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  • CHRONIQUES DE POURPRE 567 : KR'TNT 567 : JOEL SELVIN / BLUES PILLS / HOODOO GURUS / SAM DEES / E-RUINS / PLEASURE TO KILL / THE WARM LAIR / HEVIUS / BLACKBIRDS / DAGARA / DEADMAN'S TRIGGER

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 567

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    22 / 09 / 2022

     JOEL SELVIN / BLUES PILLS

    HOODOO GURUS / SAM DEES

    FERTOIS METAL FEST 4

    E-RUINS / PLEASURE TO KILL / THE WARM LAIR

     HEVIUS / BLACKBIRDS / DAGARA

    DEADMAN’S TRIGGER

    Sur ce site : livraisons 318 – 567

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    Selvin est tiré, il faut le boire - Part Two

     

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             Joel Selvin. On y revient. Pas seulement parce qu’il est le grand spécialiste du Frisco Sound depuis l’âge d’or du Summer of Love, mais aussi pour son style très particulier, un style cassant, peu complaisant, qui se limite aux faits. Selvin balance, histoire de rappeler en permanence qu’il est journaliste, donc il ne brode pas, il donne à voir. Après, chacun pense comme il peut et ce qu’il veut. Il travaille son rock comme s’il travaillait des faits divers, il traque l’info, va voir les gens, leur tire les vers du nez, il fouille, il sait que les gens payent pour ça quand ils achètent le San Francisco Chronicle. La grande différence avec les autres journalistes, c’est que Selvin est fan de rock. C’est un fait. Il en fait un postulat. Et se retrouver à San Francisco en 1966, ça devait forcément ressembler à une sorte de rêve, ou, si on veut rester dans la réalité - et pour paraphraser God Art définissant le cinéma - San Francisco devait substituer à ton regard un monde qui s’accordait à tes désirs. 

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             Avec Smartass, Selvin propose un recueil d’articles parus dans divers canards. L’ouvrage est donc d’une lecture rapide, on peut trier, laisser de côté le Grateful Dead quand on n’aime pas trop le Grateful Dead et aller plutôt se régaler de Sly Stone ou des chouchous de Selvin que sont Ralph J. Gleason, Bill Graham ou encore Glen Campbell. Ce recueil d’articles apporte d’excellents éclairages sur des tas de gens passionnants. Les gros chapitres concernent le Dead, Creedence et les Beach Boys et ailleurs, tu croises des gens aussi fascinants que Taj Mahal, Sugar Pie DeSanto ou Captain Beefheart. Comme on va pouvoir le constater, Selvin descend souvent faire un tour à Los Angeles.

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             Les plus belles pages sont probablement celles qu’il consacre à San Francisco. Il est évident qu’Alec Palao s’est inspiré de Selvin pour monter son opération Love Is The Song We Sing, sa Rhino Box de San Francisco Nuggets. En un seul paragraphe, Selvin parvient à dire la magie de la vie nocturne à San Francisco : «Si vous jetez un œil aux club calendars de cette époque, vous serez surpris de voir tout ce qu’il y avait chaque semaine. Herbie Hancock, les Doobie Brothers, Tower Of Power à l’affiche du Keystone Berkekey. Asleep At The Wheel ou Sylvester au Longbranch. Van Morrison au Lion’s Share de Marin County. S’il n’était pas en tournée avec le Dead, Jerry Garcia jouait toute la nuit dans des endroits miteux comme le Matrix avec Howard Wales ou, plus tard, au Keystone Korner avec Merl Saunders. Elvin Bishop jammait chaque nuit à North Beach, traînant toute la nuit dans les rues avec sa guitare à la main. Mike Bloomfield adorait jouer dans les petits rades de California Street. La musique était pour moi beaucoup plus qu’un loisir. C’était une passion dévorante. Rien d’autre ne comptait. Mes premiers articles n’étaient pas très bons. Mais au moins j’étais là. C’est ce qui importait.» C’est le genre de postulat qui fait plaisir à voir. Selvin va vite se trouver emporté par la marée. Trop de bons groupes, trop de bonne musique. Pour une petite cervelle, c’est intenable.

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             San Francisco ? Selvin présente ça comme un new cocktail of music and chemicals, mais ajoute-t-il, lorsque le reste du monde l’apprit, c’était fini. Pour relater l’éphémère cocktail of music and chemicals, il envoie Cippo en éclaireur : «John Cipollina qui a grandi à Marin County, de l’autre côté du Golden Gate Bridge, vivait alors dans une ‘54 Plymouth qui était garée sur Mount Tam. Il grimpa sur la scène (du Longshoreman’s Hall) pour jeter un coup d’œil au public. Il n’en croyait pas ses yeux - un millier de chevelus et de reprobates qui avaient l’air défoncés et qui semblaient s’être familiarisés avec cette nouvelle drogue qu’on voyait se répandre ces derniers mois. Cippo sut que tous ces gens étaient du même monde que le sien, mais il n’en revenait pas d’en voir autant.» Cette Soirée s’appelait «A Tribute to Dr Strange», organisé par le Family Dog : c’est l’événement fondateur du Frisco Sound. Selvin enchaîne aussitôt avec Ken Kesey qui découvre le LSD, un produit qu’on utilise pour les recherches psychiatriques au Standford Medical Center. Kesey fonde une communauté, les Merry Pranksters et lance, à bord d’un bus bariolé, une croisade pour l’évangélisation psychédélique des cervelles à travers tout le pays. Il organise le premier public Acid Test et choisit pour the dawning of the psychedelic apocalypse un jugband local qui vient de se baptiser Grateful Dead. Selvin ficelle ça très bien, son récit coule comme de l’eau de source. Ce n’est pas comme si on y était, mais presque - It was the Wild West all over again - Puis il embraye sur les concerts au Fillmore et à l’Avalon, où, nous dit-il, «tout le monde in the audience was high on LSD. Most of the bands were, too.» Jerry Garcia se souvient des chatoiements du light show sur sa guitare, il avait adoré jouer dans la semi-obscurité : «On était plus ou moins des ombres sur scène.» Il est intarissable sur les bienfaits d’un set sous acide : «It was fun. Le public dansait. Être sur scène faisait partie de l’expérience.» Gary Duncan se souvient qu’à l’époque il prenait quotidiennement du LSD, «so much that you never came down. J’ai appris à vivre dans cet état and to relate to things while stoned. Which was wonderful. It was all about higher levels of conciousness.» Selvin présente tous ces témoins comme des pionniers. Il n’ose pas parler d’utopie, mais on retrouve dans les propos des témoins les traces d’une sagesse à jamais enfuie. Le pouvoir répressif appelait ça des drogues et Gary Duncan parlait lui d’élévation du niveau conscience. Ce n’est pas la même chose. Quand les concerts au Fillmore ou à l’Avalon commencent à attirer du monde, Chet Helms et Bill Graham payent bien les groupes - $1000 and they had all the dope and women they needed for free - Life was good, ajoute Selvin, même si Cippo inquiète ses voisins parce qu’il élève un jeune loup. Selvin ne peut s’empêcher de ramener l’histoire du raid indien : une nuit, déguisés en Indiens, les mecs du Dead sont descendus de leur ranch pour aller attaquer celui du Quicksilver. Ils leur ont balancé des fumigènes et des gros pétards, mais ils ont ensuite fumé le calumet de la paix. Et puis tout s’est écroulé avec l’arrivée d’Adler et John Phillips et de leur projet de Monterey Pop. Ils voulaient engager les Frisco bands, mais pour cela, il leur fallait l’appui de Ralph J. Gleason - Ces deux hippies d’Hollywood étaient exactement le genre de mecs dont se méfiaient les groupes les plus authentiques de Frisco, comme le Grateful Dead - Et Selvin enfonce bien son clou : «Leur belle musique bien produite n’avait rien à voir avec le bordel que faisaient les Frisco bands dans les ballrooms. Mais Gleason qui avait lancé le Monterey Jazz Festival played it cool : ‘Let me know your plans,’ leur dit-il.» C’est avec Monterey que le Frisco Sound a perdu son innocence : «Ce week-end là, tout a changé. Quicksilver, Steve Miller et Country Joe allaient signer des contrats et faire des grosses tournées. Une fois que le succès et la gloire eurent montré leurs vilaines trognes, les choses ne furent plus jamais les mêmes.» Selvin indique aussi que les produits magiques changeaient, avec l’arrivée du STP, bien plus puissant que le LSD. Jack Casady et Country Joe McDonald en firent les frais en restant défoncés plusieurs jours de suite. Casady alla au ballon et McDonald se retrouva dans un état d’infantilisation avancé. Les gens ont eu le sentiment de se faire avoir, Monterey n’était en fait qu’une grosse opération de marketing, a lousy record promotion.  

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                    Selvin évoque aussi la légende de James Gurley, le guitar wiz de Big Brother & The Holding Company - Le père de Gurley était un cascadeur qui attachait James sur le capot de sa bagnole et qui roulait à travers des cercles de feu. James avait perdu ses dents de devant - Il insiste beaucoup sur Big Brother - At the Avalon that weekend, the band did a few of the demolition derby/John Coltrane-meets-Lightnin’ Hopkins sonic assaults in which Big Brother specialized - C’est leur manager Chet Helms qui insiste pour qu’ils prennent une chanteuse et comme il connaît Janis, il envoie quelqu’un la chercher au Texas pour la ramener en Californie. Alors elle auditionne, les Big Brother n’ont pas vraiment d’opinion. On la prend ? On la prend pas ? Bon, on la prend. Quand Albert Grossman approche Janis à Monterey, il lui propose de la prendre sous son aile, mais il lui demande de se débarrasser de Big Brother. Grosse connerie !

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             Parmi les portraits spectaculaires que nous brosse Selvin, il y a celui de Totor, distillant à sa façon l’épouvantable épisode de son déclin, l’enchaînement des vautrages, Céline Dion, puis Starsailor, et sa romance avec Nancy Sinatra qui tombe à l’eau. L’épisode Starsailor est particulièrement gratiné, le chanteur du groupe déclarant à la presse qu’il existait un abîme entre le groupe et Totor, et pire encore, qu’il n’avait rien fait depuis longtemps, ce qui sous-entend qu’il n’était plus très compétent - On lui en a appris sur les nouvelles techniques d’enregistrement et il nous en a appris sur les anciennes - Les kids de Starsailor le traitent même d’has-been (Out of the way, old man). Quelle dégringolade, pour un mec qu’on considérait à une époque comme un génie - His records were phenomena - extravaganza events with interchangeable singers that were each stamped with the grandiose personality of their creator. Il avait inventé le rock’n’roll producer et l’avait incarné jusqu’au délire, the mad genius of 45s, the prince of pop. He was riding the absolute apex of the booming earth-shaking American rock’n’roll industry. He was 23 years old - Fantastique hommage au plus doué d’entre tous. «Il rendait les gens complètement fous avec son obsession du détail. Il pouvait passer des heures sur les huit mesures d’un cut, mais aucun disque n’avait encore jamais sonné comme les siens.»

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             Selvin est encore plus fasciné par Ralph J. Gleason, ce journaliste de San Francisco amateur de jazz et d’avant-garde - Gleason et Miles Davis devinrent amis. Un soir, Gleason rendit visite à Miles après un set dans un nightclub et découvrit que lui et Miles utilisaient les mêmes seringues. Gleason était diabétique, mais Miles ne l’était pas - Voilà où si situe l’excellence de Selvin, dans la façon de traiter le détail qu’on va retenir. Ses anecdotes fonctionnent presque comme des paraboles. Il rapporte une autre anecdote classieuse : Gleason présente Dylan dans un radio show : «Welcome to KQED’s first poet press conference. Mr. Dylan is a poet. He will answer questions on everything from atomic science to riddles and rhymes. Go.» Comme tout le monde à l’époque, Gleason est devenu un inconditionnel de Dylan. Puis quand la scène rock de San Francisco explose, il est là tous les soirs, night after night, nous dit Selvin, à couvrir les concerts pour The Chronicle. Il assiste au premier concert de l’Airplane, il devient un inconditionnel du groupe et signe les liners au dos de la pochette de leur premier album. Il co-fonde en 1967 Rolling Stone avec Jann Wenner et investit $1500 dans le projet. Les gens l’aiment bien. Gleason est un vieux, un mec de 48 ans, alors pour le chambrer, les gens disent de lui qu’il hésite entre trois possibilités : soit il a deux fois 24 ans, soit trois fois 16 ans, soit quatre fois 12 ans. Selvin se régale et nous régale de son régal.

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             Il passe aussi beaucoup de temps en compagnie de Bill Graham, l’inventeur du Fillmore, «the premiere showplace of rock’s history, presenting the best bands of the 60s.» Selvin rappelle aussi que Bill Graham aimait programmer du jazz, de la Soul et du blues en même temps que les groupes de rock. «Ce sont des affiches qu’on ne voit qu’une seule fois dans sa vie : Lenny Bruce et les Mothers Of Invention, les Who et Woody Herman & his Thundering Herd, les Byrds et B.B. King. Puis il ferme le Fillmore East en 1971 et le Fillmore West un mois plus tard pour organiser des concerts uniquement dans la Bay Area.» Gros coup de cœur aussi pour Doug Sahm - Doug Sahm may be the most under-rated figure in the history of rock - Selvin met ça dans son chapô, il a raison, Doug Sahm est extrêmement sous-estimé. Il joue pour la première fois en 1966 à l’Avalon avec le Sir Douglas Quintet. Quand on commence tôt comme l’a fait Doug Sahm, on devient forcément légendaire - Grandissant à San Antonio, il a appris la country au pied de formidables cats like Charlie Walker, and rhythm and blues from Houston acts like Bobby Blue Bland and Junior Parker - Puis Selvin évoque la jonction de Doug Sahm avec Huey Meaux, «who had been hot as a cheap pistol jusqu’à ce que les Beatles lui tombent sur la tête.» C’est Meaux qui dit à Doug de rajouter un orgue pour sonner comme les Anglais, d’où l’arrivée d’Augie Meyers avec son Vox organ, et pouf le Sir Douglas Quintet se met à tourner avec les Stones, James Brown et Little Richard - Il y avait des dates de concert à New York et Sahm découvrit Greenwich Village et rencontra de Bob Dylan. Helms : «Je pense qu’il a eu une grande influence sur Dylan. He was the real deal that Dylan wanted do be.» - Doug Sahm n’habitait nulle part. Il habitait partout, chez les autres, il avait des copines à San Francisco qui avaient leurs apparts. Selvin raconte que Sahm se balladait en ville dans une Cadillac. Dans un petit chapitre intitulé ‘Essential albums’, Selvin se prosterne jusqu’à terre devant Honkey Blues et Mendocino : «Pendant toute sa carrière, Doug Sahm a enregistré des albums de blues, mais Honkey Blues est un chef-d’œuvre à part entière. Sahm y injecte du blues, du jazz, de la country et tout ce qui lui passe par la tête pour faire un snappy R&B sound. Un riff de cuivres tiré de Junior Parker mène à un solo de violon Cajun. Une impro empruntée à James Brown mène à une partie de piano à la Horace Silver. Il évite tous les écueils. D’un autre côté, Mendocino is pure Texas cantina rock’n’roll, featuring Augie Meyers’ trademark Vox punched up by tight, tasty horn parts et Sahm qui chante comme si sa vie en dépendait, allant même jusqu’à reprendre She’s Above A Mover. A neglected rock’n’roll classic.»

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             Les dithyrambes pleuvent aussi sur les Beach Boys et Creedence. Avec un flegme hallucinant, Selvin démystifie complètement l’histoire des Beach Boys : «Le père de Brian Wilson qui était un compositeur amateur apporta la bande enregistrée à la maison chez un publisher qu’il connaissait. Celui-ci mit à la disposition des frères Wilson les moyens professionnels d’enregistrement et «Surfin’» parut début décembre sur un petit label. C’est le commercial du petit label qui baptisa le groupe des frères Wilson the Beach Boys. La plus grande radio de Los Angeles, KFWB consacrait déjà du temps d’antenne au surf. Comme les gens de KFWB étaient à l’affût de tout ce qui se passait dans la région, ils sautèrent sur le single des frères Wilson. Une minute plus tard, ils étaient signés par Capitol Records - home of Nat King Cole, Frank Sinatra, Dean Martin.» Puis avec une férocité encore plus hallucinante, Selvin vole dans les plumes de Mike Love : «Étant donné son talent naturel - pour plaisanter, on qualifiait la voix de Love de ‘Mickey Mouse qui a chopé un rhume’ - Brian Wilson avait cru que Love pouvait devenir le leader de son groupe de rock. Son job précédent, pompiste, fut certainement la dernière fonction qualifiée qu’il occupa.» L’hommage qu’il rend à John Fogerty vaut aussi le détour. Comme beaucoup de gens à l’époque, Selvin ne comprenait pas qu’un jeune Californien pût sonner aussi Deep South, alors il propose une explication qui tient bien la route : «En son for intérieur, il entendait le Mississippi jungle boogie de Bo Diddley and the muddy voice de Howlin’ Wolf. Il voyait James Garner jouer son rôle de tricheur dans Maverick. Il sentait bien le vibrato de la guitare de Pops Staple et la souplesse de la Soul de Booker T & The MGs. Il connaissait Elvis Presley and the yellow Sun Records. Il buvait l’eau du fleuve Mississippi, long a mythic force in America’s history.» Selvin dit encore que les Creedence ont enregistré ce fabuleux deuxième album, Bayou Country, au studio RCA d’Hollywood, là où les Stones avaient enregistré «Satisfaction». Les quatre Creedence ont enregistré les basic tracks live et Fog est revenu finir l’album tout seul, ajoutant quelques parties instrumentales et le chant. Il voulait que son solo dans «Proud Mary» sonne comme un solo de Steve Cropper. Pour Selvin, Bayou Country est l’album qui définit Creedence - In a single, bold stroke, cet album fit apparaître Creedence comme une force vitale du rock et l’imposa dans tout ce qui allait suivre. Bizarrement, pas un mot sur Santana dans Smartass, et d’un autre côté, pas un mot sur Creedence dans le San Francisco Nuggets de Palao. Selvin cite le Steve Miller Band, Janis, Sir Douglas Quintet, les 13th Floor et Mother Earth dans ses Essential albums, mais pas Santana.

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             Il attaque son chapitre consacré aux blackos avec John Lee Hooker. On assiste une fois de plus à une fantastique présentation : «John Lee Hooker played country blues. He sang stump songs, played cotton-patch guitar and drowled out his blues like somme primordial ooze.» On dirait qu’il parle de Captain Beefheart, dont on trouve un portrait plus loin. Selvin dit aussi qu’Hooky s’est fait un nom à Detroit à la fin des années 40, mais que sa musique n’a jamais quitté Clarksdale, Mississippi, où il est né. Selvin précise sa pensée : «Hooker était un homme d’une très grande dignité. Comme l’était sa musique, il pouvait être sinistre et joyeux, sombre et sensuel. Il pouvait être chaleureux et tranchant, et même un peu effrayant.» La dernière fois que Selvin l’a interviewé, Hooky était allongé sur son lit, tout habillé avec un chapeau sur la tête. La porte de la chambre était fermée et Hooky avait mis le chauffage à fond. Quand le téléphone sonnait pendant l’interview, il répondait. Ses réponses étaient nous dit Selvin des soft mumbles et au bout de 10 minutes, il croassa : «I suppose you’ve got enough now». He was right, lâche Selvin en guise de chute. Face aux géants, le journaliste Selvin sait se tenir.

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             Il rencontre aussi Sugar Pie DeSanto. Curieusement il détache le De du Santo, alors que sur les disques, ça s’écrit DeSanto. La pauvre Sugar Pie vient de tout perdre, y compris son mari, dans l’incendie qui a ravagé son appart. Elle n’a plus rien. Complètement à poil. Elle est hébergée par la Croix Rouge locale. Sugar Pie connut son heure de gloire à une autre époque, découverte par Johnny Otis, en même temps que sa copine Etta James. Comme elle s’appelle Umpeylia Balinton, Johnny Otis la rebaptise Sugar Pie, mais elle rajoutera DeSanto un peu plus tard. Puis comme les artistes noirs de cette époque, elle se met à tourner intensément, notamment avec James Brown. Elle est réputée pour sa dance craze et chaque soir, elle et James Brown sautent d’un piano pour atterrir sur scène en grand écart. Dans ses mémoires, James Brown avoue que Sugar Pie est la seule de ses chanteuses qu’il n’a pas réussi à baiser. Elle dit aussi avoir résisté aux avances graveleuses de Sonny Boy Williamson, Lightnin’ Hopkins, Howlin’ Wolf et Willie Dixon pendant la tournée européenne d’American Folk Blues en 1964 - I refused all them old goats - Selvin conclut ce portrait superbe ainsi : «Ça a été une vie longue et dure pour Sugar Pie De Santo, mais jamais aussi dure que maintenant, alors qu’elle a tout perdu.» L’article date de 2006. Fantastique. Selvin est l’un des rares à s’être intéressé à ce personnage de légende.

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             On a aussi un joli portrait de Mike Bloomfield. Selvin rencontre un Bloomy épuisé qui déclare, dans un dernier râle : «Il y a peut-être quelques moments d’extase, mais le prix à payer pour ça est celui d’un enfer quotidien. Mes plus grands moments de créativité sont liés à une souffrance atroce, à la suite de plusieurs mois de tournée, quand je suis épuisé et malade, junk sick. Quand je vois ce qui est arrivé à Duane Allman, je sais que tout ça n’en vaut pas la peine. Il faut que je trouve un équilibre et pratiquer mon art sur une base quotidienne plus humaine.» Chaque portrait s’accompagne de photos superbes. Dans ce book, tout est trié sur le volet. Bloomy, mais aussi Taj Mahal que Selvin considère comme «the last great bluesman, playing his music outside the world of pop music.» C’est vrai, Taj Mahal s’est toujours arrangé pour échapper aux pièges à loups. Selvin réussit un bel exploit en brossant un portrait de ce géant : «Dans le nightclub vide, il gratte sa handmade guitare couleur tabac et sort un demented ragtime instrumental qui évoque à la fois le bebop jazz et le muddy Mississippi Delta blues. Il appelle ça ‘The New Black and Crazy Blues’. En une seule chanson, il traverse plusieurs vies. Mais il est encore plus qu’une encyclopédie vivante, un multicultural experiment in progress, ou le patriarche d’une famille de 12 enfants, si adoré que toutes ses ex-femmes assistent à son soixantième anniversaire.» C’est David Rubinson - qui fut aussi le protecteur de Skip Spence - qui a produit ses six premiers albums, dont l’excellent album aux papillons, découvert à Caen en 1968 - Selvin rapporte les propos de Rubinson : «Taj Mahal est un homme extraordinaire. Il a de la famille partout dans le monde. Il fait du business dans le monde entier. Et le plus extraordinaire, c’est que sa musique devient de plus en plus belle.» Selvin ajoute que Taj Mahal a tout joué sur ses douzaines d’albums, toutes sortes de blues, de jazz et de cross-cultural experiments - Il a fait un album avec un quartet of tubas. Des albums pour enfants, des bandes originales de films, de la musique hawaïenne. Il peut jouer solo à l’acou ou avec un big band. Il a enregistré avec Miles Davis et les Rolling Stones. Il a été l’un des premiers à reprendre des cuts de Bob Marley - Puis il brosse l’un des plus beaux portraits physiques de Smartass : «Il se rase le crâne et les sourcils, mais il conserve une moustache. Il porte un poisson en or attaché à une chaîne autour du cou et un diamant à l’oreille. Il est un parfait cordon bleu et connaît les meilleurs restaurants dans le monde entier, depuis les enchilada parlors dans l’archipel des Mission, jusqu’au rendez-vous d’épicuriens dans les capitales européennes, où il a énormément tourné.» Son père était pianiste de jazz et sa mère institutrice et chanteuse de gospel, tous deux originaires d’une île des Caraïbes appelée St. Kitts. Taj s’appelle en réalité Henry St. Claire Fredericks, mais son nom d’artiste lui est apparu en rêve. Il se disait à une époque admirateur de Brian Jones. On se souvient tous que Taj a participé au Rock’nRoll Circus des Stones. Taj : «Those guys jumped over the Elvis syndrome. In the United States, tout le monde était bloqué par Elvis, à cause des politiques raciales qui interdisaient aux jeunes blancs de se mélanger aux noirs. Mais les Anglais n’était pas bloqués par Elvis. Ils ont sauté par-dessus Elvis, ‘ton nom est Elmore James et tu joues de la slide guitar’, et tout vient de là. La culture anglaise était une island culture et ils se sont déployés. Ces mecs ont fait un boulot énorme.»

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             Selvin nous rappelle aussi que Mimi Farina était la sœur de Joan Baez et qu’elle a épousé Richard Farina, a half-Irish, half-Cuban beatnick. Richard et Mimi Farina sont devenus le duo brillant que l’on sait, et ont enregistré deux albums imbattables, Reflections In A Crystal Wind et Celebration For A Grey Day. Richard Farina a aussi publié un roman, Pack Up Your Sorrows, et au retour d’une séance de signatures, nous dit Selvin, il s’est tué en moto. Il n’avait que 29 ans et Mimi est devenue veuve à 21 ans. Toute aussi dramatique, voici l’histoire d’Eddie Cochran, que Selvin considérait aussi comme un géant. Pour lui, «Summertime Blues» est la pierre angulaire du rock’n’roll : «Le disque ne résumait pas seulement le caractère d’Eddie Cochran, il définissait surtout the rock’n’roll attitude. Il became almost immeditely one of the cornerstones of the literature.» C’est toujours mieux quand c’est dit en Anglais. Ça sonne, comme dans les disques. Selvin rappelle aussi la grandeur d’Eddie sur scène : «Cochran rendait le public complètement dingue en Angleterre. Il démarrait son set avec ‘Hallelujah I Love Her So’, le dos tourné à la salle, sa bandoulière passée par-dessus l’épaule, il claquait des doigts pendant l’intro. Il portait un pantalon de cuir noir et une veste en velours rouge.» Selvin nous décrit aussi un set de Dick Dale en Californie - he played string-busting, blood-letting, blister-raising guitar that left the stunned audience drop-jawed and mind-blown - Il nous montre le Dick Dale tombé à genoux et labourant les staccatos de son «King Of Surf Guitar», alors que le public reprend en chœur «from San Bernardino to RIVERSIDE», Selvin insiste beaucoup sur la clameur du RIVERSIDE.

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             La température selvinique continue de monter en flèche avec Glen Campbell, qui sert un peu à illustrer le mythe de l’American Dream. Car effectivement, Campbell part de triple zéro, en ayant échappé de peu au dirt-poor d’une ferme dans l’Arkansas. Son père lui paye tout de même une four-dollar guitar chez Sears and Roebuck et Campbell montre très vite des aptitudes pour l’instrument. Toujours cassant, Selvin précise sa pensée : «In another place, he would have been called a prodigy.» Mais une ferme pauvre de l’Arkansas n’est pas un palais de Vienne. Dès qu’il peut, Campbell file s’installer à Albuquerque, au Nouveau Mexique. Là il joue un peu dans des clubs et un mec lui dit qu’il devrait tenter sa chance en Californie - Campbell did just that - En 1960, il décide de partir avec sa femme, son chien et ses 300 dollars d’économies à l’aventure : direction Hollywood. Sans savoir nous dit Selvin qu’il allait devenir one of the biggest stars in the recording industry history. C’est fantastiquement bien amené. Comme s’il fallait faire durer le supsense.

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             Selvin est marrant, car il ne se prive pas d’indiquer que Campbell jouait beaucoup trop bien pour la scène locale d’Albuquerque. Campbell venait en fait de découvrir les disques de Django Reinhardt chez un copain musicien et il se mit à tout apprendre pour pouvoir jouer comme Reinhardt, tu vois un peu le travail ? Quand il va à Vegas voir Bobby Darin sur scène, Campbell pense qu’il peut largement mieux faire que le guitariste qui accompagne Bobby. Alors Selvin devient fantastique, au sens littéraire du terme : «L’Hollywood dans lequel Campbell arriva à l’été 1960 était, in many ways, still a small town where things could happen.» On entend presque une musique de film noir. Campbell devient vite copain avec Jerry Fuller et Dave Burgess, le mec des Champs. Ils traînent tous les trois en studio avec Ricky Nelson. Puis Jerry Capehart repère Campbell. Capehart est bien sûr le manager d’Eddie Cochran, qui vient tout juste de mourir en Angleterre dans un accident de bagnole. Selvin profite de l’occasion pour rappeler que la relation entre Eddie et son manager s’était gravement détériorée, Eddie reprochant à Capehart d’avoir rajouté son nom sur les crédits. Capehart prend Campbell sous contrat et lui trouve un job chez Gene Autry pour 75 $ par semaine. Là, Campbell bosse avec un autre expat texan, Jimmy Bowen. Trois ans plus tard, Campbell croule sous une pluie d’or. Il chante et joue de la guitare sur plus de 500 enregistrements. Même Elvis le veut pour le soundtrack de Viva Las Vegas. Campbell passe d’un salaire de 100 $ par semaine à celui de 1000 $ par jour. Selvin fait encore monter la température en jetant Campbell dans les bras des Beach Boys, il joue énormément avec Brian Wilson, sur «Help Me Rhonda» et «Good Vibrations», il est partout dans Pet Sounds, il joue aussi avec Jan & Dean et, bizarrement, Dick Dale. Et quand Brian Wilson fait sa petite dépression, refusant de repartir en tournée, à qui fait-on appel ? À Campbell ! Pouf, le voilà bombardé Beach Boy en 1964, il joue de la basse, porte la chemise à rayures et chante les high vocal parts de Brian, mais comme on l’attend en studio, il est remplacé au bout de trois mois par Bruce Johnston. C’est même Brian Wilson qui produit le fameux «Guess I’m Dumb» de Campbell en 1964. Puis tout explose avec «Gentle On My Mind». Non seulement il maîtrise son destin artistique mais c’est là qu’il devient his own creation, Glen Campbell. Mais il y a une petite ombre au tableau. Campbell est très vieux jeu. Amérique profonde. La première fois où il rencontre Jimmy Webb, il lui demande quand est-ce qu’il va aller chez le coiffeur. Ça fait bien marrer le petit Jimmy qui après avoir composé «By The Time I Get To Phoenix» se voit adresser une autre commande - They asked me if I could write something geographical, a town, a place - pour faire suite à Phoenix. Alors Jimmy obtempère et pond «Wichita Lineman». Cot cot !, le petit Jimmy est la nouvelle poule aux œufs d’or. Il pond des œufs d’or pour une autre poule aux œufs d’or, Campbell. Cot cot ! C’est pas la foire à la saucisse, mais la foire aux œuf d’or. Cot cot ! Tout le monde se goinfre dans la basse-cour, Campbell vend des millions de disques. Il est bien coiffé, pas de problème. Mais on ne sait toujours pas si Selvin l’admire autant que Taj Mahal ou John Lee Hooker. Et pouf, grâce au petit Jimmy, Campbell explose. Il devient nous dit Selvin the biggest new star in the country. Tout le monde veut lui serrer la main, il n’a plus de vie privée. Ça l’affole. Campbell est un homme simple, ne l’oublions pas. Riche d’accord, mais simple. En 1969, il vend plus de disques que les Beatles. Il devient le dernier rempart de l’Amérique profonde - Un havre de paix pour la majorité silencieuse de Nixon. Sam Schneider : «He was mom and apple pie.» Il restait ce mec blond au teint frais alors que le monde entier devenait de plus en plus grunge. Bien sûr il y avait la guerre du Vietnam, mais pour l’Américain moyen, Campbell était l’antithèse de la counter culture. Il incarnait la musique de l’Américain moyen - C’est pour ça qu’on ne l’aimait pas trop, par ici. Et comme tous les autres, Campbell picole et sniffe ses kilos de coke. Sa femme supervise l’aménagement de leur immense propriété sur les Hollywood Hills. Campbell passe son temps à chercher le prochain hit pour alimenter la machine. Cot cot ! Il entend «Rhinestone Cowboy» à la radio. Il veut l’enregistrer. Quand sa femme entend ça, elle trouve que c’est une dumb cowboy song et demande la séparation. Bizarrement la carrière de Campbell rebondit avec «Rhinestone Cowboy» qui devient son premier numéro un. Soap opera, nous dit Selvin. On se régale encore du régal de Selvin.

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             Mais ce n’est pas fini. Il dresse encore les éloges de Stephan Jenkins, le chanteur de Third Eye Blind - a rock’n’roll bad boy with an angel face - et de Steve Miller, mais c’est avec Sly Stone qu’il fait exploser les applaudimètres. Selvin attaque par un moment historique, comme il sait si bien le faire : Ça commence par la maison de Bel Air, à Beverly Hills, ayant appartenu à l’actrice Jeanette MacDonald. John Phillips l’achète en 1967 et y installe un studio. Mais il doit s’en séparer. Terry Melcher l’appelle pour l’informer que Sly Stone est intéressé par sa maison - Sly n’avait pas les moyens de l’acheter, mais il accepta de la louer pour un loyer mensuel de $12,000 et il y enregistra un album en 1970 - Selvin s’amuse aussi à rappeler que Sly naviguait à contre-courant, s’amusant de voir éclore le flower power et l’acid rock, alors qu’il s’habillait en Mod et qu’il roulait en ville dans une Thunderbird. Après Woodstock, il a quitté San Francisco pour s’installer à Los Angeles. Il rassemble son entourage à Bel Air et là, Selvin nous gave comme des oies, «a twisted, deranged royal court, full of sexual intrigue, family feuds, double dealing, backstabbing, chicanery and knavery. Sly was the unquestioned despot, drug-addled to the point of dementia.» Les gens supposent que Sly a mal tourné quand il a commencé à fumer the nasty horse tranquilliser, PCP. D’autres pensent que c’est l’arrivée de Hamp Bubba Banks qui a tout changé. Ils pratiquaient ce que Swanigan appelle the ghetto pimp mentality. Et Bubba prit en charge la vie de Sly aux plans personnel et professionnel - Il prit Rose, la sœur de Sly et organiste du groupe, comme femme et fit venir dans l’entourage des gens destinés à occuper des rôles vaguement sinistres - Selvin traite son Sly comme un personnage de roman noir. Kapralik qui est le manager blanc de Sly sait depuis longtemps qu’il faut éviter de poser certaines questions - Banks était un non-nosense ghetto cat, et avec son associé James Brown qu’on appelait J.B., il fit entrer la rue dans les hautes sphères du showbiz - Ce sont des choses dont on ne se doute pas quand on écoute les disques. On croit que tout le monde s’amuse bien, que tout le monde prend un peu de drogues et drague des petites gonzesses, mais la réalité est beaucoup plus sombre, car les intérêts qui entrent en jeu sont colossaux. À Bel Air, il y a tout un arsenal, nous dit Selvin, des valises pleines de calibres, et puis il y a des bagnoles de sport garées partout, et un Winnebago qui sert de party-room à roulettes. Et dans son coffre-fort, Sly stocke ce que Selvin appelle the pharmacy. Des tonnes de downers, jusqu’à 500 pills par bocal, et le seul upper utilisé est bien sûr la coke. C’est exactement la même histoire chez Ike Turner, qui lui aussi a son studio à Los Angeles. Et puis Selvin sort un premier atout de sa manche, l’histoire du chien Gun : «Gun était le pitbull de Sly, il était aussi taré que les gens qui vivaient là. Gun attaquait sans prévenir. Il s’en prenait surtout aux chapeaux. Il attaqua Joe Hicks une fois parce qu’il portait un chapeau. Sly avait aussi un singe, mais Gun tua le singe et l’encula. Comme Gun passait son temps à courir après sa queue, Sly la lui fit couper par un vétérinaire. En rentrant, Gun se mit à courir après son cul. Sly adorait arriver en session avec Gun et voir les gens détaler pour se planquer.» Mais ce n’est pas fini, Selvin a encore des atouts dans la manche, notamment celui-là : Larry Graham, le bassman de la Family Stone. Graham est un playboy, il fait de la concurrence à Sly. Quand Bubba Banks est arrivé dans les parages, Graham baisait Sister Rose. Il baisait aussi Sharon, le femme de Freddie Stone, jusqu’au moment où Freddie s’en aperçut. Alors Sly n’aime pas ça. Dans son studio, upstairs à Bel Air, il commence à jouer tous les instruments, notamment les parties de basse, pour se débarrasser de Graham. Le batteur Greg Errico subit le même traitement : Sly utilise une boîte à rythme. Selvin dit qu’Errico continue d’aller à Bel Air pour enregistrer des pistes, mais elles disparaissent aussi sec. Sly les efface et les refait lui-même. Il vit quasiment dans le studio. Il n’a gardé que sa section de cuivres, Cynthia Robinson et Jerry Martini qui déclare : «Je suis devenu un coke addict, un drug addict, un vrai légume, assis toute la journée, attendant ma ligne de coke comme tous les autres assholes.» Oui car c’est Sly qui distribue la coke à Bel Air. Et lui seul. Et voilà Bobby Womack. Il débarque lui aussi à Bel Air. Il y enregistre son album Communication. Il passe des heures enfermé avec Sly dans le studio, upstairs, cutting track after track - Tape boxes would just pile up. It was how Sly liked to work - Bobby : «Je n’avais pas envie de rentrer chez moi et on a continué d’enregistrer. Sly me disait de chanter ci et ça, il était extrêmement créatif et j’ai fait partie du whole trip. Pour être dans ce genre de trip, il faut le vivre. There was a riot going on up at his house.» D’autres pointures débarquent à Bel Air, comme Billy Preston, Ike Turner, Miles Davis - mostly jamming on keyboards and doing blow, not playing trumpet. It was not hard to detect traces of Sly on Bitches Brew - L’album que Sly enregistre à Bel Air est bien sûr There’s A Riot Goin’ On. Quand les gens du label entendent l’enregistrement, ils sont effarés - unlike anything anyone had heard before, a truly original creation - Stephen Paley : «Sly voulait savoir jusqu’où il pouvait s’éloigner d’un album commercial tout en restant commercial.» On n’entend nous dit Selvin Errico que sur un seul cut. On entend un peu Cynthia Robinson et Jerry Martini qui ont passé des centaines d’heures à attendre qu’on les appelle pour jouer. On entend la guitare de Freddie, mais aussi celle de Sly. On entend un peu Larry Graham, mais surtout Bobby Womack, Jim Ford, Billy Preston et même Miles Davis, tous non crédités. On voit leurs photos dans le montage qui figure au dos de la pochette. Selvin n’y va pas de main morte : «Avec There’s A Riot Goin’ On, Sly a repoussé les limites de la Soul music au-delà de l’horizon. James Brown détient le titre, mais en réalité, c’est Sly qui était devenu Soul Brother Number 1.» Quand il est en ville pour jouer, Sly traîne avec une sacrée bande, Bobby Womack, Jim Ford, Joe Hicks et Eddie Chin, un ex-Marine qui pouvait être dangereux et que connaissait Bubba Banks, au temps où ils étaient tous les deux macs dans le Fillmore district. Eddie Chin s’intéresse de près à la petite sœur de Sly, Vaetta. Selvin poursuit : «Ils venaient tous de voir Orange Mécanique et avaient trouvé le film génial. Il trimballaient tous des cannes et rêvaient de petites scènes d’ultraviolence. Ils fumaient tous du PCP.» Ils commencent par tabasser le roadie Moose qui est accusé à tort d’avoir installé un orgue qui ne marchait pas sur scène. Ils lui tombent dessus à douze, avec des cannes. Orange Mécanique fois trois. Puis ils cherchent Larry Graham pour le réduire en bouillie. Sly pilote l’opération. Miraculeusement Graham et sa poule ont le temps de se faire la cerise avant que le commando d’Eddie Chin ne leur tombe dessus. Selvin conclut son roman noir avec Ken Roberts, le nouveau manager de Sly & The Family Stone. Il va tenter de recoller les morceaux, après Orange Mécanique. Il se rend chez Cynthia Robinson, puis chez Jerry Martini, puis chez Larry Graham in the Oakland Hills - Roberts pensait qu’il y avait eu du grabuge à cause d’une fille. Mais il comprit rapidement que Graham n’allait pas revenir dans le groupe. Mais Roberts n’avait pas compris à quel point Graham était traumatisé. Comme il devait raccompagner Roberts à l’aéroport, Graham vérifia qu’il n’y avait pas de bombe dans sa voiture.

             Alors qu’est-ce qu’on dit ? Merci Monsieur Selvin !

    Signé : Cazengler, Joël Selfish

    Joel Selvin. Smartass. The Music Journalism Of Joel Selvin. Parthenon Books 2011

     

     

    Les Blues Pills tombent-ils pile ? Part Two

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             Pourquoi retournes-tu voir les Blues Pills sur scène ? Sans doute parce que tu es resté la première fois sur une bonne impression. Ça compte beaucoup les bonnes impressions dans ce domaine. De mémoire, il s’agit d’un groupe basé en Suède, autour d’une chanteuse suédoise, donc blonde, et d’un rescapé de Radio Moscow, Zach Anderson. Le nom de Radio Moscow remet tout de suite les pendules à l’heure. Alors autant l’avouer franchement : le groupe n’a d’intérêt que pour la racine moscovite. En 2016, lors du premier concert des Blues Pills en Normandie, Zach Anderson jouait de la basse. Le guitariste était une sorte de jeune prodige français, un certain Dorian Sorriaux, dont le maniérisme sur scène avait un petit côté agaçant, notamment cette manie qu’il avait de lever la bras chaque fois qu’il attaquait un petit phrasé délicat. Toute la différence avec Zach le zigouigoui qui, de l’autre côté, incarnait parfaitement la mad psychedelia, tellement il voyageait sur son manche, et tellement sa chevelure coulait sur ses épaules. Immense présence, real deal de pour-de-vrai, l’exact opposé du pour-de-faux. Six ans plus tard, Zach Anderson se retrouve promu guitariste, en remplacement du jeune prodige maniéré qui a tiré sa révérence.

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    C’est un spectacle que de voir jouer Zach le crack, il fait le show, il tient la boutique, il taille la route, il est partout dans le son, il claque des notes dans tous les coins, il est physiquement absent mais mystérieusement omniprésent, il combine les styles, il va par monts et par vaux, il solote et il rythme, il wahte et il cocote, il est de tous les instants, il monte sur tous les braquos, il incarne le guitariste de rêve, il s’ancre dans les seventies, il affiche une mine sereine sous un déluge de cheveux légèrement frisés, il a même des faux airs christiques, il sent bon le Guitar God, il dégage une odeur de sainteté, il est classique et moderne à la fois, il obtempère et il vitupère, il récupère et il ventre-à-terre, il avale l’highway et il file tout terrain, il disparaît sous l’horizon et revient en trombe, il distribue les vertiges et balaye les vestiges, il aime la vie et se rit de la mort du rock, Zach veille au grain, il préfère l’ivresse à l’ivraie, il cultive l’omnipotence de Montfaucon, l’omniscience de Raymond la Science, l’omniprésence de l’ambivalence, l’omnicoalescence de la concupiscence, il jongle avec les aisances, il donne des antécédences aux connivences, il développe une redoutable richesse de jeu, il en accepte toutes les conséquences, il nous met devant tous les faits accomplis, il tisse des arborescences de stridences, chez lui tout est dense et tout danse, son corps de moufte pas, seules ses mains sont à l’œuvre, il mijote le Grand Œuvre, il transforme le plomb en or du Rhin, il joue les impassibles, il glisse parfois un regard en coin, il semble de plus en plus christique, il crée des climats à profusion, il ouvre des chapitres entiers de confluences, il distribue les luminescences, il est le Descartes des essences, le Des Esseintes des dissidences, il jette des ponts par-dessus les hyperfréquences, il jongle avec les évidences, son jeu passe comme une lettre à la poste, il capte l’attention, il focalise, il dégouline d’excellence, son intelligence de jeu frise l’indécence, on l’accepte tel qu’il est, on se recueille à ses pieds, on reçoit son opulence comme un don du ciel, il distribue sans compter, ses notes sont le pain et le vin, il marche sur l’eau, il est maigre comme un clou, sa barbe ne trompe pas, son jeu sonne comme une parole d’évangile barbare, il ne sourit jamais, il porte sur le public, c’est-à-dire le monde, un regard miséricordieux, tu ne vois que Zach le crack, c’est-à-dire Zach le Christ, les autres le savent et l’acceptent, Zach donne les cartes, il oriente le jeu, il gère le troupeau bêlant des occurrences, il joue les doigts en biais, il chapeaute les truculences, il séduit les réticences, il sème le vent et récolte la tempête, il n’est jamais à court d’idées, il va là où le porte son vent, il tisse inlassablement ses trames, il va et il vient entre tes reins, il ne regarde jamais en arrière, il contemple son horizon intérieur, il tient bon le cap, il magnifie la psychedelia, il veille à ce que jamais le son ne bascule dans le metal, il fait bien la part des choses, il voit clair, il joue sans détours, il multiplie les exploits, son jeu est un spectacle pour qui sait voir, il assure les arrières du rock, il se conforte dans sa mission, il ne baisse jamais les bras, il reste d’humeur égale, il canalise les turbulences, il turlupine les chutes alpines, il trace des tangentes dans les moindres séquences, il prend des virages à la corde et se rétablit par la vitesse, il ne se fait aucune illusion, il sait que l’avenir est devant lui, il croit en lui, alors on croit en lui, il indique la voie, alors chacun peut la suivre, il s’adresse directement aux esprits, il utilise un langage universel, il n’impose rien, il n’ambitionne rien, il se contente d’être là, il se contente de rayonner et d’honorer le manche de sa guitare, il se rit des honneurs, il est libre comme l’air, il ne connaît pas le remords, il ne connaît pas la haine, il joue pour jouer, il enseigne la légèreté de vivre, la liberté de penser, il joue autant de notes qu’on peut en recevoir, il reprend le flambeau des grands guitaristes qui l’ont précédé, inutile de citer des noms, libre à chacun de choisir.

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             Et pendant que Zach le zèbre zanzibarde à boulets rouges, la chanteuse suédoise fait du sport. Elle est arrivée sur scène en collants rouges, chaussée de bottes blanches, et comme la première fois, elle s’est livrée à tout un tas d’exercices de gymnastique. Ah elle est spectaculaire, elle crée des relations intimes avec le public. Le collant rouge ne cache tellement rien de son anatomie que ça devient gênant pour le public. Mais bon, elle fait son cirque et ses spectaculaires génuflexions rappellent celles de Jim Dandy Mangrum, le clown qui chantait dans Black Oak Arkansas, l’un des fleurons du rock comique des Amériques. Elle semble avoir récupéré tous les clichés, c’est la raison pour laquelle on la prenait pour une Américaine. Il faut avoir vu ça au moins une fois dans sa vie. S’il n’y avait pas le spectacle fascinant de Zach le crack, on passerait l’heure de set à éclater de rire.

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             Ce retour en Normandie fait partie de la tournée de promo de leur nouvel album, Holy Moly. Big album.

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    La chanteuse athlétique Elin Larsson est bien meilleure sur disk que sur scène, elle chante comme une lionne dans «Low Road». Zach le crack joue en fond de toile, mais jusqu’au délire. Il amène une wah à la Asheton, il sait concocter une fournaise. On sent Elin Larsson déterminée sur «Dreaming My Life Away». Tout sur cet album est déterminé. Zach le crack fait le son, dans l’ombre. Il veille bien aux tortillettes. Et puis voilà le premier hit de l’album : «California». Elle tartine sa heavy Soul blanche. Elle passe à la hurlette de génie et Zach le crack vole à son secours avec un solo posé. Elle devient stupéfiante, son California sonne comme un choc et elle se transforme en géante. Elle s’implique à fond, comme on dit dans les entreprises du tertiaire. Les Pills dégagent de la chaleur. Nouveau coup de génie avec «Kiss My Past Goodbye». Elle fout la pression et crée une sorte d’ouverture sur l’avenir, c’est dire s’ils sont bons. Elle est très présente dans les chansons, elle regagne énormément de terrain par rapport à la scène. C’est elle, la reine des Pills, elle règne sans partage sur cet album magique. Tout ici est saturé de power. Mais dans «Song From A Mourning Dove», c’est Zach le crack qui mène le bal, avec un solo mélodique qui renvoie directement à Jimmy Page. Zach le crack joue comme un dieu, il reprend la main, il amène un jus énorme avec son solo translucide, il plane un moment et reprend son envol vers le zénith, ah comme ce mec est bon, il abonde dans tous les sens, il gorge les rivières de diamants, il exulte aux quatre vents. Fin de chapitre avec «Longest Lasting Friend» et une Elrin Larsson bonne jusqu’au bout des ongles, elle se bat pied à pied avec sa Soul blanche. Tout à coup, les Blues Pills deviennent évidents.

    Signé : Cazengler, Blues Pelle (In Advance of the Broken Arm)

    Blues Pills. Le 106. Rouen (76). Le 28 juin 2022

    Blues Pills. Holy Moly. Nuclear Blast 2022

     

     

    L’avenir du rock - Hoodoo you love ? (Part One)

     

             Comme il s’ennuyait un peu, l’avenir du rock est allé fureter sur un site de rencontres. Très vite, il a réussi à décrocher des rendez-vous. Oh ce n’est pas très compliqué, il suffit de soigner son orthographe et d’essayer de se faire passer pour un esprit romantique pas trop ombrageux et relativement facile d’accès. Pour se distinguer du commun des mortels, on peut par exemple citer quelques poètes de l’Avant-Siècle ou, quand ça coince, des auteurs plus modernes. Les rendez-vous se déroulent toujours de la même façon : on donne une ou deux indications physiologiques pour la reconnaissance, puis on passe à l’étape du premier regard qui est un regard de jaugeage, suivi d’un regard plus distancié permettant d’apprécier les formes, surtout en hiver quand il y a des manteaux. On passe ensuite à la recherche de l’angle qui va permettre de lancer la conversation, avec si c’est possible une petite pointe d’humour, mais pas trop. L’humour, c’est comme les poètes de l’Avant-Siècle, ça risque de te faire passer pour plus intelligent que tu ne l’es dans la réalité et te voilà coincé. L’étape suivante consiste à consolider les étapes précédentes en proposant de boire un verre. En règle générale, le premier verre est un verre inoffensif, rarement un alcool. Puis vient l’étape des questions censées prouver qu’on s’intéresse à l’autre, alors qu’en réalité la partie est déjà jouée. Quand il écoute l’album d’un groupe qu’il ne connaît pas, l’avenir du rock sait au bout de deux cuts ce qu’il faut en penser. Les rencontres, c’est exactement la même chose. Au bout de cinq minutes, les dés sont jetés. On ne joue les prolongations que par pure courtoisie. Mais il arrive qu’un rebondissement se produise dans le cours de la conversation, disons sous la forme d’un trait d’esprit ou d’une pirouette cacahuète qui pique la curiosité, alors ça conduit naturellement à l’envie d’en savoir plus. Et si on allait dîner ? Bonne idée ! En règle générale et le vin aidant, les langues se délient, la rencontre prend un peu de sens, les heures défilent agréablement, au fil des histoires de vie imaginaires qu’on improvise pour épater la galerie et tout cela se termine automatiquement au fond d’un lit. C’est la seule finalité. Voilà comment se déroulent les rencontres des temps modernes. L’avenir du rock ne s’en satisfait pas. D’ailleurs qui peut s’en satisfaire ? Au fond de lui, l’avenir du rock sait que les histoires anciennes ne le décevront jamais, alors il y retourne.

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             Les Hoodoo Gurus font partie des histoires anciennes. Comme s’ils avaient toujours été là. Comme des chiens fidèles. Ils font leur grand retour avec Chariot Of The Gods. Dave Faulkner vient de remonter le groupe avec Brad Shepherd pour tenter le diable une fois de plus. Par contre, Mark Kingsmill a fini par jeter l’éponge du beurre, après 30 ans de bons et loyaux services et lassé du boredom permanent des tournées mondiales. Les Gurus ont envisagé un moment la fin des haricots, mais Faulkner a sauvé le groupe en embauchant un vétéran de toutes les guerres, Nik Reith, qui a battu le beurre dans les Celibate Rifles, les New Christs et Radio Birdman. Faulkner dit qu’il ramène «a bit more swing, a bit more Charlie Watts.»

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             Leur nouvel album sort sur Big Time, le label qu’ils ont poursuivi en justice en 1988 et qu’ils ont racheté suite à sa liquidation - Keeping the name is poetic justice. Now we control every aspect of our music - Dans Shindig!, Phil Suggitt parle d’un rejuvenated band. C’est vrai que Chariot Of The Gods ne laisse pas indifférent. C’est même un album complètement unexpected. On ne se lasse pas des grandes heures de Dave Faulkner. Depuis quarante ans, il enregistre de grands albums. Si tu commences par écouter «My Imaginary Friend», tu risques de tomber de ta chaise. C’est toujours une bonne chose que de tomber de sa chaise, ça fait circuler le sang. D’ailleurs, on passerait bien sa vie à ca, tomber sa chaise. Avec «Imaginary Friend», Faulkner va chercher la power pop, mais il le fait avec une humilité confondante, ce genre d’humilité qui honore les gens, il joue sa power pop aux arpèges des Byrds, ce démon de Faulkner est capable non seulement d’invoquer l’esprit des Byrds, mais aussi celui de Roky Erickson - That pain is real/ It’s so real - L’amateur de power pop va encore se régaler avec «Equinox». Tu ne pourras pas éviter ce boulet de feu qui t’arrive en pleine poire, même chose avec «Carry On», Faulkner est dans son élément, il reste très cinglant et excessivement inspiré. Il a du poids, un poids qu’il n’en finit plus de jeter dans la balance à la volée. Il a fait ça toute sa vie. Les Gurus, c’est un mélange de volées et de chutes, bing bong, bing dans le plateau et bong de ta chaise. Faulkner renoue aussi avec son cher vieux gaga dans «Don’t Try To Save My Soul», qu’il attaque au mi la ré du vieux gaga de revienzy, comme s’il revenait chercher sa pitance, et ça donne encore un cut violemment bon, il rampe dans son venin, you try to save my soul/ You can’t, personne ne peut le sauver, Faulkner jette encore tout son poids dans la pauvre balance qui n’en peut plus de recevoir des poids. Et voilà qu’il tape dans l’hymnique avec «Settle Down», encore un cut orienté vers l’avenir et monté sur des power-chords extravagants de classe sonique. Tu as tout chez Faulkner, l’Aussie mais aussi l’oss de l’ass. Il faut le voir taper «World Of Pain» au heavy stomp. Il ne lâche jamais sa fucking rampe, il s’implique une fois de plus dans sa perfection. Il ramène toute sa vieille niaque. Tu n’auras rien de mieux que Faulkner, il fera toujours le nécessaire pour que ça sonne, et là mon gars, ça sonne au world of pain. Ça carillonne. S’il fallait évoquer une trilogie Aussie, on dirait : Saints, Scientists & Hoodoo Gurus. Il revient à la vision de la pop avec «Get Out Of Dodge», mais avec une voix plus tranchante. C’est Faulkner, il faut s’habituer à l’idée que ce mec-là ne plaisante pas. C’est un God, il conduit son Chariot, il a créé son monde comme tous les Gods. Il s’y amuse et nous invite à l’y rejoindre. C’est un monde de pop rock. Au bout de quarante ans, son énergie est restée intacte. Logique pour un God, diras-tu. Tu as ces vieux groupes comme Urge Overkill et Hoodoo Gurus qu’on croit en fin de parcours et qui font des albums magnifiques. Faulkner hante le moindre de ses cuts, il couve sa violence dans «Answered Prayers» et puis voilà un «Hanging With The Girls» assez échevelé. Faulkner n’a rien perdu de ses réflexes de punkster, mais cette fois, le cut a le cul entre deux chaises : pop et punk. Quelle énergie ! Brad Shepherd passe même un killer solo, histoire de montrer qu’il n’a pas perdu la main. Faulkner finit l’album avec un hommage à Lou Reed, «Got To Get You Out Of My Life». Extrêmement troublant, car on croit entendre Lou Reed chanter et les tiguilis viennent tout droit d’un album du Velvet. Faulkner est dedans, avec une incroyable facilité à caresser le mythe dans le sens du poil. Il finit en apothéose psychédélique d’I just don’t care.   

    Signé : Cazengler, Hoodoo gouré

    Hoodoo Gurus. Chariot Of The Gods. Big Time 2022

     

     

    Inside the goldmine - Sam Dees soir

     

             Il arriva en avance au rendez-vous. Il postulait pour un job de directeur artistique. Il avait perdu 35 kg pendant les trois derniers mois, mais il se sentait bien, enfin presque bien. Il tenait son cartable en cuir rouge posé sur ses genoux. Il trouvait l’assemblage du tergal bleu et du cuir fauve très graphique. Le hasard relevait toujours ses défis avec succès. Il le constatait une fois de plus. Une petite jeune fille apparut au bout du couloir, ronde, le visage dissimulé derrière une frange brune et des lunettes à montures d’écaille. Elle portait une jupe et manquait tragiquement de sex appeal. Elle se présenta et l’invita à la suivre dans la salle de réunion. Là se trouvaient les jeunes gens qui dirigeaient l’agence. Il fut frappé par leur extrême jeunesse, mais depuis qu’il errait de rendez-vous en rendez-vous, il avait fini par comprendre qu’il ne fallait plus s’étonner de rien. Il se présenta rapidement, feignant la décontraction et, comment dire, la mâle assurance, et ouvrit son cartable pour en extraire des éléments censés illustrer l’étendue de ses compétences. Il vit les visages de ses interlocuteurs rester de marbre, mais ça ne le décontenançait pas, bien au contraire. Il préférait ne rien avoir en commun avec ces gens visiblement superficiels et stupides, que des familles friquées avaient lancés dans le business, leur offrant de luxueux locaux à Boulogne, de la même façon qu’on leur avait offert dix ans plus tôt une magnifique station de jeu vidéo importée du Japon. Il ramassa ses éléments, sentant que l’entretien touchait à sa fin. La petite jeune fille ronde qui l’avait accueilli n’avait pas dit un mot. Elle s’était contentée de l’observer, notant qu’il ne faisait pas grand chose pour dissimuler son mépris. Elle regrettait que l’entretien se terminât aussi mal. Il aurait pu amener en plus de son expérience la maturité nécessaire dans un environnement aussi fragile que celui d’une agence, car enfin, ce n’était pas un jeu. Dommage. Il l’aurait sans doute invitée un soir à dîner et l’aurait ensuite ramenée chez elle en voiture. Il aurait posé sa main entre ses cuisses pour découvrir qu’elle ne portait rien sous sa jupe. Elle aurait alors ouvert sa bouche en grand pour recevoir sa langue. Puis elle aurait prétexté du fameux ‘jamais le premier soir’ pour lui souhaiter un bon retour et rentrer chez elle. Sous la douche, elle aurait fini de se masturber puis pour se détendre avant de dormir, elle aurait mis sur la platine ce disque qu’un ami lui avait offert et dont elle ne savait rien, un Dees machin chose. Comme elle aimait à le rappeler à ses copines, elle adorait ne s’intéresser à rien.

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             Dommage qu’elle ne s’intéresse à rien, car Sam Dees fait partie des auteurs classiques de la Soul. ‘Auteurs classiques’ est une formulation qui s’applique aussi à Flaubert, Maupassant et Stendhal. Sam Dees partage ce privilège avec George Jackson, Van McCoy, Allen Toussaint et quelques autres. Cet Alabamien a enregistré très peu d’albums, s’étant surtout consacré aux autres.

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    En 1975, il était sur Atlantic avec The Show Must Go On. On peut bien parler d’un album génial. Des cuts comme «Child Of The Streets», «Claim Jumpin’» et «What’s It Gonna Be» figurent parmi les plus beaux classiques de la Soul. Le son est plus Atlantic que Motown, perdu dans une marée à venir. Sam groove à l’urbain, il fait planer sa Soul comme un suspense, «Child Of The Streets» est plein de watcha gonna do. Sam monte sa Soul en neige comme le fait Marvin, il est soutenu par l’énorme bassmatic de David Camon. Par contre il attaque son «Claim Jumpin’» à la Clarence Carter, avec une férocité sans égale, épaulé par un son de rebelles, alors ça donne du rouleau compresseur avec des coups de wah. Sam dégage autant que Sly, te voilà au paradis du Soul power. Il charge encore sa barque pour «What’s It Gonna Be», il chauffe ça au oouh oouh yeah yeah de groove suprême, il chante à la rauque dans le vent de l’action, il charge à l’infini. «Come Back Strong» est plus dansant mais assez dément. Il ménage la chèvre et le chou avant d’exploser la Soul comme un fruit trop mûr. Il faut le voir filocher ses you you, il règne sur le dance floor, il chante à l’énergie. «Just Out Of My reach» sonne comme le slowah de rêve. C’est une merveille absolue. Sam est le grand architecte de la Soul, to all the people, il chante comme un dieu. Il monte sa Soul en neige comme nul autre. Avec «Good Guys», il propose la Soul des jours heureux. Sa façon d’attaquer est unique. C’est d’un niveau qui nous dépasse. Sam Dees crée de l’enchantement dans chacun de ses cuts.

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             Alors après on entre dans le territoire sacré des compiles Kent Soul avec celle parue en 1995, Second To None. Rien qu’à voir la pochette, on sait que c’est une compile énorme. Sam Dees porte des lunettes noires et penche légèrement la tête de travers, comme un black God. Sam est Soul jusqu’au bout des ongles, comme le montre «Home Wreckers», amené sur un beat de velours. Sam entre dans la danse, le beat du bassmatic bat comme un cœur. On attaque le cycle des énormités avec «The World Don’t Owe You Nothing», amené à la violente aménité de modernité, Sam does it right, il fait du r’n’b organique. On entend bien le souffle du chant et le hit hat derrière. Il se monte spectaculaire dans sa quête du slowah pur («I Like To Party») et chante parfois sa Soul à la concorde du pendu («I’m Gonna Give You Just Enough Rope»). Il se fait chevalier pour attaquer «Cry To Me» - If you’re falling down/ I’ll be there - Sa Soul explose, il la gratte pied à pied et ça bascule dans la magie. On le voit se battre à l’ancienne, il passe partout comme une lettre à la poste, son «Vanishing Love» flotte dans le mercure, monté à la mélodie chant, on croit entendre Marvin. Sam combine le power et la beauté, même les riffs de guitares sont magiques, comme le montre «Nothing Comes To A Sleeper But A Dream», Sam en fait un heavy blues souterrain qu’il allume au chant de Soul Brother. Il chante encore «I Wish That Could Be Him» à la dérive mirifique, il n’en finit plus d’aller chercher la Soul d’Alabama, ça frise la grâce de Dieu en permanence («You’ve Been Doing Wrong For So Long») et il développe encore une fantastique qualité du groove avec «Win Or Lose», il caresse son groove dans le sens du poil, pas de problème, vas-y Sam ! Il faut le voir attaquer «Run To Me» au bas de l’échelle, c’est du pur Soul genius - I’ll be by your side yeah-eh - Ce ne sont que des petits joyaux inexorables. Il refait du Marvin avec «Touch Me With Your Love» - C’mon babe turn this boys into a man - On se croirait sur What’s Going On. Il presse sa pulpe au soleil de la Soul.

             Dans les liners, John Ridley nous explique que la rareté fait la valeur de Sam Dees. Il était connu pour ses qualités de songwriter - High quality melody and a profundity of lyrical content - C’est en Angleterre, via le «groupe d’enthousiastes» Voices From The Shadows qu’il finit par obtenir une vraie reconnaissance. Pas évident pour ce black originaire de Birmingham, en Alabama. Des gens comme Clarence Carter, ZZ Hill, The Persuaders et Tyrone Davis ont enregistré ses compos dans les années 70. Sam produit aussi des stars inconnues comme Rozetta Johnson, Jean Battle et Bill Brandon. Puis il est repéré par Atlantic et The Show Must Go On, dont on vient de parler, est aujourd’hui considéré comme one of the great Soul sets of all time. En 1977, Sam part s’installer en Californie et, dans les années 80, il monte son label Pen Pad. Oh pas grand-chose, trois albums, mais bon courage pour les choper. 

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             Parue en 1998, The Heritage Of A Black Man est encore une compile Kent qui rassemble étrangement à un passage obligé, rien que pour le morceau titre d’ouverture de bal, une rétrospective qui rappelle les souffrances des good niggers, et là, Sam part en Soul motion comme un prêcheur, c’est très pur, très politique. Il donne ensuite de l’élan à sa Soul pour «Why Must I Live In Chains», il fait une Soul d’aile d’avion, il traverse le ciel comme Marvin - When I look at this world/ Oh nahhh/ It makes me sick inside - Il veut savoir, tell me why/ Somebody, le pourquoi des chaînes - Why must I live in chains - Tous ces cuts sont puissants, Sam propose une Soul de haut niveau, une Soul d’Ok baby, I can’t believe it («Reconsider Baby»), il peut dégager autant que les Four Tops («Standing In The Wings Of A Heartache»), il peut développer une Soul de satin jaune («Nothing But The Best Of Luck My Friend»), il maîtrise tous les genres, y compris la good time music («Lovers Or Enemies»), il adore se glisser dans les draps de satin jaune pour y retrouver une petite pute palpitante («Love Calls»), tous ses cuts sont triés sur le volet, il navigue aux confins de la Soul et du gospel, il a derrière lui tous les chœurs du monde («Caught Up In This Good Woman’s Love»), il touche même au charme de chèvre chaud («Personal Woman»), il faut voir comme il la chauffe sa Personal Woman, il n’hésite pas à ramener les tiguilis du «You Keep Me Hanging On» des Supremes. Avec «Black Tattler», il va dans le deep groove de Marvin et rippe sur les couches atmosphériques, puis il remonte la pente de la Soul avec «What Goes Around Comes Around», il allume très vite sur les cuts assez courts, c’est l’apanage des géants. Il enchaîne avec une Soul d’hey hey hey qui résonne comme une clameur («Why Must I Be In Love Alone»). Puis avec «Just As Soon As The Feeling’s Over», il plonge dans la meilleure Soul d’It’s alright, Sam drive sa chique au power pur. Il est bon sur tous les coups, chaque fois, il tape dans le mille de la Soul, il est un peu comme O.V. Wright, il vise la Soul d’haleine chaude. Il rebondit vers l’avenir avec «I Be Myself», il est spectaculaire, il fait une Soul magique, il peut allumer dans tous les registres et rester dans l’harmonie universelle. On suivra donc Sam jusqu’en enfer, c’est un homme puissant et gentil à la fois, un fantastique Soul Brother, il continue de chanter sa Soul avec un regain d’excelsior («Something About The Way I Feel»), son ah-la-la va te transpercer le cœur, et il traîne un ehahhh dans le sillage argenté de sa révérence.

             C’est encore John Ridley qui se tape les liners de The Heritage Of A Black Man. Il explique que cette deuxième compile est la réponse d’Ace aux gens qui ont demandé du rab. Ah vous en voulez encore ? Alors voilà ! Ridley perce le secret de Sam : «À travers sa passion, il a une extraordinaire facilité à transcender un ordinary lyric pour en faire quelque chose de spécial.» Ridley parle bien sûr de l’interprétation. Ridley dit aussi que les cuts de cette deuxième compile sont plus politiques, car, comme on l’a vu, Sam évoque l’esclavage and its enduring aftermath. Dommage que Ridley ne songe pas à faire le rapprochement avec J.B. Lenoir, lui aussi originaire d’Alabama - I never will go back to Alabama/ That is not the place for me/ You know they killed my sister and my brother - Sam vivait alors essentiellement des compos qu’il vendait : «Standing In The Wings Of A Heartache» à Ben E. King et à Ted Taylor, «What Goes Around Comes Around» à Bobby Patterson, «Just As Soon As The Feeling’s Over» à Margie Joseph, et bien d’autres encore, comme le montre cette autre compile parue en 2014 : One In A Million (The Songs Of Sam Dees).

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    C’est une pépinière de coups de génie et d’artistes faramineux. Tiens, par exemple Corey Blake avec «Your Love Is Like A Boomerang», voix d’une grande intensité, pas loin de celle d’Al Green. Ou encore Sidney Joe Qualls avec «Run To Me», ce mec tombe comme une poudre de perlimpinpin dans le diskö funk de Sam. Pur génie ! Et puis bien sûr Anita Ward avec «Spoiled By Your Love», elle y va doucement, l’Anita, c’est la Soul de Memphis. Puis il y a une pléthore d’interprètes fantastiques, à commencer par Sam qui tape son «My World». Il se bat pied à pied avec sa Soul, il chante à la surface du monde, on ne voit plus que lui. Il assoit la puissance fondamentale de la Soul. Puis on a un enchaînement de quatre coups de génie avec Rozetta Johnson, Esther Phillips, Ted Taylor et Jackie Wilson. Rarement on trouvera des compiles d’une telle densité. Rozetta t’explose «A Woman’s Way» au petit charme mutin, elle ramène tout le power du sucre. Le sucre, c’est le domaine d’Esther, elle jazze «Cry To Me», elle est la plus démente de toutes, elle pousse des pointes et groove sa chique comme la reine des reines, Billie Holliday. Il faut voir Ted Taylor à l’œuvre avec «Standing In The Wings Of A Heartache», il monte le power de la Soul à la puissance mille des Temptations, il groove à la voix extrême, on grimpe à l’apogée de la Soul, au dessus, il n’y a plus rien. Si, il reste encore Jackie Wilson, l’un des plus grands chanteurs d’Amérique, avec «Just As Soon The Feeling’s Over», ce démon de Jackie l’attaque de biais, il rend hommage au génie de Sam, alors forcément, on imagine le résultat. C’est la Soul à l’état le plus pur. D’autres pointures extraordinaires sont là aussi, comme les Chi-Lites et Clarence Carter, et puis Millie Jackson, avec «Mess On Your Hands», elle est d’une présence exceptionnelle, pas étonnant qu’Ace ait réédité tout son catalogue. À côté d’elle, Tina, c’est du menu fretin. C’est Millie qu’il te faut si tu veux du hot sous ta hutte. Elle est profondément intense et délicieusement trash. Encore une voix de rêve avec Ray Crumley et «Good Guys Don’t Always Win». Il sonne comme un charmeur fondamental. Encore un coup de génie avec Les McCann et «So Your Love Finally Ran Out (For Me)», Les démonte la Soul au cœur du groove, un vrai démon ! Puis ça explose de plus belle avec Loleatta Holloway et «The Show Must Go On», elle y va au super-froti, ça devient vite torride, elle démarre à la racine du make believe, mais elle se situe à un autre niveau, elle absorbe l’univers, elle dégage un truc que tu ne connais pas, le groove des étages supérieurs, elle se répand à la surface du monde, comme Sam, Esther et Rozetta, entourée de violons, elle explose là-haut, la petite Lol est une folle de la Soul, oui elle explose littéralement. Il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie. Les Temptations tapent «What A Way To Put It» au velouté de la pantoufle et les LTD nous balancent avec «When Did We Go Wrong» l’un des pire heavy grooves de l’histoire des heavy grooves. Encore trois énormités : Gladys Knight & The Pips avec «Save The Overtime (For Me)», un fantastique diskö-funk de Sam, Johnnie Taylor avec «Seconds Of Your Love», le temps de nous rappeler qu’il est le Soul Brother Number One, et l’indicible Larry Graham, ex-bassmatiqueur de Sly, avec «One In A Million You». L’excellentissime Larry Graham est aussi un apôtre de Sam Dees. 

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             Au dos de la pochette de Take One: The Origin Of Twelve 70s Soul Masterpieces, Ady Croasdell nous rappelle que les cuts de Sam rassemblés sur les deux compiles Kent sont des démos très abouties. Il s’en servait pour vendre ses compos à d’autres artistes. On retrouve donc sur Take One cinq cuts rassemblées sur Second To None, à commencer par ce fantastique groove de Soul qu’est «Good Guys Don’t Always Win», «False Alarms», ou encore le puissant «The World Don’t Owe You Nothing» digne des Tempts, «Touch Me With Your Love» digne de Marvin, même élan de go on/ go on/ touch me with your lip, et «Who Are You Gonna Love». Puis cinq autres merveilles tirées de The Heritage Of A Black Man, la heavy Soul tentaculaire de «Con Me», «Only Lonely People», «Black Tattler» et sa fantastique ampleur, Sam y frise le Shaft avec des assauts à la James Brown, l’extraordinaire «Standing In The Wings Of A Heartache», hit de Soul de Tempts repris par Ted Taylor, et «Just As Soon As The Feeling’s Over», puissant jusqu’au bout des ongles. Pour parfaire cette belle compile, les gens de Kent ont rajouté l’«I Know Where You’re Coming From» de Loleatta Holloway, que Sam prend en finesse épidermique pour en faire une pop de Soul infernale, ça fond dans la magie avec des relents de clavecin et un léger fouetté de peaux.

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             La dernière compile Kent Soul en date s’appelle It’s Over (70s Songwriter Demos & Masters). Inutile de dire que cette compile est une bombe, une de plus. La grande spécialité de Sam consiste à créer la surprise. Voilà un exemple : le «Today Is A New Day» d’ouverture de bal. Le cut se présente comme un vieux r’n’b propulsé par une bassline qui ne connaît pas la crise et soudain Sam s’en vient chanter au sommet du beat, c’est excellent, bien exacerbé, une pure merveille de détermination, avec des petits solos de guitare évangéliques au coin de chaque rebondissement. Incroyable ! Ça sonne comme un classique oublié, le son est extraordinaire. Il claque son «I’m Your Biggest Fan» au-devant du groove, on ne peut pas résister au charme de ce son. Il fait de «Singing Poverty» un chef d’œuvre de Soul blues. Il fait aussi une Soul d’église avec «Married But I’m Still In Love», il profane la préciosité, il nous fait le coup des chœurs de fantômes. Il revient en force au groove magique avec un «Someone To Run To» digne d’Isaac Hayes, Sam coule le caramel d’une Soul immense et avec «Gimme A Little Action», il s’en va groover entre les cuisses d’une bonne amie, il est en pleine Soul de sexe, on a là un fabuleux groove bombardé de basse. Back to the badass r’n’b avec «What Good Is A Love», Sam excelle dans le blew my mind. Il allume «Claim Jumping» au cri de brûlé vif et des petites guitares vipérines lui percent les côtes. Méchante merveille de weird Soul, tordue comme un tire-bouchon ! C’est une pure exaction de Soul sauvage, pas cultivée et indomptable. Et il passe au coup de génie avec «What’s It Gonna Be», groove sublime, Sam est là, il palpite, oh yeah ! Il refait son Marvin et geint comme un dieu mélancolique. Il refait encore son Marvin avec «Touch Me With Your Love». Avec Sam on n’en finirait pas.

    Signé : Cazengler, Sam dîne

    Sam Dees. The Show Must Go On. Atlantic 1975

    Sam Dees. Second To None. Kent Soul 1995

    Sam Dees. The Heritage Of A Black Man. Kent Soul 1998

    Sam Dees. Take One: The Origin Of Twelve 70s Soul Masterpieces. Kent Soul 2014

    Sam Dees. One In A Million (The Songs Of Sam Dees). Kent Soul 2014

    Sam Dees. It’s Over (70s Songwriter Demos & Masters). Kent Soul 2015

     

     

    FERTOIS METAL FEST # 4

    10 – 11 Septembre 2022

     

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    Nous étions le 19 septembre 2020 au Fertois Rock Fest n° 2 - voir KR’TNT 477 du 24 / 09 / 2020 – nous voici au 4, nous ne faisons jamais d’impairs, commençons par ce qui n’a pas changé : le portail de l’entrée. C’est tout. Sur tout le reste la bestiole a méchamment grossi, avant : un jour, une scène, sept groupes, quelques stands disséminés au hasard la chance, maintenant, deux journées, deux scènes, dix-huit groupes, et une rangée de boutiques dans un alignement digne du campement d’une légion romaine. L’on n’ose rien projeter pour le N° 5. Sachez toutefois que Yoann Moret, c’est lui le fautif, s’est déjà mis au travail. N'est pas tout seul, Yoann a su s’entourer d’une armée de bénévoles méchamment efficaces, jamais un goulot d’énervement, ça coule comme une pompe à bière et l’on se sent aussi à l’aise qu’une frite dans son bain d’huile.  J’ai oublié l’indispensable, la tour de contrôle sonore et ses deux équipes qui n'ont jamais failli. Le tout pour vingt-cinq euros. Des bienfaiteurs de l’humanité.

    Quelques mots pour les lecteurs angoissés, je n’ai vu que sept groupes, le dimanche.

    E-RUINS

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    ( Photo : Dwidou photography )

             Avant il existait les terribles douze coups de minuit, c’était craignos. Du moins on se méfiait. Ou on faisait semblant. C’est que l’on n’avait jamais entendu les treize coups fatidiques de la treizième heure. E-Ruins a commencé pile à ce moment précis. Le soleil tapait dur. L’a été vite éclipsé. L’on était presque heureux, ne sont que trois, ne vont pas faire beaucoup de bruit. Certes du metal, mais il ne faut pas exagérer. Quelques exaltés dans le public ont hurlé Bagarre ! Massacre ! et l’infamie a débuté. Beegood s’est levé, avec sa barbe blanche et sa haute stature, ressemblait à un jarl menant l’attaque debout à la proue de son drakkar, l’a brandi ses baguettes bien haut comme s’il tenait une hache d’abordage dans chacune de ses deux mains et le carnage a commencé.

             C’est un joli nom E-Ruins, il évoque les ruines de Pompéi et le nuage de soufre et feu qui s’est écrasé sur l’innocente cité, R-Ruins c’est la poésie des ruines, pas celles ornementées d’une guirlande de lierre ou de touffes d’acanthe que broute nonchalamment une chèvre au long poil soyeux sur les cartes postales, non E-Ruins vous transporte au cœur de la destruction, en ces instants suprêmes et terribles où les murs s’écroulent sur les cris de mourants agonisant dans les flaques de sang.  Oui, E-Ruins ce n’est pas gentil. Oui, mais c’est beau.

             D’une beauté sauvage. Pourtant vous n’avez pas encore tout entendu.

    Begood ne se contente pas d’actionner les marteaux de Vulcain, c’est le tonnerre de sa voix qui vous écrase, une masse phonique qui vous ensevelit sans pitié et sans remords, ce n’est pas tout, quand vous recevez un boulet de canon qui vous coupe en deux, le plus dur c’est d’entendre la détonation qui arrive dans vos oreilles alors que vous êtes à terre, que  voulez-vous attendre d’un guitariste – se nomme T-Die, avez-vous besoin d’un cours d’étymologie - qui joue d’une guitare fourchue à l’image des cornes du diable, rien de bon si ce n’est le plaisir sadique de répondre au chant de Begood, par le contre-chant  d’une seconde d’écart, le coup de marteau qui s’en vient écraser la tête du pieu que Begood vient de planter dans votre poitrine. De l’autre côté de la scène le numéro trois fait le mec sérieux. S’occupe de sa basse. De temps en temps, un sourire sardonique éclaire sa face, vite effacé, pas franc du collier le gazier, y’a un truc qui m’inquiète, questions ondes sombres et glissements de cette matière noire et inerte que les physiciens n’arrivent pas à repérer dans l’univers, pas de problème, vous les produit en masse, juste pour ajouter un peu plus de chaos dans  un monde qui n’en a pas besoin,  non ce que je trouve étrange c’est qu’il use de sa basse comme d’une guitare solo, bizarre, vous avez dit blizzard ? D’autant plus que le délicieux vacarme s’arrête pour une annonce inouïe : ‘’ Nous allons faire de l’échangisme’’ ni une ni deux et hop échange d’instruments, je prends la basse et tu prends la guitare. Et ça repart comme en 14, quoique nous devrions mieux dire vu l’actualité comme en 2022.

             Si vous croyez qu’entre-temps Begood a mis de l’eau dans son volcan, vous avez tout faux, use d’une terrible tactique battériale, vous lance le galop dévastateur de douze divisions lourdes de cuirassiers, et brutalement le tonnerre de Thor qui s’avançait vers vous stoppe sans préavis et est immédiatement remplacé par les clairettes castagnettes  des sabots d’une escouade de cavalerie légère, pas le temps de réaliser que la lourde fureur des cataphractaires vous passent sur le corps sans préavis.  C’est ingénieux, c’est rusé, c’est méchant, mais c’est indéniablement magnifique ce clignotement printanier de la face claire du yin dans le côté obscur de la force tempétueuse du yang.

             Bref une ouverture en fanfare à grosse caisse tonitruante pour cette deuxième journée. Vous aimeriez les entendre encore un peu, je cède à vos désirs

    MUSIC FOR DISBELIEVERS

    E-RUINS

    ( Demo & Sudio Early Years / Limité à 150 exemplaires )

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             Musique pour les mécréants, dès le titre l’on a compris qu’on n’était chez les Petits Chanteurs à la Croix de Bois, rajustez vos bésicles, non ce n’est pas un buste de Louis XIV affublé de lunettes noire, mais une tête de mort qui vous sourit de toutes ses dents, porte en pendentif une croix inversée… Sur la galette, Eros et Thanatos même combat.

    T-Die : guitars & vocals / Lino : guitars / Begood : drums & vocals / Kevin : bass

    Pope is dead : ( 2021 ) : ce n’est pas le ‘’Dieu est mort’’ nietzschéen, toutefois c’est la même idée, une musique que l’on qualifiera de nihiliste, genre on traîne un cercueil avec une corde jusqu’au cimetière, même qu’ils semblent pressés d’en finir au plus vite car ils accélèrent sur la fin. Pas étonnant que plus loin ils s’offrent une reprise de Sepultura. Do you feel my dick : ( 2021 ) : m’étonnerait que les ultra-féministes l’adoptent comme hymne national ; dommage car ça fait du bien par où ça passe, je vous rassure dans nos oreilles, besognent dur, sombre et joyeux en même temps, preuve que parfois là où il y a de la gêne il y a aussi du plaisir. La guitare gémit curieusement. Arrêt brutal. Coïtus interrompus en latin. See you dead : ( 2021 ) : changement de climat, après l’amour, la mort, grognements vocaliques, pressurage phonique, grande menace, quand ils ralentissent c’est encore plus inquiétant, alors ils foncent à toute allure vers une méchante explication avec ce grincement de caterpillar qui recule sur votre corps, vous vous hâtez de ressusciter rien que pour réécouter ce morceau fabuleux. The blood will flow : ( 2021 ) : le sexe, la mort, et la troisième sainteté de la trinité, la violence, un vocal qui miaule d’ excitation fondu dans  un magma d’orages électriques, une espèce de broyeuse géante vous réduit la chair humaine pantelante en charpie. Information means perversion : ( 2021 ) : ne faut pas prendre E-Ruins pour les gosses du voisin qui passent leur temps à faire du bruit pour le plaisir de vous embêter, quand ils réfléchissent ils ne disent pas n’importe quoi. Je reconnais toutefois que question volume sonore ce morceau dépasse les deux précédents, se surpassent dans l’imprécation vocale et l’éruption volcanique. Ces sessions de l’année derrière valent leur pesant d’or. D’or fin, parce que c’est voluptueusement bien mis en place.

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    Rot in peace : ( 2017 ) : quand ils étaient plus jeunes ils avaient déjà un petit mot gentil à vous adresser, gentil mais tout de suite l’atmosphère devenait lourde et pesante, à la manière dont Eric frappait sa batterie vous compreniez qu’il confondait sa caisse sombre avec votre figure. Question vocal, style grognement de chien de combat qui vous a agrippé la jambe et qui dévore votre cuisse. Oui, ça chatouille, mais vous aimerez. Drumanima : ( 2017 ) : les batteries ont-elles une âme, faut croire que si, car celle d’Eric tonne à la manière de la colère de Zeus, les guitares soufflent des nuages de grêle, et la voix qui tombe des cieux en avalanche de rochers vous écrase sans faillir. Parfait pour le générique d’un film qui retracerait la guerre des Dieux contre les Titans.  Where is god : ( 2017 ) : la question insidieusement franche par excellence du mécréant qui cherche à en découdre, les tambours martèlent dur et le ton est quelque peu agressif, comme il ne reçoit pas de réponse satisfaisante, il la pose une deuxième fois d’une façon légèrement plus courroucée, maltraitance de cymbales éhontée, n’en démordent pas, veulent une indication précise, sur la fin il semblerait qu’il y ait une distribution de grosses gifles gratuites. Made in hell : ( 2017 ) : sont pleins de contradictions, ne croient pas en Dieu mais n’ont rien contre l’enfer, doivent le trouver délicieux à la manière dont rebondissent les cahots de la batterie, les guitares rajoutent quelques étincelles de kaos pour faire bonne mesure, el la voix d’Eric est un brasier dévorant qui s’étend sur le monde. Que du bonheur pour les amateurs de metal.  Oui-Oui is not dead : ( 2017 / cover : Ludwig von 88) : changement de rythme, l’on quitte le metal pour le rock alternatif, on aime bien Enid Blython mais l’on préfèrerait lire Le masque de fer d’Edmond Ladoucette beaucoup plus métallique. March for war : rien de tel qu’une petite guerre pour améliorer la situation, au pas cadencé et au pas de l’oie, marche implacable, humour noir. Freedom : antithèse du précédent, guitares apaisantes, dépressurisation phonique, la liberté n’est pas donnée, elle se mérite, aussi dépensent-ils un maximum d’énergie. See you dead : retour du leitmotive de la mort, partout où vous vous tournez elle est là devant vous, version moins tonitruante que celle début du disque, davantage hachée moins cataclysmique, en fin de compte n’est-ce pas la mort qui gagne la partie… In the name of… : shuffle de locomotive, le vocal mangé par les bielles, E-Ruins misent davantage sur la vitesse que sur la lourdeur de la masse, halètements terminaux, le train s’éloigne dans le lointain. Refuse / Resist : ( live / reprise de Sepultura / feat : Raphael de Kamala ) : E-Ruins ne se refuse rien et résiste pleinement avec la comparaison sépulturienne, plus rapides, plus incisifs, plus kaotifs, plus volumiques, plus, plus… Orgasmic ghost head : ne pas confondre avec Head Goat Soup, ici la chevrette perd la tête mais elle n’est pas mangée, juste croquée, à la manière dont elle geint l’on suppute qu’elle prend son pied. L’on a enfin la réponse à la question posée dès le deuxième titre.

             Ce CD ravira les adeptes du genre.

    PTK

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    ( Photo : Dwidou photography )

    Trois lettres innocentes, genre Poste & TéléKomunication, hélas non, derrière ce sigle anodin se cache, Pleasure To Kill, plaisir de tuer, je vous rassure tout de suite, ce ne sont pas des tueurs en série, même pas un petit cadavre par-ci, par-là, derrière un ampli par exemple, non lorsque nous écouterons leur disque ( voir ci-dessous ) vous comprendrez que leur nom n’est pas une incitation à tuer son prochain juste pour le plaisir, voire pour passer le temps sans s’ennuyer, l’est à comprendre comme un simple état des lieux, une définition rapide et incisive de notre monde à la dérive, ce ne sont pas les gens qu’il faut tuer mais tout le système coercitif qui opprime de plus en plus durement la population. Joie de détruire les chaînes mentales et physiques qui nous emprisonnent ! Sans pitié. Ni faire de prisonniers.

    Trois barbudos. Didier drumme dur. Devant s’agitent les deux pointes de la fourche guitarique (emblème des antiques révoltes) à deux dents. Incapables de rester en place. Ne jamais être où l’ennemi vous a repéré. Sont deux, mais utilisent trois micros. Surtout Dums, l’est à la basse, au vocal et plus important à la gouaille, l’a la répartie incisive, se saisit de toutes les interjections venues du public, en transforme certaines en sketchs désopilants, n’empêche que quand il lance un titre l’on comprend qu’il n’est pas là pour rigoler, ou faire mumuse, sa voix gronde et transperce, pas de cadeau, il assène, faut qu’en face ça morfle en pleine trogne, une fois à droite, une fois à gauche, une fois au centre ( ces indications géographiques n’indiquent aucun opportunisme    politique ), l’est solide campé sur ses jambes, de sa basse s’échappent des ondulations frénétiques noires, de la même couleur que les étamines de la révolte.

    Jean-Mi à la guitare semblerait plus discret. Un sacré boulot à effectuer. Ce n’est pas qu’il soit seul contre les deux autres c’est qu’il veille à leur jonction. L’est sur la crête du partage des eaux, Didier pousse et retient, ouvre les écluses et les referme, l’eau noire de la basse s’engouffre dans le réseau labyrinthique dans lequel il la canalise, lui barre le passage pour la mieux laisser filer par la suite. Didier veille au grain, quelque part il essaie de mettre de l’ordre au flot ininterrompu, Jean-Mi organise les débordements, l’est davantage sur le contre-riff que sur le riff, entendez par cette formule qu’il a toujours une longueur d’avance sur ses complices, ce qui donne à son jeu une étonnante liberté, magnifique travail effectué par ce trio, la formation reine du rock ‘n’roll, un régal de les entendre, et un plus grand baltringue encore à les voir, aucun effort, jouent comme ils respirent, pas de difficulté mais ne se permettent aucune facilité, l’est clair qu’ils ne sortent pas de l’œuf, mais il y a longtemps qu’ils ont tué et mangé la poule.

    N’ont pas mis longtemps pour se mettre le public dans la poche. De tous les groupes chroniqués, c’est celui qui a paru le moins prisonnier de sa propre musique. En accord avec leur propre idéologie.

    LE CARNAGE

    PLEASURE TO KILL

    ( 2010 / Octobe 2010 ) 

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    Couve sans ambiguïté, ciel de flamme, maisons et église en feu, véhicule, sans doute une ambulance, auréolé de vastes taches de sang… de toutes les espèces animales l’Homme est la pire…

    Berny : guitare / Bastos : batterie / Dums : basse + voix / Jean-Mi : guitare.

    Diviser : bien sûr ils font de la musique, mais elle est juste le support des paroles, un background d’accompagnement, elle ne cherche pas à attirer l’attention, hachis battérial et guitares fonceuses, ce qui compte c’est le message, politique, ne pas se diviser, beurs, blacks, blancs, tous unis, les politiciens cherchent à rompre cette union, ne vous trompez pas d’ennemi. Cancer : background un peu moins binaire, beaux roulements de batterie, vocal davantage exacerbé, c’est qu’ici plus d’appel à l’union sacré, désignation de l’ennemi : les religions, elles promettent de te rendre libre mais t’enferment dans des lacis d’interdiction, il est temps que survienne le grand clash, les dogmes engendrent la division et la mort, final déchiré, combat terminal contre les métastases prolifiques qui se répandent dans les cerveaux humains. Carnage : une seule solution, la destruction, la violence du système t’oblige à contre-attaquer, la musique claque comme des coups de fusil, vocal enragé, guitare d’assaut. L’on ne peut s’empêcher de penser à Trust. Katho-Vice : attaque délibérée contre l’église catholique et ses violences pédophiliques, accompagnement au couperet, condamnation sans équivoque. PTK ne fait pas dans la dentelle, hurle sa haine et vomit son dégoût. A bout portant. CIA : regarder le monstre au fond des yeux, le nommer, dénoncer ses agissements, le défier, ne pas avoir peur, reconnaître sa puissance, vocal sulfateuse, musique bulldozer, ne plus se taire quitte à y laisser sa peau. Les chants les plus beaux sont les plus désespérés. Désert de sang : cymbales en suspension, constat froid et lucide des crimes cachés, exaspération devant ces fleuves de sang versés par les services chargés du nettoyage des opposants de toutes sortes. Vocal char d’assaut ironique et musique lance-flamme. Les pires : l’autre côté du miroir, les véritables coupables sont aussi ceux qui se laissent pervertir par le système médiatique. Vendent leur dignité pour passer à la télé, les pires sont ceux qui regardent et qui ont rayé le mot révolte de leur cerveau. Profond dégoût de la commune humanité. Envie de tout détruire.

             Une certaine poésie hypnotique dans cette flambée de haine et de fureur. Aucun repos, aucun bémol, aucune excuse, un réquisitoire sanglant et sans pitié. Mal pour mal. Certains pourraient trouver ce parti-pris un peu brutal. C’est qu’ils n’aiment pas qu’on leur ouvre les yeux sur ce qu’ils savent déjà. Courageux.

             Trop dur ? Non, simplement hard.

     

    THE WARM LAIR 

             Difficile d’écrire cette chronique, en fait très facile, trois mots suffisent à le résumer ROCK ‘N’ ROLL, que rajouter de plus, Chrisled – voir son groupe privé Metalleux by Chrisled – n’a guère été plus éloquent que moi lorsque le set terminé il a jugé  le concert en une phrase définitive ‘’ Un bon groupe de rock ‘n’roll comme je les aime !’’ et Chrisled, appareil photo à bout de bras, des groupes de metal et de rock il en a vu des tonnes. Avis de connaisseur.

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    ( Photo : Dwidou photography )

             Rien que le début vous obligeait à dresser l’oreille. Sont quatre immobiles. Ne cillent pas d’un œil. Ne touchez pas c’est brûlant, vous êtes avertis. Tant pis pour vous. A la technique on lance leur sampler, facilement identifiable, l’intro The four young wolfes de leur dernier album, Ride on our side, imaginez un mix d’Apache des Shadows, d’un générique western d’Ennio Morricone et de Ghosts riders in the sky (version Johnny Cash pour le vocal), une sonorité very sixties un peu surprenante dans un metal fest, toutefois personne ne rechigne, après tout il existe bien du folk metal alors pourquoi pas du country metal.

             Mais au premier accord de guitare l’on comprend que l’on a déjà quitté les vertes prairies et que l’on a déserté les feux de bois pour le chauffage électrique. En quelques notes l’on a fait un grand pas en avant, du country l’on est passé sans rémission au rock, pas le rockabilly trop rock ‘n’roots, lignée MC 5 ( qu’ils ne revendiquent pas ) et seventies, eux-mêmes se qualifient de groupe de hard rock, c’est vrai leur son est dur, mais ils jouent davantage sur la ligne de course que sur le volume.

             Quatre pistoleros, Thomas mène la horde sauvage, crinière brune de lion et chemise voyante, mauve étincelant à motif rouge sang, galope en tête sur sa lead, sur sa gauche Jean-Mi à la basse, belle gueule d’enfant sage ou d’intellectuel qui a troqué la théorie pour l’action, d’autant plus dangereux, Philippe est à la rhythm guitar, silhouette maigre, teint pâle, cheveux longs plaqués le long de son visage un ange déchu pour qui son séjour terrestre est un enfer, confiez lui votre colt mais pas votre cheval, enfin le dernier sur la liste des têtes mises à prix, Guillaume en embuscade derrière ses caisses à munitions.

             Mènent leur chevauchée à bride abattue, sans relâche, partout où ils passent l’herbe rougeoie, serait-ce le reflet du soleil couchant, des ondées d’hémoglobine, ou des flammes de haine. On ne le saura jamais. Ils vont trop vite. Pas le temps de s’attarder sur les détails inutiles, ils passent sans se soucier de vous, suivent la piste maudite du rock qui ne mène nulle part si ce n'est dans vos mythologies personnelles. Je vous chroniquerai leurs disques prochainement, maintenant je vous en prie ne me dérangez pas, leur musique chante dans ma tête et cela me suffit j’ai besoin de rêver des rêves que vous ne comprendriez pas.

             Merci.

             Pas à vous. A eux.

     

    HEVIUS

             Du lourd, plus que lourd, si l’on s’amuse avec la désinence romano-sénatoriale, oui Heavius est heavy mais tendance mélodique, ce qui change la donne. En tout cas la foule s’est amassée avant même qu’ils ne paraissent sur scène. Indéniable, ils ont une cohorte d’amateurs qui les suit. Ligne d’attaque saillante, batterie, basse, clavier, c’est tout Hevius cette disposition, le fleuve de la section rythmique qui se jette dans l’embouchure organique, sur la gauche deux bretteurs, à qui il ne faut pas la raconter, aux guitares, dont Julien au chant.

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    ( Photo : Sandrine Noicy )

             Ainsi disposés ils occupent tout l’espace scénique, ce qui suscite chez le spectateur l’idée d’une coloration symphonique de ce que l’on va entendre. Ce qui n’est pas le cas, ne sont pas prog, plutôt des adeptes des grandes chevauchées lyriques et métalliques. Les guitares ont des cordes d’airain, la batterie davantage brick pirate que heart-breaker, vous entraîne dans des aventures sans fin sur les mers lointaines peuplées de récifs acérés.

             L’on est vite partis, l’on se laisse allègrement flotter au gré des nombreuses péripéties, facile le chant est en français et l’on comprend sans trop d’efforts les paroles, tout va bien l’on file quinze nœuds, les voiles gonflées à bloc, le vent cingle les visages et tout le monde est content. Y a un truc qui me gêne, et je dois être le seul si j’en crois les ovations qui surgissent au final et au début de chaque morceau. C’est le clavier, ce n’est pas qu’il joue mal, loin de là, c’est la manière dont il se pose, qu’il prélude ou qu’il codaïse le morceau, il est à part, trop loin du registre de ses camarades, c’est fait exprès oui, rupture sonique oui, changement d’atmosphère oui, mais il n’impulse pas,  il n’atomise pas, en vieux fan de Led Zeppelin, quelque chose me trouble, cette sensation qu’il est ici un instrument un tantinet surajouté dont l’absence ou la présence dans le morceau  n’est pas absolument vitale alors qu’il se devrait d’être totalement impliqué dans la structure même de son déploiement. Pour prendre un exemple plus classique, écoutons les dissonances instrumentales de Rimsky-Korsakov dans Shéhérazade, comment la force ou le silence du timbre d’une note est là pour impacter la projection de la sonorité suivante. Je cherche la petite bête peut-être mais l’inventivité opérative du bassiste me donne à penser que Hevius a de la ressource et sans doute n’ont-ils pas besoin de mes impressions. Lorsqu’ils terminent, vu les impératifs horaires, l’assistance les laisse partir à regret.

            

    BLACKBIRDS

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    ( Photo : Dwidou photography )

             Ressemblent à des étudiants. Deux garçons, Cyril Vidal à la guitare, Sébastien Arris à la basse, encadrent Méline, cheveux blonds à mèches rouges, sourire aux lèvres, elle n’est pas grande mais assez pour cacher Sylvain Vidal derrière ses pots de peaux tendues. Z’ont un son un peu spécial, pas franchement ceci, pas nettement cela, jouent comme ils ressentent et non comme ils devraient. Un bon point, les individus qui s’affranchissent des règles instituées et des habitudes admises par le commun des groupes sociaux attirent ma sympathie. Toutefois pour notre tranquillité d’esprit il est nécessaire de trouver les mots qui peuvent les définir. Problématique tout de même, j’ai beau trastéger dans ma tête je ne trouve rien. Aucun indice. Où est la faille, non de Zeus, question catégories je ne suis pas Aristote, enfin Damie, magne-toi, dans quelle horloge se cache le lézard. J’ai fini par le découvrir. Le problème dans ce groupe se cache derrière la guitare de la chanteuse, elle s’en débarrassera de temps en temps et puis pour longtemps. Non ce n’est pas la guitare, c’est la chanteuse. Elle ne chante pas comme les autres. Elle se sert uniquement de sa voix. Joue avec ses tessitures. L’est comme un peintre qui choisit sur sa palette la couleur qu’il va employer. Mais elle change souvent, en trente secondes elle adopte facilement cinq ou six tons différents. L’harmonie de son chant est constituée d’une myriade de disharmonies, elle passe sans préavis du plus pur au plus voilé, du haut au bas, du tendre au dur, de l’espiègle au dramatique j’ai dit un peintre mais aussi un sculpteur qui pétrit la glaise, ses doigts appuient ici ou là sur la boule de terre, apparemment au hasard, mais bientôt ne tarde pas à apparaître une forme. En toute logique l’on ne regarde plus qu’elle, ce n’est pas qu’elle chante, c’est qu’elle crée, une artiste en plein travail, elle ne répète pas un numéro appris par cœur, elle enfante quelque chose de neuf. Elle pose les mots un à un, elle les conçoit, à chacun elle inflige un son, une fluidité qui n’appartient qu’à lui, elle leur donne une nouvelle splendeur, ou une dernière laideur car elle ne cherche pas à séduire ou à nous enjôler, elle chante comme elle pense et elle pense comme elle est, un chant très particulier dont la nécessité existentielle constitue la profonde nature de son authenticité.  Elle écrit sa participation phonique dans le temps même qu’elle la puise au tréfonds de sa sensibilité, pas de rature possible, pas de réécriture finale, elle est comme l’écrivain qui ignore la suite de sa phrase mais qui ne doute pas de son advenue efficiente. Pas de prouesse vocale, mais quelque chose de bien plus précieux, de l’inouï, un art qui n’appartient qu’à elle, comment l’a-t-elle trouvé, je n’en sais rien, elle a dû le façonner au travers de multiples impressions et expériences qui lui sont propres, si je devais citer un nom, non pas parce qu’elle y ressemble, le résultat est totalement autre,  je dirais David Bowie en le sens où l’on comprend que rien dans l’extériorisation du chant n’est laissé au hasard, le merle sur sa branche siffle sans se poser de question tout en sachant que son chant est une nécessité constitutive du miroir sonore et indispensable dans lequel lui-même s’identifie au monde et trouve ainsi en lui-même sa seule nécessité. Ainsi Méline.

             Une découverte. Non pas parce que je ne la connaissais pas, mais parce qu’elle existe en dehors de moi. En dehors de tout.

    NEW BIRDS

    BLACKBIRDS

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             Oiseaux noirs, vous sautent aux yeux au premier coup d’œil, ne seraient-ce pas d’ailleurs les feuilles malmenées par un vent soutenu, non il s’agit d’oiseaux et quant à l’arbre, si c’en est un, c’est celui qui pousse dans votre tête lorsque les corbeaux de Gauguin s’en viennent se poser dans la terre fertile de vos cauchemars, ce que vous imaginez être un tronc c’est le buste du petit chaperon noir qui plaque ses mains sur ses yeux pour ne plus être agressé par la noirceur de notre monde. Enlevez le CD, vous découvrez l’arbre dénudé, sa ramure désolée tend ses branches squelettiques vers le ciel vide. Âme vacante dans un univers de solitude dépouillé de grâce.

    Méline Martin : vocals / Sébastien Clive : guitares / Cyril Vidal : guitars / Sébastien Arrais Mendoça : basse, artwork  / Maxime Mangeant : drums

    New birds in town : les instrus se posent un à un tel un essaim d’oiseaux dans les sillons d’un champ fraîchement labouré, la voix de Méline nous parvient comme filtrée de loin par un transistor, la voici sortie de sa cage, elle y reviendra, mais elle ne tardera pas à voleter plus haut que le background instrumental, enfin elle prendra son envol sur un long solo de guitare et gagne définitivement les hauteurs. Starting over : reprenons nos esprits, le disque est de 2018, marque une étape dans la vie du groupe qui s’est formé en 2013, le son produit ne correspond pas à ce que nous avons entendu au concert, une belle prod, tout est en place, guitares scintillantes, rythmique au point mais pas imaginative, et Méline dont on peut dire qu’elle mène le bal avec une déconcertante facilité. Too bad : un peu moins hard rock mélodique que les deux précédents, groove plus puissant, Maxime se lâche sur ses caisses, Méline est aux anges, nous donne des aperçus de ce qu’elle sait faire, sa voix fait du tobogan, ralentit et accélère sans arrêt, ne se lâche pas totalement comme au fertois, le style du disque n’est pas propice aux échappées solitaires, c’est avant tout un travail d’équipe, mais l’on reconnaît en ce morceau les germes de ce qu’elle deviendra. Everywhere : le slow qui tue, guitares tubulures, batterie en berceuse, Méline nous raconte une belle histoire, l’on gobe tout, même les scènes à grand spectacle, l’on n’a pas peur ; l’on est sûr qu’elle reprendra sa voix la plus tendre et malgré la montée des petits périls en gradation incessante l’on ne s’inquiète guère l’on ferme les yeux et on lui fait confiance. Avec raison. All is not lost : guitares en tire-bouchons, batteries brouteuses, filigranes orientalisantes, Méline  nous conte les mille et une nuits, elle ne chante plus, elle joue, elle interprète, elle narre, elle vibre, elle prend parti,  elle précipite, elle crie, la dague d’un solo de guitare nous transperce, nous l’imaginons atterrée devant le cadavre de son amant, histoire sanglante, gardez espoir, rien n’est jamais perdu, Méline s’énerve, la vengeance est un plat qui se mange froid, alors elle se délecte et nous frissonnons lorsqu’elle expose le piège diabolique qu’elle a fomenté pour perdre son ennemi. No lies : nous avons besoin de calme, guitares douces, rythmiques lentes, Méline s’attarde sur les mots qu’elle prend plaisir à étirer paresseusement, mais tout s’accélère, l’on se croyait parti en roue libre et nous voici confronté à une raide montée, prend sa voix la plus douce pour nous réconforter, mais l’ascension reprend de plus belle, la basse vous dessine des lacets en épingle à cheveux à vous crever les yeux, vous les fermez car elle a repris sa voix apaisante, paysages de rêve se dessinent dans votre tête, vous ne vous faites aucune illusion, d’ailleurs la côte devient de plus en plus escarpée, vous ne devriez plus être loin du sommet, un vrombissement de basse terminal vous avertit qu’elle débouche sur un gouffre. Adieu.  Facing a new deal : douces clinquances, tout est trop beau,  de sa voix de miel Méline beurre vos tartines, vous ne croyez pas un mot de ce qu’elle dit, mais elle le dit si bien que vous l’écoutez avec ravissement, mauvaise nouvelle à la radio, elle s’énerve tant pis, lorsqu’elle mêle espoir et désespoir dans sa voix, vous êtes aux anges et aux diables. Même que vous ne savez plus faire la différence, alors elle s’énerve grave, et c’est toujours aussi beau. Colour of delight : flonflons joyeux, le soleil brille, Méline exulte, derrière les boys lui déroulent le tapis rose, laissent des plis, ce n’est pas grave, Merline a la voix qui danse, elle ne touche plus terre. Does it matter : un peu de mélancolie n’a jamais tué personne et ceux qui en sont morts ne l’ont pas regretté, un couplet lent empli de sagesse, mais faut vite ouvrir la fenêtre car les sentiments s’exaltent et prennent une telle place qu’il est bon de les laisser partir, pas de quoi en faire un drame, la vie est ainsi. Never enough : entrée fracassante pas d’espace pour y placer sa voix, logiquement les boys se calment et la seule la batterie marque le rythme, Méline, on la sent nerveuse, s’y colle dessus, elle ne lâchera plus le morceaux, les guys reviennent à la charge, elle s’accroche, fait silence de temps en temps pour ne pas trop blesser leur virilité mais elle revient et reprend la situation en main, ces messieurs se fâchent et construisent un pont aussi long que le Guadalquivir, peine perdue, elle se pavane dessus comme une reine, alors ils abdiquent et lui tressent une fanfare d’accueil. Our last goodbye : Méline chuchote, avec un tel titre l’on prévoyait le bureau des pleurs, l’on ne s’était pas trompé alors on sort les accompagnements symphoniques dignes des cris déchirants de la Traviata, avec moments de recueillements et de soupirs obligatoires, ah cette guitare en reposoir, mais l’on ressort les grandes orgues pour la scène du deuxième acte, Méline nous la joue en diva échevelée, l’on en pleurerait, mais déjà c’est la scène du trois, la définitive, celle qui vous pousserait presque au suicide. Heureusement c’est la fin. Ouf, on l’a échappé belle ! The ride is over : nous restons dans le registre de la tristesse pour le dernier morceau, mais ici pas de crise, pas d’éclats, un glacis de guitares et la voix pure de Méline qui nous apprend que toute chose à une fin, que le disque va se terminer et que nous ne l’entendrons plus. La musique s’éteint. Qu’avons-nous fait pour mériter une telle punition !

     

    DAGARA

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    ( Photo: Mada Lena )

             Trio classique, batterie, basse, guitare, pas un de plus, pas un de moins. Ceci est un mensonge, c’est pourtant la vérité vraie comme disent les enfants, sont comme les mousquetaires, sont quatre, z’ont un chanteur, tout seul, sans instrument, oui mais il compte pour du beurre, on ne voit que lui, les autres on les écoute, et ils débitent le gâteau du rock ‘n’ roll en grosses tranches moelleuse, on y mord à pleines dents, on se pourlèche les babines, on ne prend même pas le temps d’en demander, on garde la bouche ouverte pour engouffrer, sont méchamment au point, mais ce n’est rien, même s’ils sont tout. Vous ne comprenez pas, c’est pourtant simple. Les chutes de Dagara, c’est comme celles du Niagara, vous ne comptez pas les gouttes, vous ne voyez que l’ensemble, et cette fin d’après-midi de dimanche, ce n’est pas un groupe que vous admirez mais un ensemble.

             Hallucinant. Comment la présence d’un chanteur peut transcender le show. Ce n’est pas qu’il vole la vedette aux trois spadassins, ce n’est pas qu’il se démarque d’eux, c’est le contraire, leur colle à la musique comme un ectoplasme fantomatique s’accroche à la peau des visiteurs des cimetières, à la différence près que vous ne vous enfuyez pas, vous ne bougez pas, vous restez médusé, vous jouissez, vous orgasmez.

             Jimmy vous donne du fil à retordre. Micro en main, il est partout à la fois, bouge à la manière d’un électron libre dans un synchrotron, à peine ici, il est déjà ailleurs, vous assistez en direct à une célèbre expérience de physique, prenez deux boites, enfermez une particule dans celle de gauche, vérifiez, elle est aussi et en même temps dans la boîte de droite, idem pour Jimmy il est au chant et il est à la musique. Rien de mystérieux dans cette incongruité.

             Une marionnette qui s’agite sans cesse, parcourt l’estrade comme le funambule court sur son fil, donne l’impression de n’en faire qu’à sa tête, éructe son chant, le monde tout autour de lui n’existe plus, l’est dans son délirium tremens, la terre peut s’écrouler, la fin du monde survenir, Jimmy chante, oui mais voici un coup de baguette droite sur la caisse claire qui ponctue une  courte séquence,  tout le corps de Jim vacille, n’est plus qu’une tour de Pise prête à s’affaler, et comme la guitare lance un riff, il repart aussi sec. La première fois vous vous dites c’est superbe, l’est bien servi par le hasard. Mais ce genre de mimétisme se répète trop souvent pour que vous n’entriez pas en contemplation d’une telle osmose. Au cirque le cheval qui danse ne suit pas la musique ce sont les musiciens qui suivent le canasson, mais dans cette tourmente métallique personne ne suit personne, sont ensemble, connaissent les morceaux et se connaissent entre eux par cœur. Dagara sont au point. Au point où les différences s’estompent et s’annulent. Ne calculent plus, sont devenus une entité, sont en même temps les proies et les prédateurs d’un instinct collectif du vivre ensemble – ainsi parlent nos politiques adorés – donnent tout ce qu’ils peuvent, sont généreux, réalisent ce miracle de ne jamais couper le contact avec le public qui les acclame.

             Un seul regret, la nuit est tombée, leur prestation sous les projos n’en n’est que plus séduisante, mais la foule s’est amenuisée. C’est ainsi la vie, on sait ce que l’on gagne mais l’on ignore ce que l’on perd. Ce soir la perte possède un nom : Dagara.

     

    DEADMAN’S TRIGGER

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    ( Photo : Dwidou photography )

    Nuit noire. Des ombres montent sur scène, si discrètement que l’on se croirait dans un polar. Y a-t-il quelqu’un derrière la batterie. Le mystère reste entier. Maintenant deux incertaines silhouettes se font face vers le milieu. Pas un mot, pas un geste, ne serait-on pas plutôt en un roman d’espionnage… Brrr ! ont résolu de nous faire peur et d’instiller une sainte frousse dans la cinquantaine de survivants qui attendent. Ne bougent toujours pas mais enfin un sampler démarre. Une musique lourde et sombre, peu engageante, froide et dure. S’animent enfin. L’est sûr que le siège de batterie est occupé, mais le batteur reste relégué dans le noir, à peine si de temps en temps émergent les fragments d’une face froide.

    On les voit mieux. Deux frères ennemis, l’un doit avoir une basse et l’autre une guitare, les morceaux ressemblent à ceux du sampler, aussi réjouissants qu’un cadavre qui s’ennuie dans un tiroir de la morgue. Dans la série on casse l’ambiance, on refroidit l’assistance, ils réussissent bien leur coup. Rentrerons-nous à la maison la tête pleine de cauchemars. Sursauterons-nous à la moindre marche de l’escalier qui craquera ?

    En fait non, ne sont pas si méchants que cela, si l’on quitte la barrière protectrice où l’on s’est accoudé, si l’on recule de trois mètres, la perspective change, oui ce sont bien des êtres humains, pas des morts-vivants, ce n’est pas la grande clarté mais ils ont même une figure sympathique, comme par hasard le rythme des morceaux se réchauffe, ont un cœur, ont pitié de notre maigre troupeau immobile, alors ils se transforment en animateurs trépidants, en organisateurs consciencieux, mouillent leur chemise, descendent dans l’escouade des derniers fidèles, et le miracle se produit, si durant l’après-midi le public est resté aussi sage que des gaulois tectosages,  et ne s’est livré à aucun déchaînement, ils parviennent à mettre en branle le seul tourbillon de la journée, certes ce n’est pas le maelström de la folie pure, mais ils ont assuré comme des bêtes. Méfions-nous, quand ils appuient sur la gâchette, ils se retirent avec les honneurs de la guerre. Qu’ils en soient remerciés.

    RETOUR

    La teuf-teuf II taille la route, l’est contente moi aussi. Me promets de revenir l’an prochain du début à la fin, j’ai lâchement abandonné sur son échafaud le dernier groupe Marie-Antoibette, que voulez-vous je ne suis pas le Chevalier de Maison-Rouge. Entre deux groupes leur guitariste a donné une master class de guitare et Merline une de chant. Le Fertois Metal Fest nous réserve bien des surprises.

    Damie Chad.

    N. B. : les photos signées Dwidou Photography sont aussi visibles ( en compagnie de beaucoup d'autres et d'un rapide report de chaque set ) sur la page  YT : Rock Metal Mag, à visiter sans faute. 

  • CHRONIQUES DE POURPRE 477 : KR'TNT ! 477 : TAMI LYNN / RICHARD HELL / E-RUINS / PORNO GRAPHIC MESSIAH / DROP DEAD / SLEAZY TOWN / FRANTIC MACHINE / POGO CAR CRASH CONTROL / HUBERT SELBY JUNIOR

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 477

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    24 / 09 / 20

     

    TAMI LYNN / RICHARD HELL

    E-RUINS / PORNO GRAPHIC MESSIAH

    DROP DEAD / SLEAZY TOWN

    FRANTIC MACHINE / POGO CAR CRASH CONTROL

    HUBERT SELBY JUNIOR

    HUBERT SELBY JUNIOR

    Tami dans le mille

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    Tami quoi ? Hein ? Qui t’as dit ? Tamiline ? C’est quoi c’machin ?

    Ça a l’air drôle dit comme ça, mais cette conversion a vraiment eu lieu. Ce qui n’a rien d’étrange au fond, car qui connaît Tami Lynn ? Elle vient de casser sa petite pipe en bois dans la plus parfaite indifférence, après avoir vécu une vie de Soul Sister qui n’intéressait pas grand monde au fond, sauf les amateurs de blackettes en peu wild, celles qui savaient transformer, par leur seule présence, une pochette d’album en chef-d’œuvre de Soul érotique. Marsha Hunt, Tami Lynn et Betty Davis ne portent rien sous leurs robes, il suffit de voir les pochettes. Black sex power. Aretha aimait la bite et faisait des gosses à 13 ans. Non seulement toutes ces Soul Sisters aimaient le cul mais elles chantaient comme des reines.

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    Il n’existe pas de littérature sur Tami Lynn. Il faut se débrouiller avec les petits os que donne comme d’habitude à ronger wikipédia et que rabâchent d’autres gens sur d’autres sites, un ragoût à base de New Orleans, d’AFO et d’afro, de Jerry Wexler et de Bert Berns, d’Exile On Main Street et de Northern Soul. Il suffit d’aller taper Tami dans le mille. Tout y est.

    Mais tous les fans de Doctor John avaient repéré le nom de Tami sur les pochettes, comme on avait repéré ceux de Merry Clayton, de Madeline Bell ou de Doris Troy, quand ils étaient cités. Par chance, tout le monde n’appliquait pas la politique de Berry Gordy qui ne voulait aucun nom sur les pochettes de Motown. On ne savait même pas comment s’appelaient les Four Tops et encore moins les noms des musiciens qui les accompagnaient.

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    Il n’existe qu’un seul album de Tami Lynn, Love Is Here And Now You’re Gone, paru en 1971, sous une pochette superbe. Tami a exactement le même power graphique que Jimi Hendrix. C’est pas seulement dû à la coiffure, c’est ce qu’elle dégage, une sorte d’animalité. Comme le disait si justement Baudelaire, le beau est toujours bizarre. Par contre, l’album floppe un peu. Déniché à Londres durant les mid-seventies, il occasionna ce qu’il faut bien appeler une amère déception. On espérait une version black de Sharon Tandy mais il s’agissait d’une sorte de comédie musicale. Il fallait attendre «Monologue - The Next Time» pour recevoir une belle giclée de r’n’b dans l’œil. Ça chauffait un peu plus en B. Il ne faut jamais perdre de vue le fait que Tami fait partie des artistes découvertes par Bert Berns, auquel on a déjà consacré deux éloges bien dodus sur KRTNT. Tami chante une compo de Bert, l’excellent «I’m Gonna Run Away From You». C’est du bon Bert au grand pied, très poppy et bien produit. Même imparable. On a là un hit de juke bien équilibré, bien fouillé aux percus, cuivré, violonné et monté sur un drive de basse pépère - I’m gonna run away from you ouh-ouh - Autre merveille : un «Never No More» pulsé par un bassman brouteur de notes rebondies. Tami opte pour la discrétion et avec l’élégance d’une Soul Sister valeureuse et modeste à la fois.

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    Et comme sa consœur new-orléanette Betty Harris, Tami refait surface en 1992 après un long silence. L’album s’appelle Tamiya Lynn, un bel album de groove. Dès «Hip New Moon», on entre dans la vraie artisterie. Derrière elle, un mec joue de la guitare espagnole et Tami chante à la pointe du laid-back. Le mec s’appelle John Goodsall. Ça joue dans le cœur du groove, un groove extraordinaire de latence et la voix flotte à la surface. Elle revient au groove vers la fin de l’album avec «Jazz A Rainy Day And You». Son groove est chaud comme le Gulf Stream, elle chante à la glotte fêlée d’Africaine éprise d’infini, ouh-hoh I’m fifteen years, comme Nina Simone, elle jazze le groove du jour le plus long. Avec «Silk», elle passe à la pop et vend son cul. Elle chante comme si elle se plaignait, mais elle se montre fabuleusement tenace - He calls me silk - On la voit aussi chanter «Somewhere Backof The Moon» à la glotte d’ébonite, elle dispose d’une marge terrible, elle peut gérer son monde du haut de la montagne, elle chante à l’écho éteint et bien sûr, on songe à Nina Simone, une fois encore. De la même façon que Scott Walker, elle demande à respirer dans la scansion. C’est presque un album ambitieux, peut-être même trop évolué. Avec «To Be Your Lady» elle devient bandante. Restons méfiants. Elle tombe dans des trucs assez épiques. Avec ce genre de gonzesse, il faut rester sur ses gardes. Et voilà qu’elle se vautre avec «After All». Pourquoi ? Parce qu’elle chante comme une blanche. Et c’est pas terrible. Tami, reviens à tes racines ! Rien de pire qu’une black qui veut se faire passer pour une blanche. Elle termine avec un «Love Is» fantastiquement barré. Elle en perd le contrôle.

    Signé : Cazengler, Taminable

    Tami Lynn. Disparue le 26 juin 2020

    Tami Lynn. Love Is Here And Now You’re Gone. Mojo 1971

    Tamiya Lynn. Liberty 1982

     

    Hell je ne veux qu’Hell

    - Part One

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    Sans vouloir jouer les Raymond la Science, le petit conseil qu’on pourrait donner aux férus de punk new-yorkais et même de punk tout court serait de se jeter sur l’autobio de Richard Hell, I Dreamed I Was A Very Clean Tramp. L’ouvrage date de 2013 et il vaut tout le jus qu’on n’imagine même pas. Pour plusieurs raisons objectives. Un, Richard Hell compte parmi les grands auteurs américains contemporains. C’est d’ailleurs son fonds de commerce, loin devant la musique qui ne fut dans sa vie qu’un épisode. Clean Tramp détaille cet épisode qui couvre en gros les années soixante-dix et la genèse du mouvement punk. Deux, Richard Hell traite d’un sujet qui n’est accessible qu’aux esprits on va dire lettrés : la vision. Sans vision, pas de punk, c’est aussi bête que ça. On pourrait dire la même chose d’Iggy Pop : sans vision, pas de Stooges. Ou encore de Sam Phillips : sans vision, pas d’Elvis ni de Jerry Lee. Quelques personnages clés ont fait l’histoire du rock. À ceux déjà mentionnés, on peut ajouter les noms d’Andrew Loog Oldham, de Phil Spector, de Tommy Hall, de Shel Talmy ou encore de Mickie Most. Richard Hell entre de plein droit dans cette catégorie. Trois, Richard Hell fait les bons choix : en matière de cinéma ou d’esthétique, mais il sait aussi s’entourer : Tom Verlaine, Lester Bangs, Peter Laughner, Nick Kent, Dee Dee Ramone, Johnny Thunders, Terry Ork et surtout Robert Quine. Tout ceci est prétexte à ce qu’on appelait autrefois une magistrale galerie de portraits. Seul un authentique écrivain doté d’une vision peut brosser une telle galerie de portraits. L’ouvrage pèse par sa cohérence et renvoie à ceux des grands mémorialistes du début du XXe siècle, Léautaud et Guillaume Apollinaire en tête. Certaines pages du Clean Tramp valent, par leurs qualités évocatrices, l’excellence du style et l’acuité du regard, celles du Journal Littéraire de Paul Léautaud.

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    Au fil des pages de Clean Tramp, on découvre un homme sombre et pauvre, passionné de poésie. C’est encore l’époque des machines à écrire et de ce qu’on appelait autrefois les ‘manuscrits’, ces pages de textes qu’il fallait besogner au tac-a-tac-a-tac. En ce temps-là, écrire n’était pas une sinécure, mais plutôt un travail de fourmi, avec toute la dimension obsessionnelle que cela implique. Hell tape son premier roman, The Voidoid, sous l’influence des Chants de Maldoror, en écoutant en boucle le Live At The Apollo de James Brown et le premier album des Who, My Generation - J’en tapai une version propre, en utilisant un ruban neuf, un papier chiffon de luxe, et en optant pour un interlignage simple et des grandes marges de sorte que chaque page prenait l’apparence d’un rectangle de glyphes entouré de larges blancs, pour ressembler à l’édition New Directions des Chants de Maldoror - Et pourquoi Maldoror, allez-vous demander. Parce qu’Hell trouve l’ouvrage «tellement extrême, aussi drôle que choquant». Et il ajoute : «Plus que tout autre ouvrage, Maldoror m’a inspiré en me montrant les possibilités de l’écriture et la façon dont on contourne les conventions pour exprimer directement une vision brute.»

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    Comme tout écrivain qui se respecte, Hell nourrit deux passions consanguines : le sexe et les drogues. La musique ne viendra qu’en corollaire. Une façon comme une autre de dire qu’en s’intéressant au punk Hell, on en revient fatalement à l’écrivain Hell. «Love Comes In Spurts» n’est fait que de ça : de sex and drugs d’écrivain. Lorsqu’il évoque son enfance, Hell raconte qu’il a glissé son doigt dans un premier vagin «à l’âge 13 ou 14 ans», et il ajoute à la page suivante qu’il se sent assez américain pour préférer le «sex dirty». Il est comme Steve Jones, il déteste le sexe romantique dans des draps propres. Quand beaucoup plus tard il découvrira l’héro puis la coke, il fera des apologies extraordinaires de ces deux aphrodisiaques - La coke secoue le système nerveux comme un orgasme qui peut durer dix à vingt minutes. L’héro s’apparente aussi au sexe, mais ça se rapproche plus de la pâmoison post-coïtale - Et il enfonce son pieu - et non son clou - en déclarant : «Sous coke, mon cerveau et ma queue ne font qu’un.» Alors il téléphone à des gonzesses pour leur demander de venir passer un moment avec lui. Il aime par dessus tout observer dans le détail ce qu’il appelle leur naked between-legs, c’est-à-dire leur vagin. Elles sont toujours d’accord, pour deux raisons, ajoute-t-il : mon pouvoir de persuasion et ma coke. Après la séance de sniffe, elle s’allonge sur le matelas, écarte les jambes et Hell s’installe au plus près avec un calepin et un crayon pour dessiner ce qu’il voit. Mais il lui arrive aussi de vouloir rester seul. Alors il se fout à poil devant le haut miroir de sa piaule et se dessine de la main droite pendant qu’il se branle de la main gauche - It seemed self-evidently the erotic pinnacle - Eh oui, dit-il, de toute évidence, «qui sait mieux que soi-même qu’on n’aime rien tant que soi.» Hell enfile les conquêtes comme des perles et nous brosse chaque fois un portrait à larges touches, comme s’il peignait au couteau, à la manière de Vlamink. Roberta Bailey, Sabel Starr et Lizzy Descloux font partie du tableau de chasse. Sous une photo de Lizzy aux seins nus, on peut lire : «Lizzy was the inspiration». Elle inspire Hell pour son premier roman Go Now et la chanson «(I Could Live With You) In Another World».

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    Il démarre assez tôt avec les drogues. En terminale, the twelfth grade - I liked drugs though. J’aimais l’effet instantané et le plaisir physique que procuraient les drogues narcotiques ou psychédéliques, et plus tard, les stimulants - Au lycée il prend des champignons, du THC et de l’acide. Il réussit même à faire une overdose de THC - Une fois un concentré poudreux de THC est arrivé sur le marché et il était très fort. Je l’ai sniffé - Quand avec Tom Verlaine et à cause de leur passion commune pour William Burroughs, ils commencent à s’intéresser à l’héro, ils font une première expérience qui les rend malades. Ça va calmer définitivement Verlaine, mais pas Hell qui va continuer en compagnie de Terry Ork. Un Ork qui aimait bien recevoir ses amis dans son loft et qui leur proposait des séances de shoot mutuel. Hell appelle ça paradise on earth. Il assume parfaitement son junk - I was doing junk pretty often by then, but I still fell deluxe - Il se sent parfaitement adulte, puisqu’il se pique et qu’il ne dépend de personne, il assume son destin - Running my own destiny, out from under - Et il ajoute ceci qui claque : «It was more independant than any other choice I’d ever made.» (C’était le choix le plus indépendant qu’il ait jamais fait). Pour Hell, l’héro reste liée au sexe, c’est une simple dimension de la vie de bohème - The heroin was a reward for our status as outsider artists. C’était innocent et paisible. À cette époque - Pour Hell ce qui compte, c’est l’accès total au corps d’une femme, just as complete and uncomplicated as well. Les drogues qu’on partage avec les gonzesses permettent ça. Au moment où il rejoint les Heartbreakers en 1977, il consomme une à deux doses par jour. Mais il précise qu’il a composé «Blank Generation» avant de passer au junk. La druggy mentality est son état d’esprit naturel.

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    Ayant depuis belle lurette pris de la distance avec ce mode de vie, Hell peut en parler savamment : «Je conserve de très bons souvenirs de ma narcotic life. C’est un mode de vie assez extrême, qui s’apparente à une forme de combat. Ça ne peut être compris que par ceux qui l’ont vécu. Je ne souhaite à personne de vivre l’expérience d’une addiction, mais il y a dans ce mode de vie quelque chose de glorieux, d’une certaine manière, in a sad way.» Et il développe : «L’addiction, c’est la solitude. Ça commence par du plaisir puis en quelques années ça dégénère pour devenir une obsession compulsive, plus psychologique que physique.» Hell explique alors qu’on se coupe de tous et de toutes, y compris de soi-même et qu’on craint par dessus tout d’être à nouveau confronté à l’horreur de la vie réelle - the horror of real life - Il termine en avouant qu’il a eu beaucoup de chance de pouvoir décrocher, with help. «J’ai eu de la chance de pouvoir vivre le temps qu’il fallait pour décrocher.»

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    Et puis voilà les gens. Ado, Hell fait une fugue avec Tom Verlaine et se découvre une passion pour la liberté : «Ces quelques jours de fugue sur la route avec Tom m’ont permis d’éprouver le sentiment que je préfère par dessus tout : sortir de moi pour aller dans un autre monde.» Il précise qu’on peut éprouver ça avec une drogue ou une passion amoureuse, mais pour lui rien ne vaut l’acte de tout quitter : son identité et les responsabilités qui vont avec, son histoire et ses liens de parenté. C’est la façon la plus pure d’éprouver le prodigieux sentiment de liberté. Voilà ce qu’un écrivain peut nous dire. En son temps, Rimbaud fit exactement la même chose. Liberté à tout crin. Inventer le punk-rock ne sera pour Hell qu’un jeu d’enfant.

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    Autre présence de poids dans la genèse d’Hell : New York - Le lendemain du jour de Noël 1966, je quittai la maison définitivement en prenant un bus pour New York - Et là débute la valse des petits boulots de survie. L’écrivain Hell s’en donne à cœur joie. Son copain Tom vient le rejoindre un peu plus tard, en 1971, et ils commencent à bricoler des chansons ensemble. C’est là que démarre leur étrange relation - We even didn’t like each other - Mais au fond, Hell sent bien que ce genre de travers est d’une grande banalité chez les egotistical ambitious young artists. Hell se découvre aussi une passion pour l’esthétique des fringues. Il adore s’habiller comme les early Rolling Stones ou Dylan Thomas. S’il porte un cuir, ce n’est pas un cuir de biker mais un cuir de flicard américain qu’il achète au surplus de la police. Il trouve les Ray-Bans ringardes, il préfère Ivy League gone depraved or early Andy Warhol. Oui, Hell donne des leçons de style et ça n’a l’air de rien comme ça, mais toute l’esthétique punk va en découler. Il se lie aussi avec Barbara Troiani qui fabriquait des fringues pour les Dolls. Elle lui fait un costume en peau de requin mauve à la Wilson Pickett, et c’est cette verste qu’il tient ouverte sur la pochette de son premier album avec les Voidoids. Il rappelle que toutes ces fringues ne coûtaient pas grand chose, et c’était le but. Pas question d’aller singer la jet-set des superstars d’alors qui pourrissaient l’esprit du rock. Pour Hell, ce qui compte dans le rock, c’est ce qu’il appelle ses langages : les fringues et les coupes de cheveux. C’est comme ça qu’il en arrive à ce look de cheveux hérissé qui servira de modèle à tout le mouvement, à commencer par les Pistols : «Dans l’histoire du rock, deux coupes prévalaient, le ducktail d’Elvis et le bowl cut des Beatles.» Alors il s’est demandé ce qu’il y avait de commun et ce qui les a rendues si populaires. D’un côté, le ducktail va devenir le modèle des chauffeurs de poids lourds, des bootleggers et des petits voyous de quartier. De l’autre, le bowl cut symbolise à la fois l’innocence et la transgression. Hell comprend qu’il doit inventer autre chose et voilà : il s’inspire de Rimbaud, d’Artaud et de Jean-Pierre Léaud. Il conseille aux autres membres de Television de s’habiller comme lui chez Hudson au rayon vêtements de travail : pas cher, seulement 50 $, beau look et fantastically comfortable. Pour lui, il est essentiel que les groupes portent les mêmes vêtements à la ville comme à la scène. Pas de show business act - Ce que je voulais avant tout, c’était ramener la vraie vie dans le rock’n’roll - Nous y voilà. Enfin ! Vous comprendrez cependant la nécessité des préalables : un artiste de rock ne tombe jamais du ciel, pas plus qu’il ne sort d’un chou-fleur. Des éléments culturels président généralement à sa destinée.

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    En 1972, Hell et Verlaine comprennent confusément qu’il est temps de monter un groupe. Ils voient les Dolls et Patti Smith sur scène. Aux yeux d’Hell, les Dolls sont théâtraux et maîtrisent à la perfection l’auto-dérision. Hell comprend que ce phénomène typique de downtown New York ne supportera pas d’être transplanté ailleurs. Il voit aussi à travers les Dolls le potentiel créatif du rock dans tous les domaines : chant, fringues, coupes de cheveux, noms, affiches, interviews. Il lui faut juste apprendre à jouer d’un instrument. Tom lui conseille la basse, plus facile. Hell démarre avec une Danelectro d’occase à 50 $. Ils écrivent tous les deux chansons, alors chacun chante les siennes. Hell trouve un nom pour le groupe : the Neon Boys. Hell est fan des Dolls, d’Iggy, de Slade et de T. Rex. Première dissension : Verlaine n’aime pas les Dolls. Il préfère les Modern Lovers. Hell préfère les Dolls car ils sont plus excitants. Verlaine les trouve trop approximatifs. Verlaine n’est pas à l’aise avec la flamboyance. Ils passent une annonce pour recruter un autre guitariste : deux candidats se pointent : Doug Colvin qui va devenir un peu plus tard Dee Dee Ramone et Chris Stein qui va monter Blondie. Ni l’un ni l’autre ne font l’affaire.

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    Hell et Verlaine travaillent tous les deux chez Cinemabilia, une librairie spécialisée dans le cinéma, où travaillent Victor Bockris et Terry Ork. Ork est un spécialiste de la Nouvelle Vague et de Godard. Il s’intéresse aussi au projet des deux arpètes Hell et Verlaine. Ork a déjà une sale réputation. Il aurait monté un trafic de sérigraphies de Warhol avec Gerard Malanga, l’assistant du peintre. Ork propose de manager les Neon Boys qui sont devenus Television, mais Hell s’aperçoit très vite qu’il ne fait pas le poids, contrairement à McLaren qui a des idées qu’Hell juge brillantes.

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    Hell donne des Dolls une brillante analyse en affirmant qu’ils étaient beaucoup trop crus, sloppy, débraillés et radicaux pour exister ailleurs qu’à New York. Puis il explique que les Dolls se sont vautrés car ils incarnaient trop les valeurs du classic-blues-based rock’n’roll, du glam quasi-efféminé, alors que Television part dans une autre direction, celle du rejet total des valeurs hippies, du statut de star pour en inventer d’autres basées sur l’aliénation, le dégoût et la colère, des valeurs qu’illustrent des chansons comme «Blank Generation» et «Love Comes In Spurts». McLaren qui voit se former le personnage d’Hell en mesure immédiatement le potentiel et lui propose de l’aide. Mais Hell ne veut recevoir d’aide de personne - I wanted to be on my own.

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    Pour dire les choses clairement, Hell et Verlaine se trouvent très exactement à l’origine de la scène punk new-yorkaise. Hell observe les gens autour de lui et ne fait pas de cadeaux. Il admire la Patti Smith des débuts, lorsqu’elle monte sur scène réciter des textes, juste accompagnée par Lenny Kaye. Elle est assez possédée et peut improviser en rythme, like a bebop soloist or an action painter. Mais alors qu’elle vit encore avec Allen Lanier de Blue Öyster Cult, elle entame une relation avec Verlaine qui pourrit la leur, celle d’Hell et de Verlaine. Au fil du temps, elle va baisser considérablement dans l’estime d’Hell : «Elle était plus charismatique que moi, bien meilleure sur scène et elle attirait bien plus de monde, mais elle était aussi full of shit à bien des égards, elle se conduisait comme une diva hypocrite et vénéneuse, et son groupe était assez médiocre.»

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    Bon, récapitulons : 1972, il est temps de monter un groupe. On s’appelle the Neon Boys et on apprend à jouer. Ah, il faut trouver des noms ! Richard Meyers opte pour Richard Hell. Il cherche un nom pour Tom Miller. Un French poet. Gautier ? Pas mal, mais non, trop compliqué à prononcer. Tom propose Verlaine. Banco ! Television, c’est mieux que Neon Boys, non ? Banco ! C’est le processus de formation du groupe qui passionne Hell. Il se projette dans un personnage, comme l’a fait Bowie, mais Hell précise qu’il n’aime pas Bowie. Il le trouve trop ‘artificiel’. Hell veut faire quelque chose de radicalement différent, et c’est ce qui va coincer avec Verlaine qui voit les choses différemment. Côté effectifs, les choses avancent : Verlaine fait venir à New York un batteur de sa connaissance, Billy Ficca, et Terry Ork qui s’intéresse au projet leur présente Richard Lloyd qu’Hell ne semble pas vraiment apprécier. Maintenant il faut trouver un endroit où jouer : ils découvrent le CBGB. Quand Hell, Verlaine et Ork viennent lui proposer de jouer gratuitement, Hilly Kristal accepte. Quelle aubaine ! Il vient tout juste d’acheter le bar. Hell s’empresse d’ajouter que d’autres versions de ‘la découverte’ du CBGB circulent, en particulier celle de Lloyd. À partir du 31 mars 1974, Television joue chaque dimanche soir au CBGB. Parmi les groupes qui commencent à venir y jouer, c’est Patti Smith qui attire le plus de monde. Personne ne prend les Ramones au sérieux, ils passent pour un groupe de bubblegum, des Stooges on surfboards, un gag, pire encore, un gadget. Les gens ne prennent pas non plus Blondie au sérieux. On n’allait voir Blondie que pour se rincer l’œil, car la petite chanteuse était sexy. Bien sûr, s’empresse de conclure Hell, Blondie et les Ramones seront les groupes qui connaîtront le plus grand succès.

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    Hell misait énormément sur cette première mouture de Television, au printemps 1974. Elle n’avait rien à voir avec le Television du premier album paru en 1977 : ils portaient alors du cuir noir et des chemises rafistolées avec des épingles à nourrice, des lunettes noires et des cheveux taillés court, ils jouaient un trumbling clatter of renegade scrap, et pour les gens qui les voyaient jouer, ça équivalait à un violent réveil en sursaut - We were stunning - Hell est sûr que les gens n’en revenaient pas de voir un groupe aussi sauvage que l’early Television. Mais ça ne plaît pas à Verlaine. Il trouve le groupe mauvais, alors qu’Hell est aux anges. Sur le coup, Hell ne comprend pas, puis il se met à haïr Verlaine pour ça. Hell sait que le groupe a ce côté ragged qu’avaient les Stooges, le Velvet et les Dolls. Pour lui, c’est ce qu’il y a de plus important. Il adore le son qu’ont les Stones sur «Who’s Driving Your Plane» ou «19th Nervous Breakdown», ou même Smokey Robinson & the Miracles dans «Going To A Go-Go» qu’on croirait, dit-il ‘enregistré dans une ruelle’. Mais Verlaine a une autre idée du son en tête, ces cristal-clear crisp sweet-guitar suites, et bien sûr, il voit le son du groupe subordonné à sa guitare. Seules comptent sa façon de jouer et ses compos. Le reste ne l’intéresse pas. Comme il est écrivain, Hell rédige un article pour présenter Television. Il le destine à la presse, mais ça ne paraît pas. Il fait de Verlaine ‘the Mr. America of skulls’, de Llyod ‘a perfect male whore pretty boy face’ et de lui-même un ‘bass player in black boots baggy suit and sunglasses’ qui danse comme James Brown et qui saute en l’air. Il termine son portait littéraire de Television ainsi : «Pas mal de gens dont je faisais partie pensaient que Television était le meilleur groupe du monde. Alors je suis rentré chez moi, j’ai commencé à écrire un roman et puis j’ai demandé à ma sœur de me tailler une pipe.» Avec le recul, Hell pense avoir un peu mordu le trait avec cet article, mais à l’époque c’était normal. Son intention était de créer un précédent dans la façon de percevoir un groupe. Démarche purement littéraire et bien sûr nullement journalistique. Hell est persuadé qu’à l’époque Television incarne le futur du rock et que le CBGB est devenu le centre du monde. Et il a parfaitement raison. Mais en 1975, Verlaine commence à faire le ménage. Il ne veut plus des chansons d’Hell sur scène et ne veut plus le voir faire le con en sautant partout pendant qu’il chante. Verlaine veut monopoliser l’attention du public. En mars 1975, Hell quitte le groupe et une semaine plus tard, il reçoit un coup de fil de Johnny Thunders. Ce dernier vient de quitter les Dolls et demande à Hell s’il veut bien venir jouer de la basse dans les Heartbreakers avec lui et Jerry.

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    Ça tombe bien : Hell veut faire du rock frantic et mal dégrossi. Mais il ignorait que Johnny s’intéressait assez à lui pour lui demander de faire partie de son groupe. Ça le flatte énormément. En prime, Johnny est le guitariste le plus excitant de son époque. Autre chose que Verlaine ! Ils forment un trio et ça fonctionne très bien. Chacun ses chansons. Jerry et Johnny sont easygoing, and the group had a great sound and style. Hell s’aperçoit que les chansons de Johnny sont plus simples et bien plus efficaces que les siennes. Hell tente de marier ses ambitions intellectuelles et ce qu’il appelle son ‘lost-boy affect’ avec le ‘defiant junkie prowling’ de Johnny. Hell apprécie sincèrement Johnny qu’il qualifie de genuinely smart. Mais au bout d’un moment, Hell s’aperçoit qu’il est coincé dans les Heartbreakers. Il aspire à autre chose qu’à «Pirate Love». Comme Verlaine, il a besoin d’être le boss dans le groupe, aussi quitte-t-il les Heartbreakers en 1976.

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    Il reste heureusement un témoignage de cette équipée sauvage d’Hell avec les Heartbreakers : What Goes Around, paru sur BOMP en 1991. Ah l’équipe de rêve : Thunders, Nolan, Hell et Lure. Ils démarrent avec «Goin’ Steady» et tout est déjà là - Goin’ steady/ I’m ready - Nolan tape ça à la cloche de bois et Hell chante à la petite désaille new-yorkaise. Ils n’ont pas besoin d’Oscar Wilde pour faire de la décadence. Ils ont déjà l’envergure. Ils établissent déjà leur domination sur le monde occidental. L‘énormité du set est la version de «You Gotta Lose» qu’on croise plus loin. Ils sonnent comme des graines de violence. Hell sait déjà ce qu’il veut. Il chante in the face, il impose une vision, une Soul de rock. Pur Hell du Kentucky. Belle reprise de «Stepping Stone». Ils s’amusent bien avec les Monkees et sortent une version légèrement décadente. «Pirate Love» est déjà là, dans une version préhistorique assez démente. Par contre «Flight» fait mal aux oreilles. Ils s’amusent dans la cour de récré. Johnny sort aussi son «So Alone» et le joue aux vrais chorus new-yorkais. En fait, tout était déjà là en 1975. Ils terminent leur set avec un «Blank Generation» qu’ils portent au sommet de la décadence avec des chœurs de Dolls, puis «I Wanna Be Loved» qui réapparaîtra avec les Heartbreakers.

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    Dee Dee Ramone fait partie des gens qu’Hell apprécie beaucoup. Un Dee Dee dit-il qui aurait tant voulu être un Heartbreaker. Il aurait tant voulu jouer dans un happy-go-lucky bad-boys band qui attirait toutes les fun girls. Mais en 1975, Dee Dee semblait heureux de jouer dans les Ramones. Pour Hell, Dee Dee incarnait l’essence même de ce rock’n’roll qui allait devenir le punk-rock. Ce street kid talentueux allait même écrire la plupart des classiques des Ramones. Il gardait une certaine innocence, même s’il vendait son cul pour du blé. Hell le sentait doté d’une très forte personnalité, ‘that funny dizzy dumb style’ qui était aussi une carapace - Il déconnait tellement délibérément qu’il a fini par ne plus être qu’un déconneur. Il s’est pris au jeu - Voilà comment peut sonner l’hommage d’un écrivain : il fait du street kid Dee Dee un fantastique transmuté. Autre sujet d’intérêt : Peter Laughner, adepte de l’auto-destruction, excellent guitariste, enraciné dans le Velvet et les groupes du CBGB. Hell salue la passion de Laughner pour Sylvia Plath et Baudelaire. Avant de calancher en 1977 d’une pancréatite, il avait eu le temps d’enregistrer quelques magistrales covers du style «Wild Horses», «Pale Blue Eyes» et «Summertime Blues». Lorsqu’il travaille comme reporter pour Spin, Hell séjourne quelques jours à Cleveland pour rencontrer des témoins et écrire sur Laughner. Il se rend sur sa tombe et il se sent soudain assailli par un torrent de pensées : «J’étais trop fatigué pour essayer d’y voir clair. Parvenu au pinacle de cet assaut, épuisé par ce déluge d’informations émotionnelles, et sans même réaliser ce que je faisais, je crachai sur sa tombe.» Comme Houellebecq, Hell cultive l’art de la chute en fin de paragraphe. Ça marche à tous les coups, mais il n’est pas donné à tout le monde de réussir un coup pareil.

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    Hell aura aussi l’occasion de fréquenter Nick Kent lors d’un séjour à Londres. Perfide, Hell lui reproche d’avoir prétendu en savoir plus sur les groupes que les groupes n’en savaient sur eux-mêmes. Hell appelle ça la ‘certitude du journaliste’ - À la fin de mon séjour à Londres, j’ai passé du temps avec Nick Kent. C’était un journaliste rock un peu trop fasciné par Keith Richards. Il portait du mascara pour l’imiter. Ce personnage haut et maigre arborait une crinière de cheveux noirs, un nez crochu et un menton fuyant. Il portait toujours le même futal de cuir, même s’il avait un trou au cul et qu’on voyait ses couilles. C’était un junkie - Puis Hell explique qu’avec le temps, le style de Kent s’est considérablement appauvri, mais au moment de leur rencontre, Kent savait où se trouvaient les drogues, «aussi sommes-nous entrés ensemble dans de nombreuses maisons glacées de Londres pour y monter dans les étages.»

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    Après avoir quitté les Heartbreakers, Hell reprend tout à zéro avec Robert Quine qui bosse aussi chez Cinemabilia. Au début Hell le trouve ‘pretty demoralized’ et s’aperçoit qu’il est demoralized en permanence. Le seul truc qui semble l’intéresser, c’est jouer de la guitare. Vu qu’il a plus de trente ans et qu’il est chauve, Hell pense qu’aucun groupe ne voudrait de lui. Selon Hell, Quine n’aurait jamais pardonné à Lenny Kaye ses remarques déplacées concernant sa calvitie. Si Hell s’intéresse tant à Quine, c’est simple : Quine adore le raw rock’n’roll. Il écoute Jimmy Reed, Link Wray, Ike Turner, Fats Domino, les Everly Brothers, Bo Didddley, Richie Valens, Buddy Holly et Little Richard. Très peu de choses post-Beatles, excepté le Velvet, les Stooges, Jeff Beck, Roger McGuinn, Hendrix, Roy Buchanan et Harvey Mandel. Il adore aussi le premier album des 13th Floor Elevators, mais contrairement à Hell, il n’aime pas les albums des Ramones et des Pistols. Il s’intéresse de près à James Burton, au jeu de basse de Joe Osborne dans le Wrecking Crew et à celui de John McVie dans Fleetwood Mac, ou encore au style de Grant Green. Autre point commun avec Hell : la littérature. Quine adore Burroughs et Nabokov. Il possède des éditions originales, ce qui impressionne durablement Hell. Quine adore aussi les films de Samuel Fuller, de Hugo Haas et The Three Stooges. Hell ajoute que Quine marchait comme un personnage de Robert Crumb, les épaules voûtées et le regard inquiet. Il portait des lunettes noires d’opticien. «Il arborait un visage rond et anonyme qui le vieillissait. Il voulait passer inaperçu. Je l’ai interrogé une fois à ce sujet, en lui demandant s’il possédait une voiture et quand il a dit oui, je lui répondu qu’elle devait être marron ou grise. ‘Elle est marron !’» Avec l’aide de Quine, Hell monte les Voidoids. Ils recrutent Ivan Julian et le batteur Marc Bell qui ira ensuite rejoindre les Ramones. Comme les Voidoids deviennent la nouvelle coqueluche du CBGB, Sire les signe. Mais dès le début de la relation avec le record business, ça coince. Hell ne peut pas les supporter, ni Seymour Stein ni Gottehrer - The record business notoriously is one of the sleaziest there is - Hell cite même un auteur, Frederic Dannem, qui après enquête dit du record business qu’il est le moins éthique de tous. Mais bon, ils enregistrent un premier album en 1977.

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    Et là on entre dans le vif du sujet. Hell n’y va pas par quatre chemins : «I think Quine was the best rock and roll guitar soloist ever.» Selon, Hell, Quine mixait l’art et l’émotion comme nul autre au monde. Hell se désole aussi ne n’avoir enregistré que deux albums avec Quine. Il ajoute que les solistes intéressants ne courent pas les rues. Hell cite les noms de Mickey Baker, James Burton, Grady Martin, Link Wray, Jeff Beck, Jimi Hendrix, Lou Reed, ‘peut-être’ Jimmy Page, ‘peut-être’ Chuck Berry, ‘peut-être’ Tom Verlaine et Richard Thompson, par contre, il considère que Keith Richards et Pete Townshend sont des guitaristes rythmiques. Mais il précise que personne n’a su mixer le feeling et la créativité aussi bien que Quine. Pour Hell, le style de Quine relève du génie - Quine is the gap between skillful creative brillance and genius. Quine was a genius guitar player - En plus Quine adore la noise et bousculer les conventions. Pour Hell, Quine est le grand guitariste antisocial. Par la profondeur de son feeling, Quine se rapproche toujours selon Hell de Miles Davis et de Charlie Parker. Plus loin, Hell en rajoute une couche en expliquant que les enregistrements des Voidoids ‘se mettent vraiment à vivre quand Quine part en solo’. Il ne croit pas si bien dire, il suffit d’écouter le premier album de Richard Hell & The Voidoids, Blank Generation, paru en 1977, pour en avoir le cœur net. On entend clairement Quine partir à l’aventure dans «Love Comes In Spurts». C’est tout l’intérêt du Spurt. La godille de Quine. Le Quine dans le jeu de quilles. Le Quine qui couine à rebrousse poil. Et ça en dit long sur le génie d’Hell qui a compris ça à l’époque. Quine rebat la campagne dans «Liars» - Oh oh oh oh - Sacrée mélasse d’énergie considérable, Hell chante à outrance, pas de voix, rien que de l’outrance. Quine et lui font bien la paire. Quine rentre partout les deux doigts dans le nez. Le solo qu’il prend dans «Betrayal Takes Two» restera un modèle du genre jusqu’à la fin des temps. Les Voidoids sortent un son extrêmement osé, anti-commercial au possible, qui n’a aucune chance de plaire. Non seulement ils précèdent le post-punk d’une bonne année, mais ils l’inventent. Tout reste échevelé, pour ne pas dire tiré par les cheveux. Le «Blank Generation» qui ouvre le bal de la B vaut pour un classique entre les classiques. Hell incarne si parfaitement son concept de blankitude qu’on s’en effare. Quine part en solo de quinconce et va même le claquer aux accords de discorde et les Voidoids rajoutent dans la soupe les chœurs des Dolls ! Très spectaculaire ! Quine tord le cou de «Walk On The Water» avec l’un de ces solos de dépenaille dont il a le secret. Aw baby Aw, comme dit Hell dans «Another World». Quine fait le show avec son funk mutant.

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    Sire envoie les Voidoids tourner en Angleterre en première partie des Clash. La tristesse de l’environnement urbain britannique choque Hell. Il ne supporte pas non plus la pluie de crachats qui accueille le groupe chaque soir sur scène. Il soupçonne Patti Smith d’avoir lancé la mode, car elle a cette détestable manie de cracher sur scène. Pour avoir une petite idée de ce que donnaient les Voidoids sur scène, il faut écouter Time, un double album rétrospectif paru en 2002. C’est de la dynamite. Hell sait très bien ce qu’il fait en exhumant ces extraits de concert : sur scène son groupe renvoyait tous les punks anglais au vestiaire. On a longtemps cru les Voidoids sophistiqués, voire maniérés. Mais non, sur scène, ils battent tous les records de sauvagerie. Le disk 2 de Time propose un concert enregistré au Music Machine à Londres en 1977 et ça part en trombe avec une version demented de «Love Comes In Spurts», une vraie machine, plus rien à voir avec la mouture studio. Stupéfiant de power et de vélocité. Marc Bell bat comme un dingue et Quine crache les flammes de l’enfer. S’ensuit un «Liars Beware» assez cavalé, ouh ouh ! Explosif ! Ces mecs jouent à fond, Quine, et Ivan Jullian propulsent un Hell surexcité. Les départs de Quine pour l’enfer sont exceptionnels. Ils tapent «You Gotta Lose» à l’inferno dantesque. C’est tout simplement défenestré du corbitex. Quine n’en finit plus d’envoyer des giclées suprêmes. C’est un bonheur que d’entendre jouer ce guitariste. Voilà une version apocalyptique de «Walking On The Water». Les Anglais ne pouvaient pas comprendre un tel phénomène. On entend rarement des accords claqués avec autant de rage. Quine plonge «Blank Generation» dans la confusion. Il joue le pire punk-rock de tous les temps. C’est cette version live qu’il faut écouter. Ils enchaînent avec une reprise de «Wanna Be Your Dog». Hell plonge dans le bonheur en poussant des cris de malade. Quine part en maraude. C’est l’une des meilleures versions jamais enregistrées. S’ensuivent quatre autres titres enregistrés l’année suivante au CBGB. On entend Quine faire des siennes dans «The Kid With The Replaceable Head». Version explosive, look out ! Avec «Don’t Die», Quine taille sa route dans la suburban jungle. C’est inespéré de power. Quine rôde dans les flammes. On entend Costello chanter comme une fiotte dans «You Gotta Lose» et ils terminent avec un joli clin d’œil aux Stones : «Shattered». C’est encore l’époque où il est de bon ton de reprendre un cut pas trop connu des Stones. Le disk 1 propose des épisodes successifs, à commencer par quatre titres avec les Heartbreakers. Hell veut absolument imposer sa marque dans les Dolls avec «Love Come In Spurts», alors Johnny et Jerry le laissent faire. Par contre, ils passent aux choses sérieuses avec «Chinese Rocks». Nous voilà dans le monde réel, ça pulse à la vie à la mort, full bloom 1975. Rien ne pouvait alors égaler le rock new-yorkais. C’est bombardé de son, complètement explosé. Toute la puissance des Heartbreakers est déjà là, comme le montre aussi «Can’t Keep My Eyes On You». Johnny le joue jusqu’à l’os et il fait le show en multipliant les interventions. On passe aux Voidoids avec «I’m Your Man». Quine casse le code en jouant killer. C’est lui qui distribue les cartes. Il joue comme un dieu. Nouvelle équipe en 1979. Quine et Ivan Julian ont survécu. Ils craquent le funk de «Crack Of Down». Hell chante mal et refuse toute concession. Il porte sur ses épaules toute la responsabilité du punk-rock new-yorkais. «Ignore That Door» anticipe Dim Stars, yah yah ! Quine fait encore la loi dans «Time». Sans Quine, pas d’Hell, c’est aussi simple que ça. Avec «Going Going Gone», Hell remonte des courants incertains, il n’a pas de voix, mais il évolue. Quine fout encore le feu dans «Funhunt». C’est une autre équipe qui reprend «I Can Only Give You Everything». Rendez-vous en enfer, ce qui est idéal pour un mec comme Hell. C’est la version ultime, poussée dans le mur. Well you, uh uh, il bouffe tous les mots et chante à la perfection jusqu’au bout du bout. Puis Quine disparaît dans les quatre derniers cuts enregistrés en 1984. No way.

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    En 1976, Chris Stein glissa sous le nez d’Hell un canard de rock européen. «Hey Richard, tu devrais jeter un coup d’œil à ça ! Ces quatre mecs ont exactement le même look que toi.» Le groupe s’appelait The Sex Pistols. ‘Good name’ rétorqua Hell qui se pencha pour tomber sur le nom de McLaren. Ha ha ha ! Hell éclata de rire. «Malcolm m’aimait vraiment beaucoup !» En effet, il vit dans cet article tout ce qu’il avait inventé : les cheveux taillés à la serpe, les fringues déchirées et les épingles à nourrice. Hell se sentit flatté - It was flattering. It was funny - Il comprit clairement que McLaren avait recyclé ses idées et ça avait marché. Alors Hell s’intéressa de plus près à Johnny Rotten et à ce qu’il déclarait dans les interviews, notamment le fait qu’il voulait détruire le rock’n’roll. Hell en exulte encore - That was fucking incomparable - D’autant que de son côté, il faisait exactement la même chose avec «Blank Generation», mais il se savait plus laid-back, plus dans le sarcasme et le ricanement que les Pistols de «Pretty Vacant». Hell se sentit alors très inférieur à Rotten qui n’était qu’énergie et extraversion, qui galvanisait les kids, alors qu’Hell n’était qu’un junkie renfrogné et désespéré. «Il s’adressait au monde entier, alors que je ne m’adressais qu’à moi-même. Je croyais être un visionnaire dont les idées allaient tout changer, ou tout au moins représenter cette nouvelle génération, mais je savais en même temps que ce n’était pas plausible. Combien de kids allaient vouloir se taxer de blank, c’est-à-dire de vide ? Le concept d’anarchy était assez négatif, mais bien plus marrant.» Hell ajoute ceci plus loin, encore plus déterminant : «Il n’y avait jamais eu de chanson vantant l’anarchie ou annonçant qu’il n’y avait pas d’avenir. Johnny Rotten chantait et faisait des trucs que les kids n’auraient jamais cru possibles et ils l’adoraient pour ça.» Hell finit par enterrer les Pistols avec tout le respect qui leur est dû : «Pendant les deux ans et demi de leur existence, les Pistols furent parfaits. Ils surent rester imprévisibles et novateurs. Tous les groupes un peu ambitieux ont dû revoir leur copie face à cet exemple.»

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    Il faut rattacher à ces louanges aux Pistols à l’hommage qu’Hell rend au rock : «Le rock n’est qu’une affaire de grâce naturelle, de style et d’instinct. Il faut ajouter à tout ceci la beauté physique de la jeunesse. Pas besoin de bien savoir jouer de la guitare ou de bien chanter, il faut juste avoir le truc - just have to have it - être capable d’identifier ce truc et de le choper. Être jeune, c’est déjà la moitié du truc. Être jeune, ça veut dire jouir de la puissance de la sexualité, d’une sensibilité qui atteint au romantisme du désir sexuel, ça veut dire éprouver de la colère à l’égard des adultes condescendants et un dégoût profond pour tous ces mensonges qu’ils peuvent débiter. C’est aussi un refus de toute forme de contrôle et un besoin profond de fun.» Selon Hell, «le rock est l’art adolescent par excellence et ne nécessite pas spécialement de compétences. Le rock est une essence accessible à ceux qui n’ont rien.» Seul un écrivain peut aller aussi loin dans la pureté d’intention. Il revient ailleurs sur ce thème lorsqu’il explique à quel point le rock peut transformer quelqu’un : «C’était intéressant de voir à quel point le rock peut rendre une personne attirante. Je n’avais jamais été attirant, auparavant. J’ai amélioré mon look parce que je savais ce que je faisais, j’utilisais mon entrée dans le monde du rock pour me réinventer. Mais c’était surtout le rock qui rendait les gens attirants.»

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    Hell règle aussi ses comptes avec cette légende voulant que le punk soit un peu débile et vide de contenu. Il commence par s’en prendre violemment aux journalistes anglais Tony Parsons et Julie Burchill qui se moquaient des Américains lettrés - Mocking books is OK. Les books, c’est un hobby, une passion, comme tout le reste. Dieu sait qu’on s’est moqué des Anglais. Leur passion semble être la patate. Ils n’aiment peut-être pas les livres, mais ils adorent la patate. Fried potato sandwich - Et là, il remet le turbo de l’écrivain : «Pour moi, il y avait une contradiction inhérente au rock. D’un côté je voulais jouer du rock parce que c’était sauvage et physique, et de l’autre côté je voulais me servir de ma cervelle pour dire autant de choses que possible, et de la manière la plus intéressante qui fut. Je n’étais pas une espèce de snob intello - je rappelle que j’ai quitté la fac intentionnellement - mais en même temps je n’avais pas honte de mon goût pour les livres et pour la réflexion. Il faut aussi savoir que l’Amérique est foncièrement anti-intellectuelle. Alors j’ai mis un point d’honneur à citer Gertrude Stein, Nietzsche et Nerval dans les interviews. Je voulais réconcilier le côté physique du rock avec l’aspect intellectuel, et je voulais que ça soit bien clair.»

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    Hell choisit un angle sociologique extrêmement pertinent pour expliquer comment un phénomène tel que la vague punk new-yorkaise a pu voir le jour : «Au début des années soixante-dix, les gens de mon âge ont subi la Guerre du Vietnam, le naufrage prévisible de la flower generation, l’étalage public de la corruption et la vénalité des politiciens, l’horreur du patriotisme, le déluge des drogues, la marée d’informations orchestrée par les médias. Tout cela pouvait très bien vous rendre stupide et au passage, emporter vos illusions, mais ça laissait en vous un vide tellement énorme que l’option de se réinventer pouvait très bien venir à l’esprit.»

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    Cinq ans plus tard, Hell et Quine remontent les Voidoids pour enregistrer un deuxième album, Destiny Street. Hell le trouve nettement supérieur au premier. «The Kid With The Replaceable Head» et «You Gotta Move» brouillent un peu les pistes, surtout le Move monté sur un riff catastrophiquement déclassé. Les choses se corsent avec «Lowest Common Denominator», bien défilé à la parade. Quine fait ses ravages et explose le cut en plein ciel. Il mène aussi le bal dans «Downtown At Dawn». Ça reste un bonheur que de l’entendre jouer. Il sort de sa cage et fuit vers des ailleurs. C’est sur cet album qu’on trouve la version studio d’«I Can Only Give You Everything». Hell y croise la violence du rock anglais avec celle du New York Sound, il saute en l’air, il chante faux et c’est excellent. Tout l’esprit est là. Superbe surenchère avec un Quine dans l’ombre. Hell fait tituber ses syllabes, and I try and I try. Puis on le voit ignorer la porte dans «Ignore That Door», mais il le fait à coups de chœurs de Dolls, bien aidé par ce démon de Quine. Ils terminent avec le morceau titre que Quine prend en mode funky. Hell rappe dans le gras. Pendant qu’Hell rappe, Quine rôde.

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    On retrouve toutes les merveilles de Richard Hell dans deux compiles, le fameux R.I.P. paru sur ROIR en 1984 et qui constitue le disk 1 de Time, et Spurts -The Richard Hell Story paru chez Rhino en 2005. Spurts vaut le détour car Hell y propose des inédits. Il attaque avec deux enregistrements des Neon Boys (pré-Television), «Love Comes In Spurts» et «That’s All I Know». Il n’a pas de voix mais un sacré swagger. On comprend que McLaren ait flashé sur lui. On retrouve ensuite les Heartbreakers («Chinese Rocks»), les Voidoids, puis Dim Stars et l’ombre tutélaire de Don Flemming. Hell propose ensuite un inédit, «Shall Be Coming (For Dennis Cooper)» assez africain. C’est Ivan Julian qui joue de la guitare. Il plonge le cut dans la purée des origines, on croit entendre des barrissements d’éléphants.

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    Il existe enfin en EP sobrement intitulé 3 New Songs sur lequel on trouve le fameux «The Night Is Coming On» de Dim Stars. Don Flemming est dans le coup et ça s’entend. Hell joue de la basse et c’est battu aux quatre vents. C’est une version terrifique. S’ensuit un «Baby Huey» joué à la menace d’un Max tapi dans l’ombre du groove urbain. Hell amène ça comme «The Night Is Coming On», avec le même genre de petits réflexes.

    Clean Tramp s’achève avec la fin de la carrière musicale d’Hell. Il boucle ainsi : «Vous savez que c’est le temps et non les séquences qui nous régit et qu’il est impossible d’écrire le temps non séquencé sauf peut-être en poésie. Je ne voulais pas raconter la vie d’une personne à travers le temps, mais le temps à travers la vie d’une personne.»

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    Il ne reviendra dans le rond du projecteur qu’en 1992 pour l’excellent Dim Stars, un album bourré de fulgure. C’est là où un mec comme Hell fait la différence : il apparaît peu mais il apparaît bien. L’album est tout simplement génial, c’est même l’un des grands classiques du rock moderne américain. En plus d’Hell on y trouve Thurston Moore, Robert Quine et surtout Don Flemming dont il faudra un jour saluer le génie sonique. Dès «She Wants To Die», on tombe dans la marmite des pires distos d’Amérique, ça gicle et ça stride dans tous les coins. Hell ramène des chœurs de Dolls dans «All My Witches Come True», c’est dire s’il est bon, en plus d’être enragé. Puis il règle ses comptes avec Marty Thau dans «Memo To Marty» - You make your living cheating/ The kids who keep you eating - Hell déclenche l’enfer sur la terre, fuck you ! Marty Thau ! Red Star ! Et ça repart de plus belle avec cet hommage à Wolf, «Natchez Burning». Hell ne craint pas d’affronter le blues de Wolf. Il le chante avec sa voix de kid urbain - Mississippi town - et derrière, on entend Quine couiner. Encore une fabuleux coup d’Everytime I walk/ On down the street avec «Stop Breaking Down», ça gratte au sec de stop breaking down, dans une ambiance hallucinante, Hell fait sa folle avec Quine dans son dos. Avec ceux des Knoxville Girls, cet album compte parmi les fleurons du mordern rock américain. Tiens, encore un coup de génie avec «Baby Huey» - Baby do you want to dance - Et les dynamiques se mettent en route, Hell sait lancer l’enfer d’Hell - Here comes Baby Huey down the dusty silent road - Hell tranche - Everything looks old - Cet album n’en finit plus l’exploser et le vent d’Ouest chasse le champignon atomique vers le firmament. Il faut voir aussi comme ils amènent bien «The Night Is Coming On» au petit gratté de guitares. The moove is in full bloom. Et si on a un penchant pour les barbus, alors voilà le funk de Quine : «Downtown At Dawn». Hell sait. Quine est là. Quine claque son cut. Back to the Dim Stars groove avec «Weird Forest», Hell gère ça avec des chœurs de potes et il passe à la teigne de groove avec «Rip Off». Jad Fair joue du sax, wow Jad is good ! Ils terminent avec le «Dim Star Theme» - We’re a star/ But white & dim - Hell sait que la plaisanterie ne va pas durer, alors il fout une pression énorme, cos I just don’t know, et déclenche l’extrême violence unilatérale.

    Signé : Cazengler, Hell de poulet

    Richard Hell & The Voidoids. Blank Generation. Sire 1977

    Richard Hell & The Voidoids. Destiny Street. Red Star Records 1982

    Heartbreakers. What Goes Around. BOMP! 1991

    Dim Stars. ST. Caroline Records 1992

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    Richard Hell. R.I.P. ROIR 1984

    Richard Hell. 3 New Songs. Overground 1992

    Richard Hell. Time. Matador 2002

    Richard Hell. Spurts. The Richard Hell Story. Rhino Records 2005

    Richard Hell. I Dreamed I Was A Very Clean Tramp. Harper Collins Publishers 2013

    19 / 09 / 2020

    LA FERTE-SOUS-JOUARRE

    FERTOIS ROCK FEST vOL. 2

    E-RUINS / PORNO GRAPHIC MESSIAH 

    DROP DEAD / SLEAZY TOWN  

    FRANTIC MACHINE

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    FAUX DEPART

    Dans la teuf-teuf nous sursautons. Face à l'affiche sur le grillage, en plein centre de La Ferté-sous-Jouarre, le festival ! N'ont pas peur du bruit les Fertois ! Sûr que l'on n'entend rien, mais les concerts débutent à 16 h 30. Sur notre gauche, une immense allée de 300 mètres de long plantée de marabouts, de loin on ne visualise pas le contenu des étalages mais il est urgent de se garer, sans gêne la teuf-teuf immobilise sans préavis la file de droite, coupe impromptu celle de gauche et s'adjuge l'unique place de stationnement. La fin veut les moyens. L'on court à l'accueil face à l'entrée. Le doute cartésien nous effleure, à chaque foulée cela ressemble de moins moins à un regroupement de rockers et de métalleux, nous avons raison, juste la Journée des Associations, sont gentils nous assurent qu'ils ont un max d'activités hyper-intéressantes à nous proposer, c'est sympa mais nous répondons que nous n'aimons que le rock'n'roll !

    VERITABLE ARRIVEE

    En périphérie de la ville, sur les bords de Marne, route des Deux Rivières, avec une telle dénomination l'on se croirait au Canada, doit y avoir une aciérie dans les parages, l'on entend le bruit du marteau-pilon qui méthodiquement emboutit des lingots de ferrailles fondues. Pas de panique bruitito-écologique, c'est E-Ruins qui démarre le bal. Nous en reparlons dans un instant.

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    Quelques lignes idylliques avant de plonger dans l'enfer. Yoann Moret est à l'accueil, derrière sa haute stature et sa barbe de sapeur napoléonien l'on peut admirer le boulot accompli par Les Cultivores Fertois, z'ont tout pigé, de l'espace, de l'ombre, des prix bas de plafond, une belle scène, des sourires, et une efficacité organisationnelle sans faille, pour le programme vous accordez confiance et vous vous faites petit parce que vous avez déjà raté deux groupes Lexa pas tout seul et Barrakuda qui ont ouvert le bal à 12 heures.

    E-RUINS

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    E-Ruins, ce ne sont pas celles de Pompéi, toutefois une petit détour par la mythologie vous permettra de mieux saisir cette musique. Dans son épopée Les Argonautiques Apollonios de Rhodes nous conte le passage des Cyanées. Il s'agit pour le navire de nos valeureux argonautes de passer entre deux roches de couleur bleue – à tel point qu'elles se confondent avec la mer – et ( détail émouvant ) mouvantes. Ce n'est pas seulement qu'elles bougent, c'est qu'elles prennent un malin plaisir à se rapprocher au moment précis où un navire tente de passer entre elles. Je vous laisse découvrir par vous-mêmes comment nos téméraires explorateurs réussiront à surmonter cet écueil implacable. J'aimerais simplement que durant tout le set des E-Ruins vous entriez en contact avec l'âme de ces deux roches assassines et divines. Que vous essayiez de ressentir la jouissance sauvage et destructive qui les anime, cet appétit de déchirances qui les pousse à broyer entre leurs mâchoires de basalte et les coques démantibulées des bateaux et les os brisés des matelots.

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    Si vous pensez que le E de E-Ruins signifie Electronic comme dans E-Mail, cherchez quelque chose de moins impalpable, de moins virtuel, tapez plutôt dans le plus concret, dans le plus granitique, plutôt Vulcain qu'Eole. Mais Eric conviendrait très bien. Capitaine Fracasse aussi. Ce gars ne fait pas de la batterie, il l'azimute, il l'uppercute, il la tarabuste, qu'il latte de coups de pieds sauvages la grosse caisse ou qu'il cingle et déglingue une cymbale, c'est du pareil au même, vous donne l'impression de pousser d'un coup sec une montagne, d'un choc elle se déplace de cent cinquante mètres, n'a pas le temps de se reposer sur sa base qu'elle est déjà transbahutée ailleurs. Pourrait se contenter de ce tour de force d'Hercule de foire, se charge aussi de proclamer haut et fort que tout ce remue-ménage est de sa faute, au cas où vous n'auriez rien remarqué, vous pousse en place de chaque ahan une clameur de rhinocéros en rut apercevant sa femelle à l'autre bout de la savane, effet dévastateur, grondement continu, de ceux qui précèdent les éruptions volcaniques.

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    Si le simple spectateur éprouve l'impression d'être poussé dans ses derniers retranchements, d'être collé contre un mur et d'être fusillé un nombre de fois illimitées, il en est trois qui semblent être complètement immunisés contre ce covid sonore à la puissance 20. Même qu'apparemment ils en rajoutent, chacun à sa manière. Mais tous un peu dans le même style. Nous ne faisons que suivre le mouvement, hélas, souvent ils le devancent, lui facilitent le chemin, verglacent la pente. Rien de plus sérieux que Lino sur sa guitare. Lui ce qu'il aime c'est placer des gravillons dans les endroits inadéquats qui conduisent les éboulis hors de leur pente naturelle espérée. Possèdent deux techniques préférées. Celle de ses deux mains qui se déplacent le long du manche. Deux crabes qui s'avancent latéralement l'un vers l'autre, celui qui monte, celui qui descend, envisagent-ils un combat mortel ou une copulation monstrueuse, nous n'en savons jamais rien, s'arrêtent sans préavis après les préliminaires, surgissent alors des notes cisaillantes qui giclent et crissent dans vos tympans si fort que vous fermez instinctivement les yeux, quand vous les rouvrez Lino est déjà positionné pour la chasse à la palombe. La Nasa étudie actuellement la question : quelle poussée minimale suffit à dévier la chute d'un astéroïde qui file droit vers notre globe terrestre ? Elle devrait jeter un œil sur le savoir-faire de Lino, impossible de vous expliquer comment il réussit, mais alors que l'avalanche éricienne déboule sur vous, il se débrouille pour y injecter une pincée de cordes vitriolée qui brouille sa trajectoire, infléchit sa rudesse et lui permet de revêtir une brillance des plus esthétiques. Car ce qui est triste ce n'est pas de mourir, ce qui est nécessaire c'est de mourir en beauté.

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    Toute puissance possède ses agents secrets qui connaissent ses projets à long terme et s'escriment à préparer le terrain dans l'ombre. Kevin et Teddy appartiennent à cette mouvance. Vous ne voyez qu'eux, vous n'entendez qu'eux, mais vous ne comprenez rien. Kevin s'est posé en plein centre, bien en évidence, si la scène n'était si profonde il éclipserait Eric, look d'un étudiant appliqué en train de résoudre un insoluble problème d'équations différentielles, vous vous sentez trop petit et vous avez peur de le déranger, ne passez pas outre, l'a les doigts qui bougent trop pour un bassiste lambda, le gars vous tresse des cordes de catapulte, des élastiques de fronde géante, afin que le boulet d'Eric acquière un supplément de vitesse ajoutée et vous démantibule le buffet, encore plus vite, encore plus fort.

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    Teddy bataille sec de son côté. Un sacré agent double. Discret mais efficace sur les deux tableaux. Augmenter la force de frappe selon Kévin, et selon Lino aider aux dérivations tangencielles particulièrement nuisibles au repos des oreilles de l'auditeur. Remarquons que plus d'un approuve cette esthétique démoniaque. Certains n'hésiteront pas à évoquer un projet mûrement concerté. Cette thèse complotiste possède de nombreux adeptes. Je partage cette idée que l'avalanche sonore du groupe n'est en rien due à un hasard magnifique mais au contraire est parfaitement maîtrisée et fait partie d'un vaste plan d'ensemble de l'accroissement kaotique du monde. Un truc totalement dans mes cordes nous dirait Teddy, mais nous développerons ce point de vue lors d'un autre concert d'E-Ruins. Un set impeccable et implacable qui reçut les acclamations enthousiastes du public. La soirée commençait bien.

    PORNO GRAPHIC MESSIAH

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    Les groupes se suivent et ne se ressemblent pas. Changement de climat. Après le trash metal, voici le metal indus. Très belles étiquettes qui cachent davantage qu'elles ne signifient. Vaut mieux se fier à ses mirettes. Un beau cliché. Quatre jeunes hommes chics. Portent un masque blanc. Non ce n'est pas pour le covid. Pour la classe et la distinction. N'en sont pas pour autant des visages pâles. Des guerriers, avec les signes noirs et rouges de la guerre peints. ScarS est au centre. Il joue de la guitare. Il parle dans le micro. S'adresse au public, un coup de griffe, une caresse de coussinet. Il bonimente. Il sait se vendre. Lui et son groupe. Des cheveux jaunes qui ne sont pas sans évoquer Andy Warhol. Mais la comparaison lui paraîtra sans doute obsolète. Ce n'est pas que son idéologie soit radicalement différente de celle du maître de La Factory. C'est simplement que c'est trop vieux. Que ce genre de référence n'éveille aucun souvenir dans la jeunesse à laquelle il s'adresse. Qu'il vise dans son collimateur.

    Un bon coup de balai ne fait jamais de mal. Même  dans le rock'n'roll. Surtout  dans le rock'n'roll. Quand je les vois figés dans leur mutantisme, chacun à sa place, je pense à Bowie, mais sans doute est-ce trop ancien, tout au plus condescendra-t-il à admettre Marilyn Manson. Bye bye le vieux monde ! Encore faut-il que le nouveau soit à la hauteur. Tout ce qui précède n'est qu'oiseuse pavane pour un infant défunt. C'est à la forge que l'on juge le forgeron.

    Et c'est parti. Et ce n'est pas mal du tout. Soyons méchants, ils ne font rien, laissent les machines faire le boulot. Merci les samplers. Soyons justes. Faut programmer les machines et savoir les utiliser. Pour sûr, elles marchent toutes seules. Mais il leur manque quelque chose. La touche humaine. The human touch. Et il y en a trois qui se chargent de cela. Les guitares. Toutes les trente secondes elles coqueluchent un riff imparable et l'on n'entend plus qu'elles. Bientôt vous n'attendez plus que leurs interventions. Le trio bouge de concert, les masques blancs impulsent les mouvements, ils vous apparaissent comme ces tutus de gaze de danseuses qui lors des siècles passés captivaient à l'opéra, les regards des beaux messieurs pervers vers les jolis jeux de jambes. La force du rock reste sex appeal.

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    Voyons clair. La voix de ScarS est semblable à ces scarifications que s'imposent les adolescents mal dans leurs peaux. Aujourd'hui elles ont tendance à être remplacées par des tatouages, mais ceci est une autre histoire. ScarS a l'art de poser sa voix en un fragile équilibre indubitable, chute à chaque seconde, ne tombe jamais. Certains posent pour être pris en photo, lui il repose en sa voix selfique, comme elle est trop vaste pour lui, il convie l'assistance à le rejoindre sur le cliché. Et tout le monde donne son accord, car il y en a pour tous les goûts, une invraisemblance patchworkienne, cinquante nuances de timbres, du metal vicieux au hip-hop le plus tendancieux. Les couleurs criardes de notre monde défilent au pas cadencé sur le jeu de l'oie de nos modernes représentations.

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    Soyons emphatiques. Tout cela ne serait rien s'il n'était pas là pour régenter le monde dans sa main. Qui il ? Le batteur. L'est comme le pharaon qui détenait entre ses mains croisées le fléau d'Osiris pour frapper les récalcitrants et le sceptre de la puissance pour mener les hommes stupides à la manière du chasseur de rats d'Hamelin. Lui ses baguettes fétiches il les manie pour ainsi dire mentalement. L'esprit commande aux muscles qui ne sont que des exécutants zélés. Il ne bat pas la mesure, il décompte la démesure. Jamais vu une frappe aussi intellectuelle, forte certes mais sa magie réside en son infaillibilité. Le gars construit. Un espace abstrait qui emprisonne tout le monde, la musique, les musiciens, l'assistance et les machines qu'il transcende sans effort.

    Porno Graphic Messiah emporte toutes les préventions. Messie à la petite semaine qui se contente d'énoncer le spectacle du monde duquel nous sommes les sujets actifs, passifs, consentants. Pornographie généralisée de notre eschatologie quotidienne, le groupe séduit parce qu'il nous tend le miroir de notre artificialité et que nous sommes dans l'incapacité de ne pas être dupes du néant de nos existences. Il nous donne l'impression de tout comprendre alors que nous poussons le balai qui ramasse les dernières miettes de nos révoltes évanouies. Grosse impression sur le public.

    Rock intelligent. Très intelligent.

    ( Photos : FB : Charlene Eledeb )

    DROP DEAD

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    Retour vers le passé. Encore plus passionnant que le futur qui se dessine. Quatuor hard. Cordes + tambours. Du classique. Deux grands gars à la longue chevelure bien soignée. Assurent comme des bêtes. C'est bien fait, impeccable, beau comme du rock FM. Pouvez vous endormir au volant, pied au plancher, votre camion n'en continuera pas moins à filer sur la highway sans problème. Et demain matin vous serez le premier à être déchargé. Votre patron vous filera une prime. Votre avenir dans l'entreprise est assuré. Voilà, ça c'étaient les trois premiers morceaux. Irréprochables. Cachent bien leurs jeux nos deux lascars. Rien ne nous laissait présager que l'on était parti pour un scénario à la Convoi de Sam Peckinpah.

    Chacun son rôle. Pour Rob : chant et guitare solo, pour Gus : rythmique, leur devoir est tout tracé, ne jamais s'arrêter, ne jamais ralentir, ne jamais freiner, ne pas hésiter ne serait-ce qu'un demi-millionième de seconde sur une bifurcation, mépriser souverainement tout ce qui ressemble à un feu rouge ou à un policier qui persiste à croire que son devoir est de faire appliquer la loi même si un truck devait lui passer sur le corps. Des mecs solides, vous respecteront la feuille de route sans omette une seule consigne de tout le set.

    Le problème c'est que le mécano qui s'occupe de la batterie et du moteur est un génie de la mécanique. Que dis-je un Dieu. L'est parvenu à faire obéir les pistons et les soupapes à la loi du mouvement perpétuel à progression constante. C'est comme une mise au carré systématique. Au début vous ne vous apercevez de rien 2 au carré = 4, 4 au carré = 16, mais 16 au carré c'est énormément plus, un décollage vertical, vous entrevoyez la montée en puissance. L'est sûr que le gars astique molto vivace, comparé aux deux premier l'air un peu malingre, un gamin. Avec une casquette, méfiance. Ne faiblit pas, ne mollit pas, ne ralentit pas. Ne pédale pas dans la choucroute. Ni dans le chicken fries si vous voulez rester fidèle à la métaphore américaine. Bref un vicieux, un savant fou accroché à son idée fixe, un mec qui devrait être abattu sur place sans rémission, mais il ne quitte pas la protection du châssis du moteur depuis lequel il opère. De plus comme vous commencez à comprendre que la cargaison est composée d'un millier de cartons de cent cartouches de dynamite chacun, vous décrétez qu'il vaut mieux réfléchir avant d'agir. Imaginez que de surcroît par le plus grand des hasards il y ait un passager clandestin totalement allumé.

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    Vous manquez de chance. Justement il y en a un. Un certain Lukk. Pareil que les autres, n'a pas bougé d'une oreille. Sur les trois premiers morceaux. A tel point que vous pensiez que cette deuxième guitare elle ne servait à rien. Que l'on pourrait la supprimer, et faire des économies. Catastrophe, les fourmis lui sont montées dans les jambes, l'a commencé à bouger, à rendre visite au copain, genre sympa, et si on se tapait un petite démonstration à deux face à face en se dandinant comme des gorilles prêts à se lancer des noix de coco sur le coin du museau, puis l'a trouvé sa victime favorite, hello le gamin tapi derrière le radiateur, tiens je t'envoie un riff hoqueteur qui arrête l'arrivée de la gazoline, ou alors je t'injecte dans la pompe un litre de kérosène pur, un truc qui te booste le carbu de bien belle manière ! Pas de problème l'hurluberlu qui croit me foutre la berlue, j'épanouis le gicleur, sens les good vibes qui arrivent, si tu pouvais m'envoyer la même chose mais enflammée, ce ne serait pas mal.

    Et les deux autres, vous croyez qu'ils leur ont crié de faire gaffe et d'arrêter de s'amuser, z'ont continué comme si de rien n'était, en marche arrière sur la bande d'arrêt d'urgence ou en hot-rod sur le terreplein central. Pas d'affolement my guys, it's just hard 'n' heavy rock'n'roll but we like it, z'ont maintenu le cap de leurs compos parfaites, les pieds sur le volant en se calant un rail de cocaïne sur le tableau de bord. En route pour la croisière de la mort sans retour. Gloire aux heartbreakers !

    Et le public transporté dans cette bétaillère hardo-métaliffère, il a adoré, l'en est venu de partout qui se levaient de leurs tables de dégustation pour participer à cette grandiose cavalcade. Un trip hard-metal comme l'on n'en fait plus. Quand ils ont coupé le moteur, grande ovation, sont descendus du plateau sous des acclamations respectueuses.

    SLEAZY TOWN

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    Serait peut-être temps de passer au rock'n'roll. Celui que l'on adore. Celui que l'on préfère. Genre band de pirates qui écument les sept mers sur un vieux brick pourri récupéré dans un cimetière de bateaux de zombies affamés. Z'oui, superbe idée, mais il faut un capitaine, un vrai Flint, qui mène l'abordage sabre au clair. En rock'n'roll, cela s'appelle un chanteur. Ne rouspétez pas en assurant qu'il y en a au minimum un en chaque groupe. Vous avez tort. La plupart du temps ils ont un gars qui chante. Sacrée différence. Souvent il exerce aussi un autre métier, il joue d'un instrument. Comme vous qui vous imaginez être un screamer parce que vous poussez la tyrolienne en faisant la vaisselle.

    Bref Andy surgit sur le devant de la scène et vous ne le quittez pas des yeux. L'a ce que les autres n'ont pas : une voix. Qui fuse quand il s'en sert. Tout le temps. D'un bout à l'autre du show. Puissante, et il a intérêt parce que derrière il a trois bretteurs de première classe qui n'entendent pas le laisser se reposer. Une guitare qui cherche le riff comme l'assassin trouve sa victime, une basse élastique aux rebonds fantastiques, et une batterie qui ricoche follement, l'ensemble sonne joliment, entre Aerosmith et Mötley Crüe pour vous mettre les deux points sur les bonnes voyelles. Vous situer géographiquement. Bref ça slashe et ça glame sans répit.

    Qui dira la solitude du chanteur de fond devant le cratère d'un combo volcanique qui crache à chaque seconde des quartiers de roches d'or pur ! L'a intérêt à se montrer à la hauteur et à imposer sur les rocs brûlants le poinçon d'un maître joailler. Andy comme une fleur, ces asters très rares qui poussent sur les parois glacées des hauts sommets. L'en veut, ne sait pas se taire, dans les six secondes qui séparent deux morceaux il vous lance quelques infos, mais il est pressé de retourner dans le torrent de lave brûlante. Et hop il replonge dedans, se rend maître de la matière en fusion et vous la mène où il veut.

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    Ne faiblit jamais, fibres vocales en tungstène amélioré, toujours la même force, la même densité, le même allant. Se bat avec le pied du micro, puis le prend en main, tourne, virevolte, vient sur le devant de la scène, et encore cette voix qui recouvre tout, qui engloutit le monde et tout ce qui reste autour. Presque injuste pour les pourvoyeurs derrière, faut faire un effort pour leur prêter attention, J. J. Jaxe n'a pas la guitare qui jazzouille platement, un style bref, concis, une morsure de crotale pour chaque note, des éclairs de venin étincelants, une clinquance qui claque à la manière d'un coup de feu, toujours sur le qui-vive, ne louche jamais vers la facilité des effets bouts de ficelle, fonds de tiroirs, resucées mille foi entendues, il invente, il crée. Même topo pour Julian, vous sert la limonade – un superbe Whiskey Vomit - sur un plateau au moment précis où vous vous apercevez que vous allez avoir soif, avec cette classe du serveur stylé qui repart le soir avec la Ferrari du patron et la plus belle des serveuses, le Julian ne joue pas de la batterie, il urge le morceau, vous pousse le troupeau au pique-bœuf et l'ensemble cavale à fond de train, mis en ordre pour la corrida. Léo est comme ses deux acolytes, au service du rock'n'roll, pas question que la basse reste dans le wagon de queue du speed-train, l'on a besoin d'elle pour arrondir les courbes et négocier les virages en épingles à cheveux, lorsque tout chancelle et vertigine, doit être là, le point d'appui qui permet d'amortir le choc et de relancer la machine. Souquent dur, et devant Andy prend son pied. L'adore les morceaux qui foncent style Riding on the hell track ou sur la fin du concert le Photograph de Deff Leppard, dont ils offrent une version magistrale, et aussi les ballades à la sudiste Set my heart on you par exemple, qui ne sont que les vieux slows des années cinquante survoltés et passés à la chaise électrique. Attention à l'empreinte carbone !

    Terminent sur 5 grams of Redhead, mais en ont livré des tonnes durant tout le set. Eblouissant.

    FRANTIC MACHINE

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    The last but not the least. Z'ont eu tous les malheurs de la terre. A leur place vous auriez crié grâce. S'en sont tirés comme des chefs. Un feu d'artifice final. Non seulement ils ont vaincu l'adversité mais ils ont convaincu le public. Qui dit Frantic, dit Machine. Justement elles se sont révoltées comme dans un bouquin de science-fiction à la Asimov. Au début, on n'y a vu que du feu, en fait on s'est bien rendu compte qu'ils couraient après le sample. Mais devant. Terminaient deux secondes avant. Une miette, mais faisaient des gestes comme le dompteur qui au dernier moment rattrape in extrémis la queue du tigre décidé à croquer un ou deux spectateurs. L'on ne s'en plaignait pas parce qu'ils semblaient avoir un beau son de guitares. Question insidieuse : mais qui appartenait à qui ? Etait-ce la machine ou les doigts des musicos. Voudrais pas avoir l'air d'un syndicaliste, mais le jour où les machines joueront mieux que les hommes, les musiciens ne knockeront plus aux heaven's gates mais à la porte du chomedû... En attendant, c'est le clic qui jouait à l'arlésienne dans les écouteurs du batteur, allez-vous mettre en conformité avec le rythme avec ce genre de plaisanterie.

    Seb le chanteur a pris la terrible décision. Pas question de se faire embêter par des trucs automatiques, comme dans les grandes batailles, quand la cavalerie n'est pas là vous attaquez avec l'infanterie. Puisque ce n'était pas simple avec les samples, leur ont coupé le jus et mis hors-circuit. Et z'ont foncé bille en tête avec leurs seuls instruments. Reconnaissons-le, avec les samples déréglés ce n'était pas mal du tout, mais là ce fut extraordinaire.

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    D'abord le Seb l'a une voix qui porte ( de l'enfer ), l'est extraordinairement à l'aise, vous assène les lyriques à la vitesse d'un moulin à prières tibétain un jour de tornade, les articule comme un forgeron qui effile la lame d'une épée, vous ne savez pas trop de quoi il parle mais quand il les prononce tout de suite vous vous sentez en confiance. Sa guitare est extraordinaire, je ne sais comment elle est réglée, mais elle tonitrue sans aucunement grasseyer, une espèce de feulement infini de tigre géant doté d'un gosier métallique, elle gronde comme l'orage.

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    Celle de Seb aussi. Oui parce qu'il y a deux Seb. Qui tient une guitare aussi. Un ton légèrement au-dessous, une meuleuse à disque de quinze mètres de diamètres capable d'entailler un tunnel dans le flanc d'une montagne. Dès que Seb plaque un accord, Seb l'imite légèrement plus crissant, légèrement plus crispant, la roue du dentiste qui s'attaque à votre molaire.

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    Celui-ci étrangement ne s'appelle pas Seb. Mais Laurent surnommé Blitz. Bizarrement c'est le bassiste qui marque moins la rythmique, l'est partisan de bousculades de bruits bizarres, des entrechoquements de wagons qui déraillent. Fournisseur d'inattendu. Le mec capable de vous faire entendre de l'inaudible. Des sons étranges venus d'ailleurs. De sa cervelle torturée. En prime non content de jouer de la basse il est un as du dessin. Vous en causerai davantage dans la livraison 478, j'ai une chro toute prête dans mes cartons.

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    Un dernier Seb, le troisième, pour un premier concert. L'a eu toutes les avanies, les machines déréglées, la charleston en carafe, les retours qui jouaient au boomerang perdu. Quiconque aurait démissionné. Ben non, il a continué dans la tourmente, l'a donné le rythme et maintenu la troupe au pas de gymnastique sous les armes. Le public lui a été plus que reconnaissant. Les Frantic nous ont trastégé un tabac incroyable, une effroyable machine de guerre, avec le sourire. Sont terribles, trashy, invulnérables.

    Longuement ovationnés. Sont obligés de reprendre un titre devant la demande générale.

    ( Photos sur scène : FB : Charlene Eledeb )

    RETOUR

    Plus de trois cents personnes, beaucoup de locaux. Les fans parisiens qui n'auront pas regardé leurs annonces de concert l'auront regretté. Un grand merci à Yoann Moret et à toute l'équipe organisationnelle. Aux groupes aussi, les locaux d'E-Ruins, les Porno Graphic Messiah de Nice, les Drop Dead de Sens, les Sleazy Town de Paris, les Frantic Machine de la capitale, le metal français a de beaux jours devant lui. Pas un grain de rouille.

    Damie Chad.

    ( Autres photos : FB des artistes )

     

     

    QU'EST-CE-QUI NE VA PAS ?

    ( Clip Officiel )

    POGO CAR CRASH CONTROL

    ( Réalisé par JULIUS

    PTPFG Production )

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    Pogo Car Crash Control est un de ces groupes ( rares ) que l'on prend autant de plaisir à voir qu'à entendre. Je ne parle pas de leurs prestations scéniques ébouriffantes et sbeulbullbuzziques, mais de leurs images. Toutefois, je ne m'intéresserai pas en cette chronique à la pochette de leur nouveau disque Tête Blême qui sort ce 18 septembre 2020 et dont le titre Qu'est-ce qui ne va pas ? est extrait. Faut vivre avec son siècle, il y a déjà longtemps que les images bougent... Depuis le tout début de leur carrière les Pogo offrent régulièrement des cadeaux animés à leurs fans, des clips particulièrement déjantés qui sont si attendus et appréciés qu'ils sont considérés comme des jalons importants de leurs productions. Des clips tout le monde en fait à tel point que dans la plupart des cas ils se ressemblent tous. Ceux des Pogo possèdent cette particularité de respecter la règle des correspondances baudelairiennes, musique, paroles et images se doivent de procéder en leurs noces synesthésiques d'un même esprit, homologué P3C.

    Ce coup-ci Baptiste Groazil a laissé la place à Julius Gondry pour la réalisation. Pas tout à fait un inconnu, le frère du rappeur Biffty et le fils de François Gondry qui émargea dans Ludwig Von 88. PTPFG ( Patapouf Group ) est un collectif d'artistes-techniciens ou de techniciens-artistes d'explorations imagées formelles... N'empêche que Julius a su capter l'esprit P3C, tout en assurant le changement dans la continuité et peut-être même le changement dans la continuité.

    Tout pour les yeux. Du rose criard, du vert citron, du bleu détergent et du mauve pustuleux, A la queue leu leu Simon tout seul avec sa guitare, Lola et sa basse surmultipliée comme les pains du petit Jésus, et Louis qui nous fait la règle de trois à la batterie. Jusque là tout va mal, ordre logique du kaos crash, c'est alors que vous prenez en pleine poire la tête d'Olivier qui vous interprète ce que vous n'avez jamais pu encore entendre, le fameux cri de Munch, sans voir le tableau. On ne peut pas tout avoir dans la vie, oui même dans un clip du Pogo. Lot de consolation, vous pouvez regarder la télé. En plus vous êtes installé devant avec le look d'Iggy quand il était encore adolescent boutonneux. C'est là que le serpent se mord la queue. Vous matez un clip dans lequel un gars est en train de mater le clip que vous matez. Réussite et mat ! Le coup de la toile du peintre en train de peindre le tableau de son auto-portrait, ici c'est le fan qui admire ses idoles. Une espèce de perversion narcissique auto-contagieuse. Rien ne va, ni dans sa tête, un pédopsychiatre doltolien vous aidera à déchiffrer : la sucette de bébé qu'il mâchouille, les gluantes friandises dont il se goinfre, le sourire extatique qui béait de ses lèvres, tout bébé, quand il avait fini de téter le sein de sa mère. Passons sur les fréquences de déglutition pizzaïque, gardons nos mirettes pour les flashs colorés qui nous montrent le groupe en pleine action sur des fonds réséda malade ou fraise avarié. Voir c'est bien, toucher c'est mieux. Disait l'apôtre Mathieu. Imposition des mains sur l'écran, puis profitant de l'aubaine du visage épileptique d'Olivier sur l'écran, le fan tente de lui faire, afin de lui prouver un amour inconditionnel, le coup du baiser au lépreux. C'est ici que les rôles s'inversent. Qui devient dingue, le fan, l'idole, l'image ? Qui fait de l'œil et de la langue à quel autre ? Pourquoi le désir de la représentation ne deviendrait-il pas la représentation du désir, embrassez un boa sur la bouche il vous engloutira. Moment d'extase mystique, les images se déforment et deviennent laiteuses, trop c'est trop, la peur de l'engloutissement accapare le fan, mais n'est n'est-il pas devenu l'idole elle-même, le serpent qui s'enroule autour de l'olivier, l'un et l'autre platoniciens ne se confondent-ils pas, images épileptiques, et la tête d'Olivier qui surgit du poste telle une proue vindicative de drakkar, à moins que ce ne soit le chef d'une statue votive qui s'en prend au pèlerin qui vient l'encenser. Idolâtre l'idole et tu vénèreras le Diable ! Tant pis qu'importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse. Communion au-delà du bien et du mal. Frères headbangers pour toujours. Coup de flip. Descente de trip. Incommunicabilité de la technique. Fin amère.

    Reprenez vos esprits, c'est fini. Oui déjà ! Les meilleurs choses ont une fin, même les clips des pogogrammateurs. Quelque chose ne va pas bien en vous. Une vidéo-rigolote qui vous met mal à l'aise. Qui interroge votre statut de fan de rock. Merci à Julius qui n'a pas oublié le logo des Pogo, au tout début. Le couteau dégoulinant de sang que brandit une main assassine. Mais quel César a-t-il assassiné ? L'idole phantsmatique ou le fan fils de la plèbe? Les deux peut-être. Humour à double-tranchant philosophique. Décidément tout va mal ! Où que vous soyez des deux côtés du poignard.

    Damie Chad

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    Javais terminé, j'étais content, et paf ce matin à l'aube, à l'heure où blanchit la campagne, une deuxième vidéo issu de l'album Tête blême. Je mens, j'en blêmis de honte, l'est en ligne depuis le 15 juillet. C'était pour voir si vous suiviez les PCCC.

     

    LE CIEL EST COUVERT

    POGO CAR CRASH CONTROL

    ( Clip )

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    N'y a pas que le ciel qui est couvert, le clip est dans la brume. Un fog qui colle. En plus l'image tremble. Pas d'affolement. C'est fait exprès. Ce clip est moins bricolé que le précédent mais tout aussi efficace. Ne commencez pas par râler, car vous avez droit à un supplément gratuit non imposable, les lyrics sont en surimpression sur l'image, même que parfois ils l'accaparent, sont beaux d'une brillance gothique de cimeterres effilés éclaboussés de reflets de lune, un truc à ne plus sortir la nuit que revêtu d'une armure. Bref vous avez sur ce clip pour qui n'est pas sourd et sait lire ce que Valéry désignait comme les ingrédients indispensables de la plus haute poésie, le son et le sens. Soyons juste, les lyrics de Le ciel est couvert n'offrent pas le velours incisif des décasyllabes du Cimetière marin de l'auteur de Charmes, mais ils sont tout aussi mortels. C'est que voyez-vous quand on est mort, on est mort, mais le plus terrible c'est d'être encore vivant et de se voir vieillir.

    Il y a encore pire, c'est de s'apercevoir alors que l'on est encore jeune que toutes nos béatitudes existentielles ( plaisirs, colères, révoltes ) – Pascal les nommait les divertissements - ne sont que des mensonges auxquels on ne croira jamais. Les Pogo prennent le contrepied de l'idéologie punk, ce n'est pas vrai qu'il n'y a plus de futur, au contraire il est inévitable puisqu'il n'est que la répétition de ce que nous savons depuis toujours. La réitération perpétuelle d'un éternel présent maussade et inéluctable. Le genre de truc à se tirer une balle dans la tête alors que l'on est encore dans le ventre de sa mère. Que dis-je, que l'on est juste un spermatozoïde vibrionnant dans le liquide spermatique en coagulation.

    Une terrible vérité. Peut-être est-ce pour cela qu'ils sont tous les quatre en train de trembler d'horreur à chacune de leur apparition dans le clip. D'ailleurs vous délivrent le message à toute vitesse, à fond de train, ne s'attardent pas, le morceau dure à peine deux minutes seize secondes de malheur. Par contre sont honnêtes, l'Olivier vous décalque les olives neuronales de bien belle façon, vous hurle la terrible et insupportable vérité à faire porter plainte à vos voisins pour cruauté mentale. Question bélier musical, mettent toute la gomme. Trois coups de boutoirs ponctués de deux breaks de batterie, ce sont les vantaux de votre raison qui craquent et volent en éclats. Ne vous font pas la révélation en leasing de trois ans, ne lésinent pas sur la mayonnaise.

    Le plus terrible c'est qu'ils ratent totalement leur coup. Une catastrophe, vous devriez être au trente-sixième dessous, désemparés, désarçonnés, toutes vos illusions perdues, dégoûtés de vivre, en train de choisir votre cercueil sur catalogue google, ben non, vous avez un pêchon extraordinaire, écoutez ce morceau et vous aurez l'impression de voir se lever l'Aurore prophétisée par Nietzsche. Une médecine de shamen rock qui vous permet de surmonter le nihilisme. Que voudriez-vous de plus ?

    Damie Chad.

    LA GEÔLE

    HUBERT SELBY JR

    ( Club Franais du Livre / 1972 )

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    Paru en 1964, Last Exit To Brooklin, le premier roman d'Hubert Selby Junior subit les passions et les foudres de la censure américaine et européenne... merveilleux tremplin publicitaire, en quelques mois il s'en vendit sept cent cinquante mille exemplaires... Avec le temps l'intérêt de la France pour ce livre ne s'est pas démenti, traduit pour la première fois en 1972, une deuxième traduction en a été proposée en 2014.

    Le deuxième roman de Selby La Geôle a sur le champ conquis l'unanimité des critiques, édité par chez nous lui aussi en 1972, à peine un an après sa publication aux USA, et réédité en 2004, par contre à la grande surprise de Selby le public n'a pas suivi. Notre romancier était convaincu de livrer un véritable chef-d'œuvre, cet insuccès notoire ne l'aida pas pas à surmonter son malaise existentiel. Etrange de voir le nombre d'écrivains américains atteint d'états dépressifs. Selby a trouvé ses remèdes, héroïne et alcool...

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    Il est vrai que La geôle est un chef-d'œuvre. Un véritable tour de force. Mais fort déconcertant. Un livre pour écrivains. Si vous ouvrez le Last exit to Brooklin, vous aimez, vous détestez, mais au minimum vous vous confrontez à une ( et mêmes plusieurs ) histoire, cela grouille de vie, de violence et de sexe. Tout pour rendre un lecteur heureux.

    Je vous entends ricaner, encore un truc de plus sur les prisons américaines, les matons vicieux et racistes, le couloir de la mort, les clans, les caïds, les trafics, vous connaissez tout cela, vous l'avez déjà lu mille fois. Si vous avez par hasard envie d'une mille et unième fois, je vous recommande les poèmes d'Erich Von Neff, mais surtout pas La Geôle. C'est que dans le bouquin, il n'y a rien de tout cela. Aucun de ces ingrédients. Vous salivez, vous flairez l'originalité, la super entourloupe... alors je reprends en essayant d'être plus précis : il n'y a rien. Point à la ligne. Essayez d'écrire un bouquin de trois cents pages dans lequel il ne se passe rien.

    Bien sûr, il y a le minimum vital : un prisonnier. Pas plus. Des gardiens fantomatiques. Une unique cellule. Un réfectoire mais il ne serait pas mentionné que vous ne le verriez pas moins. Pour la Riot in cellblok number nine vous visionnez plutôt un film des Blues Brothers. Donc un prisonnier. N'a pas de nom. Ni de tête. Encore ce dernier détail est-il une interprétation. Pourquoi est-il encagé notre masque de fer très spécial, pour rien. Ça, c'est lui qui le dit. Vous n'êtes pas obligés de le croire. De toutes les manières vous n'en saurez rien. Que fait-il ? Rien, il reste la plupart du temps couché sur son lit.

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    Vous avez visité l'extérieur du personnage. Reste à pénétrer à l'intérieur. Plein comme un œuf, le mec il barjote grave, il délire, tout se passe dans sa tête, pas l'univers entier, sa haine, sa vie, ses rêves, ses phantasmes, ses explications. Au début vous lui ouvrez les portes de votre bon cœur, les flics l'ont arrêté sans aucune raison. Aux USA les pigs ont les menottes faciles, vous comprenez que le gars les hait un max, qu'il se déclare innocente victime, qu'il en tire une analyse politique: les flics sont tous des fachistes... L'actualité corrobore ce livre qui date d'un demi-siècle.

    Selby ne devait pas trop les aimer non plus, pas un mot pour défendre les valeureux gardiens de l'ordre, ces héros bienfaisants, ces sauveurs de la démocratie. Non, mais le malaise s'installe en vous. C'est à cause de ce que raconte le gars. Son enfance. Si semblable à la vôtre. Il aime sa maman, il ne fait jamais de bêtise. Ou alors ce n'est pas de sa faute. C'est celle des copains, des concours de circonstances extraordinaires qui font que... Heureusement sa maman le croit, ou fait semblant, le serre dans ses bras et embrasse son petit chéri... La donne ne change guère quand il grandit, le livre porno à l'école primaire vous l'avez déjà fait, la fille que les ados serrent de près dans un petit coin sombre avant de se faire serrer à leur tour par les flics, mais ce n'est pas eux... vous aussi vous y avez échappé... vous connaissez le refrain, faute à moitié avouée complètement pardonnée...

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    Passons aux choses sérieuses. Qui dit prison, dit justice. Voici notre prisonnier qui a réussi à fédérer autour de son cas presse et avocats, convoqué devant la Commission Spéciale du Sénat pour lancer une enquête sur les violences policières... C'est fou ce que l'on peut s'imaginer au fond d'une cellule... Ce coup-ci ce sont les deux policiers qui l'ont appréhendé qui subissent un démoniaque et tatillon interrogatoire devant un tribunal, notre prisonnier est le plaignant mais de temps en temps il mène les débats... il n'y a de mal à se faire du bien, quel hasard c'est lui qui est chargé de les punir, ne s'en prive pas, les scènes glaçantes de torture vous le rendent moins sympathique, il est vrai qu'ils ont commis un viol ignoble sur une jeune femme, ne vous épargne aucun détail, à tel point que vous en venez à vous demander s'il n'est pas en train de vous tuyauter en long et en large sur tout ce qu'il aurait aimé faire subir à une jeune femme lorsqu'il était libre... d'autant plus qu'il décrit l'insatisfaction ressentie à la fin des très longues scènes masturbatoires avec sa copine dans la pénombre protectrice du cinéma...

    Le livre se finit-il mal ? Pas vraiment. Le prisonnier recroquevillé sur lui-même se balance sans fin sur son lit... Ouf ! C'est terminé ! Vous l'abandonnez sans regret à son triste sort. Même innocent il est trop pénible. Vous fatigue. Vous assomme. Qu'il se débrouille comme il peut pour sortir de là. Ne regardez pas de trop près vos semblables. Qu'est-ce que la nature humaine ? Ne sont-ils pas des monstres ? Des tueurs en série ? Des assassins ? Des vicieux ? Des pervers ?

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    Super bien écrit, un prodige, pas étonnant que le public ne se soit pas rué dessus, il existe des instincts de survie collectifs :

    '' T'as lu le deuxième Selby ?

    • Laisse tomber, ennuyant au possible, impossible de savoir où il veut aller, doit être siphonné ce type, bouffé par un sentiment d'auto-culpabilité incompressible, un truc de malade mental, qui te fout les chocottes et qui t'empêchera de dormir toute la nuit, tu peux me croire, autant Brooklin c'était fort, cruel, amoral, déglingué, tout ce que tu veux, mais au moins c'était vivant, celui-là c'est l'anti-chambre de la mort, pas celle du héros, la tienne ! Un conseil n'y touche pas !

    • Tu sais que tu me donnes envie !

    • M'étonne pas de toi, Damie ! Quand j'y pense t'es un mec aussi curieux que le personnage central, pas de conseil à te donner mon pote, mais tu devrais peut-être prendre rendez-vous chez un psy, franchement ça te ferait du bien, je suis sûr que tu te sentirais mieux après. J'ai une bonne adresse de psychanalyste, attends je te la refile, tu pourras me remercier, une sacrée chance de m'avoir comme ami !

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 475 : KR'TNT ! 475 : EMITT RHODES / MARK LANEGAN / ROCKABILLY GENERATION SP CRAZY CAVAN / E-RUINS / BUNKER PROJECT / HEAVYTION / THE TRUE DUKES / FICTION ABOUT FICTION /

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 475

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    10 / 09 / 20

    EMITT RHODES / MARK LANEGAN

    ROCKABILLY GENERATION SP CRAZY CAVAN

    E-RUINS / BUNKER PROJECT / HEAVYCTION

    THE TRUE DUKES / FICTION ABOUT FICTION

     

    On the Rhodes again - Part Two

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    L’un des secrets les mieux gardés du rock américain vient de tirer sa révérence. Adieu Emitt Rhodes. Bon, c’est vrai, KRTNT en a déjà beurré un grosse tartine en octobre 2018, alors on ne va rebeurrer la même tartine, quoi que ce n’est pas l’envie qui manque. Beurrer est un plaisir. Dans son hit-parade, Jimmy Doyle classe le beurrage aussitôt après la scène et la baise. Il suffit de fermer les yeux pour sentir le parfum d’une large tranche taillée au laguiole dans une miche aveyronnaise et qu’on beurre abondamment avant de la diriger vers une paire de lèvres humides et frémissantes.

    Soumis à une pression commerciale terrible dans les années 70, Emitt s’était retiré du music business. Il dit avoir failli en crever. Ce reclusive pop polymath, comme le qualifie Paul Myers, refit surface 43 ans plus tard avec un album remarquable, Rainbow Ends. Pour saluer sa mémoire, ressortons de l’étagère ce chef-d’œuvre éminemment emittien.

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    On peut affirmer sans risquer de tomber dans l’emphase qu’Emitt Rhodes est un spécialiste des coups de génie, au même titre que Brian Wilson et Todd Rundgren, Burt Bacharach ou Jimmy Webb. Il propose une pop orchestrée et sensible qui n’en finit plus de surprendre, même lorsqu’on croit que la messe est dite depuis longtemps. Comme la littérature ou les beaux arts, la pop a encore de beaux jours devant elle, rassurez-vous. La pop de ces gens-là paraît souvent sophistiquée et évidente à la fois, on y sent une grande aisance qui est sûrement le fruit d’un travail acharné. Pas de meilleure illustration de cette théorie branlante qu’«If I Knew Then», un cut de pop étrange et solide à la fois. En fluidifiant son swing, Emitt embarque sa pop au paradis. Comme Brian Wilson, il crée son monde, il développe une énergie capiteuse dont on s’abreuve comme au sortir d’un désert, à s’en écarteler les mandibules. On s’étonne d’une beauté aussi mirifique après 43 ans de silence. C’est là qu’on tombe dans le panneau du lieu commun : les génies n’ont pas besoin de pratiquer, ils entendent et il leur suffit de chanter ce qu’ils entendent. C’est en tous les cas ce qu’on racontait au lycée quand on parlait de Brian Wilson. Du temps où on était comme Jacky, beaux et cons à la fois.

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    C’est avec «Dog On A Chain» qu’Emitt ouvre son beautiful bal. On ne se méfie pas, on se dit oh bah d’accord, encore un vieux has-been qui a besoin de blé pour s’acheter une tondeuse à gazon et pouf, ça explose au deuxième couplet. Emitt gratte tout simplement ce qu’on appelle les accords du paradis. En plus c’est une chanson autobiographique : le chien en laisse, c’est lui- I was led like a dog on my knees - On comprend pourquoi on le voit pleurer sur la pochette. L’autre coup de Jarnac s’appelle «This Wall Between Us». Le mur lui sert de prétexte à dérive. Il crée un courant mélodique énorme qui l’emporte vers le large. Il se demande s’il peut lire dans les pensées de sa copine. Non. Pourquoi ? Parce qu’il y a un mur entre eux. Rien n’est de pire que de partager la vie d’une personne dont on ne peut lire les pensées. Il est important de préciser à ce stade de l’évolution des choses que ce sont les musiciens de Brian Wilson qui accompagnent Emitt Rhodes. Avec «Someone Else», il passe à la heavy pop, comme au temps béni oui-oui du Merry-Go-Round. Rocky Rhodes ne chante que des hits faramineux. Il ne se mouche pas dans la dentelle de Calais. Il pianote «I Can’t Tell My Heart» au clair de la lune et endort notre méfiance. Grave erreur, car il fait sauter le pont de la rivière Kwaï et dans ce badaboum extraordinaire flotte l’esprit de Burt Bacharach. Il faut bien comprendre que cette pop prétend au trône en permanence. Aux noms de Phil Spector, Brian Wilson, Todd Rundgren, Jimmy Webb, Burt Bacharach, John Lennon, il faut ajouter celui d’Emitt Rhodes. Avec «It’s All Behind Us Now», il fait son Doctor John, privilège de l’âge. Groove de rêve. «What’s A Man To Do» éclate dans la beauté du jour. Il chante à la saturation de timbre, il épuise la beauté angélique. Il descend au plus profond de l’âme humaine et ses arpèges crucifient la mélodie au Golgotha du sentimentalisme. Back to the heavy pop avec un «Friday’s Love» explosif de pop culture. Emitt se laisse emporter par les dérives qu’il secrète. Il est l’artiste dont on rêve. Cet album inestimable s’achève avec le morceau titre, un cut septentrional qui se réclame du jargon des horizons. Comme il va loin, il entraîne la prod dans son sillage mais en même temps, il semble devancer les notions de temps et d’espace. C’est très particulier. Ça s’adresse à l’intellect. On sent que brûle en lui une sorte de feu à la Brel, il cherche en permanence à fabriquer la chanson parfaite. Son always chasing rainbows explose. Il faut entendre ça, cette façon de jeter quatre vers parfaits dans un infini de beauté. Avant lui, peu de gens avaient osé. On ne se lasse pas de cette montée ultime et sublime.

    Signé : Cazengler, Emitteux

    Emitt Rhodes. Disparu le 19 juillet 2020

    Emitt Rhodes. Rainbow Ends. Omnivore Recordings 2016

     

    Lanegan à tous les coups

    - Part Four

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    Si Mark Lanegan continue comme ça, il va battre tous les records de Parts sur KRTNT. Cet homme qui ne fait aucun effort pour se montrer agréable n’en finit plus de nous gaver de son génie. On peinait à ingurgiter sa longue litanie d’albums empoisonnés, voilà maintenant qu’il propose trois cent pages de prose tête-dans-le-cul et aussi gonflée d’abcès que la peau de ses avant-bras. Oh bien sûr, ni lui ni personne ne nous oblige à lire ce texte aussi déplaisant qu’une violente crise d’hémorroïdes, mais quand on est accro à une dope qui s’appelle Lanegan, il n’est pas possible de faire comme si ce livre n’existait pas. Le book s’intitule Sing Backwards and Weep: A Memoir. Le pire est que Lanegan écrit aussi bien qu’il chante, alors forcément, c’est gagné d’avance. Et le pire du pire, c’est qu’il sort un nouvel album en même temps que cette autobiographie qui raconte page après page la véritable histoire d’un fabuleux chemin de croix. Il faut l’avoir lu pour savoir qu’une telle descente aux enfers existe. Mais c’est une descente aux enfers rock, c’est-à-dire de l’art. Lanegan a compris comme d’autres avant lui qu’il pouvait faire de sa vie une œuvre d’art, pardon, une dark œuvre d’art, mais pour que ça vaille la peine, il faut y mettre le paquet. Comme Johnny Thunders, Jeffrey Lee Pierce et Kurt Cobain, ça passe par l’hero et tout le trash qui va avec, les veines, les vices, les aiguilles et les embrouilles. Encore une fois, rien n’est ici condamnable, puisqu’on est dans l’art. C’est ce qu’il faut essayer de comprendre. L’artiste se met en danger pour la seule beauté de son art : ici, un vécu de rockstar. On imagine qu’Artaud, Rimbaud et William Burroughs se sont mis pareillement en danger pour la seule beauté du geste. On pourrait ressortir tous les clichés littéraires et tous ceux de l’histoire de l’art pour illustrer cette théorie que défend Nina Antonia dans son Thunders Book, In Cold Blood : le junkie ne met que sa vie en danger, rien d’autre. Alors, demande-t-elle, où est le problème ? L’art et la morale n’ont jamais su faire bon ménage. Ils dorment à l’hôtel des culs tournés. On écoute les disques des Dolls mais on critique Johnny Thunders. C’est là où le bât blesse. Il est vain de croire qu’on puisse détacher l’homme de son art.

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    Parmi tous les récits de junkies, celui de Lanegan figure parmi les plus crus, les plus extrêmes, les plus toxiques. Il ne cache rien de ses travers, de ses actes et de son insondable désespoir. Peut-on seulement imaginer jusqu’où peut nous mener le désespoir ? Non, si on ne le vit pas soi-même. En comparaison de Lanegan, Dostoïevski et Cioran apparaissent comme des petits écrivains pelotonnés qui frissonnent au fond d’une alcôve douillette. Lanegan vit dans la rue et frappe avant qu’on ne le frappe. Comme Johnny Thunders, Lanegan voit la dope comme son seul refuge. Il va même encore plus loin, quand il dit à plusieurs reprises qu’elle est son seul amour, the only one love. Pourquoi son seul amour ? Parce qu’elle ne le fera jamais souffrir. Au contraire. Elle l’empêche de souffrir. Il nous plonge dans le divin chaos des paradoxes. Du coup, ce récit éclaire tous ses albums. On le sentait sombre, le Lanegan. En le lisant, tout devient clair comme de l’eau de roche. En se livrant aussi crûment, il donne une fantastique leçon d’humanité. L’homme est par nature définitivement tordu et c’est bien qu’un mec comme lui ait l’honnêteté de le rappeler en envoyant gicler comme une sorte de pus littéraire les pires détails de desolation row. Wow wow wow.

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    Les pages de ce Précis de Décomposition sont pour la plupart longues et sombres comme des jours sans pain. Il arrive que certaines soient si denses qu’il faille s’y reprendre à deux fois pour venir à bout de cette prose amère et merveilleusement choquante. Là où Dostoïevski nous fatiguait, Lanegan nous exalte. Curieuse sensation d’exaltation : on est littéralement ravi de voir qu’un chanteur qu’on vénère tient fantastiquement la route à l’écrit. Il a ce qu’on appelle un souffle, et il porte un regard si noir sur lui-même qu’on croirait parfois lire les mémoires d’un officier SS ou d’un bagnard, mais il ne s’agit que des mémoires d’une rock star américaine, pas de drame, pas de guerre, pas de fosses communes, juste de l’underground vécu à la va-comme-je-te-pousse, dans un chaos constant de seringues, de coups dans la gueule, de concerts, de sexe, de vols, une ritournelle qui sous une autre plume tournerait à la facétie mais qui sous la plume de Lanegan tourne à l’énormité cabalistique. Il fait partie des écrivains dont on entend la voix au fil des pages, c’est aussi simple que ça. C’est parce qu’il existe un tout petit enregistrement de la voix d’Apollinaire qu’on l’entend quand on lit par exemple le recueil des Lettres À Lou (dont Jean-Louis Trintignant - plus mort que vif à l’époque - fit une lecture dans un petit théâtre de la Madeleine), ou encore Paul Léautaud dont on connaît la voix grâce aux très longs entretiens qu’il accorda jadis à Robert Mallet. Même chose avec Cendrars ou Roger Vailland, ou encore Philippe Sollers (qui errait tel un miraculé dans les miraculeuses Nuits Magnétiques d’Alain Venstein, lisant Rimbaud et Sade), et plus près de nous, un Michel Houellebecq complètement désabusé qui nous parle de sa liberté chèrement acquise dans une interview parue sur DVD. Ce phénomène de voix qu’on entend en cours de lecture ne se produit qu’avec les très grands écrivains, à condition bien sûr qu’ils soient relativement contemporains. Les voix de Montaigne et de la Boetie ? Tintin.

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    Le Lanegan qui se dépeint enfant rappelle un peu l’auto-portrait que brosse Steve Jones dans son autobio, celui d’un gosse foncièrement déterminé à mal tourner. Lanegan n’y va pas de main morte quand il situe les origines de sa famille «dans une lignée de mineurs, bûcherons, trafiquants, fermiers misérables du South Dakota, criminels, forçats, et hillbillies de la pire espèce, celle des plus primitifs et des plus ignorants.» Dès le début de sa carrière, Lanegan sait qu’il n’est pas destiné à devenir un premier de la classe. En plus, il frémit d’horreur à l’idée que sa mère fut à deux doigts de l’appeler Lance. «Lance Lanegan. Je ne peux rien imaginer que plus humiliant et de plus ridicule. Je remercie encore mon père de ne pas avoir autorisé ça.» Et pouf, c’est parti. «À 12 ans, j’étais déjà un joueur compulsif, un alcoolique, un voleur et un amateur de porno. J’avais une énorme collection de magazines porno.» Ado, il passe au tribunal. On l’accuse de «vandalisme, d’effraction de voitures, d’intrusion, de recel, d’alcoolisme précoce, de vol d’alcool, de possession de marijuana, de vol de bicyclettes, de vol de pièces de motos, d’avoir uriné en public, de vol de fûts de bière, de vol d’auto-radios, d’ivresse sur la voie publique, etc.» Lanegan est le roi des énumérations. Il est condamné à 18 mois de prison. Il a 18 ans. Mais le juge lui donne une chance en lui accordant un sursis. Il lui ordonne de s’inscrire dans un centre de remise dans le droit chemin. Lanegan sort libre. Fuck le droit chemin !

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    Il développe très tôt une belle fascination pour la violence. Il apprend à frapper dès qu’on commence à l’importuner. «Le premier coup n’était pas forcément suffisant et la violence devint un autre moyen de communiquer, une langue que j’appris à pratiquer couramment.» Il va en effet la pratiquer toute sa vie, et au moment de la shoote avec Liam Gallagher sur laquelle on reviendra plus loin, Lanegan rappelle son pedigree : «Je suis un vétéran de la violence, extérieure comme domestique, onstage, backstage, à la campagne, en ville, dans les bars, sur les parkings, dans les salles de billard, dans les ruelles, aux arrêts de bus, dans les campings, dans les HLM, sur les trottoirs, dans les fêtes privées, dans les crack houses, les dope houses et les jailhouses.» L’autre aspect déterminant de sa personnalité est le côté sombre, cette dépression latente qui le pousse à boire et à se droguer. Il a toujours l’impression de marcher sur une corde raide dont il va tomber. Ado, Lanegan s’isole, il n’a pas de copains, il n’en veut pas. Il ne dort pas la nuit et dort le jour. Il sort des phrases extraordinaires du style : «I always thought I knew it all, but I was only ever motivated into action by one of two things: pleasure or pain.» (Je croyais tout savoir, mais en vérité les seuls moteurs qui me poussaient à agir étaient le plaisir ou la douleur). Il grandit à Ellensburg, un patelin (cow town) de l’état de Washington, situé à un peu moins de 200 km au sud-est de Seattle. Lanegan y hait profondément les habitants, «les conservateurs ignorants, les fermiers white trash et les éleveurs qui ne font que de parler de la pluie et du beau temps.» Quand il est ado, Lanegan tombe sur la photo d’un mec couvert de tatouages et ça le fascine. Alors il commence à se tatouer avec une aiguille et de l’encre de Chine. Il découvre aussi le rock : un disquaire d’Ellensburg nommé Tim Nelson lui fait écouter «Anarchy In The UK» - It was the revelation that changed my life, instantly and forever - Il flashe aussi sur le Venus Erotica d’Anaïs Nin et commence à cultiver des fantasmes sexuels. «Je ne voulais que de l’excitation, de l’aventure, de la décadence, de la dépravation, je voulais tout, absolument tout.» Mais pour cela, il faut quitter ce trou à rats d’Ellensburg. Et pour y parvenir, il n’a qu’une solution : intégrer un groupe de rock et partir en tournée.

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    C’est Gary Conner qui lui propose de chanter dans les Screaming Trees. Grâce à ce book, on connaît enfin la vraie histoire des Screaming Trees. Le nom nous dit Lanegan vient d’une old Electro-Harmonix guitar pedal called the Screaming Tree. La base du groupe, c’est les deux frères Conner, Gary et Lee. Manque de pot, Lanegan ne s’entend pas bien avec Lee qui est en fait le cerveau du groupe, guitariste et compositeur - It was like talking to a stone - Lee n’a que deux modes de fonctionnement, nous dit Lanegan, muet ou enragé. Lee Conner insulte son père et tape dans la caisse de la boutique familiale. Aux yeux de Lanegan, Lee est un inadapté social - completely inept socially - qui se comporte comme a fucking prima donna, a hillbilly diva who considered himself a genius. Il traitait tout le monde like shit on his shoes. «Comme il n’a aucune vie sociale, il compose quatre chansons par jour.» Lee Conner est un fan de Nuggets - I couldn’t relate to the fakeness of it all - Dans ses textes, Lee décrit des trips de LSD alors que dans la réalité, il n’a jamais pris d’acide ou fumé d’herbe - C’était mon expérience, pas la sienne - Lanegan devra attendre Sweet Oblivion pour découvrir la face cachée de Lee Conner, un homme qui reconnaît le talent de Lanegan et qui lui confie enfin l’écriture des textes. Dans ce passage terriblement émouvant, Lanegan se dit honoré de la confiance de Lee Conner. Et c’est là que les Screaming Trees vont devenir énormes.

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    Les deux frères Conner se foutent sur la gueule. Et quand dans un concert, on traite l’un des frères Conner de gros lard, c’est Lanegan qui descend dans la fosse pour régler le problème - Ce groupe était malade, violent, déprimant, destructeur et dangereux - En plus, Lanegan est furieux car pendant tout le début du groupe, il doit chanter les textes débiles de Lee Conner. Mais les Screaming Trees commencent à tourner et pour Lanegan, c’est l’essentiel : il quitte ce fucking trou à rats d’Ellensburg. Il voyage aux États-Unis et en Europe et se goinfre de tout ce qui passe à portée de sa main : whaterver sex, drugs or money that came my way.

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    Lanegan adore la bonne musique. Il cite comme influences le Velvet, les Saints, Captain Beefheart, les Groundhogs, Kraftwerk, les Dolls, Joy Division, le Gun Club, les Wipers, The Fall, Lou Reed, les Stranglers, Birthday Party, John Cale, Bowie, les Damned et les Stooges. Pas mal, non ? Plus loin il cite deux chanteurs en référence : Falling James des Leavin’ Trains et Chris Newman de Napalm Beach. Il adore aussi le cool, catchy, idiosyncratic primitivism de Beat Happening, et notamment le premier album. Il se dit aussi obsédé par l’Astral Weeks de Van Morrison et par un book de Cormac McCarthy, Blood Meridian. Il rend aussi hommage à Pond, «their music, catchy and energetic with lots of good songs and a couple really spectacular ones». Il parle aussi des Saints comme l’un de ses favorite bands of all time. Quant à Mike Ness, it’s impossible not to dig him - À la différence d’autres musiciens qu’il m’est arrivé de croiser dans ma vie, il n’avait pas la prétention d’être une rock star (there was zero entitled-rock-star bullshit to his personality) What you saw was what you got - Il qualifie Alice In Chains de massive apocalyptic machine onstage et voit son meilleur ami Layne Staley comme l’un des grands chanteurs américains.

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    Mais ses plus grands amis sont les gens qu’il admire : Jeffrey Lee Pierce et Kurt Cobain. Lanegan connaît Kurt depuis longtemps et il sait la différence qui existe entre Nirvana et les Screaming Trees - Nirvana était déjà ce qu’ils étaient la première fois que je les ai vus : great songs, great singer, great look, everything - Lanegan finit par comprendre que Kurt le considère comme un big brother. Et dans un élan épique, Lanegan situe Kurt au même niveau que Dylan, Lennon, Bowie et Jimi Hendrix. Et quand les Screaming Trees sont interdits de festival en Angleterre, Kurt menace d’annuler Nirvana à Reading si les Screaming Trees ne figurent pas à l’affiche. Kurt demande aussi à Lanegan s’il veut bien venir chanter avec lui un truc de Lead Belly au MTV Unplugged. Ils avaient déjà bossé «Where Did You Sleep Last Night» ensemble pour un projet avorté. Kurt cherche toujours à faire connaître Lanegan, mais celui-ci ne veut pas entrer dans le rond du projecteur. Il ne veut pas être cet inconnu qui débarque sur un plateau télé avec le groupe le plus célèbre du monde. Alors, il décline l’offre. Dans un moment de détresse intense, Kurt avoue à Lanegan que la célébrité le détruit et ajoute qu’il n’a plus que deux amis dignes de sa confiance, Dylan Carson et lui, Lanegan. Mais Lanegan se sent mal dans ses godasses, car il ne se sent pas à la hauteur - What kind of friend am I really ? - Oui, il a raison de se poser la question, car quand Kurt l’appelle au secours, Lanegan ne décroche pas son téléphone. Il laisse le répondeur. L’horreur - Il a appelé deux fois en deux heures. Même si je me sentais devenir l’ami le plus merdeux du monde, je n’ai pas décroché. Me prenant pour un Oscar Wilde des temps modernes, je suis resté allongé, en calbut sale et dans une robe de chambre tachée que m’avait laissée une copine stripteaseuse - C’est la première fois qu’il avoue cette lâcheté, là, dans ce livre. Il avoue avoir menti à un journaliste de Rolling Stone, lui disant qu’il n’avait pas eu de nouvelles de Kurt pendant les semaines précédant son suicide, alors que Kurt l’appelait au secours.

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    L’autre grand fantôme du livre est Jeffrey Lee Pierce. Lanegan commence par flasher sur la musique du Gun Club - Cette musique faite spécialement pour un mec comme moi. Serial-killer music, music for a lost deviant fucked-up soul like mine ! - Aux yeux de Lanegan, Jeffrey Lee is a dude as fucked as I am - I began my lifelong love affair with the music of an idolization of one Jeffrey Lee Pierce - Les trois albums du Gun Club deviennent sa bible. Il va finir par le rencontrer et par devenir son ami. À un moment, Jeffrey Lee remonte un groupe et propose à Lanegan de chanter dans son groupe. Mais Lanegan refuse - Il n’était pas possible que je chante dans le groupe du meilleur chanteur du monde. Ça n’avait tout simplement pas de sens - Puis comme avec Kurt, Lanegan trouve des messages sur son répondeur : il comprend que Jeffrey Lee perd la raison. En apprenant sa mort, Lanegan suffoque de douleur - No, not Jeffrey - Non, pas le big brother qui m’a ouvert sa vie comme un livre qu’il m’a laissé dévorer, la seule relation de ce type qu’il m’ait été donné de vivre. Not Jeffrey, please. Je croyais que mon cœur allait se briser - Il raconte sa lutte pour ne pas sombrer - I would not fall in clinical despair. J’ai tout fait pour résister. Mais quand le barrage a cédé, j’ai chialé pendant des heures - Et il ajoute : «Je l’avais idolâtré. Sa disparition était irréelle. Je ne pouvais pas croire qu’il était mort. Je sentais que je n’allais pas pouvoir survivre à sa disparition. Comme si j’étais définitivement brisé.»

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    C’est vrai que les plongées introspectives de Lanegan sont parfois vertigineuses. Sans doute est-ce là qu’apparaît l’écrivain, et pas un petit écrivain à la mormoille. Lanegan a du souffle, c’est un prodigieux excavateur. Il se livre à nu et c’est très courageux de sa part. Exemple : il met en avant une personnalité dure et intouchable, mais en réalité, il sent la présence en lui de ce qu’il appelle a thousand forms of fear, c’est-à-dire mille formes de peur, et il sait pertinemment que c’est vrai. Il dit aussi sous forme de boutade laneganienne que la réflexion et l’introspection ne font pas partie de son vocabulaire limité.

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    Il passe un week-end de rêve avec Selene de Seven Year Bitch. Ils ont une petite love affair. Ils sont tous les deux dans la baignoire et elle lui dit à un moment : «Que t’est-il arrivé pour que tu sois si triste ?» - Ça lui fait l’effet d’un coup de marteau - It hit me like a hammer. Même dans les moments de sérénité, Lanegan se sent rattrapé par son passé. Il sent que cette femme lit en lui. Alors il se met à penser à tous les gens auxquels il a fait du mal, ceux qu’il connaît et ceux qu’il ne connaît pas, tous ceux qui ont eu le malheur de croiser son chemin. Il se sait toxique - In a rare moment of raw, open vulnerability, I started to cry - C’est exactement ce qu’on entend dans certaines de ses chansons : la damnation éternelle - My wasted childhood, my arrogant youth, my anger and obsessions, crime, delusions, self-loathing, paranoia, hopelesness, fury and sad junkie downward spiral - Vertigineux résumé de sa vie foireuse, mais c’est la vie de Lanegan, le plus grand chanteur américain - Si j’étais honnête, je dirais que toute ma vie est une honte, je ne suis rien d’autre d’un raté abject, a fucking shitbag menteur, le pire des junkie losers - Vertigineux aussi les éclairs dans la nuit du manque : «Non seulement l’herbe ne me soulageait pas, mais elle ne faisait qu’accentuer ma douleur. Au cœur de la nuit, je n’avais rien, ni valium, ni benzos, ni méthadone, ni argent, pas d’opiates, rien pour stopper le carnage of this rocket ship of misery. La brutalité du manque était toujours accompagnée par the worst punishing black hole of indescribable hopeless depression. J’entrais dans une spirale, a million-mile-an hour fall. Je me mis à sangloter, mon corps secoué de spasmes toujours plus douloureux avec chaque sanglot. It was torment beyond description.» Avec Lanegan, on se croirait parfois dans les caves de l’Inquisition. Il sait restituer l’horreur de la douleur. Il sait recourir à la prose organique.

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    Et de la même manière que Steve Jones, Lanegan adore se mettre à nu pour se branler : «En raccrochant le téléphone, je souriais stupidement. Je me disais que ma chance grimpait en flèche. Je me levai, sortis ma queue négligée ces derniers temps par le monde entier et me mis à me branler sur la table basse.» Question sexe, Lanegan n’est généralement pas tendre avec lui-même : «Presque toute ma vie sexuelle a été marquée par les conséquences désastreuses ou prophétiques occasionnées par une ou deux heures de plaisir. Ou par cinq minutes de plaisir, dans certains cas.» Et il ajoute quelques pages plus loin : «Je suis un expert pour transformer l’or en ordure.» Il ne passe même pas par le plomb. Gold for garbage directement. Et quand Kim White lui dit que Jeffrey Lee va mourir, Lanegan lui répond : «Nous aussi, un de ces jours.» Et il ajoute, laconique : «That ended the conversation.»

    Tiens encore un exemple du génie dialoguiste de Lanegan :

    — Goddamn it, Scratch! What the fuck did you take me into?

    Old Scratch était le surnom que me donnaient mes vieux amis, an arcane nom de plume of Lucifer himself.

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    Lanegan excelle aussi dans l’art des portraits rock : «J’ai rencontré Paul Bearer quand il chantait dans un groupe de Philadelphie, the Serial Killers. He was a one-of-a-kind dude with a crazy, funny-as-fuck intelligence who shared my fiending, black-hole, all-encompassing love of opiates and all things bizarre.» Lanegan swingue ses phrases comme des paroles de chansons. Il fait aussi un portrait de son brother Layne, en plein crazy-boom de crack. Layne perd les pédales, il voit des araignées partout et ça affecte Lanegan : «La tristesse de le voir dans cet état était au-delà des mots, lui, the sweetest, funniest, more magical and intelligent dude I knew, out of his tree.» Lanegan attache une importance considérable à l’intelligence. Tous ses amis et ses héros le sont : Layne, Kurt, Jeffrey Lee.

    Dans ce livre, on n’en finit plus de croiser ce qu’il faut bien appeler des éclairs de style, là où rock et littérature font des étincelles - C’était une belle aubaine pour trois camés qui n’avaient d’autre ressource que mes chèques sporadiques de royalties, que la vente de crack dans la rue, and wathever we foraged from the occasional breaking-and-entering incident or boosting-and-returning scam - small time junkie shit - Lanegan rocke autant sa langue que Nick Kent, mais avec toute la grandeur du swagger américain. Quand il dit ça - I had to fix sooner than that or else it was going to be a disaster - on se croirait dans un hit des Stones. Il a ces petites phrases de fins de chapitres qui rockent toutes seules.

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    Lanegan apporte aussi des éclairages intéressants sur ses albums, ceux enregistrés avec Screaming Trees, puis ceux de sa carrière solo. Sweet Oblivion est l’album qui dit-il faillit faire entrer les Trees dans le mainstream. Lanegan parle d’organically classic rock feel et salue au passage Don Flemming et John Agnello, le producteur et l’ingé-son de l’album. Pour Dust, Lanegan visait la perfection : il voulait que l’album se situe au niveau d’Astral Weeks, de Trout Mask Replica ou de Starsailor, a wholly original piece of music that could not be compared to anything other than itself. On peut dire qu’il a réussi son coup. On ne dira jamais assez à quel point Dust est indispensable. C’est George Drakoulias qui produit ce chef-d’œuvre. Lanegan sait qu’il chante pour la dernière fois dans les Trees. En fait, il ne peut plus les supporter. Il rappelle aussi que les gens de SubPop lui ont baisé la gueule à la parution de son premier album solo, The Winding Sheet, en ornant la pochette d’un portrait que Lanegan détestait. Fou de rage, Lanegan est allé trouver Bruce Pavitt dans son bureau pour lui démonter la gueule, mais il s’est retenu au dernier moment : «Eat shit Bruce. You don’t know how lucky you just got.»

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    Tout cela est bien joli, mais il manque le personnage principal de ce puissant récit : la dope. Sans sa chère dope, Lanegan n’est rien. La dope en fait un roi et le met à genoux en même temps. Il ne cache rien de sa consommation massive. Sex and drugs and rock’n’roll ? Come on in... «Cherchant désespérément à éviter les ravages causés par mon alcoolisme incontrôlable, j’ai commencé à bricoler avec l’hero. Je voulais absolument arrêter de boire et cesser de commettre toutes ces horreurs. J’y parvins grâce à l’hero and I picked up a small habit pretty quiclky.» Plus loin il ajoute : «Par rapport à l’alcool, l’hero avait tous les avantages : je n’avais pas de black-out, je ne me battais plus, je n’avais plus de gueule de bois ni de réveil dans des situations embarrassantes. L’hero me relaxait et calmait my always screaming mind.» Grâce à cette aventure de dope-craze, Lanegan va faire de subtiles rencontres : «Début 1993, nous allâmes de nouveau en Europe jouer en première partie d’Alice In Chains. Layne et moi avions fait notre last shot dans les toilettes de l’avion et en arrivant à Londres, on était déjà en manque. Notre connexion londonienne était un Américain vivant à Londres, Craig Pike. Il avait joué de la basse pour Iggy Pop et en jouait alors pour Thee Hypnotics. Il vivait dans un grand squat décrépit, il n’y avait ni eau courante ni électricité. Il vendait de la dope pour se payer la sienne. Même si j’aimais bien Craig, je trouvais son destin pathétique. En aucun cas j’aurais voulu sombrer à ce niveau de déchéance, you could fucking count on that.» Puis Lanegan raconte que Layne, lui et un autre mec utilisent la même seringue et qu’ils l’affûtent de temps en temps sur un grattoir de boîte d’allumettes, comme un vieux couteau sur une pierre à aiguiser. Lanegan n’est pas avare de détails sordides, mais il a raison, car il touche avec ça au summum du trash, c’est-à-dire tout ce que le corps peut encaisser dès lors qu’il s’agit d’atteindre les paradis artificiels. Il évoque aussi les gens bizarres qu’on croise dans ce milieu, «the company of unsavory, damaged or borderline dangerous people, some of them legitimately out of their minds. Des gens qu’on ne fréquenterait d’aucune manière.» Lanegan sort aussi les chiffres, c’est important les chiffres, dans ce type d’épopée : «Mon addiction était prioritaire en tout. Je consommais un ou deux grammes d’hero par jour, et ça me coûtait 150 ou 200 $, ça dépendait du vendeur. Je faisais un fix chaque soir et je gardais de quoi me shooter à mon réveil.» Et de fix en aiguille, Lanegan finit par trouver son true love, l’hero : «Personne n’aurait pu m’arrêter maintenant que j’avais trouvé my one true love, the only peace of mind I’d ever had.» Une paix de l’esprit qu’il doit payer au prix fort, mais quand on aime, on ne compte pas. Et voilà qu’il développe, pour qu’on comprenne bien : «L’hero m’a sauvé la vie. J’ai pu stopper les horreurs engendrées par l’alcoolisme, un alcoolisme puissant comme un train et contre lequel je ne pouvais rien. L’hero avait calmé la tempête sous mon crâne et tu cette voix qui me répétait sans cesse que j’étais un vrai tas de merde. L’hero avait balayé toutes les angoisses qui m’empêchaient de dormir. L’hero m’a aussi débarrassé des sentiments de perte, de regret, de chagrin, de ressentiment, mais aussi de la haine brûlante et du dégoût profond que j’éprouvais non seulement envers moi-même mais aussi envers les autres.» Lanegan aime aussi à se comparer à une poubelle, disant qu’il se tapait n’importe quelle dope disponible - When it came to heroin, tough, I was a purist - Avec Layne, ils tapent aussi dans la coke et parfois mélangent coke et hero : speedball. Ils s’imposent alors un silence absolu - The explosion as the coke hit our brains était le but et n’importe quel bruit aurait ruiné l’effet - Il évoque bien sûr le crack boom hue, mais c’est pour en dire du mal : «Dès le premier hit, j’ai compris que le crack allait avoir ma peau. Au début, Layne essayait de m’y initier, mais je déclinais en lui disant no thanks bro, j’ai déjà assez de problèmes comme ça. J’étais pourtant un junkie aguerri mais le crack a fini par me mettre à genoux. Je fumais tout le temps, toute la journée, toute la nuit.» Au fil du temps, Lanegan observe une curieuse transformation : s’il se shoote jour après jour, ce n’est plus pour s’envoyer en l’air, forget about that, c’est juste pour aller bien, in order to just stay well. Il veille à utiliser le moindre grain et il se met aussi à chercher du crack dans la rue - I also needed crack, since I was obviously a fucking degenerate crackhead also - Il n’est pas non plus avare de détails croustillants sur les joies du manque : «Je ne pus me retenir. Je vomis si brutalement que j’en tombai à genoux, puis sur le ventre. Comme je n’avais rien mangé depuis deux jours, je vomissais de grosses quantités de bile noire.» L’un des passages les plus spectaculaires du livre est celui où Lanegan raconte une nuit de cauchemar à Amsterdam. Il va acheter de la dope en pleine nuit, là où se trouvent les dealers et il se fait rouler : rentré à l’hôtel, le fix qu’il se fait ne marche pas. Quand il y retourne, il se fait braquer. Il tombe dans les pommes et c’est un vieil original qui le ramasse et qui l’emmène sur son vélo chez lui pour lui proposer un fix de secours. Lanegan sait narrer ses aventures, on en savoure le moindre gramme.

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    L’autre épisode tragi-comique est la fameuse rencontre avec Liam Gallagher, lors d’une tournée américaine qui propose les Trees et Oasis à la même affiche. Liam vient trouver Lanegan, escorté par deux gardes du corps. Lanegan est en train de manger et Liam lui lance : «Howling branches!». Il se croit drôle. Lanegan ne lui répond pas. Liam insiste : «Howling branches?» - Le mauvais jeu de mots sur mon groupe et sa brutale intrusion dans la pièce commençaient doucement à m’irriter - Alors Lanegan fait son Lanegan et rétorque : «Fuck off you stupid fucking idiot !». Lanegan apporte tout de même une précision importante : «Dans le coin d’où je viens, un mec comme ça ne vivrait pas longtemps en se comportant ainsi. Il finirait pas disparaître sans laisser de traces.» Fin psychologue, Lanegan voit Gallagher «comme un kid en culotte courte, un beau jour d’été, secouant sa minuscule petit bite alors qu’il fait griller des fourmis sous une loupe.» Il a raison de le remettre à sa place et d’épingler son arrogance. La tournée se poursuit, émaillée par certains incidents. Lanegan recroise Liam qui lui annonce qu’il va lui régler son compte à Miami, où est prévu le dernier concert de la tournée. Lanegan n’attend que ça. Mais Liam quitte à la fois la tournée et Oasis juste avant la dernière date à Miami et Lanegan voit sa vengeance lui échapper. Il est furieux - That phony motherfucker avait pissé dans son froc et il était rentré chez sa maman avant que je puisse lui démonter la gueule.

    Le récit s’achève sur un court paragraphe en forme de rédemption. Lanegan se réveille dans une chambre d’hôpital et par chance, il ne fait pas son Cash, il nous épargne le couplet sur Dieu. C’est Courntey Love qui l’aide à s’en sortir.

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    L’empire de Lanegan s’étend jusqu’à son nouvel album, Straight Songs Of Sorrow. Il met sa main tatouée bien en évidence, pour le cas où on aurait pas remarqué ses deux séries d’étoiles. À l’intérieur du gatefold, on le voit assis portant ses lunettes de vieux junkie et fumant sa clope. Welcome back in the dark world avec l’habituel cocktail de drug-songs et de coups de génie. On en compte pas moins de deux, à commencer par «Internal Hourglass Discussion», un cut d’esprit free, pas loin du mambo beefheartien, c’est une drug-song de dérive urbaine drivée au story-telling de spirit déjanté. Tout aussi fascinant, voilà «Ballad Of The Dying Rover» avec un son plus electro, le vieux loup garou pousse en avant sa tendance moderniste - I’m just a man/ Just a sick sick man - Il chante à l’inhérence du désespoir le plus profond, avec une voix de desperado - Death is my due - Dark genius.

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    Il ouvre son bal d’A avec l’infernal «I Wouldn’t Want To Say» qu’il chante à contre-courant d’un hard drive de machines. Il chante at the top of his lungs, c’est très tendu, il shake les muddy waters des temps modernes, peu de gens sont capables de créer un tel doom en quelques minutes. Effarant. On tombe un peu plus loin sur un balladif morbide qu’il chante en duo avec Shelley Brien : «This Game Of Love». Ils échangent leurs vers comme des amants de la pleine lune, et ça nous rappelle l’ambiance d’Higelin au temps où il demandait à Brigitte Fontaine où était «cet enfant que je t’avais fait». Ils sont dans le même trip de perdition - Am I gonna lose this game of love - S’ensuit une superbe drug-song dans l’esprit du génial «Methamphetamine Blues» qu’on trouvait sur Bubblegum. Cette fois, il nous sert un shoot de «Ketamine» - Ketamine/ So I can feel alright - Lanegan est un expert en matière de Connaissance par les Gouffres - To plant my flag on distant shores/ And take me through the night - Il fait partie de ceux qui savant poétiser la dope sans tomber dans le misérabilisme médical. En B, on va tomber sur la plus funèbre des complaintes, «Churchbells, Ghosts» - Here I am/ I’m disappearing - Il implore Lord de l’aider - Lord help me now I’m going down - On a là the desperate song par excellence - Lord don’t you hear me cryin’/ Lord don’t you hear me saying goodbye - Mais on le sait tous, Lord n’écoute pas les hommes car ils les a tous condamnés à mort. Le «Skeleton Key» qui ouvre le bal de la C vaut aussi le détour, car Lanegan démarre sur l’ugly - Ugly/ I’m so very ungly - Voilà encore un mélopif envenimé et profondément humide. Lanegan swingue son chant sur le skeleton key - I will sing/ to you/ a sweet straight song/ of sorrow - il met du jus de bave dans chaque syllabe et il boucle cette sombre affaire avec «Eden Lost And Found», où il duette avec Simon Bonney, le mec de Crime & The City Solution. Du coup, Bonney paraît bien léger. Lanegan par contre ramène son daylight is coming et se perd à nouveau dans le concrete city, et tout le monde, prophétise-t-il, sera libre (après la mort).

    Signé : Cazengler, Lanegan vraiment pas à être connu

    Mark Lanegan. Sing Backwards and Weep: A Memoir. Hachette Books 2020

    Mark Lanegan. Straight Songs Of Sorrow. Heavenly 2020

     

    ROCKABILLY GENERATION

    ( H. S. N° 2 / Juillet 2020 )

    SPECIAL CRAZY CAVAN

    LE ROI DES TEDDY BOYS

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    Le numéro que l'on n'aurait pas aimé avoir à lire. Ce n'est pas que nous détestons Crazy Cavan. Loin de là. Au printemps dernier nous étions tous heureux du premier numéro Spécial Gene Vincent. Nous souhaitions bien qu'il y en eût un deuxième, et un troisième, et d'autres encore. Que l'un d'entre eux fût consacré un jour ou l'autre à Crazy Cavan, c'était dans l'ordre logique des choses vu l'importance du personnage. Mais pas en ces circonstances dramatiques.

    Remercions Sergio Kazh d'avoir pressé la nécessité de ce numéro hommagial au roi des Teddy Boys dès l'annonce de sa disparition. Le milieu rockabilly français a répondu à l'appel, le résultat en est un bel objet de cinquante-deux pages, magnifiquement illustrées, dans lesquelles se succèdent des témoignages de première main et diablement émouvants. Qui nous permettent de connaître autant le musicien que l'homme.

    Tony Marlow nous raconte disque par disque, date par date, la carrière de Crazy Cavan, très vite accompagné de ses Rhythm Rockers. Cavan réussit ce miracle de perpétuer la tradition rock tout en la renouvelant de fond en comble. D'allier la fidélité aux origines sans aucun passéisme. Cavan fut un créateur. Une belle voix, certes mais cela ne suffit pas, sans l'étincelle qui redonne vie à la glaise morte vous n'obtenez que des copies. Qui ne valent en rien l'original. Cavan et son orchestre, c'est avant tout un rythme particulier infligé au vieux rock. Qui le transforme de fond en comble tout en l'inscrivant dans une continuité étonnante. Ce balancement si caractéristique de sa musique, certains pour faire vite et user d'une formule à l'emporte-pièce le définiront comme la rythmique ted ce qui veut dire beaucoup, par exemple que Cavan a influencé énormément de monde, et ne rien signifier car la patte Cavan si elle en a inspiré bon nombre de groupes reste unique et irremplaçable. Cavan et ses boys ont une manière primordiale de s'approprier le morceau qu'ils sont en train de jouer, des fauves qui mordent à pleins gosiers une proie pantelante, qui ne desserrent jamais leur mâchoires, qui avancent par saccades gloutonnes et méthodiques. Un festin de roi, un acte barbare, rituel et sacré.

    Cette façon de faire, ce n'est ni plus ni moins que l'autre réponse britannique apporté aux rock'n'roll américain initial. Dans les années soixante, il paraissait évident à la plupart des jeunes anglais que pour produire un rock'n'roll authentique national la solution s'imposait d'elle-même : l'infusion d'une bonne dose de blues dans le legs des pionniers. Seule une petite frange s'opposa à cette manière de voir. Un peu en pure perte. Se perdaient dans l'adoration stérile d'idoles vieillissantes et dépassées... Cavan survint qui dynamisa et même dynamita à sa matière le bon vieux rock'n'roll des oldies et donna naissance à un phénoménal renouveau qui reçut le nom de rockabilly.

    Dans son article Tony Marlow ne manque pas d'évoquer les relations de Crazy Cavan avec notre pays. Les premiers disques du roi des Teds furent accueillis avec ferveur par une poignée de fans français – Tony et les Rockin' Rebels en premières lignes – ces primitives étincelles mirent le feu à toute la plaine, toute une nouvelle génération se passionna au début des eighties pour le rockabilly. Cette passion fut aussi confortée par l'apparition des Stray Cats. Aujourd'hui encore le milieu rockabilly reste avec les amateurs de punk et les fans de metal une des composantes essentielles du public et des formations du rock français.

    Crazy Cavan continua son chemin sans aucun reniement, fidèle à sa musique jusqu'au bout. Le 18 janvier 2020 il était encore sur scène à la 37 th Rockers Reunion à Reading donnant une prestation de vitalité étonnante, l'équipe de Rockabilly Generation était bien sûr présente, Sergo Kazh nous offre quelques dernières photos inédites.

    Le long article de Tony, abondamment illustré emplit la moitié de la revue, Marlow scrute avant tout le musicien, ne s'en dévoile pas moins au travers de quelques confidences et réflexions personnelles du Marlou le portrait d'un homme entier qui ne correspond en rien à ce à quoi l'on pourrait s'attendre.

    L'individu Cavan ne court ni après la gloriole, ni après l'esbroufe du fric. Les témoignages de Jean-Jacques Astruc qui l'a beaucoup suivi sur la route durant ses pérégrinations européennes, et de Jackie Chalard, personnage incontournable du rock'n'roll français et créateur du label Big Beat, ne manquent ni de sel ni de péripéties jouissives, mais au-delà des anecdotes ils révèlent avant tout un personnage étonnamment proche de ce qu'il est, se refusant à jouer un rôle qui ne lui correspondrait pas. Cavan semble se suffire à lui-même. Crazy le fou cache Cavan le sage. Beaucoup de bière et le respect des fans. Point barre. Une famille qui l'attend pendant que lui parcourt les routes monotones du rock'n'roll. La folie sur scène est son seul tribut au rock'n'roll. Un homme sûr de lui et attentif aux autres. Brayan qui interviewa Cavan pour la quatrième livraison de Rockabilly Generation alors qu'il n'avait que quinze ans, nous livre son ultime entretien avec Cavan quelques semaines avant sa disparition, il nous fait part de la gentillesse et l'attention que toujours l'idole lui réserva lors de leurs rencontres. Si certains l'ont nommé le roi des Teddy Boys, le représentant des ultimes rebelles fait preuve en ses dernières paroles d'une merveilleuse fidélité envers son propre milieu et d'une radicalité empreinte de sérénité face à la vie et à la mort.

    Un grand rocker, une belle personne.

    Ce numéro spécial de Rockabilly Generation est un des fascicules les mieux réussis et des plus émotionnant que l'édition rock française ait consacré à l'un de ses artistes les plus authentiques.

    Cavan vivant.

    Damie Chad.

    Tirage : 150 exemplaires en français + 150 exemplaires en anglais

    Commande : numéro + port = 12 E + 1, 50 E = 13, 50 E

    Chèque : à l'ordre de Rockabilly Generation , 1 A avenue du canal, 91700 Sainte Geneviève des Bois

    Paypal : adressé à maryse.lecoultre@gmail.com

     

    CHÂTEAU-THIERRY

    ( PUB LE BACCHUS / 04 - 09 – 2020 )

    METAL NIGHT IN A WORLD OF CHAOS

    E-RUINS / BUNKER PROJECT

    HEAVYCTION

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    Mercredi sur le fil du FB deux concerts annoncés en région parisienne que j'ai repérés la veille annulés, jeudi au premier regard un nouveau concert à l'eau. Vendredi je n'ose plus regarder, juste un coup d'œil avant de partir, non le concert au Bacchus de Château-Thierry est maintenu, à peine croyable, la teuf-teuf fonce au travers de la Marne désertique. Trois groupes un même soir après deux mois d'abstinence, serait-ce un mirage ou un miracle ? Une aubaine sûrement ! A ne manquer sous aucun prétexte. Je ne suis pas le seul à bondir sur l'occasion. Le pub est rempli, ça déborde même dans la rue. Les plus heureux sont encore les trois groupes, enfin remonter sur scène ! L'on ne comptera pas les remerciements émus et reconnaissants à Sabine toute modeste qui prend tous les risques comme si de rien n'était. Au dernier concert de juin nous étions au Bacchus, en septembre nous revenons – quel hasard - au Bacchus, les îlots de résistance à l'étouffoir généralisé sont rares... Presque un mini-festival, et du metal bien bruiteux encore, que pourrait demander de plus le peuple rock !

    E-RUINS

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    Z'ont bien choisi leur nom, après leur passage le monde vous semblera transformé en un champ de ruines. Fumantes. Ne vous demandez pas pourquoi la grande carcasse de Begood et sa batterie squattent les neuf dixièmes de la scène, jusqu'à lors le gars avait une allure joviale et sympathique. En règle générale les groupes trash ne débutent pas par une resucée de la petite musique de nuit de Mozart jouée en mineur à la flûte de Pan, le spectateur le moins chevronné s'attend au minimum à un cataclysme. Mais là, en un dixième de seconde, la terre bascule sur son axe, vous reculez de trente mille ans dans les temps préhistoriques, bye bye Begood, n'existe plus, peut-être n'avez-vous jamais accordé la moindre créance aux élucubrations modernes sur le shamanisme, mais la bête est là, une espèce de raptaxtorix a surgi de sa caverne en un éboulement terrifiant de rochers, le sol tremble, votre cœur s'arrête, la gélatine de votre cerveau s'écoule de vos oreilles, mais cela ne serait rien s'il n'y avait pas en la même fraction de seconde ce hurlement dévastateur de haine pure qui déracine les arbres et assèche votre sang. Dans la salle c'est l'exultation, ça se bouscule à qui mieux-mieux, le souffle fétide de la colère et de la liberté vous emporte en un vaste tourbillon. N'ayez crainte, ce n'est que Begood qui cogne ses fûts et qui rugit dans son micro d'aviateur scotché sur sa bouche. Tout devant T-Die esquisse un léger sourire, comme si de rien n'était. Vous passe des riffs assassins à travers le corps destinés çà vous découper en tranches de l'air innocent du gars qui beurre sa biscotte au petit déjeuner. A ses côtés Kevin, un fameux hypocrite, un air rêveur d'adolescent inoffensif perdu dans ses dreads, il nous fait le coup du sage peu concerné par ce qui se passe prêt à renter en méditation yogique mais ses doigts malaxent sa basse dans le seul but d'assombrir la noirceur de son époque.

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    Livio n'a pas de guitare mais un trident triangulaire destiné à torturer les chairs, à triturer les tripes, et à prolonger l'agonique sauvagerie de la masse sonore qui vous écrase. Pas besoin d'explorer les lyrics qu'éructe Begood, leurs titres suffisent, Rebellion, Made in Hell, The blood will flow, You suffer, See you dead... E-Ruins clame sa colère et son dégoût, si fort, avec une telle violence que l'on ne s'étonne pas du nombre des fans et des connaisseurs qui sont venus pour les voir une fois de plus sur scène. Une claque monstrueuse, un set de folie à haut niveau d'incandescence, E-Ruins triomphe sans peine. Le set terminé, nos quatre chevaliers de l'apocalypse, redeviennent des gens comme nous. Des guerriers du quotidien.

    BUNKER PROJECT

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    En théorie le bunker est une arme défensive, mais le Bunker Project en ont fait une technique offensive d'assaut, avec leur masque à gaz accroché au micro et le haut-parleur que brandit à intervalle le meneur, le Project ressemble à ces cortèges de tête qui ont égayé les manifs parisiennes ces dernières années, vous repérez vite dès les premières mesures qu'ils ont décidé de mettre le sbull un peu partout, jusque dans leur musique, révolte bien ordonnée commence par soi-même. L'avouent benoîtement, ne parlent ni de trash, ni de death mais de metal protéiforme, se servent un peu partout, comme vous prélevez votre dîme dans tous les grands magasins, font de l'auto-réduc musical, ne gardent pas tout pour eux; partagent abondamment, avec vous, vous refilent les meilleurs morceaux, Colère, Terro, Jungle,.. Chez Kr'tnt ! nous n'hésitons lamais à emmener notre propre grain de salpêtre pour apporter quelques lueurs d'éclaircissement à nos lecteurs, nous proposerons le terme de protéino-funk-metal pour définir cet alliage singulier mis au point dans les laboratoires secrets du Bunker Project. Une formule instable de grande dangerosité. A la base un martelage binaire, mais ce serait trop simple, la basse ne tient pas le rôle à laquelle cette binarité initiale devrait en théorie maintenir son assise, elle est d'un velouté appuyé mais déliquescent, elle est partout à la fois, un peu comme ces nuages de gaz lacrymogènes obéissant en leur déploiement à la théorie mathématique des catastrophes et qui par leurs errements de grandes nocivités induisent dans l'esprit du manifestant innocent qui le reçoit dans ses naseaux au moment où il s'y attend le moins un profond instrument d'injustice que les guitares traduisent aussitôt par des giclées enflammées molotoviennes, sur ce la batterie matraque à mort tout azimut et la mêlée s'ensauvage méchamment. Au début du set, l'ambiance est presque gentillette ( tout est relatif ) mais la pompe est amorcée et elle ne tarde pas à fonctionner à plein régime. Brusquement elle s'emballe, le meneur à la sono ne laisse pas ses troupes inactives, et bientôt la machine s'emballe. Gradation exponentielle contenue. Rien ne peut l'arrêter, pas le public transformé en robots déjantés et pas même le Bunker Project qui promet à chaque fois, que cette fois c'est la dernière, mais ils rajoutent une, et une autre, et encore une autre, dans la salle c'est l'extase pléthorique, le Bunker Project libère et explose les frustrations accumulées par des mois de pressions covidiques, c'est la fête finale, sur Siren, distribution générale d'un rhum atomique qui vous tord et les tripes du bas-ventre et les boyaux de vos méninges éclatées dans la tête que vous perdue. Metal libératoire. Bunker Project redynamise la rage de vivre.

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    HEAVYCTION

    Il est des soirs où vous n'êtes pas au bout de vos heureuses surprises. Vous pensez qu'après avoir escaladé l'Annapurna et l'Everest vous ne pourriez jamais grimper plus haut. Erreur corrigible. Heavyction vous propose d'entreprendre l'ascension du Mont Analogue cher à André Daumal. Voyage au pays du rock'n'roll, si vous préférez.

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    Des diables d'hommes. Des magiciens. Se mettent en place en quelques minutes. Deux ou trois pincées de guitare, Jean recule les éléments de sa batterie de quinze centimètres comme s'il assemblait quatre pièces de Lego et le son est en place. Silence. Une dernière fois des doigts fourmillent au-dessus des cordes de guitares muettes et d'un seul coup la porte du rock'n'roll s'ouvre devant vous et vous êtes happé en une autre dimension. Savent jouer. Pas trop longtemps, il se fait tard, peut-être est-ce juste une illusion car vous êtes décollé de la réalité en une fraction de nano-seconde. Défibrillation instantanée de vos neurones. Votre vie défile devant vos yeux. Catalepsie intergalactique. Faut se reprendre et tenter d'analyser. Célérité, cohésion et précision. Une espèce de tourmente qui s'abat sur vous et ne vous lâche plus. C'est ainsi que l'armée de Cambyse a dû être ensevelie dans les sables du désert d'Egypte. Stoned, Death On Arrival, Eternity. Humus de Kumus. Certains titres sonnent comme des épitaphes. Eviction maximum. Samplers tueurs.

    Des guitaristes j'en ai vus et entendus, mais Cédric m'a blufflé, ne joue pas comme les autres, lorsque le morceau est bien parti, il décolle, il ne gratte plus, il souffle de ses cordes une espèce de tourbillon lyrique qui prend et atteint une ampleur démesurée, c'est une onde qui déferle sur vous et vous enveloppe, l'assistance ne s'y trompe pas, une véritable et ininterrompue giclée spermatique de cachalot, une tornade aussi puissante que les quarante violons de Bayreuth lancée à fond de train dans les chevauchées wagnériennes les plus échevelées de la tétralogie.

    A ses côtés son alter-égo. Des faux jumeaux. Amine, le tireur d'élite, au sang froid de reptile. Ne rate jamais sa cible. Qu'il glisse ses doigts dans son cordier ou qu'il morde le vocal au micro, le mec touche à la perfection. Rien de trop et pas un manque. Ce qu'il faut comme vous imaginez qu'il le faudrait dans vos rêves. Le gars manipule la tonitruance des orages les plus tempétueux avec une facilité déconcertante, un doigté minutieux, tous les mots crachés en érection sonore mais aucun ne bouscule le précédent ou n'empiète sur le suivant, des montagnes de grondements qui s'écroulent et puis plus rien, un mince sourire, et retour dans la fournaise avec placidité. Déconcertant.

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    Le dionysiaque et l'apollinien. Entre les deux, Jean, si un tel dénivelé de sensibilité ne produit aucune rupture, c'est qu'il est là, il mène un train effréné, pousse le combo au cul, et en même temps il est tout ouïe à leur jeu. Il sert l'un et il sert l'autre. N'a pas une batterie, mais deux claviers d'orgue, l'un pour les cymbales et l'autre pour les fûts, tape sur les deux en même temps – l'a résolu le cahin-caha de ces groupes expérimentaux à deux batteurs qui à mon humble avis n'ont jamais démontré leur efficacité, mais ceci est une autre histoire - écoutez-le forger et vous comprendrez pourquoi le mot enfer se doit de préférence être employé au pluriel. Côté pile la justesse rythmique, côté face l'intumescence de la frappe. L'acrobatie et la foudre. Le marteau et l'enclume. La grâce et la vitesse. Le métal de la crash et le trash de la résonance. Sidérant.

    Respectons son anonymat, sa tête baissée, son visage invisible recouvert par le rideau impénétrable des deux ailes noires du corbeau de sa chevelure. Un bassiste fidèle au mythe romantique du bass man refermé sur son mutisme. A compris qu'il ne pouvait rentrer dans le jeu du batteur, alors joue dans le moelleux, une herbe opulente où je vous défie de poser le pied, vous le perdriez aspiré par d'insatiables goules souterraines qui se hâteront d'aspirer votre sang, jusqu'à la dernière goutte, jusqu'à ce que vos os s'entrechoquent dans le suaire de votre peau vidée de sa substance charnelle. Le baiser infini du vampire.

    Un set magnifique, de toute beauté qui laissa l'assistance exaltée et médusée. De l'orichalque pur. En un mot comme en trois, du rock 'n' roll.

    RETOUR

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    Trois très bons groupes en une seule soirée ! Et en plus dans un monde prêt à tomber dans la nuit du chaos. Certains jours sont à marquer d'une pierre noire ! Tant pis pour les jaloux !

    Damie Chad.

    ( Photos & illustrations  : FB des artistes )

    THE TRUE DUKES

    ( Auto prod / Août 2020 )

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    J'ai mes a priori : un homme qui tout jeune a commencé par lire Edgar Poe ne saurait être totalement mauvais. C'est le cas de Pek Garcia. Non il ne fait pas partie des True Dukes mais c'est lui qui s'est chargé de l'art work de la pochette. L'a fait fort. Très simple, très rock'n'roll. L'a surfé sur la vague. Noire. Non je ne veux pas dire qu'il a suivi la mode. L'a benoîtement mis en relation l'aléa de l'actualité avec le parfum d'insoumission qui flotte autour du concept rock'n'roll.

    C'est F. J. Ossang du groupe MKB Fraction Provisoire qui au début des années 80 proclamait qu'il fallait '' Avancer, se replier, et surtout avancer masqué''. Le système récupère et pervertit toutes les idées. Aujourd'hui nous sommes obligés d'avancer masqués tels des moutons consentants en route vers l'abattoir de la soumission, et nous avons oublié qu'à l'origine le masque est une arme qui permet d'agir en toute illégalité contre les forces répressives...

    Très obéissant Pek a donc mis le masque sur la pochette des True Dukes. N'a laissé que les yeux à découvert. Mais qui brûlent. Comme les pupilles lumineuses des chats de Lovecraft. Des brandons de désobéissance civile. Un appel d'une clarté aveuglante à la révolte. Gamin Pek fabriquait des boucliers ethniques pour se protéger, maintenant qu'il est grand il continue, il a appris que la meilleure défense c'est encore l'attaque, alors il use d'une stratégie subtile, celle de la réversibilité du symbole, retour à l'expéditeur. Une technique vieille comme les Dieux de l'Olympe. Songez au regard de Méduse.

    C'est ici qu'interviennent The True Dukes. Par l'entremise du titre qu'ils ont donné à leur EP. Ne s'agit pas d'être contents de soi sous prétexte que l'on a tiré la langue au Système. Si vous êtes opprimés, ne vous en prenez qu'à vous, vous êtes faibles. Alors au bas de la pochette les lèvres d'ombre vous intiment l'ordre de prendre votre destin en main : Find your soul, lose your mind. Soyez vous-mêmes, n'écoutez personne. Laissez tomber vos ratiocinations émasculatrices. A bons entendeurs, salut.

    Une image qui claque comme un bon coup de pied au cul.

    *

    Message pas du tout subliminal que les Troud'ucs vous envoient gratuitement en pleine tronche. Que voulez-vous face à la bêtise du monde The True Dukes se comportent en grands saigneurs. Il est temps de les écouter.

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    Jean-Yves Bassinot : voix / Christian Kikaï : guitare rythmik / Lead guitar : Eric Chartier / Jean-Luc Vinot : Bass / Michel Dutot : drums /

    Non, ce n'est pas que tout à coup que vous comprenez les subtilités de la langue de Shakespeare et de Milton, c'est que The True Dukes ont choisi la difficulté, s'expriment comme tout un chacun en français,

    Marie : vous avez le choix, pour les guitares grondeuses – Izo Diop de Trust drive la lead – et la batterie aboyante pas de problème vous prenez le ticket sans vous posez de questions superfétatoires, pour la petite Marie c'est moins évident. Selon les garçons les filles sont parfois un peu compliquées à vivre. Surtout que la demoiselle reste une femme rebelle et libérée, alors la musique danse dans les flammes, et vous vous laissez emporter dans ces virevoltes de feu. Elle a allumé le feu chez les boys, ils vous expédient le morceau à cent à l'heure, oui mais lorsque vous le remettez vous remarquez que c'est empli de ruptures suintantes. Ce que confirme Dans ma rue : qui nous mène sur la ligne de partage des eaux : quel entrain, ces guitares qui se font des queues de poissons, cette tambourinade qui mène le sprint, et prime à l'arrivée, cette voix joyeuse presque narquoise qui... vous met au contact de la réalité sociale des plus rugueuses, carmagnole rock de la déchéance qui débouche sur La rage : menée à fond de train, concentrée au dedans de soi l'enragement est un sentiment qui explose pour hélas se heurter aux murs qui bouchent l'horizon du monde et te revenir en pleine figure, le son se transforme en une balle de squash qui rebondit sans fin, un morceau qui se prend en pleine poire et te réduit en compote sous le pilon des existences déchirées car il est dur de vivre et Dur de dormir : impossible de trouver le sommeil, Marie n'est pas rentrée, une tranche d'angoisse existentielle poisseuse comme les cafards d'un blues survitaminé que l'on cherche à écraser sur la tapisserie du plat de la main, en vain, un train haletant qui s'enfuit dans la nuit blanche des rêves brisés.

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    The True Duke nous livrent un EP roboratif mais peu optimiste. Un constat sans fard sur l'état de notre société déglinguée mais aussi une vision sans compromission des individus à la dérive qui la composent. L'auto-apitoiement ne nous sauvera pas. Il ne suffit pas de dresser des constats. La musique électrique des True Dukes de plus en plus prégnante à chacun des morceaux nous intime l'ordre de marcher jusqu'au bout des cauchemars éveillés. Une bonne décharge électrique pour nous tirer de nos léthargies paralysantes et aligner les planètes de nos contradictions.

    Damie Chad.

     

    KINGDOM OF KIDDING

    FICTION ABOUT FICTION

    ( Sortie 10 / 08/ 2020You tube / Spotify )

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    What is it ? Surtout pas des inconnus pour les kt'tntreaders. Nous avons déjà chroniqué quatre des morceaux qui figurent sur cet album : I don't care, And no one say, et Trophy dans notre livraison 389 du 18 / 10 / 2018, faisant alors parti d'un EP digital nommé Störm, Do not look back ( en 412 du 28 / 09 / 2019 ) sous forme d'un étrange dessin animé que nous qualifierons d'anguleux en le sens que nous considérons chacune de ses séquences comme des aiguilles qui s'instilleraient en votre cerveau pour piquer votre attention et ameuter vos méninges. Tout cela s'inscrivait dans un projet de Diane Aberdam intitulé Enaid Fictionaboutfiction. Ce n'est pas tout, nous retrouvons Diane en un duo formé avec Emilien Prost sous le nom de Tendresse déchirante, pronto nous avons chroniqué trois de leurs clips Sérénade Américaine, Acte II, Whip, ce dernier le 09 / 04 / 2020 ( 459 ) et pour les deux premiers voir 412, et 421 du 30 / 05 / 20. Emilien Prost officiait déjà dans Enaid Fictionaboutfiction.

    En résumé une création en gestation, les anglais possèdent une belle expression, ''a work in progress'' , que Joyce a beaucoup utilisée, pour désigner ces sortes de longues parturiences in utero qui s'apparentent aussi à des dénis pathologiques de grossesses. L'Artiste ne saurait jamais être satisfait. A peine a-t-il réalisé une œuvre qu'il regrette, il sait qu'il aurait pu faire mieux. Tout au plus la considère-t-il comme une approche, en vue de plus ultra. Toute œuvre ne serait-elle pas une fiction qui raconte une autre fiction qui n'est pas elle, tout en étant pleinement participante de son déroulement. Selon ce terme de fiction l'on pourrait s'attendre à ce que Diane et Emilien écrivent au minimum une nouvelle. Mais ils sont musiciens, ils ne composent pas de roman, ils bossent sur les sons mais ne travaillent pas vraiment sur des songs, plutôt des ambiances, des atmosphères. Ce n'est pas ce qu'ils jouent et chantent qui est important, mais l'écho que cela suscite en nous. L'histoire, les péripéties se répètent, sont connues, ils parlent d'eux et de nous, car nous nous ressemblons tous pauvres animalcules humains infatués de nos particularités à un tel point que nous ne nous apercevons pas que les différences qui nous séparent des autres et nous élisent en une royauté immarcessible ne sont que des leurres microscopiques.

    Kingdom of Kidding. Royaume de la blague, ou Empire de l'Illusion. Tout récit n'est-il pas un château de cartes qui s'écroule au fur et à mesure que les mots progressent, chaque vocable cédant la place à celui qui le remplace, à peine une marche du stairway to heaven est-elle posée que la suivante la remplace et ne monte pas plus haut. Nous vivons dans un monde d'incertitudes et de pierres branlantes qui s'effondrent sous chacun de nos pas alors que nous croyons arpenter la chaussée des géants. Peut-être est-ce pour cela qu'après avoir prévu une illustration colorée pour la pochette ils ont finalement opté pour l'image grise des vieux grimoires délaissés sous la poussière des siècles, signifiant ainsi que le temps affadit sans pitié les teintes vives des plus belles légendes.

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    After the end : il pourrait sembler étrange de commencer une histoire alors qu'elle est déjà terminée. Mais il en est ainsi de toute existence. Notre présence au monde ne fait que survivre à ce que nous avons déjà vécu. The thrill is gone, le meilleur est derrière nous. Même les rois font reposer leur puissance et leur majesté sur des actes – les leurs ou ceux de leurs ancêtres – évanouis depuis longtemps. Une triste évidence dont notre esprit se détourne avec horreur. Mais nous n'y pouvons rien, la machine est lancée et le conte commence. La musique se déploie telle une ritournelle dramatique dont rien n'arrêtera le déroulement. Il y a de l'inéluctable en cette orchestration rock qui se confond aisément avec le chant funèbre d'un orgue mécanique de barbarie. Vous avez des voix qui profèrent des promesses de chuchotement et des chœurs qui imitent ces splendides tentures tachées de sang qui ornaient les murs des vieux châteaux d'Elseneur. Drames revivifiés et inquiétudes attisées, gradation grinçantes. Nous voici au bout du vestibule, lorsque nous pousserons la porte serons nous dans la pièce aux merveilles ou déboucherons-nous dans le corridor des horreurs ? Interlude 1 : retour à la réalité, comme dans un tournage de film lorsque retentit le clap de fin indiquant que la scène est finie, que chacun sur le plateau peut reprendre sa vie. Assez insipide, si l'on en croit ces trente secondes insignifiantes d'une simple guitare qui égrène quelques arpèges. Hit me : l'histoire reprend, la musique s'emplit d'un lyrisme mystérieux, c'est juste la grande scène d'amour, le dialogue du désir entre l'Être féminin et le l'Être masculin, la prière qui monte, les guitares qui s'extasient, jusqu'à l'éclatement cacophonique de la pâmoison, gros plans de fureurs érotiques. Les sexes se tendent et s'électrifient. Paix à leurs corps. Leur âme est égarée. Interlude 2 : profitons de cet interlude aussi doucereux que le premier, genre baladin qui gratte une mandorle aux pieds d'une jeune et chaste princesse vierge qui roucoule ses émotions. Pour endosser notre rôle de chroniqueur sérieux nous... mais vous êtes pressés vous voulez la suite, la voici. The girl with many eyes : tambours tuméfiants, l'heure est grave, c'est celle des monstres. L'épreuve initiatique et obligatoire que doit subir le héros. Sera-t-il aussi terrible que la renommée le rapporte, pas du tout, ce n'est qu'une fille, mais avec des yeux partout, qui vous regardent et vous ensorcèlent. Le preux chevalier énamouré se montre digne de notre attente. Belle performance vocale d'Emilien Prost qui n'est pas sans évoquer David Bowie, mur de guitares perçantes tissés par Diane... Interlude 3 : pourquoi ces brefs interludes passe-partout, trop courts pour nous ménager une pause sandwich ou pipi. Soyons un peu sérieux, évoquons un peu les démarches théoriques et expérimentales de Robert Fripp et Bryan Eno, experts en musiques progressives qui n'en ont pas moins porté leur attention sur des musiques d'ambiance et répétitives faites non pas pour être écoutées mais pour être entendues quasiment à l'insu de l'auditeur. Une sorte de manipulation mentale d'autant plus dangereuse que pratiquement inaudible. Méfions-nous, ne nous laissons pas mener par le bout du nasibus. L'appel à Fripp dérive d'une simple logique, ce disque s'inscrit quelque part dans la continuité logique de certains récitatifs instrumentaux propre aux deux premiers trente-trois tours du Roi Pourpre. I don't care : c'est la scène des alcaloïdes, non pas celle du poison shakespearien versé dans l'oreille du roi endormi, il en est de plus subtils, de plus inquiétants qui ne vous tuent pas mais qui vous font perdre le goût de la vie car ils vous ouvrent tout grand les portes d'ivoire et de corne de la mort et du rêve et vous laissent voir... désormais vous savez qu'il existe des réalités grandioses bien plus exaltantes que votre quotidien, mais combien plus dangereuses. Votre vie est comme la pochette du disque, elle a perdu ses couleurs, mais vous n'avez pas eu le courage de franchir le seuil, maintenant vous connaissez vos limites, d'un côté le dégoût de vivre et de l'autre le contour de votre peur. Vous atteignez la lassitude de vous-même. Interlude 4 : le plus poignant de tous les interludes, quelques notes égrenées et cette demande d'amour psalmodiée par la baladin d'un monde occidental condamné. No one say nothing : le grand monologue d'Hamlet, Emilien crie son désespoir et sa solitude, plissements de basse, le drame dans toute sa splendeur, les sanglots et le désespoir, ne devrait pas s'arrêter de chanter, de nous agoniser de ces saccades hallucinées mais le monde s'écroule, la musique s'emballe, la mer recouvre la cité d'Ys, les chants les plus beaux sont les plus désespérés. Interlude 5 : un peu de douceur dans ce monde de brutes. Respirons. Trophy : rythmes africains. Rien ne dure en ce bas monde. Même pas le désespoir. Morceau baroque. Bas-rock and high voltage. Toute force gît en l'intérieur de nous. Il suffit de vouloir vivre et de triompher. Au bout de la mort spirituelle, ce qui vous a tué vous rend plus fort. Renaissance. Initiation. Interlude 6 : presque une intro de chanson, le plus joyeux et le plus roboratif de tous les interludes. Do not look back : mélopée de charmeur de serpents et rythmique enlevée, la voix embrumée de mystère et de décision, exultation à tous les étages, maintenant le vocal moutonne comme annonce d'orages désirés, ne manquent que les éclairs dont l'absence est marquée par des coups de cymbales ensoleillées. Optimisme ravageur. Interlude 7 : une corde vive frappe votre tympan, une voix féminine qui monte et descend. Quatre notes nostalgiques pour finir. Reign of rain : longue introduction instrumentale empreinte de mélancolie, les voix se mêlent pour proclamer et puis exiger que cesse la fin, c'est la montée des eaux à la fin du Crépuscule des Dieux, pouvez crier, hurler, gémir, tout s'apaise et se tait. Interlude 8 : quelques accords prestement enlevés et puis les doigts qui s'alourdissent comme des larmes qui coulent sur les joues d'un enfant qui ne peut croire à la ritournelle ironique qui les a motivées. Out of my head : il est temps de sortir de ce conte de vieille femme, à dormir debout, à dormir éveillé, pression mélodramatique, mais s'enfuir ne serait-ce pas revenir au début qui refusait de débuter, sommes nous dans une impasse qui ne s'achève jamais, qui s'allongerait tel un jour ou une nuit sans fin. Une légende abracadabrée qui vous laisse sur votre faim, puisque le morceau s'arrête brusquement, puisqu'elle ne s'achèvera jamais. Le jour et la nuit s'égalisent-ils en une équinoxe narrative. Ce qui a été rêvé a-t-il été vécu au même titre que ce qui a été vécu n'a pas été rêvé. Fiction et réalité ne seraient-elles que le même coté d'une trame commune ?

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    Fiction About Fiction nous livre un opus de poids. Une melting pot de résonances intimes. Un regard intérieur de Méduse. Faut se laisser pénétrer, n'être plus qu'un corps flottant de noyé entre deux eaux, celle des profondeurs les plus glauques et celle des phantasmes les plus convenus. Un conte pour adultes qui essaient de remonter à la source de leur enfance perdue. Il est trop tard. Définitivement.

    Une musique envoûtante, des structures labyrinthiques et des ruptures colimaçonesques qui sont en même temps, et le dédale infini, et le fil d'Ariane qui vous permet de ne pas vous échapper, car ces mélodies désastreuses qui fonctionnent comme des vis sans fin ou des spirales infinies qui vous ramènent toujours au point focal de vos errements vous enserrent en leurs anneaux de serpents gluant. Mais que vous soyez dehors ou dedans, le piège mental s'est refermé sur vous. Un conseil, avant d'écouter ce disque : ne vous racontez pas d'histoire. Parce qu'une fois que vous l'aurez entendu vous ne croirez plus à vos sornettes. Progressif décapage mental.

    Damie Chad.