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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 27

  • CHRONIQUES DE POURPRE 588 : KR'TNT 588 : DAVID CROSBY / WHITE STRIPES / ELVIS PRESLEY / THE CULT / OTIS LEAVIL / THE CONFUSIONAIRES / 4AM NEW YORK EXPERIMENT / CHAOTIC BOUNDS SYSTEMS / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 588

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    16 / 02 / 2023

    DAVID CROSBY / WHITE STRIPES

    THE CULT / ELVIS PRESLEY / OTIS LEAVIL

    THE CONFUSIONAIRES / 4AM NEW YORK EXPERIMENT 

    CHAOTIC BOUND SYSTEMS / ROCKAMBOLESQUES

    Sur ce site : livraisons 318 – 588

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    Crosbibi Fricotin - Part Two

     

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             S’il est un personnage attachant dans l’histoire du rock, c’est bien David Crosby. Ça doit faire quarante ans qu’on est là à se dire : «Ahhh, comme il est doué, ce Croz !». Il a navigué dans l’histoire du rock à sa façon, sans heurts, entouré de belles femmes et équipé des meilleures drogues. On le retrouve sur des disques qui figurent parmi les grands classiques du rock américain : les premiers albums des Byrds, CS&N, mais aussi ses albums solo. Qui fera le tour du propriétaire s’apercevra qu’il n’y a quasiment pas de déchets dans cette impressionnante série d’albums. Croz est l’hédoniste des temps modernes, au sens où Oscar Wilde l’était en cette fin de XIXe siècle pourtant riche en personnalités extrêmement raffinées.

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             Non seulement les quatre premiers disques des Byrds te rendaient dingue, à l’époque, mais ça prit des proportions encore plus spectaculaires avec le premier album de CS&N et surtout le premier album solo de Croz, If I Could Only Remember My Name, qui reste avec Electric Ladyland l’un des plus grands disques de rock psychédélique de tous les temps. Croz est un grand héros américain, au même titre que Captain Beefheart, J.B. Lenoir, Muddy Waters, Wolf et Jeffrey Lee Pierce. On en prend la mesure en lisant le premier volume de ses mémoires, Long Time Gone. On se délecte de ses récits de rocker et de navigateur, au gouvernail du Mayan, de son apologie des armes et des drogues, mais aussi du récit qu’il fait de ses incarcérations.

             Croz fournit le fil rouge de Long Time Gone, et des témoignages d’amis et de collaborateurs viennent étoffer le récit. Cet ouvrage est certainement l’un des plus passionnants et des plus honnêtes du genre. Au long des 500 pages que compte ce pavé, Croz dit tout de sa passion dévorante pour la dope et donne tous les détails de ses incarcérations successives. 

             Il est arrêté une première fois sur Sunset Boulevard alors qu’il fume une bonne pipe d’herbe au volant. Rangez-vous ! Le bourre ouvre le coffre et trouve un kilo d’herbe et un calibre chargé. Allez hop, au poste ! Croz dit qu’il n’est pas au courant du kilo et du calibre. Ça ne m’appartient pas ! On le relâche. Pendant quelques temps, Croz va jouer avec le feu, en circulant complètement défoncé dans ses voitures de sport et sur ses grosses motos. Il tourne à la freebase. Pour ceux que ça pourrait intéresser, il donne tout le détail de la façon dont on prépare une pipe et du rush que ça provoque. Un soir, sur l’autoroute de San Diego, il perd le contrôle de sa voiture. Les condés le ramassent, comme la première fois, avec tout le matos du parfait camé et un calibre chargé. Il passe la nuit au trou. Le lendemain matin, il est libéré sous caution. On commence à parler de l’affreux camé Crosby dans la presse. Il est arrêté une troisième fois en septembre 1982. La volaille de Culver City le chope à sa sortie de scène. Croz doit encore payer pour sortir des pattes des flics qui veulent sa peau. C’était courant à l’époque : les condés s’acharnaient sur les rock stars qui se rendaient vulnérables en se camant ouvertement. Pour financer sa freebase, Croz revend ses bagnoles (une Ferrari, deux Mercedes, une 6,9 litres et une 6,3 qu’il revend à un dealer pour une livre de coke et quatre mille dollars). Croz passe son temps à disparaître pour aller fumer sa pipe, même en avion, où c’est interdit - By that time, if I didn’t have my drugs, I couldn’t function - Stills excédé lui a jeté un soir un seau d’eau dans la gueule. Croz a réagi en lançant : «If Ray Charles can do it, I can do it. If Coltrane could do it, I can do it !». Croz et sa poule Jan prennent un avion à Kansas City. Ils se font poirer avec deux sacs suspects qui contiennent le matos habituel et les armes de Croz. Jan prend tout sur elle. Chef d’inculpation : piraterie aérienne. Ça commence à chauffer pour de bon. Elle s’en sort en acceptant de suivre un programme de probation. Un soir, alors qu’il roule en Harley, un flic arrête Croz et demande à voir ce que contient le fameux sac à dos qu’il trimballe partout avec lui. Il doit verser 5 000 dollars pour sortir du ballon. Et page après page, il raconte la descente aux enfers classique, les amis qui s’éloignent, les revenus qui se tarissent, la crasse qui s’installe dans la baraque et la transformation physique. Croz à l’époque est complètement bouffi. Jan est encore plus accro que lui. Elle n’est plus que l’ombre d’elle-même. On oblige Croz à se désintoxiquer, mais il fait le mur et prend la fuite. Puis les flics du Texas viennent le chercher à Greenwich Village. Croz écrit tellement bien ses mémoires que son récit fonctionne comme un film d’action. Ils tapent à la porte et disent bonjour. Croz se retrouve au ballon à Dallas et une fois de plus, il réussit à sortir sous caution. Retour à LA. Au bout de 14 ans de régime junk, Croz ressemble à un clochard. Comme sa liberté ne tient plus qu’à un fil, il prend une bagnole et file vers le Nord à la recherche du Mayan, dont il n’a plus de nouvelles depuis longtemps. Il espère lever l’ancre et prendre le large, vers le soleil. Mais il comprend que la rigolade est terminée. Il arrive pieds nus au bureau du FBI de Palm Beach pour se rendre. Et là commence l’extraordinaire récit de son incarcération. Il ne fera qu’une année de placard, mais il dit ne rien regretter de cette expérience. Et forcément, il est désintoxiqué d’office. C’est un Croz bouffi aux cheveux courts et sans moustache qui sortira du Texas Department of Corrections d’Huntsville en août 1986.

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             Il brosse aussi des portraits spectaculaires des gens qu’il admire : John Coltrane (Croz raconte comment il s’est retrouvé avec deux amis - les trois seuls blancs - dans un club noir de Chicago, Coltrane est sur scène avec McCoy Tyner et Elvin Jones, ils prennent des solos à tour de rôle, Coltrane sort de scène, et Croz ne peut pas supporter l’intensité du solo d’Elvin Jones, alors il se réfugie aux gogues, il essaie de reprendre conscience, «when the door went wham and in walks John Coltrane, still playing at top intensity and volume, totally into it», oui, Trane entre et continue à jouer en solo, à fond - he blew me out so bad I slid down the wall - Croz s’écroule. Il pense que Trane ne l’a même pas vu - but he totally turned my mind to Jell-O at that point (Trane lui a réduit la cervelle en bouillie) - Portait de George Harrison - There are people that tell me I turned him on to Indian music (des gens disent que je l’ai branché sur la musique indienne). I know I was turning everybody I met on to Ravi Shankar because I thought Ravi Shankar and John Coltrane were the two greatest melodic creators on the planet and I think I was probably right (Croz poussait tous ceux qu’il rencontrait à écouter Ravi Shankar, car il pensait que lui et Trane étaient les deux plus grands mélodistes du monde) - Encore un sacré portrait, celui de Mama Cass. Elle et Croz étaient très proches et prenaient de l’héro ensemble - We used to get loaded with each other a lot. We loved London because there was pharmaceutical heroin availiable in drugstores (ils adoraient Londres où on pouvait se procurer de l’héro dans les drugstores) - Tiens et puis Joni Mitchell, découverte par Croz. «Guinnevere», qui se trouve sur le premier album de CS&N, est une balade létale dédiée à Joni Mitchell, dont il s’était amouraché et dont il avait produit le premier album avant de la céder à Graham Nash qui voulait absolument la baiser, comme il voulait baiser toutes les poules de ses amis. Joli portrait d’Ahmet Ertegun, le boss d’Atlantic - Sweet man that he is and gentleman that he is, Ahmet loves music - Ce gentleman aime vraiment la musique, ce qui pour Croz est assez rare dans l’industrie musicale. Il ajoute que John Hammond Sr est aussi une exception, puisqu’il a enregistré Billie Holiday ET Bob Dylan. Et puis, comme on l’imagine, il brosse aussi des portraits sensibles de Roger McGuinn, du Nash et de Jerry Garcia.

             Croz n’a pas fait les choses à moitié. Toute sa vie, il n’a fait que tendre vers l’excellence. On dispose de toutes les preuves.

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             Les Byrds font partie d’une autre histoire, aussi va-t-on sauter en 1969, année de parution du miraculeux premier album de CS&N, trois larrons surdoués qui avaient décidé de chanter ensemble pour pousser le bouchons des harmonies à trois voix. Dans son book, Croz n’en finit plus de saluer l’immense talent de Stephen Stills. N’oublie pas que Jimi Hendrix voulait Stills comme bassiste dans son groupe. Quand on écoute ou qu’on réécoute «Suite Judy Blue Eyes», on se régale. C’est du très grand art. Non seulement Stephen Stills fait un festival au chant et à la gratte, mais il en fait un aussi au bassmatic. CS&N nous gratifient d’une fin de morceau absolument démente. Pour Nash et Croz, ce fut de toute évidence un privilège que de chanter sur un cut de Stills. Ahmet Ertegun qui les signa sur Atlantic comprit qu’ils étaient la crème de la crème du rock américain. «Marrakesh Express» est un hit du Nash - All on board on the Marrakesh express ! - Ce fut la musique des jours heureux, t’en souvient-il ? Puis c’est au tour de Croz d’entonner «Guinnevere». Pure magie. La beauté des personnages et la beauté du ciel, le destin leur souriait à pleines dents. En B, tu tombes sur le hit intemporel du trio, «Wooden Ship», co-signé Croz-Stills, l’archétype du rock psychédélique, monté sur une monstrueuse bassline et noyé de guitare liquide. Cut magique, encore une fois - Wooden ships on the water, very free and ea-sy - à bord d’un voilier, libre et riche, cette image allait préfigurer le style de vie de Croz. Ce cut semblait tellement en avance sur son époque. Et puis tu as «Long Time Gone», un groove infernal qui pose vraiment les bases du rock psychédélique, la mélopée court sur un tapis d’harmonies ensorcelantes. «Long Time Gone» va hanter une génération entière. Croz et ses amis ne craignaient plus rien. Ils avaient les chansons. Comme les Beatles. Ils accédaient directement au superstardom.

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             Pour leur second album, Déjà Vu, ils ont incorporé Neil Young, déjà célébré par le public américain pour ses albums solos et vieux compagnon de route de Stills dans Buffalo Springfield. Neil Young arrive dans CSN&Y comme un cheveu dans la soupe. Sa «Country Girl» n’a rien à faire sur cet album, c’est du Neil Young, un style complètement différent. De son côté, le Nash continue de faire sa petite pop anglaise. Ce gros malin a réussi à refourguer «Teach Your Children» à ses copains qui ne disent rien, car ils sont gentils. Mais ça n’arrive évidemment pas à la cheville de «Wooden Ships» ni de «Long Time Gone». Heureusement, Croz veille au grain et ramène «Almost Cut My hair», encore un groove chargé de sens psyché. Il sait tirer sur certaines syllabes, juste ce qu’il faut de fabulosité. Croz est un formidable déchireur de ciels, un explorateur de paradis artificiels. Il donne du temps au temps du groove. L’autre pièce de choix qu’il ramène pour cet album, c’est le morceau titre. Il y recycle son admiration du «Love Supreme» de John Coltrane. Musicalement, Croz est nettement plus évolué que ses collègues. Il navigue à le recherche de passages vers d’autres océans. «Woodstock» est une compo de Joni Mitchell, qui reste un modèle d’harmonies vocales rockées au roll suprême. On l’entend dans le générique de Woodstock, un film qu’on peut revoir chaque année sans jamais s’ennuyer.

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             Croz embarque tous ses copains du Bay area dans l’aventure de l’album rouge, If I Could Only Remember My Name. «Cowboy Movie», qui est monté sur le même genre de groove magique que «Long Time Gone», raconte l’histoire d’un gang de pilleurs de trains et d’une fausse Indienne. Les autres morceaux de l’album fleurent bon le mescal («Tamalpass High (At About 3)»), le mélopique enchanteur («Laughin’»), le très haut niveau - huit miles - («What Are The Names») et la pure mélodie, avec des voix qui pépillent dans la tiédeur des alizés («Song With No Words»). Croz cultive essentiellement une vision du monde très pure.

             Comme il s’entend bien avec son collègue Nash de Manchester, ils font des albums ensemble, sur le même principe que dans CS&N : chacun ramène sa gamelle.

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             C’est là où il faut feuilleter les mémoires de Nash, parues récemment sous le titre Wild Tales - A Rock & Roll Life, car avant d’être un livre consacré à lui-même, c’est d’abord un livre consacré à Croz. À travers le Nash, on comprend que Croz est un être sur-dimensionné qui dévore tout ce qui l’entoure, et une demi-portion comme Nash ne fait évidemment pas le poids. Nash explique que Croz a façonné sa vie et sa carrière, dès leur première rencontre, chez Cass Elliot. Nash n’en finit plus de brosser et de rebrosser le portrait de Croz : «Il était irrévérencieux, amusant, brillant. C’était un hédoniste à l’état le plus pur. Il avait toujours la meilleure herbe, les plus belles femmes, et elles étaient toujours déshabillées. Quand il passait un coup de fil, une fille lui taillait une pipe.» Nash est fasciné par les exploits de Croz le camé. Il raconte comment Croz vend sa Mercedes à un dealer, puis quand Croz apprend que le dealer vient de faire une orverdose, il va récupérer les clés de sa bagnole sur le corps encore tiède du dealer pour aller revendre la Mercedes à un quelqu’un d’autre - Then he had the balls to resell the car to someone else. Like I said : freaky - Nash raconte qu’à la pire époque, Croz et Jan étaient couverts d’escarres, d’ampoules et de brûlures, car ils utilisaient un petit chalumeau pour chauffer leur pipe, même dans les avions où c’était formellement interdit. Nash se souvient d’avoir vu Croz dans une émission CNN en 1983. Il s’agissait d’un reportage et la caméra filmait la salle du tribunal où Croz était jugé pour usage de drogue. Croz s’était endormi et on l’entendait ronfler bruyamment, au grand dam du Président qui était scandalisé et qui parlait de félonie. Nash apprit ensuite que Croz était même allé fumer sa pipe dans les toilettes du tribunal. Alors bien sûr, en comparaison, les aventures de Nash ne font pas le poids. Ce pauvre Nash finit comme la grande majorité des gens pauvres qui deviennent riches : il devient très sensible aux honneurs, surtout quand il est décoré par la Reine d’Angleterre. Avant de refermer cette parenthèse, signalons tout de même qu’on trouve dans les mémoires de Nash de très belles pages sur la Cavern de Liverpool et les Beatles de 1963, sur Cass Elliot, sur Stephen Stills, Joni Mitchell, mais aussi des pages extrêmement embarrassantes où Nash essaye de justifier au mieux la façon dont il s’est comporté avec ses amis d’enfance, les Hollies. Il faut bien parler de trahison, comme dans le cas de Steve Marriott avec les Small Faces. Nash a beau dire que les Hollies n’étaient pas capables d’évoluer musicalement, on ne trahit pas des amis pour une raison aussi futile. Il est si mal à l’aise avec cet épisode qu’il se réjouit pendant des pages entières d’avoir pu se réconcilier avec Allan Clarke et les autres. Mais on sent une certaine forme de puanteur, un peu comme chez Dave Grohl qui lui aussi s’était spécialisé dans l’opportunisme pathologique, n’hésitant jamais à trahir un ami pour avancer. Et voilà, c’est toute la différence entre un mec comme Croz dont l’humanité reste indiscutable et un personnage comme Nash qui porte sur la figure l’ombre shakespearienne de sa félonie. C’est dans son livre. Lit qui peut.

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             Premier album du duo Crosby & Nash en 1972. On fait très vite la différence entre les compos de Nash et celles de Croz. Nash ramène sa petite pop anglaise déracinée et souvent cousue de fil blanc. Croz ramène des compos extrêmement ambitieuses pour l’époque, comme «Whole Cloth», qui sonne comme un groove visionnaire - On what do you base yourself my friend ? Can you see around the bend ? - Digne de «Wooden Ships», avec un solo de Danny Kootch. On sent chez Croz l’ampleur océanique. Sur «Games», Croz laisse planer sa voix. En l’écoutant chanter, on a l’impression de voir un galion dériver dans le golfe du Mexique. On ne sait pas où il veut aller, mais il reste toujours à proximité d’un soleil radieux posé en équilibre sur l’horizon en flammes. Chez Croz, on retrouve invariablement cette vibration d’orange solaire. Encore une belle pièce de groove avec «The Wall Song». Il reste dans la suspension, dans le flic-floc antédiluvien. Jerry Garcia et Phil Lesh du Grateful Dead l’accompagnent, donnant au groove un parfum psychédélique extrêmement capiteux.

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             Le deuxième album du duo, Wind On The Water, sort en 1975. Il s’ouvre sur une compo merveilleuse de Croz, «Carry Me», qui se solde par une spectaculaire explosion d’harmonies vocales. Nos deux asticots s’en donnent à cœur joie. Comme d’habitude, les compos de Nash sont sympa, mais elles restent très anglaises et ne peuvent en aucun cas rivaliser avec ce qui sort de la grosse tête de Croz. Comme par exemple «Bittersweet», une pièce proprement océanique - Oh I need the heat - fabuleux besoin de chaleur monté à l’octave de l’harmonique, un groove jazzé à la Croz et traversé de fulgurances. «Low Down Payment» est encore signé Croz, jazzé dans l’attaque et accidenté de brisures de rythme somptueuses - It’ a low down payment on this pillar/ Pillar of salt - Puissant et ambitieux - If the damn thing just had a heart/ If I had a heart - some kinda heart - Il va rester dans le même esprit pour «Homeward Through The Haze», une drug-song jazzée elle aussi et d’une rare élégance - Cause the blind are leading the blind/ And I am amazed at how they stumble/ Homeward Through The Haze - Il finit avec une chanson sur les baleines dont il parle assez longuement dans son livre.

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             Leur troisième album s’appelle Whistling Down The Wire. Sur la pochette, ils ont l’air drôles. Croz est un peu joufflu, jovial, avec sa moustache en dents d’ours et ses petits yeux de navigateur. En Nash remontent tous les travers de l’Anglais pingre, avec le nez pointu surplombant un balai à chiottes jaunâtre et des petits yeux qui caractérisent si bien l’étriquement moral britannique dans toute son horreur. Tu as du pur Croz avec «Broken Bird», tu retrouves l’éther du premier album de CS&N, avec des nappes d’unisson emportées par le vent du soir, cette musique qui se voulait l’incarnation d’une certaine paix. Encore une mélodie en suspension avec «Time After Time». Croz emmène tout ça au loin. Avec «Dancer», ambitieux comme pas deux, on sent que Croz écoute Sun Ra, Trane et Ravi Shankar. On retrouve des coups de magie unissonique dans «Taken At All», et nos deux larrons s’entendent bien. Ils sont capables de créer un véritable univers chantant et sensible. Croz fait dans l’atonal pour «Foolish Man». Il navigue entre deux eaux, comme poussé et fiévreux. Il a le même genre de vision océanique que Dennis Wilson. Il manie le sous-rythme jazzy à la Charlie Mingus. On retrouve aussi certains accents élégiaques de «Cowboy Movie». Pur génie crépusculaire. Encore une belle dérive avec «Out Of The Darkness», ces mecs adorent se laisser emporter par les courants et se sécher au soleil. 

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             Ils sortent un album live en plein boom punk, en 1977, et seuls les dedicated followers of the Croz-fashion vont aller écouter ça. Ils attaquent «Page 43» à contre-chant et suspendent ce groove aux lèvres argentées d’Ariane. Ici tout n’est que manière forte, excellence des ambiances, compulsion pré-établie de laid-back libératoire, tiédeur jalouse dans les branches d’un temps béni des dieux. Ces mecs savent jouer le groove à la perfection. Peu d’équivalents sur le marché, à part Paul Simon, et, dans un genre plus sombre, Mark Lanegan. On voit le groove de «Foolish Man» fuir vers l’horizon et la version de «Déjà Vu» se détache du rivage.

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             Toujours en 1977, le trio légendaire se reforme pour sortir un album et Croz emmène ses deux collègues à bord du Mayan, comme on peut le voir sur la pochette. Excellent album, mais en 1977, on écoutait autre chose. Avec «Shadow Captain», ils repartent au grand large. On les sent au soleil. Les compos de Stills sont plus classiques, comme «See The Changes», mais on ne sent plus la niaque du premier album. Dans ce contexte, la pop de Manchester que ramène Nash passe de moins en moins bien. L’écart se creuse terriblement. «Fair Game» est un petit mambo du père Stills, bien raffiné, attaqué au chant d’unisson du saucisson. C’est le cut accrocheur par excellence - just relax enjoy the ride - et Stills place un solo acoustique assez dément. On retrouve la voix de rêve de Croz dans «Anything At All». C’est une fabuleuse glissade dans l’intimité de la suspension. Il faut suivre les compos de Stills à la trace, car elles sont souvent intéressantes, comme par exemple ce «Dark Star» qu’il joue lead à l’acoustique. Avec «Just A Song Before I Go», on est rassuré de voir que ce n’est pas Croz qui a trouvé un titre aussi con, mais Nash. Belle pièce que ce «Run From Tears», du pur Stills, avec des chorus perchés dignes du premier album du trio. Stills joue des trucs sévères sur sa guitare - Girl I’m Drowning - Admirable et racé. Croz nous fait le coup de la latence paranormale avec «In My Dreams», il mène la danse des songes. Croz est bel et bien l’âme du rock californien. Stills referme la marche avec un brillant «I Give You Give Blind», ce qui au total, nous fait un album remarquable.

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             On croyait ces mecs finis, on les prenait pour des vieux schnocks de Woodstock. Il était même de bon ton de leur cracher dessus, à une certaine époque. Mais le train de nos insultes s’arrêtait à la gare de leur indifférence. Ils ont continué d’enregistrer des albums, dans la plus totale indifférence, tout au moins en Europe. Dans son book, Croz répète inlassablement qu’il parvenait toujours à générer du cash en concert, aux États-Unis. Beaucoup de cash. Ces mecs étaient devenus des super-stars de plein droit.

             Avec ou sans Neil Young, ils vont encore réussir à enregistrer quatre albums étalés sur vingt ans, sans compter la multitude d’albums solos enregistrés à droite et à gauche par les uns et les autres. Des quatre, le plus discret sera bien sûr Croz.

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             Nouvelle équipée de CS&N en 1982 avec Daylight Again. Ce n’est pas l’album du siècle, mais quand on suit Croz à la trace, on écoute Daylight Again attentivement. Nash consacre une chanson à Croz qui va mal : «Into The Darkness» - Your face is ghostly pale - Croz répond avec une magnifique drug-song, «Delta». Ils attaquent tous les trois - Of fast running rivers of choice and chance - c’est de la pure magie suspensive. Ils sont vraiment très fort. Croz propose un horizon. C’est Stills qui pond et qui joue le morceau titre. Il ne le lâche pas. Il peut tout jouer. Il renoue avec la magie de Woodstock. Oui, car n’en déplaise aux ignares, il y a bien eu de la magie à Woodstock.

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             Neil Young rejoint ses collègues pour l’album American Dream qui sort en 1988. Croz est sorti du ballon. Il est clean. On lui propose d’essayer des trucs, mais il dit non. Pas question de replonger. On retrouve sur cet album les compos classieuses de Stills, comme «Get It Made», très joli groove monté sur un beat soutenu. Croz ne ramène pas grand chose, juste deux morceaux, mais quels morceaux ! «Night Time For Generals» est une sorte de disco colérique que s’en viennent sauver les harmonies vocales. Et «Compass», encore une histoire de navigation. Croz raconte sa sortie des enfers - But like a compass seeking North/ There lives in me a still, sure, spirit part - Mais c’est Stills qui fait quasiment tout l’album, avec sa grosse guitare et ses riffs fatals. Il semble même qu’il se soit endurci en vieillissant.

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             Et comme ça va beaucoup mieux, Croz se remet à enregistrer des albums solo. On le croyait grillé. C’est mal connaître l’animal. Il revient avec un album en forme de clin d’œil malicieux, Oh Yes I Can. Son «Drive My Car» n’a rien à voir avec celui des Beatles. C’est plutôt un gros beat des années 80. Il aménage des petites zones de paix crozbique mais le beat vire salement FM. Cut après cut, il s’enfonce dans un rock FM atroce, jusqu’à «Tracks In The Dust», où on retrouve le vrai groove d’antan, celui qui fit sa légende - I think we’re passing through here kind of fast/ Did you think those tracks in the dust would last ? - Réflexion philosophique sur le côté très éphémère des choses de la vie. Croz met ça en musique pour le bonheur de nos cervelles, et ce cut à lui seul sauve tout l’album. La B est un peu plus solide. Il revient à la magie des ambiances faussement immobiles avec «Lady Of The Harbour». On retrouve sa belle bravoure d’attaque groovy. Il évoque dans «Distances» les distances qui séparent les êtres - Till this distance came in our lives - Fabuleux. On a l’impression qu’il s’agit toujours du même groove à la dérive, mais non, c’est à chaque fois une pièce intrinsèque, très solennelle et unique. Il met en musique le sentiment du beau unique. Voilà comment on pourrait qualifier l’art de Croz. Les ceusses qui apprécient les belles chansons et les mélodies jazzo-groovy devraient écouter Croz et son «Flying Man». Non seulement, il est l’âme du rock californien, mais il se pourrait bien qu’il soit aussi l’âme de CS&N. Malgré le piège de la prod années 80, Croz s’en tire avec tous les honneurs. Rares sont les disques produits dans ces années-là qu’on peut encore écouter aujourd’hui.   

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             CS&N sortent Live It Up en 1990. Pendant trois ou quatre titres, un gros malaise s’installe. Ils sonnent comme les Bee Gees période disco. Il faut attendre «Yours And Mine», co-signé par Croz et Nash pour retrouver la terre ferme. Croz raconte une histoire qui se déroule à Belfast et renoue avec le son original du trio. Le morceau qui sauve cet album s’appelle «Arrows», du pur Croz. Il tortille sa sauce à sa façon, avec un peu de gras dans le vrillé de la voix en suspension. Il reprend le large. Le morceau est destiné à tous ceux qui ne savent pas encore que Croz est un voyageur mythique, comme le fut Ulysse. Il traverse les mers inconnues à bord du Mayan. Il sauve encore un album par sa seule prestance de groover impénitent.   

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             Nouvel album solo en 1993 : Thousand Roads. Belle bête. Jimmy Webb lui a composé «Too Young To Die» et on sent aussitôt l’ambition d’un projet merveilleusement décontracté - Sweet old racing car of mine/ Roarin’ down that broken line - C’est un fabuleux hommage à James Dean et à Steve McQueen - When I die I don’t want to go to heaven/ I just wanna drive my beautiful machine up North on some Semona County road/ With Jimmy Dean and Steve McQueen/ All the boys be singin’ singin’ - C’est de la légende à l’état pur et ça lui va comme un gant. Croz tape aussi une compo avec Joni, «Yvette In English», et c’est encore une fois de la magie pure. On a là la pure élégance de la sensibilité supérieure - Little bit of instant bliss - voix diaphanes, guitare jazz, pureté de l’instant. Voilà encore un groove du paradis signé nounours. Sur «Thousand Roads», c’est Andy Fairweather Low qui joue de la guitare. Pur Californian Hell ! - Threre’s a thousand roads up this mountain/ You can get lost in a minute if you try - Encore un coup de génie. Croz peut rocker quand bon lui semble. Voilà ce qu’il faut retenir de cette histoire. «Natalie» est une chanson d’amour de plus, mais quand ça tombe dans les pattes de Croz, alors ça devient énorme. Rien qu’avec la voix et la vision, il creuse l’écart qui le sépare des autres. Il ne s’intéresse qu’à la portée de sa vision et donc à l’immensité.

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             It’s All Coming Back To Me Now fut enregistré au Whisky A GoGo en 1993. Croz ne proposait rien de moins que de jouer sur scène ses meilleurs cuts. C’est un disque un peu toxique. Croz y enfile ses cuts latents comme des perles. Il vient tout juste d’échapper à la mort. On vient de lui greffer un foie tout neuf, alors il peut poursuivre l’aventure de beauté commencée avec les Byrds et poursuivie avec ses amis Stills & Nash. On attend sa version de «Cowboy Movie» au virage. Le hit du siècle ? Va-t-en savoir. Il en joue la copie conforme - ahhhh yeah - on retrouve ces chutes de couplets extraordinaires. Croz torche son affaire avec une réelle grandeur d’âme. Avec des hits comme «Cowboy Movie», il est à l’abri. Il ne craint plus rien. Croz règne sur l’empire du groove en compagnie de Marvin Gaye et de Bobby Womack. On retrouve ce son classique de groove californien dans «Almost Cut My Hair». Il va chercher du gras dans le fond de son gosier. Il pose les conditions du groove majeur et c’est embarqué aux guitares. Et puis il tape dans ses plus grands hits, comme par exemple «Deja Vu». Graham Nash vient donner un coup de main - And now we’ll all get weird - Retour aux temps bénis du CS&N, avec une grosse dérive à travers le delta du néant et un solo de basse d’Hutch - oh yeah ! C’est une longue dérive primitive et on entend chanter les anges. Avec «Long Time Gone», Croz hisse l’étendard de la légende du rock américain. C’est du pur génie crozbique. Il passe immédiatement au délire des harmonies vocales et retrouve le secret des effarantes dynamiques intérieures. La beauté, c’est tout ce qu’on aime dans le rock, le choc des grooves et l’éclat des notes de guitares électriques, l’invraisemblable légèreté kunderienne des mélodies et l’oisophilie de l’autre, telle que la rêvait Edgar Allan Poe. «Wooden Ships» est encore un hit absolu. On voit se dessiner les coques des vaisseaux et scintiller les armures dans le crépuscule rosi-crozien. L’ami Croz et ses amis embarquent tout le monde dans une interminable version de dix minutes. On n’en demandait pas tant.

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             Nos quatre vieux cocos retournent en studio en 1999 pour enregistrer Looking Forward. Un album qu’on écoute juste pour savoir où ils en sont, comme on l’a fait avec le dernier Rod The Mod ou encore le dernier Dr John. On retrouve le fameux chacun pour sa pomme qui a tellement affaibli les albums précédents. Stills va sur le funky joyeux, Neil Young va sur la gratte au coin du feu et chante comme une chèvre sénile, à l’ancienne mode, Nash retapisse sa petite pop de Manchester qui commence à sentir le moisi. Et Croz ? Oh, il ramène un heavy blues rocky bardé d’accords mortels qu’il semble avoir sorti de la vase d’un marécage psychédélique : «Stand And Be Counted». Renversant ! Comme le pépère Jack Bruce en Angleterre, le pépère Croz peut réveiller les morts. Stills continue d’envoyer ses giclées de vieux, et Neil Young endort les chaumières avec ses morceaux usés et rafistolés par des pièces aux genoux. Croz est gentil de les accueillir dans le studio. Ça dégage tout de suite avec «Dream For Him». On sent le Mayan sous les alizés. On sent le mec qui a navigué. On sent la voix et la crinière au vent. On sent les années de freebase. C’est une vraie compo, pas un gadget de vieux. C’est même un groove exemplaire. Voilà le truc : chez Croz, c’est l’exemplaire. Il a toujours cette voix et ce goût des vraies mélodies, ce goût d’un style qu’il a initié avec «Cowboy Movie». On retrouve même par instants des accents du thème de «Woodstock», c’est dire si l’excellence règne à bord de «Dream For Him». 

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             Croz, nouvel album solo de Croz, paraît en 2014. La première écoute ressemble à un moment historique. Ce n’est pas tous les jours qu’on écoute un nouvel album de Croz. Comme tous les gens distingués, il sait se faire rare. «What’s Broken» est un joli groove panoramique ralenti. On retrouve ses vieilles tendances au trip. Pépère sait encore chanter. Avec «Time I Have», il fait allusion au mal dont on l’accuse - I’m looking to find some peace within me to embrace/ To encourage that smile to find my face/ Sometimes I’m winning - Il en profite pour adresser un clin d’œil à Martin Luther King - I have a dream/ A great man said/ Another man came and shot him in the head - Dans son book, Croz revient longuement sur les violences faites à John Lennon et à Sharon Tate et explique que depuis, il est toujours armé. Retour à la beauté pure avec «Hold On To Nothing», sensible et suspendu - Sunny days can fool you/ They can look wet with the rain - coup de trompette de Wynton Marsalis. Ce sera certainement le morceau qui va le plus coller au palais. Il revient au groove jazzy avec «Slice Of Time», intemporel et suspendu, doté d’un gros solo de cordes tirées. Avec son grand groove électrico-exceptionnel, «Set The Baggage Down» s’impose comme une pièce digne de CS&N. Fabuleux retour de manivelle. Sur la C se niche une autre merveille, «Dangerous Night», un somptueux balladif - I want to believe I can pass happy to my child/ But the truth gets lost and the system runs wild - Il faut profiter encore et encore du trésor de cette voix de légende. 

    Signé : Cazengler, David Grosbide

    Crosby, Stills & Nash. Crosby, Stills & Nash. Atlantic Records 1969

    Crosby, Stills, Nash & Young. Déjà Vu. Atlantic Records 1970

    David Crosby. If I Could Only Remeber My Name. Atlantic Records 1971

    Crosby & Nash. Crosby & Nash. Polydor 1972

    Crosby & Nash. Wind On The Water. Polydor 1975

    Crosby & Nash. Wistling Down The Wire. ABC Records 1976

    Crosby, Stills & Nash. CSN. Atlantic Records 1977

    Crosby & Nash. Live. Polydor 1977

    Crosby, Stills & Nash. Daylight Again. Atlantic Records 1982

    Crosby, Stills, Nash & Young. American Dream. Atlantic Records 1988

    David Crosby. Oh Yes I Can. A&M records 1989

    Crosby, Stills & Nash. Live It Up. Atlantic Records 1990

    David Crosby. Thousand Roads. Atlantic Records 1993

    David Crosby. It’s All Coming Back To Me Now. Atlantic Records 1994

    Crosby, Stills, Nash & Young. Looking Forward. Reprise 1999

    David Crosby. Croz. WEA 2014

    David Crosby & Carl Gottlieb. Long Time Gone - The Autobiography. 2007

    Graham Nash. Wild Tales - A Rock & Roll Life. Crown Publishing 2013

     

     

    Riot on Sunset Stripes

     

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             Comme tout le monde, on est allé en 2002 voir les White Stripes sur scène à l’Élysée. Comme tout le monde, on a écouté leurs deux premiers albums parce qu’ils sortaient sur le label de Long Gone John, Sympathy For The Record Industry. Comme tout le monde, on a ouvert les bras pour accueillir le phénomène des duos d’art-punk-fucked-up-blues, Bantam Rooster, Immortal Lee County Killers, Black Diamond Heavies, Left Lane Cruiser, Winnebago Deal et dans une moindre mesure, les Black Keys ou autres Kills à la petite mormoille. Les White Stripes en firent d’ailleurs partie et surent comme d’ailleurs les Black Keys tirer leur épingle du jeu et accéder au fucking mainstream qui allait les détruire.

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             En plus de la couverture, Mojo leur accorde une vaste rétrospective. C’est donc l’occasion de remettre le nez dans l’histoire de ce duo qui avait fini par décevoir ses fans de la première heure. Ils n’étaient pas les premiers et ils ne seront pas les derniers. Dommage, car leur histoire commençait bien, puisque ça se passait à Detroit. Jack épouse Meg en 1996, mais Jack fait croire à tout le monde qu’ils sont frère et sœur. Si Jack dit ça, alors c’est vrai. Pourquoi ça ne serait pas vrai, puisque c’est vrai ? Jack qui s’appelle Gillis décide de s’appeler White, comme Meg. Pourquoi pas ? Après tout, il fait comme il veut. Puis il pond un concept : on s’habille en blanc (innocence), avec du rouge (colère) et on joue du punk-blues à deux. Meg n’a pas le droit de répéter. Elle doit rester imparfaite. Quand Long Gone John chope les deux premiers singles de Jack & Meg, il leur avance 3 000 $ pour enregistrer un premier album chez Jim Diamond, au Ghetto Recorders de Detroit.

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    Et là, crack boom hu-hu ! Ils démarrent avec un «Jimmy The Explorer» chanté d’une voix de fiotte, on ne sait pas si c’est Jack ou Meg, mais ça sent la mini-jupe de cuisses humides. C’est le Stripes de bonne augure, complètement éclaté. Jack ressort sa voix de fiotte pour rendre hommage à Robert Johnson avec «Stop Breaking Down». Il traîne sa voix dans la purée. On se croirait à Memphis. Puis il travaille l’idée du son avec «The Big Three Killed My Baby», jusqu’au moment où on s’aperçoit que sa voix perchée n’est pas bonne. Il tente d’inventer un style («Suzy Lee»), c’est assez courageux et la pauvre Meg bat comme elle peut. Ça sent les bouts de ficelle («Cannon») et ils passent au stomp de Detroit avec «Astro» que Meg tatapoume à la vie à la mort. On les voit encore explorer le minimalisme gaga avec «When I Hear My Name», ils cultivent courageusement leur binarisme, on sent bien le côté expérimental de cet album. Jack ressort sa petite voix de fiotte pour «Screwdriver», il passe des riffs bien cinglants et s’offre un final extraordinaire. Ils sont plutôt bons dans le genre expéditif, comme le montre leur cover de «St James Infimary», mais c’est de l’expéditif à la Savorgnan de Brazza, il faut que ça braze.

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             En 2000, Jack et Meg divorcent. Meg a quitté les White Stripes et Jack joue dans plein de groupes, the Go, the Hentchmen et avec l’excellent Dan John Miller dans 2-Star Tabernacle.  Mais le couple se reforme pour enregistrer un deuxième album, l’étrange De Stijl. On réalise avec stupeur que Jack n’a pas de voix. Il joue sur les effets. «Hello Operator» n’a rien dans la culotte. Il n’a aucune présence vocale sur «I’m Bound To Pack It Up». Dès qu’il force, il est mauvais. Retour au blues avec le «Death Letter» de Son House. Il joue ça au bottleneck, mais c’est mille fois mieux par Son House. L’album est catastrophique. Il est pourtant passé comme une lettre à la poste. «A Boy’s Best Friend» nous ramène à l’Élysée, on voyait bien à ce moment-là que c’était du vent. Et soudain, au moment où on ne s’y attend plus, ils piquent une crise avec «Let’s Build A Home». C’est un rumble des enfers et on regrette que tout l’album ne soit pas de ce niveau. Ils font une sorte de stomp enroulé à coups de cu’mon, oui, c’est la première fois qu’un mec fait cu’mon. Puis il fait les Pretties avec «Jumble Jumble», c’est du juvénile pur, bien délinquant. Jack White se réveille en fin d’album, il faut le savoir. Dernier shoot de Stripe avec «Why Can’t You Be Nice To Me», du gaga qu’il prend à la voix de fiotte, il est en plein dedans, hey !

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             Alors ils se mettent à tourner et quand Meg voit le blé qu’elle ramasse, elle décide de rester dans le groupe. Et pouf ils deviennent the world’s hottest band ! Ils passent du cult underground au rock stardom et de là au pop-cultural phenomenon. Ils débarquent à Londres et deviennent célèbres en dix jours. Les médias les encensent : the future of rock’n’roll. Perchés au sommet de leur vague de célébrité, ils sortent leur troisième album, White Blood Cells, sur Sympathy. On y trouve un classique gaga, «Fell In Love With A Girl», mais le reste de l’album peine un peu à jouir. Jack se prend pour Free avec «Dead Leaves & Dirty Ground», mais il n’a pas la voix de Paul Rogers. Il se force à mal chanter. Comme d’habitude, il joue sur les effets. Il fait une Americana du pauvre avec «Hotel Yorba». Comme il devient une star, il ne se sent plus pisser. C’est en tous les cas ce qu’inspire l’écoute d’«I’m Finding It Harder To Be A Gentleman». Il fait du grandiloquent de carton-pâte. C’est tout de même incroyable que les White Stripes soient passés à la place des Gories. Mais ce sont les choix des gens du big biz qui visiblement ont misé sur l’image plus que sur le son, comme dans le cas des Bay City Rollers. En gros c’est la même histoire. On crée une mania et on vend des millions de disques, c’est le B-A-BA du biz, un chef-d’œuvre d’enculerie. Jack & Meg n’y sont pour rien. Dans «Expecting», Jack joue la carte du heavy blues-rock à coups de clever et de forever. La heavy pop de «The Same Boy You’ve Always Known» n’a aucune crédibilité. Et pourtant, c’est avec ça qu’il s’en sort le mieux. Sur ce coup-là, il est très anglais. Mais tout dépend de la façon dont on l’écoute. Il est évident qu’il crée son monde et en soi, c’est infiniment respectable. Mais on s’interroge sur la portée du phénomène : autant de retentissement alors que cette pop est d’une affligeante banalité. Sa voix ne passe pas sur «I Can’t Wait» et ça ne pardonne pas. Il peut ramener du son, ça ne sert à rien. Il cherche pourtant des noises à la noise jusqu’à la fin. Globalement, White Blood Cells est un album plein de sous-pentes et de renvois à des choses connues. Il faut l’écouter plusieurs fois. C’est très spécial. Pourquoi Jack White et pas Mick Collins ? White Blood Cells se vend à un million d’exemplaires. 

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             Alors que leur côte n’en finit plus de flamber, ils enregistrent leur meilleur album Elephant. C’est vrai que «Seven Nation Army» sonne comme un hit, monté sur un stomp de basse, et toujours cette petite voix de fausset qui stigmatise si bien le manque de voix. Il pousse bien le bouchon avec «I Just Don’t Know What To Do With Myself». Il impressionne et joue la carte des rafales. C’est Meg qui chante «In The Cold Cold Night» et ils continuent de créer leur monde. Et puis voilà qu’avec «Ball & Biscuit», Jack the lad invente un genre nouveau : le gaga scorch innervé. Il joue au scorch de descente aux enfers. Sur ce coup-là, il est très fort. C’est un très bel album, riche en émotions. Jack revient à son cher stomp avec «The Hardest Button To Button», il gère ça bien et propose une qualité de stomp imparable. Nouvelle surprise avec «Hypnotize». Il s’y montre expert en riffing gaga, il y ramène tous les poncifs avec sa voix en embuscade. C’est battu à la folie et ça sonne comme une expédition sur le Nil. Encore un coup de Jarnac avec «Girl You Have No Faith In Medecine» : il y ramène un vieux riff de heavy boogie rock, il fait les Yardbirds les deux doigts dans le nez.

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             Puis arrivent les ennuis : un punch-up avec le mec des Von Bondies, et voilà Jim Diamond qui réclame ses royalties sur les deux premiers albums. Jack ne peut plus aller traîner en ville. Il est tricard. Personne ne l’approche. Il est temps de quitter Detroit. Jack ne va pas bien. L’album Get Behind Me Satan s’en ressent considérablement. On le voit trafiquer ses combines dans «Blue Orchid». Il chante derrière sa disto comme s’il avait peur de sa voix. Le résultat n’est pas jojo. Des mecs diront oui le son, oui le riff, mais laisse tomber. Zéro présence. «The Nurse» sonne encore comme une arnaque. Au fil des cuts, il perd tout ce qui lui reste de crédibilité. Quelle tragédie. Il est à la mode mais il n’a pas de voix. Le pas-de-voix ne fait pas de cadeau. Si tu veux faire du rock en Amérique, appelle-toi Iggy, Lanegan, Jeffrey Lee ou Greg Dulli, sinon laisse tomber. Les cuts sont mauvais et mal chantés. Et ça empire encore avec «The Denial Twist». On ne sait comment elle fait, mais dans Mojo, Victoria Segal trouve des choses intéressantes à dire sur ce désastre.

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             Jack se carapate vite fait et s’installe à Nashville, se marie et voit naître ses deux kids en 2006 et 2007. Mais les White Stripes sont toujours sous la pression du tiroir-caisse, ils doivent sortir un nouvel album qui va s’appeler Icky Thump. Jack continue à bricoler son pas-de-voix et opte cette fois pour des choses plus expérimentales. Il va même se prendre pour un groupe anglais dans «You Don’t Know What Love Is». Il réussit l’exploit de combiner l’intense à l’inutile dans «300MPH Torrential Outpour Blues». Il joue une fois de plus sur les effets. Il ramène du gaga à gogo dans «None Broke» et des cornemuses dans «Prickly Thorn But Sweetly Worn». On trouvera un peu de stomp un peu plus loin («Little Cream Soda») et il rallume la vieille flamme des White Stripes avec «Rag & Bone» et là ils sont franchement bons, cu’mon ! Mais les réalités reviennent au galop, dès «I’m Slowly Turning Into You». Sa voix ne passe pas quand il veut la forcer, pourtant ça s’écoute. Très bizarre. Il parvient à créer des ambiances avec son pas-de-voix, notamment dans «A Martyr For My Love For You», il chante dans son jus de glaire, il cherche les voies du seigneur sans savoir qu’elles sont impénétrables, mais après tout, il a raison, il s’en sort avec des effets de basse zone, il fait son small biz, alors forcément, on l’écoute car ça intrigue. En fait, il se prend souvent pour McCartney. Voilà son drame.

             Puis le groupe va cesser de jouer en public. Jack cite l’exemple de Beatles. Sauf qu’il n’a pas les chansons des Beatles. Et puis il a mis en route d’autres projets, The Dead Weather et les Raconteurs. C’est en 2011 qu’il annonce la fin des White Stripes.

    Signé : Cazengler, Moite Strip

    White Stripes. The White Stripes. Sympathy For The Record Industry 1999

    White Stripes. De Stijl. Sympathy For The Record Industry 2000

    White Stripes. White Blood Cells. Sympathy For The Record Industry 2001

    White Stripes. Elephant. V2 2003

    White Stripes. Get Behind Me Satan. V2 2005

    White Stripes. Icky Thump. Warner Bros. Records 2007

    Blood & Fire. Mojo # 326 - January 2021

     

     

    Wizards & True Stars

     - Elvis & la vertu (Part Three)

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            Le gros hic d’Elvis, le biopic de Baz Luhrmann consacré à Elvis, c’est que l’acteur censé faire l’Elvis ne ressemble pas du tout à Elvis. Et ça pose un sacré problème qui est celui de la crédibilité, surtout dans un cas pareil. Tout ce qui touche à Elvis relève du sacré, même si les parades de lookalikes à rouflaquettes l’ont un peu caricaturé après sa disparition. L’acteur du biopic s’appelle Austin Butler, et pour correspondre à toutes les époques, Luhrmann le fait maquiller. Mêmes les rouflaquettes de l’époque Vegas sont ridicules. Luhrmann aurait embauché un acteur chinois pour le rôle, le résultat eut été le même. Absence totale de crédibilité. Et ce ne sont pas les costards roses ni les Coupés de Ville qui vont sauver les meubles. Si on veut voir l’Elvis 56, autant voir les vraies images. Elvis est beau, Butler ne l’est pas. Quelque chose cloche dans les traits de son visage. Les yeux trop rapprochés, peut-être. Plus on le voit en gros plan et plus le malaise s’accroît. Ce biopic est encore plus catastrophique que le Great Balls Of Fire de Jim McBride, avec Dennis Quaid dans le rôle de Jerry Lee. À l’époque de sa sortie (1989), Jerry Lee déclarait publiquement qu’il haïssait ce film. Il avait raison de gronder, le killer, car il était tout sauf un clown. Le problème avec Elvis, c’est qu’Elvis n’est plus là pour trancher. Mais aurait-il tranché ? Le biopic n’en finit plus de montrer que le Colonel tranchait pour lui. Ce qui nous conduit naturellement à la conclusion qui s’impose : le personnage principal d’Elvis n’est pas Elvis mais le Colonel. Vieux, gros, cynique, détestable, supra-intelligent, Tom Hanks campe le rôle de sa vie. Il est l’incarnation du showbiz, c’est-à-dire du diable : il est aussi laid que le Louis Cyphre d’Angel Heart est beau, il est tellement réaliste qu’on pense aussi au Woland du Maître Et Marguerite. Tom Hanks est fabuleux de malignité, il n’ouvre la bouche que pour ricaner des paroles de sagesse évangélique - Without me there wouldn’t be no Elvis Presley - Quand on l’accuse d’avoir tué Elvis, de la même façon qu’on accusait Ponce Pilate d’avoir tué Jésus, Tom Hanks répond, comme d’ailleurs a dû le faire Ponce Pilate : «No, no, no I didn’t kill him. I made him.» Ce biopic est un véritable tour de passe-passe : Luhrmann se sert d’Elvis pour dire la grandeur de Tom Hanks. On en oublie presque le Colonel. Dans ce gigantesque foutoir hollywoodien, Tom Hanks est aussi génialement perverti par le personnage qu’il incarne que l’est Philip Seymour Hoffman, dans le rôle de Truman Capote dans In Cold Blood. Hanks est aussi génialement intense que le fut Albert Dieudonné dans le rôle du Napoléon d’Abel Gance. Les mauvaises langues prétendent que Dieudonné n’est jamais redescendu de son cheval.

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             Ces biopics - même ratés - sont de fantastiques terrains de manœuvre pour l’esprit, lorsqu’il est cavaleur. On peut partir dans toutes les directions à la fois. Bien, pas bien, vrai, pas vrai, en fait on regarde et on juge, on regarde et on frémit, on regarde et on recoupe. On voit les petites arnaques une par une, les petits traficotages de la réalité, on devine la cuisine derrière toutes ces scènes qui sonnent plus faux les unes que les autres. Bien sûr, pour avoir une toute petite idée de la vérité, il faut avoir lu les trois tomes de la saga Guralnick, deux consacrés à Elvis (Last Train To Memphis: The Rise Of Elvis Presley et Careless Love: The Unmaking Of Elvis Presley) et le troisième à Sam Phillips (Sam Phillips: The Man Who Invented Rock ‘n’ Roll), un Uncle Sam qui d’ailleurs est complètement évincé du biopic. Les plans Sun sont réduits à portion congrue. Alors que Guralnick s’attarde longuement sur la nature singulièrement charismatique du personnage d’Elvis, le biopic la fait disparaître au profit d’un lissage bizarre : dans les scènes sentimentales, les gros plans sur le faux Elvis ne sont pas sans rappeler certains aspects de Johnny Depp. Bien sûr, un biopic ne peut pas tout dire, mais les entorses à la réalité sont souvent intolérables. Un exemple avec la scène qui se déroule en Allemagne, où Elvis fait son service militaire et où il rencontre Priscilla. Guralnick le confirme : ils passent leurs soirées ensemble, sous la simili-surveillance des parents de Priscilla. Bon, Elvis lui roule une grosse pelle et tout laisse croire qu’ils vont pouvoir tirer un coup vite fait. Mais non. Priscilla en crève d’envie mais, selon Guralnick, Elvis lui dit non. Il lui promet de la baiser le jour de leur mariage. Dans un an. Peut-être que dans un film où tout sonne faux, ce genre de répartie sonnerait faux, mais dans les pattes de Guralnick, ça sonne vrai, car l’Elvis qu’il campe dans ses tomes est extraordinairement bien construit. Guralnik s’attache principalement à la beauté intérieure du personnage. C’est ce qui rend ses trois tomes fascinants. Luhrmann passe complètement à côté de cet aspect fondamental du mythe : la bonté naturelle de l’homme Presley et son immense générosité. Il y avait quelque chose d’infiniment christique dans le Presley que nous restitue Guralnick.

             Grâce à ce biopic, le personnage Presley est dévoré une deuxième fois par les démons d’Hollywood. On appelle ça un destin tragique. Alors que tout en lui tendait vers une sorte de pureté artistique, Elvis s’est retrouvé noyé dans la vulgarité américaine. Le showbiz - et donc Tom Hanks - le métamorphosent en «cleancut all-American boy». Tom Hanks résume bien les trois étapes de la dégringolade de cet immense artiste : «1, Elvis the rebel. 2, Elvis the movie star. 3, Elvis the family entertainer.» Bien sûr, aux yeux de l’Américain moyen, cette carrière passe pour une réussite, car Elvis devient immensément riche, conformément au rêve américain. Mais aux yeux des idéalistes que sont les fans, c’est exactement le contraire. D’ailleurs dans le film, on voit des fans agglutinés devant le portail de Graceland qui brandissent des panneaux réclamant the old Elvis. Ils ne veulent pas de l’Elvis RCA, ils veulent l’Elvis Sun.

             Luhrmann ne l’a sans doute pas fait exprès, mais la vraie vedette de son film n’est peut-être pas Tom Hanks. Tom Hanks s’enracine dans la country d’Hank Snow, une sorte de guimauve parfaitement à l’image du beauf qu’est le blanc moyen et raciste de l’époque. Non, la vraie vedette du biopic est la musique noire. Ce sont les plans les plus réussis : ça commence avec Arthur Big Boy Crudup, on voit ce black punk gratter son black snake crawling et chanter «That’s Alright Mama» au chat perché délinquant. Puis attiré par la clameur du gospel, le jeune Elvis va sous la tente goûter au fruit défendu, la pomme du jardin d’Eden : la transe du gospel batch et là, mon gars, tu piges tout. Tout vient exactement de là, du raw gospel fever, de l’explosion du peuple noir qui sous la tente recycle le fabuleux héritage rythmique des tribus d’Afrique, et ce sont les racines du rock’n’roll. Elvis et Jerry Lee viennent de cet endroit précis. Pas d’Hank Snow, mais du gospel africain. Elvis semble récupérer tout le black power, Luhrmann fait de cette scène une espèce de séance d’initiation, un rituel de magie noire. C’est ce Black Power que ramène Elvis au Louisiana Hayride lorsqu’il tape une version démente de «Baby Let’s Play House» - I wanna play house with you - Luhrmann cadre le jeu de jambes, mais c’est un jeu de jambes emprunté aux blacks. Et pouf, ça enchaîne sur Big Mama Thornton au Handy Club, à l’étage, sur Beale Street, avec «Hound Dog». On voit aussi le jeune B.B. King essayer de remettre Elvis dans le droit chemin, le chemin artistique. Mais ce sont les ligues morales qui vont recadrer Elvis the Rebel, clean up your act, terminé Elvis the Pelvis, on l’oblige à chanter «Hound Dog» à la téloche face à un basset, injure suprême, et pendant qu’on dresse Elvis pour en faire un bon toutou bien docile, Luhrmann ramène Little Richard avec un «Tutti Frutti» explosif et, pire encore, Sister Rosetta Tharpe, et là c’est inespéré, car on voit la vraie pionnière du rock avec son «Strange Things Happening Every Day», wow, et elle te claque un solo d’acou incroyablement sauvage. Ce sont ces grands artistes noirs qui sauvent les meubles du biopic. Un peu plus tard, on va entendre Mahalia Jackson à la radio, et même la voir chanter. Aw my Gawd, on l’avait presque oubliée, celle-là ! Luhrmann se plante plus loin en montrant un Fats Domino qui ne ressemble pas du tout à Fatsy, mais bon, c’est pas grave. Il n’est plus à un détail près.

             Quand Elvis revient de son service militaire en Allemagne, Tom Hanks l’envoie directement à Hollywood. Bon, comme chacun sait, les films d’Elvis ne marchent pas, c’est d’autant plus tragique qu’il rêvait de prendre la suite de James Dean. Mais Tom Hanks veille au grain, au cleancut all-American Boy marié et père de famille. Les sous rentrent, mais l’étoile de la star s’éteint. Jusqu’au jour où Elvis rencontre Steve Binder et Bones Howe. Binder est connu pour avoir réalisé le T.A.M.I. Show, avec notamment les Stones, James Brown, les Beach Boys, Chuck Berry, Jan & Dean, les Supremes et des tas d’autres. Binder n’est pas chaud pour faire un TV Show avec Elvis. Trop has-been. D’ailleurs Elvis demande à Binder ce qu’il pense de sa carrière, et Binder lui répond le fameux «It’s in the toilet, Elvis». Elvis apprécie sa franchise et accepte d’écouter ses conseils. Binder réussit à le convaincre de revenir aux sources, à Elvis the Rebel, alors que Tom Hanks veut un Christmas Show avec Elvis en Père Noël au coin de la cheminée. Alors, Elvis et Binder montent le coup en douce. Contre toute attente, Elvis the Pelvis se pointe en cuir noir devant les caméras et tape un «Heartbreak Hotel» somptueusement sensuel. Tom Hanks est furax. Binder réussit même à faire revenir l’excellent Scotty Moore que Tom Hanks avait réussi à virer. C’est donc le fameux ‘68 Comeback qu’on a tous adoré. Puis Binder & Howe font miroiter à Elvis les avantages d’une tournée mondiale, le grand retour du King, mais Tom Hanks dit non, invoquant les dangers du monde extérieur - Security ! Security ! - Rusé comme un renard, Tom Hanks monte un coup fumant : il se fait hospitaliser à Vegas. Inquiet pour sa santé, Elvis vient le voir. Il tombe dans le panneau. Tom Hanks lui montre alors son avenir par la fenêtre de la chambre d’hosto : le fameux International Hotel. Encore baisé, l’Elvis. Mais il accepte, il veut les Sweet Inspirations de Cissy Houston, et les meilleurs musiciens, dont James Burton. Tom Hanks garde donc le contrôle sur le business - Taking care of business - Nous sommes désormais chez les blancs. Elvis s’habille en blanc. À part des Sweet Inspirations, on ne voit plus aucune bobine de black dans le secteur. Elvis roule des pelles à toutes les blanches du public. La scène est très belle, presque évangélique. Mais encore une fois, les vraies images de Vegas sont nettement meilleures. Car même à Vegas, Elvis reste très beau. Et puis il a des chansons, «Suspicious Minds» (merchi Chips), «Polk Salad Annie» (merci Tony Joe). Tom Hanks joue la carte Vegas à fond, il éponge ses dettes de jeu abyssales et met sa poule aux œufs d’or sous le contrôle pharmaceutique du fameux Dr Nick. Il en profite pour éradiquer définitivement toute idée de tournée mondiale - International tour out of the question - Tu veux voir le monde, Elvis ? Alors le monde entier voit Elvis, via satellite.

             Elvis croit pouvoir virer le Colonel. You’re fired ! On ne vire pas le diable. Le Colonel dresse la liste de tout ce que lui doit Elvis, il a tout noté : au total, ça fait huit millions de dollars. Plane même la menace d’une saisie sur Graceland. Comme Elvis est ruiné, il se voit contraint d’honorer son contrat faustien avec le diable Hanks. Mais comme on est dans une mauvaise comédie dramatique hollywoodienne, cet aspect est mou du genou. Murnau en fait complètement autre chose, il suffit de voir son Faust.

             La fin du biopic est pitoyable. C’est presque une métaphore de la dégringolade artistique d’Elvis. Luhrmann réussit même à nous faire un Elvis bouffi, assis au piano, sur scène à Vegas. Ce n’était pas utile. On attend Luhrmann au virage pour le cassage de pipe en bois. Va-t-il oser ? Miraculeusement, il réussit à éviter la fameuse scène finale des gogues. Ouf ! Luhrmann s’en sort avec un dernier tour de passe-passe en forme de parabole : «Elvis has left the building.»

    Signé : Cazengler, Elvicelard

    Baz Luhrmann. Elvis. DVD 2022

     

     

    L’avenir du rock –

    Le feu au Cult (Part One)

     

             Il fait nuit. L’avenir du rock roule en ville et s’arrête au feu rouge. Personne ? Il avance. Il n’a pas vu les condés planqués sur le côté. L’un d’eux s’approche.

             — Coupez le moteur ! Papiers du véhicule !

             L’avenir du rock sort les papelards.

             — Vous avez brûlé un feu. Avez-vous consommé de l’alcool ?

             — Ah ben non !

             Le condé va chercher un ballon dans la voiture de patrouille :

             — Vous allez souffler là-dedans.

             — Pfffffffffffffffff !

             — Plus fort !

             — PFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFF !

             L’avenir du rock se retrouve au poste. Il a trois grammes dans le sang. Il a dû laisser sa bagnole au carrefour. Le gradé de service dresse un procès-verbal, avant de l’envoyer en cellule de dégrisement.

             — Nom, prénom, date de naissance !

             — Avenir du rock !

             — Pas de prénom ?

             — Non, et pas de date de naissance, puisque je suis un concept.

             — Vous vous foutez pas d’ma gueule, ça pourrait vous coûter cher, insulte à représentant de l’ordre dans l’exercice de sa fonction, ça va chercher six mois, alors tenez-vous à carreau. Nom et prénom des parents !

             — Disons que mon père spirituel s’appelle Sam Phillips, l’Homme qui inventa le rock’n’roll, et ma mère, disons Bernadette Soubirou, la Femme qui inventa les hallucinations.

             — Quelle est votre adresse actuelle ?

             — Dead End Street, juste derrière Itchycoo Park.

             — Quelle est votre appartenance politique ?

             — J’ai une carte d’adhérant au MAV, c’est tout.

             — Jamais entendu parler du MAV ! C’est quoi, un parti de gauche ? Un syndicat ?

             — Oh c’est un petit groupuscule culturel pas très connu. MAV veut dire Mort Aux Vaches. Meuuhhhh, vous voyez ce que je veux dire ?

             — Quelle est votre appartenance religieuse ?

             — The Cult !

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             Si le condé était un peu moins con, l’avenir du rock lui aurait offert le dernier album du Cult qu’il avait dans sa poche, mais il a préféré s’abstenir, car au fond, il sait que les cons ne méritent pas de jouir des bienfaits d’un culte aussi prestigieux.

             Belle pochette que celle du nouveau Cult, Under The Midnight Sun : tu vois un serpent préhistorique onduler symboliquement sous la demi-lune d’un astre d’or. Pochette merveilleusement graphique. Seul le serpent est verni, pour qu’il brille sous tous les angles. Rien qu’à contempler cette pochette parfaite, on sait que le Cult ne va pas mégoter sur les surprises.

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             Le premier choc se produit avec le «Mirror» d’ouverture de balda : trop de son ! La voix de l’Astbu se noie dans le son. Bad bad bad prod, tout chevrote. Il faut comprendre que ça fait partie du jeu. L’Astbu n’a qu’une seule idée en tête : pousser le bouchon dans le bush. Et ça continue de saturer la saturnale dans «A Cut Inside». Ils y vont au va-t-en savoir du qu’en dira-t-on, sans doute est-ce là un subterfuge pour cacher une certaine misère compositale, il faut bien dire que les compos ne sont pas au rendez-vous. L’Astbu est l’un des grands ultimates du rock, il lui faut des compos. Sans compo, il se désagrège, comme un vampire surpris par le lever du jour. Mais rassure-toi, l’Astbu veille toujours à chanter à la surface des apocalypses.

             Les dévots du Cult devront attendre «Give Me Mercy» pour frémir des deux naseaux. Grosse attaque. Bienvenue dans le Cult. L’Astbu t’emmène jusqu’à l’autel, c’mon, il est le prêtre du Cult et il va t’égorger pour célébrer les dieux du rock. La puissance du Cult n’a jamais disparu, elle sourdait sous la surface, comme une langue de feu, et soudain, le son te saute à la gorge, Billy Duffy envoie des accords de cristal dans le ciel rouge, aw my Gawd quelle pâmoison, il joue son va-tout à la vie à la mort, il pleut du feu, le Cult n’a jamais autant brillé, il pleut des tonnes d’accords et ça monte en neige jusqu’à la fin des haricots. L’Astbu est l’un des derniers prêtres capables d’apaiser le courroux des dieux. Et ça continue avec «Outer Heaven», l’Atsbu remonte au somment de son Ararat, il y domine le son, il y domine le monde, le temps de provoquer une nouvelle apocalypse et c’est terrific, tu sens qu’il te tombe sur le râble, c’est un rock très physique, presque un combat au corps à corps, tu luttes en toi pour le plaisir de lutter, tu reçois les coups et tu tends la joue pour en recevoir d’autres.

             Billy Duffy vole le show dans «Vendetta X», il joue aux accords de contre-plaqué pendant que l’Atsbu trafique sa menace et bascule dans un abîme de tristesse. Alors Billy décide de remonter à la surface du son et, aussi étrange que ça puisse paraître, le ciel s’ouvre. Billy consolide l’ouverture avec des accords de contrefort. On n’avait encore jamais vu un bricolage pareil. Avec «Knife Through The Butterfly Head», l’Astbu plonge dans le mythe du Cult. Il chante comme un dieu, c’est-à-dire comme Jimbo, il se hisse au sommet du summer et tu montes avec lui, tu le vois forcer tous les passages, l’Astbu est le singer absolu, il chante à pleine gorge, c’est d’une puissance de crève-cœur, tout ici est joué à l’extrême heavyness, la pire de toutes. Ils terminent cet album qu’il faut bien qualifier de faramineux avec le morceau titre, en forme de panorama de Midnight Sun. C’est tout simplement du Technicolor, mais pas n’importe quel Technicolor, celui du Cult est un Technicolor d’effarance de la pertinence. L’Astbu ne vise que l’extrême Technicolor.

    Signé : Cazengler, tête dans le Cul

    Cult. Under The Midnight Sun. Blackhill Records 2022 

     

     

    Inside the goldmine

    - Evil Leavill

     

             Qui pourrait en vouloir à Piotr d’être ce qu’il est ? Personne, bien évidemment. Des gens qu’on connaît depuis cinquante ans continuent parfois de nous surprendre. Comme s’il voulait brouiller les pistes, le Piotr qu’on croyait gentil et affable sait parfaitement se montrer odieux, surtout quand il fond sur ces proies faciles que sont les serveuses et les serveurs de restaurant. L’un de ses sports favoris consiste à plonger une salle entière dans le malaise, en humiliant à voix haute les gens qui le servent à table. À cause de sa passion pour Bibi Fricotin ou Jo Zette & Jocko, on a longtemps considéré Piotr comme un petit garçon enfermé dans le corps d’un adulte. Nouvelle erreur d’appréciation ! Dans des réunions de travail très techniques, on l’a vu se conduire comme le plus avancé des adultes présents autour de la table, pouvant croiser le fer avec des spécialistes sur les plans juridiques et financiers, et prenant encore une fois un malin plaisir à crucifier en public le malheureux qui ose discuter son point de vue. Dans l’arène, Piotr devenait le gladiateur invincible, une sorte de Russell Crowe devenu chauve, et comme il avait accumulé plus de connaissances que n’en possédaient tous les gens réunis autour de la table, alors il frappait chaque fois à coup sûr, et pour contraster avec la barbarie de ses coups, il usait d’un ton lénifiant, comme celui qu’utilise Marlon Brando dans The Godfather. Les professionnels qui connaissaient Piotr le craignaient. Les femmes le craignaient encore plus. Piotr les collectionnait comme des papillons, il les choisissait comme on les choisit aujourd’hui, sur les ventes de bétail en ligne. Lorsqu’il est à table, il participe distraitement à la conversation tout en faisant ses courses sur son smartphone, likant à la chaîne et chattant avec toutes ces chattes en vente, se vantant avec son étrange sourire presbytérien «de les baiser vite fait sur le capot de sa bagnole». C’est probablement parce qu’il brouille adroitement les pistes et qu’il maîtrise l’art de plonger ses amis dans la consternation qu’on ne s’ennuie jamais en sa compagnie. 

     

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             Piotr n’est pas le seul à savoir plonger les gens dans la consternation. Otis Leavill peut lui aussi se vanter de cet apanage. Si tu veux qu’Otis Leavvill te plonge dans la consternation, c’est facile : il existe une compile qu’il partage avec deux co-locataires, Billy Butler et Major Lance : The Class Of Mayfield High. C’est ce qu’on appelle dans les milieux autorisés une compile magique, car en plus des douze cuts magiques d’Otis Leavill, tu peux entendre ces deux seigneurs de la Soul que sont Billy Butler et Major Lance. Tu sors de là gavé comme une oie. N’ayons pas peur des grands mots : Otis Leavill est un magicien, il fait danser la Soul sur la pointe de sa glotte. C’est lui l’Evil Leavill qui donne les cartes de la Soul. «I Love You» est un coup de génie retentissant. Il chante d’une voix d’ange de miséricorde et ramène une spiritualité charnelle dans sa Soul. On le voit aussi filer à vive allure sur le fast drive de «Why Why Why». Il est si bon qu’il dépasse toutes les attentes, on se croirait chez les Beach Boys, tellement c’est beau, puissant et chanté aux harmonies. Il fait encore battre le petit cœur de la Soul avec «Glad I Met You», il chante tout à la rose éclose, il est le Soul Brother de tous tes rêves inavouables. Il chante «Love Uprising» à l’uprise et provoque un vrai carnage paradisiaque avec «I’m So Jealous». Il transforme tout ce qu’il touche en or du Rhin. Sa Soul brille de mille feux. C’est Otis Leavill qu’il te faut. Cette façon qu’il a d’ânonner sa jalousie est unique au mode. Il chapeaute son «There’s Nothing Better» d’une belle Soul de good time, il chante tout d’une voix aussi grasse qu’une huître fécondée.

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             Dans son booklet, Bill Dahl indique que le fantôme de Curtis Mayfield plane sérieusement sur cette compile magique, d’où le titre, Mayfield High. L’autre clé magique de cette compile magique, c’est bien sûr Carl Davis, le producteur de génie et boss local des labels Brunswick et Dakar. Billy Butler et Major Lance font aussi partie de l’écurie Carl Davis. Grâce à lui, Brunswick/Dakar va devenir l’un des Soul outlets les plus importants de l’époque, rivalisant avec Motown et Stax. Dahl n’oublie pas de rappeler que dans les early sixties, les stars de Brunswick sont Jackie Wilson et Buddy Holly. Et l’impeccable Tyrone Davis, que Carl Davis rendra célèbre.

             Avant d’arriver chez Brunswick/Dakar, Carl Davis bossait pour OKeh et c’est là qu’il commença à lancer la carrière de Major Lance. C’est Curtis Mayfield qui composait pour Lance. Curtis Mayfield était le Smokey Robinson de la scène locale. Selon Dahl, Major Lance incarna mieux que quiconque the innocent charm of Chicago Soul. Dahl rappelle aussi que Major Lance et Otis Leavill ont grandi ensemble à Chicago. Ils sont devenus tous les deux d’excellents danseurs. Ils pouvaient aussi boxer. D’ailleurs, Major Lance se fera disqualifier pour avoir mordu son adversaire. C’est lui qui amène son ami d’enfance Otis Leavill chez Carl Davis. Dans un élan nostalgique, Otis Leavill se souvient de l’âge d’or Brunswick/Dakar sur Michigan Avenue : «We had a family. We had a hell of a family. Carl was the father. He was the head of the family and he kept us all in line.» Major Lance n’a que 6 cuts sur la compile, dont le célèbre «Follow The Leader», fantastique shaking de dance-floor et d’écho du temps d’avant. Major forever ! L’autre hit intemporel est le fameux «Do The Tighten Up». Major Lance est LE jerkeur de choc. Il crée aussi une fantastique tension avec «Sweeter As The Day Goes By». Il parvient à faire des étincelles dans un groove de charme ! Major Lance est bourré de Soul genius. Il dispose à la fois de l’omniscience et du Black Power. Puis il fonce dans la nuit de la Northern Soul, yeah, avec «Shadows Of Memory», il est tendu à l’extrême, il est là sur scène avec sa banane de black, épaulé par des chœurs de Motown. Major Lance est un héros.

             Le troisième larron de la compile n’est pas un enfant de chœur. Billy Butler est lui aussi un crack et dès «Help Yourself», tu danses le jerk avec Billy the crack. C’est énorme ! Ce Billy-là a le diable au corps. Il fait encore du raw r’n’b de sweet darling avec «Sweet Darling» et comme les Four Tops, il va chercher la Bernadette avec «Come Over To My Side». Il déploie les mêmes réserves d’excellence que Levi Stubbs. Billy semble flotter au dessus de la ville, il chante «Careless Heart» avec une maturité de vampire, il est tellement au dessus de la mêlée qu’on finit par s’en émouvoir. Et voilà qu’il tape dans les Tempts avec «I’ll Bet You», il dispose de tous les pouvoirs, il sort une Soul sauvage et bien claquée. Il est absolument parfait. Encore un hit de power pur avec «Burning Torch Of Love», il règne sans partage sur le groove de heavy r’n’b, quelle blague ! T’en rigoles tellement c’est bon. Tu ne bats pas Billy Butler à la course.  

    Signé Cazengler, Otis Débill

    Billy Butler / Major Lance / Otis Leavill. The Class Of Mayfield High. Westside 1999

     

     

    ROCKABILLY RULES ! ( 10 )

    N’oubliez jamais que toutes les règles sont faites pour être contournées, dépassées, chamboulées, piétinées, car l’important avant tout c’est d’avoir un cœur fidèle et rebelle !

    *

    Le titre de leur album m’a plu. Westernization, voilà qui dénote une certaine réflexion sur le rock ‘n’roll, mais vous n’en saurez pas plus, moi non plus, il ne sortira qu’au mois d’avril. Alors en attendant écoutons leur premier opus car…

    IT’S TIME TO MAKE A MESS WITH…

    THE CONFUSIONAIRES

    ( 2018 )

    Encore un groupe du Canada, nous en profitons pour saluer Marie Desjardins, d’Edmonton capitale de la province d’Alberta, à elle seule plus grande que la France.

    Sont trois : Fat Dave Johnson : guitare et vocal / Jayson  Aschenmonster :  upright bass & vocal / Adam Staric : drums.

    La pochette laisserait à penser qu’ils sont un groupe de rockabilly garage.

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    You know, I’m right : paroles glaçantes, vocal imperturbable, tout va bien, bonne rythmique rock’n’roll, mais pour l’esprit l’on est plus près du country que du rockabilly, vous avez la upright qui monte au septième enfer, une barate qui cogne et une guitare guirlande qui se glisse partout comme un serpent affamé, non ce n’est pas une histoire entre un gars et une fille. Teach me how to write a sad song : une petite merveille, je parle de la musique, s’y donne à fond très sixties, c’est tellement beau qu’ils rallongent l’intro avant d’allonger le vocal. Ce n’est pas qu’il n’est pas bon, c’est qu’il très bon, mais question paroles, ce n’est pas vraiment une philosophie enthousiasmante de la vie, pour une petite histoire d’amour qui a mal tourné, ils vous filent le moral à zéro pour toute la soirée. Pourtant cette voix vindicative est si prenante. Make a little mess : ils ont vraiment le secret des intros qui vous clouent sur place, pour le reste question idée ça commence comme Samedi soir de Johnny Hallyday, mais la guitare est là pour vous prévenir que la soirée annoncée finira mal, et ils y vont franco à toute vitesse, souriez ce n’est pas un drame non plus, et puis qu’importe le grabuge puisque c’est beau. Everybody’s talking ( but nobody’s talking to me ) : un peu de blues, très foncé, n’a jamais fait de mal à personne, ce coup-ci il est très froncé rock’n’roll, z’ont le punch, n'écoutez pas trop les lyrics, vous fileront le cafard, ces gars-là ils ont le perfecto ( je ne sais pas s’ils en portent) très métaphysique, en douze lignes de lyrics ils vous définissent le statut du rebelle révolté à la vitesse d’un TGV, avec en prime une critique sociale d’une grande cruauté. El fango : pour une fois ils sont gentils, pas de paroles pour vous saper le moral, par contre vous serez atteints par les affres de la jalousie, comment font-ils pour jouer si bien, une batterie qui cavale comme si elle était toute seule, une big mama qui lui emboîte le pas parce qu’à deux c’est toujours mieux, et là-dessus vous avez la guitare qui dépose des splendeurs, vous n’entendez plus qu’elle, c’est injuste car les deux autres marnent un max, mais c’est ainsi, superbus comme disent les autocaristes. 1000 songs : c’est idiot, si vous vous écoutez vous n’irez jamais plus loin que l’intro, ce serait une erreur, d’abord la voix comme si elle venait de la salle-de-bain du studio, ce qui permet de prendre son pied sur Les giclées électriques de la six-cordes ou de ne pas croire que c’est elle qui imite le piano jazz, une chanson d’amour, oui mais d’amour pour la guitare. 1958 Chevrolet Del-Ray : avec un tel titre nous allons pouvoir réaliser notre fantasme rockabilly N° 1 sur la banquette arrière, ben non ce sera pour la prochaine fois, z’ont l’art de dégonfler les clichés, vous croyez rouler à 120 miles à l’heure, le rythme est trop flegmatique, un truc encore pire que Sur la route de Memphis du grand Schmoll, une guitare qui égrène les notes comme des épines de cactus, vous rêvez de foudre rockabilly et vous entendez le monde cruel de la country. Save your apologies for when you get caught : un shoot d’instrumental pour vous refiler le moral, de la tonitruance qui confine à de la maltraitance auditive pour ceux qui n’aiment pas vivre à fond la caisse. De champagne ! Walking is much too slow : c’est terrible un groupe de rock qui sonne fort et bien avec des lyrics à la hauteur du son, en plus vous prennent toujours à dépourvu, à contrepoil, vous mènent par le bout du nez là où ils veulent, du grand art, et ne sont pas beaucoup sur le marché à se permettre de tels régals. 6120 : tous les amateurs de Cochran connaissent ce chiffre, pour les paroles pensez à Elle est terrible d’Hallyday + la fin de Génération perdue, sinon ne pensez à rien, écoutez, c’est du rock’n’roll qui parle de rock’n’roll ! Immanquable. Ford Fairlane : (n’avais pas tort quand je parlais de Rockab garage) : en voiture, une balade avec la fille que l’on aime, la poésie du camionneur, une fin à l’emporte-pièce, une guitare qui vous grimpe au septième ciel et des mots qui disent plus qu’ils ne le voudraient. Pour le son une espèce de convoi à la Peckinpah. Mais funéraire. Where I am when I close my arms : encore une de ces intros qui vous mettent du baume au cœur et que vous laissez venir à vous pour le plaisir de vous sentir bien sur cette terre, ensuite vous fermez les yeux et vous suivez les ondées de cette guitare, y a tout de même cette petite musique en sous-main, une pointe de rêvasserie nostalgique, qui vous apporte la gousse d’ail de cynisme nécessaire pour survivre à vous-même. 1000 shots of whiskey : un tintamarre batérial de tribu de cannibales en chasse, ils se dirigent vers vous, pas de panique ils ont seulement soif, vous les rejoignez, z’avez intérêt à courir vite car le solo de guitare ne vous attend pas, soirée biture, pas besoin de piqûre de rappel, conseil identique aux précédents, n’écoutez pas trop les paroles vous risquez d’en ressortir l’oreille pâteuse. Pour le mal de crâne il est fourni gratis avec l’extro. Trop c’est trop !

             Je ressors de ce disque ébloui. Enfin du nouveau dans le monde du rockabilly !

    Damie Chad.

     

     

    *

    Pour une fois ce n’est pas la couve de l’opus qui m’a attiré, ni le nom du groupe. Mais les tags qui l’accompagnaient. Des mots qui pour citer les Beatles ne vont pas très bien ensemble, trois exactement : celui du milieu ‘’ doom’’ ne me pose aucun problème, pas de péril en la doomeure, ce sont les deux autres, celui qui arrive en queue de peloton, ‘’acoustic’’, oui ça existe à portion homéopathique, enfin passons, mais le premier en file de tête du peloton ne cadre pas trop de bicyclette avec doom, jugez-en par vous-mêmes : ‘’jazz’’. Que peut-il sortir d’un tel accouplement digne de Lautréamont, peut-être un monstre hideux, peut-être un mélange sans saveur, peut-être une pure merveille… Là, n’est pas la question. Qui voudra prendre la peine d’écouter entendra. 

    Quant à moi j’aime à découvrir. Je suis curieux de nature. Les marges m’attirent. J’essaie un tant soit peu de suivre les nouveautés, pas pour me tenir au courant, mais la meilleure part d’un combat, soit-il rock ou tout autre, réside en le fait d’être toujours aux avant-postes, sur la brèche de ce qui craque, de ce qui crocke, là où s’ouvrent des perspectives soient-elles déroutantes, exaspérantes, attrayantes, inquiétantes, mortifiantes…

    THE 4AM NEWYORK EXPERIMENT

    (Chargement libre sur Bandcamp / Juin 2023)

    Aucun renseignement sur ce projet et ses promoteurs même si le premier EP est présent sur de nombreuses plateformes de streaming. Au début j’ai benoitement cru qu’ils étaient de la Big Apple, viennent de Zagreb, capitale de la Croatie.

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    Du moins c’est ce qui est marqué. Quand on cherche on trouve. Pas obligatoirement ce que l’on cherche, mais certaines fausses pistes sont révélatrices. De quoi ? Pour le cas qui nous intéresse d’une certaine noirceur, d’une certaine doomeur si nous utilisons un vocabulaire plus précis.  Commençons par le seul indice à notre disposition. La couve pour ainsi dire digitale du disque non objectivé. Pas très claire. Qu’y voit-on ? Un visage de trois-quarts, vraisemblablement ( ? ) d’une personne noire, pas en entier : le nez, un œil, le front, pas de bouche, quelques cheveux sur notre droite, à la place de ceux-ci, une photographie, trois voies d’autoroute (ou de route), deux lampadaires, cinq voitures, phares allumés, c’est la nuit. L’artwork est crédité. Masha Raymers. Instagram, FB, Pexels une photographe ukrainienne, de Lviv, beaucoup de portraits féminins qui suggèrent le désir plutôt qu’ils ne le dévoilent, de belles œuvres d’un érotisme chaste et ardent, qui mériteraient une chronique, mais cette fois nous en élirons une seule photo, une route, un lampadaire éclairant un passage clouté, une voiture phares allumés, une fille dans l’ombre qui marche sur le bas-côté. Nous vous laissons seuls juges.

    Poursuivons notre route ombreuse, sur YT, une merveilleuse occasion de vérifier l’adage selon lequel le retour du même n’est pas le même. Certaines vidéos sur YT sont postées par plusieurs personnes différentes. C’est le cas de celles qui nous intéresse. Pour les vidéos musicales, neuf fois sur dix, l’on retrouve la couve du disque. Tiens sur celle-ci, lui a été substituée une photo de nuit. Une rue étroite, aux voitures l’on date des années cinquante, des silhouettes qui marchent, seules sont visibles les trois grosses lettres du mot Bar. Ambiance film de truands. Qui l’a envoyé ? Jazz Noir Music. Etrange.

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    Qui se ressemble s’attire. Se repousse aussi parfois. Qui est ce Jazz Noir Music ? Suffit de cliquer. Vous pouvez même vous abonner à sa chaîne. Le site n’est pas vieux. Quelques semaines, vous avez une vingtaine de vidéos à regarder. Non Jazz Noir Music n’est ni un groupe, ni un one man band. Un amateur de jazz. Pas vraiment d’Ellington, de Mingus, de Miles – il les aime peut-être – sa prédilection se porte sur un certain style de jazz, le jazz noir, non pas la couleur de peau des musiciens, mais un jazz d’ambiance noire, il propose donc plusieurs artistes apparentés à cette classification. Votre œil exercé de détective privé ne manquera pas de s’attarder sur certains titres, par exemple, Quarantine Doom Jazz vol 4 (Signora Ward Records). Le jazz noir est donc un style de jazz, aussi appelé Ambient Jazz, ou Dark Jazz, ou Doom Jazz, un jazz aux limites du post-metal, de l’électro, de l’ambient, du punk hardcore… Maintenant vous ne remarquez pas la mention : Rubriques intéressantes, pour l’unique raison qu’elle est écrite en russe. Si vous cherchez encore, vous retrouverez sur la plate-forme Boosty notre Jazz Noir Music sous-titré Meditation and Darkness qui débute par le texte suivant :

    ‘’ Tristesse, horreur, solitude, nostalgie, tranquillité et paix, c’est toute la somme d’images qui sont en cohérences avec l’esprit du Dark Jazz.

    Et si vous vous retrouvez dans un splendide isolement un vendredi soir, et que de la fenêtre vous pouvez voir les rues sombres de la ville à l’agitation éternelle, n’oubliez pas d’allumer les compilations présentées ici sur n'oubliez pas d'allumer les compositions présentées ici sur boosty et sur ma chaîne. Un verre de whisky complétera cet agréable passe-temps.’’

    Les enregistrements proposés sont agrémentés de documents iconographiques divers qui tous (photographies, bandes dessinées, cinéma) relèvent de l’esthétique des films noirs des années cinquante. Un dernier petit détail : si vous désirez soutenir financièrement vous pouvez verser la somme que vous voudrez, vous repèrerez facilement l’endroit : les modalités sont en caractères cyrilliques.

    Comme par hasard sous la vidéo que nous allons écouter est recopiée cette phrase   : ‘’ Quelle différence cela fait-il de savoir comment s’appelle l’endroit que vous quittez pour toujours.’’ empruntée au roman La mariée était en noir de William Irish. Un détail qui déjà classe cet auteur de polars : il reçut le Prix Edgar Allan Poe du Meilleur Scénario. L’ombre noire du corbeau ne plane pas au-dessus de n’importe qui.

    Darker than dark : orage dans le lointain, coups de cymbales répétitifs, si monotones, si monochromes que vous n’entendez qu’eux, heureusement que le grondement sonore et continu en arrière-plan prend le dessus car cette clinquance cymbalique est trop frustrante pour être qualifiée d’image sonore de l’inéluctable, une espèce de sifflement un peu semblable aux productions de l’onde Martenot s’avère beaucoup plus important. Ambiance toutefois plus grise que noire, petit jour blême même, le morceau manque d’une cohérence syntaxique puisqu’à un moment il ne se passe plus rien, le son a beau s’amplifier le sentiment d’oppression s’amenuise, se dilue, certes il flotte autour de vous en nappes de brouillard mais ne vous effraie plus depuis longtemps. Et puis il s’arrête brusquement, sans rime ni raison, serait-on tenté de dire. Slowly : plus solennel, plus prenant, ici l’épaisseur du son prédomine, hélas toujours cette cymbale même pas énervante, tout juste enquiquinante, elle vous empêche d’apprécier les sonorités mélodiques, peut-être l’expérimentation consiste-t-elle en cela, à vous mettre les bâtons dans les roues afin que vous ne focalisiez point votre attention sur  la beauté de la musique peut-être pour vous rappeler que c’est ainsi dans la vraie vie, qu’il y a toujours un petit détail qui gâche tout, que l’extase recherchée est un ange aux ailes brisées qui claudique salement, vous n’éprouvez plus de pitié pour lui, d’ailleurs il a compris, il s’éloigne doucement et vous l’avez déjà oublié alors qu’on l’entend encore. Entre nous soit dit, pas très jazz, pas très doom et pas très acoustique. Grosse déception !

    *

    Je n’aime pas être déçu, aussi ai-je choisi sur la chaîne de Jazz Noir Music,  une vidéo dont le graphisme m’a attiré, rien de novateur, mais un beau coup de crayon qui vous pose un univers en une simple image. Elle porte la mention de Madness Returns, de fait il s’agit d’un morceau intitulé Der Gegensatz ( = l’opposé ) sur le premier album de :

    CHAOTIC BOUND SYSTEMS

    One man band, en l’occurrence Andrey Kein, d’Ykaterinburg, une des plus grandes villes de Russie située sur le versant asiatique de l’Oural. L’est impliqué dans de multiples projets : Sol Mortuus, Carved Image of Emptiness, Church Howlin Dog,  Zinc Room, Prognostic Zero

    Le nom de Chaotic Bound Systems est en lui-même une ouverture au rêve. Notons la justesse de l’appellation marquée par la présence du S terminal. Il ne s’agit pas d’un unique ‘’système’’ qui serait chaotique. En ce cas-là le participe passé ‘’Bound’’ n’aurait aucun sens. A quoi d’ailleurs serait lié un système chaotique ? Ce S marque bien qu’Andrey Kein nous parle d’interdépendance universelle. Un système est dit chaotique lorsque l’on ne connaît pas sa position initiale. Celle-ci explique qu’à certains moments le système nous semble dériver étrangement, en fait si nous connaissions parfaitement les données premières de son implantation dans le monde son évolution nous paraîtrait des plus logiques car répondant à un développement commandé, ordonné ( osons le mot) déterminé par sa vectorité initiale. Autrement dit nous qualifions un système de chaotique parce que nous ignorons les modalités de son écoulement temporel. Si nous ne savions pas qu’une graine est programmée pour germer, que sa nature est ainsi, nous apposerions l’étiquette chaotique sur ce phénomène de germination puisque nous ne comprendrions pas pourquoi tout à coup la graine cesse d’être graine pour devenir plante. Nous aurions l’impression qu’elle serait devenue mystérieusement folle ou délirante.

    Pourquoi ne parvenons-nous pas à connaître les conditions exactes de sa naturité initiale, parce qu’aucun système n’est jamais seul – l’on ne peut imaginer un système doté de la pureté formelle de l’Idée platonicienne -  sa propre naissance est déterminée par d’autres systèmes concomitants pour la simple raison que le monde est un ensemble de systèmes entrecroisés avec d’autres systèmes, par écho successifs avec tous les autres systèmes. Valéry n'a-t-il pas dit qu’une goutte de vin suffit à teinter toute la mer ?

    En résumé, le comportement anarchique d’un système est conditionné par l’ensemble de tous les systèmes. La néguentropie ( activation de l’énergie ) se métamorphose en entropie ( désactivation énergétique ), en d’autres termes le désordre chaotique énergétique se stabilise en stabilité ordonnatrice entropique, pour redevenir désordre énergétique sous l’action d’un autre système. 

    En quoi cela concerne-t-il la musique, évidemment vous pouvez répéter du début à la fin du morceau le même riff, le même rythme. Dans ces cas-là vous êtes dans un système clos autosuffisant et ordonné. Dans ces cas-là la plupart du temps les musiciens rajoutent quelques variations épidermiques… Le musicien est alors un système qui influe sur un autre système. Dans le jazz la part de l’improvisation est prépondérante. Pour des raisons commerciales les maisons de disques ont longtemps imposé à leurs artistes de reprendre des airs connus ( voire des chansonnettes ) afin que le titre attirât le client, c’est en jouant, en élastiquant, la structure du morceau, en la passant sur la table de Procuste des différents modes musicaux afin de l’étirer, de la compresser, de la désarticuler, que l’artiste imprimait sa propre marque, bouleversant le système de la chanson  afin de l’ordonner selon la systématisation de sa propre sensibilité.

    Pendant longtemps, la musique a évolué selon des règles constitutionnelles mathématiques, avec l’apparition du free, les jazzmen ont introduit des éléments ‘’ extérieurs’’ aux possibilités mathématiques, l’on n’a pas manqué de les critiquer en leur reprochant de faire n’importe quoi. Ce qui parfois pouvait être vrai, mais c’était oublier que faire n’importe quoi c’est aussi tout simplement faire quelque chose, en modifiant un système donné… L’apparition du bruitisme au début du vingtième siècle, puis du noise, puis des techniques életro et électro-acoustiques a encore changé la donne d’appropriation culturelle de cette ‘’ nouvelle’’ musique par le public. Elle n’est pas aussi sans poser d’interrogation aux musiciens et créateurs.

    Si actuellement surgissent à foison des one man bands, c’est certes parce que les avancées techniques le permettent, c’est certes aussi pour des raisons strictement économiques – exactement à un autre niveau la même problématique des Blue Caps de Gene Vincent abandonnant la contrebasse pour la guitare basse électrique ô combien plus facile à caser dans une seule voiture lors des tournées -  mais surtout parce que l’artiste se retrouve seul face à sa propre musique, débarrassé des interventions ( qu’elles soient heureuses ou malheureuses ) de leurs pairs. L’artiste se sent ainsi davantage maître de sa création, il élimine l’action que l’on pourrait assimiler à l’apport hasardeux ( positif ou négatifs) d’autres systèmes  déstabilisateurs. Imaginez un torero voulant se mesurer seul face au taureau et à la mort refusant l’aide des picadors, des banderillos et de ses aides…

    A notre connaissance Chaotic Bound Systems a réalisé deux albums, No Light ( 2018 ) et Dissonanz ( 2020 ) et un Ep : Dust Demons ( 2022 ). Tous trois : Evil Dead Productions. Distribution : Diabolic Spectrum Records.

    Andrey Kein : sax ténor, saxphon (flûte de bambou), piano, guitare, percussions, bruits de violoncelle.

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    De Gegensatz : ( L’opposé ) : un saxophone qui résonne comme la sirène d’un cargo perdu au milieu de l’océan, cette musique est forte car elle est ponctuée de silence, les notes et les bruits surviennent en un isolement glacial, cette trompe qui mugit et se tait pour laisser la place à d’autres sons, Chaotic Bound Systems ne cherche pas à créer un vortex de sons qui déboulent sur vous pour vous entraîner sans rémission, l’on sent la composition, un esprit qui tente de circonscrire par le son et des sifflements un espace musical qui soit avant tout mental, un tout indissoluble qui contiendrait tous les possibles organiques de son déploiement. L’on est beaucoup plus près du jazz que du noise, les instrus ont l’air de s’affoler, d’essayer de se surpasser pour prouver la nécessité de leur présence, d’expirer, de crever la bouche ouverte afin de magnifier le passage de ce qu’ils ont été dans leur propre présence évaporée afin que leur disparition vibratoire n’ait pas été une anecdote sans signifiance mais la marque même de leur nécessité dans son absence révélatrice, un peu le côté obscur de la force qui ne déclare jamais forclos. Lorsque le morceau s’arrête, rien n’est terminé, vous reste l’impression d’être rassasié, d’avoir entrevu quelque chose de plus grand que vous et surtout totalement étranger à la nature de votre propre êtralité. Quelque chose qui soit à l’opposé de votre intégrité rejetée dans les zones interlopes du néant.

             Jazz Noir Music en offre une autre lecture. Celle d’une bande-dessinée dont il a détaché quelques cases qu’il expose assez longuement, le temps que chacun se crée son propre scénario, un morceau d’histoire glauque, un assassin qui poursuit sa vengeance… En noir et blanc.  Noir, très noir.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 18 ( Château d’If  ) :

    92

    Le Chef ouvrit la porte d’un grand coup de pied. Pendant que je me précipitai dans le bureau il s’arrêta pour allumer un Coronado. Je faillis buter sur le corps d’Alice évanouie sur la moquette, je la relevai et la tenant serrée contre moi je lui prodiguais un rapide lèvres à lèvres qui rapidement lui permit de reprendre ses esprits :

             _ Oh Damie ! c’est affreux !

             _ Mais non, Alice vous êtes toujours aussi belle, je vous le promets !

             _ Agent Chad, modérez l’exaltation de votre âme lamartinienne, recouvrez le sens de la réalité, cette ravissante enfant a raison, ce n’est pas beau à voir, mais alors pas du tout !

    Je portais mon regard sur le bureau où étaient assis Sureau et Lamart. Assis n’est pas le bon mot, ils étaient carrément affalés sur leur table de travail. Ce n’était pas le plus terrible. En moi-même je louai la sagesse du Chef qui avait allumé un Espuantoso avant de rentrer. Comparée à l’horrible puanteur qui se dégageai des corps des deux journalistes, la fumée dégagée faisait office d’une agréable et printanière fragrance de chèvrefeuille. Non seulement Lamart et Sureau étaient morts mais ce n’était pas le plus grave, ils présentaient un état de décomposition avancée, par les trous de leurs vêtements l’on apercevait un infect grouillements de vers, les fameux helminthes, si chers à Baudelaire, accomplissaient leur travail. Seuls les cabotos ne semblaient pas trouver l’odeur désagréable, ils humaient avec délectation les deux cadavres.

              _ Avec l’agitation qui règne dans le hall personne n’a visiblement entendu le cri d’Alice, Agent vous refermerez avec soin la porte, que l’odeur ne se répande pas avant que nous ne nous soyons éclipsés.

    Choquée Alice ne voulut reprendre sa place à l’accueil :

              _ J’aurais trop peur de dormir seule ce soir, je reste avec vous Damie !

              _ Oui Alice, vous avez raison, je vous emmène avec moi à Provins, n’ayez crainte avec les féroces gardiens que sont Molossito et Molossa, rien de désagréable ne pourra vous arriver.

    93

    Nous arrivâmes un peu tard - il était près de midi - au local. Molossa et Molossito ayant squatté toute une partie du couvre-lit, il ne resta que peu de place pour Alice et moi, trop serrés à la manière des sardines à l’huile en boîte nous avions assez mal dormi. Le Chef était d’excellente humeur. Il me tendit aussitôt un exemplaire du Parisien Libéré :

             _ Lisez-moi ce torchon, Agent Chad, cela ne vaut pas la prose veloutée de vos Mémoires d’un GSH, mais cette première page fort instructive vaut le détour. Pendant ce temps je me permettrai d’allumer un Coronado, la journée risque d’être fort belle !

    LE PARISIEN LIBERE

    UNE TRAGIQUE ET DOUBLE DISPARITION

    Nous avons le regret d’annoncer une terrible nouvelle à nos lecteurs : Martin Sureau et Olivier Lamart, nos deux meilleurs journalistes sont décédés hier soir en des circonstances cruelles. Il était l’heure d’envoyer le journal à l’imprimerie et nos deux amis, contrairement à leurs habitudes n’avaient pas encore livré leur article. Il se faisait tard, nous envoyâmes une secrétaire à leur bureau afin de récupérer au plus vite leur travail. Hélas, ils étaient bien assis à leur table de travail, mais ils étaient morts tous les deux. Le Samu est arrivé en des temps record, le diagnostic est tombé très vite, tous deux avaient été terrassés par un arrêt cardiaque au travail. Le cas n’est pas si rare nous a déclaré un statisticien. Des gens soumis à un même stress peuvent succomber au même instant s’ils sont de la même famille, or Le Parisien Libéré est une grande famille et nos deux confrères travaillaient ensemble depuis tant d’années qu’ils étaient comme des frères.

    Nous leur rendrons un grand hommage dès lundi prochain dans notre journal. Les lecteurs se rappelleront que nos deux infatigables reporters étaient présents dans la forêt de Laigues lorsqu’un fulgurant variant du Covid a anéanti plus de deux cents de nos policiers.   Les analyses effectuées par prudence sur leurs prélèvements sanguins apportent la preuve indubitable de leur non-contamination, mais les autorités ont été formelles ils seront portés en terre au plus vite, dès demain après-midi, aujourd’hui pour ceux qui viennent d’acheter ce numéro, nous donnons rendez-vous aux lecteurs qui voudraient leur rendre un dernier hommage, au cimetière de Savigny ( Seine & Marne).

    Communiqué de la Rédaction.

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    Dans la voiture le Chef distribue les rôles :

    • Carlos, il nous avait rejoint au local dès que l’article du Parisien Libéré en devanture d’un kiosque à journaux lui avait sauté aux yeux, il y aura du monde, avec Alice vous rejoindrez la masse des anonymes en queue de peloton, personnellement je me mêlerai à la foule des officiels, dans l’œil de l’ouragan, agent Chad, avec vos deux cabotos vous seriez trop vite repérés, vous suivrez la piste indienne.
    • Mais que faut-il faire et de qui doit-on se méfier au juste, je ne comprends pas grand-chose, minaude Alice.

    Elle est toute belle mais méconnaissable, grosses lunettes noires qui lui mangent la moitié du visage, une robe bon marché et une veste en laine, genre de défroque tricotée par les grand-mères attentionnées déforment sa silhouette. N’empêche que Carlos est aux petits soins avec elle. Galamment le Chef lui répond :

              _ Charmante enfant, en toute logique dans un cimetière l’on ne craint que la mort, c’est pourtant elle que nous devons chercher !

              _ N’ayez crainte Alice, je vous défendrai, lui souffle Carlos au creux de l’oreille, j’ai toujours trois ou quatre Rafalos sur moi, un geste élémentaire de prudence terriblement efficace.

    Alice ne sait pas trop ce que c’est qu’un Rafalos mais la voix de Carlos la rassure. Après les avoir déposés devant l’entrée, j’arrête la voiture assez loin de la grille. J’entrouvre la porte pour laisser passer les molosses, ils ont compris, ils se faufilent entre et sous les véhicules en stationnement, personne ne les aperçoit, il doit bien avoir plusieurs centaines d’individus qui se dirigent vers le lieu de l’inhumation... Je ne me soucie plus d’eux, je sais que si j’ai besoin d’eux, ils seront à mes côtés. Chiens fidèles mais féroces.

    95

    La cérémonie a commencé depuis un petit moment. Le cimetière est plein comme un de ces œufs de pâques remplis de friture en chocolat que m’offrait ma maman quand j’étais petit. De mon poste d’observation je vois tout. Je ne pouvais pas trouver mieux que la fenêtre de la chambre d’Alice, la lycéenne (essayez de comprendre ou de relire les épisodes précédents), forcer la porte de derrière a été un jeu d’enfant. La tombe de Lamart et de Sureau, une simple fosse, est ouverte, les deux cercueils sont recouverts de gerbes de fleurs, les discours se succèdent, je reconnais le Chef au panache de fumée qui s’élève de son Coronado, depuis trois-quarts d’heure les discours se succèdent, je remarque que la famille est absente, à part un vieux grand-père atteint de démence sénile qui s’agite comme s’il était aussi un adepte de la maladie de Parkinson, quatre gardes du corps s’emploient tant bien que mal à le faire tenir tranquille,  derrière les officiels sont tassés les lecteurs du quotidien, je repère Alice alanguie dans les bras de Carlos. La cérémonie est un peu ennuyante, elle dure et s’éternise…

    J’entrouvre la fenêtre pour saisir quelques mots des allocutions qui sont prononcées à l’aide d’un micro, une brise légère les emporte en une direction opposée et les rend inaudibles. Je tressaille, un aboiement bref et étouffé m’avertit que quelqu’un approche. De quel côté ? Quinze secondes plus tard une espèce de léger couinement le suit. Je reconnais le timbre aigu de Molossito, donc le premier plus grave provient de Molossa. Braves chiens, jamais ils ne se seraient manifestés deux fois s’il n’y avait qu’une seule personne. Pas d’erreur c’est un double danger qui me menace. Deux ennemis se dirigent vers moi. Je me colle au mur, de telle manière que je serai derrière la porte de la chambre si quelqu’un la pousse… Deux minutes de silence absolu. Un léger grattement derrière la maison. Qu’est-ce au juste ? Maintenant j’en suis sûr quelqu’un monte les escaliers en prenant soin de ne pas faire craquer les marches…

    A suivre…

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 587 : KR'TNT 587 : MOGWAY / STAPLES Jr SINGERS / DAVID CROSBY / THOM BELL / URAL THOMAS / EUGENE CHRYSLER / G.O.L.E.M. / FRANCK HELEINE / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 587

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    09 / 02 / 2023

    MOGWAY / STAPLES Jr SINGERS

    DAVID CROSBY / THOM BELL 

    URAL THOMAS / EUGENE CHRYSLER   

     G.O.L.E.M. / FRANCK HELEINE   

    ROCKAMBOLESQUES

    Sur ce site : livraisons 318 – 587

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

    Smogwai

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             Bienvenue dans le smog des Scots, le smog de Mogwai. Mog qui ? Mogwai not ? Glasgow band, comme les Mary Chain, Primal Scream et les Fannies. Jusque-là tout va bien. Mogwai fut lancé dans les early noughties par un gros buzz NME. What ? Des petits mecs de Glasgow qui ne jurent que par les Stooges ? Trop beau pour être vrai. Tu cours chez ton disquaire, comme le disait jadis Paul Alessandrini dans l’early Rock&Folk. Tagada tagada, zavez le nouveau Mogwai ? Tiens mon gars, le vlà ! Paf, vendu ! Tu revenais chez toi la langue pendante pour écouter le buzz. Ah tu parles d’un buzz !

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    Tu te retrouvais le bec dans l’eau avec un Mogwai Young Team en forme de petite arnaque. Rien qu’avec les onze minutes de «Like Herod», tu mesurais l’étendue de l’enculerie. Onze minutes, c’est pas rien, même si au bout d’un moment, ça s’énerve un peu, même si quand s’élève un petit vent sonique, on commence à mieux comprendre le pourquoi du comment. Mogwai fait du gros zyva, de la noise de doom. Ici s’étend l’empire du doom, semble dire ce «Katrien» qui vient te doomer le bulbe. Ils ont tout en magasin, ils ont même du piano à la Satie dans «Radar Maker». L’eusses-tu cru, Fresh Egg ? Ils ont surtout des cuts inutiles et c’est la raison pour laquelle on décide d’en rester là. Fuck it ! Cette enfilade de cuts est insupportable, paumée, sans horizon. Rien, juste du son pour du son, pas de compo, pas de rien, no nothing. Pas de chanteur. Tu te fais baiser une fois, mais pas deux. Bon d’accord, il y a parfois des vents de sable, mais rien de constitué. Ils aiment bien Satie, ils y retournent («With Portfolio»). Sous prétexte de post-punk, ils font n’importe quoi. On comprend pourquoi Gildas méprisait la post. Ne va jamais là-dessus, car tu vas souffrir, surtout d’en bas. Ils repartent à la fin avec un hommage à Satan qui dure seize minutes, mais bon, écoute qui peut. Après, le plus difficile reste à faire : revendre cette daube épouvantable. Trouver un autre gobier.

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             Et puis, le mois dernier on tombe sur la chronique enthousiaste d’un journaliste anglais qui a lu l’autobio de Stuart Braithwaite, Spaceships Over Glasgow. Le journaliste parle d’un hilarious book. Stuart Braithwaite est le guitariste de Mogwai. La chronique a l’air tellement sincère qu’on décide d’aller y voir de plus près, sait-on jamais. Oh après tout, le risque de se faire enculer une deuxième fois n’est pas si terrible. On gaspillera tout au plus quelques heures de lecture, c’est-à-dire une goutte d’eau dans l’océan des lectures. On envoie les pésétas chez Book Depository et le Mogwai book arrive 48 h plus tard. Ouvrage relié, belle jaquette orange fluo, graphisme ésotérique, belle main du bouffant et beaux choix typo, les conditions semblent rassemblées : la relation de confiance peut se rétablir. 

             Stuart Braithwaite raconte sa vie très simplement. Pas la moindre trace de prétention, chez lui. D’ailleurs les photos du groupe vont dans le même sens : ces mecs sont des anti-rockstars. Aucun danger qu’ils plaisent aux filles. Même leurs fringues sont laides. Bien sûr, Braithwaite raconte l’histoire de Mogwai, un groupe dont on n’a rien à foutre, mais ce qui fait la force de son book, c’est l’aspect flaubertien, une certaine façon de raconter sa rocking Éducation Sentimentale : comment se construit un kid fan de rock dans l’Angleterre des années 80/90. Son book fonctionne comme un catalogue du bon goût. À part deux ou trois faux pas, toutes les références de Braithwaite sont bonnes : ça commence avec les Mary Chain et ça se termine avec Roky Erickson, en passant par les Stooges, le Velvet et des tas d’autres passages obligés. Ça te sécurise un lecteur.

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             Comme il est né en 1976, Stuart arrive un peu après la bataille. Il fait ses premiers pas dans la vie du rock avec Cure et Nirvana. En France, pays extrêmement défavorisé en matière de rock, certains kids s’alimentaient depuis longtemps d’un savant mélange de presse et de fanzines : Shake, Les Rockers de Jean-Claude Berthon, le Rock&Folk d’Yves Adrien, puis le Bomp! de Greg Shaw, le Creem de Dave Marsh, et la sainte trilogie NME/Melody Maker/Sounds - principalement le NME de Nick Kent et de Mick Farren - le Back Door Man de Phast Phreddie Patterson, puis dans les années 80/90 le Spin américain, Vox et Select en Angleterre, et parfois The Face. Tout cela a disparu, emporté par une nouvelle vague, Mojo/ Record Collector/ Classic Rock/ Vive Le Rock/ Uncut/ Shindig!, et toujours des zines, Ugly Things, Dig It!, Rock Hardi, et pour un petit shoot trimestriel de rockab, Rockabilly Generation. Avec tout ça, la dose mensuelle est garantie. Pas de place pour le reste.

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             D’une certaine façon, Stuart va rattraper son retard, dès 11 ans, avec un prof de guitare qui lui apprend à jouer «Heroin». Small Stuart ne sait pas qui est le Velvet - I presumed  that the Velvet Underground were all black - ni ce que sont les drogues, mais le cut lui plaît infiniment. Sa grande sœur écoute les Mary Chain et il comme il adore le son, il veut une guitare électrique. Puis sa frangine entre dans l’univers 4AD, avec les Pixies et les Cocteau, découverte à la suite d’Ultra Vivid Scene - one of the biggest bands on the planet - et puis Cure, qui dit-il, lui entre sous la peau. Et chaque mercredi, bien sûr, il dévore the holy trinity, NME/Melody Maker/Sounds, quelques TV shows comme Snub TV où il découvre les Cramps, Dinosaur Jr, puis les Spacemen 3 et «Revolution», et bien sûr l’inévitable Peely show sur Radio One - a show anything but predictable - Et ça continue avec Loop, Fields Of Nephilim et Silverfish. Vie classique de fan de rock en Écosse, mais Stuart trie sacrément sur le volet. Pas de daube chez lui. Il monte même un groupe avec des copains : Pregnant Nun, clin d’œil aux Mary Chain, dont il apprend les chansons pour pouvoir les massacrer sur sa gratte.

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             Comme ses parents sont extraordinairement bienveillants, il peut entrer rapidement dans la seconde phase de son Éducation Sentimentale : les concerts au Barrowland. Initiation avec Cure qui lui est entré sous la peau, notamment l’album Disintegration. Le concert est comme il dit spellbinding. Stuart commence alors à collectionner tout le vocabulaire du fan transi. Pour lui, Cure est le perfect teenage band. Il sort complètement sonné de son premier shoot de Cure au Barrowland. Il en tartine des pages entières. Puis c’est le concert des Mary Chain dont il se dit obsédé. Obsédé de leur fuck-the-world attitude. Époque Psychocandy - To me they epitomised cool - Il les voit comme the coolest band on the planet. Au point où il en était, il aurait pu sortir un truc du genre cool Raoul. Il revoit les Mary Chain au moment d’Honey’s Dead - The place was bedlam - Les Mary Chain sont le fin du fin. L’autre fin du fin, c’est Spacemen 3 covering The 13th Floor Elevators. Il commence à collectionner les guitar heroes. Voilà son trio de tête : J. Mascis, Poison Ivy et Robert Smith. Bizarrement, toutes ces influences n’apparaissent pas dans la musique.

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             Et comme dans toutes les histoires d’addiction, ça monte vite en température. Voilà qu’arrivent les Stooges - Their self-titled album was pretty much my bible - Puis son prof de guitare lui fait écouter Raw Power. Il est captivé par la férocité du son. It was perfect - The Stooges were Year Zero for the music we loved - Tous les misfits d’Écosse vont voir Iggy sur scène. L’«I’ve been dirt and I don’t care» sonne comme un mantra pour tous ces mecs-là. En rappel, Iggy balance son vieux Wanna Be Your Dog, and the place went ballistic, nous dit Stuart, le souffle court - I think it’s the perfect song. Simple, hypnotic, dumb and beautiful - Iggy finit avec «Search And Destroy», a whirlwind of chaos energy, and the crowd going apeshit - tout le vocabulaire de la folie du rock est là, Stuart en fait la collection, comme l’ont fait Baby Gillespie et Kris Needs dans leurs big fat autobios. Le rock est d’abord une affaire de langage, ce qu’ont bien compris ces trois cocos.

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             Et ça repart de plus belle avec Nirvana que Stuart découvre à Reading. «Smell Of Teen Spirit» hit me like a ton of bricks. C’est bien dit. Il succombe au mantra «A denial, a denial, a denial, a denial». Ah les mantras ! Le concert de Nirvana à Reading reste pour lui one of the best performances I’ve ever seen. Il voit aussi Dinosaur Jr exploser Reading avec «Freak Scene», nouveau coup d’apeshit ballistic bedlam. Il n’a plus de mots, il écume. Il louche aussi sur Kim Gordon, the epitome of nonchalance. En France, on a l’épitome de chèvre, en Angleterre, c’est plus raffiné. Reading 1991 est son premier festival. C’est là qu’est tourné l’excellent The Year Punk Broke. Stuart voit aussi les Sisters Of Mercy, Mercury Rev et Teenage Fanclub. Il adore Primal Scream, bien sûr, et l’«Everything Flows» du Teenage Fanclub is pretty much the perfect song, une de plus. En 1993, il voit la reformation du Velvet, puis les Buzzcocks, encore des chouchous, son favorite punk band. Côté disks, Stuart ne chôme pas : Hunky Dory, Lust For Life et Marquee Moon sont ses favoris, l’année où il s’installe à Édimbourg avec des copains. The perfect bands sont The Jimi Hendrix Experience, Nirvana et Motörhead. D’autres chouchous encore : Loop, Spacemen 3, The God Machine et Swervedriver. Toutes ses références sont parfaites.

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             C’est là qu’il monte Mogwai avec son pote Dominic. Il tire le nom du Gremlins de Spielberg : Mogwai est aussi un mot chinois qui veut dire démon. Et pouf c’est parti ! Première tournée avec Urusei Yatsura, un autre gang de Glasgow aujourd’hui oublié, mais qui a connu sa petite heure de gloriole. On propose à Mogwai une tournée américaine avec Ween, mais ils n’ont pas le blé pour partir en voyage. En 1996, ils font leur première Peel Session. Puis leur premier single est chroniqué dans le NME. Ils jouent en première partie de Pavement, dont ils vont rester très proches - We were obsessed with Pavement - Stuart voit Spiritualized sur scène et dit tout le bien qu’il en pense. Puis tournée américaine en première partie de Pavement, puis hommage aux Super Furry Animals - whose music we all loved - et à Arab Strap, hommage encore au Deserter’s Songs de Mercury Rev. À travers son histoire, Stuart fait une sorte de parcours sans faute. Hommage encore à Bardo Pond, «playing super loud, far-out psych-rock». Puis Mogwai fait la couve du numéro spécial No Sell Out du NME, l’un des numéros les plus légendaires de l’histoire du canard, dans lequel on trouve Fugazi et le comédien Bill Hicks. Hommage encore aux Texans d’And You Will Know Us By The Trail of Dead, «more punk rock than Sonic Youth», puis à Billy Duffy, guitariste du Cult : Stuart va le trouver pour lui dire qu’il a appris à jouer de la guitare à cause du solo qu’il passe dans «She Sells Sanctuary». Pixies, aussi, one of my favourite bands. Petites apologies encore d’Arab Strap, de The Twilight Sad et de David Pajo, le mec de Slint. Il n’a oublié personne ?

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             Les drogues ? Les Cramps ? Roky Erickson ? Non, pas d’inquiétude, il ne les oublie pas. Les drogues sont partout dans Mogwai, les Écossais n’arrêtent pas. Stuart dit qu’il a perdu ses cheveux à cause des excès. Il tape dans tout : booze, acid, E’s, pills, coke, tout ce qui traîne - We were a mess - Il jongle avec les expressions de la défonce, comme l’ont fait Baby Gillespie et Kris Needs avant lui, expressway to insanity, out of our fucking minds, continuing to get smashed, c’est exactement la même ambiance que dans Primal Scream qui se vantent d’être continually wasted. Stuart se croit un «hard partier» jusqu’au jour où il monte dans le tour bus d’Elastica - they were on another level - et il ajoute : «things got messy in ways I’d never witnessed before.» Tout monte toujours d’un cran, à mesure qu’on avance dans la vraie histoire d’un groupe. Et ça continue jour et nuit, nuit et jour, dans les festivals en Espagne, everyone was so fucked. Puis il finit par voir les Cramps, one of my favourite ever bands. Il finit en beauté avec Roky qu’il réussit à coincer en studio pour enregistrer «Devil Rides». À Austin, Roky commence par emmener Stuart chez un marchand d’ice cream qui vend un milkshake nommé Roky et qui fait la fierté de Roky. En studio, Stuart doit se pincer pour être sûr que ce n’est pas un rêve : il se retrouve avec son idole Roky qui chante une chanson qu’il a composée pour lui. C’est un bel aboutissement, pas vrai ?

             Mais la vraie merveille de ce book se trouve dans le dernier chapitre. Quand son père casse sa pipe en bois, Stuart voit son monde s’écrouler. Alors il parvient à exprimer sa douleur et c’est la plus belle page de ce book que devraient lire tous les fans de rock : «J’ai beaucoup rêvé de mon père après qu’il soit mort. Et ça continue. Il est toujours là. Pendant toute ma vie d’adulte, mon père est venu me chercher à l’aéroport pour me ramener à la maison. Même quand je vivais à Édimbourg, ce qui représentait pour lui trois heures de route. Il m’attendait à l’arrivée, souriant et toujours content de me revoir. Pendant le trajet en voiture, il me posait des questions sur mon voyage et me disait tout ce qu’il avait pu faire pendant ce temps. Alors après, j’avais du mal à descendre de l’avion et à revenir dans le hall d’arrivée de l’aéroport, sachant qu’il ne serait plus là pour m’accueillir. Ça a duré un bon moment, et puis ça s’est un peu atténué, car j’ai fini par me dire : ‘quelle chance j’ai eu de le voir là pendant toutes ces années’. C’était un wonderful man et j’ai eu la chance de l’avoir comme père.»

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             Du coup, on décide en comité restreint d’aller tester un autre album de Mogwai. Le choix se porte à l’unanimité sur Rock Action, à cause du titre. Même constat qu’auparavant : ils bâtissent leur empire sur du bruit. Franchement, tu n’es pas obligé de trouver ça bien. Tu n’écoutes que par curiosité, mais surtout par sympathie pour Stuart qui est de toute évidence un brave mec. Avec «Take Me Somewhere Nice», ils bricolent une grosse ambiance, mais rien d’autre. Ils tartinent leur heavy tartine avec du chant qui n’est pas du chant. C’est même un peu pénible. On est triste pour eux, car au fond, on les aime bien, puisqu’on écoute les mêmes disques. Quand tu n’as pas de voix, ça ne pardonne pas. Les petits sortilèges soniques ne marchent pas non plus. La voix murmure dans le son et c’est une catastrophe. Cette pauvre voix atone voix reste même au fond du son, complètement inexploitable. On se demande comment un label a pu les soutenir. Ça n’a pas de sens commercial. Stuart et ses copains tapent dans le smog d’outerspace, ils nous enfument, ils n’ont aucune chance de convaincre les pékinois. Il faut attendre «2 Rights Make 1 Wrong» pour que leur sauce prenne, ils font enfin du wild ambiant scottish et ça brûle très vite. Ils sauvent cet album qu’ils auraient dû appeler Boudu Sauvé Des Eaux.  

    Signé : Cazengler, smog on the water (closet)

    Stuart Braithwaite. Spaceships Over Glasgow. White Rabbit 2022

    Mogwai. Young Team. Chemikal Underground 1997

    Mogwai. Rock Action. PIAS Recordings 2001

     

     

    Les Staples ne sont pas les Staple

     

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             Soit on sait, soit on ne sait pas. Pour vraiment profiter du spectacle des Staples Jr Singers, le mieux est de savoir, et pour savoir, il faut avoir écouté When Do We Get Paid, un album miraculé sauvé des eaux par un petit label américain, Luaka Bop. Alors on sait, quand on les voit arriver sur scène, qu’ils vont nous faire du Wilson Pickett. Et ça va même au-delà de toute expectitude.

             Les liners de cet album miraculé sauvé des eaux nous apprennent que les Staples Jr. Singers sont en réalité les Brown d’Aberdeen, Mississippi, et, ajoutent les liners, ils ont commencé de bonne heure : Annie avait 11 ans, Edward 12 et R.C. 13. Ils écumaient les églises et les écoles sur les deux rives de la Tombigbee River. Ça ne s’invente pas, une histoire pareille. Comme ils écoutaient pas mal de secular music à la radio, ils se sont inspirés des Staple Singers pour se baptiser les Staples Jr. Singers. Annie adorait les Staple songs, oh yeah !, «because they had a meaning to them and a different style.» Pour elle, ça ressemblait beaucoup à ce que ses parents écoutaient. Elle rappelle que sa famille vivait dans la pauvreté, mais Daddy veillait toujours à ce qu’il y eût «à manger sur la table, des habits sur notre dos et un toit au-dessus de nos têtes. Alors ces chansons correspondaient à ce que nous vivions.»

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             Quand on écoute cet album miraculé sauvé des eaux, on est frappé par le mélange de primitivisme et de modernité du son. Les Staples Jr couplaient des rough and soul-infected rhythms - ce que le guitariste R.C. appelle «the new style» - avec des paroles qui évoquaient la rude condition des blacks pauvres dans le Deep South - «talking about trouble», dit Annie - Dans le morceau titre, Annie et Edward chantent «When do we get paid/ For the work we’ve done ?». Eh oui, il serait temps de s’en soucier, aux moins deux ou trois siècles de retard de salaires pour quelques millions d’esclaves. Ils tapent ça en mode heavy groove. C’est du pur Gospel Stax, intense et perlé de sueur.

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             Edward insiste beaucoup pour dire que les paroles de leurs chansons sont toutes tirées de leur vécu. Quand ils partaient en tournée, ils achetaient du matériel à crédit chez Mr. Buxton et le chargeaient dans le van que conduisait leur frère aîné, Cleveland. Ils tournaient partout sous la fameuse Bible Belt, «Minnesota, St. Louis, Memphis, Arkansas, Birmingham, all those places.» Ils ont fini par attirer l’attention des fameux Jackson Southernaires qui les firent jouer en première partie. Ils ont enregistré leur premier single en 1974 chez un certain Big John qui avait un studio à Tupelo : «Waiting For The Trumpet To Sound», qu’on retrouve bien sûr sur l’album, un gospel blues d’Ooooh Lawd keep on waiting. Un vrai petit coup de génie. La finesse du guitar slingin effare dans la nuit, et Annie te swingue tout ça à coups de keep on waiting. Leur Waiting passait pas mal à la radio et c’est avec Big John qu’ils enregistrèrent leur album en 1975, au Statue Recording Studio de Tupelo. Annie avait 14 ans, Edward 15 et R.C. 16. Toujours la même chose : une histoire pareille, ça ne s’invente pas.

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    ( Version originale : Brenda Records 1975 )

             Dès le «Get On Board» d’ouverture de bal, on voit que c’est enregistré avec les moyens du bord. Puis ils passent à la vitesse supérieure avec «I Know You’re Going To Miss Me», une vraie dégelée d’amateurs, ils tartinent un vieux gospel de Soul, c’est du raw, mais de l’excellent raw. Annie s’explose la rate à chanter son lead, elle est fantastique, elle en rajoute. Du coup, il règne dans cet album miraculé sauvé des eaux une ambiance extraordinaire. Ah tu te régales, tout est bien chez les Brown, le lead d’Annie, le guitar slinging de R.C. Avec «I’m Going To A City», ils basculent dans le heavy r’n’b amateur, ils y vont au get my ticket, c’est du pur primitif. L’album devient même fascinant, tu t’enfonces avec eux dans une jungle, une sorte de nowhere land inespéré. Encore une merveille imprescriptible avec «Trouble Of The World» et ils font avec «I Feel Good» une Soul d’excelsior. Annie taille bien la route avec «On My Journey Home» et ils finissent en beauté avec «I Got A New Home». Dans les liners, Annie est la première surprise : elle pensait que cet album génial avait disparu.

             Après l’album, les Brown ont continué leur petit bonhomme de chemin et sont passés à autre chose. Dans les années 80, le groupe compte 9 membres et devient The Brown Singers. Puis Annie se marie et elle monte les Caldwell Singers, alors qu’Edward et R.C. continuent avec les Brown Singers.  

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             Et les voilà tous les trois sur scène, Annie, Edward et R.C., le fantastique R.C. et son guitar slinging. Ils sont assis tous les trois, car plus très jeune, Annie pèse bien 200 kg mais elle te harponne une salle comme si elle harponnait un cachalot blanc, woufff !

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    Elle shake mille shooks, elle shoute avec le power du tonnerre, elle te sort des faux airs d’Aretha, quand elle se lève pour haranguer les harengs, elle devient une sorte de déesse africaine, une incarnation parfaite de la statuaire sacrée africaine qui représente la fécondité, et derrière elle, c’est un vrai ramshackle de wild gospel funk, deux guitaristes fabuleusement doués, un beurre-man et THE locomotive-man, un bassman beaucoup plus jeune qui joue comme James Jamerson, en descentes d’accords et en contrecarres de contrefort, c’est irréel de power, alors tu ajoutes ça au cirque que font Annie et Edward et te voilà au paradis du wild r’n’b d’église en bois. C’est carrément du Wilson Pickett servi sur un plateau d’argent.

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    Ils raflent toutes les mises, même les plus inimaginables, tu as là sous les yeux l’un de ces spectacles parfaits que le hasard des programmations rend possibles. Pendant une longue version de «When Do We Get Paid» - for the work we’ve done - la sono tombe en panne et pas de problème, Edward mène le bal a capella, ils ont assez de métier pour affronter les aléas de la technique moderne.

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    Ils font en fait très peu de cuts, mais ils les travaillent dans la durée. Ils mijotent les éruptions, ils groovent sous la cendre. Et puis tout explose avec «I’m Going To A City», Annie fout le feu au cachalot, elle lâche tous les démons de l’Afrique profonde sur l’Occident subjugué, c’est une épouvantable curée, un chaos régénérateur, tout le monde twiste dans la cambuse, Annie et ses frères nous ramènent aux origines du monde. Wild as fuck !

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    Signé : Cazengler, Instable Jr

    Staples Jr Singers. Le 106. Rouen (76). 31 janvier 2023

    Staples Jr Singers. When Do We Get Paid. Luaka Bop 2022

     

     

    Wizards & True Stars

    - Crosbibi Fricotin (Part One)

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             Nouveau trou dans l’eau avec la disparition de David Crosby, l’un des vrais héros de ce qu’on appelait autrefois la contre-culture américaine. Croz était un homme libre, un navigateur, un hédoniste invétéré, amateur de jolies femmes et de drogues. Il fait partie de ceux qui n’ont jamais commis de faute de goût en matière artistique et ça va même plus loin : à toutes les époques de sa carrière, sa seule présence rehaussait le prestige de ses collègues, que ce soit dans les Byrds, CS&N ou après, au long cours de sa carrière solo, une carrière qu’il faut bien qualifier de fastueuse et que tous ses fans ont suivie méticuleusement. Quand on connaissait son histoire, on savait qu’il n’allait pas faire long feu, surtout après une greffe du foie. C’est un miracle qu’il ait pu survivre aussi longtemps et continuer d’enregistrer des albums aussi magiques. Car c’est bien de magie dont il s’agit, une magie particulière qu’on appelle aussi le groove.

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             On venait tout juste d’écouter son dernier album, l’excellent For Free, quand la triste nouvelle est tombée. For Free est donc son testament artistique. Sur la pochette, Croz ressemble à l’un de ces vieux cowboys de Sam Peckinpah, il sort tout droit du fabuleux «Cowboy Movie» qui illumina jadis l’album rouge, If I Could Only Remember My Name, un «Cowboy Movie» qui hanta tant l’auteur des Cent Contes Rock qu’il en pondit un œuf. Cot Cot ! Ah il faut voir Croz attaquer «River Rise» à la sauvage de vieux crabe. Il t’embarque aussi sec, avec une énergie considérable. Il te fait une rock-song du meilleur niveau, ça scintille et ça flashe. C’est du Croz en liberté. Si tu cherches le coup de génie, il se trouve juste avant la fin et s’appelle «Shot At Me». Croz chante à l’édentée salivaire et gratte ses poux du limon - I was having coffee in my favorite place - Il voit entrer un fantôme - this haunted guy with a haunted face - et donc il nous fait un cut fantôme, il nous fait du groove indien - Head to the woods and laugh all the way/ Nobody shot at me today - C’est exactement du même niveau d’envoûtement que «Cowboy Movie». On trouve aussi deux Beautiful Songs sur For Free, «The Other Side Of Midnight» et le morceau titre. Il va chercher ses vieux horizons, c’est tout ce qui l’intéresse, ces soudaines montées en charge d’harmonies vocales. On croirait qu’il les a inventées. Il ouvre chaque fois un nouveau chapitre de la très grande pop américaine. Il chante face au soleil - How does love light shine from so high above/ Tell me - Il se connecte sur les anciennes magies de vestes à franges dans le crépuscule californien, c’est là que tu trouves la légende de Croz, il fait un fantastique testament psychédélique, il revient aux flux et aux reflux magiques du Californian Hell. Dans «For Free», il raconte l’histoire d’un musicien des rues - Across the street he stood and he/ Played real good/ On his clarinet for free - C’est un groove de jazz, il tape ça au playing real good for free, dans l’esprit de ce que fait Joni Mitchell - Maybe put on a harmony - C’est ce qu’il fait. Il termine cet album fascinant avec son testament : «I Won’t Stay For Long», joué au piano atonal.

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             En 2016, Croz est revenu au devant de la scène avec un album phare, Lighthouse. Il y redéploie dès l’ouverture sa pop spacieuse et élégante. La paix règne sur cet album, Croz bat doucement les cordes de sa gratte et chante son vieux groove océanique. Il prend «The Us Below» au trémolo de glotte sensible - Why must we be eternally alone - Il se pose de drôles de questions. C’est évident qu’on finit seul, quoi qu’il arrive. Avec «Look In Their Eyes», il va sur un son plus Brazil. On sent chez le vieux Croz un goût certain pour la brise tropicale et l’air parfumé du large. Il renoue aussi avec les accents magiques de CS&N et retrouve sa façon de forcer la note au chant. Le hit de Lighthouse ouvre le balda : oui, «The City» est une absolue merveille, swinguée au beat californien - All you can do is your best to stay in - Il re-développe sa fabuleuse énergie d’antan, like a wind, like a fire, il fait son best to stay in, oh yeah ! Fabuleux ! C’est claqué aux profonds accords d’acou. On sent remonter les vieilles énergies du Pacific qui datent du temps où régnaient sur la West Coast les Mamas & The Papas et CS&N. Il termine cet album phare en duettant avec Michelle Willis sur «By The Light Of Common Day». C’est beau, comme un ciel au-dessus de l’océan.

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             David Crosby éclairera le monde jusqu’à la fin des temps, c’est en tous les cas ce que prouve Sky Trails, paru l’année suivante. Il démarre avec un groove de jazz intitulé «It’s Got To Be Somewhere». Pas de groove plus groovy que celui de Croz. Il sait qu’il a du génie, mais il ne la ramène pas. Il se fond dans le groove, comme il l’a fait toute sa vie. C’est jazzé jusqu’à l’oss de l’ass - The book never lies/ Across the Santa Anna/ To the land of blue skies - La lumière se glisse dans la moelle des harmonies vocales. L’autre coup de génie de l’album s’appelle «Somebody Home», encore un groove jazzé aux neuvièmes diminuées. C’est d’une insondable profondeur. Croz chante à l’haleine chaude du vieux combattant, cette pureté fait la différence avec les autres prétendants au trône - When I look at my face/ I think there’s somebody home - C’est pointé à l’orgue céleste, prodigieusement autobiographique - One of these days/ I’ll get my courage up/ Sit down at your table/ Pour some coffee in my cup/ And I will tell you I love you - On l’entend faire des prodiges avec sa voix - Seen you weak/ but when you - et là il monte de plusieurs octaves - to me/ There’s somebody home - D’autres merveilles se nichent sur cet album béni des dieux, comme par exemple «Sell Me A Diamond». Il revient à l’avant-garde déconstructiviste qu’il affectionne tant. Il faut écouter cet homme attentivement, car il sait qu’il va mourir. Il chante encore ses chansons, comme s’il se trouvait à la fin d’un règne, avant que ne s’éteignent définitivement les spotlights. Il explose «Capitol» aux harmonies vocales, y dénonce la fake democracy et chante «Before Tomorrow Falls On Love» d’une voix de vieil homme, mais avec une âme - In that careless place and time - Extraordinaire ! Puis il s’en va jazzer «Curved Hair» à Bahia - The sky is a cavern open wide - et nous pond un groove de jazz dément. Ici, tout n’est que groove, calme et volupté.

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             Dans l’interview qu’il accorde à Ian Fortman en 2017, Croz revient invariablement sur l’un de ses sujets favoris : la politique. Il a de quoi faire puisque selon lui son pays n’est plus aujourd’hui qu’une bad joke. Et il traite son président d’asshole, ajoutant - Please quote me !  Oui, il veut qu’on le cite. Croz résume tout haut ce que tout le monde pense tout bas : les grosses boîtes investissent des millions de dollars dans le politique et quand les actions sont en baisse, ils demandent aux gens qu’ils ont acheté de déclencher une nice little war ici ou là, histoire de relancer le business - The United States is at best in a lot of trouble - Croz sait qu’il manque aujourd’hui une chanson comme «We Shall Overcome», pour les gens qui sont dans la rue. Quand il est questionné sur le freebasing qui a détruit sa vie et qui l’a conduit au ballon, Croz dit que oui, la progression de la drug culture et la mort de l’idéalisme des sixties étaient liées. Il rappelle qu’au même moment, on butait Kennedy et Martin Luther King. Quant aux guns, Croz rappelle qu’en son temps, on offrait aux kids de 12 ans comme lui des 22 long rifles, ça faisait partie des usages. Rien à voir avec ce qu’est devenu le mythe des guns dans les gangs - The gun itself isn’t the problem, the problem is the operator - Retirer les guns de la circulations aux States ? Tu rigoles, man ? Deux tiers des maisons ont des guns et personne ne voudra les rendre. Et questionné sur le racisme, Croz répond qu’Odetta et Josh White furent ses mentors.  

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             Nouvel album de pépé Croz en 2018, le bien nommé Here If You Listen. Autant le dire tout de suite : l’album renferme une sacrée pépite : une version de «Woodstock», le vieux hit de Joni Mitchell. Croz coule le bronze de la légende dans l’or du temps - We are stardust/ We are golden/ And we got to get ourselves/ Back to the garden - C’est imbattable. On observe aussi un fantastique retour aux harmonies vocales de CS&N dans «Other Half Rule» - Ego is the fever/ Runs hot and make ‘em blind/ Fuel for the fire/ That burns a man alive - Fantastique ferveur d’intimisme mélodique. Il propose aussi un très beau numéro d’équilibriste à plusieurs voix dans «Janet». Comme Scott Walker, tout ce que fait cet homme à l’article de la mort fascine au plus haut point. Il attaque l’A avec «Glory», un balladif océanique. Il y mêle sa voix à celles des filles - Let me be/ A glory in the sky - Ça swingue dans l’ouate. On reste dans une sorte de latence suprême avec «Vagrants Of Venice» et de vieux échos de CS&N viennent hanter «1974». Tout est très pacifique, infiniment doux et beau. Il sait traiter la paix intérieure en profondeur, comme l’indique «Your Own Ride» - It’s a matter of honor/ Having stirred up some light/ To spend my last hours/ Clearing the path for/ Your own ride - Il se montre de plus en plus éthéré avec «I Am No Artist» - I am no artist/ Lonely and supreme/ Needing no hand to touch/ No eyes to smile/ Only your lips - C’est une expérience unique que d’écouter ce vieil homme groover l’éther et remuer un passé si prestigieux. Il fait le show tout seul à l’acou dans «Balanced On A Pin» - This space I’m in - Il semble complètement détaché de la terre - It’s a bubble/ Balanced on a pin/ The space I’m in.

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             Avant de quitter ce monde ingrat, Croz aura su se montrer digne des caméras en acceptant de jouer son rôle dans le film que lui consacre A.J. Eaton. Sorti en 2019, ce film s’intitule Remember My Name. On se rappellera facilement du titre. C’est un vieillard qui apparaît à l’écran pour raconter son histoire favorite : il est dans les gogues d’un club de Chicago, défoncé comme il se doit, lorsque soudain Trane fait irruption en soufflant dans son sax. Brrrrzzzrrrrrzzzz ! Croz saute dans son fauteuil et fait avec ses lèvres le bruit du sax de Trane. Brrrrzzzrrrrrzzzz ! Stupéfait par la violence du son de Trane, Croz raconte qu’il s’affaisse en glissant le long du mur carrelé. Voilà de quelle manière un géant rend hommage à un autre géant. David Crosby salue John Coltrane. On se souvient que Croz fit partie des Byrds. Alors si on aime les Byrds, on se régale car on voit McGuinn raconter comment ils ont arrangé la gueule de «Mr. Tambourine Man» : pam pam pam ! Il donne ensuite la raison pour laquelle lui et Chris Hillman ont un jour pris leurs Porsches pour aller dire à Croz qu’il était viré : Croz faisait trop de politique - Too much politics and not enough music ! - Alors Croz décide d’acheter un voilier pour prendre le large. Il en repère un qui vaut 25 000 $ - Hey Peter Tork, tu peux me prêter 25 000 $ ? - Et Croz ajoute, du haut de sa belle intelligence : «L’océan est tellement réel, contrairement à Hollywood.» Il est tout de même recommandé de lire le volume 1 de son autobio, car il consacre des pages superbes au Mayan, ce fameux voilier. On verra ça dans un Part Two.

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             Croz revient à la caméra pour évoquer l’âge d’or de Laurel Canyon, avec notamment Cass Eliott et surtout Joni Mitchell qu’il considère toujours comme «la meilleure de nous tous». «C’est indéniable», ajoute-t-il d’un ton crozzy. Il rappelle qu’il a produit son premier album. Il en profite pour évoquer le souvenir de ces femmes qu’il adorait, Joni, Cass, Janis, «toutes brillantes, toutes cabossées, toutes solitaires». Il rappelle aussi que Dennis Hopper s’est inspiré de lui pour son personnage de biker cosmique dans Easy Rider. Puis il en arrive naturellement au chapitre des drogues dures. On lit la gourmandise sur son visage, il évoque le premier shoot d’héro, ah les drogues, dit-il, idéales pour «supprimer l’ici et maintenant». Mais les digressions philosophiques n’intéressent pas les gens du cinéma américain. Ils préfèrent les chicaneries à la con, alors Croz se voit contraint d’évoquer les tensions avec Nash. «On ne se parle plus.» Et Neil Young ? «Oh je ne suis pas fâché avec lui. C’est lui qui est fâché avec moi.» On le sent fatigué. On le soupçonne d’être aussi fatigué par les questions stupides des journalistes. Voilà un homme qui aurait beaucoup à nous dire sur l’hédonisme et on l’accule dans une sorte de Clochemerle à la mormoille. Il vaut mieux lire son autobio, l’air y est plus respirable. Le danger avec ce genre de film, c’est que les gens ne vont retenir qu’une seule chose : Croz est fâché avec Neil Young. Ça n’a strictement aucun intérêt. En plus, Eaton ose filmer Croz en train de prendre ses médocs. Mais heureusement, Croz parvient à conserver toute sa dignité. Comme il perd sa voix, il explique qu’il doit annuler des concerts. Ça sent la fin des haricots. On voit quelques extraits de tournée. Sur scène Croz gratte les accords de «Woodstock» sur une strato et forcément, c’est énorme. Avec ce film, il réussit néanmoins à offrir un sacré panorama de sa vie. Dans les dernières images, il regarde assez fixement la caméra et déclare : «Il faut savoir dire au revoir.» Ça n’est jamais facile de jouer son propre rôle.

    Signé : Cazengler, David Grosbide

    David Crosby. Disparu le 19 janvier 2023

    David Crosby. For Free. BMG 2021

    David Crosby. Lighthouse. Verve 2016

    David Crosby. Sky Trails. BMG 2017

    David Crosby. Here If You Listen. BMG 2018

    Ian Fortman : David Crosby Interview. Classic Rock #242 - November 2017

    A.J. Eaton. David Crosby - Remember My Name. 2019

     

     

    Inside the goldmine - Ring my Bell

     

             Sans doute étions-nous copains parce qu’on habitait le même quartier. Il était un peu plus âgé, ne payait pas de mine, il se coiffait comme l’as de pique à une époque où la coiffure devenait pour tous les ados la préoccupation principale, mais ce qui le caractérisait le mieux est qu’il avait ce qu’on appelait alors les pieds plats. On ne comprenait pas ce que ça voulait dire, mais ça s’entendait lorsqu’il nous arrivait d’aller courir sur le Grand Cours : cataplac cataplac. On allait chez lui passer le jeudi après-midi à jouer au jeu du Bac. À la radio, Richard Anthony chantait «Et J’entends Siffler Le Train». Ses parents étaient extraordinairement vieux, le père retraité, et la mère en retrait, tous les deux aussi blancs de cheveux que le Père Noël. La raison de ce copinage n’était pas vraiment Claude Bull, mais sa frangine Martine, une petite brune aux cheveux très raides et qui savait se montrer incroyablement docile quand il le fallait. Martine était sexy, à l’opposé de son frère qui ne l’était pas du tout. L’accès à Martine passait nécessairement par Claude Bull. Il venait de passer son permis et son père lui prêtait la Simca familiale, alors nous allions au bord de la mer, le samedi. Toute une bande, disons cinq, et le jeu consistait évidemment à monter à l’arrière avec Martine. Comme nous étions un peu serrés, il devenait enfantin d’entrer en contact avec elle par les cuisses et les jambes, et jamais elle ne cherchait à se décoller. Claude Bull conduisait prudemment. Nous allions nous baigner et la course vers l’eau était l’occasion d’entendre le fameux cataplac cataplac, mais aussi l’occasion inespérée de voir le joli cul de Martine serré dans un monokini de Prisunic. Pour son âge, elle était déjà bien formée. Elle devait elle aussi ressentir une forme de trouble car elle redoublait d’efforts pour rester de marbre. Claude Bull était déjà un peu gras pour son âge, mais il nageait bien. En Basse Normandie, les plages sont un paradis au mois de juin, et on peut passer des heures dans l’eau. Claude Bull aimait bien s’éloigner à la nage et ce jour-là, il me mit au défi de le suivre, alors que bien sûr, je n’avais qu’une seule idée en tête : retourner m’allonger sur la plage à côté de sa frangine pour voir sa peau hâlée sécher au soleil. T’es pas cap ! Alors nous partîmes au large. Il nageait devant. Lorsque nous fûmes assez éloignés, il se mit sur le dos pour faire la planche et attendit que je le rejoigne. Il passa son bras autour de mon cou et me plongea la tête sous l’eau. Une fois, deux fois, trois fois. Panique ! Puis avec un air que je ne lui connaissais pas, il murmura : «Si tu touches encore à ma sœur, je te tue.»

     

             Pendant que Claude Bull veillait sur sa sœur, Thom Bell veillait sur la Philly Soul. Ce qui finalement revient au même. Martine Bull et la Philly Soul, c’est la même chose, une histoire d’amour adolescente.

             Puisque Thom Bell vient de casser de sa pipe en bois, nous allons nous agenouiller et prier pour le salut de son âme. Il n’est pas très connu, mais gagne à l’être. 

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             Comme nous le rappelle Bob Stanley, l’histoire de Thom Bell est encore une histoire d’enfant prodige, puisqu’à 9 ans, il sait déjà jouer du piano et de la batterie. Il reçoit une éducation musicale classique et ne découvre la radio qu’à l’âge de 17 ans. Il tombe sur le «Tears On My Pillow» de Little Anthony & The Imperials et il se demande : «C’est quoi cette musique ?». Alors il dit à sa mère qu’il ne peut pas devenir pianiste classique et sa mère qui est jamaïquaine lui dit : «Just do what you have to do, whatever your heart say.» Il commence par enregistrer un single avec Kenny Gamble, un copain de lycée de sa frangine Martine.

             Quand il est jeune, Thom Bell admire deux personnages en particulier : Teddy Randazzo, le producteur de Little Anthony, et Burt Bacharach. Puisqu’on en est aux racines, Stanley indique que Dee Dee Sharp, les Orlons et les Delfonics sont à l’origine de ce qu’on appelle The Philly Soul. Gamble & Huff qui bossaient pour Cameo-Parkway décident alors de monter leur propre label, Philadelphia International Records. Thom Bell va énormément bosser avec eux en tant que producteur et arrangeur. Il insiste beaucoup pour dire qu’il ne fait pas de r’n’b mais de la musique - I hear oboes, and bassoons and English horns. But I’m lucky, I cross styles - Il parle surtout d’enthousiasme - I had my own language and I was able to do what I wanted do do. Il rappelle aussi comment il a démarré dans le business, à l’époque où il bossait encore pour Cameo-Parkway : «Motown marchait tellement bien que Bernie Lowe, Kal Mann et Dave Appell qui dirigeaient le label voulaient le même son. Ils avaient découvert que Motown avait son propre house-band, ce qui était nouveau à l’époque. Ils se sont demandé : ‘How can we do this?’. On leur a dit qu’il y avait ce petit black à l’étage en dessous qui savait lire des partitions et jouer du piano. Ils m’ont appelé dans le bureau du président et m’ont dit qu’ils voulaient un house-band comme celui de Motown. Pouvez-vous vous occuper de ça ? Je n’allais pas leur dire non ! Of course I can ! Vous voulez ça pour quand ? Demain ? Et j’ai rassemblé  des gens que je connaissais, Roland Chambers on guitar, Willie Walford on bass, Chester Slim on drums and me on piano.»

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             Très belle compile que ce Ready Or Not (Thom Bell Philly Soul Arrangements & Productions 1965-1978) paru sur Kent/Ace en 2020. La Philly Soul n’est pas aussi populaire en Europe que Motown ou Stax, mais c’est exactement le même genre de vivier de superstars, depuis les O’Jays jusqu’aux Spinners, en passant par Dee Dee Sharp. Justement, Dee Dee est là avec «What Kind Of Lady». Dee Dee tape dans le dur du dur, elle est énorme. Bob Stanley nous rappelle qu’elle a épousé Kenny Gamble et qu’on la rebaptisée Dee Dee Sharp parce qu’elle chantait en D sharp. L’autre smash de la compile, c’est le «You Make Me Feel Brand New» des Stylistics, une vraie bénédiction de precious love, une vraie merveille de sensiblerie explosive et de beauté contenue. Selon Stanley, Thom Bell aurait dit à Russell Thompkins, le lead des Stylistics, de baisser d’un ton, car il attaquait le lead trop haut et trop fort, «you don’t make sense, you just make noise». Alors Thompkins a baissé d’un ton et ils ont commencé à enregistrer ensemble une belle série de hits.  Par sa densité artistique, Ready Or Not rivalise avec les meilleures compiles Ace, ça grouille de géants, tiens comme les Spinners avec «Could It Be I’m Falling In Love», du rêve à l’état pur, les Spinners règnent sur la Soul avec grandeur, et puis tu as aussi Teddy Pendergrass avec «Close The Door», il chante à la voix sourde de vieux baroudeur, elle a intérêt à fermer la porte vite fait car Teddy est en rut, mais en rut de satin jaune, c’mon baby. Il y a aussi des blanches comme Laura Nyro qui duette avec Labelle sur «It’s Gonna Take A Miracle», Laura veut faire la black, elle est un peu maladroite, la Soul n’est pas son truc, alors elle tartine à la force du poignet et derrière, Labelle fait des chœurs de blanche. L’honneur d’ouvrir le bal revient à Archie Bell & The Drells avec «Here I Go Again». Ces mecs ne sont pas là pour rigoler. Tout ce qu’ils proposent est beau : le beat, la voix d’Archie, c’est du big biz. Stanley rappelle qu’après le succès de «Tighten Up» au Texas, Archie Bell & The Drells sont venus s’installer à Philadelphie. Tiens, encore une blanche, Dusty chérie, qui tape «I Wanna Be A Free Girl», elle entre sur la pointe des pieds mais sa voix fait loi. Elle est unique au monde par sa puissance. La révélation cette fois est Ronnie Dyson avec «One Man Band», groove classique mais chaud, avec une Sister derrière, en back-up. Ronnie Dyson est extrêmement féminin, ce qui lui valut pas mal d’ennuis à l’époque. Les Intruders proposent la Soul des jours heureux avec «Do You Remember Yesterday», une merveille. On note aussi l’incroyable stature du beat d’«I’m Doing Fine Now», le groupe s’appelle New York City. C’est une pépite. Encore de la heavy Soul de petite poule blanche avec Lesley Gore et «Look The Other Way», elle y va franco de port, elle est même assez spectaculaire. On se régale aussi du «You’ve Been Untrue» des Delfonics illuminé par une sacrée voix de cocote. C’est Thom Bell qui transforme The Five Guys en un trio qui devient les Delfonics et qui leur colle des violons, du timpani, du manual harpsichord et du piano électrique. En fait, Thom Bell expérimente avec les Delfonics. Encore du full bloom de Soul Sisters avec les Three Degrees et «What I See». On est là en plein Gamble & Huff, c’est chanté à la purée de Sisters.

    Signé : Cazengler, Tom Benne

    Thom Bell. Disparu le 22 décembre 2022

    Thom Bell. Ready Or Not (Thom Bell Philly Soul Arrangements & Productions 1965-1978). Kent Soul 2020

     

     

    L’avenir du rock

    - Tempête sur l’Ural

     

             Heureusement, l’avenir du rock n’a pas que des qualités. Il peut se montrer jaloux. Un concept qui serait jaloux ? Mais ça n’existe pas ! Bon d’accord, mais pour les besoins de la cause, l’avenir du rock doit parfois se résoudre à tricher. S’il veut parvenir à ses fins, il doit parfois tordre le bras à la logique. Tout le monde peut le comprendre et donc l’accepter. Pour corser encore un peu l’affaire, l’avenir du rock n’est pas jaloux d’une femme, comme c’est généralement le cas pour un homme, mais jaloux d’un topographe russe ! Un certain Vladimir Arseniev, chargé au tout début du siècle dernier d’établir les relevés topographiques de territoires inexplorés, non pas en Amazonie ou en Afrique centrale, mais au fond de la Sibérie, dans une vallée qui porte le doux nom d’Oussouri, à la frontière chinoise. Franchement, on se demande ce que l’avenir du rock est allé faire là-bas. Pourquoi n’est-il pas plutôt jaloux de Percy Fawcett ? Fawcett est bien gentil, te dirait l’avenir du rock, mais il n’a pas eu la chance de rencontrer Dersou Ouzala. Voilà donc le pot aux roses ! Eh oui, l’avenir du rock aurait tellement aimé voyager dans les forêts profondes de la Taïga en compagnie du vieux chasseur mongol, il aurait tellement aimé partager la sagesse de ce vieux crabe et éventuellement affronter cette tempête de neige pour voir Dersou construire en hâte l’abri de branches de bois qui allait leur sauver la vie à tous les deux. Rien de plus divin au plan sensoriel que de se faire sauver la vie par un vieux crabe aux yeux bridés. Oui, l’avenir du rock raffole des vieux crabes, c’est dans leur compagnie qu’il préfère s’immerger, car ils combinent d’antiques talents avec toute la sagesse du monde, ils parlent des yeux pour dire la grandeur d’un destin d’artiste, car Dersou est à sa façon un artiste puisque héros d’un cult-movie du grand Kurosawa et tous ceux qui ont cheminé dans les forêts profondes en sa compagnie se souviennent très précisément de lui. Alors chaque nuit, l’avenir du rock s’en va dans la forêt crier «Dersou !, Dersou !». 

     

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             Comme Dersou, Ural Thomas est un très vieux crabe. Ural ne vient pas de l’Oural, mais de l’Oregon. Comme Dersou, il a tout vécu et peut raconter des milliers d’histoires. On lui tend parfois un micro, mais c’est rare. En 1967, il est à Los Angeles et enregistre des bricoles d’une voix, nous dit Nigel Williamson, qui combine le grit d’Otis et le smooth de Smokey. Sur «Can You Dig It», Mary Wells, Merry Clayton et Brenda Holloway font les chœurs. Mais ça ne marche pas, il rentre chez lui à Portland, Oregon, travaille comme bell man dans un hôtel, et quand sa maison crame, il perd tout, alors il dort sous les ponts et lave sa chemise dans la rivière. Il survit pendant trente ans et puis un jour, il entre dans le record shop d’Eric Isaacson qui est aussi le boss du label Mississippi Records. C’est lui qui a réédité les albums de Dead Moon. Ural lui raconte son histoire et Isaacson, fils d’Isaac, tend l’oreille. Il décide de filer un coup de main au vieux crabe en rééditant les singles enregistrés à Los Angeles en 1967. Puis il lui présente un batteur. L’idée est qu’Ural remonte un groupe. Sait-on jamais !

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             Le résultat ne se fait pas attendre. Un premier album, The Right Time, sort en 2018. Alors il faut écouter le morceau titre de cet album enfanté dans la douleur puisqu’Ural appelle son groupe The Pain. Il a du son derrière lui sur «The Right Time», du big shuffle, alors il se jette dans le right time comme d’autres dans le courant du fleuve. Ural est un Soul Brother de la taille de James Brown. Même éclat ! C’est un cut infectueux, incroyablement moderne, traversé par des solos de sax. Son «Slow Down» d’ouverture de bal est aussi une belle bête d’oh yeah. Dommage que tout l’album ne soit pas du même niveau. Il semble faire une Soul éloignée des feux de la rampe. Il vise la good time music avec «Vibrations». Après tant d’années, il se pose. Il peut même faire de la Soul aérienne comme le montre «Smoldering Fire». On entend des belles guitares sixties dans «Time» et de la belle Soul d’Amérique dans «Smile» - What more can I say ?.

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             Et puis voilà Dancing Dimensions, l’un des très grands albums de l’an de grâce 2022. Fais gaffe, Ural va t’envoyer au tapis. Tu es tout de suite frappé par l’énormité du son. La voix d’Ural est la cerise sur le gâtö. Tu rentres dans le lagon du groove uralien avec «Heaven» - Heaven is the place I know - et soudain, avec «Do You Remember The Times We Had», Ural souffle sur l’Oural de la Soul. Il est l’Eole des fariboles, il roule ma poule dans la Soul de Seoul, Ural fait l’orage et l’azur, sometimes you got it/ Sometimes you don’t, et sa voix d’Uranus se fond dans les arrangements de cuivres, voilà que se dresse à l’horizon l’Ural de la Soul, jusqu’au firmament. Il atteint de nouvelles cimes du lard avec «Apple Pie (Oh Me Oh My)», son timbre particulier enchante, quel étrange mélange d’efficacité et d’élégance, et voilà qu’il fait l’Africain avec «Ol Safiya», buka-ah ! et ça swingue, les amis, ça monte comme la marée d’excelsior, petite guitare funk, cette énorme énergie déchire les tissus, ça devient dingoïde, avec des accords qui te restent en travers de la gorge. Cet album est un gisement de black genius à ciel ouvert. Ural devient un héros oral, un ô rage ô des espoirs pour la soif, on le suit comme on suivrait Jésus en Palestine, il est Ural l’oracle, son discours est d’une incroyable pureté d’intention. Et puis regardez la lumière que diffuse son visage ! Avec «Gimme Some Ice Cream», Ural gère la chose comme le fait le Ghost Dog de Jim  Jarmusch. Il est autonome, il est sur le coup, ne te fais pas de soucis pour lui. Ural revient souffler sur l’Oural de la Soul avec «My Favourite Song» et derrière lui, des petites gonzesses répètent tout ce qu’il dit - Let’s make some music, baby/ All nite long - Puis il explose le dream d’only dream avec «Hang Up On My Dream». Il te monte ça en neige de l’Oregon vite fait, il t’explose l’occiput du dream. À l’intérieur du digi, tu vois les petites photos d’Ural et tu comprends mieux les choses. Aucun doute : avec «Promises», il te chante l’avenir de la Soul.

    Signé : Cazengler, Urinal Tomate  

    Ural Thomas & The Pain. The Right Time. Tending Lover Empire 2018

    Ural Thomas & The Pain. Dancing Dimensions. Bella Union 2022

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    Nigel Williamson : No Pain No Gain. Uncut # 301 - June 2022

     

     

    GRAVITATIONAL OBJECTS OF LIGHT, ENERGY AND MYSTICISM

    G.O.L.E.M.

     ( Black Widows Records / Mars 2022 )

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    Ne pas confondre avec G.O.L.E.M., exactement la même graphie, qui réside en Allemagne, ceux qui nous intéressent viennent d’Italie. A regarder la photo vous allez m’accuser d’inadvertance, pas du tout, ce sont bien eux, et pas un ancien groupe des seventies, n’ont pas été congelés durant cinquante ans dans la glace dans le cadre d’une expérience scientifique, sont des jeunes gens de maintenant, même si la date de référence-rock qu’ils affichent haut et fort est 1972.

    Le mythe du golem appartient à la légende juive. A l’origine le golem est l’homme de glaise que Dieu n’a pas encore fini de modeler et qui n’a pas reçu le souffle divin lui octroyant son âme. Cinéma et littérature se sont emparés de cet être le transformant parfois en brute épaisse et assassine… Je suppute que si le groupe a adopté ce nom c’est pour nous rappeler que nous ne sommes que des êtres humains inachevés qui avons besoin d’être éclairés… Z’en ont fait un acronyme signifiant Gravitationel Object of Light, Energy and Mysticism, le titre de ce premier opus. Pour comprendre les trois premiers mots de cette auto-définition il est inutile de penser que ces objets gravitationnels de lumière seraient des engins extra-terrestres, mais tout simplement des photons. Pour faire encore plus simple : des atomes de lumière dépourvus de toute corporéité matérielle. Pour mieux comprendre, pensez à ces nouvelles théories de science physique ouvertes à la supposition d’atomes temporels… Que la lumière soit considérée comme une énergie n’étonne plus personne aujourd’hui, et que cette énergie puisse être entrevue par des esprits peu enclins aux méditations abstruses comme une divinité ou pourquoi pas comme Dieu l’Histoire des religions humaines en offre de multiples exemples, des intelligences davantage subtiles l’entreverront comme un sujet ou objet de réflexion (pensez au miroir qui réfléchit votre image ) permettant d’engager ainsi un dialogue entre l’Individu et l’Univers. Relation mystique puisque n’utilisant aucun des canaux dogmatiques et religieux reconnus. Le lecteur établira de lui-même le rapport avec les sérieuses ou fumeuses (vous barrez en rouge le terme qui ne vous agrée point) théories du New Age très en vogue dans la deuxième moitié des sixties et la première des seventies.

    Paolo Apollo Negri : Hammond organ and Synth / Marco Vincini : vocals / Emil Quatrini : electric piano and mellotron / Marco Zammati : bass guitar / Francesco Lupi : drums.

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    Devil’s Gold : point d’orgue dès la première seconde et développement jusqu’à un vrombissement qui devient orchestral, nous voici subitement projetés un demi-siècle en arrière, l’on se revoit en train d’écouter Deep Purple, ( plutôt Child in time que Smoke on the water ) tiens le morceau est déjà fini, non il ne fait que commencer, un hululement symphonique emplit vos oreilles l’on se croirait dans un générique d’Ennio Moricone, pas des Italiens pour rien, scène de la tentation, celle de l’or du diable, funèbre musique qui se charge de menaces, grand spectacle, l’orgue s’arrondit en queue de poisson. Introduction en toute beauté. Five obsidian suns : bruissement d’orgue, faut en prendre votre parti, dans cet opus il y a autant d’orgue que d’ogres dans les contes d’enfants, certes ce n’est pas un conte, ou alors initiatique, l’or félon est entré en nous, il ne nous reste plus qu’à céder au vertige du regard intérieur, du miroir qui ne reflète que le contenu du cauchemar qui nous habite, l’orgue se teinte de cymbales propitiatoires et maintenant se déroule une longue marche, arrêt brutal, le temps de permettre au vocal de se poser sur ce tapis d’orgalie, tapis de cendres et élévation continue, rupture temporelle, je suis devenu ce j’ai toujours été, celui qui m’habite, le Diable qui est en moi, c’est moi, je règne sur moi-même et sur mes rêves. Chœurs d’églises, liturgie sacrée pour mon couronnement intérieur. The logan stone : a cappella, une ballade acoustique, la musique survient telle une menace, sommes-nous dans un conte pour enfants ou dans un poème d’Edgar Poe, sous la pierre de lumière repose la fille du conteur, un clavier d’une tristesse infinie sonne le glas des illusions, celles de ceux qui croient que la pierre est porteuse de pouvoir, elle n’est que signe de chagrin, et du royaume du néant. A mon humble avis le titre le plus fort de l’opus. The man from the esmeralda mine : des gouttes d’eau et de piano, pas une ritournelle, un drame qui débute, une histoire que l’on se prépare à raconter, vague de claviers, belle voix, l’on regrette que sa parole soit trop souvent coupée par des poinçons synthétiques, l’on préfère lorsque la musique devient vague de submersion, un apologue celui de l’homme venu de loin qui n’a pas trouvé mieux que chez lui, alors l’orgue se déchaîne pour que la leçon pénètre en les lobes les plus profonds de votre cerveau, peut-être appuie-t-il un peu trop fort  mais le vocal se charge de colère, enfoncez-vous cela dans la tête ! L’orgue, tourbillon de glissandi, en rajoute un max au final. Marble eyes : une espèce de piano mécanique, faut jouer fort et faire tinter les oreilles de ceux qui ne veulent pas voir la réalité. Vocal écrasé de stupeur et de désespoir devant les marionnettes humaines qui agissent sans réfléchir, des lampées organiques interrompent ces cliquetis d’orgue de barbarie, la voix se fait lyrique, elle veut convaincre, elle délivre le message de l’espoir et de la délivrance, des temps nouveaux viendront, musique de manège enchanté et deux coups de poings de fin de symphonie pour terminer le morceau. Gravitational object of light, energy and mysticism : entrée solennelle, l’orgue angelus éparpille ses notes dans cette montée révélatrice, rythmique un peu simpliste, l’on attend mieux, le vocal étire les mots peut-être pour que nous comprenions enfin cette vision empédocléenne qu’il énonce et qu’il émonde car il prophétise que les contraires ne se combattront plus, un jour la paix règnera sans fin, autant la musique est belle, autant le message est décevant, une espèce de christianisme dilué homéopathiquement, une remarquable performance vocale, dommage que G.O.L.E.M. n’ait pas supprimé ces moments où le rythme piétine sur lui-même et interrompt l’apothéose musicale.

    De très bons passages, parfois l’on a l’impression qu’ils ont voulu mettre tout ce qu’ils savaient faire dans leur premier opus, quitte à rompre l’unité congénitale de chaque morceau mais l’ensemble reste de très haute tenue et l’on attend le prochain. Avec envie.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKABILLY RULES ! ( 9 )

    N’oubliez jamais que toutes les règles sont faites pour être contournées, dépassées, chamboulées, piétinées, car l’important avant tout c’est d’avoir un cœur fidèle et rebelle !

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    C’est comme pour les filles, souvent vous ne savez pas pourquoi elles vous attirent, mais parfois si. C’est alors que ça devient dangereux. Idem pour le rock, et tous ses dérivés. Ainsi Eugene (très Craddock) Chrysler (très sixties), j’ai tout de suite su. L’attrait de la chute. L’image est parlante. Un vieux panneau de bois écaillé destiné aux automobilistes annonçant la proximité d’un parc d’attraction. Je n’aime guère ce genre de lieux, attire-fric et amusements de bas-étages. Mais celui-ci est un peu spécial. En grosses lettres un mot qui poignarde le cœur des rockers, hillbilly, pas de quoi me donner envie de m’y rendre, mais dessous il y a un gars, avec une veste blanche parsemée de grosses notes de musique, le genre de déguisements très Grand Ole Opry, il ne tient pas une guitare mais une contrebasse, l’a une mine sympathique, l’arbore un sourire enjôleur, n’est pas tout jeune mais n’est pas non plus un vieux crouton rassis, le mec qui y croit encore. Et qui y croira encore pendant longtemps. L’autre face de l’attrait de la chute. Ceux qui refusent, qui continuent le combat. Pas des malgré nous, des malgré tout.

    *

    Eugene Chrysler, toujours en activité, a réalisé quatre disques, I saw the light… but itw as neon ( 1994 ),  Hillbilly Shakespeare ( 2006), That’s Right ! nous écouterons dans cette première chronique que nous lui consacrons le dernier qui date de 2017. Hillbilly Fun Park existe réellement, il est situé dans la banlieue de New York près de Fort Ann, rien de spécifiquement hillbilly, simplement un golf miniature, aux pelouses impeccables. L’autre grande activité proposée consiste à choisir votre glace parmi les cinquante parfums proposés…

    HILLBILLY FUN PARK

    EUGENE CHRYSLER

    ( Carclo Records / 2017 )

    Hillbilly Fun Park : étrange, sachant qu’Eugene Chrysler a débuté entre 1979 et 1981 j’ai pensé aux Stray Cats avant même d’écouter, dès les premières mesures résonnent les premières mesures de Stray Cat Strut, et une fois le morceau  lancé plus lointainement et plus justement de Sixteen Tons, le même rythme chaloupé qui marche sur du beurre mou, les chœurs masculins en écho, le baryton de Chrysler magnifiquement en place, surprenant un beau solo de saxophone qui emporte avec lui les feuilles mortes des souvenirs et le temps enfui, vous n’y pensez pas en l’écoutant mais à la dernière note, malgré le rythme entraînant vous avez reçu un beau coup de poing de nostalgie en pleine face. Darlin’ : le morceau chagrin d’amour type du country, la pédal steel guitar larmoie dans l’armoire et pédale dans la choucroute des dernières supplications, oui mais il y a ce chœurs de copains qui sont censés appuyer où ça fait mal et qui en catimini semblent dire une de perdue et dix de retrouvées, dans le premier morceau nous avions la fausse joie du souvenir et dans ce deuxième le faux chagrin des rôles convenus. Eugène conduit sa Chrysler d’une façon ambigüe, appuie sur le champignon et le frein en même temps. Dementia : l’en existe une vidéo-officielle en noir et blanc sur YT, rythme saccadé, l’on quitte le country au costume admirablement repassé avec pli au pantalon amidonné pour quelque chose d’autre, l’on ne sait pas trop quoi au juste, une espèce de générique de film ou plutôt une scène prise en direct, sifflements et voix qui enfle, la basse se taille une belle galopade, le sax agonise, la pédale hulule, assez démentiel. Broke on Bob Wills music : hommage au roi du western swing, une des racines du rock’n’roll, les amateurs de WS n’écouteront pas le reste de l’opus, resteront focalisés sur celui-ci, une voix qui coule sans défaut, une pedal-steel qui se prend pour un violon, la contrebasse qui remplace avantageusement la batterie, un piano tuyère et un sax qui s’en vient danser, tout est parfait, un seul défaut l’envie pressante d’aller écouter Bob Wills. Speed trap : du boulot pour le guitariste, vraisemblablement Bill Kirchen de Commander Cody, pas mal de taf aussi pour le vocaliste, pas question d’avaler les  mots, diction claire jusqu’au bout, course de vitesse des intrus qui klaxonnent à la manière des automobilistes excédés et imitent les sirènes de police, non la pedal n’est pas douce, on accélère encore, la guitare sursaute à la vitesse de la lumière, et la course infernale continue. Tout s’arrête sur un humouristique dernier pouët-pouët. I cannot forget : retour au calme, big mama de velours et voix de bronze mou à faire pleurer les cafetières, la contrebasse se transforme en surfin’ guitar, la pedal pleurniche dans tous les mouchoirs de la terre, la féminine voix de Cindy Cashdollar double par-dessous celle d’Eugene, si vous n’avez pas pleuré, personne ne bramera à votre enterrement. Vous ne le méritez pas.

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    Eugene’s boggie : le morceau de bravoure, Eugene est à la contrebasse, ce n’est pas Blue-jean Bop mais blue-jean boogie, c’est syncopé comme Rip it Up et les chœurs cartonnent au marteau-pilon, le sax fait sa saxrabande, et l’on repart de plus belle. Très rock’n’roll. Uh uh honey : au titre l’on attend un truc dévastateur, mais non l’on se retrouve dans ces bandes de Presley où l’orchestre trotte imperturbablement et c’est la voix du King qui démontre qu’il est le meilleur chanteur du monde, elle donne sa valeur et son originalité à tout ce qu’il touche du bout des lèvres comme s’il avait mieux à faire ailleurs. Belle réussite. I’ve been better : le mec qui joue à l’homme, style je ne me vante pas mais j’ai fait mieux, encore une fois l’influence de Presley est patente, l’instrumentation est nettement meilleure, le sax aboie dans son coin, guitare feu d’artifice, cependant tout repose sur la justesse de cette voix sans faille, souple et accrocheuse. One more One more : un peu jazzy, une voix un peu fatiguée, le sax qui soloïse par-derrière, le piano qui prend ses aises et éparpille ses notes, pulsation noire souterraine, maintenant Eugene chante comme Sinatra pendant que la contrebasse monte les escaliers. Cut me down : mi-Presley-mi-Johnny Cash-totalement Eugene Chrysler, l’est doué et original le zigue, un solo de guitare à briser les béquilles d’un paralytique, le sax  trompette et ronchonne, les musicos sont à la fête, le genre de morceau qui passe tout seul, une écoute très Southern Comfort, à la fin vous êtes saoul comme une barrique. Big bad habit : une chanson de mec pour les mecs, entraînante, le sax infini tire la langue toutes les trois secondes, Eugene s’amuse, des inflexions pleines de sous-entendus que tout le monde comprend, même les filles, ça pétille de joie et étincelle de plaisir, ah ces mauvaises habitudes dont on ne peut se défaire c’est le sel de la vie !  Mr 1-4-5 : un, deux, trois, c’est parti, sur la pointe des pieds, du rythme sans excès mais de temps en temps ça boppe et ça explose, et puis ça rocke et enfin ça marche doucement comme quand vous rentrez chez vous totalement saoul sans vouloir réveiller votre copine et surtout sans faire de bruit en ouvrant le bar pour finir la bouteille de whisky. It is what is it : revenons aux choses sérieuses, enfin presque, Eugene expose sa philosophie de la vie, un classique du style country, les choses sont ce qu’elles sont, pas la peine d’en faire un drame, contrebasse à fond les ballons, pedal-steel souriante voire frétillante, le sax  saute de joie, ainsi tourne le monde,  tant que la cruche de l’existence ne se casse pas, pourquoi s’en faire… Plate glass window : un peu  à la Johnny Cash mais un Cash souriant, un peu le même genre que les trois précédents, le gars n’est pas un born again, n’est pas prêt de changer sa manière de vivre, voix enlevée, instrus en place, très typé country, l’on aurait peut-être aimé un titre différent des trois précédents. Too much coffee : ça commence comme un blues à la gueule de bois, alors le guy prend un café pour se remettre, puis un autre, puis un autre, bref vous voyez le profil le rythme de son cœur s’accélère et celui du morceau aussi, un modèle genre morceau de bravoure, rien n’y fait le gars retourne à sa somnolence bleue, un peu dommage l’on aurait préféré pour finir qu’il devienne épileptique.

             Attention à ce CD, plus vous l’écoutez d’infimes nuances tant instrumentales que vocales apparaissent. Eugene Chrysler en a écrit tous les morceaux, à première écoute l’esprit peut en sembler uniforme, mais c’est comme les couleurs de l’automne, si vous vous contentez d’un regard un tantinet rapide leur éclat vous ravit, toutefois s’y mêle insidieusement un sentiment de tristesse qui finit par prédominer. Les teintes mordorées sont aussi mort dorée. Sans doute existe-t-il aux States plusieurs centaines de chanteurs comme Eugene Chrysler, parler de lui c’est aussi leur rendre un hommage à tous, mais il y a chez Eugene Chrysler une sensibilité d’artiste qui mérite le détour. Nous y reviendrons.

    Damie Chad.

     

     

    MAIS QUE FONT LES AMATEURS DE METAL

    QUAND ILS N’ECOUTENT PAS DU METAL ?

     

    Question extra-musicale en quelque sorte. Les coulisses de l’existence. L’envers de l’histoire contemporaine dixit Honoré de Balzac dans un superbe roman à qui il a donné ce titre.  Pour la petite histoire, cet ouvrage traite des menées ‘’complotistes’’ royalistes, en France durant la Révolution et l’Empire. Si l’on y réfléchit bien l’envers n’est pas très loin de l’endroit…

    Nous sommes tombés sur cette vidéo pas tout à fait par hasard puisqu’ elle s’inscrivait dans une recherche qui n’a pas plus à voir avec le rock’n’roll qu’avec toute autre sorte de musique. 

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    Sont deux, assis à une table, le deuxième attirera l’œil des fans de metal pour une raison évidente, il arbore un T-shirt de Motörhead, le premier est en tenue davantage négligée, en short, il fait chaud la scène se passe en été ( 2020 ), il ne porte pas de T-shirt revendiquant avec ostentation une appartenance à la tribu metallique, à sa dégaine l’on devine toutefois qu’il n’est pas habitué au port du queue de pie. (Moi non plus). Par contre durant sa conférence à plusieurs reprises il se définira comme un amateur de metal.

    Le seul  mot de conférence risque de faire peur. Avec raison. D’abord le sujet n’est pas particulièrement facile, soyons franc il est assez prise de tête. Une deuxième raison, Franck Helaine, même si ce qu’il expose démontre une grande maîtrise de son sujet n’est pas un conférencier professionnel, il manque un peu de pédagogie.  Le lieu octroyé par la municipalité, à l’extérieur devant les portes fermées d’une salle communale ne permet pas une bonne vision des documents présentés.

    Mais comment Franck Helaine en est-il venu à présenter une conférence. Parce que plusieurs années auparavant il s’est retrouvé durant ses vacances coincé durant trois semaines dans un village qui n’offrait guère de distractions. N’avait à sa disposition qu’un seul livre. Mal lui en a pris, il n’y a rien compris. Ne vous moquez pas, d’abord il apporte la preuve que les fans de metal savent lire, deuxièmement son bouquin n’était pas un thriller haletant que l’on dévore en une soirée. Depuis pratiquement deux siècles personne n’a jamais rien compris à ce satané bouquin. Nombreux furent ceux qui s’y sont cassés les dents. Je ne devrais pas employer cet adjectif puisqu’il a été rédigé par un abbé de la sainte Eglise Catholique.

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    Vous ne comprenez ni comment alors que la moitié des groupes de metal sont plutôt obnubilés par Lucifer et l’autre moitié par les mythologies païennes ni pourquoi un fan de Metal passe son temps à lire un livre écrit par un prêtre catholique. Je pourrais vous dire que les voies de Dieu sont impénétrables, mais ce serait une mauvaise réponse.

    C’est que ce raconte notre abbé est totalement insensé, voire carrément idiot : il démontre que toutes les langues celtiques dérivent de l’anglais moderne. Devant de telles assertions vous refermez le bouquin et vous posez un vinyle ( de metal ) sur votre platine. Oui, mais pensons qu’un de nos plus grands poëtes ( français) Oscar Venceslas de Lubicz-Milosz n’en a pas moins écrit Les origines ibériques de peuple juif. (Ceci sera ma contribution personnelle au sujet qui nous préoccupe.)

    Tout le monde a le droit de délirer dans son coin, rétorquerez-vous. Oui mais notre abbé pour parfaire sa démonstration utilise une autre langue : celle des oiseaux. La langue des oiseaux fonctionne à partir de n’importe quelle langue. Elle consiste à lire les mots ou des suites de mots non pas tels qu’ils sont écrits et lus normalement mais de les découper syllabiquement et phonétiquement comme un langage crypté : exemple je viens demain = je vis en deux mains, selon le contexte vous comprenez je vis une double vie, où que vous êtes en de bonnes mains, le message peut paraître aléatoire mais celui qui le code l’adresse à quelqu’un qui sait ou qui découvre ou qui devine que ce texte en apparence d’une grande limpidité possède un autre sens. Pour corser la difficulté dans ce satané, pardon sacré bouquin ce sont des mots anglais qui doivent être décrypté selon une phonétique française. Comme quoi les voies du Seigneur peuvent être difficilement pénétrables… Les linguistes comprendront que la langue des oiseaux fonctionne à la manière des idéogrammes chinois, mais les idéogrammes sont cachés et c’est au lecteur de les trouver, voire de les créer. Ce qui ouvre à de multiples possibilités et aussi à de multiples interprétations, voire d’erreurs…

    Le livre de l’Abbé Boudet : La vraie langue celtique et le Cromlech de Rennes-Le-Bain est longtemps resté rétif à toute interprétation.  Franck Helaine ne l’a pas déchiffré en entier, loin de là, mais il a trouvé une clef qui fonctionne pour la première page, et qui permet d’en entrouvrir bien d’autres dans le reste de l’ouvrage. Il ne cache pas qu’il est conscient de l’immense tâche qui attend les chercheurs. Il lui a fallu presque dix ans pour arriver à un résultat significatif. Entendre qui puisse être objectivement vérifié. L’a su faire preuve d’une grande patience, et d’une grande agilité intellectuelle – l’aide d’un ordinateur ne suffit pas, il faut d’abord établir le principe de codage du décryptage. L’a redoré le blason des fans de metal ! Qui entre nous soit dit n’en n’’avait pas besoin. Le metal est vraisemblablement le genre issu du rock ‘n’roll qui fasse appel à l’imaginaire culturel le plus large.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 18 ( Abdelâtif  ) :

    89

    J’ai passé une mauvaise nuit. La sentence du Chef tournait dans ma tête, autant je sentais confusément qu’elle résumait parfaitement la situation, autant je ne voyais pas en quoi. Après l’avoir prononcé le Chef s’était muré en un silence aussi épais que la fumée dégagée par vingt-mille Coronados dans une pièce exigüe. D’ailleurs lorsque j’ouvris la porte du local je compris que je n’exagérai pas, le bureau était invisible noyé dans un brouillard coronadorien des plus épais, si je n’avais pas eu Molossa et Molossito, chacun accroché à une des jambes de mon pantalon pour me guider je crois que j’aurais mis plus de trois-quarts d’heures avant de trouver une chaise pour m’asseoir face à l’ombre fantomatique du Chef.

    • Heureux de vous revoir enfin agent Chad, j’avais justement besoin de vous poser une question importante pour tester vos connaissances culturelles.
    • Chef, je peux déjà vous dire que Marcel Proust est né en 1871 et mort en 1922 !
    • Agent Chad, soyons sérieux, vous êtes-vous déjà promené dans un cimetière musulman ?
    • Ce n’est pas tout à fait le genre d’endroit que je choisis pour mes promenades, même Rousseau, ne raconte jamais dans ses Promenades d’un promeneur solitaire qu’il visitait ce genre d’entrepôt funéraire, je…
    • Agent Chad, arrêtez de sortir votre culture wilkipedia à chacune de vos réparties ! Dites-moi plutôt pourquoi d’après vous sur les tombes des musulmans l’on trouve souvent un bol rempli d’eau ?
    • Ah, une question blague à Carambar ? c’est facile Chef, une ancienne habitude qui vient du désert, le passant assoiffé qui buvait dans le récipient donnait ainsi au défunt l’occasion de réaliser grâce à son entremise une bonne action qui était portée à son crédit, une espèce de bon point ce qui pouvait lui permettre de gagner le paradis. Les théologiens jugent que cette coutume relève de la pure superstition…
    • Agent Chad, je ne vous ai pas demandé un cours de théologie musulmane, cela ne vous dit rien ?
    • Chef rien du tout, je ne vois pas où vous voulez en venir !
    • Agent Chad, nul n’est parfait, moi-même aussi, figurez-vous qu’en relisant cette nuit toutes les notes que j’ai accumulées sur l’affaire qui nous préoccupe, j’ai trouvé une faute d’orthographe, le genre d’horreur à pousser au suicide mon institutrice de CM1, tenez, essayez de la trouver sur cette page ! Lisez !
    • Oh ! Oh ! Chef, votre institutrice vous aurait pardonné, les noms propres n’ont pas d’orthographe ! Juste un T oublié à la fin de Lamart, rien à voir avec une faute sur les participes passés des verbes pronominaux, je…
    • Agent Chad, je ne parle pas de l’absence de ce malheureux T, une simple étourderie due à la fatigue, non c’est beaucoup plus grave, relisez s’il vous plaît, votre honneur est en jeu et la suite de notre enquête aussi !

    Piqué au vif, concentré au maximum, j’ai relu avec attention le feuillet que m’avait tendu le Chef, j’avais beau me réciter à chaque mot les règles orthographiques d’accord ou d’usage, je dus m’avouer vaincu.

    • A part ce malheureux T à Lamart, Chef je peux vous certifier que cette feuille ne contient aucune faute d’orthographe !
    • Agent Chad, c’est normal que vous ne la repériez pas, dans vos propres notes que je me suis permis de relire, vous commettez exactement la même, à part que moi cette nuit elle m’a sauté aux yeux, j’étais en train d’allumer un Coronado, lorsque l’erreur m’est apparue dans toute son évidence, c’est pour cela que je me suis permis de vous demander pourquoi l’on trouve un récipient rempli d’eau sur certaines tombes musulmane !

    Je poussai un rugissement qu’un tigre de Tasmanie aurait facilement pris pour celui d’un mâle alpha de son espèce.

    • Bon Dieu ! (en réalité je criai Bordel ! mais il ne faut pas donner de mauvaises manières à nos jeunes lecteurs ) ça crève les yeux !

    89 Bis

    Note de l’éditeur : nous sommes certains que les lecteurs de cet ouvrage auront compris beaucoup plus rapidement que ce malheureux Agent Chad l’éblouissante démonstration du Chef. Evidemment les mots récipient d’eau sur les tombes, sont une allusion à Martin Sureau ( eau sur = Sureau ), quant à la faute commune au Chef et à l’agent Chad, nous devons la chercher sur Lamart, ce n’est pas Lamart qu’il faut lire mais Lamort. Nous donnons cette explication à toute fin utile pour les lecteurs pressés qui auraient omis de lire les 88 chapitres précédents.

    90

    Imperturbable le Chef fumait un Coronado. Quant à moi je roulais comme un fou, brûlant les feux rouges, et prenais les sens interdits à grande vitesse.

               _ Voyez-vous Agent Chad, nous faisions fausse route depuis le début, nous avions cru que Lamart et Sureau étaient de véritables journalistes, des supers pointures toujours les premiers arrivés sur tous les coups. Mais hier, ils étaient sur place, à l’intérieur du carambolage, avant nous en quelque sorte, ils s’en sortis vivants, indemnes sans même une bosse sur leur carrosserie pourquoi : parce qu’ils étaient protégés par la Mort, comment ont-ils pu être au courant de l’accident que nous allions provoquer, parce qu’il y allait avoir des morts, donc la Mort l’a pressenti, elle les a prévenus à l’avance… ces deux lascars sont des émissaires stipendiés de notre Dame la Mort, elle les envoie dès que les vivants s’intéressent un peu trop à Elle. Or comme vous lui aviez jeté un défi, elle essaie de nous mettre les bâtons dans les roues en nous les envoyant dans les pattes, c’est par eux qu’elle connaît ce que nous projetons de faire. Une petite entrevue avec ces paltoquets s’impose, c’est l’heure du bouclage, nous les trouverons sans peine dans leur bureau.

    91

    Le hall du Parisien Libéré était empli de monde. Dans une heure l’édition partait pour les rotatives. Des gens affairés couraient de tous les côtés. Personne ne faisait attention à nous, Molossa et Molossito se mirent à aboyer, la demoiselle de l’accueil les entendit et nous fit signe de la rejoindre dans sa cage vitrée :

              _ Je vous en prie messieurs faites taire vos chiens, oh, comme ils sont agréables, ô celui-ci vient de sauter sur mes genoux, qu’il est mignon ! Comment s’appelle-t-il ?

               _ Molossito ! – je pris mon sourire N° 4, surnommé le Ravageur – et vous mademoiselle auriez-vous la bonté de me faire part de votre prénom, je suis sûr qu’il doit être charmant !

             _ Alice ! – je dus rougir car elle ajouta – oh, je vois qu’il produit un certain effet sur vous, que puis-je pour vous ?

              _ Nous voudrions parler à Messieurs Lamart et Sureau !

              _ Impossible Messieurs, nous n’avons pas le droit de les déranger à cette heure-ci.

               _ Alice tentez un coup de fil, c’est urgent, dites que c’est de la part du Service Secret du Rock’n’Roll

    • J’adore le rock’n’roll, vous m’emmèneriez danser un de ces soirs ?
    • L’agent Chad – c’était la voix du Chef - se chargera de cette délicate mission, mais s’il vous plaît c’est urgent !

    L’on ne discute pas une intervention du Chef, Alice décrocha son téléphone échangea quelques mots puis se tournant vers nous.

              _ Vous devez être des gens importants, ils vous attendent dans leur bureau. C’est un peu compliqué je vous accompagne.

    Nous la suivîmes, empruntant force couloirs et escaliers. Elle s’arrêta devant une porte.

             _ Attendez quelques secondes, je vais vous annoncer, apparemment vous êtes des visiteurs de marque !

             _ Alice !

             _ Oui, euh, Agent Chad,

             _ Just call me Damie !

             _ Oui, Damie !

             _ Si vous êtes libre cette soirée peut-être pourrions-nous danser un peu de rock’n’roll ?

             _ Avec plaisir, je vous introduis tout de suite, je reviens vous chercher dans trente secondes ;

    Vive et légère elle disparut derrière la porte qu’elle referma derrière elle, nous n’eûmes pas attendre, un cri horrible retentit…

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 586 : KR'TNT 586 : JOHNNY POWERS / MICKEY STEVENSON / JEFF BECK / LLEWYN DAVIS / STOWALL SISTERS / TEENAGE ROCKABILLY ALCOHOLICS / BORDER CABALLERO / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 586

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    02 / 02 / 2023

    JOHNNY POWERS / MICKEY STEVENSON

    JEFF BECK / LLEWYN DAVIS / STOWALL SISTERS

    TEENAGE ROCKABILLY ALCOHOLICS

    BORDER CABALLERO / THE GREAT FORM   ROCKAMBOLESQUES

    Sur ce site : livraisons 318 – 586

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    Powers to the people

     

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             Johnny Powers, l’un des derniers géants de la première vague d’assaut, ceux qu’on appelait autrefois les pionniers, vient de casser sa vieille pipe en bois. Il reste, avec Charlie Feathers, L’Elvis période Sun, le Gene Vincent des sessions de Nashville pour Capitol, Johnny Burnette et une poignée d’autres, le wild cat du rockab par excellence. L’expression ‘rockab sauvage’ fut très certainement inventée pour lui. Son «Long Blond Hair Red Rose Lips» t’envoie aussi vite au tapis que «One Hand Loose». Pour saluer sa mémoire, nous mettons en ligne un conte tiré du volume II des Cent Contes Rock à paraître.

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             À l’aube des années cinquante, Detroit est la capitale de la construction automobile, la ville ouvrière par excellence. Elle attire toutes les familles pauvres, principalement celles du delta. Les noirs trouvent facilement du travail dans les usines de montage. Ils découvrent qu’on peut vivre dignement et toucher un salaire relativement décent. 

             Le petit blanc John Pavlik n’éprouve aucune attirance pour le chaos des chaînes de montage. Pour deux dollars, il rachète une guitare à un copain d’école et apprend à jouer quelques accords. Il intègre un groupe de country qui se produit dans les mariages et les bals locaux. Mais la country l’ennuie un peu. Un jour, il entend à la radio Jack Scott et un Elvis encore alors peu connu. Boom ! Vocation !  

             Jack et Devora Brown créent Fortune Records en 1946. Ce sont d’authentiques pionniers. Grâce à sa formation de pianiste classique, Devora peut détecter les talents. Elle repère Nolan Strong et les Diablos, un quintette noir de doo-wop et le lance. Impressionné par le flair de son épouse, Jack suit le mouvement. Pour une somme modique, les musiciens en majeure partie noirs peuvent enregistrer un disque et si un morceau accroche l’oreille de Devora, il sort sur Fortune Records. Les époux Brown sont ouverts à tous les styles : blues, doo-wop, gospel, hillbilly et même polka. Devora découvre aussi Andre Williams, dont elle apprécie la bonne humeur et l’immense talent, à la fois de compositeur et d’interprète. C’est avec Nathaniel Mayer et «Village Of Love» que Fortune Records connaîtra son plus gros succès. Andre Williams deviendra un peu plus tard le Black Godfather de la scène garage de Detroit et Nolan Strong sera la principale source d’inspiration des Temptations et de Smokey Robinson, futures stars de Motown.        

             Fin 56, Jack et Devora s’installent sur Third Avenue, dans un petit cube de béton. Ils séparent le cube en deux. Ils installent la boutique Fortune Records dans la moitié donnant sur l’avenue, et un studio rudimentaire à l’arrière. Le principe est simple : on enregistre dans le studio et on vend les disques dans la boutique, directement du producteur au consommateur. Fortune Records devient une véritable usine à hits. Leur production présente une particularité : un son cru, presque primitif, qui sera leur marque de fabrique et qui fera entrer les disques Fortune dans la légende. Les spécialistes du Detroit Sound ne jureront plus que par Fortune Records, Cub Koda en tête. 

             Grâce au bouche à oreille, le jeune John découvre l’existence de la boutique Fortune. Accompagné de Russ Williams et de Marvin Maynard, il s’y rend. 

              — Bonjour m’dame ! Mes amis et moi souhaiterions enr’gistrer un disk...

              Devora sort une fiche d’un tiroir et prend quelques renseignements : nom du groupe, style de musique, titres des deux morceaux, etc. John règle les cent bucks que coûte la séance d’enregistrement.

              — Vous avez de la chance, jeunes gens, le studio est libre. Vous pouvez vous installer. Je vous rejoins, le temps que mon mari prenne ma place.

             John et ses amis pénètrent dans l’autre pièce. Ils découvrent un sol en terre battue. Devora arrive et suspend deux micros, l’un au porte-manteau et l’autre au plafonnier. Elle passe ensuite dans un petit recoin vitré et s’assoit derrière une table où est posé un minuscule magnétophone.

              — Quand vous voulez, jeunes gens... Quel morceau allez-vous jouer en premier ?

              — Honey Let’s Go (to a rock’n’roll show) !

              — Honey Let’s Go (to a rock’n’roll show) take one !

             Le trio se lance dans l’interprétation d’un rock classique bien rythmé. John secoue sa banane et force sa voix pour sonner comme un dur. Devora trouve que ça manque un peu de substance. Elle fait venir les Diablos pour qu’ils musclent le son en claquant des mains et en chantant des chœurs de doo-wop. La séance s’achève. Sentant que le jeune John en veut, Devora lui accorde encore un moment :

              — Jeune homme, vous pouvez beaucoup mieux faire. Travaillez votre diction et mettez plus d’entrain dans votre prestation. Soyez plus féroce... Tâchez aussi de composer un hit, je sens que vous en avez la capacité.

              — Et l’enr’gistrement ?

              — Soyez sans crainte. Ça me plaît. Par conséquent, je le publie. Le disque sera dans la vitrine la semaine prochaine. Tous vos amis pourront venir se le procurer ici...

              — Merci m’dame !

              — Ah, jeune homme, encore autre chose... Changez de nom ! Pavlik, ça ne marchera jamais...

             John rentre chez lui avec un nouveau nom, Johnny Powers, cadeau de Devora. Il applique ses conseils à la lettre, écrit des chansons, travaille sa voix du matin au soir et recrute un guitariste nommé Stan Getz pour muscler le son de son groupe. Il casse sa tirelire pour se payer un blazer blanc et un pantalon mauve. Il peint «Johnny» sur le tablier de son acou et s’assure en se plantant devant le miroir que tout est en ordre.

             Johnny et son groupe décrochent des engagements dans quelques clubs de la région. Leur réputation de wild rockers grossit de semaine en semaine. Johnny a tellement travaillé sa voix qu’il peut imiter Elvis et hoqueter comme Gene Vincent. Il ne supporte pas les jours de relâche : il tourne en rond comme un ours en cage.

              — Calme-toi, Johnny... Ça nous fait du bien d’souffler un peu... Et puis, y faut qu’tu reposes ta voix... Si tu continues comme ça, tu vas sonner comme Ray Charles...

             Les autres rigolent comme des bossus.

              — Fuck le repos ! Faut qu’on fasse péter l’rockabbb ! J’ai une idée ! On va démonter le toit d’la bbbagnole et on va aller jouer au drive-in tous les quat’ ! Clark, tu prends ta caisse claire, Stan, tu bbbranch’ras l’ampli sur la bbbatterie et toi, Marvin, t’auras toute la bbbanquette arrière pour slapper ta bbbopping stand-up ! On mettra une bbbonne planche en-d’ssous pour que tu crèves pas la banquette !

             Ils filent au drive-in du coin et se garent sous l’écran. Ils attendent la fin de la séance et se lèvent. Clark envoie un roulement sur sa caisse claire et Johnny démarre un rockab endiablé. Tous les phares s’allument. Aveuglé, le quatuor met le turbo. Tous les garçons et les filles descendent de leurs voitures pour venir danser autour de celle de Johnny. Le patron du drive-in accourt :

              — Arrêtez-moi c’bordel tout d’suite ou j’appelle les flics !

             Johnny et ses amis se rassoient.

              — Bon, c’est foutu, les gars. On s’casse...

             Johnny met le contact et roule au pas jusqu’à la sortie. Il regagne l’avenue et jette un coup d’œil dans le rétro.

              — Putain ! Y nous suivent tous !

             Les trois autres se retournent et découvrent un spectacle hallucinant : tout le public du drive-in les suit en faisant des appels de phares. Johnny se gare dans un parking et le groupe se remet en place, debout sur les banquettes. C’est de la folie. Ils sont des centaines de couples à danser le rock’n’roll autour de la bagnole. Le lendemain soir, Johnny se gare sous le même écran et le groupe attaque un cut, avant même que la séance de projection n’ait commencé. Le patron accourt avec ses chiens. Johnny démarre et le drive-in se vide aussitôt. Grosse crise de rigolade. Ce petit jeu les amuse tellement qu’ils font la tournée des drive-in. Chaque fois, c’est le même scénario : l’ordre de déguerpir et le parking qui se vide.

             Gonflé à bloc, Johnny retourne en studio, cette fois chez Fox, pour enregistrer «Long Blond Hair Rose Red Lips», un rockab fulgurant qu’il vient se pondre :

              — Ouais j’t’aime babbby, j’aim’ ton style... Quand tu danses le bbbop, tu m’rends bbbarjot... J’t’aimais, mais j’t’aimerai deux fois plus... Bbbelle poupée bbblonde t’es bbbougrement bbbelle !

             Johnny fait littéralement bopper ses syllabes. Il va encore plus loin que Johnny Burnette, le roi des wild cats.

              — Ouais grandes mèches bbblondes, grosses lèv’ rouges... Quand tu danses le bbbop, mon cœur bbbat... J’t’aime tant, j’peux pas t’lâcher... Bbbelle poupée bbblonde j’t’aime comme un fou !

             Johnny secoue sa banane. Doublé par un hot slap, il fait swinguer ses syllabes avec une hargne de délinquant prêt à tout pour choquer le bourgeois. En l’espace de deux minutes, Johnny devient l’un des rois du rockab. Long Blond Hair déchaînera l’hystérie pendant plusieurs décennies. 

             Harold Douglas fait ses comptes. Il frôle la faillite. Les caisses de son drive-in sont vides.

              — Ah les sales mômes ! Va falloir sévir...

             Johnny et ses amis poursuivent leurs tournées sauvages. Ils rencontrent d’autant plus de succès que Long Blond Hair vient de sortir chez les disquaires de Detroit. Les gosses se l’arrachent. Une sorte de frénésie s’empare de la jeunesse locale. Garés devant l’entrée des drive-in, les gosses guettent l’arrivée de la Cadillac de Johnny. Lorsqu’il apparaît au bout de l’avenue, un concert de klaxons salue son arrivée. Johnny roule au pas, saluant ses admirateurs et un cortège se forme. Des centaines de voitures roulent jusqu’à un immense terrain vague et Johnny joue quelques chansons avant de repartir cueillir une autre troupe d’admirateurs pour l’emmener à l’autre bout de la ville. 

             Harold Douglas se mêle au cortège. Il va de terrain vague en terrain vague et suit le manège jusqu’au bout. Il file Johnny à travers les rues de Detroit et le voit déposer ses amis un à un, puis prendre la route d’Utica, au Nord de Detroit. Douglas éteint ses phares et se gare derrière la voiture de Johnny.

             Lorsqu’il retrouve ses amis le lendemain, Johnny porte des lunettes noires.

              — Hey Johnny, tu t’prépares pour Las Vegas ?

             Il enlève ses lunettes.

              — Oh Putain, les cocards ! C’est qui la brute qui t’a fait ça, Johnny ? Dis-nous son nom, on va aller lui démonter la gueule !

              — Du calme, les amis... J’sais pas son nom... Y m’a juste dit que si je rev’nais faire le con au drive-in, y m’couperait les roubignolles pour les faire mariner dans d’l’eau d’vie...

              — Te plains pas ! Tu pourras aller chanter à l’opéra !

             Tout le monde rigole, sauf Johnny.

              — Vous vous croyez drôles, bbbbande de bbbibards ? J’ai gambergé. On va s’organiser. On va bbboycoter tous leurs bbbouclards et y viendront nous lécher les bopping-bbbottes !

             Johnny met son plan en route. Pendant plusieurs semaines, le quatuor et ses hordes d’admirateurs se retrouvent sur des terrains vagues, à la périphérie de la ville. Plus aucun gosse ne va passer la soirée au drive-in. Toute la jeunesse de Detroit vient chanter Long Blond Hair en chœur avec son idole Johnny Powers. À la fin du set, Johnny donne le signal de la dispersion et il rentre chez lui, escorté d’une cinquantaine de voitures bourrées de fans armés de battes de base-ball.

             Harold Douglas, comme d’ailleurs tous les autres tenanciers, va se plaindre aux autorités. Les flics leur servent chaque fois le même refrain : tant qu’ils sont en compagnie de Johnny Powers, les jeunes ne font pas de conneries. Depuis quelques mois, le taux de délinquance a chuté à Detroit, ville réputée difficile.

             Les banques commencent à voir rouge. Harold Douglas reçoit une convocation. Le chargé d’affaires de la Banque du Michigan le somme de rembourser ses traites au plus tôt. Il agite la menace d’une saisie de ses biens personnels.

              — Vous avez deux semaines pour vous mettre à jour.

             Douglas réunit ses collègues dans un bar. Ils étudient toutes les solutions. Les plus pacifiques prônent la reconversion dans le camping ou les activités sportives. Les plus excités prônent le kidnapping, voire l’enrôlement d’un tueur à gages. Harold Douglas s’emporte. Il clame qu’il s’est endetté jusqu’au cou pour l’achat de son terrain, et il ne veut pas qu’une petite fiotte ruine les efforts de toute une vie de travail acharné. Il décide avec deux autres collègues aussi enragés que lui de prendre les choses en main.

              — Vous verrez, bande de lâches, d’ici une semaine, vous r’trouverez toute vot’ clientèle et vous viendrez m’serrer la pogne !

             Les trois hommes localisent rapidement l’endroit où se tient la fête improvisée. Allongés au sommet d’une petite crête, ils observent la foule à la jumelle.

              — Putain, Harold, ils sont des milliers ! Que veux-tu qu’on fasse ?

              — On va s’déguiser en tennyboppers et s’rapprocher d’l’orchestre...

              — Mais Harold, t’as plus un poil sur le caillou ! Comment tu veux jouer les tennyboppers avec la tronche que t’as ?

              — Les perruques, c’est pas fait pour les chiens, connard !

              — Et puis une fois qu’on s’ra là, qui qu’on fait ?

              — Shit ! T’as raison, j’avais pas pensé à ça... C’est vrai que pour l’kidnapper, on va avoir du mal... Le plus simple c’est d’le buter... J’ai un flingot dans la boîte à gants !

              — Mais t’es cinglé ! Tu crois que les mômes y t’laisseront partir comme ça ?

              — On jouera sur l’effet d’surprise... Vifs comme l’éclair ! Vous avez d’jà vu ça, dans les films de guerre, non ?

              — Harold, c’est n’importe quoi... Il faut repasser à travers des milliers d’bagnoles... C’est bien plus compliqué que d’traverser des barbelés ! Même si on court sur les toits, c’est impossible... Et puis, tu sais bien que tous les kids de Detroit sont armés et qu’y zont la gâchette facile... J’ai pas envie d’me retrouver troué comme une passoire...

              — Putain, vous commencez à m’courir sur l’haricot, tous les deux. Y faut que j’paye les traites la semaine prochaine, sinon, y m’sucrent la baraque ! C’est toujours moi qu’amène les idées, et vous, pauvres tartignolles, vous êtes là en train de m’critiquer ! Tirez-vous, j’vais m’débrouiller tout seul !

              — Pfffff... Tu vois bien qu’on n’peut rien faire... J’ai une idée, mais je sens qu’elle va pas t’plaire...

              — Si c’est une idée à la con, tu peux t’la carrer où j’pense !

              — Non, c’est une idée qui nous coût’ra rien et qui peut remplir les drive-in...

              — Alors vas-y, si elle coût’ rien...

              — Harold, il suffit simplement qu’on construise une scène sous l’écran géant et qu’on invite Johnny Powers à venir jouer juste après les projos... Il est balèze, ce petit Johnny, tu vois pas qu’c’est une star ? Les gosses vont revenir au drive-in et Johnny sera content... Ton banquier aussi. Tu vas même te faire des couilles en or !

              — Ha ha ha vous me faîtes marrer les gars... Vous m’avez bien r’gardé ? Vous croyez vraiment que j’vais baisser mon calbut et m’faire enfiler par Johnny Powers ? Ha ha ha !

             Au loin, Long Blond Hair résonne dans la chaleur de la nuit, repris en chœur par des milliers et des milliers de voix adolescentes. 

    Signé : Cazengler, Johnny Pomme de terre

    Johnny Powers. Disparu le 16 janvier 2023

     

     

    Mickey mousse

     

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             Avec Smokey Robinson, Norman Whitfield et Holland/Dozier/Holland, Mickey Stevenson est l’un des personnages clés de la saga Motown. Il n’est pourtant pas le plus connu. La publication (à compte d’auteur) de son autobiographie répare cette injustice et remet les pendules à l’heure. Pour le situer, Mickey Stevenson est le premier A&R de Motown, en charge des artistes et du répertoire, c’est-à-dire le pape aussitôt après le pape Berry Gordy. L’avenir artistique du label repose sur les épaules de l’A&R. On connaît la suite de l’histoire.

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             En complément des mémoires de Brian & Eddie Holland et de celles de Lamont Dozier, cette autobio apporte des éclairages précieux sur les racines de Motown. La page de garde nous indique que le book est tiré des pages manuscrites de Mickey. Il écrit avec un style très particulier, comme s’il parlait, dans un langage de la rue. Quand il évoque Smokey Robinson, il écrit «my brother from another mother». Pour évoquer la fin des haricots, c’est-à-dire la fin de sa carrière chez Motown, il utilise une formule fabuleuse : «Let’s see if I can lay this out for you without getting too emotional». C’est ainsi qu’il introduit l’épisode le plus pénible de sa carrière, lorsque Berry Gordy lui annonce qu’il lui retire le job d’A&R pour le confier à Brian Holland qui menace de quitter Motown. Gordy ne veut pas perdre sa poule aux œufs d’or : HDH. Mickey a aussi une façon très streetwise de raconter les embrouilles, comme par exemple cet épisode : il organise un concert pour sa femme Kim Weston à Detroit dans un club tenu par des mecs qui, selon son expression, n’étaient pas the cleanest guys in town, you know what I mean ? Comme le jeune pianiste est amoureux de Kim Weston et qu’elle n’est pas libre, il s’est enfermé dans une bagnole garée devant le club et s’est mis un gun sur la tempe. Il veut Kim, mais c’est compliqué, parce qu’elle est la poule de Mickey. Alors les mecs du club disent à Mickey de régler le problème vite fait, l’un d’eux dit «I don’t want the cops coming down on me, man, parce que s’ils me tombent dessus, on va devoir te tomber dessus. You see what I’m saying ?». Mickey utilise beaucoup cette tournure interro-insistante pour être sûr que tout le monde a bien pigé. He meant that my ass was on the line. En français, il dirait qu’il avait chaud au cul. Et avant d’aller régler le problème, Mickey ajoute : «I acted real calm.» La solution qu’il va trouver est toute simple : il laisse Kim Weston aller se jeter dans les bras du pianiste. Une de perdue, dix de retrouvées.

             Oui, Mickey s’exprime comme un voyou, mais il est l’A&R de l’un des labels les plus mythiques d’Amérique. On se croirait parfois dans un film de Scorsese, lorsque les dialogues sont taillés à la serpe et que les vies ne tiennent plus qu’à un fil. Du coup, ce ton donne au book un caractère unique, une dynamique d’histoire orale. Mickey Stevenson n’en finit de rappeler qu’il vient de la rue et qu’il aime les femmes, toutes les femmes. Cet homme est une force de la nature. Il suffit de le voir en une et en quatre de couve : il vieillit merveilleusement bien. Comme Denzel Washington dans le rôle d’un vieux gangster.

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             Il commence par donner sa recette magique, les cinq qualités qui l’ont aidé à devenir Mickey Stevenson : «1, capacité ; 2, savoir composer ; 3, le charisme ; 4, la concentration ; 5, tout faire pour rester le meilleur. Avec trois de ces qualités, vous devenez une star. Avec quatre ou plus, une superstar.» Il rappelle dans la foulée qu’il existe déjà une tonne d’ouvrages bien documentés sur Motown, dont un paquet de big autobios (Berry Gordy, Gladys Knight, Raynoma Gordy, Otis Williams, Mary Wilson, Smokey Robinson). Dans ses early days, Mickey voit Andre Williams sur scène et lui rend un sacré hommage. Il commence alors à traîner dans les clubs de Detroit, où tous les gens «are poppin’ their fingers and shakin’ their ass», comme dans l’«Around And Around» de Chucky Chuckah.

             Mickey indique aussi que la condition sociale des blacks qui bossent dans les usines de montage automobile n’est pas rose. Les blacks nous dit-il sont nettement moins bien payés que les blancs et pas question d’espérer ni promo ni augmentation de salaire - Si tu te plains, soit t’es viré, soit on te casse les deux jambes - Alors les blacks n’en parlaient pas trop, «ils faisaient avec, «vivant parqués comme du bétail dans des taudis appartenant à des blancs». Mickey promène un regard extrêmement critique sur le Detroit des années 50, époque de la grande migration. Les blacks quittaient le Deep South dans l’espoir d’une vie meilleure, mais en vérité, elle ne l’était pas vraiment.

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             Et la musique ? Mickey dit qu’il y a pris goût en tétant le lait de sa mère, Kitty ‘Brown Gal’ Stevenson, une chanteuse/compositeuse. Elle adorait monter sur scène à Harlem. Après son retour de l’armée, Mickey fait exactement comme Andre Williams : il refuse d’aller bosser à l’usine et choisit la rue, c’est-à-dire le jeu, les filles, gambling, whatever. Il rencontre Berry Gordy chez un coiffeur. Gordy a entendu parler de Mickey, il sait qu’il compose, et lui dit qu’à son retour de Chicago, où il doit retrouver Jackie Wilson, il lui proposera un rendez-vous. Ce qui nous conduit à la grande scène mythique du book. Mickey arrive chez Gordy qui le reçoit en sous-vêtements (stripped boxer shorts and a T-shirt). Gordy lui demande de lui présenter ses chansons. Comme ça ? Oui comme ça. Alors Mickey chante a capella. Berry lui dit qu’il a de bonnes chansons, mais que sa voix ne va pas. Mickey sent sa voilure tomber - All the wind went outta my sails - Il demande à Gordy de lui expliquer ce que ça veut dire. Alors Gordy se marre : «What I’m saying is - your voice is for shit!». Mickey croit que c’est cuit aux patates. Pas du tout ! Gordy lui propose le job d’A&R dans le label qu’il est en train de monter. On est à la racine de Motown. Comme Mickey ne comprend pas bien ce qu’est l’A&R, Gordy lui explique : «Artists and Repertoire. Votre responsabilité consiste à rassembler les artistes, les compositeurs, les producteurs et les musiciens adéquats pour fabriquer des hits. C’est ce que nous allons faire. Alors vous sentez-vous à la hauteur ?». Mickey dit okay. Et Gordy lui dit : «You’re the man.» Mickey lui demande combien il est payé. Alors Gordy lui explique le système compliqué des royalties. Mickey n’y pige rien, et il redemande combien il est payé par semaine. Gordy lui dit qu’il démarre à 25 $ par semaine et qu’il est libre le samedi et le dimanche. Mickey éclate de rire : «5 $ par jour ? Vous rigolez ?». Gordy rigole encore plus fort et ajoute : «Et tout le chili que vous pourrez avaler. Vous allez adorer le chili.» Et là Gordy commence à s’habiller.

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             Oui car dans la baraque de Gordy achète au 2648 West Grand Boulevard, et qui va devenir Hitsville USA, tout le monde mange à la cantine et c’est Raynoma, la femme de Gordy à l’époque, qui cuisine le chili. Gordy a pensé à tout, il a transformé le garage en studio, le fameux snakepit, la salle à manger en control room, le salon en salle d’accueil, et chaque autre pièce en salle de répète avec un piano et un magnéto. Aux yeux de Mickey et des autres pionniers du label, Berry Gordy poursuivait une sorte de quête. Chacun des pionniers appréciait son charisme, et son enthousiasme était contagieux. Il poursuivait un rêve - And soon it became our dream as well - Même esprit de famille qu’à Memphis, chez Stax. La seule différence est qu’à Detroit, chez Motown, il n’y a pas de blancs.

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             L’un des premiers grands artistes que signe Gordy est Marv Johnson. Mickey et Marv ne s’entendent pas très bien, c’est le moins qu’on puisse dire. Animosité réciproque - His ego was bigger than his ass - Mickey n’aime pas le voir «traîner dans sa big black Caddy with his silk suits on, smoking weed and talkin’ shit to the girls», alors que tout le monde l’attend en studio. Comme il était en charge de la musique, du studio et des musicien, Mickey n’admettait pas que certains déconnent avec ça - Including Mister Marv Johnson - Autre portrait fabuleux : celui de Martha Reeves qui entre un jour dans son bureau. Elle tape l’incruste. Elle veut absolument décrocher un contrat. Mickey n’arrive pas à la calmer. Il est soudain appelé dans le bureau de Gordy et à son retour, il trouve Martha assise à son bureau en train de prendre des messages. Il lui propose alors un job de secrétaire histoire de la calmer, mais Martha préférerait un job d’assistante. Mickey lui demande de ne pas trop pousser le bouchon. Mickey, Marvin Gaye et Ivy Jo Hunter viennent tout juste de composer une chanson pour Kim Weston, mais sa voix ne va pas. Martha qui est dans la pièce propose alors de la chanter. Boom ! «Dancing In The Street» ! Elle devient aussitôt une star. On connaît la suite de l’histoire. Évidemment, Kim Weston va mal le prendre. Mais bon, Motown a l’un des premiers hits internationaux. 

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             Mickey consacre aussi de grandes et belles pages aux Funk Brothers. Il les présente un par un, il faut aussi lire ce book pour ça, pour l’extrême qualité des hommages qu’il rend à des gens comme Benny Benjamin (never missed a beat), James Jamerson (rongé par l’amertume, car jamais crédité pour les milliers de hits sur lesquels il a joué), Earl Van Dyke, Eddie Bongo Brown (you could even smell the funk) et tous les autres. C’est Mickey qui nomme Earl Van Dyle bandleader à la place d’Ivy Jo Hunter qui ne le prend pas trop mal, puisqu’il reste dans les parages. Et puis les deux batteurs, arrivés après Benny Benjamin : Uriel Jones et Richard Pistol Allen, qu’on voit à l’œuvre dans le film culte Standing In The Shadow Of Motown.

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             Fabuleux portrait encore de Marvin Gaye, Soul mate que Mickey pense avoir croisé dans une vie antérieure. Alors que Mickey en bave avec les jeunes artistes, les garçons mais surtout les filles, Marvin est, comme il dit, une bouffée d’air frais. Avant d’être le chanteur que l’on sait, Mickey rappelle que Marvin est un fantastique batteur. Il épouse l’une des sœurs Gordy, Anna, et se voit crooner, un black Sinatra. Mais ça ne marche pas. Gordy confie une mission à Mickey : transformer Marvin en pop star - I want a hit record on him - On connaît la suite de l’histoire.

             Finalement, Mickey fabrique pas mal de superstars. Il consacre un chapitre entier à MR. Robinson, son «brother from another mother». Un chapitre aussi à Diana Ross. Mickey n’a jamais vraiment su ce qu’elle pensait de lui, mais elle lui a toujours montré du respect, ce qui, dit-il, est ce qu’on attend de gens qui bossent avec vous. Il ne s’aventure pas sur le terrain de Florence Ballard.

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             Et puis on en arrive au clash. Dans la hiérarchie Motown, le trio HDH est au sommet, grâce au succès des Supremes et des Four Tops. Ensuite vient Smokey, et Mickey arrive en troisième position. Il cite ensuite Marvin, Norman Whitfield, Ivy Jo Hunter, Barrett Strong, Harvey Fuqua et Johnny Bristol. Pour lui, Lamont Dozier est à la fois «un brillant compositeur et un hopeless romantic». Brian Holland est aussi un «all-round creative genius». Eddie est le cerveau. Il veut sa part du gâteau. Et il met la pression sur Gordy, comme il l’explique si bien dans son autobio, Come And Get These Memories. Eddie trouve que Gordy s’en fout plein les poches et ne laisse que des miettes à HDH. Alors pour le calmer, Gordy n’a d’autre solution que de lui refiler le poste d’A&R, car bien sûr, il n’est pas question de lui donner la part du gâteau qu’il réclame, c’est-à-dire un morceau de Motown. Le plus difficile reste à faire : convoquer Mickey pour lui faire avaler la couleuvre. Mickey entre dans le bureau. C’est comme si on y était. Gordy commence par lui proposer une augmentation de salaire, puis il lui propose de superviser des «special projects», comme par exemple aller creuser le marché des comédies musicales à Broadway pendant une semaine. Mickey lui dit qu’il ne peut pas lâcher son job d’A&R pendant une semaine, il y a trop de pression. Gordy lui dit qu’il a quelqu’un d’autre pour l’A&R. Mickey est scié. What ? Qu’est-ce que ça veut dire ? C’est une blague ? Alors Gordy lâche le morceau : Eddie Holland est nommé A&R. D’abord choqué, Mickey dit qu’il éprouve aussitôt après une immense déception. Mickey sort du burlingue, va trouver ses collaborateurs pour leur expliquer ce qui arrive et il se casse de cette fucking baraque. L’A&R Motown, ça représente des années de boulot. Il dit ne s’en être jamais remis.

             Mickey devient A&R indépendant et monte un label avec Clarence Avent, sous le patronage de MGM qui leur envoie des artistes signés sur MGM. Souvent des bras cassés, dit Mickey, sauf les Righteous Brothers. En fait, MGM qui a des gros problèmes attend de Mickey qu’il refasse un deuxième Motown, c’est-à-dire une vache à lait pour renflouer les caisses. Mickey est obligé de leur expliquer qu’il ne s’appelle pas Superman.

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             Mickey Stevenson n’a enregistré qu’un seul album, en tant qu’interprète, l’excellent Here I Am. Cette merveille date de 1972, et sa pochette rappelle celle de The Day The World Turned Blue de Gene Vincent. On tombe sous le charme d’Here I Am dès le morceau titre d’ouverture de balda, un cut extrêmement ambitieux et orchestré à gogo, Mickey explose sur tous les fronts. S’ensuit ce qu’il faut bien appeler un coup de génie : «Joe Poor (Loves Daphne Elizabeth Rich)». C’est à nouveau du très haut de gamme, Mickey chante et produit, c’est une Soul qui respire le grand air. L’autre coup de génie se trouve en bout de la B, «Gonna Be Alright» qu’il embarque au power pur, jolie fin de non-recevoir pour cet album superbe. Il rend hommage aux Beatles du White Album avec une cover inexpected de «Rocky Raccoon». Il a des chœurs de folles derrière lui, c’est plein d’allure et plein d’allant, il en fait de la Soul. Avec «Trouble’s A Loser» signé Leon Ware, il reste fabuleux de science infuse, il te prend par surprise, oooh babe et les filles ouah-ouhatent derrière. On le voit aussi faire du Broadway éploré avec «What Could Be Beter». Il fait le job, avec une pointe de Brill, c’est dire si Mickey Stevenson est un artiste complet.

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    Signé : Cazengler, Niqué Stevenson

    Mickey Stevenson. The A&R Man. Stevenson International Entertainment 2015

    Mickey Stevenson. Here I Am. Ember Records 1972

     

     

    Wizards & True Stars - Beck dans l’eau

     

             L’eusses-tu cru, Fresh Egg ? Fresh Egg, c’est le chef de la tribu des Pâtes Fraîches. Comme les Têtes Plates que rencontre Jeremiah Johnson, les Pâtes Fraîches sont des Indiens convertis au christianisme par les missionnaires, donc croyants. Si tu leur dis que Jeff Beck a cassé sa pipe en bois, les Pâtes Fraîches te croiront. Mais ils seront bien les seuls, car à part eux, tout le monde croyait au contraire que Jeff Beck était immortel. On voyait encore des photos de lui dans la presse anglaise ces dernières années, notamment dans les pages consacrées aux cérémonies officielles qu’on appelle outre-Manche les Awards. À la différence de tous ses contemporains qui ont vraiment très mal vieilli, Jeff Beck offrait le ravissant spectacle d’un homme extraordinairement bien conservé, comme si chez lui rien n’avait bougé depuis le temps des cerises du Jeff Beck Group : 70 balais et toujours la même coiffure, avec les petites mèches brunes sur les yeux, et les bras nus jusqu’aux épaules avec autour des biceps ces espèces de bracelets en métal qu’il affectionne depuis toujours. On vit un soir après un concert de L7 Donita Sparks signer des autographes sur le trottoir du Bataclan et porter les mêmes. Il semble que Mick Ronson en portait aussi sur la pochette de Play Don’t Worry, à moins qu’il ne se fût agi de gaffeur. Enfin bref, tu vois le principe.

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             Cette nouvelle, en plus d’être triste, nous laisse donc tous ébahis. On déteste voir ses héros se barrer, et Jeff Beck plus peut-être que tous les autres. On verra bien la gueule qu’on va tirer quand arrivera le tour d’Iggy, mais bon, pour l’instant il est toujours invulnérable, alors tout va bien. Il faudra quand même bien parvenir un jour à dire pourquoi Jeff Beck est le guitariste anglais le plus intéressant. Et ça ne date pas d’hier, puisque ça remonte aux Yardbirds.

             Pour pas mal de kids, les Yardbirds étaient avec les Pretties le groupe le plus fascinant d’Angleterre, à cause de Jeff Beck et de hits du genre «Over Under Sideways Down». Mais ce sont les Beatles et les Stones qui ont raflé la mise, en termes de popularité. Ça a recommencé un peu plus tard avec le Jeff Beck Group et ses deux premiers albums, Truth et Beck Ola : c’est Led Zep qui a cette fois raflé la mise. Jeff Beck est alors devenu une sorte de Raymond Poulidor du rock anglais, toujours en deuxième position. Adulé, certes, mais jamais couronné. C’est une belle injustice, car ni Jimmy Page, ni qui tu veux, ne lui sont jamais arrivés à la cheville. Jeff Beck a toujours eu un coup d’avance sur ses collègues guitaristes, grâce à son goût de l’aventure. Après avoir fait cracher au Blues électrique tout ce qu’il pouvait avoir dans le ventre, Jeff Beck est parti à l’aventure avec Wired.

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    Il a profité de l’occasion pour inventer un nouveau style : la contrecasse de syncope altermoite. Les journalistes français qui manquaient tragiquement de vocabulaire appelaient ça de la fusion. Jeff Beck créait un univers autonome, un univers résolu à en découdre. Pour ça, il lui fallait créer de nouvelles figures de styles. Écouter Wired à l’époque de sa parution n’était pas simple, on manquait de points de repère, mais comme on idolâtrait Jeff Beck, on l’écoutait vaille que vaille. À jeun ou pas à jeun, le résultat était le même. Au hasard des phases, il devenait poignant avec ses poignées de notes nées dans la douleur d’avant l’heure-c’est-pas-l’heure, il injectait ses contrecasses de syncopes altermoites et parvenait à rester fluide en même temps. D’une certaine façon, il subjuguait l’incohérence et imposait un non-style avec du style, en se calant sur un jazz-beat impénitent. Qui ne tente rien n’a rien, dit-on lorsqu’on impénitente le diable. Il taillait des florilèges dans ses rosiers, il avivait les dénuements de ses câbles, il étendait l’horizon de ses notes, il écaillait ses égrenages de grelots et les parait d’écarlate. Jeff Beck était un coloriste extraordinaire, il bleuissait le vent dans «Blue Wind», il était une sorte de savant de la savate ailée, un allié de la baratte en bois, il aménageait des coulées de lumière à la vitesse de l’éclair. Il n’existe pas de plus beau flashman que Jeff Beck, flashman fugueur de la Saint-Valentintin, il fuyait à travers les étoiles, il jouait comme mille, il pouvait tout jouer, des bruines, des pluies fines, des comètes en feu, des éclairs et des fleuves en crue, il était le roi des quatre éléments. Tout s’organisait autour de lui. Son «Play With Me» était digne des grands paysagistes anglais du XVIIIe siècle, des gens comme Turner et Constable, pour ne citer qu’eux. Il cultivait la démesure du classicisme.

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             Après avoir quitté les Yardbirds, Jeff Beck enregistre deux des fleurons de l’histoire du rock anglais, Truth et Beck Ola. Toute sa crédibilité vient de là. On écoutait Truth en 1969. Et depuis, on n’a plus jamais quitté Jeff Beck d’une semelle. On a beau connaître Truth par cœur, chaque fois qu’on le réécoute, c’est comme si c’était la première fois, dès «Shapes of Things», l’immédiateté du raw de Rod et Beck en filigrane dans le vélin d’Arches du blues, à la note bleutée, et cette descente au barbu sublime, cette fluidité de la touche, cette façon de tirebouchonner chaque note. Il enchaîne avec «Let Me Love You», le heavy blues rock le plus heavy d’Angleterre, dévoré de l’intérieur par le bassmatic de Ron Wood. Perfection absolue : vox + Beck + Wood, ils se traînent tous les trois dans la mélasse de la rascasse, Ron Wood joue devant et Beck par derrière, c’est un mix d’une effarante modernité. Il pleut encore du son dans «Morning Dew» et Beck fait roter sa guitare à l’entrée de «You Shook Me». Encore un heavy blues définitif. En B, tu vas encore tomber de ta chaise avec «Rock My Plimsoul», l’imbattable heavy boogie blues. Beck le joue au super gras double et Ron Wood brasse le meilleur bassmatic d’Angleterre. Jamais John Paul Jones n’a sonné comme ça sur aucun album de Led Zep. Le Jeff Beck Goup a tout inventé. «Blues De Luxe» est le Heartbreaking Blues par excellence, Rod the Mod vole le show en toute impunité. Et puis voilà la cerise sur le gâtö : «I Ain’t Superstitious». Beck fait sonner sa Les Paul comme un oiseau, croa croa, puis cui cui, il prend des libertés extrêmes, le blues l’ennuie alors il invente un nouveau langage sonique, il fait même parler sa guitare : «Maman ! Wouah wouah ! Ouin ouin !» et quand il part en vrille suicidaire, Ron Wood fait roter sa basse.

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             Le festin se poursuit avec Beck Ola, pareil, avec le même genre de démarrage en trombe, cette fois c’est «All Shook Up». Ah ah ha, fait Rod et derrière c’est le blitz, Rod fait le job et Beck bombarde, et au milieu de ce gros bordel, le bassmatic de Ron Wood ricoche dans tous les coins. On ne retrouvera plus jamais ce genre de dynamique explosive, sauf peut-être chez Cactus. «Spanish Boots», c’est en quelque sorte une formation professionnelle - Those Spanish are so long - On était hanté par ce cut à l’époque. Il faut voir le numéro de freakout que fait Ron Wood sur sa basse à la fin du cut. Même délire que John Cale à la fin de «Waiting For The Man». Nouvel hommage à Elvis avec une version complètement dégringolée de «Jailhouse Rock» et en B, on a du big Beck down the drain avec «Plynth (Water Down The Drain)». Il te riffe ça dans l’essence du bash out, et avec le raw de Rod sur la plaie ouverte, ça danse la java. Fabuleuses attaques de concasse, tout le rock moderne s’engouffre dans cette débinade, ça grouille d’arrêts et de redémarrages, de syncopes et de retours de manivelle, Rod ah-ahte et le Newman fouette la peau des fesses. Puis Rod sort son meilleur raw pour harponner l’«Hangman’s Knee» qui semble sortir tout droit d’un roman d’Herman Melville.     

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             Becky boy va tenter de rééditer les exploits du premier Jeff Beck Group avec un deuxième Jeff Beck Group et deux nouveaux albums : Rough And Ready, en 1971, et un album sans titre, l’année suivante. Pour remplacer Rod The Mod, Jeff Beck recrute Bobby Tench, un fantastique shouter/guitariste métis né à Londres et qu’on retrouvera un peu partout dans l’histoire du rock anglais. Il faut hélas se résoudre à l’avouer : Rough And Ready n’est pas l’album du siècle. On sent une nette tendance à flirter avec le Cream de Jack Bruce sur «Situation». Bobby Tench fait son Rod dans «Short Business», il miaule à la gorge chaude. En B, Jeff Beck tartine ses notes à la main lourde sur «I’ve Been Used», il redevient imprévisible. Il fait en sorte que chaque cut soit une aventure, pleine de rebondissements, de turn-overs, d’inexpectitudes, d’embellissements et d’avanies, de plages radieuses et de coulures de miel dans la vallée des plaisirs. Il perpétue son power et fait pleuvoir des pluies d’or, pendant que l’immense Bobby Tench retrouve les accents d’«Hangman’s Knee».

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             Jeff Beck Group est un album nettement plus puissant. Dès «Ice Cream Cakes», Becky boy se faufile dans le heavy Beck, il entre à la force d’une pince monseigneur dans le poulailler, alors Bobby Tench peut chanter comme un cake, ce qu’il fait très bien. Jeff Beck allume avec des notes tordues et joue à contre-emploi, comme s’il voulait inventer la modernité. On sent bien qu’il passe son temps à guetter le moment opportun. Comme au temps de Rod The Mod, il épouse le chant de Bobby Tench. Ils rendent un fantastique hommage à Bob Dylan avec une cover du «Tonight I’ll Stay Here With You» tiré de Nashville Skyline. L’hommage flotte dans l’air et Jeff Beck joue en filigrane. Il boucle ce diable de balda avec «I Can’t Give back The Love I Feel For You» d’Ashford & Simpson, version instro affreusement bien jouée. Il sublime la mélodie sur sa guitare. Et puis en B, il tape le «Goin’ Down» de Don Nix, bien lancé par Max Middleton au piano et par l’ooouhhh de Bobby Tench. Jeff Beck pavoise dans le fond du groove, il tartine en sourdine. Encore une facette de son génie : il entre dans le mur du son, comme le passe-muraille de Marcel Aymé, et envoie des sirènes dans les tréfonds de l’Iliade. Il est important de noter à ce stade des opérations que Jeff Beck et Bobby Tench font bien la paire, car ce sont des surdoués. Encore un coup de Beck avec «Definitely Maybe», un instro monté comme une pièce montée avec des notes qui coulent comme du caramel fondu, il joue sur son jeu et croise ses deux solos pour en faire des sœurs siamoises engluées dans le caramel.  

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             Comme Becky boy apprécie la compagnie des surdoués, il semblait logique qu’il enregistre un album avec Tim Bogert et Carmine Appice, le fameux BBA, qui comme le West Bruce Laing, te colle vite fait au mur. Sur «Black Cat Moan», Becky boy joue le blues. Carmine chante au ouuh ouuuh ouuuh et Tim Bogert croise le fer avec le Beck. Ça joue à l’entre-choc des entrelacs. Si tu aimes la guitare électrique, offre-toi cet album, tu vas te régaler. Ces albums des années 70 n’en finissent plus de regorger de richesses. Puis on les voit tous les trois se fondre dans la «Lady» à la manière de Jack Bruce dans Cream. Tim Bogert et Becky boy se livrent une fois de plus à une belle passe d’armes. Nouveau coup de génie avec la cover de «Superstition», secourue par un heavy renfort de cavalerie. Ils foncent en mode Vanilla, à l’effarence du bassmatic, au heavy beurre carminien, avec un Beck qui fuite dans les sinus. En B, on voit Becky boy soloter à la toison d’or dans le poppy «Why Should I Care», mais il solote en lousdé d’ambivalence, histoire de nous surprendre une fois encore. On assiste encore à un incroyable conglomérat des goûts dans «Lose Myself In You», une nouvelle confiture de télescopages. Ils abattent encore de la distance avec «Livin’ Alone». Quand ils abattent, on peut dire qu’ils abattent.

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             C’est à la même époque qu’il enregistre Blow By Blow. Belle pochette, Becky boy est encore dans sa période Les Paul. Comme Wired, c’est un album d’instros. Il fait du classic Beck, du sur-jeu de fleuve en crue. Il rend hommage aux Beatles avec une belle cover de «She’s A Woman» qu’il décore de rivières de diamants. Il cisèle lui-même ses pierres, le biseaute, les polit, tout cela à la vitesse de l’éclair. Derrière Becky boy, ça joue à l’élément déterminant, notamment dans «AIR Blower», alors il peut donner ses coups de Beck et exceller à tout-va. Il met encore la pression avec «Scatterbain», il s’enfonce sous des tunnels, il entraîne ses cohortes, il délaye des traînées de lumière, il ne s’essouffle jamais, son Technicolor a des profondeurs extraordinaires, ca grouille de nappes de violons et de frénésie rythmique. Quel voyage ! En B, il revient à sa chère main lourde pour «Thelonius» et passe à la vitesse supérieure avec «Freeway Jam». Il sait caresser la coque d’un cut pour qu’il taille la route. Il sait claquer un culbuteur avec tact. Chacun sait que Becky boy est collectionneur de voitures de sport. Puis il revient à l’un de ses péchés mignons, l’océanique, avec «Diamond Dust». Et comme souvent avec les océans, ça finit par se fondre dans un néant sublime de jazz bass et de pianotis à la Satie.  

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             Par contre, on a un gros problème avec les deux albums suivants, There & Back et Flash. Ce sont les années 80 et donc le son s’en ressent. On ne sauve qu’un seul cut sur Flash : la cover de «People Get Ready», parce que Rod la chante. Becky boy y fait son cirque habituel avec un phrasé mélodique hors normes, il étend chaque note à l’infini, il oint chaque note en sa sainteté. 

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    Sur There & Back, ils sont trois, avec Jan Hammer aux keys. Les cuts sont âpres. Becky boy ne s’en laisse pas compter. Il crée des petits événements ici et là, il jazze son «Space Boogie» à la concasse éperdue, c’est une vraie fuite en avant. Pas le temps de souffler. Toujours énormément de paysages, mais ça reste factuel et, pire encore, ça peut te laisser de marbre. Trop technique. Pas d’émotion.

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             Vingt ans plus tard, il refait surface avec ce qui pourrait bien être son album le plus magistral : Who Else. Toujours cette gueule de rockstar sur la pochette. Il expérimente de plus en plus, cette fois il joue avec l’acid house. «Psycho Sam» sonne comme le rock du futur, en tous les cas, ça sonnait comme le rock du futur en 1999. Le Beck dans les machines, l’eusse-tu cru ? Il invente l’excelsior technoïde, il gratte ses poux dans les flux virtuels. Il rejoue le blues avec «Brush With The Blues», mais il l’entraîne ailleurs. Il crée un monde qu’on pourrait baptiser l’ultra-world, un monde de sidération. Il te claque du beignet pur avec «Blast From The East», il vise la violence, mais pas n’importe quelle violence, la violence du sec et net, il réinvente au fil du jeu, il joue tout à contre-temps, il recycle ses vieilles contrecasses de syncopes altermoites. C’est là où il s’exprime le mieux : dans l’experiment, il prend le pouls du beat et reste extraordinairement actif dans l’acid pulsatif. De toute façon, il finit toujours par tout bouffer. Jeff Beck est un grand bouffeur d’univers. Il fait son Peter Green avec «Angel (Footsteps)», c’est-à-dire qu’il crée de la magie à la surface de l’océan. Il semble caresser des notes pures, puis il vise l’éclate avec «THX 138». Pourquoi Jeff Beck est-il le plus grand guitariste de sa génération ? Parce qu’il propose des climats à n’en plus finir. Il prolonge chaque note de guitare avec l’infini, il lance des initiatives en forme de ponts pour aller jouer dessus, il te crée des architectures en direct, il joue à la poursuite de son ombre, il va là où le vent le porte, Jeff Beck est un artiste infiniment libre, il crée ses fuites de toutes pièces, il est le maître de ses réalités, il s’inscrit dans les vertus d’un groove de percus, il échappe au catégoriel, Jeff Beck t’entraîne ailleurs, il te dit «viens, c’est par là», c’est un monde tectonique nouveau, il faudrait presque inventer un langage pour décrire cette modernité, ce flush effervescent et permanent. Il y a plus d’énergie chez Jeff Beck que n’en rêve ta philosophie, Horatio. La cerise sur le gâtö, c’est que tout l’album est instro. Pas de chant. Who Else sonne comme l’un des plus beaux albums de rock de tous les temps. Alors ? Alors Beck. Avec «Even Odds», il revient au heavy rock. Il a besoin d’y revenir, sans Rod The Mod ni Bobby Tench. Il peut faire le job tout seul. Il ramène tout le blues rock du monde dans cet excerpt, il claquote ses petites notes en dessous du tablier. Voilà encore une belle illustration de génie de ce musicien. Il finit son album au sommet de l’indépendance avec «Declan» et «Another Place». Tu goûtes chaque note d’un mec comme Beck, jusqu’à la dernière.

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             You Had It Coming est un album moins spectaculaire que Who Else, mais il réserve tout de même son petit lot de surprises. Jeff Beck commence par te servir «Earthquake» sur un plateau d’argent. Welcome in hell ! Il fracasse tout ce qu’il veut, il intercale des trucs à lui dans l’enfer sur la terre, il joue comme un roi d’Angleterre, mais il est l’antithèse du bon roi George, il tape dans des crânes et explose tout ce qu’il a envie d’exploser, même les Stooges et tous les autres. Quand tu es chez lui, tu fermes ta gueule et tu écoutes. Tu apprendras peut-être des choses. Jeff Beck explore pour toi les voies impénétrables. «Dirty Mind» sonne comme un instro dévoré de l’intérieur. Encore une fois, c’est une sorte de paradis pour l’amateur de guitare électrique. Il fait venir une chanteuse sur sa cover de «Rollin’ & Tumblin’», mais c’est avec «Nada» qu’il rafle encore la mise. Il joue son instro à la note ouvragée et le transforme en aubaine divine. On le voit creuser sa mine dans «Loose Cannon», il s’en va jouer dans des boyaux, il traverse des montagnes avec un jeu abrasif extraordinairement moderne, il multiplie les syncopes inachevées, chaque note est chargée d’intention, il bourre tout ça d’écho. Alors forcément, tu finis par le suivre comme un prophète. Avec «Rosebud», il t’indique la voie. C’est pas là. Il te trafique des passages improbables, il te joue le funk du printemps, il crée des pressions concentriques, il te parle dans l’oreille comme le font les dieux dans les songes, mais tu réalises que c’est sa guitare qui te parle dans l’oreille.

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             Sur Emotion & Commotion, il te fait une version d’«Over The Rainbow» en technicolor.  Il se fond dans le Rainbow à la note exacerbée, il devient une sorte de Walt Disney du rock, il crée des féeries, comme au temps, ou gamins, on découvrait Blanche Neige Et les Sept Nains sur grand écran au Majestic. Puis on le voit épouser «Nessum Dorma» à la note surnaturelle. Il nous rappelle une fois de plus qu’on peut créer un monde avec une guitare électrique. Il va cette fois chercher l’opéra à la note ultime. Dommage que Scorsese ne lui ait pas consacré un film comme il l’a fait à deux reprises pour Dylan. Jeff Beck est l’artiste complet par excellence, comme Bob Dylan, un artiste capable de performances hors du commun. Il attaque «Hammerhead» à la wah, puis il bâtit une cathédrale, il monte sa voûte à la note profonde, épaulé par des violons, et puis on le voit tarentuler un wild solo dans une profondeur de champ hallucinante. Il visite ensuite l’horizon avec «Never Alone». Il joue aussi loin qu’il peut, il installe son cut pour aller y promener ses notes de lumière comme des petits chiens. On a chaque fois l’impression qu’il joue les notes les plus aériennes de sa carrière. Sur cet album, il invite des chanteuses comme Imelda May. Pendant que Becky boy pique sa crise de destroy oh boy à la note fatale, Imelda nous ramène chez Blanche Neige.

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             On peut aussi rapatrier Performing This Week... Live At Ronnie Scott’s, qui est une sorte de Best Of enregistré live au Ronnie Scott Club de Londres, comme son nom l’indique. Becky boy y propose une rétrospective de sa carrière, puisqu’il attaque avec le vieux «Beck’s Bolero». Ça vaut vraiment le coup de l’écouter, car c’est une hallucinante performance. Becky boy décide de tout. Heavy blues ? Alors voilà «Eternity’s Breath» et sa pluie d’arpèges, au-delà du raisonnable. Comme c’est Beck le boss, il envoie son «Stratus» voler dans le ciel. Il souffle et ça vibre. Beck c’est Eole, le temps d’un cut. Il joue en vol plané sur des rythmiques infernales. Le mec qui fait un solo de jazz bass dans «Cause We’ve Ended As Lovers» s’appelle Tal Wikenfield. Becky boy a du pot d’avoir ce mec derrière lui. Il est encore ahead of the game sur «Behind The Veil», plus reggae, il joue à la pointe de la note avec des gestes inconvenants, mais il traite chaque note comme une princesse, il transforme son inconvenance en power. Et comme il n’a pas de chanteur, il fait chanter sa guitare («You Never Know»). Il en fait même une bouillasse atmosphérique, il la travaille à la wah, il persiflore dans les orifices de la décadence, il puise des ressources dans les vertiges, on se demande à son écoute si nos oreilles font bien le poids. Car quel cirque ! Justement, il fait le clown avec une note dans «Nadia». On se croirait chez Fellini, ce cut magique prend forme, Becky boy gonfle son ballon, il joue tout seul, comme un clown magicien. Puis il y va franco de port avec «Blast Form The East», ça dégouline de son, il fait la pluie et le beau temps, il joue à la note ronde. Il fait encore tinter l’or de ses notes éperdues avec «Angel (Foosteps)» et enchaîne avec cette dégelée d’Afro-Beck qui s’appelle «Scatterbrain», il déraille, il zigzague, il fait son punk virtuose, il télescope les interscopes, il fait tourner le rock en bourrique, c’est un tourbillon. Il revient au heavy blues avec «Goodbye Pork Pie Hat/Brush With The Blues», son vieux péché mignon, il s’amuse avec le vieux carcan des douze mesures et des accords en septième, il danse au cœur de l’atome du blues qui fond, il va toujours plus loin dans le fond de l’atome du blues, jusqu’à l’origine du concept. Il chevauche ensuite ses démons avec «Space Boogie», il joue à l’ivresse inversée, et revient à la heavyness de génie pur avec «Big Block». C’est le sommet du genre. Nouvel hommage aux Beatles avec «A Day In The Life», il travaille ça à la note savante. Il termine avec «Where Were You» où il fait siffler ses notes comme des oiseaux du paradis.

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             Son dernier album date de 2016 : Loud Hailer. Deux petites gonzesses l’accompagnent : Carmen Vanderberg et Rosie Bones. Et boom ! Voilà «The Revolution Will Be Televised», heavy as hell, un heavy blues rock chanté sous le boisseau par Rosie Bones avec un Beck qui rôde dans le son comme un dieu serpent. On assiste à la résurrection du meilleur guitariste anglais. L’autre coup de génie de l’album est le «Right Now» en ouverture de bal de B. Back to the heavyness, Becky boy est à la manœuvre. Spectaculaire ! Il redevient incendiaire comme au temps d’«All Shook Up». Il joue comme un diable. Tiens encore une belle énormité avec «Live In The Dark». la voix de Rosie Bones change la donne du Beck. Elle épouse bien la pression. On voit encore Becky boy sortir le grand jeu en fin de «Scared For The Children», un final en forme de chutes du Niagara. Le «Shrine» de fin de B somme comme du Leonard Cohen. Rosie Bones chante son shrine au sucre candy. Voilà tout.

    Signé : Cazengler, Jeff Bête

    Jeff Beck. Disparu le 10 janvier 2023

    Jeff Beck Group. Truth. Columbia 1968

    Jeff Beck Group. Beck Ola. Columbia 1969

    Jeff Beck Group. Rough And Ready. Epic 1971

    Jeff Beck Group. Jeff Beck Group. Epic 1972  

    Beck Bogert & Appice. Epic 1973

    Jeff Beck. Blow By Blow. Epic 1975  

    Jeff Beck. Wired. Epic 1976 

    Jeff Beck. There & Back. Epic 1977

    Jeff Beck. Flash. Epic 1980

    Jeff Beck. Who Else. Epic 1999     

    Jeff Beck. You Had It Coming. Epic 2000          

    Jeff Beck. Emotion & Commotion. ATCO Records 2008 

    Jeff Beck. Performing This Week... Live At Ronnie Scott’s. Eagle Records 2008

    Jeff Beck. Loud Hailer. ATCO Records 2016  

     

     

    L’avenir du rock - Guitar men

     

             Passionné de promenades insolites, l’avenir du rock remonte lentement une piste à travers un cimetière Crow. Comme chacun sait, les cadavres des guerriers Crow ne sont pas enterrés mais au contraire exposés sur des plates-formes en bois hautes d’environ deux mètres. C’est à la fois une façon pour eux d’échapper aux chacals et de se rapprocher du ciel où se trouve le Grand Esprit. Un peu plus haut sur la piste apparaît la silhouette d’un autre cavalier. Il descend lentement. L’avenir du rock le reconnaît : Jeremiah Johnson ! L’un de ces héros qui ne jouent pas de guitare électrique. Johnson s’arrête et, sur un ton excédé, dit à l’avenir du rock :

             — Bon ça va ! Je sais ce que vous allez me dire ! Que c’est interdit de traverser ce cimetière indien. Et puisque vous avez vu le film, vous savez que les Crows ont déjà massacré ma famille, alors c’est pas la peine d’en rajouter, sucker, la situation est déjà bien assez fucked-up comme ça !

             — Cessez vos jérémiades, Jeremiah. Vous vous fourrez le doigt dans l’œil. Je ne suis pas du genre à admonester les gens. Vous faites comme bon vous semble, vous êtes de toute évidence un grand garçon, autonome et responsable... Dites-moi, Jeremiah, vous allez peut-être pouvoir me renseigner. Je suis à la recherche de Butch Cassidy et Sundance Kid. Les auriez-vous croisés récemment ?

             — Lesquels ? Ceux de George Roy Hill ou ceux de Mateo Gil ?

             — Oh j’aime bien mater le Mateo, mais Hill reste le Roy, bien sûr !

             — Si c’est pas indiscret, pourquoi les cherchez-vous ? Ils n’aiment pas beaucoup les fouineurs de votre espèce !

             — Ne vous méprenez pas Jeremiah, je les cherche car j’ai besoin de bricoler une petite séquence d’introduction pour le blog de mon ami Damie Chad, vous voyez qui c’est ?

             — Oh oui, un redoutable desperado ! Alors ça change tout ! Je vais même vous faire une confidence : chaque mercredi je vais au saloon voir Dolorès, la pute de service. Pas pour ce que vous croyez, oh la la, pas du tout. Elle me prête son ordi portatif en bois de rose. Les Chroniques de Pourpre sont ma seule distraction.

             — Ravi de croiser un lecteur fidèle. Mais vous n’avez toujours pas répondu à ma question. Dois-je aller jusqu’en Bolivie pour les retrouver ?

             — Mais noooon ! Ils sont revenus dans les parages. La dernière fois que j’ai croisé leur piste, c’était... attendez voir... oui, du côté de Fort Davis !

             — Fort Davis, comme Llewyn Davis ?

     

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             Dans la cervelle de l’avenir du rock, un nom en appelle toujours un autre. C’est une réaction chimique classique. Elle se produit plus facilement lorsqu’on traverse un cimetière Crow. C’est aussi l’endroit idéal pour saluer les auteurs de films rock.   

             Inside Llewyn Davis et Once sont deux films qui ont énormément de points communs. À commencer par les visuels d’affiches : deux mecs avec leurs étuis à guitares. Llewyn Davis porte un gros chat sous son bras et l’Once est accompagné d’une petite gonzesse. Au vu de ces deux visuels, on pourrait craindre l’ennui : wouah, encore une histoire de folkeux, fuck it ! Mais Scorsese et Dylan nous ont appris à caresser les a prioris dans le sens du poil. Autre point commun : les deux mecs marchent dans la rue : Llewyn Davis dans les rues de Greenwich Village et l’Once dans celles de Dublin. C’est donc de l’urbain pur. Troisième point commun : les réalisateurs ont veillé à ne pas couper les cuts, on peut donc écouter quelques chansons incroyablement merveilleuses dans leur intégralité. Comme au temps de New York New York quand Scorsese donnait carte blanche à Liza Minnelli pour te broyer le cœur avec «But The World Goes Round» : tu chialais toutes les larmes de ton corps dans son fauteuil de cinéma. Avec le pionnier Scorsese, et maintenant John Carney (Once) et les frères Coen (Inside Llewyn Davis), l’avenir du rock n’a jamais été en de si bonnes mains. Carney, les frères Coen et leur absence totale de prétention démontrent qu’on n’a pas besoin de guitares électriques ni de santiags pour faire des films qui tapent dans le mille du rock. Ils ont compris une chose élémentaire : tout repose sur la qualité des interprètes et de leurs chansons. Ce qui fut valable voici soixante ans pour Bob Dylan (Don’t Look Back) l’est aujourd’hui pour Oscar Isaac (Inside Llewyn Davis) et Glen Hansard (Once). Ces deux mecs sont à la fois de prodigieux acteurs et de prodigieux musiciens. Chacun dans son style. Les scènes musicales de ces deux films redorent le blason du cinéma. Et lui redonnent en même temps une raison d’être. C’est du cinéma rock, qui navigue au même niveau que New York New York, The Commitments, The Blues Brothers, Easy Rider, l’Homme À La Peau de Serpent et Mystery Train.   

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             Avec Inside Llewyn Davis, les frères Coen retournent sur les traces de Dylan à Greenwich Village. Oscar Isaac campe l’un de ces folkeux qui jouaient au chapeau au Gaslight, le club où a démarré Dylan et qui fut, nous dit d’ailleurs Dylan dans Chronicles, le royaume de Dave Van Ronk. Le visuel de l’affiche s’inspire d’ailleurs de la pochette d’Inside Dave Van Ronk. Et comme petite cerise sur le gâtö, vers la fin du film, les frères Coen font monter sur scène un jeune branleur à la voix nasillarde. Il s’agit bien sûr de l’early Dylan. Les frères Coen proposent une reconstitution extraordinaire de ce lieu historique. On est tout de suite frappé par la qualité du gratté de poux et du chant d’Oscar Isaac, lorsqu’il chante «Hang Me Hang Me», l’histoire d’un mec qui va être pendu, aussi intense que l’«I Hung My Head» de Johnny Cash sur American IV - The Man Comes Around. C’est l’une des quatre scènes magiques de ce film. On les connaît les Coen, ils sont très forts en matière de reconstitution, on les a vus à l’œuvre dans O’Brother. Avec Llewyn Davis, ils se déchaînent : ils ne se contentent pas de filmer Oscar sur scène, ils reconstituent son quotidien de SDF, il dort où il peut, les Coen nous font même des plans de Freewhelin’ Bob Dylan dans la rue, sauf qu’Oscar est tout seul avec un chat. Pour la deuxième scène magique, les Coen montent un petit road movie pour emmener Oscar à Chicago. Fantastique ! Ils font du pur Kerouac : le chauffeur Johnny Five est à la fois le psychopathe de Fargo et Dean Moriarty, et le mec assis à l’arrière, joué par l’excellent John Goodman, est une sorte de Doc Pomus junkie. Cette séquence de road movie est hallucinante d’incredible véracité. Après quelques déboires, Oscar arrive en stop à Chicago, ça caille, il va trouver un patron de club pour essayer de décrocher un contrat. Le boss est bien sûr une sorte de William Burroughs lookalike qui demande à Oscar de chanter un truc pour voir ce qu’il a dans le ventre, alors Oscar s’exécute et bam ! il te chante «The Death Of Queen Jane» et tu sens les colonnes infernales de frissons ravager tes Vendées, car c’est d’une extrême pureté artistique. La troisième scène magique se déroule dans le studio Columbia à New York où évidemment Dylan est aussi allé enregistrer Highway 61 avec Michael Bloomfield. Un producteur Columbia paye Oscar pour accompagner Justin Timberlake et Adam Driver sur une sorte de cut farfelu, «Please Mr Kennedy» qui en fait est un véritable numéro de haute voltige. Dans les bonus du film, T Bone Burnett explique qu’il n’y a eu qu’une seule prise de cette scène. Une scène qu’on peut revisionner plusieurs fois quand on a le DVD sous la main. C’est du très grand art, ils chantent à trois et Adam Driver hulule et croasse, en hommage aux géants de l’Americana. La quatrième scène magique nous emmène dans une maison de retraite. Oscar rend visite à son père, encore une sorte de Burroughs, qui visiblement a perdu la parole. Oscar lui chante «The Shoals Of Herring», un chanson traditionnelle de pêcheurs de harengs que le père aimait bien - Sailed a million miles/ Caught ten million fishes/ We were hunting after shoals of herring - et comme les frères Coen ont de l’humour, le père apprécie tellement la chanson qu’il se chie dessus. On le sait parce qu’Oscar va trouver un infirmier pour lui demander de nettoyer le vieux. On ne peut pas rêver meilleure chute.

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             John Carney travaille différemment. Pas d’humour dans l’Once, seulement un talent fou. En fait Carney raconte la vraie histoire de Glen Hansard qui fut busker, c’est-à-dire chanteur des rues, quand il était ado. L’autre grand busker de l’histoire du rock, c’est bien sûr Dave Brock. Dave buskait comme une bête avant de monter Hawkwind. Carney filme donc Glen Hansard dans la rue où il a démarré, à Dublin, et rapidement, on assiste à une scène magique, comme chez les frères Coen : Hansard chante «Leave» tout seul avec sa gratte défoncée, mais il chante comme un dingue, et c’est là que l’autre personnage du film, la petite Tchèque, engage la conversation avec lui. Au début, on ne comprend pas d’où sort un mec aussi doué. Son «Leave» sonne comme un hit astronomique. Il va chercher un chat perché mélodique et crée des climats d’une rare densité, en s’accompagnant à coups d’acou. Plus loin, on le verra chanter un autre hit, «When Your Mind’s Made Up», qui sonne comme de l’early Radiohead, une sorte de Big Atmospherix qui s’en va chercher là haut sur la montagne des accents pétrificateurs. Comme on voit le vice partout, on imagine que l’Once et la petite Tchèque vont se retrouver au plumard, mais non, ça reste très prude, très irlandais. En fait elle est déjà maquée avec un Tchèque et elle a un gosse. Bon, c’est pas grave. Glen n’insiste pas. Il veut juste enregistrer quelques démos et aller tenter sa chance à Londres. Les choses prennent une drôle de tournure quand la petite Tchèque dit qu’elle sait jouer du piano. Ah bon ? Elle emmène Glen chez un marchand d’instruments. Le vendeur qui la connaît lui permet de jouer sur l’un des pianos, au fond du magasin. Alors Glen sort sa gratte pouilleuse, il lui montre un accord, puis un autre, elle suit au piano, pas de problème, et ils se mettent à chanter tous les deux «Falling Slowly». C’est l’une des scènes de pure magie qu’il faut avoir vu au moins une fois dans sa vie. Elle est d’ailleurs sur YouTube, comme tant d’autres choses. On verra par la suite Glen recruter d’autres buskers pour entrer en studio avec un ingé-son super-cool, c’est le petit quart d’heure romantique du film, avec des plans filmés sur la plage. Bon Carney s’en sort plutôt bien. Il a ses trois scènes magiques et il rejoint les frères Coen, Scorsese et Jarmusch au panthéon du cinéma rock.

    Signé : Cazengler, Llewyn dévisse

    John Carney. Once. DVD 2008

    Joel & Ethan Coen. Inside Llewyn Davis. DVD 2

     

     

    Inside the goldmine

    - Stovall mieux que deux tu l’auras

     

             Robinson a perdu toute notion de temps. N’importe qui à sa place en ferait autant. Chaque matin au lever du jour, il quitte la grotte où il s’est installé pour escalader le piton rocheux. C’est là qu’il observe des heures durant la baie et l’horizon. Y verra-t-il un jour apparaître une voile ? Il n’ose plus y croire après tout ce temps. Au début, il gravait un trait chaque jour sur la paroi de sa grotte, histoire de se situer dans le temps, mais il a fini par laisser tomber. Ces milliers de traits barrés par séries de sept ont fini par l’épouvanter. Du naufrage, il n’a pu sauver qu’un coffre. Oxydée par l’eau de mer, la serrure refuse de céder. Il n’a pas d’outils. Il a bien tenté de la forcer en frappant avec une grosse pierre, mais elle n’a jamais cédé. Et puis, il n’a plus de force dans les bras. Il ne se nourrit que de crabes et de baies. Il n’a rien, même pas de quoi se faire du feu. Il n’est plus qu’un sac d’os. Il a perdu ses dents et ses cheveux. Sa barbe descend jusqu’au nombril. Par chance, il n’a pas de miroir, car il se ferait peur. Pourtant bien construit mentalement, il se sait rendu aux portes de la folie.

             Un beau matin, le commandant Cousteau arrive au large de l’île. Il remonte son sous-marin en surface, le met à l’arrêt et gagne le rivage à bord du canot pneumatique. Il fait quelques pas sur la plage et aperçoit une grotte. Oh, une grotte ! Il allume sa lampe torche et pousse un autre oh d’étonnement. Oh un trésor ! La scène semble sortir tout droit d’un petit récit de piraterie : au beau milieu de la grotte se trouvent un coffre et un squelette ! En promenant le faisceau de sa lampe sur la paroi, il découvre des myriades de traits gravés. Oh des traits ! Il ouvre sa sacoche en cuir d’explorateur et en sort une perceuse. Bzzzzzzzz. Il perce plusieurs trous dans la serrure du coffre qui cède rapidement. Il soulève le couvercle. Oh ben zut ! Le coffre ne contient ni pièces d’or ni bijoux. Un seul objet : l’album moisi des Stovall Sisters. 

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             C’est vrai que sans télé, sans ordi, sans smartphone, le pauvre Robinson a dû s’emmerder comme un rat mort. On ne souhaite ça à personne, pas même à son pire ennemi. Quand bien même il aurait pu ouvrir le coffre, ça n’aurait rien changé, puisque de toute façon, il n’avait pas de tourne-disque. Qu’est-ce que ça peut être con, la vie, parfois.

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             Le destin de l’album des Stovall Sisters est un peu comparable à celui de Robinson : perdu dans l’océan. Pas n’importe quel océan, puisqu’il s’agit de l’océan des bons albums de Soul et de r’n’b que l’industrie du disque fabriquait industriellement dans les années soixante-dix. Alors comment découvre-t-on les Stovall Sisters ? Il existe un moyen bien simple qui s’appelle What It Is! Funky Soul And Rare Grooves, une box en forme de boîte de cigares du Pharaon parue en 2006 chez Rhino. Les Stovall Sisters figurent sur le disk 3 avec «Hang On There», un heavy groove emmené au big bassmatic. Derrière, ça roule comme chez Sly avec des nappes de cuivres qui sonnent bien les cloches. Le bassman s’appelle Doug Killmer. Alors bien sûr, quand on tombe là-dessus, on mène l’enquête. Qui sont les Stovall Sisters ?

             Trois blackettes basées à San Francisco et bien enracinées dans le gospel : Lillian, Netta et Joyce, trois girls issues d’une famille nombreuse (dix enfants), couvées par leur mère Della Stovall dans les années 50. Elles s’appellent God’s Little Wonders, puis en grandissant, The Valley Wonders. Alors bon, d’accord, encore du gospel. Oui, et plus que jamais. Il est dans l’air du temps. Les Stovall Sisters tapent dans le gospel Soul, de la même façon que les Como Mamas tapent dans le gospel d’Hill Country Blues, de la même façon que Marylin Scott tapait en son temps dans le gospel blues, de la même façon que l’immense Candi Staton tape dans tous les genres de gospel, de la même façon que les Sensational Barnes Brothers tapent dans le gospel de l’avenir du rock via le Memphis Beat, car les racines n’ont jamais été aussi vivantes et aussi nécessaires. C’est toute l’énergie d’une culture qui est en jeu, et plus les blacks s’y mettent et plus l’authenticité règne sur la terre comme au ciel.

             Installées à Oakland, elle évoluent vers le r’n’b, ce qui leur permet de chanter dans les clubs. Elles accompagnent Ike & Tina Turner - I think we were the 18th set of Ikettes, dit en rigolant Lillian au dos de la pochette.

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             Perdu dans l’océan, l’album des Stovall Sisters n’a aucune chance. C’est pour ça qu’il faut l’écouter. Elles aiment bien leur Lord alors elles font des miracles, mais des tout petits miracles, comme par exemple cette reprise du «Spirit In The Sky» de Norman Greenbaum qu’elles gospellisent à outrance. Elles font là un coup fourré extraordinaire, un vrai coup fourré de génie, puisqu’elles retournent ce vieux hit pop comme une crêpe et du coup il prend un double sens spirituel, et par le titre et par la dynamique. Et là les gars, il n’y a pas de meilleure dynamique que celle du gospel batch. Tout le rock’n’roll est là. Elvis et Jerry Lee viennent de là en direct. Commercialement, les Sisters n’ont aucune chance, mais elles chantent. L’album est paru sur Reprise, ce qui n’est pas rien. Il faut les voir embarquer «Sweepin’ Through The City» au gros beat popotin. C’est excellent, classique et glorieux à la fois. Comme le montre «Rapture», elles savent aussi manier le gospel nonchalant, un genre difficile. Elles filent comme les filles de l’air au doux balancement des alizés. Elles savent aussi se montrer délicieusement dévergondées, comme le montre «So Good». Quand elles piaillent, elles piaillent ! Elles ne font pas semblant. C’est plein de fraîcheur et d’intention. Elles reviennent inlassablement à leur passion pour God. Comme toutes les grandes chanteuses de gospel, elles n’hésitent pas à baiser avec God : «The Love Of God» n’est pas une vue de l’esprit, c’est une clameur sexuelle bien soutenue à l’orgue, bien churchy, mais churchy en bois, c’est important. En fin de B, elles s’adonnent à un autre sport, le shake de funk, avec «I Come To Praise Him». Ah il faut les voir s’abandonner avec la foi du charbonnier ! C’est solide et bien funked up.     

    Signé : Cazengler, Stovaille que vaille

    Stovall Sisters. The Stovall Sisters. Reprise Records 1971

    What It Is! Funky Soul And Rare Grooves. Rhino Records Box 2006

     

     

    ROCKABILLY RULES ! ( 8 )

    N’oubliez jamais que toutes les règles sont faites pour être contournées, dépassées, chamboulées, piétinées, car l’important avant tout c’est d’avoir un cœur fidèle et rebelle !

    Y VIVA ESPANA !

    1

    TEENAGE ROCKABILLY ALCOHOLICS

    SHE ‘S THE ONE TO BLAME

    (Triple-T Records 001 / 2019 )

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    Une pochette à ameuter l’ire vengeresse des ligues féministes, la stupeur du stupre, je ne sais pas pourquoi elle m’a attiré l’œil, moi en tant qu’amateur distingué d’art j’ai tout de suite filé la note sein sur sein, z’auraient pu ouvrir un parapluie en prenant le troisième titre, Feelin’ c’est tout de suite plus romantique, mais non là ils ont mis l’écriteau She’s the one to blame sur le paratonnerre pour attirer la foudre et se faire traiter de gros mâle occidental pur porc garanti, mais le plus osé ce n’est pas le dessin c’est le titre du groupe, énorme clin d’œil, enfin plutôt  coup de pied au cul, à la ligue repentante des alcooliques anonymes, j’ai beaucoup péché mais je ne recommencerai pas, je le jure jusqu’à la prochaine fois, z’ont coché toutes les bonnes cases, sex, drugs and rock’n’roll, tout pour se faire haïr des puritains de service. Le pire c’est l’utilisation éhontée des tactiques antidémocratiques qui consistent à accuser l’autre, une faible jeune fille innocente, du crime que l’on commet soi-même, car ce n’est pas elle, la seule que vous devez blâmer, l’unique fautif se nomme IVAN MORENO, il revendique son crime, l’a tout fait tout seul, chant et instruments. Un irrécupérable, un irrockupérable ! Pas plus de renseignement sur cet Ivan Moreno, sinon qu’il est de Madrid. Se présente aussi sous le nom de Bob McCurry.

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    She’s the one to blame : rien qu’à sa photo il était évident qu’ Ivan Moreno se revendique des Teddy-boys. Le choix de Crazy Cavan en premier titre nous le confirme. Une interprétation des mieux venues, drôlement bien foutu, le rythme, le vocal et l’esprit. Boogie bop dame : ce titre de Crepes ‘n’ Drapes se retrouvent systématiquement sur de nombreuses compilations Teds : question de goût, je préfère le vocal de cette version à l’original, même si les instrus sonnent davantage Rock que Ted. Feelin’ : une reprise de Johnny Kidd, de quoi faire plaisir à Tony Marlow, le seul rocker anglais qui tint tête à la vague Beatles and co, Ivan Moreno nous en offre une version totalement remodelé sur la rythmique Ted, et son originale interprétation vocale est des meilleures.

    Damie Chad.

    2

    BORDER CABALLERO

    Chronologiquement parlant il y a eu le country et ensuite le rockabilly, rien n’est plus juste sinon qu’entre les deux est venu s’intercaler un troisième larron, le western. Yes cher Damie , mais historiquement les premiers cowboys amenaient pâturer leurs vaches folles avant l’apparition du country ou alors il faut dire que les chants de cowboy ont posé un des fondements de la musique country, tut-tut braves gens, nous ne parlons pas de la même chose, les cowboys sont une chose et le western en est une autre, le western est lié au développement de l’industrie du cinéma, et est très vite devenu une mythification du personnage du cowboy historial. The Great Train Robbery, premier western date de 1903, le genre se développera très vite, Gene Autry est né en 1907, Roy Roger en 1910, le premier western parlant La piste des Géants de Raoul Walsh avec John Wayne date de 1930, Gene et Roy, nos deux acteurs-chanteurs, surnommés les cowboys chantants eurent un énorme succès, n’allez pas chercher midi à quatorze heures afin de comprendre pourquoi Hank Williams était dès son premier disque accompagné par His Drifting Cowboys… Bref country and western marchèrent pendant longtemps main… Avec le rockabilly le lien s’est quelque peu distendu…

    Or voici que sur une pochette je distingue le titre Border Caballero, tiens un disque de rockabilly, cavalier et frontière, deux thèmes typiquement westerners, je rajuste mon monocle, non ce n’est pas un morceau, c’est carrément le nom du groupe, à l’origine,  Border Caballero est un western muet de Sam Newfield qui date de 1936,  des connaisseurs, sont toute une horde sur la pochette, intéressant, écoutons expresso aurait dit Cicéro : 

    THE LOST SESSION AT ROCK PALACE STUDIO

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    ( Volume 1 -  Summer 17 )

    BORDER CABALLERO

    ( Border Caballero / 2021)

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    All I can do is cry : le vieux hit de Wayne Walker de 1956 avec Grady Martin à la guitare, un must du répertoire rockabilly : diable ils ont du souffle faut dire qu’avec une trompette et un sax ça donne un max, même que le singer est un peu en arrière, une bonne facture indéniable, mais vous n’avez pas encore tout entendu, rallongent la chantilly sur la religieuse, un finale instrumental qui vous donne envie de monter au rideau pour voir passer les extraterrestres dans le jardin, un truc festif-simili-ska, vrai-cuir-de-vache-parfumé-au-jazz, ces gars-là, ce n’est pas le chagrin qui les tuera. Ne serait-ce pas aussi un groupe de dance ? Burnin’ down the spark : quand vous l’entendez par Nancy Sinatra vous avez envie de la prendre dans les bras et de l’emmener chez vous pour la réchauffer la pauvre petite poulette, eux c’est un peu pareil, des trémolos dans la voix, les mêmes que ceux du torero qui s’apprête à mettre à mort le taureau, la métaphore m’est venue toute seule, mais la suite la confirme, avec le renfort des cuivres cela devient sublime, imaginez Romeo et Juliette de Shakespeare avec une fanfare qui entonne un pasodoble aux moments les plus poignants, ce sont bien des espagnols, de l’emphase à n’en plus finir, en plus c’est beau. 

    SURRENDER

    ( Avril 2013 )

    Featuring : Andreu ‘’ Lobo’’ Muntaner aka King Wolf : lead and backing vocal  /  Harry Palmer : guitar, drum, vocals / Guillermo Gosalbo : sax, flute / Marcos Ortega : trumpet / Gustavo Villamor : bass / Javi Entranable : percussions.

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    Une adaptation par Doc Pomus et Mort Shuman d’un morceau italien pour Elvis Presley.  Le morceau est dédié à Carlos Anguera. Quand vous cherchez vous avez l’impression que la moitié des espagnols s’appelle Carlos et l’autre Anguera. Elvis vous le fait à la mignonette prend sa voix de chaton abandonné sous la pluie, ne comptez pas sur la fierté de nos hidalgos pour mendier tendrement, prennent une voix grave comme si le sort du monde en dépendait, sortent l’as de pique romantique, sur la fin Harry Palmer se la joue ténor d’opéra, et les musicos se prennent pour un orchestre classique. Z’ont le sang chaud !

    ROCK’N’ROLL EP

    ( Février 2013 )

    Belle pochette western : difficile de faire mieux : la tronche de John Wayne avec un bandeau sur l’œil, ça lui apprendra à jouer aux Gilets Jaunes.

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    I won’t believe : quatre notes de piano, une cavalcade de trompette, et un super vocal, tout en subtilité, l’air de rien, de ne pas y toucher, c’est lui qui mène la charge, un solo de guitare aux sons étirés, et c’est reparti au trot vous ne vous sentirez jamais de trop car c’est d’un équilibre aérien.  Une réussite. Don’t leave me alone : vous attendez une pleurnicherie mais vous avez un gratté de guitare qui vous met les nerfs à vif, les cuivres s’en mêlent et un vocal ironique s’en vient guetter le trou de la souris, férocement original, en plus vous avez un déploiement orchestral moitié big band, moitié rockab. Des musiciens qui s’amusent ? Non des musicos qui savent s’amuser. Save my soul : un morceau qui ne s’écoute pas mais qui se regarde comme un western, déploiement de paysages grandioses, âme torturée et armes qui parlent. Le genre de truc que l’on attendait de Presley et qu’il n’a hélas jamais réalisé. Stories : intro groove funky, des cuivres au grand galop et un vocal en appel continu. Les parties musicales sont de véritables bijoux. Ces gars-là quand ils enregistrent ils se débrouillent pour faire quelque chose de follement original. Cet EP est un chef-d’œuvre.

    OXIDADO

    ( Youkali Music 107 / 2016 )

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    Lost : fredonnement musical, et toujours cette voix qui caracole jusqu’à ce qu’arrivent les trompettes de Jéricho qui font tomber les murailles, un piano qui déborde, le gars a perdu son âme, normal dans ce charivari ordonné à la perfection, murmures entendus, un scat d’un nouveau genre ? jusqu’à ce que les guitares balaient tout ça à la poubelle, alors là ils s’énervent vivement et la bande-son devient rutilante. Your dirty ways : cuivres à mort, le pattern est jazzy et la voix à cheval entre jazz et rockab, difficile de déterminer le dosage surtout que ces maudites trompettes accaparent vos oreilles, guitare écharpée, ce qu’il y a de bien avec ce groupe alors que les autres s’arrêteraient eux ils déroulent encore un tapis rouge, encore plus moelleux, encore plus râpeux. Je vais m’attirer des ennuis mais c’est beaucoup plus imaginatif que ce qu’avait fait Brian Setzer avec son big bazar. Where is my mechero : emballement de batterie et c’est parti mon kiki, les incendiaires sont de retour, un instrumental aux petits oignons qui font pleurer les de joie les yeux, s’amusent au surfin’ band, vous pouvez écouter tous les groupes de surfin que vous voulez, aucun n’a jamais produit un truc si différent. Ce n’est pas de la parockdie, c’est une autre manière de penser. I told you for love : maintenant ils s’amusent à dynamiter le doo-wop, un peu chanteur de charme qui ne se prend pas au sérieux, un peu twist, un peu Upsetters, un peu sixties, un peu rhythm’n’blues, un peu tout ce que vous voulez, le miracle c’est que cela tient merveilleusement en équilibre. Sont doués. Si vous n’avez pas tout compris, il y a un clip sur YT. Powder room : ça se boit comme du petit lait au piment d’espelette, nous refont le coup du sandwich au pain garni   avec tout ce que vous voulez dedans, une auberge espagnole, le mec frappe à la porte de la salle de bain et vous croyez qu’il vous ouvre celle du paradis. Un sacré ramdam. Your baby blue eyes : paru en 2015 sur la compil His * Panic Stomp 10 th Aniversario :  à fond de train, ça ressemble un peu à choo choo boogie, grand orchestre qui a perdu la pédale douce et qui ne parvient pas à débloquer le régulateur de vitesse… On s’en fout l’on est comme Yul Brynner l’on roule cheveux au vent. Oxidado : attention titre éponyme, changement d’atmosphère, instrumental, lumière blues tamisée et soul aux yeux pâles en sourdine, une guitare qui ronronne sixties, le slow qui tue dont vous ne sortirez pas vivant, le grand frisson, à l’espagnole, tragediante y comediante. If you love me : des cuivres qui miaulent comme des guitares, un mec enfoui dans son désespoir, quelle voix, d’une petite amourette de rien du tout ils font un générique de film à grand spectacle qui finit par rocker à mort, plus un sax qui rampe comme un crotale dans votre salle à manger. Play my rock’n’roll : retour au rock’n’roll pur et dur, savent tout faire, les instrus un par un prennent leur pied et la voix nage tête haute au-dessus des vagues de dix mètres de haut. Connaissent tous les plans. A croire qu’ils étaient là quand on les dessinait. Burning love : viennent de vous dessiner un éléphant, ce coup-ci ils en rencontrent un vrai. Surtout ne pas imiter, de toutes les manières Palmer n’a pas le même genre de voix, alors il éraille un peu et fouette cocher les boys derrière foncent dans le tas, ne s’en tirent pas mal, mais Elvis trois crans au-dessus.  Liar girl : dégustent la glace à la petite cuillère, ça balance l’escarpolette pas très haut mais gentiment, un tapis de trompette, une carpette de sax pour le chien qui aboie, l’on est parti pour le reste de la nuit. Freedom sounds : on l’attendait depuis le début, le générique de fin qui bouscule les fauteuils, le tsunami qui emporte tout, un départ de fusée de Canaveral pour les confins de l’univers, grandioses sonneries de trompettes l’aventure ne fait que commencer, bande-son du film, crépuscule tous azimuts, une guitare à la Shadow et un feu follet de trompette qui brûle sans fin…

    Un disque hors-norme. Querelle byzantine : certains prétendront que Border Caballero ont mis du rockab dans la musique de film, pas du tout ils ont introduit le genre générique dans le rockab, et cela sonne merveilleusement.

    HANG ‘EM HIGH

    ( Alternate Mix / Février 2018 )

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    A l’origine une œuvre écrite par Dominique Frontière (cela ne s’invente pas) et orchestrée par Ennio Morricone. Générique du film Hang Em High paru en 1968. Se débrouillent pas mal l’est vrai qu’ils font avec les moyens du bord, ne disposent pas de l’orchestre philharmonique du Danemark como el maestro italiano, mais pour ceux qui ont Apache dans les oreilles il est sûr que pour une fois la cuivrerie est de trop. Par contre l’on peut se demander si les Shadows n’ont pas été une des inspirations importantes pour les musiques de western de Morricone… En tout cas la preuve par neuf que l’influence westerner sur la musique de Border Caballero n’est pas un mythe. A notre connaissance ils n’ont plus rien enregistré de neuf depuis 2016 mais donnent toujours des concerts. Tous ces morceaux sont sur Bandcamp.

    Dam Chad.

     

     

    *

    J’avoue éprouver un attrait certain pour les choses, les gens et les conduites que je n’apprécie pas particulièrement, peut-être le possible des chemins que je n’emprunterai jamais. Une façon comme une autre de goûter à la multiplicité du monde pour mieux me résoudre à ma propre altérité.

    Je ne suis guère attiré par la musique de The Great Form, trop pink floydien pour un vieux rocker comme moi, ce qui ne m’interdit pas d’écouter, de prêter attention et d’essayer de comprendre. 

    The Great Form, beau nom pour un groupe, mais ce n’est pas un groupe, un gars tout seul qui se prénomme Alex. De Lincoln capitale de l’état du Nebraska. Facile à repérer sur une carte, sa frontière avec le Kansas peut être considérée comme la ligne dont le milieu indiquerait le centre des Etats-Unis.

    Le gars se présente en quelques mots : ‘’originaire du milieu de l’Amérique et produisant de la musique et de l’art conceptuellement épiques’’ puis tout aussi rapidement il parle de son album sur lequel il a travaillé durant cinq ans : ‘’ La première version de ce paysage sonore conceptuel. Cette première version est purement orchestrale, elle permet de vous immerger dans le psychadélique, le doom, la bonté. ‘’ . Je connaissais le filage de ces albums de BD que le dessinateur envoie à son coloriste, juste le dessin au trait sur un fond unanimement blanc, mais un album de musique offert au public sans la partie vocale prévue s’inscrit dans une démarche originale, d’ici l’été 2023 précise-t-il sur son FB, en prime il nous fait part de son envie, pour le moment irréalisable selon ses propres capacités d’en donner, une version imagée. Nous sommes donc pour reprendre une expression joycienne face à a work in progress. Démarche artistique qui témoigne d’une farouche volonté et nécessite une longue patience. Un seul hiatus pour moi dans cette présentation, psychadélic et doom sont des notions qui me parlent, par contre j’ai de grandes préventions envers la bonté, une qualité qui relève un peu trop du christianisme pour ma part. Idem pour les spiritualités orientalisantes entre nous soit dit. L’idée ne m’est jamais venue d’écouter de la musique pour baigner dans un monde de bisounours ou de résilience.

    THE RECURRENCE

    THE GREAT FORM

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    Pochette de feu. L’erreur serait de demander ce qu’elle représente. Chacun y pourvoira à sa manière. Disons que c’est un élément informe. Une substance pure au sens cartésien du terme, un de ces quatre éléments fondamentaux qui résolvent le cycle de la matière primaire, de la materia prima des alchimistes. Bref une image du kaos. Oui mais sur cette coalescence fondationnelle apparaissent trois formes géométriques, le carré, le cercle et le triangle. Les formes ! A percevoir comme l’antithèse absolue des Moires. Celles-ci engendrent le néant, mais les formes donnent forme et vie au monde cosmique. Le cercle n’est guère visible, sans doute parce qu’il est impossible de l’appréhender en sa totalité. Ne dites point que vous le discernez sans peine et que je ferais mieux de porter des lunettes. Il est des mots qui se doivent d’être interprétés avec subtilité. Si le carré délimite la stabilité de l’Être ou de l’Etant, si le triangle permet de localiser avec précision n’importe quel lieu du carré monde, le rôle du cercle est explicitement énoncé par le titre de l’album, récurrence en tant que répétition, que réitération, en tant qu’Eternel Retour. Alex n’est pas uniquement attiré par ‘’ l’art conceptuellement épique’’ les concepts philosophiques le titillent aussi pas mal.

    Ultime précision : sur bandcamp nous n’avons droit qu’à la couve, mais sur le FB et l’Instagram de The Great Form, nous avons en supplément cinq autres images – elles sont aussi animées - qui illustrent les cinq titres qui constituent l’album. Ce n’est pas pour rien qu’Alex aimerait à donner une version vidéo de l’opus. Pour l’instant nous considèrerons ces images comme les grandes arcannes qui permettent de suivre le chemin musical de pensée que nous propose The Great Form.

    johnny powers,mickey stevenson,jeff beck,llewyn davis,stowall sisters,teenage rockabilly alcoholics,border caballero,the great form,rockambolesquesSaturn rising : par la faute de Goya et son tableau Saturne dévorant ses enfants, Saturne a acquis une mauvaise réputation, elle n’est pas non plus totalement usurpée, mais c’est aussi lui qui présida à l’Âge d’Or durant lequel les hommes vivaient en paix, libres et égaux, c’est en souvenir de ces jours heureux que furent instituées dans l’antique Rome les fameuses Saturnales, jours d’agapes, de libations, et de frénésies diverses… si les Saturnales se déroulaient fin décembre, c’est  qu’en souvenir de l’Âge d’or Saturne était symboliquement censé se réveiller quelques jours avant le 21 décembre, jour du solstice qui marquait la fin de la nuit la plus longue… le réveil de Saturne est l’équivalent du Sol Invictus qui marque le triomphe des forces de la lumière et de la vie sur l’obscurité et la mort… Une récurrence de ce qui a été, nous sommes en plein dans le mythe de l’Eternel Retour… une rumeur qui se lève et qui point, un bruit qui revient sur lui-même et acquiert bientôt une résonnance intérieure qui semble se suffire à elle-même, des sons émergent de cette boule comme si le soleil dépliait un à un ses rayons, étirant ses bras d’une façon qui devient démesurée, des coups sourds surgissent, les rais s’abattent-ils sur les forteresses de la nuit, toujours est-il que le son se change en un essaim  de milliers d’insectes printaniers qui se réveilleraient en bruissant, des notes plus claires transpercent cette rumeur tels des étendards de victoires joyeux et festifs agités avec allégresse. Un bruit souterrain émerge et persiste, mais les notes embrasent notre ouïe, lestes et vives, s’élève un chant d’ode à la vie interminable qui ouvre ses corolles de toute beauté, primevères qui percent la neige froide et sont les fruits et les bruits avant-coureurs d’un éclat annoncé dont elles deviennent les héraults, l’on culmine à une certaine satiété qui elle-même se sent dépassée par une flamme vive et rassurante, toutefois l’ensemble marque le pas et paraît atteindre ses propres limites, le son se stabilise, une trompe sonne, ce n’est pas la trompette d’été mais l’écho réverbéré par ses murs limitatifs, il est évident que le phénomène parvient à sa propre culminance et s’éteint doucement car il ne peut aller plus loin que sa propre lumière. johnny powers,mickey stevenson,jeff beck,llewyn davis,stowall sisters,teenage rockabilly alcoholics,border caballero,the great form,rockambolesquesIcarus : nul besoin d’être un mythologue averti pour deviner que The Great Form évoque le mythe d’Icare. Pensons à Dedalus le roman de James Joyce. Fêter le soleil ne suffit pas. Les âmes les plus altières visent plus haut. Icare grâce aux ailes d’oiseau que son père lui a confectionnées, enivré par sa jeunesse, s’envole orgueilleusement vers le soleil, l’insensé qui croit l’atteindre, la cire qui maintient ses plumes sur son dos fond à la chaleur de l’astre solaire… chute inévitable, échec total. Profondeur d’une note grave, ces premières sonorités portent le deuil du héros et des insensés qui tiendraient à l’imiter. Une espèce de moteur de Spitfire prend son envol et bientôt de l’altitude, depuis la terre l’on ne l’entend plus mais résonnent ces coups de haches qui abattent les chênes pour le bûcher d’Hercule, qu’importe notre pilote pique droit vers les hauteurs du ciel, il monte et grimpe sans arrêt, bruissements de cymbales pour magnifier un certain balancement quasi érotique du désir de la victoire suprême… on ne l’entend déjà plus, ne nous parviennent que des sons ouatés venus d’au-dessus de la couche des nuages, mais il monte toujours, le pilote impérieux ne renonce pas à son rêve, nous sommes dans la carlingue avec lui agrippés de toutes nos forces au manche à balai, sommes-nous dans un trou d’air, l’avion ne virevolte-t-il pas comme une feuille morte, non il a repris son ascension, des notes funèbres reviennent identiques à celles du début mais porteuses d’une morbidité sans retenue, nous avions cru à une péripétie, nous étions juste cramponnés à notre rêve mais en réalité déjà il battait de l’aile et nous tombions…? Mais un rêve peut-il vraiment mourir ?  johnny powers,mickey stevenson,jeff beck,llewyn davis,stowall sisters,teenage rockabilly alcoholics,border caballero,the great form,rockambolesquesYggdrasil : nous changeons de mythologie, nous abandonnons la Grèce pour les pays du Nord. Yggdrasil représente l’arbre du monde, ou plutôt des mondes. Il est l’arbre sacré, l’axe du monde autour duquel s’articulent les niveaux ouraniens, célestes et souterrains de l’univers. Il est le tout et il est la partie. Acceptons-le ici comme le symbole d’une stabilité récurrente et d’une compréhension hégémonique humaine. C’est en restant pendu à Yggdrasil qu’Odin perça le secret des runes. Toute cette mythologie est admirablement mise en scène par Wagner dans sa tétralogie L’Anneau (référence explicite au mythe de l’Eternel Retour) du Nibelung. Pour ceux qui n’oseraient pas s’aventurer dans cette œuvre dense et touffue nous conseillerons la lecture de La Forêt Enchantée, d’Enid Blyton, oui l’auteur du Club des Cinq, directement entée sur le mythe de l’arbre yggdrasilien… douceur solide et douce solidité, nous sommes au centre de l’œuvre comme au milieu du monde, au point central vers  tout converge et d’où tout s’enfuit, au point de jonction et de césure entre absolu et infini, la structure musicale se perd dans le silence qui sépare deux notes comme le blanc typographique isole les lettres d’un même mot et la présence indéfectible de ces runes sonores, pierre de touche de toute érection verticale de sens, des notes isolées se dispersent pour mieux se rassembler en leur incomplétude, dans le trait d’union d’une mélodie sonore pastellisée qui peu à peu se teinte de teintes plus vives, comme sur ces cartes géographiques où les minuscules taches rouges désignent les endroits les plus escarpés de notre globe teinté du sang des songes que les étendues océaniques bleues, le vert végétatif des forêts et le jaune alluvionnaire des plaines exaltent. johnny powers,mickey stevenson,jeff beck,llewyn davis,stowall sisters,teenage rockabilly alcoholics,border caballero,the great form,rockambolesquesBlood and sänd : nous sommes ici dans toutes les mythologies car elles obéissent toutes à une même structure, après la mise en ordre du monde par les Dieux ou les puissances élémentales survient le temps des héros et des guerriers, les hautes époques épiques fondationnelles, mais les héros valeureux et les guerriers redoutables viennent à mourir, les sagas les plus tumultueuses sont vécues et écrites sur le sable de la mémoire humaine, nous voici plongés dans l’Âge De Fer notre monde d’égoïsme, de guerre et de pouvoir… Pas besoin de davantage d’explications, c’est notre temps présent. Le sable du temps sur les dunes du vécu qui s’effrite lentement sous les coups de râpe du vent patient, collez votre oreille à cette terre poudreuse, vous entendrez résonner les échos des caravanes d’antan, les soirs de repos autour d’un maigre feu les cordes des musiciens résonnent encore, le sablier s’écoule très lentement, maintenant l’orage des tempêtes gronde au loin, surgissent les hordes des pillards qui passent tout près, tournent autour de vous comme des vautour, entendez le tambour des sables inquiétant et porteur d’angoisse, la mort s’approche à pas lourd, le sang jaillit et gicle, c’est un torrent sans fin qui coule en charriant des hennissements de guitares agoniques, tout se calme, ce qui est passé est passé, tout se perd dans le filigrane du non-être, martellement guerrier, le drame est un perpétuel recommencement, il étend ses voiles funèbres tout le long du chemin de la vie, si monotonement qu’il est inutile de pousser des cris de désespoir, le vent emporte les poussières des ossements ou les recouvre pour les enfouir au plus profond, et tout recommence sans fin, imperturbablement… johnny powers,mickey stevenson,jeff beck,llewyn davis,stowall sisters,teenage rockabilly alcoholics,border caballero,the great form,rockambolesquesSamsara : mot d’origine hindou qui signifie renaissance. Nous pouvons employer un autre mot beaucoup plus explicite : réincarnation. La même doctrine que Platon, les âmes obligées de refaire un parcours de vie pour se dépouiller des scories de leur vie antérieure, celles qui n’ont pas su maîtriser leurs désirs de jouissance matérielle, qui n’ont pas su s’épurer de leur enveloppe terrestre, obligées de tourner sans fin dans la roue du monde si elles n’arrivent pas à atteindre le nirvana ou le monde des Idées… Il existerait donc une manière de rompre le cycle fatidique de l’Eternel Retour dans les marécages de la sensualité, à condition de s’abstraire de tout désir de se dépouiller de soi-même… Mais qui est prêt à une telle renonciation… Pas moi. Une simple promesse qui transforme l’espoir en croyance, le nid de serpents des religions avec impératifs moraux et catégoriques. Non merci. Lenteurs, nous avons tout notre temps pour explorer et errer dans tous les couloirs interminables du monde sub-lunaire, le son devient ténu, jusqu’à lors la partition donnait l’impression d’un bourdon continu graduellement augmentatif, avec par-dessus une espèce d’étirement cordique destiné à atomiser le temps en mille fragments temporels inépuisables, un son de guitare prend le dessus, sans doute tient-il en main la muserolle du cheval blanc du char de l’âme humaine et le conduit-il par les routes tortueuses vers les grandes avenues de la sagesse, des banderoles, des dazibaos de synthétiseur jalonnent la route, il vous faudra boire la coupe de la vie jusqu’à la lie,  reconnaissons-le c’est un peu long, ce ne sont pas ces notes claires de clavier qui nous raviront, sans doute est-ce pour cela que la musique devient plus lourde, est-ce pour signifier le poids du péché ou celui de la grâce de celui qui est sur le bonne route, qui ne peut plus se tromper, qui a rejeté l’erreur derrière lui, quelques notes réjouissantes, se moquent-elles ou évoquent-elles la lueur au bout du tunnel, cette fin devient longuette, aurions- nous fait fausse route, sommes-nous encore sur la chaussée de l’échec, l’auditeur en jugera d’après ses expériences personnelles… un son de sirènes terminales, seraient-celles d’Ulysse…

    La démarche intellectuelle m’agrée mais l’ensemble des morceaux est un peu trop longuet, il ne se passe pas grand-chose, évidemment si c’est toujours la même chose qui revient, cela semble normal… The Great Form qualifie son ambiance de heavy, nous voulons bien, mais même écouté très fort – selon les conseils d’Alex - nous dirons, toujours en vieux rocker qu’il s’agit d’un heavy moderato !

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 17 ( Vocatif ) :

    85

    Le Chef alluma avec cette volupté que je connaissais bien et qui toujours présageait que nous allions frapper un grand coup :

               _ Agent Chad, hier soir nous avons remporté grâce à votre esprit d’initiative, une première victoire sur notre épouvantail à moineaux, comme disait Héphaïstos il faut battre le fer tant qu’il est chaud, j’espère que la nuit vous a porté conseil et que votre esprit a fomenté une nouvelle stratégie qui nous permettra une nouvelle fois de lui river son clou. De cercueil si j’ose dire !

              _ Hélas Chef, la chouette d’Athéna est bien venue cette nuit me susurrer quelques conseils à l’oreille, mais les mots qu’elle a prononcés me semblent incompréhensibles, je les tourne et les retourne dans ma tête mais je n’arrive point à leur trouver un sens quelconque. Et surtout à entrevoir une relation   avec notre affaire. Jugez-en par vous-même, ils sont pourtant simples, une énigme digne d’Edgar Poe, en deux mots : ‘’ Oiseau blanc ‘’.

              _ Agent Chad, vous avez bien dit Oiseau blanc ?

              _ Exactement Chef, ‘’ Oiseau Blanc’’, totalement incongru, je…

              _ Agent Chad, c’est certainement parce qu’il était entouré d’intelligences étroites comme la vôtre que Napoléon a dû perdre l’Empire, c’est pourtant clair comme de l’eau de roche, d’une évidence irrémédiable, au lieu de gamberger dans votre bêtise, allez nous voler une voiture avec des sièges plus rembourrés que la précédente !

               _ Chef, je…

               _ Agent Chad, trêve de discussion oiseuse, moi aussi j’ai deux mots à tonner à vos esgourdes d’âne bâté : Action Immédiate !

    86

    Molossa et Molossito, les quatre pattes en l’air dorment profondément sur la banquette arrière, j’en conclus au sourire qui se dessine sur leurs babines que les sièges sont plus que moelleux. A mes côtés le Chef allume un Coronado :

              _ Agent Chad, ne vous trompez pas, surtout n’empruntez pas l’entrée de l’autoroute, prenez la sortie, en sens inverse bien entendu, si vous changez de file abstenez-vous de mettre votre clignoteur.

    J’ai compris. (Ne dites pas enfin, puisque vous vous n’avez rien pigé). L’oiseau blanc, les Dieux sont facétieux, ou alors mon esprit a eu peur des conséquences, s’agit juste du contraire, ce n’est pas l’oiseau blanc mais l’oiseau noir, celui du malheur ! Pour le moment je roule sur la bande d’arrêt d’urgence, ceux qui me croisent lancés à pleine vitesse klaxonnent, font des appels de phare, me traitent de fous ou de tarés, je ne les entends pas mais je le devine à leur mine atterrée et à leurs gesticulations grotesques, je n’en tiens aucunement compte et accélère.

               _ Très bien Agent Chad, quand je dirai go, vous couperez la route selon un angle de soixante degrés sur votre droite pour vous retrouver sur la troisième voie, faites attention, ils conduisent comme des inconscients !

    Nous laissons passer un gros lot de voitures attendant que le flot se tarisse entre deux vagues successives.

    • Go !

    Le Chef a bien calculé. Un poids-lourd surchargé sur la voie une a provoqué derrière lui un immense désir de dépassement sur les deux autres voies, un coup de volant, j’ai le temps de lui passer devant, sur les deux autres voies c’est la terreur, ces conducteurs du dimanche freinent à mort ce qui me laisse l’occasion de traverser toute la chaussée, derrière c’est un carambolage monstre, les voitures s’incrustent les unes dans les autres, certaines finissent sur le toit de celle qui les précédait, devant moi l’espace est libre, je suis donc maintenant  dans le sens normal de la marche. Je m’arrête en douceur. Nous descendons pour profiter du spectacle. Molossa et Molossito se ruent vers les carcasses enchevêtrées d’où émanent des gémissements et fusent des cris de douleurs, les deux braves bêtes se précipitent pour lécher les ruisseaux de sang qui se répandent sur l’asphalte.

    Paisiblement le Chef allume un Coronado, d’un air serein et satisfait il        contemple le monstrueux tas de ferrailles à quelques mètres de nous :

    • Belle manœuvre Agent Chad, essayons d’évaluer le nombre de morts, certes des innocents, mais pour la bonne cause, celle du rock’n’roll, plus tard leurs familles seront fières de leurs sacrifices, et s’en prévaudront auprès de leurs voisins. J’estime que nous avons dû occasionner une quarantaine de morts, je parie quarante-deux !
    • Quatre-vingt-trois, exactement !

    87

    C’est Elle. Nous ne l’avions pas vue arriver. Dans son long manteau noir elle n’a pas l’air contente :

              _ Encore vous ! J’aurais dû m’y attendre ! Vous croyez que je n’ai que ça à faire, quatre-vingt-trois morts supplémentaires non prévus, j’ai assez de boulot avec la guerre en Ukraine…

    Le Chef exhale la fumée voluptueuse fumée de son Coronado :

              _ Excusez-nous madame pour ce surcroît de travail, hier soir vous êtes partie si vite que vous avez oublié de nous donner votre numéro de téléphone, nous n’avions pas d’autres moyens pour obtenir un rendez-vous avec vous qu’en provoquant ces légers dommages collatéraux. Nous vous prions de nous excuser pour ce dérangement.

              _ Quittez ce ton obséquieux, je me demande pourquoi je ne vous ai pas encore tués tous les deux, vous et vos deux cabots !

              _ Comme c’est étrange Madame, nous nous posons la même question, pourquoi tant de mansuétude envers nous, alors qu’il suffirait d’un geste de votre part pour nous ôter la vie.

    J’interviens à mon tour dans la conversation :

              _ Si je peux me permettre une supposition Madame, je pense que c’est parce que vous ne voudriez pas priver la population terrestre d’un GSH, ce serait une véritable catastrophe pour l’Humanité !

              _ Jeune godelureau, tous les hommes sont égaux devant moi qu’ils roulent au GSH ou au GPL – un ricanement sinistre s’élève de sa bouche, elle est contente de son jeu de mot, de son jeu de mort – votre heure à tous les deux viendra à votre heure, ne soyez pas pressés, d’après mes observations sur les réactions de vos semblables c’est toujours trop tôt.

               _ Ce n’est pas grave, les actions que nous menons pour le rock’n’roll rendront nos noms immortels – le Chef alluma un Coronado – mais je profiterai bien de votre présence pour m’enquérir d’un détail qui me turlupine depuis le début de nos investigations !

              _ Je serais ravie de vous répondre, si cela ne dépasse pas mes capacités, cher Monsieur ! Toutefois attention, rappelez-vous que hier soir vous avez gagné trop rapidement à mon goût, le goût de la vengeance gerce les lèvres que je n’ai pas.

    • Juste une précision, justement sur la propriété que vous avez concédée hier soir à Carlos, puisque cette faille temporelle existe depuis plusieurs siècles, est-ce que…
    • Je vous arrête tout de suite, je ne peux rien vous dire à ce sujet, vous vous heurtez-là à des puissances qui ne sont pas de mon ressort, ou plutôt avec qui j’ai passé des accords secrets. Excusez-moi Messieurs mais il me reste à prélever les derniers signes de vie sur quelques agonisants.

    Comme la veille elle disparut en une fraction de seconde.

    88

    Durant notre conversation, les secours avaient commencé à arriver, forces de police, pompiers, Samu, ambulances, protection civile, secouristes, équipes de médecins… il était temps pour nous de filer sans attirer l’attention. Je démarrai et doucement je me faufilai entre les divers véhicules arrêtés en désordre sur la chaussée.  

    • Agent Chad, ralentissez, il me semble que nous sommes suivis.
    • Bizarre Chef, aucune ambulance n’a encore fait demi-tour pour ramener des blessés dans un hôpital, nous étions les seuls dont le nez pointait dans la bonne direction, c’est donc un véhicule qui s’est ou qui a été dégagé du carambolage…
    • Prenez l’air de rien, Agent Chad, elle s’apprête à nous doubler.

    Effectivement elle nous doubla. Nous la reconnûmes tout de suite. Sur sa portière s’étalait le logo du Parisien Libéré. Lamart et Sureau !

    • Bien ! dit le Chef en allumant un Coronado, maintenant nous avons la réponse que La Mort n’a pas voulu nous donner. Agent Chad, dans ce pays le rock’n’roll court un grave danger !

    Damie Chad.