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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 25

  • CHRONIQUES DE POURPRE 614 : KR'TNT 614 : ELVIS PRESLEY / JOE MEEK / ANTON NEWCOMBE / LULLIES / RACHEL STAMP / ROCKABILLY GENERATION NEWS 27 / MYKOSTERION / OLLA VIA / HOWLIN' JAWS / ROLLING STONES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISONS 614

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    05 / 10 / 2023

     

    ELVIS PRESLEY / JOE MEEK

    ANTON NEWCOMBE / LULLIES / RACHEL STAMP

    ROCKABILLY GENERATION NEWS

    MYKOSTERION / OLLA VIA

    HOWLIN' JAWS / ROLLING STONES

     

     

    Elvis et la vertu

     - Part Four

     

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             Victime de sa notoriété, Peter Guralnick revient deux fois cette année dans le rond le l’actu : avec The Birth Of Rock ‘n’ Roll: The Illustrated Story Of Sun Records And The 70 Recordings That Changed The World (qu’il co-signe avec l’excellent Colin Escott) et Elvis 1956. On dépiautera The Birth Of Rock ‘n’ Roll une prochaine fois. Cette semaine, on va se contenter d’examiner les entrailles d’Elvis 1956. Et accessoirement d’y lire des oracles.

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             Elvis 1956 est une sorte de petit coup de maître. Si tu veux apprendre à écrire, lis Guralnick. En matière de rock-writing, c’est un modèle. Rock au sens large. Guralnick écrit aussi sur le blues, la country et surtout l’intelligence des gens. Guralnick ne s’intéresse qu’à ça, à l’intelligence. Donc il nourrit son lecteur. Il fait partie des auteurs qui te mettent en sécurité. Guralnick ? Les belluaires et porchers n’y vont pas.  

             Pour l’Elvis 1956, l’éditeur aurait pu très bien choisir comme sous-titre «La Rançon De La Gloire». Eh oui, Guralnick a déjà fait deux fois le tour d’Elvis avec Last Train To Memphis - The Rise Of Elvis Presley et Careless Love - The Unmaking Of Elvis Presley. La messe était dite, et bien dite, et même redite avec le Sam Phillips de 700 pages. Mais l’idée de redire tout le bien qu’il faut penser du premier album d’Elvis est une idée géniale. Le premier album sans titre d’Elvis est en quelque sorte un point de départ. LE point de départ. Pas de discothèque crédible sans cet album. Un album qui fait honneur à l’île déserte. Même s’il est sorti sur RCA. Et pourtant, comme nous l’explique Guralnick, c’est encore du Sun, puisque Bill Black et Scotty Moore sont dans le studio. Donc ça rocke. Et c’est qui qui t’emmène dans le studio ? Guralnick !

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             Avant d’entrer dans le studio RCA de Nashville, jetons un petit coup d’œil sur l’objet. Pas trop cher, l’Elvis 1956 se présente sous la forme d’un petit book coquet, de la taille d’un livre de poche, mais avec une couve en dur, car le CD de l’album est encastré dans la troisième de couve. Petit aussi par la pagination : 80 pages. Tu l’as bien en main. Superbe équilibre : grand artiste, grand auteur, grand disque, petit book, belle langue, peut-on rêver mieux ? La réponse est non. Le book est farci d’images d’Elvis en studio, alors pour l’œil, c’est du gâtö. On se lasse beaucoup moins des photos d’Elvis Presley que de celles d’Elvis Costello.  

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    ( Steve and Elvis ! )

             En vieux loup de mer, Guralnick commence par planter son décor. Le mec qui a racheté le contrat d’Elvis n’est pas le Colonel comme le pensent le belluaires, mais Steve Sholes, un A&R d’RCA. Il porte la responsabilité du rachat, une somme astronomique pour l’époque. RCA veut donc un retour sur investissement. Sholes a pour mission de commercialiser ce petit trou du cul d’hillbilly dont personne, excepté dans le Sud, ne sait rien. Sholes a donc choisi des chansons commerciales du genre «Wham Bam Zigetty Zam» pour la première session prévue à Nashville en janvier 1956. Il faut séduire le vaste public des rombières réactionnaires qui regardent chaque jour midi et soir le journal télévisé.

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             Le petit trou du cul d’hillbilly n’a que 21 ans. Il n’a même pas écouté les conneries que lui a fait passer Sholes. Fuck Sholes ! À 14 h, il se pointe au studio en pantalon rose et bam ! Il claque «I Got A Woman». Pas prévu au programme. Sholes, nous dit Guralnick, est consterné. Le petit trou du cul d’hillbilly fout le souk dans la médina d’RCA ! Il shake son Got comme s’il était sur la chaise électrique. Il rocke son Got devant un public qui n’existe pas. Guralnick manque de mots pour dire sa fascination. Alors il se tourne vers Chet Atkins qui assiste à la séance - A phlegmatic man qui avoue ne pas être un big fan of the new music - mais, ajoute Guralnick, Chet Atkins est tellement frappé par la singularité de la performance qu’il va passer un coup de fil à sa femme pour lui dire de venir tout de suite au studio pour voir ça - I told her she’d never see anything like this again, it was just so damn exciting.

             Eh oui, le petit trou du cul d’hillbilly est déjà une superstar. Il rocke Nashville. Il rocke les esprits, même les esprits conservateurs. Il rocke Chet. Il ne rocke pas encore Sholes - Sholes for his part was more perplexed than excited - mais on s’en fout. Sholes comprendra plus tard, quand il verra les ventes de l’album s’envoler. Oui, car quel album ! Guralnick fait deux pages sur la première séance, le petit trou du cul d’hillbilly enregistre «I Got A Woman», «Heartbreak Hotel» et «Money Honey».

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             C’est Elvis qui a choisi «Heartbreak Hotel». Il a flashé sur ce «gloom-laden eight-bar blues». Au même moment, Sun sort le «Blue Suede Shoes» de Carl Perkins. You can do anything ! Boom ! Directement au sommet des charts. Affolé, Sholes appelle Sam Phillips pour lui demander s’il s’est gouré en signant the wrong act. C’est Carl le pot aux roses ? Uncle Sam éclate de rire. Il rassure Sholes et ajoute cette phrase historique : «Just don’t try to make Elvis what he’s not.» Ne pas essayer de faire d’Elvis ce qu’il n’est pas. Guralnick en rajoute une petite couche : «Un conseil que Steve Sholes, a loyal company man, était probablement incapable de suivre.» Le troisième cut qu’Elvis enregistre lors de cette première session est le «Money Honey» de Clyde McPhatter - He possessed the kind of pure, ethereal tenor that Elvis sought all his life to emulate.

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             Ça tombe bien, tu les as tous les trois sous la main. C’est «I Got A Woman» qui ouvre le bal du CD encastré. Elvis prend la Woman sous les aisselles et la fait danser, hop hop oh yeah ! C’est la classe dé-fi-ni-tive. Il y met toute sa fougue. «Heartbreak Hotel» réveille de vieux souvenirs d’odeurs de malabars et de camors. On se délecte de la profondeur démente du gratté de Scotty et du slap de Bill Black. Et boom, voilà «Money Honey», assez rockab dans l’esprit, slappé au cœur du mythe et Scotty s’en va une fois de plus briller au firmament avec son chorus clair comme de l’eau de roche. Chaque fois que tu l’écoutes, tu frémis comme un gardon intrépide.

             C’est là où Guralnick est très fort : il nous montre comment ce petit trou du cul d’hillbilly, pris dans l’étau Colonel Parker/RCA, a réussi pendant un an à survivre artistiquement, c’est-à-dire rester fidèle à sa passion pour la musique noire. Attaquer sans prévenir avec Ray Charles et les Drifters, c’est tout de même extraordinaire. N’importe quel autre petit trou du cul d’hillbilly aurait accepté de chanter «Wham Bam Zigetty Zam» pour devenir tout de suite riche et célèbre. Elvis a su garder son intégrité, le temps d’un premier album. Il se fera bouffer un peu plus tard, et le Colonel finira par lui couper les deux jambes en virant Scotty et Bill Black. Ces mecs étaient capables de tout pour faire du blé, surtout de détruire mécaniquement un artiste aussi unique qu’Elvis.

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             Le petit trou du cul d’hillbilly renouvelle l’exploit de Nashville lors d’une session à New York fin janvier. Il ignore complètement les suggestions d’RCA Sholes et tape une cover de Roy Hamilton, l’un de ses «musical heroes», «I’m Gonna Sit Right Down And Cry (Over You)». Elvis situe Roy Hamilton au même niveau que Jake Hess, Clyde McPhatter et Bill Kenny des Ink Spots - each one a virtuosic singer in his own right - Elvis n’en finira plus de dire qu’il n’est pas aussi bon qu’eux et son entourage n’en finira plus de tenter de le convaincre du contraire. Elvis n’est pas dupe. Ne prends pas un hillbilly pour une bille, Billy. Guralnick qui est merveilleusement bien documenté, indique qu’Elvis finit par rencontrer Roy Hamilton en 1969 à l’American Studio de Chips Moman, et lui fait cadeau d’une des chansons qu’il prévoyait d’enregistrer, «Unchained Melody». L’autre hit qu’Elvis claque à la session de New York est le «Tutti Frutti» de Little Richard. Le petit trou du cul d’hillbilly reste dans le black sound. Elvis vénère Little Richard, Chucky Chuckah et Fatsy. Comme Elvis et Ray Charles, Little Richard vient du gospel, avec le whoooping en plus. Jamais en panne de précisions, Guralnick ajoute que Little Richard s’inspire essentiellement de Marion Williams, «with a dash of Sister Rosetta Tharpe thrown in for good mesure.» Little Richard, poursuit Guralnick, n’a jamais remis en cause la sincérité des hommages que lui rendit Elvis.

             Sa version d’«I’m Gonna Sit Right Down And Cry (Over You)» sonne comme le fast jive d’un King. Ces mecs étaient vraiment les rois du swing. Par contre, Elvis n’est pas crédible avec son «Tutti Frutti». C’est le territoire de Little Richard, oh rudie !

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             Toujours à New York, le petit trou du cul d’hillbilly rend hommage aux cracks de la Nouvelle Orleans avec «Lawdy Miss Clawdy». Infernal, Guralnick déterre le pot aux roses. Elvis vénère Smiley Lewis et «One Night (Of Sin)» «became one of his all-time favorites, qu’il va enregistrer un an plus tard sous le titre «One Night With You». Dans les conférences de presse, Elvis ne rate jamais l’occasion de rappeler que Fats is the real king of rock’n’roll.» Fats joue d’ailleurs sur le «Lawdy Miss Clawdy» de Lloyd Price, enregistré en 1952, chez Cosimo. On voit à quel point ces blackos étaient en avance. Ils rockaient déjà l’Amérique. Elvis va claquer «One Night With You» et «Lawdy Miss Clawdy» lors de son spectaculaire ‘68 Comeback. Le même jour, à New York, il enregistre une cover de «Shake Rattle And Roll» du grand Big Joe Turner. Ces deux cuts vont figurer sur le deuxième album.

             Quelle merveille que cette mouture de «Lawdy Miss Clawdy» ! Elvis est sans doute le seul blanc à sonner aussi black sur ce coup-là. Il y croit dur comme fer et derrière, Scotty charge bien sa barcasse.       

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              On trouve aussi des «Sun Sides» sur l’album, c’est-à-dire des cuts enregistrés à Memphis chez Uncle Sam, comme par exemple «Tryin’ To Get To You», un Tryin’ qui, selon Guralnick, aurait pu être l’«Elvis’ finest Sun moment», s’il était resté à Memphis quelques mois de plus. Elvis enregistre Tryin’ lors sa dernière session Sun, durant l’été 1955, et, précise l’infernal Guralnick, le cut sort d’un «obscure Eagles’ single (no, not THOSE Eagles, this was a Washington D.C.-based r&b group that recorded for Mercury) which was a hit only in Memphis.» Guralnick n’en finit plus de jeter tout son dévolu dans la balance. Chaque page de ce petit book est passionnante. Guralnick fait partie des auteurs qui savent faire vibrer un petit book. Il ajoute plus loin que «Tryin’ To Get To You» aurait dû être le sixième single Sun d’Elvis. Toujours selon lui, si Uncle Sam avait pu retravailler le Tryin’ en studio, «il aurait sans doute ralenti le beat d’un chouilla (slowed the beat down a hair) et aurait oublié le piano» qu’on entend sur l’RCA - But «Tryin’ To Get To You» still stand as one of Elvis’ most remarkable recordings, even as a work-in-progress.

             «Tryin’ To Get To You» est un heavy groove de Memphis illuminé par Scotty Moore. Ici, tu as tout : le plus grand chanteur américain de tous les temps, et le pur sonic genius de Scotty Moore. On salue cet extraordinaire équilibre et cette modernité. Aucun groupe de rock n’a jamais égalé le «Tryin’ To Get To You» d’Elvis & Scotty Moore. Vraiment aucun. Avec Trying, on est au sommet de ce que l’art du rock peut offrir.

             À New York, Elvis enregistre aussi sa mouture de «Blue Suede Shoes» avec Scotty et Bill Black. Guralnick indique qu’ils font 13 takes sans jamais parvenir à égaler Carl Perkins - They were never going to do it better than Carl - Mais Elvis ne lâchera jamais l’affaire, il continuera de le claquer sur scène avec le même enthousiasme, au risque de passer pour un gros has-been. Sa cover de «Blue Suede Shoes» est tout de même puissante, Elvis jette tout son poids dans la balance, il fout le feu à Carl et Scotty passe un wild killer solo flash. Carl devait être fier d’entendre cet hommage.

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             L’autre grande idole d’Elvis, c’est bien sûr Arthur Big Boy Crudup. «My Baby Left Me» n’est pas sur le premier album, mais Guralnick l’a collé sur le CD. Il donne la parole à Elvis : «Down in Tupelo Mississippi, I used to hear old Arthur Crudup bang his box the way I do now, and I said if I ever got to the place where I could feel all old Arthur felt, I’d be a music man like nobody ever saw.» Elvis a vu sa prédiction se réaliser, bien au-delà de toute expectitude. C’est avec le «That’s All Right» d’old Arthur qu’il a inventé en 1954 le rockabilly. Il enregistre en plus le «So Glad You’re Mine» d’old Arthur, aussi inclus sur le CD par Guralnick, qui, jamais avare de précisions sonnantes et trébuchantes, indique que dix ans auparavant, le cut fut un «number 3 on the r&b charts.» Elvis a fait coup double : il a permis à old Arthur de récupérer un peu de blé et, nous dit Guralnick, il n’a pas copié l’original mais «créé an exhilarating hommage to one of his guenine heroes.»

             Version démente de «My Baby Left Me», battue sec et descendue par Bill Black. Elvis tape ça au never said a word. Rien de plus wild sur cette terre. La perfection absolue.

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             Le premier album sans titre d’Elvis sort en mars 1956, soit un mois après la dernière session de New York. Ça ne traîne pas chez RCA. Succès immédiat. Sholes n’en revient pas. Allez hop, deuxième album ! Et puis RCA sort des singles, «Hound Dog», et «Don’t Be Cruel». Guralnick : «Quand Sam Phillips a entendu ‘Don’t Be Cruel’ pour la première fois, il jure qu’il a failli perdre le contrôle de sa bagnole. Il avait craint qu’Elvis se fasse bouffer par le corporatisme d’RCA, mais il s’est écrié : ‘Glory Hallelujah, now there is a groove.’ Il a senti qu’Elvis avait trouvé sa voie. ‘It was the total spontaneity. And the rhythm was moving along just right - it [was] pushing him, [but] he... had command.» L’«Hound Dog» est superbe, sans doute le cut le plus wild, le plus tranchant d’Elvis, ça swingue au ain’t no friend of mine et aux clap-hands, c’est le hit absolu, Scotty part dans les graves et monte au ciel.

             Il faut aussi saluer «Just Because», plus rockab, slappé à la vie à la mort, et derrière ça percute aux percus. Scotty y passe un solo cubiste. Quant au reste des cuts, ça baigne dans la bluette à l’eau de rose. Quel gâchis !

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             Guralnick précise encore que la pochette de ce premier album fut prise sur scène à Tampa, Floride, par un nommé Red Robertson. Rigolard, Guralnick ajoute que le Colonel possédait les droits et qu’il a vendu l’image très cher à RCA. Que dalle pour Roberstson. Du coup, Steve Sholes s’est retrouvé avec un album classique (contenu comme contenant) à son actif. Il ne l’a pas fait exprès.

             À la fin de ce très beau texte, Guralnick fait parler des témoins des sessions, histoire de rappeler qu’Elvis était un être extrêmement pur. Le photographe Al Wertheimer témoigne : «Quand un musicien se plantait, Elvis chantait off-key. Le musicien comprenait et faisait gaffe. Elvis n’a jamais critiqué personne, ne s’est jamais plaint de personne à part de lui-même. He’d just say, ‘Okay fellas, I goofed.’» Les témoins soulignent aussi le sérieux d’Elvis. Même après 26 takes, il restait concentré - Sholes déclara qu’après 26 takes, il fallait arrêter. Elvis secoua la tête et demanda à en refaire 5. Quand ils réécoutèrent tous les playbacks, Elvis déclara sans la moindre hésitation que la toute dernière take était le master - Bienveillant et concentré. C’est tout ce qu’il faut retenir d’Elvis, en plus de sa beauté et de son talent. Guralnick finit avec une autre qualité d’Elvis : le flair. Il craque pour «Don’t Be Cruel» : «‘Don’t Be Cruel’ était d’une certaine façon une parfaite représentation du genre de musique qui l’intéressait : catchy, idiomatic, and effortlessly swinging, nécessitant un beat solide et cadencé, et faisant appel à un feeling tordu et désinvolte à la fois. C’était comme le disait Sam Phillips ‘a sad story with a happy beat’, différent des cuts enregistrés chez Sun, mais guidé par les mêmes attitudes et esthétique implicites.»   

    Signé : Cazengler, Elvicelard

    Peter Guralnick. Elvis 1956. 20th Century Masterworks 2022

     

     

    Meek mac

     - Part Two

     

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             Tu peux prendre le Meek mac par n’importe quel bout, tu seras toujours surpris par la qualité de son inventivité. Si tu chopes Bad Penny Blues - The Early Years, tu ne regretteras pas ton billet de vingt. Le côté sépia/jazzy de la pochette peut te rebuffer, alors passe outre la rebuffade, car après tu vas te régaler.

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    Meeky Meek se fait les dents sur le swing avec des tas d’artistes oubliés et quand tu vas tomber sur Edmund Hackridge, tu vas goûter au summum du kitsch («Young And Foolish»), ensuite une reine dansera dans tes bras : Shirley Bassey, la jazzeuse ultime de fantastique ampleur, avec «Burn My Candle», elle va te burner ta candle par les deux bouts, elle fait partie des géantes, et dans la foulée, elle aligne la version définitive de «Stormy Weather». Tu vas tomber plus loin sur l’un des artistes qu’admire tant Graham Dee, Dennis Lotis, qui tape une cover de «Sugaree». Lotis a tout : la voix et le swing. Plus loin t’attend une autre géante, Pauline Shepherd, avec «Treasure Of Love», elle tente le coup du big band et c’est excellent. Bien sûr, Pauline est blanche. Autre merveille inexpected, la version originale du «Green Door» des Cramps, par Frankie Vaughan. Quelle fantastique leçon de swing ! Quant à Lonnie Donegan, il est wild as fuck avec son «Don’t You Rock Me Daddy-O». Quelle incroyable partie de guitare ! On comprend que Meeky Meek ait bavé derrière sa vitre en voyant jouer le grand Lonnie. Chris Barber fait aussi partie de l’aventure, bien sûr, il tape dans Sidney Bechet avec «Petite Fleur». On entre avec une joie non feinte dans le lagon du disk 2 et boum, John Fraser te claque une belle cover du «Bye Bye Love» des Everlys. La grosse surprise vient de Jimmy Miller et de son «Sizzly Hot», un fast rockab anglais, ça souffle comme la tempête, Jimmy Miller développe une incroyable crazyness de rockab, ça fouette à la peau des fesses. Quant à Johnny Duncan, il fait de la fake Americana avec «Blue Blue Heartache» : western swing in London town ! Tu vois un peu la diversité des genres ? Le problème c’est qu’à chaque fois, c’est excellent. Tu te demandes où sont passés tous ces grands artistes. Tout aussi écœurants de véracité, voici Peggy Seeger, Guy Carawan & Isla Cameron avec «Bring A Little Water Sylvie», nouvelle giclée de fake Americana mue par une fantastique énergie. Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’au milieu de tout ce tas de cuts (soixante en tout) qui frisent parfois l’indigence, Meeky Meek tape parfois dans le mille et fait merveille. Voilà Cleo Laine avec «Indian Summer». Cleo Laine est la chanteuse de jazz par excellence. Elle t’éclate ton Sénégal et ta copine de cheval dans la foulée. Elle navigue au même niveau que Nina Simone. Les deux wild cats sont de retour : Johnny Duncan avec «If You Love Me Baby» et Jimmy Miller avec «Jolly Bay». Quelle bande de wild cats ! C’est vraiment tout ce qu’on peut en dire. Johnny Duncan est le killer kat de Meeky Meek, il joue les deux doigts dans le nez, on sent bien l’Américain. Avec Jimmy Miller, tu descends dans l’early hot stuff britannique. Encore du full blown un peu plus loin avec Sonny Terry & Brownie McGhee qui heartbreakent leur «Key To The Highway», Heartbreaking Blues par excellence, chopé à l’harp ultime. Et puis tu as Otillie Patterson, la femme de Chris Barber, qui déboule avec «Georgia Grind», elle est bonne pour le Grind, la bourrique, elle chante comme une black, elle navigue au cap du jazz New Orleans, et derrière, Barber et ses boys sonnent comme Sidney Bechet, c’est assez explosif ! S’ensuit Acker Bilk avec «Travelling Blues», encore du pur jus de New Orleans, il rentre bien dans le casier de la compile, comme un gros homard qui se fait baiser. Et là on entre dans la légende de Meeky Meek avec The Mighty Terror et «TV Calypso», une exotica de rêve au bar de la plage. Encore du wild rockab anglais avec Joy & David et «Whoopee» : ils font de la variette sur un big shuffle de rockab, avec un son extraordinaire. Que de son ! Tu te régales, rien que du son.

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             Il existe un autre volume d’early years : The Joe Meek Story Vol 5 - The Early Years, paru en 1997. C’est la fameuse collection Sequel Records. Ce Vol 5 ne fait pas double emploi avec Bad Penny Blues, donc tu peux y aller les yeux fermés. Le seul cut présent sur les deux compiles est le «Sugaree» de Dennis Lotis. On retrouve aussi Peggy Seeger et Lonnie Donegan, mais avec des cuts différents. Le «Freight Train» de Peggy Seeger est un cut magique : voix de cristal et son de Meek. Quant à Lonnie Donegan, il tape le «Love Is Strange» de Mickey Baker. Yeah yeah, no no. Bon, faudrait savoir. C’est yeah yeah ou no no, pas les deux. En plus, la version n’est pas très skiffle. Il tape plus loin une version de «Mule Skinner Blues» au good morning captain, belle giclée de fake Americana. La surprise vient du «Weekend» de Red Price, un fantastique instro. Avec «Venus», Dickie Valentine atteint le summum du kitsch. Et puis il faut saluer Emile Ford & The Checkmates qui avec «What Do You Want To Make Those Eyes At Me For» décroche le pompon : fantastique profondeur de chant et prod géniale. 

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             Le vol 3 est un volume étrange : The Joe Meek Story Vol 3 - The Complete Houston Wells. Meeky Meek s’est attaché à des artistes intéressants mais disparus. L’Anglais Houston Wells a du coffre, mais il propose du kitsch de train fantôme. Il yodelle dans l’écho de Meeky Meek. Bon nombre de cuts sont insupportables. C’est de la variété anglaise. Pas étonnant qu’il ait disparu. Il siffle dans «Moon Watch Over My Baby», mais il y a du son derrière. Le volume donné aux basses relève du grand art. «I’ll Be Your Sweetheart» est un excellent fast drive. La prod met en avant une énorme énergie du son. Et soudain, tout s’emballe avec «We’re Gonna Go Fishin’», un heavy rockab chargé d’écho de saturday night. On sauvera un dernier cut : «I Wonder Who’s Kissing Her Now», une belle giclée de fake Americana gorgée de son.

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             Nouvelle tentative de lancement avec Michael Cox, un Anglais de Liverpool : The Joe Meek Story Vol 4 - The Best Of Michael Cox. Cox est beaucoup plus rocky road qu’Houston Wells. On entend un wild solo sur «Lonely Road». Mais il refait vite sa tête à claques avec «Teenage Love». On est dans le sérail de Meeky Meek, ceci expliquant cela. Et boom, tu tombes sur une énorme version de «Sweet Little Sixteen» ! Bardée d’all over ! Farcie de wild guitars. C’est une dégelée fondamentale. Seul Meeky Meek peut se permettre ça en Angleterre. Encore une belle dégelée avec «Honey Cause I Love You», wild rock in London town, Cox est génial. Meeky Meek crée la confusion avec «Stand Up» qui a le cul entre deux chaises : la pop et le rockab. «Gee What A Party», c’est du son pour du son, mais avec une bonne voix. Le Cox est bon. Cox a des guts, comme le montre encore «Say That Again». Puis il recasse la baraque avec une cover de «Rave On». Comme Totor, Meeky Meek sait choisir ses interprètes. «Just Say Hello» est encore du tout cuit. Meeky Meek ramène un son infernal dans cette petite pop. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que Meeky Meek est l’exact équivalent de Totor.

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             On garde le meilleur pour la fin : The Joe Meek Story. The Pye Years (Vol 1 Vol 2). Ah on peut dire merci à Sequel Records ! Cette compile est un double CD qui ne fait pas trop double emploi avec l’imparable Joe Meek Freakbeat (You’re Holding Me Down) épluché dans le Part One.  Les seuls doublons sont le «Little Baby» des Blue Rondos et le «Shake With Me» des Puppets, qui sont un peu les rois du proto-punk. Tout de même incroyable que les Puppets soient passés dans les pattes de Meeky Meek. Seulement trois singles sur Pye et puis plus rien. Grâce à Sequel, on peut écouter leur «Baby Don’t Cry», fast rock’n’roll d’Holloway Road, percé en plein cœur par un killer solo flash de cromagnon. Ah ils y vont au baby don’t ! Leur troisième cut s’appelle «Poison Ivy», un cut qui se trouve sans doute à la source de la légende des Cramps. C’est du lalala de Leiber & Stoller. L’autre énorme Pye band, ce sont les Blue Rondos. «I Don’t Need Your Loving No More» taille bien la route. Ils jouent leur pop le dos au mur, une vraie merveille. L’autre proto-punk de service s’appelle Andy Cavell. «Tel The Truth» est un authentique joyau, derrière, ça bassmatique et ça gratte les poux. Autre grosse équipe : Honeycombs avec «Have The Right» : incroyable power beat. Meeky Meek aurait-il inventé le glam ? Ils sont encore héroïques avec «Colour Side» et  magnifiques avec «That’s The Way», les basses roulent sur du velours. Rien de plus heavy que l’«I Can’t Stop», c’est du stomp avant l’heure. On reviendra sur les Honeycombs. On peut encore parler de coup de génie dans le cas de Tony Dangerfield & Thrills et «She’s Too Way Out», véritable épisode d’obscur wild rock anglais, et un démon passe un killer solo flash. Il faut savoir que Tony Dangerfield a fait partie du backing-band de Screamin Lord Sutch. On se régale aussi du «Theme From The Traitors», un bel instro des Packabeats. Toutes les hautes fidélités sont là. Quel univers fascinant que celui de Meeky Meek ! Il a aussi un groupe qui s’appelle les Saints, rien à voir avec Chris Bailey, c’est un groupe de surf qui tape dans les Surfaris avec «Wipeout». Meeky Meek soigne aussi le son de Judy Cannon sur «Hello Heartache». Il lui apporte des tonnes de son, du coup ça devient très sérieux. Le «Sunburst» des Flee-Rekkers est fabuleusement enregistré. Par contre, ça ne marche pas pour Riot Squad, trop poppy. Saluons aussi l’«Early In The Morning» de Chick, Ted Cameron Group & The DJs. C’est d’une qualité de prod qui t’envoie directement au tapis.

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             La fête continue avec The Joe Meek Story -The Pye Years Vol 2. On y retrouve le proto-punk des Blue Rondos et «Baby I Go For You». On fait du proto au 304 ! Le Freakbeat King s’appelle Roger Hall. Au niveau productiviste, deux merveilles de Meeky Meek : Peter London et «Baby I Like The Look Of You» (assez wild, bien documenté au shuffle de piano) et The Riot Squad avec «Try To Realise» (plus poppy mais avec tellement de son que ça devient de la heavy pop anglaise avant l’heure). Jess Conrad se tape un beau shoot de Diddley Beat avec «It Can Happen To You», c’est bardé de sax et de riffs délétères. Il y a un groupe à l’époque qui s’appelle The Saints et qui fait des instros géniaux («Happy Talk»). C’est la fête foraine au 304 ! Ils ne font d’ailleurs que des instros rigolos avec des effets. Meeky Meek fait claquer l’orage pour Iain Gregory dans «The Night You Told A Lie». Notre Meeky Meek préféré ramène même une trompette dans la mélasse. Tout est passionnant sur cette compile. Comme si chaque cut sonnait comme une aventure captivante. Meeky Meek file du son à Glenda Collins qui se prend pour Nico dans «Sing C’est la Vie». On se croirait chez Frank Alamo ! On retrouve les Blue Rondos avec «What Can I Do». Ce sont les wild guys du 304, ils n’en finissent plus de casser la baraque. Dommage qu’on n’apprenne rien sur eux dans le book de John Repsch. On finit en beauté avec une autre énormité : Carter Lewis & The Southerners et «Two Timing Baby». Tu vas droit au tapis avec trente-six chandelles. Merci Meeky Meek pour ce punch-up final. 

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             Une autre compile sonne comme un passage obligé : Joe Meek - Portrait Of A Genius. Rien que pour ré-entendre ces chefs-d’œuvre productivistes que sont le «Telstar» des Tornados (véritable machine à remonter le temps, c’est la magie de ton enfance) et le «Dear One» de Terry Victor, avec son bassmatic demented. Là tu peux crier au loup. Tu y retrouves aussi les hommages de Mike Berry à Buddy Holly («My Baby Doll» et «A Tribute To Buddy») : du real deal de Buddy, mais avec du son. Tu tombes aussi en arrêt devant le «Night Of The Vampire» des Moontrekkers, un bel instro soigné aux petits oignons par ce génie de Meeky Meek. Tu entends toutes les couches du son. Encore du son dans le «Stand Up» de Michael Cox, et Cliff Bennett fait l’Elvis dans «Hurtin’ Inside». Il en a les moyens

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             Et si tu as besoin d’une petite cerise sur le gâtö, tu peux aller sur YouTube visionner The Strange Story Of Joe Meek, un docu de la BBC relativement bien foutu. Avec la BBC, c’est toujours carré. On voit tous les acteurs principaux de la Strange Story, les deux frères de Meeky Meek, Arthur et Eric, plus Geoff Goddard et Patrick Pink, l’assistant de la dernière heure, puis d’autres acteurs clés comme John Leyton et Heinz. Comme c’est un docu, la BBC commence par raconter les débuts de Meeky Meek au Lansdowne Studio, il y enregistre Chris Barber et le «Green Door» de Frankie Vaughan, puis on passe très vite à Holloway Road, avec des plans sur la façade, montrant les trois étages au-dessus de la boutique A.H. Shenton. John Leyon raconte l’enregistrement de «Johnny Remember Me», avec «la section de violons dans les escaliers, les backing vocals packed in the loo, and the brass section underneath, à l’étage en dessous, quite bizââârre.» Mais c’est un hit. Geoff Goddard parle bien sûr d’inspiration «beyond the grave» pour son «Tribute To Buddy Holly», on voit même une séance de spiritisme : quatre mains font glisser un verre sur une table en verre, au centre d’une cercle de cartes. Merci à la BBC pour ce plan dément des Tornados avec Clem Cattini au beurre et Heinz à la basse. Heinz avoue qu’il a vécu trois ans à Holloway Road, «in the flat above the studio». Plan dément aussi des Honeycombs avec la batteuse Honey au centre et «Have I The Right». Ah il faut la voir battre à bras raccourcis. Ça devait chauffer chez Meeky Meek.

             Bon, c’est pas tout ça, mais l’heure est venue d’aller se coucher. On reviendra sur Meeky Meek dans un Part Three, car il reste encore des tas de choses à voir.    

    Signé : Cazengler, Jo la mite

    Joe Meek. Bad Penny Blues - The Early Years. Great Voices Of The Century 2009

    The Joe Meek Story - The Pye Years (Vol 1 Vol 2). Sequel Records 1991

    The Joe Meek Story - The Pye Years Vol 2. Sequel Records 1993

    The Joe Meek Story Vol 3 - The Complete Houston Wells. Sequel Records 1993

    The Joe Meek Story Vol 4 - The Best Of Michael Cox. Sequel Records 1993

    The Joe Meek Story Vol 5 - The Early Years. Sequel Records 1997

    Joe Meek. Portrait Of A Genius. Mr Suit Records 2013

    The Strange Story Of Joe Meek. BBC (YouTube

     

     

    Wizards & True Stars

    - Massacre à la ronronneuse (Part Two)

     

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             Que deviendrions-nous sans Anton Newcombe et son Brian Jonestown Massacre ? Pas grand-chose. Il continue de porter la bonne parole, après trente ans de bons et loyaux services. On ne perd pas son temps à suivre ce Last Dandy On Earth à la trace. D’autant qu’il vient de sortir coup sur coup deux nouveaux albums déterminants. Signalons au passage que la presse anglaise a boudé ces deux albums, on se demande bien pourquoi. Les critiques qui n’achètent pas leurs disques reprochent un peu à l’Anton de faire toujours le même album, reproche qu’ils adressaient jadis aux Cramps et aux Ramones, ce qui montrait déjà clairement qu’ils n’écoutaient pas les disques.

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             Par contre, les ceusses qui achètent leurs disques et qui suivent l’Anton à la trace savent ce qu’il faut savoir : l’Anton continue méthodiquement de bâtir une œuvre. Il s’agit d’une œuvre à l’échelle d’une vie. Il est un peu le Zola de la Psychedelia. Fire Doesn’t Grow On Trees est en quelque sorte le 23e tome des Rougon-Macquart de la Psychedelia. Les ceusses qui se sont frottés à la prodigieuse saga des Rougon-Macquart savent de quoi il en retourne. Aujourd’hui, l’Anton se détache du lot par sa seule dimension artistique. Avec Bevis Frond, l’Anton est l’un des derniers grands représentants de ce qu’on appelait autrefois la Mad Psychedelia. Il suffit d’écouter «Wait A Minute (2:30 To Be Exact)» sur Fire Doesn’t Grow On Trees pour s’en convaincre définitivement. C’est un déluge de Mad Psychedelia interstellaire. Même chose avec «You Think I’m Joking», il tape au cœur du mythe à la main lourde, il dévoile son dévolu, il en incombe au Newcombe. Et puis tu as cet «Ineffable Mindfuck», l’Anton se barre en heavy groove de loup des steppes, c’est l’expression la plus pure du génie Antonien, il te fait un rock pelé, gorgé d’essence, il fait sonner le rock comme il doit sonner, dangereux, juste sur le bord de l’edge. En matière de pression atmosphérique, c’est l’un des meilleurs cuts que tu pourras écouter au XXIe siècle. D’un seul coup, l’Anton t’aplatit toute l’actualité du rock, son solo s’est échappé de l’asile. L’Anton te sert le rock sur un plateau d’argent, un rock sous pression, transi de prestance, avec un foie explosé. Pour exprimer son génie visionnaire, il fait éclater un petit solo dans la fumée. Si tu écoutes ce cut plusieurs fois d’affilée, tu peux devenir fou. Pur havoc. Il part en fast ride de wild messie avec «It’s About Being Free Really», ici tout n’est que démesure, le rock en tombe sur le dos. L’Anton est le maître de cérémonie, il tape son «Silenced» au heavy groove d’everybody knows et te passe le solo dont tu as toujours rêvé. Chaque fois, c’est une purge. Quand il tape un balladif («Before And Afterland»), il chante comme un fantôme et sort de son cocon comme un papillon extraordinaire. Il entonne son «#1 Lucky Kitty» à la manière des Byrds, il se positionne une fois encore dans l’entre-deux du gratté de poux subliminal. Il te zèbre ton univers. Cet album puissant file par-dessus les toits.

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             Vient de paraître The Future Is Your Past. Un véritable blaster gorgé de génie sonique. Embarquement pour l’île déserte de Cythère dès «Do Rainbows Have Ends». L’Anton drive ses légions infernales, il a tellement de son que ça chevrote dans les tubulures, et il s’en va clouer son cut à la porte de l’église avec un solo destroy oh boy. Il reste branché sur l’heavy power avec «Nothing Can Stop The Sound», il fait du sonic Newcombic qui te colle au mur. Il force son passage au beat insistant à travers les nappes d’orgue. Il n’existe rien d’aussi pur et dur sous le soleil de Satan. Encore plus énervé, voilà «The Light Is About To Change». Une vraie charge de cavalerie. L’Anton règne sur le monde du rock, encore une fois le temps d’un cut en feu. Il fait du no way back, du sans partage, de l’inexpected, de l’intraitable, du Rougon bougon, du Macquart maqué. En ces temps de vaches maigres, c’est une bénédiction que de recevoir ce déluge sur la tête. Anton Newcombe est une fois de plus le sauveur, et son solo lance-flamme nettoie bien les tranchées. Oui, «The Light Is About To Change» est littéralement noyé d’hyper-son. Il reste dans la dimension de l’heavy sludge pour tartiner «Fudge», un ras de marée de Mad Psychedelia, il nous entraîne dans le cratère du Fudge, yeah ! Il ouvre des horizons, il fracasse des ciels, il t’offre le voyage, c’est gratuit. Chez lui, tout est à l’œil. Et ça repart un peu plus loin avec une nouvelle triplette de Belleville, à commencer par l’«As The Carousel Swings». Il affiche clairement ses intentions : tout doit voler en éclats, il claque le beignet du big time, Anton entonne, il te newcombe la Mad Psyché, c’est un psychopathe ! Nouveau déluge de feu avec «The Mother Of All Fuckers», il arrose la galaxie, il n’a jamais eu autant de son, sa voix tremble, c’est stupéfiant, complètement démoniaque, le cut prend feu sous tes yeux. Anton Newcombe est un démon, en voilà la preuve formelle. Il profite d’«All The Feels» pour recréer la magie des sixties, il ramène tout le son du monde et son sens aigu des grosses compos, il tartine le heavy balladif dont on a toujours rêvé, c’est à la fois glorieux et inébranlable, comme coulé dans l’airain, son balladif vaut tous ceux des Stones, c’est du haut niveau. Anton Newcombe est un conquérant, il envahit les cervelles, il fait partie des géants de notre époque. Il Zolate le rock moderne. Il accumule les classiques.

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             Par voie de presse, il nous dévoile deux de ses facettes : la facette «regardez comme j’ai bon goût» (dans Uncut), et la facette «regardez comme je sais digger le digging» (dans Shindig!). Il ne pouvait confier son digging qu’à Shindig!. Commençons si vous le voulez bien par la facette la moins obscure de ce Last Dandy On Earth, parue dans Uncut, et planquée à la fin, juste avant la troisième de couve. La rubrique s’appelle ‘My life in music’ et ce n’est pas pour des prunes. Il se définit en dix albums qu’il commente et là ça devient passionnant. C’est, comme on s’y attend, du trié sur le volet. Quelle page ! Le genre de page qui fait tout le prestige de la presse rock anglaise. Le genre de page qui te réconcilie avec l’époque Nick Kent et Mick Farren, au temps où tu ouvrais ton tabloïd. Tu sentais le souffle, dès l’aéroport. L’Anton ne lésine pas sur les classiques : Stones, Beatles, Jimi Hendrix, Love, Bowie. Rien qu’avec ça, tu comprends tout. L’Anton ne sort pas de la cuisse de Jupiter, il sort de l’écoute obsessionnelle de cette riche poignée d’albums. L’Hendrix qu’il choisit est l’Are You Experienced - It’s mainly on the strenghth of «The Wind Cries Mary» - that song kills me, this poetic beauty - Et il ajoute, le souffle court : «Nobedy’s ever really sounded like Jimi again. It’s straight up rock’n’roll.» Et quand un mec comme l’Anton te dit ça, il sait de quoi il parle. Il dit qu’il se fout de ce que Jeff Beck et Clapton ont fait - It doesn’t matter what those guys do, none of them can touch him - Il enfonce son clou, et il a raison, Jimi Hendrix est unique : «Nobody comes close. It’s fucking impossible to be that guy, and I love that.» Le Stones qu’il choisit est le Satanic Majesties Request - Brian Jones is important in my cosmology. He played the band like a fiddle, until they moved him to the back seat, then off the bus - L’Anton explique que cet album was dead as a doormail et Brian l’a ressuscité - He’s on cello, sitar, marimba, harmonica, slide guitar, he’s playing every instrument to make the song better - L’Anton ajoute dans son élan que les Stones «weren’t psychedelic at all. Brian was. This record is a document of his genius.» Il choisit le Revolver des Beatles car pour lui, Revolver va plus loin que Rubber Soul - simply because of «Tomorrow Never Knows» and the power that that song still has - Il se prosterne aussi devant Forever Changes. Il rappelle qu’il est «an LA guy born in ‘67», et qu’ado, chez ses copains, il écoutait les disques des parents, all that psych stuff. Forever était pour lui «so far ahead of its time» - And it’s a mixed race band - L’Anton dit rêver de faire un album comme Forever - it’s almost an unachievable goal but I think about Arthur Lee every day when I’m writing - Le Bowie qu’il choisit est le Rise And Fall Of Ziggy Stardust And The Spiders From Mars - Bowie showed me it was Ok to be an individual - Car l’Anton avoue qu’il n’a jamais voulu ressembler à personne, ni même à ses parents. Il reconnaît aussi qu’il est difficile de choisir entre Ziggy et Hunky Dory. Il salue aussi le Metal Box de Public Image Imited - You get the pirate ship for Christmas but then you tear it part and build a spaceship.   

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             Pour Shindig!, l’Anton choisit 11 obscurités qui ont le pouvoir de faire du bien, sous le titre ‘The lone pilgrim’. Il dit utiliser la musique «as an alpha wave generator». L’obscurité la moins obscure du lot est un cut des Soundcarriers tiré de leur album Entropicalia - They are my favourite UK band, just lovely people, fantastic music... imagine taking the best of psych-pop-jazz-vocal, the best hits of Broadcast, Stereolab. EVERY FUCKING THING WE LIKE, and making it your own - Il s’enflamme. «This is not an emulation, this is the real deal. It retains form. Timeless and precious. Support them.» Les Soundcarriers peuvent dire merci à leur copain Anton. C’est un bel hommage. En plus, il a raison. Tous les ceusses qui ont écouté les cinq albums des Soundcarriers seront d’accord avec lui. Quant au reste, c’est plus compliqué. Il commence par saluer un Français, Sullivan. Il n’a pas d’info, il sait juste que Dutronc l’aurait soit-disant aidé. Le Pays des Merveilles est sorti sur Vogue en 1967. L’Anton flashe aussi sur un cut d’Alice Coltrane, «Krishna Krishna». Il dit que «the entire album is a must have» (Kirtan: Turya Sings, sur Impulse). Il recommande aussi le Manda Fat de Jackie Mittoo sur Studio One, et si on aime le folk, l’album sans titre d’Anne Briggs paru en 1970. Il recommande aussi Salvation Army et leur album sans titre de 1982, un groupe qui allait devenir The Three O’Clock, part of the Paisley Undergound - Their music combines Californian punk’s youthful energy and the best psych... Tell me I’m wrong.    

             This one is for Jean-Yves, grand fan d’Anton devant l’éternel.

    Signé : Cazengler, Newcon tout court

    Brian Jonestown Massacre. Fire Doesn’t Grow On Trees. A Records 2022

    Brian Jonestown Massacre. The Future Is Your Past. A Records 2023

    Anton Newcombe : The lone pilgrim. Shindig! # 136 - February 2023

    Anton Newcombe : My life in music. Uncut # 310 - March 2023

     

     

    L’avenir du rock

    - Psychedelic Lullies pop

    (Part Two)

     

             Craignant qu’on lui reproche de ne pas respecter l’étiquette sex & drugs & rock’n’roll, l’avenir du rock va aux putes. C’est un principe sur lequel il ne déroge pas, même s’il clame sur tous les toits que les principes sont tout juste bons pour les beaufs. D’où la nécessité d’aller aux putes. Le trash le lave de tous ses péchés. Au cœur de la nuit, il se fait un gros rail de speed, embarque quatre 8.6 Gold pour la route, monte dans sa bagnole et file sur les Maréchaux. Il arrive Porte d’Asnières et remonte toutes les portes une par une. Il sait que ça se passe Porte d’Aubervillers. Il y repère une magnifique Africaine aux seins exubérants. L’ivoire de son sourire brille dans la nuit. Il la fait monter à bord sans lui demander son tarif. Elle est presque trop grande pour la bagnole. Elle lui indique la direction d’une rue tranquille. L’avenir du rock se gare. Elle enlève son manteau et sa jupe de cuir, elle ne porte rien dessous. Se dégage d’elle un mélange capiteux de majesté royale et de sensualité exotique. Elle tend la main et l’avenir du rock y dépose les billets. Elle murmure «more», alors il en dépose un autre, «more» fait-elle encore, «yesss» soupire-t-il en proie au tourment d’un désir brûlant. Dans la pénombre, il voit briller ses yeux de vrai chat abyssin et la peau de ses seins, deux sphères, entre lesquelles il abandonne deux mois de salaire pour y rouler son pauvre joint, il ahane car que pourrait-il faire d’autre qu’ahaner comme un âne, puis dans son sexe cyclopéen il enfonce son pieu tel l’Ulysse d’Homère, il l’a raide plutôt amère, car c’est lui grands dieux qui n’y voit plus rien. Alors il lui fait le plein comme au Latécoère qui décolle en vibrant vers les cieux africains, et dans la moiteur de sa croupe d’airain, il peut voir éclore des renoncules par-derrière, et par devant un conifère lui rappelle un air jamaïcain. Secoué de tant d’extases sublimement tropicales, il lui demande d’une voix blanche :

             — Tu t’appelles comment ?

             — Melody...

             — Melody comment ?

             — Melody Nelson... 

     

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             L’avenir du rock ne rate jamais une occasion de saluer Gainsbarre, surtout à la suite d’un concert des Lullies qui finalement en imposent autant que Lola - Comment oses-tu me parler d’amour toi hein/ Toi qui n’as pas connu Lola Rastaquouère - Alors pour paraphraser Gainsbarre, on pourrait presque chanter sur le même air de reggae «Comment oses-tu me parler de punk-rock toi hein/ Toi qui n’as pas connu les quatre mousquetaires ?». Alors évidemment, ils n’ont pas de renoncules par derrière ni de sexe cyclopéen, mais une énergie qui vaut bien celle des tribus africaines.

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             Sur scène ils développent cette énergie héritée du White Light/White Heat et des Saints.  Chaque fois qu’on voit Roméo à l’œuvre, on pense immédiatement à l’early Chris Bailey, sans doute à cause du power et de la coiffure. Romeo chante le rock électrique, comme le disait si bien Eve Sweet Punk, propulsé par une section rythmique increvable, les Lullies ne sont pas là pour rigoler, mais pour foncer dans le tas, et c’est du bim bam boom d’à toute allure dès le premier accord gratté sans ménagement : un slash d’SG en disto et Shebam pow blop wizz ! C’est parti pour une cavalcade insensée à travers la plaine, avec de belles pointes de Méricourt.

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    Sur scène, les Lullies sont à la fois classiques et uniques, classiques au sens où ils sonnent comme tous les grands groupes gaga-punk qu’on voit depuis vingt ou trente ans, et uniques par leur mélange de candeur méridionale et d’héritage des Gardiens du Canigou. On a tendance à vouloir mettre tous les garagistes dans le même sac, mais ça ne marche pas. Le meilleur exemple est celui du trio japonais The Fadeaways qui parvenait à blaster son gaga-sixties avec une certaine forme d’originalité, avec une sorte de ton propre, ce qui pour le genre est un exploit.

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    Les Lullies c’est un peu la même chose, ils blastent le fast gaga-punk avec un ton propre, et pas seulement parce qu’ils chantent en français.  Leur set est short & sharp. Pas de morceaux lents à la mormoille. Un set qui coupe court à tout épilogue. No comment, comme dirait Gainsbarre.

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             Par contre, leur nouvel album porte bien son nom puisqu’il s’appelle Mauvaise Foi. C’est une façon comme une autre de dire qu’il n’est pas de bonne foi.

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    En écoutant le morceau titre, on croit entendre du speed Téléphone pas très glorieux. Dommage, car Roméo y répand de belles clameurs de solo. Au fil des cuts, on sent nettement la panne d’inspiration. Pas facile de faire du fast punk en français. Les Lullies ont l’air de perdre de la hauteur. Ils oscillent entre le speed Téléphone et le sous Téléphone. On attendait des merveilles des Grys-Grys, alors on attend forcément des merveilles des Lullies. Avec cet album, on s’attendait à un gros déménagement façon Saints, mais la première série de cuts reste invariablement téléphonique, le chant en français les colle au mur, comme s’ils allaient recevoir douze balles dans la peau pour trahison. Et puis soudain, l’énormité montre son museau sous la forme de «Ville Musée». Voilà le souffle ! C’est plein de son, plein de clameur, pur blast ! Et voilà qu’ils sonnent comme les Saints avec «Zéro Ambition», ils retombent en plein dans l’époque à coups d’ouh ouh ouh. C’est drôle comme parfois des albums se réveillent sans prévenir. On croit qu’on va s’endormir et soudain, on danse dans l’ascenseur. Ils amènent «Dernier Soir» au bassmatic. Alors pleins feux sur le Dernier Soir. Ils ont en eux cette fibre inflammable de la power pop, et là, le cut prend feu, ils développent une énergie stupéfiante. Puis ils rendent hommage à la belle Jackie avec une cover de «When You Walk In The Room». C’est un mélange d’hommage mythique et de vision punk, claqué aux accords de solace. Power absolu ! Il suffit parfois d’une bonne cover pour conquérir une ville. Puis ils repartent sur le chemin, ils chantent soir et matin leur punk 77, l’urgence de pas le temps, ils vont vite en besogne avec «Station Service», ils adorent le ventre à terre, ils ont le beurreman qu’il faut pour ça.

    Signé : Cazengler, Luli rastaquouère

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    Lullies. Le 106. Rouen (76). 24 septembre 2023

    Lullies. Mauvaise Foi. Slovenly Recordings 2023

     

     

    Inside the goldmine

    - Le stomp racé de Rachel Stamp

     

             On ne croise pas tous les jours des personnages aussi exotiques que Rachi. Ne nous méprenons pas : il ne s’agit pas d’un exotisme au sens où l’on l’entend généralement. Il s’habillait sobrement et se comportait normalement. C’est par son intelligence qu’il se distinguait du commun des mortels et qu’il devenait exotique. Il s’appuyait en permanence sur sa puissance de réflexion pour matérialiser des visions, qu’il s’ingéniait ensuite à commercialiser. C’est en bossant pour lui qu’on pouvait prendre la mesure de cet exotisme. Il voyait tout simplement ce que tous les autres ne pouvaient ni voir ni même imaginer. Plus il réfléchissait au futur des techniques pédagogiques d’avant-garde, plus il voyait clair, et ça ne passait pas forcément par la technique, non, il défrichait un domaine parallèle à celui de l’intelligence artificielle, un domaine qu’on pourrait qualifier d’intelligence instinctive, mais sourcée dans la chimie du cerveau. Rachi avait compris avant tout le monde qu’on possédait déjà ce type de ressources et il en faisait la démonstration, étape par étape. Bien sûr, il avançait lentement, car il ne disposait pas du support d’un service de R&D, mais ça lui permettait de comprendre une chose fondamentale : l’étude de l’intelligence instinctive se fait au rythme humain, qui est celui d’une compréhension évolutive, et ça le confortait dans ses convictions. Rachi n’avait pas besoin d’exposer ses théories sur un grand tableau, comme le font les mathématiciens célèbres dans les films américains, il préférait livrer les résultats de ses découvertes sous forme de petits objets interactifs qu’il mettait en ligne, dans un système d’abonnement payant. Il se situait résolument à l’opposé des réseaux sociaux qui n’ont de sociaux que le nom. Les gens qui le connaissaient pouvaient donc suivre l’évolution de sa pensée. Il constituait un réseau à taille humaine d’une extraordinaire qualité, et pour les initiés, c’était un privilège que de pouvoir suivre la lente éclosion de l’intelligence instinctive.

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             Pendant que Rachi bâtit son modeste empire digital, Rachel élève un autel aux dieux du stomp. À la même vitesse, celui d’une lente évolution des processus visionnaires. Contrairement aux apparences, Rachi n’est pas rachitique et Rachel n’est pas une femme, mais un groupe : Rachel Stamp, pour être plus précis. Rachel Stamp fit sensation le temps d’une photo dans un NME des années 90, puis pfffffttt, plus rien. Mais la photo tapa dans l’œil de certains zigotos. 

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             Alors, qu’est devenu Rachel Stamp ? Si tu te poses cette question, la réponse est dans un numéro de Vive Le Rock assez récent. Figure-toi que David Ryder Prangley annonce le retour du groupe. Inespéré ! Il rappelle qu’il s’est installé à Londres en 1994 et qu’il a trouvé le guitariste Will Crewdson via une petite annonce dans le Melody Maker. Il ajoute que Londres était une ville dangereuse pour les mecs qui avaient sa dégaine. On le mollardait et on l’insultait. Mais bon, le groupe jouait en première partie de Korn ou de Cheap Trick, donc, dit-il d’une voix chantante, ça marchait plutôt bien. Ils firent même une petite tournée américaine. David Ryder Prangley est persuadé qu’ils auraient pu être «aussi célèbres que Placebo ou Marilyn Manson», mais ils n’avaient ni le label ni le management qu’il leur fallait. Il ne décolère pas après les gens des maisons de disques qui, dans les années 90, se camaient encore plus que les musiciens. Pour conclure, il se dit fier de son groupe. Ils sont tous les quatre tellement tenaces qu’ils sont parvenus à survivre à toutes les avanies. D’ailleurs comme le rappelle notre héros Boby, Avanie et Framboise sont les mamelles du destin. 

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             Le premier album de Rachel Stamp s’appelle Stampax. Tout un programme. Pochette superbe : guitar slinging. D’ailleurs tu l’entends Will Crewdson, dans «NAUSEA», ça joue ventre à terre, ils te claquent ça vite fait, ils jouent dans le feu de l’action, et ce démon de Will Crewdson survole cette fournaise comme un vampire de Murnau. En fait, ils montent au front dès «Brand New Toy», au chant d’attaque frontale, puis ils tapent «Dead Girl» à la cocotte moite, ils jouent live et tout explose avec la gigantesque intro de Will Crewdson sur «Tammy Machine», summum du Wild Stamp, rien de plus explosif que ces riffs d’intro et ce killer solo trash. Ils amènent plus loin «Queen Bee» au heavy stomp de Stamp, ils jouent au punch pur, droit dans l’estomac, on croit rêver tellement ils ont du son, ça niaque à l’extrême, ça gorge de gavage d’oie et Ryder Prangley finit en hurlette de got me. Révélation ! Et la fête se poursuit avec «Black Tambourine». Les Rachel sont les cracks of the universe, comme dirait Wayne Kramer. Will Crewdson y passe un solo liquide, shake your black tambourine ! Retour au heavy stomp pour «I Like Girlz». Ryder Prangley verrouille son stomp à coups d’I I I like girlz et Will Crewdson repique une crise de génie sonique. Ils finissent leur Girlz en mode Sabbath. «Hey Hey Michael You’re Really Fantastic» sonne comme une petite apothéose de glam power - Hey baby I can’t excuse myself/ Aw my Gawd/ Bless my soul - Ça vaut bien Ziggy, after all. 

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             Il existe deux raisons fondamentales d’écouter Hymns For Strange Children. La première s’appelle «Didn’t I Break My Heart Over You». Les solos sont d’une incroyable justesse. Ryder Prangley joue une descente de basse et croise le killer solo flash de Will Crewdson, rien qu’avec ce tour de passe-passe, ils font évoluer les mœurs. Ils ne jouent plus du glam, mais de l’apoplexie, tu montes tous les étages. C’est du génie pur, l’une des plus belles manifestations du glam power. La deuxième raison s’appelle «Take A Hold On Yourself». Ce démon de Ryder Prangley l’amène à la Bowie, mais il pousse le bouchon plus loin que ne le fit jamais Bowie. Les maniérismes sont magnifiés par un son dévastateur et des biais de baby qui défient toutes les lois, les bouquets d’I know it’s hard babeh ont une résonance interstellaire, Ryder Prangley emmène cette bombe au sommet du glam power, un glam power qu’il exacerbe comme on exacerbe le désir pour mieux régner sur les cœurs. Autre coup de génie : «I Got The Worm», amené à l’avance phénoménale d’un glam-punk anarchique. Comme tout le reste de l’album, le Worm est puissant et Ryder Prangley le finit à la Méricourt, il faut l’entendre hurler ! Les accords de Rachel dans «Spank» valent bien ceux de Ronno dans les Spiders. Ils tapent ça au heavy riff de bonne augure et comme tous les autre cuts, ça devient très vite inespéré. Ils sortent un son qui défie toutes les attentes. Avec «Monster Of The New Wave», Ryder Prangley monte le chant au plus haut niveau d’hallali et il attaque son «Brand New Toy» au heavy barrage d’accords destroy oh boy - I want a brand new toy - suivi d’un killer solo flash de flash no more, et là, tu as tout le Stamp de Rachel. Ryder Prangley chante «Ladies & Gents» au dirt d’everybody knows that girl got the devil et soudain, alors qu’on ne s’y attendait pas, Will Crewdson passe un solo à la Dolls. «Dirty Bone» nous permet d’assister à un fantastique développement éléphantesque, et cet album faraminé se termine avec «My Sweet Rose» qui démarre en douceur mais qui s’en va exploser vite fait. Ryder Prangley n’est pas le genre de mec à traîner en chemin.

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             Paru en 2002, Oceans Of Venus est encore un bel exemple de big album tombé dans l’oubli. C’est l’un des grands albums de power-glam qu’il faut rapprocher de ceux des Towers Of London, des DeRellas, du Silver Ginger Five, des Toilet Boys, de Zolar X et bien sûr des Hollywood Brats. Au moins trois coups de génie dans l’Ocean, à commencer par «Black Cherry», amené aux grosses guitares, monstrueusement bon, heavy motherfucker, ils recyclent tous les clichés du genre mais ils les subliment à coups d’accords sur-saturés, jamais on avait entendu un tel ramdam, sauf peut-être chez Queen Adreena. Tout ici est démesuré, même la frappe du batteur et ce Oh Black Cherry ! Même chose avec «Do Me In Once And I’ll Be Sad And Do Me In Twice And I’ll Know Better» amené aux accords de hit inter-galactique, ça joue à la cocotte lourde, c’est plein de jus, plein d’avenir et d’espoirs supérieurs, on a là une power-pop glammy emmenée au sommet du genre. Quelle clameur ! Tout aussi bardé de son, voilà «Twisted», cisallé par des tempêtes soniques. Ils jouent avec les nerfs et soudain ça éclate dans une apothéose de heavy glam, avec un David Ryder Prangley qui hurle tout ce qu’il peut en fin de parcours. Tu veux du glam ? Alors écoute «Witches Of Angelhölm». Ils tapent dans le real deal, c’est chanté à la gomme de glam arabique et gratté au gras double. Et puis tu as aussi le morceau titre que tu prends en pleine poire, tellement c’est agressif. David Ryder Prangley bat tous les records d’insanité avec sa hurlette. Plongée en enfer garantie. Ils restent au sommet du lard sur tout l’album, tout est saturé de son et chanté avec une sacrée dose de démesure. On observe encore une belle profondeur de stomp dans «Permanent Damage» et «The Loveless» se distingue aussi par un heavy stomp qui en fait un petit modèle de Big Atmospherix. David Ryder Prangley hurle par dessus les toits, il peut rivaliser d’indécence avec Jaz Coleman.

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             Finalement, le plus simple est peut-être de rapatrier un bon Best Of, Now I’m Nailed To Your Bedroom Wall I’ve Only Got Myself To Blame, plus facile à dénicher que les trois albums qui, pour une raison X, sont devenus des objets rares. Sur les 20 cuts du Best Of, tu as 12 bombes, voilà, le calcul est vite fait : «True Love» (qu’on voit monter en température, étuve cathartique, et qui orgasme au sonic trash d’out of my mind), «Twisted» (attaqué à la voix d’androgyne, chauffé aux accents délirants, David Ryder Prangley réussit là où Alice Cooper et d’autres ont échoué, il fait du flash in the flesh, joué et screamé au sommet du lard avec à la clé le pire killer solo flash de l’histoire du flash - si tu ne le crois pas, écoute «Twisted» et tu auras du son, plus que tu en as généralement à Noël. Ces mecs sont la dernière grande bénédiction d’Angleterre, il faut voir comme ça hurle dans la tempête de Shakespeare), «Pink Skabs» (gratté à la démesure, décadence & power absolu, ça coule de jus définitif, merci Rachel), «Witches Of Angelholm» (amené aux accords tordus, c’est du Grand Œuvre joué avec la volonté d’en découdre, ça t’hébète, stupeur face à ça, les accords se tordent de douleur, le riffing est unique au monde, pendant que David Ryder Prangley voit son visage in the mirror, Will Crewdson gratte des accords pervertis), «Didn’t I Break My Heart Over You» (Ces mecs savent créer les conditions d’un hit, ils négocient un passage vers les étoiles, avec une pureté d’intention dont personne aujourd’hui n’ose plus rêver. David Ryder Prangley connaît les secrets de l’amour, il sait comment incendier un cœur). En fait, Rachel Stamp pousse les dynamiques de Ziggy Stardust jusqu’au sommet des possibilités du genre. On l’a vu sur «Oceans Of Venus» : ils cultivent l’extrémisme sonique et le biseau de la folie («All The Madmen») pour aller chercher l’horreur des clameurs. Ils savent aussi battre le pilon des forges et la cocotte de la mort blanche («Black Cherry»). Ils savent aussi monter en neige de heavy glam panther définitif («Queen Of The Universe»), un glam de l’an 2000, puissant, cisaillé, gluant de jus. Ils pratiquent aussi avec succès l’explosion d’incentive («Dead Girl»). Ces mecs ont tout : le claqué de surface et l’intention sous la jupe, c’est-à-dire la grandeur et la décadence. Ils savent aussi noyer un cut dans l’apocalypse, comme le montre «Hey Hey Michael You’re Really Fantastic», un cut qu’ils introduisent dans la vulve de Vampirella, aw my Gawd ! Le heavy trash n’a aucun secret pour eux («My Sweet Rose») et on retrouve les excellents «I Got The Worm» et «Do Me In Once And I’ll Be Sad Do me In Twice And I’ll Know Better» qui sonnent comme des hot boom bangs.

    Signé : Cazengler, Romanichel Stamp

    Rachel Stamp. Stampax. Cruisin’ Records 2000

    Rachel Stamp. Hymns For Strange Children. Network Records Inc 2000

    Rachel Stamp. Oceans Of Venus. Pure String 2002

    Rachel Stamp. Now I’m Nailed To Your Bedroom Wall I’ve Only Got Myself To Blame. Cargo Records 2009

    Where Are They Now? Rachel Stamp. Vive Le Rock # 91 - 2022

     

     

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 27

    OCTOBRE – NOVEMBRE – DECEMBRE ( 2023 )

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    Il est des numéros qui vous touchent directement en plein cœur, celui-ci particulièrement, Gene Vincent ouvre cette vingt-septième livraison de Rockabilly Generation, de quoi consoler ceux qui ont oublié de commander le Numéro Spécial Gene Vincent dont le tirage est épuisé et dont Sergio annonce sur le FB de la revue qu’il ne sera pas réédité. C’est ainsi, la vie est cruelle, un seul numéro de RGN vous manque et votre monde est dépeuplé.

    Jean-Louis Rancurel – tout le monde le connaît même si le nom n’évoque aucun souvenir – quelques uns des plus beaux clichés rock des années soixante sont de lui. Et justement nous sommes gâtés, Jean-Louis Rancurel livre les photos prises lors de la mémorable soirée du concert de Gene Vincent au Théâtre de l’Etoile en octobre 62, voici soixante-et-un ans !

    Regardons d’abord les deux photos de Jean-Louis Rancurel, prises nous supposons par Sergio le jour de l’interview, l’a une gueule de baroudeur et d’aventurier. Ah, ces années soixante, Rancurel a fait partie de ces gamins qui à partir de rien ont implanté le rock en France. Ne s’est pas posé comme tant d’autres derrière un micro mais derrière un appareil photographique, ensuite il a ouvert les portes qui étaient devant lui, l’a commencé à quinze ans, n’a pas encore terminé aujourd’hui. D’entrée il nous fait un beau cadeau, de superbes photos des Vautours, non pas les charognards qui se disputeront votre cadavre mais un des groupes phares de la génération des Chaussettes noires, tellement fortes que je me dis qu’un de ces jours faudra que les chronique dans Kr’tnt. Ensuite c’est le Graal ! les photos de Gene, des splendeurs, sur scène et dans les coulisses. Faut lire ce qu’il raconte, ensuite je vous laisse admirer. Chrétien de Troyes ne le savait pas, mais il y a deux graals, le deuxième pleine page 13, un portrait de Vince Taylor. Merci à Jean-Louis Rancurel.

             Retour au présent avec un article de fond sur Vince Mannino, sicilien, commet une énorme bêtise le jour de ses dix ans il achète un disque d’Elvis Presley. Ne soyons pas étonnés si quatre ans plus tard il fonde son premier groupe. Que voulez-vous quand on est piqué par le virus du rock’n’roll, c’est pour la vie. Comme un malheur ne vient jamais seul il est considéré comme le guitariste rockabilly de l’Italie. Sait allier l’utile à l’agréable, sa compagne Sandra le seconde à la guitare rythmique dans leur groupe : Vince and the Moon Boppers. Un homme qui ne se met jamais en avant dans ses réponses, l’est heureux lorsque le public fait la fête avec lui. La couverture du magazine lui revient de droit.

             La rubrique Les Racines est ma préférée, J. Bollinger nous emmène aux temps anciens quand le rock ‘n’ roll n’était pas encore là, tout en étant déjà présent. Ce coup-ci nous ne voyageons ni dans le Blues, ni dans le Rhythm And Blues, ni dans la Country mais dans une dimension originelle que l’on oublie souvent, le Gospel avec The Statemen. Si vous ne connaissez pas il y a un petit jeune qui les a fréquentés et admirés. Un certain Hillbilly Cat aussi connu sous le nom d’Elvis Presley… L’article est passionnant.

             Si Vince Mannino est né en 1964 Alain Power natif d’Irlande a tout juste vingt ans. S’est déjà fait un nom avec son groupe Alain Power and The Aftershocks, dans ses racines l’on retrouve… Elvis Presley ! L’interprète si magistralement qu’il a compris qu’il doit commencer à se séparer de ce modèle si prégnant et commence à écrire sa propre musique. L’emprunte la bonne piste.

             Dernière partie, les comptes-rendus des festivals, le Good Rockin’ Tonight de Bourg en Bresse (anciennement Attignat), le Rock is Life à Rennes, pour les deux, photos et quelques lignes sur les groupes, Jake Calypso sur le premier, les Spunyboys sur le second. Rock is Life bénéficie d’une interview des organisateurs. Honneur à ceux qui se battent pour le rock’n’roll.

             Nous finissons sur une belle chronique de Serge Sciboz sur le dernier disque de Viktor Huganet.

             Un superbe numéro. Merci à Sergio Katz. Et à son équipe.

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois),  6 Euros + 4,00 de frais de port soit 10 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 40 Euros (Port Compris), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de tous les magazines... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents !  

     

    *

    Voici, si je n’en oublie aucun, le quatrième groupe chroniqué dans KR’TNT ! qui s’intéresse aux Mystères d’Eleusis. En tant que passionné d’antiquité gréco-romaine je ne manque jamais de recenser les formations qui abordent cette période historiale fondatrice.

    THE LAST HIEROPHANT

    MYKOSTERION

    (Album numérique / Bancamp / 23 – 09 – 2023)

    Mykosterion n’est pas le nom du groupe mais le nom de guerre de Loke. Je ne sais rien de lui, sinon qu’il provient de Denver dans le Colorado. One-man doom metal ainsi se qualifie-t-il. La technologie musicale permet à n’importe quel artiste de créer en solitaire son univers, les réseaux sociaux lui donnent la possibilité d’entrer en contact avec des esprits sinon similaires au sien du moins préoccupés de mêmes centres d’intérêt.

    L’on ne crée jamais à partir de rien. Locke cite ses sources, trois écrivains américains : Rollo May, Terence McKenna, Gore Vidal. Nous signalerons lors de notre écoute leur influence sur les textes des morceaux.

    Rollo May : 1909 – 1994 : psychologue existentialiste. Rappelons que l’angoisse heideggerienne est la base de l’existentialisme philosophique et psychologique. Rollo May vouera sa vie à soulager la souffrance et le mal-être des individus à un niveau théorique par ses écrits, pratique par ses activités de psychothérapeute. Pour mieux comprendre le rapport de Rollo May à l’antiquité grecque il suffit de rappeler que Martin Heidegger se détournera de cette notion d’existentialisme pour étudier la pensée philosophique grecque.

    Terence McKenna : (1946 – 200) : moins connu en notre pays que Timothy Leary ou Williams Burroughs pour citer des noms qui feront tilt dans la tête des amateurs de rock. Son nom est lié à l’usage de la drogue, mais c’est-là regarder son œuvre par le petit bout de la lorgnette. Il développe une pensée historiale et sans doute vaudrait-il mieux employer le terme de pensée préhistoriale, en indiquant comment l’homme s’est distingué du singe par l’absorption aléatoire de champignons hallucinogènes. Exposée en si peu de mots sa pensée risque de provoquer la moquerie, toutefois sa proposition reste une analyse du comportement cérébral anthropologique des plus fertiles.

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    Gore Vidal : immense écrivain dont il est difficile en notre pays de mesurer l’ampleur, seulement un tiers de son œuvre est aujourd’hui traduite en notre langue. En relation étroite avec notre sujet je ne citerai que deux ouvrages en relation directe avec The Last Hierophant : En direct du Golgotha : l’évangile selon Gore Vidal : de tous les livres que j’ai lus contre le christianisme (et j’en ai lu beaucoup) c’est le plus violent, et le plus désopilant. Julien : une biographie de l’Empereur romain qui tenta l’impossible : renverser l’emprise du christianisme et activer le retour des anciens Dieux. Sa mort en 363 signe la fin politique de l’Imperium Romanum.

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    … To walk upon the Athenians plains : crissement d’une cigale esseulée, comme une flûte douce, ils sont des milliers à marcher, mais l’on n’entend que le bruit d’un seul pas, ce n’est pas une marche mais une démarche intérieure, qui progresse, le motif se mue en le fredonnement d’un riff de guitare, de plus en plus fort mais légèrement, s’y mêlent bientôt de claires notes  tympaniques,  soudaine ouverture percussique échoïfiée le chant s’élève, la formule ‘’à jeun j’ai bu le kykeon’’ répétée trois fois, la basse reprend l’antienne originelle sur un mode plus lourd. Rien de plus, rien de moins, le morceau dépasse à peine les deux minutes, l’essentiel est dit, l’abstinence purificatrice et l’évocation de cette mystérieuse boisson dont la composition n’a jamais été relevée, indispensable à la suite des mystères. Aucune rupture avec The call of Eleusis : attention dans ce appel d’Eleusis, il ne s’agit pas ici de recréer pas à pas le rituel (perdu) éleusien mais d’évoquer les phénomènes mentaux qui conduisent à la réalisation d’un désir d’immortalité, tout comme la connaissance de la philosophie ne peut être que le désir même de la philosophie,  l’initiation ne peut être que le désir de l’initiation, celui qui parle est un épopte, un initié qui est parvenu au plus haut grade de l’initiation, il emploie le pronom personnel ‘’ nous’’ pour signifier qu’il n’est plus un individu parmi tous les autres mais qu’il a acquis une connaissance qui lui donne accès à une idéénité supérieure dont maintenant il fait partie à part entière. Le riff amplifié et la batterie cogne et résonne dans des coins secrets, le vocal assez emphatique, c’est la descente triomphale vers les divinités, par palier, main -mise de la guitare, tout se passe dans la tête, dans les galeries du cerveau mais aussi dans celles du sanctuaire,  le kykéon décille les yeux, l’on aperçoit grâce aux symboles l’entité principielle Déméter-Perséphone, la guitare se fait poignard, ne croyez pas  que ce soit une partie de plaisir, le vocal devient ténébreux, la batterie claudique sans rémission, pas de retour possible, une voix off vous rappelle que l’âme, la vôtre souffre autant que celle des initiés, le chant murmure les ultimes conseils à vos oreilles  il rappelle qu’après de terribles épreuves à traverser vous parviendrez enfin à une lumière qui dévoilera une autre perception du réel, qui vous donnera accès à une dimension sacrée, la batterie improvise une sorte de danse hiératique, et tout se calme. The antechambers of eternity : bourdonnements d’élytres de la basse, la voix du hiérophante vous aide à comprendre que vous n’accédez pas à l’éternité puisque vous êtes mortels mais que la mort et la vie sont une seule et même chose, les guitares grondent et la batterie percute, le chant est moins abrupt, nous ne sommes plus dupes des apparences, vous savez voir ce que les autres ne voient pas,  vous êtes au-delà des apparences, lorsque vous serez passés de l’autre côté vous serez à même de comprendre que si vous n’êtes pas éternel vous êtes dans les antichambres de l’éternité, tout devient flou la voix et la musique, les cymbales tintent, vous accédez enfin au secret du Kykeon, une solution obtenue à base de champignons, régal des dieux, votre tête explose, vous ne resterez pas ici, vous retournerez dans le monde des hommes mortels mais à tous moments la divinité palpitera en vous, elle irradiera la réalité qui s’offrira à vous, vous saurez et vous verrez, vous serez une cellule d’éternité lâché dans le monde. Long développement musical. Peut-être n’avons-nous vécu que le rêve d’un rêve. The last hierophant : la vie heureuse, la guitare s’assombrit, il semblerait qu’elle déraille un peu, une voix nous avertit que le futur ne sera plus le retour du présent, le temps a passé, les temps changent, la musique se tristétise, la batterie résonne, le chant se traîne mélodramatiquement, le dernier hiérophante termine les derniers rites, le galliléen a vaincu, christianisme triomphal, la guitare se meut en un dernier solo éclatant, nous sommes maintenant dans la nuit noire, perdus, sans lumière pour nous guider, pensez aux Immémoriaux de Ségalen lorsque le prêtre ne se souvient plus de la généalogie des Dieux qu’il récite, ce trou dans la récitation rituelle marque le commencement de la fin de la civilisation maorie, une voix s’élève à la fin du morceau, c’est la fin du monde. Living death : basse funèbre maintenant que nous sommes perdus comment survivre. La musique rassemble ses forces, n’avons-nous pas déjà connu la mort lors de l’initiation et n’avions-nous pas trouvé la vraie vie au bout du chemin, suivons la leçon des grands ancêtres, ils nous ont donné la mort et l’on a eu la vie, la leçon est claire, lorsque nous aurons traversé cette nuit qui nous accable nous retrouverons notre lumière. Même pas une épreuve, une nouvelle initiation qui se joue dans le monde hors des murs et des profondeurs du sanctuaire. Le morceau le plus palpitant et le plus effulgent du disque. Une réussite. On the brink of nihil : sur les rives du néant, un chant s’élève, entre déception et surprise, ils n’ont pas encore traversé le monde mort, les rites ne parlent qu’imparfaitement, tout comme cette guitare seule qui accompagne cette balade, les anciens Dieux se sont tus, nous nous raccrochons à ceux qui descendent du Soleil, qu’ils se nomment Hélios, ou Mithra, le dieu taureau des Légions romaines qui ont failli emmener Julien à la victoire. Le monde est difficile mais nous forgeons de nouveaux rituels pour les nouveaux Dieux et les Anciens. Occult Ritual : grincements, sifflements, brouhaha, la partie est loin d’être gagnée, les siècles ont passé et la situation n’a guère évolué la nuit est à peine moins noire, à moins qu’elle ne le soit davantage, guitare siphon, batterie pilon, chœurs asthmatiques, la situation a empiré, le chaos empêche de voir le vide du néant, mais nulle cohorte de Dieux n’est parvenue à l’alchémiser en cosmos. Il semblera à certains que l’histoire se termine en queue de poisson christique, mais non car les nouveaux rituels encore secrets ne sont qu’un début, peut-être seront-ils opératoires en ce vingt-et unième siècle.

             L’opus est très original dans sa démarche. Locke n’a pas essayé d’exhumer pour une reconstitution historique les Mystères d’Eleusis il les a inscrits dans une tradition historiale païenne qui bon siècle mal siècle s’est perpétuée. Une véritable œuvre politique de combat. Comme nous les aimons.

    Damie Chad.

     

    *

    Je croyais en avoir fini pour cette livraison des Mystères d’Eleusis, mais ayant précédemment tapé le mot ‘’ nisteia’’ qui signifie ‘’ jeûne’’ et que l’on retrouve dans la formule ‘’ à jeun j’ai bu le kiskeon’’, l’ordi en flatteur de vices expérimenté me propose de lui-même un OSI (Objet Sonore Inconnu) qu’il a déniché tout seul comme un grand sur Bandcamp :

    NISTEIA

    OLLA VIA

    ( Psycho-Acoustic-Perspective)

    La pochette représente une main qui tend une écuelle, vraisemblablement un coquillage, à un individu dont on n’aperçoit qu’un bout de visage et de corps. L’objet semble vide, est-ce pour représenter le fait de jeuner ou parce que le kykeon que contenait l’objet vient d’être bu par l’adepte ?

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    Olla Via est le nom que Jiannis Papadakis – grec et athénien - emprunte pour présenter son œuvre solo. Vous le retrouverez aussi dans le duo Hau. Son FB ne révèle rien de lui sinon qu’il participe avec d’autres intervenants à de nombreuses prestations scéniques de musique électro-acoustique. Nisteia nous semble carrément proto-noise. Le lecteur curieux peut visiter son SoundCloud ou son site personnel qui proposent de nombreuses vidéos de ses spectacles scéniques. Il revendique le titre d’artiste visuel.

    Olla via pourrait être traduit par la voie du pot (au lait). Un long regard sur son site personnel nous a persuadé que le lait a une certaine importance pour Jiannis Papadakis, nous ignorons pourquoi, peut-être parce que le lait de la femme possède la même couleur que le sperme de l’homme. Le lecteur qui voudrait en savoir davantage se plongera dans les écrits de Grasset d’Orcet. Ces trois dernières lignes découlent d’une interprétation toute personnelle.

    Un petit texte accompagne Nisteia, je le transcris tel quel, ne me permettant aucun commentaire, les lecteurs sont assez grands : Nisteia est basé sur des faits historiques non-officiels qui ont eu lieu à Eleusina de la Grèce Antique. Il a été conçu pour sept artistes affamés, trois psalmistes et un porc sacré. Le but de Nisteia est de transmettre une écoute ‘’ expérentielle’’ plutôt qu’une simple ‘’ œuvre’’ mixte.’’

    Ecoutons : Nisteia : chœurs prégnants, une note s’étire, une voix proche des chants sioux disparait rapidement pour laisser place à une espèce de polyphonie parsemée, avec de temps en temps le retour de ce vocal de gorge amygdalien, bientôt l’on n’entend plus la percu qui rythmait le morceau elle est remplacée par une espèce de long délire phonétique dont les différents timbres se font écho, une tambourinade n’empêche pas les syllabes sonores de se prolonger comme elles avaient décidé d’aller sans fin au bout de l’infini. Deux voies : celle des voix et celle du tambour qui se tait lorsqu’apparaissent gémissements et semblances de bribes de paroles, le tambour revient et devient cascade frénétique, galop infatigable, la note vocale est toujours tenue toutefois submergée par ces incantations torturées de paroles incompréhensibles prononcées à toute vitesse, maintenant la cavalcade s’adjuge vraiment la première place, jusqu’à ce que le vocalisme l’interrompe pour de nouveau repasser à l’arrière-plan du décor, les trois pistes se rejoignent, elles unissent leurs effort, elles courent de concert, elle se précipitent vers le terme. Brutal.

    Une certaine beauté et même une beauté certaine se dégage de l’ensemble. Pour donner une image : imaginez une séquence de dix minutes de chant grégorien dont les trois moines-chanteurs seraient brutalement frappés d’une folie dionysiaque et se libèreraient de toute composition architecturale liturgique pour s’en aller batifoler chacun à sa guise dans des sentiers autonomes tout en restant au diapason. Il est sûr qu’Olla Via s’est essayé à une espèce de reconstitution expérimentale et imaginaire des pratiques rituelles d’Eleusis, mais si j’ai parlé de moines c’est que le résultat obtenu ne me semble pas si éloigné des chants liturgiques orthodoxes.

    Damie Chad.

     

    *

    Les ennemis surgissent à tout moment dans votre dos, pour les amis ces surprises sont plus rares, peut-être parce que l’on n’a davantage d’ennemis que d’amis mais ceci est un autre problème. Dimanche soir penché sur mon fourneau je m’activais à une œuvre de haute sapience culinaire, la cuisson peu alchimique d’une boîte de conserve, pour tout condiment récréatif je n’avais que la radio qui diffusait une émission de France Inter, pas vraiment le top, j’entendais que ça blablatait pour ne rien dire, je n’écoutais qu’une demi-oreille, lorsque l’animatrice a proposé une interruption musicale, j’ai tremblé, la play-list de la première radio de France s’avère souvent décevante pour les amateurs de rock’n’roll, mais surprise, un groupe en direct, le même qui a joué au début de l’émission, je n’étais pas là, je redoutais le pire, ce fut les :

    HOWLIN’ JAWS

    Les Howlin’ ! On les suit depuis leur tout début, dix ans déjà, on a chroniqué leurs disques, leurs concerts, leurs clips, la dernière fois c’était durant le confinement, une sale période, pour ceux qui ont aimé cette stupide réclusion générale n’ayez crainte, ça reviendra plus vite que vous ne l’espérez. En attendant réjouissons-nous avec les Jaws !

    LE GRAND DIMANCHE SOIR

    Etrange expérience que de voir ce que l’on a entendu. Le Replay est sur le site de France Inter mais si vous passez par le FB des Howlin’ la vidéo démarre à l’instant de leur premier passage. Première constatation étonnante, le son est nettement moins bon sur cette vidéo que sur la radio. Pourtant mon poste est loin d’être un engin sophistiqué, un premier prix tout ce qu’il y a de plus commun ! Deuxième confirmation désolante, sont huit autour de la table en demi-cercle, z’ont le papier à la main et lisent tout ce qu’ils disent. C’est ce que j’appelle du faux-direct.

    Lost songs : la prise de vue n’est pas excellente, vu l’exiguïté de l’espace les Howlin’ sont un peu à l’étroit. Le son ne vous écorchera pas les oreilles. Nous reparlons de ce morceau dans quelques lignes. Down Down : une reprise de Status Quo, les rois du boogie, cette fois le son est meilleur, et la prise de vue moins statique, si la première partie du morceau down down din dan down est un peu simpliste la deuxième plus technique permet aux Jaws de montrer leur savoir-faire. Le public ne tarde pas à les soutenir.

             Ce 29 septembre les Howlin’ sortiront leur deuxième album Half Asleep Half Awoke. Sur YT sont présent en avant-première les clips de deux titres.

    Baptiste Léon : drums, percussions, backing vocals / Lucas Humber : guitar, backing vocals / Djivan Abkarian : lead vocals, bass.

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    Lost songs : ( Official video ) : paysage country, soyons géographiquement plus précis, campagne française, champs de blé coupé, étroite route goudronnée, pilonnes géants pour lignes haute-tension, une petite touche suburbaine avec cette ruine peinturlurée, et puis une bagnole à  l’amerloque, vieux modèle mi-pourrave,  enfin les Jaws omni présents, en voiture, au milieu des champs, sur le toit de la chiotte en train de jouer, habile montages de courtes séquences qui s’entremêlent et que l’on regarde en souriant avec plaisir. L’ensemble fait penser aux anciennes émissions musicales de la télé des années soixante - ici vous avez la couleur en supplément gratuit – où tout passage de chanteurs était savamment mis en scène, voire chorégraphié pour les séances studio. L’ensemble dégage un sentiment de joie de vivre, d’insouciance, d’un monde ouvert à tous les possibles. Juste un faux hiatus. Une chanson triste. Sur l’impuissance. De l’amour, je vous rassure je ne parle pas de sexe, une amourette, les amours rets, une douce romance, pas sérieuse pour un (ancien) franc, une voix douce, une guitare sucrée.  Ne la réécoutez pas deux fois, car vous allez vous y poser dessus comme l’abeille sur le pot de miel, comme la mouche sur le ruban qui tue. Un slow à la mode des années soixante mais psyché aux hannetons. Une langueur astringente, un couteau qui ressort en douceur des lèvres de la plaie du plaisir.

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    Lost songs : ( Lyrics video ) :  on prend les mêmes et on recommence, en fait c’est le contraire, l’official est sorti voici peu, celle-ci l’a précédée de deux mois. Moins de moyens, donc une idée, toute simple mais sacrément intelligente. Une photo sur fond mauve-rose, mauve-bleu, mauve-orange, nos trois gaziers sont là, immobiles, Lucas accoudé sur son ampli, Baptiste assis sur celui de Djivan, Djivan couché à terre, tout devant sur ce divan improvisé. Il ne se passe rien, heureusement que les paroles s’inscrivent en grosses lettres sur le haut de l’écran. Attention ça bouge. Changement de place. Plan fixe. Tour à tour ils prennent leur instrument, puis se murent dans l’immobilité, sur la fin du morceau ils font semblant de jouer tous ensemble. Perso je préfère celle-ci à la précédente. Beaucoup plus subtile. Elle distille le poison de la mélancolie du vécu au goutte-à-goutte.

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    Mirror Mirror : ( Official Video ) : un clip psyché en diable, impossible de poser les yeux sur une image pour visualiser, télescopage incessant de plans, sur un fond de couleurs spatiales, tourbillons statiques d’étoiles, d’aurores aux doigts de rose ( merci Homère) et de cieux bleu-nuit ou clairs, nos trois compères semblent se disputer pour être les premiers à apparaître sur l’image, des trucages dus à Gaspard Royan les démultiplient à l’infini, quand on y réfléchit, l’occasion à ne pas rater pour fermer les yeux et écouter. Ne faites pas l’âne qui suivrait une carotte sonore et en oublierait de la croquer à petits bouts pour en déguster les mille saveurs. Mille parce que vous devrez vous y reprendre mille fois pour prendre pleinement ce fruit juteux dégoulinant de sucs vanillés. Le moindre gratté de guitare ne reproduit jamais un même son, vous êtes devant une cage de quarante mètres carrés dans laquelle on aurait fourré tous les animaux du zoo, à peine en avez-vous aperçu un qu’il est immédiatement renvoyé hors-champ par un autre qui cède sa place au suivant si rapidement que vous avez du mal à l’identifier. L’objet sonne très Howlin et en même temps très british, période 65-67, des sonorités à la toque qui vous rendent complètement gaga, les Howlin sont toujours un peu gaga-rage, mais là ils n’ont pas besoin de muselière, viennent vous manger la main sous le sucre, très agréable, vous saupoudrez votre main gauche pour qu’elle subisse le même sort, et puis surtout cet élan ininterrompu qui emporte le morceau, le fait miroiter à vos oreilles, et puis s’éclipse parce que les mirages scarabéens ne durent qu’un temps.

             N’y a plus qu’à découvrir l’album. Mais ce n’est pas tout. Si vous voulez les voir en direct sont à la Maroquinerie le 08 novembre, un peu partout en France aussi. Mais ce n’est pas fini : z’ont deux pages sur le numéro de septembre de RollingStone, au studio Toe Rag de Liam Watson pour l’enregistrement de Half Asleep Half Awoke.

    Damie Chad.

     

    *

    Avec Denis sur le marché, l’on parlait du dernier single des Stones, pas vraiment convaincus, comme c’est les Stones on se rattrape aux petites branches : ‘’ Faudra voir l’album’’. Denis ajoute : ‘’ Puisque l’on parle des Stones, voici pour toi’’ et il me tend :

    UN DEMOCRATE

    MICK JAGGER

    ( 1960 – 1969 )

    FRANCOIS BEGAUDEAU

    (Folio 5726 / Mars 2022)

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    A l’origine sorti chez Naïve en 2005. N’avais pas vu passer à l’époque. François Bégaudeau a été le chanteur du groupe punk Zabriskie Point, l’adaptation d’un de ses romans Entre les murs a été élu Palme d’or à Cannes (2008). Il est ce que l’on nomme un intellectuel de gauche, n’en a pas moins été qualifié de ‘’brun-rouge’’ suite à la sortie de son livre : Histoire de Ta bêtise. Apparemment beaucoup se sont sentis visés. Ce qui nous semble un bon signe.

    Sans ouvrir une page, le titre nous renseigne sur le projet de l’auteur. Les Rolling Stones, certes un grand groupe de rock, mais après 1969 ce n’est plus comme avant. Dans ces cas-là faut un responsable, ce sera Mick Jagger. Une thèse peu originale, nombre de fans la partagent à quelques détails près. Quant à qualifier Jagger de démocrate, il y a à boire et à manger. Le titre est ambigu, signifie-t-il que Jagger fut un démocrate durant la première partie des Stones ou qu’il est devenu démocrate dans la deuxième partie de sa carrière. Le mot démocrate a plusieurs sens faut-il le comprendre comme un compliment : notre époque se complaît à revendiquer les valeurs démocratiques comme le summum de l’organisation sociale politique : liberté de penser, de circulation des marchandises, de commercer en paix aux quatre coins du monde. La démocratie c’est le régime politique par excellence du libéralisme économique. Les anciens grecs pensaient à peu près la même chose mais pas tout à fait dans le même sens. La démocratie, régime des marchands, était accusée de libérer la cupidité des appétits humains et de favoriser la déliquescence de la société… Si François Begaudeau a dans son Histoire de Ta bêtise entrevu le libéralisme actuel selon cet angle démocratique, pas étonnant qu’une grêle de critiques acerbes se soit abattue sur lui !

    Il est temps de revenir à notre jardin où ne poussent que de chauds cailloux. Dans les premières pages Begaudeau fait son malin, oui Jagger est né en 1960, sur un quai de gare en même temps qu’un certain Keith. Et il est mort en 1969. Vous l’ignoriez, il va vous expliquer. N’ayez crainte il n’expliquera rien. Compte sur l’intelligence de son lecteur pour comprendre ce qu’il veut dire. 

    L’est comme l’homme qui creuse un trou et qui y tombe dedans. Lui c’est les pierres qu’il empile les unes sur les autres et elles finissent par s’écrouler et par l’emporter avec elles. Les Stones ce sont les Stones et entreprendre le récit de leur histoire c’est magique, les mots et les émotions arrivent tout seuls. Begaudeau est né en 1971, l’est venu au monde trop tard, il n’a pas connu l’époque, il ne s’appuie sur aucun souvenir personnel.

    Ne peut pas raconter ce qu’il a ressenti lorsqu’il a entendu The Last Time pour la première fois de sa vie à la radio, au niveau vécu personnel c’est la dèche, un véritable handicapé, le mec qui arrive après la bataille et qui vous la raconte. Peut-être bien mieux que la plupart de ceux qui y ont assisté. Car il écrit bien. En plus il a un joker dans sa manche. Attend un petit peu pour le sortir. Quand je dis un joker je devrais écrire des millions de jokers. Les Stones ne sont pas seuls. Derrière eux sont des millions de jeunes, toute une époque, les fameuses sixties, qui ne savent rien de leur existence, qui les attendent, qui les espèrent, qui les suscitent, comme la flamme du briquet attirée par le cocktail molotov, une décennie faste et créatrice, celles qui suivront ne la dépasseront pas.

    Le décor est planté. Tragédie grecque. Fond de toile : le peuple, le démos, les fans, bientôt ils passeront dans les gradins. Devant trois masques, trois personnes, trois acteurs. Eliminons le troisième, le petit blond solitaire dans le coin, Brian Jones, oui il est à l’origine du groupe, mais c’est un asthmatique, un souffreteux, un maladif, l’a voulu jouer dans la cour des grands qu’il a créée mais il n’a pas l’énergie nécessaire pour survivre au carnaval dantesque du succès. Begaudeau ne porte pas au Brillant Jones l’admiration que lui voue notre Cat Zengler ! L’adopte plutôt l’analyse struggle for life notre écrivain. Deuxième rôle. Keith ! Facile, ne parle pas beaucoup, l’est toujours d’accord avec Mick.

    Enfin Mick – c’est tout de même de lui qu’il s’agit ! – un chanteur oui, Begaudeau le qualifierait de danseur. Le gars sympa, donne envie de bouger à tout le monde. Non il n’a pas une voix exceptionnelle mais quel showman extraordinaire ! All Right ! et la foule entre en délire. Pas très profond, une tête froide. Pas un sentimental. Sait ce qu’il veut et veut ce qu’il sait. Avec lui tout est facile. S’adapte si facilement aux circonstances qu’il donne l’impression que ce sont les circonstances qui s’adaptent à lui. Un chat qui vous glisse entre les mains. Un jaguar bondissant.

    Question musique, le groupe n’est pas composé de virtuoses. Z’ont le rythme. Faut que ça bouge et que ça déménage. Pas des fignoleurs. Après tout ce n’est que du rock ‘n’ roll, et le rock c’est chaud brûlant devant et le feu au cul derrière. Ne faisons pas dire à Begaudeau ce qu’il est loin d’insinuer. A la manière dont il décortique les morceaux on sent qu’il les aime, à la façon dont il analyse les albums on sent qu’il les a médités. Les Stones du début c’est un peu comme le syndrome de Stockholm, si par malheur, par hasard, par miracle, vous passez under their thumbs, vous êtes cuits, vous les aimez.

    Bégaudeau accumule tout le long de ces cent-dix pages d’insignifiants détails contre Mick ce gendre idéal à qui votre sœur se donnerait sans vous demander la permission. Les Stones une fusée shootée à l’adrénaline des sixties, le ciel n’a pas de limite pour elle mais quand elle aborde les seventies, moins rock, davantage arty, elle se met sagement en orbite. Bégaudeau n’est pas le seul à l’énoncer. Perso à l’époque j’avais trouvé Altamont et sa cohue barbare génial, un truc très rock, je devais avoir tout faux car Jagger est le premier à tirer les marrons du feu. Le trucker lui a échappé, n’a pas su se rendre maître du mastodonte. Désormais tout va changer. Rien ne sera comme avant. Plus de concerts sauvages. Des shows millimétrés. Bref les Stones de maintenant. Un maintenant qui dure depuis cinquante ans. Les Stones de l’ère libérale. Le rock’n’roll est une marchandise comme une autre. Ce qui ne nous empêche pas de les aimer toujours. Les Stones comme une vieille maîtresse à la Barbey d’Aurevilly.

    Damie Chad.

      

  • CHRONIQUES DE POURPRE 613 : KR'TNT 613 : TEMPLES / BEACHWOOD SPARKS / JOE MEEK / THE LAISSEZ FAIRS / VICKY ANDERSON / WILD DEUCES / BIG DADDY'S BREAKFAST VOODOO / MANUEL MARTINEZ / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 613

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    28 / 09 / 2023

     

    TEMPLES / BEACHWOOD SPARKS

    JOE MEEK / THE LAISSEZ FAIRS

    VICKY ANDERSON / WILD DEUCES

    DADDY’S BREAKFAST VOODOO

    MANUEL MARTINEZ / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Dans l’air du Temples

    - Part Two

     

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             Dans Shindig!, James Bagshaw papote avec Jon Mojo Mills, le redac chef. Le cœur de la discussion concerne Sean Lennon avec lequel Bagshaw s’entend à merveille. Les Temples sont allés finir Exotico chez Sean, in upstate New York - Exotico sounds like Temples, but Temples with a newfound confidence - Une nouvelle confiance... Mojo Mills y va de bon cœur : «Late 70s and early 80s synths meet heavy guitars, dreamy texture redolent of Steve Hillage creep in, proving that prog and psych still matter, and there’s a lot of sprightly pop.» 

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             Alors justement, Exotico, parlons-en ! Quelle arnaque ! On sent bien dès «Liquid Air» qu’il n’y a rien à en dire. Ce pauvre petit groove revisité par Sean Lennon sonne comme une belle perte de temps. Et comme si cela ne suffisait pas, voilà qu’ils ramènent les synthés dans «Gamma Rays». S’ils veulent couler leur réputation, c’est le meilleur moyen. En plus, la compo est toute pourrie. Bagshaw se prend pour un compositeur. On prend vite ces m’as-tu-vu en grippe. On attend d’eux des miracles, mais il faudra repasser un autre jour, les gars. Bagshaw chante son morceau titre comme une mijaurée, et du coup ça redevient intéressant. Mais le reste de l’album se traîne lamentablement. Ils ont perdu le psych. Ils font désormais de l’electro-pop diskoïdale à la mormoille. On aimerait bien retrouver la paix après toutes ces horreurs. Ils vont en Orient pour «Crystal Hall», mais ça ne peut pas fonctionner. Ça tourne à l’ignominie de faux psych, et pourtant tu les écoutes jusqu’au bout, en souvenir des grands albums. Ils renouent un tout petit peu avec le psych dans «Head In The Clouds», mais un tout petit, qu’on n’aille pas s’imaginer des choses. La suite est lamentable. Rien ne passe la rampe, le faux orientalisme d’«Inner Space» est malencontreux, puis ils renouent avec l’horreur diskoïdale dans «Meet Your Maker». Là tu peux aller cracher sur leur tombe. Les pauvres Temples n’ont même plus de Temple. Ils sont en pleine déroute, dans une Berezina de la mormoille, au moins celle de Napoléon avait de l’allure, mais pas celle des Temples. Qui va aller écouter cet album ? Et ça continue avec «Time Is A Light», monté sur un beat electro foutu d’avance. C’est douloureux de voir un groupe si prometteur se vautrer dans la daube. Bagshaw revient en traître avec la pop de «Fading Actor», mais le son est pourri. Ils tentent le coup de la pop sur un beat electro, décidément, toutes les idées sont pourries. Ils ont perdu leur psych légendaire de loud guitars. C’est une catastrophe nationale.

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    Tout de même, ça semble curieux qu’un mec aussi fin que Bagshaw ne se soit pas rendu compte que Sean Lennon lui coulait son album, et pire encore, qu’il aille se vanter de cette collaboration dans Shindig!, qui est pourtant un canard assez raffiné.

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             Bon, on décide quand même d’aller les voir en concert, même si on sait qu’ils tournent pour la promo d’Exotico-le-maudit. Avec un peu de chance, ils vont jouer quelques cuts du premier album, Sun Structures-le-mirifique. Tu l’as sans doute toi aussi remarqué : quand tu t’engages dans une mauvaise passe, tu comptes beaucoup sur la chance. C’est une façon de se donner le courage que l’on n’a pas. Bon enfin, bref, te voilà vautré sur la barrière pour deux ou trois heures.  C’est bien la barrière, tu peux t’appuyer. On pense à tout à rien en attendant le jour qui vient, comme le scandait si bien Aragon. Pour faire écho à leur campagne de presse, les Temples font installer des cocotiers en plastique derrière les amplis. Avec une lumière tamisée venue du sol, ça fait très Exotico.

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    Pouf, ils arrivent et ça ne rate pas, il tapent directement dans «Liquid Air», le cut d’ouverture d’Exotico-le-maudit. On le déteste tellement ce Liquid Air qu’on le reconnaît. Si tu veux torturer des gens soupçonnés de terrorisme pour les faire avouer, fais-leur écouter Liquid Air. Ils osent jouer sur scène cette petite pop dansante à la mormoille, et bien sûr, Adam Smith pianote sur son petit clavier d’electro-chochotte. Quel gâchis quand on voit ces deux belles guitares. Le pire c’est qu’ils s’imaginent que ça plaît aux gens, et le pire du pire, c’est que tu as des gonzesses qui te dansent dans le dos.

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             On reste dans l’horreur avec deux autres cuts tirés d’Exotico-le-maudit, et là on commence à envisager un décrochage pour aller siffler une mousse au bar. Ça s’arrange un peu avec l’«Holy Horses» échappé d’Hot Motion-l’excellent, ils rétablissent enfin les équilibres fondamentaux de l’ordre des Temples, ça joue à deux grattes bien tempérées et le set reprend vraiment du sens avec «Keep In The Dark», un hit glam tiré de Sun Structures-le-mirifique. Et là oui, c’est comme de voir Gyasi à Binic. Quand il est bien fait, un shoot de glam te réconcilie avec la vie. On voit Adam Smith gratter son mi sur sa Gibson Firebird bien mécaniquement. Un seul accord, avec en plus le stomp du batteur maquillé, là-bas au fond, penché comme un gigantesque vautour sur son kit. On n’avait pas vu un beurre-man aussi classieux depuis longtemps.

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    Et James Bagshaw fait illusion : avec sa crinière bouclée et son petite costard beige, il rend hommage à cette immense star que fut en Angleterre Marc Bolan. Fantastique pression du stomp, dommage qu’ils ne tapent pas dans les autres hits glam de Sun Structures-le-mirifique. Ils enchaînent avec le morceau titre d’Hot Motion-l’excellent, une pop d’une sidérante ambition, typique de celle de Todd Rundgren, montée sur d’extravagantes couches de gratté de poux. Il faut voir le cirque du petit bassman, Thomas Warmsley, un vrai bassman Tingueley, c’est-à-dire en mouvement perpétuel, il saute sur toutes les occasions pour s’arc-bouter et lever la patte comme une danseuse du Moulin Rouge. Il amène des dynamiques indispensables, car il faut bien dire que les deux autres, Smith et Bagshaw, sont un peu statiques, mais à la fin du set, James Bagshaw va piquer une belle crise, et pour ça, il doit retaper dans Sun Structures-le-mirifique : d’abord avec l’incompressible «Shelter Song» qui à l’époque nous avait bien estomaqué, ce cut sonnait comme une tempête sous le vent et leur bouquet garni de chœurs donnait le vertige. Ils en font une version héroïque et rejoignent ainsi les hauteurs shindigiennes qu’ils n’auraient jamais dû quitter. Sur l’album, «Shelter Song» est spectaculaire, mais sur scène, c’est bien pire. Tu ne regrettes plus d’être venu, bien au contraire. D’autant qu’en rappel, ils vont taper un autre pusher psyché tiré lui aussi de Sun Structures-le-mirifique : «Mesmerise». Sur l’album, ça sonne comme une petite pop entreprenante, mais sur scène, avec les cocotiers balayés par les stroboscopes et la puissance du son, ça prend une tournure à la Méricourt, d’autant que Bagshaw se met à cavaler dans tous les sens comme un poulet décapité.

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    Signé : Cazengler, carotte du Temple

    Temples. Le 106. Rouen (76). 16 septembre 2023

    Temples. Exotico. ATO Records 2023

    Jon Mojo Mills : Phantom Islands. Shindig! # 137 - March 2023

     

     

    Biche ô ma Beachwood

     

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             À leur façon, les Beachwood Sparks offrent une espèce de suite logique à la légende dorée de la scène californienne qui jadis berça nos cœurs de langueurs monotones, via les Byrds et Gram Parsons. Trois petits mecs constituent le noyau dur des Beachwood Sparks : Chris Gunst (guitare chant), Brent Rademaker (bass & boss du label Curation) et Farmer Dave Scher (lap steel maestro), et comme tous leurs prédécesseurs, ils proposent un bel historique de ramifications : on peut facilement s’y perdre, Brent Rademaker et son frère Darren ont joué dans Further tout au long des nineties, et Brent Rademaker sans son frère joue aujourd’hui dans GospelbeacH, les albums abondent et ça crée des tentations, car oui, la galaxie Beachwood, ce n’est pas de la tarte. 

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             Le premier album des Beachwood Sparks date de l’an 2000 et n’a pas de nom. Farmer Dave dit qu’il y a du sunlight dedans. Brent Rademaker parle de bubblegum country à propos de «Something I Don’t Recognize», mais Farmer Dave veille au psychedelic side.

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    Dans Shindig!, Phillipson établit un parallèle avec The Notorious Byrds Brothers. Brent Rademaker : «We wanted some of these psychedelic touches.» On les voit flirter avec le vieux mythe de la cosmic americana dans «Silver Morning After». Ils inspirent confiance avec cette country lumineuse et intrinsèque. Ils sortent le son dont rêvait Gram de coke. Ils proposent aussi une petite énormité nommée «Sister Rose». Ils développent la même attaque que Moby Grape. Le chant et les coups de slide sont lumineux, envenimés au rattlesnake d’écho purpurin. C’est avec «Sister Rose» qu’ils prennent position. Leur «Desert Sky» d’ouverture de bal  sonne comme un cut des Kinks à la sauce armoricaine, comme le homard. C’est très visité par la grâce, mais vraiment visité. Avec ces mecs-là, on se sent richement doté. En fait, tout se passe entre Farmer Dave Scher et Brent Rademaker. Ils font un peu de country d’huîtres chaudes avec «The Calming Seas» et créent une source de lumière avec «Something I Don’t Recognize». Ils dotent ce cut cousu de fil blanc comme neige d’un final explosif. Le plus marrant de toute cette histoire, c’est qu’ils s’amusent à exploser par endroits. Très bizarre. Et pour finir, on se croirait chez John Lennon avec « See Oh Three» tellement c’est fin et bien chanté.     

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             Leur deuxième album s’intitule Once We Were Tress et semble beaucoup plus solide. Ils l’enregistrent à l’home studio de J. Mascis. Mais la viande se concentre vers la fin, à partir de «The Hustler», chanté dans une clameur d’extrême onction et noyé d’orgue. Ils visent de toute évidence le coup d’éclat. Ce cut essentiel et généreux renvoie bien sûr à Teenage Fanclub. J. Mascis fait un numéro de cirque dans «Yer Selfish Ways». Quelle belle dégelée ! Il s’en donne à cœur joie. Mais il y a trop de son. Ça donne le tournis. Ils passent en mode blow out avec «Jugglers Revenge». Quelle folie ! C’est une vison de l’enfer du paradis. Hot stuff. On s’effare aussi du morceau titre qui referme la marche, cette petite pop fraîche paraît claquée au poney fringuant, ils créent du son-image très indien et ça s’excite tout seul. Il semble que tous les incendies de la country se soient donné rendez-vous dans ce cut. Magnifique illustration de ce qu’on appelle le retour de manivelle country. Avec ces guitares d’une grande clarté, ces mecs ramonent les cheminées du firmament. Ils semblent vouloir distiller de l’essence virginale et se jouer des éclairs délétères. Ils amènent «Let It Run» au heavy groove de space, ils prennent leur temps et ça devient assez grandiose. C’est vraiment à l’image du Grand Canyon, avec des coups d’harmo dans l’azur immaculé. Quand ils prennent le parti d’«Old Manatee», c’est pour te bercer l’âme de langueurs doolidoo. Ils font aussi du Mercury Rev avec «By Your Side». Ce mec chante comme un demi-dieu. Les Beachwood sont extrêmement doués et enregistrent avec parcimonie, ce qui est tout à leur honneur.

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             Et puis comme d’habitude, les tournées finissent par esquinter le groupe et le batteur Aaron Speske se barre. Ça bat de l’aile chez les Beachwood qui réussissent néanmoins à enregistrer l’excellent EP Make The Cowboy Robots Cry. Phillipson ne tarit plus déloges sur «Ponce De Leon Blues» - If anything in Beachwood Sparks’ catalogue is deserving of extra attention for me it has to be «Ponce De Leon Blues’ - C’est vrai qu’avec Ponce, ils sortent du nucléus, ils vont voir si la rose est éclose, c’est un son extrêmement drugged, ça titube dans le désert, les rosaces d’accords forcent l’admiration, mais à ce petite jeu incertain, Neil Young est bien meilleur. Quant au reste de l’EP, c’est encore plus incertain. Ils jouent du psyché au ralenti, c’est un peu liquide, ils mettent trop d’eau dans la soupe au chou de «Drinkswater», rrrrrrru, rrrrrrru, alors ça échappe aux critères. L’«Hibernation» qui suit est parfaitement inutile. Comme tout le reste d’ailleurs. C’est très mou du genou.

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             The Tarnished Gold paraît 11 ans plus tard, toujours sur Sub Pop. Ces mecs adorent le grand air, comme le montre «Water From The Well». Ils savent créer les conditions de leur son, c’est assez énorme, pas très loin de ce que faisait Mercury Rev à une autre époque, mais plus transparent. Même chose pour «The Orange Grass Special». Ils ne veulent surtout pas réinventer le fil à couper le beurre, ça ne servirait à rien. Ils cultivent un goût certain pour l’Americana. Avec «Earl Jean», ils tapent dans le folk-rock de flowers in your hair, ils mettent Les Enfants Du Paradis à la sauce californienne. Il faut attendre que les cuts décollent et donc n’oubliez pas leur donner leur chance. «Forget The Song» sent bon la pop confortable. Ces Californiens créent les conditions de leur confort, et donc du nôtre. Ils sont aussi accessibles que Fred Neil, bienveillants et dans le haut de gamme. Leur musicalité est à la fois bienvenue et à toute épreuve. Ils rassemblent toutes les conditions de la perfection. «Sparks Fly Again» fonctionne à l’énergie californienne pure. Quant à «Mollusk», voilà un cut qui s’illustre par une fantastique profondeur d’attaque de folk-rock. Ces mecs sont des bêtes, capables de redémarrer en côte, même dans une ornière. Ils passent à la country de feu de bois avec «Talk About Lonesome» et se prennent pour Doug Sahm avec «No Queremos Oro».

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             Mais c’est avec Desert Skies paru sur Alive en 2013 que la Beachwooderie prend tout son sens. Pas compliqué : sur cet album, tous les cuts sont bons, à commencer par le morceau titre, resucée du premier album. Quelle belle rasade d’arpèges éclairés ! Ils recréent le barrage de chant des Hollies et des Associations, ils affrontent la colère des dieux qui n’acceptent pas qu’on les défie. Et puis on a même un solo de rêve, alors t’as qu’à voir. Il n’existe pas grand-chose qui soit du niveau de ce «Desert Skies». Dans sa rétrospective, Ben Phillipson rappelle que «Desert Skies» est le premier single de Beachwood Sparks, paru à l’époque sur Bomp!. Les Beachwood  étaient alors au nombre de six : Brent Rademaker, Chris Gunst, Farmer Dave, Josh Schwartz, drummer Tom Sandorg et tambourine man Pete Kinne. Phillipson ajoute que les Beachwood étaient dans leur heavier guitar-based direction. Puis il indique que Pete Kinne et Josh Schawartz ont cassé leur pipe en bois et que Tom Sanford joue aujourd’hui dans GispelbeacH avec Brent Rademaker. Et le Desert Skies d’Alive repart de plus belle avec «Time», qui bénéficie d’une sorte d’élongation productiviste. Ces mecs visent l’avenir, rien d’autre, ils vont loin, vraiment loin. Pour «Watering Moonlight», ils visent la profondeur de champ, mais avec une sorte de retenue par l’élastique du pantalon. C’est un power cacochyme qui ne veut pas tousser, moonlight in the face, c’est un énorme mic-mac de stomp, de revienzy et de tiguili. Même les cuts plus ordinaires comme «This Is Like It Feels Like» passent comme des lettres à la poste. Ils s’offrent un final d’explosion nucléaire. Encore plus stupéfiant, voilà «Sweet July Ann» qui s’amène avec une allure de hit psyché chanté en travers de la gorge. C’est un chef-d’œuvre d’aménité bien amené qui se révèle très vite terrifiant de psycho power. Ça explose en contre-bas du contrefort, le son exulte littéralement, ils se prennent à leur propre jeu et deviennent insurmontables. Back to the cosmic Americana avec «Canyon Ride». Il ne manque plus que Gram de coke, mais c’est reculer pour mieux sauter, car voici le big biz de «Midsummer Daydream», avec un claqué d’accord qui restera un modèle du genre. C’est gorgé d’adrénaline, les accords éclatent comme des noix. Tout cet album sonne comme une aubaine. Si on en pince pour les harmonies vocales et le soleil rasant d’Arizona, c’est là qu’ils se trouvent. Cet album est complètement explosé de beauté sonique. À certains moments, on se croirait sur le Bandwagonesque de Teenage Fanclub, et les guitares hantent le son comme celle de Grasshopper, à l’âge d’or de Mercury Rev.

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             Ils ne sont pas si vieux et pourtant ils commencent déjà à taper dans leurs archives. En 2020 paraît un Beachwood Deluxe annoncé à grand renfort de tambours et trompettes. C’est le Beachwood des origines, lorsqu’ils sont 6. Autour de Josh Schwartz, on trouve Aaron Sperske, Pete Kinne et le futur noyau dur, Chris Gunst, Farmer Dave Scher et Brent Rademaker. Ils font leur petit boniment de country-rock au clinquant de guitares et au pah-pah-pah des Beatles. Ils sonnent un peu comme les rois de leur monde, ils n’ont aucun souci, les guitares comme des langues se délient délicieusement. Ils s’engagent résolument dans le vent du canyon. Leur psychedelia fait illusion pendant quelques cuts. Ils s’amusent bien avec les empty skies de «Canyon Ride», ils jouent dans les règles du lard séché, pas idéal pour les dents fragiles. Bon, au bout d’un moment, ça lasse un peu. Et puis ça devient intéressant avec «Windows ‘65», une espèce de heavy country-rock psychédélique, dans l’esprit des Byrds, bien sûr, mais avec des guitares prégnantes à la surface du son, ils jouent à l’arpège claironnant et surpasseraient presque les Byrds. Ces mecs ont tout en magasin. Ils jouent «Mid Summer Daydream» aux riffs acérés et d’une certaine façon foutent le feu à la Cosmic Americana. Le ciel s’éclaire. Ils allument le rock californien de la même façon qu’Oasis allumait le rock anglais, avec le même genre de gusto anthemic et les chorus qui prennent feu. Pour la première fois, on voit la Cosmic prendre feu ! La deuxième partie de l’album est un live et on découvre que sur scène, ils sont assez aléatoires. Leur petite soupe claire ne nourrit pas son homme. Mais comme c’est un public captif, ils en profitent. Ils finissent par cumuler les problèmes : mauvaises pioches et mollesse. Ils n’ont pas de jus, c’est assez catastrophique.

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             Brent Rademaker n’est pas du genre à se laisser abattre. Il monte vite fait GospelbeacH avec Neal Casal et des copains, et enregistre l’excellent Pacific Surf Line en 2015. C’est embarqué vite faite, au big Americancore de fast drive, ou si tu préfères, à la bonne franquette américaine. Trois guitares, une basse et un bon beat : l’idéal. Brent s’éclate bien au Sénégal. Toutes les guitares sont en alerte. L’air de rien, ces mecs disposent du real power. Leur son flirte avec l’Americana de canyon à la con, ils taillent leur route dans cette esthétique canyonesque qui date d’une autre époque et ça devient vite magique, les notes de slide rappellent des souvenirs enfouis. Ils naviguent à vue dans cet univers de coups d’acou et de notes fantômes. Brent Rademaker a un charme fou. Il amène son «Come Down» au mieux du come down - I know you so well - Ils flirtent avec l’osmose de la métempsychose et un solo motorpsycho vient affoler le feu du funk. Et Brent rattrape sa compo à la volée, hey hey. Il se passe des choses extraordinaires sur cet album, comme le montre encore «Southern Girl». Ils ramènent tellement de son que ça explose, surtout à la fin. Cet album rayonne comme une apparition de la Vierge. Même quand ils tapent dans la pop-rock d’«Out Of My Mind (On Cope And Reed)», ils sont bons, surtout qu’il y coule un solo liquide du meilleur effet. Leur fantastique aisance finit par frapper. «Alone» gagne directement les régions reculées du cerveau. Cette pop exceptionnelle est un vrai dream-come-true. Ils ont des réserves de son immenses et ça prend des proportions totémiques. Ils bouclent avec l’excellent «Damsel In Distress». On y sent flotter le spirit du Kaukonen de la première époque, c’est une merveille prodigieuse, sertie d’un solo d’eau claire. On ne croise ça qu’ici, chez GospelbeacH.

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             Fantastique album que cet Another Summer Of Love qui date de 2017. Un festin de son, dès l’«In the Desert». Comme s’il déposaient des offrandes aux pieds des dieux du rock californien. Un son beau, lumineux, précieux, électrique, tenu, bien vu, enfilé comme une perle, fils de, bleu comme l’azur. Avec en prime un solo fantôme. Et ça continue avec «Hanging On», même chose, power & lumière, bien drivé et chanté au soleil, c’est du rock qui respire bien. «California Fantasy» montre que ces mecs sont capables de tout, mais dans la joie et la bonne humeur, c’est joué au real power, celui du Calfornian hell, ils filent à dada à travers la plaine ensoleillée, «You’re Already Home» est une nouvelle merveille de fière allure. Alors forcément on craque. Nouvelle dégelée de son avec «Strange Days», c’est joué heavy on the rush, au power pur, strange days, baby, c’est inespéré, brillant, I know, avec des descentes d’accords et le départ en solo short mais wild, et il revient au chant, comme un dieu vivant. Les solos se brûlent les ailes au soleil de la fuzz. Nouveau coup de génie avec «Sad Country Boy», big heavy rock des familles, tout est puissant, ici, tu es sur Alive, ces mecs n’ont aucun problème, ils allument tous leurs cuts un par un, c’est du haut niveau d’un bout à l’autre de l’album. Brent Rademaker allume encore «I Don’t Wanna Lose You», il a le génie du son, il darde de mille feux - Don’t wanna lose you/ That’s all I know - et il termine vite fait bien fait avec «Runnin’ Blind», pur jus d’adrenalin-country rock de runnin’ blind.

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             Il ne faut pas prendre GospelbeacH pour des brêles. C’est en tous les cas ce que tendrait à monter l’Another Winter Alive paru en 2018. On s’y goinfre du merveilleux shaking de GospelbeacH. Dans le genre, on ne saurait espérer mieux. Ils nappent leur canyon folk-rock d’orgue et de bonnes intentions. On les voit tous les trois à l’intérieur du digi, Brent, Jonny Neiman et Jason Soda, avec leurs gueules de Quicksilver. Attention à cette triplette de Belleville : «Runnin’ Blind», «Change Of Heart» et «Dreamin’». Ils prennent un peu leurs distances avec le California dreamin’ de Beachwood Sparks, ce démon de Brent Rademaker vise le power, il saque bien son rock, il va vite en besogne. Ils frisent parfois le rock FM, mais le fond est bon. Belle section rythmique, en tous les cas. Ils s’enfoncent dans l’épaisseur de leur Dreamin’ et veillent à rester irréprochables. On les sent concernés. Voilà encore un album visité par la grâce. On entend un solo de lumière dans «Miller Lite» et ils terminent leur petit biz à la bonne franquette d’«You’re Already Home». On demande du rab.

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             Avec l’album Let It Burn, GospelbeacH bénéficie d’un buzz dans la presse anglaise, mais c’est encore une fois un buzz qui se mord la queue. Brent Rademaker fait une sorte de heavy pop-viens-par-là, à la fois bien tirée par les cheveux et poussée par de forts vents d’Ouest, une pop qui couine comme une vieille girouette, une sorte de veille good time music de coudes usés. Chez eux, le délire des guitares fait loi. Ces mecs rêvent tout simplement d’Americana. Leur «Dark Angel» est très bien organisé, mais avec ce beat en caoutchouc, ça frise un peu le rock MTV. C’est un son qu’on a déjà entendu mille fois. On aime bien ces mecs, mais il n’y a pas de miracle. Tout le monde n’est pas Drugdealer. Ils grattent leur «Fighter» à l’ancienne, avec un son qui date d’une époque sérieusement révolue. On capte de vieux échos de Stonesy et ça développe lentement. Mais bon. La belle pop de «Good Kid» peine à se déterminer. On note une belle puissance de revienzy dans «Nothing Ever Changes». Cut idéal quand on a envie de frémir. Ils font leur petit boogie. «Let It Burn» sonne comme de la grosse déveine de pop superbe. Ils travaillent leur côté passe-partout avec une abnégation qui impressionne. Avec ce genre de mecs, on n’en finirait plus de raconter des conneries. Chez eux, le problème est qu’ils travaillent tout au mieux des possibilités. Ils terminent avec le heavy boogie de «Hoarer». Ils sortent leur meilleur son pour finir. Dommage qu’ils ne l’aient pas sorti au départ. C’est spatial et épais à la fois, gosh, quelles belles rasades ! «Hoarer» est un cut sauveur d’album en désarroi.

    Signé : Cazengler, Beachwhore

    Beachwood Sparks. Beachwood Sparks. Sub Pop 2000  

    Beachwood Sparks. Once We Were Tress. Sub Pop 2001  

    Beachwood  Sparks. Make The Cowboy Robits Cry. Sub Pop 2002

    Beachwood Sparks. The Tarnished Gold. Sub Pop 2012

    Beachwood Sparks. Desert Skies. Alive Records 2013

    Beachwood  Sparks. Beachwood Deluxe. Curation Records 2020

    GospelbeacH. Pacific Surf Line. Alive Records 2015

    GospelbeacH. Another Summer Of Love. Alive Records 2017

    GospelbeacH. Another Winter Alive. Alive Naturalsound Records 2018

    GospelbeacH. Let It Burn. Alive Naturalsound Records 201

    Ben Phillipson : Ballad of the brotherhood. Shindig! # 110 - December 2020

     

     

    Wizards & True Stars –

    Meek mac

    (Part One)

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             En matière de mythologie avertie, Joe Meek reste pour beaucoup d’entre-nous l’œil du cyclone. Pas n’importe cyclone. Le cyclone du rock anglais. Peu de gens ont su créer un monde en si peu de temps, avec si peu de moyens : Holloway Road et une paire d’oreilles, c’est à peu près tout. Avec comme cerise sur le gâtö, une sacrée dose d’excentricité et de parano. Joe Meek est complètement dingue. S’il n’était pas complètement dingue, il ne serait pas Joe Meek. Alors c’est pas la peine d’aller couper les cheveux en quatre. Le grand chœur des pisse-froid prétend que folie et génie s’équivalent, mais Joe Meek leur pisse à la raie. Il n’a que son nom et se fout du qu’en-dira-t-on comme de l’an quarante. L’histoire du rock est seule juge. Elle retiendra son nom sur la foi de quelques enregistrements somptueux, à commencer par «Telstar» et jusqu’à «Crawdaddy Simone», en passant par une myriade d’autres merveilles que des compileurs fous ont réussi à exhumer. C’est en mettant le nez là-dedans qu’on pige tout ce qu’il y a à piger.

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             Il faut aussi mettre le nez dans l’excellente bio de John Repsch, The Legendary Joe Meek: The Telstar Man. Oui, car wow ! Dès la couve ! Tu vois tout de suite qu’il y a un problème. La gueule du Meeky Meek ! Il est complètement allumé. Les yeux fixes, il voit des trucs, et il pince son affreuse petite bouche d’extraverti. On comprend immédiatement que Meeky Meek s’adresse aux amateurs de sensations fortes. C’est toute son histoire. L’histoire d’un son. Une histoire unique en Angleterre.  

             John Repsch passe un temps fou à décrire le génie sonique de Meeky Meek qui en fait est un chercheur. Meeky Meek démarre en 1950 avec deux magnétos. Il overdubbe un son par dessus l’autre. Il peut répéter l’opération douze fois. Il utilise des limiteurs et des compresseurs qui lui donnent un signal sonore plus fort. Il est passionné d’électronique et teste des idées en permanence. Il est surtout fasciné par l’écho, alors il en rajoute dans ses prises de son, il sait installer un micro près d’un instrument et sait contrôler la prise de son. Il en joue comme le peintre joue des nuances. Il fait du lard à partir du lard. Il construit une mystérieuse chambre d’écho chez lui à Holloway Road. Il utilise aussi la salle de bain pour la qualité de l’écho. Mais sa passion pour le rock va beaucoup plus loin : il veut contrôler tous les aspects du biz : découvrir les artistes, composer les chansons, manager ses poulains, enregistrer et produire leurs disques, les distribuer sur son propre label et en prime, leur servir le thé et les biscuits. Il fait exactement ce que fait Totor aux États-Unis. L’un de ses premiers coups fumants est le «With This Kiss» de la jazzeuse Yolanda : tout est déjà là : «heavy beat, angelic choir, piano, strings and tons of echo.»

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             Meeky Meek ne se plaint que d’une chose : il n’atteint jamais la perfection qu’il recherche, mais chaque fois qu’il écoute l’un de ses disques pour la première fois, il ressent une grande excitation. John Repsch épingle un autre trait de caractère fondamental chez Meeky Meek : «Aussi étrange que ça puisse paraître, il a fini par se convaincre que le monde entier s’était ligué contre lui et que le seul moyen de survivre était de se battre et de montrer à quel point il était brillant et à quel point ses ennemis étaient stupides.» On appelle ça de la mégalomanie, mais dans le cas de Meeky Meek, c’est autre chose. On est dans le domaine de l’art, et ces énergies sont sacrées, car même si elles sont considérées comme des tares, elles alimentent un précieux moteur : la créativité. Si tu n’es pas complètement dingue, tu ne peux pas comprendre ce que ça signifie. Autrement dit, ça vaut le coup d’être complètement dingue. Pendant un temps, Meeky Meek réussit à canaliser cette prodigieuse énergie de la surchauffe. Par contre, c’est souvent compliqué pour les groupes qui viennent enregistrer à Holloway Road : comment va-t-il réagir ? Va-t-il plaisanter ou tout détruire en pleine session ? Meeky Meek se bagarre souvent avec ses branchements et il prend des coups de jus, ce qui fait rigoler les gens présents. 

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             Personne d’autre que Meeky Meek ne pouvait enregistrer «Night Of The Vampire» avec les Moontrekkers. Un hit bien sûr banni par la BBC - as unsuitable for people of a nervous disposition - Et c’est avec Screaming Lord Sutch que le génie de Meeky Meek va exploser à la face du monde. Lord Sutch, nous rappelle John Repsch, démarre en 1958, à l’époque où tous les beaux gosses d’Angleterre prennent comme modèles «Elvis, Buddy Holly and the fresh-faced wave of American idols», alors pour faire la différence, Lord Sutch a pris comme modèle «the American horror man Screamin’ Jay Hawkins», avec tout le saint-fruquin, le cercueil et le crâne - He was giving British audiences their first taste of rock’n’blood. It was the most macabre act Britain had seen and Joe loved it - Et bien sûr, Meeky Meek veut l’enregistrer. Boom ! «‘Til The Following Night», «a gruesome graveyard piece, totally outrageous for its day.» C’est la rencontre de deux génies, de deux visionnaires pareillement excentriques. John Repsch ajoute qu’à l’origine, le cut s’appelait  «My Big Black Coffin», mais les distributeurs grelottaient de peur, alors il a fallu revenir à un titre moins craignos. Avec Lord Sutch, on est au cœur du Meeky mythe. Il faut entendre l’intro de «Jack The Ripper». C’est du pur Meeky Meek, bruits de pas sur les pavés, la respiration d’une femme et soudain le cri et les rires de Jack. Comme Meeky Meek, Lord Sutch bouillonne d’idées, il fonde le National Teenage Party, qui demande le vote à 18 ans. S’il ne récupère que 208 voix, nous dit Repsch, c’est parce que les jeunes qu’il représente n’ont pas le droit de vote. Meeky Meek a une autre idée. Comme le Ministère de la Guerre vend les sous-marins qui ne servent plus à rien, Meeky Meek propose à Lord Sutch d’en acheter un, de remonter la Tamise «and treathen to blow up the House of Parliament» - It’ll get publicity, even if it sinks! - Le manque d’argent coule ce beau projet. Cette association d’excentriques n’est possible qu’en Angleterre. Meeky Meek hait profondément les gens conventionnels et c’est la raison pour laquelle il finit par se fâcher avec Dick Rowe, Major Banks, Robert Stigwood et Larry Parnes.

             Meeky Meek est fier de son studio. Il a le meilleur équipement - Mon studio était à l’origine une grande chambre dans laquelle j’ai enregistré beaucoup de hit records - Il est obligé d’expliquer ça car un gros malin critique dans la presse le principe du home recording : pas sérieux, comparé aux studios professionnels. Alors Meeky Meek indique que bon nombre de studios étaient à l’origine des caves ou des chambres dans des maisons - My studio is just that - Et comme il est en colère et qu’il ne supporte pas les cons, il ajoute : «J’enregistre des disques pour divertir le public, certainement pas pour des square connoisseurs, c’est-à-dire des beaufs, qui n’y connaissent rien.»

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             John Repsch revient longuement sur la genèse de «Telstar», «his gratest work», précise-t-il. Une nuit, Meeky Meek entend des sons venus de l’espace. Ça le réveille, alors il se lève et descend au studio à l’étage en dessous. Il la-la-la-la-late l’air qu’il a en tête et l’enregistre. Puis pendant une heure, il le triture dans un cathedral-like echo et le colle sur une mélodie qu’il avait commencé à travailler avec Geoff Goddard, loo-oo-la-da-dee-da-deedle-ah, John Repsch s’amuse bien, on est assis avec lui, juste à côté de Meekey Meek en pyjama, en train de bidouiller l’un des plus grands hits du siècle dernier. Comme l’air lui vient d’un satellite, il baptise le cut «The Theme Of Telstar». Au breakfast, il traduit son idée musicale à la clavioline. Puis c’est la séance d’enregistrement avec Clem Cattini. Pour lui donner plus de punch, Meeky Meek speede son enregistrement d’un demi-ton, puis il ajoute des effets de son invention pour interloquer l’auditeur. Il fait un acétate et va le faire écouter à l’un de ses clients distributeurs, Roy Berry, chez Ivy Music. Berry trouve que le titre est trop long. Il propose «Telstar» - Meeky Meek trouve que ce n’est pas une mauvaise idée. Puis il va faire écouter «Telstar» à Dick Rowe, chez Decca, qui adore. On connaît la suite de l’histoire - He had put together a classic which nowadays ranks as one of the finest pop records ever made - À 33 ans, Meeky Meek est un producteur et un ingé-son sans égal en Angleterre. Et il le sait, ajoute Repsch. Il le sait depuis des années - There was no one in Britain to touch him - Ce qui fait sa force, c’est qu’il peut créer un son immédiatement identifiable et original qui ne coûte rien  car enregistré dans un «dirty hole over a leather bag shop» - Comment pourraient-ils faire la même chose avec leurs studios coûteux ? Impossible, nous dit John Repsch. Meeky Meek a ses secrets - No rotten pig could thieve them off him - Il appelle ses ennemis les rotten pigs.

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             Puis Repsch fait un petit comparatif entre Totor et Meeky Meek : point commun, thick and meaty records, mais Totor utilise moins de compression, car il joue sur les contrastes entre le calme et la tempête. Meeky Meek place ses micros tout près alors que Totor éloigne les siens, ce qui lui donne, avec l’écho, un bigger sound. Totor prépare tout minutieusement, alors que Meeky Meek superpose les couches et n’en finit plus d’expérimenter ad infinitum. Il peut se le permettre, en tant qu’ingé-son, ce que n’est pas Totor. Deux autres points communs : leur complexe de persécution et le fait d’être un one-man-army : ils dénichent les talents, choisissent les cuts ou les composent, supervisent les arrangements, ils font de la direction d’artistes et supervisent tout le processus d’enregistrement. Pas besoin des gros labels. Ils sont autonomes. C’est leur vision du son qui va faire le succès des artistes qu’ils prennent tous les deux en charge. Pour Meeky Meek, comme pour Totor, les chanteurs et les chanteuses sont interchangeables. Ils savent tous les deux ce qu’ils veulent. Aux yeux de Meeky Meek, Totor est la réponse américaine à lui-même. Pour lui, le Wall of Sound de Totor n’est qu’une variation du sien. Il reconnaît les effets qu’utilise Totor. C’est pourquoi il éteint la radio chaque fois qu’il entend un Totor hit. Repsch poursuit le comparatif : en trois ans et demi, Totor a produit 24 singles sur son label, alors que pendant la même période, Meeky Meek a produit 141 singles, dont 25 British Top Forty hits. Vroom vroom !     

             La seule faute que commet Repsch est d’attaquer son book par la fin, c’est-à-dire le jour où Meeky Meek perd les pédales, tire un coup de fusil dans le dos de sa logeuse et se tire ensuite une balle dans la tête. Son assistant Patrick Pink assiste à la scène et décrit tout le tremblement. C’est un peu la même histoire que celle de la piscine de Brian Jones : on ne voit plus qu’elle et on oublie ce qui est important. On appelle ça une distorsion du réel.

             Un jour, alors qu’il cherche un endroit où s’installer, Meeky Meek flashe sur le 304 Holloway Road, a three floor flat au loyer modéré. Il installe son studio dans la pièce la plus grande, au deuxième étage. On y accède par un escalier étroit, pas l’idéal quand il faut monter une batterie. Au premier étage, c’est l’accueil, avec une kitchinette. Meeky Meek y reçoit ses invités et leur sert le thé. Le sol du studio est recouvert d’un fouillis inextricable de câbles. Meeky Meek est le seul à pouvoir s’y retrouver. Avec sa technologie dernier cri et sa passion pour l’ingénierie, il pense qu’il est «the best A&R man in the world» - That’ll show ‘em. I’m still the bloody governor! - Les gens bien informés savent qu’il est très en avance sur son temps. Il rêve cependant d’un endroit plus spacieux - J’aimerais bien avoir un grand studio en rez-de-chaussée, de sorte que les artistes ne soient pas obligés de monter et descendre des escaliers. But then again, I like it here. Meeky Meek enregistre chez lui et vend ses productions sous licence à des gros labels : d’abord Decca, puis Pye.

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             Il enregistre son premier hit «Bad Penny Blues» en 1956, «the first jazz record to hit the Top Twenty in Britain», nous dit Repsch. C’est la première fois qu’il utilise un compresseur. Il enregistre aussi le «Green Door» de Frankie Vaughan. Quand il s’installe à son compte à Holloway Road, il reçoit pas mal de petites vedettes : Petula Clark, Lonnie Donegan et Johnny Duncan & The Blues Grass Boys qui enregistrent l’excellent «Last Train To San Fernando». Dans une interview, Meeky Meek indique que ses artistes préférés sont «Judy Garland, Les Paul & Mary Ford, some of Ella’s work and modern jazz.»

             Meeky Meek est un homme très coquet. Il passe son temps à se repeigner et se rase au moins douze fois par jour pour garder la peau lisse. Et il se poudre le nez pour lui éviter de briller.  On le dit efféminé. C’est vrai qu’il a une drôle d’allure. Mais il s’agit de Meeky Meek, after all. Son trait de caractère le plus saillant est son manque de patience. Il pique des crises à tout bout de champ. Repsch en dévoile une belle collection. Si tu lui dis un truc qui ne lui plaît pas, Meeky Meek attrape le premier objet qui lui tombe la main et te le balance en pleine gueule. Le guitariste des Outlaws Bill Kuy vient lui réclamer des sous, alors Meeky Meek attrape des ciseaux et lui court après. La colère transfigure Meeky Meek, les yeux lui sortent de la tête, il écume de rage, les gens ont peur de lui. Il peut jeter un gros carton de bandes enregistrées à travers la pièce. La rage, nous dit Repsch, décuple ses forces. Cliff Bennet évoque lui aussi ses crises. Un jour, ils sont à Holloway Road pour une session et Meeky Meek leur chante un truc, dee-dee-dee-dee, mais il chante si bizarrement - that terrible strangulated way - que ça fait rigoler les Rebel Rousers. Vexé, Meeky Meek dit qu’il ne supportera pas longtemps ces rires stupides et quitte la pièce en claquant la porte. Il descend se faire un thé et remonte une demi-heure plus tard. Il demande aux Rebel Rousers s’ils sont calmés et leur rechante son dee-dee-dee-dee. Les Rousers font des efforts surhumains pour ne pas exploser de rire. Ils fixent le mur en tentant de penser à autre chose. Mais ils explosent de rire, de ce rire qui finit par faire mal au ventre. Angry Meek les observe. Et plus il est en colère, plus les Rousers se marrent. L’hilarant de l’histoire, c’est que Meeky Meek finit lui aussi par se marrer. Au bout de vingt minutes, ils retrouvent le calme, mais Meeky Meek annule la session : «You might as well go home now. You’re a real bunch of bastards.» Repsch évoque aussi une petite shoote avec Dave Dee, Dozy, Beaky, Mick & Tich. Meeky Meek ne supporte pas l’attitude rebelle de Tich et lui balance le plateau avec les tasses pleines dans la gueule, alors Dozy attrape un pied de micro et menace de lui péter les couilles, comme on dit en France chez les habitués du PMU, alors Meeky Meek sort de la pièce en claquant la porte, ce qui met fin à la session d’enregistrement. Il ne faut pas lui courir sur l’haricot.

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             L’un des grands talents de Meeky Meek est de savoir flairer des talents et fabriquer des artistes. Premier coup d’essai avec John Leyton, un acteur âgé de 21 ans. La voix compte, bien sûr, mais aussi et surtout le physique - Good looks - La voix, ça se travaille, Meeky Meek peut rajouter des effets dessus, si besoin est. Repsch indique que l’album The Two Sides Of John Leyton «is one of the best things Joe ever did.» John Leyton décroche un hit avec «Johnny Remember Me» - half a million sales - Bingo !  Il tente aussi de lancer Ricky Wayne, un futur Monsieur Monde qui fait du bodybuilding. Il conseille à ses poulains de porter des chaussures légères, des mocassins, des pantalons serrés, and no underwear - Joe was a punk, dit Ricky. Meeky Meek tente aussi de lancer Michael Cox, un protégé de Jack Good. Bonne voix, mais pas de chansons. Dans un Part Two, on reviendra sur tous ces artistes enregistrés par Meeky Meek. Il y a à boire et à manger. Pour lancer les Outlaws, il leur fait conduire une diligence dans Londres - Publicity stunt, the Western image -  Puis c’est «Night Of The Vampire» avec les Moontrekkers et Screaming Lord Sutch dans la foulée. Il commence à se méfier de Stigwood qui lui barbote ses artistes un par un, comme par exemple Billie Davis ou Mike Berry. Meeky Meek déteste cette fourbasse de Stigwood qui fait ses coups par derrière. À Holloway Road, il reçoit aussi Tom Jones et louche sur ses tight pants, lui fait des avances, mais le Gallois l’envoie se faire voir chez les Grecs, alors Meeky Meek sort un flingue et tire sur Tom Jones qui se croit mort. C’est un pistolet d’alarme ! Quand il commence à bosser avec Pye, Meeky Meek tente de lancer la nouvelle sensation, Tony Dangerfield. Il jouait de la basse dans le groupe de Lord Sutch, the Savages. Repsch en fait une belle tartine : «Impressionné par sa Black Country arrogance et ses fringues en cuir, ses cowboy boots et se cheveux teints avec des mèches vertes et roses, Joe started grooming him for the big time.» Puis il tente de lancer The Riot Squad, les Honeycombs, les Cryin’ Shames, tous ces groupes intéressants qu’on retrouve sur les volumes de The Joe Meek Story - The Pye Years. Meeky Meek a eu dans son studio des gens qui ont contribué largement à la légende du rock anglais : Chas Hodges, du «cockney singalong duo Chas & Dave», Clem Cattini, le batteur des Tornados, «one of Britain’s top session drummers», le pianiste Roger LaVern, et bien sûr, Richie Blackmore qui jouait avec Tony Dangerfield dans les Savages. 

             Les deux gros morceaux restent cependant Heinz et Billy Fury. Un Billy qu’on situe comme «the nearest thing to Elvis that Britain ever had». Billy est accompagné sur scène par les Tornados, dont le bassman n’est autre qu’Heinz. Le problème c’est que Meeky Meek est le boss des Tornados, et Larry Parnes celui de Billy Fury. Ils ont donc passé un accord. Meeky Meek espère récupérer Billy en studio. C’est la raison pour laquelle il a donné son accord à Parnes. Mais ils vont se fâcher, car Meeky Meek refuse de laisser partir ses Tornados en tournée américaine.

             Meeky Meek s’éprend d’Heinz. Il lui demande de se teindre en blond, en référence au Village Of The Damned et à ses douze enfants blonds. Meeky Meek en pince tellement pour lui qu’il tente de lancer sa carrière. Heinz se retrouve en tournée avec Jerry Lee Lewis et Gene Vincent. Il ne passe pas, il n’est pas assez rock’n’roll. Le public mâle le siffle. Des Teds veulent même lui casser la gueule. Par contre, Gene Vincent lui reconnaît un certain courage pour avoir osé monter sur scène : «You’ve got some bloody guts. I would have walked off after one number.» Un Gene Vincent qui d’ailleurs viendra enregistrer un cut chez Meeky Meek, «Temptation Baby». Mais Gene sera étonné de devoir enregistrer dans une maison au milieu d’un fouillis de câbles inextricable.

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             Meeky Meek tente désespérément de booster la carrière d’Heinz. Il le booke sur des tournées anglaises. Les disques d’Heinz ne se vendent pas. Meeky Meek sait qu’il peut vendre Heinz s’il chope la bonne chanson. Il veut faire d’Heinz une star. Ça tourne à l’obsession. Dommage que  Repsch n’évoque pas l’excellent Tribute To Eddie d’Heinz. Puis Meeky Meek envisage de faire teindre les cheveux d’Heinz en rouge et de le faire entrer sur scène en moto. Heinz finira par se barrer et par fréquenter des gonzesses.

             Côté cul, Meeky Meek aime bien les mecs, mais son infidélité chronique rend impossible toute relation sentimentale. Et puis un jour, il a l’idée de se marier avec l’une de ses pouliches, Glenda Collins. Glenda idolâtre Meeky Meek qui est triste de voir qu’après 8 singles, elle ne perce toujours pas - Sadly they were not in love.

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             L’un des personnages clés de la saga Meek est le compositeur Geoff Goddard. Il est nous dit Repsch très proche de Meeky Meek. Ils composent ensemble et vouent le même culte à Buddy Holly. Et là, on entre dans le cœur battant du mythy Meek. Un soir où il interroge les cartes du tarot, un ami nommé Faud écrit trois choses sur un bout de papier : une date, le 3 février, suivi du nom de Buddy et du mot «dies». La scène se déroule bien sûr un peu avant l’accident d’avion qui va emporter Buddy, Ritchie Valens et The Big Bopper. Buddy arrive en tournée en Angleterre et Meeky Meek réussit à lui dire de se méfier du 3 février. Mais Buddy casse sa pipe un 3 février, l’année suivante. Les cartes n’avaient pas menti. Alors Meeky Meek et Geoff tentent d’entrer en contact avec l’esprit de Buddy, leur idole. Geoff Goddard affirme que Buddy l’a directement inspiré pour composer «Johnny Remember Me». Puis il écrit «Tribute To Buddy Holly» et demande à l’esprit de Buddy ce qu’il en pense. L’esprit de Buddy le remercie de cet honneur et lui dit : «See you in the charts». Pendant les séances de spiritisme, il se produit des phénomènes étranges au 304 Holloway Road : un orgue qui joue tout seul à l’étage, une corde de guitare qui se met à tawnguer.

             Meeky Meek commet aussi la même erreur que Dick Rowe : il décline l’offre que lui fait Brian Epstein d’enregistrer les Beatles - Guitar groups are on the way out, Mr. Epstein - Le pauvre Meeky Meek se fout le doigt dans l’œil. Il n’est d’ailleurs pas le seul. Avec lui et Decca, Pye, Phillips, Columbia et HMV disent non aux Beatles. Néanmoins, Repsch imagine qu’étant donné les caractères de John Lennon et de Meeky Meek, il y aurait eu des étincelles au 304.

             Puis Meeky Meek commence à perdre sérieusement les pédales. Il se croit espionné en permanence, il croit qu’il y a des micros chez lui. Il dit un jour à son assistant Patrick Pink qu’il ne va plus être là très longtemps. Il ajoute qu’il va faire un testament. Patrick Pink se marre. Il ne comprend pas que Meeky Meek est en train de lâcher prise : trop de pression, le biz qui part en sucette. La pire déconvenue vient sans doute de Sir Joseph Lockwood qui pour remplacer George Martin chez EMI avait songé à Meeky Meek - Joe was the man to help fill it - Mais ça signifiait la fin de l’indépendance, et donc, ce n’était pas possible. La perte des pédales est un truc terrible, tu sais que tu ne vas pas t’en sortir, alors c’est une sorte de panique interne, mais il faut essayer de sauver les apparences, et c’est un peu comme si tu avais déjà cassé ta pipe en bois avant de la casser pour de vrai. L’impératif tambourine à la porte : il faut en finir.

             Dans les derniers jours, Meeky Meek n’a plus un rond. C’est Patrick Pink qui ramène de la bouffe qu’il carotte chez sa mère : «du pain, du beurre, des steaks et des tomates». Meeky Meek prend en plus des barbituriques, mais beaucoup trop. Il est obsédé, il croit qu’on l’épie et qu’il y a des micros partout. Il dit enfin à Patrick Pink «qu’il y a quelqu’un en lui et qu’il ne peut pas s’en débarrasser» - Parfois, je sens que je ne suis pas moi. I’m talking but it’s not my voice - Puis ses enregistrements sont rejetés par EMI. Il comptait là-dessus pour se renflouer. Il est baisé. Il craint en plus de se faire virer du 304. Évidemment, il choisit un 3 février pour en finir.

             Vers la fin, Repsch fait le compte des disparus : avec Meeky Meek sont partis tous ses proches, plus les mecs qu’il a croisé, Larry Parnes, Brian Epstein, Dick Rowe, Ivor Raymonde, Sir Joseph Lockwood et même Screaming Lord Sutch dont a pris la pendaison, nous dit Repsch, pour l’un de ses gags publicitaires de mauvais goût, mais en vérité, Lord Sutch n’avait pas surmonté la disparition de sa mère et il s’est pendu chez lui. Bon la mort rôde sur ce book, mais la modernité lui survit. L’incroyable modernité de Meeky Meek.

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             L’un de ses plus grands admirateurs est Liam Watson, le boss de Toe Rag Studios. Il utilise en gros le même matos que celui de Meeky Meek, amplis, speakers, cabinets et aussi «an Altec compressor». Watson joue dans les Bristols qu’il décrit comme «the most Joe Meek sounding band around». D’autres groupes nous dit Repsch revendiquent leur Meeky influence : Stereolab, Teenage Fanclub, St. Etienne et puis il y a pas mal de cuts en hommage à Joe Meek. Repsch en cite une petite palanquée.

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             Si tu entres dans Joe Meek Freakbeat (You’re Holding Me Down), tu n’auras pas froid cet hiver. C’est même l’une des pires compiles Freakbeat jamais imaginées, 30 Joe Meek records, à commencer par l’archétype du proto-punk, le «Crawdaddy Simone» des Syndicats de l’early Steve Howe, l’he’s got no friends, wild as fuck, chaos complet, en plein dans l’œil du cyclope, Meeky Meek all over the forever ! Tu veux encore te goinfrer de proto-punk ? Tiens, voilà David John & The Mood avec «Diggin’ For Gold», le Mood est le roi du proto-punk. David John & The Mood ? Trois singles entre 1964 et 1965, dont une version demented de «Bring It To Jerome», demented et même définitive, ces mecs te bouffent tout cru et Bo avec. Ils ont un troisième cut sur la compile, «I Love To See You Strut», encore du big heavy proto-punk protozoaire, tu as le son des Pretties avec une incarnation du diable, David John. Incroyable que ces mecs soient passés à l’as. L’autre grosse équipe, ce sont les Blues Rondos avec «Baby I Go For You», joué à la va-vite de wild London boys, ils sont bien wild dans leurs petits pantalons serrés et Roger Hall te passe vite fait un joli killer solo flash. On les retrouve plus loin avec «Little Baby», plus poppy, ils entrent en vainqueurs dans le Swingin’ London, ils ont tellement de son, oh merci Meeky Meek ! Quelle prod ! Leur «What Can I Do» vire plus Brill, c’est dire le génie de Meeky Meek ! The London Brill ! Les riffs mordent le trait. Plus connus, tu as les Cryin’ Shames avec un «What’s New Pussycat» dylanex, mais le beat reste heavy, quasi «Maggie’s Farm». Ils tapent aussi un «Let Me In» en mode heavy proto-punk. C’est d’une rare violence, grattée au somment du lard wild, hey hey hey ! On les retrouve une troisième fois dans la mouture Paul & Ritchie & The Cryin’ Shames avec «Come On Back», aussi effarant que tout ce qui précède, en plein dans le mille du freak, avec des voix paumées dans le you-oouuhh yeah. Encore une fois, c’est d’une violence peu banale. Et puis tu as tous les inconnus au bataillon, à commencer par les Puppets avec «Shake With Me», fast pop rock de c’mon joué aux fluorescences de c’mon, avec un guitariste génial en embuscade. Meeky Meek apporte de l’overall dans le son. Même choc tectonique avec The Buzz et «You’re Holding Me Down», extraordinaire giclée de wild frekbeat, mais avec de la profondeur de champ. Infortunate d’unbelievable, ça résonne dans l’écho du temps. Wild as Meek, juste un cran au dessus du wild as fuck. D’où sortent The Saxons ? De nulle part, et pourtant l’«I Ain’t Right» semble tomber du ciel, Meeky Meek le prend par dessus la jambe, il leur donne une énergie démesurée. Tiens voilà Jason Eddie & The Centremen avec «Come On Baby», encore de l’inexpected qui devient du hautement expected dans les pattes de Meeky Meek. C’est eux qui referment la marche avec un «Singing The Blues» bien incendiaire. Meeky Meek n’oublie pas son chouchou, Heinz qui, avec les Wild Boys et «Big Fat Spider», tente de créer la sensation. Pas facile d’être aussi flamboyant que les autres. Meeky met le paquet et tu as tout le son dont tu peux rêver. On retrouve aussi les Tornados 66 avec un «No More You & Me» balayé par le vent du Nord.

    Signé : Cazengler, Jo la mite

    Joe Meek Freakbeat (You’re Holding Me Down). Castle Music 2006

    John Repsch. The Legendary Joe Meek: The Telstar Man . Woodford House Publishing Ltd 1989

     

     

    L’avenir du rock –

     Le loup des Steppes

    (Part Two)

             Comme bon nombre d’adeptes de la paix de l’esprit, l’avenir du rock nourrit pour les débats le plus profond mépris. Il ne supporte tout simplement pas le spectacle d’imbéciles qui s’étripent pour avoir le dernier mot. De nature politique ou «d’idées», ces débats ont lieu pour la plupart dans les médias et nourrissent le limon fertile des cornichons rassemblés devant leurs récepteurs de télévision. L’avenir du rock s’honore de ne pas appartenir à cette catégorie sociale. Malgré toutes ses précautions, il est parfois rattrapé par la réalité. Il recevait l’autre jour Japee et son père, et lorsque le verre de trop eut atteint les cervelles, un bouillant débat enflamma l’atmosphère. Japee reprochait à son médiocre pédagogue de père ses errements catastrophiques et le traitait ouvertement de démon, ce qui faisait hennir le-dit père de rire, un rire dont les stridences perçaient les tympans. Ne pouvant en supporter davantage, l’avenir du rock prit appui sur l’ineffable semelle de sa sagesse et lança d’un ton qu’il voulait bienveillant :

             — Fallon Fallon les enfants, n’avez-vous pas honte de vous comporter ainsi ?

             Hébétés, ils se calmèrent aussitôt et redoublèrent d’efforts pour dissimuler leur honte.    Une autre fois, toujours à table, l’avenir du rock fut confronté à un débat de la pire engeance, le débat rock. Il pensa d’abord s’enfuir pour échapper à ça, mais la curiosité l’emporta sur le risque de vomir. Il assista plus que médusé à l’échange qui opposa Boule et Bill, deux vieux crabes déplumés, qui, comme bon nombre de vieux crabes déplumés, se prenaient pour des aristocrates du rock. Le verre de trop atteignit la cervelle de Boule qui lança à Bill :

             — Les groupes dont tu parles si doctement, les Purple, les Sabbath, tous ces groupes choochootent sur les rails de mon indifférence et s’arrêtent à la gare de mon mépris intersidéral.

             — Môsieur le pauvre con, faites-vous greffer une cervelle, ce qui vous permettra de comprendre qu’on ne fait pas l’impasse sur les architectes du rock britannique des seventies.

             — Ma main ne va pas faire l’impasse sur ta gueule.

             C’est le moment que choisit l’avenir du rock pour intervenir :

             — Fallon Fallon les enfants, croyez-vous que le jeu en vaille la chandelle verte ?

     

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             Bon, il faut bien que le nom de Fallon serve à quelque chose. Le voilà employé à bon escient. John Fallon est un esprit lumineux qui doit apprécier les petits contes immoraux. Qui oserait en douter ?

             Quand on voit le Fallon en photo, on le prendrait presque pour un débutant, avec ses lunettes à verres teintés. Pourtant, c’est un vétéran de toutes les guerres. Il enregistrait déjà des albums superbes dans les années 80 avec les Steppes, dont on a dit dans un Part One, quelque part en 2021, tout le bien qu’il fallait en penser. Après la fin des Steppes, il est passé au step suivant avec The Laissez Fairs, comme s’il suivait le chemin d’une évolution, mais il s’agit d’une évolution sidérale, une sorte d’accélération subsonique qui relève des phénomènes spatiaux inexpliqués. Comment, quarante ans après ses débuts, un homme peut-il développer de tels flash-booms énergétiques ?

             Cette affabulation s’appuie sur deux preuves matérielles : Curiosity Killed The Laissez Fairs? paru en 2021 et Singing In Your Head paru l’année suivante. Dans un cas comme dans l’autre, on peut parler de bingo. Signalons au passage que ces albums fantastiques sont affreusement mal distribués. Si tu veux les choper, lève-toi de bonne heure et compte sur la chance.

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             Quatre coups de semonce sur Curiosity Killed The Laissez Fairs?, à commencer par le terrific «Image», gorgé jusqu’à la nausée d’English freakbeat. Ça t’explose la cervelle en mille morceaux. Tu y entends des accords des early Who et toute la grandeur tentaculaire du freakbeat. Et ça continue avec un «Sunshine Tuff» d’une grandeur à peine croyable, c’est de l’update d’uptown, ça joue au-dessus de tes moyens, c’est tellement noyé de son que tu n’entends plus rien. Et John Fallon taille son solo dans le sucre. Les Laissez Fairs réinventent le son anglais, le son des Who et tout le reste. On ne va pas les énumérer. Et comme si tout cela ne suffisait pas, voilà le coup du lapin, «Tell You What It Means». John Fallon est un démon qui adore plonger dans les entrailles de l’enfer. En plus, il grouille de puces. Son énergie est un modèle du genre. Et tu as le solo en contrebas, explosif de retenue mal retenue. Comme sabré dans le dos. Quatrième coup du sort : «Drydenseek», un hit monumental éclaté au solo d’arpèges, dressé dans une clameur chatoyante d’ardeur suprématiste. Ça monte tellement que tu as du mal à redescendre. Et puis il reste des tas de choses passionnantes à découvrir sur cet album, la belle fête au village de «Somewhere Man», la fuzz et le chant fatal d’un «Sad Girl Of The High Country» bien claqué du portillon. Dans «Two Sides Of The Same Coin», on ne sait pas comment il fait, mais il y va. John Fallon est un coriace. Il revient au heavy Fallon avec «Everything (I Ever Wanted)». Sa voix chuinte un peu, mais pas sa vision du son. Que d’avenir, my friend, que d’avenir !

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             La pochette de Singing In Your Head ne laisse aucune chance au hasard : tu sais que tu es dans le futur, c’est-à-dire l’avenir du rock. Rien de plus spatial que ce visuel de pochette. D’ailleurs, «Real Good Time In 1969» te met aussitôt au parfum, avec tout le rebondi du heavy Mod craze. C’est pulsé à l’occiput. John Fallon voit les choses ainsi : pulser le beat, avec en embuscade, le solo broyeur de gorge. Il sait rester cohérent. Il en remet une couche avec «Kathleen Coffeine», un shoot de heavy psyché visité par des vents incertains, des grattés de poux demented, ah il faut entendre les entourloupes du loup des steppes, il est le roi des échappées belles, sa Kathleen se fond dans la clameur de Dieu, c’est un instant magique. On retrouve cette clameur insolente dans le dernier cut, «Laughing Boy». Avec «A Wildeforce», il sonne comme les Byrds, il est en plein dedans. Il rend un autre hommage, cette fois au Velvet, avec «Goodbye To Samantha». C’est plombé dans l’or. John Fallon caresse toutes les chimères su rock. Chaque fois, il tape en plein dans le mille. Il maîtrise aussi l’art de la Beautiful Song, comme le montre «Fields Of Yesterday». Il fabrique de la mythologie, il vise la pureté du son, il propose là une chanson parfaite, comme le fit en son temps Lou Reed avec «Pale Blue Eyes». John Fallon connaît toutes les ficelles de l’émotion. Il crée un univers de rêve. Puis il va regorger «Pretty Penny» de clameurs. Il est à la fois spongieux et supérieur. Drôle de mélange diront les sceptiques. Mais comme c’est du pur jus, tu tombes dans ses bas.

    Signé : Cazengler, le loup des stop.

    The Laissez Fairs. Curiosity Killed The Laissez Fairs? RUM BAR Records 2021

    The Laissez Fairs. Singing In Your Head. RUM BAR Records 2022

     

     

    Inside the goldmine

    Veni, vidi, Vicki

             Tout le monde louchait sur les seins de Baby Sof. Elle le savait. Elle arrivait en cours correctement vêtue, mais dès qu’il commençait à faire un peu chaud, elle se mettait à l’aise et se rendait bien compte que son décolleté captait tous les regards. La grande majorité des stagiaires étaient des mecs, alors forcément, Baby Sof en profitait. Il faut ajouter à son crédit qu’elle avait aussi une certaine classe. Elle ne cachait pas ses origines bourgeoises. Brune, lunettée, dans la trentaine, elle avait en outre une bouche qui appelait les baisers les moins platoniques. Dans la cervelle de tous les stagiaires présents dans la salle, elle incarnait certainement l’épouse idéale. Elle intervenait toujours de manière pertinente et bien sûr, lors de l’attribution des places pour ce stage pro qui allait durer un an, elle se retrouva à ma droite. Nous sympathisâmes. Nous eûmes vite fait de former une petite bande pour aller traîner le soir en ville après les cours, deux mecs et deux gonzesses, une sorte de formule idéale. Nous allions casser la croûte dans des restos exotiques de Montmartre. Baby Sof et sa copine eurent un jour l’idée d’un voyage à Amsterdam pour aller admirer La Ronde De Nuit au Musée Rembrandt. Et bien sûr, pour des raisons de budget, nous ne louâmes qu’une seule chambre à deux lits. Baby Sof dormait avec sa copine dans l’un des deux lits. Ce fut une nuit interminable, car bien sûr il ne se passa rien, hormis les chuchotements de Baby Sof et de sa copine jusqu’à l’aube. Une nuit que nous traînions tous les deux en ville, Baby Sof proposa l’hospitalité. L’heure du dernier RER venait de passer. Elle habitait un superbe appartement à Levallois, cadeau d’un précédent mari richissime. En voyant sa fille adolescente, il était facile de comprendre que le père était arabe, probablement originaire des Émirats. Comme sa fille apprenait à jouer de la guitare électrique, il fallut subir la corvée consistant à lui montrer quelques accords. Puis Baby Sof l’envoya se coucher et vint s’installer à ma droite sur le petit canapé. Elle portait un débardeur qui ne cachait plus grand chose de sa poitrine exubérante. La discussion s’éternisa, elle monologua pendant des heures, le jour se leva et un gigantesque ciel d’Île de France embrasa la baie vitrée. Alors que j’essayais de surmonter un mélange de fatigue et d’extrême frustration, Baby Sof m’apparut telle qu’elle était en réalité : elle cultivait le désir jusqu’au délire pour mieux le tuer dans l’œuf.  

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             Vicki Anderson cultive elle aussi le désir jusqu’au délire, mais pas de la même façon. Alors que Baby Sof joue de ses appâts, Vicki chaloupe des hanches et chante le funk. Enfin, il faudrait parler au passé, car elle vient tout juste de casser sa pipe en bois.

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             Autant l’avouer franchement : Hot Pants - I’m Coming Coming Coming de Bobby Byrd & Vicki Anderson est un gros foutoir de funk, mais pas du petit funk, du hard funk d’éjaculation, et ce dès le morceau titre. Fantastique élément perturbateur d’I’m comin’ ! Bobby jouit ! Et ça repart de plus belle avec «Keep On Doin’ What You’re Doin’», du pur jus de JeeBee, joué au squelette de funk. Hard funk toujours avec «I Need Help (I Can’t Do It)» - I need help ! Now ! - Bobby en rajoute, I need to feel it ! Il est encore assez magique avec «If You Got A Love (You Better Hold On To It)», bien gratté aux petites guitares funky métalliques, Bobby passe en force à chaque fois. Puis Vicki chope le micro et fait son show. Elle démarre avec «I’m Too Tough For Mr Big Stuff», elle tape elle aussi dans le heavy funk, elle funke littéralement sa Soul, petite Vicki deviendra grande. Puis elle tape dans l’un des plus beaux hits de l’univers, «In The Land Of Milk And Honey», elle crève le ciel comme d’autres crèvent l’écran, elle chante au pire perçant d’empire persan et puis elle prévient : «Don’t Throw Your Love In The Garbage Can», tout ce qu’elle fait est énorme, elle est supérieure en tout et elle nous fait le coup du duo d’enfer avec «You’re Welcome Stop On By», véritable coup de génie. N’oublions pas de nous prosterner devant «Once You Get Started», car Vicki y bat tous les records de classe.

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             Bien belle anthologie que ce Mother Popcorn (Vicki Anderson Anthology). Si tu aimes le heavy funk, c’est pour ta pomme, et ce dès «The Message From The Soul Sister (1&2)». Elle monte tout de suite au créneau, yeah eh eh, she shakes it hard, elle est dedans, aw my Gawd ! On reste dans le move avec «Super Good (Answer To The Super Bad)», encore du heavy hush, elle appuie là où il faut. On est dans le hard funk de James Brown, wait a minute, James Brown fait les retours d’Hold on, mais sous le boisseau. Undervover Genius avec the Big Funk Sister. Hallucinant ! S’ensuivent quatre coups de génie : «I’m Too Tough For Mr Big Stuff», «Answer To Mother Popcorn», «I Want To Be In The Land Of Milk And Honey» et «If You Don’t Give Me What I Want». Pur funky business. Vicki est une bonne, elle négocie le beat avec un tact unique, yeah open my door. C’est une authentique lady. Et ça continue avec «Answer To Mother Popcorn», back to the heavy groove du funk moite, the real deal, elle s’y love avec une voix de reine de Saba. Elle revient à l’univers magique de James Brown avec «I Want To Be In The Land Of Milk And Honey», power à l’état pur, soutenu par des tempêtes orchestrales. Elle tient bien son rang et shoute comme une folle. Il n’existe pas beaucoup de poules qui te sonnent aussi bien les cloches. Avec «If You Don’t Give Me What I Want», elle lève l’enfer sur la terre, yeah yeah, elle est dans l’excelsior définitif, elle monte son r’n’b au chat perché. Tout est bien sur cette antho, elle prend son «Baby Don’t You Know» sous le boisseau, elle tient le son par la barbichette, elle est exemplaire. Et voilà qu’elle duette avec James Brown sur «Think». Ça tourne à la magie. Il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie si on ne veut pas mourir idiot. Sur «Once You Get Started», elle est littéralement emportée par des vagues de heavy funk. Toutes les funky guitares sont là. C’est encore du funk genius à l’état pur. Elle explose le chant et s’en va screamer au sommet du lard. Elle reduette un coup sur «You’re So Welcome Stop On By», mais pas avec James Brown. Cette fois, elle duette avec Bobby Byrd. Top niveau, évidemment. Bobby monte le niveau très haut. On a là deux artistes exceptionnels avec une prod magique à la Marvin Gaye. Retour au froti avec «I’ll Work It Out» elle le travaille à la grosse arrache, peu de gonzesses s’éclatent autant au froti. Elle revient duetter avec son mentor James Brown sur «You’ve Got The Power». C’est lui qui ouvre la bal d’I need you darling, il pave le chemin de bonnes intentions - Ouuh-ouuh I want you to try me - Elle arrive, et comme elle s’appelle Vicki, elle le remet en place - Oh little darling you’ve got the power - Et ça prend des allures intemporelles - You’ve got the power in your hand/ You’ve got the power to make understand - Et James Brown : «Say it one more time !». C’est une œuvre d’art sexuelle. Elle termine son antho à Toto avec le «What The World Needs Now Is Love» de Burt, elle y va au now sweet love, c’est une combinaison suprême : Burt + Vicki, ça vaut bien le Burt + Dionne la Lionne, même si elle n’est pas aussi racée que Dionne la Lionne, mais Vicki y va avec tout le chien de sa petite chienne et elle t’éclate tout le Sénégal. Stupéfiante Vicki !

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             Avec Wide Awake In A Dream on tient entre les pattes l’un des albums les plus parfaits de l’histoire de la Soul. Vicki shake de toute évidence le meilleur r’n’b de son époque avec «I Love You», elle sait pousser à la roue, elle y revient à chaque couplet, Vicki est une vainqueuse, plus petit gabarit qu’Aretha mais même niveau de niaque. Son «Never Never Let You Go» développe une fantastique énergie, c’est même bien supérieur à Stax, elle est fabuleusement active dans la fournaise et pouf, gros solo de trompette ! T’es content du voyage ! Même quand on la croit calmée, elle pousse des pointes («I Won’t Be Back»). Elle chante ses slowahs à pleine gueule et fait ramper sa Soul quand il le faut («Nobody Cares»). Elle se planque dans l’énormité du son pour aligner «Don’t Mess With Bill», un vrai délire d’excelsior, elle ne connaît qu’une seule chose dans la vie : le power inexorable. Elle est la reine des insistances et un solo de sax vient la couronner de notes de diamant, c’est là où la Soul te monte au cerveau. Elle fait un gros clin d’œil à Martha Reeves avec une cover de «Nowhere To Run». Elle la prend de plein fouet. Vicki forever ! Et pouf, alors qu’on avait du mal à retrouver du souffle, elle duette avec James Brown sur une version de «Think», about the right thing, Vicki hurle tout ce qu’elle peut - Think baby about the right thing - Comme tu es tombé de ta chaise, tu dois vite te relever pour la suite. Elle plonge son «Tears Of Joy» dans le slowah de classe supérieure. Même les nappes de violons s’émancipent, ça violonne encore jusqu’à l’horizon avec «All In My Mind», pur genius, elle allume son cut avec le grain des violons. Bobby Byrd vient duetter avec elle sur «He’s My Everything». Elle redevient la shouteuse exceptionnelle que l’on sait avec «No More Heartaches No More Pain» et comme si tout cela ne suffisait pas, voilà qu’elle tape dans Burt avec «What The World Needs Now Is Love». Elle navigue exactement au même niveau que Dionne la lionne et Jackie De Shannon, elle est déterminante, belle dans sa grandeur et elle se bat là-haut sur la montagne avec les éléments. Elle est titanesque. Elle reduette avec JeeBee sur «Let It Be Me». JeeBee feule si bien qu’il féminise sa race. Ces deux fantastiques artistes font la paire, let it be me one more time, fait le Godfather, say it ! C’est de la haute voltige, JeeBe fout le feu. Elle revient au heavy groove de r’n’b avec «Don’t Play That Song». Vicki vaincra. Elle est très spectaculaire, une vraie gladiatore. Elle entre dans l’arène et se bat comme Russell Crowe. Mais ce n’est pas fini ! Voilà qu’elle tape une version d’«In The Land Of Milk & Honey», elle chante à l’éperdue infinitésimale, dans une fantastique débauche de moyens glottaux, elle jette ses ovaires par-dessus l’Ararat, alors t’as qu’à voir ! Même un mec blasé comme Moïse est scié. Vicki est la reine des outrances.

    Signé : Cazengler, venu, vidé, vaincu (aka le loser)

    Vicki Anderson. Disparue le 3 juillet 2023

    Bobby Byrd And Vicki Anderson. Hot Pants - I’m Coming Coming Coming. Polydor 1989  

    Vicki Anderson. Mother Popcorn (Vicki Anderson Anthology). Soul Brother Records 2004

    Vicki Anderson. Wide Awake In A Dream. BGP Records 2010

     

    *

    WILD DEUCES

    3 B

    (Troyes - 23 / 10 / 2023)

    Retour aux 3 B. Béatrice la patronne a décidé d’ouvrir un nouveau cycle de concerts rockabilly. Pas de chance pour moi, une avant-première le 7 juillet avec Jacke Calypso, un méga must, hélas de pressantes affaires familiales m’empêchent d’y assister, mais pour ce coup-ci, quitte à produire un milliard de tonnes de carbone j’ai promis que j’y serai. Qu’importe la planète, ne serait-ce pas un honneur pour cette bonne vieille terre de périr pour un concert un rockabilly !

             Une nouvelle formule, un Paf d’entrée de 5 €, et la possibilité de manger ( miam-miam la plancha charcutaille-fromageous ), surprise pour le dessert : The Wild Deuces, venus tout droit de Belgique.

    THE WILD DEUCES

    temples,beachwood sparks,joe meek,the laissez fairs,vicky anderson,wild deuces,daddy's breakfast woodoo,manuel martinez,rockambolesques

    Sont quatre, croyez-moi sur parole, la foule est si dense que je n’ai pu entrevoir que fugitivement, le bassman et le cou de girafe de sa big mama qui dépassait. Bart a profité du premier morceau très swing pour installer son velouté. Attention pas un truc tiédasse peu ragoûtant, une saveur onctueuse, un potage crémeux aussi épais qu’une moquette laineuse, aussi dense qu’un épéda multi-spire pour reprendre une ancienne publicité, mais aussi rapide et flexible que le tapis volant d’Aladin, z’avez l’impression d’être au volant d’une luxueuse berline de 400 chevaux montés sur coussins d’air. Pourtant ça vibre à foison, pire ça se colle au rockab le plus sauvage à la manière de vos pieds boueux qui n’arrivent pas à se dépêcher du paillasson à ventouses sur lequel vous avez marché par mégarde.

    Je pressens votre inquiétude, avec un tel turbo-réacteur à ses côtés que peut faire un batteur pour s’imposer ? Moi je donnerais ma démission. Mais là il accomplit sa mission périlleuse sans ciller. Un groupe de rockab sans batteur c’est comme la bataille de Valmy sans les canons. Faut avoir l’œil partout à la fois, tirer au moment précis, réduire sa cible en poussière, recommencer illico, pulvériser et fracasser les oreilles des auditeurs sans les effrayer. Du tact et de la force. Être dans le temps tout en donnant l’impression d’être toujours un tantinet en avance sur les évènements.

    L’est certain qu’avec une section rythmique de cet acabit vous pouvez vous reposer sur vos deux oreilles. Oui mais le Gretschman ne l’entend pas ainsi. Waouh ! Quel guitariste. Une précision redoutable. L’est totalement intégré à la section rythmique, à trois une véritable machine de guerre. Le rockab, c’est quoi ? C’est une musique qui s’arrête au millionième de seconde près, quinze secondes de boucan homérique, et hop plus rien du tout. Pas le temps de souffler qu’une dégelée de notes vous retombent dessus sans vous prévenir, pour dix secondes plus tard s’arrêter sans préavis et hop vous êtes assailli d’une mini-tornade de grêlons sonores gros comme des boulles de pétanque. Tout est dans le son de la guitare. Ou elle vous convainc de l’urgence de la situation ou elle se traîne péniblement dans ses pantoufles, Stevens ne vous laisse aucune chance. Vous tue sans rémission et vous refile la vie tout de suite, chaque fois qu’il touche ses cordes vous revivez, votre cœur bat à cent à l’heure et quand il arrête vous êtes en manque, irrémédiablement perdu pour la société, mais il vous regonfle à bloc aussitôt. J’ai passé le concert à le regarder.

    Maintenant vous oubliez tout. Eclipse totale, la lune occulte les trois soleils derrière elle. Elle : Manon. Dans un long fourreau noir.  Qui descend jusques aux pieds. Qui ne laisse voir que les tatoos de ses épaules. Un tiers blonde. Deux tiers rousse. Une présence indéniable. Elle attire. Elle focalise les regards. Sûre d’elle, tout sourire. Elégante et joueuse. Elle use et abuse de son charme et de sa facilité à établir le contact. Elle parle mal le français, tout le monde la comprend. La reine du show. Se poste devant le micro. C’est parti à l’arrache, un vocal qui bouscule tout sur son passage. Pas de quartier. Pas de pitié. Des morceaux courts qui vous jettent au tapis. Une aisance déconcertante. Comment une voix si rauque peut-elle sortir d’un corps si mince. Entre deux morceaux, elle s’amuse, elle minaude, fait applaudir ses musicos, semble penser à tout autre chose qu’au concert et elle démarre à fond les gamelles sans prévenir, derrière le trio la suit comme le bouchon épouse les caprices de l’onde qui le porte. Elle parle Flamand nous avertit-elle, est-ce l’influence espagnole sur les Flandres, mais voici qu’armée d’un éventail elle se réfugie par trois fois au fond de la scène pour laisser chanter son batteur. Ce dernier tout en continuant à battre frénétiquement le beurre dévoile sa belle voix, pas tout à fait rockab, pas tout à fait Sinatra dans la manière d’articuler mais il recueille un franc succès. Tout comme l’ensemble des Wild Deuces qui joueront leur deuxième set et leurs rappels sous les interjections et les clameurs de la foule dont certains membres malgré la presse n’hésitent pas à danser. Une belle soirée.

    Merci Béatrice.

    Damie Chad.

     

     

    GUMBO CARNIVAL EXTRAVAGANZA

    BIG DADDY’S BREAKFAST VOODOO

                                        (Piste Numérique / Août 2023Bandcamp)     

    Je voulais chroniquer voici longtemps leur album Snake Oil  paru en 2017, puis j’ai flashé sur le suivant Black Cat Bone Spell, sorti en 2020, je n’en ai rien fait alors je ne laisse pas passer le tout nouveau paru en août ! Le groupe s’est formé en 2010 à Amsterdam. La ville devrait m’offrir une rente à vie pour tous les paquets d’Amsterdamer que j’ai fumés, mais ceci est une autre histoire. Sont trois : Mick : guitar, vocal / Peter : bass / Bart : drums.

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    Au titre l’on pourrait se croire à la Nouvelle Orleans, y’a bien un alligator sur la pochette, et maintes allusions aux titres de l’opus que nous allons écouter. En fait la pochette ressemble à son contenu, un joyeux charivari, tout de suite l’on devine que ces trois lurons ne se posent pas de problèmes métaphysiques. Se définissent comme un groupe de blues, et revendiquent des influences stoner,  disons pour faire simple qu’ils ont le désert luxuriant et qu’ils ont exilé tout sentiment de tristesse de leurs racines bleues.

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    Reno : z’ont cassé l’anatole du coquetier et vous servent le jaune de l’œuf avec le croco qui nage dedans, Bart vous refile le rythme, ni exactement binaire, ni justement ternaire, tape entre les coups de queue précipités de la bestiole toute heureuse de voir enfin le monde.  S’y mettent tous les trois autour comme les pieds nikelés préparant un mauvais coup, Peter marche le frein à main de sa basse non enlevé, du coup le moulin de la guitare broute le riff et parfois sur le vocal il nous semble que Mick n’hésite pas à miauler. Soyons franc question paroles ce n’est pas le velouté de Verlaine, sacré tintouin terminal. Parked my car into the water : non ce n’est pas l’histoire de Keith Moon qui bazarde ses voitures dans la piscine, c’est pire, pour nous petit frenchies ça fait penser à J’ai jeté ma clef dans un tonneau de goudron de Mac Kac, pour l’esprit parce que musicalement vous les suivriez jusqu’au bout de la mer quitte à transformer votre chiotte en sous-marin nucléaire, d’ailleurs ça se finit en apocalypse nucléaire, le Bart vous a une voix de supporter de foot, vous conduit son équipe à la victoire les doigts dans le nez et quand c’est fini vous vous rendez compte que vous êtes planté au milieu de la pelouse, avec les vôtres dans le cul. Trip safari : encore une histoire de piscine avec des castors dedans, puis toute une ménagerie, une section rythmique qui vous fout le sbeul, une guitare qui découpe un cuissot d’éléphant avec le couteau électrique de sa grand-mère, un vocal qui pointe sa tête de girafe par-dessus le ramdam et des espèces de chœurs psalmodiés comme jamais vous n’en entendrez dans un disque de gospel. Non, ce n’est pas du prog. Entre nous c’est hyper chiadé. La guitare ronronne, vous avez un tigre royal mangeur d’hommes qui dort sur le canapé de votre salon. I am the broom : rythme insidieux, guitare menaçante, batterie coup de marteaux, fini la plaisanterie, l’on entre dans la sociologie moderne, pas du bon côté, le Bert en oublie presque de chanter, l’articule méchant va exploser, cette fois la guitare vous file une castagne dont vous vous souviendrez, la tension monte, sifflement dans vos oreilles, il explose, il ne se retient plus, il jacte comme un somnambule prêt à passer à l’acte. N’a pas tort, l’en a marre de faire le ménage, le drame se précise, le mec a le blues méchant, on le comprend, on le soutient. Vu la violence terminale on se doute que… Mount Jacobi Shack : en tout cas il ne le dit pas, l’enchaîne directement sur le morceau suivant, à toute blinde, la guitare de Mick pique un sprint, ça pue un peu la cabane du trappeur qui ne s’est pas lavé depuis six mois, jusque-là tout va bien mais le morceau déraille, une vague sauvage sous emporte, ne savent plus où ils sont, dans la chanson ou sur le Mont Jacobi, carburent au kérozène, sont dans un tel état qu’ils vont finir à l’asile. Au moins ils n’auront pas le loyer à payer. Doomed to fail :  la fêlure, ils ont craqué, la guitare pleure à chaudes larmes, l’irrémédiable réalité de leurs existences leur saute aux yeux, échec et mat, ils ont perdu. Sont accablés par le malheur de vivre. Oui mais ils mettent une telle énergie à le proclamer que vous comprenez qu’ils en ont encore sous le pied. Sous le désespoir la lave bouillonne, des gosses punis de récréation qui prendront leur revanche à la fin de la journée. L’instrumentation muselée est en train de broyer sa chaîne avec ses dents. Til the lights go out : que disait-on ! des enfants de chœur, ils agitent la clochette du sacristain, se foutent des paroissiens, vous ont adopté un rythme perversement candide, s’amusent, vont se masturber dans les coins sombres, jolie prouesse vocale de Mick, jamais je n’ai entendu une musique qui ment si sympathiquement, avec eux la nature reprend ses droits, en plus si l’on y réfléchit un peu sont en train de se foutre du blues lui-même, même pas la musique du diable, ni celle du bon dieu, dans les deux cas ce serait de l’hypocrisie heureuse. Netflix Lockdown : pas tout à fait un morceau sur l’addiction à Netflix, ne confondez pas la cause avec la conséquence, ce serait dommage, parfois faut savoir crier au loup pour égarer le chasseur, un régal, un trio parfaitement en place et en classe, une instrumentation équilibré à merveille, tous ensemble et pas un qui marche sur l’autre, un vocal omniprésent qui n’accapare pas la part du lion, une batterie si présente qu’on ne l’entend pas, une basse qui passe en courant d’air, et une guitare qui guette sur la crête. Suis resté bloqué longtemps sur ce Netflix. Black burned cupcake : pour le dernier morceau vous avez droit à un gâteau. Je ne suis pas pâtissier et je ne me prononcerai pas sur la recette, toutefois ce colorant rose me paraît peu écologique et ce mystérieux ingrédient X, c’est peut-être à cause de lui qu’ils jouent si speed. Sur la fin, ils sont carrément en manque, ils se disputeraient presque pour être servis en premier. Il ne faut pas exagérer non plus, à la maternelle au goûter jamais un de mes camarades n’a proclamé qu’il préférait les gâteaux au sexe. Enfin c’est du blues alors on pardonne.

    En tout cas je ne m’attendais pas à que ce soit si bon. Non pas le gâteau. Ni le sexe. Je parle du groupe. Cet opus est une splendeur.

    Damie Chad.

     

    *

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    A plusieurs reprises sur KR’TNT nous avons présenté le travail pictural de Manuel Martinez. L’annonce d’une exposition Avec la peinture et la sculpture à Ostrava, Orchard Gallery, in Tchéquie, du 13 / 09 / 2023 au 10 / 10 / 2023 nous a donné envie de nous pencher encore une fois sur son œuvre foisonnante. Si dans notre chronique Angels in Disguise du 02 / 20 / 2020 nous avions exploré l’aspect mythique de son chemin de peinture, cette fois-ci nous découvrons une autre face de cette œuvre, que nous nommerons :

    LES GENS D’AUJOURD’HUI

    1

    TRANSFERT

    Diptyque - Acryl / Toile 162 x 60 x 2 - ( Août 2023 )

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    La peinture nous regarde davantage que nous la regardons. Nous sommes souvent les derniers à nous en rendre compte. Nous avons été sympas, nous inspirant du titre de carnets graphiques de Manuel Martinez nous aurions pu intituler cet article Nos Contempourris, comme nous sommes les contemporains de nos contemporains, nous n’avons pas osé. Nul besoin de décrire la scène. Inutile de remonter au diptyque Adam et Eve d’Albert Dürer, contentons-nous de suivre les pointillés. Ils ne disent rien mais ils révèlent tout. Dans la vie tout est question de visée. Il suffit de savoir d’où part la flèche et de connaître la cible qu’elle désigne ou rate. Manuel Martinez est gentil, il trace la ligne mathématique (donc imaginaire, songez que ce mot est formé sur image) de son parcours. Remarquons que sur les vêtements aux couleurs uniformes, deux flèches partent en des directions opposées. Les anciens grecs nous expliqueraient qu’Apollon est un archer redoutable.

    2

    TIR TENDU

      Acrylique – toile 120 x 120 (Mars 2020)

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    Parfois la visée est si nette qu’elle se transforme en trajectoire. Si vous voulez un adjectif pour qualifier le jaune du gilet, je propose dramatique ou colérique. Si Transfert est un fait de société, Tir Tendu est un méfait gouvernemental. La peinture est aussi un acte politique. La flèche est tracée sur l’asphalte. Vous ne pouvez y échapper. Le sujet, ici grammaticalement parlant, celui qui subit l’action, ne touche plus le sol, il n’est pas touché en plein vol, c’est la balle qui l’envole, grâce à l’ombre tournoyante de ses bras il devient multiple. Ses bras font signe. II devient symbole. Une seule image suffit pour retracer un destin, collectif. La couleur pour transcrire une colère noire.

    3

    REGLE DE CINQ

    Acrylique – toile 120 x 120

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    Regarder les autres se faire tirer dessus comme des lapins ne veut pas dire que l’on est en-dehors du danger. Ici les pointillés sont évidents. Ils ont grossi, ils sont peinturlurés. Celui qui ne les reconnaît pas devrait se faire des soucis. Reste à expliciter cette mystérieuse règle de cinq, bien plus énigmatique à première vue que la fameuse règle de trois. Il suffit de regarder le tableau pour comprendre. Aucun besoin de connaissances ésotériques. Qui tire au juste ? Le peintre. Qui reçoit les balles ? Le tableau. Ce n’est pas un suicide, le peintre est toujours vivant, juste une projection (révisez vos leçons de sixième sur les couleurs primaires et complémentaires). Vous avez toujours le choix. Mais les conséquences. 

    4

    ULYSSE

      Acrylique – toile 120 x 120

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    Il y en a toujours qui se prennent pour celui qu’ils ne sont pas. Leur désir est si fort qu’il se solidifie, se transforme en lance, et maintenant avec leur costume cravate, leur chemise blanche sans tache, ils se prennent pour Ulysse – bien sûr ils ont la caution de Joyce – ils ne sont que des Tartarins de Tarascon (09), qu’importe ils ont vaincu et transpercé la diabolique tarasque, la bête infâme, la bête infemme pour emprunter la langue des oiseaux. Songez davantage à la langue qu’aux oiseaux. Notre héros l’a clouée sur place. Elle agonise. Petite mort. Elle = Peinture.

    5

    BRUNE EXTRALIGHT

    Acrylique – toile 70 x 70

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    Vous pourriez accuser Manuel Martinez, el picador de la pintura, d’exprimer le désir du mâle blanc de plus de cinquante ans. Tout à fait son portrait. L’est comme Apollon qui a plusieurs flèches dans son carquois, il a plusieurs pinceaux sur sa palette. Beaucoup de jeunes filles sur ses toiles. Des corps adorables, des postures attirantes, des attitudes énigmatiques, c’est oublier que tout se passe dans la tête. Pas nécessairement de celui qui est regardé mais dans le chef de celle qui regarde. Lors des sacrifices antiques la fumée qui montait vers le ciel était la part des Dieux, les chairs qui restaient étaient dévolues aux hommes… Si cette jeune fille fume trop elle n’en pense pas moins. Pour ceux ou celles qui préfèrent les blondes, se reporter dans la même série au tableau Virginia.

    6

    DISTANCIATION

     Acrylique– toile 80 x 80

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    Elle l’a vu. Elle le tient à distance. Peut-être est-ce cette distance qui le tient à elle. Que les pensées sont noires. Nous ne voyons que ses épaules recouvertes de nudité. Sommes-nous au plus près de l’intimité des rêves érotiques. Il n’est qu’une ombre, une marionnette accrochée à la paroi d’un sombre rocher. Peut-être en surgit-il et s’apprête-t-il à l’escalader, peut-être un simple coup d’œil précipitera sa chute. Il est dans le viseur. S’en doute-t-il seulement. Peu importe il n’a pas voix au chapitre.

    7

    MISE EN REGARD

     Acrylique– toile 50 x 50

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    La même scène. La pendule a tourné. C’était la nuit voici le jour. L’œil a accroché un œil à son hameçon oculaire. Souvenons-nos que dans la peinture tout est question de regard. Ici nous n’avons que le regard. Le sujet regardé est hors-champs. Est-il vraiment si important en lui-même. N’est-ce pas le désir qui prime. Son objet ne dépend-il pas de lui. Une autre flèche part en un sens opposé. N’existe-t-il pas une autre possibilité, et pourquoi pas un champ des possibles illimités. Œil de lynx et ruse de sioux, elle regarde de l’autre côté.

    8

    VA SAVOIR

     Acrylique– toile

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    Tout se passe dans la tête. Mais aussi dans un monde réel empli de gravité. Parfois il est difficile de choisir à quelle force de son propre désir on cèdera. La paume des mains levées vers le ciel, c’est ainsi que les grecs invoquaient les Dieux, ici on s’en remettra à la puissance du hasard. A l’aune du désir l’un ne vaut-il pas l’autre, toute chose étant égale, autant que la décision dépende des circonstances, la flèche monte haut vers les étoiles mais c’est à la base de sa trajectoire que tout se décidera. L’arc n’est-il pas aussi nécessaire que la flèche.

    9

    SIGNES

     Acrylique– toile ( 50 x 50)

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    Titre d’une ambiguïté parfaite. Toutefois elle est la cible désignée de la flèche. Le regard suffit-il ? Sous l’œil inquisiteur elle est déjà quelque peu dégrafée, la situation est claire, elle sait que si la flèche la transperce déjà c’est parce que son attitude de proie débusquée et consentante a attiré le regard. Qui a tiré le premier ? Les pensées moites du désir se bousculent dans sa tête. Tout est dit. En quelques virevoltes de pinceau. Les signes ne trompent personne. Même pas elle.

    10

    SUSPENSION

    Acrylique– toile ( 80 x 80)

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    Nous étions dans les états d’âmes, dans les états dames aussi. Dans les observations phénoménologiques quant à l’expression du désir féminin par Manuel Martinez. Nous assistons maintenant à l’irruption de la modernité technologique dans le sentiment amoureux. Encore une histoire de transfert. Le medium s’introduit dans l’histoire. Ne plus parler à l’objet du désir mais au désir de l’objet. Nous terminerons ce commentaire par des points de suspension…

    11

    QUAND ELLE DOUTE

    Acrylique– toile 60 x 50

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    Titre explicite. Ce n’est pas qu’elle doute de quelque chose ou de quelqu’un. Elle doute du doute. Quand la quadrature du cercle prend la tangente. Ceux qui hésitent entre ceci et cela se mentent à eux-mêmes. Tout comme quand vous doutez de vous-même. Le doute est le vecteur. Le doute est le média. Technologique en quelque sorte. La seule manière d’appréhender le monde qui soit à notre portée. La partition est simple. Ou l’on s’ouvre au monde, Ou l’on reste enfermé en soi-même.

    12

    DEVIANCE

    Acrylique– toile 70 x 100

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    Du regard sur le désir féminin, l’on passe au regard masculin. Peut-on entrevoir n’importe lequel de nos regards comme une déviance, vers quelque chose qui n’est pas nous, qui nous est totalement étranger, à tel point qu’il est loisible de penser que ce que nous regardons nous cannibalise, s’installe en nous, nous éjecte de nous-même. Le regard serait-il la matière noire de notre autodestruction. L’ailleurs nous tue-t-il ? Si notre esprit n’est plus d’équerre avec le monde, retournons-nous au stade animalier. Est-ce pour cela qu’une queue s’échappe de notre postérieur. N’avons-nous pas déclenché notre propre folie.

    13

    BLEU SYNCHRO

    Acrylique– toile 70 x 100

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    Merveilleuse toile. Retour à soi-même. Manuel Martinez est peintre. Il se retrouve en lui-même tel que la couleur l’institue. Désormais tout est synchro. Il hisse le grand-pavois bleu. La petite pastille océane des boîtes de peinture à l’eau de l’enfance. La bille de verre des récrés. Les deux pieds plantés sur sa propre terre. L’objectivité du regard intérieur s’équalise à l’extériorité du monde. Il est peintre. Retour à la peinture. Admirez la finesse des motifs du sweat-shirt.

    14

    Acrylique– toile 70 x 100

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    Retour au peintre. C’est de lui que tout est parti. Suivez les lignes, vous remonterez à l’origine, aux pointillés initiaux du pinceau. Le peintre tient son pinceau capable de recréer l’univers à sa propre image. Mentale. Tout dans le geste, tout dans la tête. C’est ainsi que Zeus détient la foudre et Pharaon son sceptre. Artifex.

    15

    A L’ATELIER

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    Manuel Martinez vit en Ariège. Peintre le jour, peintre la nuit ainsi se définit-il. Nous n’avons fait que peinturlurer quelques mots au bas de ses toiles. Pour ceux qui veulent en savoir plus, nous conseillons de passer par son FB : Manuel Martinez Peintre. (Surtout n’oubliez pas ‘’Peintre’’ sans quoi vous aurez l’impression que la moitié de la planète s’appelle Manuel Martinez). Vous aurez ainsi accès à plusieurs centaines de photos de ses œuvres. Nous reviendrons sur d’autres chemins parcourus en de futures livraisons. Manuel Martinez a aussi été chanteur du groupe de rock : Les Maîtres du Monde.

    Damie Chad.

    P. S. : Nous parlerons de Michèle Duchêne qui expose souvent avec Manuel Martinez dans une prochaine livraison.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 40 ( Administratif ) :

    207

    La suite ! La suite ! La suite !

    Sont maintenant plus de cinq cents personnes regroupées autour de nous. Elles se sont assises pour que chaque spectateur puisse voir. Une fois que la Mort a fait signe qu’elle va répondre, s’installe un silence qu’il me faut bien qualifier de mort. Elle est montée sur un tombeau un peu surélevé, il faut avouer qu’elle a une fière allure drapée dans les haillons de sa houppelande rapiécée, de sa main gauche lorsqu’elle a enfoncé sans effort le manche de sa longue faulx d’au moins vingt centimètres dans le granit de la dalle depuis laquelle elle domine le monde un frisson d’incrédulité et de méfiance a parcouru la foule.

              _ Mon enfant puisque tu veux tout savoir, tu sauras !

              _ Merci Madame !

              _ Gabriel, votre femme était ce que l’on appelle une mort vivante. Oecila est morte dans un accident de voiture quelques mois avant votre arrivée en Russie, elle était jeune et jolie, je l’ai prise en pitié, je l’ai laissée rejoindre le monde des vivants, sous le nom d’Ecila, elle vous a rencontré, elle vous a aimé, je l’ai laissée partir avec vous en France, voilà l’histoire est assez simple… Au bout de quelques années je l’ai rappelée sans quoi elle serait devenue immortelle en quelque sorte puisque les morts ne peuvent plus mourir.

               _ Mais cette tombe et ce cercueil dans lequel j’ai ramené la soi-disant dépouille de la sœur de ma femme ?

               _ Ce n’est pas votre femme qui était dans le cercueil mais moi, un moyen de transport très commode, encore plus confortable qu’une couchette de train de nuit. Songez que je dois être partout à la fois, aux quatre coins du monde, dans à peu tous les cimetières de cette planète j’ai un cercueil qui m’attend pour me reposer au moins quelques secondes, un travail de fou, sans aucune rétribution, je suis sûr que dans cette assistance personne ne lèverait la main pour prendre ma place !

    Les applaudissements crépitent. La camarade camarde a remporté un franc succès, d’un geste auguste elle donne congé à la foule :

              _ Je vous donne congé, je n’ai pas le temps de m’occuper de vous aujourd’hui, ce sera pour une autre fois, je vous souhaite une bonne fin de semaine. Au revoir et à bientôt !

    L’assemblée se disperse le sourire aux lèvres conquise par cette comédienne hors-pair et pressée d’aller raconter cette étrange scène à tous les amis qui voudront bien l’écouter. Gabriel et Alice serrés l’un contre l’autre les suivent à petits pas

              _ Tu sais papa ce n’est pas très grave que Maman ait été une mort vivante, regarde, nous avons Alicia et elle est vivante elle !

              _ Tu as raison, nous allons tout de suite lui acheter un collier rose avec son nom gravé dessus et un numéro de téléphone pour ne pas la perdre !

              _ Oui Papa, comme c’est une princesse un collier avec des diamants…

    208

    Le Chef allume un Coronado, Carlos et moi nous nous occupons à refermer le cercueil vide et à remettre la dalle en place. Molossa et Molossito assis côte à côte sages comme des images ne bougent pas, leurs yeux ne quittent pas la Mort comme s’ils ne voulaient pas la laisser partir.

              _ Ces braves chiens sont d’après moi les membres les plus intelligents du SSR, ils ne sont pas comme vous, ils attendent, je ne sais pas quoi, mais ils ne passent pas leur temps à se poser des questions sans réponse.

    Le Chef allume un nouveau cigare.

              _ Chère amie, ne vous méprenez pas, ici seuls les deux chiens et l’Agent Chad ont une dernière question, je vois à leur mine qu’ils n’osent pas, alors je le fais à leur place : l’Agent Chad retrouvera-t-il un jour cette jolie péronnelle qui répond au doux prénom d’Alice ?

              _ Jamais ! Maintenant je vous laisse, il y a tant de gens qui m’attendent pour mourir ! A croire qu’ils sont pressés ! Je vous dis à demain à 9 heures tapantes, j’aurai quelque chose à vous révéler.

    209

    Sur le bureau le Chef a installé une assiette de petits gâteaux pour ma part j’ai posé deux bouteilles de moonschine. Elle n’a même pas frappé, elle est apparue à neuf heures précises sur le fauteuil que j’avais avancé.

              _ Votre exactitude m’enchante Madame, je vois que vous n’avez pas la déplorable attitude de l’Agent Chad d’arriver en retard. J’ose espérer que vous avez passé une bonne nuit.

              _ Pas du tout il a fallu que j’aille mettre un peu d’ordre à Woodstock !

              _ A Woodstock ? Un festival ?

              _ Oui, les morts s’ennuient un peu, alors de temps en temps je leur permets de sortir, pas à tous. Je choisis. Mais là c’était mon chouchou, je lui passe tout ce qu’il veut, de son vivant Edgar Poe est l’être humain qui a le mieux compris le monde de la mort. Je lui en sais gré. Je lui ai permis de continuer à écrire, bref il a réuni près de trois millions d’admirateurs, des morts évidemment, venus l’écouter, il a lu sa dernière nouvelle Souvenirs du Monde des Vivants, une histoire horrible, les morts n’ont pas supporté le rappel des turpitudes qu’ils ont vécues, cela a déclenché une panique générale certains tentaient d’organiser un suicide collectif pour échapper à l’enfer du récit. Bref j’ai dû intervenir pour renvoyer tout le monde se coucher dans son cercueil. Je suis très fière d’avoir pu donner à Edgar Allan Poe dans le monde des morts le succès que le monde des vivants lui a refusé.

              _ Ah ! comme j’aurais aimé y être !

              _ Agent Chad arrêtez de dire des âneries, je pense que Madame est venue nous parler de géopolitique.

              _ En effet, je commencerai par corriger quelque peu ce que ce gros bêta de Gabriel a raconté hier, sa femme Ecila était une agente secrète russe retournée par les français. Les services français voulaient rapatrier des documents explosifs, de véritables bombes sur les agissements de leur gouvernement, ils m’ont demandé de les aider, vous comprenez la suite… Pour la petite histoire j’ajoute que les services russes ont au dernier moment rempli le cercueil d’annuaires téléphoniques… Ecila est restée en France mariée à ce gros benêt de Gabriel. Entre parenthèses sa fille tient de sa mère, à douze ans elle mène son père par le bout du nez, ce pauvre papa a de quoi s’inquiéter…

    Je voulus ajouter mon grain de ciel :

              _ Ainsi donc vous collaborez avec l’Etat français !

              _ Avec tous les états du monde. Les gouvernements sont de gros producteurs de morts, ils ont toujours une petite guerre à faire, je passe des accords avec eux, je trucide quelques opposants politiques, en échange ils activent un petit conflit à l’autre bout du monde. C’est du donnant-donnant, de la bonne politique.

    Le Chef alluma un Coronado, à son air je compris qu’il allait poser une question sensible :

              _ Et parmi les petits services entre amis, on vous a demandé de les débarrasser du SSR ?

              _ Oui, dans leur ensemble les présidents français n’aiment pas le rock’n’roll, ils voudraient même éradiquer le SSR qu’un de leurs lointains prédécesseurs a eu l’imprudence d’instituer pour s’attirer le vote des jeunes, ils jugent que c’est là un ferment d’anarchie et de déliquescence du pays, ils n’ont pas tout à fait tort, vous m’avez prise par surprise lorsque dans un épisode précédent de vos aventures vous avez envoyé un exocet sur la résidence de l’un d’entre eux, ce qui je vous le rappelle lui a ôté la vie. Méfiez-vous ils ne vous lâcheront pas. Voilà j’ai tout dit.

              _ Madame je vous remercie de vos informations, avant de nous quitter l’agent Chad aimerait vous offrir un verre de Moonshine.

    La fin de l’entrevue fut agréable. Nous parlâmes de tout et de rien, je dus rajouter deux bouteilles de Moonshine, la Mort tenait très bien l’alcool, ce whisky au venin de crotale de contrebande à quatre-vingt-quinze degrés, lui plut énormément. Alors qu’elle s’apprêtait à partir je lui en offris deux autres :

              _ Agent Chad je vous remercie de votre prévenance, en échange je vais vous faire un cadeau, non ne rêvez pas je ne vous rendrai pas votre Alice, juste une confidence. Je vous avoue que le rock ‘n’ roll est ma musique préférée, vos chanteurs sont toujours en train de convoquer la mort, ils portent des bagues à tête de mort, l’on en trouve sur pratiquement tous les pochettes. Voilà j’en ai trop dit.

    Elle s’apprêtait à se lever, le Chef ouvrit le tiroir de son bureau et prit la parole :

    • Madame, au nom du Rock’N’Roll je vous remercie, moi aussi Madame je tiens à vous offrir une babiole, je vous en prie restez assise quelques minutes et veuillez accepter ce cigare, un Mortalado N° 4, un délice, croyez-en un connaisseur.

    Et la Mort alluma un Coronado.

    Fin de l’épisode.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 612 : KR'TNT 612 : BRAT FARRAR / GENE CLARK / SYD BARRETT / YO LA TENGO / SHARON RIDLEY / MAMA'S BROKE / WODOROST / RAOUL GALVAN + ERIC CALASSOU / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 612

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    21 / 09 / 2023

     

    BRAT FARRAR / GENE CLARK

    SYD BARRETT / YO LA TENGO / SHARON RIDLEY

    MAMA’S BROKE / WODOROST

     RAOUL GALVAN + ERIC CALASSOU

    ROCKAMBOLESQUES

      

     

    Un Farrar dans la nuit

     

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             Pareil que Cash, Brat jouait tous les jours. Comme Gildas passait Brat dans son Radio Show, alors on est allé voir jouer Brat. Gildas avait du pif. Il savait flairer une piste. D’ailleurs, on lui doit pas mal de découvertes, le Bench Club de Toulouse, The Little Richards de Californie, Timmy’s Organism de Detroit, les Why Oh Whys de Suède, Kurt Baker Combo du Maine, les Psychedelic Speed Freaks du Japon, et l’Aussie Brat Farrar. Diable comme Brat sonnait bien dans son show.

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    Alors tu vas voir Brat gratter ses poux à la Banche et qui trottine à ta droite ? Le fantôme de Gildas. Clopin-clopant. Comme lors de la nuit magique de 2019.

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             Brat s’est coupé la tignasse. Ça le rajeunit. Il a monté un groupe et roule ma poule. Brat et ses trois amis tapent un rock high-energy bien senti. Brat passe tous les solos, il n’est pas avare de petites gestuelles. Il peut aller gratter ses poux dans le dos, comme d’autres avant lui. À son sourire carnassier, on voit qu’il est content de rocker le Binic. Son set tient sacrément bien la route, on s’en régale le premier jour, mais le lendemain, c’est encore mieux. Les virulences n’ont aucun secret pour lui, il combine le blast avec le climaxing, il cultive la dissonance qui électrise la peau, il sait faire dresser l’oreille, il claque un rock extrêmement évolué, bien dressé vers l’avenir, et tous les ceusses qui connaissent ses albums savent ce que ça signifie. Son fonds de commerce reste le vieux gaga-punk cher à Gildas, mais il l’agrémente d’une touche anguleuse qu’on peut bien qualifier de modernité.

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    Brat ne craint pas d’être avalé par le passé, il développe une espèce d’animalité étrange, que contrebalance un sentiment d’austérité, peut-être dû au fait qu’il ne porte que du noir. Va-t-en savoir.

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             À ce stade de conjecture, il est indispensable d’écouter ses quatre albums pour se faire une idée précise. Visuellement, il opte dès le départ pour un graphisme austère, une image traitée avec un filtre trameur Photoshop et barrée d’un gros Brat Farrar en extra-bold condensed. Une façon comme une autre de dire bim bam boom.

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    Deuxième chose : Brat Farrar est un one man band. Il se débrouille tout seul : performing, writing, mixing, mastering, il n’a besoin de personne en Harley Davidson. Son premier album sans titre est un Off The Hip qui date de 2012. Boom avec «Punk Records», le cut qui clôt chacun de ses sets. Ah il l’aime bien son vieux «Punk Records». Il a raison, car «Punk Records» est bien exacerbé du coconut. Le brave Brat pique de violentes crises. Il enchaîne ça avec une belle énormité, «You Got Me Hanging Around», il y va au wild gaga-punk d’hanging around, il adore ce sourd beat des profondeurs. Avec «Ask The Night Tonight», il sonne comme les Buzzcocks. Et plus globalement, il arrose tous ses cuts avec un beau vent du Nord. La B est moins sexy, il fait parfois un peu la Post, et il faut attendre «Boneyard» pour trouver du bon rampant et une bonne cocote de la mort qui tue.

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             Deux ans plus tard, il récidive avec Brat Farrar II et te claque deux jolis coups de génie enchaînés : «Good By Myself» et «Johnny Sparrow». Max Brat sait monter à la menace du Good et il taille son Sparrow dans la masse, il travaille le trash comme Rodin l’argile, il balance tous les vents du Nord si ça lui chante, il se veut très directif, il gratte des poux qui attaquent comme les oiseaux d’Hitchcock et ça splurge dans le carnage. Il fait de l’Hitch pur. Il n’est pas non plus avare de Punk’s Not Dead, comme le montre «Nothing There». Il réunit son essaim de frelons et repart à l’attaque, au beat pressé de Paul Morand. Il y bat le beurre du diable, il bat ses œufs, il est dépassé par sa neige de blancs d’œufs. Ce sont des choses qui arrivent. Au rayon énormités, il est bien garni, comme le montre ce «Do You Really Wanna Know» atrocement tiré par les cheveux, il connaît le secret des clameurs, il rend son beat violent, avec des poux de Hurlevent en surface. Quel spectacle ! Encore une belle énormité avec «Off To See The World», il jongle avec les ressources inexplorées, le voilà aussi fier que d’Artagnan, mais il impose son rock fier à bras en sourdine, même s’il ramène ses essaims, il gratte en biseau, mais en fait, tu entends plusieurs grattes en biseau qui semblent causer entre elles pendant que le fier à Brat chante ses conneries. Et là, tu adhères au parti, car te voilà convaincu. Voilà un Aussie qui conçoit son album comme une aventure. C’est tout ce qu’il faut retenir de lui.   

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             Dans son radio show Gildas passait l’«On Your Mind» tiré du III, un Kizmiaz de 2017. Il passait aussi «Always You» qui n’est pas sur les albums. Juste un brillant single. Le fier à Brat a choisi une belle photo floue pour la pochette. Ceci dit, l’album est remarquable : deux stoogeries et en plus, un «When I Wake» qui évoque les Pixies. Si tu le cherches, il est planqué en B. Le Brat l’attaque très haut dans le ciel rouge. Il joue exactement comme Joey Santiago, à coups de stridences inconvenantes. Il a vraiment du génie, surtout qu’il fait tout ça tout seul. La première stoogerie s’appelle «On Your Mind», Gildas avait du pif, I wanna be on your mind, le Brat d’honneur a tout bon, c’est stoogé jusqu’à l’oss de l’ass, la tension, les incendies, le heartbeat, l’I wanna be on your mind, tout est là, with a heart full of napalm ! La deuxième stoogerie ouvre le bal de la B : «Downtown». Ses attaques de front sont historiques, il oscille au bord du cratère, il propose une nouvelle fantastique démonstration de force. Sa gratte prend feu. Le Brat bat tous les Aussies, si si, à la course. Il sort vraiment du lot. Il est fin et plein d’idées dégoulinantes de power, comme électrisées. Il tape en A son «Make You Mine» avec une incroyable perversité, son poison coule dans les veines de la vestale verte, il gratte une atroce cocote infectueuse. Sur cet album, tout est bien serré, bien fourni, bien foutu, bien senti. Brat est réellement un Farrar dans la nuit.

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             On est bien content d’avoir sous la main un album comme Adventures In The Skin Trade. Pourquoi ? Parce que chaque fois qu’on le ressort de l’étagère, on peut réécouter le morceau titre qui non seulement ouvre le balda, mais dit tout ce qu’il y a à savoir sur le Brat long. Rien qu’avec ce cut, il devient une quasi-rockstar inconnue. Le Brat connaît tous les secrets du pulsatif. On se croirait chez les Stooges, c’est vrai, il règne dans ce cut un violent parfum de stoogerie, et même d’heavy stoogerie seigneuriale, et petite cerise sur le gâtö, il finit en écrasant sa chique à la manière de Johnny Rotten. Dommage que la suite ne soit pas du même acabit. Bon il y a du son et des incendies dans «Come Back To You» et son «Big Crash» est bien chargé de la barcasse, mais ton cœur ne bat que pour le morceau titre. Il sauve sa B avec «Not Like You», fast & sharp. Il paraît indomptable, c’est un véritable Aussie de Gévaudan, il tortille sa vrille et se prend littéralement pour Ron Asheton. Ce brave Brat a du génie sonique à revendre et tout l’avenir devant lui.

    Signé : Cazengler, Brat Farine

    Brat Farrar. Binic Folk Blues Festival (22). 28/29/30 juillet 2023

    Brat Farrar. Brat Farrar. Off The Hip 2012 

    Brat Farrar. Brat Farrar II. P. Trash records 2014  

    Brat Farrar. III. Kizmiaz Records 2017 

    Brat Farrar. Adventures In The Skin Trade. Beast Records 2020

     

     

    Last train to Clark’s ville

    - Part Three

     

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             Pour bien prendre les choses en dépit du bon sens, on va attaquer ce Part Three avec les trois albums des Byrds, qui furent t’en souvient-il le groupe de Gene Clark, de la même façon que les Rolling Stones furent le groupe de Brian Jones. Et comme on le soulignait quelque part dans le Part One, Geno et Brian Jones s’entendaient très bien, ce qui ne surprendra personne.

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             Tout fan de Geno a commencé sa carrière de fan par Mr. Tambourine Man, un album paru en 1965 et qu’il faut bien qualifier de dément. Le morceau titre d’ouverture de balda te plonge depuis bientôt soixante ans dans la magie des sixties. Tu serres ce gros cartonné Columbia US contre ton cœur, car c’est tout ce qu’il te reste à faire quand éclatent les carillons de l’éternelle jeunesse captés par Terry Melcher. Le «Mr. Tambourine Man» des Byrds, c’est en quelque sorte l’apanage définitif. Geno mettra un point d’honneur à rester digne toute sa vie de ce coup de génie. Les Byrds ont le son, le groove, le poids, le jingle et tout le jangle du monde. Geno entre ensuite en lice avec son premier hit, «I’ll Feel A Whole Lot Better» - When you’re gone - Si ce n’est pas un coup de génie, alors qu’est-ce c’est ? Il signe encore «Spanish Harlem Incident», un fantastique groove californien, et il co-écrit «Here Without You» avec Croz. C’est immédiatement du très haut de gamme. Ils bouclent cette A faramineuse avec un «Bells Of Rhymmey» prodigieusement monté au chant harmonique pyrotechnique. En six coups, ils ont gagné la partie. Et la fête continue en B avec «All I Really Want To Do». Tu t’en abreuves jusqu’à plus soif.

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             Deux coups de génie ouvrent la balda de Turn Turn Turn, paru la même année : le morceau titre - To everything there’s a season - et «It Won’t Be Wrong». Mais le reste de l’album refuse obstinément de décoller. Leur cover du «Lay Down Your Weary Tune» de Dylan sauve les meubles. Il règne une mauvaise ambiance dans le groupe : McGuinn et Croz sont jaloux de Geno qui ramasse plus de blé qu’eux et qui roule en Ferrari. Alors Geno va quitter les Byrds en 1966. Hop terminé.

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             Le nom de Geno apparaît pourtant sur Fifth Dimension. Il co-signe «Eight Miles High» avec McGuinn et Croz, alors qu’en réalité, il a bossé l’idée avec Brian Jones, comme l’indique John Einarson. «Eight Miles High» est l’un des Ararats de la Mad Psychedelia. L’autre Ararat, c’est «I See You», co-signé par McGuinn et Croz, une wild psyché jouée à ras les pâquerettes, un joli ventre à terre d’excellence carabinée. En matière d’excellence au sein des Byrds, c’est Croz qui va prendre la relève, jusqu’à ce qu’il soit viré. L’autre hit des Byrds est bien sûr «Mr. Spaceman», presque pop, mais avec du son. Excellence des excellences. Croz commence à imposer sa marque avec le pur groove de «What’s Happening?». En B, ils trouvent le moyen de massacrer «Hey Joe» et d’enchaîner avec cet épouvantable filler qu’est «Captain Soul». Les Byrds vont commencer à se déplumer ou à se remplumer, en fonction des albums.

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             C’est intéressant d’écouter les Byrds demos de 1964, The Preflyte Sessions, car tout est quasi-Clark, et comme à l’époque Geno en pinçait pour les Beatles, alors il ne faut pas s’étonner de voir les early Byrds sonner comme les Beatles. Le sommet de l’A est ce «Don’t Be Long» qui sonne comme un hit. En B, on tombe sur une belle compo de Croz, «The Airport Song», qui préfigure le Croz à venir. On a aussi une version sèche de «Mr. Tambourine Man» battue à la marche militaire. En C, Croz chante «Willie jean» et «Come Back Baby». Il était déjà dans le groove. C’est lui le plus intéressant, avec Geno. Et puis en D, tu vas trouver une version ahurissante de l’«It’s No Use» signé McGuinn/Geno, et le très beau «Boston» de Geno monté sur un bassmatic joliment électrique.

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             Dans le même esprit, Sundazed sortait en l’an 2000 une petite compile d’early cuts, le premier volume de Sanctuary. Ça démarre sur une version magique de l’«All I Really Want To Do» de Dylan. Les Byrds restent à leur sommet avec «You Won’t Have To Cry». Ils sont aussi puissants que les Beatles. C’est un son unique, porté à son sommet. Encore de la pure Byrdsymania avec «She Don’t Care About Time» et son gratté de poux emblématique, ainsi que son cocktail mortel d’harmonies douceâtres. Dans le même esprit, voilà une version superbe d’«It’s All Over Baby Blue». Après le Dylanex, la grande spécialité des Byrds est la wild psychedelia, et en voilà l’un des emblèmes : «Why». Avec «John Riley», tu vas forcément tomber de ta chaise, car voilà un fabuleux instro de jazz rock fusion. Croz reprend ensuite la main avec l’imparable «Psychodrama City». Ah quelle pureté d’intention ! Il est vraiment sur la brèche du devenir. Il enchaîne avec son «Mind Gardens» et montre qu’avec son orientalisme, il est très en avance sur le roi George. Croz toujours avec «Lady Friend». Belle grandeur. Prod énorme, Gary Usher et ses cuivres. Tu n’en peux plus tellement c’est beau !

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             Dans le même esprit, tu as Never Before, considéré comme «the great lost Byrds album», ou mieux encore, «The great lost Byrds singles». Ils s’agit surtout de ce qu’on appelle les stereo mixes. Et boom, tu tombes très vite sur cette bombe de Geno qui s’appelle «She Has A Way» et qui devait figurer sur le premier album des Byrds : pur jus de mad psychedelia ! Tu as aussi l’«It’s All Over Now Baby Blue» de Dylan enregistré en cachette par les Byrds et Jim Dickson, pendant que Terry Melcher était à la plage à Palm Springs. Belle attaque, la meilleure. Ça s’écoute avec plaisir, même si on connaît tout ça par cœur. S’ensuit «Never Before», la dernière chanson que Geno a composée pour les Byrds, à la fin de l’«Eight Miles High» session. Rien de plus upfront que Never Before. Et puis tu as «Why», signé McGuinn/Croz, une sorte d’apanage du rock californien, avec un big pulsatif underground et transpercé par un solo de McGuinn. «Triad», c’est encore autre chose, Croz le groove à la dérive, il l’étale en plein jour, il descend les escaliers d’I love you too. Ce cut magique qui devait figurer sur The Notorious Byrd Brothers n’y figura pas, car Croz refusa de l’enregistrer avec ses faux frères, et donc c’est resté un single, d’où sa présence sur Never Before - Why can’t we go as three - Croz y prône le ménage à trois. Et puis il y a aussi «Lady Friend», un autre single magique de Croz, véritable coup de génie.  

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             L’album sans titre de reformation des Byrds paru en 1973 vaut le déplacement pour une bonne et simple raison : «Full Circle». Cut de Geno, forcément. Tout de suite magique - Funny how the circle turns around/ First you’re up and the you’re down again - Power du songwriting, c’est lui, Geno, qui ramène tout le power dans les Byrds, il amène de la chaleur et les autres ramènent de la clameur. On voit la différence avec «Sweet Mary», lamentable compo de McGuinn, du heavy médiéval privé d’avenir. Geno ramène ensuite «Changing Heart», un soft country rock bien pépère. Avec Geno, c’est clair comme de l’eau de roche : compo solide et admirable. Ils tapent ensuite dans un cut de Joni, «For Free», un balladif en suspension, superbe groove transverse - He was playing good for free - C’est Croz qui chante. Il va d’ailleurs reprendre ce magic cut sur son dernier album studio, For Free. McGuinn enchaîne avec son «Born To Rock’n’Roll», un joli shoot dylanesque plein de son, bien enraciné dans l’Americana. Ils tapent aussi une version du «Cowgirl In The Sand» de Neil Young - Hello cowgirl in the sand - C’est très fleur bleue. Croz tape ensuite son «Long Live The King», une petite compo énervée avec de contreforts d’harmonies vocales extraordinaires. Croz groove son cut dans le jazz, il te blaste ça vite fait bien fait. Il te plonge à nouveau dans le groove avec «Laughing». Sa voix ne trompe pas. Il est le roi du groove américain, c’est un navigateur qui sait godiller à travers les récifs. Il fait autorité. Bizarrement, ils terminent avec une autre cover de Neil Young, «(See The Sky) About To Rain». Ses compos sonnent parfois comme des tue-l’amour qui s’accrochent aux branches d’un petit thème mélodique.

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             John Einarson signe les liners d’A Trip Though The Rose Garden (The Rose Garden Collection). Inutile de tourner autour du pot : cette compile est un passage obligé. The Rose Garden est un groupe complètement fasciné par les Byrds. Dans les bonus, on trouve un version live de «So You Want To Be A Rock’n’Roll Star» capable de faire pâlir les Byrds. Ils sont en plein dans l’excellence du heavy rumble des Byrds, ils sont peut-être même meilleurs sur ce coup-là. C’est d’ailleurs ce que Geno leur dit un jour : «You do Byrds better than we ever did.» La compile propose l’album A Trip Though The Rose Garden et une quinzaine de bonus d’une qualité extraordinaire. John Nooren gratte une douze Ricken, Jim Groshong gratte aussi ses poux, Bruce Bowdin bat le beurre et l’extraordinaire bassman qu’on entend dévorer les cuts s’appelle Bill Fleming. Ils intègrent aussi la chanteuse Diana De Rose, et les hustlers Greene & Stone les prennent sous contrat. Ces deux-là sont connus à Los Angeles pour avoir découvert Sonny & Cher et Buffalo Springfield. Ils ont aussi une connexion avec Ahmet Ertegun et pouf, The Rose Garden se retrouve sur ATCO. C’est Greene & Stone qui choisissent les cuts de l’album. Geno qui aime bien les Rose propose un coup de main et leur file «Till Today» qu’il vient tout juste de composer. Geno leur montre le cut et on retrouve cette démo dans les bonus. On trouve d’ailleurs trois versions sur la compile, celle de l’album - And I got moved out of my mind - du génie pur, et la démo, dévorée vivante par le walking bass de Bill Fleming, démo suivie d’un remaster spectaculaire. «Till Today» est sans doute l’un des hits du siècle passé, tout est supra-balancé aux harmonies vocales et dévoré par cette walking bass. Sur l’acétate que leur donne Geno, ils choisissent un autre cut, «Long Time». Mais quand leur album paraît, les Rose Garden sont horrifiés par le son. Ils étaient pourtant contents du rough mix du Gold Star, mais Greene & Stone ont embarqué les bandes à New York et ont tout remixé pour en faire du vocal-oriented. Ils ont enterré la gratte de John Nooren. C’est la raison pour laquelle les bonus sont vitaux, car entend bien les grattes et la basse. Bruce pense que Greene & Stone avaient une idée derrière la tête : pousser Diana De Rose au-devant. C’est vrai qu’avec «February Sunshine», ils sonnent exactement comme les Mamas & The Papas. Sur «Coins For Fun», on entend des harmonies vocales et des grattes des Byrds. Encore de la bonne énergie californienne dans «Rider», très bluegrass dans l’essence, plein de roots et d’un tas de choses. Ils rendent ensuite hommage à Dylan avec «She Belongs To Me». Hommage de rêve à un génie, le mec te chante ça à la tremblote divine. Puis on entre dans le jardin d’Eden des bonus avec «If My World Falls Though» qui sonne encore comme les Mamas & The Papas, même son de la marée montante. Ils ont ce power considérable. En B-side de ce single, on trouve l’affolant «Here’s Today», qu’ils font sonner comme un hit des Byrds. On en trouve une version monomix plus loin, sertie d’un solo de basse. Ils enregistrent aussi une cover du «Down The Wire» de Neil Young, un heavy psychout  de Byrdsymania avec tout le power de la nation. Il faut voir comme ces mecs étaient doués. Geno ne s’était pas trompé. Le groupe s’écroule quand Jim et Bruce sont appelés sous les drapeaux. Ils obtiennent le statut d’objecteurs de conscience et se retrouvent dans un camp d’Oregon pour deux ans de service civil. Greene & Stone essayent de lancer Diana De Rose en solo. Mais ce sont les versions live des Rose qui cassent la baraque, à commencer par «Next Plane To London», fabuleusement heavy, rien à voir avec la version studio, c’est suivi du «So You Want To Be A Rock’n’Roll Star» et ils restent dans les Byrds avec «She Don’t Care About Time». Ils n’enfoncent pas le clou des Byrds, ils le défoncent ! The Rose Garden devient une révélation. Ils terminent avec une cover du mighty «You Don’t Love Me» de Willie Cobbs. Aw my Cobbs ! 

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             Ça vaut franchement le coup de rapatrier The Lost Studio Sessions 1964-1982. L’album vaut la peau des fesses, mais on est content de l’avoir sous la main. Ça grouille de puces, ce sont des démos, Geno gratte below et il faut attendre «Back Street Mirror» pour frémir un petit coup, car il fait du pur «Like A Rolling Stone». Plus loin il remonte les bretelles d’«Adrienne» à coups de gimmicky deepy deep, sa sweet Adrienne est une merveille d’intimisme et de chant délicat. Geno est l’artiste parfait. On reste dans la magie avec «Walking Throught His Lifetime», il gratte ses poux à n’en plus finir et «The Sparrow» couronne cette belle triplette de Belleville. Avec Geno, ça valse assez vite. Retour aux Byrds avec «She Darked The Sun» et «She Don’t Care About Me». Tout est beau sur cette compile de démos. On passe à Nyteflyte avec «One Hundred Years From Now» et franchement, on ne se lasse pas de cette classe invraisemblable. Il fait une cover de «The Letter» et passe à la fast country de génie avec «Still Feeling Blue». Au fil des cuts, il retape tout son registre : Byrdsymania à la moulinette, country extra-circonvolutionnaire, avec Geno, c’est vite plié, il a des chansons et il ramène tout le son du monde.

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             On trouve de très belles compos de Geno sur McGuinn Hillman & Clark, le premier album sans titre du conglomérat McGuinn Hillman & Clark, à commencer par l’excellent «Little Mama», c’est tout de suite chaud, chanté, oh-oh, c’est du Geno pur et dur, il t’explose la pop avec un sens aigu de l’universalisme. Il éclaire la réunion, il ramène le cut qui fait foi, il y a de la magie dans son Little Mama, il pousse son bouchon très loin au yeah yeah yeah. Il remonte au front plus loin avec «Backstage Pass». Il t’embobine aussi sec, mais il le fait à l’incidence, sans mauvaise intention, chez lui, c’est naturel, il faut que ça éclate. Il a encore deux cuts en B, «Feeling Higher», il y va doucement pour ne pas froisser McGuinn et Hillman, et «Release Me Girl», un heavy groove dans lequel il se fond au release me girl/ Tonite, sans trop se casser la tête. L’autre moment fort de l’album est une Beautiful Song signée McGuinn, «Bye Bye Baby». Il la prend à la traînasse de la populace. McGuinn taille aussi sa route avec un superbe «You Don’t Wish Her Off».

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             John Einarson nous avait prévenu : Geno ne chante que deux cuts sur City, le deuxième album du conglomérat McGuinn Hillman & Clark. Il tente le coup avec «Won’t Let You Down». Il a du courage, il sait driver son witchcraft. Et en B, il revient avec un petit shoot de heavy rock, «Painted Fire». Il ne se casse pas la tête. C’est avec le morceau titre en A que le conglomérat sauve l’album, on y trouve des vieux relents des Byrds in the heart of the city. McGuinn est malin comme un renard, il parvient toujours à recycler sa vieille magie. Il est d’ailleurs le seul en Amérique à sonner comme ça. Ses descentes de gratté de poux ne pardonnent pas.

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             Full Cirle - A Tribute To Gene Clark ressemble à s’y méprendre à un passage obligé. Non seulement le CD est double, mais il grouille de puces. Tiens, rien que sur le disk 1, tu as deux classiques revisités pas des féroces géants underground : «I’ll Feel A Whole Lot Better» par des Suédois qui s’appellent The Merrymakers, et «Eight Miles High» par Myracle Brah. Les Suédois sortent un brillant ramshakle pour faire honneur à Geno, et les Brah tapent l’Eight Miles High au wild brash out of the fuck-up, c’est bardé de power et de purée démente. Alors tu y reviens encore et encore. Les Lears tapent aussi en plein dans les Byrds avec «The Byrd That Couldn’t Fly». Les gros clients se bousculent au portillon, ça n’en finit plus. Michael Carpenter ouvre le bal avec «That’s Alright By Me», ce mec y va au big Clarky country sound, au big zyva, c’est un pro du pur et dur. Les Retros sonnent exactement comme les Byrds, avec «Long Time». Dévoré et dévorant, noyé de gratté de poux génial. Niveau poux, tu ne peux pas espérer mieux. Le groupe qui tape «She Has A Way» s’appelle The Idea. Ils en font une version lumineuse. Ces mecs sonnent comme des anges du paradis. Les Kennedys entrent à leur tour dans le giron des Byrds avec «Here Without You». Suprême accointance. Mais ces mecs ont trop d’albums au compteur, alors tu n’y mets pas les pieds. Et voilà le frère de Geno, Rick Clark, avec «Del Gato», il chante cette exotica de Mexicano d’une voix forte. Roger & Jim tapent «So You Lost Your Baby» à l’absolute claquage de claqué psyché, mais à fond de cale, avec des grattes qui virevoltent. Sid Griffin entre dans le génie de Geno avec «Why Not Your Baby». Nouvelle surprise avec Einstein’s Sister et «Changing Heart», wild country pop d’une infinie finesse. Pour tous ces gens-là, c’est du gâtö : Geno n’écrivait que des bonnes chansons.

             Le disk 2 est aussi dense, sinon pire. Coup de génie des Finkers avec «Radio Song». Ils sonnent comme des démons. The Shazam sont des mecs de Nashville et font un carton avec «Is Yours Is Mine». Ils rentrent dans le lard des Byrds et c’est pas peu dire. Nouvelle révélation avec Buddy Woodward & The Ghost Rockets, ils tapent «With Care From Someone» au boogie de wild ride, avec la mélodie chant en surface. L’hommage est sidérant : mélodie chant + banjo demetend. Pat Buchanan et John Jorgenson rendent aussi un hommage vibrant à Geno avec ce qu’il faut bien appeler une grosse compo : «Set You Free This Time». Ils plongent à leur tour dans le génie de Geno. Bill Lloyd est aussi dans les Byrds jusqu’au cou avec «The World Turns All Around Her», c’est enlevé par le ventre, à la manière des Byrds. Les Mop Tops tapent une cinglante cover de «Christine», et Steve Wynn gratte «Tomorrow Is A Long Way» à la grosse cocote, au plus près du gazon. Encore une belle giclée de Byrdsy sperm avec Walter Egan et «Reason Why». Le Walter est en plein dedans, il fait bien le Geno, c’est tendu et beau à pleurer. Frank Jackson Blake tombe à son tour sur le râble de Geno avec «You Won’t Have To Cry», mais il le fait avec toute la grâce du monde. Et là tu pries Dieu non seulement que tous nous veuille absoudre, mais aussi que ça ne cesse jamais. Pur genius d’you don’t have to cry anymore. Avec les Grip Weeds tu es encore dans le vrai, ils tapent une fantastique mouture de «She Don’t Care About Time». Ils sont dans les Byrds avec une niaque de Weeds. Rich Hopkins a tout le son du monde avec «You’ve Gone». Tout ça pour dire que les compos de Geno ne sont que des smash. C’est Kai, le fils de Geno, qui referme la marche avec «In My Heart». Pas facile de rentrer dans les godasses d’un père comme Geno.

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             On a découvert Starry Eyed And Laughing sur la belle compile Ace, You Showed Me - The Songs Of Gene Clark. Ce sont des Anglais et leur premier album sans titre date de 1974. Starry Eyed And Laughing est une petite merveille ! L’âme du groupe s’appelle Ross McGeeney, un fou du gratté de poux. Il amène une énergie considérable dès «Going Down» en ouverture du balda. Ces mecs descendent directement au barbu du down down down et du singing something et paf, ce génie de McGeeney te claque un wild killer solo flash. Il est encore pire que Clarence White. Ils font ensuite du country classic, mais avec esprit («Money Is No Friend Of Mine») et ils bouclent leur balda avec l’excellent «See Your Face» qui fond comme un bonbon sur la langue. Ils sonnent exactement comme les Byrds. En B, ils tapent ce qu’on appelle un boogie rock enthousiasmant, «Living In London». Une vraie sinécure de fast London rock - Living in London starts to make me crazy yeah - Retour à la belle country lumineuse avec «Never Say Too Late», franchement, tu te régales en compagnie de ces mecs-là. Ils font leurs adieux avec un «Everybody» digne du «Eight Miles High» des Byrds. Fantastique resucée ! On croirait entendre Geno. Même power, même fluidité psychédélique, même énergie atomique de la radiation congénitale.

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             Leur deuxième album s’appelle Thought Talk. Il se présente sous les meilleurs auspices avec «Good Love». Ils ont tellement de son ! Et le mec chante si bien ! C’est une pop pleine d’élan vital, une pop inspirée par les trous de nez. L’autre énormité de l’album s’appelle «Flames In The Rain» et elle se planque en B. Il faut aller la chercher, elle ne viendra pas toute seule. C’est de la big heavy pop de type Dylanex, chantée d’une voix tremblante d’émotion, une pop aérienne et même hantée. Avec le morceau titre qui arrive aussitôt après, ils font du CS&N, même allure, même Déjà Vu, avec un jazz solo liquide, c’est incroyablement bon et chaud, c’est un rock qui te coule dans la manche. On retrouve le Dylanex dans «One Foot In The Boat» et un brin de country rock persistant dans «Since I Lost You», chanté au doux du menton, très californien dans l’esprit. Avec «Believe», ils sonnent exactement comme Midlake, ou plutôt Midlake sonne exactement comme Starry Eyed And Laughing. Ils tapent chaque fois dans le mille. Ces mecs sont beaucoup trop polis pour être honnêtes, trop doués pour être charitables, beaucoup trop diserts pour être éligibles.

    Signé : Cazengler, tête à Clark

    Byrds. Mr. Tambourine Man. Columbia 1965

    Byrds. Turn Turn Turn. Columbia 1965

    Byrds. Fifth Dimension. Columbia 1966

    Byrds. Sanctuary. Sundazed 2000

    Byrds. The Preflyte Sessions. Sundazed 2001

    Byrds. Never Before. Murray Hill Records 1987 

    Byrds. Byrds. Asylum Records 1973

    The Rose Garden. A Trip Though The Rose Garden (The RG Collection). Omnivore Recordings 2018

    Gene Clark. The Lost Studio Sessions 1964-1982. Sierra Records 2016

    McGuinn Hillman & Clark. McGuinn Hillman & Clark. Capitol Records 1979

    McGuinn Hillman & Clark. City. Capitol Records 1980

    Full Cirle - A Tribute To Gene Clark. Not Lame Recordings 2000

    Starry Eyed And Laughing. Starry Eyed And Laughing. CBS 1974

    Starry Eyed And Laughing. Thought Talk. CBS 1975

     

     

    Wizards & True Stars

    Syd Barrett m’était conté

    (Part Two)

     

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             Syd Barrett et Brian Jones partagent le même destin, un destin de brillants précurseurs, et s’il fallait les résumer par une formule, on céderait aisément à quelque infime pulsion poétique en les qualifiant d’élégants ectoplasmes éphémères élus pour l’éternité. 

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             Voici dix ans, Rob Chapman publiait Syd Barrett - A Very Irregular Head, un book gras et rose comme un bourgeois satisfait de sa condition. À la première lecture, on trouvait l’auteur pontifiant, on l’aurait presque traité de pompeux cornichon, pour reprendre une invective chère à Noël Godin, un autre héros. Chapman s’inscrivait à l’exact opposé de Nick Kent, qui, avec ‘The Cracked Ballad of Syd Barrett’, avait su dire tout le bien qu’il fallait penser de l’élégant ectoplasme éphémère élu pour l’éternité.

             Puis, à seule fin d’alimenter la chronique des Wizards & True Stars, l’idée saugrenue vint de ressortir le fat book de l’étagère. À la relecture, le fat book a pris une autre allure. Essayons d’en comprendre la raison.

             Rob Chapman est un coupeur de cheveux en quatre. Il passe un temps infini à dire le pourquoi du comment, il consacre des chapitres entiers à des détails qui ne méritaient qu’un petit paragraphe. Il revient notamment sur le mythe créé par Nick Kent, la fameuse bouillasse de Brylcreem et de Mandrax dont Syd s’était barbouillé la tignasse avant de monter sur scène avec son groupe, le Pink Floyd - Jesus wore a crown of thorns. Sad, mad Syd rubbed some gloop into his scalp - Chapman détruit le mythe, mais il s’empresse d’ajouter que les articles de Nick Kent parus à l’époque sans le NME comptent parmi «the finest in English music journalism.» La parution de ‘The Cracked Ballad’ sonnait déjà presque comme un requiem, précise Chapman dans son introduction. Il ajoute à la suite que Kent fut lui aussi victime de sa passion pour la dope, et comme Syd, il se brûla les ailes, lorsqu’il faillit devenir le guitariste des Sex Pistols. Le parallèle est à la fois indélicat et juste. C’est Chapman. Indélicat et juste. Il faut faire avec. Chapman finit par faire craquer Kent qui lâche le morceau : «Cette histoire (de Mandrax & Brylcreem) est plus ou moins vraie. Elle fait partie d’un ensemble de strange tales, beaucoup sont vraies, d’autres relèvent de la fiction.» Il ajoute : «Ce sont des histoires dont les sources sont à moitié authentiques. Il est plus que probable que la plupart sont des inventions.» Finalement, personne n’est jamais revenu sur ces fables pour les démentir. Du coup, elles sont devenues réalité.

             Voilà le problème : ce fat book démystifie et en même temps, Chapman n’en finit plus d’essayer d’approcher la vérité : au bout de ses 400 pages, on sait à peu près qui est en réalité Syd Barrett. Sous la plume de Chapman, c’est pas jojo. Sex and drugs and rock’n’roll. Ceux qui pensent que le rock est un conte de fées se fourrent le doigt dans l’œil jusqu’au coude.     

             L’immense avantage de cette relecture est qu’elle met en lumière le véritable enjeu de ce travail d’investigation. Chapman démontre que RIEN n’est possible sans terreau culturel. Il fait exactement le même travail d’Hercule que Marcus O’Dair avec Different Every Time: The Authorized Biography Of Robert Wyatt. Il prouve que les esprits modernes, en matière de rock, sont des êtres extraordinairement cultivés qui se nourrissent essentiellement de peintres et d’écrivains. Surtout en Angleterre. D’où la différence entre Syd Barrett et Guns’n’Roses.

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            (Nicolas de Staël)

    Faut-il rappeler qu’avant toute chose, Syd Barrett est peintre. Barry Miles le dit influencé par Nicolas de Staël - qui fut aussi une big influence pour Stu Sutcliffe - Un de Staël lui-même influencé par Soutine. Rien qu’avec ces deux noms, on situe parfaitement Syd, «thick broad paint» pour Soutine, l’anar figuratif par excellence, Soutine et de Staël bossent au couteau, ils t’emplâtrent les châssis d’aplats mirobolants, Syd prend racine dans l’éclat morbide de la décomposition soutinienne, et dans la mirobolante fulgure des glacis de de Staël, qui brouille à jamais les pistes en broyant la figuration dans le jeu de ses plaques tectoniques d’aplats. De Staël suggère monstrueusement, comme va le faire Syd avec sa gratte. Chapman ajoute ceci qui est d’une rare pertinence : «À la différence de Soutine, de Staël était un esprit synthétique, plus attiré par la beauté et l’harmonie que par le chaos, et son influence sur Syd et sur sa perception est indéniable.» C’est le premier d’une longue série d’éclairages. Syd Barrett ne tombe pas du ciel. Chapman illustre le penchant féminin de Syd par une longue évocation de Françoise Sagan. Syd lit She magazine, et la meilleure incarnation du féminisme à l’époque, c’est Sagan qui tire son pseudo d’À La Recherche Du Temps Perdu. Chapman dresse un sacré parallèle entre Syd et Sagan : premier succès en 1954 avec Bonjour Tristesse, elle n’a que 18 ans, elle traîne avec «the Left Bank radical chic, avec Sartre, Godard, Hemingway et Henry Miller» et forme sa bande, la Bande Sagan, avec Juliette Gréco. Le parallèle est osé mais juste. Bravo Chapman ! On vénère autant Sagan que Syd : même sens de l’anticonformisme radical. 

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    ( Chiam Soutine)

             Après Soutine et de Staël, Syd se passionne pour Rauschenberg qui fut formé dans les années 40 par un expat allemand du Bauhaus, Josef Albers. Au Black Mountain College, en Caroline du Nord, Rauschenberg devient pote avec John Cage. Ensemble, ils envisagent de détruire les barrières qui séparent l’art de la vie, et cette philosophie allait avoir des conséquences énormes sur l’art des performances et de la danse moderne. En 1964, Syd va voir l’expo Rauschenberg à la Whitechapel Gallery. Révélation ! On est en plein Duchamp avec Monogram, le bouc et son pneu, et puis les collages, les présidents, l’éclat d’une nouvelle modernité, à la suite de de Staël et de Soutine. Dans ses conversations, Syd cite aussi, Willem De Kooning, influencé par Soutine, et instigateur de l’action painting, de la même façon que Syd sera l’instigateur de l’action acid trip.

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     ( Rauschenberg)

            De de Staël et Rauschenberg au LSD, il n’y a qu’un pas. Le lien est direct. Andrew Rawlinson indique la voie : «Aldous Huxley en a fait une réalité. Tout ce qu’écrit Huxley dans The Doors Of Perception est confirmé par le LSD.» Syd est l’un des pionniers de l’acide à Cambridge, dès 1963. Anthony Stern ajoute que Syd est fasciné par ses découvertes - the colours, the movements, the things spiralling - the constant breaking up and fractal imagery all happening at the same time - Il nous décrit tout simplement The Piper At The Gates Of Dawn.

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             Autre épisode crucial dans l’éclosion de Syd : the Free School en 1966, où débarque l’actrice warholienne Kate Heliczer avec sous le bras «the first demo tapes du Velvet Underground.» Dans l’assistance, il y aussi quatre personnages clés, John Hopkins, Peter Jenner, Andrew King et Joe Boyd. Un Boyd qui vient des États-Unis où il faisait tourner Sleepy John Estes, Jesse Fuller, Sonny Terry & Brownie McGhee, Skip James, Muddy Waters et le Révérend Gary Davis. Il a vu Dylan exploser le Newport Folk Festival en 1965. Il a aussi accompagné The Blues & Gospel Caravan en Europe, en 1964 et 1965, et a emmené en tournée Roland Kirk et Coleman Hawkins, nous rappelle Chapman, inlassablement. Et en 1965, Joe Boyd s’installe à Londres et bosse pour Jac Holzman. Il est l’Elektra-man de London town. Pas de meilleur candidat pour rassembler les têtes de gondole de l’English counter-culture. C’est lui qui emmène le Floyd en studio pour enregistrer «Arnold Layne».  

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     ( Edwar Lear )

            Pete Brown rappelle que les ombres de Lewis Carroll et d’Edward Lear planent aussi sur Syd - Language, lateral thinking, looking at the weirdness of British existence, looking at rural or semi-rural peculiarities - Chapman rajoute les noms de Kenneth Grahame, Charles Dogson et Hillaire Belloc, des auteurs sans lesquels le Syd n’est pas concevable. Chapman s’attarde particulièrement sur Edward Lear qui a créé «une fascinante nonsensical cosmogeny de la vie humaine, animale et végétale, peuplée de créatures étranges, dont la plus connue est The Dong with the Luminous Nose.» - Il a inventé une botanique absurde, des recettes absurdes, des petits poèmes absurdes, des chansons absurdes et un alphabet absurde. John Lennon est dans le monde pop le descendant le plus évident de Lear - Quand Syd écrit des lettres à ses copines, il fait du Lear. Chapman en cite de larges extraits. C’est pour ça qu’il faut lire son fat book. 

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        ( John Latham )

         Chapman dresse encore un somptueux parallèle entre Syd et John Latham : «Latham comme Syd se passionnait pour le cut-up et le collage. Ils partageaient la même fascination pour Kurt Schwitters, Hugo Ball, Tristan Tzara, Robert Rauschenberg, et en matière littéraire, pour James Joyce et Bob Cobbing.» Alors que Latham se rapprochait d’Alexander Trocchi et de William Burroughs, Syd se heurtait à l’incompréhension de ses producteurs qui trouvaient ses «dark nursery rhymes trop weird». On lui réclamait une suite d’«Emily Play». Chapman insiste longuement sur ce parallèle, car à cette époque, Syd commence à taper dans le minimalisme Lathamien : il monte sur scène et ne joue qu’une seule note pendant une heure. Les gens croient que c’est à cause de l’acide. Ils n’ont rien compris. La note unique de Syd fait écho au «one-second painting de Latham qui cherchait à repousser les frontières de l’art conceptuel». Latham peint pendant une seconde avec un spray gun. Quand Syd fait la même chose, une note pendant une heure, on l’accuse de sabotage. Les trois autres Pink Floyd ont les dents qui rayent le parquet. Ils veulent faire carrière. Les conneries de Latham, ça ne les intéresse pas. Ils veulent des millions de dollars et des Ferraris. Ils les auront une fois qu’ils auront viré Syd. Pendant ce temps, Latham continue d’explorer les frontières du Nord. Il essaye de capturer le «zero moment» sur toile. Il est galvanisé quand il ouvre les Carnets de Leonard de Vinci et qu’il tombe sur cette phrase : «Parmi les grandes choses qui se trouvent parmi nous, la plus grande est le Rien.» Latham va loin, il cherche la fin de l’art et la dissolution du corps, comme Klein qui de son côté joue avec les body prints. Syd explore les mêmes zones avec sa gratte - Alors que Latham travaille sur les paramètres de l’art de la vie, on envoie Syd Barrett aux États-Unis jouer au Pat Boone Show.

             Nicolas de Staël, John Latham, Edward Lear, tic tic tic... fait le fat book dans la cervelle de son lecteur. En étalant son terreau culturel, Chapman amène une énergie considérable. Il donne forme à la vraie vie de Syd Barrett. Il galvanise son lecteur. Et donne surtout envie de relire Edward Lear. Et de réécouter The Piper.

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            Un Syd d’une flagrante modernité. Chapman dit ceci : «I never met a single punk who didn’t like Syd Barrett». Les seuls qui trouvèrent grâce aux yeux des punks furent Syd et Phil Lynott. Tous les autres à la fosse ! Chapman fonce ensuite sur le cœur du mythe, le génie de Syd Barrett, on est là pour ça. Andrew Rawlinson voit Syd comme un être béni des dieux : «Il était peintre et musicien, and he was very, very quick. Life worked for Syd. He could make things. And boom it happened. And he was a very good-looking boy of course. The girls loved him.» Une gonzesse le qualifie de glamourous, elle parle de l’intensité de son regard - He was glamour on legs - Ses toiles avaient du panache, very Soutine-ish. Et son côté très féminin frappait tout le monde. Il grandit à Cambridge, une ville remplie d’excentriques en vélo et de très grands intellectuels. Pas un hasard si Daevid Allen s’y établit lorsqu’il débarque en Angleterre. Syd se passionne aussi pour Bo Diddley et Dylan. Il s’intéresse aussi aux bluesmen obscurs, notamment Pink Anderson et Floyd Council. L’un de ses premiers masterstrokes et de former le nom de son groupe à partir de ceux de ces deux bluesmen obscurs. Syd s’appuie sur une impulsion créative purement littéraire, qui nourrit aussi sa peinture. Chapman précise qu’on retrouve la même impulsion dans le cubisme, le surréalisme et le pop art. Un sens inné de la modernité. Syd va d’ailleurs commencer à lâcher Bo Diddley pour se déconstruire et devenir plus abstrait. Il mélange cette impulsion au LSD et aux light-shows de Mike Leonard, et ça donne l’early Pink Floyd révolutionnaire. On est obligé de parler d’une révolution artistique, dont l’instigateur est Syd, certainement pas les trois autres. Mike Leonard est selon Chapman le catalyseur de cette révolution. Grâce au LSD et au light-show, Syd peut improviser. La pop ne l’intéresse pas plus que ça. Il rêve surtout d’art total, mais il sait garder un sens de l’immédiateté. Il dit préférer les Beatles à John Cage. Andrew Rawlinson rappelle que Syd était ouvert à tout, au temps de l’early Pink Floyd - He could pick up on the best quality of popular culture - Bob Klose a une approche du Syd encore plus fine : «Il a réalisé que sa vision musicale et ses limitations le poussaient dans certaines directions. Votre créativité vous pousse alors vers quelque chose de nouveau et d’inexploré.» Il se met à chercher des sons, et en 1963, il commence à gratter ses cordes avec un Zippo. Il en fait une justification conceptuelle. Sur scène, Syd et son groupe bousculent les normes - They were totally new. Personne n’avait entendu un tel son. It was free-form experimental pop, dit Duggie Fields - Syd commence à mettre au point des abstractions atonales et il s’entend bien avec Rick Wright qui joue du Morse sur son clavier et des eerie vibrato squalls dignes de l’avant-garde européenne. Syd ouvre les voies du seigneur avec «Interstellar Overdrive», à coups de relentless pulse et de fragmentation de la ligne mélodique. Anthony Stern dit que ça vire jazz, «it’s just this wonderful hybrid thing where rock’n’roll just lets go to itself and lets its hair down.» Chapman compare «Interstellar Overdrive» à «Sister Ray», ils créent «something enterily new out of ensemble playing» - Insterstellar Overdive fonctionne comme une sorte d’anti-music. C’est le jeu collectif qui produit cet effet, selon Chapman, «they lock into exactly the same kind of primal empathy.» Peter Brown voit Syd comme un être incredibly charismatic. «Malgré ses limitations sur la guitare, il pouvait faire des choses très intéressantes. Il pouvait sortir des textures ou des improvisations linéaires.» Andrew King trace un parallèle osé entre Syd et Picasso - Un mec dit un jour à Picasso : «Je peux faire ça en 5 minutes.» Et Picasso répond : «Bon d’accord, mais ça m’a pris 70 ans et 5 minutes.» C’est la même chose pour les explorations instrumentales de Syd. Elles ne tombent pas du ciel - Andrew Rawlinson pense lui aussi que Syd fonctionne comme Picasso - Je veux dire dans sa méthode de travail. Nous savons tous que Picasso essayait tout - Il conclut sa brillante démonstration en affirmant que Picasso a fait ça toute sa vie. «Syd was the same. Le problème, c’est que sa vie créative n’a pas duré très longtemps.» Barry Miles ajoute : «Syd n’a jamais été un virtuose. He was much better at exploring ideas.»

             Et puis il y a le dandy. «Comme Brian Jones et Jimi Hendrix, il portait des châles et des écharpes, de la soie et du velours, des fringues très colorées» - It was a slightly dandified look, androgynous but never camp - Anthony Stern ajoute que Syd avait en plus une façon de marcher extraordinaire - ‘lolloping’ way of walking, comme s’il était un personnage tiré de Peter Rabbit - Et puis il y a les chansons. Du jamais vu. Robyn Hitchcock : «Barrett absorbait Dylan et Bo Diddley, Hilaire Belloc et Lewis Carroll et Dieu sait quoi pour en faire un style qui lui était propre. Il fit ça très jeune. Je trouve ça impressionnant, car il était parfait. C’était un miracle, il était si parfait et si développé, et puis plus rien. À 25 ans c’était fini.»

             Avant d’évoquer la chute de Syd, il est nécessaire de repasser par le Pink Flyod, épisode passionnant dans un premier temps, puis puant par la suite.

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             Joe Boyd et John Hopkins découvrent en 1966 un Irish ballroom situé sous une salle de cinéma, sur Tottenham Court Road. Ils vont en faire l’UFO, c’est-à-dire l’épicentre de la psychedelia. C’est là que le Pink Floyd devient célèbre - Between 23 December 1966 and its enforced closure at the end of September 1967, it hosted the revolution - On distribuait de l’acide à l’entrée - This was Syd’s creative zenith - Syd est sous acide, noyé dans le light show. Syd se livre à un «minimalist kinetic ballet où chaque geste et chaque génuflexion se transforme en une myriade de possibilités visuelles.» «The whole thing was a form of pop art», s’exclame Pete Brown en extase, et il ajoute : «Ils sont devenus des créatures qui existaient dans un environnement visuel. It was exciting to watch. Syd wasn’t just a rock star in the spotlight.» L’UFO, c’est le même plan que l’Exploding Plastic Inevitable d’Andy Warhol. Chapman en fait des pages historiques, aussi historiques que celles de Joe Boyd dans White Bicycles. C’est l’apogée du British Underground. En décembre 1966, Boyd et Hoppy organisent à la Roundhouse un événement baptisé Psychedelicamania, an all-night rave, avec les Who, les Move et Pink Floyd. À la différence des groupes de Ladbroke Grove, le Pink Floyd s’adresse à des gens qui aiment l’aventure et l’expérimentation, même si dans les deux cas, tout passe par les drogues. L’UFO joue le même rôle que la Cavern de Liverpool et le CBGB, à New York.

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             Syd écrit des chansons magiques. Pete Brown considère qu’«Arnold Layne», «Strawberry Fields Forever» et «Penny Lane» sont «les trois breakthrough British rock songs qui définissent l’Angleterre de manière sociale, poétique et historique.» Avec Pete Brown, Chapman a un fier allié. Ils croisent leurs regards et disent tout ce qu’il y a d’important à dire sur Syd et le rock anglais. Pour Chapman, «See Emily Play» est «le high point of English psychedelia, Pink Floyd’s perfect pop moment. As economical as a haiku, as enigmatic as a Zen koan.» - No other pop song of the period conveyed such crystalline clarity. No other pop song of the period said so much by saying so little - Le Pink Floyd, c’est essentiellement «Arnold Layne» et «See Emily Play», certainement pas la machine à fric que c’est devenu après l’éviction de Syd. C’est dingue que les gens ne l’aient pas compris. C’est «Arnold Layne», nous dit Chapman, qui sort le Pink Floyd «out of the security bubble of the London underground pour le propulser dans le mainstream.» On les envoie tourner en province et ils doivent souvent affronter des publics hostiles qui ne comprennent rien à la psychedelia. Avec «Arnold Layne» et «See Emily Play», ils sont devenus des stars, il naviguent dans la charts en compagnie de «Strange Brew» (Cream), «Paper Sun» (Traffic), «All You Need Is Love» et l’imparable «Whiter Shade Of Pale». 

             Puis ils enregistrent The Piper. Barry Miles pense que Joe Boyd qui avait produit «Arnold Layne» aurait dû produire l’album. Norman Smith en a fait un album de pop commerciale. Pour Barry Miles, «Arnold Layne» sonnait comme le Floyd - That’s exactly what they sounded like. There’s a certain sonic quality there that is not on the album - Joe Boyd avait fait des miracles. Pas Norman Smith.

             Et puis Syd commence à refuser de jouer le jeu. Pas question de singer pour Top Of The Pops. Andrew King : «That’s when he started to get diffucult.» Syd applique à la lettre l’enseignement d’Edward Lear, «to go my own way uncontrolled», refus des routines et des compromissions. Refus de rentrer dans le rang, Syd, nous dit Chapman, met en place son «système des 3 R of anti-stardom : reluctance, récalcitrance et refus, jusqu’au moment où Syd fut exclu, ou s’exclut de lui-même de son propre groupe.»

             Il met le paquet. Pendant la première tournée américaine, il monte sur scène au Fillmore West et ne fait rien. Il reste planté. Il attend. Lors d’un autre concert, il souffle dans un sifflet. On imagine la gueule de Roger Waters. Et celle de Nick Mason qui rêve d’acheter des Ferraris. Sur scène, Syd désaccorde sa guitare. À Londres, c’était toléré et même approuvé - Now it was seen as a symptom of madness. Pink Floyd were trying to break America and Syd was fucking up - Et Chapman pose enfin la bonne question : «Plutôt que de spéculer sur l’état de santé mentale de Syd pendant cette tournée américaine, il aurait mieux valu se poser cette question : what the fuck were Pink Floyd doing on the Pat Boone Show in the first place?». Et Chapman ajoute qu’en refusant de jouer le jeu, Syd était en avance sur son temps. Pas question de se plier aux règles du mainstream. Chapman cite des exemples de groupes qui dirent non au despotisme de la connerie, à commencer par Led Zep - No concession of any kind to these mainstream outlets - Ahead of his time, insiste Chapman, refus de mimer pour la télé, refus de répondre aux questions stupides des journalistes. Syd se transforme physiquement, «regard fixe (this thousand-yard stare), cernes noirs sous les yeux, silencieux, impossible to work with, et violent», dit Ian Moore. Et puis il y a l’épisode Cromwell Road où Syd vit un temps - A major burn-out joint. Definitely acid overload there, précise Mick Rock, le photographe qui signe la pochette de The Madcap Laughs, ainsi que celles de Raw Power et Transformer.  

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             Comme Syd fucks up, les autres font entrer David Gilmour pour le doubler sur scène à la guitare. Fin 1967, les jours de Syd dans le groupe sont comptés. Il aura tenu moins longtemps que Brian Jones, lui aussi viré de son propre groupe. Deux ans. Gilmour monte sur scène avec eux en janvier 1968. Ils vont jouer 4 dates à 5, puis un jour, ils oublient tout simplement de passer prendre Syd pour aller jouer à Southampton. En avril 1968, un communiqué annonce que Syd a quitté le groupe.

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             Quand plus tard on demande à Syd ce qu’il pense de l’évolution du Pink Floyd et «du contraste entre the song-based material and the Floyd’s lenghthy instrumentals» il répond ceci : «Leurs choix musicaux correspondaient à ce qu’ils pensaient en tant qu’étudiants en architecture. Rather unexciting people, I would have thought, primarly.» Chapman ajoute que derrière le sarcasme se planque une vérité fondamentale, dans la façon dont le Floyd a construit sa carrière après s’être débarrassé de son erratic and anarchic founder. «Alors que les albums solo de Syd allaient refléter his fine art philosophy and his pathological resistance to discipline. Waters, Mason, Wright and Gilmour (ça sonne comme le nom d’une firme, pas vrai ?) pratiquaient la prudence, la délibération, l’attention méticuleuse au détail, ils appliquaient des principes formels, suivaient une logique séquentielle, linéaire, alors que Syd cultivait l’immédiateté, la spontanéité, l’abstraction, la multiplicité des perspectives, et l’automatisme.» Eh oui, d’un côté tu as «Money» et de l’autre, tu as «Dominoes». Ça veut bien dire ce que ça veut dire. On est content que Chapman soit du côté de Syd. Car enfin, camarade, il faut choisir ton camp. Pareil, tu choisis entre Brian Jones et Mick Taylor. Le choix est vite fait. 

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             Syd viré. Que devient-il ? Chapman rencontre Alfie qui lui explique que Robert Wyatt a subi le même sort : viré de son propre groupe - Sa confiance en lui et son ‘sense of direction’ étaient tellement esquintés qu’il en a longtemps fait des cauchemars - Chapman aborde le chapitre des deux albums solo et qualifie l’excellent Madcap Laughs d’«épuré, méditatif, séduisant, austère, intime», avec cette photo de Mick Rock et cette gonzesse à poil derrière qui s’appelle Iggy the Eskimo Girl. L’enregistrement est bordélique. Chapman trouve dommage que Soft Machine n’ait pas joué sur tous les cuts. Ça aurait donné un résultat beaucoup plus explosif. Syd n’a que 22 ans quand il attaque sa «carrière solo», et il aura 24 ans quand il arrêtera définitivement d’enregistrer. Chapman dit que la tristesse s’est abattue sur Syd. C’est ce qu’il ressent à l’écoute des deux albums solo. Gilmour prend en mains le deuxième, Barrett, enregistré en 15 sessions, en 1970. L’album contient tous les chefs-d’œuvre que l’on sait, «Dominoes», «Gigolo Aunt», «Baby Lemonade», pas besoin de faire un dessin. C’est la suite directe de «Arnold Layne» et «See Emily Play», un style unique en Angleterre, une pop désinvolte et complètement géniale. Mais Chapman note une baisse chez Syd : «Le 21 juillet 1970, Syd se rendit au studio 3 d’Abbey Road pour enregistrer ses deux ultimes chansons.» Ça sent la fin des haricots. Ces pages sont d’une infinie tristesse.

             Syd commence alors à s’effacer. Pas d’annonce officielle, juste quelques pas en arrière pour se fondre dans l’ombre de l’anonymat. Il passe plus de temps à Cambridge. Chapman tente d’expliquer que le Mandrax lui a fait plus de mal que le LSD, mais on s’en fout. Robyn Hitchcok ramène sa fraise : «C’est toujours la même chose avec ces mecs-là : Les drogues ont démoli leur self-control. Ils sont tous devenus les victimes de leurs minds, which is what happens if you get stoned a lot.» En 1971, Syd s’installe définitivement dans le grenier de la maison de sa mère. Comme Dan Treacy, Chapman donne l’adresse : 183 Hills Road. C’est pas grave, puisque Syd a cassé sa pipe en bois - À 25 ans, Syd est coupé du monde, in retreat from everyone and everything. Il ne peint plus, il gratte du blues sur sa gratte et semble avoir perdu pour de bon son artistic, emotional and spiritual impulse - Et pouf, voilà que Jenny Spires se pointe pour l’épisode Stars. On en fait d’ailleurs un conte dans Cent Contes Rock. Jenny est une ancienne poule de Syd. Elle s’est mariée avec Jack Monck. Monck et Twink qui s’est lui aussi replié à Cambridge proposent à Syd de jammer avec eux. Stars va durer un mois, en janvier 1972. Ils jouent une première fois à Cambridge après Eddie Guitar Burns. Puis c’est le fameux concert au Corn Exchange après Skin Alley et le MC5. Syd & Stars montent sur scène après minuit, la salle est presque vide. Chapman y était, alors il peut en parler - Syd looked fantastic in velvet trousers and snakeskin boots - Syd s’est laissé pousser une barbe et repousser les cheveux. Ils démarrent avec «Octopus». Il ne reste plus que 30 personnes devant la scène et une cinquantaine dans le fond du hall. Chapman enfonce son clou : «Contrairement à ce qu’ont raconté pendant des années les gens qui n’y étaient pas, Syd n’avait aucun problème à se souvenir des paroles.» Il indique clairement que ça n’a plus rien à voir avec l’âge d’or des UFO days - This was Syd regressing into blues runs and insecurity. Enventually, Jack Monck’s bass amp packed up and the set fizzled out soon after - En 1972, Syd refait surface à Londres et traîne avec Steve Took à Ladbroke Grove. Took était venu jouer des congas sur Madcap. Tony Secunda tente de transformer Steve Peregrin Took en underground superstar, mais il y a trop de dope. Beaucoup trop.

             Et puis il y a cette interview extraordinaire qu’il accorde à Mick Rock, chez lui - Syd est en bonne forme, énigmatique (‘I’m full of dust and guitars’), laconique (‘The only work I’ve done the last two years is interviews. I’m very good at it’), mélancolique (‘Je n’ai pas toujours été introverti. Je pense que les jeunes gens doivent s’amuser. Il me semble pourtant que je ne me suis jamais amusé’), et défiant (‘J’ai toute ma tête. Je pense même que je devrais toujours l’avoir’).» C’est dans cet interview qu’il ramène le sous-titre du Chapman book : «I don’t think I’m easy to talk about. I’ve got a very irregular head. And I’m not anything you think I am anyway.» Syd a raison de dire que les gens se font des idées. C’est pour ça que le travail d’un mec comme Rob Chapman est essentiel. L’autre point clé de l’interview avec Mick Rock, c’est qu’il ne parle pas d’un troisième album. Il fait un dernier constat sur son échec : «Hendrix était un guitariste parfait. Gamin, c’est tout ce que je voulais faire, bien jouer de la gratte et sauter partout. Mais trop gens got in the way, trop de gens sont entrés dans la danse. Pour moi, les choses n’avançaient pas assez vite. Jouer. Le rythme des choses. Je veux dire que je vais très vite. I’m a fast sprinter. Le problème vient du fait qu’après avoir joué dans le groupe pendant quelques mois, je ne pouvais pas aller plus vite, I coundn’t reach that point.» Les paroles de Syd sont sacrées. Soudain on comprend tout. Les autres n’étaient pas à la hauteur. Pire encore : les autres n’ont absolument rien compris. Syd indique aussi qu’il a très bien connu Jimi Hendrix, ils ont tourné ensemble. Il raconte qu’Hendrix s’enfermait dans sa chambre with a TV et ne voulait pas en sortir. Mick Rock trouve ça drôle car Syd va faire exactement la même chose. Rock indique enfin que Syd n’a jamais plus eu de girlfriend - Or any kind of friend at all.

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             Quand Syd sort d’Abbey Road une dernière fois en août 1974 après une ultime tentative avortée d’enregistrement, he disappeared into myth. Chapman s’amuse avec les mythes : il y en a à la pelle : le mélange de Mandrax et de Brylcreem, et tous les autres qu’il cite à la queue-leu-leu. L’être Syd Barrett fut complètement éradiqué pour laisser place au mythe. Quand le Pink Floyd enregistre «Shine On You Crazy Diamond» en hommage à Syd, ils se vautrent car le cut est «overblown, overwrought, epic in scale and self-agrandising, c’est-à-dire tout ce que Syd n’est pas.» C’est tout de même dingue que des mecs se soient vautrés à ce point-là. Mais ce qui est pire, c’est qu’ils ont fait du blé sur le dos de Syd, un mec auquel ils doivent tout et qu’ils ont viré. Les Stones ont fait exactement la même chose en lâchant des papillons crevés à Hyde Park, lors de l’hommage à Brian Jones qu’ils avaient humilié de son vivant. Le seul qui réussit à rendre hommage à Syd, c’est Kevin Ayers avec «Oh Wot A Dream» - a song of beguiling simplicity and economy of style which encapsulated Syd’s spirit far better than Waters’ angst-ridden dirge ever could.

             Sa sœur Rosemary indique que Syd a fini par haïr ce surnom que lui avaient donné les scouts quand il était petit. Il ne voulait plus rien devoir à son passé de pop star et redevenir Roger Keith Barrett. Mais des gens se lancent à sa recherche, nous dit Chapman, notamment Bowie qui rêve de le sauver. Puis ce sont Brian Eno et Jimmy Page qui souhaitent le produire. En 1977, Jamie Reid organise un meeting pour proposer à Syd de produire l’album des Pistols. Chou blanc. Les Damned veulent aussi Syd comme producteur. Chou blanc : ils auront Nick Mason à la place. On a vu le résultat. L’un des plus gros fans de Syd sera Robyn Hitchcock au temps des Soft Boys. Il chante comme Syd.

             Fin des années 70, Syd entre dans sa lost-era. Chapman dresse un habile parallèle avec Peter Green qui lui aussi renonce à tout. La seule différence, c’est que Peter Green va revenir. Pas Syd. Quand Syd quitte Londres pour la dernière fois en 1982, il fait la route à pied jusqu’à Cambridge. Sa sœur indique qu’il est arrivé avec de grosses ampoules aux pieds.

             Puis tu as les deux mecs d’Actuel qui viennent l’emmerder chez lui à St Margaret’s Square pour faire leur petit scoop. Ils prennent comme prétexte de lui ramener un sac de linge sale de Londres pour entrer chez lui et l’interviewer. C’est la dernière fois que Syd parle à la presse. Il n’est pas très content. Puis des tas de gens vont venir l’importuner en stationnant devant chez lui dans l’espoir de faire des photos. Dylan parle de cette horreur dans Chronicles, l’horreur de l’intrusion et des gens qui ne respectent rien. Gilmour envoie promener les journalistes qui le questionnent sur Syd. Il conclut sèchement : «Now it’s over», en clair : dégagez.

             Pendant les vingt dernières de sa vie, les gens vont continuer de harceler Syd pour des photos. Souvent quotidiennement. Sa mère casse sa pipe en bois en 1991. Il n’assiste pas à l’enterrement. Il brûle régulièrement ses toiles et ses livres d’art, comme s’il ne voulait rien laisser aux charognards. Il vit de ses droits d’auteur, et il en vit plutôt bien. Chapman indique que Gilmour veille à ce qu’on lui verse ses droits. Syd qui est redevenu Roger Keith Barrett fait du vélo chaque jour, comme ses aïeux excentriques de Cambridge. Il se chope un petit cancer et casse sa pipe en bois chez lui en 2006.  

    Signé : Cazengler, barrette de shyd

    Rob Chapman. Syd Barrett - A Very Irregular Head. Faber & Faber 2020

     

     

    L’avenir du rock - La leçon de Tengo

    (Part Two)

     

             L’avenir du rock adore aller danser la java au Balajo. Toutes ces jolies femmes sont là pour ça. Mais qu’on ne se méprenne pas, l’avenir du rock n’est pas là pour draguer. Il veut surtout danser pour rendre hommage à Serge Reggiani et Simone Signoret qu’on voit tourner au bal musette de Casque D’Or. Il adore aussi danser le mambo du diable, en hommage au Playtime de Jacques Tati, ah comme c’est bon de tortiller du cul au milieu de toutes des jolies femmes qui perdent la boule ! Il aime aussi sautiller la java à la manière de Dutronc, dans le Van Gogh de Pialat. On l’a bien compris, tous les prétextes sont bons. D’ailleurs, la vie n’est rien d’autre qu’une longue série de prétextes à vivre. Respirer n’est qu’un prétexte à vivre, et danser la java un prétexte à s’amuser, et donc à respirer la vie. Virevolter, c’est aussi une façon d’oublier qu’on trouve n’importe quel prétexte pour continuer à vivre, c’est surtout une façon de s’abandonner en abonnant cette culpabilité à trouver des prétextes, alors on s’en va valser sous les lustres de Luchino Visconti pour qu’un vent du vertige s’engouffre par les yeux. L’oubli, rien que l’oubli, c’est probablement ce que doit penser cette jolie femme blottie dans ses bras, se dit l’avenir du rock, cette Viens Fifine en robe moulante de tissu moiré, ah comme le contact de son corps est agréable, comme c’est bon de sentir ce ventre doucement bombé et ces cuisses fermes, C’est si bon/ Ces petites sensations/ Ça vaut mieux qu’un million/ Tellement, tellement c’est bon, comme si le mouvement donnait l’absolution, comme si la vie n’était plus qu’un prétexte à danser, alors dansons, C’est si bon/ De jouer du piano/ Tout le long de son dos/ Tandis que nous dansons, et puis vient la fin de la chanson et l’avenir du rock s’excuse de devenir indiscret en lui demandant son prénom, alors elle rougit et dit qu’elle s’appelle Baby Love. L’avenir du rock n’en revient pas :

             — Oh mais je vous connais, vous aimez vous suicider au jour de l’an. M’accorderez-vous une autre danse ?

             — Avec plaisir...

             — Yo La Tengo ?

     

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             Comme Tav Falco et Pokey LaFarge, l’avenir du rock adore danser le Tengo. De toute éternité. From Hoboken to eternity, surenchérit Jason Anderson dans Uncut.

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    L’Anderson prend huit pages pour préparer les esprits à la parution de This Stupid World, le nouvel album du most enduring cult band, Yo La Tengo. Ira Kaplan est toujours avec Georgia Hubley, après quarante ans de vie commune. James McNew en est à sa 32e année de Tengo. En papotant avec l’Anderson, les Tengo avouent qu’ils ont tellement pris l’habitude de peaufiner leurs démos qu’ils ont fini par comprendre qu’ils n’avaient plus besoin d’aller ailleurs pour les mixer. Ils se contentent de leur special chemistry et cultivent ce qu’ils appellent des drone-based pieces. Et puis bien sûr l’Ira avoue un faible pour les loud guitars. D’ailleurs, une formule résume bien leur son : «Beautiful, simple melodies embedded in a glorious goo of loud guitars.» L’Anderson perce bien leur secret : «Hermetic creative process and self-effacing manner». Les Tengo ne la ramènent pas, c’est pour ça qu’on les vénère. Pour ça et pour les loud guitars de l’Ira. «We’re notoriously private», ajoute l’Ira. Le contraire du m’as-tu-vu. 

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             This Stupid World est leur 17e album. Ça fait tout de même quarante ans que dure leur cirque. Quarante ans qu’ils font une pop expérimentale enracinée dans le Velvet. Premier coup de semonce avec «Sinatra Drive Breakdown». Wild attack de savage Tengo. L’Ira ne s’est jamais autant énervé, il explose tout d’entrée de jeu au big fuzz out de no way back, il ressort les vieilles ficelles d’Electro-Pura, vazy Ira pique ta crise ! Il pousse des pointes, il fait jouir sa gratte, et derrière, tu as le meilleur hypno d’Hoboken. On retrouve le big Tengo. Inutile de dire qu’on est content d’être là. Les cinq premiers cuts de l’albums sont des monster hits. «Fallout» est encore plus dingoïde. L’Ira est un vieux punk qui te claque ça d’entrée de jeu, en pur amateur de mayhem, son cut pulvérise tous les records d’incendies urbains, Hoboken s’écroule dans la fumée, la vieille légende latente s’élève dans le ciel, là oui, Tengo forever. Ces trois-là te jouent l’un des rocks les plus puissants du XXIe siècle. Avec «Tonight’s Episode», ils passent à la folie pure, au radicalisme hypnotique. Tengo Mago ! Tu les suis et tu trembles. Ils marchent devant toi et te disent : «Suis nous !». L’Ira est un prodigieux sorcier du son, il extrapole la parabole de la gondole, il gère l’ingérence d’Hoboken, son visage apparaît et disparaît dans la violence des stroboscopes. Et puis voilà «Aselestine», une Beautiful Song éclairée par un solo lumineux, comme l’est «Pale Blue Eyes». Le festin se poursuit avec «Until It Happens». Tout ce que bidouille l’Ira est beau, même l’entre-deux. James McNew joue justement son bassmatic dans l’entre-deux. Le «Brain Capers» n’est pas celui de Mott. C’est du wild as fuck d’Hoboken. L’Ira en fait une sorte de mollusque punk. C’est à la limite du descriptible. D’où cette image. C’est le Capers de la fin du monde, doté d’une niaque dégueulasse et de dents pouries, et l’Ira passe un solo d’ultra-vinaigre, il ne respecte plus rien, il s’assoit sur les conventions, il laisse sa punkitude éclore au soleil noir de Satan. Ce solo est une horreur d’acid bottom, il n’existe rien de plus punk que ce Tengo, ils jouent largement au-dessus des moyens du punk. Et puis avec le morceau titre, ils tapent l’hypno du dernier Tengo à Paris, ils enfilent le drome du doom avec la motte de beurre. Ça te bat aux tempes. Ça te pulse au so far out. Sans doute a-t-on là l’une des dégelées du siècle. Va-t-en savoir.  

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             Yo La Tengo, c’est déjà de l’histoire ancienne. Après le Part One, on en était resté au groove subliminal de There’s A Riot Going On, paru en 2018. Si on aime le smooth de groove, c’est là, dès «Shades Of Blue». Ils savent encore créer de la chaleur intrinsèque, la qualité de ce groove défie toute concurrence. On va dire la même chose d’«Ashes» en B, oui ashes go away, c’est illustré musicalement par la plus langoureuse des intentions. On pourrait même croire l’Ashes hanté, car joué aux machines et chanté à l’Ira désincarné. «She May She Might» sonne comme une étrangeté divinatoire. N’oublions jamais que Yo La Tengo vient du Velvet, ils sont capables d’explorer les labyrinthes de la douceur de vivre, de fondre l’art comme d’autres fondent des statues pour fabriquer des canons. Ils vont doucement, au meilleur rythme, ça reste très Velvet dans l’esprit. Ils renouent avec les grandes heures d’Electro-Pura dans «For You Too». C’est dingue comme ils savent bien percer les secrets. Leur pop séduit dès les premières mesures, c’est à ça qu’on reconnaît les grandes chansons. Il règne dans «For You Too» une tension et une lumière magnifiques, ça se construit patiemment et ça s’élève par la grâce de Dieu Ira, ah ça Ira, il chante ça au dévoilé d’âme, à l’accord parfait. Comme l’album est double, Ira et ses amis peuvent se livrer à quelques expérimentations, mais bien sûr sans jamais créer d’ennui. Le «Shortwave» qui ouvre le bal de la C se veut quasiment biblique, avec des infra-sons qui remontent du fond des océans. Ils rêvent d’Afrique pour jouer «Above The Sound» dans un fouillis de percus tropicales. Ils donnent leur vision de la petite transe new-yorkaise. Chez eux tout est solide. Cette soft-pop intimiste qu’est «Let’s Do it Wrong» nous fait craquer, et avec ce «What Chance Have I Got» terriblement languide, on soupire d’aise : ces vieux cocos d’Hoboken reviennent aux sources du Velvet, avec tout le velouté de circonstance. On croit même entendre Nico. Et dans «Forever», on retrouve le she-wap she-wap des Flamingos. Sûrement un hommage.        

    Signé : Cazengler, Yo La Twingo

    Yo La Tengo. This Stupid World. Matador 2023

    Yo La Tengo. There’s A Riot Going On. Matador 2018

    Jason Anderson : From Hoboken To Eternity. Uncut # 310 - March 2023

     

     

    Inside the goldmine

    - Ridley n’a pas pris une ride

     

             Baby Share avait un certain charme : petite, brune, très jolis seins et une gouaille extraordinaire. Sa générosité lui valut le surnom de Baby Share. Elle partageait le peu qu’elle avait, son cul bien sûr, mais aussi sa spiritualité. Son premier cadeau fut un double de ses clés. Elle ne buvait que du champagne et fumait des Gauloises. Elle adorait dîner aux chandelles les seins à l’air. D’étranges scènes se déroulaient dans la pénombre du petit appartement qu’elle occupait rue Laugier. De confession bouddhiste, elle récitait le Nam-myoho-renge-kyo devant un petit autel fleuri. La pratique de ce culte consiste à répéter inlassablement le mantra pendant au moins une heure, et pour donner du caractère à ses incantations, elle se penchait légèrement pour donner libre accès au fondement de son corps. Selon elle, le culte passait aussi par le cul, c’est-à-dire la connexion avec l’organique, et une fois connectée, elle se mettait à parler d’une voix sourde dans des langues inconnues. Les gens croient que ce phénomène n’existe que dans l’Exorciste. Pas du tout, c’est une réalité ! Écartelée entre le spirituel et l’organique, Baby Share était possédée. Ni les Inquisiteurs, ni Huysmans au temps de sa passion pour la démonologie n’auraient imaginé une telle dépravation. Nous répétâmes l’expérience si souvent qu’il fallut bien se rendre à l’évidence : ce phénomène surnaturel n’était pas le fruit de l’imagination. Mais qui était Baby Share ? Le mystère s’épaississait et la fascination prit des allures d’envoûtement. Revenant un soir avec la bouteille de champagne quotidienne et une cartouche des Gauloises, je trouvai l’appartement vide. Pas un mot d’explication. Rien. L’attente dura toute la nuit. À l’aube, il fallut aller bosser. Rien non plus les jours suivants. C’est dans ces moments de vide sidéral qu’on mesure la grandeur d’un attachement. Les fleurs du petit autel étaient fanées. Quelques mois plus tard, repassant dans le quartier, je découvris qu’un nouveau locataire occupait l’appartement. La lumière ne se fit que bien des années plus tard. Nous dînions chez des amis aux Petites Écuries, et dans le fond de la pièce, une télé diffusait ses informations. Soudain, Baby Share apparut dans la télé. Il s’agissait d’un reportage sur les SDF. Baby Share vivait dans une bagnole. Elle accrochait ses fringues à des cintres. Elle répondait en rigolant aux questions des journalistes et leur expliquait que pour dormir l’hiver dans une bagnole, il fallait bien se couvrir. Elle avait réussi à dégringoler tous les échelons sociaux sans jamais demander d’aide.  

     

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             Baby Share et Sharon Ridley ont au moins deux points communs : petites et brunes, mais pour le reste, c’est-à-dire le cul du culte, on ne sait pas. Par contre, Sharon Ridley n’est pas une petite blanche mais une petite black, une petite Soul Sister complètement inconnue, et pour la trouver, il faut aller fouiller sous les jupes de certaines compiles. C’est sur The Sweetest Feeling (A Van McCoy Songbook 1962-1973), une compile Kent consacrée à Van McCoy, qu’on a croisé le chemin de l’excellente Sharon Ridley.

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    Un Van qui d’ailleurs produit son premier album, Stay A While With Me, un album qui semble devenu culte, paru sur Sussex, le label de Clarence Avant, sur lequel se trouvait aussi Rodriguez. Quand on l’écoute, on comprend pourquoi l’album est devenu culte. Pour chanter son morceau titre, elle tape dans l’écho. Elle est tentaculaire ! Elle se répand comme seule la Soul sait se répandre. On passe directement au hit séculaire avec «Where Did You Learn To Make Love The Way You Do». Ce hit qui rivalise de splendeur avec le firmament figure lui aussi sur une deuxième compile Kent, This Is It! (More From The Van McCoy Songbook 1962-1977). C’est la big Soul de Van, orchestrée au-delà de toute mesure, et la petite Shirley grimpe à l’Ararat de la Soul suprême. Van l’envoie exploser au firmament. Elle sonne comme Esther Phillips, les orchestrations frisent la démesure. Si tu veux qualifier la grandeur productiviste de Van, tu ne peux parler que de démesure. Là mon gars, tu goûtes à l’extrême. Elle tente de rééditer l’exploit avec «When A Woman Falls In Love» et il faut bien dire qu’elle a énormément de répondant, la petite mémère. En B, elle repart chercher sa mélodie très haut avec «Where Does That Leave Me», elle ne craint pas le vertige, elle grimpe aussi haut que Dionne la lionne, mais elle sait garder un petit côté sucré. Elle sait swinguer ses notes au sommet du chat perché. Elle est très aérodynamique, comme le montre encore «You Sold Me A One Way Ticket», un cut qui aurait encore tendance à s’envoler. La petite Sharon est merveilleusement à l’aise dans ces virevoltes. Elle ramène un power incommensurable, elle fait du Motown en infiniment plus raw. Elle termine avec le pathos d’«I Foud Him I Loved Him I Lost Him». Elle te brûle le cœur, elle est là, avec la présence d’une fantastique interprète, elle est parfaite de burn out, et les nappes de violons t’achèvent, c’est d’une poignante magnificence.

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             T’auras pas grand chose sur Sharon Ridley. Van McCoy a tout fait pour la lancer, mais ça n’a pas marché. Cette petite black basée à Washington a enregistré ensuite un second album, Full Moon, qui est tout de même un peu moins dense que le premier. Avec le morceau titre, elle jazze le swing. C’est une pure merveille. L’autre hit de l’album s’appelle «Changin’», une Soul des jours heureux, où rien ne compte plus que le bonheur. Car en fait, il ne s’agit que de ça : la quête du bonheur et Sharon incarne cette quête à la perfection. Elle va encore te percer le cœur avec «You Beat Me To The Punch». Quelle niaque de timbre, oh-oh yeah ! La Soul de good time, c’est son péché mignon. On note aussi une extrême proximité de sa féminité («Just You & Me (Walking Along Together»). C’est la Soul humide dont rêvent tous les hommes sensibles. Elle tartine bien son chant aux éclats de voix. Elle est des nôtres. Elle tape aussi une version d’«Ain’t That Peculiar», repris par des tas de gens, dont Marvin et Fanny, le groupe des sœurs Millington. Avec ce hit signé Smokey, elle entre dans le temple des dieux.

    Signé : Cazengler, Sharon ridé

    Sharon Ridley. Stay A While With Me. Sussex 1971

    Sharon Ridley. Full Moon. Tabu Records 1978

     

    *

    Je ne connaissais pas, les ai découvertes par une vidéo que Two Runner ont postée sur leur FB. L’envie d’en savoir plus. Cette chronique ne peut être qu’une première approche. Il n’y a pas de hasard, seulement des réseaux de sensibilités, je m’aperçois que sur leur premier EP elles ont repris Last Kind Words de Geeshie Wiley (voir livraison KR’TNT ! 571 du 20 / 10 / 2022).

    NARROW LINE

    MAMA’S BROKE

    ( Free Dirt Records / Mai 2022 )

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    Elles sont deux, elles sont belles, vous leur donnerez la joie de vivre sans confession, à ceci près, je vais dire un mensonge, qu’elles produisent une musique que je qualifierais de doom-folk. Pour le folk question instrumentation il est difficile de trouver mieux : Amy Lou Keller : vocal, banjo, guitare, violon / Lisa Maria : vocal, fiddle, guitar, mandolin, violoncelle, foot percussion, tap dance. 

    Proviennent de la Nouvelle Ecosse, cette île que vous situerez tout en bas de la côte-Est du Canada. Il semble que dans ce pays elles privilégient deux villes : Halifax et Montréal. Mais ce sont des voyageuses, elles se sont rencontrées en 2014 lors d’un voyage en voiture de dix-sept heures. A l’arrivée le groupe était né. Leurs enregistrements ont été remarqués, ils ont reçu des distinctions, les festivals les invitent… Elles sont déjà venues en Irlande et en Angleterre (elles y seront en tournée in the UK au mois de février 2024), on les a vues jusqu’en Indonésie, il existe partout des cercles d’amateurs de grassroots prêts à les accueillir. Leur musique est difficile à définir, un indéfinissable mélange de traditions européennes, de folk, de country, d’influences arabes, d’americana, de metal, il semble que celui qui les écoute identifie ce qu’il porte en lui. 

    Je ne suis pas le seul à noter la présence musquée de la noire épice doom dans leur musique, ne craignez rien, pas de grosses dérives électriques en leurs productions, c’est avec les paroles qu’elles filent une bonne leçon aux groupes de doom, leurs textes sont d’une noirceur sans équivalence. Elles ne convoquent pas la Grande Faucheuse toutes les cinq secondes, ni ne mettent en scène de sublimes épopées contre les forces du Mal, elles se contentent d’évoquer le vécu de la vie, excusez cette expression redondante, mais comment nommer ce sentiment que tout ce que vous traversez vous échappe et ne vaut pas la peine d’être rattrapé. En quelques mots, elles ont le pouvoir de vous saper le moral pour le reste de l’année qui vient de commencer.

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    La pochette vous donne un avant-goût de ce qui va suivre. Narrow Line, la ligne étroite, même pas une voie, une route, ou un chemin, l’idée d’un sentier rectiligne, le moindre pas en-dehors de ce tracé et c’est la catastrophe. Toutefois vous ne pouvez vous empêcher de penser que de toutes les manières c’est déjà la cata. Z’auraient pu élargir l’illustration à toute la pochette, l’espace est mangé par un cadre d’un vert sombre, vous comprenez d’instinct qu’ailleurs l’herbe ne saurait être plus sombre, par la porte étroite se dessine un paysage agreste, un champ ensemencé, pas vraiment la promesse d’une récole future, l’a plutôt l’aspect d’un désert stérile, les squelettes d’arbres dénudés et ce personnage au premier plan, attitude romantique désabusée, qui ne nous regarde pas, trop préoccupé par on ne sait quelle indicible mélancolie, cette scène inspire un indélébile sentiment de tristesse.

    Just pick one : cordes funèbres ne cesseront de tout le morceau, les deux voix jamais à l’unisson mais entremêlées comme ces deux arbres qui échangent leurs branches et ont uni leurs racines pour pousser côte à côte, quelques notes volatiles, escarboucles qui ne tardent pas à s’éteindre quelques traînées de violon  comme tapis resplendissant de feuilles mortes, même pas une plainte, un constat désabusé, rien ne vaut rien et tu ne sortiras jamais des ornières dans lesquelles tu as déjà marché, ainsi sont les relations humaines intimes, elles se répètent à l’infini, alors choisis-en une, elle ne sera ni meilleure ni pire que les précédentes, certains en seront jaloux, quelle importance, rien ne vaut rien… Oh sun / Pale night / Forgetting reel : une voix pure a capella se répète, non ce n’est pas un hymne gnostique au soleil, juste une prière, non une supplication, le violon s’élève et vous déchire les entrailles, l’intermède musical devient lyrique porteur d’espoir, il s’étend comme s’il refusait l’échec amoureux que l’on prévoit, mais lorsqu’il s’arrête, le morceau est fini, aucune voix ne s’élève, tout a déjà été dit, personne ne reviendra, d’ailleurs lui ou un autre n’est-ce pas la même chose. Le soleil brille sur vos illusions comme sur vos désillusions. Toujours le même film. Between the briar & the rose : motif arabisant, une chanson d’amour, sculptée à coups de cordes identiques à des entailles dans les chairs fraîches, les notes du banjo comme des coups de manche de poignard, pointillent les voiles de gaze du violon, tout va bien mais quelque chose cloche, la voix s’attarde et s’allonge, voudrait-elle retenir ces instants de feu qui ne dureront pas, entre la rose du bien-être et la bruyère de la mort, il est sûr qu’un jour tout sera délié. Constat sans appel. How it’s end : voix vindicatives, étrangement la musique vous a de ces aspects joyeux surprenants, insensiblement bientôt c’est la tristesse qui domine, non elle ne croyait pas à l’amour romantique, c’était le moins pire de tous ceux qui l’avaient précédé, le constat est sans appel, elle a fait semblant de ne pas s’apercevoir des manquements intolérables, elles chantent parfois a capella et leur voix s’enroule autour du cep du désir comme le serpent venimeux de la désillusion, bien sûr malgré les promesses non tenues il partira comme tous les autres avec qui elle aurait mieux fait d’aller. Cruelle amertume, celle que l’on retourne contre soi-même. Quel régal lorsque les voix prennent ce nasillement old style. Narrow line : une assez longue intro, puis la voix qui glace, notes de banjo verglacées accompagnent ce qu’il faut bien appeler un poème, qui ne déparerait en rien dans une anthologie de poésie anglaise, l’antithèse de I walk the line une boutade qui a rendu Johnny Cash célèbre,  ici les dires s’emmêlent à tel point que l’on n’est plus en mesure d’évoquer l’ampleur des thèmes visités, chacun devenant le symbole de tous les autres, des mots qui portent mais qui ne disent pas tout, prononcées à la manière de ces larmes que l’on retient, la voie est insuffisante, elle débouche dans la mort, mais il n’y en a pas d’autre. L’existe aussi une official video sur YT présentée par Free Dirt Records : ce n’est pas une illustration mais une interprétation d’Arash Akhgari un ovni graphique à mi-chemin des encres d’Henri  Michaux et des films d’animation, les images ne proviennent pas des mots mais s’engendrent les unes des autres, un peu comme les enfants sortent du corps de leurs mamans. October’s lament : la musique sonne à la manière d’un quatuor de violoncelles, elle s’arrête, l’une chante et l’autre module par-dessous, un texte noir, Amy raconte son addiction aux drogues et à l’alcool, le texte est très sombre car si une note nous avertit qu’elle s’en est sortie, la chanson est sans appel, c’est l’histoire d’une chute encore plus terrible (et magnifique) que celle du Paradis Perdu de John Milton. Le chant funèbre des pseudo-violoncelles reprend et clôt le morceau sur une note funérale. Il existe sur YT une vidéo présentée par Free Dirt Records, qui ne se commente pas, qui se regarde, une espèce de film d’animation poétique qui rappelle les vues oniriques produites par les lanternes magiques à la fin du dix-neuvième sièclePick the raisin from the paska : intermède instrument hélas trop court, un peu à l’imitation, le titre y invite, du folklore ukrainien, Amy et Maria sont des musiciennes exceptionnelles mais les sombres effluves du chant nous manquent. God’s little boy : nos féministes actuelles remettent en question le patriarcat, Mama’s Broke pousse l’analyse, les bonnes consciences diront le bouchon, un peu loin, jusqu’à Dieu le Père. Fait assez rare dans le bluegrass. Un banjo railleur et une voix sans concession, froide et saignante, les lyrics se résument en deux mots : le sexe et la mort. Je vous laisse seuls juges de l’interprétation du dernier vers du morceau. Ces filles ne respectent rien, elles sont sans pitié. The wreckag done : une balade mortelle, des voix claires et incisives, des cordes qui ont des langueurs d’accordéon et puis qui claquent comme des marteaux, les voix s’empourprent de haine pour les fournisseurs de poison, pour mieux s’apaiser dans une espèce de condamnation cynique contenue devant le corps étendu. Victimes et coupables sont tous coupables. The ones that I live : un art de vivre (et donc de mourir) une espèce de gospel a capella qui ne s’adresse pas à Dieu mais à soi. Elles ne regretteront rien. Ni pardon, ni excuses. Apprenez à assumer vos actes. Pas de regrets. Des voix si belles qu’aux premières auditions l’on ne s’aperçoit pas de l’absence des instruments. A mon goût le morceau le plus fort du disque. Windows : mystérieuse ballade, fragmences d’existences, parfois une voix se fait douce comme si elle était rongée par des regrets de la mélancolie, le rythme est lent comme de l’eau de la mer, toute les fenêtres ne donnent-elles pas sur la mort.  

             Un disque magnifique. Qui flirte ( de très près) avec la poésie.

    Damie Chad.

     

    *

    Je ne sais pas pourquoi, je suis indubitablement attiré par les groupes polonais, Wodorost de Varsovie a déjà sorti un album homonyme que je n’ai pas encore écouté en 2021, ils viennent d’en enregistrer un deuxième qui n’est pas au moment où j’écris ces mots paru, le 31 août ils ont posté en avant-première un des titre une vidéo sur YT qui a fait tilt.

    TEMPLE

    WODOROST

    ( Official Dream Video)

    Anna Zukorwska : percussions / Bartlomiej Glosinski : guitare / Jan Witusinski : guitare.

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    Quand j’aurai dit que Wodorost signifie Algue, que From the Depths est le titre de l’album à venir vous comprendrez que la photo du groupe présentée ci-dessus n’est pas due à une idée farfelue qui leur aurait traversé la tête. Ajoutons toutefois que Wodorost se définit comme un groupe de desert rock. N’oublions pas qu’autrefois nos déserts étaient le fond de nos océans !  

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    Dilemme faut-il regarder cette animation aquatique en entendant l’instrumentation ou carrément occulter les images pour écouter la bande-son. Le choix est difficile, je l’admets, dans les deux cas vous en ressortirez insatisfaits lorsque vous aurez tenté les deux expériences. Que serait un rêve sans image, vraisemblablement le même malaise qu’une vidéo-musicale sans son. Nous allons essayer de regarder et d’écouter en le même temps. Glauque et informe paysage, la guitare ne vient pas pour se faire admirer, point de solo héroïque, point de course de vitesse, elle glisse, des a-coups sonores de vagues qui se succèdent sur la grève, celle qui vient emportant le souvenir de la précédente, des algues en motifs de tapisseries elles ont l’air de rester immobiles, une lumière blafarde nous prouve que nous ne sommes pas loin de la surface, maintenant ce sont des rayons solaires qui plongent vers les grand-fonds et qui éclairent de gros récifs noirs posés sur le sable, des silhouettes monumentales apparaissent, bientôt elles cèdent la place à un étrange plongeur trop à l’aise en ses mouvements pour ne s’être encombré de grosses bouteilles d’air comprimé, il descend, est-ce la lourdeur de la basse qui s’arrime à la guitare qui le pousse vers le bas, un ballet de larges folioles aquatiques, ne sont-ce pas des raies d’un beau calibre, apparition de requins débonnaires qui nagent au-dessus de surprenants tombeaux cubiques, myriades de poissons, nombre infini de pierres sur le fonds marins, bastingage d’un navire coulé, et toujours notre plongeur sans masque aussi à l’aise qu’un jeune terrien s’amusant à courir une folle gymnastique sur le plancher des vaches, encore plus bas le long d’une paroi rocheuse, cette fois il n’y a plus de doute un chapiteau au-dessus d’un mur percé d’une porte se dessine, en quelques secondes nous pénétrons dans un temple, un paysage digne de 20 000 lieues sous les mers, nous ne sommes pas le Capitaine Nemo nous n’inscrirons pas le mot Atlantis sur un rocher, nous nous en doutions, Eternal Atlantis n’est-il pas le deuxième moreau de leur premier album, profitons de la visite parmi ces propylées de colonnes doriques pour remarquer que la musique devient plus forte, une espèce de forme conique recouverte de sédiments s’anamorphose durant deux ou trois secondes en un accessoire symbolique de batterie, qui pourrait   tout aussi bien évoquer la forme d’une soucoupe volante,  quelques secondes plus tard ce sera au tour d’un guitariste fantomatique en action sur sa guitare, est-ce cette vision qui nous ferait accroire que le son augmente de volume et accélère son rythme, la visite se poursuit parmi des bâtiments desquels  par le seul fait de les apercevoir quelques secondes nous devinons des édifices colossaux, lumière de spots clignotants, une silhouette féminine (large jupe ?) se profile à l’horizon, le plongeur est là toujours aussi à l’aise que vos mains dans le bac à vaisselle, nous ne sommes plus dans Atlantis mais aux alentours, le paysage d’enceintes sacrées au-dessus desquelles nous nous mouvons nous confirme que son apparence n’est pas naturelle, en une fraction de seconde un espadon se transforme en un étrange appareil d’observation sans doute piloté par des extra-terrestres, des images de ce qui doit être le temple principal d’Atlantis défilent à toute vitesse, étonnamment la trame sonore reste de marbre, sur le même rythme, sur la même épaisseur, est-ce une croix de pierre qui bouge ses bras ou un personnage vivant, tantôt à la surface, tantôt dans les profondeurs, retour du plongeur, les vues que nous avons déjà vues se télescopent en un patchwork formés d’éléments répétitifs, les images cachent plus qu’elles ne montrent, une grosse bulle d’eau semble contenir tout l’océan, le microcosme n’est-il pas identique au macrocosme, sans doute est-ce le temps de songer à Paul Le Cour et sa revue Atlantis dans laquelle il exposa sa théorie du verseau ( verse-eau nous y nageons en plein dedans ! ) à l’origine de bien des théories hippies américains, serions-nous maintenant dans l’étroit passage du double sous-aquatique des colonnes d’Hercule, remontons-nous par l’escalier qui ne mène nulle part, à moins que ce ne soit le stairway to heaven bien connu des fans de Led Zeppelin, ou alors vers cette lumière qui irradie d’un temple aux sculptures qui ne sont pas sans rappeler la statuaire hindou et surprise poussé sur le parvis cet arbre printanier aux feuilles verdissantes,

    brat farrar,gene clark,syd barrett,yo la tengo,sharon ridley,mama's broke,wodorost,raoul galvan + eric calassou,rockambolesques

    la caméra s’attarde dessus, son feuillage ondoie, retour sur le haut de la cymbale qui ressemble avec un minimum d’imagination à une soucoupe volante, ce qui est en haut n’est-il pas aussi ce qui est en bas, ces eaux glauques n’ont-elles pas la même couleur que la table smaragdine, ne vous prenez pas la tête, gardez vos idées claires et toute votre raison, avez-vous remarqué que la musique ne semble guère s’émouvoir, qu’elle reste imperturbable, nous revoici à l’intérieur du temple, serait-il détruit qu’il se reconstitue à grande vitesse, une nouvelle fois arpentons de vastes vestibules, il y a quelqu’un, non pas un être surnaturel, pas un Dieu, pas un super-héros, même si le temple se réédifie au fur et à mesure qu’il avance, l’eau bouillonne, des chœurs lointains se fondent dans l’élément liquide, il va se passer quelque chose, celui qui marche nous ressemble, un peu vêtu à l’ancienne, on lui donnera facilement la cinquantaine, est-ce un homme ou une femme, quelques secondes ils ont été deux, mais elle a continué  toute seule, les images se télescopent, elle est comme perdue à l’intérieur du temple, elle semble y disparaître à jamais, peut-être vaut-il mieux remonter, pas de problème accrochez-vous à ce fil rouge, il vous tirera à la surface, peut-être aurez-vous raison quand vous affirmerez à vos amis qu’il ressemblait au fil rouge en accordéon d’une guitare électrique.  A moins que ne soit le lien qui vous permette de voyager sans trop de risque dans l’astral !

    Sur Bandcamp Wodorost indique que chacun peut interpréter leur musique comme il veut. Ne vous privez pas de le faire. Si cela ne vous fera pas du bien, ça ne vous fera pas de mal non plus. Tentez l’expérience.

    Damie Chad.

     

    *

    J’avoue que je ne me lève que rarement en pleine nuit pour écouter un disque de guitare classique, sûr qu’il y a des gars balèzes toutefois entre nous soit dit, la plupart du temps le son me paraît bien maigrelet et monotone si l’on compare avec la gamme d’intensités vibratoires auxquelles les guitares électriques nous ont accoutumés. Mais là c’est différent.

    TENAYUCA SUITE

    RAUL GALVAN

     (YT / Vidéo : Alan Silva Nolasco

    Editée par Brian Espinoz Reyes)

    Les lecteurs assidus (je parle de ceux qui apprennent par cœur chaque livraison) se souviendront que dans notre épisode 553 du 05 / 05 /2022 nous avons déjà parlé de Raul Galvan, il interprétait à la guitare Snow Country une composition d’Eric Calassou. Ce dernier était le guitariste chanteur de Bill Crane un des groupes de la mouvance rockabilly française les plus originaux, un peu borderline diront les puristes, mais ô combien novateur et talentueux. Eric Calassou habite désormais en Thaïlande, peut-être qu’un jour il reviendra et reformera Bill Crane, l’important c’est qu’il soit heureux quel que soit l’endroit où il réside. Puisque dans son pays lointain il n’a plus Bill Crane, Eric est revenu à ses premières amours : la composition. Raoul Galvan, un ancien compagnon du Conservatoire lui a dernièrement demandé un morceau dédié à sa ville natale Tenayuca.

    Pour ceux qui l’auraient oublié Tenayuca se situe au Mexique, dans l’état de Mexico. Avant que les Espagnols n’arrivassent pour tout détruire, Tenayuca fut un site important de la civilisation précolombienne. On espère que les deux serpents de pierre qui gardent l’antique pyramide de Tenayuca se réveilleront un jour pour redonner leur fierté aux descendants du peuple de Teneyuca. Pour ceux qui veulent en savoir plus la lecture du roman Le Serpent à Plumes de D. H. Laurence s’impose.

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    Raoul Galvan est assis devant une cheminée de ce qui pourrait être une salle de séjour. Derrière lui deux gros tas de bûches soigneusement rangées attendent l’hiver. Photos de famille ( sur les murs ), sur le rebord de la cheminée un ensemble de figurines de terres cuites colorées assises à une longue table nous regardent, sans aucun doute une représentation de la Sainte Cène, ce qui me semble étrange quand on pense que le christianisme est la religion que les Espagnols inculquèrent aux peuples natifs afin de les déposséder de leur culture originelle… Cheveux poivre et sel, lunettes à monture noires, chemise fourmillements de petits motifs aux contours magenta,  Raul Galvan concentré semble regarder ses doigts s’affairer sur sa guitare de bois, mais sans doute joue-t-il le morceau avant tout dans sa tête pour être au plus près de l’esprit qu’il insuffle à son interprétation.

    Premier mouvement : Xolotl : ( nom du fondateur de la ville ) : c’est pourtant un roi voire un Dieu que Xohotl le fondateur, son pas n’est guère martial, il glisse doucement sur un matelas d’air, Raoul Galvan ne galvanise pas ses cordes, à peine les touche-t-il, a-t-il pour but de faire entendre le silence des courtes séquences qui ne se pressent pas au portillon de la modernité, tout est déjà joué, par deux fois des photos de la pyramide de Tenayuca apparaissent, à croire que le dessein d’Eric Calassou veut nous ramener en arrière, au moment originel, en ce matin d’aube du lever d’un peuple qui imprime sa marque sur la terre, d’autres photos de Raoul Galvan en un autre lieu, peut-être dans une interprétation de l’œuvre en public, soulignent que ce qui a été une fois quelque part, sera pour toujours en n’importe quel autre endroit du monde, d’ailleurs ces bruits de pas légers contre le bois de l’instrument ne sont-ils pas répétés pour signaler quelque d’immémorial qui ne fait que passer, bien plus grand que nous… Quelques notes, quelques caresses de doigts sur les cordes, suffisent pour susciter une démesure qui nous est étrangère mais que nous reconnaissons d’instinct, comme si nous attendions sa présence. Deuxième mouvement : Ahuehuete : village dans lequel Raul Galvan a passé son enfance et où réside encore toute une partie de sa famille. Ahuehuete est aussi le nom d’un arbre symbolique du Mexique aussi nommé Cyprès de Montezuma ) : apparemment il n’y a pas de hiatus entre les deux mouvements, l’on reconnaît des motifs similaires, lorsqu’une photo vue d’avion nous montre la vastitude de la pyramide, elle semble une poule mère entourée des poussins-maisons, encore une fois la grandeur passée pèse de tout son poids écrasant sur les fragiles demeures humaines actuelles, et même si ce deuxième mouvement est qualifié de ‘’lento’’ il est à entendre comme celui d’une grande dégradation, l’on descend les escaliers du monument pour retrouver le plancher humain, l’on a changé de niveau, le roi et le Dieu ne sont plus là, la dernière vue de la pyramide est celle de sa maquette, un artefact à notre échelle de modernes hominiens. Troisième mouvement : Lugar amurallado : ( ce lieu entouré de murailles n’est autre que Tenayuca au temps de sa splendeur antique ) : la musique se précipite, abondances de notes, nous sommes chez nous, même si nous ne voyons pas nos congénères, nous visitons – les photographies du musée local qui s’intercalent nous obligent à employer ce verbe – notre réalité, ces statues mises en évidence, ces schémas explicatifs placardés sur le mur, nous parlent, nous sommes dans notre dimension strictement humaine, maintenant on peut dire que la guitare jacasse parce qu’elle exprime nos émotions, maintenant on peut dire que la guitare fracasse nos rêves de grandeur pour les remplacer par une insidieuse nostalgie qui n’est que l’image de notre impuissance. Elle exhale une foultitude de sentiments incapacitants dans lesquels elle  nous enferme, elle se permet même d’émettre quelque minuscules pépiements admiratifs et la maquette devient une espèce de constructions colorées en Lego habitée par un peuple de play-mobils, nous ne sommes que des enfants turbulents naïvement enthousiasmés par un beau jouet, les notes s’espacent et se meurent, quelques tapotements sur le bois, sont-ce des points de suspension parce que parfois il vaut mieux ne pas dire ce que l’on pense… pour nous rappeler que les Rois et les Dieux mythiques se sont encore éloignés nous laissant seuls dans notre petitesse d’animalcules sans conséquence.

             Un chef-d’œuvre d’écriture d’ Eric Calassou, une interprétation de Raoul Galvan tout en finesse et subtilité. Tous deux me réconcilient avec la guitare classique.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 39 ( Misfit ) :

    203

    Contrairement à son habitude le Chef n’alluma pas un Coronado, il semblait perdu dans ses pensées, instantanément dans la voiture ce fut le silence. Si cela vous étonne c’est que ne vous êtes jamais trouvé en présence d’un GSH (génie supérieur de l’Humanité) en train de penser. Je n’avais pas encore démarré, tout le monde attendait, seuls Molossito et Molossa s’étaient permis de monter sur la lunette arrière pour rejoindre Alicia, la minette ne montra aucune peur et tous trois partageaient mille léchouilles…

    Au bout de dix minutes un sourire illumina la figure du Chef, et il sortit un Coronado de sa poche :

              _ Cette histoire est d’une simplicité désarmante, il suffit d’y réfléchir dix minutes pour tout comprendre.  Le dénouement est proche, je vous avertis que ce sera rock’n’roll, accrochez-vous aux petites branches, je suppute quelques morts et une extraordinaire tension mentale.

           _ Nous devrions tout de même prendre le temps de ramener Alice à la maison, c’est encore une fillette et…

            _ Papa je n’ai pas peur, je reste avec toi, en plus j’ai Alicia avec moi !

            _ Très bien parlé Alice, les parents modernes ont tendance à couver les enfants, une habitude déplorable, une fois notre génération partie, il n’y aura plus personne pour prendre notre place à la tête du SSR, nous devons dès maintenant préparer une relève de fer pour assurer la suite du combat. Alice vous resterez avec nous ! Ce n’est pas un conseil, c’est un ordre !

             _ Oui Chef !

    Gabriel voulut s’interposer mais un geste méprisant du Coronado que le Chef tenait dans sa main, lui cloua le bec.

               _ Passons aux choses sérieuses, Carlos veuillez tout de suite me ramener un cure-dent !

    204

    Carlos ne se le fit pas dire deux fois. Nous assistâmes à la scène d’assez loin. Juste le temps d’arrêter une camionnette de marbrerie qui sortait du cimetière, les trois gars à l’intérieur n’avaient pas l’air d’accord. La discussion fut vite terminée une petite rafale de Rafalos au travers du pare-brise, et les trois gus s’affaissèrent sur la banquette. Déjà Carlos ouvrait les deux portes-arrière et revint vers nous brandissant triomphalement une gigantesque barre à mine.

              _ Bien, nous avons fait le plus facile, j’allume un Coronado, agent Chad, démarrez immédiatement, arrêt au plus près de la tombe d’Oecila !

    205

    Nous y fûmes sans incident, hormis un gardien qui eut la triste idée de nous interdire l’entrée, je l’écrasai sans ménagement, et roulai sans plus d’anicroche vers la tombe d’Oecila. Déjà Carlos s’apprêtait à faire glisser la dalle lorsque Le Chef l’arrêta :

    _ Juste quelques secondes Carlos, voyez-vous Gabriel si la police n’a pas ramené le corps, c’est que personne ne l’a volé, nous allons le retrouver dans quelques instants. Carlos à vous de jouer.

    En moins d’une minute la dalle glissa sur le côté, le cercueil apparut, je me penchai pour aider à dévisser le couvercle.

              _ Terminé, plus une seule vis, Damie tu soulèves le haut et moi le bas, un coup sec, prêt, un, deux, trois, hop !

    Je poussai un hurlement. C’était elle, c’était Alice, le sourire avec lequel elle m’accueillait le matin, les yeux clos, je bafouillai, je ne savais pas quoi dire, je me penchai pour l’embrasser, mais mes bras me devancèrent, je la saisis à bras le corps et la sortis du cercueil, un genou à terre je tenais son buste contre ma poitrine, mon cœur battait prêt à exploser, en ces secondes j’étais l’homme le plus fort du monde, n’avais-je pas tenu ma promesse, n’avais-je pas tué la Mort comme je l’avais promis. La main du Chef effleura mon épaule :

              _ Agent Chad elle est inanimée…

    Juste un détail, s’il le fallait je la garderai avec moi, toute ma vie, contre moi, chaque nuit nous dormirions ensemble jusqu’au jour où je la rejoindrai, mais non j’allai la réveiller, tout de suite, la chaleur de mon corps la réveillerait, je fixai mes yeux sur son visage, et l’appelai à mi-voix : 

              _ Alice, c’est moi Damie, sors de ta torpeur, ouvre les yeux, le soleil brille, pour nous deux…

    Je poussai un second cri encore plus fort. C’était vrai, son visage bougeait, non elle n’avait pas encore ouvert les yeux, mais ses joues s’animaient, parcourues d’étranges frissons. C’était à faire peur, Le Chef n’avait-il pas jeté son Coronado et ses deux mains n’étaient-elles pas refermées sur la crosse de deux Rafalos, Carlos n’avait-il pas ressaisi sa barre à mine, je ne leur en voulais pas, nous étions au lieu d’épouvante de jonction de la vie et de la mort, Alice entrouvrit ces lèvres, non je ne rêvais pas, c’était son corps qui bougeait doucement sur le mien ! Je fermais les yeux pour m’enfermer dans la douceur paradisiaque de ce premier baiser, pour nous abstraire de tout ces témoins que je voulais bannir de notre intimité.

              _ Agent Chad, reprenez-vous, ce n’est que moi !

    La voix était glaçante, persiffleuse, elle reprit :

             _ Arrêtez de jouer au prince charmant, je ne suis pas la Belle au Bois Dorrmant.

    Je rouvris les yeux, je tenais la Mort entre mes bras !

    206

    La voix du Chef s’éleva :

              _ Agent Chad, passez derrière nous et reprenez vos esprits Vous vous êtes fait avoir comme un bleu, croyez-vous que Molossa et Molossito ne se seraient pas précipités si c’était vraiment Alice pour quémander un bocal de friandises !

    Machinalement j’obéis. Quelle ne fut pas ma surprise de réaliser qu’un cercle d’une centaine de personnes nous entouraient. Deux hommes discutaient à voix basse à vingt centimètres de moi :

               _ Magnifique, dommage que les caméras soient absentes !

              _ Sûrement une répétition, quel acteur, je ne le connais pas, un nouveau promis à une belle carrière !

              _ Encore plus vrai que dans la vraie ! Vous vous voyez auprès d’un cercueil à faire des mijaurées de cette manière !

              _ Surtout pas auprès du cercueil de ma femme !

              _ En tout cas ce n’est pas moi qui ramènerais la mienne à la vie !

    Ils éclatèrent de rire, de nombreux ‘’chut !’’ fusèrent de partout, le public entendait écouter la suite… La Mort faisait les cent pas et remuait les bras en guise d’assouplissement :

              _ Encore vous, ce maudit  SSR, à venir me déranger, c’est une manie chez vous, j’étais si bien dans mon caisson de décompression, en plus sans prendre de gant vous déboulonnez mon caisson et cet huluberlu d’Agent Chad qui m’arrache à ma couche et se livre à des attachements douteux sur mon corps, je pense que je vais dès demain porter plainte et informer les mouvements féministes !

    Des applaudissements, et des bravos lancées par de voix féminines s’élèvent de la foule. Hélas ces vertueuses approbations citoyennes sont vite oubliées, gommées par la virulente intervention de Gabriel !

              _ Vous avez un toupet monstre, vous faites rire aux dépens de l’Agent Chad auquel vous avez joué une sinistre comédie, j’aimerais plutôt savoir ce que vous faisiez dans ce cercueil qui je vous le rappelle est celui d’Oecila, la sœur de ma femme ! Par la même occasion où avez-vous mis le corps d’Oecila !

              _ Nulle part, ou plutôt à la même place où il était !

              _ Vous mentez, elle n’est plus en Russie ! C’est moi-même et ma femme qui avons emmené son corps en France, je détiens les papiers officiels signés du gouvernement français et des plus hautes autorités russes !

               _ Je l’admets, vous oubliez de mentionner le sceau de la Mafia russe sur un de vos parchemins !

    La foule est parcourue de mouvements divers, des cris indignés fusent. Des adjectifs peu aimables sont échangés, ils visent les présidents des deux pays, certains défendent l’un ou l’autre, la majorité les admoneste tous les deux vertement. La scène va-t-elle tourner au pugilat, non car une voix aigüe celle d’Alice, perce le brouhaha :

              _ Taisez-vous je veux entendre la suite !

     au prochain numéro !