Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

CHRONIQUES DE POURPRE - Page 26

  • CHRONIQUES DE POURPRE 591: KR'TNT 591 : THE ASSOCIATION / RIDE / BURT BACHARACH / NORTH MISSISSIPPI ALLSTARS / JOHNNY DUNCAN / THE STILETTO SHAKERS / WOLWES IN WINTER / HERVE GAGNON / PIONNIERS DU ROCK / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 591

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    09 / 03 / 2023

    THE  ASSOCIATION / RIDE / BURT BACHARACH

    NORTH MISSISSIPPI ALLSTARS / JOHNNY DUNCAN

    THE STILETTO SHAKERS / WOLWES IN WINTER

     HERVE GAGNON / PIONNIERS DU ROCK 

     ROCKAMBOLESQUES

    Sur ce site : livraisons 318 – 591

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Association de bienfaiteurs

     

    z20241association.gif

             Pas facile d’évoquer l’histoire d’un groupe aussi parfait que The Association. Dans Shindig!, David Pearson rappelle qu’en 1968, ils étaient devenus l’un des groupes les plus célèbres aux États-Unis. Ils collectionnaient des friendly radio-hits et les albums à succès. Et pour beaucoup de gens, le cas Associatif reste un mystère : pourquoi n’ont-ils pas connu le même succès que CS&N, les Beach Boys ou les Byrds ? Ils passaient dans tous les grands shows télévisés de l’époque. C’est eux qu’on voit faire l’ouverture du Monterey Pop Festival dans le film qui est consacré à cet événement révolutionnaire. Question notoriété, ils n’avaient plus rien à prouver.

    Z20261SHINDID.jpg

             Quand ils rejettent le «MacArthur Park» que leur propose Jimmy Webb, ils commettent une erreur fatale. Ils passent à côté du hit séculaire. C’est là que leur producteur Bones Howe démissionne. Le groupe subissait la même pression que les Beach Boys : Bones Howe ne voulait pas qu’ils changent de style et, comme Brian Wilson, l’Association voulait évoluer vers quelque chose de plus psychédélique. Enregistrer des chansons d’amour ne les intéressait plus.

             La plupart des membres savaient composer, ce qui constituait l’une des grandes forces du groupe. Les plus brillants étaient Jules Alexander et Terry Kirkman, mais les autres amenaient aussi de bonnes chansons chaque fois qu’ils entraient en studio pour attaquer un nouvel album. Pour situer l’Association, on peut parler de sunshine pop californienne richement drapée d’harmonies vocales. 

             On peut écouter les albums, mais attention, le groupe ne tient pas forcément la distance. Ils sont un peu comme les Hollies, un groupe à hits, et comme on le verra plus loin, une bonne compile de hits peut suffire.

    z20250thecomealong.jpg

             Leur premier album s’appelle And The Along Comes The Association et paraît en 1966. C’est là que se trouve leur premier grand hit américain, «Along Comes Mary», un clin d’œil à la marijuana. On les voit chanter ça à Monterey, joli coup de Jarnac, monté sur une bassline galopante et une belle dynamique incursive. Tout est là, les clap-hands et les harmonies vocales généreuses. Big California sound, l’un des hits de l’âge d’or. Et pourtant, en 1966, ils sont encore en costumes cravates avec des bobines de VRP. L’autre grand hit du groupe, «Cherish» ouvre le bal de la B, mais il vieillit mal, trop romantico. Il vaut mieux aller sur le psych-folk d’«Enter The Young», il faut les voir swinguer leurs harmonies vocales. On les sent sharp et très dynamiques, taillés pour la route. Mais c’est encore l’époque des belles chansons sans histoires. Avec «Don’t Blame It On me», ils se rapprochent des Mamas & The Papas et leurs pah pah éclatent joliment dans l’azur immaculé. On se régale des guitares clairvoyantes de «Blistered», c’est l’apanage des grands groupes californiens à guitares. Mais on l’a dit, peu de groupes savent à cette époque tenir la distance d’un album. On s’ennuie un peu en B et Jules Alexander qui s’appelle encore Gary amène «Round Again». On sent une patte. Il swingue sa pop et l’enroule pour mieux la dérouler au rythme d’une vie heureuse. Très haut niveau, pas loin des riches heures de Michel Legrand. L’Alexander referme le bouclard avec «Changes», une pop à combustion lente. Il tient bien sa pop en laisse. Ça piaffe et l’énergie gronde sous le boisseau.

    z20251renaissance.jpg

             La même année paraît Renaissance. Ils portent toujours leurs costumes cravates. Le problème avec ces mecs-là, c’est qu’il faudrait entrer dans la liste du personnel pour savoir qui fait quoi, comme on le faisait avec les Beatles. La difficulté, c’est qu’ils sont six et qu’ils la ramènent tous, que ce soit au chant ou avec les compos : Gary Alexander, comme on l’a vu, Jim Yester (guitar), Russ Giguere (guitar), Brian Cole (bass), Ted Bluechel (drums) et Terry Kirkman (tambourin). Pas de figure proéminente chez eux. Ils obéissent à un principe démocratique. On entend donc Russ Giguere bramer à la lune dans «I’m The One» et Jim Yester chanter sa pop dans «Memories Of You». Ah ils savent créer des ambiances charmantes, on peut le dire ! Les harmonies vocales scintillent dans l’azur immaculé à sec. Gary Alexander se fend d’un vaillant «Pandora’s Golden Heebie Jeebies», une sorte de psych-folk délicat. Le timbre de Gary correspond plus à l’idée qu’on se fait d’un grand popster américain. En comparaison, la voix de Terry Kirkman qu’on entend dans «Angeline» passe beaucoup moins bien. Trop grave et trop square. Ted Bluechel chante son «Songs In The Wind». La démocratie conduit parfois à des impasses. Gary Alexander sauve la B avec «Looking Glass», une pop aux reins puissants, d’autant que Ted Bluechel la bat comme plâtre. Jim Yester chante son «No Fair At All». En fait, l’Association suit le modèle des Beatles : ils se bricolent de jolies mélodies et les enrichissent au cousu d’or. C’est à Russ Giguere que revient la mission de boucler le dossier avec «Another Time Another Place», une belle giclée de pop signée Gary Alexander.  

    z20252insight.jpg

             L’Alexander quitte le groupe début 67 pour aller étudier la mystique aux Indes. Il ne reviendra qu’en 68, transformé en Jules Alexander. C’est un certain Larry Ramos qui le remplace sur Insight Out, le troisième album du groupe. Nous n’irons pas par quatre chemins : l’album est extraordinairement mou du genou. On les voit faire de la pop très démonstrative, et ça ne pardonne pas. La petite pop gentillette de «When Love Comes To Me» refuse obstinément de décoller. Une sorte de flûte se promène dans les roseaux comme une libellule. On entend Brian Cole chanter «Reputation», une sorte de jerk finement souligné à l’harmo. Il semble qu’avec le départ de Jules, le groupe ait perdu son edge. Russ Giguere chante vraiment comme une brêle («Sometime») et Johnny Sitar fait son petit numéro dans «Waitin’ And Gettin’». Mais le pire est à venir : «Requiem For The Masses» : cette fois, c’est Terry Kirkman qui fait sa brêle. L’absence de Jules fait des ravages. 

    z20253birthday.jpg

             Par contre, Birthday sonne comme un album classique. Belle pochette psyché, en tous les cas. C’est Larry Ramos, la nouvelle recrue, qui ramène du son, comme on le constate à l’écoute de «Like Always». On sent chez lui le rocker à l’Américaine, un peu cassant, élégant et buriné. Le cut se montre assez digne des Beach Boys. Avec «Everything That Touches You», ils s’enfoncent dans une belle pop chaleureuse, très soignée, et même assez majestueuse. C’est ultra-chanté et soutenu aux belles harmonies psychédéliques. On finit par se faire avoir. «Time For Livin’» sonne vraiment comme un hit. Larry Ramos ramène du jus dans cette pop qui ne demande qu’à jaillir dans l’azur marmoréen. On peut parler ici de grande pop active et scintillante. On trouve aussi des échos de Moby Grape dans «Hear In Here». Grâce à de tels exploits, l’album finit par se hisser au rang de classique. Encore un joli bouquet d’influences dans «The Bus Song», mais le style Association prédomine. Ils tiennent leur pop par la barbichette, cette grande pop souriante, coloriée et pleine de vie.  

    z20254association.jpg

             Retour de Jules pour The Association, un album plus expérimental, qui sera aussi le dernier pour Russ Giguere. Mais cet album considéré comme un classique n’est pas à la hauteur de sa réputation. On y bâille. Ça pue la pop bon chic bon genre. Quand on arrive au milieu du balda avec «The Nest», la messe est dite : c’est trop mal chanté. Dommage, car les harmonies vocales valent le détour. Et puis soudain, ça se met en route, on ne sait pas pourquoi. On ne le saura jamais. Larry Ramos sauve le balda avec «Are You Ready». Il est beaucoup plus rocky roady que les autres, il va chercher des accents fins et d’une belle élégance. C’est en B que Jules Alexander ramène son «Dubuque Bues», mais curieusement, le cut ne sonne pas aussi bien que la version remastérisée qu’on trouve sur la compile de singles. Les vinyles ont parfois leurs limites. Et la diversité des registres vocaux présente aussi des avantages et des inconvénients. Une bonne moitié des cuts de cet album sont atrocement mal chantés. Avec «Goodbye Forever», Jules cherche de toute évidence à rejoindre l’univers de Pet Sounds, mais ça reste très pop, très associatif. Pour Jim Yester, 50 ans plus tard, cet album qu’il appelle le Stonehenge album reste son préféré. C’est avec cet album qu’ils espéraient échapper aux griffes du pop market. Mission accomplie. Ils ont même échappé à toutes les griffes. Il fallait vraiment adorer le groupe pour aller acheter cet album.

             Les passages à vide ont toujours une explication. En 1969, les membres du groupe se disaient complètement rincés par les tournées. Leurs vies privées en subissaient aussi les conséquences. Comme beaucoup de groupes dans le même cas, ils réclamaient une année sabbatique pour tout remettre en ordre, leur santé et leur vie privée, mais personne ne voulait financer ça - We desperatley needed a solid well-paid year off to recharge everything. But that was never going to happen - C’est là que généralement les groupes commencent à se démanteler et tombent en panne d’inspiration.

    z20255live.jpg

             Warner sort alors un double Live du groupe pour faire patienter le public. On y retrouve tous les grands hits du groupe, mais cette pop bien propre sur elle ne prend pas en public les proportions espérées. On devait forcément s’ennuyer lorsqu’on allait les voir jouer sur scène. Encore une fois, the Association est un groupe à singles. Alors, si on prend le temps d’écouter cet album interminable, c’est surtout pour Jules. Il faut l’entendre swinguer ses octaves dans «Goodbye Forever» et tarabiscoter son jus à outrance. Par contre, «Dubuque Blues» est chanté à la force du poignet, et on perd tout le jus de Jules. Les grands moments de ce double album sont «What Were The Words», folk-rock de rêve chanté à la pointe de l’harmonie, et l’«Are You Ready» de Larry Ramos, fabuleux shoot de pop américaine. Leurs versions d’«Along Comes Mary», de «One Too Many Mornings» et de «Goodbye Columbus» valent aussi le détour, car on retrouve cette pop alerte et crémeuse qui les distingue si bien. Ils tapent «Let’s Get Together» dans l’esprit de l’Airplane, mais pour le reste, on s’ennuie.

    z20256motor.jpg

             Retour du groupe en force avec Stop Your Motor en 1971. On les voit tous les sept groupés sur un escalier. Ils portent tous des jeans, des moustaches et les cheveux mi-longs. Les voilà enfin en osmose avec leur époque. Ils démarrent l’album avec un «Bring Yourself Home» bien dans l’esprit des Beach Boys, mais avec quelque chose d’associatif dans le contexte du cortex. Pas de hits sur cet album, mais des coups intéressants, comme la reprise du «PF Sloan» de Jimmy Webb. Ça leur va comme un gant. Mais la version de Jimmy Webb est beaucoup plus joyeuse, plus enlevée. La pop associative paraît parfois frigide. Larry Ramos attaque la B avec «It’s Gotta Be Real» et on comprend que ce groupe soit resté en série B. Ils ne parviennent pas à aligner les hits espérés par le petit peuple. Car enfin, si on va choper leurs albums, c’est bien en quête de hits, non ? Ils battent tous les records du ridicule avec «Along The Way» : diction insupportable, chat perché mélancolique avec du goobâille à la clé. Ils proposent parfois une musique à leur image : manque dramatique de sex-appeal. 

    z20257trinitad.jpg

             En 1972, Brian Cole casse sa pipe en bois : drug overdose. Mais apparemment, il a eu le temps d’enregistrer Waterbeds In Trinitad qui est probablement leur meilleur album. Et ce pour trois raisons, à commencer par «Midnight Wind», fantastique shoot de pop emmenée aux harmonies vocales, pur jus de Jules qui adore le ride ride ride. très haut niveau associatif. Deuxième hit avec «Kicking The Gong Around». Que de son, my son ! Voilà qu’ils allument leur balda. Jules nous fait le coup du shuffle. Ici, tout sonne densément et clairement à la fois, avec des échos de Beach Boys bienvenus et très convaincants. En B, ils tapent le «Snow Queen» de Carole King et Gerry Goffin. La pop du Brill leur va comme un gant. On retrouve leur joli bouquet d’harmonies vocales, une exubérance à la Fantin-Latour, son de rêve, softy et aérien, silky et satiné. Autre chose ? Oui, une reprise du «Darling Be Home Soon» de John Sebastian. Ils évoluent vers une sorte de perfection harmonique. Ça devient passionnant, d’autant que le son est plein comme un œuf. Ils ont enfin une prod de rêve. On les voit ravis au dos de la pochette. Ils grelottent mais ils rayonnent, surtout Jules, le plus petit de la bande des sept.

    z20258memories.jpg

             N’allez surtout pas rapatrier cette horrible mascarade qu’est New Memories. Ce qui reste de l’Association s’attaque à des tubes du genre «Love Me Tender» et «The Dock Of The Bay». C’est insupportable. Ils font même intervenir Bobby Vee et Mike Love. S’il existait un hit-parade des arnaques, cet album trônerait en tête de classement. Ils sont capables du meilleur comme du pire.

    z20259littlebit.jpg

             Par contre, A Little Bit More paru en 1995 sonne comme un passage obligé, pour deux raisons précises : une fantastique reprise de «Walk Away Renee» de Left Banke, et le morceau titre qui vaut à lui seul tout l’or du mondo bizarro. La reprise de Renee est orchestrée à gogo et bien sûr bardée d’harmonies vocales extravagantes. Mais c’est avec «A Little Bit More» que ces vétérans passent le Rubicon. La magie opère dès les premières mesures - When your body had enough of me/ And I’m lying flat on the floor/ You think I’ve loved all I can/ I’m gonna love you a little bit more - Il envisage tout simplement de remettre le couvert, pour parler vulgairement. Avec «Nature», ils passent au Brazil mystérieux et tendu. On a là du très grand art, chapeauté d’harmonies considérables. On pourrait dire la même chose de «Perfect Gift». C’est là où les Assos éclatent au firmament de la Sunshine pop. Tout est chanté à l’outrance du pur jus. Tiens, tu as encore «Forever» à te mettre sous la dent. Les ressources des Assos sont insondables. En 1995, il restait encore un groupe comme les Assos pour honorer la pop de manière princière. C’est tout simplement écœurant de classe. Ils terminent avec «The One» dans une extraordinaire envolée. Ils savent se montrer élégants jusqu’au bout du bout et se fondent à coups d’ah yeah dans les adieux firmamentaux. N’oublions pas de signaler la reprise du «Could It Be Love» de Randy Sharp. Ils y traitent d’égal à égal avec les Beach Boys. On les voit aussi traiter la pop comme une reine dans «How Much Love». Ils s’y montrent exceptionnels de mansuétude. Et même si «Learn Them To Land» sonne un brin diskoïdal, ce cut reste bon comme le pain chaud du petit matin.

    z20260complete.jpg

             On retrouve tous les hauts faits associatifs dans The Complete Warner Bros. & Valiant Singles Collection. Pour les amateurs de très belle pop, c’est une sorte de passage obligé. Le premier disk propose tous les singles Valiant et ça démarre sur l’infernal «One Too Many Mornings». On pense aux Beach Boys, bien sûr, mais c’est d’abord un son qui leur est propre, chaleureux et puissant, divin et ravageur. Ils jouent la pop de Dieu. S’ensuit l’aussi énorme «Forty Times», joué à l’énergie de la sunshine pop, pas loin des Monkees, mais avec quelque chose en plus. Tout est tellement puissant dans l’esprit associatif ! Ils glissent la pop de «Cherish» sous le boisseau d’argent du temple d’Isis. Chez eux, tout est saturé de sunshine et amplement drapé d’or, ils n’en finissent plus de grimper dans les couches d’ozone de la beauté pure. Peu de groupes ont su mener des chœurs avec un tel brio. «Everything That Touches You» sonne comme la pop du futur, rien que par l’ampleur de son ouverture. Et avec «Time For Living», ils se montrent dignes des Beach Boys. C’est l’un de leurs plus grands hits. On y entend même des échos des Beatles. Il faut rappeler que Brian Wilson adorait le premier album de l’Association. Joli cut aussi que ce «Pandora’s Golden Heebie Jeebies» : Jules s’intéresse à la mad psyché. L’époque veut ça. Et ça continue avec «Standing Still». On entre dans la psyché californienne, mais avec du panache. Encore un fabuleux shoot de pop magique avec «Looking Glass». À l’époque, Jules compose comme un forcené. Il croit dur comme fer en la beauté de la pop et des arrangements multi-directionnels. La pop de «Windy» rayonne aussi sur le Mordor, sunshine à souhait. Elle ressemble à une forteresse imprenable. Le disk 2 propose les singles Warner Bros. Et dès «Like Always», ça explose, on croirait entendre les Beach Boys. Cette pop toxique patauge littéralement dans l’excellence, oh here she goes. Ils font un festin de chœurs dans «Goodbye Columbus», on peut même parler ici d’explosion de chœurs définitifs, et avec «Under Branches», ils renouent avec le génie pop psychédélique to fall upside down. Jules Alexander s’y prélasse. On a là une incroyable merveille alexanderienne, digne de Brian Wilson, aérienne et colorée, tout est chanté à l’outrance de l’ouate psyché. Encore un fabuleux shoot de pop avec «Dubuque Blues». Avec Jules, les choses flirtent en permanence avec le génie. Il réussit l’exploit de transformer la musique en éclat du jour, do you remember, il y mélange le folk joyeux et la pop somptueuse. La pop d’«Are Your Ready» est tellement brillante qu’elle sonne presque comme de la Soul. «Just About The Same» propose une invraisemblable profusion de chœurs d’artichauts. On pourrait presque qualifier «Bring Yourself Home» de pop de rêve humide, et dans «Makes Me Cry», Jules Alexander se montre une fois de plus digne de Brian Wilson. Oh, il reste des tas de merveilles à savourer, comme par exemple «Yes I Will», qui se termine comme un hit des Beach Boys, ou encore «Along The Way», terriblement affiné, chanté au filet de voix dans l’azur prométhéen, et qui s’étend à l’infini. Ils reprennent le merveilleux «PF Sloan» de Jimmy Webb, comme si la légende faisait de l’œil à la légende. Cette compile est un véritable double concentré de génie pop. L’île déserte l’accueille à bras ouverts.

             Le groupe existe paraît-il encore, grâce aux survivors Jules et Jim. Del, le frère de Larry Ramos mort en 2014, les accompagne.

    Signé : Cazengler, association à bite non lucrative

    Association. And The Along Comes The Association. Valiant Records 1966

    Association. Renaissance. Valiant Records 1966  

    Association. Insight Out. Warner Bros. Records 1967   

    Association. Birthday. Warner Bros. Records 1968 

    Association. The Association. Warner Bros. Records 1969 

    Association. Live. Warner Bros. Records 1970

    Association. Stop Your Motor. Warner Bros. Records 1971

    Association. Waterbeds In Trinitad. Columbia 1972

    Association. New Memories. Realistic 1983

    Association. A Little Bit More. On Track Records 1995

    Association. The Complete Warner Bros. & Valiant Singles Collection. Now Sounds 2012

    David Pearson : Roots And Branches. Shindig # 78 - April 2018

     

     

    Ride Sally Ride

     

    z20242ride.gif

             Quand Paul Ritchie brosse le portrait sonique de Ride, il parle de «feeback-drenchend ethereal dream pop». Il nous revoie directement avec ses six pages sur Ride sur l’époque des guitar bands. Ces quatre kids d’Oxford ont en effet bien cassé la baraque dans les années 90, il y a de cela trente ans. Il faut en effet se souvenir que les petits Ride étaient devenus les darlings de la weekly music press et les poster boys de l’indie music scene. Comme ça au moins les choses sont claires.

    z20273bis.jpg

             Le duo Mark Gardener et Andy Bell mène alors la petite meute. Ils écoutent tout ce qui bouge à l’époque, les Cocteau Twins, Loop, Spacemen 3, mais aussi les Smiths et les Bunnymen. Ils commencent à jouer et à tourner. C’est l’époque où les Mary Chain, My Bloody Valentine et House Of Love marchent bien. Puis Alan McGee les repère. Il leur offre la liberté totale, même celle de concevoir leurs pochettes. Les petits Ride optent pour le mystère, pas de photos du groupe sur les EPs. Banco ! White noise !

    z20262ride.jpg

             Démarrage en force avec une série de quatre EPs, objets magnifiques, sur lesquels on s’est tous précipités. Le premier n’avait pas de titre, on l’appelait le Ride EP. Pochette de rose rouge et tout de suite un wall of sound avec «Chelsea Girl», et sa belle pulsation, sa puissance inexorable, les petits Ride avaient du talent et le batteur avait tout du fou dangereux. Le hit des petits Ride c’est bien sûr «Drive Blind», une belle dégelée de power chords qui se désintègre dans une avalanche de white noise, un cut qu’on adorait à la folie, un vrai hit rock à l’Anglaise. En B, il y avait encore du son et un peu de psychedelia dans «All I Can See». Ils revenaient enfin à leur paraphernalia psychédélique en saturant à l’extrême «Close My Eyes». Andy Bell pense que l’EP est leur meilleur format.

    z20263play.jpg

             Ils couvraient la pochette du Play EP de roses jaunes et sonnaient exactement comme les Fannies dans «Like A Daydream». Ils revenaient à leur son pour «Silver», une heavy psychedelia repentie et pleine d’énergie hazy. En B, ils s’en allaient bombarder dans les layers de «Furthest Sense» avec cette fantastique énergie qui les caractérisait si bien. Ils avaient tout l’avenir devant eux.

    z20264fall.jpg

             Avec le Fall EP, on notait une petite baisse de tension, même si «Dreams Burn Down» sonnait comme une épaisse giclée de revienzy. Ils savaient monter un mur du son et jouer une heavy psychedelia anglaise de haut vol. Mais on sent bien que c’est l’EP et le power de Creation qui font la beauté du geste. Après, ils viraient plus pop et on passait à travers. Et puis autant le dire franchement : si on ramassait cet EP à l’époque, c’était surtout pour les pingouins.

    z20265today.jpg

             Sur la pochette du Today Forever EP, on avait une espèce requin et les petits Ride perdaient tout l’élan de Drive Blind. Adios élan, bon vent !

    z20266nowhere.jpg

             Comme Creation faisait avant toute chose du business, on vit apparaître à la même époque l’album Nowhere qui rassemblait quelques bribes d’EPs, notamment «Dreams Burn Down» et ses stridences qui se noient dans un mur du son, cut assez habile et inspiré, ils pouvaient poser le chant sur cet infiniment loin perdu dans la noise. On retrouvait le mur du son dès «Seagull», tout était saturé de basse et de guitares. Avec «Kaleidoscope», tu n’apprenais rien de plus que ce que tu savais déjà. Il était inutile d’attendre une surprise. Les petits Ride étaient bien gentils, mais les surprises n’était pas leur spécialité. Dans «Decay», la mollesse du chant laissait une impression désagréable, malgré la force des textures. Et puis tu avais «Vapour Trail» presque un hit pop avec cette voix qu’on n’aimait pas. C’était toute la différence avec les grandes voix qu’on avait dans Adorable ou Suede. Alan McGee affirme que «Vapour Trail» is one of his favorite songs ever

    z20267smile.jpg

             Paru en 1990, Smile est une compile d’EPs. On y retrouve le gorgeous «Chelsea Girl», belle dégelée de descente d’accords, c’est cuivré de frais, ils relancent à tours de bras, les petits Ride sont invincibles en ce soir de printemps. Tu ne les battras pas à la course. On retrouve aussi l’excellent «Drive Blind», encore une descente de big heavy Ride. «Silver» leur permet de renouer avec la violente torpeur de «Drive  Blind». Ils adorent couler un bronze et s’y rouler. Encore un beau boisseau de son avec «Furthest Sense», c’est explosé de sustain et il pleut encore du son dans «Perfect Time». Ça joue dans tous les coins du spectre, on a du jus de guitare à profusion, ça résonne dans l’écho du temps. Tout chez l’early Ride est propulsé aux power-chords, et monté en croupe de wild solos. Ils terminent avec un «Close My Eyes» plombé aux accords de plomb, avec une ramasse de chant à la surface, pareille à la serpillière oubliée dans la cage d’escalier par la concierge portugaise.

    z20268blankagain.jpg

             Après une première tournée mondiale, ils enregistrent Going Blank Again en 1992 et l’attaquent avec «Leave Them All Behind» et toutes ces guitares qui se répandent dans l’air comme des parfums toxiques. Ils sont vraiment enracinés dans cet esprit de belle efficacité terrifique, ça t’enrobe bien la cervelle. Mais tu restes sur tes gardes à cause du chant trop typé. Ça n’empêche qu’ils sont aux commandes d’un bolide qui fonce dans le mur du son. C’est un choix de société. Finalement, Ride reste un groupe inclassable. Puissant mais inclassable. Ils sont aussi capables de belles apothéoses. «Twisterella» est plus poppy, ils sont frais comme des gardons, mais des gardons dont les écailles s’éclatent au Sénégal. Tu as intérêt à prendre ces mecs au sérieux. Ils attaquent «Mouse Trap» dans les clameurs de la victoire, ils cherchent à prendre la ville avec des power chords pulvérisateurs, c’est exactement ce qu’ils font, ils pulvérisent les murailles à la mitraille, ils arrosent tout ce qu’ils peuvent, ils en deviendraient presque grotesques. Ils amènent «Cool Your Boots» à la belle disto, ce mec chante la bouche ouverte, c’est une manie, tout est réglé sur le mode anglais, avec une grosse énergie du son, ils ramènent du son à la pelle et visent les profondeurs de la pensée psychédélique. «Making Judy Smile» est aussi très puissant, c’est de la big British pop, c’est dingue comme ces petits mecs savent se fondre dans la crème anglaise. L’album se révèle au final assez fascinant, plein d’aventures, thank you for the ride. Ils amènent «OX4» avec une pluie d’orage et le cut s’ouvre sur le monde. Ils sont capables de puissance invétérée, alors ils y vont franchement.

    z20269carnival.jpg

             Et comme c’est arrivé dans l’histoire de tous les groupes, les petits Ride subissent des pressions horribles. Au lieu de s’accorder un break après une tournée mondiale exténuante à tous points de vue, on les envoie en studio pour l’album suivant. En 1994 arrive Oasis qui balaye tout. Les petits Ride changent de son et deviennent plus psyché avec Carnival Of Light. Paul Ritchie compare l’album à l’Untitled des Byrds et au Let It Bleed des Stones. Il va même plus loin en affirmant que Carnival Of Light est le plus Shindig!-friendly of all Ride albums. Les petits Ride portent des pantalons à rayures, des chemises à jabots et manteaux de fourrure. Ils se sentent over-confident. Andy Bell : «We could be Led Zeppelin or the Jayhawks or The Black Crowes.» Bon, ils exagèrent un peu, l’album n’est pas du niveau de Let It Bleed. On y sauve trois cuts, à commencer par «1000 Miles», gratté au petit jingle jangle californien. Cut étrange et séraphique, il faut bien l’avouer, c’est vrai que sur ce coup-là, ils sonnent comme les Byrds. L’autre point fort de l’album est la cover du «How Does It Feel To Feel» des Creation. Ils tapent dedans avec un «freakbeat punch». Bienvenue en Angleterre ! C’est parque qu’ils tapent dans les Creation qu’ils sont bons. Les petits Ride coulent enfin de source. Autre bonne surprise : «Magical Spring», qui finit par s’imposer à coups de clameurs de voix et de guitares. Il faut bien dire que leurs compos ont un mal fou à s’imposer. Disons qu’ils sont honnêtes. «From Time To Time» sonne comme de l’entre-deux eaux, très axé sur les axes, ils font de la bonne augure à la sauce américaine, on sent qu’ils ont bien dégrossis. Ils amènent leur «Birdman» à la manière forte, avec de grosses dégelées d’accords et montent vite sur leurs grands chevaux. Ils savent déborder sur l’horaire. Mais ils se croient parfois autorisés à chanter sans voix («Crown of Creation») ce qui leur porte préjudice.

    z20270tarentula.jpg

             Comme tous les autres groupes anglais, ils sont submergés par Oasis. Ils vont cependant enregistrer l’album du breaking up, Tarentula. Andy propose d’enregistrer vite fait, mais dit-il «the vibe wasn’t there». Steve indique que ça manquait d’un «bit of heart and soul». McGee et Creation consacrent tout leur temps à Oasis, alors les petits Ride passent un peu à l’as. C’est Andy Bell qui compose quasiment tout sur Tarentula, il est dans un heavy trip Creation/Small Faces/Nazz. Si on en croit les conneries qu’ils racontent dans Shindig!, Tarentula est un album raté. C’est tout le contraire. Il s’agit probablement là de leur meilleur album. Eh oui, huit bombes sur douze titres, c’est largement au-dessus de la moyenne. Ça sonne d’entrée de jeu, dès «Black Nite Crash», les guitares sont de sortie, les petits Ride ont décidé de rocker la vieille Angleterre. Shake your jewellry !, comme dirait John Lennon. La fête continue avec «Shunshine/Nowhere To Run», c’est excellent, bien gluant de son et inspiré par les trous de nez. On se croirait sur le White Album !, le groove est juste, parfaitement digne de John Lennon, les vibes sont saines et d’une incroyable véracité véracitaire, c’est heavily Beatlemaniaque, un vrai cosmos. S’ensuit un «Dead Man» qui flirte aussi avec le génie, c’est une merveille de psychout à l’anglaise. Tu entres ici dans le territoire de la grande pop psychédélique anglaise, les petits Ride dépassent toutes les attentes, les voix se fondent dans le son comme au temps de «19th Nervous Breakdown», c’est un véritable tour de magie psyché, avec un solo de wah à la clé. Ils refoutent le paquet sur «Walk On Water», tu n’en crois pas tes oreilles. C’est bardé du meilleur son d’Angleterre : Creation/Small Faces, sans les voix, bien sûr. Ils s’amusent à jouer au petit jeu du balladif avec «Mary Anne», ils tapent ça à leur manière et Andy Bell passe un solo mirobolant. Rock’n’roll star ! Il joue de la guitare jusqu’à la dernière goutte de Supersession. On plonge à nouveau dans le délicieux enfer du son avec «Gonna Be Alright». Fantastique ! Ils gorgent leur son de heavy trash, ils deviennent de puissants seigneurs d’Angleterre, ils développent à l’Anglaise, everything’s gonna be alright, c’est sûr, et la wah dévore le cœur du cut. Andy Bell fait encore des ravages sur «Burnin’». Il joue en heavy burnin’ out. Burn baby burn.

    z20271weatherdiaries.jpg

             Ils splittent à la sortie de Tarentula et se reforment en 2001. Puis en 2017, ils enregistrent un nouvel album, Weather Diaries. L’amateur de mad psychedelia va se régaler d’«Here’s A Feeling», car oui, ça fond dans le beurre du groove, ils renouent avec les vibrations de «Drive Blind» et des psychedelic shades, ça s’accumule comme des nuages dans un ciel mauve, ça se profile dans la ouate, ça évolue énormément. Ils nous font aussi le coup de grands vents sidéraux dans «Cali», ils misent beaucoup sur les effets de son, c’est frais et bon enfant, avec une belle profondeur de champ et un balancement suprême. Les effets surnaturels sont un excellent succès. Ils repartent en mode heavy groove avec «Impermanence». Ils jouent encore une fois sur les effets, ils cultivent leur vieux shoegaze, avec des guitare contemplatives aux frontières de la mad psychedelia. Car c’est bien de cela dont il s’agit. On passe toujours un bon moment en compagnie des petits Ride. Même si parfois, ils se vautrent, comme avec «Lannoy Point» ou encore «Charm Assault» qui retombent dans l’épouvantable ornière de la Britpop. Le petit gang d’Oxford repart avec «White Sands», ils emmènent avec eux tous les objets de leurs fascinations, c’est très potache et très sérieux en même temps, très over the overland, le son cherche ses mots dans le titubage expérimental. La morale de l’histoire est qu’il faut toujours plonger sa cuillère dans le bon potache, c’est une question de santé mentale et le diable sait si la santé mentale n’est pas de ce monde.

    z20272safeplace.jpg

             Les petits Ride repartent de plus belle en 2019 avec This Is Not A Safe Place. Encore un bel album à leur actif, avec un «Ride» d’ouverture de bal qui sonne comme une revanche contre ceux qui les prenaient pour des branleurs. Ils ramènent vraiment tout le son qu’ils peuvent ramener avec leurs petits bras. Ils lancent «Kill Switch» au beat de Ride et c’est la porte ouverte à tous les excès, ça touille dans la disto, it’s a kill switch, tu tombes en plein dans le killer killy switch, avec un chant qui plane dans la chaleur de la nuit. Ils amènent «Eternal Recurrence» aux heavy chords et là tu plonges dans leurs bras. C’est du rêve, du rêve d’Eternal. Fabuleux groove des petits Ride. Dernier coup de Jarnac avec «End Game», ils repartent en mode petite pop, mais avec une sorte de maîtrise de l’expertise - That’s the way it got to be - Cette pop évolutive te mange le coton sur le dos et ça prolifère dans une sorte d’élévation du son jusqu’au seuil des apothéoses. Les petits Ride finissent par devenir fascinants. «Clouds Of Sainte Marie» est presque réconfortant, c’est un cut qui te lèche les plaies. Ils ont un «Jump Set» qui sonne comme de l’Echo & The Bunnymen, pas très glorieux, et ils terminent avec «In The Room» chanté à l’innocence d’Oxford. C’est leur force et on les admire d’avoir duré aussi longtemps à ce niveau d’excellence. 

    Signé : Cazengler, Ridé

    Ride. Ride EP. Creation Records 1989

    Ride. Play EP. Creation Records 1990

    Ride. Fall EP. Creation Records 1990

    Ride. Today Forever EP. Creation Records 1991

    Ride. Nowhere. Creation Records 1990

    Ride. Smile Creation Records 1990

    Ride. Going Blank Again. Creation Records 1992

    Ride. Carnival Of Light. Creation Records 1994  

    Ride. Tarentula. Creation Records 1996     

    Ride. Weather Diaries. Wichita 2017 

    Ride. This Is Not A Safe Place. Wichita 2019

    z20273shindig127.jpg

    Paul Ritchie : Daydream Believers. Shindig! # 127 - May 2022

     

     

    Wizards & True Stars - Burt au grand pied

     

    z20244burtbachara.gif

             En cassant sa vieille pipe en bois, Burt Bacharach referme un chapitre glorieux de l’histoire culturelle contemporaine, le chapitre de la grande pop ambiancière, qu’on qualifie parfois à tort d’easy listening. Il vaut mieux parler de magie. Burt évoluait dans le même monde qu’Arthur Lee, Jimmy Webb, Curt Boettcher, Totor ou encore Brian Wilson, le monde des chansons parfaites. 

             Comme dans toutes les grandes œuvres d’art, il y a dans certaines compos de Burt quelque chose d’intemporel, il sait fondre une trompette dans la Bossa et emmener des violons loin sous l’horizon. Tu cherches la mélodie du bonheur ? Tu la trouves dans «This Guy’s In Love With You» qui devient «This Girl’s In Love With You» dans les pattes d’Aretha et de Dusty chérie. Tu as encore du big event avec «The Look Of Love», toujours croqué à belles dents par Dusty chérie, mais aussi Dionne la lionne, on s’en soûlerait jusqu’à la fin des temps. L’autre grande interprète de Burt, c’est bien sûr Jackie DeShannon qui tape dans le jive magique de «What The World Needs Now Is Love», la belle Jackie te chaloupe ça des hanches, elle a raison, the world needs love. Encore un fil mélodique demented avec «(They Long To Be) Close To You», porté par une trompette en rut modérateur et puis tu as cette profondeur de champ mélodique qui n’existe que chez Totor ou Jimmy Webb, ce sens aigu des orchestrations leveuses de frissons. Dusty chérie l’emmène là-haut, jusque dans l’imparabilité des choses, elle monte là où l’air est pur, elle recherche le niveau de perfection absolue. Cilla Black le fracasse elle aussi. Dans la version qu’en fait Dionne la lionne, on assiste à une extraordinaire explosion mélodique. Burt attaque toujours par en bas, puis il fait monter la sauce pour que ça aille gicler au sommet du lard. Alors Dionne se coule au cœur du vif argent, elle brille de tous ses feux. Elle se prélasse dans le confort de Burt, le géant d’Amérique. Ce sont chaque fois des chansons qui semblent t’emmener vers ton destin. Tu peux difficilement leur résister.

    z20274portrait.jpg

             L’idéal est d’aller sur les albums des grandes interprètes de Burt : définitivement Dusty ... Definitely, tout Dionne la lionne, et principalement Anyone Who Had A Heart, l’atrocement bon This Is Jackie De Shannon, et bien sûr l’Image de Cilla Black. Si on passe directement par Burt, on tombe généralement sur des albums d’instros, comme cette belle compile A&M parue en 1971, Portrait In Music. Belle parce que Burt est beau, cadré serré sur la pochette. C’est un album bercé par les alizés qui restitue bien l’idée des thèmes bachariens, jamais très éloignés de la Bossa Nova, bercés par le doux balancement du beat tropical et bien graissés aux trompettes d’Herp. Cette compile permet aussi d’explorer l’autre facette de Burt, le mid-sixties ambiancier de chabadabadah, robe Cardin au Quartier Latin, Swingle Singers, exubérance tempérée à la Michel Legrand, c’est une vraie machine à remonter le temps. L’«I Say A Little Prayer» est le prototype du mid-sixties ambiancier d’anticipation rehaussé d’un thème mélodique en robe Courrèges. «Raindrops Keep Falling On My Head» reste l’air joyeux par excellence, lié au souvenir enchanté de Butch Cassidy & Sundance Kid. Et puis avec «Do You Know The Way To San Jose», tu te retrouves au Carrefour de Bucci en mini-jupe avec du rouge à lèvres et des faux cils. 

    z20276alwaissomething.jpg

             L’autre belle entrée chez Burt est une compile Ace parue en 2008, Always Something There (A Burt Bacharach Collectors’ Anthology 1952-1969). Curieusement, Mick Patrick fait le choix de puiser dans les hits plus obscurs de Burt. Premier exemple avec «So Long Johnny» par Jackie DeShannon. Elle y va les cuisses ouvertes, elle donne à Burt tout ce qu’elle a, elle te ouate le Burt dans l’auréole de son génie. Dans son commentaire, Mick Patrick indique que Dionne Warwick, Gene Pitney et Timi Yuro avaient fait la grosse connerie de rejeter «So Long Johnny». On le retrouve plus loin, le Pitney, avec «If I Never Get To Love You». Ah comme il est piteux ! Même chose pour Trini Lopez («Made In Paris») et Del Shannon qui avec «I Wake Up Crying» bat tous les records de nullité. Insupportable ! À moitié con. Tous des petits culs blancs. Adam Wade, c’est pareil, aucun d’eux ne passe, c’est drôle que Burt soit passé par des interprètes aussi falots. Bobby Vee passe un peu mieux avec «That’s The Way I’ll Come To You». Ce beautiful black singer d’Arkansas qu’est Dee Clark accroche «You’re Telling Our Secrets» au mur comme un trophée de chasse. Ben E King s’en sort lui aussi avec les honneurs sur «They Don’t Give Medals To Yesterday’s Heroes». Il a tout le gusto qu’il faut pour driver son Burt, c’est un Ben extrêmement intense, et la prod explose littéralement. Brook Benton reste bien le chanteur du temps d’avant, il craque le code de Burt avec «More Time To Be With You». On passe par le ventre mou de l’Amérique avec Doris Day, Della Reese et Marty Robbins qui font de la variété sucrée. La bonne surprise de la compile est le «That’s Not The Answer» par Vi Velasco, une blanche qui était sur Vee-Jay, elle fait du wild Burt sound lâché dans la nature, tu sens la prise sur tes hanches, on comprend qu’elle soit devenue culte chez les fans de Northern Soul. Aucune envie de s’appesantir ni sur Frankie Avalon («Gotta Get A Girl»), ni sur Cathy Carr («Wild Honey»), par contre, Mick Patrick a pensé à Damie Chad en intégrant le «Crazy Times» de Gene Vincent, morceau titre du Capitol paru en 1960. Ah il faut le savoir que c’est du Burt ! Gene s’en sort avec les honneurs. Autre superstar : Dionne Warwick, avec «Dream Sweet Dream». Comme Gene, elle dégage, elle emmène son Burt par-dessus les toits. On n’en attendait pas moins d’elle. Mais le vrai héros de cette compile est Lou Johnson, qui en plus fait l’ouverture de bal avec «(There’s) Always Something There To Remind Me». Lou Johnson te shoote de la Soul dans Burt, il te scarifie le visage du langage, il est le roi du woo-woo-woo, il chante à l’accent de panther on the run et au moment opportun, l’orchestre monte d’un cran, alors Lou bondit. Mick Patrick nous rappelle qu’entre 1962 et 1964, «Lou Johnson established himself as one of the greatest interpreters of Burt Bacharach’s and Hal David’s complex numbers.» En fait, Burt demandait à Lou de chanter ses démos. Dionne et les autres grandes interprètes se taperont la part du lion commercial. C’est Sandie Shaw qui va décrocher le pompon avec «(There’s) Always Something There To Remind Me». Pour Lou : tintin.

    z20277book.jpg

             L’entrée principale dans le monde de Burt reste bien sûr l’autobio, Anyone Who had A Heart - My Life And Music, un book paru en 2013. C’est un livre ouvert, car Dionne la lionne, Angie Dickinson et d’autres participent. Burt semblait prédestiné à une carrière légendaire, car il eut comme professeur de piano et de composition Darius Milhaud qui était à cette époque installé à Los Angeles. Comme chacun sait, Darius Milhaud fit partie du légendaire Groupe des Six, avec Arthur Honegger, Francis Poulenc, et Germaine Tailleferre. Burt compose une sonatine en trois mouvements et la joue pour Milhaud qui le félicite et qui lui dit ceci : «N’ayez jamais honte de composer une mélodie que vous pouvez siffler.» Burt dit qu’il n’a jamais oublié ce conseil. Et comme Milhaud adorait emmener ses élèves le samedi soir dans un funky restaurant mexicain, il apprit aussi à Burt l’art de manger les tacos. Jeune, Burt se passionne pour Arnold Schönberg et Alban Berg.

             Et comme tous les compositeurs de sa génération, Burt se retrouve dans un petit bureau du 1619 Broadway, c’est-à-dire au Brill. Il rappelle que les bureaux étaient minuscules, juste de quoi contenir un bureau et un piano droit, la clim ne marchait pas et la fenêtre était bloquée. De l’autre côté de l’avenue, au 1650 Broadway, se trouvent tous les poulains de Donnie Kirshner : Carole King & Jerry Goffin, Barry Mann & Cynthia Weil, Jeff Barry & Ellie Greenwich. Burt entend un jour Bill Haley à la radio et nous dit que ça ne lui plaît pas. Pourquoi ? - Ces chansons étaient basées sur trois accords, Do, Fa et Sol. S’ils avaient utilisé un Do septième, ça aurait été beaucoup plus intéressant, mais le Do majeur just seemed so vanilla to me.

             Puis Burt entre dans la légende en devenant le pianiste et chef d’orchestre de Marlene Dietrich. Il rapporte un étrange incident : un soir, à Vegas, après le concert, ils boivent un peu trop et Burt raccompagne Marlene à sa chambre. Elle essaye de l’embrasser et lui demande d’entrer, mais Burt refuse poliment - Je savais à l’époque que je n’aurais pas pu conduire l’orchestre d’une femme avec laquelle j’avais couché. Je ne voulais vraiment pas coucher avec elle. It would have been like falling in love with fire - Quand ils sont en tournée en Amérique du Sud, Marlene et Burt se promènent ensemble à la nuit tombée dans les collines de Rio, et c’est là que Burt entend monter pour la première fois la clameur des tambours, ce qu’il appelle le baion beat - where the one is followed by a one-beat pause and the two half beats. Phil Spector l’a utilisé dans «Be My Baby» et on le trouve aussi dans le «There Goes My Baby» composé par Jerry Leiber & Mike Stoller pour les Drifters.

              Et puis en 1962, Burt compose «Mexican Divorce» avec Bob Hilliard. Comme ils n’ont pas le temps de s’en occuper, Leiber & Stoller demandent à Burt de faire répéter les background singers et là, il se paye le flash de sa vie : «Il y avait quatre girls, et elles sonnaient toutes si bien que je ne savais pas laquelle était la meilleure.» Il se retrouve en effet avec Cissy Houston, ses nièces Dee Dee et Dionne Warwick et leur cousine Myrna Smith. Mais il voit très vite que Dionne la lionne sort du lot - Right from the first time, I ever saw Dionne - Elle avait nous dit Burt une grâce et une élégance qui la distinguait des autres - To me, Dionne looked like she could be a star - Et il va en faire une star, c’est-à-dire l’interprète de ses compos. Dionne demande à Burt si elle peut chanter des démos, Burt accepte et elle enregistre la démo de «Make It Easy On Yourself». Bon, Burt la fait écouter à Florence Greenberg, la bosse de Scepter, qui n’en veut pas. C’est un black de Vee-Jay, premier label black d’Amérique basé à Chicago, qui va ramasser cette merveille. Venu faire ses courses au Brill, il achète «Make It Easy On Yourself» pour le refiler à Jerry Butler. Boom !

             Dans des pages extrêmement intenses, Burt évoque son obsession de la perfection. Il veut que la compo soit parfaite avant l’enregistrement. Il s’aperçoit que de se lever à 4 h du matin n’y change rien - No matter how hard I tried, nothing was ever perfect. Il y avait toujours un défaut  quelque part. Des années plus tard, quand j’ai fini par réaliser que si tout le reste allait bien, alors je devais me résigner. Ce qui doit être la définition de la maturité - Mais quand il entend sa compo à la radio pour la première fois, il panique - I knew that it was never going to sound as good as I wanted it to - Il se disait même prêt à se rendre à l’usine pour superviser la fabrication des albums. Il  va aussi mettre des usines en concurrence pour voir qui presse le meilleur vinyle. En studio, c’est encore pire : vingt ou trente prises qu’il écoute et réécoute avec un soin maniaque over and over again - I could have heard it a thousand times and I was still never satisfied with the way it sounded on the radio. Burt est un peu comme Totor : son obsession finit par le transformer en génie.

             Burt revient constamment sur Dionne. Ce sont les pages les plus fascinantes du book. Il fait de Dionne l’égale d’Aretha, ce qu’on ressent automatiquement à l’écoute de ses albums - Ce qui rendait Dionne différente des autres artistes avec lesquels on travaillait, c’était le fait qu’elle avait étudié le piano et qu’elle savait lire une partition. Ce qui représentait pour moi un très gros avantage. Plus Hal et moi on travaillait avec elle et plus on voyait ce qu’on pouvait faire. Dans «Don’t Make Me Over», a song that goes from twelve/eight to six/eight, I had her sing an octave and a sixth and she did it with her eyes closed - Cette dernière phrase contient toute l’admiration qu’éprouve Burt pour Dionne - Dionne could sing that high and she could sing that low. She could sing that strong and she could sing that loud, yet she could also be soft and delicate. Notre relation musicale évoluait, j’ai commencé à voir son potentiel et j’ai compris qu’on pouvait prendre plus de risques. À mes yeux, il y avait dans sa voix tout le mystère et toute la délicatesse d’un vaisseau construit dans une bouteille - Et pouf, Dionne intervient pour dire qu’en effet, il y eut 32 prises de «Don’t Make Me Over», son tout premier enregistrement. Burt lui répétait sans cesse : «Can you give me one more ? I think you’ve got one more in you.» Dionne n’en revient pas d’avoir fait 32 prises, avec tous les musiciens et les backing singers dans le studio. Elle ajoute avec une pointe d’humour que Burt a finalement choisi la deuxième prise. Burt emmène ensuite l’enregistrement chez Florence Greenberg qui cette fois éclate en sanglots. Pas parce qu’elle appréciait le cut, nous dit Burt, mais parce qu’elle n’arrivait pas à l’apprécier.

             Quand Burt et Hal David composent «What The World Needs Now Is Love», ils demandent à Dionne de l’enregistrer, mais elle les envoie promener - Okay, it’s not my favorite song that you guys have written - Alors ils font venir Timi Yuro dans leur bureau pour lui soumette le cut, elle commence à le chanter, et quand Burt tapote sur la table pour accentuer certains passages, Timi se fout en boule, lui dit «Oh go fuck yourself» et se barre. Ils proposent ensuite le cut à Jackie DeShannon et là ça marche, Burt l’accompagne - Holy shit, she sounds like the song was made for her - Burt lui rend un sacré hommage : «The way Jackie DeShannon could sing killed me, because she had the rough kind of imperfect voice that was absolutely perfect.» Ce hit magique sera ensuite repris par une centaine d’artistes, nous dit Burt. Évidemment, Dionne la lionne est furieuse. Elle en veut à Burt d’avoir refilé «What The World Needs Now Is Love» à une autre. Burt prend bien soin de rappeler que sa relation avec Dionne est strictement professionnelle, comme le fut sa relation avec Marlene, mais il pense que sous cette colère s’en cache une autre : il suppose que Dionne est jalouse d’Angie Dickinson que Burt vient d’épouser. Quand Angie et Burt vont voir Dionne chanter au Savoy à Londres, la lionne arrive sur scène coiffée d’une perruque blonde, et là Burt comprend tout - What the fuck? I was speechless.

             Burt raconte que Brian Epstein acheta «Anyone Who Had A Heart» pour le ramener à Londres et le confier à George Martin. La première idée était de demander à Shirley Bassey de l’interpréter, et puis George Martin préféra l’enregistrer à Abbey Road avec Cilla Black. Dionne la lionne se moque un peu des Anglais, car ils répliquaient au détail près les enregistrements américains - Si l’organiste avait joué une fausse note ou si j’avais toussé pendant l’enregistrement, Cilla aurait aussi toussé et l’organiste anglais aurait joué la fausse note. Ils copiaient au détail près tout ce qu’on enregistrait.

             Burt travaille aussi avec des mecs. Son premier chanteur de démos est comme déjà dit  l’excellent Lou Johnson. Burt bosse aussi avec Brook Benton, qui lui pose des problèmes, car il chante des fausses notes dans la montée mélodique d’«A House Is Not A Home» - Benton was being a real pain in the ass and at one point he uttered this great line : «I could read music, but I don’t want to spoil my soul.» - Alors Burt demande à Dionne de reprendre le cut qui reste l’un des préférés de Burt. Il rend hommage à Dusty chérie qui en fit une version géniale, de même qu’Ella Fitzgerald et Stevie Wonder. Il pense que la meilleure version est celle de Luther Vandross - I think he did the best version ever.

             Quand Brian Epstein fait écouter «Alfie» à Cilla Black, elle dit qu’elle ne peut pas chanter ce fooking machin-là. Pour elle, Alfie est le nom d’un chien. Comme elle ne veut pas dire non pour de bon, elle dit à Brian qu’elle n’acceptera de chanter «Alfie» que si Burt accepte de faire les arrangements. Elle est convaincue que Burt va refuser. À sa grande stupéfaction, il accepte. Cilla est baisée. Alors elle pose une deuxième condition : Burt doit assister aux sessions d’enregistrement à Londres. À sa grande stupéfaction, il accepte. Alors elle pose une troisième condition : Burt doit jouer pendant la session. À sa grande stupéfaction, il accepte. Elle ne peut plus reculer. Aux yeux de Burt, Cilla est une big star. Il est en plus ravi que George Martin produise la session. Il prend l’avion, débarque à Londres et fait répéter Cilla chez George Martin. Puis ils vont à Abbey Road enregistrer avec un orchestre de 48 personnes et The Breakaways comme singing backup. Mais Cilla dit qu’elle en bave - It was unbelievably hard, aussi quand j’ai commencé en douceur, j’ai eu d’énormes difficultés to get that energy up, litterally from my boots, pour aller chercher the high note. I was hurting - Burt voit qu’elle en bave - Je ne pense pas que personne ait jamais fait subir ça à Cilla. She had a really strong pop voice, but what I wanted her to do on «Alfie» was go for the jugular. On a fait 28 ou 29 prises et chaque fois je lui demandais : «Can we do better than that ? Can I get one more ?». George Martin a fini par me demander : «Burt, que cherchez-vous ici ?» et le lui ai répondu : «That little bit of magic.» Et il m’a dit : «Je crois que vous l’avez sur le take four.» - Cilla finit par être exaspérée par Burt qui se régale - but she sang her ass off - Cilla : «I wanted to foo-king kill him but he was so foo-king gorgeous.» Burt dit aussi qu’«Alfie» fait partie de ses compos chouchoutes, mais pour le fan ordinaire, c’est un cut beaucoup trop sophistiqué.

             Burt revient sur Dusty chérie, «a great girl with a soulful voice, but she was very hard to record. On était tous les deux des perfectionnistes, mais Dusty était beaucoup plus dure avec elle-même qu’il n’était nécessaire, et si on avait enregistré un album ensemble, on aurait fini par se détruire l’un l’autre.» Ils enregistrent ensemble «The Look Of Love» à Londres et crois-le bien amigo, chaque fois que tu écoutes ça, tu tombes de ta chaise tellement s’est puissant.

             Un peu vers la fin du book, Burt parle d’argent. Il roule un peu sur l’or et dit qu’il possédait quelques chevaux de course, deux restaus à Long Island, un car-washing dans le New Jersey, 500 têtes de bétail et quelques propriétés en Georgie. Puis Burt et Hal se brouillent. Dionne qui vient d’arriver sur Warner leur demande de composer un album pour elle et Burt refuse car il ne supporte plus Hal. Alors Dionne traîne Burt et Hal en justice. Ils ne s’adresseront plus la parole pendant dix ans. Burt disparaît de la circulation et même de son mariage.

             C’est la naissance de sa fille Nikki qui sauve provisoirement son mariage. Il finit par se réconcilier avec Dionne la lionne et enregistre «That’s What Friend Are For» avec elle en 1985 - Je pensais qu’on avait besoin d’une autre voix féminine et j’ai fait venir Gladys Knight, et Dionne a fait venir Stevie Wonder pour qu’il l’accompagne à l’harmo chromatique et qu’il chante avec elle. Mais il me fallait encore une autre voix d’homme. Ce fut Luther Vandross, who I always thought was an unbelievably great singer and very cool - C’est l’époque où Burt bosse avec Carole Bayer Sager. Elle le voit comme un «sexy, handsome, talented man who could pretty much have an active and interesting sex life at any given time.» Après avoir divorcé d’Angie et de Carole, Burt rencontre Jane.

    z20275isley.jpg

             En 2003, Mo Ostin appelle Burt pour lui proposer d’enregistrer un album avec Ronald Isley : Isley Meets Bacharach - Here I Am - I put him right up with Luther Vandross as one of the great singers of all time and I still love what we did together on that album - Oh la la, quel album ! On dit parfois de ce genre d’objet qu’il est «à se damner pour l’éternité», ce qui bien sûr ne veut rien dire, mais on s’accommode fort bien de ce genre de petite faiblesse. Ronald étant Ronald, il commence bien sûr par le cut le plus difficile, on peut même dire le plus hermétique, de Burt, «Alfie». Il se retrouve vite emmitouflé par les orchestrations du soft power et des coulées de Disneyland, alors que ruissellent les myriades d’étoiles, Ronald roucoule comme un black pigeon, il fait son cake d’ouate les doigts dans le nez, il est gluant de réussite, c’est atroce de voir une star comme lui se compromettre avec «Alfie». Mais il va se rattraper avec «Raindrops Keep Falling On My Head». Les trompettes de Burt entrent dans la culotte de Ronald qui pousse des mmmuuuhhh de plaisir. Alors il se met à chanter the pure black magic. Il tourne le Raindrops à son avantage, il en fait de la Soul demented, il te le grovve au Black Power, il te le retourne comme une crêpe, il en fait une Soul de soulève-toi, une Soul de lever de boucliers, Ronald te retapisse le mythe. Il traverse les frontières, il te groove littéralement le Burt. Pur genius ! Il attaque «In Between The Heartaches» au sommet du lard et il te coule le Burt dans un bronze spectaculairement beau. C’est à tomber de ta chaise. Alors tu tombes. Ronald est un homme gluant de génie vocal. On le sait depuis longtemps, mais avec Burt, ça prend des proportions extravagantes. Tu te retrouves au bord de la rupture de langage. Il fait de chaque cut une sorte de panacée historique. Il les emmène un par un au paradis. Il retapisse tout Burt, mais à un point extrême. Encore un exemple avec «A House Is Not A Home». Il entre dans le Burt avec un soin extrême - You can kiss good night - Il recrée le mythe pour le développer à la voix surnaturelle de two of us. On assiste à une incroyable retenue du flux. Et on monte encore d’un cran avec «The Look Of Love». Toujours les trompettes. Ronald entre dans le chou du lard avec un Look qui sonne bien, il se glisse dans les trompettes comme un anaconda et remonte le courant du flux musical. Il finit par s’y fondre à la force du sucre. On attend Ronald au virage pour «This Guy’s In Love With You», sans doute le plus beau hit de Burt. Dès l’intro, t’es baisé. Ronald te cueille au menton, you see this guy/ This guy’s in love with you - il tient son Burt par la barbichette pour mieux le groover, oh I’ll show you, c’est monstrueux de perfection unilatérale, et Ronald s’envole comme un ange au firmament, I need your love/ I want your love, yéééé, il y va ! L’autre grand choc émotionnel vient bien sûr du fameux «Close To You»  qui s’appelle ailleurs «(They Long To Be) Close To You». Encore une mélodie parfaite, c’est orchestré heavily sous le boisseau, comme le «Blues» d’Aragon qu’adapta jadis Léo Ferré. Ronald crée en prime de l’hyper-magie sur le compte de Burt. Il te propose un océan de magie vocale, c’est le thème magique par excellence, tu t’épuises comme Des Esseintes à en goûter la saveur, c’est l’une des plus belles chansons de tous les temps et c’est joué fouetté à la peau des fesses. Ronald termine cet album surnaturel avec deux ou trois autres bricoles, dont le fameux «Anyone Who Had A Heart», Ronald envoie ses yeah cogner aux portes, il ne prend aucun risque, il étend l’empire du soft power. 

    Signé : Cazengler, Bacharate qui s’ditate

    Burt Bacharach. Disparu le 8 février 2023

    Burt Bacharach. Portrait In Music. A&M Records 1971

    Isley Meets Bacharach. Here I Am. Dreamwold Records 2003

    Burt Bacharach. Always Something There (A Burt Bacharach Collectors’ Anthology 1952-1969). Ace Records 2008

    Burt Bacharach. Anyone Who had A Heart. My Life And Music. Atlantic Books 2013

     

     

    L’avenir du rock - Les gars du Nord (Part One)

     

             Quand on lui demande quels sont ses meilleurs souvenirs d’enfance, l’avenir du rock garde le silence un petit moment. Il hésite à répondre qu’en tant que concept, il n’a pas de parents, donc pas d’enfance. Mais comme il trouve son interlocuteur charmant, il ne veut pas le décevoir. Alors il lui raconte des souvenirs fictifs de vacances de Noël à Roubaix. «Cette semaine de vacances était d’autant plus le paradis que la vie à la maison était un enfer», annonce-t-il en guise d’introduction, pour que les choses soient bien claires. Parents séparés et une mère qui avait repris sa liberté pour aller mener la belle vie dans le Nord. «Alors effectivement, c’était la belle vie», ajoute un avenir du rock exubérant. Ses pupilles étincellent de mille feux. Il boit un coup et reprend le fil de son récit. Après douze ans de vie conjugale, sa mère n’avait rien perdu de son éclat. Elle partageait à présent la vie d’un homme qui était le sosie parfait de Charles Bronson, une vraie gueule de movie star, avec ce regard extraordinaire d’yeux plissés. Ne manquait que l’harmo. Il se baladait à poil dans le salon, constamment en érection, et s’amusait à casser des briques à coups de karaté. L’autre habitant de cette petite maison du bonheur était un immense chien loup noir, Péro, qui avait pris l’habitude de se dresser sur les pattes arrière et de poser les pattes avant sur nos épaules, pour manifester son affection. Il poussait la chaleur de ses élans jusqu’à l’éjaculation, ce qui faisait bien marrer Charles Bronson. L’apéro commençait autour de 16 h, chaque jour, et au moment de partir en goguette chez des amis de Charles Bronson pour continuer de faire la fête, tout le monde était défoncé, y compris Péro qui adorait le Pastis. Charles Bronson conduisait sa 504 en rigolant pendant que sa compagne le masturbait. Péro qui flairait l’odeur du sexe se frottait convulsivement contre le dossier du siège avant. Un vrai Paradis ! L’accueil chez les amis était chaque fois pharaonique ! Chaque soir une maison différente et des amis chaleureux, alcoolisés à outrance et vivant la vraie vie jusqu’à l’aube. On aurait dit que toute la ville faisait la fête. Toutes les petites rangées de maisons en briques rouges vibraient de musique et de trilles de rires. «Ah les gars du Nord !», s’exclame l’avenir du rock, l’œil humide.

    z20243mississippi.gif

             Dans le Mississippi, les gars du Nord sont bien sûr les North Mississippi Allstars, les deux fils de Jim Dickinson. Leur nouvel album s’appelle Set Sail. Ils continuent de cultiver leur art du heavy groove de cool moon avec le Part 1 du morceau titre.

    z20278setsail.jpg

    Les deux frères Dickinson font la loi dans le don’t wanna be rise. Ils peuvent même entrer en rivalité avec le groove fantôme de la Nouvelle Orleans, comme le montre le fier «Bumpin’». Mais c’est avec «See The Moon» qu’ils vont conquérir l’Asie Mineure. Leur heavy rumble de Missip est imparable, ils tapent dans le dur du Moon, avec des chœurs demented, il montent l’heavy Dickinson art en neige jusqu’au vertige. Et ça continue avec «Outside», plus classique, même si d’obédience heavy Missip. C’est magnifique, encore une véritable œuvre d’art, c’est une merveille sourde, une avancée lourde et lente, ils charrient tout le poids du limon, c’est quasiment le beat de Redbone. Et puis voilà qu’ils reviennent en mode Dylanesque avec «Didn’t We Have A Time», mais l’ancien mode Dylanesque, le plus austère, et ça donne une petite merveille d’entre-deux, Luther fait du big Luther - Recognize me/ Didn’t we have a time ? - Il est superbe de sincérité. Le coup de Jarnac de l’album est le guesting de William Bell sur «Never Want To Be Kissed». Wow, ça vire Staxy, baby, en mode slow groove violoné, mais que d’heavyness dans l’intention ! Et puis tu vas craquer avec ces chœurs de blackettes. Retour au morceau titre avec le Part 2, un heavy groove joliment orchestré, glissant comme une fuite en avant, très bel exercice de style, mais inclassable, dominé par des violons et un heavy bassdrum. Il semble que les deux frères cherchent un passage vers d’autres horizons, comme le montre encore «Juicy Juice», plus funky, mais c’est un dark funk du Missip, plein de bruits de chaînes et de coups de fouet - Oooh drinkin’ - pas loin de Dr John, dans l’esprit de that juicy juice. Ils reviennent à Redbone avec le tribal «Rabbit Foot» et finissent avec un cut en forme de joli cœur, «Authentic» qui lui aussi échappe aux genres, et c’est bien ce qui rend les gars du Nord fascinants, cette facilité qu’ils ont de faire leurs adieux aux muddy roots quand ça leur chante.

    z20279uprolling.jpg

             Avant d’entrer dans un Part Two qui va éplucher leurs vingt ans de carrière, on peut saluer l’album précédent, l’excellent Up And Rolling, paru sous une magnifique pochette : on y voit le juke-joint de Junior Kimbrough. La cerise sur le gâtö est le très beau livret glissé à l’intérieur de la pochette. En une de couve, on voit les deux mains d’un vieux nègre rouler une clope. Et quand on ouvre, on tombe tout de suite sur l’image parfaite : Otha Turner pose la main sur la cuisse de Luther Dickinson, assis à côté de lui. Luther raconte dans un texte fascinant comment est venue l’idée de publier ce disque et ce livre : en redécouvrant tout simplement les clichés d’un photographe texan nommé Waytt McSpadden, qu’ils avaient emmené en virée dans le Mississippi. Ces photos retraçaient une histoire datant du siècle précédent et ressuscitaient ce que Luther appelle un cast of characters, c’est-à-dire un casting spectaculaire. Trois générations de familles installées in the rural Mississippi. Premier hommage à Otha Turner avec ceci : «Like our father, Jim Dickinson, Otha is masterful at collaborating from the grave. Their creativity transcends death.» Ce que Luther raconte ensuite du Kimbrough juke-joint explose la cervelle du lecteur : il raconte comment après une nuit entière à jouer «All Night Long», Junior passe sa guitare à son fils Dave qui part en mode freak-out «like Jimi meets Prince meets Fred McDowell in a cotton-patch-disco-moonshine acid test». Luther et son frère Cody démarrent l’album avec «Call That Gone», en compagnie de Sharde Thomas, la petite fille d’Otha Turner. Fantastique brouet, chanté à deux voix, bye bey baby, bye bye. On retrouve Mavis dans une reprise du «What You Gonna Do» de Pops. Ça devient mythique - What/ You/ Gonna do ! - Elle sait de quoi elle parle. Ils tapent plus loin dans le «Peaches» de RL, un authentique boogie de North Mississippi Hill Country Blues. Luther ramène énormément de son dans ses cuts. Il travaille au gras-double. Il fait carrément un festival de space guitar. On croise d’autres invités en B, comme par exemple Jason Isbell, l’ex-Drive-by Truckers, et le fils de Dickie Betts. Cedric Burnside vient aussi allumer «Out On The Road», boogie blues plus classique. Pas question de s’écarter du droit chemin. Puis on tombe sur un blues bien glissé sous le boisseau, typique de Junior Kimbrough : «Lonesome In My Home». Luther et Cody se montrent déterminés à préserver cette fabuleuse tradition du North Mississippi Hill Country Blues. 

             Et hop, voilà que la fabuleuse tradition débarque en Normandie, sous la forme la plus dépouillée qui soit : Luther et Cody. Ils n’ont besoin de personne en Harley Dickinson. L’illusse qui orne la tête de gondole est plus ancienne : elle date du temps où les gars du Nord étaient trois, avec le gros bassman black Chris Chew. En jouant à deux, ils perdent un peu de viande, mais ça reste assez solide.

    z20246batteur.jpg

    N’oublie pas qu’ils sont non pas les enfants du limon, comme dirait Queneau, mais les enfants du mythe, ce qui permet de supporter quelques longueurs, notamment le solo de batterie. Bon d’accord, Cody est un fantastique beurreman, mais on croyait en avoir fini avec ce genre de pratique. Il fut un temps, t’en souvient-il, où les solos de batterie ruinaient les concerts. Au plan humain, Luther et Cody sont frais comme des gardons, fabuleusement pimpants, ravis de se produire au pays du camembert, ça se sent, ils n’en finissent plus de remercier la salle, et comme ils parlent avec un fort accent des backwoods, les tentatives d’échange tombent à l’eau. Non seulement ils sont physiquement présents, mais en plus, ils jouent comme des cracks. Cody bat sec, mais avec le poignet souple du jazzer.

    z20248guitarrouge.jpg

    Luther claque en permanence le beignet du North Mississippi Hill Country Blues, tout en lui n’est que niaque, luxe et virtuosité. Ils revisitent tout le catalogue de la fabuleuse tradition, à commencer par le «Going Down South» de RL Burnside, l’un des fleurons du patrimoine, fantastiquement hypnotique et battu à la diable par Cody.

    z20249guitarrouge+++.jpg

    Luther annonce un petit shoot de Mississippi psychedelia et hop, roule ma poule avec «Up And Rolling», directement inspiré des grandes œuvres de Junior Kimbrough. Ils tapent plus loin dans un autre classique de RL Burnside, le mighty «Snake Drive», que Luther contrebat au dumb dumb sur ses cordes graves, et ça prend une ampleur considérable, dumb dumb. Il existe une version spectaculaire de «Snake Drive» sur l’A Ass Pocket Of Whiskey, l’album qu’enregistra jadis RL Burnside avec Jon Spencer. Ils finissent avec un autre classique, le «Shake ‘Em On Down» de Mississippi Fred McDowell, un autre classique définitif du freakout local. C’est une transe qui ne pardonne pas, pleine de collines et de vallées, de pluies et de vents, d’avenir et de passé, Luther et Cody recréent le vieux tourbillon au travers duquel tant de vieux blacks sont passés avant eux, et du coup les voilà devenus les gardiens du temple.   

    z20247guitar.jpg

    Signé : Cazengler, North Mississippiteux

    North Mississippi Allstars. Le 106 (Rouen). 25 février 2023

    North Mississippi Allstars. Set Sail. New West Records 2022

    North Mississippi Allstars. Up And Rolling. New West Records 2019

     

     

    Inside the goldmine - Duncan the can

     

             Bien que de petite corpulence, Dycon avait réussi à s’imposer. Il disposait pour cela d’un bon timbre de voix et d’une posture de tribun. Un public de 300 personnes ne l’impressionnait pas. Sous ses petits cheveux noirs taillés très court se dessinait l’ovale parfait de sa petite bouille. Deux petits yeux noirs semblaient y pétiller de vie et en de rares occasions, un sourire mettait en valeur deux ravissantes dents de lapin. Il ne laissait rien filtrer de sa vie privée. Une rumeur voulait qu’il pilotât une grosse moto pour se détendre. Un autre voulait qu’il fût amateur de punk-hardcore, au point d’aller voir jouer certains groupes dans des endroits peu recommandables. Mais on ne savait rien de plus. Et bien sûr, pas question d’aller lui tirer les vers du nez. Il portait toujours des chemises blanches immaculées et parfaitement opaques, et rien ne permettait de supposer qu’il portait des tatouages. Son statut dans le groupe n’était pas bien défini, il en était l’un des co-fondateurs, mais il semblait avoir repris une certaine indépendance. Lors des réunions où l’on abordait l’épineuse question du développement commercial, il intervenait pour dire qu’il proposerait telle ou telle prestation à certains de ses clients, qui n’étaient donc pas les clients du groupe. Cela ne posait aucun problème à personne. Dans cette sphère professionnelle, les gens qui savent vendre du conseil naviguent souvent en solitaire et créent des liens commerciaux extrêmement lucratifs et à l’épreuve du temps. Alors que la grande majorité des gens en activité sont rongés par des hantises, Dycon appartenait à la minorité de ceux qui ont su traverser le miroir, ceux qui découvrent l’envers du décor. Dycon semblait flotter au milieu de nulle part. Il disait souvent qu’il refusait des offres et qu’il était déjà beaucoup trop riche. Il passait de moins en moins de temps à Paris, car ses clients étaient souvent à l’étranger. Puis nous n’eûmes plus de nouvelles de lui pendant un an, pendant deux ans. Il avait su pousser l’abstraction qui caractérisait son activité jusqu’à l’incarner. Il ne nous restait plus qu’une seule chose à faire : interpréter les signes. Par exemple, cet appel entrant, la semaine dernière, un nouveau client. Un gros budget. Ça ne tombe jamais du ciel. Dycon ? Forcément. 

     

    z20245johnnyduncan.gif

             Dycon et Duncan ont ceci de commun qu’ils flottent tous les deux au milieu de nulle part. Tu sais qui est Dycon parce que tu as eu le privilège de bosser avec lui, et tu sais qui est Duncan, parce que tu as eu la chance de le découvrir sur une compile consacrée à Joe Meek, Bad Penny Blues - The Early Years. Mais ça s’arrête là. Et puis si tu y réfléchis bien, c’est suffisant.

             Mais une chose t’intrigue quand tu écoutes «Blue Blue Heartache», western swing in London town, et le wild as fuck «If You Love Me Baby». Johnny Duncan est un chat sauvage, il est le killer kat de Meeky Meek, il joue par-dessus la jambe. À ce niveau de qualité, tu te poses des questions. D’où sort ce Johnny Duncan ? Tu as la réponse au dos des pochettes de ses trois albums : c’est un cat originaire de Knoxville, Tennessee, qui débarque en Angleterre en 1952, comme G.I., et qui se marie avec une Anglaise. Il rentre au bercail après son service, tourne pas mal dans le Kentucky avec son groupe, puis revient en Grande-Bretagne. Il auditionne pour Chris Barber qui cherche un mec pour remplacer son chanteur Lonnie Donegan, parti voler de ses propres ailes. Comme il est en Angleterre, Johnny Duncan en profite en plus pour enregistrer ces merveilles qu’on trouve sur Bad Penny Blues - The Early Years.

    z20280tenessee.jpg

             Alors tu te jettes aussitôt sur Johnny Duncan’s Tennessee Song Bag, un 25 cm paru en Angleterre en 1957. Tu vas être surpris par la qualité du cat. Avec «Get Along Home Cindy», il te claque un joli shoot de wild Americana. Son «Old Blue» sonne comme un classic jive de come on blue. Mais c’est avec «Travelin’ Bues» qu’il rafle la mise. Ce mec Duncan est une merveille, il ramène la crème de la crème en Angleterre. Il déroule son Travelin’ Blues sous la voûte étoilée et un trompettiste vient transpercer le cœur de cette bluette. En B, tu as encore deux shoots fiévreux d’Americana, «Just A Little Lovin’» et le wild as fuck «Which Way Did He Go», du bluegrass punk, avec un côté white roots exacerbé. À ne pas laisser à portée de toutes les oreilles.  

    z20281salutes.jpg

             Très bel album que ce Johnny Duncan Salutes Hank Williams paru en 1958. Avec Hank Williams, la partie est gagnée d’avance. Johnny Duncan ouvre son balda avec «Hey Good Looking», ah on peut dire qu’il sait bopper l’Hank, le cat ! Wow ! Et ce démarrage en côte du slap vaut tout l’or du monde. Quel sens du swing ! Sa version de «Moanin’ The Blues» est un vrai coup de génie. Attaqué à la clarinette de New Orleans, le cut bascule ensuite dans le heavy groove de bop. En prime, Johnny Duncan envoie le plus beau yodell d’importation. Il tape aussi une fantastique cover de «Jambalaya (On The Bayou)», il y va au son of a gun, ça joue aux percus de Cuba, avec un violon de saloon. Quel incroyable brouet ! En ouverture du bal de B, il prend «Your Cheatin’ Heart» au sucre candy, rien à voir avec le Cheatin’ que fait Jerry Lee au Star Club de Hambourg. S’ensuit un exercice de white country-blues de haut vol avec «Long Gone Lonesome Blues» et il fait enfin du pur rockab avec «Mind Your Own Business». C’est le Southern swing à l’état le plus pur.

    z20282beyond.jpg

             En 1961, Johnny enregistre un album de gospel blanc, Beyond The Sunset. On ne l’écoute que par sympathie pour ce cat du Tennessee, mais le gospel des blancs est une catastrophe. Même si c’est orchestré par Ivor Raymonde, l’ensemble est assez fluet. Aucune profondeur. On croirait entendre des oisillons piailler au fond d’un nid installé dans un arbre dessiné par Walt Disney. Ces blancs qui chantent les louanges du seigneur sont à la fois grotesques et surprenants. Bon, c’est vrai que Johnny Duncan a une belle voix. Mais il devrait la mettre au service du rockab. Ce gospel blanc est une vraie tarte à la crème.

    z20283sanfernando.jpg

             Pour terminer, on peut se repaître d’une belle compile Bear, Last Train To San Fernando. Il a pas mal de cuts qui sonnent comme du comedy act, car il chante parfois avec une voix de canard, comme le font les Coasters. Mais derrière lui, ça joue au wild punk as fuck d’Americana débridée, comme le montre le morceau titre d’ouverture de balda. Avec «Geisha Girl», le cowboy débarque au Japon, il swingue son kimono vite fait bien fait. En fait, Johnny Duncan fait essentiellement du skiffle et comme il a joué pendant un an dans le Kentucky, le bluegrass n’a plus aucun secret pour lui. Il faut attendre «I Heard The Bluebird Sing» pour frémir un bon coup, il joue ça au fouette cocher, c’est du pur tagada de wild as fuck, il n’y a que les Américains pour gratter le banjo du diable. On retrouve aussi l’excellent «Git Along Home Cindy» du premier album, cette fois le Get est un Git, c’est un bluegrass extrêmement puissant. Il attaque son «Rockabilly Medley» au violon, et du coup, ce n’est pas du rockabilly. Retour en grâce en B avec «Rock A Billy Baby», encore du rockab de saloon, embarqué au violon, avec un bop en patte de bois, c’est-à-dire une note sur deux. C’est avec «Blue Blue Heartache» qu’il rafle la mise. Johnny Duncan est un artiste complet, il mène tout son biz au fouette cocher, avec des solos virtuoses. Il termine cet album déroutant avec un «Railroad Medley» qui contient une fantastique version d’«I’m Movin’ On», classique rockab rendu célèbre par Johnny Horton, et il finit en mode Last Train To San Fernando. Duncan dot it !

    Signé : Cazengler, Johnny Ducon

    Johnny Duncan’s Tennessee Song Bag. Columbia 1957

    Johnny Duncan Salutes Hank Williams. Columbia 1958

    Johnny Duncan. Beyond The Sunset. Music For Pleasure 1961

    Johnny Duncan. Last Train To San Fernando. Bear Family Records 1985

     

     

    ROCKABILLY RULES ! ( 11 )

    N’oubliez jamais que toutes les règles sont faites pour être contournées, dépassées, chamboulées, piétinées, car l’important avant tout c’est d’avoir un cœur fidèle et rebelle !

    *

    THE STILETTO SHAKERS

    Tout jeune mes connaissances de la langue de Keats étant très limitées je me demandais ce que pouvaient bien être ces High Heel Sneakers chantés par Jerry Lee Lewis, ce mot heel prononcé par le killer me figurait un objet pointu genre cran d’arrêt, un joujou de blouson noir, j’ai été très déçu plus tard lorsque j’ai appris que ce vocable porteur de rêve et de violence désignait de simples talons aiguilles. Idem pour les Stiletto Shakers, nos secoueurs de stiletto remuent-ils des escarpins ou un stylet, ce poignard que les traîtres vous enfoncent dans le dos dans les drames romantiques. Je vous laisse choisir : la danse ou le crime, que chacun suive son chemin et aille en paix… Pour la petite histoire j’ajouterai que j’ignorais que High Heel Sneakers était un original de Tommy Tucker, et cerise sur le gâtö chère à notre Cat Zengler, la face B de ce simple était Whatcha gona do, titre phare du premier 45 tours de Little Richard que j’ai acheté. Pour la grande géographie ils sont basés à Brighton cité célèbre pour ses bagarres entre mods et rockers voici un demi-siècle.

    En tout cas nos Stiletto Shakers semblent avoir compris que dans la vie la première chose à secouer c’est soi-même, ils ont sorti 14 titres en dix mois. Un effort méritoire car ils ne sont que deux à être crédités :

    LV : writing, guitars, vocals, production, mixing  /  Anthony : drums.

     

    the association,ride,burt bacharach,north mississippi allstars,johnnny duncan,the stiletto shajers,wolwes in winter,hervé gagnon,pionniers du rock,rockambolesques

    RUMBLE : ( Piste numérique / Bandcamp/ Mai 2022 ) : drôle d’interprétation, le Rumble de Link Wray c’est la préfiguration du noise, ici nous avons une version beaucoup plus policée qui refuse de tomber dans l’abîme du son, la guitare se raccroche aux petites branches harmoniques du jazz pour donner un semblant de musicalité,  l’original se tortile et gronde comme les têtes de l’Hydre de Lerne, sur cette démo l’on arrive après qu’Hercule ait méchamment cisaillé la bestiole, une version qui se rapproche d’un son qui se voudrait sixties sans oublier tout ce qui est venu après, d’où cet effet de boursoufflement étonnant. Une chose est sûre, Lewis Vimpany connaît ses classiques mais ne comptez pas sur lui pour les respecter à la lettre. L’occasion de ranimer la querelle des anciens et des modernes.

    the association,ride,burt bacharach,north mississippi allstars,johnnny duncan,the stiletto shajers,wolwes in winter,hervé gagnon,pionniers du rock,rockambolesques

    SURFIN : ( Piste numérique / Bandcamp/ Mai 2022 ) : étonnante pochette  , une mer idéale pour pédalos asthmatiques bien trop calme plat pour pratiquer les joies du surf, que nous prépare cet hommage à Dick Dale : en écoutant ce Surfin’ l’on comprend que Lewis Vimpany essayait de surfer sur les récifs de Link Wray, l’est plus à son aise ici, mais à quoi visent ces introductions de cuivres, dans le morceau précédent ils s’incluaient dans son approche jazzy, là on est obligé d’admettre que, comme Baudelaire à la fin des Fleurs du Mal, Lewis cherche du nouveau…

    P.S. : un indice sur cette pochette vous permet de trancher entre escarpin et cran d’arrêt.

    ALL OF THE NIGHT, ALL OF THE TIME

    ( Album numérique / BandCamp:/ Septembre 2022

    the association,ride,burt bacharach,north mississippi allstars,johnnny duncan,the stiletto shajers,wolwes in winter,hervé gagnon,pionniers du rock,rockambolesques

    La pochette laisse présager du old rock’n’roll style mais avec cet animal l’on se méfie, les deux démos précédentes avaient l’air de brouillons d’un gars qui cherche son style à lui.

    What goes around : l’a manifestement trouvé, la musique devant et la voix par-dessous, un riff d’entrée qui balance et qui patauge, et c’est parti pour ne jamais revenir, un peu simpliste beaucoup efficace, une guitare qui vous vrille les oreilles, une basse qui vous ramone le ciboulot, le genre de gangue dont vous n’avez aucune envie de sortir. D’ailleurs vous avez une fausse sortie, juste pour continuer de plus belle. Two dollars water pistols : au tout début l’on ne sait pas de quel côté l’on se dirige, manifestement vers le blues, très électrifié avec cette voix qui bourdonne dans votre tête, cette guitare qui pousse des icebergs, vous vous en moquez, z’êtes bien, à l’abri dans la coque de la guitare brise-glace qui pourfend la banquise de vos frigidités mentales sans discontinuer. C’est si bon que la fin trop brutale vous file un coup au moral, normal c’est du blues. Get by : claquement de mains et tatanes de guitares sur la gueule, le blues peut parfois être punchy, toujours cette voix qui prend garde à ne pas s’attribuer la première place, ce coup-ci vous ne descendez pas au prochain arrêt, c’est prévu pour sept minutes de délices non-stop à Capoue, entre nous un truc assez terrible, l’histoire d’un mec qui se bat contre l’alcool, ce n’est pas que l’on est méchant mais c’est tellement bon que l’on espère qu’il restera au fond de sa bouteille toute sa vie surtout quand la guitare sonne comme sur les meilleurs morceaux de White Stripe, un régal. The street of love : attention les rues de l’amour sont pavées de bonnes intentions hélas elles mènent aussi à l’enfer, une voix coupante et une guitare pesante comme trois éléphants, le gars n’en a cure continue son martyre doit être maso, et nous un peu sados car quel plaisir ne prend-on pas à ce morceau, peut-être le meilleur de l’opus, pourtant il y a de la concurrence. The sunshine : une guitare moins bluesy par moment presque un peu cacophonique, c’est ici que l’on comprend à quoi rimait ces incursions sur Surfin’ et sur Rumble, un malin ce Lewis, ce n’est pas tant la vlanguinguerie de ces cordes qui vous préoccupe mais la manière dont la voix cisaillante s’entremêle à elles, un peu comme le serpent se débat dans les serres de l’aigle qu’il finira peut-être par étrangler.  All of the night, all of the time : batterie + orgue, mais où sommes-nous, la voix ne nous trompe pas, s’appuie sur des cuivres, l’on a changé de crèmerie, bye-bye le rock, bye-bye le blues, nous voici à Motown city, bon les cuivres sonnent un peu comme sur les premiers morceaux de David Jones Bowie qui déjà imitaient ceux des Beatles, c’est cela les p’tits blancs, mais la voix s’accroche, et ce n’est pas mal du tout. Un peu pop évidemment.

             Un album surprenant, pas du tout rockabilly, plus proche des Black Keys par exemple, mais l’ensemble se tient, l’on sent que le gars n’a pas de frontière, qu’il se permet de zigzaguer sur l’autoroute du rock’n’roll en se moquant des voies réservées et spécialisées.

     BUILT THAT WAY

    ( Album numérique / BandCamp:/ Février 2023 )

    the association,ride,burt bacharach,north mississippi allstars,johnnny duncan,the stiletto shajers,wolwes in winter,hervé gagnon,pionniers du rock,rockambolesques

    La couve attire l’œil, une file de bagnards condamnés à poser les rails d’une ligne de chemin de fer, seul un guitariste réussit à s’échapper de cet enfer… Stiletto Shakers serait-il en train de se mettre au country…

    The deep end : en tout cas les paroles sont dignes d’un film de Ken Loach ou des quartiers pauvres de l’Angleterre, sourions le héros s’en est bien tiré, que de changements, la voix devant et une orchestration beaucoup plus riche et diversifiée, l’on pense à Ray Davies des Kinks, belle prestation de cors ( anglais comme il se doit ), la musique déraille un peu, la guitare grince et ricane jaunâtre, un chant au phrasé parlé qui manifestement ne veut pas se taire, conséquence tout s’arrête un peu brusquement. Built that way : ça reprend de plus belle, un peu plus funky chaotic, la cuivrerie rutile de tous ses feux par intermittence et bientôt tout s’entremêle, cela ressemble à une fanfare compressée, la voix en profite pour prendre le commandement, se fait bientôt rouler dessus par les rouleaux compresseurs blindés du funk qui tirent la corde à eux, et le ramdan s’achève laissant exsangues tous ceux qui sur la piste s’acharnaient à rouler leur popotin. Take my time : tapis de velours cuivré, douceur slowly, oui mais sur cette ouate noire, Lewis sort sa voix comme un serpent de sa boîte, l’autre côté du blues, le cri des chants désespérés et déchirants, celui qui résonne sur la scène de l’Apollo à Harlem, lui il appelle cela du rock’n’roll, comme c’est beau, prenant, empli de violence et de feeling, on lui donne raison. Magnifique. L’esprit de James Brown. Homestead : un instrumental, comme au bon vieux temps de l’année dernière, la guitare acoustique accompagnée de chants d’oiseaux, que de chemin parcouru depuis Rumble et Surfin’,  l’on ne peut pas dire que le tigre a limé ses crocs, use de ruses plus subtiles. The threat of happiness : au titre l’on croit être reparti pour un de ses slows dégoulinants de sentiments, mais la voix est trop incisive et le background vous balance la soupe sans se presser, un instant une trompette se croit chez Ellington, l’on est un peu ailleurs, dans un monde sans pitié mais sans cruauté, quand on ne veut pas pleurer il faut savoir rire. Humour noir. Big pay day : changement de lieu, vive le country et ses histoires humouristiques de coups foireux qui tournent mal, mais un country hypervitaminé, noirci jusqu’à la moelle, avec additif de cuivres, guitare en furie et la voix du gars stoïque dans la déveine et qui refuse de s’avouer vaincu.

             Lewis Vimpany est manifestement doué. Suffirait qu’une maison de disques parie sur lui pour qu’il nous éblouisse, l’est à l’aise dans tous les registres, compose et écrit ses lyrics. Souhaitons-lui bonne chance.

    Damie Chad.

     

     

    *

    Un nouveau groupe. Pas tout à fait. Ses membres ont fait partie d’autres formations comme Monolith Cult, Solstice, Chorus of ruins… des adeptes du doom blanchis sous le harnais, est-ce pour cela qu’ils ont choisi de se nommer les loups en hiver, en tout cas ils ont mis du temps pour sortir de leurs tanières de Bradford  (UK) et fomenter leur premier album, formés en 2020 c’est en décembre 2021 et janvier 2022 qu’ils sortent les deux premiers morceaux de l’opus à venir qui finalement seront écartés à la sortie de l’objet final.  Sa pochette fonctionne comme un feu orange qui vous avertit de l’imminence d’un danger. J’ai tout de suite pensé à un cerveau humain, mais Ruth Stanley créatrice de l’artwork s’est inspirée d’une photographie sienne d’un nid de guêpes. N’est-ce pas le même genre d’émetteur, le premier lance des idées qui peuvent être mortelles, et du second essaiment des hyménoptères au dard toxique. Le site de Ruth Stanley est à visiter, étrange, fascinée par cette formativité de la vie qui renaît de la mort. Avec des loups on s’attendait à Call of the wild à la London mais non c’est l’aspiration au calme.

    THE CALLING QUIET

    WOLVES IN WINTER

    ( Argonauts Records / Février 2023 )

    the association,ride,burt bacharach,north mississippi allstars,johnnny duncan,the stiletto shajers,wolwes in winter,hervé gagnon,pionniers du rock,rockambolesques

    Jack : vocals / Wayne : guitars / Enzo : guitars / Izak : bass / Adam : drums.

    Cord that ends the pain :  première constatation, disons que c’est un calme intense, bien sûr ce n’est pas violent, mais cent tonnes de pétales de roses pèsent autant que cent tonnes de granit même si à première sensation le contact est plus soyeux, tout en étant aussi lourd, loud and heavy certes mais un heavy qui vous meurtrit douçoureusement, agissent par étouffement, même si au dernier tiers du morceau Adam appuie fortement sur ses peaux. Une pression sans interstice, sans une bulle d’air, les loups vous enserrent et s’agrippent à vous telle la peau à l’orange. L’on est tellement prisonnier de cette pesante atmosphère d’ouate de plomb que l’on en oublie de prêter attention à Jack, il est de ces chanteurs dont la voix culmine tout en haut alors que le morceau repose sur elle car il ne pourrait trouver de fondations plus solides. Nemesis : plus vivement lourd, riff d’airain solide et implacable, cette fois c’est la voix de Jack qui vient nous chercher et nous guider, l’on a besoin d’elle pour échapper à la nécessité de Némésis, la déesse de la vengeance, fille de l’Okeanos, puisque nous ne sommes pas morts durant le premier titre il faut bien se contraindre à survivre dans ce goulot d’étranglement qu’est notre présence au monde, Adam donne le la, ce coup-ci il lance contre nos assises êtrales des tsunamis de haine du vivant qui déferlent très lentement sur nous avec une indicible et incroyable majesté réfutant toute tentative d’opposition ou de révolte. Pastime for helots : surprise, une guitare claire, gouttes d’eau acoustiques. La voix de Jack nous console et nous enferme dans notre faiblesse, la haine de soi revient plus forte, plus dure, plus violente puisqu’elle se retourne sur nous, nous frappe et nous cogne sur toutes les parties intérieures de notre corps, les guitare ruissellent sur nous en averses souveraines, Jack nous conjure de nous redresser, la basse d’Izak nous intime l’ordre de n’en rien faire, et le morceau revient à son point de départ à cette douceur hypocrite de notre renoncement, pour par la suite mieux enfoncer le clou de notre impuissance. Promised harvest : il arrive toujours un moment où la négativité d’une situation atteint le point de sa culminance, il faut alors s’aventurer sur le versant de sa positivité, le problème c’est que parfois l’on se demande si l’on n’est pas obligé de reconnaître son erreur, que c’est le contraire qui se passe, que nous sommes en train de glisser dans l’abîme de notre négativité. Ce riff fracassant, ces cymbales heurtées par le marteau de Thor nous empêchent de savoir où nous en sommes exactement. Oceans : reprise de cette fausse douceur guitarique d’introduction à nos passe-temps d’ilotes, nous voici mollement balancés sur les vagues de nos océans intérieurs, ces sifflements de guitares imitent-ils l’eau du mensonge qui fuit par nos oreilles, ne pas y penser, se concentrer sur le chant de Jack qui déploie ses ailes tel un cygne qui ne parvient pas à quitter la surface de l’eau agitée, pitié, ce n’est pas le slow de l’été mais le morceau cathédrale que tout disque de heavy metal se doit d’offrir à ses auditeurs et celui-ci est prodigieusement coriace et ambigu. Digne de Poseidon. L’ébranleur de la terme ferme de nos intelligences. Calling the quiet : frôlement sonore, chant d’abeilles dans nos âmes, nous avons beaucoup voyagé de par le monde et en nous-mêmes, nullement nous n’avons trouvé ce que nous cherchions, ni en nous, ni en l’extériorité du monde, peut-être aurions-nous dû comprendre que ce qui nous sépare n’existe pas, que le blanc est de la même couleur que le noir, la voix de Jack devient berceuse chaotique d’acceptance, nous n’aspirons plus qu’à ce à quoi nous avons échappé lors du premier morceau. Non pas couper mais serrer le cordon sur notre cou. 

             Un album exigeant. Qui se doit d’être écouté et réécouté. Attention, à chaque écoute vous risquez d’éveiller le monstre qui repose en vous.

    the association,ride,burt bacharach,north mississippi allstars,johnnny duncan,the stiletto shajers,wolwes in winter,hervé gagnon,pionniers du rock,rockambolesques

    PROMISE OF GOLD : le premier des deux morceaux écartés : très beau, très abouti mais l’on comprend ce qui a notifié son rejet, officiellement les quarante minutes non extensibles du vinyle, le trop grand contraste entre les parties violentes et douces, Calling the quiet joue sur cette frontière fractale, introuvable, qui recule sans cesse dès que l’on s’en approche, telle la ligne d’horizon, qui n’est qu’une ligne de partage qui ne peut être de par et d’autre d’elle-même.

    La couve choisie est superbe, un paysage de forêt (l’appel londonien de la forêt ), si vous la regardez de près les arbres dessinent une fenêtre, si vous l’éloignez vous voyez deux colonnes de temple grec. En accord parfait avec ces accents de grécité véhiculés par les titres du vinyle.

    the association,ride,burt bacharach,north mississippi allstars,johnnny duncan,the stiletto shajers,wolwes in winter,hervé gagnon,pionniers du rock,rockambolesques

    SOBERING THOUGHT : pour ce deuxième morceau écarté l’image choisie me semble peu heureuse ce W initial de Wolwes ressemble un peu trop à une tête schématique du bouc diabolique thématique absente de l’album à mettre en relation avec les nombreux essais de logo du groupe visibles sur leur FB : la raison du rejet est patente, une intro trop différente, la voix de Jack abordant une manière d’accentuer et de coller les mots les uns aux autres dont on n’aurait retrouvé aucun écho dans le reste du groupe, la suite cultive cette différence, les Loups sonnent un peu trop comme des dizaines de groupes heavy, sa tonalité caractéristique ne se manifeste qu’à la moitié du titre. De même au second tiers la brisure rythmique est presque caricaturale. Quant au final il fait office de remplissage. Que la critique peu élogieuse de ce morceau ne soit pas l’arbre qui cache la forêt. L’album est une merveille qui ravira les amateurs d’heavy melodic doom et tous ceux qui savent prendre le temps d’écouter.

    Damie Chad.

     

     

    CROSSROADS

    LA DERNIERE CHANSON DE ROBERT JOHNSON

    HERVE GAGNON

    ( Editions Hugo+Roman / Octobre 2021)

    the association,ride,burt bacharach,north mississippi allstars,johnnny duncan,the stiletto shajers,wolwes in winter,hervé gagnon,pionniers du rock,rockambolesques

                    Le sous-titre est trompeur. Nos deux héros trouveront l’ultime chanson de Robert Johnson, relativement vite, avant la centième page pour un livre qui en compte 530, pas de panique, pas l’enregistrement, le texte. Vous me direz que ce n’est déjà pas mal, oui mais nous sommes dans un roman pas dans un livre-enquête, répétons-le, ce n’est pas le sujet. Mettez-vous à la place de l’auteur, il existe quelques biographes de Robert Johnson qui ont gratté jusqu’à l’os les rares éléments que l’on connaît de sa vie. L’on a beaucoup cherché et peu trouvé.

             Le titre, bien plus que son sous-fifre nous met sur la voie. Le fameux carrefour où Robert aurait rencontré le diable. Vous pouvez ne pas croire à ce conte à consonnance faustienne, c’est d’ailleurs la thèse que défend Donald Kane, sa ( proximale ) compagne Virginia Craft non plus. Enfin pas exactement, elle est du Sud, il est des choses avec lesquelles il vaut mieux éviter de plaisanter, surtout avec le woodoo.

             Avec ce mot nous tenons le bon bout. L’on a envie d’ajouter que l’auteur lui tient le mauvais. Hervé Gagnon n’a pas reculé devant la difficulté. Le livre se déroule donc sur deux niveaux, un roman policier dans la chaleur moite de Memphis, oui il pleut à Memphis mais des cadavres, nous voici embarqués dans un thriller des plus classiques, la curiosité est un vilain défaut, elle vous pousse à enfiler les chapitres les uns après les autres… Bref c’est palpitant toutefois si l’on suspend sa lecture de temps en temps pour faire le point, la piste sanglante s’avère une intrigue cousue de fil blanc. Enfin plutôt de fil bleu. 

             Quittons le monde des vivants pour celui des morts ou des mourants, la réalité rugueuse pour le monde des esprits. Pari gagnant peut-être pas, pari Gagnon sûrement. Au début c’est simple, quand vous êtes de l’autre côté les chapitres sont en italique. Au moins vous n’êtes pas obligés de prendre pour argent comptant ce que l’auteur vous raconte. Le problème c’est que les mondes parallèles c’est comme les rails de chemin de fer, si vous portez votre regard loin en avant ils finissent par se croiser. Ce n’est qu’une illusion d’optique certes, mais dans un roman il est nécessaire qu’ils finissent par se rencontrer, sans quoi l’intrigue perd tout son sel.

             Désormais tout dépend de vous. Êtes-vous un mécréant ou acceptez-vous de jouer le rôle du lecteur crédule. A vous de choisir.

             Reconnaissons à Hervé Gagnon d’avoir monté un scénario qui se tient, qui ne contredit en rien ce que nous connaissons de Robert Johnson, l’a ajouté une suite à la légende sans la dénaturer. Un vrai tour de force.

    Damie Chad.

     

    *

    Parmi les amateurs qui ne voudrait pas d’un livre sur les pionniers du rock pas cher et écrit en français. Déjà l’on se bouscule au portillon. Je n’ai pas encore dit qu’il se trouve facilement, au pire vous le commandez chez un libraire et vous l’avez deux jours plus tard sans frais de port supplémentaire. Je suis prêt à parier que notre Cat Zengler qui possède une bibliothèque rock des mieux fournies en bouquins qu’il fait venir d’Angleterre et des Etats-Unis ne l’a pas. Je ne vous fais pas languir, inutile de vous brûler la cervelle d’impatience, je vous refile le tuyau, l’est tout simple, en plus un book à vertu pédagogique que vous pouvez mettre dans toutes les mains.

    ROCK ‘N’ ROLL BABY

    ELSA FOUQUIER

    (Gallimard Jeunesse)

    the association,ride,burt bacharach,north mississippi allstars,johnnny duncan,the stiletto shajers,wolwes in winter,hervé gagnon,pionniers du rock,rockambolesques

    Soyons franc le texte d’accompagnement risque de vous décevoir, les illustrations me paraissent relever des poncifs les plus éculés, sinon tout le reste est sensass pour parler à la mode des années soixante. J’entends les grincheux rouspéter, si les illusses et le bla-bla ne sont pas géniaux… Bandes de rockers, vous oubliez donc que le rock c’est avant tout de la musique, or si vous ouvrez votre book et qu’à chaque double-page vous appuyez à l’endroit idoine et adéquat le bonheur vous assaille illico, jugez-en par vous-même : Tutti-Frutti, Rock around the clock, Great balls of fire, Blue suede shoes, Johnny B. Goode, Be bop a lula. Et attention pas interprétés par un combo de balloche ou des requins de studio sans âme, non les véritables enregistrements de Little Richard, Bill Haley, Elvis Presley, Chuck Berry, Gene Vincent. Pas in extenso, juste un extrait de trente secondes, ne faut pas lasser l’auditeur, l’est encore jeune, le livre est annoncé pour enfants de trois ans et plus, mais à partir de huit mois il fonctionne, j’en suis témoin.

    Si vous êtes déçus c’est que vous êtes trop vieux. Un dernier conseil : attention il existe deux tirages de ce bouquin, l’un qui présente cinq pionniers, et l’autre qui a rajouté The Killer. Elsa Fouquier a dû penser que nos têtes blondes devaient apprendre à se défendre dans la vie, quel magnifique et exemplaire modèle que notre Jerry Lou !  Born to be a Killer !

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    the association,ride,burt bacharach,north mississippi allstars,johnnny duncan,the stiletto shajers,wolwes in winter,hervé gagnon,pionniers du rock,rockambolesques

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 20 ( Dépuratif  ) :

    99

    Deux armoires à glace nous attendaient les fesses collées contre les portières de notre voiture. Devaient être pressées car à peine avions-nous posé nos pieds sur le seuil de la porte d’entrée de l’immeuble qu’ils sortirent leurs pétoires. Un sourire sardonique se dessina sur leurs lèvres, immédiatement suivi d’un hurlement de douleur. Deux balles de nos Rafalos leur déchiquetèrent le crâne. Molossa et Molossito sortirent de sous la voiture, battant de la queue, l’œil frétillant, nous les caressâmes pour leur intervention salvatrice sur le mollet de nos deux gros balourds.

              _ Agent Chad, de retour au bureau, vous irez voler une autre teuf-teuf mobile, ces fragments d’os et de cervelle sur le toit donnent à notre véhicule un aspect négligé, l’honneur du service est en jeu !

    100

    Nous décampâmes au plus vite. Le Chef affichait un large sourire. A ma grande surprise il n’avait pas allumé un Coronado, il farfouillait dans ses poches :

              _ Agent Chad, j’ai beau cherché, je m’aperçois que je n’ai pas de Splendido sur moi, une erreur dramatique, pensez-y jusqu’à la fin de votre vie, il est nécessaire d’avoir toujours sur soi un Splendido pour fêter les grandes victoires, tant pis je me contenterai d’un Coronado Virilus, faute de grives l’on mange des merles. Sur ce le Chef passa le reste du trajet à chantonner gaiement.

    101

    Le Chef descendait de la voiture, je ne quittai pas mon siège, m’apprêtant à partir voler un autre véhicule.

              _ Agent Chad, vous remplirez votre mission tout à l’heure, nous avons besoin d’un urgent debriefing, il est nécessaire de battre le fer de la victoire tant qu’il est chaud !

              _ Chef vous n’allez tout de même pas surnommer victoire la trop facile exécution des deux malfrats qui nous attendaient, l’on ne sait pas pourquoi à la sortie de notre visite à Madame Irma !

              _ Agent Chad, je ne suis pas encore gâteux, au premier coup d’œil nos deux malandrins étaient vraisemblablement de la Maffia russe, je suis prêt à parier que c’est notre voyante extra lucide qui nous les a envoyés le temps que nous descendions nos huit étages sans ascenseur, belle joueuse cette Irma, elle vous donne l’explication que vous recherchez mais elle envoie ses tueurs pour vous ratatiner dans les cinq minutes qui suivent.

    102

    Lorsque nous nous assîmes au bureau, ma perplexité était à son comble, le Chef alluma un Splendido, un air de contentement amusé illuminait son visage :

              _ Agent Chad, rappelez-nous comment a débuté cette affaire ?

              _ Hélas, Chef par la mort d’Alice, cette pure jeune fille…

              _ Agent Chad, la passion amoureuse vous a rendu amnésique et égocentrique, nous avons tout d’abord passé une semaine à arpenter les allées du cimetière du Père Lachaise, sans savoir pourquoi.

               _ Chef vous avez raison, d’ailleurs nous ne sommes pas plus avancés qu’au début, nous ne savons pas encore ce que vous cherchiez dans ce…

               _ Agent Chad permettez-moi de vous arrêter dans votre manque total de discernement, maintenant nous savons, depuis exactement le moment où Mme Irma vous a demandé de lire le prénom Alice que vous aviez écrit sur la feuille !

    J’étais abasourdi :

               _ On cherchait donc Alice dans le cimetière alors qu’elle n’était pas encore morte !

              _ Quelle imagination débordante, Agent Chad, arrêtez la rédaction de vos Mémoires, je vous verrai plutôt embrasser une carrière de romancier ! Toutefois d’abord apprenez à lire, surtout tout ce qui est écrit sur une page. Prenons un exemple précis, si j’écris Alice sur une page, vous lisez Alice ce qui est parfaitement exact, mais lorsque vous êtes arrivé à la fin du mot, relisez-le en commençant par la fin, et vous verrez qu’Alice se lit ainsi Ecila ! C’est pourtant vous lors de notre dernière réunion qui avez émis l’hypothèse de continuer notre enquête en faisant le contraire de ce que nous faisions d’une façon habituelle. Voyez-vous Agent Chad vous avez formulé le théorème, mais moi j’ai su l’appliquer. Action immédiate !

    103

    Jeans noir, Perfecto noir, lunettes noires, j’étais au point. Il y avait du monde sur le parvis de l’église. J’aime ces délicates missions dans lesquelles l’improvisation reste le seul mode opératoire possible. La célèbre formule de Jules César le résume parfaitement. Veni, Vidi, Vixi ; Je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu. Je suis rentré dans l’Eglise, ai trempé mes doigts dans le bénitier, je suis ressorti d’un pas vif, tourné autour de la place tel un aigle noir  tournoyant autour de sa proie innocente, et subitement me suis laissé tomber dessus et l’ai emportée avec moi, à la grande stupéfaction de tous les fidèles.

    104

    Une demi-heure plus tard je stoppai devant notre immeuble, sur le trottoir le Chef m’attendait Molossa et Molossito sagement assis à ses côtés :

              _ Agent Chad, trente minutes pour dégotter un corbillard, je loue votre célérité !

              _ Merci Chef, tant qu’à faire j’en ai pris un avec le cadavre dedans !

              _ Vous avez eu raison, Agent Chad, un corbillard sans macchabée, c’est comme chez les familles pauvres ces enfants qui possèdent une tirelire sans un centime à l’intérieur, cela me glace le cœur rien que d’y penser, heureusement que la vie nous réserve de temps en temps de plaisantes opportunités, ainsi nous allons avoir la chance de visiter le Père Lachaise en corbillard alors que nous sommes vivants, un tour de force que bien des morts qui nous verront passer du fond de leurs tombes nous envieront.

              _ Oui Chef, ce sera moins pénible et plus rapide que nos premières infinies pérégrinations du début de cette affaire !

    Je conduisis rapidement m’amusant à couper la priorité aux carrefours dangereux :

              _ Agent Chad, nous longeons le Mur des Fédérés, ah si chacun des fusillés avaient eu un Rafalos en poche la Commune aurait triomphé et la face du monde en aurait été changée, quel gâchis ! Voici l’entrée, tournez ici et entrez l’air de rien, prenez la grande allée et roulez doucement, je m’occupe des tombes du côté droit et vous du côté gauche.

    Cela faisait trois grandes heures que nous suivions les allées une par une sans résultat notable.  A un croisement nous fûmes obligés de nous arrêter car l’on procédait à un enterrement. Curieux et attentifs Molossa et Molossito en profitèrent pour coller leur museau à la vitre entrouverte par laquelle s’échappait la fumée du Coronado du Chef, des enfants éplorés qui accompagnaient leur père à sa dernière demeure les aperçurent et sourirent :

              _ Maman, regarde les chiens comme ils sont beaux, puisque Papa ne sera plus là, on pourra en acheter un pour le remplacer, dis oui Maman !

             _ Oui, mes chéris, cela nous aidera à adoucir notre chagrin !

             _ Mais Maman comme on aura un chien, on n’aura plus de chagrin !

    Cette scénette innocente était trop poignante, pour cacher son émotion le Chef alluma sans y penser un Espuantoso. La mère qui étreignait une dernière fois le cercueil de son mari, ne put se retenir :

              _ Quelle horreur ! quelle puanteur, c’est atroce !

    Un cri vindicatif fusa dans le cortège :

              _ C’est le croque-mort qui fume dans la camionnette !

    Il y eut un oh ! scandalisé qui monta de la foule amassée autour de la tombe.

    Le Chef descendit dignement et se porta près du cercueil :

              _ N’ayez crainte, cette odeur forte, j’en conviens, est un fumigène, il peut paraître agressif, mais il a le don d’éloigner les guêpes qui cette année sont particulièrement nombreuses et piquantes, c’est pour votre sécurité et votre tranquillité que la Direction du cimetière utilise ce produit, issu de l’agriculture biologique et non toxique, car s’il éloigne ces insectes il ne les tue pas et a en outre la particularité de faire baisser l’empreinte carbone de ce lieu de recueillement.

    Le Chef fut vivement remercié et applaudi, trois militants écologiques exigèrent un autographe… Je me retournai pour cacher mes sourires, mes yeux se portèrent au loin, distraitement je déchiffrai les noms inscrits sur les tombes, la blancheur d’un marbre attira mon regard, une grande dalle pratiquement posée à ras de terre, pas de croix, pas de fleurs, rien, si une inscription en majuscules d’or :   ECILA.

    A suivre.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 590: KR'TNT 590 : CROWS / JAC HOLZMAN / MARVA WHITNEY / DAN TRACEY / TELESTERION / ZINC ROOM / PATRICK EUDELINE / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 590

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    02 / 03 / 2023

      CROWS / JAC HOLZMAN

    MARVA WHITNEY / DAN TRACEY

     TELESTERION / ZINC ROOM

    PATRICK EUDELINE / ROCKAMBOLESQUES

    Sur ce site : livraisons 318 – 590

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    L’avenir du rock - Ice cream for Crows

     

             Quand il sent qu’il peut baisser sa garde, l’avenir du rock avoue volontiers qu’il n’a pas toujours eu la vie facile. N’importe qui à sa place s’épuiserait à vouloir défendre une idée aussi saugrenue que celle de l’avenir du rock, mais, n’étant qu’un concept, il doit impérativement se garder de trahir les idées qui fondent son existence, sinon il se périme. Pour mieux combattre ses hantises, il tente d’en faire ses alliées. Le temps qui passe ? On peut faire dire n’importe quoi au temps qui passe. L’avenir du rock n’aura aucun mal à se convaincre que le temps qui passe joue en sa faveur, et plus le temps passe, plus son architecture mentale se renforce. Et puis le rock n’est-il pas à l’image du cycle éternel de la nature, des groupes meurent et des groupes naissent, comme dans les images de Georges Rouquier ou d’Eisenstein, qui surent en leur temps filmer la renaissance de la vie au printemps ? Et puis n’est-il pas sain de dresser des autels pour célébrer tous ces cassages de pipes ? N’est-ce pas là l’occasion de montrer que le rock est un art qui transcende la notion même de mort ? Si on réfléchit cinq minutes, on constate que la mort n’est autre qu’une notion étriquée héritée des basses œuvres d’une Église Catholique qui détourna, comme le fit le Stalinisme, les notions fondamentales de partage et de renaissance pour mieux les trahir. Tant qu’il reste sur le terrain des idées, l’avenir du rock sait pouvoir tenir son cap et cultiver les prospectives. Par contre, il sait que le principal ennemi de l’universalisme spontanéïforme du rock, ce sont les médias et toutes ces couches numériques qui semblent vouloir promouvoir la médiocrité et, pire encore, semblent gagner jour après jour du terrain, pareilles à la gangrène qui ravage, dans un concert montant de pus et de puanteurs, le corps d’un matelot démembré lors de l’abordage. L’avenir du rock sait pertinemment que la qualité des grands artistes ne peut rien contre cette gangrène. Alors, il sait qu’il va devoir redoubler de vigilance et d’efforts. Assis près de sa fenêtre, il voit le spectre de la médiocrité numérique planer dans la nuit étoilée. Sous une grande cape noire, ce crâne de mort sourit de ses trente-deux dents semblables à trente-deux smartphones. Alors, bouleversé par le spectacle de cette horrible caricature, l’avenir du rock se dresse, brandit son verre de rhum et lance d’une voix forte : «Tant que j’aurai les Crows, t’auras pas ma peau !».

     

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             On ne dit pas les Crows, mais Crows. Ils ne sortent ni de la cuisse de Jupiter ni de celle de Captain Beefheart, ils sont tout simplement basés à Londres et comme tant d’autres - on peut citer Idles, Fontaine D.C., Yard Act - ils partent en quête du Graal. Tagada tagada. C’est bien que des petits mecs se prennent encore pour Lancelot du Lac. C’est bien que des petits mecs osent encore monter sur scène pour faire de l’art moderne. Crows s’apparente à cette vague post-punk que Gildas appelait la post et qu’il ne supportait pas. Il en va de même pour la plupart des amateurs de gaga. La messe de la post est dite depuis super-belle lurette, mais peu importe, la fête continue, enfin, si on peut parler de fête. Les gens de la post ne font généralement rien pour être aimables, ils optent pour un son agressif et insistent lourdement pour dire qu’ils ne vont pas bien. Ils poussent le bouchon du no future dans les orties, histoire de bien l’agacer, et dans leurs cervelles attaquées par des jus acides, le mot ‘mélodie’ résonne comme un blasphème.

    , crows, jac holzman, marva whitney, dan tracey, telesterion, zinc room, rockambolesques,

             Voilà que Crows débarque en Normandie. Tu sens tout de suite la présence des Anglais : scène dégagée, trois micros devant, Gibson Firebird noire et blanche. Même si ce n’est pas ton son, tu es tout de suite plongé dans le bain quand tu vois le guitariste arriver et envoyer sans crier gare ses première rasades de buzzsaw dévastateur. Il s’appelle Steve Goddard et il gratte comme un démon échappé de Boleskine House, il hante littéralement le son qu’il produit en continu. Il fait littéralement le show en s’auto-hantant. On a souvent vu des guitaristes faire le show dans des groupes pas très connus, mais celui-ci est un spécimen à part. Il reste extrêmement concentré, incroyablement actif, comme atteint d’hyperactivité convulsive, sous un air débonnaire de gros nounours, il perfore et il colmate en même temps, il orchestre des chapes de plomb et plombe ses chops, il déborde comme le lait sur le feu et il rabaisse le caquet du son avec l’inexorabilité d’un laminoir, il monte en neige et creuse des abîmes, il dessine des crêtes et repeint sauvagement l’horizon, on voit rarement des guitaristes créer autant de phénomènes astrophysiques en bougeant si peu les doigts, il fait même assez peu d’accords, il pince les deux cordes du milieu puis il monte et descend sur le manche, il crée des effets surprenants, il fond le son et glace l’atmosphère, il va d’un extrême à l’autre et grattant comme dix, car il n’arrête jamais son balayage infernal, les cordes de la Firebird tiennent bien le choc, car il  faut voir les dégelées qu’il leur administre, les rouées de coups qu’il leur inflige, la Firebird devrait porter plainte, c’est un jeu très physique, incroyablement brutal, un jeu cruel qui s’enracine dans le wild punk craze, voilà bien toute la magie des groupes anglais, on peut faire la fine bouche sur la post et dire d’un air évaporé, «Oh ce n’est pas ma câââme», il n’empêche que Steve Goddard te claque un sacré beignet. Tout le buzz de Crows repose sur ses épaules, il assume bien son rôle, il fait plaisir à voir, on se sent bien au pied d’un tel guitariste. Il gratte tout ce qu’il peut pendant une heure, il bâtit des cathédrales dans une nuit éclairée par les flammes, il jette des câbles pour aller funambuler au-dessus du néant, il fait son Jonas et s’arrache du ventre de la baleine, il s’évade de sa cage comme le fit Houdini, il défie le Kremlin comme l’osa Kundera, il frappe comme Thor sur son enclume, il boom-badabooome comme dix Grosses Berthas, il scie des forêts entières et avale sa progéniture, comme le fit Saturne en son temps.

    , crows, jac holzman, marva whitney, dan tracey, telesterion, zinc room, rockambolesques,

             Et puis tu as le chanteur, James Cox. Grand, brun, athlétique, il se donne des faux airs de va-pas-bien et plonge parfois son regard de fou dangereux dans ceux des gens du premier rang, histoire de les épouvanter, mais on voit bien qu’au fond il n’est pas méchant. D’ailleurs il remercie les gens d’être sortis par ce froid de canard. C’est drôle, ça nous rappelle une soirée au Nouveau Casino, en 2003, il devait y avoir tout au plus dans la salle dix personnes venues voir Brian Auger, qui lui aussi remerciait les gens d’avoir bougé leur cul au cœur d’un terrible hiver. James Cox chante parfois avec des faux airs de John Lydon, oh ce n’est pas qu’il n’en ait pas les moyens, mais ça le crédibilise d’essayer. En tous les cas, il a beaucoup de chance de pouvoir s’appuyer sur un Steve Goddard qui fait encore plus de ravages que tous les orgues de Staline déployés sur le front russe en 1943. 

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Leur premier album s’appelle Silver Tongues. Avec les groupes qu’on ne connaît pas, on craint toujours le décalage entre la scène et le studio.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

    L’usage veut qu’un groupe soit plus intense sur scène. On peut écouter Silver Tongues sans crainte : l’album est excellent. Ils démarrent sur le big atmosphérix du morceau titre et te replantent le décor du concert : l’heavy dump te tombe sur l’haricot, Steve Goddard déclenche l’enfer sur la terre, il explose le barrage contre le Pacifique, il noie le spectre de son à coups de Firebird. Ça sent bon le napalm. Ils font du big heavy abattage, du wild as fuck, tu ne peux pas résister à une telle marée. Leur truc, c’est l’invasion des continents. Goddard gorge chaque cut de son. En studio, Crows convainc autant que sur scène. Leur «Wednesday’s Child» est violemment bon, Goddard navigue dans la tempête, c’est extrêmement bien balancé. Belle énormité que ce «Hang Me High», Eole Goddard souffle des vents d’Ouest et pique ensuite une belle crise de heavyness avec «Crawling». Ces quatre petits mecs développent une rare ferveur de rockalama fa fa fa, les montées sont brutales et les descentes spectaculaires, c’est un mix surnaturel de big atmospherix et de dynamiques de Crows. Power absolu ! Leur intégrité impressionne. Ils passent leur temps à lever des tempêtes. Dans «Tired & Failed», Alex Cox est vite rejoint par la cavalerie. Il a un sens aigu de la harangue. Crows est un groupe magnifique, ces gens-là maîtrisent bien les grosses ambiances. Leur son se savoure, surtout les lampées incendiaires de Steve Goddard. Avec «First Light/False Face», on approche de la fin. C’est encore un cut heavy et vraiment bien foutu. Ils sont dans un son qui leur appartient, fabuleusement embarqué, absolument déterminant. Le petit dernier s’appelle «Dysphonia» et t’envoie valdinguer dans des horizons demented. Le son sature l’écho des tombes. Ils sont le futur du no future.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Leur deuxième album s’appelle Beware Believers et sort sous une pochette aussi ésotérique que celle du premier album. On croit voir des beaux motifs de tatouages, avec quelques clins d’œil surréalistes. L’album vaut de déplacement, même s’il n’est pas aussi intense que le précédent. Ils démarrent avec un «Closer Still» tapé au carré d’as et quasiment stoogy. Le beat est si dur qu’il rebondit, ici, on ne mégote pas avec la marchandise, c’est du stomp à l’anglaise et c’est pulvérisé en plein gloire. Mais dès le cut suivant, on note une profonde transformation du mix : James Cox est au-devant et Steve Goddard dans le fond. Alors ça vire post-punk. Steve Goddard n’aurait jamais dû accepter d’être répudié. On perd le jus primal de Crows, même si ça reste du Big Atmospherix. Steve Goddard se cantonne dans son rôle d’essaim d’acier et les dynamiques d’«Only Time» sont fabuleuses. Ils se débrouillent toujours pour tarpouiner un biz de cathédrale, mais le son est trop canalisé. Ils frisent même parfois le U2. On commence à zapper des cuts, ce qui est très mauvais signe. Le mix mise trop sur le chant, mais ce n’est pas le chant qui fait le son de Crows, on était bien placé pour le savoir, l’autre soir. Cette fois ils virent trop Joy Division, ça devient trop prévisible. «Room 156» sonne comme une catastrophe, ils perdent leur power, ils sont en panne au bord de la route. Il faut attendre «Meanwhile» pour renouer avec l’abattage. Ils sonnent même comme Oasis et ça explose enfin. On est là pour ça, pour les explosions. Le final somptueux de «Meanwhile» nous réconcilie avec la vie et ça repart de plus belle avec «Wild Eyed And Loathsome», pus jus de Big Atmospherix, les descentes t’enflamment l’imagination, ils font du wild turn around explosé à la jugulaire. Tu en prends encore plein la barbe avec «The Servant», on croit voir une horde barbare cavaler à travers la plaine, et ils atteignent enfin la démesure avec «Sad Lad». Quelle dégelée ! Tu assistes en direct à la chute de l’Empire Romain. Ce Sad Lad est tellement gorgé de son qu’il en devient vénéneux, le son te ronge, le son te rattlesnake le snook, t’es baisé, et l’autre fou de James Cox chante dans une mare de venin sonique, c’est du jamais vu, mais tu t’en fous, au point où tu en es, le jus de son te coule dessus, c’est une sensation atrocement bonne, atrocement permanente, Steve Goddard est un mage puissant, il transmute la Soul malade de Crows, il fait du pur Technicolor, sa guitare te crève le paradigme et tu bascules dans un au-delà du revienzy, tu ne sais même plus s’il fait bon vivre ou mourir, tu t’annihiles entre deux eaux qui sont probablement les eaux glauques de la dégénérescence.

    Signé : Cazengler, Crow con

    Crows. Le 106. Rouen (76). 9 février 2023

    Crows. Silver Tongues. Balley Records 2019

    Crows. Beware Believers. Bad Vibration Recordings 2022

     

     

    Jac of all trades- Part Two

     

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Dans son gros pavé - Becoming Elektra: The True Story of Jac Holzman’s Visionary Record Label - Mick Houghton rappelle que Jac Holzman consterna ses collaborateurs en ramenant les Stooges et le MC5 chez Elektra. Mais ils se racheta à leurs yeux en signant un gang de sessionmen qui allaient devenir Bread. Une façon comme une autre de passer d’un extrême à l’autre. Certains pourront reprocher à Jac une certaine forme de versatilité. Mais ce serait une erreur. Jac ne fait que revenir à ses préférences, la friendly pop et le gentle folk. Pour les Stooges et le MC5, il s’en remettait à Danny Fields. Il s’agissait d’une preuve de confiance, ce qui est tout à son honneur.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Jac avoue un faible pour David Gates et le premier album de Bread : «I loved the first album, but Crosby Stills & Nash had come out two weeks earlier and were all the rage. Au plus profond de moi, je savais que si on continuait de les enregistrer, the hit singles would emerge.» Jac n’était pas le seul à penser le plus grand bien de Bread. Lester Bangs nous dit l’Houghton comparait Bread aux Beatles, aux Byrds, aux Bee Gees et à Buffalo Springfield. Le premier album de Bread qui s’appelle Bread paraît donc en 1969. Pas de miche sur la pochette, ouf. Les boulangers viendront plus tard, au dos de la pochette du troisième album. En 1969, les Bread sont trois et le boss s’appelle David Gates, c’est lui le surdoué de service qu’a repéré Jac. Attention, il ne se passe pas grand-chose dans ce bel album Elektra. On ne sauve qu’un titre, «Could I» où Gates se prend pour les Beatles, il va chercher le fameux unisson du saucisson, c’est très anglais comme son, my son. On se croirait sur le White Album. On voudrait bien en pincer pour «Move Over», mais ça ne marche pas. Cette pop est trop pleine de bonnes intentions. Avec «It Don’t Matter To Me», Gates se prend vraiment pour John Lennon. C’est fin, très bien chanté, orchestré à outrance, bien ancré dans l’écho du temps. Il reste dans une ambiance de belle pop anglaise avec «Friends And Lovers», le groove sonne incroyablement juste, on pense encore aux Zombies ou aux Beatles car c’est d’une qualité et d’une ambition typiquement anglaises. Comme avec Michael Chapman, c’est en arrivant à la fin de l’album qu’on réalise à quel point c’est bien foutu.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             De la même façon que les autres albums de Bread, On The Waters n’est pas l’album du siècle. Il faut commencer par trier pour n’écouter que les compos du petit Gates, comme par exemple «Make It With You», belle giclée intimiste. De toute évidence, le petit Gates vise la pureté mélodique. Par contre, les cuts plus musclés ne sont pas bons. Berk. Le «Been Too Long On The Road» qui boucle le balda est assez fin, même quasi Buffalo Springfield. En B, on sauve «I Want You With Me», un balladif swingué qui sent bon le soleil. Ces mecs-là sont en bonne santé, bien bronzés, ils chantent au doux du doux.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Les Bread tournent au rythme d’un album par an et de deux merveilles par album. C’est déjà pas mal. Pour enregistrer Manna, ils sont quatre. La merveille s’appelle «Too Much Love», petit balladif de rêve. On peut même parler de pop lumineuse. Ils font aussi du gros rock américain de type Bachman Turner («Let Your Love Go») et ils sonneraient presque comme Steppenwolf sur «Take Comfort». Les harmonies vocales d’«He’s A Good Lad» sont celles d’«All You Need Is Love». En B, on voit le petit Gates flotter dans l’azur immaculé : il n’est jamais loin des Beatles, comme le montre encore «What A Change». Par contre, le trop musclé de «Truckin’» ne leur va pas du tout, mais alors pas du tout.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Guitar Man arrive en 1972 avec sa pochette friendly bien dessinée. Le petit Gates fait merveille dans le morceau titre avec son talent fin et discret à la Paul Simon, même approche de la douceur de vivre et du vieux précepte de Gide à propos de la chose regardée. Avec «Sweet Surrender», on voit bien que le petit Gates a un tour de main particulier. Il sait se rendre indispensable de temps en temps, il approche d’une mélodie avec l’air de rien et le charme opère sans qu’on ne lui ait rien demandé. Alors on fait comme le petit Gates le prescrit, on surrender. C’est en B qu’on retrouve son côté anglais avec «Yours For Life», cette belle façon de chanter perché dans l’harmonie. Il est bien le petit Gates. Pour être tout à fait franc, on ne l’écoute que par respect pour Jac.  

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Son plus gros hit se trouve sur Baby I’m-A Want You : «Everything I Own». Pure magie - I’ll give you everything I own/ Just to have you back again - Il la supplie de revenir au bercail. Jac avait raison de miser sur le petit Gates, car voilà de la grande pop américaine, sans doute le cut qu’il faut emmener sur l’île déserte - Just to touch once again - En B, il se montre plus ambitieux avec «Dream Lady», il ramène des vieux solos d’orgue et de guitare. Il termine avec un «Just Like Yesterday» ultra-violonné, puis un heavy boogie sans aucune originalité («I Don’t Love You»). C’est d’ailleurs l’originalité qui leur fait le plus défaut. Le petit Gates et ses amis sont très conventionnels. À cause de Jac, on attend d’eux des éclairs.   

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Zéro éclair sur Lost Without Your Love, leur ultime album Elektra. Le petit Gates est un séducteur, il chante son «Hooked On You» au fondant de chèvre chaud. Ces quatre mecs sont contents : au dos de la pochette, on les voit rigoler au soleil. Ce que confirme «She’s The Only One», une belle pop californienne pleine d’allure et de joie de vivre. Sur l’album, tout est traité sur le même modèle, celui de la romantica d’Elektra («Lost Without Your Love») ou de la pop ambitieuse («Fly Away»). En B, ils passent au boogie rock avec «Lay Your Money Down», ils se montrent capables de rockalama avec du son, ils flirtent à la fois avec Little Feat et les Status Quo. «The Chosen One» sent bon le confort moderne et la lumière californienne. Real good time music avec «Hold Tight», idéal pour un mec souriant comme le petit Gates.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Le succès de Bread nous dit Houghton pava le chemin vers Carly Simon et Harry Chapin dans les années 70, «two exceptionnal songwriters qui au plan stylistique, allaient  à contre-courant des tendances de l’époque et qui incarnaient le genre d’artistes doués et intelligents qu’Holzman attirait et admirait tant.»

             Phil Ochs fait partie lui aussi du vivier Elektra. Houghton s’étend longuement sur l’Ochs, le décrivant comme le rival de Dylan. Il fait parler Jac à ce propos : «Phil admirait l’extraordinaire imagination et les qualités d’écriture de Dylan et ça le mettait en colère de ne pas pouvoir l’égaler. Le plus ennuyeux c’est que Dylan n’éprouvait aucun sentiment de rivalité avec quiconque. Il se savait sur un nuage, loin au-dessus des mesquineries.» Pour l’Houghton, Phil Ochs était l’un des meilleurs songwriters du Village, «un vrai agitateur politique qui écrivait des chansons passionnées à propos des vrais gens et d’événements réels.»

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Le premier album qu’enregistre Phil Ochs en 1964 sur Elektra s’appelle All The News That’s Fit To Sing. Il est enragé, mais on s’aperçoit très vite qu’il n’est pas Dylan. Il gratte tout ce qu’il peut, c’est un bon artisan du protest. Il n’y a que ça qui l’intéresse, le protest. Mais comme chacun sait, le protest vieillit mal. Désolé, Phil, mais on s’ennuie comme des rats morts. De la même façon que Dylan, il rend hommage à Woody Guthrie avec «Power & The Glory» et «Bound For Glory». Quand il se calme, il tape des petites ritournelles comme «Celia», mais il n’a pas les mélodies. Il gratte ses poux tout seul et ne parvient pas à passionner. Vers la fin, il s’en prend au free world, Cuba et la CIA dans «Ballad Of William Worthy». C’est dans le combat contre l’injustice qu’il est le meilleur, par exemple avec «Too Many Martyrs» - His colour was his crime - Il évoque les lynchages

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Paru l’année suivante, I Ain’t Marching Anymore est un album nettement supérieur. Phil fait son protest à la force du poignet, le morceau titre d’ouverture de balda est brillant. Il finit par convaincre avec «That’s What I Want To Hear». Il fait encore autorité avec «Iron Lady», il surplombe son protest et bascule dans l’Americana avec «The Highwayman» - And the highwayman came riding - Phil devient le storyteller de tes rêves les plus inavouables - The highwayman came riding/ Riding - Il met toute son énergie dans «Links On The Chain» et ça devient énorme. Mais c’est avec l’extraordinaire «Here’s To The State Of Mississippi» qu’il entre dans la cour des très grands. C’est un réquisitoire contre l’état le plus raciste d’Amérique - Mississippi/ Find yourself another country to be part of - Il les prend un par un : the people of Mississippi (Oh, they smile and shrug their shoulders at the murder of a man), the schools of Mississippi (And every single classroom is a factory of despair), the cops of Mississippi (And behind their broken badges there are murderers and more), the judges of Mississippi (When the black man stands accused the trial is always short), the laws of Mississippi (Yes, corruption can be classic in the Mississippi way), the churches of Mississippi (Oh, the fallen face of Jesus is choking in the dust/ And heaven only knows in which God they can trust). Il rejoint Dylan au firmament de la chanson politique. Alors on félicite Jac d’avoir fait paraître un tel album.

             L’Houghton soulève un truc bizarre : dans le film que Scorsese consacre à Dylan, il n’est fait mention nulle part de Phil Ochs. Alors l’Houghton livre son interprétation : «Il est clair à mes yeux que Phil avait une réelle influence sur Bob. Sa rage et son courage sautaient aux yeux.» Van Dyke Parks voit en l’Ochs le vrai incorruptible : personne ne pouvait l’acheter - For me he was the pole star of the counter culture, because he was incorruptible and beyond purchase.

             Ses chansons ne baissèrent jamais en qualité, même si en 1967, il abandonna le folk pour enregistrer chez A&M quatre extraordinaires albums de pop iconoclaste et expérimentale, qui comme Ochs lui-même, n’étaient pas du tout adaptés au monde qui l’entourait.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             L’un des albums préférés de P.F. Sloan est celui que Phil Ochs enregistra en 1967, Pleasures Of The Harbor. La pochette est un peu foireuse, mais Sloan a raison, il y a des moments de grâce sur cet album. Pas de hit, mais des moments de grâce, c’est déjà pas mal. On s’amourache de la voix d’Ochs en écoutant «Flower Lady» : il part à la recherche du beau. Mais en même temps, il alambique un peu les choses. Son drame c’est de faire des chansons qui ne sont pas des hits, à la différence de Sloan et de Fred Neil, que Sloan cite aussi en référence. Sur «I’ve Had Her», l’Ochs a de faux accents de Donovan, et les flûtes s’en mêlent. Who needs an American Donavan ? L’album se réveille en fin de balda avec «Miranda» - She’s a Rudoph Valentino fan - et ses trompettes de dixieland, alors un doux parfum de nostalgie fait dresser l’oreille. La B offre ses petits moments de grâce avec «The Party» où l’on entend le thème de piano de «Smoke Gets In Your Eyes». Ça part en mode Ochs et ça devient captivant, avec une stand-up en contrepoint. Sloan a raison, on finit par se faire avoir. Le morceau titre ne fonctionne pas, malgré tous les violons du monde. L’Ochs termine avec «The Crucifixion», une chanson extrêmement ambitieuse, peut-être même trop ambitieuse. L’ambition est une discipline difficile. Il faut savoir s’en donner les moyens.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             On s’ennuie un peu sur Tape From California paru en 1968. Dommage, car la pochette est belle, mais Phil sonne trop bucolique, trop agneau innocent. Il reste pendant toute l’A dans son vieux schéma protest-song à la mormoille. Quand ce n’est pas ton son, ce n’est pas ton son. Son «Joe Hill» n’est même pas celui de Joan Baez, c’est du pur jus de folky-folkah. Et puis voilà le coup de génie en B : «When In Rome». Il tente le coup du Big Atmospherix en alternant les climats légers et les climats lourds de conséquences, il injecte enfin un pur jus de mélodie chant et il monte au sommet de son lard. Quel dommage que les autres compos ne soient pas de ce niveau. Le voilà grimpé au sommet de l’Ararat, il excelle dans l’élévation, il devient élégiaque et puissant - When in Rome/ Do as the Romans do - Il a même de faux accents dylanesques au plus fort du raz-de-marée. Le voilà donc sorti du format Protest. Ouf !

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             L’Houghton revient aussi longuement sur le fameux Greatest Hits de 1970 qui n’est pas un Greatest Hits. Sur la pochette, l’Ochs porte un costume lamé de Nudie, comme celui que portait Elvis. A&M met le paquet, car l’album est produit par Van Dyke Parks, avec en backing Clydie King et Merry Clayton. Superbe ambiance et ce dès «One Way Ticket Home». Phil fait un peu de country («My Kingdom For A Car») et de folk anglais («Boy In Ohio») puis en B du rock’n’roll avec des accents country («Basket In The Pool») et retour à la country pure avec «Chords Of Fame» qu’il chante avec une fière allure. «No More Song» est le cut prophétique, puisqu’il s’agit du dernier album de Phil Ochs qui va aller ensuite se pendre chez sa frangine.

             Autre figure de proue d’Elektra : Lonnie Mack, un peu absent de l’autobio de Jac mais salué comme il faut par l’Houghton dans son pavé. Russ Miller raconte qu’un soir Lonnie Mack s’est pointé chez lui avec deux albums sous le bras. Il dit à Russ : «Put your ears between those speakers and smoke one of these and don’t say anything.» Russ : «Le premier album était un album de Roberta Flack. I freaked. Le deuxième, un album du Nashville singer-songwriter Mickey Newbury qui m’a tellement bouleversé que j’ai pleuré.»

             Jac voyait Mack comme un artiste fascinant : «En l’enregistrant, on suivait une tradition, mais une tradition différente de celle qu’on avait suivie chez Elektra. Lonnie avait enregistré des singles pour the R&B and pop market et on a essayé d’en faire un album artist. He had a terrific voice, but people wanted to hear him play fast guitar.»

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Glad I’m In The Band est le premier des trois albums qu’il enregistre sur Elektra. Attention, c’est un gros disque ! Quelques énormités se nichent sur cet album, à commencer par «Why» que Lonnie chante au guttural, mais un guttural un peu spécial qui est celui de l’homme qui parvient à braire à force de souffrir. On sent chez lui le Soul brother blanc de haut rang, le même genre de carcasse que Greg Dulli. Il sait aller chercher le raclement de gorge impavide. Et puis c’est un guitariste vraiment hors du commun. Avec «Save Your Money», il nous sort une belle pièce de white r’n’b. On en arrive aux choses sérieuses avec «Too Much Trouble», un blues-rock monstrueux, monté sur un énorme bassmatic. Quand Lonnie part en solo, il peut atteindre les limites de la démence. Il joue comme un punk au doigt tremblant. En B, on retrouve une version de «Memphis». What a version, my friend ! Lonnie la ravage d’un solo en vrille. On comprend qu’il ait pu fasciner Duane Allman et Jeff Beck. Et voilà «Roberta», une grosse praline de boogie blues. Lonnie y balance un solo infernal. Il est probablement l’un des guitaristes les plus fulgurants de l’histoire du rock. Les autres cuts sont de la Soul blanche. Lonnie va chercher en lui les ressources pour pondre le meilleur le mélopif cuivré du Midwest.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Avec Whatever’s Right paru en 1969, on est au cœur du groove. Lonnie attaque avec un «Untouched By Human Love» embourbé dans le meilleur mud, avec des rafales de Flying V en fond de toile. C’est l’une des plus belles pioches de blues-rock américain. Tim Drummond joue un bassmatic de grand chef. Voilà un cut digne des grandes heures d’Albert King. Mack tape dans Bobby Womack et reprend «I Found A Love». Il adore chanter comme James Carr, à la glotte tremblée et la lippe tendue vers l’inaccessible étoile. Le cut est bon, car il est signé Bobby Fricotin. Et Lonnie envoie des gros coups de Flying V dans le gras du lard fumant. Il revient au boogie traditionnel avec « Share Your Love With Me ». Ça swingue ! Ah pour ça, on peut lui faire confiance. Et on entend les jolis chœurs des Sherlie Matthews Singers. Il prend un beau solo au timbre fêlé d’oxyde et nous offre un final hurlé à la yah yah. Fulgurant ! Il reprend aussi le fameux «Baby What You Want Me To Do» de Jimmy Reed avec une belle agressivité. Il envoie de jolies rincettes de distorse et chante comme le dieu du boogie, avec un brin de salive sur la glotte. En B, on tombe sur un «Mr Healthy Blues» digne de Roy Buchanan, un blues extraverti sevré de guitare et monté au bass boom de Tim Drummond. Mack envoie un solo languide qui s’en vient couler au long du twelve bar-bu avec une sacrée classe. Son blues est gorgé de son et de talent. Il fait aussi une version du «My Babe» de Big Dix et la farcit d’un solo de punk. Mack est le killer du Nevada. Il suffit de voir sa photo au dos de la pochette. Il fout un peu la trouille.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             On passe au bucolic avec The Hills Of Indiana paru en 1971. Lonnie se retire du circuit et reste assis contre un arbre pour observer sa vallée à longueur de journée. L’album se veut à la fois calme et beau. Le seul cut un peu remuant est le premier, «Asphalt Outlaw Hero», enregistré à Muscle Shoals et qui par son côté foisonnant et sa chaleur de fournaise semble porter la marque du diable. Les beaux cuts se nichent en B : «Rings», balladif groovy et lumineux, et puis «The Man In Me», balladif de haut vol qui sent bon l’intégrité. On sent à l’écoute du cut que Lonnie Mack n’est pas un baltringue. On note aussi la présence de Don Nix sur les deux derniers titres de la B : il joue du sax sur «All Good Things Will Come To Pass» et toute l’équipe de Muscle Shoals se regroupe derrière Lonnie. Don Nix chante le dernier cut, «Three Angels» qui est en fait une sorte de gospel blanc.

             Russ Miller rassemblait des musiciens, à Memphis et à Muscle Shoals, Don Nix et Martin Greene. L’Houghton nous raconte cet extraordinaire épisode : «Lonnie Mack devait diriger a funky music extravaganza, a knock-down version of Mad Dogs & Englishmen, but without the superstar razzmatazz. Dans le groupe, il y avait le groupe de Lonnie, a Muscle Shoals band, Don Nix, and Marlin and Jeanie Greene, all under the banner The Alabama State Troupers With The Mount Zion Choir & Band. Mack disparu six jours avant le commencement de la tournée. Miller réussit à le retrouver. Il s’était planqué dans une ferme, au fond d’une forêt du Kentucky. Mack refusait de faire la tournée. Dans un rêve, le diable l’avait menacé lui et sa famille, et en se réveillant il avait trouvé sa bible ouverte sur le passage : ‘Flee ye from Mount Zion.’ C’est Furry Lewis qui fut engagé pour le remplacer et le double album ‘Road Show - The Alabama State Troupers’ est paru sur Elektra.»  

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Don Nix monte les Alabama State Troupers avec Tarp Tarrant, le batteur qui a joué 13 ans pour Jerry Lee, Clayton Ivey aux keyboards, Wayne Perkins et Tippy Armstrong aux guitares. Il ajoute un deuxième batteur, Fred Prouty, qui jouait chez Rick Hall, et Brenda Patterson aux backing vocals - It was a hell of a band - Pour la photo, ils posent tous devant une église baptiste. Comme l’écriteau indiquait «The Mount Zion Middle Baptist Church», il baptise le groupe The Alabama State Troupers With The Mount Zion Band And Choir. Le double album paraît en 1972. Attention, ce n’est pas un album facile. Don Nix propose en effet un capiteux mélange de country blues et de gospel, qui sont pour lui les racines du Memphis Sound. On entend donc Furry Lewis sur une face entière. Ce vétéran du Beale Street Sound joue fin et claque des petits coups de bottleneck. On l’ovationne. L’homme est d’une extraordinaire gentillesse - Hank you - Il chante le blues traditionnel des années vingt - And I went to the gypsy/ To get my hambone done - et il se moque gentiment des racistes dans «I’m Black» - Some people don’t like that colour/ But I sure like mine - On se régale de cette leçon de country-blues et de cette diction à l’ancienne. En D, on tombe sur une série de boogies ‘sudistes’. On y entend ce démon de Tarp battre le beurre et Brenda Patterson chante dans les chœurs de Zion. C’est du gros boogie rock seventies surchargé de chœurs de Zion. On se croirait chez Leon Russell. Par contre, Don Nix commet une erreur : il met en avant Jeanie Greene pour chanter le gospel rock de «My Father’s House» et ça ne marche pas du tout, mais alors pas du tout. On sent les limites de la voix blanche. Jeanie n’a pas l’allant d’une Mavis. On trouve encore du gospel en B, notamment ce vieux classique repris par les Staples, «Will The Circle Be Unbroken». Don Nix respecte bien les fondamentaux du Memphis Sound System, malheureusement, c’est lui qui chante, et pour chanter le gospel batch, il vaut mieux disposer d’une vraie voix. Et quand Jeanie Greene reprend le lead dans «Mighty Time», même chose, elle se vautre. Il lui manque deux choses essentielles : le groove et la Soul. Brenda est un peu plus wild, comme on le constate à l’écoute de «Jesus On The Main Line». Elle s’énerve toute seule et cherche à incendier la plaine, mais tout le monde n’est pas Bonnie Bramlett. Voilà enfin un hit en B : «Yes I Do Understand», un gospel batch poppy joliment amené par la joyeuse assemblée. Excellent ! Et puis en C, Don Nix s’en va chevaucher dans la Sierra. S’ensuit un peu plus loin «Heavy Makes You Happy», un boogie-rock encore une fois digne de Tonton Leon. Ça sent bon la grosse équipe, le surnombre et les vétérans de toutes les guerres. Nix termine avec «Iuka», un gros boogie blues dans l’esprit de ce que faisait Johnny Winter. Nix y va au guttural. On se croirait presque sur Johnny Winter And Live.

             C’est Russ Miller qui amène Mickey Newbury chez Jac. Ben Fong-Torres le décrivit comme «the troubadour answer to Frank Sinatra’s late 50s Only the Lonely period». En 1970, pas mal de gens reprenaient les chansons de Mickey. L’Houghton cite Willie Nelson, Eddy Arnold, Don Gibson, Roy Orbison et Kenny Rogers & The First Edition. Bizarrement, il oublie les Box Tops. L’Houghton trouve la voix de Mickey aussi distinctive que celle de Tim Buckley. Aux yeux de Chips Moman, Mickey fait aussi partie des grands auteurs américains.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Ce que confirme Frisco Mabel Joy paru en 1971. Dès «An American Trilogy», Mickey rend hommage  à son cher Dixieland. Il chante à la pure éplorée sentimentale. Cet homme chante avec une extrême délicatesse, c’est ce qu’il faut retenir de lui. Avec «Mobile Blue», il va plus sur la country avec un fantastique exercice de railway station et de take me away. Beau shoot de country et de Lord I get home Mobile Blues today. En B, il tape dans le Dylanex avec «You’re Not My Same Sweet Baby» et il ajoute : «But I’m not the man/ That can change it for you.» Il a une façon de dire sweet baby lady qui a dû en faire fondre un paquet - I’ll just pack my bag & be silently gone - C’est l’un de ces chansons terribles sur l’incommunicabilité des choses de la vie. Il donne ensuite une fantastique ampleur mélodique à «Remember The Good» - For all the times I tried/ I wouldn’t change it if I could/ For all she meant to me/ I’ll remember the good - Brillant Mickey.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             La perle d’Heaven Help The Child paru en 1973 s’appelle «Song For Susan». Mickey pousse bien le bouchon de la beauté. On comprend que cet homme soit sur Elektra, un label d’exception. On peut aussi contempler l’envol du morceau titre, en ouverture de balda. Ce mec a autant de son et d’énergie mélodique que Jimmy Webb. Il propose en permanence une pop balladive d’une rare beauté, une sorte d’intimisme intense. Il ne semble vivre que pour le beau, qui est en fait un idéal. Il ne vise que l’excellence. Dans l’esprit, son «Sunshine» est assez proche de ce que propose Fred Neil sur MacDougal. Quand il fait de la country, comme c’est le cas avec «Why You Been Gone So Log» en ouverture de bal de B, il reste envoûtant, si diablement envoûtant. Mickey Newbury est l’un des géants de Nashville. Il construit la mélodie de «Coretella Clark» comme le ferait Paul Simon, il cherche un fil d’argent mélodique, c’est d’une grande pureté.  

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Pour la pochette d’I Came To Hear The Music, Mickey se fait une tête d’Abraham Lincoln.   On retrouve sur cet album enregistré à Nashville des rescapés d’American : Mike Leech et Bobby Emmons. Mickey fait du balladif country très romantique («You Only Love One (In A While)»). Il estime qu’on vit between the first tear & the last smile ou encore between the first step & the last mile, pour les besoins de la rime. Bon alors attention : toutes les compos de Mickey ne sont pas de bombes sexuelles. Il faut garder ça bien présent à l’esprit. Ça évite de se plaindre quand on est déçu par l’un de ses albums. On peut s’y ennuyer, il faut le savoir. Mais on comprend la logique de Jac. En B, Reggie Young vient allumer la gueule de «Dizzy Lizzy». Il joue en embuscade derrière les coups d’acou sauvages de Chip Young. Reggie fait un travail herculéen dans la matière du lard - And rock’n’roll was nothing/ But the blues with a beat - Mickey se fend plus loin d’une belle rengaine sur la mort de l’amour («Love Look (At Us Now)») - I no longer know what to say/ When I come around you - Et il termine sur un «1x1 Ain’t 2» embarqué à la fantastique énergie du country rock de Nashville.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Selon l’Houghton, Lovers enregistré en 1975 représente the pinnacle of Newbury’s recording career. L’homme sait chanter, on le voit très vite avec «Sail Away». Ce disque vaut the ride. On peut écouter chanter Mickey sans craindre ni l’ennui ni la mort. Avec «Lead On», il fait du gospel. Il implore Jesus like an orphan left to wonder/ Like a sailor lost in a storm. En B, on va pouvoir savourer la fantastique qualité de sa mélancolie dans «How’s The Weather». Il espère toujours s’installer un jour avec elle, même s’il vient d’apprendre qu’elle a un fils de 15 mois. Rien n’est plus beau que le sentimentalisme quand il est bien chanté. Il fait ensuite du pur jus de gospel country avec «If You Ever Get To Houston» et se dirige tout droit sur le hit de l’album : «You’ve Always Got The Blues». C’est monté sur une fantastique progression d’accords de old jazz jive et généreusement orchestré - So I’ll be here til midnight/ Looking for someone to lose - Il finit poliment son album avec «Goodnight». Son Goodnight est aussi beau que celui des Beatles - Goodnite my love/ Now close your sleepy eyes - Ce mec chante son heart off - And sail into the sky

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             L’autre grand poulain folky-folkah de Jac, c’est Tom Rush. Il a eu le temps de faire trois albums sur Elektra. Le premier, paru en 1965, est célèbre pour sa pochette : on y voit le jeune Tom tout droit sorti d’un roman de Kerouac. Si on voulait savoir à quoi ressemblait Neal Cassady, il suffit de jeter un œil à cette pochette emblématique. L’album en plus n’est pas mauvais. Produit par Paul Rothchild, le débusqueur du jeune Tom. Cet album est plein d’énergie, de coups d’acou et de coups d’harmo. Tom Rush gratte ses poux d’Americana et ça devient sérieux dès l’«If Your Man Gets Busted». Gros son, Tom Rush est plein de mess around, il aurait pu devenir un héros. Il distille avec «Do Re Mi» un violent parfum de cette deep Americana qui de toute évidence a fait craquer Jac. Ils tape aussi une version de «Milk Cow Blues», il chante ça au treat me this way et groove à coups d’acou. Il sort aussi un «Black Mountain Blues» assez heavy de can’t keep a man in jail. Il est quasiment invincible dans «Poor Man» et en B, ça bascule  dans la meilleure Americana qui soit, celle des voyages, il ramène des coups d’harp à la gare de Buffalo - From Buffalo down to Washington - Tout est extrêmement bien pulsé sur cet album. Il amène son «Jelly Roll Baker» au big heavy groove, il y va deep down in my soul. Tom Rush est très fort. Il annonce que «Panama Limited» is about a train - This is fast.  

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Sur son deuxième album Elektra, Take A Little Walk With Me, Tom Rush fait une killer kover de «Who Do You Love». Il la gratte à coups d’acou et ça tourne au big shake de come on baby/ Take a ride with me. Tom Rush la rushe sous le boisseau. Encore une merveille avec «Turn Your Money Green», pur jus du Tennessee - I’ve been down so long/ Looks like up to me - En fait, c’est quasiment un album de grosses reprises, un an ou deux avant que les Anglais du Bristish Blues ne s’y mettent. Avec sa cover de «You Can’t Tell A Book By The Cover», Tom Rush est le roi de la petite Americana. Il fait son beurre sur le dos de Big Dix et de Bo, et il a raison. Ce mec a un son, «Love’s Made A Fool Of You» est tout de suite seyant. Tom Rush groove autant qu’Elvis, il fait merveille à chaque étape. Il faut dire qu’Harvey Brooks joue de la basse sur cet album, ce qui peut expliquer le niveau supérieur de l’ensemble. L’«On The Road Again» n’est pas celui de Canned Heat, c’est un rock de Rush. Il tape aussi une cover de «Statesboro Blues» qui n’est même pas créditée. Il est encore parfait sur «Sugar Babe», vieux shoot de country blues - Sugar babe/ What’s the matter with you/ Sugar Babe/ It’s all over now - Il joue «Galveston Food» au knife style, il vise la pure authenticité du jive.  

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Son troisième Elektra LP s’appelle The Circle Game et sort en 1968. On est tout de suite frappé par ce ton chaud et viril. Il peut se montrer sexy avec le swagger de la frontière de «Something In The Way She Moves». Il sidère par la qualité de sa présence, ça joue au heavy psyché d’Americana - She’s with me now/ I feel fine - Superbe. Avec «No Regrets», il est tellement bon qu’il préfigure les Tindersticks - No regrets/ No tears/ Goodbye - Et il s’en va. Sa pop de New York City est excellente, ce que montre encore «Sunshine Sunshine». Il pourrait presque abuser de son power de big singer, comme le montre «The Glory Of Love». Il y fait un peu le cake. Il sauve le deep folk de «Shadow Dream Song» au chant inverti, ce mec est extrêmement balèze et il descend dans le heavy balladif du morceau titre au rythme d’un story-telling étendu dans la distance. Tom Rush dispose de ressources insoupçonnées. On peut parler de Gold Rush.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             En 1970, Elektra sort l’album des Voices Of East Harlem et Jac s’écrie : «Talk about energy !». Un chœur de vingt personnes - Ils étaient simples, gentils and overpowering. Right On To Be Free est effectivement un album énorme, qui dépasse le concept même du gospel album. On y trouve Chuck Rainey (bass) et Cornell Dupree (guitar), et quelle énergie, dès le morceau titre en ouverture de balda, beurre + congas = boom garanti. Ils font une version cavalante de «Proud Mary», pus jus de Black Power tapé aux congas de Congo Square et Chuck Rainey fait des ravages dans «Music In The Air». Power to the Power ! On se croirait sur Amazing Grace, l’album gospel d’Aretha. Ils attaquent la B avec une reprise du «For What It’s Worth» de Stephen Stills et Chuck Rainey te bombarde ça vite fait au bassmatic ! Anna Griffin embarque «No No No» au paradis du gospel batch, elle est dévorante. En fait, c’est la famille Griffin qui mène le bal et ça se termine avec un «Shaker Life» claqué aux clameurs de la plus belle des claquemures et joué aux congas du diable, avec un power qui justifie tous les excès de pouvoir, notamment la bienheureuse subversion du Black Power universel. Ouvre le gatedold et tu les vois chanter et danser. Cet album est l’un des sommets du lard total.

             Lorsqu’on arrive au terme du pavé de l’Houghton, on croise les derniers noms qui firent la réputation d’Elektra : Jobriath et Nuggets.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             L’Houghton rappelle que le premier album de Jobriath fut enregistré at Electric Lady Studios avec Eddie Kramer et que lors de sa parution en 1973, il y eut un media blitz, avec un immense panneau publicitaire à Times Square, même plan que pour les Doors à Los Angeles, lors de la parution de leur premier album.

             Ce premier album sans titre de Jobriath est un album un peu âpre qu’il faut approcher avec précaution, car il ne correspond à rien de connu, hormis Bowie, mais c’est encore autre chose que Bowie. Les compos de Jobriath sont beaucoup plus ambitieuses, mais il n’a pas de chansons du niveau des grandes chansons de Bowie. Dès «Take Me I’m Yours», il impose une belle présence vocale, il est même beaucoup plus outrageous que Bowie. Il attaque son «Be Still» à la pure décadence d’upon every corner. Il fait enfin un stomp de glam avec «Earthling», mais c’est un glam trop tarabiscoté, rien à voir avec «Jean Genie». Et il profite de «World Without End» pour faire un petit panorama historique des atrocités - Chrétiens, sorcières, juifs - Il électrise le son et fait son Spider. Il ouvre sa B avec «IMAMAN», c’est-à-dire I’m a man. Il est dans son monde, c’est très baroque, on pense bien sûr à Steve Harley & Cockney Rebel. Mais dès qu’il tape dans le starship de «Mornig Starship», il fait du Bowie. Il rend hommage à Bill Haley et Little Richard dans «Rock Of Ages» et voilà le travail.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             C’est sûr, il faut écouter Jobriath, car il fait du pur Ziggy, mais avec une voix plus ferme, plus mâle et du coup ça peut plaire énormément. On trouve de jolis classiques glam sur Creatures Of The Street, à commencer par un «Ooh La La» qui n’est pas celui des Faces, mais un cut de glam disons bien énervé. Même chose en B avec «Good Time» et «Sister Sue» : ils claquent tous les deux comme l’étendard de Jobriath, avec un certain goût de reviens-y. «Sister Sue» est même brillant, gratté à coups d’acou clairvoyante, il y a du beau monde derrière Jojo, ça swingue à outrance. «Listen Up» est très Bowie dans l’approche, très intéressant, bien ficelé, joué au dodécaphonisme. On retrouve des accents de «Life On Mars» dans «Gone Tomorrow». Pourquoi Bowie a percé et pas Jojo ? Ça reste un mystère, car franchement, tous les éléments du super-stardom sont rassemblés. Il fait une resucée d’«Ooh La La» pour finir et la sucre au glam funk. Magnifique artiste.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Pour Nuggets, Jac dit qu’il faisait confiance à Lenny Kaye. Il fut même surpris d’obtenir les licences aussi facilement, car tous ces cuts qui n’étaient pas si vieux faisaient déjà parie de l’archéologie. Ce qui intéressait surtout Lenny Kaye, c’est le lien qui existait entre ces groupes qui étaient alors devenus obscurs et le duo Stooges/MC5. Jac : «Seul Lenny Kaye a noté ce lien qui existait entre ces groupes et les Stooges et le MC5, who were fuelled by the same energy as classic garage bands.» Admirable façon de boucler la boucle. Pour savoir tout le bien qu’on pense de Nuggets, il faut se rendre à la rubrique ‘Mon Kaye Business’. On y épluche Nuggets en long, en large et en travers. Quant à cette grosse poissecaille de Tim Buckley, elle fait l’objet d’un part à part.      

    Signé : Cazengler, Jacques Holsmerle

    Mickey Newbury. Frisco Mabel Joy. Elektra 1971  

    Mickey Newbury. Heaven Help The Child. Elektra 1973  

    Mickey Newbury. I Came To Hear The Music. Elektra 1974

    Mickey Newbury. Lovers. Elektra 1975

    Tom Rush. Tom Rush. Elektra 1965                              

    Tom Rush. Take A Little Walk With Me. Elektra 1966  

    Tom Rush. The Circle Game. Elektra 1968 

    Bread. Bread. Elektra 1969 

    Bread. On The Waters. Elektra 1970

    Bread. Manna. Elektra 1971  

    Bread. Guitar Man. Elektra 1972   

    Bread. Baby I’m-A Want You. Elektra 1972  

    Bread. Lost Without Your Love. Elektra 1976  

    Phil Ochs. All The News That’s Fit To Sing. Elektra 1964

    Phil Ochs. I Ain’t Marching Anymore. Elektra 1965

    Phil Ochs. Pleasures Of The Harbor. A&M Records 1967

    Phil Ochs. Tape From California. A&M Records 1968

    Phil Ochs. Greatest Hits. A&M Records 1970

    Lonnie Mack. Glad I’m In The Band. Elektra 1969

    Lonnie Mack. Whatever’s Right. Elektra 1969

    Lonnie Mack. The Hills Of Indiana. Elektra 1971

    The Alabama State Troupers Road Show. Elektra 1972

    Voices Of East Harlem. Right On Be Free. Elektra 1970

    Jobriath. Jobriath. Elektra 1973

    Jobriath. Creatures Of The Street. Elektra 1974

    Nuggets (Original Artyfacts From The First Psychedelic Era 1965-1968). Elektra 1972

    Mick Houghton. Becoming Elektra: The True Story of Jac Holzman’s Visionary Record Label. Outline Press Ltd 2010

     

     

    Inside the goldmine

     - Marvallous Marva

     

             Baby Rose portait un chapeau curieux qui lui donnait un petit côté mutin, voire coquin. Ce chapeau couleur prune ressemblait aux chapeaux qu’arboraient les rois de France aussitôt après le moyen-âge, ces oripeaux aux allures de bombardes à sommets plats, façonnés en cônes renversés, ni trop massifs, ni trop hauts, seyants comme par la grâce de Dieu. On se laisse parfois aller à adorer les audaces que s’autorisent les femmes par coquetterie. Elle drapait sa haute maigreur dans un long manteau classique, presque baroque, qui rétablissait une sorte d’équilibre. Le tout constituait une silhouette d’une élégance probante. On ne pouvait rêver abord plus charmant. Baby Rose donnait facilement libre cours à sa belle volubilité de femme mure : «Je suis une femme de lumière !», s’exclamait-elle, trépidante. Un pur régal que de la voir à l’œuvre. Par chance, la conversation obliqua rapidement sur la littérature. Nous nous accordâmes des cavalcades éperdues à travers les steppes de nos immenses connaissances respectives, nous jubilions de concert. Effeuiller Baby Rose, voilà qui commençait à prendre la tournure d’une perspective pirandellienne. Puis, au beau milieu d’un moment de répit, elle avoua avec un naturel charmant et sans l’once d’une perfidie qu’elle écrivait des romans. Elle expliqua dans le détail qu’elle travaillait sur les trois volets d’une trilogie. Lui pressant doucement le poignet, je lui fis cette demande : «Aurez-vous la bonté de me les donner à lire ?». Elle rougit légèrement et ne fit aucune objection. Ses yeux étincelaient de reconnaissance. Elle concéda que ça lui réchauffait le cœur de trouver enfin quelqu’un à qui s’en remettre, littérairement parlant, se hâta-t-elle d’ajouter, craignant que son propos ne fût mal interprété. Comme le laissaient supposer ses rafales de commentaires, la lecture critique de cette trilogie allait être d’un ennui mortel. Elle disait s’être engagée dans une voie autobiographique qu’elle émaillait de renvois mythologiques. La Grèce antique n’avait aucun secret pour elle. Elle disait savoir soupeser les éléments et en décrire la portée tragique. Elle devint barbante. Elle proposa soudain d’aller faire un tour au bois. Elle appartenait à coup sûr à la catégorie des femmes athlétiques qui se font sauter contre des arbres, et comme ça caillait, il fallut couper court à cette incongruité et prétexter d’un rendez-vous à l’autre bout de Paris. Elle masqua courageusement sa déception. De toute évidence, elle se trouvait là pour les mêmes raisons : provoquer une situation de baise qui eût fourni matière à récit. Nous nous séparâmes sans acrimonie.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             À l’inverse de Baby Rose, Marva Whitney n’écrit pas de romans barbants, elle enregistre plutôt des albums somptueux. Comme Lynn Collins, Yvonne Fair, Martha High et Vicki Anderson, elle fait partie des Funky Sisters qui sont montées sur scène avec James Brown. The Marvallous Marva remplaça Vicki Anderson en 1968. Elle n’a enregistré que fort peu d’albums solo, mais tous valent sacrément le détour.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Son Live And Lowdown At The Apollo date de 1969. Elle y fait une superbe version de «Respect» en B. On devrait même parler d’une version historique. Elle le prend très haut, comme Aretha, avec tout le chien de sa petite chienne - R, E, S, Pi Ci Ti ! - Elle l’articule bien, au cas où le con à qui elle le destine n’aurait pas compris, et en prime, tu as un solo de sax incendiaire. Puis elle duette avec James Brown - You know what ? - Et il y va le JB, «You Got To Have A Job» - You know what ?/ You pay dime - Say it again ! En ouverture de balda, elle met les bouchées doubles avec «Things Got To Get Better Pt1» et plus loin, elle tape deux classiques du funk, «It’s My Thing» et «I Made A Mistake». Elle est hot la Marva, elle y va au yeah yeah yeah. À part chez Vicki Anderson, t’auras jamais ça ailleurs. C’est avec «It’s My Thing» qu’elle allume au plus haut degré, elle chante son hard funk très perché. Marva est la grande screameuse de funk devant l’éternel. 

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Paru en 1969, It’s My Thing est produit par James Brown. Alors en voiture Simone ! Big flash de funk dès le morceau titre. Marva, c’est JeeBee au féminin, exactement la même niaque - I can do/ Wat I wanna doooo - Hard funk, elle est dedans, elle s’en bouffe la rate, I can do what I wanna doooo ! Elle le fait en deux parties. Elle ravage encore les contrées avec «Things Got To Get Better», elle semble avoir mille fois plus d’énergie que les mecs, ça groove dans le dirt, elle est bouillante de burn-out, elle patauge dans le génie, il n’existe pas de meilleure allumeuse que Marva, elle tape dans le dur - Got to give it out/ Got to give it out ! - Pour «If You Love Me», elle va chercher le chant à l’extrême pointe du if you dooo now prove it baby et elle l’explose, son prove it baby. Elle tape encore dans le funk extrême avec «Unwind Yourself», c’est une injonction, elle ne cédera pas. JeeBee vient duetter avec elle sur «You Gor To Have A Job», ça sent bon l’odeur des flammes de l’enfer, fantastique enfer, le JeeBee est juste derrière elle, on a là le funk suprême. Mais comme toutes les championnes, elle fatigue, elle tape «I’m Tired I’m Tired I’m Tired» sur le groove de «Tighten Up». Autant dire que c’est explosif. Retour au hard funk avec les deux parties d’«I Made A Mistake Because It’s Only You». Elle travaille son funk au corps - You can do what you wanna doo/ Only you - Et ça continue comme ça jusqu’à la fin, pas de répit, elle fait sa Aretha dans le funk d’«He’s The One» et quand elle tape dans Burt avec «This Girl’s In Love With You», ça bascule dans la magie. Jamais rien vu d’aussi balèze que Marva tapant dans Burt. C’est tout de même l’un des hits du siècle passé. Et comme si tout cela ne suffisait pas, elle reduette avec JeeBee sur une version de «Sunny».

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             En 2006, paraît I Am What I Am, un album exotique de Marva Whitney With Osaka Monaurail. Exotique car enregistré au Japon et c’est un gigantesque album de funk. Non seulement le morceau titre ouvre le bal, mais en plus, il te saute dessus. Cet «I Am What I Am» vaut tout le JB, I am/ What I am, elle est au cœur du mythe funk, au cœur du mythe de la pulsion, funk it to me, elle le fait au sparse, avec des retours de trompettes, elle déchire le funk et retombe dans l’ouate du don’t feel good, elle pose ses notes, c’mon, I am/ What I am, le flux du sex de funk l’emporte, Marvallous Marva te sort le pire raw funk de l’univers. Elle continue d’éclater les noix du funk avec «Soul Sisters (Of The World Unite)», elle repart dans l’énormité, we got to get together, sur un beat de funk disparate, pur génie vocal, elle s’explose la rate, elle chante au top du beat, Marvallous Marva est une géante. Troisième coup de Jarnac avec «Give It Up Or Turn It Loose», hey ! C’est le JB beat ! Elle est JB au féminin, hold me tight, elle est tellement dans le hard funk qu’elle le transcende. Elle reste dans le JB avec «It’s Her Thing», fantastique pulsion d’Osaka, cet instro est une merveille, serti d’un vaillant solo de trompette. Tout est hot sur cet album, elle est fabuleusement douée pour les développements, comme le montre encore «(Let A Sister Come In And) Wrap Things Up», help me somebody ! Elle termine en mode Gospel batch avec «Peace In The Valley», elle dispose de l’assise, elle pose sa voix dans la main de Dieu miséricordieux, elle connaît tous les secrets du vieux Spiritual. Elle est accompagnée au piano, pas de chœurs, c’est très balèze. Comme Aretha dans l’Amazing Grace de Sidney Pollack, elle taille sa route à l’a-capella.

    Signé : Cazengler, Morveux Whitney

    Marva Whitney. Live And Lowdown At The Apollo. King Records 1969

    Marva Whitney. It’s My Thing. King Records 1969

    Marva Whitney With Osaka Monaurail. I Am What I

     

     

    Wizards & True Stars

    - Sur les traces de Dan Treacy (Part One)

     

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Dan Treacy ? Tu lui donnerais le bon dieu sans confession. Rien qu’à le voir, avec sa petite bouille d’éternel adolescent. Tant qu’on y est, on peut aussi donner le bon dieu sans confession à Benjamin Berton pour son livre, Dreamworld: The Fabulous Life Of Dan Treacy. Et plutôt deux fois qu’une, car non seulement l’auteur qui est français est traduit en anglais, mais il célèbre avec ce petit book miraculeux l’un des artistes les plus obscurs de l’Underground Britannique. Il n’est pas certain que les Television Personalities aient vendu beaucoup d’albums. Par contre, les ceusses qui les possèdent les considèrent comme les prunelles de leurs yeux. Sur l’étagère, tu ranges ces albums à côté de ceux de Syd Barrett, de Felt, de Kevin Ayers et de Robert Wyatt.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Ce n’est qu’à la fin du book qu’on réalise que Berton est français, lorsqu’il évoque le concert des TVP aux Mains d’Œuvre de Saint-Ouen. Mais son book est tellement bien foutu qu’il réussit à faire illusion. Illusion, voilà d’ailleurs le mot clé. Berton s’inspire tellement du surréalisme psychédélique de Dan Treacy qu’il transforme tout le début de son récit en fable surréaliste psychédélique. On se croirait dans Cent Contes Rock !

             On est en 1977 et Dan fait des livraisons pour sa mère qui tient un pressing du côté de King’s Road. Il passe bien sûr devant la boutique de McLaren qui s’appelait Sex et qui s’appelle désormais Seditionaries. Il connaît Jordan. Il va livrer des fringues chez Bob Marley qui vit dans une grande baraque à Chelsea, puis sa mère l’envoie trouver Peter Grant pour le compte duquel elle lave aussi des fringues. Normalement, Peter Grant devrait trouver un petit boulot pour Dan. D’ailleurs Mama Treacy indique que Mister Grant est un homme charmant et qu’elle lave les jeans de Jimmy Page depuis plus de dix ans. Elle ajoute qu’elle n’a jamais vu le diable sortir d’un caleçon de Jimmy Page - C’est d’ailleurs la seule chose qui ne soit pas sortie de ses caleçons, si vous voulez tout savoir, indique-t-elle en éclatant de rire. À quoi Daddy Treacy ajoute qu’il ne souhaite pas entendre la suite. Effectivement, le charmant Mister Grant donne un petit boulot à Dan : nettoyer la pièce où s’est déroulée l’une des messes noires de Jimmy Page, dans la mystérieuse pièce du fond, dans laquelle personne n’a le droit d’entrer. Berton bat Mick Wall au petit jeu du satanisme de Led Zep. Comme la scène se déroule dans les locaux de Swan Song Records, Jimmy Page déboule. Dan ne parvient pas à établir le contact avec ce personnage glacial. La légende veut qu’à l’entrée de Jimmy Page dans une pièce, la température chute brutalement.

             Puis Dan et ses amis qui rêvent de composer des tubes montent le projet de kidnapper Paul McCartney. Il se rendent chez lui, au 7 Cavendish Avenue. L’idée est de faire cuire son cœur et sa cervelle et de boire le jus pour récupérer son talent de compositeur. Ils ont même une autre idée : lui couper les mains pour se les greffer et tabler sur la mémoire de ces mains qui ont composé tant de jolies mélodies. Ils appellent ça la transsubstantiation. Pas de chance, ils arrivent le jour de la mort d’Elvis et McCartney fait une déclaration aux journalistes. Le projet tourne au fiasco. C’est alors que Dan dit à ses amis : Je sais où vit Syd Barrett. Voilà comment Berton nous introduit dans le jardin magique de Dan Treacy et de ses Television Personalities. Pouvait-on imaginer meilleure introduction ? Non.

             Autour de Dan Treacy gravitent de précieuses personnalités satellitaires : Ed Ball qu’on va retrouver dans The Times, fleuron de la London Mod scene, Jowe Head qui vient des Swell Maps, fleuron de la modernité, et Joe Foster qui jouera de la basse dans les TVPs avant d’aller co-créer Creation en 1983 avec Alan McGee. Foster, Ball et Head sont tous les trois des forces de la nature qui multiplient les projets et qui chacun à sa manière redore le blason de l’Underground Britannique. Berton nous dit aussi que Joe Foster travaille jour et nuit pour Creation. Il ne dort jamais, il tourne au speed. Il va payer le prix fort et disparaître quelques années avant de revenir avec Rev-Ola, un petit label spécialisé dans la réédition de disques cultes. Ed Ball prend ses distances avec Dan qui est trop lunatique pour monter ses propres projets. Il bossera lui aussi pour Creation. Quand Dan va commencer à perdre pied, Ed Ball volera à son secours.

             Après ses miraculeux chapitres d’intro, Berton entre dans le vif du sujet, les Television Personalities, comme s’il était rattrapé par la réalité. Il évoque un Daniel Treacy à la fois ambitieux et jamais prêt à sauter le pas. Après la parution de «Part Time Punks» et son retentissement, Ed dit à Dan qu’il faut passer à l’étape suivante et donner un concert, à quoi Dan répond que les TVPs sont un studio band. Ed veut avancer, mais ça n’intéresse pas Dan. En fait, Dan s’entend mieux avec Jowe Head qui joue alors de la basse dans Swell Maps : ils aiment tous les deux les voix fragiles, les personnages enfantins et le dilettantisme musical, ils deviennent malgré eux les papes du DIY movement. Ed finit par organiser un premier concert des TVPs, mais ce soir-là Dan disparaît. Mark Sheppard et Joe Foster doivent se débrouiller tout seuls sur scène. Jowe Head et Nikki Sudden volent à leur secours. 

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             TVDan commence à bricoler un univers très spécial, à base d’esthétique sixties, de pop art et d’une obsession pour les célébrités : David Hockney, Dali, Syd Barrett. Berton saute sur l’occasion pour lancer la ronde des références, toutes plus parlantes les unes que les autres : La Motocyclette, ce film adapté d’un roman érotique d’André Pieyre de Mandiargues, avec Marianne Faithfull et Alain Delon, Le Portrait de Dorian Gray, Le Grand Meaulnes d’Alain-Fournier qui est le point de conjonction évident, et Roy Liechtenstein, le pape du pop-art, chez qui TVDan va trouver le nom de son label : Whaam!. Quand Berton évoque la possibilité d’un biopic sur les TVPs, TVDan voit très bien Gary Oldman jouer son rôle, Christopher Walken jouer celui de Jowe Head et Anthony Perkins celui du Syb Barrett vieillissant.

             L’autre grand axe des TVPs est semble-t-il le désespoir non affiché. TVDan grandit dans l’Angleterre thatchérisée, une Angleterre dont la jeunesse est sacrifiée, avant même d’avoir commencé à entrer dans l’âge adulte. Inutile de vouloir résister, ajoute Berton. Mais bon, le groupe existe, cahin-caha. TVDan tourne avec une première équipe, puis une deuxième, et quand Jowe Head arrive, il stabilise le line-up pour dix ans. TVDan ne fait pas de set-lists. Les autres doivent se caler sur le premier accord. Ils font pas mal de covers et tapent abondamment dans les sixties : Pink Floyd, Kinks, Beatles, Who, Velvet, Creation, Stones, Seeds, Love, Jonathan Richman et Joe Meek, un Meek qui est l’un des chouchous de TVDan.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Très vite, on considère TVDan comme le Syd Barrett de sa génération, capable d’écrire de grandes chansons qui ne tiennent qu’à un fil. Étonnamment, ce phénomène purement britannique que sont les TVPs s’est trouvé un public en France, alors que leur son n’est pas forcément très accessible. Berton considère que leur premier album, And Don’t The Kids Just Love It paru en 1980, est le meilleur et le plus significatif. On retrouve sur la pochette Patrick McNee et Twiggy. Ce visuel culte orne aussi la couve du Berton book. Au dos de la pochette de l’album dansent les noms de Syd Barrett, de Pete Townshend et des Creation. TVDan, Ed Ball et Mark Sheppard nous claquent «World Of Pauline Lewis» comme un hit Mod, avec le riffage typique des early Who. Ils profitent de «Drag Of A Young Man» pour plonger dans l’underground, avec une mélodie jouée en note à note sur une guitare rachitique. TVDan sort son meilleur accent cockney pour chanter l’histoire de Geoffrey Ingram - Just like Geoffrey Ingram - qu’on verra aussi apparaître dans le Berton book comme un personnage doté de pouvoirs surnaturels. C’est en B qu’on trouve le pot aux roses, «I Know Where Syd Barrett Lives» - He was very famous/ once upon a time - TVDan fait du Barrett bien barré et crée sa légende - On the edge of the world - On entend des oiseaux chanter. Ils terminent sur une belle poussée de Mod fever avec «Look Back In Anger», mauvais cocktail de chant mal réveillé et d’accords explosifs. Sous le soleil Mod exactement.

             On voit l’univers de TVDan se dessiner petit à petit. Un jour, il monte sur scène, en première partie de David Gilmour, et tape un medley barrettien, «Set The Controls For The Heart Of The Sun/ The Gnome Song/ See Emily Play» qu’il chante d’une voix fausse et infantile. Puis il dit au public de sortir un papier et un crayon pour noter l’adresse et pouf, il attaque «I Know Where Syd Barrett Lives». L’adresse exacte à Cambridge est dans la chanson. Gilmour ne voudra pas de TVDan pour les autres concerts. Gilmour et TVDan ne vivent pas dans le même monde.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Les albums vont ponctuer la vie de TVDan, et donc le Berton book. On ne perd pas son temps à les écouter, loin de là. TVDan, Ed Ball et Mark Sheppard enregistrent Mummy Your Not Watching Me en 1982. «Adventure Playground» sonne comme un hymne Mod, emmené par le bassmatic féroce d’Ed. TVDan fait son Syd et claque du early Who sur sa Teardrop. Il noie d’écho son «Brian’s Magic Car» et y fait son Smith (le Mark E.). Il ramène des arpèges en lousdé et crée une sorte de délire fasciné par lui-même, une circonvolution débridée. Puis il revient à son obsession pour les célébrités avec «David Hockney Diaries», joli shoot d’heavy pop, mais sans l’eau bleue des piscines - I want to fly around the world in my own private plane/ I want to party every night so I can sleep all day - Facétieux, il s’amuse à sonner par instants comme Johnny Rotten. Il revient à la grosse énergie foutraque des early Who avec «Painting By Numbers». Il te gratte ça comme un Jean-foutre d’happy-go-lucky. C’est ce qui fait son charme. Retour à la belle pop dégingandée avec «If I Could Write Poetry», une espèce de bonne franquette montée sur un bassmatic épique, une pop effarante de prestance, livrée à l’écho du temps, comme surgie dans l’éclat d’un matin d’été à Chelsea.

             À la fréquentation de Daniel Treacy, il se produit un phénomène intéressant, une sorte de réaction en chaîne. Puisque TVDan jubile à enregistrer sa pop délurée, Berton jubile forcément à écrire son book, ça se sent, alors on le lit et du coup tout jubile dans la baraque. Consacrer du temps à dire tout le bien qu’on pense de TVDan est par conséquent une jubilation de tous les instants. On constate en plus que chaque album se comporte à la réécoute comme l’un des petits romans loufoques de Raymond Queneau jadis parus dans la collection l’Imaginaire (Les Enfants Du Limon, Odile, Saint Glin-Glin). Oserait-on aller jusqu’à dresser un parallèle entre TVDan et Queneau ? Oh c’est pas compliqué, il suffit de voir leurs bouilles respectives.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Pour saluer le troisième album du groupe, They Could Have Been Bigger Than The Beatles,  Berton bombarde les TVPs en tête de gondole du psyche-Mod revival, il parle d’une mixture de frivolity et de spirit of the times. Il n’y a aucune prétention dans le titre de l’album, c’est un pied de nez à la Treacy, fruit de son petit humour acidulé. L’album qui est en fait une compile est bourré à craquer de classiques, comme ce «David Hockney’s Diaries» tiré de l’album précédent. TVDan est un être cultivé, il bricole par conséquent des chansons cultivées. Ouverture de balda avec «Three Wishes», big shoot de far-out so far out. Il ressort son meilleur accent cockney pour marmonner «In A Perfumed Garden». «Kings And Country» sonne comme la BO d’un film d’espionnage, avec une belle prestance. TVDan barde ce hit d’accords éclatants et finit en mode «Eight Miles High», histoire de nous en boucher un coin. Retour au trip Mod avec «The Boy In The Paisley Shirt», petite pop soignée et minimaliste, doucement décadente, activée par de jolies montées au chant. En B, il rend deux fois hommage aux Creation, avec «Painter Man» et «Makin’ Time», deux covers inspirées et somptueuses à la fois. Il finit avec deux leçons de minimalisme : le minimalisme estudiantin (avec «Psychedelic Holiday», envoûtement garanti), et le minimalisme cockney, plus punk que punk (avec «14th Floor» - na na na I’ve really got to really go.)

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             C’est l’époque où Ed Ball prend ses distances et Joe Foster prend le groupe en charge. Il prend même carrément en charge l’aventure du quatrième album, The Painted World, qui a un parfum plus velvetien. «Stop And Smell The Roses» aurait pu se trouver sur l’un des trois albums du Velvet. D’ailleurs, quand on voit la pochette, on pense tout de suite au Velvet. C’est l’esthétique. Ils rendent aussi hommage à Dylan avec «A Sense Of Belonging», qui sonne comme un hit softy-softah. Hommage à Nico avec «Say You Won’t Cry». On croit aussi entendre les Byrds. En B, ils piquent une belle crise avec ce «You’ll Have To Scream Louder» monté sur le bassmatic entreprenant de Joe Foster. S’ensuivent des cuts incroyablement solides : «Happy All The Time», «Paradise Estate» et «Back To Vietnam» qui font de cet album l’une des pierres blanches de l’histoire du rock anglais. Berton indique que le titre de l’album est emprunté à Tom Wolfe qui dans son Painted World s’en prend à la superficialité de la critique d’art. Berton ajoute que cet album est le diamant noir des TVPs, un miracle d’équilibre et un monument d’instabilité. C’est fabuleusement bien ressenti : «Comme si Joe et Daniel avaient construit un château de cartes avec tout ce qui ronge la vie sociale : la solitude, le désordre mental, le manque d’affection, la guerre et l’écroulement du royaume.»

             Puis c’est au tour de Joe Foster de lâcher l’affaire. Les TVPs continuent en trio pendant un bon moment, avec Jeff Bloom au beurre et Jowe Head au bassmatic. Étant donné que Jowe Head est un vétéran de toutes les guerres, il peut improviser et chanter quand Dan disparaît, ce qui se produit régulièrement, lors des tournées. Berton recrée l’illusion des premiers chapitres psychédéliques avec l’épisode Nico. Il entre dans les détails et ça devient fascinant. L’épisode se déroule en mai 1982, les TVPs doivent jouer en première partie de Nico à Berlin. Rough Trade nous dit Berton a demandé aux Blues Orchids d’accompagner Nico sur scène. Alors les Blue Orchids, ce n’est pas n’importe qui : deux anciens Fall (Martin Bramah et Una Baines) et un groupe baptisé Blue Orchids par John Cooper Clarke qui allait, ajoute Berton, partager un peu plus tard la vie et la seringue de Nico sans pourtant, précise lui-même Clarke, partager son lit. Big Berton is on fire ! Il nous emmène en plein cœur d’un mythe, il relie le Velvet à Berlin en passant par Manchester. Berton décrit les Blue Orchids à table, au breakfast : «Ils ont été bien entraînés par Mark E. Smith. Il boivent de la bière au breakfast. Bramah est un peu plus âgé que Daniel, un an ou deux, mais ces mecs ont l’air parfaitement idiots. Ils ne savant pas qui est Nico. Ils demandent à Daniel : ‘C’est qui c’te gonzesse ? Jamais entendu parler d’elle.’» Bien sûr Berton profite de l’épisode pour retracer le parcours de Nico, on la voit au bras de Brian Jones, de Dylan, d’Andy Warhol et d’Alain Delon, puis on connaît la suite, l’idée de Warhol d’injecter du glamour dans les mordid songs du Velvet. Berton évoque aussi Lawrence, le leader de Felt, qui est souvent comparé à TVDan et qui comme lui, est un beau spécimen d’addict. Et comme TVDan, il n’est pas non plus affamé de succès. L’underground lui suffit.

             Sur son label Whaam!, TVDan fait la promo des Marine Girls, mais aussi des Pastels et de Doctor & The Medics. Berton évoque alors cette tendance pop de l’époque, la twee pop, dont les têtes de gondole sont les Marine Girls, les Young Marble Giants, The Field Mice, Belle & Sebastian et Beat Happening qui eux sont américains. Pourquoi twee pop ? En raison d’une certaine forme de naïveté affichée.

             Nouvel épisode spectaculaire : l’épisode Nirvana. On connaît les goûts de Kurt Cobain pour les légendes de l’underground : Meat Puppets et les Vaselines d’Eugene Kelly. Les TVPs en font aussi partie. Nirvana arrive en Angleterre pour une tournée et demande à ce que les TVPs jouent en première partie d’un concert à l’Astoria. Nirvana n’a pas encore explosé et TVDan ne sait rien du groupe. Berton s’amuse alors avec les spirales, celle de Nirvana qui va vers le haut et celle de TVDan qui va vers le bas. Mais si leurs spirales vont dans des directions opposées, Kurt et TVDan ont deux sacrés points communs : leur goût de l’indépendance artistique et l’addiction - Le destin de Treacy était déjà scellé, alors que Cobain se rapprochait chaque jour du sien, quittant l’inconfort de l’anonymat et du manque de reconnaissance pour une cage dorée et une surexposition mortelle - Oui, TVDan est déjà dans l’héro et Kurt drugs himself to oblivion. Mais comme le dit si bien Berton, les TVPs sur scène à l’Astoria, devant un public de gosses affamés de grunge, ça ne marche pas. On les siffle. Piss off ! Un mec leur crie «Fuck off» à quoi TVDan répond «Fuck off yourself !». Puis Berton nous emmène dans le backstage et là on voit Kurt qui vient féliciter TVDan. On assiste à une nouvelle scène magique : Kurt dit à Dan qu’il aime beaucoup sa version de «Seasons In The Sun». Il lui dit même que c’est sa chanson favorite. Une chanson de Terry Jack. Puis il demande à TVDan s’il connaît la B-side du single de Terry Jack. TVDan se marre : «Put The Bone In» ! et il commence à la chanter. Kurt est scié. Alors Berton ressort le Grand Jeu : «Une chance sur un million que deux personnes qui ne se connaissent pas puissent parler de la B-side du single d’un obscur artiste canadien, paru 17 ans auparavant.»  

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Comme TVDan a besoin de blé pour sa dope, il commence à sortir des albums un peu partout. Chocolate Art, le premier d’une longue série d’albums live, permet d’apprécier la bête sur pieds, comme on dit chez les maquignons. TVDan pousse la rachitisme dans ses retranchements et propose un rock tragiquement anémique. Les chœurs de chauve-souris qu’on entend dans «Kings And Country» font bien rigoler. Les versions de «Look Back In Anger» et de «La Grande Illusion» sont comme qui dirait décousues. Dès qu’il monte un peu haut, TVDan chante faux. Ils parviennent à faire sonner «When Emily Cries» comme un cut des Byrds. Il règne sur cet album un gros parfum d’anarchie. Mais rien à voir avec Ravachol.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Privilege est certainement leur album les plus connu. Jolie pop-song à caractère lumineux, «Paradise For The Blessed» fut un hit dans les années 80. TVDan soigne aussi les arrangements de «Conscience Tells Me No». Il revient à ses chères célébrités avec «Salvador Dali’s Garden Party», prétexte à un délire : il improvise avec des noms d’invités - Jack Nicholson was there, Mia Farrow was there, Woody Allen was there, Dennis Hopper was there, Peter Fonda was there, Debbie Harry was there - il s’amuse comme un petit fou. Il est possible que Philippe Katerine se soit inspiré de ça pour son Barbecue à l’Élysée, car on y retrouve des invités de TVDan - Il y avait Frank Sinatra Madonna et Jean XXIII Gershwin au piano/ Et Yoko Ono/ Il y avait Woody Allen/ Il y avait Eminem/ Elvis Presley/ Charles Trénet - Puis Katerine rentre chez lui pour, dit-il, faire caca. Katerine et TVDan même combat ? De toute évidence. Et puis TVDan nous balance un gros solo psyché dans «Sometimes I Think You Know Me», histoire de rappeler qu’il n’est pas un rocker à la mormoille. Berton s’extasie et parle d’extraordinary power and richness. Privilege sort sur Fire, le label de Clive Solomon, un fan transi des TVPs. Il les as vus une centaine de fois sur scène. Fire va même devenir l’un des labels de pointe de l’Underground Britannique avec des albums de Spacemen 3, Eugenius, Blue Aeroplanes et Mission Of Burma. 

             Alors évidemment, Berton ne pouvait pas rater une occasion pareille : la Garden Party de Salvador Dali ! Il découvre que cette Party s’inspire de la fameuse Surrealist Heads Ball organisée par les Rothschild, en décembre 1972 au Château de Ferrières, avec des tas de gens issus du monde des affaires, de l’aristocratie et du showbiz. Geoffrey Ingram montre une vidéo du Salvador Dali’s Garden Party à l’auteur, on y voit Dali, bien sûr, mais aussi Audrey Hepburn. L’ambiance menace de sombrer dans un mélange de satanisme et de high-class orgy, alors bien sûr, Berton saute encore sur l’occasion pour établir un lien avec le dernier film de Stanley Kubrick, Eyes Wide Shut. Il évoque aussi le Surrealist And Oneiric Ball donné en l’honneur de Dali et de Gala à New York en 1935. Berton qui est affreusement bien documenté donne tous les détails. Franchement, on ne perd pas son temps à bouquiner son book. On se sent même un peu moins con à la fin de la journée.

             Puis TVDan entame sa petite descente aux enfers, lorsque sa relation avec sa poulette Emilie Brown rend l’âme. Dans la foulée, il perd son label Dreamworld, et comme il n’a plus un rond pour payer son loyer, le voici à la rue. Il s’en va vivre dans un squat et qualifie cette nouvelle tranche de vie d’«alternative lifestyle»

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Il existe un autre album live, enregistré en France, Camping In France. Même esprit que Chocolate Art. On y retrouve quasiment les mêmes titres, «Kings And Country», «Three Wishes», «La Grande Illusion», «David Hockney’s Diaries», la reprise de «Painter Man», «Back To Vietnam», «Geoffrey Ingram» et une solide mouture de «Salvador Dali’s Garden Party». Ils finissent sur un superbe hommage aux Mary Chain, avec «Never Understand». Un passage obligé.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Puis TVDan monte d’un cran avec un double album, Closer To God et là on ne rigole plus. Dès l’intro on sent le très gros disque. «You Don’t Know How Lucky You Are» est de l’acid freakbeat au sens fort du terme, un coup de Syd mal luné, son aigu, goutte au nez, jamais content de rien, trop psyché-moutarde, gratté à sec. «Little Works Of Art» est une vraie petite pièce sensible, admirable de distance épisodique, digne des Pastels et typique des errements d’une fin de siècle. TVDan nous chante le mal du pays avec «Coming Home Soon» - To jacket potatoes/ and cheese on toast - Encore un cut frais et rose avec «Me And My Ideas» - Hope I die before I get a suntan, histoire de se moquer de Pete Townshend - Il tartine «Honey For Bears» d’une infinie mélancolie, histoire de rendre hommage aux Mary Chain. Ampleur garantie, pure vision latérale. TVDan n’en finit plus de surprendre. Il ramène son accent cockney pour «Goodnight Mr Spaceman» - I’ve taken three e’s/ But I still can dance like Bobby Gillespie - Il chante comme un dandy cockney bien fracassé - But I don’t care/ I always wear clean underwear/ I often feel like Edward Munch - «You Are Special And You Always Will Be» sonne comme un balladif des Mary Chain, avec un beau son de basse, et TVDan en profite pour rendre hommage à Leonard Cohen - Leonard Cohen knows what I mean/ I wish I had the beauty of his work - TVDan est un mélodiste hors pair. Il revient au trip Mod avec «Not For The Likes Of Us», une étrange histoire de Mod qui tourne mal et on tombe en fin de D sur une énormité stupéfiante : le morceau-titre de l’album qui fait référence à l’enfance de TVDan. Fabuleuse pièce de psyché anticlérical balayée par des vents d’accords aigus et de wah - Hurt the child/ Then show it love/ It’s just violence in a velvet glove - On sort de ce disque en s’ébrouant comme un cheval.

             Puis TVDan rencontre Alison Withers et entame avec elle une belle aventure romantique. Ils prennent un petit appart à Acton Town in West London et TVDan commence à se relaxer un peu. Il ralentit sa conso de dope et se limite à un peu de speed quand il doit monter sur scène. Alison fait de la photo et c’est à elle qu’on doit les plus beaux shoots des TVPs. L’idylle dure sept ou huit ans, entre 1988 et 1995. Ils passent leur temps avec de bons amis, Jowe Head et puis Ed Ball qui n’est jamais loin, nous dit Berton. TVDan et sa poulette n’ont pas de blé, alors ils restent souvent à la maison et se tapent des soirées TV. TVDan devient même végétarien - Il adore plaisanter et faire l’amour l’après-midi. C’est un homme timide, mais il explore le corps de sa compagne comme il explore son manche de guitare. Daniel est un homme intelligent - Mais on le sait, tout a une fin - Life is good, but not for long. Tout est bien dit chez Berton.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Comme un malheur n’arrive jamais seul, la relation entre Jowe Head et TVDan se détériore. C’est Liam Watson, le boss de Toe Rag, qui remplace Jowe dans le groupe. Il joue aussi de la batterie sur I Was A Mod Before You Was A Mod. Le morceau titre est une sorte de punk-rock Mod âpre et teigneux monté sur un drumbeat entreprenant. «Evan Doesn’t Ring Me Anywhere» sonne comme une belle pop à la revoyure, amenée au pousse-toi-de-là que-je-m’y-mette. C’est évidemment enregistré au Toe Rag Studio. Et puis voilà la perle : «Things Have Changed Since I Was A Girl». TVDan sort son bel accent cockney pour chanter cette pièce de glam-punk ahurissante, en compagnie de Sexton Ming. Ils font les cons ensemble. Watson bat le beurre dans son coin et TVDan claque des accords dans le fond. C’est le summum de la désaille - I hate my body I hate my legs - ils montent ça en neige et créent le frisson. TVDan appartient à la caste des inventifs. 

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Encore du live bien frais avec Paisley Shirts & Mini Skirts. Sur la pochette, une belle Anglaise shoote dans un ballon de foot. C’est l’enregistrement du tout premier concert du groupe en 1980. Toujours le même cirque à base de petite pop échevelée et maladive, qui sonne parfois comme du punk infantile. On comprend que Peely ait craqué, car c’est extrêmement inspiré et monté sur des brassées d’accords de clairette. Il n’existe rien de plus dépenaillé qu’un cut comme «I Remember Bridget Riley». De plus sensé qu’«Had To Happen». De plus trash que «Girl On A Motorcycle». Et on retrouve le hit qui les a fait connaître, «Part Time Punks» et qui sonne comme du Tav Falco.

             Tu as aussi un live enregistré au Japon, apparemment, Made In Japan qui fut alors considéré comme un collector. On retrouve leur côté pruneau d’Agen vermoulu, c’est-à-dire culte ridé, le style désossé et lunatique auquel TVDan nous habitue depuis le début. C’est un rock abandonné des dieux. Il faut entendre les chœurs archi-faux sur «Baby You’re Only As Good».

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Sur Don’t Cry Baby It’s Only A Movie, les TVPs rendent hommage aux Modern Lovers avec une cover de «Pablo Picasso». TVDan est un expert de l’étrange. Avec le morceau titre, il revient à ses romances chéries - I’ll be your Gary Grant/ You can be my Cleopatra - Le hit de l’album, c’est indéniablement «Sorry To Embarrass You», power pop acide à tendance freakbeat et soutenue par des guitares de grosse capacité et des chœurs monstrueusement désaillés. Sur chaque album des TVPs se niche une perle rare. TVDan est sans doute le seul en Angleterre à savoir montrer une élégance aussi foutraque. Il revient à Syd Barrett avec «My Very First Nervous Breakdown», un cut sacrément bien déréglé.

             Puis les TVPs repartent en tournée an Allemagne, avec Sexton Ming au beurre. Ming est une figure légendaire de l’Underground Britannique, cosignataire du Stuckist Manifesto, un mouvement en faveur de l’art figuratif, pas loin de l’art naïf, précise Berton. Comme Ming a besoin de blé, il dit à TVDan qu’il est batteur, alors qu’il ne l’est pas, et décroche le job pour la tournée allemande. Les concerts sont chaotiques, mais ça ne dérange personne. TVDan et Ming picolent jour et nuit, tequila et bière. Puis une sorte d’animosité s’installe entre eux et ils sont toujours à deux doigts de se taper dessus. C’est la fin des haricots. Quand dans une interview, TVDan dit qu’il est une sorte de Godfather of independant rock, Ming l’insulte et lui dit qu’il n’est rien. «Part Time Punks», et c’est tout. Rien d’autre. Alors TVDan lui saute dessus. Bing ! Bang ! Bong ! Tiens dans ta gueule ! Berton décrit la fin de la tournée comme une atroce débâcle : les trois TVPs toussent, dégueulent et crachent dans des seaux imaginaires.

             TVDan se retrouve au trou sur un bateau-prison, l’une de ces taules réservées aux voleurs de poules et à ceux qui arrivent en fin de peine. C’est la troisième fois qu’il est condamné et envoyé au ballon. En 2004, il démarre un journal en ligne et six mois après sa libération, il annonce le come-back sur scène des TVPs, avec Ed Ball on bass - The ressurrrection of the prince of twee pop.  

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             My Dark Places paraît en 2006 et secoue bien le cocotier. «Special Chair» sonne comme une bénédiction, avec une grosse guitare en pendulum derrière la voix de fausset du dandy Dan. Nouvelle fête à la déglingue avec «All The Young Children On Crack». Il sort un incroyable son de fuzz sur «Dream The Sweetest Dreams» et sans prévenir, il balance un stupéfiant romper Moddish : le morceau titre. Jerky-fuzz motion. Énorme ! Comme s’il réinventait le Mod craze et derrière lui, ça bat la chamade. TVDan montre une fois de plus son infernale supériorité. Retour de cockney Dan avec «They’ll Have To Catch Us First», un vrai pulsatif trompetté et bouillonnant d’énergie. TVDan chante dans l’auberge espagnole des dieux du stade. Encore de la pop énorme avec «She Can Stop Traffic», hit Mod télévisuel chanté à la dandy fashion, dans l’esprit de ce que font les Pastels. Nouvelle preuve de l’existence du Dieu Dan. Berton pense que l’album est à la fois un succès et un échec. Il voit TVDan fragilisé. Mais toujours extraordinairement sincère.  

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Paraît la même année un autre album étonnant : Are We Nearly There Yet ? Histoire de faire fuir les curieux, il démarre avec une comptine enfantine et plonge son monde dans une sorte de psyché demeuré. Il tape ensuite «The Peter Gabriel Song» à la petite ramasse. Il vise le far-out, loin des repères ordinaires. Il fait certainement ce qu’aurait fait Syd Barrett, si Syd avait continué à pondre ses œufs d’or. Étrange clin d’œil à Eminem avec «The Eminem Song» - I’ve been down on smack/ High on crack - il fait son rapper de l’East End avec un accent cockney voilé  - My name is DAN/ D/ A/ N - Puis il revient à ses premières amours avec «I Got Scared When I Don’t Know Where You Are», une jolie pop-song montée sur un bassmatic pouet-pouet et claquée à l’accord clair comme de l’eau de roche. TVDan cultive une science du son qui semble s’affiner d’album en album. Ce qu’il faut comprendre à travers ça, c’est qu’il ne fait jamais n’importe quoi. Il travaille le vieil esprit Moddish de l’ère psyché. Il recherche l’exotisme hypnotique. Ça reste un mélange surprenant d’inventivité et de m’en-foutisme éhonté. Nouvel hommage bizarre, cette fois à John Coltrane, puis retour aux Who avec «My Brightside» : ça sonne comme les Who en 1963. Effarant ! C’est pour ça qu’on adore TVDan. Il sait attaquer au débotté - Ah Mr Brightside ! - Avec un son amplifié à la fièvre jaune. TVDan, c’est les Who - I miss my Brightside - TVDan Treacy chante en cockney et écrase le calumet de la paix à coups de godillots. Il est LE punk. Full Time Punk.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Le dernier album en date des TVPs s’appelle A Memory Is Better Than Nothing. On est tout de suite frappé par l’ironie qui se dégage du titre de l’album. Ça doit faire maintenant trente-cinq ans que TVDan joue avec nos nerfs. C’est un album fantastique, la preuve par neuf que ce mec fait partie des géants du rock anglais, mais il ne faut jamais perdre de vue qu’il peut agacer par son amoralité corporatiste. Le morceau titre est une remarquable pièce d’acid pop. TVDan tape au cœur de la cocarde Mod, en plein Mod craze, avec un son trash unique au monde. Il est plus fort que le Roquefort. Ses amis envoient des chœurs à la volée, n’importe comment, mais l’ensemble tient vraiment bien la route. On pourrait qualifier ça d’intimisme punky. Il répète bêtement son leitmotiv et le cut s’arrête sans prévenir. Une façon comme une autre d’exprimer le vanité de tout. Un souvenir vaut mieux que rien du tout, répète-t-il. C’est ainsi qu’il voit la fin des haricots. Ce qui ne l’empêche pas de revenir avec un balladif superbe, «The Girl In The Hand Me Down Clothing». On sent le vétéran revenu de toutes les guerres. «She’s My Yoko» est aussi un balladif de rêve. Ce mec a du génie, n’ayons pas peur des mots. Il se montre à la fois traînard et puissant. Ça joue de l’orgue et ça gratte par derrière. TVDan met un peu de gravité dans son timbre - Yes or no she’s my Yoko/ Please don’t go you’re my Yoko - Puis il nous gratte un gros «Walk Towards The Light» à coups d’acou et fausse ensuite sa voix pour partir à la dérive avec «Funny He Never Married». On sera frappé par la profondeur d’«Except For Jennifer». Il chante dans son coin. L’écoute qui veut. Nouvelle bizarrerie avec «People Think That We’re Strange». TVDan s’amuse avec des machines. Il envoie son boogie des clochards. Mark E. Smith serait-il allé si loin dans la désaille ? Va-t-en savoir. TVDan a dix ans d’avance. Il le répète : les gens pensent qu’on est bizarres. Il en joue. Gros son, cut bien bordé. Pur genius. Il ressort son accent cockney pour «My New Tattoo» et fait sauter la sainte-barbe. Il est monstrueux de prestance gaga. Il claque l’East End gaga avec de gros effets de guitare. On prenait les TVPs pour les brêles, mais c’est nous les brêles, TVDan fait tout simplement la suite des Who et de Syd Barrett. TVDan is the beast ! Il passe un solo de déglingue pure dans le désastre d’un bassmatic abandonné, il erre dans son no man’s land. Dan Treacy résiste encore. Espérons qu’il ne renoncera jamais.

             Bon, c’est pas gagné. Berton indique que TVDan survit à trois overdoses qui ressemblent à des suicides ratés. Les TVPs montent une dernière fois sur scène en 2011. TVDan devait participer à un tribute à John Peel, mais apparemment il s’est fait démonter la gueule, Berton ne sait pas trop. Le voilà à l’hosto. Il est ratatiné, avec un caillot au cerveau qu’il faut opérer. Alors Berton imagine une dernière scène magique : Geoffrey Ingram emmène l’auteur rendre visite à TVDan, qui vit maintenant dans une maison médicalisée à la campagne. Pour Berton, c’est une occasion en or : «Si vous considérez qu’il vaut mieux être vivant que mort, alors force est d’admettre que la fin de vie de Daniel Treacy est à l’image de son œuvre, modeste, tragi-comique et tout sauf spectaculaire : l’obscur leader spirituel du rock indépendant condamné à une mort sinistre, suite à des problèmes de santé. Loin des yeux loin du cœur, le chanteur qui aimait tant disparaître finit oublié de tous.» Berton rend ici hommage à l’humour acidulé de TVDan. C’est un exploit littéraire qu’il faut saluer. Il fait même dérailler cette scène finale en concluant que le TVDan que l’emmène voir Geoffrey Ingram n’est pas le vrai TVDan. Après l’humour acidulé, le fantastique Shelleyien.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

             Il reste encore des choses à écouter, tiens comme ce Beautiful Despair enregistré en 1990 et publié en 2018, presque trente ans plus tard. Ne serait-ce que pour le morceau titre, délicieusement décadent et même désespéré. Du pur TVDan. Le cockney revient avec «Love Is A Four Letter Word», véritable TV shoot de heavy pop. Il s’y délecte à coups de nïce et de paradïse. Quel bel album, tout y est délicieusement délié, avec notamment l’«If You Fly Too High» qui semble sortir tout droit du White Album, et dédié à Alan McGee. Il faut aussi entendre TVDan gratter «Hard Luck Story Number 39» à l’acou de Dead End Street. TVDan chante sa pop sans aucun espoir. Jowe Head l’accompagne. En B, on tombe sur «Goodnight Mr Spaceman», une petite pop cockney chantée au mieux des possibilités. Encore une pure merveille de heavy pop avec «I Like That In A Girl». TVDan sait rendre la pop fascinante, il sait recréer le merry-go-round des sixties. Il fait aussi un grand numéro de funambule avec «Suppose You Think It’s Funny» qu’il chante à l’angle de la sérénade.

             Dans son fanzine Communication Blur, Alan McGee raconte comment Dan Treacy concevait un set des TVPs : 40 personnes sur scène qui, pendant que le groupe jouait, distribuaient des drogues, des bananes et du café au public, projetaient des films amateurs, peignaient des toiles, lisaient des poèmes et à la fin du set, TVDan sciait sa Rickenbacker en deux, comme le fit Tav Falco à Memphis.

    Signé : Cazengler, Television Penibility

    Benjamin Berton. Dreamworld: The Fabulous Life Of Dan Treacy. Ventil Verlag 2022

    Television Personalities. And Don’t The Kids Just Love It. Rough Trade 1980

    Television Personalities. Mummy Your Not Watching Me. Whaam! Records 1982

    Television Personalities. They Could Have Been Bigger Than The Beatles. Whaam! Records 1982

    Television Personalities. The Painted Word. Illuminated Records 1984

    Television Personalities. Chocolate Art. Pastell 1984

    Television Personalities. Privilege. Fire Records 1990

    Television Personalities. Camping In France. Overground Records 1991

    Television Personalities. Closer To God. Fire Records 1992

    Television Personalities. I Was A Mod Before You Was A Mod. Overground Records 1995

    Television Personalities. Paisley Shirts & Mini Skirts. Overground Records 1996

    Television Personalities. Don’t Cry Baby It’s Only A Movie. Damaged Goods. 1998

    Television Personalities. My Dark Places. Domino 2006

    Television Personalities. Are We Nearly There Yet ? Overground Records 2007

    Television Personalities. A Memory Is Better Than Nothing. Rocket Girl 2010

    Television Personalities. Beautiful Despair. Fire Records 2017

     

    *

    Dans notre chronique 561 du 26 / 07 / 2022 nous présentions le premier EP de Telesterion, nommé An ear of grain in silence reaped, or voici que le groupe projette pour les mois de mars et de septembre ( 2023 ) de faire paraître toute une série de titres dont les sorties successives correspondront aux dates antiques durant lesquelles les Mystères ( les petits et les grands ) d’Eleusis étaient célébrés. Nous en reparlerons, ces procédés de reviviscence des cultes antiques dans la Grèce moderne nous intéressent vivement. Ceux qui ont lu Le serpent à plumes de D. H. Lawrence seront à même de comprendre les implications opératoires de telles prédilections.

    En attendant la proximale réalisation de cette annonce, nous nous penchons avec intérêt sur les deux dernières productions de Telesterion parues en septembre et décembre 2022.   

    HOUSE OF LILIES

    TELETESRION

    ( Septembre 2022 )

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

    La pochette peut sembler anodine. Une fresque assez banale, un mur devant lequel se distinguent deux murets, l’on ne sait s’ils cernaient un bassin ou un parterre de fleurs. A moins qu’ils ne soient de simples bancs pour s’asseoir et discuter.  Ce qui est indiscutable c’est la présence des lys. Ce sont d’ailleurs eux qui ont donné son nom à la maison dont seule subsiste cette fresque et qui a été victime d’un incendie vers 1500 avant notre ère.  Elle est actuellement conservée au Musée Archéologique d’Héraklion.

    Ce seul nom fait frémir, Héraklion se situe en Crète et c’est sur son territoire que se trouvent les ruines d’un célèbre palais, celui de Knossos, détruit par une éruption volcanique, lieu mythique par excellence, quelques noms suffisent à raviver les mémoires défaillantes, Minos, Pasiphaé, Minotaure, Dédale, Icare… Nous en rajouterons deux, Thésée qui tua le Minotaure et put ressortir du labyrinthe dans lequel le monstre était enfermé grâce au peloton de ficelle qu’Ariane, fille du roi, lui avait procuré…

    Nous en savons maintenant assez pour tirer sur le fil de notre imagination et essayer de comprendre ce qui se passe dans les trois titres – ils forment un véritable triptyque – de cet opus.  Nous conseillons de lire d’abord les trois textes en orange, puis les trois textes en vert, et enfin les trois textes en bleu. Mais chacun fera ce qu’il voudra.  

    The mistress : un son qui évoque les nuages de poussières soulevées par l’explosion du volcan  du Santorin, comme si ce qui parvenait à nos oreilles venaient de loin, mais une fois passé cette sensation d’étouffement auditif, nous comprenons que ce qui se dévoile à nous relève d’un passé prestigieux, que nous sommes plongés en une histoire prodigieuse et qu’il faudra regarder sous la violence des coloris de cette grande geste qui nous est racontée pour en deviner le sens secret. Les trois figures féminines ne désignent qu’une seule et même personne. Chacun des titres évoquent un seul de ses aspects. Maîtresse, jeune fille, mère. Nous pouvons prononcer son nom Ariane. Elle est un peu la figure oubliée de la légende minoenne, pourtant elle en détient le principal mystère, très loin de toute anecdote. Elle est la maîtresse de Thésée qui l’abandonnera, mais Dionysos la recueillera pour sa beauté, Partagera-t-elle la vie du Dieu jusqu’à la fin sans fin de ses jours immortels, où sera-t-elle transpercée par une flèche mortelle tirée sur l’ordre de Dionysos par Artémis, la déesse des jeunes filles. The maiden : la même musique, normal puisque les trois morceaux racontent la même histoire, mais ici elle est plus violente, des clameurs de guetteurs, le chœur qui prophétise l’horreur, et un tsunami de batterie chevauche une vague monstrueuse dont les eaux furieuses déferlent sans fin, elles passent, elles détruisent, elles recouvrent tout, elles emportent les morts et les vivants, et le fléau cesse encore plus brutalement qu’il n’a commencé. Avons-nous seulement le temps de réfléchir, subjugués par une telle beauté. Jeune fille la force vitale de la jeunesse, la beauté, le sang, la fougue, les palpitations de la chair, le flot impétueux des désirs que rien ne retient, qui courent telles des cavales déchaînées ivres de liberté et d’accomplissement. Rien ne saurait s’opposer à cette fureur, hymne à la joie et à la vie. Seul un Dieu était digne de la beauté d’Ariane. L’a-t-elle rendu jaloux pour avoir été amoureuse de Thésée, que sont les lys blancs de la fresque confrontés aux lys rouges, la blancheur est-elle celle des ombres que nous devenons lorsque nous sommes morts, et le rouge évoque-t-il la lymphe triomphale et inaccessible des Dieux. The mother : sonorités tintantes d’une geste héroïque que l’on pressent grandiose, même si ici parmi ces tentures chorales assourdissantes et incompréhensibles l’on comprend que l’on atteint à une sorte de plénitude métamorphosale, distinguons un rythme processionnel mais tout se précipite une dernière fois avant que le son ne décroît lentement. De quoi s’agit-il au juste, Reprenons nos esprits. Une autre version conte qu’Ariane aura donné des enfants à Dionysos, mais si l’on regardait cette histoire par le petit bout de la lorgnette, si ce n’était pas Ariane qui était intéressante, si elle n’était qu’une réplique de Dionysos, car Dionysos aussi a connu la mort, n’a-t-il pas été déchiré par les géants, et n’est-ce pas Zeus qui a réuni les lambeaux de chair dispersées et donné l’immortalité en cadeau. Que nous disent ces belles histoires, que nous cachent-elles, comment les interpréter sinon en les lisant comme le secret même de l’immortalité, les Dieux ne sont que des figures conceptuelles, une mère meurt mais survit en ses enfants, comme la graine dans la terre qui se détruit elle-même en donnant naissance à une nouvelle plante. Nous retrouvons-là un des enseignements d’Eleusis. ( Voir notre chronique sur l’EP DE Telesterion dans notre livraison 561 )

     

    ECHOING PALACE

    TELESTERION

    (Décembre 2022 )

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

    Comme pour An ear of grain in silence reaped  l’on retrouve en couverture une séquence de la fresque de la villa des Mystères de Pompéi.

    Le titre nous renvoie au palais de Knossos, ils sont d’ailleurs d’une facture similaire mais la pochette nous présente deux jeunes femmes, et nul besoin d’être titulaire d’un master de mathématiques pour s’apercevoir qu’il n’y a que deux morceaux. Faisons comme si chacun des deux titres était une transcription musicale des pensées de ces deux êtres féminins.

    Il faudrait savoir mais nous ne le saurons jamais, ces portraits sont-ils des inventions de l’artiste où les deux dames de la maison ont-elles servi de modèles. A-t-on pensé à  comparer la fresque de la villa des Mystères avec les portraits du Fayoum, l’on répondra que ce sont deux moments historiaux qui n’ont rien à voir l’un avec l’autre, toutefois ils possèdent un sacré trait d’union, la représentation des deux faces de toute existence : le recto de la vie, le verso de la mort. L’on a l’habitude de regarder les images comme des compositions qui voudraient signifier quelque chose de précis. Mais entrer dans les figurines et les écouter relève au gré des scientifiques, ce que nous ne sommes point, de la folie la plus absurde.

    Echoing palace : dès les premières sonorités une évidence s’impose  - il en sera de même pour le morceau suivant – l’instrumentation et les chœurs s’inscrivent dans la continuité lyrique des deux précédents, à une différence près, l’on dirait que la musique est ici plus renfermée sur elle-même, The house of lilies est une évocation extérieure du monde, ce qui ne nuit nullement à son aspect ésotérique,  nous entrons en quelque chose de plus intime, dans la pensée de la dame à sa toilette, certes si l’on se fait belle c’est que l’on envisage de séduire le monde extérieur, l’on se soucie du regard des autres, quels conseils chuchotent les chœurs de sa voix intérieure à l’oreille des désirs de notre belle dame. Vers qui escompte-t-elle tourner les appâts de sa beauté. Qui veut-elle séduire, à quel Immortel désire-t-elle s’offrir… Ne sommes-nous pas dans la villa des mystères… Quels sont les actes rituelliques de l’initiation suprême. Echoing palace 2 :  le ton est plus grave, nous changeons de sujet, la coquette cède la place à la penseuse, ne serait-ce pas la même personne, avant et après, entre ces deux moment s’est déroulé le rituel, celle qui attendait l’Innommable n’espère plus, peut-être même n’espère-t-elle plus rien, elle a vu, elle a su, elle a entendu, elle a connu elle pose un regard fatigué sur le monde, le temps de l’innocence et de la quête est terminée, son regard se voile d’une tristesse indicible, n’est-elle pas déjà de trop en ce monde, elle est là posée, telle une stèle épigraphique sur le chemin, beaucoup s’arrêteront, la regarderont, ne déchiffreront rien et passeront, alors qu’elle est la réponse à ceux qui cherchent, sur ce chemin, qui tourne sur lui-même comme le serpent qui se mord la queue pour rester dans son éternelle présence.

    Grandiose et splendide.

    Damie Chad.  

     

    *

    De temps en temps je tape Poe, ou Edgar Poe, ou Edgar Allan Poe, sur le net, je pêche au hasard ( Poebjectif ), avec Poe l’on ramène souvent quelque chose dans ses filets, cette fois-ci, un groupe de rock, deux membres résidant dans l’ouralienne région de Russie.

    Alexander I : bass guitar, steel sheets, spiral spring  / Kein Necro : samples, synthés.

    Entre l’un qui se voit un destin impérial, et l’autre qui a déjà rédigé sa nécro, nous sommes entre de bonnes mains, l’on ne s’attend peut-être pas à l’ange mais pour le moins au bizarre. Depuis 2003 Zinc Room a déjà produit onze albums. Celui-ci consacré à Poe est inclus dans une trilogie dont le premier volume porte sur Lovecraft, nous voici en bonne compagnie. Je n’en veux pour preuve que le titre d’une de leur précédente production : The house on the edge cemetery, simple mais terriblement efficace.

    Le principe de l’album est des plus simples, chacun des neuf titres évoque une nouvelle de Poe. Ne dites pas que la vôtre n’est pas là, ou pire quel bonheur ils ne l’ont pas oubliée, ce serait le signe que vous n’avez pas compris grand-chose à Poe. Chacune des nouvelles de Poe est le fragment d’un puzzle mental que l’on se doit d’assembler et de réassembler comme le jeu des perles de verre de Hermann Hesse.

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

    La pochette du CD est très réussie, l’artwork est de Kein Necro, elle ne montre rien, elle suggère, chacun y verra ses propres phantasmes. Pour ceux qui n’aimeraient pas se regarder dans cet obscur objet de leurs désirs craintifs refoulés, Kein Neco est sympa, vous offre une seule image, claire, nette et précise ( presque ) dans une sombre forêt l’entrée d’un tombeau seigneurial  vous attend. Une image qui ne déparerait pas pour illustrer un conte de Stéphane Mallarmé ou de Villiers de l’Isle-Adam. Pensons à Igitur, ou à Véra.

    POE

     ZINC ROOM

    ( Dead Evil Production / 2020 )

     

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

    The murders in la rue Morgue : une nouvelle policière si l’on préfère, mais à lire comme un diagramme raisonné du fonctionnement du raisonnement humain. Relisons Monsieur Teste mais aussi Agathe ( Le manuscrit trouvé dans une  cervelle ) de Paul Valéry et intéressons-nous aux développements actuels de l’intelligence artificielle puis imaginons notre conteur en joueur d’échecs pour mesurer combien  Edgar Poe  avait de coups d’avance sur notre modernité… Coups de semonces hyper violents, l’horreur déboule à toute vitesse, un ruissellement d’énigmes tombe sur vous, des élingues sonores peut-être en imitation des  hurlements des victimes nous assaillent si vite que l’on comprend que personne ne pourrait arrêter cette férocité animale en pleine action… l’on arrive à une saturation sonore difficilement supportable, suivi d’un bruit de scies mécaniques sifflantes de l’esprit qui désincarcèrent le mystère jusqu’à ce qu’il n’en reste plus une once. The tell-tate heart : ( Le cœur révélateur ) : histoire fantastique de l’assassin qui se dénonce lui-même, existe-t-il une cloison entre folie et intelligence, ou alors n’est-on trahi que par soi-même, les petits esprits parleront de remords, j’évoquerai plutôt la chambre close du solipsisme : évidemment ils ont opté pour les battements du cœur, mais pas comme on l’attendrait, pas la pulsation régulière que rien ne saurait arrêter, non ça cliquette de tous les côtés, dans tous les sens, des idées qui s’entrechoquent dans une boîte crânienne, ce muscle cardiaque ne bat pas il galope, il ignore la ligne droite, il est ici et il est là, il est partout en même temps, le voici énorme, éléphantesque, il grandit, il grossit, il mange le monde, il dévore l’univers, il stridule, il éjacule à flots ininterrompus, les digues de la raison cessent, le cargo de la mort et le paquebot de la folie unissent leurs sirènes. The premature burial : pire que la peur de la mort, la peur d’être enterré vivant. Une des nouvelles les plus terribles de Poe, peut-être parce qu’elle se termine bien : note funèbre qui vous assaille et qui ne vous lâche plus, une espèce de mouche tsé-tsé définitive qui tourne dans votre tête, dont les ailes cymbaliques vous cisaillent les neurones, l’angoisse s’engouffre dans votre gorge, elle vous envahit,  agite  de soubresauts désespérés votre corps, serez-vous le seul à entendre vos borborygmes de pantin désarticulé   telle une marionnette malmenée par les cordes inexorables que le marionnettiste que vous êtes emmêle à déplaisir pour mieux vous ligoter pour l’éternité. Vous respirez lorsque le morceau se termine. Cataleptique ! The back cat : le même thème que Le cœur révélateur mais ici on assiste à tout le processus de la folie qui s’installe peu à peu et qu’il est impossible au narrateur de conjurer, l’alcool ne l’aide pas, avec en plus cette présence du chat(s) noir(s) symbole reproductif de l’Inévitable fatum : aux premiers tintements l’on se dit que le groupe ne s’est pas nommé la chambre de zinc par hasard, par la suite l’on est enfermé dans une cloche de plomb soumis à un bombardement d’irradiation atomiques, serions-nous le chat noir de Shroëdinner pris en otage dans une expérience de la dichotomie temporelle, stridence de miaulements recouverts par des déflagrations imparables, priez pour vos propres oreilles, le morceau dure dix minutes et si vous allez jusqu’au bout vous risquez d’en être marqué pour le restant de vos jours, s’il vous en reste, entendez le noise comme une noire araignée géante qui s’accroche de ses huit pattes velues comme une ventouse suceuse de votre sang, votre martyre ne s’achèvera donc jamais, la mort se colle et ne vous quitte plus. Effrayant. The oval portrait : ( 1842 ) :  à mettre en relation avec Le chef-d’œuvre inconnu d’Honoré de Balzac : au bas mot une histoire de vampirisme artistique, à son plus haut degré une réflexion de Poe sur sa propre existence : Moins de bruit, moins de boucan, le décor du conte s’y prêterait, mais non Zinc Room, ne nous laisse aucune échappatoire, du conte ils ne retiennent que sa plus intolérable noirceur, ont-ils compris que l’histoire n’est pas racontée jusqu’au bout, qu’elle se termine comme une décapitation, parce que si on essaie de la continuer logiquement ne  s’offrent à  nous que  l’hypothèse de suites plus cruelles les unes que les autres, ils ont ouvert la porte dérobée du gouffre et leur musique se retrouve du côté de la force ou de la farce la plus noire.  The pit and the pendulum : un des contes les plus célèbres de Poe, il est dommage que la fin soit bâclée en six lignes par l’intervention d’un deus ex machina salutaire, dans La torture par l’espérance Villiers de l’Isle-Adam a machiné un finale à la hauteur de l’angoisse suscitée par les vingt premières pages de Poe : tubulures caverneuses, les  ailes noires du pendule se précipitent lentement vers l’ignominique destin, la Mort s’amuse-t-elle avec une faux d’un nouveau genre, l’on entend le souffle de l’air déplacé par le corbeau de l’angoisse, nous voici dans le cortex rétracté du supplicié, jusques là Zinc Room reste dans l’harmonie imitative, l’on n’entend plus que le balancier qui descend imperturbablement, mais une fureur endémique se déploie, serait-ce l’incendie terminal. De toutes ces mises en musique des nouvelles de Poe celle-ci est la moins probante, trop près du texte dont elle ne semble proposer que la lecture de sa première moitié. The descent into the maelström : dans ce chef-d’œuvre absolu se mêlent deux thèmes consubstantiels au génie de Poe, une fascination de l’abîme qui confine à une curiosité prométhéenne métaphysique et la puissance démonique de l’esprit humain :  une terreur tourbillonnaire en une seconde nous voici sur l’esquif penché sur l’abîme, encore plus effrayants ces grondements qui semblent provenir du fin fond de l’abysse, mille trompes de vaisseaux engloutis qui résonnent comme si les râles de détresse étaient restés prisonniers de l’élément liquide, l’on tourne sans fin en une spirale prodigieuse, plus on se rapproche du centre plus le bruit s’amplifie, l’on se dit que ce morceau pourrait aussi bien servir pour la bande-son d’un film de science-fiction contant la mésaventure d’un vaisseau spatial aspiré par un trou noir, n’oublions pas toutefois que cette descente dans le maelström n’est que l’image poétique d’une descente au fond de l’esprit humain. Morella : réincarnation ou retour du même, ce conte soulève davantage de questions qu’il n’en résout, est-ce par hasard si dans ces lignes Poe révèle ses lectures de la branche philosophique du romantisme allemand, soyons curieux de la manière dont Zinc Room traduira la douce quiétude qui émane de ce court récit : joue sur les résonance et les échos d’une chose, imaginez celle que vous voulez qui se perpétue, renaissant de ses cendres à chaque millénaire et s’enfuyant vers l’immortalité, la musique est effrayante mais elle ne fait pas peur, elle attire, elle séduit, un marécage dans lequel vos rêves s’engluent lentement, sans doute parce que nous sommes pas assez affirmés pour mériter de renaître à nous-mêmes. The fall of the house of Usher : un must poesque. La proximité avec Balzac est probante, une communion d’esprit, tous deux ne furent-ils pas des lecteurs de Swedenborg,.. Ce conte repose sur la créance pythagoricienne en l’unité des trois règnes de la nature, ainsi il y aurait la possibilité d’une osmose opératoire entre le monde minéral et la bête humaine. Une idée chère à Poe, que la destinée individuelle s’inscrit pour certains êtres dans le destin d’une généalogie, contrairement à l’Igitur mallarméen dans cette nouvelle de Poe ce n’est pas le héros terminal qui clôt la geste généalogique mais les murs de pierre de la Maison Usher. Le lecteur se reportera aussi avec bénéfice au sonnet Vers dorés de Gérard de Nerval : commencent par la fin, par la chute, par l’effondrement de la maison Usher, se complaisent dans ce moment qui clôt la nouvelle, il est des images mentales ou sonores qu’il est bon de passer au ralenti pour mieux goûter à cette sensation de l’inexorable, cette chute ne la vivons-nous pas chaque jour puisque nos fondations les plus solides sont fissurées par cette mort insidieuse qui nous attend, et une fois mort ce n’est pas encore fini puisque notre corps subira aussi procédés de putréfactions et de disparition. Zinc Room édifie une espèce de sablier sonore que l’on écoute s’écouler et s’écrouler avec fascination, et nous rappelle que la Maison d’Usher n’est que notre miroir, et comme nous n’aimons pas nous regarder dans son eau glauque, le son nous transperce et nous envahit sans pitié.

    Cet opus est un chef-d’œuvre terrifiant. Digne d’Edgar Poe.

    Damie Chad

     

     

    ANOUSHKA

    PATRICK EUDEKINE

    ( Le Passage Editions / 2020 )

    crows,jac holzman,marva whitney,dan tracey,telesterion,zinc room,rockambolesques

    Une belle couve signée d’Octave Anders. De loin dans ce lot de bouquins disparates je ne voyais qu’elle. M’attendais pas un livre sur le rock, qui plus est un roman de Patrick Eudeline. Je prends, avec Provins privé d’internet, et ses librairies dépourvues de livres, les soirées risquent d’être longues.

    Bref j’ai lu. Pas content, mais pas mécontent non plus. Un policier, suffit de se laisser porter par le récit, suit sa pente naturelle, ne vous file pas non plus l’impression d’être sur un bateau ivre. Pas de véritable affaire, le véritable sujet c’est le mouvement punk. Attention, musicalement c’est assez maigre, quelques titres de disques par-ci par-là et c’est tout. En plus l’on n’est ni à New York, ni à Londres. Juste à Paris. Rétrécissons la focale. Dans la mouvance punk, entre 1975 avant le début et 1982 après la fin. Toute une époque, mais un tout petit milieu.

    Y a deux héros. Simon qui raconte l’histoire à la première personne. De temps en temps il croise le second qui ne joue aucun rôle, qui ne participe même pas à l’action. Un certain Eudeline. En fait c’est lui le sujet du roman. Non il n’a pas la grosse tête, ne tire pas la couverture à lui. Simon lui sert de paravent. Lui permet de faire le bilan du mouvement. Négatif.

    N'y va pas de main morte. Ne parle pas du punk, mais des punks. Pas de tous. De ceux issus de la bourgeoisie aisée. Très aisée. Des fils et des filles de bonnes familles qui ont dérivé. Qui se sont affranchis de leurs parents, qui ont mis leur révolte dans la musique (un peu) et la dope ( beaucoup). Z’ont un sacré filet de sécurité derrière eux, certains s’en servent quand les gros ennuis surgissent… Ne les critiquons pas que ferions-nous à leur place si notre papa ou notre maman était plein aux as…

    Bon parlons d’Anoushka, c’est-elle l’héroïne, manque de chance elle a disparu. Tout le monde la cherche, même la police, sauf elle. Le lecteur la retrouve après la fin du bouquin. Dans l’épilogue. Littérairement c’est assez maladroit, assez mal construit. Dommage, car c’est la seule qui reste fidèle à ses principes. Un bien grand mot. Vit au jour le jour. Trouve toujours un plan de secours en réserve pour arriver au lendemain. Elle assure, sans foi, ni loi, ni toit. Elle se débrouille bien. Prête à tout et prête à rien. C’est ce dernier mot qui la résume le plus. Une nihiliste qui ne croit même pas au nihilisme. Comment cela finira-t-il, elle ne se pose même pas la question. Elle mord à pleines dents, ni dans la vie, ni dans le sexe, ni dans la drogue, mais dans le rien, dans le vide…

    Les lecteurs pointilleux feront remarquer que 1982 c’est un peu excessif pour le punk. Eudeline le sait très bien, l’explique comment le punk est remplacé par les jeunes gens modernes, mais il n’articule pas le pourquoi, à vous de trouver le point de jointure sociologique, l’est très simple lorsque l’on n’a pas dépassé le nihilisme il ne reste plus qu’à faire marche arrière et s’ériger au plus vite de nouvelles valeurs, c’est la seule manière de trouver une planche de salut dans le nihilisme, car le nihilisme c’est encore une valeur. Il en est des valeurs bourgeoises comme des valeurs prolétariennes.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 19 ( Rébarbatif  ) :

    96

    Les pas se rapprochent. Derrière la porte je suis prêt à toute éventualité, sur le palier une voix juvénile claironne :

              _ Damie ne me fais pas attendre !

    La porte s’ouvre impétueusement, je n’ai pas le temps d’esquisser le moindre geste qu’Alice se jette dans mes bras :

              _ Oh Dami chéri, je commençais à croire que tu m’avais oubliée !

    En un tour de main, elle m’entraîne sur le lit, je ne sais comment mais en quelque secondes je me retrouve aussi nu qu’un vermisseau, Alice la jouvencelle est serrée contre moi aussi dénudée qu’un vermicelle, sa bouche cherche mes lèvres… Je ne sais pas si vous avez souvent fait l’amour avec une morte, mais je peux témoigner qu’elles ont un sacré tempérament et je comprends que tous ces récits médiévaux relatant l’appétit insatiable des goules ne sont pas des historiettes inventées de toutes pièces destinées à impressionner un public illettré et crédule… La fougue de nos ébats ne m’a pas empêché d’entendre le bref aboiement d’un chien, est-ce Molossa ou Molossito, je l’ignore, l’avertissement est clair : l’ennemi arrive !

    Nous étions, Alice et moi, si enchevêtrés que j’ai du mal à me retirer d’une étreinte si fougueuse. De qui s’agit-il ? En tout cas à la violence avec laquelle on a ouvert et refermé la porte d’entrée de derrière, il est certain que l’on me cherche, le vacarme des marches montées à toute vitesse, n’augure rien de bon, je n’ai même pas le temps de me saisir de mon Rafalos que j’avais glissé sous l’oreiller.

     Je me suis déjà trouvé en meilleure posture, l’on est sûrement pressé de me trouer la peau. Je vous rassure, ce n’est pas à moi que l’on en veut. Un coup de pied dans la porte et une furie entre dans la chambre, se jette sur Alice et essaie de la tirer du lit par les cheveux. C’est Alice !

              _ Fous-moi le camp de là, sale trainée, il est à moi !

    Les deux Alice sont maintenant face à face, leurs yeux jettent des éclairs de haine, un tumultueux crêpage de chignons s’engage… Que faire ? J’avoue que j’hésite… Un nouvel aboiement m’avertit de prendre garde, un nouvel assaillant ! Juste à ce moment les deux Alice se jettent sur moi et chacune des deux me tire de son côté, j’essaie de saisir mon Rafalos mais il est tombé sous le lit, ce coup-ci c’est un taureau furieux qui a enfoncé la porte et qui se rue dans les escaliers, technique d’assaut commando ai-je le temps de penser, mes secondes sont comptées ! Un halètement bestial et la porte semble soufflée par une explosion, un hurlement à crever les tympans d’un sourd, le fameux krikitu destiné à paralyser les adversaires retentit, les deux filles métamorphosées en statue ne bougent plus.  

              _ Totalement folles toutes les deux, quand il y en a pour trois, il y en a aussi pour quatre !

    En un tour de main Carlos se déshabille et nous rejoint sur le lit, ce renfort inopiné me ragaillardit, comme dirait Ronsard nous nous livrâmes sans état d’âme aux plus folles folastries. Le quatuor d’Alexandrie de Lawrence Durrel est un très beau livre…

    Molossa et Molossito   nous ont-ils avertis ? Toujours est-il que tout à nos occupations du moment nous n’avons rien entendu. S’est-on glissé subrepticement dans la maison, les escaliers ont-ils été montés sur la pointe des pieds, je suis incapable de répondre à ces angoissantes questions. Pire nous n’avons même pas remarqué que quelqu’un était entré dans la chambre, nous en serions-nous même aperçu s’il n’avait donné de la voix…

              _ Me too !

    Et d’un bond léger le Chef, le très cher était nu et n’avait gardé que son Coronado, se joignit à nos jouissances. Comme quoi après le Quatuor d’Alexandrie il est de bon ton d’enchaîner sur Le quintette d’Avignon, du même Lawrence Durrell.

    97

    Le Chef alluma un Coronado :         

    • Certes hier après-midi nous avons passé une agréable journée, la tête nous a cependant un peu tourné, quand nous nous sommes repris il était dix heures du soir passées et l’enterrement de Lamart et Sureau était terminé depuis longtemps, nous avons s’il le faut laisser passer des éléments importants que nous aurions pu glaner, nous avons failli dans notre mission, un peu par votre faute agent Chad si vous n’aviez pas cédé à vos instincts les plus bas, nous ne serions pas dans l’impasse totale, il ne vous reste plus qu’à nous proposer un début de piste pour poursuivre notre enquête, je vous somme de me faire une proposition intéressante dans les quatre minutes qui viennent ! Top chrono !
    • Oui Chef, mais pourriez-vous préciser ce que nous cherchons !
    • Agent Chad je n’en sais fichtre rien, d’habitude je fume une dizaine de Coronados et la situation s’éclaire, mais là je suis au point mort. Tenez prenez un Coronado, cela vous aidera peut-être.

    J’ignore si le Coronado hormis le fait que je fus tout le reste de la journée agité de fortes quintes de toux y fut pour quelque chose mais toujours est-il qu’une idée que les esprits pondérés jugeront saugrenue s’imposa au turbo exponentiel de mon cerveau.

              _ Chef si nous échouons c’est que nous n’employons pas la bonne méthode, en gros nous essayons de suivre rationnellement des pistes qui ne nous emmènent nulle part, faisons le contraire, agissons irrationnellement et peut-être trouverons-nous quelque chose de tangible.

              _ Agent Chad, il n’y a aucun doute, le fait de me fréquenter vous rend de plus en plus intelligent, si vous fumiez quotidiennement une minimale quarantaine de Coronados, vous auriez quelque chance un de ces jours de me remplacer à la tête du service, mais ne perdons pas de temps à mettre votre idée en application.

    98

    Nous avions laissé après fortes recommandations de prudence Molossito et Molossa en faction sous la voiture que nous avions stationnée juste devant la porte d’entrée de l’immeuble dont nous empruntons les escaliers. Le Chef devant, moi derrière, mais tous deux la main sur notre Rafalos, nous étions dans un des pires endroits du dix-huitième. Nous nous arrêtâmes sur le palier du douzième étage devant une porte blindée, aucune sonnette nous nous apprêtions à frapper lorsqu’ une vois grésilla dans un interphone vraisemblablement planqué au plafond.

              _ Entrez messieurs, je vous attendais.

    L’endroit était minuscule, un placard à balais aménagé en local de réception. Mme Irma était assise sur un fauteuil, dans le peu de lumière nous ne distinguions vraiment que le bout incandescent de sa cigarette fichée dans un porte-cigarette de vingt-cinq centimètres de long. Nous prîmes place sur deux chaises de bois vermoulu.

    • Excusez la modestie de cet havre de méditation de haute perspicacité, messieurs je suis à votre service, que puis-je pour vous ?

    Le Chef alluma un Coronado :

              _ Pour moi personnellement rien, tout va bien mais mon ami souffre d’un mal insondable, avant de le laisser s’expliquer, je tiens à vous dire que si nous vous avions choisie, c’est pour la réputation flatteuse qui vous entoure, si l’on en croit l’article du Parisien Libéré de ce matin.

              _ Ah oui, l’article de Lamart et de Sureau, ils sont venus m’interviewer il y a huit jours, dire que maintenant ils sont morts, nous sommes vraiment peu de chose sur cette terre… Mais quel est au juste votre problème Monsieur.

               _ C’est étrange Madame, toutes les filles que je rencontre depuis un certain temps s’appellent Alice. Cette coïncidence est extraordinaire, j’éprouve une espèce de malaise, ne serais-je jamais aimé que par des Alice ?

               _ Qui peut dire l’avenir, Cher Monsieur, tendez-moi votre main afin que j’étudie ce problème, non pas celle-là, l’autre, pas celle-ci non plus.

              _ Hélas Madame je n’en possède que deux !

              _ Vous n’êtes pas très malin Monsieur, ça ne m’étonne pas que l’abondance du prénom Alice vous étonne, je parlais de la main qui tiendrait trois billets de cinq cents euros par exemple.

               _ Voici Madame excusez-moi, mais pour Alice…

               _ Un jeu d’enfant, tenez prenez cette feuille blanche, écrivez ALICE en grosses lettres majuscules.

               _ C’est fait, Madame la voici…

               _ Gardez-la, lisez-moi à haute voix tout ce que vous lisez dessus

              _ A LI CE et après que dois-je faire ?

              _ Je ne peux plus rien pour vous, Messieurs, je vous souhaite une bonne matinée.

    Je me levai de ma chaise rapidement, vexé et mortifié. Mais le Chef sortit son portefeuille et glissa dans la main de Mme Irma une grosse liasse de billets de cinq cent euros.

               _ Je vous remercie Madame, je vous prie d’excuser mon ami, ce n’est pas de sa faute, je pense qu’il souffre des premières atteintes de la maladie d’Alzheimer, il ne souvient même plus de ce qu’il a dit ce matin. Je vous souhaite une bonne journée Madame…

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 589: KR'TNT 589 : LUSH / THE CULT / LEE FIELDS / ELIZABETH KING / MUD / THUMOS / DOORS

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

    LIVRAISON 589

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    23 / 02 / 2023

    LUSH / THE CULT / LEE FIELDS

    ELIZABETH KING / MUD

    THUMOS   / DOORS

    Sur ce site : livraisons 318 – 589

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    The Miki way

     

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             Quand on croisait Miki Berenyi dans les pages du NME ou du Melody Maker, on la prenait volontiers pour une Pakistanaise, une Paki comme on dit à Londres. Avec ses cheveux rouges et son heavy make-up, elle dégageait quelque chose d’extrêmement exotique. On ne faisait même pas l’effort de mémoriser son nom. De toute façon, le son de Lush - dont elle était la chanteuse - ne nous plaisait pas plus que ça. Lush et quelques autres groupes, comme Slowdive, My Bloody Valentine, Moose, Ride ou Chapterhouse, incarnèrent un courant musical, baptisé Shoegazing par la toute puissante presse anglaise de l’époque, un courant qu’on considère, à tort ou à raison, comme l’un des points bas de l’histoire du rock anglais. Un journaliste du Melody Maker qualifiait les shoegazers de STCI (The Scene That Celebrates Itself). Ces groupes proposaient en effet une pop ambiante extrêmement statique qui finissait par générer un bel ennui. Dans les concerts, on bâillait aux corneilles, surtout ceux qui plus jeunes, avaient tété les mamelles du real deal, c’est-à-dire Jerry Lee et les Stooges. On se retrouvait dans ces concerts à cause des buzz que lançaient les journalistes anglais. La crainte de rater le passage d’un bon groupe nous incitait parfois à faire n’importe quoi.

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             Il s’est produit exactement la même chose qu’avec l’autobio de Stuart Braithwaite, le guitariste de Mogwai : dans la presse anglaise, un journaliste pond une chronique élogieuse de l’autobio de Miki Berenyi, et pouf, rapatriement. Cette fois, c’est la crainte de rater un bon book qui déclenche le passage à l’acte. Fingers Crossed: How Music Saved Me From Success arrive 48 h plus tard sous la forme d’un bel objet, bien dodu, sous une jaquette dans les tons pourpres qui s’harmonisent divinement bien avec l’écarlate des cheveux de Miki, un peu plus de 350 pages imprimées sur un bouffant plaisant, avec des choix typo de fonte et d’interligne qui rendent la lecture délicieusement agréable, et plouf, on y plonge. Plonger dans la lecture d’un book, c’est exactement la même chose que plonger dans l’eau du lagon d’argent : tu en éprouves un pur plaisir, tu goûtes à ce que Gide appelait autrefois Les Nourritures Terrestres - ce fantastique texte en prose en forme de chant d’amour, dans lequel il s’adresse à Nathanaël pour le former à la beauté du monde : «Que l’importance soit dans ton regard, non dans la chose regardée.» - Plonger dans un livre inconnu, c’est une façon de partir à la découverte d’un personnage, d’entendre une voix nouvelle, une façon de voir comment les autres vivent leur vie, voir aussi de quelle façon ils s’accomplissent ou se détruisent. Chaque vie se résume à un destin, parfois tout entier contenu dans un livre. C’est à la fois l’aspect dérisoire d’une vie, mais aussi sa grandeur, dès lors que l’auteur abandonne toute pudeur pour s’offrir aux regards extérieurs. Les grands livres sont parfois comparables à des courtisanes impudiques, celles qui te font bander.

    lush,the cult,lee fields,elizabeth king,mud,thumos,doors

             L’autobio de Miki présente les deux aspects : dérision et grandeur. L’absence totale de pudeur et un langage de punkette rebelle en font la grandeur. La deuxième partie qui est consacrée à l’histoire de Lush paraît par contre totalement dérisoire, car cette tranche de vie (cinq ans)  se résume à quelques souvenirs de concerts, de tournées et de sessions d’enregistrement. Miki se débat avec les anecdotes, essaye d’éviter les pièges du name dropping et tenter d’éclairer le mieux possible les lecteurs de son book qui sont de toute évidence les anciens fans de Lush.

             L’éclairage le plus important est celui qu’elle donne sur elle-même. Paki ? Pas du tout ! Père hongrois (Ivan) et mère japonaise (Yasuko). Comme Ivan est un womaniser, ce qu’on appelle ici un coureur de jupons, Yasuko se fait la cerise vite fait, et c’est là que Miki entre dans la période trash de sa vie de gamine. Ivan lui apprend très jeune à se débrouiller seule et à se défendre. Elle vit à Londres dans une baraque toute pourrie avec Ivan et la grand-mère hongroise Nora, qui est une malédiction. Miki explique sans détour qu’elle doit dormir avec Nora qui abuse d’elle. Elle apprendra un peu plus tard que Nora a aussi abusé d’Ivan - Coincées  dans notre lit, elle me lit des contes hongrois, mais elle s’endort au milieu des phrases et le livre de contes s’écroule sur la bouse de ses nibards étalés (on the cowpat spread of her breasts). Parfois, quand elle ronfle, j’observe sa bouche ouverte, qui est complètement édentée, et je crève d’envie d’y enfoncer mon poing jusqu’à ce qu’elle en crève - Miki hait Nora qui lui fait chaque soir sa toilette et qui passe un temps infini à lui tripoter l’entre-jambe. Nora hérite même du surnom de Noracula, «qui fait référence à ses origines transylvaniennes mais qui hélas ne couvre pas toute l’étendue de sa nature monstrueuse.» C’est vrai qu’en voyant la photo de Nora dans les pages du cahier central, on comprend tout : une vraie gueule d’empeigne. Et puis il n’y a pas que Nora. Il y a aussi Uncle Sam, un copain d’Ivan, qui dès qu’Ivan ou Nora ont le dos tourné, met la main au panier de Miki. La gamine ne dit rien. Elle croit que c’est normal. Jusqu’au jour où elle en a un peu marre des saloperies d’Uncle Sam et lui dit qu’elle va en toucher un mot à Dad. Alors Uncle Sam disparaît de la circulation.

             Miki finit par comprendre pourquoi Ivan éprouve tellement de difficultés à entretenir des relations suivies avec les femmes : «Fils unique abandonné par son père et abusé par sa mère, il n’avait aucune idée de ce que pouvait être une relation normale. Comme il savait qu’une relation sentimentale pouvait tourner court à chaque instant, il préférait la contrôler plutôt que d’en être la victime. Plutôt quitter que d’être quitté.» Quand il approche de la fin et que Miki lui demande ce qu’il préfère entre le crématoire et le trou au cimetière, Ivan est pris d’un fou rire. Il dit de mettre ses cendres dans un seau «and flush me down the toilet», c’est-à-dire tire la chasse. «What the fuck will I care ?» Il a raison Ivan, ça change quoi, quand on a cassé sa pipe en bois ? Miki ajoute qu’Ivan aimait trop la vie pour se soucier de la mort - It was only ever life - not its aftermath - that engaged him. Miki écrit remarquablement bien. Elle sait restituer l’épaisseur humaine de ses personnages.

             Elle écrit dans un style très direct, qu’on pourrait, pour simplifier les choses, qualifier de punk. Elle n’est pas genre à traîner en chemin. Chez elle, les bollocks et le fuck sont monnaie courante. Nevermind ! Elle perd vite patience avec les cons, ce qui la rend éminemment sympathique.

             Quand dans l’intro, elle évoque la notion de groupe, elle évoque aussi sa naïveté d’antan,  quand elle croyait qu’un groupe pouvait être une famille - I know that’s all bollocks - I know that now - mais à l’époque ça ressemblait à un rêve qui pouvait devenir réalité - Elle parle très bien de l’espoir que génère le fait de monter un groupe : «Le miracle de la musique, c’est de pouvoir fabriquer quelque chose à partir de rien. Assembler des notes, ajouter de la profondeur avec des paroles, insuffler la vie dans une chanson en la jouant avec un groupe, l’enregistrer, puis la partager avec un public, répandre toutes ces émotions et toute cette joie - tout cela étant issu d’une chambre, d’une guitare et d’une voix. Transformer la tristesse en bonheur, sortir de la solitude et du loserdom, s’évader d’une bad place et rejoindre un monde meilleur.» C’est sa façon de dire qu’elle y croyait dur comme fer, et comme cette confession apparaît dans le chapitre d’intro, alors on décide de la suivre et même plus, si affinités. On peut par exemple envisager de réécouter les quatre albums de Lush.

             Comme elle est ado à Londres, elle peut se goinfrer de concerts : 90 en 1983, 150 en 1984. Elle tient sa comptabilité dans un journal intime. Elle baise tant qu’elle peut, elle privilégie ce qu’elle appelle the sex without love - Can be enormous fun when liberated from the hope that it’s the beginning of something bigger. In other words, if you approach it like a man - Miki comprend vite que le sentimalisme n’est pas vraiment l’apanage des mecs, alors elle opte pour la liberté à tout va. Elle opte pour les plans cul, comme on dit aujourd’hui, c’est-à-dire les relations non suivies. Elle dit qu’elle possède «un radar pour repérer les mecs libres et elle ne peut pas l’éteindre». Elle cherche un mec «who’s only after a bit of fun. That way no one gets hurt.» Elle applique la philosophie d’Ivan.

             Sur son tableau de chasse figure Billy Childish, à l’époque des Milkshakes. Il a sept ans de plus qu’elle, mais elle s’accroche à lui, parce qu’il a un groupe, qu’il peint et qu’il écrit des poèmes - I fuck him in the staiwell of Clanricarde Gardens, waiting until my flatmates have gone to bed before sneaking him into my bedrom overnight - Ses phrases sonnent souvent comme des paroles de chanson. Miki est une écrivaine extrêmement rock’n’roll. Elle rend un ultime hommage à Billy avant de le perdre : «Still Billy is an artist, uncompromising in his determination to write the truth. His truth, at least, which I suppose is what’s expected of an artist.»

             Elle avoue aussi perdre patience rapidement - I am belligerent with people I can’t stomach - Elle a raison, c’est une façon de gagner du temps. 

             L’idée d’un groupe commence à germer dans la tête de Miki et dans celle de sa copine Emma. Elles branchent leurs deux guitares dans la stéréo d’Emma et elles se mettent à gratouiller leurs poux. Elles montent Lush avec Chris au beurre et Meriel au chant. C’est Emma qui trouve le nom du groupe. Lush veut dire luxuriant. Puis elles recrutent Steve Rippon pour jouer de la basse. Premier gig au Falcon, à Camden, en mars 1988. Puis Emma veut virer Meriel, trop statique sur scène, alors Miki se charge de la besogne. Lush n’a plus de chanteuse, alors Emma passe une annonce dans le Melody Maker, citant Blondie et de Hüsker Dü comme influences. Chou blanc. En désespoir de cause, Miki est promue chanteuse de Lush. Comme elle n’est pas à l’aise, elle s’envoie des verres de cidre avant de monter sur scène. À la fin du set, Emma la coince pour lui dire : «Don’t you EVER get pissed again before a gig!». Tout au long de son récit, Miki évoque cette relation extrêmement tendue avec Emma. Elles jouent dans le même groupe, mais ne sont pas copines. Emma ne veut pas de l’amitié que lui offre Miki.

             Lush fait un grand bond en avant en signant avec 4AD, contre l’avis d’Howard Cough, l’un des responsables du label qui traite Lush de «worst band I’ve ever seen». Mais Ivo le boss veut Lush et pouf c’est parti. À l’époque, 4AD est un label indé prestigieux. Dans son roster, on trouve les Pixies, Cocteau Twins, Throwing Muses et Bauhaus. John Peel invite Lush une fois, car leur cover d’Abba («Hey Hey Helen») l’amuse bien, mais ce sera la première et la dernière fois. Lush n’est pas la tasse de thé de Peely. Ça n’empêche pas Lush d’aller dérouler son petit parcours de groupe indé, juste avant l’éclosion de la fameuse vague Britpop. Quand Steve Rippon quitte le groupe, c’est Phil King qui le remplace temporairement. Un Phil King qui est déjà un vétéran de toutes les guerres puisqu’il a joué dans Felt, les Servants, Biff Bang Pow, et on le verra beaucoup plus tard à Paris jouer au Trianon avec les Mary Chain.

             Le principal épisode de la vie de Lush, c’est le Lollapalooza de 1991. Lush joue en première partie de Jane’s Addiction qui sont en tournée de promo - A year-long enormodrome tour - pour le double-platinum Ritual De Lo Habitual. Il y a en tout sept groupes à l’affiche de la tournée : Red Hot Chilli Pepers, Ministry, Ice Cube, Soundgarden, les Mary Chain et Pearl Jam. Les seules gonzesses dans le tas, c’est Lush. Elles se retrouvent dans un monde «that agreesively radiated muscle and testosterone», les Peppers et Ice Cube étant les pires. Miki en profite pour se régaler tous les soirs du set des mighty Mary Chain. Elle rend aussi un hommage virulent à Ministry - La seule réponse possible au set de Ministry, c’est l’awe-struck submission. The cacophony of industrial pounding, pile-driving guitars and Al Jourgensen scream-growling like Beelzebuth over nerve-shredding samples is like being crushed by the Apolcalypse - Sa description est criante de véracité. En plein milieu de la tournée, Miki voit débarquer Gibby Haynes, le chanteur des Butthole Surfers. Il vient duetter avec Ministry sur «Jesus Built My Hot Rod». Miki est fan des Botthole et de leur visceral chaos, mais elle n’arrive pas à engager la conversation avec Gibby - All I get for my effort is a yeah-whatever eye-roll and the cut-to-the-chase line: ‘How about we just go up to your hotel room - you can suck my cock while I lick your pussy - Fin de la conversation. Pour l’anecdote, Miki relate tous les excès d’Al Jourgensen dans les hôtels, il y en a deux pages pleines, c’est du mayhem à l’américaine avec des amplis qui passent pas la fenêtre et tout ce qu’on sait déjà. Elle raconte tout ça très bien. Miki est tellement défoncée qu’un soir, elle veut jouer au moshpit et se lance dans le public d’une scène beaucoup trop haute. Les gens s’écartent et elle se retrouve à l’hosto, miraculeusement vivante.

             Mais à Londres, des gens n’aiment pas Lush. Miki rapporte pas mal d’incidents. Un bloke s’adresse à elle : «Are you that bird out of Lush ?», elle opine du chef et le bloke lui dit : «Your band’s fucking shit.» Un autre lui demande un autographe, elle le signe, alors le mec fout le papier dans sa bouche, le mâche et le crache sur les godasses de Miki avec un air de dégoût.

             Une tournée américaine a lieu en 1996 avec Gin Blossoms et les Goo Goo Dolls.  C’est un plan monté par leur manager. Miki et Emma savent qu’elles vont au casse-pipe, car Lush n’est pas fait pour ce type d’affiche. Miki parle d’un complete mismatch. Le seul bon souvenir qu’elle conserve, c’est Imperial Teen - great band and old-school friendly - Elle raconte aussi que Ian Astbury monte sur scène chanter «Ciao!» avec Lush - Mais il y a un léger malentendu, pendant la répète, l’Astbu leur dit qu’«it’s a bit skiffle, isn’t it?», il croit que c’est une cover de l’«Eddie (Ciao Baby)» du Cult. Chris is laughing so hard he can barely play the drum - Elle traîne aussi à cette époque dans les parages de Primal Scream - Bobby Gillespie, high as a kit at some do, me fait taire en me mettant directement la main au panier et me fixe dans le blanc des yeux tout en se pourléchant les babines - Alors elle accepte ce type de comportement, puisque c’est un moyen d’être admise dans le sérail. Mais elle s’aperçoit très vite qu’elle n’est pas faite pour jouer la carefree 24-hour party person. Elle n’est pas de taille pour ce type d’exploit sportif. C’est l’époque de l’ecstasy et ses amis en font une consommation gargantuesque. Elle finit souvent la soirée assise dans un coin, «too far gone to move», incapable de bouger.

             Parmi les groupes qu’elle croise dans les tournées, elle flashe sur Babes In Toyland, «cathartic and compelling on stage, earthy and friendly off.» Miki ajoute qu’après leur set, les Babes picolent sec et tiennent mieux l’alcool que les mecs - they drink enveryone under the table - Et puis bien sûr, nous avons droit à un petit panorama de la scène indé, Miki nous sort les noms des Cranberries, de Belly et de Moose, un Moose qui d’ailleurs va devenir son compagnon et le père de ses deux gosses. Puis arrive la Britpop avec Suede, Blur, the Madchester bands - comme elle les appelle - Elastica, S*M*A*S*H, These Animal Men et Pulp. Au début, cette vague lui plaisait bien - a familiar and friendly environment where I feel comfortably at home - Puis le succès de Blur et d’Oasis change la donne, ces deux groupes cultivent «a new mood of swagger, flag-wavingly British in defiance to American ‘grunge’», le fameux Cool Britania. Miki va voir tous ces groupes sur scène et va même traîner dans tous ces backstages avec, énumère-t-elle, «Suede, Pulp, Oasis, Blur, Elastica, Echobelly, Boo Radleys, Salad, Powder, Menwear and all the rest of it. I can’t get away from these fucking bands. Britpop is happening.» D’autres anecdote encore : «Liam Gallagher circles me, wondering aloud when I’ll be ready to fuck him in the toilets.» Bien sûr, Miki s’offusque - Look, je sais que je ne suis pas Mary Poppins, mais ce n’est pas du flirt, c’est du harcèlement. Et derrière ça, il y a un truc dégueu : ça implique que suis demandeuse, pas lui - Comme elle porte des robes très courtes, elle est constamment sollicitée. Pour elle, c’est la façon qu’ont les mecs de vouloir dire : «Si tu veux avoir la paix, fringue-toi comme une bonne sœur.» Miki n’a qu’une réponse à ça : fuck it !

             Mais la Britpop dégénère assez vite. Miki voit cette scène hijacked by elitist dickheads. Elle finit par ne plus pouvoir supporter cette daube, ni les gens ni les groupes - So sorry for being a party pooper, c’est-à-dire une casseuse d’ambiance, je sais que bon nombre d’entre vous had a blast, but I fucking hate Britpop and I’m glad the whole sorry shit-list ended up imploding. I just wish it hadn’t done so munch damage white it lasted.  

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             Lush on les a vu une fois, peut-être deux, avec les Pale Saints. Grands souvenirs des Pale Saints. Lush ? Pas grand-chose. Miki et ses cheveux rouges. Trop punk anglaise pour un Français. Leur premier album s’appelle Scar et paraît sur le tard en 1989. En fait, c’est un mini-album. Il vaut mieux éviter de le réécouter trente ans plus tard, car c’est un son qui vieillit atrocement mal. Miki amène son «Baby Talk» au fast heavy pop-punk mal chanté, ça se noie dans une sauce de sortilèges, toutes les histoires de Nora et d’Ivan rejaillissant dans ce mix de puberté poubelleuse. Avec «Though Forms», les filles de Lush prennent vraiment les gens pour des cons. Ce n’est pas du rock, c’est de la vapeur. Les voix se perdent dans la buée. Miki taille sa route avec «Bitter», elle gratte à la va-vite, mais c’est Chris qui sauve la mise, au beurre. La pauvre Miki ne chante pas très bien, ça se barre en solo d’infraction prostatique, elle parie sur l’énergie punk. On sent bien l’odeur du trash. Ça se termine avec «Etheriel», une petite pop d’ouate. Rien que du son pour du son. Des cuts qui n’en sont pas. Comme chez Mogwai. Même genre de néant paradoxal.

             À cause de sa dégaine provocante, Miki se fait pas mal choper aux douanes, lorsqu’elle descend d’avion. Elle dit avoir rencontré pas mal de douaniers «fermes mais polis, qui font simplement leur job. Mais j’ai aussi rencontré une sacrée ribambelle de power-abusing cunts et je leur réserve a front row of panoramic-view seats on the kamikaze flight into the mountainside of my vengeful imagination.» C’est bien dit, Miki. Mort aux vaches !

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             Deux ans plus tard paraît Spooky. Ambiance très spooky, très pop anglaise d’époque, hétéro-éthérette, un «Nothing Natural» chanté à la féminine accrochée au plafond, mais pas de truc en plume, juste de l’ouate, un ruisseau d’ouate. Petit son indé ridicule, pubère et drainé, parfois plombé, pas beau, presque féministe. Elles amènent d’ailleurs «Ocean» au petit océan féministe, c’est gorgé de féminité au point que ça ne passe pas, chant trop Lushy, pénible, humide, ridiculous. So ridiculous ! Spooky peine à jouir. L’hyper-féminisme tue la pop dans l’œuf, même si «For Love» remonte le courant, wild as fuck. Joli titre que ce «Superblast». Les filles l’honorent, elles sortent le fast blow avec des voix d’écho et ça devient une pure merveille. Elles peuvent se montrer terrifiques, avec ces voix d’entre deux eaux, c’est l’apanage du Lush-moi-là, énorme tension, ça redevient presque sexuel tellement c’est humide et chaud. Et puis d’autres cuts naviguent dans les méduses, Miki et sa copine Emma traînent dans les eaux troubles de la mauvaise pop d’époque, de la fast pop gorgée d’indie scum, cocktail périlleux de grosses attaques et de voix de femmes. Ça finit par insupporter. Album produit par Robin Guthrie, ceci expliquant cela.

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             Quand Split paraît en 1994, Miki sent bien que Lush est en décalage avec la scène grunge et Oasis - Split est trop fragile et introverti pour rivaliser avec les nouvelles tendances (out of step with the times) - Pourtant l’album est excellent, Miki t’embarque dès «Kiss Chase» avec du big heavy sound. On peut même parler de wall of sound, avec de somptueuses palanquées d’accords, il y a des grattes partout, all over the rainbow, le son vibre de toutes ses fibres. L’autre gros shoot de wall of sound s’appelle «Undertow», amené au bassmatic demented de Phil King, il télescope la gratte de Miki, ça taille à la serpe, le cut sonne comme la marée du siècle, Miki et Emma te plombent ça aux grattes des enfers, elles font un placard total de wall of sound. Et puis tu as une petite triplette de coups de génie, à commencer par le bien nommé «Blackout». Ah comme elles sont bonnes ! C’est explosif et allumé aux voix éthérées, et ce batteur dément qu’est Chris bat tout à la vie à la mort. Elles sont encore dans une énergie considérable pour «Hypocrite», Miki te court sur l’haricot, elle te pèle le jonc, elle te trashe tout l’UK, oh Miki, the wild chick ever ! Elle t’enflamme le British Beat, là tu halètes car elle te le fait avec la langue de feu, c’est du wild punk so far out, cet «Hypocrite» est tellement bon qu’on finit par dire n’importe quoi. Split un album fantastique dont on n’a pas idée tant qu’on ne l’a pas écouté. «Lovelife» est encore du big biz. La Miki, tu lui colles au cul, tu ne la lâches plus. Avec elle, l’incroyable se produit, c’est-à-dire la renaissance des grattes, les pluies de poux, les proliférations de tombées somptueuses, on la suit, la Miki, elle étale ses draps au grand jour. Encore un cut accueilli à bras ouverts : «The Invisible Man». Elle file sous le vent, elle taille sa route à la serpe. C’est un album qu’on écoute jusqu’à plus soif. Et puis tiens, voilà encore un sacré coup de génie : «Lit Up». Allumé direct. Trente-six chandelles. Encore un festival de big fat wild as fuck. Elle parvient à se hisser au sommet du lard fumant, elle te claque les meilleurs accords d’Angleterre, elle injecte un gros shoot d’overdrive, elle maîtrise le placage et finit par te hanter. Te voilà transformé en château d’Écosse. Merci Miki !

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             Le quatrième et dernier album de Lush s’appelle Lovelife et c’est encore un very big album. Miki devient ta reine d’un soir. Gros son dès «Ladykillers» - My attempt at writing a hit - elle chante à la petite retorse, c’est très anglais, très inspiré, bien solidifié au ciment de voix de femmes. Elles injectent des couches de power en dessous du chant. Dans son book, Miki dit que «Ladykillers» «was my one concious effort to give the rabble what they seemed to be asking for.» Ça devient extrêmement impubère avec «500», presque Brill, tellement c’est sucré. Encore de la belle pop candy avec «I’ve Been Here Before». Cette pop est d’une qualité insolente. Miki chante à l’ingénue libertine. Tout est sexué à l’extrême sur cet album. Avec «Single Girl», elles sonnent comme les Pixies, même genre de ferveur, c’est très riche, gorgé de Gorgones. Attention, ce genre d’album devient vite tentaculaire : il te prend tout ton temps. Back to the wild side avec «Runaway». Elles savent lever des vagues de heavy pop, c’est une pure énormité, grattée serrée. Dans leur élan, elles tapent «The Childcatcher» en mode fast London pop, elles jouent au rebondi avec une belle féminité et une incroyable énergie. Le son est là, juste derrière et toujours ce chant impubère d’ingénue libertine. Elles referment la marche avec «Olympia» et une flûte de Pan. Ah quelle belle pop de Brill ! Elles savent guider le candy dans la vulve du Brill, c’est une vocation. Elles distillent des harmonies vocales d’une pureté extrême.

             Miki sent venir le déclin de Lush. La scène a changé depuis les grandes heures de Lollapalooza et de Jane’s Addiction. Pour le public américain, Lush était à l’époque un groupe exotique - an unfamiliar new band - Mais cinq ans ont passé. Pour elle, un macho element s’est installé, les Américains ne réagissent plus qu’aux groupes qui leur parlent et ils ne tolèrent plus de voir deux «sappy English girls qui ne font même pas l’effort d’être sexy». Cette dernière tournée américaine avec Mojave 3 est une catastrophe. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase et Emma annonce qu’elle jette l’éponge. Elle a très bien compris que le temps de Lush est révolu et que le groupe n’aura jamais de succès aux États-Unis. L’obsession des deux managers successifs à vouloir forcer le marché américain a fini par avoir la peau du groupe. Pour calmer le jeu, Emma indique que Lush peut continuer sans elle. Elle cite l’exemple de Suede qui a redémarré sans Bernard Butler. Mais Miki n’est pas d’accord : «No Emma, no Lush.»

             C’est la mort de Chris qui aura la peau du groupe. Chris déprime depuis que sa poule l’a quitté et il tente de retrouver le moral en allant se ressourcer chez ses parents à la campagne. C’est là, dans une grange, qu’on le retrouve pendu - Out of sight and hard to find - Son père, inquiet de ne pas le voir revenir de sa promenade, a fini par découvrir le corps de Chris pendu.

             La chute du book est vertigineuse. Miki n’en finit plus de dire que Chris était son préféré. Au commencement de Lush, ils ont vécu un moment ensemble et sont restés très proches après leur séparation - La famille de Chris espère que nous continuerons avec Lush, ils nous donnent leur bénédiction. Mais j’ai su à la seconde où j’ai appris la nouvelle de sa mort qu’il n’y avait aucun avenir. No future. Tout ce temps passé à supporter les crises d’Emma, tout simplement parce que j’avais besoin d’elle. Mais j’avais encore plus besoin de Chris. He was the happy soul of Lush et sans lui, ça n’a plus aucun sens.

             Miki n’est pas si vieille. Elle n’a que 56 ans. Et deux enfants. Elle termine là-dessus. Après la mort de Chris, la vie a repris ses droits. Merci Miki, enchanté d’avoir fait ta connaissance.

    Signé : Cazengler, Louche

    Lush. Scar. 4AD 1989

    Lush. Spooky. 4AD 1991

    Lush. Split. 4AD 1994

    Lush. Lovelife. 4AD 1996

    Miki Berenyi. Fingers Crossed: How Music Saved Me From Success. Nine Eight Books 2022

     

     

    Le feu au Cult - Part Two

     

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             Quand Ian Astbury s’exprime dans la presse, on aurait tendance à ne pas trop le prendre au sérieux. Il vaut mieux le lire après l’avoir écouté, car c’est là qu’on commence à le prendre au sérieux. Ainsi, quand il déclare : «Individually we’ve been through a hell of a lot. It shines in our music», on comprend ce qu’il veut dire. The Cult est un groupe capable d’aligner une série d’albums extrêmement impressionnants, tous chargés de climats délétères et de démesure, quelque part entre Killing Joke et les Afghan Wigs. Deux autres points de repères : Rick Rubin les produit et l’Astbu est obsédé par le shamanisme des Indiens d’Amérique. Le décor est vite planté. On dit d’eux qu’ils transcendent les genres. Pour transcender les genres, il faut une voix et un son. Pas de problème. L’Astbu fournit la voix, Billy Duffy/Rick Rubin le son. «Towering guitar riffs» et «songs to match their bravado», nous dit Vive Le Rock. L’Astbu et Billy Duffy ont des racines : Southern Death Cult pour le premier et Theatre Of Hate pour le second.

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             Ce sont les mecs de Crass qui orientent le jeune Astbu fraîchement débarqué en Angleterre sur les pratiques religieuses des Indiens d’Amérique. Il se souvient même du livre qu’on lui a prêté dans le squat de Crass : Black Elk Speaks, de John Neihardt, un ouvrage sur les rites sacrés des Sioux Ogala. Quant à Billy Duffy, il en pince pour les Gretsch White Falcon.  

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             Paru en 1984, Dreamtime est un album qui ne marche pas. Déjà, la pochette fout la trouille. Le prêtre aux joues scarifiées te fixe d’un regard mauvais. Il manque sur cet album le souffle qu’on va trouver sur les albums suivants. C’est, disons-le, petitement produit. Rien n’explose dans Dreamtime. L’Astbu cherche le spirit des shamans dans «SpiritWalker», il a raison, il invoque le mythe du body spiritwalker, il chante tout ce qu’il peut, mais la prod n’est pas au rendez-vous, et le Cult sans prod, ça ne marche pas. Encore un cut de heavy singer avec «Butterflies» et il chante «Go West» comme s’il s’en foutait. Il attend des vagues de son qui ne viennent pas. Go West young man ! L’Astbu reste pourtant le seul maître à bord. Il pèse de tout son poids sur toutes les décisions - Everything - Tu te régales de l’écouter chanter, l’Astbu de tous les abus. Mon royaume pour un cheval de son ! Ils attaquent «Gimmick» à l’attaque, l’Astbu ne sait faire que ça dans la vie, attaquer. Alors il attaque. Pas de halte. Droit devant. Tagada tagada voilà l’Astbu. La force de l’album, c’est la pochette.

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             The Cult, c’est avant toute chose l’histoire d’une voix, celle d’Astbury. Sur Love qui date de 1985, «Nirvana» et le morceau titre sont là pour la révéler. One two three four ! Power-chordage all over et un Astbury qui remonte péniblement à la surface de cette mer de son. Sa voix fait partie de celles qu’on n’oublie pas. Il est élancé, fougueux, fumant. Un étalon ! Il va chercher ses effets là-haut sur la montagne. L’Astbu sait chanter. Le gros Cult amène «Love» au stomp de riff raff. De toute évidence, ces mecs en pincent pour la heavyness. Ils jouent dans les règles du gros lard et l’Astbu se bat avec le stomp. Reconnaissons qu’il existe un esprit Cult. S’ensuit un sombre «Brother Wolf». Il est vite dans le décor, l’Astbu. C’est un rôdeur né. Il se fond dans l’ombre, il rôde comme un dieu de l’antiquité. Voilà qu’il pleut des accords dans «Rain». Ça ne surprendra personne. L’Astbu arrive sous un parapluie pour chanter - I’ve been waiting for her - Il s’engage à fond, c’est une ultraïque de la posologie, un concerné de la 25e heure. Les coups de wah qu’on entend dans «Phoenix» sont ceux des Stooges. Ah oui, aussi incroyable que ça puisse paraître ! Tu as là toute la wah de Ron, ça rougeoie, ça joue dans la nuit ! Fire ! Fire ! C’est à partir de ce genre d’épisode que tu décides de suivre un groupe. Il ne faut pas croire ce que les canards de rock français ont pu raconter sur The Cult, qui n’a jamais été un groupe de hard rock. Non seulement les gens étiquettent, mais ils étiquettent mal. L’Astbu est un titan, il jette tout son poids dans la balance, il a le power et l’élégance. La basse est au-devant du mix dans «She Sells Sanctuary». L’Astbu chante de manière extrêmement agressive et pop en même temps. He can sing anything.

             Ils deviennent alors énormes et s’envolent pour une tournée mondiale de neuf mois. C’est à cette époque qu’ils entrent en contact avec Rick Rubin.    

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             Sur Electric, tu trouveras l’imparable cover de «Born To Be Wild» qu’Astbu chante aux charbons ardents. Pur génie. L’Astbu se l’approprie, alors évidemment, Billy Duffy en rajoute, mais ce n’est pas du meilleur effet. La seule valeur ajoutée est le chant de motor running d’Astbu, il enfonce son clou in the highway à coups de marteau sacré, comme le ferait Thor. Alors Electric devient un très grand album. Encore un coup de Jarnac avec «Love Removal Machine» monté sur les accords de «Start Me Up». Ça donne un combat de titans, Jag versus l’Astbu, alors l’Astbu jette tout son corps dans le combat. C’est quand même gonflé de la part du gros Cult que d’aller pomper aussi ouvertement. Mais ça passe, vu qu’Astbu ramène du gusto à la tonne. Même chose dans le «Wildflower» d’ouverture de bal, il force la mesure aussitôt entré en lice, il chante d’une voix d’ouïe de poisse-caille agonisante et il devient tétanique. On reste dans l’énormité avec «Peace Dog», il sculpte son chant dans la glaise du sonic boom, il bosse avec ses pognes, il s’accroche à la matière avec une niaque extravagante, ya yah ! il est le power-shaker ultime, il ne sait faire qu’une seule chose : entrer dans le chou du lard avec tout le gusto de l’undergut. Et dès qu’il peut, il allume, comme le montre encore «Aphrodisiac Jacket», aocch ! C’est vite noyé de son, il chante sous un déluge d’accords terrifiques, cette fois Duffy vole le show, ses descentes d’arpèges sont un chef-d’œuvre, il faut suivre un groupe comme le gros Cult, car ils n’en finissent pas de réserver de bonnes surprises. Sur «Electric Ocean», l’Oh yeah d’Astbu est si pur qu’on l’accueille à bras ouverts, il cultive les clichés, mais il le fait vraiment bien. Leur «King Contrary Men» est un gros boogie-rock digne de Mountain qu’Astbu chante à fond de train, avec un Duffy en embuscade qui s’arrange toujours pour qu’on ne l’oublie pas. Duffy est un vrai renard dont le défaut serait d’être trop bavard. Ils terminent cet album superbe avec «Memphis Hip Shake» qu’Astbu ultra-chante. Il appuie sur la moindre syllabe, yeah-eh et donne des consignes : shake the world.

             Mais le groupe tire trop sur la ficelle. Billy Duffy décide de quitter Londres pour s’installer à Los Angeles et l’Astbu s’installe à Toronto. C’est là qu’ils vont enregistrer Sonic Temple avec Bob Rock, un producteur inexpérimenté.

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             Avec cet album, le gros Cult continue son inexorable progression. Pas de coups de génie sur Sonic Temple, mais des belles énormités, à commencer par le «Sun King» d’ouverture de bal, avec un Astbu qui secoue le cocotier du rock dès son entrée en lice - I’m a sun king baby - Il sait de quoi il parle. L’Astbu ne recule devant aucun excès. Ils font du simili Led Zep avec le «Medecine Train» final. Duffy repart dans le vieux boxing day de big bad strut de Medecine Train et les chœurs font le train. La SNCF devrait prendre le «Medecine Train» comme gimmick pour les annonces dans les gares. Autre coup de semonce : le «Soldier Blue» de Buffy Sainte-Marie qu’ils stompent en mode Gary Glitter. Voilà Buffy au palace glam. Curieux mélange. Quoi que fasse le gros Cult, c’est toujours sur les rails, même si, comme c’est le cas avec «American Horse», on se demande si c’est du lard ou du cochon. Ils ont une notion du son qui nous dépasse complètement. L’Astbu monte bien «Sweet Soul Sister» en neige, mais c’est avec «Soul Asylum» qu’il rafle la mise. La heavyness est son pré carré, il amène ça au so many times et plonge dans un chaudron de sweet soul asylum. Ils tapent ensuite «New York City» avec Iggy en backing vocals, et «Automatic Blues» sonne exactement comme le «Rock’n’Roll» de Led Zep. Même jeu de dupes, avec toute la grandeur élégiaque qu’on peut imaginer.

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             Malgré sa pochette un peu putassière à la U2, Ceremony est un bon album. On vendrait son père et sa mère pour «Heart Of Soul», c’est joué à la surface d’un gratté d’acou et la voix d’Astbu crawle comme le Crawling King Snake, ses écailles luisent dans l’ombre, il se développe dans l’ovaire du rock et devient tentaculaire. Cet homme est une bête fantastique, il chante sous un déluge d’accords, il t’accompagne dans la démesure jusqu’à la fin, il vise le non-retour de big city, tu as peu de choses dans l’histoire du rock qui vont aussi loin. «Full Tilt» vaut aussi le déplacement, ne serait-ce que pour son fabuleux claqué d’accords anglais, c’est même l’une des intros du siècle dernier, avec celles de la Stonesy. Le gros Cult vise en permanence l’éclat mythologique, avec l’Astbu qui tient fabuleusement bien la baraque. Encore une grosse dégelée de heavyness avec «Bangkok Rain». On voit rarement d’aussi belles heavynasseries, surtout lorsqu’elles sont serties d’un Astbu à l’éclate. Il monte toujours par-dessus, même quand c’est noyé de wah. On reste dans la heavyness avec le morceau titre d’ouverture de bal. L’Astbu avance dans le son avec des pieds d’éléphant. On pourrait qualifier ce qu’on entend ici de heavy boogie blues d’ultra rock, mais un heavy boogie blues d’ultra rock ravagé par des vinaigres de disto. Ça te sonne bien les cloches, en attendant. L’Astbu démarre son «Wild Hearted Son» aux chants de guerre indiens. Bel hommage, mais ça ne sert que de prétexte. Les blancs reprennent vite le pouvoir sur les rouges. Tu n’es pas chez Buffy, cette fois, tu es chez le gros Cult. L’Astbu qui est au-devant du mix hurle comme dix. On admire au passage les vents de folie. Dans «Earth Mojo», l’Astbu pousse des petits cris de bête, on le voit monter tout seul en température et pour corser l’affaire, Duffy passe un wild killer solo, alors l’Astbu peut encore pousser des petits cris de bête. Ah on peut dire que les deux font la paire ! Non seulement ils cultivent la démesure, mais ils sont incompressibles. Le destin des cuts se dénoue chaque fois dans un Big Atmospherix avec un Duffy qui pique des crises. Et bien sûr, l’Astbu veille à rester un chanteur hors normes. Il semble conduite l’«If» comme un attelage de char, yeahhh ! On le voit aussi écraser son champignon dans «Sweet Salvation». Comme il est ce qu’on appelle une force de la nature, il peut chanter torse nu au sommet de la montagne. C’est bien pire que de chanter par-dessus les toits. Il vise les vrais sommets, il court les aventures, il tartine tout ce qu’il peut, il est le grand tartineur devant l’éternel. Heavy as hell.

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             La pochette de The Cult paru en 1994 préfigure celle de Choice Of Weapon : figure barbare sur fond blanc. Cette fois, c’est un bouc à quatre cornes. L’album propose en outre un coup de génie et une stoogerie. Par quoi on commence ? La stoogerie ? Elle s’appelle «Be Free». C’est en plein dans l’œuf de Pâques, ce sont les accords de «TV Eye», l’Astbu arrive, sec comme un feu, il se jette à l’assaut comme un guerrier indien, et là tu as tout, la violence du chant et la violence du son, mais l’Astbu ramène en plus ses c’mon c’mon et tout son power barbare. Le coup de génie se trouve vers la fin : «Universal You». L’Astbu monte à l’extrême assaut, on ne peut pas imaginer pire assaut. Sonic genius ! Une vraie marée. Encore une vraie dégelée avec «Emperor’s New Horse», même choc esthétique avec le fabuleux confessionnal qu’est «Saints Are Down». Il redevient le chanteur énorme que l’on sait avec «Sacred Life» - Hey sister/ What is sacred in your life - Il est l’un de ces grands chanteurs qui se savent se confronter aux réalités. «Gone» sonne comme une pluie d’acier, c’est un son qui relève de l’extrême et l’Astbu rôde dans le chaos. C’est sa spécialité. Il tombe sur le râble de sa dégelée. Personne ne peut le battre à ce petit jeu. On le voit encore remonter à la surface de «Coming Down (Drug Tongue)», il surplombe sa propre profondeur, sa voix ouvre des gouffres et cette façon qu’il a de monter au sommet de l’Ararat n’est pas si banale. Il charge bien la barque de son «Black Sun», c’est d’une grande portée, mais pas un coup de génie. Le gros Cult tape parfois dans la prévisibilité sans nom des abysses lovecraftiennes et finit par sacrifier l’émotivité sur l’autel de la Trinité. Duffy pompe les accords de «Cold Turkey» pour «Joy» et retour aux choses sérieuses avec «Star». Quelque chose de monstrueux y prend forme et l’Astbu entre là-dedans au believe in freedom. Il est violemment bon et ça tourne vite à l’insurrection. Il shoote tellement que ça s’auto-télescope dans des chaos de guitares. 

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             L’Astbu et Billy Duffy finissent par se fâcher en 1995. Alors l’Astbu monte les Holy Barbarians et enregistre un seul album Cream. Rrrroooarrr, l’Astbu rugit de plus belle dès «Brother Fights». Si tu as besoin de son, il est là, à profusion. L’Astbu sera un rock’n’roll animal ou ne sera pas. C’est encore une fois du big rockalama extrêmement chanté, percuté d’accords dans l’enfer de l’excelsior. Le guitariste s’appelle Patrick Suggs. L’Astbu ramène tout le power de son autorité, il navigue au niveau des géants comme les Doors ou Led Zep. Et comme tous les géants, il s’accorde un havre de paix, le morceau titre, que Scuggs survole comme un vampire. Retour au power avec «Blind», dans un whirlwind de guitares, l’Astbu chante à l’héroïque homérique, il redevient considérable. Avec «Opium» il tape dans l’opium du peuple et son «Space Junkie» te tombe sur le râble, l’Astbu se montre lourd de conséquences, aw my Gawd comme c’est bon, il t’encadre l’énormité comme seul peut le faire un grand shouter, il est l’égal de Jimbo. Encore plus stupéfiant, voilà «You Are There» qu’il attaque à la force tranquille de François Mitterrand, il module sa mélodie sur le toit du monde, c’est un grimpeur, le cut devient magique tellement il est bien balancé, joué aux accords de rêve, cette fois l’Astbu rejoint les Screamin’ Trees de Dust, même vibe ! Avec un mec comme lui, il ne faut plus s’étonner de rien. Il termine avec une entreprise de démolition, «Bodhisattva», il monte à l’assaut car c’est un vainqueur et comme il n’a rien perdu de ses réflexes, il passe à travers les murailles.

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             Puis il enregistre un album solo, Spirit/Light/Speed. On se doutait bien qu’il s’agissait d’un big album. L’Astbu ne sait faire que ça dans la vie. Des big albums. Il ramène tout de suite du son, dès «Back On Earth», il lance l’assaut très vite, c’est sa raison d’être. Il tape toujours dans le même registre : King Kong, c’est moi le plus fort ! Il est déjà all over tous les autres, rien qu’au chant. On entend des machines dans «High Time Amplifier», mais ça ne l’empêche pas de chanter au tranchant, il chante au génie pur, il passe en force, il en rajoute, il est là pour toi, et ça continue avec «Devil’ Mouth» et «Tonight (Illuminated)», c’est défoncé, alors tu es défoncé, ça devient logique, ça explose sans prévenir, il rôde dans le présent du rock, son ombre plane sur nous et puis voilà «The Witch (Sit Return)» attaqué au riff de fuzz, c’est un push, il peut te balancer le pire heavy fuzz box in the face, oh yeah yeah, voilà même le pire gaga Cult de l’univers. Le pire du pire. On se croirait à l’âge d’or du Cult. Il est chaque fois en plein dans le mille. Encore du fantastique power d’évocation avec «El Ché/Wild Like A Horse». Il monte là-haut sur la montagne, yeah you/ You’re wild as a horse, le chant s’enlace au guitaring, c’est exultant d’and you ! Te voilà encore avec un big album sur les bras.

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             L’Astbu et Billy Duffy se rabibochent en 1999 pour enregistrer un nouvel album : Beyond Good And Evil. Force est de constater qu’il s’agit une fois encore d’un very big album. Au moins deux coups de génie : «Take The Power» et «My Bridge Burn». Avec Power, ils se noient dans le son, tout est submergé de son, l’Astbu a encore des réflexes de niaque, il parvient à survivre à cet enfer, c’est allumé sous le feu, ce cut est au-delà de tout ce qu’on peut imaginer, avec un Astbu qui parvient à chanter au-dessus de cette immense fournaise. Il attaque «My Bridge Burn» de front. Voilà encore une fabuleuse dégelée, le son est comme gorgé de retours de manivelle et de coups de wah, les coups de manivelle sont ceux de Ron Asheton et Duffy part en maraude comme un requin, celui des Dents De La Mer. Tout est beau comme un incendie urbain sur cet album, tiens comme cet «Ashes & Ghosts», un vrai blast, cette façon qu’il a de hurler dans la tempête fait de l’Astbu un génie, il blaste de plein fouet le Wall of Sound. Puisqu’on en parle, on le retrouve dans «War (The Process)», le Wall of Sound t’écrabouille d’entrée de jeu et tu as là la pire bass fuzz de l’histoire du rock, avec en plus un Astbu qui screame dans la soupe, woh-oh-oh, les vagues de son te submergent, tout explose. The Cult ! Wall of Sound encore dans «Speed Of Light», bien tartiné à la main lourde, woof, ça s’abat sur toi comme un énorme cataplasme de son, ces mecs sont d’épouvantables diables cornus, ils truffent le chou du lard de tous raffinements de l’enfer et Duffy asticote le brasier à la wah. C’est d’une rare violence sonique. Et comme d’habitude, l’Astbu chante au-dessus de tout ce bordel. On a aussi un «Shape The Sky» surchargé de son, d’accords et de drumbeat, de chant et de ressac de chant, et balayé par les vents de Duffy. Avec «The Saint», l’Astbu tape dans l’heavy brutalité du son, ces mecs naviguent hors des normes, bien au-delà du bien et du mal, comme l’indique le titre de l’album. L’Astbu s’en va chanter à la pointe du Raz, tout est monté en mayo pourrie, tout ici tue les mouches. Leur «Rise» se raye des cadres à coups d’accords, ils continuent de flirter avec le pouvoir absolu. L’écoute en soi est une expérience, tout est démesuré, tout tangue dans la cambuse. Sur «Nico», l’Astbu chante un peu comme Bono, c’est pas terrible, mais soudain, le cut prend feu, oui, le feu au Cult - Hey Nico stay strong in this world/ My girl - Rien d’aussi grandiose - I watched your spirit fly/ Across the velvet sky - et ça plonge dans le straight to hell. Seul l’Astbu peut monter un coup pareil

             Comme leur relation avec Atlantic se détériore, l’Astbu reprend son vol, c’est-à-dire son indépendance et rejoint Kreiger et Manzarek dans Riders On The Storm. Mais le projet est vite ratatiné par la famille de Jimbo d’un côté, et John Densmore de l’autre.

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             C’est Youth de Killing Joke qui va produire Born Into This. Avec cet album, l’Astbu n’en finit plus d’évoluer. Il envoie des déluges dès le morceau titre, il chante au sommet des désastres, c’mon, il ne tient plus la rampe qui s’est écroulée avec l’immeuble, mais le son tient bien la rampe. L’Astbu ramène même des chœurs de Dolls pour faire bonne mesure. On reste dans la destruction avec l’un des trois coups de génie de l’album, «Sound Of Destruction». Il entre en lice avec une niaque unique au monde, il est wild as fuck, le wild king of the Cult, cette façon qu’il a d’awiter est vraiment unique. «Diamonds» ? Okay, c’est du big heavy rock inspiré - She got diamond here - Tout chez le gros Cult relève d’une puissance inexorable. L’Astbu rebondit dans la vie et se passe volontiers des commentaires. Encore un coup de génie avec «Citizens», pas de problème, puisque l’Astbu bénéficie de l’un des meilleurs sons de la galaxie. Il se goinfre de cette masse en fusion et chante comme un dieu. Prod exemplaire. L’Astbu ramène du power jusqu’au bout du Citizen. Et voilà «Dirty Little Rockstar» attaqué à la basse de Néandertal, t’es foutu d’avance. Puis il éclate un pauvre balladif, «Holy Mountain». Il l’éclate à la classe pure. Il chante son gut out. Comme l’indique son nom, «Illuminated» est joué aux accords lumineux. L’Astbu passe en overdrive et lance son shine on. Power absolu ! Avec «Savages», il transplante son art dans l’épaisseur du son. Born Into This s’adjoint un mini-LP quatre titres. Tu dois te débrouiller, car tu as zéro info, pas de track-list, pas de rien. L’Astbu refait des siennes avec «Stand Alone». Il se projette aussitôt au sommet des possibilités. Il balaye tout son spectre. On l’admire. Impossible de faire autrement. «War Pony Destroyer» est le son des heavy exécuteurs. On entend glisser les lames. Mais ce qui frappe le plus, c’est le gusto de l’Astbu. Il entraîne son cut à travers une mer de flammes. On trouve une nouvelle mouture d’«I Assasin» - Me & my darkness/ Alone oh-ohh - Il remonte à contre-courant du son malade, comme un baron de l’An Mil, il festoie seul à sa table, avec des clameurs qui font peur. Nouvelle version de «Sound Of Destruction» où il sonne comme Iggy, mais avec son propre style. Il monte vite dans l’excès - I don’t feel anymore - Il s’éclate bien dans les vagues et ce n’est qu’une démo ! On tombe ensuite sur la full version de «Savages», l’Astbu reste un shouter exceptionnel, un pusher de push, n’allez pas prendre le gros Cult pour un groupe de série B.

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             Croisée du regard dans un bac de Gibert, la pochette de Choice Of Weapon ne laissait pas indifférent. Ce fut même le coup de foudre. Avec une pochette pareille, l’album ne pouvait être que bon. C’est un raisonnement qu’on a souvent tenu au fil du temps. Parfois ça marche, parfois ça ne marche pas. Dans ce cas, on peut dire que ça a marché. L’Astbu s’est déguisé en sachem indien, de ceux qui font vraiment peur et qu’on n’aurait pas aimé rencontrer au coin du bois à une certaine époque. Mais ce qui fait vraiment peur, c’est la suite de l’image à l’intérieur du gatefold : l’Astbu bandit un couteau de chasse indien. Ce n’est pas un opinel. D’ailleurs le cut d’ouverture de balda s’appelle «Honey For A Knife» et on sent tout de suite la présence de ce chanteur impressionnant. Il dispose d’une fantastique énergie du chant. Avec ce Knife, le Cult vise l’absolu cultissime, le power des tribus primitives d’Amérique. L’Astbu finit par avoir des faux accents de Screaming Trees. Il est le seul à pouvoir approcher cet art suprême. Il se bat pied à pied avec les vertiges, il vise l’immensément épique tout ici est porté par le chant. Avec «Life Death», il s’en va chanter là-haut sur la montagne, il en devient élégiaque. On entend encore les accords des Screaming Trees dans «For Animals». Incroyable consanguinité. Astbu chante le wild des prairies et des montagnes sauvages, il est le dernier mountain man de notre époque, comme le montre la pochette. Tout sur cet album est aussi épais qu’ambiancier, comme sculpté dans l’argile. C’est une masse. Avec «Lucifer» en B, l’Astbu durcit encore le tom, il va chercher des accents de plus en plus profonds, you are my Lucifer, il ne rigole plus, il nous entraîne dans des abîmes de perdition, on savait qu’il ne fallait pas lui faire confiance. «A Pale Horse» est une histoire de combat, you don’t stand a chance et il redevient l’un des plus grands hurleurs devant l’éternel avec «The Night In The City Forever». On trouve un deuxième disk dans le gatefold, c’est un EP quatre titres et le côté Screaming Trees revient avec «Every Man And A Woman Is A Star». S’ensuit le magnifique «Embers» et ses clameurs souveraines, c’est incroyablement drivé sous le heavy boisseau des légendes anciennes. Si on en pince pour la grandiloquence, alors le Cult est le groupe idéal. Il devient impressionnant à force de grandiloquence. Le côté élégiaque reprend le dessus avec «Siberia», ce qui paraît logique, vue l’étendue du territoire. 

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             Attention à Hidden City. C’est l’un des plus brillants albums de ce début de XXIe siècle.  Tu prends n’importe quel cut au hasard et tu es content du voyage. Tiens, on va prendre par exemple «Deepley Ordered Chaos». Ces mecs te tombent tout de suite dessus et tu ne peux rien faire. Tu entres en saturation comme d’autres entrent en religion, le gros Cult ne fait plus du rock mais du concassage extraordinaire avec un Astbu coulé dans la craie, il pèse de tout son poids sur cette fantastique débauche de plâtras, les accords sont beaux comme des haches qui s’abattent, tu ne peux pas échapper à ce carrousel d’extrême violence, l’Astbu est partout dans le ciel, il sonne comme un fléau biblique et Duffy abat ses haches d’accords avec une régularité qui fout la trouille, cette façon qu’il a de filocher à travers le son est unique au monde, tu passes sous les fourches Caudines du gros Cult, alors tiens-toi bien ! Un autre exemple avec «Hinterland». Hey ! Il rentre dans le chou du lard comme une épée. C’est à la fois une épée et une explosion. Te voilà suspendu dans les arcanes du son, et l’Astbu chante comme un beau diable, il amène des dimensions qu’on croit connaître, mais non, il crée un monde, il prend son temps, il chante par en dessous et soudain il tape dans l’Hinterland et ça dégringole de partout, tu as là l’un des plus beaux shakages de l’univers, with you/ Forever with you, il s’exacerbe, c’est un cut plein d’épisodes, il remonte à la surface des nuées avec des remugles plein la bouche, ça explose dans une soupe infâme de solos morts-nés, dans un océan d’avanie larvaire, Duffy fait tout ce qu’il peut pour survivre, c’est overwhelming et terrific, l’Astbu continue de monter son with you dans l’Hinterland, son poignant with you my love, c’est du génie pur, vibré comme du béton dans la gueule de Moloch. Et puis tu as «Birds Of Paradise» et sa belle profondeur de champ, beaucoup d’espace, idéal pour un déclameur hugolien comme l’Astbu. Il répand son souffle, il pose son chant comme s’il posait ses conditions et ça devient l’enfer sur la terre. C’est parce qu’il chante le Paradise que ça devient génial. Des chœurs des Dolls accompagnent cette descente aux enfers du Paradise. On descend littéralement dans la cave du Cult, mais l’Astbu veut la lumière du Paradise, alors il explose comme Lucifer, c’est d’une beauté tétanique. Il incarne l’ange déchu et fait glisser les accords dans la lumière, et là-bas, au loin, les chœurs qu’on entend ne sont pas ceux des anges, mais ceux des Dolls. L’Astbu pose sa voix sur l’acier en fusion. Des arpèges le transpercent, on sent le souffle de sa voix au dessus du brasier et là tu as certainement l’un des plus beaux cuts de l’histoire du rock. L’Astbu crée l’émotion des précipices. Et le redémarrage est une merveille unique au monde. Rien qu’avec ces trois cuts («Hinterland», «Birds Of Paradise» et «Deepley Ordered Chaos»), on est gavé. Pourtant, on trouve d’autre briseurs de noix sur cet album, comme par exemple «No Love Lost». L’Astbu y est le Chanteur Contre Le Pacifique. C’est le seul mec à savoir le faire. Son power dépasse celui des mots, comme chez Duras. Il pleut du feu. Alors tu te prosternes. Le «Dark Energy» d’ouverture de bal est aussi un passage obligé, car wild as fuck, avec un Astbu debout sous une pluie d’accords. Comme il est avant toute chose un seigneur, il se relève dans les décombres, c’est son numéro préféré, il sait faire le phénix du rock, le voilà dressé au beau milieu des décombres pour chanter. Et puis tu as encore «Dance The Night», visité par la grâce barbare, ce démon d’Astbu bénéficie de toutes les largesses de l’apocalypse. C’est encore une fois noyé de son. Il monte toujours à la rencontre d’un cut comme un sous-marin, et le plus souvent, il le torpille, mais c’est pour son bien. Tu vas tomber de ta chaise en écoutant le heavy sludge de «GOAT» et avec «Lilies», tu verras l’Astbu monter son chant par dessus la muraille de Chine d’un Wall of Sound, c’est gorgé de climats, terriblement texturé, taillé dans l’albâtre sonique. Encore de l’inexorable avec «Heathens». Ça te frise les moustaches. Sa voix vibre, jusque dans le cœur de l’atome. On note que Bob Rock produit tous ces albums géniaux.  

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             Sur Pure Cult. The Singles 1984-1995, on croise pas mal de vieilles connaissances, comme par exemple «Star», tiré de Choice Of Weapon et saturé de son, ou «Love Removal Machine», tiré d’Electric et saturé de Stonesy, ou encore «Heart Of Soul», tiré de Ceremony, ou encore «Wild Hearted Son», tiré lui aussi de Ceremony, et puis aussi «Sun King» dont on a déjà dit tout le bien qu’il faut en penser, au moment de Sonic Temple. L’Astbu propose en permanence un mélange de pleasant et d’unpleasant, il a des réflexes de wild rocker, comme Iggy Pop ou Roy Loney. Ce sont des gens qui savent chevaucher un wild beat. Le gros Cult sort du lot comme les Doors sortaient du lot, par la seule aura du chanteur. Ian Astbury est le prince des clameurs. Cette compile de Singles est très bien faite, elle permet de faire le tour du propriétaire et d’écrémer la crème de la crème. Le gros Cult mise tout sur le heavy sound. C’est un autre monde. Ils amènent «The Witch» à la basse fuzz. Une bénédiction !  L’Astbu explose «In The Clouds» au pur power d’hardcore king. Il se fond ensuite dans le bad ass groove de «Coming Down», c’est du sérieux et ça bascule une fois encore dans le limon de tes rêves inavouables. Il emmène «Wild Flower» au sommet du lard fumant, il monte vite sur ses grands chevaux et ça atteint une fois encore le sommet du lard fumant.

    Signé : Cazengler, peigne-Cult

    The Cult. Dreamtime. Beggars Banquet 1984

    The Cult. Love. Beggars Banquet 1985    

    The Cult. Electric. Beggars Banquet 1987   

    The Cult. Sonic Temple. Beggars Banquet 1989

    The Cult. Ceremony. Beggars Banquet 1991

    The Cult. The Cult. Beggars Banquet 1994  

    The Cult. Beyond Good And Evil. Atlantic 2001

    The Cult. Born Into This. Roadrunner Records 2007

    The Cult. Choice Of Weapon. Mystic Production 2012

    The Cult. Hidden City. Cooking Vinyl 2016  

    The Cult. Pure Cult. The Singles 1984-1995. Beggars Banquet 2000

    Holy Barbarians. Cream. Beggars Banquet 1996

    Ian Astbury. Spirit/Light/Speed. Beggars Banquet 1999

    Lee Powell & Duncan Seaman : All glory/ Electric. Vive Le Rock # 91 - 2022

     

     

    Wizards & True Stars

    - Battle Fields (Part Four)

     

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             Il se pourrait fort bien que Lee Fields soit la dernière superstar de la Soul américaine, ce qu’Ahmet Ertegun appelait autrefois the original black American music. Dès que Lee Fields arrive sur scène, tu réalises qu’il est l’héritier direct de James Brown. Bootsy booty. Une vraie bête de Gévaudan. Chaque fois qu’il revient en France, il donne l’impression d’être encore plus vorace. Son secret ? Le wild as fuck, c’est-à-dire le raw de la Soul. Comme Sharon Jones, il concentre tous les pouvoirs, à commencer par le Black Power. Il vient en direct de l’I’m Black and I’m Proud, des poings levés de Tommie Smith et John Carlos à Mexico, du Doctor King et de Malcolm X, de Solomon et de Wicked Pickett, de Sly Stone et de Sam & Dave, du prophète Isaac et d’Aretha, il hérite de la spacio-génétique de Funkadelic, il dit et redit, pour les ceusses qui ne l’auraient pas encore compris, la grandeur du peuple noir, une grandeur qui passe par le pont des arts. La Soul est l’art nègre par excellence.

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             Lee ramène tout le saint-frusquin : la revue, les pas de danse, l’hot sax, les boots, les screams, la sueur, le juju, le mojo, les Flames, le funk, le feel, le fool, le fame, le feu, l’Afro, Lee t’enlise, Lee te lie à lui, Lee te lilipute, Lee luit dans les spots, Lee boit le calice jusqu’à la lie, Lee creuse le lit de la Soul, Lee voit loin, Lee ne pâlit pas, Lee verse des larmes, Lee te donne la lune, Lee Lady Lay, Lee lime, Lee t’élit, Lee t’allume, Lee t’allonge, Lee t’ilote, et soudain, Lee te ramène aux réalités avec un numéro de funk digne des grandes heures de son mentor, Jaaaaaaaames Brown :

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

    il bloque le funk dans ses starting-blocks, le doigt sur la couture du pantalon, alors la gratte tinguelite et déclenche l’enfer du funk sur la terre avec «Money I$ King», Brother ! Il te harangue et te harponne - sad sad world where money is king - alors la nef des fous bascule dans l’enfer du paradis. What the hell ! Hey, t’auras jamais ça ailleurs. Il sort aussi le vieux «Standing By Your Side» d’Emma Jean pour rocker sa Soul, cette Soul progressiste qui te marche dessus comme une armée de l’antiquité lancée à la conquête des continents, c’est à ça et à vraiment ça qu’on mesure l’immense power de Lee Fields, c’est son côté mitterrandien, cette merveilleuse force tranquille black qui n’en finit plus de résonner sous ton crâne de mort, ça bat comme un pouls, ça bat comme un cœur.

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

    Le fameux heartbeat d’Eric Burdon, tu l’entendras chez Lee de la terre. Et tu ne t’en lasseras jamais. Encore un numéro de cirque avec «Two Jobs», tiré du nouvel album, il raconte son histoire et la revue se met en ordre de marche, c’mon babe, diable comme ces mecs sont bons, rien que des petits culs blancs, mais des bons, bassman hocheur de tête, gratteux sobre mais claquemureur, sax man wild and frantic, beurreman milord-l’arsouille, shuffleman à la Georgie Fame, et Lee ergote comme un funkster, han ! sa femme lui dit Lee ramène du blé et Lee tape two jobs, joli prétexte à groover cette nef qui valse dans les grasses Sargasses de la Soul, Lee égrène les heures d’o’clock, c’mon baby, si tu veux danser sur le beat, c’est là que ça se passe.

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

    Et puis, la cerise sur le gâtö, c’est bien sûr le coup du lapin : «Honey Dove» en rappel et là Lee te tue, mais tu meurs de bonheur, il revient en gilet jaune et tape dans le dur de sa Dove, l’un des plus grands hits des temps modernes - My baby love/ My honey dove - Lee la tire à l’infini, sa Dove - You’re hurting me honey/ Right down to the bone - il en rajoute des minutes et des minutes qui sonnent comme des minutes de Sable Mémoriel, il multiplie les faux adieux et n’en finit de demander à la foule si elle est heureuse, alors la foule rugit bien, Lee veut l’entendre encore rugir, alors la foule fait yeah yeah, Ooh, baby My baby love, tu en veux encore ?, tiens en voilà encore, il part mais ne part pas, il fait son cirque jusqu’au bout de ses forces, profite bien du bout de ses forces, car t’es pas près d’en voir d’autres des bouts de ses forces pareils, Lee t’en vas pas, mais il faut bien qu’elle aille au lit, notre True Star. Eh oui, mon gars, Lee a 72 balais. Vénérable. C’est pour ça qu’on le vénère. 

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             Alors qu’on le croyait un peu usé par le temps, il refait la une de l’actu avec un album superbe, Sentimental Fool. D’où cette tournée de promo.

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

    Sur la pochette, il pose au milieu des cocotiers et il casse aussitôt la baraque avec «Save Your Tears For Someone New». Comme il vient de confier son destin à Daptone, il ne pouvait espérer de meilleur catchin’ up. Les Dap-Kings soignent Lee jusqu’au délire, le Save Your Tears sonne comme une merveille apocalyptique, c’est l’accumulation des forces qui rend le cut surnaturel : genius de Lee + genius de Daptone, ça donne de l’extraballe gorgée de power sous-jacent. L’autre coup de génie de l’album s’appelle «Without A Heart», un vrai shoot de Daptone shuffle. Lee grimpe à cheval et part à la conquête de l’Ouest. Il est rompu à tous les arts, surtout celui du wild as fuck. Les Dap-Kings drivent ça bien, tu as encore le génie de Lee Fields qui court sur la crête - Summer rain in my heart - Rien de plus expressif, de plus pressant, ça roule avec des percus de caboche et un extraordinaire relentless de shuffle d’orgue. Absolument demented ! Avec «Forever», il est tout de suite en selle, il va droit sur la Soul intense et moite. On est là pour ça et Lee Fields ne te déçoit jamais. Il faut aussi comprendre que cette heavy Soul ne parle pas à tout le monde. Son concert en Normandie n’affiche pas complet. Lee Fields fait de la heavy Soul, écrasée comme une prune sous le soleil exactement. Ça commence à groover sérieusement avec «Two Jobs», sur fond de shuffle d’orgue, et Lee ramène sa voix de James Brown, alors il t’éclate le Sénégal et tape un fantastique shoot de jive. Puis il te plonge dans le chaudron de la pire Soul de froti avec «Just Give Me Your Time». On n’avait pas vu un tel chaudron depuis le temps de «Please Please Please». Derrière, ça joue fabuleusement, aux notes déliées, don’t worry baby. Prod magique, comme d’habitude chez Daptone. Encore une merveille avec «The Door», les violons te happent, don’t leave me, c’est du big biz claqué derrière dans le mix. Ça se joue à un autre niveau, avec des couches supérieures et des effets de claquettes. Il fait encore merveille dans «Ordinary Lives», il fait du heavy Lee, il plante ses crocs dans la Soul, c’est un vrai scorcher, une fantastique présence, il incendie son crépuscule. Il passe au plus dansant avec «Your Face Before My Eyes», Lee est un vétéran, il sait mener un bal, il sait allumer la belle Soul de Daptone au plus haut point. Et puis cette fantastique aventure s’achève avec «Extraordinary Man», il fait sa prière, il n’est pas celui qu’elle croit, c’est bien plombé. Cet homme admirable se plie aux aléas du destin et c’est orchestré rubis sur l’ongle.

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             Oh et puis le voilà en couve de Soul Bag. Et six pages à l’intérieur. Dans l’interview, il parle bien sûr de son retour chez Daptone, après la fin de son contrat chez Big Crown. Gabe Roth  ? Il le connaît depuis belle lurette et s’entend bien avec lui. Pas de problème. Lee explique que Gabe lui présente des chansons, et il choisit. Lee confirme que Sentimental Fool a été enregistré au nouveau studio Daptone de Riverside, en Californie. Il évoque bien sûr ses vieux souvenirs de l’early Daptone en 1996, il évoque aussi ses vieux amis Sharon Jones et Charles Bradley. Mais au fond Lee n’a pas grand-chose à dire. Ce n’est pas un baratineur.

    Signé : Cazengler, Lee figue, Lee raisin

    Lee Fields. Le 106. Rouen (76). Le 11 février 2023

    Lee Fields. Sentimental Fool. Daptone Records 2022

     

    L’avenir du rock - La reine Elizabeth

     

             Pour se changer les idées, l’avenir du rock décide d’aller faire un tour à dos de chameau dans la Vallée des Rois. Avec sa chéchia, son nez courbe, sa barbe miteuse et son accent arabe, le guide est tellement caricatural qu’il semble avoir été dessiné par Hergé. Il précède l’avenir du rock de quelques mètres, juché sur un petit âne dont il bourre les flancs de coups de talons pour le faire avancer.

             — Li glande pylamide qué tu chouffle, sahib, ci celle du BiBi Kingue !

             — Diable, elle est deux fois plus grosse que les autres !

             — Les plêtles d’Anoubis pas ligoler avé Bibi Kingue, sahib ! Lui guitaliste pléfélé du gland Osilis.

             — J’aurais jamais cru que les dieux avaient aussi bon goût. Et la plus petite, à côté ?

             — Ci la pylamide dé Fleddie Kingue, sahib ! Lui guitaliste pléfélé du gland Holus.

             — Franchement, Mohammed, cette Vallée des Rois est du meilleur goût ! J’imagine que la pyramide suivante qui ressemble à une grosse glace fondue est celle d’Albert King...

             — Blavo Sahib ! Ci bien la pylamide d’Albelle Kingue, lé loi de la blouse-loque ! Lété fondu passe qui lé le pléfélé du gland Lâ. Tlop chauffé la caboche, hi hi hi !

             — Et toutes ces petites pyramides qu’on voit alignées par derrière ?

             — Cille là, Sahib, ci la pylamide du gland Eal Kingue di la Nivelle Ourlian, et a coti, ti as la pylamide du gland Ben I-Kingue, les pléfélés d’Anoubis.

             — Et celle qui est en construction, là bas ?

             — Ci celle d’Ilizibite Kingue, mais les ouvliers sont lentlés au village.

             — Pourquoi donc ?

             — Y faut attendle qu’Ilizibite casse la pipe, Sahib ! Ilizibite elle chante encole dans son village. Si tou veux Sahib, yé peu te vendle son delnié alboumme. Ci pas cher !

     

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             L’avenir du rock n’en revient toujours pas d’avoir trouvé le nouvel album d’Elizabeth King dans le désert. Il l’a eu en plus pour pas cher.

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

    Il s’appelle I Got A Love, et sort sur Bible & Tire Recording Co., un label qu’on a salué ici-même voici quelques mois. Cette fois, la Reine Elizabeth opte pour une pochette psychédélique. On croit tenir dans les pattes un bootleg californien de Captain Beefheart, mais rassurons-nous, c’est bien elle, et elle attaque au fast heavy groove de Bible & Tire avec «What You Gotta Do». Si on aime le heavy gospel, on est servi. Elle enchaîne avec un pur r’n’b, «Stand By Me», elle te drive ça droit dans le mille, elle chante à la clameur du oh no de stand by me, le beat est d’une rare violence et ça bascule dans la folie cavalante. Il secoue les colonnes du temple. S’ensuit «I Got A Love», le truc de Jimbo Mathus, d’une rare intensité, ça sent bon la mainmise - Like a haunting stroll through the dark Memphis streets/ With a desperate cry of love and affection - Elle passe sans crier gare au gospel rock avec «I Need The Lord». Elle t’allume ça dans la lucarne au heavy gospel batching ball et Will Sexton gratte ses poux. On retrouve sur cet album la même équipe que sur l’album précédent, avec Sexton, tu as Mark Edgar Stuart (bass), George Stuppick (beurre) et Matt Ross-Spang, (second guitar). Le Master of Ceremony reste bien sûr Pastor Juan D. Shipp, personnage de légende dans le monde du gospel local. «My Robe» dégage bien les bronches, oh my robe ! , elle te monte ça vite fait en neige, oh my robe !, elle le danse dans l’entre-deux, aw, la classe de la Reine Elizabeth, elle le perpétue jusqu’à la fin des temps, oh my robe !, te voilà arrivé dans l’art sacré. Avec «I Know I’ve Been Changed» elle remercie Jésus de l’avoir changée. Et ça se termine en heavy loco de gospel des seventies avec «My Time Ain’t Long», une divine apocalypse. 

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             Lors de leur passage en Normandie, les Como Mamas avaient tellement marqué les cervelles au fer rouge qu’on est resté sur le qui-vive. Dès que paraît un Bible & Tire Recording, on lui saute dessus. Tiens justement, en voilà un de taille : The D-Vine Spiritual Recordings. Les liners nous indiquent qu’Elizabeth King est restée 33 ans avec ses Gospel Souls et qu’elle a élevé 15 gosses. The D-Vine Spiritual Recordings est une compile de Memphis Gospel batch, mais à l’ancienne. Ça démarre avec un «I Heard The Voice» enregistré en 1972, fantastique alliage de sensibilité et de power qui fut, nous dit le producteur Juan D. Shipp, un gros succès. Il avait demandé à Elizabeth King de chanter comme si elle faisait l’amour à Dieu - Nobody could sing like the original - Puis comme sait si bien le faire le gospel, ça explose avec «Wait On The Lord». Le coup de génie de l’album s’appelle «Here Waiting». Elle allume la gueule du gospel et ça tourne à la magie pure, elle détient le power d’Aretha - I find in Him sweet rest - Elle explose le batch, le gang joue heavy et les Gospel Souls chantent à la criée avec tout le jus du doo wop. Elle profite de «Jesus Is My Captain» pour amener Jésus en feulant dans la nef des fous de l’église en bois. Elle chante ça sous le boisseau de l’autel, elle rampe un temps pour mieux rejaillir et éclater dans la rosace d’une cathédrale imaginaire. Quel boulot ! On est encore plus effaré par «I Found Him» : c’est la classe du gospel croon de Broadway in Memphis, elle se barre en heavy groove de gospel jazz - I found him to be my hellbound chaser/ I found him to be my midnight rider - Incroyable tension du batch. Tout est beau sur cet album miraculé. La reine Elizabeth fait de la Soul de gospel, elle chante à la vie à la mort, comme une lionne, elle est l’Aretha des pauvres, la Soul Queen de Memphis, même si on sait qu’Aretha est elle aussi originaire de Memphis. Elle fait du r’n’b primitivo-spirituel. 

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             En 2021, la reine Elizabeth est devenue une vieille dame quand elle enregistre Living In The Last Days. Elle n’a plus la même voix. L’album décolle avec «He Touched Me». Les Vaughn Sisters font les chœurs, c’est très fin, quasi-chirurgical, tellement précis, à l’ozone près. Elle enfile une série de gospels classiques (gospel d’orgue avec «Living In The Last Days», Memphis beat avec «Mighty Good God» et heavy shuffle avec «A Long Journey»). Puis ça se met à rocker avec «Reach Out And Touch», monté sur un beau bassmatic ballochard. Avec «Walk With Me», elle demande beaucoup à Lawd - Lawd be my friend/ Don’t leave me alone - Elle attaque «Cal On Him» à la Sam Cooke. La reine Elizabeth termine cet album attachant avec l’a capella de «Blessed Be The Name Of The Lord», la voilà pure et dure, et elle enchaîne sur le plus beau des hommages : «You’ve Got To Move», le vieux classique de Mississippi Fred McDowell. Mister Jag et tous les repreneurs, prenez des notes.  

    Signé : Cazengler, Elizabête comme ses pieds

    Elizabeth King. Living In The Last Days. Bible & Tire Recording Co. 2021

    Elizabeth King & The Gospel Souls. The D-Vine Spiritual Recordings. Bible & Tire Recording Co. 2019

    Elizabeth King. I Got A Love. Bible & Tire Recording Co. 2022

     

     

    Inside the goldmine

    - In the Mud for love

     

             Personne n’aurait pu dire ce que Mad avait au fond du crâne. Et ce n’est pas faute d’avoir essayé de comprendre. Pendant des années, nous avons chevauché ensemble, mais il demeurait impénétrable, même lorsqu’il affichait son prodigieux sourire de gamin. Il ne parlait jamais de lui, sauf pour indiquer qu’il avait toujours eu les cheveux blancs, depuis sa plus tendre enfance. Lors des bivouacs, il grattait sa guitare à la folie, il torturait à n’en plus finir des thèmes de flamenco et nous avions beau lui répéter qu’il fallait garder le silence pour des raisons de sécurité, rien n’y faisait. Il grattait deux fois plus fort. On devait nous entendre à des kilomètres à la ronde et c’est un miracle que les chasseurs de primes ne nous soient pas tombés dessus. Mad ne craignait pas la mort, il avait déjà traversé le miroir. Il semblait observer les vivants comme on observe des curiosités. On se méfait un peu de lui, car il pouvait avoir un côté très dangereux. On l’avait vu à l’œuvre dans des saloons, il provoquait des rixes pour un rien. Il ne sortait son six coups que pour tuer à coup sûr, et souvent pour des prétextes bénins, du genre un malencontreux échange de regard ou simplement une tête qui ne lui revenait pas. Un vrai crotale. Il valait mieux être son ami que son ennemi. Mais personne dans le gang n’était vraiment sûr de lui à cent pour cent. Il chevauchait avec nous, c’est tout. Nous avions besoin d’hommes de sa trempe pour monter des coups sur les villes de la frontière, et peu de gens osaient encore risquer leur peau pour un sac d’or. L’or n’intéressait même pas Mad. Il nous laissait sa part et retournait gratter sa gratte. Quand il ne grattait pas, il fabriquait de l’alcool de cactus. Il en trimballait toujours des bidons accrochés en travers de sa selle et nous en offrait de grandes lampées lorsqu’on fêtait la réussite d’un casse. Son alcool de cactus montait droit au cerveau et pouvait assommer un bœuf. Mad pouvait en boire de grandes lampées au goulot de son bidon et rester de marbre. Un matin, on s’est réveillés et Mad avait disparu. Avait-il seulement existé ?

     

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             De la même façon que Mad, Mud fait partie des compagnons de route qui sont aussi des anomalies, et c’est justement parce qu’ils sont des anomalies qu’on se souvient d’eux avec autant de précision. Dans le courant des early seventies, les champions du glam savaient défrayer la chronique, mais d’une certaine façon, Mud raflait la mise. Ils intriguaient. Leurs pochettes ne laissaient pas indifférent. Ils flirtaient avec le pastiche, comme d’ailleurs les Rubettes, mais ils excellaient dans un genre purement britannique : le hit glam. Dans Vive Le Rock, le bassman Ray Stiles raconte l’histoire de Mud. Oh, cette histoire n’apporte rien de plus que les autres histoires, elle est celle de tous les groupes anglais qui rament pendant des années, qui jouent dans le circuit des cabarets et qui décident un jour de passer pros. En 1968, ils vont tourner en Suède, ils enregistrent deux ou trois singles qui ne marchent pas et se retrouvent au point de départ. Mickie Most les repère, leur conseille de changer de nom, leur propose Hot Chocolate, une idée soufflée par John Lennon, et leur dit de revenir le voir quand ils auront cassé le contrat qui les lie à leur agence. Retour au point de départ. Tournées en Angleterre. Mais comme tout le monde parle de Mud, Mickie Most dresse l’oreille. Il les signe en 1973 et les met dans les pattes de Chinnichap, le duo de compositeurs maison qui bosse pour RAK et qui fournit des hits à Sweet et à Suzi Quatro. Et pouf c’est parti !

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             En 1974, Mud fait sensation avec Mud Rock, paru sur RAK. Les Mud boys démarrent avec un hit signé Chinnichap, «Rocket», bien glissé sous le boisseau. C’mon now ! Son de rêve. Ils tapent ensuite une double cover «Do You Love Me/Sha La La La Lee» dans une fantastique ambiance. Big glam sound encore avec «Running Bear», le plus beau son de glam de l’an de grâce 1974. On retrouve cette grâce glammy en B avec «Dyna-Mite/The Cat Crept In/Tiger Feet», un véritable chef-d’œuvre. Ray Stiles indique que Sweet n’a pas voulu de «Dyna-Mite». Le reste de l’album tourne bizarrement en eau de boudin. Mais bon, à l’époque, l’amateur de glam savait se satisfaire de trois hits. C’est au moment de l’enregistrement de ce premier album que les Mud boys se posent la question du look. Comme son oncle est un Ted, Ray Stiles propose le look Ted, mais Rob Davis l’arrange à son goût. Le résultat de leurs cogitations se trouve sur la pochette de Mud Rock.

             Ray Stiles précise en outre que dans le duo Chinnichap, Mike Chapman était le real deal. Il était en studio avec les groupes. Nicky Chinn était plus un hustler, il négociait des coups, notamment les passages à Top Of The Pops. «Nicky pour le business, Mike pour la musique, ils s’entendaient bien», nous dit Stiles.

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             Il faudrait accrocher quelque part un écriteau disant : «Merci de ne pas prendre Mud pour des clowns». C’est en tous les cas ce qu’inspire l’écoute du Mud Rock Vol. 2 paru en 1975. «Living Doll» est du pur glam rock de Chinnichap. Ils tentent l’Elvisserie avec «One Night» et c’est du solide. Tout est solide chez Mud, le chant, le solo de Rob Davis. Ils font aussi une belle cover de «Tallahassee Lassie». Power pur ! C’est la prod RAK, bien rik et rak, c’mon baby ! Mais le chef-d’œuvre de l’album est la cover d’«Oh Boy» en B, une gospel cover de Buddy Holly, un suprême hommage, tapé à la perfection harmonique, when you’re with me Oh boy ! Ces gens-là sont des démons. Tous ceux qui ont entendu cette version d’«Oh Boy» à l’époque en sont restés marqués. Ils terminent avec une version kitschy kitschy de «Diana» et Rob Davis ulule dans le son avec des notes grasses et sirupeuses.

             Puis ils font une grosse connerie : il quittent RAK et Chinnichap, car Private Stock leur propose un gros paquet de blé. Quatre fois plus que Chinnichap, nous dit Ray Stiles.

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             Leur premier album pour Private Stock s’appelle Use Your Imagination. En ce temps-là, on savait faire des pochettes. Ah il faut voir leurs dégaines dans leurs costards bleus, ce sont de vrais glamsters. Ils démarrent l’album sur le pur glam d’«R.U. Man Enough», c’est-à-dire «Are You Man Enough», mais il faut attendre «Hair Of The Dog» pour renouer avec le vrai glam anglais : énergie, chaleur des chœurs, tout est là. Et la pulsion du beurre ! Ils tentent aussi le diable avec «Don’t Knock It», ça reste altier, pas trop maniéré et joué avec maestria. Ils font aussi des pastiches de rock’n’roll, comme ce «43792» monté sur le riff de «Something Else». Avec l’«L’L’Lucy» qui ouvre le bal de la B, ils sonnent comme Ziggy. C’est encore une fois excellent, plein de jus, battu sec et net. C’est avec le morceau titre qu’ils créent la surprise : ils tapent dans un groove de pop de très haut niveau, ce groove de good time music semble tomber du ciel. Beau comme un cœur. Ils virent plus poppy avec «Under The Moon Of Love». Rien de surprenant car c’est signé Tommy Boyce. Si tu es assez fan de Mud pour aller rapatrier la Mud Box sortie chez Cherry Red, tu vas tomber sur des bonus extraordinaires : «My Love Is Your Love» (une étonnante smooth pop, et là Mud devient un groupe passionnant qui sait se fondre dans le fondu) et «Don’t You Know» (Pop de charme, pure magie).

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             Depuis qu’ils ont quitté RAK, ils perdent de l’altitude. Ils rencontrent le même problème que les Monkees : en voulant leur indépendance, les Monkees se sont coupés de Don Kirshner et de Boyce & Hart, donc d’une source inépuisable de hits. It’s Better Than Working est un album nettement moins dense, et la pochette n’est pas du meilleur goût. Une sortie d’usine n’est pas un objet de plaisanterie. Tu trouveras un peu de glam en B avec «Note Of The Tiles», mais ils le jouent un peu trop vite et finalement, le compte n’y est pas. Puis ils basculent dans la putasserie avec «How Many Times» et «Don’t Talk To Me». Leurs atroces kitscheries n’ont aucun avenir. Dommage, car l’«It Don’t Mean A Thing» s’annonçait bien, aux frontières de la pop et du glam. C’est encore le son de l’Angleterre heureuse, juste avant Thatcher. Mais on remarque très vite une grave carence compositale. Ray Stiles & Rob Davis, ce n’est pas la même chose que Chinnichap. Ray Stiles & Rob Davis se lancent à l’assaut des charts et ça ne marche pas. Ils tentent de revenir au glam pur avec «Blagging Boogie Blues», mais ça bascule vite fait dans le fast n’importe quoi. Même remarque que précédemment : tu vas trouver dans les bonus de le Mud Box un «Time & Again» digne des Beatles de «Rocky Racoon». Et comme le dit si bien Phil Hendricks, Mud perd avec cet album ce sense of fun and bonhomie qui les caractérisait si bien, à quoi Les Gray ajoute : «I think we got too big for our boots. We were thinking we were Steely Dan.»

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

             Retour au glam sur Rock On avec deux cuts : «Who You Gonna Love» et en ouverture de bal de B, «Careless Love». C’est le heavy boogie down d’Angleterre, bien porté par un bassmatic chevrotant. Les Gray chante «Careless Love» au tremblé émotif, porté par l’excellent stomping ground de Mud, et Rob Davis tire son solo à quatre épingles, oh c’mon, le son est tellement parfait ! On retrouve le Mud qui pondait jadis des hits glam intemporels. Cet album pourrait bien être le grand retour de Rob Davis qui éclaire «Burn On Marlon» d’un solo luminescent et «Let Me Get (Close To You)» d’un solo d’urgence claquante. Le reste des cuts n’est pas très convaincant. Dommage qu’ils n’aient pas capitalisé sur leur stock de glam attitude. Ils terminent l’album avec un gros clin d’œil à Eddie Cochran : ils reviennent au rock’n’roll avec une belle version de «Cut Across Shorty». Ils devraient le faire plus souvent, ils amènent leurs couplets aux clap-hands, dans leur environnement glam et ça redevient étonnant. Côté Mud Box et bonus, on se doit de saluer «Let Me Out», un puissant instro. Avec Rob Davis, c’est forcément du tout cuit. Ils font aussi une cover du «Just Try (A Little Tenderness)» d’Otis, mais en mode glam, it’s over/ tonite, c’est très bon esprit.          

    , lush, the cult, lee fields, elizabeth king, mud, thumos, doors,

            Et puis voilà la chant du cygne : As You Like It, qui sort en 1979 avec une pochette voluptueusement illustrée. Ça part en mode diskö-pop avec «Dream Lover» et on est un peu triste, car Mud restait un groupe à fort potentiel. Ils se sont épuisés. On sauve «1-2 Love» sur cet album, qui bascule dans le glam après un mauvais départ. Ils font même du funk avec «As You Like It», puis du reggae avec «You’ll Like It», puis du gospel avec «So Fine». C’est toujours très solide au niveau son, et même assez beau. Ils font aussi de la pop incertaine avec «Right Between The Eyes». Ils sont parfaitement à l’aise dans tous les styles, puisqu’ils finissent l’album avec du doo-wah-doo-wah des fifties, une belle reprise du «Why Do Fools Fall In Love / Book Of Love» de Frankie Lymon. On salue une dernière fois Rob Davis et son «Roly Pin», planqué dans les bonus, car il crée autant de magie que Peter Green.

             Mud splitte en 1979. Les Gray monte Les Gray’s Mud, Rob Davis joue dans les Darts et Ray Stiles rejoint les Hollies en 1985.

    Signé : Cazengler, Mud alors !

    Mud. Mud Rock. RAK 1974

    Mud. Use Your Imagination. Private Stock 1975

    Mud .Mud Rock Vol. 2. RAK 1975  

    Mud. It’s Better Than Working. Private Stock 1976

    Mud. Rock On. RCA Victor 1978                    

    Mud. As You Like It. RCA Victor 1979 

    Mark McStea : Tiger feet. Vive Le Rock # 91 - 2022

     

    *

    Lorsque Thumos a annoncé vers la mi-juillet que son prochain opus serait Symposium, j’étais encore sous le choc esthétique de Course of the Empire, voir la chronique in Kr’tnt ! 562 du 07 / 07 2022, je n’ai pas eu le réflexe de ramener ce nouveau titre aux antérieures réalisations du groupe. A Course of Empire est une série de toiles du peintre américain Thomas Cole sur le sujet du destin de tout empire, il n’est pas interdit d’y voir une préfiguration pessimiste de la destinée des Etats-Unis… La version metallo-symphonique de l’œuvre de Thomas Cole opérée par Thumos peut ouvrir le champ à de similaires inquiétudes… J’ai passé tout l’été en me demandant à quel évènement, nommé Symposium, de l’histoire des States ce nouveau projet était consacré. Evidemment je m’étais enlisé dans une fausse piste. Je plaide coupable, je n’ai pour toute excuse que celui d’être français, car par chez nous il est très rare de nommer le Symposium selon son vocable original, il répond à un titre nettement plus évocateur : Le Banquet. Non pas le Beggars Banquet des Rolling Stones, mais de celui dont les abeilles de l’Hymette venaient butiner le miel de ses lèvres, j’ai nommé Le Banquet de Platon. En France tout le monde connaît ce titre sans même l’avoir lu, personne n’ignore, notre vieux fond gaulois attaché à la gaudriole aidant, que Le Banquet de Platon parle de l’amour. Evidemment c’est un agréable raccourci, peut-être convient-il avant d’écouter le Symposium de Thumos de nous attarder quelque peu sur le Symposium de Platon.

    LE BANQUET DE PLATON

    lush,the cult,lee fields,elizabeth king,mud,thumos,doors

    Rappelons que Thumos a attiré l’attention de moult amateurs de musique rock par son adaptation – nous reviendrons sur ce terme peu précis – de La République de Platon (voir notre chronique 541 du 10 / 02 / 2022 ). Ces deux dialogues sont dissemblables : comparé au Banquet, La République est beaucoup plus austère, elle évoque un sujet que l’on qualifiera de théorique et que l’on définira grossièrement par la question suivante : quelle sorte de gouvernement pour une Cité idéale ? Selon les catégories platoniciennes du juste et du bon Le Banquet s’intéresse au Beau, qui dit beau pense à beauté et qui dit beauté pense au désir et à l’amour. Tout lecteur se sent directement interpellé…alors que les ratiocinations sur le meilleur des régimes politiques suscite davantage de méfiance et de scepticisme, surtout par nos temps troublés…

    Un banquet était composé de deux parties, l’on mangeait dans la première, l’on buvait dans la seconde nommée Symposium. Le banquet dont il est question dans le dialogue de Platon est terminé depuis plusieurs années lorsque débute l’œuvre. Nous n’y assistons pas en direct si l’on nous passe l’expression. Mais il est resté célèbre non parce que la boisson et les libations aux Dieux se succédant il aurait dégénéré, disons en orgie romaine, mais pour les discours qui y avaient été prononcés. Rappelons que si nous vénérons les textes de la Grèce Antique, l’enseignement était avant tout oral. Le savoir était transmis directement du maître aux disciples. Par exemple beaucoup de textes d’Aristote qui nous sont parvenus sont à l’origine des cours dispensés en salle de classe ou en marchant, une fois la leçon terminée les élèves se retiraient et notaient les paroles du professeur. Ecouter et mémoriser était primordial. L’on ne s’étonnera donc pas qu’Apollodore le narrateur puisse de tête reproduire les longs discours, ou du moins l’essentiel, qui avaient été tenus par les principaux convives tels que les lui avaient révélés Aristodème qui lui avait assisté à ces agapes intellectuelles et duquel la justesse des propos furent plus tard confirmés à Apollodore par Socrate lui-même…

             Pour la petite histoire Apollodore fut un élève de Socrate, il tentera de convaincre Socrate de plaider coupable et de payer une amende dont il se portait caution. Xénophon raconte qu’Apollodore assista à la fameuse scène de Socrate buvant la cigüe mais qu’il fut incapable de retenir ses pleurs… preuve ô combien évidente qu’il n’avait pas encore intégré l’enseignement de son maître…

             Le banquet est donné par Agathon pour fêter sa victoire au concours dramatique en l’honneur des fêtes Lénéennes (fin janvier-début février) dédiés à Dionysos, à Athènes. Après le repas proprement dit vint le moment de boire. Les convives sont fatigués, la veille Agathon a déjà offert à ses amis et invités une grande fête très arrosée… la proposition d’Eryximaque de boire modérément mais d’égayer la soirée en demandant aux participants de prononcer chacun à leur tour un éloge au Dieu Eros est acceptée par tous. 

    Sept discours se succèderont durant cette soirée mémorable. Ce n’est pas un hasard si le Symposium de Thumos comporte huit morceaux.  Pour les personnages évoqués par Thumos nous utiliserons la transcription française de leur nom.

              Un dernier avertissement à l’auditeur qui ne lève pas la nuit pour relire quelques pages de Platon :  malgré le sujet nous ne sommes pas en présence d’un ouvrage joyeux, laissons de côté les représentations romaines du Dieu Eros sous les traits d’un enfant facétieux qui s’amuse à vous percer le cœur de ses flèches redoutables qui peuvent vous rendre heureux ou malheureux si votre amour est, ou n’est pas, exaucé par la personne vers qui se porte vos désirs… Que le lecteur ne soit donc pas surpris par la tonalité grave ou dramatique de cette œuvre.

    SYMPOSIUM

    THUMOS

    ( Snowwolf records / 14 – 02 – 23 )

    lush,the cult,lee fields,elizabeth king,mud,thumos,doors

    Thumos a découpé en huit parties le dialogue de Platon en suivant l’ordre de son déroulement chronologique, il faut avoir écouté l’œuvre en son entier pour en saisir l’unité organique, elle n’est pas composée de huit morceaux indépendants les uns des autres, elle est parcourue de la même tension qui ordonne l’enchaînement des discours successifs, l’on suit une gradation  qui par paliers emmène l’auditeur du plus simple au plus complexe, de l’évidence à l’idée, nous empruntons une courbe élémentale qui nous permet de gravir les échelons qui de la zone terrestre nous conduisent à l’espace éthéré. L’éther est le cinquième élément réservé aux Dieux, c’est son inconnaissance qui influe sur le destin des hommes et le transforme en déclin.  Le Banquet n'est compréhensible que si on le lit selon l’enseignement parménidien du double chemin, celui de la vérité et celui de l’erreur, pour employer des termes plus subtils celui de celui de l’être et celui du non-être. Sans doute Le Banquet doit-il être considéré comme la réponse de Platon à ce que l’on surnomme de nos jours le Traité du Non-être de Gorgias.

    lush,the cult,lee fields,elizabeth king,mud,thumos,doors

    Phaedrus :  ce n’est pas un hasard si Eryximaque a proposé de parler d’Eros, il ne cache pas que ce sujet intéresse au plus haut point Phèdre, celui-ci est un féru de mythologie, les Dieux l’interrogent, il fut toutefois accusé d’avoir participé aux mutilations des statues d’Hermès et à une parodie des Mystères d’Eleusis, toute l’ambiguïté grecque envers les Dieux dans cette dichotomie intellectuelle et comportementale, les Dieux fascinent et révulsent… Plus prosaïquement le procès qui fut intenté aux coupables de ces deux crimes religieux (relevant de la peine de mort) est aussi la résultante d’un féroce combat politique entre les clans politiques qui se disputent le pouvoir, mais ceci est une autre histoire entre démagogie et tyrannie… Mais que déclare Phèdre dans son discours :   il est important de faire l’éloge du dieu Eros proclame-t-il car il est un des premiers Dieux qui soient apparus, ce qui prouve qu’il est un dieu fondamental… Mais pour en revenir aux hommes Eros oblige l’amant et l’aimé à se bien conduire, comment commettre une action honteuse dont on aurait à rougir devant son aimé ou son amant. Eros oblige à se surpasser et même à mourir non pas spécialement pour sauver celui qui survivra mais pour démontrer aux yeux de tous que l’Eros vous a donné le courage de de vous sacrifier pour être exemplaire aux yeux du survivant. Ce raisonnement se comprend parfaitement si l’on se souvient que la société grecque antique provenait de tribus guerrières doriennes dont la guerre était la modalité sine qua non de leur existence. Choisissons deux exemples parmi ceux proposés par Phèdre : après sa mort les Dieux accueillent Achille dans l’île des Bienheureux, il ne s’est pas écroulé après la mort de Patrocle son aimé, non seulement il l’ a vengé en tuant Hector mais par la suite il  a continué à se battre contre les troyens, rien à voir avec Orphée le pleurnicheur qui descend aux Enfers pour qu’on lui rende son Eurydice chérie, les Dieux ne lui permettent pas de la ramener, honte suprême il sera plus tard tuer par des femelles en rut…   Ecoutons maintenant comment Thumos évoque ce discours : l’auditeur à l’âme naïve et fleur bleue sera surpris par la gravité de ce début, l’amour n’est pas un tendre sentiment, la violence de la batterie digne des coups d’épée sur les boucliers de bronze démontrent à l’excès que l’éros est une affaire d’hommes et des plus graves, le morceau dépasse à peine cinq minutes mais la charge lyrique s’amplifie à chaque seconde, pour rester sur une image antique nous avons l’impression d’être au premier rang d’une phalange qui cède et plie sous la poussée ennemie, l’instant crucial où tout, défaite out victoire, est encore possible mais demande un surcroît de courage et d’engagement total de son être. Ne pas confondre éros et amourette. Pausanius : nous savons peu de choses de Pausanias sinon qu’il connaissait Prodicos, sophiste réputé pour sa réflexion sur le langage dont Socrate aurait suivi les enseignements et qu’il fut l’amant d’Agathon celui qui offre le banquet : Ecoutons Pausanias : son discours pourrait être qualifié de plus réaliste, il ne prend pas à témoin les héros de la haute antiquité, il s’intéresse aux hommes de son temps. Il y a Eros et Eros tout comme il existe deux Aphrodites. L’une céleste et l’autre vulgaire. Ceux qui aiment les femmes relèvent de la seconde, ceux qui aiment les hommes pour la simple jouissance de leurs corps aussi. Ceux qui suivent l’Aphrodite céleste sont les amants et les aimés qui entretiennent des rapports non pour une simple jouissance physique mais pour se comporter vertueusement chacun selon son rôle défini par la société. Il entre dans les détails, l’aimé doit être jeune ( et passif ) l’amant plus âgé ( et actif ) , le premier ne cède que pour progresser dans sa manière d’être un bon citoyen, le deuxième pour que son désir ait une action pour ainsi dire pédagogique et sur l’ami et sur lui-même… le rapport aimé-amant ne doit pas ressembler à la domination qui soumet l’esclave à son propriétaire, car ces soumissions sont celles des sociétés barbares et des cités commandées par un tyran. L’arrière-plan politique des représentations amoureuses apparaît nettement dans ce discours. Ecoutons Thumos : le rythme se ralentit mais très vite l’ampleur sonore reprend son incessante intumescence, nous ne sommes plus dans une société guerrière mais dans une cité policée, les jeux de la guerre cèdent la place aux préceptes sociétaux, aux lois, aux règlements, aux usages, à la manière dont sont perçus les bonnes actions et les mauvais comportements, tout se complique, le déploiement de l’influx instrumental devient luxuriant, ce n’est plus les épées et la force qui prédominent mais les regards de tous qui sont peut-être encore plus pesants et inquisiteurs que le choc du bronze et de l’airain, subitement la pression disparaît comme si au total en y réfléchissant tout  ne dépendait que de notre seule bonne conduite individuelle, un simple leurre, une illusion chassée par le doute, ce serait trop facile, la musique devient plus forte, l’on ne plie plus sous la poussée de ses ennemis mais sous le poids de sa propre responsabilité écrasante. Eryximachus : médecin de son état, ami de Phèdre : Lisons l’ordonnance du docteur Eryximaque : commence par critiquer le discours de Pausanias par trop schématique et incomplet. Il n’y a pas d’un côté la bonne Aphrodite et de l’autre la mauvaise, en toutes choses, en toutes sciences, l’on retrouve un mélange des deux Aphrodites, l’art du médecin est de rétablir l’équilibre des contraires entre ce qui dans le corps est en bonne santé et ce qui est malade. L’art du musicien sera de rétablir l’équilibre entre ce qui est trop aigu et ce qui est trop grave. C’est cet équilibre réalisé qui est la marque de l’Eros. L’Eros est comme le remède universel capable de réguler toutes choses, les humaines comme les divines. Eryximaque parle en praticien mais il offre à l’éros la première place, celle de premier régulateur du monde. Comment les praticiens musicaux de Thumos vont-ils ils mettre en pratique l’ordonnance d’Eryximaque ? : en offrant à Eryximaque un background musical d’une plénitude extraordinaire, font comme si Aristote avait décrété que le moteur immobile qui met en mouvement le monde était la musique, Thumos touche en ce morceau au grandiose en le sens où tout est là et rient n’est en trop ni en moins, si ce n’était l’amplitude enthousiasmante de ce court morceau spécifiquement humaine l’on pourrait dire que l’on atteint au domaine souverain des Idées. Aristophanes : l’on ne présente pas ce bouffon prodigieux que fut Aristophane, il n’a jamais rien respecté dans ses comédies, pour ce qui nous concerne, ni Agathon qu’il ne se gênera pas dans ce même dialogue de traiter d’inverti, comprenons de mâle passif, ni Socrate dont dans Les Nuées il trace un portrait à charge corrosif… Pour une fois Aristophane ne nous fera pas rire, ses propos ont fait rêver bien des générations : Aristophane raconte ce que nous nommons le mythe de l’Androgyne. Ces êtres humains primitifs qui possédaient soit un sexe soit les deux sexes, mâle et femelle, que Zeus coupa en deux, si bien qu’au travers de nos amours nous recherchons la moitié perdue… Comment Thumos a-t-il transcrit ce mythe ? : remarquons d’abord que les propos d’Aristophane sont en totale contradiction avec ceux d’Eryximaque qui affirmait que l’on retrouvait en toutes choses la présence de l’Eros alors qu’Aristophane déplore son absence en le lieu que nous privilégions par excellence : nous-mêmes. L’on pourrait accroire que le morceau souffrirait d’une quelconque disparité, qu’il serait comme boiteux, c’est bien ce qui arrive en ses débuts, mais ce vide va prendre une ampleur si démesurée qu’il devient aussi important que la plénitude précédente, mais là où ça sonnait plein, ici ça résonne creux, la musique semble cheminer sur une jambe, tantôt elle court et se hâte comme si elle avait aperçu sa chère moitié pas très loin mais elle a beau presser le pas, gagner en assurance, la voici encore une fois qui claudique, cahin-caha, le son se tortille telle une torpille qui ne sait plus où aller, elle marche comme un clown désespéré, toutefois le désespoir n’est pas sans atteindre à  une certaine grandeur humaine.  

    lush,the cult,lee fields,elizabeth king,mud,thumos,doors

    ( Agathon )

    Agathon : aimé de Pausanias, élève de Prodicos et de Gorgias, sophiste envers lequel Socrate marque quelque déférence, chose rare chez lui, rappelons que c’est Agathon qui offre le banquet. Il passera les dernières années de sa vie à la cour du roi de Macédoine Archélaos, ce qui est le signe d’un engagement peu démocratique… Agathon parle moins des hommes que d’Eros : exactement de sa nature, c’est le Dieu le plus jeune, qui est venu après le règne de la Nécessité qui pendant longtemps soumit les Dieux à ses terribles lois qui engendrèrent conflits et violences entre les Dieux qui se disputèrent le pouvoir. Eros est le plus beau de tous, il fréquente les jeunes hommes qui sont à son image, il est le plus fort sans avoir besoin d’user de sa force,   il triomphe des hommes et des Dieux, il se glisse dans le cœur et l’esprit des hommes et des Dieux et aucun ne le chasse, tous l’accueillent avec plaisir. Il est le véritable guide des hommes. Autour de Thumos de transcrire le panégyrique d’Eros prononcé par Agathon : notes scintillantes de vives couleurs en introduction pour évoquer l’Eros d’Agathon, après les quatre premiers morceaux tempétueux pour la première fois Thumos nous livre un espace de grâce quasi virgilienne, mais cet instant de calme ne dure pas, la musique s’alourdit, certes elle reste éclatante mais elle se doit de montrer la puissance de ce Dieu hyper persuasif à qui personne ne songerait à s’opposer, un Dieu qui n’apporte que plaisir et volupté, ne le regrettons-nous pas lorsqu’il nous quitte, la musique se déploie telle une teinture de pourpre qui nous donne l’illusion d’être investi de la tranquillité et du rire des olympiens, en se glissant en nous, ne nous apporte-t-il pas l’intime conviction que nous vivons dans un monde de beauté et que nous tutoyons les Dieux, l’Eros est un songe que nous refusons de quitter. Thumos nous offre la plénitude du bonheur. Socrates : encre un que l’on ne présente pas. Le super héros qui a toujours raison, quoique vous ayez dit puisqu’il arrive à vous mettre en contradiction avec vous-même. Méfiez-vous s’il commence par vous couvrir de compliments. Ainsi commence Socrate : avouant qu’il est subjugué par la beauté du discours d’Agathon, lui trousse même un fameux compliment puisqu’il le compare aux paroles que prononce ou écrit habituellement Gorgias ( dont il admire l’aisance mais déteste la suffisance, ajoutons-nous).  Socrate ne se livre pas à proprement parler à un discours, il met en marche sa machine à concassage tous azimuts qu’il dirige contre Agathon. Par un jeu de questions-réponses habilement mené il le met en contradiction avec lui-même : Eros ne peut pas être amoureux de lui-même, donc Eros souffre de l’absence de ce qu’il est, de sa beauté et de sa bonté, donc Eros n’est ni bon ni beau. CQFD ! Gros challenge à relever pour Thumos : comme une dissonance en introduction et quelques chuintements de mauvais augure, coups de boutoirs de pelles mécaniques qui s’abattent sur des murs, écrasement total, avance incoercible de rouleaux compresseurs qui réduisent les débris en miettes, immédiatement suivis de tractopelles qui déblaient le terrain comme s’ils repoussaient des jouets d’enfants, mise en œuvre d’une puissance incoercible à laquelle rien ne saurait s’opposer, la musique baisse d’un cran le temps que les auditeurs prennent conscience de la victoire de Socrates sur la branlante faiblesse de tous ceux qui l’ont précédé. Les dernières notes comme le signe de désolation qui s’est emparé des adversaires convaincus de la supériorité éminente de leur adversaire.

    lush,the cult,lee fields,elizabeth king,mud,thumos,doors

    ( Socrate recevant l'enseignement de Diotime )

    Diotima : Socrate ne se vante guère de sa victoire, il ne sait pas (l’hypocrite) s’il sera capable de faire mieux que ceux qui l’ont précédé, il prononce tout de même son discours, mais ce n’est pas le sien, il avertit qu’il ne fera que rapporter un discours qu’il a entendu de la bouche d’une prêtresse de Mantinée qui se nomme Diotima. Evidemment   c’est la Diotima du Banquet qui donnera son nom à l’héroïne du roman Hyperion d’Hölderlin. (Voir notre chronique suivante sur Les Doors.). L’enseignement de Diotima : Diotima tire les conclusions de la démonstration de Socrate qu’elle partage, si Eros n’est ni beau, ni bon il n’est pas un Dieu car les Dieux sont naturellement beaux et bons, il n’est pas un homme, il n’est pas un Dieu, il est mortel et immortel, il est un Démon, ces êtres qui servent d’intercesseur entre les Dieux et les hommes. Eros est pauvre, laid, et peu savant, tel est-il, sans quoi il serait un Dieu, mais de par sa nature il recherche le beau qu’il ne possède pas et nous devons l’imiter. Si nous trouvons l’être aimé nous atteignons un faux bonheur puisque tout être est mortel. Si l’être que nous aimons est beau, il faut s’apercevoir que d’autres jeunes gens aussi sont beaux et comprendre que puisque ces jeunes mortels sont beaux nous nous devons de rechercher  la beauté en tant que telle, dont nos jeunes gens ne présentent que des reflets, nous devons chercher à tomber en contemplation amoureuse à l’intérieur de nous de l’idée de la Beauté… Il est un aspect du discours de Diotime que nous avons occulté, ce qui unit la création poétique à l’immortalité, nous laissons à Thumos le soin de se charger de cette tâche : ce n’est pas la musique des sphères qu’ils nous offrent, se placent  à la fin du discours de Diotime, ce moment absolu où toute tension est abolie, puisque l’Idée apparaît, nous ne voyons pas l’Idée mais ils décrivent la sensation de calme, de quiétude et d’extase libératoire qui vous saisit, ils ne dévoilent pas l’Idée mais la musique claironne brusquement, un éclat de feu inonde nos oreilles, nous n’avons jamais été aussi proches des Dieux.

    lush,the cult,lee fields,elizabeth king,mud,thumos,doors

    ( Entrée d'Alcibiade )

    ( Tableau d'Anselm Feuerbach : Le Banquet de Platon - 1873 )

    Alcibiades : si l’on omet les penseurs et les poëtes de la Grèce antique, les deux personnages historiaux les plus fascinants que les Grecs nous aient laissés sont Alexandre et Alcibiade. Ce dernier est moins connu du grand public, si les Dieux ont poussé Alexandre pour reprendre une citation célèbre sur la pente fatale de la victoire, ils ont jeté Alcibiade sur le toboggan du scandale. Il était beau, jeune et riche, tout lui souriait, il fut un stratège redoutable et sur terre et sur mer, mais il se joua des hommes, de sa patrie et des Dieux sans vergogne. Ne fut-il pas, entre autres, lui aussi impliqué dans le scandale de la mutilation des Hermès… Le voici qui débarque totalement ivre chez Agathon, heureux et horrifié de rencontrer Socrate, il n’hésite pas une seconde à se risquer dans un discours : il ne se lance pas dans un éloge à Eros mais à Socrate : Athènes compte de grands orateurs mais le seul qui retienne son attention c’est Socrate, il aime à l’entendre discuter, Socrate parle vrai et juste, Alcibiade reconnaît qu’au lieu d’avoir de grandes visées politiques il ferait mieux de rester assis à ses côtés pour suivre son enseignement. Alcibiade avoue qu’il est amoureux de Socrate et qu’il aurait volontiers été son aimé, à plusieurs reprises il aura tenté de faire en sorte que Socrate cède à ses avances (très) rapprochées, mais rien ne se passa comme il le voulut. Ces déconvenues érotiques ne l’empêchent pas de décrire l’imperturbable courage, la vaillance et la modestie de Socrate lors des campagnes militaires, et de souligner qu’il n’est pas différent sous les armes que dans les rues d’Athènes… L’on peut se demander si dans ce dernier titre Thumos se laissera séduire par la brillante franchise de d’Alcibiade ou par le panégyrique de Socrate : l’on est surpris par l’intensité sonore et la tension dramatique du morceau, les dernières pages du Banquet ne déparerait  pas dans une scène de comédie ( si Platon est un grand philosophe, il est aussi un littérateur émérite ), par ce final grandiose d’une force extraordinaire Thumos entend sans doute nous avertir de ne pas prendre Le Banquet pour une œuvre légère, mais une œuvre écrite au plus près de tout individu qui se sent envahir par une énergie et un désir si absolus que les Grecs ne pouvaient se résoudre à expliciter son surgissement en notre corps et notre esprit seulement par notre animalité primordiale, dont ils préféraient dire que seuls les Dieux en étaient les dispensateurs originels.

             L’on peut évidemment écouter Symposium en tant que simple œuvre musicale. Les amateurs de Metal n’en sortiront pas déçus. Loin de là ! Toutefois ce serait passé à côté du projet si particulier de Thumos. Stéphane Mallarmé, évoquant Richard Wagner, affirmait que la musique avait volé son bien à la poésie, commencerait-elle grâce à Thumos à voler son bien à la philosophie…

    Damie Chad.

     

     

    THE DOORS

    PHILIPPE MARGOTIN

    (H.S. Collection Rock & Folk N° 24 / Février 2023)

     

    lush,the cult,lee fields,elizabeth king,mud,thumos,doors

    Philippe Margotin s’est chargé à lui tout seul du Hors-Série Rock & Folk sur les Doors. L’a l’habitude, l’a déjà signé un gros tas de monographies aux grands noms, disons gros vendeurs du rock, en vrac : U2, Amy Winehouse, Rolling Stones, Muse, Radio Head, Police, AC/DC, Pink Floyd, Lennon, Elvis Presley, Clapton, et j’en passe… L’est aussi directeur de collections, notamment de ces gros pavés, La Totale, en compagnie de Jean-Michel Guesdon, qui propose l’intégrale des morceaux de Dylan, de Led Zeppelin, des Beatles, et autres monstres du même acabit… bref pas tout à fait un public de niche, plutôt de chenil… les chiens perdus sans collier du rock ‘n’roll, ce n’est pas son truc.

    Que penser de ce dernier opus, les admirateurs des Doors qui ne sont pas nés du dernier orage sur Los Angeles n’apprendront pas grand-chose, les néophytes y trouveront pitance roborative. Margotin fait preuve d’honnêteté intellectuelle, il produit un magazine, comme son titre l’indique, sur les Doors et non pas sur JIM MORRISON et les Doors. Bien sûr il ne néglige ni ne cache la personnalité hors-norme de Jim, mais il ne réduit pas ses partenaires à la portion congrue. Ils sont quatre en tout et il partage le gâteau en quatre. Il analyse les six albums studio du groupe, titre par titre, n’oublie personne, chacun est crédité et loué pour son apport. Donne même envie de réécouter tel ou tel titre pour se focaliser sur telle ou telle partie de l’instrumentation à laquelle l’on n’aura prêté qu’une maigre attention. Ne rate ainsi jamais pour relever dans le blues-rock fondamental qui forme le terreau des Doors les relents de jazz et de musique classique. L’on ne crée pas à partir de rien. Mais de tout ce qui a précédé. Imitation et rupture sont les deux mamelles de toute action créatrice.

    Son principal mérite est d’analyser l’œuvre du groupe, et principalement cet aspect : l’on a dû couper la moitié, j’exagère seulement le quart, de la forêt amazonienne pour produire le papier consacré au procès qui sera mené contre Jim pour exhibition de ses parties sexuelles lors du  concert du 1er mars 1969 à Miami… Margotin mégote un max, pas plus de trente lignes, car ce qui l’intéresse c’est juste la musique, car music is your only friend til the end… Idem, il donne en moins de cinquante lignes les deux versions de la mort de Jim sans embaucher un cabinet de détectives privés pour reconstituer la scène finale.

    lush,the cult,lee fields,elizabeth king,mud,thumos,doors

    Bien sûr Margotin replace la formation du groupe dans son contexte, les années soixante sont celles d’une explosion culturelle, les vieux codes issus du puritanisme chrétien qui régissaient les corps et les esprits volent en éclats, augmentation des consciences et libération sexuelle marchent de pair avec un désir anarchisant de liberté et le refus des violences institutionnelles et étatiques… Le rock‘n’roll est le principal véhicule de cette nouvelle sensibilité. Car davantage que d’autres pratiques artistiques c’est en lui et par lui que la jeunesse reconnaît l’expression signifiante de son mal-être intime et sociétal. N’en ratons pas pour autant l’occasion de parler de Jim Morrison.

    C’est dans ce chaudron en ébullition que va se jouer le destin de Jim Morrison. Il en est, de par sa place de meneur charismatique d’un des plus importants groupes de rock du moment, l’un des leaders reconnus. Il fait partie intégrante de cette réalité donnée, mais à l’intérieur de celle-ci il se sent totalement étranger. Il a tout compris, mais il se sait incapable d’y apporter la moindre remédiation. L’est comme un extra-terrestre qui du haut de sa soucoupe volante comprendrait les errements de l’espèce humaine, qui saurait comment les contradictions qui agitent ces animalcules pourraient être unifiées, mais qui doit d’abord se préoccuper de résoudre les siennes.

    Le problème de Jim Morrison c’est d’être une pièce essentielle de l’échiquier mais placée sur une mauvaise case. Il possède toutes les caractéristiques d’un musicien, et pas n’importe lequel, lui il joue de l’instrument le plus proche de l’être humain, tous les autres (violons, guitares, tubas, pianos…) ne sont que des béquilles, le sien est directement hanté sur sa chair : la voix.

    lush,the cult,lee fields,elizabeth king,mud,thumos,doors

    La voix détient cet étrange privilège d’être le vecteur du son et du sens du chant et dire, de la musique et de la poésie. Or Morrison le sait. Il ne provient pas de la musique mais de la poésie. C’est ainsi. C’est son histoire personnelle. Il n’y peut rien, puisqu’il s’est sciemment construit ainsi. Par les coïncidences du hasard affirmeront les uns, par sa propre nécessité intérieure. 

    Reste à savoir comment l’on considère Jim Morrison. Au pire un parolier particulièrement (très) doué au-dessus de la moyenne des producteurs de lyrics rock, mais pas davantage. D’ailleurs son œuvre ne donne-t-elle pas l’impression d’un vaste chantier inachevé ? Il suffit de lire l’Anthologie Jim Morrison parue en octobre 2021 pour en être persuadé.

    Philippe Margotin ne partage pas cet avis, il classe Morrison parmi l’un des poètes les plus importants de l’Amérique. Mais il ne dit pas pourquoi et en quoi.  La réponse à ses questions n’est pas des plus faciles et ne rentre pas dans le champ désigné par le titre du numéro. Essayons d’y voir plus clair.

    lush,the cult,lee fields,elizabeth king,mud,thumos,doors

    Un poëte américain ? La réponse est évidente. Oui Morrison évoque la réalité de l’Amérique de son époque, oui il s’inscrit dans la continuité de la Beat Generayion, mouvement poétique aux thèmes profondément américains, la route et la frontière, le premier n’étant que la résultante du second, la frontière ne peut aller plus loin que le Pacifique, désormais la route tourne en rond et se mord la queue, l’Amérique est devenue le lieu fermé de la contemplation de sa finitude. En quelque sorte le neuvième cercle de l’enfer de Dante.

    Nous n’avons pas choisi le terme platonicien de contemplation au hasard. Qui regarde au juste ? : celui qui regarde ou ce qui est regardé ? L’Idée, la forme regardée du spectacle du monde physique ou idéel, ne construit-elle pas la vision de celui qui regarde qui ne peut regarder que son propre miroir. Dont il est le reflet.

    Le monde de Morrison est strictement délimité, à un bout le sexe à l’autre bout la mort. Ces deux limites sont intangibles, aucune n’illimite l’autre. Ce ne sont que les deux points cardinaux des catégories qui cernent l’essence de tout ce qui est selon Aristote : production et destruction ou génération et corruption.

    Il existe des moments historiaux lors desquels ces abysses qui bordent toute présence au monde apparaissent plus prégnants… Les années soixante furent de ceux-ci. Certains individus le ressentent plus fortement que d’autres. En d’autres termes le monde n’est plus qu’un champ de ruines entre ce qui s’écroule et ce qui ne parvient pas à être. Vision des plus pessimistes que l’on retrouve par exemple en Europe chez Hölderlin qui nous laisse une œuvre en lambeaux et sa revendication désespérée à fonder ce qui demeure. Margotin insiste notamment sur l’aspect décalé de Morrison par rapport à son époque, à son public, à tous ceux qui se revendiquaient de lui sans rien comprendre à sa démarche.

    Or ce qui fonde ce qui demeure ne peut-être pour Hölderlin que le chant du poëte. Etudiant Hölderlin, Heidegger a longuement réfléchi sur ce qui empêche, hors de toute anecdote historiale, la poésie de remplir cette mission, que lui le philosophe attribuait à la pensée. Dont il reconnaît le même échec de toute tentative d’accomplissement fondamental. Il en vient à souhaiter la mise en place d’une pensée qui ne soit plus pensée mais qui emprunte les modalités de son Dire au Chant de la poésie. Cette position est réversible : le Chant de la poésie se doit d’emprunter les armes du Dire de la pensée. Notons que Morrison fut un grand lecteur de Nietzsche, dont le destin se joua selon la trilogie de la musique, de la poésie et de la pensée. Certes Morrison n’a jamais possédé l’armature intellectuelle de ces trois européens héritiers d’une longue réflexion vieille de plusieurs siècles dont ils ont su devenir les dépositaires. Mais il eut le pressentiment des falaises abîmales au-haut desquelles il se tenait. Il tenta de substituer au Chant et au Dire le Mythe et ainsi de dépasser ses propres contradictions. Penser selon les Dieux – Apollon ou Dionysos - est dangereux. Ce sont des concepts certes opératoires mais qui vous enferment en vos propres limitations. Au lieu de pérorer sur le groupe des 27, il conviendrait plutôt de regretter le temps qui a manqué à Jim Morrison.

    Damie Chad.