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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 43

  • CHRONIQUES DE POURPRE 560 : KR'TNT 560 : FREDA PAYNE / ROCKABILLY GENERATION NEWS / MICHAEL DES BARRES / ROZETTA JOHNSON / FULL MOON CATS / T-BECKER TRIO / FUZZY DICE / BURNING SISTER / ALICIA F ! / PHILIPPE MANOEUVRE

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 560

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    20 / 06 / 2022

    FREDA PAYNE / ROCKABILLY GENERATION NEWS

    MICHAEL DES BARRES / ROZETTA JOHNSON

     FULL MOON CATS / T-BECKER TRIO  

    FUZZY DICE / BURNING SISTER

    ALICIA F ! / PHILIPPE MANOEUVRE

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 560

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    À chaque jour suffit sa Payne

     

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             Quand Freda Payne, bien aidée par Mark Bego, publie son autobio, que fait-on ? On la lit. Pourquoi ? Parce que Detroit. Parce qu’Invictus. Parce que mystérieuse. Parce que Soul Sister. Parce que très belle femme. L’image qui orne la couve est une chose, mais elle n’est rien en comparaison de celle qu’on trouve en quatrième de couverture. C’est l’une des très belles femmes de l’histoire de la Soul. Oh et puis ce corps extraordinairement bandant qu’elle met en scène sur la pochette de Reaching Out, paru sur Invictus en 1973, la voilà dans l’eau jusqu’à mi-cuisses, elle porte un bikini rose qui ne cache rien de ses formes, elle a un corps parfait, alors on comprend qu’un bon paquet de lascars soient partis à sa conquête, car se retrouver au fond d’un lit avec Freda, ça devait être quelque chose d’intéressant. Parmi ses chéris les plus connus, Freda cite Berry Gordy, Quincy Jones et Eddie Holland. Pas mal, non ?

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             On approche surtout ce book dans l’espoir d’y trouver tout ce qu’on ne sait pas encore sur Invictus, le label monté par le trio Holland/Dozier/Holland qui après s’être fâché avec Berry Gordy, s’est lancé dans l’aventure d’un label indépendant. L’autobio d’Eddie et Brian Holland saluée ici au mois de décembre 2021 (Come And Get These Memories) en disait long sur Invictus mais nous laissait quand même un peu sur notre faim. On n’apprenait pas grand-chose sur McKinley Jackson et les artistes signés par le label, comme General Jackson & The Chairmen Of The Board, c’est-à-dire Danny Woods et Harrison Kennedy, et puis aussi 100 Proof Aged In Soul, 8th Day, Glass House et Eloise Laws. Quand une autobio est bien foutue, on entre dans les endroits et on touche la réalité du doigt. Les frères Holland parlaient plus de Berry Gordy et de Motown que d’Invictus. On aura le même problème avec Freda qui fait partie des gens simples qui sont obnubilés par les fastes et la célébrité. Freda en pince pour ce que les gens appellent de nos jours les people, alors elle fait des petites brochettes de noms célèbres qui coupent un peu l’appétit, car ça flirte avec l’emputasserie conventionnelle. C’est un risque qu’on ne court pas lorsqu’on lit Lanegan.

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             Si Freda signe avec Invictus, c’est parce qu’elle vient de rater deux belles occasions : un contrat chez Motown et un autre comme chanteuse dans l’orchestre de Duke Elington, car Freda est avant toute chose une chanteuse de jazz. Eddie Holland va la signer parce qu’il savait que Berry Gordy la voulait absolument. Elle est très tôt dans les pattes de Gordy. Elle raconte notamment un voyage qu’ils font à cinq en bagnole pour aller voir chanter Little Willie John à l’Apollo de Harlem. Dans la bagnole, il y a Gordy et George Kelly devant, et derrière, Freda, sa sœur Scherrie et leur mère à toutes les deux. C’est d’ailleurs la mère qui supervise les contrats et qui les fait foirer. Gordy est proche de Little Willie John, car il est le frangin de Mable John, l’une des premières Soul Sisters que Gordy ait enregistré à Detroit et qui fait donc partie des pionnières.

             Alors c’est Mama Payne qui examine le contrat que leur présente Berry Gordy et elle commence à chipoter sur les pourcentages mentionnés, elle voit que Berry prend 20 % et l’agent 10 %. Elle demande qui paye les robes, les hôtels et les billets d’avion et quand Gordy répond que c’est sa fille, Mama Payne lui répond du tac au tac : «Alors, il ne lui reste pas grand-chose !». Gordy commence à s’énerver et indique que le Colonel Parker ramasse 50 % du blé d’Elvis. Mais Mama Payne ne bronche pas. Comme Gordy ne cède pas non plus, on arrête les frais. Gordy range son papelard. Il voulait une petite poule pour lancer Motown, alors il va voir ailleurs, et il va signer Mary Wells à la place de Freda. Côté mâle, Gordy vient de signer l’excellent Marv Johnson. À l’époque, Freda rencontre aussi Smokey Robinson et sa femme Claudette, ainsi que les trois autres membres des Miracles. Les frères Holland sont là aussi, dès le début.

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             Freda nous explique qu’en fait Berry Gordy avait une réputation de coureur de jupons et Mama Payne voulait protéger sa fille. Mais Gordy est un grand garçon, il va vite passer du stade de coureur de jupons à celui de starmaker et faire du gros business. Devenue amie avec Mary Wilson, Freda connaît bien les tenants et les aboutissants de l’histoire des Supremes. Elle sait que Florence Ballard avait du caractère et qu’elle ne pouvait pas s’entendre avec Berry Gordy, car il était trop autoritaire. Freda qualifie Gordy de control freak - It is either his way or the highway - Elle raconte un peu plus loin qu’elle vivait à Manchester au moment où The Motown Revue tournait en Angleterre avec Little Stevie Wonder, Smokey Robinson & The Miracles, Martha Reeves & The Vandella et Jr Walker. Quand Gordy apprend que Freda est aussi à Manchester, il lui demande s’il peut la voir, ils papotent dans sa chambre, puis Gordy se fait plus flirtarious et bien sûr Freda finit par se faire sauter - Berry kinda talked me into it - Il peut être très persuasif, dit-elle. Alors elle cède. Elle insiste bien pour dire qu’il ne l’a pas forcée. Elle se méfie des procès - And we made love at my hotel - Puis Gordy propose une nouvelle fois un contrat à Freda. Elle soumet le contrat à son avocat, qui veut faire une ou deux modifications. Quand Gordy la rappelle, il lui dit qu’il ne fait aucune modification - First of all: nobody changes my contracts - Alors Freda dit qu’elle sait qu’il l’a fait pour les Four Tops, et Gordy répond que c’est différent, car Levi Stubbs est un ami. Et donc il préfère en rester là avec Freda. Restons bons amis. Pas de biz. Freda pense aussi que ça aurait de toute façon posé des problèmes avec Diana Ross si elle avait accepté de signer. Elles auraient été en conflit direct. Plus tard, Freda apprend de la bouche de Mary Wilson que Gordy dit du mal d’elle. En fait, Gordy ne supporte pas les gens qui chipotent. Toujours le fameux «my way» or «no way». C’est comme ça et pas autrement. T’es pas content ? Dehors ! Beaucoup plus tard, à Las Vegas, on présente Gordy à Freda et Freda dit qu’elle le connaît déjà. Ah bon ?, font les gens. Elle répond : «I know him from Detroit.» Et Gordy se marre : «She knows me quite well.» Alors ça pique la curiosité des gens qui demandent ce que veut dire le quite well, et Berry explique : «Je connais Freda depuis qu’elle est adolescente. She was my first female protégée. I saw in her what I needed to do.» C’est un bel hommage.

             Quand Freda chante avec l’orchestre de Duke Elington, elle est encore mineure. Mama Payne veille sur ses intérêts et en lisant le contrat que finit par lui présenter Duke, elle demande qu’il réajuste le salaire de sa fille, puisqu’elle a déjà tourné partout aux États-Unis et qu’elle va devenir une star. Elle demande de monter à $3,000.00 ou $4,000.00 et Duke rompt les négociations : «Just forget about it.» Terminé. Avec Mama Payne, ça paye pas à tous les coups.

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             Freda devient aussi copine avec Miriam Makeba qui allait épouser le trompettiste Hugh Masekela et plus tard l’activiste Stokely Carmichael. Quand elle quitte Detroit pour venir s’installer à New York, elle rencontre Quincy Jones et vit une belle histoire d’amour avec lui - He was definitively one of the loves of my life. He was so young and handsome - Méchante veinarde ! Et bien sûr, Quincy fait chanter Freda à l’Apollo de Harlem. Là, elle nage en plein rêve.

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             Pendant sa période new-yorkaise, Freda vit en coloc à Central Park West avec une amie et un jour un copain l’appelle pour lui dire qu’on cherche à la joindre. Ah bon ? Il dit qu’il te connaît de Detroit. C’est qui ? Brian Holland ! Mais oui c’est vrai, on est allés au lycée ensemble. Elle le prend au téléphone et Brian lui explique qu’Eddie et lui ont quitté Motown pour monter Invictus. Il lui demande ce qu’elle fait et comme elle ne fait rien de particulier, il lui propose de venir à Detroit signer un contrat chez Invictus. Cette fois, elle n’hésite pas. Mama Payne n’est pas dans le coin. Elle signe sans avoir lu, pour être sûre de ne pas foirer son coup, comme avec Motown et Duke. Et pouf c’est parti ! Elle revient s’installer chez ses parents et Ron Dunbar vient la chercher chaque matin pour l’emmener au studio, sur Grand River Boulevard. C’est le fameux Holland/Dozier/Holland Sound Studio installé dans un théâtre. Comme ingés-son, Holland/Dozier/Holland ont récupéré Lawrence Horn et Barney Perkins, qui eux aussi ont bossé chez Motown. Freda enregistre «Band Of Gold» qui est crédité Dunbar et Wayne mais qui en réalité est du Holland/Dozier/Holland, mais ils ne peuvent pas signer de crédits tant qu’ils sont engagés dans une procédure judiciaire contre Motown. Freda évoque aussi le producteur Tony Camillo. Tony dit avoir composé la musique de «Band Of Gold», mais il n’apparaît pas non plus dans les crédits, parce qu’il avait refusé de signer avec Eddie Holland un contrat qui le liait pour sept ans, Avec «Band Of Gold», Freda décroche le jackpot et devient célèbre. Elle entame une relation amoureuse avec Eddie - Eddie Holland? What the heck? - Mais les choses vont vite se gâter. Freda est une star, mais elle ne voit pas de compensation financière. Pas d’avance à la signature, pas de royalties, alors elle comprend qu’elle doit se faire la cerise. Elle pensait qu’Holland/Dozier/Holland avaient tiré des enseignements de leur expérience chez Motown, mais dit-elle, ils répétaient exactement les mêmes erreurs.

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             Freda enregistre trois albums sur Invictus, à commencer par Band Of Gold en 1970. Avec le morceau titre, Holland/Dozier/Holland lui donnent un superbe hit Motown, lourd de conséquences et de gros popotin, gorgé d’aplomb et de rage contenue. Comme l’indique Freda, le cut est effectivement crédité Ron Dunbar. C’est du pur Motown Sound, et Freda chante d’une voix de rêve. Avec «Rock Me In The Craddle», elle règne sur la terre comme au ciel et «Unhooked Generation» vaut bien des early hits de Stevie Wonder, c’est pas loin d’«I Was Made To Love Her». Tous les cuts de l’album sont soignés, ce ne sont que des grosses compos. Elle monte bien en neige le «The World Don’t Give You A Thing» signé Holland/Dozier, et elle revient nous enchanter avec «Happy Heart», une merveille de Soul magique violonnée comme il se doit.

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             Paru l’année suivante, Contact est un peu moins dense. Il semble que cet album soit conçu comme une comédie musicale. C’est très orchestré avec du narratif intempestif. Ça bascule dans l’hollywoodien. Elle fait un tout petit peu de Motown avec «You Brought Me The Joy» et casse la baraque en fin d’A avec «You’ve Got To Love Somebody (Let It Be Me)», qui sonne comme du Motown de l’âge d’or. Elle monte en B au sommet de son chat perché pour «I Shall Not Be Moved», elle sait parfaitement pousser son Motown dans les orties. Freda est terriblement savoureuse. Et dans «Mama’s Gone», on retrouve le filet mélodique du «Patches» de General Johnson. 

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             Dernier shoot d’Invictus en 1973 avec Reaching Out. Elle attaque l’album avec une belle Soul de sexe chaud, à l’image de la pochette. Corps de rêve. Toute l’A est consacrée au sexe chaud. Les affaires reprennent en B avec «We’re Gotta Find A Way Back To Love», big Soul de prestige, tout est là, l’ambiance, le swing, la voix, la classe, c’est à se damner pour l’éternité. Elle reste dans la Soul de satin jaune avec «Rainy Days & Mondays» - Rainy days & mondays/ Always get me down - Avec Freda, le trio Holland/Dozier/Holland tenait une très grande artiste. Elle tape à la suite dans l’«If You Go Away» de Jacques Brel, elle en fait une version honorable mais pas aussi définitive que celle de Scott Walker. Elle le chante pourtant à pleine gorge. Elle finit en classic Motown Sound avec «Right Back Where I Started From», elle tape ça au gros popotin, à la suprêmo des Supremes, Freda fait sa Ross quand elle veut, avec tout le gros chien de sa petite chienne.

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             Quand Freda quitte Invictus en 1973, elle signe avec ABC/Dunhill Records à Los Angeles. Lamont Dozier débarque aussi chez ABC et y enregistre deux albums, Out Here On My Own et Black Bach. McKinley Jackson produit le premier album de Freda chez ABC, Payne & Pleasure et bien sûr, Lamont Dozier compose pour elle des hits magiques, comme l’«It’s Yours To Have» d’ouverture de balda. Une vraie merveille de Soul californienne et on peut faire confiance à Freda, elle sait monter au front. On la voit encore défendre sa Soul pied à pied dans «Didn’t I Tell You», elle reste systématiquement dans le haut de gamme. À voir la pochette, on pourrait penser que Freda est tombée dans le panneau des Diskö Queens, pas du tout, elle tape des fantastiques balladifs de Soul, comme cet «I Get Carried Away» dûment violonné par McKinley Jackson. Grosse présence effective, avec un son différent de celui de Motown. Lamont Dozier compose aussi «Don’t Wanna Be Left Out», une belle Soul de grande insistance, elle ne s’accorde aucun répit, la Freda - Don’t wanna be left out/ in the cold baby - Encore un fantastique balladif en B avec «I Won’t Last A Day», elle chante par dessus les toits de la Californie et elle termine cet album magnifique avec l’«A Song For You» de Tonton Leon, elle le jazze comme le ferait Sarah Vaughan, elle ruisselle de feeling, elle est hallucinante de virtuosité vocale. 

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             L’année suivante, elle enregistre Out Of Payne Comes Love. Le hit de l’album se trouve en B : «(See Me) One Last Time», un slowah d’inspiration divine, avec des accents de Jimmy Webb et des attaques qui renvoient à «Tell Me Like It Is». L’autre gros coup de l’album est un r’n’b signé Ashford & Simpson, «Keep It Coming». C’est quasi-Stax, pas de problème, elle est dessus, elle est au-devant du mix. «You» vaut aussi pour un joli You d’inspiration divine. On reste ici dans la Soul classique de Detroit, c’est très beau, très pur, à l’image de ce God bless you. Avec «Lost In Love», elle tape un groove de good time music. Freda est l’artiste parfaite, intense quand il le faut et apte à groover sur Coconut Beach. Elle termine avec une shoot de Soul pop très sophistiquée, «Million Dollar Horse», une Soul pop très ambitieuse, qui ne mégote pas sur les investissements qui ne recule devant aucun obstacle. C’est très Jimmy Webb comme projet, elle capte l’attention, et elle impressionne au plus haut point.

             Puis Freda se retrouve devant un sacré dilemme : on lui propose deux contrats, l’un chez Philadelphia International Records avec Gamble & Huff et l’autre chez Capitol. Le premier a les O’Jays, Harold Melvin & The Blue Notes, The Third Degrees, le deuxième a Nathalie Cole, le Steve Miller Band, Glen Campbell, Paul McCartney & Wings et Frank Sinatra. En plus Capitol propose plus de blé, alors Freda va chez Capitol. Sacrée Freda, elle a fini par apprendre à ne pas perdre le Nord.

    Signé : Cazengler, peigne-cul

    Marc Bego & Freda Payne. Band Of Gold. Yorkshire Publishing 2021

    Freda Payne. Band Of Gold. Invictus 1970

    Freda Payne. Contact. Invictus 1971

    Freda Payne. Reaching Out. Invictus 1973

    Freda Payne. Payne & Pleasure. Dunhill 1974

    Freda Payne. Out Of Payne Comes Love. ABC Records 1975

     

     

    Talking ‘Bout My Generation - Part Six

     

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             La Suissesse Lily Moe est en couve du n°20 de Rockabilly Generation. Très beaux tatouages. Comme toujours, l’icono qui fait la loi dans ce canard nous en met plein la vue. L’esthétique rockab est l’une des dernières grandes esthétiques du rock system et c’est bien qu’un petit canard puisse la célébrer en lui donnant autant de place. En plus des tatouages, Lily Moe a deux très beaux albums under the belt.

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             Ça swingue chez Lily Moe & The Barnyard Stompers ! On peut même parler de big swing action, elle chante à la revancharde, elle te tombe dessus au dancing show, elle peut faire sa gutturale et passer comme une lettre dans ta poste. Il faut la voir se mettre en pétard dans «Ripple The Tripple» ! C’est avec «Hey Little Boy» qu’elle trouve sa distance et les Barnyard Stompers swinguent comme des bêtes de bop, alors elle est en confiance, et encore plus en confiance dans «Ho Ho Ho», un vrai chaudron de swing. Les Stompers tapent un instro de swing faramineux avec «Baked Potatoes». Avec «Why Don’t You Hold Me Back», ils passent au swing de jazz, et cette fabuleuse poulette tatouée s’y colle, avec tout le chien de sa petite chienne, ouaf-ouaf-ouaf-ouaf ! Elle passe au wild drive de fifties sound avec «I’m A Wine Drinker», elle ne lâche rien, elle croque la vie à belles dents et plus loin, on la voit charger la barque du heavy jump avec «Mama He Treats Your Daughter Mean», elle s’y plaint, son mec se conduit mal avec elle - Mama he takes my money - elle a raison de se plaindre, des fois les mecs sont des vrais cons, alors elle perd la boule, he drives me crazy.

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             En 2018, Miss Lily Moe enregistre un deuxième album, Wine Is Fine. Joli titre. Mais attention au gros nez rouge. Dès «Daddy You Can’t Come Back», elle swingue son swing au boo boo ! Avec ses deux étoiles tatouées sur les épaules, Lily Moe est une grande dame du swing, elle y va au doux d’entre-deux, suivie par un solo de sax. Encore du pur jus de swing avec «Rockin’ On A Saturday Night». Elle règne sur son petit empire de groove de swing, rocking with my babe, grosse énergie ! Solo de jazz swing, et la pauvre Lily sonne comme une cerise perdue là-haut sur le gâtö. Tout sur cet album est à la fois ultra-joué et ultra-chanté. Elle revient à son cher swing avec «Sammy The Rabbit», elle est partout à l’intérieur du cut, elle chante au petit sucre candy. Encore une petite merveille avec le morceau titre, elle nage dans l’excellence du wine, elle te swingue tout ça au retour de manivelle. Elle termine avec un «Find Me A Baby Tonight» assez engagé, elle perd le raw mais tape ça aux fusées de baby tonight.

             On retrouve Marlow le marlou en couve du n°21 de Rockabilly Generation. Il y raconte à tombeau ouvert l’aventure de sa vie, une vie vouée au rock. On ne pourrait pas imaginer plus vouée que cette vie-là, d’autant qu’il la narre au présent, à la manière anglo-saxone, il est dans l’action et le temps de l’action, c’est le présent. Non seulement son voué de vie grouille d’action, mais elle grouille de gens, de projets, de groupes, de concerts, de tous les détails qui font le vrai du voué, un vrai qui ne s’invente pas, alors ça devient palpitant, car c’est extrêmement bien écrit. Tous les fans de rock rêvent d’avoir vécu un tel voué, avec une telle intensité, et le plus spectaculaire, c’est que le présent narratif couvre quasiment cinquante ans, puisque Marlow le marlou débarque à Paname en 1974 - Je quitte la Corse où j’ai grandi pour monter à Paris - Ça démarre presque comme un roman. Tu en as qui longtemps se couchent de bonne heure, et tu en as d’autres qui montent à Paname, ce n’est pas la même chose. Et hop ça part en trombe à coups de Victor Leed, de Golf Drouot, de Crazy Cavan & de Flying Saucers, de rockers de banlieue qui viennent pour la shoote, pif, paf, et pouf, il monte les Rocking Rebels avec Tintin et un copain corse, Jean-Marc Tomi, Marlow cite le noms par rafales, son récit swingue dans le temps et voilà qu’arrivent deux héros, d’abord Jean-Paul Johannes et puis Marc Zermati qui signe les Rebels sur Skydog en 1978.  

             Alors on ressort deux albums des Rockin’ Rebels de l’étagère. Le dommage du premier, paru en 1979, est que Jean-Paul Johannes joue de la basse électrique. Pas de slap. Pire encore, les Rebels ne jouent que du rock’n’roll plan-plan alors qu’ils sont parfaitement capables de swinguer le go cat go. Et bien pire encore : ils ratent l’«One Hand Loose» de Charlie Feathers. Et comme une série noire ne s’arrête jamais en chemin, ils ratent aussi le «Put Your Cat Clothes On» de Carl Perkins. Par contre, c’est avec les deux doigts dans le nez qu’ils swinguent le «Gonna Rock Tonight» des Groovies. Ça mérite un coup de chapeau.

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    Trois ans plus tard, les Rebels passent à autre chose avec 1, 2, 3... Jump ! paru sur Underdog, le label du duo Lamblin/Zermati. Jump est un album de swing phé-no-mé-nal. Et quand on a dit ça, on n’a encore rien dit. Dès «Loli Lola», Jean-Paul Johannes drive le bop sur sa stand-up. Les Rebels affichent un côté très Boris Vian, ils savent aussi jazzer leur java comme le montre l’excellent «Hoodoo». Même s’ils sortent un son très commercial, très early sixties, c’est en place et diablement bon. Il faut voir ce dingue de Joannes swinguer son bop ! S’ensuit un «Bleu Comme Jean» incroyablement groovy et mal chanté. Mais l’album est solide, les thèmes varient, tiens, voilà «A Kiss From New Orleans» et une nouvelle leçon de swing. Jean-Paul Joannes et JJ Bonnet constituent une section rythmique de rêve. On l’entend encore le Joannes faire des gammes dans «Gallupin’». Et ça repart de plus belle en B avec un «Hey Bon Temps» mal chanté mais swingué jusqu’à l’oss de l’ass. «Cinq Chats de Gouttière» sonne très Chaussettes Noires, mais Joannes nous slappe ça sec au saucisson sec. Ils shootent un gros fix de New Orleans barrelhouse dans «Bim Bam Ring A Leavio» et jivent «Preacher Ring The Bell» comme des bêtes de Gévaudan. Et ils swinguent à la vie à la mort jusqu’au bout de la B, avec «Dansez Dansez» et «Bop Jump And Run».

             Et vroom, ça repart de plus belle avec de nouvelles rafales de noms, Jerry Dixie, Victor Leeds, le Alligators et Vince Taylor, des affiches de vieux concerts qui font rêver. Ah le temps de l’abondance ! Et puis nouvelle rafale avec Matchbox, Shakin’ Stevens et les Stray Cats, 1981 et l’élection de François Mitterrand, Brian Setzer le virtuose que l’on sait, puis nouvelles rafales de dates, tournées à travers la France, avec Marlow le Marlou, ça ne s’arrête jamais, et ça reste passionnant. À travers son histoire, il raconte la vraie histoire de France, les pannes, les salles, les Olympias, les premières parties, les sonorisateurs, les ovations, il ne manque rien, on a même les 10 000 personnes du Palais d’Hiver de Lyon, on est content pour les Rebels et pour Marc qui avait cru en eux. Et ça repart de plus belle avec Jackie Lee Cochran, Best et Rock&Folk, vroom vroom, Serge Gainsbourg, Sonny Fisher, Big Beat, alors t’as qu’à voir ! Et puis les télés, toutes ces vieilles émission de télé, Marlow le marlou envoie de nouvelles rafales, puis d’autres encore avec des producteurs, des test pressings, du show biz à tire-larigot, du Blanc-Francard, et des radios, bien sûr en veux-tu en voilà, puis il nous embarque dans l’épisode Betty & The Bops, mélange knock-outant de Ted Benoît et de Betty Olson. C’est là qu’il devient Tony Marlow

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             Alors on ressort vite fait Hot Wheels On The Trail de l’étagère. L’album date de 2005. C’est Betty qui slappe et qui chante. On sent la réalité du son dès «Hound Dog On My Trail». Tony Sasia bat son bord de caisse. Ils passent aux choses sérieuses avec «You Better Run». C’est plutôt wild avec un petit côté banlieue bien ficelé. Marlow le marlou passe un killer solo flash, il en a la carrure, il sait jouer au dératé. Quand Betty reprend le lead au slap avec «Go Cat Go», le marlou joue en clair derrière. Le niveau va hélas baisser pendant une petite série de cuts, mais ils font un retour en force avec «The Memphis Train» et sa belle dégringolade de basse à la Bill Black. Comme Marcel, Betty chauffe, on peut lui faire confiance, et soudain, le marlou rentre dans le lard du Train avec un solo demented are go. On reste dans l’énormité avec un «All I Can Do Is Cry» claqué au big riffing de marloubard. C’est encore une fois slappé derrière les oreilles et saturé de big sound. Il faut voir le marlou swinguer la cabane ! Betty et ses amis ne font pas n’importe quoi, sur ce mighty label Sfax. Et paf, voilà la cover définitive : «Please Don’t Touch». Betty rentre dans le lard du Kidd avec une niaque héroïque. Côté son et esprit, c’est absolument parfait. Ils font aussi une reprise du «Tear It Up» de Johnny Burnette. Betty la prend comme il faut, à la bonne franquette et boucle l’affaire avec «Bop Little Baby». Elle y va sans se poser de questions et le marlou sonne bien le tocsin du riff raff. On peut dire que ça shake en blanc.

             Et ça repart de plus belle avec la reformation des Rockin’ Rebels et Skydog, Elvis, Graceland, voyage initiatique, puis Bandits Mancho, Marlow le marlou ne s’accorde aucun répit et c’est tant mieux pour nous. Tout s’emballe encore avec Rockers Kulture et les fameuses compiles, six en tout, concerts à la Boule Noire et au New Morning et comme il le dit si bien, du jamais vu en France ! C’est effectivement un épisode mythique car il est le seul depuis Big Beat à avoir su donner un cadre à la culture rockab en France, une culture si vivace, et ça embraye aussi sec sur Johnny Kidd et le tribute band K’Ptain Kidd, puis Marlow Rider et Alicia F, vroom vroom !  

    Signé : Cazengler, dégénéré.

    Rockabilly Generation. N°20 - Janvier Février Mars 2022

    Rockabilly Generation. N°21 - Avril Mai Juin 2022

    Miss Lily Moe. Wine Is Fine. Rhythm Bomb Records 2018

    Lily Moe & The Barnyard Stompers. Rhythm Bomb Records 2013

    Betty And The Bops. Hot Wheels On The Trail. Sfax CD 06. Sfax Records 2005

     

     

    L’avenir du rock

    - De l’or en Des Barres (Part One)

     

             Quand on lui demande s’il existe une limite d’âge en matière de rock, l’avenir du rock éclate de rire. Pour ne pas blesser son interlocuteur qui visiblement n’a jamais rien compris, il répond que c’est comme avec Tintin, ça concerne tout le monde, «de 7 à 77 ans», et s’il lui faut argumenter, alors il cite en vrac le Moulinsart total de Scriabine, les Dupontificaux de la causalité  terminologique, la Castafiore du Castle Face de John Dwyer, le Rastapopoulos Bitchos de la vie, le Capitaine (hello Damie) Haddrock me baby/ Rock me all nite long, Milou Reed on the wild side, and the colored girls go Doo do doo do doo do do doo, l’Alcazar du Back In The USSR, you don’t know how lucky you are boy, le Yeah Yeah Yéti, she loves you, yeah, yeah, yeah, le Tchang Guy de check it out, baby, le Tournesol-La de la montée d’accords sur «My Generation», why don’t you all f-f-f-f-f-fade away, la chute de Szut dans le stock de coke et son patch Keefy-Ziggy, Ziggy played guitar Jamming good with Weird and Gilly, oh et puis Rackhamala Fa Fa Fa aux frontières du free et de la flibuste, I’m the man/ for you, baby/ Yeah I am, Abdallah La La Means I Love You, all I know is/ La la la la la la la la la means I love you, le Nestor de Blaise que n’en déplaise à Suter, Muskar XII de baby you can drive my kar, le Lampion des lampistes aux étoiles de Starman waiting in the sky/ He’d like to come and meet us, le Figueira qui ne figure que dans les Cigares d’Edgar du Nord, and that’s just about the death of a/ Like I mean/ Electric citizen, et le Müller des symphonies inachevées, le Rascar Capac de Race with the Devil, move hot-rod move man,  le professeur Calys des Fleur de Lys, you say you love me but you don’t know why, le Chiquito jolie fleur de banlieue, le fakir de Kih-Oskh qui chante Phil Ochs sur sa planche à clous, et puis dans le même rayon d’action surnaturelle, le lama Foudre Bénie qui lévite à la moindre alerte sonique, l’encore plus allumé Grand Prêtre Huascarbonisateur d’offrandes humaines au dieu du Soleil, Sun Ra, Philippulus le Prophète aérolithe qui annonce au mégaphone l’apocalypse selon Jaz Coleman, les frères Loiseau qui Licornent la brocante de l’art total sur fond de Big Bird, open up the sky/ Cause I’m coming up to you, le boucher Sanzot qu’appelle l’Iggy-No-Fun de maybe call Sanzot on the telephone, le Colonel Sponsz qui éponge les dirty sponges de Misty White Satin, l’Allan vital du cargo cat go,  voyez-vous lance l’avenir du rock en guise de conclusion, il y a de la place pour tout le monde, surtout pour les vieux marquis de 74 ans ! 

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             Il fait bien sûr allusion à Michael Des Barres. Ce vieux marquis appartient à l’élite des survivants. D’où la quintessence de sa présence. Il a eu plus de chance que certains de ses collègues glamsters. Lou Reed et Bowie ont cassé leurs vieilles pipes en bois. Michael Des Barres continue de rocker la médina. Ça fait cinquante ans qu’il rocke. And what a rocker ! Peu de gens peuvent se prévaloir d’un pedigree qui repose à la fois sur le glam et Steve Jones. Qui se souvient de Silverhead, un groupe glam emmené sur la route de la gloire en 1972 par Michael Des Barres, fils unique du Marquis Philip Des Barres ?

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             Un nommé J. Elvis Weinstein vient de lui consacrer un bon vieux docu, Who Do You Want Me To Be. On peut même le choper sur DVD. C’est la façon idéale d’entrer dans l’histoire du petit marquis glam. Weisntein a choisi d’ancrer l’histoire dans l’Histoire, puisqu’il démarre sur la bataille de Bouvines en 1214 où le premier Marquis Des Barres affronte aux côtés de Philippe Auguste une coalition anglo-prussienne. Michael Des Barres est donc the 26th Marquis Des Barres. Son père Phillip tourne mal et va moisir au trou, la mère est partie en goguette, alors le jeune Michael est élevé chez des filles de joie, puis il va se retrouver à l’âge de 8 ans dans une English Public School. Dans l’aristocratie, dit-il, tout est prévu et financé à l’avance.

             Avant d’entrer dans la caste des survivants, il appartient déjà à une autre élite, celle des enfants prodiges qu’on envoyait tourner des petits rôles devant les caméras. Comme Steve Marriott en Angleterre et deux Standells (Larry Tamblyn et Dick Dodd) aux États-Unis, Michael devient ce que les Britanniques appellent un child actor et il va continuer de faire du cinéma toute sa vie. Il est l’un des rares veinards à pouvoir prétendre mener des carrières à succès à la fois dans le rock et dans le cinéma. Il connaîtra une forme de célébrité relative en jouant le rôle de Murdoc dans la série MacGyver, mais ce n’est pas notre propos.

             Quand il arrive à Londres dans les mid-sixties, il se fout du rock. Il veut juste baiser - I want to fuck ! - Puis il décide de devenir une rock star et on le voit bientôt dans les canards, torse nu avec un collier de chien. La parenté avec Iggy saute aux yeux. A lot of sex. D’ailleurs il tient le même discours qu’Iggy dans Vive Le Rock : «J’ai 74 ans, une taille de jeune homme, tous mes cheveux, une garde-robe fantastique, une très belle femme et une maison spectaculaire.» Gerry Ranson est ébloui par ce Brit aristocrat qui a «vécu the life of a Hollywood star for the best part of fifty years.»

             Comme le fait Ranson dans son article, le docu déroule la vie du petit marquis. C’est Andrew Lloyd Webber qui lui donne sa première chance en finançant Silverhead. Le futur Blondie Nigel Harrison y joue de la basse. Deux albums et un troisième inachevé.

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             En 2016, Cherry Red réédite le fameux Live At The Rainbow de Silverhead et ajoute à la suite un autre Live datant aussi de 1973. On sent un souffle dès «Hello New York». Le guitariste s’appelle Red Rock Davies. Le groupe se situe à la croisée des chemins, quelque part entre le gros son américain des seventies et les Faces, mais des Faces qui seraient américanisés. Le petit marquis va chercher des intonations de caïman. C’est un rock sans histoires, monté sur du big riff raff. «Rolling With My Baby» vaut largement le détour, c’est joué au sliding d’Amérique et drivé à l’énergie maximaliste, le tout étant saupoudré d’une pincée de démesure perverse et d’un soupçon de débauche. On retrouve les mêmes cuts dans le second live. Silverhead se veut glammy mais peine à l’être. De toute évidence, ils n’inventent pas le fil à couper le beurre. Mais ils font preuve d’une belle opiniâtreté, leur opiniâtreté est même un modèle du genre. Ils jouent «Bright Light» au heavy romp et ça accroche bien, on se croirait de retour dans la cour du lycée, dans les années soixante-dix, au temps où on vantait les mérites de groupes anglais à des mecs qui s’en foutaient. Ouuh yeah, Michael Des Barres introduit «16 And Savaged» avec un ton menaçant. Il lance sa cavalcade de heavy rock à l’assaut du ciel, mais la ruine en l’interrompant brutalement.

             C’est lors d’une tournée américaine que le petit marquis rencontre Miss Pamela. Coup de foudre. Mais il doit divorcer de son épouse anglaise qu’on voit d’ailleurs dans le docu. Silverhead splitte et le divin marquis lance un nouveau projet, Detective, avec l’ex-Steppenwolf Michael Monarch et l’ex-Yes Tony kaye. Ils sont sur Swan Song et Jimmy Page produit le premier album.

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             Par miracle, un petit label ressort en 2016 un live de Detective, occasion inespérée de goûter une fois de plus au fruit défendu que fut leur stomp. «Get Enough Love» est en effet un pur stomp à l’Anglaise, bien plus puissant que celui de Mick Ralph dans Bad Co. Michael Monarch le joue comme un dieu. Leur défaut consiste à jouer des cuts interminables qui durent parfois cinq ou six minutes. «Detective Man» sonne comme du gros rock anglais de type Faces, c’est chanté dans la force de l’âge avec une belle puissance de feu. Ce groupe savait se montrer flamboyant, récurrent et astringent, une vraie purge de nectar d’avatar. Ce mec Monarch se montrait encore irrésistible dans «Grim Reaper» et «Fever». Detective stompait un rock tragiquement classique.

             «Then I went in San Francisco and saw the Sex Pistols. It changed my life.» Il lance un nouveau projet, Chequered Past avec Clem Burke et Frank Infante de Blondie, son vieux sbire Niguel Harrison et Steve Jones. Tony Sales vient très vite remplacer Infante. Bon on reviendra sur tout ça dans un Part Two. Même chose pour les trois premiers albums solo du divin marquis. Cette fois, on va juste se focaliser sur son dernier album solo, The Key To The Universe, paru en 2015.

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             Joli en retour en force ! Il ne perd rien de sa superbe glammy et de sa niaque aristocratique, comme on le constate à l’écoute d’«I Can’t Get You Off My Mind». Il semble même plus enragé qu’avant. Il fulmine. Ça tourne à la grosse explosion d’encadrement. Quel son ! Le divin marquis se jette à fond dans l’expression d’un glam cockney. Avec «Room Full Of Angels», on goûte à l’ultra-puissance du descendu de guitares voraces et ça part en heavy-duty balladif. Le divin marquis a toujours eu un sens aigu du son, ne l’oublions pas. Il ressort sa grosse cocotte pour «I Want Love To Punch Me In The Face». Pas de quartier pour les canards boiteux. Le divin marquis hante son château avec une belle persuasion glam. C’est un bonheur que de l’entendre jouer. Tous les exégètes devraient se jeter aux pieds de cet homme. Il sait tout faire à la perfe : les solos, les envois, les envies et les envols. On reste dans le haut de gamme avec «Maybe Means Nothing». Il prend le claqué au supérieur et on note l’excellence de l’emprise du chant. C’est d’un classicisme extravagant. On tombe plus loin sur un «Yesterday’s Casanova» visité par des flots de lumière. Le divin marquis nous plonge dans une sorte de chaos d’épouvante. Excellent, d’autant que cette masse dégouline de fuites de guitare. Grosse attaque pour «Black Sheep Are Beautiful», certainement l’une des attaques du siècle. Le divin marquis percute comme un beau diable. Il groove comme un démon de bréviaire et chante comme Steve Marriott. 

    Signé : Cazengler, complètement barré

    Silverhead. Live At The Rainbow London. Cherry Red 2016

    Detective. Live From The Atlantic Studios. HNE recordings 2016

    Michael Des Barres. The Key To The Universe.  FOD Records 2015

    1. Elvis Weinstein. Michael Des Barres. Who Do You Want Me To Be. DVD 2020

    Gerry Ranson : Some like it hot. Vive Le Rock # 89 - 2022

     

     

    Inside the goldmine

    - La pierre de Rozetta

     

             La première chose qu’on t’apprend, c’est à te servir d’une machette : jamais tailler de front, taille de biais, tu vois comme ça, tchac, tchac ! Ta vie dépend de ta machette, donc graisse bien ta lame et prends soin du tranchant. Ensuite, si un serpent te mord, ouvre une plaie autour de la morsure et aspire le sang aussi vite que tu peux. Ta vie dépend de ta vitesse à réagir. Ensuite, si tu traverses un cours d’eau boueuse, fais passer le guide ou ta femme avant, car tu ne vois pas le caïman, mais lui il te voit. Équipement léger, nécessaire de survie, boussole, carte sommaire, et hop c’est parti ! Direction le cœur de la jungle, vers la mystérieuse cité du Haut-Xingu, plein Nord, tchac tchac ! Au début on est tout content, mais ça tourne vite à la galère. Putains d’insectes ! Tu passes ton temps à écraser ces putains de bestioles qui se faufilent par les manches et par l’encolure de la vareuse. C’est-y pas Dieu possible un pays pareil ! Une semaine, deux semaines, trois semaines passent avec le sentiment d’avancer à la vitesse d’un escargot, tchac tchac ! Ça n’en finit pas. Tout ça pour une soit-disant cité mystérieuse découverte au XVIIIe siècle par un soit-disant explorateur portugais ! Mon cul ! Quatrième semaine. Tchac tchac ! Effectivement, les caïmans sont énormes dans le coin. Celui qu’on a vu a chopé le guide, woaurffff, alors on fait demi-tour et on cherche un autre passage. Putain, ce monstre fait au moins cinq mètres de long, il faudrait un bazooka pour le dégommer. Bon, tout ça n’arrange pas nos affaires. On trouve un autre passage, mais au-dessus d’un petit ravin. Pas génial, surtout quand on a le vertige. Il faut tailler des arbustes pour fabriquer une sorte de passerelle. Tchac tchac ! On l’attache avec des lianes. C’est vraiment un coup à se casser la gueule. Mais bon, c’est ça ou le caïman de cinq mètres. Alors on ne se pose même pas la question. Évidemment, celui qui teste la passerelle fait les frais de l’opération, il se casse la gueule en poussant un cri, comme dans les films. C’est vraiment nul. Alors c’est pas compliqué, le choix est vite fait : soit le caïman de cinq mètres, soit demi-tour et retour au bercail. On vote à main levée. Qui veut continuer ? Le chef de l’expé lève la main. L’enfoiré ! Tchac tchac ! On lui coupe les deux mains, comme ça, il ne peut plus voter. Qui veut rentrer ? On lève tous la main. Donc on rentre. Fuck la cité mystérieuse ! Encore trois ou quatre semaines de galère pourrie et d’insectes et on pourra caler son cul dans un bon fauteuil au sec pour écouter Rozetta Johnson. Mmmmmmm...

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             Rozetta Johnson nous vient d’Alabama et si ses singles sont devenus légendaires, la raison en est bien simple : les compos sont signées Sam Dees. Dans le booklet qui accompagne la compile A Woman’s Way (The Complete Rozetta Johnson 1963-1975), Rozetta qui s’appelle en réalité Roszetta, raconte sa vie très simplement : un peu d’église, puis un peu de club au flanc à Birmingham, puis elle est repérée et pressentie pour les Supremes, puis Sam Dees, puis zéro royalties, puis elle jette l’éponge, reprend ses études, diplôme de sociologie, puis mariage, puis mari qui dit fini les clubs, alors fini les clubs, puis secrétariat pendant 23 ans, la durée du mariage, puis divorce, puis retour à la liberté.

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             Rozetta Johnson travaille sa Soul au corps, un peu comme Aretha, elle cultive le psychodrame de la Soul de manière plutôt intense. Dans «I’ve Come Too Far With You», elle pousse des pointes et derrière les mecs font des chœurs de rêve, believe me when I say. Cette Rozetta stone couine par-dessus les toits, elle chante du ventre, au pussy power. Elle travaille sa Soul au corps, elle semble redoubler de power lorsqu’elle est amoureuse. Il y a d’ailleurs deux versions d’«I’ve Come Too Far With You» une en ouverture de bal et l’autre en fermeture. Si on veut du sexe, alors il faut écouter «Willow Weep For Me», un heavy blues dégueulasse, elle se plonge de façon démente dans la bauge du génie, et lorsqu’elle gueule sa sexualité, on décolle. Les nappes d’orgue exacerbent le sexe. Le weep for me est un vrai jus de bite. Autre coup de génie avec «I Understand My Man», elle navigue au gré du pire heavy blues de l’univers, elle est tellement explosive qu’elle redore le blason du Soul Genius. Elle casse encore la baraque avec «Personal Woman». Elle se positionne au départ de tout, elle est en permanence dans la permanence, elle dans l’Aretha, elle est dans le foin, dans la cime, elle est partout, elle pousse des hey hey comme Aretha et d’ailleurs, dans «It’s Been So Nice», elle expecte du respect, comme Aretah - Respect together - On la voit aussi entrer dans un son plus profond, plus hip-hop avec «How Can You Lose Something You Never Had», mais elle reprend vite le contrôle, elle est urbaine et libre dans la ville des mecs à casquettes.

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             Avec Rozetta, tout est toujours nickel. Elle y va sans se poser de questions, elle connaît toutes les ficelles du hey hey hey et du c’mon baby. Elle refait sa Aretha avec «Can’t You Just See Me», elle est parfaitement à l’aise dans ce rôle, elle dispose du même genre de niaque, un truc qui n’appartient qu’aux petites Soul Sisters, cette façon qu’elles ont de gueuler en secouant les hanches. Encore de la fantastique allure avec «To Love Somebody». Elle est bonne dans toutes les positions, ce qui n’est pas peu dire. Comme si elle faisait tout mieux que personne. Retour au sexe pur avec «(I Love Making That) Early Morning Love». La petite coquine aime le cul à l’aube, elle y va via le via-groove reggae, c’est cousu mais comme c’est bon. Et si on aime bien le raw r’n’b, alors Rozetta nous gâte, elle fait son shoo shoo et son chain chain dans «Chained & Bound» et du raw primitif avec «Mama Was A Bad Seed» - She said loney honey - C’est tellement primitif que ça devient énorme. Elle chante son «You Better Keep What You Got» au sommet du dancing strut, dans une incroyable promiscuité, elle ne recule devant rien, c’est flamboyant ! On va de surprise en surprise, c’est une chose certaine. On trouve aussi deux versions d’«I Can Feel My Love Coming Down». Cette compile est un panier de crabes aux pinces d’or. Rozetta rentre dans le lard de chaque cut comme dans du beurre, elle doit être la première surprise d’être autant éclaboussée de lumière. Elle rôde sans fin dans les coulisses du génie. Elle se jette sans discuter dans toutes les fournaises. Elle ramène du power en permanence, avec «It’s Nice To Know You», elle devient la reine de la Soul Kent, elle pulse ça du ventre, sa Soul est un truc à part, il faut le savoir. Elle est dans l’omniscience de l’omnipotence, il suffit d’écouter «That Hurts» pour le comprendre. Elle va vite et repart de plus belle avec «Mine Was Real», elle se projette dans l’essor incomparable, elle est partout dans ses cuts, son r’n’b n’en finit plus d’éclater au firmament de la sharpitude, bienvenue au paradigme du peuple noir ! Elle illumine tout automatiquement. La Soul de «Who Are You Gonna Love» est tragique et sentimentale à la fois, c’est d’une pureté à peine croyable.

    Signé : Cazengler, Rozette de Lyon

    Rozetta Johnson. A Woman’s Way (The Complete Rozetta Johnson 1963-1975). Kent Soul 2016

     

    *

    La Teuf-teuf 2 roule allègrement vers le lac d’Orient, non elle n’ira pas tremper ses roues  dans l’onde réparatrice, l’a mieux à faire, elle veut voir l’exposition de voitures anciennes et les Harley du Bootleggers Club, quand Billy   concocte un concert de rockabilly, il n’oublie pas les ingrédients mécaniques qui vont avec, je suis aussi pressé que la Teuf-teuf, de revoir les copains du 3 B, deux longues années, depuis le confinement… Vous décris pas les retrouvailles l’on file direct aux trois concerts du soir.

     

    ROCK ‘N’ ROLL PARTY II

    18 / 06 / 2022

    LA GRANGE

    LUSIGNY-SUR-BARSE ( 10 )

     

    THE FUL MOON CATS

    Dans le triangle des Bermudes ce ne sont pas les trois sommets du triangle qui sont dangereux – encore que cela se discute, nous y reviendrons - mais c’est de se trouver au centre de la zone de grand péril. C’est exactement la même chose dans le rockabilly. Sommet du haut, Stéphane derrière sa batterie Gretsch, dans sa robe blanche elle semble aussi radieuse que la colombe de l’immaculée conception. Quand il s’y colle ça tourne au noir grabuge. Certains pensent qu’un bon batteur est là pour donner le rythme, ne vous inquiétez pas il sait le faire, mais il rajoute un paquet cadeau, le son, la tonitruance qui apporte l’ampleur du désastre.

    En bas à gauche Pascal, l’a le cœur aussi rouge et saignant que sa double-basse, slappe comme un madurle, un fou-furieux, un mec méthodique qui accomplit son devoir sans faillir, les âmes naïves demanderont pourquoi il assure avec tant de hargne le shclack-schlak-shclak typique de la rythmique rockabilly, alors qu’il y a déjà un batteur, justement braves gens parce que le Stéphane lui il bâtit le volume, alors Pascal il joue le rôle du pendule fatidique qui à chaque frappe sonne le tocsin du destin.

    En bas à droite la Gretsch de Sacha. Pas le genre de mec qui attend son heure pour sortir le solo qui tue et qui met tout le monde d’accord, sa guitare se colle à la contrebasse et ne la quitte pas, une course de formule 1 avec deux pilotes en tête, qui roulent côte à côte, se regardent de temps en temps et repartent encore plus rapidement. Pour pallier les caprices de l’acoustique je me permets de me déplacer dans la salle afin de discerner lequel des deux mord sur l’autre, aucun des deux, le résultat n’est pas probant, de véritables frères siamois.

    Bref trois cats sur le toit brûlant d’un soir de pleine lune. Comme les trois mousquetaires, survient le quatrième, Charly à la guitare rythmique et au chant. C’est cet aspect qui nous intéresse, comment un chat peut-il parvenir à se faire entendre avec le boucan qu’entretiennent ses trois acolytes, ses trois aérolithes. Très bien, très facilement. L’a sa technique à lui, il ne chante pas en anglais, il ne chante pas en français – mais oui il chante dans les deux langues, mais il chante surtout en idiome rock, l’a une manière bien à lui, de poser les mots, sa voix un peu haut perchée mais point trop, juste un tantinet acérée et pointue comme la lame d’un cran d’arrêt manié avec tant de dextérité qu’il taille dans la couenne du lard du rock ‘n’roll des morceaux saignants de barbaques délicieuses. Pour le répertoire, ne cherchent pas la rareté ultime, utilisent les classiques, et vous les ressortent en même temps totalement reconnaissables et si hardiment relookés que vous croyez les entendre pour la première fois. Un seul exemple, Twenty fligth rock interprété en français avec une telle fougue et une telle pertinence que vous ne voyez pas la différence avec par exemple le Mystery train entonné en sa langue originale. Le Charly est un grand Monsieur, s’est approprié le vocal rock ‘n’roll et vous le sert direct avec le costume trois pièces qu’il a redessiné à sa façon.

    Les trois spadassins derrière ferraillent sans désemparer, Pascal étreint de sa main gauche le manche de sa up-right bass comme s’il était en train d’étrangler un cobra, vous zèbre de sa seconde main le corps de la pauvre bête de coups tranchants. Sachez que Sacha n’est guère ému, de sa guitare il découpe le corps vivant du reptile en rondelles qu’il vous retourne sur la braise de son jeu, prêtes à être consommées par un public affamé. Derrière Stéphane vous emballe les parts et nous distribue sans relâche les hosties rockabillyennes imbibées du venin du rock ‘n’ roll. 

    Viennent du sud, les nordistes estabousiés de tant de savoir-faire et d’originalité, leur dressent une ovation enthousiaste.

    T BECKER TRIO

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    Did, Tof – ne confondez pas avec Titeuf – et Axel sont alignés sur le devant de la scène, non leur batteur n’est pas en retard, ils n’en ont pas. Z’ont du culot, après la tempête force 10 que nous venons de subir, de se présenter sans force d’appoint, ou alors ils sont totalement crétins, il semble que cette dernière hypothèse soit la bonne, ce n’est pas moi qui le dis, c’est Tof au micro qui nous prévient, non ils ne sont pas un groupe de rockabilly, sont juste des amateurs de hillbilly, la musique des péquenots.

    Pas de panique, ils sont en pays de connaisseurs, qui ne préjugent pas et qui ne demandent qu’à entendre, même si le trio cherche la difficulté, ce qui est déjà un plus, en proposant une set-list principalement basée sur leurs compositions originales.

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    Sur notre droite, Axel ne slappe pas comme un dément, caresse sa big mama doucement, donne l’impression de jouer non pas de la musique mais du mime, suit les paroles que chante Tof, sans avoir trop l’air de croire à leur message, transcrit toutes les émotions par d’imperceptible changements d’attitude, ne peut pas rester trente secondes sans qu’un sourire s’épanouisse sur sa figure. De la musique populaire qui existait avant l’explosion du rock ‘n’roll, il incarne une certaine naïveté des classes les plus humbles, elles pensent que le cœur sur la main est la seule arme qui puisse s’opposer à la méchanceté du monde.

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    Tof est d’un autre calibre. L’est plus près non pas du western swing mais de ce que nous appellerons le western bop, le bop est une musique instable, l’est de la même nature que la nitroglycérine, celui qui se charge de manipuler un de ces deux produits, doit être sûr de lui, et Tof est doué, n’en fait pas trop, ne cherche point à atteindre le point de déséquilibre, son chant navigue à vue, fait attention à ne pas éperonner le rocher du rock et encore moins à se perdre dans les eaux paisibles de la facilité. Vous captive, vous séduit, l’est un funambule qui avance courageusement, et le fil ne manque jamais sous ses pieds.

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    Did est à la lead. C’est vrai et c’est faux. Un guitariste qui ne joue pas au matamore, pas de brillance, égrène les notes une par une, mais l’on se rend compte qu’il compose dans sa tête, développe une structure subtile, l’est un peu le cube de base dont l’assise impose la stabilité des autres que l’on empile sur son aire, ne court pas après le riff pimpant, recherche les harmoniques, procède un peu d’une esthétique jazz, à plusieurs reprises il m’a semblé entendre des échos, des saveurs, du jeu de Charlie Christian.

    Trois artistes de sensibilité différente, mais ils parviennent non pas à coexister pacifiquement, mais à s’interpénétrer, à s’épauler, à s’entraider, à produire un son captivant, unifié, neuf, qui a saisi l’assistance. Sont magnifiquement applaudis.

    Dans la livraison 562 nous chroniquerons leur premier CD.

    ( Photos : Gisèle Doudement )

    THE FUZZY DICE

    Dans la série l’on prend les mêmes et l’on ne recommence pas. Ne manque que Charlie. Ce coup-ci c’est le triangle des Bermudes sans personne dedans. Zone noire particulièrement dangereuse. Pascal nous fait la surprise, certes il maltraite toujours sa contrebasse, la slappe sans pitié. On n’en attendait pas moins de lui. Je ne vous refais pas le dessin. S’empare du vocal et ne le lâchera pas une seule fois. Quelle voix, dès qu’il aborde Please don’t leave me s’échappe de son larynx un orage de goudron gloomy aussi dur, aussi épais qu’une grêle de plaques d’égouts, son timbre traduit toutes les noirceurs et toute la hargne de l’âme humaine. 

    Sacha ne le suit plus comme son double, impulse son propre jeu, certes il doit rester à la hauteur du torrent dévastateur de Pascal, et il ne s’en prive pas, mais selon sa propre partition sonique, cette fois la guitare se distingue, elle hausse le ton, elle gronde, elle fait le  gros dos, ses notes se hérissent à la manière d’un tigre qui feule avant l’attaque, certes Pascal ne lui laisse pas le temps de faire son numéro, mais Sacha en rajoute, pas des tonnes, entre deux morceaux, pas plus de trois secondes, mais ce minuscule laps de temps lui suffit pour lâcher deux, trois notes vibratoires qui atteignent à une densité extraordinaire, ou alors quand un morceau est terminé, qu’il n’est plus que de l’histoire ancienne que l’on se prépare au suivant, il plaque sur ses cordes une intumescence sonore aussi destructrice qu’un missile. Vous transcende la forme pure et parfaite du rockab en lui conférant une force extraordinaire.

    Stéphane a changé le son de sa batterie, moins de tonitruance, des coups explosifs, plus secs, plus raides. L’est comme un cuisinier sur son piano qui boute le feu à deux plats différents, l’on dirait qu’il a partagé fûts et cymbales en deux, cette partie-ci pour Pascal, cette-là pour Sacha. Ça tonne de tous les côtés, toutes voiles dehors en pleine tempête.

    Pascal en appelle aux vieux hymnes des Teddies ( boys & girls ), ça claque, ça chamboule, ça remue méchant, une version de The Train kept a rollin s’avère être une interminable apothéose. Z’ont la rage, ce qui se passe devient monstrueux, un ouragan emporte tout son passage, on essaie de varier les morceaux s’exclame Pascal, si l’on veut, disons que si celui-ci ressemble à une tornade qui remonte une rue en détruisant les maisons du côté droit, le suivant est la même tornade qui fait demi-tour pour raser les immeubles du côté gauche, ce qui se passe ensuite n’est même pas un rappel, le groupe ne peut plus s’arrêter, Pascal pousse un hurlement ininterrompu de plus de deux minutes et Sacha ne joue plus du rockab, se transforme en guitariste de metal, respecte le séquençage habituel du rockab, mais ses doigts, sa position sur les cordes, cette manière de les remonter en les égrenant, sont et viennent d’ailleurs, l’on danse sur scène et l’on crie dans le public, le rock emporte tout, faudra encore cinq morceaux plus un tout dernier pour juguler la folie…

    Un dernier merci à Billy pour cette mémorable soirée. On eût aimé un peu plus de monde, les absents ont toujours tort.

    Damie Chad.

    Attention : une deuxième chronique sur Rock’n’roll Party II sera publiée au mois de septembre.

     

    BURNING SISTER

    MILE HIGH DOWNER RIGHT ROCK

    Mile High est le surnom de la ville de Denver, qui comme chacun sait est la capitale du Colorado et qui est située exactement à un mile d’altitude soit mille six cent neuf mètres. Ce n’est pas cette particularité qui m’a attiré vers Burning Sister de Denver. Mais un groupe qui se réclame de Blue Cheer, de Mountain, de West Bruce and Laing, d’Hawkind, des Stooges, du MC5 et de quelques autres du même acabit accapare d’un seul coup tout mon capital de sympathie avant même d’en avoir écouté une seule note.

    A la première vidéo, je n’ai pas été déçu, enfin si, pas par eux mais pour les voisins, répètent dans le salon d’un appartement avec le son qui pousse les murs. J’en ai conclu que les habitants de Denver doivent être de bonne composition ou sans exception des amateurs de rock bruyant.

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    Sont trois. Drake est aux guitares, Steve au chant, au synthé et à la basse. Quant à Alison il ne m’étonne pas qu’ils aient pris la précaution de la cacher derrière la batterie, trop belle avec ses longs cheveux blonds, un sourire radieux, sur la photo où elle porte son bébé sur le dos, le bambin est ravi d’avoir une si jolie maman.

    N'ont publié qu’un EP et deux singles.

    BURNING SISTER / BURNING SISTER

     (Décembre 2020)

    Couve d’Armon Barrows, Art teacher et graphiste à temps perdu, un tour sur son instagram et son site vous permettra de visualiser nombre de dessins et de peintures. La pochette est à l’image de sa fantaisie, proche de la bande dessinée, Burning Sister, sourire aux lèvres revolver (ô my pistol packing mama ) et poignard en mains s’attaque gaillardement à ce pauvre diable qui n’en demandait pas tant,

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    Path destroyer : bruissement assourdi, ondulations de basse, sautillements de cymbales, de très loin le vol du faucon d’un riff majestueux se pose sans douceur, les couches de guitares se superposent, va falloir appliquer la méthode stratigraphique des archéologues, la frappe lourde nous évite toutes ces minuties, la voix de Steve nous demande d’ouvrir notre esprit, à coups de caisse lourde Alison nous bouche toutes les issues de secours, ère nouvelle   la basse de Steve chantonne, Drake bouscule cette oasis d’un riff caterpillar, et l’on s’achemine doucement vers la fin sans se presser. Lord of nothing : guitare moelleuse, attention à ce qui se cache par-dessous et cette batterie qui roule comme si elle se promenait sur une route départementale alors qu’elle se dirige vers l’abîme du néant, le riff taille droit sa route, semble aller   directo mais l’est formé de mille rigoles qui nécessiteraient un plus grand nombre d’oreilles, encore une fois ces vaguelettes de basse alors que par-dessus volent des mouettes qui soudainement se transforment en un immense stégosaure qui continue son voyage au loin sans se soucier de nous. Maelstrom : entrée de riffs courts empilés comme les cubes d’un jeu de construction qui ne demande qu’à s’écrouler, Alison tape le pas d’un géant débonnaire qui avance imperturbablement, sait où il va et le riff qui l’accompagne nous avertit du danger, qu’importe monte-t-on ou descend-on, est-ce le cratère béant d’un volcan ou la bouche d’ombre tournoyante de l’enfer, pour le savoir il faut écouter ce que chuchotent les instruments, ne pas rester obnubilé par leur déploiement, révèlent bien des secrets mais s’arrangent pour que l’on ne s’en aperçoive pas. Instrumental qui joue pour lui, pour l’ouïe fine. Burning sister : morceau éponyme, la sister Alison trébuche le rythme sur ses tambours et Drake parle d’elle, pas besoin de nous faire un dessin, les cordes peuvent se démener tout ce qu’elles veulent, l’on n'entend qu’elle. Pour le riff quand il se déploie, pas de problème on le suivrait au milieu des flammes de l’enfer. Ils le savent, font durer le plaisir, lui coupent même les ailes pour qu’il ralentisse encore. Faux-semblant maintenant comme le paon il déploie sa roue ocellée et le morceau prend une couleur creamique surprenante. Oblivinot :  dans la même veine que la fin du précédent, l’on agite l’éventail du riff en douceur exaltée, Alison tape des œufs d’autruches si fort, que le silence retentit, nous avons vu le riff du côté face, on vous le refait côté pile, démarche riffique cubique, mettre à plat toutes les facettes, silence on reprend, vous avez cru tout voir, l’on peut vous en montrer encore, l’on s’enfonce dans les aîtres de la beauté, ce morceau est  un diamant brut, le plus terrible c’est que quand ils arrêtent l’on est sûr qu’ils en ont encore sous la pédale.

             Z’ont le doom tranquillou, on ne se prend pas la tête, de temps en temps l’on n’oublie pas de chanter un peu pour que ça paraisse plus sérieux, et leur pattern de base est très simple, ne jamais mettre les bœufs rapides devant la charrue travailleuse, tant pis pour les tempi, ils visent l’excellence, le papillon qui s’extrait de sa chrysalide et qui enfin déploie ses ailes flamboyantes.

    ACID NIGHT VISION

    ( Vidéo YT /Novembre 2021)

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    Sont pas fous, z’ont mis Alison sur la couve et si vous regardez  l’officiel vidéo elle se démultiplie en trois, alors que la basse court de tous les côtés comme la fourmilière sur laquelle vous avez marchée, ensuite ça tournoie, les images et la musique, un miroir d’eau coulissant, une flaque d’eau mutante, une drache rimbaldienne agitée, pareil pour le riff se transforme en gerbes d’étincelles qui partent dans tous les sens, surtout les interdits qui sont les plus tentants, les images se stabilisent, enfin vous apercevez des formes, celle d’un homme qui bouge les bras, qui ne sont pas les siens, des trucages du tout premier âge du cinéma, mais mal faits, la grâce surannée des choses passées dirait Verlaine, l’est sûr que les montées d’acide vous dévoilent le monde d’une autre manière, l’image tourbillonne et le riff se stroboscope à la manière d’un ectoplasme qui a mis les doigts dans la prise, l’herbe pousse à l’envers et la musique ondule comme des algues agitées par un courant souterrain, comment dire : il semblerait que la musique éprouve des décollements de rétines, maintenant vous la regardez et vous écoutez les images, la batterie gouttège, le reste nage sur le dos, la guitare rame, le clavier coule, la tapisserie se décolle du mur et ses motifs incompréhensibles se mélangent, peut-être sont-ce le songe des lames de plaquettes microscopiques de plasma sanguin atteint de la danse de saint Guy, Drake croit qu’il chante, le pauvre il ne sait pas qu’il miaule, qu’il est perdu pour l’humanité, mais pas pour nous, surtout que maintenant fini le cinéma gris, l’on passe aux couleurs lysergiques, des signes cabalistiques à vous faire tomber en catalepsie dansent dans votre conduit auditif, et le gars de tout à l’heure qui se démenait comme s’il veillait à l’atterrissage des aéronefs sur le pont d’un porte-avions a pris des couleurs, colle au riff de si près qu’à chaque fois qu’il devient plus violent  il se rapproche de vous, s’il continue va sauter hors de l’image et squatter votre figure, le riff vous avertit, il barrit comme un éléphant pris dans un incendie, au 14 juillet de votre enfance vous en voyiez de toutes les couleurs, le beau jaune d’or et le rose flamant, redescendrions-nous sur notre planète, ces découpages colorés ne serait-ce pas les pièces d’un puzzle qui assemblées devraient ressembler à un orchestre de rock, oui c’est sûr les silhouettes des deux guys, la batterie d’Alison, elle l’absente de tous bouquets, et cette guitare inouïe qui pousse vers les orties de la folie, un point final en suspension, le petit bonhomme qui fait semblant de jouer au tennis fonce vers vos pupilles. Retour de l’image de départ, Alison, peut-être pour nous dire que la beauté existe aussi sur terre.

             Plus psychédélique, tu meurs. Rock synesthésique.

    CLOVEN TONGUES

    ( Vidéo YT /  Février 2022 )

    Le monde est vraiment petit, ce titre est sur la compilation de Cave Dweller Music où la semaine dernière nous avons trouvé The Sun le deuxième titre de Thumos issu des chutes de The Republic. Même type de vidéo que la précédente.

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    Ecran noir et geyser d’eau bleue qui retombe, l’on se croirait dans un de ces innombrables poèmes symbolistes sur les jets d’eau des fontaines qui s’élèvent vers le ciel idéal pour hélas retourner à la lourdeur de la terre, notre interprétation pas si gratuite et hasardeuse qu’il y pourrai paraître, nous voici apparemment dans un parc, l’on distingue un escalier, des feuillages, une ombre mouvante, si c’en est une dans cette obscurité bleutée, la musique passe-partout sur ses premières notes se teinte de noir, l’atmosphère s’appesantit, vocal inquiétant, serait-ce un déluge, l’eau coule, les gouttelettes qui dessinent des cercles concentriques  dans les bassins de marbre échappés des poèmes de La cité des eaux  d’Henri de Régnier, sont-elles devenues des rivières, effet ou rêve d’optique, maintenant l’on aperçoit une blanche limousine stationnée dans le jardin de cette propriété que l’on imagine en vieux manoir mystérieux,  vite effacée par l’eau  qui coule de partout, peut-être simplement un gros plan sur ces vieilles tuyauteries des jardins d’antan terminées en cols de cygne, bec de bronze ouverts et moussus, changement subit d’esthétique, nous étions en plein dix-neuvième siècle, nous voici en plein art moderne, fond bleu ripolin, avec projection spectrographiques de quelques gouttes d’eau filmées pour les mettre en équation mathématiques, dans le but de ne rien perdre de l’expérience, le fond d’écran change de temps en temps de couleur, revoici l’escalier ruisselant surmonté de sa vasque et de son mini jet d’eau, pour que le décor soit plus romantique à la manière d’Anna de Noailles, l’on a rajouté un vase de fleurs coupées, l’on en oublie la musique, à peine sa souvenance est-elle venue à notre mémoire qu’elle s’efface accaparée par cette forme blanchâtre qui se déplace, l’on pense à la silhouette de la Dame Blanche tandis que son regard se perd sur quelque chose d’indistinct dans un fond d’eau, dans la noirceur quelque chose d’inidentifiable bouge, voici qu’apparaît un de ces masques grimaçants, ces gueules ouvertes d’aegipans barbus qui crachaient  l’eau des fontaines par leur bouche, yeux peints si expressifs que le visage paraît vivant, la caméra prend du large, quelque chose se déplace, l’on ne croit pas à un rayon lunaire, un autre visage apparaît, la vitre de la caméra s’écrase sur elle, retour de la séquence moderniste avec son coloriage moins criard que la première fois, la musique en profite pour revenir dans le champ du regard, nos sens sont pervertis, maintenant elle prend de l’importance, le riff gargouille, il grouille sur lui-même, il s’illumine, il reprend des couleurs, ne nous laissons pas distraire, dans le parc encore une fois, victime d’une hallucination, ce jaillissement d’eau qui prend l’apparence d’un petit homme, d’une espèce de pantin qui ne fait que passer, dernière gerbe d’eau jaillissante, le son se dégonfle la vidéo se termine comme elle commence, l’image triple puis unitaire de burning sister blanche sur fond noir, tandis que la musique agonise, des éclairs de lumière bleue s’amusent à simplifier la blancheur de sa silhouette, la voici réduite à une gerbe d’écume bleue, notre burning sister serait-elle une ondine que nos bras ne sauraient saisir…

    Une drôle d’expérience cette écoute qui se transforme en regard. Notre perception de la réalité ne serait-elle qu’un sentier possible parmi d’autres, comme si de temps en temps à la fourche d’un chemin une autre approche du monde nous serait proposée, que nous refuserions d’essayer par peur de changer nos habitudes. Déstabilisant.

    LEATHER MISTRESS

    ( FB / 2021 )

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    De nombreuses vidéos sur leur FB, des bouts d’essais, des extraits qui la plupart du temps ne durent que quelques secondes. Nous avons choisi celle-ci de presque sept minutes. Sont chez eux, à contre-jour, par la grande baie vitrée nous apercevons arbres et buissons, nous sommes vraisemblablement à la campagne. Est-ce un sampleur qui bruite ou des doigts qui s’amusent sur un keyboard, Drake est pratiquement invisible relégué sur le côté gauche de l’écran, jouent au jeu du homard, prenez un riff et portez-le à ébullition à feu doux, attention le jeu consiste à ce qu’il ne meure pas, le riff doit se perpétuer, aussi longtemps par exemple qu’une phrase de Marcel Proust, faut avoir l’esprit inventif et chacun se doit de participer hautement à l’action, très instructif sur l’état des recherches de Burning Sister, ne visent pas la rapidité, z’ont le doom paisible, mais ile le dorent à l’or brut ou à l’étain fondu de mille pyrotechniques, pire qu’un film d’actions dont les séquences s’entremêleraient lors de la projection, c’est un peu l’écoute bonneteau, vous avez trois timbales mais seulement deux oreilles pour écouter le bruit de la mer qu’elles recèlent quand vous appliquez vos conduits auditifs à suivre la musique. Je vous souhaite bien du plaisir. Vous êtes sûrs de perdre  à chaque coup.

    Damie Chad.

     

    HEY YOU !

    ALICIA F !

    ( Official Vidéo / 02 - 06 – 2022 YT )

    L’était toute fière Alicia de prévenir que sa première vidéo officielle allait voir le jour. Y avait de quoi, certes elle est courte, deux misérables minutes trente-deux minuscules secondes, mais l’effet j’y vais yatagan sans mettre les gants est garanti, sabre de samouraï aïe ! aïe ! aïe !

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    Fond noir, en rouge ce n’est pas le logo du sacré cœur de Jésus, mais le cœur d’Alicia transpercé du poignard du rock ‘n’ roll. Profitez des trois innocentes secondes qui suivent, une main introduit une cassette dans un lecteur. Si vous ne supportez pas les émotions violentes, vous arrêtez tout de suite et vous zieutez Les 101 dalmatiens de Disney… Vous refusez ce conseil damie, alors je vous le fais le plus cool possible.

    Pas grand-chose, Alicia qui chante devant un rideau de garage, entrecoupé de vues du concert au Quartier Général du 06 mai ( le mois où il est autorisé depuis 1968 de faire tout ce qui déplaît aux autres ) 2022. Voilà, c’est tout, vaquez à vos occupations favorites, allez en paix. Vous voulez davantage, tant pis pour vous.

    Donc une mise en scène minimaliste. La caméra commence par le bout des boots, d’Alicia évidemment, remonte très vite d’une caresse tout du long pour s’arrêter sur son visage. C’est le moment de méditer : comment l’Histoire se serait-elle déroulée si au lieu d’être piquée par un redoutable aspic ce fût Cléopâtre qui d’un coup de dent aurait tranché la tête du reptile répugnant, puis l’aurait recraché et écrasé sous son talon. Vous n’en savez rien, moi non plus. Mais c’est exactement l’effet venimeux que produit Alicia quand elle entonne son texte. One, two, three, four, contrairement à Cap Canaveral quand la fusée Titan remplie de carburant explosif décolle, elle le répète deux fois, question mise à feu, vous pouvez être tranquille avec Alicia ( F comme flamme ) elle n’oublie pas, respiration, sur scène avec ses trois spadassins, nouvelle séquence de non-repos, elle agite ses cheveux et vous perce de ses yeux verts de vipère, baissez les paupières pour ne pas voir ses lèvres rouges, chaque fois qu’elle ouvre sa bouche sanglante, vous avez l’impression que panthère Alicia ( F comme férocité )  vient de vous arracher un morceau de chair, refrain pour mettre un frein, l’on en profite pour admirer le profil étrusque de Tony Marlow et la guitare Pistol Packin’ Mama de Matthieu Drapeau Blanc Moreau, notre incendiaire préférée revient, cette fois elle affiche un ton sardonique et ses mains se meuvent tels les serpents de la chevelure de Méduse, sur le solo du Marlou qui file fort, elle se fait rare, perversité de fille qui sait que l’absence aiguise le désir, mais Alicia ( F comme furie ) surgit encore plus violente, elle vous repousse des mains et termine d’un coup mortel de savate porté sur vos maxillaires.

    Ouf, c’est terminé, vous comptez et recomptez vos dents sur le trottoir, c’est tellement bon que vous remettez le clip au début. Alicia ! ( F comme fatidique ).

    Damie Chad.

     

    *

    Denys n’était pas sur le marché la semaine dernière, camion en panne, pour se faire pardonner il m’accueille avec le sourire des bonnes occases, un truc pour toi Damie, rock’n’roll bien sûr, du bout de son étalage il agite un livre, trop loin pour reconnaître le type pris en gros plan sur la couve, l’a une grosse tête de vieux sage dont les yeux sont cachés par d’énormes lunettes noires, je ne le reconnaîtrai qu’en lisant le titre :

    FLASHBACK ACIDE

    PHILIPPE MANŒUVRE

    ( Robert Laffont / Octobre 2021 )

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    Waouah ! ( ainsi parlent mes zaratoutouextras ), la tronche ! l’a vieilli le mec, on ne peut pas lui en vouloir, ce style de facétie arrive à beaucoup de monde, voyons quel genre de message l’ancien directeur de Rock & Folk tient à délivrer au monde de la piétaille rock. Commence par raconter les reproches d’un lecteur déçu par son précédent bouquin, Rock… ( je n’ai pas lu ) qu’il n’a pas trouvé assez rock ‘n’ roll ! Un comble !  Cette fois, il promet de se lâcher, de la sainte trilogie il s’épanchera sur le deuxième terme le plus litigieux chez les pères-la-morale, drug, la drogue comme l’on disait dans les seventies pour ceux qui ne comprennaient pas l’anglais.

    Petit aparté : le sujet me fait peur. J’en ai lu des pages et des pages de rock stars qui racontent leur addiction, je vous résume le topo, un soir que j’étais un peu fatigué un copain m’a refilé du truc, c’était super, j’étais devenu un surhomme, tout me paraissait facile, j’étais en pleine forme, avant il me fallait huit heures pour achever la lecture d’une oiseuse chronic de Damie Chad, et là en dix minutes j’en lisais quatre, c’est après que c’est devenu plus difficile et plus cher car, j’avais besoin d’une tonne du truc pour comprendre les quatre premières lignes…

    Ben, Phillipe l’est comme les autres, Manoeuvre à la godille pour s’en sortir, car tonnerre de Thor il s’en sort, l’est maintenant plus clean qu’un kleenex encore emballé dans sa boîte. Vingt ans d’addiction et hop grâce à un champignon mexicain, il se soigne tout seul comme un grand, pourtant avec sa copine Virginie ils étaient sur la mauvaise Despentes.

    J’avoue qu’à la fin du troisième chapitre je suis en surdose, j’ai dépassé le coma éthylique de l’ennui profond, dans ma tête je cherche dans la liste de mes ennemis à qui je vais refiler le bouquin, oui je suis un être profondément vicieux, l’instinct du rocker me sauve, avant d’abandonner le book je tourne la page du quatrième chapitre, et le miracle du champignon du pays de Quetzalcoatl s’accomplit, un seul mot du titre me tire de ma léthargie, en une fraction de seconde mon esprit s’illumine, je suis aussi clean qu’une clinique aseptisée, je ne sais si tous les Kr’tntreaders le méritent, mais je refile, oui je suis aussi un mec intensément généreux, la formule magique, très simple, un mot de deux syllabes Lemmy !

    C’est le côté un tantinet énervant du Philman, faut qu’il se mette un peu ( beaucoup ) en avant, nous parle un max de lui et un peu de Lemmy : mais il en dresse un beau portrait, l’a rencontré à maintes reprises, l’on suit ainsi sa carrière, mais décrit surtout l’homme, tout d’une pièce, un mec entier, mais pas dupe, ni des autres, ni de son personnage, ni de lui-même…

    Je suis requinqué, comme à l’armée je rempile pour trois ans, n’exagérons rien, trois chapitres suffiront. L’on commence par la visite du Musée de la drogue en Suisse et se termine par la Convention du LSD dans le pays où les banques et les coffres-forts paissent en paix dans d’opulents pâturages. C’est bien raconté, avec humour, idéal pour ceux qui n’ont pas vécu les voyageuses sixties aux States, z’apprendront des tas de noms – names droppin’ is his job – je m’incline respectueusement devant l’édition de Moonchild d’Aleister Crowley dont nous chroniqué la traduction française de Philippe Pissier dans notre livraison 537 du 13 / 01 / 2022… Je fatigue un peu, notre auteur doit s’en douter alors entre les deux tranches du pain il glisse un beau morceau de jambon bon. David Bowie. Nous surfe le coup de toutes les fois où il l’a interviewé, certes c’est intéressant comme tout ce qui touche à Bowie, les fans aimeront mais au final le portrait de Bowie n’est pas aussi fin que celui de Lemmy. L’homme est métamorphose, changeant, Manœuvre ne détache pas les yeux de ses avatars successifs, mais le marionnettiste de ce théâtre d’ombres chatoyantes lui échappe.

    Le nouveau quatrième chapitre ( le huitième pour ceux qui ont des difficultés en math ) se profile à l’horizon, souhaitons qu’il soit aussi réussi que celui de Lemmy. C’est que des rockers aussi essentiels que Lemmy ça ne court pas les rues. Ne tremblez pas, le Philman en connaît un, pas n’importe lequel, un personnage essentiel du rock ‘n’ roll, classe internationale. En plus il est français. Vous l’avez deviné. Marc Zermati. Manœuvre lui dresse un bel hommage. Une statue chriséléphantine, de celles dont les anciens grecs honoraient les Dieux, Manœuvre  raconte sa vie comme une légende que les enfants écoutent bouche bée, il conte le héros, ses exploits mythiques et ses blessures humaines. Trop humaines. Les mêmes que les nôtres.

    Clean d’œil ! Evidemment Philman est clean depuis vingt ans, donc il fume du truc herbeux depuis deux décennies et se rend en Hollande le seul pays qui nourrit ses vaches et ses touristes avec de l’herbe, boulot oblige à la Cannabis Cup. Il s’en sort défoncé à mort…

    Avant-dernier chapitre, un conte qui se termine mal. Une épopée de trois ans, celle des baby rockers. Une de ces histoires dans lesquels l’on est toujours trahi par les siens. Le dernier mouvement d’ampleur rock de la jeunesse française sur laquelle tout le monde est tombé dessus à bras raccourcis. Philman qui fut un des principaux protagonistes la raconte de l’intérieur. Le milieu rock a fait la moue, a agité de faux prétextes de classe, ce sont les enfants de l’élite, c’est sûr qu’ils étaient moins bon que Led Zepe, mais là n’était pas la question. La réponse est donnée avec les conséquences de la fin de l’aventure, beaucoup de ces jeunes travaillent aujourd’hui dans la musique… à l’étranger… et le boulevard qui a été ouvert au rap national…

    Un dernier chapitre, l’arraisonnement du rocker par la technologie l’aurait titré Heidegger, Philman en générationnelle sonic fashion victim, un peu le même cancer qui mine certains courants du rockabilly, ceux qui recherchent le son de l’époque 55, ou 56, ou 58, sachez apprécier la différence, mais à l’envers, ceux qui ont écouté le rock ‘n’ roll le nez sur les vitrines des vendeurs de chaîne stéréo, Philman les a toutes essayées de la deutcholle pourave aux engins intergalactiques du dernier cri, jusqu’au jour où il s’est aperçu qu’il n’existait rien de mieux que le vinyle, n’ose pas dire que son ancien teppaz, mais il devrait, je pense que l’on peut écouter un disque de rock sur n’importe quel engin, de toutes les manières vous avez votre cerveau qui sert d’équaliseur, réceptionne le son qui entre  dans votre oreille et illico vous le reduplique à l’identique du son originel du rock, celui qui vous a commotionné la première fois  dans votre adolescence, ce que vous entendez c’est le son qu’ a emmagasiné  et que reproduit votre cortex reptilien, celui de votre jeunesse, celui qui vous empêche de vieillir. La seule drogue de jouvence disponible sur le marché intérieur.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 559 : KR'TNT 559 : GENE VINCENT / ETHAN MILLER / BUTTSHAKER / THE EYES / TWO RUNNER / THUMOS / COSSE

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 559

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    13 / 06 / 2022

    GENE VINCENT / ETHAN MILLER

    BUTTSHAKERS / THE EYES

    TWO RUNNER / THUMOS / COSSE

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 559

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

     http://krtnt.hautetfort.com/

    Là où il y a du Gene, il y a du plaisir

    - Part Two

     

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             On papotait paisiblement avec Damie quand, à un moment donné, la conversation est revenue sur Gene Vincent. Ça tombait à pic, car un journaliste anglais venait tout juste de créer la sensation avec six pages dans Record Collector ET un nouvel angle, une façon toute neuve d’exprimer son admiration pour Gene Vincent. En matière de presse rock, l’angle c’est capital : c’est ce qui détermine le fait qu’on lit ou qu’on ne lit pas. Yves Adrien ajoutait du style à l’angle, ce qui fait qu’on le relisait. Avec Mick Farren et Nick Kent, il fait partie du triumvirat des grands stylistes.

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             Le nouvel apologue de Gene Vincent s’appelle Jack Watkins. C’est un tour de force que de trouver un nouvel angle alors que la messe est dite depuis un bail, principalement par Mick Farren (There’s One In Every Town), par Luke Haines (dans l’une de ses columns) et par Damie Chad dans le Spécial Gene Vincent de Rockabilly Generation. Pour être tout à fait franc, il faut bien dire qu’on attaquait l’article du pauvre Watkins en craignant le pire, c’est-à-dire l’assoupissement. Quand on attaque des séances de lecture à des heures indues, on compte essentiellement sur l’excitation pour rester sur le qui-vive.

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             En six lignes de chapô, Watkins définit Gene Vincent comme personne ne l’a fait avant lui. Il commence par rappeler qu’on surnommait Gene the Screaming End et embraye avec ça : «Il a su rajouter une couche par-dessus le showmanship et les catchy hooks de Bill Haley & the Comets, les guitar licks et l’élégance ingénieuse de Chuck Berry, l’extravagance outrancière de Little Richard, le sex appeal et la musicalité d’Elvis. En retour, il n’a pas eu beaucoup de hits, mais il a obtenu en retour une loyauté à toute épreuve, notamment en Angleterre et en Europe.» La loyauté, c’est le cœur battant du mythe de Gene Vincent. C’est un truc précieux et fragile qui marche dans les deux sens. Watkins explique que Gene a continué de tourner en Europe avec le même son et le même look, alors que tous les autres avaient arrêté depuis longtemps - Vincent flew the flag for the primitive 50s rock when everyone else had abandonned - Watkins dit que c’est extra-special. On revient donc au cœur du mythe rock : la relation entre l’artiste et ses fans. C’est l’angle qu’a trouvé Watkins pour dire en quoi Gene Vincent est un artiste exceptionnel. En Angleterre, on a eu tendance à mettre Chuck Berry (les Stones) et Buddy Holly (les Beatles) en avant, mais Gene Vincent a influencé des tas de gens, Ritchie Blackmore, Ian Dury, Robert Plant et surtout Jeff Beck, qui dans une interview avoue qu’il n’appréciait pas trop Elvis, parce qu’il le trouvait «trop parfait», et qu’il préférait Gene Vincent pour son uglyness, c’est-à-dire sa laideur, et son ugly rock’n’roll - He was pure rebellion, the first punk - Voilà, les chiens sont lâchés, le mythe prend ses jambes à son cou.

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             Loyauté et ugly rock’n’roll. En lisant ça, tout s’éclaire. On sait pourquoi on a toujours vénéré Gene Vincent, depuis soixante ans : loyalty and ugly rock’n’roll. Bon, Watkins essaye de rattraper le coup en expliquant qu’au fond, Gene Vincent n’était pas vraiment laid, mais plutôt pâle et maigre comme un clou, skinny. C’est justement le côté ordinaire de son physique qui attirait les gens vers lui. Au moment du Rockabilly Revival des années 80, il réussit l’incroyable exploit de redevenir culte. Il refascine de plus belle, notamment Shakin’ Stevens et les Matchbox guys.

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             Watkins a aussi une façon assez originale d’évoquer «Be-Bop-A-Lula» - un hit qui est devenu un tel cliché qu’on a oublié how alien the record originally sounded - Il parle d’une production «sparse and echoey», c’est-à-dire légère et pleine d’écho, avec un tempo «très lent pour un rock» et le son de guitare de Cliff Gallup est «tellement précis qu’il en devient presque gracieux» - The frantic elements come from Vincent’s hipcupping, hyperventilating delivery of the puzzling lyric et des cris du batteur Dickie Harrell - Watkins a raison de dire que Be-Bop est devenu un cliché, alors que c’est un chef-d’œuvre d’ugly rock, comme le sera d’ailleurs la B-Side «Woman Love», encore plus porté sur le dirt sex - Vocal pornography, déclare le NME en Angleterre - Watkins est surtout impressionné par le professionnalisme des Blue Caps qui ne jouaient ensemble que depuis quelques semaines. Et Gene Vincent n’a alors que vingt ans.

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             Puis après, Watkins tombe dans la routine, avec l’accident de moto, la patte folle et le recours à l’alcool et aux pain-killers pour contenir la douleur. Il est un peu obligé de redonner tous ces détails, car en 2022, il est possible que certains lecteurs de Record Collector parmi les plus jeunes ne sachent pas qui est Gene Vincent. Si Gene Vincent atterrit chez Capitol, c’est uniquement parce que le label avait besoin d’un artiste pour soutenir la concurrence avec RCA qui venait de récupérer Elvis. Alors en 1956, Gene et les Blue Caps enregistrent 35 cuts à Nashville avec Ken Nelson. Watkins est dithyrambique : «Ces 35 cuts constituent l’un des most consistently excellent and beautifully recorded bodies of work of the early rock’n’roll era.»

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             Bluejean Bop et Gene Vincent & The Blue Caps sont deux des grands albums classiques du rockab. Pochettes parfaites, quatre faces hantés par l’un des meilleurs slap sounds de l’époque - oh la rondeur du slap sur «I Flipped» ! - avec un Gene qui chante en douceur et en profondeur. Il faut voir les Blue Caps jazzer la pop d’«Ain’t She Sweet», quand on réécoute ça soixante ans après la bataille, ça produit toujours le même effet et tu as Gene qui minaude en guise de cerise sur le gâtö. «Bluejean Bop» est le pur rockab de Capitol, avec tout l’écho du temps. Le bop s’articule comme un numéro de trapèze au cirque, break de caisse claire et solo de clairette. On reste dans le pur jus avec «Who Slapped John», pulsé au beat des reins. On entend Dick Harrell battre le big bad beat sur «Jump Back Honey Jump Back» et les Blue Caps recréent de la légende à gogo sur «Jump Giggles & Shorts», magnifique exercice de style de rock steady go à gogo. Sur le deuxième album de Gene avec les Blue Caps, le «Red Bluejeans & A Pony tail» d’ouverture de balda est un authentique coup de génie. On a là le vrai beat rockab original. Gene a une façon très spectaculaire de lancer ses Blues Caps à l’assaut, c’est tapé à la caisse claire et chanté à la délectation. Tout est beau ici, le groove de slap («You Told A Fib»), le «Cat Man» insidieux monté sur un Diddley beat, yeah, et la belle explosion de Blue Cap Bop sur «You Better Believe». Mais c’est encore en B qu’on se régale le plus avec la fantastique allure groovy de «Blues Stay Away from Me». On entend aussi les Blue Caps déclencher des tourbillons dans «Double Talkin’ Baby» - Please make up your mind - et quand Gene envoie «Pretty Pretty Baby» au firmament à coups de never saw a gal like you, les Blue Caps font «Pretty pretty baby» !». Ces mecs swinguent comme des démons.

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             Watkins parle d’un rockabilly holy grail. Il a du mal à préférer un cut, étant donné l’abondance de merveilles sur ces deux albums, «though Cat Man is Vincent at his most eerie». Alors après l’ugly, voilà l’eerie, c’est-à-dire le sinistre. Mick Farren avait bien perçu la dimension tragique de son héros, il en fit même un personnage shakespearien. Watkins ajoute : «Vincent and the Blue Caps swing like crazy on Jumps Giggles And Shouts». Crazy, ugly, eerie, tout est là.

             Watkins dit aussi que les cuts plus pop («Jezebel», «Peg O’My Heart» ou «Ain’t She Sweet») furent probablement choisis par Ken Nelson, mais, ajoute Watkins, «Gene les chante beautifully, with total commitment. Like Presley, he was a superb balladeer.» Ces deux albums sont tellement solides qu’ils se vendent bien, à une époque où le marché reste dominé par les singles.

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             Galloping Cliff Gallup quitte les Blues Caps fin 56. Gene et les Blue Caps vont enregistrer au Capitol Tower de Los Angeles. Watkins note que le son est fuller. C’est Johnny Meeks qui remplace Gallup. Le groupe passe aussi à la basse électrique, un piano et un sax entrent dans la danse. Ce n’est plus du tout le même son. Watkins parle de poppier sound. «Dance To The Bop» sera pour Gene sa dernière visite dans le charts américains et «Rocky Road Blues» est l’un de ses greatest, most representative vocals

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             Le son change, bien sûr, mais la voix ne change pas. Le Gene Vincent Rocks! And The Blue Caps Roll qui paraît en 1958 est encore un big album, pochette magnifique, Gene en vert pistache et la fabuleuse tension du «Brand New Beat» d’ouverture de balda. Il chante ça du coin des lèvres et derrière lui gronde le vieux beat rockab. Sur cet album, le coup de génie est sa version de «Frankie & Johnnie» swingué aux clap-hands, Gene interpelle Johnny Meeks - Oh Johnny - qui passe un solo d’éclate tragiquement désenchanté. On tombe plus loin sur un «Flea Brain» wild as fuck, un absolute beginner, rock it now !, et Johnny Meeks te passe dessus avec son killer solo flash.

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             La même année paraît A Gene Vincent Record Date avec un Gene en gros plan sur la pochette. Le son, la voix, tout est là dès «Five Feet Of Lovin’», mais c’est «Somebody Help Me» qui fait vraiment des étincelles. La qualité de la prod bat tous les records. On a une fantastique profondeur de son et des basses bien rondes. Il boucle son balda avec «Git It», un joli shoot de dance craze avec des chœurs de doo-wop and a diamond ring - I’ll do the best I can do to/ Git it/ Git ! - Et pour illuminer une B qui sent le filler, Gene nous claque «Look What You Gone And Done To Me», un wild & frantic rock’n’roll. Il y met toute sa niaque de Virginien.

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             Mais on sent bien au fil des albums que l’intensité baisse. En 1959, le rockab est mort et Capitol, comme tous les autres barons de l’industrie musicale, vise un son plus commercial. Ça va donner deux albums plus poppy, Sounds Like Gene Vincent et Crazy Times. On perd complètement le Gene du rock. Capitol lui a mimé les dents. «I Might Have Known» est encore un peu rocky road mais aussi cha cha cha, et avec le solo de piano, la niaque disparaît. Sa version de «Reddy Teddy» est un peu ridicule, il fait du sautillant, il est complètement aseptisé. Il faut attendre «I Got To Get To Yet» pour renouer avec le swing et il sauve son Sounds Like avec une version bien endiablée de «Maybelline».

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    Sur Crazy Times, «She She Little Shorta» fait office de Saint-Bernard sauveur d’album, un vrai délice de deepy deep, mais le morceau titre est trop poppy pour un artiste qui nous a habitués aux miracles. Il passe au heavy blues subtilement orchestré avec «Darlene» et on finit par s’ennuyer en B, car les cuts sont très produits, un peu à la limite de la variété. Et bizarrement, sur «Accentuate The Positive», sa voix est mixée à l’arrière des chœurs.

             C’est l’époque où Gene commence à faire le con. Il disparaît en Alaska et les Blues Caps qui ne sont pas payés se font la cerise. Comme sa carrière bat de l’aile aux États-Unis, Gene entame sa carrière anglaise. Joe Brown qui l’accompagne sur scène est très impressionné par Gene : «He had this evil eye he used to fix on you.» Ugly, eerie, crazy, evil. Ça ne s’arrange pas. Tant mieux.

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             Selon Watkins, Gene redémarre sa carrière à Abbey Road en 1961, accompagné sur un remake de «Pistol Packing Mama» par les Beat Boys, Colin Green (guitar) et Georgie Fame (piano), et «I’m Goin’ Home (To See My Baby)», accompagné par Sounds Incorporated. Fin 1962, Gene est le roi du circuit rock en Angleterre. Il va bientôt être détrôné par les Beatles. Gene est alors vu comme outdated. T’es passé de mode, pépère.

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             En 1964, Gene enregistre Shakin’ Up A Storm avec The Shouts, un groupe de Liverpool. Ce n’est pas l’album du siècle, Gene y propose une série de classiques, comme le faisaient tous les pionniers à l’époque. Il tape principalement dans Little Richard («Hey Hey hey Hey», «Slippin’ & Slidin’», un «Long Tall Sally» embarqué au fouette cocher, et «Good Golly Miss Molly»), il est bien énervé, mais cet Anapurna appartient à Little Richard. Et puis le son est trop anglais. Sur ces classiques, on est habitués au son de la Nouvelle Orleans. C’est avec «Private Detective» qu’il rafle la mise, car il chante ça au big raw, puis il se lance à l’assaut de «Shimmy Shammy Shingle» avec un courage qui l’honore, mais bon, il arrive après la bataille et les gens sont passés à autre chose.

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             Tous ses fans attendaient des merveilles de son retour aux affaires. L’album sans titre paru sur London Records en 1967 répondit aux attentes. Car on y trouvait «Bird Doggin», qu’il faut considérer comme l’un des plus beaux hits de l’histoire du rock, puisqu’il illustre le grand retour de Gene Vincent. On le trouvait à l’époque sur un EP Challenge, mais pour les ceusses qui n’eurent pas la chance de choper l’EP, il restait la possibilité de choper le London album. Bon, on a déjà dit ici tout le bien qu’on pensait de «Bird Doggin’», Gene chante ça comme un dieu - All these sleepless nights/  I’m so tired of - pulsé par un beat des reins et fracassé à deux reprises par le wild killer solo de Dave Burgess, avec un retour en tiguili sur le tard. Cut magique. On trouve d’autres énormités sur cet album, comme par exemple «Poor Man’s Prison», un solid romp monté sur une belle structure de boogie, avec un Gene qui chante à l’insidieuse pervertie. Et puis «Ain’t That Too Much», belle giclée de Genetic power, monté sur un drive de basse atrocement dévorant et chanté au sommet du lard fumant. En 1967, Gene pouvait encore mener le bal des vampires.

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             On se souvient d’avoir éprouvé un grosse déception à la parution d’I’m Back And I’m Proud. On s’attendait à la merveille des merveilles, car l’album paraissait sur Dandelion, le label de John Peel, il était produit par Kim Fowley et on avait encore dans l’oreille le mythique «Bird Doggin’». En plus, la pochette du pressage américain était un petit chef-d’œuvre. Mais ce fut une déconvenue aussi sévère que celle occasionnée par Shake Some Action, l’album beatlemaniaque des Groovies : on avait dans les deux cas des versions édulcorées d’artistes qu’on vénérait. Le Shake est passé par la fenêtre et le Gene a été revendu aussi sec, mais racheté à la première occasion, en croisant un pressage anglais dans un bac de Goldborne Road. I’m Back And I’m Proud fait en effet partie des albums qu’il faut réécouter régulièrement, même si la fin de la B indispose toujours autant. On revient toujours à la triplette de Belleville, «Sexy Ways», «Ruby Baby» et «Lotta Lovin’», car Gene est un remarquable interprète, il remplit bien l’espace et derrière, on a l’heavy attack de Skip Battin et de Johnny Meeks. C’est du classic rockalama, mais quel son ! Kim Fowley ne fait pas n’importe quoi. En A, Red Rhodes illumine «Rainbow At Midnight» d’un solo de slide et Johnny Meeks arrose «White Lightning» d’une belle dégelée de wild craze. On le voit aussi rôder dans l’«In The Pines» - Where the sun never shines - Skip Battin y vole le show avec un bassmatic aventureux, ce qui paraît logique pour un Byrd.

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             En 1970, paraissait un nouvel album sans titre de Gene Vincent sur Kama Sutra. C’est l’un de ses meilleurs albums. Il ouvre son balda avec un «Sunshine» signé Mickey Newbury et tu sens aussitôt monter un parfum Tex-Mex, logique puisque Johnny Perez et Augie Meyers jouent derrière. On se croirait sur Mendocino, c’est bourré d’esprit, de feeling et de spiritual spiritus sanctus. Petite cerise sur le gâtö, c’est enregistré par Dave Hassinger à Hollywood et produit par Tom Ayres. Toute la bande embarque «Slow Time Comin’» pour un voyage hypnotique de 9 minutes, à la croisée du Tex-Mex et du Cubist Blues. Bien vu et bien foutu. On trouve un autre cut hypno en bout de B, l’excellent «Tush Hog», chanté à la Gene et allumé par des guitares vicelardes. Gene fait aussi du Cajun avec «Danse Colinda» - Elle dansait pour moi Colinda/ Elle dansait ce soir - Une pure merveille. C’est à ce genre d’exercice qu’on mesure la hauteur d’un géant. Le «500 Miles» qui ouvre le bal de la B sonne comme «J’entends Siffler Le Train». Et Augie Meyers ramène son shuffle sur «I f Only You Could See Me Today». On s’y sent tout de suite en sécurité, c’est fabuleux de Texarcana. 

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             Le deuxième (et ultime) album de Gene Vincent sur Kama Sutra s’appelle The Day The World Turned Blue. Il paraît en 1971, l’année de sa disparition. On a le choix entre deux pochettes : Gene en gros plan à côté d’un lion, et Gene photographié derrière une baie vitrée fracassée, à l’image de sa carrière. On sent qu’il se bat comme un beau diable sur cet album qu’il attaque comme le précédent avec une compo signée Mickey Newbury, «How I Love Them Old Songs». Il ramène encore une fois un parfum de Cajun dans le chant et c’est un délice que de l’entendre chanter. On le sait depuis le début, Gene adore les bluettes, alors il se ramène avec «You Can Make It If You Try» qu’il savoure dans sa bouche. Puis il s’enfonce encore un peu plus dans la romantica avec «Our Souls», une compo signée Jackie Frisco, the beautiful wife. Si on attend un miracle, il est en B, en ouverture de bal, c’est le morceau titre, une compo à lui, une big pop de type «Eve Of Destruction», il ramène pas mal de power dans son turned blue. Puis il rend un bel hommage à son copain Carl avec «Boppin’ The Blues». Il ramène pour ça du piano et des guitares bien rock. 

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             Absolument indispensable à tous les fans de Gene : le coffret Rock’n’Roll Legend, paru en 1977 en France sur Capitol. Très bel objet, quatre LPs et un book de photos, plus un 45 tours d’interview. Il est indispensable car on y trouve tous les hits qui ne figurent pas sur les cinq albums Capitol, tiens comme par exemple «Race With The Devil» ou encore «Crazy Legs», des vraies bombes de bop, uniques et parfaits, avec un joli départ en solo du grand Gallopin’. Pulsatif d’excelsior embarqué au slap de she’s may baby et ça tatapoume dans l’écho du Capitol. Et puis la pureté du slap ! Le son Capitol est capital. On réécoute avec un plaisir sans nom le vieux «Be-Bop-A-Lula». Que de soin apporté à ce hit ! C’est du niveau de ce que fit Uncle Sam avec Elvis. Encore du Capitol Sound avec «Well I Knocked Bim Bam», Gene adore lancer ses Blue Caps à l’assaut de la fête foraine et tu as toujours l’énergie du slap de Capitol. Sur le disk 2, tu vas croiser l’infernal «Lotta Lovin’», bien claqué par le Gallopin’, la classe absolue, solo insidieux comme pas deux. Et puis tu as la haute voltige de «Dance To The Bop» et un Gallopin’ qui croise le slap. À cette époque, tout est solide chez Gene, il est sur tous les fronts. Alors qu’Elvis s’enfonce dans la mouscaille chez RCA, Gene Vincent rocks it hard avec «Right Now» et «I Got A Baby». Sur le disk 3, tu vas te régaler avec «Rocky Road Bues», l’un des rockabs les plus parfaits de l’époque. Il le développe au cri de relance, avec une énergie considérable. Il monte au créneau du ooouh et laisse le champ libre au solo de piano. C’est ce qu’on appelle le pulsatif du diable. «Say Mama» sonne comme un classique intemporel, c’est même le bulldozer de Gene, il enfonce tous les barrages. Il s’en va tester sa voix avec «Over The Rainbow» et fait son Fatsy avec «Wild Cat». Mais c’est «Pistol Packin’ Mama» qui va t’emporter la tête comme le ferait un boulet d’abordage. Fantastique intro de basse et Gene chante à la frénésie exacerbée, c’est d’autant plus explosif que le bassmatic tend ce cut qui flirte avec une certaine exotica. Et puis comme on l’a vu avec les cinq albums Capitol, on perd le Gene qu’on aime sur le disk 4 du coffret. Trop mou du genou.

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             Si on est curieux et qu’on en pince pour le grand art de Gene Vincent, alors on peut se payer le luxe intérieur d’écouter une compile de wannabes, They All Wanna Sound Like Gene. On la trouvait facilement dans les bacs de rock’n’roll, à l’époque. Et tous les groupes qui y figurent s’arrangent pour rendre de vrais hommages à leur idole, tiens, par exemple Mike Waggoner & The Bops, avec un «Hey Mama» bien wild, ou encore les Muleskinners avec une fantastique cover de «Rocky Road Blues», on les voit débouler dans le Rocky Road avec une énergie similaire à celle de Gene. Johnny Carroll fait un Be Bop pas très bon, par contre, en B, The Keil Isles montrent une belle tenue de route avec «Boogie Boy». Et ça repart de plus belle avec Gene Rambo & The Flames et «My Little Mama», ils basculent dans le Gene pur, c’est extrêmement bien exacerbé aw yeah avec du piano à la Jerr. Le mélange monte droit au cerveau ! Le mec des Superphonics chante exactement comme Gene, au petit sucré pointu, son «Teenage Partner» fait illusion. Et on retrouve The Keil Isles avec une explosive version de «Say Mama» ce qui sera en ce qui nous concerne la plus belle des fins de non-recevoir.

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    Signé : Cazengler, Blême Vincent

    Gene Vincent & His Blue Caps. Bluejean Bop. Capitol Records 1956

    Gene Vincent & His Blue Caps. Gene Vincent & The Blue Caps. Capitol Records 1957

    Gene Vincent. Gene Vincent Rocks! And The Blue Caps Roll. Capitol Records 1958

    Gene Vincent & His Blue Caps. A Gene Vincent Record Date. Capitol Records 1958

    Gene Vincent. Sounds Like Gene Vincent. Capitol Records 1959

    Gene Vincent. Crazy Times. Capitol Records 1960

    Gene Vincent & The Shouts. Shakin’ Up A Storm. Columbia 1964

    Gene Vincent. Gene Vincent. London Records 1967

    Gene Vincent. I’m Back And I’m Proud. Dandelion Records 1970

    Gene Vincent. Gene Vincent. Kama Sutra 1970

    Gene Vincent.  The Day The World Turned Blue. Kama Sutra 1971

    Gene Vincent & The Blue Caps. Rock’n’Roll Legend. Capitol Records 1977

    They All Wanna Sound Like Gene. Thunder Records

    Jack Watkins : Be-Bop don’t stop. Record Collector # 526 - Christmas 2021

     

     

    Miller Ethan son empire

     

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             Dans un bel article de Classic Rock, Dave Everley indique qu’Ethan Miller ressemble à sa musique - He looks equally as wild as his music sounds - Avec sa coupe de cheveux improbable, sa barbe d’ostrogoth en rut et son manteau afghan, Ethan Miller semble sortir des bois, comme le fit Jimi Hendrix à une autre époque : avec une classe animale. Si Miller sort des bois, c’est pour rocker la planète à sa façon. Il hume l’air : «On sent qu’il y a de l’espoir et du désespoir en même temps.» Et il ajoute : «I want to echo that.» Bien vu, Mister Miller. Il vient des Redwoods du Nord de la Californie. Située entre San Francisco et Portland, il appelle ça the lost coast. C’est la région des séquoias géants. Il a quinze ans quand il découvre la scène d’Eureka et Buzz Osbourne des Melvins, c’est-à-dire l’apanage de la heavyness. Mais il dit aussi garder un pied dans le rock classique des Beatles, de l’Airplane et de Crosby Stills & Nash. Monsieur a le bec fin. Et c’est à peu près tout ce que nous apprend Dave Everley.

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             Si les Hellacopters furent longtemps considérés comme les rois du blast, ce titre revient désormais à Ethan Miller. Son premier album avec les Comets On Fire est un chef-d’œuvre blastique incomparable. Ethan dit au bassman Ben : «Let’s do a little project where we just blast this thing out.» Alors ils blastent. Disons que Comets On Fire propose une certaine idée du son. Ça saute à la gueule dès «All I Need», trash démentoïdal d’action directe. On gagne beaucoup à connaître cette bande d’activistes. Avec son chant incendiaire, l’Ethan éclaire la plaine. «With the Echoplex, I went bananas», dit-il. Il se comporte comme un puissant défenestrateur, un horrible trasher. Il barde ses cuts de son et de spoutniks. Ce groupe fait plaisir à voir. L’Ethan prend tout à la hurlette contrite, à la grosse gueulante, il braille comme cet hérétique tombé aux mains de la Sainte Inquisition, ouuaaahhh, ça fait mal rien que d’y penser, c’est bardé de coups de wah enragés et ça trash-boome in the face of God. Encore une vraie dégelée avec «Got A Feeling», cut invraisemblable et bourré de son. Ils passent à la heavyness avec «Rimbaud Blues», l’Ethan hurle comme un damné, mais un vrai damné, pas un faux, il joue la carte du malheur définitif, avec le beat des éléphants de Scipion. Ils embarquent «Let’s Take It All» au pire trash-beat de la stratosphère, ils en arrivent au point où les notes ne signifient plus rien, ils livrent un blast liquide, tout est porté à incandescence, c’est du génie de destruction massive. Même chose avec «The Way Down» explosé d’entrée de jeu, au-delà de tout ce qu’on peut imaginer, et même encore bien au-delà de ça, l’Ethan est un démon, mais un démon avec une vision, celle dont parle Bourdieu, oui, brûler des bagnoles mais avec un objectif. Les comètes sont en feu, tout est battu comme plâtre, tout est poussé au maximum des possibilités, le Miller n’en finira plus d’Ethan son empire. Il explose littéralement le son des seventies. Il règle tous les problèmes à coups de wah techtronique, il retrouve les vraies clameurs des armées d’antan, il manie le son comme une hache de combat. Ses coups de wah vacillent dans la torpeur d’un désastre sonique. Il bouscule même «Days Of Vapours», le dernier cut d’apparence pourtant ordinaire, pour en faire une énormité, un truc qui contient toute la violence d’un combat de plaine, vous savez, cette orgie de violence dont personne n’espère sortir vivant.         

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             Si on lit les notes de pochette au dos de Field Recordings From The Sun, on voit qu’Ethan Miller joue de la Destruction Fuzz Guitar, et ça s’entend dans «Return To Heaven», un simili-cut balayé par des vents violents. En fait, ça sonnerait plus comme une tentative de hold-up, car voilà du violent freakout doté de soubassements dévastateurs. Avec «Unicorn», Ethan et son équipe de desperados trempent dans une invraisemblable bouillasse coactive, et même coaxiale. Ils n’ont aucune chance d’atteindre la tête des charts, mais ils montrent des tendances affirmées et d’authentiques réflexes de violence sonique. Quand on écoute «The Black Poodle» qui ouvre le bal de la B bazire, on comprend que leur style s’apparente plus aux vents de sable du désert qu’au rock traditionnel. Ils cultivent une sorte de violence par rafales et mettent les oreilles d’autrui en danger, ce qui est tout à leur honneur. Cet album dépenaillé est tendu à l’extrême, bousculé dans le son, avec une quête constante de chaos sonique. Et Ethan le destructeur nettoie les tranchées au sonic boom.

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             Bong Voyage : deux faces, deux dégelées. Pas d’infos, pas de rien. Tout ce qu’ils savent faire, c’est démolir un immeuble. Ils ont tout ce qu’il faut pour ça : le foutraque, les puissances des ténèbres, les rognures de wah, la démesure sonique, le nihilisme et toutes les outrances. Ils démolissent le sacro-saint format disk. Il ne reste que le son, rien que le son. Plus de repères, plus de rien. Ils montent leurs cuts sur des modèles parfois hendrixiens, mais avec un côté outrancier. Miller n’en finit plus d’Ethan son empire. Il réduit le live à l’état de clameur improbable. On reconnaît le riff de basse de «Who Knows». Vers la fin de l’A, ils trempent en effet dans le Band Of Gypsys.

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             Il faut suivre l’Ethan à la trace, car il est capable de belles exactions. Blue Cathedral en est la preuve criante. Dès «The Bee And The Cracking Egg», on voit monter la démence d’une virée tourmentée par une basse incontrôlée. Des vents atroces balayent ce pauvre cut. L’Ethan joue au petit jeu de la tempête shakespearo-hawkwinesque, il vise l’ultra de l’au-delà du monde connu. Les oreilles du casque palpitent, tout bouge dans la cambuse, on se croirait au passage du Cap Horn par une nuit de tempête. Les Comets On Fire font carrément leur Fun House. Ils nous proposent une chevauchée sauvage digne des Walkiries. Rien d’aussi dingoïdal. Mais attention, les cuts sont interminables. On risque de décrocher. Ces mecs sont bien gentils, mais ils ne se rendent pas compte. Ils repartent pour sept minutes de «Whiskey River», nouvelle giclée d’expérimentation co-axiale. L’Ethan s’étend à l’infini. Comme Néron, il vise la folie. C’est un amateur d’excès. Il a rassemblé toutes les légions de la prog aux frontières et les fait défiler en hurlant de l’imprécatoire. L’Ethan sait allumer les brasiers. On le sent investi d’une mission divine. Il gueule tout ce qu’il peut dans l’écho du temps. Et ça wahte dans des tourbillons de vents violents. Le seul moyen de s’en sortir avec ce genre de mec, c’est de se prêter à son jeu. Autrement, il vaut mieux s’en aller et donner le disque au voisin qui ne l’écoutera même pas. Avec «The Anthem Of The Midnights», on repart sur du quatre minutes - durée acceptable - mais quatre minutes de violence indescriptible. Ethan Miller est un fou dangereux, un amateur de violentes tempêtes, un Achab de Cap de Bad Espérance. C’est joué sans pitié pour les canards boiteux. Ce mec hurle tout ce qu’il peut hurler et graisse son mayhem aux pires guitares. On croirait entendre hurler la reine emmurée vivante dans le donjon. Trop d’énergie, beaucoup trop d’énergie ! Avec «Wild Whiskey», ils vont là où Syd Barrett n’a jamais osé aller. Too far out, baby. C’est tablé aux tablas et immensément wild. Mais too far out. Ils bouclent cet album d’époque épique avec «Blue Tomb», une pièce de heavyness étalée sur dix minutes. Qui peut résister à ça ? Nobody, baby. Ils partent sur les vieux accords de blues rock de Croz. Le groove est celui de «Cowboy Movie». Ils y plongent comme des dauphins. C’est inspiré par les trous de nez. Pure démence de baby low, heavy comme la tombe, lourd comme l’enfer, dur comme la mort, si bien vu. Bienvenue dans le son de l’au-delà.

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             Si on rapatrie l’Avatar paru deux ans plus tard, c’est uniquement pour écouter ce coup de génie intitulé «Holy Teeth». L’Ethan amène ça à la furia del sol du trash-gaga. On le sent déterminé à vaincre. Quelle tranche de trash ! Une fois de plus, il sort de sa réserve et devient violent. Comme le cut est court, ça reste de la vraie violence d’écho de guitares. Une fois encore, les Comets balayent tout ce qui est autour. Mais attention, les autres cuts valent aussi le détour, à commencer par «Dogwood Rust», jazzé du jive et chanté à plusieurs voix, on a du féminin et du masculin aux barricades, mais ils échappent à tous les formats. Ils continuent de jazzer le jive avec «Jaybird». Ils ne se refusent aucune figure de style et s’amusent une fois de plus à échapper aux formats. L’Ethan fait des bras et des jambes pour se montrer intéressant. Les Comets reviennent aux morceaux longs avec «The Swallow’s Eye». Quand on écoute un album des Comets, il vaut mieux éviter de prévoir des rendez-vous. L’Ethan vire proggy et on se demande ce qu’on fout là, sous le casque. Ce n’est pourtant pas la première fois qu’on écoute cet album. Ses long cuts intriguent tellement qu’on y revient. Ce sont des fourre-tout gorgés de sonic trash. Plutôt que de chercher à plaire, ils vont dans l’autre sens, ils en rajoutent. Même chose avec «Sour Smoke», 8 minutes de stomp barbare. On croirait entendre une armée antique en marche, celle dont les fantassins frappent leurs boucliers à coups de glaives pour se donner du courage face à un ennemi en surnombre, et soudain, les instruments se livrent à des fantaisies inespérées. Comme tout cela est curieux ! On voit même des pianotis chatouiller le stomp. L’Ethan nous en fait voir des vertes et des pas mûres. Il dit aussi que cet album est un destroyer pour Comets, car ils atteignent leurs limites.

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             L’Ethan conduit une autre meute à travers les plaines : Feral Ohms. Un Live In San Francisco récemment paru témoigne de leurs exactions soniques. Dès «Early Man», la violence s’impose. Ils jouent très vite, dans une sorte de folie incontrôlable avec un son à la Motörhead. C’est un peu comme si Attila avait inventé en son temps le rouleau compresseur. Nouvelle expérience tragique avec «Teenage God Born To Die» : tout est densifié aussi bien dans l’espace que dans le temps. On sent l’air se raréfier. Ethan et ses hommes trépident ventre à terre, ils tâtent du gros son américain. Pour les amateurs de napalm, c’est un bonheur. Tout est démesurément clamé dans la clameur, tout passe dans le rouge du vif de l’action, dans l’excès démentoïde de la furia del sol. Inutile de préciser que le carnage se poursuit en B. Tout y nivelé au plus haut niveau de la banalité du blast. Aucune rémission n’est envisageable. On assiste même au naufrage de «The Glow», noyé de son et destiné au néant psychédélique.

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             Il vient juste de réaffirmer sa tendance au blast définitif avec un nouvel album de Feral Ohms. Il y joue ouvertement la carte du power-trio déblastateur, de type Motörhad/Husker Dü, mais en mode californien, c’est-à-dire hautement énergétique. Dès «Love Damage» et «Living Junkyard», on est fixés sur ce qui nous attend. Il vise le grand large de l’ad vitam aeternam blasmatique. On note au passage qu’il travaille avec le mec du Dock, Chris Woodhouse, comme John Dwyer. Il chauffe toute l’A à blanc avec un chapelet de saucisses fumantes, «God Of Nicaragua», «Value On The Street» et «Super Ape». Chez lui, tout n’est que luxe poilu, calme impossible et volupté stridente. Il ultra-blaste en permanence. On dirait même qu’il parvient à aller plus loin que les autres, alors qu’on croyait ça impossible. Son «Super Ape» paraît extrêmement énervé, c’est une véritable bénédiction pour tous les tympans crevés. Relentless, telle est la morale de cette sombre histoire de blast marmoréen. N’allez pas croire qu’il va se calmer en B. Bien au contraire. Dès «Teenage God Born To Die», on est fixé sur ce qui nous pend au nez : une trombe cyclonique qui emporte tout sur son passage. Ethan pourrait bien être le grand balayeur définitif. Son «Early Man» est tellement blasté de la paillasse qu’il en devient inclassable. On pourrait presque parler de Millerisme. Chez lui, trop de blast ne tue pas le blast, comme on pourrait le croire, mais au contraire, son blast génère du blast. No seulement il le génère, mais il le dégénère. Cet album est plein d’une vie insolite. Il tape dans le heavy blues avec «Sweetbreads» et nous livre une pièce de gros rock coulant et onctueux. Tout y est : le stonage du stoner à la Monster Magnet et la démesure de Blue Cheer, c’est-à-dire l’excellence de l’intemporel. Il boucle cet album pour le moins faramineux avec «The Glow», qui sonne comme une délectation de heavyness considérable. Tout est joué sur le mode du raid d’aviation à la pulsasivité démoniaque, tout est saturé de son oint, de glue jaune. Ce génie de Miller Ethan encore l’empire du sonic trash.

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             La troisième mamelle de l’Ethan s’appelle Howlin Rain. Avec ce groupe, l’Ethan teste un autre son et un autre mode de fonctionnement : Comets est une démocratie, avec Howlin Rain, il est bandleader. Un premier album modestement titré Howlin Rain paraît en 2006. Il y fait des miracles en termes de pop atmosphérique, comme on le constate à l’écoute du premier cut, «Death Prayer In Heaven’s Orchard». C’est à la fois puissant et souverainement emmené. Il hurle sa fin de cut avec toute la puissance dévastatrice d’un Bob Mould frank-blacklisté, mais en plus raunchy, if you see what I mean. La fête se poursuit avec «Calling Lightning With A Scythe», une sorte de balladif possédé par le diable. L’Ethan est l’un des grands génies du songwriting américain contemporain. On a là un cut chargé de son et de texte, complètement ravagé par un solo d’une trashitude définitive. Ce mec a tellement de génie qu’on s’en émeut sincèrement. Il va encore plus loin que William Reid, comme si c’était possible. Avec «Roll On The Rusted Days», il tâte du rock rapide qui file ventre à terre. C’est presque de la Stonesy. L’Ethan est capable de taper dans tous les genres confondus. Il repasse un solo de distorse maximaliste. On sent chez lui une liberté de ton unique au monde et comme il savait si bien le faire au temps des Comets On Fire, il finit en belle apocalypse. Dans «The Happy Heart», on l’entend hurler à la tête de l’escadron et ça se termine évidemment en apothéose de destruction massive. Cet album se montre étonnant de bout en bout. L’Ethan tape dans la heavyness pour «In The Sand And Dirt», mais pas n’importe quelle heavyness, celle de la dernière chance - These beat a new heart in space and soil - Quel fabuleux explorateur d’espaces - Like a choice of rabid hens - C’est vrillé de son, gratté en fond de cale et pianoté dans un recoin de la conscience - Burry with you all of your songs/ All of your death dreams -  et il termine cet album mirobolant avec l’énorme «The Firing Of The Midnight Rain».           

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             Wild Life est un drôle d’album. L’Ethan y propose un cut sur chaque face, une sorte de slow burning heavy jam system of it all. Howlin Rain joue live, comme l’indique l’insert, together and with no overdubs, vocals or otherwise. L’Ethan ajoute que le morceau titre qui remplit toute l’A est une méditation improvisée sur la chanson de McCartney. On a donc un chant de fou dangereux, une espèce de jam immanente et sur la pochette, un painting de Raeni Miller intitulé Cow’s Heads, bien macabre, car les têtes des vaches sont pelées. Rahhhha oui, comme dirait Rahan, on se demande quel intérêt présente un tel album. On fuyait les longues jams jadis, mais on finit par s’intéresser au chant tantrique d’Ethan, qui, comme les prêtres martyrisés d’Andrei Roublev, avance dans la toundra les yeux crevés. De la même façon que l’ineffable Andreï Tarkovski, l’Ethan restera mystique jusqu’à la fin des temps. 

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             Un joli papillon orne la pochette de Magnificient Fiend paru en 2008. Quel album ! L’Ethan s’y révèle prince des apocalypses. Il dédie «Dancer At The End Of Time» à Michael Moorcock. On a donc du prog, mais du prog musculeux. L’Ethan n’est pas un plaisantin, on l’a bien compris. Il semble toujours vouloir se situer aux avant-postes catégoriels. Il cherche en permanence le plein du son et le délié des idées, et ne lésine jamais sur les quantités. Il tape dans la Stonesy de mid-tempo pour «Calling Lightning Pt. 2». Il ne laisse absolument rien au hasard. L’Ethan se veut fervent défenseur des droits du son. Pas question de maltraiter une chanson. Il lui redonne chaque fois un terreau d’élection et une manne nourricière sous forme de texte dodu - We are only slaves to our distant youths and coming graves - Comme il a raison ! Les choses se corsent sévèrement avec «Lord Have Mercy». L’Ethan s’impose en leader accompli. Il grave tout son art dans le meilleur marbre de Carrare. Il officie en vrai chef de guerre, il ne plie jamais devant l’adversité et tient tête quoi qu’il arrive - Lord have mercy on my soul - Il prie intensément. Oui, l’intensité reste son maître-mot, son passe-droit, son Memo from Turner, c’est extrêmement puissant, chargé de son et embarqué au-delà de toute mesure. Tiens, encore une énormité avec «El Ray». On assiste en direct à l’explosion d’un refrain. L’Ethan pulvérise tous les records de qualité intrinsèque. Il chante avec la voix blanche d’un mec qui a trop hurlé dans son micro. Les cuivres explosent le refrain. Il faut avoir vu ça au moins une fois dans sa vie - You don’t have to go through any more changes/ It’s all done now - Il revient à sa chère démesure. Il faut vraiment ranger l’Ethan sur l’étagère des seigneurs. Sous ses aspects sauvages, «Goodbye Ruby» reste très classique. C’est tout de même très bardé de son, comme d’ailleurs tout le reste de cet album qui se noie dans l’océan du son.   

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             On retrouve ce chanteur exceptionnel sur The Russian Wilds paru en 2012. Rick Rubin entre dans la danse. L’Ethan est assez critique, car à l’époque Rubin est une superstar qui se mêle de tout et la pré-production dure trop longtemps - Masterpieces can be made in one session, nous dit l’Ethan - L’album est très décousu, car l’Ethan touche à tous les styles. Il attaque avec le heavy blues de «Self Made Man» - You’re a haunted man - C’est assez admirable de stonérisation des choses et une nommée Isaiah Mitchell vient mêler sa salive à celle de l’Ethan - You’re a violent dog/ Like the death squad boys down in Brazil - C’est sûr, ils créent un monde et ça fuit au long du cours d’un beau solo fleuve. Quelle extraordinaire expédition ! L’Ethan monte de sacrées architectures, comme savaient le faire les groupes ambitieux des années de braise, les King Crimson et autres Soft Machine. L’Ethan se veut plus poppy avec «Phantom In The Valley». Et puis on revient au fatras épique avec «Can’t Satisfy Me Now». L’Ethan semble vouloir absolument se disperser. Dommage car on sent en lui la force du géant. Il sait gueuler au moment opportun. Il peut screamer la Soul de pop avec aplomb. Il force la sympathie et vise inlassablement l’ampleur. Avec ce cut, il redevient un fabuleux Soul Man. Et puis avec les derniers titres, on voit qu’il s’efforce d’échapper aux genres. Avec «Dark Star», il revient à sa chère hurlette et passe à la Soul de pop avec «Beneath Wild Things». Il chauffe sa soupe avec un talent certain. Terminus avec «Walking Through Stone» qui a des allures de hit fatal. L’Ethan est une espèce de roi du Soul-baladif de barbu. Il brille comme un phare dans la nuit et se plait à porter les choses à ébullition. Petit conseil d’ami : ne le perdez pas de vue.

             Après la tournée de promo, l’Ethan perd ses copains Joel, Raj et Isiah. Le cirque Rubin et The Russian Wilds leur est fatal.

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             Le problème avec l’Ethan et son petit label Silver Current, c’est qu’il sort des albums tirés à 300 exemplaires et ils disparaissent aussitôt des radars. Et on comprend pourquoi quand on écoute The Griffin, paru en 2013, et qui fait justement partie de ces petits collectors de San Francisco. On y retrouve l’effarant «Calling Lightning PT. 2», pétri d’excellence et doté de toute la prestance des passations d’accords. L’Ethan s’ancre dans le Marriott System, avec une incroyable stature. Il enchaîne ça avec la merveilleuse explosion de «Killing Floor/Evil». Il y gère la folie de l’âge d’or du rock, et il y ramène tout le souffle de sa fournaise. Rien ne peut résister à un tel géant. On entre dans ce disque live comme dans un rêve, et ce dès «Phantom In The Valley», une pop qui attache bien au plat, grattée avec une détermination non feinte. Il sonne vraiment comme Steve Marriott dans «Darkside» et renoue avec la puissance exponentielle dans «Can’t Satisfy Me Now». Il faut vraiment écouter les albums de ce géant, il a toutes les puissances chevillées au corps, il peut prétendre jouer dans la cour des grands. D’ailleurs, il n’a besoin de l’avis de personne, puisqu’il y joue déjà. On retrouve aussi l’extraordinaire «Roll On The Rusted Days», soulfull en diable, ancré dans le meilleur Seventies Sound qui soit ici bas. L’Ethan y refait son Marriott avec un bonheur égal, c’est chargé de son à ras-bord et joué avec une fracassante aménité. Sa bonne foi finit par troubler le lapin banc.

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             En 2016, l’Ethan se retrouve sans groupe et sans label. Il forme un autre groupe, Heron Oblivion. Un album sort sur Sub Pop et encore une fois, c’est un album énorme. Il met une petite chanteuse au centre, une nommée Meg Baird et dans «Sudden Lament», elle se noie dans les vagues de son. L’Ethan ramène des guitares incendiaires dans le flou du cut et joue des notes à la traînasse, c’est un fabuleux tripatouilleur de brasier, et c’est d’autant plus choquant que Meg Baird chante d’une voix paisible. Même ruckus avec «Faro», où Miller Ethan une fois de plus son empire avec des power chords écrasants de béatitude, il défriche des zones de non-retour, il explore des corridors interlopes, il bouscule les limites de l’horreur sonique, il cherche des échappatoires impossibles, c’est un cœur qui bat et qui explose. Violence pure ! Il tire ses notes par les cheveux. Chaque fois, la voix de la petite Meg fonctionne comme un hameçon et t’es baisé, comme avec «Your Hollows», elle aguiche le chaland et l’Ethan se charge de le cueillir ! Et il te wahte dans le chaos. «Oriar» sonne encore comme une violente tempête, il en fait un jeu, une vierge chante et lui sème la chaos sur la terre comme au ciel. Il organise une fabuleuse fournaise de wah et de dévastation. La fête se poursuit avec «Rama», Meg Baird est toujours dans le vif du sujet et l’Ethan aussi, parfois il se met à sonner comme un requin devenu fou, il crée trop de tension, on s’attend au pire à chaque instant, la basse sature, elle va crever sur place, te voilà au milieu de Miller l’absolu dingoïde de freakout.

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             L’Ethan demande ensuite à Heron Oblivion de l’accompagner pour redémarrer Howlin Rain. Il décide cette fois d’improviser, the complete opposite to The Russian Wilds. Ça donne encore un album extraordinaire : Mansion Songs. Il s’y niche une merveille intitulé «Ceiling Far» dans laquelle l’Ethan cite Fellini, Werner Herzog et d’autres géants de la libre pensée - I’m in a white suit on a Herzog river/ Full of insects snakes and honeybees/ Wearing insane eye make-up and a silver gawn - Fantastique chanson littéraire et dans les deuxième et troisième couplets, il va sur Londres et Dylan. L’Ethan tape là dans l’universalisme. On reste dans la chanson d’exception avec «Lucy Fairchild», une histoire qu’il situe en 1895 - Down in Texas found our fight/ My head dripped in Apache blood and smoked in canon fire - Il rêve de revoir Lucy Fairchild’s bed. L’Ethan se situe au niveau de Midlake et des Drive-By Truckers. Oh et puis attention à ce «Big Red Moon» d’ouverture de bal car l’Ethan y fait du gospel batch de bitch. On assiste à une fantastique envolée d’ampleur cosmique - Shine on down - L’Ethan n’en finit plus d’étendre don empire. Il shoote dans son bras toute la démesure du rock américain - Shine on down - Il n’en finit plus de créer des mondes - Bleached in smoke and whiskey and/ Black hole nova eyes with nothing/ Left behind us when we/ Ride the skies - Et dans le «Meet Me In The Wheat» qui suit, les chœurs font hallelujah ! L’Ethan installe le gospel batch dans les champs de blé, c’est bardé de coups de gimmicks de vieille Stonesy et c’est chanté à l’incroyable feeling déflagratoire. Quel créateur d’empires ! Il tape là dans des ardeurs cosmiques de cinépanorama, c’est gorgé de son jusqu’à la nausée salvatrice. L’Ethan chante comme un Raspoutine des plaines d’Amérique, en vrai possédé. On retrouve la démesure du gospel batch dans «Wild Bush» et ça vire à l’exponentiel d’excellence cathartique. L’Ethan recrée un par un tous les bons plans du rock américain. Ici, on croit entendre un énorme classique de rock seventies, un truc qui serait du niveau des grands albums de Delaney & Bonnie.

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             Nouvelle équipe pour The Alligator Bride. On peut dire que l’Ethan s’est calmé. Il passe à une sorte de folk-rock hanté par les démons de la cavale. Ce qui ne l’empêche nullement de renouer avec le génie, comme on peut le constater à l’écoute de «Missouri». Quel shoot d’Americana ! Il part en bonne vrille dans un délire de bassmatic à la Jack Bruce. On peut parler ici de musicalité exponentielle. L’Ethan presse et presse encore, alors ça jugule dans les culbuteurs, jusqu’à l’apothéose des paradis perdus, un peu vieillis, un peu dandys. Comme toujours, ses cuts sont très écrits, il suffit d’écouter «Alligator Bride» pour s’en convaincre définitivement - I just stopped to light a cigarette/ And found a dime in the street - Ça joue à deux guitares, lui et Daniel Cervantes, épaulés par ce diable de Jeff McElroy au bassmatic. On pourrait les comparer aux Drive-By Truckers. Ils tapent le «Rainbow Trout» au boogie classique de type Canned Heat - It’s eating me alive/ And it’s just outside - L’Ethan colle le boogie au poteau pour le fusiller, et il coule in the cold blue sea. Il prévient, believe me, you’re gonna need another day. Très captivant. Il boucle cet album étrangement calme avec «Coming Down», un balladif éperdu - Only the shadows remain - Il a foutrement raison. On assiste à un final flamboyant, mais on sent une légère tendance à ralentir.

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             Annoncé dans Shindig! par un bel article de Johnnie Johnstone, on attendait The Dharma Wheel comme le messie. Un double album en plus ! Johnstone n’y va pas de main morte puisqu’il parle d’une renaissance d’Howlin Rain, de comet-shattering space-psych, de country funk et de down-home southern soul et il redouble de lyrisme en déclarant subitement : «It’s like a sonic ménage à trois between Danny Whitten, Paul Rodgers and Shuggie Otis, moving effortlessly through stadium, space and swamp.» Mais il semblerait que l’Ethan n’étende plus son empire et qu’il ait mis beaucoup d’eau dans son vin d’Howlin. Il va plus sur la country. On se croirait chez les Flying Burrito Bros. On s’ennuie en A et on aborde la B avec circonspection. Le cut s’appelle «Under The Wheels». L’Ethan se veut résolument poignant, juteux, plein de lumière et de vitamines. Il veut darder aux Dardanelles, il déclenche de vieilles averses de son radieux, son truc c’est l’apothéose, alors il se déguise en Saint-Jean pour que ça éclate et ça éclate enfin. Johnstone parle d’un huge sonic leap forward. Il remarque aussi que la musique d’Howlin bascule dans la spiritualité, comme si l’Ethan cherchait son propre dharma, c’est-à-dire la réponse qu’on se pose tous à propos du sens de la vie. L’Ethan se pose des questions, se demandant si l’air est Dieu ou une partie de Dieu ? Pareil pour la musique. Est-elle Dieu ou une partie de Dieu ? Mystère et boules de gomme. Alors Johnstone qui est rusé comme un renard en conclut que la musique d’Howlin Rain incarne l’esprit de ce mystère. Comme ça au moins on est content car on n’a rien compris.

           L’Ethan nous refait le coup de la petite apothéose sur le deuxième cut de la B, «Rotoscope». En C, il ne se passe rien, c’est même un peu mou de genou. On arrive hagard en D pour se farcir le morceau titre. L’Ethan y sonne un peu comme Stephen Stills, il cultive les bouquets d’harmonies vocales. Mais on sent aussi qu’il rêve d’apocalypse, il parie sur le démontage des éléments, il faut que le ciel noircisse, que la menace se précise et surgissent alors les pianotis d’Aladin Sane dans le chaos qui s’annonce. Après une petite accalmie, il refait son Saint-Jean et libère ses fureurs. Mais bon, Miller n’Ethan plus son empire.

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             Par contre, il conclut l’article de Johnstone sur une note d’espoir : «Il y a plus de grande musique et d’excellents albums qu’il n’y en avait auparavant.» Et il ajoute plus loin que les manœuvres sournoises de l’industrie du disque n’altèrent en rien la fantastique explosion de créativité actuelle - The incredible creative explosion happening out there - Il parle d’un infini de possibilités. Avec sa grande barbe, l’Ethan ressemble à un messie.

    Signé : Cazengler, Howlin Ruine

    Comets On Fire. ST. Not On Label.        

    Comets On Fire. Field Recordings From The Sun. Ba Da Bing 2002

    Comets On Fire. Bong Voyage. Bad Glue 2003

    Comets On Fire. Blue Cathedral. Sub Pop 2004

    Comets On Fire. Avatar. Sub Pop 2006

    Feral Ohms. Live In San Francisco. Castle Face 2016

    Feral Ohms. ST. Silver Current Records 2017

    Howlin Rain. Howlin Rain. Birdman Records 2006          

    Howlin Rain. Wild Life. Three Lobbed Recordings 2008

    Howlin Rain. Magnificient Fiend. Birdman Records 2008  

    Howlin Rain. The Russian Wilds. Birdman Records 2012

    Howlin Rain. The Griffin. Silver Current Records 2013

    Howlin Rain. Mansion Songs. Easy Sound 2015

    Heron Oblvion. Heron Oblivion. Sub Pop 2016

    Howlin Rain. The Alligator Bride. Silver Current Records 2018

    Howlin Rain. The Dharma Wheel. Silver Current Records 2021

    Heron Oblivion. Heron Oblivion. Sub Pop 2016

    Dave Everly : Howlin Rain. Classic Rock # 251 - Summer 2018

     

     

    L’avenir du rock

    - Nothing butt the Buttshakers (Part Two)

     

             On frappa à la porte. L’avenir du rock alla ouvrir. Un chevalier en armure rouillée lui tendit sans mot dire un rouleau de parchemin, salua d’un hochement de heaume et remonta péniblement en selle, poussé au cul par un valet ventripotent et court sur pattes. Puis le valet enfourcha sa mule et suivit le percheron de son maître. Avançant au pas, clapota-clapoto, ils s’enfoncèrent tous les deux dans les ténèbres. L’avenir du rock alla s’asseoir près du candélabre et déroula le parchemin. Il s’agissait d’une invitation d’Hugues de Gournay, sis en son domaine castral de Montfort, à venir festoyer de tout son Soul en gente compagnie, le premier samedi de juin de l’an de grâce en cours. L’avenir du rock loua donc un percheron chez Perchavis et prit le chemin de la vallée. Trois jours plus tard, il arriva en vue des ruines de la forteresse. Bien que transparent, Hugues de Gournay faisait un très beau fantôme. Comme l’avenir du rock l’aimait bien, il s’autorisa une petite familiarité :

             — Par Dieu, Seigneur Hughes, l’Anglais vous a citadelle bien démantibulé. Quelle outrecuidance !

             — Hélas oui, avenir du rauque, j’eus bien le malheur de murs livrer à Philippe Auguste, ce qui ne manqua pas d’attiser le courroux de Jean, roi d’Angleterre, lequel envoya ses gens d’armes tours détruire et puits boucher. J’en versai moult larmes de sang.

             — Puisque vous reçûtes Philippe Auguste, vous connaissez donc le preux Marquis Des Barres, lequel vint à la rescousse du roi son maître au plus noir de la bataille de Bouvines ?

             — Ah roi du ciel, certes oui, j’ai de le connaître cet honneur.

             — Savez-vous que son héritier, le 26e Marquis Des Barres, de nos jours rocke la calebasse de la rascasse ?

             — Nous rauquerons la calebasse de la rascasse un autre jour, avenir du rauque, car il est temps de festoyer jusqu’à l’aurore en compagnie des Buttes Chaquères, de hardis ménestrels qui comme le gentil seigneur de Bayart, rauquent la soule sans peur et sans reproche. 

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             Personne n’en voudra à Hugues de Gournay de franciser les noms des gens. On comprend qu’il soit traumatisé par le destroy no future des Anglais. L’avenir du rock est ravi, car il tient les Buttshakers en très haute estime. Ils sont sans doute les derniers en Europe à maintenir la sacro-sainte tradition des Revues, telle qu’elle existait au temps d’Ike & Tina Turner, de James Brown & the Famous Flames, et de Sharon Jones & The Dap-Kings.

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             D’ailleurs, ça la fait bien rire Ciara Thompson quand on lui dit qu’elle est meilleure que Sharon Jones. Elle capte l’humour du trait puis se reprend aussitôt en signe de respect, she’s in the ground, dit-elle, et cette soudaine gravité dans le ton de sa voix nous renvoie au voodoo. Voodoo reste le mot clé, car elle reprend le flambeau de Sharon Jones et danse sur scène pendant plus d’une heure, dans un hallucinant climat de Juju fashion craze, elle danse et elle shoute, elle a tout le Black Power en elle, et comme chez les Dap-Kings, ça swingue tout autour d’elle, rien que des blancs, mais des cracks de la Soul.

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    Comme le gang de Gabe, ces mec-là sont fiers d’accompagner une Soul Sister aussi puissante, elle peut tout chanter - She can sing anything (Révérend Cleveland à propos d’Aretha) - la Soul, le blues, le funk, le gospel, elle a tout en elle, Ciara Thompson, la Soul Sister aux yeux clairs, she sets the stage on fire, oui, elle te met un show en feu en deux temps trois mouvements, avec une niaque qui vient de loin, puisqu’elle remonte non seulement à Sharon Jones, mais aussi jusqu’à l’early Tina de St-Louis, Missouri, lorsqu’elle s’appelait encore Anna Mae Bullock et qu’Ike venait de la dénicher.

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    Ciara Thompson véhicule cette tradition purement américaine des petites blackettes élevées dans la religion du gospel et de la Soul, alors la voilà comme tombée du ciel sur la petite scène d’un festival exotique, organisé dans les tréfonds de l’Eure, au pied des ruines d’un château du Moyen-Age. Le côté improbable de ce contexte donne à ce concert la touche surréaliste qui fait hélas défaut dans la plupart des événements urbains. Le fait que le concert ait lieu sous un chapiteau de cirque accroît encore ce délicieux sentiment d’incongruité. C’est un festival, d’accord, mais ce n’est pas Woodstock.

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    Il n’empêche que Ciara Thompson va chauffer la petite assistance avec l’énergie qu’elle mit jadis à chauffer la grande salle du Tétris, elle veut de toutes ses forces partager le power de la Soul avec les gens, elle descend de la scène et va les trouver pour danser avec eux, elle fait tout à la force du poignet et remonte sur scène d’un bond, aussi légère qu’une plume. Elle attaque son set avec «What You Say» tiré de Sweet Rewards, grosse dégelée de hard funk, suivi de «Never Enough», pur jus de Stax Sound tiré d’Arcadia. De la voir danser et chanter donne le vertige. Toujours cette impression d’assister au plus beau show du monde, comme au temps de Sharon Jones,

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    c’est un émerveillement de chaque instant, tout est en place, tout est puissant, les pas de danse des musiciens, les solos de trombone et de sax, le bassmatic à la Gabe et cette Soul Sister en mouvement perpétuel, cette Tinguelynette de la Soul. Elle va revenir au hard funk avec «Hypnotized» et «Not In My Name». Ouvre bien tes yeux et tes oreilles, mon gars, car des spectacles aussi intenses et aussi parfaits que celui-là, tu n’en verras pas des masses. Quand on est confronté à des artistes de ce niveau, chaque fois se pose la même question : en est-on vraiment dignes ? Lorsqu’elle est bien faite, la Soul relève du domaine du sacré. Ce n’est pas un produit de consommation.   

             En 2014, on disait déjà le plus grand bien des trois premiers albums des Buttshakers (Headaches & Heartaches, Wicked Woman et Night Shift), alors maintenant on va dire le plus grand bien de Sweet Rewards et Arcadia, qui, comme l’a montré le show, marquent une nette évolution en direction du firmament de la Soul. Comme déjà dit, l’«Hypnotized» qu’ils jouent sur scène sonne comme un classique un hard funk digne de Parliament. Elle est dessus et les Buttboys aussi, ces mecs n’ont pas de problème, ils savent jouer le funk, malgré leur peau blanche. Ciara travaille son «Hypnotized» au corps, elle groove dans le giron du funk avec une fabuleuse ténacité, elle n’en finit plus d’y replonger.

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    Sweet Rewards est un album qui grouille de coups de génie, tiens comme ce dirty motherfucker monté sur un big bassmatic, «Weak Ends». Ciara la tigresse rentre dans le chou du lard fumant, elle shake son sock it, elle explose son Weak avec la niaque de Lisa Kekaula et là tu télescopes la réalité de plein fouet, c’est une démolition en règle, à coups d’I wanna know you now. Nouveau coup de génie avec l’enchaînement «Tax Man» et «Trying To Fool», Ciara est une pro du feel, elle commence par rôder dans l’ombre du groove, mais fais gaffe, elle allume sans prévenir, wow baby this is the tax man, un tax man submergé par un killer solo flash. «Trying To Fool» est plus groovy, elle le prend aux accents sucrés de petite Soul Sister légère comme une plume, elle fait son trying to fool now, elle sait de quoi elle parle, elle est dans la diction définitive. Le hard funk de «What You Say» monte droit au cerveau, à condition d’en pincer pour le funk, bien sûr - She got a mind/ So you better watch out/ Yeah yeah yeah - Wild as fuck, elle mène sa meute au better watch out et relance au c’mon babe. On se croirait sur un album de Lyn Collins ! Le morceau titre de l’album flirte lui aussi avec le génie de la Soul. On a le heavy sound et elle est devant, pulsée par un drive de basse infernal, elle pointe la Soul à la glotte en feu et génère de l’émotion pure. Elle tient tout à la seule force de sa voix. On reste dans les énormités avec «In The City» qu’elle chante à pleine voix. Elle chante avec des accents profonds de Soul Sister engagée dans le combat, sa présence est inexorable, elle chauffe tellement la Soul qu’elle en devient explosive. Elle se bat pied à pied avec ses cuts. Comme Merry Clayton, elle prend feu !

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             La plupart des cuts joués sur scène sont titrés d’Arcadia, paru l’an dernier, comme par exemple le «Back In America» d’ouverture de bal, une heavy Soul bien sciée du cocotier par les tikatics du guitar slinger Sylvain Lorens qu’ils enchaînent, comme sur scène, avec «Not In My Name» et là tu débarques chez les Famous Flames, bombardé au can’t you see/ That I don’t be free, elle est fabuleusement juste, I keep praying for a change, et petite cerise sur le gâtö, tu as un solo de free digne d’Albert Ayler. Avec «Pass You By», on se croirait chez Stax, ça pulse au poumon d’acier, ça gratte à la Cropper et Ciara bouffe tout au chant comme une réincarnation féminisée de Sam & Dave. Ils reprennent aussi sur scène l’excellent «Keep On Pushing», elle est dessus et dévore tout au don’t push me down, il faut voir comme elle écrase la champignon du raw. Sur cet album hanté par l’esprit du funk, on trouve au autre classique, «Daddy Issues», on se croirait chez James Brown. Au beurre, Josselin Soutrenon fait un job fantastique. Vers le fin de l’album, on croise deux des autres temps forts du show, «Never Enough» qu’elle chante au meilleur raw de l’univers et «Gone For Good», plus soft et qui sonne comme un hit.

             En souvenir d’Olivier de Montfort, d’Hugues de Gournay, de Jean Sans Terre et de Philippe Auguste.

     

    Signé : Cazengler, Buttmontmartre

    Buttshakers. Rock Montfort. Montfort-Sur-Risle (27). 4 juin 2022

    Buttshakers. Sweet Rewards. Underdog Records 2017

    Buttshakers. Aracadia. Underdog Records 2021

     

     

    Inside the goldmine - Got my Eyes on you

     

             Toutmésis ouvrit soudain les yeux. Il quitta sa couche et réveilla les esclaves endormis à ses pieds. Debout ! Debout ! Passez-moi le pagne de lin blanc et la cape d’or fin, je dois me rendre sans tarder au temple de Sun Ra ! Ainsi paré, il traversa les salles du palais. Seuls les gardes plantés de chaque côté des larges portes ne dormaient pas. Toutmésis les avait tous fait châtrer, ainsi ne risquaient-ils pas de somnoler après avoir succombé aux avances des esclaves africaines, toutes ces belles nubiennes nues et polies comme l’ébène, aux sexes béants comme des bouches avides. Il se fit aider pour monter sur son char et indiqua la direction du temple, au bout de l’immense avenue déserte. Le jour allait se lever. Le conducteur fouetta l’attelage et le char fit un bond. Toutmésis se cramponnait d’une main à la rampe et de l’autre à l’épaule du conducteur, le seul être humain dans tout l’empire qui fut autorisé à partager les frayeurs de son maître. Le fouet claquait dans l’air chaud et les six chevaux blancs de l’attelage filaient comme l’éclair sur l’avenue mal pavée. L’ossature en bois précieux transmettait fidèlement l’enfer des chocs. En arrivant au pied des marches du temple, le conducteur tira violemment les rênes vers lui et stoppa net l’attelage. Toutmésis gravit les marches d’un pas pressé et s’engouffra dans la bouche d’ombre. Il réveilla les prêtres qui dormaient à même le sol et leur ordonna de peindre sur le mur principal de la grande salle l’image qu’il venait de voir en rêve : un œil symbolique, ouvert sur le néant et vide de toute rétine. Ainsi que le disait le rêve, l’œil accueillerait en son temps l’objet d’un culte circonstancié.

     

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             L’œil qui orne la pochette de My Degeneration s’inspire de toute évidence du songe de Toutmésis. D’autant plus évident que le groupe s’appelle The Eyes et qu’il fait l’objet, comme le voulait Toutmésis, d’un culte circonstancié. Donc, il semble logique qu’une photo ronde des Eyes s’encastre dans l’œil de Toutmésis. Quoi de plus sympathique au fond que la pertinence de la cohérence ? On ne se félicitera jamais assez de célébrer cette union. L’histoire va loin puisque cet album des Eyes qui reproduit le songe de Toutmésis est un bootleg, un album interdit par les préfets de Rome, l’un des objets suspects qu’on croisait à une époque dans les bacs du plus grand disquaire parisien, le Born Bad de la rue Keller. Ah comme ces bacs gaga pouvaient être tentateurs !

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             My Degeneration n’est donc plus en vente. Ce qui n’empêche pas de l’écouter. On croit y retrouver les Who dès «I’m Rowed Out», car les accords tintent bien, tout au moins avec le même aplomb, mais les Eyes ne sont pas les Who. Ce sont les covers des Stones dont est truffé cet album qui vont en faire son charme, car elles sont toutes criantes de véracité, à commencer par ce «Route 66» qu’on dirait sorti tout droit du premier album des Stones paru en 64. Même incidence de l’insidieux. Et ça continue avec «I Wanna Be Your Man». Pur jus d’early Stones. On dira la même chose d’«It’s All Over Now», de «19th Nervous Breakdown», monté au drive rebondi de look around et là on plonge dans la magie de la vieille Stonesy. Ils nous en bouchent encore un coin avec «Get Off My Cloud» et décrochent le pompon avec une version incroyablement racée de «Satisfaction». La fuzz est là, avec toute l’useless information, oh non no no, c’est là, intact, parfaitement restitué. Quand les Eyes enregistrent tous ces classiques des Stones, ils s’appellent les Pupils. Ils font aussi un peu de pop, «Man With Money» et une version de «Good Day Sunshine» qui n’apporte strictement rien. Par contre, le morceau titre se montre digne des Yardbirds, et la basse de Barry Achin sonne exactement comme celle de Paul Samwell Smith, ce qui vaut pour compliment. Ils font en B une version sournoise et mal intentionnée de «Shaking All Over», mais c’est avec «You’re Too Much» qu’ils raflent définitivement la mise. C’est le hit gaga-Brit par excellence, extatique, monté au riff freakbeat, ça sonne comme un classique, on peut même parler de coup de génie.   

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             Toutes ces merveilles sont rassemblées sur un CD, l’hautement recommandable, l’inestimable The Arrival Of The Eyes paru en 1996 sur un label anglais. Un booklet dodu nous conforte dans l’idée qu’il vaut mieux en savoir plus que pas assez dans le cas d’un groupe aussi méconnu que les Eyes. Comme des milliers d’autres groupes anglais, les Eyes ont tenté leur chance. Ils avaient deux gros avantages : ils vivaient à Ealing, un borough du Grand Londres, et avaient un chanteur nommé Terry Nolder qui composait des shokingly good numbers. Et pouf, ils enregistrent leur premier single en 1965 avec Shel Talmy, «When The Night Falls»/«I’m Rowed Out», un single qui aurait dû faire d’eux des instant legends. On retrouve bien sûr ces deux hits sur la compile, avec un son nettement supérieur à celui du boot, car le Rowed Out est amené aux accords de wild gaga, les mêmes que ceux de Really Got Me ou de Can’t Explain, du Talmy pur, du claqué d’accords invincibles, l’absolu modèle du genre. Même chose pour le Night Falls, c’est du freakbeat anglais pur et dur, avec ses coups d’harmo en plein dans le mille, in the face, avec en prime toutes les dynamiques des Yardbirds. On l’aura compris, les Eyes sont un concentré de tout ce qu’il y a de mieux à Londres à l’époque et on a encore rien vu : le pire est à venir, avec les covers des Stones. Les rares mecs qui découvrent le single des Eyes à l’époque n’en peuvent plus, ils parlent de sinewy whiplash lead guitar et de pounding demonic jungle telegraph drums. Ils ont raison : truly unforgettable ! Brash and raw. On dit même que ce premier single capturait the essence of Mod - Look no further - et le mec ajoute : «Two knock-out punches of pure angst expressed with a cocksure swagger.» Alors du swagger, on n’a pas fini d’en trouver chez les Eyes. Et pouf, les voilà en première partie des Kinks, des Move et des Action. Ils tournent pendant trois ans dans toute l’Angleterre. Leur deuxième single est l’insubmersible «The Immediate Pleasure»/«My Degeneration». Encore une fois, il est impératif de les écouter sur ce CD, car le boot aplatit le son, alors que le CD le fait exploser. L’Immediate Pleasure est tout de suite monstrueux, wow comme les Eyes voient clair ! Ils sonnent encore comme les Yardbirds et c’est vraiment le meilleur compliment qu’on puisse leur faire. Ils sont dans l’excellence du rave-up, ils jouent au shaking de clairons, dans l’immaculée conception, ces kids d’Ealing claquent plus de notes que les Byrds, ils sont brillants au-delà de toute expectative, il faut entendre ces descentes d’organes, tout y est. Avec «Degeneration», ils tentent de réactiver non pas la folie des Who, mais celle des Yardbirds. C’est fabuleusement tendu. Et quand ils jouent «I Can’t Get No Resurrection» devant un crucifix, ils sont mis au ban par la BBC. Ils parviennent néanmoins à sortir un troisième single, «Man With Money» / «You’re Too Much». Le Man est une cover des Everly Brothers qu’ils transforment en vieux shoot de power pop, par contre, le Too Much est une compo de Terry Nolder, et attention aux yeux ! Ils attaquent ça au riff insidieux. Il n’existe pas grand-chose qui soit au même niveau. Ils ramènent des chœurs de Yardbirds et bien sûr, on tombe de sa chaise. Le fameux EP des Eyes qui a le même nom et la même pochette que cette compile rassemble les deux premiers singles du groupe. Il paraît en 1966 et ne se vend pas. Si tu le veux, tu devras sortir un billet de mille. Ils sortent encore un single avec une reprise de «Good Day Sunshine», mais bon, leur destin est scellé. Il existe aussi une version de «Shakin’ All Over» qui ne figure pas sur les singles. C’est encore une merveille bien claquée du beignet, claire comme de l’eau de roche, ah il faut voir comme ces mecs taillent bien leur bavette.

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             En 1966, Philips leur demande d’enregistrer un exploitation album of Rolling Stones covers pour 180 £. Ça ne vous rappelle rien ? Oui, les Pretties, avec de Wolfe et l’Electric Banana. Les Eyes changent de nom et deviennent les Pupils. La session d’enregistrement dure 8 heures - session that included flashes of brillance - On peut écouter l’intégralité de l’album qui s’appelle The Pupils Tribute To The Rolling Stones sur cette compile. Et là, wow ! Encore une fois, le son ici est mille fois supérieur à celui du boot, ça claque dès «Wanna Be Your Man», imparable, même énergie, «19th Nervous Breakdown» retrouve ses couleurs avec un puissant bassmatic, tout y est, l’here it comes, ils injectent des tonnes de fuzz dans «As Tears Go By» et vont rôtir dans l’enfer du mythe avec «Satisfaction», certainement la cover le plus wild jamais enregistrée de cet hit séculaire, c’est noyé de fuzz imputrescible, aw my gawd, quel déluge ! Tu ne peux pas lutter contre les Pupils, ils dépasseraient presque les maîtres, ils développent un véritable vent de folie, ils sont effarants d’and I try. Pure violence que celle de leur «Route 66», c’est une authentique leçon de niaque, ils sont dans le Chicago to LA, avec un drive de basse joué au tiguili, ce mec Barry Allchin est un fou dangereux, il rôde dans le son avec des tiguilis de pervers. «The Last Time» ne figure pas sur le boot et les Pupils le bouffent tout cru à l’I told you once I told you twice, c’est en plein dedans. Ils ramènent tout le heavy pounding dont ils sont capables pour «Get Off My Cloud», l’irréprochabilité des choses de la vie ! Hey you ! Ils sont l’œil du typhon, ils dardent au cœur d’un mythe qu’on appelle le Swingin’ London. Ils restent crédibles jusqu’au too lazy to crow for day du «Little Red Rooster», ils se tapent même les coups de slide et ils tirent soudain l’overdrive avec «It’s All Over Now», suprême hommage à la Stonesy, baby used to stay out all nite long, ils sont en plein dans cette exubérance canaille qui fit l’extraordinaire grandeur des Stones. Les Pupils ne font pas que la restituer, ils la subliment, avec un soin extrême. Ça va jusqu’au départ en solo de syncope d’excelsior, un truc de corps qui va tomber et Terry Nolder reprend le contrôle du brûlot dans une frénésie de tiguilis extravagants.

    Signé : Cazengler, coco bel-œil

    Eyes. The Arrival Of The Eyes. ACME 1996

    Eyes. My Degeneration. Emarcy Records (Boot)

     

     

    NEWS ( II ) FROM TWO RUNNER

    HIGHWAY GIRLS

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    Dans notre livraison 541 du 10 / 02 / 2022 nous écoutions Two Runner donner un concert depuis la maison, entre autres elles y interprétaient Highwayman ce classique country que Paige Anderson chérit particulièrement, elle l’écoutait souvent en voiture lorsque ses parents conduisaient leur marmaille de concert en concert. Ce titre la faisait rêver, il est vrai que la chanson écrite par Jimmy Webb est étrange, sur un rythme continu, un peu passe-partout, elle raconte une histoire si bizarre que l’on est obligé de la réécouter pour mieux la comprendre, et bientôt vous cédez à sa magie hypnotique. June Carter affirme que c’est elle qui a révélé à son père que les quatre couplets ne présentent pas quatre personnages différents mais les réincarnations successives d’un seul… Two Runner nous en propose deux interprétations. La première sur YT :

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    Highwayman ( acoustic ) Two Runner. Sont toutes deux assises sur le sable d’un des déserts de Californie, à leur chapeau et à leur tenue l’on comprend que le soleil chauffe, au loin derrière les monts enneigés de la Sierra Nevada. Emilie au violon et Paige au banjo, difficile de trouver une interprétation plus roots et si différente, la voix de Paige plus douce que d’habitude et les brefs coups d’archet d’Emilie Rose, transforment la chanson, elles en gomment l’aspect épique, cet homme de tous les dangers, de toutes les aventures, de toutes les époques qui crie la prochaine victoire de son retour, ne serait-ce que sous la forme d’une goutte d’eau, elles en offrent une interprétation, quasi-nietzschéenne, celle de l’horreur de l’éternel retour de la vie dans les passages les plus sombres d’Ainsi parlait Zarathoustra, l’homme roule sa peine, celle de la pensée la plus lourde, le chant devient poignant, l’implacable trottinement fatidique du banjo poursuit sa route inexorable,  du violon d’Emilie éclosent comme des pétales de larmes et de regrets, la voix de Paige se charge d’une indéfinissable tristesse, une interprétation de toute finesse, de toute beauté.

    Le deuxième aussi sur YT et autres plateformes de chargements.

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    Highwayman. Two Runner : avec Sam Gallagher ( drums ), Drew Beck ( guitar, bass ), Brady McGowan ( keyboard ).  La même équipe qui accompagnait Paige sur Burn it to the ground. Le background saute aux oreilles, surtout si l’on sort de l’écoute de la version acoustique. Omniprésent il réussit le miracle de rester discret tout en étant au premier plan, faut écouter deux ou trois fois avant de repérer le banjo de Paige et le violon d’Emilie, cet accompagnement joue le rôle que tient la musique dans les westerns, il apporte ampleur et se fond dans le paysage. Colle très bien à la photo (de Kaylalili ) qui accompagne  la bande-son, l’on espère un clip pour bientôt, les rares images vidéos que nous avons entraperçues  nous font rêver.  Cette version est sublimée par la voix de Paige, beaucoup plus claire, moins murmurante, elle transcende le morceau, le porte à son plus haut point d’incandescence, c’est une autre manière de rendre sensible l’inexorabilité du Destin, de nous faire réfléchir au sens de la courbe de notre propre vie, il ne s’agit plus de revenir, mais de s’interroger sur le fondement de notre existence, de ce qui nous appartient d’agir et de ce qui nous pousse, le violon d’Emilie Rose, par ces longues giclées fulgurantes indique les moments où nous sommes soumis à ces forces plus grandes que nous qui nous rabattent vers la tombe de nos illusions. Paige et Emilie qui nous regardent et avancent vers nous sont à l’image de tous les desesperados qui font face à la vie. Grandiose. Bluegrass métaphysique.

    Damie Chad.

     

    NEWS FROM THUMOS

             Dans nos livraisons 541 et 542 des 10 et 17 février 2022, nous avons chroniqué la discographie entière parue jusqu’à ce jour de Thumos groupe américain originaire du Kentucky, il semble que Thumos n’ait pas perdu de temps ces derniers trois mois puisque la sortie d’un prochain album est prévue pour le 4 juillet de cette année, toutefois pour calmer notre impatience, un des morceaux du futur opus est déjà sur Bandcamp. Leur Instagram annonce d’autres surprises, essayons donc de procéder avec ordre et méthode.

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    1°) Un titre de Thumos, The divided line apparaît sur la compilation Warband Comp United Together de Razorwire Handcuffs sur Bandcamp qui regroupe soixante-huit morceaux et presque autant de groupes. (Vendue au profit des réfugiés ukrainiens.)

             Rappelons pour ceux qui ne l’auraient jamais entendue que The Republic de Thumos est une œuvre strictement instrumentale. Parler de la philosophie platonicienne sans employer de mots pourrait paraître une entreprise de pure folie, cette démarche s’inscrit toutefois dans cette notion de mimesis chère à Platon selon laquelle un art peut traduire la dynamique d’une autre art, exemple la danse qui permet de visualiser les mouvements de la musique.

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             C’est à la fin du livre 6 de la République que Platon résume les différentes manières de percevoir la réalité, les deux premières très grossières restent prisonnières au pire de l’apparence des choses  au mieux des choses elles-mêmes, nous nous laissons guider par nos imaginations ou nos croyances, pour accéder aux suivantes nous devons quitter nos opinions doxiques non fondées sur une connaissance épistémologique en nous livrant à des hypothèses rationnelles dont la logique nous conduit au quatrième stade de la  connaissance intuitive qui nous permet de reconnaître la nécessité de la présence des Idées qui forment la véritable réalité. En début du morceau se déploie une espèce de fuzz sombre comme des ombres indistinctes qui flotteraient dans l’espace, s’installe un rythme binaire qui s’appuie sur la précaire solidité de choses claudicantes et instables, un long passage dans lequel le son des guitares s’intensifie correspond à ce moment où l’intelligence humaine met en route des stratégies d’appréhension du monde beaucoup plus fines, par lesquelles l’on s’abstrait du domaine du sensible pour entrer dans celui de l’intelligible, une gradation intensive s’amplifie, roulements mathématiques de batterie qui permettent d’entrer dans une dimension supérieure dont les bruissements des cymbales simulent l’éclat idéel et irradiant

    2°) Un autre titre de Thumos, The sun apparaît sur la compilation Cave dweller music com / album / mind over-metal 2 : volume 2 . (Vendue pour récolter des fonds au profit du mois de la sensibilisation à la santé mentale.)

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    Ces deux morceaux créés durant la gestation de The Republic ont été écartés lors du choix final des titres de l’album. Thumos espère bientôt les réunir en une trilogie avec The Cave sélectionné dans The Republic, afin de coller de plus près à l’articulation de la pensée de Platon.  

             Lorsque Platon cite le soleil dans le Livre VI de la République, il ne s’intéresse en rien à l’astre physique que nous connaissons bien. Se pose à lui une question importante : comment faire entendre ce qu’est une Idée, comment donner une idée de cette chose purement intelligible qui par nature n’appartient pas au monde sensible. Il emploie pour cela l’analogie de la lumière. Si notre œil voit un objet c’est grâce à la lumière qui fait le lien entre l’œil et l’objet. Mais d’où provient cette lumière, nous lui trouvons une cause, une origine : le soleil, c’est de la même manière que notre connaissance appréhende la réalité, cette connaissance procède d’un but et d’une origine : l’Idée.

             Musique plastique dans laquelle l’on retrouve les cymbales, nous sommes en voyage, le rythme est lent car la distance à parcourir est longue, plus nous nous rapprochons de cet ailleurs vers lequel nous nous dirigeons le son s’intensifie, l’on imagine facilement que nous voguons dans un vaisseau spatial vers le limites de l’univers, nous atteignons des zones éthérées qui ne sont pas sans danger, comment notre intelligence sensible même dopée par notre intuition se comportera-t-elle, arrivés à destination, comment assumerons-nous cette plénitude illuminante. Très beau morceau.

             L’on comprend mieux ainsi pourquoi Thumos souhaite un jour prochain joindre ces deux morceaux à The cave de The Republic, car tous deux évoquent des étapes intermédiaires et préparatoires qui selon Platon étaient destinées à faciliter la compréhension du mythe de la Caverne.

    3° ) Un renvoi au blog de Julien Voisin qui présente An Abriged History of Painting with Metal Album Covers. Les amateurs s’y reporteront avec délices, nous ne sommes pas si éloignés que cela de Thumos puisque la couve de The Republic y figure, mais surtout parce que le sujet de leur prochain disque est en rapport immédiat avec la peinture.

    4° ) J’ai d’abord aperçu l’image la couve du futur nouvel album de Thumos, sans savoir qu’il s’agissait d’eux, puisque la pochette ne porte aucune inscription, cette espèce de colonne trajane posée comme une tour d’ivoire immarcescible sur un champ de ruines antiques a tout de suite interpellé l’amateur de l’antiquité romaine qui toujours veille en moi. C’est en voulant en savoir plus que je me suis rendu compte qu’il s’agissait du nouveau projet de Thumos intitulé

    COURSE OF THE EMPIRE

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    qui peut se traduire par Cours de l’Empire ce qui n’évoque pas grand-chose en notre langue, il est aussi sous-titré sur You Tube : Course of the empire rewiew ( Revue du cours de l’Empire ) guère plus précis mais qui n’est pas sans évoquer le livre History of the Decline and Fall of the Roman Empire d’Edward Gibbons paru en Angleterre de 1776 à 1788, traduit en français en 1819, remarquons comme ces dates sont par chez nous symboliques, un an avant la Révolution française, un an avec l’éclosion du romantisme ( français ) marqué les Méditations Poétiques de Lamartine, le livre de Gibbons, aujourd’hui critiqué pour son anti-christianisme, nous souscrivons à cette thèse, reste un ouvrage considérable, de fait le premier livre de métapolitique, la première étude de géopolitique de notre époque. C’est d’ailleurs sa lecture qui a inspiré à Thumos leur nouvel opus.

             Le titre de l’album est emprunté à une série de cinq tableaux regroupés par le peintre américain Thomas Cole sous le titre de Course of the Empire que l’on a traduit en notre langue par Le déclin de l’Empire.  Il est important d’en donner les titres : The savage taste / The Arcadian or pastoral state / The consummation of Empire – consummation signifiant accomplissement, apogée  / Destruction / Desolation.

             L’album présente dix morceaux : ( Introduction / Commencement / Arcadian / Interlude 1 / Consummation / Interlude 2 / Destruction / Desolation.

             Nous reviendrons sur les tableaux de Cole lors de notre chronique sur l’album. Sa parution le jour de la fête nationale des Etats-Unis n’est pas fortuite. Quel devenir pour l’Empire américain d’aujourd’hui ? That is the question ! L’idée du tableau est venue à Cole par la lecture d’un poème du philosophe Berkeley : Vers sur la perspective d’implanter les arts et l’apprentissage en Amérique ( 1726) dans lequel Berkeley pronostique le futur développement de la colonie anglaise qui pourrait déboucher sur la création du nouvel empire, celui de l’Amérique.  

             C’est lors d’un voyage de trois années en Europe que se cristallise dans l’esprit de Cole le projet Déclin de l’Empire qui sera terminé aux Etats-Unis en 1836. Cole réalise en visitant les musées et les édifices la richesse du passé prestigieux de l’Europe et est en même temps séduit par le rayonnement contemporain du romantisme, l’on ne s’étonnera pas de l’influence de l’œuvre de Byron sur le peintre. Le romantisme n’est-il pas en même temps une renaissance entée sur la nostalgie de la grandeur humaine passée à retrouver.

             De Course of the empire, Thumos ne dévoile que le troisième titre : Arcadian. Les trois membres de Thumos ne sont pas seuls, ont intégré pour la réalisation de leur album l’artiste Spaceseer, un guetteur de l’espace qui traduit sur sa guitare les vibrations du cosmos. Nous nous intéresserons prochainement à sa démarche.

    ARCADIAN

    ( mis en ligne sur YT et bandcamp le 7 mai 2022 )

    Ce long morceau correspond au deuxième stade de l’Empire, le plus heureux, celui que les Anciens nommaient l’âge d’or, un monde que prophétise Virgile dans sa quatrième églogue, l’homme n’est plus une bête, il a atteint un certain bonheur menant une vie pastorale, nous ne pouvons nous référer à l’Arcadie sans évoquer les deux mystérieux tableaux de Poussin Et in Arcadia ego qui dans leur interprétation la plus platement insipide instillent une idée de fragilité au sein même du bonheur humain… Cette dimension n’apparaît pas dans Arcadian, au contraire la musique remplit son propre espace, pas le moindre trou creusé par la souris du doute, elle n’est que profusion instrumentale, une crête flamboyante que rien ne saurait éteindre, une avancée de plus en plus rapide emportée par une batterie ravageuse, avec en filigrane des motifs de danse populaire et de joyeuses farandoles, le tout est mis comme entre parenthèses par les tintements du début et le bruissement final, comme s’il était nécessaire d’isoler cette île de plénitude terrestre, de la préserver de toute fin dérélictoire, de la fixer dans sa propre êtralité, de sa propre éternité temporelle. Un chef d’œuvre hors du temps.

    Damie Chad.

     

     

    *

    - Damie, n’as-tu pas honte ?

    Je me fais tout petit, je n’en mène pas large, j’ai tout de suite reconnu la voix, non ce n’est pas celle de Dieu, il y a longtemps qu’il est mort, ni celle de ma conscience, je ne sais plus où je l’ai fourrée, c’est la voix de ma prodigieuse mémoire.

    • Euh, non, à première vue, je n’ai pas honte !
    • Damie n’essaie pas de jouer au plus malin avec toi-même, tu vas perdre !
    • Bon, qu’est-ce qu’il y a encore, j’ai oublié de remplir ma déclaration d’impôt ?
    • Damie, moi qui croyais que tu étais un gentleman, tu n’es qu’un goujat, un rebut de l’Humanité, la honte de la nation, la…
    • Bon, bon, dis-moi tout !
    • Tu ne te souviens donc pas Damie, c’était avant le confinement, tu scribouillais une de tes infâmes chroniques sur Pogo Car Crash Control, lorsque tu t’es aperçu que la bassiste Lola Frichet jouait aussi dans un autre groupe : Cosse. J’étais dans ta tête et j’ai entendu ta voix intérieure déclarer : ‘’ Super je vais écrire une chronique sur Cosse’’. Les jours ont passé, les mois se sont entassés, les années s’écoulent et si je n’étais pas là ce sont les siècles et les millénaires atterrés qui attendraient en vain que tu réalises ta promesse.
    • Ö ma divine Mémoire infaillible, mon altière Mnémosyne ! Tu as raison, j’ai failli à mon engagement, heureusement que grâce à toi je vais pouvoir réparer cet intolérable oubli, regarde je m’empare d’une plume de corbeau aussi noire que l’eau du Styx je la trempe dans la noirceur de mon âme et…
    • Plus un mot Damie, tu devrais déjà avoir terminé !
    • Ne me trouble pas, regarde, tel un dromadaire je bosse sur Cosse, c’est désormais une Cosse sacrée !

    *

    Tel un méhari arpentant le désert dans l’espoir hypothétique de rencontrer un puits d’eau croupie asséché je suis parti à la recherche de Cosse. Pour me donner du courage je chantonnais gaillardement l’hymne stirnérien que Long Chris a composé voici un demi-siècle pour Johnny Hallyday :

    Je peux brûler les églises

    Je peux éclater de rire

    Je n’ai besoin de personne

    De personne, de personne !

    ce qui était un mensonge puisque moi j’avais besoin de Cosse, et la première chose sur laquelle je tombe net, cela ne s’invente pas, serait-ce un intersigne du hasard ou du destin, c’est une vidéo  intitulée : Un concert avec Cosse dans l’Eglise du Sacré-Cœur d’Audincourt. Ça m’a fichu un sacré coup au cœur, moi dont un de mes oncles s’était distingué durant la guerre d’Espagne à faire sauter à la dynamite les clochers des maisons de Dieu, j’ai hésité, mais une promesse c’est une promesse, alors j’ai poussé la porte et je suis rentré. C’est tout beau. Voûte de béton à caissons boisés et large abside magnifiée d’un diadème de vitraux modernes de toute beauté conçus par Fernand Leger, et réalisés par le maître-verrier Jean Barillet.

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    Moi j’adore Jean Bazaine, je l’ai rencontré une fois à la Maison de la Poésie de Paris, tout autour de lui les officiels et sa famille étaient offusqués, lui tout joyeux était écroulé de rire, l’on avait accroché un de ses tableaux à l’envers, il trouvait cela génial et ne voulait pas qu’on dérange un manutentionnaire pour le remette à l’endroit. Non, je ne suis pas hors-sujet, cet aparté c’est juste pour regretter qu’avant de rentrer dans l’Eglise la caméra ne se soit pas attardée sur le tympan rectangulaire, qui comme chacun sait, est une mosaïque de Jean Bazaine…

    Pas le temps de nous attarder, dans une demi-obscurité Cosse traverse l’allée centrale de la nef, leurs pas résonnent dans le vide et le silence, je reconnais la silhouette de Lola Frichet, ce sont bien eux. Sont déjà en train d’accorder leurs instruments. Sur un fond d’halo bleuté s’élèvent les premières notes de Sun don’t forget me, silhouettes sombres et gros plans sur les doigts qui s’activent aux derniers réglages… profitons de ce court répit pour adresser nos compliments à l’équipe qui a filmé, mixé et monté, un véritable film, l’on sent que l’on a étudié les plans, un travail de pros qui aiment leur métier, les conditions techniques sont parfaites pas de public, nous sommes le 22 janvier 2021 en triste période coercition confinatoire… 

    Commencent comme finissaient les concerts de musique aux temps de l’antique Rome par une précipitation chaotique instrumentale, mais au lieu d’exploser en une apothéose sonore Cosse débute par une douce précipitation bémolique qui culminerait dans le silence si Nils Bo en solitaire n’égrenait ( on ne s’appelle pas Cosse pour rien ) quelques notes sur sa guitare, ondée sonore générale, rien d’orageux ou de cataclysmique, Nils s’avance, une résonnance de coup feutré de batterie le plie en deux et l’arrête, il s’approche du micro, le chant s’élève, toute l’orchestration suit cette voix frêle et tranchante, torturée, amplifiée par son visage romantique, la musique enfle mais n’éclate jamais, elle redescend comme la vague de la mer s’échoue abruptement sur le sable d’une rive désertique, c’est du précis et du millimétré, plans de coupe sur les musiciens, aux drums Tim Carson gère l’amplitude des temps forts, l’ensemble est assez prenant, l’on a l’impression d’assister à une tempête mais de si haut que le son qui nous parvient en est assourdi, maintenant seule la guitare de Nils frissonne, et le chant perd ses angulosités, la caméra dévoile Lola Frichet, elle double l’amertume du chant de Nils, par-dessous, en sourdine elle dépose un tapis de douceur qui apaise l’âpreté nilsienne, et le morceau prend de l’ampleur, s’élève comme le char d’Apollon surgit de derrière la mer pour atteindre le ciel, le soleil nous oublie, le morceau est terminé, alors que le son s’ébruite, la caméra s’enfuit hors-champ vers le calme du baptistère, est-ce un contraste voulu avec la tension des visages crispés de Tim Carson et de Felipe Sierra, deuxième guitariste,  que l’on nous emmène dans cette salle transpercée de lumière que laissent passer et réchauffent les vitraux dessinés par Jean Bazaine.

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    Après Sun Forget me, Cosse entame Seppuku,  les premiers moments ressemblent un peu trop à l’introduction de toute retenue du morceau précédent, mais le climat change, nous entrons dans un monde de brisures et de saccades, plus grave qui se termine sur quelques notes fragiles de Nils mais le son se vrille et nous voici partis dans une espèce de cavalcade ralentie qui n’est pas sans évoquer les images de Ran d’Akita Kurosawa, et l’on entre dans une transe répétitive de tintements aigrelets agressifs dont la fonction première semble d’être de vous horripiler le cervelet, afin que vous puissiez ressentir un semblant de plénitude lorsque tout s’évanouit en un dernier galop… Cosse enchaîne tout de suite sur le dernier morceau Welcome to the newcommers.

    Toujours Nils à la guitare mais très vite la section rythmique se met en place, le chant est beaucoup plus rock, c’est aussi le moment d’apprécier les interventions de Felipe Sierra à la guitare il impose un soutien abrupt et pousse la musique en des sortes de montées successives qui culmineront en   l’éparpillement zen de quelques notes finales.

    Cosse se définit comme un groupe post-rock noise. Je veux bien mais je réserve le dernier terme de cette étiquette pour des groupes qui ont le noise plus tintamarresque, même si je n’ignore pas que certains définissent le noise en tant que l’a-structuration de leurs composition qui confine, le plus souvent, à ce que j’appellerai le bruissement… quant au post-rock de Cosse je le qualifierai plutôt de post-prog, mais un prog qui tourne le dos à la symphonisation de leurs morceaux pour s’adonner à une espèce de quatuorisation de leur musique, sur la ligne de crête un pied dans  l’unité synthétique du quatuor classique et l’autre dans les ruptures du quatuor jazz, cette ambivalence se remarquant  quand un musicien joue seul il ne donne pas l’impression de se lancer dans un solo performatif mais qu’il prépare les pistes d’envol de ses camardes.

    Il ne nous étonne pas de retrouver Lola Frichet dans ce type de groupe à l’opposé des sauvages tumultes de Pogo Car Crash Control, elle procède du conservatoire et ce n’est pas un hasard si elle a remporté le concours (difficile) de meilleur(e) bassiste organisé par le magazine américain the Shreds. Un esprit ouvert, n’était-elle pas en mars dernier sur la scène de La Comédie Française interprétant le rôle de Marotte dans Les Précieuse ridicules de Molière. Sur scène avec les Pogo, au cœur de la tourmente, elle joue avec fouge et concentration, l’intelligence en éveil.

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    Revenons à Cosse : pour une deuxième vidéo Nuisances Live Session # 7. Cosse :  Pin Skin. En Live en studio ( Pantin ) dans une belle couleur orangée. Moins de mise en scène qu’Audincourt. Chacun rivé à son instrument. L’on a compris le fonctionnement : guitares en intro, signal battérial, entrée de la rythmique, Nils au chant, cède bientôt la place aux modulations de Lola, la musique monte pour s’arrêter bientôt, avec Cosse elle n’atteint jamais les neiges éternelles, l’on redescend vers des zones plus tempérées, pourtant l’on suit sans regimber, de nouveau Nils au chant, et l’on repart pour une gradation, plus sombre, plus appuyée, recoupée par la voix de Niels et soudain les alpages s’enflamment, le feu s’éteint, les cordes vrillent, Niels se tait et la voix de Lola s’évapore , telle une pensée qui perd contact avec sa propre représentation dans Iris et petite fumée le mystérieux roman  de Joë Bousquet.   

             Les quatre morceaux que nous venons d’écouter se retrouvent sur le premier EP de Cosse :

    NOTHIN BELONGS TO ANYTHING

    COSSE

    ( A tant rêver du roi Records / Juin 2020 / Bandcamp )

    Drôle de nom pour un label, de Pau, bientôt vingt ans d’âge, son responsable élude un peu la question que tout le monde se pose en répondant qu’il avait un groupe qui s’appelait Ravaillac, laisse donc la porte ouverte à toutes les suppositions, les plus gratuites, pour ma part j’y vois comme un écho du livre Dans la forêt de Fontainebleau de Jean Parvulesco.

    Que représente la couve, cette flamme de torchère dans le ciel serait-elle une capsule spatiale tombée des astres qui aurait pris feu en rentrant dans notre atmosphère. La terre triste n’a pas l’air très accueillante.

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    Le titre n’est guère encourageant. Que signifie-t-il, ou plutôt que voulons-nous qu’il signifie. Comment recevoir cet adage selon lequel rien n’appartient à rien, faut-il en rire ou s’en désespérer, ricaner cyniquement pour montrer que cette déclaration nihiliste qui nous libère de toute contrainte nous rend plus fort, ou se désespérer de cet atroce constat que l’existence n’a point de sens.

    Welcome Newcomers : un son assez différent de celle du live dans l’église d’Audincourt, plus ramassé et en même temps plus coulant, moins fragile et peut-être plus chaotique, davantage de climax, la voix quelque peu normalisée et les guitares davantage chantantes avec un léger parfum sixties-psyché. Pin Skin : chuintance de calmitude, la batterie en avant, le vocal moins aventuré sur les trapèzes de la mise en danger volontaire, plus rond moins épineux, la basse de Lola jazze en sourdine, les guitares  fuzzent et couvrent la suavité de son timbre, les attaques moins aventurées et plus brutales, très belle partie orchestrale, la voix esseulée de Lola illumine de rose paganité la fin du morceau. Sun forget me : entrée en matière ronde et affirmée, le chant de Nils n’est pas écorché de barbelé, il est interrompu par des clinquances noisy mais toutefois respectueuses des oreilles sans coton, duo Nils-Lola des mieux venus, la musique se teinte de romantisme et se tinte d’une musicalité de plus en plus entreprenante. Seppuku : une intro que l’on nommera civilisée pour des tympans orientaux, feulement de cymbale, Tim Carson tout en douceur tandis que les guitares batifolent, attendent que l’on ait le dos tourné pour marcher avec des gros pataugas cloutés sur le gazon anglais des rêves, s’immobilisent dès qu’on les regarde, doivent jouer à 1, 2, 3, soleil ! , sonorités cristallines qui s’enrouent avant d’éclater en mille pétales que le vent de la mort éparpille. The ground : nous l’écoutons avec la virginité de notre ouïe vite déflorée par cette vrille rouillée qui perce notre audition jusqu’à ce que la voix comme engourdie d’alcool de Nils nous jette dans une ambiance très Velvet, le drame s’éteint, l’on change de dimension nous flottons dans un entonnoir de rêves mais la voix revient et nous angoisse, elle crie dans notre tête, même balayée par une instrumentation de plus en plus violente elle revient, avant que le vaisseau spatial ne vienne en un sifflement de tuyères infernales s’écraser sur le sol. Très mauvais pour les passagers, excellents pour les auditeurs.

             Très différent mais très proche de Bowie, dans cette manière de composer des morceaux qui répondent à une certaine mise en scène intérieure, à une dramaturgie qui refuse les canons extatiques de la libération aristotélicienne. Une musique qui n’extériorise pas, qui se confine en ses tourments, qui exprime et résume à la perfection les indécisions des âmes de notre époque. Musique analytique et intellectuelle. Ces deux adjectifs étant pour moi signes de qualités extérieures.

    *

             - Voilà ô ma sublime mémoire prodigieuse ma mission réparatrice accomplie !

             - Damie ne fais pas le faraud, n’oublie pas que bientôt devrait sortir le prochain album de Cosse, tu n’as pas intérêt à l’oublier, je te tiens à l’œil !

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 558 : KR'TNT 558 : DAPTONE / MAIDA VALE / BLACK MAMBA / CLYDIE KING / DIDIER BOURLON / STERCORUM HUMANITATIS TRANSLATIO / POGO CAR CRASH CONTROL

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 558

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    09 / 06 / 2022

    DAPTONE / MAIDA VALE / BLACK MAMBA

    CLYDIE KING / DIDIER BOURLON    

    STERCORUM HUMANITATIS TRANSLATIO

    POGO CAR CRASH CONTROL

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 558

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

      http://krtnt.hautetfort.com/

     Daptone en fait des tonnes - Part Two

     

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             Si tu veux entrer pour de vrai dans l’éthique Daptone, tu ne peux pas faire l’économie d’un retour aux sources, c’est-à-dire écouter les disques qui ont ému aux larmes le jeune Gabe Roth. Dans son ouvrage (It Ain’t Retro: Daptone Records & The 21st Century Soul Revolution), Jessica Lipsky cite trois compiles en référence : James Brown’s Funky People, Brainfreeze et Funky 16 Corners, alors que dans le sien (Long Slow Train: The Soul Music Of Sharon Jones And The Dap-Kings), Donald Brackett cite plutôt Stax.

             Commençons si tu veux bien par les compiles que cite Jessica Lipsky.

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             On comprend que le jeune Gabe se soit prosterné jusqu’à terre devant James Brown’s Funky People. Cette compile est tout simplement à l’image de James Brown : de la dynamite. Les quatre cuts de Lyn Collins vont te faire tomber de ta chaise, à commencer par «Think (About It)», elle est aussi balèze qu’Aretha, en plus funky, c’est gorgé de Brown stuff. Comme son mentor, elle fonce dans le tas avec «Mama Feelgood», c’est joué à l’efflanquerie du meilleur funk d’Amérique, elle pousse bien le bouchon, on a des poussières de sax dans du cul du cut, elle mène le bal du diable à coups de let me hear you speaking. James Brown duette avec elle sur «Rock Me Again & Again & Again & Again» - play time ! - James Brown geint dans le background, alors elle y va, il danse derrière son micro, il geint comme un roi. Lyn Collins est une lionne et James Brown le vrai roi d’Amérique. Oui, car les blacks sont au-delà de tout. Elle duette encore avec James Brown sur «Take Me Just As I Am», elle fait «take me» et James Brown ajoute «as I am», mais il le fait à la James Brown, avec du génie, alors que derrière gronde le funk. Et puis il y a aussi Maceo & The Macks avec «Parrty (Part 1)», fantastique festin de funk, ces mecs jouent de tout leur soûl, ils jouent dans tous les coins. Et voilà un autre proche de James Brown, Fred Wesley qu’on eut la chance de voir jouer au Méridien. Accompagné par les JBs, il vole dans les plumes d’«If You Get It The First Time etc etc». Fred souffle dans son trombone et James Brown reste dans les parages. Swing monumental, c’est bourré de jus et d’interventions interactives. C’est Fred qui referme la marche avec «Same Beat», au son d’inclusion et claqué au mieux du same beat. Fred Westley fait aussi le train avec «(It’s Not The Express) It’s Just The JBs Monaurail», heavy beat des enfers. On voit aussi les JBs s’adonner à toutes sortes de pirouettes apoplectiques. Et puis à un moment James Brown rend hommage à son vieil ami Fred Westley : «To me happiness is Fred Westley playing his horn.» Compile magique.

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             Et puis voilà les deux autres compiles référentielles : Brainfreeze et Funky 16 Corners. La première est une grosse arnaque. Tout est enchaîné et samplé, on entend des bouts de choses admirables, Reuben Bell, Albert King, Mack Rice, mais les deux imbéciles qui compilent ça scratchent par-dessus, ils massacrent des cuts énormes, nous voilà au sommet de la vague des non-artistes, Rufus Thomas survit dans les décombres, mais pas longtemps car les deux DJ finissent par le démembrer, c’est atroce et ils lui collent des coups de scratch dans la gueule. Comment osent-ils ? Allez scratcher Stong et Slosh, mais pas Rufus Thomas !     

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         Funky 16 Corners est une compile infiniment plus respectueuse des artistes compilés. Et quels artistes ! Ce sont tous d’obscurs funksters, pas d’albums, rien que des singles sur des labels obscurs, et ça part en trombe avec Ernie & The Top Notes, et le fameux «Dap Walk» qui selon Jessica Lipsky est à l’origine du choix de Daptone comme nom de label. On y entend la bassline de «Tighten Up». C’est le bassmatic le plus virtuose de l’histoire du funk et un solo de sax arrive comme la cerise sur le gâtö. Tout est bon là-dessus, le heavy groove de Bad Medecine se laisse savourer avec délectation («Trespasser») et Spider Morrison gère son affaire de main de maître («Beautiful Day»). The Highlighters Band highlighte la B avec le morceau titre de la compile, un funk à la James Brown, ah ! Do it again !. Et les Rhythm Machine font aussi du James Brown avec «The Kick», pur jus de funk de get on quick et d’in the back, you’re still on the track, aye ! Aussi heavy on the groove, voilà Carleen & The Groovers et «Can We Rap», superbe ersatz de James Brown. En C, les Go Real Artists passent au funk africain avec «What About You (In The World Today)». Ça duette et ça rappe au milieu du beat et des percus. Nouvelle giclée de Tighten Up avec le «Tighten Up Tighter» de Billy Ball & The Upsetters featuring Roosevelt Matthews. Ah on parlait du loup ? Le voilà, avec son fabuleux drive de basse, encore plus féroce que celui d’Archie Bell & the Drells. En D, on ira savourer le slow groove du paradis imaginé par The Wonder Glass featuring Billy Wooten et «In The Rain». Cut de rêve avec du timpani et un soft shuffle d’orgue.

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             A-t-on vraiment besoin d’aller ouvrir un deuxième Daptone book ? Celui de Jessica Lipsky cité en amont semblait avoir brillamment fait le tour du propriétaire. Il en existe un autre, paru antérieurement et signé Donald Brackett (Long Slow Train: The Soul Music Of Sharon Jones And The Dap-Kings), très attirant par sa couverture. On y voit en effet Sharon Jones danser sur scène dans sa robe voodoo. La photo doit dater de l’époque des chimios car elle n’a plus de cheveux. Diable comme elle est belle ! Bon, le problème de Brackett, c’est qu’il analyse une musique qui s’en passerait bien. Ses pages sont parfois aussi ardues que les cols du Haut Atlas, qu’on franchit au prix d’efforts surhumains. C’est un peu comme si Roland Barthes expliquait les tenants et les aboutissants du Live At The Apollo, ou comme si Serge Daney dessinait un parallèle entre Jean-Pierre Melville et Sex Machine dans les Cahiers. Disons que c’est une autre façon d’interpréter les choses, mais il ne faut pas oublier qu’on gagne toujours à entrer dans le jeu des formulations qui ne nous correspondent pas.

             Pour définir le funk, Brackett passe un braquet et fait parler Fred Westley : «Si tu as une syncopated bass line, a strong heavy backbeat from the drummer, a counter line from the guitar or the keyboard et quelqu’un qui soul-sing on top of that in a gospel style, alors tu as du funk.» Brackett parle du funk en termes d’authentic action et d’artistic urgency, de ‘70s black culture et comme cerise sur son gâtö, il rappelle qu’en 1974, James Brown se proclamait The Minister of New Super Heavy Funk, une tradition que Sharon Jones reprenait à son compte se jetant sur scène in true juju fashion. Aux yeux de Brackett, Sharon Jones et les Dap-Kings ne cherchaient pas seulement à récupérer le sound of ‘60s Memphis, mais plutôt le soul of ‘60s Memphis. Pour lui, les racines sont chez Stax et chez James Brown. Et dans son délire, il va encore plus loin, affirmant que le juju fashion de Sharon Jones vient directement du Sénégal ou de Yoruba, c’est-à-dire le Nigeria, alors il farcit sa dinde avec tout ce qui lui passe par la tête, les chants d’esclaves sur les bateaux, les chants des cueilleurs de coton, les chants de gospel dans les églises en bois, les blues licks dans les urban clubs, the soul bounce des dance floors, le funky groove des sweaty arenas, pour lui, le funk remonte directement aux origines et soudain tout s’éclaire quand il affirme que la Black music n’a jamais cessé d’évoluer, depuis les premiers chants d’esclaves jusqu’aux street-corner raps. Il cite Rickey   Vincent : «The mission has been the same to tell it like it is.» Brackett ajoute que le gospel prend aussi racine dans un cauchemar : the social nightmare of being black in the American southern states. L’incroyable de cette histoire est que le Black Power a réussi à prendre le dessus - gospel, blues, jazz, rhythm & blues, rock’n’roll, soul, funk and later hip-hop, in one of the most creative explosions of self-expression in history - C’est bien de le redire encore une fois. Brackett remonte à l’assaut du ciel en nous rappelant que le mot gospel signifie «good news», mais la vraie bonne nouvelle dit-il, c’est que le gospel est devenu le blues, le blues en fusionnant avec le gospel est devenu la Soul, la Soul est devenue le funk en fusionnant avec le rock, et le funk est devenu Sharon Jones’ middle name. Le «good news» du gospel est devenu le «feel good» de la Soul. 

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             S’il cite Stax, c’est sans doute à cause du raw, l’essence commune avec le funk. Et là il donne la parole à Steve Cropper, mieux placé que nul autre pour en parler : «On a appelé ce qu’on faisait le Stax sound ou le Memphis sound. Ce n’était ni le Chicago sound, ni le New York sound, encore moins le Detroit sound, c’était un southern sound, a below the Bible belt sound. Un son vertueux et nasty à la fois, qui était à nos yeux l’illustration parfaite de la vie elle-même.» Et puis un mec vient nous rappeler ce qu’on sait déjà : Motown avait baptisé son pavillon Hitsville U.S.A., et Stax le sien Soulsville U.S.A. C’est Isaac Hayes qui exprime peut-être le mieux le raw de Stax : «I’m a Soul man, got what I got the hard way.» Brackett aime bien cette notion de hard way. Il faut en baver pour être raw. Travailler dur, hard work, Miz Axton doit hypothéquer sa maison pour financer l’achat d’un premier Ampex, et bien sûr, Gabe Roth va démarrer exactement avec le même Ampex, «the very same kind of analog tape format, the holy grail for Daptone Records cinquante ans plus tard». Dès le départ, Gabe Roth milite pour le raw, c’est-à-dire le manque de moyens. Il enregistre avec des micros à 5 $ - To use whatever you have and just rely on the performance of the musicians and on your own ears - Brackett appelle ça ‘the money can’t buy you sound’ school of thought. Roth préfère le son des disques d’Irma Thomas ou d’Ann Peebles à celui de Steely Dan (que Brackett s’empresse de qualifier de plenty perfect by the way).

             Brackett nous explique à longueur de pages que Sharon Jones ne s’est jamais éloignée un seul instant de l’esprit du gospel. Comme d’ailleurs James Brown : «Really I never left it. Or it never left me. Il se peut que le public ne le sache pas, but the Sex Machine first did it to death for the Lord. I want to, I can testify. Le Gospel m’a sauvé la vie, même si je n’ai pas chanté beaucoup à l’église. J’ai chanté le gospel en prison.»

             Comme l’avait fait Aretha avec Amazing Grace, Sharon Jones voulait enregistrer un album de gospel, mais la vie en a décidé autrement. En guise de consolation, Gabe Roth dit que Sharon Jones a chanté le gospel toute sa vie.

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             Le Brackett book rend un bel hommage à Sharon Jones et à ses six décades de raw, untutored, ramshakle, rambunctious and infectuous life energy. C’est effectivement ce qui frappe le plus quand on la voit sur scène : l’énergie. Mais il insiste aussi sur son caractère entier. Quand elle arrive sur scène sans perruque, comme le montre la photo de couverture du book, elle s’en explique : «I’m just going to go with it. That’s what soul music is all about.» On est comme on est. Brackett pense aussi que Sharon tient de James Brown par sa façon de repousser les limites, pas seulement les siennes, mais aussi les nôtres, our own perceived pleasure limits. Le pauvre Brackett est tellement subjugué par Sharon Jones qu’il lance une hypothèse audacieuse : elle serait, comme le fut James Brown, possédée, non par le diable, mais par Dieu, qu’il appelle the Creator : «Tous ceux qui ont vu James brown ou Sharon Jones at the Apollo savent que SOMETHING has taken over.» C’est la première fois qu’on fait allusion à ce type de possession. Du coup Brackett voulait titrer son book Gospel Fury, après avoir joué un temps avec une autre idée : The Gospel According to Sharon, mais en Anglais, c’est une formule qui peut passer pour irrévérencieuse. Il précise alors sa pensée et cite Paul Oliver pour amener l’idée du Soul gospel, dont les pionniers furent les Soul Stirrers de Sam Cooke, puis Aretha : «Alors qu’il est religieux par essence, le Soul gospel was marked by its raw, often sexually charged display of emotion.» À quoi Brackett ajoute : «Sounds like the perfect description of Jones to me.» Alors Sharon peut aller faire tournoyer son small stocky body à travers la scène, like a ceremonial voodoo doll. Pour Brackett, c’est la preuve qu’une tradition originaire de Yoruba a traversé l’Atlantique aux heures sombres de la traite des noirs. Brackett redit que Sharon est possédée par le spirit et il n’ose pas parler de paganisme, alors que c’est précisément de cela dont il s’agit. Ce mélange de possession et de Stax sound est aux yeux de Brackett unique dans l’histoire de la musique populaire. Pour la simple raison que Sharon Jones et les Dap-Kings n’imitaient personne. Gabe Roth veillait à se distinguer de la néo-Soul qui faisait rage au moment où Daptone est apparu. Pas question d’aller utiliser les fucking outils digitaux pour enregistrer. Roth voulait aussi reprendre l’idée des Soul Revues célèbres dans les sixties - There’s a sense of showmanship in that, an excitement that you don’t see in a lot of shows nowadays - Il a raison, le Roth, la grandeur a disparu, hormis les Dap-Kings, on ne voyait plus beaucoup de Revues sur scène ces vingt dernières années. Avec des moyens beaucoup plus modestes, King Khan & His Shrine ont réussi à maintenir la tradition. Idem pour les Buttshakers qui refont surface.    

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             Brackett revient aussi sur la qualité de la relation qui existait entre Gabe Roth et Sharon Jones. Il savait l’apprécier comme elle était. Son acolyte Sugarman décrit Sharon en trois lignes : «Une femme de cinquante ans avec une sacrée poignée de main, une can-do attitude and a little extra padding around the waist», ce qui fait qu’on l’acceptait comme elle était, «on her own terms for the first time in a long time.» Pour les journalistes qui l’interviewaient, Sharon Jones était a reporter’s dream : locace, spontanée, drôle, familière et toujours cette sacrée poignée de main !

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             Brackett triangule Sharon Jones avec James Brown et Sister Rosetta Tharpe, qui dès 1944, «was already twanging out adrenalin-charged steel guitar gospel riffs.» Les Dap-Kings sont donc les héritiers de cette tradition qui s’enracine dans le gospel et qui passe par James Brown, Sister Rosetta Tharpe et Stax. Gabe Roth : «Ma principale inspiration, si on considère ce que j’ai fait musicalement pendant toutes ces années, c’est Stax. Il n’existait rien de comparable à Stax avant que ça n’existe. Et depuis que Stax a disparu, rien de comparable n’est apparu. Motown was a factory but Stax was a family.» Comme on l’a vu, le concept de family est au cœur de l’étique rothienne. Mieux encore : les Dap-Kings ne sont pas tous noirs, ils sont nous dit Brackett «a wild mixture of white, black, Italian, South American, jewish, south, north east and west.» «La distillation la plus pure dit-il de ce qu’est l’Amérique, un brassage spirituel.» Pour illustrer son propos, il ressort les vieux parallèles cousus de fil blanc, Daptone et Stax/Royal Recording in Memphis, the Muscle Shoals Sound Studios in Sheffield, Alabama, or Malaco’s studio in Jackson, Mississippi - Sa chute est marrante : «This isn’t nostalgia, folks, it’s realism.»    

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             Comme le fait Jessica Lipsky dans son book, Brackett fouille un peu du côté des «autres», ceux que le phénomène Daptone a révélés : Black Joe Lewis & The Honeybears, St. Paul & The Broken Bones, Eli Paperboy Reed, Alabama Shakes, Mayer Hawthorne et Leon Bridges. Il cite aussi les noms de Lyn Collins, Marva Whitney, LaVern Baker et Ruby Johnson, comme étant des simili-Sharon, mais s’empresse-t-il d’ajouter, Sharon a toujours été Sharon, right from the beginning.

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             Vers la fin de son book, Brackett demande à Gabe Roth si les Dap-Kings ont encore un avenir après la disparition de Sharon Jones. La réponse ne se fait pas attendre : «On sait très bien qu’on ne rejouera plus à un tel niveau. On ne peut pas espérer mieux que d’accompagner Sharon Jones sur scène.» Maintenant, il ne te reste plus qu’à écouter les albums. Tiens par exemple, les deux compiles Daptone, Daptone Gold et Daptone Gold Vol. II. Elles sont extrêmement représentatives de l’esprit Daptone. Pour ceux qui n’ont ni la place ni les moyens d’entasser tous les albums parus sur Daptone, elles sont idéales. Après l’intro de Binky Griptite, Sharon Jones ouvre le bal de Daptone Gold avec le hard funk d’«I’m Not Gonna Cry», tiré de Soul Time. Les Dap-Kings déroulent le tapis rouge du hard funk et Sharon lui donne vie. Avec tous ces escaliers de cuivres, on se croirait à l’âge d’or. Elle revient plus loin avec «How Long Do I Have To Wait», plus bon chic bon genre, on danse au bar de la plage, ooouh baby, elle s’amuse bien, la mémère dans son truc en plume. Plus sérieux, voilà «Got A Thing On My Mind», un r’n’b à la Sharon, avec un Gabe qui cavale dans le son. Pas de plus belle lampée de lampiste et cette façon qu’a le Gabe de remonter en escaliers dans le flux du bassmatic. Sharon Jones revient encore sucer la pulpe de la Soul avec «Make It Good To Me», mais cette fois le bassmatic est trop présent, ça devient un système déplaisant. C’est elle qui boucle le bouclard en duo avec Lee Fields sur «Stranded In Your Love». Lee Fields tape à sa porte : They stole my car ! Elle ne veut pas lui ouvrir. Now I’m stranded in/ Your love et Lee Fields en rajoute. Sharon repart au front à la glotte perchée, elle est indestructible et Lee Fields la relaye, ils fondent enfin leurs voix dans les circonstances, ils duettent jusqu’au bout de la nuit de cristal, ils sont effarants. L’autre tête de gondole de Daptone c’est bien sûr Noami Shelton qui ramène tout son pâté de foi dans «What Have You Done». C’est incroyable comme Gabe Roth a su la mettre en valeur. C’est balayé par un vent de chœurs. Retour de Lee Fields avec «Could Have Been». Ce fantastique shouter explose bien la Soul, encore plus sûrement que Percy Sledge. Il revient plus loin accompagné par Sugarman avec «Stand Up». Il est le meilleur avec James Brown. Le quatrième larron c’est bien sûr Charles Bradley qui fout le feu avec «The World (Is Goin’ Up In Flames)». Grand dévoreur d’espaces. Et puis tu as tous les groupes instro, les copains de Gabe Rothe, The Budos Band, Antibalas, The Menahan Street Band et The Sugarman Three, dont les exégètes de Daptone disent le plus grand bien, mais attention, ce ne sont que des gros albums d’instros, extrêmement difficiles à écouter à sec, mais par contre idéaux pour mettre de l’ambiance à l’apéro. Avec Daptone Gold, tu en as pour ton argent. Idem avec Daptone Gold Vol. II.

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             Tu y verras Sharon Jones & The Dap-Kings ouvrir le bal avec «Better Things», big Sister Jones le fait à la dure, elle éclate la Soul au Sénégal, au chant d’éclat. Plus loin, on la retrouve avec l’«Inspiration Information» de Shuggie Otis, l’une des covers du siècle, puis avec «Retreat» qu’elle chante le dos au mur, elle est certainement la dernière des grandes Soul Sisters des temps modernes, elle grimpe là-haut sur la montagne pour atteindre le somment du lard, il faut la voir exploser le chant. Elle fait encore un coup d’éclat avec «I Learned The Hard Way», elle s’installe au cœur du groove de Daptone, parfaite et perçante, pour une leçon de good time groove. Voilà pour les coups de génie. Mais il y en a d’autres, notamment ceux de Noami Shelton & The Gospel Queens. Avec «Sinner», Noami Shelton sort les accents profonds de James Brown, elle ramène tout le deepy deep de la Soul, elle fond comme beurre en broche, là tu as le black genius à l’état le plus pur, épais, au ras des pâquerettes, avec tout l’indicible power du gospel choir. On la retrouve vers la fin avec un inédit, une cover de «You Gotta Move» qu’elle shake avec un gusto assez rare, elle est dans l’extrême du groove de tell you what the Lawd, avec la voix d’une Witch Queen of New Orleans. Le troisième larron dans cette folle aventure c’est bien sûr Charles Bradley qui fait avec «Strictly Reserved» son discours du 18 juin, fantastique scorcher, il effare en répandant sa bonne parole. Il revient vers la fin avec un inédit, «Luv Jones», heavy on the beat, merveilleux Charles, son groove défie toutes concurrence, il se veut tentateur, oh-oh-oh et travaille son Luv au plus profond du Daptone groove. Les Dapettes Shaun & Starr sont là, elles aussi, avec «Look Closer», ainsi que les Como Mamas avec «Out Of The Wilderness», un autre inédit, bienvenue sur la terre ferme avec les Como, aw yeah, il faut voir comme elles allument ! Et puis il y a tous les groupes instro de la bande à Daptone, Antibalas, Menahan Street Band, The Budos Band et bien sûr The Sugarman Three, tous pleins de son et d’énergie, notamment Sugarman et son shuffle, mais c’est un son qui n’intéresse que Gabe. Ce sont les Dap-Kings qui referment la marche avec «Thunderclap», ces petits blancs qui se prennent pour des noirs s’octroient une partie de plaisir, mais on sent bien qu’il leur manque un petit quelque chose. Ils n’ont ni la niaque des Bar-Kays ni celle des Famous Flames, même s’ils groovent comme des diables.     

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               Bien sûr qu’il faut écouter l’album de Lee Fields paru sur Desco, l’ancêtre de Daptone. L’objet s’appelle Let’s Get A Groove On et date de 1998. C’est du hard funk génial, wow, «Let’s Get A Groove On» ! Et ça continue avec «Watch That Man», big heavy funk de Lee, digne de James Brown, avec des chœurs de funk qui font «That’s watch that man/ The man !». En B, il s’en va faire du pur James Brown avec «Put It On Me», ah ! Il halète bien, oh ! Il chante au gut de l’undergut. Et puis voilà le coup de génie tant attendu, «Steam Train», chargé jusqu’à la gueule de groove de funk, bassmatiqué jusqu’à l’os du jambon, avec du solo de sax à gogo.

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             Le Gimme The Paw des Soul Providers Featuring Lee Fields s’appelle aussi Soul Tequila. C’est l’époque où Phillip Lehman et Gabe Roth montent leur label Desco et lancent Lee Fields. On y retrouve le «Steam Train» de l’album précédent. C’est l’un des plus beaux classiques de hard funk, parce qu’excessif et balèze, pulsé à la JB, ouh ! Lee Fields fait le train en funk ou le funk du train, c’est comme tu veux, ouh ! JB n’y aurait pas pensé, Mister iron man ! Go on some steam ! Avec un solo de trompette à la Maceo. Lee Fields est de retour sur «Switchblade», il est brillant le petit Lee. Ça gratte le funk comme chez JB, et les Soul Providers fourbissent en plus le bassmatic et les cuivres du funky strut - That’s what they call me - Et la fille fait «Switchblade» ! La fille, c’est Sharon Jones. Les blackos comme le petit Lee savent rouler dans les entre-deux, un blanc ne sait pas, Lee sait, et Sharon se fond dans le groove avec lui. Le petit Lee revient à la charge dans «The Landlord», pulsé par une bassline des enfers signée Gabe. Sinon, les autres cuts sont des instros. «Soul Tequila» est un hommage au «Soul Finger» des Bar-Kays. Dans «Gimme The Paw», il dit : «Ho ! Gimme the paw !» Le chien donne la patte et il lui donne un gâtö. Crouch crouch. «Good boy !». C’est un big instro de backstreet. Tout est tellement américain dans ce son que les mots français paraissent indésirables. Le «Who Knows» n’est pas celui du Band Of Gypsys mais un Who Knows d’anticipation urbaine, joué aux trompettes de Jéricho. Le petit Lee revient foutre le souk dans la médina avec «Mr Kesselman Pt1», il y va au big heavy funk de talking back, les Soul Providers jouent vite, alors le petit Lee doit se magner pour rester on the top of the beat, you know, ah ! Oh ! Il se plie si bien aux exigences. 

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             Le Back To Black d’Amy Winehouse est tout bêtement un album génial. Est-ce la présence des Dap-Kings qui le rend aussi génial ? N’exagérons tout de même pas. Amy Winehouse dispose exactement du même génie vocal que Billie Holiday, ce sens du deep swing épidermique. Ça groove dès «You Know I’m No Good», Amy chante à contre-courant du groove, elle ramène du sexe dans le groove des Dap-Kings. Elle chante ensuite «Me & Mr Jones» comme une reine. Impressionnant ! Elle jette sa voix dans le flux du groove, hey hey Mr Jones, elle a véritablement du génie, elle swingue jusqu’à la dernière goutte de son. Le beat skabeat de «Just Friends» l’embarque et elle sort sa voix de rêve. Le morceau titre est bien sûr le hit de cet album qui grouille de hits. Elle chante son Back à la niaque fatidique, et quant on a dit ça, on n’a rien dit. Elle se situe à l’instant précis du génie, elle se tient là, au coin du hit avec des textes d’Amy Amy plein la bouche de lèvres peintes. Avec «Wake Up Alone», elle passe au heavy slowah. Elle le négocie au meilleur chant d’Amy, elle est tout bonnement énorme, les Dap-Kings chauffent bien la soupe. Elle ramène encore une flavor inespérée avec «Some Unholy War». Cette flavor est unique au monde. Elle termine cet album faramineux avec la heavy Soul-funk d’«He Can Only Hold Her», pour les Dap-Kings c’est encore du gâtö, ils jouent le jeu jusqu’au vertige et Amy se prélasse dans la postérité avec ses tatouages et des sous-tifs, son look de Ronnette et ses petites guiboles. Fantastique poulette.

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             C’est vrai que Gabe Roth était gonflé de sortir son Como Now - The Voices Of Panola Co., Mississippi en 2008. Le diable sait comme le gospel peut parfois paraître austère, même s’il est à l’origine de tout, ce qu’a bien compris Gabe Roth. C’est même un coup de génie que d’avoir enregistré ces artistes. On a déjà dit ici tout le bien qu’on pensait des Como Mamas. Elles ont deux albums sur Daptone et elles nous tapent ici un «Trouble In My Heart» terrifique, Mary Moore crache son Gospel batch au ciel, elles chantent toutes les trois a capella, c’est furieux et complètement wild. On plonge en pleine Americana avec The John Edwards Singers et «It’s Alright». Ils tapent l’antique groove chrétien, le vieux y va à la folie, c’est un détonnant mélange de raw et d’eau claire. Brother & Sister Walker ont deux cuts sur la compile : «If It Wasn’t For The Lord», incroyablement rootsy - I called Gee - et «Help Me To Carry On» qu’ils chantent à la plaintive de Jésus. The Jones Sisters raflent la mise avec «Talk With Jesus», c’est extrêmement africain dans les harmonies vocales, ça sent bon les forêts profondes, leur a capella est extrêmement pur. Irene Stevenson monte elle aussi au ciel avec «If It Had Not Been For Jesus» et elle revient plus loin avec «Li’ Old Church House», elle rassemble son souffle pour repartir à l’assaut du ciel, c’est très impressionnant d’écouter tous ces blacks chanter à sec, sans orchestration. Laisse tomber tes chanteuses à la mode. Écoute plutôt Irene Stevenson. Retour des Como Mamas avec «Send Me I’ll Go». Elles sont les plus décidées à vaincre et à l’élever dans le ciel, même si elles sont trop grosses.

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             Soul Of A Woman est le dernier album qu’enregistre Sharon Jones avant de casser sa pipe en bois. Elle l’attaque avec un très bel heavy groove, «Matter Of Time», bien soutenu aux chœurs d’oh yeah, avec les petites tortillettes de Binky Griptite et le dark bassmatic de Gabe. Personne ne peut battre une équipe pareille. Il est important de préciser que ce n’est pas le meilleur album de Sharon Jones, elle semble s’être calmée pour passer à la good time music («Come And Be A Winner») et à la petite exotica du coin de la rue («Rumours», idéal pour danser au bar de la plage)Sharon Jones se diversifie. Calypso Babe ! Elle attaque sa B avec un groove dap-kinien, «Searching For A New Day» et retrouve une sorte d’équilibre naturel. Elle plonge plus loin dans le groove de velours avec «Girl», tout le son est là, fidèle au poste, notamment le bassmatic de velours intense signé Gabe Roth. Elle boucle l’affaire avec «Call On God» et se met à sonner comme Aretha. C’est un fantastique hit de Soul joué à l’orgue d’église. Elle s’y montre terrifique.

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             Deuxième album posthume de Sharon Jones : Just Dropped In (To See What Condition My Rendition Was In). En fait, Gabe Roth s’arrange très bien avec sa conscience. Impossible de le traiter de charognard, car l’album est excellent. Les covers sont triées sur le volet, comme par exemple l’«Inspiration Information» de Shuggie Otis, déjà présent sur Soul Time. Pas de plus bel hommage au Mozart du groove. Elle ramène le gratin dauphinois des Dap-Kings dans l’orbite groovytale, elle se fond comme à son habitude dans l’excellence et vise l’apothéose du groove. Alors c’est un régal et on est franchement ravi d’avoir cet album dans les pattes. Elle reprend aussi le «Take Me With U» de Prince, c’est gratté au petit funk avec des chœurs somptueux, yeah-eh, comme toujours avec les Dapettes. Elle tape aussi le «Rescue Me» de Fontella Bass, «This Land Is Your Land» de Woody Guthrie, tiré de Naturally, pour en faire un heavy r’n’b politisé, et le «Giving Up» de Van McCoy qui fut un hit pour Gladys Knight, Sharon va le chercher très haut, c’est un cut un peu trop tarabiscoté, mais elle l’allume. Il faut aussi la voir allumer le morceau titre, jadis popularisé par Kenny Rodgers, mais qui est en fait une compo signé Mickey Newbury. Elle ne se contente pas de l’allumer, elle l’explose. Elle tape aussi dans Smokey avec «Here I Am Baby» et elle passe au violent shoot de r’n’b avec «What Have You Done For Me Lately». Les Dap-Kings swinguent ça à la revoyure, pas de problème. Avec «In The Bush», tout ce petit monde revient au fast funk des origines. Sharon fait valser la cambuse.

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             Si tu veux compléter le tableau, alors tu peux voir le film de Barbara Kopple, Miss Sharon Jones. On le trouve sur DVD, mais attention, il n’est pas sous-titré en français. C’est la première chose. Deuxième chose, le film raconte le combat de Sharon Jones contre le cancer. Barbara Kopple attaque le tournage en 2013, lorsque Sharon apprend la mauvaise nouvelle. Elle commence par se faire raser le crâne et puis elle essaye des perruques. On va ensuite faire un tour à Bushwick, au fameux studio Daptone. Oh la gueule de Gabe ! Et Sharon se marre : «White boys doing Soul music!» Elle danse de voodoo avec le joueur de trompette et Neal Sugarman déclare :  «She’s my sister. So many years on the road.» Oui, ça crée des liens. Et sur scène, c’est infernal. Puis Sharon nous emmène faire un tour à Augusta, en Georgie, son patelin d’origine. Visite au musée James Brown et donc hommage d’une géante à un géant. On la voit aussi pêcher en fumant le cigare. Les passages les plus intéressants sont bien sûr les extraits de concert : elle bouge comme Aretha, petit corps, mais quel rythme ! Elle nous emmène aussi faire un tour à l’église, dans le Queens, et ça donne la meilleure scène du film, Sharon en transe de gospel batch, le crâne rasé, avec ses lunettes, elle entre littéralement en transe et finit par être épuisée, alors elle s’assoit. Entre deux stages à l’hosto, elle répète à Bushwick avec les Dap-Kings - The show must go on - En février 2014, elle remonte sur scène à New York, chauve et en robe rouge et pique l’une de ces crises de voodoo qui ont fait sa légende. Elle bouge à l’Africaine. Elle ramène en elle tout le raw du Black Power, celui de James Brown, d’Aretha et de Sam & Dave.

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             Dans son book (It Ain’t Retro: Daptone Records & The 21st Century Soul Revolution), Jessica Lipsky nous mettait la puce à l’oreille, indiquant que Gabe Roth lançait un nouveau label nommé Penrose. Alors comme la curiosité est un vilain défaut qu’on adore cultiver, on est allé voir ça de plus près. Il existe dans le commerce une première compile, Penrose Showcase Vol. 1, vendue avec un slipmat, c’est-à-dire le tapis rond qu’on pose sur la platine pour montrer qu’on est branché. L’album n’est pas donné, mais il s’agit de Gabe, alors on ne va pas commencer à chipoter. Toutefois, une mise en garde s’impose : avec Penrose, on perd deux des dimensions qui ont fait la renommée de Daptone, le funk et le raw r’n’b. Il reste la Soul de charme, celle qu’on appelle la Soul de satin jaune chantée à la voix d’ange de miséricorde. On voit donc défiler les nouveaux poulains de Gabe, Thee Sacred Souls (Soul de charme), Los Yesterdays (idéal pour le bar de la plage, agréable et bien ensoleillé, ils font une petite Soulette des faubourgs, fine et tendancieuse),  le plus intéressant étant sans doute Jason Joshua avec son parfum reggae très toxique. The Altons sont irréprochables, tout est bien en place, le mec chante comme Aaron Neville, pas de problème, ne te fais pas de souci pour son avenir, il sort la voix de la tentation. Celle qui accroche vraiment s’appelle Vicky Tafoya, avec «My Vow Is You» : ampleur spectaculaire. En B, Thee Sinseers font de la heavy Sloul de nuits chaudes de Harlem. En fait tous ces groupes ont le même son et vont dans le même sens. Vicky Tafoya revient avec «Forever». Il semble que Gabe ait trouvé sa nouvelle star.

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             Parmi les dizaines de groupes que Jessica Lipsky cite en référence, on est allé piocher les Black Pumas. Avec un nom pareil, on se dit qu’on va vite tomber de sa chaise. Les Pumas, c’est un peu comme les Panthères, comme Wilson Pickett, des animaux féroces et racés. Manque de pot, ces Pumas-là sont des Pumas en peluche. Ils sont deux, Eric Burton et Adrian Quesada, on voit leurs jambes photographiées à l’intérieur du gatefold. Encore une fois, l’album n’est pas donné, mais on ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs, n’est-il pas vrai ? Ils semblent en outre bénéficier d’un gros buzz, étant donné le prix où se vendent leurs albums. Mais on est vite déçu par cette Soul surfaite. Pour rester charitable, disons qu’il s’agit d’une néo-Soul qualitative, mais sans funk. Rien que du satin jaune conçu pour les radios en ligne. On s’y ennuie comme un rat mort. Ils ramènent en cours d’A un «Fire» plus classique, presque groovy, mais pas de quoi se prosterner jusqu’à terre. 

    Signé : Cazengler, Inadaptone

    James Brown’s Funky People. Polydor 1986

    Brainfreeze. Sisty7 Recordings 1999                

    Funky 16 Corners. Stones Throw Records 2001

    Lee Fields. Let’s Get A Groove On. Desco Records 1998

    The Soul Providers Featuring Lee Fields. Gimme The Paw. Pure Records 1996

    Amy Whinehouse. Back To Black. Island Records Group 2006

    Como Now. The Voices Of Panola Co., Mississippi. Daptone Records 2008

    Penrose Showcase Vol. 1. Penrose 2021

    Black Pumas. Black Pumas. ATO Records 2019

    Sharon Jones. Soul Of A Woman. Daptone Records 2017

    Sharon Jones. Just Dropped In (To See What Condition My Rendition Was In). Daptone Records 2020

    Daptone Gold. Daptone 2009

    Daptone Gold Vol. II. Daptone 2015

    Barbara Kopple. Miss Sharon Jones. DVD Starz Digital Media

    Donald Brackett. Long Slow Train: The Soul Music Of Sharon Jones And The Dap-Kings. Backbeat 2018

     

    L’avenir du rock –

     MaidaVale live in style in Maida Vale

             L’avenir du rock déteste les interviews, mais il ne peut pas résister à l’invitation que lui lance Pierre Doc, animateur de la célèbre émission littéraire Le Lit Magnétique. Après le fameux générique des trompettes, Pierre Doc lance d’une voix de stentor :

             — Bienvenue, Avanie du rock !

             — Merci de votre convocation, cher Pierre qui Doc dîne.

             — Vous tournez à quoi, Averti du rock, à la gazoline ou au suppôt de Satan ?

             — J’en pince pour le crabe tambour, cher Pierre Doc deline.

             — Si je vous dis Médi, qu’allez-vous nous supputer, Avenini peau d’chien du rock ?

             — Vous me prenez au dépourvu, cher Pierre Dis Doc mon vieux ! Je cale.

             — Quoi, je cale ? Vous rigolez ?

             — Médi je cale.

             — Réponse refusée ! Indigne de vous. Pas très carré pour un Aviron du rock. Chiez-nous donc un os à moelle !

             — Bon d’accord, je n’osais pas, mais à vous voir si Furax, je vous réponds Ben Barkette.

             — Vous frisez l’inacceptable. C’est la dernière fois que je vous invite au Lit Magnétique, Aveniras des pâquerettes. Il vous reste une chance de sauver votre honneur. Si je vous dis Modi, que répondez-vous ?

             — Gliani d’Eve ni d’Adam !

             — Ah, vous n’avez donc aucune moralité, Avili du rock, vous ne pensez qu’au cul ! Et si je vous dis Méda, que répondez-vous ?

             — Méda Vauban !

             — Refusé !

             — Alors Méda Vale, vieux schnoque !

             — Vale populaire ?

             — Non, Vale que Vale, vieux cornichon !

     

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             L’avenir du rock ne sort pas Maida Vale de sa manche par hasard. Trois bonnes raisons. Un, c’est dans ce quartier de Londres que se trouvent les studios de la BBC où les invités de John Peel enregistraient les fameuses Peel Sessions. Deux, chaque matin sous la douche, l’avenir du rock chante «I Live In Style In Maida Vale», un vieux hit de Jesse Hector. Trois, c’est le nom qu’ont choisi quatre petites Suédoises pour leur groupe. MaidaVale ! Non seulement c’est un choix qui les honore, mais en plus elles se montrent à la hauteur du mythe. Et quand on a dit ça, on n’a rien dit.

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             Pas facile pour elles, car elles se retrouvent en première partie. Elles n’ont pas beaucoup de place sur scène, car derrière elles est installé le matériel d’Earthless. Mais bon, elles vont se débrouiller. Elles paraissent un peu intimidées lorsqu’elles commencent à jouer.

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    La petite chanteuse gratte sa gratte derrière son micro. Elle est habillée en noir. Tout semble reposer sur ses épaules car elle doit planter le décor. Là-bas, au fond, une grande brune met en route un bassmatic qui pendant 45 minutes va servir de poumon à MaidaVale, et quel poumon ! En duo avec la batteuse, bien sûr. Et puis à l’autre bout de la scène, se trouve la petite guitariste, une blondinette qui porte un T-shirt Brian Jonestown Massacre et qui gratte une belle strato blanche toute neuve.

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    Elle est extrêmement concentrée, elle sort un son sec comme un olivier calabrais et lorsqu’elle monte sur l’une de ses nombreuses pédales d’effets, elle est splendide avec ses petites cannes et son feu de plancher tout pendouillant de coton blanc. Cut après cut, elles vont conquérir les cœurs comme jadis Alexandre prenait les cités, avec un brio et une énergie confondants, on voit rarement des groupes inconnus au bataillon provoquer un tel émoi, wow, ça danse dans la salle, tout le monde monte à bord de l’hypno de MaidaVale et du coup la petite chanteuse devient folle avec son tambourin, même chose pour la bassiste qui joue en secouant la tête, on voit les deux chevelures voler en tous sens.

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    C’est un merveilleux spectacle d’art total, le cœur vivant du rock, lorsque l’image et le son génèrent l’idée de la perfection. Elles l’incarnent avec une stupéfiante élégance, les cuts durent le temps qu’il leur faut pour que l’effet soit total. Et quand en papotant avec la bassiste, on apprend que son groupe préféré est Can, alors tout devient clair. Elles sont exactement dans l’énergie hypnotique qui fit la grandeur de Can, mais avec un truc en plus, le côté féminin que rien ne peut remplacer. À la même question, la chanteuse répond Joy Division. Donc rien de surprenant. On vérifie le vieil adage : les bons groupes écoutent les bons disques.

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             Leur set se compose essentiellement des cuts de leur deuxième album, Madness Is Too Pure. On y trouve trois petits chefs-d’œuvre de mad psyché, «Oh Hysteria», «Dark Clouds» et «Another Dimension». Avec le premier, elles tapent dans le gros répondant d’hypno, c’est wild et frais, ça joue au space-rock d’hysteria, fantastique hommage aux rois de la mad psyché que sont the Heads et Monster Magnet. Dans «Dark Clouds», la petite guitariste qui s’appelle Sofia ramène des effets surnaturels, mais c’est Linn qui crée la sensation avec son bassmatic invulnérable. Elle sort un son qu’on pourrait qualifier de présence bienveillante. Elle recrée une tension considérable dans «Another Dimension», alors la petite guitariste peut multiplier les exactions et partir en vrille, ses arrières sont couverts par la fan de Can qui produit le backbeat, c’est même assez dément, tu ne vois pas ça tous les jours. Elles amènent le «Dead Lock» d’ouverture de bal au wild drive de MaidaVale. Elles se situent très exactement dans l’excellence du wild drive, c’est exactement ce qu’on voit sur scène. Four girls dans l’exercice de la fonction suprême. Elles flabbergastent, elles tapent en plein dans le panoramique du tournesol psychédélique et finissent en mode violente altercation. Avec «Cold Mind», elles sont encore dans l’expression du power, un power qu’on accueille à bras ouverts, elles y puisent le beat, elles atteignent un rare niveau d’inexorabilité des choses, le riff de basse embarque tout ça pour Cythère. Elles font encore du big biz avec un «Spaktrum» monté sur une bassline de kraut. C’est un album énorme, bourré d’ambiances et de Vale que Vale, tu entres dans leur jeu comme dans du beurre. Avec «She Is Gone», la petite guitariste amène de la disto. Elles sont folles et immensément douées. Elles s’arrangent toujours pour repartir de plus belle. 

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             Il existe un premier album de MaidaVale paru en 2016 : Tales Of The Wicked West. On se le met en bouche avec deux belles énormités, «(If You Want The Smoke) Be The Fire» et «Dirty War». Elles attaquent le Smoke au heavy blues rock à la Blue Cheer, avec la voix de la petite Matilda bien posée au devant du mix. Leur truc, c’est le déclenchement. Elles adorent lancer les hostilités. Elles s’appuient pour ça sur l’énormité du son et une parfaite maîtrise des dynamiques. Elles ont une façon de relancer avec le balancement qui fait beaucoup d’effet. Dans «Dirty War», Matilda pose bien les conditions - Another bomb/ In another far off land - C’est vite explosé, la petite Matilda n’a rien d’un Motörhead mais elle jette tout son gusto dans la balance et éclate la noix de son cut avec tout le chien de sa petite chienne. C’est très impressionnant. Elles amènent «Standby Swing» à la heavy dégelée de mad psyché, c’est leur pré carré. La petite Matilda y explose son chant. La bonne nouvelle c’est que l’album renferme un coup de génie : «Find What You Love And Let It Kill You». Heavy as hell, Linn Bassmatic reprend le pouvoir, elle refait le poumon d’acier de MaidaVale, et la petite Matilda rentre dans le chou du chant, elle le fait avec un courage qui l’honore - I should have seen it coming - Linn Bassmatic dévore tout. Elles sont géniales toutes les quatre, elles fabriquent leur univers et ça fonctionne - No one never understood - Solo disto et bassmatic dévorant, que demande le peuple ? Il faut aussi les voir propulser «Colour Blind» dans la stratosphère. La petite Matilda chante tout ce qu’elle peut. Dans «The Greatest Story Ever Told», elle se bat avec ses visions et cette coquine de Sofia passe un solo de wah effarant de vicissitudes.

    Signé : Cazengler, Merda Vale

    MaidaVale. Le 106. Rouen (76). Le 10 mai 2022

    MaidaVale. Tales Of The Wicked West. The Sign Records 2016

    MaidaVale. Madness Is Too Pure. The Sign Records 2018

     

     

    Le mambo des Mambas

     

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             Black Mamba ? This is Bud... Elle Driver fait les présentations, elle est tellement désolée, Black Mamba vient de mordre Bud trois fois au visage alors qu’il farfouillait dans cette belle valise rouge qui contient un million de dollars. Elle Driver explique à Bud qui agonise que Black Mamba is a fascinating creature, elle lui lit les notes qu’elle a prises sur Internet, in Africa the saying goes, elle tourne une page de son petit carnet, in the bush an elephant can kill you, a leopard can kill you and a black mamba can kill you, but only with the mamba is death sure, et pour que Bud apprécie son passage de vie à trépas, elle lui donne tous les détails physiologiques d’une morsure au visage ou au torse qui entraîne la mort dans les vingt minutes et la nature «gargantuesque» du poison injecté. Ah il est mal barré le pauvre Michael Madsen, un si magnifique acteur, étalé sur le plancher de l’une de ces caravanes de forains américains qu’on appelle des trailers (hello Iggy). Tarentino utilise tous les géants du cinéma américain à contre-emploi, il envoie Micheal Madsen rouler inélégamment au sol d’une caravane, il beaufise de Niro dans Jackie Brown, il transforme Bruce Willis en clown tragique dans Pulp Fiction et Keith Carradine se fait rouler comme un bleu dans Kill Bill. Une fois qu’il a mordu Bud, le Black Mamba file en un éclair se planquer sous un meuble, mais on a tout le temps de le voir filer, c’est-à-dire qu’on en conserve l’image. On le reverra encore plus brièvement dans la scène suivante : The Bride vient d’arracher le dernier œil d’Elle Driver et pour sortir du trailer, elle passe devant lui. On le voit se dresser et siffler comme une vipère en colère, ksssssssssss !, il en est même comique. Plus vrai que faux, du pur jus de poudre aux yeux. Tarentino est le roi des clins d’yeux hilarants. Tu vois ça et tu te marres. En même temps, la scène est ambiguë, car le nom de code de The Bride est Black Mamba, membre du Deadly Viper Assassination Squad, c’est donc le salut d’un Black Mamba (ksssssssssss !) à une consœur émérite. Quand on dit que Tarentino réinvente l’écriture cinématographique, ce n’est pas une vue de l’esprit. Au-delà de toutes les références cinéphiliques dont grouillent ses films, il existe une infinitude de «plans» biseautés qui fonctionnent comme les tiroirs secrets d’un meuble ancien et qui donnent à ses scénarios une sorte de vie parallèle. On sait que cette pratique du dédoublement de la réalité existe chez certains écrivains (Apollinaire ou Houellebecq pour n’en citer que deux, et bien sûr Conan Doyle qui en a fait son fonds de commerce), mais elle existe aussi chez Tarentino. Il a su donner à chacun de ses films une double vie, celle linéaire de l’histoire et celle plus fascinante des intrications scénaristiques qu’on ne perçoit qu’au énième visionnage, si bien sûr on a pris la précaution de rapatrier les DVD. Dans le cas de Tarentino, le revisionnage est essentiel, comme il l’est dans le cas de Truffaut ou de Godard si l’on souhaite apprécier les dialogues qui sont de la pure littérature contemporaine, mais enracinée dans les auteurs classiques, Truffaut étant essentiellement un cinéaste du XIXe siècle, alors que Godard est du pur jus de la nrf. On revoit ces films comme on relit. Les détails qui font rire chez Tarentino ne sont jamais au premier degré. On en cite parfois en référence dans les dîners bien arrosés, comme lorsqu’on cite les réparties d’Audiard dans Les Tontons Flingueurs, mais quand on les recroise au moment du revisionnage, on est chaque fois frappé par l’inventivité des ressorts qui amènent ces détails, dans des scènes le plus souvent violentes, qui sont elles aussi des petits chefs-d’œuvre, car montées comme des ballets. Le souffle de Tarentino porte un nom : modernité. Il est l’Apollinaire des temps modernes. Là où d’autres s’arrêtent, pour disons plus d’efficacité, au linéaire scénaristique, Tarentino injecte sa touche qui est celle d’un homme entré en religion et sa religion s’appelle le récici, c’est-à-dire le récit cinématographique, celui qui permet de jouer avec les éclairs. Les dynamiques du bon cinéma sont de la dynamite. Quand on connaît les aventures de Tintin comme le fond de sa poche, on fait automatiquement le rapprochement entre ces deux intelligences. Comme Hergé, Tarentino n’est jamais à court d’idées, jamais à court de possibilités, il sait pousser une histoire dans ses retranchements, il sait créer l’impossible et le rendre crédible, on se demande par exemple comment va faire The Bride (Black Mamba) pour sortir d’un cercueil enterré plusieurs mètres sous terre ? Pai Mei lui a enseigné les arts martiaux, c’est-à-dire l’art de vaincre la matière, alors elle brise le bois du couvercle et remonte à la surface en se glissant comme un Black Mamba dans une terre fraîchement remuée, ça marche. On admire cet exploit à double détente, à cœur vaillant rien d’impossible ! Pai Mei lui a aussi enseigné l’art d’exploser d’un coup précis des cinq doigts le cœur de son ennemi, un coup fatal qu’elle va utiliser pour tuer Bill (Kill Bill) lors du combat final qui se déroule dans cette belle demeure de rêve au Mexique. Chaque plan est riche, il faut tout bien regarder, ça peut aller jusqu’à l’arrêt sur image, comme lorsqu’on tombe sur un paragraphe trop riche qu’il faut relire pour être bien certain de n’avoir pas rêvé. Les véhicules, les dessins de cartes, les vêtements, les décors urbains, les sandwiches que prépare Bill avec son grand couteau, tout joue un rôle précis, comme dans chacune des cases d’un album de Tintin. On sait qu’Hergé documentait ses récits jusqu’au vertige et ça ne fonctionnait qu’à cette condition. Le Trésor De Rackham Le Rouge est sans doute le plus bel hommage à la piraterie qui soit, aussitôt après le canular des Cahiers de Louis-Adhémar-Timothée Le Golif, dit Borgnefesse, Capitaine De La Flibuste, et bien sûr l’Ancre De Miséricorde de MacOrlan qui d’une certaine façon est aussi un canular car l’aventure se passe à terre et non en mer, dans l’ombre des ruelles du port de Brest, à la recherche du petit Radet. Tarentino s’inscrit très exactement dans cette mouvance, celle de Rackham-Haddrock (hello Damie), de Borgnefesse (hello Damien) et du petit Radet, dans cette farandole d’aventures qui fait le sel de la terre et qui remet l’imagination au pouvoir, le vrai pouvoir, pas celui des élections-piège-à-cons.      

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             Et puis tu as aussi les Black Mambas de Los Angeles, un quatuor débarqué en Normandie par un beau soir du joli mois de mai. Plutôt que de mettre l’imagination au pouvoir, ils préfèrent y installer le gaga-punk. C’est un choix qui ne les déshonore pas, bien au contraire, car par les temps qui courent, il faut un certain gusto sous la ceinture pour aller jouer du gaga-punk au fond d’une cave. C’est bien parce que le gaga-punk n’intéresse plus grand monde qu’ils le jouent. Pas par esprit de contrariété, ça n’a pas l’air d’être leur genre, mais par simple conviction, et une conviction d’autant plus indicible qu’elle est angelinote, c’est-à-dire une conviction dont les tenants et les aboutissants nous échappent, comme d’ailleurs nous échappent tous les aspects on va dire sociologiques de la culture américaine. Ceci dit, quand on parle de rock, et plus précisément de gaga-punk, la conviction est l’un des éléments fondamentaux. Sans conviction, ça ne peut pas fonctionner.

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    Alors les voilà nos Black Mambas au fond de la cave, ksssssssss !, prêts à mordre : un Chicano au chant avec le crâne rasé de Taras Bulba, un autre Chicano barbu en posture de guitar killer, un genre de Marco Ferreri appliqué à semer le désordre dans les esprits, grand moulineur devant l’éternel, une petite chick tatouée en forme de rock’n’roll animal au bassmatic volubile, et un kid avec des airs de rockstar anglaise derrière ses fûts, portant un T-shirt Slaughter & The Dogs, témoignage poignant d’un goût certain.

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    Et ça part sans prévenir, avant que les gens n’arrivent, et ça file tout droit, comme le veulent les usages du gaga-punk, un genre limité par nature, qui ne repose que sur la volonté de foncer sans crier gare, un genre qu’il faut alimenter comme on alimente une chaudière, Jean Gabin et sa pelle à charbon, la gueule noircie par la suie, les coups de sirène qui font mal aux oreilles, c’est ça le gaga-punk, il faut que ça fonce à travers la nuit et sous les tunnels, il faut que ça tatapoume et le kid derrière ses fûts tatapoume comme une grosse horloge, pas celle que photographient les touristes en panne d’imagination à Rouen, mais la grosse horloge de Buster Keaton dont les aiguilles tournent à l’envers.

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    C’est du vrai gaga-punk, celui qui ne respecte pas les limitations de vitesse, ils ont raison, les Black Mambas, les lois sont faites pour être transgressées, sinon à quoi serviraient-elles ? Pendant qu’on se pose la question, ils continuent de foncer, en fait, c’est tout ce qu’ils savent faire, d’une part, et c’est tout ce qui les intéresse, d’autre part. Le Chicano barbu mouline à Moulinsart (hello Hergé), il fait le show dans son recoin d’ombre, il multiplie les riffs et les raffs, injecte des retours de manivelles dans son cocotage, il zèbre ses ruines de gammes d’éclairs, il joue très visuellement, levant sa gratte comme le fit Wayne Kramer au temps béni du MC5 et auto-détruit ses riffs et ses raffs en voulant faire du Williamson, il gratte pour dix et finit par voler le show. De toute évidence, Tarentino aurait adoré ce concert. 

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    Signé : Cazengler, Black Merda 

    Black Mambas. Le Trois Pièces. Rouen (76). Le 23 mai 2022

     

     

    Inside the goldmine - Clydie donc !

     

             Cloudy vécut une enfance heureuse jusqu’au jour où sa mère abandonna le domicile conjugal. Les infidélités du père avaient épuisé sa patience. Elle partit s’installer aussi loin que possible et fit ce qu’elle put pour surmonter son chagrin, car bien sûr elle dut abandonner Cloudy et son frère aîné. Son départ plongea Cloudy dans le silence. Il s’éteignit, tout simplement. Il continuait d’aller au collège, mais éteint. Il cuisinait, mais éteint. Les filles ne l’intéressaient pas. La musique ne l’intéressait pas. Il ouvrait les yeux sur le monde qui l’entourait, mais ne le voyait pas. Il écoutait mais n’entendait pas. Il vivait sans vivre, selon un rythme d’apparence normale, et personne, c’est-à-dire son frère et son père, ne s’inquiétait. Son père absent du lundi au samedi ne pensait qu’à son chiffre d’affaires et à ses conquêtes féminines. Quant à son frère aîné, il cédait à tous les caprices de sa libido, profitant de cette liberté inespérée. Personne, c’est-à-dire son frère ou son père, n’aurait pu décrire les gestes ou les paroles de Cloudy. Ils en oublièrent jusqu’au son de sa voix. Cloudy ne s’est jamais plaint. Il n’avait pas besoin de parler puisqu’on ne lui demandait jamais rien. Il n’était pas absent puisqu’il était là. Il prenait place à table, mangeait puis sans mot dire allait laver la vaisselle, et tout le monde, c’est-à-dire son frère et son père, trouvait ça normal. Une fois la vaisselle lavée, essuyée et rangée, Cloudy regagnait sa chambre et se couchait. Dormait-il ? Personne, c’est-à-dire son frère et son père, n’aurait pu le dire. Cloudy traversa ainsi les semaines, puis les mois, et les mois devinrent des années, il vécut ensuite à droite et à gauche dans des foyers étudiants, s’accommodant de chambres minuscules, se contentant de ressources avoisinant le néant, se nourrissant de peu, plongeant toujours plus profondément dans le silence. Il finit par s’absenter de lui-même, c’est-à-dire qu’il quitta son apparence, comme sa mère avait quitté le domicile conjugal, et il s’éloigna. Sans mot dire.   

     

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             Alors Cloudy et Clydie sont dans un bateau. Cloudy tombe à l’eau. Que reste-t-il ? Clydie. Il se pourrait que Clydie King ait mené le même combat que Cloudy : comment réussir à exister ? Clydie a sans doute eu plus de chance que Cloudy, même si ses albums sont difficiles à choper. Elle fait parties des petites blackettes immensément douées issue de la grande mouvance des choristes de Revues, notamment les Ikettes, mais aussi les Raelets, dans lesquelles on retrouve Minnie Riperton, Merry Clayton, Edna Wright, Mable John et Clydie. Mais ce n’est pas tout ! Clydie forma les fameuses Blackberries avec l’ex-Ikette Venetta Fields et ce sont elles qu’on entend sur l’excellent Eat It d’Humble Pie, enregistré pendant la tournée américaine de 1973. Elle passera quasiment toute sa carrière à faire des chœurs pour les grands de ce monde, mais elle parviendra à enregistrer quelques albums et à exister en tant que Clydie King.

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             Clydie King sort son premier album solo en 1970 : Direct Me. Fort bel album. En B, elle fait sa Diana Ross avec «‘Bout Love», dans une ambiance très Motown. Elle propose un mélange assez unique de sugar et de Soul. On se régale encore de «There’s A Long Road Ahead», un slow groove à cheval sur la Soul et le rock. Elle chante fabuleusement bien, elle claque le petit chien de sa chienne. Avec «You Need Love Like I Do», elle passe à une ambiance plus funky, elle tient bien la pression du chant. Le morceau titre qui ouvre le bal d’A est un fantastique shoot de r’n’b avec un nommé Bob West on bass. Elle chante ça avec toute la hargne dont elle est capable. Tous ses cuts sont bien bâtis, bien interprétés, «Ain’t My Stuff Good Enough» est un slow groove d’une grande solidité. Ah elle est balèze, la petite Clydie ! Elle passe au fast ride avec un «Never Like This Before» bien fouetté des peaux de fesses, elle reste dans sa pop de Soul, ce qui la distingue des autres Soul Sisters.

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             Paru en 1976, Brown Sugar n’est pas l’album du siècle. Clydie chante au sucre de Sugar, une espèce de petite pop presque Motown. Il vise la suprématie des Supremes avec «Moonlight And Tamming You», et met un peu de lait dans le sucre. Elle se cantonne à la petite Soul bien foutue, elle s’inscrit dans la volonté de Dieu, elle frise le Delaney & Bonnie avec «If You Like My Music», c’est assez direct et même plutôt excellent. Mais elle reste un peu trop le cul entre deux chaises, pop et rock seventies. La viande se trouve en B avec «Loneliness», elle tape dans la Ross de Motown, elle adore la Soul dansante, son sucre est superbe, son «Loneliness» est le hit des jours heureux. Elle fait un peu plus loin une cover bizarre du «Dance To The Music» de Sly, beaucoup plus groovy que l’original, mais pas inintéressante. Elle gère bien la situation, elle chante aux nerfs d’acier, keep on dancin’, et même en biseau. Elle termine avec un shoot de gospel batch intitulé «Weep For Me» qui surprend par sa belle allure.

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             Attention : Rushing To Meet You et Steal Your Love Away proposent les mêmes cuts. Il vaut mieux rapatrier le premier car la pochette est plus jolie. Dès «Rushing To Meet You», Clydie est rattrapée par son passé d’Ikette. Elle tape un rock de Soul digne de celui d’Ike, très soutenu au beat et aux chœurs, tendu à se rompre. Teeny Hodges joue sur cet album. Avec «Punish Me», Clydie va sur une belle Soul classique. Elle danse comme la reine de Saba. Et puis elle nous fait craquer avec «Our Love Is Special», un hit de good time music, la Soul des jours heureux. Rien qu’avec ces trois cuts, Clydie King rafle la mise. En B elle chante son «Woman» à l’insistance catégorielle, elle chevauche bien son dragon, elle est très au faite du lard fumant. Encore un balladif d’ambiance certaine avec «Morning Sun». Elle fait tout le boulot au chant et finit par envoûter les clefs de voûte.

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             Pour les fans de Clydie et tous les becs fins amateurs de Soul Sisters vénérables, The Imperial & Minit Years est un passage obligé, d’autant que ça démarre avec la doublette fatale «The Thrill Is Gone» (une merveille de spectorisation des choses, Clydie y fait sa Ronnie) et «If Your Were My Man» qu’elle tape au pur Motown Sound. Elle le traite à la petite voix mijaurée, mais my God quelle classe ! Elle mixe Motown & Spector. Elle fonce droit sur le Motown Sound avec «My Love Grows Deeper», elle y ravage le dance floor, elle jerke la Soul, c’est du pur black genius, elle a tout l’écho de Motown derrière elle. On retrouve cet éclat dans «Ready Willing & Able», elle y va de bon cœur, elle ramène une énergie incomparable. Elle refait du pur Motown avec «I’ll Never Stop Loving You», mais toute seule , elle est balèze. Elle bat tout Motown à la course. Elle est encore surréelle de Motown craze avec «He Always Comes Back To Me». Sur «I’m Glad I’m A Woman» elle sonne exactement comme Bobbie Gentry et elle lui rend ensuite hommage avec une cover d’«Ode To Billie Joe», rythmée à la caisse claire. Ses grooves de r’n’b sont assez magiques, comme le montre encore «The Way I Love My Man», elle monte au sommet pour créer une diversion. Et puis tiens, encore une merveille de wild r’n’b avec «You Can’t Make Me Love You».

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             David Cole et Bob Fisher nous brossent un vaillant portrait de Clydie, née au Texas, mais ayant grandi à Los Angeles. Elle démarre à 14 ans avec les Bihari Brothers (un single), puis avec Art Rupe chez Specialty (deux singles produits par Sonny Bono). Puis Quincy Jones la conduit à signer chez Imperial et elle passe aux choses sérieuses avec «The Thrill Is Gone» et «If You Were My Man» deux cuts signés Jerry Riopelle. Clydie dit qu’elle a toujours aimé Phil Spector - He was the most attractive man - Et puis en 1966, elle entre dans les Raelets, avec Gwendolyn Berry, Merry Clayton et Lilian Fort qui nous dit Clydie sont the original Raelets, aussitôt après le départ de Margie Hendryx. Et puis en 1968, quand Ray Charles vire Gwendolyn, les Raelets démissionnent. Clydie évoque ensuite le fameux Dylan’s Gospel sorti sur Ode Records, puis la formation des Blackberries avec l’ex-Ikette Venetta Fields et Shirley Matthews, qui vont accompagner Humble Pie, comme déjà dit. Clydie fait des backings derrière pas mal de gens, B.B. King, Joe Cocker, les Stones, Nancy Sinatra et, dans les années 80, elle fricote avec Dylan. Elle vit avec lui en Angleterre et on la retrouve sur Saved. Elle dit qu’il existe au moins un album entier d’inédits d’elle avec Dylan. 

    Signé : Cazengler, King Kon

    Clydie King. Direct Me. Lizard 1970

    Clydie King. Brown Sugar. Chelsea Records 1976

    Clydie King. Rushing To Meet You. Tiger Lily Records 1976

    Clydie King. Steal Your Love Away. Baby Grand 1977

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    Clydie King. The Imperial & Minit Years. Stateside 2007

     

    *

    - Ouvrez la bouche, s’il vous plaît !

    - Oui Doctor Chad !

    - Dites 333 !

    - 333 ! livraison Kr’Tnt, du 14 juin 2017, avec King Riders, excusez-moi Doctor Chad, ça m’est venu tout seul, ce n’est pas grave j’espère ?

    - Hélas si, je n’ai pas l’habitude de cacher la vérité à mes patients, vous souffrez d’une bourlonite aigüe, et carabinée si j’en juge votre état !

    - Je sens que je vais avoir droit à l’opération de la dernière chance !

    - Non, c’est une terrible maladie, il n’existe pas d’intervention possible, l’extraction est faisable mais nécessite l’ablation conjointe du cœur et du cerveau, ce qui est gênant pour la survie du malade !

    - Je vais donc mourir bientôt !

    - Pas d’affolement, il vous reste trois jours, soixante-douze heures si vous préférez.

    - Je suis donc condamné, Doctor Chad, je vous en supplie, sauvez-moi !

    - Vous avez de la chance de tomber sur moi, l’ordre des médecins me tient à l’œil mais j’ai une méthode peu orthodoxe qui a fait ses preuves, un médicament miracle basé sur le principe de la thérapie de l’ultra-choc syndromique…

    - Doctor Chad, est-ce douloureux ?

    - Pas du tout, au contraire un traitement très efficace, mais dans ce monde on n’a rien sans rien, c’est excessivement et scandaleusement onéreux, vous devrez me signer un chèque de 3431 Euros et cinquante-sept centimes, je vous avertis non remboursables par la sécurité sociale.

    - Doctor Chad, je vous dois la vie, tenez votre chèque !

    - Bien, je clique sur l’ordonnance, vous trouverez le médicament dans toutes les bonnes pharmacrocks, surtout la bonne ville de Douai car ils sont doués, tenez-lisez !

    - Merci, Merci, Doctor Chad, rien qu’à voir les deux premières lignes je me sens déjà mieux !

    *

    Pour ceux qui mettraient en doute les méthodes curatives du Doctor Chad, voici quelques informations complémentaires. Le samedi 10 juin 2017 nous assistions au 3B de Troyes au concert de King Riders dans lequel Didier Bourlon officiait à la guitare, nous sommes repartis du 3 B avec dans notre poche (la gauche) un CD de Didier Bourlon : Where’s my home de Dr Bourlon and Mr Jack ( Jeronimus Production / 2011 ). Un étonnant et sacrément bon album de rock’n’roll blues existentiel que nous vous recommandons, et voici que vient de sortir un nouvel opus de Didier Bourlon que nous nous hâtons d’écouter.  

    SUPER TARE DU ROCK !

    DIDIER BOURLON

    Didier Bourlon fait partie de cette génération traumatisée par le rock ‘n’ roll. L’a voué sa vie à cette musique du diable. L’a tout vécu, les coups qui font mal et ceux qui vous refilent l’énergie. La pochette de l’album résume toute une existence de combat rock, guitare en bandoulière, clope au bec et bras levés en signe de victoire.

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    Pour la petite histoire vous retrouverez la guitare de Didier Bourlon sur les trois premiers disques des Hot Chickens, l’a d’ailleurs été dernièrement invité par Hervé Loison pour le prochain disque des Torrides Poulets. Citez tous les noms de tous les groupes dans lesquels il a trainé sa gratte à train d’enfer serait trop long, nous ne retiendrons que Roadrunner, Les Red Cabs, Dan Cash and the Road rockers…  

    Fan des Stones, des Yardbirds, d’Alvin Lee, de Merle Travis, de Cliff Gallup, de bien d’autres aussi mais cela suffit à dessiner un paysage qui plonge ses racines dans le blues, le country, les sixties et le rock ‘n’roll…

    Vous avez compris le personnage, un Super Taré du Rock ‘n’ roll !

    Super tare du rock : country flegmatique, avec cette voix un brin nasillarde, cette guitare qui coule comme un rayon de miel dans la gorge d’un grizzly l’on se croirait à Memphis, ben non, le gars est de chez nous et se paie le luxe de chanter en notre doux et bel idiome, l’a saisi l’essence de ce vocal triomphalement désabusé dont seuls  les amerloques de là-bas sont capables, l’est pas au top mais on l’invite à la buvette, toute une philosophie que certains jugeront un peu courte, on les plaint, n’ont pas l’esprit outlaw, lui il n’aime pas le pognon mais est un spécialiste du rock ‘n’roll, c’est ce que l’on appelle un homme libre, en plus l’a une guitare émerveillante. Made in France : après la coolitude country, la décontraction rock ‘n’ roll, au cas où vous n’auriez pas compris Bourlon continue à visser les boulons de son auto-définition biographique, se décrit tel qu’il est, et dans les yeux des autres, et dans sa vie, le tempo trottine allègrement, l’en profite pour balancer quelques vacheries qui ne ratent pas leur cible, l’a l’humour pointu et incisif. Un petit solo pour remettre les pendules des frimeurs à l’heure, doigté et subtilité en prime, pour la rythmique vous en resterez estoned, il revendique ce qu’il est, un gars qui vit comme il l’a choisi, loin des clichés et du chiquet. Le blues dans la peau : vous vous attendez à un  blues, fausse piste, c’est du rhythm ‘n’ blues, ah, ces éclats de cuivres, des coups portés au plexus,  le truc classique la copine qui se tire, pas de quoi en faire un fromage même si c’est un peu rockefort, en tout cas une bonne excuse pour pondre un super morceau, cette alliance guitare-cuivres est une magnifique trouvaille, un savoir-faire incontestable, une démonstration déconcertante. Dans les troquets : un univers que Kr’tnt connaît bien, les concerts dans les bars, mais vu du côté du musicien, pas de plainte, pas de colère, un destin librement accepté, un chien et une guitare, et cette frénésie de jouer jusqu’à la fin de la nuit et les fausses promesse de l’aube, en première ligne, collé à l’essence même du rock ‘n’roll, l’allonge les syllabes pour bien montrer qu’il faut aller aussi jusqu’au bout de soi, héros anonyme du rock ‘n’ roll, star pour quelques passionnés. Mais cela il ne le dit pas, n’a pas la grosse tête, mais un jeu décisif sur les cordes. Le feu occulte : changement de ton, Bourlon ne parle plus de lui, mais du monde, l’élargit son propos, sur un groove insidieusement pénardos, pas de panique ne se lance pas dans un exposé géopolitique de la planète, se cantonne au plus près de nous, à la relation garçon-fille, hululement féminin et guitare pointilleuse plus d’humour que d’amour, jeux de mots et d’autres choses, vocal pince-sans-rire. I don’t know : la suite de la précédente, comme tout ne peut pas être dit nous avons droit à un instrumental, la guitare espace ses notes, l’on n’est pas pressé, faut savoir prendre son temps et faire durer le plaisir, une voix féminine nous berce par intermittence, carré blanc, interlude.

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    Au vintage tattoo bar : retour aux choses sérieuses, si cela ne vous plaît pas, vous pouvez rentrer chez vous, ambiance bar, morceau sans fin, un peu comme une halte au paradis, Bourlon s’y trouve bien (nous aussi) entre habitués, alors il ne se presse pas, la guitare  bourdonne comme une mouche sur la vitre  qui surtout ne veut pas s’enfuir si d’aventure on lui ouvre la fenêtre. Ma régénération : la même chose, sur une rythmique un tout petit plus appuyée, règle son compte avec la société, pas de grandes phrases, juste affirmer ce que l’on est, refuse de céder aux sirènes censées régenter notre vie, peut-être le bonheur réside-t-il en l’idée que tout ce carcan finira un jour par s’effondrer. La guitare rit de toutes ses cordes, ne vous tire pas la langue mais c’est tout juste. Révolution : Bourlon hausse la voix, pas très violemment mais très moqueusement, ni dieu, ni maître, ni chef de bureau, non ce n’est pas encore ce qui passe aujourd’hui mais Didier nous le présente comme un futur très proche, le rock ‘n’roll arrive à petits pas, le temps des médiocrités humaines tire à sa fin, faites gaffe. Chanson d’amour : slow sixties, Bourlon parle (tout fort) à l’oreille de sa meuf, compliments, promesses, aveux, s’il continue il va la demander en mariage, mais non, c’était tout doux, subitement c’est tout aigre, la romance est finie. Didier Bourlon n’est pas le dernier à rire de la comédie humaine. Besoin de vous : ça balance bien, la musique et les vacheries, pas pour les adeptes convainculs du féminisme, Bourlon ne parle pas la langue de bois, un malappris, un voyou ? Non un rocker. Sabine et Amandine : Bourlon prend sa voix de canard dépité, un régal, raconte sa mésaventure, n’en perd pas pour autant son feeling sur sa guitare, souriez, soyez satisfaits ( mais pas remboursés ), sachez apprécier son humour. En extraballdeux morceaux : : Les papillons noirs : attention ces lépidoptères sont beaucoup plus noirs que ceux de Gainsbourg, cette version n’en est pas moins un bijou, les paroles ont changé de mythologie, celle des blousons noirs, bonnes salaisons de guitare, une chanson douce-amère sur les rêves qui ne veulent pas mourir. Que je suis malheureux : ne nous quittons pas sur une note trop triste, la dure vie du guitariste qui rentre chez lui où personne ne l’attend. Pas de quoi écrire un drame shakespearien. Come on, rock ‘n’ roll !

    Didier Bourlon nous offre un excellent album de rock. Français, avions-nous envie d’ajouter, toutefois certains risqueraient de prêter à cet adjectif une consonnance péjorative, ce qui ne correspond en rien à nos intentions. Surtout pas une collection de morceaux disparates. D’abord parce que la guitare les relie par ses notes en points de suspension libérées de la force de gravité, surtout parce qu’il réussit par ses lyrics à dresser le constat de toute une vie dévolue au rock ‘n’ roll, déterminé à en payer toutes les conséquences car assumée avec une indicible fierté.

    Damie Chad.

     

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    Dans notre livraison 472 du O9 / 07 / 2020 nous hissions l’étamine noire de Nasty Nest la compil Comedia de treize groupes qui venait de sortir après le premier confinement. Dans notre livraison du 486 du 26 / 11 / 2020 Nous annoncions la naissance de l’Association insuRECsound, d’obédience libertaire un deuxième confinement a quelque peu retardé l’envol des projets que l’éclosion de Nasty Nest avait suscité, voici enfin la sortie du deuxième vinyle tant attendu.

    STERCORUM HUMANITATIS TRANSLATIO

    ( INSURECSOUND)

    Carton noir. Dans un cercle central de longue-vue se détache un fouillis coloré, les connaisseurs ont tôt fait d’identifier cet étrange navire, c’est La Nef des Fous, celle de Jérôme Bosch, mais revisitée par la luxuriance peinturlurée de Martin Peronard.

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    Pas d’embrouille dans le symbole, si par son tableau Bosch posait une critique de la dégénérescence des mœurs de ses contemporains (et peut-être d’une partie du clergé) il n’en appelait pas moins à un redressement moral. L’Histoire nous a appris que ce genre d’appel est vite récupéré par les affidés du Pouvoir qui saisissent l’occasion de cette émergence critico-idéologique pour la dénaturer soit en créant une nouvelle oppression – les maîtres changent, les esclaves restent - soit pour raffermir le vieux monde – le discours change, les esclaves restent… Notons que cette dernière alternative par les temps qui courent se révèle être la plus fréquente…

    Ici le concept est différent. L’équipage de cette Nef des Fous n’est pas sans accointance avec la naissance de l’utopie pirate. L’on ne compte que sur la réunion d’individus décidés à se battre contre toute manipulation pour assurer leur épanouissement personnel et collectif dans un monde dégagé de toute structure oppressive.

    La pochette se déplie en trois volets. En haut à gauche, reléguée dans un coin, la nef des fous est accostée et désertée, l’équipage n’est pas loin, vaque à ses occupations, Martin Peronard a peint un triptyque continu de l’occupation humaine. Dans le mot occupation voyez la négation du mot travail, ici c’est une foule heureuse qui s’adonne à ses passions, est-ce un hasard, beaucoup de musique et de joie, chacun œuvre selon ses préférences, l’entraide naît spontanément des comportements individuels.

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    Ce n’est qu’un rêve, une projection. Un livret noir nous rattache à la réalité. Chacun des 18 groupes a droit à deux pages, l’une de présentation, sur l’autre le texte du morceau. Le lecteur dira que pour le moment la réalité est bien organisée. Z’oui mais vous avez deux textes introductifs qui éclairent le propos du sujet. Le monde va mal, vous n’êtes pas sans l’ignorer. Le pire c’est que de-ci de-là les tentatives de révolte plus ou moins violentes ou symboliques qui se développent ne parviennent pas faire sauter le bouchon du contrôle social policier et culturel qui obstrue la cheminée du volcan.  Ce Stercorum Humanitatis Translatio – Transfert des Rebuts de l’Humanité pour ceux qui ont refusé d’apprendre les déclinaisons latines – évoque une fuite métaphorique dans la création d’une île paradisiaque. Illusoire, certes. Mais l’art du billard nous a appris que les boules s’entrechoquent et se poussent les unes les autres. Un peu comme dans la théorie des catastrophes une pratique idéelle aussi fragile que l’aile d’un papillon peut déclencher un tsunami révolutionnaire en un endroit quelconque du monde. Ne nous étonnons pas si cette compilation met en relation des groupes issus de nombreux pays. Une étincelle peut mettre le feu à toute la plaine. Encore faut-il entrechoquer les silex.

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    Excluded : Abajo a la Izquerdia : ne sont pas de droite, la gauche qu’ils veulent abattre c’est la molle, la libérale, la social-démocrate, ne viennent pas du Mexique par hasard, sont des partisans de l’expérience zapatiste,  ( du Chiapas pas de Frank Zappa pour ceux qui n’entrevoient le monde qu’avec des filtres rock ‘n’ roll  ), punk politique d’évidence, vocal vomissure, une voix parlée plus compréhensiblement didactique prend de temps en temps le relais, derrière l’ instrumentation ressemble à de la mauvaise herbe qui pousse drue et se moque des engrais coercitifs. Korso Gomes : La edad del progreso : proviennent de la mouvance punk argentine, musique un tantinet plus élaborée, la voix pose les bonnes questions, celles qui par leur pertinence contiennent la  réponse juste. Dénonciation sans fard du capitalisme, sur une rythmique dans laquelle résonnent des échos de fandango. Rat Eyes : 20 megaton : les rats sont partout même en Russie, sirènes d’alerte sur batterie martiale et puis déboule l’horreur lourde de l’apocalypse nucléaire, la voix est accusatrice, comment un seul homme peut-il détruire une partie de la planète, la réponse qu’ils ne donnent pas est évidente, parce que vous lui avez laissé le pouvoir, l’œil du rat voit plus clair que des millions d’autres, une constatation fulgurante. Anti-Clockwise : Break down the barriers : coucou les cocoricos, ce sont de braves petits gars bien de chez nous ( Kr’tnt a déjà assisté à leur concert ) chantent en anglais, à fond de train un peu pistolien qui vous met en joue et vous pousse au cul de l’action, vous nomment une par une toutes les barrières qu’il est nécessaire d’abattre maintenant pour que l’on puisse espérer un vrai futur dans la française république. W. A. B. : Human bastards : estan de tras de los montes pirenaicos, leur nom White and Black signifie qu’ils détestent les nuances, se considèrent comme une entreprise de démolition, mais à quoi bon détruire les murs si vous ne tuez pas les enfoirés qui les habitent, vous bazardent illico le riff pour que vous vous enfonciez cette constatation élémentaire dans le cerveau, voix haineuse et déterminée sur des roulements de batterie ultra-rapides. Silly Walk : Too old to die young : ( les avons déjà chroniqués en Kr’tnt ), des français un peu introspectifs quant aux paroles jetées à la diable  sur musique violente, elles posent la question métaphysique essentielle, ni celle de la mort, ni celle de la vie, celle de la survie, de cette énergie qui vous contraint à refuser l’usure du temps. Thématique rock ‘n’ roll essentielle. Il importe de ne pas se renier. Kurt 137: Camarade humain : z’étaient déjà là du temps d’OTH, ont connu diverses reformations… l’accompagnement défile à toute vitesse, au vocal ils manient l’ironie, l’on aurait pu prévoir un hymne révolutionnaire, sont sans pitié sur la crédulité humaine, pourtant nous on croit à leur morceau. Pourtant ils exagèrent, ne sous-entendent-ils pas que des réfugiés meurent en Méditerranée. Quelles fake news ! Popspish Potom : Koro Eto Ebët : de Novgorod, après l’ironie voltairienne le fatalisme russe, qu’avons-nous à faire avec tout ce que l’on nous offre, oui qu’avons-nous à en faire répètent en boucle les chœurs tandis que le vocaliste vous entonne avec dégoût et colère l’énumération du monde, non ce n’est pas un héros, cède, comme vous, facilement pour une jolie fille et un accès direct VIP. Cockbox : Say no to plastic : viennent de Finlande, cochent toutes les bonnes cases, anti-sexistes, anti-fa et pro-écologistes, pas de surprise une fille égosille l’urgence de l’exploitation, un peu monotone tout de même, l’on sent davantage le positionnement que l’authenticité.

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    Jars : Meth : Kr’tnt apprécie au plus haut point Jars, leur mur de son sans faille et des paroles aux angles non arrondis, préparez-vous à acheter un cadeau pour le bébé, un flic est né, Jars vous explique les mutations intellectuelles nécessaires à cet auto-engendrement. Tout est dans la tête, choisissez les bons éléments. D.N.O. : Loutky : origine : Tchéquie, musique serrée et voix de gorge djentée, déclarent leur haine envers le système sans ambages, ne sont pas des marionnettes, la musique se précipite comme si elle était prisonnière d’une force incoercible. Peut-être le meilleur morceau de l’opus grâce à sa perfection formelle.  SNüBBED : Nothing new : du nouveau dans le disque : des Irlandais d’Irlande, à part ça rien de neuf dans le monde, vous l’annoncent à la moulinette électrique suractivée, pisse et merde, deux mots suffisent à définir votre existence. Sans pitié. Excellent. Là où il y a l’être il y a de la merde disait Antonin Artaud. Self Control : Exploit time : nos cousins du Canada nous enjoignent de vivre fort, le temps est à nos trousses, il est urgent de céder à nos passions, la bande-son en formule 1, ne faiblissez pas sur l’accélérateur, après l’heure ce ne sera trop tard, exploitez votre temps à donfe, n’en laissez la concession à personne. Missiles of October : Don’t Panik :  nous ont impressionnés en concert à la Comedia étaient venus tout exprès de Belgique pour nous ouvrir grand les oreilles, on les retrouve égaux à eux-mêmes, titanesques. Leurs missiles font mouche à tous les coups, pas de surprise, les êtres humains englués dans leur médiocrité ne changent pas. Prince Albert : Société transhumaine : des mecs bien, ils citent kr’tnt dans leur présentation, crèchent dans la capitale reine du monde, pas le genre de gars à ressasser le présent, ont les yeux tournés vers le futur, des outre-punk en quelque sorte, y a un problème, notre avenir transhumaniste ne semblent pas gai, on leur pardonne car le morceau si désespéré soit-il est le plus novateur de la galette. Bikini Death Race : Fuck off and die : musique électronic – certains vivent avec leur siècle – une voix féminine s’adresse à nous, nous dit nos quatre vérités (celles qui malheureusement ne sont pas bonnes à écouter ) mais on ne le leur reprochera pas, car c’est drôlement bien foutu.  Moscow : System disposal : trompent leurs ennemis, ne sont pas moscovites mais des italiens, n’ont pas jugé utile de mettre leurs lyrics, c’est vrai qu’ils font beaucoup de bruit, un noise rock des plus confortables, transcendent leurs instruments – beaucoup les assourdissent - dans la pâte sonore, vous entendez ce morceau et vous allez voir sur bandcamp le reste de leur production. Preuve que c’est bon. Les Critters : Sans retour : combien de fois les avons-nous vus à la Comedia, on les retrouve avec plaisir, foncent dans la psychotique brume sur le bitume, vous montez sur le siège arrière et vous criez ‘’ plus vite, plus fort’’ et ils accélèrent. Quoi de plus excitant !

             Hardis moussaillons, montez à bord sans tarder et rejoignez cet équipage de passagers clandestins, vous découvrirez les différents archipels du punk et du hardcore international. Tous les naufrages, toutes les robinsonnades, tous les abordages sont permis, avec un peu de chance vous ne retournerez plus dans ce monde glauque et fétide dont on voudrait nous faire croire qu’il est notre patrie naturelle !

    Pas trop d’optimisme non plus, nous terminons sur une note grise de tristesse et noire de colère. Au doux mois durant lequel il importe de ne pas se découvrir d’un fil, ce 12 avril 2022, une benne à ordures, oui cela s’est passé durant le quinquennat actuel de la mairie de gauche de Montreuil, s’est arrêtée à 9H 30 devant LA COMEDIA et tout le contenu du local est parti à la poubelle… Depuis plusieurs années les autorités ne voyaient pas ce lieu de liberté musicale tenu par Rachid d’un bon œil, elles ont fini par le fermer… Le phénix finit toujours de renaître de ses cendres.

    Damie Chad.

     

     

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    Premier EP de Pogo Car Crash Control : Crève ( aspect Pogo ) un titre jubilatoire que l’on reçoit en pleine poire comme un crachat, nul besoin de rédiger une thèse de troisième cycle pour en comprendre la signification, fureur adolescente, cela leur passera affirmaient les esprits pondérés, c’était en l’an de grâce 2016, en 2018 Déprime hostile (aspect Car )débarque dans les bacs, ahah ! on vous l’avait bien dit celui qui se révolte et se maintient dans cette attitude stérile se heurte à l’hostilité du monde et se recroqueville sur lui-même à la manière d’une huitre plongée dans un puits de pétrole, malgré les avertissements des intelligences modérées le Pogo s’est obstiné, le résultat ne s’est pas fait attendre, en 2020 paraît Tête blême ( aspect Crash ) comment voulez-vous que ces entêtés ( bientôt étêtés ) puissent arborer  un sain bronzage de winner s’ils continuent à s’enfoncer dans leur rage incandescente, vont finir par crever – c’est celui qui le dit qui le fait - prophétisent les étroites cervelles, parions que ce sera leur dernier étron. Mais les Pogo sont toujours là, ont survécu au confinement, ils éditent en ce joli mois de mai (fais ce qu’il te plaît) leur quatrième opus.

             Lorsque vous cliquez sur le FB de Pogo Car Cras Control, un petit i informatif se préoccupe de vous : Voulez-vous vraiment continuer ? Cette recherche contient peut-être du contenu graphique ou violent pouvant heurter la sensibilité de certaines personnes. Combien précautionneux, pusillanime, hypocrite, et castrateur est devenu notre univers ! Les Pogo sont out de l’ouate, le titre de leur nouvel album est sur la bonne fréquence, celle d’un monde de plus en plus violent.  

    FREQUENCE VIOLENCE

    POGO CAR CRASH CONTROL

    ( Panenka Music / 27 – 05 – 2022 )

    Si tu ne vas pas à la montagne, la montagne vient à toi affirmaient les sages chinois, la pochette de Fréquence Violente est l’illustration parfaite de cet adage sinophile imbibée de la subtile pensée de Lao Tseu.  Hélas parfois   la rencontre se révèle plus brutale qu’espérée. Je vous rassure ce n’est ni un accident, ni un meurtre, ni un suicide, tout simplement les trois en même temps. Trinquons à notre santé ! Vous avez l’image choc, intéressons-nous à la musique chic.

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    Simon Péchinot : guitar / Lola Frichet : bass / Louis Péchinot : drums / Olivier Pernot : vocal.

     

    Tourne pas rond : une intro de fin du monde, La chute de L’empire Romain et Armagueddon en même temps,  cela ne présage rien de bon, au minimum l’extinction de la race humaine, un obus malveillant descendu des étoiles se dirige vers notre planète, pas de panique cette magistrale ouverture se jette en un groove beaucoup moins grandiose, ce n’est pas le monde qui fonce vers le mur, c’est juste un seul être humain qui ne va pas bien dans sa tête,  le vocal d’Olivier nous projette en peine psychose, pauvre gars l’a le cerveau qui se disloque, un conte de la folie ordinaire chaotique, mais c’est comme sur les voitures ce sont les enjoliveurs qui exaltent la chaorrosserie, les Pogo en rajoutent, vous avez des sommités de sonités qui tressent des arabesques un peu partout, ça fuse et ça ne se refuse pas, les Pogo misent sur l’esthétique du désastre, qu’importe la fin si elle est belle. Traitement mémoire : vous croyiez que tout est perdu, notre société possède un remède pour tous les maux, suffit d’un petit traitement spécial pour vous remettre les idées en ordre, après la maladie l’alexipharmaque, un morceau glaçant, la folie n’est pas qu’à l’intérieur de vous, celle-ci n’est que le reflet du carcan sociétal, une espèce d’autocritique masochiste, il n’est de pire esclavage que celui qui s’enchaîne lui-même. Morceau morcelé, les Pogo ne se lancent plus dans les raids de la colère collective, z’ont tous les ingrédients, mais les découpent, ne les mixent pas, les utilisent chacun à leur tour, les disposent avec soin, les valorisent, jouent sur les contrastes, cherchent l’effet en devenant les maîtres de ses causes. Imposent un nouveau traitement à leur habitude. Cristaux liquides : que disions-nous, nouveau son, je ne sais pourquoi mais l’intro m’évoque La belle saison des Dogs, inouï les Pogo nous offrent une balade, pire une chanson d’amour aussi triste que la mort, n’ayez crainte de temps en temps vous avez des grésils de guitare de pogoïte aigüe, écoutez plutôt les paroles, ne sont-elles pas comme la suite lyophilisée des précédentes. Reste sage : sur le clip cette piste est présentée comme la suite logique du précédent, l’on retrouve les Pogo violents tels qu’on les aime, mais le délire est contenu, segmenté, avec de temps en temps cet éloignement sonique qui surfe comme une image floue qui essaie de se former dans le cortex des derniers humanoïdes. Ne sortez pas votre mouchoir pour pleurnicher en cachette, l’humour mortel des Pogo est ravageur. ( Ne manquez pas de visionner la vidéo couplée à Cristaux liquides ). Fréquence violence : à fond les ballons crevés, hypothèse folle, le mouvement ne serait-il qu’une image de l’immobilité, d’ailleurs à mi-morceau, vous avez une halte-pipi pour repartir certes, et à la fin qui s’éloigne z’avez l’impression d’une guitare country en roue libre, toujours ce désir de fragmenter le cours de l’histoire de la rage, le Pogo joue sur les ralentis et les arrêts sur image. Le texte est justement la carte postale de la société du spectacle dont nous sommes les acteurs sans le savoir. Passe-moi le bébé : intro : la guitare nous nargue, et la rythmique char d’assaut se met en place, il est temps de remarquer que sur cet album la voix est posée devant et les grandes chasses à courre derrière, passe-moi le groove, et voici que tout glisse sur le verglas, encore une fois les Pogo ne s’endorment pas sur le riff, vous le servent à tous les parfums, s’écartent de la doxa garagiste, nous la font à la styliste, la performance et le flashy. Renouvellent la gamme. Extro bruiteuse. 

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    Me parlez pas : un peu de larsen pour jouer l’arsène qui s’introduit dans une fête, les sociologues parleront du mal-être de la jeunesse, les moralistes emploieront le concept de dégénérescence, chez Kr’tnt l’on aime tout simplement,  les Pogo vous donnent les deux faces de la party, celle vécue et celle réceptionnée par le gars qui l’expérimente, d’où ces allers-retours entre le speed-trashy et régulièrement l’éloignement, le décollement de la réalité, l’instrumentation devenant élastique, le temps s’allonge jusqu’à ce break de guitare acoustique qui remet la balle au centre aux trois-quarts du morceau. Ville prison : musicalement le frère jumeau du précédent, les effets encore plus accentués, notamment sur le vocal victime de diverses manipulations, étiré comme une bulle de chewing-gum, réduit à une élémentaire élocution, concassé, hurlé, réverbéré, idem pour les instrus qui nous en montrent de toutes les couleurs, jusqu’au bourdonnement final. La ville c’est comme la vie, une prison dont presque personne ne veut sortir. Dans la série mon malaise est mon doudou, les Pogo ont pondu une berceuse de notre temps, qui part dans tous les sens et qui vous tiendra éveillé tout le restant de votre existence.  Recommence à zéro : tiens, ils ont mis un second slow sur le disc, soyons juste l’emprunte bien de temps en temps la base harmonique de Cristaux liquides, mais ça décolle souvent à la vitesse d’une fusée intergalactique, nous voici transportés en quelques secondes à des années-lumière en une espèce de blues psychédélique qui aurait brisé les chaînes de sa structuration habituelle. Très fort. ( Sorti ce trente mai  sous forme d’une double-vidéo avec Tourne pas rond,  tout l’humour déjanté des Pogo s’y retrouve ).Tu peux pas gagner : dans le genre ne faites pas l’amour, faites la guerre le morceau avance sur des chenilles implacables, toute allusion à l’actualité ne saurait être fortuite, brouillements de radars, ferblanteries blindées, départs de missiles, les Pogo ont toute la panoplie sonore, capharnaïque et pandémonique, qui se termine par un funèbre te deum, vocal-objurgation, rage impuissante et compréhensive. Rien ne sert de se voiler la face. Si les Pogo font du bruit c’est que leur musique annonce le futur de notre monde. Aluminium : après l’âge du fer, celui de l’aluminium – pas très mignon – tempo violent et inhumain, Olivier hurle à se briser les cordes vocales, le futur technologique s’éloigne de la bête humaine, les supplications n’y pourront rien les hybrides ne savent plus qui ils sont, fin brutale, ce monde qui vient est inéluctable. (Le morceau a été édité sous forme d’une vidéo au mois de septembre 21, surprenante quand on songe aux délires habituels du groupe, rien à voir avec celles qui l’ont précédée et suivie, un fond gris uniforme, deux avant-bras aluminés sur un fond noir qui se rapprochent mais ne parviennent pas se prendre la main, se touchent du bout du doigt mais reculent aussitôt comme les cornes rétractiles de l’escargot.  Faudrait-il y voir une interprétation moderne et dérélictoire de La création d’Adam de MichelAnge… ) Criminel potentiel : martelage groovy, le vocal scandé sous forme de slogans accusatoires. Les brodequins de fer de l’arraisonnement de l’homme par la civilisation technologique en gestation. La musique marche au pas, elle n’oublie pas de vous tirer la langue pour vous faire la nique, les Pogo ne nous peignent pas l’avenir en rose. Ne vous plaignez pas de ce bouquet d’épineux aux piqûres empoisonnées qu’ils viennent de nous tendre. ( Existe en simple couplé avec Aluminium qui induit l’emballage. )

             Un opus de grande qualité. Les Pogo se sont renouvelés sans se trahir. Chaque morceau est une petite merveille emplie d’essais et de trouvailles. Superbe boulot de Francis Caste au son et au mixage, d’une précision exemplaire, l’a su regrouper les instruments et les rendre indissociables, l’a forgé un alliage de haute plasticité, l’a mis au point la grammaire phonique des prochaines productions de Pogo Car Car Control. Fréquence violence ( aspect Control ).

    Damie Chad.