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  • CHRONIQUES DE POURPRE 569 : KR'TNT 569 : TONY STRATTON SMITH / RIPLEY JOHNSON / LEN PRICE 3 / PATRICE HOLLOWAY / EDDIE COCHRAN / SPUNYBOYS / ACROSS THE DIVIDE / ALEXANDRE MATHIS

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 569

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    06 / 10 / 2022

     

     TONY STRATTON SMITH / RIPLEY JOHNSON

    LEN PRICE 3 / PATRICE HOLLOWAY

     EDDIE COCHRAN / SPUNYBOYS

    ACROSS THE DIVIDE / ALEXANDRE MATHIS

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 569

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    Strat O’sphère

     

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             Strat ? C’est ainsi qu’on surnomme Tony Stratton Smith dans le book extrêmement bien documenté de Chris Groom, Strat! The Charismatic Life & Times Of Tony Stratton Smith. Strat fit partie des fameux gay men qui présidaient aux destinées du showbiz britannique, au temps du Swingin’ London, les plus connus étant Brian Epstein, Robert Stigwood, Larry Parnes et Simon Napier-Bell. Mais il y a aussi Ken Pitt (David Bowie), Billy Gaff (Rod Stewart), Vic Billings (Dusty Springfield) et bien sûr Kit Lambert, co-manager des Who. Simon Napier-Bell : «Most of the best managers were gay.» Il ajoute : «Les gay managers semblaient être les meilleurs. La plupart d’entre-eux jouaient un double jeu, à la fois dans leur monde et le monde extérieur. Les Jewish managers était aussi excellents, la plupart d’entre-eux ayant joué le double jeu depuis leur enfance à l’école.»  

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             Avant d’entrer dans le showbiz, Strat fut journaliste sportif. C’était du temps des Brésiliens, de Pelé, des grands clubs anglais et de Bobby Charlton. Comme beaucoup d’entrepreneurs installés à Londres dans les early sixties, Strat flaira très vite le jackpot et se mit à manager des groupes et, pour avoir les mains libres, il monta dans la foulée son propre label, The Famous Charisma label. Comme Jac Holzman à la même époque à New York, Strat se spécialisa dans un son qui correspondait directement à ses goûts. Charisma fut donc un label de prog dont Van Der Graaf Generator, Lindisfarne et Genesis étaient les figures de proue. De son côté, Holzman tapait dans le folk un peu planplan et les musiques traditionnelles, mais il avait su se moderniser en signant les Doors, Love, les Stooges et MC5. Strat ne s’est jamais modernisé. Les Britanniques sont beaucoup plus traditionalistes.

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             C’est donc un book qui s’adresse principalement aux fans de prog : ça va de Phil Collins (pour le pire) à Peter Hammill (pour le meilleur) en passant par The Nice et les Bonzos. Ce n’est pas une raison pour jeter ce book par la fenêtre, car Groom fait un véritable travail d’investigation et nous fait entrer au cœur du London biz, à l’époque la plus fascinante. Il brosse surtout un portrait saisissant d’un homme haut en couleurs, qui installa ses bureaux à Soho et qui passait le plus clair de son temps dans les bars du coin, fréquentant, comme le dit Peter Grabriel, «the painters, the writers, the gangsters, all the Soho royalty.» Son quartier général était un endroit nommé La Chasse, au 100, Wardour Street, un club privé qui se trouvait à l’étage, au-dessus d’une boutique de paris. Strat y picolait et y gérait son biz. Et c’est au 2i’s Coffee Bar, sur Old Compton Street, que Strat reçoit son baptême du feu. Il se retrouve un soir avec deux ou trois cents personnes «in this awful cellar, payant pour le privilège de s’asseoir in this sweat-box for three hours.» Groom qui est bien documenté rappelle qu’à la fin des années 50, le 2i’s Coffee Bar était considéré comme the birthplace of British rock’n’roll et Mickie Most y bossait, working the cola machine. Comme Strat est gay, il fait gaffe. C’est encore un délit à cette époque que d’être gay. Sa vie privée reste donc secrète. Il ne s’affiche avec personne et comme tous les gens plongés dans le secret, il est parfaitement incapable d’entretenir une relation suivie. Aucun de ses proches ne se souvient de l’avoir vu avec un partenaire. Simon Napier-Bell dit de Strat que sa vie tournait autour des «fine wines, racehorses and rent boys.» Groom insinue que Strat louchait sur un groupe uniquement parce qu’il tombait amoureux de l’un de ses membres. Il cite l’exemple de Keith Ellis, dans les Koobas. Jack Barrie, le boss de La Chasse, le confirme : «I think Strat was madly in love with him.»  

             Cathy McKnight se souvient de l’homme Strat : «Strat was a large man, d’âge indéterminé, (presque) toujours très bien habillé, avec des yeux pétillants et un rire étrange qui ponctuait son discours à intervalles irréguliers. Je n’ai jamais pu le situer.» Elle ajoute un peu plus loin : «Ses principaux traits de caractère semblaient entrer en contradiction les uns avec les autres, était-il un génie ou un charlatan, un esprit original ou un escroc intellectuel de premier ordre ? Strat était de toute évidence un visionnaire, et si parfois certaines de ses visions le conduisaient dans une impasse, ses stratégies étaient le plus souvent d’un bon rapport.» Strat adorait faire la grasse matinée, aussi arrivait-il au bureau à midi, puis il allait déjeuner à 13 h, revenait au bureau à 16 h et sortait toute la nuit. Peter Jenner : «Great geezer, Old-school. Very sharp.» Il donnait aussi des rendez-vous dans un pub de Wardour Street qui s’appelait The Ship, entre 12 h et 12 h 30, nous dit Steve Weltman - My dear boy, I think we should have a meeting in The Ship - Et ça commençait par une pinte de Guinness pour faire passer la gueule de bois.

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             L’une des premières rencontres que fait Strat est celle de Brian Epstein. Ils se rencontrent à Amsterdam où Epstein organise une tournée des Beatles. Il demande à Start de ghost-writer son autobio, le fameux A Cellarful Of Noise. Mais comme Strat qui est alors écrivain bosse déjà sur un autre projet, il donne son accord mais demande six mois de délai. Quoi ? Six mois ? Epstein explose. Il veut ça tout de suite. Alors il va engager Derek Taylor. Strat est cependant ravi d’avoir rencontré Epstein : «J’ai appris beaucoup de Brian, notamment le fait que le rôle du manager est un rôle créatif. Il croit créer les conditions dans lesquelles les artistes vont pouvoir évoluer. Ce qui demande un talent et une discipline qui vont plus loin que celles des juristes et des comptables. J’aimerais croire que je suis devenu l’un de ces managers.»

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             Strat va démarrer sa carrière de manager avec des artistes extrêmement intéressants : Beryl Marsden, les Koobas et les Mark Four. Pour lancer Beryl, il bosse avec le producteur Ivor Raymonde et sort un premier single en 1965, «Who You Gonna Hurt». Mais la relation est tendue entre Beryl et Strat : elle lui reproche de ne pas assez s’occuper d’elle. Ce sont les Gunnell Brothers qui la récupèrent en 1966 et qui la mettent dans un groupe fraîchement assemblé, The Shotgun Express, un groupe dans lequel on retrouve Rod The Mod, l’organiste Peter Bardens, Peter Green, Dave Ambrose on bass et Mick Fleetwood au beurre. Les Gunnell Brothers vont aussi lancer Georgie Fame.

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             Il existe une belle compile de Beryl Marsden, Changes - The Story Of Beryl Marsden, parue en 2012 sur RPM, qui fut l’un des grands labels anglais de rééditions. Cette compile est une vraie caverne d’Ali-Baba. Cette petite gonzesse de Liverpool chante au sucre candy et comme toujours chez Strat, c’est très produit. Au fil des cuts, on voit sa voix s’affermir et quand elle attaque «Love Is Going To Happen To Me», elle devient en quelque sorte définitive. C’est un peu ce qui va la caractériser : le côté ferme et définitif. Elle chauffe admirablement «Who You Gonna Hurt», un slowah super-frotteur, ah la garce, comme elle frotte, et avec «Gonna Make Him My Baby», elle pique sa crise Motown. C’est elle la reine de Liverpool. Ce cut est un vrai coup de génie. La fête se poursuit avec «Music Talk», elle groove sa Soul blanche around the world, comme Martha Reeves, elle devient Beryl en la demeure, avec une mélodie qui est celle d’«Ode To Billie Joe». Elle tape à la suite dans le «Break A Way» de Jackie DeShannon. Wow, quelle heavy pop ! Elle revient à Motown avec le «Let’s Go Somewhere» d’Eddie Holland et tout explose avec le Shotgun Express et deux cuts ultra-chantés et ultra-orchestrés, «I Could Feel The Whole World Turn Round» et «Funny Cause Neither Could I». Elle braille avec Rod The Mod à l’unisson du saucisson, c’est excellent ! Elle traverse ensuite une période atroce de son à synthés et revient à la raison avec le «Baby It’s You» de Burt, au shalala, elle redevient la reine de la nuit, elle chante au vrai grain de voix. Et ça repart de plus belle avec le «Will You Love Me Tomorrow» de Goffin & King, elle est gonflée de s’attaquer à cette merveille, mais elle dispose de l’atout majeur : la voix. Tu n’es pas au bout de tes surprises, car voilà qu’elle monte au créneau avec sa niaque et sa compo : «Everything I Need». Et là tu te prosternes, car elle est vraiment bonne, elle est pleine de Soul blanche, de swing, et de présence à la puissance mille, un peu comme Lulu. Elle revient à sa vielle pop avec «Too Late», yeah yeah yeah, pur jus de Brill, encore une compo à elle. Beryl en la demeure finit par subjuguer. Elle rentre bien dans le chou de «Changes», elle est de plus en plus admirable. Ah quelle fantastique petite gonzesse ! Elle termine avec le «I’ll Be There» de Bobby Darin, elle tape ce slowah à la voix mure, Beryl en la demeure n’est pas une amatrice, elle peut chanter au creux du big stardom, elle en a le gut de l’undergut et la présence vocale. Elle atteint un niveau de niaque assez rare. On imagine qu’étant de Liverpool, elle est tombée dedans quand elle était petite. 

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             Puis Strat manage les Koobas, un groupe originaire de Liverpool. Pour les lancer, il demande à l’Américaine Nancy Carol Lewis de dessiner des pantalons à fleurs, ce qu’il appelle the kooba trews. Les Koobas partent en tournée avec les Beatles et Nancy les maquille chaque soir dans les loges. Groom rappelle au passage qu’à l’époque les Beatles se maquillaient eux aussi. On est en décembre 1965 pour une tournée de dix jours. En-dessous des Beatles, on trouve à l’affiche les Moody Blues, Beryl Marsden, Steve Aldo et les Koobas. Le backing-band pour Beryl et Aldo s’appelle The Paramounts qui vont devenir Procol Harum. Et puis comme l’album des Koobas ne se vend pas, le groupe se désagrège.

             Normal que l’album sans titre des Koobas ne se vende pas : il est mauvais. Dommage car belle pochette. D’autant plus dommage que ça démarre sur «Royston Rose», un joli shoot de British psych, ça joue énormément à l’intérieur du son avec une basse qui rue dans les brancards. Et ensuite, ça bascule dans le mauvais Pepper, une sorte de pop proggy, beaucoup trop évolutive. Ça ne peut pas marcher, sauf chez les bouffeurs de prog. Dommage que tout ne soit pas monté sur le modèle de «Royston Rose». La B est encore plus catastrophique. Ils visent l’épique pur sans en avoir les moyens. Ils tapent une reprise d’«A Little Piece Of My Heart», mais ils n’ont pas les étincelles de Janis. Ils méritent cependant une médaille pour services rendus à la nation.

             Strat repart de plus belle avec The Mark Four qui deviendront dans la foulée The Creation. C’est Robert Stigwood et s’occupait d’eux et Strat accepte de les reprendre à condition qu’ils changent de bassman et il propose Bob Garner, qui a joué dans les Merseybeats et dans le groupe de Tony Sheridan. Le groupe accepte et Strat leur propose de bosser avec son ami Shel Talmy - the hot independant record producer of the day - qui vient tout juste de lancer les Who et les Kinks. Alors attention, on ne rigole plus. Kenny Pickett se souvient très bien de Strat : «J’ai été présenté à ce mec avec un double-barrelled name, une poignée de main sympa mais un peu molle, qui parlait avec un public school accent issued from a rather weak mouth, dressed in a crumpled blue suit and just about the most unlikely rock’n’roll manager I could have wished for. Et puis, il y avait son regard fixé à distance, son air intellectuel et ses joues brillantes, il tenait délicatement sa cigarette entre des doigts d’une grande finesse, on aurait dit un Oscar Wilde accessory, il riait de bon cœur (he would laugh his laugh) et pendant une seconde, je crois que j’ai adoré me bourrer la gueule en compagnie du mec qui venait d’empocher notre cachet pour Ready Steady Go!».

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             Groom nous dit aussi que Shel Talmy ne supportait pas Kit Lambert, par contre, il appréciait Strat, l’un des rares music industry people avec lequel il s’entendait bien - The Creation could have been superstars, mais je n’arrivais pas à les maintenir ensemble et à les empêcher de se séparer tout le temps. Rétrospectivement, je regrette de n’avoir pas travaillé un peu plus pour Tony, parce que c’était un grand personnage et un label boss atypique. On est devenus de bons amis et on a passé de bonnes soirées, car nous pouvions parler de tout et de rien. Il avait beaucoup d’humour, c’était un smart guy et un homme très cultivé, dans beaucoup de domaines, mais il se piquait la ruche de temps en temps. Pour être manager, tu dois être un asshole, tu dois te mettre au niveau du groupe, devenir tordu et tout le cirque. Mais il y avait des exceptions. Je pense qu’Epstein en était une. Le seul mec qui à mes yeux était un good band manager, c’est Tony Stratton Smith. Je l’appréciais beaucoup.»

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             Si tu veux entendre les Mark Four, tu dois choper Creation Theory, un Edsel Box Set paru en 2017 : trois CDs et un DVD. Les Mark Four se trouvent sur le CD 1. Tu as huit cuts. En 1964, ils swinguaient bien, leur cover de «Rock Around The Clock» passe comme une lettre à la poste. Il faut aussi entendre le solo qu’Eddie Phillips passe dans «Crazy Country Hop». What a Hop, my friend ! Tout est trémoloté jusqu’à l’ass de l’oss. Et voilà un hit digne des Who : «Work All Day», joué au riff vengeur. Ils font aussi du Dylan («Going Down Fast») avec une pince à linge sur le nez. Incroyable mais vrai. Ils adorent le Dylan électrique de l’âge d’or. Puis après, ça passe aux Creation et aux versions mono des gros hits : «Making Time», «Painter Man», «Biff Bang Pow», «Nightmares», «Cool Jerk» et tout le reste. Le génie sonique des Creation dépasse tout ce qu’on peut imaginer.

             C’est avec The Nice et les Bonzos que Strat va décoller. Mais il a besoin d’aide pour manager tout ça. Alors, il embauche Gail Colson qui va devenir son bras droit. Groom dit qu’ils sont le recto et le verso du same coin, c’est-à-dire de la même pièce de monnaie. Ils dépendent l’un de l’autre, «lui impétueux, avec ses principes, et une pratique quasi infantile du job d’impresario, elle, la sympathique et prudente business manager qui, d’une certaine façon, réussissait à transformer l’excessive intégrité de Strat en profit.»

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             C’est Lee Jackson, le bassman/chanteur des Nice qui insiste pour que Strat vienne les voir jouer. Il y va et c’est le coup de foudre - I became emotionally involved - Au départ, c’est Andrew Loog Oldham qui avait monté The Nice pour accompagner P.P. Arnold. Quand Strat les rencontre en 1968, ils ont déjà enregistré deux albums pour Immediate, dont l’excellent The Thoughts Of Emerlist Davjack sur lequel joue Davey O’List, un Davey qu’on ne voit jamais orthographié de la même façon : Chris Welsh l’écrit Davy et Discogs David. Quand Strat rencontre le groupe, O’List n’est plus là et il n’est pas remplacé. Viré à cause de son erratic behaviour. On suppute que lors d’un séjour à Los Angeles, David Crosby a spiked his drink avec du LSD, mais en même temps, il était souvent en retard pour les concerts, et même parfois absent. Il doit donc dégager. Le groupe demande à Strat de provoquer une réunion pour annoncer la bonne nouvelle à O’List. The sack. Keith Emerson prend ensuite la barre et The Nice devient un trio. Grâce à Strat, ils ont la chance de pouvoir tourner aux États-Unis, mais ils y perdent de l’argent. Groom estime la perte à $15.000, suite au vol de la caisse à Boston et à des annulations de dates. Groom indique aussi que pendant la tournée, Strat a essayé de signer Captain Beefheart. Malgré le déficit, Strat prend les choses du bon côté : il considère ce déficit comme un investissement. De retour à Londres, il monte le coup du siècle : The Nice with The London Symphony Orchestra. Pour lui, c’est la même chose que d’inciter les Koobas à prendre des leçons de comédie ou d’encourager les Creation à faire de l’Action Art sur scène, «c’est une façon pour très excitante d’avancer». Groom rapporte aussi une anecdote succulente : Chris Blackwell voit un jour Strat sortir d’un terminal d’aéroport. Il marche en tête et derrière, le groupe suit, comme une couvée de poussins derrière la mère poule, alors ça amuse Lee Jackson qui déclare : «Great, that’s gonna be your name from now on... Mother!».  

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             C’est le bouillonnement d’énergie qui caractérise The Thoughts of Emerlist Davjack. Les Nice sortent un son assez typique du London 67, un power indéniable. Ils sont radicalement psychédéliques. C’est vrai que Lee Jackson ne chante pas très bien. Le morceau titre est assez puissant et en même temps inutile, comme bon nombre de cuts de prog. C’est avec «Bonnie K» qu’ils foutent le souk dans la médina. Keith Emerson chauffe sa Bonnie à l’orgue et on entend de magistrales interventions de ce grand guitariste qu’est l’O’List. Il sort un son bien gras, il part en goguette et va croiser le shuffle d’Emerson. C’est un son tellement énorme qu’il en devient américain. Emerson entre dans son domaine avec «Rondo», il lance ici une première incursion dans le domaine du classique, comme va le faire Dave Edmunds avec «Sabre Dance» et Love Sculpture. C’est de la haute voltige. En B, ils reviennent en force avec «War And Peace». Ils développent déjà un sens aigu des instrus à rallonges. Ils sont parfaitement au clair de notaire. Shuffle d’orgue et coups d’O’List qui gratte comme un malade en contrepoint. Pour un virtuose comme O’List, c’est du gâtö. Ils terminent avec «The Cry Of Eugene» chanté à plusieurs voix dans toutes les oreilles, et des flûtes se baladent derrière ton cul histoire de te mettre devant tes responsabilités, c’est assez pénible et ils touchent vite le fond en ramenant des trompettes à la mormoille. O’List veut revenir à la charge pour sauver Eugene, mais c’est trop tard, son heavy sound est noyé dans cette pop prétentieuse et privée d’avenir qui va devenir le prog, cette prétention malsaine à vouloir sonner comme des géants alors qu’ils n’ont sont pas.

             Après les deux albums Immediate, The Nice va enregistrer trois albums sur Charisma. Mais Keith Emerson n’a pas l’intention de continuer avec ce groupe. Il pense que Lee Jackson n’est pas très bon au chant. Il propose à Duncan Browne de le remplacer, sans succès. Puis il rencontre Greg Lake (King Crimson) et Carl Palmer, le jeune et beau batteur d’Atomic Rooster que Strat connaît bien. Avec l’avènement d’ELP, c’est pour Strat la fin du Nice épisode.

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             Comme déjà dit, Strat manage à la même époque une autre équipe haute en couleurs, les Bonzos qui jusque-là étaient managés par Gerry Bron, le boss de Bronze. Pour Bron, ce fut un soulagement que de les perdre : «Ça devenait pénible de les manager et Tony leur disait qu’il pouvait faire ce que je ne pouvais pas : crack American wide open for them.» Il a essayé mais ça n’a pas vraiment marché. Bron pense que s’ils avaient été moins neurotic et plus patients, ils auraient pu devenir one of the biggest acts of all time. Il a raison le Bron, les Bonzos ne mégotaient pas sur la qualité. Ils font leur première tournée américaine en avril 1969 : pas de budget. Vivian Stanshall : «One dollar a day, that’s a burger and a beer - just. But Strat contrived to introduce me to dry Martinis at the Algonquin, Dorothy Parker, Benchleys, Kaufman. We were in New York, for Christ’s sake! It would be improper if we did not. Tony Stratton Smith was a gentleman and an adventurer. He was a very rare man.»

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             En 1970, Strat lance son label Charisma et choisit comme logo The Mad Hatter de Sir John Tenniel, une illustration qu’on trouve dans Alice in Wonderland de Lewis Carroll. Le «Sympathy» de Rare Bird est le premier disk paru sur Charisma, un hit mondial, suivi peu de temps après par l’album des nouveaux clients du manager Strat, Van Der Graaf Generator. Ils deviennent ses chouchous. Strat est persuadé que Peter Hammill «is one of the best lyric writers in the world.» Il le trouve aussi anti-music : «Chaque fois qu’il devient accessible, il fuit et se réfugie dans un royaume impénétrable.»

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             En montant Charisma, Strat a trois modèles en tête : Epstein, Oldham et Lambert : «He had a fine mind, Kit Lambert. C’était un homme très cultivé, a man with tremendous interest in all the visual arts, as well as music. C’était un charmeur très persuasif et les gens les plus durs lui mangeaient dans la main.» Par contre, Strat a du mal avec Andrew Loog Oldham, même s’il le prend comme modèle : «On n’apprenait pas grand-chose d’Andrew, he was one on his own. Son comportement infantile a brisé sa carrière. Ce côté infantile rendait toute négociation compliquée. Avec un vrai businessman, une vision claire et des gens honnêtes pour la mettre en œuvre, Immediate serait encore là aujourd’hui, parce qu’Andrew avait des idées. Il avait un flair énorme, mais il était irresponsable.»

             Les premières grosses ventes de Charisma sont le Five Bridges de The Nice, puis Lindisfarne, Audience et Genesis, suivis de près par le premier album de Van Der Graaf sur Charisma, 15 000 exemplaires en 9 mois. L’or coule à flots chez Charisma !

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             The Least We Can Do Is To Wave To Each Other paraît donc en février 1970. On est aussitôt saisi par le Big Atmospherix de «Darkness» et le sax de David Jackson. Balayé par des vents, Peter Hammill s’accroche à sa falaise, les autres derrière jouent comme ils peuvent, ah, on peut dire que le vent souffle sur Van Der Graaf. On sent qu’ils rêvent de big time. S’ensuit un «Refugees» assez pur, chanté à la Robert Wyatt, Hammill développe un incroyable morphisme dans l’art du Soft. Il devient tout simplement Robert, il dispose du même pouvoir extraordinaire de seigneur de pacotille. Son royaume est l’harmonie, la fantastique ampleur. C’est avec cet album qu’on découvre Peter Hammill, l’homme qui chante dans le punch du son, on le voit encore tailler sa route avec «White Hammer», il chante à la posture, comme un dandy de l’Ancien Régime, c’est un homme qui sait ce qu’il veut, il génère des délires et les drive de main de maître. La prog de Van Der Graaf est sans doute la seule qui ne soit pas ennuyeuse. C’est même une prog qui s’écoute passionnément. Sans doute est-ce la faute à Voltaire. En attendant, ils savent pelleter le charbon dans la chaudière et ce démon de David Jackson l’allume au free extrémiste, il est le crack de la bande, il passe un solo de pur free, il te coule vite fait une apocalypse d’hippie en casquette de cuir. Et ça repart de plus belle en B avec un «Whatever Would Robert Have Said» amené à la fournaise de vazy-mon-gars. C’est un univers totalement à part, ça chante à l’unisson du saucisson, Hammill est le roi du saucisson, il scande à l’Anglaise avec des accents qui préfigurent Johnny Rotten. Ils font aussi des petits coups bucoliques du genre «Out Of My Book», c’est très campagne britannique, avec la flûte de Jackson. Puis Hammill remonte sur la falaise affronter les éléments avec «After The Flood», il adore déclamer dans la tempête, c’est son péché mignon. Leur prog est pleine de surprises, ils passent d’un climat à l’autre sans coup férir et ce démon de Jackson passe un solo de flûte si violent qu’il en crache dans son bec. 

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             H To He Who Am The Only One paraît la même année, au mois de décembre. On y trouve une petite merveille, «House With No Door» qu’Hammill chante avec un tact infini, là-haut sur son chat perché. On retrouve aussi les grandes heures de Van Der Graaf dans «Killer», monté sur des accords connus, et bien harassé par le sax, un sax qui laboure les terres du Comte Zaroff. Mais ça n’est pas un hit car ça dure huit minutes, durée prohibitive. Ce sont les us et coutumes de l’époque. Encore du pur jus de Van Der Graaf avec «The Emperor In His War Room», prog à tous les étages en montant chez Graaf, chant de hargne, loopings d’orgue et de sax dans tous les coins, l’ensemble est assez épique. Hammill semble chevaucher. Il devient évident que Johnny Rotten s’est inspiré de sa façon de chanter. Hammill développe une réelle démesure. Et cette façon qu’il a de roucouler au cœur des tempêtes le rend délicieusement hugolien. Il peut aussi devenir féroce («Lost»), secoué par les ressacs de sax. Il y a des remous dans la soupe aux vermicelles ! En fait, la prog est une quête insensée. Une sorte de désert où on cherche l’humidité. Tous ces grands musiciens oublient tous de boire. Ils sont imbus. Comme le dit si bien le sage, qui a bu est imbu. Alors Hammill s’élance, il est très athlétique. Comme le précédent, cet album est très visité par l’esprit du son. Son y es-tu ? Oui grand-mère ! Alors je vais te manger... Comme le loup qui mange pour rien, Van Der Graff développe du son pour rien. Mais Strat adore ça. Tu as même des gens qui vont trouver ça très bien.

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             Avec Pawn Hearts, les Graaf continuent de cultiver leurs paradoxes. C’est de la prog, avec tout le décousu que cela suppose, mais chantée par Peter Hammill. Alors tu prends ton mal en patience. Tu écoutes. Ça reste une prog chargée de climats, très anglaise, très saine et très respectée, mais il faut bien dire que ça part dans tous les sens («Lemmings») et ça dure onze minutes. À l’époque, on ramassait ces albums pour une bouchée de pain, dans les second hand shops de Goldborne Road. Hammill reprend le pouvoir avec «Man Erg» et redevient l’un des grands shouters d’Angleterre. Il chante au plus juste, il peut même chanter comme un dieu dans les dédales de la prog, il peut devenir miraculeux et trancher dans le vif avec une autorité qui terrifie. Un seul cut en B qui est une suite : «A Plague Of Lighthouse Keepers». Tout le monde craignait les suites à l’époque, car elles ruinaient des faces d’albums, comme par exemple la B de Shine On Brightly. Les Van Der Graaf posent les conditions de la prog avec une certaine prestance, il faut bien l’admettre. Hammill fait l’héroïque, il se fait passer pour un seigneur de l’An Mil et pouf c’est parti pour 25 minutes. Ils passent par tous les états de l’échantillonnage, ils n’ont besoin de personne en Harley Davidson. Les passages sont parfois moyenâgeux et puis ça part en peu dans tous les sens, ça devient l’expression d’un délire que personne ne peut suivre, il faut être sous emprise pour l’écouter. À jeun, c’est imbuvable. David Jackson sauve les meubles avec une crise de free, le son se colore, à l’image de leur délire graphique de photos mauves. On ressort circonspect de cet album et on décide d’en rester là.

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             Mais Strat connaît aussi des échecs. Le premier exemple est Spreadeagle qu’il essaye de lancer en 1972, avec The Peace Of Paper, pourtant produit par Shel Talmy. Sur la pochette brûle un parchemin. Tu ne te relèveras pas la nuit pour écouter cet album mais les bassistes du monde entier devraient écouter «Brothers In The Sunshine», un cut bardé de son que l’omnipotence du bassmatic rend captivant. Tu es chez Shel et cha s’entend, surtout dans «Piece Of Paper», où Andy Blackford passe un solo d’une rare élégance. Le «Nightingale» qui ouvre le bal de la B rappelle un peu Stan Webb : bonne énergie. Spreadeagle est un groupe passé inaperçu, mais avec du son. L’autre point fort de l’album s’appelle «Eagles». Cette fois, ils ne sont pas loin des Who, ce qui n’a rien de surprenant, vu qu’on est chez Shel. Côté dynamiques, ils ont tout bon.

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             L’autre flop de Strat, c’est Capability Brown. Ils sont six sur scène et chantent tous. Tony Fergusson et Kenny Rowe faisaient partie d’Harmony Grass. Groom indique aussi que Rowe avait joué with Steve Marriott’s Moments. Alors on sort From Scratch de l’étagère. Pas le genre d’album qui laissait un grand souvenir. En gros, Capability Brown sonne comme CS&N, mais aussi comme les Beatles, ce qui explique qu’ils aient échappé aux purges. Ces mecs visent effectivement une certaine clameur harmonique. C’est à la fois très épique et très beau. Ils ont exactement le même déroulé que CS&N avec «Do You Believe», avec le gratté d’acou et les harmonies sous le boisseau. Mais c’est encore plus flagrant avec «Soul Survivor» en bout de B, c’est du pur jus de CS&N, ils s’appuient sur un heavy gras double à l’Anglaise pour partir en dérive dans le mékong de CS&N, on se croirait dans «Judy Blue Eyes Suite», c’est très déterminé à vaincre, ça défonce tous les barrages de police, ça fonce vers la lumière au pah pah pah, ils évoquent même les ancient seas de Croz. «Garden» est tellement pur qu’on pense au «Day In The Life» des Beatles. Même chose avec «Red Man», en B, ça sent bon la Beatlemania. Leur «No Range» est encore bardé de son. On comprend que Strat ait tout misé sur eux. Ces mecs disposent de ressources insoupçonnées, comme le montre encore «Liar», ça grouille de petites guitares incendiaires et de bouquets d’harmonies vocales à la CS&N. Ils ont tout de même un peu de sang américain dans les veines. Bizarre que Capability Brown n’ai pas explosé en Angleterre. C’est du haut niveau. 

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             Leur deuxième album s’appelle Voice et paraît l’année suivante. Même constat : c’est du solide, on les voit à l’intérieur du gatefold, ils chantent tous les six et produisent comme le montre «I Am And So Are You» un fantastique brouet charismatique. On sent nettement les influences californiennes. «Sad Am I» est just perfect. Mais ça se gâte en B avec ce que les Anglais appellent une suite, un long cut à épisodes qui vire prog. On perd la chanson, on perd la Californie.

             Les artistes s’accordent à dire que Strat est une vraie mère poule. Il accompagne les groupes en tournée et partage souvent des chambres avec des musiciens, qui soit dit en passant, se plaignent un peu de l’entendre ronfler. Strat a du respect pour les artistes qu’il prend sous son aile, ce qui est assez rare dans l’industrie du disk, nous dit Groom. Il cite trois exemple de gens respectueux : Ahmet Ertegun, David Geffen et Jimmy Iovine, et dans le circuit indépendant, Dave Robinson de Stiff. Parmi les gros loupés de Strat, il y a Queen. Il n’a pas su faire une offre assez importante.

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             Sur Charisma, on trouve aussi le fameux album raté de Leigh Stephens, And A Cast of Thousands. Sur la pochette, il est photographié sur la péniche dans laquelle il vivait à l’époque. Mais Stephens n’était pas très content du son de l’album : «Je n’aurais jamais dû enregistrer cet album. C’était trop tôt après Blue Cheer et je n’avais aucune visibilité. C’est Keith Emerson qui m’a présenté à Strat. Il avait entendu une de mes démos et l’avait bien aimée. Strat was a good guy. Il s’est parfaitement bien conduit avec moi mais un mec d’Island Studios a niqué le son de mon album, on a dû remixer et ça a explosé le budget, puis on a perdu les bandes.»

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             Bon alors après, on entre dans des eaux moins intéressantes : Genesis et Lindisfarne qui sont devenus les vaches à lait de Charisma. Strat a réinvesti la pluie d’or de Lindisfarne pour lancer Genesis. Puis il lance String Driven Thing que va produire Shel Talmy. En 1972, Strat louche sur les Dolls qui débarquent à Londres. Sur les rangs, il y a aussi Kit Lambert et son label Track. Lambert réussit à inviter les Dolls à dîner aussitôt après le fameux Wembley show avec les Faces. Strat rencontre plusieurs fois Marty Thau, le manager des Dolls, installé dans une suite du Dorchester. Richard Branson traîne aussi dans les parages. Mais Thau décide que Charisma ne peut pas convenir aux Dolls. Et quand Billy Murcia casse sa pipe en bois dans une baignoire, les Dolls retournent chez eux la queue entre les jambes, sans contrat ni batteur.

             Strat passe pas mal d’accords avec les Américains. Il parvient à passer un bon deal avec Neil Bogart qui bosse chez Buddah. Bogart cherche à développer le marché prog aux États-Unis, après avoir réussi à s’implanter dans le black marketplace en signant des deals avec Custom (Curtis Mayfield), Hot Wax (Holland/Dozier/Holland) et T-Neck (Isley Brothers).

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             Comme Strat est avant toute chose un écrivain, il monte une filiale de Charisma, Charisma Books. Il publie des poèmes de Peter Hammill, un recueil d’interviews de Peter Frame et l’autobio d’Oscar Zeta Acosta qui a servi de modèle au Dr Gonzo d’Hunter S. Thompson. Pour développer Charisma Books, Strat s’associe avec Leonard Cohen, mais ça ne débouche pas. En 1973, Strat s’associe avec Lee Gopthal (Trojan) pour monter le label Mooncrest. Strat rachète aussi le prestigieux fanzine Zigzag en 1972, et en 1975, ne parvenant à le revendre, il en fait cadeau à Peter Frame qui en était le rédacteur en chef : «He handed it back to me, lock, stock and barrel, together with all the copyrights. Free of charge.» C’est dire si Strat est un homme désintéressé. En 1974, il avait organisé un benefit concert à Londres et parmi les invités se trouvait Michael Nesmith. Un Nesmith qu’on retrouve comme producteur de Bert Jansch. Strat vient tout juste de le signer sur Charisma. L’album s’appelle L.A. Turnaround. Groom indique qu’on considère cet album comme le sommet de sa carrière - not far from being the perfect album, dit un critic du Melody Maker - Strat est lui-même expansif : «This is probably one of the five best albums Charisma has ever released.» Jansch va enregistrer quatre albums pour Charisma.

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             Sur L.A. Turnaround, le vieux Bert gratte ses poux dans le crépuscule des dieux de la campagne anglaise. C’est très spécial, un brin fané, pas très bien chanté, mais hyper-joué. Il claque énormément de notes. Pour l’amateur de gratté de poux, c’est un bonheur, d’autant qu’il en gratte douze à la dizaine. Cut après cut, il ramène toute sa science de folky folkah, on est en plein dans la soupière. Son «Travelling Man» reste du gratté de premier choix. Pas de surprise. Ce genre d’album repose le problème qu’on avait avec Jac : on se demande pourquoi Strat craque sur Bert. C’est un son très conventionnel, un son anglais orienté sur l’Amérique. Taj Mahal et Micheal Chapman font ça mille fois mieux. «Stone Monkey» sonne comme de l’Americana qui ne fonctionne pas. L’album a le cul lourd et ne parvient pas à se lever. Quelque chose ne fonctionne pas. Quand on arrive à «Of Love & Lullaby», Bert n’a conquis aucune cité. Il repart en mode vaincu avec «Needle Of Death». Il semble se battre pour du vent. De toute évidence, Bert n’est pas une superstar. Il tente de sauver son album avec «The Blacksmith», mais sa voix n’est pas sûre. Et le son n’y est pas. C’est très compliqué. Pas facile la vie. N’est pas génie qui veut. Bert Jansch est un fantastique guitariste mais ce n’est pas ça qui fait les grands albums. 

             Strat signe aussi Hawkwind et Astounding Sound Astounding Music sort sur Charisma en 1976, suivi l’année suivante de Quark Strangeness And Charm, deux albums qui vont forcer le respect des punks, notamment Johnny Rotten.

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             Il est bon de rappeler qu’on trouve une énormité sur chaque album d’Hawkwind. Celle d’Astounding Sound Astounding Music s’appelle «Kero Crawler». Hard rocking d’Hawk, ils renouent avec le proto-punk et ramènent toute leur niaque de buskers. Petite cerise sur le gâtö : Nik Turner passe un solo de sax ravageur. On retrouve le grand Nik dans «The Aubergine That Ate The Rangoon», un instro un peu free. «Kadu Flyer» est plus pop, mais ça se termine en trip orientaliste digne des carnets de voyage d’Eugène Delacroix. Et puis il faut écouter et réécouter le «Reefer Madness» d’ouverture de balda. Quelle énergie ! Hawkwind n’a jamais fait défaut de ce point de vue. Brock ramène toujours des heavy chords, un beat soutenu et Nik Turner part en vrille derrière le stole my stash.

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              Les deux énormités qui se nichent sur Quark Strangeness And Charm sont «Spirit Of The Age» et le morceau titre qui ouvre le bal de la B des cochons. Encore une belle dégelée que ce morceau titre, il sonne exactement comme le «Waiting For The Man» du Velvet, c’est tout de même incroyable qu’ils réussissent à créer l’illusion ! Chanté par Robert Calvert, «Spirit Of The Age» est un petit chef-d’œuvre hypnotique. C’est une grande mouture d’Hawk qui la joue : Brock + Simon House + Adrian Shaw et Simon King. Ça pulse ! Andrian Shaw voyage pas mal dans le son. Bassman remarquable qu’on retrouve chez Bevis Frond. Encore une belle échappée belle avec «Damnation Alley». Brock conduit sa meute et Andrian Shaw brode des drives dans le dur du mood. Avec «Hassan I Sahba», ils affichent clairement leur volonté d’orientalisme purulent. Ce subtil poison attaque les gênes du groove.

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             En 1979, Strat donne aussi le feu vert à Nik Turner pour P.X.R.5. L’énormité de cet excellent album s’appelle «Death Trap» et ouvre le balda. On retrouve Robert Calvert au chant. Ces mecs ont le diable au corps. Ils cultivent leur vieille veine proto-punk. Calvert est un enragé. Retour à l’hypno avec «Uncle Sam’s On Mars» et ils font une tentative d’infini océanique avec «Infinity». Dave Brock est capable de ce genre de miracle. En ouverture du bal de B, Calvert tape «Robot», un cut joliment épique qui convient parfaitement à cet excentrique. Il semble vouloir guider Hawk vers des terres inconnues, il se tient droit et fier dans l’azur immaculé.

             Puis en 1985, Strat vend Charisma à Richard Branson et à son fast-growing Virgin Group.  Comme tous les label-boss, Strat finit par en avoir un peu marre de tout ce cirque. Il finira par casser sa pipe en bois en 1987. Groom nous donne tous les détails : Strat vomit du sang, se retrouve à l’hosto avec deux cancers, foie et pancréas. Les chirurgiens ne peuvent pas le réparer.

    Signé : Cazengler, Tony Stracon

    Chris Groom. Strat! The Charismatic Life & Times Of Tony Stratton Smith. Wymer Publishing 2021

    Beryl Marsden. Changes: The Story Of Beryl Marsden. RPM Records 2012

    Koobas. Koobas. Columbia 1969

    Creation. Creation Theory. Edsel Box Set 2017

    The Nice. The Thoughts of Emerlist Davjack. Immediate 1967

    Van Der Graaf Generator. The Least We Can Do Is To Wave To Each Other. Charisma 1970 

    Van Der Graaf Generator. H To He Who Am The Only One. Charisma 1970

    Van Der Graaf Generator. Pawn Hearts. Charisma 1971

    Capability Brown. From Scratch. Charisma 1972

    Capability Brown. Voice. Charisma 1973

    Spreadeagle. The Piece Of Paper. Charisma 1972

    Bert Jansch. L.A. Turnaround. Charisma 1974

    Hawkwind. Astounding Sound Astounding Music. Charisma 1976

    Hawkwind. Quark Strangeness And Charm. Charisma 1977

    Hawkwind. P.X.R.5. Charisma

     

     

    Ripley it again, Sam - Part Two

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             C’est par hasard, chez un disquaire parisien du IXe arrondissement, qu’on fit la connaissance de Ripley Johnson. «‘Coute ça !» lança JP. Il posa le vinyle sur sa platine et le son se mit aussitôt à envahir la vieille boutique comme l’eau envahit la cale d’un vaisseau torpillé. Il me colla ensuite la pochette arty dans les pattes. Wooden Shjips ?

             — Connais pas... Quel drôle de nom de groupe... Wooden Shjips...

             — C’est l’un des groupes de Ripley Johnson, un psyché de San Francisco. Tu ne connais pas Moon Duo ?

             — Seulement de nom, mais depuis le ballon de baudruche des White Stripes, je me méfie un peu des duos à la mode.

             — Mais ça n’a rien à voir avec les White Stripes ! Tu devrais écouter Moon Duo, ils ont un son qui pourrait te plaire.

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             L’album de Wooden Shjips que passait JP dans son bouclard s’appelle Shjips In The Night. Live In San Francisco June 8 2018. Album somptueux. Pochette somptueuse. Ce Live in San Francisco sonne comme un classique lysergique, pour reprendre le jargon des mangeurs de champignons. Les Shjips appliquent la formule de base du bon psyché : un riff obsédant doublé d’une voix douce et d’un sens du ventre à terre bien pondéré. Alors ils sont capables de proposer la meilleure des mad psychedelias. La preuve ? «For So Long», où ils se montrent bien plus disciplinés que les Spacemen 3, mais ils n’en sont pas moins triés sur le volet. Voilà une hypno de rêve, bien montée sur le bassmatic. «Ruins» semble basé sur l’impavide pulsation de «Set The Controls For The Heart Of The Sun». Les cuts se veulent néanmoins courts et cavaleurs, bien structurés dans leur délire, aidés en cela par une rythmique fiable et même à toute épreuve. Le real deal de la mad psychedelia se trouve en B, avec «Staring At The Sun». On croirait entendre un cut de titube des Spacemen 3 : même ambiance de nonchalance vacillante. Et ça continue avec «Flight». Ils passent en mode heavyness psychotropique de bon augure, qu’ils ornent de jolis entrelacs de guitares et de langues fourchues. Ils jouent aussi «Death’s Not Your Friend» dans les règles du lard de la matière, ils se situent dans le fin du fin de la musicalité psychédélique et exploitent toutes les essences connues. Chaque note sonne juste, ils ne font jamais le moindre faux pas. Même le Death de fin de non-recevoir épate au plus haut point, c’est un Death qui épaterait n’importe quelle galerie, bien emmené, cœur vaillant rien d’impossible, menton en avant et regard rivé sur l’horizon, fantastique démarche d’avantisme, aucune hésitation, ces gens jouent cartes sur table, c’est une aubaine pour l’humanité, une façon d’échapper aux bourres du réalisme virologique.

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             Du coup, on est parti à la découverte de Wooden Shjips, un groupe monté en 2007 par Ripley Johnson avec trois camarades. Ils enregistrent un premier album sans titre qui ouvre une nouvelle voie vers le Graal de la Mad Psychedelia, avec notamment un «Losin’ Time» amené au heavy riffing gaga et bien ramoné au hérisson de Shjips. C’est même visité par les anges et ça vire très vite mad psyché. Absolute wonder de wonderer ! Ces mecs bouffent tout le gras sur le dos des grands, ils sonnent à la fois comme les Spacemen 3 et le Velvet, mais avec du velouté. L’autre voie impénétrable est un «Shine Like Suns» tartiné au long cours et monté en neige. Ils enclenchent le répétitif et au moment où on va décrocher, ça bascule dans l’enfer d’une authentique Mad Psyché-so-far-out. Absolute beginner d’extrême onction ! L’autre grosse influence de Ripley, c’est Can, bien sûr, comme le montre le petit beat hypno de «We Ask You To Ride». Ripley baigne dans son bouillon de culture, il file au trippy trippy petit bikini. «Lucy’s Ride» est encore un coup de ride à la Can, avec cet accord gratté à la surface de la planète et un Ripley qui vient chanter à l’étranglée. C’est très psychédélique, bien étalé dans le temps, l’ambiance reste crédible. Il va ensuite tartiner de la réverb sur un beat hypno pour les beaux yeux de «Blue Sky Bands». C’est très typé. Dans Uncut, Ripley nous explique qu’il jouait sur un «riculously loud Fender Quad Reverb amp. I wanted to get the super-oversatured fuzz sound».    

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             Deux ans plus tard, Ripley et ses amis récidivent avec Dos. Belle pochette et belle surprise avec une petite stoogerie intitulée «Aquarian Time». Ces gens-là savent donner du temps au temps, pas de problème, ils récupèrent les accords des Stooges et en voiture Simone ! Il se payent ce luxe effarant, ils naviguent un peu à la surface des Stooges, comme les Specamen 3. Ripley se prend pour Ron Asheton, mais il se contente de l’ambiance, juste de l’ambiance, sans la violence du chant. Les Shjips continuent de jouer des cuts longs et évolutifs, Ripley fait du stoner avec ostentation, il joue toujours avec les meilleures intentions. Joli shoot d’hypno que ce «For So Long». La guitare psyché entre bien dans le lard du beat, Ripley fait son biz à l’intérieur du groove. «Down By The Sea» est aussi monté sur un beat hypno de dix minutes. Tout est subtil et parfaitement maîtrisé, amené à l’insistance de la persistance, idéal pour un Shjipper comme Ripley. Il tortille bien sa nouille à travers les nappes de psychedelia subliminales, tellement subliminales qu’elles attaquent le système nerveux. C’est une invitation au suicide, ou à l’envolée, comme tu veux. Ripley mène encore bien sa barque avec un «Fallin’» qu’il pousse dans l’excès avec un petit orgue, ça tient bien la route, l’hypno est si pur qu’on pense au Velvet, c’est d’une finesse qui nous dépasse, qui se déplace dans le temps, un bonheur pour l’oreille aventureuse. Ripley entre dans la caste des géants des temps modernes, ses longs cuts sonnent comme des bénédictions.

             Quand Wooden Shjips commence à percer et qu’on leur propose des tournées en Europe, Ripley et ses amis déclinent les offres. Trop compliqué. Ils ne sont ni prêts à tourner ni vraiment organisés pour ça.

             Ripley vit avec une pianiste nommée Sanae Yamadain et un jour, il lui propose de monter un duo : Moon Duo - What if we start a band, just the two of us ? - À  deux, c’est beaucoup plus facile de s’organiser pour voyager. Une seule chambre d’hôtel, le matos dans le coffre, c’est très économique. En plus, ils sont fans de Suicide, des Silver Apples, Cluster et Royal Trux. Alors c’est facile. Ripley dit à Sanae : «Tu seras Martin Rev et je serai Alan Vega but with a guitar.»

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             Leur premier album s’appelle Escape et sort en 2010. Bel album, une fois de plus. Ils annoncent la couleur dès «Motorcycle I Love You», un big hypno sans échappatoire, avec un chant perdu derrière le rideau de son. On se fout de ce qu’il raconte. Ce sont les guitares qui règnent sur cet empire. Ripley est très Can et très mystérieux à la fois. Tout ce qu’on peut dire de lui c’est qu’il est le crack de l’hypno carnassier. Il tape en plein dans le mille, il développe une belle énergie exploratoire, ses solos courent sous le plafond, un peu phosphorescents, il mixe l’hypno avec la mad psyché et louvoie dans les méandres de la wah continentale, c’est assez toxique, on croit fumer un gros joint d’herbe. Avec «In The Trees», il passe au mix de destruction massive et de mad psyché. Tout est là : le poids des éléphants et les mouvements ralentis des phalanges antiques, un anglais appellerait ça du fat mad doggy scam. Tout repose sur la heavyness du tribal et Ripley déploie ses grandes ailes noires pour aller tournoyer dans le ciel rouge. Sa copine Sanae ramène de l’orgue dans «Stumbling 22nd St», mais c’est un riff d’orgue têtu comme un âne. Leurs cuts se prêtent à tous les subterfuges et ça vire très vite à la grosse attaque de marche forcée. Grimpé sur la crête du son, Ripley joue la cisaille à la folie. Power absolu ! «Escape» est tellement saturé de son que le casque saute. C’est un son ultra-masterisé qui explose la martingale et qui démantèle les clavicules de Salomon, qui Paracesse la paragenèse de Genovese, Ripley abandonne ses responsabilités, il scie l’arbre de sa branche, il va au-devant des dernières pauvres petites attentes, oh tu n’as pas idée de ce bordel. Moon Duo est une particule de mad doggy scam qui entre dans ta cervelle pour la bouffer, schloufff, schloufff, à belles dents.  

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             L’année suivante, ils enregistrent Mazes. Ripley avoue l’avoir enregistré sur Pro Tools, mais il est allé mixer l’album à Berlin avec deux Finnish guys qui ont un studio nommé Kaiku. Par contre, aucune information sur l’album. Il faut se débrouiller avec le son. Ça démarre avec «Seer», un big drive hypnotique, dans l’esprit de ce que font les Spacemen 3 et Lionel Limiñana. L’ultra-drone psychédélique. Ripley et Lionel seraient dit-on les derniers mages de l’univers. L’album grouille de références, on a déjà entendu «Scars» ailleurs. Ripley écoute trop d’albums, il démultiplie les flashes. Retour de la violence avec un «Fallout» riffé à la cotte de mailles. La disto sonne comme un cor de chasse, c’est aussi beau que du Velvet égaré dans les égouts. Le côté éclatant des guitares voilées rappelle les Boos, il a une façon spéciale de rogner dans le rognon du son et puis, comme ça, l’air de rien, il te joue le plus beau solo psyché des temps modernes. Nouveau coup de génie avec un «When You Cut» riffé dans le gras de l’idée. Il ramène des clap-hands à la volée et envoie son solo comme un punch in the face. Ripley est le killer flasheur ultime du monde psychédélique, il rajoute des bruits de casserole dans sa soupe aux choux, c’est complètement demented, ses solos tranchent la viande, il avance clic clic comme un train mécanique. Peu de gens sont capables de jouer le train au milieu des flammes. Il repart en maraude avec l’hypno rapide de «Run Around». Tout est solide sur cet album. Ripley pourrait donner des cours à tous les autres. Il sait mettre le feu aux plaines et cultiver les excès chers à Oscar Wilde.

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             Paru l’année suivante, Circles s’ouvre sur un coup de génie : «Sleepwalker». Tu es aussitôt embarqué, pas la peine de discuter. Ce mec-là t’arracherait le pain de la bouche, c’est un seigneur de la guerre du riff. Si tu entres chez lui, t’es baisé. Par de pire énormité groovytale, c’est une dégelée ultra-shamanique qui rivalise avec celles des Spacemen 3, tu as là tout le bataclan du no way out. L’énergie des Spacemen 3 rôde encore dans «I Can See» et surtout dans le morceau titre, même excédent endémique, c’est violent et bon à la fois, travaillé dans l’épaisseur du son. Et ça continue avec un «I Been Gone» digne des grandes heures du Velvet, assez pur dans l’approche de la déraison, Riplay vise en permanence l’excellence psychédélique. Ce mec n’est pas là pour s’amuser, mais pour te bombarder de son, il installe l’hypno de «Dance Pt 3» et pouf il part en tangente avec un solo de power destroy oh boy. Ah il y va le barbu, il va même singer Suicide avec «Free Action», il a un sens inné de l’hypno et avec son Dance, il rend certainement l’un des plus beaux hommages à Alan Vega. Il développe une énergie stroboscopique d’all nite long. On ne se lasse pas de cette violence bienveillante. Riplay it again Sam ! Son «Trails» sonne comme un shoot de Brian Jonestown Massacre, c’est-à-dire un heavy groove psychédélique, avec une pulsion in the flesh, il œuvre au nom de sacré, cet album est un oasis dans le désert. Il termine avec «Rolling Out», une embellie psychédélique qu’il embrasse à pleine bouche.     

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             Pochette surréaliste pour Shadow Of The Sun. L’album paraît en 2015. Livret réduit à portion congrue : juste un recto-verso avec des infos minimales. Si t’es pas content, la porte c’est par là. Ripley nous présente deux de ses plus grosses influences : les Stooges et le Velvet. Stooges avec l’effarant «Wilding». Au moins les choses sont claires. Il joue les accords des Stooges et lance des vagues de turbulence à la surface des riffs de Ron Asheton. C’est un hommage, pas d’inquiétude, Ripley ne se permettrait pas d’insulter le plus grand guitariste de tous les temps. Bien au contraire. Avec Ripley, c’est simple : un Stooge sinon rien. Velvet avec «Slow Down Low». Il reprend les accords de «Waiting For The Man». Pas de pire hommage ! À part Pat Fish et les Subsonics, personne ne peut Velveter aussi bien que Ripley. Il fait preuve d’une stupéfiante endurance et finit par barrer en couille de drouille sur un backing digne de John Cale. Par contre, on entend beaucoup de machines sur cet album. L’étau des machines new wave peut détruire l’espoir, comme le montrent «Ice» et «Animal». On finirait presque par le détester, le Ripley,  avec ses boîtes à rythme et ses boîtes à conneries. La new wave tue la mad psyché dans l’œuf. Dommage, car «Free The Skull» est un chef-d’œuvre de mad psyché, il redevient le grand seigneur du dégueulis convulsif, il vire complètement Spacemen 3.

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             Comme il a trop de cuts en réserve et qu’il veut pas faire un double album, alors il propose deux volumes d’Occult Architecture. Occult Architecture Vol. 1 sort en 2017. C’est selon Ripley l’album sombre, qui d’ailleurs démarre sur «The Death Set», petit chef-d’œuvre d’hypno élastique, ça joue dans la nuit sans craindre la panne. Tous les groupes qui ont des outils font ça, mais Ripley le fait mieux, avec esprit. C’est le principe de l’heavy psycho. Ce sont les machines qui amènent «Cold Fear», elles tuent encore une fois le psyché dans l’œuf mais Ripley ramène des guitares trash suspensives. C’est son côté génie du son et ça vire automatiquement hypno, mais hypno de drug scene. Il ramène encore beaucoup de son dans «Cross Town Fade». Ripley et Sanae jouent à deux comme s’ils étaient six. Trop de son, beaucoup trop de son, c’est gorgé d’éclats de violence. Ripley en veut, il est assez ultime dans sa détermination. Retour à la mad psyché avec «Cult Of Moloch», il envoie sa wah tourbillonner dans le ciel noir comme un ptérodactyle, il crée des visions dans l’épaisseur du son, il applique toutes ses vieilles recettes alchimiques, avec le chant à la renverse sous un ciel de plastique mauve, des solos en forme de lombrics géants, des échos encore plus éloignés que l’horizon, c’est hors du temps, et les retours de beat sont des chefs-d’œuvre d’articulation. Il termine avec «Fast Ride». Ripley ne traîne pas en chemin. Il adore balancer des bassines d’huile bouillante sur la gueule de sa fiancée qui se tient au pied du donjon, aw comme il est dur, gueule-t-elle, il m’a défigurée ! Quel goujat ! Oui, Ripley a autre chose à faire dans la vie que de courtiser les connes, il file droit dans son monde imputrescible de wah puante et de beat druggy et ça sent bon la dope dans tout ce bordel hypnotique, il tartine encore un solo de no way out, il est le seul maître à bord.

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             Occult Architecture Vol. 2 est donc l’album lumineux. «New Dawn» ouvre le bal et met du temps à se relever. Et ça part en mode Spacemen, beat hypno, un accord, mode pilote automatique et chant à la renverse. Ripley est capable de te faire tripper à jeun. C’est gratuit, en plus, pas la peine d’aller chercher ta fiole chez Sade. Ripley joue à l’excelsior de la dérive, il vise l’excellence de la partance. Mais après, ça se gâte : la new wave est de retour. Ripley sauve «Sevens» avec un solo final qui est une œuvre d’art. Il revient à sa chère mad psyché avec «Lost In Light». Même envergure que celle des Spacemen, même quête de pureté. Il joue à la main moite avec des descentes de chant bouffées aux mythes. Avec «Crystal World», il sait où il va. Il est bien le seul. Nous on suit, comme des cons. Ah il va par là ? Alors on va par là. C’est assez simple. Il faut juste suivre Ripley sinon t’es paumé.

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             Le dernier album en date de Moon Duo s’appelle Stars Are The Light. Belle pochette psychédélique. Ripley veut bosser avec Sonic Boom qu’il connaît bien. On dit dans la presse anglaise que Sanae Yamadain et Sonic Boom font des miracles avec leurs synthés sur cet album. C’est tout le contraire, l’album est très décevant, même si le groove de «Flying» te cueille au menton. Mais après ça se gâte car Sanae chante dans des effets à la petite mormoille new wave de Rocamadour. Cet album refuse de fonctionner malgré le groove de basse de «Fall (In Your Love)». Ils semblent un peu trop rigides, comme s’ils avaient un manche à balai dans le cul. Il y a trop d’effets sur cet album, pas assez de guitares. Quelques vieux relents de mad psyché remontent de «Lost Heads», mais les voix se perdent dans l’écho des machines. Il faut parfois savoir accepter de perdre son temps en sachant pertinemment qu’il ne va rien se passer de plus que ce qu’on sait déjà. Ils font du groove de carte postale avec «Eternal Shore», c’est bien agencé, très dedicated, on a du mal à l’avaler mais on l’écoute. Puis le coup du lapin arrive avec «Eye 2 Eye» : trop de machines, c’est insupportable, prétentieux et sans espoir. Ripley va chercher le Velvet pour boucler avec «Fever Night» mais on s’est emmerdé pendant une heure, alors désolé Ripley, ça ne passe pas, d’autant que le son n’est pas bon. Trop d’effets, trop de mormoille.  

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              Retour à Wooden Shjips. Si West est un si bel album, le mérite en revient à Sonic Boom qui le mastérise. Boom dès «Black Snake Rise», belle hypno saturée de son, toujours le même modèle, Ripley ne varie guère les plaisirs. Il propose une hypno crépusculaire enchantée. Avec «Crossing», il fait du Spacemen 3, il bascule dans la magie latente, dans ce demi-monde des drogues hallucinogènes et de descentes de basse épisodiques, Ripley revient au corporel, au groove organique, il propose une fantastique approche du ralentissement de tous les sens avec un son qui scintille au coin du bois de Brocéliande. Ce sont les écarts de la basse qui font le power du délire. Cette musique sent bon la dope. Puis ça repart en mode heavy as hell avec «Home», c’est même du subliminal infernal, une spatiale effervescence d’effarance concomitante, Ripley gère son enfer, il étend son empire, il annexe la mad psyché, tout est bardé de beat et ça bascule dans le purple heart of the inner world. Une merveille ! Il continue d’avancer dans West avec un planétarium d’effets de wild guitars («Flight»), hey baby low, tu danses dans la nuit orangée d’Holland Park. Il amène «Rising» au fast rising de shshhh. Ces mecs savent faire éclore la rose. Une fois de plus, la basse traverse sans regarder ni à droite ni çà gauche, comme chez les Spacemen 3, et pour être précis dans cette purée, il faut être extrêmement doué. Les lignes de basse croisent dans un lagon de réverb, pareils à de prodigieux requins psychédéliques, Ripley chante comme si on venait de lui arracher une jambe, il joue bien le jeu de l’agonie avec tous les bouillons qu’on imagine dans l’émeraude du lagon, aw ma patte, aw ma patte elle est partie, sa voix s’éloigne sous l’alizé du paradis, alors que le requin psychédélique se barre au large avec sa jambe.

             Parlant de West, Ripley dit qu’à l’époque il restait assez proche de ses influences : «Neil Young, les Stones, The Band, le Dead, Zep, the Faces, whatever.»

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             Back To Land est sans doute le meilleur album de Wooden Shjips, en tous les cas celui qu’on n’hésiterait pas à recommander, même à son pire ennemi. Parce que sur les 8 cuts de l’album, on ne compte pas moins de 6 merveilles, à commencer par le «Back To Land» d’ouverture de bal, un cut qui t’embarque aussitôt. Alors embarquement immédiat, comme chez les Spacemen 3, et le chant synthétise la meilleure psyché défoncée du monde. C’est l’hypno de tes rêves les plus humides. Autre prodige hypnotique : «In The Roses», embarqué cette fois au fast ride et chanté à l’évaporée. La force de Ripley consiste à tenir le beat pendant cinq minutes sans faiblir. Il attaque «Other Stars» au va-pas-bien des Spacemen 3, il joue un acid trip perforateur, au revoir et à bientôt. Tu ne trouveras rien d’aussi pur ailleurs. Ripley et ses amis amènent aussi «Ruins» à la véracité de l’hypno psychédélique. Personne ne peut résister à ça. C’est du grand art, joué à sec et mis en perspective. Le «Ghouls» qui suit est assez touffu, quasi Hawkwind, balayé par des vents de sable, Ripley reprend les tornades d’Hawkwind à son compte et passe un killer solo. Encore une belle envolée belle avec «Servants», ça louvoie une fois de plus dans les méandres de la meilleure psychedelia de San Francisco. Pour finir, Ripley amène «Everybody Knows» au sommet du lard fumant. Il ouvre un incroyable chapitre de possibilités. Il pose son chant au sommet d’une montagne de son, ce mec a du génie, il joue à l’ordonnée, c’est un visionnaire, un Brian Wilson psychédélique, il dégringole sa psyché au Soul charme de chant chaud, avec un solo furtif en ligne de mire, mais calé dans la mélodie, c’est dire si, messie mais si, c’est encore une stupéfiante prestation digne des Spacemen 3.

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             Quand Phil Istine demande à Ripley quelles sont les influences de Back To Land, Ripley parle de primitive psychedelic music and minimalist music. Et pouf il te sort le nom de Träd Gräs Och Stenar et des autres groupes suédois qui constituent le Pärson Sound. Il parle de primitive tribal jam stuff, qu’il préfère au Velvet - The direct opposite of prog, music that almost anyone could play - Pour lui, la dimension de l’hypno est essentielle, this universal primal thing that everyone could relate to - Ripley rappelle que dans son premier groupe, personne ne savait jouer d’un instrument. It grew from there - Fantastique ! Ripley rappelle aussi que vendre des albums n’a jamais été le but principal du groupe. Ce qui compte pour lui, c’est jouer pour les gens. Alors Istine lui demande ce qu’est le but principal du groupe. Ripley : «The records are the most important thing.» Il indique qu’il est amateur de vinyles et de découvertes - Making a good record with some shelf is always the most important thing to me.

             On sent une petite baisse de tension dans le V paru en 2018. Ripley joue du petit strapontin d’hypno, il tâte son «Eclipse» à l’orée de la vulve, c’est un tactile, il continue de vouloir jouer envers et contre tout. On sent surtout qu’il ne pense qu’à une chose : s’amuser. Il fait ensuite du replay de Ripley, il lance des petits grooves hypnotiques et les laisse se débrouiller tout seuls. Ça devient assez pépère. On a même parfois l’impression qu’il prend les gens pour des cons, mais bon, ça n’est pas si grave, au fond. Il faut attendre «Staring At The Sun» pour renouer avec la viande. Cette fois, Ripley nous propose une Marychiennerie, c’est en plein dedans, quelle vague de son ! Il se prend pour William Reid. Ripley sait tout faire, c’est un magicien. Il termine avec un «Golden Flower» puissant et séditieux qu’il allume à la voix à peine éclose sur un drive de basse indus, et il conclut avec «Ride On», une nouvelle Marychiennerie superbe et sans espoir, jouée à la dérive abdominale, qu’il orne d’un solo sculptural.

             Après l’enregistrement de V, Ripley se demande s’il fera un autre album avec Wooden Shjips. Il n’en sait rien. But never say never. Maybe we’ll all live to 120 - you know you gotta do something with your time.               

    Signé : Cazengler, Ri-plaie

    Moon Duo. Escape. Woodsit 2010 

    Moon Duo. Mazes. Sacred Bones Records 2011     

    Moon Duo. Circles. Sacred Bones Records 2012     

    Moon Duo. Shadow Of The Sun. Sacred Bones Records 2015

    Moon Duo. Occult Architecture Vol. 1. Sacred Bones Records 2017  

    Moon Duo. Occult Architecture Vol. 2. Sacred Bones Records 2017

    Moon Duo. Stars Are The Light. Sacred Bones Records 2019

    Wooden Shjips. ST. Holy Mountain 2007

    Wooden Shjips. Dos. Holy Mountain 2009

    Wooden Shjips. West. Thrill Jockey 2011

    Wooden Shjips. Back To Land. Thrill Jockey 2013

    Wooden Shjips. V. Thrill Jockey 2018

    Wooden Shjips. Shjips In The Night. Live In San Francisco June 8 2018. Silver Current Records 2019

    Phil Istine : Wooden Shjips. Shindig! # 39 - 2014 – Reverberate

     

     

    L’avenir du rock - Pure Len vierge

     

             L’avenir du rock s’amuse beaucoup avec les raccourcis. En voilà un au hasard, histoire d’illustrer notre propos : Mod, mouton, confort. Dans l’épouvantable labyrinthe qui lui sert de cervelle, l’avenir du rock trouve des liens pour asseoir ses petites mythologies : la laine du mouton, Shetland de préférence, revoie directement à l’idée de confort intellectuel et donc à Mod. Mod/mouton/confort, c’est en plein dans le mille de la cocarde. Rien n’est plus Mod que de porter un Shetland bien chaud dans les rues venteuses de London town, même quand on n’habite pas London town. C’est le principe qui compte. Tous les Mods le savent. Mod ça commence sur ton paillasson, tu ne fais pas entrer n’importe quoi ni n’importe qui chez toi. Et si Mod constituait le dernier rempart contre la vulgarité des télévisions et des magazines français ? L’avenir du rock aime caresser cette idée, pas seulement pour la faire jouir et l’entendre miauler au clair de la lune, mais aussi pour en tirer une essence métaphysique invisible à l’œil nu, cette essence que depuis plus de cinquante ans, quelques dandys londoniens diffusent au compte-goutte sous le manteau. L’autre soir, à l’heure de l’apéro, l’avenir du rock trinquait avec un collègue, et pour animer la conversation, il lui dévoila son raccourci Mod/mouton/confort. Le collègue prit son air le plus intelligent pour afficher son désaveu et proposer un rectificatif : Mod/parka/scooter, arguant de l’invincible principe de l’immédiateté des choses. Frappé par l’insondable bêtise de son interlocuteur, l’avenir du rock avala son Pastis de travers. Fallait-il argumenter pour dire qu’un scoot n’a rien à voir avec le confort, et pourquoi pas Stong et tous les clichés à la mormoille, tant qu’on y est ? L’avenir du rock espérait engager un dialogue intéressant, mais il lui fallut couper court en payant une rincette cul sec et en prétextant un rendez-vous pour s’ôter des yeux le spectacle de cette trogne immonde. Comme tout le monde, l’avenir du rock déteste qu’on vienne lui manger la Len sur le dos, d’autant que des coups comme ça, il s’en paye 3 à la douzaine. Ce qui le conduit tout naturellement à faire évoluer son raccourci en Mod/Len Price 3/confort, pour l’offrir aux fidèles lecteurs des Chroniques de Pourpre.    

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             The Len Price 3 est un trio du Kent, hélas trop peu connu. Pour un groupe aussi underground, décrocher un 10/10 dans les pages de chroniques de disques, ça doit être une sorte de consécration suprême. Surtout que les journalistes anglais sont assez avares de 10/10. Il faut vraiment que l’album soit miraculeux pour qu’ils se décident à lui allouer un 10/10. L’événement est d’autant plus remarquable qu’il se déroule dans les pages de l’un des derniers grands magazines de rock anglais, le fringuant Vive le Rock qui paraît tous les deux mois et qui propose un choix d’articles assez hauts de gamme sur des gens qu’on ne voit pas forcément ailleurs, comme les Damned, les DeRellas, les Wildhearts ou encore les Afghan Whigs. Ces groupes furent un peu l’apanage de Kerrang! à une autre époque, mais aujourd’hui, ils se font rares dans les pages des autres titans de la presse rock anglaise.

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             Dans sa chronique magique, Dick Porter démarre ainsi : «You can’t go wrong with the Len Price 3». Effectivement, on ne prend aucun risque en achetant un album de ce trio du Kent, leurs quatre albums sont bourrés de ce que Dick Porter qualifie de «dynamite garage rock» et cite en référence les Who, les Small Faces et les Move. Pas mal, non ? Puis il balance les inévitables «savage guitar breaks» et «outstanding songs». L’album que salue Dick Porter s’appelle Nobody Knows. Avec sur la pochette, les vestes à grosses rayures de nos trois brillants amis : Glenn Pace (lead), Neil Fromow (drums) et Steve Huggins (bass). Alors, effectivement, on entre dans ce disque comme on entre au paradis du gaga-Mod britannique, tel que l’ont défini les Prisonners ou les Masonics. Le morceau titre de l’album est une sorte d’ultime avertissement : tu veux du smoking gaga ? Eh bien, en voilà ! C’est riffé à la Downliners Sect avec les chœurs des Who et arrosé d’un killer solo à la Dave Davies. Ce qui nous donne en gros une synthèse de ce qui peut exister de mieux dans le domaine. Les chœurs tripotent la biscotte. Ils te riffent «Swing Like A Monkey» à la manière des Kinks, avec une belle progression d’accords et des chœurs latents. On se croirait sur Pye en 1965. Petite explosivité vite rassemblée sous le manteau pour «My Grandad Jim». Pur jus Whoish. On retrouve bien l’échevelé du riffing de Pete Townshend et l’admirable folie des chœurs, le tout couronné d’un solo de Whitechapell killer. Encore plus stupéfiant, voilà «Lonely», un hit digne des Beatles, comme si cela était encore possible ! Retour à l’extrême puissance avec «Words Won’t Care». Glenn Pace attaque comme Ray Davies - Girl ! I got so much to tell ya - Et ça bascule dans la violence - Cu Cu Cu C’mon - et il essaye de faire son Daltrey. Ils sont tous les trois au cœur de l’épaisseur du beat anglais, c’est un petit moins typé que les Kinks, ça tire plutôt sur les Headcoats, car on retrouve la folie de «Troubled Mind». Ils font ensuite ce qu’ils appellent une reprise du morceau titre et concluent avec la perle de cet album indomptable, «The London Institute». Glenn Pace s’en prend aux bocaux qui contiennent des fœtus et il obtient l’appui de l’artillerie lourde. Ça donne la meilleure power-pop d’Angleterre. Ils finissent par exploser au firmament d’un psyché hendrixien hallucinant - In the name of the science - On sort scié de cet album.

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             Le gros problème avec The Len Price 3, c’est que chaque album dépasse les espérances bien connues du Cap de Bonne Expectitude. Comme son nom l’indique, Chinese Burn brûle. Ils tapent dans les Kinks dès «Christian In The Desert», mais avec l’énergie des Hammersmith Gorillas - I’m a christian in the secret baby/ For you ! - S’ensuit le morceau titre qui explose littéralement. C’est battu à la Keith Moon, claqué à la Ricken et chanté à l’aune de l’éternelle jeunesse. Les pauvres Jam auraient dû prendre des notes. Tout est explosif sur cet album. Power-pop démentoïde avec «The Last Hotel», c’est d’une qualité qui va bien au-delà de la possibilité d’une île : ils sonnent comme des Byrds survoltés et dotés de l’énergie des Afghan Whigs. Ils sont beaucoup trop puissants. Ces mecs ont tout le power du monde. Ce n’est que le balda et ils alignent déjà quatre hits planétaires. Nouveau coup de Jarnac avec un «Swine Fever» cisaillé à vif - Go !, et ça part en solo. Il faut voir l’extrême sévérité du son. Ils font aussi de la Mod pop avec «Amsterdam», le hit que tout le monde attend. Ils renouent avec le Childish punk en envoyant «Chatham Town Spawns Devils» ad patres. Ils font des breaks orchestraux avec les trois instrus, histoire de nous stupéfier un peu plus. On rencontre un album comme celui-là une fois tous les dix ans, et encore. Retour à l’explosivité des choses avec «Shirley Crabtree» et aux Who avec un «She’s Lost Control», gorgé de chœurs têtus et de poison toxique. On descend aux enfers des Who, c’est bien martelé, les chœurs partent au coup de cymbale et t’aplatiront comme une crêpe si tu te mets en travers. «Midway Eye» infeste l’Angleterre. The Len Price 3 sont un fléau, l’un des meilleurs fléaux de l’histoire du rock anglais.  

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             L’album suivant s’appelle Rentacrowd. Un bon conseil, ne l’écoute pas, car tu vas encore tomber de ta chaise. Dès le premier cut, ils sonnent comme les Who de 1964. L’évidence troue le cul. Ils ont retrouvé le secret de l’énergie des early Who avec des chœurs de tapettes et des tours de windmill. C’est exactement la même pétaudière, le même jus de chaussette et le même carnage. On croyait les Who inimitables. Grave erreur. Aussitôt après arrive un hit Mod, «If I Ain’t Got You», bien serré dans son petit pantalon, avec sa petite coiffure, son énergie de Purple Heart, c’est le hit Mod de rêve, la cocarde dans l’œil, l’enfilade des annales et les montées d’une basse devenue folle. Voilà sans doute le trio le plus explosif de l’histoire du rock anglais. Les gens ne se doutent de rien. «Sailor’s Sweetheart» est un morceau beaucoup trop excité. Il faudrait pouvoir calmer ces mecs, mais comment faire ? Ils sont tellement intenses. Si on les écoute au casque, on bave comme une limace. Surtout qu’il y a des notes de basse en suspension, et généralement, ça ne pardonne pas. Ils restent dans l’univers magique des Who avec «Doctor Gee», encore un hit poignant de génie intrinsèque. Neil Fromow bat ça à la volée. «Girl Like You» ? Directement inspiré des early Kinks. C’est d’une violence ! Au-delà de tout ce que tu peux imaginer. Ils sont encore plus sauvages que les trogglodytes. On reste dans l’énormité cavalante avec «With Your Love», digne du musée de cire de Madame Tussaud. Apanage du beat sauvage. Ils vont même jusqu’à faire swinguer le beat, ils fracassent le langage, ils explosent le format étriqué du rock. Ils nous entraînent dans leur monde qui est celui du vrai rock. Ils jouent tous leurs cuts avec un entrain confondant. Tout est furieux, solide comme l’acier et indéniable. Ils sauvent le British Beat de la mort. «No Good» ? Révolutionnaire. Plus énorme que l’énormité. C’est un punch-up claqué violent. Ce groupe est-il humain ? Ils nous gavent de chœurs de fous et solos traînants. On retrouve les accords de Dave Davies dans «Cold 500». Encore un truc violent, sec et sans bavure. Ah les vaches ! Ils ont tout compris. Ils font tout exploser, même les Kinks. Solo à la Dave, glou-glou surprenant de véracité métabolique. Et ça continue comme ça jusqu’à la fin, avec «She’s Not Really There» (rien à voir avec les Zombies, c’est du wild gaga qui monte par la jambe du pantalon) ou «Turn It Around» (encore une resucée des Kinks twistée du bassin, véritable bestiau de juke, idéal pour faire onduler le plancher).  

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             Pictures fut aussi un album particulièrement décoiffant. Du genre de ceux qu’on ne croise qu’une fois tous les dix ans, comme les trois autres albums du groupe, d’ailleurs. Allez, c’est pas compliqué, sur treize titres, dix sont des bombes atomiques. Ils passent des Who aux Kinks sans crier gare, avec ce génie du son qu’on croyait disparu depuis les derniers exploits d’Hipbone Slim & the Kneetremblers. Ça commence à chauffer dès «Pictures», car on se croirait sur le premier EP des Who enregistré par Shel Talmy, tellement ils ont le son. C’est un festival de claque et de jute mélodique, de tension et de panache - Down at the club/ The cut price drink is flowing - fantastique ambiance dévastatrice. Mais qui a besoin de nouveaux Who aujourd’hui ? Nous, surtout quand on entend «Keep Your Eyes On Me», on ne se pose plus de questions. Voilà une nouvelle pièce de choix bourrée d’éclats d’harmonies vocales typiques des Who de «I’m A Boy». Fabuleuse ambiance insouciante et jouissive, claquée au son de la Rickenbacker, c’est fait pour danser et transpirer à grosse gouttes, comme au bon vieux temps des cerises. Encore du freakbeat teigneux avec «I Don’t Believe You», bardé de chœurs à la Troggs. Nous voilà en plein trip Mod - If there’s a God, then you’re going to hell - encore une histoire de règlement de compte et de manque de confiance. «Girl Who Became A Machine» s’appuie sur une progression d’accords digne des Kinks et ce n’est pas rien de le dire. Même son. Ils savent taper dans tous les grands sons des sixties. Solo magnifique de teigne, on a là du garage de rêve, imparable, secoué, tenu, battu sec et bardé de bouquets de chœurs spectaculaires. Belle pièce de power-pop avec «After You’re Gone», exemplaire et gonflée aux vents d’Ouest. Ils sonnent encore comme les Kinks dans «Mr Grey», timbre et son, esprit et désespoir. Ça finit par un suicide, évidemment. B toute aussi explosive, avec «Nothing Like You», un garage déterminé, écraseur de champignon, freakbeat écœurant d’exemplarité, avec des petits breaks et un solo dévasté de fuzz qui rampe hagard pendant quelques secondes. Toujours les Kinks avec «If You Live Round Here» où Glenn Pace raconte l’histoire d’un quartier - And I don’t think it’s right beating up a stranger on a saturday night - il prend son plus bel accent cockney pour dire qu’en effet, ce n’est pas terrible de casser la gueule à un étranger qui traîne dans le quartier le samedi soir puis il ajoute - You think you’re better than the population/ Don’t get ideas so above your station - il dit qu’en effet, ça ne vole pas très haut, dans le quartier. Ils reviennent à la folie des Who avec «You Tell Lies» et des lalalas de rêve. Les Who avaient déjà un Lies, bon eh bien voilà, ils en ont un autre, tout aussi brillant, avec un solo de fuzz d’antho à Toto. Pulsif, malingre et malveillant, c’est ainsi qu’on pourrait situer cette abomination qu’est «Man Who Used To Be», avec ses refrains sucrés, son drive musclé, voilà encore un raver de compétition, une bombe garage qui tombe du ciel. Parfaite démonstration de l’over-puissance du power trio, l’imparabilité du trident vainqueur. Claque directe dans le beignet avec «Under The Thumb», un gros binaire de choc - You make me cry cry cry - encore un hit de juke qu’il faudrait citer à l’ordre du mérite. C’est tout simplement un classique effarant et couvert d’harmo. Brillant album. 

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             Retour en force avec Kentish Longtails. Eau et gaz à tous les étages, ça pisse et ça pète en montant chez Kate. Coup de génie en B avec «Ride On Cottails», slab de heavy gaga kentish, monstrueux de big pumping. Encore mieux : «Lisa Baker», excellente Mod pop chantée à la cockney motion, avec des chœurs de Who. Admirable d’archétypisme - Dancing in your underwear/ Lisa baker you’re not right - S’ensuit un «Paint Your Picture Well» power-poppy, joué à l’énergie des reins, somptueux, vainqueur, tellement anglo-luminous. On reste dans la solide power-pop avec «If You See What I See», ils nous savonnent bien la pente et chauffent leur cœur de cut à blanc. On a là l’une de ces montées de sève qui peuvent rendre un homme heureux. Avec «Man In The Woods», ils nous racontent l’histoire triste du mec qui vit dans les bois. Les gosses lui crachent dessus, les bulldozers arrivent, alors il n’a plus de cabane, ni d’avenir. Le «Childish Words» qui ouvre le bal de l’A est un règlement de comptes à OK Corral avec Billy Childish - We don’t need approval from the likes of you - Quand on écoute «Sucking The Life Out Of Me», on comprend que The Len Price 3 est l’un des meilleurs groupes anglais actuels. L’autre grosse bombe s’appelle «Nothing I Want». Ils nous stompent ça avec des oh-oh dignes des Who. Mais ils sonnent aussi comme les Clash du premier album, c’est exactement la même énergie. Ils dénoncent le système pourri - I’d like to take your stuff/ Ram it down yout throat/ With your plasma screen telly/ And your UKIP vote.

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             Leur nouvel album vient de paraître : Ipdipdo. Introuvable chez les marchands habituels. Comme Jacques les avait chroniqués au temps de Dig It!, je lui en parle et le lendemain, il me transmet les fichiers de l’album. Elle est pas belle la vie ? Dès «Chav Squad», on est prévenu : agression Moddish et chœurs Whoish, te voilà de retour à la Mecque des Mods, avec un riff qui te pousse bien au cul, l’énergie des early Who est intacte, on peut dire que ces trois petits mecs s’en portent garants. Le festival se poursuit avec «She Came From Out Of The Sun» qui pourrait aussi sortir d’un album des early Who, refrain magique, texture sonique unique au monde, ça sent bon la brique rouge et la gasoline alley, le working class et la grisaille emblématique. Ils ne sont plus très nombreux à porter ce flambeau : Graham Day, Jarvis Humby, Len Price 3, Galileo 7, mais ça pourrait suffire. Fantastique attaque d’accords en réverb pour «Bag Of Bones», gros clin d’œil aux Prisoners, ça riffe dans l’os du Bag of Bones, c’est tellement beau et classique qu’on croit rêver, ça veut dire en clair qu’on peut encore jouer le wild Mod rock aujourd’hui, pourvu bien sûr qu’on soit inspiré, et en prime, un killer solo flash te transperce le cœur. Ils en passent un autre dans «Billy The Quid» qui va plus sur les Jam. Le chant reste bien fidèle au poste, un brin cokney, ces mecs dégagent un enthousiasme contagieux. Mélangé à une certaine fureur, ça donne le Mod Sound britannique. Tous les cuts sont impeccablement taillés pour la route, chacun d’eux est serti d’un killer solo d’antho à Toto, ces trois petits mecs ne font pas les choses à moitié. Back to ‘64 avec «Charlie», attaqué au Dave Davies’ riffing. Tu descend à la cave et leur come down te cueille au menton, avec le wouahh qui amène le killer solo. Tout ça pue la sueur des amphètes et les pustules adolescentes. Ces mecs n’en finissent plus d’aligner des mini-hits qui comme les mini-tortues n’ont aucune chance d’atteindre l’eau. Les Len Price 3 semblent condamnés aux ténèbres de l’underground et à la dématérialisation, alors qu’ils jouent comme des princes. Encore une intro d’accords géniale pour «Bad Vibe Machine», avec en prime des coups d’harmo, back to some residency at the Marquee, oh yeah, ils jouent sur leur tapis volant et traversent l’histoire de London town avec une classe épouvantable, oh yeah, she makes me feel bad ! Comment s’appelait ce roi de France qui hurla au cœur de la bataille : «Mon royaume pour un Super Marine !».

    Signé : Cazengler, petite Len

    Len Price 3. Chinese Burn. Laughin Outlaw Records 2005

    Len Price 3. Rentacrowd. Wicked Cool Records 2007

    Len Price 3. Pictures. Wicked Cool Records 2010

    Len Price 3. Nobody Knows. JLM Recordings 2013

    Len Price 3. Kentish Longtails. JLM Recordings 2017

    Len Price 3. Ipdipdo. Strood Recording Company 2021

     

     

    Inside the goldmine - Patrice n’est pas triste

     

             Nous avions le même âge et étions dans la même classe. Il était brun, lui aussi, mais il était fils unique. Il habitait là-haut, du côté de la Route de la Délivrande, dans une maison très ancienne. De grandes dalles pavaient le chemin qui menait aux marches du perron, et lorsqu’on entrait à l’intérieur, une singulière odeur de gâteau de tapioca nous flattait les narines. Il parlait d’une voix étrangement grave pour un gosse de son âge, ce qui lui conférait une sorte d’autorité. Et puis un jour où nous nous étions donné rendez-vous à l’angle des Galeries Lafayette, il apparût vêtu d’un long manteau noir, ces manteaux qui descendaient jusqu’aux chevilles et qui cette année-là étaient à la mode. Ils valaient horriblement cher. Il semblait déjà maîtriser son destin, sans doute épaulé par des parents qui voyaient en lui un être exceptionnel. De tous les gosses qu’on fréquentait à cette époque, il était le plus «avancé». À l’âge adulte, on appelle ça du charisme. Il dégageait véritablement quelque chose, ce n’était pas uniquement lié à une question de moyens. Il savait comment parler aux filles. Nous prîmes la direction du Grand Cours pour aller faire un tour de camors, l’endroit idéal pour, disait-il, «lever des petites gonzesses». Nous achetâmes des jetons pour faire un tour de repérage. Il désigna du doigt les deux petites blondes de l’autre côté de la piste et il lança le camor qui prit de la vitesse. Zzzzzzzz.... Boooong ! Nous percutâmes de plein fouet le flanc du camor des filles qui éclatèrent de rire. Ça voulait dire ce que ça voulait dire. Elles nous avaient forcément repérés. Elles furent d’accord pour aller faire un tour dans le petit bois derrière le Grand Cours. Elles n’avaient d’yeux que pour lui. Elles s’appelaient Brigitte et Martine. Elles portaient des jupes très courtes et se coiffaient comme France Gall. Il leur passa le bras sur les épaules et ils pressèrent le pas. Ils finirent par disparaître tous les trois dans un chemin. Le lendemain, nous nous retrouvâmes à l’entrée du collège. Comme nous nous entendions bien, il prit les devants. Il me devait une explication. Il avoua qu’il draguait toujours deux filles à la fois et voyant que je ne comprenais pas, il ajouta qu’il avait deux queues. Il s’appelait Patrice.

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             Bien sûr, Patrice Holloway n’a rien à voir avec l’étrange Patrice évoqué ci-dessus. Patrice Holloway n’est pas un Patrice, mais une Patrice, elle n’est pas blanche mais black et, petite cerise sur le gâtö, c’est la frangine de Brenda Holloway. Les gens de Kent qui comme on le sait font toujours très bien les choses ont mis en circulation l’une de ces bonnes vieilles compiles dont ils ont le secret : Love & Desire: The Patrice Holloway Anthology. On trouve des photos de Patrice dans le booklet. Diable comme elle est belle, avec ses yeux en amandes. Dennis Garvey nous rappelle qu’elle n’a jamais eu de hit, qu’elle n’a jamais enregistré d’album et qu’elle fut contrainte de se retirer du biz alors qu’elle avait un peu plus de 20 ans. Comme d’habitude ce sont les fans anglais de Northern Soul qui l’ont arrachée à l’oubli.

             Sa frangine Brenda est plus connue car elle fut repérée par Motown et signée sur ce qui était alors le plus prestigieux label Soul d’Amérique. Dans les early sixties, les deux sœurs font aussi pas mal de backings pour Sam Cooke. Brenda n’en finit plus de dire à quel point sa sœur est belle, elle est The girl, dit-elle, elle flirte avec Muhammad Ali puis à 13 ans, elle devient la girlfriend du 12-Year-Old Genius Stevie Wonder. Ils se roulent des tas de pelles devant tout le monde - They were a hot item - Patrice enregistre en 1963 «(He Is) The Boy Of My Dreams» pour un sous-label de Motown, V.I.P., cut génial qu’on retrouve d’ailleurs sur la compile Kent. La similitude entre the pre-pubescent Stevie et la pré-pubère Patrice est stupéfiante. Ils n’ont que 12 et 13 ans ! Garvey suppose que le single a été retiré des ventes à cause du côté sulfureux de leur relation. En 1966, Patrice est signée par Capitol, elle démarre une carrière solo à l’âge de 15 ans ! C’est là qu’elle enregistre «Love And Desire» et «Ecstasy». C’est David Axelrod qui produit «Stay With Your Own Kind», une histoire d’amour inter-racial. Mais bon, Capitol fout le paquet sur Lou Rawls et donc Patrice ne perce pas. Elle continue de faire des backings de choc avec sa frangine, notamment derrière Joe Cocker sur «With A Little Help From My Friends». Patrice se fait pas mal de blé avec les sessions et se paye deux Corvettes Stringray. Berry Gordy l’admire pas seulement pour sa voix, mais surtout pour ses qualités de businesswoman. Elle gère merveilleusement bien ses deals. Elle participe à des sessions de backings légendaires, de type «Someday We’ll Be Together» pour Diana Ross & the Supremes, avec Merry Clayton, Clydie King et Venetta Fields, pardonnez du peu.

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             On la retrouve aussi dans les chœurs de Brothers & Sisters pour le fameux Dylan’s Gospel produit par Lou Adler, avec la ribambelle habituelle : Edna Wright d’Honey Cone, Merry Clayton, Clydie King et toutes les autres. C’est un album qu’on recommande chaudement aux amateurs de gospel rock, car certaines covers de Dylan y sont spectaculaires, à commencer par celle de «Mr Tambourine Man» : les filles ramènent tout le power du gospel batch dans le Tambourine. Elles font aussi une version spectaculaire d’«All Along The Watchtower», ooh it’s getting so late, ça marche à tous les coups, c’est un groove d’orgue qui embarque cette merveille crépusculaire, outside in the distance. En B, les reprises de «Chimes Of Freedom» et de «My Back Pages» comptent parmi les sommets du gospel : tout y est, l’énergie et la mélodie, c’est chanté au lead de Soul Sister. L’album se termine sur une magic cover de «Just Like A Woman» et là ça devient biblical, c’est chanté au sommet du lard total, ça éclate en geysers d’harmonies vocales, des mecs relancent et les filles deviennent folles de bonheur sacré.

             On entend aussi Patrice dans Josie & The Pussycats, mais la productrice du show ne voulait pas de black à l’écran. On voit trois blanches. Il n’empêche que Patrice chante.  

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             Inutile de préciser que cette compile Kent grouille de pépites. Patrice est épaisse, elle respire la Soul et son «Stolen Hours» est calé au stolen hours, elle est éperdue de grâce black, il faut la voir se jeter sur son stolen, fabuleuse Patrice ! C’est une Soul de rêve, une Soul tentatrice, oh no no no no, une Soul jouissive qui monte droit au cerveau. Patrice règne sans partage sur son petit monde, elle est de toutes les bordées. Elle fait essentiellement du Motown, elle se coule dans le moule, elle est en plein dedans, même à Los Angeles en 1966. Le morceau titre est du pur Motown, même chose pour les cuts suivants, elle met bien la pression, elle pousse au push, elle accuse bien le coup, elle est pleine d’allant et d’allure, son «Stay With Your Own Kind» sonne comme un hit entreprenant. Avec «Evidence», elle fait sa Aretha, c’est bien envoyé, by your face, oh yeah, ces petites blackettes t’envoient rôtir en enfer, c’est un hit monstrueux. Elle fait du stomp de r’n’b avec «The Touch Of Venus» et tape dans Smokey avec «Those DJ Shows» et «For The Love Of Mike». Là, c’est du Detroit 65, solo de sax et heavy Motown beat. Extraordinaire essence de la prestance ! Elle sait monter un cut en neige, pas de problème. Ça continue de monter en température avec «Come Into My Palace». Brenda et Patrice duettent. On imagine la gueule du Palace ! Un vrai paradis pour bite en rut, elle est assez saute-au-paf, yeah, assez surboum surchauffée, c’mon, c’mon, elle ne chante pas si bien au fond, mais fuck, c’est Patrice, la frangine de Brenda. Elle fait sa Supreme avec «All That’s Good», elle se prend pour la Ross, elle a raison car elle ondule bien sous sa robe noire, crazy about it, quel shoot de groove ! Elle se prête à tous les jeux, elle saute à dada, elle est d’une transparence à toute épreuve. Pour «Tall Boy», elle bénéficie du son de Marvin Gaye tapé au sommet du lard Motown, on a là une vraie pépite de Tall Boy, elle crève le plafond Motown et la fête se poursuit avec «Flippity Flop» et ses clap-hands, c’est encore une fois en plein Motown Sound. Attention, ce n’est pas fini, elle repart de plus belle avec «The Go Gang», un heavy shuffle plein de jus, elle sait se montrer ultimate. Les trois derniers cuts sont des petites merveilles, à commencer par ce «Face In The Crowd» qui se situe à la croisée de deux mythes, Motown et les Shangri-Las. Quel mélange ! Elle est en plein milieu, le cul entre deux chaises, Brill d’un côté et Motown de l’autre, c’est un mélange stupéfiant et assez rare, on croit vraiment entendre les Shangri-Las. Avec «Surf Stomp», elle éclate dans l’écho du temps, c’mon c’mon do the surf stomp, encore une fois c’est propulsé à l’énergie Soul, Patrice est une géante. Et le festin se termine avec «(He Is) The Boy Of My Dreams», on croit qu’elle se calme au prix d’un grand coup de frein, plus rien à voir avec la folle du Surf Stomp, mais en fait elle repart de plus belle, sans voix, à l’énergie pure, elle monte à l’assaut du cut final, elle est déchirante, délirante, awfully great, cette petite reine du scream stupéfie.

    Signé : Cazengler, Patrice Hollovrac

    The Brothers And Sisters. Dylan’s Gospel. Ode Records 1969

    Patrice Holloway. Love & Desire: The Patrice Holloway Anthology. Kent Soul 2011

     

     

    EDDIE COCHRAN

    ROCK A TOUS LES ETAGES

    THIERRY LIESENFELD

    ( Saphyr 2013 /Avril 2022 )

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             C’est donc écrit en notre langue françoise qu’est paru le livre définitif sur Eddie Cochran. Les fans américains et anglais doivent en pâlir de jalousie, c’est ainsi. Nous sommes dans la logique des choses, les fans français ont depuis toujours rendu un culte aux pionniers du rock.  D’autant plus vif et inconditionnel que dans les années soixante les renseignements et les disques étaient rares et que la barrière de l’anglais ajoutait une aura de trouble et de mystère. Les fondations des mythes sont souvent coulées dans le béton de ce que Joe Bousquet nommait l’inconnaissance. Pour les dieux du rock, comme pour les dieux de l’Olympe.

             Un grand merci à Thierry Liesenfeld pour cette œuvre de longue patience.  Nous avait déjà comblé avec son Vince Taylor, le perdant magnifique paru en 2015, un ouvrage essentiel pour tous ceux qui s’intéressent à l’ange noir du rock ‘n’ roll. Rappelons que Thierry Liesenfeld a aussi consacré des monographies aux Chaussettes noires, aux Chats Sauvages, à Cliff Richard et aux Beatles. Voici un programmes de saines lectures pour les amateurs des premières et deuxièmes heures du rock ‘n’ roll européen.

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             Mais Eddie Cochran. Disparu à un âge où la plupart des musiciens et des chanteurs n’en sont qu’aux prémices de leur œuvre. A tel point que Liberty, sa maison de disques, n’a entrevu la potentialité de sa personnalité que dans les derniers mois de son existence. N’accusons point les autres même s’ils ont commis des erreurs, le principal fautif en est peut-être l’intéressé lui-même.

             Les circonstances ne l’ont pas aidé, il est parfois difficile de pressentir le vent de l’Histoire, surtout s’il souffle sous forme d’une petite brise. En 1953 le rock ‘n’ roll n’existe pas encore même si son jumeau adultérin le rhythm ‘n’ blues des noirs est déjà bien installé. Cochran né en 1938, gratouille sa guitare. L’est pourvu  d’une forte volonté, très vite dans sa tête son avenir se dessine : il sera musicien ou rien. Cherche et trouve toutes les occasions de jouer autour de lui. Fréquentent des musiciens plus âgés que lui, se rend très vite compte de leurs qualités et de ses propres manques. En deux années il améliore son jeu d’une manière prodigieuse. L’a compris l’essentiel : l’a de petites mains certains accords, certaines positions lui sont difficilement accessibles, il ne se plaint pas, il ne se désespère pas, ce qu’il ne peut pas faire comme le commun des musicos il le fera à sa manière. Sans être tout à fait conscient il développe non pas une nouvelle manière de jouer mais un son bien à lui, différent des autres guitaristes. A dix-sept ans ceux qui jouent avec lui entendent sa différence, il n’en tire aucune gloire, il n’aura jamais la grosse tête, restera toujours accueillant, les témoignages concordent un gars ouvert, sympathique, fourmillant d’idées. 

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             Cela ne suffit pas faire de vous un des pionniers du rock. Encore est-il nécessaire de prendre la bonne route. Le problème c’est que le seul chemin qui s’offre à lui n’est pas le bon. Amateur d’armes à feu depuis son enfance, passionné de western, une culture musicale de base acquise en écoutant la radio, tout concourt en lui pour être un adepte de country. C’est déjà mieux que la chansonnette.  Sa carrière débute avec les Cochran  Brothers. Ne sont que deux lascars, ne sont pas frères, mais possèdent le même nom de famille. De concert en concert il apprend le métier. Accompagneront même Lefty Frizzel un des rois du country de l’époque bien oublié aujourd’hui par chez nous. Rencontreront un autre personnage beaucoup moins célèbre mais qui infléchira la destinée d’Eddie, Jerry Capehart, lui-même chanteur, prêt à endosser tous les rôles, tourneur, producteur, rien ne lui fait peur…

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             En 1956 éclate la bombe Elvis Presley. Ce n’est pas un inconnu. Les Cochran Brothers ont eu vent de ses premiers disques chez Sun, c’est le moment des grandes décisions, ne serait-ce pas une bonne idée de mettre un peu de rock ‘n’roll dans leur country. Ils essaient, Cochran veut continuer dans cette voie, son compère Hank refuse, se séparent en bons amis… Eddie jouit d’une notoriété de bon guitariste, ce qui lui permet de devenir un familier des studio Gold Star de Los Angeles.

             Une bonne rampe de lancement, quelque peu gâchée par le talent d’Eddie. L’adore jouer, ne dit jamais non pour participer à une session. Caméléon tous styles. Possède cette faculté de rentrer en osmose avec le projet de l’artiste, il l’aide de son mieux, apporte des idées, ne mégote pas sur sa guitare. N’est pas un monomaniaque, s’intéresse à toutes les musiques, country, blues, jazz, rock, et même classique… Un gars que sa passion rend utile, très utile, trop utile. Quand on a un tel numéro dans un studio, on ne le laisse pas partir, il y a toujours du boulot pour lui. A tel point que le temps lui manque pour sa création personnelle…

             Mais lui ne le voit pas comme cela, bidouille tout à son aise, rêve d’enregistrer un disque composé uniquement d’instrumentaux, n’est pas pressé l’attend son heure… Capehart parvient à lui dégoter un contrat chez Liberty. On a toujours besoin d’un musicien doué pour relever le disque d’un confrère de l’écurie. A part cela, l’on ne sait pas trop quoi faire de lui. Pas de plan de carrière. Le mieux c’est d’aller au plus simple, lui dégoter un hit. N’importe quoi, mais un hit. Ce sera Sittin’ in the balcony. Un truc mièvre et sans aucun intérêt. Oui mais un succès !

             Eddie lui-même en est satisfait. Pas du morceau, mais de sa popularité. C’est l’époque où il déclare qu’il veut devenir célèbre. Par tous les moyens. La musique d’accord, le cinéma aussi. N’a-t-il pas fait une apparition ( courte mais remarquée ) dans The girl can’t help hit et tenu un petit rôle dans Cotton picker ! Pas de panique ce n’est pas le triomphe des films d’Elvis Presley…

             1957, c’est la grande tournée en Australie avec Gene Vincent et Little Richard. Un succès, pour la première fois Eddie est emporté par l’ouragan du rock ‘n’ roll. Après cette tournée rien ne sera plus comme avant. Les filles, l’alcool, Eddie connaissait déjà mais ces concerts de folie portés à leur incandescence par Little Richard ont dû agir comme un électro choc.

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             Entre 1958 et 1959, Eddie donne trois titres qui sont au fondement du rock, Summertime Blues, C’mon Everybody et Something Else. Bien sûr il a enregistré quelques autres merveilles, mais ces trois morceaux à eux seuls reconstruisent le rock ‘n’roll. Les trois pyramides qui éclipsent tous les autres monuments.

    Eddie en fut-il lui-même conscient ? Une réponse de normand s’avère nécessaire. Oui et non. Non, parce qu’il ne savait pas comment dans les décennies suivantes cette trilogie allait influencer le devenir du rock ‘n’ roll. Oui, parce qu’il est désormais convaincu de sa valeur. Il sait que désormais il a rejoint le club très fermé des très grands.

             Nous sommes déjà au début de l’année fatidique. La tournée en Angleterre avec Gene Vincent. Si Gene est la face sombre, maléfique et inquiétante du rock ‘n’ roll, Eddie en est la figure de proue rayonnante. Les musicos britishs sont estomaqués par sa virtuosité, Eddie les fait progresser, il montre, il explique, il ne cache rien, an excellent rock ‘n’roll teacher. L’éclosion du rock britannique lui doit beaucoup…

             Vient de fêter son anniversaire, l’avenir s’ouvre devant lui, la mort l’attend au tournant…

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             Ce que je viens de résumer hâtivement Thierry Liesenfeld le raconte en détails. Certes le livre ne recèle aucune révélation fracassante. Les faits rapportés parlent d’eux-mêmes. L’art de les avoir collationnés avec une minutieuse précision chronologique permet d’appréhender le parcours d’Eddie d’une nouvelle manière. Si Cochran n’avait pas été si brutalement interrompu par la grande faucheuse, longtemps j’ai redouté qu’il se soit engagé à son corps défendant dans une impasse à la Elvis, qu’il se soit fourvoyé dans une carrière engluée dans la guimauve… Ce livre écarte le cauchemar. Cochran avait compris qu’en cinq tumultueuses années le rock avait changé, qu’il était une musique en perpétuel mouvement. Et qu’il était à la pointe de cette mutation. Cochran n'était pas un devin, le présent nous confronte à la grande inconnue du présent proche, où que nous portions nos yeux le futur est opaque. Pour nous Cochran est un grand chanteur de rock, lui se voyait plutôt comme un musicien en devenir. Entre l’image évidente et la réalité insaisissable il existe un espace aussi mince qu’un feuillet de cigarette, autrement dit un gouffre insondable. Ce qui est sûr c’est qu’Eddie avait hâte de retrouver la Californie – la tournée avait été harassante – le soleil et la bonne bouffe du pays des hamburgers lui manquaient, besoin d’un peu de repos aussi, et vraisemblablement des heures de réflexion et de création en studio. L’escale américaine prévue était de courte durée, la tournée anglaise devait reprendre au bout de quelques jours… Eddie était à cheval entre la désaffection de l’Amérique envers un rock sauvage et l’engouement de l’Angleterre pour le grand tumulte en gestation, sur la ligne de partage des eaux…  Aurait-il fait cet album de blues fortement électrifié dont il avait le projet, l’on peut rêver que les Rolling Stones l’auraient écouté… Et ce spectacle dans les night-clubs dont nous ignorons tout que je mets en parallèle   avec Twist-Appeal,  mis en scène par Nicolas Bataille que  Vince Taylor a réalisé aux Folies-Pigalle après la grande bourrasque de son explosive apparition en France…   Arrêtons mes élucubrations…

             Juste quelques mots sur l’impact photographique de l’opus, superbement mis en pages, bourrés de documents. Un livre à voir, à avoir.

    Damie Chad.

     

    *

    Plus de nouvelles d’Across the divide depuis deux ans, depuis la sortie de Disarray que nous avions chroniqué ( voir livraison 497 du 11 / 02 / 2021 ) et que nous avions beaucoup apprécié. Le fameux flair du rocker voici quatre jours a tilté dans mon cerveau. Depuis deux ans leurs posts sur FB se faisaient rares. Dans la série allons au bois voir si le loup y était, il y était, avec l’annonce d’un nouveau clip pour le premier octobre. Ce n’est pas tout, en début d’après-midi ils annoncent qu’ils sont en concert ce même samedi soir. Ne pouvaient-ils pas prévenir avant, les aurais revus avec plaisir, mais là impossible ! Faute de grive nous contenterons d’un merle. Noir.

    UNFORGOTTEN

    ACROSS THE DIVIDE

    ( Anubis Production / 01 – 10 – 2022 )

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            Du noir plus que noir. Âmes sensibles abstenez-vous. Eau trouble et herbes glauques. Tout un climat en deux secondes. Une forme blanche indiscernable sur le gazon nocturne : Ils l’ont donnée à la fangeuse mort, le vers de Shakespeare annonçant la mort d’Ophélie résonne en votre tête. Ensuite nous n’avons droit qu’à des fragments d’une triste histoire qui se reconstitue toute seule entrecoupés d’images sauvages des membres du groupe en train de jouer. Rapt d’enfant et survie mortuaire des parents. Circulez, il n’y a plus rien à voir. Mais ces flashs de baguettes brandies comme des haches d’assassin, ces cris vomis au micro, ces corps sciés sur les guitares, éclairs de haine, éclats de désespoir vous entaillent le cortex. La tragédie descend l’escalier, la mort vous pend au bout du nez. Clip funèbre pour faire-part de deuil. Il suffit de le regarder une fois. Il est inoubliable.

             Danny Louzon est aux commandes. Plus tout à fait un clip, une scène de film, un clinéma. Deux acteurs Raymond Olry et Sandra Vandroux plus le groupe : Charles Bogan, Regan McGowan, Axel Biodore, Maxime Weber, Alexandre Lhéritier.  

    Damie Chad.

     

     

    SPUNYBOYS

    Les Spunyboys ne font jamais rien comme les autres. C’est en 2013 qu’est sorti leur premier album Rock’n’roll legacy, ensuite plus rien. Pas une crise aigüe de flemmardise, n’ont pas arrêté de tourner un peu partout en France, en Belgique, aux Nederlands, en Finlande etc… des sets incandescents, ont dépassé depuis belle lurette les mille concerts, qui les classent parmi les meilleurs groupes de rockabilly d’Europe. Voici quelques années avant un concert à Fontainebleau ils discutaient d’un hypothétique EP consacré à George Jones   qui n’est jamais arrivé. En 2020, ils ont frappé un grand coup deux albums en même temps, les fans s’impatientaient, promettaient même un troisième ‘’live’’. Ce n’est pas le matériel qui doit leur manquer ! Il est plus que temps, sur ce coup Kr’tnt n’est pas à la pointe de l’actualité, de chroniquer les deux petites merveilles suivantes :

    JUST A LITTLE BEAT

    ( 2020 / Not on label )

    Belle couve jaune, fait un peu pochette de groupe de surf ( j’va me faire traiter de tous les noms d’oiseaux, m’en fous, je suis un phénix je renais de mes cendres. ) signée de Jake Smithies  ( des Dead Mans Uke, contrebasse et ukelel, exactly a resonator uke ), en haut l’adorable bébête qu’ils ont pris pour emblème. Les sept titres suivis de la mention RL sont des reprises de Rock ‘n’roll Legacy.

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    Losing at your own game : très hillbilly, voix voilée de Rémi, little beat dansant de Guillaume, retenez le solo d’Eddie, il poinçonne les tickets dans le métro comme au bon vieux temps. Don’t ring the bell : RL : le démarrage en trombe que l’on attendait pour ouvrir les hostilités arrive en deuxième position, encore est-il urgent de moduler, la cloche que l’on se devait de ne pas agiter était déjà sur leur premier album, une auto-reprise, moins rentre dedans – ils étaient jeunes et fous, maintenant ils n’ont plus rien à prouver, simplement nous montrer comment ils ont gagné en subtilité, ils polissaient au marteau en sont au stade de la lime à ongles,  un régal de les écouter. Tout n’est que luxe et volupté, pour le calme et la langueur baudelairienne, c’est totalement raté. Honey hides the bottle : RL : sur leur original l’on entendait la bouteille se fracasser sur le crâne de ladite honey, maintenant le morceau a un peu perdu ses assonances Bil Haleyenne, l’est davantage country jump, le meilleur passage c’est quand la voix de Rémi saute par-dessus la baguette de Guillaume, très beau duo de steeple-chase. Better to home : Ah le solo d’Eddie sur le contrepoint de la batterie, la meilleure scène du western, prenons le temps de noter que le mix a pris soin pour cette galette chocolatée de mettre la voix de Rémi devant, et les instrus qui brodent le fastueux décor derrière. Trouble in town : RL : changement d’ambiance, jusqu’à maintenant les morceaux sonnaient white rock, et là sans équivoque un beau démarquage ravageur à la Little Richard, Eddie poinçonne en bleu et la basse de Rémi est seule à rappeler les moutonnements rock’n’rolll de Send me some lovin’. Car un soupçon vaporeux de douceur ne gâte en rien la folie du monde.  Glad to be home : RL : ça sonne Sun, le truc où tout est en place et où rien ne manque. La batterie de Guillaume nous rappelle qu’il ne faut pas non plus s’endormir sur les lauriers du passé.  I’m an one-woman man : tiens le fantôme de Johnny Horton refait surface. Prennent leur plaisir, comment comprendre une telle déclaration si ce n’est pour de l’antiphrase, pour le plus gros mensonge qu’un homme puisse proférer, alors ils vous l’interprètent au clin d’œil de l’ironie, moque and roll !

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    Another farewell : y a des adieux moins chagrineux que d’autres, celui-ci au triple galop vous ne le regretterez pas, la voix de Rémy traîne comme un millepatte qui n’en finit pas de se déchausser, en plus il tripote sa contrebasse comme un clitoris en caoutchouc, Guillaume cogne son tam-tam sans perdre de temps, Eddie a troqué sa guitare contre une sarbacane, il envoie les notes une à une et fait mouche sur les mouches tsé-tsé qui volètent dans votre œsophage. That’s all right : une hérésie plus dangereuse que les Cathares, quoi le nom de Mickie Most le producteur des Animals et du Jeff Beck’group sur la pochette d’un disque de rockabilly !  Oui Mickie a eu sa période rock de 1959 à 1964, mais enfin il ne faut pas exagérer, reconnaissons toutefois que le morceau qu’il chantait avec les Gear n’est pas sans évoquer Brand New Cadillac de Vince Taylor, que vont donc nous proposer nos héros ? Ben, ils restent près de Mickie et de Vince, un régal pour Eddie de mettre ses pattes dans les pas de Joe Moretti et de Jimmy Page session man de service. Rockabilly legacy : RL : morceau éponyme de leur premier album, un titre qui fleure bon les Teddy Boys, un festival, nous l’interprètent à la Buddy Holly qui aurait avalé un cougar. Et qui ainsi n’aurait pas permis aux Beatles de mettre de l’eau dans le bourbon du rock’n’roll.  How low can you feel : RL : dans la série Country Legacy Jimmie Skinner, l’a eu son heure de gloire dans les années cinquante, un peu oublié maintenant, preuve que les Spuny farfouillent dans le coffre aux trésors américains, nos boys ont laissé de côté le banjo, un super exercice de style pour Eddie, et le fiddle bluegrass, Guillaume a bazardé l’accent nasillard des ploucs du pays de l’herbe bleue, ils nous refilent une version carabinée, entre nous je préfère Skinner. Peaches and cream : après Little Richard carrément un titre de Larry Williams.  Ce n’est pas l’avalanche de Dizzy Miss Lizzy ou de Slow down, disons un rhythm and blues plus roots,  vous le font très rock’n’roll, évidemment ils n’ont pas de saxophone, mais Guillaume a une de ses pêches sur sa batterie et les couches de crème de la guitare ont une belle épaisseur. Bop for your life : RL : le Bop est aux Teds ce que la crinière est au lion, se déchaînent sur le morceau, l’agitent salement, vous le fragmentent en mille éclats de verre qui brillent au soleil. Dommage que ce soit si court !

    MOONSHINE

     ( 2020 )

             Couve d’un bleu pénombre. Un peu vignette de bande dessinée. Si sur Just a little beat on apercevait tout au fond la silhouette du Capitole, sur celle-ci Big Ben squatte la première place. Ce CD serait-il plus axé Britain Sound. Quittons-nous le soleil de l’american South pour le fog londonien ? En tout cas Rémi affiche le ricanement démoniaque de Jack L’éventreur prêt à bondir sur sa victime, ce petit chef d’œuvre d’humour bleuâtre est aussi signé de Jacke Smithies.

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    Natural born lover : bonjour le changement de son, davantage compact, et employons un adjectif qui ne veut rien dire, musical. Oui ça klaxonne british, une basse plus grasse, une batterie moins furie, une guitare moins barbare, moins bop, plus pop. None of my business : reviennent à quelque chose de plus dur, Guillaume descend les escaliers avec des sabots de bois vert, Rémi jette ses mots à la fronde, Eddie se permet des tremblotements de guitare aussi périlleux qu’un numéro au grand trapèze sans filet. I hear Little Rock calling : chanteur country Ferlin Husky n’a pas subi l’appel du rock ‘n’ roll mais la nostalgie de Little Rock sa ville natale. Que vont nous faire nos trois héros de ce mid-tempo mignonitou, vont-ils se mélanger les pédal-steel guitars ? Ne renient pas leurs modèles, peut-être lors de leurs nombreuses tournées éprouvent-ils l’envie de retourner chez eux, accélèrent un tout petit peu le tempo, s’ils ont repris le chant en tir groupé du début, Rémi a abandonné le passage guimauve-voix-parlé-j-ai-beaucoup-vécu un peu has been, son vocal tire le morceau comme la locomotive ses wagons. Sweet loneliness : tristesse punchy, ça pue l’anglois, le rosbeef saignant, un peu loin du rockab, très groovy, très moderne, Rémi à cheval sur la vapeur et les instrus qui bougent les bielles, ressemble un peu à Watcha gonna do de Little Richard mais en beaucoup moins cool, z’ont dû bouffer de la barbaque avariée. Muy bien, comme disent les Espagnols lorsque le taureau rend l’âme dans l’arène. Moonshine : les cats amoureux miaulent joliment sur les toits les soirs de pleine lune, même qu’ils titubent un peu quand ils ont bu un coup de trop, agréable balade mid-tempo qui ne casse pas les manivelles, mais l’on reprendrait un petit verre avec plaisir. Lights out : retour dans la mouvance de Little Richard avec le morceau le plus connu de Jerry Byrne, avec un très beau passage sur lequel il hache ses mots comme sur Long Tall Sally, il ne faut pas le divulguer mais leur version à l’identique est meilleure que celle de Jerry Byrne, pourquoi ? Parce qu’elle est davantage rock ‘n’roll. Si nous étions Président de la République nous décorerions Guillaume pour sa performance battériale. Too young to cry : un titre à la Elvis, heureusement que Rémi a une voix plus anguleuse que le King, il sauve le morceau, le background derrière est bien propre, bien joli, bien ficelé, parfois les trucs mal emmaillotés  sont meilleurs. Well come back : dès qu’un titre commence par Well pensez à Little Richard, votre boussole indiquera la bonne direction, une belle réussite, très raw, un baston comme on les aime, aurait pu être enregistré dans le studio de Cosimo Matassa, à la grande époque.  Got get drink : une déjante country avec violon de l’amiral Nelson, Willie pour les intimes, Rémi s’en sort comme un chef, n’empêche que la guitare rupestre d’Eddie n’arrive pas à la cheville du violon pousse-au-crime et tire-bouchon joué par un ange déchu. N’écoutez pas l’original, la version des Spuny vaut le détour.

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    Get wild for my child : à l’énoncé du titre l’on a compris que l’on ne va pas s’ennuyer, un harmonica comme un sifflet de locomotive et l’on est parti pour la rivière sans retour, ça cahote dans tous les sens et ça remue comme dans un western italien. De la belle ouvrage, un shuffle suffocant ! El camino real : une ballade country de Lee Dresser chanteur des Krazy Kats, le camino real, le chemin royal est une route qui part de San Diego au fin fond du fond de la Californie et qui remonte au nord en passant par Monterey, San Francisco, Los Angeles… autant la version de Dresser se la joue majestueuse autant celle des Spuny a mis un tigre dans son moteur, un beau challenge pour Remi qui s’en tire comme un chef. Nowhere : une belle surprise, les garçons tourbillonnants démontrent qu’ils sont aussi à l’aise dans le hillbilly que dans le rockab. Rock around the clock : faut aller la chercher la version de Rock round the clock  de Li’l Millet enregistrée en 1956. En plus à mon goût elle ne vaut pas celle du gros Bill, l’est vrai que celle des Comets est un peu plus cuivrée que celle de Li’l Milet qui possède tout de même un bon sax, entre nous soit dit la version des Spuny n’emporte pas l’adhésion, un peu trop disparate. Peter Borough : beaucoup plus convaincant, ils remuent salement les cocotiers, arrivent à ce miracle que si vous incluez le titre dans une playlist pure original rockab vous ne verrez pas la différence. C’est cela les Spuny, ils ne copient pas, ils recréent. Le morceau précédent c’est quand ils cherchent, ne trouvent pas toujours mais ils accumulent des expériences, ils sèment des graines ( de violence) qui éclosent plus tard ?

    Gone with the wind : encore une gageure, comment reprend ce morceau de Wayne Rainey qui puise ses racines dans l’early hillbilly, no problem, Remi vous pousse le yodel comme un cowboy galopant après un long horn rebelle sans être une seule seconde ridicule. Ce n’est pas de l’imitation, retrouve l’esprit. Deux bonus tracks : Natural born lover : (+ Don Cavalli ) : et Get wild wih my child : ( + Thibaut Chopin ) : sympathiques, très agréables mais n’apportent rien de révolutionnaire à l’ensemble.

             Ayons un stupide comportement binaire : lequel des deux préférer ? Just a little beat est davantage monolithique, Moonshine davantage inégal mais ô combien plus aventureux avec d’exceptionnelles réussites. Ces deux opus permettent d’entendre les Spunyboys d’une autre manière. En public l’extraordinaire force de la batterie et les interventions fracassantes de la guitare monopolisent l’attention, elles égalisent un peu le chant de Rémi d’autant plus que ses acrobaties sur, autour, avec, sa contrebasse attirent l’œil. Ces deux CD’s sont l’occasion de vérifier combien nous avons un chanteur exceptionnellement doué qui ne recule devant aucune difficulté. Les Spunyboys sont un groupe incomparable.

    Damie Chad.

     

     

    LSD 67

    ALEXANDRE MATHIS

    ( Serge Safran / Août 2012 )

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    J’ai trois fenêtres à ma chambre

    L’amour, la mer, la mort

    Sang vif, vert calme, violet

     Ainsi débutait le poème Hiéroglyphes de Charles Cros, inventeur du phonographe ( le paradis des rockers ) et du procédé de la photographie couleur… les fenêtres d’Alexandre Mathis s’ouvrent sur d’autres domaines, Paris, la littérature, le cinéma. Ces trois domaines forment un nœud inextricablement lié, mais les couleurs dominantes en sont le noir et blanc cinématographique.

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    Alexandre Mathis a composé quelques livres et tourné quelques films expérimentaux. Il n’est guère connu du grand public. Avant de nous plonger dans ce LSD 67, il convient de poser deux jalons d’importance.

    Le premier est un roman policier, Maryan l’amour dans le béton. Paru en 1999. Un ovni littéraire. Grand format, police minuscule, 661 pages. Ce n’est rien, l’important c’est le choc, un peu ce qu’ont dû ressentir les premiers lecteurs de Céline à la lecture de Voyage au bout de la nuit. Là, pas besoin de voyager, propulsés au bout du bout de la nuit dès la première page. Alexandre Mathis s’est enfermé durant dix ans dans un minuscule studio pour l’écrire. Une ascèse littéraire, rien à voir avec celle de bourgeois bougon de Flaubert, le feu ne brûle pas dans la cheminée, c’est notre monde qui part en lambeaux de fumée noire et sale. Ce livre ne se résume pas, un tsunami déboule sur le lecteur et c’est tout. Bonne chance. La fin ? Elle est comme le serpent à deux têtes, autant dire qu’il se mord la queue sans clore définitivement le cercle. Une fois que vous l’avez lu, un porte-avions navigue dans votre tête, il cogne fort et jusqu’au dernier moment de votre vie vous avez peur qu’un jour il ne vous défonce l’os pariétal de votre crâne pour s’échapper de votre médiocrité congénitale. Les rockers apprécieront la bande-son : Jeffrey Lee Pierce, Gene Vincent, Johnny Thunders, Sex Pistols, Cramps… Un livre qui fait peur. La preuve : en avez-vous entendu parler ?

    La deuxième monstruosité est aussi un roman : Les condors de Montfaucon (2004 ). 620 pages, un sous-marin, un cachalot abyssal bourré d’ogives nucléaires. Porteur de mort en suspens. Visitons-le d’une manière innocente. Paris s’offre à nous. Les rues sordides, les vieux quartiers. Non pas pour les examiner mais pour se rappeler les vieux cinémas qui n’existent plus ou qui sont fermés en attendant le jour de leur destruction. Se rappeler qu’à tel endroit, l’on a vu tel film. Mathis ne nous épargne aucun détail. Où, quand, comment, avec qui, en quelles circonstances… Paris s’oublie, il se modifie, il change, la population n’est plus la même. Nostalgie ? Sûrement. Mais vous lisez alors le livre avec le petit bout de la lorgnette. Vous cédez à l’attrait du pittoresque. Ne confondez pas avec La dernière séance d’Eddy Mitchell. Alexandre Mathis n’expédie pas la bagatelle en une chansonnette de trois minutes. Un gros livre, foisonnant de milliers de détails. Parfois agrémentés de photographies de l’auteur. Maintenant attention où vous mettez les pas, vous errez dans le Paris des années cinquante et tout à coup vous avez franchi une limite, le gibet de Montfaucon se dresse devant vous avec ses dizaines de pendus. Zone dangereuse. Êtes-vous entré par effraction dans un fissure de l’espace-temps, à moins que les choses ne restent figées dans leur éternelle présence… Un livre, terrible, sombre, sur l’impermanence du passé de l’être humain qui n’ose se raccrocher aux herbes mandragoriennes qui poussent aux pieds des gibets.

    Et donc ce dernier livre de la trilogie, ce LSD 67, cinq cents pages, paru en 2013. Nous voici à Paris dans les limites étroites du Quartier Latin. Non ce n’est pas un livre qui parle de drogue. Simplement de cette première génération de jeunes filles et de jeunes gens qui entre 1966 et 1968 ont décidé de vivre. Selon leurs désirs. Un signe de ralliement : les cheveux longs. Insupportables pour le commun de leurs contemporains ankilosés dans leurs certitudes d’emmurés vivants volontaires. Eux ne cherchent qu’à s’échapper le plus loin possible de ces existences quadrillées. Ont trouvé leur porte de sortie qui leur permet de passer de l’autre côté de cet univers carcéral qu’ils refusent. N’emploient pas des mots pompeux, ne tiennent pas le discours attendu sur les portes de la perception. Ils utilisent des mots simples. La défonce, en point c’est tout. Ne théorisent pas. Ils l’expérimentent à toute heure du jour. Et de la nuit.

    Alexandre Mathis ne cache rien, montre tout. Les extases et les angoisses. Les effets, tant au niveau social – ne travaillent pas, sempiternellement à court d’argent - qu’au niveau psychique. Une attitude nietzschéenne, au-delà du bien et du mal, aucune moraline. Une vie dangereuse, dorment souvent dehors, les flics, les larcins, les trafics, les règlements de compte, chacun se débrouille à sa manière. Nous suivons un petit groupe, qui n’arrête pas de se croiser et de séparer, le hasard les réunit, leurs envies du moment les disjoignent. Ne rejettent pas la faute sur la société ou sur le système, assument leur choix de vie.

    N'arrêtent pas d’errer, il faut marcher pour ne pas céder aux vertiges des produits, Mathis ne peut enfiler une rue sans préciser d’où elle part, où elle s’arrête, de nommer les artères ou les ruelles qui la coupent, les cafés, les bars, les librairies, les pharmacies, les boutiques qui la bordent. Cette manière de procéder n’est pas sans produire un effet de vertige, on repasse souvent par les mêmes lieux, l’on est entraîné malgré soi sur un gigantesque échiquier sur lequel se déroule une partie qui ne s’achève jamais… Hervé le Narrateur a tout essayé, ses préférences vont à l’opium, mais il est une autre addiction dont il est totalement dépendant : les cinémas et les films. Lui faut ses quatre films par jour pour être heureux. Saute de séance en séance

    Ce roman est une ode au cinéma. Mathis est atteint de boulimie, il veut voir tout ce qu’il n’a pas vu, il lit le moindre article serait-ce un entrefilet de deux lignes, de n’importe quelle revue de n’importe quel journal… Peu à peu il se forge non pas son propre jugement mais sa propre vision du cinéma, il commence à placer quelques articles par ci par là…

    Le livre s’arrête parce qu’il faut bien qu’il finisse. LSD 67 se termine au mois de mars 1968. Pas un hasard. L’auteur n’explique rien. Il faut comprendre. Mai 68 marque une rupture. La drogue se démocratise. Rien à voir avec cette expérience primale d’un groupe de quelques centaines de personnes qui ont vécu ces deux années d’expérimentation innocentes. Après cette date débute l’ère de consommation de masse. Le lecteur fûté réalisera que la même dégénérescence a frappé la production cinématographique…

    Le roman ne possède pas d’intrigue. L’est constitué de textes d’une à dix pages. Les personnages vont et viennent, Le lecteur les suit. En ressort une incroyable sensation de liberté. Et de respect mutuel entre les protagonistes, ne se font pas de cadeaux non plus, mais chacun tient trop à son indépendance pour anéantir celle de ses collatéraux.

    Ok, Damie, on a vu the drugs but what about sex and rock’n’roll ? Pour le rock, tout ce qui s’écoutait à l’époque des Them à Jimi Hendrix, du Grateful Dead aux Beatles.  Pretty Things et consorts. N’y en a qu’un Chico qui soutient mordicus la cause des pionniers, Gene Vincent, Eddie Cochran, Buddy Holly, Elvis, Bo Diddley, Vince Taylor…

    J’en viens à ce qui vous titille au-dessous de la ceinture. Les filles sont présentes, Dora, Liliane, Cybèle… libres dans leur tête et leur corps, compagnes d’une nuit, par intermittences, pour une saison, rien de fixe, les produits amenuisent les jalousies… mais ce n’est pas le plus important, certaines disparaissent, ont-elles quitté le milieu, sont-elles mortes, et ne sont-elles pas plus présentes une fois mortes… Rien n’est dit, tout est en filigrane. Les conversations ne s’attardent guère, elles passent vite à un autre sujet… si elles étaient des intercesseuses, les véritables portes vers la mort, est-il vraiment utile de se précipiter pour les ouvrir… Maryann Lamour est-elle vraiment dans le béton, Lili dans le noir n’est-il pas le sous-titre de Les condors de Montfaucon, Alexandre Mathis n’a-t-il pas écrit un roman titré Edgar Poe ( dernières heures mornes ) et tourné un film intitulé Lady Usher’s diary inspiré de La chute de la maison Usher de l’auteur du Corbeau ? Omettons ce chat noir qui semble hanter La rue du chat qui pêche et s’attarder un peu trop souvent dans le cerveau de Sandrine…

    Enfin sous le pseudonyme transparent de Herbert P. Mathese, Alexandre Mathis n’a-t-il pas consacré un livre de 472 pages au cinéaste érotique José Benazeraf  An 2002, la caméra irréductible

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUE DE POURPRE 268 : KR'TNT ! 388 : OTIS RUSH / SEASICK STEVE / FERMETURE ADMINISTRATIVE DE LA COMEDIA / SPUNYBOYS / THE CACTUS CANDIES / ROCKAMBOLESQUES ( 3 )

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 388

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    11 / 10 / 2018

    OTIS RUSH / SEASICK STEVE

    FERMETURE ADMINISTRATIVE DE LA COMEDIA

    SPUNYBOYS / CACTUS CANDIES 

    ROCKAMBOLESQUES ( 3 )

    Le rush d’Otis Rush

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    Le pauvre Otis Rush vient de tirer sa révérence. Les amateurs de Chicago blues le connaissent bien. Il est l’une des figures de proue de cette école du blues inaugurée dans les années cinquante par Muddy Waters et Little Walter et qui au bout de quarante ans, a fini par tourner en rond et générer de l’ennui. Dommage, car la première vague fit autant de ravages dans les imaginaires britanniques qu’en firent les rockabs de Sun. Bo Diddley, Muddy Waters et Little Walter ont joué, dans l’histoire du rock blanc, un rôle aussi capital que ceux d’Elvis, de Johnny Cash et de Jerry Lee. Muddy Waters et Sam Phillips, même combat. Ces gens-là ont tout inventé.

    Comme tous ses collègues installés à Chicago, Otis Rush vient lui aussi du Deep South. Il arrive à Chicago au début des années cinquante et comme Magic Sam, il débute sur Cobra Records. Dans une interview récemment parue, Syl Johnson nous révèle qu’il a déniaisé Magic Sam en lui montrant comment jouer les classiques de Muddy Waters. Puis comme tout le monde à Chicago, Otis va trouver Leonard le renard pour enregistrer quelques singles sur Chess. Parcours classique et terrain d’élection des industriels de la compilation.

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    Bref, Otis zone, jusqu’au moment où Mike Bloomfield s’intéresse à lui : c’est l’album Mourning In The Morning enregistré en 1969 à Muscle Shoals. Quel album ! Pur jus de Soul de blues ! Pochette superbe, avec un Otis prêt à bouffer le monde. Pour son premier album, il bénéfice de la présence d’une grosse équipe. Il joue pas mal de cuts de Bloomy, à commencer par «Me», l’un des hits d’Electric Flag. Roger Hawkins nous bat ça sec. Le son est au rendez-vous et Otis peut screamer son blues. Il joue bien liquide, comme Bloomy. Tiens, encore du Bloomy avec «Working Man». Otis le joue classique et incendiaire. Il module ses uuuhhh et ses ouuuhhh. Quel fucking moduleur ! Attache-toi au mât car il chante comme une sirène ! Il reste dans l’admirabilité des choses avec «You’re Killing My Love», toujours signé Bloomy et passe plus loin au heavy blues avec «Gambler’s Blues» où l’on note deux choses : l’excellence de la prestance et la pertinence de la prescience. On trouve hélas un petit moins de viande en B. Il faut en effet se contenter d’un «My Love Will Never Die» chanté à l’éplorée. Otis sait parfaitement faire pleurer sa voix et couler un bronze du blues. Il passe des grattages de guitare insistants et terriblement intrigants. Il boucle l’album avec un autre cut de Bloomy, «Can’t Wait No Longer’», histoire de bien enfoncer son petit clou. Cette union Otis Rush/Bloomy/Muscle Shoals est l’une de plus admirables de l’histoire du blues.

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    Screamin’ And Cryin’ paraît en 1974. Otis y va. On le sent partant dès «Looking Back». C’est un fervent gratteur de gras des bas-côtés. Il sait faire chialer sa note. On retrouve le bon gros heavy blues dans «You’re Gonna Need Me». Ce vieux crabe de zone B Sunnyland joue du piano. Otis s’arrache bien la paillasse pour chercher des effets, il hurle à la lune et fait son défroqué. C’est un spécialiste du charbon ardent. Il le fait pour de bon, il pousse des petits cris de poulet, ça baigne dans la fiente et les waoooh. Quelle rigolade ! Il prend «It’s My Own Fault» au doigt bien plat, il se prosterne devant les bénitiers, c’est un convaincu. En fait, il ne fait que taper dans des classiques, mais il n’a rien de la fulgurance d’un Buddy Guy. On sent toutefois une fantastique présence dans des reprises comme celle d’«Every Day I Have The Blues». Otis se met en quatre pour un huit de trèfle. Il prend «A Beautiful Memory» au heavy blues de la dégoulinade de morve, ça coule dans la manche, à travers les poches, c’est du gras, Il joue incroyablement gras, cet enfoiré fait couler son blues partout. Il est le roi du liquide qui tâche.

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    Magnifique pochette que celle de Cold Day In Hell : Otis transpire comme un diable coincé dans un sauna. Il démarre en trombe avec «Cut You A Loose», mais ça va trop vite, beaucoup trop vite. Il part ensuite dans un délire de petites notes lumineuses avec «You’re Breaking My Heart». Il dit à sa poule : tu me brises le cœur. On a beau chercher un hit sur cet album pourtant paru sur Delmark, on n’en trouve pas. Et si Otis Rush ne servait à rien ? Pour éviter toute dérive, il est conseillé de redoubler d’attention et de bien dresser l’oreille. Hélas, les choses se gâtent avec le morceau titre. Otis fait son Albert, non pas le King, l’autre, le Collins. Il joue avec les températures. Il verse des larmes de crocodile. Impossible de le prendre au sérieux.

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    Belle pochette que celle de Right Place Wrong Time paru en 1976. On y admire le port altier d’Otis, un port qui rappelle celui des anciens princes d’Éthiopie. Enregistré en 1971 chez Capitol, Right Place Wrong Time est en fait son deuxième album. Il ne parut qu’en 1976, après qu’il ait dû racheter les bandes. Pauvre Otis, il n’en finissait plus de zoner. Il attaque cet album sauvé des eaux avec «Tore Up», un joli coup de boogie blues à la Albert Collins. Il tisse une merveilleuse dentelle de blues dans «Right Place Wrong Time» et trousse l’«Easy Go» à la hussarde. Ce type est un génie fluide. Il ne se refuse aucune cascade d’eau claire. Il faut l’entendre dans «Three Times A Fool». Sa voix n’a rien de plus mais c’est à l’attaque de guitare qu’il va se distinguer du commun des mortels. De l’autre côté se niche «I Wonder Why», un instro de classe aristocratique. Otis y fourre ses petites digonnades de notes versatiles. C’est un expert du petit doigt qui aiguillonne. Par contre, «Your Turn To Cry» est du pur jus de slow blues joué aux giclées flamboyantes. Sacré Otis, il sait orgasmer son blues à longs jets radieux. Il dispose d’une arme fatale : le toucher de rêve. Pas mal d’Anglais du blues boom l’ont pompé, c’est évident. Avec «Take A Leak Behind», Otis va chercher le slow-blues à l’éplorée. Il sait tirer ses phrasés au-delà de toute complaisance. Il sort un son poignant. Ses notes se tortillent adorablement, il les titille avec cette volupté cabalistique qui n’appartient qu’aux anciens princes d’Éthiopie. Faramineux personnage !

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    Il attaque Troubles Troubles avec le fameux «Baby What You Want Me To Do» de Jimmy Reed. C’est joué bien sec, mais ça devient trop austère. Nous voilà chez Sonet, en plein âge classique du Chicago blues. Donc pas de surprise. Dans «Whole Lotta Lovin’», Otis attaque une vieille descente à la Dust My Blues et semble vouloir se réfugier dans le classicisme à tout crin. Et voilà qu’il chante «You Been An Angel» avec la voix de Stan Webb ! Incroyable ! On note l’excellence du battage de cymbales dans «You Don’t Have To Go» et on se régale du morceau titre car c’est du heavy blues circonstancié.

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    La pochette de Tops paru en 1988 ne met pas Otis en valeur. Il porte un chapeau et il paraît légèrement empâté. Si on veut retrouver l’Otis qu’on admire, il faut aller voir la photo qui se trouve au dos de la pochette. Il s’agit là d’un album live enregistré à San Francisco. Avec «Crosscut Saw», il met les pieds dans le territoire du gros Albert. C’est drôlement gonflé. Il joue ça au meilleur velouté de poireau. Il passe de sacrés paquets de notes et chante au doux du ton. Il sort un son de rêve sur «Feel So Bad». C’est quasiment du Bloomy. Il y lance une attaque en règle, une pure bénédiction d’électricité latente. Il y a plus de modernité dans le blues d’Otis, Horatio, qu’il n’y a de particules dans ta philosophie. Le «Gambler’s Blues» qui ouvre le bal de la B vaut largement le détour. Otis nous joue ça au mieux des conditions du blues. Ce mec est l’un des grands fluides de son temps. Son jeu enjôle et finit par captiver. Il revient au solo fin et vivace après un couplet désespéré. Il finit avec «I Wonder Why» qu’il prend à la Earl Hooker. Il ajoute de la finesse à la finesse, alors ça touche profondément les points sensibles. Otis joue titille la perfection. Il fait couiner chaque note comme une nympho.

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    Comme bon nombre de ses congénères, il débarque chez Alligator en 1991. Il y enregistre Lost In The Blues, un album assez moyen, même si «Hold That Train» qui ouvre le bal fait illusion. Otis revient à sa chère vieille dégoulinade. Il essaie de sonner comme le gros Albert, mais ce n’est pas gagné. On l’encourage. Vas-y Otis ! Vas-y ! - Oh you train conductor - Bruce Iglauer le voulait, Bruce Iglauer l’a eu. Mais on retrouve toujours les mêmes vieux coucous comme «Little Red Rooster» et ce «Please Love» qui sonne comme Dust My Blues. Par contre, Otis négocie son «Trouble Trouble» à la meilleure langue fourchue du blues. Il va chercher le bon timbre de chant.

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    Ian McLagan joue du piano sur Ain’t Enough Comin’ In paru en 1994. On écoute «Don’t Burn Down The Bridge» avec délectation, car c’est bien nappé d’orgue. Otis fait le job. C’est une reprise du gros Albert. Il reprend ensuite le «Somebody Have Mercy» de Sam Cooke. Il est dessus, avec une fantastique énergie. Rien de mieux qu’un vieux coup de Cooke. Fantastique ! Mais hélas, on passe à travers les autres cuts de l’album. Il nous ressert l’inévitable «It’s My Own Fault», et «Ain’t Enough Comin’ In» un boogie blues têtu comme une bourrique. Plus loin, il revient à son cher Sam Cooke avec «Ain’t That Good News». C’est du gospel. Otis le chauffe bien. Il boucle avec «As The Years Go Passing By», un blues de gras double. Il sort un joli son sur sa Strato blanche, mais il reste atrocement classique. Dommage qu’il manque de fantaisie.

    Signé : Cazengler, Otis rêche

    Otis Rush. Disparu le 29 septembre 2018

    Otis Rush. Mourning In The Morning. Cotillon 1969

    Otis Rush. Screamin’ And Cryin’. Black And Blue 1974

    Otis Rush. Cold Day In Hell. Delmark Records 1975

    Otis Rush. Right Place Wrong Time. Bullfrog Records 1976

    Otis Rush. Troubles Troubles. Sonet 1978

    Otis Rush. Tops. Demon Records 1988

    Otis Rush. Lost In The Blues. Alligator Records 1991

    Otis Rush. Ain’t Enough Comin’ In. This Way Up 1994

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    Otis Rush. Any Place I’m Going. House Of Blues 1998

     

    Steve la gerbe

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    On a un problème avec Seasick Steve : vraie barbe ou fausse barbe ? Comme le fait Mitsuhirato dans Le Lotus Bleu, on voudrait lui tirer la barbe pour savoir si c’est une vraie. Car au fond, on se pose tous la question suivante : Seasick Steve est-il un vrai bluesman ou un coup monté par la CIA ? On se méfie de ce genre de plan ‘roots’ comme de la peste. Les magazines de rock anglais lui consacrent plus de pages qu’ils n’en ont jamais consacré à Muddy Waters. Alors, il n’existe que deux moyens d’en avoir le cœur net : écouter les disques et le voir sur scène. Oui, je dis bien LES disques, car l’animal est prolifique : 8 albums en 8 ans. Comme tout le monde, il a besoin de blé.

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    Il sort Dog House Music en 2006. Dès «Yellow Dog», on voit que Steve la gerbe a tout pigé. Il part en vrille dans le pire jive de blues de cabane branlante qu’on ait vu ici bas. Ça continue avec «Things Got Up». On voit bien qu’il s’implique pour de vrai. Il fait du primitif à la petite semaine. Il introduit «Fit My Wings» en marmonnant : «I’m gonna plug the thing». Il gratte son banjo et sonne comme un puriste, un tenant du primitivisme invétéré. Il va même chercher des effets auxquels personne n’avait jamais pensé, pas même John Hammond. Steve la gerbe fait son truc. En trois cuts, il semblerait que la messe soit dite. Et puis, on va commencer à voir apparaître les crevasses. Son «Dog House Boogie» sonne comme du T. Rex. Il fait du glam à barbe. L’idée est tellement saugrenue qu’on ne moufte pas. Il joue «Save Me» aux instruments anciens, et même très anciens. Il bat tous les records olympiques de primitivisme. Il s’entiche de vieilles racines. Aurait-il du génie ? On flirte avec l’idée à l’écoute d’«Hobo Me». Il gratte ses vieux accords à sec, comme s’il enfilait une chèvre. Pas de fioritures, pas d’effets à la con. Il revient au primitivisme éhonté avec «My Donny» qu’il claque à sa sauce. Il va chercher une sorte de vieille démesure de bord du fleuve. Il claque ses notes et chante dessus. Il force l’admiration car il gratte tout à l’ongle mort du zombie et s’affiche comme un féroce primitif. C’est une façon comme une autre de dire qu’il sème le doute pour mieux brouiller les pistes.

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    L’année suivante paraît Cheap, un album qu’il enregistre avec the Level Devils. Steve la gerbe ressort toutes ses vieilles ficelles de caleçon. Il multiplie les effets d’annonces et fait couiner son rocking chair à l’intro de «Rocking Chair». Il cherche à créer une ambiance et la plombe au stomp. Pour «Hobo Blues», il nous fait le coup de la jew harp. Mais il est affreusement convainquant. C’est bardé de tout ce qu’il faut pour rendre l’amateur de blues blanc heureux. Son «Hobo Blues» force l’admiration blanche. Puis il va commencer à raconter sa story dans «Story #1». Avec «Love Thang», il tente de se faire passer pour un vieux black de Chicago. Il propose des cuts comme «Dr Jekyll & Mr Hyde» et «8 Ball» qu’on retrouvera sur de futurs albums. Il raconte une deuxième story en reniflant bien fort, pour que tout le monde entende. La morve c’est roots. Il en fait un peu trop. Autour de lui, des fayots enregistrent tous les bruits. Avec «Xmas Prison Blues», on finit par se poser des questions. On voit bien qu’il picore dans la basse-cour comme une poule amputée du cerveau. Il va partout et ramasse des trucs ici et là. Alors le voilà en taule, sans même savoir de quoi il parle. Il fait ensuite un petit numéro à la Tom Waits avec «Love Song» et termine avec l’excellentissime «Rooster Blues», mais le conseil qu’on pourrait donner serait d’écouter Howlin’ Wolf.

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    Il revient un an plus tard avec I Started Out With Nothning And I Still Got Most Of It Left. Dans «Started Out With Nothing», il précise qu’il n’avait rien pour démarrer. On est tous bien contents de l’apprendre. Comme dirait Diaghilev à Cocteau : «Étonne-moi !». C’est ce que Steve la gerbe cherche à faire avec «Walkin Man». On voit bien qu’il s’intéresse plus au bord du fleuve qu’aux beaux matelots que convoitait Cocteau. Attention à «St Louis Slim». C’est superbement claqué au bord de caisse et Steve s’y glisse comme une anguille à barbe. C’est un sacré renard. Il exploite toutes les possibilités - Well Alrite ! - C’est joliment explosé à la relance de tambourin. Voilà un cut énorme de frappe qui impose un respect total. Avec «Thunderbird», il tâte de l’énormité du son. C’est même tellement énorme qu’on se pose des questions. Vraie ou fausse énormité ? Mais dès qu’il attaque son boogie des enfers, on adhère. Grinderman l’accompagne sur «Just Like A King». On sent nettement la présence des vétérans de toutes les guerres. Ils sont là pour un heavy blues terminal. Steve est malin, il amène ça comme un petit boogie blues sans avenir et puis ça se met à chauffer. Qui sème le trouble récolte la tempête, disait Shakespeare.

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    Sur Man From Another Time paru l’année suivante se niche une authentique énormité : «Seasick Boogie» - Now here’s the boogie part - Il sait pulser l’un des meilleurs boogies du monde. Mais on sent pointer le museau du caméléon. Il attaque en effet l’album par un hommage à Bo : «Diddley Bo». C’est bien vu et même trop bien vu - The one string diddley bo - il fait un cours ! Son truc est cousu de fil blanc comme neige. On ne sait plus trop quoi penser. En écoutant «Happy (To Have A Job)», on découvre qu’il adore le misérabilisme. On commence à se demander s’il ne prend pas les gens pour des cons. Il tape dans le registre très primitif du gospel blues avec des oooh oooh oooh Lord qui n’appartiennent qu’aux blacks. Et ça dégénère avec «Man From Another Time» : il sonne comme un groupe de Los Angeles. Quelle arnaque ! Il se retrouve avec ça dans le blues des gros propriétaires. Sur «Never Go West», il se fâche. Il ramène son meilleur guttural. Mais ça ne vaut pas Left Lane Cruiser. Il bouffe vraiment à tous les râteliers. Pauvre Steve, on l’oblige à rester sincère. «Dark» est certainement l’un de ses plus beaux coups. Il tape dans l’introspectif - I like my own company/ That way it’s easier at least for me - et il finit avec l’impressionnant I like the dark. Il finit par s’imposer avec «Wenatchee», un cut solide et doté d’une belle dynamique de blues moderne - Oh Wenatchee don’t shed no tears - Et il claque «My Home» au bottleneck. On l’y sent plein d’entrain et il redevient convainquant. Il devrait s’appeler Steve en dents de scie.

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    Un an plus tard paraît Songs For Elisabeth. On y retrouve «8 Ball», un vieux groove de big band sur-produit. C’est fini le temps des guitares fabriquées à la main et le coup de la vieille Buick de 1918. Il joue le Chicago blues et glisse des petits solos libidineux. Plus loin, il ressort «Dr Jekyll & Mr Hyde» et retrouve son vieux son de one-man band à gros beat déterminant. Mais c’est très prévisible. Il a un son, c’est certain, mais on revient systématiquement à la question de base : sa barbe est-elle vraie ? Avec «My Home», il semble très content d’avoir retrouvé son créneau. Il revient au festival de slide et ce cut sauve le disque. Il enchaîne avec un excellent «Ready For Love». Il joue bien de la slide, il est même très athlétique, il peut jouer longtemps, en extension, comme un joueur de volley-ball. Il sait parfaitement distinguer les nuances. Il fait tout ce qu’il peut pour sonner primitif. Il peut vraiment rootser comme un cake. Si on aime le roots, on se goinfre.

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    Ses albums continuent de sortir avec une belle régularité. Nous voici rendus en 2011 pour You Can’t Teach An Old Dog New Tricks. Il démarre avec «Treasures», un beau boogie blues ralenti à la Led Zep et soudoyé au banjo. Il se fond dans la population. Il coule son bronze en plein air et n’hésite pas à recourir à des coups de violons opportuns. Le morceau titre est un véritable stomp à la Left Lane Cruiser. Admirable ! Il reste dans le vieux boogie avec «Don’t Know Why She Love Me But She Do». Steve la gerbe sait draguer les bergères, pas de problème. Il passe John Lee Hooker à la moulinette et tente de se faire passer pour un violent boogie man ! C’est vrai qu’il a un son. Son boogie retentit comme un clairon. Avec «Have Mercy On The Lonely», il fait son vieux black du fleuve. Il est effrayant de mimétisme. On irait même jusqu’à croire que les blacks n’ont jamais existé. Il est un peu comme John Hammond, il veut faire mieux que les blacks, et ça, mon gars, ce n’est pas possible. Steve la gerbe pue un peu l’arnaque. Il ôte le pain de la bouche des blacks. Avec «Whisky Ballad», il passe directement au folk anglais. On le voit une fois de plus bouffer à tous les râteliers. Il pourrait nous berner indéfiniment, mais on l’a démasqué. Attention à «Back In The Doghouse» ! C’est énorme ! Quel son ! Il sait aussi allumer une pétaudière. C’est édifiant. Il peut défenestrer le blues. Trop stupéfiant pour être honnête ! Il y a trop de son. Et avec le dernier cut, «It’s A Long Long Long Way», il se prend pour Johnny Cash ! Et là, il exagère.

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    Au dos de la pochette d’Hubcap Music, on le voit gratter l’une de ses guitares artisanales. John Paul Jones l’accompagne sur cet album, alors forcément, on a du son. Ça commence avec «Down On The Farm» emmené au boogie sauvage. Luther Dickinson joue aussi sur cet album. «Self Sufficient Man» sonne comme un heavy boogie à la Led Zep. Vue imprenable. Steve la gerbe sait brosser le son dans le sens du poil. Il connaît toutes les ficelles du gros blues élastique, comme on peut le constater à l’écoute de «Keep On Keepin’ On». Il essaye désespérément de se forger un style original, mais c’est compliqué. Avec «Over You», Steve la gerbe la joue primitif du bord de fleuve et John Paul Jones l’accompagne à la mandoline. Ah ils ont l’air fin, tous les deux. Encore une belle pièce : «Freedom Road». C’est un boogie tribal balayé à la slide. Steve la gerbe développe un fantastique espace de boogie - He walked the freedom road - et il finit à la John Lee Hooker. C’est Luther qui joue lead sur «Home». Luther sait doser le killérique. Il a l’habitude de ce genre d’entreprise. Mais l’album se termine avec une vraie putasserie : «Coast Is Clear», un cut de rock FM orchestré aux trompettes de la renommée.

    En 2015, on avait dans Classic Rock un très bel article de Nick Hasted sur Steve la gerbe, avec une très belle photo en pleine page. Même en examinant l’image au compte-fil, il était impossible de savoir si la barbe était vraie ou fausse. Pas la moindre trace d’adhésif ou d’élastique sous l’oreille. Dommage, car son histoire paraissait intéressante, pleine de rebondissements et de bonne dèche à la sauce américaine. Mais les zonards américains n’auront jamais la classe de nos clochards. Entre Steve la gerbe et le Boudu sauvé des eaux, le choix est vite fait. Au moins, la barbe de Michel Simon est une vraie barbe. On ne rigole pas avec ces choses-là. Le clochard, c’est sacré. Ce serait l’insulter que de le considérer comme un animal de cirque.

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    Sonic Soul Surfer paraît en 2015. On voit sa Buick de 1918 sur la pochette et au dos, on le voit sur son tracteur. Il essaye de se faire passer pour un agriculteur ! Il démarre avec un merveilleux groove de boogie blues intitulé «Roy’s Gang». Luther Dickinson joue aussi là-dessus. On a un vrai son avec du tac tac de bord de caisse. Dad Dickinson aurait bien apprécié cette escapade de Luther, d’autant qu’elle est montée au beat irrépressible. Steve la gerbe redevient un crack. Il sait dépoter le naphta. Mais il n’est hélas pas aussi incendiaire que Left Lane Cruiser. Son «Dog Gonna Play» est beaucoup trop orchestré pour être honnête. Il passe au violon cajun avec «In Peaceful Dreams». Il continue de bouffer tous les râteliers. Il adore les râteliers. C’est son vice. Ce coup de cajun pue l’arnaque. Il pompe Eddie Cochran pour son «Summertime Boy» et repart en goguette dans le boogie crépusculaire avec «Swamp Dog». Voilà pourquoi on ne peut pas lui faire confiance. Si on aime le crépusculaire, il vaut mieux écouter Mark Lanegan. C’est d’un autre niveau. Steve la gerbe refait du John Lee Hooker avec «Sonic Soul Boogie» et nous speede ça à outrance. Il est vraiment très fort à ce petit jeu, il sait rechampir une façade. Il peut aller jusqu’à l’overdose de boogie et même nous filer la gerbe. Il slide son «Barracuda» d’entrée de jeu. Il le stompe à l’os de la mortadelle. Il adore enfoncer des clous dans la paume du saveur. Son vieux stomp est cousu de fil blanc comme les neiges du Kilimandjaro. Mais les gens adorent ça.

    Évidemment, si on va le voir jouer sur scène avec un gros a-priori, c’est compliqué. Mais la curiosité finit par l’emporter, et qui plus est, il attire pas mal de monde, puisqu’il remplit une grande salle. Et donc le voilà en Normandie, avec sa fausse barbe et deux copains, dont un vieux batteur lui aussi affublé d’une longue barbe blanche. Vraie ou fausse ? Allez savoir... Ils jouent tous les trois assis, ce qui semble logique, vu la moyenne d’âge. Musicalement, c’est exactement ce qu’on a sur les disques, un savant mélange de blues bien blanc joué au bottleneck, de guitares primitives taillées dans les troncs d’arbres, des vieux tatouages, des grommellements de style I swear to God, des vannes de vieux romanichel, des coups de roots bien ficelés, une technique de jeu indiscutable, et quelques belles montées de fièvre où on les voit enfin lever leurs culs de leurs chaises pour jouer le boogie-blues du Deep South. Steve la gerbe raconte à un moment qu’une voiture électrique qu’il n’a pas entendu arriver l’a percuté, sur le parking d’un super-market, et comme il s’imagine que son histoire a de l’intérêt, il en fait profiter toute la salle. Il fait le show comme il peut, mais il est vrai que certains cuts, comme par exemple «Shady Tree» ou pire encore, «Barracuda» accrochent bien l’oreille. Il termine en jouant le morceau titre de son nouvel album Can U Cook sur une guitare rudimentaire à une seule corde. Cet homme possède une botte secrète et il sait s’en servir pour harponner un public. L’un dans l’autre, on passe une excellente soirée, et au fond, on se fout de savoir si sa barbe est fausse et si son blues est vrai.

    Signé : Cazengler, la gerbe tout court

    Seasick Steve. Le 106. Rouen (76). 2 octobre 2018

    Seasick Steve. Dog House Music. Bronzerat 2006

    Seasick Steve & the Level Devils. Cheap. Bronzerat 2007

    Seasick Steve. I Started Out With Nothning And I Still Got Most Of It Left. Warner Music 2008

    Seasick Steve. Man From Another Time. Atlantic 2009

    Seasick Steve. Songs For Elisabeth. Atlantic 2010

    Seasick Steve. You Can’t Teach An Old Dog New Tricks. Play It Again Sam 2011

    Seasick Steve. Hubcap Music. Fiction Records 2013

    Seasick Steve. Sonic Soul Surfer. Bronzerat 2015

    INQUIETANT !

    J'avais prévu pour ce dimanche soir 7 octobre me rendre à la Comedia pour assister au set des Walter's Carabine.

    Walter's Carabine, dégoûté.

    On est triste de vous annoncer que le concert de demain, qui était prévu à la Comédia, est annulé en raison d'une fermeture administrative... Un grand merci à la Préfecture de Police qui fait fermer les petites salles ou il reste encore un peu de vie dans cette ville de macronistes à la con..

    https://www.facebook.com/events/290749608400936/?ti=as

     

    Et cette annonce qui est tombée vendredi soir sur Menil.Info :

    Fermeture administrative de la Comédia (Montreuil)

    La préfecture vient de signifier une fermeture administrative de 30 jours

    à la Comédia, café-concert de Montreuil.

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    A LA COMEDIA TOUS LES PRIX SONT LIBRES

    Les groupes/artistes viennent de tous les horizons (Paris, banlieue, province, mais aussi Angleterre, Espagne, Canada, Argentine, Ukraine, Russie, Japon, Mexique...). Tous sont plus ou moins confirmés ou pas.


    Peu importe. Depuis 2014, la programmation a déjà une longue histoire. L’été a été endiablé par Korso Gomez (Arg.) et les Ruffianz (Can.), les punks londoniens Blatoidea et Maid of Ace (déchainées les filles !), les ukrainiens de Zrada et les locaux Breakout, Stygmate, Mercenaries venus soutenir le lieu dans sa lutte.

    La Comédia tient du métissage qu’aurait engendré l’union d’une startup du néolithique et d’un astroport de la périphérie galactique. Créée et gérée par Roy, un low tech manager à la présence très impressionniste, elle vit, sonorisée dans la pénombre par un grincheux, par tous ceux qui donnent un coup de main pour faire vivre le lieu, l’entretenir ou lui refaire une belle façade, enfin grâce à un public plutôt hétéroclite (de la tribu de "nez percés" aux baroudeurs des concerts parfois mal guenillés mais plutôt bienveillants), avec ses éternelles figures, comme Néo, toujours en fugue de son hôpital, et un chien qui, irrémédiablement, passe son temps là.

    La Comedia, Lieu underground ? Lieu éphémère ? Bien plus !

    Pour certains un port d’attache dans le quartier, pour d’autres un corridor explosif où tous se lâchent, souvent un lieu de passage, d’échange et de convergence (de lutte ou de soirée), pour certains aussi un lieu d’échouage mais toujours en douceur.

    Nous avons tous besoin, un jour ou l’autre de ce type de lieu, de création alternative mais aussi de vie alternative en soi. Une démarche qui pourrait aussi intéresser d’autres lieux menacés par les "mises aux normes", pas simplement réglementaires quand on observe la tendance, pseudo friches industrielles et lieux éphémères biens aseptisés....

    La Comedia est en friche, elle le restera même aux normes, éphémère comme la vie qu’elle accueille, mais il faut qu’elle le reste !

    Alors venez vivre la divine COMEDIA !

    *

    Fermeture administrative de la Comédia (Montreuil)

     

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    Il fallait malheureusement que cela arrive un jour, et ce n’est même plus surprenant, vu le climat actuel à Paris : La Comedia Montreuil., l’un des derniers bastions libres et joyeux de la culture alternative / punk parisienne, est obligée de fermer pendant un mois, à compter d’hier soir (même si le concert prévu hier s’est déroulé coûte que coûte), sur décision administrative, et ce jusqu’au 2 Novembre. les habitué-e-s ont pu constater que les travaux ont déjà été engagés depuis cet été pour la remise aux normes des lieux, sans attendre que les flics et la préfecture ne s’en mêlent. Mais quand il s’agit de couper les vivres à la scène punk / hardcore, aux mouvements politiques et sociaux d’opposition au pouvoir en place lorsque ils ne sont pas de droite, il n’y aura jamais assez de remise en norme possible, jamais de délai : il s’agirait de se conformer alors à la gentrification de Paris, de nos banlieues, de nos rues, l’uberisation de nos vies et de nos soirées. Il faudrait arrêter la révolte, il faudrait enfiler des chemises unies et danser sur de l’électro pop prête à consommer, et consommer des boissons alcoolisées à outrance "avec modération", pour faire semblant d’oublier le quotidien que le capitalisme nous impose. Ne serait-ce pas d’ailleurs ce capitalisme lui-même qui nous pousse à l’oubli de soi via la productivité infernale et les spiritueux ?

    Au-delà de la fermeture d’un lieu de concert, qui sort des cadres conventionnels de la culture des bars, c’est également un problème humain : Le propriétaire du bar ainsi que l’ingé son qui intervient à la majorité des concerts se retrouveront sans revenus ce mois-ci.

    Une cagnotte en ligne sera très vite postée pour aider la Comédia dans ses travaux qu’elle va forcément devoir continuer puis approfondir, et je l’espère pour aider financièrement les deux personnes sans revenus pour ce mois. Je ne manquerais pas de la relayer.

    En attendant, soyez attentifs.ives, toujours plus, à ce qu’il se passe : alors que de plus en plus de monde organise des concerts à Paris, se bouge à son échelle pour que vive et prospère la scène punk / hardcore, ses enjeux politiques, sociaux et culturels, l’Etat et la bourgeoisie posent leur véto sur nos lieux de vies pourtant inexistants aux yeux de leurs sociétés. Mais nous sommes une société qui leur échappe, nous échappons à leurs modes de consommation, à leur vision de la culture, de la politique, de la vie. Alors ils s’y opposent avec les moyens légaux à disposition, bien entendu fortement en leur faveur.

    Même si dans le cas de la Comédia, il ne s’agit pas d’une fermeture définitive, il s’agit en revanche clairement d’une menace, une de plus, sur ce lieu, et les autres bastions de résistance qu’il reste dans la capitale et autour.

    Que crève leur monde, que crève le capitalisme. Que se noient dans la nuit leurs soirées nauséeuses.

    *

    Ne soyons plus passifs.ives face à la gentrification de nos vies, réapproprions-nous nos lieux, notre scène, nos rues. N'oubliez pas que sans lieux tels que la Comédia, réellement ancrées dans le DIY, dans une démarche politique et alternative, tenus par des personnes passionnées et motivées même quand l'Etat cherche à les écraser et les invisbiliser, il ne peut PAS y avoir ces concerts, ces rencontres et cette chaleur humaine qu'on aime tant à la Comédia.

    "hardcore is politics". Mais le punk en général aussi. Nique l'apolitisme.

    Prenez soin de vous.

    Deux textes extraits du FB : LE DICTIONNAIRE DE L'EMOTION

    *

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    Lien pour participation financière : 5000 euros nécessaires pour l'insonorisation de la Comedia :fr.ulule.com/divinecomedia1

     

    O4 – 10 – 2018 / FONTAINEBLEAU

    LE GLASGOW

    SPUNYBOYS

     

    J'avais prévu ce jeudi soir une croisière jaune. Pour voir les Jones. A bord d'une jonque chinoise. Amarrée à flanc de quai parisien. Mais le destin en a décidé autrement. Sous la forme de Sergio Kazh – le fer de lance de l'équipe du magazine Rockabilly Generation – les Spunyboys opèrent un débarquement surprise au Glasgow – je ne verrai pas les Jones, pas des bleus, ont opéré aux côtés des Flamin' Groovies et une carte de visite longue comme la liste de mes défauts. Lorsque vous prononcez le mot Spunyboys devant moi c'est comme les loups qui ne sauraient désobéir à l'Appel de la Forêt. De Jack London, mais le titre original The Call of the Wild correspond mieux davantage à l'esprit des prestation spunybosiques.

    Comme par hasard à peine entrés dans le Glasgow, les premières personnes que nous apercevons sont la famille Kazh casée aux meilleures places – parce que le Glasgow question Ecosse c'est plutôt petits pois tassés dans une boîte de conserve, ne sont pas seuls, la charmante et détonnante Daytona Charmed les accompagne. Les Spunyboys se font attendre - se prendraient-ils pour des jolies filles – le set commence enfin à dix heures pile ( atomique ) et tapantes. Une question métaphysique taraude cependant la nombreuse assistance pendant qu'ils prennent place, mais pourquoi donc Rémi a-t-il changé de contrebasse ? Et qu'est-il arrivé à la nouvelle ? Pourquoi porte-telle ces deux longues bandes de scotch noir sur son flanc gauche ? Ce garçon si gentil serait-il en train de se transformer en big mamas' serial killer ?

    THE SPUNYBOYS

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    I got it ! Avec ces trois mots vous prenez possession du monde. Et les Spuny ne s'en privent pas. Ça commence bien. Rémi tournoie galamment autour de son up-right. Quelle grâce, quelle légèreté, la soulève, cette autruche au long col, comme une plume de colibri et l'emporte dans un tourbillon frénétique, serions-nous à la Cour de Vienne lors du grand-bal donné par le grand-duc, hélas les rêves princiers s'achèvent parfois tragiquement, Rémi s'incline vers le micro et l'horreur du rock'n'roll déferle sur nous : Big blues eyes, long black hair / Dimpled Cheek and she's so square, vous crache les mots au batteur à oeufs, y passe même le poulailler en entier, She' got it / Ooooh baby she's got it / Ooooh baby she's got it / I can't do whitout her / , l'on n'a jamais su ce que la charmante babe tenait entre ses mains, mais les Spuny nous ont envoyé de ces saccades d'énergie à vous saccager les neurones. Eddie se joue de sa guitare, procède par giclées, de dynamites. Vous instille à chaque fois trois notes givrées au froid absolu dans la moelle épinière. Avec Guillaume, ils ont inventé un jeu pervers, jamais trop, toujours plus, le manque par surabondance, un tour de passe-passe étonnant, tout est dans la fulgurance, Guillaume vous martèle trois coups très rapides, un je vous ouvre l'occiput, deux j'écrabouille la cervelle, trois je remballe le tout, quatre je m'arrête, n'ai plus rien à faire de vous, Eddie a pris le relais, une note poignard dans le cœur, une autre dans l'épigastre, une dernière dans le sexe pour les sensations, c'est fini je passe mon tour et sur ce Guillaume vous refait son hachis parmentier, à peine a-t-il fini que Eddie vous rappelle qu'il opère sans anesthésie.

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    Le pire c'est que ce duo se joue à trois. A quatre pourrait-on dire car Rémi a double boulot : chant / basse / chant / basse, répétez trente fois à voix haute et vous ne savez plus si c'est le chant ou la basse qui précède l'autre. Les boys à toute vitesse, ont inventé le groove rockabilly, le groovrockbilly, un vaisseau de guerre non identifié, qui se déplace avec une célérité supersonique. C'est le cas de le dire, vous en prenez plein les oreilles, d'autant plus que Rémi distribue ses interventions phoniques en deux lots, un background de base, phonèmes explosés qui fusent en folles suites éructées en émissions spasmodiques, sur lequel il surajoute à intervalles plus ou moins réguliers des appels retentissants, un cri primal qui vous glace le sang et vous brûle l'âme, communion dansante avec le public qui ondule comme des forcenés soumis à des vibrations indépendantes de leur volonté. Un rockab qui vire vers ses racines bleues et noires, pour ne pas dire tribales, nous n'en voulons pour assentiment que ces morceaux de fièvre et de hargne bâtis sur l'imparable et intraitable pulsion du jungle beat bo diddleyen. Malgré son exiguïté la salle se transforme en piste de danse, ceux qui jerkent et s'entrechoquent tout seuls et les couples qui lindy hopent à qui mieux-mieux. Corolles de sourires épanouis sur toutes faces.

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    Nous nous permettons d'interrompre notre compte-rendu pour répondre à l'Association Loi 1901, déclarée d'utilité publique des Amis de la Contrebasse : oui à plusieurs reprises nous avons assisté de pénibles scènes : oui Rémi se couche dessus ou dessous sa big mama en d'effroyables postures qui ne sont pas sans évoquer de honteuses copulations contre-nature, oui par trois fois il a tenté de la kidnapper et de s'enfuir avec, l'a été rattrapé de justesse alors qu'il était en train de franchir le seuil, oui il la soulève et la brûle en la maintenant contre les spots brûlants, oui il ne lui laisse jamais le temps de respirer, oui il la tape, oui il la frappe, oui il la knockoute, oui, oui, oui, nous cochons toutes les cases. Mais ce n'est pas tout. Ont commis un crime irréparable. A l'instigation d'un individu venu d'ailleurs, répondant au nom d'Olivier, qui les a entraînés, tous les trois, de jouer du Led Zeppelin, et chose immonde ils y ont pris du plaisir, ni plus ni moins qu'un morceau phare du Dirigeable, le fameux Rock'n'roll qu'ils ont éjaculé durant au moins dix minutes ( question de faire durer la jouissance ) vous auriez vu la guitare d'Eddie couiner comme si on la sciait en deux, et Guillaume lançant ses baguettes en une course-poursuite avec le mur du son, l'Olivier piaillant de toutes ses forces comme s'il était en train de s'étrangler lui-même, et la pauvre big mama obligée de soutenir ce rythme insoutenable, l'on se demande encore comment elle y est parvenue, faudra l'inscrire au livre des records et envoyer son maître cruel en prison s'il s'avisait à recommencer un jour.

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    Pratiquement trois heures de concerts, un unique et très court entracte, une folie, une tuerie, une majorité de filles, une ambiance d'armageddon, les Spunies sont en train de réinventer le rockabilly, poussent les murs, et abomination suprême, en perpétuent et en accroissent l'esprit.

    Damie Chad.

    ( Photos : Daytona Charmed )

    DADDY WORKS SO HARD

    THE CACTUS CANDIES

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    Z'ont soigné la présentation, si vous détestez le hillbilly achetez-le pour la pochette, d'un pimpant vert cactus, une brassée de foin frais, de foin freight, ressemble à ses 45 tours à gatefold de carton épais, rescapés des lointaines enfances in the end of the fifties, avec dessin rigolo pour attirer les garnements, ici pas princesse, mais un fermier bricolo qui ne sait plus où donner de la tête et des bras.

    Julien Fournier : lead guitar / Max Kermacoret : drums / Lil'lOu Hornecker : vocal & rhythm guitar / Max Genouel : upright bass / JP Cardot : piano

    Records Freight 001 / BLR Studio : april 2016.

     

    CD à l'intérieur sur la page gauche :

    That chick's too young to fry : de Tommy Edwards en 1940, repris par Louis Jordan en 1946 : interprétation très datée, vous la jouent à l'ancienne, entre animateurs télés américains et bande-son de dessin animé. Ça cartoone par devant et mine de rien, ça pulse par derrière. Z'ont dû s'amuser comme des petits fous à l'enregistrer. Daddy works so hard : de Lil'lOu, tout de suite c'est plus sérieux, la guitare rebondit comme une balle de ping-pong, et miss Hornecker s'y entend un max pour vanter les mérites de son papa, plus que convaincante. Ecoutez aussi le solo de guitare vaut son pesant de clous rouillés, plantés de travers, mais c'est eux qui tiennent le mur. Crawfish crawl : de Link Davis qui joua sur Chantilly Lace de Big Bopper : les boys sont gentils laissent Lil'lOu se reposer, on la regrette reléguée dans les chœurs, mais les gars se la pètent grave, font ça si bien qu'on aurait tendance à les croire sur parole, le poisson vous a un goût de bonne farce louisianaise, un truc à se pourlécher les babines, ne pas rater sous aucun prétexte. I wanna be free : franchement rock, une orchestration qui hache ( d'abordage ) menu, Lilhou tire le train à toute blinde, Cardot va y laisser un cardan s'il continue à foncer comme un madurle sur son piano, chacun nous parachute une petite démonstration de ce qu'il sait faire, et ma foi ils le font très bien.

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    Let the teardrops fall : de Pasty Cline : faut du culot pour s'attaquer à ce genre de faisanderie, les gars derrière clopinent doucement et Lil'lOu vous mène le rodéo comme une pro. Elle a de ces inflexions de voix à vous faire fondre et de ces arrachés à vous perdre la tête. Plantation boogie : de Lenny Dee ( 1955 ) : pas question de se planter sur le boogie, surtout quand vous avez une rythmique jazzeuse qui imite Bill Haley, vous êtes perdu, vous ne savez plus où vous êtes, mais vos n'avez aucune envie de sortir de ce foutoir. Et Cardot qui jerry Leese dès que vous avez le dos tourné ! Dark moon : Elvis et Chris Isaac l'ont reprise mais l'original est de Nathan Ned Miller et date de 1961. Lil'lOu vous sort sa plus belle voix de velours et en même temps ses griffes – acérées - les gars derrière ne mouftent pas, se font tout petits, z'avez l'impression que la musique a la tremblotte. Un truc qui vous donne envie de rêver à la fausse douceur du monde. Food plan boogie : de Dave Mc Enery qui fut un cowboy chantant des western musicaux : vous dites cowboys et les gars rappliquent, z'ont laissé leur cowgirl préféré à la maison, et ils font les malins, Cardot vous pond un petit rag de derrière les fagots. Z'ont la bouche en cœur, le reste je ne sais pas. The donkey song : enregistré par Rose Maddox – une des chanteuses préférées de Lil'lOu – et ses frères : attention on change de registre, il y a ceux qui jouent au cowboys et celle qui vous file un western entier rien que dans sa voix, parfois elle sonne comme des coups de feu, pointillés musicaux, pour que vous preniez conscience que vous êtes touché. Don't trade : de Noack Eddie, ( 1954 ), les plus grands country men comme Lefty Frizzel et Johnny Cash ont repris ses morceaux : ça honky tonke et ça honky tangue comme jamais, piano nostalgique, voix mélancolique et rythmique langoureuse, que voudriez-vous de plus ? Turn the cards slowly : la deuxième chanson que Pasty Cline enregistra pour Coral : Lil'lOu reprend la main, encore plus en forme que la fois précédente, l'on se demande si l'on est dans un saloon ou dans un clandé, mais l'est sûr que l'on ne s'ennuie pas. Little boy sad : de Walker Wayne mais interprétée par Johnny Burnette en 1961 : les boys vous azimutent la berceuse et Lil'lOu se charge de remonter le moral à ce garçon triste, lui secoue un peu les puces d'une façon comminatoire de temps en temps, que voulez-vous dans les grandes occasions, on ne mégote pas sur l'énergie. Run along little girl : de Tommy Cassel ( 1958 ) qui fut un habitué du Louisiana Hayrade : d'ailleurs on flirte avec le country traditionnel, le gars qu'a tout connu ( et tout perdu ) qui vous fait la leçon de la vie à la petite fille. La guitare poinçonne des bulles d'air.

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    Closing time : Onie Weeler fut harmoniciste et chanteur, Bear Family a sorti un double CD, avis aux amateurs, il a enregistré chez Sun entre 1953 et 1957 : on n'a pas d'harmonica, c'est dommage, alors les gars y vont de tous leur chœur, Max Genouel, chante comme un vieux baroudeur du country, la guitare sautille en douceur, Cardot nous expose les années trente et Genouel vous conduit jusqu'au bout de la piste, sans problème.

    45 R. P. M : à extraire de sa pochette :

    Daddy works so hard : reprise à l'identique.

    Humdinger : de Tommy Collins, lui a eu droit un coffret de cinq CD chez Bear Family, enregistra le classique Watcha Gonna do en 1954 : plus vrai que nature, nasillent tous comme s'ils étaient coincé du nez, parfois Lil'lOu s'échappe et boppe un peu pour notre plus grand plaisir.

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    Un seul regret : n'avoir pas été là caché sous la console, ont dû s'amuser comme des fous à recréer l'old style. Comme au bon vieux temps ! Le pire c'est que ça nous rajeunit !

    Damie Chad.

    ROCKAMBOLESQUES

    FEUILLETON HEBDOMADAIRE

    ( … le lecteur y découvrira les héros des précédentes Chroniques Vulveuses

    prêts à tout afin d'assurer la survie du rock'n'roll

    en butte à de sombres menaces... )

    EPISODE 3 : VISITES NOCTUNES

    ( Vivace Vivace )

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    PIZZA PARTIE

    La porte s'est ouverte très lentement, l'on sentait que le visiteur tenait à faire durer le suspense et mettre nos nerfs à dure épreuve. Et brusquement l'inconnu apparut en pleine lumière.

      • Ah ! Ah ! Vous ne vous attendiez pas à me voir ! Surprise ! Oui c'est moi ! L'avait un sale sourire sardonique aux lèvres l'homonculus.

      • Monsieur le Président de la République, déclara avec onction le Chef, vous nous ferez bien l'honneur de prendre place à notre table et de partager notre modeste repas. N'ayez crainte Monsieur le Président de la République, nous vous offrirons la part de Molossa.

    Je crus que le Président allait avoir un infarctus, s'est arrêté net, l'est devenu tout rouge comme un camion de pompier, puis tout blanc comme un cadavre. Je jurerais qu'il vacilla, donna l'impression d'un homme attaqué par un cancer foudroyant, mais il se reprit et vint se planter devant le Chef qui exhala un rond de fumée qui monta vers le plafond pour redescendre aussitôt et se glisser autour de son cou à la manière d'une fraise sur les portraits d'Henri III.

      • Moi, vingt-cinquième président de la République, venais ici en ami, et en catimini de mon service de sécurité personnel, dans le but de vous interdire de vous occuper du meurtre de Marie-Odile de Saint-Mirs, cette affaire ne regarde pas le Service Secret du Rock'n'roll, mais devant votre insolence je vous avertis que de retour à mon bureau, je signe le décret de dissolution du dit service. Entendu ?

      • Reçu cinq sur cinq Monsieur Le Président de la République, toutefois je suis au regret de vous avertir que par ce courrier apporté hier matin par un fonctionnaire plénipotentiaire de l'Union Européenne, la responsabilité du SSR est passée sous la coupe du Conseil de l'Europe. Nous ne dépendons plus de vous, voici la copie du décret, Monsieur le Président de la République, je ne doute pas que vos services en aient reçu un exemplaire similaire. Toutefois Monsieur le Président de la République, c'est avec un grand plaisir que nous partagerons notre repas avec vous.

      • Ne jouez pas au plus malin avec moi ! Je vous aurai prévenu. Désintéressez-vous de cette affaire. Quant à vos pizzas, vous pouvez vous les foutre au cul !

    Il y eut cri d'horreur à vous glacer le sang. Le Chef faillit en avaler son Coronado. Molossa s'en mordit la queue. Moi aussi. ( Je veux dire que moi aussi je mordis la queue de Molossa ). Cruchette offusquée bondit comme une tigresse à qui vous arrachez ses petits de la mamelle. Splah ! Splash ! Le Président reçut une pizza brûlante sur chaque oreille ! L'était pas beau avec la sauce tomate et les tranches de chorizo collées sur ses joues.

      • Des pizzas dans mon cul, et du bio par-dessus le marché ! mais c'est une honte Monsieur le Président de la République ou pas, ne répétez plus jamais de telles insanités, Papa ne m'a pas élevée pour entendre proférer des gros mots, sortez tout de suite Monsieur le Président, vous êtes un monstre ! Vous devriez avoir honte !

      • Je vous prie de m'excuser Mademoiselle, je crains en effet de m'être emporté, au revoir. Je vous présente mes respects.

    Et à notre grande surprise le Président sortit sans demander son reste. Le Chef ralluma un Coronado.

      • Nous voici débarrassés d'un invité peu aimable, je vous remercie de votre intervention Cruchette, vous êtes une véritable fée du logis. En attendant que vous confectionniez deux nouvelles pizzas – quelle odeur succulente – il me faut donner quelques détails à l'agent Chad sur la prochaine mission, extrêmement délicate, dont je vais le charger.

    MISSION NOCTURNE

    Délicate ! À marcher sur des œufs ! Casser une vitre pour m'introduire dans la maison des parents de Marie-Odile n'était pas difficile. Mais une fois dedans, c'est une autre affaire. La lumière de ma lampe électrise que je tamise de mes doigts dirigée vers le plancher n'éclaire que fugitivement Molossa qui avance sur ses pattes de velours encore plus discrètement qu'un vol de papillon. Le rez-de-chaussée était désert, pas étonnant à trois heures du matin. Pourvu que les marches du l'escalier ne craquent pas, chance elles sont recouvertes d'un épaisse moquette. Quatre portes sur le pallier. Pas le droit de me tromper, Molossa se plante devant l'une et me regarde. Puis-je lui faire confiance ? Elle a du flair et a longuement humé le siège de Marie-Odile dans la teuf-teuf, j'entrebaille délicatement la porte, les volets ne sont pas fermés, la lumière blafarde de la lune m'indique que la pièce est vide. J'entre, Molossa est restée sur le pallier tapie dans l'ombre, prête à m'avertir et le cas échéant à intervenir. Je farfouille méthodiquement, une penderie emplie de vêtements de filles, un nounours sur le lit, un portrait de Picasso sur le mur, l'encyclopédie en vingt sept volumes de l'Art Conceptuel dans la bibliothèque. Pas de doute, c'est bien la chambre de Marie-Odile, j'explore le tiroir du bureau, un bric-à-brac infâme : crayons, stylos, compas, double-décimètre, ciseaux, scotch, trombones, punaises, rien ! Si une feuille dans la corbeille à papier, pliée en deux, je n'ai même pas le temps de l'examiner, je l'enfourne dans ma poche, quelqu'un monte les escaliers, pourquoi Molossa ne m'a-t-elle pas prévenue, des voix se précisent et tout à coup, j'entends distinctement :

      • Oh, Marie-Sophie tu as vu un chien !

      • Mais non Marie-Ange ce n'est pas un chien, c'est Molossa !

      • Qu'est-ce quelle est jolie, regarde comme elle aime les caresses !

    Je n'en crois pas mes oreilles. Tant pis je risque le tout pour le tout et je sors sur le pallier. Maintenant je n'en crois pas mes yeux, Molossa fait la fête à deux ravissantes fillettes trop occupées pour se rendre compte de ma présence. Sophie lève la tête et m'aperçoit :

      • Regarde Marie-Ange, il y a un monsieur !

      • Mais non, ce n'est pas un monsieur, c'est Damie !

      • Ah oui, suis-je bête je ne l'avais pas reconnu !

      • Euh ! Excusez-moi, demoiselles, vous savez qui je suis ?

      • Bien sûr, vous êtes le fiancé de Crocodile !

      • Le fiancé de Marie-Odile votre grande soeur !

      • Ne faites pas semblant, on a la preuve dans notre chambre, venez on va vous montrer ! Dépêchez-vous, plus vite !

      • Chut, vous risquez de réveiller vos parents !

      • Mais non depuis que Crocodile est montée au ciel, ils prennent plein de cachets le soir pour dormir. Nous on en profite pour s'amuser pendant la nuit, parce que le jour, ce n'est pas rigolo, ils passent leur temps à pleurer. Entrez Damie, asseyez-vous sur le lit on vous apporte l'album. C'est un secret, Crocodile ne voulait pas que Papa et Maman le sachent, elle le cachait tout au fond de notre coffre à jouets.

    Et hop elles me tendent un gros album de photos. J'ai failli pousser un cri en voyant la page de titre : A DAMIE MON AMOUR. Mais mon étonnement n'est pas fini. Des photographies de moi et de Molossa, sur toutes les pages. A vue de nez au moins deux cents. M'a fallu plus de trois heures pour tout examiner. Moi, de face, de dos, de profil, de trois-quart, marchant dans la rue, au volant de la teuf-teuf, sur la terrasse de chez Popol, de temps en temps des petits cartons ''Damie t'es beau'', ''Damie t'es chou'', ''Damie je t'aime'', ou alors ''Molossa la plus belle chienne du monde du plus beau garçon du monde'', ma modestie légendaire m'oblige à ne pas tout recopier. Je remarque toutefois qu'elles ont été prises au télé-objectif. Un réveil sonne dans la chambre voisine :

      • Il vous faut partir Damie, Papa et Maman, ne tarderont pas à se lever, Crocodile nous a fait jurer de ne jamais leur dire son secret, s'ils vous voient, ils ne seront pas contents.

      • Je m'échappe les mignonnettes !

      • Oui mais n'oublie pas de revenir nous voir !

     

    RETOUR DE MISSION

    Le Chef m'écoute. Cruchette admet que c'est une belle histoire romantique, qu'heureusement que Marie-Odile soit morte avant de m'avoir vu dans mon costume framboise, très beau, mais qui m'enlaidissait, que certainement alors elle ne m'aurait plus aimé... pendant qu'elle pérore le Chef médite les yeux mi-clos, la fumée de son Coronado forme d'étranges arabesques dans l'espace :

      • Agent Chad, vous n'avez rien ramené d'autre que cette abracadabrante histoire à l'eau de rose !

      • Non Chef, rien de rien !

      • Et cette feuille de papier que vous teniez dans votre main lorsque vous avez entendu les deux fillettes ?

      • Je l'ai fourrée dans ma poche, la voici, blanche des deux côtés.

      • Oui Damie, blanche comme ces linceuls dont on enveloppe les morts ! Cruchette, pourriez-vous me repasser, sans la roussir, ce précieux document que cet énergumène d'agent Chad a froissé dans sa poche comme un malappris. Une jeune fille lui tend un message depuis la tombe et il ne prend même pas la peine de le lire !

    Cruchette se mit immédiatement au travail, nous dûmes convenir qu'elle maniait le fer à repasser avec une dextérité sans égale. Au bout de deux heures elle nous tendit le résultat de son travail, la feuille semblait sortir tout droit de sa ramette. Nous l'examinâmes longuement, nous l'éclairâmes violemment, nous la mîmes contre une vitre exposée au grand soleil, nous la caressâmes du bout des doigts afin de déceler une moindre déclivité qu'aurait pu laisser la mine d'un crayon quelconque, de guerre lasse je l'emmenais à un laboratoire de spectographie quantique, le résultat de l'analyse se révéla décevant : aucune inscription d'aucune sorte n'avait jamais été apposée sur cette feuille. La mort dans l'âme je revins au QG, et tendis au Chef le compte-rendu détaillé des opérations effectuées sur la feuille. Le Chef le lut et le relut au moins quarante fois. Au bout de vingt minutes un sourire se dessina sur ses lèvres. Je compris qu'il n'allait pas tarder à allumer un Coronado, ce qu'il fit sans se presser.

      • Agent Chad, vous avez aperçu cette feuille de papier dans la corbeille à papier de Marie-Odile, et vous vous en êtes emparé.

      • Affirmatif Chef !

      • Agent Chad filez immédiatement au domicile des parents de Marie-Odile. Abattez sans sommation toute personne qui s'opposerait à votre intrusion. Et ramenez-la moi tout de suite !

      • Oui chef, j'y cours, mais quoi au juste ?

      • La poubelle, triple idiot.

     

    Lorsque je suis arrivé devant la maison. Les volets étaient tous fermés. J'ai sonné en vain. Un voisin est sorti : '' Un gros camion de déménagement est arrivé ce matin, ils ont tout vidé, ils n'ont rien laissé, je peux le certifier j'ai aidé le père à fermer les fenêtres. L'a fait monter sa femme et ses deux fillettes dans la voiture, et ils sont partis. Je comprends qu'ils aient voulu changer d'air après la mort de leur aînée !''

    ( A suivre )

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 245 : KR'TNT ! 365 : DENISE LASALLE / THOUSAND WATT BURN / OSCIL / SPUNYBOYS / KING BISCUIT TIME

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 365

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    15 / 03 / 2018

    DENISE LASALLE

    THOUSAND WATT BURN / OSCIL

    SPUNYBOYS / KING BISCUIT TIME

     

    Oh Denise doo be do I’m in love with you

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    Plutôt que de chanter les louanges de Denis, Deborah Harry aurait dû chanter celles de Denise. Deborah devait forcément connaître Denise LaSalle, cette Soul Sister aussi puissante qu’Aretha. Oui, c’est exactement la même : génie vocal, histoire de vie, longévité, capacités compositales, elles ont énormément de points communs. Si vous allez chercher les infos dans votre wiki préféré, vous verrez qu’elle est née dans le Deep South comme Aretha et que sa famille a émigré vers le Nord, comme celle d’Aretha. Detroit pour Ree, et Chicago pour Den. Et pouf, Chess, mais Denise, comme Fontella Bass, refuse de se faire plumer par Leonard. Elle préfère enregistrer sur Westbound, un petit label de Detroit plus discret mais moins rapace. Non seulement Denise a du génie, mais elle a aussi du caractère, et ça la rend infiniment sympathique. Et les vingt-cinq albums qui illustrent sa carrière n’en finissent plus de renforcer cette impression.

    Denise LaSalle vient de casser sa pipe. On ne le verra pas en couverture des magazines pour m’as-tu-vus, car elle n’est pas très connue en Europe. Et comme l’élégance ne fait plus recette, elle n’avait de toute façon aucune chance de plaire. L’occasion est par conséquent trop belle de remédier à ce fâcheux constat en rendant un hommage panoramique à cette femme qui fut, comme le disent si bien les Anglo-saxons, larger than life.

    Longévité veut aussi dire discographie à rallonges. Comme tous les grands artistes noirs de sa génération, Denise LaSalle est passée d’un label à l’autre, au fil des modes : première époque raw r’n’b sur Westbound, puis avec l’âge d’or de la diskö, elle passe chez ABC et MCA, avant de revenir en 1983 dans le giron du Saint des Saints, c’est-à-dire Malaco, pour y enregistrer une dizaine d’albums absolument somptueux. Attention, ces époques sont toutes les trois affreusement consistantes. Un mauvais disque chez Denise ? Ha ha ha ha, comme disent ceux qui se croient malins en riant bêtement, mais c’est tout simplement inimaginable.

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    Si on tape dans la période Westbound, autant taper dans le dur. Il s’appelle A Good Thing Better. The Complete Westbound Singles 1970-1976 et comme son nom l’indique c’est sorti sur Westbound, via Ace Records. C’est à la fois de la dynamite et l’une des meilleures compiles de Soul de tous les temps, richement documentée par Tony Bounce, Ace-man de choc. Ce disk de ding-a-dong propose 24 cuts, c’est-à-dire les 12 singles qu’enregistra Denise avant son premier album. Ça fourmille littéralement de coups de génie, tiens, par exemple ce slowah atmosphérique intitulé «What Am I Doing Wrong». C’est joué et orchestré à outrance, on a là une merveille absolutiste. Ou encore «Good Goody Getter», extraordinaire shuffle de petit popotin, tu danses au coin du juke, elle prend sa petite voix Motown et fait sa coquine avec du getter de rêve, c’mon ! À ce stade des opérations, on peut se demander pourquoi Aretha et pas Denise ? La réponse est évidente : Aretha avait Wexler, c’est aussi simple que ça. Westbound ne pouvait pas rivaliser avec Atlantic. Et pourtant, Denise défonce la rondelle des annales avec «Hung Up Strung Up», c’est aussi hot que du Stax, on a là un classique pur embarqué au pire drive de bassmatic qui se puisse imaginer ici bas. Encore un slab de heavy r’n’b avec «Keep It Coming», une véritable bénédiction de juke, bassmatic devant toutes, solo de trompette. Elle enfile les hits comme des perles, «Now Run And Tell That» sonne comme une révélation, elle saupoudre ses petits hey mr playboy d’oh yeah bien sentis. Nouveau monster hit avec «Man Sized Job», embarqué au rumble de shuffle no more. Hit de juke admirablement cadencé, aussi puissant que du early Ike & Tina. On reste dans l’effarance de la latence avec «What It Takes To Get A Good Woman», même aplomb et même assise qu’Aretha, même popotin de tous les diables, elle a vraiment largement de quoi rendre un homme heureux. Elle tape dans les Detroit Emerald avec «Do Me Right». On nage en plein rêve. Cette compile de singles tue les mouches. Une fois encore, c’est pulsé à l’énergie black et les cuivres jouent le thème, alors Denise y va franco de port et elle couine ses syllabes. Tout est très spectaculaire, ici, on se croirait à la Piste aux Étoiles. Avec «Get Up Off My Mind», on entre dans la période Muscle Shoals. David Hood claque le groove de bassmatic, c’est atrocement bon et Roger Hawkins bat le beat tribal africain. Encore un hit hallucinant de classe, bardé de renvois de chœurs à la Aretha, c’est la fête au village. Avec «The Best Thing I Ever Had», elle passe au slowah d’émancipation, elle règne sur la terre comme au ciel. Elle passe au r’n’b moderne avec «My Brand On You» et rameute tout le génie de Muscle Shoals pour «Any Time Is The Right Time», hanté par des chœurs géniaux. Avec «Here I Am Again», elle passe à la diskö, mais pas n’importe laquelle, celle de Barry White. Il fallait bien qu’elle bouffe. Bien sûr, les gens lui ont craché dessus, mais Denise est une reine. Elle chante comme si elle éclairait le monde. Elle shoote toute l’énergie de la Soul dans la diskö, comme le fit Aretha à la même époque. Elle chante à la vie à la mort. C’est sa force. À la fin de cette compile somptueuse, on entend des pubs radio : «The body & Soul of the Miss LaSalle ! The exciting sound of the Miss LaSalle !»

    Ado, Denise veut écrire des romans. Pas facile. Alors elle se met à écrire des chansons. Elle trouve le nom de LaSalle dans un magazine et pouf, c’est parti mon kiki. Elle travaille dans un bar de Chicago et rencontre Billy The Kid Emerson. Impressionné par sa voix, Emerson la branche sur Chess. Chess la trouve bonne, oui, mais pas encore assez bonne.

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    Denise comprend qu’elle doit redescendre dans le Sud pour s’épanouir artistiquement. Elle ne choisit pas n’importe qui : Papa Willie. Ouvrez la pochette de son premier album Trapped By A Thing Called Love et vous tomberez sur un texte magnifique signé Denise : «J’ai écrit beaucoup de chansons dans ma vie, mais les paroles n’ont aucun intérêt si la musique n’est pas bonne. Je suis arrivée à Memphis avec quelques paroles et des lignes mélodiques, mais ce génie nommé Willie Mitchell (Papa Willie I call him) a donné vie à mes paroles. Willie a tous ses arrangements en tête, il n’écrit rien, et la façon dont il communique avec ses musiciens est fantastique. Ils l’aiment et le respectent. Ils essaient de jouer le mieux possible - everyone tries hard to get the music down just right - Je dois tout mon succès à Papa Willie qui l’a rendu possible.» Et elle finit en dédiant cet album à Papa Willie et à Gene Bow-legs Miller. Sur l’album, on retrouve un paquet de singles, évidemment, ces énormités que sont «Now Run And Tell That», «Good Goody Getter» et «Do Me Right», purs shoots de jerk de gros popotin, Denise swingue le booty comme Ree, elle chante sous le boisseau de Papa Willie, c’est puissant des reins et parsemé de cris de folle, avec un son admirable d’entrain et de subtilité cuivrée. On retrouve aussi l’immense «Heartbreaker Of The Year» et «Hung Up Strung Out». Elle fait aussi une cover du «If You Should Loose Me» de Barbara Lynn. Force est d’admirer sa classe, elle claque sa Soul aux gémonies, c’est nappé d’orgue et digne de Fame. Elle termine cet album passionnant avec une compo de Carole King, «It’s Too Late». Ça sonne comme un hit, ce qui semble logique.

    C’est le DJ Al Perkins qui l’a mise en contact avec Armen Boladian, boss de Westbound Records, l’un des grands labels de Detroit sur lequel on retrouve les Ohio Players, les Detroit Emeralds et Funkadelic.

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    Elle embraye sur On The Loose. Un fantastique portrait d’elle cadré serré orne la pochette. Ses yeux noisette se plantent dans les vôtres et deux petites rides encadrent une bouche rieuse. Une autre photo d’elle orne le verso de la pochette, mais en pied. Denise a de l’embonpoint, comme Ree à la même époque, mais à part Laura Lee et Madeline Bell, a-t-on déjà vu une Soul Sister maigre comme un clou ? Non, évidemment. Cet album tient lui aussi par la force des singles qu’on y retrouve, à commencer par «A Man Size Job», énorme groove popotin. Denise ne rigole pas avec le popotin, c’est son truc. Elle sait manier le beat. Elle passe au funk avec «What It Takes To Get A Good Woman» et nous plonge dans l’heavy Memphis Sound, c’est digne de Stax et claqué aux riffs de fonk. Avec «Harper Valley PTA», un hit de Jeannie C. Riley signé Tom T. Hall, Denise passe à la country pop de Soul, et elle manie ça en experte, elle tient bien la distance, un peu à la manière de Dylan. Franchement, elle excelle dans tous les genres, comme on le voit avec «What Am I Doing Wrong», grosse compo d’elle qui sonne comme du pathos anglais et qu’elle reprend en retour de manivelle wha-wah. Elle injecte un gros shoot de gospel batch dans «Breaking Up Somebody’s Home». Elle chouchoute sa Soul à outrance et n’en finit plus de rivaliser de grandeur pulmonaire avec Ree. On trouve d’autres merveilles en B, notamment ce «Your Man And Your Best Friend» qui groove joliment sous le boisseau et «I’m Over You», sublime slowah sevré de gospel choir experience, qu’elle prend aux accents de féminité chaleureuse. Elle finit avec un nouvel archétype du heavy groove de Memphis Sound, «I’m Satisfied». Les gens d’Hi savent sortir un son : accents funky, guitares subtiles, oui, Mabon Hodges joue comme un dieu.

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    Dernier album sur Westbound : Here I Am Again. Belle photo de pochette. Celle qui orne la pochette de la compile Westbound pré-citée provient de la même session : Denise est tout simplement radieuse, superbement coiffée. Elle porte une robe rouge très décolletée et croise les bras, comme si elle se sentait nue. Le morceau titre sonne un peu diskö de charme, mais Denise règne sur la terre comme au ciel. Elle fait tout simplement de la Southern Diskö, comme en font de leur côté Millie Jackson et Candi Staton. Et puis elle revient à sa chère démesure avec «Share Your Man With Me», monté sur un beat bien épais, et joué comme dans un rêve. C’est du Aretha, mais estampillé Deep South. Denise chante ça à la retenue, et God, c’est épouvantablement bon ! Elle reste dans la Soul de r’n’b à la Aretha avec «I Wanna Do What’s On Your Mind». Elle tartine sa Soul avec un persévérance qui en dit long sur sa soif de vivre. En B, elle explose tout avec «My Brand On You», elle chante ça à la Denise Westbound, et croyez-moi, ça ne court pas les rues. C’est un hit de juke à l’état le plus pur. Et elle entame sa carrière de rappeuse avec l’excellent «Anytime Is The Right Time» - Some folks say/ The night time is the night time - Mais Denise affirme que c’est tout le temps le right time. Le right time de quoi ? Mais de baiser, bien sûr. Au cas où on ne l’aurait pas encore compris Denise est du cul, c’est-à-dire dans la vie. Elle soutient sa thèse avec une puissance hallucinante. Les mecs qui lui tombaient dans les bras avaient intérêt à assurer. Elle finit avec l’excellent jump d’«Hit And Run». Elle finit souvent ses albums en beauté. Ahhh Denise...

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    On entre avec Second Breath dans la période ABC/MCA. Il ne faut surtout pas cracher dessus, car même marqués par l’époque, ces albums tiennent sacrément bien la route. Aretha et d’autres grandes Soul Sisters sont aussi passées par là, et elles ont réussi l’exploit de rester dignes, grâce à leur génie vocal. Le ton des pochettes change aussi, Denise devient une sorte une reine de la nuit, plantureuse et sexy, mais jamais vulgaire. Elle chante essentiellement le cul et la drague, c’est-à-dire la vraie vie. Elle compose quasiment tout ce qu’elle chante et n’en finit plus d’accumuler des hits. Tiens, par exemple, «Freedom To Express Yourself» : elle y rappe son diskö beat. En tant que grande dame, elle peut se permettre toutes les fantaisies. Shake your booty, alors oui, mais avec elle. Elle enchaîne avec un hit de r’n’b intitulé «Get Your Lie Straight». C’est admirable de puissance charnue. Elle chante ça à pleine voix et ne supporte pas les mensonges. Elle revient toujours à son fantastique appétit de r’n’b, comme si elle voulait se montrer invaincue sur ce terrain. Dans «Sweet Soul», elle le prévient, get ready, caus’ I’m comin’ through you. Et voilà qu’elle repart sur un groove violonneux à la Marvin Gaye, «I’m Back To Collect» ferait bander un mort, elle shoote des harmoniques de What’s Goin’ On dans sa diskö de charme. C’est une fois encore admirable de tenue, joué et chanté au maximum de toutes les possibilités du genre. Elle démarre sa B en force avec «I Get What I Want», un extraordinaire shoot de r’n’b heureux de vivre, élégant et libre, un r’n’b qui circule dans les rues d’une ville lumière à l’âge d’or de la vie. Avec le morceau titre, elle prévient son mec qu’elle a trouvé le second souffle - I’ve got a brand new style/ Oooh I’m brand new baby - Elle est fantastique. Dans «Hell Fire Loving», elle affirme qu’elle peut réveiller un mort et pomper un jeune garçon a sec. Elle est tellement investie dans son art qu’on la croit sur parole. La voilà épuisée dans «Sit Down And Hurt Awhile». Elle n’a plus de forces - Let me sit down/ I just don’t believe I can make it baby - Elle souffre trop. C’est vrai, on devient dingue quand on souffre trop. Et elle termine cet album effarant avec une country-song de Soul fabuleusement inspirée, «Two Empty Arms».

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    La voilà au bord de sa piscine pour The Bitch Is Bad. Cet album vaut le détour, ne serait-ce que pour les quatre vénérables énormités qui s’y prélassent. Tiens, on commence avec «Fool Me Good», un groove à la Marvin - Aw sugar/ Just fool me good - Elle règne sans partage sur l’empire du groove de pool. Et en B, elle enchaîne trois super-monsters : «Move Your Body», «A Love Magician» et «One Life To Live». Avec le premier, elle tape dans le meilleur diskö-funk de l’époque. Elle fait de chacun de ses albums un véritable événement, c’est bourré de son et de classe black. Quel cut de fonk, rien ne peut la freiner ! Love Magician est du big ball sound à la Aretha - Aah he works magic/ Magic with my body - Et le troisième vaut pour un slowah séculaire, elle s’y élève comme Aratha, à la seul force de sa glotte d’acier. Et puis elle revient au pur sexe dégoulinant avec «Love Me Right». Elle y prend son pied, mmmmm.

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    Under The Influence paraît sous une pochette de satin mauve. Cette fois, elle enregistre chez Ardent, à Memphis. Elle démarre l’A en trombe avec «Party», gros shoot de diskö-funk. Denise gère ça bien, elle pousse des cris de relance et derrière, les Hot Buttered Soul font des chœurs de rêve - Hey ! - Elle n’en finit plus de relancer, elle épuiserait un régiment de hussards. Quelle énergie ! Avec «Let’s Stay This Way», elle passe au slowah de séduction suprême. Elle propose à son mec de ne rien changer, c’est vrai elle a raison, quand tout va bien, il ne faut toucher à rien. Elle chante comme une femme comblée. Ce n’est pas une vue de l’esprit, ça s’entend. Elle démarre sa B avec «Workin’ Overtime», un groove universaliste balayé par un puissant souffle d’Americana. Elle y aménage de sacrés paysages - You ain’t got nothing left - Son mec travaille tard le soir, il ne bande plus et elle trouva ça bizarre - The same old shit - Peut-on faire confiance à un mec ? Jamais.

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    La pochette d’Unwrapped présente les défauts de l’époque. Les graphistes manquaient alors d’imagination. On voit une main arracher une peau de zèbre rose et Denise apparaît souriant dans l’ouverture. Le «Think About It» d’ouverture de bal d’A donne le ton : diskö-funk, mais bien rebondi. On y entend d’ailleurs le drive de basse de «Miss You». Il n’y a pas de petits profits dans l’art du pompage. Elle sauve l’A avec l’excellent «Too Little In Common To Be Lovers», un slowah océanique. Elle gère ça aussi bien qu’Aretha, à coups de goodbye baby bien sentis. Elle tape en B une reprise de «Do Ya Think I’m Sexy» sur laquelle on passera, pour cause de mauvais souvenirs et elle termine avec un medley superbe de trois slow-grooves languides. Aw, Denise, que deviendrait-on sans toi ?

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    La voilà en reine de Broadway sur la pochette d’I’m So Hot. L’album vaut le détour pour une raison principale : le gospel batch de «May The Funk Be With You». En fait, elle fait du gospel batch diskoïdal, aussi puissant que celui de Candi Staton. On trouve aussi deux hits diskö sur l’album, «Try My Love» et «Tear For Fear». Denise se situe au cœur de son époque, et le pire, c’est qu’elle est bonne. En pure cerbère, elle grogne en rythme sur le diskö beat. «Tear For Fear» sonne comme un hit alerte et vivifiant. Impossible de calmer Denise, elle saute sur dance-floor et bouge son cul comme Aretha dans son restaurant. On trouve aussi en B un slowah d’une rare sensualité intitulé «Sometime». C’est incroyablement bien chanté. Elle vire à l’universalisme des I de baby, comme toutes les grandes Soul Sisters de sa génération.

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    Fin de l’époque MCA avec Guaranteed. Denise n’est pas à son avantage sur la pochette. Comme Aretha, elle est tombée dans les pattes d’une coiffeur qui ne l’a pas arrangée. On trouve un peu de diskö en A, mais comme chante avec une classe renversante, alors on danse avec elle. C’est la moindre des choses. C’est en B que se joue le destin de l’album, et ce dès «Got Myself A Handyman», tapé au bon vieux heavy groove. La voilà de retour sur son vieux terrain de prédilection. Denise adore le beat lorsqu’il est heavy, c’est-à-dire bien gros. Elle enchaîne avec une invitation lubrique, «Make Love To Me One More Time», à laquelle il est difficile de résister. Pas besoin de faire un dessin. On a là un groove bien balancé des reins, admirablement orchestré et soutenu par des chœurs de rêve. C’est d’autant plus torride qu’elle soupire d’aise - Darlinnng... - Voilà encore un cut d’une rare sensualité. Et elle passe sans prévenir au diskö-funk des enfers avec «ERA (Equal Rights Amendment)». Elle fait tout simplement du heavy Funkadelic. Attention, ce n’est pas fini : voilà «I’ll Get You Some Help», une merveille incroyablement dansante, elle y fait un festival, c’est l’un des r’n’b les plus dansants de l’histoire. Elle dégage tellement d’énergie qu’on pourrait qualifier sa Soul d’éruptive, elle s’y montre joyeuse, c’est infernalement bon, dansé jusqu’à l’os du beat, et c’est rien, comparé aux faits réels.

    Comme d’autres géants de la Soul, Denise rejoint Malaco en 1983. Bobby Blue Bland, ZZ Hill, Latimore et Johnnie Taylor font partie de ces géants. Malaco incarne un autre âge d’or de la Soul du Deep South, à la suite de Fame, de Stax et d’Hi.

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    Son premier shoot de Malaco s’appelle A Lady In The Street. Sur la pochette, Denise téléphone. Avec le morceau titre, on entre de plein fouet dans le big Malaco Sound System, soft groove élégant bien équilibré et richement orchestré. On s’en pourlèche les babines. Denise chante comme une vraie pro. Et puis avec «Don’t Mess With My Man», elle avertit la poufiasse qui louche sur son mec - I got news for you babe/ You better check this out - Denise ne plaisante pas avec ce truc-là - I tell you mama/ I can make you all understand - En B, elle tape un «Down Home Blues» au heavy blues de Malaco, coco. Il y met tout son poids, c’est idéal et grandiose. Et avec «Come To Bed», elle propose une invitation au voyage. C’est admirable de deniserie, mais avec de la classe, du satin noir et un parfum discret. Pour attirer le mâle, elle fait sa Marvin.

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    Elle retrouve sa parure de Diskö Queen pour la pochette de Right Place Right Time. Elle duette avec Latimore sur le morceau titre. Ils se situent dans la veine des duos mythiques de Motown, pas de doute. Avec «He’s Not Avaliable», elle passe au heavy funk des enfers. Admirable fonkah boot de Malaco. Quel son ! Et les filles derrières font : «He’s on the telephone !» Denise n’a pas de pot, elle tombe toujours sur des mecs qui lui bourrent le mou. En B, elle revient au heavy blues avec «Your Husband Is Cheating On Us». Encore une histoire de cul qui tourne mal. Denise s’intéresse beaucoup à la psychologie des hommes - He’s lying/ He’s a cheater - Elle n’est pas tendre avec l’husband - He’s not a good man - Et puis avec «Keep Your Pants On», elle tape dans Sam Dees, mais sur un beat à la Proud Mary très typé Tina. C’est excellent, on a là un joli shoot de rock de Soul cuivré et bardé de chœurs du Deep South, les meilleurs du monde. Elle prend ensuite le heavy groove de «Bump And Grind» au timbre fêlé, avec une diction à la Millie Jackson. Ah, on peut dire qu’elle chauffe sa petite affaire avec un art consommé.

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    Joli portait de Denise pour la pochette de Love Talkin’. La ressemblance avec l’Aretha d’une certaine époque est frappante. C’est probablement l’un de ses meilleurs albums, avec une B littéralement explosive : elle l’attaque avec le morceau titre, une sorte de groove de rêve éperdu, puissant et lascif, liquide et gorgé de suc - For life honey/ You and me - Elle passe plus loin au heavy stomp de Soul avec «Too Many Lovers», signé George Jackson. Elle nous drive ça à la poigne de fer. Que deviendrait-on sans elle ? Aretha et elle sont nos mères nourricières, ne l’oublions pas. Denise se fond littéralement dans le génie sonique de Malaco. Elle boucle avec «My Tu-Tu», un hit cajun comme pas deux, admirable d’exotisme louisianais et monté sur un beat salvateur. Oh, il faut aussi écouter le «Talkin’ In Your Sleep» qui ouvre le bal de l’A, car c’est un chef-d’œuvre de heavy funk diskoïdal, avec Jimmy Johnson dans les parages. Rien qu’avec cette supercherie, Denise sauve l’honneur des années quatre-vingt. Elle nous propose tout simplement le beat de fer dans un gant de velours, un son dont on n’ose même pas rêver. Elle passe ensuite au heavy Mississippi blues avec «Someone Else Is Steppin’ In», incroyable slab de steppin’ out. Elle reconnaît qu’elle était folle - I was a fool - Il fallait voir de quelle façon il la traitait. Sur cet album, hormis la voix de Denise, il n’y a que du son. Rien que du son.

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    Pochette plus graphique pour Rain & Fire qui, une fois encore, se présente comme un album classique digne des grandes discothèques. Rien de tel qu’un Southern boogie emmené à tire-d’aile comme «I’m Sho’ Gonna Mess With Yo Man» pour se mettre en appétit. David Hood embarque ça sur un drive de bassmatic élastique et ça vire au festival Muscle Shoals. Au dos, Denise se coiffe comme une lionne, un peu à la Tina. Elle continue de taper dans les compos du légendaire George Jackson avec «What’s Going On In My House». C’est l’avantage d’enregistrer chez Malaco : on y paye George pour composer. Quel fabuleux groove de charme ! Il faut bien dire que TOUTES les compos de George Jackson tapent dans le mille. L’Association Denise/George se situe exactement au même niveau que d’autres associations mythiques du genre Burt/Dionne ou encore Jimmy Webb/Thelma Houston. On est dans le nec plus ultra de l’excellence. Elle récidive en B avec «Dip Bam Thank You Mam», fabuleux groove jacksonien cuivré de frais. Denise l’attaque à l’Aretha et Jimmy Johnson nous barde ça de tortillettes incisives. Elle boucle le bouclard avec «Is He Lovin’ Someone Else Tonight», un slowah magnifico de Malaco coco, joué au petit bonheur la chance du Southerner. Denise nous le distille savamment, au gré du vent chaud qui caresse les fucking champs de coton.

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    Alors attention, It’s Lying Time Again et Holding Hands With The Blues proposent exactement les mêmes morceaux, et pourtant, c’est sorti sous deux pochettes Malaco différentes. Malaco nous prend pour des gogos ? Hélas oui.

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    Notre géante adorée tape «It’s Lying Time Again» au heavy shuffle de groove. Elle chante ça comme Albert King ou Aretha, avec du raunch plein la bouche. Elle entre dans la caste des imparables. Back to the heavy blues avec «It Makes Me So Mad». Denise n’a aucun souci avec le blues. Elle y va franco de port. Mais ça la rend folle, chaque fois qu’elle le voit dans les parages. Encore du haut de gamme avec «You’ll Never Get Your Hooks On My Man». Tout est bon chez Denise, miam miam. En B, elle tape dans Joe Tex avec «Hold On» et revient à la pop de Soul avec «Love Break». Cette femme nous épuise.

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    Attention, voilà un album énorme : Hitting Where It Hurts. «Don’t Cry No More» donne le ton : joyeux et quasi-calypso. On note la belle santé du beat raffiné. C’est tout simplement un fantastique hit de r’n’b monté sur un riff hypnotique. Elle rend un hommage somptueux à Sam Cooke avec une version musclée de «Bring It On Home To me». Elle fait le choix audacieux d’un beat grrovy et ce n’est pas la dernière fois qu’elle nous fait le coup. En B, elle revient à George avec «Eee Tee», comme si elle voulait passer aux choses sérieuses. C’est joyeux, solide et bon comme le pain chaud du petit matin - My man loves me/ He loves me from his heart/ Yes he does - C’est un énorme standard de r’n’b. Encore un fantastique hit de r’n’b avec «If You Don’t Do Me Right», joliment dansant et ultra-orchestré. Denise a du pot, elle a derrière elle tous les cocos de Malaco. Le «See Saw» qui suit n’est pas le hit connu, mais une pop atmosphérique si bien chantée qu’on dit amen. Elle revient à George avec «You Gotta Pay To Play» : solide, en place, chœurs de rêve, nous voilà au faite du Deep Southern Soul System.

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    La pochette de Still Trapped est un peu difficile. Denise n’y est pas à son avantage. Comme Aretha, elle est passée chez un coiffeur de traves. Mais l’album est superbe. On y retrouve toute l’équipe de Muscle Shoals, David Hood, Jimmy Johnson et Roger Hawkins, avec George Jackson qui fait des backings sur «Wet Match». Franchement, que peut-on espérer de mieux ? Avec «Trapped 1990», on glisse dans le plus admirable des slow-grooves. Dorothy Moore chante derrière. On a là une fantastique épopée sensorielle. Denise fait ce qu’elle veut des lapins blancs, de toute façon. Elle les emmène avec «Paper Thin» dans le meilleur beat de slowah de Malaco et rallume les lampions pour un coup de jerk intitulé «Chain Letter». Elle nous rappe ça au talking blues et part en funk de Soul avec toute la puissance des Temptations. Fascinant ! En B, dans «I’m Loved», elle s’extasie sur le fait d’être aimée, et elle a raison, car ça sonne juste. «Kiss It» est beaucoup plus diskoïdal, mais elle fait des folies de son corps. C’est une femme libérée, une extraordinaire rosace effervescente. Et soudain, voilà qu’elle tape dans Al Green avec «Love And Happiness». Cette merveilleuse pêcheresse greene bien son groove, elle en fait un groove de rêve écarlate joué sous le boisseau ardent du dieu des blancs qui n’a rien compris aux blacks. C’est battu au beat d’Al, une merveille d’équilibre et d’intelligence humaine et cette diablesse se fond dans un océan de crème au chocolat.

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    Sur Love Me Right, on trouve une nouvelle énormité signée Jackson : «Fast Hands And Dirty Mind». Encore un fabuleux groove de r’n’b emmené à fière allure. Tout aussi jouissif, voilà «Don’t Jump My Pony». Elle montre une fois encore qu’elle sait driver un beat dans le bon sens. Il ne faut pas lui raconter d’histoires, Denise n’est pas née de la dernière pluie. Les cocos de Muscle Shoals sont encore là, garants du meilleur son local. Un son si parfait qu’il est impossible de s’en lasser. Et Denise continue de chanter comme l’une des plus grandes Soul Sisters d’Amérique. Elle revient à son cher George avec «Don’t Pick It Up». Qui saura dire la classe des cuts de George Jackson ? Hein qui ? C’est d’une élégance qui bat tous les records. Une élégance pulpeuse, pulsée des reins, good timey - If you can’t carry it babe - «Ahhhh comme elle bonne !» (dit avec l’emphase crapuleuse de Jean-Pierre Marielle dans Les Galettes de Pont-Aven, cette fabuleuse ode à la vraie vie). Avec «Love Me Right», il est clair que Denise sort sa meilleure compo pour honorer les dieux de la Soul. Oui, il existe forcément des dieux de la Soul, sinon comment pourrait-on expliquer l’existence d’une femme aussi douée que Denise LaSalle ? En B, elle revient à George avec l’excellent «Too Many Hungry Mouths Around The Table», un heavy grrove d’une importance considérable. Elle maintient le cap du très grand album avec «You Can’t Get Nothin’ Straight Between Us». C’est très impressionnant. Trop de qualité ? Il faut juste se contenter d’écouter et surtout ne pas se poser de questions ou ramener des formules dont raffolent les cons, du genre «trop de qualité tue la qualité».

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    Avec Trapped, on entre dans ce que les disquaires appellent les tardifs. Denise approche de la soixantaine, mais elle ne faiblit pas. Elle retape dans son vieux hit «Trapped By A Thing Called Love», dans une ambiance à la Bobby Bland. Elle tape ça au talking blues et les gens applaudissent. Sacré public ! Les gens l’adorent. Elle fait sa Millie Jackson. Alors elle chauffe la salle et les gens exultent. Avec «I Was Telling Him About You», elle renoue avec l’excellence du groove, mais au-delà de toute espérance. Elle retape dans le vieux «Hold On» de Joe Tex en mode gospel batch et revient au heavy groove de génie avec «You Gotta Pay To Play». Hit signé George Jackson, alors no problemo. C’est immensément bon, claqué au dessus de la surface du r’n’b, subtil mélange de fonk, de Soul et de heavy groove bien monté en température. Elle accepte tout, le cash, American Express & co. Elle tape dans Sam Cooke avec «Bring It On Home To Me» en mode funky. Étonnant parti-pris. Elle rend hommage au père fondateur à sa façon. Elle revient à George avec «Too Many Lovers» et elle l’arrache du sol d’entrée de jeu. Avec George, on ne rigole plus. Voilà un hit de r’n’b assez fondamental. Denise le charge au maximum des possibilités, elle y va au guttural de chef de guerre, elle croit en George, alors ça se transforme en hit séculaire.

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    Dernier coup de Malaco avec Smokin’ In Bed. Denise est dans son lit. Attention, c’est chaudard ! À commencer par «Never Been Touched Like This». Elle rappe. Elle mah-mahte sur fond de groove technologique. Le pire, c’est que ça marche, ça accroche comme un hameçon dans la gorge d’une carpe qui ne demandait rien à personne. Ce groove ensorcelle - I love what you do baby - L’autre énormité nichée sur cet album s’appelle «The Night He Called It A Day», slab de pop rock de juke à la Dionne Warwick. Denise est une aubaine pour l’humanité, mais visiblement, l’humanité n’est pas au courant. Elle chante à la seule force de sa féminité talentueuse. Dès qu’elle tape dans les grosses compos, elle s’élève merveilleusement. Le morceau titre reste du pur jus de Malaco. Derrière Denise, les filles envoient la purée habituelle. Ça groove sec à Jackson, Mississippi - My man is smoking in bed - Tout un programme. Pas question de rater ça. Retour à George avec «Blues Party Tonight» - Tell BB King don’t forget to bring new kicks/ It’s gonna be alrite tonite/ At the blues party tonite - Elle cite aussi Johnnie Taylor et Bobby Rush, wow ! Et Little Walter ! Elle revient au gospel batch avec «Goin’ Through Changes». Elle se sert du gospel pour laver tous ses péchés. C’est de bonne guerre. Au temps de Corneille, on se battait pour moins que ça. Et puis il faut l’entendre éclater «Why Am I Missing You» au firmament des slowahs. Elle travaille bien son groove au corps et cette diablesse tape dans le mille à chaque fois. On dirait qu’elle a fait ça toute sa vie.

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    Beau portait de Denise sur la pochette de Still The Queen. Denise pourrait se contenter d’avoir du charme, mais elle continue de chanter comme une Soul Sister de très haut rang, et ce dès le morceau titre d’ouverture de bal. Fabuleux shoot de funk ! Elle écrase tout sur son passage, impérieuse, the queen is back ! Well give it up baby ! Elle n’a pas besoin de réclamer sa couronne. Elle enchaîne avec un slowah enchanté, «Dirty Freaky Man». Il semble parfois que dans les carrières des grands artistes black, les tardifs soient les meilleurs. En tous les cas, ça se vérifie avec Gladys Knight, Aretha et Denise. Back to the hot r’n’b avec «You Should Have Kept It In The Bedroom». Il y a là de quoi réveiller tous les morts du Chemin des Dames et que quoi recoller le bras coupé de Blaise Cendrars. Fantastique énergie, Blaise et Denise même combat ! C’est rythmé aux clap-hands. Quel festin ! Elle rejoue la carte fatale du heavy blues avec «What Kind Of Man Is This». Elle chante à outrance. Tiens, encore un violent slab de slut de r’n’b : «Funky Blues Kind Of Mood». Effarant de grandeur apoplectique, on est dans la cour des grands de Memphis, man ! Elle nous roule ça dans sa farine, la meilleure du comté. Elle chauffe à coups répétés de guttural et attaque tous ses couplets à la syllabe vibrée. Elle est admirable de A à Z et quand on écoute «Who Needs You», on se dit : «Ah comme les choristes sont bonnes !». Elles réchauffent bien le cœur de Denise. Elle chante comme une reine éternelle. Retour à George avec «In A Midnight Mood In The Middle Of The Day». Heavy groove d’ooh baby. Il plane sur ce cut un sacré parfum de légende. Denise semble surfer sur une vague d’argent et c’est pouetté au bassmatic. Elle termine avec le gospel de la séparation, «There’s No Separation». Elle s’engage politiquement - There’s no separation of church and the state - Diable, comme les Américains peuvent être vieux jeu.

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    Il semble que Pay Before You Pump soit le dernier album qu’elle ait enregistré. Pochette un peu vulgaire, mais les chansons elles ne le sont pas. On est tout de suite effaré par la puissance du beat. On la voit avaler le beat d’«It’s Goin’ Down» et passer à la pire heavyness avec «I Need A Working Man». Heavy as hell ! Elle est tout simplement démente, elle crée une fournaise sous le boisseau et semble réinventer la heavy Soul, elle drive le beat, c’est admirable de démesure, elle chauffe son cut avec toute la puissance d’une reine antique, tout à la poigne de fer. S’ensuit un fantastique schloof de boogie blues, «Mississippi Woman». Elle rend hommage au dieu Hooky, c’est joué au boogie blast d’accord traînard. Et voilà un cut idéal pour les apéros qui dégénèrent : «Hell Sent Me You». Ça glisse vers le dance-floor, La reine a pris un coup de vieux, mais elle reste géniale. Elle explose même le dance-floor. C’est d’une santé insolente, avec un groove orchestré aux marimbas. Elle revient au heavy blues avec «Walking On Beale Street And Crying», elle walk up and down looking after BB King et revient danser avec «I’m Hanging On». Cette diablesse bat absolument tous les records de cordialité, elle nous sort là un coup de pop joyeuse et elle pousse des cris. Elle fait sa mère maquerelle de club avec «I Tried» et il faut se dépêcher d’en profiter, car après c’est fini. Il ne reste plus que les asticots.

    Signé : Cazengler, Denis le sale

    Denise LeSalle. Disparue le 8 janvier 2018.

    Denise LaSalle. Trapped By A Thing Called Love. Westbound Records 1972

    Denise LaSalle. On The Loose. Westbound Records 1972

    Denise LaSalle. Here I Am Again. Westbound Records 1975

    Denise LaSalle. Second Breath. ABC Records 1976

    Denise LaSalle. The Bitch Is Bad. ABC Records 1977

    Denise LaSalle. Under The Influence. ABC Records 1978

    Denise LaSalle. Unwrapped. MCA Records 1979

    Denise LaSalle. I’m So Hot. MCA Records 1980

    Denise LaSalle & Satisfaction. Guaranteed. MCA Records 1981

    Denise LaSalle. A Lady In The Street. Malaco Records 1983

    Denise LaSalle. Right Place Right Time. Malaco Records 1984

    Denise LaSalle. Love Talkin’. Malaco Records 1985 (= My Toot Toot)

    Denise LaSalle. Rain & Fire. Malaco Records 1986

    Denise LaSalle. It’s Lying Time Again. Malaco Records 1987

    Denise LaSalle. Holding Hands With The Blues. Malaco Records 1987

    Denise LaSalle. Hitting Where It Hurts. Malaco Records 1988

    Denise LaSalle. Still Trapped. Malaco Records 1990

    Denise LaSalle. Love Me Right. Malaco Records 1992

    Denise LaSalle. Trapped. 601 Music 1997

    Denise LaSalle. Smokin’ In Bed. Malaco Records 1997

    Denise LaSalle. Still The Queen. Ecko Records 2002

    Denise LaSalle. Pay Before You Pump. Ecko Records 2007

    Denise LaSalle. A Good Thing Better. The Complete Westbound Singles 1970-1976. Westbound 2013

     

    PARIS / 06 – 03 – 2018

    LE QUARTIER GENERAL

    THOUSAND WATT BURN

    OSCIL

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    Sur le sentier de la guerre rock il ne faut pas s'étonner si l'on se retrouve au Quartier Général, ameublement spartiate, peu de chaises, quelques tables, de rares banquettes, par contre luxe suprême en temps de grand froid, un fumoir à l'étage inférieur, peu commode pour écouter les groupes, public nombreux pour un lundi soir, massé devant la scène. Trois combos de mecs avec à chaque fois, une fille en tête de file. Vous n'en verrez que deux, la brune et la blonde.

    THOUSAND WATT BURN

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    Suis venu pour eux, et me voici en pleine crise d'angoisse, si jeune et déjà rattrapé par le syndrome d'Alzheimer, j'aurais juré qu'ils étaient trois comme les Mousquetaires, j'ai beau compté sur mes doigts et me frotter les yeux, les voici quatre comme les Cavaliers de l'Apocalypse. J'ai trouvé l'intrus, je livre son nom aux services de renseignements, Will, et je complète la fiche : bassiste de son état. Voici donc notre trio transformé en quatuor, depuis à peine un mois, puis-je révéler. Mais taisez-vous, la cérémonie peut commencer.

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    Elle – la grande prêtresse noire – effleure d'un geste lent son bol tibétain, la batterie émet quelques râles à croire qu'elle entre en agonie, et derrière un froissement majestueux de guitare prend son jeu. Surviennent les notes noires et profondes de la basse et la musique gonfle comme un cobra royal qui se dresse de toute sa hauteur. Une vibration tellurique emplit la salle et se déploie tel un cauchemar maléfique.

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    Immobile, debout devant le micro, en une pose hiératique, sorcière dans une ample robe de bure noire, sa longue chevelure noire qui fait office de lourde écharpe, et ses lunettes aux grands verres aussi larges que deux pleines lunes de nuit de sabbat goethéen. Et la nuit tombe sur le monde. Elle hurle et les monstres froids et gluants de la démence et des terreurs folles quittent leurs sombres cavernes originelles. Viols de vampires, strettes de strénogoïs et vols erratiques de ptérodactyles efflanqués dans les aubes livides.

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    Un chant d'opéra, qui porte en lui décors d'effrois, rideaux de peur et coulisses de terreur. Plus qu'un chant, de longs spasmes doomiques, qu'elle extirpe du fond de sa gorge, qu'elle libère d'on ne sait quels cachots souterrains, elle n'est déjà plus elle, elle tape du pied, d'un mouvement pratiquement instinctif, une espèce de défense auto-réflexive du corps qui se défait, expulse et exile de telles horreurs innommables. Une attitude qui sans en être une copie n'est pas sans rappeler la tenue de Janis Joplin sur scène. Mais les temps ne sont pas les mêmes, régnait alors une atmosphère de fête libératrice... notre époque ressemble davantage aux âges noirs du Kali Yuga dans lequel l'éternité n'a plus de futur.

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    Lorsqu'elle s'arrête – vous savez ces profondes inspirations toute pantelantes entre deux vomissements – l'on prête attention à l'orchestre qui tisse écrins de somptueux requiems, brocarts de noirceurs, linceuls d'agonie, et suaires de goules sanglantes. Musique lourde moins striée des stridences de la guitare car funébrélisée des rondeurs de la basse. Atmosphère de châteaux en ruines ensevelis sous les frondaisons de chênes multi-séculaires aux branches tordus comme des corps de suppliciés. Et la voix reprend comme immenses et vastes lames de larmes qui se brisent sur de désastreux récifs. Une houle immense qui s'avance, emporte tout, détruit tout. Sans rémission.

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    Thousand Watt Burn, brûle tout sur son passage, un feu glacé, une fournaise froide comme l'enfer de vos meilleures intentions. Neige carbonique. Mais notre prophétesse s'accroche au micro pour lancer les imprécations ultimes, vingt fois elle reprend le combat, comme possédée d'une étrange transe envoûtante.

    Et le rituel sacré s'achève. Quelque part une pierre de la pyramide du monde se lézarde... le public qui acclame et félicite ne le sait pas encore. Il vaut mieux pour lui.

    ( Photos : Sabrina Nana Nuptian Cutter )

    OSCIL

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    Elle porte un perfecto et une robe pied-de-poule flashy-chic, quand je suis arrivé et que je l'ai aperçue je n'ai pas deviné qu'elle était dans un groupe, trop classe avec ses cheveux mi-longs qui encadrait ses yeux bleus – légendaire flair de rocker en faillite – mais quand elle a quitté son perfecto et gardé sa robe – hélas, pas l'inverse - pour se poster devant le micro l'a bien fallu me rendre à l'évidence. J'avoue que j'ai lamentablement séché sur le premier morceau, incapable de dire de quoi il s'agissait, pas vraiment du rock, pas vraiment autre chose, le deuxième était un plus net. Les trois zigotos à ses côtés commençaient à s'en prendre à leur instrument de belle manière, des pointures à leurs façons. Remarquez que sur le moment, j'ai éprouvé un énorme regret, celui de ne pas avoir les pleins pouvoirs divins et de disposer une section de cuivres autour d'Ingrid. Elle a de la voix, l'en fait un peu ce qu'elle veut, la flexibilise, la pirouettise, l'attise, la jazzise et la rytm'n'bluise, à sa guise. Oscil oscillerait-il entre plusieurs genres ?

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    Ben non, z'ont fini par trouver leur voie. Z'avaient dèjà la voix alors se sont resserrés sur elle, les musicos ont tissé un back-ground aussi touffu que la jungle de Bornéo, se sont amusés à un jeu cruel dangereux, une note de trop et le tigre de la batterie lui tomberait dessus comme un python qui se laisse couler de la cime d'un baobab sur sa victime, un demi-bémol erratique et la guitare-tigre lui arracherait une jambes ou un bras, un fa-dièse en moins et la basse orang-dégoûtant s'apprêterait à lui-faire subir les derniers outrages, vous ne pouviez que prendre en pitié et pleurer sur le sort funeste réservée à cette petite-fille confrontée à de tels défis, sans droit à l'erreur, perdue à tout jamais.

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    Deuxième erreur de la soirée. Ingrid aussi à l'aise au milieu de cette bande de malappris que sur sa chaise-longue au bord de la piscine, ah ! les méchantes bébêtes voulaient s'amuser, elle allait leur montrer qu'elle était la plus futée de la futaie. On croyait l'avoir entendue chanter, ce n'était qu'une illusion, disons qu'elle chantonnait, qu'elle fredonnait, qu'elle flûtait ( une demi-baguette ) et brusquement de sa petite robe à motifs émotifs gris et blanc, elle a sorti son organe, une voix de lionne à qui vous venez de tuer son petit, z'avez intérêt à courir vite et à ne pas vous retourner, et les trois musicos ont compris que leur vie en dépendait, vous auriez vu le concours de vitesse, Flo qui drumait sur sa batterie comme s'il descendait les pentes vertigineuses de l'Anapurna en ski, l'on ne voyait que ses bâtons qui tournoyaient autour de ses bras, Vince, sa barbe emmêlée dans les cordes de sa guitare, vous dégoupillait les riffs à la manière d'un ouvreur d'huîtres un soir de Noël, trente quatre notes à la seconde, et Aubry qui malaxait sa basse tel un catcheur en train de jeter sur le public les boyaux de son adversaire qu'il vient d'étriper vivant sur le ring. Un sauve-qui-peut généralisé, mais en un ordre parfait, se talonnaient certes, mais jamais sans se marcher dessus. Un ballet sonore réglé au centième de millimètre, et Ingrid qui n'arrête pas de clamer toute sa féminine hargne, qui vous claque de sa voix de bronze et vous barbaque la chabraque de son gosier d'airain. Le public suit en hurlant et en applaudissant.

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    Z'ont bien tenu une heure à ce rythme-là. Z'ont aligné des syncopes d'un funk-rock-jungle du meilleur bois précieux dont ils se chauffent, et puis se sont arrêtés, tout sourires, Ingrid aussi fraîche qu'un gardon dans les eaux froides d'un torrent de montagne, nous a remerciés d'une voix toute fine, est descendue de la scène pour se saisir de son perfecto. Le style.

    ( Photos : Sasha Ivanovic )

    FIN IMPROMPTUE

    Il y a bien un troisième groupe sur l'affiche. Crash Mighty, se sont dépêchés d'investir la scène dès le set des Oscils achevé. Mais je n'en parlerai pas. Ce n'est pas que je les hais, ce n'est pas que je les ai déjà chroniqués dans la livraison 357 du 18 / 01 / 2018, simplement que j'ai détalé au plus vite comme un caribou à bout d'abus, c'est que voyez-vous les Rockers sont de dangereux oiseaux de proie qui partent en chasse dès que la noirceur de la nuit s'étend sur le monde, peut-être un jour vous raconterais-je, si vous êtes sages, la suite de mes nyctalopiques errances fastueuses dans les ténèbres du Mal, en attendant remettez-vous Thousand Watt Burn, pour calmer vos impatiences.

    Damie Chad

    THOUSAND WATT BURN

    Attention artefact. Objectif objet réalisé. Avis à la tribu des collectionneurs collectant les collectors, existe en deux teintes, pourtour de la pochette en bistre ou en bleu. Aucune indication de noms, de lieu, de titres, de dates hormis l'image. Rond blanc, comme masque funéraire cambodgien, cerclé de noir, avers du disque d'un noir de cercueil, là aussi, nulle inscription.

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    Je ne résiste pas à vous le re-chroniquer ( voir la livraison 358 du 25 / 01 / 2018 ), mêmes titres non indiqués. My Darling : transportés en trois coups de batterie dans une autre dimension, une guitare cathédrale et une voix de voûte grégorienne qui vous prend à la gorge avant de se mettre à marouler comme un chat abandonné sur un toit brûlant, plus tard elle feule et râle et même quand elle murmure vous avez la chair de poule. Eblouissance terminale, avec une pression orchestrale énorme qui annonce le train suivant. Come to me : lancé à toute vitesse, fait la course avec le Dirigeable, la guitare fonce mais c'est la voix qui emporte le convoi. Un beau cyclone de cymbales pour accompagner le roulement. Ah ! ce your mind miaulé à mort, mais qu'est-ce qu'elle veut, lui bouffer l'âme toute crue ? She loves a girl : ( moi aussi, mais ce n'est pas pareil, toutefois pas plus naturel quand on y pense ) Bon pas le temps de philosopher, c'est reparti comme en quatorze, z'ont apparemment une tranchée à prendre, arrêt brutal, plus personne à tuer. C'est dommage. Listen : un vieux fond de blues kramé au kérosène, musique au lance-flamme et voix en tapis de bombes. N'oublient même pas la fumée qui sourd des ruines, pour la fin vous avez l'impression qu'un troupeau de mille éléphants s'avance sur vous dans la manifeste intention de vous écrabouiller et de vous réduire en huile de palme pour la confection des pots de nutella. Les enfants adoreront. C'est comme cela que l'on fabrique les asociaux, les inadaptés, et les légions de révoltés.

    Damie Chad.

    *

    * *

    Journée de la femme, leitmotiv peu wagnérien en boucle sur les média, si les dieux du rock existent, ils vont nous balayer toutes ces simagrées institutionnelles en un tour de main, nous passer le torchon et la serpillère javellisée sur toutes ces rodomontades hypocrites... Bien sûr que du haut de leur Olympe ils veillent au grain, et rétablissent l'équilibre paritaire, la nouvelle tombe sur les téléscripteurs en plein après-midi, ils nous envoient ce soir :

    08 – 03 – 2018

    ,à FONTAINEBLEAU, au GLASGOW,

    THE SPUNYBOYS

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    trois des gars des plus juteux et des plus gouteux du rock'n'roll. Marteau sur l'enclume, c'est la vingtième fois qu'ils viennent semer l'orage et la foudre dans le pub bellifontain, est-il nécessaire de préciser que le public a répondu en masse à l'appel sauvage, the Call of the wild pour parler comme Jack London. Dans le fond à gauche, si vous vous penchez bien, vous reconnaîtrez les silhouettes de Sergio Kahz et de Maryse Lecoultre en mission secrète pour Rockabilly Generation News, à ses côtés ce blouson rouge appartient à Bryan Kazh, jeune pousse du rockabilly dont nous reparlerons bientôt.

     

    Sont là, Rémy arborant sa monstrueuse banane – monument capillaire qui devrait être classé par l'Unesco en tant qu'insigne culturel d'exception - et son sourire charmeur, Guillaume le visage cisaillé de ses favoris angulaires qui sont de véritables accroche-coeurs féminins, et Eddie. Qui nous la joue rock and roll star. Absent. Et la foule, tassée comme grains de sucre dans un stick, qui scande son nom sur l'air des lampions, surexcitée. Le voici enfin qui descend négligemment les escaliers, grand seigneur qui rejoint ses gens - valetaille adorante, damoiselles émoustillées, et piqueurs rockers impatients de courir après le gibier de la grande chasse que tout le monde pressent royale.

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    Ecouter les Spunyboys vous renvoie à votre incomplétude humaine. Il vous manque une oreille. Car ils sont trois et vous n'en possédez que deux. Que voulez-vous nul n'est parfait. Prenons un exemple au hasard : les Spunyboys, justement ils sont là devant nous. Ne sont pas comme les autres groupes de rockab. Chez eux il n'y a pas d'espace. Même pas courbe comme chez Einstein. Sont du genre, premier atome d'hydrogène avant le big band. Concentrés à l'extrême. Chant, contrebasse, batterie, guitare, ne forment qu'un. La sphère parménidienne par excellence. Vous n'y rentreriez pas un grain de poussière. Alors avec vos deux pavillons éléphantesques ( éléphantasques si vous préférez, barrez la mention inutile ) vous repasserez. Les autres groupes, reste toujours un interstice, une fissure à lézard, un trou de souris, une niche à chien, une grotte à ours, une balzacienne rue du chat-qui-pêche, que sais-je ! bref assez d'espace pour que vos deux tympans puissent se promener à l'aise dans toutes les directions et isoler les instruments un à un, suivre celui-ci, vous obnubiler sur celui-là, vous détourner de ce dernier, mais avec les Spuny, vous pouvez prêter l'ouïe tant que vous voulez, ils ne vous la rendront pas. Mélange homogène.

    Inutile de vous lamenter car écouter les Spuny c'est accéder à une plénitude musicale extatique. Pas de quoi glisser un feuillet à cigarettes ( ou à autre chose ) mais en contrepartie, vous les entendez tous les quatre. Sont trois mais comme dans les grandes surfaces vous en achetez trois – profitez-en ce soir l'entrée est libre – et vous en avez un quatrième gratis. Des malins, des vicieux. Même quand ils donnent toute la gomme, tous ensemble, ils se ménagent une place de stationnement à usage exclusif. Pas grand-chose, même pas trois secondes, ici c'est Guillaume qui rattelle sa batterie, z'avez l'impression qu'il jette trois cadavres dans une fosse commune ( et vous aimez cela ), là c'est Eddie qui vous électrifie les parties génitale à la gégenne vincent, maintenant c'est Rémi qui vous frictionne l'épiderme avec la pommade empoisonnée de sa voix, et le voici encore qui arrête si brusquement de tirer sur les cordes de sa contrebasse que vous sentez votre cœur s'arrêter. Ad vitam quasi aeternam !

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    Et pas besoin d'être un amateur chevronné de rockabilly pour ressentir cela. Le public du Glassgow est à majorité festive. De la bonne musique qui envoie, ne demande pas plus. Ne dissèque pas son plaisir. Les boys savent y faire. Vous renvoient la pression à cent à l'heure. Quelques mots suffisent à Rémi pour créer la grande connivence des grands soirs. N'a pas un grand espace pour faire tourner sa contrebasse comme les ailes des moulins de Don Quichotte, n'en fait pas pour autant le cachotier, y grimpe dessus, matelot de vigie hissant l'étendard sémaphorique de son corps, la pose du Christ mis en croix qui se démène de bien peu pieuse manière, la foule se referme sur lui lorsqu'il s'allonge de tout son long sur les éclisses, tout en continuant à jouer avec autant de justesse que le premier violon du Berliner Orkestra. Quoiqu'il nous faille reconnaître qu'il y met davantage de fougue délirante que de grave componction.

    Eddie fait l'unanimité. Contre sa chemise. Personne n'échangerait la sienne avec son chiffon blanc. Par contre, il vous fait de telles sérénades – flor de cuchillo – disait Federico Lorca en su cancion del jinete, que votre petite soeur adorerait qu'il vienne nous donner aubade tous les soirs sous son balcon, pour la discrétion, ne pas compter sur lui, vous délivre de ces giclées spermatoïzidales de notes à faire rougir un archevêque. Guillaume ne reste pas en reste. Le plus grand cogneur de grosse caisse de toute l'Europe. Vous fricasse un boom-boom en introduction comme s'il bazardait deux bombes atomiques sur la maison d'un voisin qu'il n'aime pas, suivies de ce bruit qui ne ressemble à rien mais reconnaissable entre mille, cette espèce de brève rumination métallique de cloche de vache dont vous entrechoquez les cornes pour en tirer des étincelles.

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    Deux sets. Le premier de folie. Le second de furieux. Les gens qui dansent partout, des sommets éblouissants, Teddy Boy Rock'n'roll l'hymne ted par excellence, le I'm down d'Esquerita – comment oublier l'envolée little richardienne de Rémi - plié pile à la démesure du phrasé syncopalement ultra rapide des Spuny, un véritable travail d'artiste. Un Important Words de Gene Vincent dynamité de fond en comble sans rien perdre de l'authentique tristesse originelle, et plus tard cette série de jumpin'countries, cowboys, saloons et winchesters crépitantes...

    Quittons les spuny acclamés comme des héros, entourés de filles extatiques, rock'n'roll quoi !

    Damie Chad.

    ( Photos : Sergio Kazh / Rockabilly Generation News )

    10 / 03 / 2018

    COUILLY-PONT-AUX-DAMES

    LOCAL METALLIC MACHINEs

    KING BISCUIT TIME

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    Toujours m'esbaudit le body de courir à Couilly-Pont-Aux-Dames, à ma connaissance il n'est pas une autre localité hexagonale qui ait réussi à exprimer en sa brève appellation l'attrait sexuel qui aimante l'hominidé mâle à s'irrésistiblement porter vers l'hominienne femelle. J'arrête mes salades salaces, toutefois quoi de plus naturel que je givre de jive grivois quand arrive le temps de tremper son biscuit dans l'origine du monde bleu.

    KING BISCUIT TIME

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    Cuite et recuite à la sauce au bleu, la plus vieille émission hebdomadaire de blues du monde. Première gigue en direct sur les ondes de KFFA à Helena en 1941, dans l'Arkansas pas très loin de Memphis ( Tennessee ). King Biscuit Time diffusée à l'heure des repas fut un instrument idéal de propagation du blues dans l'Amérique noire. Et par contre-coup blanche. King Biscuit Time fut un marqueur privilégié de la transition du blues rural du Delta au blues électrique de Chicago.

    Quatre-vingt ans plus tard, le nom d'un groupe Seine & Marnais qui s'inscrit dans le vecteur du blues électrique cousin incestueux du rock'n'roll. Pas des débutants, ont déjà roulé leur bosse, certains, notamment Sébastien Bizière et Bruno Lombard, dans les Spykers, groupe orienté rockabilly qui, sans surprise, ménageait quelques interludes bleus dans leur répertoire, ce que nous avions chroniqué en notre livraison 164 du 21 / 11 / 2013 lors de leur passage en première partie de Marcos Sendarrubias.

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    Premier concert pour le King Biscuit Time, ne sais comment ils ont trastégé mais le local des Metallic Machines est rempli à ras-bord – l'est sûr que l'accueil est super-sympa – et le public ne décollera pas de devant le combo une seule seconde de tous les deux sets. Vu les applaudissements chacun à dû trouver les gâteaux succulents. Que voulez-vous les chocolatines avec deux barres de chocolat, c'est obligatoirement meilleur. King Biscuit Time applique cette double recette. Possèdent deux guitaristes solistes, avec Bruno Lombard à l'harmonica cela en fait trois. Ne croyez pas que les deux autres pointent au chomdu.

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    Automatic pour lancer la machine bleue. C'est du spongieux à souhait, à chaque pas que vous faîtes z'avez un alligator qui pointe son museau à fleur d'eau, pas très rassurant, mais l'on garde le cap sans faillir. L'on gagne très vite la terre ferme avec It's Hot, c'est vrai que c'est chaud, brûlant même. Faut maintenant détailler. S'est installé à la meilleure place, vue montante sur les rotondités avenantes et charnues de Miss Metallica collée au mur. Une véritable invitation au voyage, qui doit l'inspirer. Un homme discret Marc Rodeschini, souvent caché par la haute silhouette de Bruno Lombard, mais l'on n'est pas prêt de l'oublier. L'a le son bleu, idéal. Une basse puissante, flexible, chaloupée, prenante et souple, rien à voir avec le bruit de fond qui vous embrume la tête, au contraire, cinglante comme un fouet et onctueuse comme une caresse. Vous enveloppe sans vous oppresser, relève du courrier à toute heure, de jour et de nuit, avec une telle assurance-vie rythmique, les copains sont certains qu'ils peuvent prendre tous les risques. A ses côtés Sébastien Bizière, Sébas bastonne à la batterie. L'est l'homme du premier et du dernier recours. Le phare durant la tempête, avant et après aussi. On l'interroge du regard, on lui fait signe du bras et tout de suite il lance la foudre ou vous ralentit la voiture à volonté. File la mesure de trois coups de baguette et accompagne les copains dans la démesure. L'a fort à faire car les autres briscard ne sont pas venus pour mâcher des chamallows. Déjà deux solistes – qui parfois poussent le vice à soleliser en même temps, genre le fil barbelé qui s'en vient s'enrouler autour de la ronce, en prenant soin de ne pas arracher les pétales de la rose bleue. Chacun leur style. D'abord Thierry Leroux, casquette New York sur la tête, l'a un truc, ne se sert que d'un tiers de sa guitare. Le bas de caisse et le haut du manche, de temps en temps un petit tour juste pour vérifier s'ils sont encore là. Son endroit de prédilection c'est au plus bas des frettes et sur le dernier micro. Deux solutions, quand il est sur le bas du manche, il vous poinçonne de ces petites notes à la B. B. King, des espèces de plaintes répétitives qui vous vrillent les tympans, les soutient un quart de seconde de moins que B. B. car il a une préférence pour les dégelées ultra-rapide, descend sa main droite de dix centimètres et vous ne voyez plus ses doigts qui vous envoient de ces grésils enflammés et suffocants qui mettent l'auditoire en joie. Au tour de Patrice Corbière. Une dégaine incroyable avec sa casquette visière sur la nuque, il s'approche du micro et dès qu'il a plaqué deux accords toute la solitude du blues vous tombe dessus. Attention, il est inutile de vous suicider de désespoir, suffit de suivre ses agiles pognes sur le manche pour être à la fête. Un style à l'opposé de la manière de Thierry. Vous avez eu le feu. Voici l'eau. Pas celle qui éteint les incendies. Elle coule mais pas du tout innocemment. Elle grouille de piranhas et de barracudas, au moment où vous vous y attendiez le moins, leurs têtes surgissent du flot bleu et vous arrachent un morceau de chair. Parfois elles s'obstinent, reviennent incessamment à l'assaut et vous bouffent par morceaux jusqu'au squelette. Et le public crie de joie.

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    La guitare blues c'est excellent mais avec l'harmonica c'est comme si vous rajoutez une vipère dans votre lit. Un sacré instrument. Vous tient dans la paume de Bruno Lombard, l'en a une collection pour toutes les tonalités dans l'énorme valise jaune posée sur le devant de la scène, un jouet d'enfant, et en quelques secondes il obtient des stridences d'enfer à rendre Satan jaloux. Pas étonnant que le blues ait été surnommé la musique du diable, Bruno Lombard y perfore dedans ses orgues à bouche à pleines dents, des fournaises riffiques vous tombent dessus, certes l'a du coffre et du souffle mais au paroxysme de l'action il vous semble qu'il va expirer, rendre son âme, là sur le champ tout de suite, mais non, le retire de ses lèvres pour se jeter sans tarder sur le micro et lancer imprécations vindicatives, déclarations de guerre au monde entier, et admonestations sexuelles à la gent féminine, I wanna Be Your Man, Devil Woman, She's Dangerous, I want to be Loved, Scratch my back, le blues ne fait jamais dans la dentelle, même quand il se plaint Help Me, Baby Please don't Go, Time to Cry, cette musique est emplie d'une séminale énergie frustre et sans équivoque. La voix puissante de Bruno Lombard martèle les mots, vous crache le blues en pleine figure, vous ensaigne la cruelle désillusion assumée de la vie.

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    Le King Biscuit Time est généreux, à eux cinq z'ont de quoi remplir les bocaux, les morceaux sont entrelardés de solos de guitare, d'harmo et de chant jusqu'à la gueule, n'en jetez plus, il en reste encore, pas le temps de s'ennuyer, deux sets menés à train d'enfer, des charges héroïques de Sonny Boy Williamson ( Rice Miller ) aux virevoltes folles de Little Walter. Premier concert et déjà – ce qui est le plus important - un son à eux. Le groupe s'impose. Vous tire la moelle des os, vous emmène jusqu'au bout nervalien des nuits blanches et des petits matins noirs.

    Terminent sous une nuée d'applaudissements frénétiques et un orage de clameurs appréciatives. Dans la boîte à gâteaux ne reste plus rien, l'on a tout raflé jusqu'aux miettes. Le roi des biscuits nous a refilé des biscuits de rois. Take a good time, babe !

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Metallic Machines )