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CHRONIQUES DE POURPRE 614 : KR'TNT 614 : ELVIS PRESLEY / JOE MEEK / ANTON NEWCOMBE / LULLIES / RACHEL STAMP / ROCKABILLY GENERATION NEWS 27 / MYKOSTERION / OLLA VIA / HOWLIN' JAWS / ROLLING STONES

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LIVRAISONS 614

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR’TNT KR’TNT

05 / 10 / 2023

 

ELVIS PRESLEY / JOE MEEK

ANTON NEWCOMBE / LULLIES / RACHEL STAMP

ROCKABILLY GENERATION NEWS

MYKOSTERION / OLLA VIA

HOWLIN' JAWS / ROLLING STONES

 

 

Elvis et la vertu

 - Part Four

 

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         Victime de sa notoriété, Peter Guralnick revient deux fois cette année dans le rond le l’actu : avec The Birth Of Rock ‘n’ Roll: The Illustrated Story Of Sun Records And The 70 Recordings That Changed The World (qu’il co-signe avec l’excellent Colin Escott) et Elvis 1956. On dépiautera The Birth Of Rock ‘n’ Roll une prochaine fois. Cette semaine, on va se contenter d’examiner les entrailles d’Elvis 1956. Et accessoirement d’y lire des oracles.

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         Elvis 1956 est une sorte de petit coup de maître. Si tu veux apprendre à écrire, lis Guralnick. En matière de rock-writing, c’est un modèle. Rock au sens large. Guralnick écrit aussi sur le blues, la country et surtout l’intelligence des gens. Guralnick ne s’intéresse qu’à ça, à l’intelligence. Donc il nourrit son lecteur. Il fait partie des auteurs qui te mettent en sécurité. Guralnick ? Les belluaires et porchers n’y vont pas.  

         Pour l’Elvis 1956, l’éditeur aurait pu très bien choisir comme sous-titre «La Rançon De La Gloire». Eh oui, Guralnick a déjà fait deux fois le tour d’Elvis avec Last Train To Memphis - The Rise Of Elvis Presley et Careless Love - The Unmaking Of Elvis Presley. La messe était dite, et bien dite, et même redite avec le Sam Phillips de 700 pages. Mais l’idée de redire tout le bien qu’il faut penser du premier album d’Elvis est une idée géniale. Le premier album sans titre d’Elvis est en quelque sorte un point de départ. LE point de départ. Pas de discothèque crédible sans cet album. Un album qui fait honneur à l’île déserte. Même s’il est sorti sur RCA. Et pourtant, comme nous l’explique Guralnick, c’est encore du Sun, puisque Bill Black et Scotty Moore sont dans le studio. Donc ça rocke. Et c’est qui qui t’emmène dans le studio ? Guralnick !

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         Avant d’entrer dans le studio RCA de Nashville, jetons un petit coup d’œil sur l’objet. Pas trop cher, l’Elvis 1956 se présente sous la forme d’un petit book coquet, de la taille d’un livre de poche, mais avec une couve en dur, car le CD de l’album est encastré dans la troisième de couve. Petit aussi par la pagination : 80 pages. Tu l’as bien en main. Superbe équilibre : grand artiste, grand auteur, grand disque, petit book, belle langue, peut-on rêver mieux ? La réponse est non. Le book est farci d’images d’Elvis en studio, alors pour l’œil, c’est du gâtö. On se lasse beaucoup moins des photos d’Elvis Presley que de celles d’Elvis Costello.  

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( Steve and Elvis ! )

         En vieux loup de mer, Guralnick commence par planter son décor. Le mec qui a racheté le contrat d’Elvis n’est pas le Colonel comme le pensent le belluaires, mais Steve Sholes, un A&R d’RCA. Il porte la responsabilité du rachat, une somme astronomique pour l’époque. RCA veut donc un retour sur investissement. Sholes a pour mission de commercialiser ce petit trou du cul d’hillbilly dont personne, excepté dans le Sud, ne sait rien. Sholes a donc choisi des chansons commerciales du genre «Wham Bam Zigetty Zam» pour la première session prévue à Nashville en janvier 1956. Il faut séduire le vaste public des rombières réactionnaires qui regardent chaque jour midi et soir le journal télévisé.

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         Le petit trou du cul d’hillbilly n’a que 21 ans. Il n’a même pas écouté les conneries que lui a fait passer Sholes. Fuck Sholes ! À 14 h, il se pointe au studio en pantalon rose et bam ! Il claque «I Got A Woman». Pas prévu au programme. Sholes, nous dit Guralnick, est consterné. Le petit trou du cul d’hillbilly fout le souk dans la médina d’RCA ! Il shake son Got comme s’il était sur la chaise électrique. Il rocke son Got devant un public qui n’existe pas. Guralnick manque de mots pour dire sa fascination. Alors il se tourne vers Chet Atkins qui assiste à la séance - A phlegmatic man qui avoue ne pas être un big fan of the new music - mais, ajoute Guralnick, Chet Atkins est tellement frappé par la singularité de la performance qu’il va passer un coup de fil à sa femme pour lui dire de venir tout de suite au studio pour voir ça - I told her she’d never see anything like this again, it was just so damn exciting.

         Eh oui, le petit trou du cul d’hillbilly est déjà une superstar. Il rocke Nashville. Il rocke les esprits, même les esprits conservateurs. Il rocke Chet. Il ne rocke pas encore Sholes - Sholes for his part was more perplexed than excited - mais on s’en fout. Sholes comprendra plus tard, quand il verra les ventes de l’album s’envoler. Oui, car quel album ! Guralnick fait deux pages sur la première séance, le petit trou du cul d’hillbilly enregistre «I Got A Woman», «Heartbreak Hotel» et «Money Honey».

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         C’est Elvis qui a choisi «Heartbreak Hotel». Il a flashé sur ce «gloom-laden eight-bar blues». Au même moment, Sun sort le «Blue Suede Shoes» de Carl Perkins. You can do anything ! Boom ! Directement au sommet des charts. Affolé, Sholes appelle Sam Phillips pour lui demander s’il s’est gouré en signant the wrong act. C’est Carl le pot aux roses ? Uncle Sam éclate de rire. Il rassure Sholes et ajoute cette phrase historique : «Just don’t try to make Elvis what he’s not.» Ne pas essayer de faire d’Elvis ce qu’il n’est pas. Guralnick en rajoute une petite couche : «Un conseil que Steve Sholes, a loyal company man, était probablement incapable de suivre.» Le troisième cut qu’Elvis enregistre lors de cette première session est le «Money Honey» de Clyde McPhatter - He possessed the kind of pure, ethereal tenor that Elvis sought all his life to emulate.

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         Ça tombe bien, tu les as tous les trois sous la main. C’est «I Got A Woman» qui ouvre le bal du CD encastré. Elvis prend la Woman sous les aisselles et la fait danser, hop hop oh yeah ! C’est la classe dé-fi-ni-tive. Il y met toute sa fougue. «Heartbreak Hotel» réveille de vieux souvenirs d’odeurs de malabars et de camors. On se délecte de la profondeur démente du gratté de Scotty et du slap de Bill Black. Et boom, voilà «Money Honey», assez rockab dans l’esprit, slappé au cœur du mythe et Scotty s’en va une fois de plus briller au firmament avec son chorus clair comme de l’eau de roche. Chaque fois que tu l’écoutes, tu frémis comme un gardon intrépide.

         C’est là où Guralnick est très fort : il nous montre comment ce petit trou du cul d’hillbilly, pris dans l’étau Colonel Parker/RCA, a réussi pendant un an à survivre artistiquement, c’est-à-dire rester fidèle à sa passion pour la musique noire. Attaquer sans prévenir avec Ray Charles et les Drifters, c’est tout de même extraordinaire. N’importe quel autre petit trou du cul d’hillbilly aurait accepté de chanter «Wham Bam Zigetty Zam» pour devenir tout de suite riche et célèbre. Elvis a su garder son intégrité, le temps d’un premier album. Il se fera bouffer un peu plus tard, et le Colonel finira par lui couper les deux jambes en virant Scotty et Bill Black. Ces mecs étaient capables de tout pour faire du blé, surtout de détruire mécaniquement un artiste aussi unique qu’Elvis.

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         Le petit trou du cul d’hillbilly renouvelle l’exploit de Nashville lors d’une session à New York fin janvier. Il ignore complètement les suggestions d’RCA Sholes et tape une cover de Roy Hamilton, l’un de ses «musical heroes», «I’m Gonna Sit Right Down And Cry (Over You)». Elvis situe Roy Hamilton au même niveau que Jake Hess, Clyde McPhatter et Bill Kenny des Ink Spots - each one a virtuosic singer in his own right - Elvis n’en finira plus de dire qu’il n’est pas aussi bon qu’eux et son entourage n’en finira plus de tenter de le convaincre du contraire. Elvis n’est pas dupe. Ne prends pas un hillbilly pour une bille, Billy. Guralnick qui est merveilleusement bien documenté, indique qu’Elvis finit par rencontrer Roy Hamilton en 1969 à l’American Studio de Chips Moman, et lui fait cadeau d’une des chansons qu’il prévoyait d’enregistrer, «Unchained Melody». L’autre hit qu’Elvis claque à la session de New York est le «Tutti Frutti» de Little Richard. Le petit trou du cul d’hillbilly reste dans le black sound. Elvis vénère Little Richard, Chucky Chuckah et Fatsy. Comme Elvis et Ray Charles, Little Richard vient du gospel, avec le whoooping en plus. Jamais en panne de précisions, Guralnick ajoute que Little Richard s’inspire essentiellement de Marion Williams, «with a dash of Sister Rosetta Tharpe thrown in for good mesure.» Little Richard, poursuit Guralnick, n’a jamais remis en cause la sincérité des hommages que lui rendit Elvis.

         Sa version d’«I’m Gonna Sit Right Down And Cry (Over You)» sonne comme le fast jive d’un King. Ces mecs étaient vraiment les rois du swing. Par contre, Elvis n’est pas crédible avec son «Tutti Frutti». C’est le territoire de Little Richard, oh rudie !

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         Toujours à New York, le petit trou du cul d’hillbilly rend hommage aux cracks de la Nouvelle Orleans avec «Lawdy Miss Clawdy». Infernal, Guralnick déterre le pot aux roses. Elvis vénère Smiley Lewis et «One Night (Of Sin)» «became one of his all-time favorites, qu’il va enregistrer un an plus tard sous le titre «One Night With You». Dans les conférences de presse, Elvis ne rate jamais l’occasion de rappeler que Fats is the real king of rock’n’roll.» Fats joue d’ailleurs sur le «Lawdy Miss Clawdy» de Lloyd Price, enregistré en 1952, chez Cosimo. On voit à quel point ces blackos étaient en avance. Ils rockaient déjà l’Amérique. Elvis va claquer «One Night With You» et «Lawdy Miss Clawdy» lors de son spectaculaire ‘68 Comeback. Le même jour, à New York, il enregistre une cover de «Shake Rattle And Roll» du grand Big Joe Turner. Ces deux cuts vont figurer sur le deuxième album.

         Quelle merveille que cette mouture de «Lawdy Miss Clawdy» ! Elvis est sans doute le seul blanc à sonner aussi black sur ce coup-là. Il y croit dur comme fer et derrière, Scotty charge bien sa barcasse.       

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          On trouve aussi des «Sun Sides» sur l’album, c’est-à-dire des cuts enregistrés à Memphis chez Uncle Sam, comme par exemple «Tryin’ To Get To You», un Tryin’ qui, selon Guralnick, aurait pu être l’«Elvis’ finest Sun moment», s’il était resté à Memphis quelques mois de plus. Elvis enregistre Tryin’ lors sa dernière session Sun, durant l’été 1955, et, précise l’infernal Guralnick, le cut sort d’un «obscure Eagles’ single (no, not THOSE Eagles, this was a Washington D.C.-based r&b group that recorded for Mercury) which was a hit only in Memphis.» Guralnick n’en finit plus de jeter tout son dévolu dans la balance. Chaque page de ce petit book est passionnante. Guralnick fait partie des auteurs qui savent faire vibrer un petit book. Il ajoute plus loin que «Tryin’ To Get To You» aurait dû être le sixième single Sun d’Elvis. Toujours selon lui, si Uncle Sam avait pu retravailler le Tryin’ en studio, «il aurait sans doute ralenti le beat d’un chouilla (slowed the beat down a hair) et aurait oublié le piano» qu’on entend sur l’RCA - But «Tryin’ To Get To You» still stand as one of Elvis’ most remarkable recordings, even as a work-in-progress.

         «Tryin’ To Get To You» est un heavy groove de Memphis illuminé par Scotty Moore. Ici, tu as tout : le plus grand chanteur américain de tous les temps, et le pur sonic genius de Scotty Moore. On salue cet extraordinaire équilibre et cette modernité. Aucun groupe de rock n’a jamais égalé le «Tryin’ To Get To You» d’Elvis & Scotty Moore. Vraiment aucun. Avec Trying, on est au sommet de ce que l’art du rock peut offrir.

         À New York, Elvis enregistre aussi sa mouture de «Blue Suede Shoes» avec Scotty et Bill Black. Guralnick indique qu’ils font 13 takes sans jamais parvenir à égaler Carl Perkins - They were never going to do it better than Carl - Mais Elvis ne lâchera jamais l’affaire, il continuera de le claquer sur scène avec le même enthousiasme, au risque de passer pour un gros has-been. Sa cover de «Blue Suede Shoes» est tout de même puissante, Elvis jette tout son poids dans la balance, il fout le feu à Carl et Scotty passe un wild killer solo flash. Carl devait être fier d’entendre cet hommage.

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         L’autre grande idole d’Elvis, c’est bien sûr Arthur Big Boy Crudup. «My Baby Left Me» n’est pas sur le premier album, mais Guralnick l’a collé sur le CD. Il donne la parole à Elvis : «Down in Tupelo Mississippi, I used to hear old Arthur Crudup bang his box the way I do now, and I said if I ever got to the place where I could feel all old Arthur felt, I’d be a music man like nobody ever saw.» Elvis a vu sa prédiction se réaliser, bien au-delà de toute expectitude. C’est avec le «That’s All Right» d’old Arthur qu’il a inventé en 1954 le rockabilly. Il enregistre en plus le «So Glad You’re Mine» d’old Arthur, aussi inclus sur le CD par Guralnick, qui, jamais avare de précisions sonnantes et trébuchantes, indique que dix ans auparavant, le cut fut un «number 3 on the r&b charts.» Elvis a fait coup double : il a permis à old Arthur de récupérer un peu de blé et, nous dit Guralnick, il n’a pas copié l’original mais «créé an exhilarating hommage to one of his guenine heroes.»

         Version démente de «My Baby Left Me», battue sec et descendue par Bill Black. Elvis tape ça au never said a word. Rien de plus wild sur cette terre. La perfection absolue.

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         Le premier album sans titre d’Elvis sort en mars 1956, soit un mois après la dernière session de New York. Ça ne traîne pas chez RCA. Succès immédiat. Sholes n’en revient pas. Allez hop, deuxième album ! Et puis RCA sort des singles, «Hound Dog», et «Don’t Be Cruel». Guralnick : «Quand Sam Phillips a entendu ‘Don’t Be Cruel’ pour la première fois, il jure qu’il a failli perdre le contrôle de sa bagnole. Il avait craint qu’Elvis se fasse bouffer par le corporatisme d’RCA, mais il s’est écrié : ‘Glory Hallelujah, now there is a groove.’ Il a senti qu’Elvis avait trouvé sa voie. ‘It was the total spontaneity. And the rhythm was moving along just right - it [was] pushing him, [but] he... had command.» L’«Hound Dog» est superbe, sans doute le cut le plus wild, le plus tranchant d’Elvis, ça swingue au ain’t no friend of mine et aux clap-hands, c’est le hit absolu, Scotty part dans les graves et monte au ciel.

         Il faut aussi saluer «Just Because», plus rockab, slappé à la vie à la mort, et derrière ça percute aux percus. Scotty y passe un solo cubiste. Quant au reste des cuts, ça baigne dans la bluette à l’eau de rose. Quel gâchis !

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         Guralnick précise encore que la pochette de ce premier album fut prise sur scène à Tampa, Floride, par un nommé Red Robertson. Rigolard, Guralnick ajoute que le Colonel possédait les droits et qu’il a vendu l’image très cher à RCA. Que dalle pour Roberstson. Du coup, Steve Sholes s’est retrouvé avec un album classique (contenu comme contenant) à son actif. Il ne l’a pas fait exprès.

         À la fin de ce très beau texte, Guralnick fait parler des témoins des sessions, histoire de rappeler qu’Elvis était un être extrêmement pur. Le photographe Al Wertheimer témoigne : «Quand un musicien se plantait, Elvis chantait off-key. Le musicien comprenait et faisait gaffe. Elvis n’a jamais critiqué personne, ne s’est jamais plaint de personne à part de lui-même. He’d just say, ‘Okay fellas, I goofed.’» Les témoins soulignent aussi le sérieux d’Elvis. Même après 26 takes, il restait concentré - Sholes déclara qu’après 26 takes, il fallait arrêter. Elvis secoua la tête et demanda à en refaire 5. Quand ils réécoutèrent tous les playbacks, Elvis déclara sans la moindre hésitation que la toute dernière take était le master - Bienveillant et concentré. C’est tout ce qu’il faut retenir d’Elvis, en plus de sa beauté et de son talent. Guralnick finit avec une autre qualité d’Elvis : le flair. Il craque pour «Don’t Be Cruel» : «‘Don’t Be Cruel’ était d’une certaine façon une parfaite représentation du genre de musique qui l’intéressait : catchy, idiomatic, and effortlessly swinging, nécessitant un beat solide et cadencé, et faisant appel à un feeling tordu et désinvolte à la fois. C’était comme le disait Sam Phillips ‘a sad story with a happy beat’, différent des cuts enregistrés chez Sun, mais guidé par les mêmes attitudes et esthétique implicites.»   

Signé : Cazengler, Elvicelard

Peter Guralnick. Elvis 1956. 20th Century Masterworks 2022

 

 

Meek mac

 - Part Two

 

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         Tu peux prendre le Meek mac par n’importe quel bout, tu seras toujours surpris par la qualité de son inventivité. Si tu chopes Bad Penny Blues - The Early Years, tu ne regretteras pas ton billet de vingt. Le côté sépia/jazzy de la pochette peut te rebuffer, alors passe outre la rebuffade, car après tu vas te régaler.

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Meeky Meek se fait les dents sur le swing avec des tas d’artistes oubliés et quand tu vas tomber sur Edmund Hackridge, tu vas goûter au summum du kitsch («Young And Foolish»), ensuite une reine dansera dans tes bras : Shirley Bassey, la jazzeuse ultime de fantastique ampleur, avec «Burn My Candle», elle va te burner ta candle par les deux bouts, elle fait partie des géantes, et dans la foulée, elle aligne la version définitive de «Stormy Weather». Tu vas tomber plus loin sur l’un des artistes qu’admire tant Graham Dee, Dennis Lotis, qui tape une cover de «Sugaree». Lotis a tout : la voix et le swing. Plus loin t’attend une autre géante, Pauline Shepherd, avec «Treasure Of Love», elle tente le coup du big band et c’est excellent. Bien sûr, Pauline est blanche. Autre merveille inexpected, la version originale du «Green Door» des Cramps, par Frankie Vaughan. Quelle fantastique leçon de swing ! Quant à Lonnie Donegan, il est wild as fuck avec son «Don’t You Rock Me Daddy-O». Quelle incroyable partie de guitare ! On comprend que Meeky Meek ait bavé derrière sa vitre en voyant jouer le grand Lonnie. Chris Barber fait aussi partie de l’aventure, bien sûr, il tape dans Sidney Bechet avec «Petite Fleur». On entre avec une joie non feinte dans le lagon du disk 2 et boum, John Fraser te claque une belle cover du «Bye Bye Love» des Everlys. La grosse surprise vient de Jimmy Miller et de son «Sizzly Hot», un fast rockab anglais, ça souffle comme la tempête, Jimmy Miller développe une incroyable crazyness de rockab, ça fouette à la peau des fesses. Quant à Johnny Duncan, il fait de la fake Americana avec «Blue Blue Heartache» : western swing in London town ! Tu vois un peu la diversité des genres ? Le problème c’est qu’à chaque fois, c’est excellent. Tu te demandes où sont passés tous ces grands artistes. Tout aussi écœurants de véracité, voici Peggy Seeger, Guy Carawan & Isla Cameron avec «Bring A Little Water Sylvie», nouvelle giclée de fake Americana mue par une fantastique énergie. Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’au milieu de tout ce tas de cuts (soixante en tout) qui frisent parfois l’indigence, Meeky Meek tape parfois dans le mille et fait merveille. Voilà Cleo Laine avec «Indian Summer». Cleo Laine est la chanteuse de jazz par excellence. Elle t’éclate ton Sénégal et ta copine de cheval dans la foulée. Elle navigue au même niveau que Nina Simone. Les deux wild cats sont de retour : Johnny Duncan avec «If You Love Me Baby» et Jimmy Miller avec «Jolly Bay». Quelle bande de wild cats ! C’est vraiment tout ce qu’on peut en dire. Johnny Duncan est le killer kat de Meeky Meek, il joue les deux doigts dans le nez, on sent bien l’Américain. Avec Jimmy Miller, tu descends dans l’early hot stuff britannique. Encore du full blown un peu plus loin avec Sonny Terry & Brownie McGhee qui heartbreakent leur «Key To The Highway», Heartbreaking Blues par excellence, chopé à l’harp ultime. Et puis tu as Otillie Patterson, la femme de Chris Barber, qui déboule avec «Georgia Grind», elle est bonne pour le Grind, la bourrique, elle chante comme une black, elle navigue au cap du jazz New Orleans, et derrière, Barber et ses boys sonnent comme Sidney Bechet, c’est assez explosif ! S’ensuit Acker Bilk avec «Travelling Blues», encore du pur jus de New Orleans, il rentre bien dans le casier de la compile, comme un gros homard qui se fait baiser. Et là on entre dans la légende de Meeky Meek avec The Mighty Terror et «TV Calypso», une exotica de rêve au bar de la plage. Encore du wild rockab anglais avec Joy & David et «Whoopee» : ils font de la variette sur un big shuffle de rockab, avec un son extraordinaire. Que de son ! Tu te régales, rien que du son.

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         Il existe un autre volume d’early years : The Joe Meek Story Vol 5 - The Early Years, paru en 1997. C’est la fameuse collection Sequel Records. Ce Vol 5 ne fait pas double emploi avec Bad Penny Blues, donc tu peux y aller les yeux fermés. Le seul cut présent sur les deux compiles est le «Sugaree» de Dennis Lotis. On retrouve aussi Peggy Seeger et Lonnie Donegan, mais avec des cuts différents. Le «Freight Train» de Peggy Seeger est un cut magique : voix de cristal et son de Meek. Quant à Lonnie Donegan, il tape le «Love Is Strange» de Mickey Baker. Yeah yeah, no no. Bon, faudrait savoir. C’est yeah yeah ou no no, pas les deux. En plus, la version n’est pas très skiffle. Il tape plus loin une version de «Mule Skinner Blues» au good morning captain, belle giclée de fake Americana. La surprise vient du «Weekend» de Red Price, un fantastique instro. Avec «Venus», Dickie Valentine atteint le summum du kitsch. Et puis il faut saluer Emile Ford & The Checkmates qui avec «What Do You Want To Make Those Eyes At Me For» décroche le pompon : fantastique profondeur de chant et prod géniale. 

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         Le vol 3 est un volume étrange : The Joe Meek Story Vol 3 - The Complete Houston Wells. Meeky Meek s’est attaché à des artistes intéressants mais disparus. L’Anglais Houston Wells a du coffre, mais il propose du kitsch de train fantôme. Il yodelle dans l’écho de Meeky Meek. Bon nombre de cuts sont insupportables. C’est de la variété anglaise. Pas étonnant qu’il ait disparu. Il siffle dans «Moon Watch Over My Baby», mais il y a du son derrière. Le volume donné aux basses relève du grand art. «I’ll Be Your Sweetheart» est un excellent fast drive. La prod met en avant une énorme énergie du son. Et soudain, tout s’emballe avec «We’re Gonna Go Fishin’», un heavy rockab chargé d’écho de saturday night. On sauvera un dernier cut : «I Wonder Who’s Kissing Her Now», une belle giclée de fake Americana gorgée de son.

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         Nouvelle tentative de lancement avec Michael Cox, un Anglais de Liverpool : The Joe Meek Story Vol 4 - The Best Of Michael Cox. Cox est beaucoup plus rocky road qu’Houston Wells. On entend un wild solo sur «Lonely Road». Mais il refait vite sa tête à claques avec «Teenage Love». On est dans le sérail de Meeky Meek, ceci expliquant cela. Et boom, tu tombes sur une énorme version de «Sweet Little Sixteen» ! Bardée d’all over ! Farcie de wild guitars. C’est une dégelée fondamentale. Seul Meeky Meek peut se permettre ça en Angleterre. Encore une belle dégelée avec «Honey Cause I Love You», wild rock in London town, Cox est génial. Meeky Meek crée la confusion avec «Stand Up» qui a le cul entre deux chaises : la pop et le rockab. «Gee What A Party», c’est du son pour du son, mais avec une bonne voix. Le Cox est bon. Cox a des guts, comme le montre encore «Say That Again». Puis il recasse la baraque avec une cover de «Rave On». Comme Totor, Meeky Meek sait choisir ses interprètes. «Just Say Hello» est encore du tout cuit. Meeky Meek ramène un son infernal dans cette petite pop. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que Meeky Meek est l’exact équivalent de Totor.

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         On garde le meilleur pour la fin : The Joe Meek Story. The Pye Years (Vol 1 Vol 2). Ah on peut dire merci à Sequel Records ! Cette compile est un double CD qui ne fait pas trop double emploi avec l’imparable Joe Meek Freakbeat (You’re Holding Me Down) épluché dans le Part One.  Les seuls doublons sont le «Little Baby» des Blue Rondos et le «Shake With Me» des Puppets, qui sont un peu les rois du proto-punk. Tout de même incroyable que les Puppets soient passés dans les pattes de Meeky Meek. Seulement trois singles sur Pye et puis plus rien. Grâce à Sequel, on peut écouter leur «Baby Don’t Cry», fast rock’n’roll d’Holloway Road, percé en plein cœur par un killer solo flash de cromagnon. Ah ils y vont au baby don’t ! Leur troisième cut s’appelle «Poison Ivy», un cut qui se trouve sans doute à la source de la légende des Cramps. C’est du lalala de Leiber & Stoller. L’autre énorme Pye band, ce sont les Blue Rondos. «I Don’t Need Your Loving No More» taille bien la route. Ils jouent leur pop le dos au mur, une vraie merveille. L’autre proto-punk de service s’appelle Andy Cavell. «Tel The Truth» est un authentique joyau, derrière, ça bassmatique et ça gratte les poux. Autre grosse équipe : Honeycombs avec «Have The Right» : incroyable power beat. Meeky Meek aurait-il inventé le glam ? Ils sont encore héroïques avec «Colour Side» et  magnifiques avec «That’s The Way», les basses roulent sur du velours. Rien de plus heavy que l’«I Can’t Stop», c’est du stomp avant l’heure. On reviendra sur les Honeycombs. On peut encore parler de coup de génie dans le cas de Tony Dangerfield & Thrills et «She’s Too Way Out», véritable épisode d’obscur wild rock anglais, et un démon passe un killer solo flash. Il faut savoir que Tony Dangerfield a fait partie du backing-band de Screamin Lord Sutch. On se régale aussi du «Theme From The Traitors», un bel instro des Packabeats. Toutes les hautes fidélités sont là. Quel univers fascinant que celui de Meeky Meek ! Il a aussi un groupe qui s’appelle les Saints, rien à voir avec Chris Bailey, c’est un groupe de surf qui tape dans les Surfaris avec «Wipeout». Meeky Meek soigne aussi le son de Judy Cannon sur «Hello Heartache». Il lui apporte des tonnes de son, du coup ça devient très sérieux. Le «Sunburst» des Flee-Rekkers est fabuleusement enregistré. Par contre, ça ne marche pas pour Riot Squad, trop poppy. Saluons aussi l’«Early In The Morning» de Chick, Ted Cameron Group & The DJs. C’est d’une qualité de prod qui t’envoie directement au tapis.

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         La fête continue avec The Joe Meek Story -The Pye Years Vol 2. On y retrouve le proto-punk des Blue Rondos et «Baby I Go For You». On fait du proto au 304 ! Le Freakbeat King s’appelle Roger Hall. Au niveau productiviste, deux merveilles de Meeky Meek : Peter London et «Baby I Like The Look Of You» (assez wild, bien documenté au shuffle de piano) et The Riot Squad avec «Try To Realise» (plus poppy mais avec tellement de son que ça devient de la heavy pop anglaise avant l’heure). Jess Conrad se tape un beau shoot de Diddley Beat avec «It Can Happen To You», c’est bardé de sax et de riffs délétères. Il y a un groupe à l’époque qui s’appelle The Saints et qui fait des instros géniaux («Happy Talk»). C’est la fête foraine au 304 ! Ils ne font d’ailleurs que des instros rigolos avec des effets. Meeky Meek fait claquer l’orage pour Iain Gregory dans «The Night You Told A Lie». Notre Meeky Meek préféré ramène même une trompette dans la mélasse. Tout est passionnant sur cette compile. Comme si chaque cut sonnait comme une aventure captivante. Meeky Meek file du son à Glenda Collins qui se prend pour Nico dans «Sing C’est la Vie». On se croirait chez Frank Alamo ! On retrouve les Blue Rondos avec «What Can I Do». Ce sont les wild guys du 304, ils n’en finissent plus de casser la baraque. Dommage qu’on n’apprenne rien sur eux dans le book de John Repsch. On finit en beauté avec une autre énormité : Carter Lewis & The Southerners et «Two Timing Baby». Tu vas droit au tapis avec trente-six chandelles. Merci Meeky Meek pour ce punch-up final. 

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         Une autre compile sonne comme un passage obligé : Joe Meek - Portrait Of A Genius. Rien que pour ré-entendre ces chefs-d’œuvre productivistes que sont le «Telstar» des Tornados (véritable machine à remonter le temps, c’est la magie de ton enfance) et le «Dear One» de Terry Victor, avec son bassmatic demented. Là tu peux crier au loup. Tu y retrouves aussi les hommages de Mike Berry à Buddy Holly («My Baby Doll» et «A Tribute To Buddy») : du real deal de Buddy, mais avec du son. Tu tombes aussi en arrêt devant le «Night Of The Vampire» des Moontrekkers, un bel instro soigné aux petits oignons par ce génie de Meeky Meek. Tu entends toutes les couches du son. Encore du son dans le «Stand Up» de Michael Cox, et Cliff Bennett fait l’Elvis dans «Hurtin’ Inside». Il en a les moyens

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         Et si tu as besoin d’une petite cerise sur le gâtö, tu peux aller sur YouTube visionner The Strange Story Of Joe Meek, un docu de la BBC relativement bien foutu. Avec la BBC, c’est toujours carré. On voit tous les acteurs principaux de la Strange Story, les deux frères de Meeky Meek, Arthur et Eric, plus Geoff Goddard et Patrick Pink, l’assistant de la dernière heure, puis d’autres acteurs clés comme John Leyton et Heinz. Comme c’est un docu, la BBC commence par raconter les débuts de Meeky Meek au Lansdowne Studio, il y enregistre Chris Barber et le «Green Door» de Frankie Vaughan, puis on passe très vite à Holloway Road, avec des plans sur la façade, montrant les trois étages au-dessus de la boutique A.H. Shenton. John Leyon raconte l’enregistrement de «Johnny Remember Me», avec «la section de violons dans les escaliers, les backing vocals packed in the loo, and the brass section underneath, à l’étage en dessous, quite bizââârre.» Mais c’est un hit. Geoff Goddard parle bien sûr d’inspiration «beyond the grave» pour son «Tribute To Buddy Holly», on voit même une séance de spiritisme : quatre mains font glisser un verre sur une table en verre, au centre d’une cercle de cartes. Merci à la BBC pour ce plan dément des Tornados avec Clem Cattini au beurre et Heinz à la basse. Heinz avoue qu’il a vécu trois ans à Holloway Road, «in the flat above the studio». Plan dément aussi des Honeycombs avec la batteuse Honey au centre et «Have I The Right». Ah il faut la voir battre à bras raccourcis. Ça devait chauffer chez Meeky Meek.

         Bon, c’est pas tout ça, mais l’heure est venue d’aller se coucher. On reviendra sur Meeky Meek dans un Part Three, car il reste encore des tas de choses à voir.    

Signé : Cazengler, Jo la mite

Joe Meek. Bad Penny Blues - The Early Years. Great Voices Of The Century 2009

The Joe Meek Story - The Pye Years (Vol 1 Vol 2). Sequel Records 1991

The Joe Meek Story - The Pye Years Vol 2. Sequel Records 1993

The Joe Meek Story Vol 3 - The Complete Houston Wells. Sequel Records 1993

The Joe Meek Story Vol 4 - The Best Of Michael Cox. Sequel Records 1993

The Joe Meek Story Vol 5 - The Early Years. Sequel Records 1997

Joe Meek. Portrait Of A Genius. Mr Suit Records 2013

The Strange Story Of Joe Meek. BBC (YouTube

 

 

Wizards & True Stars

- Massacre à la ronronneuse (Part Two)

 

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         Que deviendrions-nous sans Anton Newcombe et son Brian Jonestown Massacre ? Pas grand-chose. Il continue de porter la bonne parole, après trente ans de bons et loyaux services. On ne perd pas son temps à suivre ce Last Dandy On Earth à la trace. D’autant qu’il vient de sortir coup sur coup deux nouveaux albums déterminants. Signalons au passage que la presse anglaise a boudé ces deux albums, on se demande bien pourquoi. Les critiques qui n’achètent pas leurs disques reprochent un peu à l’Anton de faire toujours le même album, reproche qu’ils adressaient jadis aux Cramps et aux Ramones, ce qui montrait déjà clairement qu’ils n’écoutaient pas les disques.

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         Par contre, les ceusses qui achètent leurs disques et qui suivent l’Anton à la trace savent ce qu’il faut savoir : l’Anton continue méthodiquement de bâtir une œuvre. Il s’agit d’une œuvre à l’échelle d’une vie. Il est un peu le Zola de la Psychedelia. Fire Doesn’t Grow On Trees est en quelque sorte le 23e tome des Rougon-Macquart de la Psychedelia. Les ceusses qui se sont frottés à la prodigieuse saga des Rougon-Macquart savent de quoi il en retourne. Aujourd’hui, l’Anton se détache du lot par sa seule dimension artistique. Avec Bevis Frond, l’Anton est l’un des derniers grands représentants de ce qu’on appelait autrefois la Mad Psychedelia. Il suffit d’écouter «Wait A Minute (2:30 To Be Exact)» sur Fire Doesn’t Grow On Trees pour s’en convaincre définitivement. C’est un déluge de Mad Psychedelia interstellaire. Même chose avec «You Think I’m Joking», il tape au cœur du mythe à la main lourde, il dévoile son dévolu, il en incombe au Newcombe. Et puis tu as cet «Ineffable Mindfuck», l’Anton se barre en heavy groove de loup des steppes, c’est l’expression la plus pure du génie Antonien, il te fait un rock pelé, gorgé d’essence, il fait sonner le rock comme il doit sonner, dangereux, juste sur le bord de l’edge. En matière de pression atmosphérique, c’est l’un des meilleurs cuts que tu pourras écouter au XXIe siècle. D’un seul coup, l’Anton t’aplatit toute l’actualité du rock, son solo s’est échappé de l’asile. L’Anton te sert le rock sur un plateau d’argent, un rock sous pression, transi de prestance, avec un foie explosé. Pour exprimer son génie visionnaire, il fait éclater un petit solo dans la fumée. Si tu écoutes ce cut plusieurs fois d’affilée, tu peux devenir fou. Pur havoc. Il part en fast ride de wild messie avec «It’s About Being Free Really», ici tout n’est que démesure, le rock en tombe sur le dos. L’Anton est le maître de cérémonie, il tape son «Silenced» au heavy groove d’everybody knows et te passe le solo dont tu as toujours rêvé. Chaque fois, c’est une purge. Quand il tape un balladif («Before And Afterland»), il chante comme un fantôme et sort de son cocon comme un papillon extraordinaire. Il entonne son «#1 Lucky Kitty» à la manière des Byrds, il se positionne une fois encore dans l’entre-deux du gratté de poux subliminal. Il te zèbre ton univers. Cet album puissant file par-dessus les toits.

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         Vient de paraître The Future Is Your Past. Un véritable blaster gorgé de génie sonique. Embarquement pour l’île déserte de Cythère dès «Do Rainbows Have Ends». L’Anton drive ses légions infernales, il a tellement de son que ça chevrote dans les tubulures, et il s’en va clouer son cut à la porte de l’église avec un solo destroy oh boy. Il reste branché sur l’heavy power avec «Nothing Can Stop The Sound», il fait du sonic Newcombic qui te colle au mur. Il force son passage au beat insistant à travers les nappes d’orgue. Il n’existe rien d’aussi pur et dur sous le soleil de Satan. Encore plus énervé, voilà «The Light Is About To Change». Une vraie charge de cavalerie. L’Anton règne sur le monde du rock, encore une fois le temps d’un cut en feu. Il fait du no way back, du sans partage, de l’inexpected, de l’intraitable, du Rougon bougon, du Macquart maqué. En ces temps de vaches maigres, c’est une bénédiction que de recevoir ce déluge sur la tête. Anton Newcombe est une fois de plus le sauveur, et son solo lance-flamme nettoie bien les tranchées. Oui, «The Light Is About To Change» est littéralement noyé d’hyper-son. Il reste dans la dimension de l’heavy sludge pour tartiner «Fudge», un ras de marée de Mad Psychedelia, il nous entraîne dans le cratère du Fudge, yeah ! Il ouvre des horizons, il fracasse des ciels, il t’offre le voyage, c’est gratuit. Chez lui, tout est à l’œil. Et ça repart un peu plus loin avec une nouvelle triplette de Belleville, à commencer par l’«As The Carousel Swings». Il affiche clairement ses intentions : tout doit voler en éclats, il claque le beignet du big time, Anton entonne, il te newcombe la Mad Psyché, c’est un psychopathe ! Nouveau déluge de feu avec «The Mother Of All Fuckers», il arrose la galaxie, il n’a jamais eu autant de son, sa voix tremble, c’est stupéfiant, complètement démoniaque, le cut prend feu sous tes yeux. Anton Newcombe est un démon, en voilà la preuve formelle. Il profite d’«All The Feels» pour recréer la magie des sixties, il ramène tout le son du monde et son sens aigu des grosses compos, il tartine le heavy balladif dont on a toujours rêvé, c’est à la fois glorieux et inébranlable, comme coulé dans l’airain, son balladif vaut tous ceux des Stones, c’est du haut niveau. Anton Newcombe est un conquérant, il envahit les cervelles, il fait partie des géants de notre époque. Il Zolate le rock moderne. Il accumule les classiques.

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         Par voie de presse, il nous dévoile deux de ses facettes : la facette «regardez comme j’ai bon goût» (dans Uncut), et la facette «regardez comme je sais digger le digging» (dans Shindig!). Il ne pouvait confier son digging qu’à Shindig!. Commençons si vous le voulez bien par la facette la moins obscure de ce Last Dandy On Earth, parue dans Uncut, et planquée à la fin, juste avant la troisième de couve. La rubrique s’appelle ‘My life in music’ et ce n’est pas pour des prunes. Il se définit en dix albums qu’il commente et là ça devient passionnant. C’est, comme on s’y attend, du trié sur le volet. Quelle page ! Le genre de page qui fait tout le prestige de la presse rock anglaise. Le genre de page qui te réconcilie avec l’époque Nick Kent et Mick Farren, au temps où tu ouvrais ton tabloïd. Tu sentais le souffle, dès l’aéroport. L’Anton ne lésine pas sur les classiques : Stones, Beatles, Jimi Hendrix, Love, Bowie. Rien qu’avec ça, tu comprends tout. L’Anton ne sort pas de la cuisse de Jupiter, il sort de l’écoute obsessionnelle de cette riche poignée d’albums. L’Hendrix qu’il choisit est l’Are You Experienced - It’s mainly on the strenghth of «The Wind Cries Mary» - that song kills me, this poetic beauty - Et il ajoute, le souffle court : «Nobedy’s ever really sounded like Jimi again. It’s straight up rock’n’roll.» Et quand un mec comme l’Anton te dit ça, il sait de quoi il parle. Il dit qu’il se fout de ce que Jeff Beck et Clapton ont fait - It doesn’t matter what those guys do, none of them can touch him - Il enfonce son clou, et il a raison, Jimi Hendrix est unique : «Nobody comes close. It’s fucking impossible to be that guy, and I love that.» Le Stones qu’il choisit est le Satanic Majesties Request - Brian Jones is important in my cosmology. He played the band like a fiddle, until they moved him to the back seat, then off the bus - L’Anton explique que cet album was dead as a doormail et Brian l’a ressuscité - He’s on cello, sitar, marimba, harmonica, slide guitar, he’s playing every instrument to make the song better - L’Anton ajoute dans son élan que les Stones «weren’t psychedelic at all. Brian was. This record is a document of his genius.» Il choisit le Revolver des Beatles car pour lui, Revolver va plus loin que Rubber Soul - simply because of «Tomorrow Never Knows» and the power that that song still has - Il se prosterne aussi devant Forever Changes. Il rappelle qu’il est «an LA guy born in ‘67», et qu’ado, chez ses copains, il écoutait les disques des parents, all that psych stuff. Forever était pour lui «so far ahead of its time» - And it’s a mixed race band - L’Anton dit rêver de faire un album comme Forever - it’s almost an unachievable goal but I think about Arthur Lee every day when I’m writing - Le Bowie qu’il choisit est le Rise And Fall Of Ziggy Stardust And The Spiders From Mars - Bowie showed me it was Ok to be an individual - Car l’Anton avoue qu’il n’a jamais voulu ressembler à personne, ni même à ses parents. Il reconnaît aussi qu’il est difficile de choisir entre Ziggy et Hunky Dory. Il salue aussi le Metal Box de Public Image Imited - You get the pirate ship for Christmas but then you tear it part and build a spaceship.   

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         Pour Shindig!, l’Anton choisit 11 obscurités qui ont le pouvoir de faire du bien, sous le titre ‘The lone pilgrim’. Il dit utiliser la musique «as an alpha wave generator». L’obscurité la moins obscure du lot est un cut des Soundcarriers tiré de leur album Entropicalia - They are my favourite UK band, just lovely people, fantastic music... imagine taking the best of psych-pop-jazz-vocal, the best hits of Broadcast, Stereolab. EVERY FUCKING THING WE LIKE, and making it your own - Il s’enflamme. «This is not an emulation, this is the real deal. It retains form. Timeless and precious. Support them.» Les Soundcarriers peuvent dire merci à leur copain Anton. C’est un bel hommage. En plus, il a raison. Tous les ceusses qui ont écouté les cinq albums des Soundcarriers seront d’accord avec lui. Quant au reste, c’est plus compliqué. Il commence par saluer un Français, Sullivan. Il n’a pas d’info, il sait juste que Dutronc l’aurait soit-disant aidé. Le Pays des Merveilles est sorti sur Vogue en 1967. L’Anton flashe aussi sur un cut d’Alice Coltrane, «Krishna Krishna». Il dit que «the entire album is a must have» (Kirtan: Turya Sings, sur Impulse). Il recommande aussi le Manda Fat de Jackie Mittoo sur Studio One, et si on aime le folk, l’album sans titre d’Anne Briggs paru en 1970. Il recommande aussi Salvation Army et leur album sans titre de 1982, un groupe qui allait devenir The Three O’Clock, part of the Paisley Undergound - Their music combines Californian punk’s youthful energy and the best psych... Tell me I’m wrong.    

         This one is for Jean-Yves, grand fan d’Anton devant l’éternel.

Signé : Cazengler, Newcon tout court

Brian Jonestown Massacre. Fire Doesn’t Grow On Trees. A Records 2022

Brian Jonestown Massacre. The Future Is Your Past. A Records 2023

Anton Newcombe : The lone pilgrim. Shindig! # 136 - February 2023

Anton Newcombe : My life in music. Uncut # 310 - March 2023

 

 

L’avenir du rock

- Psychedelic Lullies pop

(Part Two)

 

         Craignant qu’on lui reproche de ne pas respecter l’étiquette sex & drugs & rock’n’roll, l’avenir du rock va aux putes. C’est un principe sur lequel il ne déroge pas, même s’il clame sur tous les toits que les principes sont tout juste bons pour les beaufs. D’où la nécessité d’aller aux putes. Le trash le lave de tous ses péchés. Au cœur de la nuit, il se fait un gros rail de speed, embarque quatre 8.6 Gold pour la route, monte dans sa bagnole et file sur les Maréchaux. Il arrive Porte d’Asnières et remonte toutes les portes une par une. Il sait que ça se passe Porte d’Aubervillers. Il y repère une magnifique Africaine aux seins exubérants. L’ivoire de son sourire brille dans la nuit. Il la fait monter à bord sans lui demander son tarif. Elle est presque trop grande pour la bagnole. Elle lui indique la direction d’une rue tranquille. L’avenir du rock se gare. Elle enlève son manteau et sa jupe de cuir, elle ne porte rien dessous. Se dégage d’elle un mélange capiteux de majesté royale et de sensualité exotique. Elle tend la main et l’avenir du rock y dépose les billets. Elle murmure «more», alors il en dépose un autre, «more» fait-elle encore, «yesss» soupire-t-il en proie au tourment d’un désir brûlant. Dans la pénombre, il voit briller ses yeux de vrai chat abyssin et la peau de ses seins, deux sphères, entre lesquelles il abandonne deux mois de salaire pour y rouler son pauvre joint, il ahane car que pourrait-il faire d’autre qu’ahaner comme un âne, puis dans son sexe cyclopéen il enfonce son pieu tel l’Ulysse d’Homère, il l’a raide plutôt amère, car c’est lui grands dieux qui n’y voit plus rien. Alors il lui fait le plein comme au Latécoère qui décolle en vibrant vers les cieux africains, et dans la moiteur de sa croupe d’airain, il peut voir éclore des renoncules par-derrière, et par devant un conifère lui rappelle un air jamaïcain. Secoué de tant d’extases sublimement tropicales, il lui demande d’une voix blanche :

         — Tu t’appelles comment ?

         — Melody...

         — Melody comment ?

         — Melody Nelson... 

 

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         L’avenir du rock ne rate jamais une occasion de saluer Gainsbarre, surtout à la suite d’un concert des Lullies qui finalement en imposent autant que Lola - Comment oses-tu me parler d’amour toi hein/ Toi qui n’as pas connu Lola Rastaquouère - Alors pour paraphraser Gainsbarre, on pourrait presque chanter sur le même air de reggae «Comment oses-tu me parler de punk-rock toi hein/ Toi qui n’as pas connu les quatre mousquetaires ?». Alors évidemment, ils n’ont pas de renoncules par derrière ni de sexe cyclopéen, mais une énergie qui vaut bien celle des tribus africaines.

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         Sur scène ils développent cette énergie héritée du White Light/White Heat et des Saints.  Chaque fois qu’on voit Roméo à l’œuvre, on pense immédiatement à l’early Chris Bailey, sans doute à cause du power et de la coiffure. Romeo chante le rock électrique, comme le disait si bien Eve Sweet Punk, propulsé par une section rythmique increvable, les Lullies ne sont pas là pour rigoler, mais pour foncer dans le tas, et c’est du bim bam boom d’à toute allure dès le premier accord gratté sans ménagement : un slash d’SG en disto et Shebam pow blop wizz ! C’est parti pour une cavalcade insensée à travers la plaine, avec de belles pointes de Méricourt.

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Sur scène, les Lullies sont à la fois classiques et uniques, classiques au sens où ils sonnent comme tous les grands groupes gaga-punk qu’on voit depuis vingt ou trente ans, et uniques par leur mélange de candeur méridionale et d’héritage des Gardiens du Canigou. On a tendance à vouloir mettre tous les garagistes dans le même sac, mais ça ne marche pas. Le meilleur exemple est celui du trio japonais The Fadeaways qui parvenait à blaster son gaga-sixties avec une certaine forme d’originalité, avec une sorte de ton propre, ce qui pour le genre est un exploit.

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Les Lullies c’est un peu la même chose, ils blastent le fast gaga-punk avec un ton propre, et pas seulement parce qu’ils chantent en français.  Leur set est short & sharp. Pas de morceaux lents à la mormoille. Un set qui coupe court à tout épilogue. No comment, comme dirait Gainsbarre.

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         Par contre, leur nouvel album porte bien son nom puisqu’il s’appelle Mauvaise Foi. C’est une façon comme une autre de dire qu’il n’est pas de bonne foi.

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En écoutant le morceau titre, on croit entendre du speed Téléphone pas très glorieux. Dommage, car Roméo y répand de belles clameurs de solo. Au fil des cuts, on sent nettement la panne d’inspiration. Pas facile de faire du fast punk en français. Les Lullies ont l’air de perdre de la hauteur. Ils oscillent entre le speed Téléphone et le sous Téléphone. On attendait des merveilles des Grys-Grys, alors on attend forcément des merveilles des Lullies. Avec cet album, on s’attendait à un gros déménagement façon Saints, mais la première série de cuts reste invariablement téléphonique, le chant en français les colle au mur, comme s’ils allaient recevoir douze balles dans la peau pour trahison. Et puis soudain, l’énormité montre son museau sous la forme de «Ville Musée». Voilà le souffle ! C’est plein de son, plein de clameur, pur blast ! Et voilà qu’ils sonnent comme les Saints avec «Zéro Ambition», ils retombent en plein dans l’époque à coups d’ouh ouh ouh. C’est drôle comme parfois des albums se réveillent sans prévenir. On croit qu’on va s’endormir et soudain, on danse dans l’ascenseur. Ils amènent «Dernier Soir» au bassmatic. Alors pleins feux sur le Dernier Soir. Ils ont en eux cette fibre inflammable de la power pop, et là, le cut prend feu, ils développent une énergie stupéfiante. Puis ils rendent hommage à la belle Jackie avec une cover de «When You Walk In The Room». C’est un mélange d’hommage mythique et de vision punk, claqué aux accords de solace. Power absolu ! Il suffit parfois d’une bonne cover pour conquérir une ville. Puis ils repartent sur le chemin, ils chantent soir et matin leur punk 77, l’urgence de pas le temps, ils vont vite en besogne avec «Station Service», ils adorent le ventre à terre, ils ont le beurreman qu’il faut pour ça.

Signé : Cazengler, Luli rastaquouère

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Lullies. Le 106. Rouen (76). 24 septembre 2023

Lullies. Mauvaise Foi. Slovenly Recordings 2023

 

 

Inside the goldmine

- Le stomp racé de Rachel Stamp

 

         On ne croise pas tous les jours des personnages aussi exotiques que Rachi. Ne nous méprenons pas : il ne s’agit pas d’un exotisme au sens où l’on l’entend généralement. Il s’habillait sobrement et se comportait normalement. C’est par son intelligence qu’il se distinguait du commun des mortels et qu’il devenait exotique. Il s’appuyait en permanence sur sa puissance de réflexion pour matérialiser des visions, qu’il s’ingéniait ensuite à commercialiser. C’est en bossant pour lui qu’on pouvait prendre la mesure de cet exotisme. Il voyait tout simplement ce que tous les autres ne pouvaient ni voir ni même imaginer. Plus il réfléchissait au futur des techniques pédagogiques d’avant-garde, plus il voyait clair, et ça ne passait pas forcément par la technique, non, il défrichait un domaine parallèle à celui de l’intelligence artificielle, un domaine qu’on pourrait qualifier d’intelligence instinctive, mais sourcée dans la chimie du cerveau. Rachi avait compris avant tout le monde qu’on possédait déjà ce type de ressources et il en faisait la démonstration, étape par étape. Bien sûr, il avançait lentement, car il ne disposait pas du support d’un service de R&D, mais ça lui permettait de comprendre une chose fondamentale : l’étude de l’intelligence instinctive se fait au rythme humain, qui est celui d’une compréhension évolutive, et ça le confortait dans ses convictions. Rachi n’avait pas besoin d’exposer ses théories sur un grand tableau, comme le font les mathématiciens célèbres dans les films américains, il préférait livrer les résultats de ses découvertes sous forme de petits objets interactifs qu’il mettait en ligne, dans un système d’abonnement payant. Il se situait résolument à l’opposé des réseaux sociaux qui n’ont de sociaux que le nom. Les gens qui le connaissaient pouvaient donc suivre l’évolution de sa pensée. Il constituait un réseau à taille humaine d’une extraordinaire qualité, et pour les initiés, c’était un privilège que de pouvoir suivre la lente éclosion de l’intelligence instinctive.

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         Pendant que Rachi bâtit son modeste empire digital, Rachel élève un autel aux dieux du stomp. À la même vitesse, celui d’une lente évolution des processus visionnaires. Contrairement aux apparences, Rachi n’est pas rachitique et Rachel n’est pas une femme, mais un groupe : Rachel Stamp, pour être plus précis. Rachel Stamp fit sensation le temps d’une photo dans un NME des années 90, puis pfffffttt, plus rien. Mais la photo tapa dans l’œil de certains zigotos. 

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         Alors, qu’est devenu Rachel Stamp ? Si tu te poses cette question, la réponse est dans un numéro de Vive Le Rock assez récent. Figure-toi que David Ryder Prangley annonce le retour du groupe. Inespéré ! Il rappelle qu’il s’est installé à Londres en 1994 et qu’il a trouvé le guitariste Will Crewdson via une petite annonce dans le Melody Maker. Il ajoute que Londres était une ville dangereuse pour les mecs qui avaient sa dégaine. On le mollardait et on l’insultait. Mais bon, le groupe jouait en première partie de Korn ou de Cheap Trick, donc, dit-il d’une voix chantante, ça marchait plutôt bien. Ils firent même une petite tournée américaine. David Ryder Prangley est persuadé qu’ils auraient pu être «aussi célèbres que Placebo ou Marilyn Manson», mais ils n’avaient ni le label ni le management qu’il leur fallait. Il ne décolère pas après les gens des maisons de disques qui, dans les années 90, se camaient encore plus que les musiciens. Pour conclure, il se dit fier de son groupe. Ils sont tous les quatre tellement tenaces qu’ils sont parvenus à survivre à toutes les avanies. D’ailleurs comme le rappelle notre héros Boby, Avanie et Framboise sont les mamelles du destin. 

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         Le premier album de Rachel Stamp s’appelle Stampax. Tout un programme. Pochette superbe : guitar slinging. D’ailleurs tu l’entends Will Crewdson, dans «NAUSEA», ça joue ventre à terre, ils te claquent ça vite fait, ils jouent dans le feu de l’action, et ce démon de Will Crewdson survole cette fournaise comme un vampire de Murnau. En fait, ils montent au front dès «Brand New Toy», au chant d’attaque frontale, puis ils tapent «Dead Girl» à la cocotte moite, ils jouent live et tout explose avec la gigantesque intro de Will Crewdson sur «Tammy Machine», summum du Wild Stamp, rien de plus explosif que ces riffs d’intro et ce killer solo trash. Ils amènent plus loin «Queen Bee» au heavy stomp de Stamp, ils jouent au punch pur, droit dans l’estomac, on croit rêver tellement ils ont du son, ça niaque à l’extrême, ça gorge de gavage d’oie et Ryder Prangley finit en hurlette de got me. Révélation ! Et la fête se poursuit avec «Black Tambourine». Les Rachel sont les cracks of the universe, comme dirait Wayne Kramer. Will Crewdson y passe un solo liquide, shake your black tambourine ! Retour au heavy stomp pour «I Like Girlz». Ryder Prangley verrouille son stomp à coups d’I I I like girlz et Will Crewdson repique une crise de génie sonique. Ils finissent leur Girlz en mode Sabbath. «Hey Hey Michael You’re Really Fantastic» sonne comme une petite apothéose de glam power - Hey baby I can’t excuse myself/ Aw my Gawd/ Bless my soul - Ça vaut bien Ziggy, after all. 

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         Il existe deux raisons fondamentales d’écouter Hymns For Strange Children. La première s’appelle «Didn’t I Break My Heart Over You». Les solos sont d’une incroyable justesse. Ryder Prangley joue une descente de basse et croise le killer solo flash de Will Crewdson, rien qu’avec ce tour de passe-passe, ils font évoluer les mœurs. Ils ne jouent plus du glam, mais de l’apoplexie, tu montes tous les étages. C’est du génie pur, l’une des plus belles manifestations du glam power. La deuxième raison s’appelle «Take A Hold On Yourself». Ce démon de Ryder Prangley l’amène à la Bowie, mais il pousse le bouchon plus loin que ne le fit jamais Bowie. Les maniérismes sont magnifiés par un son dévastateur et des biais de baby qui défient toutes les lois, les bouquets d’I know it’s hard babeh ont une résonance interstellaire, Ryder Prangley emmène cette bombe au sommet du glam power, un glam power qu’il exacerbe comme on exacerbe le désir pour mieux régner sur les cœurs. Autre coup de génie : «I Got The Worm», amené à l’avance phénoménale d’un glam-punk anarchique. Comme tout le reste de l’album, le Worm est puissant et Ryder Prangley le finit à la Méricourt, il faut l’entendre hurler ! Les accords de Rachel dans «Spank» valent bien ceux de Ronno dans les Spiders. Ils tapent ça au heavy riff de bonne augure et comme tous les autre cuts, ça devient très vite inespéré. Ils sortent un son qui défie toutes les attentes. Avec «Monster Of The New Wave», Ryder Prangley monte le chant au plus haut niveau d’hallali et il attaque son «Brand New Toy» au heavy barrage d’accords destroy oh boy - I want a brand new toy - suivi d’un killer solo flash de flash no more, et là, tu as tout le Stamp de Rachel. Ryder Prangley chante «Ladies & Gents» au dirt d’everybody knows that girl got the devil et soudain, alors qu’on ne s’y attendait pas, Will Crewdson passe un solo à la Dolls. «Dirty Bone» nous permet d’assister à un fantastique développement éléphantesque, et cet album faraminé se termine avec «My Sweet Rose» qui démarre en douceur mais qui s’en va exploser vite fait. Ryder Prangley n’est pas le genre de mec à traîner en chemin.

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         Paru en 2002, Oceans Of Venus est encore un bel exemple de big album tombé dans l’oubli. C’est l’un des grands albums de power-glam qu’il faut rapprocher de ceux des Towers Of London, des DeRellas, du Silver Ginger Five, des Toilet Boys, de Zolar X et bien sûr des Hollywood Brats. Au moins trois coups de génie dans l’Ocean, à commencer par «Black Cherry», amené aux grosses guitares, monstrueusement bon, heavy motherfucker, ils recyclent tous les clichés du genre mais ils les subliment à coups d’accords sur-saturés, jamais on avait entendu un tel ramdam, sauf peut-être chez Queen Adreena. Tout ici est démesuré, même la frappe du batteur et ce Oh Black Cherry ! Même chose avec «Do Me In Once And I’ll Be Sad And Do Me In Twice And I’ll Know Better» amené aux accords de hit inter-galactique, ça joue à la cocotte lourde, c’est plein de jus, plein d’avenir et d’espoirs supérieurs, on a là une power-pop glammy emmenée au sommet du genre. Quelle clameur ! Tout aussi bardé de son, voilà «Twisted», cisallé par des tempêtes soniques. Ils jouent avec les nerfs et soudain ça éclate dans une apothéose de heavy glam, avec un David Ryder Prangley qui hurle tout ce qu’il peut en fin de parcours. Tu veux du glam ? Alors écoute «Witches Of Angelhölm». Ils tapent dans le real deal, c’est chanté à la gomme de glam arabique et gratté au gras double. Et puis tu as aussi le morceau titre que tu prends en pleine poire, tellement c’est agressif. David Ryder Prangley bat tous les records d’insanité avec sa hurlette. Plongée en enfer garantie. Ils restent au sommet du lard sur tout l’album, tout est saturé de son et chanté avec une sacrée dose de démesure. On observe encore une belle profondeur de stomp dans «Permanent Damage» et «The Loveless» se distingue aussi par un heavy stomp qui en fait un petit modèle de Big Atmospherix. David Ryder Prangley hurle par dessus les toits, il peut rivaliser d’indécence avec Jaz Coleman.

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         Finalement, le plus simple est peut-être de rapatrier un bon Best Of, Now I’m Nailed To Your Bedroom Wall I’ve Only Got Myself To Blame, plus facile à dénicher que les trois albums qui, pour une raison X, sont devenus des objets rares. Sur les 20 cuts du Best Of, tu as 12 bombes, voilà, le calcul est vite fait : «True Love» (qu’on voit monter en température, étuve cathartique, et qui orgasme au sonic trash d’out of my mind), «Twisted» (attaqué à la voix d’androgyne, chauffé aux accents délirants, David Ryder Prangley réussit là où Alice Cooper et d’autres ont échoué, il fait du flash in the flesh, joué et screamé au sommet du lard avec à la clé le pire killer solo flash de l’histoire du flash - si tu ne le crois pas, écoute «Twisted» et tu auras du son, plus que tu en as généralement à Noël. Ces mecs sont la dernière grande bénédiction d’Angleterre, il faut voir comme ça hurle dans la tempête de Shakespeare), «Pink Skabs» (gratté à la démesure, décadence & power absolu, ça coule de jus définitif, merci Rachel), «Witches Of Angelholm» (amené aux accords tordus, c’est du Grand Œuvre joué avec la volonté d’en découdre, ça t’hébète, stupeur face à ça, les accords se tordent de douleur, le riffing est unique au monde, pendant que David Ryder Prangley voit son visage in the mirror, Will Crewdson gratte des accords pervertis), «Didn’t I Break My Heart Over You» (Ces mecs savent créer les conditions d’un hit, ils négocient un passage vers les étoiles, avec une pureté d’intention dont personne aujourd’hui n’ose plus rêver. David Ryder Prangley connaît les secrets de l’amour, il sait comment incendier un cœur). En fait, Rachel Stamp pousse les dynamiques de Ziggy Stardust jusqu’au sommet des possibilités du genre. On l’a vu sur «Oceans Of Venus» : ils cultivent l’extrémisme sonique et le biseau de la folie («All The Madmen») pour aller chercher l’horreur des clameurs. Ils savent aussi battre le pilon des forges et la cocotte de la mort blanche («Black Cherry»). Ils savent aussi monter en neige de heavy glam panther définitif («Queen Of The Universe»), un glam de l’an 2000, puissant, cisaillé, gluant de jus. Ils pratiquent aussi avec succès l’explosion d’incentive («Dead Girl»). Ces mecs ont tout : le claqué de surface et l’intention sous la jupe, c’est-à-dire la grandeur et la décadence. Ils savent aussi noyer un cut dans l’apocalypse, comme le montre «Hey Hey Michael You’re Really Fantastic», un cut qu’ils introduisent dans la vulve de Vampirella, aw my Gawd ! Le heavy trash n’a aucun secret pour eux («My Sweet Rose») et on retrouve les excellents «I Got The Worm» et «Do Me In Once And I’ll Be Sad Do me In Twice And I’ll Know Better» qui sonnent comme des hot boom bangs.

Signé : Cazengler, Romanichel Stamp

Rachel Stamp. Stampax. Cruisin’ Records 2000

Rachel Stamp. Hymns For Strange Children. Network Records Inc 2000

Rachel Stamp. Oceans Of Venus. Pure String 2002

Rachel Stamp. Now I’m Nailed To Your Bedroom Wall I’ve Only Got Myself To Blame. Cargo Records 2009

Where Are They Now? Rachel Stamp. Vive Le Rock # 91 - 2022

 

 

ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 27

OCTOBRE – NOVEMBRE – DECEMBRE ( 2023 )

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Il est des numéros qui vous touchent directement en plein cœur, celui-ci particulièrement, Gene Vincent ouvre cette vingt-septième livraison de Rockabilly Generation, de quoi consoler ceux qui ont oublié de commander le Numéro Spécial Gene Vincent dont le tirage est épuisé et dont Sergio annonce sur le FB de la revue qu’il ne sera pas réédité. C’est ainsi, la vie est cruelle, un seul numéro de RGN vous manque et votre monde est dépeuplé.

Jean-Louis Rancurel – tout le monde le connaît même si le nom n’évoque aucun souvenir – quelques uns des plus beaux clichés rock des années soixante sont de lui. Et justement nous sommes gâtés, Jean-Louis Rancurel livre les photos prises lors de la mémorable soirée du concert de Gene Vincent au Théâtre de l’Etoile en octobre 62, voici soixante-et-un ans !

Regardons d’abord les deux photos de Jean-Louis Rancurel, prises nous supposons par Sergio le jour de l’interview, l’a une gueule de baroudeur et d’aventurier. Ah, ces années soixante, Rancurel a fait partie de ces gamins qui à partir de rien ont implanté le rock en France. Ne s’est pas posé comme tant d’autres derrière un micro mais derrière un appareil photographique, ensuite il a ouvert les portes qui étaient devant lui, l’a commencé à quinze ans, n’a pas encore terminé aujourd’hui. D’entrée il nous fait un beau cadeau, de superbes photos des Vautours, non pas les charognards qui se disputeront votre cadavre mais un des groupes phares de la génération des Chaussettes noires, tellement fortes que je me dis qu’un de ces jours faudra que les chronique dans Kr’tnt. Ensuite c’est le Graal ! les photos de Gene, des splendeurs, sur scène et dans les coulisses. Faut lire ce qu’il raconte, ensuite je vous laisse admirer. Chrétien de Troyes ne le savait pas, mais il y a deux graals, le deuxième pleine page 13, un portrait de Vince Taylor. Merci à Jean-Louis Rancurel.

         Retour au présent avec un article de fond sur Vince Mannino, sicilien, commet une énorme bêtise le jour de ses dix ans il achète un disque d’Elvis Presley. Ne soyons pas étonnés si quatre ans plus tard il fonde son premier groupe. Que voulez-vous quand on est piqué par le virus du rock’n’roll, c’est pour la vie. Comme un malheur ne vient jamais seul il est considéré comme le guitariste rockabilly de l’Italie. Sait allier l’utile à l’agréable, sa compagne Sandra le seconde à la guitare rythmique dans leur groupe : Vince and the Moon Boppers. Un homme qui ne se met jamais en avant dans ses réponses, l’est heureux lorsque le public fait la fête avec lui. La couverture du magazine lui revient de droit.

         La rubrique Les Racines est ma préférée, J. Bollinger nous emmène aux temps anciens quand le rock ‘n’ roll n’était pas encore là, tout en étant déjà présent. Ce coup-ci nous ne voyageons ni dans le Blues, ni dans le Rhythm And Blues, ni dans la Country mais dans une dimension originelle que l’on oublie souvent, le Gospel avec The Statemen. Si vous ne connaissez pas il y a un petit jeune qui les a fréquentés et admirés. Un certain Hillbilly Cat aussi connu sous le nom d’Elvis Presley… L’article est passionnant.

         Si Vince Mannino est né en 1964 Alain Power natif d’Irlande a tout juste vingt ans. S’est déjà fait un nom avec son groupe Alain Power and The Aftershocks, dans ses racines l’on retrouve… Elvis Presley ! L’interprète si magistralement qu’il a compris qu’il doit commencer à se séparer de ce modèle si prégnant et commence à écrire sa propre musique. L’emprunte la bonne piste.

         Dernière partie, les comptes-rendus des festivals, le Good Rockin’ Tonight de Bourg en Bresse (anciennement Attignat), le Rock is Life à Rennes, pour les deux, photos et quelques lignes sur les groupes, Jake Calypso sur le premier, les Spunyboys sur le second. Rock is Life bénéficie d’une interview des organisateurs. Honneur à ceux qui se battent pour le rock’n’roll.

         Nous finissons sur une belle chronique de Serge Sciboz sur le dernier disque de Viktor Huganet.

         Un superbe numéro. Merci à Sergio Katz. Et à son équipe.

Damie Chad.

Editée par l'Association Rockabilly  Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois),  6 Euros + 4,00 de frais de port soit 10 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 40 Euros (Port Compris), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de tous les magazines... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents !  

 

*

Voici, si je n’en oublie aucun, le quatrième groupe chroniqué dans KR’TNT ! qui s’intéresse aux Mystères d’Eleusis. En tant que passionné d’antiquité gréco-romaine je ne manque jamais de recenser les formations qui abordent cette période historiale fondatrice.

THE LAST HIEROPHANT

MYKOSTERION

(Album numérique / Bancamp / 23 – 09 – 2023)

Mykosterion n’est pas le nom du groupe mais le nom de guerre de Loke. Je ne sais rien de lui, sinon qu’il provient de Denver dans le Colorado. One-man doom metal ainsi se qualifie-t-il. La technologie musicale permet à n’importe quel artiste de créer en solitaire son univers, les réseaux sociaux lui donnent la possibilité d’entrer en contact avec des esprits sinon similaires au sien du moins préoccupés de mêmes centres d’intérêt.

L’on ne crée jamais à partir de rien. Locke cite ses sources, trois écrivains américains : Rollo May, Terence McKenna, Gore Vidal. Nous signalerons lors de notre écoute leur influence sur les textes des morceaux.

Rollo May : 1909 – 1994 : psychologue existentialiste. Rappelons que l’angoisse heideggerienne est la base de l’existentialisme philosophique et psychologique. Rollo May vouera sa vie à soulager la souffrance et le mal-être des individus à un niveau théorique par ses écrits, pratique par ses activités de psychothérapeute. Pour mieux comprendre le rapport de Rollo May à l’antiquité grecque il suffit de rappeler que Martin Heidegger se détournera de cette notion d’existentialisme pour étudier la pensée philosophique grecque.

Terence McKenna : (1946 – 200) : moins connu en notre pays que Timothy Leary ou Williams Burroughs pour citer des noms qui feront tilt dans la tête des amateurs de rock. Son nom est lié à l’usage de la drogue, mais c’est-là regarder son œuvre par le petit bout de la lorgnette. Il développe une pensée historiale et sans doute vaudrait-il mieux employer le terme de pensée préhistoriale, en indiquant comment l’homme s’est distingué du singe par l’absorption aléatoire de champignons hallucinogènes. Exposée en si peu de mots sa pensée risque de provoquer la moquerie, toutefois sa proposition reste une analyse du comportement cérébral anthropologique des plus fertiles.

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Gore Vidal : immense écrivain dont il est difficile en notre pays de mesurer l’ampleur, seulement un tiers de son œuvre est aujourd’hui traduite en notre langue. En relation étroite avec notre sujet je ne citerai que deux ouvrages en relation directe avec The Last Hierophant : En direct du Golgotha : l’évangile selon Gore Vidal : de tous les livres que j’ai lus contre le christianisme (et j’en ai lu beaucoup) c’est le plus violent, et le plus désopilant. Julien : une biographie de l’Empereur romain qui tenta l’impossible : renverser l’emprise du christianisme et activer le retour des anciens Dieux. Sa mort en 363 signe la fin politique de l’Imperium Romanum.

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… To walk upon the Athenians plains : crissement d’une cigale esseulée, comme une flûte douce, ils sont des milliers à marcher, mais l’on n’entend que le bruit d’un seul pas, ce n’est pas une marche mais une démarche intérieure, qui progresse, le motif se mue en le fredonnement d’un riff de guitare, de plus en plus fort mais légèrement, s’y mêlent bientôt de claires notes  tympaniques,  soudaine ouverture percussique échoïfiée le chant s’élève, la formule ‘’à jeun j’ai bu le kykeon’’ répétée trois fois, la basse reprend l’antienne originelle sur un mode plus lourd. Rien de plus, rien de moins, le morceau dépasse à peine les deux minutes, l’essentiel est dit, l’abstinence purificatrice et l’évocation de cette mystérieuse boisson dont la composition n’a jamais été relevée, indispensable à la suite des mystères. Aucune rupture avec The call of Eleusis : attention dans ce appel d’Eleusis, il ne s’agit pas ici de recréer pas à pas le rituel (perdu) éleusien mais d’évoquer les phénomènes mentaux qui conduisent à la réalisation d’un désir d’immortalité, tout comme la connaissance de la philosophie ne peut être que le désir même de la philosophie,  l’initiation ne peut être que le désir de l’initiation, celui qui parle est un épopte, un initié qui est parvenu au plus haut grade de l’initiation, il emploie le pronom personnel ‘’ nous’’ pour signifier qu’il n’est plus un individu parmi tous les autres mais qu’il a acquis une connaissance qui lui donne accès à une idéénité supérieure dont maintenant il fait partie à part entière. Le riff amplifié et la batterie cogne et résonne dans des coins secrets, le vocal assez emphatique, c’est la descente triomphale vers les divinités, par palier, main -mise de la guitare, tout se passe dans la tête, dans les galeries du cerveau mais aussi dans celles du sanctuaire,  le kykéon décille les yeux, l’on aperçoit grâce aux symboles l’entité principielle Déméter-Perséphone, la guitare se fait poignard, ne croyez pas  que ce soit une partie de plaisir, le vocal devient ténébreux, la batterie claudique sans rémission, pas de retour possible, une voix off vous rappelle que l’âme, la vôtre souffre autant que celle des initiés, le chant murmure les ultimes conseils à vos oreilles  il rappelle qu’après de terribles épreuves à traverser vous parviendrez enfin à une lumière qui dévoilera une autre perception du réel, qui vous donnera accès à une dimension sacrée, la batterie improvise une sorte de danse hiératique, et tout se calme. The antechambers of eternity : bourdonnements d’élytres de la basse, la voix du hiérophante vous aide à comprendre que vous n’accédez pas à l’éternité puisque vous êtes mortels mais que la mort et la vie sont une seule et même chose, les guitares grondent et la batterie percute, le chant est moins abrupt, nous ne sommes plus dupes des apparences, vous savez voir ce que les autres ne voient pas,  vous êtes au-delà des apparences, lorsque vous serez passés de l’autre côté vous serez à même de comprendre que si vous n’êtes pas éternel vous êtes dans les antichambres de l’éternité, tout devient flou la voix et la musique, les cymbales tintent, vous accédez enfin au secret du Kykeon, une solution obtenue à base de champignons, régal des dieux, votre tête explose, vous ne resterez pas ici, vous retournerez dans le monde des hommes mortels mais à tous moments la divinité palpitera en vous, elle irradiera la réalité qui s’offrira à vous, vous saurez et vous verrez, vous serez une cellule d’éternité lâché dans le monde. Long développement musical. Peut-être n’avons-nous vécu que le rêve d’un rêve. The last hierophant : la vie heureuse, la guitare s’assombrit, il semblerait qu’elle déraille un peu, une voix nous avertit que le futur ne sera plus le retour du présent, le temps a passé, les temps changent, la musique se tristétise, la batterie résonne, le chant se traîne mélodramatiquement, le dernier hiérophante termine les derniers rites, le galliléen a vaincu, christianisme triomphal, la guitare se meut en un dernier solo éclatant, nous sommes maintenant dans la nuit noire, perdus, sans lumière pour nous guider, pensez aux Immémoriaux de Ségalen lorsque le prêtre ne se souvient plus de la généalogie des Dieux qu’il récite, ce trou dans la récitation rituelle marque le commencement de la fin de la civilisation maorie, une voix s’élève à la fin du morceau, c’est la fin du monde. Living death : basse funèbre maintenant que nous sommes perdus comment survivre. La musique rassemble ses forces, n’avons-nous pas déjà connu la mort lors de l’initiation et n’avions-nous pas trouvé la vraie vie au bout du chemin, suivons la leçon des grands ancêtres, ils nous ont donné la mort et l’on a eu la vie, la leçon est claire, lorsque nous aurons traversé cette nuit qui nous accable nous retrouverons notre lumière. Même pas une épreuve, une nouvelle initiation qui se joue dans le monde hors des murs et des profondeurs du sanctuaire. Le morceau le plus palpitant et le plus effulgent du disque. Une réussite. On the brink of nihil : sur les rives du néant, un chant s’élève, entre déception et surprise, ils n’ont pas encore traversé le monde mort, les rites ne parlent qu’imparfaitement, tout comme cette guitare seule qui accompagne cette balade, les anciens Dieux se sont tus, nous nous raccrochons à ceux qui descendent du Soleil, qu’ils se nomment Hélios, ou Mithra, le dieu taureau des Légions romaines qui ont failli emmener Julien à la victoire. Le monde est difficile mais nous forgeons de nouveaux rituels pour les nouveaux Dieux et les Anciens. Occult Ritual : grincements, sifflements, brouhaha, la partie est loin d’être gagnée, les siècles ont passé et la situation n’a guère évolué la nuit est à peine moins noire, à moins qu’elle ne le soit davantage, guitare siphon, batterie pilon, chœurs asthmatiques, la situation a empiré, le chaos empêche de voir le vide du néant, mais nulle cohorte de Dieux n’est parvenue à l’alchémiser en cosmos. Il semblera à certains que l’histoire se termine en queue de poisson christique, mais non car les nouveaux rituels encore secrets ne sont qu’un début, peut-être seront-ils opératoires en ce vingt-et unième siècle.

         L’opus est très original dans sa démarche. Locke n’a pas essayé d’exhumer pour une reconstitution historique les Mystères d’Eleusis il les a inscrits dans une tradition historiale païenne qui bon siècle mal siècle s’est perpétuée. Une véritable œuvre politique de combat. Comme nous les aimons.

Damie Chad.

 

*

Je croyais en avoir fini pour cette livraison des Mystères d’Eleusis, mais ayant précédemment tapé le mot ‘’ nisteia’’ qui signifie ‘’ jeûne’’ et que l’on retrouve dans la formule ‘’ à jeun j’ai bu le kiskeon’’, l’ordi en flatteur de vices expérimenté me propose de lui-même un OSI (Objet Sonore Inconnu) qu’il a déniché tout seul comme un grand sur Bandcamp :

NISTEIA

OLLA VIA

( Psycho-Acoustic-Perspective)

La pochette représente une main qui tend une écuelle, vraisemblablement un coquillage, à un individu dont on n’aperçoit qu’un bout de visage et de corps. L’objet semble vide, est-ce pour représenter le fait de jeuner ou parce que le kykeon que contenait l’objet vient d’être bu par l’adepte ?

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Olla Via est le nom que Jiannis Papadakis – grec et athénien - emprunte pour présenter son œuvre solo. Vous le retrouverez aussi dans le duo Hau. Son FB ne révèle rien de lui sinon qu’il participe avec d’autres intervenants à de nombreuses prestations scéniques de musique électro-acoustique. Nisteia nous semble carrément proto-noise. Le lecteur curieux peut visiter son SoundCloud ou son site personnel qui proposent de nombreuses vidéos de ses spectacles scéniques. Il revendique le titre d’artiste visuel.

Olla via pourrait être traduit par la voie du pot (au lait). Un long regard sur son site personnel nous a persuadé que le lait a une certaine importance pour Jiannis Papadakis, nous ignorons pourquoi, peut-être parce que le lait de la femme possède la même couleur que le sperme de l’homme. Le lecteur qui voudrait en savoir davantage se plongera dans les écrits de Grasset d’Orcet. Ces trois dernières lignes découlent d’une interprétation toute personnelle.

Un petit texte accompagne Nisteia, je le transcris tel quel, ne me permettant aucun commentaire, les lecteurs sont assez grands : Nisteia est basé sur des faits historiques non-officiels qui ont eu lieu à Eleusina de la Grèce Antique. Il a été conçu pour sept artistes affamés, trois psalmistes et un porc sacré. Le but de Nisteia est de transmettre une écoute ‘’ expérentielle’’ plutôt qu’une simple ‘’ œuvre’’ mixte.’’

Ecoutons : Nisteia : chœurs prégnants, une note s’étire, une voix proche des chants sioux disparait rapidement pour laisser place à une espèce de polyphonie parsemée, avec de temps en temps le retour de ce vocal de gorge amygdalien, bientôt l’on n’entend plus la percu qui rythmait le morceau elle est remplacée par une espèce de long délire phonétique dont les différents timbres se font écho, une tambourinade n’empêche pas les syllabes sonores de se prolonger comme elles avaient décidé d’aller sans fin au bout de l’infini. Deux voies : celle des voix et celle du tambour qui se tait lorsqu’apparaissent gémissements et semblances de bribes de paroles, le tambour revient et devient cascade frénétique, galop infatigable, la note vocale est toujours tenue toutefois submergée par ces incantations torturées de paroles incompréhensibles prononcées à toute vitesse, maintenant la cavalcade s’adjuge vraiment la première place, jusqu’à ce que le vocalisme l’interrompe pour de nouveau repasser à l’arrière-plan du décor, les trois pistes se rejoignent, elles unissent leurs effort, elles courent de concert, elle se précipitent vers le terme. Brutal.

Une certaine beauté et même une beauté certaine se dégage de l’ensemble. Pour donner une image : imaginez une séquence de dix minutes de chant grégorien dont les trois moines-chanteurs seraient brutalement frappés d’une folie dionysiaque et se libèreraient de toute composition architecturale liturgique pour s’en aller batifoler chacun à sa guise dans des sentiers autonomes tout en restant au diapason. Il est sûr qu’Olla Via s’est essayé à une espèce de reconstitution expérimentale et imaginaire des pratiques rituelles d’Eleusis, mais si j’ai parlé de moines c’est que le résultat obtenu ne me semble pas si éloigné des chants liturgiques orthodoxes.

Damie Chad.

 

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Les ennemis surgissent à tout moment dans votre dos, pour les amis ces surprises sont plus rares, peut-être parce que l’on n’a davantage d’ennemis que d’amis mais ceci est un autre problème. Dimanche soir penché sur mon fourneau je m’activais à une œuvre de haute sapience culinaire, la cuisson peu alchimique d’une boîte de conserve, pour tout condiment récréatif je n’avais que la radio qui diffusait une émission de France Inter, pas vraiment le top, j’entendais que ça blablatait pour ne rien dire, je n’écoutais qu’une demi-oreille, lorsque l’animatrice a proposé une interruption musicale, j’ai tremblé, la play-list de la première radio de France s’avère souvent décevante pour les amateurs de rock’n’roll, mais surprise, un groupe en direct, le même qui a joué au début de l’émission, je n’étais pas là, je redoutais le pire, ce fut les :

HOWLIN’ JAWS

Les Howlin’ ! On les suit depuis leur tout début, dix ans déjà, on a chroniqué leurs disques, leurs concerts, leurs clips, la dernière fois c’était durant le confinement, une sale période, pour ceux qui ont aimé cette stupide réclusion générale n’ayez crainte, ça reviendra plus vite que vous ne l’espérez. En attendant réjouissons-nous avec les Jaws !

LE GRAND DIMANCHE SOIR

Etrange expérience que de voir ce que l’on a entendu. Le Replay est sur le site de France Inter mais si vous passez par le FB des Howlin’ la vidéo démarre à l’instant de leur premier passage. Première constatation étonnante, le son est nettement moins bon sur cette vidéo que sur la radio. Pourtant mon poste est loin d’être un engin sophistiqué, un premier prix tout ce qu’il y a de plus commun ! Deuxième confirmation désolante, sont huit autour de la table en demi-cercle, z’ont le papier à la main et lisent tout ce qu’ils disent. C’est ce que j’appelle du faux-direct.

Lost songs : la prise de vue n’est pas excellente, vu l’exiguïté de l’espace les Howlin’ sont un peu à l’étroit. Le son ne vous écorchera pas les oreilles. Nous reparlons de ce morceau dans quelques lignes. Down Down : une reprise de Status Quo, les rois du boogie, cette fois le son est meilleur, et la prise de vue moins statique, si la première partie du morceau down down din dan down est un peu simpliste la deuxième plus technique permet aux Jaws de montrer leur savoir-faire. Le public ne tarde pas à les soutenir.

         Ce 29 septembre les Howlin’ sortiront leur deuxième album Half Asleep Half Awoke. Sur YT sont présent en avant-première les clips de deux titres.

Baptiste Léon : drums, percussions, backing vocals / Lucas Humber : guitar, backing vocals / Djivan Abkarian : lead vocals, bass.

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Lost songs : ( Official video ) : paysage country, soyons géographiquement plus précis, campagne française, champs de blé coupé, étroite route goudronnée, pilonnes géants pour lignes haute-tension, une petite touche suburbaine avec cette ruine peinturlurée, et puis une bagnole à  l’amerloque, vieux modèle mi-pourrave,  enfin les Jaws omni présents, en voiture, au milieu des champs, sur le toit de la chiotte en train de jouer, habile montages de courtes séquences qui s’entremêlent et que l’on regarde en souriant avec plaisir. L’ensemble fait penser aux anciennes émissions musicales de la télé des années soixante - ici vous avez la couleur en supplément gratuit – où tout passage de chanteurs était savamment mis en scène, voire chorégraphié pour les séances studio. L’ensemble dégage un sentiment de joie de vivre, d’insouciance, d’un monde ouvert à tous les possibles. Juste un faux hiatus. Une chanson triste. Sur l’impuissance. De l’amour, je vous rassure je ne parle pas de sexe, une amourette, les amours rets, une douce romance, pas sérieuse pour un (ancien) franc, une voix douce, une guitare sucrée.  Ne la réécoutez pas deux fois, car vous allez vous y poser dessus comme l’abeille sur le pot de miel, comme la mouche sur le ruban qui tue. Un slow à la mode des années soixante mais psyché aux hannetons. Une langueur astringente, un couteau qui ressort en douceur des lèvres de la plaie du plaisir.

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Lost songs : ( Lyrics video ) :  on prend les mêmes et on recommence, en fait c’est le contraire, l’official est sorti voici peu, celle-ci l’a précédée de deux mois. Moins de moyens, donc une idée, toute simple mais sacrément intelligente. Une photo sur fond mauve-rose, mauve-bleu, mauve-orange, nos trois gaziers sont là, immobiles, Lucas accoudé sur son ampli, Baptiste assis sur celui de Djivan, Djivan couché à terre, tout devant sur ce divan improvisé. Il ne se passe rien, heureusement que les paroles s’inscrivent en grosses lettres sur le haut de l’écran. Attention ça bouge. Changement de place. Plan fixe. Tour à tour ils prennent leur instrument, puis se murent dans l’immobilité, sur la fin du morceau ils font semblant de jouer tous ensemble. Perso je préfère celle-ci à la précédente. Beaucoup plus subtile. Elle distille le poison de la mélancolie du vécu au goutte-à-goutte.

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Mirror Mirror : ( Official Video ) : un clip psyché en diable, impossible de poser les yeux sur une image pour visualiser, télescopage incessant de plans, sur un fond de couleurs spatiales, tourbillons statiques d’étoiles, d’aurores aux doigts de rose ( merci Homère) et de cieux bleu-nuit ou clairs, nos trois compères semblent se disputer pour être les premiers à apparaître sur l’image, des trucages dus à Gaspard Royan les démultiplient à l’infini, quand on y réfléchit, l’occasion à ne pas rater pour fermer les yeux et écouter. Ne faites pas l’âne qui suivrait une carotte sonore et en oublierait de la croquer à petits bouts pour en déguster les mille saveurs. Mille parce que vous devrez vous y reprendre mille fois pour prendre pleinement ce fruit juteux dégoulinant de sucs vanillés. Le moindre gratté de guitare ne reproduit jamais un même son, vous êtes devant une cage de quarante mètres carrés dans laquelle on aurait fourré tous les animaux du zoo, à peine en avez-vous aperçu un qu’il est immédiatement renvoyé hors-champ par un autre qui cède sa place au suivant si rapidement que vous avez du mal à l’identifier. L’objet sonne très Howlin et en même temps très british, période 65-67, des sonorités à la toque qui vous rendent complètement gaga, les Howlin sont toujours un peu gaga-rage, mais là ils n’ont pas besoin de muselière, viennent vous manger la main sous le sucre, très agréable, vous saupoudrez votre main gauche pour qu’elle subisse le même sort, et puis surtout cet élan ininterrompu qui emporte le morceau, le fait miroiter à vos oreilles, et puis s’éclipse parce que les mirages scarabéens ne durent qu’un temps.

         N’y a plus qu’à découvrir l’album. Mais ce n’est pas tout. Si vous voulez les voir en direct sont à la Maroquinerie le 08 novembre, un peu partout en France aussi. Mais ce n’est pas fini : z’ont deux pages sur le numéro de septembre de RollingStone, au studio Toe Rag de Liam Watson pour l’enregistrement de Half Asleep Half Awoke.

Damie Chad.

 

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Avec Denis sur le marché, l’on parlait du dernier single des Stones, pas vraiment convaincus, comme c’est les Stones on se rattrape aux petites branches : ‘’ Faudra voir l’album’’. Denis ajoute : ‘’ Puisque l’on parle des Stones, voici pour toi’’ et il me tend :

UN DEMOCRATE

MICK JAGGER

( 1960 – 1969 )

FRANCOIS BEGAUDEAU

(Folio 5726 / Mars 2022)

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A l’origine sorti chez Naïve en 2005. N’avais pas vu passer à l’époque. François Bégaudeau a été le chanteur du groupe punk Zabriskie Point, l’adaptation d’un de ses romans Entre les murs a été élu Palme d’or à Cannes (2008). Il est ce que l’on nomme un intellectuel de gauche, n’en a pas moins été qualifié de ‘’brun-rouge’’ suite à la sortie de son livre : Histoire de Ta bêtise. Apparemment beaucoup se sont sentis visés. Ce qui nous semble un bon signe.

Sans ouvrir une page, le titre nous renseigne sur le projet de l’auteur. Les Rolling Stones, certes un grand groupe de rock, mais après 1969 ce n’est plus comme avant. Dans ces cas-là faut un responsable, ce sera Mick Jagger. Une thèse peu originale, nombre de fans la partagent à quelques détails près. Quant à qualifier Jagger de démocrate, il y a à boire et à manger. Le titre est ambigu, signifie-t-il que Jagger fut un démocrate durant la première partie des Stones ou qu’il est devenu démocrate dans la deuxième partie de sa carrière. Le mot démocrate a plusieurs sens faut-il le comprendre comme un compliment : notre époque se complaît à revendiquer les valeurs démocratiques comme le summum de l’organisation sociale politique : liberté de penser, de circulation des marchandises, de commercer en paix aux quatre coins du monde. La démocratie c’est le régime politique par excellence du libéralisme économique. Les anciens grecs pensaient à peu près la même chose mais pas tout à fait dans le même sens. La démocratie, régime des marchands, était accusée de libérer la cupidité des appétits humains et de favoriser la déliquescence de la société… Si François Begaudeau a dans son Histoire de Ta bêtise entrevu le libéralisme actuel selon cet angle démocratique, pas étonnant qu’une grêle de critiques acerbes se soit abattue sur lui !

Il est temps de revenir à notre jardin où ne poussent que de chauds cailloux. Dans les premières pages Begaudeau fait son malin, oui Jagger est né en 1960, sur un quai de gare en même temps qu’un certain Keith. Et il est mort en 1969. Vous l’ignoriez, il va vous expliquer. N’ayez crainte il n’expliquera rien. Compte sur l’intelligence de son lecteur pour comprendre ce qu’il veut dire. 

L’est comme l’homme qui creuse un trou et qui y tombe dedans. Lui c’est les pierres qu’il empile les unes sur les autres et elles finissent par s’écrouler et par l’emporter avec elles. Les Stones ce sont les Stones et entreprendre le récit de leur histoire c’est magique, les mots et les émotions arrivent tout seuls. Begaudeau est né en 1971, l’est venu au monde trop tard, il n’a pas connu l’époque, il ne s’appuie sur aucun souvenir personnel.

Ne peut pas raconter ce qu’il a ressenti lorsqu’il a entendu The Last Time pour la première fois de sa vie à la radio, au niveau vécu personnel c’est la dèche, un véritable handicapé, le mec qui arrive après la bataille et qui vous la raconte. Peut-être bien mieux que la plupart de ceux qui y ont assisté. Car il écrit bien. En plus il a un joker dans sa manche. Attend un petit peu pour le sortir. Quand je dis un joker je devrais écrire des millions de jokers. Les Stones ne sont pas seuls. Derrière eux sont des millions de jeunes, toute une époque, les fameuses sixties, qui ne savent rien de leur existence, qui les attendent, qui les espèrent, qui les suscitent, comme la flamme du briquet attirée par le cocktail molotov, une décennie faste et créatrice, celles qui suivront ne la dépasseront pas.

Le décor est planté. Tragédie grecque. Fond de toile : le peuple, le démos, les fans, bientôt ils passeront dans les gradins. Devant trois masques, trois personnes, trois acteurs. Eliminons le troisième, le petit blond solitaire dans le coin, Brian Jones, oui il est à l’origine du groupe, mais c’est un asthmatique, un souffreteux, un maladif, l’a voulu jouer dans la cour des grands qu’il a créée mais il n’a pas l’énergie nécessaire pour survivre au carnaval dantesque du succès. Begaudeau ne porte pas au Brillant Jones l’admiration que lui voue notre Cat Zengler ! L’adopte plutôt l’analyse struggle for life notre écrivain. Deuxième rôle. Keith ! Facile, ne parle pas beaucoup, l’est toujours d’accord avec Mick.

Enfin Mick – c’est tout de même de lui qu’il s’agit ! – un chanteur oui, Begaudeau le qualifierait de danseur. Le gars sympa, donne envie de bouger à tout le monde. Non il n’a pas une voix exceptionnelle mais quel showman extraordinaire ! All Right ! et la foule entre en délire. Pas très profond, une tête froide. Pas un sentimental. Sait ce qu’il veut et veut ce qu’il sait. Avec lui tout est facile. S’adapte si facilement aux circonstances qu’il donne l’impression que ce sont les circonstances qui s’adaptent à lui. Un chat qui vous glisse entre les mains. Un jaguar bondissant.

Question musique, le groupe n’est pas composé de virtuoses. Z’ont le rythme. Faut que ça bouge et que ça déménage. Pas des fignoleurs. Après tout ce n’est que du rock ‘n’ roll, et le rock c’est chaud brûlant devant et le feu au cul derrière. Ne faisons pas dire à Begaudeau ce qu’il est loin d’insinuer. A la manière dont il décortique les morceaux on sent qu’il les aime, à la façon dont il analyse les albums on sent qu’il les a médités. Les Stones du début c’est un peu comme le syndrome de Stockholm, si par malheur, par hasard, par miracle, vous passez under their thumbs, vous êtes cuits, vous les aimez.

Bégaudeau accumule tout le long de ces cent-dix pages d’insignifiants détails contre Mick ce gendre idéal à qui votre sœur se donnerait sans vous demander la permission. Les Stones une fusée shootée à l’adrénaline des sixties, le ciel n’a pas de limite pour elle mais quand elle aborde les seventies, moins rock, davantage arty, elle se met sagement en orbite. Bégaudeau n’est pas le seul à l’énoncer. Perso à l’époque j’avais trouvé Altamont et sa cohue barbare génial, un truc très rock, je devais avoir tout faux car Jagger est le premier à tirer les marrons du feu. Le trucker lui a échappé, n’a pas su se rendre maître du mastodonte. Désormais tout va changer. Rien ne sera comme avant. Plus de concerts sauvages. Des shows millimétrés. Bref les Stones de maintenant. Un maintenant qui dure depuis cinquante ans. Les Stones de l’ère libérale. Le rock’n’roll est une marchandise comme une autre. Ce qui ne nous empêche pas de les aimer toujours. Les Stones comme une vieille maîtresse à la Barbey d’Aurevilly.

Damie Chad.

  

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