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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 43

  • CHRONIQUES DE POURPRE 540 : KR'TNT 540 : HOWARD GRIMES / MICHAEL CHAPMAN / CURTIS HARDING / EVERYOTHERS / GREY AURA / EDDY MITCHELL / ROCKAMBOLESQUES

     

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    LIVRAISON 540

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    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    03 / 02 / 2022

     

    HOWARD GRIMES / MICHAEL CHAPMAN

    CURTIS HARDING / EVERYOTHERS

    GREY AURA / EDDY MITCHELL

    ROCKAMBOLESQUES

     

     Howard the reward

     

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             En français, reward veut dire récompense. On aurait pu titrer ‘Upward Howard’ ou encore ‘An award for Howard’, les possibilités sont infinies dès lors qu’on entre dans les parages d’un homme aussi lumineux. Pour l’amateur comme pour le fureteur, la petite autobiographie d’Howard Gimes est une authentique aubaine. My Life In Rhythm semble tomber du ciel. Peu de petits livres sont capables de labourer aussi profondément nos vieilles cervelles éculées par tant d’abus. C’est pourquoi Howard is a reward.

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             Howard Grimes est un nom qui parle aux ceusses qui ont lu les dos des pochettes d’albums d’Al Green, d’O.V. Wright, d’Ann Peebles, de Syl Johnson, de Denise LaSalle ou encore d’Otis Clay. Howard Grimes - qu’on va appeler Howard parce qu’il est devenu un copain - fut le batteur de l’house-band d’Hi Records, le troisième studio/label mythique de Memphis, avec Sun et Stax. Howard n’a besoin que de 150 pages pour nous faire entrer au Royal Studio, au 1320 South Lauderdale Street, chez Willie Mitchell - boulevard qu’on a depuis lors rebaptisé Willie Mitchell Boulevard - De la même façon que le fit Chips Moman pour Stax, les fondateurs du studio/label Hi, Joe Cuoghi, Quinton Claunch et John Novarese optèrent pour une salle de cinéma désaffectée du quartier black de Memphis. Hi et Stax même combat ! Ce sont des blancs qui font du business. Fondé en 1956, Hi - House of Instrumentals, mais aussi Hi pour les deux dernières lettres du nom de Joe Cuoghi, comme le précise Howard - commence par commercialiser de la musique de blancs, avec comme figure de proue le Bill Black Combo. Quand en 1965, Bill Black, le brillant stand-up man d’Elvis, casse sa pipe en bois, Willie Mitchell qui est l’ingé-son du studio reprend la main en tant que producteur et Hi devient un label de Soul, mais pas n’importe quelle Soul, la Memphis Soul.

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             Howard entre pour la première fois au Royal en août 1960, le jour de l’enregistrement du «Gee Whiz» de Carla Thomas. L’enregistrement devait avoir lieu chez Stax, mais comme la bécane était en panne, ils sont tous allés au Royal, chez Willie Mitchell. Howard rappelle que «Gee Whiz» est un hit historique, car produit par la crème de la crème des producteurs locaux : Willie Mitchell et Chips Moman. Howard précise que Chips dirigeait la session et que Willie l’observait - Willie was so cool and laid back - Howard donne pas mal de détails sur le fonctionnement un peu obscur d’Hi. Les musiciens de l’house-band recevaient un chèque chaque semaine (Howard ramassait 106 $, alors dit-il que son copain Al Jackson en ramassait 500 chez Stax) et il devait aller récupérer son chèque chez Popular Tunes, que tout le monde appelle Pop Tunes. Avec le label Hi, ce magasin de disques qui appartenait au trio d’Italo-américains Cuoghi/Beretta/Novarese. C’est Frank Beretta qui signait le chèque. Il avait nous dit Howard toujours un gros cigare au bec. Howard le charriait en l’appelant Mr Magoo.                    

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             Howard nous fait donc entrer dans l’arrière-boutique de Pop Tunes qui est un entrepôt de jukeboxes. On se croirait dans un film de Scorsese - Ils étaient assis dans l’entrepôt et jouaient aux cartes, ils sifflaient leur whisky, et quand ils me voyaient arriver, they’d say, ‘Hey Howard! Get you a drink.’ - À l’étage de Pop Tunes, il y a trois secrétaires et une table couverte de cash - I’ve never seen so much cash in my life - Les trois secrétaires comptent les billets et font des tas. Howard ne comprend pas d’où vient tout ce blé. Il voit aussi que ses collègues de l’house-band Leroy et Charles Hodges récupèrent du blé par la bande, ils s’achètent des bagnoles et des maisons. Howard n’y comprend rien - They had my goddamn head swimming. In the dark’s where they kept me - Howard n’en croque pas. En plus, il doit reverser une partie de ce qu’il gagne à Willie - Willie had me paying a kickback. That shows how stupid I was - Pauvre Howard, tout le monde profite de lui, comment peut-on l’aider ? 

             Quand Joe Cuoghi casse sa pipe en 1970, c’est Nick Pesce, l’avocat du trio, qui reprend le contrôle du business. Tout au long de la phase de démarrage d’Hi - the making of Al Green - Howard se dit content, il accompagne toutes ces stars, Ann Peebles que Bowlegs Miller a ramenée de Saint-Louis, O.V. Wright, etc., mais il est soucieux car il gagne tout juste de quoi manger.

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             Howard évoque aussi l’épisode Atlantic. Willie reçoit un jour un coup de fil d’Atlantic qui propose s’envoyer chez lui Roberta Flack, Aretha et Donnie Hathaway. Jerry Wexler et Tom Dowd étaient déjà venus faire un tour chez Willie pour jeter un œil, mais Willie ne voulait  pas de ces mecs-là - He didn’t want to be bothered with all them crooks - Willie savait qu’Atlantic avait mis le grappin sur Stax et les avait quasiment mis sur la paille. Une sale histoire que raconte Robert Gordon dans son Stax book. Comme Willie lui claque la porte au nez, Jerry Wexler va envoyer une partie de ses artistes chez Chips qui après avoir été viré de Stax a monté American. Howard est resté en bons termes avec Chips. Il va faire un tour chez American et revoit Tom Dowd qui l’avait complimenté pour son talent de batteur. Howard voit surtout le succès d’American et le blé qui coule à flots, alors que lui ne roule pas sur l’or. La politique d’austérité de Willie a ruiné tous ses espoirs. Il aurait bien aimé gagner un peu plus de blé - It didn’t happen. We all felt let down - Pourtant Hi connaît son âge d’or avec une belle série de hits : «Trapped By A Thing Called Love» de Denise LaSalle, «A Nickle And A Dime» d’O.V. Wright, et bien sûr «Tired Of Being Alone» et «Let’s Stay Together» d’Al Green. Puis Otis Clay et Syl Johnson débarquent de Chicago. Voyant que ça marche bien chez Hi, Tyrone Davis débarque à son tour. Mais Howard discute avec lui et lui recommande de faire demi-tour, car dit-il, tous les œufs d’Hi sont dans le même panier : Al Green. Aucune promo pour les autres. Willie concentre en effet tous ses efforts sur Al Green.  

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             Howard nous brosse un paquet de portraits croquignolesques. Son copain d’école s’appelle Isaac Hayes. Comme Isaac est trop doué et qu’il joue de tous les instruments, une enseignante nommée Mrs Barbara Blake Jones le prend sous son aile et lui apprend les arrangements. C’est comme ça nous dit Howard qu’Isaac est devenu ce qu’il est. Encore débutant, Howard a la chance d’accompagner des stars comme Marvin Gaye et Jackie Wilson, but maybe the biggest star I ever played with was one of the first. Il parle bien sûr d’Isaac, the true Spirit of Memphis.

             Howard parle d’ailleurs de Memphis aussi bien qu’en parle Dickinson : «The Memphis sound is all about that backbeat.» Howard apprend à jouer dans les clubs de Memphis, «those clubs we played every night. Il y avait des organistes au Flamingo Room et au Sunbeam’s Club Handy. Un mec nommé Blind Oscar jouait de l’orgue at the Handy - he was bad (c’est-à-dire bon). Avec Booker T. Jones at Stax et Charles Hodges at Hi, that organ became part of the soul of the Memphis sound. Take those clubs out of the picture of Memphis music and there isn’t any picture.» 

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             Comme les package tours des early sixties passaient par l’Ellis Auditorium de Memphis, Howard y accompagnait toutes les stars : Jackie Wilson et Marvin Gaye comme on l’a dit plus haut, mais aussi Bo Diddley, Jo Jo Benson, Dee Clark, et encore Fats Domino et Mickey & Sylvia qui furent ses idoles de jeunesse - Marvin Gaye came to play the revue before he was a star and I baked him on ‘Hitch Hike’ - Quel veinard ce Howard ! Quand il va jouer au Plantation Inn de West Memphis, c’est-à-dire de l’autre côté du pont, c’est pour accompagner Floyd Newman qui le félicite : «That beat is your identity. No other drummer can play that.» Alors Howard devient un géant. En 1963, il rentre en studio avec Floyd Newman pour enregistrer «Frog Stomp», un mighty single Stax : «We went to the studio because of that beat. Isaac is on top with the organ, I’m driving the rhythm with the foot, playing 4-4 on the bass drum and 6-8 on the high-hat.» Howard the reward fait même swinguer ses phrases. Il faut faire gaffe avec ce genre de mec, car on finit par réécouter tous les grands albums d’Hi rien que pour l’entendre jouer. C’est le syndrome Charlie Watts : à cause du fantastique bouquin de Mike Edison (Sympathy For The Drummer), on a réécouté tous les albums des Stones pour entendre ce que fait Charlie. Et là on comprend pourquoi Edison met en sous-titre : Why Charlie Watts matters.

             On va rester un moment au Plantation Inn avec Howard car il a un sacré coco à nous présenter : «At the Plantation, on jouait du blues et du rock’n’roll derrière un mec qui s’appelait Sissy Charles. Strange cat. Il ressemblait à un gorille. On voyait son impertinence à sa façon de marcher et à la façon dont il vous regardait. Floyd et lui s’appréciaient mais moi, il me regardait de travers. Il était l’un des meilleurs chanteurs de blues du coin. That Sissy Charle was a trip. Je n’avais pas trop de rapports avec lui. I was scared of that motherfucker. Il était fort comme un bœuf. Il avait l’air d’un caveman. Les blancs l’adoraient. Il jouait  dans les white clubs.» En fait Howard nous refait le coup de Dickinson qui dans l’excellentissime I’m Just Dead I’m Not Gone nous décrivait le show de The Bullet, un homme tronc noir qu’on amenait sur scène et dont le numéro consistait à hurler, car c’est tout ce qu’il pouvait faire. Howard nous décrit d’autres artistes extraordinaires, comme Peaches qui s’habillait en femme, ou encore Ms. Shake Right qui s’enfonçait une ampoule dans le vagin et bien sûr l’ampoule s’allumait. Howard qui l’accompagnait se demandait où était le truc - I thought she must have something hot in there - Comme Ms. Shake Right était une amie de sa mère, il la respectait - Ms. Shake Right was a lovely woman - Et pendant qu’il bat le beurre, il peut observer le public, notamment celui des white clubs : «Les blancs dansaient off beat, they were all in different time and doing different moves. La première fois que j’ai vu des blancs danser, j’ai éclaté de rire. Ils restaient on the beat aussi longtemps qu’ils l’entendaient, mais ils étaient vite paumés. Dans les clubs des blancs, je n’ai jamais vu de bagarres, de manifestations de haine ou de négativité. Ça a transformé ma vision des blancs. Je n’aime pas entendre les black people dire du mal des blancs.» Howard développe en expliquant que les blacks ont la sale manie de se battre dans les clubs, ce qu’il ne supporte pas.

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             Howard voit donc le démarrage de Satellite/Stax. Ils sont tous blancs sauf Floyd Newman et Booker T. Jones. L’house-band des débuts est entièrement blanc, puisque ce sont les Mar-Keys - Ils ont eu un hit, «Last Night» et sont partis en tournée. Mais ils n’ont pas emmené Floyd Newman avec eux. Pourtant c’est lui qui chante ‘Ooooooh last night’ - Sur scène, les Mar-Keys ne sont pas aussi bons que sur disque. Il paraît nous dit Howard qu’à Detroit, le public gueule. Il ajoute : «Quand ils se sont aperçus que le batteur blanc des Mar-Keys ne savait pas tenir le tempo, Chips Moman a demandé que je participe aux sessions. Une fois que Chips m’a fait entrer dans le circuit, j’ai commencé à bosser pour de vrai. J’ai accompagné les Mar-Keys sur tout ce qui a suivi ‘Last Night’, mais on ne m’a jamais accepté comme membre du groupe. No matter what, I am a Mar-Key.» Howard rappelle aussi qu’à cette époque, il fallait faire gaffe de ne pas sortir du studio avec un blanc, même si on jouait ensemble à l’intérieur - We had to be careful outside because we didn’t want any trouble for the studio - Howard et donc le premier batteur black de Stax. Il sera remplacé par Al Jackson, qui à cette époque est le batteur d’Hi. Howard insiste beaucoup pour dire qu’il n’existe aucune rivalité entre Al Jackson et lui. Ils ont démarré ensemble et quand Al est arrivé chez Stax, Howard est allé chez Hi - Al avait un jeu plus vif et plus léger que le mien. He played a twenty-two inch ride cymbal, a great cymbal. On l’entend sur much of the Stax stuff - Willie Mitchell disait de ces deux batteurs : «Je ne pourrais pas avoir de meilleurs batteurs qu’Al Jackson et Howard Grimes. The best of two worlds.» À quoi Howard ajoute : «Willie disait aussi que j’étais plus créatif et que j’avais plus d’idées de rythme.» En fait, c’est Willie Mitchell qui fait la différence. Howard cite un exemple très parlant : «Willie Mitchell expliqua comment il voyait les choses. Il s’était fâché avec Al pendant l’enregistrement de ‘Love And Happiness’. Il disait à Al qu’il ne voulait pas the motherfucker pretty, il voulait the motherfucker funky. Alors c’est moi qui ait joué là-dessus. I would drive the beat, it’s a funky thing. Al Jackson played pretty.» Seul Willie Mitchell pouvait voir ces nuances. Tous les grands albums d’Al Green sont des albums de nuances. Howard raconte aussi qu’Al Jackson trimballait une petite sacoche d’appareil photo - Je lui ai demandé pourquoi il trimballait un appareil photo alors qu’il ne prenait jamais de photos. He said : ‘It ain’t no camera’. Il ouvrit la sacoche et en sortit un Luger. Je sus alors qu’il devait avoir de sacrés ennuis (I knew he must be in some serious shit) - Howard reprend un peu plus loin : «La dernière fois que j’ai vu Al Jackson, il m’a dit qu’il allait voir sa femme. He said she had the best pussy in the world. Comme elle lui avait déjà tiré dessus, je lui ai dit de ne pas y aller. (...) Le lendemain, Leroy m’appela pour me dire : ‘Al Jackson is dead.’ Al était allé dans cette maison. Il y avait quelqu’un d’autre.»

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             Comme Howard accompagne tout le monde, il se retrouve un jour embarqué dans une tournée de Paul Revere & The Raiders. Ils sont comme chacun sait venus enregistrer un album à Memphis (Goin’ To Memphis) et Mark Lindsay a repéré Howard. C’est l’époque où les Raiders sont énormes aux États-Unis, Howard nous rappelle qu’ils jouent dans des stades devant 50 000 personnes. Il voit les kids hurler comme dans les Beatles shows. Pour Howard, ce sera la première et dernière expérience de tournée, car ça ne se passe pas très bien. Paul Revere & The Raiders tournent dans le Sud avec un batteur noir, et forcément ça pose un gros problème quand ils arrivent à Montgomery, Alabama, fief du gouverneur Wallace, le gouverneur le plus raciste de tous les temps. Quand le boss du Montgomery Coliseum voit arriver un batteur nègre, il déclare aux responsables de la tournée : «The nigger ain’t playin’ in here. We never have James Brown in here. Ain’t no nigger played in here. Ain’t no nigger ever gonna play here. This is my building.» Pas question de laisser jouer le nigger dans son Coliseum. Le road manager et les Raiders font bloc avec Howard : si Howard ne joue pas, les Raiders ne jouent pas. Howard est fier des Raiders mais inquiet pour la suite. Alors comme les fils du gouverneur sont des fans de Paul Revere & The Raiders, ils implorent la clémence de leur père. Le gouverneur fait donc pression pour que le concert ait lieu. Il dit au boss du Coliseum de fermer sa gueule et il envoie même une escorte de la Garde Nationale pour protéger le tour bus, car bien sûr, Howard et les Raiders sont en danger. Du coup Howard devient une sorte de héros. Le mec du light-show l’éclaire sur scène de façon à ce que tout le monde le voie bien. Il est en plus installé sur une plate-forme qui domine les musiciens. Le concert est nous dit Howard exceptionnel. Le groupe reçoit un ovation. Et ce n’est pas fini : après le concert, les fils du gouverneur viennent même demander à Howard de dédicacer leurs albums des Raiders. Elle est pas belle la vie ?

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             C’est dans ce petit book qu’on trouvera sans doute le meilleur portait de Willie Mitchell, l’une des légendes de Memphis avec Uncle Sam, Stan Kesler, Jim Dickinson, Isaac Hayes et Chips Moman. Un Willie Mitchell humain trop humain : on sort des hommages à l’eau de rose, car Howard ne nous épargne rien du dark side of Willie Mitchell.

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             Quand Howard vient passer son audition, il doit jouer avec les frères Hodges que Willie a formés pour devenir l’house-band de ses rêves : Teenie (guitar), Charles (organ) et Leroy (bassmatic). Howard s’entend tout de suite très bien avec eux. Il décrit fabuleusement bien cette première audition, c’est pourquoi il faut lire ce petit book. À un moment, Willie dit stop et demande à Howard de ralentir : «Slooooow down, Goddammit! We gon’ aaaallll get ther at the saaaaaaaame time.» Howard comprend immédiatement - Willie avait son propre sens du groove, alors j’ai bien écouté le ton de sa voix. Peace was there. Il disait : ‘Here’s where I want it at. I want the motherfucker right there, so play it there’ - Willie forme Howard comme il a formé Teenie, Charles, Leroy et Al Green. Alors Howard sent le son entrer en lui - I thought : ‘This is where I’m supposed to be.’ Willie se tenait debout avec sa trompette, il écoutait. Il tapait du pied on the one. Je voulais qu’il soit content de moi, je désirais tellement faire partie de ce house-band. The Lord told me : ‘Watch his foot. If his foot moves, he’s listening. If It ain’t moving, you have to make it move. That’s how I learned to stay on the one -  Howard ajoute que Willie avait une vision du son pour Al Green, Ann Peebles, Otis Clay, Syl Johnson, O.V. Wright, mais la constante était bien sûr le groove de l’Hi Rhythm Section - Il existe d’autres great studio bands out there, mais je ne pense pas qu’un seul d’entre eux pouvait rivaliser avec nous, hit for hit, style for style, playing live and recording - Howard précise que les frères Hodges sont issus de la campagne, Germantown, outisde Memphis. Leur père Leroy Hodges Sr. avait un groupe, the Blue Dots, dans lequel jouait un guitariste nommé Earl the Pearl qui a tout appris à Teenie.

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             C’est le boss de Duke, Peacock et Back Beat Records Don Robey qui amène O.V. Wright enregistrer chez Hi. Pour la petite histoire, il faut savoir que Don Robey est un boss qui bosse à l’ancienne, gun sur la table et tartes dans la gueule. Il faut aussi savoir qu’O.V. Wright est l’un des plus grands Soul Brothers de tous les temps. Howard pense qu’O.V. est «the finest vocalist I ever worked with. I loved him from the top.» Mais O.V. a ses démons nous dit Howard, il parle bien sûr des drogues. Howard explique ailleurs qu’il n’approche ni les drogues ni les orgies assez courantes à l’époque. Il préfère rester à l’écart de tout ça. Lors d’une session, nous dit Howard, O.V. a sifflé une bouteille entière de sirop et il transpirait tellement qu’il dut enlever sa chemise pour chanter, «but his voice rang out clear as a bell». Un beau jour, Willie reçoit un coup de fil annonçant la mort de Don Robey. O.V. qui est dans le studio déclare : «Dirty dog took my money with him.» Et tout le monde explose de rire. Mais O.V. a pas mal d’ennuis avec les flics, il ne paye pas la pension alimentaire qu’il doit à son ex et quand les flics le collent au trou, Willie le fait sortir. Willie lui paye aussi la rehab et quand O.V. sort clean de rehab, il part en tournée. Mais ses drug buddies le chopent et O.V. replonge - That’s the way he died.

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             Howard raconte aussi comment au cours d’une tournée avec Willie, ils rencontrent un jeune black nommé Al Green. Ça se passe dans un club de Waco, Texas et Al Green demande à chanter avec eux. Howard ne rentre pas trop dans les détails mais la scène est fabuleusement bien documentée dans l’autobio d’Al Green, Take Me To The River. Les rapports entre Howard et Al Green seront assez mouvementés. Sans aucune raison valable, Al va demander à Willie de virer Howard. Willie se contentera de trouver un autre batteur pour accompagner Al, mais Howard se sera pas viré tout de suite. Plus tard, hanté par les remords, Al Green volera au secours d’Howard tombé dans la misère. 

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             Howard précise aussi qu’Abe Tilmon et les Detroit Emeralds sont venus enregistrer des hits chez Hi, «Wear This Ring», «You Want It You Got It», «Baby Let Me Take You» et «Feel The Need In Me» - The best music ever to come out of Memphis. People don’t even know - Howard ajoute qu’Abe Tilmon écrivit ces hits pour sa femme, mais elle lui brisa le cœur - He came back to Memphis half out of his brain from whiskey. He died not long after - Destin tragique comme ceux d’Al Jackson et d’O.V. Wright. Howard évoque aussi Ann Peebles, d’un caractère joyeux, qui riait beaucoup. Don Bryant qui composait pour Hi la faisait beaucoup rire. Mais nous dit Howard, elle avait deux défauts : son timing et sa diction. Elle ne savait pas entrer au bon moment dans une chanson, alors Howard lui apprit à compter. Un deux trois quatre, et tu entres - She stayed relaxed, she stayed with the drums and didn’t jump times - Willie s’intéressait à Ann parce qu’elle avait une voix superbe - We worked her up. So much church in her - Pour la diction, Willie confie le job à Don Bryant : «Teach her to sing clearly». Évidemment Don tombe amoureux d’Ann et ils se marient. Aux dernières nouvelles, ils sont toujours ensemble. On a vu Don Bryant sur scène en 2018 et ce fut une sacrée révélation. Howard ajoute que Don mériterait un book of his own - Don’s a little like I am - Et Howard continue sur sa lancée : «Après être resté tranquille pendant des années, il est revenu avec deux albums enregistrés à Memphis avec Scott Bomar. Je joue sur les deux. Il chante encore comme un jeune homme et il revient vers Willie Mitchell plus que n’importe qui, même les frères Hodges ne vont pas aussi loin.» On a rendu hommage à Don Bryant sur KRTNT en 2018 ( livraison  387 du 06  / 12 / 2018 ) Les deux albums sont parus sur Fat Possum : Don’t Give Up On Love et You Make Me Feel.

             Don Bryant et Earl Randle étaient les deux Hi Records staff songwriters. Howard en évoque un autre, Dan Greer, qui se pointait de temps en temps - Dan Greer a peint l’enseigne de Satellite Records. Je l’ai vu grimpé sur l’échelle le jour où avec Rufus on est venus enregistrer «Cause I Love You». Dan filait des compos à Willie. Il a aussi composé pour Wilson Pickett, Arthur Conley et James Carr - Il existe d’ailleurs une très belle compile Kent Soul, Beale Street Soul Man: The Sound Of Memphis Sessions, et une autre encore plus capiteuse, qui date du temps où Dan duettait avec George Jackson sous le nom de George & Greer, chez Goldwax : George Jackson And Dan Greer – At Goldwax. Tout ceci fait l’objet de futurs chapitres. 

             Par contre, Howard voit les choses se gâter chez Stax avec l’arrivée de Johnny Baylor, engagé comme garde du corps avec Dino Woodard par Isaac. Ces deux blackos viennent de New York. Depuis que Martin Luther King a reçu une balle dans le cou, la tension est montée à Memphis. Baylor fait entrer les guns chez Stax et il prend petit à petit le pouvoir. Satx le charge d’aller percevoir les impayés. Pas de problème. Au moment où Isaac connaît son heure de gloire, il fait travailler Chin, un copain d’école. Howard : «Me and Isaac went to school with Chin. Chin vivait à l’hôtel avec des prostituées, il fumait le cigare et dépensait le blé qu’il devait utiliser pour assurer la promo d’Isaac, par exemple arroser les DJs pour qu’ils passent les disques à la radio. Johnny Baylor a fait rosser Chin.» Ce sont bien sûr les méthodes de la mafia.

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             Un jour, Willie annonce à l’house-band qu’il est grand temps pour eux de faire un album. C’est On The Loose, le fameux Hi Rhythm Section record. Willie suggère d’enregistrer cinq instros et cinq cuts chantés par différents chanteurs. Mais Teenie veut chanter et Willie lui répond : «You can’t sing motherfucker.» Teenie rétorque : «Mick Jagger can’t sing.» Et Willie lui balance du tac au tac : «You ain’t Mick Jagger.» Howard nous restitue ce fabuleux dialogue. Howard et Leroy veulent faire chanter Ann Peebles et Al Green, mais Teenie, Charles et Hubbie veulent garder le singing. Ils l’obtiennent. Ce sont donc les frères Hodges qu’on entend sur cet album qui finalement tient bien la route. On retrouve le groove d’Hi dès le morceau titre d’ouverture de balda. Ils groovent comme des dieux. Le chant n’est pas très bon sur «Superstar», mais ils compensent par une extraordinaire musicalité. Howard a raison, ils ont un problème avec les voix, ce ne sont pas des belles voix et pourtant on se régale de «Purple Raindrops». C’est Howard qui mène la danse, au Memphis beat sec et net. Nouvelle merveille avec «Save All My Lovin’», ces mecs ont du génie, ils développent leur groove, ça chante à la ramasse mais le beat bat comme un cœur de bœuf. On s’habitue très bien au pas de voix. La chaleur du groove sur «You Got Me Comin’» est un modèle du genre. Ils terminent cet album étonnant avec «Skinny Dippin’» et Teenie Hodges joue psyché en fond de toile, c’est un vrai coup de génie ! Quasi hendrixien dans l’esprit.

             Mais l’album ne sort pas. Willie nous dit Howard ne voulait pas perdre le groupe. Il craignait que l’album ait du succès. Howard : «Trente ans après qu’on ait enregistré l’album, Don Bryant m’appela pour me dire de venir le rejoindre chez un disquaire de Beale Street. Il avait l’album. Je ne savais pas qu’il était sorti. Un label anglais nommé Demon Records l’avait publié et le disquaire en avait trouvé quelques exemplaires lors d’un voyage à Londres. Sur la pochette, on aurait dit que Teenie a un sandwich glissé dans son pantalon. Mais il a dit que ce n’était pas un sandwich.» Et pour conclure ce chapitre un peu tristounet, Howard jette un dernier éclairage sur la politique de Willie : «Willie n’a pas voulu qu’Al me vire. Il n’a pas voulu que Lou Rawls me fasse jouer.» Il craignait trop de perdre sa poule aux œufs d’or.

             Un jour que Syl Johnson est en studio chez Hi, il dit à Howard : «God put the pussy on earth and put me down here to get it», ce qui fait bien marrer Howard - Syl always had crazy thoughts in his head.

             Puis un jour Willie arrive en session avec une drôle de nouvelle : Hi est vendu. Les propriétaires ont vendu le label à un autre label qui s’appelle Cream. Willie rassure les musiciens en leur annonçant qu’ils vont toucher un dédommagement. Howard se frotte les mains. Comme Hi a beaucoup de disques d’or, il pense pouvoir palper dans les 100 000 $. Il sait que les ventes de disques représentent des millions de dollars. Nick Pesce l’appelle dans son bureau pour lui remettre un chèque. Howard n’en revient pas : il touche un chèque de 10 000 $ et il doit reverser un bakchich de 400 $ à Pesce. Alors il gueule et Pesce se met en rogne, se lève d’un bond et hurle : «Take your money and get the fuck out of here !». Viré.

             En réalité, ce qui fait la force de ce récit, aussitôt après les hommages rendus aux artistes, c’est la vie spirituelle d’Howard Grimes. Il dit souvent dans son récit que Dieu lui parle. Howard Grimes est tellement sincère qu’il serait capable de nous faire croire en Dieu. Lorsqu’il relate ses souvenirs d’adolescent, il fait un jour une demande à Dieu : «I want to be in the family of God’s great drummers.» - He didn’ answer but things were to be happening - C’est son ami Darryl Carter qui lui dit un jour : «Quand je vois tous les disques que tu as enregistré, tous ces hits, tous les grands artistes avec lesquels tu as joué, I believe you are in the family of God’s great drummers.» Dans sa vie, Howard a toujours écouté ce que lui disait God. Il évoque aussi sa mère qui était fière qu’il soit devenu batteur - That’s my son, playing them drums.

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             Quand il est viré d’Hi après la revente, Howard sombre dans la misère. Plus de revenus. On lui coupe même le courant - Il ne me restait plus que ma maison. No wife, no job, no income. I had no future. The death of Hi Records began my crisis - Alors il demande à God : «Why me ? What did I do wrong ?». God lui redit de l’écouter - You obey me well. I’ll send you back up - Plongé dans le silence et dans le noir, Howard dit entendre tous les bruits de la ville, les sirènes, les gunshots.  God commence par lui envoyer son ex-femme qui vient demander pardon, et Howard lui dit qu’il lui pardonne et elle repart. Puis God lui envoie Al Green. Howard n’en revient pas. Al entre avec une mallette à la main, la pose sur la table, l’ouvre et sort 500 $. Alors Howard lui demande pourquoi il fait ça. Al lui répond simplement qu’il suit des instructions. Plus tard, Howard se rendra dans la chapelle d’Al, the Full Gospel Tabernacle Church, à Memphis. 

             Dans les dernières pages de cette bouleversante autobio, Howard ne cache rien de ses inquiétudes : «Le monde d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celui dans lequel j’ai grandi. The joy, the fun, the safety are all gone. Memphis, Tennessee turned rotten. Pendant mon enfance, les rues étaient sûres. Aujourd’hui tout le monde a un gun. My friend Willie Wine tells me, ‘Lucifer got ‘em.’» Et plus loin il ajoute : «It’s been darkness around Memphis. People love darkness.» Pas Howard, il n’aime pas la darkness.

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             Vers la fin du book, Howard rend un fier hommage à Scott Bomar, le mec qui a monté les Bo-Keys à Memphis. Le survivant des Bar-Kays Ben Cauley a joué dans les Bo-Keys, ainsi que Skip Pitts, le guitariste d’Isaac. Sur scène, les Bo-Keys nous dit Howard ont accompagné Don Bryant et William Bell - Je ne suis pas en colère après Hi, ni après Stax, but Scott Bomar at Electraphonic est la seule personne qui m’ait payé rubis sur l’ongle. Ça m’a choqué qu’il me paye pour la session de Cyndi Lauper. Il a juste dit que je le méritais. Bosser avec Scott, c’est un peu comme bosser avec Willie Mitchell. Electraphonic is the only place left that feels like the glory days.

             Puis il revient à l’essentiel, qui est le mythe de Memphis : «J’ai vu la music faire renaître cette ville (années 50/60). Avant, il n’y avait rien à Memphis. Et rien ne s’est vraiment produit depuis que tout est mort. Le hip hop ne marche pas. Les jeunes récupèrent notre travail et font de l’argent avec, mais personne ne joue comme on jouait. Il n’existe aucune valeur éducative dans ce qu’ils font. Leur seul message est un message de violence et de colère. Pas un message d’amour. Les gens viennent encore de partout dans le monde à Memphis en pèlerinage.» Howard est tellement amer. Il pense que c’est l’argent qui a tué le Memphis Sound, «Greed, corruption and violence killed us. It killed Al Jackson Jr. It killed Stax. It killed Hi Records. Si on était restés solidaires dans la paix, on serait encore au sommet.»

             Et puis il y a cette dernière phrase d’Howard qui sonne comme une prophétie : «The city’s music has to be reborn. The Memphis sound will return. When it does, my time will come again. That’s my dream.»

             Comme Howard, les frères Hodges sont toujours en vie. On peut les entendre accompagner quelques luminaries comme Syl Johnson, Robert Cray ou encore Alex Chilton.

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             Syl Johnson enregistre Back In The Game avec Hi Rhythm en 1994 et remet sa couronne de groover en jeu. On est saisi dès les premières mesures du morceau titre par l’énormité du son. C’est monté au beat insubmersible, groové dans le deepy deep, dans l’Hi des Hodges brothers. Même percuté par une torpille, ce groove ne peut pas couler. Tous les cuts de l’album rivalisent d’énormité, comme l’infectueux «I Can’t Stop», une véritable horreur jouée aux accords de r’n’b, ou encore ce violent coup de boogie qu’est «Keep On Loving Me», silly thang, absolute vodka de force majeure, fabuleux shook de shake, ils y vont doucement mais sûrement, no problemo, et le solo télescope une embrouille de funk. Et voilà l’un des hits majeurs du grand Syl Johnson, une cover du «Take Me To The River» d’Al Green - I don’t know why/ I love her like I do - Et il part en vrille sur le wanna know. Cette version glisse comme la boue vers la mer. Ceux qui ont bivouaqué au bord d’un fleuve sauvage savent de quoi on parle - Won’t you tell me - Syl chante avec un timbre unique au monde - Take me to the river/ Wash me down - La fantastique Syleena Thompson vient prêter main forte à Syl sur «Dripped In The Water». Ah ces brutes n’en finissent plus de dripper in the water, et l’orgue nous noie tout ça. Back to the heavy blues avec «Driving Wheel» et puis Syl renaît de ses cendres avec «Clean Up Man», un hit de funk extraordinaire, avant de replonger dans l’enfer vert du groove avec «I Will Rise Again». Wow quelle partie de groove ! - You got me feeling.

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             L’autre gros coup d’Hi Rhythm, c’est l’album enregistré avec Robert Cray en 2017. Hélas Howard the reward n’y joue pas, Steve Jordan prend sa place et à aucun moment on regrette l’absence d’Howard car voilà l’un de ces albums énormes dont on ne se lasse pas. Tiens on va commencer par les deux cuts mythiques qui s’y nichent, «Aspen Colorado» et «Don’t Steal My Love». Pourquoi mythiques ? Parce que Tony Joe White y joue. Normal, ce sont ses compos. Tony Joe gratte sa gratte et souffle dans l’harp de triomphe et comme Robert Cray chante comme un dieu, alors ça vire real cool time. Tony Joe supervise son Aspen, il descend un solo dément et là, tu as tout le son de l’Amérique, le vrai. Même chose avec «Don’t Steal My Love». Tony Joe l’emmène au fast tempo du swamp, il joue ça au gratté de poux, il lance des éclairs, il gratte en lousdé et ça tourne au génie purulent avec les coups de wah. Alors on imagine le travail, avec les frères Hodges en plus ! Et si on en pince pour le Memphis beat, alors il faut se jeter sur «The Same Love That Made Me Laugh» d’ouverture de bal. Steve Jordan bat le beurre et produit, alors Robert Cray devient énorme, comme le sont Keef & the X-Pensive Winos dans les pattes de ce mec-là. Et des tas d’autres gens, Candi Staton, Boz Scaggs, Solomon Burke, etc. Du coup l’album de Robert Cray prend des proportions gigantesques. Comme Teenie Hodges brille par son absence, c’est Robert Cray qui joue le simili solo d’Hi. Et boom ça explose avec «You Must Be Yourself», big Memphis beat, Robert se prend au jeu, c’est stupéfiant de power, il part en vrille au fond du Royal et les cuivres l’attaquent en contrebas. Ce son n’existe qu’à Memphis. Il enchaîne avec un «I Don’t Care» signé Sir Mack Rice et là t’es encore baisé. Back to Memphis, all over the rainbow, Robert nous plonge dans l’I don’t care if the sun refuse to shine/ I don’t care if it’s raining cats and dogs, c’est du pur jus de Mack Rice. On sort du cut en s’ébrouant comme ce poney apache qui vient de traverser le Rio Grande. Plus loin, Robert amène «Just How Long» au heavy groove. Ça tombe bien, car c’est la spécialité des frères Hodges et Dieu sait que c’est bon, c’est même du pur génie, le meilleur rampant de tous les temps - I’ll never know just how long - Il claque des accords farouchement déments. Puis il s’en va éclater «I’m With You» au Sénégal - Hey baby I want to know/ Oh yes I am - Il swingue sa Soul en mode doo-wop. Encore un shoot de Mack Rice avec «Honey Bad» et là, Leroy Hodges bassmatique au devant du mix. Tu es à Memphis, boyo, chez Willie, au paradis du groove ! Alors Robert est aux anges avec tous ces mecs-là. Il s’amuse comme un fou avec sa guitare et multiplie les petites descentes au barbu. 

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             Vient de paraître cet album live d’Alex Chilton & Hi Rhythm Section, Boogie Shoes: Live On Beale Street, bourré de covers triées sur le volet, comme on s’en doute, à commencer par «Precious Precious» d’Isaac. Excellence de la prestance, c’est subtilement horné et quel backing : Howard, Teenie, Charles & Leroy. Ils sont tous là ! Ils tapent ensuite le «634-5789» d’Eddie Floyd, encore un beau groove de boogie blues. Leroy croise dans le lagon du groove comme un requin bassmatiqueur. Pour Howard et Leroy, c’est ensuite du gâtö que de taper dans «Kansas City». Ils groovent ça sec et net et sans bavure. Et Alex le chante au pur jus. Par contre, ils font n’importe quoi avec des reprises de «Lucille, de «Maybelline» et de «Big Boss Man». Ils remontent le niveau de l’ensemble avec un hommage aux Supremes, «When Did Our Love Go», puis un hommage à Fatsy avec «Hello Josephine». Idéal pour un gang de surdoués comme l’Hi Rhythm. Alex annonce some real music for you et balance un «Trying To Live My Life Without You» qui sonne un peu mythique - Here we go/ Turn around - Il marie le r’n’b avec le Memphis beat.

    Signé : Cazengler, Howard Gris

    Howard Grimes. Timekeeper. My Life In Rhythm. DeVault Graves Books 2021

    Hi Rhythm. On The Loose. Hi Records 1976

    Syl Johnson With Hi Rhythm. Back In The Game. Delmark Records 1994

    Robert Cray & Hi Rhythm. Vee-Jay Records 2017

    Alex Chilton & Hi Rhythm Section. Boogie Shoes: Live On Beale Street. Omnivore Recordings 2021

     

    Chapman of constant sorrow

             Alors folky folkah, le vieux Chapman ? Pas tant que ça. À force de lire des beaux hommages dans la presse anglaise, on a fini par aller y mettre le nez, comme on dit. Et comme la presse anglaise c’est pas des bœufs (comme on dit encore), on finit par découvrir grâce à elle un artiste extrêmement attachant. Alors attention, c’est un gratteux, comme John Fahey, Bert Jansch, John Renbourn et tous ces mecs-là, il propose un univers très austère, mais bon, des fois, ça fait du bien d’aller traîner chez les austères. C’est un peu comme d’aller séjourner chez les moines, ça remet les pendules à l’heure. On écoute de la musique. C’est comme de passer sa soirée à lire un livre, on se sent un tout petit moins con à la fin de la journée.

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             Comme l’Old Chap vient de casser sa pipe en bois, le conseil d’administration de KRTNT s’est réuni pour prendre la décision de lui rendre hommage. Les quatre membres du conseil (Damie, le Cat, Rahan et Rouchka) ont voté à l’unanimité, ce qui n’était pas évident, car l’Old Chap n’est pas très connu en France. En plus, il n’est pas très sexy, commercialement parlant. C’est comme si on rendait hommage au vieux cordonnier du coin de la rue ou au marchand de quatre saisons qui passait encore avec sa charrette avant que l’arthrose ne l’en empêche. Old Chap est lui aussi un artisan à l’ancienne et mine de rien, on préfère mille fois ce genre de vieux crabe à toutes ces tronches de cakes qui déambulent dans les médias et qui affichent complet dans les smacks. Smack toi-même !

             Étant donné qu’Old Chap a enregistré une cinquantaine d’albums, on est confronté au dilemme de Fantasia. Alors on fait profil bas et on va se contenter d’écouter ce que les journalistes de la presse anglaise - qui ne sont toujours pas des bœufs - recommandent. Bienvenue dans l’Old Chapland.

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             En 2016, Tom Pinnock interviewait Old Chap pour Uncut. En guise d’hommage funèbre, Uncut publie pour la première fois l’intégralité de cette interview, six pages très denses avec comme il se doit le petit encadré ‘Essential records’. Six en tout et le premier, Fully Qualified Survivor, paru sur Harvest en 1970, reçoit la note suprême : 10/10. Le court texte rappelle que cet album fut a favourite of Pohn Peel’s. On est tout de suite frappé par la qualité du son. Eh oui, Gus Dudgeon produit. Il est en Angleterre le roi de la profondeur de champ. Ace vient d’ailleurs de lui consacrer une compile dans sa collection ‘Producer Series’. L’Old Chap fait à cette époque une pop assez conquérante. Avec «Stranger In The Room», il taille sa route dans l’univers et c’est fabuleusement bien produit, guitare adroite et climats du paradis, on admire les envols de guitare. Belle tension famélique, unique en Angleterre. Voilà ce qu’il faut bien appeler une merveille inexorable. Au fil des cuts, on le voit organiser sa fantastique prescience, avec «Postcards Of Scarborough», il nous emmène au cœur du London groove, Gus fait monter la neige de prod et ce démon d’Old Chap retombe sur des tapis de son magique. Cet album est une mine d’or. «Soulful Lady» démarre dans le moelleux d’un son inespéré. C’est du rock anglais, mais devenu beau et élastique, comme par enchantement. Là tu touches au but, comme avec Fred Neil. On se grise littéralement de cette qualité du son. De la même façon que Totor a fait les Ronettes, Gus fait l’Old Chap. Seul Gus sait interjecter dans l’élastique du groove. Il met du gras et du deep dans le son de «Rabbit Hills». Il a bien capté le bottom d’Old Chap. Ce spongieux défie toute concurrence. On comprend que cet album soit devenu culte. Old Chap gratte sa gratte sur l’île déserte. Avec «March Rain», la prod prend le pas sur le gratté d’Old Chap, car c’est Gus qui fait le son de la gratte. L’Old Chap revient à la charge avec «Kodak Ghosts», il gratte allègrement, c’est assez fin, bien tiré par les cheveux. On entend tout clairement, les petits arpèges et la petite purée au fond du son. Dans «Andru’s Easy Rider», Gus rattrape les arpèges du delta au vol et cet album mirifique s’achève avec un «Trinkets & Rings» qui démarre sur les percus de «Sympathy For The Devil» : l’Old Chap envoie des coups de slide résonner dans l’écho du temps de Gus. 

             Si l’Old Chap connaît Mick Ronson c’est tout simplement parce qu’à une époque il a enseigné à Hull, d’où est originaire Ronson. C’est aussi à Hull qu’il a rencontré Andru et le bassiste Rick Kemp. Dans cette extraordinaire interview qu’il accorde à Pinnock, Old Chap avoue qu’il aurait bien aimé jouer comme Kenny Burrell or Grant Green - But I was never good enough. So I played with anybody that would offer me £2 or £3 a night - Alors il joue dans des orchestres de rock ou de jazz. Quand Pinnock l’épingle sur la question des tunings, Old Chap fait son Old Chap. Pinnock lui demande s’il a pompé des tunings à Thurston Moore et il obtient la réponse qu’il mérite : «No, he leaves me miles behind. His are just too weird to consider. L’autre guy qui m’en bouche un coin, c’est Nick Drake. I don’t know how he’s come across some of his tunings without going to Brazil.» Old Chap a bien sûr rencontré Nick Drake mais aussi John Martyn, il a fait des tas de concerts, double headed university gigs - John was nuts but there you go - Et bien sûr, la question suivante concerne Mick Ronson, qu’Old Chap découvre alors qu’il jouait dans les Rats - They were awful, but Mick had ‘star’ written across him. Une fois qu’il est passé de la Strat à la Les Paul, wow that was something - Il évoque aussi Bert Jansch et John Renbourn, notorious fot not turning up, c’est-a-dire qu’on ne pouvait pas compter sur eux en concert. Ils jouaient ailleurs. L’Old Chap dit aussi que des gens comme Roy Harper et Al Stewart ne pouvaient pas marcher en Europe, car ils avaient trop de texte et les gens ne comprennent pas l’Anglais - With me, you get a lot of guitar and a few short lines and it works fine over there

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             Paru sur Harvest en 1971, Wrecked Again grouille de chansons, mais aucune ne prétend à trôner dans les charts. Old Chap fait de la heavy chapmannerie et veille à ce que tout soit bien articulé. Son morceau titre est quasiment pop, pas loin de ce que fait Croz à la même époque. Son country folk n’a pas la force de celui de Fred Neil, mais il dégage une certaine puissance. Chapman sonne très américain. En B, il repart en groove à la Croz avec «Fennario», il est même en plein dedans. Il reste dans l’Americana avec «Time Enough To Spare» et fait preuve d’une merveilleuse présence avec «Night Drive». Ses cuts sont comme visités par la grâce. Sa mélancolie évoque bien sûr celle de Nick Drake. Il passe à la heavy pop anglaise avec «Mozart Lives Upstairs». Ça devient bougrement intéressant, on pense à des tas de gens, Spooky Tooth ou l’early Led Zep, par exemple. Son «Shuffle Boat River Farewell» s’écoule comme un long fleuve au fil du temps - Don’t you know that it’s coming on so strong. Old Chap : «I never made a dime on Wrecked Again, for instance.»

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             On reste dans les années 70 avec 3 albums que Mooncrest vient de rassembler sous la forme d’un petit coffret digi : The Decca Years 1974 to 1977. Ces albums réservent pas mal de surprises. Sur Deal Gone Down enregistré en 1974 se niche une Beautiful Song, «Another Season Song». L’Old Chap nous sert un gratté d’acou franc du collier et bricole l’une de ces petites merveilles suspensives dont il a le secret, l’Old Chap éclot dans l’éclat des gros accords. Il attaque «Party Pieces» au gratté de coin du feu, il fait son Dylan avec des paroles de fancy clothes, mais il n’ose pas aller plus loin, comme s’il faisait un Dylan qui n’ose pas dire son nom. Puis on le voit naviguer au long cours sur «Stanger Passing By», il gratouille ses poux et crée de la petite tension. Avec le morceau titre, il se lance dans l’Americana, qui va devenir l’un de ses péchés mignons. Il est très pur, et ça tourne au génie car des chœurs de gospel le rejoignent. Quel fantastique artiste ! Il vise exactement le même genre de plan que Don Nix à la même époque : le mélange des genres. Il drive ensuite son «Banjo Song» au heavy boogie. C’est un merveilleux artiste. Il passe au heavy boogie boogah avec «Goodbye Sunny Sky». Il a du son, et même tout le son du monde. Il est marrant, car il se prend pour un rocker anglais alors qu’il trimballe un look de folkie, avec sa casquette et son manteau afghan. Mais ce mec dégage de bonnes vibrations, comme le montre encore «Journeyman» - Long way/ Long way/ Back to you - Ce Journeyman est une merveille de slow groove soutenue au picking. Old Chap est un mec fiable, infiniment fiable, son Journeyman est un chef-d’œuvre de fiabilité. On adore les mecs fiables. Son long way back to you te met du baume au cœur. Il ajoute encore des couplets et ça reste aussi puissant qu’une grande Dylan song, c’est travaillé au son et au chant. Décidément, l’Old Chap mérite tous les honneurs. 

             On tombe ensuite sur le pot-aux-roses : un Savage Amusement enregistré en 1976 chez Ardent à Memphis. Eh oui ! Et produit par devinez qui ? Don Nix ! Comme par hasard. L’album est solide mais pas aussi brillant que le précédent. L’Old Chap attaque avec un «Shuffleboat River Farewell» qui sonne comme du Mungo Jerry. Globalement, il joue de la heavy country américaine, son «Secret Of The Locks» est bien foutu, on se croirait dans le Nevada à cause de la poussière, mais c’est dommage, car on est à Memphis et l’Old Chap devrait en profiter. Il fait de la fake Americana comme son copain le Heron d’Incredible. Il n’empêche que les cuts sont bardés de son, la nonchalance règne sans partage sur l’album, mais pas de hit en perspective. L’Old Chap révèle pas mal de points communs avec Robert Forster. Et puis l’album se réveille en sursaut avec «It Didn’t Work Out». L’Old Chap pique sa crise de Stonesy et ça devient balèze, c’est le meilleur mélange des genres, the Memphis sound et l’Old Chap, avec des chœurs demented, ooouh ooouh ça devient sexy, roule ma poule avec le Memphis beat. On assiste même à un faux départ et à un faux retour. Cette belle escapade s’achève avec un «Devastation Hotel» tout de suite bardé d’orgue et de chœurs de filles. L’Old Chap n’a jamais été aussi choyé. Don Nix s’y connaît en matière de chœurs. Il transforme l’Old Chap en seigneur du Deep South. La transformation est spectaculaire.

             Puis en 1977, il enregistre The Man Who Hated Mornings. Keef Hartley bat le beurre sur l’album. Dans «I’m Sobber Now», l’Old Chap annonce qu’il a arrêté de boire. Mais ce n’est pas le fait qu’il arrête de boire qui rend le cut intéressant, c’est la présence de Mick Ronson on guitar ! Dommage que Ronno ne joue pas sur tout l’album. L’Old Chap part en virée jazz sur le morceau titre et il retourne dans la poussière du Nevada gratter «Steel Bonnets». «Dogs Get More Sense» sonne comme un petit boogie rock anglais inutile. Ça sent le vieux rock anglais qui ne se lave pas souvent, à cause de la rigueur du climat. L’Old Chap revient plus loin à son cher country rock avec «While Dancing The Pride Of Erie». Il domine tous les géants du genre avec une facilité écœurante.

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             Pinnock publie un premier article sur l’Old Chap en 2017, dans Uncut. Il est reçu dans la ferme - a weather-beaten farmhouse - où vivent l’Old Chap et se femme Andru depuis 1972, dans cette région sauvage du Northumberland, juste en dessous de la frontière écossaise. À part la machine à café, tout est ancien dans cette bicoque. L’Old Chap n’a jamais eu d’ordi. Il n’a que des disques, des books et des guitares dont une Martin qui aurait appartenu à Jimi Hendrix. Il est très content d’être resté éloigné du music biz - Don’t overthink things, that’s my motto. I’ve never wanted to be part of the club, the same way I’ve never wanted to move to London - L’Old Chap est un mec de Leeds, pas question de s’installer à Londres - I’m a Yorkshire man, I don’t waste money - Sur scène, il annonce : «Pour ceux qui ne sont pas contents, la porte c’est pas là.» S’il voit que très peu de gens quittent la salle, il se dit qu’il n’a pas été assez clair.

             Ben Thompson voit l’Old Chap comme un self-styled old white blues guy from Yorkshire, qui évoque les heavy-hitters John Renbourn et Bert Jansch, the muscular authority de Jimmy Page et the maverick edge de Roy Harper, sans altérer le moins du monde son own indisputably Chapman-esque character. Mais c’est à Davy Graham qu’Old Chap doit tout : «Davy was the first.» Thompson rappelle aussi qu’Old Chap jouait en première partie d’Emerson Lake & Palmer dans les années 70, qu’il a découvert Mick Ronson à Hull et qu’il a conquis le trône de John Fahey en devenant à son tour the Godfather of experimental rock-guitar (avec Pachyderm). L’Old Chap raconte aussi à Thompson son baptême du feu en 1958 à Leeds : Muddy Waters sur scène avec quatre Fender showman amps et sa Telecaster - It wasn’t just loud, it was the loudest thing ever heard in Leeds - Et bien sûr le public de jazz s’est enfui - These people fled in horror but they should‘ve stayed because it was perfect.

             Dans les années 80, l’Old Chap disparaît de la circulation parce qu’il boit comme un trou - That’s what Andru calls ‘Michael Chapman: The Missing Years’. I was drinking too much, fucking up gigs and being a bit of an arsehole - more than a bit of an arsehole - D’où une petite heart attack en 1990. Il est obligé de retourner jouer dans la bars, ce qui lui convient parfaitement. Il avoue à Pinnock avoir fait sa part de drinking et de doping - But I never went anywhere near hard drugs. Davy Graham went to Morocco and came back well fucked up - Il ajoute que c’était une tragédie - I did gigs with him where he was just stood in the dressing room for an hour laughing at the clock.

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             On attaque ensuite une série d’albums plus tardifs, comme ce The Twisted Road paru en 1999. Comme il enregistre énormément d’albums, il se dilue un peu dans la masse. Forcément on tombe sur des cuts comme «Another Crossroads» qui sont cousus de fil blanc. Il ne s’y passera rien, sauf que ce mec gratte divinement sa gratte, alors ça va plaire aux gratteux. Mais il chante comme un simili Clapton et on bâille à s’en arracher les ovaires. Il traîne sa voix de vieil épouvantail tout au long de l’album. Dommage, car le gratté scintille. Il donne envie d’aller réécouter Ralph McTell. L’Old Chap se fond dans son son comme la noix de beurre dans le poêle. Il n’envisage même pas de décrocher un hit, comme si ça ne l’intéressait pas. Il chante sa pop du pauvre, il crée son petit monde de fortune et ça donne des cuts bien coordonnés et assez puissants comme «All Day All Night». On sent des éclairs de grandeur dans «Memphis In Winter». C’est très intériorisé, au point que les arpèges descendent dans les soutes du son. Alors on admire la tension. Son mélange de chant et d’arpèges crée le buzz, mais il lui faut du temps, environ 7 minutes. Comme il est le seul maître à bord, il décide de tout, surtout des climats. Son «That Time Of Night» frise le Velvet par la pureté de l’intention. Et puis il finit par affecter son chant avec «Full Bottle Empty heart», on perd alors le goût de la pulpe. Il profite de «Cowboy On A Beach» pour danser sur le sable et finit en mode aéroplane d’Americana avec «I Got Plans», mais toujours avec ce chant imparfait qui remet en cause sa crédibilité. Du coup, on ne retient pas grand chose de cet album, dommage car la pochette est belle. On sent trop les limites du système Chappy, ça sent l’usure, ça tourne en rond, pas de magie, pas de mélodie. Il faudra attendre un peu.   

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             C’est la curiosité qui pousse à écouter ses deux albums d’Americana. Rien de plus intriguant qu’un Anglais qui prétend faire de l’Americana. On a déjà vu ce que ça donnait avec Incredible String Band. La vraie question qu’on se pose est celle-ci : à quoi ça sert ? C’est justement pour apporter une réponse à cette question qu’on écoute tous ces mecs-là. L’Old Chap monte bien son coup : ses onze instros sont conçus comme des cartes postales sonores et du coup, c’est passionnant, car ça fonctionne. «A Strangers Map Of Texas» exprime la douceur du temps dans le désert. Dans «Swamp», on entend les crapauds de Mr Quintron. C’est en plein dans le mille. «The Coming Of The Roads» se situe à la croisée des chemins du blues et l’Old Chap en fait un cut assez évangélique. Il nous fait visiter des tas de régions, il devient le roi de la carte postale, il charge bien la barque d’«Indian Annie’s Kitchen» et forcément on entend la sonnette du rattlesnake dans «Rattlesnake». Il nous fout même la trouille avec son bruitage de la mort certaine. Il adore interpréter la mort sur sa gratte. Il colle bien au titre d’«Anything But The Blues», une pure merveille. On sort de cet album éberlué.

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             Il récidive quelques années plus tard avec un Americana 2. Il commence par espagnoliser avec «La Madrugada», il s’y veut limpide et purpurin. Il part en longue dérive de blues pour «Blues For Mother Road» et amène «Apache Creek» à coups de banjo. On l’entend chevaucher dans l’eau, il pousse bien le bouchon des vignettes sonores. Il envoie une belle coulée de guitares dans «Looking For Charlie In Nogales» et sa guitare fait loi dans «White House». Il ressort ses plus gros arpèges et il remonte dans le courant du paradis. Quelle merveille. Il reste dans le grand art avec «Ghosts In The Sycamores». L’Old Chapman impose sa loi. Fully qualified survivor ! 

             Si les Américains l’adulent, c’est sans doute à cause de sa passion pour l’Americana. Steve Gunn dit qu’Old Chap is trying to go for this Big Bill Broonzy style. En fait, il est plus reconnu aux États-Unis qu’en Angleterre : des gens comme Kurt Vile, Bill Callahan et Steve Gunn l’adulent.

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             Il existe aussi trois volumes de Growing Pains. On peut écouter les deux premiers, ça ne mange pas de pain. Ces albums sont des compiles d’enregistrements live et en studio. Il démarre avec une belle cover du «Key To The Highway» de Big Bill Broonzy qu’il gratte à l’ongle sévère, pas de plus bel hommage, il y va, il s’y connaît en ongles secs, et le chant, c’est du bonus. Comme il est blanc, il fait de son mieux pour chanter le blues. Il fait ensuite une âpre version de «See See Rider» et se tape un numéro de virtuose avec «Let Me Go Home Whiskey», il gratte all over la gratte, c’est du cirque, les enfants applaudissent, il gratte tout ce qu’il peut, c’est un forcené. Puis il tape dans «Parchman Farm». Il reste cool, il ne fait pas son Cactus - I’m sitting here in Parchamn Farm/ And I’ve never done no man no harm - Il ressort ses vieux coucous, «Anniversary» et «It Didn’t Work Out» qu’il gratte à l’ongle sévère, et plus loin, il rend un hommage superbe à Tim Hardin avec «Reason To Believe», un hit inexorable enregistré live in Southampton. Globalement, il ne faut rien espérer de plus que du gratté de poux, mais quel gratté de poux ! Il gratte encore tout ce qu’il peut sur «A Scholarly Man». Il revient en studio avec «Here We Go Again» et du coup, il a trop de son. Il passe de rien à tout. Il s’amuse à groover «Dangerous When Sober» comme un punk. Il se veut libre et sans patrie.

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             On continue d’explorer l’Old Chapland avec Growing Pains 2. Il semble parfois vouloir faire exploser l’austérité et il démarre avec une cover du «Rockport Sunday» de Tom Rush. Il ressort son vieux «Andru’ Easy Rider». Comme Fahey, il gratte dans la nature, il explore les possibilités du manche. Il oublie parfois de chanter. Nous restons chez les Presbytériens avec «Not So Much A Garden» : ici pas de mélodie ni de miracle. Il suffit de regarder la bobine d’Old Chap. Ce n’est pas le genre de mec qui rigole. Les Anglais ont ce goût très prononcé par la grande austérité. «Time Enough To Spare» est enregistré live à Southampton en 1969, toujours avec Keef Hartley  au beurre. C’est bardé de guitares aériennes, Old Chap croise le fer avec Ray Martinez. Encore une belle merveille avec «How Can A Poor Man Stand Such Times And Live», un accordéon amène du grain et les chœurs de filles sont un chef-d’œuvre de discrétion. Ah comme les clameurs sont belles ! On comprend qu’Old Chap n’aurait jamais pu devenir une superstar, et c’est tant mieux.  

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             Plaindealer qui date de 2005 grouille d’Americana, enfin de fake Americana. Le meilleur exemple en est «Ramon & Durango» qu’il chante d’une voix de vieux desperado. Il fait aussi un clin d’œil aux Cajuns avec «Bon Ton Roolay», mais il pousse trop sa voix de cancéreux. Ça finit par éreinter la patience. Il démarre avec un «Streamline Train» qui n’est pas celui de Jessie Mae Hemphill, c’est du low mama embarqué au gratté de poux. Il attaque un peu plus loin un délire de 10 minutes intitulé «Anniversary». Il n’a peur de rien, il chante un peu comme Lanegan, le pire c’est que c’est beau et même extrêmement beau, complètement hanté, ce démon d’Old Chap tient bien la distance, et comme il attaque le final en contrefort, on se prosterne. Il amène «Georgia Gibson» aux arpèges du paradis et ça atteint des hauteurs subliminales. Pur Old Chap ! Dans «Deportees», il nous transporte à la frontière mexicaine avec sa voix d’agonisant et ses coups d’acou sonnent comme le glas. Tout aussi excellent, voici «Moonlight Ride», l’Old Chap fait sa mauvaise tête, il chante comme une teigne - Maybe it’s time for desperation - Le pire, c’est que c’est excellent. Il retrouve sa voix de cancéreux pour «Victory & Defeat», on entend sa glotte racler le charbon. Il travaille toujours ce mélange d’ambiance au chant et de symbiose d’acou, comme les autres grands louvoyeurs britanniques, John Martyn et Richard Thompson. On voit soudain l’Old Chap chercher le hit avec «Youth Is Wasted (On The Young)», il chante à la profondeur des mines du Pays de Galles et sa guitare enchante les boyaux. C’est bien éclaté dans la longueur, il chante un peu comme un con mais sa gratte sonne bien, il joue des délicatesses extravagantes et c’est relancé à coups de retours de manivelle.        

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             Quand il enregistre Sweet Powder en 2008, Old Chap a pris un sacré coup de vieux. Il a 70 balais. Il y fait une superbe cover d’«Hi Heel Sneakers», bien noyée sous la purée - Put on your red dress baby - Il s’énerve et devient le roi de la fake Americana, il joue ses classiques jusqu’à l’oss de l’ass. Il refait son desperado avec «A Spanish Incident» qui est en fait «Ramon & Durango». C’est infernal car il a du son, et une niaque de wild guy de la frontière. Même chose avec «Waiting For A Train». Il ressort aussi son vieux «Rabbit Hills», qui date du temps béni de Fully Qualified Survivor. Fabuleux singalong - or is it my imagination again - Il fait son Ry Cooder avec «In The Valley», il gratte son biz, il chante aussi «I Thought About You» à la gorge profonde. Il termine avec «Which Will», dans l’esprit de Steve Earle, il travaille un folk-rock américain chargé de son et d’histoire, à la voix sourde. Il finit toujours par impressionner.

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             Enregistré en 2010, Wrytree Drift est un album intéressant pour trois raisons. Un, «Soulful Lady», ressuscité. Il y fait du Lanegan à l’agonie. Il coule du liquid feel dans le groove et ça tourne à la magie. L’Old Chap sait faire durer le plaisir. Deux, le morceau titre, il y coule son groove aux arpèges de cristal mou, et le solo s’écoule comme chargé de lumière, alors on l’écoute jusqu’au bout, même si c’est long. Pas question d’en perdre une miette. Trois, «So Young», où il plonge dans un deepy deep à la Nick Drake, mais bizarrement, ses eaux troubles restent lumineuses. Il éclaire ça au riffing de vieil apothicaire. L’Old Chap est un mec passionnant, et puis il y a cette omniprésence du gratté de poux électrisé, ça finit par devenir toxique. Et il prend son temps. Chez lui, la notion de temps est fondamentale. Avec «Another Story», il se positionne à la croisée des chemins de Nick Drake et de Lanegan. Haunting presence, dirait un Anglais. L’Old Chap vise les climats, il propose un rare mélange de chant profond et de musicalité. On le voit plus loin gratter tout ce qu’il peut dans «Wish I Was A Twig». Il joue comme un vieux cowboy un peu trop surdoué. Il n’amuse que lui, en fait. Si t’es pas content, c’est pareil. Il nous refait un petit coup de «Parchman Farm» et refait son Lanegan avec «Blue Season». Avec l’Old Chap, ça reste solide jusqu’au bout, il faut le savoir. Inutile d’espérer un cut foireux, il veille au grain du son, il connaît toute les ressources des arpèges, son «Dewsbury Road» est une merveille, il gratte ça à l’exelsior.

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             Attention avec ce Pachyderm paru en 2012 : l’Old Chap propose un cut par face. Le morceau titre est une variation sur un accord gratté dans l’écho du temps, un arpège intermittent. Il crée ainsi une ambiance étrange et au bout de dix minutes, on comprend qu’il ne se passera rien de plus : 24 minutes de variations sur le même thème. Pinnock dit que c’est l’album le plus expérimental d’Old Chap. Toute la difficulté va consister à revendre l’album à un prix correct.

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             En février 2016, Old Chap et Andru prennent l’avion pour New York. Ils se rendent au Black Dirt Studio pour enregistrer 50. Bridget St John qui le connaît depuis 1968 fait aussi partie de l’aventure. «A celebration of Chapman’s half-century career», nous dit Pinnock, «enregistré avec un crack team of American musicians, including Steve Gunn et d’autres.» Et il ajoute : «It’s denser and glossier than much of his work, but that, as he explained, was the point.» Et Pinnock lui donne 9/10. C’est vrai qu’on y retrouve pas mal de vieux coucous, comme le fameux «Spanish Incident (Ramon & Durango)» qui devient ici un heavy cowboy movie - Drinking rough red wine - in a Basque road side bar - As the sun rises just like Lazarus - Power monumental ! L’Old Chap se pend pour Cash, c’est du recuit, mais quel recuit ! C’est avec cet album qu’on réalise à quel point l’Old Chap est bon. Il a de grosses compos, comme ce «Sometimes You Just Drive». Admirable, et même plus qu’admirable, c’est bourré de son et d’espoir, il a de la musicalité plein ses soutes. Les guitares font merveille dans «The Mallard». L’Old Chap y crée de la magie, c’est furieux, fin et racé à la fois, gratté sous le vent, tu as là un son plein comme un œuf, les arpèges génèrent de la magie. Il ramène aussi son vieux «Memphis In Winter», qu’il tape au gratté évangélique. Il développe parfois des heavy grooves sans intérêt («The Prospector»), mais bon, les guitares scintillent sous le soleil de Satan, the guitars first ! Encore un numéro de cirque avec «Falling From Grace», l’Old Chap reste fidèle à son art jusqu’au bout, il fait du Fred Neil en plus grave. Il ramène encore énormément de son dans «That Time Of The Night». C’est l’antithèse du rock électrique, l’Old Chap fait tout à la main, il reste intense, noueux, puissant, concentré, sec et déterminé. Il travaille ses mélodies dans la poudreuse du crépuscule. Dans un vieil Uncut de 2017, Jim Wirth encensait le 50 d’Old Chap. Wirth rappelle qu’en cinquante ans, l’Old Chap n’a pas eu beaucoup de succès, alors cet album est un peu sa revanche. À l’âge de 76 ans, il serait temps. Apparemment, des gens reprennent ses chansons : Bill Callahan, Ryley Walker et Kurt Vile. C’est justement le guitariste de Kurt Vile, Stev Gunn, qu’on retrouve sur 50.   

             Old Chap confie à Pinnock qu’il n’était pas très content du mix de 50, «but Andru talked to me». Pour éclaircir son point de vue, il ajoute : «Il y a deux façons de mixer un enregistrement : you can put everything flat across the front, which I always do, or you can make it very dense, and that’s 50. It’s just a different way of mixing records.» 

             Mais en fin de conversation, l’Old Chap avoue qu’il ne s’en sort pas très bien - I’m trying to take it easy, but I’m not doing very well - Il avoue être resté un sale caractère, a really bog-bottom working-class bloke - Si un mec m’appelle pour jouer en concert, j’hésite à lui dire non de peur qu’il ne me rappelle pas.   Pinnock qui ne rate pas une seule occasion de faire l’intéressant fait remarquer à l’Old Chap qu’il a enregistré énormément de disques. Pour amener de l’eau au moulin d’Alphonse Pinnock, l’Old Chap sort une petite anecdote : «Quand j’étais en tournée avec Bill Callahan, un mec au Troubadour m’a dit que Bert Jansch enregistrait un album tous les dix ans et moi un album toutes les dix minutes. Et j’ai répondu : ‘Well I like doing it.’» Et il ajoute, d’une voix sourde : «I love playing. I’ve never used a setlist, I’d be bored to tears. That’s the point in playing solo to me, there’s no restriction. All there is, is freedom.» La liberté, c’est tout ce qui compte.

    Signé : Cazengler, Michael Chapelure

    Michael Chapman. Disparu le 10 septembre 2021

    Michael Chapman. Fully Qualified Survivor. Harvest 1970

    Michael Chapman. Wrecked Again. Harvest 1971

    Michael Chapman. The Twisted Road. Mystic Records 1999 

    Michael Chapman. Americana. Siren Music 2000

    Michael Chapman. Americana 2. Moonscrest 2006 

    Michael Chapman. Growing Pains. Moonscrest 2000 

    Michael Chapman. Growing Pains 2. Moonscrest 2001 

    Michael Chapman. Plaindealer. Rural Retreat Records 2005          

    Michael Chapman. Sweet Powder. Rural Retreat Records 2008

    Michael Chapman. Wrytree Drift. Rural Retreat Records 2010

    Michael Chapman. Pachyderm. Blast First Petite 2012

    Michael Chapman. 50. Paradise Of Bachelors 2017

    Michael Chapman. The Decca Years 1974 to 1977. Moonscrest 2021

    Jim Wirth : 50. Uncut # 237 - February 2017

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    Ben Thompson : Hanging tough. Mojo # 279 - February 2017

    Tom Pinnock : Fully qualified survivor. Uncut # 238 - March 2017

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    Tom Pinnock : Fully qualified outsider. Uncut # 295 - December 2021

     

                                       Inside the goldmine

                                      - I’m not like Everyother else

                Nous étions deux frères et en ce temps-là notre jeu favori consistait à épier les allées et venues nocturnes des gens du village. Nous nous cachions la nuit dans les dunes. Ces mystérieux déplacements embrasaient nos imaginations au point que nous sentions germer en nous une vocation de bandits de grand chemin. Pour l’heure, nous nous contentions de revêtir les panoplies de mamelouks que nous avait offertes l’oncle Oussama au retour d’un voyage à Constantinople. Une nuit, nous vîmes arriver à dos de mule cet homme qu’on connaissait. Son visage en forme d’amphore et son fort accent méridional nous faisaient beaucoup rire. Il transportait amarrées au collet de la mule deux immenses jarres en terre cuite. Nous décidâmes de le suivre discrètement. Bien que cheminant dans le sable, il avait enveloppé de chiffons les sabots de la mule, ajoutant du silence au mystère de son équipée nocturne. Les gens le connaissaient sous le nom d’Ali Baba. La pleine lune nous permettait de le voir comme en plein jour. Il se retournait régulièrement pour vérifier qu’il n’était pas suivi. Il devait couver un bien grand mystère pour rester ainsi sur ses gardes. Il arriva enfin au pied d’une falaise. Il descendit de la mule et alla déplacer les buissons d’épineux qui semblaient masquer l’entrée d’une grotte. Puis il prononça une phrase étrange : «Sésame ouvrrre-toi !». Nous entendîmes un horrible grincement et Ali Baba s’engouffra dans une bouche d’ombre. Nous allions nous endormir lorsqu’il reparut. Il remonta sur sa mule et fit demi-tour. Bizarrement, il repartait avec ses deux jarres en terre cuite. La nuit suivante, nous nous rendîmes à la falaise, écartâmes des buissons d’épineux et prononçâmes la phrase mystérieuse. Nous nous engouffrâmes à notre tour dans la bouche d’ombre. Fixées aux murailles, des torches éclairaient nos pas. Nous descendîmes quelques marches et débouchâmes dans une vaste pièce circulaire. En son centre trônait un autel de taille modeste. Nous nous approchâmes. Il s’y trouvait posé un petit objet carré et noir sur lequel figurait en lettres rouges le mot Everyothers. Nous ne pouvions pas nous douter que ce mot allait bouleverser notre destin. 

     

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             D’autres victimes de ce sortilège le confirmeront : on ne ressort pas indemne de l’écoute d’un album comme celui-ci. The Everyothers date de 2003, donc de vingt ans, mais il reste d’une sidérante actualité. «Can’t Get Around It» te concasse l’office. Le cut dégage une haleine brûlante, à la fois Pistols, Beefheart et Stooges, c’est aussi le souffle du glam de Bowie, welcome in the demented back alleys du rock, chasin’ around yeah, chasin’ around yeah !

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    Le mec qui préside aux destinées des Everyothers s’appelle Owen McCarty et il se dresse comme l’apôtre du heavy glam. Il emboutit l’art au cul pincé, il donne l’extrême onction du glam dans sa représentation la plus extrême, Surprise Surprise, ce mec claque sa chique à la démesure, sur fond d’arpèges de la mort. Il chante «Make Up Something» sur une terrasse à peine voilée face à la vallée. Il chante le power du monde, ça ne demande qu’à exploser, là-bas, au loin, sous l’horizon, comme chez Adorable. Mais il décide de tout fracasser avec «Like A Drug», la violence l’emporte sur la beauté, il descend sur le râble du chant avec un aplomb terrifiant. Il trempe dans le heavy dudisme. Après les heavy dandies, voici venu le temps des heavy dudies. Ce mec en plus en a la gueule. Hey ho ! Il embarque tout dans sa dérive totalitaire, il explose cet album-sortilège cut after cut. Il s’arrache à la démesure avec «Get Down Soon», heavy glass de beautiful glam. Il se bat au ceinturon, il rugit comme un lion blessé, il claque sa chique à l’inespérée. Mis à part Johnny Rotten et Iggy Pop, personne n’atteint de tels sommets. Il claque son beat à la porte d’airain, il invente de nouvelles arcanes. Il traîne «Break That Bottle» dans le déjà connu, il chante ça par dessus bord, il jette sa Bottle au loin, beaucoup plus loin que tu n’imagines. Fuckin’ genius ! Il dispose des perceptions de l’inception, il a plus d’espace devant lui que Bowie n’en eut jamais, il est dans l’art de l’exponentiel, dans le gusto collectiviste. Il revient au heavy groove avec «In My Shoes», mais à ce stade il n’a plus rien à prouver. Il vole tranquillement au dessus du nid de cocos et s’en va allumer les putes de fin de cut. Il incarne le rêve des pères fondateurs. Il surplombe l’art élégiaque. Il est l’Everyother, l’emblématique. Il emmène son monde jusqu’au bout et lance un goodbye déchirant dans «Dead Star». Il n’en finit plus de se barrer.

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             Alors après, tu n’as plus que tes yeux pour pleureur. C’est-à-dire qu’il n’existe plus que des singles. Il faut savoir s’en contenter. En 2006, il en paraît deux, Like A Drug et Pink Sticky Lies. «Like A Drug» sort de l’album, mais c’est bien de pouvoir l’écouter sur un single. Owen McCarty casse bien sa baraque, il chante au revienzy, avec cette hargne spectaculaire qui regorge de brio. De l’autre côté, «Whatever You Want» rivalise de monstruosité. Ça bat aux forges de Vulcain. Owen McCarty harangue le rock avec une classe écœurante, il va plus loin que tous les autres dans l’edgy, il module ses syllabes dans les flammes. Il est le maître des enfers miam-miam.

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    L’autre 45 est un quatre titres. Ouverture du bal avec un «Too Far» bombardé de son, Owen McCarty se refait croisé du yeah yeah yeah, ça monte vite en neige, croyez-le bien, c’est excellent, mais comme tout ce qui est excellent, ça n’intéresse plus grand monde. L’indifférence et la médiocrité ont fini par avoir la peau des grands chanteurs de rock. Owen McCarty continue néanmoins de rocker son lard avec «Drive With You», un extraordinaire pulsatif digne d’entrer dans les annales. Il n’en existe pas beaucoup d’équivalents dans le monde moderne. Alors tu écoutes ça, tu te dis : ah tiens, voilà un chanteur exceptionnel, et tu te poses la question : mais enfin, pourquoi n’est-il pas célèbre ? Serait-il trop énorme ? Ce fabuleux meneur embarque ensuite «Pink Sticky Lies» à l’assaut du ciel et il finit en bon maître de cérémonie avec «A New Inebriation», l’occasion pour lui de ramener une dégelée de bon vieux glam, comme s’il voulait faire un petit cadeau aux inconsolables.

    Signé : Cazengler, everyjobard

    Everyothers. The Everyothers. Sidecho Records 2003

    Everyothers. Like A Drug. Kill Rock Stars 2006  

    Everyothers. Pink Sticky Lies. Kill Rock Stars 2006

     

    L’avenir du rock

    - Harding moussaillon !

             Laissé pour mort dans le désert, l’avenir du rock revient à lui. Il parvient à se relever et à se remettre en marche. Lui revient alors en mémoire l’apparition de Lawrence d’Arabie. Au fond, il n’en veut pas à Lawrence de l’avoir abandonné. Lawrence le croyait foutu. À sa place, on aurait tous fait la même chose. Il se dirige vers le soleil couchant. Il marche toute la nuit en claquant des dents et au lever du soleil, il aperçoit soudain dans le ciel deux hommes volants. Ils sont face à face et le plus fort serre l’autre dans ses bras. L’avenir du rock leur fait signe, Ohé ! Ohé ! Ils approchent et atterrissent à la verticale. L’homme aux cheveux rouges qui transportait l’autre en le serrant dans ses bras lâche son passager et se tourne vers l’avenir du rock :

             — Qui es-tu ?

             — Je suis l’avenir du rock...

             — Ta place n’est pas ici !

             L’homme aux cheveux rouges est torse nu. Il porte sur la poitrine une plaque d’acier attachée par le cou. Des versets en langue arabique y sont gravés. L’homme fixe l’avenir du rock d’un air mauvais :

             — Hé bien, avenir du rock, pourquoi ne trembles-tu pas ? Ne sais-tu pas que je suis un démon ?

             L’avenir du rock éclate du rire. Trop d’incongruité. Décidément, ce désert réserve bien des surprises !

             — Et pourquoi devrais-je vous craindre, monsieur le démon ?

             — Tu ne sais donc pas ce que sont les démons des Mille et Une Nuits ? Regarde bien, avenir du rock, je vais Pasoliner Shahzaman !

             Le démon se tourne vers le jeune homme brun et tend la main vers lui, le transformant en singe. Le démon éclate de rire, alors que le singe s’éloigne en jappant.

             — Alors me crains-tu à présent ?

             — Franchement, je ne comprends pas votre logique, monsieur le démon. Vous vous croyez malin mais vous Darwinez à l’envers ! Ôtez-vous de mon chemin, vous me décevez.

             Fou de rage, le démon tend la main vers l’avenir du rock :

             — Je vais te Darwiner dans le bon sens, misérable !

             Il transforme l’avenir du rock en Curtis Harding.

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             Tout est bien qui finit bien, car Curtis Harding repart dans le désert avec une guitare sur l’épaule et des grandes lunettes noires rococo sur le nez. Curtis ne le sait pas, mais il doit une fière chandelle à Pasolini. Basé à Atlanta, Curtis a enregistré trois albums en sept ans, trois albums très différents et tous très passionnants. L’idéal serait d’y mettre le nez.

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             Pas d’infos dans le digi du Soul Power paru en 2014, mais Curtis est là. C’est l’essentiel. Il approche de ses cuts avec des mains baladeuses : très spécial, «Castaway» sonne comme un cut de pop aventureuse qui ne doit rien à la Soul, mais ça reste une pop black. Big présence. Curtis sait exactement ce qu’il veut. Il drive son biz à la black, parfois Soul, toujours Harding, sur un beat énorme digne du Spencer Davis Group («Keep On Shining»). Ça devient vraiment passionnant avec «Freedom». Curtis échappe à tous les cadres, il vise le groove électrique. Il devient une mine d’or avec «Surf». C’est aussi infernal que le Nathaniel Meyer de «White Dress». Il tape dans le white power et ça devient monstrueux. Ce «Surf» est une merveille terrifique, bardée de Detroit sound et de solos. Curtis est un black God tatoué dans le cou. Il crée une ambiance énorme avec «I Don’t Wanna Go Home». Il fait du rock de blancs. Avec «The Drive», il vise la grandeur incommensurable, il devient une sorte de prince de la pression, une pression qu’il gère à la main lourde. C’est puissant et convaincu d’avance. L’album devient fantastique avec «Heaven’s On The Other Side», un drive sa Soul sur un diskö beat des meilleurs auspices. Curtis est un punk, il faut le voir shaker son «Drive My Car», il joue le jeu, Curtis is the king, en fait il se prête à tous les jeux - I just want to drive/ My/ Car - Ça joue au boogie rock des blancs, il s’engage dans un délire compliqué. Impossible de comprendre pourquoi l’album s’appelle Soul Power.       

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             Trois ans plus tard paraît Face Your Fear. Torse nu sur la pochette et groove avec le morceau titre. Il va sur une Soul plus ambitieuse, très belle, gorgée de son et d’horizon, it’s okay - Just face your fear - C’est un maître chanteur assez powerful, il mène une sacrée farandole, c’est le groove du Marvin des temps modernes. Puis il enchaîne trois énormités : «Go As You Are», «Till The End» et «Need Your Love». Il lance sa Soul avec des accords de reverb et des tablas, il se paye toutes les audaces, il devient le futur de la Soul - Go as you are/ Don’t come back the same - Il va chercher le meilleur groove pour «Till The End», les filles répondent comme elles peuvent. Curtis a le power, mais un power contenu, et c’est claqué aux guitares de Los Angeles. Il transforme son album en aventure extraordinaire, c’est le nouveau défi, les blackos prennent le pas sur les blancs, Curtis y va à l’énergie maximaliste d’I need your love baby, c’est du Stax moderne géré au break de basse demented, il surfe sur une vague de rêve. Pas de meilleur power ici bas. Il passe au gratté d’acou pour «Welcome To My World», c’est très blanc dans l’essence, il va cependant droit sur Terry Callier au chant de swing absolu, il se fond dans l’excellence d’une Beautiful Song, il chante à mi-voix et crée de l’enchantement. Il chante son «Dream Girl» à la levrette sur un heavy bassmatic de rêve et il se montre assez heavy dans l’expression du Harding avec le «Wednesday Morning Atonement» d’ouverture de bal. Il se fond dans sa psyché psychique d’excellence, il crée son monde, c’est aussi âpre que les falaises de marbre, il va même chercher des développements de prog. La belle Soul de «Ghost Of You» colle bien à la peau, chantée à la clameur des copains avec de belles chutes de tension. Il fait une Soul sensitive, il vise l’éclat mordoré, son I know est un chef-d’œuvre d’emprise. Puis il va chercher la grandeur à la force du poignet avec «Need My Baby». Il ramène des élans somptueux, il vise l’éhontée cabalistique, le sommet du lard fumant. Curtis Harding a du génie, qu’on se le dise.     

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             Pour la promo de son troisième album, Duncan Fletcher se fend d’une belle double dans Shindig!. Il indique - ce qu’on savait déjà - que Curtis propose un mix capiteux de vintage funk, R&B, symphonic Soul, psychedelic rock, rap and hip-hop. Fletcher rappelle que Curtis vient du Michigan et que sa mère chantait le gospel in the Menmonite church. Quant à son père, il fricotait avec des gens du Tennessee comme BB King, Isaac Hayes and all these guys. Côté influences, Curtis cite Curtis, forcément, le Mayfield de Chicago, et Sly Stone - He had the funk, he had the rock, Soul gospel, he had everything - Deusner refait deux pages sur le troisième album de Curtis dans Uncut. Il parle cette fois d’une «fantasia of sound, intricately arranged and produced, qui change en permanence et qui saute d’une idée à l’autre, pleine de références historiques et d’odball sons sortis de son imagination». Cette fois il parle d’un mix d’«old school Soul, private-press R&B, trippy psych rock, soft jazz, hard funk, catchy pop, gospel, rap and everything in between».  Deusner situe Curtis dans la vague du Soul revival qui a émergé dans les années 2000  et bien sûr il cite Leon Bridges et les Boulevards de Caroline du Nord. Quand Deusner écoute Curtis, il entend l’autre Curtis, celui de Chicago, Mahalia Jackson, Parliament, Pink Floyd, Miles et Stevie. Pardonnez du peu. Après avoir circulé dans le Gospel circuit avec sa mère, Curtis s’est installé à Atlanta où il a commencé à fricoter avec Mastodon et les Black Lips. 

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             Le titre de son troisième album, If Words Were Flowers lui vient de sa mère qui lui disait : «Give me flowers while I’m still here.» Du bon sens près de chez vous. Première énormité avec le morceau titre en ouverture de bal. Curtis tape dans la Soul avec des moyens énormes et il t’embarque aussitôt. Il crée un Wall of Sound superficiel, mais ça fonctionne, car la trompette relaye, et quand la trompette va, tout va. Il fait ensuite un peu de hip-hop avec «Hopeful» et revient au big r’n’b avec «Can’t Hide It». Des filles entreprenantes le rejoignent très vite, Curtis adore les filles entreprenantes, il adore aussi le fast drive de big day out et l’ensemble donne une énormité bien envoyée. Curtis veille à rester dans un r’n’b bien identifiable. Il ne brûle pas les ponts comme l’autre bridgeur de Leon. Il s’aventure aussi dans des territoires inexplorés, ceux du groove moderne («Explore»), et plus loin, il essaye de créer l’événement avec «The One Camp», mais il faut se lever de bonne heure pour créer l’événement. Pourtant son baby I’m the one sonne bien. Il faut attendre «Forever More» pour retrouver un peu de viande. Il revient en force - Can’t keep my cool - et renoue avec l’éclat de son Soul Power, cette douce arrogance soulignée par un solo de trompette. Il travaille l’«It’s A Wonder» à la caverneuse d’oh yeah et termine en beauté avec «I Won’t Let You Down», un puissant heavy groove de prévenance - Take your time/ Don’t worry baby - Curtis accorde du temps au temps, la sagesse vient du black power, comme chez Isaac le prophète, et c’est en place, alors on peut parler d’un Curtis Power.

    Signé : Cazengler, Curtis Radis

    Curtis Harding. Soul Power. Burger Records 2014     

    Curtis Harding. Face Your Fear. Anti- 2017          

    Curtis Harding. If Words Were Flowers. Anti- 2021

    Duncan Fletcher : In with the love crowd. Shindig! # 121 - November 2021

    Duncan Fletcher. Chronique d’ If Words Were Flowers. Uncut # 295 - December 2021 

    *

    Mal m'en a pris. Le deuxième album de Grey Aura m'ayant séduit ( voir KR'TNT ! 539 du 20 / 07 / 2021 ) j'ai décidé de chroniquer leur premier opus. Mes connaissances en néerlandais sont limitées, surtout quand il s'y mêle, d'après ce que j'ai compris, des mots d'un dialecte néerlandais d'origine belge, et vraisemblablement des mots de vieil Néerlandais. Le lecteur devra me pardonner mes hypothétiques approximations.

    Ce disque évoque Barentz qui à la fin du seizième siècle entreprit de trouver le passage du Nord-Est qui raccourcirait le voyage vers l'Inde, en passant au nord par les eaux du cercle polaire... La pochette évoque le moment crucial, où la mer se charge de glace nous   aurions préféré la toile Mort de Barentz (voir plus bas ) de Christiaan Julius Lodewyck Portman peinte en 1896.

    Le disque se présente sous la forme d'un double album enregistré en 1913 et 1914. Il est paru en novembre 2014. Il existe de par le monde un nombre important de concept-albums. Dans beaucoup de cas, les artistes traitent le thème projeté sur trois ou quatre morceaux et rajoutent quelques titres qui n'ont pas beaucoup à voir avec le projet. Ici chacune des  plages décrit une des étapes du périple du navigateur  Willem Barentz  ( 1550 – 1597 ) qui y laissa la vie... Le lecteur français se rappellera un des premiers Voyages Extraordinaires de Jules Verne : Les aventures du Capitaine Hatteras.

    ( Waerachtighe beschryvinghe van drie seylagien, ter werelt noyt soo vreemt ghehoort )

    VERITABLE RELATION DU TROISIEME VOYAGE

    DE WILLEM BARENTZ

    AUX CONFINS DU MONDE GLACé

    GREY AURA

    ( Blood Music / Novembre 2014 )

     

    TJEBBE BROEK :  guitar, percussion, bruitage, synthesizer, Spanish guitar / RUBEN WIJLJACKER :  vocals, lyrics, guitar, percussion, foley, synthesizer, mixing / BAS VAN DER PERK : drums, percussion  / 

    Voix : Menno de Groot : Gerrit de Veer ( officier qui a participé au troisième voyage et qui en a laissé un récit ) / Arie Vermeer : Willem Barentz / Eric van Esch : Jacob van Heemoherck  /  Maxim Slepier : matelot russe / Korn Makkelie : voix diverses.

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    Prologue : un clapotement de batterie, scène de film, manifestement les préparatifs, deux navires à quai,  bruits divers, cheval, voix, on ne comprend rien, on imagine, des pas sur la dunette, une grosse voix autoritaire, le Capitaine s'adresse à son équipage, les prévient que la navigation ne sera pas des plus simples. Vers le Nord : sans préavis une musique ample et lyrique nous enveloppe, la tension monte, le chant comme un chœur de marins englué dans la pâte musicale, mais la voix devient sinistre, ils étaient partis la rage de vaincre chevillée au corps, ils n'ignoraient pas l'importance et la témérité de l'entreprise, mais le soleil se voile, la brume les entoure, le voyage continue, au loin de merveilleux cygnes blancs apparaissent, les icebergs ne sont que les signes avant-coureurs de la banquise qui s'étend à l'infini sur laquelle il ne faut pas se fracasser, Barentz navigue au plus près pour éviter les dangers, ce n'est pas encore la peur, mais s'instille un sentiment d'incertitude, la partie s'avère plus difficile que rêvée, entre deux périls une certaine monotonie marquée par le rythme qui se scande, le courage revient dès qu'il faut faire face, les voix se sont tues, le navire glisse dans la brume, il a échappé à la barrière de glace, des riffs de guitare mélodramatiques sont de plus en plus en plus inquiétants, au loin apparaît une terre que l'on devine inhospitalière. L'île aux ours : l'appel de l'aventure éblouit le cœur des hommes, la musique défile à toute vitesse, un chant immense soulève les âmes, pourtant la terre est toute blanche, désertique sans arbre, qu'importe on descend un canot qui fonce vers les falaises sans ouverture, l'on parle, l'on n'en pense pas moins, rugissements du vent dans lequel planent des oiseaux tempétueux, rien de bon ne peut survenir de ce monde blanc et froid comme un immense cadavre, souque, souque matelot, droit devant, nous sommes dans un opéra symphonique, la musique emporte tout sur son passage. Keerwijck : souffle le vent, imperturbablement, le bateau avance, des oiseaux crient, l'on discute âprement, quelques arpèges de piano et un récitant qui conte le long voyage qui ne mène nulle part... Dispute : roulements de tambour il a fallu retourner, les esprits se tendent, musique implacable, entre les deux bateaux un désaccord surgit, faut-il monter encore vers le nord ou tourner vers l'ouest, lyrics grondeurs chargés de colère, qui l'emportera, aucun des deux, chacun suivra sa route, une brume épaisse recouvre les deux navires, chacun ira vers son destin. Le vent soufflait : la musique se traîne mais avance gaillardement, tout comme le navire qui tire bordée après bordée, l'important est de tenir le cap sans se décourager, parfois des champs de glace se forment mais l'étrave du bateau peut encore les disloquer, tenir, tenir, devant l'immensité nordique qui recule sans cesse au fur et à mesure que l'on avance, des géants de glace se dressent à l'horizon, la tension est à son comble, chant d'équipage rugissant et musique expressionniste, ils ont louvoyé, ils sont  passés entre les iceberg, terre en vue. Le vent souffle. L'île de la Croix : juste le vent, des voix qui interpellent le chef, des bruits de pas crissent dans la neige. Cet opéra rock est construit comme une opérette ( le mot ne convient guère ). Les fragments parlés ne font pas progresser l'action, sont distribués comme de très courts plans qui font la jonction entre deux scènes d'un film. La côte de la Nouvelle Zemblie : le vent toujours, le vent sans cesse, la musique n'est plus qu'une plainte lugubre, un mur de glace les entoure, la tempête se lève, dans ce chaos de glacier illustré par un feu de guitare Barentz tente une manœuvre désespérée, le navire est arrimé derrière un énorme morceau de glace qui le dépasse de plusieurs mètres, sans doute la mer poussera-t-elle les immenses glaçons vers le Sud, ils doivent se rendre à l'évidence leur glaçon est plaqué contre la banquise et ne bouge plus, la mer de glace s'écoule mais eux restent collés et immobiles. Les voici bloqués contre  la côte de la Nouvelle Zemblie, cette île interminable qui longe la côte russe. Une mer glaciale : ( vocal : Wessel Reijman ) : la musique s'est faite glace, elle glisse sans fin, ils se sont détachés de leur ventouse, le vent souffle et les voici en pleine tempête, tantôt vers le sud, tantôt vers l'est, ils aimeraient passer de l'autre côté de l'île de la Nouvelle Zélinde  mais ils sont obligés de descendre vers la côte russe à des centaines de kilomètres au nord de Saint-Pétesbourg, les rivages sont inhospitaliers, pas d'ours ou d'oiseaux à chasser, la musique s'affole, le temps presse, l'hiver n'est plus très loin, la musique se hâte, il faut se sortir du piège au plus vite, mais les éléments seront plus forts qu'eux, l'on n'entend plus que le vent, la glace qui s'entrechoque, la mer qui se ferme, le piège qui se transforme en nasse, la main inexorable du destin qui se referme sur eux en une immense clameur silencieuse. Intermède I : givre : ( violon : Sagitte de Ruich ) : musique moqueuse, le violon chante, malheur au vaincus, les cordes du violon grésillent, givrées, glacées, intermède ironique. Le rire de la mort annoncée. La cabane de survivance : est-ce le vent, sont-ce des hommes surgis de nulle part, ils sont descendus à terre, c'est le dernier combat pour la survie, avec des troncs d'arbres arrachés à la Sibérie qui ont dérivé avec les glaces du printemps, ils ont construit une cabane, précaire abri contre le froid, le gel, et le vent, musique violente, hyper-violente, lorsqu'elle s'arrête c'est pour reprendre sa course encore plus forte, encore plus violente, brutale, la voix explosive roule comme des trombes de neige hurlantes, elle devient insistante, il faut qu'elle peuple le silence de la mort qui avance à pas feutrés. Superbe morceau. Pays des ombres blanches. Sans fin. Monotonie et isolement : le vent encore et toujours qui déferle, emballement des guitares, ils se battent avec l'énergie des ours polaires, ils tentent d'améliorer leur cabane quitte à cannibaliser le navire, la plainte longue et monotone du vent qui souffle le froid et la mort, voix haletante, il  faut tenir coûte que coûte même s'ils ne sont plus que des fantômes essouflés, sous la froide lumière des étoiles, le vent et une voix sépulcrale qui raconte leur souffrance et leur combat, la musique forte et interminable se confond avec le vent, puis elle reprend et s'enfuit comme si elle savait comment tout cela se terminerait, et l'on murmure à nos oreilles des mots que nous ne comprenons pas mais dont nous n'ignorons pas le sens. Froid hivernal : juste le vent, des voix, l'une qui rit et se moque, l'autre qui se fâche.  Tricherie : musique glissante, gelée, une lueur rouge quelque part à l'horizon, annonce du printemps, le courage est là, il faut partir, avec des traineaux, surtout ne pas laisser le froid s'appesantir sur les corps, l'espoir et la joie propulse les instruments, même lorsque l'on stoppe pour reprendre souffle, l'espérance aiguillonne les hommes et les galvanise. Course vers le soleil, course contre la mort, se rapprocher du rivage, ne plus traîner, faire vite, la survie est là devant, il suffit de bander encore ses forces en un effort surhumain. Ce n'est plus le vent qui souffle mais la voix qui porte le souffle de la vie. Intermède II : Mer ouverte : intermède joyeux et bruit de vague, la mer est libre, mouvement de valse. La délivrance approche à grands pas. Arpents de glace : le navire a repris sa course, il vogue vers le nord et longe la Nouvelle Zemblie, la musique scintille, les cœurs débordent d'appétit de vire, bientôt ils doubleront le cap nord de l'île, ils seront vraiment sur le chemin de retour, il suffira de pointer vers l'ouest. Maladie : voix off, ils sont épuisés par le scorbut, la fin est proche... Absence de tout confort : ( vocal : Wessel Reijman, paroles du poëte national hollandais Hendrik Tollens 178o _ 1856 ) ) : musique dramatique, les éléments se déchaînent, les voici perdus, il n'y a plus de jour, il n'y a plus de nuit, juste un labyrinthe sans fin, des icebergs disloqués s'acharnent autour du bateau, il faut rejoindre le rivage, au prix d'un effort surhumain, ils y parviendront, mais l'épuisement les étreint, Barentz ne survivra pas, ses hommes le veillent. Il s'éteint. Il ne leur reste plus qu'à joindre leurs mains pour prier.

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    La voix s'égosille, elle conjure les éléments, rien n'y fait, le monde s'est empli de chaos, personne ne saurait s'y opposer. Ils ont lutté jusqu'au bout.

    Avouons-le ce premier opus de Grey Astra ne vaut pas leur deuxième album Zwart Vierkant. Un sujet original certes, mais traité d'une manière trop narrative. Un concept ne se raconte pas, il se déploie. Les intermèdes musicaux et parlés sont de trop. Ils entrecoupent l'audition de temps morts. Les morceaux violents n'en auraient eu que plus de force. Le son est totalement différent. La batterie n'est pas ce cheval fou qui mène le train sur l'ouvrage suivant. Dans ce disque c'est la voix des chanteurs qui joue ce rôle, c'est elle, rauque, lyrique, et récitative qui fomente les splendeurs orchestrales, aussi puissante à elle-seule que le chœur des matelots dans Le vaisseau fantôme de Wagner.  Une espèce d'orocktario, Un de  ces monstres antédiluviens surgis des abysses de la mer échoué sur les plages du black-metal.

    Damie Chad.

     

    RAUNCHY BUT FRENCHY ( 7 )

     

    BIG BAND AU CASINO DE PARIS

    EDDY MITCHELL

    ( Spectacle du 14 au 18 décembre 1993 )

    ( Polydor / 1995 )

    En 1995 Eddy Mitchell sort en même temps une triplette de trente-trois tours enregistrés en public. Le volume I,  je vous causerai je ne sais pas quand des deux suivants, un autre jour, peut-être, je ne suis pas un fanatique des disques live de Mitchell, trop glacés, trop déconnectés de l'ambiance de ses spectacles, qui ne donnent pas l'impression d'être vivants, un peu comme ces mammouths congelés que l'on arrache du permafrost sibérien, surtout à ne pas comparer au Palais des Sports de Paris de 1967, sur lequel la clameur insensée du public rendait inaudible l'orchestre et la voix de Johnny Hallyday. Ce Big Band au Casino de Paris, n'a pas marqué les mémoires, peut-être parce que le titre qui sonne un peu trop jazz a dû effrayer les fans amateurs de rock 'n' roll. C'est justement ce parti-pris je marche hors les clous et je piétine des plates-bandes peu fréquentées par les rockers purs et durs qui nous ont séduit. Les fans de rockabilly se souviendront que le leader des Stray Cats avait entrepris dès 1990 avec son disque Brian Setzer Orchestra une démarche similaire. Les rockers ne devraient jamais vieillir ou retomber en enfance en se souvenant des disques Louis Prima ou Franck Sinatra que les adultes ou leurs parents écoutaient lorsqu'ils étaient mômes...

    C'est très dur de rester rocker jusqu'au bout des ongles toute sa vie. Eddy Mitchell en est un parfait exemple. Passé la mi-temps de la trentaine ses textes évoluent, ils deviennent moins punchy, moins rentre-dedans, plus désabusés, un désenchantement psychique qu'il camoufle sous un vernis grinçant de sociologie hâtive, qu'il cache sous couvert d'humour. Non pas noir. Gris. En demi-teinte ironique. Ce qui ne l'empêchera pas encore d'écrire quelques lyrics percutants, mais qui n'ont plus rien à voir avec l'insolence débridée des années soixante.

    Dix-sept musiciens, nous faisons suivre leur nom d'une de leur autre activité   musicale afin de les situer dans le paysage musical français :

    Saxophones : Michel Gaucher, ténor, vieux complice des aventures mitchelliennes / Bruno  Ribera, ténor, Champs Elysée Orchestra / Patrick Bourgouin, alto, Orchestre de Jean-Claude Petit / Pierre Holassian, alto, Swing Family /  Gilles Meloton, Baryton, Grand Orchestre du Splendid.

    Trombones : Guy Arbion, bass, Paris Jazz Band / Bernard Camoin, Ornicar Brass Band / Jean-Louis Damant : Nicole Croisille.

    Trompettes : Eric Gousserand, Claude Nougaro / Kako Bessot, Swing Family / Michel Ragonnet, Ensemble Erwarton / Pierre Dutour, Claude Bolling Sextet.

    Keyboards : Yves d'Angelo, Michel Jonaz QuartetDrum : Kirk Rust, Dider Lockwood. Eectric bass : Evert Nerhees, musique de films.

    Electric Guitar : Basile Leroux, Jean-Pierre Danel / Jean Michel Kadan, David-Calvet-Kadjan.

    Chaque titre est suivi du nom de l'album dans lequel Mitchell l'a pioché, précédé de sa date de parution. On s'attendrait à ce que le disque débutât par Choco Choco Boogie espion bidon,  qui terminait l'album Made in USA ( 1975 ) reprise de Choo Choo Ch'Boogie de Louis Jordan ( interprété entre autres par Bill Haley ). Mais non, Mitchell ne s'est pas trop fatigué, l'a choisi ses titres parmi ses albums précédents, se contentant de modifier l'orchestration, ce qui donnera souvent à ce live censé être un hommage aux Big Bands, une allure beaucoup moins swing qu'attendu et pas plus proche des petits combos de rhythm 'n' blues d'après-guerre de Kansas City...

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    Je fais le singe ( Intro ) : ( 1978,  Après Minuit ) : cuivre + batterie, c'est parti, en voiture Simone, on eût aimé une fanfare annonciatrice digne des tonitruances de Bayreuth, mais non, ce n'est qu'un groove  d'une minute proprement emballé mais un peu passe-partout. Comment t'es devenu riche : ( 1986, Eddy Paris Mitchell ) : là y-a tout ce qu'il faut, une voix creuse et fluide qui ricoche sur les encoches cuivrées, et l'orchestre qui ruisselle de partout avec des cristaux de guitare éparpillés, des solos dans les coins, des draperies de trombes de trombones qui nous la sortent bonne et drue, plus un chorus de fin à repeindre la tour Eiffel en vert pomme. Y-a pas de mal à se faire du bien : ( 1993, Rio Grande ) : encore mieux, on critiquait l'intro, tout ce qui manquait nous est donné, ce grand déploiement de cuivres qui resplendit tel un soleil de midi, il triche un peu le Schmoll, l'a mis du blues dans son swing, sa voix ne flotte pas, elle pèse une tonne et blues oblige l'on nous sert un solo de guitare, un truc à vous déboucher les oreilles, d'autant plus que de de temps en temps vous recevez de grandes claques de trompettes à travers la gueule, survient un cri de rocker, faut lui pardonner ça lui a échappé, deuxième giclée de guitare, et l'on finit sur un écroulement de ferraille qui fait du bien. Fauché : ( 1964, Toute la ville en parle... Eddy Mitchell est formidable ) : le seul titre issu de la première moitié des années soixante, pas n'importe lequel, vraisemblablement la meilleure adaptation du grand Schmoll jamais réalisée, d'ailleurs en position d'entrée en face A, il s'agit du Busted de Ray Charles, cette version quoique fidèle à celle de l'album originel, n'apporte pas grand-chose, le dessin en paraît un peu trop dilué par des paroles (sans grand intérêt philosophique ) adressées au public. Le piano esbroufe le thème, mais ce que l'on attend c'est l'avalanche appuyée des cuivres, enfin ils arrivent... mais le pianiste se taille une part trop belle du gâteau, se termine trop brutalement. Un filon d'or pur qui n'a pas été exploité à fond. Le blues du blanc : ( 1984, Racines ) : belles larmoyances cuivrées en intro, Mitchell confond le blues avec la chansonnette de film américain des années cinquante, fin de soirée déprimante, du coup les cuivres ressemblent à des clinquances de ferblanterie. On n'y croit pas, le blues du blanc est déprimant, pas la moindre idée noire à l'horizon. Stressé : ( 1986, Eddy Paris Mitchell ) : bien envoyé, y aurait comme une dichotomie entre la voix de Mitchell qui ne s'élève que de peu au-dessus de la terre, et la zique qui de temps en temps  se permet des claquettes, les trompettes s'envolent taper la causette avec les anges tout là-haut dans le ciel, toutefois la jonction entre les deux est parfaite, un plaisir d'écoute qui ne vous procure aucun stress. Petite annonce : ( 1979, C'est bien fait ) : les guitares se taillent la part du lion, les cuivres jouent les arcs-boutants qui soutiennent les cathédrale gothiques, faut reconnaître que sur les refrains ils sont plutôt massifs et rutilants, mais les grandes orgues ce sont les écorchures guitariennes qui s'en chargent tout le long du morceau, en prime vous pouvez goûter à l'humour des paroles de Mitchell en pleine forme, un grand théâtreux. Under the rainbow : ( 1989, Ici Londres ) : non ce n'est pas over, un slow désenchanté, l'entrée des cuivres est aussi belle que le prologue de Lohengrin, mais cela ne dure pas, l'on retrouve le Mitchell des années 80-90, les cuivres viennent colmater les trous dans le refrain, mais l'on se demande ce que cette interprétation vient faire dans ce Big Band qui se transforme un peu en big bazar en période de soldes. Vigile : ( 1993, Rio Grande ) : un bon titre de Mitchell, traité à la manière du précédent, les cuivres en feuilles de salade accompagnent les hors-d'œuvres, et Mitchell emploie une voix blanche alors que sur le disque originel elle est nettement plus noire, décevant, on sauvera le solo de sax au premier tiers. Tiens une petite reprise de batterie et un sax qui cancane de belle manière avec le clavier, hélas trop millimétré. Toute improvisation reléguée dans le domaine de l'impossible. Cœur solitaire : ( 1993, Rio Grande ) : tube nickelé qui sonne creux, y a bien la flamberge de la guitare surmontée d'une entrée de cuivres fracassante, mais la suite est décevante, surtout si l'on songe aux morceaux lents de Muscle Shoals, ici ça tourne court, faut chercher le steak saignant sous la frite trop dure, pas étonnant qu'il ait pris deux guitaristes, s'en donnent à cœur joie, bluesent à mort, mais le Big Band joue les utilités. Vieille canaille : ( 1986, Eddy Paris Mitchell ) : tiens un peu de swing comme au bon vieux temps des Big Bands, trompettes jazzy punch, le vocal de Mitchell un peu trop rase-motte alors on a droit à un peu de piano, sur lequel Eddy est plus à l'aise. Trois minutes pas une seconde de plus, Mitchell ne sait pas faire durer le plaisir. De fait ce sont les musicos qui font tout le boulot. Le temps qui passe : ( 1986, Eddy Paris Mitchell ) : et plouf l'on retombe dans la citronnade pseudo-post-romantique, Mitchell case encore une fois un de ces slows délabrés dont il a le secret. Son public doit avoir vieilli et être complètement désillusionné car il applaudit à tout rompre à chaque fois. L'orchestre se fait tout petit, s'imagine qu'il est en train d'enregistrer une musique de film pour ménagères frisant la soixantaine. Vivement les scopitones de Vince Taylor ! Que reste-t-il de nos amours : ( Charles Trenet 1955 ) : n'ai jamais compris pourquoi l'on dit que Charles Trenet est l'introducteur du jazz dans la chanson française, Mitchell au début il y va sur des escarpins de feutrine mezzo-mezzo, mais bientôt il jargonne à gros pataugas, l'orchestre est derrière, difficile d'accompagner un chanteur qui ne module pas. Alors il pousse les meubles pour montrer qu'il n'est pas payé pour rien faire. Oldie but goldie : ( 1986, Eddy Paris Mitchell ) : l'on est encore parti pour pédaler dans la choucroute, l'orchestre en catimini apporte les saucisses de Strasbourg et le lard du cochon gras, Mitchell parle à sa fille, se raconte et ce qu'il dit ne correspond pas à la folie qu'il nous a fait partager en des temps sixtiques et mirifiques, avouons-le on ne l'écoute plus, depuis longtemps lorsque ça s'arrête... Le cimetière des éléphants : ( 1982, Le cimetière des Eléphants ) : au contraire de Mitchell qui  en offre deux versions sur le 33 originel je n'ai jamais aimé ce titre geignard aux paroles larmoyantes et affligeantes. Malgré ces dix-sept musicos, l'arrangement qui se traîne lamentablement ne lui file pas un gramme de peps. Vous donne l'impression d'un escargot paraplégique peu pressé d'aller se suicider. Alors vous l'écrasez sous votre pied. Sûr qu'au Paradis, Dieu vous assoira à sa droite pour vous remercier de cette bonne action. Le Big Band y va mollo, l'a peur de se faire réduire en bouillie par le troupeau des pachydermes, une trompe de sax de vingt secondes c'est tout ce l'on voit, au milieu ils y vont sur la pointe des pieds, c'est sur la fin lorsque l'interminable file des grosses bêtes s'estompe qu'ils se permettent quelques glissandi. Otis : ( 1969, Super 45 T ) : rien de mieux qu'un bon rhythm 'n' blues pour réchauffer l'atmosphère après tous les caramels mous précédents, n'arrive pas à la hauteur de l'original, faut pas mettre de l'eau dans le vin du groove ni dans la cuivrerie, même si l'on essaie une fausse impro qui améliore le morceau sur sa fin, mais Otis méritait une auréole enflammée. Pas de boogie woogie : ( 1976, 45 T ) : le morceau avait été interdit sur les ondes du rocher de Monaco pour son impiété,  que voulez-vous dès que Jerry Lou n'est pas loin ça branle dans le manche, les cuivres sont là pour supporter, Yves d'Angelo prend son pied, c'est lui le roi de la fête, dommage que les cuivres essaient de montrer qu'ils existent, et Mitchell appuie un peu trop grossièrement là où il faut filer comme un hors-bord de contrebandiers pris en chasse par une vedette des douanes. Couleur menthe à l'eau : ( 1980, Happy Birthday ) : un beau slow qui n'a pas grand-chose à faire  dans un tel disque, piano, batterie, basse, guitare suffisent bien, Mitchell et sa belle voix de velours, que voulez-vous de plus alors les cuivres ont mis la sourdine, ne font qu'acte de présence discrète sur le pont ( d'Avignon ). Je fais le singe ( final ) : ( 1978,  Après Minuit ) : retour du groove sans grand intérêt si ce n'est quelques mercis trop vite expédiés.

    C'est hier soir que je me suis dit qu'il ne fallait pas que je meure sans avoir écouté cet album d' Eddy Mitchell que j'ai beaucoup fréquenté durant ma basse adolescence, dont j'ai par la suite toujours suivi la carrière parfois avec approbation, souvent avec déception.  J'en sors un peu dépité, ce Big Band sent un peu la tromperie sur la marchandise. Revenir sur les cendres froides de son passé n'est peut-être pas une bonne solution.

    En plus il n'y a ni De la Musique, ni Fortissimo...

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    Episode 17

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    QUARANTE-HUIT

    Le Chef alluma un Coronado.

             _ Agent Chad, j'espère que vous avez compris notre participation au défilé des zigotos du pensionnat libertin !

             _ Cinq sur cinq, Chef, l'idée vous est venue de chercher un quelconque indice dans cette zone d'amour libre !

             _ Et pourquoi cette idée m'aurait-elle subitement traversé l'esprit cher Chad ?

             _ Elémentaire mon cher Dupin, vous avez simplement appliqué le principe d'Edgar Poe selon lequel ce que l'on cherche n'est jamais très loin de nous !

             _ Agent Chad je vois que vous n'êtes pas tout à fait un imbécile, fallait d'abord faire décamper les heureux jouisseurs du lieu, Joël et les filles ont frappé à toutes les portes en faisant croire à une descente de police imminente, cela a failli tourner au psychodrame, lorsque nous leur avons proposé de sortir tous en groupe de joyeux fêtards, ils ont foncé dans la combine à cent pour cent ! Mais vous  agent Chad avez-vous trouvé pourquoi les chiens ont grogné ?

             - Oui, ils ont compris, je ne sais comment, grâce à leurs antennes hyper-sensorielles que la police n'était pas loin, en poste dans un sous-marin, la camionnette qui vous a suivis.

             _ Ils connaissent donc notre repaire, demanda Françoise inquiète.

             _ Non, déclara péremptoirement le Chef, sans quoi ils seraient déjà intervenus, mais ils en savent  plus que nous, devaient avoir repéré le Neil dans les parages, lui nous avait sans aucun doute localisés, n'aurait pas tardé à entrer en contact avec nous, c'est pour cela qu'ils l'ont arrêté et abattu.  Les filles je vous avais donné l'ordre de rentrer dans les chambres pour repérer un indice quelconque, vous n'avez rien remarqué, heureusement que je suis passé derrière vous. Maintenant j'ai besoin des lumières de Joël.

             _ J'ai même inspecté à quatre-pattes sous les lits se défendit vivement Framboise !

             _ Mais vous n'avez pas pensé à glisser la main sous les oreillers ! Joël prenez ce sachet et dites-moi ce que vous en pensez.

    Joël ne prit même pas la peine d'ouvrir le la poche plastique transparente, à vue d'œil son contenu ne devait pas dépasser deux grammes, que le Chef  lui tendit

             _ De simples pétales de fleurs décréta-t-il sans hésitation, je précise, des pétales d'hibiscus !

             _ J'ai compté quarante-huit chambres, ajouta le Chef, j'ai exactement recueilli quarante-huit pétales !

             _  Quelle idée de glisser un pétale d'hibiscus sous l'oreiller pour faire l'amour, les gens sont étranges, j'essaierai sûrement la prochaine fois pour voir quel plaisir particulier cela procure ! ( Chers lecteurs je ne vous révèlerai pas le nom de cette âme de jeune fille en fleur douce et naïve ).

    Tout le monde sauf elle avait compris, derrière ces fragments d'innocentes corolles se cachait la mystérieuse société secrète de la conjuration de l'Ibis Rouge. Enfin nous tenions une piste sérieuse ! D'ailleurs le Chef ne perdit guère de temps. Il annonça que nous allions immédiatement nous livrer au contre-rituel secret d'annihilation de la grande menace imminente.

    CONTRE-RITUEL INITIATIQUE

             Nous déconseillons vivement à toutes nos lectrices et à tous nos lecteurs de tenter de reproduire le contre-rituel dont nous racontons le déroulement dans les lignes qui suivent. Ce n'est pas qu'ils ne trouveraient pas de volontaires pour participer à cette sombre cérémonie. Les préparatifs exigent une extrême minutie, les modalités du déroulement doivent être suivies à la lettre sans quoi rien ne se passera. Dans ces cas-là les participants s'accusent mutuellement d'avoir fait rater l'expérience, la déception générale est si forte que l'on en vient facilement aux mains, il n'est pas rare que cela se termine par un ou deux cadavres.

    Etape Un : nous passâmes toute une partie de la nuit à désherber une grande partie du terrain, puis à aplanir les bosses. Le Chef nous pressait :

    • Agent Chad et Joël laissez les filles poursuivre le travail, vous avez vingt minutes pour ramener quatre jerrycans de 50 litres d'essence.

    Par chance, pas très loin se trouvait une station ouverte ( chose rare en plein Paris ) nous nous dépêchâmes d'assommer le gardien, de lui faucher de gros bidons qu'il cachait dans sa guérite, et comme un automobiliste s'impatientait alors que nous monopolisions les deux seules pompes pour les remplir, je dus l'abattre froidement pour qu'il ne réveille pas le voisinage. Lorsque nous revînmes le travail avait avancé. Une large surface assez plane débarrassée de sa végétation touffue s'étendait devant nous. Les filles étaient en nage. Le Chef fumait péniblement un Coronado. Il avait aussi mis à contribution Molossa et Molossito qui finissaient de creuser quatre trous d'une vingtaine de centimètres de profondeur au pied des buissons d'hibiscus.

    Etape 2 : le Chef nous avait prévenus, c'était la plus difficile. Elle consistait à creuser le pourtour d'un cercle de six mètres de diamètre dans lequel devaient se verser les quatre rigoles qui partaient des cavités creusées par les cabotos. Il faut reconnaître que les diligentes bêtes nous aidèrent beaucoup. Le Chef les félicita.

    • C'est bien, normalement les animaux ne sont pas admis dans ce genre de cérémonie, au lieu de les enfermer dans l'abri, nous allons leur dessiner une double barrière de protection. Agent Chad tracez au centre du cercle une étoile à cinq branches à l'aide de petits cailloux que vous récupérez dans le terrain.

    Tout le monde joua au petit Poucet et bientôt les chiens s'assirent fièrement dans la figure rapidement dessinée.

             _ Bien, dit le Chef, maintenant écoutez-moi, Molossa et Molossito le fixèrent de leurs deux oreilles, si vous mettez une seule patte hors du tracé de l'étoile, vous êtes morts. Je compte sur votre sagesse. Je vous fais confiance. Soyez-en dignes.

    L'exactitude historiale m'oblige à rapporter qu'ils furent sages comme des images, un peu animées, il faut l'avouer, car si jamais ils ne sortirent de l'étoile ils s'amusèrent toutefois à singer les attitudes des six représentants de la race humaine que nous étions.

    Etape 3 : Déjà la nuit semblait plus claire. Nous nous étions mis entièrement nus, pour manifester notre innocence et notre pureté. Auparavant nous avions empli d'essence les quatre trous creusés au pied des hibiscus. Les rigoles et le pourtour du cercle en étaient remplis. Joël, moi et le Chef  étions couchés à l'intérieur du cercle, jambes écartées, nos pieds touchant celui de notre voisin de droite et de gauche, il en était de même de nos mains. Françoise, Noémie et Framboises en tenue d'Eve étaient accroupies entre nos jambes. Le chef imperturbable tirait sur son Coronado. Une minute avant le premier rayon de soleil, il prononça les premières paroles du rituel dont nous suivîmes les commandements pendant sa récitation :

    Incantation

    Salut ô toi Soleil Invaincu

    nous sommes ici pour demander ta protection

    contre les forces mauvaises de l'Ibis Rouge

    qui ne tardera pas à se manifester

    en contre-partie nous t'offrons

    cette ronde de feu

    ( à cet instant précis il rejeta son Coronado dans la rigole emplie d'essence qui s'enflamma,

    en quelques secondes les quatre buissons d'hibiscus crépitèrent )

    cette ronde de feu et de chair copulatoire

    prêtresses jetez-vous sur les pals fièrement dressés

    des officiants, et encerclez-les de vos pertuis vulveux

    vite, vite, que les officiants prennent votre place

    et vous prêtresses la leur

    afin qu'ils entrent en vos pertuis vulveux

    leur pal infatigable

    et que cent fois cette double opération soit recommencée

    à moins que l'apparition de l'Ibis Rouge

    nécessite d'y mettre fin

    Etape 5 : je ne sais combien de fois nous dûmes répéter cette ronde frénétique, tout ce dont je me souviens, c'est qu'à un moment Molossito et Molossa poussèrent des aboiements de terreur. Nous arrêtâmes notre circonvolution opératoire et levâmes les yeux au ciel. La monstrueuse figure de l'Ibis Rouge fixait sur nous ses yeux méchants en abaissant son bec cruel.

    A suivre...

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 539: KR'TNT ! 539 :TONY MARLOW / BRYAN MORRISON / COSMIC PSYCHOS / ADORABLE / JIM MORRISON / GREY AURA / HECKER / ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 539

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    27 / 01 / 2022

     

    TONY MARLOW / BRYAN MORRISON

    COSMIC PSYCHOS / ADORABLE

    JIM MORRISON / GREY AURA

    HECKER / ROCKAMBOLESQUES

     

    L’avenir du rock

    Marlow le marlou (Part Two)

     

    Fatigué du charme des palaces décatis de Marrakech et du confort boiseux des chalets suisses, l’avenir du rock opte cette année-là pour des vacances populaires. Il se réjouit à l’avance d’aller passer trois semaines dans un camping des gorges du Tarn en compagnie des représentants de ce qu’on appelait autrefois la classe ouvrière. Ah il s’en réjouit à l’avance, l’idée des grands verres de Pastis à l’apéro le fait baver. Et ça ne rate pas, il se retrouve dès le premier jour coincé derrière une petite table de camping en compagnie d’une équipe de joyeux drilles, les occupants de l’emplacement voisin. L’homme qui mène la bacchanale a la main lourde sur le Pastis et sa femme qui est bien ronde et qui manque tragiquement de conversation passe son temps à aller pêcher des glaçons dans la glacière tout en bouffant des olives à la chaîne. Un autre couple participe aux agapes et l’avenir du rock comprend qu’ils sont apparentés. C’est l’heure la plus bruyante du camping. Tous les vacanciers «font l’apéro», comme ils disent. L’avenir du rock comprend au bout de cinq minutes qu’il ne tiendra pas trois semaines dans cet enfer.

    — Une petite rincette, avenir du rock ?

    — Ce n’est pas de refus. Au point où nous en sommes.

    Alors que le jour baisse, le niveau de la bouteille de Pastis baisse aussi. L’avenir du rock sent monter une petite gerbe, il s’excuse, va dégueuler vite fait derrière la caravane de ses hôtes, et revient en s’excusant de cette interruption. La dame ronde lui propose un sopalin pour s’essuyer la bouche. Puis l’hôte fonce dans la caravane et revient avec un litron de Pastis tout neuf. Soucieux du confort intellectuel de son invité, il lui demande, tout en lui servant une énième rasade de coyote, s’il lit des livres.

    — Oh ça dépend.

    L’hôte ne se satisfait pas de cette réponse évasive. Il décide d’investiguer :

    — Connaissez-vous Dashiell Omelette, avenir du rock ?

    — Comme ça, de nom, l’Omelette maltaise, c’est ça ? Mais ce n’est pas ma tasse de thé, voyez-vous.

    — Et Raymond Chandeleur, vous l’connaissez ?

    — Ah oui, j’aime bien Tony Marlow !

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    Bon l’avenir du rock se mélange un peu les crayons. Ce n’est pas parce qu’il est bourré, mais parce qu’il en fait exprès. Il ne sait pas alimenter ce genre de conversation, par contre, il profitera de la moindre occasion pour dire le plus grand bien qu’il pense de Marlow Rider, c’est-à-dire Tony Marlow en trio, et son nouvel album, First Ride.

    Eh oui, quel album ! On les voit tous les trois sur la pochette intérieure, Tony enlooké sixties et encadré du brillant Amine (stand-up) et du non moins brillant Fred Kolinski (beurre). Quand on a vu jouer Amine sur scène, on sait qu’il est fou et qu’il est avec Al Rex (Comets) et James Kirkland (Shadows de Bob Luman) l’un des rois du slap. C’est un bombardeur, un pourvoyeur, un démolisseur, un empêcheur de tourner en rond. Mais avec cet album on va assister à un phénomène surprenant. Ah tu crois que tu vas entendre douze slabs de rockab sauvage ? Non.

    Marlow le marlou ne te prend pas en traître. Sur la pochette intérieure, il déclare : «Mes guides spirituels d’adolescent planent au dessus de ce disque : Jimi Hendrix, Cactus, Peter Green’s Fleetwood Mac, Johnny Winter, Cream, Deep Purple MK II, Rory Gallagher, Paul Kossof et... Johnny Hallyday.» Puis il salue la mémoire de Marc Zermati, «qui ne pourra pas écouter cet album qui lui aurait fait plaisir». Oui, car les ceusses qui ont eu la chance d’entrer chez Marc ont vu cette petite photo de Jimi Hendrix prise lors de son premier set à l’Olympia. Marc adorait raconter le souvenir extraordinaire qu’il conservait de ce show et de la soirée à l’hôtel d’Hendrix qui s’ensuivit.

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    Jimi Hendrix ? Tony Marlow en bourre la dinde de sa B avec trois covers, et c’est d’autant plus gonflé qu’il n’a ni la voix ni les doigts de Jimi Hendrix, mais fuck it, il aime tellement ça qu’il y va et c’est la raison pour laquelle qu’on l’admire : Marlow le marlou est un fan qui s’adresse à des fans. Il ouvre donc son bal de B avec un hommage direct, «Jimi Freedom», c’est un peu maladroit, mais il parvient à retrouver le son qu’avait l’ami Jimi sur «Freedom», le cut d’ouverture de balda sur Cry Of Love, l’album posthume. Fabuleuse performance. Il enchaîne aussi sec avec «Fire», l’un des hits les plus explosifs de l’Experience. Tony a le courage d’aller taper dans l’intapable, hey baby ! Ses deux amis déploient des trésors d’ingéniosité pour recréer la magie de l’intapable hendrixien et wow, ça percute dans la syncope. Il faut les saluer pour cet exploit. Tony part en solo sur un droppin’ blast d’Amine, ils jouent le jeu du breaking à fond et les chœurs sont d’une justesse effarante. Plus loin, ils tapent un «Hey Joe» à la française, sur un tempo plus enlevé. Évidemment, ça réveille de vieux souvenirs. En plus Tony le fait bien, son Jojo. C’est dans cette version qu’on trouve cette élégante expression : «Pourquoi t’as d’la chance plein les doigts ?», remember ?, et il ajoute, comme le fit Jojo en son temps : «En naissant/ T’as marché dans quoâ ?». Ils développent d’incroyables dynamiques d’up-tempo, c’est une merveille, Kolinski tatapoume allègrement et Amine joue balloche. Ces gars-là, mon vieux, ils sont terribles ! S’ensuit une version solide de «Purple Haze». Ses intros hendrixiennes sont toutes parfaites, il les joue rubis sur l’ongle. Il chante du Purple Haze haut perché, à la Johnny, c’est assez réussi et Amine ramène un pounding extrêmement pouf pouf. C’est là qu’il faut saluer Amine, car il sait adapter son jeu. Toujours en B, Tony chante «Sur La Route Du Temps» en français et part sur une espèce de beat anglais qui n’est pas inintéressant. On pense bien sûr à sa référence au Deep Puple MK II, comme il dit. Il termine cette B lourde de conséquences en mode rockab avec «Rowdy». L’une des qualités de cet album et la parfaite maîtrise d’une diversité des genres.

    Mais attention, les coups de génie se planquent de l’autre côté. Marlow le marlou chante «Debout» en français, vite repris par le beat d’Amine. Notre marlou national fait son Johnny avec les genouuux. Il recrée l’accent. C’est vraiment bien qu’il y ait encore des mecs qui veuillent sonner comme leurs idoles. Et boom, ça explose avec «Shut Up». Marlow le marlou passe en mode sixties, monte par dessus sa voix et fond son shut up dans une purée à la Cream. Ces chœurs sont une merveille inespérée et ce marlou de Marlow part en solo liquide. Il connaît toutes les ficelles et franchement, on se régale. Ça monte encore d’un cran avec «Among The Zombies» - walking through the streets of the city - C’est faramineux de rockabilly fever - The traffic is like a raging sea/ Ah ah ! - Il injecte encore un gros shoot de beat rockab dans le son sixties de «Mutual Appréciation». Il réussit là où se vautrèrent jadis les Jack Rabbit Slim : il met le beat de reins rockab au service de la wild énergie des sixties. Il a tout compris.

    Et comme si tout cela ne suffisait pas, l’album de Marlow Rider est un cadeau de Damie Chad, ce qui le rend doublement précieux.

    Signé : Cazengler, Tony marlourd

    Marlow Rider. Fast Ride. Bullit Records 2021

     

    Morrison attelle

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    Si Morrison attelle, c’est parce qu’il joue au polo. Rien à voir avec les Doors. L’homonymie s’arrête là. Il ne faut pas confondre Morrison attelle et Morrison Hotel. D’un côté Jimbo picole et de l’autre, Bryan Morrison polote avec les princes de sang du Royaume Uni. Ce n’est pas le même monde et pourtant, les deux Morrison ont un point commun : le rock.

    Chez Jimbo, le rock est roi, le rock se bouffe aux mythes. Chez Bryan Morrison, le rock est ric et rac. Son autobio ne tient pas la distance. Dommage car ça démarre sur des chapeaux de roues avec les Pretties, Syd Barrett et Marc Bolan pour finir dans le fossé avec «Saturday Night Fever», George Michael, le prêt-à-porter et le polo, un polo qui d’ailleurs finira par avoir sa peau. L’auteur va faire une chute de cheval dont il ne se remettra pas. Son autobio, Have A Cigar! est parue après sa disparition, au terme de deux ans de coma. Destin épouvantable.

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    Un drôle de mélange s’affiche sur la couverture : Pink Floyd, T.Rex, The Jam and George Michael. Il faut se faire violence pour accepter l’idée que ce mélange soit logique. Aux yeux d’un homme d’affaires britannique, il l’est. Après avoir soutenu Ray Charles, Ruth Brown et Professor Longhair, Ahmet Ertegun a lui aussi mal tourné puisqu’il a fini par signer les rois du rock FM, Yes, INXS, Foreigner et Genesis. Ce sont les lois de business. Cette façon de voir les choses ne correspond en rien à celle d’un fan de rock. Pour entrer dans les pages de ce type de livre, il faut savoir accepter la logique d’une pensée différente. Ça peut aller loin, car ça veut dire accepter de voir un homme riche comme Morrison faire étalage de ses goûts pour les toiles des peintres modernes, les voitures de sport, les marques de prêt-à-porter, les parfums qui vont avec et la médiocrité musicale des années 80 dont la meilleure illustration sont les groupes qu’il avait en charge à cette époque, Wham! et Haircut One Hundred. Au début de cet itinéraire qui est celui d’une réussite exceptionnelle, il y a bien sûr un fan, mais la nécessité de générer du profit passe ensuite par d’autres fourches caudines, Claudine.

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    Bryan Morrison trouve sa vocation en février 1957 lorsqu’il voit Bill Haley & The Comets au Dominion Theatre sur Tottenham Court Road. C’est la première tournée anglaise du vieux Bill et aw my God, les Brits n’ont encore jamais vu un bordel pareil ! - His live show hit me like a steam hammer - Le vieux Bill envoie Bryan direct down the ground, surtout quand l’autre fou d’Al Rex se jette sur sa stand-up pour jouer les pieds en l’air. Six ans plus tard, Morrison ressortira l’idée afin de convaincre Vivian Prince de quitter sa batterie pour ramper au sol. C’est ici que naît la tradition du batteur fou des Pretty Things, qu’entretiendra Skip Allan.

    Avec les Pretties, on entre dans le quartier chaud du livre. Un jour de 1963, un certain Dick Taylor vient trouver le brillant Bryan pour lui demander de mettre son groupe à l’affiche d’un concert. Bryan lui demande quel est le nom du groupe. Dick lui répond :

    — «The Pretty Things.

    — The what ?

    — C’est le nom du groupe. The Pretty Things.»

    Coup de cœur ! Love at first sight. Bryan adoooore le nom de ce groupe - I was stuck immediately by the uniqueness of this name. It was totally fresh and original, and I felt a certain inexplicable excitement - La scène se déroule juste avant l’explosion des Beatles avec «She Loves You» - Rock’n’roll was in the air - Bryan sent que tout va changer. C’est l’avènement du swingin’ London - Something magical was about to happen - Il est comme les autres, Andrew Loog Oldham, Joe Boyd, Shel Talmy, Guy Stephens, at the right place at the right time, il arpente gaiement Denmark Street, que tout le monde appelle Tin Pan Alley, et où sont rassemblés tous les éditeurs. Au bout de la rue se trouve Regent Sound, the little studio of the day, mais on peut s’arrêter en chemin à la Gianconda, un café où grenouillent les musiciens, les auteurs et les publishers, un petit monde doré dont Bryan va bientôt faire partie. Il va être publisher/manager, c’est décidé ! Il organise l’un de ses premiers concerts au fameux 100 Club, sur Oxford Street. Comme Joe Boyd, Bryan rappelle que le music biz à cette époque est une jungle pleine d’Ostrogoths et qu’il faut rester sur ses gardes - You had to watch your back in every way.

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    ( Jack Baverstock )

    Bon les Pretty Things c’est bien gentil, mais goddamnit !, il faut un contrat avec une maison de disques. Bryan rencontre l’A&R man de Fontana, Jack Baverstock dans un restaurant. Entre la poire et le cheese, Jack balance sur la table le contrat et lance d’une voix d’outre-tombe : «Get the boys to sign this and we’ll make a record.» Il n’y avait nous dit le débutant Bryan ni négociation ni avance - On a signé pour cinq ans et ce fut la fin de la discussion - C’est parti pour les Pretties, seven gigs a week, screaming girls, les promoteurs et la presse. Comme les Pretties se font vite une sale réputation, les journalistes veulent en croquer. Pour percer, Bryan devine intuitivement qu’il faut créer l’événement, avec du mayhem, c’est-à-dire du chaos. C’est là qu’il demande à Vivian Prince de faire son numéro de batteur fou. Il supplie le groupe de tenter le coup du mayhem. Mayhemez-vous, les gars ! Alors ils essayent et c’est le mayhem ! Puis le riot. C’est l’hystérie en Angleterre. Après «Rosalyn», Bavertock emmène les Pretties en studio enregistrer leur premier album. Mais Vivian Prince est tellement défoncé qu’il vomit sur sa batterie et tombe de son tabouret à deux reprises. Écœuré, Baverstock quitte le studio en claquant la porte et en hurlant qu’il ne peut pas travailler avec ces animaux-là. On fait alors venir Bobby Graham pour produire l’album. Ça tombe à pic car comme il est aussi batteur, il peut remplacer Vivian Prince qui vient de s’écrouler pour la troisième fois et pour de bon. Ce sont les Pretty Things, after all. Pour donner à manger à la presse, Bryan organise l’éviction des Pretties du 13 Chester Street en août 1965 : ça fait la une des tabloïds et des TV news. Sacré Bryan, il bosse comme Tony Secunda, il fait des coups, il magouille. Puis il tente de lancer les Pretties dans le circuit des tournées internationales. Comme il n’arrive pas à les envoyer aux États-Unis, il les envoie en tournée en Nouvelle Zélande avec Sandie Shaw et Eden Kane. C’est la fameuse tournée chaotique à laquelle Ugly Things consacra jadis un fabuleux hors-série, Don’t Bring Me Down Under. C’est là que Vivian Prince s’illustre en jouant le yogi dans les halls d’hôtel, avec dans sa poche un homard mort. Les kids viennent nombreux méditer avec lui, et ça peut durer des heures. Bien sûr, conformément à la théorie du mayhem, chaque concert tourne à l’émeute. Résultat des courses : le parlement néo-zélandais vote le bannissement à vie des Pretties. Aux yeux des fans, c’est le couronnement de leur carrière.

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    Alors après le mayhem, Bryan réfléchit à l’étape suivante. Il sent confusément qu’il faut un hit. Pour lui, ni «Rosalyn» ni «Don’t Bring Me Down» ne sont des hits. Il raisonne en termes de worldwide hit, tu comprends, ce n’est pas la même chose. Il rencontre Donovan à la Giaconda qui lui file une démo de «Tangerine Eyes». Puis le Dylan publisher en Angleterre lui fait écouter «Mr Tambourine Man» qui n’est pas encore devenu le hit que l’on sait. Bryan adooooore cette chanson. Love at first sight. Il essaye de la refourguer aux Pretties qui tirent une méchante gueule. Bryan est persuadé qu’avec «Mr Tambourine Man», ils seront en tête des charts dans le monde entier, mais pour Phil et Dick, c’est absolument hors de question. No way. Ils restent fidèles à Bo. Bryan dit alors sa déception au Dylan publisher qui le réconforte en lui disant que la vie est ainsi faite, parfois ça va bien, parfois ça va mal. D’ailleurs, ajoute-t-il, un groupe américain vient tout juste de reprendre «Mr Tambourine Man». Ah bon ? Bryan demande le nom du groupe. Le Dylan publisher lui répond : «The Byrds». Bryan voit subitement ses derniers espoirs s’envoler, avec les millions de singles qu’il aurait pu vendre dans le monde. Il dit adieu à la chance - We had lost initiative and never got it back - Encore heureux qu’il n’ait pas proposé «No Milk Today» aux Pretties.

    La morale de cette histoire, c’est que les Pretties ont continué à faire de très grands albums sans jamais vendre leur cul. Bizarre que Bryan Morrison n’ait pas compris ça à l’époque. Mais encore une fois, la logique du rocker ne correspond en rien à celle de l’affairiste qui ne vise qu’une seule chose : le profit. Et quand on sait que le profit, le vrai, passe par les grosses ventes, c’est-à-dire le nivellement pas le bas, ça conduit tout droit aux fléaux du XXe siècle que sont la new wave, le rock FM et les méga-stars à la mormoille. D’un côté les puristes s’appauvrissent, de l’autre côté les pommes de terre s’enrichissent. That’s only rock’n’roll.

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    Bryan a la main verte puisqu’après les Pretties, il récupère Syd Barrett et son groupe, le Pink Floyd. Il commence par persuader les managers Peter Jenner et Andrew King de lui confier l’organisation des tournées du groupe dont la réputation grossit beaucoup trop vite. C’est là qu’il arrache le Floyd des mains de Joe Boyd. Il met ensuite le groupe dans les pattes d’EMI. Bryan a réussi à négocier une avance de 5 000 £, ce qui était encore très rare en 1967. Il se dit fasciné par Syd Barrett (mais ça ne va pas durer longtemps) : «Syd était l’un de ces people who seemed to have it all : the looks, the intelligence and, more importantly, the ability to write great songs.» Les difficultés liées à ces bonnes vieilles drugs of choice ne tardent pas à surgir. Syd entre en studio mais refuse de jouer. Alors Bryan déclare : «Syd would have to go.» Et il développe : «Le premier album du groupe, The Piper At The Gates Of Dawn, paraît en août, mais comme Syd est incapable de jouer sur scène ou de participer aux interviews, ça agit sur le moral des autres membres du groupe. Le bassiste Roger Waters qui va devenir le porte-parole du groupe m’annonça qu’il avait trouvé un guitariste pour remplacer Syd. C’est David Gilmour.»

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    Attention, l’histoire ne s’arrête pas là. Syd Barrett disparaît pendant un moment de la circulation. Bryan indique qu’il s’est installé au London Hilton Hotel, sur Park Lane : «Il y avait trois postes de télévision, allumés tous trois, et une douzaine de guitares dispersées au sol. Syd Barrett était devenu une sorte de Howard Hughes du rock et il réglait de faramineuses notes d’hôtel hebdomadaires qui nous faisaient passer pour des pauvres. Il avait gagné beaucoup d’argent et il le dépensait rapidement. Fin 1968, il avait retrouvé la santé et semblait mener une existence normale, même s’il se tapait de temps en temps un petit freak out.» Bryan rôde dans les parages de Syd car il est encore son agent. Il est question d’un album solo, mais c’est loin, très loin, d’être évident. Bryan connaît les chansons que Syd a composées, et il les trouve superbes. Les séances sont compliquées, car Syd chante un couplet puis il s’arrête pour regarder dans le vide - Un jour, il chantait assis sur un tabouret, et au milieu du deuxième couplet, on l’a vu s’endormir. Puis il s’est cassé la gueule, avec le micro et le tabouret. L’incroyable de cette histoire est qu’il ne s’est pas réveillé. Il a dormi là pendant une demi-heure - Puis Syd prend l’habitude de venir voir Bryan dans son bureau pour réclamer des avances sur royalties. Comme il achète des guitares, il a besoin de cash. Un jour, il sonne, Bryan ouvre et il tombe sur Syd qui le fixe bizarrement. Au moment où Syd va lui coller son poing dans la figure, Bryan lui bloque le bras. Alors Syd mord la main de Bryan, mais en vrai, au sang - Stop Syd ! Stop ! - Bryan doit le frapper pour lui faire lâcher prise. Syd tombe en éclatant de rire. The Madcap Laughs - Not a laugh of joy, but an ever-increasing pitch of hysteria - Bryan est complètement scié et sa secrétaire Cora s’évanouit. Syd reviendra une fois au bureau de l’Agency pour demander à Cora si Morrison veut bien le reprendre comme client et redevenir son manager. No way. C’est la dernière fois que Morrison le voit. Il conclut le Syd Chapter en disant ce que tout le monde sait : Syd est allé vivre the happy life à Cambridge.

    La morale de cette histoire ? Syd a fini par échapper à tous ces mecs-là, les agents, les managers, les collègues du groupe qui ne valent guère mieux. Il faut voir ça comme une victoire et non comme une défaite.

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    En 1967, the Bryan Morrison Agency a le vent en poupe : ils sont agents et managers du Pink Floyd, des Pretty Things, de Soft Machine, d’Incredible String Band et de Keith West, un Keith West qui invite un jour Bryan à déjeuner pour lui annoncer qu’il le vire. Fired ! Quand Bryan demande pourquoi il est viré comme un chien, Keith West répond : «You’re useless. My records never made number one.» Puis arrive ce qui doit arriver : «En très peu de temps, il s’est retrouvé avec un hit sur les bras, mais pas de travail. Je m’empresse d’ajouter que je n’étais pas vraiment traumatisé par sa décision de me virer. His next record was a flop and he never had another hit.» C’est le destin des artistes qui ne sont pas correctement managés : ils vont droit à la fosse. L’Angleterre est la plus grande fosse commune de l’histoire du rock.

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    Bryan devient aussi l’agent/publisher de Marc Bolan - Faire connaître des groupes comme Tyrannosaurus Rex et le Pink Floyd, c’était extrêmement difficile, to say the least. Les médias ne s’intéressaient pas encore aux groupes underground. Pendant les deux années suivantes, j’ai essayé en vain de faire passer les chansons de Bolan à la radio, mais je me suis chaque fois heurté à des refus. La seule exception fut John Peel. Sur Top Gear, il passait les disques des gens qu’il appréciait et plus particulièrement Tyrannosaurus Rex. Bon nombre de groupes de cette époque doivent leur succès à John Peel - Puis le succès arrive et Bolan s’entoure d’une cour - And the court of king Bolan was created. From here on in, Marc engulfed himself in the Presley style of omnipotence. C’est ce qui a conduit Marc à la faillite, non pas à cause de sa musique, mais à cause des conseils financiers qu’on lui donnait - Après Syd, Bryan perd donc Marc.

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    Un jour, Bryan raconte qu’il va trouver Chris Blackwell chez Island pour lui emprunter 3 000 £ dont il a besoin pour empêcher la saisie de sa maison. Blackwell ne dit pas non, mais en échange, il demande l’un des groupes signés par l’Agency. Il veut le groupe que Bryan vient tout de juste de signer : Free. Bryan lui répond : «Plutôt crever.» Alors Blackwell lui dit qu’il ne peut pas l’aider, mais il insiste : «Free n’a pas encore signé de contrat avec une maison de disques, alors signez-les avec moi, cédez-moi les droits du groupe et je vous donne l’argent dont vous avez besoin.» Bryan résiste. Il oppose un no-no. Pas question de céder les droits. Un publisher ne cède jamais les droits. Never. Puis il se casse. Quatre jours plus tard, voyant la menace d’une saisie se préciser, il appelle Blackwell pour dire qu’il accepte de céder - I was sick as a dog - C’est ainsi que Free est arrivé sur Island. Au terme d’une discussion de chiffonniers.

    En 1969, Bryan en a marre de toutes ces conneries, et il décide de revendre son Agency à NEMS, une société montée par Brian Epstein pour manager les Beatles, Cilla Black, Gerry & The Pacemakers et d’autres. À l’intérieur de NEMS, il va continuer de bosser comme agent, mais ce n’est plus lui qui prend les risques financiers.

    Forcément, Bryan Morrison croise aussi des gens de la pègre londonienne. Pas de Swingin’ London sans la pègre. Il n’a pas affaire aux jumeaux Kray mais aux Dixon Brothers qu’il rencontre dans un pub de l’East End pour leur demander un service, mais quand il entend parler des moyens envisagés, il abandonne et se carapate aussi vite qu’il le peut. Bien sûr, les Dixon Brothers se pointent quelques temps après à l’adresse de l’Agency pour demander du cash à Bryan, oh pas grand chose, 150 £, et ils promettent de s’en aller. Bryan commence par dire non puis il finit par comprendre qu’il vaut mieux payer. Il a encore besoin de ses deux jambes et de ses deux bras.

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    Les années passent et en 1976, Bryan reçoit un coup de fil d’un certain Malcolm McLaren : «On ne se connaît pas, Bryan, mais je connais votre parcours dans le music business, et votre goût de l’avant-garde et de la new wave. Une nouvelle vague arrive et je suis le manager du best band in the world.» Bryan lui demande quel est le nom du groupe et McLaren lui répond : «The Sex Pistols.» Ah ah, comme c’est intéressant. Bryan dresse alors un parallèle entre Brian Epstein et McLaren, un McLaren qui propose à Bryan de bosser avec lui, et pour le convaincre, il l’invite à venir voir jouer les Sex Pistols. Le 23 avril 1976, Bryan débarque au Nashville Rooms. Chapitre pénible. Il se dit impressionné par l’énergie du groupe, jusqu’au moment où Johnny Rotten fait le con avec le salut nazi et les slogans qui vont avec. Pour Bryan Morrison, c’est rédhibitoire. Hop, terminé. Au fond, il n’était pas aussi intéressé qu’il le prétend. La preuve ? Quelques pages plus loin, il fait l’apologie de George Michael.

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    C’est à peu près tout ce qu’on peut dire de ce recueil de souvenirs. Les épisodes ne sont que des épisodes, after all. Les maniérismes de Bryan Morrison constituent probablement la vraie richesse de ce book. Pour qui aime lire la langue anglaise bien écrite, certaines formules méritent l’effort citatif, tiens comme celle-ci : «Je reçus un appel de Vic Lewis, asking me to pop up to see him in his luxuriously appointed office on the first floor of Hill Street. I sat down and was poured the ever-ready cup of tea in a fine bone china teacup. Vic was always pedantic about being surrounded by and using the best.» On entend presque sa voix et on sent bien sûr l’odeur du cigare. Cette façon de décrire une ambiance est typiquement anglaise, mais on est là dans une Angleterre tout de même un peu huppée, n’est-ce pas ? Plus loin, il décrit son patrimoine de parvenu distingué : «By 1970, in spite of my apparent disdain for money, I seemed to be enjoying its fruits, with a beautiful Grade II-listed, sixteenth-century manor house in Oxted, Surrey, and a pied-à-terre in London with all the various accoutrements. The only thing that I needed to complete the picture was a wife and family.» Alors évidemment, tout lecteur d’Oscar Wilde en version originale sera troublé par l’insidieuse proximité des styles, par cette parenté d’élocution. Alors Bryan Wilde va rencontrer the wife : «Elle s’appelait Greta van Rantwyk and after about three months of manoeuvring we had dinner in a restaurant in Beauchamp Place. Everything was set for the birth of one of those great eternal love stories - the candles, the food, the wine. Everything was perfect, or was it ?» Il fait un petit saut de ligne pour relancer l’irrémédiable Oscarisation des choses : «There was one small detail that I hadn’t counted on - It seemed she wasn’t too keen on me - (Bryan suppute qu’il ne lui plaît pas) - Later I was to discover that she felt I was too flash. My black leather clothing, zip-up jacket and tight-fitting trousers, plus the black Aston Martin DB7 sitting by the front door were simply too much. She was probably right; I was a bit flash.» Et puis pour finir, Bryan raconte ses démêlés avec un couturier anglais, une association financière qui se termine en eau de boudin : «It took me quite some time to persuade him that principle came before profit - pour Bryan, les principes d’abord, le profit ensuite - Something I think that he never understood. As the years go by, I feel that less and less people understand this, a sad indictment of the world we live in.» Comme bon nombre d’entre-nous, Bryan Morrison n’aime pas trop l’époque dans laquelle il vit.

    Signé : Cazengler, Bryan Saucisson

    Bryan Morrison. Have A Cigar!: The Memoir Of The Man Behind Pink Floyd, T. Rex, The Jam and George Michael. Quiller Publishing Ltd 2019

     

    Cosmic trip

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    Les Cosmic Psychos étaient déjà là dans les early eighties, et ils continuent aujourd’hui de foncer tout droit dans leur bush. Ce trio est un cas à part, mais aussi l’un des phares de l’underground. Quelle que soit l’époque où on entre dans leur histoire musicale, c’est intéressant. Bien sûr, une certaine frange de la population va les traiter de bourrins, mais ça ne gêne pas les Cosmic. Ça les amuse. Ils en font un jeu, avec les tâches de bière et les dents pourries. À une époque, il fallait choisir entre Michael Jackson et les Cosmic Psychos, alors le choix était vite fait. C’mon down !

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    La principale caractéristique des Cosmic Psychos, c’est le tout-droit. Ils foncent tout droit. Leur premier EP Down On The Farm paraît en 1985. Ils sont trois, Ross Knight (bass vocals), Bill Walsh (drums) et le guitariste Peter Jones qui amène «Custom Credit» au riff de la menace. C’est excellent et assez hypno. Basses avant toutes avec un filet de bave psyché dans le fond du son. Quant au beurre, il reste fluet. En fait, ils dépotent un petit gaga-punk qui avance comme un rouleau compresseur. C’est leur marque. Ils n’ont que ce son-là et ils l’exploitent à gogo. Ils font donc toujours un peu le même cut, yeah yeah, avec le même son caverneux et cette petite purée en fond de déco trash. Ils atteignent rapidement leurs limites. Le meilleur cut de l’EP est sans doute «Gangrene Dream» en B : ils mettent un discours d’Hitler en musique. C’est le plus trash des trucs.

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    Leur premier album sans titre Cosmic Psychos date de 1987. Dès «Decadence», on est dans le bain d’un punk-rock hypnotique. La basse rôde dans le ciel comme un gros ptérodactyle. Ils sont parfaits dans leur rôle de punksters monolithiques. Ils foncent dans le bush et la basse de Ross Knight hante le son. Bill Walsh bat «No Complications» bien tribal, mais avec de spectaculaires descentes de roulements. Ces mecs sont inclassables, ils montent sur les coups comme d’autres montent sur les braquos. On est ravi de l’excellente qualité du son et du beat. Ils tentent le diable en B avec un heavy «Jellyfish», ils honorent à leur façon le heavy blues rock des seventies. Et paf, ça repart de plus belle avec «Can’t Come In», ils foncent tout droit, c’est tout ce qu’ils savent faire. Avec eux, Punk’s not dead.

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    Leur deuxième album s’appelle Go The Hack. Ils posent au crépuscule sur un bulldozer, ce qui colle bien à leur image d’Aussie gaga-punks. Et pouf ! Ils foncent tout droit dès «Lost Cause». Ils adorent foncer tout droit, alors ils foncent tout droit. Avec «She’s Cracking Up», ils font un excellent numéro de power trio. Leur son est un mélange brutal de droit devant et de marteau pilon, arrosé de chœurs de cracking up. Quand on écoute «Out Of The Band», on pense bien sûr aux Ramones. Même sens de la scie. Ils emmènent encore leur gaga-punk à fière allure en B avec «Pub». Même lorsqu’ils passent en mid-tempo, ils restent dans la tempérance de bonne mesure, avec de la cisaille et du bon beat métronomique. Ils scandent le BIT de «Back In Town» à qui mieux mieux, ça prend des allures d’hymne sur un beau tempo à la Ramones. Bon bref, tout ça reste très longiligne. Ils terminent avec le morceau titre qui sonne comme un punk anglais, avec un solo de trash-wah. De toute façon, c’est excellent.

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    Paru en 1990, Slave To The Crave est un album live at the Palace. Départ en trombe avec l’excellent «Decadence». Ross mène le bal à la basse fuzz. Il parle avec l’accent cockney aussie, c’est un vieux barboteur. Les deux bombes sont «Quarter To Three» et «Stink». Ah ces giclées de wah ! Ils savent créer les conditions de l’embrasement. Rien de plus rougeoyant qu’une giclée de wah sur fond de beat hypno. Bill Walsh drumbeate «Stink» à la folie Méricourt. Quelle violente giclée de manhood ! Ils sont relentless, comme on dit en Angleterre. Ils sont quasi-anglais dans l’approche du punk-rock, quasi Johnny Moped. Bush not dead ! Ils se mettent en colère en B avec «David Lee Roth» - Suck me off ! - On ne les changera pas.

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    Encore une belle gamelle de punk and fuck avec Blokes You Can Trust sorti sur Amphetamine Records en 1991. Ils restent fidèles à leur mad frenzy, le genre battu à la diable par Bill Walsh, et bien sûr l’autre dingue est toujours là, le Robbie Watts, avec sa chemise à carreaux. Robbie va loin dans la démesure, c’est pour ça qu’on l’aime bien. Ces mecs font leur truc dans leur coin, il ne faut pas les déranger. Tiens, voilà «Dead Roo», punk-rock relentless avec un Robbie en maraude. Ce mec est le roi des somptueuses giclées de sperme sonique. Ces trois mecs sortis du bush jouent leur truc à la vie à la mort. Alors bien sûr, certains diront que Ross Knight chante mal et toi tu leur répondras : vas-y, prends le micro et chante ! Pas facile de faire du Psycho. D’une certaine manière, c’est du grand art. Robbie Watts fait le gros du boulot, il organise les fleuves de lave, il veille à tirer ses notes et part en vrille à point nommé. C’est un bonheur que d’entendre ce mec jouer de la guitare. Il est un peu comme Fast Eddie, always on the run. Pas de surprise avec un titre comme «Hooray Fuck». Cho-cho hooray ! Ils sont dans l’énergie renouvelable, ils n’arrêtent jamais et Robbie part en vrille assassine à la Ron Asheton. Ils s’entendent tous les trois comme larrons en foire. Qui saura dire l’excellence de la Psychomania ? Voilà «Never Grow Old», véritable déclaration d’intention et Robbie Wallts nous fracasse ça d’entrée de jeu. Ça devient vite infernal, bien pulsé par ce batteur fou qu’est Bill Walsh. On entend même Robbie claquer des chorus fantômes dans les interstices. Ces mecs ne s’ennuient jamais et nous non plus. Robbie joue comme un conquérant et ce fou de Walsh bat tout ce qu’il peut battre, il est comme une loco, celle de Jean Gabin qui fonce la nuit vers le Havre, à grands renforts de roulement intestins.

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    C’est avec Palomino Pizza paru en 1993 et produit par Mike Mariconda à Melbourne que les Psychos déploient leurs ailes. Il foncent tout droit dès «Rain Gauge» et développent un power à la Motörhead. Ils font de l’ultra-rock, comme Lemmy. Ils sont hallucinants de tout-droitisme, ils filent sur le fil, pied au plancher. On les voit plus loin faire décoller le gros bolide de «GOD». Le cut devient passionnant car des événements surviennent sur le tard, notamment la wah de Robbie Watts, c’est même une wah phénoménale, on assiste à une élongation du domaine de la turlutte, ces trois mecs sont puissants, peu de gens sont capables de mener un tel train d’enfer en maintenant l’intérêt en éveil. Thanx Mariconda for this one. Bill Walsh vole le show dans «Champagne Sunday», ce batteur fou bat ça à la savage punk. Les Psychos développent encore une énergie punkoïde dans «Shut Up». Ces mecs n’arrêtent jamais, ô grand jamais, ils savent couler un bronze fumant. Ils se situent dans une certaine énormité. Ils terminent avec un «Shove» allumé aux renvois de chœurs, sous un gratin de heavy Cosmic. Bizarrement, ce cut ne figure pas sur la track-list de l’album. Il faut savoir qu’il existe et qu’il est bon.

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    Les Psychos passent au pur blast avec Self Totalled paru en 1995. Tu prends «Bullet» en pleine poire, t’es baffé direct par le bass blow, les amplis vibrent, les Psychos jouent à la sature extrême et c’est bienvenu. Leur blast rivalise de deafening avec celui de Motörhead, ils jouent comme des diables et explosent la rondelle des annales. Seuls les Australiens sont capables d’une telle violence sexuelle. Prod exceptionnelle. Le mec a su garder le vibré des baffles, l’essence même du rock. Là, tu as tout, le drum et la voix en peu derrière et le pulsatif devant. Chez eux tout est ramoné à la ramonade, ils nous font le coup de la logorrhée de heavy bassmatic. Sur cet album, Ross Knight s’appelle Slapper Jackson et Robbie Watts devient Fess Parker. Nouvelle explosion avec «The Man Who Drank Too Much». Pur blast, Bill Walsh volerait presque le show. Oh ils font aussi du gaga-punk avec «Bad Day» et redorent le blason d’un vieux mythe, celui du power trio. Walsh bat ça à la dure. Il est monstrueux. C’est dingue ce qu’il développe. On ne croise pas tellement de groupes capables de développer un tel power. Les Psychos sont un phénomène. C’est l’un des pires albums de blast qu’on puisse écouter ici bas. Leur folie flirte avec le génie, il y a de la stoogerie dans leur côté destroy. Stupéfiant ! Encore une crise de folie Méricourt avec «Thank Your Mother For The Rabbits». On reste avec ça dans la stupéfiante violence de la puissance sonique. Ces trois mecs valent n’importe quelle armée, ils se situent au-delà de tout et l’autre, là, qui part en vrille de wah ! Il va d’ailleurs ravager le «Neighbours» d’après. Ces mecs jouent tout à bride abattue. On croise plus loin un «Almost Home» bien déflagré, bardé de grosse saucisse d’aussie blast et Robbie Watts ne rate pas une occasion de passer un killer solo flash. Diable, comme ce mec peut être bon. Il incarnerait presque la rectitude. Bon batteur, bon guitariste, bonne voix, les Psychos ont tout l’apanage en magasin. Ils foncent ventre à terre dans leur heavy psychotic bush - I couldn’t give a fuck - claque Ross Knight dans «Come On». Il a raison, rien a foutre, claque ton bush, Ross, don’t give a fuck. C’est avec cet album qu’on prend vraiment les Psychos au sérieux, au moins autant que Motörhead.

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    Ils nous tapent une petite pochette à la Dwarves pour Oh What A Lovely Pie. Les photos à l’intérieur du trois volets ne te seront d’aucun secours. Les filles sont à poil, mais pas comme chez les Dwarves. L’album sort en 1997 et on l’accueille à bras ouverts. Ils démarrent avec un «Can’t Keep A Good Man Down» heavy on the brawl. C’est du Psychos de la pire engeance, du demented are go surmonté au win it over, chanté à la rascasse et percuté de plein fouet par un solo de wah. En gros, ils bardent à l’excès. Avec «Hammer», «Guns Away», «Moll» et «Breathless», on peut parler de génie. Leur son est une marée montante, les coups de wah aplatissent l’occident, Robbie Watts flashe sa purge en permanence, pure bush genius. Ils balayent les frontières avec «Guns Away», le solo prend feu, ils rivalisent d’audace avec les Stooges, tout est arrosé de wah en feu, c’est du trash killer wah, ça bat à la vie à la mort et la basse fuzz fait l’interface. «Moll» monte encore d’un cran, comme si c’était possible. Ici, le power enfile le génie qui adore se faire enfiler. On voit le chant tituber dans l’écho des riffs. Les Psychos deviennent des géants. Impossible d’imaginer une pire équipe et une pire maîtrise. Ils restent dans l’extrême punk-out avec «Breathless». No way out, on les suivrait jusqu’en enfer. Et ça continue comme ça jusqu’au bout de la nuit, dégelée après dégelée, ils s’arrangent pour nous maintenir en éveil comateux, avec des cuts visités par des vents mauvais. «Creepin’» sonne comme une stoogerie. Leur «Super Vixen» va encore bien au-delà des Ramones et des Aussies. Ils sont dans un power trip et c’est passionnant. Ils font le punk’s not dead à eux tout seuls, ils l’éclatent au qui mieux mieux et bien sûr Robbie Watts passe un solo killer flash histoire de raviver les braises, le Vixen put a spell on me bascule dans la magie cosmique, on les vénère pour cette constance de la prestance et si tu veux entendre le pilon des forges, il est dans «Chainsaw».

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    Le molosse qui gronde sur la pochette de Dung Australia annonce bien la couleur. Pas de pires Demolition Doll Lads que les Psychos. On se fait immédiatement sauter à la gueule par «If You Want To Get Out Of It». Merveilleuse violence, c’est un bienfait pour la rate, ils aplatissent tout sur leur passage, avec en queue de cortège l’inévitable solo en flammes de John Mad Macca McKeering, le remplaçant du pauvre Robbie Watts qui vient de casser sa pipe en bois. Rassure-toi Mad Macca est aussi psychoïde que Robbie Watts. Ils atteignent avec cet album une espèce de maîtrise du son absolutiste. Ross Knight explose tout au chant. Un certain Keiran Clancy amène le renfort d’une deuxième guitare et Dean Muller a remplacé Bill Walsh au beurre. Les Psychos restent dans leur délire extrémiste. Ils défoncent «20 Pot Screamer» à la pure dementia, ils labourent les côtes du son, c’est tout ce qui les intéresse. Ils ont tellement de son qu’on s’en effare, les rasades de killer solos ne servent qu’à détruire et on tombe plus loin sur un «Miss Me» explosé d’entrée de jeu, ces mecs sont d’épouvantables monsters, ils battent tous les records de lourdeur et de verdeur. Ça bat tellement que le son chevrote. Existe-t-il pire force de frappe sur cette terre ? Non. Ça démolit dans la démolition, les flammes du solo coulent dans le courant du fleuve, ils jouent le beat des soudards, ils sont à la fois excellents et impitoyables, leur maîtrise dépasse un peu la capacité des mots. Certains cuts sont plus classiques, mais tout est bourré de son jusqu’à la gueule, comme on le dit d’un canon de flibuste. Ils attaquent «Follow Me Home» à la belle avoine, ils créent de la joie et de la bonne humeur au cœur des enfers, tout est énorme ici, et l’autre fou n’en finit plus de tapisser les murs de giclées de wah. Ils finiraient presque par devenir trop énormes et par nous donner la nausée, mais en même temps, ils jouent l’un des meilleurs rocks de l’histoire du rock. «Bee Sting» sonne comme du gaga punk supérieur, claqué du beignet dans l’absolutisme défenestré. Les guitares dévorent tout. «Dollar Each Way» vaut pour l’une des plus belles coulées d’heavyness d’Australie et «Skirt Lifter» pue le cramé de wah. Ah quels diables ignobles ! Leur démesure finit par foutre la trouille. One two three, hommage aux Ramones avec «Anarchy In Boondall». Ils rockent ça à la vie à la mort, c’est bourré de vie, de gratté de grattes et de chant à la bonne franquette.

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    En 2011 paraît Glorius Barsteds. Ils gagnent toujours en power, battle punk forever. «Hate Drunkenness Vandalism Demolition» sent bon la démesure tribale. Et dans «Hoon», le solo prend feu. Comme d’habitude, tout est extraordinairement bardé de son. John McKeering démolit «Bull At A Gate» qui ouvre le bal de la B. Il s’amuse à rentrer dans le lard des cuts au moment le plus opportun. Il continue de faire sauter la B avec «3rd Strike». McKeering visite ça en profondeur. Il crée une source de jouvence permanente et l’album devient mirobolant. McKeering est partout, on le voit surgir dans «Nude Shellas On Motorbikes Drinking Beer» et ça reste puissant jusqu’au bout de la nuit. Ils finissent avec un «Wake Up Rocket» fantastiquement heavy.

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    Hooray Fuck - Live At The Tote qui s’appelle aussi I Love My Tractor pourrait bien être le meilleur album des Psychos. C’est un live. La pochette d’Hooray reste sur l’esthétique des premières pochettes, avec le beau ciel bleu derrière les Psychos, mais la pochette de Tractor est marrante, car on voit trois mecs se rouler par terre devant la petite scène où jouent ces démons de Psychos. Là dessus, tout est bon, il n’y a rien à jeter. Ils démarrent avec un «Pub» dévastateur, Dean Muller bat ça à la vie à la mort et Ross Knight gueule comme un con. Big heavy Cosmic blast ! Ils font du high energy atmospherix à trois, ils balancent une vraie dégelée de no way out, à la Cosmic ultraïque. Mad Macca est un dieu de la wah. Alors si tu aimes la basse fuzz, il te faut écouter «Nice Day To Go To The Pub». Mad Macca prend feu, une fois de plus, ça blaste all over et ça wahte par dessus la basse fuzz, et bien sûr ce démon de Ross is on fire. Et ça continue de cavaler à travers la plaine avec «Mortician», ces mecs n’en finissent plus de redorer le blason du blast, mais un blast en surchauffe, cramé de l’intérieur. On les voit repartir aussi sec à chaque fois pour une autre dégelée, et le gros arrose tout de wah brûlante. Avec «I’m Up You’re Out», Ross fait du heavy punk aussie. Il est magnifique de screaming, il prend tout en frontal. C’est dingue comme ces mecs savent tenir la distance. Chaque cut est pulsé dans le ventre du rock. Leur passion pour le bulldozer prend ici tout son sens. Leur violence ricoche dans le son, c’est en tous les cas ce que montre «Dead In A Ditch». Ils sont dans l’expression de la violence salvatrice. Il n’existe pas grand chose au dessus des Psychos. Encore une belle envolée avec «Quater To Three». Ils savent très bien ce qu’ils font. This is the real blast, my friend. Les accords rayonnent dans la chaleur du blast. Ces trois mecs ont tout : l’aussie, la wah et le hard beat. Quel bonheur de voir cette wah tout dévorer. Chaque cut sonne comme une invasion. Ils cherchent chaque fois le maximalisme de la violence sonique et parviennent à la maîtriser pour en faire une sorte d’anti-art. «Go The Hack» sonne comme un pandémonium, c’est un blast à toute épreuve qui date du temps de leurs débuts. Retour de la basse fuzz avec «20 Pot Screamer», ils syncopent leur beat et ils deviennent complètement fous avec «Back In Town». Ils vont très vite en besogne et ça devient incontrôlable, Dean Muller remet tout ça au carré. Mais on sent bien qu’ils sont irrécupérables, on voit bien avec «Lost Cause» qu’ils ont du mal à s’arrêter. Ils font plaisir à voir. Ils restent les tenants du titre, blasters forever. C’est sans doute leur tenue de route qui impressionne le plus. Ils font un «David Lee Roth» punk as hell, c’est le blast définitif, touch me out !, et ils bouclent avec «Hooray Fuck», c’mon cunt ! Ah les fous !

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    Si on fait l’effort de rapatrier ce gros picture-disc qu’est Cum The Raw Prawn, on sera bien récompensé. Les Psychos s’améliorent en vieillissant et gagnent en véracité combinatoire. Pour preuve, voici «Bum For Grubs», une belle giclée de Cosmic trippe, ça wahte dans tous les coins, ils sont exceptionnels. Ils mènent le power à la trique et McKeering wahte comme un beau diable, Il fout le feu quand il veut. Ils atteignent une sorte de maturité avec «Come And Get Some» et leur aisance à driver un beat les préserve de toute critique. Ah quelles belles vagues de wah ! Ils ne sont pas près de se calmer. En B, ils terminent leur morceau titre à coups de fuck you et de fuck yourself. Ils développent encore un potentiel d’acier avec «Ack-Ack» et la wah expiatoire de McKeering vient lécher les bollocks du Cosmic beat, elle se répand dans l’air comme un vent de flammes. Pour finir en beauté, ils explosent en plein vol avec «Didn’t Wanna Love Me», une énorme dose de Cosmic blow.

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    Leur dernier album en date s’appelle Loudmouth Soup. Il date de 2018. Curieusement, il n’est pas aussi intense que certains de leurs albums précédents. Ils transforment «100 Cans Of Beer» en bulldozer sonique, c’est-à-dire en heavyness incommensurable et il faut attendre «Moon Over Victoria» pour refrétiller, car John McKeering joue les accords des Stooges. Les Psychos restent dans le décorum du fucking hell avec le fuzzed-out bass sound de «Mean» et là, mon coco, tu vas entendre McKeering passer l’un de ces killer solos dont il a le secret. Et puis arrive le cut mythique par excellence : «To Dumb To Die» qui est en fait un hommage à Roky Erickson, car c’est «Two Headed Dog» revu et corrigé par les Psychos. Ils se situent d’emblée au firmament de l’underground universel - I’m too dumb to die/ I don’t know why I’m too dumb to die - Roky doit se marrer dans sa tombe. Retour des cavalcades infernales avec «Rat On The Mat». On assiste à l’explosion d’un power trio. Quelle équipe ! Ils font sauter tous les vieux concepts et Ross Knight se tape un final au finish à l’anglaise, aw, hell ! Ils bouclent Loudmouth Soup en allant vers le fleuve avec «Last Stand». On est bien content de les accompagner, même s’ils nous font parfois des tours pendables.

    Signé : Cazengler, Comique Psycho

    Cosmic Psychos. Down On The Farm. Mr. Spaceman 1985

    Cosmic Psychos. Cosmic Psychos. Mr. Spaceman 1987

    Cosmic Psychos. Go The Hack. Survival 1989

    Cosmic Psychos. Slave To The Crave. Rattlesnake Records 1990

    Cosmic Psychos. Blokes You Can Trust. Amphetamine Records 1991

    Cosmic Psychos. Palomino Pizza. City Slang 1993

    Cosmic Psychos. Self Totalled. Amphetamine Reptile Records 1995

    Cosmic Psychos. Oh What A Lovely Pie. Shagpile 1997

    Cosmic Psychos. Dung Australia. Timberyard Records 2007

    Cosmic Psychos. Glorius Barsteds. Missing Link 2011

    Cosmic Psychos. Hooray Fuck - Live At The Tote. Cobra Snake Necktie Records 2011

    Cosmic Psychos. Cum The Raw Prawn. Desperate Records 2015

    Cosmic Psychos. Loudmouth Soup. Go The Hack Records 2018

     

    Inside the goldmine

    - De l’Adorabilité des choses

     

    Oui, ça devait être ça, Porte d’Aubervilliers ou de la Chapelle. C’est là qu’elle tapinait. Elle arrivait vers 1 h du matin. Elle annonçait le tarif, ok, et elle montait à bord. Tiens tu vas par là, c’est tranquille. Elle avait deux dents cassées, devant. C’est la première chose qu’il remarqua. Elle devait avoir tout au plus trente/trente-cinq ans. Cheveux longs, châtain clair, un peu ronde. Mais diable, comme elle suçait bien. Elle y mettait tout le tact dont peut rêver un homme. On pouvait même en déduire qu’elle devait aimer ça. Très rare dans ce circuit où la pipe se fait généralement sans âme ni état d’âme. La pute est contente, elle a ramassé son billet, le mec s’est vidé les couilles, il peut rentrer dormir chez lui. Il fut tellement ravi qu’il y retourna la nuit suivante. Personne. Elle devait être victime de son savoir-faire, ça paraissait évident. Alors il remonta les Maréchaux vers le Nord et fit demi-tour une demi-heure plus tard. Elle était là. Ils nouèrent cette nuit-là une espèce de relation. Il revint la retrouver quasiment chaque nuit pendant quatre mois, le plus souvent dans l’hôtel où elle vivait, vers la Porte d’Auber. Ils dépêchaient longtemps une vague besogne, puis quittaient l’hôtel pour aller vers la rue Myrha. Elle devait se ravitailler car elle tournait au crack, bien sûr. Ils allaient ensuite dans un mini-market ouvert toute la nuit acheter un doseur de Ricard et filaient aussi sec dans un hôtel de Stalingrad procéder au rituel. Elle partageait tout, sa vie, son crack, son corps et l’extrême misère de sa condition. «T’es adorable, mon cœur», disait-elle, avec un léger accent. Il repartait au lever du soleil pour aller bosser, fier d’avoir goûté aux saveurs du trash suprême, ce qu’il appelait l’Adorabilité des choses. Alors que l’énergie bouillonnait en lui et livrait un combat sans merci à la fatigue, il allait retrouver sa bagnole, s’émerveillant à chaque pas de l’immense saleté des rues, le long du métro aérien. Valsait en lui l’Adorabilité des choses. Jusqu’au vertige.

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    Elle aurait pu dire d’Adorable qu’ils étaient adorables. Le premier album de ce groupe anglais date de 1995 et s’appelle Against Perfection. Le chanteur s’appelle Piotr Fijalkowski, il est polonais.

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    Dès «Favourite Fallen Idol», he makes it. C’est violent, side by side, il dégringole dans les vapes du génie vocal, ah les Psychedelic Furs devraient prendre des notes. Piotr tombe, aw aw. C’est un fantastique artiste. Avec «A To Fade In», il fracasse tout, il transforme la Brit Pop en apocalypse now, il multiplie les douches froides d’exception. Le génie est dans la course comme il est dans la cause. Ce Polak à moitié viking ravage les côtes de «Homeboy», aw comme il chante bien, you’re so beautiful. Il faut voir l’«Homeboy» éclore en bouquets d’artifice. Comme ce Piotr est un singer exceptionnel, tous les cuts prennent de sacrées tournures, les montées flambent, ils jouent à deux guitares. Nouvelle splendeur catatonique avec «Cut # 2». Piotr a autant de power que Lou Reed ou Peter Perrett, mais avec un truc en plus, un truc en plume, un truc à lui, une couleur de timbre qui rend sa présence immanente. Ces adorables Brit-popsters lèvent des vagues dans leur pop et Piotr met un point d’honneur à exploser chaque fin de cut. Ils font aussi du wall of sound («Crash Sight») et bouclent cet infernal bouclard avec «Breathless», une chanson d’amour chargée d’un désespoir de main tendue, Piotr chante au tranchant d’effarence, il crée les conditions du fall out, sa voix porte au loin, il touche les cordes raides, il atteint les ports, il touche tellement au but qu’on voit le but. C’est l’une des voix de notre époque. Ce mec a la Melancholia de Dürer gravée dans sa cuirasse. I love you !

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    Leur deuxième et hélas ultime album d’Adorable s’appelle Fake. Il vaut peut-être mieux commencer par écouter «Road Movie» que Piotr plie en quatre avec un fatalisme typiquement polonais, puis il s’exprime au grand jour et à pleine poitrine, alors tout bascule dans l’ampleur shakespearienne de la tempête. L’autre point fort de Fake est le «Feed Me» d’ouverture de bal, un Feed Me éclairé aux accords malovelants et ça donne une pop teigneuse et belle, brune et sensuelle - She falls ever so/ Ever so soft/ So soft - et ça éclate au Sénégal avec la copine de cheval. Avec Piotr, la messe est dite en permanence. Messieurs les Furs, rangez vos fears, personne ne peut égaler le Polak au petit jeu du power surge atmosphérique. Il monte vite au vent de la vague. Il est magnifique et tellement désintéressé. Une présence qui n’en finit plus d’être présente, c’est la force de cet adorable Polak. Mais Fake est nettement moins dense que son prédécesseur. Les submarines ne sont pas aussi glorieux que ceux de Captain Sensible. Il semble même que ce géant se noie dans un son à la mode. Avec «Lettergo», Adorable sonne comme une fiotte éplorée sans port d’attache. Fake se tire une balle dans le pied. Mais la basse fuzz vole au secours de «Kangaroo Court» et le radeau de la méduse reprend sa course, avec un Polak en figure de proue. Les pronostics les donnaient perdants et voilà que le radeau file à présent vingt nœuds. Il file droit sur l’horizon que scrute Piotr alors qu’un matelot affamé commence à lui dévorer un mollet. «Go Easy On Her» s’ouvre sur des arpèges magiques, une véritable invitation à l’Adorabilité des choses, mais ça peine un peu à jouir, même si Piotr bande ses muscles pour tenter de hisser ce boulet jusqu’au sommet.

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    Quelques années plus tard, le Polak monte Polak à Brighton avec son frangin Krzys et trois autres petits mecs du coin. Ils enregistrent deux album. Le premier s’appelle Swansongs et vaut le déplacement, sacrément le déplacement. Piotr ne traîne pas au coin du bois mais au coin du son, il est tout de suite présent. Mille fois plus présent que ne le sera jamais Nick Cave. Eh oui, c’est malheureux à dire, mais c’est la réalité. Piotr impose une ambiance, comme savent le faire Owen McCarty et Mark Lanegan. Pour lancer «Tracer», il ouvre la bras, venez mes amis, je chante pour vous. Il est très bon, peut-être même trop bon. Trop d’intégrité ? Il est aussi juste et profond que Mark Lanegan. Pas de demi-mesure, il chante à l’absolu du chant, il brûle en profondeur et quand les guitares arrivent, il fait monter la sauce, il racle son chant aux parois de l’abandon. Il enchaîne avec un autre cut faramineux, «Nobody’s Cowboy Song», amené au merveilleux hook de guitar slinging. Il entre dedans comme dans du beurre, c’est un spécialiste, un fabuleux groover, il sait de quoi il parle, c’est ouvert sur le ciel, complètement ouvert, my friend, I’ll stay alive my friend, avec de faux échos de «You Can’t Always Get What You Want», juste de faux échos, I’ll stay alive, c’est stupéfiant, et niaqué aux guitares. Très beaux restes d’Adorable. D’autres morceaux rappellent aussi Adorable, comme ce «Storm Coming» amené à la marée montante absolutiste, aw storm coming, comme son nom l’indique. Avec une voix pareille, Piotr Fijalkowski devrait être aussi célèbre que Bowie. Le fait qu’il soit resté à l’écart est incompréhensible. Encore de l’Adorabilité des choses avec «Impossible», ils rejouent la même carte, celle du Big Atmospherix adorable, un mix unique en Angleterre. C’est le romantisme byronien du XXe siècle, une pure merveille d’extension du domaine de la turlutte. Il va ensuite chercher la petite bête dans «Love In Reverse» avec une gonzesse nommée Ruth Calder. Elle est pas mal. Tous ces exercices ne sont pas simples, il faut savoir s’y prêter pour un rendu. Piotr va ensuite fracasser son «Shipwrecked» sur les récifs, il adore ça, c’est le vieux fonds de commerce Adorable, le cut perdu dans la nuit des temps immémoriaux. Ce mec sait ce qu’il fait, on le comprend bien, soft et léger, avec l’underground des trottoirs jonchés d’immondices à fleur de peau.

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    Le deuxième album de Polak sort deux ans plus tard et s’appelle Rubbernecking. Même chose qu’avec l’album précédent, on est tout simplement heureux de le croiser. Piotr Fijalkowski ne veut pas qu’on le réveille dans «Don’t Wake Me». C’est assez clair. Drug song ? Va-t-en savoir ! Et boom, voilà «Love Lies», il prend le taureau des Lies par les cornes, suivi par des guitares. Il redevient le temps d’un cut l’un des plus puissants seigneurs d’Angleterre. Power absolu ! Il descend sur la pop comme un aigle, ou mieux encore, comme un vampire, on le voit littéralement descendre dans le son. Terrifiante prestation ! On reste dans le génie polish avec «Joyrider» qu’il attaque au ras des pâquerettes pour l’émulser dans une abondance d’excellence, alors ça monte, comme au temps béni d’Adorable. Les cuts sont très physiques, ces montées et ces descentes ne sont pas monnaie courante, dans le monde rock. Les groupes on tendance à rester linéaires. Piotr Fijalkowski adore les reliefs. Il les génère. Il est par exemple bien plus climatix que Liam Gallag qui est pourtant un grand chanteur. Piotr fabrique de la clameur. Il est tellement à l’aise qu’il donne l’impression de se balader dans le son. Il chante son «Dumbstruck» au hanté demented, il relance avec une majesté sidérante, you’re my obsession, il éclate sa sortie comme une noix, toujours juste et puissant à la fois. Avec «Something Wrong», il rentre dans le lard du son, comme Peter Perrett, Piotr est un vieux renard, il colle au big heavy groove de something wrong. Il tourne tout, absolument tout, à son avantage. Il termine cet album somptueux avec un «Come Down» d’une rare proximité. Il s’y américanise un peu, à la Fred Neil, et quand il laisse tomber son come down, on pousse un oh d’admiration, car c’est extrêmement beau. Alors il fait entrer du son, mais du très gros son, avec un drive de basse énorme et ça submerge tout, le drive démolit tout, glou glou, on disparaît avec la cité d’Atlantide. Heavy as hell !

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    Et puis voilà, les années passent. Piotr Fijalkowski sombre dans l’oubli, alors il décide de simplifier son nom en Pete Fij et de s’acoquiner avec Terry Bickers, l’ex-House Of Love, pour enregistrer deux albums. Le premier paraît en 2014 et s’appelle Broken Heart Surgery. Bien sûr, ils n’ont pas de label. Cette fois, Piotr n’a plus que sa voix. Les compos ne sont pas vraiment au rendez-vous. Il va se lover au creux du giron en attendant que vienne l’inspiration. Mais cette garce se refuse à lui. On le voit chercher sa voie dans «Sound Of Love». Même s’il chante à la Piotr du pauvre, ça reste nettement supérieur à la moyenne. Mais pas de feu dans la plaine, pas de bombes sur la cathédrale. On sauvera «Breaking Up» pour son côté insidieux, bien orienté, bien rocky, I got run over, il sait doser sa rockitude, il attend patiemment que ça se réveille, le breaking up est bien claqué au riff, avec des coups d’harp en fin de parcours. Mais bon, les autres cuts restent au sol. Ce n’est pas l’album du siècle, on est bien d’accord.

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    Pete Fij et Terry Bickers enregistrent un deuxième album en 2017, We Are Millionaires. Ça reste du hot Fij avec le big guitar sound de Terry Bickers, une présence indéfectible, un son très anglais, on the verge of the edge, violonné à outrance («Love’s Going To Get You»), comme suspendu dans l’espace, ce mec pose sa voix et c’est tout de suite captivant («Waking Up»), il faut le voir swinguer son groove de deepy deep, il travaille sa magie vocale au crossroad puzzle («Marie Celeste»), bien vu, Pete le Polak, il tape bien sa rengaine - I don’t know much about you honey/ But I know you’re driving me mad - Toujours la même histoire. Et puis voilà le miracle tant espéré : le morceau titre, hanteur comme seul Pete Fij peut hanter, il nous enveloppe dans sa chaleur mélodique, il faut voir l’éclat du tombé de ton - If that melancholy that we share was common currency/ Then we’d be millionaires - Toxique au plus haut point, l’une des plus belles chansons qu’il soit donné d’entendre en langue anglaise. Rien que pour cet all the currency, on se damnerait pour l’éternité.

    Signé : Cazengler, Adorat d’égout

    Adorable. Against Perfection. Creation Records 1993

    Adorable. Fake. Creation Records 1994

    Polak. Swansongs. One Little Indian 2000

    Polak. Rubbernecking. One Little Indian 2002

    Pete Fij/ Terry Bickers. Broken Heart Surgery. Not On Label 2014

    Pete Fij/ Terry Bickers. We Are Millionaires. Broadcast Recordings 2017

    *

    J'avais vu l'annonce de l'édition américaine, pas de sitôt que l'on verra une telle monstruosité en France m'étais-je dit. Il faut savoir reconnaître ses torts. Le voici sur mon bureau. Un paquebot, un porte-avions, le genre de pavé monstrueux qui encombre les bibliothèques et embarrasse les heureux possesseurs. Apparemment le souhait de la famille... Quarante-cinq euros, je sais bien que la poésie n'a pas de prix, bonjour l'opération marketing ! Il est vrai que le livre propose un grand nombre d'inédits, surtout en France. De nombreuses pages blanches ou noires aussi. Beaucoup de blanc aussi autour des textes composés en petits caractère. Z'ont dû mal comprendre la boutade de Mallarmé comme quoi les blancs sur lesquels s'inscrivait le poème étaient plus importants que le texte... Z'auraient aussi pu réfléchir sur le désir de Morrison de publier An American Night sous forme d'une plaquette destinée à s'immiscer dans la poche arrière d'un jean... Cessons nos jérémiades, il est d'autres questions plus importantes...

    ANTHOLOGIE

    JIM MORRISON

    POEMES, CARNETS, RETRANSCRIPTIONS, PAROLES

    ( Massot / 2021 )

    Que les Doors aient été dans les années soixante un des groupes de rock les plus importants des Etats-Unis, que leur chanteur possédât une voix et une indéniable présence sur scène, le monde entier nous l'accordera. Affaire classée. Mais en plus d'être un chanteur exceptionnel Jim Morrison s'est voulu poëte. Sur ce point les avis divergent. Sûr que ses lyrics étaient de loin supérieurs à la plupart des autres groupes, de là à lui décerner le titre de poëte, ne serait-ce pas trop ? Il est étrange de constater qu'à une époque où la gloire du poëte n'est plus ce qu'elle a été durant les siècles précédents, l'on dénie à Morrison, le droit de revendiquer ce titre bien galvaudé. C'est qu'inconsciemment s'opère dans les esprits, une scandaleuse équivalence entre grand chanteur de rock et grand poëte. Apparemment c'est beaucoup trop, quasiment antidémocratique, qu'un seul et même individu ait été ainsi favorisé des Dieux. Reste à lire les textes.

    Un temps d'adaptation est nécessaire. Surtout pour les textes connus depuis de si nombreuses années. La nouvelle traduction de Carole Delporte, nous déporte un peu hors de nos habitudes. Mais l'on s'y fait. Avoir à sa disposition plusieurs translations de textes dont on baragouine la langue, malheureusement les subtilités nous échappent, ne saurait être un handicap. J'ai passé la soirée à lire in-extenso de la première à la dernière ligne ces 586 pages. Voici venu le temps de donner mes impressions.

    Première surprise, la masse d'inédits nous obligent à reconnaître que le Morrison Rocker, ne correspond pas tout à fait à l'écrivain. L'ensemble des écrits gomme l'aspect mythologique des lyrics du chanteur. Moins de lézards, moins de serpents. Moins d'implications personnelles dans les personnages des poèmes. Dans une interview Morrison récuse le sérieux d'un texte comme La Célébration. Il parle d'ironie. Nous croyons que le jeune homme, et davantage encore l'adulte, qu'il est en train de devenir mûri par les expériences accumulées en peu d'années, s'écarte d'une vision trop adolescente, inhérent à son statut de rebelle absolu.

    Cette vision mythologique correspond aussi à celle d'un élève doué qui s'est forgé une culture livresque. De même beaucoup de ses premiers textes sont une réflexion sur le cinéma. Bizarrement l'ancien étudiant en art cinématographique à l'Université de Los Angeles ne parle ni de film, ni de technique. Le cinéma l'intéresse en tant que regard et vision. Pas celle du spectateur qui regarde des films. Du cinéma il passe d'ailleurs à un moyen de communication, spécifiquement américain, de diffusion des images : la télévision. Morrison évite la tarte à la crème de la critique de la médiocrité des émissions de télé. Ne s'intéresse pas davantage aux attitudes des téléspectateurs scotchés devant l'écran. Le problème n'est pas de regarder la télé pour la simple et bonne raison que c'est la télé qui vous regarde. Evitons les fausses interprétations. Morrison ne se lance pas dans une diatribe contre Big Brother. Il ne développe en rien la critique politique de l'éducation manipulatoire et de la surveillance des masses anonymes par un pouvoir oppressif.

    Inutile de vous précipiter dans votre salle de bain pour retoucher votre coiffure, la télé ne vous regarde pas. Elle regarde autre chose. La réalité. Si cela vous paraît incongru, vous allez avoir du mal à comprendre la démarche poétique de Morrison. C'est que bientôt il ne parle plus de télévision. Il n'a pas éteint l'appareil. Il a pris sa place. Ou plutôt sa poésie se chargera de cette occupation. Elle enregistre le réel qui se présente à elle.

    Une constance dans la poésie de Morrison, tantôt il évoque la chaleur, tantôt le froid. C'est qu'il ne jette pas un regard désabusé, neutre et glacé sur le spectacle du monde. De même, malgré un tel parti-pris sa poésie n'est ni réaliste, ni matérialiste. Elle ne dénombre pas le réel, elle ne revendique aucune vision philosophique du monde. Elle n'est pas non plus une poésie à hauteur d'homme. Très peu peuplée. De temps en temps un tueur solitaire – pas vraiment un bienfaiteur de l'humanité - et des filles ( beaucoup ) désirantes et désirables. Deux adjectifs que l'on remplacera par le mot sexe. La poésie de Morrison est animale. Il nous rappelle que nous sommes une espèce animale, ni pire ni meilleure que les serpents et les chiens... Nous sommes dans le regard que la poésie pose sur nous. Rien de plus. Rien de moins.

    Pourtant ce n'est pas une poésie impersonnelle. Loin de là. Il est indéniable que les poèmes portent en eux l'empreinte morrisonienne. Reconnaissable à première lecture. De quoi parle-t-elle au juste. De rien. Elle évoque non pas tout mais une certaine totalité. Celle de l'Amérique. Il l'annonce clairement dans les titres, An American Prayer, American Night Journal. L'Amérique de son temps, mais pas ''son'' Amérique. Aucun jugement moral ou de préférence affective. L'époque le voulait, certains poèmes évoquent le Vietnam, pas de condamnation de la violence, juste la violence. Morrison n'est pas Joan Baez. Il ne défend pas une cause, si juste serait-elle, il n'envoie aucun message, il montre.

    L'Amérique qu'il nous montre, ou plutôt l'Amérique qui nous regarde, est monstrueuse. Pas parce qu'elle est l'Amérique, parce qu'elle ressemble à nos pulsions humaines. En quoi le désir d'un assassin, un désir de mort, serait-il plus condamnable qu'un désir de vie – Morrison emploie rarement le mot amour – tous deux sont des désirs. Point à la ligne. Serait-il né en France je crains que la réalité française ne lui soit point apparue moins noire que la nuit américaine... Cette poésie sans illusion mais aussi sans mépris sur les hommes et les femmes touche à l'universel.

    L'on connaît le destin de Morrison. La plupart de ses écrits sont restés confinés dans des carnets. Cette Anthologie nous dévoile leur aspect extérieur, certainement moins anecdotiques des photographies présentent quelques poèmes traduits dans le volume. L'accès au texte original est un plus, mais nous emmène à quelques commentaires. Les poèmes de Morrison sont écrits en vers libres, disposés en strophes qui peuvent atteindre jusqu'à une quarantaine de vers. Le plus souvent beaucoup moins. Morrison prenait des notes. Des notes poétiques serait-on tenté de dire. Il n'a pas eu le temps de trier, d'arranger et de mettre en forme. La famille, quelques amis, et l'éditeur se sont chargés de cette tâche. Il est un point qui arrache la vue. La grosse écriture de Jim occupe l'ensemble de la surface d'une page. Quand on compare aux transcriptions typographiques de cette édition, il nous vient à l'idée qu'une dimension s'est perdue. L'on ne se gênera pas pour nous faire remarquer que les recueils édités de son vivant par Morrison se sont contentés d'une présentation à peu près similaire. Certainement. Je pense toutefois que dégagé de son métier de chanteur Morrison aurait apporté un plus grand soin à la mise en page de ses livres. L'œil lit, mais il voit aussi.

    Nous sommes de ceux qui pensons que Morrison n'est pas un poétereau de treizième zone, sans doute convient-il de le comparer à ses aînés. Dans les années soixante-dix, à l'écoute et à la traduction des lyrics des disques des Doors, je l'avais intuitivement rapproché de Shelley. Qui a le tort, si j'ose dire, d'être anglais. Je fais l'impasse sur la Beat Generation, il me semble que Morrison vient culturellement d'ailleurs, ceci serait à débattre. Réfléchissant ce matin à ma lecture de la veille, un nom s'est imposé dans ma réflexion, je n'y pensais pas, l'est venu je ne sais comment à mon esprit. Difficile d'établir une relation entre deux individus, deux biographies, et deux conditions d'écriture si dissemblables. Je pense à la recluse, à Emily Dickinson, qui n'est pour ainsi dire jamais sortie de sa maison, mais une même façon d'appréhender la totalité du réel au travers de leurs courts poèmes.

    Damie Chad.

    P. S. : Les paroles des textes des chansons ne sont pas traduites. Le manque d'un minimum d'apparat critique se fait sentir.

     

     

    GREY AURA

    ( Onism Productions / Mai 2021 )

    Comment, fût-il néerlandais, et se nommant Aura Grise - peut-être la traduction Âme grise serait-elle plus juste et plus respectueuse de l'idée véhiculée par une telle nomenclature – un groupe peut-il affubler la pochette de son deuxième album d'un tel tintamarre de couleurs ! C'est une longue histoire. Zwart Vierkant est le titre de ce deuxième opus, nous n'évoquerons point dans cette chronique leur premier disque que nous réservons pour une prochaine livraison.

    Le mystère sera en partie résolu lorsque nous aurons révélé que le titre de l'album raconte l'histoire d'un peintre nommé Zwart Vierkant. Si vous ne connaissez pas le néerlandais sa proximité avec la langue allemande vous incitera à rapprocher Zwart de Schwarz, le simple fait qu'un peintre arbore le drapeau noir d'un tel prénom symbolique s'éclairera si vous soumettez son patronyme au premier transcripteur venu, vous apprendrez que Vierkant signifie Carré.

    Le Carré Noir est le tableau le plus célèbre de Casimir Malevitch ( 1879 – 1935 ). Il ne voulait pas dire que la peinture était parvenue au bout de son cheminement, qu'il était désormais impossible pour un peintre conscient des limites de son art de peindre comme ses prédécesseurs. Au contraire, il escomptait marquer un nouveau début, la peinture devant se contenter de formes géométriques simples et de couleurs primaires, du blanc et du noir. Ce parti-pris pour empêcher que le peintre et le spectateur ne soient point distraits par un sujet choisi. Devant une scène de chasse, les chiens, les chevaux, les cavaliers, le renard, l'herbe, les arbres monopolisent et dispersent votre attention, vous oubliez que ce qu'il faut voir c'est la peinture et non le sujet de sa représentation...

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    Cet art nouveau, au début du vingtième siècle, Malevitch l'appela le suprématisme. Le suprématisme irrigue encore la production d'artistes modernes. Un tour sur l'instagram de Sarija Marusic, elle est l'auteur de la pochette, s'impose. Photographe, elle agrémente ses photos de couleurs violentes qui vous arrachent les yeux. Les personnes mises en scène, souvent en des poses peu communes, en sont d'autant plus visibles, qu'elles ne sont plus que des éléments du tableau au même titre que les couleurs, ce traitement de réduction graphique inaccoutumé les font davantage ressortir. La couve de l'album en est un parfait exemple. Après l'écoute du disque nous reviendrons sur la signification à donner à cette image, ce qui est une hérésie, puisque selon les canons du suprématisme, elle ne devrait signifier que le fait d'être une image.

    TJEBBE BROEK : guitar, percussion, bruitage, synthesizer, Spanish guitar / RUBEN WIJLJACKER : vocals, lyrics, guitar, percussion, foley, synthesizer, mixing / BAS VAN DER PERK : drums, percussion / SYLWIN CORNIELJE : bass

    GLEEN COENEN & INEKE NOORDHUIZEN : voice acting / ALBERTO PEREZ JURADO : trombone, trompette / HAENEL ENGEL : castagnettes / JOOST VERVOORT : vocal sur dernier titre.

    Nous avons opté pour la traduction des titres néerlandais. Ils peuvent ainsi aider à une appropriation de l'œuvre. Qui n'est pas facile. Elle est inspirée par un roman de Ruben Wijlacker qui l'a lui-même adapté à la différence près que son écriture a fait partie du processus de création de l'album. Le disque ne raconte pas à proprement dire le parcours de Zwart Vierkant fasciné au début de ce siècle par le suprématisme russe et les travaux tant pratiques que théoriques de Kandisky père de l'art abstrait. Chaque morceau est état un d'âme du peintre lors de son voyage initiatique en Europe. Peint de l'intérieur. Peu de détails explicites, l'ensemble est à interpréter, à écouter, à méditer, texte et musique, comme si vous découvriez à chaque fois le nouveau tableau d'une exposition que vous seriez en train de visiter.

    Mais ce n'est pas tout. Le groupe a travaillé pendant plus de six ans pour la production de l'œuvre. Il s'agit d'un projet ambitieux. Qui serait à mettre en relation avec Le Chef d'œuvre absolu d' Honoré de Balzac. L'histoire de Frenhofer qui finira par brûler toute son œuvre après avoir achevé son chef -d'œuvre. Cette histoire de destruction est au centre de la création de Zwart Vierkant. S'il arrive à réaliser un tableau totalement abstrait la réalité concrète du monde s'auto-détruira. Mallarmé a caressé de telles rêveries, la création du Livre exprimant totalement le Monde, induirait la disparition du Monde désormais inutile. Le lecteur retrouvera ici une application du principe de réversibilité que nous avons exposé dans notre chronique de Moonchild d'Aleister Crowley ( voir livraison 537 ). Grey Aura se revendique explicitement du modernisme, du décadentisme et de notre littérature fin de siècle. Ils se considèrent comme un groupe de Black Metal, qui leur semble le vecteur musical le mieux approprié pour s'aventurer dans toutes les hybridations intellectuelles et artistiques les plus novatrices. Ces sentes obscures sont en effet les plus créatrices.

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    Maria Ségovie : deux roulements fuyants de tambours, indice d'une tambourinade épileptique, signe d'un léger décrochage avec la réalité, comme une photo que vous tenez dans la main et dont l'image glisserait légèrement en dehors du cadre, vocal crépusculaire qui très vite confine à la folie, musique violente, comme ces couchers d'herbes hautes sous le vent de violons que l'on rencontre dans les symphonies, mais ici électriques, la voix légèrement dédoublée, maintenant précipitée, Zwart Viertkand, notre carré noir ne tourne pas rond, la peinture se confond avec la réalité, ce portrait de vierge est-ce un tableau véritable aperçu dans un musée ou une hallucination colportée sur les murs de la réalité, le sang de la vierge doit-il couler, meurtre nuptial ou phantasmatique, ambiance lourde et angoissée. Plongée au cœur du drame. Une guitare espagnole balaie les remugles de ses pensées. Volutes de fumée, bouteille : reprise de batterie que l'on pourrait imaginer pour accompagner la scène d'un film de la charge de Ney sur les batteries anglaises de Waterloo, hurlements de folie, pas douce du tout, des guitares comme un incendie de tourbières rases qui fument, douceur maintenant, l'artiste se calme, l'alcool, la drogue peut-être, ou l'abattement devant la tâche inaccomplie, la toile qui n'aboutit pas  se voile et devient voile sur la mer déchaînée de l'anabase de la folie. La traînée de mauve du désastre : la tragédie ne tarde pas à envahir son esprit, il crie, il s'exalte, il tient le bon bout du pinceau et de la folle du logis, il pense galoper vers la victoire, mais cette trainée mauve sur le tableau devient la preuve de son échec, il se mure dans la tour d'ivoire de son incapacité, la batterie s'écroule, les guitares se sont muées en vol de corbeaux au-dessus de champs de blé de Van Gogh à l'horizon, des chœurs transgéniques le transportent dans son rêve, la chair et le sang, toute femme n'est qu'une figure de la mort qui s'avance sur la mer, portée par des ailes de séraphins. El Greco en Tolède : nous ne sommes pas sortis de l'auberge de la folie, Zwart Vierkant crie comme un reître, il est dans le musée entouré des toiles del Greco, il rugit, il comprend, il accède aux arcanes finales de l'Art, son âme tinte comme une cloche fêlée, une fissure par laquelle s'engouffre la folie de la chair et du sang criminel, signe que le Monde sera enfin brisé, Elle est là, tous deux vont jouer les scènes torrides de la femme et le pantin de Pierre Louÿs, il cède à la sirène maléfique, c'est ainsi qu'il vivra sa saison en enfer, c'est ainsi qu'il recevra l'illumination créatrice. Et destructrice. Chant nuptial, le fiancé se dirige vers l'autel, un couteau, un pinceau, ou un pénis à la main. Paris est un portail : grandiloquence battériale, ahanements, Paris capitale des arts, chacune de ses nuits repeuplait les morts des batailles de Napoléon, chants d'ivrogne et de triomphe, rupture cette guitare qui swingue, une étymologie du mot jazz ne nous dit-elle pas que dans une langue africaine ce mot signifie l'acte sexuel, longs plaidoyers guitariques, est-ce ici que la perpétuation du geste signifie la maîtrise de l'œuvre et du monde. Paris est-elle la cité de la puissance ou de l'illusion. L'entrée du dédale dans lequel on se perdra. La séduction indescriptible de la vertu s'efface : roulements de tambours pour la charge de l'infanterie, vociférations, les réveils du petit matin, instants pathétiques, n'aurait-on libéré le kaos uniquement en soi, le monde extérieur ressemble-t-il à un corps froid sur lequel on n'a plus aucune prise, se moque-t-il de nous, marche-t-on vers le désastre de l'échec. Grandeur et décadence de l'empire que l'on a sur soi-même et sur les choses. Serait-on une fiole de folie brisée sur les rochers de la réalité. A moins que la fissure ne se fendille devant nous. Bouche d'ombre gracieuse : reprise effrénée mais que l'on pourrait aussi interpréter comme une pastorale ironique, la fissure correspondrait-elle au sexe de la femme, une voix mélodramatique pour signifier que toute gorge d'orgie est aussi une entrée des Enfers, la violence se fait douce, lit-on un poème ou un avertissement, interrompu par le cri de celui qui tombe, une diction tel un souffle sur une bouche et les cris d'exaspération de celui qui s'aperçoit que nul frémissement ne répond à sa frénésie, guitares à fond, bouleversements, entassements, la taupe qui progresse dans son terrier rejette la terre dans le monde extérieur, soulèvement de haines, extirpation de colères, elle n'était rien qu'une incarnation idéelle, la mer du monde se retire. Que reste-t-il ? Où sommes-nous? Quelle place pour l'artiste ?

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    La batterie tempétueuse cascade et écume sur les récifs du récit déchiré. Dans un quatuor elle tiendrait le rôle du premier violon accroché à la barre du naufrage. Les cordes en bruit de fond, le souffle des vents multiples baignés d'embruns qui vous précipitent du bord de la falaise dans le maelström sonore, la voix agitée en tous diapasons à la manière des haillons d'une voile qui claquent désespérément au vent.

    Un deuxième opus est en préparation. Nous attendons cette suite destructrice avec impatience. Une œuvre de longue patience. Certains kr'tntreaders s'étonneront des couleurs si pimpantes de la couverture si flashy pour un disque si sombre. C'est oublier que la violence est partout, qu'elle est intimement mêlée à la vie, un peu à l'image de ses gros rocheux laineux du paysage d'aspect si pelucheux, si inoffensifs qu'ils ont l'apparence confortable de ces poufs dans lesquels on s'assoit en toute voluptueuse quiétude, qui vous absorbent à tout jamais pour vous couper de l'attrait de toute action, un peu à la manière de l'étreinte de ces amants cannibales entremêlés qui s'entredévorent dont il ne reste quelques membres épars.

    Damie Chad.

     

    *

    Serait-ce un hasard ? Le monde serait-il plus petit qu'on ne le croit. Hier soir je me livrais à une autre de mes passions coupables, pas le rock 'n'roll donc, mais la poésie du dix-neuvième siècle, réécoutant sur You Tube une conférence de Quentin Meillassoux sur Le coup de dés de Mallarmé. Par acquis de conscience, la vidéo terminée, je m'autorise un petit net-surfin sur les livres de Quentin Meillassoux édités. A force de chercher l'on trouve. Tiens, Quentin Meillassoux est censé avoir écrit des notes de pochettes sur un CD de Florian Hecker. Nous voici à l'endroit précis où les Athéniens s'atteignirent. Je connais Stéphan Eicher mais pas Florian Hecker. Je tape le nom heckerien sur mon clavier et apparaissent une kyrielle d'occurrences, l'a apparemment enregistré davantage de disques que vous n'avez perdu de dents de lait, et plonk mon œil de rocker exercé repère deux références de sites connus, les deux mamelles nourricières indispensables à la survie du rocker en détresse, Bandcamp et Discogs. Je cours sur le premier, une dizaine de pochettes, mais les notes n'indiquent aucune mention de Quentin Meillassoux. Déçu mais pas vaincu. Je me précipite sur Discogs, notre gazier a au moins enregistré une vingtaine de disques et Cds notamment celui qui m'intéresse, Speculative Solutions. Et là je tique, y a un truc qui tilte dans ma tête, la maison de disques, Edition Mego.

    Ne mégotons pas sur les rouages du cerveau, mais oui, je vérifie, c'est là qu'ont été édités Luciferis et aussi Nona, decima et morta de Golem Mécaniques, chroniqués la semaine dernière dans notre livraison 538. Nous voici presque en terre connue.

    SPECULATIVE SOLUTION

    FLORIAN HECKER

    ( Editions Mego / Urbasonic / 2011 )

    tony marlow,bryan morrison,cosmic psychos,adorable,jim morrison,grey aura,hecker,rockambolesques ep 17

    I : Le livret :

    L'objet se présente sous forme d'un coffret ne contenant qu'un seul CD et d'un livret de cent soixante pages présentant trois textes, version en français, version en anglais, de Robin Mackay, d'Elie Ayache, de Quentin Meillassoux. Trois textes qui demandent attention et qui risquent de surprendre le kr'tntreader habitué à des réflexions sur tout autre genre de sujet, comme par exemple le rock 'n' roll. Nos trois auteurs sont des philosophes. Leurs œuvres, selon des déploiements très particuliers, recoupent un thème commun : celui de l'influence du hasard sur l'ordre et le désordre des choses.

    Ainsi dans Ceci est ceci Robin Mackay étudie le rapport existant entre l'Histoire et les Idées, comment la pensée humaine, soumis à sa logique rationnelle, se modifie-t-elle devant les accidents de l'Histoire. Il n'existerait donc pas de pensée pure, entendons purement humaine, puisque pour répondre à la logique des évènements contingents la pensée doit afin de les penser se résoudre à opérer des modifications de ses propres schèmes de production logique. Au mieux la pensée humaine ne peut que louvoyer entre les propositions extérieures du hasard.

    Dans Le Futur réel Elie Ayache nous rappelle que nous ne pouvons prévoir ou imaginer le futur qu'à partir de nos connaissances actuelles. Qui elles-mêmes ne sont pas fiables. Bref nous ne pouvons définir au mieux que des possibilités improbables du futur. Notre pensée de tout événement ( qu'il soit du passé, du présent, ou du futur ) se présente sous la forme d'une chaîne déductive probabiliste. Pour faire simple, nous ne maîtrisons pas grand-chose du monde, car notre seul et insuffisant organe de sa préemption, autrement dit la pensée, n'est sûre de rien.

    Métaphysiques et fiction des modes hors-science de Quentin Meillassoux est une méditation à partir de La boule de billard nouvelle d'Isaac Asimov. Il s'agit pour lui de démontrer qu'il existe deux types de livres de Science-fiction, ceux qui extrapolent à partir des données scientifiques de leur temps ( exemple tout bête, le Nautilius de Jules Verne paru en 1869 s'inspire des différentes expérimentations sous-marinières depuis l'Antiquité et la guerre de Sécession qui finit en 1865 ). Mais il existe des auteurs qui s'affranchissent de toute l'armature scientifique de leur époque pour créer des univers qui échappent à toutes les lois scientifiques, notamment de celles qui régissent nos compréhensions du temps et de l'espace ( voir Ravages de Barjavel roman dans lequel les pôles de l'électricité s'inversent ). Que veut dire Meillassoux, que si l'arrivée des choses s'inscrit dans l'ordre du possible, il est possible qu'il en survienne dans le désordre de l'impossible.

    Le coffret est agrémenté de cinq petites boules de métal, vous pouvez les considérer comme le jeu des perles de verres de Hermann Hesse, le jeu de dés de Stéphane Mallarmé, les atomes épicuriens qui n'attendent que votre intervention clinaménique pour former ( ou déformer ) un monde.

    II : Le disque :

    tony marlow,bryan morrison,cosmic psychos,adorable,jim morrison,grey aura,hecker,rockambolesques ep 17

    Peut-être avant de vous précipiter ( à pas lents ) sur les deux seules vidéos relatives aux quatre pistes du CD visibles sur You tube, serait-il bon que vous fassiez l'effort d'imaginer la musique qui pourrait correspondre aux textes si hâtivement résumés du livret. Si par exemple vous êtes fan de Heavy Metal ou des opéras de Wagner vous serait-il nécessaire d'effectuer une réduction de l'amplification sonore de vos souhaits...

    Speculative Solution 1 : l'audition est impossible. Profitons de ce répit pour spéculer sur les titres identiques des trois premiers morceaux. Spéculation indique que cette musique est une espèce d'œuvre in progress, en le sens qu'elle n'est qu'une hypothèse, qu'une probabilité de ce qui pourrait être. Pas du tout une outake préférée ou écartée, une proposition. Les chiffres qui suivent sous-entendent non pas la précarité d'une telle proposition mais le fait que l'on est face à une problématique complexe qui nécessite plusieurs essais. Mais au fait sur quoi, de quoi, spécule-t-on, du déploiement d'une musique qui réduirait les interventions du hasard à presque rien, peut-être à zéro, mais ce serait-là atteindre à l'absolu. Speculative Solution 2 : deuxième spéculation, avec en plus cette interrogation : le CD nous en propose deux, sont-ce les mêmes ou deux versions différentes, You Tube ne nous en propose qu'une seule sans plus de spécification, Hecker veut-il insister sur le retour du même, une manière de nier le hasard ou de l'affirmer car même si c'est le même qui revient l'auditeur l'entendra-t-il de la même manière, en dehors de tout affect ( contentement, ennui, impatience... ), le seul fait de l'écouter deux fois de suite, n'induira-t-il pas une manière différente d'appréhender et d'analyser le morceau, ne serait-ce pas un tour du musicien pour que le hasard différentiel révélé dans l'audition ne soit que le fait de l'auditeur, ce qui permettrait au compositeur de se prévaloir de la fierté d'avoir éjecté le hasard de son œuvre. Pauvres auditeurs désormais porteurs de la patate chaude et hasardeuse. Speculative Solution 2 : je vous conseille d'écouter la vidéo sans regarder les images superfétatoires qui l'agrémentent. Prises de nuit, depuis la vitre d'un wagon d'un train en mouvement, elles n'apportent rien, elles donnent surtout l'impression qu'on les a mises là pour meubler l'écoute et tempérer la déceptions des spectateurs. C'est sûr que l'on n'en prend pas plein les oreilles. Un petit bruit. Pas grand-chose, un clapotis, comme quelqu'un qui mâcherait son chewing gum à vos côtés, un rythme sempiternel – cela dure moins de trois minutes – une espèce de chuintement aléatoire vers la fin, c'est tout. Minimalisme sonore. Serait-ce une stratégie pour éliminer au maximum les incidences de toute surprise extérieure. Il est certain que vous avez moins de chance de ne pas subir le désagrément de vous faire écraser en traversant une autoroute en restant assis dans votre fauteuil. Esthétiquement je vous accorde que ce n'est pas très esthétique. Mais la beauté qui vous assaille provient évidemment des contingences extérieures. Octave Chronics : pour ceux qui ont difficilement supporte la solution 2, la direction vous avertit que celle-ci dure dix-neuf minutes et dégage toute sa responsabilité. Ça ressemble à quoi ? Un petit bruit électronique, un peu comme si vous choisissiez les deux touches du piano les plus aigües et que vous vous obstiniez à y appuyer dessus, l'une après l'autre, sans arrêt. Certes il y a des coupures, de très très légères brisures, mais ça reprend, un tout petit peu différemment, au bout de cinq minutes cela devient presque imperceptible mais ça repart style klaxon de voiture que vous entendez depuis le trente-deuxième étage, ensuite cela vous prend de faux airs de ritournelles, ça ressemble à un gamin qui vous tire la langue, l'on dirait que sur le clavier électronique le musicos est fatigué, appuie en deux temps mais trois mouvements, celui du milieu étant le plus silencieux, un bruit de gamelle en matière plastique que le chien racle deux fois sur le linoleum, et plouf, de minuscules gouttes d'eau qui tombent de partout, l'on dirait qu'elles se prennent pour Jean-Sébastien Bach, toccata en mineur pour fugue dans l'inaudible cristallin, précipitation extrême, mine de rien, il s'en passe des choses dans ce morceau, la musique se précipite-t-elle pour empêcher toute intrusion extérieure dans son champ d'émission fréquenciel, un peu comme quand vous bourrez votre théière de billets de 500 euros pour interdire à la moindre goutte d'eau d'y pénétrer, l'on peut parler de frénésie extrême, vous attendez que ça casse et ça passe un octave au-dessous en plus grave ce qui ne l'empêche pas de reprendre sa fuite vagabonde de truite de Schubert, l'on monte, l'on monte, l'on se dit que plus dure sera la chute, l'on aimerait savoir comment cette affaire se terminera, n'y aurait-il pas un certain désordre dans toutes ses notes qui se marchent sur la queue, ce n'est qu'une apparence, toutefois ça tangue un peu et l'on monte encore et le tout s'arrête sur deux coups étouffés et une espèce de souffle en expiration. Cette fois, c'est la stratégie inversée de la précédente, le morceau n'est pas refermé comme un œuf dans lequel il est impossible d'entrer, toutes les subtiles variations qui éclosent tour à tour n'ont d'autres but que de monopoliser votre attention. Les portes sont ouvertes en grand, le hasard et le destin du monde peuvent venir le squatter, vous ne les apercevez pas, tellement vous songez à suivre cette musique et son trottinement menu de souris, vous n'entendez guère, plus rien n'existe autour de vous, l'univers chaotique a disparu, tout est réduit à sa plus simple expression, cette musique que vous ne quittez pas de vos deux oreilles et de tout votre corps. N'y a pas plus de hasard que de lézard dans l'horloge du temps aboli. Ce n'est rien, mais un rien qui se fait entendre.

    Livret et CD sont indissociables. Ici la musique a repris son bien aux mots. Hecker apporte ses solutions. Dans la 2, veut-il nous signifier que les mots de la philosophie produisent un bruit de fond pas très profond dans l'univers. Dans ses chroniques d'octave s'amuse-t-il a rajouter des notes et encore des notes pour singer ces diarrhées de mots qui coulent sans fin des porte-plumes philosophiques...

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    Episode 16

    tony marlow,bryan morrison,cosmic psychos,adorable,jim morrison,grey aura,hecker,rockambolesques ep 17

    LE PLAN ALPHA' ( 1 )

    Je ne vous cache pas qu'après les déductions du Chef nous restâmes un long moment abasourdis. Même les queues de Molossa et de Molossito adoptèrent la forme d'un point d'interrogation. Les esprits battaient la campagne, chacun essayait de mettre de l'ordre dans ses pensées. Le Chef en profita pour allumer un Coronado. Il soupira devant nos mines atterrées et reprit parole :

    _ La balle est dans notre camp. Il est indéniable que Neil cherchait non pas à nous contacter, mais à nous prévenir, de quoi nous ne savons pas, c'est à nous de le trouver. Auriez-vous une idée ?

    Seul le silence lui répondit. Nous regardions le bout de nos pieds, espérant que le Chef ne s'adresserait pas nommément à l'un de nous, mais non, un sourire effleura ses livres :

    _ Vous n'êtes vraiment pas très malins, s'il a cherché à nous avertir, c'est que lui-même ( le Chef aspira une longue bouffée de son Coronado, qu'il exhala très vite, formant une traînée odorante aussi longue que ces chemtrails que relâchent les Boeings dans le ciel azuréen ) n'avait pas pu entrer en contact avec une autre personne et qu'il pensait qu'en tant que Services Secrets du Rock 'n' Roll nous étions ceux qu'ils jugeaient le plus à même d'accomplir cette tâche délicate !

    _ Vous sous-entendez hasarda timidement Noémie qu'il voulait que nous le présentions au président par interim de l'Elysée !

    _ Surtout pas lui ! Sans quoi l'Intelligence Service aurait prévenu les plus hautes autorités de sa présence sur le territoire national. C'est parce qu'il opérait en secret qu'ayant été repéré il a été abattu par la police...

    _ Mais alors qui, moi peut-être ! les dernières paroles du Chef avaient manifestement perturbé Noémie, pourquoi pas Molossito après tout tant qu'on y est!

    _ Enfin une parole sensée, Noémie je vous félicite, votre intelligence progresse depuis que vous êtes entrée au SSR, vous brûlez ! Vous pouvez remercier Molossito !

    _ Ouah ! Ouah !

    Molossa jeta un coup d'œil admiratif sur son fils adoptif, leurs queues maintenant se dressaient toute droites en points d'exclamation. Je commençais à entrevoir l'aléatoire vérité.

    _ Chef personnellement j'opterais plutôt sur Rouky, toutefois je pense qu'il s'agit de...

    Les deux chiens grognèrent sourdement.

    - Agent Chad, ces deux bêtes sont trop intelligentes pour manifester leur mécontentement sans motif, allez voir ce qu'il se passe ! Sans bruit et discrètement.

    AU DEHORS

    Le jardin était vide. Je m'y attendais. Je collais l'oreille contre la porte d'accès. Aucun bruit. Je l'entrouvris et me glissai dans l'obscur couloir jusqu'à la grille. Personne. Il ne me restait plus qu'à parcourir le corridor jusqu'à la porte extérieure. Ce que je fis à grandes enjambées silencieuses. Ne me restait plus qu'à sortir dans la rue. Quitte ou double. Ce fut deux fois double. Du bruit dans l'escalier de l'immeuble. L'on parlait à mi-voix, je me retournais un couple s'avançait vers moi. Des illégitimes qui sortaient d'un rendez-vous d'amour. J'attendis qu'il se rapprochât. Ils s'embrassaient, j'ouvris la porte :

    _Je vous en prie Monsieur-Dame !

    _ Oh merci, c'est gentil ! Ce qui serait parfait c'est que si par hasard le mari de Madame nous attendait pas très loin, vous jouiez le rôle d'un ami qui leur a offert un verre chez lui !

    _ Je n'y manquerais pas !

    Je les accompagnais jusqu'au bout de la rue, aucun conjoint jaloux ne les attendait... Quelques minutes plus tard je revenais par le trottoir opposé, tête baissée, téléphone au bout de l'oreille, réglée sur la fréquence de la police. Je passais devant la camionnette d'entreprise, que j'avais repérée, pas d'erreur c'était un sous-marin de la police :

    _ Allo Turquoise 1, ici Turquoise 2, le gigolo qui accompagnait le couple de tout-à-l'heure revient vers la maison de passe... non il n'est pas accompagné, avec sa gueule d'obsédé sexuel, ce doit être un adepte de triolisme, une bonne âme qui propose ses services aux couples en mal d'exotisme... non il s'éloigne, je me demande comment il touche pour sa prestation, plus que ce que je gagne dans un mois, je devrais songer à me recycler...

    Pas question de rentrer à l'abri. Une idée commençait à trotter dans ma tête bien faite et bien pleine comme les aimait Rabelais. Je m'installai dans un bar, commandai une bouteille de bourbon et attendis la suite des évènements.

    LE PLAN ALPHA' ( 2 )

    Ne croyez que pendant ce temps les autre étaient restés sans rien faire. Le Chef avait repris et terminé ma phrase que le grognement des cabotos avait interrompue si abruptement :

    _ Oui, le Chef tapota son Coronado pour précipiter la chute de la cendre, la personne que Neil Young cherchait à contacter, ce n'était pas l'un de nous, c'était :

    Il s'arrêta pour parfaire le suspense

    _ Vous l'avez deviné... Charlie Watts !

    Il y eut un grand chahut, ce n'était pas possible, Charlie venait assister à ses concerts sous la Tour Eiffel, il ne lui avait pas même adressé la parole...

    _ Complètement invraisemblable, totalement illogique, je vous l'accorde, mais qui d'autre aurions-nous pu contacter dans cette histoire, avez-vous quelqu'un d'autre à proposer ? Je suis prêt à examiner toutes les propositions...

    Il n'y en eut pas...

    _ Ne perdons pas davantage de temps. Je sens qu'il nous faut renforcer le plan Alpha, désormais nous entamons le plan Alpha qui devient Alpha' prime. Ecoutez voici les nouvelles modalités d'action...

    Instinctivement les têtes se rapprochèrent. Hélas le Chef parla si bas que je ne peux rapporter que les derniers mots qui furent prononcés : vous avez trente minutes pour vous préparer, Action !

    COULEUR TURQUOISE

    _ Allo Turquoise 1, ici Turquoise 2, c'est urgent, vous nous avez parlé d'une maison de passe discrète, mais c'est le boxon total dans ce foutu bordel !

    _ Allo Turquoise 2, ici Turquoise 1 : vous avez besoin de renforts immédiats ?

    _ Ah, non surtout pas, ça crie, ça hurle, ça chante, ça fait du bruit, toutes les fenêtres sont allumées, un potin de tous les diables dans les escaliers !

    _ Allo Turquoise 2, ici Turquoise 1, que l'un de vous descende discrètement de la camionnette et aille voir de quoi il s'agit au juste !

    _ Pas la peine, ils sortent, holà c'est la carnaval de Rio, y en a qui sont à moitié à poil et d'autres déguisés en n'importe quoi, sont au moins une soixantaine, ils chantent, ils dansent, ils crient, ils rient, ils tapent sur des casseroles, pour des rendez-vous discrets ils sont loin du compte ! En plus doit y avoir des zoophiles dans ce binz, y'a au moins quatre ou cinq chiens qui aboient comme des sauvages. Maintenant ils remontent la rue tous en groupe.

      • Allo Turquoise 2, ici Turquoise 1, suivez-les, roulez derrière eux, ne les quittez pas des yeux !

      • Allo Turquoise 1, ici Turquoise 2, ils se sont tous engouffrés dans une bouche de métro, le temps de descendre du véhicule, ils se sont engouffrés dans une rame qui a démarré sous nos yeux.

      • Arrêtez tout et rentrez au bercail, inutile de perdre notre temps, c'était une opération de nettoyage, ils ont eu le temps d'enlever ce que nous cherchions.

    RETOUR A L'ABRI

    Ils m'avaient rejoint au café. Nous repartîmes à l'abri. Le Chef nous ouvrit la porte. Il souriait. Nous avons ce que nous voulons, la situation s'éclaircit !

    A suivre...

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 538: KR'TNT ! 538 : AHMET ERTEGUN / RONNIE SPECTOR / JUKIN' BONE / SHADRACKS / CYCLONE / GOLEM MECANIQUE / FRANCOIS RICHARD / ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 538

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    20 / 01 / 2022

     

    AHMET ERTEGUN / RONNIE SPECTOR

    JUKIN' BONE / SHADRACKS / CYCLONE

    GOLEM MECANIQUE / FRANCOIS RICHARD

    ROCKAMBOLESQUES

    Ertegun club - Part One

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    Voici une dizaine d’années paraissait une biographie d’Ahmet Ertegun, le légendaire boss d’Atlantic, un label qui fut avec Elektra l’un des grands labels indépendants de l’histoire du rock américain. Le biographe en question s’appelle Robert Greenfield, un auteur qu’on connaît surtout pour avoir signé deux ouvrages majeurs sur les Stones, Exile On Main Street - A Season In Hell With The Rolling Stones et l’encore plus fameux STP - A Journey Through America With The Rolling Stones, traduit en Français en 1977 et paru aux Humanos dans l’excellentissime collection Speed 17.

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    Profitant du fait qu’Ahmet Ertegun soit né en Turquie, Greenfield a titré sa bio The Last Sultan. Il ne s’est pas cassé la tête. Comme tous les bons titres, le sien relève de l’évidence. Greenfield ne cherche d’ailleurs pas à s’installer au panthéon des écrivains, il sait qu’il ne dispose pas du souffle requis, il se contente de construire sa bio comme un gros millefeuilles de 400 pages, en collectant ici et là, comme le ferait un journaliste, des éléments d’information qu’il façonne et polit pour les homogénéiser. Ce book ne peut en aucun cas rivaliser avec le Sam Phillips - The Man Who Invented Rock ‘n’ Roll de Peter Guralnick ou le Respect Yourself - Stax Records And The Soul Explosion de Robert Gordon. L’énergie de Robert Greenfield est plus d’ordre compilatoire que romanesque, dommage, car s’il est un sujet qui se prête au traitement romanesque, au moins autant que Sam Phillips, c’est bien Ahmet Ertegun. Mais l’absence de souffle n’enlève rien à l’efficacité du rythme narratif. Greenfield compense l’absence de style en forçant la marche. Le book s’avale d’un trait, un gros trait, mais d’un trait d’un seul. On ne le lâche pas, même lorsque Greenfield aborde l’aspect ingrat de son personnage qui était d’abord un homme d’affaires, avant d’être ce noctambule hipster que tout le monde décrit, un homme fasciné par les artistes noirs et leur slang. Atlantic n’est pas seulement l’histoire d’une passion pour la musique noire, c’est aussi et surtout un gros business, qui suppose une certaine forme de virtuosité dans l’art de manipuler les très grosses sommes, avec en toile de fond, ce combat permanent pour la survie économique, un combat qui passe par la découverte de nouveaux talents. À l’échelle d’une vie, ça doit finir par devenir éreintant, mais apparemment, Ahmet Ertegun s’en est fort bien accommodé, puisqu’à l’âge de 83 ans, il était encore dans un backstage new-yorkais avec ses amis les Rolling Stones. Il faut souhaiter ce genre de longévité à tous les amateurs de rock.

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    Greenfield commence par citer Ahmet en exergue - Plus je vieillis et plus je réalise à quel point je suis turc. Je cultive les deux principaux vices turcs : l’indolence et l’excès - Ahmet prend très vite forme sous la plume de Greenfield. On entend d’abord sa voix, «the nasal hipster’s voice teintée des inflexions du slang noir des rues et rythmée sur les syncopes de ce jazz qu’il adorait depuis l’enfance. Ahmet savait toujours groover en parlant. Auréolé d’une fumée d’une cigarette et un verre à la main, c’était un conteur né qui pouvait tenir en haleine n’importe quel type audience, grande comme petite.» Son parcours scolaire passe par une école du nom de St. Albans, dans l’État de Washington, un endroit très conservateur où Ahmet s’ennuie : «Il n’y avait ni cowboys, ni Indiens, ni gangsters, no Negroes, nothing. No Jews. Also no sophistication.» Ahmet est le fils de l’Ambassadeur de la Turquie aux États-Unis. En vertu d’une loi turque, son père Mehmet Munir dut changer de nom et il opta pour Ertegun, «erte» signifiant «prochain» et «gun» signifiant «jour», un nom à connotation religieuse : le jour viendra. À 14 ans, Ahmet traîne dans les clubs noirs de New York. Il était même parfois le seul blanc dans la salle - Les noirs étaient gentils avec les blancs car ils en avaient une trouille bleue - Une nuit, il rencontre Sidney Bechet dans une party à Harlem et Bechet lui demande ce qu’il boit, alors Ahmet dit : «Scotch & soda». Bechet lui retire le verre des mains et lui colle un joint dans le bec. C’est son baptême du feu, avec ce qu’il appellera toute sa vie la ‘ma-ree-wanna’. Une amie voit Ahmet rayonner dans les clubs de jazz : «Il aimait la musique et il comprenait les gens. Il avait un don extraordinaire : il pouvait discuter avec les musiciens et avec les ducs.» Il s’habille comme les jazzmen - I need a pair of alligator shoes ! - Ahmet est particulièrement fasciné par Lester Young que Billie Holiday surnomme «The President», Prez pour les intimes, quite possibly the hippest dude who ever lived, l’inventeur d’un slang de jazz («bread» pour le blé, «that’s cool» et «You dig?». Il portait un crushed black porkpie hat et buvait tellement qu’il mourut alcoolique à l’âge de 49 ans. On croise aussi Mezz Mezzrow, aussi hip que Prez, qui fume et qui deale de la ma-ree-wanna, qui joue de la clarinette et qui écrit la bible des hipsters, Really The Blues. On est avec Ahmet dans l’entre-deux mondes, au cœur du mythe, Ahmet est l’hipster par excellence, il est au jazz ce que Duchamp est à l’art, un électron libre fabuleusement affamé. En 1939, George Frazier qui est éditorialiste au Boston Globe rencontre Ahmet dans une small cocktail party à Washington et le qualifie de ‘bizarre’ : «Le peu de cheveux qu’il avait était coiffé avec une raie au milieu et plaqué de chaque côté d’un crâne plutôt plat. Il avait le regard humide et à travers ses verres sans montures, il m’inspirait une certaine compassion. Au dessus de sa lèvre supérieure, une très fine moustache me faisait penser au dessin d’une ligne de chemin de fer sur une carte scolaire.»

    Puis Ahmet entre au St. John’s College d’Annapolis, dans le Maryland. Jac Holzman y séjournera lui aussi un peu plus tard. Jac dit qu’on y apprend le Grec et les maths, «l’algèbre pendant la deuxième année, Cartesian math, et la théorie des parallèles de Nikolai Lobarchevsky pendant la quatrième année. On participait à des débats philosophiques autour des maths. L’idée était de nous initier aux rigueurs de la réflexion sans être rigide. Je pense que les débats socratiques et le principe d’égalité entre les tuteurs et les élèves stimulaient Ahmet.»

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    C’est en 1949 qu’il monte Atlantic avec Herb Abramson. À cette époque, nous dit Greenfield, le music biz indépendant démarrait doucement : Herman Lubinsky avec Savoy Records, Syd Nathan à Cincinnati avec King Records, Art Rupe à Los Angeles avec Specialty Records, Jules, Saul, Joe et Lester Bihari avec Modern Records, Eddie et Leo Mesmer avec Aladdin, les frères Chess à Chicago avec Aristocrat puis Chess Records. C’est l’époque des pionniers. Pourquoi Atlantic ? Parce que les noms auxquels pensait Ahmet était déjà pris, Horizon, Blue Mood - J’avais entendu parler d’un label qui s’appelait Pacific Jazz à l’époque. Aussi, en désespoir de cause, j’ai dit : ‘Look, ils s’appellent Pacific ? Alors on va s’appeler Atlantic !’ - Ahmet démarre donc avec Herb et Myriam Abramson au 234 West 56th Street, au 5e étage. Le soir, quand ils enregistrent, il poussent le bureaux pour faire de la place aux musiciens. Il y a une petite salle de bains où Ray Charles va se shooter. Juste à côté se trouve le fameux Patsy’s restaurant où viennent dîner Sinatra et les gens de la mafia.

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    Et puis il y a les fameuses virées dans le Deep South, à la recherche de nouveaux talents. Ahmet et Herb descendent une première fois dans le Sud en 1949, parce qu’à New York, nous dit Ahmet on ne trouvait pas de funky blues singers. Et là il embraye sur ce qu’il appelle «l’histoire la plus incredible de sa vie». Il marche dans les rues d’un quartier noir d’Atlanta et il tombe soudain sur un aveugle qui chante du gospel, playing incredible slide guitar. Les passants lui donnent la pièce. Ahmet met des billets dans le chapeau et demande à l’aveugle : «Have you ever heard of Blind Willie McTell ?» Et à la grande stupéfaction d’Ahmet, l’aveugle répond : «Man, I am Blind Willie McTell.» Voilà la magie du personnage, l’Ahmet magique. On doit à Blind Willie McTell l’excellent «Statesboro Blues» repris par Taj Mahal sur son premier album et des tas d’autres luminaries, et pour Dylan, Blind Willie McTell signifie the beginning of it all.

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    Ahmet et Herb décident alors de descendre à la Nouvelle Orleans car on leur a parlé d’un «musical magician who played in a style all his own». Ils sont obligés de prendre un ferry jusqu’à Algiers, puis un taxi. Mais aucun chauffeur blanc ne veut les déposer à Algiers - I ain’t going to that nigger town - Alors Ahmet et Herb partent à pieds à travers des champs marécageux et quand ils arrivent au nightclub - rather a shack - Ahmet s’extasie : «Ça ressemblait à un dessin animé qui grandissait et se rétractait to the pulsing beat.» Ils assistent à un show de Professor Longhair, Fez pour les intimes, «playing his own idiosyncratic rhythms on piano against the beat». Incredible ! La sidération d’Ahmet bat tous les records : «Fez was creating these weird, wide harmonies while singing in the open-throated style of the blues shouters of old.» On ne saurait imaginer meilleure description. Ahmet flirte avec le génie descriptif, il fait swinguer sa langue (in the open-throated style/ of the blues shouters of old). Chacune de ses phrases semble sortir un couplet de Cole Porter. Il ajoute que Fez sonnait comme un «cross between Jelly Roll Morton et Jimmy Yancey», qu’il mixait le blues avec le jazz, le ragtime et la musique Cajun. «My God !» dit Ahmet à Herb, «We’ve discovered a primitive genius !». Mais Fez vient de signer avec Mercury. Voyant les deux blancs déçus, Fez dit qu’il a signé sous le de Roeland Byrd et ajoute : «With you I can be Professor Longhair.»

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    Ahmet fréquente les frères Chess. À l’époque, Chess est l’autre grand label indépendant spécialisé dans la musique noire. Quand Ahmet vient visiter les locaux de Chess à Chicago, Leonard lui fait faire le tour du propriétaire. Une gonzesse est à la réception avec une machine à écrire. Puis Leonard lui présente la balayeur, Muddy Waters. «Il bosse à mi-temps pour nettoyer les bureaux», dit Leonard le renard. «Il enregistre aussi des disques.» Quand Ahmet demande où se trouve se service comptable, Leonard le renard s’interloque : «Quel service comptable ?». Pour rassurer Ahmet, il explique que la fille à la réception s’occupe aussi des comptes. Puis Ahmet lui demande de quelle manière il gère les royalties. Leonard le renard s’interloque à nouveau : «Quelles royalties ?». Bon, Ahmet préfère couper court. Il apprendra un peu plus tard de la bouche de Marshall, fils de Phil Chess, que son oncle Leonard avait passé un étrange accord avec Muddy : si ses ventes de disques venaient à chuter, Muddy pouvait venir se faire un billet en s’occupant du jardin de Leonard. Alors Ahmet lui répond qu’il a passé un autre genre d’accord avec Big Joe Turner : si ses ventes d’albums venaient à chuter, alors Ahmet se mettrait à son service comme chauffeur.

    C’est Herb Abramson qui apprend les bases du métier de label boss à Ahmet : les contrats, les séances d’enregistrement, les relations avec les fabricants de disques et la distribution. Et pourtant leur relation va s’arrêter brutalement : Herb est envoyé en Europe pour servir dans l’armée en tant que dentiste.

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    C’est là que Jerry Wexler entre dans la danse et c’est avec lui qu’Ahmet va faire ses prochaines virées de le Deep South. Wexler est très différent d’Ahmet. Wexler est un homme colérique et suspicieux, il surveille tout, principalement les factures, il parle mal au personnel d’Atlantic, met constamment en doute leurs compétences, il s’inquiète pour rien et un rien le met en pétard. Wexler est hanté par la peur de manquer, car il a grandi dans l’extrême pauvreté des quartiers juifs new-yorkais, alors qu’Ahmet est fils d’ambassadeur et qu’il n’a jamais manqué de rien. Malgré toutes ces différences, Ahmet et Wexler fonctionnent comme les deux doigts de la main, the record business equivalent nous dit Greenfield de Mr. Inside and Mr. Outside.

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    Leur premier gros coup, c’est Big Joe Turner. Ahmet le signe en 1951, après l’avoir vu jouer à l’Apollo de Harlem accompagné par le big band de Count Basie. Et pourtant, le show tourne au désastre, car Big Joe et le big band ne jouent pas ensemble. Quand le big band s’arrête, Big Joe joue encore. Le public le hue et Big Joe s’enfuit. Ahmet parvient à le retrouver dans un bas voisin et le console, lui disant qu’il veut faire de lui une big star. Alors Big Joe qui est un vétéran de toutes les guerres lui répond : «Okay if you pay me money.» Ahmet lui propose 500 $ et Big Joe lui répond «Yeah that’s good». Ahmet dit que c’est pour four sides (deux singles) et Big Joe qui appelle Ahmet «Cuz» lui dit «All right Cuz.» Ils vont enregistrer «Shake Rattle And Roll» avec Mickey Baker on guitar, et aux chœurs, Jesse Stone, Ahmet et Wexler. En 1954, «Shake Rattle & Roll» est le premier rock’n’roll single qui se vend à un million d’exemplaires. Avec l’«I Got A Woman» de Ray Charles, Atlantic redéfinit le futur du record business en Amérique. «Shake Rattle & Roll» lance le rock’n’roll et «I Got A Woman» la Soul. Greenfield : «Ce que les deux hits ont en commun, c’est Ahmet et Wexler.» Ils vont ajoute Greenfield devenir the greatest team in the history of the record business.

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    Mais Ahmet et Wexler n’ont pas exactement la même vision des choses. Quand Paul Marshall vient trouver Wexler pour lui proposer la distribution des Beatles en Amérique, Wexler lui répond que ça ne l’intéresse pas. Alors Marshall donne la distribution des Beatles à Vee-Jay. Quand Ahmet l’apprend, il est furieux. Bien sûr Wexler ne parle pas de ça dans son autobio. Il s’en explique ailleurs, disant «qu’il n’y avait pas de blues dans les Beatles» et donc ça ne pouvait pas l’intéresser - That’s why I didn’t care about the Beatles and I did like the Rolling Stones - Aux yeux de Greenfield, la décision de Wexler fait partie des grandes erreurs de l’histoire du record business. Ahmet ne lui pardonnera jamais cette «trahison». Mais ça ne s’arrête pas là. Lors d’un meeting avec Leiber, Stoller, George Goldner et Wexler, Ahmet découvre le pot-aux-roses : Wexler veut racheter Atlantic. Quoi ? Ahmet met fin à la mutinerie en disant : «Il n’y a qu’un seul problème. Atlantic m’appartient.» Aux yeux d’Ahmet, il n’existe rien de pire que la trahison. Quand il découvre que Wexler a ourdi le complot dans son dos, il est furieux. Leur relation de confiance en prend un sacré coup. Pour Ahmet, c’est foutu. Et pourtant, ils vont continuer de bosser ensemble.

    Et pourtant, Ahmet est conscient des limites de ce qu’on appelle the Atlantic sound : «Ce que l’industrie appelle the Atlantic sound fut remplacé par le Motown sound, qui était fabuleux. J’ai tout de suite adoré ça, je ne savais pas comment le reproduire et ça me paniquait. On ne savait pas comment le composer, comment le jouer, comment le chanter. Motown était plus moderne et plus hip que ce qu’on faisait, le public a suivi et c’est devenu la pop music.»

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    ( Phill Spector, Ahmet Ertegun, Sonny and Cher )

    Ahmet s’entend bien avec Phil Spector. Totor voit en Ahmet un mentor et un père de substitution. De son côté Ahmet est subjugué par l’intelligence de Totor : «I’ve never seen anybody like Phil before and I’m sure I won’t see anybody like him again.» Il ajoute ce qu’on sait déjà : «Phil était complètement cinglé, mais charmant, extrêmement intelligent et très talentueux.» Ils passent leurs soirées ensemble dans les clubs à jiver le slang comme Mezz Mezzrow. Ahmet lui offre vite un job chez Atlantic. Mais les autres pontes d’Atlantic ne peuvent pas schmocker Totor qui le leur rend bien. Soit on le traite d’asshole, soit d’insane. L’amitié d’Ahmet et de Totor dure jusqu’en 1961.

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    Ahmet et Wexler bossent aussi avec deux autres génies des early sixties, Leiber & Stoller. Greenfield nous ressert la fameuse anecdote du «There Goes My Baby» des Drifters que Wexler ne supporte pas. Quand il entend cet enregistrement financé par Atlantic, il pique une crise de colère et jette dans le mur son sandwich au thon qui, nous dit Stoller, y reste collé. Par contre, Ahmet trouve l’enregistrement excellent. Il est tellement excellent qu’il grimpe en tête des charts. Greenfield : «Que quatre hommes avec des personnalités aussi fortes puissent s’entendre sur un point relevait du miracle. En 1961, après que Totor soit devenu producteur superstar, Leiber & Stoller demandent à ce qu’on les crédite comme producteurs sur les albums. D’abord outragé par cette requête, Wexler finit par céder.»

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    Nouveau coup de cœur d’Ahmet : the Budffalo Springfield qu’il trouve «very special in so many ways» : ils écrivent des chansons qui ne ressemblent à rien de ce qui existe, ils ont trois lead singers qui sont aussi des grands guitaristes, Neil Young, Stephen Stills et Richie Furray - Je veux dire qu’un groupe a de la chance quand il arrive à avoir ne serait-ce qu’un seul bon chanteur et un seul bon guitariste - Aux yeux d’Ahmet, Buffalo Springfield est l’un des «greatest rock’n’roll bands I’ve heard in my life». Et pourtant, Stills et Young n’avaient rien en commun. Stills était encore plus déterminé et ambitieux que Neil Young. Selon Neil Young, «Stills crevait d’envie d’aller à Londres traîner avec les Beatles aussitôt que possible.» Le Buffalo commence à tourner aux États-Unis, mais ça se passe mal, la tension monte dans le groupe, Stills frappe Bruce Palmer sur scène à New York parce qu’il joue trop fort et pour le remercier, Palmer colle un tas dans la gueule de Stills qui s’écroule dans la batterie. Comme l’a fait Totor, Stills prend Ahmet comme modèle et comme mentor. Greenfield : «En vieillissant, il commença à s’habiller comme Ahmet et il portait un bouc. Il commença aussi à s’acheter des pompes à 5 000 $.»

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    Malgré les succès, Wexler reste hanté par le fantôme de la faillite - Depuis le début, nous n’avons pas le choix : c’est grossir ou disparaître. Et qui peut prédire l’avenir ? Tous les autres labels indépendants ont disparu - C’est lui qui pousse à la roue pour revendre Atlantic et aller en Floride mener une vie de rentier. Ahmet finit par céder et il revend Atlantic à Warner pour 17,5 millions de $. Bon prince, Warner propose à Ahmet et Wexler de continuer à gérer leur boutique et à choisir les artistes. Même traitement de faveur pour Jac Holzman qui a vendu Elektra à Warner. Le nouveau conglomérat s’appelle WEA.

    Avec Buffalo Springfield, Ahmet entre dans sa phase ‘rock blanc’ : Crosby Stills & Nash, Cream et les Stones. Il apparaît que le véritable rock’n’roll animal dans cette histoire est Stephen Stills. Greenfield nous raconte que Crosby, Stills & Nash passent neuf heures à travailleur l’excellent «Long Time Coming» de Croz, et quand les autres qui en ont marre partent se coucher, Stills reste dans le studio à peaufiner les arrangements jusqu’à l’aube, pour que Croz soit à l’aise au chant. Les autres surnomment Stills ‘Captain Many Hands’. C’est lui qui joue tous les instruments sur le premier album, excepté les drums. Un peu plus tard, lorsque Stills tourne à la coke, il devient insupportable et Geffen qui s’occupe de lui en tant qu’agent le raye de la liste de ses clients. Greenfield consacre pas mal de place à Geffen qui à cette époque s’occupe aussi de Laura Nyro. Geffen rencontre Clive Davis qui est alors le boss de Columbia et lui promet de lui amener Stills qui est alors signé sur Atlantic. Geffen commet l’erreur de sa vie en allant voir Jerry Wexler chez Atlantic, au 1841 Broadway. Il y a en effet deux gros problèmes : un, Wexler n’est pas un grand fan des rockoids à cheveux longs, contrairement à Ahmet, et deux, il supporte encore moins les agents. Comme Geffen lui demande de casser le contrat de Stills, Wexler pique l’une de ses crises légendaires, il hurle ‘Get the fuck out of there’, chope Geffen par le colbac et le jette dans le couloir. Geffen revient chez Stills qui attend la bonne nouvelle, mais Geffen lui dit : «My God, ce sont des animaux là-bas !».

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    Plus tard, Steve Ross, le big boss de WEA réunit ses directeurs pour une journée de travail chez lui à Beverly Hills : autour de la table se trouvent les deux frères Ertegeun (Ahmet et Nesuhi), Mo Ostin, Jerry Wexler, Jac Holzman et David Geffen. Geffen dit en aparté à Wexler qu’il vient de signer Dylan. Bon, Wexler encaisse sans rien dire. Un peu plus tard, il profite d’un point de détail pour rentrer dans la gueule à Geffen qui et assis à côté de lui : «You stole an artist that we had !». Geffen fait pffff, et ajoute : «You’re an old washed-up record man, what the fuck do you know ?». L’injure suprême. Alors Wexler devient tout rouge, les veines de son cou gonflent et ses yeux sortent des trous. Il perd complètement le contrôle de lui-même et repique l’une de ces crises qui font sa légende. Il hurle à Geffen : «You agent ! You’d jump in a pool uf pus to come up with a nickel between your teeth !», ce qui peut vouloir dire que même au fond une mare de pus, il ramasserait une pièce de monnaie avec les dents. Alors les autres sautent sur Wexler juste avant qu’il ait le temps de frapper Geffen et ce conclave qui réunit les hommes les plus puissants du record biz se transforme en partie de catch. Steve Ross est outré, «Ce n’est pas possible !», Mo Ostin se lève, dit qu’il ne peut pas tolérer ça et s’en va. Et Wexler hurle at the top of his lungs.

    Ahmet aime bien Geffen, mais avec parcimonie. Un jour, George Trow, Geffen et Ahmet sont au Beverly Hills Hotel et Geffen prend un appel. C’est Joni Mitchell. Pendant que Geffen papote, Ahmet dit à Trow : «Il doit être en train de parler à un artiste. Il prend son air inspiré. Pour ça, il doit essayer de se débarrasser momentanément de sa cupidité.» Lors d’un vol à bord d’un avion, Ahmet est assis en face de Geffen et lui jette sur la tête sa cendre de cigarette. Geffen lui annonce que s’il n’arrête pas immédiatement, il va lui jeter un verre d’eau à la figure. Comme Ahmet n’arrête pas, Geffen passe à l’acte. Pendant des années, ils ne vont plus s’adresser la parole. Avant de se réconcilier.

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    Quand Cream enregistre Disraeli Gears à New York, Ahmet tente de mettre Clapton en avant, mais il finit par découvrir que le vrai leader de Cream, c’est Jack Bruce. Mais le groupe va très vite se disloquer. Lors de la troisième tournée américaine, ils se battent tous les soirs. Ginger voulait buter Jack. Jack voulait se suicider. Et Clapton disait : «Sortez moi de là, je ne peux plus les supporter, ni l’un ni l’autre.» Puis Ahmet voit les Stones comme le couronnement de sa carrière. Il les considère comme «the most desirable act in business». Avec les Stones, Atlantic devient le premier label du monde. Pour les Stones, Atlantic est symbolique. Comme ils ont grandi avec Chuck Berry, ils ont fini par embaucher le fils Chess pour diriger leur label et choisi Atlantic pour la distribution américaine, parce qu’ils écoutaient aussi Ruth Brown et Ray Charles quand ils étaient jeunes. Une façon de boucler la boucle, alter all. Ils signent l’accord chez Jagger à Londres, un Jagger qui raconte la scène : «Ahmet avait tellement bu de bourbon qu’au moment de se serrer la main, sa chaise se renversa et il tomba à la renverse.» Comme le dit si bien Greenfield, the honeymoon was about to begin.

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    Côté rigolade, Greenfield épingle deux ou trois anecdotes hilarantes. Wilson Pickett se trouve chez Stax à Memphis et Wexler lui propose d’enregistrer «Hey Jude». Pickett l’envoie chier, pas question d’enregistrer «Hey Jew» ! Pire encore. Otis Redding appelle Nesuhi Ertegun ‘Nescafe’ et Ahmet ne reprend pas Otis quand il l’entend l’appeler ‘Omelet’. Un Otis qui un jour est tellement bourré qu’en faisant une révérence, il se pète la gueule. Ça, il faut savoir le faire.

    Ahmet se marie une première fois avec une certaine Jan Holm dont il n’est pas vraiment amoureux - C’était une very nice girl mais je n’étais pas follement amoureux d’elle et je ne pense pas qu’elle fût amoureuse de moi. Pourtant je l’ai demandée en mariage et elle a accepté car il semblait que c’était la seule chose qu’elle pût faire - Évidemment, le mariage tourne court, Ahmet accepte le divorce, lui donne tout ce qu’il possède et retrouve sa chère liberté : chaque nuit, il est en ville, dans les clubs, usually with a stunning young model on his arm.

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    Geffen nous rapporte un épisode comique. Ça se passe dans le bureau d’Ahmet. Geffen lui demande : «Comment faites-vous pour gagner autant d’argent dans le music biz ?» Ahmet se lève et traverse la pièce en courant. Il dit à Geffen : «Voilà comment je gagne beaucoup d’argent.» Geffen ne comprend pas. Alors Ahmet refait exactement le même cirque. Il court et s’arrête. Geffen dit qu’il ne comprend toujours pas. Ahmet s’impatiente : «Regarde schmuck, je le fais encore une fois. Prends des notes.» Il court à travers la pièce. Geffen avoue qu’il ne comprend toujours pas. Alors Ahmet lui dit qu’avec un peu de chance, on court et on se cogne dans un génie qui va vous rendre riche. Les Anglais appellent ça bumping into geniuses. Et Ahmet en a bumpé pas mal : Phil Spector, Wexler, Ray Charles, Leiber & Stoller, Jagger & Richards.

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    Pour fêter le 25e anniversaire d’Atlantic en 1973, Ahmet emmène 200 personnes à bord d’un Boing 747 pour aller faire la fête à Paris. À bord de l’avion, tout le monde boit, fume des joints et sniffe de la coke. Party ! Quand Wexler s’endort, Ahmet lui pique son passeport et remplace la photo par celle d’une femme qui se fait enfiler par un âne. Quand Wexler présente son passeport à Orly, le douanier regarde la photo, puis Wexler. Voulant se rendre utile, Wexler dit qu’à l’époque il portait une barbe. À côté de lui, Ahmet s’écroule de rire. En fait, ce mec aura passé sa vie à rigoler et à s’amuser. Il possédait une Bentley, une Rolls, une Sunbeam et deux Cadillac Fleetwood, l’une bleue, l’autre verte. Il collectionnait les toiles de Jasper Johns, Rauschenberg et un Matisse, son artiste préféré. Quand il voit Wexler démissionner, Ahmet devient philosophe : «Il est triste parce que la musique qu’il aimait tombe en désuétude. C’est une erreur que d’accorder trop d’importance à la musique qu’on enregistrait. Ce n’est pas de la musique classique. On ne peut pas la voir de la même façon. C’est comme les vieux films de Fred Astaire. Ils sont marrants, mais ce n’est pas du grand art. Il ne faut pas les voir comme du grand art.» Dans un paragraphe en exergue, Dave Marsh déclare : «J’ai connu John Hammond, Jerry Wexler et Sam Phillips, et laissez-moi vous dire qu’Ahmet fut the greatest record executive who ever lived. Il était plus créatif, il avait plus de goût, il a duré plus longtemps, il avait les meilleures relations avec les artistes, et il n’a jamais cessé d’ouvrir des marchés et de les maintenir en activité.» Dans les années 90, il signe des groupes comme Foreigner, AC/DC, Twisted Sister, Yes, INXS, Genesis, et du coup, Atlantic n’a plus rien à voir avec ce qui fit sa spécificité. Ahmet raisonnait un homme d’affaires, il avait besoin de continuer à générer d’énormes profits. Mais il nous rassure aussitôt : «J’écoute beaucoup de musiques actuelles, mais j’écoute surtout Pee Wee Russell et Bud Freeman, et toujours le «Shreveport Stomp» de Jelly Roll Morton, that’s the hottest record ever made.» Ahmet fréquente aussi Cher qui est devenue une superstar, il aime bien lui peloter les seins en public, alors Cher s’indigne tendrement : «Oh Ahmet !». Il adore aussi pincer les fesses des artistes qu’il signe, mais ça ne plaît pas à toutes. Alors Ahmet rigole. En plus il est marié avec Mica, et Mica sait qu’Ahmet vient d’une culture où les hommes ont plusieurs femmes, aussi comprend-elle parfaitement qu’Ahmet puisse continuer de vivre sa vie d’homme en se tapant une copine de temps en temps. Comme la femme de Muddy, elle a cette grande intelligence.

    Signé : Cazengler, Ertegouine

    Robert Greenfield. The Last Sultan. Simon & Schuster 2011

     

    Ronnie Bird

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    Avant de s’appeler Ronnie Spector, elle s’appelait Veronica Bennett. Elle tenait sa couleur de peau d’un joli métissage : père irlandais et mère métisse d’indien Cherokee et de noir, comme Jimi Hendrix. Elle chantait dans les Ronettes avec sa grande sœur Estelle et une cousine nommée Nedra Talley. Elles habitaient toutes les trois Spanish Harlem et adoraient Frankie Lymon. Veronica passait ses journées à la fenêtre de sa chambre à regarder les filles de Spanish Harlem déambuler avec des grosses coiffures et des clopes au bec - I loved that tough look - Oui, Veronica aimait beaucoup le look des street bitches. Et puis un beau jour, la vie des Ronettes bascula dans le rêve : Phil Spector les prit sous son aile pour les transformer en super stars.

    Avec Totor, ça ne traînaient pas. Il lui fallait des hits galactiques ! Quickly ! C’mon ! Il savait où trouver des cocos pour l’aider à les composer. Il tapait aux portes des petits bureaux du Brill. Toc toc toc !

    — Hi Cynthia ! Hi Barry ! Et si on composait un petit hit galactique pour mes nouvelles pouliches ? Ça vous branche, les cocos ?

    — Chouette idée, Totor ! Tiens, regarde, il pleut ! On pourrait faire un truc sympa sur la pluie, pas vrai ?

    Et Cynthia Weil se met à pianoter une mélodie galactique.

    — Tatata, walking in the rain... Tatata, pas mal, hein, Totor ?

    — Ouais, c’est pas mal, Cynthia, mais monte un peu à l’octave, là, pour embarquer ton thème, oui là, tatataaaaaaa, aw fuck, quelle mayotte, ma cocotte ! Fuck shit up, on va encore défoncer la rondelle du Billboard ! Il finira par marcher comme un cowboy, le Billboard, si on continue à le défoncer comme ça, les cocos, ha ha ha ! Quelle merveille ! Play it again, Cynthia ! Tatataaaaaaa, walking in the rain ! Veronica et les deux autres bécasses vont te chanter ça aux petits oignons, tu vas voir !

    Une chose est bien certaine : « Walking In The Rain » fait frémir. C’est un hit dégoulinant de génie, mais un génie particulier, car attentif au global comme au moindre détail. Quant à ce jerk royal, « (The Best Part) Of Breaking Up », on le danse à l’Égyptienne, avec les poignets cassés. On y sent les effluves du River Deep. On le sent destiné à traverser les siècles. Dans 2 000 ans, on dansera encore ce jerk royal des Ronettes.

    Totor fonce vers un autre bureau. Toc toc toc !

    — Hi Ellie ! Hi Jeff ! Vous avez un moment ? On pourrait peut-être composer un petit hit galactique pour mes chouchoutes de Spanish Harlem ?

    — Oh, toi Totor, on voit bien que t’es amoureux...

    — Hey Ellie, pas si vite ! Une chose que mon grand-père m’a apprise est qu’il ne faut jamais brûler les étapes, right ? Bon, alors, qu’avons-nous comme idée, mes cocos ?

    — I wonder...

    — Ah pas mal, Jeff, c’est un titre ?

    — Yeah, man !

    — Alors, Ellie, pianote-nous l’un de ces petits jives dont tu as le secret....

    — Écoute un peu ça, Totor ! Plonk plonk plonk !

    — Aw ! Terrific ! What a profondeur ! Vas-y monte-moi ça à l’octave ! I wondeeeeeer ! So gooood ! Encore un coup de Trafalgar galactique en perspective, hein ? What a mélodie ! Ça va leur jerker la paillasse ! T’aurais pas autre chose, Ellie ? Allez, arrête de faire ta mijaurée, tu as bien une idée de riff dynamiteur en magasin...

    — J’ai ça, Totor, écoute... Dessus, il faudrait des paroles du genre be/ my ba/ by, tu vois, bien ponctuées sur les accords, plonk plonk plonk, tu peux nous écrire des paroles, mon petit Jeff chéri ?

    — Ouais ma Lilie, attends, be my/ Baby/ Be my little baby/ Say you’ll be my darling/ Be my baby now/ Oh, oh, oh, oh !

    — Bon Jeff tu ne t’es pas foulé sur ce coup-là, mais ça suffira. Merci Ellie pour ce nouveau coup de génie. Franchement, je ne sais pas ce qu’on deviendrait sans toi...

    « Be My Baby » incarne le génie productiviste de Totor à l’état le plus pur. Et le génie composital d’Ellie Greenwich à l’état le plus torride. Comme résultat de la combinaison des deux, on obtient le démarrage de refrain le plus foudroyant de l’histoire du rock. Fallait-il que Totor et Ellie soient géniaux pour nous servir une telle tambouille ! Brian Wilson était au volant lorsqu’il entendit « Be My Baby » pour la première fois à la radio. Il fut tellement frappé par la puissance du hit qu’il en perdit le contrôle de sa bagnole.

    — Tu vas peut-être penser que j’exagère, Ellie, mais il me semble deviner au pétillement de ton regard que tu as encore une idée en tête.

    — On ne peut vraiment rien te cacher, Totor. J’ai effectivement un truc qui me gratte l’ovule depuis un moment. It goes like this... Plonk plonk plonk. Là-dessus, il faudrait chanter quelque chose du genre, Ba/ By/ I love/ You... Tu vois, Jeff chéri ?

    — Ah oui, je le sens bien, mmmmm... On pourrait essayer ça... Come on baby/ Oh-ee baby/ Baby I love only you !

    Ça fait marrer Totor :

    — Jeff, fais gaffe, tu pourrais te faire une entorse au cerveau, si tu fais trop d’efforts... Bon, on va mettre nos trois biquettes en studio demain matin et orchestrer ce nouveau hit greenwichien comme il se doit ! Merci de votre collaboration, mes cocos !

    « Baby I Love You » bénéficie d’une attaque démente. C’est l’archétype du couplet pop secoué aux tambourins. L’extraordinaire classe de l’inventivité de Totor et d’Ellie Greenwich sidère encore la terre entière. Le refrain relève du phénomène surnaturel. Il n’est pas surprenant que Joey Ramone soit devenu FOU de cette chanson.

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    Quand le premier album des Ronettes est arrivé en Europe, ce fut une déflagration atomique, mais au sens positif de la chose. On trouve aujourd’hui un autre album des Ronettes qui s’appelle Volume 2 et qui propose des petites merveilles du même acabit. Totor composait des choses avec Harry Nilsson, comme par exemple ce « There I Sit » intrigant car sous le vent et accompagné par des marteaux piqueurs. On trouve aussi une autre merveille signée Totor, Cynthia Weil & Barry Mann, « (I’m A) Woman In Love » : si elle décolle à un moment, c’est uniquement pour tétaniser les esprits. Retour d’Ellie avec « I Wish I Never Saw The Sunshine », une machine à jerker d’un éclat invraisemblable et qui explose à la face du monde. Aujourd’hui, les hits pop ont perdu toutes ces dynamiques.

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    Totor et Ronnie se sont mariés, puis Ronnie s’est plainte de Totor. De 1968 à 1972, elle a vécu comme séquestrée dans leur belle villa d’Hollywood : barreaux aux fenêtres, clôture électrifiée, chiens de garde - All he wanted me to do was stay at home and sing Born To Be Together to him every night - Elle s’évada et divorça.

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    C’est là qu’elle a commencé à en baver. Elle s’asseyait sur une réputation, mais elle n’avait plus que sa voix. Toute la magie d’antan s’était envolée. Pfffff, plus rien. Des gens comme John Lennon, Joey Ramone et Amy Whinehouse qui imitait son maquillage et sa coiffure l’aidèrent à revenir dans l’actualité. En 1980, elle essaya d’enregistrer un album de rock new-yorkais, le fameux Siren, mais ce fut douloureux, pour elle comme pour nous. Elle avait pourtant rassemblé une grosse équipe, Cheetah Chrome des Dead Boys à la guitare, Billy « Wrath » des Heartbreakers à la basse et d’autres gens réputés, mais les cuts restaient d’une affligeante banalité. Elle attaquait pourtant avec l’« Here Today Gone Tomorrow » des Ramones. Elle enchaînait avec « Darlin’ », une sorte de petit hit bien balancé et solidement interprété, mais on était loin des fastes d’antan. Elle allait même chercher l’« Anyway That You Want Me » de Chip Taylor popularisé par les Troggs, mais encore une fois, la magie faisait gravement défaut. Totor en aurait fait un chef-d’œuvre, c’est évident. Elle sortait de cette aventure malheureuse avec « Happy Birthday Rock’n’Roll », l’occasion pour elle d’utiliser la nostalgie pour recycler des extraits de « Be My Baby ».

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    Quelques années plus tard, elle réapparût avec un album encore plus médiocre, Unfinished Business. Elle tentait désespérément de retrouver la veine du Brill, mais ça ne marchait pas, car elle tombait dans tous les pièges de la prod des années 80. C’était carrément de l’abattage. Le disque était tellement mauvais que le disquaire qui le vendait me l’offrit. Le seul morceau sauvable de ce disque était celui qui se nichait en fin de B, « Good Love Is Hard To Find », une petite pièce de r’n’b aux allures de good time music qui accroche bien.

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    En 2006, Ronnie fit une espèce de come-back avec l’album The Last Of The Rock Stars et un gros tas d’invités : Joey Ramone, Keef, Nick Zinner des Yeah Yeah Yeah, les Greenhornes, les Raveonettes, Daniel Rey et quelques autres luminaries. « Work On Fine » sonnait comme un cut légendaire. Dans cette fabuleuse reprise d’Ike Turner, Keef donnait la réplique à Ronnie - yes darling - Ils en faisaient un chef-d’œuvre de groovitude. L’autre grosse pièce de cet album était « Hey Sah Lo Ney », une cover de Mickey Lee Lane popularisée par les Detroit Cobras sous un autre nom, « Hey Sailor ». Ronnie s’en sortait avec tous les honneurs. « Ode To LA » était une tentative désespérée de revenir au temps béni du Brill. Sune Rose Wagner des Raveonettes s’était cru autorisé à singer Totor et Ellie Greenwich en proposant une pop-song aventureuse et en la produisant avec les pompes d’antan. Mais ça ne marchait pas. Pourquoi ? Tout simplement parce que Totor est un génie, alors que Sune Rose Wagner n’est qu’un Danois. On retrouvait aussi sur cet album une nouvelle mouture de l’« Here Today Gone Tomorrow » des Ramones. Des backings chancelants lui donnaient une allure extraordinaire. Ronnie savait que Joey était dingue des Ronettes, alors Ronnie est devenue dingue des Ramones, ce qui semblait logique. Elle soignait tout particulièrement la petite montée de fin de cut. Sur d’autres morceaux, on entendait Daniel Rey jouer de la guitare, et pour tous les amateurs de big sound new-yorkais, c’était un plaisir que de le retrouver.

    Et puis soudain, nous voilà tous rendus en 2016 ! 52 ans se sont écoulés sous le Pont Mirabeau depuis l’irruption des Ronettes dans les charts du monde entier. Ronnie revient dans l’actualité avec un nouvel album et un concert au New Morning.

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    L’album s’appelle English Heart, et comme son nom l’indique, c’est un album de reprises de hits anglais. Ronnie explique qu’elle est restée nostalgique de sa première tournée en Angleterre, alors elle tape dans le « Because » du Dave Clark Five - Bekos ! Bekos ! - Elle y va avec toute la fougue de sa jeunesse perdue. Elle tape bien sûr dans les Stones qu’elle a bien connus avec « I’d Much Rather Be With The Girls » - une compo d’Andrew & Keef. Elle en fait un racket, transformant les girls en boys. Encore plus gonflé : sa version de « Tired Of Waiting » des Kinks, mais la voix ne colle pas, c’est trop putassier. Et ça continue avec les Zombies (« Tell Her No »), les Beatles (« I’ll Follow The Sun » - ce vieux b-side d’EP qu’on finissait par adorer), Sandie Shaw (« Girls Don’t Come »), et puis cette surprenante reprise de l’« How Can You Mend A Broken Heart » des Bee Gees dont elle fait une version incroyablement osée, nappée d’orgue et pulsée au beat de Spanish Harlem. Ronnie se prend au jeu et ça tourne à l’enchantement.

    Oui, car désormais, tout cela n’est plus qu’une histoire de nostalgie. Voir arriver Ronnie sur scène, c’est voir arriver la fin d’une époque magique. Elle dégage un truc que ne dégageront plus les nouveaux prétendants au trône. Il faut désormais accepter l’idée que ce chapitre de l’histoire du rock se referme. Un chapitre qui est aussi le nôtre, celui des gens qui ont grandi avec, et qui va se refermer avec nous. Ça se termine, mais au moins ça se termine en beauté.

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    Un seul concert de Ronnie Spector suffit à recréer cette magie perdue, à laquelle nous fûmes tant attachés et qui d’une certaine façon nous a tous façonnés, en nous protégeant de la médiocrité du monde moderne. Quand on écoutait les hits de Totor ou de Brian Wilson, on ne pouvait pas s’intéresser à la variété française. Et Ronnie Spector sur scène, ça ne trompe pas. Elle apparaît toute de noir vêtue, silhouette impeccable, rayonnante, d’évidence ravie de l’accueil des Parisiens. Elle crée aussitôt de l’émotion et paf, elle envoie « Baby I Love You » histoire de nous sonner un peu les cloches. Et tout le set sera placé sous le signe de l’émotion, car encore une fois, Ronnie tape au point le plus sensible de l’histoire du rock. Elle est accompagnée par trois délicieuses choristes et un backing-band irréprochable. Elle commente toutes ses chansons et le public boit ses paroles. Elle quitte la scène pendant une version torride de « What’d I Say » et revient pour envoyer au firmament un « Walking In The Rain » qui n’a pas pris une ride. Bien sûr, ce n’est pas le wall of sound, mais par sa seule présence et par son charisme, Ronnie se situe bien au-delà de toutes les attentes. Elle incarne tout simplement la grande pop américaine. Elle a exactement le même genre de classe et de stature que Martha Reeves ou Mavis Staples. Et voilà qu’elle balance une version un peu funky de « You Can’t Put Your Arms Round A Memory » et quitte la scène en plein dans l’apothéose de « Be My Baby ». Au premier rang, on voit des mâchoires se décrocher. Rappel ? Pas rappel ? Si, rappel ! Elle fait un retour triomphant pour rendre hommage aux guys - A little dating with John - avec « I’ll Follow The Sun » qui passe mille fois mieux sur scène que sur son dernier album et puis c’est l’explosion atomique avec « I Can Hear Music », l’un des hits pop les plus ravageurs de l’âge d’or.

    La petite métisse de Spanish Harlem qui vient de casser sa pipe en bois mérite bien sa place dans l’Olympe des temps modernes, parmi les vivants et les morts, les dieux ailés et les dieux cornus.

    Signé : Cazengler, un Spector des travaux finis

    Ronnie Spector. Disparue le 12 janvier 2022

    Ronnie Spector. Le New Morning. Paris Xe. 22 juin 2016

    Ronettes. Presenting The Fabulous Ronettes Featuring Veronica. Phillies Records 1964

    Ronettes. Volume 2. Phillies Records 2010

    Ronnie Spector. Siren. Polish Records 1980

    Ronnie Spector. Unfinished Business. Columbia 1987

    Ronnie Spector. The Last Of The Rock Stars. High Coin 2006

    Ronnie Spector. English Heart. Caroline Records 2016

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    Ronnie Spector. Nobody’s Baby. Lois Wilson. Mojo #256. March 2015

     

    Inside the goldmine - Rocking Bone

    Il en avait bavé dans la côte, ce putain de Solex était encore tombé en panne à cause de cet abruti de Lionel qui pour soit-disant gonfler le moteur avait agrandi les admissions à la lime, et forcément le Solex n’avait pas supporté l’opération, pleurt pleurt pleurt en pleine côte de Saint-Hubert, ah la vache, obligé de pédaler comme un forçat pour arriver jusqu’en haut avec tous ces abrutis qui klaxonnaient derrière parce qu’ils ne pouvaient pas doubler à cause des camions qui descendaient en sens inverse, un vrai cauchemar cette affaire-là et c’était sûrement pas le moment, parce qu’à la maison, le glauque régnait sans partage, il battait tous les records, Hitchcock n’aurait jamais pu imaginer un plan pareil, avec cette belle-mère, la troisième du nom, qui picolait en cachette et qui insultait tout le monde à table, la garce, c’était facile pour elle car on avait ordre de fermer nos gueules, pas question d’ouvrir le bec sauf pour avaler cette saloperie de chou-fleur à la béchamel qu’elle nous servait tous les soirs sans exception, elle servait cette merdasse à la louche, alors il fallait avaler ça aussi vite que possible pour sortir de table et aller se réfugier dans nos chambres, car c’était le seul endroit peinard de la baraque, on pouvait y écouter des disques mais pas trop fort et se plonger dans la lecture de Creem & Châtiment, ce vaillant petit canard américain qui grouillait d’infos sur tous ces groupes mythologiques qui nous faisaient baver, comme par exemple les Jukin’ Bone qu’on a longtemps appelé les Junkin’ Bone parce qu’on avait mal lu les pochettes de ces deux albums RCA qu’on était allé un jour acheter à Paris en ayant pris ce choo choo train de give me just a little more acceleration et il fallait voir comme on était content de ramener ces deux albums dans le terrier glauque, de véritables trophées, on les ressortait du sac toutes les cinq minutes pour les admirer encore et encore, on s’en émerveillait à s’en arrondir le dessin des yeux.

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    C’est vrai qu’à l’époque on adorait ces petits albums de groupes américains pas très connus, on leur attribuait une valeur on va dire affective car il ne s’agissait pas non plus de grands albums. Les deux albums de Jukin’ Bone sont sortis la même année, en 1972. Évidemment, il n’existe aucune information sur ce groupe avalé depuis longtemps par l’oubli. En creusant un peu, on découvre qu’ils sont originaires d’Upstate New York et que 44 ans après leur split, ils se sont reformés pour enregistrer un nouvel album. Bon bref. Le fait de savoir que Jukin’ Bone a survécu donne du baume au cœur, mais c’est en 1972 que se jouait le destin de ces deux albums irrémédiablement classiques. Ils jouaient leur boogie rock en pères peinards sur la grand-mare des canards.

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    On les voit tous les six sur la pochette de Way Down East, avec leurs petits cheveux longs, leurs vestes en velours, leurs pattes d’eph et leurs boots. Tout le monde portait des boots en 1972. Tous les mecs qui écoutaient du rock portaient les cheveux longs. On devait écouter plusieurs fois Way Down East pour essayer de se convaincre qu’il s’agissait d’un bon album, mais il y avait dix mille fois plus de viande chez les Pink Fairies et le Vanilla Fudge que chez les Bone. Alors on persévérait, tiens, «Nightcrawler», c’est pas mal, c’est plus corsé et même sacrément corsé, ajoutait-on, on stompait ça des boots et on les voyait aller chercher le petit raunch. Mais leur boogie rock restait globalement bon enfant. On se demandait d’ailleurs comment ils avaient réussi à signer sur RCA qui était quand même le label d’Elvis et de David Bowie. Ils terminaient leur bal d’A avec un «Mojo Conqueroo» copié sur le thème des Gilded Splinters, ce qui avait le don de nous enthousiasmer. Et puis en B, ils nous resservaient une belle resucée de «See See Rider» qui tombait bien au pli, Joe Whiting chantait au sommet de son petit lard, on les sentait bien inspirés par les trous de nez, mais bon, on préférait nettement la version d’Eric Burdon. Sur scène, les Bone devaient impressionner, car si on retourne la pochette, on tombe sur une photo qui met l’eau à la bouche. Early seventies aux USA, ça faisait rêver tous les petits branleurs de province.

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    Leur deuxième album s’appelait Whiskey Woman. Pochette illustrée, ambiance urbaine, la nuit tombe sur la ville et comme pour le premier album, photo de scène au dos. Ils démarraient avec un «Jungle Fever» qui n’avait de fever que le nom, mais ils s’amusaient bien, ce qui était le principal, il ne fallait surtout pas les embêter. Tout était bien joué sur cet album, bien structuré, gratté au riff de gras double, incroyablement cousu de fil blanc, mais globalement c’était bien senti. On tombait enfin sur une énormité : «Spirit In The Dark», joué aux fantastiques accords de clameur groovy, c’était plein d’écho, élégant et conquérant. Il s’agissait du hit des Bone, joué dans un fantastique élan suprématiste, au cœur du cut se nichait un démarrage aux accords de groove, un merveille intersidérale qu’on voyait s’envoler. Et là les Bone devenaient des héros, sur la foi d’un seul cut, «Spirit In The Dark». Alors forcément, on retournait la galette et on dressait l’oreille, car on attendait des miracles. Ils démarraient leur bal de B avec le morceau titre, un boogie rock bien cossu. Ils connaissaient toutes les ficelles de caleçon, ils n’étaient pas nés de la dernière pluie et ils enchaînaient avec une resucée du vieux «Going Down» de Don Nix, mais pour le miracle, tintin. S’ensuivait une autre cover, «The Hunter», version bien musclée, mais le pauvre Joe Whiting n’avait pas la voix de Paul Rogers. Et l’album s’achevait dans une sorte de banalité. Il n’y avait pas de quoi se prosterner, mais bon, ça avait le mérite d’exister.

    Signé : Cazengler, Jukin’ Bore

    Jukin’ Bone. Way Down East. RCA Victor 1972

    Jukin’ Bone. Whiskey Woman. RCA Victor 1972

     

    L’avenir du rock - Shadracks & roll

     

    L’avenir du rock se doutait bien qu’ils finiraient par lui poser la question :

    — Que pensez-vous de la transmission génétique, avenir du rock ?

    — Pas grand chose...

    — La transmission génétique fait pourtant théoriquement partie du diagramme de vos thématiques... Vous évoquez les héritages mais curieusement vous n’abordez jamais la question de la transmission génétique...

    — Pffffff... Que voulez-vous que je vous dise ?

    — Vous pourriez expliquer aux auditeurs de Franche Culture que le rock, au même titre que l’intelligence ou la schizophrénie, peut être considéré comme un gène transmissible...

    — Vous devriez plutôt interroger un généticien...

    — Ne soyez pas cynique, avenir du rock, l’histoire du rock grouille d’exemples de transmissions génétiques, et vous les connaissez très bien. Quel est le premier exemple de gène rock qui vous vient à l’esprit ?

    — Gene Vincent !

    — Ah ah ah ! Ce que vous pouvez être spirituel ! Ah ah ah ! Vous en avez certainement une autre ?

    — Starkey et Hutch !

    — Ah ah ah, quel sens de la répartie ! Allez, avenir du rock, faite encore rigoler l’auditoire de Franche Culture qui en a bien besoin...

    — Me casse pas les Burnettes, Billy !

    — Ah ah ah ! Vous ne faites pas semblant ! Vous n’êtes pas dans la gêne, côté gènes, n’est-ce pas ? Ah ah ah ! Excusez-moi j’en ai les larmes aux yeux ! Une petite dernière, peut-être ?

    — Les chiens ne font pas des Shadracks.

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    Il est fort probable que les auditeurs de Franche Culture n’aient rien compris à la dernière vanne de l’avenir du rock. Sauf ceux qui écoutaient jadis le Dig It! Radio Show. Gildas programmait les Shadracks parce que leur premier album grouillait de classiques gaga. Logique car Huddie Shadrack est en fait le fils de Wild Billy Childish. Comme les chiens ne font pas des Shadracks, Huddie sonne comme son père. Ça tombe sous le sens.

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    Le meilleur exemple de gaga génétique s’appelle «Corinna», au bout de la B de ce premier album, un cook me down claqué aux accords de basse avec de forts relents de Louie Louie. Huddie n’en peut plus, Corinna in my arms ! L’album grouille aussi d’échos de proggy pop. Huggie a de toute évidence écouté des tas de très bons albums. Le «Splitting In Two» de fin de B se termine en apothéose d’accords stoogiens, mais anglicisés. Le coup de génie de l’album est la cover de «Boredom» qui ouvre la bal de la B : cover explosive d’un hit explosif, méchant clin d’œil aux Buzzcocks, c’est vite expédié en enfer. Bor’dom Bor’dom ! C’est d’autant plus méritoire que «Boredom» fait partie des intouchables. Ils font aussi un petit coup de Mersey Beat avec «Things I Hear». Les coups d’harmo rappellent ceux de Brian Jones dans les early Stones. Huddie a donc formé un trio avec deux petites gonzesses, Elisa et Elle. Au dos de la pochette, Councillor Duxburry qualifie leur son de punk inspired rhythm & noise. Bien vu Councillor, c’est exactement ça. «She Sailed The Sea» sonne comme du gaga minimaliste avec de belles flambées de noise. Huddie Shadrack développe en réalité une approche du gaga très novatrice. Il utilise les limites du power-trio pré-pubère pour créer des ambiances judicieusement aléatoires. C’est Elle qui lance «Plastic Lives» au one two three four de l’ancien temps du punk-rock de l’âge d’or. Ils réussissent à conserver ce son très désabusé. Avec «Locust Flies Again», on voit qu’Huddie a hérité de tout le bataclan, ça joue à la ferraille avec une belle disto de pâté de foi. L’avenir est assuré.

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    Dans un numéro récent, Vive Le Rock leur consacre une petite page, notant qu’après un démarrage en mode punk attitude, they morphed into the artistic and serious band they are today. Huddie écoutait les Damned au temps de son premier album. Il dit maintenant viser un son «raw, but also quite honest and melancholic, a bit arty, even though I don’t like the term.» Pour lui, le son du deuxième album n’est ni du gaga-rock, ni du punk, ni de l’indie. Il veut juste que ça sonne interesting. Il souhaite être pris au sérieux, rappelant qu’il n’avait que 17 balais quand il a composé les cuts du premier album - It’s just been a natural progression from there. I’m just poking around in the dark for ideas.

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    Leur deuxième album vient de paraître et s’appelle From Human Like Forms. Un mec nommé Rhys a remplacé Elle. Bon le son n’est plus du tout le même. Le seul cut gaga est le «Wet Cake» qui ouvre le bal de la B, monté sur les accords de Louis Louie. Pour le reste, Huddie cherche sa voie et il nous fait partager son ambition. Il faut donc faire un petit effort et se montrer digne de sa confiance. Derrière lui, Elisa fait de très beaux chœurs. Ils sonnent parfois comme les Pixies («Pray»), mais passent généralement par le vieux chemin des groupes anglais. Certaines harmonies vocales renvoient au premier Soft Machine. Huddie débroussaille sa petite pop bien tempérée, il vise le climatique, l’ambiance supérieure. Il a une bonne voix, bien ferme, un peu grave, étonnante pour un kid de son âge. On entend même parfois des échos de Bowie dans ses accents chantants («It’s All Undoing»). Il y a quelque chose d’héroïque chez lui, donc d’intéressant, et même de foutrement intéressant. Il ne lui manque plus que les grosses compos. Il chante aussi un peu comme Stephen Malkmus dans le morceau titre, il développe un même sens de la pop sophistiquée. Il redouble d’ambition avec «Delicate Touch», un cut monté sur un riff de basse hypno, il rentre dans le lard de la pop avec une voix d’Américain anglicisé, il chante au grain conquérant. Et c’est avec «No Time (Slight Return)» qu’il rive son clou. On se croirait chez les punks de Manchester, c’est extrêmement bien foutu, gratté au don’t give a fuck. Belle façon de boucler un album dévoré d’ambition.

    Signé : Cazengler, Shadrat d’égoût

    Shadracks. The Shadracks. Damaged Goods 2018

    Shadracks. From Human Like Forms. Damaged Goods 2021

    Introducing The Shadracks. Vive Le Rock # 85 - 2021

    *

    Ecoute c'est du Belge ! Encore qu'il y a belge et belge. Si vous prisez les suavités poétiques de Charles Van Lerberghe ou les fragiles dentelles de Max Elskamp, passez à la rubrique suivante, par contre si vous adorez le bruit et la fureur à faire péter la sous-ventrière de vos chevaux de guerre qui cavalcadent dans vos neurones, restez ici. Les prévisions météo sont sûres à cent pour cent : Cyclone force 10 en route vers vos oreilles.

    BRUTAL DESTRUCTION

    CYCLONE

    ( Roadrunner Records / 1986 )

    Donc des Belges, basés sur Bruxelles, c'était il y a longtemps. N'ont commis que deux albums, nous n'ouïrons que le premier, le second Inferior to none ( ne se prennent pas pour les derniers de la classe ) ne conserve que deux de cinq membres initiaux. Se sont reformés en 2019 et ont donné quelques concerts.

    Johnny Kerbush : guitare / Pascal Van Lit : guitar / Guido Geveis : vocal / Stefan Daamen : bass, guitar / Nicolas Lairin : drum.

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    Au cas où le titre ne vous suffit pas, admirez la pochette de Nicolas Verin. Sans doute un long développement serait-il nécessaire ici pour étudier l'influence de la peinture du dix-septième siècle sur l'imagerie métal, nous nous contenterons d'utiliser la notion de perversion des genres, les vanités de l'ancien temps figurant un crâne humain, généralement sis en un décor luxueux, rappelaient aux pauvres humains qu'ils étaient voués à la mort ( et entre parenthèses, que seul Dieu est grand ), Cyclone et une kyrielle d'autres groupes, se servent de la tête de mort pour manifester leur orgueilleuse puissance, la mort ils la réservent à leurs ennemis, pour eux ils se réservent la victoire et le triomphe. A ses débuts le groupe ne se nommait-il pas Centurion.

    Prelude to the end : c'est l'équivalent de Prélude et Mort d'Yseult, mais en plus rapide, un cauchemar qui passe, à peine deux minutes, le temps de se réveiller et de l'interpréter en sinistre avertissement quant à la journée qui s'ouvre, une horde de Sleipnirs odiniques qui déboule sur vous et ne manquera pas de vous piétiner. Devez être un peu maso, vous remettez illico l'intro, cette walkyrienne chevauchée fantastique est carrément dantesque. Ah ! quel plaisir ces pincées riffiques à croire que l'on projette du sel gemme sur vos plaies purulentes, délicieux ! Long to hell : je ne peux lire le mot hell dans un titre de metal sans penser au Highway to hell du Blue Öyster Cult, mais c'est indéniablement le nom de Metallica qui vous saute au cerveau ( tous les lecteurs de Kr'tnt en ont un ), derrière ça remue salement mais le pire c'est le Guido, chante comme il glaviote - j'interromps il y a une guitare qui hennit bien fort, espérons que son palefrenier soit encore vivant, j'en doute – il vous perce la figure de mollards pointus comme des vrilles – tiens le destrier a dû en ratatiner un autre contre la paroi de son box – elles vous vérolent la gueule fort joliment, ce n'est pas Mirabeau mais Miralaid, nous avons de la chance, ça s'arrête sur une dernière expectoration gluante. Fall under is command : un tempo plus lent ( juste le début ) et un morceau plus long ( pas trop cinq minutes, les dernières ), sont inhumains chaque fois que l'on arrache une dent au chanteur on devrait l'endormir au lieu de lui baratter la tête à coup de baguettes de batterie, pas le te temps de vous ennuyer, toutes les dix secondes ils inventent une horreur, les égoïnes ont l'égo aigu, Nicolas Lairin ravage ses caisses à la manière d'un varan des Galapagos qui galope après son gosse pour l'avaler tout cru. Appetite for the destruction comme disait l'autre. S'ensuit des éclats de rire particulièrement maltraitants. Le morceau se termine sur les cris agoniques du gamin, son père lui arrache les membres un à un.The call of steel : tambourinade de guerre, deviennent lyriques, trottent au carnage gaillardement, du mal à se faire à cette voix de chouette clouée sur une porte de grange en feu, étrange sérénade Guido martèle des paroles comme un soudard aviné et de temps en temps vous pousse des cris d'aigle dont une flèche empoisonnée stoppe l'élan en plein vol, mêlée instrumentale, des cordes exaltées miaulent comme des orgues de Staline, et ce givré de Geveis youpiise comme des danseuses de french cancan. Fighting the fatal : cymbales emballées et section rythmique au taquet, à la basse Damon se comporte en démon, se colle à la batterie et la pousse au crime, ces cris de gamins qui tombent sans le faire exprès dans un puits profond de cinquante mètres avec la batterie qui jette des lourdes pierres par-dessus pour être sûr qu'il ne remonte pas, en prime un cuveau d'acide guitarique et l'affaire est en passe d'être réglée, sont pressés de terminer, pour passer à plus cruel, ils accélèrent le rythme, à coup sûr the trashy kings de Belgique ce sont eux ! In the grip of evil : nous envoient le riff par colis postal en intro, tapent la belote sur le coin du comptoir et vous refourguent le sbeul dans les synapses, vous enfilent des hallebardes dans le ventre et le chanteur fou explose la banquise, chante plus vite que sa voix même que derrière ils ont du mal à suivre, alors ils envoient la vapeur pour l'ébouillanter à coups de jets d'eau chaude, y réussissent puisque l'on ne l'entend plus, erreur il revient en forme olympique et vous assène trois piaillements de castrats pour vous couper les roubignoles dans la cour de l'école. Vous avais avertis, evil signifie que ça fait mal ! Vous écoutez à vos risques et péril. Take thy breath : vous font un peu attendre sur l'intro, style boucher sympa qui désosse votre chien devant vous, le Guido a envie de parler, vous n'écoutez pas ses paroles vous attendez qu'il se rue dans le contre-ut au troisième acte, il existe une autre version de ce disque, z'ont refait le mixage, préférez celui-ci, ce n'est pas bien de couper les ongles d'un tigre, employons une métaphore plus précise, de scier la corne d'un rhinocéros vu la manière dont le frappadingue assène ses coups sur ses tambours, repartent à fond de train et hop ils accélèrent dans les tournants, pas de souci dans les lignes droites aussi, hurlement final, pas tout à fait encore un bruit étrange, d'après moi, mais je n'en suis pas sûr, le triple rôt de satisfaction d'un lion qui vient d'engloutir un chrétien dans l'arène tandis que Néron dépose une couronne de rose sur sa crinière sanglante. Incest love : tiens une chanson d'amour pour terminer, tout est relatif, il est manifeste que ce qu'ils préfèrent chez Einstein ce n'est pas la théorie mais la bombe atomique, alors ils vous la font exploser pour de bon, les guitaristes vous scient les spectatrices du cirque tout du long en deux parties égales pendant que Guido pousse de petits cris tout mignounitous comme les gouttes de sang qui sautent de ses malheureuses. Basse et batterie passent la serpillère pour nettoyer. Nickel chrome, plus rien à voir. Ni à entendre. Les meilleures choses ont une fin. Avez-vous remarqué que Guido chante en belge.

    Une monstruosité. Ne vous vantez pas que vous l'écoutez tous les matins au petit déjeuner. Vous perdriez vos amis. Mais sont-ce de véritables amis ?

    Damie Chad.

     

    *

    Dans la cinq cent trente et unième livraison de KR'TNT ! du 25 / 11 / 2021 nous avions promis de revenir sur Golem Mécanique, il est plus que temps de tenir notre promesse. Voici trois nouvelles chroniques sur trois opus que vous retrouverez avec plaisir sur Bandcamp. Le site en présente à ce jour dix-huit. Une mine d'or dont je vous conseille de vous lancer dans l'exploration de ces galeries secrètes scintillantes d'obscurité.

    Rappelons que chaque production ne bénéficie que d'un très petit tirage ( de prix modique ), réalisé sous forme d'une cassette souvent augmentée d'un court livret et / ou différentes glanes. Nous employons ce dernier vocable pour orienter l'auditeur vers les premiers travaux de Mallarmé encore lycéen, qu'il objectivera bien plus tard par l'envoi de divers objets poétiques à quelques correspondants choisis. Certains objecteront que ces artefacts mallarméens appartiennent à une veine fantaisiste, nous nous contenterons de leur conseiller de relire ses traductions des Poésies d'Edgar Poe et Igitur conte métaphysique dans lequel les objets symboliques jouent un grand rôle...

    ORACLE

    GOLEM MECANIQUE

    ( Février 2021 )

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    Ce n'est pas un hasard si j'ai choisi en premier lieu cette pochette. Les colonnes m'ont attiré. Tout ce qui de près et de loin évoque les Anciens Dieux de l'Hellade et de la Rome antique, je suis un sectateur absolu de ces concepts opératifs que l'on nomme les Dieux. Golem Mécanique s'inscrit dans une autre tradition, celle de la revisitation de la gnose, savoir enté aussi bien sur la dernière philosophie païenne que sur l'héritage chrétien et donc biblique, mais ne vaudrait-il pas mieux remplacer ce mot par caïnique. Les deux morceaux qui suivent sont inspirés par les poèmes de William Blake lui même admirateur de John Milton qui dans son épopée Lost Paradise donne longuement la parole à Lucifer, qui prononce notamment le célèbre vers : '' Mieux vaut régner en Enfer que servir au Paradis'', nous sommes-là aux sources occultes du romantisme, du mouvement Gothique, et de bien étranges musiques...

    Daughters of Albion : douces voix ennuagées comme un appel, répété, à chaque fois légèrement plus fort, silence, un bruit assourdi et indistinct semblable à ces bouchons dans les oreilles lorsque l'on monte en montagne, les murmures plus forts, un appel, oui c'est bien un appel des filles d'Albion, se plaignent-elles ou nous hèlent-elles, sirènes enjôleuses dans la brume, de si loin des premiers temps, silence, comme un vent lointain de cornemuse qui s'étend sans fin, s'amplifie lentement, avec au fond la palpitation d'un cœur machinique qui impulse une plus grande lenteur précipitante, parfois des étincellements de musique, comme des éclats d'épée touchées par le soleil, gradation incessante, et puis se met en branle tel un retirement, comme un voilement qui n'en reste pas moins fort, l'on avance tout en reculant, c'est maintenant que l'on comprend que la chose ne bouge pas, qu'elle reste immobile, car elle est inaccessible, l'on a entendu, l'on n'a rien vu, les filles d'Albion procèdent d'une nouvelle légende, contée et illustrée par le poëte William Blake, ami de Mary Wollstonecraft dont la fille Mary créatrice de Frankenstein fut la femme de Percy Bysshe Shelley... ce morceau est à écouter comme une approche, de tout un monde, qui possédait des idées bien moins étriquées et beaucoup plus révolutionnaires que notre siècle... Urizen : une voix infinie sur un fond d'orgue majestueux, s'élève un chant doux en l'honneur d'Erizen, cette créature moitié-dieu, moitié-homme, moitié-terre, fils d'Albion, les filles de celui-ci pourraient être les siennes, imaginées et rêvées par William Blake dont Le livre d'Urizen, relate une vision fragmentale de l'homme partagé entre l'attrait paradisiaque et la tentation luciférienne, pluie diluvienne d'orgue, nous sommes dans un monde de grandeur qui nous dépasse mais la voix humaine passe par-dessus. L'histoire d'Erizen est celle d'une dégradation incessante qui descend les escaliers du Divin qui aboutissent à l'Homme, personne ne lui interdit de les remonter, long silence, la voix seule, qui se tait lorsque la musique revient, et qui se mêle maintenant à elle, sinuosités de serpent caducique, long silence, la voix seule survit. Divine.

    NONA, DECIMA ET MORTA

    GOLEM MECANIQUE

    ( Ideologic Organ Label / Mars 2020 )

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    La pochette nous offre une vision – préférons ce terme à celui de photo ( prise par Ida Sofar ) – de Karen Jebane autre entité nominative de Golem Mécanique. Cette fois-ci nous n'avons pas affaire avec une cassette mais à un disque, paru aux éditions Mego ( SOMA 31 ), ce qui explique peut-être le pourquoi cette couverture de présentation vinylique traditionnelle.

    Karen Jebane : voix, drone-box, organ / Marion Cousin : Voix, Harmonium.

    Face A : une voix si pure en ses harmoniques, pourtant à peine balbutiée, chaque mot cerné de silence, lorsque l'on s'aperçoit qu'elle n'est accompagnée d'aucun instrument, il est trop tard, une sonnerie retentit. Aussi agaçante qu'un téléphone qui vous rappelle à la sinistre réalité quotidienne alors que vous étiez ailleurs propulsé sur les cimes d'Engadine. Elle ne dure pas, le morceau approche les vingt minutes, elle persiste, un signal, une alerte, sur laquelle vient se rajouter une frange de fugue organique de Bach mais qui resterait bloquée sur quelques notes. L'impression que l'on s'enfonce dans le son et que le son interpénètre en vous, une espèce de transsexualité musicale, alors que surviennent des voix féminines aussi souveraines que des laudes chantées en grégorien par des moines, sur lesquelles se superpose un bourdon de basse intenable, une force qui avance en votre cerveau pour le purger de toutes les nocives expériences de votre existence, les voix se taisent et cela devient insupportable, un moteur d'avion qui prend de l'altitude, au loin des bribes lointaines de chant, elles ne sont pas une imagination, elles sont là de plus en plus présentes, vous cherchez le sens de ces paroles qui tombent du ciel ou qui surgissent du néant, la nuit nous entoure, nous enveloppe d'une cape protectrice, nous ne le savons pas et en même temps nous ne l'ignorons pas, pire qu'un son implacable, qui vous pousse et vous accule contre les murs de votre prison intérieure, la violence s'accroît-elle ou est-ce seulement une illusion qui n'est que le voile épais de votre conscience, une mer immense écume à l'infini, une roue de vielle mécanique tourne selon le modèle de l'éternel retour, tout en persistant à n'être que dans sa propre présence, maintenant vous comprenez que cette sempiternélité cosmique n'est pas une déchéance, votre esprit s'ouvre à une plus grande amplitude, à une immense magnitude, vous vous retrouvez en vous tels que l'immortalité des dieux vous change, le volume devient processionnaire, l'homme peut mourir d'être immortel a dit Nietzsche, mais c'est encore la plus sûre garantie de votre immortalité. La voix seule encore une fois, une fragilité du silence qui confine à l'absolu. Face B : une note, seule, longue, la voix survient, sans surprise, selon le modèle du morceau précédent, lentement, mot à mot, lâchés, espacés, les uns après les autres, des oiseaux de proie qui s'envolent un à un, de la dextre qui les laisse s'enfuir dans le vaste monde. Maintenant ils semblent sourire, plus joyeux presque, c'est qu'ils évoquent trois jeunes, du moins les imagine-t-on ainsi, filles, l'on s'attendrait à une ronde toute gentillette, mais nous sommes sur l'avers de la face B, l'autre côté, le premier évoquait la divinité oubliée et reconquise de l'homme, ici nous avançons sans bruit dans un paysage tout plat, nous suivons un sentier de cendre sonore, comme s'il ne fallait pas faire de bruit, musique en mineur, un bruissement tout doux, infini, la voix reprend son antienne, elle a le charme des Douze Chansons de Maeterlinck, celles qui parlent de princesses, celles de la fin surtout, aussi obsédantes que Les aveugles sa pièce-poème, la voix psalmodie de temps en temps, derrière la sonnerie essaie de klaxonner pour nous faire marcher plus vite d'un pas lourd et triste, mais qui serait pressé d'arriver au terme de ce paysage dévasté qui semble être le miroir des âmes en peine, des frissons sonores s'agitent comme des voiles de songe, est-il nécessaire de s'éveiller, de savoir où nous sommes, qui nous sommes, qui sont-elles ces trois sœurs, nous étions tranquille mais la sonnerie sans fin s'amplifie, pour un peu elle deviendrait angoissante, aurions-nous le temps de compter jusqu'à dix, et si la treizième, si nervalienne, ne revenait pas, si le comput n'atteignait jamais le chiffre 11 bouillonnant, composé du seul chiffre 1 qui se regarde en lui-même, ces chœurs de nonnes deviennent oppressants, s'ils pouvaient ne jamais s'arrêter, si la troisième était l'ultime, pourquoi cette voix désolée, douée d'une pureté angélique, serait-ce celle de l'ange de la mort, regardez la pochette, cette photographie, cet œil qui vous regarde par-dessous et qui sourit, des trois Parques Nona qui file, Decima qui fuse, Morta que l'on fuit, quelle est-elle... L'artiste est-elle celle qui tresse les plus belles couronnes de laurier, elles exaltent notre grandeur, pour mieux nous chuchoter Memento Mori...

    LUCIFERIS

    GOLEM MECANIQUE

    ( Ideologic organ / Février 2021 )

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    La pochette est une illustration de Gustave Doré. L'on a dit que Victor Hugo n'a jamais terminé son poème La fin de Satan parce que la fatigue et la vieillesse l'en ont empêché. Son entourage lui chantait la douce chanson : tu en as assez fait durant toute ta vie, repose-toi. Même Dieu s'est arrêté de travailler au bout de sept jours... ces conseils venaient de l'extérieur, mais au dedans de lui-même, pourquoi cet infatigable travailleur n'a-t-il pas fourni un dernier, voire suprême, effort... quelles forces surgies de l'intérieur du poëte l'ont-elles amené à surseoir au couronnement de son œuvre poétique... L'interprétation que Karen Jebane donne de la gravure de Gustave Doré, celle d'une chute de Lucifer chutant, n'arrêtant jamais de chuter, car tant que le terme de sa course n'est pas échu, il n'est pas encore condamné, il n'est pas puni, il reste libre d'être encore ce qu'il est dans sa chute-libre... Hugo a-t-il pensé que la fin de Satan serait aussi la fin de la liberté humaine...

    Karen Jebane présente ce disque comme un double de Nona, Decima et morta, pour rester dans le romantisme français, ces trois moires correspondraient à l'Eloa d'Alfred de Vigny, et son Lucifer de lumière, et ce Luciferis notre propre part d'ombre que nous portons au-dedans de nous.

    Golem Mécanique : Drone Box / Philippe Bell : guitare.

    Cadere : ( tomber ) : un point noir sur l'horizon du ciel le plus haut qui tombe sans fin, à une vitesse folle, rien ne le freinera, une horreur si démesurée qu'elle en devient splendide, il y a une terrible obstination à vouloir tomber ainsi, sans rémission, et sur ce vertige organique survient le souffle rauque de la bête qui tombe, un bruit de guitare méphistophélesque qui fout la frousse, qui vous force à regarder sans agir, car tenter de le freiner s'avèrerait impossible, une pierre, un rocher qui fonce dans l'espace, qui gronde tel un objet interstellaire, un mystère qui passe, qui ne vous voit pas, qui vous oublie tellement concentré dans sa chute dans l'espace illimité qui ne semble pas avoir de fond pour l'arrêter, vous l'avez perdu du regard, était-ce une étoile filante de braise ardente, elle est si loin qu'elle semble invisible, mais le sifflement occasionné par sa chute vous cisaille les oreilles, ce n'est pas une chose, c'est un drame qui bascule en lui-même, un entonnoir métaphysique dans lequel s'engouffrent l'espoir et le désespoir du monde, quand est-ce que ce cri musical inhumain cessera, vous n'en pouvez plus, vous êtes happé par un gigantesque vortex qui s'enfonce dans des profondeurs que vous ne pouviez imaginer, ô cette chute continue si abjecte qu'elle n'en est point monotone, qu'elle focalise encore plus votre attention, les stridences se font plus tranchantes, elles vous assaillent, elles vous écrasent, la chose qui tombe remporte une victoire, elle vous entraîne avec elle, vous perdez l'équilibre et vous tombez à votre tour, vous n'êtes plus qu'un point noir au plus profond du ciel, et d'autres vous suivent, vous voici vol d'hirondelles funèbres sans printemps en partance pour un infini qui recule sans fin, sans fin, sans fin... Déjà nous ne sommes plus qu'un chuintement illimité. Magnifique, merveilleux. Musique rebelle. Une écoute difficile à supporter. Luceat : ( qu'il brille ! ) : comme un point de lumière que l'on ne voit pas, que l'on pressent, onde divine que l'on devine, que l'on cherche, que l'on aperçoit, flamme tremblotante d'une bougie, mais si vous tombez dans l'illimité pourquoi le fait de tomber serait-il une chute, par rapport à quoi tombez-vous, pourquoi ne seriez-vous pas en train de vous élever, tout ne dépend-il pas de la place de l'observateur, ne suffit-il pas de changer la focale de son regard pour transformer le vil plomb qui tombe en or qui rougeoie, et qui bientôt se transforme en brillance aurorale, n'est-ce pas que cette musique palpite et étincelle, elle se darde de rayons matutinaux, elle se déplie, ses ailes qui la portent, ne s'agitent-elles pas comme deux longues flammes, deux étendards victorieux qui boutent le feu aux poudrières du chaos, le noir devient gris, le gris s' éclaire de blanc, encore sale, encore douteux, bientôt éblouissant, quelqu'un a-t-il allumé la lumière, le monde change de couleur, les moindres recoins de l'univers s'illuminent, celui qui tombait irradie de tous côtés, l'univers s'embrase d'un feu prométhéen, des boules de feu se détachent et s'enfuient au-delà des horizons cosmiques, tout rayonne d'une splendeur inégalée, l'espace s'apaise, il se détend, il se délasse, il semble sourire, ce qui était en bas est maintenant partout, la bête triomphe, elle est dragon de feu, elle crache des flammes bienfaisantes qui désormais réchauffent et réconfortent la chétive humanité, des ondes de bonheur parcourent les étendues sans fin, l'on croirait entendre les trompettes victorieuses de mille millions d'anges énamourés qui annoncent la bonne nouvelle, une ferveur universelle s'unit au porteur de lumière et tout s'envole, telle une roue ocellée de paon en une ronde folle. Cette deuxième piste est à la hauteur de la première. Grandiose.

    Damie Chad.

     

    *

    Un curieux livre. Un titre un peu passe-partout et pas très visible sur la couverture rougeoyante, le nom de l'auteur est à rechercher au dos du volume, et quand vous l'ouvrez vous tombez sur une succession de pages blanches, à tel point que le premier réflexe est de penser que le livre débute à la japonaise par ce que nous appelons la quatrième de couverture, comme un manga. Le premier paragraphe du faire-part est assez intriguant pour que résonne en nous le célèbre adage de Mallarmé, ''Un livre ne commence ni ne finit, tout au plus fait-il semblant.'' D'autant plus qu'il nous est annoncé comme le premier acte d'un pentaptyque, dont les quatre suivants seront publiés d'ici 2025. Une bonne raison pour se donner à vivre au moins jusqu'à cette année-là.

    V I E

    Livre I – L'asquatation

    FRANCOIS RICHARD

    ( Novembre 2021 )

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    Une question taraudante, pourquoi ces huit pages blanches au début. Remarquez que l'interrogation surgit à la lecture des premières pages. Tellement déroutantes et bouleversantes que votre esprit cherche à se raccrocher au moindre indice qui s'avèrerait signifiant. Ne parlons pas de la photographie grise et floue qui les suit et qui ne figure rien sinon sa propre présence. Encore une page blanche, grand flash, une feuille noire. Plus de cent cinquante pages plus loin, grand flash, une autre feuille noire. Intuitivement vous comprenez qu'elles encadrent, qu'elles cadrent le récit. Blanc et noir, ombre et lumière, intuitivement vous pensez à Goethe. A sa théorie des couleurs. Et de là à Faust. Qui est un livre sur les pouvoirs de l'esprit humain. Et vous commencez à comprendre.

    Toutefois il convient d'aborder cet opus encore par l'extérieur pour mieux définir son objet. Nous avons employé deux mots : récit et acte.

    Commençons par l'évidence. Le livre est une suite de séquences plus ou moins longues, elles rapportent divers épisodes d'une histoire racontée dans l'ordre chronologique, constituée de phrases regroupées en paragraphes, rien de bien déroutant à première vue. Nous venons de décrire l'intérieur du livre. Le mot acte nous permet d'envisager son extérieur. Malgré Faust, écartons toute idée de théâtre. Pensons plutôt à cette idée que le fait en soi-même d'écrire un livre est un acte de portée métaphysique, c'est-à-dire un geste capable d'exercer une influence sur le monde. Nous n'évoquons par ces mots ni le succès, ni le nombre de lecteurs que peut avoir un bouquin dans l'entregent qui le voit éclore. Si le texte est encagé de feuilles noires, ce n'est point pour faire joli, mais pour le séparer du monde, l'isoler pour qu'il apparaisse comme une volonté ( celle de François Richard ) qui ne s'inscrit pas dans la sordide réalité indistinctive en tant que bibelot anodin. Nous savons maintenant que quelque chose se joue, là et maintenant à toujours, dans cet espace clos.

    Lecture abîmale. Le lecteur n'est pas convié à écouter béatement, lui échoit le rôle de faire le travail. Non pas de lire. Trop facile. La tâche même à laquelle s'astreignent les personnages du livre. Quelques renseignements utiles : question : Où ? En France. Cette précision est importante, elle ne relève évidemment d'aucun chauvinisme ou nationalisme. Question : Quand ? difficile de dater, après une grande catastrophe, laquelle, je vous laisse l'imaginer, climatique, épidémique, atomique, barbarique, encore plus terrible que les quatre réunies peut-être.

    Rentrons dans le vif des sujets. Les personnages, vous aurez du mal à les identifier, ils sont nombreux, une bonne douzaine. Ce n'est pas pour cela que vous peinerez à les reconnaître. Le problème ne vient pas de vous. Mais de la douzaine d'eux. N'y mettent pas de mauvaise volonté. Ils voudraient. Ils aimeraient. Le problème c'est qu'ils n'en savent pas plus que vous. N'ont plus de mémoire. Ne se souviennent de rien. Les pages blanches du début correspondent à ce vide initial. Ce ne sont pas les souvenirs qui leur reviennent, plutôt des choses informelles qui leur posent souvent beaucoup plus de questions qu'elles n'apportent de réponse. A vous lecteurs d'interpréter ces fragmences venues d'ailleurs inconnus qui ne sont que des bribes incompréhensibles de leur passé. Une colonie d'adolescents et d'enfants réunis. Habitent un bâtiment délabré nommé le squat de Ribardy. Etrange robinsonnade ! Nous les voyons s'ébattre, oiseaux englués tentant de s'arracher à la gangue de leur mazout amnésique. Sans doute progressent-ils en eux-mêmes, mais le lecteur aura du mal à déchiffrer les runes incompréhensibles de leurs paroles, de leurs pensées, de leurs actes. Le comportement de ces gamins monopolise le premier mouvement – terme musical – du livre.

    Le deuxième mouvement conte leur navigation vers l'île d'Avalon. Ce nom ne saurait être dû au hasard. Si l'on y rajoute un ermite qui a l'air de connaître le passé et l'espèce de Mentor nommé Thiam sans mort, sans s'éclaircir notre horizon de lecture semble s'ouvrir sur un récit épique. Serions-nous dans une épopée avec, question subsidiaire, ne serions-nous pas dans un poème. Troisième mouvement : nous voici sur le continent au milieu de nulle part, dans une fête, dans une clairière. Le mot clairière n'est pas sans évoquer Heidegger et sa réflexion sur l'oubli de l'oubli. Au lieu d'Heidegger nous avons une allusion au Journey through the past de Neil Young.

    Il est sûr qu'à la fin du livre le mystère reste entier. Que cet état de fait ne soit pas un prétexte pour ne pas en entreprendre la lecture. L'histoire a-t-elle d'ailleurs un quelconque intérêt. Suivre les aventures de nos héros, si palpitantes ou angoissantes seraient-elles, ne serait-ce pas rester en surface du livre. Ne vaudrait-il pas mieux tenter une lecture qui essaie de percer la peau de son écriture. Regardez les moindres mots de ce récit, ils sont comme dans tous les autres livres formés du noir de leur encre et du blanc de la page. Que signifie cette alternance, que toute connaissance repose sur du vide, sur du néant. Pourquoi les mémoires trouées de ces gamins ne seraient-elles pas l'image du vertige de l'écriture et pourquoi l'écriture ne serait-elle pas un acte qui s'inscrirait entre prose et poésie. La prose qui dit et la poésie qui mystérise.

    Un des gamins énonce un jour le mot Odyssée, peu après ils prendront la mer vers Avalon. L'on ne peut lire V I E sans évoquer l'Ulysse de Joyce, roman qui s'étend en vingt-quatre chants, et raconte une journée de la vie ( peu héroïque ) de Leopold Bloom, Une existence terne, considérée à l'aune de l'intérêt romanesque, mais d'une richesse fabuleuse, car la pensée de mister Bloom vogue sans cesse sur les représentations imaginatives de toute pensée en action. Traverse gouffres, mythifications et touche aux notions les plus élémentales de la réalité humaine, la mort, le désir, la peur, la connaissance... Au fond Bloom n'est guère différent de l'Ulysse d'Homère. Toute l'analyse de Joyce passe par la mise en langage de son roman. Notons que Finnegans wake dernier roman de Joyce, écartèle la graphie des mots anglais pour leur faire dire ce que le blanc sur lequel se dessine le noir des lettres ajoute ( ou retranche ) au sens des mots.

    François Richard s'est embarqué dans une tentative d'écriture du même genre. Joyce était irlandais. François le français s'inscrit dans une démarche culturelle française. En fin de volume, sont publiées deux notules de l'éditeur au reçu du manuscrit. Qui en tente une première interprétation arquée sur les démarches d'Arthur Rimbaud et de Stéphane Mallarmé. Il n'épilogue pas sur l'intrigue du roman, il tente de comprendre et de mettre à jour la signification de cette œuvre qu'il définit comme un travail poétique sur la langue ( française puisque écrit en français ) et avant tout comme une aventure poétique, pour ne pas dire une percée en poésie.

    Pour mieux comprendre, sans doute faut-il replacer ce premier tableau du pentaptyque V I E ( Joyce parlait de work in progress ) dans l'histoire du déploiement de la prose française depuis un demi-siècle, depuis cette réflexion sur l'écriture de la poésie des années soixante-dix qui déboucha sur la pensée déconstructiviste qui elle-même accoucha d'une prose des plus plates qui inonde le roman moderne. V I E délaisse cette morne plaine littéraire et essaie par son écriture de renouer avec ce que, faute de mieux, nous nommerions l'essence de la poésie.

    Ouvrir V I E cinq ou six fois au hasard est une fête intellectuelle. Certes c'est la même histoire qui se déroule, mais les paragraphes dans lesquels on se plonge révèlent à chaque fois un monde différent, une vision du monde en quelque sorte annexe, vous donnent l'impression de voyager d'île en île, chacune dévoilant une autre facette de toute vision. Pourtant à chaque fois malgré la profuse diversité des univers apparus, le lecteur reçoit l'impression qu'il est en présence d'un des points géodésiques de l'essentiel.

    Gageons que V I E terminé apparaîtra à beaucoup comme un livre somme et de refondation.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

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    Episode 15

    VIVE LA POLICE

    Le brigadier s'avéra très sympathique. En plus du café il ouvrit une boîte de biscuits secs, enrobés de chocolat.

    _ Heureusement que vous avez eu la bonne idée de mettre un terme à la vie de votre bonne femme, je commençais à m'ennuyer !

    Il est vrai que le commissariat est bien calme. Je lui jette un regard étonné, je ne m'attendais pas à une foule énorme, tout au moins trois ou quatre plantons ensommeillés, deux voitures de cowboys de la BAC venus jouer les cakes, une kyrielle d'ivrognes exigeant à boire, non, silence complet. Devant mon regard étonné il enchaîne :

    _ Tous partis, une réunion urgente, tout le monde, m'ont laissé seul avec le prisonnier et la consigne de n'ouvrir qu'au cas de grande urgence. Je suis sûr que le patron me le reprochera, je l'entends déjà, '' une pauvre conne zigouillée, vous croyez que je n'ai que ça à foutre, le pauvre gars aurait dû revenir dans deux ou trois jours !'' L'est comme cela le patron depuis la semaine dernière, depuis qu'il a été convoqué à l'Elysée, trois fois déjà, et tout à l'heure encore !

    _ Le prisonnier ?

    _ Pas bavard le gars, refuse de parler depuis qu'on lui a confisqué sa guitare ! Bon je cause, je cause, j'vais vous fourrer avec lui dans sa cellule, mais je vous préviens l'est muet comme une tombe. Étonnant pour un mec pour qui passait son temps tous les soirs à hurler sous la Tour Eiffel, je vous le dis moi, le monde est maboul !

    _ Brigadier, je ne veux pas abuser de votre accueil, mais passez-moi la guitare du gazier, il chantera, ce sera plus gai, cela mettra de l'ambiance

    _ Pas bête votre idée, tenez prenez son instrument, je vous suis avec la clef.

    NEIL YOUNG

    Dès que la grille de cellule s'est refermée Neil Young me sourit. Il se jette sur la boîte de petits gâteaux que le brigadier compatissant m'a offert et y puise dedans à pleines mains. Comme je suis un grand psychologue je ne dis rien, c'est écrit dans tous les manuels : N'hésitez pas à sacrifier vos biens les plus précieux pour parvenir à vos fins. Lui, enfin parvenu au bout de sa faim, se penche vers moi et me glisse à l'oreille :

    _ Vous en avez mis du temps à arriver, dépêchez-vous de me filer votre plan d'évasion !

    _ Le voilà ! Je lui tends la guitare !

    FOCALISATION EXTERNE

    Le brigadier est content. Les deux prisonniers ont l'air de bien s'entendre et le gars au T-shirt de Neil Young s'est mis à jouer et à chanter très fort, une musique un peu bizarre, bon, il préfère l'accordéon, mais l'ambiance vous a pris un petit tour festif pas du tout désagréable, du coup il s'ouvre un paquet de galettes bretonnes. Durant vingt minutes les pieds sur la table, il est aux anges, mais son ravissement est coupé net par un ineffable couac, suivi de râles monstrueux. Le meurtrier de sa femme serait-il un tueur en série, aurait-il commis une monumentale erreur fatale à son avancement !

    La voix rassurante de l'assassin l'appelle au secours :

    _ Brigadier venez vite ! Je vous en prie, c'est urgent ! Ses cordes vocales se sont rompues !

    La clef dans la main il entre dans la cellule. Le spectacle est atroce. Le musicien est dans les bras de l'assassin qui essaie tant bien que mal de le soutenir, l'autre est en train de vomir du sang et des morceaux de chair, c'est dégoûtant, le brigadier n'a rien vu venir. Ses collègues le retrouveront évanoui assommé par une guitare qui a traversé sa tête. A moins que ce ne soit le contraire.

    TOUT LE MONDE DETESTE LA POLICE

    Je referme à clef la cellule, Neil Young fauche le paquet de galettes bretonnes abandonné sur la table du brigadier, ne reste plus qu'à sortir et à nous évanouir dans la nuit. Opération réussie Cinq sur Cinq ! Aucune perte, si ce n'est ces deux steaks hachés bien saignants que j'avais gardés dans ma poche pour Molossa et Molossito. Tant pis, à la guerre comme à la guerre ! Justement la voici. Nous sortions du commissariat lorsque du bout de la rue débouche une file d'une dizaine de voitures gyrophares en action. Neil Young détale comme un lévrier et je le suis sans épiloguer sur la conjoncture qui tourne au vinaigre !

    Un coup de chance, un carrefour dont la rue que nous empruntons est en sens interdit et bloquée par un gros camion-livreur. Derrière nous les portières claquent, sont une trentaine à nos trousses. Le Neil m'étonne, avec son estomac plombé de galettes bretonnes il galope comme un dératé, je le suis sans peine – n'oubliez pas que suis un agent secret – le Neil m'épate '' au prochain croisement on se sépare'' me crie-t-il, et hop il fonce à droite tandis que je tourne à gauche. Je n'en crois pas mes oreilles, personne derrière moi, sont tous après le Neil, étrange, je reviens sur mes pas, je comprends, l'artère qu'a empruntée Neil est une impasse, je ne peux rien pour lui, des voitures de police barrent la rue, des coups de feu retentissent, tapi dans l'obscure et bienvenue encoignure biscornue d'une entrée de magasin, j'aperçois les policiers refluer et s'entasser dans les voitures qui démarrent et s'éloignent en trombe. Je me glisse dans le cul-de-sac, Neil a donc trouvé une sortie providentielle. Non ! Je ne tarde pas à trébucher sur son cadavre, sur le trottoir criblé de balles. La lueur blafarde du petit jour éclaire la scène, le sang coule encore de ses blessures, et se coagule dans la rigole. Près de sa main droite, j'aperçois deux taches d'un drôle d'aspect. Une espèce de gribouillis sanglant, je me recule un peu, je comprends, ce sont deux lettres toutes tordues, il m'est toutefois facile de les déchiffrer, cette barre torsadée ne peut être qu'un I, et ce serpent mal foutu, un S. Le dernier message de Neil !

    RETOUR A L'ABRI

    Les chiens me font la fête et les filles m'embrassent, le temps n'est pas aux effusions, le Chef me laisse juste le temps de changer de chemise et de pantalon.

    _ Agent Chad au rapport, ordonne le Chef en allumant un Coronado, le plan Alpha n'attend pas !

    Les filles ne quittent pas mes lèvres, elles me lancent des regards admiratifs, surtout lorsque je me présente comme l'assassin de ma femme, elles éclatent de rire lorsque je rappelle Neil engouffrant les galettes bretonnes, et pleurent lorsque je conte la fin prématurée du chanteur.

    _ Il est inutile de pleurnicher, déclare le Chef, un agent du SSR ne pleure jamais, que cela vous serve de leçon, est-ce vraiment tout agent Chad ? Si je comprends bien, le seul indice à retenir ce sont ces deux lettres maladroitement tracées, veulent-elles vraiment signifier quelque chose de précis ?

    _ Un dernier message, peut-être à sa fiancée qui se prénomme Isabelle, suggère Framboise, et peut-être même ISIS, en écrivant seulement deux lettres il l'a nommée toute entière !

    Ses paroles sont accueillies par un murmure flatteur

    _ Ou alors, je sais que c'est nettement moins romantique, hasarde Joël, au moment de mourir il a pensé à mettre ses affaires en ordre, IS comme Impôts sur les Sociétés !

    Sa proposition ne convainc personne, un guitariste fauché qui consacre ses ultimes instants à payer ses impôts !

    _ Il aimait Neil Young, connaissez-vous une de mes chansons préférées de cet artiste, IS a dream ? moi Noémie je m'imagine à mes derniers moments me demandant si la vie ne serait pas un songe.

    Le Chef ne nous laisse pas rêver :

    _ Non, apprenez à réfléchir dans le droit fil de l'affaire qui nous préoccupe : quel intérêt aurait la police à abattre un chanteur de rue ? Aucun. Quelle est la nationalité de Charlie Watts ?

    _ Anglais !

    Le Chef tira une longue bouffée de Coronado !

    _ Anglais, bien sûr et vous n'avez jamais entendu parler de l'Intelligence Service !

    Nous devions avoir tous l'air ahuri :

    _ Vous voyez les bienfaits du plan Alpha. Nous prenions notre Neil Young pour un comparse anodin, de fait c'était un agent Secret de sa très gracieuse majesté qui tentait de nous faire passer un message, si la police l'a abattu ce n'est certainement pas parce qu'il chantait mal !

    A suivre...