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  • CHRONIQUES DE POURPRE 613 : KR'TNT 613 : TEMPLES / BEACHWOOD SPARKS / JOE MEEK / THE LAISSEZ FAIRS / VICKY ANDERSON / WILD DEUCES / BIG DADDY'S BREAKFAST VOODOO / MANUEL MARTINEZ / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 613

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    28 / 09 / 2023

     

    TEMPLES / BEACHWOOD SPARKS

    JOE MEEK / THE LAISSEZ FAIRS

    VICKY ANDERSON / WILD DEUCES

    DADDY’S BREAKFAST VOODOO

    MANUEL MARTINEZ / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Dans l’air du Temples

    - Part Two

     

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             Dans Shindig!, James Bagshaw papote avec Jon Mojo Mills, le redac chef. Le cœur de la discussion concerne Sean Lennon avec lequel Bagshaw s’entend à merveille. Les Temples sont allés finir Exotico chez Sean, in upstate New York - Exotico sounds like Temples, but Temples with a newfound confidence - Une nouvelle confiance... Mojo Mills y va de bon cœur : «Late 70s and early 80s synths meet heavy guitars, dreamy texture redolent of Steve Hillage creep in, proving that prog and psych still matter, and there’s a lot of sprightly pop.» 

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             Alors justement, Exotico, parlons-en ! Quelle arnaque ! On sent bien dès «Liquid Air» qu’il n’y a rien à en dire. Ce pauvre petit groove revisité par Sean Lennon sonne comme une belle perte de temps. Et comme si cela ne suffisait pas, voilà qu’ils ramènent les synthés dans «Gamma Rays». S’ils veulent couler leur réputation, c’est le meilleur moyen. En plus, la compo est toute pourrie. Bagshaw se prend pour un compositeur. On prend vite ces m’as-tu-vu en grippe. On attend d’eux des miracles, mais il faudra repasser un autre jour, les gars. Bagshaw chante son morceau titre comme une mijaurée, et du coup ça redevient intéressant. Mais le reste de l’album se traîne lamentablement. Ils ont perdu le psych. Ils font désormais de l’electro-pop diskoïdale à la mormoille. On aimerait bien retrouver la paix après toutes ces horreurs. Ils vont en Orient pour «Crystal Hall», mais ça ne peut pas fonctionner. Ça tourne à l’ignominie de faux psych, et pourtant tu les écoutes jusqu’au bout, en souvenir des grands albums. Ils renouent un tout petit peu avec le psych dans «Head In The Clouds», mais un tout petit, qu’on n’aille pas s’imaginer des choses. La suite est lamentable. Rien ne passe la rampe, le faux orientalisme d’«Inner Space» est malencontreux, puis ils renouent avec l’horreur diskoïdale dans «Meet Your Maker». Là tu peux aller cracher sur leur tombe. Les pauvres Temples n’ont même plus de Temple. Ils sont en pleine déroute, dans une Berezina de la mormoille, au moins celle de Napoléon avait de l’allure, mais pas celle des Temples. Qui va aller écouter cet album ? Et ça continue avec «Time Is A Light», monté sur un beat electro foutu d’avance. C’est douloureux de voir un groupe si prometteur se vautrer dans la daube. Bagshaw revient en traître avec la pop de «Fading Actor», mais le son est pourri. Ils tentent le coup de la pop sur un beat electro, décidément, toutes les idées sont pourries. Ils ont perdu leur psych légendaire de loud guitars. C’est une catastrophe nationale.

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    Tout de même, ça semble curieux qu’un mec aussi fin que Bagshaw ne se soit pas rendu compte que Sean Lennon lui coulait son album, et pire encore, qu’il aille se vanter de cette collaboration dans Shindig!, qui est pourtant un canard assez raffiné.

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             Bon, on décide quand même d’aller les voir en concert, même si on sait qu’ils tournent pour la promo d’Exotico-le-maudit. Avec un peu de chance, ils vont jouer quelques cuts du premier album, Sun Structures-le-mirifique. Tu l’as sans doute toi aussi remarqué : quand tu t’engages dans une mauvaise passe, tu comptes beaucoup sur la chance. C’est une façon de se donner le courage que l’on n’a pas. Bon enfin, bref, te voilà vautré sur la barrière pour deux ou trois heures.  C’est bien la barrière, tu peux t’appuyer. On pense à tout à rien en attendant le jour qui vient, comme le scandait si bien Aragon. Pour faire écho à leur campagne de presse, les Temples font installer des cocotiers en plastique derrière les amplis. Avec une lumière tamisée venue du sol, ça fait très Exotico.

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    Pouf, ils arrivent et ça ne rate pas, il tapent directement dans «Liquid Air», le cut d’ouverture d’Exotico-le-maudit. On le déteste tellement ce Liquid Air qu’on le reconnaît. Si tu veux torturer des gens soupçonnés de terrorisme pour les faire avouer, fais-leur écouter Liquid Air. Ils osent jouer sur scène cette petite pop dansante à la mormoille, et bien sûr, Adam Smith pianote sur son petit clavier d’electro-chochotte. Quel gâchis quand on voit ces deux belles guitares. Le pire c’est qu’ils s’imaginent que ça plaît aux gens, et le pire du pire, c’est que tu as des gonzesses qui te dansent dans le dos.

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             On reste dans l’horreur avec deux autres cuts tirés d’Exotico-le-maudit, et là on commence à envisager un décrochage pour aller siffler une mousse au bar. Ça s’arrange un peu avec l’«Holy Horses» échappé d’Hot Motion-l’excellent, ils rétablissent enfin les équilibres fondamentaux de l’ordre des Temples, ça joue à deux grattes bien tempérées et le set reprend vraiment du sens avec «Keep In The Dark», un hit glam tiré de Sun Structures-le-mirifique. Et là oui, c’est comme de voir Gyasi à Binic. Quand il est bien fait, un shoot de glam te réconcilie avec la vie. On voit Adam Smith gratter son mi sur sa Gibson Firebird bien mécaniquement. Un seul accord, avec en plus le stomp du batteur maquillé, là-bas au fond, penché comme un gigantesque vautour sur son kit. On n’avait pas vu un beurre-man aussi classieux depuis longtemps.

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    Et James Bagshaw fait illusion : avec sa crinière bouclée et son petite costard beige, il rend hommage à cette immense star que fut en Angleterre Marc Bolan. Fantastique pression du stomp, dommage qu’ils ne tapent pas dans les autres hits glam de Sun Structures-le-mirifique. Ils enchaînent avec le morceau titre d’Hot Motion-l’excellent, une pop d’une sidérante ambition, typique de celle de Todd Rundgren, montée sur d’extravagantes couches de gratté de poux. Il faut voir le cirque du petit bassman, Thomas Warmsley, un vrai bassman Tingueley, c’est-à-dire en mouvement perpétuel, il saute sur toutes les occasions pour s’arc-bouter et lever la patte comme une danseuse du Moulin Rouge. Il amène des dynamiques indispensables, car il faut bien dire que les deux autres, Smith et Bagshaw, sont un peu statiques, mais à la fin du set, James Bagshaw va piquer une belle crise, et pour ça, il doit retaper dans Sun Structures-le-mirifique : d’abord avec l’incompressible «Shelter Song» qui à l’époque nous avait bien estomaqué, ce cut sonnait comme une tempête sous le vent et leur bouquet garni de chœurs donnait le vertige. Ils en font une version héroïque et rejoignent ainsi les hauteurs shindigiennes qu’ils n’auraient jamais dû quitter. Sur l’album, «Shelter Song» est spectaculaire, mais sur scène, c’est bien pire. Tu ne regrettes plus d’être venu, bien au contraire. D’autant qu’en rappel, ils vont taper un autre pusher psyché tiré lui aussi de Sun Structures-le-mirifique : «Mesmerise». Sur l’album, ça sonne comme une petite pop entreprenante, mais sur scène, avec les cocotiers balayés par les stroboscopes et la puissance du son, ça prend une tournure à la Méricourt, d’autant que Bagshaw se met à cavaler dans tous les sens comme un poulet décapité.

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    Signé : Cazengler, carotte du Temple

    Temples. Le 106. Rouen (76). 16 septembre 2023

    Temples. Exotico. ATO Records 2023

    Jon Mojo Mills : Phantom Islands. Shindig! # 137 - March 2023

     

     

    Biche ô ma Beachwood

     

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             À leur façon, les Beachwood Sparks offrent une espèce de suite logique à la légende dorée de la scène californienne qui jadis berça nos cœurs de langueurs monotones, via les Byrds et Gram Parsons. Trois petits mecs constituent le noyau dur des Beachwood Sparks : Chris Gunst (guitare chant), Brent Rademaker (bass & boss du label Curation) et Farmer Dave Scher (lap steel maestro), et comme tous leurs prédécesseurs, ils proposent un bel historique de ramifications : on peut facilement s’y perdre, Brent Rademaker et son frère Darren ont joué dans Further tout au long des nineties, et Brent Rademaker sans son frère joue aujourd’hui dans GospelbeacH, les albums abondent et ça crée des tentations, car oui, la galaxie Beachwood, ce n’est pas de la tarte. 

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             Le premier album des Beachwood Sparks date de l’an 2000 et n’a pas de nom. Farmer Dave dit qu’il y a du sunlight dedans. Brent Rademaker parle de bubblegum country à propos de «Something I Don’t Recognize», mais Farmer Dave veille au psychedelic side.

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    Dans Shindig!, Phillipson établit un parallèle avec The Notorious Byrds Brothers. Brent Rademaker : «We wanted some of these psychedelic touches.» On les voit flirter avec le vieux mythe de la cosmic americana dans «Silver Morning After». Ils inspirent confiance avec cette country lumineuse et intrinsèque. Ils sortent le son dont rêvait Gram de coke. Ils proposent aussi une petite énormité nommée «Sister Rose». Ils développent la même attaque que Moby Grape. Le chant et les coups de slide sont lumineux, envenimés au rattlesnake d’écho purpurin. C’est avec «Sister Rose» qu’ils prennent position. Leur «Desert Sky» d’ouverture de bal  sonne comme un cut des Kinks à la sauce armoricaine, comme le homard. C’est très visité par la grâce, mais vraiment visité. Avec ces mecs-là, on se sent richement doté. En fait, tout se passe entre Farmer Dave Scher et Brent Rademaker. Ils font un peu de country d’huîtres chaudes avec «The Calming Seas» et créent une source de lumière avec «Something I Don’t Recognize». Ils dotent ce cut cousu de fil blanc comme neige d’un final explosif. Le plus marrant de toute cette histoire, c’est qu’ils s’amusent à exploser par endroits. Très bizarre. Et pour finir, on se croirait chez John Lennon avec « See Oh Three» tellement c’est fin et bien chanté.     

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             Leur deuxième album s’intitule Once We Were Tress et semble beaucoup plus solide. Ils l’enregistrent à l’home studio de J. Mascis. Mais la viande se concentre vers la fin, à partir de «The Hustler», chanté dans une clameur d’extrême onction et noyé d’orgue. Ils visent de toute évidence le coup d’éclat. Ce cut essentiel et généreux renvoie bien sûr à Teenage Fanclub. J. Mascis fait un numéro de cirque dans «Yer Selfish Ways». Quelle belle dégelée ! Il s’en donne à cœur joie. Mais il y a trop de son. Ça donne le tournis. Ils passent en mode blow out avec «Jugglers Revenge». Quelle folie ! C’est une vison de l’enfer du paradis. Hot stuff. On s’effare aussi du morceau titre qui referme la marche, cette petite pop fraîche paraît claquée au poney fringuant, ils créent du son-image très indien et ça s’excite tout seul. Il semble que tous les incendies de la country se soient donné rendez-vous dans ce cut. Magnifique illustration de ce qu’on appelle le retour de manivelle country. Avec ces guitares d’une grande clarté, ces mecs ramonent les cheminées du firmament. Ils semblent vouloir distiller de l’essence virginale et se jouer des éclairs délétères. Ils amènent «Let It Run» au heavy groove de space, ils prennent leur temps et ça devient assez grandiose. C’est vraiment à l’image du Grand Canyon, avec des coups d’harmo dans l’azur immaculé. Quand ils prennent le parti d’«Old Manatee», c’est pour te bercer l’âme de langueurs doolidoo. Ils font aussi du Mercury Rev avec «By Your Side». Ce mec chante comme un demi-dieu. Les Beachwood sont extrêmement doués et enregistrent avec parcimonie, ce qui est tout à leur honneur.

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             Et puis comme d’habitude, les tournées finissent par esquinter le groupe et le batteur Aaron Speske se barre. Ça bat de l’aile chez les Beachwood qui réussissent néanmoins à enregistrer l’excellent EP Make The Cowboy Robots Cry. Phillipson ne tarit plus déloges sur «Ponce De Leon Blues» - If anything in Beachwood Sparks’ catalogue is deserving of extra attention for me it has to be «Ponce De Leon Blues’ - C’est vrai qu’avec Ponce, ils sortent du nucléus, ils vont voir si la rose est éclose, c’est un son extrêmement drugged, ça titube dans le désert, les rosaces d’accords forcent l’admiration, mais à ce petite jeu incertain, Neil Young est bien meilleur. Quant au reste de l’EP, c’est encore plus incertain. Ils jouent du psyché au ralenti, c’est un peu liquide, ils mettent trop d’eau dans la soupe au chou de «Drinkswater», rrrrrrru, rrrrrrru, alors ça échappe aux critères. L’«Hibernation» qui suit est parfaitement inutile. Comme tout le reste d’ailleurs. C’est très mou du genou.

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             The Tarnished Gold paraît 11 ans plus tard, toujours sur Sub Pop. Ces mecs adorent le grand air, comme le montre «Water From The Well». Ils savent créer les conditions de leur son, c’est assez énorme, pas très loin de ce que faisait Mercury Rev à une autre époque, mais plus transparent. Même chose pour «The Orange Grass Special». Ils ne veulent surtout pas réinventer le fil à couper le beurre, ça ne servirait à rien. Ils cultivent un goût certain pour l’Americana. Avec «Earl Jean», ils tapent dans le folk-rock de flowers in your hair, ils mettent Les Enfants Du Paradis à la sauce californienne. Il faut attendre que les cuts décollent et donc n’oubliez pas leur donner leur chance. «Forget The Song» sent bon la pop confortable. Ces Californiens créent les conditions de leur confort, et donc du nôtre. Ils sont aussi accessibles que Fred Neil, bienveillants et dans le haut de gamme. Leur musicalité est à la fois bienvenue et à toute épreuve. Ils rassemblent toutes les conditions de la perfection. «Sparks Fly Again» fonctionne à l’énergie californienne pure. Quant à «Mollusk», voilà un cut qui s’illustre par une fantastique profondeur d’attaque de folk-rock. Ces mecs sont des bêtes, capables de redémarrer en côte, même dans une ornière. Ils passent à la country de feu de bois avec «Talk About Lonesome» et se prennent pour Doug Sahm avec «No Queremos Oro».

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             Mais c’est avec Desert Skies paru sur Alive en 2013 que la Beachwooderie prend tout son sens. Pas compliqué : sur cet album, tous les cuts sont bons, à commencer par le morceau titre, resucée du premier album. Quelle belle rasade d’arpèges éclairés ! Ils recréent le barrage de chant des Hollies et des Associations, ils affrontent la colère des dieux qui n’acceptent pas qu’on les défie. Et puis on a même un solo de rêve, alors t’as qu’à voir. Il n’existe pas grand-chose qui soit du niveau de ce «Desert Skies». Dans sa rétrospective, Ben Phillipson rappelle que «Desert Skies» est le premier single de Beachwood Sparks, paru à l’époque sur Bomp!. Les Beachwood  étaient alors au nombre de six : Brent Rademaker, Chris Gunst, Farmer Dave, Josh Schwartz, drummer Tom Sandorg et tambourine man Pete Kinne. Phillipson ajoute que les Beachwood étaient dans leur heavier guitar-based direction. Puis il indique que Pete Kinne et Josh Schawartz ont cassé leur pipe en bois et que Tom Sanford joue aujourd’hui dans GispelbeacH avec Brent Rademaker. Et le Desert Skies d’Alive repart de plus belle avec «Time», qui bénéficie d’une sorte d’élongation productiviste. Ces mecs visent l’avenir, rien d’autre, ils vont loin, vraiment loin. Pour «Watering Moonlight», ils visent la profondeur de champ, mais avec une sorte de retenue par l’élastique du pantalon. C’est un power cacochyme qui ne veut pas tousser, moonlight in the face, c’est un énorme mic-mac de stomp, de revienzy et de tiguili. Même les cuts plus ordinaires comme «This Is Like It Feels Like» passent comme des lettres à la poste. Ils s’offrent un final d’explosion nucléaire. Encore plus stupéfiant, voilà «Sweet July Ann» qui s’amène avec une allure de hit psyché chanté en travers de la gorge. C’est un chef-d’œuvre d’aménité bien amené qui se révèle très vite terrifiant de psycho power. Ça explose en contre-bas du contrefort, le son exulte littéralement, ils se prennent à leur propre jeu et deviennent insurmontables. Back to the cosmic Americana avec «Canyon Ride». Il ne manque plus que Gram de coke, mais c’est reculer pour mieux sauter, car voici le big biz de «Midsummer Daydream», avec un claqué d’accord qui restera un modèle du genre. C’est gorgé d’adrénaline, les accords éclatent comme des noix. Tout cet album sonne comme une aubaine. Si on en pince pour les harmonies vocales et le soleil rasant d’Arizona, c’est là qu’ils se trouvent. Cet album est complètement explosé de beauté sonique. À certains moments, on se croirait sur le Bandwagonesque de Teenage Fanclub, et les guitares hantent le son comme celle de Grasshopper, à l’âge d’or de Mercury Rev.

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             Ils ne sont pas si vieux et pourtant ils commencent déjà à taper dans leurs archives. En 2020 paraît un Beachwood Deluxe annoncé à grand renfort de tambours et trompettes. C’est le Beachwood des origines, lorsqu’ils sont 6. Autour de Josh Schwartz, on trouve Aaron Sperske, Pete Kinne et le futur noyau dur, Chris Gunst, Farmer Dave Scher et Brent Rademaker. Ils font leur petit boniment de country-rock au clinquant de guitares et au pah-pah-pah des Beatles. Ils sonnent un peu comme les rois de leur monde, ils n’ont aucun souci, les guitares comme des langues se délient délicieusement. Ils s’engagent résolument dans le vent du canyon. Leur psychedelia fait illusion pendant quelques cuts. Ils s’amusent bien avec les empty skies de «Canyon Ride», ils jouent dans les règles du lard séché, pas idéal pour les dents fragiles. Bon, au bout d’un moment, ça lasse un peu. Et puis ça devient intéressant avec «Windows ‘65», une espèce de heavy country-rock psychédélique, dans l’esprit des Byrds, bien sûr, mais avec des guitares prégnantes à la surface du son, ils jouent à l’arpège claironnant et surpasseraient presque les Byrds. Ces mecs ont tout en magasin. Ils jouent «Mid Summer Daydream» aux riffs acérés et d’une certaine façon foutent le feu à la Cosmic Americana. Le ciel s’éclaire. Ils allument le rock californien de la même façon qu’Oasis allumait le rock anglais, avec le même genre de gusto anthemic et les chorus qui prennent feu. Pour la première fois, on voit la Cosmic prendre feu ! La deuxième partie de l’album est un live et on découvre que sur scène, ils sont assez aléatoires. Leur petite soupe claire ne nourrit pas son homme. Mais comme c’est un public captif, ils en profitent. Ils finissent par cumuler les problèmes : mauvaises pioches et mollesse. Ils n’ont pas de jus, c’est assez catastrophique.

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             Brent Rademaker n’est pas du genre à se laisser abattre. Il monte vite fait GospelbeacH avec Neal Casal et des copains, et enregistre l’excellent Pacific Surf Line en 2015. C’est embarqué vite faite, au big Americancore de fast drive, ou si tu préfères, à la bonne franquette américaine. Trois guitares, une basse et un bon beat : l’idéal. Brent s’éclate bien au Sénégal. Toutes les guitares sont en alerte. L’air de rien, ces mecs disposent du real power. Leur son flirte avec l’Americana de canyon à la con, ils taillent leur route dans cette esthétique canyonesque qui date d’une autre époque et ça devient vite magique, les notes de slide rappellent des souvenirs enfouis. Ils naviguent à vue dans cet univers de coups d’acou et de notes fantômes. Brent Rademaker a un charme fou. Il amène son «Come Down» au mieux du come down - I know you so well - Ils flirtent avec l’osmose de la métempsychose et un solo motorpsycho vient affoler le feu du funk. Et Brent rattrape sa compo à la volée, hey hey. Il se passe des choses extraordinaires sur cet album, comme le montre encore «Southern Girl». Ils ramènent tellement de son que ça explose, surtout à la fin. Cet album rayonne comme une apparition de la Vierge. Même quand ils tapent dans la pop-rock d’«Out Of My Mind (On Cope And Reed)», ils sont bons, surtout qu’il y coule un solo liquide du meilleur effet. Leur fantastique aisance finit par frapper. «Alone» gagne directement les régions reculées du cerveau. Cette pop exceptionnelle est un vrai dream-come-true. Ils ont des réserves de son immenses et ça prend des proportions totémiques. Ils bouclent avec l’excellent «Damsel In Distress». On y sent flotter le spirit du Kaukonen de la première époque, c’est une merveille prodigieuse, sertie d’un solo d’eau claire. On ne croise ça qu’ici, chez GospelbeacH.

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             Fantastique album que cet Another Summer Of Love qui date de 2017. Un festin de son, dès l’«In the Desert». Comme s’il déposaient des offrandes aux pieds des dieux du rock californien. Un son beau, lumineux, précieux, électrique, tenu, bien vu, enfilé comme une perle, fils de, bleu comme l’azur. Avec en prime un solo fantôme. Et ça continue avec «Hanging On», même chose, power & lumière, bien drivé et chanté au soleil, c’est du rock qui respire bien. «California Fantasy» montre que ces mecs sont capables de tout, mais dans la joie et la bonne humeur, c’est joué au real power, celui du Calfornian hell, ils filent à dada à travers la plaine ensoleillée, «You’re Already Home» est une nouvelle merveille de fière allure. Alors forcément on craque. Nouvelle dégelée de son avec «Strange Days», c’est joué heavy on the rush, au power pur, strange days, baby, c’est inespéré, brillant, I know, avec des descentes d’accords et le départ en solo short mais wild, et il revient au chant, comme un dieu vivant. Les solos se brûlent les ailes au soleil de la fuzz. Nouveau coup de génie avec «Sad Country Boy», big heavy rock des familles, tout est puissant, ici, tu es sur Alive, ces mecs n’ont aucun problème, ils allument tous leurs cuts un par un, c’est du haut niveau d’un bout à l’autre de l’album. Brent Rademaker allume encore «I Don’t Wanna Lose You», il a le génie du son, il darde de mille feux - Don’t wanna lose you/ That’s all I know - et il termine vite fait bien fait avec «Runnin’ Blind», pur jus d’adrenalin-country rock de runnin’ blind.

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             Il ne faut pas prendre GospelbeacH pour des brêles. C’est en tous les cas ce que tendrait à monter l’Another Winter Alive paru en 2018. On s’y goinfre du merveilleux shaking de GospelbeacH. Dans le genre, on ne saurait espérer mieux. Ils nappent leur canyon folk-rock d’orgue et de bonnes intentions. On les voit tous les trois à l’intérieur du digi, Brent, Jonny Neiman et Jason Soda, avec leurs gueules de Quicksilver. Attention à cette triplette de Belleville : «Runnin’ Blind», «Change Of Heart» et «Dreamin’». Ils prennent un peu leurs distances avec le California dreamin’ de Beachwood Sparks, ce démon de Brent Rademaker vise le power, il saque bien son rock, il va vite en besogne. Ils frisent parfois le rock FM, mais le fond est bon. Belle section rythmique, en tous les cas. Ils s’enfoncent dans l’épaisseur de leur Dreamin’ et veillent à rester irréprochables. On les sent concernés. Voilà encore un album visité par la grâce. On entend un solo de lumière dans «Miller Lite» et ils terminent leur petit biz à la bonne franquette d’«You’re Already Home». On demande du rab.

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             Avec l’album Let It Burn, GospelbeacH bénéficie d’un buzz dans la presse anglaise, mais c’est encore une fois un buzz qui se mord la queue. Brent Rademaker fait une sorte de heavy pop-viens-par-là, à la fois bien tirée par les cheveux et poussée par de forts vents d’Ouest, une pop qui couine comme une vieille girouette, une sorte de veille good time music de coudes usés. Chez eux, le délire des guitares fait loi. Ces mecs rêvent tout simplement d’Americana. Leur «Dark Angel» est très bien organisé, mais avec ce beat en caoutchouc, ça frise un peu le rock MTV. C’est un son qu’on a déjà entendu mille fois. On aime bien ces mecs, mais il n’y a pas de miracle. Tout le monde n’est pas Drugdealer. Ils grattent leur «Fighter» à l’ancienne, avec un son qui date d’une époque sérieusement révolue. On capte de vieux échos de Stonesy et ça développe lentement. Mais bon. La belle pop de «Good Kid» peine à se déterminer. On note une belle puissance de revienzy dans «Nothing Ever Changes». Cut idéal quand on a envie de frémir. Ils font leur petit boogie. «Let It Burn» sonne comme de la grosse déveine de pop superbe. Ils travaillent leur côté passe-partout avec une abnégation qui impressionne. Avec ce genre de mecs, on n’en finirait plus de raconter des conneries. Chez eux, le problème est qu’ils travaillent tout au mieux des possibilités. Ils terminent avec le heavy boogie de «Hoarer». Ils sortent leur meilleur son pour finir. Dommage qu’ils ne l’aient pas sorti au départ. C’est spatial et épais à la fois, gosh, quelles belles rasades ! «Hoarer» est un cut sauveur d’album en désarroi.

    Signé : Cazengler, Beachwhore

    Beachwood Sparks. Beachwood Sparks. Sub Pop 2000  

    Beachwood Sparks. Once We Were Tress. Sub Pop 2001  

    Beachwood  Sparks. Make The Cowboy Robits Cry. Sub Pop 2002

    Beachwood Sparks. The Tarnished Gold. Sub Pop 2012

    Beachwood Sparks. Desert Skies. Alive Records 2013

    Beachwood  Sparks. Beachwood Deluxe. Curation Records 2020

    GospelbeacH. Pacific Surf Line. Alive Records 2015

    GospelbeacH. Another Summer Of Love. Alive Records 2017

    GospelbeacH. Another Winter Alive. Alive Naturalsound Records 2018

    GospelbeacH. Let It Burn. Alive Naturalsound Records 201

    Ben Phillipson : Ballad of the brotherhood. Shindig! # 110 - December 2020

     

     

    Wizards & True Stars –

    Meek mac

    (Part One)

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             En matière de mythologie avertie, Joe Meek reste pour beaucoup d’entre-nous l’œil du cyclone. Pas n’importe cyclone. Le cyclone du rock anglais. Peu de gens ont su créer un monde en si peu de temps, avec si peu de moyens : Holloway Road et une paire d’oreilles, c’est à peu près tout. Avec comme cerise sur le gâtö, une sacrée dose d’excentricité et de parano. Joe Meek est complètement dingue. S’il n’était pas complètement dingue, il ne serait pas Joe Meek. Alors c’est pas la peine d’aller couper les cheveux en quatre. Le grand chœur des pisse-froid prétend que folie et génie s’équivalent, mais Joe Meek leur pisse à la raie. Il n’a que son nom et se fout du qu’en-dira-t-on comme de l’an quarante. L’histoire du rock est seule juge. Elle retiendra son nom sur la foi de quelques enregistrements somptueux, à commencer par «Telstar» et jusqu’à «Crawdaddy Simone», en passant par une myriade d’autres merveilles que des compileurs fous ont réussi à exhumer. C’est en mettant le nez là-dedans qu’on pige tout ce qu’il y a à piger.

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             Il faut aussi mettre le nez dans l’excellente bio de John Repsch, The Legendary Joe Meek: The Telstar Man. Oui, car wow ! Dès la couve ! Tu vois tout de suite qu’il y a un problème. La gueule du Meeky Meek ! Il est complètement allumé. Les yeux fixes, il voit des trucs, et il pince son affreuse petite bouche d’extraverti. On comprend immédiatement que Meeky Meek s’adresse aux amateurs de sensations fortes. C’est toute son histoire. L’histoire d’un son. Une histoire unique en Angleterre.  

             John Repsch passe un temps fou à décrire le génie sonique de Meeky Meek qui en fait est un chercheur. Meeky Meek démarre en 1950 avec deux magnétos. Il overdubbe un son par dessus l’autre. Il peut répéter l’opération douze fois. Il utilise des limiteurs et des compresseurs qui lui donnent un signal sonore plus fort. Il est passionné d’électronique et teste des idées en permanence. Il est surtout fasciné par l’écho, alors il en rajoute dans ses prises de son, il sait installer un micro près d’un instrument et sait contrôler la prise de son. Il en joue comme le peintre joue des nuances. Il fait du lard à partir du lard. Il construit une mystérieuse chambre d’écho chez lui à Holloway Road. Il utilise aussi la salle de bain pour la qualité de l’écho. Mais sa passion pour le rock va beaucoup plus loin : il veut contrôler tous les aspects du biz : découvrir les artistes, composer les chansons, manager ses poulains, enregistrer et produire leurs disques, les distribuer sur son propre label et en prime, leur servir le thé et les biscuits. Il fait exactement ce que fait Totor aux États-Unis. L’un de ses premiers coups fumants est le «With This Kiss» de la jazzeuse Yolanda : tout est déjà là : «heavy beat, angelic choir, piano, strings and tons of echo.»

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             Meeky Meek ne se plaint que d’une chose : il n’atteint jamais la perfection qu’il recherche, mais chaque fois qu’il écoute l’un de ses disques pour la première fois, il ressent une grande excitation. John Repsch épingle un autre trait de caractère fondamental chez Meeky Meek : «Aussi étrange que ça puisse paraître, il a fini par se convaincre que le monde entier s’était ligué contre lui et que le seul moyen de survivre était de se battre et de montrer à quel point il était brillant et à quel point ses ennemis étaient stupides.» On appelle ça de la mégalomanie, mais dans le cas de Meeky Meek, c’est autre chose. On est dans le domaine de l’art, et ces énergies sont sacrées, car même si elles sont considérées comme des tares, elles alimentent un précieux moteur : la créativité. Si tu n’es pas complètement dingue, tu ne peux pas comprendre ce que ça signifie. Autrement dit, ça vaut le coup d’être complètement dingue. Pendant un temps, Meeky Meek réussit à canaliser cette prodigieuse énergie de la surchauffe. Par contre, c’est souvent compliqué pour les groupes qui viennent enregistrer à Holloway Road : comment va-t-il réagir ? Va-t-il plaisanter ou tout détruire en pleine session ? Meeky Meek se bagarre souvent avec ses branchements et il prend des coups de jus, ce qui fait rigoler les gens présents. 

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             Personne d’autre que Meeky Meek ne pouvait enregistrer «Night Of The Vampire» avec les Moontrekkers. Un hit bien sûr banni par la BBC - as unsuitable for people of a nervous disposition - Et c’est avec Screaming Lord Sutch que le génie de Meeky Meek va exploser à la face du monde. Lord Sutch, nous rappelle John Repsch, démarre en 1958, à l’époque où tous les beaux gosses d’Angleterre prennent comme modèles «Elvis, Buddy Holly and the fresh-faced wave of American idols», alors pour faire la différence, Lord Sutch a pris comme modèle «the American horror man Screamin’ Jay Hawkins», avec tout le saint-fruquin, le cercueil et le crâne - He was giving British audiences their first taste of rock’n’blood. It was the most macabre act Britain had seen and Joe loved it - Et bien sûr, Meeky Meek veut l’enregistrer. Boom ! «‘Til The Following Night», «a gruesome graveyard piece, totally outrageous for its day.» C’est la rencontre de deux génies, de deux visionnaires pareillement excentriques. John Repsch ajoute qu’à l’origine, le cut s’appelait  «My Big Black Coffin», mais les distributeurs grelottaient de peur, alors il a fallu revenir à un titre moins craignos. Avec Lord Sutch, on est au cœur du Meeky mythe. Il faut entendre l’intro de «Jack The Ripper». C’est du pur Meeky Meek, bruits de pas sur les pavés, la respiration d’une femme et soudain le cri et les rires de Jack. Comme Meeky Meek, Lord Sutch bouillonne d’idées, il fonde le National Teenage Party, qui demande le vote à 18 ans. S’il ne récupère que 208 voix, nous dit Repsch, c’est parce que les jeunes qu’il représente n’ont pas le droit de vote. Meeky Meek a une autre idée. Comme le Ministère de la Guerre vend les sous-marins qui ne servent plus à rien, Meeky Meek propose à Lord Sutch d’en acheter un, de remonter la Tamise «and treathen to blow up the House of Parliament» - It’ll get publicity, even if it sinks! - Le manque d’argent coule ce beau projet. Cette association d’excentriques n’est possible qu’en Angleterre. Meeky Meek hait profondément les gens conventionnels et c’est la raison pour laquelle il finit par se fâcher avec Dick Rowe, Major Banks, Robert Stigwood et Larry Parnes.

             Meeky Meek est fier de son studio. Il a le meilleur équipement - Mon studio était à l’origine une grande chambre dans laquelle j’ai enregistré beaucoup de hit records - Il est obligé d’expliquer ça car un gros malin critique dans la presse le principe du home recording : pas sérieux, comparé aux studios professionnels. Alors Meeky Meek indique que bon nombre de studios étaient à l’origine des caves ou des chambres dans des maisons - My studio is just that - Et comme il est en colère et qu’il ne supporte pas les cons, il ajoute : «J’enregistre des disques pour divertir le public, certainement pas pour des square connoisseurs, c’est-à-dire des beaufs, qui n’y connaissent rien.»

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             John Repsch revient longuement sur la genèse de «Telstar», «his gratest work», précise-t-il. Une nuit, Meeky Meek entend des sons venus de l’espace. Ça le réveille, alors il se lève et descend au studio à l’étage en dessous. Il la-la-la-la-late l’air qu’il a en tête et l’enregistre. Puis pendant une heure, il le triture dans un cathedral-like echo et le colle sur une mélodie qu’il avait commencé à travailler avec Geoff Goddard, loo-oo-la-da-dee-da-deedle-ah, John Repsch s’amuse bien, on est assis avec lui, juste à côté de Meekey Meek en pyjama, en train de bidouiller l’un des plus grands hits du siècle dernier. Comme l’air lui vient d’un satellite, il baptise le cut «The Theme Of Telstar». Au breakfast, il traduit son idée musicale à la clavioline. Puis c’est la séance d’enregistrement avec Clem Cattini. Pour lui donner plus de punch, Meeky Meek speede son enregistrement d’un demi-ton, puis il ajoute des effets de son invention pour interloquer l’auditeur. Il fait un acétate et va le faire écouter à l’un de ses clients distributeurs, Roy Berry, chez Ivy Music. Berry trouve que le titre est trop long. Il propose «Telstar» - Meeky Meek trouve que ce n’est pas une mauvaise idée. Puis il va faire écouter «Telstar» à Dick Rowe, chez Decca, qui adore. On connaît la suite de l’histoire - He had put together a classic which nowadays ranks as one of the finest pop records ever made - À 33 ans, Meeky Meek est un producteur et un ingé-son sans égal en Angleterre. Et il le sait, ajoute Repsch. Il le sait depuis des années - There was no one in Britain to touch him - Ce qui fait sa force, c’est qu’il peut créer un son immédiatement identifiable et original qui ne coûte rien  car enregistré dans un «dirty hole over a leather bag shop» - Comment pourraient-ils faire la même chose avec leurs studios coûteux ? Impossible, nous dit John Repsch. Meeky Meek a ses secrets - No rotten pig could thieve them off him - Il appelle ses ennemis les rotten pigs.

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             Puis Repsch fait un petit comparatif entre Totor et Meeky Meek : point commun, thick and meaty records, mais Totor utilise moins de compression, car il joue sur les contrastes entre le calme et la tempête. Meeky Meek place ses micros tout près alors que Totor éloigne les siens, ce qui lui donne, avec l’écho, un bigger sound. Totor prépare tout minutieusement, alors que Meeky Meek superpose les couches et n’en finit plus d’expérimenter ad infinitum. Il peut se le permettre, en tant qu’ingé-son, ce que n’est pas Totor. Deux autres points communs : leur complexe de persécution et le fait d’être un one-man-army : ils dénichent les talents, choisissent les cuts ou les composent, supervisent les arrangements, ils font de la direction d’artistes et supervisent tout le processus d’enregistrement. Pas besoin des gros labels. Ils sont autonomes. C’est leur vision du son qui va faire le succès des artistes qu’ils prennent tous les deux en charge. Pour Meeky Meek, comme pour Totor, les chanteurs et les chanteuses sont interchangeables. Ils savent tous les deux ce qu’ils veulent. Aux yeux de Meeky Meek, Totor est la réponse américaine à lui-même. Pour lui, le Wall of Sound de Totor n’est qu’une variation du sien. Il reconnaît les effets qu’utilise Totor. C’est pourquoi il éteint la radio chaque fois qu’il entend un Totor hit. Repsch poursuit le comparatif : en trois ans et demi, Totor a produit 24 singles sur son label, alors que pendant la même période, Meeky Meek a produit 141 singles, dont 25 British Top Forty hits. Vroom vroom !     

             La seule faute que commet Repsch est d’attaquer son book par la fin, c’est-à-dire le jour où Meeky Meek perd les pédales, tire un coup de fusil dans le dos de sa logeuse et se tire ensuite une balle dans la tête. Son assistant Patrick Pink assiste à la scène et décrit tout le tremblement. C’est un peu la même histoire que celle de la piscine de Brian Jones : on ne voit plus qu’elle et on oublie ce qui est important. On appelle ça une distorsion du réel.

             Un jour, alors qu’il cherche un endroit où s’installer, Meeky Meek flashe sur le 304 Holloway Road, a three floor flat au loyer modéré. Il installe son studio dans la pièce la plus grande, au deuxième étage. On y accède par un escalier étroit, pas l’idéal quand il faut monter une batterie. Au premier étage, c’est l’accueil, avec une kitchinette. Meeky Meek y reçoit ses invités et leur sert le thé. Le sol du studio est recouvert d’un fouillis inextricable de câbles. Meeky Meek est le seul à pouvoir s’y retrouver. Avec sa technologie dernier cri et sa passion pour l’ingénierie, il pense qu’il est «the best A&R man in the world» - That’ll show ‘em. I’m still the bloody governor! - Les gens bien informés savent qu’il est très en avance sur son temps. Il rêve cependant d’un endroit plus spacieux - J’aimerais bien avoir un grand studio en rez-de-chaussée, de sorte que les artistes ne soient pas obligés de monter et descendre des escaliers. But then again, I like it here. Meeky Meek enregistre chez lui et vend ses productions sous licence à des gros labels : d’abord Decca, puis Pye.

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             Il enregistre son premier hit «Bad Penny Blues» en 1956, «the first jazz record to hit the Top Twenty in Britain», nous dit Repsch. C’est la première fois qu’il utilise un compresseur. Il enregistre aussi le «Green Door» de Frankie Vaughan. Quand il s’installe à son compte à Holloway Road, il reçoit pas mal de petites vedettes : Petula Clark, Lonnie Donegan et Johnny Duncan & The Blues Grass Boys qui enregistrent l’excellent «Last Train To San Fernando». Dans une interview, Meeky Meek indique que ses artistes préférés sont «Judy Garland, Les Paul & Mary Ford, some of Ella’s work and modern jazz.»

             Meeky Meek est un homme très coquet. Il passe son temps à se repeigner et se rase au moins douze fois par jour pour garder la peau lisse. Et il se poudre le nez pour lui éviter de briller.  On le dit efféminé. C’est vrai qu’il a une drôle d’allure. Mais il s’agit de Meeky Meek, after all. Son trait de caractère le plus saillant est son manque de patience. Il pique des crises à tout bout de champ. Repsch en dévoile une belle collection. Si tu lui dis un truc qui ne lui plaît pas, Meeky Meek attrape le premier objet qui lui tombe la main et te le balance en pleine gueule. Le guitariste des Outlaws Bill Kuy vient lui réclamer des sous, alors Meeky Meek attrape des ciseaux et lui court après. La colère transfigure Meeky Meek, les yeux lui sortent de la tête, il écume de rage, les gens ont peur de lui. Il peut jeter un gros carton de bandes enregistrées à travers la pièce. La rage, nous dit Repsch, décuple ses forces. Cliff Bennet évoque lui aussi ses crises. Un jour, ils sont à Holloway Road pour une session et Meeky Meek leur chante un truc, dee-dee-dee-dee, mais il chante si bizarrement - that terrible strangulated way - que ça fait rigoler les Rebel Rousers. Vexé, Meeky Meek dit qu’il ne supportera pas longtemps ces rires stupides et quitte la pièce en claquant la porte. Il descend se faire un thé et remonte une demi-heure plus tard. Il demande aux Rebel Rousers s’ils sont calmés et leur rechante son dee-dee-dee-dee. Les Rousers font des efforts surhumains pour ne pas exploser de rire. Ils fixent le mur en tentant de penser à autre chose. Mais ils explosent de rire, de ce rire qui finit par faire mal au ventre. Angry Meek les observe. Et plus il est en colère, plus les Rousers se marrent. L’hilarant de l’histoire, c’est que Meeky Meek finit lui aussi par se marrer. Au bout de vingt minutes, ils retrouvent le calme, mais Meeky Meek annule la session : «You might as well go home now. You’re a real bunch of bastards.» Repsch évoque aussi une petite shoote avec Dave Dee, Dozy, Beaky, Mick & Tich. Meeky Meek ne supporte pas l’attitude rebelle de Tich et lui balance le plateau avec les tasses pleines dans la gueule, alors Dozy attrape un pied de micro et menace de lui péter les couilles, comme on dit en France chez les habitués du PMU, alors Meeky Meek sort de la pièce en claquant la porte, ce qui met fin à la session d’enregistrement. Il ne faut pas lui courir sur l’haricot.

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             L’un des grands talents de Meeky Meek est de savoir flairer des talents et fabriquer des artistes. Premier coup d’essai avec John Leyton, un acteur âgé de 21 ans. La voix compte, bien sûr, mais aussi et surtout le physique - Good looks - La voix, ça se travaille, Meeky Meek peut rajouter des effets dessus, si besoin est. Repsch indique que l’album The Two Sides Of John Leyton «is one of the best things Joe ever did.» John Leyton décroche un hit avec «Johnny Remember Me» - half a million sales - Bingo !  Il tente aussi de lancer Ricky Wayne, un futur Monsieur Monde qui fait du bodybuilding. Il conseille à ses poulains de porter des chaussures légères, des mocassins, des pantalons serrés, and no underwear - Joe was a punk, dit Ricky. Meeky Meek tente aussi de lancer Michael Cox, un protégé de Jack Good. Bonne voix, mais pas de chansons. Dans un Part Two, on reviendra sur tous ces artistes enregistrés par Meeky Meek. Il y a à boire et à manger. Pour lancer les Outlaws, il leur fait conduire une diligence dans Londres - Publicity stunt, the Western image -  Puis c’est «Night Of The Vampire» avec les Moontrekkers et Screaming Lord Sutch dans la foulée. Il commence à se méfier de Stigwood qui lui barbote ses artistes un par un, comme par exemple Billie Davis ou Mike Berry. Meeky Meek déteste cette fourbasse de Stigwood qui fait ses coups par derrière. À Holloway Road, il reçoit aussi Tom Jones et louche sur ses tight pants, lui fait des avances, mais le Gallois l’envoie se faire voir chez les Grecs, alors Meeky Meek sort un flingue et tire sur Tom Jones qui se croit mort. C’est un pistolet d’alarme ! Quand il commence à bosser avec Pye, Meeky Meek tente de lancer la nouvelle sensation, Tony Dangerfield. Il jouait de la basse dans le groupe de Lord Sutch, the Savages. Repsch en fait une belle tartine : «Impressionné par sa Black Country arrogance et ses fringues en cuir, ses cowboy boots et se cheveux teints avec des mèches vertes et roses, Joe started grooming him for the big time.» Puis il tente de lancer The Riot Squad, les Honeycombs, les Cryin’ Shames, tous ces groupes intéressants qu’on retrouve sur les volumes de The Joe Meek Story - The Pye Years. Meeky Meek a eu dans son studio des gens qui ont contribué largement à la légende du rock anglais : Chas Hodges, du «cockney singalong duo Chas & Dave», Clem Cattini, le batteur des Tornados, «one of Britain’s top session drummers», le pianiste Roger LaVern, et bien sûr, Richie Blackmore qui jouait avec Tony Dangerfield dans les Savages. 

             Les deux gros morceaux restent cependant Heinz et Billy Fury. Un Billy qu’on situe comme «the nearest thing to Elvis that Britain ever had». Billy est accompagné sur scène par les Tornados, dont le bassman n’est autre qu’Heinz. Le problème c’est que Meeky Meek est le boss des Tornados, et Larry Parnes celui de Billy Fury. Ils ont donc passé un accord. Meeky Meek espère récupérer Billy en studio. C’est la raison pour laquelle il a donné son accord à Parnes. Mais ils vont se fâcher, car Meeky Meek refuse de laisser partir ses Tornados en tournée américaine.

             Meeky Meek s’éprend d’Heinz. Il lui demande de se teindre en blond, en référence au Village Of The Damned et à ses douze enfants blonds. Meeky Meek en pince tellement pour lui qu’il tente de lancer sa carrière. Heinz se retrouve en tournée avec Jerry Lee Lewis et Gene Vincent. Il ne passe pas, il n’est pas assez rock’n’roll. Le public mâle le siffle. Des Teds veulent même lui casser la gueule. Par contre, Gene Vincent lui reconnaît un certain courage pour avoir osé monter sur scène : «You’ve got some bloody guts. I would have walked off after one number.» Un Gene Vincent qui d’ailleurs viendra enregistrer un cut chez Meeky Meek, «Temptation Baby». Mais Gene sera étonné de devoir enregistrer dans une maison au milieu d’un fouillis de câbles inextricable.

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             Meeky Meek tente désespérément de booster la carrière d’Heinz. Il le booke sur des tournées anglaises. Les disques d’Heinz ne se vendent pas. Meeky Meek sait qu’il peut vendre Heinz s’il chope la bonne chanson. Il veut faire d’Heinz une star. Ça tourne à l’obsession. Dommage que  Repsch n’évoque pas l’excellent Tribute To Eddie d’Heinz. Puis Meeky Meek envisage de faire teindre les cheveux d’Heinz en rouge et de le faire entrer sur scène en moto. Heinz finira par se barrer et par fréquenter des gonzesses.

             Côté cul, Meeky Meek aime bien les mecs, mais son infidélité chronique rend impossible toute relation sentimentale. Et puis un jour, il a l’idée de se marier avec l’une de ses pouliches, Glenda Collins. Glenda idolâtre Meeky Meek qui est triste de voir qu’après 8 singles, elle ne perce toujours pas - Sadly they were not in love.

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             L’un des personnages clés de la saga Meek est le compositeur Geoff Goddard. Il est nous dit Repsch très proche de Meeky Meek. Ils composent ensemble et vouent le même culte à Buddy Holly. Et là, on entre dans le cœur battant du mythy Meek. Un soir où il interroge les cartes du tarot, un ami nommé Faud écrit trois choses sur un bout de papier : une date, le 3 février, suivi du nom de Buddy et du mot «dies». La scène se déroule bien sûr un peu avant l’accident d’avion qui va emporter Buddy, Ritchie Valens et The Big Bopper. Buddy arrive en tournée en Angleterre et Meeky Meek réussit à lui dire de se méfier du 3 février. Mais Buddy casse sa pipe un 3 février, l’année suivante. Les cartes n’avaient pas menti. Alors Meeky Meek et Geoff tentent d’entrer en contact avec l’esprit de Buddy, leur idole. Geoff Goddard affirme que Buddy l’a directement inspiré pour composer «Johnny Remember Me». Puis il écrit «Tribute To Buddy Holly» et demande à l’esprit de Buddy ce qu’il en pense. L’esprit de Buddy le remercie de cet honneur et lui dit : «See you in the charts». Pendant les séances de spiritisme, il se produit des phénomènes étranges au 304 Holloway Road : un orgue qui joue tout seul à l’étage, une corde de guitare qui se met à tawnguer.

             Meeky Meek commet aussi la même erreur que Dick Rowe : il décline l’offre que lui fait Brian Epstein d’enregistrer les Beatles - Guitar groups are on the way out, Mr. Epstein - Le pauvre Meeky Meek se fout le doigt dans l’œil. Il n’est d’ailleurs pas le seul. Avec lui et Decca, Pye, Phillips, Columbia et HMV disent non aux Beatles. Néanmoins, Repsch imagine qu’étant donné les caractères de John Lennon et de Meeky Meek, il y aurait eu des étincelles au 304.

             Puis Meeky Meek commence à perdre sérieusement les pédales. Il se croit espionné en permanence, il croit qu’il y a des micros chez lui. Il dit un jour à son assistant Patrick Pink qu’il ne va plus être là très longtemps. Il ajoute qu’il va faire un testament. Patrick Pink se marre. Il ne comprend pas que Meeky Meek est en train de lâcher prise : trop de pression, le biz qui part en sucette. La pire déconvenue vient sans doute de Sir Joseph Lockwood qui pour remplacer George Martin chez EMI avait songé à Meeky Meek - Joe was the man to help fill it - Mais ça signifiait la fin de l’indépendance, et donc, ce n’était pas possible. La perte des pédales est un truc terrible, tu sais que tu ne vas pas t’en sortir, alors c’est une sorte de panique interne, mais il faut essayer de sauver les apparences, et c’est un peu comme si tu avais déjà cassé ta pipe en bois avant de la casser pour de vrai. L’impératif tambourine à la porte : il faut en finir.

             Dans les derniers jours, Meeky Meek n’a plus un rond. C’est Patrick Pink qui ramène de la bouffe qu’il carotte chez sa mère : «du pain, du beurre, des steaks et des tomates». Meeky Meek prend en plus des barbituriques, mais beaucoup trop. Il est obsédé, il croit qu’on l’épie et qu’il y a des micros partout. Il dit enfin à Patrick Pink «qu’il y a quelqu’un en lui et qu’il ne peut pas s’en débarrasser» - Parfois, je sens que je ne suis pas moi. I’m talking but it’s not my voice - Puis ses enregistrements sont rejetés par EMI. Il comptait là-dessus pour se renflouer. Il est baisé. Il craint en plus de se faire virer du 304. Évidemment, il choisit un 3 février pour en finir.

             Vers la fin, Repsch fait le compte des disparus : avec Meeky Meek sont partis tous ses proches, plus les mecs qu’il a croisé, Larry Parnes, Brian Epstein, Dick Rowe, Ivor Raymonde, Sir Joseph Lockwood et même Screaming Lord Sutch dont a pris la pendaison, nous dit Repsch, pour l’un de ses gags publicitaires de mauvais goût, mais en vérité, Lord Sutch n’avait pas surmonté la disparition de sa mère et il s’est pendu chez lui. Bon la mort rôde sur ce book, mais la modernité lui survit. L’incroyable modernité de Meeky Meek.

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             L’un de ses plus grands admirateurs est Liam Watson, le boss de Toe Rag Studios. Il utilise en gros le même matos que celui de Meeky Meek, amplis, speakers, cabinets et aussi «an Altec compressor». Watson joue dans les Bristols qu’il décrit comme «the most Joe Meek sounding band around». D’autres groupes nous dit Repsch revendiquent leur Meeky influence : Stereolab, Teenage Fanclub, St. Etienne et puis il y a pas mal de cuts en hommage à Joe Meek. Repsch en cite une petite palanquée.

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             Si tu entres dans Joe Meek Freakbeat (You’re Holding Me Down), tu n’auras pas froid cet hiver. C’est même l’une des pires compiles Freakbeat jamais imaginées, 30 Joe Meek records, à commencer par l’archétype du proto-punk, le «Crawdaddy Simone» des Syndicats de l’early Steve Howe, l’he’s got no friends, wild as fuck, chaos complet, en plein dans l’œil du cyclope, Meeky Meek all over the forever ! Tu veux encore te goinfrer de proto-punk ? Tiens, voilà David John & The Mood avec «Diggin’ For Gold», le Mood est le roi du proto-punk. David John & The Mood ? Trois singles entre 1964 et 1965, dont une version demented de «Bring It To Jerome», demented et même définitive, ces mecs te bouffent tout cru et Bo avec. Ils ont un troisième cut sur la compile, «I Love To See You Strut», encore du big heavy proto-punk protozoaire, tu as le son des Pretties avec une incarnation du diable, David John. Incroyable que ces mecs soient passés à l’as. L’autre grosse équipe, ce sont les Blues Rondos avec «Baby I Go For You», joué à la va-vite de wild London boys, ils sont bien wild dans leurs petits pantalons serrés et Roger Hall te passe vite fait un joli killer solo flash. On les retrouve plus loin avec «Little Baby», plus poppy, ils entrent en vainqueurs dans le Swingin’ London, ils ont tellement de son, oh merci Meeky Meek ! Quelle prod ! Leur «What Can I Do» vire plus Brill, c’est dire le génie de Meeky Meek ! The London Brill ! Les riffs mordent le trait. Plus connus, tu as les Cryin’ Shames avec un «What’s New Pussycat» dylanex, mais le beat reste heavy, quasi «Maggie’s Farm». Ils tapent aussi un «Let Me In» en mode heavy proto-punk. C’est d’une rare violence, grattée au somment du lard wild, hey hey hey ! On les retrouve une troisième fois dans la mouture Paul & Ritchie & The Cryin’ Shames avec «Come On Back», aussi effarant que tout ce qui précède, en plein dans le mille du freak, avec des voix paumées dans le you-oouuhh yeah. Encore une fois, c’est d’une violence peu banale. Et puis tu as tous les inconnus au bataillon, à commencer par les Puppets avec «Shake With Me», fast pop rock de c’mon joué aux fluorescences de c’mon, avec un guitariste génial en embuscade. Meeky Meek apporte de l’overall dans le son. Même choc tectonique avec The Buzz et «You’re Holding Me Down», extraordinaire giclée de wild frekbeat, mais avec de la profondeur de champ. Infortunate d’unbelievable, ça résonne dans l’écho du temps. Wild as Meek, juste un cran au dessus du wild as fuck. D’où sortent The Saxons ? De nulle part, et pourtant l’«I Ain’t Right» semble tomber du ciel, Meeky Meek le prend par dessus la jambe, il leur donne une énergie démesurée. Tiens voilà Jason Eddie & The Centremen avec «Come On Baby», encore de l’inexpected qui devient du hautement expected dans les pattes de Meeky Meek. C’est eux qui referment la marche avec un «Singing The Blues» bien incendiaire. Meeky Meek n’oublie pas son chouchou, Heinz qui, avec les Wild Boys et «Big Fat Spider», tente de créer la sensation. Pas facile d’être aussi flamboyant que les autres. Meeky met le paquet et tu as tout le son dont tu peux rêver. On retrouve aussi les Tornados 66 avec un «No More You & Me» balayé par le vent du Nord.

    Signé : Cazengler, Jo la mite

    Joe Meek Freakbeat (You’re Holding Me Down). Castle Music 2006

    John Repsch. The Legendary Joe Meek: The Telstar Man . Woodford House Publishing Ltd 1989

     

     

    L’avenir du rock –

     Le loup des Steppes

    (Part Two)

             Comme bon nombre d’adeptes de la paix de l’esprit, l’avenir du rock nourrit pour les débats le plus profond mépris. Il ne supporte tout simplement pas le spectacle d’imbéciles qui s’étripent pour avoir le dernier mot. De nature politique ou «d’idées», ces débats ont lieu pour la plupart dans les médias et nourrissent le limon fertile des cornichons rassemblés devant leurs récepteurs de télévision. L’avenir du rock s’honore de ne pas appartenir à cette catégorie sociale. Malgré toutes ses précautions, il est parfois rattrapé par la réalité. Il recevait l’autre jour Japee et son père, et lorsque le verre de trop eut atteint les cervelles, un bouillant débat enflamma l’atmosphère. Japee reprochait à son médiocre pédagogue de père ses errements catastrophiques et le traitait ouvertement de démon, ce qui faisait hennir le-dit père de rire, un rire dont les stridences perçaient les tympans. Ne pouvant en supporter davantage, l’avenir du rock prit appui sur l’ineffable semelle de sa sagesse et lança d’un ton qu’il voulait bienveillant :

             — Fallon Fallon les enfants, n’avez-vous pas honte de vous comporter ainsi ?

             Hébétés, ils se calmèrent aussitôt et redoublèrent d’efforts pour dissimuler leur honte.    Une autre fois, toujours à table, l’avenir du rock fut confronté à un débat de la pire engeance, le débat rock. Il pensa d’abord s’enfuir pour échapper à ça, mais la curiosité l’emporta sur le risque de vomir. Il assista plus que médusé à l’échange qui opposa Boule et Bill, deux vieux crabes déplumés, qui, comme bon nombre de vieux crabes déplumés, se prenaient pour des aristocrates du rock. Le verre de trop atteignit la cervelle de Boule qui lança à Bill :

             — Les groupes dont tu parles si doctement, les Purple, les Sabbath, tous ces groupes choochootent sur les rails de mon indifférence et s’arrêtent à la gare de mon mépris intersidéral.

             — Môsieur le pauvre con, faites-vous greffer une cervelle, ce qui vous permettra de comprendre qu’on ne fait pas l’impasse sur les architectes du rock britannique des seventies.

             — Ma main ne va pas faire l’impasse sur ta gueule.

             C’est le moment que choisit l’avenir du rock pour intervenir :

             — Fallon Fallon les enfants, croyez-vous que le jeu en vaille la chandelle verte ?

     

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             Bon, il faut bien que le nom de Fallon serve à quelque chose. Le voilà employé à bon escient. John Fallon est un esprit lumineux qui doit apprécier les petits contes immoraux. Qui oserait en douter ?

             Quand on voit le Fallon en photo, on le prendrait presque pour un débutant, avec ses lunettes à verres teintés. Pourtant, c’est un vétéran de toutes les guerres. Il enregistrait déjà des albums superbes dans les années 80 avec les Steppes, dont on a dit dans un Part One, quelque part en 2021, tout le bien qu’il fallait en penser. Après la fin des Steppes, il est passé au step suivant avec The Laissez Fairs, comme s’il suivait le chemin d’une évolution, mais il s’agit d’une évolution sidérale, une sorte d’accélération subsonique qui relève des phénomènes spatiaux inexpliqués. Comment, quarante ans après ses débuts, un homme peut-il développer de tels flash-booms énergétiques ?

             Cette affabulation s’appuie sur deux preuves matérielles : Curiosity Killed The Laissez Fairs? paru en 2021 et Singing In Your Head paru l’année suivante. Dans un cas comme dans l’autre, on peut parler de bingo. Signalons au passage que ces albums fantastiques sont affreusement mal distribués. Si tu veux les choper, lève-toi de bonne heure et compte sur la chance.

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             Quatre coups de semonce sur Curiosity Killed The Laissez Fairs?, à commencer par le terrific «Image», gorgé jusqu’à la nausée d’English freakbeat. Ça t’explose la cervelle en mille morceaux. Tu y entends des accords des early Who et toute la grandeur tentaculaire du freakbeat. Et ça continue avec un «Sunshine Tuff» d’une grandeur à peine croyable, c’est de l’update d’uptown, ça joue au-dessus de tes moyens, c’est tellement noyé de son que tu n’entends plus rien. Et John Fallon taille son solo dans le sucre. Les Laissez Fairs réinventent le son anglais, le son des Who et tout le reste. On ne va pas les énumérer. Et comme si tout cela ne suffisait pas, voilà le coup du lapin, «Tell You What It Means». John Fallon est un démon qui adore plonger dans les entrailles de l’enfer. En plus, il grouille de puces. Son énergie est un modèle du genre. Et tu as le solo en contrebas, explosif de retenue mal retenue. Comme sabré dans le dos. Quatrième coup du sort : «Drydenseek», un hit monumental éclaté au solo d’arpèges, dressé dans une clameur chatoyante d’ardeur suprématiste. Ça monte tellement que tu as du mal à redescendre. Et puis il reste des tas de choses passionnantes à découvrir sur cet album, la belle fête au village de «Somewhere Man», la fuzz et le chant fatal d’un «Sad Girl Of The High Country» bien claqué du portillon. Dans «Two Sides Of The Same Coin», on ne sait pas comment il fait, mais il y va. John Fallon est un coriace. Il revient au heavy Fallon avec «Everything (I Ever Wanted)». Sa voix chuinte un peu, mais pas sa vision du son. Que d’avenir, my friend, que d’avenir !

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             La pochette de Singing In Your Head ne laisse aucune chance au hasard : tu sais que tu es dans le futur, c’est-à-dire l’avenir du rock. Rien de plus spatial que ce visuel de pochette. D’ailleurs, «Real Good Time In 1969» te met aussitôt au parfum, avec tout le rebondi du heavy Mod craze. C’est pulsé à l’occiput. John Fallon voit les choses ainsi : pulser le beat, avec en embuscade, le solo broyeur de gorge. Il sait rester cohérent. Il en remet une couche avec «Kathleen Coffeine», un shoot de heavy psyché visité par des vents incertains, des grattés de poux demented, ah il faut entendre les entourloupes du loup des steppes, il est le roi des échappées belles, sa Kathleen se fond dans la clameur de Dieu, c’est un instant magique. On retrouve cette clameur insolente dans le dernier cut, «Laughing Boy». Avec «A Wildeforce», il sonne comme les Byrds, il est en plein dedans. Il rend un autre hommage, cette fois au Velvet, avec «Goodbye To Samantha». C’est plombé dans l’or. John Fallon caresse toutes les chimères su rock. Chaque fois, il tape en plein dans le mille. Il maîtrise aussi l’art de la Beautiful Song, comme le montre «Fields Of Yesterday». Il fabrique de la mythologie, il vise la pureté du son, il propose là une chanson parfaite, comme le fit en son temps Lou Reed avec «Pale Blue Eyes». John Fallon connaît toutes les ficelles de l’émotion. Il crée un univers de rêve. Puis il va regorger «Pretty Penny» de clameurs. Il est à la fois spongieux et supérieur. Drôle de mélange diront les sceptiques. Mais comme c’est du pur jus, tu tombes dans ses bas.

    Signé : Cazengler, le loup des stop.

    The Laissez Fairs. Curiosity Killed The Laissez Fairs? RUM BAR Records 2021

    The Laissez Fairs. Singing In Your Head. RUM BAR Records 2022

     

     

    Inside the goldmine

    Veni, vidi, Vicki

             Tout le monde louchait sur les seins de Baby Sof. Elle le savait. Elle arrivait en cours correctement vêtue, mais dès qu’il commençait à faire un peu chaud, elle se mettait à l’aise et se rendait bien compte que son décolleté captait tous les regards. La grande majorité des stagiaires étaient des mecs, alors forcément, Baby Sof en profitait. Il faut ajouter à son crédit qu’elle avait aussi une certaine classe. Elle ne cachait pas ses origines bourgeoises. Brune, lunettée, dans la trentaine, elle avait en outre une bouche qui appelait les baisers les moins platoniques. Dans la cervelle de tous les stagiaires présents dans la salle, elle incarnait certainement l’épouse idéale. Elle intervenait toujours de manière pertinente et bien sûr, lors de l’attribution des places pour ce stage pro qui allait durer un an, elle se retrouva à ma droite. Nous sympathisâmes. Nous eûmes vite fait de former une petite bande pour aller traîner le soir en ville après les cours, deux mecs et deux gonzesses, une sorte de formule idéale. Nous allions casser la croûte dans des restos exotiques de Montmartre. Baby Sof et sa copine eurent un jour l’idée d’un voyage à Amsterdam pour aller admirer La Ronde De Nuit au Musée Rembrandt. Et bien sûr, pour des raisons de budget, nous ne louâmes qu’une seule chambre à deux lits. Baby Sof dormait avec sa copine dans l’un des deux lits. Ce fut une nuit interminable, car bien sûr il ne se passa rien, hormis les chuchotements de Baby Sof et de sa copine jusqu’à l’aube. Une nuit que nous traînions tous les deux en ville, Baby Sof proposa l’hospitalité. L’heure du dernier RER venait de passer. Elle habitait un superbe appartement à Levallois, cadeau d’un précédent mari richissime. En voyant sa fille adolescente, il était facile de comprendre que le père était arabe, probablement originaire des Émirats. Comme sa fille apprenait à jouer de la guitare électrique, il fallut subir la corvée consistant à lui montrer quelques accords. Puis Baby Sof l’envoya se coucher et vint s’installer à ma droite sur le petit canapé. Elle portait un débardeur qui ne cachait plus grand chose de sa poitrine exubérante. La discussion s’éternisa, elle monologua pendant des heures, le jour se leva et un gigantesque ciel d’Île de France embrasa la baie vitrée. Alors que j’essayais de surmonter un mélange de fatigue et d’extrême frustration, Baby Sof m’apparut telle qu’elle était en réalité : elle cultivait le désir jusqu’au délire pour mieux le tuer dans l’œuf.  

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             Vicki Anderson cultive elle aussi le désir jusqu’au délire, mais pas de la même façon. Alors que Baby Sof joue de ses appâts, Vicki chaloupe des hanches et chante le funk. Enfin, il faudrait parler au passé, car elle vient tout juste de casser sa pipe en bois.

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             Autant l’avouer franchement : Hot Pants - I’m Coming Coming Coming de Bobby Byrd & Vicki Anderson est un gros foutoir de funk, mais pas du petit funk, du hard funk d’éjaculation, et ce dès le morceau titre. Fantastique élément perturbateur d’I’m comin’ ! Bobby jouit ! Et ça repart de plus belle avec «Keep On Doin’ What You’re Doin’», du pur jus de JeeBee, joué au squelette de funk. Hard funk toujours avec «I Need Help (I Can’t Do It)» - I need help ! Now ! - Bobby en rajoute, I need to feel it ! Il est encore assez magique avec «If You Got A Love (You Better Hold On To It)», bien gratté aux petites guitares funky métalliques, Bobby passe en force à chaque fois. Puis Vicki chope le micro et fait son show. Elle démarre avec «I’m Too Tough For Mr Big Stuff», elle tape elle aussi dans le heavy funk, elle funke littéralement sa Soul, petite Vicki deviendra grande. Puis elle tape dans l’un des plus beaux hits de l’univers, «In The Land Of Milk And Honey», elle crève le ciel comme d’autres crèvent l’écran, elle chante au pire perçant d’empire persan et puis elle prévient : «Don’t Throw Your Love In The Garbage Can», tout ce qu’elle fait est énorme, elle est supérieure en tout et elle nous fait le coup du duo d’enfer avec «You’re Welcome Stop On By», véritable coup de génie. N’oublions pas de nous prosterner devant «Once You Get Started», car Vicki y bat tous les records de classe.

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             Bien belle anthologie que ce Mother Popcorn (Vicki Anderson Anthology). Si tu aimes le heavy funk, c’est pour ta pomme, et ce dès «The Message From The Soul Sister (1&2)». Elle monte tout de suite au créneau, yeah eh eh, she shakes it hard, elle est dedans, aw my Gawd ! On reste dans le move avec «Super Good (Answer To The Super Bad)», encore du heavy hush, elle appuie là où il faut. On est dans le hard funk de James Brown, wait a minute, James Brown fait les retours d’Hold on, mais sous le boisseau. Undervover Genius avec the Big Funk Sister. Hallucinant ! S’ensuivent quatre coups de génie : «I’m Too Tough For Mr Big Stuff», «Answer To Mother Popcorn», «I Want To Be In The Land Of Milk And Honey» et «If You Don’t Give Me What I Want». Pur funky business. Vicki est une bonne, elle négocie le beat avec un tact unique, yeah open my door. C’est une authentique lady. Et ça continue avec «Answer To Mother Popcorn», back to the heavy groove du funk moite, the real deal, elle s’y love avec une voix de reine de Saba. Elle revient à l’univers magique de James Brown avec «I Want To Be In The Land Of Milk And Honey», power à l’état pur, soutenu par des tempêtes orchestrales. Elle tient bien son rang et shoute comme une folle. Il n’existe pas beaucoup de poules qui te sonnent aussi bien les cloches. Avec «If You Don’t Give Me What I Want», elle lève l’enfer sur la terre, yeah yeah, elle est dans l’excelsior définitif, elle monte son r’n’b au chat perché. Tout est bien sur cette antho, elle prend son «Baby Don’t You Know» sous le boisseau, elle tient le son par la barbichette, elle est exemplaire. Et voilà qu’elle duette avec James Brown sur «Think». Ça tourne à la magie. Il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie si on ne veut pas mourir idiot. Sur «Once You Get Started», elle est littéralement emportée par des vagues de heavy funk. Toutes les funky guitares sont là. C’est encore du funk genius à l’état pur. Elle explose le chant et s’en va screamer au sommet du lard. Elle reduette un coup sur «You’re So Welcome Stop On By», mais pas avec James Brown. Cette fois, elle duette avec Bobby Byrd. Top niveau, évidemment. Bobby monte le niveau très haut. On a là deux artistes exceptionnels avec une prod magique à la Marvin Gaye. Retour au froti avec «I’ll Work It Out» elle le travaille à la grosse arrache, peu de gonzesses s’éclatent autant au froti. Elle revient duetter avec son mentor James Brown sur «You’ve Got The Power». C’est lui qui ouvre la bal d’I need you darling, il pave le chemin de bonnes intentions - Ouuh-ouuh I want you to try me - Elle arrive, et comme elle s’appelle Vicki, elle le remet en place - Oh little darling you’ve got the power - Et ça prend des allures intemporelles - You’ve got the power in your hand/ You’ve got the power to make understand - Et James Brown : «Say it one more time !». C’est une œuvre d’art sexuelle. Elle termine son antho à Toto avec le «What The World Needs Now Is Love» de Burt, elle y va au now sweet love, c’est une combinaison suprême : Burt + Vicki, ça vaut bien le Burt + Dionne la Lionne, même si elle n’est pas aussi racée que Dionne la Lionne, mais Vicki y va avec tout le chien de sa petite chienne et elle t’éclate tout le Sénégal. Stupéfiante Vicki !

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             Avec Wide Awake In A Dream on tient entre les pattes l’un des albums les plus parfaits de l’histoire de la Soul. Vicki shake de toute évidence le meilleur r’n’b de son époque avec «I Love You», elle sait pousser à la roue, elle y revient à chaque couplet, Vicki est une vainqueuse, plus petit gabarit qu’Aretha mais même niveau de niaque. Son «Never Never Let You Go» développe une fantastique énergie, c’est même bien supérieur à Stax, elle est fabuleusement active dans la fournaise et pouf, gros solo de trompette ! T’es content du voyage ! Même quand on la croit calmée, elle pousse des pointes («I Won’t Be Back»). Elle chante ses slowahs à pleine gueule et fait ramper sa Soul quand il le faut («Nobody Cares»). Elle se planque dans l’énormité du son pour aligner «Don’t Mess With Bill», un vrai délire d’excelsior, elle ne connaît qu’une seule chose dans la vie : le power inexorable. Elle est la reine des insistances et un solo de sax vient la couronner de notes de diamant, c’est là où la Soul te monte au cerveau. Elle fait un gros clin d’œil à Martha Reeves avec une cover de «Nowhere To Run». Elle la prend de plein fouet. Vicki forever ! Et pouf, alors qu’on avait du mal à retrouver du souffle, elle duette avec James Brown sur une version de «Think», about the right thing, Vicki hurle tout ce qu’elle peut - Think baby about the right thing - Comme tu es tombé de ta chaise, tu dois vite te relever pour la suite. Elle plonge son «Tears Of Joy» dans le slowah de classe supérieure. Même les nappes de violons s’émancipent, ça violonne encore jusqu’à l’horizon avec «All In My Mind», pur genius, elle allume son cut avec le grain des violons. Bobby Byrd vient duetter avec elle sur «He’s My Everything». Elle redevient la shouteuse exceptionnelle que l’on sait avec «No More Heartaches No More Pain» et comme si tout cela ne suffisait pas, voilà qu’elle tape dans Burt avec «What The World Needs Now Is Love». Elle navigue exactement au même niveau que Dionne la lionne et Jackie De Shannon, elle est déterminante, belle dans sa grandeur et elle se bat là-haut sur la montagne avec les éléments. Elle est titanesque. Elle reduette avec JeeBee sur «Let It Be Me». JeeBee feule si bien qu’il féminise sa race. Ces deux fantastiques artistes font la paire, let it be me one more time, fait le Godfather, say it ! C’est de la haute voltige, JeeBe fout le feu. Elle revient au heavy groove de r’n’b avec «Don’t Play That Song». Vicki vaincra. Elle est très spectaculaire, une vraie gladiatore. Elle entre dans l’arène et se bat comme Russell Crowe. Mais ce n’est pas fini ! Voilà qu’elle tape une version d’«In The Land Of Milk & Honey», elle chante à l’éperdue infinitésimale, dans une fantastique débauche de moyens glottaux, elle jette ses ovaires par-dessus l’Ararat, alors t’as qu’à voir ! Même un mec blasé comme Moïse est scié. Vicki est la reine des outrances.

    Signé : Cazengler, venu, vidé, vaincu (aka le loser)

    Vicki Anderson. Disparue le 3 juillet 2023

    Bobby Byrd And Vicki Anderson. Hot Pants - I’m Coming Coming Coming. Polydor 1989  

    Vicki Anderson. Mother Popcorn (Vicki Anderson Anthology). Soul Brother Records 2004

    Vicki Anderson. Wide Awake In A Dream. BGP Records 2010

     

    *

    WILD DEUCES

    3 B

    (Troyes - 23 / 10 / 2023)

    Retour aux 3 B. Béatrice la patronne a décidé d’ouvrir un nouveau cycle de concerts rockabilly. Pas de chance pour moi, une avant-première le 7 juillet avec Jacke Calypso, un méga must, hélas de pressantes affaires familiales m’empêchent d’y assister, mais pour ce coup-ci, quitte à produire un milliard de tonnes de carbone j’ai promis que j’y serai. Qu’importe la planète, ne serait-ce pas un honneur pour cette bonne vieille terre de périr pour un concert un rockabilly !

             Une nouvelle formule, un Paf d’entrée de 5 €, et la possibilité de manger ( miam-miam la plancha charcutaille-fromageous ), surprise pour le dessert : The Wild Deuces, venus tout droit de Belgique.

    THE WILD DEUCES

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    Sont quatre, croyez-moi sur parole, la foule est si dense que je n’ai pu entrevoir que fugitivement, le bassman et le cou de girafe de sa big mama qui dépassait. Bart a profité du premier morceau très swing pour installer son velouté. Attention pas un truc tiédasse peu ragoûtant, une saveur onctueuse, un potage crémeux aussi épais qu’une moquette laineuse, aussi dense qu’un épéda multi-spire pour reprendre une ancienne publicité, mais aussi rapide et flexible que le tapis volant d’Aladin, z’avez l’impression d’être au volant d’une luxueuse berline de 400 chevaux montés sur coussins d’air. Pourtant ça vibre à foison, pire ça se colle au rockab le plus sauvage à la manière de vos pieds boueux qui n’arrivent pas à se dépêcher du paillasson à ventouses sur lequel vous avez marché par mégarde.

    Je pressens votre inquiétude, avec un tel turbo-réacteur à ses côtés que peut faire un batteur pour s’imposer ? Moi je donnerais ma démission. Mais là il accomplit sa mission périlleuse sans ciller. Un groupe de rockab sans batteur c’est comme la bataille de Valmy sans les canons. Faut avoir l’œil partout à la fois, tirer au moment précis, réduire sa cible en poussière, recommencer illico, pulvériser et fracasser les oreilles des auditeurs sans les effrayer. Du tact et de la force. Être dans le temps tout en donnant l’impression d’être toujours un tantinet en avance sur les évènements.

    L’est certain qu’avec une section rythmique de cet acabit vous pouvez vous reposer sur vos deux oreilles. Oui mais le Gretschman ne l’entend pas ainsi. Waouh ! Quel guitariste. Une précision redoutable. L’est totalement intégré à la section rythmique, à trois une véritable machine de guerre. Le rockab, c’est quoi ? C’est une musique qui s’arrête au millionième de seconde près, quinze secondes de boucan homérique, et hop plus rien du tout. Pas le temps de souffler qu’une dégelée de notes vous retombent dessus sans vous prévenir, pour dix secondes plus tard s’arrêter sans préavis et hop vous êtes assailli d’une mini-tornade de grêlons sonores gros comme des boulles de pétanque. Tout est dans le son de la guitare. Ou elle vous convainc de l’urgence de la situation ou elle se traîne péniblement dans ses pantoufles, Stevens ne vous laisse aucune chance. Vous tue sans rémission et vous refile la vie tout de suite, chaque fois qu’il touche ses cordes vous revivez, votre cœur bat à cent à l’heure et quand il arrête vous êtes en manque, irrémédiablement perdu pour la société, mais il vous regonfle à bloc aussitôt. J’ai passé le concert à le regarder.

    Maintenant vous oubliez tout. Eclipse totale, la lune occulte les trois soleils derrière elle. Elle : Manon. Dans un long fourreau noir.  Qui descend jusques aux pieds. Qui ne laisse voir que les tatoos de ses épaules. Un tiers blonde. Deux tiers rousse. Une présence indéniable. Elle attire. Elle focalise les regards. Sûre d’elle, tout sourire. Elégante et joueuse. Elle use et abuse de son charme et de sa facilité à établir le contact. Elle parle mal le français, tout le monde la comprend. La reine du show. Se poste devant le micro. C’est parti à l’arrache, un vocal qui bouscule tout sur son passage. Pas de quartier. Pas de pitié. Des morceaux courts qui vous jettent au tapis. Une aisance déconcertante. Comment une voix si rauque peut-elle sortir d’un corps si mince. Entre deux morceaux, elle s’amuse, elle minaude, fait applaudir ses musicos, semble penser à tout autre chose qu’au concert et elle démarre à fond les gamelles sans prévenir, derrière le trio la suit comme le bouchon épouse les caprices de l’onde qui le porte. Elle parle Flamand nous avertit-elle, est-ce l’influence espagnole sur les Flandres, mais voici qu’armée d’un éventail elle se réfugie par trois fois au fond de la scène pour laisser chanter son batteur. Ce dernier tout en continuant à battre frénétiquement le beurre dévoile sa belle voix, pas tout à fait rockab, pas tout à fait Sinatra dans la manière d’articuler mais il recueille un franc succès. Tout comme l’ensemble des Wild Deuces qui joueront leur deuxième set et leurs rappels sous les interjections et les clameurs de la foule dont certains membres malgré la presse n’hésitent pas à danser. Une belle soirée.

    Merci Béatrice.

    Damie Chad.

     

     

    GUMBO CARNIVAL EXTRAVAGANZA

    BIG DADDY’S BREAKFAST VOODOO

                                        (Piste Numérique / Août 2023Bandcamp)     

    Je voulais chroniquer voici longtemps leur album Snake Oil  paru en 2017, puis j’ai flashé sur le suivant Black Cat Bone Spell, sorti en 2020, je n’en ai rien fait alors je ne laisse pas passer le tout nouveau paru en août ! Le groupe s’est formé en 2010 à Amsterdam. La ville devrait m’offrir une rente à vie pour tous les paquets d’Amsterdamer que j’ai fumés, mais ceci est une autre histoire. Sont trois : Mick : guitar, vocal / Peter : bass / Bart : drums.

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    Au titre l’on pourrait se croire à la Nouvelle Orleans, y’a bien un alligator sur la pochette, et maintes allusions aux titres de l’opus que nous allons écouter. En fait la pochette ressemble à son contenu, un joyeux charivari, tout de suite l’on devine que ces trois lurons ne se posent pas de problèmes métaphysiques. Se définissent comme un groupe de blues, et revendiquent des influences stoner,  disons pour faire simple qu’ils ont le désert luxuriant et qu’ils ont exilé tout sentiment de tristesse de leurs racines bleues.

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    Reno : z’ont cassé l’anatole du coquetier et vous servent le jaune de l’œuf avec le croco qui nage dedans, Bart vous refile le rythme, ni exactement binaire, ni justement ternaire, tape entre les coups de queue précipités de la bestiole toute heureuse de voir enfin le monde.  S’y mettent tous les trois autour comme les pieds nikelés préparant un mauvais coup, Peter marche le frein à main de sa basse non enlevé, du coup le moulin de la guitare broute le riff et parfois sur le vocal il nous semble que Mick n’hésite pas à miauler. Soyons franc question paroles ce n’est pas le velouté de Verlaine, sacré tintouin terminal. Parked my car into the water : non ce n’est pas l’histoire de Keith Moon qui bazarde ses voitures dans la piscine, c’est pire, pour nous petit frenchies ça fait penser à J’ai jeté ma clef dans un tonneau de goudron de Mac Kac, pour l’esprit parce que musicalement vous les suivriez jusqu’au bout de la mer quitte à transformer votre chiotte en sous-marin nucléaire, d’ailleurs ça se finit en apocalypse nucléaire, le Bart vous a une voix de supporter de foot, vous conduit son équipe à la victoire les doigts dans le nez et quand c’est fini vous vous rendez compte que vous êtes planté au milieu de la pelouse, avec les vôtres dans le cul. Trip safari : encore une histoire de piscine avec des castors dedans, puis toute une ménagerie, une section rythmique qui vous fout le sbeul, une guitare qui découpe un cuissot d’éléphant avec le couteau électrique de sa grand-mère, un vocal qui pointe sa tête de girafe par-dessus le ramdam et des espèces de chœurs psalmodiés comme jamais vous n’en entendrez dans un disque de gospel. Non, ce n’est pas du prog. Entre nous c’est hyper chiadé. La guitare ronronne, vous avez un tigre royal mangeur d’hommes qui dort sur le canapé de votre salon. I am the broom : rythme insidieux, guitare menaçante, batterie coup de marteaux, fini la plaisanterie, l’on entre dans la sociologie moderne, pas du bon côté, le Bert en oublie presque de chanter, l’articule méchant va exploser, cette fois la guitare vous file une castagne dont vous vous souviendrez, la tension monte, sifflement dans vos oreilles, il explose, il ne se retient plus, il jacte comme un somnambule prêt à passer à l’acte. N’a pas tort, l’en a marre de faire le ménage, le drame se précise, le mec a le blues méchant, on le comprend, on le soutient. Vu la violence terminale on se doute que… Mount Jacobi Shack : en tout cas il ne le dit pas, l’enchaîne directement sur le morceau suivant, à toute blinde, la guitare de Mick pique un sprint, ça pue un peu la cabane du trappeur qui ne s’est pas lavé depuis six mois, jusque-là tout va bien mais le morceau déraille, une vague sauvage sous emporte, ne savent plus où ils sont, dans la chanson ou sur le Mont Jacobi, carburent au kérozène, sont dans un tel état qu’ils vont finir à l’asile. Au moins ils n’auront pas le loyer à payer. Doomed to fail :  la fêlure, ils ont craqué, la guitare pleure à chaudes larmes, l’irrémédiable réalité de leurs existences leur saute aux yeux, échec et mat, ils ont perdu. Sont accablés par le malheur de vivre. Oui mais ils mettent une telle énergie à le proclamer que vous comprenez qu’ils en ont encore sous le pied. Sous le désespoir la lave bouillonne, des gosses punis de récréation qui prendront leur revanche à la fin de la journée. L’instrumentation muselée est en train de broyer sa chaîne avec ses dents. Til the lights go out : que disait-on ! des enfants de chœur, ils agitent la clochette du sacristain, se foutent des paroissiens, vous ont adopté un rythme perversement candide, s’amusent, vont se masturber dans les coins sombres, jolie prouesse vocale de Mick, jamais je n’ai entendu une musique qui ment si sympathiquement, avec eux la nature reprend ses droits, en plus si l’on y réfléchit un peu sont en train de se foutre du blues lui-même, même pas la musique du diable, ni celle du bon dieu, dans les deux cas ce serait de l’hypocrisie heureuse. Netflix Lockdown : pas tout à fait un morceau sur l’addiction à Netflix, ne confondez pas la cause avec la conséquence, ce serait dommage, parfois faut savoir crier au loup pour égarer le chasseur, un régal, un trio parfaitement en place et en classe, une instrumentation équilibré à merveille, tous ensemble et pas un qui marche sur l’autre, un vocal omniprésent qui n’accapare pas la part du lion, une batterie si présente qu’on ne l’entend pas, une basse qui passe en courant d’air, et une guitare qui guette sur la crête. Suis resté bloqué longtemps sur ce Netflix. Black burned cupcake : pour le dernier morceau vous avez droit à un gâteau. Je ne suis pas pâtissier et je ne me prononcerai pas sur la recette, toutefois ce colorant rose me paraît peu écologique et ce mystérieux ingrédient X, c’est peut-être à cause de lui qu’ils jouent si speed. Sur la fin, ils sont carrément en manque, ils se disputeraient presque pour être servis en premier. Il ne faut pas exagérer non plus, à la maternelle au goûter jamais un de mes camarades n’a proclamé qu’il préférait les gâteaux au sexe. Enfin c’est du blues alors on pardonne.

    En tout cas je ne m’attendais pas à que ce soit si bon. Non pas le gâteau. Ni le sexe. Je parle du groupe. Cet opus est une splendeur.

    Damie Chad.

     

    *

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    A plusieurs reprises sur KR’TNT nous avons présenté le travail pictural de Manuel Martinez. L’annonce d’une exposition Avec la peinture et la sculpture à Ostrava, Orchard Gallery, in Tchéquie, du 13 / 09 / 2023 au 10 / 10 / 2023 nous a donné envie de nous pencher encore une fois sur son œuvre foisonnante. Si dans notre chronique Angels in Disguise du 02 / 20 / 2020 nous avions exploré l’aspect mythique de son chemin de peinture, cette fois-ci nous découvrons une autre face de cette œuvre, que nous nommerons :

    LES GENS D’AUJOURD’HUI

    1

    TRANSFERT

    Diptyque - Acryl / Toile 162 x 60 x 2 - ( Août 2023 )

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    La peinture nous regarde davantage que nous la regardons. Nous sommes souvent les derniers à nous en rendre compte. Nous avons été sympas, nous inspirant du titre de carnets graphiques de Manuel Martinez nous aurions pu intituler cet article Nos Contempourris, comme nous sommes les contemporains de nos contemporains, nous n’avons pas osé. Nul besoin de décrire la scène. Inutile de remonter au diptyque Adam et Eve d’Albert Dürer, contentons-nous de suivre les pointillés. Ils ne disent rien mais ils révèlent tout. Dans la vie tout est question de visée. Il suffit de savoir d’où part la flèche et de connaître la cible qu’elle désigne ou rate. Manuel Martinez est gentil, il trace la ligne mathématique (donc imaginaire, songez que ce mot est formé sur image) de son parcours. Remarquons que sur les vêtements aux couleurs uniformes, deux flèches partent en des directions opposées. Les anciens grecs nous expliqueraient qu’Apollon est un archer redoutable.

    2

    TIR TENDU

      Acrylique – toile 120 x 120 (Mars 2020)

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    Parfois la visée est si nette qu’elle se transforme en trajectoire. Si vous voulez un adjectif pour qualifier le jaune du gilet, je propose dramatique ou colérique. Si Transfert est un fait de société, Tir Tendu est un méfait gouvernemental. La peinture est aussi un acte politique. La flèche est tracée sur l’asphalte. Vous ne pouvez y échapper. Le sujet, ici grammaticalement parlant, celui qui subit l’action, ne touche plus le sol, il n’est pas touché en plein vol, c’est la balle qui l’envole, grâce à l’ombre tournoyante de ses bras il devient multiple. Ses bras font signe. II devient symbole. Une seule image suffit pour retracer un destin, collectif. La couleur pour transcrire une colère noire.

    3

    REGLE DE CINQ

    Acrylique – toile 120 x 120

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    Regarder les autres se faire tirer dessus comme des lapins ne veut pas dire que l’on est en-dehors du danger. Ici les pointillés sont évidents. Ils ont grossi, ils sont peinturlurés. Celui qui ne les reconnaît pas devrait se faire des soucis. Reste à expliciter cette mystérieuse règle de cinq, bien plus énigmatique à première vue que la fameuse règle de trois. Il suffit de regarder le tableau pour comprendre. Aucun besoin de connaissances ésotériques. Qui tire au juste ? Le peintre. Qui reçoit les balles ? Le tableau. Ce n’est pas un suicide, le peintre est toujours vivant, juste une projection (révisez vos leçons de sixième sur les couleurs primaires et complémentaires). Vous avez toujours le choix. Mais les conséquences. 

    4

    ULYSSE

      Acrylique – toile 120 x 120

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    Il y en a toujours qui se prennent pour celui qu’ils ne sont pas. Leur désir est si fort qu’il se solidifie, se transforme en lance, et maintenant avec leur costume cravate, leur chemise blanche sans tache, ils se prennent pour Ulysse – bien sûr ils ont la caution de Joyce – ils ne sont que des Tartarins de Tarascon (09), qu’importe ils ont vaincu et transpercé la diabolique tarasque, la bête infâme, la bête infemme pour emprunter la langue des oiseaux. Songez davantage à la langue qu’aux oiseaux. Notre héros l’a clouée sur place. Elle agonise. Petite mort. Elle = Peinture.

    5

    BRUNE EXTRALIGHT

    Acrylique – toile 70 x 70

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    Vous pourriez accuser Manuel Martinez, el picador de la pintura, d’exprimer le désir du mâle blanc de plus de cinquante ans. Tout à fait son portrait. L’est comme Apollon qui a plusieurs flèches dans son carquois, il a plusieurs pinceaux sur sa palette. Beaucoup de jeunes filles sur ses toiles. Des corps adorables, des postures attirantes, des attitudes énigmatiques, c’est oublier que tout se passe dans la tête. Pas nécessairement de celui qui est regardé mais dans le chef de celle qui regarde. Lors des sacrifices antiques la fumée qui montait vers le ciel était la part des Dieux, les chairs qui restaient étaient dévolues aux hommes… Si cette jeune fille fume trop elle n’en pense pas moins. Pour ceux ou celles qui préfèrent les blondes, se reporter dans la même série au tableau Virginia.

    6

    DISTANCIATION

     Acrylique– toile 80 x 80

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    Elle l’a vu. Elle le tient à distance. Peut-être est-ce cette distance qui le tient à elle. Que les pensées sont noires. Nous ne voyons que ses épaules recouvertes de nudité. Sommes-nous au plus près de l’intimité des rêves érotiques. Il n’est qu’une ombre, une marionnette accrochée à la paroi d’un sombre rocher. Peut-être en surgit-il et s’apprête-t-il à l’escalader, peut-être un simple coup d’œil précipitera sa chute. Il est dans le viseur. S’en doute-t-il seulement. Peu importe il n’a pas voix au chapitre.

    7

    MISE EN REGARD

     Acrylique– toile 50 x 50

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    La même scène. La pendule a tourné. C’était la nuit voici le jour. L’œil a accroché un œil à son hameçon oculaire. Souvenons-nos que dans la peinture tout est question de regard. Ici nous n’avons que le regard. Le sujet regardé est hors-champs. Est-il vraiment si important en lui-même. N’est-ce pas le désir qui prime. Son objet ne dépend-il pas de lui. Une autre flèche part en un sens opposé. N’existe-t-il pas une autre possibilité, et pourquoi pas un champ des possibles illimités. Œil de lynx et ruse de sioux, elle regarde de l’autre côté.

    8

    VA SAVOIR

     Acrylique– toile

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    Tout se passe dans la tête. Mais aussi dans un monde réel empli de gravité. Parfois il est difficile de choisir à quelle force de son propre désir on cèdera. La paume des mains levées vers le ciel, c’est ainsi que les grecs invoquaient les Dieux, ici on s’en remettra à la puissance du hasard. A l’aune du désir l’un ne vaut-il pas l’autre, toute chose étant égale, autant que la décision dépende des circonstances, la flèche monte haut vers les étoiles mais c’est à la base de sa trajectoire que tout se décidera. L’arc n’est-il pas aussi nécessaire que la flèche.

    9

    SIGNES

     Acrylique– toile ( 50 x 50)

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    Titre d’une ambiguïté parfaite. Toutefois elle est la cible désignée de la flèche. Le regard suffit-il ? Sous l’œil inquisiteur elle est déjà quelque peu dégrafée, la situation est claire, elle sait que si la flèche la transperce déjà c’est parce que son attitude de proie débusquée et consentante a attiré le regard. Qui a tiré le premier ? Les pensées moites du désir se bousculent dans sa tête. Tout est dit. En quelques virevoltes de pinceau. Les signes ne trompent personne. Même pas elle.

    10

    SUSPENSION

    Acrylique– toile ( 80 x 80)

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    Nous étions dans les états d’âmes, dans les états dames aussi. Dans les observations phénoménologiques quant à l’expression du désir féminin par Manuel Martinez. Nous assistons maintenant à l’irruption de la modernité technologique dans le sentiment amoureux. Encore une histoire de transfert. Le medium s’introduit dans l’histoire. Ne plus parler à l’objet du désir mais au désir de l’objet. Nous terminerons ce commentaire par des points de suspension…

    11

    QUAND ELLE DOUTE

    Acrylique– toile 60 x 50

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    Titre explicite. Ce n’est pas qu’elle doute de quelque chose ou de quelqu’un. Elle doute du doute. Quand la quadrature du cercle prend la tangente. Ceux qui hésitent entre ceci et cela se mentent à eux-mêmes. Tout comme quand vous doutez de vous-même. Le doute est le vecteur. Le doute est le média. Technologique en quelque sorte. La seule manière d’appréhender le monde qui soit à notre portée. La partition est simple. Ou l’on s’ouvre au monde, Ou l’on reste enfermé en soi-même.

    12

    DEVIANCE

    Acrylique– toile 70 x 100

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    Du regard sur le désir féminin, l’on passe au regard masculin. Peut-on entrevoir n’importe lequel de nos regards comme une déviance, vers quelque chose qui n’est pas nous, qui nous est totalement étranger, à tel point qu’il est loisible de penser que ce que nous regardons nous cannibalise, s’installe en nous, nous éjecte de nous-même. Le regard serait-il la matière noire de notre autodestruction. L’ailleurs nous tue-t-il ? Si notre esprit n’est plus d’équerre avec le monde, retournons-nous au stade animalier. Est-ce pour cela qu’une queue s’échappe de notre postérieur. N’avons-nous pas déclenché notre propre folie.

    13

    BLEU SYNCHRO

    Acrylique– toile 70 x 100

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    Merveilleuse toile. Retour à soi-même. Manuel Martinez est peintre. Il se retrouve en lui-même tel que la couleur l’institue. Désormais tout est synchro. Il hisse le grand-pavois bleu. La petite pastille océane des boîtes de peinture à l’eau de l’enfance. La bille de verre des récrés. Les deux pieds plantés sur sa propre terre. L’objectivité du regard intérieur s’équalise à l’extériorité du monde. Il est peintre. Retour à la peinture. Admirez la finesse des motifs du sweat-shirt.

    14

    Acrylique– toile 70 x 100

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    Retour au peintre. C’est de lui que tout est parti. Suivez les lignes, vous remonterez à l’origine, aux pointillés initiaux du pinceau. Le peintre tient son pinceau capable de recréer l’univers à sa propre image. Mentale. Tout dans le geste, tout dans la tête. C’est ainsi que Zeus détient la foudre et Pharaon son sceptre. Artifex.

    15

    A L’ATELIER

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    Manuel Martinez vit en Ariège. Peintre le jour, peintre la nuit ainsi se définit-il. Nous n’avons fait que peinturlurer quelques mots au bas de ses toiles. Pour ceux qui veulent en savoir plus, nous conseillons de passer par son FB : Manuel Martinez Peintre. (Surtout n’oubliez pas ‘’Peintre’’ sans quoi vous aurez l’impression que la moitié de la planète s’appelle Manuel Martinez). Vous aurez ainsi accès à plusieurs centaines de photos de ses œuvres. Nous reviendrons sur d’autres chemins parcourus en de futures livraisons. Manuel Martinez a aussi été chanteur du groupe de rock : Les Maîtres du Monde.

    Damie Chad.

    P. S. : Nous parlerons de Michèle Duchêne qui expose souvent avec Manuel Martinez dans une prochaine livraison.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 40 ( Administratif ) :

    207

    La suite ! La suite ! La suite !

    Sont maintenant plus de cinq cents personnes regroupées autour de nous. Elles se sont assises pour que chaque spectateur puisse voir. Une fois que la Mort a fait signe qu’elle va répondre, s’installe un silence qu’il me faut bien qualifier de mort. Elle est montée sur un tombeau un peu surélevé, il faut avouer qu’elle a une fière allure drapée dans les haillons de sa houppelande rapiécée, de sa main gauche lorsqu’elle a enfoncé sans effort le manche de sa longue faulx d’au moins vingt centimètres dans le granit de la dalle depuis laquelle elle domine le monde un frisson d’incrédulité et de méfiance a parcouru la foule.

              _ Mon enfant puisque tu veux tout savoir, tu sauras !

              _ Merci Madame !

              _ Gabriel, votre femme était ce que l’on appelle une mort vivante. Oecila est morte dans un accident de voiture quelques mois avant votre arrivée en Russie, elle était jeune et jolie, je l’ai prise en pitié, je l’ai laissée rejoindre le monde des vivants, sous le nom d’Ecila, elle vous a rencontré, elle vous a aimé, je l’ai laissée partir avec vous en France, voilà l’histoire est assez simple… Au bout de quelques années je l’ai rappelée sans quoi elle serait devenue immortelle en quelque sorte puisque les morts ne peuvent plus mourir.

               _ Mais cette tombe et ce cercueil dans lequel j’ai ramené la soi-disant dépouille de la sœur de ma femme ?

               _ Ce n’est pas votre femme qui était dans le cercueil mais moi, un moyen de transport très commode, encore plus confortable qu’une couchette de train de nuit. Songez que je dois être partout à la fois, aux quatre coins du monde, dans à peu tous les cimetières de cette planète j’ai un cercueil qui m’attend pour me reposer au moins quelques secondes, un travail de fou, sans aucune rétribution, je suis sûr que dans cette assistance personne ne lèverait la main pour prendre ma place !

    Les applaudissements crépitent. La camarade camarde a remporté un franc succès, d’un geste auguste elle donne congé à la foule :

              _ Je vous donne congé, je n’ai pas le temps de m’occuper de vous aujourd’hui, ce sera pour une autre fois, je vous souhaite une bonne fin de semaine. Au revoir et à bientôt !

    L’assemblée se disperse le sourire aux lèvres conquise par cette comédienne hors-pair et pressée d’aller raconter cette étrange scène à tous les amis qui voudront bien l’écouter. Gabriel et Alice serrés l’un contre l’autre les suivent à petits pas

              _ Tu sais papa ce n’est pas très grave que Maman ait été une mort vivante, regarde, nous avons Alicia et elle est vivante elle !

              _ Tu as raison, nous allons tout de suite lui acheter un collier rose avec son nom gravé dessus et un numéro de téléphone pour ne pas la perdre !

              _ Oui Papa, comme c’est une princesse un collier avec des diamants…

    208

    Le Chef allume un Coronado, Carlos et moi nous nous occupons à refermer le cercueil vide et à remettre la dalle en place. Molossa et Molossito assis côte à côte sages comme des images ne bougent pas, leurs yeux ne quittent pas la Mort comme s’ils ne voulaient pas la laisser partir.

              _ Ces braves chiens sont d’après moi les membres les plus intelligents du SSR, ils ne sont pas comme vous, ils attendent, je ne sais pas quoi, mais ils ne passent pas leur temps à se poser des questions sans réponse.

    Le Chef allume un nouveau cigare.

              _ Chère amie, ne vous méprenez pas, ici seuls les deux chiens et l’Agent Chad ont une dernière question, je vois à leur mine qu’ils n’osent pas, alors je le fais à leur place : l’Agent Chad retrouvera-t-il un jour cette jolie péronnelle qui répond au doux prénom d’Alice ?

              _ Jamais ! Maintenant je vous laisse, il y a tant de gens qui m’attendent pour mourir ! A croire qu’ils sont pressés ! Je vous dis à demain à 9 heures tapantes, j’aurai quelque chose à vous révéler.

    209

    Sur le bureau le Chef a installé une assiette de petits gâteaux pour ma part j’ai posé deux bouteilles de moonschine. Elle n’a même pas frappé, elle est apparue à neuf heures précises sur le fauteuil que j’avais avancé.

              _ Votre exactitude m’enchante Madame, je vois que vous n’avez pas la déplorable attitude de l’Agent Chad d’arriver en retard. J’ose espérer que vous avez passé une bonne nuit.

              _ Pas du tout il a fallu que j’aille mettre un peu d’ordre à Woodstock !

              _ A Woodstock ? Un festival ?

              _ Oui, les morts s’ennuient un peu, alors de temps en temps je leur permets de sortir, pas à tous. Je choisis. Mais là c’était mon chouchou, je lui passe tout ce qu’il veut, de son vivant Edgar Poe est l’être humain qui a le mieux compris le monde de la mort. Je lui en sais gré. Je lui ai permis de continuer à écrire, bref il a réuni près de trois millions d’admirateurs, des morts évidemment, venus l’écouter, il a lu sa dernière nouvelle Souvenirs du Monde des Vivants, une histoire horrible, les morts n’ont pas supporté le rappel des turpitudes qu’ils ont vécues, cela a déclenché une panique générale certains tentaient d’organiser un suicide collectif pour échapper à l’enfer du récit. Bref j’ai dû intervenir pour renvoyer tout le monde se coucher dans son cercueil. Je suis très fière d’avoir pu donner à Edgar Allan Poe dans le monde des morts le succès que le monde des vivants lui a refusé.

              _ Ah ! comme j’aurais aimé y être !

              _ Agent Chad arrêtez de dire des âneries, je pense que Madame est venue nous parler de géopolitique.

              _ En effet, je commencerai par corriger quelque peu ce que ce gros bêta de Gabriel a raconté hier, sa femme Ecila était une agente secrète russe retournée par les français. Les services français voulaient rapatrier des documents explosifs, de véritables bombes sur les agissements de leur gouvernement, ils m’ont demandé de les aider, vous comprenez la suite… Pour la petite histoire j’ajoute que les services russes ont au dernier moment rempli le cercueil d’annuaires téléphoniques… Ecila est restée en France mariée à ce gros benêt de Gabriel. Entre parenthèses sa fille tient de sa mère, à douze ans elle mène son père par le bout du nez, ce pauvre papa a de quoi s’inquiéter…

    Je voulus ajouter mon grain de ciel :

              _ Ainsi donc vous collaborez avec l’Etat français !

              _ Avec tous les états du monde. Les gouvernements sont de gros producteurs de morts, ils ont toujours une petite guerre à faire, je passe des accords avec eux, je trucide quelques opposants politiques, en échange ils activent un petit conflit à l’autre bout du monde. C’est du donnant-donnant, de la bonne politique.

    Le Chef alluma un Coronado, à son air je compris qu’il allait poser une question sensible :

              _ Et parmi les petits services entre amis, on vous a demandé de les débarrasser du SSR ?

              _ Oui, dans leur ensemble les présidents français n’aiment pas le rock’n’roll, ils voudraient même éradiquer le SSR qu’un de leurs lointains prédécesseurs a eu l’imprudence d’instituer pour s’attirer le vote des jeunes, ils jugent que c’est là un ferment d’anarchie et de déliquescence du pays, ils n’ont pas tout à fait tort, vous m’avez prise par surprise lorsque dans un épisode précédent de vos aventures vous avez envoyé un exocet sur la résidence de l’un d’entre eux, ce qui je vous le rappelle lui a ôté la vie. Méfiez-vous ils ne vous lâcheront pas. Voilà j’ai tout dit.

              _ Madame je vous remercie de vos informations, avant de nous quitter l’agent Chad aimerait vous offrir un verre de Moonshine.

    La fin de l’entrevue fut agréable. Nous parlâmes de tout et de rien, je dus rajouter deux bouteilles de Moonshine, la Mort tenait très bien l’alcool, ce whisky au venin de crotale de contrebande à quatre-vingt-quinze degrés, lui plut énormément. Alors qu’elle s’apprêtait à partir je lui en offris deux autres :

              _ Agent Chad je vous remercie de votre prévenance, en échange je vais vous faire un cadeau, non ne rêvez pas je ne vous rendrai pas votre Alice, juste une confidence. Je vous avoue que le rock ‘n’ roll est ma musique préférée, vos chanteurs sont toujours en train de convoquer la mort, ils portent des bagues à tête de mort, l’on en trouve sur pratiquement tous les pochettes. Voilà j’en ai trop dit.

    Elle s’apprêtait à se lever, le Chef ouvrit le tiroir de son bureau et prit la parole :

    • Madame, au nom du Rock’N’Roll je vous remercie, moi aussi Madame je tiens à vous offrir une babiole, je vous en prie restez assise quelques minutes et veuillez accepter ce cigare, un Mortalado N° 4, un délice, croyez-en un connaisseur.

    Et la Mort alluma un Coronado.

    Fin de l’épisode.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 511 : KR'TNT ! 511 : LLOYD PRICE / YARDBIRDS / TEMPLES / CRASHBIRDS / JARS /BLACK INK STAIN / DRAIN / SUNAMI / JOAN BAEZ / ROCKAMBOLESQUES XXXIV

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 511

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    20 / 05 / 2021

     

    LLOYD PRICE / YARDBIRDS / TEMPLES

    CRASHBIRDS / JARS / BLACK INK STAIN

    DRAIN / SUNAMI / JOAN BAEZ

    ROCKAMBOLESQUES

     

    Lloyd Price n’a pas de prix

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    Voici venu le moment de rendre hommage au grand Lloyd Price qui vient tout juste de casser sa vieille pipe en bois d’ébène. L’idéal avant d’aller écouter ses albums serait de lire son autobiographie, car il s’y passe des choses étonnantes. L’ouvrage s’appelle Sumdumhonky, ce qui signifie some dumb honky, l’honky étant l’homme blanc dégénéré, évidemment. Lloyd Price qu’il faut considérer comme l’un des pionniers du rock («Lawdy Miss Clawdy», c’est lui) est un homme en colère. Son petit livre est un violent pamphlet contre le racisme des blancs du Sud, et plus particulièrement ceux de Kenner, une bourgade du Sud de la Louisiane, proche de la Nouvelle Orleans, où a grandi le petit Price. Comme le fait Willie Dixon dans son autobio, Lloyd Price dénonce la barbarie des blancs, mais avec encore plus de virulence. Il commence par expliquer que dans les années trente et quarante, les noirs n’étaient rien du tout (the black people were nothing) aux yeux des habitants de Kenner. Et il s’empresse d’ajouter : «Non, ce n’est pas ça, ils pensaient que les noirs étaient encore moins que rien. Ils pensaient que les chiens étaient au dessus des gens de couleur.» Et ça va très loin, la haine du blanc pour le nègre. Lloyd Price explique que sa mère avait toujours peur de perdre l’un de ses enfants - Quand on sortait de la maison, elle craignait qu’on ne revienne pas. Il se passait des choses étranges dans le Sud et si l’un de nous ne rentrait pas, ça voulait dire qu’il ne rentrerait jamais - En grandissant, le petit Price s’étonne de voir les noirs considérer les blancs comme des gens bien, et si l’on écoutait parler les blancs, les noirs étaient tous bêtes. Lloyd Price va se demander toute sa vie comment les gens de son peuple ont pu gober un truc pareil. La peur, tout simplement la peur. Le noir avait tellement peur du blanc qu’il le respectait, comme on respecte un prédateur dont on a peur. Le Shérif de Kenner était un vrai Américain qui expliquait à l’église que le bon nègre était un nègre mort. Il appliquait aux nègres le traitement moral que les générations précédentes avaient appliqué aux Indiens. Lloyd Price essaie de ramener le débat sur le terrain de la moralité et se demande s’il existe des blancs qui éprouvent de la honte pour les traitements infligés aux gens de couleur, pour cette peur sociologique dans laquelle les sumdumhonkys du Sud ont plongé des générations de noirs. Les gens imaginent que la ségrégation était la limite, mais Lloyd Price s’empresse d’ajouter qu’elle n’était que le commencement. «Le blanc ne peut pas mesurer les dommages causés par l’humiliation dans le corps et dans l’esprit. Quand on est insulté au point de se sentir comme une bouteille de champagne secouée en plein soleil. Un homme noir d’âge mur ne pouvait pas répondre aux insultes d’un gamin blanc, ou s’asseoir dans un endroit public pour manger sans être insulté.» Mais il ajoute que les noirs ont réussi à survivre, et son raisonnement va loin, car il considère que les noirs ont énormément contribué au développement de l’Amérique mais apparemment, ça compte pour du beurre. Il termine ainsi son réquisitoire : «Avant de conclure, je souhaite vous faire part de mes deux plus grandes sources de confusion. Un, je pensais qu’on était si maltraités dans ce pays par le blanc, et de façon tellement impardonnable que j’en arrivais à la conclusion que le blanc était le diable. Deux, le blanc prêchait tellement ces conneries de paradis et d’enfer que nous avions tous peur du moindre de ses mots, et quand le tonnerre de l’orage grondait, c’était encore pire. Je n’ai pas besoin de vous rappeler que la mort est la mort, quelle que soit la façon dont elle survient, et bien que le blanc n’ait rien à voir avec la façon dont on meurt, il a tout de même réussi à nous faire craindre la mort en nous prédisant les flammes de l’enfer. Alors oui, le blanc est le roi du marketing, il sait vendre ses idées, il faut avoir des couilles pour aller dire à un crétin qu’il va aller rôtir en enfer s’il n’obéit pas aux ordres. J’en était arrivé à la conclusion que le blanc était le pire cauchemar de l’homme noir. Jusqu’à ce que j’aille en Afrique.»

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    Eh oui, à une époque de sa vie, Lloyd Price veut renouer avec ses racines et il se paye un voyage au Nigeria. Ça commence mal, car il se fait racketter à l’aéroport par les militaires. Il doit verser le dash, c’est-à-dire 500 $, ou c’est la mise en quarantaine. Quand il s’aperçoit qu’il se fait baiser par des Brothers, il a envie de retrouver l’esclavagiste qui a kidnappé sa famille et de le remercier de les avoir aidés à quitter ce pays de fous. Lloyd Price est tellement outré par le comportement des Nigérians qu’il se dit prêt à serrer dans ses bras les trafiquants d’esclaves. Et s’il y avait eu un vaisseau négrier en partance pour les Amériques, il aurait été le premier à bord, histoire d’échapper aux griffes du service d’immigration nigérian - These niggers made Ol’ Jake look like an angel (Ol’ Jake était le flic de Kenner qui descendait un nègre pour un oui pour un non) - Mais il n’est pas au bout de ses surprises ! En traversant Lagos à bord d’un taxi, il voit les noirs chier dans la rue devant tout le monde, même les femmes. Et ce n’est pas fini. Il arrive à l’hôtel, une sorte de Hilton nigérian : pas d’eau au robinet et pas de courant électrique. La réalité africaine l’oblige à réfléchir.

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    Avec tout ça, la musique passe au second plan. Si on cherche des infos sur les tournées dans les années cinquante, ou le Birdland que Lloyd Price racheta à New York pour y organiser des concerts, ce n’est pas dans ce livre qu’on les trouvera. Il évoque rapidement Dave Bartholomew qui fut à la Nouvelle Orleans le chasseur de talents engagé par Art Rupe, boss de Specialty Records. Bartholomew découvre Lloyd Price dans la boutique de sa mère alors qu’il jouait «Lawdy Miss Clawdy» sur un petit piano. Le petit Price rappelle qu’en 1952, il était devenu le heart and soul du new Beat in New Orleans - They say I was the first black teenage idol and Shirley Temple was the white one - Quand Lloyd Price doit partir à l’armée, Art Rupe lui demande s’il connaît une autre poule aux œufs d’or. Alors Lloyd lui glisse le nom d’un petit mec qui se débrouille pas mal, Little Richard - I shot myself in the foot when Art Rupe found Richard - Deux ans plus tard, Lloyd est libéré de l’armée, mais Little Richard a pris sa place chez Specialty. It was over for me. Philosophe, Lloyd ajoute : «That was fine, he was a real talent and every loss is some gain.» (Pas de problème, il avait un talent fou. Un gagnant pour un perdant).

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    Avant d’entrer dans l’univers passionnant du grand Lloyd Price, il est essentiel de savoir qu’il appartient à la génération d’avant la Soul, celle du jump et des big bands. Mais comme Pricey a un don pour la pop, il devient très vite moderne et donc célèbre. Ses deux premiers albums paraissent en 1959 et contiennent tous les hits qui vont le rendre célèbre dans le monde entier : «Personality» (groove de vieille souche de swing, walk ! Talk ! Charm ! Smell ! Il swingue son I’ll be a fool for you comme un cake), «Stagger Lee» (co-écrit avec Archibald), «Lawdy Miss Clawdy» (chanté dans l’art de la matière). Il est aussi essentiel de préciser qu’on est avec ces deux albums au cœur du New Orleans sound. Pricey propose une version spectaculaire d’«I Only Have Eyes For You», orchestrée à outrance. Il faut le voir épouser cette orchestration alerte et vive. Sur la pochette de Mr Personality, il porte un smoking rouge et les mecs de sa section de cuivres des vestes blanches. On le voit photographié au dos en compagnie de son producteur Don Costa. On trouve aussi sur cet album un «I’m Gonna Get Married» à forte personnalité, bien foutu, avec des clameurs de chœurs extraordinaires. Pricey impose un style à la force du poignet, ce qui est tout à son honneur quand on sait d’où il vient. Diable, comme il a eu raison d’écrire son livre ! Il tâte aussi de la calypso comme le montre «Poppa Shun» et il termine avec «I Want You To Know», une heavy Soul de haut rang qui deviendra la marque de fabrique de James Brown.

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    The Exciting Lloyd Price est aussi du pur jus de New Orleans, avec une pochette dynamique à la Little Richard : Pricey en polo rouge, les bras en croix sur fond jaune et au dos, on le retrouve sanglé dans l’un de ces gros pantalons qui remontaient très haut au dessus des hanches. C’est un album de jump de jive impénitent, une pétaudière à l’ancienne. On retrouve des relents de «Personality» dans «You Need Love» et de «Stagger Lee» dans «Oh Oh Oh», mais c’est normal. Pricey enfonce son clou avec notre bénédiction. Il chante son «Foggy Day» au groove de jazz in London town.

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    Il sort trois albums en 1960, Mr Personality’s 15 Hits, Mr Personality Sings The Blues et The Fantastic Lloyd Price. Il faut voir la classe de Pricey sur les pochettes, notamment celle du premier des trois. Comme son nom l’indique, Mr Personality’s 15 Hits est un best of où on retrouve tous les hits pré-cités, notamment «You Need Love», bardé de chœurs qui restent des merveilles de fraîcheur, des valeurs sûres, avec en plus un solo de sax à la Lee Allen. Alors wow ! On retrouve aussi l’excellent «I’m Gonna Get Married». Pricey s’arrange toujours pour ramener un son et des compos intéressants. Ce Get Married est une petite merveille de black pop d’époque. Même ses slowahs comme «Just Because» ont des angles modernes. Pricey crée son monde et se donne les coudées franches avec cet excellent «Lawdy Miss Clawdy» qu’on est toujours ravi de croiser. «Stagger Lee» restera l’un des plus beaux brins de rock de l’histoire du rock, et c’est signé Pricey.

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    Quand on voit la pochette de Mr Personality Sings The Blues, on s’émerveille : les gens savaient faire des pochettes à l’époque. Pricey lève les yeux au ciel et porte une belle veste à carreaux, une chemise blanche et une petite cravate noire. Ça c’est du portrait ! Sur cet album, Pricey ne fait pas du blues au sens où on l’entend ordinairement, il chante le blues des années 50, celui de Percy Mayfield («Please Send Me Someone To Love») et du jive de big band. Son «Sitting There & Rocking» s’assoit sur des hautes nappes de violons - My baby left town last nite/ And I just got the blues today - et il tente plus loin le coup du heavy blues avec «Feeling Lowdown» - Feelin’ lowdown/ Just messin’ around with the blues.

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    Par contre, la pochette de The Fantastic Lloyd Price ne le met pas à son avantage. Pricey porte la banane et sourit de ses trente-deux dents, mais le photographe doit être un brin raciste car la pose évoque celle d’un chimpanzé, alors que Pricey est plutôt un très bel homme. Disons qu’avec ce portrait, le côté africain prend le pas sur l’afro-américain et cette manie qu’avaient les blacks dans les années 50 de vouloir se blanchir en s’aplatissant les cheveux et en s’habillant comme des courtiers d’assurances.

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    Au dos de la pochette, on trouve un portrait nettement plus avantageux de Pricey en veste de smoking, nœud pap et souriant comme le tombeur de ces dames. Côté son, pas de surprise. Pricey fait du Cole Porter, du jump de big banditisme bien rebondi aux nappes de cuivres, avec des solos de sax dans le corps du texte. C’est toujours l’avant-Soul de Whiterspoon et de Brook Benton. Tous ces blackos font leurs armes dans le jump. Il faut le voir chanter «Because Of You». Il n’a pas vraiment de voix, juste un style et un sens du show. Il a su saisir sa chance au bon moment. Dans «Undecided», il propose du real good jive bien balancé - So what you’re gonna do ? - Globalement, il propose du cabaretier bien foutu et sacrément orchestré. Ces artistes avaient alors derrière eux tout l’or du monde. Son «In A Shanty In Old Shanty Town» d’ouverture de bal de B se veut suprême et ça l’est. Big Broadway sound ! Pricey n’a aucun effort à fournir, ça swingue tout seul. Son ‘Great Orchestra’ fait tout le boulot. Il termine avec un «Five Foot Two» admirable de coochie-coochie-coo d’if anybody see my girl !

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    Avec Cookin’, la pochette s’enhardit. Joli shoot de modernité avec un Pricey explosé de rire sur une chaise anglaise, le tout sur un joli fond bleu primaire. L’esthétique frise celle des pochettes d’EPs de Little Richard, même sens de l’exubérance et des tons primaires. Dommage que l’album soit un peu faible. Il y tape une version swinguy de «Summertime» et fait son Cole Porter avec «Is You Is Or Is You Ain’t My Baby». Il y jive dans les grandes largeurs. C’est un fast drive d’upright qui amène «Deed I Do». Fantastique jive de jazz ! Ça ne traîne pas avec Pricey, il faut voir ces mecs derrière souffler dans leurs trompettes. On voit aussi Pricey enrouler «Since I Fell For You» dans ses gros bras noirs pour danser le mambo. Mais la B ne veut rien savoir : elle refuse d’obtempérer, même si «I’ll Always Be In Love With You» sonne comme du Percy Mayfield. Il boucle avec «Rainbow Joe», un shoot de calypso très orchestré et battu à la cymbale claire.

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    Sur Sings The Million Sellers paru l’année suivante se nichent deux merveilles : «Once In A While» et «C’est Si Bon». Avec Once, Pricey fait autant de ravages que Liza. C’est mélodiquement parfait. Puis il se prend pour Sacha Distel avec «C’est Si Bon». Il chante d’autres standards du type «Save The Last Dance For Me», «Corrina Corrina» et «Spanish Harlem». On retrouve la pétaudière de la Nouvelle Orleans dans «Ain’t That Just Like A Woman». C’est le son qu’avait Little Richard à ses débuts. Pricey passe le «Shop Around» de Smokey à la casserole. Ça swingue au big banditisme avec une pincée de Trinitad. Pricey adore le son des îles. Encore un gros numéro de jump avec «The Hoochie Coochie Coo» et voilà le travail.

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    Bon prince, Pricey donne la parole à son orchestre avec This Is My Band. Ouverture du bal d’A avec le part 1 et le part 2 de «Trouble». On entend rarement des jives aussi fiévreux. Quelle fabuleuse tension rythmique derrière le sax ! Le bassman rôde dans le son comme un démon dans les ténèbres. En B, on retrouve avec «Pan Setta» l’excellent drive de rythmique derrière les solos d’orgue et les nappes de cuivre. Ces mecs ont des pieds ailés. «No Limit» vaut pour un bel instro d’anticipation envoyé aux gémonies.

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    Pricey revient en force en 1963 avec Misty et une pochette superbe. Le voilà une fois de plus explosé de rire dans un fauteuil de bureau. Il va tout se suite se plonger dans l’excellence du Broadway shuffle avec «On The Sunny Side Of The Street». Il chante ça à la revancharde avec un gusto stupéfiant. Nouveau coup de Jarnac avec le retour d’un «Trouble» monté sur un shuffle de stand-up. Wow, le drive dévore l’instro tout cru ! D’autres belles surprises cueillent le curieux au menton en B, à commencer par le morceau titre, fabuleux shake de big jive et de too much in love. C’est excellent car extrêmement joué et surtout très chanté. Pricey sait honorer sa muse. Encore du swing antique avec «Tennessee Waltz» relayé aux chœurs de gospel batch. Il fait aussi un «Pistol Packin’ Mama», une version cha cha cha de bonne guerre, avec des chœurs rétro.

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    Il se pourrait bien que le meilleur album de Pricey soit ce Now paru en 1969 sur son propre label, Lloyd Price’s Turntable. C’est un album énorme et sans concession qui démarre avec «Bad Conditions», un funky strut politicard qui dénonce les conditions de vie des blacks aux États-Unis - Uh We’re living in baaaad/ Conditions - L’énorme bassmatic rentre dans le lard du baaaad conditions. Il passe ensuite à une belle cover de «Light My Fire» et swingue le fire en profondeur. Pricey a du power et les chœurs sont redoutables. Il revient à son cher carribean sound avec «Feeling Good» et comme Wicky Picky, il s’attaque à la reine des pommes, le vieux «Hey Jude» des Beatles, et se tape une belle crise de hurlette en fin de cut. Oh mais ce n’est pas fini ! Il enchaîne trois merveilleuses covers en B, à commencer par «For One In My Life», cette grosse poissecaille qui semble orchestrée en sourdine, rehaussée d’un fouetté de fûts assez jazzy. Ce démon de Pricey chante ça au mieux des possibilités. Il revient à son cher swing avec un «I Understand» porté par un big bassmatic au devant du mix et ça continue avec une version de «Phoenix» très différente de celle d’Isaac. Il faut dire que ses covers sont toutes très inspirées. Il bénéficie en outre d’une prod de rêve, comme le montre encore un «Don’t Talk To Me» chargé de basse et de chœurs, de percus et de cuivres. Wow, Pricey swingue ça comme un crack.

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    L’autre big album de Pricey n’est autre que To The Roots And Back, paru en 1972 et sur lequel il réactualise tous ses vieux hits. On le voit danser sur la pochette et le dos propose quatre petits snap-shots de Pricey sur scène. Il est alors un big back man moustachu, avec un look à la Wilson Pickett. Il fait pas mal de heavy funk en A , mais c’est en B que tout explose avec une version sidérante de «Lawdy Miss Clawdy». Son remake funky passe comme une lettre à la poste. Que de son ! Il modernise tous ses vieux coucous. On le croirait à Muscle Shoals avec «Lady Luck». Il barde aussi son vieux «Stagger Lee» de son. Voilà une version savamment cuivrée. On se croirait chez Stax tellement ça sonne bien. Il groove merveilleusement son vieux «Personality» et ça devient une sorte de groove des jours heureux, avec ces chœurs de filles délurées. Extraordinaire retournement de situation ! Pricey redevient un Soul Brother de rang princier, il navigue à la pointe du progrès et il a les compos, alors c’est du gâteau ! C’est une version dont on se souviendra. Il termine avec un «Where Were You On Our Wedding Day» chargé d’accents de calypso, l’un de ses péchés mignons.

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    Finalement, Pricey finit par aller comme tout le monde à Muscle Shoals enregistrer Music-Music, un album mi-figue mi-raisin, qui paraît en 1978, sous une pochette un peu ratée. Dommage, car la vraie pochette est au dos : on y voit un Pricey en afro et en tunique blanche sourire comme un roi africain.

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    Il est comme beaucoup de Soul Brothers à cette époque dans sa période Marvin Gaye : il mise sur les nappes de violons. Il s’engage résolument dans la voie d’une Soul orchestrée et ça lui va plutôt bien, sauf que les compos ne sont pas au rendez-vous. Il essaie de ramener de la belle aventure en B avec «You Brought It On Yourself» et sort le grand jeu pour illuminer l’art de la matière dans «Uphill Peace Of Mind», mais bon.

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    Le voilà en trois pièces blanc sur la pochette de The Nominee. Le morceau titre est un groove urbain dont il n’a pas à rougir. Pricey reste superbe de décontraction. Mais le reste de l’A n’accroche pas. Pricey propose un son trop passe-partout, un brin diskö-pop, sans aucune incidence sur l’avenir de l’humanité. Il tente de sauver l’album en B avec «I Found Love In You», une espèce de soft-diskö de 1978, mais la loi du marché ne tolère pas les albums ratés.

    Signé : Cazengler, Lloyd pisse

    Lloyd Price. Disparu le 3 mai 2021

    Lloyd Price. Mr Personality. ABC-Paramount 1959

    Lloyd Price. The Exciting Lloyd Price. ABC-Paramount 1959

    Lloyd Price. Mr Personality 15 Big Hits. ABC-Paramount 1960

    Lloyd Price. Mr Personality Sings The Blues. ABC-Paramount 1960

    Lloyd Price. The Fantastic Lloyd Price. ABC-Paramount 1960

    Lloyd Price. Cookin’. ABC-Paramount 1961

    Lloyd Price. Sings The Million Sellers. ABC-Paramount 1961

    Lloyd Price. This Is My Band. Double-L Records 1963

    Lloyd Price. Misty. Double-L Records 1963

    Lloyd Price. Now. Lloyd Price’s Turntable 1969

    Lloyd Price. To The Roots And Back. GSF Records 1972

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    Lloyd Price. Misty. UpFront Records 1974 ( Compilation )

    Lloyd Price. Music-Music. LPG Records 1976

    Lloyd Price. The Nominee. Olde World Records 1978

    Lloyd Price. Sumdumhonky. Cool Titles 2015

     

     

    Du Yardbirds dans les épinards - Part One

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    Par chance, il existe pas mal de bons books sur les Yardbirds : The Band That Launched Eric Clapton, Jeff Beck And Jimmy Page d’Alan Clayson et The Ultimate Rave-Up de Greg Russo. On verra ça dans un Part Two. Mick Wall en rajoute une louche avec l’un de ces fastueux panoramiques dont il a le secret dans Classic Rock. Il commence par rappeler que sans Yardbirds, pas de Led Zep. Tintin. En fin stratège, Wall attaque par la fin de l’histoire des Yardbirds, qui se situe en mars 1968, quelques jours avant la mort de Martin Luther King. Les Yardbirds jouent leur dernier concert à New York. Keith Relf et Jim McCarty n’en peuvent plus, trop de pression. Les gens du management ne leur permettent pas de faire un break : ils craignent que le public n’oublie le groupe. So play every night. Pfff. Ras le cul. Keith Relf et Jim McCarty songent depuis un moment à quitter le groupe pour partir sur autre chose. Chris Dreja et Jimmy Page ne sont pas au courant. Une chose est sûre, ils veulent continuer. C’est ce fameux dernier concert à l’Anderson Theatre qu’on peut entendre sur l’excellent Yardbirds 68 récemment publié par Jimmy Page.

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    Le coffret Yardbirds ‘68 vaut soixante euros. Quelle méchante arnaque ! Pour ce prix, on nous propose le concert de l’Anderson Theatre et un ramassis de démos. Sur scène, les Yardbirds commencent bien évidemment avec «Train Kept A Rollin’» et enchaînent avec «You’re A Better Man Than I Am». Jimmy Page sort sa Tele pour l’occasion et taille du psyché blast all over the rainbow. Il peut jouer à l’infini et les attaques de Keith Relf sont des modèles du genre. Les Yardbirds avaient la chance de pouvoir aligner une série de hits imparables. «Heart Full Of Sound» sonne comme l’emblème du psyché anglais. Jimmy Page l’amène sur un plateau d’argent. Il joue ça si sharp. Et puis voilà le pot-aux-roses : «Dazed And Confused» qui annonce si bien Led Zep. Tout est déjà là, sauf Robert Plant. Le pauvre Keith ne sait pas qu’il va disparaître, balayé par Robert Plant. Mais le son est là, au complet, avec toutes les transitions de notes titubantes, exactement le même déballage de talalalala. Jimmy Page a même l’air de jouer de l’archet. On retrouve aussi le violent redémarrage qui fit la grandeur du Led Zep 1. Chris Dreja bombarde bien sa basse. Il mise sur la présence. Avec «Over Under Sideways Down», les Yardbirds s’arrogent la couronne du British beat, c’est même l’un des grands hymnes universels. Jimmy Page le taille sur mesure et Chris Dreja sort un bassmatic rusé comme un renard du désert. On ne peut parler que de génie flamboyant. On pourrait dire la même chose de «Shape Of Things», bien sûr. Keith Relf redevient l’espace de deux minutes le roi du monde. Et si on aime Jimmy Page, alors on se régale avec «I’m A Man». Le disk 2 propose comme on l’a dit des chutes de sessions. Idéal pour un professionnel comme Jimmy page. Il fait des étincelles dès «Avron Knows». On a là une jolie toupie de psyché britannique jouée à ras du sol. Jimmy Page gratte «Knowing That I’m Losing You» à l’acou édentée. On sent le groupe abandonné de Dieu. Ce disque confirme le sentiment d’arnaque : on avait raison de se méfier, «Taking A Hold On Me» est une démo minable. En fait ce coffret fait partie d’une nouvelle vague d’arnaques, on n’avait encore jamais vu l’industrie musicale bluffer autant : vendre un live soixante euros, accompagné d’un livret vide de contenu et d’un mauvais ramassis de démos. La seule démo sauvable pourrait bien être l’excellent «Drinking Muddy Water» joué au fever de Delta blues. Keith Relf y sonne comme the tight white ass of it all. On sauvera également «Avron’s Eyes», car Jimmy Page y joue à la mortadelle du petit cheval blanc. Il joue son va-tout en direct, pas d’intermédiaire, pas de Keith dans les parages, Little Jimmy joue full blown. C’est très impressionnant. On ne se lasse pas facilement d’un mec comme lui. Ce sera d’ailleurs tout le problème de Led Zep.

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    Mick Wall ne tarit pas d’éloges sur ce groupe qui fait partie des pionniers de la scène anglaise - The Yardbirds had always been fantastically flash, inscrutably cool, fabulously out of reach - Et il continue de brouter le mythe à coups de wild hair-down kickers-off parties for the wilfully far-out, the fashionably fuck you. Et il ajoute qu’ils n’étaient pas des Mods traditionnels, they weren’t poncey Mods, but they dressed to the nines, part King’s Road part Haight-Ashbury. Lemmy dit que le line-up avec Jeff Beck était intouchable. Il ressentira la même chose en découvrant le MC5 - They just attacked you. En France, on dirait de manière plus triviale : ils vous sautaient à la gueule.

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    Montés par Keith Relf et Paul Samwell-Smith, le groupe tire son nom de Charlie ‘Yardbird’ Parker et ne joue que du trié sur le volet : Wolf, Muddy Waters, Bo Diddley, Elmore James - Strictly high-quality underground purist R&B - C’est pour ça que Clapton se rapproche d’eux, il se dit lui aussi puriste. Giorgio Gomelsky devient leur manager et là attention aux yeux ! C’est comme dit Mick Wall un mover-and-shaker qui gère des clubs, qui écrit des chansons, qui fait des films, qui produit des disques - Whatever you needed, Giorgio could get it. Fast - Il n’y a pas de hasard, Balthazar, les histoires des grands groupes passent toutes par l’étape de la conjonction surnaturelle. Pas de Yardbirds sans Giorgio, ni de Stones sans Andrew, ni d’Elvis sans Sam, ni de Who sans Shel. C’est Giorgio qui tient le Crawdaddy Club et qui manage les Rolling Stones, des Stones qui profitent d’un voyage de Giorgio en Suisse pour l’enterrement de son père, pour signer avec Andrew Loog Oldham qu’ils trouvent plus adapté à leur tough attitude. Quand Giorgio revient et qu’il voit le travail, il demande à son assistant Hamish Grimes de trouver un groupe pour remplacer les Stones. Ce sont les Yardbirds. Giorgio les envoie tourner pendant 18 mois avec Sonny Boy Williamson, qui est comme chacun sait le beau-frère de Wolf. Sonny Boy trimballe un mallette en croco dans laquelle il range ses harmos et une bouteille de whisky, un plan que va pomper Keith Relf. Sonny Boy ne pense pas grand bien des Yardbirds - This British band over there and they wanted to play the blues so bad... and they really did play them so bad - Qu’importe, Giorgio sort un live en pleine Yardbirdmania, le fameux Sonny Boy Williamson & the Yardbirds. Mais les albums de puristes n’intéressent que les puristes et donc assez peu de gens.

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    On se demande bien pourquoi cet album qui s’appelle Five Live Yardbirds vaut aussi cher aujourd’hui. C’est loin d’être l’album du siècle. Celui qui tire le mieux son épingle du jeu n’est pas celui qu’on croit : ni Keith, et encore moins Clapton. Non la star des early Yardbirds n’est autre que Paul Samwell-Smith et son rumble de basse, grand dévoreur devant l’éternel. Le rave-up c’est lui, avec Jim McCarty. Il faut l’entendre dévorer «Respectable» et redégringoler dans le son de «Smokestack Lightning». C’est une façon de jouer assez unique, un façon d’allumer la gueule de la conjoncture qu’on retrouva aussi chez Chas Chandler et chez les Pretties de l’époque Vivian Prince. Samwell-Smith monte encore en puissance en B avec le «Pretty Girl» de Bo. Le rave-up n’est pas une légende, c’est une réalité. On le voit aussi rôder dans le son de «Louise». Il est en mouvement permanent et swingue comme un dingue. La pauvre Keith n’a pas de voix, ça s’entend sur «I’m A Man», mais derrière lui Samwell-Smith bouffe le Man, croutch croutch, c’est le roi des rythmiques infernales. Samwell-Smith ? L’un des meilleurs bassistes anglais, pas de doute.

    C’est là où Giorgio sort de sa manche un gros coup de Jarnac. Il chope un truc écrit par un certain Graham Gouldman juste avant qu’on ne le propose aux Beatles : «For Your Love». Giorgio sait que c’est un hit. Clapton n’aime pas ce truc qu’il traite de ‘pop crap’ et quitte le groupe. Ouf ! - In an age of art for art’s sake, blues-precious Clapton just didn’t fit in - Giorgio avait vu juste : «For Your Love» parade en tête des charts anglais et américains. C’est le 21 years old maverick Jeff Beck qui va remplacer Clapton. Pourtant, ça commence mal. Beck n’aime pas les Yardbirds et c’est réciproque - They didn’t say hi or anything - Jeff Beck pense que les autres sont dépités parce que Clapton s’est barré avec le son du groupe. Mais Jeff Beck va rallumer le brasier et focaliser l’attention sur lui. Pendant un an, Jeff Beck blaste le son des Yardbirds, hit after hit - each more rule-bending than the last - Oui, Jeff Beck défie toutes les lois. Comme Keef, il a intégré Chucky Chuckah, Bo Diddley et Buddy Guy dans son jeu, mais aussi Freddie King, Galloping Cliff Gallup et Scotty Moore.

    Puis le groupe commence à en avoir marre des idées lunatiques de Giorgio. En plus, les comptes ne sont pas clairs. Viré. Les Yardbirds signent avec Simon Napier-Bell, recommandé par Rosie, la fiancée de Paul Samwell-Smith. Napier-Bell commence par re-négocier le contrat des Yardbirds et Keith peut enfin s’acheter une baraque en banlieue Ouest de Londres.

    Précisons toutefois que Jeff Beck n’était pas le premier choix du groupe qui préférait Jimmy Page, mais celui-ci déclina l’offre, pas parce qu’il était comme Clapton un blues-purist, mais tout simplement parce qu’il était d’un niveau beaucoup trop élevé pour un groupe comme les Yardbirds - He was out of their league - En 1964, Little Jimmy Page avait déjà accompagné toute la crème de la crème du gratin dauphinois, Shirley Bassey, Dave Berry, les Them, les Kinks, les Who, Lulu, on en passe et des meilleurs. À ses yeux, les Yardbirds ne sont que des one-hit wonders. Mais c’est lui qui leur recommande Jeff Beck - One of those cats on the fringes - Un individualiste. Ses groupes were built for speed, not for comfort - Ce mec aimait la vitesse, non le ronron. Trois semaines plus tard, Jeff Beck est en studio avec les Yardbirds pour enregistrer un nouveau hit intemporel, «Heart Full Of Soul», une autre compo de Graham Gouldman. Avec Jeff Beck, the Yardbirds are at the peak of their powers, aux plans commercial et artistique, pop and rock-tastically. De hit en hit, ils en arrivent au fameux «Shape Of Things», the most exotic sounding single of 1966. On dit même que c’est le premier single psychédélique.

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    Paru en 1965, For Your Love est un album hybride, avec le cul entre deux chaises : Clapton joue sur la plupart des cuts et Jeff Beck sur des trucs bien wild comme «I’m Not Talking», cette belle cover de Mose Allsion. Alors là oui ! Quel punch ! Un vrai coup de Beck. Il rentre dans le lard du cut avec sa Tele. Pour l’époque, il est rudement dégourdi. Il joue aussi sur «I Ain’t Done Wrong». Dès que c’est Beck, ça vit, il faut le savoir. On a là une compo de Keith bien sentie. Le troisième Beck cut est le dernier, «My Girl Sloopy», vieux sloopy de hang on. Keith groove son sloopy au cul du camion. C’est sûr que Beck doit s’emmerder dans cette histoire. Il attend de pouvoir partir en vrille. Alors et le reste ? C’est du Clapton coincé et quand on n’aime pas particulièrement Clapton, c’est compliqué. Sur «I Ain’t Got You», il est assez atroce avec son solo segmenté. Les Yardbirds sont encore dans une phase d’apprentissage à la mormoille. Le professeur Clapton leur apprend le blues. C’est nul. Keith nous sauve l’«I Wish You Would» de Billy Boy Arnold en B, il est même assez monstrueux avec son harmo, oh-oh yeah, on croit entendre Charles Bronson in hell. Pur jus de rave-up. Ils font aussi un coup d’éclat avec «A Certain Girl», ce vieux rumble de swinging London. On aime bien voir les Yardlirds devenir wild, comme c’est le cas ici.

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    Sorti lui aussi en 1965, Having A Rave Up With The Yardbirds reste un album trop typé d’époque. La B est un gros live cousu de fil blanc. On y trouve une série de classiques de type «Smokestack Lightning» et «I’m A Man», qui dénotent une magistrale volonté d’en découdre, mais avec le temps va tout s’en va. C’est donc en A que se nichent les points forts de l’album, «You’re A Better Man Than I» (enregistré chez Sam Phillips à Memphis) et «Heartfull Of Soul», fantastiques tranches de psyché palpitantes. On assiste à de lentes montées des phénomènes. On pourrait parler en termes d’achèvement Becky, tellement il joue en sous-main, avec une sorte de prestance longiligne. C’est avec ces deux hits que leur belle musicalité arrive à une sorte de maturité. Ils visent l’excellence psychédélique en devenir. «Evil Hearted You» reste et restera du typical Swinging London Sound, plein de you try to put me down et la reprise du «Train Kept A Rollin’» sent bon le Beck. Quelle ultra-présence ! Jeff Beck était alors le maestro des épopées électriques. Même si l’album est considéré comme un coup d’Epic - a grab bag of previoulsy released material - il est aussi the most influential album des Yardbirds, celui qui a lancé des vocations aussi bien chez les groupes de hard que chez les groupes de psyché américains. L’album restitue bien le côté expérimental qui rendait les Yardbirds uniques en 1965.

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    S’il fallait hisser un album des Yardbirds sur le podium, ce serait sans doute Roger The Engineer. L’album grouille en effet de beaux hits, à commencer par l’impérissable «Over Under Sideways Down». The big Beck is on the run. La belle fluidité du son se marie bien avec le bassmatic de Paul Samwell-Smith. On est là dans la perfection du Swinging London, auréolée de belles poussées de fièvre. Ces diables de Yardbirds savent finir dans la tension maximaliste. Ils adressent un beau clin d’œil à Elmore James avec «The Nazz Are Blue» et en B, Beck passe au jazz avec «Jeff’s Boogie». Il joue son Boogie à la violente pompe de Django. Ils reviennent à l’évanescence psychédélique avec «He’s Always There», bel exercice d’anticipation emblématique joué au suspense des grillons. Ça bruisse délicieusement dans le smog londonien. Tiens, encore deux hits en fin de B : «What Do You Want», embarqué à la fantastique énergie. On croirait entendre l’effervescence débridée de Moby Grape ! Même élan vital. Grosses influences américaines, en tous les cas. Et puis «Psycho Daisies», authentique rave-up des Yardbirds, boogie endiablé qui sonne comme un classique avec une jolie fin de non-recevoir. Jeff Beck amène énormément de son. Ils conservent aussi leurs accointances avec le british r’n’b à travers «Lost Women», monté sur le petit riff riquiqui de Paul Samwell-Smith. Joli son caoutchouteux ! Et Keith Relf nous shake ça si sec ! Mais le vrai hit de l’album pourrait bien être «I Can’t Make Your Way», étrange cut de pop élégiaque et terriblement enchantée. On tombe sous le charme de cette admirable tension bon enfant que Jeff Beck tisonne au long cours. Il est à noter que Roger est le premier album de compos originales et surtout un chef d’œuvre de joyful experimentation. Roger arrive juste avant Sergent Pepper, juste avant Hendrix, juste avant Blonde On Blonde, Pet Sounds, Aftermath et le premier Velvet. Voilà pourquoi les Yardbirds étaient uniques. Ils étaient l’un des groupes les plus intéressants de leur génération.

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    Pendant ce temps, Jimmy Page croule sous les demandes de sessions et commence à loucher sur le succès des Yardbirds. Au moment où Paul Samwell-Smith quitte le groupe, il propose de venir donner un coup de main, d’autant que les Yardbirds paniquent en raison du nerver-ending touring schedule qui suit la sortie de Roger The Engineer. Jimmy Page ne rejoint pas les Yardbirds pour une question de blé, parce qu’il gagne en une semaine beaucoup plus que ce gagnent les Yardbirds en un mois, mais tout simplement parce qu’il rêve de jouer SA musique. À force de jouer de la rythmique pour les autres en session, il sent qu’il régresse en tant que guitariste. Quand il joue pour la première fois avec les Yardbirds au Marquee, il joue de la basse. Puis en août 1966, il participe à une première tourne américaine avec les Yardbirds. Chris Dreja passe à la basse et Jimmy Page retrouve sa chère guitare. C’est la première twin-solo guitar line britannique. Les Yardbirds deviennent the most incendiary group on the planet. Pour Chris Dreja, l’arrivée de Jimmy Page dynamise le groupe : «It definitively gave the band a kick in the arse.» Pas aussi weighty (chargé de son) que Cream, pas aussi laddish (glimmer twins) que les Stones, mais certainement plus mordants que les Beatles qui d’ailleurs sont sur le point d’arrêter les tournées. Dreja rigole aussi à propos de son retour à la basse : «Jimmy Page est tellement mauvais à la basse que j’ai dû prendre sa place.» Comme en plus Dreja a joué de la rythmique avec les trois cocos, Mick Wall lui demande lequel des trois cocos il préférait - Clapton was a bluesman. Jeff Beck was a bloody genius, wasn’t he ? But I loved to play with Jimmy Page. He was full of energy. Go go go ! And I liked that. He was very positive. Still is today - C’est un bel hommage à un géant. Jimmy Page et Chris Dreja rencontrent plein de gens pendant cette tournée américaine et ils se régalent de ces rencontres et des histoires qu’on leur raconte. Par contre, Keith Relf broie du noir et boit comme un trou. Pour lui, l’âge d’or des Yardbirds, c’est avec Clapton. Il préférait le temps des clubs à Londres et des concerts de blues au Marquee et au Crawdaddy. La nouvelle mouture ne lui convient pas. Et soudain, c’est Jeff Beck qui craque. Il ne supporte plus les tournées. Il décide de rester à Hollywood pendant un Dick Clark Tour. En fait, Jeff Beck tombe amoureux d’une actrice nommée Mary Hughes. Le groupe repart en tournée à quatre et Jeff Beck rejoindra les Yardbirds pour la tournée de septembre 66 en Angleterre. Dernier coup de Jarnac : «Stroll On» sur scène, filmé par Antonioni - Beck, solemn, threatening, Page, smiley, cool, noooo problem - On le voit bien sûr exploser a cheap old thirty-five-dollars japanese model. La force des Yardbirds réside dans ces two huge personalities, même s’il y a trop de son. Jimmy Page : «It was a bit much sometimes !»

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    L’axe Beck-Page pouvait surmonter les Stones, pour lesquels ils ouvraient lors de cette tournée anglaise - McCarty recalls the Beck-Page axis at its best one night outgunning the Stones - Hélas, la seule trace qui reste de cet axis Beck-Page, c’est «Stroll On», qu’on retrouve sur la bande son de Blow Up. Et le single «Happening Ten Years Time Ago» que Mick Wall qualifie de ground-zero 70s rock - If you’re looking for the real rock roots of Led Zeppelin and every other out-there band that came helter-skelter in their wake, this is the definitive place to start.

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    Comme Jeff Beck dispose d’un ego sur-dimentionné, il joue fort, ce qui pose des problèmes à Keith Relf sur scène. Le power de Jeff Beck va même l’effacer. En fait, Jeff Beck ne supporte pas les crises d’asthme de Keith sur scène : «Yeah, l’ampli avait cramé, ma guitare était désaccordée et Keith toussait sur scène. Il utilisait un spray pour son asthme et en plein solo de blues, j’entendais les sssss sssss sssss de son spray, c’était insupportable, j’en pouvais plus alors je pétais la guitare.»

    C’est pendant la tournée américaine suivante que Jeff Beck craque et quitte le groupe - Full-on nervous breakdown - Il est épuisé, et en mauvaise santé, il combine les inflammations, amygdales et bite. Il jette l’éponge. Les Yardbirds se retrouvent à quatre.

    Lorsqu’ils font un point avec Napier-Bell sur l’état des finances, les Yardbirds tombent encore sur un os : Napier-Bell sort une feuille de papier et se livre à un étrange tour de mathématiques. Après trois mois de tournées incessantes, les Yardbirds se retrouvent chacun avec 200 £. Napier-Bell rend son tablier et transfère tout le biz chez Mickie Most, qui compte parmi ses clients Donovan, les Animals et les Herman’s Hermits.

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    Little Games est le seul album enregistré avec Jimmy Page. Bon inutile de tourner autour du pot : ce n’est pas le meilleur album des Yardbirds. Loin de là. Le seul cut qui pourrait éventuellement sauver l’album, c’est «No Excess Baggage», en B, joliment pulsé par Chris Dreja et le batteur McCarthy. Quand on regarde la photo du groupe au dos de la pochette, on voit que Keith Relf ressemble étrangement à Brian Jones. Avec sa fantastique partie de bassmatic, ce cut vaut pour le hit du disk. Mais le reste de la B est d’une grande faiblesse. On passe aussi à travers des cuts comme «White Summer». C’est le grand problème des Yardbirds : dès que Beck n’est pas là, les cuts manquent d’épaisseur. À la différence des Pretties, des Kinks et des Who, les Yardbirds restent très lisses. «Tinker Tailor Soldier Sailer» sonne comme de la petite pop psyché, mais la petite crise d’effervescence s’éteint bêtement au bout de deux minutes. Ils tentent de retrouver le feu psyché de «Heart Full Of Soul» avec «Glimpses», mais ça ne peut pas marcher, car Jeff Beck n’est plus là. Quant au reste, mieux vaut oublier. Jimmy page explique que l’album est pourri parce que tout est du one take et de toute façon, Mickie Most ne croit qu’aux singles, pas aux albums. Devenu le producteur des Yardbirds, il se dit fervent partisan d’un son plus commercial. Sans doute est-ce la première fois qu’il flingue un groupe. C’est d’autant plus dommage qu’un an plus tard, il va produire les deux albums du Jeff Beck B-Group. C’est à n’y rien comprendre.

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    Il engage Peter Grant pour veiller sur les Yardbirds. Bien sûr Jimmy Page trouve en Peter Grant un allié de poids. Mais pour Keith Relf et Jim McCarty, suivre Jimmy Page dans une nouvelle direction musicale est tout simplement au-delà de leurs forces.

    Et après ? Jimmy Page fait table rase et reconstitue son équipe pour lancer Led Zep, Chris Dreja devient photographe à succès, Keith Relf et Jim McCarty montent the gentle Renaissance et vont gentiment disparaître dans les ténèbres.

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    Justement, le book de David French tombe à pic : Heart Full Of Soul raconte l’histoire de Keith Relf. C’est un petit book sans prétention, mais qui a le mérite de jeter un éclairage sur la personnalité du pauvre petit Keith. Au Richmond Jazz & Blues Festival, Keith s’évanouit sur scène. On l’embarque à l’hosto et les médecins ne donnent pas cher de sa vie. Il a un poumon crevé. Mais il s’en sort et recommence à chanter. Le poumon crevé entre même dans la légende. Sur scène il chante avec son inhalateur et inspire une certaine pitié aux gens. En fait, David French a condensé une montagne de témoignages pour brosser le meilleur portrait possible du pauvre Keith. C’est vrai qu’il n’a jamais été un grand chanteur, au sens où on l’entend quand on parle de Lennon ou de Jag. Il n’a pas de force dans la voix. Les gens qualifiaient sa voix de plaintive, même parfois de sinistre. Mais c’est parce qu’il a ce handicap qu’il en rajoute. Il compense par une énorme présence scénique. Bien que chanteur d’un groupe en vogue, le pauvre Keith n’a pas les épaules d’une rock star. Il est d’un caractère renfermé, introspectif, d’une timidité maladive, idéaliste et incapable de supporter la pression du music biz. Il ne fait pas partie de l’in-crowd. Il vit à l’écart. Napier-Bell le traite d’énigme. Et là ça devient passionnant, car Keith l’asthmatique aime tellement la musique qu’il chante qu’il parvient à surmonter son aversion pour le music biz. Par chance, ce sont les guitaristes successifs des Yardbirds qui focalisent l’attention des journalistes. Côté musique, Keith adore le Modern jazz Quartet, Brian Auger, Burt Bacharach et Dylan.

    Pour supporter l’ennui des tournées américaines, Keith boit comme un trou. Et l’alcool le rend con, mais personne ne vient à son aide. Il vit un peu le même genre de cauchemar que Brian Jones. Napier-Bell : «C’était un type charmant, il portait la même veste en daim chaque jour, même s’il s’était vomi dessus la veille. Il chantait avec énergie, jouait très bien de l’harmo, il semblait un peu introverti, il buvait comme un trou. Keith faisait parfois partie de la bande, mais il pouvait aussi rester très distant.» Jeff Beck le qualifie de manic depressive. Il ne l’aime pas beaucoup, en fait. Il reproche aussi à Keith de lire le magazine Guns And Ammo et de vouloir tuer tout le monde.

    French parle bien des Yardbirds. Il rappelle qu’à la différence des Beatles et des Stones, les Yardbirds ne disposaient pas des personnalités hors normes, ni même l’ambition, la confiance et the love of the game que requiert le métier de rock star. Les Yardbirds ont aussi influencé énormément de groupes, French cite les Groupies, les Misunderstood, les Count Five, Litter. Beaucoup de groupes ont repris «I’m A Man», le MC5, les Stooges, le Chocolate Watchband, les Buckinghams, les Sonics et Q65. Comme les Stones, les Yardbirds débarquent aux États-Unis et fascinent les millions de kids. Mais ça ne marche pas à tous les coups : le Dave Clark Five passe comme une lettre à la poste, mais pas les Kinks. Lors de leur première tournée américaine, avec Giorgio au volant, les Yardbirds vivent des épisodes extraordinaires, notamment à Hollywood où Kim Fowley organise pour eux a house party. Il fait venir toutes les gloires locales, les Byrds, Peter & Gordon, Jackie DeShannon, Phil Spector et Danny Hutton. C’est le lancement officiel des Yardbirds en Californie. C’est aussi l’idée de Giorgio d’aller enregistrer un cut chez Sam Phillips à Memphis. Ils l’attendent devant la porte et quand Uncle Sam arrive, Giorgio va le trouver pour lui expliquer la raison de sa présence. Uncle Sam l’envoie chier - I don’t deal with limeys - Mais quand Giorgio lui met sous le nez 600 $, Uncle Sam accepte d’ouvrir le studio. Les Yardbirds enregistrent «You’re A Better Man Than I». Giorgio : «I got the drum sound I was looking for.» Comme l’attente est longue, Keith picole et quand il doit chanter «Train Kept A Rolling», il n’a plus de voix, ce qui met Uncle Sam hors de lui. Il dit à Giorgio que le groupe est bon mais il faut virer le chanteur - You gotta get rid of that singer - Mais en réalité, les Yardbirds n’ont jamais sonné aussi bien que lors de cette session à Memphis. Jeff Beck ne garde pas un bon souvenir de cet épisode, car il a vu Uncle Sam insulter Keith - J’ai immédiatement pris sa défense. Je haïssais Sam Phillips. Je ne comprenais pas son animosité. Peut-être qu’on lui a fait peur avec notre son, comme si on avait été les Sex Pistols - Quand ils débarquent à Phoenix Arizona, les Yardbirds partagent l’affiche avec les Spiders, un groupe local tellement fanatique qu’ils vont s’appeler the Nazz, en référence à «The Nazz Is Blue» - Ne pas confondre avec le groupe de Todd Rundgren - Les Spider/Nazz sont les futurs Alice Cooper, d’ailleurs obligés de changer de nom à cause du Nazz de Todd.

    Finalement les Yardbirds s’épuisent avec ces tournées. Jeff Beck est malade, Keith boit comme un trou et Paul Samwell-Smith n’attend plus que l’occasion de se barrer. En 1967, Beck is gone, ainsi que la magie et les hits. Puis quand Mickie Most les reprend en main et leur impose d’enregistrer «Ten Little Indians», c’est la fin des haricots. Les drogues entrent en plus dans la danse. Keith prend tout ce qu’on lui donne. Ils vont réussir à faire sept tournées américaines. C’est maintenant McCarty qui tombe dans les pommes. C’est là que Keith et lui pensent à se recycler dans un genre musical plus paisible. Ils écoutent Simon & Garfunkel... Jimmy Page est horriblement déçu quand il apprend que Keith et McCarty jettent l’éponge : «J’étais déçu car les morceaux qu’on développait étaient vraiment bons. Les concerts se passaient bien et le public nous appréciait. Ça marchait bien, même si on devenait plus ésotériques et underground. On était en plein dans l’air du temps. On aurait pu faire un très bel album. Mais peut-être en avaient-ils assez.»

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    Bon alors si on écoute le coffret Live At The BBC Revisited, c’est à cause de David French. Il recommande ce coffret et un autre, Live And Rare, paru lui aussi sur Repertoire en 2019. Au total, ça vous coûte un billet de 100, mais on ne perd jamais son temps à réécouter les Yardbirds. Le premier coffret couvre les années 64 à 68. Pour mémoire, Jimmy Page rejoint le groupe en juin 1966 et Jeff Beck le quitte en novembre de la même année. Jusqu’en 1968, ils jouent donc à quatre. Les enregistrements de la BBC sont réputés pour leur qualité. On pense notamment au BBC sessions du Jimi Hendrix Experience, des Mary Chain ou encore celles des Only Ones. Celles des Yardbirds tapent dans le mille. On sent le son du groupe changer du tout au tout après le départ de Clapton en 65. Ça sent bon le Beck. Il y a une dynamique. Ouf, le groupe respire. Beck amène de la vie et du sharp. Et quoi qu’on en dise, Keith Relf s’en sort bien avec «I Ain’t Got You». Il est dessus. Les Yardbirds sont capables d’explosions collatérales. C’est assez unique dans l’histoire du British Beat. Beck allume «I’m Not Talking» et ça a de l’allure. Beck claque ses notes et ramène de la petite folie intrinsèque. C’est Paul Samwell-Smith qui vole le show dans «Spoonful». Il sort un drive explosif. Et avec «Heart Full Of Soul», ils commencent à sérieusement friser le génie. Beck claque sa chique, and I know, et part en solo vainqueur. Il est le London guitar God, the real deal. Sur le disk 2, on retrouve pas mal de vieux plans du style «I’m A Man» et le psyscho London beat de «Still I’m Sad». Keith Relf se vautre avec «Smokestack Lightning», le pauvre, il n’a pas la voix pour ça. Il est bien meilleur dans «You’re A Better Man Than I», magnifique machine psychédélique. Autant il se plante sur tous les classiques (Smokestack, «Dust My Blues»), autant il est bon sur le Yardbirds sound, comme «Shapes Of Things». Là, Keith Relf peut arrondir les angles. C’est sur le disk 3 qu’on retrouve ce qui est sans doute leur plus beau hit, «Over Under Sideways Down», version assez demented avec le mad drive de Paul Samwell-Smith, toute l’énergie vient de lui, ça crève les yeux. On trouve aussi deux versions de «The Sun Is Shining» - The sun is shining/ But it’s rainin’ in my heart - Il faut noter l’élégance du jeu. Beck fait ce qu’il veut dans «Jeff’s Boogie», il est bel et bien le meilleur guitar slinger d’Angleterre, il multiplie les figures de style et dans la deuxième version, il joue carrément le jazz manouche. Il est à l’aise dans toutes les configurations. Puis on les voit se vautrer avec «Little Games», même si on sent le souffle du Led Zep à venir. Ils ont plus de son que sur l’album studio, mais la compo n’est pas à la hauteur. Ils rendent un superbe hommage à Dylan avec «Most Likely You Go Your Way (And I’ll Go Mine)», et là Keith Relf fait ce qu’il veut, car sa voix va. La deuxième version est même assez monstrueuse. La période de l’album Little Games n’est pas bonne et il faut attendre la fin du disk 3 pour retrouver la terre ferme : «Dazed & Confused» annonce la couleur. C’est du Led Zep, mais le pauvre Keith Relf n’a pas la voix pour ça. La version est très belle. Mais Robert Plant en fera le chef d’œuvre que l’on sait.

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    Il faut un peu de temps pour digérer le box Live And Rare : quatre CDs plus un DVD avec du footage qui, nous dit French, n’est pas en ligne. La box est bien documentée et les infos précises. Rien qu’avec le disk 1, on est gavé comme une oie : ça démarre avec une session de juin 66. Les Yardbirds sont cinq, Jeff Beck on guitar et Jimmy Page on bass. C’est Page qui rafle la mise avec son drive de basse demented dans «Train Kept A Rollin’» et «Shape Of Things». Il est all over. McCarty bat ça à la vie à la mort. Mais si on doit emmener un cut, un seul, sur l’île déserte, c’est la version d’«Over Under Sideways Down» qui suit. On y voit Page rentrer dans la gueule du groove. Genius ! Pendant trois minutes, les Yardbirds sont les rois du monde. What a bass drive ! Page démolit tout sur son passage, on croirait entendre Ronnie Wood dans le Jeff Beck Group, mais à la puissance mille. Ces trois cuts sont capitaux car il existe très peu de choses enregistrées avec cette formation. Très vite, Page va reprendre la guitare et Chris Dreja va passer à la basse. Bon alors après on retombe dans le Yardbirds sound classique avec Samwell-smith on bass. Quand arrive une autre version live de «Train Kept A Rollin’», Samwell-Smith reprend son rôle de locomotive. On tombe un peu plus loin sur une version d’«Happening Ten Years Time Ago» enregistrée en 66 avec Page & Beck on guitars et John Paul Jones on bass. Nous voilà de nouveau au cœur des riches heures du Duc de Berry. L’espace d’un cut, les Yardbirds redeviennent le plus puissant rock-band d’Angleterre. En fin de disk, on tombe sur les solo cuts de Keith et notamment «Knowing» avec Jimmy page on bass. Le disk 2 concerne l’année 1967 et donc la formation classique Keith/McCarty/Dreja/Page. Il se pourrait bien que Dreja vole le show à son tour car on le voit foncer dans le tas dès «Happening Ten Years Time Ago». Page fait bien son Beck, il claque tout ce qu’il peut. Toutes ces versions ont quelque chose de fascinant car on entend un groupe extraordinairement en place. Les Yardbirds tournent comme une horloge. Dans les interviews, Jimmy Page disait qu’il était vraiment content du groupe. Encore une version explosive d’«Over Under Sideways Down» que Dreja fait ronfler. Dans «Heart Full Of Soul» et «You’re A Better Man Than I», Page joue comme un dieu. Rien à voir avec Led Zep. Il sait ramener un vent de folie quand il faut. Les versions se succèdent au gré des sessions. On entend Page enclencher un «Heart Full Of Soul» au pire incendiaire en 1967 en France et ce coffret devient une vraie bénédiction. Live, les Yardbirds ont mille plus fois d’énergie qu’en studio. Ce disk 2 se termine avec une version d’«Over Under Sideways Down» encore plus explosive que les précédentes, Dreja is on fire, Page in the move, Keith is hot, McCarty is big au beurre et ça explose pour de vrai, rien à voir avec la version studio, on ne sait pas que les Yardbirds étaient à ce point capables de folie Méricourt. Méricourt toujours, bien sûr. Avec le disk 3, on arrive en 1968, et ça fait évidemment double emploi avec le Yardbirds 68 que Jimmy Page vient d’éditer. Dans «My Baby», Page ramène du son qui ne sert à rien. On sent un léger essoufflement. Page rallume la chaudière avec «Think About It» et Chris Dreja fait son John Paul Jones dans la première mouture de «Dazed And Confused». On tombe sur une série de cuts enregistrés dans cette émission jadis mythique, Bouton Rouge. Dreja refait son Samwell-Smith dans Train. Ils sont marrants. Quant au disk 4, il reprend les enregistrement de la BBC et fait donc double emploi avec l’autre box Repertoire, mais bon, c’est pas si grave. On ne se lasse pas d’écouter des mecs comme Jeff Beck. Sur la version d’«I’m A Man» enregistrée en août 1964, ce n’est pas Keith qui chante mais un certain Mick O’Neil. On entend des belles envolées de Samwell-Smith dans la version de «Respectable». Il peut être vertigineux. Fin de la période Clapton en mars 65 avec l’arrivée de Jeff Beck sur «I’m Not Talkin». Il joue avec une réelle violence. Il explose un peu plus loin le vieux «Spoonful». Cette version vaut tout l’or du Rhin. C’est d’une classe sans équivalence à Valence. Beck nous la claque sec et net, épaulé par le beat rebondi du géant caoutchouteux Samwell-Smith. Beck est à nouveau on fire dans «I’m Not Talking», vieux standard inutile mais joué dans les règles du Beck. Il pèse de tout son poids dans les Yardbirds. Avec «For Your Love», il touche de nouveau à l’imparabilité des choses de la vie. C’est comme de conduire une Guiletta sous acide : magic carpet ride. Beck ramène des crocs à tout va et c’est avec sa reprise de «The Stumble» qu’il emmène les Yardbirds au firmament. Laisse tomber Mayall. C’est cette version qu’il faut écouter, Beck remonte les bretelles du vieux cut de Freddie King et derrière lui, ça joue. Eh bé oui, c’est les Yardbirds ! Ça se termine avec les deux versions de «Beck’s Boogie» présentes elles aussi dans le box BBC. Beck est LE guitariste anglais par excellence, on ne se lasse pas de l’entendre jouer, il fait de la haute voltige, à la fois lumineux et ultra-moderne, il sait claquer une pompe et rester dans le rave-up.

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    Avec le DVD que Repertoire a glissé dans sa box, la fête continue et c’est très intéressant de voir Keith en 1964 chanter «Louise». Il a une certaine classe. On ne dirait pas qu’il est asthmatique. Ah les journalistes, il faut toujours qu’ils exagèrent ! Clapton joue sur une Tele. Parfaitement à l’aise, Keith alterne ses parties chant et ses coups d’harmo. Ils sont incroyablement crédibles, comme l’étaient tous ces groupes anglais en 64. Puis avec Train en 66, on assiste à un coup de rave-up, Beck fait son sale punk sur Les Paul, il harnache un heavy rumble, Samwell-Smith joue au pouce. Il refont Train en France en 66, habillés en blanc et cette fois Jimmy Page est au bassmatic. Ils enchaînent avec Over Under et là Page fout le souk dans la médina avec son drive de basse demented. C’est certainement l’attaque de bassmatic la plus violente de l’histoire du rock, hey, les Yardbirds font les chœurs, hey ! et Page descend au bas du manche pour exploser les ovaires de l’Over. En 67, Page passe à la Tele, ils jouent Shapes en Allemagne. Keith a le cheveu court, mais une belle présence. Il est essentiel de voir ce footage fou pour mesurer la grandeur des Yardbirds. Ils refont l’Over Under, et chaque fois on frétille. Une autre séquence nous montre les Yardbirds en France en plein air en 67. Page porte sa veste trois-quarts brodée. Keith contourne les obstacles du chant pour éviter de forcer sa voix, il évite les montées sur Better Man, il ne grimpe pas, il opte pour l’effet judicieux. L’Over Under reste le meilleur rave-up des Yardbirds. Tout ça se termine avec Bouton Rouge en 68. Page en jabot, Keith porte une petite moustache blonde, ils jouent Dazed, notes psyché, Tele peinte, c’est dingue comme ce son a pu nous marquer. Avec les Yardbirds, Jimmy Page fut plus sauvage qu’il ne le fut jamais avec Led Zep.

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    Keith n’a que 25 ans quand il quitte les Yardbirds, épuisé par cinq années de tournées. Il n’est plus que l’ombre de lui-même. Fini le kid souriant des Clapton days. Son but est de retrouver le calme et il monte Renaissance avec Jim McCarty, sa sœur Jane et Paul Cennamo, ex-Herd, devenu session man virtuose. Ils embauchent John Hawken des Nashville Teens. Keith joue de la guitare. Ils font une musique beaucoup trop ésotérique pour leur époque et se grillent auprès des fans des Yardbirds. Mais Keith dit que les kids ont vieilli, puisqu’un groupe de vieux comme Jethro Tull peut avoir du succès. Il cite en outre comme nouvelles influences Fairport Convention, Joni Mitchell, Tim Buckey et Tim Hardin, d’où le son de Renaissance. Leur premier album s’appelle tout bêtement Renaissance et sort sur Island en 1969. On s’épate de la pochette. Elle s’orne d’une toile d’un certain Claude Génisson, The Downfall of Icarus, mais on s’épate moins de la musique elle-même, très prog. En fait ce sont les surdoués du groupe qui mènent le bal, dès «King & Queens», ils s’élancent dans un délire prog ambitieux joué à l’Andalousie méritoire. Ils sont extrêmement déterminés. Cennamo et McCarty fournissent le pulsatif. Toute trace de la pyschedelia des Yardbirds a disparu. On entend Keith claquer sa wah dans «Innocence», il essaye de redresser la barre, c’est un bon gars, il ne baisse pas les bras. Mais Hawken et Cennamo volent le show. Who needs prog ? Certainement pas nous. On voit Cennamo se fondre dans la toile d’«Island» et là ça devient énorme, ils montent en pression harmonique avec un Keith à l’unisson du saucisson. En fait ces mecs s’amusent, comme tous les musiciens de prog. Cennamo vient comme un page se greffer à la florentine sur la cuisse d’un prélude de clavecin et Hawken emmène l’assaut final, «Bullet» qui dure 11 minutes. Sérieux client que ce Hawken, qu’on retrouvera d’ailleurs dans Third World War. Il mène bien sa barquette. On imagine la gueule des fans des Yardbirds. «Bullet» passe assez vite en mode groove à la Doctor John, Ils font du Splinters, ils sont capables de belles échappées belles, mais comme dans toutes les histoires de prog, ça dégénère, ça devient oblique, bruitiste, pas motivé, un brin d’avoine de tue l’amour toujours. Cennamo fait ses gammes et on finit par se sucer l’os du genou, tellement on s’ennuie. Renaissance aurait pu s’appeler Miscarriage. Et des stridence algorythmiques renvoient l’audimat dans l’hors du temps, à l’image de l’Icarus de Claude Génisson.

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    Enregistré en 1971, Illusion est un album surprenant. Pour ce deuxième album, Renaissance opte pour une pop libre. Dès «Love Goes On», on les sent libres de leurs choix et de leurs dynamiques. Jane chante comme elle a envie de chanter, n’allez pas les importuner en leur disant ce qu’ils doivent faire. Et puis avec une telle section rythmique, ils sont à l’abri du besoin. On sent chez eux une certaine paix intérieure, même si ça passe par la voie de la prog. Ils proposent avec «Love Is All» une petite pop à prétention hymnique, mais c’est solide, ça dure trois minutes et donc l’oreille gère ça bien. Ils passent d’un genre à l’autre sans prévenir et dans «Face Of Yesterday», on voit Louis Cennamo suivre à la note la mélodie piano. C’est assez puissant. Le plus marrant c’est qu’il s’agit d’une compo de Jim McCarty. Jane chante ça comme si elle chantait du Michel Legrand. Incroyable que cet album soit passé à l’as car il est très beau, très digne, Jane chante superbement, John Hawken pianote comme un dieu et Cennamo suit la mélodie à la trace. Pure merveille. Puis avec «Past Orbits Of Dust», ils s’engagent résolument dans la prog. Ils développent des choses extravagantes. C’est la vision de Keith, elle est bonne. Rien à voir avec le prétendu folk dont parlent tous les critiques qui n’ont pas écouté l’album. Cennamo swingue les transitions, il devient un bassmatiqueur fantasmagorique, Jane est portée par la vague. Keith joue les parties de guitare sur le drive de Cennamo, c’est plein de tact d’attack, Cennamo se révèle toujours plus brillant, alors Keith joue des accords à la reculade et l’ensemble éberlue pour de bon. Jane revient sur le groove et l’album prend une dimension irréelle. McCarty bat ça jazz, Cennamo groove comme un dieu du Péloponèse, on a là une sorte de prog parfait, certainement l’une des plus belles échappées belles du rock anglais. Leur délire de prog évolutif dure 14 minutes.

    Le problème, c’est que Renaissance se trouve embarqué dans les tournées américaines comme au temps des Yardbirds et ça ne pardonne pas. Le premier à craquer, c’est McCarty. Paul Cennamo : «Je pense que c’est revenu trop tôt pour eux, après le stress des tournées avec les Yardbirds. Avec Renaissance, ils voulaient faire quelque chose de plus paisible, mais le music business n’est pas paisible et ça ne pouvait pas fonctionner.»

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    Après avoir quitté Renaissance, Keith fait un bout de chemin avec Medecine Head et s’installe à la campagne, in Staffordshire. Il s’achète une basse et joue avec John Fiddler. Ils enregistrent ensemble Dark Side Of The Moon, le troisième album de Medecine Head au studio Olympic. John Fiddler profite de la parenthèse pour indiquer que le Pink Floyd leur a pompé le titre. Un batteur nommé John Davies vient muscler le son. On sent bien que John Fiddler court après l’inspiration. Cet album propose une succession de cuts assez insignifiants. On éprouve une immense tristesse pour John Fiddler qui semble retourner au néant dont il est issu. On retrouve des accents d’«I’m The Walrus» dans «You And Me», mais les cuts suivants font l’effet d’une douche froide. John Fiddler enchaîne des balades mélancoliques. On sent qu’il n’y croit plus. Il semble abandonné des dieux. Il est épaulé par Keith Relf, loser notoire. John Fiddler entame avec cet album une période de déclin tragique.

    En 1974, Keith n’a que 31 ans et sa carrière semble terminée. Il a quitté les Yardbirds, puis Renaissance, puis Medecine Head, et il se retrouve dans la dèche. No new money coming in. Quand sa femme April le quitte, emmenant leurs enfants pour aller vivre à Brighton, Keith commence à sérieusement rôtir en enfer.

    Puis un jour Louis Cennamo qui jouait dans Renaissance avec lui l’appelle et lui propose de monter un groupe avec Martin Pugh - Oh do you fancy coming to the States and starting a band? - Aller aux States, c’était un crazy plan to crack the big time. Eh oui, c’est Armageddon. Ça tombe bien, ils ont un contact chez A&M Records. Ils proposent à Ainsley Dumbar le job de batteur mais il vient de signer avec Journey. Il leur recommande Bobby Caldwell, l’immense batteur qui joua avec Johnny Winter et Captain Beyond. Dee Anthony accepte de les manager. Anthony est le spécialiste des groupes anglais qui veulent breaker l’Amérique : Humble Pie, Joe Cocker, Jethro Tull et King Crimson, c’est lui. Mais il y a vite des problèmes dans Armageddon, des problèmes de santé et des problèmes de dope. Le groupe se fracture, d’un côté Keith et Cennamo, de l’autre, Pugh et Caldwell.

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    Armageddon est un big album. Ils passent des mois à répéter pour une tournée qui n’aura jamais lieu. Paru en 1975, l’album s’est noyé dans la masse. Martin Pugh y joue le rôle d’un sorcier du son. On sent la très grosse équipe de surdoués. Sur la pochette, on les voit allongés dans les gravats, mais ils se comportent comme des princes du prog. Pugh plugs it ! Il vrille des torsades définitives dans «Buzzard». Il joue son va-tout, il enfile ses prises de guerre, par derrière et par devant. Il y a quelque chose d’indiciblement barbare dans son jeu. Keith Relf chante comme un hippie. Fini le temps des Yardbirds. Il navigue au long cours, comme s’il suivait la mode. Avec «Paths & Planes & Future Gains», Martin Pugh nous réveille à la cocotte. Il profite de ce groove demented pour ramener toute sa viande. Il fait la loi dans ce cut et part en virée abominable. Il fait le show. On le retrouve en B dans «Last Stand Before», une sorte de rumble de rêve. Pugh joue en embuscade. Puis Armageddon nous propose un long cut intitulé «Basking In The White Of The Midnight Sun» et découpé en quatre épisodes. C’est ce prog bien musclé qu’on détestait tant à l’époque. Pendant que Bobby Caldwell bat ça sec et net, Pugh part en traître et balance quelques retours de manivelle. Il joue en force et Bobby frappe comme un sourd, alors ça prend une drôle d’allure. On les voit piquer une crise et s’emballer avec Basking. Keith rime nights avec rights et Pugh joue des accords liquides. Il se paye aussi une belle partie de wah dévastatrice, il surjoue son riffing et bat tous les records d’insistance. Et ça explose avec la reprise de Basking. On entend même des clameurs d’éléphants, Pugh joue comme un dératé, ça frise le funk et le génie rétributif.

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    Bien qu’il ait de l’asthme, Keith fume deux paquets de Senior Service cigarettes sans filtre par jour. Il n’arrive même plus à monter les escaliers. Il a une crise, direction l’hosto et on lui annone la bonne nouvelle : il a chopé un emphysème. Bon, il ressort avec son emphysème et rentre chez lui. Et puis un jour, il branche sa gratte, mais pas avec une prise, il enfonce les deux fils dans la prise et pouf, court jus, raide mort. On le retrouve écroulé au sol avec sa guitare.

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    Pour lui rendre un dernier hommage, Repertoire sortait en 2020 une petite compile fourre-tout intitulée All The Falling Angels (Solo Recordings & Collaborations 1965-1976). L’objet se destine bien évidemment aux die-hard fans des Yardbirds prêts à tout écouter, y compris Renaissance. On peut y entendre les singles qu’enregistra Keith en solo, alors qu’il était encore dans les Yardbirds. «Mr Zero» n’a pas grand intérêt, mais «Knowing» impressionne au plus haut point. Keith est servi comme un prince, avec une belle pop de swinging London. On croise aussi pas mal de démos foireuses comme celle de «Glimpses» et il faut attendre «Shining Where The Sun Has Been» pour retrouver la terre ferme, car voilà un cut assez pur, plein d’écho et gratté dans l’azur marmoréen. Pour un asthmatique, Keith s’en sort plutôt bien. Tiens voilà un balladif d’excellence de la traînasse : «Love Mum & Dad», co-écrit avec McCarty. Haut niveau, brillant laid-back, ils sortent un son fantastique. Encore une surprise de taille avec «Together Now». Keith chante vraiment bien. On s’émeut encore à l’écoute de «Line Of Least Resistance», une belle pièce de psychedelia. Mais après, ça se gâte at the gate of dawn. Keith compose des choses ambitieuses qui n’obtempèrent pas et soudain arrive la surprise : «I’d Love To Love You Till Tomorrow», une belle pop tendue vers l’avenir comme une bite au printemps, mais Keith qui n’aime pas la gloire fait tout pour que ça reste ordinaire. Dernier coup d’éclat avec le morceau titre, beau comme tout et joué au feeling pur, violons et basse, «All The Falling Angels» crève l’écran. Il aurait dû appeler ça «All The Electrocuted Angels».

    Signé : Cazengler, Yardburne

    Yardbirds. Five Live Yardbirds. Columbia 1964

    Yardbirds. For Your Love. Epic 1965

    Yardbirds. Having A Rave Up With The Yardbirds. Epic 1965

    Yardbirds. Roger The Engineer. Columbia 1966

    Yardbirds. Little Games. Epic 1967

    Yardbirds. Yardbirds ‘68. JimmyPage.com 2017

    Yardbirds. Live At The BBC Revisited. Repertoire Records 2019

    Yardbirds. Live And Rare. Repertoire Records 2019

    Armageddon. Armageddon. A&M Records 1975

    Medecine Head. Dark Side Of The Moon.

    Keith Relf. All The Falling Angels. (Solo Recordings & Collaborations 1965-1976) Repertoire Records 2020

    Renaissance. Renaissance. Island Records 1969

    Renaissance. Illusion. Island Records 1971

    Mick Wall : Shapers of things. Classic Rock #245 - February 2018

    David French. Heart Full Of Soul: Keith Relf Of The Yardbirds. McFarland & Co Inc 2020

    L’avenir du rock - Dans l’air du Temples

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    Temples, c’est encore une histoire de buzz. Chacun sait que l’avenir du rock ne se nourrit que de buzz. Comme les gros singes, il va chercher le buzz dans les branches des arbres. Grâce à Frédéric Rossif, on a vu l’avenir du rock se régaler en se léchant les doigts, buzz buzz buzz.

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    Ce buzz-ci tient bien ses promesses car Sun Structures paru en 2013 fut un excellent premier album, et ce dès «Shelter Song». On s’épatait du pointu des guitares et le son éclatait non pas au Sénégal avec sa copine de cheval mais dans le bel écho du temps. Et pourtant, ces trois Anglais semblaient avoir trop de répondant. Ce beau psyché paraissait louche, comme si les Temples exhibaient ces deux mamelles que sont les chœurs parfaits et la belle ampleur. Petit à petit, «Shelter Song» tournait à la bénédiction, ça sonnait comme une tempête sous le vent et leur bouquet garni de chœurs donnait le vertige. Nous sachant conquis, ils enchaînaient avec le morceau titre, une belle aubaine de mad psychedelia. Ils traversaient un océan stroboscopique. Par contre, «Keep In The Dark» sonnait comme un hit extraordinairement pop, agité par une fantastique pression de stomp. Ils semblaient disposer de tout le son du temple. Nous n’étions pas au bout de nos surprises car on découvrait à la suite un «Move With The Seasons» plus lent, mais terriblement évolutif. Ça sortait du bois au détour d’un couplet, cette petite pop posait son cul dans la légende des siècles, elle semblait vouloir s’inscrire dans l’élongation psychédélique avancée, elle paraissait à la fois surélevée et infinie, d’obédience quasi-évangélique, comme surchargée de Spector Sound. Ils stompaient ensuite «Colours To Life» et battaient bien des records d’ampleur. On avait donc là un album gorgé de big sound entreprenant. Ils s’inscrivaient encore dans le lard de la matière avec «Test Of Time» et jouaient «Sad Dance» aux heavy chords de bonne taille. Ces mecs brillaient dans l’univers comme des étoiles. Anglais jusqu’au bout des ongles, ces trois Temples étaient beaucoup plus qu’un buzz. C’est d’ailleurs le fameux Shindig! 50 qui les mit au firmament des Shindigers, en compagnie de 49 autres albums monumentaux.

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    Leur deuxième album s’appelle Volcano. Ils vont plus sur les machines avec leur volcano. Pour un groupe à vocation psyché, c’est une faute. Le chanteur fait son biz de soft comme il peut, mais le son est un tue-l’amour. Trop de machines, laisse tomber la pluie, affreux connard. Jamais les Heads ni les Vibravoids ne se seraient permis un tel écart de conduite. James Bagshaw se prend pour Bowie avec «Oh The Saviour», mais avec un son inepte. Pourra-t-on jamais lui pardonner cette incurie ? Retour au big sound avec «Born Into The Sunset», mais les vagues de synthé ruinent tous leurs efforts. Les Temples sont à la merci des machines. C’est incroyable comme un groupe peut se couler en faisant les mauvais choix de son. Bagshaw chante «Open Air» d’une voix de femme, sur le beat de «Lust For Life». Étrange conglomérat. C’est pourtant le gros cut de l’album. Puis ils font de la pop spectaculaire avec «In My Pocket» alors qu’on ne s’y attend pas. Il faut saluer le retour des belles dynamiques. Bizarrement, l’album redevient intéressant à mesure qu’on avance. Ils claquent un bon climat dans «Celebration», des vagues salées viennent lécher les falaises de marbre qui adorent qu’on vienne les lécher. Vas-y lèche-moi, font-elles avec des soupirs. Ils finissent par regagner des suffrages à Suffragette City. Quel album surprenant ! Autant Bagshaw déplaît au départ, autant il rafle la mise avec des trucs comme «Mystery Of Pop». Il fait du glam à la petite semaine avec «Roman God-like Man». Bagshaw vole le show, il a de la suite dans les idées, c’est vraiment le moins qu’il puisse faire. Forcément, un titre comme «Roman God-like Man» ne peut être que glam. Il termine avec un vieux shoot de n’importe quoi qui s’intitule «Strange Or Be Forgotten». Enfin, si ça l’amuse, c’est le principal. Aussi surprenant que ça puisse paraître, on voit Bagshaw partir en mode heavy pop de heavy prod et c’est plutôt balèze.

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    Et puis tout rentre dans l’ordre avec leur troisième album, l’exemplaire Hot Motion. C’est un album de belle pop conquérante, très rundgrenien, chargé d’explosions de son, très travaillé dans les layers, très reposé sur ses lauriers, à l’image du morceau titre. On se fout des paroles, ces mecs sont là pour le son, et plus précisément le wall of sound. «You’re Either On Something» sonne comme un double rebondissement de pop extralucide. C’est l’un des meilleurs sons qui se puise imaginer ici bas, une incroyable perclusion d’extraballe, Bagshaw chante au sucre candy, il est surnaturel d’anamorphisme, sa pop éclate en épaisses volutes déflagratoires. On se croirait chez les Raevonettes. Par endroits, il peut même sonner comme Bolan. Ce disque est produit pour vaincre. Ils attaquent «The Howl» au gras du bide et flirtent avec un glam mal défini, puis ils reviennent à la foire à la saucisse avec un «Context» tellement bardé de son qu’il en devient génial. Encore un cut très puissant avec «The Beam». C’est sur-saturé de prod et de bonnes intentions. Ils sonnent comme des fantômes prodigieux dans «Not Quite The Sam», une pop d’arbalète, une pop de pas de cadeau, chargé de son comme une mule berbère dans les cols du Haut Atlas. Tiens, encore une grosse escalope de pop avec «It’s All Coming Out». On peut même dire qu’elle écrase tout sur son passage. Les Temples font de l’évolutif, ils visent une sorte de démesure et claquent tous les beignets un par un. Leur Coming Out est souligné à l’orgue et aux guitares dévorantes. Nous voilà dans les temps modernes des Temples. Retour à Bolan avec «Stop Down». C’est glammy à souhait, Bagshaw dévoile enfin son jeu. Les Temples battent à leur façon bien des records. Ils bouclent cet album mirobolé du bulbique avec «Monuments». Il n’existe rien de plus function at the junction. Bagshaw chante l’absolu pop power. Les Temples savent enclencher des dynamiques et c’est exactement ce qu’on attend d’un groupe : la science de l’enclenchement. On se souviendra de cet album comme d’un album bardé de son et du meilleur.

    Ne te fais pas de souci pour l’avenir du rock.

    Ah autre chose : début mars 2020, juste après le set des Lords Of Altamont, nous papotions dans le grand hall. Il planait déjà comme une menace dans l’air et à un moment, Nathalie déclara : «J’espère qu’ils ne vont pas nous supprimer le concert des Temples !». Les Temples devaient jouer le 20 mars 2020 et bien sûr, le concert fut annulé, en même temps que notre liberté de circulation. On ne remerciera jamais assez la Gestapo de nous avoir permis de survivre à l’épidémie de peste noire. Histoire de se vautrer un peu plus dans l’abjection, on irait même jusqu’à rouler une pelle à la Gestapo pour la remercier de cet acte de bienveillance.

    Signé : Cazengler, carotte du Temple

    Temples. Sun Structures. Heavenly 2014

    Temples. Volcano. Heavenly 2016

    Temples. Hot Motion. ATO Records 2019

     

    *

    Etrange, les oisillons ne font plus de bruit. Doivent être malades. Qui s'en plaindrait ? Personne. La Bretagne respire. Nous ont envoyé un message. Un seul mot. Silence. Nous n'y avons pas trop cru, l'était accompagné d'une photo de la dernière moto pétaradante de Pierre. Mais il ne faut pas voir le mal partout, après tout peut-être ont-ils eu une illumination mystique et ont-ils décidé de rentrer dans les ordres, la bécane pour filer au monastère le plus proche, au plus vite. A vrai dire on les aurait plutôt vus s'enfoncer dans les désordres, genre Attila, là où les Crashbirds passent, les oreilles ne repoussent pas, et les bonnes gens trépassent... Il s'avère que nos pressentiment étaient bons. Z'ont encore fomenté un nouveau clip !

    SILENCE

    CRASHBIRDS

    ( Clip / You tube / Mai 2021 )

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    Première image, avant même que ça démarre, idyllique, paradisiaque, écologique. Soleil, herbe type english lawn, s'il n'avait pas sa guitare vous confondriez Pierre et sa chemise à carreaux ( pas un seul de cassé ) avec un gentleman-farmer vaquant dans sa propriété de trois cents hectares, quant à Delphine dans le drapeau rouge de sa veste à carreaux, elle éblouit, une star de cinéma dans une scène culte. Si je m'écoutais oubliant mon plus strict devoir de chrockniqueur je resterais là à rêver au bonheur perdu de l'Humanité. Est-il vraiment nécessaire de lancer le clip, l'injonction SILENCE ne s'étale-t-elle pas en grosses capitales amarantes en haut, à droite.

    Pour être franc, connaissant mes volatiles, je me méfie, mes sens sont aux aguets, je ne me suis pas laissé endormir par les deux gâteries que les zoziaux nous tendent. Premièrement, un départ harmonieux, deux belles sonorités de guitares entrecroisées, à cette opération de séduction instrumentale je reste de marbre, alors pour la deuxième entourloupe ils tapent après le sucré dans ce que vous avez de plus sacré ( non ce n'est pas votre carte d'électeur ), ils ne respectent rien, vous traquent dans votre enfance, devant vos yeux émerveillés se dresse brusquement un castelet de guignol, tout blanc avec son rideau rouge encadré de ses colonnes ( imitation ordre dorique Grèce Antique ), du coup vous vous imaginez tout petit sur les genoux de votre douce mamanou, une bouffée émotionnante vous submerge, votre attention se relâche et c'est pourtant dans ces deux secondes de plongée en vous-même que se profile la menace. Elle porte un nom, je ne l'ai pas inventé, il est sur le générique. Comme toute menace qui se respecte, elle s'appelle Max.

    J'ai déjà à maintes reprises qualifié la barbichette de Pierre de méphistophélesque, voici la preuve que mes adjectifs ne sont jamais gratuits, de derrière le théâtre surgit un gros matou roux ( la couleur des flammes de l'enfer ) il traverse d'un bond la moitié de l'écran et disparaît au plus vite. Maintenant nous en sommes sûrs, le pire est certain. Pourquoi croyiez-vous qu'ils cachent leur regard derrière des lunettes aussi noires que leurs âmes damnées.

    Aiguisez votre sagacité, commence maintenant une séquence assez longue que l'on pourrait qualifier de subluminante, ou de manipulation mentale. Le jeu consiste à vous préparer, à vous amener à accepter en toute bonne foi le message honteux et immoral qui vous sera délivré par la suite. Apparemment ce n'est pas très grave, la musique est bonne, Pierre et Delphine esquissent d'élégants mouvements, et lorsque retentit la cloche à vache vous vous imaginez qu'un paisible ruminant ne va pas tarder à entrer dans le champ de la caméra pour paître l'appétissante pelouse. Ici tout n'est que beauté, rythme et volupté d'écoute.

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    Le rideau du guignol s'ouvre et apparaissent les marionnettes. Pas vraiment des personnages, des figures découpées dans du carton. De simples amusements ! Non, il est nécessaire de savoir déchiffrer les symboles. Une visite à la ferme, poule, oie, canard, coq, de quoi raviver et ravir votre âme d'enfant, notez toutefois que ces volatiles sont de couleur blanches alors que dans toute leur iconographie nos deux crashbirds se dessinent sous forme de corbeaux noirs au sourire sardonique... voudraient-ils insinuer dans nos esprits qu'ils sont blancs comme la neige ! Tiens l'on quitte la basse-cour, voici le mouton innocent, que disons-nous, l'agneau pascal blanc comme la colombe de la paix qui se charge de toutes nos méchancetés et de tous nos péchés. C'est ici qu'il faut penser à la notion de réversibilité des symboles, certes le mouton est un animal pacifique mais il représente aussi l'imbécile heureux qui se laisse tondre et mener à l'abattoir en toute quiétude.

    Et la seconde suivante, tombe le couperet de la guillotine, ou plus exactement on aimerait que tombât le couperet de la guillotine, cette image poétique pour marquer la brutalité de l'apparition, car ce sont deux têtes de la haute cour qui apparaissent. Des gens bien connus de tous, qui ont été élus présidents de la République, s'agitent et gesticulent, seront rejoints par un troisième larron ( sans doute pour une partie de poker menteur ), la musique se fait plus violente et pour que vous compreniez mieux le message c'est la tête de Delphine qui entre dans le théâtre qui leur intime l'ordre de cesser de claironner leurs discours, '' Shut up '' hurle-t-elle en anglais ce qu'en bon français l'on pourrait traduire vu la vigueur de l'intonation par '' Ferme ton claque-merde ! ''.

    Bon Dieu, seigneurs tout-puissants, si le rock devient politique, où tout cela va-t-il nous mener. Si les gens ne croient plus au mensonge des médias, s'ils se mettent à penser qu'un bon coup de balai, un monumental kick out the jam, s'avère nécessaire pour en finir avec ce théâtre d'ombres... et ces maudits volatiles qui en rajoutent ! Imaginez qu'au lieu de se plaindre la populace finisse par se révolter, quel scandale !

    En plus c'est bien fait, du bon boulot, z'ont raison d'être contents d'eux et de se prélasser sur leurs transats – un musique qui tranche sec, un vocal de pasionaria, de belles prises de vue, des trucages dus à Rattila Picture, une réussite esthétique, ils vont faire un malheur !

    Vous avez raison, Monsieur le Président !

    Damie Chad.

     

     

    JARS

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    Un petit single de Jars en attendant mieux, un morceau non utilisé issu des séquences du dernier album Jars III paru en décembre 2020, et un remix. Une pochette un peu différente – l'artwork est de Nikita Rozin - certes le fond noir et le trait blanc du dessin sont préservés mais inversés, la symbolique de la rose épineuse et de l'aigle éployé laisse place à ce que nous nous amuserons à définir comme appartenant à l'esthétique du réalisme soviétique, un jeune homme en équilibre sur son skateboard, bien propre sur lui, une bouteille à la main, attaché-case dans l'autre, que signifie-t-elle ? Que tout mode de vie tant soit peu en rupture identitaire finit par être récupéré par le système marchand ou que la gangrène des comportements déviants tend à lézarder les sociétés sclérosées...

    Anton Obrazeena / Pavel / Misha.

    Le meilleur des festivals : ne vous leurrez pas le meilleur des festivals ce n'est pas le Hellfest ou toute autre festivité concertique dont tout le monde rêve depuis d'un an, serait-il réduit à la seule prestation d'un unique groupe inconnu au fond d'un bar paumé dans les steppes sibériennes, non toute autre chose : un de ces rêves interdits que l'ordre et la morale réprouvent, ce geste gratuit qui vous traverse l'esprit et que vous n'oserez jamais réaliser par manque d'aplomb et de courage, celui de Jars est des plus simples et des plus percutants puisqu'il s'agit de filer un grand coup de poing sur la gueule d'un flic, hélas notre héros ne s'en sent pas capable, un autre le fera à sa place, c'est ainsi que l'on vit ses désirs les plus fous par procuration, est-ce là l'explication à la fan-attitude rock'n'rollienne, ne nous perdons pas une discussion oiseuse, écoutons : grêlons lourds sur toit de tôle suivis d'averses sans fin de grésil, batterie obstinante, hennissements de doigts sur les cordes chuintantes, des élans successifs qui n'éclatent pas, poursuite d'un rêve inassouvi, rejeté, repris, jamais assumé, désir clignotant qui ne sait pas vers où se tourner, et c'est l'éclatement des frustrations accumulées depuis l'enfance qui déchaînent le vocal, vomissement de haine froide, final en grande pompe une silhouette se détache sur le rougeoiement d'un soleil noir, c'est le crépuscule du héros qui a failli à sa mission, qui se retrouve au pied du mur intérieur qu'il n'a pas franchi. Moscow doesn't believe in tears : remix de Frailtyline ( une fan anglaise qui n'a rien rajouté aux sons de l'original ) : difficile de reconnaître le morceau original ( voir in Kr'tnt ! 493 du 14 / 01 / 2021 ) qui dépasse les dix minutes et celui-ci ne parvient pas à dépasser les trois minutes, plus qu'un remix j'évoquerais plutôt le concept cinématographique de montage, évidemment ici sonore, une espèce d'alignements d'échantillons, un peu comme quand vous disposez sur la table de la cuisine tous les ingrédients dont vous allez vous servir pour préparer votre plat, tout est là mais il manque l'essentiel, les premières secondes sont les plus réussies, cette monstrueuse clinquaillerie de cymbales, homard retiré de l'aquarium qui se débat pour ne pas être ébouillanté vivant et mangé à la sauce armoricaine sont magnifiques, mais ensuite c'est la cuisson rythmique à feu doux, certes vaseuse et funèbre, il manque aussi le soufre ardent du vocal.

    Damie Chad.

     

    INCIDENTS

    BLACK INK STAIN

    ( P.O.G.O RECORDS / ATYPEEK MUSIC

    ARAKI RECORDS / DAY OFF RECORDS )

    ( Avril 2021 )

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    Incidents, incidents, ils y vont fort si l'on en juge par la pochette, ce serait plutôt incendie, ne subsiste pas grand-chose du bâtiment, juste la structure noyée dans un océan de flammes, une charpente noircie, pas de souci à se faire, dans un quart d'heure il ne restera plus rien, rien que des cendres, d'ailleurs ils ont omis les couleurs rougeoyantes et rutilantes, n'ont gardé que noir, gris, et blanc, genre faire-part de deuil imagé pour vos illusions au cas où vous seriez du genre optimiste qui assimilez la musique à un agréable passe-temps. Inutile de leur chercher noise, ils font du noise.

    Trois de Clermont-Ferrand : Fab : guitare, vocal / Jean : basse, backing voices / Ugo : batterie.

    Slice of pain : un motif sonore, et un ouistiti qui sautille en contrepoint, le genre de truc qui ne fait pas particulièrement peur, mais très vite vous vous apercevez qu'ils ont décidé de s'en prendre spécialement à vous, d'abord le volume sonore en hausse, là on ne moufte pas, quelque part c'est la règle du jeu, mais ils reviennent vous titiller le système nerveux l'air de rien, une espèce de triptyque fondamental qu'ils épicent et martèlent à chaque fois sous un nouveau déguisement tintamarresque, jusque là ce n'est pas grave, vous encaissez, et vling ils rajoutent le malheur de l'œil crevé exprès pour vous pousser dans vos retranchements, le vocal de Fab vous mord les talons à pleines dents, et tout se dérègle en un long tortillis qui finit en générique de film d'horreur, juste pour faire monter l'adrénaline avant l'invasion des araignées géantes, magnifiques hurlements de fin du monde. I see you dead : le genre de déclaration d'amour que vous aimez, ils envoient la sauce au sang sans faiblir, sont partis pour vous saigner de belle façon, le Fab vous hurle toute la haine du monde dans vos oreilles, et tout compte fait vous trouvez ça beau, alors ils ralentissent le tempo pour que vous preniez compte du peu de temps qu'il vous reste à vivre, Ugo tonne à la batterie, la guitare lance des éclairs et à la basse Jean se sert de la lymphe qui coule de votre corps pour cirer le plancher. Sans façon : vibrations cordiques, manœuvres au sifflet, quelques coups d'enclumes et la catastrophe déambule vers vous, sans se presser, une espèce de papier calque géant qui se colle à vous et appuie de plus en plus fort, des tubulures surgissent du néant et tournent leur tentacules vers votre chair ensanglantée, rigoles de sang, fontaines de jouvence mortelle. Non merci, sans façon. STO2 : entrée rock, brûlante et au laminoir, la voix de Fab rageuse et aplatie, vous avertit mais avec cette masse sonore qui tombe sur vous, c'est trop tard, la batterie riffe à coups de riffles, tout s'emmêle le son n'a plus de sens, vous souhaiteriez que l'urgence s'arrête mais la pression augmente, tout semble s'éloigner, c'est pour mieux revenir mon enfant, et vous voici cassé et concassé, tassé et entassé, désordre moral et perfidie insane. STO de sinistre mémoire. Stuck : cordes de basse à vous pendre, l'air brûlant d'une guitare qui danse le scalp de votre chevelure piétinée et souillée de crachats blafards, c'est mal parti, donnent l'impression de jeter tout le son comme un sous-marin touché-coulé qui se défait de ses torpilles pour détruire en un dernier feu d'artifice le monde et l'emporter avec lui au fond des abysses. Touché-collé.

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    Pont des goules : un endroit certainement charmant, mais cette musique poisseuse vous détrompe et vous détrempe le cerveau à l'acide, le Fab devrait s'abstenir de son vocal racloir parfaitement désagréable, lui-même ne le supporte pas, il se met à crier sans rémission et derrière l'armada déboule sur vous, vous pensez que c'est la fin qui approche, pas du tout, prennent leur temps avec cette batterie spongieuse et ces cymbales cliquetantes, et vlang, une dernière tournée, le coup de l'étrier avec le cheval qui piaffe de bonheur sur le tapis de votre chair charpie. Frozen stance : surimi vivant de basse surgelée, le poëte Fab vous décapite ses octosyllabes à la manière d'un cyclope qui recrache la tête des olives humaines qu'il est en train de croquer, un morceau qui fait froid dans le dos. Alors ils en rajoutent des tonnes pour vous réchauffer. Déversent du décibel avec sadisme et cruauté. Froideur absolue. S.O.M.A. : rien qu'à entendre l'intro vous somatisez grave, ils inaugurent une plaque tectonique d'un nouveau genre, Fab qui vitupère dans les creux des ondulations et la masse sonore qui appuie de toutes ses forces dans les pleins. Je vous plains. Tiens déjà terminé. Hélas, c'était une fosse fin, ça recommence mais ce coup-ci c'est plus inquiétant, tapent dans le registre de l'angoisse. N'ayez pas peur, le pire était à venir. Finition apocalyptique de toute beauté. Derniers coups de merlin sur de tubéreuses protéiformes caverneuses un enchantement.

    Bruiteux et musical en même temps. Pas un seul morceau faiblard qui plombe l'ambiance. Ces Incidents qui forment le premier album de Black Ink Stain revêtent d'une tache noire l'innocence perdue des jours à venir.

    Damie Chad.

    *

    Voici quinze jours nous étions en Californie. Pas exactement à San Francisco en 1966, un tout petit plus bas à San José, de nos jours, nous restons dans la même mouvance avec des groupes comme Gulch, Sunami et Drain, sur lequel nous nous attardons en cette livraison. Ne sont pas tous seuls, sont entourés d'un public qui ressemble à leur musique, brutale et sans chichi. Du hardcore sans exclusive, mâtiné de sonorités metal, punk, grind, trash, straigh edge, noise et tout ce qui fait du bruit. Du core à core.

    CALIFORNIA CURSED

    DRAIN

    ( Avril 2020 )

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    Premier album du groupe, l'a été précédé les deux années précédentes de morceaux qui se retrouvent sur l'opus. A première vue une pochette passe-partout mais qui n'arrive nulle part. Votre conditionnement scolaire déclenche la touche, l'aurore aux doigts de rose avec les palmiers de l'île paradisiaque au loin, mais cette mer couleur de sang séché n'est pas vraiment engageante, les cumulus dans le ciel présentent la forme caractéristique des étrons et les ailerons de requins ne sont en rien engageants. Des planches de surfers dégarnis de leurs occupants sous-entendent que nos sélachimorphes ont l'estomac bien rempli. Pour vous en convaincre sur la plage aux détritus visez la cage thoracique. California dream is over. Inutile de sortir votre mouchoir, ce tableau désolant ressemble trop à une vignette de comix pour ne pas vous arracher un sourire. Ce n'est pas parce que notre monde n'est pas beau qu'il est nécessaire de sombrer dans le désespoir le plus noir. Arrêtez de vous plaindre, apprenez à jouir de la vie.

    Sam Ciaramitaro : vocals / Cody Chavez : guitar / Justin Rhodes : basse / Tim Flegal : drums.

    Feel the pressure : mouettes plaintives et vagues déferlantes, borborygmes glouglouteurs siphon de WC géant, l'on monte les étages soniques, crashs de cymbales scandent le départ d'une batterie épileptique qui pousse en avant le godet monstrueux de la basse et le halètement saccadé du moteur de la guitare, drumerie en action, vocals enfoncés dans la gorge, enfin expulsés, cris de haines et affirmation de soi, revendications différentielles, la guitare de Chavez se déchire sur les barbelés électrifiés de la bienséance comportementale, court-circuit incendiaire, toujours ces cymbales qui cinglent l'œsophage, déchaînement monstrueux qui débouche sur Hyper vigilance : Drain fonctionne comme le Led Zeppelin du pauvre, pas le temps d'artitiser et de funambuliser, ici, c'est plus fort et plus vite, l'on ne cherche pas le speed mais la cassure qui se bouscule vers une autre cassure, l'on tire scud sur scud mais la trajectoire n'est pas prise en compte, juste l'impact, car pour aller loin il ne suffit pas d'aller vite mais de raccourcir la route, trivial poursuite entre vocal et batterie, le premier pousse le deuxième, et le second pressure le premier, course en sac explosif sur terrain miné, avec dégagement monstrueux en fin de partie. Sick one : pas tout à fait l'on est déjà dans le morceau suivant, après l'état paranoïaque précédent, l'on accélère le processus ne plus se soucier de soi, éliminer les autres, tuer le mal à la racine, hymne à la destruction pure, quand vous êtes malade éradiquez la maladie, tirez sur tout ce qui bouge. Servez-vous du rock comme d'un hachoir mécanique. Army of one : démarrage en flèche de feu, vocal les doigts dans la prise, batterie démente et les guitares qui construisent des talus de riffs aussi vite qu'elles les détruisent, joie émulsifiante, seul contre tous, seul contre l'univers, le rock comme un miroir auto-glorificateur, perversité narcissique de l'adolescence parvenue à l'âge adulte, le rythme se ralentit pour laisser s'exprimer le déluge glossolalique, éclats de guitares agités tels des oriflammes victorieux, et l'emphase du délire reprend le dessus pour le seul plaisir égotiste d'atteindre à la jouissance phatique de sa propre unicité, lancée à la face du monde telle une grenade assourdissante. Character fraud : trop c'est trop, retour du bâton, auto-flagellation accusatrice, ô insensé qui crois que je ne suis pas toi, remarquez ce n'est pas le genre d'acte restrictif qui amène Drain au calme de la réflexion, peut-être ce morceau est-il plus violent que les précédents, au niveau vocal certainement, cette espèce de mea culpa est encore plus agressif que les cinq premiers assauts. Hollister daydreamer : ce n'est qu'un rêve de guitare fluide, très vite la guitare brûle de toutes ses larmes, pas de panique, cela ne dure qu'une minute. White coat syndrome : Drain draine le mal et la folie, vous applique des compresses d'acide sur vos plaies intérieures, la batterie comme le supplice de la roue se joue de vous, les guitares compriment vos cauchemars, vous êtes fait comme un rat, tumultueuses décharges radiographiques, terrible révélation, la société malgré votre rock chalumeau est plus forte que vous. The process of weeding out : la momie se relève de la table d'opération, elle a arraché ses bandelettes, elle est revenue du pays de la mort, vivante, elle hurle, elle exulte de rage, chaque mot est une bombe, la batterie bombarde sans retenue, basse hurlante et attaque de guitare en piqué, Drain n'est pas venu pour apporter la paix de l'âme mais le triomphe de la volonté de puissance. Bad Faith : profession de foi, la mauvaise, l'anarchiste, la stirnérienne, vivre uniquement pour soi et selon soi, la voix s'étrangle, la langue est devenue serpent à deux têtes, le jardin des délices s'équalise en l'éden des supplices. Riffs à la mitraillette, la batterie assénée en coups de batte à base ball, vous n'aimiez pas le rock, désormais vous le détesterez. California cursed : le morceau du retour, c'est ainsi que se terminent tous les bons disques de rock, at home, comme l'escargot dans sa coquille, comme la flamme dans la poudre, au cas où vous n'auriez pas compris, après deux minutes de speed ultra compressé, vous avez droit à dix secondes de country. Passé à la moulinette.

    L'ensemble ne dépasse pas les vingt-deux minutes – ne confondons pas quantité et déperdition d'énergie - quelques secondes supplémentaires et ils arrivaient à vingt-trois, le chiffre de l'Eris, la déesse du kaos.

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    Le dernier morceau existe aussi en vidéo-officielle. Le hardcore de Drain s'écoute très bien avec des images. Leurs disques sont colorées et ils soignent leur merchandising. Si vous voulez en savoir plus se reporter sur YT par exemple sur les 12 minutes de la vidéo : Drain 02 : 02 / 08 / 2020 enregistré lors de la prestation du groupe au LDB Fest. Il y en a d'autres plus virulentes. Le public est essentiellement composé de garçons... Un peu brutal diront les filles. Z'oui mais un véritable public rock. N'ont pas inventé le hardcore californien mais en sont les dignes héritiers. Fun, Fun, Fun, comme disaient nos ancêtres les Beach Boys voici un demi-siècle. Mais il est nécessaire de savoir s'adapter, aujourd'hui les vagues sont plus hautes et les requins ne sont plus exclusivement dans l'écume et les flots azurés... Faut bien que les gamins s'amusent, surtout quand les temps tournent à l'aigre...

    Damie Chad.

     

    Tout vient à point pour qui sait attendre. Donc voici l'autre moitié, pas du ciel, plutôt de l'enfer, plus prosaïquement la face B du split que Sunami a partagé avec Gulch voir notre chronique sur Gulch dans notre avant-dernière livraison509.

    SPLIT

    SUNAMI / GULCH

    ( 2021 / Triple B Records )

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    Ce n'est pas un hasard si Sunami et Gulch se sont retrouvés sur ce disque. Sunami est constitué de membres provenant de Drain, Gulch, Hand of God et Lead Dream, ces quatre groupes faisant partie de la scène hardcore californienne actuelle. Si Josef Alfonso est le shouter boy de Sunami, il passe beaucoup de monde derrière le micro lors des trois EP produits par le groupe. Davantage une réunion de copains qu'un véritable projet. Ces deux titres n'étaient pas particulièrement prévus, mais le public n'avait pas oublié les deux premières tranches de pain d'épice au piment de Cayenne.

    Step up : une avoinée de haine comme on les aime, se sont mis à trois pour le vocal et ça s'entend, la batterie sonne la charge mais lors de l'attaque des tranchées à la baïonnette les guitares attendent que les voix se soient tues pour lancer l'assaut perforatif. Die slow : crève lentement que tu aies le temps de souffrir, les musicos te passent le rouleau compresseur sur le corps pour que tu aies la possibilité de réfléchir sur ton triste sort, pas de chant, des imprécations théâtrales, mais quand la colère se déchaine, vous comprenez que les avertissements préparatoires n'étaient pas de vaines promesses.

    Damie Chad.

     

    IMMUABLE JOAN

    MARIE DESJARDINS

    ( Le Mag / Profession SpectacleMai 2021 )

    En règle générale quand on parle d'un chanteur ou d'un musicien on l'aborde par ses productions musicales. Suffit de se laisser mener de disque en disque, de concert en concert, etc... Facile de choisir le bon fil : le déroulé de sa carrière. Je ne dis pas que c'est du tout cuit, mais au moins vous savez où vous mettez les pieds. Mais parfois derrière l'artiste on cherche l'homme. Ou la femme. Entre le fan les yeux fermés qui ne se pose pas question, qui gobe l'œuf et la poule d'une même mouvement et celui davantage sourcilleux qui s'interroge pour savoir si tel ou telle correspond à ses propres catégories d'analyse, la distance peut se révéler prodigieuse... Pour prendre un exemple personnel, j'adore l'album Craveman de Ted Nugent et pourtant ses prises de position politiques me rebutent au plus haut point même si je pense qu'il existe une certaine logique corrélative entre la violence de sa musique et ses brutales assertions idéologiques. Lorsque l'on aborde ce genre de sujet l'on est vite confronté à ses propres nœuds gordiens, et souvent se refuse à notre disposition l'épée d'Alexandre pour trancher dans le vif de nos contradictions, bref nous manquons de courage pour nous affronter à nos intimités et nos inimitiés viscérales, nos choix instinctifs et nos préférences innées... qui sont au fondement de notre personnalité sociale et de notre idiosyncrasie individuelle.

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    Donc Marie Desjardins et Joan. Pas Jett. Baez. Bien sûr que Marie Desjardins apprécie hautement Joan Baez. C'est une grande chanteuse, une grande interprète me corrigerait-elle avec raison aussitôt. Une voix de tourterelle d'une limpidité absolue. Quiconque peut lui en préférer une ou plusieurs autres, là n'est pas la question. Joan est aussi ce qu'en notre doux pays de France l'on nomme une chanteuse engagée. Comprendre selon nos critères nationaux, à gauche. Pour rester sur le sol américain, elle participa aux marches civiques ( lutte des noirs ) et aux manifestations anti-Vietnam ( contre la guerre impérialiste ). Genre d'endroits où elle ne risquait pas de rencontrer Ted Nugent ! Aujourd'hui Joan Baez aborde fièrement ses quatre-vingts ans. Le temps a passé, elle n'a rien renié de ses engagements, elle ne s'est pas excusée, elle reste fidèle à ses prises de position, relisez l'adjectif ( vraiment ) qualificatif que lui décerne Marie Desjardins dans le titre de la chronique, Immuable Joan Baez. L'on a assisté pendant ces quarante dernières années, parmi nos dirigeants politiques, pour ne citer qu'eux, tant de retournements de vestes et de grotesques palinodies que l'on ne peut que s'incliner devant tant de constance.

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    Mais il y a plus. Marie Desjardins nous le rappelle. On y pense moins, ou plutôt on en parle moins. Nous l'avons noté dans la chronique ( in Kr'tnt ! 221 du 05 / 12 / 2015 ) de ses mémoires Et une voix pour chanter, Joan Baez a eu le courage intellectuel et physique de mettre ses actes en accord avec ses idées. Contre la guerre du Vietnam, elle ne se contente pas de défiler et des signer des pétitions qui vous donnent bonne conscience, citoyenne américaine en opposition à son gouvernement, elle se rend au Vietnam pour témoigner, sous les bombes, des destructions et des victimes perpétrées par les avions de son pays. Une femme courageuse. Devant laquelle l'on ne peut que s'incliner.

    Tout cela Marie Desjardins le raconte. Elle n'omet pas non plus les aspects moins plaisants de la chanteuse. C'est Joan Baez en personne qui l'énonce calmement face à la caméra. La douce Joan avoue qu'elle a parfois privilégié sa carrière à ses enfants. L'on n'est pas surpris, elle n'est pas la seule dans ce cas, l'on passe l'éponge, la rançon de la gloire, l'attrait de la célébrité... Il y a plus grave. Elle aurait pu le taire. Mais elle le dit. Elle a demandé à sa petite sœur Mimi ( Farina ) Baez de mettre sa carrière en veilleuse, ayant peur qu'elle lui fasse de l'ombre... Pas très beau, du coup avec cet aveu la part d'ombre de Joan se teinte d'une trouble opacité...

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    Apparemment ici je m'éloigne des points soulevés par la chronique de Marie Desjardins qui n'évoque en rien d'une manière précise ce morceau de Joan Baez, The night they drove old Dixie Down qui est mon préféré de sa discographie ( je ne la connais pas en son intégralité ). La version qu'elle en offre me semble supérieure à celle de son créateur Robbie Roberston avec son groupe The Band. Elle est même meilleure que celle qu'en donnera Johnny Cash. Nos deux artistes la déclament d'une manière un peu pompeuse ou funèbre. Cela se comprend, le morceau évoque la disparition du vieux Sud. Pas du tout passéiste ou triomphaliste. Ne s'inscrit pas dans un registre de parti-pris politicien revanchard, simplement la guerre vue du côté des petites gens. Joan Baez y insuffle un souffle et une vivacité qui manquent à nos deux compères. Le sujet est empreint d'émotion et de tristesse, mais pour notre folkleuse de l'Est progressiste – elle n'hésite pas à modifier le texte pour en gommer des aspects qu'elle juge trop outranciers - la défaite du Sud réactionnaire, malgré toutes les souffrances subies par sa population, est quelque part un pas en avant de l'Humanité, l'abolition de l'esclavage est un progrès...

    Tout ce qui précède pour en revenir au texte de Marie Desjardins. Un nouveau personnage vient d'entrer en scène. The Band aura été le groupe de scène de Bob Dylan. Des vieux briscards qui précédemment accompagnaient Ronnie Hawkins, mais avec Dylan nous rentrons dans la grande histoire du folk, celle de ses années triomphales, celle à laquelle Dylan portera un coup fatal en commettant le sacrilège d'électrifier le folk. Un véritable éléphant dans un magasin de porcelaine le Bobby, non seulement il pactise musicalement avec l'ennemi héréditaire : le rock'n'roll, mais de surcroît il brise le cœur amoureux de Joan.

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    Joan aura du mal à s'en remettre. Marie Desjardins prend fait et cause pour elle. Quel ingrat c'est elle qui lui a ouvert les portes du succès. Sans elle, il serait resté un petit gratteux anonyme. Solidarité féminine ! Certes Dylan s'est peut-être montré quelque peu inélégant dans les modalités de la rupture, nous voulons bien le croire, mais le mal était beaucoup plus profond. En-dehors de toute affinités électives entre deux êtres, il existe aussi des failles de séparations souterraines. Elles sont politiques et idéologiques. Ce qui sépare Dylan et Joan c'est ce qui différencie l'esprit de rébellion de l'esprit révolutionnaire. La révolte de Dylan relève de l'individu, celle de Joan s'inscrit dans un processus sociétal. C'est le ''moi contre presque tous'' qui s'oppose au '' moi avec les autres '' .

    Marie Desjardins transcrit cela selon un autre registre : idéologiquement Joan était trop pure, Dylan beaucoup plus prudent. L'une sans concession, l'autre prêt à pactiser. Préfère jouer sa carte en solitaire que devenir la caution morale des autres. Si doué que l'on soit l'on ne devient pas Dylan tout seul, l'arrive un jour où la maison de disques vous propose le deal : coco on met le paquet sur toi – pub, presse, radio, TV, réseaux - mais en retour tu suis les conseils et tu fais ce que l'on te dit...

    Marie Desjardins nous prend un contre-exemple, Sixto Rodriguez qui ne fera pas la carrière qu'il se devait dans le showbizz, elle se dépêche d'ajouter que Dylan n'y est pour rien, mais lorsque le disque de Rodriguez sort en 1970 Dylan est déjà une légende, nos deux auteurs-interprètes ne jouent pas dans la même catégorie, reconnaissons que Sixto est prêt à faire moins de concessions que Dylan... Si les circonstances avaient été autres de quels opus aurait accouché Sixto Rodriguez. Nous n'en savons rien. La vie est remplie d'injustices destinales.

    Nous n'y pouvons rien, chacun de nous est victime des autres et de lui-même. Le Christ lui-même n'a pas échappé à cette règle de fer... C'est à Lui que Marie Desjardins se rapporte pour terminer son article, en vieux mécréant nous dirons que s'il était un homme il n'a pas fait mieux que nous, et que s'il était un dieu, il n'a rien fait. En plus il n'a jamais mieux chanté que Joan Baez et il n'a jamais mieux écrit que Marie Desjardins. Sinon cela se saurait !

    Un bel article qui vous oblige à réfléchir et à méditer sur les implications de vos actes sur vous-même et sur les autres.

    Damie Chad.

     

    XXXIV

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

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    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

     

    139

    Même pas le temps de respirer que le téléphone sonna une nouvelle fois. C'étaient les filles, Charlotte et Charlène s'ennuyaient chez leurs parents, est-ce que par hasard nous pourrions les emmener en weekend, au bord de la mer par exemple.

      • Au bord de la mer oui, en weekend anticipé, départ ce soir à vingt heures, rendez-vous au pied de la Tour Eiffel !

    Le Chef reposait tout juste le bigophone que la sonnerie se fit entendre une fois de plus, c'était Vince, la voix angoissée :

      • Il faut se voir au plus vite, avec Brunette nous avons mis la main sur des documents importants, je monte à Paris, je prends le train ce soir !

      • Inutile, on descend sur Cannes, on sera au Majestic, à 10 heures on t'attend !

      • Parfait, mais faites attention, les nouvelles que j'apporte ne sont pas bonnes.

    140

    Je ne devrais pas le dire mais l'on a roulé, non pas à tombeau ouvert mais à fosse commune épidémique géante, bref le matin à six heures piles j'arrêtai la Lamborghini devant l'entrée du Palace. Nous étions attendus. L'ensemble du personnel nous fit une haie d'honneur, des grooms se précipitèrent pour se charger des deux valises du Chef, durent se mettre à trois pour la malle à Coronado. A peine le Chef eût-il sorti un Coronado de sa poche que trois majordomes se disputaient pour lui offrir du feu, tandis qu'un quatrième se tenait à sa portée un cendrier à la main. Les filles se virent offrir une bague en diamant, mais les plus heureux furent Molossa et Molossito chacun trônant sur un magnifique coussin de soie précautionneusement portés par deux maîtres d'hôtel empourprés de confusion d'avoir à transporter deux si illustres canidés. Le directeur du palace s'excusait :

      • Nous avons eu peu de temps pour refaire les décorations, néanmoins toutes les salles ont été en votre relooké rock'n'roll, des photos de Gene Vincent et d'Eddie Cochran ornent toutes les chambres, mais peut-être désireriez-vous petit-déjeuner à moins que vous ne préférassiez an american hot brunch...

    141

    La porte du royal penthouse judicieusement rebaptisé Heartbreak Hôtel, s'ouvrit à dix heures tapantes, deux chasseurs s'effacèrent après les avoir annoncés pour laisser passer Vince et Brunette, nous n'eûmes même pas le temps de les embrasser, qu'un autre visiteur fut introduit, il se présenta de lui-même :

      • Mon nom ne vous dira rien, appelez-moi Hector, je viens vous apporter le cadeau de mon maître, si vous voulez vous donner la peine et il tendit au Chef une simple enveloppe !

    Le Chef la déchira et apparut un mince bristol bleu qu'il lut à haute voix : '' Ceci est le cadeau promis, suivez Hector, il se fera un plaisir de vous le remettre. Un conseil d'ami prenez une petite laine ou un blazer. Je vous souhaite une bonne journée.''

    142

    Une énorme voiture ( télévision grand écran, bar et cuisine aménagée dans laquelle nos canidés ne tardèrent pas à se partager un rôti de porc aussi volumineux qu'eux ) nous attendait devant l'hôtel, le chauffeur se dirigea vers le port, et s'arrêta au bout d'un quai, juste devant un splendide yacht.

      • Super bateau, super cadeau ! s'écrièrent les filles

    Hector eut l'air vexé :

      • C'est mal connaître mon maître que de croire qu'il offrirait une barcasse de troisième ordre à ses invités. Ce rafiot nous emmènera au cadeau proprement dit, couvrez-vous le temps fraîchit.

    143

    Les filles pariaient pour une île paradisiaque mais la surprise fut kolossale. Une brume épaisse s'était levée, le yacht se dirigeait vers le large, une véritable purée de poix, nous n'y voyions pas à trois pas, les moteurs de notre embarcation stoppèrent brusquement, nous ne distinguions rien, nous fûmes surpris lorsque Hector nous conduisit à bâbord devant un escalier métallique sorti de nulle part qu'il nous conseilla d'emprunter sans peur, je resterai avec le yacht pas très loin, si vous avez besoin de quelque chose faites signe.

    Les filles poussaient des petits cris, mais lorsque nous fûmes arrivés tout en haut, un rayon de soleil troua la brume révélant la nature du cadeau : un porte-avions !

    144

    Le commandant nous attendait : '' Bienvenu sur l'Impérieux, ce porte-avions vous appartient, moi-même et l'équipage que j'ai l'honneur de commander sommes à votre disposition, je vous conduis au poste de commandement. Je suppose que vous n'y connaissez pas grand-chose, je resterai auprès de vous pour vous seconder.

      • Pas besoin dit le Chef, l'agent Chad est un pilote émérite, quant à moi, je pense que le maniement d'un tel engin demande moins d'expérience, de tact et de subtilité que l'allumage d'un Coronado, nous nous débrouillerons très bien tout seuls !

    145

    Je le reconnais, c'est un peu plus complexe qu'un tableau de bord de Lamborghini, des cadrans à aiguilles partout, une multitude boutons de toutes les couleurs qui clignotent sans discontinuer, des écrans qui affichent des données incompréhensibles, au bout de dix minutes je parviens à comprendre qu'il suffisait que je donne les ordres directionnels à voix haute dans le micro rouge pour qu'ils soient aussitôt exécutés dans une pièce attenante.

    Enfin seuls, Vince est soulagé, il prend la parole :

      • Avec Brunette nous n'avons pas perdu notre temps, nous avons échafaudé une hypothèse relativement simple : si Eddie Crescendo a disparu il devait savoir qu'il courait un danger, il n'était pas une tête brûlée, sans doute a-t-il pris la précaution de laisser des documents quelque part !

      • Nous les avons découverts, le coupa Brunette, dans l'appartement de sa mère, que nous avions fouillé ensemble, rappelez-vous son cadavre dans le hall d'entrée, nous étions alors obnubilé par les boîte à sucres... Nous avons brisé les scellés posés par la police et avons recommencé les recherches, nous cherchions un gros dossier, c'était simplement trois feuilles A4 pliées en deux dans le cahier de cuisine de la pauvre maman posé sur le buffet... une chance extraordinaire, j'aurais pu ne pas les voir, c'est en vérifiant par gourmandise la recette des crêpes au nutella que j'y suis tombé pile dessus, incroyable figurez-vous que Mme Crescendo ajoutait de la crème fraîche dans la pâte chocolatée !

      • Personnellement je verse directement dans la crêpière les fragments d'une robe de Coronado, ainsi j'obtiens une saveur inimitable mais cela ne serait rien si auparavant je...

    Hélas, aujourd'hui que je rédige mes mémoires je suis dans l'incapacité totale de vous révéler à quelle opération préliminaire se livre le Chef pour réussir ses crêpes au nutella car depuis un moment j'éprouvais une gêne inexplicable au niveau de ma fesse gauche et je concentrai toute mon attention sur cet étrange phénomène...

    A suivre...