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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 45

  • CHRONIQUES DE POURPRE 534 : KR'TNT ! 534 : JAC HOLZMAN / DARRYL READ / BARRY RYAN / TAME IMPALA / MOONSTONE / LEA CIARI / ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 534

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    16 / 12 / 2021

    JAC HOLZMAN / DARRYL READ

    BARRY RYAN / TAME IMPALA

    MOONSTONE / LEA CIARI

    ROCKAMBOLESQUES

    Jac of all trades - Part One

    moonstone,léa ciari,rockambolesques ep 11;

    Fort heureusement, les acteurs majeurs du showbiz américain ne sont pas tous des truands. Une infime minorité de parfaits gentlemen réussirait presque à sauver la réputation de cette industrie ravagée par la plus brutale des cupidités. Les gentlemen les plus connus sont Uncle Sam, Ahmet Ertegun et Jac Holzman, comme par hasard, trois patrons de labels indépendants. Pendant qu’Uncle Sam lançait à Memphis la plus grande révolution culturelle du monde moderne, Ahmet Ertegun et Jac Holzman œuvraient à New York, dans des secteurs honorifiques : la black music d’Atlantic pour Ertegun et le folk d’Elektra pour Holzman. Sun, Atlantic et Elektra ? Une sainte trinité.

    Tout le monde connaît Elektra, grâce aux Doors, aux Stooges et au MC5. Mais le label grouille de trésors, puisque son histoire s’étend sur 30 ans de mouvement perpétuel, ce tinguelinage culturel qui au long des sixties et des seventies n’en finissait plus de révéler des artistes plus extraordinaires les uns que les autres, et Jac Holzman brassait large puisqu’il lança Jim Morrison, Arthur Lee, Tim Bucley, Fred Neil, Iggy Pop, Paul Butterfly, pour n’en citer que quelques-uns.

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    Nous disposons de deux bibles pour entrer dans le détail de cette histoire passionnante, l’autobio de Jac Holzman parue en l’an 2000, Follow the Music: The Life And High Times Of Electra Records In The Great Years Of American Pop Culture, et un ouvrage encore plus volumineux de Mick Houghton, Becoming Elektra: The True Story Of Jac Holzman’s Visionary Record Label, paru en 2010. Le plus intense est bien sûr l’autobio, mais les deux volumes se complètent bien, il faut juste se donner du temps pour en venir à bout, car ce sont des grands formats de 300 et 400 pages chargés comme des canons de flibuste jusqu’à la gueule. Et on retrouve sur les deux couvertures le papillon d’Elektra qu’on aimait tant voir sur les rondelles de nos vieux disques des Doors et des Stooges, ces disques dont on écoutait un cut chaque matin pour se donner du courage avant de partir au fucking lycée. Five to one, baby/ One in five !

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    En plus d’avoir un flair de cocker pour les rockers légendaires, Jac Holzman présente l’immense avantage d’être un homme intelligent. On en apprécie d’autant plus sa compagnie. Il crée son label en 1950 et le baptise du nom d’une déesse grecque, fille d’Agamemnon, Électre, soit Electra en anglais, qu’il modernise avec un K. Il trouve que le K apporte un solid bite, du mordant, comme dans Kodak. Quant au papillon, il viendra dix ans plus tard. Pour financer son label, Jac ouvre une petite boutique de disques sur la 10e rue, à New York, The Record Loft. Un soir il aperçoit un black planté devant sa vitrine. Comme il pleut à verse, l’homme est trempé. Il le fait entrer et lui propose un siège. L’homme est charmant, extrêmement poli, c’est un musicien de jazz qui joue au Village Vanguard, just a few blocks away. Then he told me his name: Charlie Parker.

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    Cette petite anecdote pourrait à elle seule résumer Jac Holzman. Toutes les rencontres qu’il évoque ressemblent à des tours de magie. Si pendant dix ans il ne sort que des albums de folk, c’est parce que dit-il le rock’n’roll lui passe par dessus la tête. Pas de contenu. Il vit près de Greenwich Village, là où se produisent tous les géants du folk, Dave Van Ronk, Fred Neil, Dylan et les autres - My day was defined and circumscribed by the village - La 14e rue constituait la frontière nord de son univers. Jac commence par tomber raide dingue de Judy Henske. Il affirme que Mama Cass s’est modelée sur Judy. D’ailleurs Judy témoigne dans le book. Jac rappelle qu’elle jouait en première partie de Lenny Bruce lorsqu’elle vivait sur la côte Ouest - The Lenny Bruce audience were the hard-bitten Hollywood habitués. They were so hip, so mean, c’mon, the meanest audience on earth - Tout ça pour dire que Judy en avait vu des vertes et des pas mures - J’ai eu du succès à Tulsa, à Oklahoma City, à Boulder, à Chicago. Mais ça n’a pas trop bien marché à Indianapolis et au Canada. J’ai joué une fois à Biloxi, Mississippi, ils me crachaient dessus. Mais ça a bien marché à Cleveland - Jac la découvre sur scène à Los Angeles - Cet humour raunchy, cette voix énorme, elle pouvait secouer les vitrines en chantant, elle tapait du pied si fort pour marquer le tempo qu’elle fit un trou dans le plancher. Je la voulais pour Elektra - Mais Judy n’est pas facile à gérer - I was a troubled beatnick, pas question de me faire porter une robe. La plupart du temps, j’avais des vertèbres cassées suite à des motorcycle accidents and stuff. I was on the other side - Un certain Michael Ochs affirme que Judy Henske fut la première superstar du mouvement - She was this real Bessie Smith type gutsy singer, but white - Judy confirme : «Tout ce qui m’intéressait was the life of being on the road. It was really fun. J’adorais aussi aller en studio, car je chantais tout le temps. Je voulais juste entrer, chanter et retourner à ma vie. I liked drifting, c’est-à-dire la dérive, j’en avais rien à foutre de rien.»

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    Deux albums de Judy sortent sur Elektra en 1963 et 1964, Judy Henske et High Flying Bird. Pour la pochette du premier, les gens d’Elektra ont réussi à la convaincre de porter une robe. On trouve une belle énormité en B, «Every Night When The Sun Goes In», un blues qu’elle chante à la dure, à la Judy. Elle travaille son jive à la force du poignet, Judy est une puissante chanteuse, elle force bien ses syllabes. Elle tape son «Empty Red Blues» au jazz New Orleans. La plupart des cuts sont enregistrés live et elle fait bien rigoler son public. C’est là sur cet album que se trouve sa fameuse version de «Wade In The Water» qu’elle chante au power du gospel batch. Pour «Hooka Tooka», elle crée une ambiance de mama chalk’d tobacco, elle est assez géniale, elle chante tous ses cuts à l’énergie maximaliste.

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    High Flying Bird est un album nettement supérieur. On la sent plus concentrée dès le morceau titre en ouverture de bal d’A. Elle se rassemble sur la chanson. On a là la vraie dimension du rock d’Elektra. Avec «Til The Real Thing Comes Along», on passe aux énormités, elle rentre dans le lard du heavy blues comme elle seule sait le faire. Elle se jette dans le son et chante tout à l’accent fatal. Elle est à fleur du peau. En B elle revient au blues avec «Blues Chase Up A Rabbit», elle est idéale pour le rabbit, cet heavy blues de cool Colorado rain. Avec «Glod Bless The Child», elle passe au round midnite, elle est black dans l’âme, comme Nina Simone. On sent bien qu’elle a roulé sa bosse partout à l’écoute de «Good Old Wagon», car c’est de la pure Americana. Et c’est avec le round midnite qu’elle excelle, et notamment ce fantastique «You Are Not My First Love». Tout est bien sur cet album, il faudrait aussi saluer «Lonely Train» et «Charlotte Town», bien développés au Judy power.

    Mick Houghton rajoute son petit grain de sel dans son pavé biblique - Becoming Elektra: The True Story of Jac Holzman’s Visionary Record Label - Judy quitte Elektra parce que ça ne fonctionne tout simplement pas. Elle va enregistrer son meilleur album avec son mari Jerry Yester, Farewell Aldebaran sur le label d’Herb Cohen, Bizarre. Cohen est inconsolable : «Elle a eu du succès, mais pas avec ses disques. Elle a joué dans tous les grands clubs, elle est passé au Judy Garland Show à la télé ce qui à l’époque était énorme. Bette Midler a pris Judy comme modèle.»

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    Et pendant que Jac séjourne à Los Angeles en repérage pour Elektra, John Hammond signe Dylan sur Columbia. Jac reconnaît qu’il a loupé Dylan. Quand il écoute son premier album, il se dit sidéré par le talent de Dylan. Même si dit-il l’album ne marche pas. Il reviendra souvent sur Dylan, rappelant qu’il est arrivé à New York très jeune, «se modelant sur les expériences de vies de Leadbelly et Woody Guthrie - But he did have - and in depth - the power of his beliefs - Bob Neuwirth affirme que Dylan n’est pas arrivé à New York par accident - He was career-oriented.

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    À l’été 1963, au terme d’un séjour d’un an de prospection à Los Angeles, voyant qu’il ne s’y passe rien, Jac décide de rentrer à New York. Il a déjà 13 ans de bouteille avec son label et c’est là qu’il a avec Paul Rothchild ce qu’il appelle «the single most important conversation of my professional life». Rothchild s’en souvient comme si c’était hier : «Appalachian ballads, Child ballads, bluegrass and all versions of the blues, up to and including electric. Tous ces gens chantaient the truth avec leur cœur. Et quand on ajoute à l’équation Dylan et les Beatles, ça donne une formule explosive. C’est prêt à sauter. Il y a tous ces gens bourrés de talent, tous ces gens qui vont changer la façon dont on fait la musique populaire.» Paul et Jac voient exactement la même chose - Paul et moi aspirions aux mêmes choses à New York. On a parlé pendant deux heures et plus je l’écoutais, plus j’adorais sa façon de penser la musique. On partageait tous les deux la même conviction : faire des disques, c’était comme d’entrer dans les ordres, une vocation plus qu’une carrière - Voilà pourquoi Jac Holzman est un personnage important dans l’histoire du rock américain : il nourrit une vision et tombe sur les gens qui la partagent. Et plus il dénote chez Paul «an obvious energy and a hip hustle, couplés avec une intelligence supérieure et une perception aiguë de la musique et du music business». Alors Jac lui propose un job chez Elektra : «Je veux que vous cessiez de bosser pour les autres compagnies et que vous écrémiez les clubs pour moi. Je veux que vous apportiez the street music to this company.» C’est exactement ce que va faire Paul Rothchild qui comme Ahmet Ertengun passe toutes ses nuits dans les clubs new-yorkais. Jac demande à Paul s’il peut produire dix albums par an, et Paul rétorque : «No Problem.» C’est cette fantastique coalition d’intelligences qui va permettre l’avènement d’un roi, the Lizard King.

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    C’est donc Paul qui va produire l’un des plus beaux albums de tous les temps, le Bleeker & MacDougal de Fred Neil : «Il était sur Elektra. On m’a puni pour mes péchés en me demandant de le produire. He was a brillant songwriter and a total scumbag. Il était le prototype de l’artiste pas fiable, the original rock flake. On prévoyait des séances, et soit il venait, soit il ne venait pas. C’est le mec qui a composé «Candy Man», Roy Orbison en a fait un hit, et le jour où il l’a composé, il est allé au Brill Building le vendre à 20 publishers pour fifty bucks each. This is not a nice man. C’est le genre de mec qui allait chez Izzy Young, «Izzy je joue ce soir et je n’ai pas de guitare», et Izzy lui répondait : «Freddie, tu me dois déjà vingt guitares, but I love you, tiens prends cette douze cordes.» Et Freddie arrivait au club fucked up, he was always fucked up, je l’ai vu dans cet état au moins dix fois, il était incapable d’accorder sa guitare, alors il la fracassait en mille morceaux sur scène. Une guitare qui ne lui appartenait pas.» Bon, Paul n’aime pas Fred Neil, il n’empêche que l’album est l’un des grands albums magiques du monde enchanté d’Elektra. Fred Neil jouait dans les clubs de Greenwich Village pour quelques dollars. Il grattait sa douze et embarquait le public dans un univers de balades mirifiques. On en trouve une douzaine, pas moins, sur Bleeker And MacDougal. Il attaque avec le Bleeker qui donne son titre à l’album, un gros groove débraillé et il installe immédiatement un mélange de profondeur, de chaleur et d’intense proximité. Il dit qu’il veut rentrer à la maison - I wanna go home - «Blues On The Ceiling» relève du miracle, avec son parfum jazzy. Un filet de fumée opiacée t’effleure la peau - I’ll never get off this blues alive - On monte encore d’un cran dans le vertige sensoriel avec «Little Bit Of Rain». On pense immédiatement au «Pale Blue Eyes» du Velvet, à cause des accents similaires et de cette profondeur émotionnelle d’une rare beauté. Fred Neil laisse flotter sa mélodie au timbre chaud. Il nous refait Folsom avec «Other Side Of This Life» (repris par les Lovin’ Spoonful, les Youngbloods et le Jefferson Airplane). C’est quasiment le même son - mais sans le tagadac - la même ampleur et la même pente. «Mississippi Train» est une petite merveille d’americana bluesy bardée d’harmo. Fred bourre sa dinde d’une farce de classe hargneuse. Pareil pour «Travellin’ Shoes», tapé à la Dylan, sur une fabuleuse mélodie descendante, et John Sebastian souffle comme un dingue dans son harp. C’est exaltant, embarqué comme pas deux, gratté à l’os, mélodiquement parfait - My travellin’ shoes ! - C’est le morceau de folk-rock idéal, bourré d’énergie et de classe vocale. Puis on ira de grosse surprise en grosse surprise jusqu’à la fin de cet album hors compétition. «The Water Is Wide» vaut pour une belle bluette inspirée, chaudasse et vaste, comme l’indique le titre. Profondeur et vibrato restent les deux mamelles de Fred, rocking blues boy de rêve. Et si on aime le blues joué en picking, alors on se régalera de «Yonder Comes The Blues». Composé pour Roy Orbison, «Candy Man» est une belle pièce montée sur des accords à la Bobbie Gentry - C’mon babe let me take you by the hand - C’est une fois de plus gratté sec et dévoyé à l’harmo. Fred pousse les mêmes coups de baryton qu’Ike Turner. «Gone Again» frappe par l’ampleur du ton - Can you hear the whistle/ On on on/ On that lonesome train ! - Retour au shuffle mythique du train des blues de base - I’d loved to stick around/ But you know I’ve got to go again - Et ça tourne à l’hypno avec les coups d’harmo dans le feu de l’action - I love you baby/ But you’ve got to understand right now !

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    L’Houghton est d’accord avec nous : «C’est un album de chansons classiques enregistré par l’un des chanteurs de folk les plus importants. It’s intense, deeply personal, introspective, bluesy and melodic.» Il ajoute un peu plus loin qu’avec cet album, Fred invente le folk-blues, «fondant le blues, la pop, le folk, le gospel et le jazz, avec cette voix qu’Odetta disait impossible à capturer - Fred’s voice is a healing instrument.» Sur sa lancée, l’Houghton consacre de très belles pages au grand Fred Neil. Il commence par citer Jac qui comme Paul n’apprécie guère Fred pour ses qualités humaines : «Même s’il est certainement très apprécié aujourd’hui, it isn’t for his humanity.» Et crack, prends ça dans ta barbe ! Mais celui qui connaît bien Fred, c’est Herb Cohen : «Sa plus grosse chanson est ‘Everybody’s Talking’, enregistrée in one take. Il a écrit ça en cinq minutes, dans les gogues, parce que je ne voulais pas le laisser sortir du studio. Il avait enregistré neuf titres (pour son premier album Capitol de 1966) et il en fallait encore un. Fred disait qu’il n’avait plus rien et qu’il voulait partir. Il est allé aux gogues, s’est fait un shoot et cinq minutes plus tard il est revenu et a dit : I’m just going to do this once. Il l’a chantée une fois et on l’a emmené à l’aéroport. Trois ans plus tard, Nilsson l’a enregistrée et Fred a gagné tellement de blé avec cette seule chanson qu’il pu prendre sa retraite.» Dans le Village, Fred traîne avec les gloires locales, Bob Gibson, Dino Valente et Len Chandler. Il hérite de tout le talent des pionniers du folk-blues, Josh White, Leadbelly, Lonnie Johnson et Ray Charles - It was one of his crowd, Dino Valente, who introduced Neil to Vince Martin -

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    Bon, l’album de Vince Martin & Fred Neil paru en 1964, Tear Down The Walls, n’est pas l’album du siècle, mais on le recommandera chaudement aux fans de Fred Neil, surtout pour ce «Baby» embarqué à l’échappée belle. Fred the sailor est la barre, il chante à la bonne franquette de la bonne franchise et se fond dans le groove comme un poisson dans l’eau. Tout aussi idéal pour Fred the sailor, le «Weary Blues» d’Hank Williams, un heavy blues tapé au be cryin’ et au sweet mama please come home, le pauvre Vince Martin claque sa chique et Fred revient dans le chant pour arracher le blues du sol. C’est un album chanté à deux voix et tapé à coups d’acou, très typé, très Greenwich Village des early sixties. Le baryton de Fred domine, le pauvre Vince Martin ne fait pas le poids. Il est avalé par le star system de Fred. Ils font une belle version de «Morning Dew», ils la tapent à deux voix, Fred renchérit sur le copain Vince, walk me out in the morning dew my honey, puis Fred enchaîne cinq de ses cuts, notamment le rampant «I Get ‘Em». Fred Neil est le roi des rampants

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    Fred avait déjà du métier. Quand il voyageait avec son père qui vendait des jukeboxes dans le Sud, Fred avait rencontré Buddy Holly et Roy Orbison au Texas. D’ailleurs, une fois installé à Greenwich Village, Buddy et Fred vont manger ensemble au restau. Les grands esprits se rencontrent toujours, dit-on. Puis l’Houghton entre dans le cœur du sujet : l’héro. Une héro qui rendait ses relations avec le biz compliquées. L’Houghton cite Jac : «Fred Neil was an artist’s artist. Il écrivait très bien, il avait une voix fantastique, mais travailler avec lui était un enfer. Il cherchait à intimider les gens via son manager Herbie Cohen. Comme il ne jouait pas très souvent, ses apparitions étaient des événements. Il était feignant et n’a pas enregistré grand chose. En qualité, oui, mais il a très peu enregistré. On lui a rendu sa liberté après Bleeker & MacDougal.» L’Houghton rappelle aussi que Mort Shuman a fait la photo de Fred sur la pochette de Bleeker & MacDougal, une photo aussi iconique que celle du Freewheeling de Dylan, et c’est pas peu dire. Toujours sur sa lancée, l’Houghton affirme que Fred Neil a influencé des gens comme Gram Parsons, Stephen Stills, Paul Kantner, Tim Buckely, David Crosby, et il ajoute, au sommet de son élan : «On a dit que Crosby Stills & Nash prévoyaient de s’appeler The Sons Of Neil, bien que Stills ne l’ait pas confirmé.» Stephen Stills embraye aussi sec : «Fred était mon mentor à New York quand j’essayais de percer sur la scène folk, dans les mid sixties. Il a fini par haïr cette scène et il est parti s’installer à Key West, en Floride, aussi loin que possible de Greenwich Village. Je garde de très bons souvenir de ce mec, je l’adorais, il était extrêmement drôle, et quelle voix ! Il m’a fallu des années pour pouvoir apprécier ses chansons, cette façon qu’il avait de chanter très bas. Le gens disent qu’on devait s’appeler The Sons Of Neil ? Je ne m’en souviens pas. Mais c’est possible, car il avait une énorme influence.» Et Croz en rajoute une petite louche : «Freddie taught me a lot. C’était un chanteur de folk extraordinaire, certainement l’une des meilleures voix qu’on ait pu entendre. He was crazy and self destructive, but, oh man, could he sing. Ce mec très talentueux n’était pas fait pour le monde commercial. Et plus ça devenait commercial, plus il disparaissait. Jusqu’au moment où il a complètement disparu.» Fantastique témoignage. Pas étonnant que Crosby & Stills aient fait de grands albums.

    Jac va rester toute sa vie fidèle à ce principe : «I just wanted to make records I gueninely loved and believed in». Quand on lui demandait quels étaient les disques qui l’avaient le plus influencé, Jac répondait toujours Koerner Ray & Glover - Their music m’a aidé à décider ce que je voulais faire avec Elektra. Continuer à faire du folk ou enregistrer Koerner Ray & Glover ? La réponse était claire. L’Houghton affirme que Koerner Ray & Glover «jouaient le country-blues comme des punks, fast and furious.» Il ajoute que lorsque Jac rencontre les Beatles en 1965, John et George se disent fans de Koerner Ray & Glover.

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    C’est vrai qu’il se passe des choses très intéressantes dans le premier album de Koerner Ray & Glover, Lots More Blues Rags And Hollers. Leur «Black Dog» d’ouverture de balda est un pur jus d’Americana, ils grattent leurs poux tous les trois - It’s a full 19 strings in action - la 7-string guitar de Spider John Koerner et la douze de Dave Snaker Ray donnent un son très fouillé, d’une incroyable musicalité, fine hillbilly blues from an Ernest Stoneman Family record, pas étonnant que ça plaise tant à Jac. Sur l’«Honey Bee» de Muddy, Tony Glover joue des coups d’harp au bord du fleuve. On salue l’extrême pureté de la démarche. Avec «Crazy Fool», ils passent au primitif, Spider John Koerner travaille des arcanes d’acou primitifs. Ils récidivent plus loin avec «Fine Soft Land». Dave Snaker Ray chante tellement bien qu’on croit entendre le vieux Big Joe Williams qui est photographié avec eux. Ils rendent hommage à Billie Holiday avec «Lady Day», ils racontent son histoire - She got real sick - et grattent à la suite «Freeze To Me Mama» à la folie de 1963. C’est vrai qu’ils auraient pu devenir des punks. «Ted Mack Rag» arrive à point nommé pour nous rappeler que ce registre rootsy reste assez âpre, et ils reviennent au protest song avec le «Fannin Street» de Leadbelly. Pour finir, un petit shoot d’early blues du fleuve avec «Can’t Get My Rest At Night», suivi de «What’s The Matter With The Mill», un bon vieux shoot d’Americana de blancs.

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    L’année suivante, Koerner Ray & Glover sont de retour avec The Return of Koerner Ray & Glover. Ils ne pouvaient pas trouver titre plus idéal que celui-ci. Ils profitent de leur élan pour nous proposer un beau festival d’Americana («Titanic» et «Poor Howard»), ça gratte encore aux 19-strings, ça joue à fond de cale d’Americana, au fouillis country-honky de fairly well. Un peu revêche au premier abord, leur Americana finit par devenir lumineuse. Et quand ils jouent le blues («You’ve Got To Be Careful»), ce n’est pas du blues, monsieur, c’est de la dentelle de Calais du fleuve. Chez ces gens-là, monsieur on a des carottes dans des cheveux qu’ont jamais vu un peigne. Ils vont sur la black avec «Looky Looky Yonder», ouh wah ! C’est quasiment du chain-gang chanté a capella, avec des chaînes aux pieds. Ils tapent aussi dans le «Statesboro Blues» de Sleepy John Estes au fouillis universaliste. Rien à voir avec le version magique de Taj Mahal sur son premier album. Le trio en fait une merveille de rootsitude grattée à la moelle d’osso bucco des enfers. En fait, ils tournent un peu autour du pot, avec le même modèle («Eugene C»), ils rootsent les roots aux petits oignons, ils sont purs comme des bonnes sœurs qui ont trouvé leur vocation, on ne peut pas imaginer plus pure pureté. Ils sont même indécrottables, comme le montre «Goin’ To The Country», c’est une country de bouseux de la blouse de blues, on se croirait dans le pays de Caux, ça rootse sec dans les roustons rustiques. Ils tapent «I Don’t Want To Be Terrified» au punk d’around the Koerner, ils amènent ça au Somethin’ else. Ça chante encore à la black dans «Lonesome Road», s’ils n’étaient pas en photo sur la pochette, on se ferait avoir. Retour à l’extrême pureté des intentions avec «England Blues», mais les crocodiles finissent par bâiller aux corneilles. Ils jouent dans toutes les règles du lard, on peut leur faire confiance, il n’en manque pas une. Peu de traditionalistes sont allés aussi loin dans l’exégèse des lieux communs de l’Americana : on peut citer les noms de Ry Cooder, de John Fahey et dans une moindre mesure, de Mike Wilhelm. Ils restent dans leur délire avec «Packin’ Truck». On peut leur faire confiance, ils veillent à maintenir du bon niveau, une rectitude de la rootsitude. Il faut les voir exceller dans l’excavation de regains de blues gutter.

    En fait, Jac pousse le bouchon assez loin : il vaut faire d’Elektra un label hip, avec un Paul qui traîne dans les clubs pour copiner avec les hipsters, les cajoler et éventuellement les signer. Paul could do that. Ça s’appelle un concept. Leur premier gros coup, c’est le Paul Butterfield Blues Band. Quand Paul les harponne, Jac ne sait pas où cette histoire va les entraîner. Ils sont trop en avance sur leur époque. Dans le book, Paul raconte comment ce coup est arrivé : il est à Cambridge, Massachusetts pour le jour de l’an 1965 et un mec le branche sur Paul Butterfield, «The best music I’ve heard in my entire life. You should go there right away.» Le mec en question, c’est Joe Boyd, mais Paul ne le dit pas. C’est en lisant l’autobio de Joe Boyd qu’on tombe sur le pot-aux-roses. Bon, Paul saute dans l’avion et débarque à 3 heures du matin chez Big John’s, le club où joue Paul Butterfield - And I heard the most amazing music. It was thrilling, chilling - changed my entire genetic code - À la fin du set, Paul chope Butter et lui propose de le signer sur Elektra. Ça discutaille pendant dix minutes pour le principe et finalement Butter accepte. Puis il demande à Paul s’il est fatigué et Paul dit non, «I’m on fire!». «Great», fait Butter, «I’ve got this buddy playing at an after-hours club over on the South Side. Pepper’s Lounge». Ils entrent au Pepper’s et c’est Muddy Waters. Puis Butter dit qu’il aimerait avoir Michael Bloomfield dans le groupe, mais Bloomy ne veut pas jouer avec lui. Alors Paul chope Bloomy dans un club et lui demande s’il aimerait bien venir enregistrer un album à New York avec Butter. Aussi sec, Bloomy répond : «Sure!» - Fuck it ! Butter n’en revient pas - He is sitting there with his jaw on the table - Ils vont ré-engistrer l’album trois fois, car Paul est atteint de perfectionnite aiguë. Lorsque la premier tirage de l’album est pressée, Paul l’écoute, mais il dit non, ça ne va pas. Il dit à Jac :

    — Jac I got a problem.

    — Quoi ?

    — Je veux refaire the Butterfield album.

    — You want to do what ?

    Jac ne comprend pas, l’album est fabriqué, prêt à être distribué. En fait, Paul veut retrouver le son qu’il a entendu quand il est entré pour la première fois chez Big John’s à Chicago. «We don’t have that on tape. We have a pale facsimile. I want to record them live for a week.» Jac réfléchit un instant et dit : «Not a bad idea.» Avec le recul, Jac pense que cette décision n’était pas raisonnable, mais «Rothchild had my artistic sensibility convinced». Paul ré-engistre le groupe au Café Au Go Go, un club folk en face du Bitter End et fait venir the recording trucks. Ils enregistrent plusieurs soirs de suite, mais Paul n’y trouve pas son bonheur. Il dit à Jac qu’«it sucks beyond your wildest expectations. We have nothing.» Alors Jac s’écrie : «Oh my God!!! What are you going to do now?». Alors Paul dit qu’il va retourner en studio to get it right. Et Jac dit ok. Finalement, l’album coûte 50 000 $ ce qui à l’époque est une somme énorme, mais l’épisode montre bien à quel point Jac veille au grain. Cet album est devenu un énorme classique, comme d’ailleurs pas mal d’albums Elektra.

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    Ce premier Butter paraît en 1965. Sur la pochette, le groupe pose devant l’échoppe d’un marchand d’herbe. On compte deux blackos superbes dans les rangs du groupe, Sam Lay et Jerome Arnold, alors que Bloomy et Butter ressemblent à des freluquets. Par contre, sur la deuxième photo de la pochette, on les voit sur scène dans l’effarance du blues. Ils attaquent avec «Born In Chicago» - I was born in Chicago in 1941/ Well my father told me son you’re going well - Jerome Arnold joue de la basse folle sur «Shake Your Money Maker» et Sam Lay y tape le beat du diable. C’est Elvin Bishop qui rappelle que Sam et Jerome jouaient avec Wolf avant de jouer avec Butter. Mais on n’entend pas Bloomy. Il est perdu au fond du mix ! Bravo Paul ! Et ça commence à déconner quand Butter se prend pour Little Walter dans «Blues With A Feeling». Puis il se ridiculise en voulant imiter Muddy dans «Got My Mojo Working». En B, «Our Love Is Drifting» tente de sauver l’album à coup de heavy blues insistant et ils se vautrent encore une fois en tapant dans le «Last Night» de Little Walter. Butter fait pitié. Il subissait le même sort que Mayall en Angleterre : les blancs ne faisaient pas le poids face aux géants du blues électrique : Muddy, Wolf, Junior Wells et tous les autres.

    Pour Paul, Butter était le boss, a tough guy - He was the guenine article: feeling the blues. Je crois qu’il a été l’un des plus grands bandleaders de ce pays. Même niveau que Benny Goodman et Nelson Riddle.

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    L’année suivante paraît East-West, le dernier album avec Bloomy. Ils tapent directement dans Robert Johnson avec «Walking Blues», c’est cousu, affreusement cousu. Mais à l’époque, ils ne le savent pas. Puis Bloomy pose «I Got A Mind To Give Up Living» dans l’écrin blanc du Chicago Blues. Malheureusement, Butter chante comme un blanc qui n’a pas de crédit. Le «Work Song» qui clôt l’A est cousu jusqu’à l’os. Bloomy a eu raison de se faire la cerise. La viande se trouve en B, d’abord avec «Mary Mary» que Butter chante à l’insidieuse, puis avec le morceau titre, monté sur un gros drive de jam à la revoyure. Jerome Arnold pulse un drive de bille en tête. Butter passe ses coups d’harmo et ça vire à l’orientalisme cabalistique. Monstrueux car novateur. Elvin Bishop abat ses cartes. L’incroyable de la chose est qu’on remonte à travers ce groove halluciné jusqu’à l’origine des temps puis Bloomy coule de la Soul dans l’Asie mineure d’un art majeur, son miel mêle la Mésopotamie au beat nombriliste de l’ombilic des limbes et il repart à l’aventure, comme si de rien n’était.

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    The Original Lost Elektra Sessions du Paul Butterfield Blues Band est une sorte de passage obligé : Rothchild a réussi à retrouver les masters du premier enregistrement, celui qu’il a fait mettre à la benne. C’est une révélation et ces early cuts sont certainement bien meilleurs que ceux de l’album officiel, ne serait-ce que pour la version punkish d’«Our Love Is Drifting», tapée au wild boogie de Chicago. C’est carrément du proto-punk, rien de plus wild, ces mecs sont les killers du South Side, monster drive, cette façon de claquer le riff est unique. Ils jouent le beat des squelettes de l’underground avec une réelle violence de la pugnacité - It’s too late babe/ Our love is drifting - Ils jouent tous leurs trucs sec et net, comme cet «Hate To See You Go», violent et punkish, claqué à l’harmo, Butter est le roi des punks, ces mecs sont des dingues de blues, you know babe, c’est là où Butter fait son beurre, si tu cherches les punks du blues, c’est là. Ils restent dans le heavy punk de rock me avec «Rock Me», Butter y va au sun goes down, c’est du punk de rock me slow. Ça joue à l’enfer de la ferraille derrière Butter. Pour l’époque, la version d’«Help Me» est assez révolutionnaire. Même chose avec «Lovin’ Cup». Ils passent au heavy blues avec «It Hurts Me Too». Encore du punk-blues avec «Ain’t No Need To Go No Further» et ce démon de Butter profite de «Going Down Slow» pour traîner sa hure dans un gutter de way no more.

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    Jac assistera fasciné au fameux concert de Newport 65 lorsque Dylan goes electric - C’était l’électricité mariée au contenu - C’est là qu’il prend conscience d’un son, le rock - It was like a sunrise after the storm, when all is clean, all is known - Et comme des gens sifflent le Dylan electric, Jac n’en revient pas, «je n’arrivais pas à comprendre que ces gens n’entendaient pas the wonderful stuff I was hearing.» Pour Paul Rothchild, cet épisode de Newport symbolise la fin d’une époque et le début d’une autre. Pas de précédent historique, ajoute-t-il - This is a young Jewish songwriter with an electric band that sounds like rock and roll - Et Paul se dit fier de Jac qui à l’opposé des vieux crabes du folk trouvait Dylan génial - J’étais très fier de Jac, le voyant choisir l’inconnu plutôt que le confort de ce qui était alors connu - Et Jac ajoute : «I followed my instinc and my heart. I followed the music.» Par contre, Elvin Bishop n’est pas du tout fasciné par Dylan : «J’ai rencontré Dylan. Nice guy, mais je reste partagé. Je trouvais qu’il ne savait pas chanter ni jouer de l’harmonica. J’avais accompagné Little Walter et c’était autre chose. Mais Dylan n’avait pas besoin de ma sympathie. Le meilleur souvenir que j’ai de Newport, c’est le moment passé avec Mississippi John Hurt et Mance Lipscomb : on s’est sifflé tous les trois a half pint of whiskey.»

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    Jac repère les Lovin’ Spoonful, il les veut sur Elektra, mais les Spoonful demandent une avance de 10 000 $. Jac répond : «No way, I have never given an artist 10 000 $ and I can’t start now.» Finalement les Spoonful vont ailleurs et Jac est inconsolable. Il les voyait comme «an electrical extension of what Elektra had been doing. L’année suivante, on entendait «Summer In The City» all over radio, with its pulse and urgency, that gritty New York rooftop feeling, it was exactly the kind of powerful music I wanted.»

    Dans le cours du fleuve, Jac avoue un goût prononcé pour le cannabis. Il organise chez lui des soirées musicales où l’on se goinfre de cannabis cookies - People floating away in their private reverie, head soirées. Grass was cheap. We’re talking $150 a kilo, though it didn’t have the potency of today’s product, but it certainly cooked up well - L’autre aspect fondamental du cat Jac est qu’il roule en scooter dans les rues de New York.

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    Puis on arrive à l’un des chapitres les plus fascinants de la saga Elektra : Love and Arthur Lee. Quand Jac les voit sur scène à Los Angeles, il est impressionné, car ils reprennent le «My Little Red Book» de Bacharach & David - Hip but straight. Et Arthur Lee & Love going at it with manic intensity. Five guys of all colours, black, white and psychedelic - That was a real first. My heat skipped a beat. I had found my band - Herbie Cohen qui les a découverts pour Jac rappelle qu’à l’époque Arthur Lee & Love crevaient la dalle et qu’ils vivaient tous les cinq dans une chambre d’hôtel. Arthur demande une avance cash de 5 000 $, Jac dit OK, meet me at the bank. Il file le cash, Arthur l’empoche et dit aux membres du groupe de l’attendre à l’hôtel. Cinq heures plus tard, Arthur réapparaît au volant d’une two doors gull-wing gold Mercedes 300 qu’il a payée 4 500 $. Il explique à ses copains consternés qu’il fallait un moyen de transport pour le groupe, so we can get around to the gigs. Puis il donne 100 $ à chacun de membres du groupe qui ne mouftent pas, nous dit Herbie Cohen qui assiste à la scène. Hilare, Jac ajoute : «That car was just big enough for him, his girlgriend and his brand new harmonica.»

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    Jac signe Love pour trois ans et six albums. Mais très vite, Arthur dit à Jac qu’il va casser le contrat, sous prétexte qu’il était mineur au moment de la signature. Donc le contrat n’est pas valable. Personne ne connaît l’âge d’Arthur. Jac : «He was a heavy ingester of substances and he wasn’t Dorian Gray.» Arthur dit qu’il veut bien re-signer chez Jac, à condition d’avoir a higher royalty, a ten percent, parce qu’il a dix membres dans le groupe. Et tu sais ce que lui répond Jac ? : «By that logic, the Mormon Tabernacle Choir gets a one hundred-ten percent royalty.» Jac lui accorde 7% et Love reste sur Elektra. Selon l’Houghton, Jac trouve Love fresh, exotic and deliciously weird. Jac : «Le background d’Arthur Lee était le Memphis R&B, mais Love intégrait toutes les valeurs traditionnelles de la pop. Ils reprenaient ‘My Little Red Book’, after all. Love n’était rien de plus ou de moins qu’Arthur’s conception of what it should be - a terrific band with tons of enrgy and crazy as loons. That appealed to me. Lorsqu’il y a un élément de danger, quand on ne sait pas ce que le groupe fera à la prochaine étape, ça m’attire. Bland bands need not apply.»

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    Bruce Botnick qui enregistre Love et qui dans la foulée va enregistrer les Doors est fasciné par Arthur : «Je n’ai jamais entendu personne parler comme Arthur. Il était sous acide 24 h/24, or smoking hemp-something. He was so high all the time that he wasn’t high. Il était arrivé à ce qu’on appelle l’état de clear light. Je garde un souvenir ému d’Arthur, because he was a very, very gentle human being.» Le fils de Jac qui s’appelle Adam a aussi des souvenirs extraordinaires d’Arthur : «Arthur m’a emmené chez lui. Il roulait vraiment très vite et j’avais la peur de ma vie, mais en même temps je trouvais ça extraordinairement excitant. Je savais juste qu’il n’aurait pas d’accident de voiture. Il avait l’une de ces maisons où la piscine rentre à l’intérieur du salon. On s’est assis et on a écouté le premier album du Jimi Hendrix Experience, Are You Experienced. On disait qu’Arthur et Jimi avaient monté un groupe ensemble longtemps avant Love. Je pense qu’Hendrix aurait bien aimé qu’Arthur lui écrive des textes de chansons. Ils auraient formé l’un des meilleurs groupes de tous les temps. Arthur adorait Jimi Henrix et il repassait inlassablement l’album. Il se levait et disait : ‘Je dois absolument réécouter cet album une fois de plus.’ Et il remettait ‘Purple Haze’.» Et puis comme Arthur déteste voyager, Jac ne peut pas organiser la promo du premier album. Jac insiste pour qu’il vienne à New York rencontrer le staff d’Elektra qui a bossé dur pour Love, mais Arthur ne reste que 36 heures. Les quatre albums de Love parus sur Elektra ne marchent qu’en Californie et en Angleterre, où nous dit Jac, il bénéficie d’une énorme réputation «precisely because he was so mysterious and refused to travel». Jac pense qu’Arthur ne voulait pas s’éloigner de ses connections - Which is not to minimize the importance of connections - Les tournures de Jac Holzman sont toutes somptueuses. À l’image des artistes qu’il prend sous son aile.

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    Bon, les albums de Love sont épluchés ailleurs. Jac indique que c’est Bruce Botnick qui a sauvé Forever Changes. Malgré les tensions, il a adoré travailler avec Arthur : «J’adorais son étrange sens de l’humour. Mais pendant les dernières sessions, il m’a balancé des choses que je n’ai pas réussi à encaisser, je n’étais pas assez mûr pour ça. C’était trop intellectuel pour moi. J’ai appelé Jac et lui ai demandé de retirer mon nom de l’album. C’est pourquoi on peut lire que l’album est produit par Arthur Lee. Mais je suis fier d’y avoir participé.» Jac confirme : «Il était très difficile de travailler avec Arthur qui était un downer et donc extrêmement critique envers les gens qui bossaient avec lui. Il faisait rarement un compliment, parce qu’il se sentait supérieur. Mais en même temps, il n’a pas réussi à montrer au monde son vrai talent. Arthur est l’un des génies que j’ai rencontrés. But genius needs focus and intent, otherwise it just discharges into the ground.»

    Puis l’Houghton salue Love Four Sail, le quatrième et dernier album de Love sur Elektra et l’un des plus grands disques de rock de tous les temps. Arthur avait reformé Love avec Jay Donnellan qu’il vira aussi sec pour le remplacer par Gary Rowles.

    C’est à cette époque que Paul Rothchild est envoyé au placard pour une valise de shit. Au procès, Jac soutient Paul, évidemment - Jac était courageux car à l’époque personne n’aurait osé témoigner pour une personne accusée de trafic de drogue - Ce courage s’appelle l’élégance. Et c’est ce qui fait la force d’Elektra, on retrouve cette élégance aussi bien dans les choix musicaux que dans les comportements humains. Jac ne sait même pas si Paul est un vrai dealer. Il s’en fout - I never knew and I never asked - Pendant que Paul moisit au placard, Jac lui verse son salaire et donne du travail à sa femme Terry. Paul va y rester sept mois avant d’obtenir une condi. Il rentre chez lui, prend une douche, dort un bon coup et le lendemain matin il est au bureau, chez Elektra.

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    Les gens qui fréquentent Jac lui trouvent d’autres qualités : «Jac had style, mystique. He was mysterious. On ne pouvait pas le situer. Personne ne savait dans quelle direction il avançait, mais lui le savait.» Sa collaboratrice Suzanne Helms dit qu’il est l’un des esprits les plus vifs qu’elle ait connu, avec David Geffen. Jac continue d’appliquer sa formule : «Rassembler les meilleurs talents, faire en sorte que le process fonctionne bien et assurer le résultat.» Et il ajoute pour que les choses soient bien claires : «Suivre la musique signifie bien plus que de traquer les tendances. Chaque fois que je m’interrogeais sur un enregistrement, j’ai toujours obtenu la réponse en écoutant la musique, jusqu’à ce qu’elle m’indique ce que j’avais besoin de savoir.» Le résultat de tout ça est qu’à l’époque, un artiste ou un groupe devient aussitôt important, parce qu’il est signé sur Elektra. C’est un label qui fascine le jeune Lenny Kaye. Il louche surtout sur le premier album de Love - Chaque album paru sur Elektra était intéressant, je trouvais les artistes fascinants. C’était une pure démarche intellectuelle (Definitely intellectually challenging). Aucun label ne ressemblait à Elektra. They were cutting edge - C’est d’ailleurs pour ça que son Nuggets paraît sur Elektra un peu plus tard. Danny Fields arrive aussi dans la boucle, très vite Jac l’impressionne : «Jac always wanted to do the right thing for the right reason. I never saw hypocrisy or venality or political ambition.» La meilleure preuve aux yeux de Nina, la femme de Jac, c’est qu’il n’a jamais eu de procès - Jac would always say «I’m not in the suing business, I’m in the music business - Aux yeux de Bill Graham, Jac est un saint : «He ran his label in a much more humane fashion.» Et Tony Glover ajoute le coup de dé qui jamais n’abolira le hasard : «He was the first rich guy I met that wasn’t an asshole.» Jann Wenner, le fondateur de Rolling Stone, raconte qu’un jour il est venu trouver Jac pour lui emprunter du blé : «He said ‘sure’ in a second.»

    Paul Rothchild va encore bien plus loin que tous ces apologues : «Je pense que Jac doit être le père du genre humain, parce qu’il a dû être son propre père quand il était jeune. Il a dû se débarrasser de ce père qui n’en fut pas un et créer une autre autorité en lui, trouver ses propres règles de vie.» Jac embraye aussi sec pour dire que Paul tape en plein dans le mille, comme d’habitude. Comme son père n’était pas capable de briser sa carapace, Jac a commencé à l’imiter jusqu’au moment où dit-il il a compris qu’il devait se recréer comme quelqu’un de plus bienveillant - At first it felt like an act mais au bout d’un moment c’est devenu naturel.

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    Avec les Doors, on touche encore une fois au cœur du mythe Elektra. C’est Arthur qui insiste pour que Jac vienne un voir un groupe au Whisky. Jac est fatigué, il descend d’avion et il ne sait rien de ce mystérieux groupe - Quel que fut le groupe, Arthur en avait une haute opinion, et comme j’avais une très haute opinion d’Arthur, je suis resté - Il s’agit des Doors - And they did nothing for me. Il y avait un autre groupe qui jouait au Whisky et que j’adorais, j’ai même essayé de les signer : Buffalo Springfield. Mais Ahmet Ertegun d’Atlantic s’est montré plus convainquant que moi. Elektra était beaucoup plus petit qu’Atlantic qui avait sorti un nombre incroyable de hit singles. Avec Love j’avais mis un pied in the rock door et j’avais besoin d’un autre groupe pour donner plus de crédibilité à Elektra, mais les Doors ne me plaisaient pas. Jim est agréable à regarder, but there was no command. Peut-être que j’avais des idées trop conventionnelles, mais leur musique n’avait pas le rococo des autres groupes de l’époque, on était en 1966, en plein Revolver des Beatles. Une petite voix intérieure me disait que ce groupe avait autre chose à offrir que ce que j’entendais et je suis revenu les voir sur scène. Finalement le quatrième soir, je les ai entendus. Jim générait une énorme tension, il fonctionnait comme une sorte de trou noir, il aspirait toute l’énergie de la salle - Et voilà c’est parti, Jac a pigé les Doors. Il flashe notamment sur la reprise d’«Alabama Song» - Aha! Kurt Weil, Bertold Bretch. These Doors are not just California pretty boys, they actually have some brains - Paul Rothchild produit le faramineux premier album et Bruce Botnick l’enregistre. Botnick dit pouvoir compter les moments magiques en studio sur les doigts de la main et l’enregistrement de «The End» en fait partie. Jac dit que Paul a pris d’énormes risques avec les Doors, car il les poussait à se surpasser - He was able to get them to want to perform for themslves and for their audience in a way that transcended ‘going into the studio’, because they weren’t just going into the studio, they were going into the soul of the music - Voilà, c’est encore du Jac, du paragonnage de visionnaire. Il voit les Doors comme un groupe strange and dangerous. Quand ils partaient en tournée, nous dit Jac, personne ne savait à quoi s’attendre : nous voilà donc au cœur d’un mythe qui s’appelle le rock. Il faut se souvenir que le cuir noir n’était pas encore très répandu au temps des Doors. C’était réservé aux bikers et aux gays. Quand Jimbo débarque sur la côte Est, he knocked New York on its ass, nous dit Ray. Un Jimbo qui devient vite ingérable. Paul : «Control is a word that didn’t work around Morrison.» Jac préfère rester à l’écart, il évite de traîner avec les artistes dont il s’occupe - Devenir trop proche, ça érode l’autorité et l’objectivité et on peut avoir un jour besoin des deux - Quand Jim traîne au bar avant de monter sur scène, il siffle des vodkas à la chaîne. Bill Siddons qui est le road manager des Doors demande au barman combien Jim a sifflé de verres, le mec ne sait pas, alors Bill demande à voir l’addition : 26 verres ! Jimbo ramène souvent des copains bourrés au studio et Paul se charge de les virer. Robby Krieger : «Some heavy, heavy scenes. Heavy pill taking and stuff. That was rock and roll to the fullest, I would say.» Tout ce qui touche aux Doors est héroïque. C’est pour ça qu’on s’ennuie tellement depuis que Jimbo est mort.

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    L’Houghton rappelle que Botnick est celui qui a eu la relation la plus longue et la plus suivie avec les Doors. Botnick peut donc dire en quoi les Doors sont différents des autres groupes californiens - There were no peace-and-love vibes et le seul lien qu’ils avaient avec la scène acid-rock de San Francisco, the Dead and Quicksilver, c’est l’improvisation. Et à Los Angeles, ils n’avaient rien à voir avec les Byrds et les Mamas & the Papas - Il ajoute : «Ils étaient très forts pour les mélodies et amazing pour les lyrics. Les Doors se foutaient des tendances, notamment du folk-rock alors en vogue à Los Angeles. On ne trouvait dans leur son rien de ce qui faisait alors le son des sixties, pas de douze cordes, pas d’harmonica, même pas de basse. Ils étaient à part.» Ray Manzarek renchérit : «On a créé une nouvelle musique américaine qui était universelle : un rock band américain qui commentait l’Amérique. On a exploré night and day, ying and yang, we loved Orson Welles and the music of Howlin’ Wolf, en d’autres termes, darkness. Ou encore Muddy Waters chantant ‘Hoochie Coochie Man’. On écoutait Miles Davis, with its dark overtones. Une musique qui proposait a deep dark psychological poetry. On aimait beaucoup l’opening d’Allen Ginsberg sur Howl : ‘I saw the best minds of my generation destroyed by madness.’ Les Doors sont issus de tout ça : city of night, Raymond Chandler’s Los Angeles, Nathaniel West’s Miss Lonelyhearts and Days Of The Locust.» L’Houghton confirme que cette descente dans l’underbelly of America s’illustre parfaitement sur la pochette fellinienne de Stange Days.

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    Paul Rothchild voit Jimbo comme un mage qui invoque the dark forces et qui est avalé par elles - It’s very hard to control the madness that such a conjure brings - Mais toujours selon Paul, c’est ce que Jimbo voulait, il trouvait ça intéressant, c’est ce qu’il recherchait, the madness. À quoi Jac ajoute, goguenard : «En mars 1969, Jim a provoqué l’ultimate out-of-control experience. The word came that he had exposed himself in full view of concert audience in Miami.» Tu noteras l’élégance de l’expression. Un Français moyen aurait dit : «Il a sorti sa queue devant tout le monde à Miami.» Jac se marre bien avec cette histoire. On sait qu’il n’existe aucune preuve d’exhibition, même pas une photo - If It had happened it would have been a sight to remember - La belle expression, a sight to remember. Et Bruce Botnick ajoute : «The Great White Shaft.» Ray rebondit à son tour : «The sheer heft! An avenger! A Terrible object! The destroyer!». Ils sont tous pliés de rire avec ces conneries. Mais Jac conclut : «Mais personne n’a pu voir the weapon being brandished. Personne dans le backstage. Personne sur scène, ni John, ni Ray, ni Robby.»

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    Pour garder les Doors sur Elektra, Jac leur fait des cadeaux princiers et monte leur royalty rate à 7 %, puis à 10 %. Il leur refile aussi 25 % du publishing pour les remercier de leur fidélité - That was the right and proper thing for me to do - Bill Siddons est sidéré par la générosité de Jac : «Ça lui a coûté des millions de dollars, car c’est ce que valait le catalogue des Doors, mais en échange il a obtenu leur loyauté.» Comme chacun sait, Paul Rothchild va arrêter de produire les Doors au moment de LA Woman. Il trouve les chansons mauvaises - Two good songs, «LA Woman» and «Riders On The Storm» and the rest is lounge music. Two weeks into production, I quit - C’est Bruce Botnick qui prend le relais : «On enregistré l’album en dix jours. Le jour du mixage, il y eut le tremblement de terre. J’ai fini de mixer et suis allé voir Jac chez Elektra avec les Doors, mais sans Jim qui ne venait jamais - Et Jac s’est assis et s’est mis à pleurer.» Oui, il avait raison de pleurer Jac car LA Woman est de toute évidence le couronnement de sa carrière. Jac dit avoir été inquiet suite aux propos négatifs de Paul, «but the album knocked me out, song after song.» On l’évoque longuement ailleurs, dans ‘Ka-Doors - Part One’, mis en ligne en mars dernier.

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    Quand Jac apprend la mort de Jimbo à Paris, il est complètement secoué - Jim’s death affected me more than the death of my dad or my grandparents - Il explique à la suite que ça équivalait à perdre quelqu’un qui avait occasionné dans sa vie «des changements tellement profonds que les choses ne furent plus jamais les mêmes après». C’est Bill Siddons qui dans ce livre fascinant dit les choses les plus définitives sur Jimbo : «L’une des manies de Jim était de vous pousser le plus loin possible dans vos retranchements pour vous faire sortir de vous-même et pour être qui vous étiez vraiment. Il faisait ça avec tout le monde. J’ai eu avec lui de longues conversations et j’ai dû finir par le faire taire car il m’entraînait dans des schémas de pensées que je ne savais pas maîtriser. He could be the biggest asshole in the world. Et il était l’un des mecs les plus gentils qu’il m’ait été donné de connaître. Ce mec que les gens percevaient comme quelqu’un de cinglé et d’arrogant était en fait l’être plus sensible et le plus développé au niveau esprit qu’on puisse imaginer. There was a gentle, generous human soul there. Et ce dont je me souviens le mieux, c’est sa générosité.»

    On croise aussi Tim Buckley sur Elektra, un Buckley fucked up on heroin at the Chelsea Hotel - It was trouble behind my perception, nous dit James Jackson. Un Buckley qui va faire quatre albums sur Elektra, tous devenus un peu cultes.

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    Son premier album sans titre paraît sur Elektra en 1966. Cette année-là, on avait avec les Troggs, les Pretties, les Kinks, les Who, les Stones et tous les autres zigotos d’autres chats à fouetter. On est revenu sur Tim Buckley un peu plus tard, comme on allait sur Love ou les Doors, via Elektra, en quête d’une certaine modernité. Paul Rothchild produit l’album, Bruce Botnick l’enregistre et Jack Nitzsche fait les arrangements. Buck bénéficie donc des services d’une grosse équipe. On voit tout de suite qu’il échappe à tous les genres. Il a dérouté plus d’un cargo. Il ne chante pas, il fait des oraisons, comme Jacques Brel. Il se livre à des dérives octogonales, va là où le vent le porte. Il fit déjà partie des inclassables, comme Brel, Scott Walker ou Captain Beefheart. Il fait du Buck comme Brel faisait du Brel. Comme Dylan fait du Dylan. C’est tout ce qu’il faut comprendre. Et à partir de là, c’est simple. Pourtant Buck ne se vend pas. Buck ne doit sa survie artistique qu’à son génie d’auteur et d’interprète. Et à Jac Holzman qui croyait autant en lui qu’il croyait en Jimbo et en Arthur Lee. Ce qui frappe à l’écoute de cet album, c’est le côté bien décidé de Buck. Il semble te dire : «viens !». Alors tu y vas. Ce genre d’invitation n’est pas très courant. Buck te propose un univers même pas psychédélique, juste un univers de sensations. Il peut chanter d’une voix d’ange, mais on préfère penser qu’il chante comme un dieu, et ça établit aussi sec ce qu’on appelle un contrat de confiance. Il chante à la régalade et nous enchante. C’est pas compliqué. Cet album regorge d’ambiances. On en pince surtout pour «It Happens Every Time», une Beautiful Song qu’il prend à la clairette d’élan patriotique. Cut idéal pour l’amateur de beauté pure. C’est l’album du vif argent.

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    Sur la pochette de Goodbye And Hello, Coco Bel Œil nous décoche un franc sourire. Pochette parfaite. Quand on ressort l’album, on est frappé par la singularité du ton de Buck. Il psalmodie plus qu’il ne chante, avec des accents tranchants et souvent pelucheux. Comme Brel, il cherche les voies impénétrables de la dérive astronomique, il chante à la puissance hertzienne et compresse son feeling dans une nuisette de bas des reins, comme s’il visait la perfection de la perversion. En fait, il vise l’envol élégiaque, c’est son truc, mais il nous faudrait des ailes pour pouvoir le suivre. Sa religion, c’est la tension. Il en joue. Si ce cut s’appelle «Hallucinations», ce n’est pas pour rien. Avec «I Never Asked To Be Your Mountain», il préfigure Jonathan Richman et se livre à l’exercice d’un final apocalyptique. Buck n’en finit plus de jouer les indicibles. Il brouille les pistes au long cours. Il peut aussi chanter des petites conneries et puis voilà «Morning Glory», la dérive d’excellence par excellence, sous le voile à peine clos, Buck bouge encore, il veut encore prodiguer ce groove inespéré de beauté baudelairienne, c’est très spécial, on suit car on l’adore, mais c’est pas gagné. Comme il a dû ramer pour convaincre les convaincus ! Pas si simple. Les légendes, vois-tu, c’est comme le pâté, on les tartine comme on veut, sans vraiment savoir.

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    Encore une belle pochette pour Happy Sad, un album nettement plus détendu que les autres. Buck y propose avec «Strange Feeling» un rock confortable et ensoleillé, destiné aux gens qui ont du temps et de grandes baies virées, un rock plus jazzé, bien balancé des hanches, avec l’extraordinaire Lee Underwood on guitar. Buck sonne comme une centrale marémotrice. Avec le buzz de «Buzzin’ Fly», il propose un heavy groove californien à califourchon. Deux dérives mêlent leurs langues, celle de Buck et celle d’Underwood. Ces mecs brillants s’étalent sur la longueur, Underwood épouse la dérive de Buck, I miss you so. Tout l’album s’imprègne de cette ambiance mercuriale, avec le bruit des vagues, histoire de nous faire rêver, nous autres, les parvenus jusqu’ici. Tiens, comme c’est étrange : avec «Love From Room 109 At The Islander», Buck et Underwood s’amusent à prendre les gens pour des cons, enfin ceux qui ont des grandes baies vitrée ensoleillées et des charmantes épouses qui sentent la lavande. Bon, parfois, c’est un peu moins pompeux et on retrouve ce qu’on aimait bien chez Buck au départ, la perdition, comme avec «Dream Letter» qui ouvre le bal de B. C’est joué au xylo. Mais on n’écoute même pas ce qu’il raconte tellement on s’ennuie. Cut un peu gluant, un peu Cave dans l’esprit, Buck a besoin de se répandre. Alors vas-y mon gars, répands-toi. Quel dommage ! L’album s’annonçait si bien. On attend des miracles d’un mec comme Buck, mais il a du mal à fournir.

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    Son dernier album pour Jac s’appelle Lorca, comme le poète. Sur le morceau titre, Buck ramène sa ramasse existentielle et l’ami Lee pianote. Il pianote même sauvagement. Buck fait ramer sa voix, comme aux galères. «Lorca» sonne comme une merveille tentaculaire. L’ami Lee pianote de plus en plus et Buck chante à la perdition définitive. C’est une merveille délivrée de ses chaînes, enfin libre, avec un son unique dans l’histoire du rock. On suivra donc Buck jusqu’en enfer. Avec «Anonymous Proposition», Buck sonne comme un Brel déguisé en hippie californien qui se passionnerait pour le crépuscule de Big Sur, assis en compagnie d’Henry Miller. Il chante du plus profond de son âme. Désolé, les gars, d’avoir recours à des formules aussi ringardes, mais c’est la seule façon d’exprimer ce qu’est le blues, comme dirait l’autre asticot. C’est beau et plein de jazz, mais du jazz manouche, avec le round midnite d’une stand-up. Buck est l’un de ces géants des Amériques dont parle Dylan dans Chronicles. En B, Buck nous fait le coup du petit groove de congas avec «I Had A Talk With My Woman». Quel dommage que la pochette de cet album soit si foireuse, car Buck est ici au sommet de son art. Il groove son petit business perditionnaire et ça pourrait durer des heures qu’on ne s’ennuierait pas. On entend des belles guitares à la Croz dans «Driftin’», un drive de psychedelia magique. Pur jus de Croz. Lee Underwood monte ça bien en neige. Et la voix de Buck se perd là-bas au loin. Underwood est un génie, il distille une sorte de pureté groovytale dans sa façon de jouer et dont Buck s’enivre - I’ve been drifting in between/ What used to be - C’est vrai qu’il va de plus en plus loin. Cet album miraculeux s’achève avec le fast ride de congas de «Nobody Walkin’», Buck lance une sorte de fiesta frénétique et il devient héroïque, même si ça reste un groove typique de l’époque, mais Buck se met en roue libre, il dicte ses lois et voilà qu’arrive un solo de wild piano, quelle sinécure !

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    Les autres gros cultes d’Elektra sont bien sûr le MC5 et les Stooges. C’est l’époque Danny Fields qui devient tout de suite pote avec John Sinclair, le manager du MC5 - I thought he was a fantastic man. He was funny, il aimait la bonne bouffe, il aimait sortir, il aimait avoir des plans, il aimait causer. Et c’était un businessman. Il parlait le même langage que les gens du music business. J’ai l’ai virtuellement signé, lui ai serré la main et l’ai assuré que l’approbation de Jac ne serait qu’une simple formalité - Eh oui, Danny sait ce qu’il faut pour Jac qui est d’accord : «Danny had immaculate taste for the arcane and he knew I’d go for it.» Jac sait que l’arrivée du MC5 et des Stooges chez Elektra va faire grincer les dents de ses principaux collaborateurs, mais l’engagement politique du MC5 l’intrigue - Pour moi Sinclair n’avait rien de nouveau. Je m’étais fait les dents avec Phil Ochs. Sinclair avait plus de cheveux que Phil, il était plus violent, wild, woolly, intelligent et d’abord facile. Sinclair voulait le succès du groupe et Elektra était un label hip. La signature se fit aussitôt, dans les meilleures conditions. Les révolutions sont des événements immédiats et je voulais les enregistrer dans le feu de l’action, which meant right away - Tout se passe bien avec le premier album, puis ça dégénère assez vite. Bruce Botnick indique que le groupe défèque sur scène pour protester, puis ils barbotent l’équipement du studio où ils commencent à enregistrer le deuxième album. Alors Jac leur envoie un télégramme leur suggérant d’aller chercher un autre label. Ils traversent la rue pour aller signer chez Atlantic.

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    Danny propose les Stooges à Jac en même temps que le MC5. Jac est impressionné par Iggy qu’il situe beyond Jim Morrison - You had to be ready for something beyond stock outrageous - Chacun sait que les Stooges n’ont pas marché commercialement mais qu’ils ont inspiré autant de gens que le Velvet. Danny Fields dit que les deux albums des Stooges were way ahead of their time. Il parle même d’avant-garde - I thought it was the perfect group - Et nous aussi, on pense la même chose. Danny reprend : «J’aimais le MC5 pour leur vitalité, leur power, leur impact sur de grosses audiences et le carnaval qu’ils développaient sur scène. Mais j’aimais surtout les Stooges pour la pureté de leur son, de leurs chansons et de leur lyrics.» Et emporté par la flamme, il poursuit : «Sans les Stooges, il n’y aurait jamais eu de punk rock, de Sex Pistols, de Ramones, aucun des groupes qui furent importants dans les seventies. S’il n’y avait eu ni les Stooges et le Velvet, il n’y aurait plus rien d’intéressant aujourd’hui.»

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    Jac aime bien Danny Fields : «J’ai été vraiment charmé par des gens comme Frazier Mohawk et Danny Fields. J’aime bien avoir ce type de personnages dans mon orbite. Frazier still has an eye for the unusual.» C’est lui qui ramène en effet les Holy Modal Rounders chez Jac. Par contre, c’est Danny Fields qui présente Nico à Jac. The Marble Index est enregistré en quelques jours. Frazier Mohawk : «Le budget était très limité et le studio minuscule. On a enregistré la nuit, quand le studio était plongé dans le noir. Je suis tout de suite tombé amoureux de Nico. C’était un rêve que de travailler avec elle. Belle, théâtrale, and a marvellous human being. Les gens la trouvaient glaçante à cause de sa voix, mais elle était de compagnie très agréable et riait beaucoup. Il y avait beaucoup d’hero. Nico and I were stoned the whole time. Le fait d’être dans le même état qu’elle m’a permis de me concentrer sur la musique.»

    Comme tous les albums de Nico, The Marble Index est exclusivement réservé aux fans de Nico. On y retrouve l’ambiance glacée. Très difficile de rentrer là-dedans. C’est complètement barré. Très Nibelungen. Elle fait du germanique, pas toujours juste et c’est très loin du Velvet. «Ari’s Song» est plombé dès l’arrivée du chant. C’est très spécial, paumé, oui, elle semble complètement paumée. Bizarre que Jac ait pu entrer dans ce son. Il faut faire gaffe avec Jac, certains de ses premiers coups de cœur sont très ésotériques. Nico n’est pas faite pour le rock, elle est faite pour la légende. Il faut attendre le dernier cut, «Evening Of Light» pour trouver la perle noire : elle y crée du flux, c’est indéniable. C’est une fantastique cut de junk, joué à l’irréelle, dans un environnement supérieur. Et là on dit amen et merci à Jac.

    John Cale dit que Marble Index «is an artefact, not a commodity». Il ajoute : «You can’t sell suicide.» Il a raison, l’album ne se vend pas. Et bon prince, Jac déclare : «Sales are not the only benchmark.» Mais chez Elektra, Bill Harvey qui est le directeur des ventes ne peut pas schmoquer Danny Fields. Il ira même jusqu’à entrer dans son bureau pour lui péter la gueule. Jac : «Danny was let go by Bill Harvey who said : ‘I can’t stand Danny Fields, he’s wrecking the label, either he goes or I go.’ And I said OK, tu peux le virer. Maintenant je regrette profondément d’avoir autorisé ça. Danny Fields was smart, with excellent taste : highly outspoken, frequently outrageous.» Danny aurait pu ramener les Ramones chez Elektra.

    L’autre gros coup d’Elektra, c’est Delaney and Bonnie, enfin surtout Bonnie. Jac l’a repérée : «Bonnie was one hell of a singer, the best white blues chick singer I’d ever heard. Blonde à la peau claire but sounding so black. À 17 ans, elle avait chanté avec Ike & Tina Turner à Saint-Louis, elle fut une Ikette pendant trois jours avec une perruque noire et du fond de teint pour s’assombrir la peau.»

    L’Houghton nous rappelle que Delaney & Bonnie étaient the hottest act in the San Fernando Valley, ils faisaient partie d’un loose collective qui comprenait Gram Parsons, Leon Russell, Mac Rebbenack et Rita Coolidge. Le couple avait un backing band terrible, Bobby Whitlock, Carl Radle, Jim Keltner, Jim Price, Bobby Keys, qui dès qu’on leur proposa en 1970 d’accompagner Joe Cocker sur la tournée Mad Dogs & Englismen, mirent les voiles. Tous sauf Whitlock. Delaney & Bonnie n’avaient plus de groupe.

    Ils signent sur Elektra, mais Jac n’aime pas beaucoup Delaney : «I just didn’t like him. Il était sur le label parce qu’on lui a proposé un bon deal, et son manager voulait qu’il soit sur Elektra, mais Delaney always thought we were small potatoes, qu’on était pas dignes de lui. Avant même que l’album ne sorte sur Elektra, il essaya de le vendre à Apple, mais ce n’était pas possible, car le contrat était signé avec nous. Il était le prisonnier de son ego, burning the bridges with everyone.» Puis le couple pose vite un problème, car Delaney est tout le temps bourré et Bonnie most of the time mad. Jac évoque des problèmes terribles avec Delaney : «It was the only artist with whom I ever had major personal problems. Je dirigeais la compagnie et je ne pouvais faire de bons disques qu’avec des gens que je respectais. Il y avait chez Elektra des stars beaucoup plus importantes qui ne se conduisaient pas aussi mal que Delaney.» En fait Delaney se plaint que l’album ne se vend pas. Ça le rend agressif. Un jour il appelle Jac qui est en voyage en Angleterre pour lui dire qu’il est à Aardvark, Texas, là où vit son père, et qu’il n’y a aucun album de Delaney & Bonnie dans le local store - Il me disait : «Si demain, les albums ne sont pas dans ce magasin, je viens en Angleterre pour te buter.» Je lui ai répondu qu’il pouvait lui-même se charger d’y déposer ses albums. Ensuite qu’il pourrait aller terroriser un autre label, parce que je le libérais de son contrat. Enregistrer pour Elektra est un privilège qui marche dans les deux sens, pour l’artiste comme pour le label et personne ne peut me menacer.» Puis j’ai appelé David Anderle qui s’occupait du groupe, et qui avait eu lui aussi des problèmes avec Delaney. Il y a eu 15 secondes de silence et il a dit d’un ton très calme : «Well Jac, go look in the mirror and be proud of yourself.» So Delanay & Bonnie went to Atlantic, new home of the MC5... - À quoi, David Anderle ajoute : «And drove Ahmet Ertegun and Jerry Wexler crazy.» Fantastique façon de relater les événements.

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    Jac est le premier à reconnaître qu’Accept No Substitute paru en 1969 est excellent. Bonnie y fait des étincelles. Elle explose au moins trois cuts, à commencer par «When The Battle Is Over», qu’elle attaque à la black. Elle s’insinue dans le groove avec une voix de petite souris noire et elle transforme la Battle en pure staxerie. Même chose avec «Dirty Old Man», toujours très deep Soul dans l’esprit et bien monté aux chœurs. Il faut entendre Bonnie tartiner ses syllabes comme une géante de la Soul. Elle dégage autant d’animalité que toutes les grandes Soul Sisters. Elle embarque aussi «Soldiers Of The Cross» au combat. Elle invente carrément la deep Soul blanche. Elle sait se montrer énorme, d’autant que Jim Keltner double sur le tard du cut. Ça vire gospel frénétique et Bonnie s’active comme une diablesse. On entend aussi Rita Coolidge sur cet album. Elle chante dans les chœurs. Toute l’équipe est là, Leon Russell, Bobby Keys et Jim Price, Carl Raddle et Jim Keltner, bref tous les gens qui vont quitter Delaney & Bonnie pour aller accompagner Joe Cocker dans Mad Dogs & Englishmen.

    Bon, il manque encore un paquet de gens, mais on verra ça dans un Part Two.

    Pour se développer, Jac essaye d’embaucher Clive Davis, qui se disait mal loti chez Columbia. Jac lui propose «a thirty percent stake over time et l’opportunité de bosser en tandem, pour joindre nos forces. Il prit le temps d’y réfléchir, puis il déclina l’offre. Ça devait le gêner de bosser for a boutique label sans avoir l’infrastructure d’un gros label comme CBS derrière lui. Pourtant, c’est exactement ce qu’il fera plus tard avec Arista, mais en 1969, il n’était pas prêt.»

    Puis quand Elektra grossit, Jac n’a plus le temps de rien. Il bosse chez lui car au bureau il est constamment interrompu. Il se compare à un joueur de tennis qui joue contre cent adversaires en même temps. Il bosse tous les soirs tard et se lève de bonne heure chaque matin, et hop ça recommence. Puis apparaissait des crevasses dans sa relation avec Paul Rothchild. La décision finale appartient toujours à Jac, mais il laisse Paul monter ses projets, même si parfois Jac sent que ce n’est pas bon. Il cite l’exemple de Rhinoceros, a Rothchild-confected supergroup.

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    Puis quand il s’aperçoit avec le succès des Doors qu’il n’a pas les réseaux de distribution nécessaires, Jac sent qu’il doit fusionner. Il pose la question à Jerry Wexler qui vient de fusionner avec Warner : «Comparé à celui d’un label indépendant, que vaut le réseau de distribution d’une grande compagnie ?», et Wexler lui répond que le pire réseau de grosse compagnie sera toujours meilleur que la distribution d’un indépendant. Jac sent que l’ère de la distribution indépendante s’achève et qu’il faut intégrer un grand groupe. Il sait qu’Elektra ne survivrait pas au racket institutionnel des grosses structures qui prennent la distribution en charge. Il vend Elektra à Warner. C’est le début de l’ère WEA, Warner/Atlantic/Elektra, chaque label conservant la maîtrise de ses choix artistiques. Il ne restera que trois ans dans la multinationale et quittera son job de président pour aller s’installer à Maui dans le Pacifique - Pendant 23 ans Elektra fut toute ma vie. Tout en moi me disait que ce cycle s’achevait et arrivait à sa fin naturelle. Les seventies n’avaient pas été aussi prometteuses au plan musical. Mais quelqu’un devait veiller sur ma société et la solution que se semblait évidente était David Geffen. C’est Paul Rothchild qui dit tout le bien qu’il faut penser du nouveau boss d’Elektra : «Quand David Geffen est entré dans les eaux californiennes en tant que manager, les requins sont entrés avec lui et toute l’ambiance a changé. It became: ‘let’s make money, music is a by-product.’»

    Le fin d’Elektra sous la houlette de David Geffen n’est pas jojo. L’Houghton donne tous les détails, c’est le management à l’américaine, on vire en masse pour faire des économies.

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    Pour se remonter le moral, on peut écouter la petite compile encartée dans la troisième de couve de Follow The Music, l’autobio de Jac. Elle propose 26 cuts et couvre toute l’histoire d’Elektra, y compris les artistes de la première époque, ceux dont on n’écoutera jamais les albums, car ils sont terriblement spéciaux. C’est le folk des années 50, Jean Richie, Susan Reed, Frank Warner, Cynthia Goody, tous les caprices de Jac. Il y a aussi des blacks, Sonny Terry et Josh White. On tombe sur l’Americana pré-pubère de Kathy & Carol («Wondrous Love») puis ça rebascule dans le vieux Theodore Bikel et la pire de toutes, Jean Redpath qui roule des r, ah la garce ! Le premier gros truc est le «Banjo In The Hollow» des Dillards, ils sont encore pires que dans Deliverance, ils explosent tout à coups de banjos. À sa façon, Judy Henske défonce tout aussi, mais avec sa voix, dans une version somptueuse de «Wade In The Water». Judy is on fire ! Koerner Ray & Glover font une apparition avec une chanson de chain gang et là c’est pas terrible, on ne joue pas avec ces choses-là. On arrive dans le secteur des grandes voix avec Tom Rush et une version solide de «Milk Cow Blues». Admirable, grosse énergie new-yorkaise, trois albums sur Elektra qu’il faut explorer. S’ensuit le «Got My Mojo Working» du Butterfield Blues Band, ça joue sec et net avec Bloomy et Butter ne rigole pas. On monte au cran supérieur avec le jazz blues de Fred Neil. Fantastique «Blues On The Ceiling», magie pure du son et de la voix - I’ll never get out of this crazy blues alive - Grosse surprise avec The Incredible String Band, gentle folk-rock mais avec un drive, des guitares partout, c’est assez impressionnant. Quant à Phil Ochs, il est trop énervé. Il gratte comme un con, il chante à la colère pure, alors ça ne peut pas marcher. On est surpris par le timbre extrêmement chaleureux de Tom Paxton, par l’autorité féminine de Judy Collins et c’est à Tim Buckley que revient l’honneur de fermer la marche.

    Signé : Cazengler, Jacques Holsmerde

    Jack Holzman. Follow the Music: The Life and High Times of Electra Records in the Great Years of American Pop Culture. First Media Books 2000

    Mick Houghton. Becoming Elektra: The True Story of Jac Holzman’s Visionary Record Label. Outline Press Ltd 2010

    Judy Henske. High Flying Bird. Elektra 1963

    Judy Henske. Judy Henske. Elektra 1963

    Koerner Ray & Glover. The Return of Koerner Ray & Glover. Elektra 1964

    Koerner Ray & Glover. Lots More Blues Rags And Hollers. Elektra 1965

    Vince Martin & Fred Neil. Tear Down The Walls. Elektra 1964

    Fred Neil. Bleeker & MacDougal. Elektra 1965

    Paul Butterfield Blues Band. The Paul Butterfield Blues Band. Elektra 1965

    Paul Butterfield Blues Band. East West. Elektra 1966

    Paul Butterfield Blues Band. The Original Lost Elektra Sessions. Elektra Tradition 1995

    Delaney & Bonnie. Accept No Substitute. Elektra 1969

    Tim Buckley. Tim Buckley. Elektra 1966

    Tim Buckley. Goodbye And Hello. Elektra 1967

    Tim Buckley. Happy Sad. Elektra 1969

    Tim Buckley. Lorca. Elektra 1970

    Nico.The Marble Index. Elektra 1968

     

     

    Inside the goldmine

    - Darryl de poudre

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    — À vot’ bon cœur, m’sieurs dames... À vot’ bon cœur...

    L’aveugle assis au coin de la rue de la Convention psalmodiait tout le jour, de l’aube jusqu’à la nuit tombée. Un haut chapeau cabossé trônait au sommet de son crâne et comme le vieil homme portait passée autour du torse une trompette antique, on l’appelait Jéricho.

    — À vot’ bon cœur, m’sieurs dames... À vot’ bon cœur...

    Suffisants et ventripotants, les bourgeois du quartier passaient sans même lui jeter un regard. Ils ne craignaient pas le mépris de l’aveugle puisque celui-ci ne pouvait les voir. Ça leur conférait une sorte d’impunité qui, soyez-en sûrs, n’eut pas soulagé cette conscience qui leur faisait si cruellement défaut. Seuls les voyous du quartier, craignant sans doute de finir comme l’aveugle à mendier dans les rues, lui jetaient un sou. Cling !

    — Sank you Paris match, milord !, croassa l’aveugle d’un ton guilleret.

    L’aveugle le voyait-il ? L’apache eut un doute et il repartit d’un pas pressé, un sourire aux lèvres, en direction de la Seine qu’il franchit au Pont Mirabeau pour gagner Auteuil. Il alla s’enfouir dans l’ombre d’une porte cochère pour guetter une demeure bourgeoise. Il attendit le milieu de la nuit, s’introduisit dans le parc et escalada la façade jusqu’au balcon. En échange de la moitié du butin escompté, un vieux serviteur lui avait indiqué qu’une fois entré dans le salon par le balcon, il verrait un coffre. L’apache tailla la vitre au diamant, claqua le coupe et passa la main pour atteindre l’espagnolette. Il traversa le salon à pas de loup et vit le coffre, près de la cheminée. Il sortit d’une vaste poche intérieure un pied de biche et une tenaille de chirurgien de marine. Il entreprit de faire céder le premier gond. Puis le second. Il déboîta ensuite le lourd battant du coffre. Quelle ne fut pas sa stupéfaction ! Le coffre ne contenait ni argent, ni bijoux, juste un microsillon.

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    Crushed Butler, lit-on en haut de la pochette, Uncrushed, lit-on en bas et au milieu, trois graines de violence posent dans les éboulis d’un immeuble de banlieue écroulé. N’importe quel amateur de proto-punk aurait pu rassurer l’apache. En effet, ce microsillon de Crushed Butler vaut tout l’or du monde, enfin, de manière symbolique, entendons-nous bien. En fait, il ne vaut pas un clou sur Discogs. Mais bon, pour certaines personnes, c’est un Graal. Uncrushed ! Au seul prononcé du mot, certains visages s’illuminent. «My Son’s Alive» et sa fantastique heavyness éreintée, travelled down to Mexico, et puis «Ractory Grime» et ses syncopes cardiaques tirées tout droit du «Fire» de Jimi Hendrix. Fantastique osmose hectorienne ! Mais il y a aussi le glam d’«Highschool Dropout» et le Sabbing de «Love Fighter» : Jesse Hector y hallucine dans les mauves du premier Sab. Et puis il y a un DVD glissé dans la pochette : on y voit les trois Crushers répéter dans une cave, filmés en plan fixe, avec un Jesse Hector qui saute partout, tel un étalon sauvage.

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    Quel album étrange que ce Beat Existentialist enregistré en 1993. Darryl Read y propose une version surprenante de «Band New Cadillac». Il veut rendre hommage à Vince Taylor, alors il s’y colle. Il cherche l’écho et la canaille, il y va de bon cœur, mais il va dans le mur, c’mon sugar, personne ne peut égaler la grandeur de Vince Taylor. Le pauvre Darryl se vautre à coups de she ain’t coming back. Il tape aussi dans l’excellent «Gin House» rendu célèbre par Amen Corner. Ce vieil heavy blues remonte jusqu’à Bessie Smith, et Darryl y rôde comme un loup affamé. Il rend un bel hommage à Dylan avec son «Blue Fandango Man». Une vraie osmose, il fait son Dylan 66 à merveille, il ramène tout, même le masterplan et le Baltimore. Le hit du disk s’appelle «Shake Off The Devil». En fait ce sont les chœurs de filles qui en font la grandeur. L’univers photographique de l’album est rudement intéressant : on y trouve du perfecto et du sein tatoué. Darryl y joue son rôle de prince des ténèbres à la perfection. Il ramène bien son stranger dans «Love Is A Perfect Stranger». Dans «Vipers Of Harlem», il mugit comme un bœuf chargé d’ouvrir la voie. C’est comme toujours chez lui, excellent, plein de son et plein de filles qui font des chœurs.

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    En 1999, Darryl Read s’acoquine avec Ray Manzarek pour enregistrer Freshly Dug. Bon alors attention, il s’agit d’un exercice de style censé rééditer l’exploit poétique de Jimbo, lorsqu’il enregistra An American Prayer. Darryl Read lit ses textes et Manzarek l’accompagne au piano. Alors pour tromper l’hydre de la monotonie, ils varient habilement les genres. Ça devient vraiment intéressant quand ça vire jazz («Man O Jazz» ou «Behind The Beat»), et bizarrement Manzarek devient bon. Il est aussi capable de jouer le piano d’aube blême («Cup Of Dark») et de créer la sensation. On finit par succomber au charme discret de l’ensemble. Darryl est assez drôle avec ses petits poèmes de reptile family («The Plumes Of Fire») mais au fond on voit bien que Manzarek rafle la mise avec son excellence pianistique («Azur Skies»). Tout est très poétique sur cet album, très piano-advanced. Ils sont dans un son qui nous dépasse, puisque ça les concerne eux, directement. Darryl ramène sa poésie dans le giron du big Ray piano man («Broken Highways») et cet album hautement littéraire se termine avec «Last Poets Land». Du coup, Darryl Read devient un immense poète underground, un de plus.

     

    En 2002 paraît un autre album de Darryl Read, l’excellent Shaved qui s’ouvre sur une reprise stupéfiante de «You’re A Better Man Than I». Darryl Read se transforme en Max la Menace pour redynamiser les Yardbirds, dans l’éclat du chant proto-punk et des guitares flamboyantes. Darryl joue de la guitare mais le monster break est signé Geoff Knwoles. C’est Dave Goodman, the Pistol man, qui joue de la basse. Ce n’est donc pas un hasard si «Programme» sonne comme un cut des Pistols. Darryl y déploie la même ampleur, la même démesure, pas de problème, c’est un énorme shoot de big English rock. Puis il passe à Dylan avec «Love Falling Like Rain». Il fusille ça au riffing définitif, c’est terrifiant d’à-propos. Il tape chaque fois dans le mille : Crushed Butler, Third World War, les Yardbirds et maintenant Dylan. Aw my Gawd que de son ! On se croirait sur l’un des grands albums de Mick Farren, ça tape dans le haut de gamme imputrescible. Et le roi s’écria : «Mon royaume pour un Darryl !». Il y a bien sûr des cuts plus faibles mais il revient sur le tard avec une somptueuse cover de «Positively 4th Street». Il se rassasie du génie de Dylan, et réussit une fois de plus l’exploit d’y associer la pure Brit energy. Dans les pattes des proto-punks britanniques, le Dylanex ne pardonne pas.

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    Le Collectomatic Vol. 1 paru en 1997 ressemble étrangement à un passage obligé. Pourquoi ? Parce que Darryl Read y commente ses cuts, et là, on en a pour son argent. On a tout le détail d’«On The Street Tonight», vieux shoot de rock underdog, artefact du proto-punk, composé avec Jim Avery et enregistré en 1975. Le cut est ressorti en 2013 sur un single qu’on pouvait commander chez Crypt, à Hambourg. L’ex-Silverhead Steve Forrest joue de la basse et le lead guitar, Darryl bat le beurre et chante. La démo n’a pas plu, à l’époque. Darryl explique qu’au moment de Crushed Butler et d’«On The Street Tonight», il tentait de convaincre les mecs des labels que le proto-punk allait bientôt exploser, ce qu’il fit deux ans plus tard, avec les Pistols et tous les autres. Darryl et Jesse Hector avaient pas mal d’avance. «Back Street Urchin» date de 1976 et Steve Forrest joue aussi dessus. Ça sonne un peu comme les Pink Fairies, un peu éparpillé au gré des couplets, pour ne pas dire décousu. Manque de lien, manque de prod. On tombe un peu plus loin sur une puissante cover de «Play With Fire» enregistrée à Berlin. Avec «Trouble In The House Of Love», il fait autorité - We’ve got trouble in this house of love - Il sait rôder sous le boisseau. Et puis voilà le coup de génie : «The Devil In Black Leather» co-écrit avec Terry Stamp. Comme son nom l’indique, le cut parle de Gene Vincent, c’est groové dans le lard fumé, Stamp plays the slide guitar, pas de drums, Darryl tape sur un chaise en plastique. Rien plus mythique que ce genre de Black Leather. Terry Stamp est l’auteur de «La Punka Morbida», solide groove underground enregistré à LA - Body surfing South on the San Diego freeway - «Vipers Of Harlem» qu’on trouve sur Beat Existentialist est aussi co-écrit avec Terry Stamp. C’est d’ailleurs à cette époque que Darryl fait la connaissance de Ray Manzarek. Plus loin, il reprend le «Teenage Dream» de Marc Bolan pour en faire un bijou Dylanex. C’est dingue ce qu’il sait bien le faire. Il rend aussi hommage à Bo Diddley avec «Walking In Shadows» et à Captain Beefheart avec «Full Speed Ahead».

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    Si en 2013, on commandait chez Crypt l’«On The Streets Tonight» paru sur Last’ Year’s Youth Records, c’était pour pouvoir l’écouter jusqu’à plus-soif, comme on écoutait jadis nos précieux EPs des Pretties et d’Eddie Cochran, debout devant le tourne-disques. Il est bien le petit Darryl sur ce 45 tours. La guitare de Steve Forrest sonne comme une trompette, mais Darryl sonne comme un vrai proto-punk. La structure est classique, mais l’à-propos ne l’est pas. Il n’y a que des mecs comme Terry Stamp, Phil May, Steve Peregrin Took, Mick Farren ou Jesse Hector pour chanter avec un telle fureur apache.

    Signé : Cazengler, Darryl Raide (manche à balai dans le cul)

    Cruched Butler. Uncrushed. Crush Records 2013

    Darryl Read. Beat Existentialist. Rock Chix 1993

    Darryl Read & Ray Manzarek. Freshly Dug. Ozit-Morpheus Records 1999

    Darryl Read. Shaved. Madstar Records Ltd 2002

    Darryl Read. Collectomatic Vol. 1. White Label Records 1997

    Darryl Read Group. On The Streets Tonight. Last’ Year’s Youth Records 2013

     

    Il faut sauver le soldat Ryan

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    Tous les ceusses qui écoutaient la radio dans les années soixante se souviennent parfaitement d’Éloise. Ah comme ça gueulait dans la radio - Eloise/ Eloise/ You know I’m on my knees/ Yeah I said please/ You’re all I want so hear my prayer/ My prayer - Les frères Ryan n’y allaient pas de main morte. Ils sont même entrés dans l’histoire avec ce hit considérable que les Damned avaient repris sur l’album Anything. Dave Vanian rivalisait de virevoltes octaviennes avec l’excellent Barry Ryan qui comme beaucoup de gens célèbres en 1967 vient de casser sa pipe en bois, aussi allons-nous lui rendre un modeste hommage. Pour les situer, Paul & Barry Ryan figuraient dans le peloton de tête des grands popsters britanniques.

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    Leur premier album Two Of A Kind paru en 1967 est une merveille absolue. On trouve en bout de la B deux cuts produits par Les Reed, «‘Twas On A Night Like This» et «Silent Street», un Les Reed qui se prend véritablement pour Totor, il ramène tout le saint-frusquin et ça tourne à la fantastique exaction productiviste. Barry Ryan chante «Silent Street» à l’extrême power du Silent Street, et Les Reed le monte en neige, au maximum des possibilités de la pop anglaise. En bout d’A, Ivor Raymonde, autre monstre sacré, produit «Am I Wasting My Time». Présence inexorable, les frères Ryan travaillent leur pop au corps. Avec «Hey Mr Wiseman», les frères Ryan rivalisent de vélocité avec Moby Grape. Ils vont vite et bien, c’est fast and beautiful et ça joue derrière à la fantastique énergie. Ils font aussi une cover des Yardbirds, «I Can’t Make Your Way» bien pop, avec une guitare suceuse. Cette belle pop anglaise pressurisée est l’un des joyaux de la couronne du roi Ryan. Ils tentent aussi le diable avec une cover du fameux «You Don’t Know Like I Know» de Sam & Dave. Ils le blanchissent, on perd la niaque, mais il faut saluer l’effort. Ils démarrent leur album avec une autre cover, «That’ll Be The Day», un hommage sucré au grand Buddy Holly. Les Anglais adorent Buddy Holly. Et sur «Love, You Don’t Know What It Means», les frères Ryan sonnent comme les Hollies, alors t’as qu’à voir. Globalement, ils se situent avec cet album au cœur de l’âge d’or du British Beat des reins.

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    Si tu veux mesurer le génie du soldat Ryan, inutile de sortir ton mètre-ruban, un simple Best Of suffira, comme par exemple celui que propose Repertoire : The Best Of Paul & Barry Ryan. Attention, c’est un double CD d’une rare densité. Il faut partir du principe que le soldat Ryan est un chanteur extraordinaire, que son frère Paul lui compose des chansons extraordinaires et qu’il bénéficie en prime d’une prod extraordinaire : bienvenue dans le saint des saints du Swinging London. Trois énormités guettent le chaland sur le disk 1 : «Have You Ever Loved Somebody», «I’m Telling You Later» et «Rainbow Weather». Ce sont trois fantastiques dégelées de pop anglaise, le Telling You Later est monté aux harmonies vocales des Hollies avec du shaking de glotte en prime. C’est même complètement saturé d’harmonies vocales. Le Rainbow Weather est amené à la cloche de bois et le soldat Ryan s’en va chanter ça au sommer du lard. «Have Pity On The Boy» - Baby pity on the boy - et «Carry The Blues» sont deux modèles de prod. Tout ici est gorgé d’écho et d’allure. Les frères Ryan chantent comme des Mods, à la folie du can’t you see. Même le rocky «There You Go» sonne comme une énormité, tellement c’est bien orchestré. Ils ont du son à un point inespéré. Ils surpassent tous les tenants et tous les aboutissants d’Angleterre, y compris les early Bee Gees et les Hollies. Paul et Barry Ryan sont de puissants seigneurs. Ils attaquent même leur «I Love You You Love Me» à la cornemuse. Ils font des fantastiques numéros de chant à deux voix («Keep It Out Of Sight» qui n’est pas celui de Wilko). On croit entendre les Beatles dans «Pictures Of Today» et on entend un guitar hero dans «Reincarnation Games». Le soldat Ryan se réserve le disk 2 et attaque avec l’un des plus grands hits des sixties, «Eloise». C’est une fantastique envolée mélodique avec la tension des tambourins, on a là un hit exceptionnel de Swinging Londonnery - Every night & day/ I break my heart/ To pliiiiise/ Eloiiiiise - Le soldat Ryan grimpe à l’Anglaise, avec une niaque très particulière qui n’appartient qu’aux dandys britanniques, une niaque chaude, bien timbrée, bien dans les knees. Il se paye en chemin des ponts à la Brian Wilson et finit à la Wilson Pickett. Barry Ryan est l’artiste complet par excellence. À côté d’«Eloise», «Kitsch» reste sans doute l’une des meilleures introductions à l’art fumant du lard fumé. Le soldat Ryan chante ça à l’efflanquée carabinée, comme il chante Eloise, il va chercher l’effort suprême dans l’heavily orchestrated, il sait monter son Kitsch en neige, c’est puissant et bien cadencé, au sens des cadences infernales, vraiment très impressionnant, il va chercher les effets maximalistes, «Kitsch» est un cut qui kicke, très harnaché, très caparaçonné, très flamboyant, bourré de farce de layers comme une dinde de Noël, le soldat Ryan s’en va hurler son beautiful word au sommet du mont Ararat comme s’il était le Moïse du Swinging London. L’autre coup de génie, c’est «I’ll Be On My Way Dear», amené au heavy beat de gaga brit, au monster push. Le soldat Ryan s’en va screamer au bout du lac, ça sonne comme du proto-punk, c’est un passage obligé pour un DJ car on a là l’un des cuts les plus définitifs du Swinging London. Barry Ryan l’explose. En fait, les frères Ryan combinent bien les climats, ils se donnent tous les moyens. Ils sont dans l’exercice de la puissance. Leur pop chargée reste invariablement du meilleur goût. «The Hunt» se développe comme un hit de Jimmy Webb. Le soldat Ryan chante à l’extrême pulsion du gig, il accompagne ses compos et les enlace. Dans «It Is Written», il a des chœurs terribles derrière lui, les girls sont explosives, c’est une véritable clameur et Barry fait son dandy, il sait monter par dessus les toits. Encore une énormité avec «Sanctus Sanctus Hallelujah», il claque sa pop quand il veut. Mélodiquement parlant, son Sanctus reste exceptionnel. Il fait du Tamla anglais avec «Give Me A Sign» et son «Alimony Money Blues» sonne comme un hit des Kinks. Il retrouve les accents épiques d’«Eloise» dans «We Do It Together», bref, pour qui ne connaît pas le soldat Ryan, ça peut être une révélation.

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    On ne perd pas son temps à entrer dans les cinq albums que le soldat Ryan a enregistrés entre 1969 et 1972. Les pochettes sont toutes superbes. Bienvenue dans la grand art du Swinging London avec Barry Ryan, un Raymond Polydor arrivé premier en 1969. Le hit s’appelle «I See You», un enchantement. On se régale aussi du «Makin’ Eyes» en ouverture de bal de B et de cet environnement orchestral solide comme un bœuf. Tout est très ambitieux sur cet album, très composé. Dans le «Man Alive» qui boucle le bal d’A, on observe une fantastique tension d’I’m alright et d’I’m OK. Le soldat Ryan chante son «Not Living Without Her Love» au timbre Brit pur, d’une voix ample et âpre à la fois, et d’une résonance exceptionnelle. Il est l’un des très grands chanteurs de son temps. On ne se lasse pas de sa magnitude et de sa clameur.

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    Si on ouvre le gatefold du Barry Ryan Sings Paul Ryan paru la même année, on voit les deux frères au travail, Barry debout et Paul de dos assis au piano. Mais on voit surtout deux des plus belles superstars d’Angleterre. Ce sont des dandys londoniens, ils portent la même chemise blanche à motifs imprimés et d’énormes rouflaquettes. En plus, l’album est monstrueux. On se prosterne devant «Why Do You Cry My Love» : grande pop, vraie voix, grand élan. Ils continuent de baigner dans l’excellence avec «The Colour Of My Love». Paul & Barry Ryan naviguent au même niveau que Lennon & McCartney et que Jimmy Webb. Ils cultivent l’art pop. D’ailleurs, la pochette offre une troublante ressemblance avec celle du Twelve More Times de P.F. Sloan. «Eloise» boucle le bal d’A avec le même power vocal et composital. Le soldat Ryan s’en va chanter là-haut sur la montagne, c’est un hit à la fois épique et fascinant. Même power et même ambition que «MacArthur Park». En B, ils font avec «My Mama» un heavy pathos spectaculaire. Le soldat Ryan clame son amour à sa mère. Tout ici est formaté au sommet du lard, cette pop gorgée de vie et de power flirte avec le surnaturel.

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    On trouve deux belles énormités sur Barry Ryan 3 : «Follow Me» et «We Did It Together». Avec le Follow Me, ils font du Jimmy Webb de London town, c’est de la heavy pop dotée de développements orchestraux assez mirifiques, c’est plein d’énergie et d’excellence de la prestance. «We Did It Together» ouvre le bal de la B et laisse échapper des échos de «Let’s Spend The Night Together». Le soldat Ryan orchestre au chant toute la démesure du Swinging London. Encore de la belle pop orchestrée avec «Stop The Wedding». Le soldat Ryan se coule dans son moule avec une élégance qui en bouche un coin. Il finit encore une fois au shouting de star. Ils font de la Soul blanche avec «In The Shelter Of My Heart». Présence inexpiable, comme toujours. Et puis on a cette pop alerte et vive, «Better Use Your Head», dressée face à l’horizon, avec son jabot et sa mâchoire volontaire, une pop de dandy absolu. C’est sur cet album qu’on trouve «Kitsch» dont on a déjà dit le plus grand bien. Barry barrit bien sa dandy pop et grimpe son beautiful word dans les volutes de trompettes antiques. Les vagues de violons libèrent des staccatos d’effluves capiteuses.

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    Le dandy Ryan orne la pochette de Red Man. Toute la viande est en B, cette fois, à commencer par «Dance To The Rhythm Of The Bard», un cut extrêmement bien contrebalancé et orchestré à l’anglaise, avec cette voix en figure de proue, toujours bien profilée. «Show Me The Way» est une pop qui se donne les moyens de ses ambitions, avec notamment l’adjonction de chœurs d’église somptueux. Le soldat Ryan mérite bien ça. Le hit de l’album, c’est «I’ve Been Around», pur jus de good time music, anglicisme à toute épreuve et ampleur considérable, à la fois digne du Brill Building, du Swinging London et de Broadway. Il termine l’album avec un «It Is Written» superbement orchestré - I’ve been down so long/ I could not say - Il chante à la fantastique persistance de Jesus Christ/ He will care for me et il repart à l’assaut du ciel.

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    Retour du dandy jaboté pour Sanctus Sanctus Hallelujah. On y trouve l’excellent «Alimony Honey Blues» digne des Kinks comme on l’a dit, mais aussi de Ronnie Lane. Le «LA Woman» d’ouverture de bal de B n’est pas celui des Doors et les frères Ryan retrouvent leur veine avec «I Think You Know My Name», une belle pop ambitieuse gorgée de développements. Le morceau titre est une merveille inexorable, une pop de gospel londonien signée Paul Ryan, bien au-delà des attentes de camping camp. Avec «Storm Is Brewing», les frères Ryan se fâchent, ils ramènent du gros riff anglais, on se croirait sur le premier Sabbath, c’est exactement le même son. Par contre, ils sonnent comme les Monkees avec «When I Was A Child». On entend les riffs de «Last Train To Clarksville». Le soldat Ryan ramène du heavy beat dans «Slow Down» et cette fois il frise le Lennon. Il boucle l’album avec un «From My Head To My Toe» signé Russ Ballard, grande pop anglaise, bien bâtie et dans les pattes de Barry, ça prend de l’allure, beaucoup d’allure.

    Signé : Cazengler, Barry rillettes

    Barry Ryan. Disparu le 28 septembre 2018

    Paul & Barry Ryan. Two Of A Kind. Decca 1967

    Paul & Barry Ryan. The Best Of Paul & Barry Ryan. Repertoire Records 1998

    Barry Ryan. Barry Ryan. Polydor 1969

    Barry Ryan. Barry Ryan Sings Paul Ryan. MGM Records 1969

    Barry Ryan. Barry Ryan 3. Polydor 1970

    Barry Ryan. Red Man. Polydor 1971

    Barry Ryan. Sanctus Sanctus Hallelujah. Polydor 197

     

    L’avenir du rock

    - Tame ça ou Tame pas ça ?

     

    Contrairement à ce que tout le monde croit, la vie de l’avenir du rock est un vrai cauchemar. Dans la rue, les gens l’accostent sans arrêt :

    — Que pensez-vous du dernier album de Catarina Shit ? Téléramax en dit le plus grand bien !

    — Savez-vous si Jean-François Asshole va remporter les élections ?

    — Dites-moi, avenir du rock, pensez-vous comme moi que les Bleus vont écraser la Patagonie, ce soir, au stade de France ?

    Eh oui, l’infaillibilité peut détruire une vie. Alors l’avenir du rock n’a plus que deux solutions : changer de sexe ou altérer volontairement son jugement. Il écarte rapidement la première solution car les cons vont sauter sur l’occasion pour l’appeler Madame Soleil. Alors, il opte pour la deuxième solution, au risque d’y perdre son honneur. Mais bon, au point où en sont les choses...

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    Si on souhaite tester la faillibilité des choses, Tame Impala est le cobaye idéal. Ce groupe de la nouvelle vague psyché fut porté aux nues par les Shindigers - Kevin Parker (...) shows how psychedelia can move with the times - Alors que fait le fidèle lecteur de Shindig! ? Il se penche sur le cas du Lonerism paru en 2012.

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    On y trouve en effet de la mad psychedelia, notamment dans «Mind Mischief», joué à la heavyness de gros consommateurs d’acide. Ça groove au nowhere land, ça se perd dans des Sargasses, du coup on s’y prélasse. C’est un son qui emporte la cervelle comme le ferait un boulet rouge à l’abordage. Même chose avec «Keep On Lying» joliment nappé d’orgue et fabuleusement embarqué pour Cythère. Ça s’étend à longueur de temps, bien élancé aux guitares. Avec «Elephant», les Tame nous font du glam de Tame. Ils renouent avec l’énergie du riff glam et ça sonne comme un hit des Beatles. Tout aussi digne des Beatles, voici «Nothing That Has Happened So Far Has Been Anything We Could Control». On sent que ces Australiens de Perth adorent le son. Quand on écoute «Be Above It», on se croirait convié à une fête. Ces mecs imposent un son qui se répand, plein d’écho, lancé comme une passerelle vers l’avenir. On se demande bien quel rêve poursuivent ces mecs dans «Apocalypse Dream». Ils font leur petit business de voix écloses dans la douceur des matin blêmes. C’est très spécial. Ça prend un peu la gorge. C’est quasiment du symbolisme à la Fernand Khnopff. Ils réussissent leur coup. Ils créent la sensation sans effort. Le son des Tame se répand en continu dans les plaines, ils créent leur monde, indéniablement. On devrait plutôt parler de voyage musical, car tout est très changeant. Encore un cut terriblement impliqué avec «Music To Walk By». Ils s’inscrivent dans le temps. Ils marquent les esprits. Ils montent même sur leurs grands chevaux pour un «Why Don’t They Talk To Me» poppy et alerte. Voilà encore l’un de ces disques bien foutus mais noyés dans la masse.

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    Leur premier album s’appelle Innerspeaker et date de 2010. Dès «It’s Not Meant To Be», on les sent motivés. Ils sont très psyché dans l’esprit. Ils sont dans leur trip, faut pas les embêter. C’est plein de son et de bonne volonté, mais pas de voix ni de mélodie. C’est tout sauf une chanson. Impala n’est pas là. Par contre, si on cherche la viande, elle se trouve dans «Alter Ego», une pure merveille, ils arrivent en vol plané et explosent dans l’œuf du serpent, et là on peut dire que ça devient monstrueux. L’autre smish smash de l’album s’appelle «Runway Houses City Clouds». Ils grimpent à la surface avec les moyens de l’excellence psychédélique, c’est très gonflé de leur part. Ils sont là dans une sorte de génie du son, des processus se mettent en route et on s’en effare. Quant au reste, c’est très varié. Avec «Desire Be Desire Go», ils se prennent pour les rois du gaga, c’est assez violent et plein de pouet-pouet, alors forcément ça sonne un peu les cloches. Dommage que le chanteur n’ait pas de voix. Son everyday ressemble à un radis noir. «Why Won’t You Make Up Your Mind» sonne comme une belle expectation psychédélique destinée aux cervelles fragilisées. Leur truc finit par exploser, c’est prévu. «Solitude Is Bliss» a de jolies jambes et les solos s’écoulent dans la rivière. Ces mecs sont un peu des diables, ils créent des ambiances de non-retour, leur mélange finit par devenir hautement toxique. Disons pour faire court qu’ils produisent un psyché racé et acéré. Même sans voix, «Expectation» atteint des profondeurs. Ces mecs sont dans l’épaisseur du son et savent finir en beauté : certaines fins comme celle-là sont spectaculaires. «The Bold Arrow Of Time» sonne comme un chèque en blanc sur le compte du rock. Ces mecs jouent leur va-tout au heavy blues graveleux. Ils sont capables de tout, ce qui les rend sympathiques. Ils terminent avec «I Don’t Really Mind». L’album est tellement chargé de son qu’il menace en permanence de couler. Ils amènent ce final cut au petit drive de disto et ça prend vite des proportions extravagantes. Bravo pour ce festival de heavy psycho-pot-au-feu.

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    Le Live Versions paru en 2014 est un excellent album. Attention, les synthés brouillent les pistes sur toute l’A, même si les thèmes récurrent, grâce à une dominante élégiaque. En fait ce sont les thèmes qui captivent. C’est en B que se joue le destin de l’album, et ce dès «Halfull Glass Of Wine», qui renoue avec les guitares, c’est même assez heavy, une bonne aubaine, avec un petit cœur de métier hypno. Très bonne emprise. On reste dans l’hypno dodelinant avec «Be Above It». On retrouve cette qualité mélodique superbe, même si c’est relayé par des machines. On reste dans la grâce avec «Feels Like We Only Go», chant très mélodique, certains accents pointent sur la mélancolie du Robert Wyatt des Windmills, mais c’est lointain. Les ambiances sont superbes, encore une finesse mélodique édifiante dans «Apocalypse Dreams», ce mec crée la sensation, il déploie ses climax comme savait si bien le faire Todd Rundgren en son temps. Ça donne au final un ersatz paradisiaque.

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    Et puis les choses commencent à se gâter avec Currents, paru l’année suivante. Ils sont comme qui dirait passés à autre chose, à un son plus synthétique, et là, ça coince, même si «The Moment» vaut pour une belle pop envahissante. Mais dans cet album, il n’y a pas plus de psyché que de beurre en broche. Si le Tame de Currents est psyché, alors la concierge de l’immeuble est la sœur du pape. Et ta sœur, elle bat le beurre ? Les Tame ta mère sont passés à la pop orchestrale qui pète plus haut que son cul, une petite pop d’orchestral manœuvre in the dark, ils articulent leur petit monde au chat perché, mais franchement, il n’y a pas de quoi se damner pour l’éternité. «Eventually» sonne comme une petite pop de pétales. On y va ou on n’y va pas. Chacun cherche son chat. «Gossip» manque tragiquement de power mélodique, ils n’ont pas de wall, et pas grand chose dans la culotte. Leur pop vire trop electro et ça coince. On finit par ne plus entendre que les synthés. Les guitares ont complètement disparu et ça commence à craindre. Fuck the machines. Dans «Disciples», le mec se prend pour Dwight Twilley, il chante au petit chat pelé perché, mais ça ne marche pas, car bien sûr la magie se fait porter pâle. Tame is lame. Ils essaient de revenir avec du son dans «Reality In Motion», mais les fucking synthés dévorent tout, comme le feraient des crabes des cocotiers affamés de chair fraîche. Ils nous font le coup de la larmoyante avec «Love/Paranoia», mais la crédibilité s’est barrée depuis longtemps. Elle est partie se coucher. Cet album méprise les conventions de Genève et se situe au delà de toute forme de médiocrité. Tame ta mère ! Ils sont dans un délire de synthés et font injure aux lois sacrées du psyché so far out. Ils croient faire sensation en réhabilitant les machines, mais ça ne marche comme ça.

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    Allez, soyons magnanimes et donnons-leur une chance de se racheter avec The Slow Rush. Hélas, les machines sont toujours là. Tame peine à jouir. Ça pue la boîte à rythme. Kevin Parker est dans un son qui ne va pas bien. Trop electro, pas de guitares, c’est pénible. On s’emmerde comme un rat mort. C’est bien, car chaque fois qu’on s’emmerde comme un rat mort, on pense à Choron. Plus on avance dans l’album et plus ça plonge dans l’electro. Ni Bardo Pond ni Wooden Shjips ne nous infligeraient une telle confiture de déconfiture. Et le Parker fait son petit numéro de chat perché et en plein «Posthumous Forgiveness», il nous sert en prime un solo de synthé. On se croirait chez Rick Wakeman. Berk ! Nous voilà au paradis de l’electro shit de choc, c’est tragique, tout est sevré de synthé, tout sonne faux. Si c’est ça le psyché du futur, laisse tomber. Tame n’offre aucun échappatoire, les tentatives d’enrichissement de l’uranium échouent lamentablement. Le problème est qu’on attend monts et merveilles d’un groupe qui n’a plus grand chose sous la capote, à part un synthé en forme de saucisse plate. Ils vont même pousser l’ignominie jusqu’à injecter du simili-reggae dans l’electro-shit de «Lost In Yesterday». Ils finissent par battre tous les records de putasserie avec «It Might Be Time». Et comme si ça ne suffisait pas, ils te font le coup de lapin avec le diskö-funk de «Gimmer». Whoah !

    Signé : Cazengler, Impala peine de discuter

    Tame Impala. Innerspeaker. Modular Recordings 2010

    Tame Impala. Lonerism. Modular Recordings 2012

    Tame Impala. Live Versions. Modular Recordings 2014

    Tame Impala. Currents. Fiction Records 2015

    Tame Impala. The Slow Rush. Island Records 2020

    *

    Des groupes qui se prénomment Moonstone vous en trouvez pratiquement dans tous les pays. Celui-ci vient de Pologne. De mémoire si je ne m'abuse c'est le premier groupe polonais que nous chroniquons. Quand j'ai vu qu'ils étaient basés dans la cité de Krakow j'ai cru qu'ils provenaient des abysses du Kraken, seulement de Cracovie. Deux opus à leur actif, le dernier est paru ce 03 décembre 2021, avant de l'écouter nous tendons l'esgourde gauche sur leur première production, en décembre 2019.

    MOONSTONE / MOONSTONE

    ( Interstellar Smoke Records / 2019 )

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    The oncoming : bizarroïde, à peine une minute et demie et vous ne savez pas quoi en penser, tout ce que vous pouvez désirer est dans cette mini-boîte magique, de belles sonorités cordiques, une espèce de sifflement interstellaire sous-jacent, des éclatements d'orages continus, rien d'assourdissant, un trop-plein sonore des plus agréables. Mushroom king : dés la première seconde une curieuse voix de fausset nous raconte une courte histoire à dormir debout, étrange musicalement ce n'est que la reprise de l'introduction, une réplique à l'identique, on avance lentement, ne se pressent pas, le fuzz fuse par-dessous, l'on pressent quelque chose mais quoi, pas cette espèce de cantique majestueux et lorsque l'on croit le morceau fini, ils mettent en marche le sèche linge, vite fait bien fait, vous comprenez au moins le champignon sur la pochette, le morceau est dédié à ce monarque, mais quel est son royaume. Pale void : méfions-nous des champignons, vous mènent facilement par le bout du nez en voyage, pas de panique l'on s'élève sans secousse sur un tapis volant, l'a déjà quitté la stratosphère, une guitare claironne le riff sempiternel qui vous emporte de plus en plus vite, cette accélération est amortie par la batterie qui ralentit le rythme alors que basse et guitare grimpent maintenant dans l'espace intersidéral, la voix que vous entendez n'est pas la musique des sphères mais un chant sacré processionnaire, fermez les yeux l'espace est noir mais l'œil de la lune éclaire votre âme, vous marchez sur la voie lactée, la voix vous appelle, montez et planez, vous êtes bercé par un mouvement ouaté qui vous enfonce toujours plus profondément vous ne savez pas dans quoi, la basse vous caresse, la batterie devient tribale et le bonheur vous envahit, vous êtes redevenu le bébé que vous n'êtes plus, vous buvez le lait à même le sein virginal de Diane la chasseresse. Ash and stone : la guitare s'assombrit, la batterie appuie lourdement, la basse balaie vos émotions, qui êtes-vous pour croire que l'on pose ses lèvres sur les dômes sacrées de Séléné sans contre-partie. Il est des laits qui sont trop beaux pour les simples mortels, ce suc nourricier comporte une part sauvage, elle n'est pas destinée à votre faible constitution, un chœur d'avertissements s'éloignent dans le lointain, la musique est omniprésente et en même temps elle semble s'éclipser alors qu'elle vous écrase de plus en plus violemment, vous ne savez plus qui vous êtes, pas très grave vous n'êtes pas grand-chose, mais elle l'Immortelle que vous veut-elle, votre cœur s'emballe, tout va trop vite, vous étiez tapis de cendre et maintenant la pierre brûlante qui roule sans fin, lancée comme un boulet de canon, troupeau de chevaux sauvages, galopant au-delà du zodiaque. SulphurEye : sans préavis dans l'orbite de l'œil de soufre. Vents violents et pluies acides. Vous ne saviez donc pas où vous mettiez vos ailes frelatées, grandiloquence menaçante, la basse est une flamme de bougie qui manque d'oxygène, vous voici dans un pays sombre et désolé, mille lumières vous assaillent, du pareil au même, cet instant s'appelle la mort, la voix vous cloue au piloris de votre souffrance, la batterie martèle votre condamnation sans appel, vous avancez dans le dernier corridor, le background devient plus lourd, tu n'en réchapperas pas, énorme poussée dans votre dos, on ne résiste pas une telle force, la musique incoercible s'éteint doucement, vous ne l'entendez déjà plus. Une seule consolation vous n'aurez pas à vous plaindre. La lune froide comme une pierre clignera-t-elle de l'œil en lorgnant votre cadavre inutile.

    Superbe chausse-trappe, Moonstone vous offre les reflets chatoyants des pierres de lune, vous aimeriez les garder prisonniers de votre regard, mais ils sont changeants, insaisissables, un nuage qui passe, une inclination de votre tête et la pierre change de couleur, peu à peu les reflets s'assombrissent et la tête ricaneuse de la mort vous sourit... Cependant l'ensemble vous ensorcèle du début à la fin.

    1904 / MOONSTONE

    ( GSHIRS005 / 2021 / Bandcamp ))

    ( Pre-order : diponible en vinyl, CD, cassette, au 30 / 01 / 2022 )

    Une couve bien mieux réussie que la précédente qui laissait l'amateur dans l'expectative. En arrière-fond mais dominant l'image, la lune, au centre un monolithe commémoratif, érigé au milieu d'une place, pointe vers le ciel. Derrière les bâtiments, les cimes de hauts sapins teintent l'atmosphère d'une touche funèbre. A quoi correspond la date de 1904 : la mise en train d'un soulèvement populaire contre l'occupation russe en 1905, je n'en sais rien.

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    Magma : le premier Ep de Moostone ressemblait un peu à un conte pour les enfants, il se terminait mal certes, mais ici l'ambiance est d'entrée et de facto beaucoup plus noire. Une longue suite que l'on pourrait qualifier de musicale si ce n'était qu'un très court espace réservé au vocal. A lire les lyrics, l'on s'attend à une énorme tonitruance sans fin, pas du tout, de la mutation géologique décrite par les paroles, Moostone n'exprime que l'inéluctabilité du phénomène géophysique. L'orchestration est grave mais pas forte. L'on assiste au déploiement de quelque chose de monstrueux, comme vu de haut, observé d'un avion par un pilote qui n'entendrait rien mais qui serait aux premières loges du cataclysme, il ne peut rien faire pour s'y opposer, alors il jouit esthétiquement de la fureur des éléments, une lave rouge issue des profondeurs de la terre ravage la planète. Grandiose et magnifique, Moonstone tisse un linceul musical, un voile noir horrifique qui recouvre les continents, la musique se soulève comme la respiration d'un mourant, un immense géant de pierre, qui chercherait à reprendre souffle, qui tousse d'angoisse et de terreur, sans ostentation, écrasement carcasseux de batterie, scie de guitare, turbine de la basse. Tout s'apaise pour mieux redémarrer, une guitare qui égrène un vent triste de sanglots, l'acmé de la catastrophe est dépassé, l'horreur continue, si victorieuse qu'elle en paraît paisible. Plus rien à prouver. Tout est accompli. Nostalgie de ce qui est et qui triomphe, tout se précipite, le dernier effort, le drap dont on recouvre le cadavre, le moment crucial de l'adieu, la terre a gagné, les hommes n'existent plus. Tsunami écologique. Flonflon de l'extinction humaine. Définitive. La vengeance est assouvie. L'engeance détestable anéantie. Spores : quels sont ces bruissements, ces notes de basse comme si un débutant faisait ses gammes, l'on croyait qu'il n'y aurait pas de suite, que le sujet était mort et enterré, que l'espèce humaine avait été annihilée, si l'on en juge par la montée instrumentale progressive il n'en est rien, les atomes dispersées et enfouies des œufs du serpent de la vie venimeuse, s'interpellent et s'accouplent entre eux, un nouveau cycle est en préparation, nette coupure dans le morceau, l'on ne suit pas pas à pas toute l'évolution, l'on use de la métaphore pour traduire l'idée que toute existence est tissée de sa propre mort, l'on nous raconte l'histoire du roi mort dont les enfants s'emparent de la couronne non pas pour préserver le royaume mais pour affirmer leur volonté de puissance, dans l'unique but de tuer leurs semblables, la musique se calme comme désabusée, même plus la peine de chanter, parler suffit, la ronde continue tout lentement, voici qu'elle tournoie et virevolte sur elle-même à toute vitesse, une toupie folle que rien n'arrête et qui sème la terreur et la désolation, le plus terrible c'est que cela importe peu, qu'elle tourne vite ou lentement la meule n'en broiera pas moins la quantité de grains à moudre, vis sans fin ni commencement, lorsque tout aura été réduit en poussière, les spores se reconstitueront et tout recommencera. Eternellement.

    Plus sombre, plus tragique, plus désespéré que le précédent, mais bien plus beau, un chef-d'œuvre du stoner-doom. Terriblement pessimiste. Schopenhauerien. Le monde comme volonté d'impuissance à se surmonter.

    Damie Chad.

    *

    Amis rockers nous ne parlerons pas ici de lindy hop, ni de jerk, ni de pogo, ni de toutE autre danse en relation directe avec la musique rock. De fait nous n'évoquerons pas la danse en tant que danse se déroulant devant nos yeux, mais de représentation graphique de la danse. Notons que toute représentation de danses quelles qu'elles soient, tous styles confondus, ne sont que représentations de mouvements. Le lecteur kr'tntiste réticent à ce genre d'exercice pourra jouer au jeu chinois de la métaphore en répondant à la question suivante : si le rock 'n' roll est un art que représente-t-il ?

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    Léa Ciari se définit comme artiste plasticienne. Soyons plus précis, peinture, photo, vidéo, musique. Je l'ai entendue interpréter divinement les Gnossiennes d'Eric Satie. Non elle n'est pas spécialement rock 'n' roll, serait plutôt jazz, l'aime aussi jouer et chanter au piano les vieilles rengaines populaires d'Italie et d'ailleurs, mais dans cette chronique je n'évoquerai en rien cet aspect musical. Me contenterai d'explorer une partie de sa production graphique, ce dernier mot est assez approximatif, mais je n'en connais pas d'autre qui me satisfasse. L'expression '' arts plastiques'' ne me plaît guère, ressemble un peu trop à celle de '' sandwichs composés '' qui contiennent on ne sait trop quoi. Je préfèrerais employer les termes d'arts synesthésiques qui ouvrent à l'idée de plusieurs arts ou moyens d'expression emmêlés, nous entrons là en des ratiocinations superfétatoires quant à ce qui suit.

    Le lecteur intéressé trouvera sur son FB nombre de photos de ses représentations picturales et photographiques, notamment la série de 81 éléments intitulée Dance.

    QUAND LEA CIARI DANSE

    1

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    Blanc acrylique sur fond noir. Cette esquisse n'est pas sans évoquer une certaine idée de la nudité. Juste suggérée par l'échancrure des corsages. Le flou rapide des vêtements n'empêche pas la netteté des formes. S'en dégage non pas la prégnance du groupe mais l'idée de la force. Elles dansent, fixées dans leur immobilité, elles ne vieilliront plus, le pinceau de Léa Ciari les a arrachées de leur danse, les a immortalisées dans un bref instant de papier, les a détachées d'elles-mêmes, leur a permis d'échapper à la vie vivante du temps qui passe et qui déjà n'est plus.

    2

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    C'est un peu comme si l'on repassait un film à l'envers. Cette photographie précède la vue précédente. Représente-t-elle la réalité d'un spectacle, disons qu'elle est déjà la réalité travestie par le regard et le travail de la photographe. Nous ne croyons pas à une simple prise de vue objective. L'art est un traficotartge. L'on n'expose pas, l'on impose. Que font ces femmes ? Vers quoi tournent-elles leurs regards ? Implorent-elles ? Sont-elles Les Suppliantes d'Eschyle ? A vrai dire l'on s'en moque, elles sont la représentation de quelque chose dont on ignore tout, si ce n'est cet aperçu que Léa Ciari daigne nous montrer.

    3

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    L'on ne sait pas davantage, mais l'on sait mieux. Léa Ciari a rajouté du rouge. Un nuage de sang sur le mur décrépit du haut. Voici nos danseuses comme arrosées de cette rosée sanglante qui teint leur vêtement. Ne serait-ce pas une lumière ensoleillante qui les éclaire et leur distribue en partage l'orange de l' espérance. L'image est terriblement ambigüe. L'artiste se joue de nous. Nous sommes la plaque sensible, à moitié positive, à moitié négative, le verre d'eau à moitié rempli de nos impressions. Cédons-nous aux vertiges de l'interprétation, la photographe s'amusera-t-elle à varier les couleurs pour juger des effets des différentes teintes. Qui mène la danse, l'artiste, la technologie ou le hasard ?

    4

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    Acrylique manifestement inspiré de la série précédente, trois danseuses isolées du groupe, toujours cette impression de femmes d'Afrique qui baissent en s'accroupissant très légèrement leur centre de gravité ce qui leur permet de soutenir sur leur tête de lourdes charges, autant sur les trois premières images l'on pensait à un ballet classique mis en scène d'une façon moderne, autant maintenant l'on est convaincu qu'il s'agit de danse contemporaine. Le rouge a perdu toute référence sanguine, il recouvre le mur, comme si l'on dansait devant le rideau, quant à nos trois danseuses leurs visages arborent le look des joyeuses commères shakespeariennes, nous tutoyions le drame antique, nous voici dans la réalité humaine quotidienne. Quasi aristophanesque. Avec de mêmes lettres vous composerez des histoires différentes, le peintre évoque autres spectacles du monde en usant des mêmes formes, des mêmes couleurs.

    5

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    Elles étaient trois, elles sont deux. Acrylique. Pure, serais-je tenté d'écrire, couleurs et motif. L'on n'est pas loin des Danseuses de Degas et pourtant à cent mille lieues. Cela ressemble à une ébauche. Ce qui est très bien. Hélas, cela ressemble encore plus à notre monde, qui se déglingue. Ce qui est beaucoup plus inquiétant. Trop fragile, trop hâtif, des essais de mouvements qui ne respirent pas la beauté, trop humbles, trop maladroits. Des filles honteuses qui n'osent pas nous regarder en face. Léa Ciari accompagne ce chef-d'œuvre d'une citation de Pina Baush qui déclare que le mouvement de la danse commence quand les mots se taisent et quand le geste isolé s'arrête. Notons le défi relevé par Léa Ciari, sûr que sur un tableau le mouvement est stoppé, figé en son élan, que le peintre ne peut rivaliser avec le danseur, mais la danse est un acte fugace qui meurt dès qu'elle cesse, alors que la peinture reste en elle-même en son fragment stabilisé de mosaïque mouvante. Si je devais qualifier ceci j'inventerais le terme d'art-post, non pas celui qui continue ce qu'il y a eu avant, mais qui arrive après tout ce qui a précédé. Il ne lui reste plus rien à signifier, sinon que nous sommes au bord de l'abîme. Est-ce un hasard si une des œuvres suivantes s'intitule : Danser jusque sur le bord des abîmes.

    6

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    Si la peinture est l'art qui reste, que reste-t-il dans cette acrylique. Nous et notre représentation du passé. Un simili de fresque sur un mur blanc desquamé de son vert-empire. Qui fut encadré d'un rouge pompéien aujourd'hui bien terni, au premier plan,une singerie peu héroïque de l'Héraklès de Bourdelle et une Vénus au bain pas assez dénudée, derrière des ombres, ce ne sont pas les âmes des morts ensevelis sous les cendres du Vésuve, mais nous-mêmes, nous les contemporains, réduits à des masses indistinctes, des curieux sans entrain, des touristes désabusés, qui nous penchons sur les représentations d'avant-temps, que nous regardons avec les filtres de notre impuissance à vivre pleinement. Une toile qui nous dit que notre monde a perdu ses dieux, ses héros, et que ses couleurs s'estompent.

    7

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    Nous ne sommes plus sur la photo, nous sommes sur le plateau. Les danseurs se débrouillent mieux sans nous. Notre regard ne les amoindrit pas. Ils ne miment plus notre atonie, mais la vie. La photo a cet avantage de saisir le vivant sur le vif, alors que le pinceau reconstitue la construction mentale du peintre par laquelle il s'est emparé en premier temps du monde suite à laquelle il la retransmet à celui qui regarde son œuvre. Un jeu de miroirs brouillés, les choses ne nous parviennent que par une vitre ici comme opacifiée, rayée, salie à dessein, toute illuminée d'une pluie d'orangeade bienfaisante, qui redonne à ses acteurs l'énergie et la joie de vivre. Les œuvres de Léa Ciari sont à regarder comme des triptyques mentaux. La chose s'efface devant sa représentation pour mieux culminer en elle-même, en autre-même selon le guetteur obstiné à l'affût de quelque chose qui n'est plus mais qui subsiste.

    8

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    La danse est-elle une renaissance. Le geste de l'artiste est-il une remémoration d'instants perdus. La vision du spectateur des retrouvailles avec une antériorité souveraine. Une vue d'un ballet actuel, des danseuses aux gestes qui miment l'antique, sans doute existe-t-il une éducation commune à tous, une espèce de padeïa grecque de nos représentations historiales, qui surgit à tout instant et s'intercale dans les interstices de toute présence au monde. Il n'est pas besoin de visiter les galeries pour apprendre à peindre ou à photographier, la réalité s'impose à nous, pas celle qui s'étale devant, celle qui resurgit de l'oublieuse mémoire, Platon traite de cela dans le Sophiste en devisant du travail de l'artisan, sa démonstration s'applique aussi à l'artiste, cet artisan de l'art-tison, la flamme qui dévore les chairs humaines d'Achille pour frayer un chemin à sa part immortelle.

    9

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    Tribute to Pina Baush, acrylique sur papier. Et si l'on posait la question béotienne par excellence. Qu'est-ce que cela représente ? Elémentaire cher Watson. D'abord surtout pas deux danseuses qui dansent. Ce serait trop simple. D'ailleurs sont-elles vraiment deux. La forme toute jaune, ne serait-elle pas la codification figurative de la position qu'occupait à la seconde antérieure la seule danseuse vraiment représentée. L'espace, le lieu qu'elle vient de quitter, admettons cher Cherlock, n'est-ce pas chercher midi à quatorze heures, que vouloir symboliser l'endroit que notre corps vient de quitter ? Je le concède volontiers cher Watson, l'on pourrait imaginer une longue file de fantômes destinés à indiquer toute sa progression sur des kilomètres de marche, mais le sujet du tableau n'est pas la marche. Regardez les deux mains pointées sur les seins, et cet espace de peau nue dévoilée par la tunique, ces deux jambes légèrement repliées, et ce regard vers le haut, non Léa Ciari n'a pas peint la marche, mais l'instant fatidique où la danseuse s'arrache à l'attraction terrestre, c'est à un envol que nous assistons. Apprenons à regarder non la réalité montrée mais l'intention suggérée.

    10

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    Regardez cette photographie. Dans les marges Léa Ciari a inscrit une phrase de Paul Valéry ( l'ami de Rilke a beaucoup écrit sur la danse ) : '' Il faut être léger comme l'oiseau et non comme la plume '' la plume n'a aucun mérite le vent l'emporte, la danseuse tout comme l'oiseau doit s'arracher au sol, regardez celle-ci, fagotée dans sa robe telle une lourde futaille cerclée de fer, seule sa cambrure révèle son envol, et bien plus que son envol son désir, désir de femme et désir d'envol, n'en forment plus qu'un, avez-vous pensé à l'érotisme véhiculé par la danse. Dans la série vous trouverez des couples enlacés, le bal du 14 juillet si vous voulez, ce ne sont-là que reconstitution naïve de l'idée du désir qui vole de l'un à l'autre. Ici la danseuse n'appartient à personne, elle se s' appartient même plus, elle n'est que désir d'envol, et si elle s'envolait, pour parodier Rilke, quel ange voudrait bien danser avec elle ?

    11

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    La réponse est ici. Aucun, si le danseur est habité par le mythe de Narcisse, spectateurs regardez-moi, puisque je ne peux me voir, vous serez mon miroir. L'intérêt d'un peintre ou d'un photographe pour la danse réside en cet attrait de représenter non pas le danseur, mais la représentation de lui-même que le danseur ne voit pas. De figurer le mouvement par une image statique. Mais la danse emprunte aussi au mythe d' Icare que nous résumerons par les expressions consacrées, plus dure sera la chute, qui trop étreint mal embrasse, dès que l'on s'arrache à l'air dans le but d'évoluer dans l'éther, l'échec est sans appel. Cette photographie en est la représentation la plus frappante. L'on n'empiète pas dans le domaine des Dieux, sans dommage. Corps blanc étendu devant une muraille de pourpre.

    12

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    Puisque la photographie et le pinceau ne suffisent pas, ne faudrait-il pas faire appel à un troisième art. Celui de la statuaire. Certes les statues des Dieux ne sont pas des Dieux, mais les statues des danseurs restent des danseurs. La pétrification n'abolit pas tout à fait la chair. Ces Cariatides ne soutiennent pas le ciel, elles sont fixés au sol, sont des guerriers, des guerrières qui restent debout, l'échec les tue mais elles restent en vie, elles barrent l'espace, elles le délimitent, elles séparent le monde du possible de celui de l'impossible, elles sont des bornes dressées à la gloire de toute démesure humaine.

    13

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    Certains n'y croient pas. Ils espèrent encore en la lutte avec l'ange. Ils n'ont pas compris que l'on est toujours seul, que l'ange n'est que nous-même. Nous brassons l'air. Nous gesticulons d'invraisemblables mouvements, nous saisissons à bras le corps le vide qui nous entoure, nous donnons des coups de pied au néant. La danse est un sport de combat. Le danseur ne se bat que contre lui-même, par la décomposition des mouvements, toujours cette zénonienne fragmentation cruelle de l'espace que l'on occupe mais que l'on ne saurait franchir d'un centimètre, Léa Ciari dénonce l'apparence de la réalité, nous bougeons davantage dans notre tête que nous ne traversons la fragmence mosaïcale du monde. Le danseur glisse sur l'illusion de sa propre victoire.

    14

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    Qu'est-ce ? Un corps morcelé. Mangé, bouffé, récuré jusqu'à l'os, creusé jusqu'au vide. L'on connaît l'ogresse : la danse. Celle qui se confronte à la danse, n'en ressort pas entière. Elle est le risque total. Elle sculpte le corps, elle massacre à la tronçonneuse. Elle pulvérise sa propre représentation, tout ce qu'elle touche, elle le tord, elle le détruit, elle presse les chairs comme une éponge pour en extraire le suc de ces gestes de toute beauté qui nous stupéfient. Mais encore debout. Chevalier sous sa cotte de maille. Prêt à recommencer le combat. Écuyère en équilibre sur une jambe, bras absents, Galatée sans cesse renaissante de son immobilité première, nous tourne le dos pour mieux s'affronter au monstre invisible de sa volonté.

    15

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    Si vous estimez que Léa Ciari peint la danse comme au cirque vous filmez l'acrobate en haut du chapiteau en espérant secrètement qu'il tombe, vous vous trompez. Léa Ciari au travers des autres ne peint et ne photographie que soi. Cet autoportrait le prouve. La voici désir de son propre reflet. Elle n'est pas la danseuse qui déchire l'espace, elle traverse le mur qui le circonscrit, de tous ses clichés retravaillés, réajustés à sa vision, de tous ses pinceaux, elle n'a fait que donner l'illusion de coller des aplats graphiques sur la muraille mouvante et amphionesque de la danse, dans le désir illimité de l'arrêter en plein vol avant qu'elle ne s'écrasât au sol, elle était de l'autre côté, cela ne lui suffisait pas, elle surgit dans le ballet, karatéka métaphysique elle brise la dialectique des briques pour se fondre à son désir physique, qui danse et palpite sur ses feuilles de papier. Et nous regarde. Sans nous voir.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    UNE TENEBREUSE AFFAIRE

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    EPISODE 11

    FIN DE SOIREE

    Le Chef referma placidement la porte. Il ne paraissait guère inquiet. Molossa et Molossito s'extrayèrent de dessous leur coussin et agitant leur appendice caudal s'en vinrent gratter l'huis que le Chef venait de fermer.

    _ Quelles bêtes intelligentes ! Elles ont préféré se coucher que d'ouvrir à un simili fantôme – il prit le temps d'allumer un nouveau Coronado – regardez, je rouvre et qui rentre ?

    C'était Rouky, tout heureux de retrouver ses copains qui lui firent fête. Le Chef caressa la tête du Golden :

    _ L'a dû s'ennuyer terriblement avec son handicapé, l'est prêt à suivre n'importe qui, n'est-ce pas Agent Chad, où n'importe quoi, par exemple cette espèce de baudruche ectoplasmique qui nous apporte un message qui n'en est pas un... nous découvrirons bien un jour ce qui se cache derrière cette étrange manigance, concentrons-nous sur le fantôme de Charlie Watts, une fois que nous l'aurons coincé, l'aura des renseignements à nous fournir nettement plus intéressants qu'une feuille blanche. Il se fait tard, il est temps de dormir, demain nous partons en chasse.

    REVEIL MATINAL

    Le reste de la nuit s'écoula paisiblement, quoique la vérité historique m'oblige à rapporter que le début en fut kaotisé par de nombreux ébats sur lesquels je ne m'étendrai pas, que voulez-vous la nuit tout.e.s les chat.e.s sont gris.e.s, le lecteur aura remarqué ce premier essai d'écriture inclusive. Me suis réveillé de bonne heure. Alors que je m'étirai une idée philanthropique me traversa l'esprit. L'on est toujours trop bon, j'ignorais alors quelle catastrophe elle allait déclencher, si j'avais su je serais resté couché. En fait j'en doute, le métier d'agent secret n'est-il pas d'affronter le danger si grand soit-il. Je vous laisse méditer... Ce n'était pas très original, j'avais décidé de ramener des croissants pour les dormeurs.

    MATINEE CHANCEUSE

    De la boutique s'exhalaient d'appétissants effluves, derrière son comptoir la boulangère souriait :

    _ Bonjour Madame, je voudrais soixante croissants.

    _ Oh ! Oh ! Monsieur a une grosse faim, à moins que Monsieur ne soit directeur de colonie de vacances !

    _ Pas du tout, nous sommes six, avec trois chiens, en comptant six viennoiseries par individu, nous en sommes à cinquante-quatre, j'arrondis à soixante car je déteste mégoter !

      • Oh ! Oh ! Monsieur et ses amis ont de l'appétit, je ne peux que vous féliciter, ces six croissants supplémentaires trouveront bien acquéreur, j'en suis certaine, n'est-ce pas Monsieur Neil !

      • Je l'affirme Madame Gisèle, je me porte volontaire !

    Quelle ne fut pas ma surprise lorsque je me retournais pour dévisager le client derrière moi qui se proposait de participer à la sainte table du petit déjeuner, je le reconnus immédiatement. Portait les mêmes cheveux longs et le même T-shirt Neil Young qu'à notre première rencontre. Pendant que Madame Gisèle s'affairait dans l'arrière-boutique pour empaqueter mon maigre en-cas matutinal, Neil s'approcha de moi et me souffla dans l'oreille droite :

    _ Je suis sûr que vous ne me croirez pas, j'ai revu Charlie Watts !

    PETIT DEJE INSTRUCTIF

    Nous nous assîmes dans le premier troquet

      • Cher Neil, puisque vous me faites l'honneur de bien vouloir terminer ces six croissants en trop, permettez-moi de vous offrir quelques bols de café afin de les accompagner.

    Le gaillard ne refusa pas. Pendant un long moment il ne dit pas un mot, trop occupé à engloutir sa nourriture. Ensuite nous échangeâmes des banalités sur le temps, l'ingratitude humaine, la beauté de Madame Gisèle, et la recette de la soupe au pistou. Je ne ferai pas languir davantage le lecteur, j'en viens tout de suite à la partie de notre si philosophique conversation qui vous intéresse :

    _ Avez-vous deviné ce que je fais dans la vie, il n'attendit pas ma réponse, je suis guitariste, tous les jours je donne un concert au pied de la Tour Eiffel, devant des centaines de personnes, le public est si enthousiaste qu'au bout d'une demi-heure, la police est obligée de m'exfiltrer, je ne me plains pas, que voulez-vous, c'est le lot quotidien des rockstars poursuivis par des fans en furie.

    _ Je suppose que vous chantez du Neil Young !

    _ Exactement, je commence tous les après-midi à cinq heures tapantes, venez me voir ce soir, vous ne serez pas seul, ne croyez pas que j'extravague ou que je me vante, à chaque fois Charlie Watts s'arrête quelques minutes, puis il me quitte sur un dernier petit signe de la main, un gars vraiment sympathique, il n'est pas obligé, enfin, nous sommes tout de même collègue en quelque sorte !

    _ Oui mais vous vous êtes vivant, et lui il est mort !

    _ Mort ou vivant il sait reconnaître la bonne musique, Charlie Watts un connaisseur, je le suivrais bien, je n'ose pas, j'essaie de voir quelle direction il prend, ce n'est jamais la même !

    LES GRANDES DECISIONS

    Mes croissants n'eurent aucun succès. Les chiens se sacrifièrent. Le Chef alluma un Coronado et prit les décisions qui s'imposaient :

    _ Quatre heures tout le monde sous la Tour Eiffel. Joël posté sous le pilier nord. Noémie pilier Sud. Françoise pilier Est. Je me charge du pilier Ouest. Framboise au plus près de notre guitariste, Agent Chad pour vous récompenser de votre renseignement, vous serez chargé de la mission la plus délicate, vous volez une ambulance et vous vous arrêtez sur le boulevard juste devant la Tour Eiffel, c'est interdit, toutefois la police n'osera rien dire, dès que vous verrez Charlie Watts s'éloigner, descendez du véhicule et prenez-le en chasse discrètement. Quant à vous les chiens, cachez-vous, je ne veux pas vous voir, accrochez-vous un touriste anodin, dès que Charlie Watts s'éloignera vous suivrez de loin l'Agent Chad, nous vous suivrons à vous, si l'Agent Chad a besoin d'aide, deux d'entre vous se porteront à ses côtés et un troisième retournera sur ses pattes pour nous avertir de presser le pas. Vous avez tous compris.

    _ Oui Chef, bien Chef !

    _ Ouah ! Ouah ! Ouah!

    LE GRAIN DE SABLE

    A quatre heures nous étions tous à notre poste. J'avais garé l'ambulance de telle sorte que je pouvais voir mes camarades jouer les touristes, l'air de rien. A cinq heures moins cinq je reconnus la silhouette de Neil, outre ses cheveux et son T-shirt il portait sa guitare, un pliant et petit ampli. Ils s'installa et commença à jouer. Les gens passaient devant lui sans s'arrêter. Devait toutefois être content puisqu'une jeune fille décida d'assister à son set. Molossa avait fait la conquête d'une vieille grand-mère qui le caressait en lui racontant ses malheurs. Molossito dragua ostensiblement une petite fille qui n'hésita pas sous l'œil attendri de ses parents à partager sa barbe à papa avec lui.

    Brutalement je le vis ! Joël avait agité un chapeau dont il avait pris soin de se munir. De derrière le pilier Nord surgit Charlie Watts. Il était seul et se dirigeait vers Neil. Jusque-là tout allait bien. Mon cœur s'arrêta de battre. Rouky manquait d'entraînement. Il avait mal interprété la consigne. Il s'extirpa de dessous d'une voiture de police et se mit à suivre un touriste. Sauf qu'il se colla aux basques de Charlie Watts et ne le quitta plus d'une semelle ! Charlie n'en parut pas dérangé. Il se retourna et lui gratta la tête. Le batteur des Stones s'arrêta devant Neil durant une dizaine de minutes, Rouky s'assit bravement à ses côtés. Quand Charlie adressa de sa main un signe d'au revoir à Neil Rouky lui emboîta le pas comme s'il était son maître...

    Cela ne me disait rien de bon, mais je descendis de l'ambulance et débutai ma filature. Assez facile à ses débuts. Charlie se dirigeait ostensiblement vers le passage clouté, je devinai qu'il allait emprunter le Pont Alexandre III. Il me précédait d'une trentaine de mètres. Il avait déjà parcouru la moitié du pont lorsqu'il s'arrêta. De l'air désinvolte d'un curieux il semblait admirer la Seine. Tout se passa très vite. Brusquement Charlie Watts se baissa prit Rouky dans ses bras, franchit d'un bond léger le parapet et se jeta dans le vide. Ce fut si rapide que personne ne s'en aperçut.

    _ Jamais entendu parler d'un fantôme qui se suicide, pensai-je !

    J'avais affaire à un mort qui n'était visité par aucune idée morbide. L'avait sauté dans une péniche, cale ouverte, chargée de sable, il courait joyeusement me semblait-il sur ce désert artificiel poursuivi par Rouky qui s'amusait à se glisser entre ses jambes...

    Une truffe humide se posa sur mon mollet. Moossa ! Au bout du pont j'entendis les aboiements perçants de Molossito, braves bêtes, je le rejoignis en courant. Tous trois nous dégringolâmes la pente qui donnait sur les quais, des coups de feu claquèrent derrière nous, une ambulance nous dépassa toutes sirènes hurlantes, Joël semblait avoir perdu le contrôle du véhicule, les gens s'enfuyaient de tous côtés en hurlant, le Chef abattait systématiquement les maladroits qui ne s'écartaient pas assez vite pour qu'ils ne soient pas écrasés par la voiture. Les filles descendirent toutes pâles du véhicule, ses deux roues-avant engagées au-dessus de la Seine. Le Chef prit le temps d'allumer un Coronado :

      • Agent Chad, nous arrivons à temps pour la croisière, ne vous inquiétez pas si vous n'avez pas votre billet !

    A suivre...

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 533 : KR'TNT ! 533 : ROBERT GORDON / YARD ACT / LEE BAINS III & THE GLORY FIRES / JEANETTE JONES / DISCORDENSE / HECKEL & JECKEL / MARIE DESJARDINS / ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 533

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    09 / 12 / 2021

     

    ROBERT GORDON / YARD ACT

    LEE BAINS III & THE GLORY FIRES

    JEANETTE JONES / DISCORDENSE

    HECKEL & JECKEL / MARIE DESJARDINS

    ROCKAMBOLESQUES

     

    Gordon moi ta main,

    et prends la mienne

    - Part Two - Bob & the boys

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    Considérable acteur de la Memphis Scene que ce Gordon-là. N’allez pas le confondre avec l’autre Robert Gordon, celui qui enregistra de très beaux albums avec Link Wray et Chris Spedding. Ce Gordon-là joue un rôle tout aussi majeur dans l’histoire du rock américain : il écrit des bibles et produit en plus des classiques du cinéma.

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    It Came From Memphis est un ouvrage si dense qu’il est conseillé de le lire plutôt deux fois qu’une. Il fourmille tellement d’infos qu’à la première lecture on passe à côté de plein de choses. Le seul moyen de contrecarrer la déperdition, c’est d’y revenir encore et encore, et là, ce remarquable travail ethno-musicologique prend toute sa mesure. Robert Gordon bosse comme Peter Guralnick, il enquête et multiplie les interviews. Comme il se passionne pour the Memphis scene, on se retrouve avec une espèce de bible dans les pattes. Une bible si vivante et si bon esprit qu’on prend en compte tout ce qu’il recommande dans le chapitre Futher Reading, Watching and Listening. Robert Gordon est un bec fin et ce sont les becs fins qui mènent le bal du rock, en tous les cas, d’un certain rock. Tiens, parmi les becs fins, on peut citer les noms de Nick Kent, Lux & Ivy, Kim Fowley, John Broven, David Ritz, Long Gone John, Ted Carroll & Roger Armstrong, Shel Talmy, Bert Berns, Ahmet Ertegun, Shadow Morton et Phil Spector. Tous ces gens ont contribué de manière effective à forger la légende du rock.

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    Inépuisable source d’informations, cette bible nous ramène à Sun, à Elvis, à Stax, à Jim Dickinson, à Furry Lewis, à Dan Penn et à Big Star, mais c’est aussi une fabuleuse galerie de portraits, et ce sont des portraits de gens qu’on ne croise pas tous les jours, tiens, par exemple le père fondateur de la Memphis Scene, Dewey Phillips - The (Howlin’) Wolf to whom all whites were suspect called him ‘brother’ - Et Dickinson rappelle que Dewey passait tout dans son émission, «Red Hot» de Billy Lee Riley, Little Richard, Sister Rosetta Tharpe, du blues, de la country. John Fry dit aussi que Dewey à la télé, c’est le truc le plus bizarre qu’il ait vu de sa vie. Portraits de Lee Baker et de Chips Moman - His house rhythm section, unlike the cultural collision at Stax, was a group of musicians raised together and familiar with each other charms idiosyncrasies (comme ils avaient grandi ensemble, ils savaient tout des leurs charmes et de leurs particularismes respectifs). They simply did what they could do and watched the nation and the world applaud - Voilà qui résume bien style de Chips. Joli coup de chapeau aussi au fatidique guitariste des Jesters, Teddy Paige - Others cite Paige as the first in the area to say that the Beatles ruined music - Jerry, fils de Sam Phillips, avait déniché ce punkish kid with lots of attitude qui écrivait des chansons et qui jouait de la guitare. Teddy Paige s’appelait en réalité Edward Lapaglio. C’est lui qui écrivit «Cadillac Man», le dernier single Sun, produit par Knox Phillips en 1965.

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    Avec les Jesters, Jerry et Knox Phillips reviennent aux sources, au primal Sun sound. Knox avoue que depuis cet épisode, il n’a jamais eu l’occasion d’enregistrer anything with that kind of energy. C’est à la fois le mythe de Link Wray Teddy Paige gratte une Les Paul branchée sur un Fender bassman crevé, avec trois speakers qui pendouillent - To get a distorded sound - et le mythe des Cramps - Tommy Minga saute partout - Knox adore that Minga’s voice et le guitar blend de Teddy Paige : «Il n’y avait rien de comparable à Memphis, chez les white people !». De la même façon qu’il n’y avait rien de comparable à Link Wray et aux Cramps. C’est l’infernal Teddy Paige qui compose «Cadillac Man», mais il n’aime pas la voix de Tommy Minga qui est viré. Alors qui ? Dickinson bien sûr ! Teddy l’appelle. Pourquoi ? Parce qu’il a une grosse réputation d’anti-conformiste et une vraie voix - He sang straight old blues things well, but he was always trying to do something unatural and kooky - C’est ce que recherche Teddy Paige, un mec capable de bien chanter les vieux coucous, mais en leur twistant la chique. Du coup les Jesters deviennent une bête mythique, a two-headed monster, Dickinson et Teddy Paige - his guitar was another vocal in itself - Pur jus de rockalama, Dickinson chante au raw comme un gros nègre de barrelhouse et Teddy entre en délinquance sonique comme on entre en religion. On croirait entendre le house-band d’un juke-joint paumé. Knox est frappé par le monster sound - With Jim there was more anarchic energy - Et la guitare de Teddy Paige is the proverbial headless chicken rockabilly yore, hot-rodded with a corrosive blues edge, c’est-à-dire le strut rockab de poulet décapité, aggravé d’un edgy blues sound corrosif.

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    Les Jesters enregistrent deux autres cuts avec Dickinson, une cover de «My Babe» et un «Black Cat Bone» qui a disparu. «My Babe» servira de B-side à «Cadillac Man». Dickinson y ravage Little Walter qui n’en demandait pas tant. Vas-y Dick ! Il explose la rondelle des annales. Derrière, Teddy Paige hoquette ses gimmicks, il grelotte d’impatience, jusqu’au moment où il se met en pétard, cet enfoiré joue à la poigne du poignant, oh Boy, tu as tout le Memphis Sound dans cette cover, toute la folie du monde. Sur la compile Big Beat, on entend aussi la version de «Cadillac Man» qui ne plaisait pas à Teddy Paige, celle que chantait Tommy Minga. Pourtant, la version est bonne, même s’il chante plus à la discrétion. On comprend ce que voulait Teddy : un chant plus black.

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    «Cadillac Man» est le dernier single Sun (Sun 400), avec, nous dit Palao, une erreur de crédit sur l’étiquette (Tommy Minga à la place de Teddy Paige). Le gros intérêt de ce single, dit Dickinson, est qu’il réveille momentanément l’intérêt d’Uncle Sam pour Sun. Judd et Sam demandent à Dickinson de signer sur Sun pour faire partie des Jesters. Uncle Sam : «Boy, you gotta cast your lot !», et Dickinson lui répond : «I’m afraid my lot’s already cast !». En effet, Dickinson est déjà sous contrat avec Bill Justis, mais Uncle Sam lui dit que Bill s’en fout. C’est vrai que Bill ne moufte pas quand le single paraît. Le plus fascinant dans cette histoire, c’est qu’Uncle Sam s’enflammait pour ce projet, même si Dickinson refusait de signer. Knox : «Sam loved it all : he loved Teddy, he loved anybody that was trying to express something in an extraordinary way.» (Sam adorait tout ça, il adorait Teddy, il adorait les gens qui cherchaient à s’exprimer de façon extra-ordinaire). Knox ajoute que son père était tout sauf un suiveur. Malgré l’enthousiasme d’Uncle Sam, l’épisode Jesters va retomber comme un soufflé. Teddy va vite déchanter, car Judd ne sait pas comment promouvoir «Cadillac Man» : le temps du rockab de Memphis est largement dépassé - It was kinda odd for the time - Et en 1966, les Jesters disparaissent.

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    Tout comme la compile des Jesters, c’est sur Big Beat qu’on trouve celle de Randy & The Radiants, Memphis Beat - The Sun Recordings 1964-1966. Mais les Radiants, contrairement aux Jesters, apprécient les Beatles et la British Invasion. Randy Hasper est un fan des Beatles de la première heure - Once we saw the lads on Ed Sullivan, it was all over - Palao considère même Randy Haspel comme the Memphis answer to Allan Clarke des Hollies. La réputation des Radiants grandit assez vite, et leur manager John Dougherty les présente à un jeune homme blond très stylé - looking like he’s just stepped out of Gentleman’s Quaterly - Il s’agit d’un certain Knox Phillips qui les félicite - You guys are great - Knox les trouve même tellement bons qu’il parvient à convaincre son père de les recevoir. En fait, Knox croit avoir trouvé le pot aux roses : the Memphis commercialy-potent interpretation of the British beat. En 1964, Randy Hasper et ses amis débarquent au Sam Phillips Recording Service de Madison. Uncle Sam les reçoit chaleureusement, vêtu d’une chemise Ban-Lon et coiffé de sa casquette de yatchman. Les Radiants passent l’audition et Uncle Sam leur propose un contrat Sun de cinq ans. Sun Records, baby ! Randy a l’impression qu’Uncle Sam tente, dix ans après le coup d’Elvis, de rééditer le même exploit avec les Radiants. Une fois le contrat contre-signé par les parents, les Radiants entrent en studio. Uncle Sam est à la console et Knox l’observe attentivement. Les Radiants enregistrent «The Mountain’s High» en une prise. Uncle Sam exulte : «That’s a hit !». Ce sera le single Sun 395, mais ce n’est pas vraiment un hit. Randy en est bien conscient - That wasn’t very good, wasn’t it ? - Il trouve Uncle Sam trop bienveillant. Mais en même temps, Randy comprend sa philosophie qui consiste à tirer d’artistes amateurs le meilleur d’eux-mêmes. Le conte de fées se poursuit : les Radiants se retrouvent bombardés en première partie du Dave Clark Five au Memphis Coliseum, devant 12 000 personnes. En 1965, les Radiants étaient devenus rien de moins que the hottest band in Memphis. Leurs seuls rivaux à l’époque sont les Gentrys. C’est Uncle Sam qui leur recommande d’enregistrer une compo de Donna Weiss, «My Way Of Thinking», qui sera le single Sun 398. Les Radiants jouent avec l’énergie des early Kinks de Really Got Me. Pas de problème, on est à Memphis, ça joue au kinky blast. Thinking est une véritable horreur de Memphis punk infestée par les jambes, ils risquent l’amputation, c’mon, mais ces mecs s’en foutent, c’est leur way of thinking, c’mon. En tout, les Radiants n’enregistrent que deux singles sur Sun, mais Big Beat rajoute vingt titres pour donner une petite idée du potentiel qu’avait ce groupe destiné à devenir énorme. Un cut comme «Nobody Walks Out On Me» va plus sur la pop de tu-tu-tu-tulup, mais avec Memphis dans l’esprit. Dommage qu’ils n’aient pas un Teddy Paige en réserve. Leur pop est souvent passe-partout, on attend du gros freakbeat, mais rien ne vient. Tout repose sur la voix de Randy Hasper. Ils foirent complètement leurs reprises de «Boppin’ The Blues», de «Money» et de «Blue Suede Shoes». Par contre, celles de «Lucille» et de «Glad All Over» sont des overblasts. Et ils deviennent passionnants quand ils passent au heavy folk-rock avec «Grow Up Little Girl». On peut parler ici de Memphis beat évolutif et même d’énormité de la modernité. Ils font aussi une version ultra-punk de «You Can’t Judge A Book By The Cover», ils la secouent du cocotier à coups de yeah yeah, sans doute avons-nous là, avec celle de Cactus, la meilleure cover de ce vieux coucou. Avant de refermer le chapitre radieux des Radiants, il faut saluer les compos de Bob Simon, notamment ce «A Love In The Past» qui groove à la perfection, comme une merveilleuse chanson de proximité bourrée de sexe, that’s all I do.

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    Coup de projecteur aussi sur Terry Manning qui arrivait d’El Paso où il avait joué dans le Bobby Fuller Four - Son père était un pasteur qui déménageait souvent et Terry harcela ses parents pour qu’ils s’installassent à Memphis, ce qu’ils finirent par faire. Une semaine après leur installation, Terry se rendit chez Stax, frappa à la porte et dit : ‘Here I am’ - Il va rester 20 ans chez Ardent. Il travaille avec la crème de la crème de Stax, les Staple Singers, Booker T. & the MGs, Isaac Hayes. Il est le bras droit de John Fry qui sous-traite alors énormément pour le compte de Stax. John Fry indique que Dickinson cultivait un beau scepticisme envers le music business - which probably provided some guidance for a lot of people - Bel hommage à Reggie Young, dont la façon de tirer les cordes de guitare aurait influencé George Harrison. Le jeune Young était déjà un vétéran à 20 ans, c’est lui qui jouait sur «Rocking Daddy» d’Eddie Bond, avant de jouer dans le Bill Black Combo et de mettre en place de son d’Hi Records. Justement, le Bill Black Combo tourna avec les Beatles et c’est là que le jeune George loucha sur la technique de Reggie.

    Ce Gordon-là rappelle aussi que Stax vient tout droit des groupes qui jouaient au fameux Plantation Inn de West Memphis, localité située de l’autres côté du fleuve, en Arkansas, un endroit mal famé dont est originaire Wayne Jackson, ce même Wayne Jackson qui démarra dans les Mar-Kays avec Steve Cropper, Don Nix, Packy Axton et Duck Dunn. Jim Dickinson : «Packy Axton learned to play from Gilbert Caples. That’s where the whole Stax sound comes from. It’s Ben Branch’s band, pure and simple. The idea of light horns is, I think, the Memphis sound phenomenon.» On tombe un peu plus loin sur ce genre de résumé : «Jim Stewart the fiddle player wasn’t considering a career in black music, Estelle Axton the bank teller sure wasn’t and Steve Cropper who was, would never have been around the place had not it been for Packy.» Eh oui, on en revient toujours à Packy Axton, le fils d’Estelle, ce mec qui aimait tellement la musique noire et prendre du bon temps. Grâce à Light In The Attic, on peut entendre les singles que Packy enregistra avec différentes formations en 1965 et 1967. L’album s’appelle Late Late Party. Ces gens-là adorer groover et Leroy Hodges, bassman du house-band d’Hi, y faisait des miracles. Il faut l’entendre dans le «Bulleye» des Martinis. Et tout à coup, on tombe sur un single infernal de Stacy Lane : «No Entry». On se demande d’où ça sort ! On retrouve plus loin Booker T dans les Packers et Leroy Hodges revient vamper le «South American Robot» des Martinis. Nouveau shoot de r’n’b avec «LH & The Memphis Sounds : «Out Of Control». Pure staxy motion, groove rampant extrêmement tendancieux. L’immense Leroy Hodges revient faire des siennes dans le «Key Chain» des Martinis et Lee Baker passe un beau solo dans le «Hip Rocket» des Pac-Keys. La B se termine avec un nouveau coup de Jarnac singé Stacy Lane («No Love Have I»), un retour en force de Leroy Hodges dans le «Greasy Pumpkin» des Pac-Keys et l’excellent «Late Late Party» des Martinis.

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    Lorsque les Staxmen vont à Los Angeles en 65, ils jamment avec Nathaniel Magnificent Montague, le célèbre DJ d’époque. C’est lui qui branche Packy sur Johnny Keyes, qui va devenir son meilleur ami. Ils vont même partager une piaule dans Memphis, à une époque où la ségrégation fait encore pas mal de ravages. Ils font les Pac-Keys ensemble. Ils recrutent le Moloch Lee Baker à la guitare. Comme Jim Stewart ne supporte pas Packy et ses excès, les Pac-Keys enregistrent soit chez Ardent, soit chez Willie Mitchell. Estelle Axton monte le label BAR pour aider Packy, mais c’est difficile. Puis Packy et Johnny montent les Martinis avec la section rythmique d’Hi Records, et notamment les frères Hodges. Teeny Hogdes est très content de devenir pote avec Packy car il avoue aimer les white girls. Memphis Sound, baby.

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    C’est peut-être l’endroit idéal pour saluer l’album solo que Steve Cropper enregistra en 1969, With A Little Help From My Friends. Crop se lance dans des ré-interprétations instrumentales de hits séculaires, comme «Land Of 1000 Dances». Bon d’accord Crop sait jouer, mais ça on le savait. Il taille une belle croupière à «99 1/2». Il sort sa plus belle disto et joue au gras double. Ce son magique rend bien hommage à Wicked Pickett. Il passe à la petite insidieuse pour tailler une bavette à «Funky Broadway», il joue au son d’infiltration, dans la masse d’un énorme groove de Staxy Stax. Crop est un démon, dans le Sud tout le monde le sait. Comme Ry Cooder, Crop crée la sensation en permanence. Avec le morceau titre, Crop fait du Joe Cocker sans la voix, il fait chanter sa Tele. Ils sont tout de même gonflés de se lancer dans cette aventure devant 500 000 personnes. Crop réussit à créer de la tension, il fait le plan des screams en mode deep south. Bien vu, Crop ! Ce qu’il parvient à sortir est exceptionnel. Il prend ensuite «Pretty Woman» au funky strut de Stax, il joue tout le thème au claqué de Tele. Crop ne se refuse aucune extravagance et du coup, l’album devient palpitant, aussi palpitant que peut l’être la pochette. Il s’en va ensuite swinguer «I’d Rather Drink Muddy Water» au jazz et là ça devient stupéfiant. Il va là où le vent le porte. Guitar God on fire ! On le voit aussi rentrer dans le lard du heavy blues avec «The Way I Feel Tonight» et il claque le beignet du Midnight Hour à la Crop, c’est-à-dire droit au but, sans voix, c’est encore la Tele qui fait tout le boulot. Bon, ce n’est pas Wicked Pickett, mais ce n’est pas si mal. Les cuivres arrivent en renfort dans «Rattlesnake». Comme d’usage, les Memphis Horns font la pluie et le beau temps. Tout s’écroule prodigieusement dans des vagues de son successives. Cet instro est une telle merveille qu’elle pourrait servir de modèle à Michel-Ange.

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    Portrait aussi de l’immense Sid Selvidge : «Selvidge brings to the group (Mud Boy & the Neutrons) a voice as pure and sweet as a Delta songbird, with as much range as the expansive sky.» Ce Gordon-si considère Sid Selvidge comme un folk punk of sorts. Il se préparait en effet à sortir sur son label Peabody l’incroyablement bon Like Flies On Sherbert d’Alex Chilton. Robert Gordon recommande tout particulièrement Waiting For A Train - you also get a taste of Selvidge’s falsetto howl, Baker’s insane slide guitar, and Dickinson’s piano beating (...) On ‘Swanee River Rock’, Jim Lancaster plays the rockingest tuba solo I’ve ever heard north of New Orleans. Selvidge enregistre cet album extraordinaire au studio Ardent avec la fine équipe, c’est-à-dire les Dixie Flyers. Alors que Dickinson pianote sur ce pur jus d’Americana qu’est «All Around The Water Tank», Selvidge yodellise et claque un solo à l’ongle sec. Lee Baker rôde aussi dans le coin. Selvidge tape un vieux blues de Fred Mc Dowell, «Trimmed And Burning». Il préserve avec le plus grand soin l’esprit de la véracité. Il tape ensuite dans Allen Toussaint avec «Wrong Number». Dickinson y pianote comme un diable de saloon. On passe directement au New Orleans Sound avec «Swanee River Rock», mélange de country blues et de New Orleans brass. Selvidge tape aussi dans Tom Paxton avec un «Last Thing On My Mind» digne du Dylan de l’âge d’or. Lee Baker fait un festival dans «Torture And Pain». À noter la photo de pochette signée Bill Eggleston.

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    Joli coup de projecteur aussi sur Insect Trust, ce groupe touche-à-tout qui tapait aussi bien dans Joe Callicott que dans le free-jazz, ce qui inspira Dickinson pour son album Dixie Fried. Insect Trust testait en effet le country-blues-inspired free jazz. Ces mecs retravaillaient des chants de marin au banjo des Appalaches et au violon. Robert Palmer jouait aussi dans le groupe et y faisait un peu office de liant, tellement les profils différaient les uns des autres. L’album Insect Trust vaut le détour, ne serait-ce que pour entendre «Special Rider Blues», inspiré du «Blues Rider» d’Elmore James. Nancy Jeffries y chante le blues fantastiquement, elle se laisse porter par d’indicibles vagues de blues et ce diable de Bill Barth joue l’acid rock dans un fracas de free jazz. Quel mélange ! Bill Barth n’en finit plus d’irriter les zones érogènes de l’instinct free du sax et cette folie contribue largement aux frictions salvatrices. Quel freakout ! On comprend que l’album soit devenu légendaire. Ils reprennent aussi le «World War I Song» de Joe Callicott. Nancy Jeffries chante le blues d’une belle voix généreuse, elle embarque son monde comme savait si bien le faire Joan Baez avec «Joe Hill». C’est un retour aux racines du blues de Memphis. Autre pièce de choix : «The Skin Game», blues solide et bien cuivré, ambitieux et fouillé par un délire foutraque de saxophones en délire. On assiste là aussi à une merveilleuse envolée d’impro, ou si vous préférez, une échappée belle délibérée. Ils finissent leur B avec trous cuts à dominante folky. Cette femme chante comme une militante, on la sent animée d’une foi de pâté de foi. Et ça se termine avec un «Going Home» joué à la flûte de pan, et comme on dit, c’est de la bonne Baez.

    Robert Gordon passe aussi en revue les house-bands de Memphis, celui de Stax que tout le monde connaît, celui de Sun, les Little Green Men de Billy Lee Riley, avec Roland Janes et JM Van Eaton, et celui moins connu de Hi Records avec les trois frères Hodges, Teenie, Charles et Leroy.

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    Lee Baker rappelle qu’il a monté Moloch bien avant tout le bordel du heavy metal - We wanted to be loud, rockin’ rock and roll and offensive - C’est Don Nix qui les produit chez Ardent. - Moloch is a beastly-sounding blues-based swirl - C’est d’ailleurs Moloch qui enregistre pour la première fois le fameux «Going Down» de Don Nix, un Don Nix omniscient qui a l’idée du son - the Don Nix Don Nix Don Nix album - Producer : Don Nix, Arranger : Don Nix, Engineer : Don Nix. C’est ce qu’on peut lire sur la pochette. Et bien sûr, Don Nix signe tous les morceaux. L’album Moloch est réédité, on peut donc l’écouter tranquillement au coin de la cheminée. Dès «Helping Hard», on sent le souffle du heavy rock seventies, oh mama. C’est digne d’Atomic Rooster et typiquement hendrixien dans le traitement du groove. Lee Baker joue comme un démon. Et voilà le «Maverick Woman Blues» (que Mike Harrison reprend sur Rainbow Rider). Typique de l’époque avec le son bien rond et ils finissant l’A avec «She Looks Like An Angel», heavy blues cousu de fil blanc. Encore un artefact nixien avec «Gone Too Long», monté sur le riff de «Dust My Blues», pur jus de Memphis Sound car joué dans la désaille. Ainsi va ce disque, de heavy blues en bloogie rock, au fil du fleuve du temps. Tout est admirablement drivé, ces mecs savent gérer un groove et Lee Baker sait percer les lignes. Ils tapent «Mona» au heavy low-down de big bad stash. La prod rappelle celle de «Crosstown Traffic». Et avec «People Keep Talking», ils se prennent carrément pour Led Zep, car c’est chanté à la petite hurlette de Plantagenet. Don Nix ramène des sons très intéressants dans le boogie. Une cymbale savamment orientée swingue le boogie. Le pauvre Genz Wilkins se prend encore pour Robert Plant dans «I Can Think The Same Of You».

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    Et lorsqu’il aborde le chapitre Mud Boy, Robert Gordon devient intarissable : «Dickinson is a musical chemist balancing order and chaos, with the approach of an historian. Baker can unleash heroic guitar riffs because he spends all summer atop a tractor cutting grass.» Et il ajoute : «One could say that Mud Boy is the inheritor of the Memphis Country Blues Festivals.» Il poursuit en expliquant que Mud Boy n’a rien appris aux vieux bluesmen et que les vieux bluesmen ne leur ont pas appris grand chose. Il s’agissait plutôt d’une osmose. Le vecteur de cette osmose étant le verre de whisky. The language was the jelly lid over Furry’s shot glass. Et comme Dickinson, Charlie Freeman préférait le confort de l’anonymat et de la vie normale au bazar de la gloriole. Oui, ça semble idiot, dit ainsi, mais tous ces gens ont le génie de la modestie, ce qui fait d’eux des héros de l’underground. Jerry Wexler laisse un bel épitaphe concernant les Dixie Flyers : «For a while, the Dixie Flyers were flying high. I didn’t know that they were doing everything in the drugstore, but I did know they were some wild motherfuckers... I should’ve known there never were enough projects to keep a house rhythm section working steadily. My conception - to import and keep a cohesive group - was naive.»

    Puis Robert Gordon attaque le chapitre Alex Chilton, devenu superstar à seize ans, a brillant pop individualist à 21 ans et trois ans plus tard, il ne parvient pas à terminer Big Star 3rd que tout le monde considère aujourd’hui comme un masterwork. L’histoire de Big Star est typique de Memphis : c’est un groupe complètement hors normes. Quand Chris Bell et Alex Chiton décident de monter le groupe, ils se prennent pour Lennon et McCartney. Le pire, c’est qu’ils en ont les moyens. Et puisqu’on est chez les surdoués, on peut aussi citer Richard Rosebrough qui travaillait chez Ardent : «J’aimerais dire que j’ai trois mentors : John Fry qui m’a appris à enregistrer, Jim Dickinson qui m’a appris à choisir le bon moment pour enregistrer, et Sam Phillips qui m’a appris à rendre une séance d’enregistrement intéressante.»

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    Il est essentiel pour tout amateur de Memphis Beat d’écouter l’album solo de Chris Bell, I Am The Cosmos. Car oui, quelle merveille ! Bell sonne les cloches. Bell fait du Big Star sans Alex, il excelle dans cette petite pop exacerbée d’arpèges de clairette et de yeah yeah yeah, il développe un super pouvoir lucratif de haute transparence. C’est éblouissant de pur jus. Il fond son son dans l’azur immaculé, il va même beaucoup trop loin et pousse ses yeah yeah yeah du haut de la montagne - I’d really see you again - Big Bell sound ! On croise plus loin un titre aussi pur, «You And Your Sister», avec Alex en background. C’est enregistré chez Ardent. Quasiment tout le reste est enregistré au château d’Hérouville. L’autre énormité s’appelle «Make A Scene», big rumble de Memphis sound. C’est gorgé d’espoir et si magnifique. Il faut suivre ce Bell à la trace, il est doué d’un don de Dieu. «I Got Kinda Lost» est aussi enregistré à Memphis. On croirait entendre les Byrds, c’est dire si Bell est bon. Il est capable de miracles. Il y va de bon cœur, il ne craint ni la mort ni le diable. Quelle espèce de puissance est-ce donc que la sienne ? Dickinson joue du piano sur «Fight At The Table», il est important de le noter. Retour au Big Star sound avec «I Don’t Know». Bell fait du pur jus et il pourrait bien être l’âme de Big Star. Saluons aussi «Get Away», encore du pur Big Star sound, battu à la folie et qui bascule dans la beatlemania. Il ne laisse décidément aucune chance au hasard.

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    Le fameux bootleg Dusted In Memphis est une sorte de passage obligé. Dans ses liner notes, Ray Fortuna explique qu’Alex cherchait à l’époque à écrire the perfect pop song pour la détruire ensuite. Mais il rappelle aussi que les gens qui l’accompagnent sont des highly gifted professionals. Ce qui conduit l’infortuné Fortuna à penser que la démarche chiltonienne telle que nous la restitue ce boot vaut bien Dada. Bien vu, Ray. Alors boot Dada ? Non, pas vraiment. Trop américain pour être Dada. Souvenons-nous : Dada New York, c’est Duchamp. Un import. Impair et passe. Tout cela n’enlève rien au talent d’Alex : en B, on tombe sur une absolue merveille, «She Might Look My Way», l’une des fameuses démos Elektra. Enregistrée à New York en 1978, cette belle pop tourbillonnaire tourne à l’enchantement. On se régale aussi d’un «Walking Dead» enregistré à Memphis en 1975. Quelle douce désaille ! Les punks ne feront jamais mieux. Ray Fortuna cite Dickinson, l’un de acteurs majeurs du so-called Memphis Dada : «Sometimes there was somebody in the control room and a lot of times there was nobody there.» Des quatre faces, la B est la plus consistante, car enregistrée dans un club new-yorkais. Une version de «Little Fisky» passe comme une lettre à la poste. Même chose pour «Window’s Motel», on retrouve ce son qu’on aime bien, le Memphis Sound, une déglingue de swing traversé par des gimmicks de fulgure. Cette B mirifique s’achève sur une imprenable version de «No More The Moon Shines On Lorena». Section rythmique minimaliste et bourrée de swing, un brin de piano et un killer solo flash : il y a là de quoi rendre un homme heureux. Mais le sommet du boot se trouve en D : l’infamous KUT Radio Show d’Austin, en 1978. Alex joue en solo et se débarrasse comme il peut des questions à la con que lui pose le speaker sur Big Star et les Box Tops. Alex se dit homosexuel puis onlysexuel, il fait sa provoc, on le sent excédé, alors il attaque son fameux «Riding Though The Reich», puis enchaîne avec une version délirante de «The Lion Sleeps Tonight» en ululant à la lune. Pour le coup, ça tourne à l’Austin Dada ! Les pontes de l’histoire de l’art vont s’arracher les cheveux. S’ensuit une version qu’il faut bien qualifier de magique de «No More The Moon Shines On Lorena», et la fille qui accompagne Alex déraille complètement - Baby’s on fire ! s’esclaffe Alex qui visiblement s’amuse bien, mais attention, ce n’est pas terminé, le voilà au cœur du sujet avec «Waltz Across Texas», fantastique coup de kitsch qu’il enchaîne avec «Lili Marleen». Il chante cette magnifique rengaine avec un talent fou et désordonné - It’s you Lili Marleen - et il termine en rendant un superbe hommage à ses amis new-yorkais les Cramps avec «The Way I Walk».

    Quand Dickinson accepte de produire le troisième album de Big Star, il est dans une mauvaise passe : son meilleur ami Charlie Freeman vient de casser sa pipe suite à une overdose et il vient de se fâcher avec Dan Penn pendant le mix du fameux deuxième album jamais paru, Emmett The Singing Ranger Live In The Woods. Il a donc une revanche à prendre sur Dan qui avait produit les Box Tops. Selon Robert Gordon, l’enregistrement de Big Star 3rd fut un épisode assez malsain. Dickinson raconte qu’Alex et lui rigolaient ouvertement pendant qu’un mec jouait de la stand-up. Steve Cropper accepta de jouer dix minutes sur «Femme Fatale», mais pas davantage - He thought this was scary evil shit - Quand Dickinson envoie la bande de Big Star 3rd chez Jerry Wexler, celui-ci l’appelle pour lui dire : «Baby, that tape you sent me makes me very uncomfortable.» À l’époque personne ne veut de Big Star. Dickinson et John Fry tapent à toutes les portes. Écœuré, John Fry jette l’éponge et met son studio en vente. Mais les acquéreurs ne parviennent pas à honorer leurs engagements et Fry récupère miraculeusement son studio peu de temps après. Tout est examiné dans la détail au chapitre Alex.

    Bien sûr, lorsqu’Alex découvre que les Cramps jouent du rockab à contre-courant des modes et notamment du punk rock, il est fasciné - Such a renegade spirit was a natural attraction for Chilton - Robert Gordon rappelle que Flies is an épitome of Memphis music - a complete rejection of the industry norm. It is sloppy, often indecipherable, and very very alive. Pour Gordon, Flies, c’est du Dewey Phillips - Among the sources for Flies are the Greenbriar Boys’ bluegrass, the Long Island vocal group the Belltones and the Carter Family’s interpretations of a slave song. If that’s not a likely Dewey Phillips set, I don’t know what it is - Et Randall Lyon qui a filmé les séances d’enregistrement indique que Flies a presque réussi à anéantir tout le gratin de l’underground de Memphis - It was an horrible experience from beginnig to end (...) The music was so heavy. Chris Bell died while Alex was working on that record and Flies to me is the end of the whole ChrisBell/Alex freakout.

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    Bosser avec les Cramps, ça laisse forcément des traces. Alex a de nouvelles idées de son. Il fait appel à son vieux mentor Dickinson pour produire Like Flies On Sherbert (qui devait au début s’appeler Like Flies On Shit). Cet album sonne comme la suite de Big Star, car on y trouve quelques énormités fatales comme «Hey Little Child», petite pièce de garage d’excellence impartie et joliment tapée - Hey ! - On croit entendre du Sonny & Cher, c’est monté sur un beau bien rebondi et Dickinson fait monter la basse dans le son - Hey ! - On sent bien qu’ils s’amusent comme des fous dans le studio. L’autre monstruosité, c’est le morceau titre qu’on trouve en B. Il s’agit là de la chanson la plus barrée du Deep South. Alex chante vraiment à la désaille, c’est stupéfiant de densité et fort en teneur de laid-back. Véritable coup de génie pour Alex et Jim. Oh mais on trouve d’autres pépites sur ce disque infernal, comme par exemple «Boogie Shoes», à l’image de la déglingue du studio et de son parquet jonché de mégots. Muddy as hell, joué au hasard des condoléances, gratté à la bonne franquette, ça bat comme ça peut, on est à Memphis, Sugar babe, et le chaos y est différent. L’air et l’énergie aussi. Il y a quelque chose de dévertébré dans le son, ça pianote dans un coin et ça chante au réveil, mah, mah mah. Pareil pour «My Rival», le boogie-rock le plus laid-back de l’histoire. Alex traînasse dans la mélasse et il place ici et là des petits guitar licks à la Keef. Tout est savamment faisandé sur ce disque. Encore du sacré bon rock de Deep South avec «Hook Or Crook», joué à la revoyure et sans attache particulière, et un chant terriblement décalé du micro. Alex claque ça dans un coin et ça joue là-bas, de l’autre côté, dans la cuisine. On a là une sorte d’Americana perdue dans le plus bel écho du temps d’avant. Franchement, c’est joué au plus profond du studio, c’est du rock d’Ardent et décade après décade, la descente reste d’une beauté qui ne se fane pas. Dickinson semble au somment de son art. Si avec ça on n’a pas encore compris que cet homme est un génie, c’est qu’il y a un problème. On retrouve cette ambiance de jam informelle dans «I’ve Had It» et nos deux cocos basculent dans le délire complet avec «Rock Hard» : le cut se limite au seul tatapoum et Alex gratte une corde de guitare à l’ongle sec, juste sous le boisseau. On retrouve le foutraque du Memphis Sound dans «Alligator Man», ça claque dans tous les coins, encore un modèle du genre.

    Dickinson est certainement le mieux placé pour donner une définition du fameux Memphis sound : «The Memphis sound is something that’s produced by a group of social misfits in a dark room in the middle of the night. It’s not committees, it’s not bankers, not disc jockeys. Every attempt to organize the Memphis music community has been a failure.» On a l’illustration de ce propos dans Stranded In Canton, le film culte de Bill Eggleston.

    Robert Gordon boucle son panorama avec des pages fascinantes sur la relève : les débuts de Tav Falco, puis quelques clins d’œil de poids aux Hellcats et aux Country Rockers qui comme par hasard ont vu leurs disques paraître sur New Rose - comme d’ailleurs tout ce qu’a pu enregistrer Dickinson. Étrange phénomène que ce désintérêt des labels américains pour une scène aussi riche. Alors encore une fois, merci Patrick Mathé.

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    Merci pour le Free Range Chicken des Country Rockers paru en 1988. On les voit tous les trois sur la pochette, avec pépé Gaius Ringo Markham au premier plan. On note aussi la présence de Misty (tambourine) dans les crédits. Et ça démarre en force avec le swing parfait d’«Arkansas Twist». Ils jouent ça dans les arcanes du temple. Quelle fantastique leçon de rockabilly, son clair et swing de slap, oh boy et pépé Ringo nous bat ça sec sous le manteau. Ils enchaînent avec une reprise du fameux «Mona Lisa» rendu célèbre par Carl Mann. On est chez Doug Easley, alors quel son, my son ! Ils passent au jazz avec «Stomping At The Savoy». Ambiance à la Django et plus loin, ils tapent dans le fameux «Rockin’ Daddy» au pur jus de Memphis Sound. En B, ils vont chercher le vieux «Pistol Packing Mama» pour en proposer une version joyeuse et bien vivante. Rien à voir avec Gene Vincent. Retour au rockab avec «Love A Rama». Ils tiennent vraiment le haut du pavé, leur rockab vaut tout l’or du monde. Et pour l’anecdote, pépé Ringo prend le lead sur «My Happiness». Il ne chante pas très juste et fait un peu mal aux oreilles. Par contre, l’amateur de trash va pouvoir se régaler. Il existe un autre album des Country Rockers intitulé Cypress Room et doté d’une belle pochette, mais ce sont quasiment les mêmes titres.

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    Robert Gordon évoque aussi Lorette Velvette, qui fait comme Alex l’objet d’un chapitre à part.

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    Puisqu’on est dans l’underground de ces dames, il est intéressant de se pencher sur le cas des Klitz. Il existe quelques bricoles accessibles, comme ce Live At The Well. On croit entendre les Babes In Toyland, tellement c’est mal chanté. Leur «TV Set» est trop bruyant, trop mal contrôlé, on dirait que c’est voulu. Joli choix de covers, en attendant, puisqu’elles tapent dans le «Funtime» d’Iggy. Par contre, elles changent de registre avec «Noel Motel», un shoot de heavy pop de power pop joué à la fabuleuse énergie et chanté à l’ingénue libertine, avec un flavour très particulier, soutenu au piano de bastringue. Avec «Couldn’t Be Bothered» on passe au vrai son, à l’EP Sounds Of Memphis 78. Tout cela vaut pour acquis. «Two Chords» sonne très typique de l’époque, two chords, three chords, one chord ! Elles passent au beat tribal pour «Head Up». Celle qui tape y va de bon cœur. C’est gueulé, bien gueulé, admirablement gueulé. Elles jouent leur va-tout avec l’«Hook Or Crook» d’Alex. Dommage que la chanteuse soit obligée de gueuler par dessus les toits.

    Dans cet infernal chapitre de fin, Futher Reading, Watching and Listening, Robert Gordon renvoie sur des tas de disques tous plus intéressants les uns que les autres.

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    L’ouvrage s’accompagne d’une compile qui porte le même nom, It Came From Memphis. C’est sans doute le meilleur moyen de donner envie aux lecteurs de creuser, car comment peut-on résister au souffle du «Money Talks» de Mud Boy & The Neutrons ? C’est impossible. Quel incredible blast ! C’est l’une des pires fournaises de l’histoire de l’humanité, tout est poundé dans l’oss de l’ass avec un Dickinson qui chante au raw et derrière lui, les accords frisent la stoogerie. La grande force de Robert Gordon est d’avoir su mettre en valeur le Memphis Blues qui est la racine du Memphis Beat. Il ramène le plus primitif des Memphis cats, Moses Williams avec «Which Way Did My Baby Go». C’est plus que primitif, c’est carrément africain. Il ne peut rien exister de plus primitif en Amérique. On ne sait pas sur quoi il gratte. Il gratte sur rien. On croise des noms connus comme Sid Selvidge et Furry Lewis, mais aussi des inconnus extraordinaires, comme par exemple Flash & The Memphis Casuals avec «Uptight Tonigh». On ne sait pas d’où ça sort, mais quelle énergie ! Dickinson gratte sa gratte là-dessus. Même chose avec The Avengers et «Batarang», on tombe ici dans la psychedelia d’Ardent, avec Terry Manning à l’orgue. Lee Baker et Dickinson grattent leurs grattes dans cet enfer. Restons dans cette mythologie de l’underground avec Cliff Jackson & Jellean Delk With The Naturals et «Frank This Is It», produit par Jerry Phillips et Teddy Paige. Bien sûr, Teddy joue le groove et il place un solo du diable sur cette merveille mythologique. Dickinson revient jouer de la gratte avec Drive In Danny sur «Rocket Ship Rocket Ship». C’est tellement weird qu’on reconnaît Dickinson qui se fait appeler ici Captain Memphis. On croise aussi Jessie Mae Hemphill avec «She Wolf». C’est le Memphis Beat à l’état le plus pur. Tout le génie compilatoire de Robert Gordon, c’est d’avoir choisi «She Wolf». Le «Wet Bar» du Panther Burns Ross Johnson est weird as fuck. Quant à Lesa Aldridge, la poule d’Alex Chilton, elle est complètement pétée. Chilton l’accompagne et Dickinson bat le beurre. Ils font n’importe quoi. Ça fait partie du mythe de Memphis. Et pouf tout explose à nouveau avec Otha Turner’s Rising Star Fife & Drum Corps et «Glory Hallelujah». C’est tellement ancien que Dickinson fait remonter ça à Dionysos. Bon les gars, laissez tomber Metallica et écoutez Otha, ça vous fera du bien. Un brin d’antiquité, ça vaut tout l’or du monde. Robert Gordon ramène aussi Moloch dans sa compile avec «Cocaine Katy», ce qui donne un avant goût du son psychédélique de Lee Baker et puis voici Lorette Velvette avec «Oh How It Rained», la petite reine du rodéo, pur jus de Memphis underground. Elle a la main sûre et Lee Baker l’accompagne. Et tout ceci s’achève avec Big Ass Truck («I’m A Ram», énergie considérable, sur les traces des MGs avec le fils de Sid Selvidge à la guitare) et puis William Eggleston joue une sélection de sa Symphonie #4 au piano.

    Robert Gordon, c’est du délire. Il cite encore des tonnes de choses en référence et bien sûr il existe un volume 2 d’It Came From Memphis, et même un volume annexe sur lesquels on reviendra, c’est certain.

    Signé : Cazengler, Robert Gourdin

    Robert Gordon. It Came From Memphis. Pocket Books 1995

    Jesters. Cadillac Men. The Sun Masters. Big Beat Records 2008

    Randy & The Radiants. Memphis Beat. The Sun Recordings 1964-1966. Big Beat Records 2007

    Packy Axton. Late Late Party. 1965-67. Light In The Attic 2011

    Steve Cropper. With A Little Help From My Friends. Volt 1969

    Sid Selvidge. Waiting For A Train. Peabody 1982

    Insect Trust. The Insect Trust. Capitol Records 1968

    Moloch. Moloch. Enterprise 1969

    Chris Bell. I Am The Cosmos. Rykodisc 1992

    Alex Chilton. Dusted In Memphis. Bankok Productions 2016

    Alex Chilton. Like Flies On Sherbert. Peabody 1979

    Country Rockers. Free Range Chicken. New Rose Records 1988

    Country Rockers. Cypress Room. New Rose Records 1990

    Klitz. Live At The Well/ Sound Of Memphis 78. Not On Label

    It Came From Memphis. Upstarts Sounds 1995

     

    Yard Act Sud

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    Au moment où nous sortîmes du métro, un phénomène surnaturel se produisit : dans l’extraordinaire clameur d’un crépuscule toulousain apparut l’image de Gildas. Ce petit carré de lumière jaune fiché au sommet d’une tour de béton semblait guetter notre venue, comme l’œil d’un cyclope. C’était d’autant plus spectaculaire que la silhouette du bâtiment commençait à se fondre dans les ténèbres. On ne pouvait interpréter ce phénomène que d’une seule façon : un clin d’œil surnaturel. L’image disparût au profit d’une autre car elle faisait partie d’un roulement de programmation, et il fallut attendre son retour quelques minutes plus tard pour s’extasier de nouveau. La silhouette de la tour cubique appartenait au Métronum, un complexe culturel qui organisait en plus d’un concert une petite exposition consacrée à Gildas et au livre dans lequel il raconte sa vie. La soirée se présentait donc sous les meilleures auspices. Rien de tel qu’une apparition surnaturelle pour embraser l’imagination.

    Oh, il n’y avait pas grand monde à l’expo, mais il y eut des rencontres bougrement intéressantes, notamment celle d’un journaliste qui comme Gildas était originaire de Gourin, là-bas au bout du monde, à la frontière du Finistère. Merveilleuse coïncidence. Et comme si cela ne suffisait pas, Gildas nous envoya un troisième clin d’œil : les gens des Musicophages qui organisaient l’expo eurent l’idée de diffuser en fond sonore le fameux Dig t! Radio Show du 16 janvier 2020, et donc, entre deux rasades de Stooges et de MC5, nous pûmes entendre cette voix si particulière à laquelle nous étions tellement habitués. On ne peut pas imaginer plus belle évidence d’une présence surnaturelle. Fort heureusement, nous avons des témoins.

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    Et le concert ? En tête d’affiche se produisait un groupe anglais originaire de Leeds, Yard Act, à propos duquel nous n’avions aucune info. Il n’existait pas non plus de disk, leur premier album étant encore à paraître. Nous apprîmes cependant en discutant avec le journaliste de Gourin qu’ils pratiquaient le spoken word et ça nous fit redouter le pire. Visiblement Yard Act entrait dans cette nouvelle génération de groupes anglais à cheval sur le post-punk et le hip hop, et dont le modèle le plus connu est sans doute Sleaford Mods qui furent têtes d’affiche du dernier festival de Binic et dont nous n’avons rien vu, puisqu’à aucun moment nous n’avions avec Gildas envisagé l’hypothèse d’aller les voir sur scène, occupés que nous étions à nous schtroumpher dans les grandes largeurs. Le journaliste de Gourin rapprochait aussi Yard Act des Idles, pour l’aspect socialement engagé de leurs textes. Il semble que la société anglaise soit bien plus mal en point que la française et que ce phénomène de dégradation sociale soit devenu irréversible. Certaines classes sociales sont depuis quarante ans définitivement condamnées et c’est dans ce purin dégératif que fleurit le nouveau rock anglais.

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    Chacun sait que les chansons à textes - en anglais - demandent un niveau d’attention soutenu, et c’est avec une certaine appréhension qu’on attendit le début du Yard show. Pourquoi ? Parce qu’il n’existe pas de pire diction que celle des gens du Nord de l’Angleterre. On gardait de très mauvais souvenirs de voyages en auto-stop dans la région du Nord et de ces moments pénibles où on ne comprenait rien, mais vraiment rien, de ce que nous racontaient les gens qui nous ramassaient. Le bassiste et le batteur arrivèrent les premiers sur scène pour jouer une espèce de groove d’intro. Comme c’est le cas pour la grande majorité des musiciens anglais, le bassman avait vraiment fière allure. Puis est arrivé un étrange personnage.

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    Silhouette ronde, cheveux longs, moustache de hussard et Telecaster. Sa mise accentuait à outrance la rondeur ubuesque de sa silhouette, il portait un T-shirt noir et une sorte de très gros pantalon noir, on aurait dit un sac immense, ah quel cul, un gros froc comme en portent les clowns pour accentuer l’aspect caricatural de leur démarche. Il s’appelait forcément Ubu, guitariste pataphysique, membre honoraire de la satrapie Dac-o-Dac, et lorsqu’il se mit en mouvement, il incarna sous nos yeux ronds de stupeur le croisement illusoire d’une libellule et d’un pachyderme, sautant en l’air, doté comme par enchantement d’une incroyable vélocité, accentuant encore la disgrâce de ses gestes pour atteindre à l’envers de la grâce, il offrait le spectacle d’un phénomène encore plus surréaliste que l’apparition de Gildas dans le ciel, il était une sorte de Roy Estrada croisé avec Nijinski, une sorte de Bob Hite enfanté par Pina Bausch, il était la créature éléphantesque de rêve du rock moderne, wow, il y avait du Orson Welles en lui, du gros lard qui sait bouger, et il jouait sur sa Tele une sorte de funk ahurissant, qu’il érigeait comme une cathédrale sonique dans un monde de son invention. Allait-il faire le show à lui tout seul ? Ça paraissait évident. Il dansait à sa façon, comme dansent les gros, jouant avec la probité des probabilités, organisant l’anéantissement du nantissement, la boule de suif rockait comme Sancho Panza et on craignait que son gros bal de naze ne s’achève brutalement avec l’arrivée du chanteur. C’est exactement ce qui se produisit.

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    Le chanteur arriva sur scène vêtu d’un imper et portant des binocles. L’anti-rock star, comme Ubu. Au moins, le message était clair. Plutôt jeune, avec une réelle présence vocale, mais rien de plus. Il se livra en effet à quelques belles échappées belles de spoken word qu’il accompagnait d’une gestuelle de hip-hopper bien martelée. Il cadrait parfaitement avec son temps. Il fallut attendre quelques cuts avant de voir Ubu reprendre son ballet grotesque et génial à la fois. Il se savait bon, alors il pouvait s’ingénier à mal danser, au fond ça n’avait pas d’importance.

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    Il est probable que ces petits mecs de Leeds feront parler d’eux. Il faut en tous les cas leur souhaiter un peu de succès. Pour l’instant, ni Mojo, ni Uncut, ni Shindig!, ni Record Collector n’ont encore parlé d’eux. Ubu s’appelle en réalité Sammy Robinson, l’excellent bassman Ryan Needham, le batteur qu’on ne voyait guère planqué derrière ses cymbales s’appelle George Townend et le binoclard de service James Smith. Ils n’ont pas joué très longtemps, car ils n’avaient pas beaucoup de morceaux.

    Signé : Cazengler, Jeanne d’Act

    Yard Act. Le Metronum. Toulouse (31). Le 19 novembre 2021

    Merci aux gens du Metronum pour la qualité de leur accueil, et bien sûr aux Musicophages pour leur soutien.

     

    L’avenir du rock

    - Ah Bains dis donc !

     

    L’avenir du rock est au pieu. Mais il n’est pas seul. À côté de lui sommeille la femme, c’est-à-dire l’avenir de l’homme. Le jour s’est levé. L’avenir du rock allume une clope. Comme dans les films de Claude Sautet, elle ouvre les yeux et lui sourit. Il tire une taffe.

    — Tu as bien dormi ?, demande-t-il d’une voix de velours.

    — Mmmmm... Comme un charme, murmure-t-elle. Qu’est-ce qu’on dort bien ici !

    Elle pose la main sur sa poitrine, en caresse les poils... Puis la main descend inexorablement.

    — Oh oh, monsieur est en forme..., insinue-t-elle d’une voix câline.

    — Monsieur est toujours en forme.

    Elle repousse le drap pour le caresser au grand jour. Il pousse un long soupir...

    — Je ne me lasse pas de tes caresses. Tu es vraiment la reine des coquines...

    — Que concoctent la coquine et le coq en pâte ?

    — Un coquet pacte de cock en pack !

    Décidément, l’avenir du rock et l’avenir de l’homme forment un joli couple. Refermons doucement la porte de la chambre pour leur restituer leur intimité et allons faire un petit tour en Alabama.

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    C’est en fouinant dans l’incroyable curriculum de Matt Patton (bassiste des Dexateens, des Drive-By Truckers, et producteur de Bette Smith, Alabama Slim, Dan Sartain, Jimbo Mathus et Tyler Keith) qu’on recroise le nom de Lee Bains III & The Glory Fires, un groupe basé à Birmingham, Alabama, jadis repéré par nos services : en effet, leur premier album sortait en 2012 sur l’Alive de Patrick Boissel, l’un des labels de référence en matière d’underground américain.

    Attention à cette scène alabamienne d’une grande fertilité et dont l’origine remonte à Muscle Shoals, Hank Williams et aux Louvin Brothers. On y trouve aussi The Immortal Lee County Killers de Chetley Cheetah Weise, Verbena, Shelby Lynne, Dan Sartain, St Paul & The Broken Bones et les Dexateens, dont fit partie Lee Bains.

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    C’est Jim Diamond qui produit There Is A Bomb In Gilead, le premier album de Lee Bains III & The Glory Fires. Ils portent bien leur nom les Glory Fires puisque l’album s’ouvre sur un véritable feu d’artifice : «Ain’t No Stranger». Nous voilà dans le Bains, ben dis donc ! Bon Bains d’accord ! Lee Bains sait lancer sa horde d’Alabamiens, il est dessus, c’est un chef né, sa façon de lancer l’assaut est une merveille et tout le monde s’écrase dans les fourrés avec des guitares killer. C’est exceptionnel de son, d’enthousiasme et d’envolée. Le problème, c’est que le suite de l’album n’est pas du tout au même niveau. On oserait même dire qu’on s’y ennuie. Ils ramènent pourtant des chœurs de Dolls dans «Centreville», ce qui les prédestine à régner sur l’underground alabamien, mais après le soufflé retombe. Plof ! Ils végètent dans une sorte de boogie rock sans conséquence sur l’avenir de l’humanité. Ils font du heavy revienzy de bonne bourre, comme les Gin Blossoms et tous ces groupes de country rock américain qui rêvent d’Americana, mais qui n’ont pas l’éclat. Avec «The Red Red Dirt Of Home», ils deviennent très middle of the road, c’est sans appel, le destin les envoie bouler dans les cordes, c’est trop country rock. Il ne se passe rien, comme dirait Dino Buzzati face au Désert des Tartares (attention, à ne pas confondre avec le fromage).

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    On reste dans les mains lourdes puisque c’est Tim Kerr qui produit Dereconstructed, paru sur Sub Pop en 2014. Dès «The Company Man», on est bluffé car les Bains développent une violence inexpugnable. Wow ! Et même deux fois wow ! Ils attaquent le rock à la racine des dents, ils te paffent dans les gencives. S’il fallait qualifier leur rock, on dirait in the face. C’est une horreur, une véritable exaction paramilitaire, toute la violence du rock est là, avec une voix qui te fixe dans le blanc des yeux, c’est d’une extravagance sonique qui dépasse les bornes. Alabama boom ! Ils font une autre flambée d’Alabama boomingale avec «Flags», c’est extrême, à se taper la tête dans le mur, tu ne peux pas échapper aux fous de Birmingham, Alabama. Oh mais ce n’est pas fini, tu as plein de choses encore sur cet album béni des dieux comme ce «The Kudzu & The Concrete» vite brûlant, viscéral, immanent, doté d’un power dont on n’a pas idée et d’un final apocalyptique, ça balaye même les Black Crowes d’un revers de main, alors t’as qu’à voir. Toutes les guitares sont de sortie sur «The Weeds Downtown», toutes les guitares dont on rêve, c’est une sorte de summum du paradis rock, foocking great dirait Mark E Smith, explosif dirait le grand Jules Bonnot. On reste dans la violence alabamienne avec «What’s Good & Gone», encore une fois bien claqué, plein de son, extrêmement chanté, au-delà du commun des mortels. Si ces mecs n’étaient pas basés en Alabama, on les prendrait pour des Vikings, à cause de leur power surnaturel, poignet d’acier, rock it hard, mais avec l’aplomb d’une hache de combat. Ils développent un genre nouveau qu’on va qualifier d’outta outing, si tu veux bien. Même leur morceau titre est ravagé par des fièvres de délinquance, une délinquance de la pire espèce, celle qui rampe sous la moquette pourrie de ton salon. On savait que Tim Kerr était un génie de l’humanité, alors on peut rajouter le nom de Lee Bains dans la liste. Il est là pour te casser la baraque, son «Burnpiles Swimming Holes» t’envoie rôtir en enfer sur fond de Diddley swagger, c’est à la fois violent et beau, Lee Bains multiplie les exploits. On s’effare encore de «Mississippi Bottom Land» et de l’excellence de sa présence, de l’indécence de sa pertinence, fuck, ces mecs ramènent tellement de son que ça gonfle le moral de l’avenir du rock à block. Grâce à Lee Bains dis donc, l’avenir du rock navigue au grand large et respire à pleins poumons.

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    D’album en album, Lee Bains monte dans la hiérarchie des héros. Les hits qui grouillent dans Youth Detention sont d’une rare intensité, notamment «Crooked Letters» qui flirte avec le génie pur. Cet album est une aventure extraordinaire et «Crooked Letters» en est le couronnement. C’est très heavy, très capiteux, joué aux arpèges délétères, les pires de tous. Là, tu prends des coups dans le ventre, avec ce cut, on atteint à l’impavidité des choses, ça vire à l’apocalypse, «Crooked Letters» prend feu au downtown, on n’avait encore jamais vu un cut prendre feu et l’all the crooked letters explose dans le ciel. Ce démon de Lee Bains revient rôder dans les vapes de son art et ça explose encore une fois, mais pour de vrai. Bains dis donc ! Ce mec sent bon la folie et le cramé de l’apocalypse. Retenez-bien son nom : Lee Bains. Le «Save My Life» qui referme la marche de l’album se présente comme un petit country rock malveillant qui ne rêve que d’une chose : casser la baraque, alors il faut le laisser faire. C’est un genre nouveau. Lee Bains est bien plus puissant que les Stones ne l’ont jamais été. Save my life font les chœurs, les mecs sont dans la démesure - Tell me it’s only rock’n’roll/ Save my life ! - Stupéfiant ! Ils démarrent l’album avec un «Breakin’ Down» fracassé d’avance. Ça prend feu au moindre retour de manivelle. Ils sont en permanence au bord de l’orgasme, ils sont bien plus forts que le Roquefort, t’as pas idée. Ça grouille de son, comme la paillasse d’un bagnard grouille de poux. Lee Bains sonne comme un délinquant. Avec «Street Disorder», il passe sans crier gare au trash-punk. Ils ont tellement de son que c’est est indécent. Et pas une seule photo du groupe dans le booklet ! Ils n’aiment pas qu’on les prenne en photo. Ce ne sont pas les Clash ! Ils sucrent leur folie - Oh sister/ Can you shout it out ? - Lee Bains est complètement fou - Oh Brother/ Can you write it out ? - Leur trash punk est d’une extrême violence, fini le country rock pépère du premier album, ils préfèrent aller exploser dans le ciel d’Alabama. Lee Bains est un wild screamer, qu’on se le dise. «Black & White Boys» est tout de suite embarqué en enfer, avec un beat solide, un tambourin et des accords en acier fondu. Fusion de rêve, c’est de la mad psyché coulée au creuset, le guitariste est un dangereux alchimiste, les Glory Fires sont plein d’aventures, d’esprit et de tambourins. Avec «Underneath The Sheets Of White Noise», ils fabriquent une machine de Jules Verne activée aux éclats psychédéliques. Ils ramènent du son à tous les coins de rue. Un cut comme «I Heard God», même très pop, s’en sortira car bien élevé par ses parents. Lee Bains a du power plein la culotte. Il tord sa serpillière au dessus du micro jusqu’à la dernière goutte de son. Back to the extrême violence avec «I Can Change». Les attaques de riffing ne pardonnent pas. C’est puissant et plein de mauvaises intentions, mais quelles épaules ! Lee Bains navigue au wouahhh de can’t change. Ils font là un trash-punk extrêmement émérite. On l’a dit, mais on le redit, l’album est très haut en couleurs, avec ses 17 titres, c’est en plus bardé de contenu, Lee Bains n’en finit plus de raconter des tas d’histoires, tout explose dans les refrains et il faut souvent se faire aider par le booklet car il a une fâcheuse tendance à avaler les syllabes et donc on rate des mots. Après t’es baisé, car il y a du débit. Le Yah d’ouverture en dit long que «Trying To Ride». Ces cul terreux d’Alabama sont les nouveaux barbares moderne. Les départs en solo sont atroces et le final demented en dit long sur leur état de santé mental. Quelle bande de cinglés fabuleux !

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    Petite déception avec leur dernier album paru en 2019, Live At The Nick. Comme d’autres grands groupes énergétique d’Alabama (on pense bien sûr aux Dexateens), les Bains s’épuisent et peinent à recharger leurs batteries. Ça démarre pourtant avec une beau «Sweet Disorder», bien énervé, avec un refrain d’envol garanti. On sent clairement l’envie d’en découdre à plates coutures. Sur toute l’A, ils restent sur un son à la Drive-By Truckers, sans surprise. En B, on retrouve le fameux «We Dare Defend Our Rights», ces mecs haranguent bien le rock, ils ne font pas dans la dentelle de Calais. Il y a ce mec derrière, Eric Wallace qui amène énormément d’eau au moulin d’Alphonse Bains, c’est un vrai puits d’hooks et de licks, il ne vit que pour l’exaction guitaristique. Il profite de toutes les occasions pour se glisser dans la brèche. Avec «I Can Change», ils trempent dans la stoogerie, le Southern power télescope des forges de Detroit et cette belle aventure s’achève avec «Good Old Boy». Lee Bains est dans le discours. Il défend les born black, les born in Mexico, les born queer, il les défend tous, les Good old boys.

    Signé : Cazengler, dans le Bains jusqu’au cou

    Lee Bains III & The Glory Fires. There Is A Bomb In Gilead. Alive Records 2012

    Lee Bains III & The Glory Fires. Dereconstructed. Sub Pop 2014

    Lee Bains III & The Glory Fires. Youth Detention. Don Giovani Records 2017

    Lee Bains III & The Glory Fires. Live At The Nick. Don Giovani Records 2019

     

    Inside the goldmine

    Jeanette est une bête

    On n’en pouvait plus de la traîner partout avec nous. Dans les pirogues, dans les hayons à travers la jungle, dans les villages indiens, elle n’était pas méchante, c’est vrai. Elle se contentait de suivre le mouvement, elle goûtait à tous les plats et se mêlait toujours de ce qui ne la regardait pas. On ne comprenait d’ailleurs pas qu’elle ait pu enseigner à une époque de sa vie, en plus dans le circuit expérimental des écoles Freinet. Elle était toujours la première levée, à préparer le bivouac et à demander bêtement si on avait bien dormi, si on avait bien fait caca et si on voulait du thé alors qu’il n’y avait rien d’autre à boire. Comme elle était la grande sœur de mon âme sœur, elle tapait systématiquement l’incruste, quelle que fut la destination choisie dans le monde. On pensait que ce trip en forêt amazonienne allait l’effrayer, pas du tout, elle fut même la première à faire ses vaccins et à s’équiper d’une machette en arrivant à Cayenne. Contrairement à toutes les gonzesses, elle n’avait ni peur des serpents ni des mygales, elle leur courait après, même si on lui expliquait que ça ne servait à rien de les tuer. On rêvait de voir un caïman la choper pour nous débarrasser d’elle. Oui, c’était à ce point. Tous ceux qui ont subi l’épreuve des sangsues savent de quoi il en retourne. On donnerait n’importe quoi pour se débarrasser d’une sangsue. Et puis un soir, la providence s’en mêla. Nous traînions dans le ghetto brésilien, vers le fleuve, et décidâmes d’entrer dans le moins mal famé des bouges, histoire de goûter à l’exotisme local. Un vieil homme édenté coiffé d’un chapeau de paille complètement démantibulé nous accueillit, avec un sourire étrange. La peau de son visage parcheminé était couverte de tatouages, comme d’ailleurs ses bras. Il portait un marcel immonde. Il posa sur le bar branlant une bouteille de rhum blanc sans étiquette et une bouteille de sucre de canne. Il nous expliqua dans un mauvais français qu’on payait ce qu’on buvait. Nous nous servîmes de grands verres. Nous trinquâmes à la santé de Rackham et le temps s’arrêta brusquement. Nous étions tous les quatre paralysés du bulbe. Impossible de bouger. Impossible de prononcer le moindre mot. Il fallut attendre. Nous retrouvâmes nos esprits petit à petit, mais pas Jeanette qui depuis lors est restée muette. De ne plus l’entendre parler pour ne rien dire fut une délivrance.

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    Il existe une autre Jeanette qui n’a Dieu merci rien à voir avec la sangsue. Elle s’appelle Jeanette Jones et en 2016, Kent Soul qui est une filiale d’Ace proposait une petite compile intitulée Dreams All Come True. Dans ces cas là, on ne perd pas son temps à peser le pour et le contre, on court chez son disquaire, comme le disait si justement Paul Alessandrini en 1969 dans R&F. Comme on est sur Kent, c’est Alec Palao qui s’y colle et qui raconte comment Jeanette est allée en 1967 chanter dans un petit studio de San Francisco. Boom ! Ça démarre avec «Cut Loose», c’est-à-dire du Aretha à la puissance mille avec du heavy sound derrière et des chœurs de femmes sournoises, aw my gawd, c’est arrangé par H.B. Barnum, quelle rythmique, ils jouent à la sourde du power supremo, alors t’as qu’à voir !

    Comme Jeanette vient du gospel, elle fait forcément autorité. Elle chante le raw r’n’b d’«I’m Glad I Got Over You» avec la maturité d’une vieille jazzeuse, hey hey hey, elle se situe nettement au dessus de la mêlée, elle bénéficie du même instinct de chef de meute qu’Aretha, Jeanette est une louve, avec encore quelque chose de plus ferme dans le ton, c’est indéfinissable, on appelle ça un grain. Même puissance qu’Aretha mais grain différent : jouissif pour Aretha, bleu comme l’acier de Damas pour Jeanette. Mais au final, on a le même résultat : des frissons. Elle tape ensuite son «Jealous Moon» à la puissance seigneuriale, elle ne craint ni Dieu ni le diable, elle chante à pleine gorge et sa puissance nous réjouit, car franchement, elle dégage bien l’horizon. Et le son, derrière, quelle merveille, tout est fabuleusement dense, la rythmique, les chœurs et les cuivres, ça foisonne dans l’excellence d’une jungle, celle du Douanier Rousseau, bien entendu. Elle part à Broadway avec le morceau titre. Mais elle en a largement les moyens. Elle sait donner de la voix, pas de problème Jeanette, vas-y, ma poule, on est avec toi. C’est toujours un grand moment que de se retrouver juste derrière une chanteuse exceptionnelle. You clap your hands and you stomp your feet.

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    Bon la B est un tout petit peu moins dense, mais on ne va pas commencer à cracher dans la soupe. Jeanette a toujours été claire, elle ne souhaitait pas faire carrière, juste quelques singles parce que Leo Kulka insistait lourdement, lui disant qu’elle chantait bien. D’ailleurs Palao dit qu’elle était an enigma, c’est-à-dire une énigme. Elle ne voulait chanter que pour the Lord, pas question de chanter du secular material. Ça foutait Leo en pétard :

    — But Jeanette, you are the beast !

    Elle tente de nouveau le diable avec «Beat Someone Else’s Heart», cut de fantastique allure, puis elle attaque fermement son «Quittin’ The Blues». Elle irradie sa Soul avec un aplomb sidérant. Et puis, il y a aussi cette compo signée Goffin/Gold, «You’d Be Good For Me», gros popotin de San Francisco, mais rien n’y fait, Jeanette ne percera pas. Quand cinquante plus tard, Kulka en parle à Palao, il s’en lamente encore - He had been unable to make her more successful - Merci à Ace d’avoir racheté le catalogue Golden State Recorders.

    Signé : Cazengler, Jaunâtre Jones

    Jeanette Jones. Dreams All Come True. Kent Soul 2016

     

    P.O.G.O A GOGO

     

    NORMANDIE AND FIVE OTHER SONGS

    DISCORDENSE

    ( P.O.G.O Records 158 / 28 – 11 – 2021 )

     

    Bien sûr que la discorde doit être dense si l'on ne veut pas qu'elle ressemble à une querelle de bambins en cours de récréation toutefois en regardant la pochette du premier opus du groupe dont les deux titres se retrouvent remixés sur cet EP, une nouvelle étymologie s'impose. En effet elle représente six vues de la danseuse Isadora Duncan, prises par Eadwear Muybridge. Discordense ou discordance, est-il obligatoire de choisir. Si le mot discordance contient le mot ( anglais ) dance, il est aussi un terme qui évoque la dysharmonie musicale, et un terme psychiatrique associé à la notion de schizophrénie... Tout cela nous amène à penser que la musique de Discordense risque de ne pas être un long fleuve tranquille. Quant à Isadora Duncan n'a-t-elle pas révolutionné le ballet académique du dix-neuvième siècle en profilant les bases de la danse contemporaine. A l'ouïe de cette rondelle sonore les tympans délicats risquent de répondre non !

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    Normandie : pont de fer en couverture, modèle de ceux que construisirent les américains pour assurer l'avancée des troupes alliées lors du débarquement sur les côtes normandes... frotti-frotta caractéristique du brouillage par les allemands des émissions de radio diffusées depuis l'Angleterre, le motif reviendra tout au long du morceau, ensuite nous nous attendons à des bombardements et des éclats d'obus, mais non ce qui se met en place c'est l'imperturbabilité de la guerre qui s'approche, un trot de batterie toute sample que rien n'arrêtera, et une voix sans emphase qui énonce la peur des enfants terrorisés, pas de panique, pas de progression extraordinaire, juste une montée en impuissance de l'inéluctable catastrophe qui s'avance dans le ciel et à laquelle personne n'échappera. Glacial. F. W. C. : serait-ce une chanson d'amour puisque ces trois initiales correspondent à Female Water-Closet, à chacun ses illusions, toujours est-il que le rythme est plus allègre que le précédent, ira tout de même en s'accélérant, tout en vous laissant dans l'expectative, même si vous comprenez qu'en ce bas-monde le pire est toujours certain, pour bien vous l'enfoncer dans le crâne, sont trois au vocal, toute menace est d'autant plus forte qu'elle est insidieusement inévitable. I bought a gun : sempiternelle drum machine qui a pris le pouvoir, une intro type western ( ce n'est pas non plus Ennio Morricone ) disons que l'impression est plus expressive, le gars s'est acheté un gun il est prêt à s'en servir, à tirer dans le tas pour en finir avec ce monde d'esclaves agenouillés, une bande-son idéale pour le massacre de Colombine, ne plus passer le pont, passer à l'acte. Froid dans le dos. Cervelle givrée. Provide you : bruit de téléphone qui ne capte que l'émission tonalitaire de sa propre présence et vous vous demandez qui est à l'autre bout du fil, un bon gratté de basse pour vous réveiller, n'accusez pas la machine, c'est vous qui ne captez pas que le système vous cause à tous moments et que vous ne comprenez pas que big brother c'est vous qui ne vous interrogez jamais sur votre vie de consommateur asservi, yes vous êtes insensible à ces images d'horreur du monde dans lequel vous habitez, que vous zieutez sur vos écrans sans vous révolter, une espèce de grandiloquence lyrique dans ce morceau qui transcende le froid horrifique de la drum machine. Ventoline : confusion, un nuage sonore de gouttelettes d'un spray vous embrume le cerveau, une femme parle sa voix englobée dans un épais brouillard, z'êtes comme sous l'eau, vous ne recevez plus aucun message, l'incommunicabilité des êtres avec les autres et soi-même semble être un des leitmotives de Discordense, la musique de plus en plus violente écrase tout, rien ne vous sauvera de votre malaise généralisé, pas même le rock 'n' roll posé sur votre âme comme une enclume sur votre volonté de vivre. Les dernières secondes du morceau n'arrangent en rien la situation, le titre se termine comme il commencé. Mal. Headache : un cran au-dessus, une batteuse qui vous hache menu, arrêt brutal, vocal en évidence péremptoire et sans appel, paranoïa justifiée à tous les étages, coupé régulièrement par des averses mécaniques de haine envers soi-même, titre de manipulation mentale ou d'auto-manipulation maladive, ce n'est pas plus de votre faute que la souris blanche de laboratoire à qui l'on injecte le sida du chat, ce monde est sans pitié. Gondolations musicales, parfois l'orchestration est comme un pansement sur une jambe de bois bouffée par les termites, le vocal s'est tu, l'a compris qu'il peut ajouter tout ce qu'il veut mais que ça ne changera rien à l'affaire.

    Fortement déconseillé à ceux qui souffrent de tendances suicidaires. L'univers de Discordense n'incite pas à la résilience, l'est froid comme le cadavre de votre futur dans le cercueil que vous transportez sur votre dos. Quand j'ai vu que l'album ne comportait que cinq titres, j'ai tiqué, après écoute je leur donne raison, il est des médicaments dont il ne faut pas dépasser la dose prescrite. Quoique à la réflexion, abondance de biens ne nuit pas. Faites comme moi, surmontez l'épreuve, ce qui ne vous tue pas vous force à vivre les yeux fixés sur le néant de notre modernité... Position peu positive.

    Damie Chad.

    *

    Les romains disaient que deux augures ne pouvaient se regarder sans rire, surtout quand ils vérifiaient si les vols de corbeaux survenaient sur votre gauche ou sur votre droite. Plus tard, en 1946, les américains ont inventé Heckle et Jeckle deux pies bavardes stars d'un dessin animé, lorsque dans les années 80, il a fallu adapter la série pour les z'enfants sages de notre douce France, les pies sont devenues des corbeaux et ont été baptisées Heckel & Jeckel, première transmutation transgenre à laquelle à l'époque personne n'a prêté attention. Existerait-il une cause à effet, toujours est-il que quelques décennies plus tard sont apparus deux étranges volatiles dans le monde du rock, deux individus d'un type nouveau, à têtes de corbeaux, est-ce le glyphosate, le covid 19, ou le changement climatique, l'on ne sait pas, mais très vite l'on s'est aperçu que ces bestioles ébouriffantes se sont révélées particulièrement bruyantes... pour la plus grande joie des rockers. Comme par hasard P.O.G.O Records a installé un nichoir sur son balcon, depuis le mois d'août 2018, ils ont pondu dix œufs tout rond. Nous vous convions à gober les trois derniers, tout frais, tout tièdes...

    THIS WAR

    HECKELL & JECKEL

    ( P.O.G.O Records 153 / 30 – 12 – 2020 )

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    Sont dans l'expectative. Non, sur la carcasse rouillée d'un char. L'un n'empêche pas l'autre. La guerre pose-t-elle davantage de questions qu'elle n'en résout. Nos deux corbeaux seraient-ils de dangereux philosophes pacifistes. Si Bakounine ( le camarade vitamine ) a déclaré que : La passion de la destruction est en même temps une passion constructive, nos bessons corbacs n'ont pas l'air convaincus, restent dubitatifs devant les dommages collatéraux de cette noble pensée. L'on comprend leur perplexité, qu'on l'accepte ou qu'on le jette à terre notre monde est-il destiné à finir par une catastrophe. Le lecteur notera l'ambiguïté du titre, ce n'est pas la guerre en général ( notez que la guerre est souvent menée par des généraux ) mais cette guerre, serions-nous donc en guerre, contre qui ? Contre quoi. Je ne ne vois qu'une seule réponse. Contre nous.

    This is war : soyez modernes, ne vous contentez pas d'écouter avec vos oreilles, prenez-en plein les yeux avec l'Official Vidéo sur YT. L'on retrouve la scène de la couve, nos deux corvidés dans leur tank en mauvais état. Une jeune femme qui vous regarde bizarrement. Paraît un peu folle, remarquez qu'avec les sifflements qui lui vrillent les esgourdes, il y a de quoi, des espèces d'électro-chocs, petite rythmique binaire pas méchante pour un quart de caramel, trop fort pour elle, elle décolle d'elle-même n'est plus qu'un ectoplasme qui danse devant des images. Musique de plus en plus violente, se prend la tête entre les mains, notre ballerine tournoie sans fin sur le centre de gravité de son corps, chance extraordinaire derrière elle notre président bien-aimé dans son bureau élyséen nous prévient que nous sommes en guerre, et sur les images suivantes l'on se retrouve dans un camp de migrants avec toute la misère du monde qui leur colle aux basques, tout va très bien madame la Marquise, les chefs d'Etats réunis pour la photo de famille nous font un petit signe de la main, c'est sympathique, la musique l'est beaucoup moins, de plus en plus forte, ils ouvrent leur grand bec et coassent en traînant sur les syllabes, c'est là que l'on se rend compte que ce n'est pas l'adagio d'Albinoni, les images deviennent plus réjouissantes, nous voici à Paris ville lumière, pas de tour Eiffel mais ses CRS qui chargent, ses valeureux black blocs qui contre-chargent, cela nous rappelle de joyeux souvenirs de manifestations, des voitures flambent et les banques suppôts du Kapital passent de mauvais quart-d'heures, drapeaux noirs et cocktails molotovs, notre danseuse s'hystérise elle hurle, l'on n'entend rien, le ramage des corbeaux s'amplifie, la voici maintenant qui s'agite au bas d'un monstrueux radar chargé de défendre l'Occident, changement de climat, retour de la petite brise binaire, l'est drapée dans une robe blanche virginale, ce n'est qu'un rêve, trente secondes de répit dans la fureur du monde. L'enfer sonore et les scènes d'émeute reprennent. Retour à la case départ en chair et en os devant la carcasse du blindé. Notre égérie se voile de sa chevelure le visage , Heckel et Jecckel se postent à ses côtés en signe d'assentiment. Noir total l'on ne voit plus que les mains blanches de notre danseuse au-dessus des volcans. Scratchs de fin... Stoner lobotomi + Waterglass : redémarrent à fond les bruissements, essayez d'amplifier les reptations d'un anaconda de douze mètres de long qui force le passage du tout à l'égout vers le conduit de votre baignoire, maintenant ils tapent comme des sourds pour vous entailler l'occiput, un, deux, trois, quatre c'est parti pour l'opération de décervelage, ils y vont, marchent à la baguette, chantent a capella tous en chœur, respectent la parité sexe fort-sexe faible, pardon monsieur-madame, corbeau-corbelle pour respecter la couleur locale, ils sont prêts on ne sait pas à quoi, mais ils le sont, jouent à reprise-reprise vocale, au ping-pong total, s 'amusent un peu à chat africain, ça s'appelle un tigre, illico la musique rugit et abat méthodiquement les herbes hautes de la savane, rajoutent une couche au millefeuille sonore, stop remplissent goutte à goutte le verre à moitié plein, à moins que ce ne soi celui à moitié vide, un zozial traverse le studio, un gros caïman s'avance en rampant, le suspense est à son comble, au bruit qu'ils font on se dit que l'enfer de la jungle ressemble à celui de la ville, question subsidiaire quel est le plus inquiétant, pas de réponse si ce n'est des grincements inopportuns remplacés par un doux frôlement de cymbales qui prélude à un paysage ensoleillé, profitez-en pour vous délasser la machine est rebranchée et le morceau se termine. : ce n'est rien, enfin presque des bruits bizarres suivis d'une belle progression harmonique, la tension monte, ce bruit lourd serait-il le pas pesant d'un éléphant, la musique s'amuse à l'harmonie imitative, re-cliquettement de cymbale, z'adorent ce gimmick, z'introduisent de belles sonorités parfaites pour vous mettre à l'aise, attention de grandes claques froufroutantes vous smackent des bisous sur les joues, le rouleau compresseur terminal aplatit le tout. Don't be afraid of it : n'ayez pas peur le genre d'interjections qui vous foutent mal à l'aise, jeu de vocal de cornichons, ensuite y plongent le fer à repasser dedans, jouent à un jeu de patience, le premier qui rira ira s'encastrer sous dix tonnes de ferraille. Terminé, les survivants descendent. Pas de pitié pour les éclopés. So many things on my mind : le pire c'est que parfois il y a trop d'esprit dans les choses, z'ont beau les corbeaux les tordre pour leur couper le cou sous des coups de tambour, on les entend se révolter et crier, alors ils les couvrent de leur mélodie, au milieu vous croyez entendre un disque des Beatles, hop ils se dépêchent d'allumer le mixeur à œufs durs avec coquille de granit pour que vous ne vous en aperceviez pas, bruit de train de marchandise emmené sur une voie de garage. Welcome in Crow-Crasti-Nation : ah ! Ah ! Un texte politique, la nation des Corbeaux est en état de procrastination avancée, ça ronronne dur, un long moment, la nation semble avoir du mal à se former, c'est parti ! Le train du futur est en route, il s'ébranlent doucement et sûrement, hélas il s'éloigne encore dans l'avenir et les voyageurs se penchent aux fenêtres pour vous donner rendez-vous à plus tard. We wish you a merry nothing : les promesses n'engagent que ceux qui y croient, ici elles vous piétinent de leurs brodequins de fer, c'est le rock 'n'roll godillot qui tressaute sur vos viscères étalées sur le sol, vous avez une grosse caisse qui n'arrête pas d'interrompre la tuerie pour qu'elle reprenne en plus sanglante. Rock'n'roll destroy. Heart cries, the person cries: vous avez eu le rock, voici le blues noise, c'est lourd comme du thon en boîte, z'accumulent les bottes d'arpèges tapageuses pour vous faire ressentir le poids du chagrin, de la coulure de larmes dans les tubulures, enfin c'est le grand jeu, le déchirement du larynx et la musique catafalque des peines perdues. Too fool you die : pas de répit pas de halte-pipi, le blues débouche dans le rock comme le Mississippi dans le Delta, sur ces trois derniers titres les Corbeaux s'envolent pour la patrie lointaine du old and good rock 'n' roll.

    L'ensemble manque un peu d'unité. Un bel album mais il manque le concept dirait Hegel.

    ETA BESTEAK

    HECKEL & JECKEL

    ( P.O.G.O Records 159 / 04 – 09 – 2021 )

    Tiens dans leur magma sonore maintenant ils criaillent en kobaïen, non d'un cheval-jupon, c'est du basque, ne sont pas originaires des Landes pour rien, ne confondez pas état et ETA et cétéra...

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    Surtout ne vous fiez pas à la couve. Vous ne comprendriez pas. C'est le petit frère qui leur a ramené tout fier un gribouillage du CP penserez-vous, tout attendri vous hausserez les épaules en souriant. Déjà vous avez dû vous procurez une méthode Assimil et maintenant Bandcamp vous signale une vidéo sur YT, n'hésitez pas Bandcamp vous ment, effrontément, une vidéo, vous voulez rire, un chef-d'œuvre. Pas de crainte les trois titres y sont dessus.

    La vidéo de This is war chroniquée ci-dessus est sympathique. Mais avec cet opus intitulé Sarbalakio c'est toute autre chose. This is war ce sont des images pertinentes avec une idée de mise en scène efficace. En gros ce n'est que la reproduction de notre réalité sociale, ici c'est du cinéma. Je n'ai pas dit un blockbuster. Pour me faire mieux entendre, j'utiliserai l'expression l'art cinématographique. Tout simple un groupe qui joue trois morceaux. Ce n'est pas le plus original. Je crois que YT vous en propose un lot de dix-huit millions. Faut qu'il y ait un rapport de congruence formelle entre la chose qui est filmée et la manière dont elle est filmée. Pour être plus précis entre la chose filmée et la manière dont elle apparaît sur le support technique qui lui permet d'être vue, pour faire simple entre la chose et son image, cette dernière n'est pas un reflet – sans quoi elle n'offre qu'un intérêt documentaire – mais une re-création à part entière de l'apparence de la chose.

    Sarbalakio est prodigieux, s'est imposé à moi la vision de Nosferatu le vampire de Murnau. Laissez tomber l'attirail et le pittoresque vampiriques du magicien Murnau, contentez-vous de l'épure esthétique qui relie le blanc et noir de la pellicule à la noirceur du sujet révélé par l'incandescence de la blancheur matricielle qui renforce l'opacité des formes sombres qui se détachent sur l'écran, c'est à cette condensation pratiquement alphabétique entre le fond musical et sa forme imagée qu'est parvenu le réalisateur ( inconnu ) de cette vidéo.

    Que voyons-nous ? D'abord une musique ce qui tombe bien puisqu'il s'agit d'un clip musical, ce qui ne signifie pas que la musique débute avant l'image, mais que c'est la musique qui vous conduit à l'image. Car au début vous avez du mal à visualiser, ça bouge dans tous les sens, d'abord le chanteur, ensuite l'image qui n'est pas immobile, ce n'est pas que celui qui tient la caméra est victime de la maladie de Parkinson, c'est que l'image est assaillie par des effets d'image, un peu comme si le support de l'image était une gélatine mouvante obligée de reproduire la fixité du réel par un dessin incapable de rester immobile.

    Lorsque votre œil – non vous n'êtes pas borgne, j'évoque le troisième, intérieur – a établi la focale nécessaire à sa vision, vous discernez la face cérusée du chanteur, clown ou cadavre ambulant, qui agglutine et détache les mots d'une langue barbare, sur sa droite un bassiste, sur la gauche un batteur. Je vous le dis, vous faudra du temps pour reconstituer, surtout les détails, qui est Jeckel, qui est Heckel, qui est le troisième personnage, cela n'a que peu d'importance, sont-ils dans un champ, dans un wagon de chemin de fer, changent-ils de lieu, débrouillez-vous dans le torrent d'images qui déboulent sur vous. Faites l'expérience, écoutez d'abord les trois morceaux sur Bandcamp, ensuite la vidéo, c'est là que vous vous apercevrez comment l'image multiplie la force des trois morceaux. Usteak ( Croyances ), Salto, Asto putza ( Puanteur d'âne ) en sont transformés et grandis.

    Sarbalakio est bien plus rock 'n' roll que bien des morceaux dument estampillés classic rock par des générations d'amateurs. Un artefact bougrement rock 'n' roll, dans trente mille ans, lorsque notre espèce aura disparu, les visiteurs d'une autre planète en concluront que cet objet sonore irradiant aura été la cause de notre extinction.

    HECKEL & JECKEL

    ABIDE

    ( P.O.G.O Records 157 / 02 – 11– 2021 )

    Pochette grise un peu tristounette, genre crayonné à toute vitesse. Pure Stoner Metal, est-il précisé, à lire comme le Abandonne tout espoir toi qui entres ici qui d'après Dante est gravé sur la porte de l'enfer...

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    Poor sad boy : l'est tristounet le garçon, on sait pourquoi, après Eta Besteak, ce coup-ci c'est sans surprise, à part cette plainte de chiot ( sans doute un teckel ) à qui l'on a marché sur la patte au tout début, l'on se retrouve en pays connu Heckel fait du Jeckel et Jeckel du Heckel, la mayonnaise ne prend pas, enfin si mais elle n'apporte rien de neuf, l'on attend vainement du nouveau, l'on adopte la posture de Baudelaire à la fin des Fleurs du mal, mais là rien du tout, pas un cactus avalé de travers qui vous irrite les amygdales, ce n'est pas mauvais en soi mais ce n'est pas bon pour l'extérieur, manque l'excitation, l'on devient difficile, nous ont trop habitués à mieux. Trop conforme. Alice : je ne sais si les filles sauveront le monde mais Alice est bien plus attrayante que le pauvre petit garçon triste, dès les premiers appels l'on a envie de savoir la suite, dans quelle merveilleuse - voire déplorable – aventure elle va nous entraîner, font durer le plaisir avec ce rythme qui claudique, on la prend en filature car l'on ne veut rien rater, et ça ne rate pas, le rythme s'accélère des cris perçants, un brouillard englobe le tout, deuxième acte, l'on recommence la voix féminine qui prénomme Alice et la masculine qui passe par bien des émotions, et en voiture Simone, pardon Alice, et l'on fonce on ne sait où, acte trois, la situation s'aggrave, que se passe-t-il, zut ça s'arrête au moment où ça devenait intéressant. Vous laissent sur votre faim. De loup. Fuck you : un peu de guitare n'a jamais tué personne, alors la batterie cogne à mort, c'est fou comme ça fait du bien de s'insulter et de se traiter, les kel-kel ne se font pas de cadeau, agoniser le premier quidam qui passe d'injures est un plaisir simple à la portée de l'humanité la plus frustre ou la plus civilisée, se défoncent à mort, ouvrent les vannes en grand, libèrent leur énergie, pas très poli, un peu hystéro, mais l'on sent qu'ils se défoulent comme des brutes, ne vous inquiétez pas, la jouissance les inonde. A dream : démarrent en fanfare, des blocs de béton se détachent du plafond, le rêve virerait-il au cauchemar, ont beau vocaliser en baissant d'un demi-ton, d'une demie-tonne, l'ensemble reste sulfureux, quelques instants de quasi-silence, c'est pour mieux vous faire ressentir l'avalanche qui suit. Des flocons de neige gros comme des armoires normandes vous concassent les oreilles. Pas de trêve, ni de grève dans les rêves, Heckel & Jeckel s'en sortent tels quels sans séquelle. Nous aussi !

    Damie Chad.

     

    MY SWEET GEORGE

    MARIE DESJARDINS

    ( Le MagProfession Spectacle / 30 – 11 – 2021 )

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    La rencontre avec un artiste appelé à devenir partie de votre substantifique moelle est chose courante dans le monde du rock. Ainsi Marie Desjardins évoque la personnalité de George Harrison. Elle est la première à reconnaître que dans un article relativement court elle ne peut esquisser qu'un rapide portrait du plus discret des Beatles. Des centaines de livres retracent le parcours des quatre garçons, elle ne saurait rapporter une information inédite et décisive sur les Scarabées. D'ailleurs parle-t-elle vraiment de George Harrison. Non, pas du tout. Elle laisse cela aux historiens et aux musicologues.

    Elle raconte une chose beaucoup plus secrète, beaucoup plus intime, qui n'appartient qu'à elle, de sa rencontre avec George Harrison, non pas de chair et d'os, qui ne serait que le récit d'une superficielle anecdote, mais du lien particulier qu'elle a tissé avec l'artiste. Le mot est galvaudé, il serait facile de la traiter avec condescendance de fan. Une foucade d'adolescence sans avenir. Un engouement passager qui ne durera pas.

    J'en ai connu qui ne juraient que par leur collection de disques que six ou sept années plus tard ils se dépêchèrent de liquider sur la première brocante de leur quartier. Ce ne sont pas des fans, ils se contentent de suivre la mode, les modes, l'air du temps...

    Il est des liens passionnels indéfectibles. Il ne s'agit point de faire collection d'autographes, mais d'entrer en symbiose avec une personnalité d'artiste imprimée au fer rouge dans vos représentations du monde. Derrière la vedette, chercher l'être humain, comprendre son périple existentiel, déceler les rouages de ses actions, deviner ses motivations, acquérir une fine connaissance de son idiosyncrasie.

    Être lui pour être soi. Ce n'est pas une aventure sans retour. L'idole vous ignore, il ne sait même pas que vous existez, mais la connaissance intuitive de sa personne que vous avez forgée, intellectuellement et pratiquement médiumniquement n'est pas sans effet, elle vous apprend à vous connaître vous-même, à vous construire selon cette attirance, à vous définir selon vos propres aspects qui vous séparent de lui. Le fan accède ainsi à une connaissance qui se peut qualifier de delphique et de poétique. Les chemins des rêves éveillés, s'ils empruntent des sentes obscures, n'en mènent pas moins vers les nœuds d'irradiation des affinités électives goethéennes.

    Marie Desjardins nous trace en quelques paragraphes le portrait intérieur de George Harrison. Il m'a personnellement laissé toujours indifférent. Mais il suffit de lire les lignes qui l'évoquent pour être convaincu que Marie Desjardins vise juste. Ses traits s'enfoncent loin et lézardent le miroir des apparences. En contrepartie – c'est la règle du jeu – elle n'hésite pas à se dévoiler, à conter ses quatorze printemps, elle parle d'elle et entre autres de Sylvie Vartan et de Deep Purple, elle tire les fils, elle les tisse aussi, elle appelle parce qu'elle est appelée...

    Certains diront, tiens un article sur Harrison, ah, oui, voici vingt ans qu'il est mort, ils parcourront à toute vitesse et passeront à une autre futilité, abandonnant une analyse arachnéenne, en dehors de tout cadre psychanalytique ou comportemental. Marie Desjardins possède une plume d'une extraordinaire finesse qui nous révèle comment par les jeux subtils entre Soi, les Autres, et quelques Uns, nous inscrivons nos mythographies personnelles dans notre rapport au monde. Un grand merci à Marie Desjardins.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    UNE TENEBREUSE AFFAIRE

    EPISODE 10

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    BRAIN STORMING

    Les filles avaient réalisé des miracles, elles avaient transformé le béton spartiate de notre abri anti-atomique en appartement cosy et cossu, des tentures multicolores séparaient le dortoir du salon. Une table basse entourée de coussins et de tabourets surchargée de victuailles nous accueillit, durant de longues minutes l'on entendit que les grognements des trois chiens qui s'amusaient à se poursuivre, Rouky nous avait chipé un poulet rôti et narguait Molossito et Molossa, nos deux truands avaient arraché les deux cuisses et ne comptaient pas s'arrêter en si bon chemin... Nous étions rassasiés, le Chef alluma un Coronado.

    _ Mes amis, les évènements se sont précipités et se sont enchaînés ces derniers jours si rapidement qu'il est temps de réfléchir afin d'y voir plus clair. Nous sommes confrontés à une étrange affaire... Pour ma part j'entrevois trois pôles distincts dans cette énigme, d'abord l'intérêt porté par les plus hauts niveaux du pouvoir politique à ce que je nommerais le fantôme de Charlie Watts, deuxièmement les apparitions successives et en plusieurs lieux du territoire national du batteur des Rolling Stones décédé depuis une quinzaine de jours, enfin les deux terribles tueries nocturnes au cours de laquelle est apparue la silhouette de cet ibis rouge derrière notre revenant. Notre travail de ce soir se révèlerait fructueux si nous étions capables de dénouer les imbrications qui relient ces trois points.

    L'introduction du Chef fut suivie d'un long silence, même les chiens arrêtèrent leur jeu et s'assirent auprès de nous la mine grave et soucieuse. Joël prit la parole :

    _ Qu'un gouvernement s'inquiète de l'apparition d'un fantôme ne me semble pas si anormal, nous sommes en période pré-électorale, imaginons que les élections soient éclipsées par les allées et venues de Charlie Watts un peu partout, si les électeurs potentiels ne pensent plus à leur bulletin de vote, la légitimité naturelle du pouvoir en prend un sacré coup... toutefois que l'on ait envoyé le Service Secret du Rock 'n' Roll à Limoges toute affaire cessante est étonnante, avaient-ils peur de quelque chose, ont-ils en leur possession des éléments qu'ils se gardent bien de révéler...

    _ Pourquoi le fantôme est-il celui de Charlie Watts, le coupa Noémie, je me demande si nous ne focalisons pas sur Charlie Watts parce qu'il est célèbre, où qu'il aille il y aura toujours quelqu'un pour le reconnaître, peut-être y a-t-il des dizaines de fantômes anonymes qui se baladent un peu partout mais que personne ne reconnaît car ils prennent soin d'éviter les endroits où ils habitaient...

    _ Une hypothèse pertinente, le Chef alluma un Coronado, permettez-moi d'apporter une lumière, la lueur tremblotante d'une chandelle autour de laquelle les ténèbres s'obscurcissent, vous souvenez-vous de notre réunion juste avant la nuit tragique - les filles frissonnèrent – nous évoquions alors la figure d'Auguste Maquet, selon une des lettres de sa correspondance, nous apprenions que les trois volumes des aventures des fameux mousquetaires de Dumas étaient cryptés, qu'ils racontaient une antique conjuration dite...

    _ de l'ibis rouge ! s'exclamèrent les quatre Limougeois

    _ Exactement, je passe la parole à l'agent Chad, fervent admirateur de la Rome Antique !

    LA CONJURATION DE L'IBIS ROUGE

    Tous les yeux s'étaient fixés sur moi – sauf ceux du Chef qui allumait un Coronado – je m'éclaircis la voix :

    _ Hum ! Hum ! Je tiens à vous prévenir, ce que je vais raconter ne vous apportera que très peu d'éclaircissements. Mais les faits sont indubitables et historiques. Ils remontent aux premières années de l'Empire Romain. Le poëte Ovide...

    _ Il a écrit les Amours !

    _ Parfaitement jeunes filles vous connaissez vos classiques, Ovide a été exilé à l'autre bout de l'Empire, au bord de la Mer Noire, par l'Empereur Auguste...

    _ Comme Auguste Maquet !

    _ Damoiselles, ne m'interrompez point toute les trois secondes, donc Ovide envoyé jusqu'à sa mort dans la ville de Tomes...

    _ Qu'avait-il fait ?

    _ L'on ne sait pas. Certains historiens affirment qu'il avait eu une relation avec Julie la fille de l'Empereur...

    _ L'était un peu vieux jeu le paternel, aujourd'hui les filles...

    _ D'autres historiens pensent à une affaire beaucoup plus grave, Ovide était un familier de Julie or Julie aurait manigancé une conjuration pour renverser son père...

    _ Mais Ovide qu'a-t-il dit pour se défendre !

    _ Il a expliqué qu'il avait vu quelque chose qu'il n'aurait pas dû voir, nous n'en savons pas plus.

    _ Bref on ne sait rien !

    _ Ne soyez pas impatientes. Pour tromper son ennui il a continué à écrire de la poésie, notamment un poème de quelques pages intitulé L'Ibis...

      • L'Ibis enfin ! Il raconte quoi !

      • Pas grand chose, qu'un de ses amis qu'il surnomme l'Ibis l'a trahi en ne tenant pas ses promesses...

      • C'était qui au juste ?

      • L'on ne sait pas, les historiens ont essayé de retrouver par divers recoupements son identité, tout au plus certains émettent l'hypothèse que cet ami surnommé l'Ibis serait Auguste que notre poëte ne pouvait se permettre d'accabler de tous les maux publiquement...

      • Mais il dit que c'est un ibis rouge !

      • Pas du tout.

      • Et alors ?

      • C'est tout.

      • Quel rapport avec Charlie Watts ?

    Les filles étaient déçues, le Chef vint à ma rescousse :

    _ Tout ce que l'Agent Chad a rapporté est historique, ce qui suit l'est beaucoup moins, enfin pas du tout, c'est une légende qui s'est transmise oralement durant des siècles, aucun livre n'en parle directement, tout au plus de vagues allusions, des fins de phrases elliptiques à quadruple voire sextuple sens, se contredisant entre elles... selon certains érudits, il y aurait depuis des siècles une société secrète qui aurait pris en l'honneur d'Ovide le nom d'Ibis, les buts de cette organisation sont inconnus, l'on a pris l'habitude de la nommer la conjuration de l'Ibis Rouge, que fait-elle, que veut-elle, personne n'en sait rien !

    _ Mais Chef, comment avez-vous établi le rapport avec les apparitions de Charlie Watts...

    La question de Joël fut brusquement interrompue par les aboiements de Rouky, lorsqu'il se tut, l'on entendit très distinctement les coups répétés sur la porte blindée de l'abri. Molossa et Molossito l'air penaud se glissèrent sans plus tarder sous le plus gros des coussins que les filles avaient emmenés.

    _ Vous vouliez une réponse, murmura le Chef, la voici !

    Son Beretta à la main, il marcha droit vers la porte, ôta la sécurité et l'entrouvrit, une vague silhouette se profilait dans un maigre rayon de lune.

    Trop grand pour être l'Avorton, pensais-je. C'est Ovide susurra Noémie. Non, Auguste souffla Framboise. L'Ibis chuchota Françoise. Non, Charlie Watts répondit Joël.

    _ Entrez-donc Monsieur, vous avez sûrement un message à nous apporter, et le Chef ouvrit la porte en grand.

    Je ne fus pas le seul à le reconnaître. Rouky se rua vers lui. C'était l'aveugle. Avant que l'on ait pu esquisser un mouvement, il jeta une enveloppe sur le sol et disparut subitement, Rouky sur ses talons.

    Le Chef ouvrit l'enveloppe, elle était vide !

    _ Nouvelle apparition de Charlie Watts ! conclut Joël

    _ Non, c'était l'Ibis ! décréta Françoise avec vigueur

    _ Mais non, l'Empereur Auguste ! rétorqua Framboise

    _ J'ai reconnu Ovide ! opina Noémie

    Quant à moi je certifiai que c'était l'Aveugle, Rouky n'était-il pas parti avec lui. Seul le Chef ne disait rien. Il avait refermé la porte et s'apprêtait à allumer un Coronado. Je l'interrogeai :

    _ Qui avez-vous reconnu Chef ?

    Le Chef exhala une longue bouffée odorante et laissa tomber :

    _ Oh, moi, j'ai cru que c'était moi !

    A suivre...

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 532 : KR'TNT ! 532 : DANA GILLESPIE / URGE OVERKILL / GHOST WOLVES / SORROWS / PATRICK GEFFROY / BARON CRÂNE / ANCIENT DAYS / ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 532

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    02 / 12 / 2021

     

    DANA GILLESPIE / URGE OVERKILL

    GHOST WOLWES / SORROWS

    PATRICK GEFFROY / BARON CRÂNE

    ANCIENT DAYS / ROCKAMBOLESQUES

    Gillespie bavarde

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    Les ceusses qui ont suivi de près l’actualité de la scène anglaise des early seventies savent très bien qui est Dana Gillespie. Cette proche d’Angie et David Bowie s’illustra alors avec un sulfureux cocktail de big boobs et de talent réel. On ne perd absolument pas son temps à écouter les albums de la période Mainman qu’elle enregistra entre 1971 et 1974. L’idéal est de se prêter au petit jeu de l’écoute - ou de la ré-écoute - à la lumière de l’autobio qu’elle vient de faire paraître, et qui porte le même titre que son premier album Mainman, Weren’t Born A Man.

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    Dana, c’est pour les intimes. Elle s’appelle en réalité Richenda Antoinette de Winterstein Gillespie, et vient donc de la haute, de la même façon qu’Anita Pallenberg et Marianne Faithfull. Mais cela n’altère en rien l’éclat de sa légende, car oui, et vu le nombre de célébrités qu’elle a pu côtoyer et baiser, elle mérite largement sa place au panthéon des silver sixties britanniques. Son autobio prend parfois l’allure d’un carnet mondain, mais bon, la coquine s’en sort toujours par une British pirouette. Elle parvient à éviter ce côté impudique qu’ont les Américains à étaler leur patrimoine relationnel, comme s’ils avaient besoin d’une caution pour asseoir leur rang social. Les exemples les plus détestables d’étalages sont ceux que font Cash et Dave Grohl dans leurs autobios respectives.

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    Apparemment, pas mal de gens étaient dingues des nibards de Dana, à commencer par Dylan et Bowie. Dana s’amusait de voir les regards torves plonger dans son décolleté. Elle cite des exemples en pagaille, comme celui du boss de Decca, Dick Rowe qui dit-elle était plus intéressé par ses atouts apparents - her more visible assets - que par son talent de chanteuse. Dana indique aussi qu’Allen Klein ne résistait pas au charme des grosses poitrines - the big busted English birds - et Dana passait parfois l’après-midi avec lui dans sa suite d’hôtel. Elle s’empresse d’ajouter qu’elle baise avec tous ces mecs parce qu’elle les apprécie. N’allez pas prendre Dana pour une Marie-couche-toi-là. Quand le Melody Maker publie un portrait de Dana, la légende évoque a lady with large breasts et le London Evening News parle lui d’une girl who have a lot to get off her chest. Oui, comme le dit Dana, everybody focuses on my boobs. Quand elle tourne des films de série B, elle porte des costumes minimalistes en peau de chamois et bien sûr ses nibards s’en échappent dès qu’elle se met à courir pour échapper à l’éruption du volcan. Elle indique au passage que toute l’équipe de tournage en profite pour se rincer l’œil. Il n’y a rien de surprenant à ça : le sein d’une femme attire l’œil du mâle, c’est automatique. Mais quand même, les canards peinent à lui reconnaître du talent - I’m afraid I was still getting more comments on my infrastructure than my singing - et hilare, elle ajoute qu’un présentateur a même été jusqu’à lancer : «Here they are... Dana Gillespie!».

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    L’autobio de Dana est très sexuée, mais pas au sens où on l’entend généralement. Elle ne donne pas de détails organiques, elle se contente de lancer ici et là des petites infos du genre : «Quand je suis en jupe, je ne porte jamais de culotte.» Elle fait régulièrement référence à des partouzes, qui sont dans les seventies d’une grande banalité. L’apogée de l’ère partouzarde est bien sûr la période Mainman à New York, lorsque Dana vit à l’hôtel avec Angie et David Bowie - On avait tous nos chambres, mais on n’y dormait pas. It was a bit like musical beds - Angie trouvait normal que Dana couche avec David - so what’s mine is yours - Qu’on ne se méprenne pas : le propos de Dana est l’ouverture d’esprit, pas le fait d’avoir baisé avec une super star. Pour elle la sexualité a toujours été une question de liberté. Tu fais ce que tu as envie de faire avec qui tu veux et quand tu veux. D’ailleurs Dana en profite pour recommander la lecture des Backstages Passes d’Angie Bowie. Quand Jagger vient passer la soirée chez Bowie, ça se termine forcément au pieu - Who didn’t sleep with Mick? - Alors ils commandent du room service and everyone would get stoned. Et ceux qui étaient encore en état de fonctionner se retrouvaient au lit ensemble - That’s just the way it was - Existe-t-il quelque chose de plus jouissif dans la vie que de se retrouver au pieu à l’aube avec une poule de rencontre ? Non, bien sûr que non. Dana parle aussi des privilèges qu’offrent les séjours prolongés dans les hôtels de luxe, notamment les masseurs. Elle évoque le masseur d’un grand hôtel hollywoodien qui a connu Sinatra et Robert Mitchum et qui au terme du massage offre à Dana le fameux happy ending. Elle y prend tellement goût qu’elle reprend rendez-vous chaque jour. Elle raffole de son expertise.

    Vers la fin du book, Dana résume parfaitement le climat de liberté sexuelle qui caractérisait si bien les seventies : «À l’époque, tout le monde baisait avec tout le monde. It was a crazy time. The Zeps, the Stones, Bowie, they were all wild. Les filles faisaient la queue avec des paquets de poudre et ne portaient pas de culottes. Que croyez-vous qu’il allait se passer ? - What else do you think was going to happen??!!».

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    Elle connaît bien les Animals et elle n’est pas tendre avec eux. Elle rappelle qu’Alan Price était le seul à se rendre aux réunions, ce qu’elle appelle the management meetings, et donc il fut le seul à signer les droits d’«House Of The Rising Sun», et ça fait marrer Dana : «Le pauvre Eric Burdon dut ensuite chanter ce tube pendant vingt ans, sachant que les royalties allaient dans la poche d’Alan Price.» En remplacement d’Alan Price, les Animal engagèrent Dave Rowberry qui allait par la suite accompagner Dana sur pas mal de disques. Elle rapporte un propos de Rowberry à propos des Animals : «C’était une bande de cons quand je les ai rejoints et une bande de cons quand je suis partie.» Dana sort une autre histoire, cette fois beaucoup moins drôle : quand les Animals se sont reformés en 2003, ils sont allés en bus chercher Dave chez lui pour partir en tournée. Toc toc toc ! Comme ça ne répondait pas, ils ont défoncé la porte et l’ont trouvé mort, la gueule par terre, au pied d’un mur couvert de photos de Dana. Dave aimait Dana.

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    Dana fréquente aussi Keith Moon qui est déjà incontrôlable. Il vient souvent taper à sa porte. Soit il est tellement bourré qu’il s’évanouit, soit il emmène Dana directement au pieu. Elle adore baiser avec Moonie - His kick was shoking people and we had sex in some pretty strange places - Elle est aussi très pote avec Gered Mankowitz, le fameux photographe du Swinging London (Hendrix et les Stones). C’est lui qui fait la pochette de Weren’t Born A Man.

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    Elle rencontre Dylan lors de la tournée 65, lorsqu’il porte encore un jean, des boots, qu’il fume 80 clopes par jour. Joan Baez l’accompagne. Dana assiste aux conférences de presse dans les hôtels et Dylan la repère. Elle le trouve très séduisant. Il lui demande un service : tenir son lit au chaud. Elle accepte volontiers. Elle passe souvent la nuit avec lui. Elle note au passage que son set de 2 h 30 le vidait bien et pour se relaxer, il se tapait une bouteille de pinard avant d’entrer dans le plumard que lui réchauffait Dana. Quand dans une conférence de presse un journaliste demandait à Dylan ce qui l’attirait en Angleterre, il répondait : «Dana Gillespie’s jugs !».

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    Les fans de Bowie se régaleront de ce book car Dana y narre dans le détail les années passées dans l’entourage et le lit du couple. Elle rencontre Bowie très tôt, quand il n’est encore que le djeun’ David Jones. Elle n’attend pas de lui une relation suivie car elle sait qu’en tournée, il baise d’autres filles, c’est le principe même de la vie d’artiste. Liberté absolue. La jalousie ? So ridiculous ! Elle apprend à se contenter des moments d’intimité. David l’aide à explorer sa sexualité. Il lui donne aussi des leçons de guitare. La première chanson qu’il lui apprend à jouer est le fameux «Love Is Strange» de Mickey & Sylvia. Et comme Dana commence à composer, Bowie l’encourage, car il la sent douée.

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    Dana rappelle aussi que Bowie change de nom à une époque pour éviter la confusion avec le Davy Jones des Monkees. Mais à l’état civil, il va rester David Jones. Un jour, Bowie emmène Dana manger chez ses parents à Bromley. Pour elle qui vient de la haute, c’est un choc que d’entrer dans ces petites maisons grises de banlieue. Les parents de Bowie proposent des sandwiches au thon et ne disent pas grand chose - They just sat there looking rather miserable - Et là, elle comprend que Bowie veut échapper à cet univers de gens résignés.

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    Puis le succès arrive. Dana fréquente Bowie à Haddon Hall. Il compose «Andy Warhol» pour elle. Et Dana devient la meilleure amie d’Angie. Et là commence le tourbillon, Ronno (avec qui elle baise aussi), les déclarations tapageuses dans la presse, the Rise of Ziggy Stardust & the Spiders from Mars. Angie et Bowie déclarent être bisexuels, alors ça y va, les cancans. À cette époque, Bowie adore la craziness et la joie de vivre d’Angie. Tout le monde partage avec tout le monde, Dana cite des noms de mecs qui ont couché avec Bowie, Angie et elle. That’s how it was then. Rien n’est secret, rien n’est mystérieux. Sur cet aspect des choses, le petit Woody Woodmansey qui a vécu aussi à Haddon Hall est bien plus prude dans son autobio. Le phénomène Ziggy s’emballe : deux tournées américaines, neuf shows au Japon, puis une tournée anglaise, deux shows enchaînés à chaque fois, alors Bowie n’en peut plus et la tournée américaine prévue à la suite est annulée. Dana dit aussi qu’elle savait que Bowie allait annoncer la fin de Ziggy à l’Hammersmith. Bowie en parlait à demi-mot. Seuls les musiciens et les journalistes n’étaient pas au courant.

    Quand Mainman s’installe à New York, Tony Defries engage les gens qui s’étaient illustrés dans l’Andy Warhol’s Pork show, à la Roundhouse : Tony Zanetta (qui va devenir le road manager de Ziggy), Cherry Vanilla, Leee Black Childers et Wayne County.

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    Cherry Vanilla devient la publiciste de Bowie : plutôt que d’offrir du cash aux DJs des radios, elle leur taille une petite pipe. Les mecs adorent ça. Dana ajoute que Cherry baisait comme une folle - She had a mad horizontal life, maybe even more mad than mine - Cherry avait des cerises tatouées sur les seins et veillait à ce que ses décolletés soient assez plongeants pour qu’on puisse les voir. Autre petit portrait intéressant : Amanda Lear, qui comme tout être exotique attire Bowie. La rumeur veut qu’elle se soit appelée Alain et soit devenue Peki d’Oslo après avoir changé de sexe. Puis elle devient Amanda Lear et veille à ne rien confirmer ou infirmer, de façon à entretenir le mystère. Dana évoque aussi la version d’«I Got You Babe» que Bowie fit pour la télé en compagnie de Marianne Faithfull déguisée en nonne, mais en nonne à la Clovis Trouille. Le public ne voyait pas que la robe de Marianne était ouverte dans le dos, et qu’en dessous elle avait le cul à l’air. Par contre, Dana pense qu’Aynsley Dunbar qui battait le beurre derrière avait du mal à tenir le beat.

    L’ère Mainman prend brutalement fin lorsque Bowie demande du blé à Tony Defries pour s’acheter une baraque aux États-Unis. Defries lui répond que tout le blé est dépensé. What ? Alors c’est la rupture.

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    ( Dana, Defries, Bowie )

    Dana n’en finit plus de rappeler que Mainman dépensait sans compter : hôtels de luxe, voitures, fringues, coke, tout était pris en charge par Mainman. Dana en sait quelque chose puisqu’elle était comme Bowie sous contrat Mainman. Elle parle de dépenses vertigineuses et de bureaux sur Park Avenue et de personnel et de limousines et de prêt-à-porter et de tout ce qu’on peut bien imaginer. Bowie était la vache à lait. Quand il décide de rompre, il va s’installer à Berlin et ne veut plus entendre parler de Mainman ni d’aucun de ses collaborateurs.

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    Dana fréquente aussi Bolan et évoque la cérémonie de son enterrement, où elle se retrouve assise derrière Bowie et Rod The Mod qui a du mal à faire tenir une kippah sur ses épis. Elle s’amuse d’un rien et son book ressemble parfois au journal intime d’une adolescente attardée. Dana n’a pas le chien d’une Viv Albertine, elle ne cherche pas à écrire, elle se contente de raconter sa vie, comme on la raconte à des amis.

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    Dana Gillespie fit sensation en 1973 avec la pochette de Weren’t Born A Man. Elle y apparaissait en petite tenue, mais elle rétablissait très vite sa crédibilité en démarrant avec le «Stardom Road Parts I & II» de Third World War. Incroyable ! - She ain’t got no highway code - C’est joué au clavecin et violonné, mais Dana gère assez bien le pathos de Terry Stamp. Le Part II vire heavy mood, heureusement. Dana enrobe d’une certaine façon l’âpreté du grand Terry Stamp. On la sent parfaitement à l’aise dans le dizzy rock de «Dizzy Heights» et voilà qu’on tombe à la suite sur la fameuse version d’«Andy Warhol», produite et orchestrée par David Bowie et Ronno. Fabuleux shake d’acou, tension dramatique all over. Ronno passe un solo de rêve avec le Warhol silver scren. Ce qui frappe le plus sur cet album, c’est l’étonnante maturité de Dana Gillespie. Elle dispose d’une bonne voix et peut donc s’imposer en tant que rocking girl. On retrouve Ronno et les Spiders en B sur «Mother Don’t Be Frightened» et «All Cut Up On You» sonne comme un brillant Southern rock cuivré de frais, avec un nommé Jim Ryan au lead guitar superstar. Très beau showman.

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    En 2019, Cherry Red proposait une petite compile sympa, comme on dit, What Memories We Make. The Complete MainMan Recordings 1971-1974. On y trouve en plus du Weren’t Born A Man des démos d’«Andy Warhol» qui gagnent à tous les coups, tellement la chanson est parfaite, et le deuxième album Mainman, Ain’t Gonna Play No Second Fiddle. Warhol signe d’ailleurs le portrait qui orne la pochette. Dès le morceau titre, on est saisi par la présence de Dana et de sa voix. Elle shake bien sa chique, elle a du chien de sa chienne à revendre et elle sonne quasi black. On peut dire qu’elle sait claquer une claquemure ! À tout ça s’ajoute un fantastique solo de slide signé Bryn Hayworth, le prodigieux guitar slinger des Fleur De Lys. En fait, Tony Defries a rassemblé des musiciens de session autour de Dana qui défend bien son bout de gras. L’album est excellent. Il faut l’entendre dans «Hold Me Gently» chanter comme une petite pute anglaise affamée de grandeur totémique. Ah comme elle est bonne la garce, à ce petit jeu insidieux ! Et derrière elle, Phil Chen fait le show au bassmatic. Elle reste dans un délire seventies assez prégnant, elle chante vraiment à la surface du monde, c’est très particulier, elle se montre très constructive. «Pack Your Bags» part en mode funk et le cut éclot en mode Edwin Hawkins Singers, c’est dire la force de la prod. Elle finit avec «Wandersust», un fantastique heavy groove, idéal pour une poule comme Dana. On trouve à la suite des démos qui nous confortent dans l’idée qu’on se fait d’elle. «Man Size Job» rôde dans le deep groove anglais, elle amène ça par en-dessous et c’est extrêmement crédible.

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    C’est en 1981 que Dana rencontre Ted Carroll. Elle va le voir parce qu’il vend dans sa boutique Rock On tous les disques de blues qu’elle aime bien. Elle lui dit qu’elle a tout : les musiciens, les chansons, le studio et qu’il ne lui manque qu’une chose : le deal. Dana explique qu’elle veut enregistrer un album de chansons de blues grivoises, the rudest old Blues, et elle veut l’appeler Blue Job. Ted Carroll explose de rire et dit : «Signez-là !».

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    Ses trois premiers albums Ace (Blue Job, Under The Belt et Hot Stuff) sont compilés sur deux CDs, Blues It Up et Hot Stuff. On trouve pas mal de swing sur Blues It Up, «My Man Stands Out» et «Wasn’t That Good», elle y rentre à la vraie voix - He’s the master at the wheel - c’est du big London jive, on se croirait chez Chris Barber. Elle fait aussi du hard boogie avec «Meat Balls», elle s’amuse avec le butcher et les balls, c’est de l’humour noir dégueulasse, elle se veut provocante, longing for a butcher qui wanna buy my meat balls. Elle prend son «Tongue In Cheek» au raw de raunch et passe au hot sex avec «Sweets» - Sweets keep me satisfied - Elle reste dans le jive de petite vertu avec «Fat Sam Form Birmingham», mais c’est le Birminhgam d’Alabama. Elle lambine à la surface de la soupe d’if you ever get down to Alabama. Elle saute en selle pour «Ugly Papa» et tagada voilà la Dana. Elle tagadate ventre à terre. Et puis elle fait sa Bessie Smith avec «Long Lean Baby». Elle est languide et elle est bonne.

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    Paru en 1995, Hot Stuff est une compile de ses deux premiers albums agrémentée de quelques bonus, pour faire bonne mesure. La dominante de Dana à cette époque est le swing. Elle propose le classic London swing dès «Lovin’ Machine» - You see what I mean - et ça continue avec l’excellent «Big Fat Mamas Are Back In Style Again», produit par Mike Vernon, heavy boogie de jumpy jumpah avec un énorme solo de sax de Pete Thomas. Swing dément encore avec «Tall Skinny Papa» - I want a tall skinny papa/ That’s all I ever need - Elle sait ce qu’elle veut, elle se fond bien dans le jive de treat me right et de satisfy my soul et un certain John Bruce passe un solo de concasse. Tout ça pour dire que cet album est passionnant. Quand elle ne fait pas du swing, elle fait du boogie avec «Meat On Their Bones», ça joue au heavy rumble de British blues et John Bruce fait encore des siennes, avec l’ex-Animal Dave Rowberry au piano. L’autre guitariste s’appelle Ed Deane et il passe un solo de gras double sur «Raise A Little Hell». On reconnaît encore la patte de l’amateur du blues Mike Vernon dans «Empty Red Blues». Dana est juste au blues. Elle sait parfaitement gérer un heavy blues, ne t’inquiète pas pour elle. Elle s’amuse bien avec le let me ride your automobile dans «Too Many Drivers», c’est la grosse métaphore sexuelle des vieux jivers d’Amérique - Now listen baby/ You can’t do this to me/ Let me ride your automobile - On retrouve la section rythmique infernale Charlie Hart (stand up)/ Chris Hunt (beurre) sur l’excellent «Fat Meat Is Good Meat» et Ed Deane fait des merveilles dans le «Big Car» boogie down. Dana chante ça au raw. «Diggin’ My Potatoes» est tiré de son premier album, Blues Job, petit jeu de mot sur le thème du blow job. Elle sait sarcler ses patates. Elle attaque son «Mainline Baby» au mainline et ça vire en mode shuffle de développement déporté, elle ramène une énergie de daddy-o et fait bien plus de ravages que les Status Quo. Elle termine avec un cut de sexe pur, «Horizontal Boogie» qu’elle arrache au heavy London rock. C’est violemment bon.

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    Avec l’experimented Experienced paru en l’an 2000, Dana campe sur ses positions : boogie et swing. Le morceau titre d’ouverture de bal en est le parfait exemple, are you ready baby, elle ramène sa chique sur le meilleur boogie de London town. Dana est l’une des reines du boogie d’all nite long. Avec «There Will Always Be A New Tomorrow», elle se fond dans le vieux sorrow du gospel de souffrance du peuple noir et c’est là qu’elle sonne le plus juste. Elle est intense et réelle. Avec «Me Without You», elle revient à son cher swing, elle est tellement à l’aise avec le vieux jive qu’elle l’éclate au Sénégal. Elle n’échappe à aucune règle. Elle est parfaite dans toutes les positions. La plupart de ses cuts sont sans surprise, mais tout est bien vu et bien joué. Un nommé Sam Mitchell ramène son petit bout de gras. Elle tape son «Break Down The Door» au fast drive, Evan Jenkins bat ça si sec. Elle finit avec «Take It Like A Man», un heavy blues rock. Elle se bat jusqu’à la dernière goutte de son, elle est fabuleusement rock’n’roll, elle adore les nappes de cuivres, elle rabache son take it like a man jusqu’aux tréfonds de tout le tremblement, elle s’arrache la voix comme une mère maquerelle en pétard, elle claque sa chique, pas de problème, c’mon !

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    Paru en 2003, Staying Power est un énorme album. Dana l’attaque en reine des crocodiles avec «Sweet Tooth». Elle est bien plus subversive que tous ces mecs qui croient savoir chanter. Voilà la reine du bongo groove - I got sweet tooth tonite - Elle fait une fantastique ouverture et redore le blason du boogaloo. Dana, c’est une puissance inexorable, elle est dans le chant, elle s’inscrit dans l’insoutenable légèreté de l’être, mais au groove de chant. Elle développe la même puissance qu’une Soul Sister de rang princier. Elle passe au heavy blues avec «Timeless» et elle sonne incroyablement juste, elle fait de la Soul blanche, on comprend que Ted Carroll l’ait signée on the spot, elle est au rendez-vous avec la pire des exactitudes. Elle est énorme et elle est chaude. Elle la voix qui va, elle est dessus quoi qu’il en coûte. Elle colle bien au heavy blues de «Put My Anchor Down». Elle est l’une des plus pures, avec John Hammond, elle est insistante et elle est belle, elle ne lâche rien, elle est présente à chaque instant, elle descend groover le jive avec des retours de glotte incestueux. Nouveau chef d’œuvre de heavy groove avec «Still In Your Arms» et elle revient au blues avec «I Sigh For You». Crédibilité à tous les étages en montant chez Dana. Elle chante son «Big Picture» avec un gusto invraisemblable. Elle rentre dans la pâte du levain, elle passe sous le boisseau de la vague, elle catacombe la mélodie, elle crée des hallucinations et le guitar hero s’appelle Todd Sharpville. Dana Gillespie est l’une des plus grandes chanteuses de tous les temps, qu’on se le dise ! Elle chante comme une valeur sûre et reste attachante.

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    Le Live With The London Blues Band paru en 2007 donne une idée très précise de ce que vaut Dana sur scène - Good evening ladies & gentlemen, this is the London Blues Band, et boom, elle est magique ! On croit rêver. Quel punch ! Elle est dessus, elle drive son jive à la tagada voilà les Dalton, forcément derrière les mecs font les coqs. Le pianiste Dino Baptiste joue comme un diable et Matt Schofield passe un killer solo jazz. Fantastique aventure ! Dana fait du Dana pur, elle a derrière elle la crème de la crème anglaise et elle revient au chant en vainqueuse. Dana est la reine des dynamiteuses. Elle passe à la violence du British Blues avec «Your Mind Is On Vacation». C’est right in the face, Dana a tout le répondant qu’on peut imaginer et Matt Schofield joue à la bonne franquette du blues. Il allume aussitôt après «Ten Ton Blocks» aux heavy blocks. Encore un superbe heavy blues. Franchement, on est gâtés. Elle l’explose au chant. Elle reprend l’un de ses hits, «Experienced», elle le gère à la perfection. Elle se battra jusqu’au bout, elle y croit dur comme fer. Elle excelle dans le fast boogie de «Too Blue To Boogie», elle chevauche son dragon et le pianiste Dino Baptiste devient fou. Elle termine avec «A Lotta What You Got», et la messe est dite, huit minutes de jive intensif de London underground. Elle s’appuie sur un backing hot as hell, ses amis jouent à la vie à la mort, et quand elle présente ses musiciens, chacun d’eux fait sauter la Sainte-Barbe. On entend des solos déments de guitare, de piano et de sax.

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    I Rest My Case va droit sur l’île déserte à cause du morceau titre. Elle colle à son blues, elle reste exceptionnelle et elle insiste, elle monte bien son case là-haut sur la montagne, elle brûle du feu sacré de l’intensité, elle a une façon de monter le chant qui est unique, de toutes les grandes chanteuses, elle est certainement la plus présente. Pourtant l’album démarre assez mollement elle chante son «Funk Me It’s Hot» d’une voix de vieille spécialiste. On attend d’elle des miracles. On la voit tripoter le groove de «Your Love Is True» en parfaite épouse, aimante et sensuelle. Elle chante de l’intérieur de son talent. Puis les grosses compos arrivent avec «Game Over». Elle se glisse sous le boisseau, elle tortille bien son affaire et ça continue avec «The House Of Blues» joué au heavy funk anglais. C’est du big concassage, please excuse the hell, elle est dessus. Elle rentre dans le lard fumant de «Guilty As Hell» elle s’y montre directive, grosse glotte, elle fait sa black. Fantastique Dana, elle est dans tous les coups, à la bonne échelle. Elle fait le job jusqu’au bout. Pas le peine de lui faire un dessin.

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    Et puis voilà Cat’s Meow, un album un peu plus faible. Elle chante parfois d’une voix de vieille rombière qui choque un peu. Comme si elle perdait le blues. Mais la présence reste intense. Sinon, elle ne serait pas sur Ace. Elle attaque «Love Matters» au vieux London groove. On croit entendre l’orgue de Graham Bond, c’est dire l’énormité de la chose. Ça joue au tight d’une autre époque. Les seuls capables de sortir un tel rumble étaient les Graham Bond ORGANization. Elle replonge dans cette ancienne magie de façon expéditive. Et comme dans les albums précédents, elle est dans tous les coups. Elle cherche à chaque fois à se glisser sous le boisseau. Des fois ça marche, des fois ça ne marche pas. Il faut attendre «Burning Out Of Steam» pour frémir. Elle retrouve son élément, le heavy blues. Elle crève d’amour, elle est la London blues shouteuse par excellence. Elle tape plus loin un «Two Faced Girls» à la concasse de la rascasse, elle adore les cassures de rythme.

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    Dana fait encore un festival sous son lit avec Under My Bed. Toujours ce sens aigu du swing et cette aisance vocale. Le guitariste de jazz s’appelle Jake Zaitz. Non seulement Dana chante bien, mais elle a en plus l’avantage d’être accompagnée par des surdoués. Elle chante son «I’m In Chains» à la belle lampée, elle pratique l’insistance blanche, identique à l’insistance black, sauf qu’elle est blanche. Tout est bien joué, bien chanté, bien produit sur cet album, notamment «More Fool Me». Ces gens-là n’ont aucun souci, vois-tu. Ambiance heavy jazz avec un bassmatic de jazz pur. L’oreille avertie en vaut deux. On se sent bien en compagnie de Dana. Qu’elle soit sur Ace tombe sous le sens. Elle fait un «Va Va Voom» qui n’est pas celui de Brett Smiley. C’est le Va Va de Dana, chanté à la retenue du makes me feel et elle ajoute, d’une voix troublante, he’s got a sex appeal - And my heart goes boom/ When he walks in the room/ I go va va voom - Elle passe au round midnite avec «Another Heart Breaks». Elle est trop blanche pour sonner black, elle est baisée, mais elle crée son propre deepy deep. Dana est une fantastique interprète. Elle n’est jamais dans une formule, toujours dans la chanson. Elle tape un groove de six minutes avec «High Cost» et nous fait la morale - There’s a high cost/ For a cheap thrill - Quand elle fait sa rampante, elle reste convaincante et elle attaque toujours ses cuts de la même façon. Son «Punch The Air» tape en plein dans le mille. Elle remonte bien dans l’exercice du groove vocal, elle se bagarre avec son till the day I die/ He’s so cool I punch the air - On est à Londres chez des gens qui ont tout vécu, alors prosternons-nous devant Dana. Elle continue de nous titiller l’intellect avec «Beats Working», elle cherche des poux dans les poils du beat, elle farfouille fabuleusement, avec un revienzy de blackette - Beats working c’mon, stick around/ Beats working there ain’t no sin/ Beats working - elle a raison, le hot sex n’a jamais fait de mal à personne, elle nous entraîne dans le 25e heure du London underground, c’mon stick around/ C’mon down/ C’mon in !

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    Son dernier album sur Ace vient de paraître et s’appelle Deep Pockets. On y sent une légère baisse de tension, sûrement due à l’âge. Sa voix mue, du coup Dana reste le plus possible dans la retenue. Elle se réfugie sous le boisseau («We Share The Same Sky») - I look at you/ You look at me - Elle reste dans les vieux schémas and we share the same sky. Jake Zaitz joue le solo de jazz guitar, il titille ses notes comme s’il titillait un clito, on ne va pas rentrer dans les détails. Dana chante maintenant comme une vieille Dana, accrochée aux jazz solos de Jake le crack. Comme sa voix s’aggrave, elle chante par en dessous («Back In The Day»), elle veille à rester dans le heavy groove de bonne bourre. Il faut attendre «In Times Like These» pour frémir. Elle manage son groove comme une vraie bosse ! Elle danse avec les vieux souvenirs du swinging London, c’est très pointu, on a là un heavy groove magnifique à tous points de vue. C’est tellement joué dans tous les coins que le cut en devient fascinant. Elle attaque son «Up Yours» au heavy r’n’b de London. Dana est une vieille balèze, elle nous tartine un r’n’b de bonne facture avec un solo de sax à la clé. C’est même un r’n’b de complicité intimiste, près de toi dans la pénombre.

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    En 2018, Rev-Ola a compilé Foolish Seasons et Box Of Surprises, les deux premiers albums de Dana devenus objets de spéculation. La compile s’appelle London Social Degree. Dana se dit fière d’avoir un morceau titre composé par Billy Nichols qui, comme elle, sortait à peine de l’adolescence. Puisqu’elle dispose d’une voix extraordinaire, la belle pop du petit Billy brille au firmament. Elle est partout, surtout là où on ne l’attend pas. Elle attaque l’album avec un autre héros de l’époque, Donovan et «You Just Gotta Know My Mind». C’est un jerk de rêve bien taillé pour la route, une merveille qu’elle chante au tranchant. Elle connaît bien Donovan puisque sa copine sort avec lui. C’est d’ailleurs en accompagnant Donovan dans une réception à Londres que Dana rencontre Dylan et qu’elle devient son amie. Dans Don’t Look Back, Dylan entre à un moment dans une salle et on voit une blonde assise : ce n’est pas Nico mais Dana qui à l’époque est blonde. Autre auteur de rêve : Michel Polnareff avec «La Poupée Qui Fait Non». Ici, ça s’appelle «No No No». Avec «Dead», elle passe au groove de jazz, elle est parfaite dans ce rôle. Globalement, sa pop est d’une fraîcheur extraordinaire et sa légende n’est pas usurpée. Elle fait partie des petites gonzesses qu’il faut écouter. Elle amène un truc, c’est indéniable. Elle est encore très partie prenante avec «Souvenirs Of Stefan». Apparemment, Rev-Ola a aussi flashé sur son décolleté vertigineux car les photos abondent dans le booklet. Allez-y les gars, rincez-vous l’œil !

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    C’est Mike Vernon qui produit Box Of Surprises et Savoy Brown fournit l’accompagnement. Elle passe donc naturellement au heavy blues avec le morceau titre. C’est carré, pas de problème. Elle est la reine de son monde et crée des ambiances quand ça lui chante. Elle revient à la pop avec «When Darkness Fell», une pop qu’elle chante à merveille. Dana dédie bien sûr «For David» à Bowie. Elle s’y montre royale et sait driver des dynamiques. Retour au heavy groove avec «You’re Dreaming», elle est dessus et ça devient énorme. On se croirait chez Fellini, lorsque sonne la flûte de «Grecian Ode», à l’aube pâle d’un nouveau jour de mystère antique. Elle fait preuve d’une tenue de route irréprochable. Elle est partout dans le chant de «By Chasing Dreams». En plus du décolleté, elle possède la voix et les compos, elle incarne bien le dream come true. Dana est une battante, rien ne l’arrête, elle milite pour le bon vouloir, ses cuts sont comme ils sont mais ça reste extrêmement intéressant. Dana, c’est pas les Slits. Elle a en outre derrière elle les mecs de Savoy Brown et ils font des merveilles sur «I Would Cry». On imagine que le Guitar God qu’on entend derrière est Kim Simmons.

    Signé : Cazengler, Gillespisse froid

    Dana Gillespie. Weren’t Born A Man. RCA Victor 1973

    Dana Gillespie. Blues It Up. Ace Records 1990

    Dana Gillespie. Hot Stuff. Ace Records 1995

    Dana Gillespie. Experienced. Ace Records 2000

    Dana Gillespie. Staying Power. Ace Records 2003

    Dana Gillespie. Live With The London Blues Band. Ace Records 2007

    Dana Gillespie. I Rest My Case. Ace Records 2010

    Dana Gillespie. Cat’s Meow. Ace Records 2014

    Dana Gillespie. Under My Bed. Ace Records 2019

    Dana Gillespie. Deep Pockets. Ace Records 2021

    Dana Gillespie. London Social Degree. Rev-Ola 2018

    Dana Gillespie. What Memories We Make. The Complete MainMan Recordings 1971-1974. Cherry Red 2019

    Dana Gillespie. Weren’t Born A Man. Hawksmoor Publishing 2020

     

     

    Ça urge, Overkill !

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    Ah enfin un hommage à Urge Overkill ! Ce trio de fins limiers de Chicago reste cher au cœur des amateurs de rock bien profilé. Disons qu’ils constituaient avec Guided By Voices le fer de lance de l’underground américain des années quatre-vingt. Comme Mansun ou les Boo Radleys, Urge Overkill pondit d’excellents albums avant de lâcher la rampe et de disparaître. Paul Rees leur accorde six pages dans Classic Rock.

    Nash Kato, Ed Roeser et Blackie Onassis cultivaient un look dandy. Ils portaient des costumes et des polos à cols roulés sur lesquels était brodé le logo du groupe, UO. Ils sirotaient des Martinis dans des verres à cocktail et un vent léger caressait les longs cheveux d’ange de Nash Kato, l’un des rock’n’roll animals les plus parfaits de l’histoire du rock américain. Kato relevait l’extrême finesse des traits de son visage avec des verres teintés qui lui donnaient un look d’hermaphrodite psychédélique quasi divin - We dressed it up for the cameras a bit and it worked.

    Nash Kato débarque en 1985 sur le campus d’Evanston, dans l’Illinois. Il y rencontre Steve Albini, lui aussi à la fac et monte sa première mouture d’Urge Overkill. Il tire ce nom du «Funkentelechy» de Parliament. Nash Kato adore tout ce que fait George Clinton. Ed Roeser voit le groupe au moment où il allait s’arrêter. Il y prend la place du bassiste qui jetait l’éponge. Nash Kato : «Ed was an odd bird, but so we were all.» C’est bien sûr Steve Albini qui enregistre les premiers cuts d’Overkill, dont il se sert comme cobayes - It was an altogether raw, splenitic and cacophonous affair - Leur premier album sort sur Touch And Go en 1989.

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    Ils choisissent un titre bizarre : Jesus Urge Superstar. Et démarrent très fort avec un cut qu’il faut bien qualifier de coup de génie : «God Flintstone» - Bedrock in the sky/ With Jesus Christ rubble - C’est un cut d’acid freak doté d’un développement considérable. Ils sortent tout leur apanage de futurs rock stars. Ce cut n’en finira plus de sonner dans l’écho du temps. Avec «Your Friend Is Insane», on voit qu’ils adorent bricoler des climaxings, mais ils ne retrouvent pas forcément la voie de Flintstone. Ils passent au boogie fuzz avec «Dump Dump Dump» - I need a shot and a beer/ You wanna buy me some - très belle dégelée à la Kato, on reste dans la dope et les fast cars. En B, ils tapent «The Polaroid Doll» au gros bouquet d’accords et dans «Head On», Ed raconte l’histoire d’une copine qui passe la tête dans le pare-brise à Minneapolis - Lisa hot hit head on - Tout ça se termine sur la chaise électrique avec «Dubbledead», il ne veut pas que sa mère apprenne que son little chicken va y passer - Too young to fry - Et Nash Kato pique une sacré crise de wah, oh boy !

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    Pour leur deuxième album, ils veulent un autre son, qui mélangerait l’urgence punk à un rock plus classique - a more listener-friendly classic rock dimension - Ils se débarrassent de Steve Albini et engagent Butch Vig qui leur donne un son plus poli et une certaine cohérence. Le résultat s’appelle Americruiser et paraît en 1990. Excellent album. On y trouve «God Flintstone», leur plus gros hit, amené sous un certain boisseau, ces enfoirés savent très bien ce qu’ils font. Nash le gratte à l’arrache dans le mystère du développement. C’est violemment bon et même l’un des plus beaux cuts de l’histoire du rock US. Tu es pris dans leur truc, c’est gratté à la merveilleuse urgence de l’Urge, dans un climat de montées subreptices. Comme c’est composé par des seigneurs de la dope, ça te hante la cervelle. Leur réelle valeur réside dans le côté ambitieux des compos. Ça se confirme dès cet «Empire Builder» plongé dans le mystère de l’Urge. Ils noient leur torpeur dans des accords de cuivres, c’est monté, très collet monté. Cet album est extrêmement chargé. À trois, ils chargent bien plus qu’un grand orchestre. Leur «Viceroyce» est gorgé de son, ils optent pour la sur-consommation. Avec «Smokehouse», ils montrent clairement qu’ils savent allumer la gueule d’un cut. «Dump Dump Dump» est joué à la basse fuzz et Nash passe un killer solo flash dans «Last Train To Heaven». Tout est visité par des vents soniques assez alarmistes. Nash noie tout de pouvoir pas Kato. Ça chante à la grosse arrache de Chicago dans «Crown Of Laffs» et on replonge dans l’étrangeté avec «Dubbledead». Ces atmosphères sont uniques au monde. Cette façon de chanter comme une limace est spéciale, personne n’avait osé avant Ed King Roeser. Nash crible le son de notes, il travaille l’épaisseur à outrance, tout est dans le dandysme. Ils terminent avec une cover démente du «Wichita Woman» de Jimmy Webb. Nash l’arrose de big guitars. Ils ont vraiment le bec fin.

    C’est là qu’ils rencontrent enfin le batteur idéal, John Rowan que tout le monde connaît sous le nom de Blackie Onassis. Ed King Roeser : «Blackie was an interesting guy, he was a weirdo and a sort of out-of-control figure.» C’est leur première grande tournée à travers les États-Unis.

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    Ils retrouvent Steve Albini en 1991 pour l’enregistrement de The Supersonic Story Book. «The Kids Are Insane», c’est un peu leur façon de chercher la difficulté, mais avec des réflexes de rock stars. Ils jouent au fondu de son, dans un mix superbe, très flamboyant, très Urge, c’est Jumping Jack Flash in Chicago, tout est fin, rock dandy. Le hit de l’album pourrait bien être «Emmaline», un cut de Hot Chocolate, hommage à la diction balladive, chanté à l’émotion pure, Emma/ Emmaline/ I’m gonna make you the biggest star this world had ever seen - L’autre gros shoot Urgentiste est l’excellent «Vacation In Tokyo». Ils jouent dans un nuage de son. Les voix s’y perdent. Ce groupe a un potentiel énorme et une identité unique. Ce fondu de voix n’est pas sans rappeler celui de Jack Bruce. Et puis il faut saluer le numéro de Blackie dans «(Today Is) Blackie’s Birthday». Les Urge n’approchent pas du bord, ils jouent en retrait avec des semelles de plomb. Et Nash Kato cherche à casser les règles avec son funk de wah dans «Bionic Revolution».

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    Le Stull EP paru en 1992 est sans doute leur disk le plus accompli. Ils démarrent avec la reprise de Neil Diamond qui a fait leur renommée, puisque récupérée par Tarantino pour la BO de Pulp Fiction, «Girl You’ll Be A Woman Soon». Puis ils passent aux accords de Muscle Shoals pour «Stull (Pt1)». Nash joue des parties de guitare mystérieuses, il louvoie dans le Louvre, les accords ont une consonance oblongue. Ils passent au punk’s not dead avec «Stitdes». C’est l’Overkill de Chicago. Encore du son et des voix endémiques dans «What’s This Generation Coming To». Pure purée d’Urge - Do you wanna live with me - Riffing de rêve, Nash gratte entre deux eaux. Ce sont certainement les ambiances rock les plus intéressantes de cette époque. «Goodbye To Guyville» est le cut perdu au milieu de nulle part. Chaque fois qu’on l’entend, on frémit, car c’est monté sur un riff mortifère. Ces mecs jouent leur carte à outrance et cet EP devient la pièce maîtresse d’un grand jeu d’échecs. Fantastique Goodbye to Guyville, Nash joue dans une extrême profondeur de champ.

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    Les choses vont s’accélérer après ça. Ils se retrouvent en première partie d’une tournée de Nirvana qui explose alors avec Nevermind. Et comme si tout cela ne suffisait pas, Geffen les signe. Et pouf, en 1993, ils enregistrent Saturation, l’un des chefs-d’œuvre de l’American cruiser rock - Near perfect balance between punk spunk and pop-rock melody. Et boom dès le riff d’intro de «Sister Havana». Ça y est, tu sais que tu es dans Chicago à gogo, Nash is on fire, c’est expédié au ho ho ho d’Havana, fantastique élan patriotique ! Verres teintés, rien de plus vrai. Ça continue avec «Tequila Sunrise», encore un classique amené au riff de démolition, Got no time for stimulation, oh boy, c’est chanté dans la masse de la ramasse, Nash envoie sa purée, une purée jusque-là inconnue, il bourre le boogie d’une fabuleuse purée de granulats. L’autre coup de Trafalgar s’appelle «The Stalker», incroyablement bien amené en studio Rolling, riff de Nash puis bass & drums in tow, ils jouent le Grand Jeu et secouent le cocotier, ça joue dans le flesh du flush, c’est drivé aux chœurs d’oh oh oh. Tout l’album est bon : encore une intro du siècle pour «Positive Bleeding», même si après Nash se convertit au sitar, puis «Back On Me», heavy balladif bardé de cocote. On voit qu’ils essayent de renouer avec l’excitation de «Tequila Sunrise», mais c’est compliqué. Le refrain sauve «Bottle Of Fur» du naufrage et Blackie Onassis vole le show dans «Crackbabies». Il fait le sledgehammer du Creusot. Puis il fracasse «Erica Kane», eff eff, ça joue sur les brisures de rythme, il y a une énergie chez Urge qui nous réconcilie avec la vie. Ils sont tous les trois dans leur monde qui est unique. Destinés à briller au firmament, jamais ils n’y brillèrent.

    Hélas, le groupe implose en un an. Blackie Onassis est passé au junk et les deux autres se conduisent comme des divas énamourées. Weezer arrive aussi sur Geffen et prend la place qu’aurait dû occuper Urge Overkill - They stole their thunder - Eh oui, les mecs de Weezer étaient beaucoup plus disciplinés et commerciaux que l’Urge.

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    L’Exit The Dragon qui paraît en 1995 va décevoir les fans de l’Urge. Même si le «Just Walkin’» d’ouverture de bal est étrangement beau, harcelé d’attaques de guitare étranglée. Puis Nash et King épuisent leur crédit de power pop avec «The Break». Ils vont devenir trop pop et se griller. «Somebody’s Else Body» laisse perplexe, poppy et pas bon. Incompréhensible. C’est tout de même dingue que Nash ne parvienne à rallumer le feu de «God Flintstone». Ils jouent «This Is No Place» dans un climat de latence, avec des démarrages en côte. Très étrange, joué aux arpèges. Tout est irrémédiablement tarabiscoté sur cet album. Nash et King sont en panne d’inspiration. Cet album est maudit. Pourtant Nash gratte de sacrés accords dans «Take Me». On attend encore un miracle. Mais leur rock de fonctionne pas, cette fois - Take me goddamnit/ Take me back again - Ils vont rester dans l’étrangeté jusqu’au bout, ni pop, ni rock, ni Urge. Cette histoire se solde par un split.

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    En l’an 2000, Nash enregistre un album solo, Debutante. Au dos, on le voit fringué en blanc avec les lunettes que portait Brian Jones dans le clip de «Jumpin’ Jack Flash». C’est un très bel album, mais pas de hit. Le «Zockey Suicide» qui ouvre le bal est effarant de modernité. Nash arrive dans le rumble comme un crack de Detroit. Ça bat à la vie à la mort et Nash claque son gaga à gogo. Fantastique clameur d’interloque ! Ce mec a une présence extraordinaire, un truc qui dépasse le commun des mortels. Il joue sur tous les tableaux et vise l’excellence en permanence, son «Queen Of The Gangsters» est très âpre, plein de fureur. Il affirme encore sa présence avec «Octoroon», il place son chant au sommet de sa chanson, c’est très anglais, très ferme. «Blow» sonne comme un fantastique balladif évolutif, Nash nage dans le Kato. Son Blow est un gros réservoir d’influences. Et puis voilà le morceau titre, monté sur un big bassmatic et soutenu par des filles en chaleur. Nash sait de quoi il parle. «Debutante» est un big shoot de funk de Chicago - What do you want - Il règle les problèmes et instaure les règles du jeu. Il allume «Rani (Don’t Waste It)» face front, aux accords rock’n’roll. Ce mec a le rock-starism en lui. Il sait franchir un Rubicon. Il sait mener un rock à la déglingue. Et ça continue avec le fantastique étalage d’«Angelina». Vraie présence vocale, extraordinaire qualité du son. On ne comprend toujours pas pourquoi les Urge n’ont pas explosé. C’est Nash le boss. Il drive son «Black Satin Jacket» avec une nonchalance qui en impose. «Pillow Talk» reste dans le très haut niveau, avec une sorte d’hyper présence. Mais le manque d’interaction avec le génie est une tragédie. Comment peut-on avoir autant de son et pas de hit ? Il termine avec l’excellent «Blue Wallpaper» qui avoisine les Screamin’ Trees. Nash et Lanegan même combat !

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    Le groupe se reforme en 2011 et enregistre Rock&Roll Submarine. Belle pochette mais impressions mitigées. Ils font du sur place avec «Mason Dixon», t’avance, t’avance pas, do you realize, ils ont des vieux restes, mais ça reste sur place. Il faut aller chercher les énormités en B : «She’s My Ride» et «The Valiant». Nash ressort pour l’occasion ses vieux power chords. Mais entre-temps ils ont perdu leur statut de dandys et notre confiance. Ils ont l’air paumés même si des éclairs de génie zèbrent ce Ride. Avec «The Valiant», Nash fait une country pop-rock élégante, la country de Chicago. Il taille sa route à la seule force des arpèges sauvages, il est à la fois très radical et très enraciné, wow comme ce mec est bon. Dommage que le reste de l’album ne soit pas du même niveau. Urge n’est plus la même équipe, ils ont ramené deux nouveaux mecs. Les cuts se suivent et se ressemblent, étranges et peu convaincants. C’est un album qui va mal. «Thought Balloon» sonne comme un rock paumé, sans port d’attache.

    Nash Kato revient sur les années de gloriole et rappelle que Kurk Cobain vivait très mal les vertiges de l’ascension vers la gloire : «Every band aspires to have global exposure, but, you know, be careful with what you wish for, because it really ate him alive.» (Tous les groupes aspirent au succès, mais il faut faire gaffe à ce qu’on recherche, car cette soif de succès a dévoré Kurt vivant). Et Nash Kato ajoute : «On est passé du van au tour bus, mais à aucun moment on a cru qu’on allait vraiment percer. So we enjoyed the fuck out of the ride.»

    Signé : Cazengler, Murge Overkil de rouge

    Urge Overkill. Jesus Urge Superstar. Touch And Go 1989

    Urge Overkill. Americruiser. Touch And Go 1990

    Urge Overkill. The Supersonic Story Book. Touch And Go 1991

    Urge Overkill. Stull EP. Touch And Go 1992

    Urge Overkill. Saturation. Geffen Records 1993

    Urge Overkill. Exit The Dragon. Geffen Records 1995

    Urge Overkill. Rock&Roll Submarine. UO Records 2011

    Nash Kato. Debutante. B Track 2000

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    Paul Rees : be careful what you wish for. Classic Rock #252 - August 2018

     

    L’avenir du rock

    - There’s a Ghost in my house

     

    Après s’être discrètement raclé la gorge, l’avenir du rock prend la parole à la tribune des Nations Unies :

    — Mesdames et messieurs les représentants des nations du monde libre, merci de m’accorder votre attention. Ce que j’ai à déclarer est d’une extrême importance. Je m’adresse au monde entier, et plus particulièrement aux opprimés des cinq continents. Les vues que je vais développer sont si claires dans mon esprit que je n’ai plus besoin de les écrire. Je vais vous parler de ce qu’est devenu le monde, et plus précisément de ce qu’est devenue la soit disant civilisation occidentale. Rien ne manque à son triomphe. Ni la terreur politique, ni la misère affective. Ni la stérilité universelle. Le désert ne peut plus croître, il est partout. Mais il peut encore s’approfondir. Devant l’évidence de la catastrophe, il y a ceux qui s’indignent et ceux qui prennent acte, ceux qui dénoncent et ceux qui s’organisent. Nous sommes du côté de ceux qui s’organisent !

    Une immense ovation s’élève des gradins. L’avenir du rock reprend :

    — Carley et Jonny Wolf font partie de ceux qui s’organisent. Mesdames et messieurs les représentants des nations du monde libre, permettez-moi de vous présenter the Ghost Wolves, from Austin, Texas !

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    La pochette de Man Woman Beast ne trompe pas sur la marchandise. Ah elle y va la Carley ! Elle profite de «Gonna Live» pour gratter du grave sur sa grosse guitare blanche, elle envoie des coups de bottom ravager la pampa. Nos deux oiseaux tapent dans ce punk-blues des années 2000 érigé en art majeur par le JSBX et quelques autres.

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    Les Ghost Wolves comptent donc parmi les aficionados du heavy sound. Carley Wolf est encore au rendez-vous pour tartiner du heavy blues avec «Baby Fang Thang», superbe mélange de sucre et de heavy chords. Pas mal du tout, même si on a l’impression d’avoir déjà entendu ça. Mais c’est tellement bien foutu qu’on s’en goinfre. Elle sait rider un ride («Ride The Wolf»), jouer la loco («Grave Dallas») et casser du sucre sur le dos d’une heavy déboulade («I Was Wrong»). Elle arrose son «Itch» de punk-blues du meilleur cru. Ah comme elle est bonne ! C’est enflammé, plein d’allure, plein de Carley, elle te plombe tout l’Austin. Pas de problème, elle est partout dans le son, elle claque du heavy soubassement de Blues Explosion dans «Im Yo Mudda», passe de coups de bottleneck sans crier gare. Avec «Attack Attack Attack», on se croirait chez les Immortal Lee County Killers, ils trippent comme des mad trippers et c’est extrêmement bien foutu. Ils finissent avec un «Dangerous Moves» nettement plus ambitieux. On y entend des chœurs de cathédrale, Carley Wolf mène la sarabande, elle rôde comme une vraie louve, c’est brillant et plein d’esprit.

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    Paru en 2017, Texas Platinum fait partie des grands albums teigneux de l’histoire du rock moderne. Carley est une reine de l’offensive, elle ne vit que pour la bonne arrache. Il suffit de l’entendre ramoner son «Whettin’ My Knife» pour comprendre qu’elle n’est pas là pour s’amuser. Elle chante à la perfidie maximaliste et arrose son trash-blues de gras double. Elle bat tous les records de gras double, y compris ceux de monsieur Jeffrey Evans. Son «Trippin’» est aussi une horreur. En fait, elle a tout le son du monde, elle outrepasse même le Blues Explosion du JSBX, elle joue à la main lourde avec le plus powerful got me trippin’. On entend des échos de Steppenwolf dans «Valley Of The Wolves» et elle fait du lullaby dans «Strychnine In My Lemonade». Il faut dire que Jonny Wolf bat ça bien. Ils sont solides tous les deux, ils sonnent comme un couple parfait. Carley lance bien toutes les opérations. Elle fait d’«All The Good’s Gone» un country blues hypnotique, ça s’enracine dans ta cervelle et le good’s gone rebondit bien dans le chant. «Triple Full Moon» sonne presque indien, elle est dans l’énergie des coups, dans l’explosion épidermique à peine tempérée par le chant des tribus. Elle ne rate aucune occasion de riffer à l’excès. Son gras double est un modèle du genre.

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    En 2017, Carley et Jonny remettent en circulation leur premier mini-album, augmenté de quelques bonus explosifs. L’objet s’appelle In Ya Neck V.2. Il faut tout de suite se jeter sur «Dangerous Blues», l’un des bonus. Ils sont dans le vrai son, Carley est dedans, une vraie louve, et derrière Jonny fait le con, oh oh oh et ils basculent tous les deux dans le génie sonique, ils jouent ça au Ghost, elle est de plus en plus dedans, c’est lui qui mène le bal et elle revient, ils sont dans la bombe, dans une fabuleuse ambiance de cabane malveillante. Tous les autres bonus sont bons, comme ce «Whettin’ My Knife», ils le font à deux et ça donne un puissant shoot de Nous Deux, un éclair d’excellence demented. Elle reprend son «Gonna Live» à la racine du roots et fait du slinging de cabane. Encore un fantastique exploit du couple avec «Mosquito», ils sont dans l’excellence des origines du monde, cette louve ne lâche rien elle se bat jusqu’au bout avec «Lies I Told». Quant aux cuts du premier mini-album, ils n’ont rien perdu de leur verdeur, notamment ce «Gonna Live» plein d’esprit et bien senti. Tout aussi parfait voilà le petit trash de «Curl Up & Dye», ravagé par des feux extrêmes. Leur «Broke Joke» est brûlé aux flammes de l’enfer, comme le disent si bien les métaphoristes, avec des beaux renvois gastriques, elle lui sert sa soupe, just baby ! C’est Jonny qui chante «Big Star» - Yeah goin’ to be a/ Big star - C’est tout ce qu’on peut leur souhaiter.

    Signé : Cazengler, Ghost Whore

    Ghost Wolves. Man Woman Beast. Plowboy Records 2014

    Ghost Wolves. Texas Platinum. Hound Gawd! Records 2017

    Ghost Wolves. In Ya Neck V.2. Romanus Records 2017

     

     

    Inside the goldmine - Le raw des Sorrows

     

    Pas très distingué, le sergent Garcia. Le cheveu gras, mal rasé, triple menton, il manque des boutons à sa vareuse et son pantalon qui a le malheur d’être clair s’orne de tâches suspectes. Assis au bout de la table, il finit d’engloutir son poulet rôti. Il suce bien les os et se suce ensuite goulûment les dix doigts, schhhhhlurp schhhhhlirp schhhhhlurp puis il les essuie sur ses cuisses. Il plonge alors dans ses pensées et un grand sourire se dessine sur son visage en forme de ballon. Le sergent Garcia est un homme simple, et ceux qui le connaissent un peu disent qu’il est très gentil, mais qu’il devrait se laver plus souvent. Il sort sa dague de lancier et commence à se curer les dents du fond, toujours plongé dans ses pensées. Il essuie la lame sur sa cuisse et la rengaine. Il se verse un grand verre de vino del castello et le vide d’un trait, glou glou glou glou. Arhhhhh ! Il s’ébroue comme un cheval sorti du fleuve et se lève pour se gratter le cul, car ça le démange. Par la fenêtre ouverte, il voit le soleil se coucher. Il rote un coup, pète un coup et se verse un énième verre de vino del castello qu’il lève pour trinquer à la santé du roi d’Espagne, mais il ne se rappelle plus de son nom, alors il dit : Viva le roi d’Espagne ! Glou glou glou glou. Arhhhhh ! C’est dingue comme le sergent Garcia aime la vie, comme il aime la gamelle, comme il aime les nichons des grosses señoritas et le bon pinard, surtout celui qui tâche, il aimerait bien se verser encore un verre, mais au nom de qui pourrait-il trinquer ? Peut-être que le roi a une femme ? Alors il trinque à la santé de la femme du roi d’Espagne. Lorsqu’il entend enfin hurler les coyotes, il se lève, se dirige vers la petite bibliothèque encastrée dans le mur du fond, actionne un mécanisme et le meuble pivote silencieusement, ouvrant un passage secret. Le sergent Garcia s’y engouffre et le meuble reprend sa place. Il descend quelques marches et arrive dans une petite caverne éclairée par des torches. Un cheval est attaché à la muraille. Le sergent Garcia vient lui faire un bisou sur les naseaux. Tornado hennit de bonheur, hin hin hin hin. Debout devant un grand miroir en pied, le sergent Garcia déboutonne sa vareuse et son pantalon. Le voici en caleçon, qui comme tous les caleçons de l’armée n’est lavé que deux fois par an. Il enfile un pantalon noir, une chemise de soie noire, se coiffe d’un chapeau noir d’une élégance sidérante, noue un masque noir autour de son visage et boucle une fantastique ceinture d’épée. Il s’approche d’un petit guéridon et lance le disque posé sur le tourne disque. Alors la musique éclate dans la caverne : Un cavalier/ Qui surgit hors de la nuit/ Court vers l’aventure au galop/ Son nom, il le signe à la pointe de l’épée/ D’un S qui veut dire Sorrow !

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    Eh oui, les Sorrows furent le secret le mieux caché d’Angleterre. Il furent les Zorros du freakbeat, les tenants de l’aboutissant, les sans-culottes de la révolution sonique, mais le destin fut assez cruel avec eux puisqu’il les attacha à un arbre pour partir en vacances, comme les gens le font avec leur chien. Tous les groupes connurent le succès, tous sauf les Sorrows. Donc il ne reste pas grand chose. Sans l’aide d’un label et d’un manager, un groupe ne va pas loin. Il reste deux albums et une poignée de singles, dont une partie en langue italienne, car les Sorrows s’exilèrent à une époque en Italie pour continuer à exister. Avant de connaître le succès en solo avec «Indian Reservation», Don Fardon fut le chanteur des Sorrows. Le groupe venait de Coventry et le guitariste s’appelait Pip Whitcher. Quand Fardon quitta le groupe, c’est Pip qui reprit le micro et Rog Lomas devint lead guitar. Ces guitaristes étaient exceptionnels, les Sorrows dégageaient une énergie considérable, peu de groupes leur arrivaient à la cheville. Entre nous soit dit, la scène Freakbeat anglaise est une vraie mine d’or.

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    Leur premier album Take A Heart paraît en 1965. Les Sorrows sont un groupe Pye, ils sont donc du sérail. Take A Heart grouille de coups de génie, tiens à commencer par l’oh babe de «Let Me In», digne du «Come See Me» des Pretties, ça riffe à la sourde et c’est l’un des joyaux de la couronne d’Angleterre. Et puis en B tu as «You’ve Got What You Want», un solide romp battu comme plâtre par ce démon de Bruce Finley, c’est du freakbeat zébré d’éclairs, un chef-d’œuvre de Got what you want, Pip Whitcher vole le show, les coups de guitare sont ceux de Midnite To Six. Et puis il y a l’«I Don’t Wanna Be Free» d’ouverture de bal d’A, well c’mon, c’est l’apanage fondamental du freakbeat, baby, on s’effare de la classe du gratté de gratte et du chant d’alerte rouge. Don Fardon qui s’appelle encore Don Maughn chante ça à la petite arrache. Bruce Finley vole le show pour de bon avec «Cara-Lin» et Pip Whitcher impose l’exacerbation des choses du freakbeat avec «Come With Me». Pip est le surdoué de service. Son killer solo flash fait partie des modèles du genre. On les voit aussi rivaliser d’ardeur pop art avec les Creation dans «Pink Purple Yellow & Red». Stupéfiante performance d’art sonique. Ils bouclent en singeant les Small Faces avec «Let The Live Live». Exactement le même son, on croit entendre «Watcha Gonna Do About It».

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    Ça ne marche pas en Angleterre. Par contre, ils sont énormes en Allemagne et en Italie. Banco pour l’Italie, ils s’installent là-bas. Puis Pip Whitcher et Rog Lomas rentrent en Angleterre, ras-le-bol de l’Italie. Ils ont le mal du pays. Comme Duncan Sanderson et Russell Hunter dans les Pink Fairies, Bruce Finley et Wez Price se retrouvent à deux. Ils parviennent à sauver les Sorrows en recrutant Chuck Fryers, le copain d’une copine de la copine, et ils tournent un temps à trois, jusqu’au moment où, de passage à Coventry, ils repèrent Chris Smith, un petit blond qui chante bien et qui keyboarde. Quand Chuck Fryers se barre, les Sorrows engagent deux Anglais basés en Italie, Kit et Rod, dont ils ne savent pas les noms de famille. Nous non plus. Kit chante et joue du sitar, et Rod joue de la guitare. Puis Kit et Rod décident de rentrer en Angleterre, after all, alors Chuck Fryers revient. C’est donc le line-up Fryers/Smith/Finley/Price qui enregistre le deuxième album des Sorrows, Old Songs New Songs, paru en 1969 sur un label italien. On y trouve un peu de pop inepte («Heaven Is In Your Mind»), du groove de jazz («Mary J») et soudain, les Sorrows se réveillent avec «The Makers», un cut de batteur, alors Bruce Finley vole le show. Le cut vire Whoooish sur le tard avec un solo liquide et Bruce Finley continue de taper comme un sourd. Les points forts de l’album sont les covers : «Dear Mr Fantasy» et «Rolling Over». Ils s’enfoncent dans le Traffic de Mr Fantasy avec courage et ça donne une version de feu, harmo + guitares. Ils osent taper dans l’intapable «Rolling Over» des Small Faces, mais c’est trop mou. Trop d’orgue. Ils ont pourtant raison d’oser. Et le freakbeat dans tout ça ? Il a quasiment disparu. On en trouve un peu à la fin d’«Io Amo Te Per Lei» et dans le morceau titre qui referme la marche. Par contre, le «6 Ft 7 1/2 Inch Shark Fishing Blues» fait dresser l’oreille car voilà un excellent instro de heavy blues. La réédition Wooden Hill de 2009 propose en bonus les singles enregistrés en Italie et chantés en langue italienne, et bien sûr ça coince un peu. Trop exotique. Par contre, réétendre «Hey Hey» permet de comprendre qu’ils sont les inventeurs du freakbeat. Fantastique batteur que ce Bruce Finley. On entend aussi Rog Lomas faire des ravages sur «6 ft 7 1/2 Inch Shark Fishing Blues» et «Which Way» qui est en fait «Io Amo Te Per Lei». Sur le disk 2, on tombe sur une cover de «New York Mining Disaster 1941» des early Bee Gees. Une autre version de «The Makers» rafle la mise, c’est un rêve pour l’amateur que d’entendre ces mecs rivaliser de grandeur avec les géants de l’époque. Les relances d’accords sont dignes de celles des Who. Ils font aussi un beau clin d’œil aux Animals avec une cover de «Don’t Let Me Be Misundestood». La cerise sur le gâtö, c’est le live 1980 qui suit, avec line-up original sans Don Fardon. Ils sont rigolos car ils se jettent dans la mêlée comme des gamins, ils font n’importe quoi avec «Matchbox/Rock And Roll Music» et «Babe What You Want Me To Do» et ils réussissent à massacrer le vieux «Bye Bye Bird» des Moody Blues. Ils sauvent leur set avec «Let Me In», absolute killah cut. Ils tapent dans «Dizzy Miss Lizzy» et sonnent exactement comme les Beatles. Ils finissent avec «5-4-3-2-1» et «Take A Heart», deux belles dégelées d’intemporalité.

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    Les fans des Sorrows se seront aussi jetés sur une petite compile Grapefruit parue en 2010, You’ve Got What I Want: The Essential Sorrows 1965-1967. Histoire de retrouver ces coups de génie que sont «Let Me In» (claqué au bassmatic sec et violent) et «Baby» (tout aussi wild, pure délinquance juvénile freakbeat, power pur et killer solo, que peut-on espérer de mieux ?). Le «Don’t Wanna Be Free» d’ouverture de bal sonne comme l’archétype freakbeat, chanté à la voix de gorge, stuck on you, pur jus de raw Sorrows. Même leur boogie est sérieux : ils jouent «Teenage Letter» à l’extrême onction de la bénédiction. On retrouve aussi l’excellent «Take A Heart» qu’ils montent en neige et ça continue plus loin avec «You’ve Got What You Want», dégelée exponentielle d’out of my mind girl ! On se régale encore une fois du son de «Pink Purple Yellow & Red», de son violent bassmatic et de l’incroyable qualité de sa vitalité. C’est pas loin des Creation et on entend le bassmatic venir rôder à trois reprises dans les parages. Ils nous vrillent «My Gal» à la fuzz. Leur «No No No No» n’est pas loin des Beatles, avec un truc en plus, ils sont en plein dedans. On tombe plus loin sur une autre version de «Take A Heart», celle de l’album, en stéréo, grattée au proto-punk, et on voit arriver le solo comme une bombe. C’est la version qu’il faut écouter. «She’s Got The Action» sonne comme un vieux shoot de wild abandon. Ils sont capables de jouer à la folie, comme les Yardbirds («Teenage Letter») et ils tapent une version du «Cara-Lin» des Strangloves au rentre-dedans. Ils explosent tout ce qu’ils touchent au big British beat, avec du killer solo flash à la clé. Les power bluffs qu’on entend sont ceux de Jimi Hendrix dans «Fire». Ça se termine sur deux resucées démentes de «Come With Me» et «Let Me In», sans doute les cuts les plus définitifs de l’ère bénie du proto-punk britannique : le solo t’explose en plein gueule et ça repart au riff de basse comme si de rien n’était. Let me in.

    Don Fardon et le bassman Phil Packham vont reformer les Sorrows en 2011, avec un nouveau lead nommé Marcus Webb. Mais apparemment, ils n’ont rien enregistré.

    Signé : Cazengler, Sirow

    Sorrows. Take A Heart. Piccadilly 1965

    Sorrows. Old Songs New Songs. Miura 1969

    Sorrows. You’ve Got What I Want: The Essential Sorrows 1965-1967. Grapefruit 2010

     

    PATRICK GEFFROY

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    Patick Geffroy est musicien, nous avons présenté dans nos livraisons ( voir KR'TNT ! 503 du 25 / 03 / 2021 ) quelques unes de ses peintures. Ne cherchez pas dans la phrase précédente de hiatus entre musique et peinture. Surtout que sa manière de faire de la musique s'inscrit au sens fort de ces mots dans une démarche poétique. Ce n'est pas qu'il ait donné quelques spectacles de lectures de textes, vous trouverez sur YT quelques vidéos sur lesquelles il a posté quelques poèmes mis en musique par ses soins, parfois il lit aussi, parfois il se contente d'accompagner, ce n'est pas non plus que lui-même écrive de la poésie, il fait aussi de la photographie, non c'est qu'il pratique la musique comme les poëtes écrivent, en solitaire, pas en face de sa feuille blanche, face à son instrument. Pour être précis, de ses instruments.

    Vous achetez un disque de Miles Davis, il n'est pas tout seul à jouer, idem pour John Coltrane, je ne cite pas ces noms au hasard, la loi du jazz, des rencontres de hasard, amicales ou recherchées, des formations professionnelles ou personnelles, certes les pianistes sont souvent seuls sur scène, mais Patrick Geoffroy ne joue pas du piano – ce n'est pas qu'il ne se débrouille pas dessus, vous lui refilez n'importe quelle rareté d'instrument que vous avez ramené d'une tribu perdu de l'Amazonie, ou un truc bizarroïde qui vient juste d'être inventé, dix minutes plus tard il a compris le fonctionnement et il en sort une mélodie ou un rythme quelconque, toutefois ses instruments de prédilection se classent en règle générale dans la vaste famille des vents.

    Toute la musique que nous aimons, vient de là, nous commencerons donc par le blues.

    ''FREE BLUES HARMONICA''

    '' DADA BLUES ''

    ( You Tube / 2014 )

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    Attention vidéo un poil spartiate, mi-corps de Patrick Geoffroy, face à vous durant six minutes, lui et son harmo, devant un paravent blanc, chez lui, quelques effets sautillants de couleurs, un passage de photos de Patrick Geffroy ( nous en avons extrait la première de cette chronique ), sur la fin la musique continue alors que l'écran noir ne sera plus animé. Du blues oui, mais du blues free. Qui déraille des canons du shuffle conventionnel. La loco et ses wagons ont quitté la voie, n'en continuent pas moins leur chemin, brinqueballent un peu sur la gauche et dévient sur la droite, y-a comme des coups de freins, des soufflets qui vrillent en accordéon, des notes qui trompettent, des amortis violents, mais miraculeusement le convoi file à pleine vitesse tout en restant parallèle aux rails. L'on ne quitte pas le blues originel d'un iota mais l'on bouscule son alphabet de fond en comble. C'est moderne, mais c'est ainsi que j'imagine que jouaient les premiers bluesmen, dans les années 1860, criaient au travers de leur harmonica, lui faisaient dire leur colère rentrée, ne jouaient pas des notes, jetaient des pierres sur les maîtres blancs et l'injustice sociale. L'harmonica était alors une arme blanche. Très beau. Très fort.

    LE BLUES DE L'OURS

    ( You Tube / Mars 2020 )

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    Encore plus rudimentaire. La musique vient du blues, yes ok, mais qu'y avait-il avant le blues. La réponse est facile, avant les esclaves, il y avait les indiens. La vie sauvage et âpre. Le grognement des grizzlis et la plainte du vent dans les plaines. Patrick Geffroy est chez lui, son bureau et sa cuisine. Ni cheval, ni teepee, même pas un harmonica, la voix et une lamelle de fer. Une guimbarde et ce grognement des entrailles qui vient de loin, cette force orageuse de l'Homme qui gît en son cœur, une plainte terrible aussi car si la vie est au plus près de la nature, elle est aussi plus dure et plus cruelle. La voix roule des roches sans fin, celles des torrents et celles des pitons rocheux dressés vers le ciel, sur lesquels se détachent dans les westerns la fière silhouette d'un guerrier, guetteur du malheur... Trois mouvements, celui de la vie païenne qui nous ramène aux rives du néolithique, celui des chevauchées folles et des combats, enfin celui de la colère enfermée au fond des poitrines... un blues rouge, celui des nuages rose de l'aurore, et celui du sang versé en vain. Qu'il soit bleu ou rouge, la couleur du blues reste le noir du désespoir . Des vaincus. Des résistants.

    STELE 1 / FOR BILLIE HOLIDAY

    ( You Tube / Octobre 2015 )

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    Jour d'été. Patrick Geffroy en short beige et marcel bleu, devant une porte de garage qui a beaucoup vécu... Tient un bugle ( flugelhorn ) entre ses mains. La trompette à trois pistons de la famille des saxophones, sa forme ramassée évoque celle du buffle, un taureau particulièrement difficile à toréer, surtout que la cape rouge ensorceleuse se réduit à la minuscule surface des lèvres.

    Avec Billie, l'on a encore un pied dans le blues, et l'autre déjà dans le jazz. Toute la différence qui existe en une phrase et un thème. Geffroy ne vise pas à ce que vous tiriez votre mouchoir pour verser quelques larmes sur la malheureuse Billie, il ne dit rien, il ne rajoute rien, il ne désigne rien, il ne souligne rien, ne recherche aucun effet, c'est le bugle qui rend hommage à Billie, il chante, sans les paroles, juste l'âpreté d'une vie humiliée et triomphante, peu de rythme – les étranges fruits pendus aux arbres ne dansent pas la carmagnole - la vidéo est courte, mais ces deux minutes vingt condensent toute la tristesse du peuple noir, ponctuée de ces courts arrêts pour reprendre souffle, tel un boxeur qui fait une pose au tapis pour se relever et continuer le combat. Quitte non pas à y laisser la vie mais à en crever. Billie is the holy day and the holy night de nos cauchemars.

    NATURE BOY

    ( You Tube / Novembre 2021 )

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    Un thème célèbre emprunté au quintette pour piano de Dvorak N°2, repris par un peu tout le monde, notamment par Ennio Morricone, ici interprété au kaval, longue flûte en bois de cerisier des pays d'Europe de l'Est, interprété par Patrick Geffroy, le clip est un habile montage de photos du musicien en train de jouer en pleine nature. Dès les premières notes vous reviennent les vers de Baudelaire dans Correspondances :

    Il est des parfums frais comme des chairs d'enfants

    Doux comme des hautbois, verts comme les prairies

    Une trompe douce comme un appel, une clairière ouverte au soleil, et puis des cris stridents et essoufflés comme des oiseaux qui jouent, l'on n'entend pas une flûte, mais le bois qui chante, module et s'allonge vers l'infini, ou alors cette fine herbacée qu'enfant on posait sur nos lèvres pour en tirer des sifflets avortés, notes graves d'herbe grasse et opulente qui amortit le bruit des pas pour ne pas réveiller celui qui marche en rêvant. Éclats agrestes et virgiliens tu tytire tu tires de ta flûte des sons qui endorment les agneaux aux flancs des brebis, des ramiers roucoulent tandis que sourd l'eau de la source, un chant profond, celui du dieu Pan qui se plaint d'avoir été oublié des hommes, vents sonores des regrets, et pépiements d'oiseaux insouciants.

    PLIURE SPECTRALE

    ( You Tube / Novembre 2021 )

    Patrick Geffroy ( Trompette en quatre ) / John Gilbert ( Synthétiseur )

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    Vous avez eu le calme, voici le bruit et la fureur du monde. L'auditeur portera tout de même son attention aux ressemblances entre ces deux morceaux si différents, ce sont les mêmes structures, dans Nature Boy ce sont les abîmes qui séparent le brin d'herbe de l'arbre, dans cette Pliure spectrale, ce sont les abysses infranchissables entre le grain de sable et l'Himalaya, pas besoin d'explorer le Tibet, ces gouffres sont en vous, et entre vous et les hommes qui vous entourent.

    Une très belle vidéo, des éclats de couleurs qui colorisent les arêtes du mobilier, palpitent et flashent, une image un peu floue, qui se dédouble, et John Gilbert qui a ajouté le bruissement de son synthétiseur, peut-être pour que l'auditeur attiré par la trompette ne s'envole pas trop haut et ne se perde pas dans le dédale sonore. L'a du doigté dans sa fébrilité John Gilbert, jamais il n'obstrue le solo spectral de Patrick Geffroy. Quant aux pliures, elles sont à mettre en relation avec le mallarméen Pli selon Pli de Pierre Boulez.

    Attention, un grand pas de géant entre le blues de la première vidéo et ce jazz free de Spectral Foldings, nous sommes même plus loin, après l'after-free, plus loin que le post-free, tout près de cette chose inconnue qui n'est que l'autre nom de la musique.

    Le synthé clapote, tambourine, tinte, et la trompette démarre, elle ne va pas loin, reste en elle-même, pas plus loin que son souffle, minimalisme exacerbé avec des nostalgies de fanfares cuivrées dont le vent nous aurait apporté des fragmences d'éclats, une trompette qui cherche à trouer le temps, à s'enfuir de sa propre temporalité, qui se perd en ses labyrinthes de notes bruiteuses comme des klaxons asthmatiques, un dialogue s'engage avec le synthé, des deux qui est la terre stérile et qui est le serpent qui se traîne, froissements, frottements, averses claviériques en évier qui déborde, se parlent malgré tout, tapotements terminaux, on ne saura jamais le secret qu'ils auront chuchoté. Pourtant on les aurait écoutés tous les deux jusqu'au bout de l'éternité.

    Patrick Geffroy, musicien et compositeur.

    Damie Chad.

    *

    Dans notre livraison 527 du 28 / 10 / 2021, nous chroniquions le tout récent album de Baron Crâne, Les beaux jours, dont la sortie fut suivi du clip d'un des titres de l'album.

    Léo Pino-Chaby : guitar / Léo Goizet : drums / Olivier Pain : bass / + invité : Cyril Bodin : vocal.

    QUARANTINE

    BARON CRÂNE

    ( Clip : Sébastien Fait-Divers / YT )

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    Ils auraient pu. Ils ne l'ont pas fait. Y aurait eu de belles images en calquant les paroles. Crash de bagnoles, sang sur le pare-brise et j'en passe. Visages zébrés et vitrifiés. Un scénario rêvé à la Tarantino. Ben non, z'ont évité le boulevard qui s'ouvrait à eux avec les gyrophares des premiers secours et les soubresauts cadavériques des derniers instants. Se sont rappelés qu'ils sont juste un groupe de rock, pas des rockstars, même pas une Rolls ou une Ferrari, pire pas même une Harley chromée qui n'attend personne sur le trottoir, juste un mec qui marche, la clinquance du rock 'n'roll, l'ont laissée au garage, z'ont visé l'impalpable, l'esprit, l'âme du rock 'n' roll. Donc un mec qui marche dans la rue, pas n'importe qui non plus, l'a la dégaine, le jeans, le perfecto, les cheveux longs, mais comme l'habit ne fait pas plus le rocker que le moine, Cyril Bodin irradie de cette démarche féline, de cette allure ondulante, de ce pas décidé du fauve sur la piste de sa proie. Vous avez envie de parodier Ronnie Bird et de demander Où va-t-il, mais où va-t-il ? Vous le savez très vite. Il tire une porte, la musique vous saute à la gorge, certes elle était déjà là durant sa pérégrination, mais nous sommes dans un local de répétition, le groupe est en train de jouer, quelques gros plans rapides sur les musicos, Cyril passe imperturbable, à croire qu'il n'est pas concerné, au passage il s'est emparé d'une carafe au contenu translucide, le voici qui emprunte un escalier et qui dans ce qui semble être un réduit s'installe dans une baignoire sans eau, ô mânes de Jim Morrison priez pour lui, fait sauter le bouchon du carafon, n'y met pas la patte mais y trempe le doigt, goûte et repart à fond, passe à l'étage au-dessus, zieutez la tapisserie mouchetée façon rockabilly, ouvre une porte, se retrouve face à lui-même sur un sofa grattant une gratte qu'il rejette très vite, visiblement en manque d'inspiration, le groupe est en train de répéter dans une autre pièce pendant qu'il descend le colimaçon de l'escalier, semble out, dans les vapes, traverse en funambule atterré le combo qui en est au refrain, chante le gars qui a causé l'accident perdu dans sa tête assailli par son traumatisme, lève les bras au ciel, le voici à terre, à genoux, branlant du chef, imperturbable le groupe continue à jouer comme s'il n'était pas là, l'est comme un fantôme qui n'arrive pas à recoller à la réalité du monde, se couche, se relève, la rage le gagne, fout des coups de pieds à des chaises comme s'il frappait dans le plexiglas qui le retient séparé des vivants, hurle sans qu'on l'entende, l'est face à son psy qui n'a pas l'air efficace, l'est allongé dans l'agonie de sa prison intérieure, malgré les watts l'est dans son ouate, la musique s'affaiblit, mais un rocker n'est jamais vaincu, il se lève, il titube, il avance, un chant céleste s'élève, est-il accueilli par des anges au Paradis, oui, je peux même vous refiler l'adresse si vous êtes pressé, 6 rue Pierre Fontaine au Bus Palladium, le voici sur scène, cheville ouvrière du groupe, en pleine action, devant le public, rocker en pleine forme, Baron Crâne en train de vous trépaner les circuits auditifs, mais tout cette happy end ne serait-elle qu'un cauchemar, l'on est toujours seul avec nos propres démons, toujours en quarantaine en soi-même.

    Un beau clip, l'a une belle présence Cyril Bodin, devrait faire du cinéma. Pas évident de créer un clip rock original, celui-ci est en même temps tout simple et percutant, raconte une histoire, et la mime, tout en détachant la fonction du mime du réel, comme s'il remplaçait le pare-brise sanglant de la voiture, par la fausse naïveté transparente de l'art scopique.

    Damie Chad.

    *

    J'écoutais le dernier album d'Ancient Days, toujours caché dans l'ombre ainsi se définissent-ils, lorsqu'une curiosité malsaine, le démon de la perversité selon Edgar Allan Poe, m'a poussé à me pencher sur leurs précédentes créations. Comment sait-on qu'un album est bon. N' y a qu'à déchiffrer les signes. Pour ce premier opus du groupe ce ne fut pas difficile, le signe est venu à moi, je ne plaisante pas, exactement sur mes genoux. Le chien dormait depuis deux heures et les morceaux de doom que je passais ne troublaient en rien son sommeil, cette douceur doomique s'inscrivait dans la série fais doom-doom mon petit frère, mais à la dixième seconde du premier morceau, il s'est levé brutalement piqué par le scorpion bleu de la frousse verte et tremblant de peur s'est réfugié sur mon giron, l'ai rassuré et caressé mais il a préféré poursuivre sa sieste dans une autre pièce.

    Mon chien a bon goût. Si vous n'aimez pas le doom, cela n'a aucune importance, achetez-le rien que pour la pochette. Vous ne trouverez pas plus pulp, même chez Cramps. Une véritable affiche de cinéma, une esthétique expressionisto-populaire dont un collectionneur comme Vince Rogers est friand, avec texte aguichant en grosses lettres, une féminine créature pulpeuse comme il se doit, liée à son poteau de torture par deux bourreaux masqués, sur la droite longeant le rivage s'avance un lourd chariot mystérieux des âges farouches, la foule massée et silencieuse attend que le spectacle des horreurs commence, au premier plan un sombre cercueil recueillera les restes de la victime sacrifiée, son visage horrifié aux yeux exorbités occupe tout le haut du dessin. Masturbation obligatoire entre sept et soixante-dix sept ans, sans pass de contrôle.

    Pas besoin d'un second dessin, les jours anciens tels qu'Ancient Days les dépeint ne vous portent pas à regretter le passé, la mélancolie n'a pas sa place dans cet album. Beaucoup ne supportent pas le doom. Ne sont pas faits pour lui. Tant pis pour eux, nul n'est parfait. Le doom est musique d'ambiance qui très souvent se complaît dans le terrifique. L'ancêtre préhistorique du Doom restera pour l'éternité Black Sabbath, plutôt le premier album, mais le Sabbath Noir était empli d'énergie, vous donnait l'impression qu'ils étaient pressés de passer de l'autre côté, avec le doom, il y a longtemps que l'on a abordé sur l'autre rive, en un paysage de désolation et en des temps de cruautés inouïes, oui, mais ce verso de médaille rouillée possède un recto rutilant, l'est un fabuleux incitateur aux rêves illicites et aux songes interdits. Que nul n'entre au pays du doom, s'il n'en est pas déjà revenu. N'est-il pas le pays natal de certaines âmes...

    ANCIENT DAYS / ANCIENT DAYS

    ( Septembre 2020 )

    Brian Yates : bass / Jake Dwiggins : drums / Papillon Burkett : guitars / Alex Wangombe : keyboards / Derek Fletcher : vocals.

    Sont d'Indianapolis, capitale de l'état d'Indiana, située à 240 kilomètres à l'est de Chicago.

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    You can't run : ne dure qu'une minute et demie mais oscille entre chanson à boire et rituel tragique, une basse qui vous file des coups de poignards dans le dos et la voix de scalde de Derek qui scande envers votre personne des avertissements prophétiques peu joyeux, vous regrettez d'avoir mis le pied sur ce nid de frelons, mais vous ne pouvez fuir, tétanisé par une crainte incapacitante. Malgré votre frayeur en tant qu'esthète vous reconnaissez que cette intro ne manque pas de charme. Il est trop tard, deux derniers hurlements vous figent dans votre détresse. Black magic : avez-vous déjà entendu une basse aussi noire et aussi lourde, et cette batterie qui entame le tronc des arbres à la manière d'une cognée de bourreau qui débite des têtes sans marquer un temps d'arrêt, la guitare suinte par dessus à la manière du sang qui teint en rouge le billot des condamnés, le rythme est lent, la voix de Dereck résonne au loin, ressemble à une procession mortuaire, magie noire, qu'il est long le chemin du cimetière où vous espérez reposer en paix. Something in the trees : un titre à la Lovecraft, à la haine craftique, une menace indicible, un monstrueux pivert invisible tape sur une branche, de la blessure de l'aubier coule la sève d'une guitare, s'il continue à frapper c'est un trou dans le fond du monde qu'il va creuser, Fletcher vous avertit, lance ses imprécations comme des flèches empoisonnées, ne vous approchez pas du bord de l'abîme, sa bouche énorme vous avalerait. Midnight screams : cérémonie funèbre, une cloche tinte, Fletcher le prêcheur vous parle du cri de minuit qui vous saisit à la gorge et vous entraîne de sa main glacée dans le trou sans fond de l'univers, là où les étoiles sont de tout petits cailloux, des caillots de sang qui vous obstrue les fosses nasales et l'œsophage, il est trop tard pour les recracher, cela ne manquerait pas d'aggraver votre cas. Profitez-en pour vous intéresser aux claviers d'Alex Wandgome, le gars qui ne se fait pas remarquer et qui synthétise sans bruit de si immenses drapés noirs identiques au silence de ces espaces infinis qui effrayaient tant Blaise Pascal que vous n'avez pas compris que tel un Christo démoniaque, il enveloppe l'univers en son entier d'un sombre linceul. In the night : un noir prolongé, une noirceur infinie, des ondulations de magma, des chœurs de moine tibétains dévorés par l'abominable homme des neiges noires, vous l'intuitez  il est des nuits plus sombres que d'autres, plus profondes aussi, c'est lorsque vous atteignez le point de non retour de la lumière que la guitare bruisse et sanglote et se tait car tout est terminé, le cercueil du monde s'est refermé sur vous, alors que vous n'en étiez jamais sorti. C'est que l'on appelle une prise de conscience métaphysique. Man in the window : encore un titre de nouvelle à la Lovecraft, juste pour vous dire qu'il ne faut jamais s'endormir, vous croyez entendre tomber du verre brisé, non ce n'est que le vautour de la guerre qui vous recouvre de ses ailes déplumées, plus jamais vous ne verrez la lumière du soleil, qui est cet homme à la fenêtre de votre âme, sans doute est-ce vous, rythmique hypnotique, balancement de spectres autour d'une tombe, laissez-vous envoûter par le chant Fletchérien, il n'y aura pas de survivants, le vautour repliera ses ailes, mais le soleil ne se montrera plus puisqu'il n'y aura personne pour le voir. I'm everything : une expérience extraordinaire, quand vous n'êtes plus rien, votre positivité est égal au grand tout. Une rythmique que personne n'oserait prétendre joyeuse, mais Fletcher et les boys parviennent à exprimer une certaine plénitude, celle du néant, que vous n'êtes pas puisque vous êtes son exact contraire, toutes choses de ce monde. Qui n'est qu'une ombre qui devient ce qu'elle n'est pas. Deaths hand : sacré tonus musical, quand la mort vous prend la main, l'on ressent une énergie folle, l'on pense que ce sont nos dernières forces de vie qui se lancent dans un ultime combat, ce n'est pas tout à fait vrai, c'est l'énergie de la mort qui entre en vous, aussi mystérieuse que cette matière noire dont les scientifiques prétendent qu'elle est au moins aussi importante que la matière tactile, Ancient Days sont galvanisés par cette manière de broyer du noir, pour une fois ils sortent de l'armoire aux vieux jouets du rock'n'roll un véritable riff grondeur et ravageur, mais pas trop vite toutefois, l'on ne va pas gâcher une fête aussi lugubre pour un misérable riff qui s'ébroue et renâcle pour se lancer dans une course folle, tout doom, tout doom, pas la peine de prendre la mort aux dents. Blind eyes : plus sombre que la tombe où repose mon ami disait Lowry, la voix de Fletcher enfonce les clous dans nos orbites, à quoi servent des yeux qui ne voient pas la profondeur des ténèbres, nous sommes ainsi, notre esprit se contente de la surface des choses, un titre qui vous met à l'aise, certes il y a du noir mais vous ne savez pas voyager vers l'outre-noir. Soulages vous soulage-t-il si vous ne pénétrez pas sous la couche de sa peinture. Existe-t-il un doom qui irait plus loin que le noir. House in the woods : titre de Lovecraft ou de film d'horreur, draperies noires de l'orgue, la voix de Fletcher ulule comme l'oiseau maudit sur son arbre, la basse de Brian Yates s'alourdit, quelqu'un approche, peut-être est-ce la maison qui se déplace, si tu évites le danger, le danger viendra à toi, il n'est jamais celui auquel l'on pense, il faut savoir voir et entendre les choses à la manière des palindromes, renverser la logique habituelle, lire le monde à l'envers pour qu'il apparaisse tel qu'en lui-même. Feel the fire : tiens ils savent vraiment faire du rock, ça chauffe, l'eau frémit, les pieds se hâtent lentement sur les tapis de braise et d'ordalie, Fletcher gâte un peu l'ambiance avec sa voix de nécromant, si St Jean l'avait connu il aurait renvoyé les trompettes de l'Apocalypse chez elles, l'aurait mis les anges au chômage, Fletcher sur un nuage les aurait avantageusement remplacés, avec sa voix sépulcrale les tombeaux se seraient ouverts tout seuls, quel chanteur, l'a un style bien à lui, reconnaissable entre tous, n'est sûrement pas le meilleur du monde, mais le mouton noir du troupeau c'est lui, l'a dû aussi réfléchir à la façon de la mixer, totalement en dehors de l'instrumentation mais souverainement englobé dans la pâte instrumentale. Unité de ton, mai pas de lieu. Sonic air : l'on continue dans le rock, question air sonique ils s'y connaissent, grand coup de vent pour chasser les nuages noirs, z'y vont à fond la caisse et klaxonnent pour avertir qu'ils ne feront pas de quartier au prochain carambolage, se lancent dans une course de vitesse et ne sont pas loin de la gagner, sur la fin vous avez un passage qui semble sortir tout droit de Mountain. Il est vrai qu'en lourdeur Mountain et Leslie West en connaissaient un morceau. Terminent en tourbillon.

    Un bel opus. Qui n'est pas le plus connu. Peut-être pas aussi bon que le suivant Black Magic Nights – question titre ils ont de la suite dans les idées, des mono-maniaques, faites un tour sur leur bandcamp – mais plus singulier, Black Magic Nights un peu trop proche de Black Sabbath dans la compacticité des morceaux, à mon humble avis.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    UNE TENEBREUSE AFFAIRE

    EPISODE 09

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    RENTRER CHEZ SOI : 1 : PREPARATIFS

    Rentrer à notre QG ne fut pas une mince affaire. Le Chef avait prévu un coup de Trafalgar. A son habitude il prit la direction des opérations ;

    _ Équipe N° 1 : Joël, reprenez votre berline, roulez doucement, faites vous dépasser par un taxi, les filles vous notez le numéro, ensuite vous vous débrouillez pour trouver un garage, ou un Pièces-Auto où l'on refait les plaques d'immatriculation, je compte sur vous pour que les employés subjugués par votre détresse ne vous demandent pas la carte grise dont la présentation est obligatoire. Équipe N° 2 : Agent Chad avec l'aide bénéfique de la section canine, trouvez-vous un déguisement qui n'attire pas l'attention sans rentrer dans un magasin, je vous donne rendez-vous dans trente minutes ici même, je me charge du plus difficile, je fume un Coronado !

    Les filles pépiaient de joie, elles avaient accompli leur mission plus rapidement qu'un professionnel plongé dans le chaudron des coups fourrés et tordus depuis des années. Mais elles ne me reconnurent pas quand dix minutes plus tard je m'assis à côté d'elles à une table voisine et que je commandai d'une voix chevrotante une grenadine. Ce n'est qu'à l'apparition des cabots tout frétillants qui vinrent se coucher sous ma chaise qu'elles réalisèrent leur manque de perspicacité. Même le Chef poussa un sifflement d'admiration. C'était la première fois qu'il se livrait à mon égard à une telle distinction !

    Soyons modeste, sans le secours de Molossa et de Molossito je n'aurais jamais réussi ma mission. Dès qu'ils aperçurent de loin le pauvre aveugle, ils passèrent à l'attaque, Molossito se saisit dans sa gueule de la canne blanche et partit au galop suivi de Molossa qui au passage mordit à la patte arrière gauche le Golden Retriever qui de colère se lança à leur poursuite, il tira si fort que son maître handicapé roula à terre, l'occasion était trop belle, le gars ne savait plus où il était, il gémissait :

    _ Aidez-moi, je n'y vois rien !

    _ Vos lunettes sont sales, donnez-les moi que je les nettoie !

    _ Oh merci Monsieur !

    _ Je vous en prie, passez-moi plutôt votre béret, et votre paletot que je brosse les salissures

    Muni de mon butin, je démarrai un sprint,

    _ Attendez-moi là, je reviens avec votre chien !

    RENTRER CHEZ SOI : 2 : UNE PRUDENTE APPROCHE

    Joël stationna la limousine assez loin de notre QG, le Chef alluma un Coronado :

    _ Agent Chad, c'est la partie la plus délicate de la mission, nous serons en embuscade aux deux bouts de la rue pour surveiller votre progression et si nécessaire vous porter secours, attention quand vous arrivez devant le passage, je suis sûr que l'Avorton est dans le coin, vigilance tous azimuts, l'ennemi est partout !

    _ J'y vais tout de suite Chef, le temps de prendre un chien.

    _ Surtout pas Agent Chef, l'Avorton les connaît !

    _ Chef, vous me décevez, ni Molossa, ni Molossito, mais Rouky, le chien de l'aveugle, je l'ai récupéré, une brave bête, il attend dans le coffre, je voulais vous faire une surprise !

    _ Mais l'aveugle – hasarda Françoise - sans son chien, il...

    _ Il attend, la coupa froidement le Chef, toute sa vie s'il le faut, maintenant que vous êtes avec le SSR, n'oubliez jamais qu'il n'y a qu'une seule chose au monde qui n'attend pas : le rock'n'roll !

    RENTRER CHEZ SOI : 3 : SI POSSIBLE

    Ma canne télescopique à la main, je progressais lentement, Rouky s'adapta à ma démarche hésitante, il serait bien resté batifoler avec Molossito, mais c'était un chien de devoir, nous approchions du numéro 17, une Lamborghini jaune était stationnée sur le trottoir d'en face au numéro 12, l'Avorton était bien sûr de lui, je compris le sadisme du personnage lorsque j'arrivais à l'étroit passage qui menait à notre QG, il n'existait plus, un mur recouvert d'un vieux crépit obturait l'ouverture – on aurait juré qu'il avait été construit au siècle dernier – il était venu pour jouir de notre déconvenue, je passai devant la dernière création des artistes de la Défense et Sécurité sans rien manifester...

    RENTRER CHEZ SOI : 4 : MIMETIQUE

    Nous sommes revenus tous les quatre, los cabotos, le Chef et moi, aurions-nous été aperçus par un réalisateur qu'il nous aurait signé sur le champ un contrat pour un blockbuster à Hollywood, nous jouâmes notre rôle à la perfection, le Chef piétina son Coronado de rage, je tambourinai sauvagement contre le mur, Molossito pleurnicha en poussant des plaintes déchirantes, Molossa mordit le mollet d'une ménagère innocente qui voulut se plaindre mais nous la rabrouâmes et l'injuriâmes si fort qu'elle détala en boitant sans demander son reste, nous fûmes si convaincants que la Lamborghini démarra en trombe, klaxonna, nous eûmes juste le temps d'apercevoir la face ricanante de l'Avorton et son bras d'honneur...

    RENTRER CHEZ SOI : 5 : COLETTE

    Joël, Rouky et les filles nous avaient rejoints, la Chef alluma un Coronado, Molossito aboya joyeusement et courut vers une vieille dame, c'était Colette, notre logeuse :

      • J'ai entendu le gémissement de Molossito, la Mairie de Paris est venue nous avertir hier soir qu'ils allaient murer l'entrée, ne voulaient pas que des drogués s'installent dans la vieille cabane, ne vous inquiétez pas il existe une deuxième entrée, descendez la rue, tournez à droite, et tout de suite à gauche, entrez au numéro 12, la porte est toujours ouverte suivez le couloir, vous ouvrirez la grille avec la clef que voici, continuez le chemin et vous serez chez vous.

    Nous la remerciâmes longuement. Nous étions ses obligés. Elle ne voulut rien entendre :

    _ Pensez plutôt à vos ravissant toutous, tenez, je rentre des courses, voici une barquette de six côtelettes qu'elle entreprit de distribuer à ces braves petits chiens-chiens sans malice...

    Depuis j'ai peur que dans l'imaginaire de Molossito, Colette et côtelette ne forment qu'un seul et unique mot !

    ENFIN CHEZ SOI !

    Le numéro 12 semblait désaffecté, nous restâmes aux aguets quelques minutes, suffisantes pour nous apercevoir que c'était une maison de passe, prostitution et chambres de rendez-vous pour ébats d'amants discrets, le va-et-vient était incessant, visages baissés les personnes qui se croisaient affectaient de ne pas se voir... entre deux allées et venues nous filâmes dans le couloir, une trentaine de mètres un panneau était placé sur une grille, ''Danger D'Eboulements, Passage interdit''. La clef fut notre sésame, dans le noir absolu, nous continuâmes le corridor, au bout d'une vingtaine de mètres nous butâmes contre une porte en bois, la clef nous permit de la pousser, nous débouchâmes dans la baraque en planches de la vielle bicoque. Enfin nous étions chez nous !

    INSTALLATION

    Les filles faisaient la moue. Elles devaient penser que le logement de nos futurs ébats s'avérait insalubre, toutefois le jardin envahi d'herbe folle leur parut romantique, elles ne continrent pas leur joie dans l'abri anti-atomique, '' avec un peu d'aménagement nous le transformerons facilement en un délicieux boudoir'', le Chef leur débloqua immédiatement une ligne de crédit sous forme d'une grosse poignée de billets de cinq cents euros, elles passèrent l'après-midi à écumer les magasins du voisinage et à ramener des piles de marchandises diverses... les trois chiens s'amusèrent à se poursuivre, quant à moi après avoir pris quelques notes sur mon téléphone portable qui me serviraient plus tard à rédiger un nouveau chapitre du Journal d'un GSH, je rejoignis le Chef qui savourait un Coronado au soleil tout en discutant avec Joël :

      • Tiens c'est bizarre, ces buissons de Malvaceae rouges au quatre coins du jardin, ce sont les seules fleurs qui semblent avoir été plantées intentionnellement, tout le reste c'est un peu le fouillis ou n'importe quoi !

      • Vous vous y connaissez en plantes Joël, demanda le Chef l'air de rien

      • N'oubliez pas que je suis professeur de mycologie et les champignons poussent souvent à côté des fleurs !

      • Et vous n'ignorez pas l'espèce à laquelle appartiennent ces malvaceae !

      • Bien entendu, ce sont des hisbiscus !

      • Et cela ne vous fait penser à rien...

      • Heu non... vraiment pas... il blêmit soudainement... ce n'est pas possible, non ! Hibiscus... Ibis... rouge tous les deux... je n'y comprends plus rien... quel est donc le rapport... ne serait-ce pas un simple jeu de mots dû au hasard... et Charlie Watts par dessus le marché... quel insoluble mystère !

      • Vous ne croyez pas si bien dire Joël, ce soir après le repas, nous en discuterons, je pense que l'agent Chad amateur d'Antiquité sera à même de nous apporter quelques éclaircissements.

      • Bien sûr Chef, vous avez la chance d'avoir sous la main un amateur distingué de la période romaine et un fan des Rolling Stones, que voulez-vous de mieux, en toute modestie j'ajouterai que je fais partie du club très fermé des GSH, ces anodines initiales ne signifient-elles pas Génies Supérieurs de l'Humanité !

    Le Chef se contenta d'allumer un Coronado.

    A suivre...