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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 16

  • CHRONIQUES DE POURPRE 599: KR'TNT 599 : BLACK MUSIC IN BRITAIN IN SIXTIES / THEE SACRED SOULS / BRIAN JONES / T BECKER TRIO / RUBY ANDREWS / GROMAIN MACHIN / NEW NOISE / THE DEVICE / CHANT OF THE GODDESS / ROCKAMBOLESQUES

     

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    04 / 05 / 2023

     

    BLACK MUSIC IN BRITAIN IN SIXTIES

    THEE SACRED SOULS / BRIAN JONES

    T BECKER TRIO / RUBY ANDREWS

    GROMAIN MACHIN / NEW NOISE

    THE DEVICE / CHANT OF THE GODDESS

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 599

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             L’autre jour, en faisant les courses au supermarché, on est tombé sur une belle box couleur crème au rayon des produits frais : Gotta Get A Good Thing Goin’ (Black Music In Britain In The Sixties). Miam miam ! On se doutait bien qu’avec cette box couleur crème miam miam, on allait rôtir en enfer.

             Bon, va en profiter pour ouvrir un petite parenthèse : il y a deux sortes de gens sur cette terre, ceux qui détestent rôtir en enfer (pour des raisons qui leur appartiennent) et ceux qui adorent ça. Les premiers mènent généralement des existences bien conventionnelles et ne prennent jamais aucun risque, les seconds font exactement le contraire. 

             Cette box couleur crème miam miam est tellement bien foutue qu’on la croirait conçue par Eddie Piller. Mais c’est un certain John Reed qui gère le truc, et Fitzroy Facey se charge du préambule.

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             Il s’agit évidemment d’une box hautement sociologique. D’autant plus sociologique que Fitzroy Facey est jamaïcain. Il raconte que son oncle Bert Facey sillonnait certains quartiers de Londres à bord d’un van équipé en sound system pour animer les fêtes des communautés. Car bien sûr, toute la black music d’Angleterre se trouvait confinée dans les communautés. Les gens de couleur n’étaient pas très bien vus chez les blancs. Chacun dans son coin - Black people did not have equality - Tout va changer pendant les mid-sixties avec l’avènement de la Soul qui va selon Fitzroy «bridger the UK racial gap», c’est-à-dire lancer un pont de la rivière Kwai par dessus l’abîme du racisme. Il adore aussi employer l’expression «cross pollenisation». Il a raison de penser que l’intégration des communautés noires a pu se faire, tout au moins en Angleterre, grâce à la Soul et à des musiciens comme Fela Kuti ou Prince Buster. En 1962, Owen Gray tourne en Angleterre accompagné par un orchestre blanc. Parmi les pionniers, il cite aussi Ray King venu des Grenadines. Premier groupe inter-racial d’Angleterre : the Foundations, et puis on a Blue Mint avec Madeline Bell. Fitzroy cite aussi les stars issues du métissage, du «bi-racial generation of White, Carribbean and African heritage», «Dame Cleo Laine» (père jamaïcain) et «Dame Shirley Bassey» (père nigérien). Oh et puis Kenny Lynch dont le père vient des Barbades. Et tout explose en Angleterre quand Dusty chérie présente the Sound of Motown à la télé.

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             Et badaboom, voilà les Mods qui écoutent «Motown and Stax Soul, R’n’b, ska and Blue Beat, with elements of cool, straight ahead jazz.» C’est un autre héros, David Godin, qui du fond de sa boutique Soul City Records, lance le concept de Northern Soul, un concept qui va mettre pas mal de kids sur la paille. Fitzroy définit vite fait la Northern Soul : «uptempo records, différents des balladifs et des funkier sounds en vogue à l’époque.» Autre caractéristique de la Northern : elle fait un carton chez les working-class kids du Nord de l’Angleterre et d’Écosse. Et donc grâce à Stax et à Motown, la Soul est entrée dans le mainstream. En Europe, on déroule le tapis rouge aux blackos. Les portes s’ouvrent, voilà les Equals, Jimmy James & The Vagabonds, une vraie déferlante.

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             Fitzroy tape ensuite dans le cœur du sujet : la musique jamaïcaine des années 50 qui se métamorphose en ska, en rocksteady et en reggae. Il ne laisse rien au hasard. Il prépare l’auditeur à un sacré trip, puisque voilà le prog africain de Cymande, de The Real Thing et d’Osibisa, «a uniquely British take on Afro Carribbean music, Funk and Soul, blended with elements of rock and jazz.» Il a raison de s’émerveiller, Fitzroy - I am a 1960s UK born Jamaican Windrush second-generation child and it is incredible to have witnessed the journey and success of Black British music from its infancy to adulthood and to marvel at its worlswide recognition - C’est en plus écrit avec des mots très simples qu’un Français peut comprendre sans trop se gratter la tête.

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             Quatre disks dans la box crème miam-miam. Autant dire quatre nids de puces épouvantables. Même quand on est habitué aux big boxes, on se sent cette fois très vite dépassé par la qualité de ce trié sur le volet, par l’extraordinaire profusion de découvertes, avec ces 120 cuts, tu frises en permanence l’overdose, alors consomme avec modération, si d’aventure il te vient l’idée saugrenue de mettre le nez là-dedans.

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    Le disk 1 est bourré à craquer de stars démentes, tiens, tu as les Flirtations, trois blackettes débarquées à Londres pour faire fortune et elles te font du heavy Motown avec «Nothing But A Heartache». Tu peux y aller, c’est du Motown exacerbé d’Angleterre, avec une prod terrifique. Les sœurs Earnestine et Shirley Pearce, plus Viola Vi Billup arrivent de Caroline du Sud. Du Motown à l’anglaise, tu crois rêver. Alors pince-toi ! Carl Douglas ? C’est un forcené ! Avec «Serving A Sentence For Life», ce Jamaïcain demented te fait du wild scuzz de Pye et d’Acid Jazz. Et puis, tu as les trois Jimmy, Jimmy Thomas, Jimmy James & The Vagabonds et Jimmy Cliff. Ils te cassent ta pauvre baraque quand ils veulent, le Cliff avec la fantastique allure de la heavy pop de «Waterfall», le Thomas avec le groove aquatique de «Spingtime» et le James avec le pur Motown blast de «This Heart Of Mine». L’autre gros pyromane de la scène anglaise, c’est Geno Washington et son Ram Jam Band, avec le groove de clap-hands «Michael». On croise plus loin Cleo Laine avec «Did You Pass Me By», elle est très théâtrale, très Cleo de 5 à 7, très impliquée dans sa subversion.

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    Mais c’est Madeline Bell qui va te sonner le cloches pour de bon avec «Picture Me Gone», elle s’en va exploser la pop par-dessus les toits, c’est le summum du London black voodoo. La révélation de ce disk 1, c’est Ebony Keyes avec «If You Knew», et sa fantastique attaque à la Edwin Hawkins Singers, il vient de Trinitad et tombe à bras raccourcis sur le groove. Merveilleux Ebony, une vraie présence, pas de carrière, il est tellement persistant qu’il te réchauffe le cœur. Sugar Simone est un mec atrocement doué, un roi du style, une proie de choix pour les rapaces, il te chante «Take It Easy» d’une voix de diable circonspect. Quant à Kim D, elle n’a que 17 ans et donne une parfaite idée de la vitalité de la scène black anglaise. Elle est la reine du sucre nubile, la reine des compiles, il faut écouter «The Real Thing» si on ne veut pas mourir idiot. On la retrouve partout sur les compiles Pye Girls d’Ace et les compiles Northern Soul. Back to Motown avec The Brothers Grimm et «Looky Looky», c’est bardé de big sound, de chœurs, d’écho et de what I got. Énorme ! Looky looky what I got ! Et ça continue avec Lucas & The Mike Cotton Sound et «Ain’t Love Good Ain’t Love Proud». Ce black à la voix cassée s’appelle Bruce McPherson Ludo Lucas, il sonne comme une superstar et mérite les ovations.

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    Le problème encore une fois, c’est que tout est bon sur cette compile, voilà les Fantastics, des New-Yorkais débarqués en Angleterre pour doo-wopper «Ask The Lonely». Ils se sont fait passer pour les Temptations mais ont fini par rester The Fantastics. Avec «Gonna Work Out Fine», Owen Gray tape dans Ike. C’est un reggae man avec une palanquée d’albums et son Darling est cool as fuck. Kenny Lynch y va au doux du menton avec «Movin’ Away». Ce vieux crooner est infiniment crédible, infiniment juste. Kenny Bernard, on le connaît bien, grâce à Acid Jazz. Son truc c’est le wild shuffle de «What Love Brings». Et pour finir, saluons ce cake épouvantable qu’est le Guyana-born Ram John Holder avec «Yes I Do». C’est un persistant qui sait persister : d’abord fronting an early line-up of the Ram Jam Band puis en enregistrant deux albums devenus quasiment mythiques.

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             Les têtes de gondole du disk 2 sont les Foundations et Marsha Hunt. Marsha tape dans le wang dang doodle de «Walk On Gilded Splinters», elle te recrée toute la fournaise voodoo entre ses cuisses, et les Foundations te refont les Mystères de Londres d’Eugene Sue avec «New Direction», on assiste à une fantastique évolution du domaine de l’anticipation, ça file à travers London Town. Il est essentiel de rappeler que les Foundations et les Equals furent les deux premier multi-racial bands en Angleterre. Côté révélations, ce disk 2 ne mégote pas. Ça commence avec John Fitch & Associates et «Stoned Out Of It», un wild r’n’b typique du wild as fuck des jukes de Camden, rien sur ce mec-là, un single et bye bye. Et puis voilà ces allumeuses de Flamma Sherman et «Move Me», quatre frangines, comme les Ramones. C’est une bombe atomique ! Leur «Move Me» te monte droit au cerveau. Le mec de This ‘N’ That se prend pour Slade avec «Get Down With It/I Can’t Get No Satisfaction». Il est assez inflammatoire ! Deux singles et puis plus rien. Disparu ! Il te screame le Satisfaction à outrance. T’es vraiment content de ta box crème miam miam. Ray Gates y va au heavy jerk avec «Have You Ever Had The Blues», et tu danses avec la main pliée à l’ancienne. Irrésistible, car c’est du stomp.

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    Pire encore, voilà Paula & The Jetliners et «I Know Some Day», elle y va au petit sucre et derrière, ça bat la chamade. Le sucre + le beat, ça ne pardonne pas. Deux singles et puis bye bye. Véritable coup de génie. Après, il te reste pas mal de jolies choses, comme par exemple Norma Lee et «Hurt», une fantastique déclaration d’intention, elle sait chevaucher un dragon. Les Curdoroys qu’on croise ici ne sont pas ceux que l’on croit, c’est-à-dire les Mods blancs : «Too Much Of A Woman» fut enregistré par Shel Talmy sur son label Planet et Tony Wilson est le black des Soul Brothers. Il est bon. Autre petite merveille : B.B. James And Derv et «Kiss Me, Kiss Me». Elle est terrifiante et Derv la ramène au it feels good. Derv, c’est bien sûr le Derv des Equals. Cette compile n’en finit plus de taper dans le très haut de gamme de la Northern Soul. Ah il faut aussi saluer Jack Hammer et «What Greater Love». Jack y va bien pépère, il est sûr d’y arriver, et c’est orchestré à outrance. Et voilà un gros pépère, J.J. Jackson avec «But It’s Alright», il pulse son groove d’it’s alright. Quant à Errol Dixon, c’est le diable, un puissant seigneur des ténèbres, une star du night-clubbing : son «I Don’t Want» réveillerait les morts du Chemin des Dames. Et puis on le sait, Freddie Mack s’est échappé de l’asile. Avec «Sock It To ‘Em, J.B.», il bat tous les records d’insanité.

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             C’est à quatre pattes qui tu entres dans le disk 3. Il est plus orienté Blue Beat et reggae. Mais tu as deux cuts qui vont t’envoyer directement au tapis : l’«African Velvet» de Black Velvet et le «Pony Ride» de Winston & Pat. L’«African Velvet» est du heavy London beat, une bombe de black bombass, un supra-power noyé d’orgue et de reggae beat. Quand tu écoutes le «Pony Ride» de Winston & Pat, tu comprends que c’est la black la plus libre et la plus intense d’Angleterre. Ce groove est une merveille absolue. C’est le génie des quartiers, c’est coulé dans le beat reggae, groové dans l’âme de la Soul. Nouveau coup de génie avec Ambrose Campbell et sa cover d’«Hey Jude». Là tu donnerais ton père et ta mère en échange de ce single. On reste dans le reggae béni des dieux avec The Classics et «Worried Over Me», heavy beat exotique de London Town, power à tous les étages, bassmatic + shuffle d’orgue, classe extraordinaire ! 

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    Tiens voilà le Blue Beat de rêve avec The Rudies et «Boss Sound». En plein dedans ! Belle énergie d’Hi Boss ! Avec Boss ! Boss!, tu es en Angleterre. C’est ce qu’on appelle The Pure Brit Sound. Encore du wild Blue Beat avec Laurel & Girlie et «Scandal In Brixton Market», c’est la même énergie que celle du r’n’b, ce mec y va à la vie à la mort. Avec «Jezebel», Pat Rhoden nous fait du fast Blue Beat avec un solo de trompette. Tous ces cuts sont exotiques et affreusement bons. Cette box crème miam miam est l’une des meilleures illustrations culturelles de la société anglaise moderne.

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             C’est Shirley Bassey qui ouvre le bal du Quat’ Zart avec «Sunshine». Shirley est l’une des géantes de cette terre, inutile de le rappeler. Côté énormités, on est bien servi avec Joy Marshall et «Heartache Hurry On By», elle est terrifique, cette New-Yorkaise débarquée à Londres en 1961 te monte ça en neige de Wall of Sound. Aussi bonne, voilà Mabel Hillery et «Rock Me Daddy» qui te rocke le daddy et tout le reste vite fait. Encore du Wall of Sound avec Peanut et «I’m Waiting For The Day», sans doute l’une des anomalies du système : cette cover des Beach Boys par Katie Kissoon aurait dû exploser à la face du monde.

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    Le Davy Jones de «Love Bug» n’est pas celui qu’on croit. Il s’agit là d’un Dutchman de r’n’b, c’est un authentique allumeur. Pure merveille encore que le «Liggin’» du Joe Harriott Quintet, assez jazz, full of swing. On salue la cover du «Green Onions» de Shake Keane, powerful instro d’anticipation, avec un solo de guitare et un solo de trompette. On reste dans le big brawl de big band avec The New Orleans Knights et «Enjoy Yourself» : fantastique énergie, encore plus New Orleans que la Nouvelle Orleans. C’est même explosif. Tiens voilà du doo-wop avec The Southlanders et «Imitation Of Love», c’est une œuvre d’art, décidément la box crème miam miam te bourre comme un dinde. Tu es littéralement noyé de son, dans une diversité extraordinaire, avec un souci constant de qualité artistique maximaliste. L’«I Ain’t Mad At You» d’Howie Casey & The Seniors est battu sec à la bonne franquette du pub d’en face. C’est le fast Blue Beat, une frénésie à la fois réelle et universelle. Tu n’as pas besoin d’être érudit pour entrer dans cette musique. Elle te prend littéralement dans ses bras. Avec une nouvelle série de hits Blue Beat, on replonge dans cette exotica des quartiers de Londres. Emile Ford & The Big Six et «Hold Me Thrill Me Kiss Me» t’invitent à la fête, c’est probablement la musique la plus conviviale de toutes, et cette façon qu’ont les Big Six de fouetter les notes d’orgue ! Oh Emile Ford ! Énorme carrière et éclats de cuivres. Blue Beat magic. Avec Ricky Wayne With The Fabulous Flee-Rackers et «Chicka’roo», c’est une nouvelle descente au barbu, Ricky colle bien au palais, un vrai Dupont d’Isigny, le solo de sax te décolle du sol et tu te débrouilles avec le chicka’roo. Et voilà une occasion en or, comme dirait ton marchand de voitures : Ray Ellington et «The Rhythm Of The World». Il y va à la glotte de vétéran, il est là depuis le début, avec une vraie voix et la box crème miam miam te donne l’occasion de découvrir ce chanteur extraordinaire. Le «Soon You’ll Be Gone» du Ray King Soul Band te pousse dans le dos, avec une énorme énergie tropicale. Ray King était déjà là en 1968. Tu ne vas plus de cut en cut, mais de rêve de cut en cut de rêve. Tiens voilà une folle : Winifred Atwell et «Bossa Nova Boogie». Elle dévore le boogie et le woogite entre ses dents.

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    Trois vieux crabes traînent sur le Quat’ :  Champion Jack Dupree avec «Get Your Head Happy», Otis Spann avec «Keep Your Hand Out Of My Pocket» et Screamin’ Jay Hawkins avec «All Night». C’est Tony McPhee qui fournit le fourniment à Champion Jack Dupree, Otis Spann fait le show lui aussi, pas de problème, quant à Screamin’ Jay, il te propose de danser le mambo du diable - I really love you baby - Bon, cette compile crème miam miam est encore plus épuisante que la voisine d’en dessous qui est nymphomane. On se plaint, mais on y retourne.

    Signé : Cazengler, Gotta Get A Godmiché Goin’

    Gotta Get A Good Thing Goin’ (Black Music In Britain In The Sixties). Cherry Red Box 2022

     

     

    Sacrés Sacred !

     

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             On avait découvert Thee Sacred Souls en 2021 sur une belle compile chicos, Penrose Showcase Vol. 1. Penrose ? Mais non, pas Roland ! C’est le nouveau label que vient de lancer Gabe Roth, vingt ans après Daptone. Il y présente ses nouveaux poulains, Los Yesterdays, Jason Joshua, Vicky Tafoya, Thee Sinseers et bien sûr Thee Sacred Souls, tous des tenants et des aboutissants de la Soul de charme, mais une Soul de charme poussée au fond de ses retranchements, loin des yeux près du cœur, une Soul de charme encore plus volatile que celles des Intruders et des géants de la Philly Soul, une Soul pour laquelle il vaut mieux être bien équipé, notamment d’un ciré breton et du chapeau jaune qui va avec, car il y pleut des larmes, des torrents de larmes. Toute cette Soul est construite sur le chagrin d’amour, sur le cœur qui saigne, sur l’inaccessible étoile des neiges/ mon cœur amoureux, sur le forever my love à la béchamel, c’est une véritable industrie, un laminoir à tombeaux ouverts, un Bessemer Tinguely, un chagrinage sidérurgique en mouvement perpétuel, il pleut plus de larmes que n’en peut concevoir ta philosophie, Horatio, et pourtant, cette école de la Soul a la peau dure, elle a son public, ses prêtres et ses demi-dieux hermaphrodites à la peau noire. Des Esseintes aurait adoré cette école du raffinement. Rendue légendaire par Gamble & Huff, la Philly Soul est une forme d’art à part entière, des gens la haïssent et d’autres la vénèrent. On la hait mécaniquement, de la même façon qu’on hait les gens sans souvent savoir exactement pourquoi on les hait. C’est le principe même de la haine. Elle est malheureusement une forme d’énergie, sans doute la principale forme d’énergie chez beaucoup de gens. On peut prendre des exemples au hasard, tiens, les Rednecks, par exemple, avec leur drapeau confédéré, ou encore l’Allemagne des années 30, avec sa fierté haineuse. Tiens, la collaboration et l’ombre du fascisme moderne qui continue de planer sur notre beau pays de beaufs. Alors c’est peut-être pour ça qu’il faut écouter Thee Sacred Souls, parce que beaucoup de gens vont les haïr.

             Éperdu de langueur, tremblant d’impatience, bavant de désir, brûlant de fièvres exotiques, travaillé par des intuitions mal placées, on s’est tout de suite jeté sur le premier album sans titre, et dès qu’ils ont été annoncés au programme du Soulodrome local, on s’est jeté en tout bien tout honneur sur la pauvre caissière de la billetterie pour lui avouer qu’elle rendrait un homme heureux, rien qu’en lui vendant un billet pour le concert de Thee Sacred Souls.

             — Zi ?

             — Oui, vous prononcez Zi, mais vous tapez t, h, e, e.

             — Sacred comme sacrède ?

             — Oui, et pi Soul comme Soul. Y mettent un s. Mais ça fait Soul.

             Elle devait bien sûr en faire exprès de traîner en longueur. Pour faire durer le plaisir, comme on dit. Par chance, le concert n’est pas complet. Il ne pourrait d’ailleurs pas être complet. Pour des raisons indiquées plus haut. Tant mieux. On va pouvoir respirer un peu dans la petite salle. Et comme d’usage, on arrive un peu à l’avance pour prendre la température. Oh une petite queue ! Ça papote. En voilà une qui dit dans son smartphone à sa copine qu’elle vient à cause du mot Soul, mais elle avoue ne rien savoir du groupe. Le mot Soul attire toujours les curieux. Puis un géant à barbichette s’approche et engage la conversation :

             — Ah c’est drôle, on va voir les mêmes concerts !

             Il parle d’un ton jovial, et hop c’est parti pour une demi-heure de poireau. Il faut vite saisir la perche qu’il tend :

             — C’est vrai, t’as raison, on croise toujours un peu les mêmes gens. Du temps où je vivais encore à Paris, on voyait toujours les mêmes gens au premier rang dans les concerts de rock et de Soul, alors on finissait par papoter, et puis on allait siffler une mousse après le concert, juste avant le dernier métro. Mais avec le temps, on voit moins de monde. T’as beaucoup de gens qui regardent les concerts sur YouTube. C’est idéal pour avoir une idée complètement fausse du concert.

             — Bien aimé les Travelots machin chose l’aut’ soir...

             — Non, c’est pas ça. Har-lem Go-spel Tra-ve-lers !

             — Ah oui, c’est ça ! Ah la vache ! Z’étaient rudement bons !

             — C’est pas compliqué : t’avais les Temptations sur scène. Tant mieux pour ceux qui étaient là et tant pis pour ceux qui ont raté ça.

             — Et ce soir, c’est du même tonneau ?

             — Rien à voir. J’ai écouté l’album. C’est de la Soul de charme. Ça risque d’être compliqué sur scène. Tu connais la Philly Soul ?

             — Oh oui ! J’lis Soul Bag.

             — Alors tu sais ce qu’est la Soul de charme. L’Ange Gabriel à la peau noire. Le vrai mysticisme. Aux antipodes des balivernes du catéchisme. Les gens qu’aiment pas ça parlent de sirop. Alors tu leur réponds harmonies vocales. Voies impénétrables.

             — La Soul ça marche pas très bien en France.

             — Tous les grands amateurs de Soul sont en Angleterre. Tu sais bien qu’un coup de dés jamais n’abolira le hasard. 

             On a fini par entrer. Heureusement, car on aurait pu y passer la nuit. C’est toujours le risque lorsqu’on tombe sur un bavard passionné.

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             Par sécurité, on a réécouté l’album juste avant le concert, pour mesurer le risque d’ennui. On sait pertinemment que certains groupes ne sont pas faits pour la scène. La sophistication et la scène n’ont jamais fait bon ménage. Le black qu’on voit sur la pochette entouré de deux blancs s’appelle Josh Lane. C’est un petit rasta qui doit peser trente kilos et qui bouge sur scène avec une grâce infinie. Il danse comme un rasta, avec ce balancement si particulier qui semble un peu décalé, juste derrière le beat, mais on réalise à force de l’observer que c’est ce décalage qui fait tout le charme de son pas de danse. On pense bien sûr à l’insoutenable concept de Kundera, la légèreté de l’être. Le petit rasta chante d’une voix de miel et ses dents battent tous les records de blancheur. Il y a quelque chose d’impénétrable en lui.

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             De la même façon que l’album, le set met du temps à décoller. Josh Lane et ses deux choristes se goinfrent de heavy froti. Ils font une heavy Soul de revienzy, du well done de gluant supérieur. Apparemment, le petit rasta et les deux blancs à moustaches - le beurreman Alex Garcia et le bassman Sal Samano - constituent le noyau dur du groupe. En fait, on pourrait presque accuser Samano de voler le show.

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    Il est planté au fond de la scène, mais il joue des drives de basse extraordinaires, il joue des deux doigts de la main droite et des quatre de la main gauche sur le manche, il enchaîne des figures de style très techniques et injecte une énergie considérable dans cette Soul sentimentale. Il porte des tatouages sur les doigts et un fantastique scorpion lui orne le cou. Un keyman barbu et un guitariste à cheveux longs complètent cette fine équipe. «Trade Of Hearts» sonne comme un fabuleux shoot de Soul descendante. Une pluie chaude s’abat sur la salle, le set s’enlise dans une délicieuse Soul liquide. Mais en même temps, c’est très direct, pas de pas de côté. Josh Lane peut monter au chat perché, comme dans «Weak For Love», mais il le fait  avec une certaine classe intrinsèque.

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             On comprend que Gabe Roth ait flashé sur eux. «Future Lover» est un cut de Soul effective. Le petit rasta sait driver sa chique. On le croit fragile, comme ça, mais il mène admirablement bien sa barque. Il plonge dans le deepy deep avec «For Now», classique et doux à la fois. Il rassemble chaque fois les deux extrêmes, c’est sa force. Il adore descendre dans la foule et chanter avec les gens. Ces mecs sont finalement capables de voler au ras des pâquerettes, avec une audace vampirique. Tiens voilà deux coups de génie, «Once You Know» et «Happy And Well». L’Once est très Philly, il tinte dans l’écho du temps d’avant, tout au moins sur l’album.

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    Comme c’est monté sur un groove élastique, ça devient une merveille incomparable. On tombe tellement à court de mots qu’on ne peut que s’extasier. Tu te fais encore happer par l’«Happy And Well», c’est d’une qualité extrême, une Soul fine et enlevée, mais lourde de sens, il faut aimer ces fondus de voix qui finissent par te fendre le cœur - Don’t need money/ Or fancy things/ I just need my baby - C’est la vision Daptonienne de la Soul moderne.

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    Signé : Cazengler, sacrée soupe

    Thee Sacred Souls. Le 106. Rouen (76). 10 avril 2023

    Thee Sacred Souls. Thee Sacred Souls. Daptone 2022

     

     

    Wizards & True Stars

    - Il faut sauver le soldat Brian (Part Two)

     

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             Quand on admire Brian Jones, la dernière chose à faire est de visionner Rolling Stone: Life And Death Of Brian Jones, un docu signé Danny Garcia. Pourquoi ? Parce que.

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             Le problème avec les docus, c’est que les sujets des docus ont des têtes de docus. Dans ce docu, Brian Jones a une tête de docu. Quand on a la gueule de bois, on dit qu’on a la tête dans le cul. Là c’est pire : on parle d’une tête de docu. Oh bien sûr, on le voit sourire, on le voit jeune sur un bateau, on le voit sortir du tribunal enveloppé dans un manteau afghan, on le voit descendre d’un avion sur un aéroport américain, on le voit même sur scène gratter sa gratte, mais il a tout le temps une tête de docu. Ce n’est pas celle qu’on connaît. La paille des cheveux, la diction impeccable lorsqu’il répond aux journalistes dans les conférences de presse, tout ça reste du docu, comme si les images sortaient d’un journal télévisé, cette institution qui est, comme chacun sait, l’un des fléaux des XXe et XXIe siècles. Le docu ne nous montre pas le Brian Jones des Rolling Stones, mais le Brian Jones d’Antenne 2.

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             Alors d’où vient le malaise ? Principalement du manque de distanciation. Brian Jones est l’objet d’un culte qui remonte à l’adolescence. L’époque de la tête de culte. Oh ça ne reposait pas sur grand-chose, quelques images et quelques chansons : une photo de Brian Jones et Françoise Hardy dans Salut Les Copains, la pochette de Big Hits (High Tide And Green Grass), où il porte un pantalon rouge, le fish-eye d’«Have You Seen Your Mother Baby Standing In The Shadow» où il porte le fameux costard bleu marine à rayures jaunes et rouges, ou encore Brian Jones assis aux pieds d’Howlin’ Wolf dans une émission de télé américaine, et puis bien sûr les pochettes de December’s Children et de Between The Buttons. Ces quelques images se mariaient merveilleusement bien à «Ruby Tuesday», au sitar de «Paint It Black», aux accents sauvages d’«I’m A King Bee» et à tout ce qui faisait la grandeur des early Stones, le groupe de Brian Jones. Jusqu’à ce clip mirifique de «Jumping Jack Flash» où on l’aperçoit un instant fardé de vert et portant des lunettes de Mars Attack, et là mon gars, ce n’est plus une tête de docu, mais le real deal, Brian Jones, LE Rolling Stone, le plus beau camé d’Angleterre, le punk avant les punks, la plus pure incarnation du rock anglais. Mais tu ne verras pas la tête de culte de Jack Flash dans le docu. Si tu veux la voir, tu la trouveras sur Internet.

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             Ces quelques images et ces quelques chansons constituent la base du culte. C’est l’imaginaire qui ajoute tout le reste. Les fans cultivent des visions comme d’autre cultivent les betteraves. On remplit facilement des heures de visions psychédéliques en écoutant les albums de l’âge d’or des Rolling Stones. On se fout de savoir si Brian Jones allait mal, comme voudraient le montrer certaines images du Rock’n’Roll Circus ou pire encore, celles du One + One de Jean-Luc Godard. Brian Jones reste envers et contre tout le guitariste des Rolling Stones, et aucun docu ne pourra jamais remettre cette réalité en cause. Pas de Rolling Stones sans Brian Jones. Des gens viennent heureusement le rappeler dans cette resucée de journal télévisé.

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             Dès le début du docu, on sent que ça va mal tourner : un avion survole la fameuse Cotchford Farm d’Hartfield, dans le Sussex, où s’était réfugié Brian pour lécher ses plaies. Et que voit-on ? La piscine ! On ne voit qu’elle ! La piscine de la mort devient le personnage principal du docu. Les témoins parlent plus de la piscine de la mort que de Brian Jones. La piscine ! La piscine ! Franchement, a-t-on idée de construite une piscine en Angleterre, un pays aussi peu ensoleillé ? Et crack, le docu fonce tête baissée dans le piège : l’enquête policière. Crack, journal télévisé. Crack, les journalistes. Crack, on l’a-t-y buté ou on l’a-t-y pas buté ? Crack le Thorogood. Crack le gros chauve qui enquête et qui se prend pour Rouletabille. Crack, la police qu’a-pas-fait-son-boulot. Crack, les unes des journaux. Crack un dossier de 500 pages cinquante ans plus tard. Crack, c’est-pas-une-mort-accidentelle. Quelle catastrophe ! Tout le monde s’en fout de savoir si Thorogood lui a démonté la gueule, ça date de cinquante ans. Avec cette histoire d’enquête à la mormoille, c’est un peu comme si le docu se tirait une balle de magnum 357 dans le pied. 

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             Ce qui sauve le soldat Brian, c’est d’avoir su tirer sa révérence à 27 ans. Dans le contexte des têtes de cultes, ça prend tout son sens. Depuis 1969, il n’a pas bougé. Il n’a pas grossi comme Elvis, il ne s’est pas racorni comme Keef, il est resté intact, comme d’ailleurs son ami Jimi Hendrix. C’est le privilège des têtes de culte : ils échappent à la réalité pour entrer dans un domaine beaucoup intéressant qui est celui de l’imaginaire. Il passe de l’état d’irréprochable à celui d’intouchable. L’iconique ta mère. Le secret des têtes de culte : mourir jeune. Le seul qui échappe à cette règle d’or, c’est Dylan. Scorsese le filme dans Rolling Thunder Review: A Bob Dylan Story et ce vieil homme au regard clair reste incroyablement fascinant.

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             On aurait dû confier le docu à Jean-Christophe Averty : il aurait passé à la moulinette toute la première époque Cheltenham/ Jazz/ Clarinette/ Trois enfants illégitimes à 19 ans/ Ealing West London en 1962/ Elmore James/ Elmo Williams/ Alexis Korner/ Dick Taylor, un Dick Taylor qui d’une certaine façon sauve les meubles du docu en témoignant pour rappeler qu’il jouait de la basse avec Brian Jones en 1962 et qu’il a quitté les Rolling Stones parce qu’il voulait jouer de la gratte. Mais il rappelle au passage que tout passait par Brian Jones. Tout ! Admirablement bien conservé, le Dick Taylor. On voit aussi Phil May, pur rock’n’animal. Mais l’idée est là : l’absolute beginner, c’est Brian Jones. Averty aurait fait sonner sa voix dans l’écho du temps : «It’s my band ! It’s my band !». Mais ce n’est pas l’avis d’Andrew Loog Oldham qui décide avec Mick & Keef de changer l’orientation musicale du groupe. L’écho peut bien répéter «It’s my band ! It’s my band !», il est trop tard. Zouzou dans le métro qui est à l’époque la zézètte de Brian zozote elle aussi pour dire que son zozo chéri chialait tous les soirs - Brian was side-lined - Ça veut dire mis de côté. Son ego en prend un coup, un sacré coup. Le genre de coup dont on ne se relève pas. Alors il boit comme un trou. Ça aide à faire passer la douleur. Mais comme il reste malgré tout un esprit moderne, il veille à apporter des contributions musicales de choix.

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             Averty aurait passé à la moulinette la deuxième époque, celle du rôtissage en enfer : Anita/ Courtfield Road/ Copain Keef qui squatte/ Satanic Majesties qui floppe/ Redland bust/ Sauve-qui-peut-les-rats au Maroc dans la Bentley de Keef/ Brian déposé à l’hosto d’Albi-pas-de-Toulouse/ Keef qui barbote Anita/ Brian abandonné à Marrakech avec la note d’hôtel. Et Averty aurait sans doute fait un gros plan sur la note d’hôtel, puis sur la bobine de Brian avec les yeux ronds qui bien sûr n’avait pas un rond. Tête de cocu. Diable cornu. Une élégante façon de montrer que même cocu, il est culte. D’ailleurs Averty n’en est pas à son coup d’essai : il a déjà fait Ubu Cocu. Il est fort cet Averty qui en vaut deux. Et bien sûr en fond sonore, il envoie les flûtes de Joujouka. Personne n’aurait pu empêcher Averty de faire joujou avec Joujouka. Taka faire joujou, Jean-Christophe, t’as carte blanche !   

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             Il aurait bien sûr refusé de passer la troisième époque à la moulinette. Pas question de toucher à ça, berk, le premier bust de Courtfield Road, la condamnation à 19 mois de ballon, l’appel, et la probation de trois ans ! Quoi, mettre un Rolling Stone sous contrôle judiciaire ? Quelle blague ! Même si Averty raffole du grotesque, l’idée-même de ce verdict ne passe pas. Revêtu de son costume de Grand Satrape du Collège de Pataphysique, Averty aurait alors opté pour une stratégie viscéralement opposée : il aurait déguisé Brian Jones en Sapeur Camembert pour l’emmener prendre l’apéro chez Alfred Jarry, qui vit alors dans ce «demi-étage» que décrit si bien Guillaume Apollinaire dans les Contemporains Pittoresques. Arrivé là, le Sapeur Brian Jones aurait poussé un soupir d’aise ubuesque en posant son cul de tête de culte sur un pouf marocain, et pour divertir l’hôte Alfred, Averty aurait demandé au Sapeur Brian Camembert de livrer ses Impressions d’Afrique et de palper les Mamelles de Tirésias, avant de trinquer goulûment, car il n’est, comme aimait à le dire Gildas, de bonne compagnie qui ne se cuite.

    Signé : Cazengler, pas brillant

    Danny Garcia. Rolling Stone: Life And Death Of Brian Jones. DVD 2020

     

     

    L’avenir du rock

     - Better and Becker

     

             L’avenir du rock a quelques copains. Il n’en abuse pas. Pourquoi ? Parce que. S’il est une tare que l’avenir du rock ne supporte pas, c’est bien l’inconstance. Alors pour éviter ça, il limite drastiquement le copinage. Il sait bien qu’au fond les gens font comme ils peuvent, avec leurs petits bras et leurs petites jambes, mais quand même, la constance ne demande pas de gros efforts intellectuels. L’un des copains qui gravitent encore dans son orbite est journaliste. Ils se voient de temps et temps et passent la nuit à bavacher et à picoler. Ils profitent bien sûr de l’occasion pour mettre à rude épreuve leur respect mutuel et tester l’élasticité de leurs tolérances respectives.

             — Dis donc, avenir du rock, au risque de te déplaire, je trouve que tu as un nom trop global, complètement ringard...

             — C’est un simple concept, rien de plus. L’important c’est qu’on parle d’avenir. En même temps, je sais bien que des mecs comme toi trouveront toujours à redire.

             — Quoi des mecs comme moi ?

             — Tu sais très bien ce que je veux dire... Tu fais partie de ceux qui fouillent du groin le fumier de leur médiocrité, comme dirait notre cher Léon Bloy. Parlons plutôt d’avenir, si tu veux bien.

             — Ah il est beau l’avenir ! Non mais t’as vu ta gueule ? Et puis ton rock, c’est devenu une musique de vioques, regarde les Stones et tous les autres vieux crabes à la ramasse, comment veux-tu que les kids se reconnaissent dans ce désastre ? Tu devrais t’appeler l’avanie du rock !

             — Ton manque de discernement m’inquiète. Permets-moi de le mettre sur le compte de l’alcool. Tu sais bien qu’il n’y a pas que les Stones, tu as une actualité grouillante de vie avec des centaines de groupes passionnants, dans tous les genres. Et puis si le mot rock t’ennuie, que proposes-tu ? L’avenir du punk ? Tu vois bien que ça n’est pas possible. L’avenir de la Soul ? Pas possible non plus puisqu’intemporelle. L’avenir de quoi, à ton avis ? L’avenir des haricots mexicains ?

             — Ah oui, alors là, ça aurait de la gueule ! Ou encore l’avenir des rillettes du Mans ! Tiens, appelle-toi l’avenir des week-ends à Maubeuge, au moins ça te fera marrer et comme ça, t’auras l’air moins constipé !

             — J’ai encore mieux : l’avenir du rockabilly !

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             Contrairement aux apparences, l’avenir du rock est très sérieux quand il dit ça. Le rockab est un peu comme la Soul, intemporel et donc intouchable, mais il y a un petit canard qui œuvre activement pour mettre en lumière une réalité : la scène rockab n’a jamais été aussi vivace ! Il suffit de feuilleter Rockabilly Generation pour prendre la mesure de cette vivacité. Donc oui, le rockab a tout l’avenir devant lui.

             Vivace, oui, et particulièrement la scène rockab normande. C’est toujours un bonheur que de croiser les Hot Slap dont on a salué ici en décembre 2018 le fantastique deuxième album Lookin’ For The Good Thing et les extravagants départs en solo de Martin, ces véritables killer attacks que vient télescoper Dédé de plein fouet avec un fulgurant tacatac de stand-up psychotique. Tu crois entendre James Kirkland et James Burton, le dream team de l’early Bob Luman, avant que Ricky Nelson ne le lui barbote. Rien qu’avec des albums de cette qualité, le rockab a de beaux jours devant lui. Et puis voilà que surgit des limbes de Rockabilly Generation une autre équipe : T Becker Trio. Pareil, des Normands, et le guitariste n’est autre que Didier, un vétéran de toutes les guerres qu’on a vu écumer les scènes normandes depuis vingt ou trente ans, la plus récente équipée fut celle du Blue Tears Trio. Le T Becker Trio a déjà deux albums sur Crazy Times Records, le label de Pierre Maman, l’un des derniers grands disquaires en France, qu’on croise chaque année à Béthune, gros fan de Vince Taylor et de Gene Vincent. Jake Calypso a aussi un single sur Crazy Times, c’est dire la qualité du bec fin.    

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             Le premier album du T Becker Trio date de l’an passé et s’appelle The Best Is Yet To Come, avec sur la pochette des petites gonzesses qui tombent dans les pommes. Les fans de rockab peuvent y aller les yeux fermés : l’album sonne comme un passage obligé, dès «I’ll Do It On My Way», ils te jouent ça dans les règles du wild lard, ils t’exacerbent vite fait le beat, ce mec Tof au chant est génial, c’est slappé de frais et tu as le gratté de poux qui va avec. Incroyable swagger !  Le solo de clairette est une merveille. L’autre coup de Trafalgar s’appelle «Rockabilly Is A State Of Mind», une vraie profession de pâté de foi, ils tapent dans le dur du mythe, et là, on peut parler de coup de génie, tout le power du rockab est là, en plein dans le mille, pression terrible avec le solo du Did à la surface, et donc tu nages dans le bonheur. Avec ce premier album, tu navigues au meilleur niveau : voice superbe + gratté superbe et le slap qui va et qui vient entre tes reins, rien de plus vital que cette véracité du beat. Encore une belle énormité avec «Can’t Get You Out Of My Head», une cavalcade effrénée, et juste avant, un «Boogie Beat» bien amené au petit gratté de poux, alors le Tof peut le prendre au boogie boo. Avec «Come Close To Me», ils appréhendent le bop avec magnificence, et le gratté de poux arrondit bien les angles. Retour des wild cats avec un «Biggest Mistake I’ve Made» slappé de frais et embarqué en mode fast and furious. C’est du frenzy pur de wild craze de cats on fire : solo de classe intercontinentale et pulsion rockab ultimate. «Can’t Love You Anymore» est un cut de guitar man, et avec «Why» ils repartent ventre à terre. Wow, c’est du wild ride de tell me why, le Did est là en embuscade, il tombe à bras raccourcis sur les cowboys et les indiens, il revient pour une deuxième embuscade et finit le travail.  

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             Leur Second Round vient tout juste de paraître. Il semble un tout petit peu moins intense que le premier round mais tu te prosternes quand même devant «Bop Bop Bop». Le Tof te le bop-bop-boppe à la Gene Vincent, de quoi rendre fou Damie Chad. Tu te retrouves une fois de plus dans le vrai du bop, un bop si pur qu’il confine au génie, avec à la clé un solo d’antho à Toto. Les wild cats sortent les griffes avec deux bombes : «Why Does She Never Look At Me» et surtout «Tell Me», le slap y ramone la cheminée du wild strut. C’est pas beau à voir ! Façon de dire la violence de l’attaque à sec du slap. Wild as fuck, comme on dit en Angleterre, et coiffé par un solo échappé de la basse-cour. Belle pièce fumante aussi que ce «Gone She’s Gone» d’ouverture de bal, suivi d’un «I Wanna Bop» bien enraciné dans le rockab de 56, c’est claqué sévère, le slap est pur, tout est beau sur cet album. Grosse énergie. C’est vraiment digne des grandes heures de Carl Perkins. «Cloud 9» est encore un cut de Guitar Man, le Did accompagne toutes les retombées avec des doigts de fée. Pareil avec «Litttle Queen», où il noie le cut d’arpèges en dentelle de Calais et «Luckiest Guy», flanqué d’un solo joué à la clairette éclairée. Pour finir, saluons «Me & My Baby» claqué du beignet dans les règles du lard. Ils sont invulnérables. Tout est là : l’esprit, le son, la dentelle de Calais, le slap et tu as le solo de rêve de fête foraine. Le temps d’un cut, les trois Becker sont les rois du monde.           

    Signé : Cazengler, le Beck(er) dans l’eau

    T Becker Trio. The Best Is Yet To Come. Crazy Times Records 2022

    T Becker Trio. Second Round. Crazy Times Records 2023

    Rockabilly Generation n° 25 - Avril Mai Juin 2023

     

     

    Inside the goldmine

    - Andrews Sister

     

             Andrus n’était pas ce qu’on aurait pu appeler un ami. Nous nous trouvions de part et d’autre de cette frontière qui sépare le patron de l’employé. On sentait chez lui une tendance à vouloir sympathiser, mais pas question de céder aux tentations, même après deux ou trois verres de champagne. D’ailleurs, dans cette agence, tout était prétexte à ouvrir des bouteilles de champagne. Dès qu’un visiteur s’annonçait, on préparait le seau et les flûtes. Reprendre l’activité après avoir descendu deux bouteilles n’est pas toujours chose facile. Dans certains contextes, ça peut donner des ailes, mais lorsqu’on bosse pour le compte d’un mec comme Andrus, on se coupe les ailes. Il était d’une corpulence bizarre, assez court sur pattes, une espèce de freluquet devenu homme d’affaires, le regard extrêmement clair derrière des lunettes à la mode, souvent sapé comme un ministre, avec une pochette assortie à la cravate, et une façon agaçante de hacher menu son discours. Chaque après-midi, il se volatilisait. Au retour de la pause déjeuner, il avait disparu. Il démarrait très tôt le matin et bouclait sa journée à 13 h. Les visiteurs étaient pour la plupart des décisionnaires de grands comptes. Andrus les recevait d’abord dans son bureau et comme toutes les cloisons étaient vitrées, on voyait ce qui se passait. Andrus faisait glisser sur le bureau une enveloppe vers son interlocuteur qui s’empressait de l’enfouir dans une poche intérieure. L’activité n’était qu’une façade et bien sûr, il avait fallu signer une clause de confidentialité. Interdiction absolue de divulguer quoi que ce fut. Et puis un matin, vers 8 h 30, peu après l’ouverture, on sonna à la porte. Andrus débloqua la porte, crrrrrrr, et une petite équipe de types pas très aimables fit irruption. Police ! Ils demandèrent à Andrus s’il était bien Andrus, et, avec cette arrogance de jeune coq qui le caractérisait, Andrus leur demanda ce qu’ils voulaient et s’ils avaient un mandat, à quoi ils répondirent que tout était en règle et qu’on l’arrêtait sur ordre d’un juge d’instruction pour détournement de fonds publics et association de malfaiteurs, accusation qu’Andrus réfuta vertement, alors les flics tentèrent de l’immobiliser pour lui passer les menottes, mais Andrus fit l’anguille, il leur échappa et s’empara d’une bouteille vide pour frapper ses agresseurs à la volée, et pif et paf, il frappait à tours de bras, le sang giclait sur les cloisons vitrées, mais les flics étaient trop nombreux, et quand Andrus appela son employé à l’aide, il reçut la réponse qu’il méritait : «Fuck you !».

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              Espérons que la vie d’Andrews est moins agitée que celle d’Andrus. C’est dans une belle compile Northern Soul Weekender qu’on fit la connaissance de Ruby Andrews, magnifique Soul Sister de Chicago. Ruby Andrews ? C’est du rubis sur l’ongle.

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             Son premier album s’appelle Everybody Saw You et date de 1970. Alors accroche-toi car elle ouvre son balda avec un sacré coup de génie : le morceau titre. Elle se situe d’emblée dans un entre-deux du Soul System, ça joue au doux du riff raff, à la patte d’hermine. On tombe une fois de plus sur une tenante de l’aboutissant. Dommage que les cuts suivants soient plus classiques, comme cet «Help Yourself Lover», soutenu aux chœurs et aux orchestrations Motown. Elle reste très classique avec «You Made A Believer Out Of Me», épaulée par des chœurs d’hommes superbes, ils font tuluhhh tuluhhh et Ruby monte au créneau avec une fière allure. Elle attaque sa B avec «Casanova 70», au bang bang I’m gonna shoot you down. Elle maîtrise absolument toutes les situations de la Soul, c’est la raison pour laquelle il faut la suivre à la trace. Elle pratique aussi le groove de r’n’b traîne-savate, comme le montre «Can You Get Away» et pour «Since I Found Out», elle ramène des chœurs de filles superbes. Comme elles sont fidèles au poste, Ruby peut bramer à la lune, ce qu’elle fait merveilleusement bien. Elle termine cet excellent album avec le gros popotin de «Tit For Tat», elle le prend au Stax de Tat, elle y va, la mémère, ça joue au so heavy beat.   

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             Un deuxième album date de 1972, Black Ruby. La pochette en ferait presque un album mythique, car tout le mystère de la Soul y plane. Le seul coup de génie qu’on y trouve s’appelle «You Ole Boo Boo You», un fantastique groove de boo boo you, une énormité rampante, c’est même le r’n’b du momentum roulé dans une farine de wah bien grasse. Elle boucle sa bonne B avec une cover funkoïde d’«Hound Dog», très spéciale, très ravagée de l’intérieur, elle la shoute à la dure, avec une réelle férocité, une vraie panthère noire, elle fait siffler sa glotte, ah, quelle sale petite garce, elle bouffe Big Mama Thornton toute crue. C’est avec «(I Want To Be) Whatever It Takes To Please You» qu’elle annonce la couleur : raw r’n’b avec une sensibilité funk. L’album est enregistré à l’Universal Studio de Memphis. C’est solide et savamment orchestré, sacrément bien foutu, insistant, enflammé par des chœurs de raw babes. Ruby Andrews vise la Soul combative et ambitieuse, une Soul très dévouée et axée sur l’avenir. Elle tape «You Made A Believer Out Of Me» au wild & frantic drive de guitare funk. Elle attaque sa B avec un r’n’b à l’ancienne, «Good ‘N’ Plenty», fantastiquement contrebalancé, soooo good, comme le chuinte Ruby sur l’ongle, all rubies are not red ! Fantastique ! Elle fait aussi de l’élégiaque avec «Just Lovin’ You», sweet baby yeah, elle monte sur tous les coups, elle ramène tout le chien de sa petite chienne. Encore une preuve de l’existence d’un dieu de la Soul avec «My Love Is Comin’ Down». Soul alambiquée de biquette alanguie.   

    Signé : Cazengler, Rebut Andrews 

    Ruby Andrews. Everybody Saw You. Zodiac Records 1970  

    Ruby Andrews. Black Ruby. Zodiac Records 1972 

     

    *

    Il est des nouvelles qui vous cueillent au petit matin et vous laissent un goût amer dans la bouche. Gromain Machin n’est plus. Comment, pourquoi, à l’heure où j’écris ces mots je n’en sais rien. Montreuil Cité Rock et Capitale de l’humour acerbement désabusé ne rit plus.

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    Voici une kronik qui parut dans la livraison 409 du 07 / 03 / 2019 /, sur une œuvre à deux mains, dont une grosse, car plus on est de fous plus on rit.

    FLÂÂÂSH

    BENJO SAN & GROMAIN MACHIN

    ( www.labrulerietatoo.com / 2019 )

             Désolé ce n'est pas un livre sur les bienfaits de l'héroïne. Ni une chronique sur Flash le roman de Charles Duchaussois qui en 1970 fit triper toute une génération de lycéens. Ce Flâââsh-ci participe d'un innocente manie partagée par de nombreux contemporains. Celle du tatouage. Par chez nous elle est restée pendant très longtemps l'apanage des mauvais garçons, se cantonnait le plus souvent à quelques signes symboliques, le quinconce des cinq points d'enfermé entre quatre murs pour les prisonniers par exemple, au milieu des années soixante-dix les groupes proto-rockabilly l'adoptèrent sou forme de dessins colorés tout aussi déclaratifs, la tête de loup ou de renard transpercée d'un poignard et d'un commentaire vindicatif style Vaincu mais pas Soumis... Aujourd'hui cette pratique s'est largement répandue, l'est même devenue une mode bobo. L'on est parfois surpris en dénudant une jeune fille de bonne famille. Que voulez-vous, dans la société du spectacle même le fait de s'encanailler ne dépasse pas le niveau de l'image.

             Ce n'est pas tout à fait un guide style tout ce que vous devez savoir sur le tatouage en dix leçons, plutôt un mix qui allie tatouage et bande dessinée. La rencontre paraît naturelle, c'est pourtant la première fois, à ma connaissance, qu'elle est mise en scène. Par la même occasion le bouquin renvoie à une mode qui envahit voici deux ou trois ans les étalages des distributeurs de journaux. Celle des albums de coloriage. Pour adultes. Le même procédé que pour les gamins, les contours d'un dessin que l'on se doit de colorier. Evidemment on y a trouvé d'autres enjeux que les infâmes barbouillages des têtes blondes, on ne les a pas affublés du nom péjoratif et subalterne de bariolages mais on les a présentés comme des albums anti-stress. Un bon coup publicitaire, qui consistait à appliquer l'esthétique du mandala à une occupation jusque-là dévolue aux mioches. L'on en a vendu quelques centaines de milliers d'exemplaires et puis le public s'est lassé...

             Benjo et Gromain se sont partagés le boulot, ne perdez pas votre temps avec la généreuse idée de l'entraide mutuelle, vous savez dans la vie moins on en fait... je   soupçonne ces deux lascars d'être des adeptes du Droit à la Paresse de Paul Lafargue, se refilent le bébé à la moindre échéance. N'ont peut-être pas tort, car le résultat est désopilant. Ce qu'il y a de terrible avec les tatoueurs lorsque vous vous promenez dans une convention tatoo c'est qu'ils ont tous d'immenses classeurs à vous proposer. Sont remplis de dessins – les fameux flashs – qu'ils se proposent de vous inoculer sous l'épiderme. Au bout d'une centaine, la tête vous tourne, vous ne savez plus où la donner – de toutes les manières personne n'en veut, preuve qu'elle ne vaut pas grand-chose – c'est comme quand Tante Agathe voulait changer la tapisserie du salon, et que vous feuilletiez les lourds registres des spécimens du tapissier, non celui-ci il est trop cela, et celui-là il est trop ceci...

             Le Benjo San est un fin psychologue, l'a compris que le choix d'un tatou c'est comme la rencontre amoureuse, tout se passe dans les premiers instants, sans quoi vous aurez beau ramer pendant dix ans l'affaire ne sera jamais conclue, alors l'a demandé un coup de main à son pote Gromain Machin. Ecoute mec, on partage, cinquante-cinquante, toi tu baratines et moi je refourgue en bout de course les icônes. Alors le Gromain de sa petite menotte il s'est attelé à la seule chose qu'il sait si bien faire dans sa vie : une bande dessinée, vous met le Benjo San en scène dans son atelier de tatoueur - je ne voudrais pas me mêler de ce qui ne me regarde pas mais si j'étais Benjo, j'aurais mis une petite note pour avertir le futur client qu'il ne ressemble en rien à cet Hamster Jovial dénudé et désopilant, sans quoi terminé les clientes futures – et puis au fur et à mesure des désidérata de la clientèle, le Benjo il vous exhibe selon la thématique proposée quelques flâââshiques suggestions idoines. Homme libre toujours tu chériras la mer, ne faut pas contrarier les poëtes, alors sur cette thématique baudelairienne voici les fins voiliers et les portraits de pirate.

             Arrêtez de rêver, le libéralisme triomphant de ces dernières années  nous l'a appris, rien ne vaut la sous-traitance surtout quand c'est le client qui s'en charge, si voulez que la mer soit bleue et la barbe du capitaine rousse, prenez votre boîte à feutres et fiez-vous à votre sensibilité artistique, le Gromain vous file le cercle chromatique en coin de page pour vous rappeler qu'il existe des couleurs froides comme des serpents et d'autres chaudes comme des crêpes à la framboisine.

             Fini l'océan sauvage, l'est rempli de plastique, alors pour oublier, au client suivant l'on se rabat sur les petits oiseaux et les animaux tout mignonitos, j'ai l'impression que le tandem San-Machin bat un peu de l'aile romantique, car chacun dans son style rivalise en mauvais goût, je sais bien que ce dernier ne se discute pas plus que les couleurs, mais voici justement que quelques pages plus loin – je saute les têtes de mort qui pourraient renseigner le lecteur sur sa destinée finale – nous abordons la colorisation de la rose, question épineuse, si vous tartinez les pétales en monochrome, l'on ne voit plus rien, retour illico au circulo chromatoc, dans la vie tout est question de nuance et de doigté.

             Le plus dur est à venir. Deux horreurs monstrueuses. Benjo San et Gromain Machin à colorier. Deux vieillards putrides présentés en nourrisson. Deux images aussi obsédantes qu'une nouvelle de Lovecraft. Deux visions symboliques de la décrépitude de notre société qui ne s'effaceront plus jamais du vitrail de votre conscience. En plus ne manquent pas de toupet puisqu'ils nous suggèrent de les embellir. Après tout chacun est libre de choisir son suicide.

             Mais ce n'est pas tout. Pour une fois voici un livre qui conjugue beauté grimaçante et utilité pécuniaire. Pouvez aussi vous en servir comme album de découpage. Vous détachez, sans la déchirer, faites gaffe nom de Zeus, l'image que vous aimeriez vous faire tatouer une partie de votre corps ( je n'ose imaginer laquelle ) charnue ou rétractile, et vous courez à l'enseigne de La Brûlerie, le bourreau Benjo San fera son office. C'est le moment de nous quitter sur une poignée de Gromain Machin.

    Damie Chad.

     

    *

    New Noise N° 26 est dans les kiosques depuis ce 21 avril, je vais vous parler du Numéro 25. Traîne sur mon bureau depuis le mois de Février, mais j’ai oublié. Je n’aurais pas dû. J’ai failli. Mea culpa. Les esprits caustiques feront remarquer que je n’avais pas chroniqué non plus, ni le 24, ni le 23, ni le 22… Je n’ose plus regarder mon éphéméride, voici plusieurs années que, soyons plus bref, je n’ai livré d’élucubrations noisiques qu’une seule fois depuis l’existence de KR’TNT, soit exactement en quatorze ans, normal on y parlait d’Edgar Poe.

    C’est que New Noise a traversé une mauvaise passe. Et peut-être-même devrais mettre le verbe précédent au présent. Les ventes du numéro 62 avaient été catastrophiques, sans préavis, n’ont vu rien vu venir, la 63 n’a guère été meilleure, et la 64 s’est désagréablement révélé inférieure au 63. Pour le 65, les chiffres ne seront connus que dans une dizaine de jours. Pour le moment New Noise ne tient l’eau que grâce aux abonnés, aux nouveaux abonnés, aux réabonnements de lecteurs qui n’ont pas envie de perdre leur magazine… La clef n’a jamais été aussi près de la porte.

    En mai 2020, le numéro 401 de Jukebox Magazine n’a pas été envoyé à l’imprimerie… Y aurait-il une crise éditoriale, de lecteurs, générationnelle, un manque de ressources financières… L’est vrai que quatre-vingt-dix neufs virgule quatre-vingt-dix-neuf pour cent des artistes présentés par ces deux magazines si différents, d’arrière ou d’avant-garde, n’ont aucune chance de se retrouver dans la play-list de France Inter.

    NEW NOISE N° 65

    (Février-Mars 2023)

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    L’on voit ce que l’on entend. Noise (généralement on ne mentionne pas New, pratiquement caché sur les deux couvertures au choix) l’on imagine un fanzine destroy, des mises en page apocalyptiques, des aberrations typographiques, des pages mal agrafées, une couverture flottante, des éditos au bazooka, des titres lance-flamme, des textes sous-forme de déclaration de guerre, d’ultimatums injurieux, de revendications à bout-portant, le genre de délicieuse lecture qui vous agresse plus qu’elle ne vous informe.

    Cherchez l’erreur. Même chez votre kiosquier, la couverture de Noise en impose autant que la façade de la cathédrale de Reims, un grand format de cent trente pages au dos carré. Sur le coup vous vous demandez si ce n’est pas une revue sur les engins de travaux public sponsoriséé par Caterpillar. Non c’est une revue de rock vous assure le préposé tapi derrière son bureau, l’est tranquille vu le format vous ne risquez pas de la glisser incognito dans votre poche. Vous l’ouvrez, votre étonnement croît. C’est quoi ce bordel ! c’est aussi propre que les jardins à la française de Le Nôtre, parterre au cordeau, et allées ratissées.

    Diable c’est du sérieux, pour les photos affriolantes et les couleurs criardes faudra faire votre deuil. Z’y vont à l’économie parcimonieuse de subsistance. Par contre ils se rattrapent sur les textes. En colonnes serrées de fourmi noires. Pas une lettre qui dépasse. Noir sur blanc. En petits caractères. Pour moins de douze euros vous emportez un Folio de trois cents pages. Une revue musicale certes mais qui cherche à vous faire réfléchir, qui ne se contente pas de recopier les communiqués de presse, ils farfouillent, ils s’interrogent, ils présentent, ils interviewent, comprenez qu’ils ne posent pas des questions-bateaux qui coulent dès qu’on les pose sur l’eau conversationnelle du délayage conventionnel.

    Un objet qui ne se lit pas à l’emporte-pièce, qui se savoure, qui a le goût du revenez-y, qui vous réserve bien des surprises. Par exemple, j’ouvre au hasard, Oiseau-Tempête, je connais une revue de poésie qui se distribuait dans les manifs entre deux charges de CRS voici quelques années, faudra que je retrouve mes numéros, ben non, je fais fausse route, c’est un groupe, d’ailleurs ça s’écrit Oiseaux-Tempête. Premier opus en 2013, ils présentent le dernier : What on earth, ( Que Diable) : Sub Rosa & Nahal Recordings, je suis allé écouter, une musique post-rock je dirai vide de bruit et de fureur mais emplie d’éclats et de luminosités tranchantes, pour un futur à qui, pour reprendre leurs propres mots, on n’a pas laissé la chance d’exister… Bref une découverte.

    Pour ceux qui aiment les musiques davantage étiquetées je file sur l’interview de Tom Angelripper le bassiste de SODOM groupe allemand de Black Metal qui se vantait de jouer plus fort que Venom et plus vite que Metallica… revisite sa discographie sans état d’âme avec lucidité, l’on sent la fierté de ce fils et petit-fils de mineur, qui a su se battre pour imposer sa marque de fabrique prolétarienne dans le monde musical dans lequel il évoluait. 

    Après ce titre, l’impressionnante revue des nouveaux albums. Plouf mon œil est attiré par une zone grise. Une bonne nouvelle. Et une mauvaise. Le premier album de Cosse est paru. Nous parlions de Cosse au printemps dernier dans nos colonnes, pour une raison bien simple, Lola Frichet, la bassiste de Pogo Car Crash Control y jouait aussi de la basse. Grand écart stylistique, faire partie d’un groupe rock destroy et en même temps d’un combo que nous qualifierons, pour faire vite, de progressif. D’après le topo de Clément Dubosco, It turns pale est très bon, nous n’en doutons pas, mais Lola accaparée par l’auréole grandissante de Pogo quitte Cosse. Pas de souci à se faire pour Lola, prise dans le tourbillon féministe suscitée par l’inscription More women on stage au dos de sa basse.

    Sur les deux Pages suivantes, huit albums chroniqués, trois me disent quelque chose, Psychotic Monks, Might, Deadboys, ces derniers mois je les ai écoutés soigneusement pour finalement en chroniquer d’autres, de même pour Eternal Youth, par contre pour La Mort appelle tous les vivants de Barabbas je ne suis pas le seul à l’avoir remarqué.

    Nous terminerons par l’interview, qui d’ailleurs clôt le volume, d’Yvan Robin. Un gars qui a mal tourné. Le destin aux ailes de fer. L’était bien parti. Chanté trois titres d’Elmer Food Beat devant toute la classe en CE1, il ne s’améliore pas au collège, un avenir radieux s’ouvre devant lui, il formera un groupe, Les GENS, de la vague Louise Attaque et Têtes Raides… L’arrête tout à vingt-cinq piges. Les otites qu’il avait eues tout petit le rattrapent. Il ne supporte plus le son un tout petit peu trop fort… Comme ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort, il sera écrivain. N’ai jamais lu un de ses livres. Il en parle bien. Assez rock’n’roll dans l’esprit. Donne envie de les parcourir. Perso je préfère Aristote mais c’est une autre histoire. En plus parmi la musique qu’il écoute : Pogo Car Crash Control.

    En exagérant j’ai causé de quinze pages sur les cent trente de la revue. Ce qu’il vous faut retenir : Noise parle de musique post-rock, post-punk, post-metal, post-cyberg, post-électro, post-noise, pos-post-tout ce que vous voudrez, s’intéressent aux gens qui comme Baudelaire cherchent du nouveau dans la musique, sont aux limites de tout ceux qui s’interrogent et sont en rupture du vieux monde, des vieilles habitudes de penser.

    Qu’une telle revue disparaisse serait une grande perte.

    Damie Chad.

     

    *

    J’ai d’abord cru que le groupe s’appelait East et que The Device était le titre de l’album, avec la pochette représentant un vieil immeuble que j’imaginais squatté dans un quartier chaud de New York, ou de Los Angeles ou de Detroit, c’est en examinant de près la photographie que je me suis dit que le building était promis à la démolition, en agrandissant l’image mon cerveau a fait clic, fausse route nous sommes en Ukraine…

    EAST

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    THE DEVICE

    ( K7 / Bandcamp / Mars 2023 )

    Ces trois titres ont été enregistrés en un jour en Pologne en 2021 en des temps beaucoup plus tranquilles. L’opus est dédié à tous les easteners d’Europe.

    Work : sifflements, concassage, rythme lent, appuyé, vocal traînant et porteur d’une colère sourde, l’impression d’une machine autour de laquelle s’agitent des hommes uniformes, unidimensionnels, une broyeuse d’énergie sans âme et sans regret, vocal interjectionnel de cris harassés, l’on ressent la  lassitude, la fatigue qui abîme et corrompt les corps, en arrière-plan la critique de la mécanisation du travail humain par lequel l’homme devient un individu aliéné dans une société qui n’a besoin que d’une main d’œuvre soumise, la cadence s’accélère et bientôt l’on entend les vociférations des contremaîtres qui s’en prennent à ceux qui ne suivent pas le rythme imposé. La musique cède la place au bruit, toute expression humaine devient inaudible, les dernières clameurs sont anéanties par l’impitoyable ramonage mécanique. Crawl : il ne suffit pas de travailler, il faut encore ramper, le bruit n’est pas exceptionnellement fort, une espèce de tondeuse géante qui arase toute volonté de résistance, l’on modélise les individus, on leur apprend à se taire, à écouter et à exécuter les ordres, l’expression des pleurs, des peurs, des angoisses est interdite, silence dans les rangs, accepter et se soumettre, surtout se taire, le bruit de la tondeuse idéologique faiblit, elle n’a plus rien à recouvrir. Front : le même rythme que sur le premier morceau, mais l’atmosphère a changé, le plomb de la résignation se métamorphose en or d’insoumission et de révolte. Sous la chape, dans chaque esprit naît la possibilité d’une autre existence, d’un autre monde, une guitare chante en sourdine, la batterie tapote cahin-caha, la marche sera longue et dure, mais une chose est sûre, forger les marteaux de la colère qui briseront les chaînes de l’esclavage moderne économique et idéologique exigera du temps et des souffrances. Parfois l’on a envie, de se laisser faire, d’abandonner, mais non, la lutte est la seule solution possible. Travailler, ramper, faire face. Silence. Un chant de lutte s’élève dans le lointain. Easteners de tous les pays, unissez-vous !

    Il s’agit uniquement de la face A de la K7. La face B propose trois autres titres : Unsleeping-Unsleeping / Aproc-BCD / Raqal – The beauty of a bad trip. + deux poèmes sur papier, un en ukrainien, un en polonais. Si vous voulez les écouter, il faut commander la cassette ( 10 € ). La somme récoltée sera envoyée en Ukraine. Une autre collecte est organisée afin d’acheter des drones Punisher réutilisables pour la 60ième Brigade Mécanisée.

    Il s’agit donc d’un disque engagé. Ceci peut déplaire. Ceci peut plaire. Cela soulève bien des réflexions politiques et métapolitiques mais aussi sur l’essence de l’art. The Device que l’on pourrait traduire par l’Appareillage ou Le Dispositif se présente en une courte définition : The Cult of an ancient hydrophonic artefact. Veulent-ils signifier que leur action musicale répercute l’air ambient des époques qui la suscitent…

    Damie Chad.

     

    *

    Viennent de Sao Paulo, du Brésil comme personne ne l’ignore. Le groupe Chant of the Goddess existe depuis 2014 et Martial Laws of discordia est leur deuxième opus. Il est formé de :

    Renan Angelo : guitars, vocals / Vinicius Biz : bass / Guilherme Cillo : drums.

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    Avant de l’écouter. Demandons-nous de quelle déesse se revendique le groupe. La première idée qui nous vient à l’esprit est celle de la déesse primordiale, celle dont les hommes préhistoriens nous ont laissé de nombreuses représentations sous forme de figurines à grosses fesses et gros seins. Robert Graves (1895 – 1995) s’est essayé dans ses Mythes Grecs et La Déesse blanche de retrouver la trace de cette déesse originelle dans les mythologies occidentales, la manière dont elle fut supplantée par les Dieux de la deuxième génération dont la naissance correspond à des invasions d tribus guerrières et ses résurgences plus ou moins voilées dans les figures de nouvelles déesses, épouses, filles, mères, sœurs des Dieux.

    L’iconographie de leur premier opus nous montre bien une jeune et belle femme accoudée sur un cippe devant un chant de ruines antiques. Toutefois la longue chevelure et le style du dessin évoqueraient plutôt l’esthétique préraphaéliste ou symboliste.  Quant à celle de l’œuvre qui nous préoccupe elle nous semble entachée d’un style que nous qualifierons de néo-médiéval très prisé durant le dix-neuvième siècle. Elle représente juste le buste d’une jeune femme qui dirige contre sa poitrine la longue lame de laquelle s’échappe une goutte de sang.

    MARTIAL LAWS OF DISCORDIA

    CHANT OF THE GODDESS

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    ( Bandcamp / Avril 2023 )

    Cold as loneliness : premier choc aux premières notes, le mot discordia induit une idée de violence, le rythme est trop lent, pas assez échevelé, sans ruptures, sans entrechocs pour donner l’impression d’une fureur guerroyante, certes les passages chantés creusent comme des ornières dans le lourd chemin processionnaire du fond musical, cette impression est confortée par les échos choeurifiés des voix, les guitares se brisent et s’éteignent, la batterie et la basse avancent à pas mesurés, ne résonnent plus bientôt que des frissons de basse qui se meurent. Qui se plaint tout le long du morceau, quelle est cette reine découronnée, si découragée que l’on n’ose point utiliser le terme de déesse, à qui s’adresse-t-elle, sa solitude glacée ne ressemble-t-elle pas à la mort, que lui reprochent ses fidèles, comment pourraient-ils se mettre à sa place. Beaucoup d’amertume et de justification à mots couverts. Quel est le sens du mot péché… In the name of… : le titre est incomplet, le voici restauré en sa plénitude : In the name of hatred, distress, delusion and discord : la même musique mais plus appuyée, plus intense avec ces haines de guitares, cette batterie en détresse qui bat un autre rythme et cette voix qui hurle comme un loup au fond des bois, miaulements de fureurs et de détresse, une vague sonore déferle sur nous, la voix désigne et accuse, l’on a beau vivre dans le mensonge de l’illusion, la réalité vous rattrape toujours à l’instar de cette ligne mélodique qui s’enflamme sur la crête des montagnes dont les versants se séparent et se différencient, la discorde gîte entre les âmes, l’esprit, les croyances, tout le reste n’est que brouillard de mots. La chaîne musicale se casse, elle avance de rupture en rupture, les guitares crient l’irréalité de toute pensée morale. About the brevity of life : le morceau le plus bref, instrumental, quels mots pourraient illustrer cette évidence de la brièveté de la vie, juste des résonnances cordiques, chacun tirera de cette indiscutabilité phénoménale le sens qu’il lui donnera. Les mots modèlent l’argile de la réalité mais ne changent en rien sa nature. Enjoy this sin : son écrasant, la voix se métamorphose en roulement d’orage, doit-on comprendre que le tonnerre dit son fait à la terre en la frappant de la foudre. Il est temps de dire ce que l’on est, de revendiquer ses actes, que certains nommeront péché, la déesse a perdu sa virginité et les fidèles ont été précipités dans le veuvage de leur royaume idéel et illusoire. Maintenant tout est dit, plus besoin de faire la grosse voix, ces tintements de cymbales permettent à chacun de reprendre ses esprits, de se conforter dans sa propre vision, qu’elle soit vraie ou fausse. La musique vous ploie la tête, le poids de vos idées vous courbent le corps bien plus que vos actes. Flamboiements de guitares. Apothéose. ( Ce titre a été publié en avant-première sur Bandcamp en décembre 2022 agrémenté d’une couve informe dans laquelle il nous a paru judicieux d’apercevoir un fœtus nageant dans le liquide amniotique ). Dam : pourquoi cette adaptation de System of a down, les quatre premiers titres se suffisent à eux-mêmes, il est vrai que ce morceau indique bien la filiation sonore du groupe et ne jure en rien avec la tonalité de ce qui précède une reprise pratiquement à l’identique, hommagiale. Nommer ses propres maîtres dont généalogiquement l’on procède est la plus grande des qualités humaines.

             Cette chronique n’est qu’une proposition de lecture. Cet opus est assez riche pour en offrie d’autres.

    Damie Chad.

     

     ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    Services secrets du rock 'n' roll

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    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 25 ( Canif  ) :

    135

    Le Chef alluma un Coronado :

    • Je résume : première vague d’assaut, Agent Chad, Molossa et Molossito, deuxième vague d’assaut Carlos et Alice, elle n’intervient que si l’Agent Chad envoie Molossa pour les avertir, troisième vague d’assaut, moi-même en personne, je n’interviens que si Molossito vient me chercher. Avez-vous tous compris ?

    Tous nous hochâmes la tête, Molossa et Molossito firent entendre un ouah ! vindicatif, nous pourrons compter sur eux.

    • Attention, je le répète, l’attaque commencera demain matin à quatre heures. Les préparatifs d’endormissement de l’ennemi dureront toute la journée. Evidemment, dès la première seconde nous serons repérés. Je dis mieux : ils nous attendent. Ne vous faites pas d’illusion, nous reprenons la vieille tactique d’Alexandre sur les rives de l’Hydaspe, parader au vu et au su de tous devant l’ennemi, pour nous ruer au dernier moment sur l’objectif, à trois heures cinquante-huit, nous devons tous être à nos postes prêts à intervenir. Départ de la maison à 11 heures pile.

    136

    Le début de la mission se révéla très agréable pour Carlos et Alice. Ils jouèrent à la perfection le couple d’amoureux. Commencèrent en début d’après-midi par louer une chambre à la seule auberge restaurant du village, descendirent vers seize heures demander si possible un petit encas roboratif pour chasser la faim qui les tenaillait et la lassitude de leurs muscles, faveur qui leur fut immédiatement accordée lorsque Carlos appuya sa demande exceptionnelle de trois billets de cinq cents euros négligemment posés sur le comptoir. En quelques secondes la maison leur fut acquise. Vers dix-sept heures ils s’accordèrent une petite promenade digestive, remontèrent dans leur chambre, redescendirent à vingt heures pour une dernière collation suivie d’un repos mérité. A trois heures du matin, selon leur désir un petit déjeuner leur fut porté au lit, à trois heures et demie, ils quittèrent l’auberge sous les embrassades du patron et du personnel ébahis par la prodigalité de ses clients qui distribuaient à tout bout de champ des billets de cinq cent euros comme la neige éparpille ses flocons… A trois heures cinquante-huit précises nos valeureux combattants étaient à leur poste.

    137

    La journée du maire fut davantage pénible. A quatorze heures  un individu au visage peu avenant s’introduisit dans son bureau. Il n’eut même pas le temps d’ouvrir la bouche qu’une carte d’Inspecteur Administratif du Ministère des Finances lui fut présentée sans aménité. Il pâlit comme un linge, mais déjà le gars peu commode le prévint qu’il venait vérifier la comptabilité de la commune des cinq années précédentes et de se dépêcher au plus vite de lui amener les registres afférents et un cendrier. Lorsqu’il revint le gars avait pris sa place, l’épaisse fumée d’un cigare lui provoqua un début de nausée, son interlocuteur se montra insatiable, il éplucha page par page tous les dossiers un par un, vérifiant sur sa calculette la moindre addition, l’interrogeant d’un air soupçonneux sur le plus petit détail :

               _ Sur cette adduction d’eau les boulons de quarante n’auraient-ils pas pu être remplacés par du 38 comme dans toutes les communes du voisinage ? Je ne sais pas comment ils vont admettre ce genre de facétie là-haut, notre élite de technocrates je préfère vous prévenir ne sont pas des rigolos, veillent au centime près sur les finances de l’Etat.

    A trois heures et quart du matin, le gars referma le dernier dossier, alluma un énième Coronado et au moment où il refermait la porte :

    • Vous avez de la chance, il se fait tard, je n’ai pas le temps de rédiger un rapport, faites attention, les boulons de 40, j’aurais pu vous intenter un procès pour prévarication, ne recommencez pas.

    A trois heures cinquante-huit tapantes le Chef était à son poste.

    138

    J’avais tourné toute la journée à la lisière de la commune, à travers champs muni d’un filet à papillons et de mes deux chiens.  Dès que j’apercevais un agriculteur sur son tracteur je lui faisais signe d’arrêter, je m’excusais de l’interrompre en plein travail et lui demandai s’il n’aurait pas aperçu par hasard des concentrations exceptionnelles de Corylidae, papillon inoffensif mais sur lequel l’augmentation de l’empreinte carbone et le changement climatique provoquaient de multiples mutations notamment sur sa chenille qui jusque-là inoffensive se transformait en une espèce de fourmi ravageuse qui se nourrissait indistinctement de graines, de feuilles, de fruits, de tubercules, elle risquait de provoquer d’ici une dizaine d’années la ruine des exploitations agricoles et une famine endémique sur toute l’Europe. Le pauvre paysan affolé remontait sur son engin en me promettant de téléphoner immédiatement au Ministère de l’Agriculture et au Muséum d’Histoire Naturelle de Paris dès qu’il apercevrait des proliférations inquiétantes de papillons, quelles que soient leur espèce, leur couleur, leur forme, leur grandeur…

    A quatre heures du matin je poussai la grille du cimetière. Etait-ce un hasard si elle était entrouverte… Molossa se porta sur ma gauche et Molossito sur ma droite, en quelques secondes je ne les vis plus, mais je savais qu’ils étaient là et leur présence me rassurait.

    139

    Dans la lumière blême du petit matin il régnait un silence de mort. Je frissonnais. Je passais sans m’attarder sur le demi-cercle des tombes des jeunes profanateurs que nous avions au début de notre aventure froidement envoyés rejoindre leurs ancêtres pour les empêcher de commettre leur vil forfait. Je m’arrêtais devant la tombe d’Alice, elle était dépouillée de toute ornementation. J’aurais pu, j’aurais dû, couper cette après-midi un bouquet de fleurs de champs, je ne l’avais pas fait, j’étais sûr qu’Alice aurait aimé cette offrande. Pourquoi avais-je oublié, n’étais-je pas indigne de l’amour qu’elle m’avait portée… Le museau de Molossa vint se poser contre ma jambe, je compris qu’elle ne m’avertissait pas d’un danger mais qu’elle tenait à me témoigner de son chagrin. Quelque part j’entendis un chouinement, Molossito à sa façon me faisait part de sa tristesse. Braves bêtes, Alice les adorait. Je m’abîmais dans mes pensées…

    • Agent Chad !
    • Damie !
    • Damie !

    Les trois interjections me réveillèrent. Je sursautai, le cimetière était envahi de silhouettes menaçantes, déjà les Rafalos du Chef et de Carlos entraient en action, Alice se précipitait vers moi, elle me tira violemment derrière une croix, Molossa et Molossito grognant de toutes dents me protégeaient d’un groupe d’ombres qui se dirigeaient vers moi :

    • Tire Damie, remets-toi, sors ton Rafalos !

    Je ne repris totalement conscience que lorsque je sentis la crosse de mon arme dans la main, je réalisai le spectacle hideux qui m’entourait, tous les morts du cimetière étaient sortis de leurs tombes, les vieux, les jeunes, les femmes, les enfants, devaient être au moins près de quatre cents autour de nous. De certains anciens tombeaux il s’en échappait encore, heureusement leurs gestes étaient encore maladroits, leurs mouvements plutôt lents les empêchaient de se ruer sur nous. Une épouvantable odeur de putréfaction avancée envahissait nos narines. Molossa et Molossito avaient disparu.

    Le Chef et Carlos nous avaient rejoint. Nous formâmes un triangle. Alice assise à même le sol derrière nous rechargeait les Rafalos que nous lui jetions dès que nos chargeurs étaient vides. La bataille se termina à l’aube. Le cimetière était jonché de morts-vivants que nous avions occis sans rémission une deuxième fois… Je courais comme un fou parmi les cadavres en putréfaction, les saisissant à pleines mains, retournant leurs corps pour vérifier si l’un d’entre eux n’était pas Alice. Mes camarades me laissaient faire. Plus tard ils me dirent que le rictus de la démence balafrait mon visage. Je criais Alice ! Alice ! Pris d’une rage insensée je butais à coup de pied les têtes des cadavres les envoyant rouler dans tous les sens. Ma rage inassouvie me poussa à démembrer les macchabées un par un éparpillant bras et jambes aux alentours. Je ne m’arrêtais que lorsque je fus certain qu’Alice ne se trouvait pas dans ses débris mortuaires.

    Un grand silence succéda à mes cris. Nous eûmes tous pendant quelques secondes l’impression que le monde flottait dans nos yeux. Maintenant tout était calme. Les cadavres avaient disparu. L’on aurait dit qu’il ne s’était rien passé. Le Chef alluma un Coronado :

    • Je pense que nous pouvons rentrer.

    Nous passions la grille du cimetière. Des aboiements rageurs retentirent. Molossa et Molossito ! Je compris que pendant que nous exterminions la légion des morts, les braves chiens avaient monté la garde auprès de la tombe d’Alice. Refusaient-ils de la quitter on nous avertissaient-ils d’un nouveau danger.

    A suivre…

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 598: KR'TNT 598 : CHIPS MOMAN / MIDLAKE / TODD RUNDGREN / JALEN NGONDA / QUESTION MARK & THE MYSTERIANS / LES FINGERS / ARGWAAN / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    , les fingers, argwaan, rockambolesques

    LIVRAISON 598

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    27 / 04 / 2023

     

    CHIPS MOMAN / MIDLAKE

    TODD RUNDGREN / JALEN NGONDA

    QUESTION MARK & THE MYSTERIANS

    LES FINGERS / ARGWAAN

     ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 598

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    ATTENTION !

    CETTE LIVRAISON 598 SORT AVEC TROIS JOURS D’AVANCE, PARCE QUE NOUS SOMMES DES PHILANTHROCKPES !

    TOUTEFOIS QUE LES ESPRITS DISTRAITS

    N’OUBLIENT PAS LA LIVRAISON 597 !

     

     

    Le Moman clé - Part Three

     

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             Quasiment tout le détail des sessions d’enregistrement menées par Chips Moman dans son studio American se trouve dans l’immensément brillant Memphis Boys de Roben Jones. En fin d’ouvrage, elle fait quelques recommandations discographiques. C’est un peu comme celles de Robert Gordon, ça peut vite devenir une véritable caverne d’Ali Baba, car Roben et Robert citent des albums pas très connus en Europe et qu’on n’aurait pas forcément l’idée d’écouter, et qui finalement se révèlent être pour la plupart de sacrées bonnes pioches. 

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             On tombe par exemple sur l’album solo de Mark James, l’un des songwriters maison d’American. Belle pochette classique dans les tons sépia. Bon, tout est bien foutu sur l’album, mais rien ne va percer le plafond de verre. Bel artiste néanmoins. Il vise cette Americana qui n’est pas aussi cosmique qu’on voudrait le croire. Mark James enregistre cet album à New York avec une belle brochette d’inconnus. Il tape son «Keep The Faith» au groove de feeling pur pour en faire un message d’espoir vibrant - Faith is the key, yeah, it holds the destiny - Il prône ça avec un certain talent latent. Avec «Blue Water», c’est un peu comme s’il visait la beauté juste - Girl take my hand and tell me that you understand/ Cause we don’t need to stand in blue water - Voilà ce qui s’appelle s’imposer. La pop-rock de «Roller Coaster» passe comme une lettre à la poste et en B, il s’en va groover «Flyin’ Into Memphis» à la Tony Joe White, mais avec une voix plus pincée.

             Avant d’entrer dans le détail des albums produits par Chips, il est conseillé d’écouter trois compiles Ace qui offrent un panorama assez complet de ce qu’il faut bien appeler une œuvre. Deux sont consacrées au house-band d’American, les Memphis Boys (Memphis Boys. The Story Of American Studio parue en 2012 et The Soul Of The Memphis Boys parue en 2020). La troisième vient tout juste de paraître : Back To The Basics. The Chips Moman Songbook.

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             On a déjà épluché la première (Memphis Boys. The Story Of American Studio) lors de l’hommage rendu à Reggie Young. On en disait bien sûr le plus grand bien, allant même jusqu’à la traiter de compile du diable. «Memphis Soul Stew» ! King Curtis commence par réclamer a little bit of beiss, a big fat drum and some Memphis guitar. Arrivent ensuite l’organ and the horns. Now a big wail ! : King Curtis fait son Junior Walker ! Suivi par Dusty chérie avec «Son Of A Preacher Man». Tommy Cogbill y vole le show avec son bassmatic. Plus loin, James & Bobby Purify font leur Wicked Pickett dans «Shake A Tail Feather», avec un Tommy Cogbill qui re-vole le show. Au rayon coups de génie, on retrouve  l’immense «I’m In Love» de Wicked Pickett, la démo du «Suspicious Minds» de Mark James, le «Skinny Legs And All» de Joe Tex et le «More Than I Can Stand» de Bobby Womack, fils adoptif d’American. Chips envoie les violons dans la Soul. En queue de compile, on trouve les Soul Brothers que Chips produisait pour Goldwax et notamment l’excellent Spencer Wiggins avec «Power Of A Woman». C’est à Elvis que revient l’honneur de conclure avec «I’m Movin’ On». Dommage qu’il n’ait pas continué à bosser avec Chips. Ils étaient faits l’un pour l’autre. On trouve aussi l’excellent «Born A Woman» de Sandy Posey, Joe Simon, Merrilee Rush et B.J. Thomas, le fringant «Funky Street» d’Arthur Conley, Solomon Burke et les Soul Brothers plus obscurs comme L.C. Cooke ou Clay Hammond. Outch, n’en jetez plus, comme on disait au temps des barricades.

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             Le problème c’est qu’Ace en jette encore avec The Soul Of The Memphis Boys. Rebelotte avec James & Bobby Purify et «Don’t Want To Have To Wait» et cette incroyable qualité du son et cette extrême purée de cuivres, ah ça ira ça ira ça ira, les aristocrates à la lanterne et l’autre, là, l’Oscar Toney JR ! Tu crois qu’il va calmer le jeu avec son «Ain’t That True Love» ? Macache ! C’est encore du typical Memphis beat, l’Oscar est un bon. Ça monte encore d’un cran avec Bobby Womack et «Broadway Walk», il taille sa route à la Wilson Pickett. On croise aussi Jerry Lee et James Carr, puis l’inexpugnable «Cry Like A Baby» des Box Tops. Encore un bassmatic historique ! D’autres blacks de rêve arrivent à la queue-leu-leu, Arthur Conley, Solomon Burke, Joe Tex, Ben E. King, tous ces géants de la Soul viennent enregistrer chez Chips, et puis voilà le «Comin’ To Bring You Some Soul» de Sam Baker, une bombe, suivi d’une autre bombe humaine, Roscoe Robinson avec «How Many Times», un vrai shouter de must I knock d’oh yeah. Et puis voilà la révélation : Ella Washington avec «He Called Me Baby». Fantastique artiste, aussi énorme qu’Aretha. Forcément, Dusty chérie casse bien la baraque avec «So Much Love». On se prosterne jusqu’à terre devant une telle chanteuse. Elle sait grimper plus haut que toutes les autres. Roy Hamilton chante d’une voix de rêve, Elvis aussi, il claque sa chique de «Kentucky Train», les Blossoms explosent «Don’t Take Your Love» et Arthur Alexander referme la marche avec «Rainbow Road», le vieux coucou de Dan Penn - Then one day my chance came along - C’est du mythe pur, Arthur cogne ça dur, avec toute sa dignité de fils d’esclave.

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             Troisième compile hommage à l’American studio avec Back To The Basics - The Chips Moman Songbook. Elle paraît au moment où James L. Dickerson publie sa monographie, Chips Moman. Comme c’est un songbook, Ace met l’accent sur les compos de Chips et non sur ses productions. Les deux grandes surprise de cette compile sont les reprises de «Dark End Of The Street» par les Flying Burrito Brothers et de «Last Night» par Georgie Fame. En ce qui concerne Georgie, pas de surprise, c’est le meilleur shuffle d’Angleterre. Quant à la reprise des Burritos, elle est assez mythique, Gram Parsons chante avec les guitares country dans le creux des reins. Ces mecs ont du son. Comme on va le voir au fil des 24 cuts, la country est une dominante chez Chips. Waylon Jennings qui ouvre le bal avec «Luckenbach Texas (Back To The Basics Of Love)». On tombe plus loin sur la country superstar Kenny Rogers qui fait de «Lying Again» une soupe suprême, puis BJ Thomas avec «Another Somebody Done Somebody Wrong Song», Tammy Wynette («He’s Rolling Over And Over») et ça se termine avec le vieux crabe Willie Nelson («Old Fords And A Natural Stone»). L’autre péché mignon de Chips est bien sûr la Soul. Barbara Stephens ramène du raw r’n’b avec «If She Should Ever Break Your Heart», William Bell ramène son fantastique power («Somebody Mentioned Your Name»), l’immense Barbara Lynn tape dans «You’re Gonna See A Lot More (Of My Leaving)», ah il faut la voir claquer son sweetheart ! Cher fait une version superbe de «Do Right Woman Do Right Man» (ce sont les mecs qui ont accompagné Aretha qui l’accompagnent), Carla Thomas ramène sa romantica («Promises») et Helen Henry ramène aussi sa fraise avec «Every Little Bits Helps» qui date de 62, quand Chips est encore chez Stax. On trouve aussi des choses étonnantes comme cette version de «For You» par Gizelle qui est sur Wild, le fringuant label rockab basé en Californie. Incroyable que les gens d’Ace soient allés taper chez Wild. Il n’empêche qu’on a vu Gizelle au Béthune Retro et ce n’était pas si bon. Merrilee Rush est là aussi avec «Sandcastle». Grâce à Tony Rounce, on apprend que c’est Mark Lindsay qui la recommanda à Chips.

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             L’un des albums dont les Memphis Boys se disent vraiment fiers est le Stoned Age Man de Joseph, sorti sur Scepter Records en 1970. Chips a des connections avec Florence Greenberg, la boss de Scepter qui lui envoie aussi Dionne Warwick et B.J. Thomas. Joseph s’appelle en réalité Joseph Longeria, mais Scepter trouve que Joseph est plus vendeur. Joseph Longeria chante comme cro-magnon, il a cette capacité de faire peur à Tounga et même à Zembla le Rock qui en a pourtant vu des vertes et des pas mûres. «Trick Bag» sonne comme un joli slab de rock seventies, ce qui semble logique, vu la date de parution de l’album. On est en plein dedans. Le problème est qu’on passe facilement à travers les cuts de cet album pourtant considéré comme culte. C’est vrai que le culte a bon dos, surtout quand il l’a dans le cul. On accordera cependant un coup de satisfecit au morceau titre qui boucle l’A, car notre cro-magnon chante son rock des cavernes avec l’énergie du désespoir, mais pas n’importe quel désespoir, le désespoir Williams. Ou si vous préférez, référons-nous aux morceaux en forme de poire d’Erik Satie. C’est adroitement ouvragé. On comprend que ça puisse allumer des convoitises. Chips a dû bien s’amuser à produire ce beau brin de guttural - Like a wild child, yeahhhh - En B, on tombe inopinément sur une belle cover nerveuse de «The House Of The Rising Sun». On sent les barbus de la bande à Joseph invaincus et peu enclins à courber l’échine. «Gotta Get Away» est un cut de Greg Allman monté sur le riff de «Gimme Some Lovin’», un riff qui, comme chacun sait, est têtu comme une bourrique. Globalement, on a là un album solide, bien enraciné dans le heavy rock des seventies. On peut dire que Chips a le chic pour choper le chop.

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             Roben Jones nous rappelle que Chips avait embauché Wayne Carson et Mark James comme compositeurs maison. En 1972, Wayne Carson enregistre l’excellent Life Lines, l’un de ces albums du grand songbook américain qu’on ne peut que recommander, pas seulement parce qu’on y retrouve «The Letter», ce vieux hit qu’il a composé pour les Box Tops, mais pour d’autres chansons beaucoup plus spectaculaires, à commencer par «Laurel Canyon». Il parvient à s’élever dans le chant à la force du feeling - I’m so alone - Du coup, on dresse l’oreille. Avec «All Night Feeling», il joue un coup de boogie sous le boisseau et n’en finit plus de se montrer crédible. On a là une belle pièce de Southern rock cuivrée de frais. Ce mec sait composer, pas de doute, «Tulsa» vient encore renforcer ce sentiment. Les chansons de Wayne Carson accrochent autant que celles de Jimmy Webb, avec le même sens aigu d’une belle Americana. En B, il reprend le «Neon Rainbow» qu’il a aussi composé pour les Box Tops. C’est assez pop, pas loin du Raindrops de Burt, doté de beaux développements mélodiques, très violonné. Dès que Wayne Carson s’élève dans les octaves, ça devient beau. Notons que Fred Forster, boss de Monument, produit l’album. Avec «Just As Gone», Wayne Carson se montre l’égal de Mickey Newbury. Il revient au Southern groove avec l’excellent « A Table For Two For One». Il fait sa Bobbie Gentry, avec une voix de mâle. C’est dingue comme ses compos accrochent bien. Ce mec aurait très bien pu devenir une star, à l’instar de Jimmy Webb et de Mickey Newbury.

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             C’est avec le Keep On Dancing des Gentrys paru sur MGM Records en 1965 que Chips a pu financer le lancement d’American. C’est donc un album historique, très typique d’une époque où tous les kids d’Amérique entendent les Beach Boys à la radio. Et donc ça déteint. On retrouve dans le morceau titre d’ouverture de balda la même petite ferveur bronzée. Ils proposent aussi de la petite pop inoffensive, mais quand ils tapent dans «Hang On Sloopy», c’est avec le Memphis beat d’American. On a là une version groovy chantée à l’insistance caractérielle. Le «Brown Paper Sack» du bout d’A est plus jerky. On est à Memphis et ça s’entend - You better run away girl ! - En B, on tombe sur un joli clin d’œil à Bo avec «Hand Jive», chanté avec le plus bel accent de Memphis.

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             Sur Gentry Time, le deuxième album des Gentrys, on trouve du pur Memphis Sound : «Giving Love». Jimmy Hart chante son Why don’t you share it with me à la belle exacerbée. Et il ajoute, sûr de lui : «Why don’t you try to relax and come and go with me !» Chips donne au «I’m Gonna Look Straight Through You» un vrai caractère garage. On est dans le heavy beat et c’est chanté bien raunchy. Mais l’A se gâte très vite. Difficile de faire un album solide en 1966, pour ça il faut s’appeler les Beatles. Les Gentrys pataugent dans la petite pop inepte et finissent l’A avec la pop bien rebondie d’«A Little Bit Of Love». L’autre cut intéressant se trouve en B et s’appelle «Sunshine Girl». On y sent toute la joie et la bonne humeur de ces kids de Memphis qui déambulent on the sunny side of the road, comme aimait à le dire Gildas. Ils terminent avec un shoot de petite pop infectieuse à la Zombies intitulé «I Didn’t Think You Had It». C’est un joli coup, doté d’une vraie musicalité et d’une assise consistante.

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             Le troisième album des Gentrys sobrement intitulé The Gentrys paraît sur Sun en 1970. C’est donc produit par Knox pour le compte du nouveau boss Shelby Singleton. On a là un album extrêmement solide, une sorte de gosse pop de Memphis dynamisée par un bassmatic énergétique. C’est enregistré au Sam Phillips Recording Studio (le tout neuf), on est donc en plein cœur de la mythologie. Les Gentrys se montrent à la hauteur avec notamment une reprise du «Stroll On» des Yardbirds. Ils sont sur le heartbeat, et Jimmy Tarbutton solote comme un poisson dans l’eau. Encore pire : «I Need You», où Jimmy Hart crie qu’il est un lover et pas un fighter. En B, ils amènent un fabuleux «Southbound Train». Ils jouent à la big energy, c’est bien nappé d’orgue et pulsé au bassmatic sévère de Steve Speer. On ne peut que se prosterner devant Knox, car il nous sort là un sacré son. Tout l’album tient en haleine. On est à Memphis et ça se sent, la pop se veut plus coriace, elle rocke le beat. Ils finissent leur «Help Me» avec un final qui sonne comme celui de «Sympathy For The Devil», pas moins. «Can’t You See When Somebody Loves You» vaut pour une belle pop d’élan martial, cuivrée à gogo.

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    Il se passe toujours quelque chose à Memphis. Belle reprise aussi de «Cinnamon Girl». Ces mecs ont tout pigé. Ils savent travailler la couenne de la psychedelia avec tact, mais en gardant tout le punch du Memphis beat. Ils font aussi une excellente cover du «Rollin’ And Tumblin’» de Muddy et passent avec «He’ll Never Love You» à la pop de grande envergure. Jimmy Hart monte se mêler aux harmonies vocales supérieures, alors que ça cuivre hardiment dans les parages. Quel festin de son ! 

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             Chips vénérait James & Bobby Purify. Ça s’entend sur The Pure Sound Of The Purifys paru sur Bell Records en 1967. Dès «I Take What I Want», on sent la sauvagerie. Ça swingue dans l’âme du Memphis beat, baby. Big bad fun ! L’autre gros hit de l’album s’appelle «Let Love Come Between Us», embarqué au fantastique entrain purifié. On a là une grosse emblématique de very big pop Purify. On B, on se prosterne devant «Sooth Me», délicat et délié, beautiful cut de Soul aux pieds ailés. Nos admirables Purifycateurs tapent aussi avec «You Don’t Love Me» un fantastique shoot de Soul bien troussée au classic brunch. On se croirait parfois sur un album de Sam Cooke, tellement les étoffes sont fines. «I Don’t Want To Have To Wait» vaut pour un joli shoot de Deep Southern Soul superbe et éperdu. Ils proposent aussi une reprise de «Shake A Tail Feather» bien remontée, solide et sharpy, pas très loin de ce que font Sam & Dave, avec de belles montées en température - Ahhhhh, push me/ Shake it shake it - Ils sont dans le high energy, le very high high high d’ouille ouille ouille.

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             Paru la même année, James & Bobby Purify est enregistré par contre à Muscle Shoals avec l’équipe habituelle, David Hood/Roger Hawkins/Jimmy Johnson. James & Bobby démarrent avec un «Wish You Didn’t Have To Go» signé Dan Penn/Spooner Oldham, mais ils se vautrent en voulant reprendre «Knock On Wood». On ne touche pas à Eddie Floyd. Ils reviennent en B à la magie de Dan Penn avec «I’m Your Puppet», mais le son est trop Muscly Shoals. Ils en feront une version nettement supérieure dix ans plus tard sur leur dernier album. Ils restent chez Dan Penn avec «You Let The Water Running» qui sonne comme un hit des sixties avec son sock it to me. Ils rendent un bel hommage à Sam Cooke avec «A Change Is Gonna Come» et bouclent leur petit bouclard avec «You Can’t Keep A Good Man Down», une merveille qui sonne comme du Dan Penn, mais non, c’est du Papa Don, producteur/protecteur/manager des frères Purify, le fameux Papa Don Schroeder qui se vantait d’avoir Ellie Greenwich dans les chœurs et qui justement ramena les frères Purify chez Chips.

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             Si on en pince pour les Purify, il faut écouter leur dernier album paru en 1977, Purify Bros, sachant que Ben Moore a remplacé Bobby Purify qui avait des problèmes de santé. Ils enregistrent l’album à Nashville, mais leurs vieux amis Reggie Young et Tommy Cogbill les accompagnent. Ils tapent dans la Philly Soul de Gamble & Huff avec «Hope That We Can Be Together Soon» et Ben Moore chante au falsetto miraculeux. Ils tentent d’allumer plus loin le «Get Close» de Seals & Croft, mais ce n’est pas aussi réussi. Par contre, ils ouvrent leur bal de B avec «I’m Your Puppet» et là ils s’en vont briller au firmament, grâce à une jolie progression harmonique. Ils flirtent avec le génie dans «Morning Glory», c’est violonné à gogo et d’une puissance terrible. On note encore l’excellence de leur prestance dans «Turning Back The Pages». Ces mecs n’en finissent plus de redorer le blason de la Southern Soul. Tout est admirablement balancé, sur cette B, précieux faux frères, ils chantent leur «What’s Better Than Love» avec un rare entrain, un prodigieux élan. Ils terminent avec une version de «When A Man Loves A Woman», beaucoup moins perçante que celle de Percy Sledge, ce qui semble logique : personne n’est plus perçant que Percy.

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             En 1972, Dionne Warwick débarque chez Chips pour enregistrer Soulful. Chips lui a préparé un petit lot de covers triées sur le volet, à commencer par «You’ve Lost That Lovin’ Feelin’». Pas de problème, Dionne la lionne peut gérer ça, elle peut même le grimper très haut. Elle gère bien son groove de lionne, lovely like you used to dooo. Comme on est chez Chips, elle tape deux Dan Penn, «I’m Your Puppet» (typical Memphis) et «Do Right Woman Do Right Man» dont elle fait la plus Soulful des versions. Elle l’explose comme Aretha l’a explosée avant elle. Elle tape aussi dans le «People Got To Be Free» des Rascals. Chips l’orchestre à outrance et il rend encore plus vainqueuse une lionne déjà vainqueuse. Elle termine son balda avec un clin d’œil aux Beatles et un «We Can’t Work It Out» qu’elle transforme en Soul power. Le bassmatic de Tommy Cogbill rentre dans le lard de la Beatlemania. Ce bassmatic est une œuvre d’art. Ils récidivent en B avec un «Hard Day’s Night» moins réussi et bouclent la B avec un «Hey Jude» que Dionne la lionne chante au feeling de lionne, avec un tremblé de glotte subliminal. Chips fout le paquet, il orchestre à gogo et la marée des violons monte, so let it out and let it in, elle file vite là-haut sur la montagne claquer son nah nah nah, mais elle contourne l’obstacle car elle ne peut pas screamer comme McCartney.

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             On retrouve l’ensemble des cuts enregistrés à Memphis avec Chips sur le double album From Within qui date aussi de 1972. Le Lovin’ Feelin’ et le We Can Work It Out sont en C, mais il y a d’autres cuts qui ne figurent pas sur Soulful, comme cette reprise de «The Weight», fausse Soul blanche, ou encore «Someday We’ll Be Together». En D trône «If You Let Me Love You». Cette Soul Sister de rêve tient sa Soul par la barbichette, et Chips revient à l’équation fondamentale : Memphis beat + voix suprême. Elle tape plus loin dans l’énorme classique de Joe South, «Games People Play» dans une ambiance superbe. Il faut la voir développer son filet de Soul. Elle termine la D avec un clin d’œil à Sly, «Everyday People». Solid as fuck. Par contre, elle propose du gospel en A, elle chante son «Grace» à la perfe, dommage que les chœurs soient si loin derrière. Encore un classique du gospel batch avec «Jesus Will» et elle enchaîne avec une version léonine de «Summertime» - So hush little baby/ Don’t you cry - En B, elle fait une petite tentative de medley avec «MacArthur Park». Dionne la lionne est faite pour la beauté - Catch me looking at the sky - Elle est dans une Soul de you still be the one, elle chante en retenue avec le pire feeling du monde. S’ensuit un hommage à Nina Simone («To Be Young Gifted And Black») et elle boucle sa B avec le «People Got To Be Free» enregistré chez Chips, une splendeur.

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             Chips et ses Memphis Boys étaient encore plus impressionnés par Joe Simon qui enregistre No Sad Songs en 1968 chez American. L’album sort sur le label de Joe Foster, Monument Records. On y trouve deux bien belles énormités, à commencer par «Long Hot Summer», monté sur le big Memphis beat, battu sec et bardé de tortillettes acidulées. Il faut entendre la violence du claqué de notes, c’est du pur Reggie Young, stupéfiant de nervosité et de virtuosité. Les cuivres se jettent dans la mêlée avec un bonheur que n’existe qu’à Memphis. Encore une énormité avec «Traveling Man» qui déboîte sans clignotant pour foncer dans la nuit. Ces mecs jouent la belle embellie. On voit bien que Joe Simon peut rocker le shit de choc. Il tape aussi dans une merveille signé Dan Penn : «In The Same Old Way». Pur jus de Deep Southern Soul, Joe descend dans son meilleur baryton pour faire honneur au Penn. Il chante aussi le «Nine Pound Steel» de Dan Penn, mais c’est le côté gospel batch bien ponctué à l’enclume. Étrange parti-pris de heartbeat. Avec «Put Your Trust In Me», Joe passe au raw r’n’b avec une surprenante vitalité. Les Memphis Boys jouent leur va-tout, comme chez Stax, mais avec quelque chose de plus fouillé dans le son. On retrouve l’énergie Stax dans le «Come On And Get It» de clôture. Ce diable de Joe joue les Saint-Simon du raw, c’est admirable de droiture morale.

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             Joe Simon n’a pas enregistré Better Than Ever chez Chips, mais on peut l’intégrer au déroulé du Moman clé car on y trouve le «Rainbow Road» de Dan Penn, et donc retour à Memphis. Cet album paru en 1969 est d’ailleurs produit par Scotty Moore. Joe chante son «Rainbow Road» au feeling saint-simonien, donc ce n’est pas Arthur Alexander. Une mandoline vient d’ailleurs gratter les puces du pont, alors ça peut gêner au peu aux entournures. D’autant que Joe chante d’une voix de blanc, un peu comme Freddie North. Il sort aussi sa voix de blanc sur «Straight Down To Heaven» et il faut attendre «San Francisco Is A Lonely Town» pour renouer avec la Soul de Soul Brother. C’est une existence difficile, il faut se lever tôt pour décrocher un hit, quand on est Soul Bother. Joe Simon cherche la Deep Soul dans les rues de San Francisco. On le voit aussi faire une version bien straight d’«In The Ghetto». Il tente le coup de la Soul avec «I Got A Whole Lot Of Lovin’», mais sa Soul reste un peu lisse, sans excès, un peu à la Freddie North. On ne trouve pas le petit truc en plus qui fait sortir l’appelé du rang. Le hit de l’album pourrait bien être le «Time And Space» qui clôt l’A, car Joe chante sa pop de Soul avec doigté. Il en groove l’âme. C’est aussi désespérément beau que du Fred Neil. Admirable de mélancolie simonienne.

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             Quand Billy, le fils de Dorsey Burnette, décide de revenir s’installer à Memphis, Chips qui a joué de la guitare avec son père et son oncle Johnny lui donne une chance. Billy enregistre son album Billy Burnette chez American en 1972. Il attaque avec un balladif à la Dan Penn intitulé «Always Wondering Bout You Babe» et sacrément captateur. Billy y développe une grosse mélancolie et montre une belle capacité vocale. Il lance ensuite «Going To A Party» sur le beat de «Mrs Robinson» et ça sonne forcément comme le beat des jours heureux. Mais bon après, ça se délite. L’album retombe comme un soufflé. Chips avait raison de penser que les compos de Billy ne tenaient pas vraiment la route. En fin de B, le pauvre Billy tape dans le Southern soft rock avec «I’m Getting Wasted Doing Nothing», c’est coloré et chargé d’une musicalité qu’il faut mettre sur le dos du American house-band. Il termine avec «Twenty Years Ago Today», un heavy psych de Southern motion aussi puissant qu’un cut de Croz sur If I Could Only Ony Remember My Name.

    Signé : Cazengler, chips à l’ancienne

    Back To The Basics. The Chips Moman Songbook. Ace Records 2021

    The Soul Of The Memphis Boys. Ace Records 2020

    Memphis Boys. The Story Of American Studio. Ace Records 2012

    Joseph. Stoned Age Man. Scepter Records 1970

    Mark James. ST. Bell Records 1973

    Wayne Carson. Life Lines. Monument Records 1972

    Gentrys. Keep On Dancing. MGM Records 1965

    Gentrys. Gentry Time. MGM Records 1966

    Gentrys. The Gentrys. Sun 1970

    James & Bobby Purify. The Pure Sound Of The Purifys. James & Bobby. Bell Records 1967

    James & Bobby Purify. James & Bobby Purify. Bell Records 1967

    James & Bobby Purify. Purify Bros. Mercury 1977

    Dionne Warwick. Soulful. Scepter Records 1969

    Dionne Warwick. From Within. Scepter Records 1972

    Joe Simon. No Sad Songs. Monument Records 1968

    Joe Simon. Better Than Ever. Monument Records 1969

    Billy Burnette. Billy Burnette. Entrance 1972

     

     

    Le feu au Midlake

     

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             Quand est tombé du ciel Van Occupanther, on s’est dit chouette, la cosmic Americana est enfin de retour. Tu ne sais pas qui est Van Occupanther ? C’est l’homme à tête de panthère qu’on voit assis dans le sous-bois de la pochette du deuxième album de Midlake, The Trials Of Van Occupanther. Disons qu’il s’agit d’un album de dimension mythique.

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    Midlake est un groupe texan dont l’âme s’appelle Tim Smith. Il chante et compose. Dès «Roscoe», on sent la pureté du groove tim-smithien qui flirte avec l’up-tempo mais pas trop - Just change a thing or two - La cosmic Americana arrive avec «Head Home». Ils reprennent les choses là où les Byrds les avaient laissées après leur quatrième album, Tim Smith et ses Midlakers sont dans le genius à l’état pur, une vraie mine d’or, avec des dynamiques de basse et de chant psyché all over, voilà l’up-tempo miraculeux. Et ça continue avec «Young Bride», le son vient de l’Ouest. Il va chercher sa young bride au bord du chemin, c’est tendu et extrêmement historique. Ils sont dans l’Ouest de l’Americana et ses rafales de winter extraordinaires. Ce fondu de son est unique dans l’histoire du rock. The Trials Of Van Occupanther pourrait bien être l’un des meilleurs albums cosmiques de tous les temps. Qui peut rivaliser de grâce sidérale avec «Head Home» ? On reste dans le genius midlakien avec «In This Camp», c’est le son de la frontière, avec des vents énormes. Encore de belle pop rock de wild mountain men avec «It Covers The Hillsides», monté sur une bassline digne de celles de Skip Battin.

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             Deux ans avant paraissait Bamnan And Slivercork. Tim Smith prend son «Balloon Maker» au chant de légende et se livre à un petit exercice de Beatlemania. On se croirait à Abbey Road. En bon mage texan, il fait pleuvoir la magie par-dessus les toits. Puis il claque la chique de «Kingfish Pie». Sa tarte balaye tout le reste. Oui, Tim Smith a du génie. Disons qu’il groove sous la surface du génie, comme le montre «I Guess I’ll Take Care» - I want you all the time - C’est de la prescience. Il crée les conditions de son génie. Il t’embarque où il veut. Il chante à la ramasse du Midlake, «Some Of Them Were Superstitious» est une pure merveille, il explose sa pop en la chantant sous le menton. Nouveau coup de Jarnac avec «The Jungler». Il préfigure l’Americana de Van Occupanther. Il chante par la bande avec des accents toxiques. Il va se confronter aux grands vents de la Cosmic Americana jusqu’au bout de l’album, avec «He Tried To Escape» et «Mopper’s Medley», c’est plus fort que lui, il ne peut pas s’en empêcher. «No One Knew Were We Were» est complètement paumé, comme l’indique le titre, mais on se régale de l’entrain d’orgue et de beurre, avec la voix de Tim Smith quelque part au milieu. Il a la même présence que John Lennon. Il est aussi doué, avec ce don de chant et la musicologie afférente. Il peut tirer sur son classique, ça reste beau et bien foutu. Alors si on lui dit ça, il tire, vas-y, Tim, tire sur ton élastique.

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             Le troisième et dernier album qu’il enregistre avec Midlake s’appelle The Courage Of Others. L’album est beaucoup moins dense que les deux précédents. Dommage, car la pochette mystérieuse met bien l’eau à la bouche. Les deux énormités se trouvent au cœur de l’album : «Rulers Ruling All Things» et «Children Of The Grounds». C’est du country folk et on perd la cosmic Americana. Mais ça reste assez puissant, notamment au moment du refrain - I only want to be left my own ways - Avec «Children Of The Grounds», Tim Smith s’envole - I’m gone from here - Disons que tout est complètement largué sur cet album, et en même temps des cuts comme «In The Ground» se raccrochent à des arpèges. Tim Smith continue de taper ses mélodies au contre-chant et se dissout dans l’excellence. On le voit encore tirer son énergie de l’Americana des pionniers dans «Acts Of Man» et il conduit le convoi de chariots de «Winter Dies» - I’d hear the sound of creatures upon the earth - C’est vrai qu’on perd le flying jingle jangle des Byrds, mais on a autre chose.

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             Paru en 2013, Antiphon est donc le premier album post-Tim Smith. À l’époque on s’est dit : «Testons, nous verrons bien.» Test positif car le son est là dès le morceau titre d’ouverture de bal. Pas la même voix, mais ils cherchent à rester dans le même son. C’est une volonté clairement affichée. Et même fucking bien affichée, puisqu’ils outrepassent Tim Smith, ils groovent la magie pure et c’est monté en neige au sommet de Midlake. Inespéré ! On les croyait condamnés. Ils dépassent le syndrome de Stockholm. Ils font du Midlake invétéré. Et ça continue avec «Provider». La magie est là, juste en dessous des glaires de voix, ils développent leur cosmic Texarcana, ils surmontent bien la perte de Tim Smith, ils prélassent le chant dans l’infini du Midlake sound. «Provider» est comme balayé par des vents de son, ils surplomblent la Texarcana, diable comme c’est beau ! Ils sont en plein dans Van Occupanther. On dira la même chose d’«Ages». Ils attaquent «The Old And The Young» au boogie texan. Vas-y mon gars, essaye de sonner comme eux, tu verras que c’est impossible. Ils cultivent l’efficacité de l’excellence. Cet album est l’une des surprises du siècle. On les croyait paumés, mais on les retrouve plus décidés à vaincre que jamais. Et leur pop de cosmic Texarcana n’a jamais été aussi lumineuse. Ils font là encore un big country rock de la frontière, c’est fabuleusement bien joué et remanié à l’extrême. «Vale» est plus atmosphérique, comme balayé par les vagues géantes d’une tourmente. Ces mecs se donnent les moyens de leur délire. Tu peux y aller les yeux fermés.

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             Pour la promo de leur nouvel album, For The Sake Of Bethel Woods, Duncan Fletcher papote avec le nouvel homme fort de la situation, Eric Pulido. Après Antiphon, il croyait le groupe fini. Et comme ils sont coincés par Pandemic dans la même baraque et qu’ils n’ont pas grand-chose à foutre, ils décident de faire des chansons pour un nouvel album - Let’s try out some of these ideas - Alors ils refont leur vieux mélange de psyché, de folk et de prog, et choisissent Bethel Woods en souvenir de Woodstock et de ce que cet événement a pu représenter au plan symbolique. Bien sûr, pas un mot sur Tim Smith et ils n’ont pas grand-chose à ajouter. 

             Avec For The Sake Of Bethel Woods, les Texans ont su conserver leur mystique psychédélique. Finalement, le départ de Tim Smith ne change pas grand-chose. Ils groovent sous la mousse des bois, «Bethel Woods» reste dans l’axe du fast Texas rock, mais sans magie. Le hit de l’album s’appelle «Gone». Il semble ramené des profondeurs. Ça swingue on the top of the beat. On sent chez eux un goût pour le smooth («Glistening») et dans «Feast Of Carrion», on entend des éclats de Van Occupanther. On sent bien qu’ils vivent des vieux restes de Tim Smith. L’album se réveille avec «Noble». Soit ils y sont, soit ils n’y sont pas. Cette fois ils y sont. Eric Pulido chante d’une voix de foie blanc. «Meanwhile» n’est plus du Midlake, mais ils essayent de nous ramener vers Midlake. Ils finissent par y parvenir, c’est du Midlake, mais sans la magie. Difficile à expliquer. «The End» sonne aussi comme du post-Midlake. Ils gèrent leur biz au mieux, et s’efforcent de conserver un goût pour les profondeurs. Il faut dire que ce culte de la pop est assez rare chez les Texans. Ils font carrément de la pop anglaise, mais avec de bons réflexes. C’est assez troublant, alors il faut écouter attentivement. Ils ramènent des tonnes de son, ils s’efforcent d’allumer, mais sans Tim, le casque vibre, c’est bien les gars, ils tentent de surmonter le traumatisme du départ de Tim, c’est très courageux de leur part, on ne peut que les admirer pour cette sortie en fanfare.

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             Comme Shindig!, Uncut fait aussi ses choux gras du nouvel album, à partir des mêmes infos : la pochette représente le père de Jesse Chandler, alors âgé de 16 ans, assis dans la foule de Woodstock au moment où John B Sebastian est sur scène. Le portrait est une interprétation graphique d’une photo tirée du film. Uncut cite quelques références : Eric Matthews, CS&N et Vashti Bunyan. Pour bien cerner le mystère Midlake, Uncut fait ronfler les belles formules, prog-folk melancholia et mystical tunes, mais bizarrement ne fait jamais référence à l’Americana, which Midlake is all about.    

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             Bon alors attention : il existe une compile extraordinaire nommée LateNightTales centrée sur Midlake. Les compileurs ont réussi à rassembler des gens qui sonnent dans l’esprit du fondu de Midlake, les plus connus étant Fairtport Convention, avec «Genesis Hall». Elle est imbattable, la Sandy, avec sa voix de rêve. On la retrouve plus loin avec Harry Robinson dans «Carnival» : the Voice of England, c’est elle. Ce qui frappe le plus sur cette compile, c’est la qualité des choix. On trouve par exemple un cut de Twice As Much & Vashti, «Coldest Night Of The Year» : pur London Midlake sound, ils sont en plein dans Tim Smith, c’est excellent et purifié, heavy soft pop de Twice. Parmi les plus connus, voici encore Sixto Rodriguez avec «Crucify Your Mind». Il gratte sa folk magique. C’est tout de même incroyable de retrouver ce héros ici. C’est lui le boss, avec ses accents dylanesques. Nico est là aussi, avec «These Days», et ça devient forcément légendaire. Nico est l’une des authentiques superstars. The Band fait aussi du Midlake avec «Whispering Pines». Bien vu, exactement le même son. Les compileurs sont des cracks. Scott Walker n’est pas en reste avec son «Copenhagen». The Voice et ambiance garantie ! Et puis voilà Midlake avec «Am I Going Insane», un cover de Sabbath, prodigieux sens de la mélasse, ils jettent tout leur poids de mélasse dans la balance. Parmi les rois de l’Americana, voilà les Flying Burrito Brothers avec «Christine’s Tune» et sa belle énergie de devil in disguise, big bluegrass energy. Jan Duindam sonne comme Tim Smith dans «Happiness & Tears». Même énergie de deep Americana. Incroyable comme ça colle bien. Et puis il y a les révélations. Elles sont au nombre de trois : Beach House, Lazarus et Espers. D’abord «Beach House» avec «Silver Soul». C’est digne de Mercury Rev, belle approche intrusive. La chanteuse est la nièce de Michel Legrand. Puis voici Lazarus avec «Warmth Of Your Eyes», joli folk anglais et son d’une stupéfiante qualité. Alors on y va ! Et pour finir, Epsers avec «Caroline», belle plongée dans l’épaisseur du folk anglais, une pure merveille, ambiance géniale.

    Signé : Cazengler, Midnable

    Midlake. Bamnan And Slivercork. Bella Union 2004

    Midlake. The Trials Of Van Occupanther. Bella Union 2006

    Midlake. The Courage Of Others. Bella Union 2009

    Midlake. LateNightTales. LateNightTales 2011

    Midlake. Antiphon. Bella Union 2013

    Midlake. For The Sake Of Bethel Woods. ATO Records 2022

    Duncan Fletcher : Songs from the woods. Shindig! # 124 - February 2022

     

     

    Wizards & True Stars

    - Todd of the pop (Part One)

     

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             À tout seigneur tout honneur : Todd Rundgren donne son nom à cette rubrique que nous consacrons aux géants de cette terre. Quelques-uns s’en souviennent, A Wizard A True Star fut annoncé dans Creem comme le messie. Creem ne se trompait pas. À peine paru, cet album était déjà culte. Todd Rundgren s’y montrait l’égal de Brian Wilson, et ce dès l’«International Feel», monté comme un hit baroque à l’interstellar appeal. Il faut le voir tordre son feel dans les arcanes !

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    Sur cet album, tout s’enchaîne avec une parfaite fluidité. On glisse dans «Never Never Land» avec délectation. Il va de merveille en merveille, il tic tic tique dans «Tic Tic Tic», et se coule naturellement dans le «Rock’n’Roll Pussy». Et puis voilà la huitième merveille du monde, «Zen Archer» - Pretty bird closes his eyes/ Pretty mind dies/ Another pretty thing dead on the end of the shaft/ Of the Zen Archer - Osmose lysergique avec un solo de sax qui déchire le ciel. Cet album donne le tournis. Tiens encore une énormité avec «When The Shit Hits The Fan», bien pulsé au beat de fond, avec des pointes de gratte sur la crête du coq. Ça vire à la beatlemania magique des late sixties. Il boucle l’A avec «Le Feel International», pur génie mélodique. C’est là qu’il monte son chant au sommet de l’Olympe avec un coup de forcing en dernière extrémité. De l’autre côté, on reste dans l’enchantement avec «Sometimes I Don’t Know What To Feel», qu’il allume avec des relents d’Oh Happy Day. Fantastique architecture tectonique ! L’un des temps forts de cet album est le medley de Philly Soul, «I’m So Proud/ Ooh Baby Baby/ La La Means I Love You/ Cool Jerk» qu’il chante d’une voix d’ange de miséricorde. Il tape son Cool Jerk au freakout rundgrenien. Cet album va rester l’un des sommets de l’art pop.

             Un brin d’actu sur Todd Rundgren, ça ne fait jamais de mal : une compile Ace, un tribute, dépêchons-nous, car Todd est arrivé dans la zone à risques des 70-80 ans. Ne perds pas de vue qu’il a démarré en 1968 avec Nazz et qu’il continue de faire des miracles. Avec Frank Black, Jon Spencer, John Reis, Steve Wynn, Robert Pollard et Mark Lanegan, Rundgren fait partie de ces Américains prodigues qui alignent des discographies à rallonges truffées d’albums devenus des classiques du rock. C’est en 1970 que Rundgren est devenu «the young whiz kid who could do anything in the studio». Devenu riche en manageant Peter Paul & Mary et Bob Dylan, Albert Grossman venait tout juste de construire son studio Bearsville, à Bearsville, près de Woodstock. Il prit le jeune Rundgren sous son aile pour en faire l’un des first star producers d’Amérique.

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             Quand Grossman comprend qu’il vient de mettre la main sur une nouvelle poule aux œufs d’or, il met Rundgren sur les coups les plus juteux. C’est l’objet de cette nouvelle compile Ace : The Studio Wizardry Of Todd Rundgren. Cette compile est une sorte de résumé de l’histoire du rock, et d’une certaine façon, de l’histoire de la crème de la crème du rock. Ils sont venus, ils sont tous là, depuis Nazz jusqu’aux Dolls en passant par tous les autres. On en boit jusqu’à plus-soif, et même saturé, on en boit encore. On croyait connaître par cœur l’«Open My Eyes» des Nazz. Eh bien, dans ce contexte, l’«Open My Eyes» prend une toute autre ampleur. Personne ne peut battre le génie de Nazz à la course. Ils cumulent le frantic des Beatles avec le power d’Amérique, c’est un mix unique, une alchimie définitive, jamais égalée depuis. Jamais personne n’a pu égaler le Nazz power, excepté Todd Rundgren. Que dire du power des Dolls ? C’est Rundgren qui fixe le son des seventies avec «Jet Boy». Les Dolls doivent tout à Rundgren. C’est encore le temps où les guitares flambaient et Rundgren les charmait comme on charme les serpents. Mais en même temps, Rundgren dit avoir eu du mal avec eux : «Trying to get everyone on the same page long enough to get a take was like herding cats», ce qui veut dire mission impossible. 

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             La fête se poursuit avec Cheap Trick («Heaven’s Falling», plus power pop, mais avec du son, propulsé dans le cyber space). Il est essentiel de savoir que Rick Nielson rencontra Rundgren pour la première fois à Londres en 1969. Nazz venait de splitter, et Nielsen embaucha Thom Mooney et Stewkey Antoni dans son groupe Fuse qui allait devenir Cheap Trick un peu plus tard, avec l’arrivée de Robin Zander et de Bun E Carlos. Puis tu as le Patti Smith Group («Frederick», trop marketé dans son époque, vieillit atrocement mal). Et puis tu as XTC avec un «Dear God» qui ne marche pas, même chanté par un petit gnard, avec Partridge qui rapplique. Non, ce n’est pas bon, trop prétentieux. Par contre, la brochette qui suit absout Ace de tous ses péchés : Darryl Hall & John Oates, Grand Funk Railroad, Felix Cavaliere et Badfinger. Hall & Oates, c’est forcément bon. On sait que Rundgren adore la Soul, alors pas de problème avec les princes incontestables de la Soul blanche. Le War Babies qu’il produit est un immense album classique, même si Atlantic n’était pas du même avis. Le «We’re An American Band» de Grand Funk tombe bien dans les cordes de Rundgren, heavy rock tapé à la cloche de bois, c’est incroyablement bien maîtrisé, on est au sommet du lard des seventies. Rundgren est arrivé au moment où Grand Funk se décourageait : ventes en baisse et surtout haine grandissante des rock critics à leur égard. Rundgren éprouve de la sympathie pour ces trois mecs et les emmène au Criteria de Miami enregistrer l’album de leur renaissance, We’re An American Band. C’est là que Rundgren établit sa réputation de sauveur. Il va d’ailleurs voler au secours du chat Felix, dont le premier album solo manque, selon Mo Austin, de hits. Alors on fait appel à Rundgren pour sauver l’album. Il bricole l’album en douce et remplace les pistes de basse, batterie et keyboards par les siennes. On imagine la tête qu’a dû faire le chat Felix qui est comme chacun sait l’un des grands chanteurs de l’époque. Et pourtant, Rundgren lui fait une prod de rêve sur «Long Times Gone».

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             Quant à Badfinger, ils amenaient autant de jus que Nazz avec leur «Baby Blue». C’est un son immédiat, fantastique ambiance de heavy pop liverpuldienne ! Pour la petite histoire, Rundgren fut envoyé à Londres pour sauver l’album de Badfinger qui s’engluait depuis un an dans des problèmes de production : Geoff Emerick puis George Harrison avaient abandonné le projet en cours. On connaît le versant Badfinger de cette collaboration, telle que la rapporte Joey Molland dans ses mémoires. Il ne supportait pas les «strong-arms tactics» de Rundgren. Burke a raison de dire que le problème de Rundgren était de faire autorité sur des gens qui avaient déjà des idées très précises de ce qu’ils voulaient faire, d’où les parties de bras de fer. Mais comme le dit si bien Burke, «the proof of the pudding is in the eating», eh oui, le son est là, alors les autres peuvent toujours aller se plaindre, but the job is done ! On dit même que Straight Up est le meilleur album de Badfinger.

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             On croise plus loin deux autres grosses poissecailles : Janis et The Pursuit Of Happiness. Grossman signe Janis en 1970 et il envoie aussi sec Rundgren la produire à San Francisco, avec bien sûr comme backing band The Paul Butterfield Blues Band, un autre groupe sous contrat avec Grossman. La première chose que voit Rundgren en arrivant, ce sont les drogues. So many drugs ! Janis chauffe admirablement sa Soul de pop avec «One Night Stand», un cut qui ne figure même pas sur les albums officiels. Elle se veut très intrusive, Rundgren la sent bien. L’orchestre s’arrête en gare de Janis, tu as tout le tremblement, les cuivres, l’harp, le slinger, l’orgue ! Dans le booklet, Dave Burke nous explique que la session s’est arrêtée pour une pause et qu’elle n’a jamais repris. Janis préférait nettement la scène au studio.

             Inconnus au bataillon, voici le princes obscurs de la power pop, The Pursuit Of Happiness avec «She’s So Young». Stupéfiante qualité ! Content de revoir Fanny avec «Long Road Home», mais les gens d’Ace se sont vautrés. Ils auraient dû choisir «Hey Bulldog». C’est en 1972 que Rundgren quitte les Hollywood Hills après un tremblement de terre pour installer son Secret Sound studio on West 24th Street, à New York. Il commence par enregistrer A Wizard A True Star, puis le Mother’s Pride de Fanny. Encore un mauvais choix avec le «Fa Fa Fa Lee» de Sparks/Halfnelson. Hey les gars, c’est «Fletcher Honorama» qu’il fallait choisir ! C’est la copine de Rundgren à l’époque, Christine Erka des GTOs (Girls Together Outrageously) qui branche Rundgren sur les frères Mael. Ils sont étudiants à l’UCLA et ont un groupe avec les frères Mankey. Ils auditionnent pour Grossman qui les signe sur le champ et qui les envoie en studio avec Rundgren. On connaît la suite de l’histoire, le succès en Angleterre. Mais le plus intéressant est sans doute le propos de Russell Mael que rapporte Burke - Russell Mael has said they owe the whole thing to Rundgren - mais le plus drôle, c’est qu’aussitôt après les sessions, le même Russell Mael a barboté Christine Erka à Rundgren.

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             Tiens, justement, allons voir ce qu’il y a sous les jupes de The Pursuit Of Happiness. She’s So Young est un album de big power-pop, plein de jus de juice, les guitares coulent dans les ravines, c’est grandiose, bien monté en neige par le Wizard Todd. «Hard To Laugh» et «Ten Fingers» sont de belles énormités, les Pursuit ont une puissance de feu suffisamment rare pour qu’elle soit notée dans les registres. Encore de la belle pop de zyva avec «She’s So Young», c’est bien foutu et on ne doute pas un seul instant que cette majesté soit l’œuvre du Wizard Todd. C’est vraiment plein d’à-valoir, de voulu-tu-l’as-eu, c’est de la pop goulue. Encore un chef-d’œuvre de power pop bien pondérée in the face avec «Conciousness Raising As A Social Tool» : wild action ! Le Wizard Todd a dû bien s’amuser avec cette fine équipe. Ils ont du son, des idées et de l’allure. Les cuts suivants restent bien dans le ton, chez Moe Berg, tout est puissant, surtout «Looking For Girls». Il sait trancher dans le vif. Et le Wizard Todd ne manque pas d’enflammer tout ça.

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             Encore un autre grand espoir ruiné faute de hits : The Tubes. Ils auraient dû exploser à la face du monde. Mais ils n’avaient pas les compos. Rundgren ne pouvait pas sauver «Piece By Piece», c’est mauvais, on croirait entendre du Kiss. Rick Derringer a lui aussi essayé de devenir une rock star, mais il n’avait pas non plus les compos. Tout le monde n’est pas David Bowie ni Brian Wilson. Et comme le dit si bien le proverbe austro-hongrois, on ne trouve pas les hits sous le sabot d’un cheval. Par contre le heavy folk-pop des Bourgeois Tagg est bien plus intéressant. «I Don’t Mind At All» est extrêmement fin, on ne sait pas d’où sortent ces mecs, mais ils sont versés dans la pop d’intrication supérieure. Les voies de Todd Rundgren sont décidément impénétrables. D’où l’autel qu’on lui dresse. On arrive à la fin avec le «Goodbye» des Psychedelic Furs, pas de quoi se relever la nuit, par contre, la bonne surprise, c’est «Love Is The Answer» d’Utopia, un groupe qu’on fuyait jadis comme la peste à cause de sa mauvaise réputation proggy. Du coup, on décide de repartir à la chasse, car «Love Is The Answer» est un véritable joyau de pop surnatuelle et ça marche. Rundgren finit en pur genius de scream de gospel demented. 

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             Ah Utopia ! Trop prog, disait-on. Mais à la réécoute, les albums tiennent sacrément bien la route, à commencer par Another Live, paru en 1975. Todd y casse la baraque avec une version hallucinante d’«Heavy Metal Kids», retour aux heavy sources des chutes du Niagara, the perfect heavy rock américain, l’expression la plus poussée du génie sonique de Todd Rundgren, il y va de bon cœur, il nous ressert tout Nazz sur un plateau d’argent, il combine les splendeurs mélodiques aux bassesses de l’hyper-heaviness, ain’t no time to forget, c’mon yeah ! Et il passe sans transition à «Do Ya» pour un tremendous hommage aux Move et au roi Roy, Todd est encore plus puissant que Roy Wood, do ya do ya want my love ! Après le déluge, il ramène la belle pop de «Just One Victory», il retrouve le chemin des harmonies vocales. L’autre big hit de l’album est «The Wheel», une belle pop de calme plat entraînée par une trompette. 

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             L’année suivante paraît le Ra d’Utopia. Todd et ses collègues chargent bien la chaudière de la pyramide. Avec «Jealousy», il flirte avec la heavyness de «Little Red Lights», c’est dingue comme il reproduit bien ses vieux schémas, et cette façon de partir en solo flash de feu follet n’appartient qu’à lui. Avec «Sunburst Finish», il propose une belle émulsion de prog montée en neige.

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             On ne perd pas non plus son temps à écouter Oops! Wrong Planet, un album en forme de melting pot de big pop bien farcie de solos flash. Avec «Love In Action», il renoue avec sa veine power Todd, il adore enfoncer son clou avec le marteau de Thor - You can’t stop love in action - Telle est la morale de cette histoire. Il ramène du stomp dans «Back On The Street», il n’a rien perdu de ses vieux réflexes et il va chercher le poivre des harmonies vocales. En B, il croise le fer avec un solo de sax dans «Abandon City», c’est un combat captivant et il en arrive à «Gangrene», qui est le haut-lieu de l’Oops, il traite sa gangrène à l’insidieuse du heavy rock rundgrenien. Comme toujours, c’est effarant de présence.

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             Et voilà la cerise sur le gâtö : l’autobio parue en 2018, The Individualist: Digressions Dreams and Dissertations. Ouvrage fascinant à bien des égards, Edgard. La couve reprend le visuel de pochette de l’album du même nom paru en 2011 et sur lequel on reviendra dans un Part Two. La première approche du book laisse une impression désagréable, car il est imprimé sur un couché brillant et pèse donc une tonne. Puis on découvre la structure du contenu, et là, c’est l’inverse, on tombe en extase. Rundgren a choisi de raconter sa vie d’une manière extrêmement originale : 180 textes courts (une page chacun) en forme de contes moraux psychédéliques, chacun d’eux assorti d’une chute qui donne à réfléchir. Le tout suivi de 50 pages de photos à la fois rock et personnelles, la plus importante étant la dernière qui montre Todd, sa femme Michele et leurs quatre gosses. Ils sont photographiés au paradis, c’est-à-dire à Kauai, une île de l’archipel d’Hawaï, où Todd a décidé d’installer sa famille. On comprend à la lecture de cet ouvrage remarquable que Todd Rundgren est un homme qui a réussi sa vie, à la fois sur le plan personnel et sur le plan artistique. Les messages qu’il transmet valent bien ceux du Dylan de Chronicles. Le Wizard A True Star qu’il nous proposait en 1973 prend ici toute sa résonance. Ça valait le coup d’attendre 50 ans.

             Les 180 contes moraux psychédéliques sont pris en sandwich entre deux textes alarmants de véracité littéraire : ‘a note about form’ et ‘epilog’. Dans sa façon d’appréhender cet exercice consistant à raconter la vie, il rivalise d’acuité janséniste avec ces champions de l’introspection que sont Georges Perros, Cioran et Paul Valéry. Rundgren attaque ainsi : «On m’a demandé d’écrire mon autobiographie, et j’ai pris cette demande en considération quand j’ai réalisé que si je ne le faisais pas, quelqu’un d’autre l’aurait fait à ma place et le résultat ne m’aurait pas convenu. En réfléchissant à ce projet, je me suis dit que cet exercice pourrait être divertissant, et comme ça ne remettait rien en cause, je me suis mis au travail, j’ai commencé à rassembler des souvenirs et à écrire ce qui m’était arrivé. J’ai très vite compris que je ne pouvais pas organiser ce fatras sans un minimum de discipline. Apprends à te connaître.» Et dans l’épilogue, il apporte un autre éclairage fondamental : «J’essayais toujours de trouver un équilibre entre ce que je voulais dire et les révélations qu’on attendait de moi.»

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             Les textes consacrés aux grands artistes qu’il a côtoyés sont bien sûr fantastiques, mais plus fantastiques encore sont ceux qu’il consacre à ses souvenirs de globe-trotter en Asie, notamment aux Indes. Cet auteur extraordinaire récrée à sa façon le mystère terrible qui plombe La Route des Indes, ce film de David Lean tiré d’un roman d’E.M. Forster. Rundgren voyage en deux roues et séjourne dans les grandes villes, Delhi, Gaia, et Calcutta : «Je réalise que ne fais qu’effleurer la surface de ce grand mystère qu’est l’Inde. Deux semaines après mon retour du Népal, je suis fasciné et épuisé. Mon cerveau ne peut en absorber davantage. J’étais fou de croire que je pouvais trouver une aiguille spirituelle dans une meule de foin aussi gigantesque.» En quatre ligne, il donne sa version du mystère de l’Inde. Plus loin, il nous refait le même coup avec le Japon. Quatre lignes : «Le Japon est comme le Japon. Aucun endroit au monde ne ressemble au Japon. Tous les événements étranges qui lui sont arrivés en ont fait un pays unique au monde. L’isolation, l’incroyable confluence de beauté naturelle, la cohésion culturelle... et les bombes qu’on leur a balancées. On ne pourrait imaginer un pays plus parfait.»

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             Ce sont aussi les chutes des textes qui font le charme ensorcelant de l’ensemble. Rundgren réédite l’exploit 180 fois. Et chaque fois, c’est pertinent. À une époque, il fait partie pendant trois mois du All Stars Band de Ringo avec Joe Walsh, Dave Edmunds et Nils Lofgren. Voilà donc la chute de ‘Vegas’ : «Chaque musicien professionnel a une dette karmique envers les Beatles. Sans eux, la plupart d’entre-nous ne seraient pas devenus musiciens. J’ai payé ma dette pendant ces trois mois, ce qui me met en tête de 99% des musiciens encore en vie depuis 1964. Ça ne veut pas dire que j’irai brûler un cierge en souvenir des Beatles. Ça veut juste dire que je me suis débarrassé de ce gros scarabée (Beatle) qui était sur mon dos.» Dans un texte assez fulgurant sur l’écriture, ‘Writing’, Rundgren chute ainsi : «On est des choses qui font des choses. (...) On fait des choses. On les fait apparaître. On pourrait croire que l’univers voudrait nous en empêcher. Pas vraiment. La stupidité des autres est une balise sur le rocher du désastre. La connaissance circule en dépit de l’ignorance du messager. L’école pue massivement et pourtant j’ai appris à écrire, grâce à mon caractère vindicatif.» Rundgren peut parfois paraître un peu hermétique, mais quand on relit, on découvre une sorte de sens caché. En bon moraliste psychédélique, il demande une attention particulière. Sa musique est d’un abord plus direct. Mais dans les deux cas, on sent la présence d’une vive intelligence. C’est pour ça qu’on là, pour boire à la source.

             Il relate son enfance et évoque ses parents dans une première série de textes. Rundgren prend très jeune sa liberté. Il quitte la maison familiale en banlieue de Philadelphie pour s’installer en ville et y mener la vie de bohème. Il rappelle au passage que Philadelphie a toujours été a music town, grâce au label Cameo-Parkway et à Chubby Checker. Avec ses copains Randy et Collie, il monte un premier groupe. Ils bossent sur Rubber Soul et Shapes of Things qui viennent de paraître. Right time in the right place - And the Stones had the first fuzz-tone driven #1 record with Satisfaction and every thing began to change - Puis Rundgren rencontre le batteur Joe DiCario. Quand Woody’s Truckstop propose à Joe de battre le beurre, il accepte à condition que Todd soit aussi intégré comme guitariste. C’est ainsi qu’il entame son voyage au pays magique du rock. Le bassman du Truckstop n’est autre que Carson Van Osten. Todd et lui vont devenir potes, partager le même appart et monter Nazz - Lucky for me, Carson Van Osten, my first roommate, was really a saint - Quand ils débarquent à New York, ils se rendent au Paramount Theater pour assister au Murray The K show. Todd flashe sur Cream et les Who - Voir deux de vos plus grosses influences sur scène à l’adolescence est une expérience stupéfiante. Cream se pointait sur scène avec des afros - Le show est frustrant car Cream ne joue que deux cuts, et avec les Who, Todd en prend plein la vue, car chacun des quatre Who est un spectacle à part entière, il ne sait pas lequel il faut regarder - And they essentially destroyed themselves onstage (several times a day!) - Personne ne pouvait jouer après eux. C’est là où Todd diverge avec le Truckstop qui louchait sur la West Coast. Todd louchait sur les Anglais - I did not want to be a hippy - Je voulais être Anglais. L’ironie de l’histoire, c’est que j’ai plus appris du rock et de la façon dont on le joue avec les Who, en 5 minutes, que des autres musiciens blancs qui pillaient généralement la musique noire. This I could do - Il pousse son anglophilie jusqu’à aller s’habiller chez Granny’s à Londres. Il rencontre ensuite le batteur Tom Mooney et Stewkey. Le groupe s’appelle The Nazz en hommage aux Yardbirds (B-side du single «Happenings Ten Years Time Ago») et ils tapent un son que Todd situe entre les Who et les Beatles - All harmonies and windmills - Nazz explose très vite et Columbia Screen Gems les signe. Ça embête Todd de se retrouver sur le même label que les Monkees, mais il est ravi d’apprendre que Screen Gems a un deal de distribution avec Atlantic, «ce qui offrait l’opportunité  de rencontrer et de travailler avec Ahmet Ertegun, a real legend.» Ils enregistrent leur premier album à Los Angeles. Todd flashe sur le Sunset Strip, «a glowing snaking river of hair and glitter, music and sex and drugs, which we had no problem acclimating to.» La Californie commence à exercer une réelle fascination sur lui : «Je n’avais aucune référence en tête quand j’ai découvert la West Coast. J’ai été facilement intoxiqué. West was warm, East was cold. West was new, East was old. West was easy, East was hard. Ce n’est pas comme si j’avais perdu ma passion pour les racines anglo-saxones de la culture de la côte Est, dont les groupes anglais étaient le pinacle.» Puis les choses se dégradent au sein de Nazz. Lors de l’enregistrement du deuxième album, Todd impose ses chansons et ça ne plaît pas autres. Carson quitte le groupe et devient graphiste. Puis Todd s’aperçoit que le manager Kurkland manipule les deux factions. Alors il quitte le groupe. On reviendra sur Nazz et les trois extraordinaires albums dans un Part Two.

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             À l’époque de Nazz, Rundgren est déjà sous l’influence de Laura Nyro. Il lui rend un fiévreux hommage dans un texte qu’il intitule ‘Laura’. Il dit qu’à l’écoute d’Eli & The 13th Confession, il est tombé sur le cul - I was knocked completely on my ass. I fell in love with the record, I fell in love with her - Il se met à composer au piano. Il réussit même à la rencontrer au Dakota - l’immeuble où vivra plus tard John Lennon - et se dit surpris qu’elle ne corresponde pas à l’image romantique qu’il avait d’elle - Elle était assez massive, avec des sourcils très noirs, fringuée comme une gitane et elle parlait d’une voix lente, quasi-inaudible. Elle avait les ongles trop longs qui se courbaient et qui cliquetaient sur les touches quand elle jouait du piano - Un jour, elle propose à Rundgren le job de bandleader, mais il doit refuser par loyauté pour Nazz dont il fait encore partie au moment de cette rencontre. Et voici la chute, extraordinaire comme toutes les autres : «Laura Nyro et moi n’étions pas faits pour être ensemble. Elle devint mère, féministe, lesbienne, artiste marginalisée, recluse et finalement victime d’une maladie. Cependant, jusqu’à aujourd’hui, ma première approche de sa puissante expression musicale demeure aussi vive qu’une récente épiphanie.» Cette page consacrée à Laura Nyro, un amour artistique de jeunesse, est l’une des plus belles apologies de la nostalgie. Chez Rundgren, une page peut suffire. Pour exprimer sa mélancolie nostalgique, il faut à Stendhal la distance d’un petit roman. 

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             Laura Nyro refait surface un peu plus loin. Elle contacte Todd pour lui demander de produire un album. Ils commencent par bosser sur «To A Child». Mais Todd trouve que l’ambiance dans le groupe de Laura n’est pas bonne - Vitesse de l’escargot et indécision - aussi quitte-t-il le projet. Il réalise à quel point Laura et lui sont devenus différents. Il voit la passion de Laura refroidir alors que lui voit la sienne grandir, il voit l’univers musical de Laura se ratatiner, alors que lui devient un soul-singer et qu’il se décomplexe. C’est extrêmement fin, extrêmement juste dans la formulation. Ses mots sonnent comme ses notes, juteux et capiteux. Ah il faut le voir conclure le texte consacré au Max’s : «Tout historien objectif devrait pouvoir affirmer que les années 70 ont détrôné les autres décades. Il y avait tout : war, sex, drugs, prog rock and disco, stacks of Marshals and Max’s Kansas City. Il est probable que chaque époque et chaque ville proposait un lieu de prédilection pour l’intelligentsia, l’artiste, le voyeur et l’exhibitionniste, il existait peut-être un équivalent du Max’s dans chaque showbiz town, dans les années 70, but this is after all New York Fucking City.» Il rend aussi hommage à Hunt et Tony Sales qui joueront avec lui sur ses premiers albums solo et qui par la suite rejoindront Bowie dans Tin Machine. C’est dans un club de la 46e Rue, Steve Paul’s The Scene, que Todd rencontre Hunt & Tony Sales, «sons of Soupy» - Je n’ai jamais su me lier avec les gens austères. Ils n’ont jamais compris que je ne prenais quasiment rien au sérieux. Ce qui m’attirait le plus chez les Sales brothers, indépendamment de leur talent de musiciens, c’était leur sens de l’humour, hérité de leur père - Il leur propose le projet Utopia : a space-age concept band avec des space-suits et des cheveux colorés.

             Les drogues ? Parlons-en ! Il évoque avec gourmandise le souvenir d’une boîte à chaussures remplie de boutons de peyotl - That (hint hint) would make an ideal birthday gift even now - Todd ne jure que par le peyotl - I was deliciously mescalinated - Plus loin, il finit par réaliser que le peyotl est une drogue sacrée et un outil d’élévation de la conscience. Il conclut ’Candy’ ainsi : «Les drogues, c’est une boîte de chocolats. Vous avez l’idée. Vous pouvez décider de ne manger que les arachides enrobées de chocolat et jeter le reste de la boîte. Alors votre vie ne tourne plus qu’autour des arachides enrobées. Rien d’autre ne vous intéresse.» Par contre, il n’apprécie pas la coke, dont il voit les effets sur les autres. Quand il enregistre Something/Anything, il tourne à la ritaline - L’album est devenu un double album dont le seul concept était la prolixité. J’ai vraiment dû m’obliger à stopper - Merci la ritaline !

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             Il rend aussi hommage à Wolfman Jack, «the howling renegade of the airwaves». Quand il le rencontre, Todd dit se trouver en présence d’une légende. Il lui consacre d’ailleurs un cut en forme d’hommage sur Something/Anything. Il dit aussi préférer les Beatles aux Stones dont il aimait pourtant les premiers albums, mais qui selon lui, ont évolué comme des «naughty middle-aging schoolboys. Il revient aussi sur Badfinger et l’album qu’il est venu sauver, et comme il ne veut pas que ça continue de s’enliser, il dicte sa loi, ce qui ne plaît pas aux Anglais. Pourtant, l’album est un succès et dans l’histoire, Todd dit avoir gagné une nouvelle réputation : «The Fixer». Il fait claquer du fouet et dit faire gagner du blé au label - Might I on occasion abuse that authority? Probably - Todd Rundgren est bourré d’humour. Plus loin, il se dit ravi de sa rencontre avec Grand Funk Railroad, lorsqu’il est allé produire We’re An American Band dans le Michigan - Je fus agréablement surpris de voir à quel point ils étaient ouverts, mais aussi de voir à quel point ils avaient progressé en développant un style de compo plus performant - Il ne manque plus que les Dolls. Justement, les voilà. Ah cette façon qu’il a d’amener le sujet ! «On me proposa de produire un groupe qui s’appelait les New York Dolls et qui était la patate chaude du so-called punk movement, mais qui ne devait pas encore s’appeler punk. Comme on traînait tous au Max’s, on se connaissait de vue. Je n’étais pas très excité par ce qui ressemblait à un clin d’œil aux Stones in drag, mais ils étaient bien plus excitants que le reste des groupes in drags qui écumaient alors la scène locale.» C’est comme si on y était. En une seule page, Rundgren nous retapisse le mythe des Dolls. Il y va de bon cœur : «Johnny Thunders, le Keith Richards du groupe, devait préparer un doctorat en morosité qui a dû grandement contribuer à l’élaboration de son fameux style de guitare, mais c’est sa coupe de cheveux qui le représentait le mieux.» Quand l’album a été remixé et mastérisé alors que les Dolls faisaient le fête ailleurs, Rundgren dit que «personne à l’époque n’a réalisé que le son ne représentait qu’une moitié de leur total recorded output.»

             Voilà, c’est un minuscule aperçu. Les fans de Todd Rundgren se régaleront autant que les fans de Dylan avec Chronicles. C’est du même acabit. Sans doute l’un des ouvrages majeurs de la culture rock. Au dos du book, Todd porte toujours les cheveux longs, des lunettes noires et un pull noir à cocarde, probablement en souvenir des Who. A True Star

    Signé : Cazengler, Todd Rengaine

    The Studio Wizardry Of Todd Rundgren. Ace Records 2022

    Todd Rundgren. A Wizard A True Star. Bearsville Records 1973

    Utopia. Another Live. Bearsville 1975

    Utopia. Ra. Bearsville 1976 

    Utopia. Oops! Wrong Planet. Bearsville 1977

    The Pursuit Of Happiness. She’s So Young. Chrysalis 1988

    Todd Rundgren. The Individualist: Digressions Dreams and Dissertations. Cleopatra 2018

     

     

    L’avenir du rock - Anagonda

     

             Chaque année, l’avenir du rock reçoit une invitation pour participer au Conclave des anges de miséricorde qui se tient dans une vaste crypte jadis creusée sous l’aide droite du Palais du Vatican. C’est une manifestation apocryphe dont les pontes se lavent les mains. Son seul but est de préserver ce que les théosophes appellent une sous-couche d’œcuménisme, qui prend la forme d’un courant d’idées adaptées à l’universalisme culturel. Chaque fois qu’il relit le manifeste du Conclave des anges de miséricorde, l’avenir du rock s’endort. Et pourtant, il accepte chaque année l’invitation, car c’est l’endroit rêvé pour sortir des sentiers battus et croiser l’impromptu. Il a chaque fois l’impression d’entrer dans le cabinet de curiosités du Docteur Moreau. Chaque intervenant vient en effet témoigner sous serment, du haut d’une antique tribune en bois sculpté, de la présence d’un ange sur cette terre. Au cours des années précédentes, Wim Wenders a révélé la présence d’un ange perché sur les toits berlinois, l’ange Damiel, et comme on lui demandait d’apporter la preuve de ses dires, il tourna Les Ailes Du Désir en caméra vérité. Abel Ferrara a surpris tout le monde en affirmant qu’il avait vu un ange sortir de la culotte d’Asia Argento, et comme on lui demandait d’apporter la preuve de ses dires hautement répréhensibles, il tourna New Rose Hotel. De son vivant, Pasolini était venu révéler qu’un ange nommé ‘le visiteur’ avait baisé toute une famille bourgeoise milanaise, du père à la mère, en passant par la bonne, les rejetons et le petit lévrier. Sommé d’apporter la preuve de ses dires sulfureux, Pasolini tourna Théorème et fit un beau scandale. Conforme à sa réputation d’extravagance, Ginger Baker vint déclarer qu’il était un ange. Sommé d’apporter la preuve de son outrecuidance, il publia son autobiographie : sur la couverture, il portait effectivement des ailes, et chacun referma son caquet. Kevin Smith vint révéler qu’il connaissait personnellement deux anges déchus cherchant à regagner le paradis. Sommé d’apporter la preuve de ses dires blasphématoires, il tourna Dogma. Quand l’avenir du rock est monté à la tribune révéler qu’il avait vu de ses yeux vu un ange noir, un immense brouhaha s’éleva de l’assistance.

             — Noir ? Vous êtes certain qu’il était noir ? Vous risquez l’excommunion !

             Alors l’avenir du rock leva les bras au ciel et fit descendre un petit ange noir équipé d’une guitare.

             — Messieurs les membres du tribunal ecclésiastique, permettez-moi de vous présenter l’ange Jalen Ngonda ! 

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             L’avenir du rock ne raconte pas que des conneries. L’arrivée sur terre de Jalen Ngonda ressemble à peu près à ce qui s’est passé dans la crypte du Conclave des anges de miséricorde.

             Rouen, 2023. Tu le vois arriver sur scène et tu te dis :

             — Oh la la...

             — Oh la la quoi ?

             — Ben oh la la. C’est ce qu’on dit quand ça va pas, non ? Enfin regarde-le, il n’a aucune chance, petit black en T-shirt bordeaux et jean noir bien serré à la ceinture, fragile et presque nu, comme s’il débarquait d’un vaisseau négrier, il y a de cela deux ou trois siècles, ne comprenant rien aux ordres qu’aboient les blancs qui puent et qui fouettent et qui violent. Il tombe des nues en Normandie. Il entre sur scène et va chercher une guitare posée là-bas, près de l’ampli. Ah non, c’est pas vrai ! Une Rickenbacker, comme celle de Pete Townshend ! Il ne va quand même pas nous jouer «My Generation» ! On ne sait même pas comment il s’appelle. Il est tout seul, paumé au milieu de la scène, avec une petite bouteille d’eau. Il va se faire bouffer ! C’est pas possible, une telle fragilité ! Et puis il sourit et demande aux blancs si ça va bien. You’re okay ? Il aurait sans doute dit la même chose en débarquant du vaisseau, voici deux ou trois siècles. Waka donga ? Ça va bien ? Son seul bien est son sourire. Il a sans doute le plus beau sourire du monde. Et là il commence doucement à fasciner. Mais tout doucement. Seconde après seconde. Ce n’est pas une question d’être attiré par les hommes, non, ce n’est pas ça du tout. C’est le simple fait d’être le témoin d’un moment de grâce extrêmement fugitif et complètement inattendu. Mais ça, c’est que dalle par rapport à ce qui va suivre.

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    Il gratte sa clairette sur la Ricken, cling clong, et soudain, il se met à chanter. Il y a plus de grâce dans ce petit black qu’il n’y en eût dans toute ta Renaissance italienne et tous tes peintres, Horatio, tes Botticelli et tes Fra Angelico peuvent aller se rhabiller, car le prince du ciel, c’est ce petit black sorti de nulle part. Il joue en première partie de Thee Sacred Souls et on commence à trembler pour les pauvres Sacred Souls, car le mystérieux archange black tombé des nues est en train de leur voler le show. Il chante la Soul la plus pure qu’on ait entendue depuis l’âge d’or de Marvin, d’Al Green, de Curtis et d’Eddie Kendricks. Il chante en grattant sa clairette de Ricken et c’est un spectacle hallucinant. Il gratte des progressions d’accords et des transitions d’un raffinement qui te laisse comme un rond de flan, si tu connais un peu la gratte. Le public ne s’y trompe pas et l’applaudit à tout rompre, à la fin de chaque chanson.

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    C’est complètement inespéré d’avoir sur scène un jeune black aussi balèze, aussi pur et aussi nu. Il est à l’image de son bras droit, dénudé jusqu’à l’épaule : nu et gracieux. Il cumule les deux fonctions essentielles de la Soul : la pureté et le power. Lorsqu’il grimpe au chat perché, il le fait avec tout le black power dont il est capable. C’est extrêmement rare d’entendre ce mix, habituellement, les dieux de la Soul réservent ce privilège aux superstars. Alors peut-être que ce petit archange tombé des nues est une superstar inconnue. C’est dôle, on voit pas mal de superstars inconnues ces jours-ci en Normandie : l’autre jour on avait le gros Malcolm Cluzo, puis on a eu Thomas Gatling des Harlem Gospel Travelers, et maintenant voici le petit archange black, l’héritier direct de Marvin Gaye.

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             Il s’appelle Jalen Ngonda. Ou N’Gonda. C’est comme on veut. On retrouve son nom après coup sur la prog. On découvre dans la foulée qu’il a des singles auto-édités et un single sur Daptone. Fuck ! Gabe l’a repéré ! Il l’a de toute évidence trouvé sous le sabot d’un cheval, comme il avait trouvé Sharon Jones. Il vient de lancer sa nouvelle superstar ! Sur scène, tous les cuts de Jalen Ngonda sonnent comme des numéros de funambule. Il propose une dentelle de Soul d’une extravagante délicatesse, il va chercher des intonations séraphiques au fond de son imagination et semble cultiver le dodécaphonisme chromatique sur sa Ricken. Même en fouillant dans les milliers de souvenirs de concerts stockés dans cette éponge qui nous sert de cervelle, on ne se souvient pas d’avoir vu un artiste aussi outrageusement sophistiqué. Et donc on s’en émeut. Comme dirait Léon Ferré, on fait partie de la race ferroviaire qui regarde passer les trains. Meuhhh !, s’émeut-il. L’un des hommages que rend notre héros tombé des nues s’adresse à Etta James, avec une cover de «My Dearest Darling».

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             Comme il n’a pas de merch, on déclenche dès le lendemain les opérations de rapatriement. Le single Daptone paraît sans pochette. L’A-side s’appelle «Just Like You Used To» et te voilà en plein Curtis Mayfield ! L’archange black chante d’une voix admirablement tranchante qui devient onctueuse dans les montées. C’est un géant en devenir, une vraie révélation, une suite de l’histoire, on entend même un solo de sax, Daptone le gâte ! Il est vraiment perçant, il a largement de quoi percer. La B-side s’appelle «What A Difference She Made». Avec un backing-band, c’est très différent de ce qu’on a vu sur scène, il a du beurre, du bassmatic et du keyboarding. Il se faufile dans le chant pur de la Soul, lubrifié par des chœurs doux de filles attentives. C’est encore du pur jus de Curtis Mayfield, de l’authentique inesperette d’Espolette. Tu n’en reviens pas d’entendre un mec aussi brillant. Non seulement il groove entre tes reins, mais il monte en puissance d’une façon extravagante. 

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             On trouve aussi sur le marché deux CD singles, un titre chacun, ce qu’on appelle des self-released, «Why I Try» et «I Guess That Makes Me A Loser». Vilaine déconvenue. On perd complètement le fantôme de Curtis. Le premier est un heavy groove de r’n’b qui donne une idée de ce que peut devenir le son du petit archange black, une fois qu’il aura perdu la pureté évangélique de sa nudité.

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    Les deux cuts sont très orchestrés, surtout «I Guess That Makes Me A Loser». L’orchestration outrancière tue la nudité dans l’œuf. Le petit archange black est recouvert de son. Du coup, il sonne comme un artiste à la mode.          

    Signé : Cazengler, ngondale à Venise

    Jalen Ngonda. Le 106. Rouen (76). 10 avril 2023

    Jalen Ngonda. Just Like Tou Used To/What A Difference She Made. Daptone 2022

    Jalen N’gonda. Why I Try. (Jalen N’Gonda self-released) 2017

    Jalen N’gonda. I Guess That Makes Me A Loser. (Jalen N’Gonda self-released) 2018

     

    Inside the goldmine

    - A Question Mark of Temperature

     

             On l’appelait Marée-basse parce qu’il semblait toujours à plat. Sans énergie. Toujours à se gratter un front qu’il avait haut, sans doute à cause du cheveu rare. Un cheveu cependant très noir. Il ne souriait jamais. Il ne parlait que pour se lamenter. Il regardait ses interlocuteurs avec une sorte de moue distanciatrice, l’expression idéale pour tuer la convivialité dans l’œuf. On découvrit tout cela à l’usage. Marée-basse fut engagé comme messager. Il s’acquittait fort bien de sa mission, veillant à ne jamais prendre de risques. Il gagna petit à petit la confiance de l’équipage et fut d’une certaine façon intégré. Il tendait l’oreille lorsqu’on partageait des infos un peu sensibles, mais quand on se tournait vers lui, il mimait du doigt le «muet comme une tombe» pour nous rassurer. On s’est longtemps posé la question : que cherchait Marée-basse ? Pourquoi fréquentait-il des gueux comme nous ? Il ne participait jamais aux expéditions, mais il acceptait sans rechigner d’aller porter des sacs d’or espagnol aux espions qui nous renseignaient dans les ports. Nous ne savions rien ou presque de sa vie d’avant. Il parla vaguement un soir d’une épouse et d’un château quelque part sur la côte normande, mais rien de très précis. Les raisons pour lesquelles il avait comme nous tous largué les amarres lui appartenaient. Il allait probablement emporter son mystère dans sa tombe. Il ne participait pas aux libations. Il refusait d’aller taquiner la courtisane dans les tripots de l’île où nous faisions escale pour panser les blessés et regarnir l’équipage. Marée-basse restait sur la plage à contempler le ciel étoilé. Lorsque la Royal Navy entreprit de nettoyer les Caraïbes pour protéger le commerce maritime, ce fut la fin. Ceux qui n’avaient pas été envoyés par le fond durent contourner l’Afrique pour aller se réfugier dans l’île de Mada. C’est là qu’on revit Marée-basse. Il s’était installé dans un petit fortin avec des femmes indigènes. Il avait autour de lui sa progéniture, une cinquantaine de petits Marée-basse métissés qui, comme lui, portaient des lunettes de fortune. 

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             Pendant que Marée-basse engrossait les femmes indigènes sous les tropiques, Rudi Martinez inventait le gaga sixties à Detroit. Ce n’est pas exactement le même destin, mais ils ont un petit quelque chose en commun : l’unicité. Marée-basse et Rudi Martinez, plus connu sous le nom de Question Mark, sont des êtres uniques et des mystères. D’où Question Mark & The Mysterians.

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             Dans Uncut, Jim Wirth se régale avec la mystérieuse histoire des Mysterians, «naive, sci-fi crazy, Mexican-American youngsters originaires d’un blue-collar backwater à deux heures de route de Detroit» et qui en 1966, ont sorti «96 Tears», le single qui s’est le plus vendu aux États-Unis, aussitôt après le «California Dreamin’» des Mamas & The Papas. Un million d’exemplaires. Cry Cry Cry. Wirth est un drôle d’oiseau car il clôt sa krô ainsi : «Read between the lines and you’ve got a novel». La mystérieuse histoire des Mysterians aurait dû intéresser Harold Bronson.

             Le mystérieux Vox Continenal wizard s’appelle Frankie Rodriguez et le mystérieux guitariste Bobby Balderrama. Il est toujours d’actualité, quasiment soixante ans après la bataille. Wirth lui tend le micro. Balderrama déballe tout. Il raconte que les mystérieux Mysterians ont démarré en trio avec Larry Borjas et Robert Martinez, le cousin de Question Mark. Ils jouaient des instros des Ventures et de Duane Eddy. Donc pas des manchots. Puis ils cherchent un chanteur et Roberto annonce que son frère chante. So we got Rudy in. Il ajoute : «He could dance like a gilr and do the splits.» C’est en voyant le Dave Clark Five à la téloche qu’ils décident d’ajouter un keyboard. So we got Frankie Rodriguez in. 14 ans. Le Vox Continenal wizard est encore au collège. Balderrama n’est pas beaucoup plus vieux : 15 ans. Ils enregistrent «96 Tears» et leur vie bascule. Mais ils ne parviennent à rééditer l’exploit, même s’ils ont du son sur leur deuxième album, Action. Et quel son ! Balderrama évoque aussi un troisième album des Mysterians enregistré sur Tangerine, le label de Ray Charles, et resté inédit. Et quand Wirth lui demande s’ils avaient des contacts avec les Stooges et le MC5, Balderrama dit que non, parce qu’ils sont de Detroit et que les Mysterians sont de Saginow.

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             Dans Shindig!, Fiona McQuarrie va encore plus loin : elle affirme que les Mysterians «lit the fuse beneath garage and punk-rock». Eh oui, ça saute aux yeux, les Mysterians sont les premiers punksters du Michigan. Dans Creem, Dave Marsh emploie pour la première fois le mot punk en évoquant les Mysterians. McQuarrie tend elle aussi son micro à Bobby Balderrama. Il répète son histoire. Le trio des débuts, the guitar stuff. In the garage. Quand Larry Borjas et Robert Martinez partent à l’armée, ils sont remplacés par Eddie Serrato (beurre) et Frank Lugo (basse). Balderrama indique que «96 Tears» naquit d’une jam, too many teardrops. Ils trouvent un joli titre : «69 Tears» qu’ils transforment en «96 Tears» pour éviter les problèmes, déjà qu’ils sont chicanos. Ils enregistrent «96 Tears» sur un quatre pistes chez un mec de Bay City et les DJs de Detroit commencent à le passer à la radio. Ça ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd : Neil Bogart qui bosse pour Cameo-Parkway rachète les droits, et boom ! Diffusion nationale ! Number one en 1966. Puis Bogart leur fout la pression, tente de les arnaquer et les Mysterians se fâchent avec lui. En représailles, ils sont virés de Cameo. C’est pourquoi ils vont à Los Angeles enregistrer le fameux troisième album qui n’est pas sorti. Alors ils se découragent. Split. 

             Tout le monde va reprendre «96 Tears», de Music Machine à Music Explosion, en passant par Ola & The Janglers, Jimmy Rudffin, Aretha, les Prisoners, Eddie & The Hot Rods et les Cramps qui y font allusion dans «Human Fly».    

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             On a tous possédé à l’époque le bel EP français à pochette blanche, avec «96 Tears» d’un côté et «I Need Somebody» de l’autre.

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    Il existe aussi un album du même nom, l’excellent 96 Tears paru sur Cameo en 1966. Même si on connaît tous ces hits par cœur, ça reste un plaisir que de sortir l’album de l’étagère et de se rincer l’oreille avec l’«I Need Somebody» d’ouverture de balda, car Hey ! I need somebody to work it out ! Tout est là, c’mon help me ! Ça n’a jamais pris une seule ride. La fraîcheur des Mysterians est l’un des plus beaux mystères du XXe siècle. «Ten O’Clock», «8 Teen» et «Don’t Tease Me» sonnent comme des classiques, ils n’en finissent plus de nous entourlouper avec leurs boucles d’orgue. Ils tapent un «Midnight Hour» à la ramasse de la traînasse et bouclent ce bel album avec le morceau titre, too many teardrops/ For one eye/ To be cried, l’absolute watch out now, le hit sixties par excellence, you’re gonna cry ninety six tears/ Cry cry cry now.

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             Leur deuxième album paraît en 1967 et porte le joli nom d’Action. Ça démarre sur le fantastique gaga d’orgue de «Girl (You Captivate Me)». On a là les fondaisons du soubassement de l’heavy gaga d’orgue, c’est bourré d’écho et de magie rudimentaire, mais boy, oh boy, quelles bouilles ils ont les chicanos ! On reste dans le génie gaga pur avec «Can’t Get Enough Of You Baby», monté sur la séquence d’orgue de «96 Tears», mais Gawd, comme c’est good. On retrouve les mêmes petits encorbellements d’insinuation interstellaires. Avec «Get To», on les voit aller chercher l’ersatz de placo à partir de petites séquences d’irrévérence, avec une absence totale de prétention. Ils sont vraiment les seuls au monde à sonner comme ça. Ils bouclent l’A avec le «Shout» des Isleys et ça donne au final un bon rendu de rechampi. Ils attaquent leur B avec «Hangin’ On A String». Oh la belle basse au-devant du mimix petite souris. On peut dire qu’ils savent sucrer un contrefort. Ils connaissent tous les secrets de la masse volumique. Tu ne battras jamais un cut comme «Smokes» à la course, I say hey ! Toutes ces compos d’allure certaine font un very big album, comme le montre encore «Don’t Hold it Against Me», cette soft pop de classe marky, superbe, fine et élégante.

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             On retrouve tous les vieux coucous de Question Mark dans The Dallas Reunion Tapes - 96 Forever, un double album ROIR de 1985. Ils attaquent avec «Don’t Tease Me», classicus cubitus, tension maximale, Chicano fever forever ! Awite Dallas ! Rudi chauffe son «Ten O’Clock» à blanc et il attaque sa B avec «You’re Telling Me Lies» qui préfigure tout le gaga du monde. Ça monte comme le «19th Nervous Breakdown» des Stones - You put me down/ Stop make me cry - suivi du pur genius d’«I Need Somebody». Rudi fait les présentations : «Mr Bobby Balderrama on guitar !». Il continue en C et profite de «Midnight Hour» pour présenter son cousin : «Mr Robert Martinez on drums !». En D, il attaque «96 Tears» - Mr Frank Rodriguez on keyboards ! - le thème reste magique, il illustre l’essence même du rock, frais et juste, juteux et élégant - I’m gonna get there/ We’ll be together/ For a little while - Les Chicanos balancent fantastiquement. 

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             En 1998, Norton a eu l’intelligence de faire paraître un album live de Question Mark, l’indicible Do You Feel It. Rien qu’avec la pochette, tu es comblé. Visuel gaga pur, avec Rudi Martinez en pleine action. Ils attaquent avec l’excellent «Do You Feel It», ça swingue, et ils passent à «Smoke», ce gros shoot de gaga têtu tiré du deuxième album. Ça explose enfin avec «Can’t Get Enough Of You Baby», monté sur la boucle de «96 Tears». Il y a de la magie dans cette façon de sonner. Ils bouclent leur balda avec «I Need Somebody», la B-side du single magique «96 Tears». Back to 66, hey ! Awite, Rudi y va, c’est l’un des grands awiters de need somebody. Pur genius - I need somebody/ To work it out - En B, ils reviennent au heavy groove avec «Get To» et juste ce qu’il faut de chant. Encore du pur jus de gaga sixties avec «10 O’Clock», tiré du premier album, un peu de réverb pour faire bonne mesure, solo classique à la traînasse, c’est excellent, insidieux à souhait. Ils attaquent la C au «Don’t Tease Me», apanage du gaga beat d’orgue pur. Et pour bien monter en température, ils tapent dans «96 Tears», le classique définitif. Encore un autre classique définitif en D avec «‘8’ Teen», têtu est flamboyant. Voilà le real deal. Rudi Martinez fait encore la une de l’actu avec «Don’t Break This Heart Of Mine». Awite ! Il  est dessus. C’est violemment bon, extrêmement Marky, fast beat et nappes d’orgue rudimentaires. Tu as tout le son des sixties.

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             Quelle grave erreur ce serait de faire l’impasse sur ce More Action paru en 1999 ! Les petits Chicanos n’ont jamais été aussi bons que sur ce retour de manivelle. Ils démarrent d’ailleurs par une cover de DMZ, «Don’t Give It Up Now» qui balaye tout le reste du wild gaga, et Robert Lee Balderrama claque l’un de ces killer solos flash dont il a le secret. S’ensuit un «Feel It» qui te pulse bien entre les reins. Ils fabriquent du mythe à l’état pur, toujours avec le même son, mais avec une énergie démesurée. Ils te donnent tout l’or du Rhin que tu peux espérer, alors te voilà riche. Tiens, voilà «96 Tears», comme par hasard sur le Pont des Arts, ils jouent ça à l’insistance fatidique, too many tear drops to carry on, hit fatal entre tous, l’énergie de l’Amérique, ces petits mecs ont fait danser le continent, all this cryin’, c’est aussi pur que Dylan, to carry on. Et Balderrama continue de bourrer sa dinde avec «Girl (You Captivate Me)», il fait son fuzz wiz, il arrose les c’mon de purée, trente ans plus tard, c’est toujours aussi explosif ! Ils ont cette profondeur de son ancrée dans le passé. Question mark & The Mysterians sont l’un des groupes américains les plus aboutis. Rudy Martinez chante admirablement bien son «Ain’t It A Shame», il met une pression terrible, poussé par Balderrama. Ils font même une cover de Suicide, «Cheeree». Là tu as tout ce que tu dois savoir sur les hommages. Rudy se prélasse dans le Suicide. Ces petits mecs sont incroyablement complets. Ils s’amusent encore comme des gamins avec le vieux groove d’«It’s Not Easy». On éprouve une réelle fierté à  les écouter. Ces petits mecs incarnent tout ce qu’on aime sur cette terre. Ils redéfinissent les frontières et tu as ce fou de Balderrama qui repart en maraude de wild carnassier. Les Mysterians sont tes meilleurs copains. Ils ne te décevront jamais, yeah yeah. Frank Rodriguez est toujours à l’orgue, Big Frank Lugo on bass et Bobby Martinez au beurre. Sur le disk 2, ils tapent une cover de «Sally Go Round The Roses», un cut signé Totor. Oh l’incroyable power des Chicanos ! Ils te swinguent ça vite fait. Ils ont tout le matos pour swinguer Totor, même la fuzz. Ces petits mecs sont habités par le diable Gaga, le pire de tous les diables. Ils perpétuent encore leur petite recette avec «Don’t Hold Against Me», ça groove et ça se lâche dans la clameur. Balderrama revient foutre le feu à «Do You Feel It», il joue en embuscade, ne frappe qu’à coup sûr et pouf, Rudy arrive comme Superman. Leur cover de «Satisfaction» vaut aussi le détour. Ils aiment bien les Stones, on voit qu’ils s’amusent, ils sont encore plus moites que Jag, c’est une belle cover, pure et dure. Balderrama fout encore le souk dans la médina avec sa grosse fuzz. Ils ramènent le riff de 96 Tears dans «Strollin’ With The Mysterians», une merveille d’instro avec le Balderrama en embuscade. Comme le Capitaine Conan, il frappe derrière les lignes, il joue là où on ne l’attend pas. Cet album étonnant s’achève avec la version Spanish de «96 Tears», c’est encore pire que la version originale, plus heavy, muchas lacrima, vive l’Espagne ! Avec un dernier sursaut d’espagnolade ! 

    Signé : Cazengler, Question Martini

    Question Mark & The Mysterians. 96 Tears. Cameo 1966

    Question Mark & The Mysterians. Action. Cameo 1967

    Question Mark & The Mysterians. The Dallas Reunion Tapes - 96 Forever. ROIR 1985

    Question Mark & The Mysterians. Do You Feel It. Norton Records 1998

    Question Mark & The Mysterians. More Action. Cavestomp! Records 1999

    Jim Wirth : ? & The Mysterians. Uncut # 301 - June 2022

    Fiona McQuarrie : Cry Cry Cry. Shindig # 127 - May 2022

     

    *

    En ces temps lointains, 1962, voici plus de soixante années, le rock français était en ses toutes premières années. L’on a estimé entre 1960 et 1963 entre trois et cinq mille le nombre de groupes créés, et disparus. Un feu de paille et une explosion sans pareille. Le service militaire et la guerre d’Algérie ont cassé bien des appétits de vivre et brisé bien des rêves de gloire et de réussite… De cette grande flambée il ne reste plus que des souvenirs dans des mémoires qui s’étiolent. Ceux qui ont survécu furent les chanteurs, Eddy Mitchell, Johnny Hallyday, Dick Rivers…  Les groupes qui ne possédaient pas de chanteur ont été rayés de la carte. Je ne sous-entends pas qu’en règle générale les chanteurs n’étaient pas au top niveau. Non je parle de ce phénomène musical bien oublié : les groupes de rock instrumentaux. Plus qu’une mode ce fut un engouement.  

    Un phénomène étrange par chez nous, nous sommes dans un pays réputé pour ne pas avoir l’âme musicienne, oui mais il y avait Apache des Shadows qui suscita bien des vocations… Et puis ce nouveau son de la guitare électrique que les groupes de balloche commençaient à utiliser, qui intriguait beaucoup et qui caressait agréablement même les oreilles des adultes qui n’étaient en rien portés vers le rock’n’roll… Bref il y eut un appel d’air…

    Nous-mêmes, si ma mémoire ne nous trahit pas nous n’avons consacré qu’une seule chronique à un de ces groupes : les Mustangs. En voici une seconde dans laquelle nous nous intéresserons aux deux premières années (62-63) des Fingers.

     LES FINGERS

    Le mot Finguer sonne bien en français, on comprend qu’ils n’aient pas pas adopté sa traduction. Le choix du nom du groupe est assez clair : c’est avec les doigts que l’on joue de la guitare. Pour la petite histoire c’est Jean Greblin, leur directeur artistique chez Festival qui l’aurait proposé.

    Ils sont quatre : Jean-Claude Olivier ( guitare solo ), Marcel Bourdon ( guitare rythmique ), Yvon Rioland ( guitare basse ) et enfin le malheureux dont l’instrument n’est pas une guitare : Jean-Marie Hauser ( batterie ).

    Jean-Claude Olivier ( né en 1932 , pour mémoire Elvis en 1935) n’était pas inexpérimenté lorsqu’il a fondé les Fingers. Avait débuté dans la balloche, puis très vite dans les grands orchestres comme celui de George Jouvin, il finira par rentrer dans le cercle fermé des requins de studio. Amateur de jazz, la venue du rock ‘n’ roll qu’il définit comme une forme commerciale du Be-bop ne le surprend pas. Avec l’aide du pianiste et compositeur Jacques Arel il formera les Fingers, n’a-t-il pas déjà remplacé les guitaristes de groupes de rock en studio, sur le dernier disque des Chats Sauvages avec Dick Rivers par exemple. Par contre pour leur premier disque les Fingers ont eu besoin d’Armand Molinetti à la batterie qui avait joué avec les Chats Sauvages et les Aiglons…

    Le groupe a connu beaucoup de changements, Jean-Marie Hauser sera remplacés par Serge Blondie ; Yvon Rioland par Hermes Alesi ( ex Drivers ) puis par Hedi Kalafate ( ex Cyclone, ex Fantômes ) ; Marcel Bourdon cèdera la rythmique à Raymond Beau…

    Nous sommes dans un petit monde de musiciens aguerris qui se cooptent et se connaissent. Le groupe se séparera en 1965, Jean Greblin malade, Festival ne s’occupait plus d’eux. Ils resteront dans le métier, on les retrouvera derrière de nombreuses vedettes de Polnareff à Moustaki… Olivier fondera Robespierre son propre studio d’enregistrement à Montreuil, cité Rock. J’invite ceux qui veulent en savoir davantage à lire l’interview de Jean-Claude Olivier sur le site Guitares & Batteries dans lequel j’ai puisé sans vergogne.

    Premier EP (FY 2145) des Fingers, retournons la pochette et lisons : ‘’ Je crois avoir eu un véritable privilège pour une discophile. En effet j’ai été la première à écouter ces pages de la guitare que je viens ici vous présenter. Cet enregistrement remarquable m’a fait oublier le nombre trop grand de nouveaux groupes et m’a fait oublier que j’avais déjà écouté les Shadows. / Au nom de tous les jeunes, de tous les copains et copines qui aiment la qualité, je dis merci aux FINGUERS qui donnent enfin à la France ce qu’elle enviait tant à l’Angleterre : un groupe tel que les Shadows. Les FINGERS resteront certainement dans l’histoire du jazz français. Bravo. ’’. C’est signé Nicole Paquin. Un peu passée à l’as (de pique) Nicole Paquin aujourd’hui. Trop vite éclipsée par la vague yé-yé, n’y a pratiquement eu que le magazine JUKEBOX pour rappeler la saga de cette aventurière qui a essuyé les plâtres pour ceux et celles qu’elle avait précédées.

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    Le grand M… M (mystérieux) pour Madison, la danse qui au début de l’été 62 a tenté de supplanter le twist… le recto de la pochette fait la part belle à une danseuse montée sur scène en pleine exhibition madisonienne : surprenant pour un groupe instrumental cette voix féminine qui annonce le titre. Disons-le franchement, le Grand M est plutôt moyen, je me souviens très jeune avoir entendu un groupe de balloche interprétant une série de madisons beaucoup plus nerveux. L’on retiendra une belle sonorité de guitare et l’on fera semblant de ne pas avoir entendu la batterie un peu asthmatique. Pas de quoi sauter au plafond. Le chemin de la joie : beaucoup mieux, entraînant et beaucoup plus dansant. Faut tout de même réaliser une réadaptation auditive : le son des guitares est si aigrelet et cristallin qu’il faut oublier jusqu’à la possibilité de l’existence de la guitare fuzz. Pas cette chanson : une belle basse, mais je vous en prie écoutez plutôt la version chantée de Johnny Hallyday, ici la rythmique clapote un peu et la lead se prend pour un violon, larmoyant, on est loin de Ben E King, manquent l’influx et l’émotion. Les hommes joyeux : un peu twist, un peu western, dommage que la batterie charlestonne un peu au milieu, ce coup-ci la guitare se prend pour un banjo. Un peu disparate, mais agréable, donnent l’impression qu’ils sont sur la piste du rock ‘n’roll mais qu’ils ne parviennent pas à y mettre la guitare dessus. Cherchent la sonorité, alors qu’ils devraient trouver le son.

    Si vous n’avez pas ce microsillon dans votre collection inutile de vous suicider, mais si vous y mettez la main dessus dans une brockante, prenez-le.

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    Deuxième EP ( FY 2311). C’est la pochette que vous devez regarder pour voir une photo des Fingers, remarquez la modicité de la batterie, et les partitions posées sur les pupitres… pas de look frénétique, z’ont l’air de garçons sages…

    Finger print : l’on change d’étage, une compo de d’Olivier et d’Arel, ici l’on ne s’ennuie pas tout est bon, même si la deuxième partie est un peu répétitive. S’il manque quelque chose à ce morceau je suis certain que c’est une meilleure approche technique de l’enregistrement. L’idole des jeunes : du cousu main, ne se sortent pas mal de cette reprise instrumentale de Ricky Nelson, via Johnny Hallyday, n’ont pas l’air de donner un calque, affirment enfin une singularité, sonnent enfin comme les Fingers. Desafinado : une bossa qui fut reprise en 1962 par Stan Getz un des musiciens préférés de Jean-Claude Olivier. Autant dire que l’on est loin du rock… sympa mais ennuyeux. Hors contexte. Non je ne suis pas sectaire, je n’aime que le rock. Monsieur : une chansonnette pas très pétulante de Petula Clark. Inécoutable. Cette face B est une catastrophe.

    Troisième EP (FY 2317). A mon goût peut-être la plus belle pochette des french early sixties, parfaite pour un disque de country américain des années cinquante.

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    Telstar : l’on ne compte plus les reprises de Telstar, interprété à l’origine par The Tornados sous la houlette de Joe Meek le Phil Spector britannique : tout groupe instrumental se devait de se frotter à ces sonorités qui semblaient venir d’ailleurs : s’en sortent par le haut, emploient une vieille ruse apache, puisqu’ils ne peuvent pas rivaliser avec le sorcier de la console qu’était Joe Meek ils imitent les Shadows ( comme quoi le mot de Nicole Paquin au verso de la pochette de leur premier disque était prophétique ). Un bémol toutefois pour la batterie non-imaginative. Quant à la fusée qui décolle pour l’espace, elle n’a pas eu droit à sa fenêtre de tir. Un jour tu me reviendras : une rengaine certes mais l’épaisseur du son est là, même si le solo de Jean-Claude Olivier manque un peu de vitamine l’ensemble passe bien la rampe. Les cavaliers du ciel : une des plus belles réussites des Fingers, rien à redire, à la hauteur des Shadows sans aucune retenue. Ils ont l’imagination et le son. Que voulez-vous de plus. Loin : une reprise d’un morceau de Richard Anthony les Fingers nous restituent la mélodie de cette chanson mélancolique, le solo de Jean-Claude Olivier qui termine le morceau ne dépare en rien la beauté de la ligne mélodique.

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    Quatrième EP (FY 2338). Une belle pochette colorée qui attire l’œil. Si vous voulez voir à quoi ressemble la formation, mirez le verso.

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    Diamants : attention Diamonds a été composé par Jerry Lordan qui composa aussi Apache… sa version orchestrée n’est pas aussi belle et aussi pure que celle des Shadows, ressemble trop à un générique de western. Il en est de même de sa version de Diamonds pourtant enregistrée avec deux membres des Shadows : maintenant sont à l’aise dans leur propres son, une batterie qui survole, une guitare qui vous envoie le riff comme un boomerang qui vous revient dans la gueule. Les guitares de décembre : une compo de Jean-Claude Olivier et de Jacques Arel preuve évidente de la dextérité acquise en deux années. Un seul défaut : trop court. Ton ballon : une des chansons du disque que les Fingers ont enregistré avec Line Renaud. La piste instrumentale est mignonne mais après les deux morceaux précédents, elle ne fait pas le poids. How do you do it : une reprise de Gerry and The Pacemakers, un mauvais choix d’un morceau qui n’a rien d’exceptionnel, vraisemblablement une demande de la maison de disques, j’ose l’espérer.

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    Cinquième EP (S 2345). Special Bue-Jeans : ce morceau donna son titre à l’émission présentée par Jean  Bonis ( une voix inimitable ) sur Radio-Andorre ( ne pas confondre avec La radio des Vallées qui deviendra Sud-Radio ) chaque jour ouvrable de 16 h 30 à 18 H, après quoi l’on passait sur Europe 1 pour Salut les Copains : que dire, peut-être, sans doute, sûrement, le meilleur instrumental français des early sixties. Si vous ne devez écouter qu’un seul morceau des Fingers c’est celui-ci. Jacques Arel à la compo. Say wonderful words ( = Des mots pour nous deux ) : est-ce que vous avez besoin d’un slow après ce qui précède ? Non ? Moi non plus. D’ailleurs en Grèce, les Grecs depuis l’antiquité ont toujours eu du goût, il ne figure pas sur le 45 tours. Teenage trouble : cela vous troublera-t-il ? Top secret : pas si secret que cela, ici les Fingers ont trouvé leur formule, ils ont leur langage à eux, tous les trucs et tous les tics qui marchent, mais ils ne se surpassent pas.

             Il leur reste encore une année et demie avant de se séparer. Trois véritables 45 tours, quelques morceaux de qualité comme Fingers on the rythm, Surfin safari et Mister Chou Bang Lee mais le cœur n’y est plus. Il était temps pour eux de passer à autre chose. Leur a manqué, malgré leurs progrès indéniables, l’essentiel : ils ont fait de la musique, mais ils n’ont pas eu envie de s’inscrire dans la mythologie rock’n’rollienne en construction.

             Parfois l’on traverse des périodes de son existence qui vous dépassent sans savoir ce qu’elles signifient.

    Damie Chad.

     

     

    *

    Des Pays-Bas. Est-ce pour cela qu’ils ont le moral au plus bas ? Définissent leur art en quatre mots : depressive, suicidal, black metal. Gardons une note optimiste, ils ne se réclament pas du death metal ! Autre avantage, leur musique est somptueuse.

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    Troisième opus d’Argwann, le groupe est composé de : Stilte : guitare, vocal et de  Smaad : guitare bass. Sneer s’est occupé de la batterie. Tous ces noms propres possèdent une signification : Angoisse, silence, calomnie, ricanement. La pochette représente sur un fond vert deux corps nus d’une blancheur quasi cadavérique allongés dans une végétation de longues tiges vertes. Seraient-ce des plans de Sorgho, mes connaissances botaniques ne me permettent pas d’en juger. Le titre de l’album n’incite guère à l’optimisme : Cher enfant, monde cruel !

    LIEF KIND, WREDE WERELD

    ARGWAAN

    (K7 / Bandcamp / 16 – 04 – 2023)

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    Unease : grognements vocaux, musique violente, une espèce de vomissement de soi, un jugement implacable porté sur l’incapacité à vivre pleinement, à ressentir ses propres sentiments que l’on n’arrive pas à cristalliser au fond de soi, la musique tourne comme une immense broyeuse du vouloir vivre,  cris d’auto-égorgement, l’impuissance d’être heureux, crise existentialiste, dégoût de soi, de ne pas être en adéquation avec la beauté du monde, hurlements de haine emportés dans une intumescence lyrique hyper romantique. Une batterie folle auto-lacère la prise de conscience de sa propre impuissance. Une description peu engageante mais ce morceau est une splendeur. Hoffnungsvoil : une décharge battériale infinie, des vagues de guitares folles, naufrage de l’homme qui hurle au secours tout en sachant très bien que s’il parvenait à être comme les autres il perdrait son individualité, car c’est son malaise qui le détruit mais qui aussi le tient en vie, tout comme la mort dont on n’a conscience que tant que l’on est en vie, hurlements de désespoir, hachis de nos prétentions à ne pas vouloir être ce que l’on ne peut pas être. Notes terminales, gouttes de tristesse, constat amer. Goddeloss : ritournelle cordique, un son fêlé à l’image d’une âme dévastée, tristesse infinie de celui qui a tout perdu, un vent de fureur survient, reprise de l’expression du même malaise, mais ce coup-ci il faut faire sauter le bouchon de tous ce blocage existentiel, n’est-ce pas la honte d’avoir troué la bouée de sauvetage qui maintient la vie des autres à la surface de la mer, l’absence de Dieu. Âme dévastée.  Crumble under these weightless words : Ce n’est pas la cerise sur le gâteau mais le crumble de l’âme écrasé sous le poids des mots. Colère introspective, la voix devant, qui se confesse à elle-même, qui récite un poème, la musique derrière avant qu’elle ne revienne comme une vomissure car si le Seigneur recrache les tièdes il est nécessaire d’être brûlant, d’accuser, de maudire, de penser à l’extermination du vice et du péché tout en sachant que soi-même l’on n’est pas exempt de manquements, calme avant la tempête qui monte, cette rage est autant la fille du dégoût de l’humanité que de soi, de cette turpitude humaine qui mène les agneaux à se métamorphoser en tigre assoiffé de haine, ivres de fureur et d’autodestruction, tant de colère pour retomber en soi-même pour finir par s’écraser tout simplement dans sa propre solitude se cogner encore une fois au mur de la mort qui s’avance menaçant, mais qui est aussi le dernier rempart contre notre orgueil. Ein leitzter Moment der Freude : retour sur soi-même, récitation d’un poème, apaisement, tout ce qui a été perdu, mais lorsque l’on se regarde dans le miroir de l’existence l’on ne peut être qu’empli de dégoût pour ce que l’on n'a pas réussi à être, à s’accuser, à se vouer au suicide, des cris de haine et de pitié envers soi-même, et puis l’on finit par se retrouver dans l’image oubliée de l’enfance, à tout miser sur cet enfant perdu duquel il est nécessaire de se montrer digne, une lumière dans la noirceur du tunnel, la musique devient aussi violente que dans les moments les plus désespérés, l’espoir fait-il vivre ? Inner dissuasion : notes lourdes, reprise du poème hurlé jusqu’au débordement musical, enfermé en soi-même pour se parler à soi-même, mais aussi aux autres, première fois que notre prisonnier volontaire de soi-même s’adresse aux autres, une violence non contenue, un mélange d’objurgation et de prière, ne pas lui ressembler est le nouveau mot d’ordre, ne faites pas ce que j’ai fait, ne vous conduisez pas comme moi, la musique devient un torrent dévastateur qui emporte tout et qui en même temps nettoie et assainit, vocal catharsique, mettre en garde les autres n’est qu’une manière de proclamer son propre dégoût de soi, d’exprimer le masochisme du rejet de soi-même, de brûler ses propres scories en se reconnaissant dans les autres qui vous ressemblent. Attitude de ces prêcheurs fous qui au moment du schisme luthérien parcouraient les villages en promettant l’apocalypse… Verdrongen vreudge : ces notes ne sont pas joyeuses mais empreintes de nostalgie, au fond de soi, au fond du monde, sourd la lumière contenue d’une joie à laquelle l’on n’ose pas accéder encore, dans laquelle il est urgent de se précipiter, de ne plus hésiter, il est plus que temps de s’adonner à cette luxuriance de la vie, être nu dans les herbes ondoyantes d’un paradis retrouvé. La musique déboule sans fin pour nous obliger à entrer dans la joie de l’innocence, l’exaltation du plaisir de vivre doit nous envahir et se transformer en chant d’allégresse. Lief kind, wrede wereld : vent froid et ténébreux qui n’augure rien de bon, l’allégresse passée se transforme en marche funéraire, pas lourd des porteurs du cercueil de nos efforts, de nos prétentions à choisir la vie et Dieu. Liturgie d’église, le vent se lève, celui de l’impuissance à partager le rêve de la consolation, la batterie accentue son hachoir méthodique, le vocal est entré dans la musique, enfin il s’élève, il ne se cache plus, il clame l’impossibilité métaphysique d’un bonheur humain qui reposerait sur autre chose que lui-même, l’âme ne s’est pas évadée de sa prison mentale car le monde est la prison, les illusions sont déchirées, ce qui n’oblitère en rien le besoin de ce désir illusoire. L’on se retrouve dans la ronde de la déréliction humaine. Tristesse infinie de celui qui n’a pas atteint à l’exultation nietzschéenne de l’éternel retour.

             Opus étonnant. Une thématique dépassée, celle du désespoir existentiel qui éprouve la rassurante nostalgie du Dieu qui est mort, mais qu’au fond l’on regrette. Tout le long des quatre-vingt premières années du siècle précédent par chez nous L’Eglise a misé sur le désarroi humain pour faire revenir dans le troupeau communautaire les brebis égarées. Serait une marque de ce que l’on fustige sous le concept de retour du religieux ?

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 25 ( Subjonctif  ) :

    132

    Le Chef allume un Coronado :

              _ Agent Chad si vous ouvriez les yeux en conduisant, je préfèrerais !

              _ N’ayez crainte Chef, je connais la route de Provins par cœur, j’en profite pour me concentrer. Vous rêvez que je lis un livre dont le titre est Oecila, nous sortons du Père Lachaise où nous avons rencontré deux sympathiques ouvriers en train d’orthographier correctement le prénom Oecila sur une tombe, j’ai beau me creuser la cervelle, dans ma vie passée je n’ai jamais rencontré une fille qui portait ce prénom. 

    • Je veux bien vous croire Agent Chad, toutefois rappelez-vous que précédemment nous avions déduit qu’Ecila était le palindrome d’Alice, cette histoire de l’E dans l’O tombe à pic comme l’œuf du cul de la poule pour nous signifier qu’il ne faut pas lire écila mais bien prononcer oecila, je tiens à vous faire remarquer que depuis quelque temps dans votre vie sentimentale agitée l’on ne compte plus, tenez ne serait-ce qu’au cimetière de Savigny vers lequel nous nous dirigeons…

    133

    Je m’apprêtai à ralentir pour me garer devant la maison d’Alice, comme pour m’avertir sur le fauteuil arrière Molossa grogna. Au même instant le clignotant d’un véhicule qui nous précédait d’une centaine de mètres s’alluma et la voiture s’arrêta à la place que je comptais prendre. Quelle ne fut pas notre surprise lorsque nous passâmes près d’elle, sur la portière avant s’étalait en grosses lettres le logo du Parisien Libéré. Deux hommes en descendaient.

              _ Je présuppose les remplaçants de Lamart et Sudreau, Agent Chad, je parie que nous allons bientôt faire la connaissance de ces étranges Ladreau et Sumart, j’avoue ma curiosité !

    Molossa grognait toujours. Un coup d’œil dans le rétro me révéla que la voiture quittait son stationnement et à la vitesse à laquelle elle se dirigeait vers nous, il était facile d’en déduire qu’elle tentait de nous rejoindre. Déjà le Chef sortait son Rafalos.

              _ Un peu de conduite sportive Chef, je leur réserve un chien de ma chienne – Ouah ! Ouah ! dit Molossito – puisque ces messieurs sont apparemment des amateurs de stockcar.

    Ladreau et Sumart se rapprochaient dangereusement. Ces malandrins voulaient manifestement nous pousser dans le décor. J’avisai un semi-remorque sur la voie de gauche que je me hâtais d’emprunter, nos poursuivants n’osèrent pas nous suivre mais se portèrent à notre hauteur. Le Chef avait descendu sa vitre, deux rafales de Rafalos eurent raison des pneus du camion qui éclatèrent. Je freinais à mort imité par le chauffeur du mastodonte. Emportés par leur élan nos poursuivants nous dépassèrent. Les malheureux imprudents s’encastrèrent dans la remorque du camion qui s’était déportée et qui maintenant barrait la route. Déjà nous vérifions l’état des malheureux prêts à les achever si par hasard ils auraient survécu à la violence du choc. Un souci inutile, leurs deux cadavres démantibulés en état de putréfaction avancée ne laissaient pas de doute sur la nature de nos deux séides. Des espèces de morts vivants que notre amie La Mort avait pris la précaution de nous envoyer pour nous réceptionner avec tous les honneurs.

    Dans sa cabine le chauffeur ne bougeait pas, s’était-il évanoui d’effroi, il restait immobile, nous n’avions pas le temps de vérifier, je redémarrai notre véhicule m’apprêtant à faire demi-tour, le Chef poussa un rugissement, Molossa et Molossito n’étaient pas sur la banquette arrière, tous les deux étaient restés à l’arrière du véhicule de nos deux zombies et aboyaient de toute leurs forces. D’une balle de son Rafalos le Chef débloqua la serrure. Une forme allongée gisait dans la malle. J’arrachai la couverture qui la recouvrait, Alice me souriait :

    _ Mes sauveurs merci ! Je ne doutais pas de votre intervention ! Je vous remercie !

    134

    Le reste de la soirée fut plus calme. Le Chef avait allumé un Coronado et décrété que nous n’avions plus besoin de retourner au cimetière. Par chance la route était déserte, en passant sur le bas-côté gauche pour éviter la remorque du poids-lourd je parvins à reprendre la direction de Provins. Deux heures plus tard tous les quatre – Alice avait insisté pour que nous invitions Carlos, par chance il se trouvait à Paris - nous prenions l’apéritif dans mon salon. Les cabotos se jetèrent sur les deux énormes gigots qu’Alice reconnaissante leur avait achetés à la boucherie la plus proche de mon domicile.

    Le Chef alluma un Coronado et résuma les derniers rebondissements de l’enquête puis se tournant vers Alice :

    • Et vous charmante enfant, comment en êtes-vous arrivée à être ligotée dans le coffre de la voiture de nos escogriffes, racontez-nous vos dernières mésaventures.
    • La mort de Lamart et Sudreau m’avait choquée, rappelez-vous l’état de décomposition avancée dans lequel nous les avions découverts dans leurs bureaux alors que je les avais vus précédemment en pleine forme dans la journée. Leur remplacement par Ladreau et Sumart m’avait estomaquée, et peut-être encre plus que cette espèce d’homonymie entre leurs noms et celui de leurs prédécesseurs ce furent les marques d’étonnement que leur présence ne provoqua point. Du Directeur au moindre commis pas un mot, pas un commentaire. Je n’ai rien dit mais j’ai ouvert l’œil, je me suis débrouillée pour leur porter dans leur bureau le courrier qui leur était destiné. J’ai ouvert certaines lettres, ai essayé de lire par transparences toutes les autres, passé au crible toutes les notes de service qu’ils recevaient ou qu’ils envoyaient, écouté par l’intermédiaire du standard téléphonique leurs conversations, mais rien, je n’ai rien remarqué à part le fait qu’ils allaient nettement moins souvent que leurs devanciers sur le terrain et je n’avais point l’impression qu’ils travaillaient beaucoup dans leur bureau… Hier soir lorsque je suis sorti du travail j’ai rejoint ma voiture sur le parking réservé au personnel. Je les ai salués, ils sortaient de leur véhicule, ils ne m’ont pas répondu, puis je n’ai aucun souvenir précis si ce n’est de sortir mes clefs de mon sac et puis plus rien, je me suis réveillée ligotée dans le coffre d’une voiture, vous connaissez la suite…
    • M’est avis charmante enfant, qu’ils allaient vous tuer et vous cacher dans un caveau du cimetière de Savigny…
    • Quel hasard que vous soyez arrivés au moment où ils allaient commettre leur horrible forfait !
    • Non ! Carlos, le Chef prit le temps d’allumer un Coronado avant de poursuivre, vous vous trompez, ces messieurs nous attendaient, ils savaient que nous étions en route, sans doute aurions-nous eu le plaisir de passer notre éternité aux côtés de notre douce Alice, c’eût été un rayon de bonheur dans notre malheur !

    Il y eut un instant de silence. J’en profitai après avoir versé une nouvelle rasade de Moonshine à tout le monde pour prendre la parole :

    • Une chose est sûre Chef, nous avions décidé de faire la tournée des cimetières liés à cette affaire, pour les deux premières visites, les évènements sont pour ainsi dire venus à notre rencontre, la première fois la Mort en personne en train de conduire une camionnette, la deu…
    • xième, si tu permets Damie me coupa Carlos, elle ne devait pas être loin puisque ses deux hommes de main étaient prévus pour envoyer au plus vite ad patres ! J’ignore si vous avez le nom d’un troisième cimetière inscrit sur votre liste, je suis sûr qu’elle vous y attend déjà ! Un conseil, plus vous progressez plus le danger grandit.

    Mon cœur se serra. Je m’étais interdit de penser au troisième. Depuis ma dernière visite je n’y étais même pas retourné pour amener un bouquet de fleurs sur la tombe d’Alice, de mon Alice à moi ! Là-bas sans doute se dénouerait le nœud de cette étrange affaire, au fond de moi j’avais peur d’être confronté à je ne sais quoi, à quelque chose qui nous concernait Alice et moi et que je ne voulais pas savoir, quelque chose qui nous séparerait pour toujours elle dans sa tombe, moi dans ma vie. Pour cacher les larmes qui montaient à mes yeux je me précipitais dans la cuisine soi-disant pour ramener deux bouteilles de Moonshine et des raviers de biscuits secs.

    Je sentis tous les regards fixés sur moi lorsque je revins. Il y eut un silence gêné. Carlos se râcla la gorge :

              _ Rrrrm, rrrum, Damie nous irons tous ensemble à ce cimetière demain après-midi, tu peux compter sur nous, le Chef propose une réunion de travail demain matin, à la première heure, ce soir nous ne nous coucherons pas trop tard, nous aurons besoin de toutes nos forces, par contre Alice qui est passée aujourd’hui si près des affres de Thanatos aurait besoin de connaître les douceurs de l’éros pour retrouver un parfait équilibre, si tu veux te joindre à nous…

    Le cœur n’y était peut-être pas tout à fait mais le corps a des prétentions que la raison connaît très bien, par pur esprit de camaraderie je me joignis à ces jeux innocents. Je ne le regrettais pas, Alice fut délicieuse. Son féminisme exacerbé nous prouva abondamment qu’une femme vaut bien trois hommes. Notre considération pour le genre féminin s’en accrut à proportion.

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 597: KR'TNT 597 : STANDELLS / SARI CHORR / PIXIES / BUZZCOCKS / CHUCK JACKSON / MARLOW RIDER / WESTERN MACHINE / STONE OD DUNA / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 597

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    20 / 04 / 2023

     

    STANDELLS / SARI SCHORR

    PIXIES / BUZZCOCKS / CHUCK JACKSON

     MARLOW RIDER / WESTERN MACHINE

    STONE OF DUNA / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 597

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

    Les standards des Standells

     

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             C’est dans Shindig! qu’on a chopé l’info : parution de l’autobio de Larry Tamblyn, le keyboardist des Standells. Comme toujours dans ces cas-là, on se frotte les mains. On se régale même d’avance. De tous les ténors du barreau gaga, les Standells étaient les plus percutants, donc les chouchous, comme l’étaient les Pretties en matière de British Beat, et Jerry Lee en matière de tout.

             Les Standells sont arrivés en France via Nuggets, cette redoutable compile Elektra qui a mis pas mal de kids sur la paille. Parce que forcément, quand tu entends «Dirty Water», tu as envie de choper les albums. Oh c’est pas compliqué ! Il te faut juste sortir un bon billet et aller sur l’auction list de Suzy Shaw, chez Bomp! et avec un peu de chance, si tu mises bien, tu peux récupérer les gros cartonnés US des Standells sur Tower. C’est comme ça que les quatre Tower des Standells sont arrivés ici. On les ressort périodiquement de l’étagère, histoire de se rassurer.

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             Eh oui, les Standells furent un groupe à hits, comme le furent tous les groupes gaga-punk sixties, certainement pas des groupes à albums, comme vont l’être un peu plus tard le Jimi Hendrix Experience et les Small Faces. Sur chaque album, les Standells tournent sur une moyenne de deux ou trois hits, mais ce sont des hits majeurs. Le reste n’est que du filler. Tiens, si tu commences par leur premier album, Dirty Water, tu as deux grosses cacahuètes à te mettre sous la dent : «Dirty Water», bien sûr, radical - Aw Boston you’re my home - et en B, «Sometimes Good Guys Don’t Wear White» - But tell your moma and your popa that sometimes... - Sous des airs bravaches de balloche chicano, c’est le cut le plus punk de Los Angeles, bien épais, avec un Dodd bien raw to the bone. On se régale encore d’un «Little Sally Tease» plein de jus, harcelé par les interventions intestines de Tony Valentino et bercé par le shuffle d’orgue de Larry Tamblyn. Ils font aussi une belle cover du «19th Nervous Breakdown» des Stones avec lesquels ils sont partis en tournée. C’est l’une des plus belles intros des sixties - You gotta stop & look around - Ils piquent là une belle crise de Stonesy. Mais le reste de l’album n’est pas du tout au même niveau. Oh la la, pas du tout.

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             Alors après, voilà Why Pick On Me - Sometimes Good Guys Don’t Wear White, paru la même année, avec l’une des pochettes les plus iconiques de la culture gaga. C’est là que ça commence à carambouiller car on retrouve sur l’album le «Sometimes Good Guys Don’t Wear White» de l’album précédent. Joli cut c’est sûr, mais à l’époque, le procédé ne nous plaisait pas. Et comme on va le voir, cette façon de refourguer les mêmes hits sur des albums différents n’est pas finie. Côté covers, ils retapent dans les Stones avec un shoot d’acier de «Paint It Black», ils ramènent énormément de power dans un cut qui au fond n’en nécessite pas plus que ça, et puis ils tapent dans Burt avec «My Little Red Book», déjà repris par Arthur Lee & Love, et là, oui, banco, car grosse énergie punk, les Standells sont dans l’excellence du big L.A. brawl, ils y vont à l’énergie d’aw no ! L’autre coup de Jarnac est le «Mainline» qui traîne vers le bout de la B des cochons, encore du pur jus d’L.A. punk, qu’infeste à outrance le wild slinger Tony Valentino. En trois étapes («Dirty Water», «Sometimes Good Guys Don’t Wear White» et «Mainline») les Standells ont défini l’archétype du gaga-punk sixties.

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             Allez, on va dire que leur meilleur album est le Try It paru l’année suivante. Les deux coups de génie sont «Barracuda» et «Riot On Sunset Strip». Le Barracuda est le vrai hit des Standells - I’m a young barracuda/ Swimming in the deep blue sea - Wow, les fantastiques chœurs d’artichaut résonnent dans l’écho du temps. Ils finissent en mode hypno de c’mon c’mon c’mon. Planqué au fond de la B voilà l’excellent «Riot On Sunset Strip» - I’m going down/ To the Strip tonite - et ça va très vite avec le call for action. Vaillants Standells ! Dommage que le cut vire pop. Arrivent les sirènes de police, alors ça repart au wild as fuck avec le Tony en embuscade derrière les immeubles en flammes. Classic L.A. punk. Ils font aussi une cover bien standellienne de «St James Infirmary», gluante à souhait et chantée à outrance. Et puis bien sûr, tu as le morceau titre, belle invitation au c’mon girl. 

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             Le quatrième Tower s’appelle The Hot Ones et c’est un album de reprises. On y retrouve le «19th Nervous Breakdown» des Stones et le punk genius de «Dirty Water». Le troisième standout de The Hot Ones est la version punkish de «Last Train To Clarksville». Tony Valentino et Dick Dodd jettent tout leur swagger dans la balance. Par contre, ils se vautrent sur «Wild Thing». Les Troggs font ça beaucoup mieux. Ils tapent aussi dans Donovan avec «Sunshine Superman». Ils ont la main lourde, ils ramènent un gros bassmatic sur le dos de Don, disons que c’est de bonne guerre. Ils enchaînent avec «Sunny Afternoon». Choix étrange de la part de punks angelinos. Nouveau choix étrange en B avec «Eleonor Rigby», et ils retrouvent enfin des couleurs avec une retake tape dur de «Black Is Black», encore un hit qui date de la belle époque, une fantastique machine à remonter le temps.

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             Dans son book, Larry Tamblyn se dit très fier du Live On Tour 1966 exhumé par Sundazed. On y trouve à boire et à manger. Ils attaquent avec un classic gaga pysch, «Mr Nobody», pas vraiment de son, ça joue sous le boisseau, dans les ténèbres de la légende. Ils enchaînent deux covers, «Sunny Afternoon» et «Gloria». C’est très mou du genou dans les deux cas, le Gloria est doux comme un agneau, ils en font même un comedy act. Ça se réchauffe en B avec «Why Pick On Me», une valse à trois temps qui préfigure les Doors. Ils flirtent aussi avec Paint It Black, mais ça bascule heureusement dans le punk de why pick on me baby. Puis ils osent taper dans James Brown avec «Please Please Please», wanna be your lover man baby, mais c’est imbuvable. Même leur «Midnight Hour» est mou du genou, complètement édulcoré, chanté en mode petit cul blanc. On est aux antipodes de Wicked Pickett. Ils finissent en mode Standells action avec «Sometimes Good Guys Don’t Wear White» et «Dirty Water». C’est Dave Burke qui fait rouler la poule au bassmatic avec un son bien rond et de vaillantes transitions.

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             Pour tous les fans des Standells, le Tamblyn book est un passage obligé, même si globalement on y apprend rien de plus que ce qu’on sait déjà. Début d’autobio classique avec tous les détails d’une enfance californienne et fin d’autobio classique avec tous les détails des règlements de comptes et des petites trahisons, le traître principal étant Dick Dodd.

             Bizarrement, Tamblyn reste en surface. Il relate. Il raconte sa vie très simplement. Comme si sa vie se résumait aux quatre hits déjà cités. Mais il n’entre pas dans la chimie du groupe comme le fait Kid Congo avec le Gun Club. À la lecture du Congo book, on comprend pourquoi le Gun Club est un groupe si important. Larry Tamblyn se limite aux faits. Si les Standells sont devenus un groupe tellement mythique, on ne saura jamais vraiment pourquoi, on devra donc se contenter de les écouter. On grapille néanmoins quelques petites infos complémentaires et on s’en régale, puisqu’il s’agit des Standells, after all. Larry Tamblyn commence par nous rappeler que le Sicilien Tony Valentino s’appelle en réalité Emiliano Bellissimo et qu’ils ont co-fondé tous les deux les Standells en 1962. L’autre principale caractéristique de Tony est qu’il passe sa vie à courir les jupons et à baiser comme un lapin. Alors pourquoi les Standells ? Tamblyn tire le nom du «standing around in booking agents’ offices», c’est-à-dire «faire le poireau chez bookers». Larry a un grand frère, le fameux Russ Tamblyn, de neuf ans son aîné, qui deviendra movie star. En 1958, Russ joue le rôle d’un détective dans High School Confidential, avec Mamie Van Doren. On y voit surtout Jerry Lee. Larry avoue que Jerry Lee est l’un de ses héros et c’est grâce à lui qu’il arrête la gratte pour passer aux keyboards - After seing the movie, my musical perspective changed forever - Ça s’appelle une vocation.

             Le deuxième line-up des Standells comprend en plus de Tony et de Larry, Gary McMillan (bass), rebaptisé Gary Lane, et Gary Leeds (beurre). Gary Leeds qui vient de voir The Village Of The Damned veut changer le nom du groupe pour l’appeler The Children, en référence au film, et il propose que tout le monde se teigne les cheveux en blond. Proposition refusée. Gary Leeds commence alors à voir le groupe de travers. Il ne va d’ailleurs pas tarder à le quitter pour rejoindre les Walker Brothers. On ne saura hélas rien de plus sur ce personnage clé de l’histoire du rock américain.

             En 1965, Larry abandonne le Farfisa pour un Vox Continental organ. C’est Dick Dodd qui remplace Gary Leeds, un mec «handsome and self-assured», «half Hispanic and half Irish». Larry lui trouve «a real punk attitude». Dodd dit aux autres qu’il a eu l’info par Jackie DeShannon qui savait que les Standells cherchaient un beurreman. Dodd dit aussi qu’il a joué un moment dans le groupe de Jackie. 

             C’est aussi en 1965 qu’ils rencontrent Greengrass Productions et Ed Cobb, un ex Four Preps. Les Standells signent avec eux, parce qu’ils ont un deal avec Tower Records. C’est Cobb qui pond «Dirty Water». Il suggère de laisser Dick Dodd chanter. Et Tony sort le riff qu’on connaît tous, le fameux dum-dum-dum dump-da-dum. C’est Dick Dodd qui a l’idée de l’intro d’I’m going to tell you a story - It’s about my town/ I’m going to tell you a big fat story baby/ It’s all about my town - C’est aussi lui qui ramène les petites transitions du genre «along with lovers muggers and thieves», et «aw but they’re cool people». Et pour bien enfoncer le clou, Larry révèle que «Dirty Water» fut enregistré dans un garage aménagé en studio à Westwood, sur un trois pistes. Wham bam thank you pas mam, mais Armin Steiner, l’ingé-son. Inutile de dire que la version enregistrée de «Dirty Water» n’a plus rien à voir avec la démo d’Ed Cobb, mais les Standells ne sont pas crédités.

             En 1966, un mec de Screen Gems appelle Larry pour lui proposer la botte dans les Monkees, mais comme les Standells commencent à décoller, il reste loyal au groupe. D’autant plus loyal qu’avec «Dirty Water», les Standells obtiennent a «national prominence». Soudain, Dick Dodd annonce qu’il quitte le groupe pour rejoindre les Ravens. Tony est furieux : «Dat fucking Mexican ruined my life». Tony parle encore un mauvais Anglais que Larry s’amuse à le citer dans le texte. En remplacement de Dodd, ils recrutent Dewey Martin qui bat le beurre dans Sir Raleigh & The Coupons, et qui le battra ensuite dans Buffalo Springfield. Comme Dodd, Dewey est un excellent beurreman et un excellent chanteur. Quand Dick Dodd revient, Dewey gicle. Soulagement général, car Dewey se baladait avec un ocelot dont tout le monde avait la trouille.

             Il est temps d’enregistrer le premier album et Ed Cobb emmène le groupe au Keaney Barton’s Audio Recording Studio, là où les Kingsmen, les Sonics et les Wailers ont créé le Northwest Sound. Et quand Gary Lane quitte le groupe, c’est l’excellent Dave Burke qui le remplace.

             L’épisode le plus important dans l’histoire des Standells est certainement leur tournée en première partie des Rolling Stones, en 1966. Rick Derringer et les McCoys font aussi partie de cette tournée devenue mythique. Le tour manager des Stones est Mike Gruber que Larry voit comme un «major asshole». Dans l’avion les drugs sont plentiful : pot, mais aussi l’amyl nitrate qu’on utilise nous dit Larry pour relancer le cœur des mourants. Hélas, Larry reste à la surface des choses. On trouve beaucoup d’infos sur cette tournée dans Love That Dirty Water: The Standells And The Improbable Red Sox Victory Anthem de Chuck Burgess & Bill Nowlin.

             Ils enregistrent leur deuxième album Why Pick On Me à Los Angeles. C’est Ed Cobb qui choisit tous les cuts. Larry ajoute qu’il impose aussi le titre à rallonge. La même année sort The Hot Ones. Cobb fout la pression commerciale. Comme ça se vend bien, il accélère la cadence. Biz biz biz. Puis Larry voit Cobb changer. Il devient despotique et bien sûr, bosser avec lui devient compliqué. Il se prend pour une superstar, comme Totor, il s’attribue le fulgurant succès des Standells. En studio, il fait venir deux blackos, Ethen McElroy et Don Bennett qui composent et qui arrangent, puis des musiciens black qui remplacent les Standells sur un cut. C’est la même arnaque qu’avec le Chocolate Watchband. Larry assiste à l’enregistrement des faux Standells et demande à Cobb pourquoi il ne laisse pas jouer les Standells. Cobb lui répond : «These guys sound more like the Standells than you do.» Merci Cobb ! Le cut dont il parle est «Can’t Help But Love You». Cobb rajoute aussi des cordes sur «Trip To Paradise». Heureusement, le reste de l’album est purement standellien. C’est Larry qui chante «St James Infirmary». Puis les choses se dégradent encore avec Cobb qui décide de mettre Dick Dodd en avant, avec les Standells comme sidemen - He had lost all respect for our artistic integrity.

             C’est John Fleck qui va remplacer Dave Burke. Fleck n’est pas n’importe qui, il a joué dans Love. C’est un mec brillant qui sait aussi composer. Les Standells enregistrent encore un single avec Cobb : «Animal Girl»/«Soul Drippin’», qui paraît en 1968, puis un cut de Graham Gouldman, «Schoolgirl», mais comme Tony n’arrive pas à le jouer, Gouldman pique sa crise de fiotte et quitte le studio en claquant la porte. Larry se dit surpris de voir réapparaître le cut plus tard sur une réédition CD de The Hot Ones, mais il ne reconnaît pas la voix de Dick Dodd. Il se pourrait dit-il que ce soit celle de Gouldman.

              1968 est pour Larry l’année de la fin des haricots. Le single «Animal Girl» floppe. Le gaga-punk des Standells et des Seeds cède la place à l’acid rock de San Francisco. Les riffs de Tony n’intéressent plus les gens. Les Standells en profitent pour virer Cobb. Ouf ! Dunhill Records louche sur les Standells. Une fois de plus, Dodd quitte le groupe pour entamer une carrière solo.  Il reproche aux trois autres d’avoir viré Cobb qu’il considère comme un père. Cobb reproche aussi aux Standells de l’avoir quitté après qu’il ait tout fait pour les lancer et les rendre célèbres. Larry pense le contraire : Cobb leur doit tout, ce sont les Standells qui ont fait le son de «Dirty Water», certainement pas Cobb. La meilleure preuve dit Larry c’est qu’après les Standells, Cobb n’aura plus jamais de hits. Dodd avouera aux trois autres qu’il avait été manipulé par Cobb, lui faisant croire qu’il était The voice et que les autres ne servaient à rien.

             Les Standells se reforment avec Daniel Edwards (lead guitar) et Willie Dee (beurre). Le groupe tourne essentiellement en Californie. Puis Lowell George monte à bord, mais avec lui, ça se termine en eau de boudin. S’ensuit un autre line-up avec Bill Daffern (beurre), Paul Drowning (gratte) et Tim Smyser (bass) et là, on commence à s’ennuyer comme un rat mort. Larry finit par en avoir marre de jouer dans les nightclubs. Il se dit «disillusioned with the entire rock group thing». Il jette l’éponge. Pour lui, les Standells sont morts et enterrés. Kaput.   

             Grave erreur ! Le groupe se reforme en 1983 avec Bruce Wallenstein et Eric Wallengren. Ils partagent un studio de répète avec Motley Crüe que Larry voit comme des singes - Pour eux, l’abus d’héro et des orgies sexuelles sont probablement un pré-requis pour jouer dans un groupe de rock - En 1984, les Standells originaux se reforment pour jouer dans un festival rétro : Dick Dodd et Gary Lane remontent à bord. Puis c’est au tour de Tony de mal tourner et de devenir a pain in the ass. Il veut jouer ses compos sur scène et le problème, c’est qu’elles ne sont pas bonnes.

             Puis ce sera le fameux Cavestomp à New York. Le grand Peter Stuart des Headless Horsemen accompagne Tony, Dick et Larry. Et en l’an 2000, ils participent au fameux Las Vegas Grind avec les Remains et les Lyres. Larry est ensuite contacté par un tourneur espagnol qui veut les Standells au Go Sinner Go Festival de Madrid, et pour une tournée espagnole grassement payée. Tony dit non, parce qu’il doit s’occuper de son restau. Quand Larry propose de le remplacer à la gratte pour la tournée, Tony réussit à convaincre en douce Dick et Gary de refuser. Larry se dit trahi par son vieil ami. Il atteint les tréfonds de l’acrimonie. Pour lui, c’est la fin des haricots définitive.

             Il se fourre encore une fois le doigt dans l’œil. En 2009, les Standells originaux jouent à Vegas, puis à Amoeba Records, le super-marché du disque de Los Angeles, pour la parution de la box Rhino Where The Action Is, sur laquelle «Riot On Sunset Strip» est le kick-off cut. Larry découvre ensuite que Dick Dodd a détourné à son profit les royalties du fameux Live On Tour 1966 de Sundazed, sans bien sûr le dire aux autres. Il avait signé «Dick Dood for the Standells». Comment a-t-il pu faire une chose pareille, se demande le pauvre Larry, effondré au spectacle de cette abominable trahison. En 2010, les Standells reformés tournent en Europe. Ils jouent enfin au Go Sinner Go Festival de Madrid, dix ans après que Tony ait comploté pour l’annuler. Comme Tony a été viré du groupe, il appelle Larry pour lui demander de le prendre pour la tournée et Larry l’envoie sur les roses. Il a déjà engagé un guitariste «much better musician than Tony». Et puis la vraie raison, c’est qu’il ne peut pas recommencer à travailler avec Tony. Impossible !

             Alors la guerre éclate entre Tony et Larry. Tony ouvre un site officiel des Standells sur lequel il traite Larry de menteur. Les Standells continuent cependant à tourner jusqu’en 2017 et le concert final a lieu au Palace Theater de Los Angeles. Quelle histoire !

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             Dans Shindig!, Chaim O’Brien-Blumenthal re-raconte le book, comme le fait le cat Zengler, il reprend méthodiquement toute la chronologie et sort les anecdotes les plus croustillantes. O’machin sort par exemple l’anecdote du concert de Toronto, sur la tournée des Stones en 1966, lorsque les Ugly Dickings sont virés de la scène parce qu’ils tapent un cut des Stones. Ils ne savaient pas qu’ils jouaient en première partie des Stones et que, dans ce contexte, c’est interdit de jouer leurs cuts. Larry raconte aussi qu’un jour, il est invité à dîner chez les Stones, dans leur hôtel de Manhattan, et quand il demande du ketchup pour arroser son steak, le Jag le traite de «fucking yank». Larry raconte aussi que John Fleck fut débauché de Love, ce qui n’a pas plu à Arthur Lee. Pour se venger, le roi Arthur débranchera tous les amplis des Standells au moment où ils arrivent sur scène. C’est John Fleck nous dit Larry qui compose «Riot On Sunset Strip», et Tony ramène le riff, pour le film du même nom. O’Brien-Blumenthal cite bien sûr le garage revival des années 80 et le rôle crucial qu’a joué Rhino pour la renaissance des Standells. Et puis tout ça se termine bien sûr avec l’épisode du Red Sox Baseball team de Boston qui demande aux Standells de venir jouer «Dirty Water» dans leur stade en 2004 : c’est l’hymne du club. Et l’hymne des garagistes.

    Signé : Cazengler, Standouille

    Standells. Dirty Water. Tower 1966

    Standells. Why Pick On Me. Sometimes Good Guys Don’t Wear White. Tower 1966

    Standells. Try It. Tower 1967

    Standells. The Hot Ones. Tower 1967

    Standells. Live On Tour. - 1966. Sundazed Music 2015

    Chaim O’Brien-Blumenthal : I’m gonne tall you a story.  Shindig! # 135 - January 2023

    Larry Tamblyn. From Squeaky Clean To Dirty Water. BearManor Media 2022

     

     

    Sari jette un Schorr

     

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             Si on est allé voir Sari Shorr sur scène, c’est sur les conseils de Mike Vernon, le vieux boss du British Blues et de Blue Horizon, qui dans une interview récente disait avoir craqué pour elle. Sari Schorr est une blanche qui chante avec Joe Louis Walker en tournée - She’s the most extraordinary singer, a big-voiced blues rocker - C’est d’autant plus troublant que le vieux Mike doit être blasé, d’avoir fréquenté toute la crème de la crème du gratin dauphinois, de Mayall à l’early Fleetwood Mac de Peter Green, en passant par le Chicken Shack de Stan Webb. Et combien d’autres ? Alors on fait confiance à Mike et on y va. D’un pas d’autant plus ferme quand on a pris la peine d’écouter A Force Of Nature, paru en 2016.

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             Elle y fait une cover du «Black Betty» de Leadbelly. Elle la gueule mais on voit bien qu’elle en veut, la petite Sari. Derrière, Innes Sibun fait un incroyable travail d’ascension vers les dieux du blues. Sari gueule mais elle est bonne. On le voit dès l’«Ain’t Got No Money» d’ouverture de bal, elle chante au registre haut, ce qui n’est généralement pas bon signe, mais Innes Sibun amène l’eau du blues à son moulin et ça finit par sonner juste. Sari allume bien ses cuts. Elle s’investit à fond, comme on dit dans les entreprises. C’est Oli Brown qui vient gratter ses poux dans «Damn The Reason». On perd le blues, elle se barre dans son truc. Mais quand Innes Sibun revient pour «Cat And Mouse», les affaires reprennent leur cours normal. La petite Sari chante comme une black et Innes Sibun fait merveille au solotage, il va dans le sens de la fluidité, il est parfait dans son rôle de guitar slinger en embuscade. Il monte vite à la note. L’autre invité de l’album n’est autre que Walter Trout («Work No More»). Le Trout ramène du blues électrique. Alors Sari chante son blues à la dure, comme les femmes le chantaient dans les années 70, Maggie Bell, par exemple, à la rauque, et le Trout en fait des tonnes, il n’en finit plus de jouer son blues, il tombe dans sa démesure et c’est pas mal. Elle chante un peu «Demolition Man» comme Nicoletta, elle chante du ventre, et Innes est là, juste derrière. Elle fait un peu sa Guesh Patti, on s’attend à voir se pointer Étienne. Il n’empêche que le son est plein comme un œuf et qu’on en savoure chaque seconde. Oli Brown revient jouer sur «Oklahoma» et il joue plus jazz. Il se croit malin, il a raison. Avec «Letting Go», on entre dans le registre de la main courante, avec un Innes éclatant au coin du bois de Boulogne. Oli Brown revient sur «Kiss Me» et lui entre dans le lard à la colère latente. Il gratte en concordance, mais il reste prudent, il a raison, car Sari est chaude - All I want you to do is to kiss me - C’est très sexuel, kiss me hey hey, ça sent bon la cuisse offerte et le ventre afférent, c’mon kiss me ! Elle tape aussi dans le vieux «Stop In The Name Of Love» des Supremes, elle passe bien, même avec des accents mâles. Elle en fait une version heavy et donc on perd le Motown. Elle écrase son Why don’t you stop comme un mégot et rate son effet.

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             Sur scène, c’est un peu du sans surprise. Les Anglais qualifient ce type de spectacle d’old-school. Sari Schorr ramène son public dans les seventies. Tous les poncifs accourent au rendez-vous, les gros solos d’orgue Hammond, les grattés de poux grimacés d’un petit mec affreusement doué qui s’appelle Ash Wilson, on a même le bassman black au crâne rasé qui descend du heavy bassmatic sur un manche de basse plus large que la moyenne, et bien sûr une Sari Schorr qui incarne toute la bravado du blues-rock des seventies avec cette petite veste à franges qui rappelle celle de l’early Ozzy Osbourne.

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    Sari Schorr est une très belle femme aux cheveux noirs, dotée d’une voix extrêmement puissante, mais diable, comme elle peut être prévisible. Ce qui n’enlève rien bien sûr à l’intensité de sa présence.

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    Pour ce set en Normandie, elle tape dans ses deux albums et on est ravi de la voir niaquer le «Black Betty» du vieux Leadbelly. Dès qu’elle tape dans le blues, elle est passionnante. Mais quand elle tape dans les balladifs à l’Aerosmith, alors là, c’est plus compliqué. On bâille aux corneilles. Elle établit avec le public un lien de très bonne qualité, on sent qu’elle est contente d’être sur scène, elle sait se montrer très chaleureuse, en tous les cas, ses mots sonnent juste. La petite ombre à ce tableau angélique, c’est que la salle n’est pas très pleine. 

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             Il existe sur le marché un Live In Europe qui donne une idée précise de ce que donne Sari Schorr sur scène. On y retrouve son excellente retake du «Black Betty», elle le prend bien heavy et ça prend feu à force de craquer des allumettes. On y retrouve aussi «Back To LA», un balladif incendiaire porté par le pur power de sa voix, puis «Valentina», son cut de fin de set, juste avant les rappels. Des retrouvailles encore avec «Demilition Girl», heavy boogie élastique, mais avec de la voix, et «Ain’t Got No Money», un véritable shoot de hard boogie qu’elle éclate avec une force spectaculaire. Il faut la saluer, car elle génère énormément d’énergie. C’est une petite centrale à deux pattes. Elle pourrait alimenter une ville moyenne. Elle a joué aussi «Dame The Reason» à la Traverse, un cut de c’mon hanté par des fantastiques retombées d’excelsior, elle se fond dans le moule du bronze et n’en finit plus de battre de tous les records d’intensité énergétique. Elle peut se montrer très vindicative, avec une voix venue d’en haut, elle ramène des tonnes de power féminin. C’est dingue comme on s’attache à elle ! Elle fait une version superbe d’«I Just Want To Make Love To You», elle y déclenche une véritable émeute ses sens, elle s’y colle avec toute l’énergie dont elle est capable. Et puis elle ouvre son bal avec l’excellent big heavy boogie down de «The New Revolution», elle est vite dessus, beaucoup trop dessus. Trop de power, mais de ce trop-plein émane une forme de magie relative, c’est un hit, une vraie panacée, elle est splendide, elle épouse bien les développements, elle génère des petits phénomènes surnaturels. 

    Signé : Cazengler, Sari gole pas

    Sari Schorr. La Traverse. Cléon (76). 1er avril 2023

    Sari Schorr. A Force Of Nature. Marathon Records 2016

    Sari Schorr. Live In Europe. Marathon Records 2020

     

     

    Wizards & True Stars

    Have you seen the little Pixies crawling in the dirt ?

     (Part Four)

     

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             Se pourrait-il qu’après (bientôt) quarante ans de bons et loyaux services, les Pixies fassent encore les malins en enregistrant un album qu’il faut hélas qualifier de génial ? Se pourrait-il qu’après tant et tant d’années, le Pixass des Pixies, c’est-à-dire Frank Black, soit encore capable de puiser à la source même de son art, un art qu’il faut bien qualifier d’art total ? Se pourrait-il qu’au soir de sa vie, un petit homme à tête affreuse soit encore capable d’illuminer la terre, comme il a su le faire sa vie entière ? Se pourrait-il qu’après tant et tant d’albums extrêmement denses Frank Black soit encore apte à densifier la densité au point d’en troubler la nature profonde ? Se pourrait-il qu’un homme ayant exploré tous les recoins de la métaphysique du rock soit encore capable de pousser ses recherches pour éventuellement révéler au monde de nouvelles découvertes ? Se pourrait-il qu’une cervelle humaine, celle de Frank Black en l’occurrence, soit tellement rompue aux excès de l’intelligence qu’elle puisse s’auto-régénérer ? Se pourrait-il qu’un homme soit tellement amoureux de sa muse qu’il puisse envisager de l’épouser pour atteindre à l’immortalité ? Se pourrait-il qu’un homme soit tellement passionné par l’art magique de la composition qu’il puisse se croire autorisé à bousculer l’ordre des choses établies, au point d’éradiquer la notion même de déclin ? Se pourrait-il qu’un petit homme affreux du nom de Frank Black soit capable à lui seul de bouleverser le cours du temps ? Se pourrait-il que Doggerel soit le meilleur album des Pixies ? Se pourrait-il que cette hypothèse soit une vue de l’esprit ? Se pourrait-il que toute vue de l’esprit ne soit qu’une hypothèse ? Se pourrait-il que Doggerel soit en réalité un monstre sonique qui dévore vivantes toutes les hypothèses et toutes les vues de l’esprit ? Se pourrait-il que le morceau titre de Doggerel soit l’une des incarnations du mythe d’on a road to nowhere, c’est-à-dire le mythe du Graal ? Se pourrait-il que Frank Black fasse monter tout doucement la pression de ce morceau titre pour mieux nous convaincre de le suivre on the road to nowhere, c’est-à-dire vers le merveilleux néant ? Se pourrait-il que cet assaut - I’m a wonder Doggerel - soit le plus grand assaut de l’histoire du rock ? Se pourrait-il que sa scansion I’ll never wonder again/ I’ll never wonder again soit la scansion primale du rock, comme le fut en son temps l’Out Demons Out d’Edgar Broughton ? Se pourrait-il qu’il claque au passage un solo d’outer-space pour mieux nous convaincre de son extrême sincérité ? Se pourrait-il qu’il revienne inlassablement sur son never wonder again pour nous montrer la direction des nouvelles voies impénétrables ? Se pourrait-il que ce nerver wonder again soit the real wonder de l’histoire du rock ? Se pourrait-il que cet album incite les hommes à se prosterner ?

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             Foin des interrogations. Il est temps de passer aux affirmations : Doggerel se joue en Technicolor. Tu es là pour ça, bien calé dans ton fauteuil de velours rouge, mais tu ne sais pas encore à quel point c’est du Technicolor. Le gros va t’en foutre plein la vue, et même certainement plus qu’avant, plus qu’au temps de Trompe le Monde, quand il injectait sous ta peau un torrent de frissons baptisé «Letter To Memphis». Dès «Nomatterday», Frank Black nous ramène sur son spot de prédilection, back to the edge of sound. Tu le verras gratter sa cocotte au bord du gouffre. Il oscille dangereusement mais il reste le maître du jeu, c’est-à-dire le maître du rock américain, autrement dit le maître des éléments et des tempêtes soniques - It’s Nomatterday/ Here we go again/ Necromancers bending to and from - Il retape dans son vieil art de la digression, d’autant plus librement qu’il n’a plus rien à prouver. Il vise encore l’apocalypse avec «Vault Of Heaven», mais il y va en fourbasse, en dessous du boisseau, là où rôdent les reptiles vénéneux et aveugles, il emprunte la voie humide de la pop, accompagné du son de basse qu’il affectionne particulièrement - Here in the vault of heaven/ Just trying to keep me straight/ But I ended up still in outer space - S’ensuit une extraordinaire descente aux enfers («Dregs of The Wine»), nouveau numéro de charme killer de sixty-six - And then it’s time to go/ It’s really time to go - définitivement wild as fuck, il le tire au cul en feu. Le shaman Pixass détient tous les pouvoirs du rock. Pire encore avec «Haunted House» ! On se croirait sur un album solo du gros, au temps béni des Catholics, il nous a tellement habitués à ce genre de fantasia, mais fais gaffe, car ça devient vite incontrôlable, il va te bouffer le foie vite fait. Cet artiste surnaturel est capable de descendre aux enfers avec le chant du paradis. Il re-Cariboute sous la voûte étoilée - Haunted house all full of ghosts/ I’m gonna pass that way - Ça reste à la fois d’un très haut niveau et inexorablement sublime - Whoa, whoa, whoa, whoa, whoa - Il reste au paradis pour enfoncer un suppositoire dans l’anus rose de l’Ange Gabriel : «Get Stimulated» - ah-ah ah-ah - il schtroumphe sa heavyness, la bourre comme une dinde et claque sa chique aux accords délétères - Let it be said I’m a little narcissist/ But my favorite rock and roll is sealed with a kiss - Bizarrement, on se croit toujours en territoire connu, alors qu’il entre dans des zones inexplorées. Au point où on en est, on pourrait même parler de zones inexplorables. Il chante à l’agonie et reste magnifiquement infectueux - Get simulated/ I really get me down now - Il joue de sa voix comme d’un instrument. C’est sa façon de courir sur l’haricot du rock. Il reste le plus gros géant d’Amérique, un géant semblable à ceux que Zeus combattit et qu’Héraklès acheva. La seule différence avec les géants de Thrace, c’est que le gros est invulnérable. Il domine le monde et gratte sa petite pop. C’est un enchantement que de l’entendre. Il se permet même le luxe de sonner comme Creedence avec «Pagan Man». Il te concocte encore tout le bonheur que tu peux espérer avec «Who’s Sorry Now» et «You’re Such A Sadducce». Pix me up, Frank ! 

    Signé : Cazengler, Picsou

    Pixies. Doggerel. BMG 2022

     

     

    L’avenir du rock

    - Alors ça Buzz, cock ?

     (Part Two)

     

             L’avenir du rock prend souvent l’apéro à la terrasse du petit rade qui se trouve en face de la FNAC Saint-Lazare. Il se grise du spectacle d’une foule extrêmement dense, comme elle peut l’être aux abords de toutes les grandes gares parisiennes. Ce fleuve incessant charrie des êtres de toutes les couleurs et de toutes les tailles et semble les emporter vers leur destin. Quoi de plus vertigineux que le spectacle d’une foule en mouvement ? Un homme assis juste à côté engage la conversation :

             — Je vous connais. Suis certain de vous avoir vu à la télé, mais votre nom m’échappe...

             — Avenir du rock.

             — Vous rigolez ?

             — Pas du tout. Ai-je l’air de rigoler ?

             — Mais c’est pas un nom !

             — Et pourquoi ne serait-ce pas un nom ?

             — Excusez-moi de vous dire ça, mais ça sonne plutôt comme le titre d’un bouquin.

             — Non, je suis un concept, mais ce serait trop long à vous expliquer. Je préférerais que nous trinquions à l’arrivée du printemps, par exemple. Et puis dites-moi, à qui ai-je l’honneur ?

             — Je m’appelle Coq, comme un coq. 

             — Alors à la bonne vôtre, Coq.

             — À la bonne vôtre, Rock !

             Les tournées s’enchaînent, les visages s’empourprent et l’échange se fait plus cordial :

             — Pour un avenir, tu m’as l’air un peu fané, Rock.

             — On a l’âge de ses artères, Coq.

             — J’aimerais bien te tâter le bas, Rock.

             — Serais-tu bi, Coq ?

             — J’ai l’easy rut, Rock.

             — Là t’abuzz, Coq.

     

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             Pendant que l’avenir du rock tente de s’extraire de ce guêpier, Steve Diggle reprend en main la destinée des Buzzcocks, l’un des très grands groupes anglais rescapés, comme les Damned, de la première vague punk. Pourtant frappé de plein fouet par le cassage de pipe de Pete Shelley, le groupe existe encore. C’est inespéré.

             Pendant quarante ans, Steve Diggle a vécu dans l’ombre du grand Pete Shelley et ça n’a pas dû être simple pour lui. Diggle est un ‘Chester cat extrêmement brillant, c’est en tous les cas ce que montre Sonics In The Soul, le nouvel album des Buzzcocks, et on pourrait même aller jusqu’à dire : le nouvel album génial des Buzzcocks. Oui car quelle claque !

             Tiens, ça tombe bien, il en parle à Gerry Ranson dans Vive Le Rock. Ranson rappelle qu’il s’agit pour Diggle et Shelley d’une amitié vieille de 40 ans. Quand il a pris la décision de continuer le groupe, Diggle a dû surmonter le fameux «there’s no Buzzcocks without Pete», mais apparemment, nous dit Diggle, les fans ont accepté l’idée d’une continuation sans Pete. Il évoque les deux ou trois gros concerts de reformation donnés à Londres et comme ça lui tirait sur la paillasse, il est allé se reposer dans sa maison près de Thessaloniki, en Grèce - just walking up and down by the sea and having a cool drink - C’est là qu’il écrit des chansons - I always take a notebook - Il ne faut jamais perdre de vue que Diggle est un ‘Chester cat de base, brillant mais de base, un mec très ordinaire, qu’on est toujours content de revoir sur scène. Il dit avoir flashé très jeune sur Little Richard, Chuck Berry et Elvis et, comme tout le monde, sur les Beatles, les Stones, les Who, les Kinks et Bob Dylan. Puis il est passé à ce qu’il appelle le ‘hippie stuff’, «Donovan’s «Hurdy Gurdy Man», all that psychedelic thing», alors il s’emballe, «it was exciting, then later I got into The Velvet Underground, The Stooges and the MC5... via Bowie, really. ‘Cos as soon as Bowie came out, I remember seing the Ziggy Stardust Tour.» Voilà ce qu’on appelle une Éducation Sentimentale parfaite. Il a 16 ans quand il flashe sur Neu! et Can. C’est McLaren qui le présente à Pete Shelley au Lesser Free Trade, en 1976.

             Comme l’article s’étend sur 6 pages, Ranson retrace toute l’histoire des Buzzcocks, singles, albums, puis la première tournée américaine, et là, Diggle saute en l’air : «It was like Hammer Of The Gods!», il n’en revient toujours pas - Drink, drugs and girls every night. It was mental. But we always came out with the goods - Alors il développe, car c’est important : «Quand on est allés pour la première fois en Amérique, on a compris que tout était plus gros là-bas, alors on est montés d’un cran. Les Who pétaient leurs guitares et on a fait la même chose. Pas à cause des Who, mais à cause du public américain, the magic and the craziness of it!». Il raconte ensuite qu’à New York, les Ramones sont venus les voir en concert. Là, Diggle exulte : «Les Ramones nous adoraient et on leur a dit qu’on les adorait et qu’on avait été inspirés par leur premier album. Proper rock’n’roll times. But you have to live those times. That’s one of the reasons you get in a band: the excitement, the energy and... things!».

             Les Pistols choisissent les Buzzcocks pour jouer en première partie du Finsbury Park show en 1996. Là, Diggle devient sérieux : «That was the nucelus of 76. All the others came after. I always say, we wrote the fucking play, we wrote the script.» Diggle revient aussi sur la dernière tournée avec Pete, et un Pete fatigué qui vient le trouver chez lui pour lui dire qu’il songe à s’arrêter. Alors Diggle lui lance : «You’re not leaving it all with me! We’ve still got a lot to do!». Mais quelques jours plus tard, Pete casse sa pipe en bois.

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             Il est grand temps d’écouter Sonics In The Soul. Diggle attaque avec «Senses Out Of Control» et va se lover dans le giron de la légende. Quelle énergie ! Diggle crée de la bien bonne énormité, il insiste bien sur le control. S’ensuit un «Manchester Rain» vite torché. L’album s’annonce revigorant. Diggle est capable de ce genre de miracle, il t’explique comment on fonce à travers la plaine des Midlands, il te fait du pur jus. Il apparaît vite comme l’un des derniers géants de la grande époque du rock anglais, il tape en pleine power-pop avec «You’ve Changed Everything Now», il rue bien dans les brancards, Diggle dig it ! Le festival power-pop se poursuit avec «Nothingless World», ces mecs n’ont rien perdu de leur grandeur ancestrale. Diggle chante à la porte, mine de rien, il te sort un hit, il insiste et te colle au train. Il fait encore un prodigieux numéro de try it off avec «Don’t Mess With My Brain», il l’amène au heavy riffing de punch up, il chante à la menace à peine voilée, avec tout le poids de son héritage cocky, et ça prend de sacrées tournures, il rocke et il rolle à n’en plus finir, you betcha !, il transforme son mess en fookin’ legendary mess, you betcha, il n’en finit plus d’annoncer la couleur. Il illumine encore le rock anglais avec «Everything Wrong», il embarque ça au train d’enfer de Chester, il riffe avec une sorte d’incroyable facilité et une bassline croise sa route, ça sonne comme un hymne, tu as là du big Dig. Il te casse encore la digue vite fait avec «Experimental Farm», il te gratte ça à la vieille cocote. Diggle est l’un des mecs les plus attachants de l’histoire du rock anglais, mais aussi de la scène actuelle. Il gratte son énorme cocote en souriant, tellement il est heureux d’être là. Encore un coup de génie avec «Can You Hear Tomorrow», il claque ça au carillon, il pose bien ses conditions, il pousse le bouchon toujours plus loin, so far-out ! Il couronne son album à la dure de Chester.

             La chute de l’article de Ranson est magnifique. Diggle dit qu’après Devoto et Pete, c’est la troisième génération - We’re on the third generation now. You’ve been to the V&A and seen the Ming Dinasty? This is the Steve Diggle Dinasty, it’s my time now. Most people are on that journey now with us. Most people are saying ‘I’m glad you carried on, it’s nice to have Buzzcocks music in 2022’ - Magnifique artiste. Il devient chef de meute et trace la route vers l’avenir. Alors, on se prosterne jusqu’à terre.  

    Signé : Cazengler, la (triple) Buse

    Buzzcocks. Sonics In The Soul. Cherry Red 2022      

     

     

    Inside the goldmine

    - Un Chuck de choc

     (Part One)

     

             S’il fallait établir un hit parade des forces de la nature, nul doute que Jacques Somme trônerait au sommet. La notion d’obstacle ne l’a jamais effleuré une seule fois, tout au long de sa longue vie. Ne nous méprenons pas, Jacques Somme n’était pas un Hercule de foire. Il planquait ses biscotos sous un crâne garni de mèches blondes taillées à la serpe, comme celles de Jean-Paul Sartre, une autre force de la nature. Il était même courant, chez ceux qui goûtaient au privilège de sa fréquentation, de le comparer à Sartre, le strabisme divergeant en moins. Passionné de langues vivantes, Jacques Somme passait sa vie à les apprendre et à les enseigner. Il eut tôt fait d’apprendre le Russe et le Chinois et pour parfaire sa pratique, il y fit, comme Blaise Cendrars en son temps, des escapades sauvages. Plus tard, dans sa vie, lorsqu’il eût passé l’âge de sauter dans des trains en marche, il y organisa des voyages et créa un vaste réseau d’érudits et d’écrivains, dans les deux pays. Car bien sûr, la pente naturelle des polyglottes est la traduction. Il ne se contentait pas du Chinois officiel, il creusa un peu dans les régions et s’amouracha des dialectes locaux. Puis il entreprit à une époque où ce n’était encore courant d’apprendre TOUTES les langues des Balkans. Pour ce faire, il installait un magnétophone à cassettes sous son oreiller, et après avoir baisé ses deux maîtresses et son épouse qui partageaient sa couche chaque nuit, il s’endormait pour apprendre une nouvelle langue serbe ou croate. Il me confia un jour, en éclatant de ce rire rocailleux qui le caractérisait, qu’on apprend mieux en dormant. Il traduisait des auteurs qu’il connaissait personnellement pour le compte des fameuses POF, les Presses Orientales de France, et organisait des voyages culturels dans des pays très fermés comme la Corée du Nord et l’Albanie. Il nouait pour cela des contacts dans les ambassades et obtenait des autorisations que personne d’autre ne pouvait obtenir. Il commença au soir de sa vie à se pencher sur les dialectes d’Afrique de l’Ouest. Une nuit, son épouse et ses deux maîtresses furent réveillées par une atroce odeur de brûlé. Une fois la lumière allumée, elles hurlèrent en chœur : la tête de Jacques Somme était carbonisée. Sa cervelle en surchauffe avait pris feu. Ses lèvres bougeaient encore. Il semblait vouloir dire quelque chose. Son épouse se pencha. «Oua... ga... dou... gou...» Elle ne comprenait pas. «Oua... ga... dou... gou...»

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             Espérons que Chuck Jackson n’a pas connu une fin aussi atroce que celle de Jacques Somme. Enfin, atroce dans les apparences. C’est quand même pas mal de casser sa pipe en bois en apprenant une langue africaine. Chuck Jackson pratiquait une autre langue, la Soul. Il fut pendant 40 ans l’un des plus puissants Soul Brothers d’Amérique. Il ne connaissait qu’un seul rival, Wilson Pickett. Étant donné la nature tragique de l’événement, nous allons revêtir nos plus beaux habits noirs pour lui rendre un dernier hommage.

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             La meilleure introduction à l’œuvre de ce géant de la Soul est une belle compile Kent, Big New York Soul. Wand Records 1961-1966. Dans le booklet, c’est Ady Croasdell qui se charge des présentations. Il commence par rappeler que les Wand recordings du Chuck de choc sont considérés comme «some of the finest Soul tracks of their era». Entre 1961 et 1967, Chuck enregistre 30 singles et 10 albums pour Wand. Bien sûr, il est l’un des chouchous de la Northern Soul, sinon l’Ady ne serait pas là. Petite cerise sur le gâtö : les Kentomanes sont gâtés car l’Ady n’en finit plus de rappeler que cette compile grouille d’inédits découverts par les fureteurs d’Ace, lorsqu’ils ont récupéré les vaults d’or de Scepter/Wand, dans les années 80. Parmi les inédits, voilà «Things Just Ain’t Right», un heavy r’n’b gorgé de remona. Le Jackson boy y va au straight gut in the face. Chez lui, ça ne marche qu’à l’énergie du punch. Cette compile grouille littéralement de puces. Autre inédit : «All About You», cut dévorant dans une bruine de son. Chuck fait des étincelles, c’est raw, c’mon brother !, il y va au ah !’, il préfigure tout ce qui va suivre. Il t’aplatit l’All About You vite fait. Il allume aussi le «Why Why Why» à outrance. Upbeat and catchy, comme dit l’Ady. Il précise en outre que Doris Troy, Yvonne Fair et Maxine Brown chantent avec Chuck. Il fait un duo d’enfer avec Dionne la lionne sur «Anymore», qui date de 1963. Elle est jeune, presque fausse. C’est Chuck qui fait le show. Dionne vient se chauffer à la chaleur du Chuck. On peut dire de cet artiste extraordinaire qu’il chante d’une voix complète, cassée et cassante, une voix d’airain et d’étain, raw et polie à la fois. Il exerce une âcre fascination («Getting Ready For The Heartbreak»). Il est sur le pont dès l’aube de la Soul avec «In Between Tears». La série noire des coups de génie continue avec «Hand It Over», il te groove le hard du lard dans le creux de l’oreille, c’est de l’early Soul de génie, rien à voir avec la Soul plan-plan qu’on entend ailleurs. On plonge encore un peu plus au cœur du mythe Jackson avec «Big New York», le Chuck de choc rebondit dans le big heavy groove élastique. Voilà un mix idéal de groove et de big voice. Pour l’Ady, «Another Day» est une haunting performance. Chuck chante par dessus les toits. Avec «Why Some People Don’t Like Me», il passe au heavy blues. Il est dessus, mais au jazz bound. À chaque fois, il tape dans le mille. Il est énorme et plein, comme le montre encore «What You Gonna Say». Plein comme un plain singer. Dans «I’ve Got To Be Strong», il est juste derrière le groove. Chuck ne fait rien comme les autres. C’est un artiste unique, il groove son «Silencer» comme un cake. Il s’accroche encore à «This Broken Heart (That You Gave Me)», il s’y accroche de toutes ses forces, tu as sans doute là la meilleure Soul de l’époque, et donc du monde. Il faut le voir balancer des hanches sur «Forget About Me», il est d’une présence inexpugnable. Plus on progresse dans la compile et plus Chuck fascine par son talent et sa modernité de ton. Il est encore plus tranchant que Wilson Pickett. Un Part Two bien gras et dodu comme un sacristain viendra conforter cette idée.

    Signé : Cazengler, Chuck assomme

    Chuck Jackson. Disparu le 16 février 2023

    Chuck Jackson. Big New York Soul. Wand Records 1961-1966. Kent Soul 2017

     

     

    *

    Y a des gens cruels, vous n’y pouvez rien, c’est la nature humaine. Ici ils sont quatre, Tony Marlow, Amine Leroy, Fred Kolinski, à eux trois ils forment Marlow Rider, mais comme pour les trois mousquetaires, ii faut chercher le quatrième, un nom que l’on n’oublie pas, ce n’est pas le loup blanc, c’est Seb le Bison. On ne le voit pas, durant l’enregistrement du disque il était caché derrière la console et sur cette vidéo planqué derrière la caméra.

    Marlow Rider, l’on vous a présenté le premier opus ( 2021 ) du trio intitulé First Ride, l’on a doublé la mise, une fois le Cat Zengler, une fois votre serviteur, pour être sûrs que vous n’oublierez pas, un truc qui a foutu le sbeul partout où on l’a entendu. Gros succès, conséquence ils recommencent. La sortie de la deuxième rondelle vinylique est prévue pour ce début du joli mois 68, que dis-je, de mai !

    Pour le moment vous ne voyez rien à leur reprocher, pour un peu vous les traiteriez de bienfaiteurs de l’Humanité, vous avez tort, ils ont décidé de mettre le feu partout, des adeptes d’Héraclite qui pensait que le feu présidait au cycle éternel de la naissance et de la destruction du monde, leur nouvel album s’intitule CRYPTOGENESE, bref ils ne s’en cachent pas ils veulent nous brûler tout vifs comme Jeanne d’Arc. Les écologistes qui redoutent la sécheresse me font rire. En attendant, regardons et écoutons en avant-première :

    DE BRUIT ET DE FUREUR

    MARLOW RIDER

    ( Official Vidéo Bullit Records/ 05 – 05 – 2023 )

     

    Pas un bruit, sommes-nous dans un fond de banlieue là où commence ( presque ) la campagne, le Marlou étui de guitare en main, allure décidée, lorsqu’il passe devant une porte de garage, la caméra se focalise sur son visage, un quart de seconde pas plus, le Marlou vous regarde, votre sang se fige dans vos artères, maintenant vous comprenez pourquoi dans ses interviewes il n’oublie pas de spécifier qu’il est né en Corse, le pays des bandits d’honneur, très gentils mais il vaut mieux s’abstenir de leur marcher sur les pieds, même sur un seul, vous paniquez, pourvu qu’il ne m’ait pas vu, mais non il n’a rien contre vous, par contre dès l’image suivante il s’en prend à sa guitare.

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    Marlow envoie le riff, tout de suite lourdement ponctué par Fred à la main lourde, la contrebasse d’Amine vous pose des contreforts en béton précontraint, vous entrevoyez cinq minutes de volupté paradisiaque, déjà vous voyez venir la suite, riff + riff + riff + solo fulminant, puis retour riff + riff + riff + solo embrasement terminal, personne ne descend tout le monde totalement stoned, le Marlou vous réserve une surprise, une vipère froide comme la mort qu’il balance autour de votre cou, elle sort de sa bouche, une espèce de Ah ! de derrière le larynx, un feulement de lynx sauvage qui se laisse tomber du haut d’un arbre et enfonce les griffes de ses quatre pattes au travers de votre boîte crânienne pour le plaisir de labourer votre matière cervicale particulièrement spongieuse, le Marlou ne cessera de répéter  la déliquescence de son cri ante-primal tout le long du morceau, pour accentuer l’effet et l’effroi la caméra se bloque sur sa bouche ouverte et vous apercevez sa langue rouge comme la torche d’Erostrate avec laquelle il incendia le temple d’Artémis à Ephèse, sur l’autel duquel Héraclite avait déposé son livre, la même nuit où naquit Alexandre le Grand, vous voyez la conséquence que cette gutturalité spasmodique a produit sur ma modeste personne, mais ce n’est pas tout, puisqu’il a ouvert la bouche, Marlow parle, en français, comment il ose jouer de la guitare psykédélique et il chante en français, sachez-le Marlow n’a peur de rien, il sait imposer ses choix, l’image qui déjà n’était pas très stable se démultiplie, Marlow ressemble à l’Hydre de Lerne, il est impossible de compter ses têtes, Marlow partout, le reste du monde nulle part, z’êtes emportés dans un tourbillon stroboscopique, Fred vous plombe sa batterie, l’a tendu ses peaux sur des gouffres ce qui explique leurs résonnances, et Amine vous dénature sa big Mama, il vous décalamine le son en décalcomanie, le Marlou n’en continue pas moins à glapir tel le Renard du désert à la recherche du Petit Prince, à la fin sa guitare ondule comme une tête de cheval séparée de son corps, elle circonvolute avec la grâce et la maestria d’un évêque qui vous balance un encensoir autour d’un cercueil. La messe est dite. Ite. Sur l’image suivante, on retrouve le Marlou dans la rue tenant son étui à guitare d’une main et une jolie fille de l’autre. Normal c’est un rocker.

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    Damie Chad.

      

    *

    Je connais nos lecteurs, je n’ignore rien de nos lectrices, en lisant la chro précédente sur Tony Marlow, les premiers en lisant le nom de Seb le Bison ont rêvé à la légende indienne du bison blanc, les secondes ont cru qu’elles allaient enfin assister au retour de la femme Bison Blanc. Je crains de décevoir le lectorat, non Seb le Bison n’est pas un bison blanc, non il n’est pas une femme, l’est un homme comme tous les autres, avec quelques particularités, il est Directeur Artistique de Bullit Records, label Rock Indépendant basé à Montreuil City Rock. Enregistrent chez Bullit, Marlow Rider, Cooking with Elvis, Loolie & The Surfin Rogers, je cite ces trois en premiers car nous les avons déjà chroniqués, disques et concerts, mais aussi : Smash, Rikkha, Les Daltons, Nico Shona and the Freshtones, et Modern Delta. Enfin Western Machine dans lequel Seb le Bison officie à la guitare.

    SHORT CUTS

    WESTERN MACHINE

    ( Bullit Records 02 / 2021 )Jésus la Vidange : bass / Taga Adams : bass, vocals / François Jeannin : drums,  vocals / Fred le Bison : vocals, guitar, producteur / Matt le Rouge : saxophone / Andrew Crocker : trumpet.

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    Une pochette hommagiale, pas spécialement dédiée au western, pas mal au cinéma, pour le reste il n’est pas évident de reconnaître les effigies, ce qui est sûr c’est que les trois carrés blancs représentent les membres du groupe : Taga Adam, François Jeannin et Fred le Bison mais au cinéma. Faudra-t-il considérer chaque morceau comme une séquence de film.

    Going back to Hollywood : ne dites pas qu’à Hollywood les cowboys sont d’opérette car ça ramone sévère, si vous attendez une ballade country c’est raté, Jeannin s’obstine fatidiquement sur ses outils de travail, le Bison  meugle méchant, l’on intuite qu’il n’est pas dans un champ de pâquerettes en train de conter fleurette sous un soleil printanier, et pour finir Matt se fâche tout rouge sur son sax, déraille dans un long solo qui finit par se confondre avec des bruits de voitures. High shape woman : Jeannin balance la salière, et la horde cavale derrière, tous en chœur pour le refrain, à la manière dont il mord dans le vocal comme dans le fruit du péché il est sûr que Calamity a produit un effet bœuf sur notre Bison. Bison : Bison fait son autopromotion, sort de son étui une belle voix sombre à la Johnny Cash, sur le refrain les copains le soutiennent à mort, l’a encore une arme secrète, c’est Andrew qui dégaine sa trompette, illico l’on est transporté dans les grandioses paysages de la Sierra Nevada, hélas un coup de téléphone impromptu tire-bouchonne les illusions héroïques. Run run : galopade effrénée, tout se passe dans la tête, voix et contre voix, presque un instrumental serait-on tenté de dire, ce qui serait un mensonge éhonté, mais y mettent tant tout leur cœur que la coagulation rythmique des instruments emporte l’adhésion. Red horse : le cheval n’est pas rouge par hasard, c’est Matt qui mène le troupeau sauvage, se lance dans une espèce de solo vrillé qui tient autant du jazz-noise que du sixty-garage, à la toute fin il essaie de recracher le crotale de la fiole du moonshine qu’il avait avalé par inadvertance. Betty Jane : ce n’est pas Betty Jane Rose, plutôt Betty Jane blue, de toutes les manières rose ou bleue les filles sont toujours problématiques, n’y a qu’à se fier à la voix blanche qui raconte, en douce langue françoise, cette triste histoire, concentrons-nous plutôt sur le travail de François Jeannin que la valdinguerie de la guitare met en évidence. Down by law : voix implacable de la justice en intro, musique en cavale précipitée et voix hargneuse tout de suite après, nous n’avons pas encore parlé des chœurs masculins qui émaillent beaucoup de ces titres, ces soulignements lyriques ne sont pas à négliger, surtout dans ce titre où ils apportent stigmates du drame. I won’t back down : de Johnny Cash, rendons à César ce qui est appartient à Tom Petty et ses Heartbreakers, disons que Western Machine rajoute de la viande instrumentale autour de l’os Cashien, l’idée se défend mais parfois le dénuement squelettique est plus inquiétant. Diamond ring : une espèce de parodie westernique très bien faite, la scène du saloon avec le sax de Matt le Rouge qui se permet de danser la gigue sur les tables et les chœurs de cowboy qui rajoutent de l’ambiance. Moon phase : western interstellaire, avant tout un instrumental, Jeannin se démultiplie, le sax de Matt déraille et fouraille une fois de plus pour notre plus grand plaisir. Western dream : les westerns mexicains, ceux qui se passent au Mexique, de Vera Cruz à El Chuncho, sont-ils les plus beaux, la question mérite discussion, la trompette d’Andrew fait pencher la balance en leur faveur, pratiquement seule, elle surgit comme l’incarnation de l’âme d’un peuple sur un dialogue de film. Magnifique.

    Ne pas se focaliser sur le terme western, machinent un peu tous les styles, garage, rock, punk, ska, mélangent le tout et ressortent la mixture à leur sauce. Résultat : l’envie d’écouter le premier.

    FROM LAFAYETTE TO SIN CITY

    ( Bullit Records / 2016 )

    Olivier HSE : bass / Jésus la Vidange : bass, vocals / François François : drum, vocals / / Fred le Bison : vocals, guitar, / Matt le Rouge : saxophone.

    Big Zym s’est chargé de la chouette pochette, mélangeant mythologie western et modernité avec humour.

    Le titre désigne-t-il la ville de Lafayette située dans l’Indiana ou une autre, plusieurs bourgades des USA ont en effet pris le nom de notre célèbre marquis.  Quant à Sin City la difficulté de localisation est encore plus grande, certes c’est ainsi que l’on surnomme Las Vegas, toutefois nous partirons du principe suivant : il y a déjà une Sin City dans chaque ville où réside une lectrice ou un lecteur de notre blogue. Ailleurs aussi, mais la liste serait trop longue.

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    Hey Western Machine : est-ce en l’honneur de Bo Diddley l’homme à la guitare en fourrure que le titre démarre sur une cascade battériale, par la suite François s’amuse à nous servir le jungle sound en catimini, l’on change d’époque, guitare et basse écrasent tout sur leur passage, z’ont sorti la voiture de la pochette du garage et ça s’entend. Débutent leur disque par un instrumental, un peu comme les westerns qui s’ouvrent sur une tuerie.  Dead man : une guitare saignante, une basse grondante une batterie qui joue au tapis de bombes et une voix qui survole le tout comme un vol de vautours autour d’un cadavre, n’y vont pas de main morte, vous ratiboisent le secteur sous tous ses angles. Pour les amateurs de déglingue. I got a D : intro fanfaronnade, puis l’on prend les patins pour glisser sur le plancher sans rayer, avoir un D comme date, ça vous file de l’entrain, à la fille comme au boy, ne sentent plus, j’ignore le nombre de flacons pilules qu’ils ont avalés, mais ils sont en forme, une espèce de trombe joyeuse qui dévastera les adeptes de la sérénité zen. Failing down : après les deux giboulées précédentes, avec un tel titre on espérait un blues tempéré, totally raté, c’est encore pire, une folie furieuse vous emporte au vent mauvais, n’en finissent pas de jacter, à croire que le rendez-vous ne s’est pas passé comme on l’a cru, un jungle sound démentiel, une catastrophe auditive, les fauves sont lâchés sur les auditeurs innocents. Phénoménal.  Walking dead : pas de panique avec ce  que vous venez d’entendre vous pouvez croiser une horde de morts vivants affamés avec le sourire, un bon départ rock’n’roll, souplesse rythmique, la basse lourde comme un éléphant qui fait des claquettes, sur les refrains le morceau décolle comme un gros porteur, évitez les hélices elles vous décapiteront en un rien de temps, en fait c’est très métaphysique, notre mort-vivant ne retrouve personne, l’on comprend qu’il ait des poussées d’adrénaline, un drame de la solitude. Comme quoi même au milieu d’un vacarme l’on peut se sentir seul. You’re hot : vous ne résisterez pas à la féminine voix suave qui vous interpelle et encor moins à cette batterie aux abonnés présents, à cette basse épouvante et à ce riff éprouvant, hélas les meilleures choses sont les plus courtes. Deux minutes d’éjaculation précoce.  Lonesome hero : ne confondez pas avec Im a lonesome fugitive, décidément la ballade sentimentale ce n’est pas leur truc, le gars n’est pas abattu par la nostalgie, roule comme une pierre qui rolling stone, mais hargneuse, hérissée de rage et de fureur, le François se prend pour Rocky 2, et tout le reste à l’avenant, attention à l’avoinée qui vous tombe dessus. N’arrivent même pas à se calmer sur les trois dernières secondes. Des brutes épaisses. Adorable ! Come to me : n’écoutez pas ce morceau je vous en conjure allez sur YT visionner l’official video, et après vous ne reconnaîtrez plus personne, pas même une Harley Davidson. Very Hot. Pour ceux qui en veulent plus, Juliette Dragon officie aussi sur Sin City. Mustang : une chevauchée fantastique pleine de bruit et de fureur, du bitume et des motos, un shoot de basse à vous déchausser les dents, une cavalcade motorisée comme vous n’avez jamais osé, la poignée dans le rouge. Sin City : maintenant vous savez pourquoi ils étaient si pressés, la voix de Juliette Dragon incarne le péché à elle toute seule, le saxophone de Matt le rouge éclate comme un bulbe turgescent, il se dresse comme une tête de serpent en train de muer, le morceau chavire dans l’enfer du stupre et le gouffre de la dépravation, vous croyez avoir atteint le fond, vous n’avez pas tort, mais vous n’avez pas raison.  D blues : Blues urbain ou country blues. Epineuse question. Ces deux rails parallèles sont-ils fait pour se rencontrer. Pour ceux qui veulent comprendre une official video sur YT vous aidera. Entre délire et questionnement philosophique sur la nature de l’Homme cet animal bipolaire. Un morceau un peu à part, moins rentre dedans que les précédents, mais tout aussi bon.

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             Je pense que cet album est encore plus réussi que le précédent qui vaut son pesant de berlingots à la nitro. Sûrement plus tonitruant, pratiquement à chaque morceau vous auriez envie qu’ils nous en fassent une version instrumentale pour mieux en goûter la richesse. Power trio de choc. Luxuriant.

              D’une richesse extraordinaire.

    Damie Chad

     

    *

    STONE OF DUNA

    Des inconnus par chez nous. De Gothenbourg, deuxième ville de Suède située au sud-Ouest du pays, au bord de mer. Déjà un bon point, en règle générale les groupes Suédois raffolent de la violence, cela provient-il de leur ascendance viking, peut-être. En tout cas Stone of Duna ne semble pas déroger à cette règle. Ils ne donnent pas leur identité, mais les mots qu’ils emploient pour définir leur musique ne paraissent pas évoquer la douceur de vivre. Jugez-en par vous-mêmes : machine à riffs, doom, stoner, sludge, fuzz. Ne les traitez pas de grosses brutes épaisses sans peur et sans pitié. Sont comme la lune, z’ont une face cachée, sont aussi des amateurs et peut-être même des armateurs de musique progressive. Je reconnais que cette appellation recouvre le meilleur comme le pire, l’insipide ou la découvrance de terres inconnues. Se présentent comme des philosophes, pas dans le genre Kant rébarbatif, comme des adeptes de la pierre philosophale, ne l’appellent pas tout à fait comme cela, usent de l’expression de pierre de Duna, qu’ils cherchent à atteindre par la transmutation alchimique des éléments précités, voire précipités dans l’athanor de la recherche sonore. Quoi qu’ils en soient, en sont juste au début de leurs recherches, n’ont publié que deux singles, en mars et en avril de cette année.

    STYGIAN SLUMBER

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    La pochette n’est pas sans évoquer l’intérieur du Led Zeppelin IV, ce mystérieux vieillard encapuchonné perché sur le sommet d’un pic rocheux tenant en sa main gauche une lampe dont le halo lumineux paraît d’un diamètre bien trop réduit pour éclairer le monde. Sur la couve de Stygian Slumber, l’ermite est en marche, il n’est pas encore parvenu au point culminant de sa montée. Si tout comme sur le Led Zeppe il s’appuie sur un long bâton, il ne brandit aucune lanterne, le haut de sa silhouette s’inscrit dans l’orbe d’un astre satellitaire, il porte sur son dos un étrange appareil, entre appareillage de plongée et alambic portatif dans la transparence duquel s’agitent de verts linéaments. Une image aussi difficile à déchiffrer que celle du IV. A la bien regarder l’on pense intuitivement à la nuit du Walpurgis dans le Faust de Goethe.

    Etrange, étrange, étrange, oui trois fois étrange, une distribution parfaite, un tiers pour la musique, un tiers pour le vocal, un tiers pour les lyrics. ( Pour ces derniers si l’anglais vous pose des difficultés regardez sur YT la version Lyric Video ). C’est l’entrée du vocal qui est déstabilisante. L’intro mérite le logo classic doom sans discussion, une montée en puissance des cordes avec très vite le jeu de la batterie qui tient à jouer son rôle de jeune première, tout est parfait, quand l’on y revient l’on s’aperçoit que du premier coup on n’a pas fait attention au merveilleux équilibre sonore apporté à chaque instrument, tous traités à égalité, puissance équivalente, un peu plus tard la basse bénéficie d’une thérapie un peu spéciale, on la laisse grogner toute seule dans son coin à la manière d’un loup fourvoyé dans une cage, ce traitement de faveur n’est pas dû au hasard, l’est sans doute là pour attirer l’attention sur l’exhaussement des voix, pour qu’à l’instant où l’organe humain prend son envol l’auditeur en ressente la clarté absolue. En règle générale dans le doom l’obscurité de la musique assombrit la voix qui pour se mettre en diapason avec l’atmosphère morbide s’enkiste dans une raucité gutturale et le background instrumental pour ne former qu’une unique coulée de lave torrentielle, ici vocal el instrumentation font cavalier seul, aucun n’empiète dans le couloir de l’autre, ce n’est pas qu’ils s’ignorent, qu’ils essaient de tirer la couverture à eux, l’on pourrait parler de coexistence pacifique, si tu déchaînes ta puissance je libèrerai la mienne, tu as tout à y perdre autant que moi, alors ne joue pas avec le feu, tu te brûleras. En cherchant bien, un peu ce qu’avait réussi en 1970 Uriah Heep dans Gypsy sur Very ‘Eavy, Very ‘Umble. Toute constatation mérite explication. Elle réside dans les lyrics. Assez obscurs. Non pas l’histoire d’un cheminement extérieur plutôt celui d’un dévoilement intérieur, ces pensées par lesquelles survient la prise de conscience que la réalité qui s’offre à nous n’est qu’une croûte de mensonge, que sous la boue terrestre des chemins se cache la réalité d’un autre monde, que la fange alluvionnaire recouvre et cache une pierre à la dureté impérissable. Une fois que l’on a saisi c’est alors que commence le chemin, celui de la maîtrise opératoire, la première étape celle de l’œuvre au noir, par laquelle le compost de la matière première est réveillé, préparé, réactivé, cette épreuve exige habileté et réflexion, ce qui explique maintenant la construction de ce morceau dont les différents ingrédient sont portés à leur plus haut niveau d’intensité, la recherche du kairos dans le kaos, de l’instant précis où toutes les séquences ordonnées seront à même de subir l’épreuve de l’étape suivante. Les alternances, les phases, les déclinaisons instrumentales et chantées sont à écouter comme un processus rituelliques dont le but principal serait de reléguer le hasard dans le néant des inexistences parcellaires. L’on n’épuise pas ce morceau, il faut sans cesse le réécouter pour en signifier le déroulement.

    DEATHBRIGHT

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    L’on retrouve sur la couve le marcheur de la pochette de Stygian Slumber. Il semble (tout comme le vieillard du IV) parvenu au faîte du mont dont il n’abordait alors que les premières pentes. Il contemple le grandiose paysage qui s’étend devant lui. Des aiguilles pierreuses s’offrent à sa vue. L’artwork est manifestement inspiré du tableau Le voyageur de Caspar David Friedrich. Le lecteur aura remarqué de lui-même que si la première image reste dans une tonalité ombreuse, cette deuxième semble auréolée de couleurs beaucoup plus éclatantes.

    Musique plus vive, le vocal davantage dans le magma sonore, mais encore lumineux, nous voici dans l’instant du réveil, le maître a agi sur la matière noire, elle se rend compte qu’elle était morte puisqu’elle prend conscience qu’elle vit, le son se charge d’impétuosité, le morceau oscille, tantôt il penche du côté de la mort et tantôt de la vie. Si le maître a rendu la vie à la matière morte, que lui a donné en échange la matière morte, toute l’opération ne serait-elle pas un va-et-vient incessant entre les deux formes suprêmes de toute phénoménologisation, entre existence et inexistence. Entre couleurs et nuit, entre chaleur et froideur. Entre inertie et mouvement. Le deuxième menant immanquablement à l’autre. Nous n’avons parcouru qu’une partie du chemin. Nous attendons avec impatience la suite.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 24 ( Black teeth  ) :

    129

    Je m’écroule sur la moquette. Evanoui. Ainsi la clef de cette mystérieuse et labyrinthique de cette affaire repose en moi. Le choc émotif a été trop fort ! Molossito me lèche le visage. Molossa me mord les pieds. Rien n’y fait. Lorsque les pompiers sont arrivés, ils sont à mes côtés et hurlent à la mort. Le toubib et les infirmiers du Samu, s’évertuent de longues minutes à pratiquer un massage cardiaque, en vain. Le docteur ne se décourage pas :

              _ La dernière chance, hier j’ai été appelé au zoo de Vincennes, l’éléphant ne se réveillait pas après la dose d’Angel Dust que le vétérinaire lui avait administrée, on lui a refilé cent soixante- dix-sept litres d’ammoniac dans le cœur sous forme de piqûres, l’était tout faiblard quand il s’est réveillé, n’est toujours pas en grande forme ce matin, avec trois mois de convalescence à l’isolement complet on estime qu’il a une chance sur cent pour retrouver la santé, il me reste une seringue dans le sac !

    Et hop il me plante l’aiguille dans la poitrine et m’instille direct un litre d’ammoniac dans le cœur. Je ne bouge pas, mon corps ne frémit même pas. Cinq minutes d’attente angoissée, le praticien se tourne vers le Chef :

             _ Monsieur, je suis désolé, la science ne peut plus rien pour votre collaborateur !

              _ Arrêtez vos jérémiades, d’abord sachez que les agents du Service Secret du Rock ‘n’ roll, ne sont pas comme les autres humains, maintenez-lui la bouche ouverte, et vous là débouchez-moi la bouteille sur l’étagère là-bas !

    Le Chef ouvre le tiroir de son bureau et en tire un Supositario qu’il allume sans tarder, il aspire longuement une énorme bouffée et se penchant vers moi, il me souffle un épais nuage de fumée malodorante dans les bronches. Les deux pompiers qui m’écartent les mâchoires se détournent pour vomir leur quatre heure. J’ouvre les yeux et tousse un bon coup.

             _ Un miracle, je n’ai jamais vu ça, balbutie le Diafoirus

             _ Au lieu de dire n’importe quoi ingurgitez-lui une demi-bouteille de Moonshine dans le gosier, dans un quart d’heure il batifolera dans le bureau comme un poulain qui vient de naître !

    130

    Après cette longue journée nous avons dormi au local. Je me hâte de rétablir la vérité historique. Après le départ des secouristes je me suis allongé sur un divan, mes chiens serrés contre moi, à ma grande honte j’ai roupillé comme un loir. Le Chef est resté à son bureau toute la nuit, en fumant Coronado sur Coronado. Lorsque je me réveille il est train de vérifier avec soin une dizaine de Rafalos posés devant lui.

             _ Agent Chad, vous devriez dormir toutes les nuits au bureau, nous gagnerions ainsi un temps précieux !

             _ Pour quoi faire Chef, je ne sais plus par quel bout continuer cette enquête, je suis perdu !

             _ Agent Chad savez-vous la différence existant entre un dédale et un labyrinthe ?

             _ A peu près la même chose, je suppose

             _ Pas du tout un dédale possède plusieurs entrées et donc plusieurs sorties, à l’opposé un labyrinthe n’a qu’une seule entrée qui est aussi son unique sortie.

             _ Oui Chef mais où cela nous mène-t-il, je ne vois pas où…

            _ Elémentaire mon cher Chadson, nous savons que tout ce mystère repose sur vous, l’espèce de commotion psychique dont vous avez été saisi hier le prouve, pour résumer vous êtes l’entrée et la sortie de cet imbroglio, nous sommes en plein dedans, il suffit de trouver la sortie pour nous en tirer. Actuellement nous nageons un peu si vous me permettez cette expression, il suffit donc de remonter le courant pour nous extraire de ce guêpier.

             _ C’est-à-dire que nous allons procéder en quelque sorte à l’envers !

             _ Exactement Agent Chad, mais en procédant selon notre logique et non pas selon celle du labyrinthe. Je vous explique parce que votre mine me signifie que vous n’entravez que couic. N’oubliez pas que c’est vous Agent Chad qui avez défié la mort, vous avez même dit que vous vouliez tuer la mort. Ce qui n’est pas sans poser quelques problèmes, si vous réussissez, pensez à ces millions d’imbéciles qui nous entourent présentement et que nous devrions supporter durant des milliers d’années…

    • Présenté comme cela en effet il me semble…
    • Ce n’est pas le problème, dîtes-moi plutôt où l’on a la chance de rencontrer la mort ?
    • Dans les cimetières Chef !
    • Eh bien, nous allons revisiter les cimetières que nous avons traversés durant nos pérégrinations, mais en commençant par le dernier !
    • Si je comprends bien nous…
    • Allez plutôt me voler une grosse berline noire !

    131

    Nous avions pris l’air de promeneurs inoffensifs, des curieux, des touristes, nous avons tourné et retourné, ne pas attirer l’attention avait dit le Chef, personne n’aurait pu dire si au prochain croisement nous prendrions à droite ou à gauche tant notre promenade paraissait capricieuse et hasardeuse. Malgré cette nonchalance affichée, nos circonvolutions faussement aléatoires ont fini de nous rapprocher de notre but.

    • Nous sommes à moins de deux cents mètres, murmura le Chef, Agent Chad une main sur votre Rafalos, maintenant tout peut arriver !

    Le Chef croyait-il si bien dire ? Il ne nous restait plus qu’une soixantaine de pas pour arriver lorsque nous les vîmes. Ils étaient deux manifestement occupés à se livrer à une étrange tâche. Nous nous sommes rapprochés sans bruit. Ils ne nous ont pas entendu venir. En bleu de travail, ils avaient l’air de rassembler leur outillage. L’un s’est brutalement retourné :

    • Ah c’est vous ! Vous venez voir le travail, ça n’a pas été difficile ni trop long, j’espère que vous serez satisfaits
    • Non, non, nous sommes de simples visiteurs, nous nous demandions ce que vous faisiez
    • Excusez-moi, nous avons cru que vous étiez des membres de la famille. Nous sommes des marbriers, nous avons été chargés de terminer l’inscription sur la tombe, pour moi ce n’était pas difficile, juste rajouter 80 à l’année de naissance et 95 à l’année de sa mort, par contre pour le collègue ce n’était pas de la tarte.
    • Pensez donc Messieurs il a fallu rajouter une première lettre au nom et en plus l’attacher à la suivante, pas facile mais je ne suis pas mécontent de moi, pas mal l’artiste, qu’en pensez-vous ?

    Je m’extasiai :

             _ Sûr qu’accoupler le E initial avec un O qui prend sa place, il faut être sacrément habile, de la belle ouvrage !

            _ Par contre la personne qui est dessous est là depuis presque 30 ans, puisque nous sommes en 2023, et durant tout ce temps la famille n’a pas trouvé le temps de rajouter quatre misérables chiffres, des radins comme cela, ça ne devrait pas exister, une honte, il n’y a plus de respect dans cette société, même pour les morts, nous vivons dans un drôle de monde !

    Nous compatissons gravement. Un coup de klaxon rompt retentit.

              _ Ah ! le patron, doit y avoir un autre chantier, on prend le matos et l’on file, au revoir Messieurs !

               _ Bonne journée Messieurs et félicitation pour votre travail.

    Une camionnette s’arrête sans bruit un peu plus loin dans l’allée. Les deux gars ouvrent la porte arrière déposent leur matériel et s’engouffrent dedans… Le véhicule redémarre lentement :

    • Chef, le patron ne leur permet pas de monter avec lui dans la cabine, ce n’est pas sympa !

    Le Chef n’a pas le temps de répondre. La camionnette s’arrête et opère un demi-tour. Elle repasse devant nous. Le chauffeur ne nous jette pas un regard. Le Chef retient mon bras :

             _ Doucement Agent Chef, je l’ai reconnue moi aussi, notre vieille amie la Mort, malgré le col de sa veste remonté et la visière de sa casquette qui voile son visage.

             _ Chef sa camionnette fonctionne à l’électricité, elle ne doit pas aller bien vite, les engins de cette marque sont réputés pour ne pas battre des records, courons jusqu’à notre voiture et essayons de la rattraper !

             _ Pas d’affolement Agent Chad, inutile de nous faire remarquer, j’ai deviné où elle va !

             _ Où ça ?

             _ Sur une route que vous connaissez bien !

    J’arrête de marcher, mon esprit fonctionne à toute vitesse, tout s’éclaire soudainement.

             _ Chef avec la voiture que j’ai volée nous y serons avant elle, je vous le promets !

             _ Agent Chad je n’en doute pas, je vois que vous commencez à comprendre la différence entre un dédale et un labyrinthe !

    A suivre….