heartbreakers, power & stuff, ils sont dans cette énergie mirobolante, avec du sax sur le dos d’âne. C’est tellement insidieux que ça devient fantastique, au sens littéraire du terme. Mais le coup de génie de l’album est le «Masquerader» d’ouverture de bal, c’est une stoggerie grattée à la cocotte malade, c’est violent et tout de suite mythique, c’est même au-delà des Stooges, de la cocotte et des mots. C’est Sour Jazz. 

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             En 2001, Munster proposait une petite compile explosive, Dressed To The Left. Explosive car ravagée par des stoogeries, et ce dès «Mr Popular (Part One)» - I wanna be popular/ That’s what I need - Pure Iggy motion. Une motion qu’on retrouve dans «(I’m A) Prick». On se croirait sur Raw Power, avec le riffing et le go d’assaut. Ça joue à la vie à la mort. Lou Paris fait son croco dans «Hold On Me», ça croasse dans le marigot. Et ça riffe à l’enfer du Search dans «Fortune Cookie». Son awite est une pure stoogerie. Il chante «I Like The City» à l’Iggy maximalus - I like the city/ Under the stars - Il refait son croco dans «I’ve Got It All» - I lose my mind/ I’ve got it all - et il force encore l’admiration avec sa reprise mirifique des Saints, «Messin’ With The Kid». On a tout, la voix de Chris Bailey, les cuivres et les accords d’Ed Kuepper, c’est joué aux tempêtes de front de mer avec des paquets de son en pleine gueule. La basse bouffe tout sur «Mountain High» et ça repart en stoogerie définitive avec «Streamroller». On l’aura compris, ces mecs sont des fans des Stooges ce que vient encore prouver «I Gotta Change». Ils terminent par le Part Two de «Mr Popular», et les riffs des Stooges dans le coin de l’oreille. Mr Popular est le plus stoogien des suiveurs, il est dans l’exercice de la fonction, les guitares rôdent comme des grosses abeilles autour de Babylone, c’est assez dément, au sens où l’entend Nabuchaudonosor et on voit sa barbe friser dans l’argile de la muraille, here you go my friend.

    Singé : Cazengler, Sourdingue

    Sour Jazz. No Values. Ghost Rider Records 1999

    Sour Jazz. Lost For Life. Ghost Rider Records 2001

    Sour Jazz. Rock And Roll Ligger. Acetate Records 2005

    Sour Jazz. American Seizure. Acetate Records 2009

    Sour Jazz. Dressed To The Left. Munster Records 2001

     

    LA REVUE DES REVUES

     

    1

    LED ZEPPELIN

    LES LEGENDES DU METAL N° 1

    ( Août / Septembre / Octobre 2022 )

    ( Part I )

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             Je ne sais pas si vous êtes comme moi mais dès que j’aperçois sur un présentoir, le nom de Led Zeppelin en couverture de revue, je sors mon revolver et me hâte d’abattre les trois ou quatre quidams qui ralentissent mon avancée vers l’objet de mon désir. Ce n’est pas bien, je l’avoue, mais c’est ainsi. Je me saisis de mon butin, en garçon honnête et bien élevé par ma maman je file à la caisse, toutefois j’attire l’attention du kiosquier sur ces cadavres qui jonchent le sol sur lesquels une vieille mamie pourrait trébucher.

             Je le confesse, cette fois-ci aucun être humain vaquant à de vagues divertissements pascaliens ne m’a empêché d’accéder à la revue, j’ai compris pourquoi à l’annonce du prix : 16 euros 50 centimes. D’accord, dos carré, grand format, photos-couleur, 132 pages, z’enfin la guerre en Ukraine et l’inflation tombent à pic…

             Depuis une vingtaine de mois les amateurs de rock’n’roll auront remarqué une nouvelle revue ROCK ( en grosses lettres ), au-dessus en plus petit, Les Légendes du, exemples : David Bowie, Les meilleures reprises rock, Genesis, Def Leppard… mais aussi Les Légendes de la Musique avec par exemple L’Histoire du blues, Kiss, les Beatles et Bob Marley… voici donc Les Légendes du Metal, le numéro 2 serait consacré à Van Halen… L’on s’interroge sur une telle stratégie éditoriale, brouillonnes improvisations, ou tactiques tous azimuts finement ciblés... L’ensemble est cornaqué par le groupe de Presse Oracom dont le Président-Directeur-Général Jean-Philippe Pécoul est nommé dans l’ours de la revue comme principal actionnaire.  

             0racom qui existe depuis 1995 jouit d’une bonne réputation, aurait des pratiques innovantes dans le métier. Je veux bien l’admettre, mais pour ce qui est du secteur musique, rien de nouveau sous le soleil de Satan, cela rappelle étrangement les numéros spéciaux de Rock & Folk… Faut toujours savoir qui tient le manche de la casserole, lorsque vous servez de menu fretin pour la friture…

             La revue est française, mais les textes proposés sont des traductions de l’anglais… Citons par exemple Mick Wall et Barney Hoskyns auteur de bouquins incontournables parus sur le Dirigeable, voici déjà plusieurs années. Ce qui dans l’ensemble permet d’offrir aux lecteurs des textes de qualité. Revers de la médaille, n’y aurait-il personne en notre douce France pour proposer des articles originaux. Il semble que les éditions Oracom ne prennent pas de risque. Une attitude pas tout à fait rock ‘n’ roll quand on y pense.  

             Reconnaissons que le book est bien fait. Se divise en deux grandes parties : les huit albums de Led Zeppelin radiographés à la loupe interstellaire, la trentaine des pages restantes relatant les diverses aventures des trois protagonistes survivants. Certes sur l’ensemble on n’apprend pas grand-chose, les jeunes lecteurs pour qui le Zeppe n’est plus qu’un nom prestigieux dont ils ne connaissent que deux ou trois titres seront ravis d’appréhender l’ampleur du phénomène.

             Les amateurs de Metal seront sans doute surpris de la prégnance du blues dans le répertoire du Zepplin. Ils ont su s’en éloigner et s’en défaire mais le blues est-là comme un lac souterrain et séminal, le travail du groupe se résume très simplement : à partir du moment que vous avez un riff de blues sur les cordes de votre guitare qu’en faire pour ne pas donner l’impression monotone et lassante de le répéter ad aeternam…

             Page a sa petite idée sur la réponse. Musicien de studio durant des années il a plié son savoir-faire créatif aux nécessités limitatives et aux désirs idéaux de ses clients, l’a acquis ainsi une vision tri- et même multi-dimensionnelle de la musique, toute la différence entre peinture et sculpture, n’oublions pas que Pline l’Ancien privilégiait les rondeurs du volume à la platitude des aplats, la peinture était tout juste bonne à peindre… les statues. Page n’est pas qu’un amateur de rock, l’a aussi laissé traîner ses oreilles sur les musiques orientales ( indiennes et arabes ) et enfin se sent vivement interpellé par la musique classique, notamment Arnold Stockhausen. Bref il y a le rock et le son. Deux univers différents que Led Zeppelin s’occupera à entrechoquer, un peu comme si vous vous amusez à pousser avec un remorqueur un iceberg contre un autre pour vous délecter du bruit apocalyptique de la glace qui casse et qui s’effondre… Avec un minimum de chance sur vous.

             Quant au blues, Page ne le révère pas. L’en use comme d’un matériel de base. N’agit pas sentimentalement. Main basse sur tout ce qui lui plaît. Oublie de créditer les bluesmen originels. Ethiquement condamnable au regard des millions de dollars en jeu. Agit volontairement. Envoyez-vous de l’argent à l’arbre que vous avez coupé pour vous chauffer ! Willie Dixon peut se plaindre, ne s’est-il pas approprié en y apposant sa signature des dizaines de traditionnels anonymes.

             Page n’est pas raciste. Pique aussi aux blancs. Même à son ami Jeff Beck. Le Zepplin n’est pas seul à défricher des terres inconnues. Cream a montré le chemin, mais le Jeff Beck Group a déjà commencé à ensemencer les terres vierges. Page ne fait pas de sentiment, il se veut le maître de Led Zeppelin et le seul créateur de la formation. L’on murmure que si le Dirigeable a constamment changé de studio et surtout d’ingénieurs du son c’est pour que personne ne puisse être présenté comme le cinquième homme du groupe. Un George Martin chez les Beatles, OK ! mais pas chez Led Zeppe.

             N’est pas seul. Chacun apporte sa part. Les propositions sont essayées, adoptées, métamorphosées. L’on part de peu de chose, un roulement de tambour, un morceau de riff, ensuite l’on améliore, l’on trafique, l’on fignole. Il existe une exaltation souveraine dans ce groupe. Le principe est simple, chacun peut demander à l’autre de faire mieux. Cent fois l’on abandonne, cent fois l’on se remet à l’ouvrage. Plant se débrouille toujours pour poser sa voix sur les plus hautes cimes ou la faufiler dans les gorges les plus étroites des massifs les plus tonitruants. Bonham est l’inventeur du beat ( fait davantage boum-boum que bip-bip ) parfait, celui qui convient exactement à la situation tout en rajoutant encore ce petit ( souvent  gros ) plus qui magnifie le tout. Quant à Jones, l’est un sorcier, vous lui apportez un morceau en mille morceaux, un salmigondis irréconciliable, il sort son fer à souder et pond l’arrangement qui vous transforme les os démantibulés du squelette en tyrannosaurus royal qui se hâte de dévorer votre femme et vos enfants dans le jardin.

             Si j’aime Led Zeppelin c’est parce qu’ils n’ont jamais fait le même disque. A l’écoute du premier l’on pouvait prévoir le deuxième. Sûr qu’ils nous sortiraient quelque chose de plus fort.  Z’ont ouvert la porte et l’on s’est aperçu qu’ils lançaient sur les pâturages du monde une espèce de mammouth sonore géant. Kitch et monumental. Le rocher qui ne vous tue pas mais qui vous tombe dessus et dont vous n’arriverez pas à vous dégager.

             Après le deux on a eu le trois, on attendait du colossal, de l’éverestien, l’on a pris une giclée spermatique de folk en plein visage. Notons au passage que plus tard certains groupes de musique industrielle ont viré leur cuti en se lançant eux aussi dans un néo-folk-paganiste.  Et puis cette pochette qui tournait comme la terre et qui ne dévoilait rien de très définitif. Genre le messager est le message mais il n’apporte aucun message. Nous refont le coup des petits fenes-trous qui ne dévoilent que l’insignifiance de l’humanité avec la couve de Physical Graffiti. Je sais, j’ai laissé la ruine et les runes du Quatre et The house of the hollies. Mais je suis pressé d’arriver à Presence. Je partage la préférence de Page, c’est l’album du Zeppelin que j’emporterais sur l’île déserte, chère au Cat Zengler, si je ne devais n’en emmener qu’un seul de leur discographie. Parce qu’il comporte Achille’s last stand mon morceau favori du brontosaure, mais avant tout pour la pochette.

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    A première vue, pas inoubliable. Une famille typique américaine ou anglaise. Pas populaire. Middle class. Le père, la mère et les deux marmots. Un peu straight. Coincés du cul en bon gaulois. Un an plus tard, les Sex Pistols ont repris l’idée sous forme d’une bande dessinée pour leur troisième single Holidays in the sun, en 1977. L’esprit punk ressemble à la pelleteuse. Ne fait point dans la subtilité. Ont oublié l’essentiel. L’aspect métaphysique. Pourtant il crève les yeux. Comme l’arbre qui cache la forêt. C’est un objet, posé sur la table, l’a un peu, à mon humble avis, l’aspect géométrique d’un canard. Evidemment il ne représente pas un anatidé. Ni à l’orange, ni   aux olives noires même s’il est noir. En fait ce n’est pas un objet. C’est l’Objet. Dans l’esprit crowleyien de Page il doit équivoquer le mégalithe mystérieux qui surgit au début de 2001 Odyssée de l’Espace. Le Dirigeable aimait flirter avec l’ésotérisme, c’était là son moindre défaut.

    Pour moi, je l’ai identifié au premier coup d’œil. Pas à tortiller. De toute évidence, c’est un ptyx, cet objet mystérieux dont l’absence encombrait les crédences dans le salon vide et mental de Mallarmé. Est-ce vraiment un hasard ( voir notre Kronic sur Maison Rouge dans notre précédente livraison 564 ) si l’on retrouve Stéphane Mallarmé dans cette chronique ? Répondrons-nous à cette angoissante question lorsque nous aborderons dans notre part II la deuxième partie de cette revue ?

    Damie Chad.

     2

             Quel est donc ce bruit dans ma tête. Tremblez chères lectrices, pas de doute possible, reconnaissable entre tous, l’horrifique couinement du coyote. Une légende indienne raconte que si vous l’entendez tout près de votre tipi il annonce votre mort. Même scénario que le tambour des sables, il squatte votre oreille et le lendemain on creuse un trou dans une dune du Sahara pour y jeter votre cadavre. Vous ne me croyez pas, tenez, je vous en ai apporté un !

     LE CRI DU COYOTE N°38 

    Revue des musiques américaines

    ( Hiver 1995 / 25 F ) )

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             Séchez vos larmes, chères lectrices, n’ayez crainte, le glapissement est si horrible que lui-même en est mort. Vous ne risquez rien, l’a disparu durant l’hiver 2021, à son cent-soixante neuvième numéro, après plus de trente ans de bons et loyaux services à la cause du country, des origines les plus lointaines jusqu’aux diversifications les plus modernes… Encore quelques pleurs, vous êtes si charmantes que j’ai envie de boire à cette source, souriez un coyote ne meurt jamais, survit actuellement sur le net et sur le blogpost de Sam Pierre qui chronique les dernières nouveautés…

             Des passionnés, dans la première équipe l’on retrouvait cette génération de collectionneurs et d’amateurs qui ont soutenu mordicus la cause du rock ‘n’roll et de la country durant les années de disette, Marc Alesina, Bernard Boyat, Michel Rose pour n’en citer que trois. Un travail de fond, et de fourmis. Des passionnés. Espérons qu’un jour sortira un livre retraçant le combat de ces pionniers.

             Pour ceux qui ont lu nos deux dernières livraisons, le blog offre une vision bien différente du film Elvis, dans son article A propos du film  Elvis, l’esthétique du mensonge Eric Allart défend bec et ongles la haute figure de Hank Snow. Vingt-deux pages et pas un centimètre carré de blanc, textes sur trois colonnes, mini caractères émaillés quelques photos petits formats en noir et blanc.

             Un peu étrange de lire une revue vieille de plus d’un quart de siècle, tiens cet article qui commence par ‘’Golden Smog est inconnu chez nous’’, je ne crois pas qu’ils soient depuis devenus célèbres, sur Discogs quatre album, le premier en 95 – le Coyotte collait de près à l’actualité – le dernier en 2007.

             N’empêche qur la page de gauche l’on touche à l’intemporel : la chro du coffret What You Been Missin’ de Buddy Holly, ne lisez pas vous en tomberez malade si vous ne l’avez pas.

             Festival country de Mirande d’un côté, tiens en face Lone Riders j’ai failli chroniquer quelques uns de leurs albums en juin dernier. Question livres, le Que-sais-je ? Country Music de Gérard Herzaft, ce mec est une encyclopédie américaine à lui tout seul, et coucou les revoilou Led Zeppelin, les années métalliques de Franck Roy, et une bio de Dolly Parton qui avoue aimer les pâtisseries, Dieu, la musique et le sexe. Dommage, l’on ne pourra jamais s’entendre je n’aime pas Dieu, je le remplace avantageusement par une religieuse au chocolat.

             Passons sur les radios, les concerts, les disques et les news, j’ai gardé le meilleur pour la fin, elle est en couverture : Allison Krauss. Aujourd’hui une grande dame du bluegrass et du country. Née en 1971, l’a commencé comme tout le monde (dans le monde du bluegrass ), par apprendre le violon ( classique )  à cinq ans, à huit elle participe à son premier concours de fiddle… ensuite c’est l’engrenage de quinze à dix-sept ans elle truste toutes les nominations possibles et imaginables dans la difficile sphère de l’herbe bleue, en 1987 elle enregistre son premier album , elle a déjà participé au disque de son frère ( Viktor Krauss ), fait preuve d’un esprit d’indépendance d’autant plus que dans les petits milieux musicaux un tant soit peu traditionnels l’on n’aime guère les mélanges des genres. Le public la suit et la soutient, elle enregistrera notamment avec Union Station, que l’on peut s’appeler son propre groupe à géométrie variable, puis avec The Cox Family en 1994. Le Cri du Coyote s’arrête à peu près à cette date. Ne pouvait pas aller plus loin, et pour cause. Bernard Boyat qui rédigea l’article sans oublier de préciser qu’Alison écoutait aussi bien d’autres choses notamment des fariboles rock ‘n’ roll, ne pouvait pas imaginer quel malicieux clin d’œil le destin adressait à la livraison 38 du Coyote, puisqu’en 2007 Alison enregistrait un album avec le chanteur de Led Zeppelin dont Jacques Bremond dans sa Coyothèque inventoriait quatre pages plus loin les bruyantes années métalliques…  

             Le Cri du Coyotte n’a pas eu l’audience qu’il méritait. Un bon conseil rapatriez les numéros qui vous tomberaient sur la main. Il faut espérer que tout ce colossal travail se retrouvera un jour ou l’autre en consultation libre sur le net. Respect et admiration.

    Damie Chad.

     3

             Le vendeur n’en croyait pas ses yeux. Vous avez eu ça où ! Question pertinente, le magasin regorge de ce genre de bricoles dans lesquelles les amateurs de rock’n’roll aimeraient être enfermés jusqu’à la fin de leur vie ( et plus si j’en juge par le volume ). J’ai indiqué l’endroit. L’a soupiré. L’a hésité. Allez cinquante centimes !

    ROCK BALLAD

     ( 14 F / Septembre 1987. N° 1. )

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             L’est née la même année que Le Cri du Coyote, n’a pas vécu aussi longtemps, l’a rendu l’âme en 89, rien que cela démontre combien les coyauteurs ont dû s’accrocher pour tenir un tiers de siècle. Pourtant Rock Ballad avec son papier glacé, sa maquette davantage aérée offre un sourire moins spartiate que le satané chien des prairies…

             Dans l’édito Bernard Fretin nous apprend que ‘’ Rock Ballad traitera de tout un secteur de la musique rock ignoré ou dénigré à savoir la pop ‘’ j’avoue que ce genre de déclaration me laisse perplexe, je n’aime les étiquettes que lorsque on les fait valser. Surtout que sur la couve les noms de John Cougar Mellencamp et de Little Bob tiltent les regards.

             Un grand article sur Elliot Murphy, deux pages sur les australiens de Celibate Riffles, une seule sur Hour Glass ( avec Greg et Duane Allman ), une interview de Dramarama, deux pages sur les Road Runners ( d’Evreux), le reste de la revue, la moitié, est dévolu aux chroniques, peu nombreuses, de disques…

             L’on ressort de la revue un peu mi-figue, mi-raisin, pas mal, mais il manque un allant, un punch, une cible. Rock Ballad était établie à Bordeaux. Les numéros suivants furent-ils davantage incisifs, je n’en sais rien, peu de traces sur le net…

             Les news signalent l’originalité du groupe rockabilly bordelais Les Frégates. Je tape le nom sur le net qui me renvoie sur leur facebook. Dernier post de mai 2017, ne doivent plus exister, pire que cela, le mec avec le chien sur le quai ( bateaux derrière lui ) c’est Bernard Saubiette, le chanteur, n’a pas survécu à sa greffe… si j’en juge les clichés, z’ont dû donner leurs derniers concerts en 2015… Ça m’a coupé la chique pour écrire cette chro…

    Damie Chad.

     4

    SOUL BAG

     ( N° 247 / Juillet- Août- Septembre 2022 ) 

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             Je ne devrais pas écrire cette kronic sur Soul Bag, suis sûr que dès qu’il aura lue, le Cat Zengler viendra chez moi en prélever les pages 42 à 53, puis par précaution il s’emparera de la revue pour que je ne m’aperçoive pas de son geste ignominieux, ayant réfléchi quelque peu pour effacer toute trace il mettra le feu à la maison, enfin, pour éloigner les soupçons, il boutera l’incendie à toute la ville. Entre nous soit dit il aura raison. Moi j’avais acheté la revue pour Musselwhite sur la couve, c’est en lisant le magazine que je suis tombé sur les douze pages consacrées à Ace Records. Déjà vous comprenez, vous excusez, vous encouragez le Cat Zengler à commettre ces horribles turpitudes. Vous le connaissez, vous l’appréciez au plus haut point lorsqu’il décortique les coffrets Ace, vous savez comment dans ces moments-là sa prose atteint les zones céruléennes de la poésie.

    Ace Records, ce sont les trésors de la musique populaire américaine, préserves et sauvés de l’oubli, en d’inestimables coffrets, si vous ne me croyez pas zieuter les 40 perles épinglées en fin de dossier. Ce genre de lecture est très dommageable pour votre carte bancaire, mais dans la vie faut savoir ce que l’on veut. Ace Records c’est aussi et surtout une aventure humaine, trois amis anglais dépités de ne pouvoir trouver les disques qu’ils aimeraient écouter fondent une maison de disques… Cinq décennies se sont écoulées, se font un peu moins jeunes, pensent à l’avenir, mais avant de monter au ciel rejoindre leurs idoles ils ont remis leur bébé entre de bonnes mains. Normalement si tout se passe bien, dans le demi-siècle qui vient Ace Records devrait continuer…

    Retournons à Charlie Musselwhite. Son patronyme l’indique, il est blanc. Partage cette particularité avec des centaines de millions d’êtres humains. Mais lui ce n’est pas pareil. C’est un bluesman. Certes il y a des milliers de blancs qui jouent du blues, mais lui, provient de la grande époque, l’a côtoyé tous les grands noms, a entendu des histoires incroyables sur Charley Patton et Robert Johnson rapportées par des témoins qui les ont vus et connus. Charlie Musselwhite a joué de l’harmonica avec les plus grands, n’est pas non plus un manchot sur sa guitare, faut l’écouter parler du haut de ses soixante-dix-huit berges, Clarksdale, Memphis, hier et aujourd’hui, le blues est immortel…

    N’ y a pas que ces deux articles, Soul Bag, le magazine du blues et de la soul est inépuisable, vous présente des artistes, des vieux de la vieille, des disparus, des espoirs, de tout nouveaux arrivés, en plus ils les suivent, ne les lâchent pas au cours des années, c’est une des plus vieilles revues de France. Z’ont débuté en 1968 la même année que R & F, z’ont su garder la ligne, le petit fascicule agrafé a connu bien des améliorations et des régressions ( suppression du CD, parution devenue trimestrielle ), il flotte mais il ne coule pas.

    Plus de cent disques chroniqués, deux tiers de nouveautés, un tiers de rééditions, des chros que l’on lit et relit, super informées et judicieuses. L’histoire du blues et des musiques noires décortiquées au fur et à mesure qu’elles se déploient. Un trésor national.

    Damie Chad.

     

     

    ALISON KRAUSS & ROBERT PLANT

    Je n’avais pas prévu cette chronique, donner un verre de vin à un ivrogne qui essaie d’arrêter de boire est une erreur, heureusement dans mon cas je n’ai jamais arrêté de téter au biberon de cette sombre liqueur appelée rock ‘n’roll… Puisque Alison Krauss et Robert Plant sont en train d’effectuer une tournée ( débutée en juin 2022 - terminée en 2023 ) jetons un œil sur les vidéos qui n’arrêtent pas d’affluer sur You Tube.

    Je vous refile les musicos, ce sont les mêmes qui reviennent sur toutes les vidéos :

    Robert Plant : vocals / Alison Krauss : vocals / Jay Bellerose : percussion / JD McPherson : guitar, backing vocals / Dennis Crouch : upright bass  / Stuart Duncan : acoustic guitar, electric 12-string guitar, ukulele, violon, backing vocals / Viktor Krauss : electric bass, electric guitar.

    ROCK’N’ ROLL

    ( Live au Boonaro Festival Music and Arts 17 – 06 – 2022 )

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    Ont inscrit pas mal de titres de Led Zeppelin à leur répertoire. Je me précipite sur Rock ‘n’ roll, parce que Rock ‘n’roll, et parce que je me demande comment on peut chanter encore ce titre lorsque l’on est né en 1948, et comment Alison Krauss pourra-t-elle s’intégrer à cette mécanique de précision. La réponse est évidente. Elle n’y glisse pas le bout de son petit doigt, à peine si on l’entrevoit deux secondes, balançant son corps à quelques mètres de distance. La caméra se fixe sur Robert Plant et ne le laissera pas sortir de son objectif. L’est vrai qu’il est beau, sur le fond bleu de la scène sa tunique blanche le dessine parfaitement, l’est satisfait et tout sourire, splendide notre moustachu chevelu auréolé de sa crinière grisonnante, retentissent les premiers notes, l’affaire devient sérieuse, son visage vous prend un de ces airs méchants qui vous font croire que vous avez peur. Pas de panique l’orchestre y va tout doux, en sourdine presque, garde le rythme originel même si l’on n’est plus au bon temps du Dirigeable, Robert s’empare du micro à deux mains et c’est parti pour la mayonnaise. La voix n’est pas la hauteur, mais il s’en fout, nous aussi, car il a une présence indiscutable et une classe irréfutable. Est follement heureux, sourit aux acclamations qui fusent de la foule, l’on profite du pont pour nous montrer les musicos, tout à l’heure lorsque vieux lion jerkera il rappellera la maladresse fatiguée d’Eddy Mitchell dans son spectacle d’adieu à l’Olympia, il ne fait pas bon de vieillir mais tant que le rock ‘n’roll vous insuffle l’énergie de vivre, le bonheur est tout près. Il s’incline très bas, désigne du geste les musiciens. Pathétique et grandiose.

    WHEN THE LEVEE BREAKS

    ( Festival de Glastonbury / 24 – 06 – 2022 )

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    L’on aime bien Plant, toutefois si l’on pouvait éviter le film un homme se penche sur son passé et si l’on pouvait aussi entendre Alison Krauss chanter ce serait bien. Il suffit de demander pour être exaucé, la vidéo produite par la BBC est de meilleure qualité, et dès le début Alicia est-là dans sa sur-robe flottante un micro devant elle et cerise sur le gâteau elle tient d’une main son violon et de l’autre son archet. Pas de doute l’on va assister à un grand moment. Silence et respect, une des plus belles pépites du Led. Une reprise de Memphis Minnie et de Kansas Joe McCoy évoquant la terrible crue du Mississippi de 1927. La foule se tient coite. Des bannières colorées, au bout de longues hampes sont agitées par le vent. Parfois le cadre s’élargit et l’on aperçoit les écrans géants qui encadrent la scène.

    Les stridences du violon d’Alison soutenu par celui de Stuart Duncan déchirent l’introduction martelée sourdement ( une invention de Bonham ), dans sa chemise bleue Plant est en faction,  visage empierré près du micro, les violons sont maintenant plus graves, la voix de Plant s’élève, il n’a aucun mal à accéder au registre du morceau, merveilleux comme le violon d’Alison marque ces espèces de cassures si caractéristiques de Led Zeppelin, un peu à l’imitation de ces sauts de haies que franchissent les chevaux, la montée au-dessus de l’obstacle, une violente dégringolade et au moment où l’on croit qu’ils  s’effondrent sur la terre, les coursiers reprennent leur galop forcené et foncent illico vers l’obstacle suivant où ils recommencent la même saccade rythmique, Plant mène le chant mais par-dessous coule le miel de la voix d’Alison, les parties d’harmonica  de Plant  de la version originale sont laissées à la virtuosité de Stuart Dunca , claquements de guitares, un son sourd qui vient de très loin et de la poussée sournoise des eaux contre les digues, l’argile du violon s’effrite, la batterie à coups répétés défonce tout et emporte le morceau. Visage rêveur d’Alison les yeux fermés dans la blondeur de ses cheveux… Ovation de la foule. Parfait.

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    CONCERT COMPLET

    ( Tjuholmen Arena - Oslo – 01 -07- 2022 ) 

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    Ce n’est pas le meilleur des concerts de la tournée mais il est complet et cela donne une idée assez précise de la cérémonie. Plant porte beau une superbe chemise de bûcheron à carreaux, Alison dans sa sur-robe flottante à ramages, cette fois-ci à dominante verte, la couleur que la blondeur des filles privilégie. Le plan fixe durant une heure et demie, un peu monotone, permet de voir l’ensemble de la scène et les changements incessants d’instruments de Stuart Duncan. L’orchestre, de sacrés musicos, joue low down, imaginez du rockabilly exécuté avec lenteur, une espèce de vidéo de démonstration pour montrer où les disciples doivent poser les doigts sur les cordes. L’on ne s’y attend pas mais les morceaux les plus vifs sont ceux qu’Alison Krauss chante seule. Lorsqu’elle accompagne Plant, elle se contente la plupart du temps de murmurer, de souligner d’un trait fin son vocal, un tantinet sous-employée, une Ferrari contrainte de suivre une Deux-chevaux. Quant à Plant l’on dirait qu’il a pour objectif de faire oublier ses miaulements zeppelinesques, l’on conçoit qu’il ne puisse plus monter au plus haut de la tour des aigus mais tout de même… soyons honnête, même à bas régime il s’en tire bien, fait preuve d’un savoir-faire indéniable, et possède une prestance naturelle imposante. Son Rock ‘n’roll est bien meilleur que celui de Boonaro mais When the levee breaks n’égale pas celui de Glastonbury. Au final une impression mitigée. L’on a envie de dire ‘’Peut mieux faire’’ mais comme c’est Plant l’on n’ose pas. Damie Chad serait-il un hypocrite ?

    Damie Chad. 

    TINY DISK HOME CONCERT

    ( NPR MUSIC2021 ) 

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             Ceci n’est pas un concert public mais une séance de préparation à la tournée qui suivra. NPR Music est une organisation privée et publique qui accumule du matériel sonore pour les radios. L’enregistrement a eu lieu au South Emporium Studio de Nashville où ils venaient d’enregistrer leur deuxième album  Raise the Roof quatorze ans après leur premier Raising sand.

             Trois morceaux seulement, le Can’t Let Go de Lucinda Williams dépouillé pour ainsi dire de son arrangement rock, n’ont gardé que le squelette de la rythmique dont ils accentuent ainsi le balancement. Chantent à l’unisson, c’est fou comme Alison sonne américain et Plant anglais, remarque un peu naïve mais qui saute immédiatement aux oreilles, pas une question d’accent, mais d’accentuation, ne jettent pas les mêmes mots de la même manière. Plant tout de noir vêtu, une tenue un peu négligée, du moins naturelle, contrastant avec l’ébouriffé recherché de la chevelure Alicia dans sa robe noire éclaboussée de larges fleurs roses aux feuillages verts et bleus...

    La caméra s’attarde aussi sur les musiciens, jouent précis et pénards, donnent l’impression de survoler leur sujet, avoir de tels gars derrière soi doit être un véritable régal pour des chanteurs. Conduisent en souplesse et sans à-coups. A la façon dont ils assurent les ponts donnent l’impression d’avoir vu couler beaucoup plus d’eau qu’Apollinaire dans son poème mirabeaulant.

             A peine terminé Plant annonce une chanson qu’il aime particulièrement le Searching for my love ( 1966 ) de Bobby Moore & the Rhythm Aces ( chanté par Chico Jenkins ), ce fut la  première formation de chez Chess envoyés enregistrer au studio Fame de Muscle Shoals, Alison fait des miracles à elle seule sa voix crée le son particulier du Rhythm ‘n’blues et remplace avantageusement les cuivres que ne possède pas sa formation typiquement bluegrass, Plant se montre aussi à la hauteur, un travail collectif d’orfèvres, de la belle ouvrage. L’on ne quiite pas la musique noire, Alison Krauus se lance dans Trouble with my lover de Betty Harris ‘’ The lost Queen of New Orleans soul ‘’ , écrit par Allen Toussaint, qu’elle présente simplement comme an american song, elle rit lorsque sur le coup Plant fait un pas en arrière comme s’il se sentait de trop devant la porte du paradis, faut un sacré culot pour se lancer dans ce monument, s’en tire comme une reine, ne mise pas sur le groove funky de l’original, elle le remplace par une inclination jazz à la manière de Peggy Lee, tout repose sur la plasticité de la voix, Plant se rattrape sur le refrain, sonne très noir, mais la limpidité du vocal d’Alison emporte le morceau.

             Dans cette vidéo l’on comprend les choix esthétiques de la tournée à venir. Pas d’esbrouffe, l’on chante en quelque sorte à l’économie. Ne pas se donner en spectacle, n’en faire jamais trop. L’on ne cherche pas à impressionner, tout juste à dessiner l’épure, à susciter la beauté par la seule fulgurance de son dévoilement entrevu…

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 564 : KR'TNT 564 : LARRY PARNES / NEW YORK DOLLS / BABY GRANDE / QUINTRON / MACHINE ROUGE / JONI MITCHELL / ELVIS PRESLEY / BIJOU ( SVP ) / PATRICK CANNET

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 564

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    01 / 09 / 2022

    LARRY PARNES / NEW YORK DOLLS

    BABY GRANDE / QUINTRON

    MACHINE ROUGE / JONI MITCHELL

    ELVIS PRESLEY / BIJOU ( SVP )

    PATRICK CANNET

    Sur ce site : livraisons 318 – 564

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    La Parnes des choses

     

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                Avec Joe Meek, Brian Epstein, Lionel Bart et Robert Stigwood, Larry Parnes est l’un des parrains de la Velvet Mafia, un concept érigé par Darryl W. Bullock pour les besoins d’un livre : The Velvet Mafia - The Gay Men Who Ran The Swinging Sixties. On savait que tous ces gens étaient gay, et si Bullock les rassemble dans un bon book, c’est parce qu’effectivement ils se connaissaient, se fréquentaient et, à l’occasion, brassaient des affaires ensemble. Comme leurs collègues de la mafia new-yorkaise, ils ont bâti des empires financiers et régné sans partage sur le plus gros biz des early sixties, le Swinging London. Les cinq hommes cités plus haut sont les têtes de gondole. Bullock évoque aussi Kit Lambert, Tony Stratton Smith et Simon Napier-Bell, autres membres actifs de la Velvet Mafia, qu’il ne faudrait pas prendre pour des seconds couteaux. Le Bullock book grouille d’infos pas piquées des hannetons, certaines pages flirtent avec l’immondice et d’autres basculent dans la tragédie, puisqu’au final, la Velvet Mafia lègue une belle série de cadavres à la postérité. Tu en auras pour ton argent, si tu surmontes tes a-priori et que tu mets le nez dans ce book d’essence malodorante, mais d’une rare honnêteté intellectuelle.

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             Peut-être est-ce la première fois qu’un auteur aborde de front l’aspect gay du London music biz. Bullock rappelle qu’en Angleterre, jusqu’en 1967, les homosexuels vont au trou s’ils se font choper en train de racoler dans les pissotières. Mais ça n’empêche pas cette communauté d’être hyper-active et même de proliférer. Comme le montre si bien Bullock, tous ces hommes de pouvoir sont affamés de sexe. Ils vont même jusqu’à inventer de toutes pièces des rock stars pour satisfaire leurs besoins. Bullock met nettement en avant Larry Parnes, le pionnier, le premier grand manager d’Angleterre, puisqu’il est le premier à monter une «écurie» de jeunes talents, dont les plus connus sont bien sûr Billy Fury, Tommy Steele et Marty Wilde. Indépendamment des exigences libidinales, Parnes comprend surtout qu’on peut se faire pas mal de blé en packageant des beaux mecs, car il a vu de quelle façon les stars américaines - et en particulier Elvis - ont su faire main basse sur les cœurs des teenagers anglais et accessoirement leur vider les poches. D’où l’idée de reproduire le phénomène en Angleterre. Parnes commence par se faire la main sur Tom Hicks qu’il rebaptise aussi sec Tommy Steele. Il supervise à la fois sa carrière publique et sa vie privée, pas de girlfriend, mon petit bonhomme, mais heureusement Tommy résiste et épouse sa poule Anne Donati en 1960.

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             L’idéal serait de ne pas prendre Tommy Steele à la légère. Bear sort une compile assez explosive, Doomsday Rock et quand on tombe sur «Rock Around The Town» on comprend tout. Steely chante à la niaque de l’East End. Les punks devraient prendre des notes. Ce mec était déjà extraordinairement wild. Les Stray Cats n’ont jamais été aussi bons que lui. On a un solo de sax et l’orchestre swingue aussi bien que les Comets de Bill Haley. Autre coup de tonnerre : «Rock With The Caveman». Il revient au bebop des cavernes, Steely boom bam. Chez les Anglais, on explose le beat rockab au sax. Il faut aussi le voir chanter «Grandad’s Rock» d’une voix de canard - Oh c’mon rock grandad - Quand les Anglais se mettent à swinguer, ils battent tous les records. Fabuleuse diction, il faut le voir swinguer son fridge in the kitchen dans «I Puts The Lightie On». Steely est une aubaine pour tes oreilles. Tiens voilà une version live d’«On The Move», orchestrée par un big band - Choo choo baby ! I’m coming home to you ! - Il fait du Bill Haley. Quelle classe ! Cut après cut, il nous fait tourner la tête - Mon manège à moi c’est toi - Puis il shake «(The Girl With The) Long Black Hair» à la mode early sixties. C’est effarant de high quality, Steely sonne très Buddy Holly, avec le même genre de pulsation sourde. Méchante attaque que celle de «Rebel Rock» ! Steely est un punk atroce. Encore plus explosif, voici «Two Eyes», monté sur un big drive de basse et traversé par un solo de jazz manouche, Steely pourlèche son swing. Il se pourrait bien que dans certains cas, le swing anglais soit le meilleur de tous. Il chante «Happy Go Lucky Blues» avec un petit côté putassier et des figurants chantent dans les buissons. Il attaque ensuite son «Singing The Blues» en sifflant. Quel sens du kitsch ! Personne ne peut battre Steely au petit jeu de «Razzle Dazzle». Violence de l’attaque ! Pas de pire violence en Angleterre. Pas d’équivalent non plus. Steely vise l’extrême razzle du dazzle et il revient aussitôt après le solo de sax avec un baby can’t you see, aw quelle bête de Gévaudan ! Il développe un power sidéral. Cette compile montre que Steely avait du style et de l’énergie à revendre. Il éclipse n’importe quel ténor du barreau. Il faut le voir tortiller sa «Teenage Party», il twiste ses syllabes au sommet de l’art, et l’air de rien, il parvient à sortir un cut incroyablement sexy, là où beaucoup d’autres se seraient vautrés. Tout ce qu’il fait est bon et même passionnant. Il bouffe son «Tallahassie Lassie» tout cru et dans «Build Up» on entend le slap rebondir. C’est d’une qualité inespérée.  

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             Parnes se taille vite un réputation de control freak, il ne supporte pas qu’on lui désobéisse, alors il gueule comme un cocher anglais. Il ne s’inspire que d’un seul modèle, le Colonel Parker, mais il pousse le bouchon encore plus loin : à la différence du Colonel qui se concentre sur un seul artiste, Parnes a plusieurs fers au feu. C’est le concept de l’écurie, the stable of stars : Roy Taylor devient Vince Eager, Ronald Wycherley devient Billy Fury, Clive Powell devient Georgie Fame, Christopher Morris devient Lance Fortune, Ray Howard devient Duffy Power, John Askew devient Johnny Gentle et Richard Kneller devient Dickie Pride. L’un des seuls qui parvient à échapper au baptême, c’est Joe Brown : il refuse l’Elmer Twitch que lui propose Parnes. No way. Parnes contrôle donc tous les aspects de la vie de ses poulains, il leur dit what to wear and what to sing. Le tarif de Parnes, c’est 40 %. Il est moins cher que le Colonel qui rackette 50 % des revenus d’Elvis. Marty Wilde dit qu’il n’a jamais reçu de royalties. Quand le père de Marty chope Parnes pour lui demander où sont passées les royalties, Parnes dit qu’elles financent la publicité. Ah ouais, c’est ça... En fait les sommes détournées sont énormes, un comptable les estime à £50,000 - He was a greedy bastard - Les gens que Parnes paye grassement sont les attachés de presse et les publicity guys, pas les stars de sa stable of stars. Son appartement sert de quartier général. Il héberge même certains de ses poulains, comme Billy Fury. La bouffe est bonne et l’atmosphère plaisante, nous dit Bullock. Mais Parnes n’héberge pas à l’œil. Tout a un coût. Les poulains ne reçoivent qu’un maigre salaire hebdomadaire. Parnes se paye sur la bête. Toujours la même histoire. Il faut des baisés. 

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             Un jour, Parnes pose la main sur la cuisse de Vince Eager et lui dit : «Je vais faire de toi une star.» Eager n’aime pas trop ses façons, mais bon, il a envie de devenir une star, et comme il n’habite pas Londres, il accepte la proposition que lui fait Parnes de l’héberger. Bien sûr, il n’y a qu’un seul lit. Parnes lui indique qu’il dort de ce côté et va dans la salle de bains se laver la queue et les dents. Eager se méfie et se glisse dans le lit entre le drap du dessus et la couverture. Quand Parnes vient se coucher, Eager est protégé par un drap, mais par sécurité, il empoigne la lampe de chevet, prêt à défoncer la gueule de Parnes si jamais il tente quelque chose. Le lendemain, Eager met les choses au clair - I don’t swing that way - et il ajoute que son frère est flic, ce qui calme Parnes aussi sec. Tony Sheridan et Georgie Fame se plaignent aussi des avances de Parnes - Il a essayé de me séduire, comme il a probablement essayé de séduire tous les autres chanteurs. L’homosexualité était alors illégale et j’étais terrifié, aussi n’ai-je rien dit à personne. Je lui ai tordu le poignet et me suis tiré de chez lui vite fait - and got the hell out of there -  C’est bien sûr l’arrivée des Beatles en 1962 qui va ruiner le biz de Parnes. Les rock’n’roll singers n’intéressent plus le public. Pourtant Brian Epstein lui propose de co-manager les Beatles, mais Parnes refuse, parce qu’Epstein ne lui propose pas assez. Comme Dick Rowe chez Decca, il fait la plus grave erreur de sa vie en disant non aux Beatles. Parnes va se retirer progressivement d’un biz dont il est pourtant le pionnier en Angleterre, et en 1964, il va monter the British Impressario’s Guild, une sorte de club de managers dont une grand majorité sont nous dit Bullock gay or Jeswish, or both. Club de dix personnes dans lequel on retrouve Parnes, Epstein, le grand avocat David Jacobs et Robert Stigwood.

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             Si Brian Epstein est plus connu que Larry Parnes, c’est bien sûr grâce aux Beatles. Bullock nous brosse un portait plutôt sensible d’Epstein, lui aussi embringué dans l’imbroglio libidinal du tabou homo. John Lennon proposait de rebaptiser l’autobio d’Epstein A Cellarful Of Noise en Cellarful of Boys, or Queer Jew. Piégé par un flic, le jeune Epstein se fait choper à Londres pour racolage dans les pissotières, et ayant échappé de justesse au scandale et à une condamnation, il rentre à Liverpool, demande pardon à ses parents et se consacre pendant trois ans au biz familial, un gros commerce de meubles qui vend accessoirement les disques. Et c’est à travers ce biz qu’il va croiser le chemin des Beatles. Epstein se rapproche assez vite de Parnes qui est alors le plus gros manager d’Angleterre, pour lui demander conseil. Et soudain, tout explose à Liverpool, Epstein devient à son tour le plus gros manager d’Angleterre. C’est la fin du règne de Larry Parnes. Epstein lance en 1963 Gerry & The Pacemakers, Billy J. Kramer & the Dakotas, les Fourmost, les Beatles et Cilla Black - Scouse takover - Pour gérer ce ras-de-marée, Epstein doit monter une structure qu’il baptise NEMS (North End Music Stores) et signe des groupes à tours de bras. Il commence aussi à popper des pills à tour de bras et finit par s’engueuler avec tout le monde, surtout avec Derek Taylor, son attaché de presse, l’accusant d’avoir tenu des propos antisémites, ce que réfute Taylor - Absolute rubbish ! - Taylor indique que ses meilleurs amis sont juifs et homos et pouf, il donne sa démission. Derek Taylor est furieux après Epstein - A twat to work for - On tombe à un moment sur un passage troublant qui met en scène Epstein et John Lennon dans l’hôtel où ils séjournent, lors d’un voyage à Barcelone. C’est Lennon qui parle : «Eppy n’arrêtait plus d’insister. Un soir, j’ai baissé mon froc et je lui ai dit : ‘vas-y, for Christ’s sake, encule-moi, just stick it up me fucking arse, then’ et Eppy lui dit qu’il ne fait pas ce genre de chose, alors Lennon lui demande ce qu’il fait et Eppy lui dit qu’il se contente de tripoter, alors Lennon le laisse faire, ‘the poor bastard, he can’t help the way he is’, ce qui peut vouloir dire qu’il ne parvient même pas à s’assumer.» Un expert des Beatles explique un peu plus loin que Lennon n’était pas homo, mais qu’il était prêt à tout tester, par curiosité.

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             On croise pas mal Lionel Bart aussi dans les pages du Bullock book, un Bart célèbre pour ses comédies musicales, notamment le fameux Oliver où le Davy Jones des Monkees fit ses débuts, à Londres. Le troisième parrain de la Velvet Mafia est sans doute le plus intéressant de tous, puisqu’il s’agit de Joe Meek. Direction Holloway Road où Meek installe son studio au-dessus d’un magasin qui vend des articles en cuir. S’installe à la même adresse un certain Pierre de Rouffignac, qui est l’associé de Vic Billings, futur manager de Dusty chérie. Le premier cat que Meek enregistre à Holloway Road n’est autre que Michael Bourne vite rebaptisé Mike Berry. Meek flashe sur sa version de «Peggy Sue Get Married». Pourquoi ? Parce qu’il est obsédé par Buddy Holly. Meek organise même des séances de spiritisme pour invoquer l’esprit de Buddy. Epstein vient aussi trouver Meek pour lui proposer d’enregistrer les Beatles, mais comme Parnes, Meek commet la plus grosse erreur de sa vie en déclinant l’offre. C’est comme chacun sait George Martin qui va récupérer les Beatles. Meek est alors un producteur important à Londres, on dit même qu’il aurait influencé Phil Spector, notamment avec «Telstar». Meek était sacrément en avance sur son temps, car il a enregistré «Telstar» sur un deux pistes, avec la salle de bain comme chambre d’écho. En 1961, Meek reçoit les Moontrekkers. Il aime bien le groupe, mais pas le chanteur, Rod Stewart, qui doit dégager. Avec les Moontrekkers, il enregistre «Night Of The Vampire», il préfigure Roky ! Décidément, le pauvre Meek collectionne les erreurs : après avoir dit non pour les Beatles, il vire Rod The Mod. Puis il enregistre Tommy Scott & the Senators, mais ça tourne mal, car Meek met la main au panier de Tommy qui l’envoie promener. Tommy est scié, il retrouve ses copains dans la rue et leur dit : «He just touched my bollocks! That bastard grabbed my balls!». Furieux d’avoir été éconduit, Meek déchire le contrat des Senators, mais Tommy va changer de nom et devenir une megastar sous le nom de Tom Jones (Hello Gildas). Sacré Meek, il n’en finit plus de collectionner les embrouilles. Meek et Parnes bossent un moment ensemble : les Tornados qui sont sous contrat avec Meek accompagnent Billy Fury, l’une des stars de la Parnes stable. Mais le «mariage» va tourner en eau de boudin - a mariage made in hell - Parnes et Meek ne s’entendent pas du tout. «Telstar» est number one dans le monde entier. Quand Parnes refuse de laisser partir les Tornados en tournée américaine, c’est la fin des haricots. Il impose que Billy Fury fasse partie du voyage et c’est hors de question pour Meek. Trop tard pour les Tornados, les Beatles arrivent avec «Love Me Do». Meek est aussi réputé pour ses crises de colère. Si par exemple tu lui demandes l’argent des royalties - Come on Joe, where’s my money - il s’empare du premier objet à portée de main et te le balance en plein gueule, que ce soit une chaise ou encore une paire de ciseaux qui va se ficher dans la porte juste à côté de toi. Alors t’as intérêt à te barrer vite fait ! Et puis il y a l’épisode Heinz, chanteur des Saints - pas ceux de Chris Bailey - Heinz le péroxydé d’origine allemande dont Meek est amoureux et dont il veut faire une star. Meek l’installe chez lui à Holloway Road et lui promet monts et merveilles. Il parvient à lancer Heinz avec un hommage à Eddie Cochran, «Just Like Eddie» sur lequel joue Ritchie Blackmore.

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             Alors on ressort le Remembering d’Heinz de l’étagère : quel album ! Deux choses frappent : Heinz parvient à sonner comme Eddie, aucun problème. Et puis il y a le génie du son. «Just Like Eddie» est comme visité par l’esprit d’un son, le Meeky Meek avec les guitares de la planète Mars, donc ça devient doublement mythique : Eddie + Meek. La reprise de «Three Steps To Heaven» est une vraie merveille de prod miraculeuse. Heinz boucle son balda avec une vraie cover de «Twenty Flight Rock», il chante dans l’écho d’Holloway, ça barde dans la cambuse de Meeky Mouse. En B, «Country Boy» est plus poppy poppy petit bikini, mais Blackmore passe un sacré solo de guitare. Encore une cover de rêve avec «Cut Across Shorty», c’est plein de son et de spirit et le «Summertime Blues» qui suit est presque une copie conforme. Meek vaut bien Gold Star, il recrée toute la Cochran craze in North London. L’album s’achève avec un «Tribute To Eddie» composé par Joe Meek, objet troublant, insidieux, fantomatique et quasi-mythique. 

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             Dans la même série Remembering chez Decca, tu as aussi un Dave Berry, mais il est beaucoup moins intéressant que l’Heinz. Dave Berry est trop pop. Un seul cut retient l’attention, c’est «Little Things», un hit parfait, monté sur un hard drive. On salue la prestance du petit Dave. Il ouvre son bal de B avec une cover de «Memphis Tennessee», mais c’est une version plus lente, très anglaise et visitée par des guitares fantômes. Son «Not Fade Away» est assez pur, Texas in London. Mais autant écouter l’original. 

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             En 1966, Epstein emmène Meek voir Dylan à l’Albert Hall. Ils essayent encore de bosser ensemble avec les Cryin’ Shames, mais Meek n’est plus en état mental de négocier un deal. Il commence à lâcher prise. Il fait un peu de parano, surtout depuis le jour où les Kray twins ont  voulu prendre le contrôle des Tornados. Meek leur a dit d’aller se faire foutre, mais ça mon gars, ce n’est pas le genre de chose qu’on peut dire aux frères Kray. Alors que fait Ronnie Kray ? Il fait savoir qu’il va s’occuper de Joe - He told him that he would take care of Joe - Eh oui, on croise les Kray twins dans les pages du Bullock book, quelques macchabées aussi, dont l’opérateur de Meek retrouvé en morceaux dans une valise, et puis après la fin tragique de Meek, Scotland Yard trouve pas mal de flacons de pills chez lui, des amphètes, purple hearts & Dexadrine. On croise aussi Judy Garland dans les heures sombres du book, elle est en fin de carrière, installée à Londres, elle aussi assez fatiguée de la vie pour s’overdoser à coup de quinal barbitone, c’est-à-dire de Séconal, même chose pour Epstein retrouvé dans son lit, overdosé aux barbituriques, et David Jacobs, qui se pend avec le cordon de satin de sa robe de chambre. Le Bullock book s’assombrit à mesure qu’on avance, d’autant que l’auteur soupçonne des choses qui rendent cette lecture aussi passionnante qu’un mauvais polar. Oh et puis l’histoire encore plus tragique de Billy Fury qui tombe dans les pommes en 1961 après un concert à Cambridge, et cinq mois plus tard, il retombe dans les pommes, alors Parnes lui fait un massage cardiaque pour le ramener à la vie. Les médecins conseillent à Billy de se reposer mais le manager Parnes fout la pression, et Billy n’en finit plus de tomber dans les pommes. Pauvre Billy Fury. Il se vautre aussi avec certains de ses albums, comme le montre We Want Billy. Il chante son «Sweet Little Sixteen» du nez et on entend une fausse foule gueuler derrière. Ce n’est pas bon. Le seul cut qu’on sauve est la version d’«I’m Movin’ On». Dommage car le guitariste des Tornados est excellent. Il y a sur l’album une face rapide et une face lente et c’est bien là le problème.

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             Tiens, voilà Andrew Loog Oldham et son chauffeur, l’East End gangster Reg King qui bosse un peu à l’occasion pour Epstein et Lionel Bart. C’est Dusty chérie qui va taper à la porte de Vic Billings qui manageait l’une des stars de Joe Meek, Michael Cox, puis Kiki Dee. Le tableau serait incomplet sans les Gunnell Brothers, propriétaires du Flamingo et du Bag O’Nails, et managers de Georgie Fame, puis de Geno Washington, Long John Baldry, Fleetwood Mac et Rod Stewart. Ils finissent par revendre leur agence à Robert Stigwood. C’est au bag O’Nails que Jimi Hendrix fait son premier concert londonien, et qui trouve-t-on dans l’assistance ? Lambert and Stamp, qui sont forcément fascinés par le Voodoo Chile.

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             Kit Lambert prend un mauvais départ dans la vie. Il est le fils du compositeur Constant Lambert qui eut une love affair avec une danseuse nommée Margot Fontayn. Avant d’épouser Lambert Senior, la danseuse vivait avec le peintre Christopher ‘Kit’ Wood qui ne trouva rien de mieux à faire que de se jeter sous un train à la gare de Salisbury, et quand elle mit son fils au monde, elle l’appela Kit en souvenir de son Kit. Devenu adulte, Kit participe à l’expédition de Richard Mason en Amazonie. Quand on retrouve Mason criblé de flèches dans la forêt, Kit est soupçonné puis relâché. De retour à Londres, il rencontre Chris Stamp et ils décident de faire du cinéma ensemble. Ils commencent par bosser pour Judy Garland (I Could Go On Singing), puis ils flashent sur les Who qu’ils voient sur scène. Les Who s’appellent encore les High Numbers. Lambert et Stamp décident de les manager. Ils commencent par se débarrasser des précédents managers, Peter Maeden et Helmut Gorden. Maeden reçoit 150 £ en cash et Gorden retourne fabriquer des poignées de portes dans sa fabrique. Puis ils se débarrassent de Shel Talmy, le producteur des early Who. Talmy est furieux : «Lambert was out ouf his fucking mind... I think he was certificably insane.» Il voit Lambert comme un égocentrique atteint de paranoïa. Devenus managers du groupe, Lambert et Stamp ramassent 30 % des revenus. Quand après une grosse shoote, Moony ressort du studio avec un œil au beurre noir, il décide, conjointement avec John Entwistle, de quitter les Who. Alors ils vont annoncer la bonne nouvelle à Kit. Il n’est pas là ? On leur dit qu’il est chez Stigwood. Alors ils y vont. Comme personne ne répond à la porte, Moony casse un carreau et entre. Il finit par les trouver tous les deux dans la chambre, au pieu, Stigwood et Kit, holding the sheets. En 1981, Kit casse sa pipe en bois, suite à des blessures au crâne. Officiellement une chute dans la salle de bains, mais en réalité, on lui aurait démonté la gueule dans les toilettes d’un bar gay.

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             De tous, Stigwood est le moins piqué des hannetons, en tous les cas, il va réussir à passer à travers, là où ses anciens collègues ont échoué. Il commence comme Parnes, en supervisant tous les aspects de la vie de ses poulains, le premier étant John Leyton, depuis longtemps oublié. Comme Parnes, il tente de transformer des beaux mecs en rock stars. Pendant un temps, le petit ami de Stigwood est le fameux Sir Joseph Lockwood qu’on voit photographié avec les Kray twins. Beau scandale. Bullock se régale. Mike Berry raconte que Stigwood a passé une soirée entière à essayer de le sauter, et gentiment Berry a fini par lui dire : «You’re lucky I’m not a violent man.» On croyait avoir atteint les tréfonds du dark avec le Bay City Rollers book, mais Bullock semble aller encore plus loin dans les ténèbres. On surnomme Stigwood a lovely old queen. Il tente de lancer Simon Scott, mais ça ne marche pas. Comme il dépense sans compter, il doit du blé à droite et à gauche, notamment à Andrew Loog Oldham. Un soir, Oldham et Keith Richards coincent Stigwood dans les escaliers du Scott Of Saint James et Keef lui balance 16 coups de genou dans l’aine, «one for each grand he owned us. Mais il ne s’est jamais excusé. J’ai pas dû le frapper assez fort.» Par contre, Stigwood s’entend bien avec Epstein. Ils passent même des vacances ensemble à Paris. C’est en bossant avec Epstein que Stigwood finit par devenir respectable. Stigwood veut racheter les parts d’Epstein dans NEMS, mais Epstein se dit trop lié à ses artistes. Il ne veut pas que les gens dont il se sent responsable tombent dans les pattes de n’importe qui - Je m’occupe d’êtres humains, pas de bouts de bois - Et les Beatles ne veulent pas de Stigwood dans NEMS. Ils menacent de chanter faux, si Stigwood ramène sa fraise. Mais bon, Epstein finit par vendre 51% des parts de NEMS à Stigwood. Quand Stigwood s’installe dans les bureaux de NEMS, le personnel est choqué. En fait, Epstein en a marre du music biz et il envisage de se retirer. Et puis Stigwood et son associé Shaw quittent NEMS quand ils comprennent que les Beatles ne veulent pas d’eux. Alors ils montent RSO (Robert Stigwood Organisation), avec le soutien financier de Polydor, en Allemagne, et démarrent avec Cream et les Bee Gees. Stigwood finit par se débarrasser de David Shaw, son associé et génie financier. On connaît la suite de l’histoire des Bee Gees, le succès mondial avec la daube diskö du samedi soir et quand les frères Gibbs demandent où est passé le blé, ils n’ont pas de réponse, alors ils traînent Stigwood en justice et réclament 136 millions de dollars de dommages et intérêts. Ils finiront par négocier secrètement un arrangement. L’histoire du rock n’est pas faite que de rock.

    Signé : Cazengler, Velvet mafiotte

    Darryl W. Bullock. The Velvet Mafia. The Gay Men Who Ran The Swinging Sixties. Omnibus Press 2021

    Heinz. Remembering, Decca 1977

    Dave Berry. Remembering, Decca 1976

    Tommy Steele. Doosday Rock Vol. 1. Bear Family 2019

    Billy Fury. We Want Billy. Decca Records 1963

     

    Dollse Vita - Part One

     

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                Tu veux un scoop ? Martin Scorsese prépare un docu sur les Dolls. Le scoop se trouve à la fin d’une longue interview que David Johansen - The Last Doll - accorde à Jon Savage dans Mojo. Inespéré ! Non seulement Johansen refait surface, mais qu’on puisse encore s’intéresser aujourd’hui à l’histoire des Dolls, ça tient du miracle.

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             Une longue intro nous redit tout ce qu’on sait déjà. Les excès, the next big thing et tout le baratin habituel. On a même droit à l’énumération des cassages de pipes en bois : Johnny Thunders (1991), Jerry Nolan (1992), Killer Kane (2004) et Syl Sylvain (2021). Mais on est là pour boire les paroles de Johansen.

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             Savage commence par annoncer qu’on fête le cinquantième anniversaire de la residency des Dolls à l’Oscar Wilde Room du Mercer Arts Center. Johansen raconte que c’est Eric Emerson qui l’a branché sur ce plan au Mercer et comme le set des Dolls avait plu au manager du Mercer, ils ont décroché la fameuse residency - So that was that - Johansen décrit la salle comme petite mais pouvant contenir 200 personnes. Évidemment Savage le branche sur le gay element. Johansen se marre. Mais non, le gay element n’existe pas à cette époque - Si un mec était outrageusement gay, on ne disait pas qu’il était gay, on disait qu’il était fantastique - Gay wasn’t a part of the lexicon - Puis il aborde rapidement le chapitre des concerts de rock de l’époque, tous ces concerts fabuleux qu’on pouvait voir dans les early seventies au Fillmore East, Miles Davis et les Who, par exemple. Johansen fait partie des kids qui veulent absolument faire du rock et tous les mecs qu’il rencontre sont aussi des passionnés : «Syl was T.Rex kind of guy, Arthur liked Sky Saxon and The Seeds, John liked the MC5, I was crazy about Janis Joplin. I can’t remember what Billy’s thing was.» Il va aux shows de Murray The K et flashe sur Mitch Ryder qui à l’époque casse la baraque torse nu, en trois minutes. Et quand Savage qui se croit drôle lui demande s’il préférait les Stones ou les Beatles, Johansen répond à sa façon : «To a degree I liked all of thoses bands. The Kinks, The Zombies, whatever came out, all the bands from England. But also, tempered with American R&B.» Il jouait «Mustang Sally» avec ses copains, il adorait aussi The Four Seasons and crazy singers like Lou Christie.

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             Johansen raconte aussi que John voulait répéter tous les jours. Il était un peu le moteur des Dolls. Puis l’influence de Syl a grossi. Mais le plus important dans tout ça était que les cinq Dolls étaient obsédés de rock’n’roll. Et comme ils voient beaucoup de groupes jouer des solos de 20 minutes au Fillmore, les Dolls rêvent d’un show explosif - It wasn’t even that we choregraphed or planned it, nothing like that, it happened spontaneously - Et puis quand Savage lui demande s’il se souvient quand les Dolls ont décollé, Johansen dit non. Les Dolls n’ont jamais décollé, sauf dans leur quartier à Manhattan. Tous les requins du music biz venaient pourtant les voir jouer : Clive Davis, Ahmet Ertegun. Mais celui qui les veut vraiment, c’est Paul Nelson, un A&R de Mercury. Nelson finit par convaincre son boss de signer les Dolls. Comme Marty Thau s’occupe des Dolls, c’est lui qui négocie le contrat.

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    ( Billy Murcia )

             Savage branche ensuite Johansen sur la mort de Billy - It was devastating. A shocking situation. It was a horrible misadventure, really. You don’t really get over things like that - Johansen évoque aussi la photo de pochette du premier album et la tournée américaine en première partie de Mott The Hoople. Savage veut absolument savoir si on les traitait de tapettes dans la rue. Johansen répond encore de biais : «De temps en temps, un mec nous insultait depuis la vitre baissée de sa bagnole. Mais je pense que les gens y réfléchissaient à deux fois avant de nous menacer car on dégageait quelque chose qui leur faisait croire qu’on pouvait être dangereux, if you fucked with us. On n’avait pas peur de se battre.» 

             Il raconte aussi que DownBeat magazine qui était un canard de jazz fit une chronique du premier album des Dolls, alors qu’ils ne chroniquaient jamais de disques de rock - Ils nous ont collé quatre étoiles et ont dit des choses superbes sur nous, comment notre musique illustrait la ville et la rue - J’étais fier de cette chronique. Et il continue sur le scoop : «Marty Scorsese est un fan des Dolls depuis le temps du Mercer. Il m’a dit que pendant le tournage de Mean Streets, il passait notre album sur le plateau, à plein volume, pour stimuler les acteurs.» C’est là qu’il évoque le docu avec Scorsese. Histoire de nous faire encore baver un peu, Johansen dit avoir enregistré une vingtaine de chansons. Son répertoire couvre toutes les époques, depuis le début jusqu’au dernier album des Dolls paru en 2011, Dancing Backwards In High Heels

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             Eh oui onze ans sont passés depuis Dancing Backwards. Ils ont enregistré cet album à Newcastle, comme nous le montre le DVD qui accompagne l’album. On profite en même temps d’un concert des Dolls filmé dans un club de Newcastle, le Cluny. Le film nous montre l’ultime mouture des Dolls autour de Johansen et Syl : l’ex-Blondie Frank Infante gratte sa gratte, Jason Hill bassmatique et Brian Delaney bat le beurre. Sur scène, c’est vraiment excellent. Il se trouve que Jason Hill est aussi le producteur de l’album. Alors le docu ? C’est un peu comme si on y était. On voit même la poule de Johansen, une très belle brune bien conservée. Quand ils jouent «Looking For A Kiss» sur scène, c’est exactement le même son qu’à l’origine. Magie pure ! Dans le docu, Syl prend souvent la parole. Il a encore une certaine classe, avec sa casquette de Gavroche. Il explique qu’il trouve des structures et des mélodies sur sa gratte and David puts a line on it. Sur scène, tout le côté wild guitars, c’est Syl sur sa Gretsch. On le voit aussi gratter les accords de «Streetcake» dans une cabine du studio. Fantastique ! Encore de la magie pure ! Il danse en grattant sa Les Paul. Syl pense que the musicians & writers have a duty. Et bien sûr, ça se termine sur scène : «It’s called Personality Crisis» - Ahhh yeah yeah yeah. Johansen le fait pour de vrai.

             On retrouve «Streetcake» sur l’album, et franchement, c’est du baume au cœur. Tellement du baume au cœur qu’on l’écoute en boucle pour se griser des chœurs de Syl et du raunch de Johansen. «Streetcake», c’est le son des fantômes du rock suprême, avec un Johansen qui refuse de mourir et le fantôme de Syl qui fait ahhhhh dans l’écho et qui gratte les plus beaux accords new-yorkais de tous les temps, et là, rien qu’avec ce petit balladif Dollsy, tu te retrouves au sommet de tous les mythes, perché sur l’Empire State Building avec King-Kong, et tu as le vertige, c’est trop bon, mais le vertige est dans ton cœur, et pendant que Syl pousse des ahhhh de rêve, Johansen revient toujours au raw. Ces mecs nous ont initié à la vie et ils sont toujours là, avec un power et une grâce dont on ne trouvera hélas plus d’équivalent - Let me be your streetcake/ Till your breadman come/ Give you more sugar/ Than the breadman done - C’est le plus beau rêve des Amériques, Johansen et Syl ont réussi à le recréer - I’m so sweet like the New York Dolls - Terrifique ! Ils s’enfoncent dans l’art comme Gauguin dans le rouge. Fais gaffe, ce cut peut te broyer le cœur, car Johansen et Syl te ramènent loin en arrière. Tu les vois photographiés tous les deux au dos du booklet et tu vois Syl qui est mort maintenant, avec sa casquette de Gavroche et sa dégaine de Doll et tu chiales parce que tu te sens seul dans ce monde d’une terrifiante médiocrité. Comme Johnny Thunders, Killer Kane et Jerry Nolan, Syl était une sorte de dernier rempart, maintenant il ne reste plus que Johansen, Iggy et Wayne Kramer, que Dieu protège ces survivants - To my head ! - Les coups d’harmo de «Pills» sonnent encore le tocsin dans ta cervelle. Oh et puis tu as ce «Fool For You Baby» en ouverture de bal, immense pied de nez des Dolls à la postérité, ça sort tout droit du Brill, c’est l’absolu séculaire du don’t you break my heart, plombé de sonic genius, saturé de dont dont dee lee dont dont. Les Dolls se dégagent de toutes les influences pour ne sonner que comme les Dolls. Johansen et Syl pondent encore un chef-d’œuvre Dollsy, «Talk To Me Baby», énorme, plein d’élan du Brill, nouvelle manifestation du Syl power, cut définitif, Johansen le chante à l’arrache des Dolls, tu as des coups de piano et des redémarrages demented. Avec «Round And Round She Goes», ils renouent avec leur racines et passent au stomp. Parce que ce sont les Dolls, ça devient énorme. Johansen écrase le champignon du record machine. Encore du pur jus Dollsy avec «I Sold My Heart To The Junkman». Ils sont capables de faire du Brill de junkman ! C’est un coup d’éclat transcendantal. Ils tapent «Baby Tell Me What I’m On» au Diddley Beat - Babeh/ Babeh I’m so gone - Drug-out reggae so far out. Puis ils tapent une version de «Funky But Chic» et avec Syl derrière, la magie est intacte. Ils perpétuent leur art jusqu’au bout et là tu as tous les chœurs de Dolls dont tu rêves. On retrouve «Funky But Chic» dans les bonus enregistrés au Cluny, Syl le lance à la Thunders, ça joue aux deux guitares avec les chœurs de Syl derrière, alors tu tombes de ta chaise, même chose avec la version live de «Cause I Sez So», c’est hot as hell, au-delà de toute espérance, ils rentrent dans le chou du lard avec des guitares terribles et Syl sort tout le Grand Jeu des Dolls, un son unique au monde, il faut en profiter, ces deux mecs sont encore là le temps d’un disque, et puis tout sera fini. Et ça repart de plus belle avec «Hey Bo Diddley» - Hey Bo Diddley/ Where you been - Fantastique hommage ! Dans la bouche de Johansen, Bo c’est beau ! Syl reste en overdrive de Thunders et puis tu as encore «Pills». Il n’y a que les Dolls pour exploser aussi monstrueusement - A rock and roll nurse go into my head - C’est l’hymne de New York City.

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             En 2005, Johansen et Syl avaient annoncé une reformation des Dolls avec Steve Conte, Sami Yaffa et Brian Delaney. C’est cette nouvelle configuration qui enregistre One Day It Will Please Us To Remember Even This. L’album est un beau clin d’œil aux Dolls. Trois cuts pourraient très bien figurer sur le premier album : «Running Around», «Punishing World» et «Fishnets & Cigarettes». D’abord parce que ce sont des compos de Syl et le grand Johansen reprend le contrôle de l’aéroport. Il retrouve ses marques avec les chœurs et le boogie down. C’est là où il excelle depuis cinquante ans. Syl signe aussi «Fishnets & Cigarettes», et Johansen ramène le power absolu. Par contre, c’est Conte qui signe «Punishing World». Il tape en plein cœur du big Dollsy sound, l’énergie est intacte, il ne manque plus que Johnny Thunders. On assiste à la restitution de l’énorme power des origines du monde. Syl signe «Dance Like A Monkey» et pompe «Lust For Life». Même beat. C’est là que New York se fond dans Detroit. Johansen fait des merveilles avec la belle pop de «Plenty Of Music». Syl signe aussi l’excellent «Dancing On The Lip Of A Volcano». Et voilà la cerise sur le gâtö : Iggy vient duetter avec Johansen sur «Gimme Luv & Turn On The Light». On appelle ça une énormité impavide. Et cet album de rêve s’achève sur une autre compo de Syl, «Take A Good Look At My Good Looks» : Johansen et Syl s’entendent à merveille pour créer des petits moments de magie balladive.

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             Paru en 2009, ‘Cause I Sez So est le deuxième album de reformation des Dolls autour de Johansen et Syl. Et pour que l’illusion soit complète, Todd Rundgren produit, comme au temps du premier album. Alors pas de problème, on sait qu’on aura du son. On retombe sur le classic Dolls sound dès le morceau titre d’ouverture de balda. C’est un son réellement unique au monde. Ils rejouent leur vieux va-tout. On retrouve le Dollsy sound dans le cut du bout de la B, «Exorcism Of Despair», véritable mur du son avec un Johansen au dessus de la mêlée et des grosses guitares du Conte. Le Conte est bon. Le hit de l’album est «My World», une grosse compo signée Syl, grattée à coups d’acou, avec un coup de wah du Conte en plein milieu. On entend bien Sami Yaffa voyager sur le manche de sa basse dans «Muddy Bones». Johansen est en pleine forme. Il fait plaisir à voir. Il aime bien les balladifs du Conte, comme ce «Temptation To Exist», mais aussi ceux de son vieux compadre Syl. Ils signent encore une grosse compo : «Drowning». On les voit tous les deux se diriger de plus en plus vers les grosses compos. «Drowning» raconte l’histoire d’un homme qui se noie - I’m not waving hello/ I ain’t throwing around with the mama/ Don’t let me go - C’est bourré d’humour. Et puis tu as aussi ce big dancing rock signé Syl et Conte, «Nobody Got No Big News», Johansen y ramène l’énergie du rap, c’est vraiment du big business, let’s get radiant ! On note aussi au passage la version reggae de «Trash».

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             On a commencé avec Scorsese et on finit avec lui. Faut-il voir et revoir la série Vinyl en dix épisodes ? Oui, car c’est un bel éclairage sur le music biz new-yorkais des années 70, juste avant l’arrivée du punk-rock. Dans l’épisode 10, le personnage principal Richie Finestra donne ses rendez-vous dans un bar du Bowery. Après son rendez-vous, Finestra vient papoter avec le patron du bar. Celui-ci songe à changer le nom de son bar et à y organiser des concerts. Il a crayonné sur un bout de papier son idée de nouveau nom : CBGB. Il s’agit bien sûr d’Hilly Kristal. Et comme le premier épisode de la série démarre en 1973 au Mercer avec les Dolls, la boucle est bouclée. N’oublie pas que le punk est né à New York, pas à Londres.

             Supervisée par Scorsese, la série tient sacrément bien la route. On y retrouve le mélange qui a fait le charme des premiers films de Scorsese, ce puissant cocktail de rock, de coke et de violence mafieuse. On n’avait encore jamais vu autant de rails de coke, excepté dans The Wolf Of Wall Street ! Si tout démarre au Mercer, ce n’est pas un hasard, Balthazar : les Dolls sont au cœur de toute la modernité du rock. Scorsese le savait à l’époque. Il parvient à reconstituer l’ambiance de ce que fut un set des Dolls à l’âge d’or. On voit même Syl faire du stage dive avec sa Flying V. 

             Richie Finestra a des faux airs de Travolta : italo-New-yorkais, on est en plein dans le Scorsese System. Finestra/Travolta dirige le label American Century qui bat de l’aile, car trop ancré dans le passé. Scorsese parvient à filmer l’écroulement du Mercer, avec Finestra/Travolta à l’intérieur. Au milieu des décombres, Finestra/Travolta a une vision : il voit les Dolls comme l’avenir du rock, alors comme Seymour Stein, il part à la chasse du next big thing : le groupe s’appelle the Nasty Bits, un groupe punk avant l’heure, très certainement inspiré du personnage de Richard Hell.

             Scorsese veille à ne pas oublier l’autre mamelle de la modernité : le Velvet. Alors on se régale, car c’est servi sur un plateau d’argent - I am tired/ I am weary/ I could sleep for a thousand years - Pure magie reconstitutive - Different colours made of tears - «Venus in Furs» nous berce encore de bien belles langueurs monotones, cinquante ans plus tard. Scorsese et ses scénaristes (dont l’excellent Rich Cohen) réussissent un habile mélange de méli-mélo avec des faits réels. On voit Alice Cooper apparaître dans l’épisode 3, mais c’est complètement raté. Une façon comme une autre de dire que le personnage d’Alice Cooper n’a jamais été crédible. Les Dolls l’étaient mille fois plus. Par contre l’Hannibal qui pointe sa museau dans l’épisode 4 vaut le détour : hommage au funk des seventies, à Sly Stone et à Bootsy Collins. La plupart des scènes sont filmées dans les locaux du label de Finestra/Travolta : on y voit le ballet des associés et des assistantes, tous et toutes plus incompétent(e)s les uns que les autres. Scorsese nous ressert une petite louche de Lou Reed dans l’épisode 5 avec une version de «White Light White Heat» sur scène. Dans le 6, on voit Bowie débarquer à New York avec «Suffragette City», et on entend le «No Fun» des Stooges chez un marchand de guitares. Et puis un mec chante «Life On Mars» au piano dans une fête juive. N’oublions pas que New York est la plus grande ville juive du monde. Finestra/Travolta fait un saut en Californie pour l’épisode 7, il vend l’avion de son label à un mec qui organise une fête à Malibu et là défilent tous les luminaries de la scène locale : Mama Cass, Gram Parsons, Captain Stills Manyhands et puis il y a une scène magique avec Elvis à Las Vegas. Finestra/Travolta rencontre Elvis backstage et ils tentent de monter un plan ensemble, alors Elvis veut les Sweet Inspirations et Finestra/Travolta propose Pop Staples pour produire le nouvel album, alors Elvis exulte : «You got it !». Jusqu’au moment où le Colonel Parker arrive et vire Finestra/Travolta. Elvis va coucher au panier. La scène est d’une incroyable justesse. Bravo Scorsese !

             Il n’empêche que le label continue de s’enfoncer, alors Finestra/Travolta doit emprunter de l’argent. Comme la banque lui refuse le prêt, il s’adresse à Colasso, un type de la mafia qui lui prête 100 000 $ en cash. Taux à 5%. L’épisode 8 nous permet d’entrer dans deux mythologies : celle des trois accords et celle de la mafia. Lester Grimes qui est le manager black des Dirty Bits explique à ses protégés que tout repose sur trois accords : ré la si. Et il joue un medley de toute l’histoire du rock et du blues sur sa gratte. Quant à la mafia, c’est l’occasion pour Scorsese de renouer avec sa vieille virtuosité : il montre comment Colasso étrangle un mauvais payeur avec le fil électrique d’une lampe. Colasso est bien sûr une interprétation libre du personnage de Morris Levy. Dans le 8, on voit aussi apparaître John Lennon et May Pang au Max’s, alors que Bob Marley joue sur scène. Pour la fin de la série, Scorsese fait jouer les Dirty Bits en première partie des Dolls qu’on ne voit hélas que dans la salle, mais pour lui, c’est l’occasion rêvée de boucler la boucle. Bien sûr, la saison 1 appelle une suite.

    Signé : Cazengler, New York Dumb

    New York Dolls. One Day It Will Please Us To Remember Even This. Roadrunner Records 2006

    New York Dolls. ‘Cause I Sez So. ATCO records 2009

    New York Dolls. Dancing Backward In High Heels. 429 Records 2011

    Martin Scorsese. Vinyl. Saison 1. DVD 2016

    Jon Savage : Fantasy Island. Mojo # 345 - August 2022

     

     

    Inside the goldmine - Baby Grande Ballroom

     

                Il sortit de l’hôtel Saint-Francis et alla se jeter dans le flot des passants que charriait la 42e rue. Il se grisait de l’éclat du ciel bleu et de l’énergie qui électrisait cette ville. Il rentra dans un peep-show, paya six dollars et s’installa dans une cabine. Il avala deux cachets de benzedrine et attendit - oh pas longtemps - l’arrivée de la fille derrière la vitre. Blonde du haut mais brune du bas, elle ne portait rien d’autre qu’une moue de morgue. Elle commença à se masturber, un doigt dans chaque orifice. Alors il en fit autant et prit soin d’éjaculer sur la vitre, comme c’était l’usage. Il sortit relaxé de l’immeuble et héla un taxi qui le conduisit downtown, où il allait tenter, en parfait disciple de Dorian Gray, de «perdre son âme». La nuit tomba. Il s’installa sous un réverbère, au coin d’une rue déserte, et attendit qu’une lame le menaçât, ou mieux encore, qu’un gang de Portoricains, Young Lords de préférence, ne vint le rouer de coups et le violer. Sa quête de modernité et son horreur congénitale de l’ennui le conduisaient comme d’autres avant lui - et pas des moindres - à rechercher le frisson des situations extrêmes. Il n’eut pas à attendre très longtemps. Six jeunes blacks aux yeux rouges sortirent de l’ombre, approchant en silence comme des chats méfiants. Ils brandissaient des barres à mine. Pas un bruit, silence total. Il reçut un premier coup de barre dans le genou et en tombant, un deuxième coup porté au visage lui cassa à peu près toutes les dents. Puis les coups redoublèrent de violence. Il subissait le supplice de la roue. Les blacks frappaient à tour de rôle. Au moment où il rendit l’âme, son double se détacha et l’éleva à la verticale. En proie à des vieilles superstitions, les blacks reculèrent et s’enfuirent. Zéphyr s’éleva à la verticale, ainsi qu’il l’avait annoncé dans ses romans.

     

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             D’un Zéphyr l’autre, comme dirait Céline. Le «Zephyr» de Baby Grande n’a de new-yorkais que la coïncidence. Ces Australiens contemporains des early Saints auraient très bien pu enregistrer ce «Zephyr» - apparemment jamais sorti - dans le downtown new-yorkais.

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             En 2019, RPM fit paraître un petit coffret glammy retentissant, All The Young Droogs. On en a déjà dit le plus grand bien sur KRTNT. Il faut bien reconnaître que l’album grouille de puces, Third World War, Milk ‘N’ Cookies, Hector, Brett Smiley, Helter Skelter, en tout soixante glam nuggets qui mettent les sens en alerte rouge, avec un seul petit défaut : l’absence de Jook et des Gorillas (même si Helter Skelter est là). Il se trouve que le meilleur cut de ce coffret si haut en couleurs est le fameux «Zephyr» épinglé plus haut. Les Australiens s’y prêtent à une fantastique charge des Walkyries. Ces mecs ont du raw power plein la culotte. Leur vice, c’est l’explosivité pressante comme une envie - Well I call you a zephyr - Tout est là, dans cette énergie des guitares, dans ce son rempli à ras-bord, dans cette niaque de mauvais aloi, personne ne les aime et ils ne s’aiment pas non plus. Ils semblent même bien meilleurs que les Saints, ce qui n’est pas facile à dire pour un vieil inconditionnel des Saints.

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             C’est à peu près tout ce qu’on avait à se mettre sous la dent. Et puis voilà qu’on annonce la parution d’un album d’inédits de Baby Grande. Stupéfaction ! HoZac est un label américain spécialisé dans le punk’n’roll (Davila 666, Chrome Cranks, Kim Salmon, Mark Sultan, etc.), la réédition d’albums métempsychotiques et l’édition de livres nitrogéniques (Sal Maida, Bob Bert, etc.). C’est donc en 2018, soit un an avant les Droogs, qu’HoZac fit paraître un album d’inédits de Baby Grande - HoZac Archival is proud to present these incredible recordings to complete your explosive lifestyle - On trouve un peu de littérature, sur la pochette intérieure, notamment une interview de Steve Kilbey (chant) et Dave Scotland (guitar). HoZac tente de les ramener vers les Saints qui enregistraient leur premier album dans le même studio, mais les deux groupes ne se connaissaient pas. Comme les Saints, Baby Grande enregistre des démos pour EMI, mais EMI les jette. HoZac n’y va pas de main morte : sur la pochette, ils ont collé un sticker jaune où on peut lire «Australian GLAM/Proto-PUNK missing link», de quoi faire bander tous les curés de Camaret. Notre cher «Zephyr» y ouvre le bal de la B, toujours aussi subjuguant que suburbain. On constate une fois de plus la violence du riffing, c’est assez glammy, oh boy, mais descendu dans la rue. Tellement dans la rue que ça devient digne des Dolls, ils déploient des ailes d’aréopage, Dave Scotland claque un solo qui prend feu dans l’azur prométhéen, well I call you a zephyr/ You should glow, ils sont sur le même terrain que Slade, la voix en moins. Dommage que les autres cuts ne soient pas du même niveau. Ça pourrait à la limite expliquer qu’EMI les ait jetés, mais bon, «Zephyr» suffit à notre bonheur. Avec «Pure White & Deadly», ils font ce que tous les groupes - et Mott oh ma Mott - faisaient dans les early seventies : du boogie-rock. Il sont dans le bain, bien dans le bain dis donc, Dave Scotland joue à la cocote sournoise. Ils ont opté pour les bons réflexes. Comme HoZac n’avait pas assez de cuts pour remplir un album, ils ont collé en fin de B une autre mouture de «Pure White & Deadly», un peu plus grasse du bide, ce qui lève toute forme d’ambiguïté. Ils vont vite en besogne et le bassman se faufile partout. Dave Scotland claque une fois de plus un killer solo flash impitoyablement fluidifié et là, on le prend très au sérieux. C’est Mick Ralph, mais à Canberra. Avec «Going There & Back», ils adressent un gros clin d’œil aux Young Dudes. Comme ils sont d’un naturel aimable, ils y vont de bon cœur, au crush crush de room et de TV screen. Mais leur «Madame Lash» ne fonctionne pas, même si Lash rime si richement avec trash. Et les autres cuts refusent obstinément de décoller. Dave Scotland tente de sauver «She Thinks She’s A Diamond» avec un solo fleuve de la plus belle autorité, mais Baby peine à jouir. Contentons-nous donc de nous envoler avec Zephyr.

    Signé : Cazengler, Baby Glande

    Baby Grande. Baby Grande. HoZac Records 2018

    All The Young Droogs. RPM 2019

     

    L’avenir du rock - God save the Quintron

     

                Il n’oserait l’avouer à personne. L’avenir du rock a toujours rêvé d’être une grenouille. Oh pas la grenouille stupide dont se moque si gentiment La Fontaine, cette grenouille qui enfle pour égaler le bœuf en grosseur et qui enfle tant et si bien qu’elle éclate. Ni la grenouille dont on sert les cuisses revenues à la poêle dans les restaurants à la mormoille, et encore moins celle qu’on dissèque à vif dans les bacs des cours de sciences naturelles pour examiner ses organes. L’avenir du rock songe plutôt à la grenouille en peluche que trimballait Clarence Frogman Henry sur scène, un Clarence dont la prestance persistera et signera à travers les siècles, soyez-en certains, le Clarence de la froggy motion sempiternelle, un Clarence chouchouté par les oreilles alertes et vives, car connaît-on meilleure prestance que celle-ci ? Ah comme il aurait adoré sautiller dans les roseaux, l’avenir du rock, attraper des libellules au vol, échapper d’un bond au vieil alligator, et le soir aller jusqu’à la cabane de Bobby Charles pour l’écouter entonner ses Champs Élysées sur sa vieille guitare gondolée - Les femmes sont jolies/ Sur le (sic) Champs Élysee (sic)/ Ils (sic) vous donnent des envies - Ah quel poète délicieux, enfoui au fond d’un Bayou qu’on dirait peint par le Douanier Rousseau. En suivant la berge du fleuve, l’avenir du rock serait ensuite allé par petits bonds jusqu’à la maison du vieux Tony Joe pour le voir éplucher sa polk salad à la lumière d’une lampe à pétrole, sous sa véranda, car comme il le croasse si bien dans l’histoire d’Annie qui est encore plus mauvaise que les alligators, c’est tout ce qu’il y a à manger Down in Louisiana, where the alligators grow so mean. Mais par-dessus tout, l’avenir du rock aurait adoré voir Monsieur Quintron approcher des roseaux à quatre pattes avec son petit magnétophone accroché autour du cou, Monsieur Quintron et son crâne métaphysique couronné de chaume, sa petite rangée de canines pointues et ce regard si flaubertien de matelot en détresse, promenant sur la solitude de sa vie des yeux désespérés, cherchant au loin quelque voile blanche dans les brumes de l’horizon.

     

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             Ça fera bientôt trente ans que Monsieur Quintron intrigue les masses populaires. Trente ans qu’il méduse les foules à petits coups de séquenceur. Trente ans qu’il envoie ses mains de cire valser sur le clavier d’un orgue Hammond. Trente ans qu’il nous fait danser le jerk des squelettes de la Nouvelle Orleans. Trente ans qu’on rit avec la mort qui est son double.

             En 2012, Monsieur Quintron est venu en Normandie nous secouer les cloches. On ne croise pas tous les jours une légende vivante, dans cette région. On y croise plus facilement des vaches, et des gens qui vont mal. À l’époque, Monsieur Quintron s’installait torse nu derrière son clavier. Il portait un pantalon de cuir noir. Grand, brun, gueule de star. Fabuleux Soul-shaker, l’un des meilleurs du cru. Pendant que son corps ruisselait de sueur, il nappait d’orgue son Soul-shuffle et shakait sauvagement sa charley. Il swinguait comme un entrepreneur de démolition. Des choses bizarres roulaient sous la peau humide de ce chaud lapin de sucre sauvage. Il pulsait le rumble et l’envoyait rouler dans les orties. À deux mètres de lui, plantée derrière un micro, Miss Pussycat secouait ses maracas et chantait comme une casserole. Elle œuvrait pour la postérité du trash qui est, avouons-le, notre religion secrète.

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             Et pouf, dix ans plus tard, ils redébarquent en Normandie, pour un concert gratuit en plein air. Quintron ne se met plus torse nu derrière sa machine infernale, mais il conduit toujours aussi bien son bal des vampires de la Nouvelle Orleans.

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    C’est un fabuleux hellraiser, il tape le beat sur sa charley et racle à la baguette la pedal steel installée sur sa machine. Il ramène des sonorités incroyables dans son boogie-blast, des accords fantômes de Deep Southern country. Cette fois, Quintron et Miss Pussycat sont accompagnés par un batteur tout maigre et un ostrogoth ventru qui joue sur un mini-moog et qui souffle dans un tuyau en caoutchouc. Avec son gros bide tatoué, il vole la vedette sur scène.

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    Quintron offre toujours le même cocktail hallucinant de ramshakle et de swamp-boogie, il mène ça ventre à terre et chante toujours comme une superstar. Il s’est laissé pousser les cheveux, mais il reste l’un des rock’n’roll animals les plus sexy d’Amérique. Bizarrement, les gens chipotent en France. Comme d’habitude.

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             Un soir, sous les étoiles, en mer des Caraïbes, le célèbre capitaine Flint nous confiait ceci : «Il y a deux sortes de créatures sur cette terre : les beaufs et les trash !». Au-dessus de nos têtes pourrissaient les cadavres d’officiers espagnols accrochés par les pieds aux gréements. Ces charognes illustraient parfaitement son discours. 

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             Are You Ready For An Organ Solo ? Sous cette invitation déguisée se tapit un rude album rempli de gros jerks dératés, palmés d’orgue, plus chancelants que chantés, et bardés de chœurs tragicomix. «Place Unknown» est un merveilleux dada banana split. Prince du shuffle des cimetières abandonnés, Monsieur Quintron l’orne de jarretières d’os. Ce jerk est entêtant comme ce n’est pas permis, franchement, et les chœurs de Miss Pussycat éreinteront les plus coriaces d’entre-vous. Quintron adore les pièces de boogie-down-production-shout-balam qui nous font danser jusqu’à l’aube dans les allées du Quartier français, tout près du palais vermoulu où se planque le dandy cucumber. Le cœur quintronien balance souvent entre le straight r’n’b bien secoué du cocotier et la petite pop dada fraîche comme une laitue et habilement cadencée par les infra-sons, comme par exemple «Cave Formation», où l’on entend Miss Pussycat chanter comme si elle était encore en maternelle. Pour le reste, Monsieur Quintron drumbeatera sévèrement, car telle est sa secrète ambition.

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             Si tu t’accommodes aisément de la fantaisie, alors écoute cet album qui s’appelle Swamp Tech. Le samedi, Quintron va faire ses courses sur Canal Street. Il adore piquer dans les magasins. «Shoplifter» raconte ses exploits. Il nous nappe ça d’orgue et nous fait danser au salon. Sa boîte à rythme fait des miracles, on peut bien l’admettre. C’est à Miss Pussycat que revient l’insigne honneur de chanter «Fly Like A Rat». C’est dingue ce qu’elle peut mal chanter. Mais le morceau a fière allure. Ces deux-là font ce qu’ils veulent. Ils naviguent en solitaire. Ils n’ont qu’une seule loi : la liberté à tout crin. Ils jouent dans LEUR club et enregistrent sur LEUR label, Bulb Records. La typo de Bulb est dessinée comme celle du label SUN de Sam Phillips : quatre lettres sont disposées sur un demi cercle divisé en quartiers par les rayons du soleil levant. À la fin de «Fly Like A Rat», Quintron vient screamer un bon coup. Avec «Witch In The Club», il nous prouve une fois de plus qu’il sait vraiment pulser le beat louisianais - Louis Louie Louie - c’est un crack de l’abattage, un furoncle intraitable. Il met les bouchées doubles. Sa reprise de Kiss est encore plus énorme : il transforme «God Of Thunder» en gros jerk des Caraïbes. Comme nous tous, Quintron déteste cordialement le cupide Gene Simmons.

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             Bien des fans de Quintron se sont fait rouler la gueule. L’immonde Quintron s’autorise à faire paraître de temps en temps des albums expérimentaux. Sur Drum Buddy Demonstration Vol. 1, il nous refile quelques échantillons de sons produits par son séquenceur. 

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    Avec les fameuses Frog Tapes, il nous emmène dans le bayou écouter chanter les grenouilles, d’où le titre de cet album qui s’arrache à prix d’or. Ne perdons jamais de vue que Monsieur Quintron est l’un des derniers originaux de l’aventure rock, et ses admirateurs doivent parfois avaler des grosses couleuvres et apprendre à faire preuve de bienveillance.

             Mais au bout du compte, on est bien récompensé.

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             En 2008, une pochette étrange trônait dans les vitrines des magasins. On y voyait le vampire Quintron assis auprès d’une entraîneuse noire. Elle portait sur les épaules un monstrueux python du bayou, comme d’autres portent une cape de zibeline. Renseignements pris auprès du détaillant, il apparaissait que le python portait le doux nom de Boobaalah, qu’on estimait son âge à deux cents ans et qu’il avait pour particularité de miauler pour séduire ses victimes, qui étaient généralement des cochons ou des petits nègres égarés aux abords du marais. L’album s’appelle Too Thirsty 4 Love. Il nous tient une fois de plus la dragée haute. «Waterfall» et le morceau titre posent leurs mains sur nos hanches et nous font danser la java des marais. Impossible de résister au drumbeat de Drum Buddy. Miss Pussycat rejoint Quintron sur «Dirt Bag Fever». Il contribue à la postérité - run wanado dah doo - C’est une sorte de petit hit cosmique et bien intentionné. On se retrouve une fois de plus sous le charme du trash. De l’autre côté du disque traîne un mambo judicieux qui s’appelle «Freedom». C’est une valse à trois temps de la Nouvelle Orleans, une étonnante pièce de machinerie truculente et bien née. Et si on veut retrouver ce qui fait la puissance seigneuriale de Quintron, c’est-à-dire le rock solide nappé d’orgue, alors il ne reste plus qu’à écouter «Model Ex Citizen». Évidemment, Miss Pussycat vient vinaigrer l’affaire. Et tout le reste n’est que littérature, comme dirait le pauvre Lélian.

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             En 2011 paraît Le Sucre Du Sauvage. Voilà encore un album rempli de petite pop que Miss Pussycat massacre avec ostentation. Elle est le fléau des temps modernes. Pourtant, ils réussissent parfois des exploits, comme par exemple ce morceau qui s’appelle «Face Down The Gutter» qu’ils chantouillent à deux voix et qu’ils bardent de clap-hands, très sixties dans l’esprit et admirable à bien des égards. Quintron peut aussi faire du boogie à la Canned Heat. Il suffit de le lui demander gentiment. Certains morceaux pourraient très bien sonner comme des tubes planétaires, «Banana Beat» par exemple, mais c’est impensable, parce qu’ils refusent tous les deux de se prendre au sérieux. Du coup, on se retrouve avec de la pop exacerbée qui pique un peu, comme un beaujolais, surtout lorsque Miss Pussycat chante seule, comme c’est ici le cas. «Sucre Du Sauvage» est plus cavaleur et donc plus entreprenant. On retrouve ce brouet unique au monde d’orgue dansant et de Drum Buddy dada électronique qui envoie aux gémonies les conclusions hâtives. On suit à la trace ce petit groove cocasse qui finit en coin-coin. 

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             Les affaires sérieuses de Monsieur Quintron se trouvent sur deux albums malheureusement difficiles à dénicher. La pochette en or d’Unmasked Organ Light-Year Of Infinity Man fera rêver les Égyptologues dans deux mille ans, d’autant qu’elle est frappée du sceau royal Bulb Records. C’est là que Quintron matérialise vraiment son art cybernétique de marécage. «Mysterious Rangers» s’ouvre sur un petit hurlement de Miss Pussycat, ce qui est bon signe. On est aussitôt embarqué par un bon beat qui génère une réelle tension garage. Si on apprécie la cohérence du groove déluré, alors on sera comblé. «White Man Style» tient du génie. Avec ce monstrueux cyber-groove évanescent et fondateur, Quintron bat tous les records. Il nappe ça d’orgue et érige un beat furieux et industriel à la fois. Il ulule comme un rockab. Thor des temps modernes, il bat au marteau le groove dindon. «Hurricane» est digne du mythique «Tiger» de Brian Auger. C’est le pur shuffle des caves enfumées. Quintron fait rouler son scream sous les voûtes humides. Miss Pussycat hurle comme une bête. Elle fait les chœurs. À chaque morceau, ils réaffirment un peu mieux leur totale indépendance. «Push Pull or Drag» est du trash pur et dur. Avec «Peter Pan», Quintron va vous en boucher un coin. C’est ce qu’on pourrait appeler un hit atomique. Quintron chante comme Lux et noie son bousin sous des nappes d’orgue. C’est exactement la même énergie que celle des Cramps. Même démesure. On croit même entendre «New Kind Of Kick». Quintron grille tous les plafonniers. Il scande comme Lux. C’est un shouter des enfers.

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             Avec Les Mains d’Orlac, Peter Lorre avait réussi à traumariser toute une génération. On retrouve ces mains maudites sur la pochette de These Hands Of Mine. C’est Miss Pussycat qui secoue les cacahuètes dans cet enfer Dada qu’est «Meet Me At The Club House». Elle secoue aussi des sacs de café du Brésil. Ils pavent cet instro electro-jerkoïde de bonnes intentions. On trouve aussi sur ce disque terrible un heavy groove nommé «It’s Moving Me». On les voit errer tous les deux au long des chemins bourbeux de l’infortune. Ils créent une atmosphère lourde de conséquences. «Wild Indians» est une parade de western superbe d’inventivité, montée sur un drumbeat béatificateur. Quintron sait provoquer la débâcle inventorielle. Après une longue intro, «Grandfather Time» déboule avec un shuffle d’orgue et un drumbeat turgescent. Infernal. Ça saute à la gorge. C’est bardé de chœurs sauvages. Au XVe siècle, on appelait ça l’énergie du Diable. Encore un beat de forcené avec «Caveman 5000». Quintron enfonce ses clous avec une rage de forcené.

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             La réputation de Quintron repose aussi pour une grande part sur l’album qu’il enregistra en 1997 avec les Oblivians, Oblivians Play Nine Songs With Mr Quintron. C’est l’un des grands classiques du garage-punk de cette époque. Alors que des horreurs comme «Feel All Right» et «I May Be Gone» explosent, Quintron veille au grain. Il fédère les atomes à coups de nappes d’orgue. Alors que les riffs de guitare dévastent tout, Quintron entre dans le lard du cut avec une belle assurance. Il nappe le chaos de nappes majestueuses. Il se mêle au télescopage des genres avec une vraie candeur estudiantine. On le sent comme un poisson dans l’eau, notamment dans «What’s The Matter Now», qu’il nappe dès l’intro. Il saute sur son tabouret et envoie des giclées de sauce piquante. C’est lui le patron. Il rugit comme une tempête. Il ouvre un océan pour «Mary Lou», l’un des hits garage du siècle. Il faut le voir distiller ses marées de shuffle ! Diabolique !

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             Retour en fanfare avec Goblin Alert. Quintron & Miss Pussycat n’ont jamais été aussi bons ! Ils partent en mode stomp avec «Tenagers Don’t Know Shit», ça joue à l’extrême drumbeat d’hypno à Toto, c’est fantastiquement embarqué pour Cythère, avec des breaks de mini-moog et de piano - My name is Jesus Christ & I’m not magic - Ils duettent ensuite ventre à terre pour le morceau titre. Avec le temps, Miss Pussycat prend de l’assurance. Ils jettent toute leur niaque dans leur vieille balance. Coup de Trafalgar avec «Buc-ee’s Got A Problem» : ce country rock joué au lap steel est bourré d’énergie. Tout sur cet album est visité par la grâce de la Louisiane. Et ça repart de plus belle en B avec «Stroller Pollution». Ils adorent cavaler ventre à terre dans le bayou. Sam Yober et Drum Buddy y vont de bon cœur. Quintron n’a jamais eu autant d’énergie. Ce bel épisode swampy s’achève avec «Weaver Wear», emmené au gros tatapoum de Drum Buddy et animé par une Miss Pussycat rayonnante. Elle est superbe, plus rien à voir avec la casserole d’antan, elle est délirante, elle grimpe au sommet du lard, elle enfile les perles, elle mène bien le bal des Laze, elle devient la front-woman number one. Quintron & Miss Pussycat continuent de suivre leur petit bonhomme de chemin avec goût et fantaisie. Wow, il faut voir Quintron noyer son Weaver sous des nappes d’orgue démentes ! Tout est beau au paradis du swamp.

    Signé : Cazengler, pilleur de Quintrons

    Quintron & Miss Pussycat. Le 106. Rouen (76). 10 octobre 2012

    Quintron & Miss Pussycat. Les Terrasses du Jeudi. Rouen (76). 21 juillet 2022

    Quintron. The Amazing Spellcaster. Live At The Pussycat Caverns. Bulb Records 1995

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    Oblivians Play 9 Songs With Mr Quintron. Crypt Records 1997

    Quintron. These Hands Of Mine. Skin Graft Records 1998

    Quintron. Unmasked Organ Light-Year Of Infinity Man. Bulb Records 2000

    Quintron. Drum Buddy Demonstration Vol. 1. Skin Graft Records/Rhinestone Records 2001

    Quintron. Are You Ready For An Organ Solo ? Rhinestone Records 2003

    Quintron. The Frog Tape. Skin Graft Records 2005

    Quintron. Swamp Tech. Tigerbeat6 Records/Rhinestone Records 2005

    Quintron. Too Thirsty 4 Love. Rhinestone Records/Goner Records 2008

    Quintron. Sucre Du Sauvage. Goner Records 2011

    Quintron. Goblin Alert. Goner Records 2020

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             Avant d’aborder une machine, serait-elle rouge, il convient de présenter les mécaniciens qui l’ont créée et qui la font marcher. Sont trois.

             Le premier se nomme Francis R Cambuzat. L’a un pedigree long comme un agenda téléphonique, l’a fondé des tas de groupes, suscité aux quatre coins de la planète des expériences soniques de toutes sortes, l’a commencé à dix-sept ans à jouer avec Dizzy Gillespie au Blue Note in the Big Apple - déjà l’on comprend que la musique qui tourne en rond sur elle-même n’est pas son dada - l’est arrivé à se faire un nom de journaliste free lance  aux USA avec une interview d’Iggy Pop, l’a donné plusieurs milliers de concerts sur tous les continents. Notamment avec Putan Club.

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             Ne sont que deux dans ce putain de club, lui et Gianna Greco. D’origine italienne, encore une qui ne sait pas rester en place, s’est mêlée à la révolution tunisienne, lorsque le mouvement a foiré, elle a décidé de se battre avec ses propres armes ( voix + basse ) et de porter les idées d’insoumission et de subversion partout où les pouvoirs maltraitent les hommes. Pour savoir où exactement, il suffit de recopier la liste alphabétique de tous les pays.

             Musicalement il est difficile de définir le style de Putan Cub, en fait c’est très facile : sont punk, rock’n’roll, metal, classique, jazz, techno, rajoutez les ingrédients qui vous semblent manquer.

             Nous vous reparlerons de Putan Club une autre fois, c’est que nos deux ostrogoths se sont affiliés à un troisième, très connu du public français, Denis Lavant, comédien – ce mot ne le définit pas, il n’interprète pas ses personnages, il essaie d’en restituer l’authenticité - l’a tourné des films, notamment avec Léo Carax, joué et mis en scène de nombreuses pièces du théâtre classique et contemporain et monté plusieurs spectacles hommagiaux. Nous retiendrons principalement sa magistrale évocation de Joë Bousquet, le poëte carcassonnais grièvement blessé en 1918, cloué sur son lit de souffrance durant plus de trente ans Ce qui nous emmène à la troisième corde de son arc : la lecture de textes, Céline pour n’en citer qu’une, et de poésie.

             Bref l’association de Putan Club et de Denis Lavant a donné naissance à Machine Rouge. A notre connaissance Machine Rouge n’a pas perduré. Ne sont écoutables que quatre morceaux, sur SunCloud, sur lesquels nous ne nous attarderons pas – il s’agit de quatre démos de lecture de poèmes d’Henri-Simon Fure, de Marina Tsvetaïa, de Federico Garcia Lorca, de Velimir Khlebnikor, les deux premières sont les plus réussies. Reste une vidéo sur You Tube, qui nous intéresse particulièrement. Sur laquelle nous dresserons l’oreille.

             Rien d’autre que le célèbre poème péremptoirement nommé Le Coup de dés de Stéphane Mallarmé. Ce n’est pas une œuvre facile, pour la mieux présenter ils ont fait appel à Carlo Mazzotta, vous trouverez sur son canal YT une floppée de vidéos de lectures poétiques diverses de ce dernier.

    *

             Un coup de dés jamais n’abolira le hasard, son titre véritable non abrégé, écrit en 1898, est une œuvre fondatrice de notre modernité. Elle interroge autant l’écriture poétique que musicale. Elle se situe exactement au croisement de la théorie réflexive et de la pratique artistique. Tout en offrant plusieurs pistes de lecture, elle reste mystérieuse.

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             Lecture circonstancielle : au moment où Mallarmé l’écrit la poésie française traverse une crise majeure. Les jeunes poëtes délaissent pour le vers libre l’alexandrin qui fut le mètre royal du dix-neuvième siècle de Victor Hugo à Leconte de Lisle. Le Coup de dés peut être compris comme la désintégration atomique de l’alexandrin, les mots, de grosseurs diverses, sont éparpillés un peu partout ( au hasard ? ) sur l’ensemble de la page blanche. Le chiffre douze ( les douze syllabes accentuées de l’alexandrins ) préside de façon non visible à la structuration typographique ( abolition du hasard ? ) du poème.

              Une thématique typiquement mallarméenne : le poème peut être lu comme une réflexion sur l’incidence de l’acte poétique sur la réalité du monde. La réponse de Mallarmé reste très ambigüe. Est-elle nulle – en ce cas-là si une action humaine  peut signifier (donner à ce verbe le sens d’ordonner) le réel, ce n’est qu’un effet du hasard, l’artiste n’y est pour rien, il ne maîtrise rien. Il est alors permis de décréter que ses prétentions ne sont que vanité.

              Au contraire si l’action du poëte se révèle signifiante, que se passe-t-il au juste dans ce cas ? Quelle serait alors la portée de ce geste qui échappe au hasard. Pour parler comme Hegel : qui échappe à l’infini (de la négativité des possibles) pour s’inscrire dans l’absolu de sa propre unicité, de sa propre positivité.

             Musicalement parlant, la note qui se pose sur le silence, tel l’oiseau sur la mer, n’est-elle qu’une criaillerie adjacente sans véritable teneur intrinsèque, ou modifie-t-elle la nature de l’océan…

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             Outre ces problèmes philosophiques, Le coup de dés en soulève un autre, très pragmatique, peut-être encore plus difficile. Comment le lire ?   Certes n’importe quel imbécile peut en articuler les vocables à haute voix, mais comment donner au lecteur l’idée de l’éparpillement spatial de son écriture. Souvent les lectures de poèmes sont musicales. Quelle musique lui attribuer ? Aucune ligne mélodique est incapable de suivre le morcellement du texte, peut-être vaut-il mieux penser à une musique qui ressemblerait aux trébuchements perlés des Gnossiennes d’Eric Satie… Paul Valéry à qui Mallarmé montra le poème s’opposa plus tard de toute son influence littéraire à une représentation musicale regroupant orchestre et plusieurs chanteurs lyriques… Pour bien comprendre la position de Valéry, il est nécessaire de rappeler que ce poème s’apparente si l’on s’en rapporte à diverses tentatives similaires et antérieures de Mallarmé à un rituel qui ne saurait être partagé sans initiation aux premiers venus, sans cette préparation son hermétique incompréhensibilité resterait lettre morte. Se risquer à une interprétation publique de ce poème est une véritable gageure.

    MACHINE ROUGE

    UN COUP DE DES JAMAIS N’ABOLIRA LE HASARD

    ( Festival Croisements / Post Mountain / Pékin /

    17 & 18 Avril 2015)

            Une toute petite salle, peu d’espace, une table ronde, serait-ce une allusion à celle des Mardis qui réunissait chez Mallarmé l’élite poétique symboliste, un lumignon posé dessus, qui exalte de sa lueur la blancheur de quelques feuilles épars de papier, l’on ne voit rien ou presque. L’image arbore une teinte oscillant entre bistre et grenat, le public est resserré, tassé sur l’étroite largeur de la scène, certains écoutent, d’autres sont sur leurs portables… on entraperçoit Francis R Cambuzat figé en une pose qui rappelle la fameuse et volatilesque marche chuck berryienne,  Gianna Greco, debout, dos au mur, basse en main, la musique est là, une machine électronique qui produit un bruit tournant, assez doux, entre pales d’hélicoptère et gloutonnements de lavabo avec en arrière-plan une espèce de stridulation tremblotante de cigales.

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             Dès l’énoncé du premier mot, est-ce vraiment un hasard s’il n’est autre que ‘’un’’, deux constatations s’imposent, la première c’est que nous assistons à un récital de Denis Lavant. C’est-lui la vedette – ce qui ne respecte pas l’impersonnalisation du poème voulue par Mallarmé, les musiciens sont des accompagnateurs, pratiquement relégués au rang d’accessoires.

             La deuxième, c’est l’apparition de chaque mot, puis de chaque ensemble de vocables expectorés par Lavant en surimpression mouvante, en gros caractères, repris aussi selon une ligne horizontale très discrètes à mi-hauteur de l’image. C’est-là le travail de Carlo Mazzotta, rattache le dire au texte, l’idée n’est pas de permettre au public qui regarde la vidéo de mieux comprendre le texte, mais de rappeler que le vertige du poème n’est pas dans son élocution mais dans son écriture, tout en faisant d’une simple vidéo une espèce d’opéra d’art total  qui allie musique, théâtralité, peinture, élocution, et texte, un semblant de mini opéra wagnérien du pauvre, afin de rappeler que toutes ces disciplines artistiques qui ne sont pas poésie ne sont pas là pour mettre en valeur la poésie, mais que la poésie reste le noyau germinatif qui leur donne la possibilité d’apparaître. Et aussi de disparaître.

             Denis Lavant seul face au texte. Il choisit l’intensité de la déclamation. Il hurle, pratiquement chaque mot, il s’essaie à un vacarme qui soit à la hauteur du drame cosmique qui se déroule dans le poème. L’est soutenu par des coups violents de batterie qui ponctuent chacune de ses expectorations. La caméra est maintenant plein-champ, toute la largeur de la scène accueille un public silencieux, sagement assis qui écoute. Des amplifications de guitares viennent à sa rescousse, tout est fait comme dans un film pour signaler aux spectateurs que si la musique monte c’est qu’il est en train de se passer quelque chose d’important là.

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             Denis Lavant fait de grands gestes de désignation, le texte qui s’inscrit en petites lettres blanches tente de reproduire la typographie échevelée du poème. Denis joue. Il fait l’acteur. N’est plus qu’un théâtreux debout sur la table qui cherche à épater la galerie… Ne s’appuie jamais sur la musique que tissent ses deux acolytes, l’a tort, car ils amènent l’impression de grandeur qui manque à ce qu’il faut bien se résoudre à définir comme des pitreries dépourvues de toute profondeur métaphysique. Les stridences guitariques ont pris le commandement, Lavant déambule sans but précis, il vitupère sans le venin de la guitare, la musique mange les mots, elle bouffe la poésie – tout l’envers des volitions mallarméennes – concentrés, agenouillés Francis et Gianna, tournent les boutons de leur tableau de bord, des sifflements – ceux qu’Igitur entendait dans son conte – maintenant Lavant susurre, plume qui choit dans le tourbillon d’écume, l’est moqueur, l’a l’air d’un ivrogne victorieux qui a assez bu pour ne pas se prendre au sérieux, l’on se dirige vers la fin du poème, il donne l’impression de n’en pas saisir la portée cosmologique alors que Gianna et Francis lancent une rythmique obsédante, Lavant tourne sur lui-même, comme la roulette du casino,  alors que s’affiche le mot hasard, ensuite il déglutit un long monologue celui de l’échec, l’accompagnement musical perd de sa splendeur, Lavant a l’air joyeux, la limitation humaine lui paraît de bonne guerre, et lorsque la constellation finale point à l’horizon, son timbre reste sceptique, l’on s’attendrait à ce que la musique ne se contente pas de ses passages à vide destinés à exalter l’impatience des fans avant le déchaînement final, il n’en sera rien, l’on se dirige vers un minuscule kaos répétitif, scandé par Denis Lavant, le ressassement satisfait du nihilisme incapable de briser la barrière de ses renoncements.

             Une belle performance d’acteur, certes. Soutenus par deux bons musiciens. Elle ravira bien des auditeurs qui ne connaissent pas le poème.  Toutefois la lecture de Denis Lavant ne nous satisfait pas. Etrangement nous dirons que cette lecture est trop poétique dans le mauvais sens de ce terme. Trop culturellement attendue. Elle est un spectacle. Pas un acte. Machine pas assez rouge.

    Damie Chad.

              

    JONI MITCHELL

    LE SPLEEN ET LA COLERE

    Clara & Julia Kuperberg

     ( ARTEYT )

     

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    Pas vraiment un documentaire – même si les images archives raviront les amateurs du mouvement hippie, notamment les fans de Crosby, Stills, Nash & Young. Pas vraiment un film non plus, même si ces 52 minutes sont ainsi présentées. Un portrait. D’une artiste. D’une grande artiste. J’ai toujours aimé cette fille, même si je n’ai suivi sa carrière que de loin. Mais sa façon de poser sa voix. De monter et de descendre. Prenez ce second verbe comme dans un roman policier où le héros abat quelqu’un. Car c’est ainsi qu’elle chante. Débute par une harmonie angélique, pour la casser aussitôt. Idem à la guitare. L’expression d’accords ouverts devraient être réservée à elle seule. Elle ouvre la porte du paradis, jusque-là c’est parfait, mais elle n’entre pas, elle fait demi-tour, et elle s’en va en laissant la porte ouverte. A croire que ce qu’elle a entrevu ne vaut pas tripette, tout le monde peut entrer sans se donner la peine de frapper, pour elle, ça ne vaut pas le coup, elle a déjà vu mieux ailleurs. En elle-même. La beauté intérieure de ses émotions, de son accointance, toute de retenue, au monde lui suffit.

    Pas étonnant qu’elle ait mis du jazz dans son folk. Elle est comme la feuille de l’arbre qui arbore de nouvelles teintes selon la saison. Elle ne change pas, le temps avive et pâlit les tatouages – c’est ainsi qu’elle décrit ses chansons – elles viennent de loin, d’une source poétique enfouie au plus profond d’elle. Elle a cet avantage sur Dylan de ne pas être prisonnière d’une culture de référence biblique, elle puise en elle seule. Les miroirs agissent ainsi capturant les reflets de de ce et de ceux qui passent dans leur champ de vision. De son chant de vision à elle.

    Elle pose des mots, et des couleurs. Car elle peint aussi. Il existe d’étranges similitudes entre certains de ses tableaux et ceux de Dylan. Peut-être sont-ils tous deux un peu trop obsédés par le déploiement historial de la peinture européenne pour peindre la réalité américaine. D’où la nécessité du recours à la poésie. Je la compare souvent, dans sa manière de poser les mots à Emily Dickinson, mais une Dickinson qui a su sortir de sa chambre mentale pour parcourir le vaste monde.

    L’a su garder sa liberté. N’est pas restée prisonnière de son personnage. Elle a refusé d’évoluer dans le sens passe-partout de cette expression. Elle a suivi les hauts et les bas de ses propres cassures, de ses brisures intérieures, elle descend dans ses propres gouffres et escalade ses propres escarpements. C’est elle qui sculpte les aléas de sa vie.

    Et puis il y a cette beauté physique, cette blancheur intangible, la même qu’entrevoit Arthur Gordon Pym à la fin de ses aventures. C’est que les corbeaux sont toujours noirs qu’ils soient de Van Gogh ou d’Edgar Allan Poe.

    Damie Chad.

     

     

    ELVIS

    BAZ LUHMANN

     ( Sortie française : 22 Juin 2022 )

     

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    Un film sur Elvis, enfin ! Pas trop tôt. C’étaient les premières réactions. Les suivantes puisaient dans le tonneau de l’inquiétude : que vont-ils nous sortir, avec eux il est bon de s’attendre au pire. Dans les milieux rockabilly, la rumeur n’en finissait pas de ronger les cerveaux. A peine le film était-il visible sur les écrans que les comptes-rendus n’ont cessé de fleurir. Surprise, dans l’ensemble ils étaient favorables. Le réalisateur et les acteurs s’étaient bien débrouillés. Acceptable, honnête, l’inquisition rockabillyenne n’a pas déchaîné ses foudres. Ailleurs dans la presse officielle, nombre de journalistes ne firent même pas attention à Elvis. Un comparse dans le film, le second rôle, le premier était dévolu au Colonel Parker. Manifestement ils n’en avaient jamais entendu parler.

    Je vais faire pire qu’eux, non seulement je ne m’attarderai pas sur le Colonel mais tout juste si j’évoquerai Elvis. Ce n’est pas que nous ne l’aimons pas mais nous avons dû déjà consacrer une quinzaine de chronics au king du rock’n’roll, la dernière pas plus tard que la semaine dernière, Marie Desjardins se proposant de s’infiltrer dans la psyché d’Elvis afin d’analyser les rouages grippés du métabolisme relationnel qui présida à tous ses actes, ses rejets, ses acceptations, ses contradictions… chaque individu est pour le reste de l’humanité un univers infini et inconnu qui n’en possède pas moins de strictes limitations dont il est quasi-impossible de cerner avec exactitude les contours.

    Me contenterai de parler du support, du film. M’a plu, car Baz Luhmann a su se saisir, ou du moins s’approcher d’un certain aspect de l’essence du rock ‘n’roll. Bien sûr c’est une musique populaire américaine. Oui il vient du blues, mais son origine réside d’après moi tant au niveau historial qu’ontologique ( je ne suis pas le seul à le penser ) dans la fête foraine et l’art du cirque. Balance sans arrêt du risque au truquage. L’on oscille sempiternellement dans un univers impitoyable, entre le trapèze et la chute, entre le tremplin et le plouf. Moitié spectacle de catch et moitié authenticité, le mélodrame où tous les coups qui font mal sont portés et toutes les ficelles de l’esbrouffe sont permises. Le mélodrame, tantôt mélo-pathos-pâteux et le drame humain d’être un homme. Une métaphysique entertaine-mentale qui se déroule dans le monde physique mais qui escamote l’après (méta) que l’on cache soigneusement dans les coulisses du désespoir ou de la superficialité. Toute la différence existentielle entre se mettre en scène et être mis en scène. La marionnette de Kleist ou le joueur d’échec de Maelzel d’Edgar Poe.

    La règle est simple. Vous passez à la caisse et vous devez en avoir pour votre argent. Vous donnez du flouze, l’on vous rend du flou. Le pire c’est que vous êtes content. Tour de passe-passe. Sur un rythme effréné Baz Luhmann vous dévoile le décor et l’envers du décor. L’est le magicien qui vous démonte la boîte vide, l’assemble devant vous, la ferme, la transperce de quelques fleurets puis l’ouvre et vous découvre Elvis le corps traversé par des épées qui ne le tuent pas. Le Christ descend de sa croix tout sourire, pendant que vous applaudissez vous ne vous apercevez pas qu’il s’écroule dans son cercueil. Circulez, il n’y a plus rien à voir. Le film se termine sur cette apothéose meurtrière. La catharsis aristotélicienne est respectée.

    En France dans le même ordre d’idée, nous avons eu 1972 le Johnny Hallyday Circus. Johnny s’en est tiré vivant mais le cirque a fait flop. Cherchez l’erreur.

    Damie Chad.

     

     

    BIJOU  ( SVP )

    PAVILLON DES SPORTS / PROVINS

    ( 01 / 07 / 2022 )

     

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             Cornegidouille, la queue pour entrer dans un concert rock à Provins. Plus de sept cent cinquante entrées. L’on doit être dans un film de science-fiction. Nuançons. Ce doit être tous des fans de Jacques Rogy ( collection Spirale ) et de René son inénarrable chauffeur qui à longueur de pages répète qu’avant les grandes occasions il faut toujours se sustenter. Toutes les tables sont prises, dans les marabouts l’on s’active autour de la cuisson des saucisses, et à trois euros la mini-bouteille d’eau de source les commerçants ne font pas grise mine. Fait chaud et c’est la première sortie post-covid sans masque obligatoire à laquelle se risquent les provinois…

             Bref ça baffre, ça bouffe, ça discute, ça rigole à plein gosier. Manifestement ne sont pas là pour le coffre à Bijou… La preuve mathématique est vite faite. Lorsque le groupe s’installe, nous ne sommes que quatre devant la scène. A la fin du set par un peu prompt renfort nous finîmes à quinze. Scène de la vie de province aurait écrit Balzac…

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             Frank Ballier bat le beurre – pour reprendre une expression du Cat Zengler – c’est honnête mais peu généreux. Le grand escogriffe sur notre gauche, avec sa Gretsch c’est Pat Llaberia, se débrouille plus que bien, au tir à la corde et à la voix, assume un tiers des morceaux, enfin le seul membre originel du groupe Phillipe Dauga branche sa basse sur son Peavey. Ce dernier détail est de la plus haute importance.

             Grimacent et rient, du genre on a connu d’autres galères et l’on s’en est toujours sortis. Vont dérouler de vieux morceaux historiques, quelques nouveaux, quelques reprises, en français et en anglais. Peu de monde, parfait, ils vont jouer fort, très fort. C’est-là où le Peavey entre en scène. Dauga a le son. Va en abreuver la population, vous ne m’écoutez pas, vous m’entendrez, style Jeanne d’Arc sur le bûcher, vous ne m’avez pas crue vous m’aurez cuite, avec ses cheveux blancs, ses réflexions désabusées, et sa manière de valdinguer ses cordes, il sauve la situation. En fait l’on sent qu’il est heureux de jouer. Le concert est un véritable régal. Quand le rock frappe à la porte, pas besoin de l’ouvrir, il la défonce tout seul sans pitié. Rock, très rock. Lorsqu’ils arrêtent, les attablés surpris par le silence assourdissant, applaudissent tous ensemble. Voudraient-ils se faire pardonner…

             Sont suivis par La Légende ( du rock ). Sont une bonne dizaine sur scène. Les requins du coin. Enfilent les standards. Au millimètre près. Derrière eux sur grand écran une vidéo des groupes dont ils copient à l’identique le morceau, c’est-là que je m’aperçois que les Doobie Brothers possèdent des rangées de Peaveys encore plus nombreuses que ma collection de zéros en préparation latine, autrement la Légende assure. Mais comme dirait Mallarmé ce n’est pas l’Azur… je m’ennuie – pourtant cette fois ils sont bien cent cinquante autour de moi à applaudir métronomiquement à la fin de chaque titre – donc je m’ennuie, un peu, beaucoup, énormément, alors à la fin du sixième morceau je m’éclipse et rentre chez moi.

    Damie Chad.

     

    *

    La bande du Drugstore, celle de Zermati, vous connaissez ? Oui, mais l’autre, celle du second Drugstore ? Non ! N’ayez pas honte, moi non plus avant que je ne lise ce livre.

    1976

    LA BANDE DES ‘’TERREURS’’

    DU ROND-POINT DES CHAMPS-ELYSEES

    PATRICK CANNET

     

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    Y a Champs-Elysées et Champs Elysées. Je ne parle pas des champs d’asphodèles souterrains de la Grèce antique, mais de notre prestigieuse avenue présidentielle, pas celle de la haute-bourgeoisie, celle des petites mains. De la valetaille qui travaille dans les entrailles et les sous-sols. Patrick Cannet n’est pas né avec une spoonfull dorée dans la bouche, deux sœurs – une grande et une petite ( elle compte pour du beurre ), un frère, le père est parti, la maman courageuse et débrouillarde est restée, elle accumule les petits boulots pour permettre à sa couvée de survivre.

    Ne pleurez pas, Patrick Cannet n’échangera pas son enfance contre la vôtre, l’est heureux, l’a un immense terrain de jeux, les places, les parcs et les rues du triangle Monceau-Elysées- Tuilerie, et puis les copains, Samuel, Raphaël, Armando, Justin, Miagy, Chen… une belle bande de potes inséparables, ne portent pas le Perfecto, nous sommes en 1976, sont des mômes, des gamins, n'ont qu’un idéal : Saint-Etienne. Non pour sa Manufacture, pour son équipe de foot, passent leur temps à d’interminables parties, le foot toujours recommencé…

    Le problème de l’enfance, c’est qu’elle a une fin, une faim d’absolu aussi, mais ceci est une autre histoire, le tout est de s’en sortir sans trop de mal. Petits services, petits billets, des expériences qui vous aident à vous frotter au monde des adultes, à prendre la mesure des choses et des gens… Reste aussi l’autre problème, celui d’entrer dans l’adolescence. L’autoroute, non le sentier, de dégagement c’est la musique. Les disques de la grande sœur, des rencontres qui vous font découvrir des sons étranges venus d’ailleurs et de partout, Peter Frampton, Chicago, Beatles, la grande sœur qui fréquente des bandes de rocker du côté de la Bastille…

    C’est tout. Un coup de ciseaux pour terminer la première bobine du film, notre héros se fait renverser par une voiture… la vie suivra son cour, Patrick Cannet ne deviendra ni chanteur ni musicien de rock, sa vie emprunte un autre chemin, dont il ne dit rien. N’est pas un parleur. L’est du genre pudique. Ne dévoile rien. Suggère à mots couverts. Ne décrit pas, il évoque, rien de nouveau ou de révolutionnaire, le récit pas très long, d’une enfance, personnelle et similaire, unique et partagée, qui ressemble à tant d’autres…

    Un excellent contre-point, une autre jeunesse, anonyme, ignorée, qui a existé aussi, même si les projecteurs ne se sont jamais braqués sur elle. L’envers de l’histoire contemporaine. L’autre côté de la clinquance des miroirs.

    Damie Chad.