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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 16

  • CHRONIQUES DE POURPRE 621 : KR'TNT 621 : MICK FARREN / ALGY WARD / HOWLIN' JAWS / GUS DUDGEON / DWIGHT TWILLEY / SHANNA WATERSTOWN / CORAL FUZZ / THE CASTELLOWS / ALEISTER CROWLEY

    KR’TNT !

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    LIVRAISON 621

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    23 / 11 / 2023

     

    MICK FARREN / ALGY WARD

    HOWLIN’ JAWS / GUS DUDGEON

    DWIGHT TWILLEY / SHANNA WATERSTOWN

      CORAL FUZZ / THE CASTELLOWS

      ALEISTER CROWLEY

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 621

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Farren d’Angleterre

    (Part Two)

     

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             Difficile de trouver Star plus True que Mick Farren. L’admiration qu’on éprouve pour lui se mesure à l’échelle d’une vie. Voici les grandes étapes : 1970, séjour à Londres pendant les vacances de Pâques et ramassage pour une bouchée de pain - budget lycéen oblige - des trois albums des Deviants - Disposable, Ptooff enveloppé dans son poster, et celui qu’on appelle la bonne sœur - dans un secondhand record shop de Goldborne Road, au bout de Portobello. 1977, flash sur ‘The Titanic Sails At Dawn’, texte fondateur de Mick Farren paru dans le NME. 1977, killer flash sur «Screwed Up», le meilleur single punk de London town. 2001, flash sur Give The Anarchist A Cigarette, l’une des plus fastueuses autobios de l’histoire des rocking autobios. 2004, flash sur Gene Vincent: There’s One In Every Town, véritable chef-d’œuvre de littérature rock qu’on s’empressera de traduire en français en 2012 (Merci Dom). Ce fut bien sûr l’occasion d’entrer un contact avec Mick Farren et de lui demander un «épilogue explosif» sur «Bird Doggin’», mais il n’était déjà plus en condition et ne disposait pas du «Challenge material», pour reprendre son expression - Quand un mec comme lui t’écrit, tu as l’impression que Dieu t’écrit, il y a du son dans ses mots - Et lorsqu’il a cassé sa pipe en bois en 2013, un bel hommage lui fut rendu ici-même, sur KRTNT. L’autre grand prêtre du culte de Gene Vincent, Damie Chad, avait lui aussi préalablement salué la parution de Gene Vincent: There’s One In Every Town. Ce qui est important avec ce blog, c’est qu’on reste en permanence dans les choses sérieuses. Encore une fois, le rock est un art trop sacré pour être confié à des betteraviers.

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             Bon on ne va pas revenir sur Give The Anarchist A Cigarette, ni sur Gene Vincent: There’s One In Every Town, il faut simplement rappeler que ces deux books se doivent de trôner sur l’étagère d’une bibliothèque rock digne de ce nom. On va se pencher cette fois sur un recueil d’articles rassemblés par Mick Farren et paru l’année de son cassage de pipe en bois, en 2013, Elvis Died For Somebody’s Sins But Not Mine: A Lifetime’s Collected Writing. Couve avenante, avec Elvis et une belle poule, pagination aussi dodue qu’une retraitée réactionnaire qui se gave de foie gras, et, petite cerise sur le gâtö, mise en page originale, puisque les textes sont justifiés au tiers de page et agrémentés de colonnes annexes dans lesquelles Mick Farren fait coulisser des commentaires. Comme les textes sont anciens et parus dans divers supports de presse, l’idée était d’en éclairer le contexte pour les rendre plus comestibles. Car s’il est une chose qui vieillit très mal, avec le corps humain, c’est l’article de presse.

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             Bien sûr, on se régale, mais en même temps, on sort déçu de ce fat book. Mick Farren est un spécialiste de la science-fiction et il faut être fan de ce sous-genre littéraire pour entrer dans ses délires. Si tu n’es pas fan, tu n’entres pas, c’est aussi simple que ça, même si la langue est joliment rock. Si l’imaginaire sci-fi ne correspond pas au tien, t’es baisé. Va savoir pourquoi tu accordes du crédit à Céline et à Stendhal, et zéro crédit à Philip K. Dick. Il s’agit simplement d’une question d’affinités électives, ou plus bêtement de structure mentale. Si un book te tombe des mains, tu n’insistes pas. La lecture doit rester source de plaisir. Dans son recueil, Mick Farren consacre un chapitre entier à la sci-fi : «Two Thousand Light Years From Home». Malgré le titre qui fleure bon la Stonesy, c’est de la pure sci-fi. L’autre gros problème avec ses anciens articles de presse, c’est le regard politique qu’il porte sur son époque. Certains écrivains commettent l’erreur de dater leurs propos en ciblant des personnages politiques, et ça vieillit très mal. Aujourd’hui, personne n’a plus rien à foutre ni de Nixon, ni de Reagan, ni de la CIA. L’actualité politique naît et meurt aussi sec. Tu ne peux pas faire de littérature avec tous ces guignols politiques. Encore moins avec Tony Blair. Le traitement de l’actualité politique participe d’une dérive journalistique. Les journalistes écrivent dans des quotidiens, ce qui veut bien dire ce que ça veut dire. Le quotidien ne mène nulle part. On le jette. Autrefois, on se torchait le cul avec. Par contre, tu peux faire de la littérature avec Elvis, Gene Vincent, John Lennon et Dylan. Et c’est là où Mick Farren retombe sur ses pattes. Et c’est aussi pour ça qu’on lisait et qu’on relisait les textes qu’il publiait jadis dans le NME.

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             Dans une courte intro, Charles Shaar Murray salue son ancien collègue de travail, «as his Own Cosy Leather-Jacket Gin Joint, 24-Hour Global House Party And Medecine Show, offering sharp conversation, bad ideas, cheap stimulation, dirty concepts and links to revolution...» C’est un résumé de 4 lignes qui dit tout. Le Shaar conclut ainsi : «The greasy ‘oodlums are at your door.» C’est le book qui entre chez toi, avec son odeur, le son de sa voix et son univers. Un deuxième préfaceur nommé Felix Denis décrit Mick Farren en six mots : «talent, style, idiot savant, outlaw, friend.» C’est l’outlaw qui frappe le plus. On sent comme une sorte de parenté intrinsèque. Felix illustre plus loin l’extraordinaire polyvalence de Mick Farren : «doorman, editor, journalist, rock star, rabble rouser, critic and commentator, charlatan, jester, c’est-à-dire bouffon, impresario, gunslinging cross-dresser, icon, author, songwriter, poet and - perhaps strangest of all - the Godfather of Punk.» Bien vu Felix ! Pas de punk-rock en Angleterre dans les Social Deviants.        

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             On retrouve bien sûr au cœur de ce recueil le fameux ‘Titanic Sails At Dawn’. Dans son commentaire annexe, Mick Farren rappelle que des tas de gens ont considéré son Titanic comme le texte fondateur du mouvement punk - I disagree - Pour lui, le mouvement était encore trop underground et ne touchait pas grand monde. Il utilise le Titanic comme une métaphore du rock d’alors, «the big time, rock-pop, tax exile, jet-set showbusiness». Il considère que le rock mainstream est dégénéré - For Zsa Zsa Gabor read Mick Jagger, for Lew Grade read Harvey Goldsmith. Only the names have been changed, blah blah - Il parle de turgid mainstream, c’est-à-dire un mainstream en décomposition. Il s’en prend au rock jet-set, il est même en colère quand il voit «les kids qui ont fait son energy and roots faire la queue sous la pluie». Mais les Stones, les Who et Bowie sont bien au chaud - It’s okay if some stars want to make the switch from punk to Liberace as long as they don’t take rock’n’roll with them - Mick Farren considère que le rock doit rester un partage, au sens marxiste du terme. Le rock comme les richesses, sont faits pour être partagés. Le rock appartient à tous ceux qui l’ont fait, et aux kids en premier lieu. Il développe : «Si le rock devient safe, c’est foutu. Cette musique vitale et vibrante est depuis son apparition une explosion de couleurs et d’excitation, une lutte contre la platitude et la frustration sociales.» Pour que tu comprennes mieux, il développe encore : «Si on retire cette vigueur et ce côté calleux du rock, il ne reste plus que la muzak. Même si elle est artistement interprétée et élaborée avec raffinement, elle n’a plus d’âme et ça devient de la muzak.» Mick Farren prêche pour sa paroisse, le proto-punk, mais aussi pour Syd Barrett, Dylan, Elvis et Gene Vincent. Il conclut son Titanic ainsi : «Remettre les Beatles ensemble ne sauvera pas le rock’n’roll. Par contre, quatre kids jouant pour leurs contemporains dans un dirty cellar club pourraient le sauver. And that, gentle reader, is where you come in.» En juin 1977, Mick Farren prêchait la révolution du rock. Il est donc logique que les lecteurs y aient vu un texte fondateur du mouvement punk. Les Sex Pistols allaient faire exactement ce que prônait Mick Farren : sauver le rock. Mais le Titanic du mainstream n’allait pas couler. Les Stones et les Who sont encore là, et ce ne sont pas les pires. Tous les autres atroces vieux crabes sont encore là. La prédiction a donc fait chou blanc. C’est pourquoi Mick Farren a voulu que figure sur la couve de son book cette déclaration de John Lydon : «You cannot believe a word Mick Farren tells you.»  

             À travers tout ça, Mick Farren te demandait simplement de choisir ton camp. C’est sa vraie dimension politique. Et c’est ce qu’il fallait comprendre à l’époque. Alors tu as choisi ton camp. Avec Nick Kent et Yves Adrien, Mick Farren est devenu une sorte de maître à penser, l’équivalent rock de ce que furent pour la génération précédente Sartre et Raymond Aron. Bien sûr, tu devais faire l’effort de lire l’Anglais, et ça venait naturellement, semaine après semaine, à la lecture du NME et du Melody Maker. Puis de Sounds.  

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             Il consacre un chapitre entier à Elvis, qui, comme l’indique le titre du recueil, est mort pour racheter nos péchés, «mais pas les miens», s’empresse d’ajouter l’outlaw Mick Farren - Elvis, de toute évidence l’homme le plus célèbre du monde, apparut so fucked-up par la célébrité qu’il entreprit de se suicider à petit feu en overdosant à coups de Percodan, de graisses animales, et de sucre. Quand il est mort en 1977, et avec tout ce que sa mort a révélé, il apparut que la célébrité n’était pas une forme d’immortalité. Elle prouvait au contraire qu’elle pouvait être a stone killer - C’est le style de Mick Farren : abrasif, il racle la langue, il leste ses mots de plomb, comme le ferait un scaphandrier pour mieux descendre en eaux troubles, pour faire éclater la vérité. C’est sombre, lourd de conséquences. Il rend un hommage faramineux à cette incroyable superstar que fut Elvis : «Elvis Presley était beaucoup plus qu’un entertainer. Il était différent de Frank Sinatra ou Bing Crosby. Il avait repris l’étendard teen lâché par James Dean. Non seulement il l’a repris, mais il a couru avec. Rien qu’en se donnant un coup de peigne, en arborant son rictus et en secouant les genoux, il déclencha la rébellion.» Tout le monde voulait être Elvis. Et le temps a passé, simplement Mick Farren et tous les fans de la première heure sont restés fidèles : «N’importe qui d’autre saurait été oublié, mais pas Elvis. He was just too big for that. En écoutant les vieux disques au milieu de la nuit, je sentais que le magnétisme restait intact, ainsi que the first careless rush. C’était un havre de paix dans un monde de ‘Visions of Johanna’ et d’Have Seen Your Mother Baby’.» Il monte encore d’un cran avec cette formule en forme d’hommage suprême : «Sans Elvis, le monde aurait été sûrement différent, Jagger serait devenu agent immobilier, Dylan un rabbin, Lennon un maçon et Johnny Rotten un juge.» Il a aussi une façon purement farrenienne, c’est-à-dire brutale, de démystifier : «La légende nous dit que le truck driving boy s’est arrêté chez Sun Records pour enregistrer un cadeau d’annive pour sa maman. Sam Phillips le rappela un plus tard et Elvis se révéla être un mauvais crooner. C’est pendant le coffee break que le rock’n’roll fut découvert accidentellement.» Et il grossit le trait : «La légende veut qu’Elvis soit un mec simple qui avait les manières de James Dean, mais il avait aussi sans qu’il s’en doute le pouvoir de réveiller the teenage America qui la porta aux nues dans une mouvement d’hystérie collective.» Attentif au moindre détail, Mick Farren revient sur le style vestimentaire, affirmant qu’Elvis was probably a little weird, son goût pour les costards roses et les chemises noires - the entire hoodlum drag - l’a rendu célèbre. «Ce dont personne ne parle, c’est de la source de son style vestimentaire. En fait, il s’est inspiré des maquereaux black des années 50 qu’il voyait dans les quartiers noirs. Ils étaient les seuls à porter des costards roses comme celui dont se souvient Scotty Moore à la première répète.» Mais pas seulement les black pimps : il s’intéressait aussi au black R&B, avec comme cerises sur le gâtö James Dean et Marlon Brando - His mannerisms are straight from Dean and Brando - Et de là, on passe aux filles assises au premier rang, dans les concerts, qui basculent into screaming hysteria - They fought to get at the larger than life stud in the gaudy suits and longer sideburns than any hot rod punk - Oui, c’est cela qu’il faut retenir, Elvis, the definitive hot rod punk. Encore une fois, tout vient de là. Le rock anglais lui doit tout. Et nous aussi. Plus loin Mick Farren revient sur l’aspect «religieux» des choses. Il commence par affirmer que les religions sont basées sur très peu de choses - Est-ce que ça pourrait être le secret d’Elvis ? Est-ce ça explique le fait qu’il ait été plus qu’un entertainer, ou encore le fait qu’il ait réveillé dans la conscience collective quelque chose d’atavique et très ancien ? Ou sommes-nous simplement victimes de notre délirante imagination ? (out to the ludicrious edge of fantaisy) - The Elvis Universe is one tricky cosmic neighbourhood.

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             En 1975, Mick Farren rendait un bel hommage à Jimbo dans le NME : «La première fois que je l’ai vu, ce fut at the Roudhouse. C’était un Middle Earth all-night spectacular avec les Doors et le Jefferson Airplane - le projet le plus ambitieux mené par les flower punks and psychedelic wheeler-dealers qui géraient what was laughingly called London’s underground rock business.» Mick Farren jette toute son ironie grinçante dans la balance, puis il revient à Jimbo : «Sur scène, pendant les rares moments où Morrison avait le contrôle total, on perdait toute notion d’objectivité. Son théâtralisme, ses longues pauses insolentes, sa façon de se jeter sur le micro, et ses bonds spasmodiques cessaient d’être absurdes. Il emmenait son public au firmament et lui révélait des territoires inexplorés.» Chacun sait que si Jimbo n’avait cassé sa pipe en bois aussi tôt, il aurait été aussi célèbre qu’Elvis, John Lennon et Dylan. Il n’était pas Lizard King pour rien.

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             Par contre, Mick Farren garde un souvenir cuisant de Chucky Chuckah. Il le rencontre pour une interview et l’interviewé ne fait preuve d’aucune commisération pour l’intervieweur. Farren est choqué, car Chucky Chuckah ne se comporte pas en greatest black folk poet of the twentieth century - He doesn’t act that way - Quand l’intervieweur pose son magnéto sur la table, Chucky «tapote dessus de son très long doigt, affiche un sourire espiègle et secoue la tête : ‘Uh-uh. Use the pencil and paper.’» Mick Farren lui demande s’il n’aime pas les magnétos et Chucky secoue de nouveau la tête. Farren est contrarié. Mais ce n’est que le début de ses déconvenues. Chucky répond à côté ou ne répond pas aux questions. Chaque fois que Farren lui pose une question, Chucky répond par un mot de la question. Feel What ? Material ? Problems ? En fait, il ne veut pas entrer dans les détails. Quand Farren lui demande quel effet ça lui fait - what do you feel - d’apprendre que Jimi Hendrix reprenne «Johnny B. Goode», Chucky répond : «I don’t feel nothing». Farren conclut qu’interviewer Chucky est une perte de temps. Excédé, il tente une dernière fois de le faire sortir de ses gonds :

             — Vous avez fait de la taule...

             — No.

             — No ?

             — No.

             Mick Farren sort de l’interview dépité : «J’avais été face à face avec l’un des early giants of rock’n’roll et je m’étais conduit comme un flic qui interroge un petit délinquant.»

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             Dans un bel article paru dans le NME en 1977, il fait un petit retour sur le proto-punk : «Les Dolls tentèrent de s’imposer, échouèrent et essayèrent encore. Brian Eno avait rejoint les Warm Jets et en bavait pour devenir a permanent fixture in the night gallery. Même les Pink Fairies ont essayé de laisser leur marque, mais la seule marque qu’ils ont laissée était celle du sang de Russell Hunter sur le plafond des chambres d’hôtel. Lemmy s’est conformé, comme des millions d’autres anonymes. A band that went by the name of Third World War even preached the philosophy of machine guns in Knightsbridge a good four years before it was at all cool.» Tu as là la meilleure évocation du proto-punk.

             Et puis il y a le fameux ‘Don’t’ qui nous servit de pense-bête pendant un temps. Il s’agit d’une série de commandements, il y en a 3 pages pleines, on ne les a pas comptés, et ça commence bien :

             — Don’t trust anyone who is always on TV.

             Ça s’est vérifié. On ne peut pas faire confiance à ces gens-là. Ils sont pourris de l’intérieur, comme empoisonnés par l’insidieuse mormoille médiatique. Mick Farren dit aussi qu’il ne faut pas faire confiance aux gens qui écoutent Neil Diamond ou Billy Joel. 

             — Don’t trust anyone who thinks Paul McCartney is art.

             Et ça, qui est encore plus farrenien :

             — Don’t trust anyone who thinks Elvis Presley is irrelevant.

             — Don’t trust anyone who’s never heard of Arthur Lee.

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             Deux de ses grands sujets sont les Who et John Lennon. Il rappelle qu’au début, les Who «were badder than any bad-ass teen I ever witnessed.» Ils sont arrivé au bon moment «in both rock technology and the drug culture» - There was a shimmer of juvenile angst and metamphetamine on the band, particulièrement chez Townshend et Keith Moon - et Mick Farren sort l’une de ses bottes de Nevers, la désinvolture fatale du Godfather of Punk : «They were a part of the dark, angry, sometimes psychotic side of swinging London that the tourist brochures always neglected to mention.» Son hommage aux Who est sidérant : «Ce qui fait la force et la malédiction des Who, c’est qu’ils sont trop complexes pour rester seulement un bad-ass teen band avec le même volume sonore et la même violence. Ils ont absorbé toutes les influences à mesure qu’elles se présentaient. Pendant un instant, ils étaient psychédéliques, puis ils sont allés dans ce qui fut Townshend’s inflated idea of big art.» De Tommy, ils sont allés à Woodstock et de là, «on to the ballparks and stadia of the American heartland». À ses yeux, «c’est dans ce teenage wasteland qu’ils ont commencé à pourrir.» Il conclut ainsi cet article daté de 1982 : «Comme je l’ai dit au début, The Who are so damned lovable. Mais il y a une chose que je tiens à dire : s’ils se reforment dans les deux ans à venir, I shall be extremely upset.» Pauvre Mick, s’il savait ! Les Who n’en finissent plus de se reformer. I wanna die before I get old.

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             En 1980, Mick Farren rendait hommage à John Lennon de façon comme toujours impériale - Pour des millions d’entre-nous, les moments les plus importants de notre vie se sont déroulés sur fond sonore de «She Loves You», «Paperback Writer» ou «All You Need is Love». Tout ça sortait d’un poste de radio. John Lennon se trouve dans toutes nos histoires. On s’est tous approprié une partie de lui. Malheureusement, un particular maniac a cru bon de prendre plus que sa part - Il fait bien sûr référence à la balle dans la tête, au pied du Dakota. Et là il se lance dans un parallèle terrifiant : «Il y avait une certaine logique dans le fait qu’Elvis soit mort dans ses gogues avec l’estomac rempli de Quaaludes. Au pire, il était victime de sa faillite spirituelle. Mais il n’y a aucune logique in John Lennon being gunned down outside the Dakota. La faillite spirituelle est celle du fan vampirique qui n’avait d’autre solution que d’abattre l’homme dont la musique le hantait. Et c’était John Lennon. John the cynic, John the lout, John the iconoclast, John the genius, John the working class hero. John Lennon who gave us ‘I feel Fine’, ‘Good Dog Nigel’, ‘Cold Turkey’. Personne n’irait jamais trouver Paul McCartney avec un flingue.» Et Farren, fidèle à lui-même, en rajoute une couche démente : «L’ironie suprême est que parmi les so-called superstars of rock’n’roll, Lennon semblait avoir surmonté les pressions et les peurs qui ont eu la peau d’Hendrix, de Morrison, Joplin et Presley.» Il conclut cet hommage farrenien ainsi : «Christ, I loved the man, and I only met him once», et ajoute un peu plus loin : «The evil that killed Lennon has killed part of all our memories and all our fantasies. Thet self-serving little son-of-a-bitch has killed a part of all of us.» Mick Farren forever. 

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             Tu as d’autres gros textes déterminants sur Bowie, Cash et Dylan - Le problème que j’ai avec Bowie : chaque fois qu’il arrive dans une conversation et que les mecs qui sont au bar se montrent enthousiastes, il y a une petite voix qui chante au fond de ma cervelle : This is the man who recorded «The Laughing Gnome» - Il admet que Bowie a fait pas mal d’erreurs dans sa carrière, comme tout le monde. «Mais chez Bowie, c’est la qualité de ses erreurs qui donne à réfléchir.» Cash, il se fout un peu de sa gueule, dans ‘The Gospel According To J.C.’, publié dans le NME, en 1975 : «Il défend ouvertement les valeurs conservatrices du mariage, du foyer et de la famille. Il chante en duo avec sa femme tout en lui tenant la main. Il est selon ses propres termes, un ancien speedfreak alcoolique qui a laissé Jésus entrer dans son cœur et qui a tourné le dos à la vie sauvage. So far, so tacky - Farren dit que c’est vraiment moche - Et, mon cher lecteur adoré, c’est bien là le problème.» Il le traite en plus d’«arrogant bigored redneck turned holier than thou with diamond rings and a smooth line of Jesus partner.»  C’est le côté américain des riches délinquants convertis au Catholicisme qu’épingle Mick Farren. Il a raison de cibler sur la bigoterie, la deuxième moitié de l’autobio de Cash est en infestée. Une horreur.

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             Son texte sur Dylan paru en 1976 dans le NME s’appelle ‘B-O-B’. C’est un hommage sur-mesure, taillé dans la marbre farrenien. Il évoque la grande époque et «One Of Us Must Know» : «The ponderous ascending cathedral chords do, at times, grab me by the gut in non-verbal uplift.» Et il rend plus loin hommage à Bonde On Blonde - In a way, Blonde On Blonde was in the pits. It was the deepest shaft rock’n’roll had ever sunk in its journey to the center of the psyche - Les pages qu’il consacre dans son autobio au légendaire concert de Dylan à l’Albert Hall comptent parmi les plus belles pages de la rock littérature. Il termine son ‘B-O-B’ ainsi : «Was Dylan the therapist, Machiavelli messing with our heads or just an unwilling caralyst? As I said earlier, That’s the one we don’t get an answer to. Rosebud. Blonde On Blonde is a mnemonic for Bob.»

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             Comme dans tant d’autres grands rock books, le personnage principal pourrait bien être la dope. Elle est partout, surtout dans les histoires des gens qu’il vénère : «La vérité, c’est que Jerry Lee jouait avec une mitraillette dans sa chambre d’hôtel, que Gene Vincent et les Blue Caps entraient dans un patelin redneck dont ils ne se souvenaient pas du nom et avalaient des pillules qu’ils rinçaient avec du Wild Turkey ou du Rebel Yell Confederate bourbon, et tentaient de convaincre une serveuse ou une high school girl de venir avec eux au motel pour voir si the South could rise again.» L’article s’appelle ‘Sex Drugs & Rock’N’Roll’, évidemment. Farren voit son style exploser littéralement : «A thousand Brian Joneses picked up the Futurama guitars and a thousand Johnnies started mixing up the medecine. Once again, rock’n’roll had to move back onto high octane fuel. Yes, you guessed it. A new speed cycle had started up.» Et il embraye sur les mohair suits et les purple hearts. Vroom vroom ! Il rend plus loin hommage aux Blue Cheer - A new wave of suitably demented music. Favorites among the San Francisco speedfreaks were an outfit called the Blue Cheer - Selon lui, la légende veut qu’un chien qui se trouvait sur la scène est tombé raide mort d’une hémorragie cérébrale - 2.000 watts of guitar amplification - Pour Mick Farren, the speedfreaks’ favorite recording reste «Sister Ray» - Partout à travers le monde, dans des grungy basements, with four amps of meth, and an auto-charger set to repeat, ‘Sister Ray» played again and again. On sort un peu sonné de certains articles, tellement sa langue est heavy. On pourrait même qualifier son style de stoner style. Mick Farren a la main lourde. Dans l’intro de son premier chapitre, ‘A Rock’nRoll Insurrection’, il se présente ainsi : «Depuis que j’étais en âge d’acheter mes cigarettes, j’affichais une mine d’adolescent en colère - a snarl of teenage resentment - comme on porte a philosophic motorcycle jacket.» Cette définition qu’il fait de lui-même contient deux clés : «Teenage resentment» et «Motorcycle jacket», dont il va bien sûr faire des livres, Speed-Speed-Speedfreak - A Fast History Of Amphetamine et Black Leather Jacket. Mick Farren est certainement l’auteur britannique qui a su le mieux explorer les mythes de la culture rock. Tout passe par le cuir et la dope. Et les stars - Choqués par ce qui venait de se passer à Altamont, les Stones s’étaient réfugiés dans la chambre 1009, où ils se plaignaient qu’ils n’arrivaient pas à s’envoyer en l’air. Elvis avait revêtu du cuir noir pour essayer de prouver une dernière fois qu’il était un être humain, et comme je l’ai déjà dit, Dylan faisait tout ce qui était en son pouvoir pour se faire passer pour the very first all-jewish country cousin.

             Côté son, des petits labels underground entretiennent la légende de Mick Farren & the Deviants et ont fait paraître quelques albums intéressants.

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             Pas mal d’énormités sur le vaillant Dr Crow qui date de 2004, et notamment le «When Dr Crow Turns On The Radio» d’ouverture. Mick Farren a toujours su s’entourer du meilleur son d’Angleterre. En voilà encore la preuve. C’est un son plein de beat et de guitares, un son qui transcende les morts pour les rendre éternels. Andy Colquhoun veille au grain de la tempête sonique - No direction home/ A complete unknown/ Like a rolling stone - Mick reprend les choses qui l’ont traumatisé à vie. Pure monstruosité aussi que sa reprise de «Strawberry Fields Forever» avec le let me take you down qui nous donne envie d’y retourner encore et encore, et Mick charge ça avec la voix pâteuse d’un pilier de bar, et c’est complètement ravagé par Andy le pyromane. Mick en fait une déconstruction à la Zappa. On sait qu’il a toujours adoré Frank le rital. Nouveau festival d’Andy sur «Bela Lugosi 2002». Extraordinaire partie de purée sonique, terrible épopée. Tout est dense, tout est chapeauté de folie sonique, Andy a tout compris, il rampe dans les limbes de l’ombilic avec une ardeur arachnoïde. Quelle ambiance extravagante ! On trouve une bassline de rêve dans «Diabolo’s Cadillac», le boogaloo farrenien par excellence. On voit Mick Farren traîner un groove dans son terrier pour le bouffer tout cru. C’est de la jute du démon. Farren ne plaisante pas. Il a le discours qui va avec. C’est définitif, énorme et supérieur en tout. Ils terminent avec un hallucinant «What Do You Want» amené aux dégoulinures d’Andy, si bien vu qu’on en reste désarmé. Quel beau heavy blues, bien caverneux, bien infernal, plein de son et Jack Lancaster part en vrille de sax. On se soûle de toutes ces effluves.

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             Paru en 2013, Black Vinyl Dress est l’album posthume de Mick Farren. On y trouve un coup de génie : «If I Was A Hun On My Pony». L’écrivain Farren s’exprime dans son micro - Me serais-je aperçu que j’étais au service de l’apocalypse ? - Il raconte comment il va détruire cette vieille civilisation - A system of supposed civilization/ And ushering in dark ages/ And centuries of war pestilence disease and ignorence - Il se dit que finalement, c’est un jour de boulot en plus - As just another day on the job - Il fait aussi une terrible reprise de «Tomorrow Never Knows». Comme Lemmy, Mick vénère les Beatles. C’est extrêmement significatif de leurs toquades de mad psychedelia. On sent les vétérans de tous les trips et Andy en fait un psychout de rêve. C’est une pure merveille d’exaction écarlate, le summum d’Herculanum. On trouve d’autres goodies sur cet album comme «Cocaïne + Gunpowder», joué aux tambours de guerre - We survived on cocaine & gunpowder - C’est presque une histoire de pirates. Comme Lemmy, il sait décrire les ambiances des cambuses mal famées. Fantastique cut aussi que le morceau titre car c’est chanté par un pur écrivain - And the twisting vortex of fury & dead flowers/ is there significance that it comes 18 hours/ Before I have agreed to the recital? - On sent la puissance du verbe. Mick chante comme un dieu, c’est-à-dire à l’édentée.

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             L’année suivante paraît The Deviants Have Left The Planet. En plus d’Andy Colquhoun, on y retrouve deux vieux compères, Larry Wallis et Paul Rudolph. Ça démarre sur «Aztec Calendar», brûlé à l’énergie des réacteurs, terrific sound, Andy joue dans l’interstellaire, il lâche dans la modernité farrenienne un vent brûlant. Mais c’est la version de l’«It’s Alright Ma» de Dylan qui t’envoie au tapis. Heavy Andy l’attaque de front. C’est électrifié à outrance. Andy arrose tous les alentours. Ils profitent de Dylan pour sortir la pire mad psyché d’Angleterre. Andy est aussi dévoué pour Mick que Phil Campbell l’était pour Lemmy. Andy revient toujours avec la niaque d’une bête de Gévaudan. Saura-t-on dire un jour la grandeur de cette énergie, et la grandeur d’un Farren d’Angleterre ? «God’s Worst Nightmare» est un cut co-écrit avec Wayne Kramer. Mick fait son guttural et Adrian Shaw, l’expat d’Hawkwind, ramène son bassmatic. Retour au groove des enfers avec «People Don’t Like Reality». Andy adore jouer comme un démon - Turn & look at me - On se noie dans l’essence de la décadence. Puis ils retapent dans le vieux classique des Deviants, «Let’s Loot The Supermarket», en compagnie de Paul Rudolph et de Larry Wallis. Andy joue de la basse. Là, on tape dans la légende. Ils font du punk de proto-punk et brûlent d’une énergie d’exaction fondamentale. L’autre merveille de ce disque est bien sûr «Twilight Of The Gods», avec son extraordinaire ouverture de fireworks. Ça sonne comme du Monster Magnet, avec un sens de l’extrapolation du néant cher à Mick Farren. Il bâtit une dérive mirifique au fil d’une poésie crépusculaire chargée d’orient et de pourpre anglaise. Il rime les mass contraction et la satisfaction. On sent le poids d’un génie qui ne s’invente pas. C’est somptueux, digne des funérailles d’un pharaon au soleil couchant, c’est le disque d’or de toutes les mythologies antiques, et brille au cœur de cet univers sacré le firmament d’une guitare, celle d’Andy Colquhoun.

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             La même année paraît un live des Deviants, Barbarian Princes - Live In Japan 1999. Dans ce live, on retrouve tous les gros hits des Deviants, notamment «Aztec Calendar». Mick y déclame son texte et ses mothafukah, et la chose prend une tournure fantastique avec l’«It’s Alright Ma» de Dylan, gorgé de grattes et d’un bassmatic excessifs. Sur «Disgruntled Employee», Andy joue quasiment en solo continu. C’est l’histoire du mec qui va au boulot - And I’m going to the plant tomorrow morning - Mick Farren raconte une vraie histoire, comme s’il avait bossé à l’usine toute sa vie. Belle pièce aussi que ce «God’s Worst Nightmare» - Shebazz is raging and Ophelia wheeps/ Desemona’s going down on the kid who nerver sleeps - Et dans «Leader Hotel», il raconte l’histoire d’une fille qui enfonce des nine inch nails pour couvrir les cris. Belle pièce de poésie trash. Tout est excitant chez Mick le cadavre. C’est le meilleur groove de psyché qu’on puisse trouver sur le marché. Avec «Thunder On The Mountain», Andy vole le show. On se demande soudain qui, à part les derniers fans de Mick Farren, va aller écouter ça. «Lurid Night» est trop textué. Mick Farren adore les poèmes fleuves. Ils finissent avec un extraordinaire «Dogpoet». Mick est au bar et il dit à un mec de laisser son billet de vingt sur le comptoir. C’est bien pire que «Sympathy For The Devil», c’est un vrai texte de zonard, bourré de visions terribles. Défoncé au bar, Mick Farren raconte. 

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             Bel album que ce Human Garbage des Deviants, car Wayne Kramer et Larry Wallis accompagnent Mick Farren qui à cette époque porte le cheveu court. Et pouf, les voilà partis en mode mid-tempo pour «Outrageous Contagious». Wayne Kramer y joue un solo perceur de coffre. Mick Farren n’a pas de voix, on le sait, mais c’est l’esprit qui compte. On retrouve l’énorme bassman Duncan Sanderson dans «Broken Statue». En fait, c’est lui qui fait le show, hyper actif et lancinant à la fois. On tombe plus loin sur une excellente version de «Screwed Up», le hit de Mick, certainement le plus punk des singles punk d’alors, et là c’est visité en profondeur par un solo admirable et porté par la bassline de Sandy le héros. Ils attaquent la B avec «Taking LSD», un vieux boogie de Larry, et ils enchaînent avec le grand hit wallissien, «Police Car» sorti aussi en pleine vague punk, avec un son qui reste d’actualité. C’est joué à l’admirabilité des choses, dans tout l’éclat d’un rock anglais datant d’une autre époque, avec tout le punch des grattes et le brouté de basse. On a là une version un peu étendue, puisque Larry la joue cosmique, avec son sens inné du lointain. Ils terminent avec cet incroyable garage-cut de Zappa, «Trouble Coming Every Day». N’oublions pas que Mick Farren admirait Zappa, ce qui nous valut quelques mauvaises surprises sur les trois premiers albums des Deviants.

    Signé : Cazengler, Mick Farine

    Mick Farren. Elvis Died For Somebody’s Sins But Not Mine: A Lifetime’s Collected Writing. Headpress 2013

    The Deviants. Dr. Crow. Captain Trip Records 2004

    Mick Farren And Andy Colquhoun. Black Vinyl Dress. Gonzo Multimedia 2013

    Deviants. The Deviants Have Left The Planet. Gonzo Multimedia 2014

    The Deviants. Barbarian Princes. Live In Japan 1999. Gonzo Multimedia 2014

     

     

    Third World Ward

     

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             Quand Algy Ward a cassé sa pipe en bois, Vive Le Rock fut le seul canard à lui dérouler le tapis rouge en lui consacrant quatre pages. S’il n’avait pas joué sur deux des grands albums classiques du rock anglais, Eternally Yours et Machine Gun Etiquette, Algy Ward serait passé complètement inaperçu. Mais à l’époque, les fans des Saints et des Damned l’ont repéré.

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             Il eut en effet le privilège de jouer sur cet album qu’il faut bien qualifier de révolutionnaire, Eternally Yours. Eh oui, «Know Your Product» semble conçu pour réveiller les morts du Chemin des Dames. Difficile de réécouter cette dégelée via Algy, on tente le coup, même si Chris Bailey domine le mayhem. Algy bassmatique comme un damned, c’est puissant de what I want. Algy buzze bien dans la fournaise. Il refait des siennes en fin de balda, dans «No Your Product», ça joue au pounding délibéré et au big bass buzz. Idéal pour un bombardier comme Algy Ward. C’est lui qui propulse le cut dans l’avenir. On l’entend aussi se balader dans le fast punk de «Lost & Found». Il multiplie les échappées belles. Il est encore comme un poisson dans l’eau avec «Private Affair» - We got new thoughts new ideas/ It’s all so groovy - et puis il fait son grand retour en B avec «This Perfect Day», il sature littéralement les couplets de basse et le Bailey tombe à bras raccourcis sur le cut à coups de perfect/ Day. Tout le reste est bombardé d’Algy vertes, tout est chargé de la barcasse.

             Algy s’appelle en réalité Alasdair Mackie Ward. C’est un kid de Croydon, et comme le Captain et Rat Scabies, il bosse tout jeune au Fairfield Halls.

             Débarqués en Angleterre en février 1977, les Saints font le carton que l’on sait, mais durant l’été 1977, leur bassman Kym Bradshaw se fait la cerise. Les Saints ont besoin d’un remplaçant vite fait et ça tombe bien, leur roadie Iain Kipper Ward en connaît un : son petit frère Algy, qui n’a que 18 ans. Coup de pot, Algy connaît bien les cuts des Saints et il passe l’audition les deux doigts dans le nez. Les Saints le rebaptisent Algernon et ça se termine en Algy. Ed Kuepper : «We didn’t audition anyone else, he was that good.» Algy joue aussi sur Prehistoric Sounds, mais quand les Saints se séparent, Algy se retrouve tout seul, le bec dans l’eau.

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             Pas pour longtemps. Les Croydon punks ont repéré Algy. «C’est qui ce local bloke que personne ne connaît et qui joue avec les Saints ?», se demande le Captain. Comme Algy aime boire un coup, le Captain devient pote avec lui - We bonded instantly - Après leur deuxième album, les Damned ont implosé, et au moment où ils décident de redémarrer sans Brian James, ils cherchent un bassman permanent - Croydonian Algy was the obvious choice - Il colle parfaitement avec «the merciless dog-eat-dog philosophy» des Damned. En fait ils louchent sur son «Norton Commando bass sound». C’est Algy qui gratte l’intro demented de basse sur «Love Song», l’un des outstanding tracks de l’outstanding Machine Gun Etiquette. Captain Sensible dit qu’Algy grattait ça with a coin. Oui, on l’entend cogner ses cordes à la pièce de monnaie, just for you/ It’s a love song, et le Captain passe un solo à la Wayne Kramer. It’s okay ! Te voilà calé d’entrée en jeu. Nouveau coup de génie avec «Melody Lee», fast Damned trash-punk, ça joue au pire du pire, au beat de London town. Ils font pas mal de pop sur cet album mais tout explose en B avec une cover magistrale de «Looking At You», l’un des smashers intemporels du MC5, les Damned l’avalent tout cru au doin’ alrite et le Captain Moïse grimpe à l’assaut de l’Ararat Kramer avec toute la tension dont il est capable. On entend Algy bombarder dans «Liar», il bombarde partout -  his thunderous bass is all over Machine Gun Etiquette - et ce fantastique album s’achève avec «Smash It Up» plus poppy et pointé à l’orgue. Algy bourdonne dans le son comme un gros bouzin affamé. Il joue gras. C’est un Bomber, comme Lemmy. Vieille école anglaise.

             Et puis crack, le management des Damned vire Algy au jour de l’an 1980. Aucune explication - I wasn’t happy, it was a surprise - Le Captain dit que Rat et Algy picolaient trop et qu’ils se battaient à coups de bouteilles vides pendant le tournage d’un vidéo pour «Smash It Up», ce qui fait bien marrer le Captain. Algy lèche ses plaies et monte Tank avec les frères Brabbs de Croydon. Algy s’inspire de Motörhead et le manager de Motörhead, Doug Smith, prend groupe Tank sous son aile. L’ironie de l’histoire, c’est que Doug Smith a viré Algy des Damned. Alors attention, ce n’est plus tout à fait le même son. On a testé deux albums de Tank. Power Of The Hunter et Filth Hounds Of Hades, parus tous les deux en 1982.

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             C’est Fast Eddie Clarke qui produit leur premier album, Filth Hounds Of Hades. Algy et les frères Brabbs sonnent comme les Damned sur le «Shellshock» d’ouverture de balda. Ils amènent ça au ouhma de la tribu et boom patatrac, ça bascule dans l’enfer des Damned, revu et corrigé par Motörhead. Peter Brabbs sonne exactement comme Fast Eddie Clarke. D’ailleurs, le «Turn Your Head Around» qu’on croise plus loin semble sortir tout droit de No Sleep Till Hammersmith. Brabbs a le diable au corps, il gratte fast and hard, et son frangin Mark bat le beurre du diable. Belle fournaise ! Algy tape là un rock solide et rougeoyant. Tout l’album est monté sur ce modèle. On peut voir des photos d’eux en clones de Motörhead, avec les ceintures de cartouches. Mais on perd complètement les Damned. Au bout de trois cuts, ça commence à tourner en rond. C’est le problème des groupes de power rock anglais, à l’époque. Et dès qu’il sort des Saints et des Damned, Algy est foutu. Il retombe dans l’anonymat. Il bombarde du gros bassmatic, c’est sûr, mais il n’a pas les compos. Ils amènent «That’s What Your Dreams Are Made Of» au riff délétère et ça tient bien la route. On commence à baver à l’approche de «Who Needs Love Songs», mais il faut déchanter : rien à voir avec le Love Song des Damned. Et puis la surprise vient du dernier cut, «(He Fell In Love With A) Stormtrooper» : c’est l’hit de Tank. Ça s’écoute et ça se réécoute sans modération.

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             Avec Power Of The Hunter, Algy va droit sur Motörhead. «Walking Barefoot Over Glass» est du pur jus de Fast Eddie Clarke, c’est exactement le même son, avec l’Algy qui claque son bassmatic au coin par derrière. Ah quelle équipe ! Au plan commercial, ils n’avaient alors aucune chance, ce qui les rend d’autant plus sympathiques. Et puis voilà qu’ils enchaînent les cuts comme des rafales, tu n’apprendras rien de plus que ce que tu sais déjà, ils proposent un son bien ramoné de la virgule, bien crade, avec un Algy qui s’encanaille et qui chante comme un malfrat. Les Tank campent sur leur position, ils roulent sur des chenilles, avec un son cousu de fil blanc, on commence à s’ennuyer et ce n’est pas bon signe. Privé des Saints et des Damned, l’Algy est paumé. Et soudain, un bel instro dévastateur nommé «T.A.N.K» leur sauve la mise et du coup l’album renaît, ce que vient confirmer l’excellent «Used Leather (Hanging Loose)» gratté à la Fast Eddie, tapé au beat rebondi et gratté à la grosse cocotte, on reste dans le Mondo Bizarro de Motörhead, avec les cartouchières. Ils tapent ensuite une reprise étrange, le «Crazy Horses» des Osmonds. Ça gratte dans la couenne et ça donne une belle envolée poppy poppah. On entend l’Algy bananer son bassmatic dans la plaine en feu de «Red Skull Rock» et ce brave album s’achève en beauté avec «Filth Bitch Boogie», bien gratté au coin. Algy adore mettre son bassmatic en évidence, c’est du meilleur effet. C’est lui qu’on entend et Brabbs se balade derrière le son. Crade, oh si crade !

             Algy enregistre ses deux derniers albums tout seul : Breath Of The Pit en 2013, et Sturmpanzer en 2018. Poussé par la curiosité, on s’est amusé à les écouter. Alors bravo Algy, car c’est du bon boulot de one-band band.

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             Dur à dire, mais avec le morceau titre de Breath Of The Pit, il surpasse Motörhead. Il jette tout son Tank dans la bataille, il est complètement fou, il pulvérise tous les records de Motörhead, la cavalcade infernale et tout le reste, le strumming de la marche forcée, il joue tous les tenants et les aboutissants de la fournaise. Algy est héroïque. Puis il avale «T34» tout cru. Après tu peux chipoter sur la qualité des cuts, mais Algy réussit son coup : full power post-Motörhead. Il est écrasant de power et de T34. Avec sa Tele noire, il est virtuosic. Et ça continue avec «Kill Or Be Killed», il bombarde comme un fou, il joue tous les gros accords de la concasse et passe des breaks de bassmatic, tout est chauffé à blanc, y compris le killer solo. Sur «Healing The Wounds Of War», il lèche ses plaies dans sa tanière. Il joue d’incroyables parties de gratté de poux. Il fait encore des étincelles sur «Stalingrad (Time Is Bood)». Sa gratte sonne comme les orgues de Staline, il mitraille toute la plaine gelée. L’épouvantable Algy s’amuse bien dans son studio, il explose la rate de tous ses cuts. Il adore prendre feu en chantant. Algy est un fakir. Ce qu’il adore par dessus tout, c’est arroser la tranchée : rien n’en sortira vivant («Crawl Back Into Your Hole»). Algy est un vieux fou à l’anglaise. Il crée les conditions de l’enfer dans son trou à rats. Toute la frénésie de Motörhead est là, sans la voix, bien sûr. Plus les cuts défilent et plus il s’enflamme. Il peut faire du Fast Eddie Clarke à la puissance dix. Pure hell ! Wow, quelle évanescence comminatoire ! Sur cet album, tout est calé sur le volume 12. «Conflict Primeval» est un cut explosé du chou-fleur, la peau pantelante, les organes diversifiés, Algy ne respecte rien, ni les harmonies de l’univers ni les règles de politesse. On finit par tirer la langue, avec un mec comme lui. Il termine avec «Circle Of Willis», un vieux balladif bien gras, une vraie barquette de frites. Il s’en donne à cœur joie. Il vit dans son lard et lui donne corps. Admirable Algy ! N’aura-t-il tant vécu que pour cette infamie ?

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             Sturmpanzer est donc son dernier album. On le voit à l’intérieur du digi, assis dans son salon, avec des longs cheveux blancs et des lunettes noires. On ne s’habitue pas à l’idée qu’Algy ait les cheveux blancs. Dans l’imaginaire, il reste le jeune Algy de la grande époque, avec ses petits cheveux en épis. Sturmpanzer grouille de cuts intéressants, à commencer par le «2000 Miles Away» d’ouverture de bal. Il bombarde ça tout seul dans son salon et se noie dans sa heavy storm. L’autre poids lourd de l’album s’appelle «Little Darlin’», il y passe un wild killer solo flash qui épouvante la populace. Ce mec est vraiment passionnant. Il a un sens inné de la profondeur de champ, comme le montre encore «Sturmpanzer Pt 1 & 2», sa cocotte sourd des profondeurs du heavy rock anglais, il sonne comme une suite à Motörhead, avec ses éclairs à la Fast Eddie Clarke. Il charge bien sa barcasse. Il dépote comme un Panzer, il est héroïque, il faut le voir écraser ses pâquerettes et arroser les alentours au lance-flammes. On se demande comment il parvient à développer un tel ramdam tout seul. On pense bien sûr à Nick Salomon, l’one-man operation de Bevis Frond. Algy tape ses heavy shuffles de grosse cocotte tout seul et ça se tient («Lianne’s Crying»). Il retombe en plein Motörhead avec «First They Killed The Father». Il parvient à reproduire la pétaudière de Lemmy avec le beurre de Mikkey Dee. Avec «Living In Fear Of», il montre qu’il connaît toutes les ficelles de la débinade, il est capable de fouiller les entrailles d’un killer solo flash. Nouvelle surprise de taille avec «Which Part Of FO Don’t U Understand». Le FO, c’est Fuck Off, il te demande si t’as bien compris. Il passe encore un beau solo à la Fast Eddie et son gratté de poux explose. Il n’en finit plus de faire ses miracles avec ses imitations de Fat Eddie. Il termine avec un superbe instro, «Revenge Of The Filth Hounds Pt 1 & 2». Il attaque ça au Oumbah Oumbah tribal, il ramène du son, un vrai Niagara. Il crée son monde, alors on l’admire.

    Signé : Cazengler, Algue verte

    Algy Ward. Disparu le 17 mai 2023

    Saints. Eternally Yours. Harvest 1978

    Damned. Machine Gun Etiquette. Chiswick Records 1979

    Tank. Power Of The Hunter. Kamaflage Records 1982 

    Tank. Fiith Hounds Of Hades. Kamaflage Records 1982

    Tank. Breath Of The Pit. Southworld Recordings 2013

    Tank. Sturmpanzer. Dissonance Productions 2018

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    Gerry Ronson : Hold on your toupées. Vive Le Rock # 104 – 2023

     

     

    L’avenir du rock

    - Hey Jaws

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             Comme tous les amateurs d’émotions fortes, l’avenir du rock aime bien voir des vampires et des zombies radiner leur fraise sur grand écran. Cette façon qu’ont des mecs comme George A. Romero et Murnau de jouer avec la mort flatte durablement l’intellect chatouilleux de l’avenir du rock. Il s’autorise même à claquer des dents quand glisse sur un mur l’ombre longue de Nosferatu. L’un des jeux favoris de l’avenir du rock consiste à aller acheter une dizaine de grandes tresses d’ail au marché et annoncer d’une voix grave à la marchande qu’il va les accrocher à ses fenêtres pour éloigner les vampires. Comme la marchande ne sait pas si c’est du lard ou de cochon, elle se force généralement à sourire. Quel cabotin, cet avenir du rock ! Il raffole aussi du White Zombie de Jacques Tourneur, mais il ne va pas trop sur les zombie movies plus contemporains, la surenchère d’effets spéciaux l’ennuie profondément. Par contre, il applaudit bien fort l’Only Lovers Left Awake de Jim Jarmush, car c’est un exercice de style des plus réussis. Jarmush établit un lien évident entre deux mythes contemporains : le rock et le vampirisme. Et bien sûr, Adam le vampire vit à Detroit et s’en va reconstituer ses réserves de sang à Tanger, autre ville rock par excellence.  Ce petit chef-d’œuvre d’ironie vampirique entre en concurrence directe avec l’excellent Dracula de Coppola, que l’avenir du rock ovationne. Gary Oldman y fait de délicieux ravages, sous sa perruque de Casanova fellinien. L’avenir du rock apprécie aussi beaucoup Hitchcock pour ses fins de non-recevoir, celles qui laissent l’Hichtcocké bouche bée à la fin des Oiseaux ou de Psychose. Personne ne saurait dire comment vont réagir les milliers oiseaux rassemblés devant la maison au moment où Mitch Brenner fait monter les trois femmes dans la bagnole. Personne ne s’attend à voir Anthony Hopkins parler d’une voix de vieille femme. Hitchcock te laisse imaginer la fin de l’histoire. Pas besoin de coups de tronçonneuse pour te mettre sous pression. L’avenir du rock déteste cet esprit gore américain, les fucking requins blancs et quand on le branche sur Jaws, il hausse les épaules. Il préfère mille fois les Howlin’ Jaws.

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             Contrairement à ce qu’indique le titre de cette rubriquette, les Howlin’ Jaws ne reprennent pas «Hey Joe», mais «Down Down» des Status Quo. Comme déjà dit ailleurs, on a les titres qu’on peut. Même si on ne garde pas un souvenir impérissable des Status Quo, la cover que font les Jaws de «Down Down» est une belle bombe atomique. Ils te lâchent ça en plein cœur de set, et boom, tu te retrouves à Nagasaki, mais un gentil Nagasaki, pas celui qui te brûle la peau, celui qui te brûle la cervelle pendant trois ou quatre minutes. Les Jaws te jouent ça à la pure fusion nucléaire, ils disposent des dynamiques qui font le panache des très grands groupes de rock sur scène, ils fonctionnent en mode tight power trio, avec tous les ingrédients nécessaires, alors tu n’en perds pas une seule miette.

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             On les voit chaque fois jouer en première partie, mais cette fois, ils volent le show pour de bon. Malheur au groupe qui monte sur scène après eux. Il fut un temps où les Jaws sonnaient plus rockab, d’ailleurs Djivan Abkarian slappait jadis une stand-up. Il gratte maintenant une Fender bass et, coiffé comme l’early McCartney, il fait illusion. Ce petit mec est absolument brillant. Il sait placer sa voix, il swingue sa pop comme un vétéran du Mersey Beat, il saute en l’air, il tire le trio dans l’énergie des early Beatles et des Hollies, et c’est vraiment très impressionnant.

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    De l’autre côté de la scène, tu as Lucas Humbert, wild as fuck sur sa Ricken, il entre en transe aussitôt arrivé sur scène, il prend des pauses just for the fun of it et t’éclate le Mersey Beat au Sénégal. Il gratte ses poux à n’en plus finir et ramone son rock comme Johnny Ramone, mais en plus British, en mille fois plus catchy, comme si c’était possible. Et puis au milieu, Baptiste Léon bat le beurre du diable. Il propulse la bombe atomique.

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    Avec les Howlin’ Jaws, le rock ne traîne pas en chemin. Ils tapent le morceau titre de leur quatrième album, «Half Asleep Half Awake». La version live est nettement plus balèze que la version studio, et ils font bien sûr mouche avec «Healer», un big timer glam tiré lui aussi d’Half Asleep Half Awake. Ils montent glam power en épingle. Sur scène c’est imparable. T’en as la jaw qui se décroche et qui te pend sur la poitrine comme une lanterne (l’une des expressions favorites de Jean-Yves, empruntée à Lux Interior).

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             L’autre gros coup d’Half Asleep Half Awake s’appelle «It’s You», un heavy rumble noyé de son. Comme le précédent, cet album est produit par Liam Watson, le Toe Rag Boss. Les Jaws n’ont jamais sonné aussi British.

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    Le «Mirror Mirror» d’ouverture de bal s’orne d’un superbe solo de psychout so far out, avec un chant complètement extraverti. Au moins, on sait où on est : au paradis. S’ensuit un «Bewitched Me» encore plus poppy poppah. Quelle régalade, quand on aime ce genre de débinade. On se croirait à London town en 1966. Ils ont définitivement abandonné leurs racines rockab. Pas facile de s’imposer en France avec une pop anglaise aussi pure. Avec «Blue Day», ils se prennent pour Nick Waterhouse, c’est de bonne guerre, et ils bouclent l’album avec un «See You There» amené au petit psyché de réverb et lesté d’un wanna see you there bien appuyé. Djivan Abkarian chante au petit sucre intentionnel - Won’t you come on down - et Lucas la main froide place un gros shoot de vrille à la Yardbirds, ils s’enfoncent tous les trois dans les bois de la vape, c’est assez spectaculaire, ils cherchent leur voie avec l’énergie du désespoir, c’est une voie qui passe par le freakout. Dommage qu’ils n’explosent pas. Les Who et les Creation n’auraient pas raté une telle occasion. 

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             L’album précédent s’appelle Strange Effect et date de 2021. Encore enregistré et produit par Liam Watson. Bingo, dès «Safety Pack», un cut qui tourne à l’énergie des early Beatles, mais revue et corrigée par les Jaws. Fantastique réinvention du genre, avec un superbe pounding de bassmatic et bien sûr le wild killer solo flash. Cut solide, accueilli à bras ouverts et convaincu d’avance. Châpö les Jaws ! Deux coups de génie se nichent sur ce Stange Effect : «Heartbreaker» et «Love Makes The World Go Round». Le premier est poppy as hell, gorgé d’énergie, celle du British Beat. Ça sonne tout simplement comme un hit planétaire, avec un brin de tension rockab dans le background. On retrouve le sucre candy du chant et les départs en trombe de Lucas la main froide. Plus stupéfiant encore, Djivan Abkarian attaque «Love Makes The World Go Round» à la Lennon. Son incroyable swagger te fout des frissons partout. Il chante vraiment comme un dieu beatlemaniaque. Cet album est une révélation. Ces trois petits mecs échappent à tous les clichés, par la seule force de leur talent. «The Seed» sonne comme un petit boogie vite fait, mais ils le plient à leur volonté - Seed of love ! - Encore du British flavor avec «Long Gone The Time». Son de basse à la Watson, c’est quasiment un hit beatlemaniaque, avec des chœurs Whoish de la la la et un solo à la George Harrison. Ils vont plus sur les Byrds avec «My Jealousy». C’est dire l’ampleur de leur Howlingness.

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             Leur premier album sans titre date de 2012. C’est un pur album de rockab, c’est même du Rockers Culture, avec le nom de Tony Marlow dans les remerciements. L’amateur de rockab s’y retrouve, Howlin’ Jaws est un pur album de wild cats. Avec «Get The Thrill», ils sonnent exactement comme les early Stray Cats. Même énergie. Leur «Babylon Baby» renvoie directement au Stray Cat Strut, et Djivan te bombarde ça à la stand-up. Il chante comme un cake. Les Jaws restent dans la veine Stray Cats avec «Dollar Bill» et une belle descente au barbu. Les Jaws ne traînent pas en chemin. Wild & fast. Et puis voilà le coup de génie de l’album : une cover du «Shake Your Hips» de Slim Harpo. Ils te tapent ça au heavy slap - C’mon move your hands/ C’mon move your lips - Ils jouent à la sourde. On tombe plus loin sur une autre cover de choc, le «Sixteen Tons» de Merle Travis, tapé à coups d’acou, joli swing de deeple and dat - I lost my soul to the company soul - Encore un fantastique shoot de wild as fuck avec «Walk By My Side». Le gratté de poux rôde dans le son comme un fantôme, et avec «What’s The Thing», ils déferlent littéralement en ville. Sur «Danger», Djivan fait le blblblblblb de Screamin’ Jay, il connaît toutes les ficelles, et dans «Why Are You Being So Cruel», Lucas la main froide gratouille du Mick Green par derrière. Ils sont admirables. Fin de party avec le classic jive de «Lovin’ Man». Dans leurs pattes, c’est excellent, plein de jus. Avec les Jaws, c’est la fête au village Rockab, tout le monde saute en l’air.

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             Paru en 2018, le mini-album Burning House est un peu moins dense. Dommage. Le hit rockab se planque en B et s’appelle «Three Days», bien slappé derrière les oreilles. Ils tapent leur morceau titre à la Jody Reynolds et vont plus sur le rockn’roll avec «You Got It All Wrong», comme s’ils prenaient leurs distances avec le rockab. Ils vont sur quelque chose de plus allègre, presque anglais, très Mersey dans l’esprit. Djivan drive bien son «She’s Gone» au walking double-bass. Et son aisance vocale est confondante.

             Pourvu que le mainstream ne les détruise pas.    

     Signé : Cazengler, Howlin’ jawbard

    Howlin’ Jaws. Le 106. Rouen (76). 3 novembre 2023

    Howlin’ Jaws. Howlin’ Jaws. Rock Paradise 2012

    Howlin’ Jaws. Burning House. Badstone 2018

    Howlin’ Jaws. Strange Effect. Bellevue Music 2021      

    Howlin’ Jaws. Half Asleep Half Awake. Bellevue Music 2023

     

     

    Inside the goldmine

    - Magic Gus

     

             Il avait du charisme et il savait. La première rencontre fut un entretien d’embauche. Il était impossible de ne pas être frappé par l’extrême décontraction de Gusto. Rien à voir avec les autres responsables, ces gens qui aiment jouer au chat et à la souris avec les candidats. Gusto semblait au contraire s’inquiéter pour eux, avec des questions du genre : «Ne craignez-vous pas de vous ennuyer avec nous ?», auxquelles il fallait s’empresser de répondre : «Oh non non non, pas du tout !», ce qui avait le don de le faire sourire. Ça devenait troublant, car il souriait comme une movie star. Il avait un charme fou, ce qu’on appelle le charme italien, qu’il rehaussait par une moustache bien fournie. Rencontrer un tel décideur dans ce circuit, ça ressemble à un conte de fées. On finit par avoir une vision détestable du marché de l’emploi, à force de tomber sur des cons. Surtout dans ce domaine d’activité qui est celui de la com, censé être un domaine réservé en partie aux artistes, mais qui en réalité ne l’est pas du tout. Ce marché, comme le sont probablement les autres, est devenu un marché aux bestiaux, avec des procédés d’une violence inouïe. Alors forcément, quand on tombe sur un Gusto, on se demande si c’est un gag. Ce type de rencontre relève du surnaturel. Le plus troublant est qu’il ne jouait pas un rôle, le rôle du mec bienveillant qui accueille les candidats. On sentait au ton de sa voix qu’il était authentique, et ce fut d’autant plus probant qu’il donna son accord très vite, évitant de faire durer le suspense. Dans les jours qui suivirent, ce fut un régal que de le fréquenter. Il traça les grandes lignes du job, fit l’inventaire des quelques clients, montra ce qu’il fallait montrer sur les ordis, accompagnant toutes les consignes de remarques assez hilarantes. Il resta en doublon pendant quelques jours, puis un soir, juste avant la fermeture, il me demanda de venir dans son bureau pour annoncer qu’il quittait Paris : «Je vais vivre à la campagne. Tiens voilà les clés. Je te confie la boutique. Je fais les devis, tu les recevras par fax et c’est toi qui feras les factures. Tu les donnes ensuite à la secrétaire. Voilà tu sais tout. Fais gaffe de ne pas bouffer la grenouille ! La France compte sur toi ! Tu m’as pas l’air trop con, je crois que t’as tout compris». Et il éclata de rire au spectacle de ma consternation.

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             Alors que Gusto inventait le concept du job surréaliste, Gus Dudgeon inventait celui du producteur-enchanteur. Il paraissait donc normal qu’Ace lui rende hommage avec l’une de ces délicieuses compiles qui font depuis disons quarante ans sa réputation. Cette compile s’appelle Gus Dudgeon Production Gems et date de l’an passé. C’est l’une des manières les plus élégantes de revisiter l’histoire glorieuse de la pop anglaise, d’autant que ça démarre avec le «She’s Not There» des Zombies qui n’en finit plus de fasciner la populace. Gus signe la prod de ce chef-d’œuvre tapi sous le boisseau, de belle basslines traversières remontent le courant du couplet, Gus image le son, il soigne la voix de Colin Blunstone, on assiste à une fantastique foison d’excelsior, couronnée par un solo de piano faramineux.

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             John Kaufman attaque le booklet. Il commence par saluer le lecteur - Dear music lover - puis il rappelle que cette compile était prévue pour le soixantième anniversaire de Gus qui hélas cassa sa pipe en bois trop tôt, donc le projet est allé au placard. C’est lui Kaufman qui avait eu l’idée de cette compile pour en faire la surprise à Gus, mais il dut quand même lui en parler, car Gus savait mieux que quiconque ce qu’il fallait choisir. Gus donna donc son accord. Le projet avançait, et au petit matin du 21 juillet 2002, Kaufman reçut un coup de fil lui apprenant et Gus et sa femme Sheila s’étaient tués en bagnole au retour d’une party.

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             Le projet refait surface 15 ans plus tard. Richie Unterberger prend la suite. Il raconte l’histoire de Gus, un gosse qui a commencé comme tea-boy et tape operator au studio Olympic de Barnes. Puis un jour, on demande à Gus de remplacer l’ingé-son Terry Johnson qui enregistre les Zombies, car il est complètement bourré. Pour Gus, c’est le baptême du feu. Il verra par la suite arriver dans le studio des luminaries comme Lulu et Tom Jones (Hello Gildas). Il assistera aussi à l’audition du Spencer Davis Group qui n’est pas encore signé, et Gus les trouvera tremendous. En 1968, il va quittee Decca pour monter sa boîte de prod, et va démarrer avec le Bonzo Dog Band et «Urban Spaceman». Pas mal, non ? 

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             Gus donne aussi de l’écho à Mayall pour «All Your Love», et quel écho, mon coco ! On ne savait pas à l’époque que cet enchanteur de Gus emmenait Mayall sous son boisseau d’argent. On a là l’un des plus beaux échos du British Blues, personne ne bat Gus à la course à l’échalote. Alors forcément, Clapton a du son, plus que dans Cream. C’est aussi Gus qui produit l’A Hard Road des Bluesbreakers de Peter Green, puis Crusade avec Mick Taylor. Il co-produit aussi le premier Ten Years After avec Mike Vernon. L’«Oh How She Changed» des Strawbs sonne comme la sinécure d’Épicure et Gus nous fait avaler une couleuvre avec la prog de The Locomotive, «Mr Armageddon». C’est pourtant excellent, plein de trompettes, on se demande même d’où ça sort. Retour aux choses sérieuses avec le «Space Oddity» de Bowie, le grand control to Major Tom, c’est Gus, il a compris le génie de Bowie, alors il lui donne du champ, tout est soigné, le solo s’écoule dans l’espace, une génie + un génie, ça donne de la grande pop anglaise. On avait encore jamais vu l’espace s’ouvrir ainsi. Unterberger nous apprend que Tony Visconti qui devait le produire n’aimait pas «Space Oddity» et qu’il a demandé à Gus de s’en occuper. Gus n’en revient pas de bosser avec un génie pareil. Mais ce sera le dernier cut qu’il produira pour Bowie, qui préférera travailler par la suite avec Visconti, mais nous dit Unterberger, Bowie s’en excuse auprès de Gus, pensant l’avoir blessé en choisissant de continuer avec Visconti. Gus va donc se consoler dans les bras d’Elton John, toujours aussi insupportable.

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             Gus produit aussi des gens comme Ralph McTell, Ola & The Janglers, Elkie Brooks, Wynder K. Frog et Menswear. Bizarrement, le grand absent de cette compile est Michael Chapman pour lequel Gus fit des miracles. Il fait aussi des miracles avec le «Tokoloshe Man» de John Kongos, typique de l’époque, mais c’est la prod qui fait tout, comme sur les hits de Dave Edmunds. Gus fait entrer les guitares dans «Tokoloshe Man» comme des entourloupes révélatoires. Quant à Joan Armatrading, elle se situe au niveau de Nina Simone, avec «My Family». L’un des cuts les plus faramineux est le «Whatever Gets You Through The Night» enregistré par John Lennon avec l’Elton John Band et les Muscle Shoals Horns. Quel power ! Quel solo de sax ! Et un bassmatic dévore le cut de l’intérieur. On retrouve aussi l’excellente Kiki Dee avec «How Glad I Am», une belle Soul de pop, elle y met tout le chien de sa petite chienne, c’est encore une fois bardé de son. Gus = Totor. Voilà, c’est pas compliqué. Avec «Run For Home», Lindisfarne somme comme un groupe pop incroyablement sophistiqué. Plus rien à voir avec le folk anglais. C’est beaucoup plus ambitieux. Encore une prod de rêve pour Chris Rea et «Fool (If You Think It’s Over)». Tout aussi révélatoire, voici Voyage avec «Halfway Hotel», chanté à la larmoyante de lonely way, ce mec est né pour émouvoir, il y a du Bowie en lui, mais avec un autre timbre. C’est assez énorme, grâce à Gus.

    Signé : Cazengler, Gugusse

    Gus Dudgeon Production Gems. Ace Records 2021

     

     

    Le Dwight dans l’œil

    - Part Two

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             C’est en 1976 que Dwight Twilley nous a tapé dans l’œil pour la première fois avec Sincerelly. Non seulement les chansons de l’album battaient tous les records de magnificence - même ceux de Big Star et d’Arthur Lee - mais le Dwight Twilley qu’on voyait poser en compagnie de son collègue au dos de la pochette était beau comme un dieu. Il ajoutait l’insult à l’injury, comme on dit en Angleterre. Comment pouvait-on être à la fois aussi beau et aussi doué ? Oh bien sûr, Elvis et Bowie étaient déjà passés par là, et ça n’en devenait que plus indécent, car ce petit mec sorti de nulle part, c’est-à-dire d’Oklahoma, s’installait automatiquement au firmament.

             Le rock servait à ça, autrefois, à alimenter la pompe à coups de Jarnac. Les kids du monde entier ne se nourrissaient que de légendes dorées, et donc le destin avait du pain sur la planche, car il fallait alimenter ces millions d’oisillons affamés. Alors le destin n’y est pas allé de main morte :  Elvis, Brian Jones, Vince Taylor, Ray Davies, Iggy, Bowie et Dwight Twilley, pour n’en citer que  sept.

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             La provenance du buzz est depuis longtemps oubliée - probablement Creem - toujours est-il qu’un jour on s’est retrouvé avec Sincerelly dans les pattes, le pressage anglais fabriqué par Island pour le compte de Shelter, en 1976, l’année de tous les dangers. Pif paf, dès «I’m On Fire», Twilley the twilight nous transforme en terre conquise, d’un seul coup de pop lumineuse. C’est encore autre chose que Big Star ou les Beatles, Twilley the twilight propose une pop rayonnante, électrique et radieuse à la fois. L’amateur d’essences légendaires s’y retrouve immédiatement. Le romantique encore plus, avec notamment «You Were So Warm», une pop si belle et si pure qu’elle paraît élevée. On pourrait même dire visitée par la grâce. Mais c’est en B que se niche la merveille définitive : «Baby Let’s Cruise», d’une réelle splendeur mélodique, un crève-cœur pour tous les romantiques, Twilley the twilight chante ça au développé suspensif. L’artisan du son s’appelle Bill Pitcock IV. Il éclaire chaque cut de son lead, just like the sun. En B, on croise aussi l’excellent «TV» et son beat rockab - A pretty good company - Twilley the twilight et Phil Seymour illustrent ainsi le pendant rockab de cette incroyable odyssée qui les a jetés dans les bras de Ray Smith, un vétéran de la scène Sun de Memphis.

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             L’année suivante paraissait l’encore plus spectaculaire Twilley Don’t Mind. On en prenait plein la vue dès la pochette. Comment ces deux mecs pouvaient-ils être aussi beaux ? Et comment pouvait-on résister à «Looking For The Magic» ? Évidemment, ça entrait en résonance avec les sentiments amoureux de l’époque, qu’ils soient de nature excitants ou douloureux. Twilley the twilight prenait cette merveille au tremblé de voix et nous couvrait de frissons. Avec ses gros accords de boogie, Bill Pitcock IV faisait des ravages d’entrée de jeu avec «Here She Comes». Mais la magie était encore à venir, notamment via «That I Remember». Twilley the twilight montait son chant en épingle mélodique et Pitcock tissait un prodigieux réseau d’arpèges. Du coup, ce Remember devenait le hit caché de l’album, emporté par de fabuleux moteurs. On voyait ensuite le chant du Dwight dans l’œil se fondre dans la crème de «Rock & Roll 47» et cette A historique s’achevait sur un autre moment de magie blanche, «Tryin’ To Find My Baby». Une fois de plus, Twilley the twilight nous transperçait le cœur et c’est avec cet air en tête qu’on promenait son spleen dans les rues de la ville. Et bizarrement, la B restait lettre morte. Twilley the twilight avait vidé son sac en A. Donc, inutile de perdre ton temps à écouter la B.  

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             En 1979, Dwight Twilley continuait d’exploiter son mythe. Comment ? En couvrant Twilley d’une myriade de portraits qui le rendaient chaque fois plus irrésistible. Il cultivait à outrance l’arcane du beau ténébreux et bien sûr, ça influençait l’écoute. D’autant qu’il attaquait avec le mélodiquement parfait «Out Of My Hands», revenant à ses vieilles amours et laissant flotter autour de lui la poussière d’étoiles dans la brise tiède des orchestrations. Toutes ses compos restaient soignées, mais ça finissait par tourner un peu en rond. Heureusement, Bill Pitcock volait à son secours dans «Alone In My Room» et la pop se remettait enfin à scintiller. Pitcock n’en restait pas là, car dès le «Betsy Sue» d’ouverture de bal de B, il revenait casser la baraque en ultra-jouant. On voyait bien que Twilley the twilight peinait à rallumer son vieux brasier, et il fallait attendre «It Takes A Lot Of Love» pour frémir enfin. En clamant ses clameurs, il livrait là l’une de ses plus belles œuvres.

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             Trois ans plus tard, il revenait dans le rond de l’actu avec Scuba Divers. Il amenait la power pop à son apogée dès «I’m Back Again». Bill Pitcock s’y illustrait avec un solo très condensé, comme ceux de Todd Rundgren. Il se livrait ensuite au petit jeu des rafales, et cette pop éclatait au grand jour. En fait, Pitcock allait continuer de voler le show de l’A avec «10.000 American Scuba Divers Dancin’», même si Twilley the twilight s’entêtait à chanter à la revoyure. On comprenait confusément que sa principale qualité était l’entêtement. Sa power pop plaisait par petites touches, son «Touchin’ The Wind» devenait une merveille touchy. En B, il chargeait «I Think It’s That Girl» de tout le poids du monde, avec ce démon de Pitcock en contrefort. Il lui arrivait aussi de se fâcher, comme le montrait «Cryin’ Over Me», nettement plus musclé, quasiment rock, gorgé de basse et de cocote sourde. Et puis après l’avoir cherchée - «Looking For The Magic» - il la trouvait enfin avec «I Found The Magic», et malgré tous les éclats pop et l’habituelle ténacité, on comprenant que Twilley the twilight n’avait plus rien à dire.   

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             Paru en 1984, Jungle pourrait bien être son album le plus faible. L’impression de tourner en rond persiste et signe. Il retrouve ses marques avec «Why You Wanna Break My Heart» : belle tension pop et jardins suspendus de Babylone. Il se remet aussi à ahaner avec «Cry Baby», il a toujours adoré ça, ahaner. Mais la B se perd dans les méandres de la carence compositale.

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             Paru en 1986, Wild Dogs n’aura aucune incidence sur l’avenir de l’humanité. Bon, comme d’habitude, c’est bien joué, bien enregistré, mais ça reste un brin passe-partout. «You Don’t Care» ne sort pas de l’ordinaire du twilight. If you’re looking for the magic : tintin. Malgré de beaux efforts, «Hold On» ne veut pas démarrer. Difficile de surpasser la perfection des deux premiers albums. La B tente de sauver l’A avec un «Baby Girl» assez bien foutu, fougueux comme un étalon sauvage. Ça pulse et ça hennit le beat à l’air. Twiley the twilight tente de retrouver le chemin du magic cut et «Ticket To My Dream» pourrait bien être celui qui s’en approche le plus. Ce mec est un vrai cœur d’artichaut, un romantique incurable. Il ne veut pas lâcher la grappe de la romance. Son «Secret Place» est néanmoins excellent. 

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             Daté de 1993, The Great Lost Twilley Album sonne comme un passage obligé. L’amateur de coups de génie s’y régalera de deux cuts : «Somebody To Love» et «Dancer». Le son est là tout de suite, avec des éclairs dans le gratté de some place in the sun et des oh oh au sommet du refrain, la magie est intacte, le développé d’accords d’une douceur incomparable. «Dancer» trône donc au sommet de l’art pop, c’est un tenant de l’aboutissant explosif. D’autres merveilles encore, telles ce «Burning Sand» bourdonnant et gorgé de soleil, doté de tous les charmes de l’embellie, ils restent pourtant dans leur vieux son, mais «Sky Blue» tape dans l’excellence. Ils emmènent «Chance To Get Away» à vive allure. Dwight dans le nez chante parfois à ras des pâquerettes, mais le spectacle continue sans fin, de courts éclairs de pop traversent «I Love You So Much». La pop magique reste l’apanage du Dwight dans l’œil et avec «I Don’t Know My name», il crée de l’enchantement, il taille ça dans un cristal d’arpèges. Il règne sur l’empire de la pop lumineuse, certaines chansons semblent suspendues à ses lèvres. Intrinsèque et littéral, «The Two Of Us» tisse une toile d’ersatz Pound et la voix du Dwight dans le nez s’enroule autour d’un soleil d’arpèges lumineux. «I Can’t Get No» sonne comme un hit de Brill. Peu de choses planent aussi haut. Ce mec-là ne s’arrête jamais.

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             La première chose qu’on remarque en fouinant dans les infos de Tulsa, c’est la présence de Bill Pitcock IV. Il faut donc s’attendre à du powerfull power-poppisme. Et comme prévu, on a tout de suite du son, du bien amené, du Dwight dans le nez. Il mène son biz prodigieusement orchestré à la pogne. Du haut de sa légende, il domine la ville, les mains sur les hanches. Il fait la pluie et le beau temps avec «It’s Hard To Be A Rebel», une authentique merveille étoilée, dotée de toute la persistance dont est capable la prestance. Son «Baby Got The Blues Again» est une magnifique romance, une Beautiful Song dirigée vers l’avenir. On se voit contraint de dire la même chose de «Way Of The World». Dwight dans l’œil a le compas dans l’œil. Il renoue avec son vieux génie romantico, celui qui irriguait ses deux premiers albums. Terrific ! Le morceau titre nous sonne bien les cloches, lui aussi - You’ve always been there - Dwight dans le nez rend hommage à sa city, ça prend vie avec de l’eau, Dwight & Bill forever ! Le Dwight bourre bien le mou de «Miranda» et au passage, il nous en bouche un coin, une fois de plus. Tout est solide sur cet album, vraiment très solide. Il faut voir le Dwight embarquer son «Miracle» au doigt et à l’œil. Bill veille au grain et les chœurs font «miracle !». En prime, c’est battu sec et net. Ce démon se dirige vers la fin avec «Goodbye», un balladif dwighty doté d’une énergie fantastique et nous fait ses adieux provisoires avec «Baby Girl». Un truc qui n’a rien à voir avec le Dwight : la gonzesse qui vendait cet album a mis son parfum dans le booklet et du coup, ça devient très capiteux. Les parfums de femmes sont parfois très capiteux. Alors Dwight Twilley peut claquer son Baby Girl, un hit violent et sexuel à la fois.  

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             Paru en l’an 2000, Between The Cracks Volume One est comme son nom l’indique une collection de fonds de tiroirs. Comme tous les grands compositeurs, Twilley the twilight collectionne les fonds de tiroirs, et comme le font tous ceux qui veulent soigner sa postérité, il se retrousse les manches et fouille. Dans l’insert, il commente chacun des 16 cuts de la compile et salue bien bas ses principaux collaborateurs, le scorching Bill Pitcock IV et la cool Susan Cowsill aux backing vocals. Pas de surprise, les 16 cuts restent bien dans la ligne du parti, c’est-à-dire la power pop à laquelle il nous habitue depuis 1976. On retiendra le «Living In The City» qui se planque en B, car Twilley the twilight indique qu’il l’écrivit pour son collègue Phil Seymour au temps de Twilley Don’t Mind, et ajoute-t-il, Bill Pitcock on devil guitar. En fin de B, on tombe aussi sur l’excellent «No Place Like Home», un heavy boogie d’Oklahoma qu’il joue les Dwight dans le nez.

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             Paru en 2001, The Luck est un solide album de power pop, donc rien de surprenant. Il attaque avec une sacrée triplette de Belleville, «Music», «Holdin’ On» et «Forget About It». On voit même Dwight se fâcher dans «Music». On le croit gentil, mais au fond, ce mec ne rigole pas. Il se livre aux joies tatapoumesques du heavy stomp. Son «Holdin’ On» est une merveille de holdin’ on. Le heavy beat de la power pop prédomine, il crée son monde depuis vingt ans et il est devenu imparable. On reste dans la heavy power pop avec «Forget About It», son énergie poppy descend sur la ville - The way I love you/ I’ll find a new way to forget about you - Il chante ça mais n’en croit pas un mot. Il se pourrait bien ce que Luck soit l’un de ses meilleurs albums. Il claque son «No Place Like Love» à la folie. Il vire même glam avec «I Worry About You». Pour un cador comme Dwight, c’est plutôt heavy. Puis il revient à son fonds de commerce, la petite pop bien foutue à laquelle il nous habitue depuis Sincerelly. Il y va toujours de bon cœur. Son «Suzyanne» est assez balèze, force est de l’admettre. C’est exactement le son de Sincerelly. Il vit sur ses réserves et pardon de l’avouer, on bâille un peu aux corneilles, car ça sent le réchauffé. Il oscille toujours entre le puissant («Leave Me Alone») et le plan-plan («Gave It All Up For Rock’n’Roll»). Ah ces Okies !

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             Comme Totor et d’autres fans du Père Noël, Dwight Twilley s’est fendu en 2004 d’un beau Have A Twilley Christmas, un mini-album qu’il faut bien qualifier d’enchanté. Dwight dans le nez ramène le soft du Christmas time dans son soft rock étoilé. Il fait aussi le show avec «Rockabilly Christmas Ball» - The rock/ The rock/ A Billy/ Christmas - Bien vu, Dwight dans l’œil. Il profite de «Christmas Night» pour renouer avec le power du Dwight, c’est-à-dire les power chords, et ça continue avec l’énorme «Christmas Love» - Oooh baby I want you - Il finit toujours par ramener du power dans son Christmas stomp. Et bien sûr Bill Pitcock IV veille au grain.

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             On est très content de rapatrier Green Blimp, car on voit sur la pochette que Twilley the twilight va bien. Il a un certain âge, mais il conserve son look de jeune premier. De là à penser qu’il est lui aussi un vampire, c’est un pas qu’on franchit avec allégresse. Globalement l’album est bon, et ce dès le coup d’envoi et la fantastique allure de «Get Up» - Get up/ I’m tired of being down - Il incite ses fans à se lever. La bonne nouvelle, c’est que Bill Pitcock IV est de retour. Twilley the twilight sonne comme les Beatles avec «Me And Melanie» et il se fend d’une Beautiful Song avec «Let It Rain». Plus que jamais, Twilley the twilight est dans la chanson, il n’y a que ça qui l’intéresse. Il cherche chaque fois à renouer avec «Looking For My Baby». Mais on sent chez lui une tendance plus pop, comme le montre le «You Were Always Here» d’ouverture de bal de B. Il chante toujours au sommet de son lard, c’est un indéfectible, un arpenteur, un passeur d’ordres, un émetteur de missions, et Bill Pitcock IV vient envenimer les choses, comme au bon vieux temps. Avec «Ten Times», on se croirait sur Sincerelly. Même son d’accords impavides. Son «Witches In The Sky» reste lui aussi fidèle au passé : pop alerte de gorgée de son, avec un Pitcock en contrefort, l’inestimable roi des cocotes et des subterfuges. Et puis pour finir, Twilley the twilight nous fait non pas le coup du lapin, mais le coup du coup de génie avec «It Ends». Twilley don’t mind, avec ses méchants relents de psychedelia, et Pitcock s’en donne à cœur joie.    

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             En vieillissant, Twilley the twilight se bonifie, comme certains pinards. Il suffit d’écouter ce Soundtrack paru en 2011 pour en avoir le cœur net. L’album est comme pris en sandwich entre deux grosses tranches de pop géniales, «You Close Your Eyes» et «The Last Time Around». Il est là et même plus que là, au coin du déroulé de guitares, comme au temps de Sincerelly - So you you close your eyes - Bill Pitcock IV rafle encore la mise. Il va chercher le power dans l’essence même de cette vieille power pop qu’il cultive depuis 1976, depuis la nuit des temps du rock. Ça reste très fascinant, très dense, d’une rare ampleur et bien sûr, Pitcock transperce le cœur de «The Last Time Around» d’un solo dément. Tout au long de l’album, Pitcock descend dans la bedaine des cuts et taille dans le vif. «Tulsa Town» surprend par sa puissance. S’il est un puissant sur cette terre, c’est bien Twilley the twilight. Il drive ses chansons d’Okie à l’extrême onction. Les coups d’harmo de Tulsa valent bien ceux de Charles Bronson. Twilley the twilight enfonce encore son clou avec «Skeleton Man» et refait battre le poumon d’acier de Sincerelly avec «My Life». Ce mec étend son empire en permanence, chez lui c’est une manie. Il crache du power jusqu’à la dernière seconde. «Out In The Rain» pourrait aussi figurer sur Sincerelly, la vieille magie est intacte, c’est encore une fois une merveille d’équilibre entre la pop et l’harmonie. De toute évidence, Twilley the twilight a du génie. Il te voit dans le noir et il chante pour toi. Il te balade dans un monde parfait, le sien. On tombe sur un autre cut monumental, «The Lonely One». Il chante ça au power pur de la grande pop instrumentale. Il est grimpé au sommet de son art, un art qu’il faut bien qualifier d’unique en Amérique. Tous les cuts de cet album sont remarquables.  

    Signé : Cazengler, Dwight Eiso-nowhere

    Dwight Twilley Band. Sincerelly. Sheter Records 1976

    Dwight Twilley Band. Twilley Don’t Mind. Arista 1977

    Dwight Twilley. Twilley. Arista 1979

    Dwight Twilley. Scuba Divers. EMI America 1982

    Dwight Twilley. Jungle. EMI America 1984

    Dwight Twilley. Wild Dogs. CBS Associated Records 1986 

    Dwight Twilley Band. The Great Lost Twilley Album. Shelter Records 1993

    Dwight Twilley. Tulsa. Copper Records 1999  

    Dwight Twilley. Between The Cracks Volume One. No Lame Recordings 2000

    Dwight Twilley. The Luck. Big Oak Recording Group 2001

    Dwight Twilley. Have A Twilley Christmas. Digital Musicworks International 2004

    Dwight Twilley. Green Blimp. Big Oak Records 2010

    Dwight Twilley. Soundtrack. Varèse Sarabande 2011

     

    *

    Chouah ! chouah ! chouah ! ce n’est pas un chien asthmatique qui nous accueille lorsque nous poussons la porte du 3 B, mais le bruit caractéristique de la charleston jazz qui ruisselle de partout, juste le temps de reprendre nos esprits, nous arrivons deux minutes après le début du concert, impossible de comprendre pourquoi la route a été si lente ce soir, une nuit foncièrement noire mais the road n’était pas chargée, ce n’est pas mon habitude je déteste rater le début d’une prestation, par respect pour les artistes.

    TROYES / 17 – 11 – 2023

    3 B

    SHANNA WATERSTOWN

                    Désolé pour les amateurs de rockabilly mais ce soir Béatrice la patronne innove, elle a saisi l’opportunité d’une tournée entre Suisse, France et Belgique pour accueillir une chanteuse de blues. L’occasion de se remémorer les ariégeoises et estivales heures bleues du Festival de Blues de Sem entre Patricia Grand et Daniel Giraud, coup de blues dans mon âme ces deux amis chers ne sont plus depuis quelques mois de notre monde.  Everyday I have the blues, fredonne comme par hasard Shanna Waterstown.

             Pas un petit calibre elle a joué en première partie de James Brown… Bien sûr elle est accompagnée par trois supers musicos issus du fin fond du Sud. Devinez d’où : de Memphis ? de Clarksdale ? de Chicago ?  Erreur sur toute la ligne, ce trio infernal vient de tout en bas, de Floride ? Presque, c’est Shanna qui est née là-bas, eux sont des natifs du sud… de l’ Italie, Naples par exemple.

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             Sont trois. A droite le bassiste. Coiffé d’un bonnet et assis de profil, ne quittera pas sa chaise de tout le set. Le mec qui ne fait rien pour attirer le regard des gens. On ne l’entend pas. Comprenez ce que je veux dire, vous vous promenez sur la plage, les cris des mouettes vous percent les oreilles, les enfants se chamaillent en hurlant, les ploufs des baigneurs résonnent comme des coups de canon. Pour une promenade au calme, c’est raté. Pas de crainte, au contraire votre subconscient lui a totalement conscience du bruit de fond, l’écroulement insistant des vagues qui se brisent sur le rivage. Un extraordinaire vacarme tellement habituel que l’on n’y prête pas attention, faudrait que les êtres vivants s’immobilisent et se taisent d’un seul coup pour que l’on puisse se rendre compte de cette sourde rumeur inapaisée. Ces instants de silence les trois autres membres le lui accordent de temps en temps, le temps d’un solo, alors une pulsation profonde se colle à vos tympans et vous fait entendre le bruit primordial de la vie.

             Sont encore trois. A gauche le guitariste.  C’est pas le boss, donc il bosse. Le mec multi-fonctionnel. Il joue de la guitare ce qui n’est en rien significafif pour un guitariste. Mais il joue après. Après tout le monde. Particulièrement après Shanna, nous en reparlerons plus tard. S’appelle Massino, parce qu’il fait le maximo. L’est comme les paléologues, vous leur portez un informe fragment d’os que vous venez de dénicher dans la glaise du champ de fouilles et tout de suite il vous explique que cette esquille osseuse de trois centimètres de long provient de la patte arrière gauche d’un dinosaure, exactement d’un brachiosaure qui vivait à l’époque bénie du Jurassique supérieur. Ces collègues ont fait ce qu’ils ont voulu, lui il rajoute un truc, un lick drôlement bien foutu, ou étrangement biscornu, l’est comme ces maîtres de la Renaissance qui soulignait d’un coup de pinceau l’œil du portrait que venait de terminer un de ses élèves, et tout de suite le tableau acquerrait une force qui vous aurait échappé sans son intervention.

             Sont toujours trois. L’est au centre. Lui il rayonne comme le Roi Soleil. Depuis son trône il illumine la galaxie. Grand, costaud, solide. Il ne joue pas de la batterie. Il frappe, il cogne. Vous fait des démonstration sonores. N’insiste jamais. Tape uniquement les coups strictement nécessaires. Avec une telle conviction que vous entendez le superflu. L’est comme ces génies de la mathématique qui donnent en trois secondes le résultat d’une multiplication à dix-huit chiffres, sans jamais se tromper. Un ordinateur. Qui n’en fait qu’à sa tête, qui n’obéit à aucune préprogrammation, qui ne suit aucune logique, dont la justesse de ses improvisations s’impose par l’évidence de leur présence.

             Quand on y pense ces trois énergumènes sont des larrons en foire taillés sur le même type. Fonctionnent sur le même modèle, dans telle situation, la meilleure solution que pourrait proposer un algorithme génial serait celle-ci, et ils vous la sortent d’instinct. Avec un petit sourire satisfait qui semble dire, si par un hasard extraordinaire la solution idoine ne marchait pas, pas de panique j’ai encre mieux en magasin. Voici. Imaginez que vous avez cette équipe de cadors et que vous seriez chanteuse. N’imaginez plus rien, par chance nous avons Shanna Waterstown !

             Tout devant, au premier rang. Shanna, vous ne voyez qu’elle. Belle, grande, charismatique, micro en main, elle bouge un peu, on ne peut pas  dire qu’elle danse. Quand on a une voix comme la sienne, il est inutile de se contorsionner pour attirer l’attention.  

             Elle commence piano, un peu cabaret jazz, vous avez un peu ce genre de blues middle-class huppée parfois chez BB King, Shanna nous la fait en grande dame, un peu entraîneuse sur les bords, un Dock of the bay si bien modulé qu’on aimerait un coup de vent, un Stay with me sans l’angoisse du timbre de Bene King et un Summertime au soleil pas vraiment estival. En tout cas la voix est chauffée. Il est temps de passer aux choses sérieuses.

             Elle annonce un blues, une de ses compositions. La voix est montée d’un cran, mais elle n’accapare pas le devant de la scène, elle chante pour permettre à ses musiciens se s’exprimer. Ils ne s’en privent pas. Vous font la totale. Un peu de blues, un peu de shuffle, un peu de ryhthm ‘n’blues, un peu de groove, un peu de funk, par pincées, n’exagèrent pas non plus, vous démontrent la différence entre une bicyclette électrique et une grosse cylindrée, vous en déduisez qu’il ne faut pas les classer dans la première catégorie, n’en bombent pas pour autant le torse… Tous les quatre préparent le piège dans lequel on va tomber. Le premier set s’arrête sous les applaudissements.

             Second set. Changement de décor. Nous étions sous un vent fore 7, nous allons connaître la catastrophe planétaire. Par la faute de Shanna Waterstown, elle sort les gros calibres, propres compositions en compagnie de Buddy Guy, Freddy King, Koko Taylor, Big Mama Thornton pour qui elle a manifestement un faible. Avez-vous déjà entendu chanter une chanteuse de blues. Non, au début ce n’est pas grave, elle chante comme vous et moi, enfin presque, ensuite il suffit de chanter comme Shanna. Plus de voix, une tonitruance, sans préavis, on ne s’y attend pas, elle est déjà au sommet de la montagne, la suite est ravageuse, elle pose les mots les uns sur les autres comme les Titans empilaient les blocs cyclopéens pour grimper jusqu’aux demeures divines de l’Olympe. Vous imaginez qu’un lanceur de foudre jupitérien va la calmer à coups d’éclairs, mauvais scénarios, c’est elle qui lance la foudre et le tonnerre. Cataclysmique, elle a le blues-Stromboli éruptif, il déferle sur vous, et vous succombez sous le poids des mots et le choc du vocal.

             Vous n’avez pas vu le temps passer. Shanna sonne la fin des jouissances. Béatrice la patronne, qu’elle soit remerciée pour tout ce qu’elle fait pour la musique que l’on aime, se précipite pour un petit supplément. Nous n’aurons droit qu’à un unique et dernier morceau. De quoi nous refiler le blues !

    RETOUR

    Ouah ! Ouah ! Ouah ! cette fois-ci ce sont des chiens, les miens, tout heureux de m’accueillir après cette nuit bleue !

    Damie Chad.

    *

    Mes chiens me regardent avec reproche, je n’y suis pour rien, l’heure de la promenade est passée depuis longtemps, il pleut à verse, je ne peux rien faire pour eux, sinon appuyer sur cette image d’une plage ensoleillée :

    FATA MORGANA

    CORAL FUZZ

    ( AlbumNumérique / Novembre 1923)

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    Entre nous, le genre de couve, un peu trop brésilienne à mon goût, que je n’aime guère, un bon point les chiens se sont recouchés et prennent leur mal en patience, je regarde de plus près, tiens des grecs, vu le dessin ils n’ont pas l’air d’être portés vers la mythologie, enfin faisons confiance un peuple qui engendré des zigues de la taille d’un Aristote ou d’un Cavafy ne peut pas être entièrement mauvais. J’ai donc cliqué, et je ne le regrette pas.

    J’ai remonté tout l’Instagram de Mariano Piccinetti, l’est argentin, aurais-je été distrait je n’y ai pas trouvé la couve du disque, ce n’est pas le meilleur de ses artworks, vous le comprendrez mieux lorsque vous aurez compris qu’il oppose la bestiole humaine, avec ses us et coutumes modernes, à l’immensité cosmique, et que nous apparaissons en ses œuvres comme un animalcule épisodique… Je m’aperçois qu’il est suivi sur son Instagram par Paige Anderson de Two Runner, que nous suivons depuis plusieurs années, la vie est pleine de connexions surprenantes.

    George Papakwastas : vocals, guitar, Farsifa / Manos K : bass / Argyris Aliprantis : drums, percussions.

    Shiny days : le titre est sorti au mois de juillet 23, la couve n’est pas créditée, elle pourrait être de Mariano Piccinetti, ces personnages en suspension sur les aiguilles de hautes montagnes sont bien dans son style, avec peut-être un petit clin d’œil avec Le voyageur de Gaspar David Friedrich : je ne connais pas les débuts du rock grec, ceux qui auront un peu planché sur la couverture auront reconnu un album de surf, mais il ne me semble pas inspiré par Dick Dale et consorts made in USA, semble plutôt avoir pris pour modèle les premiers groupes de rock instrumental français, voir nos chronics sur les Vautours, les Fantômes et les Fingers, leurs disques seraient-ils parvenus en Grèce ou fait des émules, en tout cas c’est le même son, pas très épais, un peu aigre mais porteur d’une terrible nostalgie… laissez-vous emporter par les premières notes, ricochets d’une belle guitare, une rythmique qui ose pointer à plusieurs reprises le bout de son nez par la portière, cerise sur le gâteau un vocal qui ne dépare en rien l’ensemble, alors que chez les groupes français… Oui mais George chante en anglais. Certes il triche mais il sort gagnant, personne ne lui en veut. Andalucia : quand vous avez une arène en Espagne vous y poussez un taureau, dans les instrumentaux on ne peut pas faire le coup de la vache folle à tous les coups mais une belle espagnolade aux relents de fandango emporte toujours les faveurs du public. Guitare banderille et batterie estocadante, le taureau est envoyé ad patres en deux minutes. Trop vite fait, mais extrêmement bien fait. Run n’ hide : groovy groovy, la basse se régale, la batterie bat de l’amble et la guitare se fait légère comme une brise d’été, le chanteur chante, on n’écoute pas ce qu’il dit, on s’en fout, sa voix nous accompagnera jusqu’au coucher du soleil. Saw you in my dream : cette guitare en chevauchée western nous emporterait jusqu’au bout de la nuit, devrait se taire, il la voit dans ses rêves, l’en fait tout un fromage, m’étonnerait qu’elle cède, en plus il n’arrête pas, enfin si, mais il tient à terminer. Entre nous soit dit le morceau aurait été meilleur en instrumental. My babe’s gone : évidemment elle est partie, la déception a du bon, z’attaquent plus fort, et nous font de ces floutés soniques dont on se souviendra toute la semaine. Pour un peu il se prendrait pour Robert Plant, heureusement que la musique vous balaie le chagrin comme le vent l’écume sur la mer.  Scorching sun : soleil brûlant et combo vent en poupe, pas de problème, personne ne pousse la roucoulante, l’on bondit au sommet des vagues et l’on chevauche les abîmes. Que voudriez-vous de plus. Les chevaux de Neptune sont nos amis. Fata Morgana : le morceau le plus long, ils s’appliquent, tiennent la cadence, cette fille est une fée, sont sages mais ils tiennent à se faire remarquer, la guitare tire la langue d’une façon impertinente, le batteur tient le bon bout, en fait ils veulent s’en débarrasser alors ils s’éloignent sur la pointe des pieds. Bien joué ! Not your type : basse grondante, tout ce que l’on peut faire avec des cordes ils vous l’offrent, du coup George y va mezzo voce, l’a raison mais les autres ne l’entendent pas ainsi joignent leurs organes au sien, ouf ils n’insistent pas, ils ont un si beau son quand ils se taisent. Ils ont compris, sur la fin ils montrent tout ce qu’ils savent faire. Guitar radiation : avec un tel titre vous avez intérêt à assurer. Comme des bêtes. Ce qu’ils font.  Rien à redire, si ce n’est que l’ensemble les dix titres auraient dû être des instrumentaux. Connaissent beaucoup plus de plans qu’ils ne croient eux-mêmes. Techniquement le titre le plus au top. Un régal. Back again : ne lâchent pas le morceau, un petit côté Apache mais pour que l’on ne confonde pas, George se met à chanter et vous change la physionomie de l’objet, vous le fait un peu à l’anglaise, se débrouille même bien, un peu pop, mais brillant.

             Extrêmement agréable à écouter. A réécouter aussi. Le disque n’a pas plus d’une semaine et déjà l’on attend le suivant.

     

    *

    Dans notre livraison 615 du 12 / 10 / 2023 nous nous penchions sur les premières vidéos de trois jeunes filles présentées comme des figures montantes du country, The Castellows, nous les avons suivies depuis leur enfance et les avons quittées sur leur départ pour Nashville nous doutant bien qu’elles ne laisseraient pas insensible le monde musical de cette cité reine de la country.

    Ce 10 novembre l’officialisation de la signature des Castellows avec le label Warner Music Nashville / Warner Records n’a surpris personne. Dans les heures qui ont suivi deux premiers clips officiels n’ont pas tardé à être mis en ligne sur toutes les chaînes de streaming.

    Cette première vidéo étonnera ceux qui ont regardé et écouté les Silo Sessions. Certes l’on retrouve Eleanor Balkcom à la guitare, Lilian au chant et Powell au banjo. Elles ne sont plus seules : Andy Leftwich, fiddle and mandolin, les accompagne. Jerry Mc Pherson est à la guitare électrique, Jimmy Roe aux drums, Steve Macky tient la basse.

    Le morceau est co-signé par les trois sœurs mais le nom d’une quatrième personne apparaît : Hillary Lindsay. Pas tout à fait n’importe qui, depuis vingt ans ses compositions se retrouvent systématiquement en tête des hit-parades country. 

    Les Silo Sessions étaient un peu spartiates, trois jeunes filles assises jouant et chantant en acoustique. Certains reprocheront la monotonie de cette mise en scène, seront-ils pour autant ravis par ce clip qui rappelle un peu trop l’esthétique tik-tokienne…

    N0. 7 ROAD

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             Certes l’on reconnaît les Caslellows, le vocal si particulier de Lily et le fredonnement de leur chant, l’accompagnement entraînant sait se faire discret quand elles chantent pour revenir au galop dans les passages musicaux. Visuellement on se croirait devant un décor peint de théâtre poético-réaliste tel que l’on en présentait au dix-neuvième siècle, une route agreste bordée d’arbres, c’est beau vous avez envie de vous y promener, nos trois adorables princesses s’amusent comme des petites folles, elles courent, elles bondissent, elles dansent, elles rient, une fois par-ci, une fois par-là, si l’on suit les lyrics, l’on peut affirmer qu’elles ont la nostalgie joyeuse…

             Quand l’on regarde le nombre de vues, l’on se dit que le produit Castellows manufacturé par l’industrie de l’entertainement nashvillien est des plus efficaces. 

             Oui, mais voilà il y a la deuxième vidéo, dix fois moins prisées que la précédente puisqu’elle ne bénéficie que de 21 000 vues. L’on y retrouve la même distribution mais ce coup-ci Andy Leftwich est au banjo, Steve Mackey au fiddle, Jerry Mc Pherson a laissé sa guitare électrique à Eleanor et se charge de la basse, en plus de la batterie Jimmy Roe rejoint Eleanor et Powel aux backin vocals. Changements typiques de la dextérité instrumentale des musiciens country.

    Il ne s’agit pas d’une reprise de l’Hurricane de Dylan mais d’une composition de Tom Shuyler + Keith Stegal, + Stewart Harris qui fut créée en 1980 par le chanteur Leon Everret et repris par beaucoup d’autres. You Tube en propose toute une gamme d’interprétations, associées à des images chocs accompagnés de phrasés mélodramatiques… qui portent un peu à rire. Même si l’on a encore le souvenir de l’ouragan Katrina de 2005 qui dévasta la Nouvelle Orleans.

    HURRICANE

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             D’une esthétique totalement différente de NO. 7 Road. Un fond rouge froissé uniforme sur lequel viennent s’incruster en blanc les vues mouvantes des Castellows en train de chanter. On a envie d’écrire qu’elles ne chantent pas qu’elles susurrent, ce qui est faux, mais la rythmique lenteur de l’accompagnement infuse cette impression d’inéluctabilité menaçante, d’une catastrophe imminente, on reste suspendu aux paroles qui s’inscrivent sur l’arrière-fond du rideau cramoisi, les gouttes de pluie du banjo, les plaintes du violon, le suintement percussif créent une ambiance délétère angoissante. La voix de Lily vous entraîne jusqu’au bout de la nuit de l’intranquillité  humaine assumée.

             Une réussite exceptionnelle. Agit sur vous comme l’inoculation d’un poison mortel dont vous ne pouvez vous passer.  Une espèce de tragédie antique dans lesquelles trois sybilles d’Apollon, aux lèvres de de pierre froide et ardente dévoilent ce que nous ne devrions pas savoir.

    ATHENS GA ENTERTAIMENT MUSIC

    6 / 10 / 2023

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             Non, les Castellows n’ont pas encore atteint une renommée internationale qui leur permettrait une tournée européenne. Nous ne sommes pas au bas des pentes de l’Acropole, seulement en Georgie, séparée de la Russie, mais en l’Etat américain de Georgie dont elles sont originaires. Les voici toutes trois sur le devant de la scène, au centre Lily arbore un chapeau de cowboy et une tunique aux couleurs du drapeau américain, leurs longues et fines jambes enserrées en le bleu soutenu d’un jeans.  Derrière les gars sont habillés d’un similaire grimpant, c’est le moment de mesurer si la voix somme toute fluette de Lily peut surmonter la puissance sonore d’un combo, violon, guitare, basse, batterie. Vous trouverez facilement l’ensemble du concert filmé et édité par Gregory Frederik, nous commentons seulement, la vidéo finale, notamment parce que l’on y retrouve Hurricane, c’est exactement la même voix mais les guys derrière devraient jouer un bémol au-dessous, il est nécessaire de se focaliser sur le chant si l’on ne veut pas perdre la magie qui vous saisit à l’écoute de la vidéo précédente… Terminent par une reprise sur un tempo rapide de House of the rising sun, à la fin de laquelle elles offrent aux garçons l’occasion de démontrer leur virtuosité. Sur l’ensemble du concert, elles s’en tirent assez bien, il est indéniable qu’il y a encore des détails à revoir, mais l’on sent qu’elles sont à l’aise et qu’elles apprennent vite.

             La chro était terminée depuis deux jours que viennent d’être annoncées les premières dates d’une première tournée : vingt dates entre février et avril 2024, la machine se met en route.

    Damie Chad.

     

    *

    Nous avons déjà présenté à plusieurs reprises des traductions françaises de textes théoriques et magickes d’Aleister Crowley opérées par Philippe Pissier. Par exemple dans notre livraison 592 du 16 / 03 / 2023 une Anthologie Introductive à l’œuvre d’Aleister Crowley qui parmi différents types d’œuvres en prose, proposait quelques Poèmes érotiques de la Grande et sommitale bête britannique.     

    En sa jeunesse Crowley a débuté par l’écriture de plusieurs recueils de poésie. Phillipe Pissier vient de traduire en notre langue l’un d’entre eux en intégralité. Qu’il en soi remercié.

             Ceux qui ne comprendraient pas pourquoi en notre blogue rock nous nous obstinons à chroniquer les livres de Crowley au dos de la couverture sont cités pas moins de treize (serait-ce l’arcane tarotique majeur) groupes et personnalités irrémédiablement constitutifs de la culture rock.

    NUEES SANS EAU

    ALEISTER CROWLEY

    Traduction de Philippe Pissier

    Préface de Tobias Churton

    Illustrations d’Anja Bajuk

    HEXEN PRESS / 2023

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             Magnifique couverture, reproduction du peintre Howard Pyle ( 1853 – 1911), illustrateur de livres pour la jeunesse, cette période de l’existence où tous les potentialités de la vie sont ouvertes, mais aussi créateur d’une série de toiles ultra-romantiques entachées d’un absolu pessimisme dont cette Sirène qui nous conte et exalte l’impossibilité néantifère de la réalisation amoureuse entre deux êtres. Notons que Nuées sans eau est paru en 1909. Le choix de cette couverture n’est pas uniquement guidé par des appréciations strictement esthétiques, il témoigne aussi, que l’éditeur en soit remercié, de la recherche d’une concomitance de sensibilité imaginative et réflexive entre des artistes ayant vécu dans de mêmes latitudes temporelles.

             Crowley ne revendique pas son livre, il s’agirait d’un manuscrit anonyme présenté par le Révérend C. Verey pour mettre en garde les âmes pieuses qui abandonneraient la foi transmise par leurs aïeux. Le moindre écart de conduite les mènerait à la mort et à la damnation éternelle… Crowley s’amuse et se moque, il n’en oublie pas pour autant les mésaventures survenues à Oscar Wilde. 

             Le manuscrit est dédié par son auteur présumé inconnu à Marguerite Porete (1215 -1310) béguine mystique qui finit par être brûlée vive (quelques jours après les templiers) pour son livre : Le Miroir des Âmes Simples, qui demeurent en vouloir et en désir de Dieu, il sentait d’après moi un peu trop le gnosticisme, est-ce un hasard si le dédicataire ‘’ inconnu’’ dédie non pas son ouvrage mais son contenu défini comme le ‘’ compte-rendu de nos amours’’ …

             Le livre est divisé en huit chants composés de quatorze quatorzains, à l’exception d’un seul qui en offre quinze, précédés d’un Treizain qui vient après un ensemble de cinq quintils. Ce n’est pas un texte facile – à intensité égale la poésie de langue anglaise est davantage close sur elle-même que la nôtre. La savante préface de Tobias Churton tente de l’éclairer en braquant sur lui les projecteurs de l’existence Crowleyienne et les influences littéraires. Notamment celle d’Axel magnifique pièce de théâtre de Villiers de l’Isle Adam, dans laquelle entrés en possession d’un immense trésor deux amants préfèrent se donner la mort que de survivre au rêve de l’absolu de leur rencontre zénithale destinée à être jour après jour grignotée par l’usure du temps. Notre préfacier ne l’évoque pas mais en plus de la lecture d’Axel que j’ai si ignoblement résumé, le lecteur aura intérêt à se pencher sur le poème Le phénix et la colombe de Shakespeare que Crowley ne pouvait ignorer.

             Les quintils jouent aux quatre coins, les dieux, le rire, l’amour, la mort. Autrement dit l’étrange quadrilatère du rapport de l’expérience de la vie avec l’idée de l’immortalité. Suit une espèce de sixième quintil de quelques mots, un semblant de formule rituellique magique et phonétique, dont la visée n’est autre pour le poëte que d’entamer sous des auspices favorables son voyage de poésie. Le treizain rebat en quelque sorte les dés. Averti par la préface, le lecteur remarquera l’acrostiche de Katlheen Bruce qui désigne une des maîtresses de Crowley, lors de leurs ébats érotiques elle lui infligea le cruel refus de se donner entièrement à lui. Faut-il, maintenant que les choses se sont déroulées ainsi, en rire ou n’en pas pleurer…

             Chaque chant possède sa propre figure. Le premier porte le masque de L’Augure : la prédiction est nette et sans bavure. La chose la plus heureuse qui pourra arriver à nos amants sera la mort. Les Dieux et les Puissances ne sauraient proposer meilleure solution. Attention, se donner la mort est une insulte à l’immortalité des Dieux, l’apparition ici de l’arrière-fond chrétien de l’éducation puritaine reçue par Crowley refait surface, nous touchons à la la psyché métabolique de Crowley qui sans cesse invoque les Dieux pour retrouver une présence unitaire. L’Alchimiste : ici, même lorsque les Dieux nous rappellent notre honteuse et prochaine fin, les contraires s’annulent la vierge peut se donner à son amant, le chant deux est celui de l’ivresse physique de la donation et de la possession, à leurs lèvres les amants boivent le vin de la volupté, mais cette ivresse charnelle n’est-elle pas semblable à celle de la poésie. Le processus alchimique est une chose, mais l’alchimiste est tout aussi important, malgré toutes les pâmoisons s’il y a poésie et poëte, reste-t-il une place pour l’amante… L’Ermite : d’ailleurs elle n’est plus là, us et coutumes sociales les voici séparés, ils ne sont pas morts ensemble et la vie les a disjoints, toute cette absence, toute cette incomplétude, comme par hasard évocation blasphématoire des fêtes chrétiennes… la voix du poëte s’élève jusqu’au rire des Dieux. Le Thaumaturge : le miracle du retour, faut-il pour cela en appeler au Seigneur de la Bible, il est vrai que l’amour vient et s’en va comme Dieu se rapproche et s’écarte, de quoi perdre confiance et de ne plus croire en lui, le concile d’amour se mue en monologue sarcastique, l’incroyant se retrouve seul, ne lui reste que le souvenir de la foi des ardences perdues, les retrouvailles seront désormais intermittentes, miracle de la sagesse de l’acceptation. La messe noire : l’œuvre au noir de l’amour, l’instant où la femme se révèle succube, le désir atteint son paroxysme de dévoration, de destruction de l’un par l’autre, de l’autre selon l’un, une grande violence, viol consenti de l’intégrité de soi-même à l’autre-même, se déposséder de la possession par la possessivité de l’autre, l’amour entre masochisme et sadisme pour sa plus grande exultation, l’impie est impitoyable, l’impie est im-pitoyable, après la monstruosité de l’exaltation, viennent les brises du repos des chairs alanguies et brisées. De l’esprit reposé. L’Adepte : tout se passe dans la tête, autant dire dans la solitude du solipsisme, je suis l’unique, j’englobe le tout et le rien, l’être et le néant, l’immortalité et la mort, je suis Dieu et faiblesse humaine de toi, si je te veux égale à moi tu es déesse, mais peut-être te préfèrerais-je prêtresse de mon culte, nous serions alors  séparés, dans tous les cas l’union de nos solitudes se résoudra dans la mort. Est-ce parce que ce chant pourrait être qualifié d’Egyptien qu’il possède une strophe de plus que les autres ou seulement parce que nous sommes au sommet de l’acmé solitaire de l’amant et du poëte. Tout n’est-il pas déjà écrit, le dernier vers n’est-il pas ‘’ Donne-mou ta bouche, ta bouche, et mourons !’  Ce n’est plus une prophétie mais un ordre en quel sens est-il inclus dans l’ordre du monde. Qui n’est que l’autre face du désastre du monde. Le Vampire : si je suis le seul Dieu quel but donner à ma flèche, tu n’es plus, tu n’es rien, mais comme je suis aussi le rien  tu es le vampire qui vient sucer le sang de mon désir, si Dieu est tout, vers quoi, vers qui étendra-t-il son amour, sur qui pourrais-je tirer sinon sur moi-même, le Dieu de la Bible n’a-t-il pas eu besoin d’un peuple pour lui manifester son amour, le poëte a besoin de lecteurs, lorsque le mirage du théâtre se termine, Shakespeare ne s’en remet-il pas au  public pour être ce qu’il est. Désillusion cosmique est aussi désillusion comique. L’initiation : il faut savoir être logique, les dieux comme les hommes sont mortels, il ne nous reste plus qu’à parfaire notre nature, qu’elle soit divine ou humaine en la mort, du même coup nous nous séparerons de cette commune humanité qui pleurniche devant l’inévitable, qui préfère décliner que regarder le soleil noir de la mort, face à face, afin d’accomplir par ce geste la seule survivance qui nous soit accessible. Les amants qui sont morts ne peuvent plus mourir. L’acte est significatif, non pas pour les autres, mais en lui-même. Endormons-nous pour ne plus jamais nous réveiller. Mais les Dieux dorment-ils du même sommeil que les hommes…

             J’ai juste résumé l’architecture conceptuelle de recueil. Nous ne sommes pas ici dans un blogue consacré à la littérature, toutefois nous attirons l’attention sur ce fait étrange : chaque chant - nous ne dénions pas à ce recueil l’adjectivation d’épique même si le héros ne combat que ses propres faiblesses, que lui-même – peut être lu en tant que récit avec un début et une fin, plus le rejet d’une suite au chant suivant… Il est une autre manière de le lire : chacune des strophes qui forme à elle seule un poème hermétiquement refermé sur lui-même peut aussi être considérée comme la répétition de la strophe précédente. Nous en tirerons deux conclusions : oui elles sont dissemblables,, mais le retour du même n’est pas le même. Mais retour.

             Deuxième conclusion, il reste donc les entailles des huit chants qui correspondent à huit moments différents. Huit points de vue d’un rituel magique en train de se dérouler point par point. Le lecteur aura intérêt à se pencher sur la structure de L’anneau et le Livre de Robert Browning.  Il y est bien question de mort, celle de l’infortunée Pompilia et celle d’Elizabeth Barret Browning. A l’époque où Aleister Crowley rédige et compose Nuées sans eau, Marcel Proust se débat avec la mise en place de la structure de La Recherche du Temps Perdu… Proust, grand admirateur de L’Anneau et le Livre de Browning.

             Croiriez-vous en avoir fini ? Non une seconde lecture s’avère nécessaire. Quinze collages d’Anja Bajuk parsèment le volume, ils n’ont pas été réalisés pour illustrer le recueil Nuées sans eau, pensez-vous que les couleurs qu’employa Gustave Moreau pour ses tableaux aient été créées à l’origine pour ses toiles !

             A l’origine ces collages ont été conçus pour rendre hommage à la figure de Diana Orlow ( 1971 – 1997 ) qui traduisit pour la première fois Le Livre de la Loi de Crowley en langue polonaise. Lilith von Sirius nom de guerre charnelle et spirituelle de Diana Orlow

             Ce sont des images, des lames à s’enfoncer dans le dos. L’art du collage est un art de grande précision, au travers de débris l’on se représente soi-même ou plutôt la vision que nous avons de tel ou tel concept. De concept agissant. Rien à voir avec une idée morte ou une nature morte. Il s’agit de recomposer à partir de mor(t)ceaux éparpillés, tel le cadavre de Dionysos, le vivant afin de le modeler, nous irons jusqu’à dire modeler le regard de celui qui regarde. De là surgissent les archétypes originels que l’on veut potentialiser ou détruire. Ces collages d’Anja Bajuk sont à regarder comme les scènes d’un opéra statique et silencieux – ce n’est pas pour rien qu’Anja Bajuck est une spécialiste des musiques extrêmes, le silence ne contient-il pas l’ensemble des bruits de l’univers portés à leurs paroxysmes, un peu à l’image des papiers déchirés d’Anja Bajuk qui ouvrent une porte sur l’effroyable beauté souveraine et souterraine du monde. Autrement dit de la femme sphinge et de l’homme singe.

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             Ces images sont comme le levain qui fait lever la pâte. Attention, prenez garde, ce livre est opératoire.

    Damie Chad.

             Ce livre est dédié à Olivier Cabière, éditeur du recueil d’Aleister Crowley Rodin in Rime (2018) traduit par Philippe Pissier.

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 620 : KR'TNT 620 : DWIGHT TWILLEY / BRUCE IGLAUER / VINCE MANNIMO / CIEL / DOROTHY MOORE / SUN Q / ERIC CaLASSOU / JALLIES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 620

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    16 / 11 / 2023

     

    DWIGHT TWILLEY / BRUCE IGLAUER

    VINCE MANNIMO / CIEL / DOROTHY MOORE

    SUN Q / ERIC CALASSOU / JALLIES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 620

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Le Dwight dans l’œil

    (Part One) 

    , dwight twilley, bruce iglauer, vince mannino, ciel, dorothy moore, sun q, eric calassou, jallies,

             Dwight Twilley vient de casser sa pipe en bois. Parmi nous, nombreux furent ceux qui flashèrent en 1976 sur son premier album, Sincerely, et qui ont depuis lors toujours considéré Dwight Twilley comme une star, même s’il n’a connu qu’un succès d’estime, comme d’ailleurs Alex Chilton ou encore Alejandro Escovedo. Nous allons donc lui rendre hommage avec un texte tiré du volume 2 des Cent Contes Rock à paraître.

             Que fait-on pour se distraire quand on est teenager en 1967 et qu’on vit dans le trou du cul du monde, c’est-à-dire à Tulsa, dans l’Oklahoma ? On va au cinéma.

             Ça tombe bien, car les Beatles sont à l’affiche avec A Hard Day’s Night. Comme des millions de kids américains, Dwight Twilley a succombé au charme des Fab Four. Il se grise de la fraîcheur de leurs pop-songs et de la pureté de leurs harmonies vocales. La beatlemania fait tellement de ravages dans la cervelle du jeune Dwight qu’il commence à bricoler des chansons sur sa guitare.

             Lorsque la séance de projection s’achève, Dwight rejoint la buvette. Il frissonne encore. Il commande un énorme gobelet de pop-corn et un Coca. À côté de lui, accoudé au comptoir, un kid chantonne un couplet des Beatles, cigarette au bec : « C’était au soir d’une ru-uuude journée, j’avais traaa-aavaillé comme un chien... »

             — Pas mal le film, hein ?, lance Dwight pour engager la conversation.

             — Pour sûr !

             — T’es fan des Beatles ?

             — Foutrement...

             — Moi aussi. J’ai tous leurs disques... J’m’appelle Dwight, et toi ?

             — Phil Seymour.

             Phil et Dwight n’ont que seize ans. Ils rayonnent déjà. En plus de leur passion pour les Beatles, ils ont un autre point commun : le charme physique. Il se dégage d’eux une grâce naturelle, empreinte d’innocence et de candeur. Ils semblent se compléter. Phil a le regard clair et le cheveu cendré, alors que les prunelles et l’abondante chevelure de Dwight tirent sur le brun foncé. Avant même d’ouvrir le bec pour commencer à chanter, ils créent déjà l’harmonie.

             Leur décision est prise. Ils montent un duo, le baptisent Oister, et composent quelques chansons. Dwight maîtrise le piano et la guitare. Phil joue les parties de basse et de batterie. Ils chantent tous les deux et s’égosillent à vouloir rejoindre John, Paul, George et Ringo au firmament. Ils parviennent à ficeler une dizaine de chansons qu’ils enregistrent sur un petit magnétophone à bandes. Ils se réjouissent de la qualité de leurs compos. Mais le plus dur reste à faire.

             — Phil, si nous voulons entendre nos chansons à la radio, nous devons absolument trouver une maison de disques...

             — Ben oui, mais elles se trouvent toutes à New York ou à Los Angeles... Tu sais bien qu’on n’a pas un rond... Je ne peux pas redemander d’argent à mon père, déjà qu’il gueulait comme un peau-rouge sur le sentier de la guerre quand il a reçu la facture du marchand de musique pour l’ampli basse...

             — J’ai entendu dire qu’il existait des maisons de disques à Memphis...

             — Quoi ? À Memphis ? Tu plaisantes ? Ils sont encore plus pouilleux que nous, là-bas, avec leurs champs de coton et leurs tracteurs !

             — C’est pas des conneries, Phil. L’autre jour, le type du magasin de musique m’a dit : vas là-bas, à Memphis, c’est bourré de studios, de labels et de Cadillacs. À tous les coins de rues... Il a même ajouté que certains studios acceptaient les nègres. On a juste assez de ronds pour faire le trajet. On traverse l’Arkansas, c’est tout.   

             Phil n’en revient pas. Pour la première fois, il regarde son copain d’un air suspicieux.

             Le lendemain, les deux compères grimpent à bord d’un vieux break Chevrolet et prennent la route. Dwight conduit, le regard rivé sur l’avenir. Phil sort des bouteilles de Coca de la glacière et les décapsule avec son briquet. Pour tromper la monotonie du trajet, ils s’entraînent à parfaire certaines de leurs harmonies vocales.

             — Je me rappelle du sentiment de libertééééééééé... Maintenant je sais que ça ne pourrait pas être moiiiiiiiii... Parce que je crache le feuuuu-euuuu.... Yeah, je crache le feuuuu-euuuu, awhh !

             Ils entrent dans Memphis et se retrouvent par hasard sur Union Avenue.

             — Phil, regarde-moi ça ! Une maison de disques ! Oh qu’elle est belle ! Tu vois, le type du magasin de musique ne racontait pas de bobards !

             Ils se garent devant le petit bâtiment. L’enseigne indique Sun Records. Ils entrent et tombent sur une secrétaire.

             — Bonjour m’dame ! Est-ce qu’on pourrait voir le big boss ?

             — C’est à quel sujet, jeunes gens ?

             — Voilà. On vient d’enregistrer des chansons et on cherche une maison de disques...

             — Quel genre de chansons ?

             — Ben, du rock !

             — Oui oui, mais quel genre de rock ?

             — Du rock harmonique, en duo.

             — Tout le monde fait du rock harmonique. Elvis, Billy Lee Riley, Johnny Cash... Essayez d’être plus précis.

             — Du rock harmonique un peu comme celui des Beatles, vous voyez ? Mais on compose nos propres chansons...

             Et Phil ajoute :

             — En plus, elles sont pas mal !

             Un sourire éclaire enfin le visage de la secrétaire. Elle se lève.

             — Attendez-moi une seconde, je vais voir si monsieur Phillips est libre.

             Elle revient trois secondes plus tard :

             — Passez dans son bureau. Il va vous recevoir.

             Phil et Dwight entrent dans le bureau. Ils peinent à dissimuler leur déception. Ils s’attendaient à tomber sur un gros magnat fumant le cigare. C’est un type assez jeune et d’allure joviale qui les accueille :

             — Bonjour, je suis Jerry Phillips, le fils de Sam. Asseyez-vous, je vous en prie.

             Il sort du petit frigo installé derrière lui une grosse bouteille de Coca et leur sert deux verres bien remplis. Il poursuit :

             — Alors, vous venez d’où, les gars ?

             — De Tulsa, Oklahoma. Notre duo s’appelle Oister. Voici une K7. Nous avons mis dessus une dizaine de chansons originales qui sonnent vraiment comme des tubes, vous zallez voir !

             — Vous connaissez la réputation de Sun Records, bien sûr...

             — Euh non, pas du tout. On s’est arrêté devant chez vous parce qu’on cherchait une maison de disques.

             Un léger malaise s’installe. Jerry Phillips réalise que les deux jeunes gens ne connaissent ni Sun ni Sam. Il passe outre et insère la K7 dans le lecteur. «I’m On Fire» jaillit des enceintes :

             — Je me rappelle du sentiment de libertééééééééé... Maintenant je sais que ça ne pourrait pas être moiiiiiiiii... Parce que je crache le feuuuu-euuuu.... Yeah, je crache le feuuuu-euuuu, awhh !

             — Vous faites de la pop, hein ? C’est pas mauvais, mais ça manque un peu de substance. Vous devriez muscler un peu votre son et surtout travailler vos voix...

             Phil et Dwight échangent un regard de stupeur.

             — Écoutez, les gars. Je vais rester franc avec vous... Disons que vous m’êtes sympathiques. Je vous donne l’adresse de Ray Harris. Allez le trouver de ma part. Il vous aidera. Vous sortez de Memphis par le Sud, vous traversez la frontière de l’état du Mississippi et vous poussez jusqu’à Tupelo. Vous trouverez Ray et son studio à cette adresse. Ray Harris est un vétéran, l’un des pionniers du rockab, un authentique artiste Sun. Il en connaît un rayon. Si vous cliquez bien avec Ray, vous deviendrez probablement des stars.

             — Mais monsieur Chillips, on ne peut pas se permettre de faire un tel crochet. Il nous reste juste assez d’essence pour rentrer à Tulsa.

             — Pas Chillips ! Phillips, reprend Jerry avec un sourire compatissant. Phillips, comme mon père, Sam. Tenez, prenez ce billet de cinq dollars. Vous me le rendrez quand vous serez riches et célèbres !

             — Promis, monsieur Phillix ! Merci, monsieur Phillix !

             — À la revoyure, monsieur Phinix !

             Phil et Dwight sortent enchantés de leur rendez-vous. Ils cherchent la sortie Sud de Memphis, s’arrêtent à la pompe pour faire cinq dollars de fuel et foncent à tombeau ouvert en direction de l’état du Mississippi.  

             Ils trouvent la maison de Ray sans trop de difficultés. Ils se garent devant. Un homme d’une bonne cinquantaine d’années tond la pelouse. Il porte un stetson et une grosse moustache grisonnante. Il ne semble pas très commode.

             — Mister Harrix ? demande Dwight d’un ton joyeux.

             — Yep. Quic’ vous voulez, les mioches ?

             — C’est monsieur Philliste qui nous envoie...

             — Connais pas c’gars-là !

             — Mais si, le monsieur Philliste de Sam Records à Memphis. On l’a rencontré hier...

             Ray arrête sa tondeuse qui faisait un boucan d’enfer et examine les deux jeunes gens des pieds à la tête.

             — Attendez, vous voulez dire Sun Records ?

             — Oui, c’est ça, Son Records, à Memphis !

             — Et y vous envoie pour quoi, au juste ?

             — On compose des chansons, on les interprète et on voudrait enregistrer un disque. Monsieur Phillic nous a donné votre adresse. Il nous a promis que vous feriez de nous des stars...

             — Bah dis donc... On n’est pas sortis d’l’auberge...

             Ray fait entrer les deux candidats au succès dans sa maison. Un immense drapeau confédéré orne le mur principal. 

             — Vous voulez-t-y boire un p’tit godet ?

             — Avec plaisir, monsieur Horris...

             Ray leur sert deux grands verres de Four Roses. Phil et Dwight n’osent rien dire.

             — Y sont où vos chansons ?

             — Tenez, sur cette K7. Monsieur Phillisse les a trouvées vraiment chouettes... Excusez-moi, monsieur Horrix, vous n’auriez pas des glaçons pour diluer un peu le whisky ?

             — Quoi ? Des glaçons dans l’bourbon ? Mais vous sortez d’où, vous deux ?

             — Tulsa, Oklahoma...

             — Ah bah ça m’étonne pas ! Vous m’avez l’air d’une sacrée paire de branquignoles !

             Ray insère la K7 dans le lecteur. «I’m On Fire» jaillit à nouveau des enceintes. Ray fronce les sourcils.

             — Y’a d’l’idée, pour sûr, mais vous chantez vraiment comme des tarlouzes ! Qu’est-ce que c’est qu’ce travail ! On croirait entendre ces pédales yankees, là, les Simon et Gorefuckell ! Bon, j’veux bien m’occuper d’vous, mais va falloir vous bouger l’cul et tout r’prendre à zéro. J’vais vous apprendre à bosser un vrai son et surtout à chanter. Vous allez marner dans mon studio, tous les jours, jusqu’à c’que ça r’ssemble à queck’chose. On commence demain matin à six heures pétantes, pigé ? Bon, l’est quelle heure ? Oh, shit, déjà quatre heures ! Puisque vous êtes là, vous allez v’nir avec moi tuer l’cochon, là, derrière. J’ai b’soin d’un coup d’main pour lui t’nir les pattes ! Allez hop !

             L’un des murs du studio est couvert de quarante-cinq tours Sun. Dans un coin trône une contrebasse. Phil teste la batterie. Dwight branche sa guitare sur un ampli Fender.

             Ils commencent par retravailler «I’m On Fire». Ray trouve la mélodie chant bien foutue, mais il demande à Phil de soutenir le beat et à Dwight d’éclairer au maximum le son de sa guitare.

             — Enroule ton gimmick sur l’beat, gamin, et sur le re-re, tu entrelaceras un second phrasé, différent du premier, t’as pigé ?

             — Pigé, Roy !

             «I’m On Fire» prend une nouvelle tournure. En quelques semaines, il prend même l’allure d’un hit pop parfait, emmené sur un mid-tempo altier. Comme tonifié par le beat vitaminé, le son des guitares scintille. Ray en connaît un rayon. Lorsqu’il travaillait pour Hi Records, à Memphis, il produisait des stars comme Charlie Rich, Ike & Tina Turner, Bobby Blue Bland ou encore Slim Harpo.

             Pendant un an, Ray fait travailler les deux gosses. Il les trouve doués, mais il se cache bien de le leur dire. Ray part du principe que les chansons sont bonnes. Il suffit de trouver un son. On en revient toujours au même point de départ : le son. Phil et Dwight progressent rapidement. Ils attaquent «Could Be Love» sur un driving-beat pulsé à l’orgue. Ça sent le hit à plein nez. Ray fait une suggestion :

             — Là-d’ssus, gamin, tu devrais ahaner...

             — A quoi ?

             — A-ha-ner, comme on l’faisait dans l’temps, Charlie Feathers et moi.

             — C’est qui Charlie Vizer ?

             — Bon laisse tomber... Tu fais ça : a-ha, a-houu, et tu reprends le chant normalement. T’as pigé ?

             Dwight reprend le couplet et ahane au moment où Ray lui fait signe.

             — Alors, pas mal, hein ?

             — Pour sûr, Roy ! Ça donne un sacré jus ! Vous en avez d’autres des combines comme celle-là ?

             — C’est pas d’la combine, gamin. Si t’es doué pour le métier d’rockab, ça t’vient naturellement.

             Le soir, Ray leur passe des 78 tours Sun et Meteor sur son vieux pick-up. Dwight et Phil découvrent un univers musical dont ils ne soupçonnaient pas l’existence. Le lendemain, Dwight démarre sur une idée. Le morceau s’appelle «TV». Ray tend l’oreille. Voilà que les gamins se mettent à sonner rockab... Dwight tortille son chant :

             — TeeVee... c’est une super-bonne... com-pagnie !

             — Plus hargneux, le chant ! Et pis, sur ta gratte, pique tes notes comme si tu pinçais l’cul d’ta poule. Et toi Phil, tend le beat, mais r’lâche tes épaules et déconnecte tes quat’ membres ! Joue plus sec, faut qu’ça claque, nom de dieu !

             Malgré la nouvelle influence du rockab, Phil et Dwight restent attirés par les morceaux lents. Ils semblent compter sur les balades sirupeuses pour se faire connaître et entrer dans les charts. Ray les aide à construire des harmonies vocales, juste pour leur éviter de sombrer dans la gabegie où s’est noyé Elvis. Après deux essais infructueux, «You Were So Warm» et «I’m Losing You», Dwight propose «Baby Let’s Cruise» qui sonne, là encore, comme un monster hit, digne de ceux signés Brian Wilson. Pourtant peu exposé aux ravages de la sensiblerie, Ray sent le miel de la mélodie lui couler dans le dos. Dwight laisse fuir ses roucoulades vers un horizon saturé de lumière jaune. D’incroyables vibrations altèrent la pureté de sa voix. La chanson s’éteint, victime d’une overdose de beauté.

             — J’en ai encore une, Roy, elle s’appelle «England»...

             Phil qui retient bien les leçons pulse un gros beat nerveux. Dwight pousse un Ouh ! de boxeur. Wow, quel punch ! Ray sent que les gamins sont au point.

             Le lendemain, Phil et Dwight font leurs adieux. Ils serrent Ray dans leurs bras.

             — Oh merci Roy ! Merci pour tout. T’es un type fantastique.

             — Donnez-moi d’vos nouvelles, les gosses. Et j’vous préviens, si vous faites un disque et qu’y l’est mauvais, j’vous botterai l’’cul, parole d’homme ! Maint’nant, tirez-vous !

             Dans la voiture qui s’éloigne, Dwight serre les dents. Il veut surmonter son émotion. Plus déterminés que jamais, les deux compères parviennent à financer un voyage à Los Angeles et finissent par rencontrer Denny Cordell, un Anglais qui vient de monter Shelter Records avec Leon Russell. En écoutant les démos retravaillées du duo, Cordell flaire le gros coup. Producteur indépendant, c’est l’homme qui a lancé les Moody Blues avec «Go Now», Procol Harum avec «A Whiter Shade Of Pale», et qui a ramené Tony Visconti à Londres pour superviser les sessions d’enregistrement des Move. Et comme si cela ne suffisait pas, il compte en plus à son actif la découverte et le lancement de la carrière de Joe Cocker.

             — Bravo, les gars, il y a au moins cinq tubes planétaires dans le tas. Croyez-moi, je m’y connais ! Au fait, comment s’appelle votre duo ?

             — Oister !

             — Non, non, non ! Ça ne va pas ! Qu’est-ce que c’est que ce nom à la con ? Il faut trouver un nom plus flashy !

             — Mussel !

             — Vous vous foutez de ma gueule ?

             — Mais non, monsieur Cardell ! On dit les trucs qui nous viennent à l’esprit !

             — Vous êtes vraiment pénibles tous les deux ! Puisqu’il faut avancer, je vais décider pour vous. Vous allez vous appeler Dwight Twilley Band... Ça sonne bien, non ?

             — Wow, fait Dwight en sautant sur sa chaise, super !

             Phil lance un regard oblique à son partenaire.

             — Voilà ma stratégie, mes petits amis. On va sortir «I’m On Fire» pour lancer la machine. Les ventes du single financeront l’enregistrement du premier album. Vous irez donc à Londres enregistrer avec Robin Cable que je connais bien. Si tout va comme prévu, d’ici quelques mois, vous passerez à la télé et vous pourrez vous acheter des costumes en satin. Je ne veux plus voir ces chemises à carreaux. Maintenant, je vais vous présenter mon associé, Leon Russell.

             Cordell décroche son combiné et demande à sa secrétaire de faire venir Tonton Leon.

             Un type aux cheveux très longs et coiffé d’un haut de forme entre dans le bureau.

             — Mes cocos, je vous présente Tonton Leon, le meilleur session-man des États-Unis d’Amérique. Il les a tous accompagnés, Jerry Lee, les Byrds, Badfinger, Glen Campbell, j’en passe et des meilleurs, hé hé hé... 

             Dwight et Phil échangent un regard où règne l’effarement.

             — Monsieur Rossell, vous êtes de Tulsa, n’est-ce pas ? demande Dwight d’une voix blanche.

             — Pour sûr, kiddie boy. J’y ai même monté un studio. Mais la plupart du temps, je bosse ici, à L.A.         

             Dwight et Phil se souviennent d’avoir aperçu cette silhouette étrange dans les rues de Tulsa. La coïncidence les frappe tellement qu’ils en restent bouche bée.

             Cordell relance la conversation :

             — Ils viennent eux aussi de Tulsa, Tonton... Tu les connais ?

             — Non, je ne crois pas...

             — Écoute ça, Tonton, c’est la démo de leur premier single.

             Une version superbement ficelée jaillit des enceintes du bureau. Tonton Leon se fend d’un sifflement d’admiration.

             — Pas croyable ! Wow, quel son ! Avec une vraie production, ça aura encore plus de ju-ju... Ah ça, mes petits Okikis, vous allez faire un drôle de carton ! Quelle wanita patata ! On dirait Buddy Holly accompagné par George Harrison ! C’est vraiment excitant... Jamais entendu un truc aussi bon. Vous me filez la trique ! Et il se met claquer des doigts et à chanter le refrain en chœur :

             — Parce que je crache le feuuuu-euuuu.... Yeah, je crache le feuuuu-euuuu, awhh !

             Denny Cordell sort une feuille dactylographiée d’un tiroir et la pose devant ses deux nouvelles recrues :

             — Tenez, mes petits amis, signez là. Je m’occupe de tout. Comme dirait mon ami Don Arden, la tranquillité, ça n’a pas de prix....

             Sincerely, Le premier album du Dwight Twilley Band, sortira en 1976, soit deux ans plus tard, suivi, un an plus tard de l’encore plus spectaculaire Twilley Don’t Mind, un album bourré de hits percutant et juteux, vivaces et lumineux, fruités et gorgés d’électricité.

             Ces deux albums rivaliseront de panache avec les deux grands albums des Beatles, Rubber Soul et Revolver, parus dix ans plus tôt, avec toutefois une petite cerise sur le gâtö : une énergie purement américaine. 

             Aucun des deux albums ne grimpera au somment des charts, comme le prévoyait l’infaillible Denny Cordell. Le mystère de cet échec reste, avec la malédiction du tombeau de Toutankamon, l’une des énigmes majeures de l’histoire de l’humanité.     

    Signé : Cazengler, Dwight Eiso-nowhere

    Dwight Twilley. Disparu le 18 octobre 2023

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    Attention pour mémoire : le volume 1 des Cent Contes Rock de Patrick Cazengler.

     

    Dans l’igloo d’Iglauer

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             Contrairement à ce que raconte le titre, Bruce Iglauer n’est pas un Esquimau. On a les titres que l’on peut. Et les manies que l’on peut taussi. Le taussi est important, au moins autant que l’igloo d’Iglauer. Et l’Esquimau encore plus, en souvenir de Rrose Sélavy, laquelle, t’en souvient-il, prônait d’esquiver les ecchymoses des esquimaux aux mots exquis.

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             Trêve de balivernes ! Bruce Iglauer n’a rien de Dada, même si le titre de son autobio joue un peu avec les mots. Comme son label s’appelle Alligator, il se dit «mordu par le blues». Question style, Bruce Iglauer n’a rien de particulièrement mordant. Il écrit bien à ras des pâquerettes. C’est un homme extrêmement ordonné, son livre est bien rangé, Iglauer s’exprime sans détour, il ne prétend à aucun moment être écrivain, il se contente de rassembler ses souvenirs et surtout de rendre hommage à tous les artistes qui lui ont accordé leur confiance. Bitten By The Blues - The Alligator Records Story est ce qu’on appelle un bon book, le genre de book sympa qui mérite l’accolade et même une bonne tape fraternelle dans le dos. C’est le genre de book qui te virilise la cervelle, tu n’hésites pas un seul instant à avouer ta fierté de l’avoir lu. Pour un peu tu te laisserais pousser la barbe.

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             Un bon book. Oui, et même un brave book. À l’image de Bruce qui est un brave mec. Il se situe aux antipodes d’Allan Klein et de Leonard le renard : il ne plume pas les nègres pour s’enrichir, il les respecte. Toute sa carrière de label boss repose sur une seule valeur : l’honnêteté. Et donc le respect. Il n’a qu’une seule passion : le blues - I’ve built a business based on the music I love. J’ai appris à survivre in the ridiculously competitive and ever-changing world of the record business - L’autre point fort d’Iglauer est son catalogue : Alligator couvre toute l’histoire du blues électrique, beaucoup plus massivement que l’a fait Chess. Iglauer a rencontré et enregistré tellement d’artistes fascinants qu’il en oublie de parler de lui. Son autobio est un fabuleux catalogue d’artistes majeurs et mineurs, noirs pour la plupart, à quelques exceptions près, et quelles exceptions, my friend : Johnny Winter, Lonnie Mack et Roy Buchanan !

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             Bizarrement, on a toujours vu Alligator comme un label de zone B. Le graphisme des pochettes ne percutait pas toujours, le carton était plus mou, c’était du Chicago blues, donc un blues un peu plan-plan, tragiquement prévisible, et puis il y avait trop d’Alligators. Iglauer saturait le marché d’albums qui pour la plupart n’avaient rien d’indispensable. On complétait sa série d’albums de Johnny Winter avec les trois Alligators, on faisait l’effort d’écouter les Albert Collins et le Fess d’Alligator, mais il fallait vraiment rester sélectif. Dommage, car Iglauer a commencé avec un coup de maître : Hound Dog Taylor. Il a ensuite passé toute sa vie à essayer de rééditer ce coup de maître, mais en dépit de la qualité de tous les artistes qu’il a signés par la suite, il n’y est jamais parvenu. Pourquoi ? Parce qu’il n’existe qu’un seul Hound Dog Taylor. Et comme on l’a dit récemment ici-même, les trois Alligators d’Hound Dog Taylor sont des albums magiques.

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             Iglauer nous ramène chez Florence’s : «Je crois que personne dans l’audience n’appréciait autant la musique que les trois mecs qui la jouaient. Ce jour-là, je suis tombé amoureux d’Hound Dog Taylor & The HouseRockers. Les soirées que j’avais passées dans les clubs de blues de Chicago m’avaient fait découvrir un univers parallèle, une autre Amérique, une Amérique noire avec sa propre culture et sa fabuleuse musique.» Iglauer n’en finit plus de décrire Hound Dog sur scène : «Hound Dog se penchait sur le micro et chantait d’une voix perçante. Chaque fois qu’il claquait une note aiguë sur sa gratte, il jetait sa tête en arrière et fermait les yeux. Avec son stomping feet, flying slide and comic facial expression, il fascinait. Chaque fois qu’on lui réclamait une chanson, il répondait avec un immense sourire : ‘I’m wit’ you, baby, I’m wit you.’» Merci Iglauer de nous faire partager ces moments extraordinaires. Bien sûr, il évoque aussi Brewer Phillips qui martèle son bassmatic «sur une Tele débraillée, as he danced to the music» et Ted Harvey who banged son beurre en mâchant un chewing-gum. Iglauer rappelle aussi qu’Hound Dog picolait et qu’il se versait un double shot de Canadian Club dans son café du matin. Chaque soir, il était complètement rôti. Iglauer adore aussi ses souvenirs de tournées avec Hound Dog, Brewer et Levi Warren. Il devait conduire la plupart du temps, car les trois autres picolaient trop.

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             Le destin d’Alligator s’articule merveilleusement : Iglauer flashe sur Hound Dog chez Florence’s, il monte un label pour lui, le paye et Hound Dog entre dans la légende. Iglauer a fait avec Hound Dog ce qu’Uncle Sam a fait avec Elvis : il lui a donné des ailes. Si Hound Dog et Elvis nous ont accompagné pendant toute notre vie, c’est grâce à Uncle Sam et Iglauer. On ne leur en sera jamais assez reconnaissants.

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             Iglauer revient sur le genèse d’Alligator : l’arrivée à Chicago et le job chez Jazz Record Mart, at 7 West grand Avenue. Il bosse pour Bob Koester, qui est aussi boss de Delmark Records, le grand label de Chicago blues originel. Charlie Musselwhite bosse aussi chez Jazz Record Mart, mais il est viré après avoir échangé des coups de poings avec Koester. Entre 1970 et 1971, Iglauer apprend avec Bob Koester à enregistrer et à produire des bluesmen. Koester enregistre des très grands classiques du Chicago blues : l’Hoodoo Man Blues de Junior Wells, le West Side Soul et le Black Magic de Magic Sam et l’Hawk Squat de J.B. Hutto. Iglauer évoque même la possibilité d’une relation très forte entre son boss et lui. Il pense que Koester a commencé à le voir comme son fils spirituel, de la même façon que lui, Iglauer, le considère comme son père spirituel. Iglauer admire Koester car il le voit prendre des risques dans sa façon de produire les artistes. Il n’impose jamais rien. Mais Koester ne flashe pas sur Hound Dog Taylor. Iglauer va devoir se débrouiller tout seul. Il commence par découvrir que le job de producteur n’est pas seulement technique : il faut surtout savoir manager les personnalités. Première grande leçon. Deuxième grande leçon : la distribution. Une fois qu’il a enregistré Houng Dog, il faut distribuer le disque ! Alors Iglauer se prend par la main et va de ville en ville faire la tournée des stations de radio, puis des distributeurs locaux. Il apprend son métier de label boss. Trouver les artistes est une chose, les vendre en est une autre. Pendant trois semaines, il va de ville en ville pour vendre Hound Dog Taylor & The HouseRockers. Pendant 14 ans, le bureau d’Alligator est sa chambre - a one-room appartment - Iglauer n’a pas une tune, mais il sort des disques. Quand ça commence à marcher, il passe au two-room appartment, puis, il a presque honte de le dire, a small house. Le small est essentiel. Iglauer est l’honnête homme par excellence : «Selon les rapports de l’industrie du disque, la grande majorité des ventes d’albums ne couvrent pas les frais d’enregistrement. Et les artistes ne reçoivent jamais de royalties sur les ventes. Nous, on a couvert les frais d’enregistrement sur la plupart des Alligators et on a pu verser des royalties sur les ventes aux artistes. Le versement des royalties est le poste budgétaire le plus important chez Alligator. I’m very proud of that.» Prenez des notes, les gars.

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             En fait, c’est Mississippi Fred McDowell qui lui cause un premier choc émotionnel, en 1966 dans un annual folk festival - His music seemed more honest, more direct and more authentic than anything I’d ever heard - Il sait qu’il s’agit du North Mississippi Hill Country Blues. Alors il commande l’album Mississippi Delta Blues paru sur Aroolhie et il l’attend pendant 6 mois, car le disquaire n’arrive pas à trouver une copie. Iglauer tombe raide dingue de l’album - I listened to it almost every day - Puis il flashe sur le Paul Butterfiled Blues Band - gritty, powerful and more grown up than any of the rock’n’roll miusic I was hearing on the radio - Eh oui, il a raison, Iglauer, Butter était largement en avance sur son temps. Il flashe ensuite sur J.B. Hutto, qui enregistre sur Delmark - C’était un merveilleux chanteur with a huge voice qui pouvait monter des notes comme s’il chantait des work songs in a cotton field. A raw guitar player - Et puis voilà Junior Wells, lui aussi sur Delmark avec l’excellent Hoodoo Man Blues, «un petit homme qui aimait les bijoux flashy, les costards de couleurs vives et les expansive shoes.» C’est Buddy Guy qui accompagne Junior Wells sur Hoodoo Man Blues, mais sous le pseudo ‘Friendly Chap’, parce qu’il est sous contrat chez Chess. Iglauer fait un portrait fascinant de ce badass, qui ne sortait jamais sans son flingue et un rasoir, mais nous dit Iglauer, «si tu étais son ami, c’était pour la vie.»

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             Il fait ce que font tous les autres : il essaye de se développer pour survivre. Mais il se vautre. Il finance deux albums qui ne marchent pas, un Big Walter Horton et un Son Seals. Il croyait pourvoir atteindre un marché plus vaste, mais c’est la douche froide. Koko Taylor et Lonnie Brooks seront les artistes qu’il va suivre le plus longtemps. Il manage Koko de 1975 jusqu’au cassage de sa pipe en bois, en 2009, et Lonnie de 1978 à son départ en retraite, en 2012 - They were our friends and parts of our daily lives - Il a raison de préciser tout ceci, car c’est là où Alligator fait la différence. Iglauer voit le label comme une famille - Les commissions qu’on prenait sur leurs concerts couvraient tout juste les salaires de Nora et Matt. For decades, management was one of Alligator’s essential jobs - Iglauer veut dire à travers ça qu’il prenait ses artistes en charge à 100 %. Cet homme est décidément irréprochable. Il est content quand il voit que les albums de Koko (The Earthshaker), de Son Seals et d’Albert Collins marchent bien. Il est surtout content pour eux. Il passe un accord en Europe avec Sonet pour la distribution, et c’est la raison pour laquelle la plupart des Alligators qu’on trouve ici en France sont sur Sonet. Du coup, Alligator devient un label international. Iglauer souffle un peu : il peut prendre des risques et se vautrer dans couler la baraque.

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             Après avoir chanté les louanges d’Hound Dog Taylor, il chante celles de Son Seals - If I had ever had the talent to be a bluesman, the one I would have been chosen to be is Son - C’est le blues de Son qui lui parle le plus. Il pense que Son a libéré beaucoup de colère à travers sa musique. Son a grandi à Osceola, en Arkansas, «the most racist town in the Delta». Selon Iglauer, Son «plays with slash-and-burn physical intensity, avec une disto que seule permet la cheap guitar.» Et il ajoute qu’à la différence du blues d’Hound Dog «which was such great fun et de celui de Big Walter which was subtle and multilayered, le blues de Son was a brash, bold slap in the face.» Son portait un cowboy hat et se prenait pour le John Wayne du blues, a man of few words. Son style repose sur une attaque agressive, il a ses licks, comme Albert King. Le blues de Son n’a rien à voir avec la technique. Pour Iglauer, c’est une question de touche - he played every note though it was the most important note he was ever going to play - Les deux grosses influences de Son sont Albert King (certains disaient que Son jouait comme Albert King on speed) et Little Milton pour le chant. Il adorait aussi Junior Parker. Son sort «an ultra-raw guitar tone» sur une Norma guitar, «a cheap brand sold by Montgomery Ward», précise Iglauer. Sa relation avec Son Seals allait durer plus de trente ans et Son allait sortir «eight memorable albums» sur Alligator. On en reparle.

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             Et puis voilà Koko Taylor, avec son «tradermark powerful, growling vocal style». Elle avait déjà un hit chez Chess avec «Wang Dang Doodle», produit par son mentor Willie Dixon, mais quand Chess disparaît avec le cassage de pipe de Leonard le renard, Koko doit rebosser pour vivre et elle fait la femme de ménage pour les familles blanches des quartiers chics. Koko tourne autour d’Iglauer. Elle aimerait refaire un disque, mais au début, Iglauer ne moufte pas. Et puis elle n’a pas de groupe. Pas de répertoire. Bof. Elle insiste. Elle forme un groupe. Elle verse un acompte pour un van de tournée. Iglauer est impressionné par sa ténacité. Alors il lui booke des dates à droite et à gauche. Koko vient d’un milieu très pauvre du Tennessee, comme tous les autres. Iglauer s’intéresse à elle, à son histoire. Il en parle dans son book. Pour lui, la connaissance du contexte sociologique est aussi importante que la musique. Elle est arrivée en bus à Chicago en 1951. Elle a bossé comme domestique et pris des cours du soir, par pure fierté, car elle ne supportait pas d’être illettrée. Elle a appris la grammaire, l’élocution et un peu de mathématiques - She did it out of pride - La façon dont en parle Iglauer est merveilleuse. Koko devient une héroïne. Elle fait tout à la force du poignet. Elle enregistre son premier Alligator en 1975 : I Got What It Takes. Iglauer lui propose des cuts, elle en choisit 6, Elmore James, Ruth Brown, Magic Sam et Bonnie Bombshell Lee. Willie Dixon lui donne un cut, «Be What You Want To Be». Elle fait aussi son «Voodoo Woman» et propose de reprendre des cuts de Jimmy Reed, d’Otis Spann et de Denise LaSalle. C’est avec The Earthshaker qu’elle devient en 1978 the Queen of the blues. Iglauer la manage et Koko va tourner dans le monde entier jusqu’à l’âge de 80 balais, «never losing the ability to pitch a wang dang doodle». Elle fait 9 Alligators et conclut en affirmant qu’elle et Alligator vont ensemble «like red beans and rice». Là, on sent monter une émotion très forte sous la plume d’Iglauer. On détecte clairement cet esprit en lui qu’on pourrait qualifier d’humanité du blues. La musique n’est rien sans la dimension humaine. Il est sans doute l’un des seuls à l’avoir pigé. Plus on avance dans son book, et plus on mesure la grandeur de cet homme.  

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             Il a l’idée de lancer des bluesmen inconnus dans le cadre d’une collection qu’il baptise ‘Living Chicago Blues’. Iglauer crée son monde. Grâce à lui, Carey Bell, Eddie Shaw et Billy Branch surgissent du néant. Mais le grand lauréat de ‘Living Chicago Blues’ est Lonnie Brooks, «one of the most popular musician on the West side» (of Chicago).  Puis il récupère Albert Collins qui est déjà une sorte de superstar des clubs de blues. C’est son premier non-Chicago artist, «known as the Master of the Telecaster, a Texas-born electric guitar hero, whose stinging, ultra-percusive, echo-laden style had been dubbed ‘The cool sound’.» Iglauer était tombé en pâmoison devant The Cool Sounds Of Albert Collins, un album d’instros paru en 1965. Quand il s’en va le rencontrer pour la première fois, il s’attend à tomber sur un géant, et pouf, il rencontre un petit homme à la voix douce. Mais, ajoute-t-il, Albert joue de tout son corps, «comme Freddie King ou Luther Allison» - Il fait des grimaces, saute partout et se jette dans sa musique - Il finit trempé de sueur. Iglauer est fasciné par le petit Albert. En 1978, Ice Pickin’ sort sur Alligator et du coup, Albert devient encore plus populaire que Son Seals et Koko Taylor qui sont les têtes de gondole d’Alligator.

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              Iglauer va voir jouer Fess pour la première fois au Tipitina, à la Nouvelle Orleans. Sortir un album de Fess sur Alligator, c’est pour Iglauer un rêve qui devient réalité. Il l’enregistre à Sea-Saint, le studio d’Allen Toussaint (Sea pour Marshall Sehorn et Saint pour Allen Toussaint) - We wanted something special. Dr John was on top of that - À la fin de la session, Fess dit que c’est sa session la plus heureuse de toutes celles qu’il a connues. Iglauer en rigole de bonheur : «Des gens voient le Crawfish Fiesta de Professor Longhair comme le meilleur album sorti sur Alligator.» Mais le jour de sa parution, le 31 janvier 1980, Fess casse sa pipe en bois. Des tas de gens se pointent à ses funérailles, et parmi eux Jerry Wexler. Allen Toussaint et Art Neville y chantent pour rendre hommage à Fess. Bien des années plus tard, Allen Toussaint dira à Iglauer : «Fess is with me every day.» «Me too, Allen», écrit à la suite Iglauer. Et comme il voit des tas de gens disparaître, Iglauer se dit soudain qu’il y a urgence à les enregistrer avant que cette culture ne disparaisse avec eux. Il se sent investi d’une mission pour le blues, de la même façon que Jacques Lanzmann se sentit investi d’une mission pour la Shoah.

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             Après Fess, Iglauer passe à un autre géant : Johnny Otis, «a Renaissance man of R&B». Iglauer en brosse un portrait sommaire, rappelant qu’il a commencé comme batteur avant de devenir «a piano and vibraphone player, songwriter, talent scout, producer, bandleader, newspaper columnist, author, preacher, DJ, television host et bien qu’il ne fut pas né African-American, porte-parole de l’African-American community de Los Angeles.» Eh oui, les gars, Johnny Otis n’est pas black mais grec. C’est un grec à la peau sombre. Mais il se sent noir. En tournée dans le Sud pendant les années 50 et 60, il a pris la ségrégation en pleine gueule, pas de restaus, pas de gogues, pas d’hôtels pour les sales nègres. Vert de rage, Johnny Otis en est devenu doublement noir - Si tu le traitais de blanc, il prenait ça comme une insulte et te frappait - À l’âge de 30 ans, Johnny Otis avait déjà probablement été en studio un millier de fois. «Il avait découvert Little Esther (Phillips), Big Mama Thornton, les Robins qui allaient devenir les Coasters et des douzaines d’autres artistes.» Bizarre qu’Iglauer oublie de citer Etta James et Sugar Pie DeSanto. Johnny Otis avait installé une chapelle chez lui et il y prêchait. En 1983, Iglauer propose à Johnny Otis d’enregistrer un Alligator. Comme Johnny Otis n’est pas sous contrat, c’est assez simple. L’Alligator s’appelle The New Johnny Otis Show With Shuggie Otis. Mais ça floppe : trop R&B pour les gueules à blues. Il n’empêche que c’est du big time de Johnny Otis. Et ce n’est pas un hasard, Balthazar, si Ace a réédité TOUT Johnny Otis. On en reparle. 

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             En 1979, Iglauer commet une petite erreur : il dit non à Stevie Ray Vaughan. Il aurait pu l’avoir pour un one-album deal, mais Stevie ne l’impressionnait pas assez. Iglauer le prend pour un imitateur d’Albert King. Tinsley Ellsi dit un jour à Iglauer : «La seule chose qui soit pire qu’un monde rempli d’imitateurs de Stevie Ray Vaughan est un monde sans imitateurs de Stevie Ray Vaughan», à quoi Iglauer ajoute : «ce qui est exactement le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui.» C’est pourquoi Iglauer a maintenu pendant tant d’années son rythme convulsif de parutions : pour enrayer la paupérisation artistique qui menace le monde moderne.   

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             En 1984, il achète un vieil immeuble de trois étages pour en faire ses bureaux. Le staff d’Alligator compte alors 12 personnes. Iglauer fait gaffe : il veut leur assurer un minimum de sécurité et de confort. Pour monter d’un cran, il signe trois cracks blancs, Johnny Winter, Lonnie Mack et Roy Buchanan. L’idée est de consolider l’assise financière d’Alligator. Iglauer rencontre Johnny Winter qui est alors une superstar et ils échangent leurs numéros de téléphone. Iglauer se dit charmé par l’albinos qui, justement, vient de produire l’Hard Again de Muddy Waters. Johnny confie aussi à Iglauer qu’il était dingue des Gulf Coast records de Guitar Junior. Ça tombe bien, rétorque Iglauer, Guitar Junior est sur Alligator et s’appelle désormais Lonnie Brooks. Johnny accepte finalement d’enregistrer sur Alligator parce qu’il veut revenir à ses racines : le blues - He saw the label as home of pure, noncommercial blues - Iglauer casse sa tirelire et offre une avance de 10 000 $ à Johnny. Pour lui, c’est une somme énorme, il n’avait pu verser que 1 000 $ à Albert Collins. Mais bon, tu veux la star, alors tu payes. Johnny est sous méthadone, il n’est vaillant et créatif qu’en fin de journée. En studio, il fume de l’herbe et picole sec. Ils enregistrent 17 cuts en quatre nuits et vont faire au total 3 Alligators ensemble. Mais la relation se détériore - By the time we finished with Serious Business, he was tired of me and I was tired of him. Iglauer ne rentre pas trop dans les détails.

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             Pas grave, il passe ensuite à Lonnie Mack, un autre géant de cette terre - the first blues-rock guitar-hero - Iglauer charge bien la barcasse : «His powerful guitar solos - including unexpected, soaring octave jumps, driving rhythm figures, and fast string bending using the tremolo bar on his signature Gibson Flying V guitar - were all his own.» Iglauer ajoute que le guitariste préféré de Lonnie Mack était Robert Ward, un black de Georgie qui jouait dans les Ohio Untouchables, futurs Ohio Players. Ses chanteurs préférés étaient Bobby Blue Bland et George Jones. Pour Lonnie, il n’existait pas de frontières entre le blues, la country, le R&B et le rock’n’roll. Il naviguait en père peinard sur la grand-mare des braquemards et allait d’un genre à l’autre sans crier gare. Iglauer ajoute que Lonnie venait d’un milieu campagnard très pauvre de l’Indiana, qu’il roulait ses clopes, qu’il buvait sec et qu’il adorait les armes. Pendant des années, il a tourné bourré d’amphètes et d’alcool au volant de sa Cadillac, avec une remorque derrière. Pour Iglauer, Lonnie était l’un des meilleurs - His recordings from the mid-1960s are astounding - Iglauer raconte qu’il est allé le voir jouer dans un club de Covington, Kentucky - Je le connaissais assez pour être invité par lui à aller faire un tour sur le parking et sniffer un rail de coke sur la lame de son énorme couteau de chasse - Au début, ça n’intéresse pas Lonnie de faire un Alligator, puis il finit par accepter. Iglauer le rejoint à Cedar Creek, un studio d’Austin, Texas - a funky, oddly wired place with rattlesnakes living in the tall grass around the building - Lonnie va faire deux Alligator - Two of the most compelling albums in the Alligator calatog - Lonnie a fini sa vie seul dans une cabane en bois paumée au fond des bois et a cassé sa pipe elle aussi en bois en avril 2016, et l’occasion fut trop belle de lui rendre hommage ici-même.

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             Iglauer ne s’arrête pas en si bon chemin : après Johnny et Lonnie, il récupère Roy Buchanan, a secret guitar genius - he called himself an Arkansas gully-jumper - Comme Roy avait reçu une éducation extrêmement religieuse, il était sûr qu’il allait rôtir en enfer, and he was serious. Ado, il s’est tiré de chez lui pour aller à Los Angeles. Il a joué pendant un temps avec Johnny Otis, puis a tourné et enregistré avec Dale Hawkins - Il fut bientôt réputé pour sa technique incomparable, son imagination musicale et sa personnalité excentrique - Iglauer dit sa fascination pour Roy : «He was a master at the difficult technique of playing harmonics.» La preuve ? «The Messiah Will Surely Come Again», un instro mélodique faramineux qu’on trouve sur son premier Polydor paru en 1972. En 1988, il est arrêté à cause d’une shoote avec sa femme. Puis on le retrouve pendu en cellule avec sa propre chemise. On a parlé d’un suicide, mais rien n’est moins sûr. Les cops l’auraient buté et maquillé ça en suicide. Iglauer n’est pas non plus convaincu par la thèse du suicide - So I believe that either explanation could be true - Pour les preuves, il faudra repasser un autre jour.

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             Comme tous ses contemporains, Iglauer voit le marché du disque s’effondrer : «À mes yeux, il était clair que la culture sociale et musicale qui avait amené Hound Dog Taylor, Koko Taylor, Son Seals et Fenton Robinson, et de nouveaux artistes comme Lil’ Ed, était en train de disparaître.» À partir du milieu des années 80, Iglauer peine à trouver de nouveaux bluesmen noirs ancrés dans la tradition du blues électrique. Mais il s’acharne, et le catalogue continue d’enfler : «Koko Taylor, Saffire - The Uppity Blues Women - Lil’ Ed & The Blues Imperials, Little Charlie & The Nightcats and Shemekia Copeland. On a signé des artistes qui enregistraient pour d’autres labels, like Texas roadhouse piano queen Marcia Ball, the gloriously gospel-tinged R&B trio The Holmes Brothers, and Albert Collins’s protégé Coco Montoya, a soulful vocalist and the most elegantly lyrical of blues-rock guitar heroes.» Malgré l’érosion du marché, l’enthousiasme d’Iglauer reste intact. Il n’y va pas de main morte. JJ Grey : 5 albums ! Coco Montoya, 6 albums ! The Holmes Brothers, 6 albums ! impossible de suivre un label comme Alligator. Le seul défaut d’Iglauer serait d’être boulimique. Mais il fait comprendre que c’est la condition de sa survie. Grossir pour ne pas crever.

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             Il est constamment à la recherche de nouveaux talents. Il découvre Lil’ Ed & The Imperials et les signe on the spot. Allez hop en studio ! 13 cuts enregistrés entre 9 h et minuit, one take ! - It was a magical night - Il titre l’album Roughhousin’, «because it was the closest thing I could think of Houserockin’.» Retour au point de départ ! Iglauer ne cache pas sa joie d’avoir découvert Lil’ Ed : «Ils représentent the heart and soul of Alligator’s Guenine Houserockin’ Music spirit.» Et dans son élan charismatique, il ajoute : «Quand on me demande qui est le plus authentique, le plus pur musicien de blues sur le label, la réponse est toujours Lil’ Ed.»

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             Iglauer réussit aussi à récupérer Charlie Musselwhite pour trois albums, Ace Of Harps, Signature et In My Time. Précision capitale : sur deux cuts d’In My Time, il est accompagné par The Blind Boys of Alabama, sur lesquels nous reviendrons aussi.

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             Iglauer est épuisant : il n’arrête jamais. Lui ce n’est pas all nite long, c’est all book long. Il n’en finit plus de lancer de nouveaux artistes, comme par exemple Katie Webster, «known as the Swamp Boogie Queen, the second blues woman signed by Alligator.» Iglauer parle d’elle en termes de soulful voice straight out of church et de real deal blues piano player. Wow, quelle apologie ! Allez hop, trois Alligators. On y reviendra. Il récupère à la suite Marcia Ball, une blanche qui va devenir l’une des «Alligator’s most popular and best-selling artists.» Iglauer est dithyrambique, il parle de world-class blues, et d’une voix qui sonne «comme celle d’Irma Thomas with a Texas twang». Il sait vendre ses disques. Iglauer trouve aussi dans le piano playing de Marcia l’influence de Fess. Mais elle ne veut pas d’Iglauer comme producteur. Elle décide de tout : du studio, du choix des cuts et du producteur. Son premier Alligator est Presumed Innocent, paru en l’an 2000. On a à peine le temps d’écouter Marcia Ball qu’Iglauer nous branche déjà sur Shemekia Copeland, la fille du grand Johnny Copeland. À ses yeux, Shemekia ne chante pas comme Koko, mais «elle utilise le vibrato des best gospel singers». Iglauer annonce qu’il lance «a young female blues singer» et son premier Alligator Turn The Heat Up fait sensation dans le monde du blues. Dr John produit le troisième Alligator de Shemekia, Talking To Strangers, et Steve Cropper le quatrième, The Soul Truth. Iglauer n’en finit plus de bourrer la dinde d’Alligator. Pour lui, Shemekia est le real deal : elle a grandi à Harlem a appris le blues avec son père l’excellent Johnny Copeland. On y reviendra, aussi bien sur la fille que sur le père.

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             Au rayon découvertes, ça continue de pulser. Iglauer fait surgir du néant un certain Michael Hill, un New-Yorkais fan de Jimi Hendrix (comme, se hâte-t-il de préciser, the future Alligator artists Selvyn Brirchwood et Toronzo Cannon). Puis il déterre JJ Grey & Mofro en Floride et sort Country Ghetto en 2007, suivi de 5 autres Alligators. Il se prosterne devant JJ Grey & Mofro,  «Alligator’s best selling albums of the 2000s». Ces albums permettent à Alligator de toucher une audience plus jeune, «a younger rock-jam band audience», précise l’inépuisable Iglauer.

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             Tu approches de la fin du book et tu crois qu’il va se calmer ? Tu te fous le doigt dans l’œil. Il repart de plus belle avec Michael Burks, qui a grandi «immergé dans la blues culture, comme Hound Dog Taylor, Son Seals et Penton Robinson avant lui.» Aux yeux d’Iglauer, Burks est un pur - I doubt that another musician will come to the label so deeply rooted in the traditional blues way of life - Bon allez, nous dit Iglauer, un petit dernier pour la route ! Ce sera Toronzo Cannon, avec The Chicago Way, un Alligator de 2016, salué par Mojo à sa parution - Comme j’en rêvais pour Michael Burks, Toronzo Cannnon devient one of the blues icons of his generation - Et là Iglauer enfonce un sacré clou dans la paume du mythe qui dit aïe ! : «J’espère que des artistes comme Toronzo feront leurs preuves et qu’ils seront capables de perpétuer la tradition du Chicago Blues sans répéter ce qui a déjà été fait.» Car c’est bien là le cœur du problème, quand on parle de Chicago blues. Comment survit-on et surtout comment innove-t-on ? Le seul moyen de le savoir est d’écouter les disques.    

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             En 2018, Iglauer se dit fier de son roster : «Marcia Ball, Tommy Castro, Elvin Bishop, Coco Montoya, Shemekia Copeland, Lil’ Ed & The Blues Imperials, Roomful Of Blues, Curtis Salgado, Corky Siegel, Ric Estrin & The Nightcats and Eric Lindell, along with rising artists like Selwyn Birchwood, Toronzo Cannon and the recently signed Cash Box Kings, Nick Moss Band Featuring Dennis Gruenling and singer/drummer Lindsay Beaver.» Iglauer avait tort de s’inquiéter : la relève est assurée. Bien sûr, il revient sur le passé et sur tous les grands disparus, mais il garde l’œil rivé sur l’avenir - Alligator has created a great legacy, but my focus is always on the future - Il est tordant, Iglauer, car il fabrique de l’avenir avec une musique ancrée dans le passé. C’est toute son ambiguïté. Il continue de chercher des gens «with depth and mudical integrity, like JJ Grey and Anders Osborne.» À la fin du book, il dit pouvoir enfin respirer un peu, avec un catalogue de 300 titres et 46 ans d’existence. Alligator a survécu à toutes les mouvances et tendances, à toutes les turpides et toutes mutations. Mais au plan quotidien, ça reste un combat. Le marché évolue, les disques ne se vendent plus, alors il doit muter vers le numérique et vendre des fucking fichiers. D’autres labels spécialisés dans le blues comme Rounder et Concord ont jeté l’éponge. «Arhoolie Records - founded by my hero Chris Strachwitz - a été revendu to the Smithsonian Institution.» Fin d’une époque. 

    Signé : Cazengler, Bruce Idioert

    Bruce Iglauer. Bitten By The Blues - The Alligator Records Story. The University Of Chicago Press 2018

     

     

    Talking ‘Bout My Generation

    - Part Eight

     

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             Vince Mannino arrive en couve de Rockabilly Generation. Tapis rouge à l’intérieur, avec 8 pages d’interview et la photo centrale. Occasion en or de découvrir un très bel artiste. Vince n’est pas né à Memphis, mais en Sicile, à la campagne. Son premier disco est un Elvis, The Rocking Elvis. Il se fait photographier avec. Bon, il ne dit pas grand-chose de ses autres discos et pas grand-chose non plus sur Dale Rocka. Il cite rapidement Carl Perkins, Roland Janes et Grady Martin, car il est surtout guitariste. Dommage qu’il ne s’étende pas davantage sur Dale Rocka, car les albums qu’ils ont enregistrés ensemble sont fantastiques.

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             C’est en 2014 que Dale Rocka & The Volcanoes éruptent, avec The Midnight Ball. Quel album ! Vince Mannino gratte ses poux derrière Dale Rockab. Big ball dès le morceau titre, wild rockab, tu as là the best Sicilian slice of rockab. Fabuleuse incursion en territoire du bop ! Et puis ça va très vite monter en température et on va se retrouver confronté non pas à des coups du sort, mais à des coups de génie, comme par exemple «Go & Go», two three four, ce démon de Dale te rocke ça vite fait, il en fait un vrai monster bash, les Volcanoes crachent tout leur dévolu dans la balance qui du coup valse dans les décors. Ils sont tout simplement foudroyants de power et leur «Bad Blood» est explosé directement dans la viande par le pire wild killer solo flash qui soit ici bas. Nouveau coup du sort génial avec «Mama Bring Back (My Blue Suede Shoes)», c’est puissant et claqué dans l’ass du boisseau, ils t’explosent même la mafia et tout le vieux saint-frusquin sicilien, Dale chante à la véracité maximale. Leur son devrait faire baver les Américains, Dale chante bille en tête, même avec leur «Quick Kiss», ils swinguent comme des démons et grand retour dans le heavy sludge de rockab avec «That’s Why I Tell You», c’est gorgé de power volcanique, allumé au riff raff sicilien, tu crois rêver tellement c’est bon. Il faut encore les voir rentrer dans le chou de «Remember Last Night», c’est wild et primitif à la fois, avec les voix des Rivingtons dans le coin de swing. Et tout bascule dans la crazyness avec «Hot Rockin’ Baby», une véritable horreur comminatoire, les voilà dans le crazy pur, le wild à tous les vents avec un solo jeté en l’air et le Krakatoa des Volcanoes t’explose à la figure. Vince aurait dû s’appeler Vince Krakatoa.

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             Vince Mannino roule avec un autre gang, Vince & The Sun Boppers. Départ en trombe en 2017 avec Gone For Lovin’. Ça te saute au paf dès «Bad Boy Rock», ah le Vince est bon, il te rocke son rockab dans le lard de la matière et un solo s’en va claquer le dentier du slap. Belle démonstration du génie rockab ! Les Sun Boppers pratiquent la Méricourt du rockab avec un art consommé. Le coup de génie de l’album s’appelle «Black Haired Woman», traîné dans la boue magique du heavy groove aventurier, celui qui fit les grandes heures de Dale Hawkins. Même fête au village avec Vince, il est stupéfiant de véracité boppy boppah. Même sur des structures classiques («Dance With Sally»), les Sun Boppers sont bons. Encore une belle dégelée avec «Devil Eyes». Ils te claquent le cut comme des cracks de la craze. Ils te boppent le beat bien bas. Si tu veux résumer l’art des Sun Boppers, un seul mot possible : easy. Encore un coup de Jarnac avec le morceau titre, assez merveilleux de lovin’ you. Vince chante d’une voix appuyée, un peu piquante, et les Sun Boppers te claquent le meilleur beignet de Sun Boppin’. Tu te régales avec ces mecs-là, ils boppent à la régulière. «It’s You’» est à la fois une belle coque de Sun et une vraie noix de Sicile, les voilà qui te boppent la bobine et qui t’allument le coquillard. Il règne dans tout l’album une fantastique tension de la véracité. Tout l’album est bon, solidement bâti, battu sec et boppé au nec. Ils bouclent avec le fabuleux «You Gotta Be Mine», un nouveau modèle du genre. Vince Mannino ne rate aucune occasion d’afficher son génie rockab.

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             La même année, Vince & The Sun Boppers enregistrent Spinnin’ Around. Heureusement, l’album est un peu moins dense. Il faut se ménager quand on a le cœur fragile. Spinnin’ Around est plus classique, mais on note l’excellence du swagger. On les sent contents de jouer, ce sont de vrais cats à la carbonara. On entend même des échos de fête populaire ici et là. Ça jive dans la nuit d’été, avec une agréable fraîcheur. «Get A Feeling For You» reste classique, mais en même temps très franc du collier. Vince ramène tous les réflexes du bop. Ça joue à la petite clairette. On sent que le rockab est couché au panier. L’album est plus pépère que le précédent. Ils attaquent «One Love» au allez hop, avec la petite cocotte rockab. Et soudain, le volcan des Sun Boppers se réveille : «Red Headed Mama» te saute enfin au paf, il était temps ! Les Sun Boppers se fâchent ! Ouf ! Ça fait du bien. Leur morceau titre est quasi Kiddy, pas loin de «Please Don’t Touch» et ils rendent un fier hommage à Bo Diddley avec «Gal Of Mine», mais dans le pur esprit rockab. Vince embraye sur le heavy swing à la Charlie Feathers avec «Real Gone Papa», aw Gawd comme ce cat est bon, et ils reviennent enfin se lover dans le giron du real deal avec «Don’t Give Up With Love». Ils perpétuent le vieil art du rockab, ils entrent dans les godasses de tous les géants du bop, à commencer par Charlie Feathers et Carl Perkins. C’est magnifique ! 

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             Il existe un troisième album de Vince & The Sun Boppers : By Request. On ne perd pas son temps à l’écouter, bien au contraire. On est tout de suite frappé par la présence de Vince. Aucun accent sicilien. Il chante comme un crack, avec derrière lui tout le swagger d’Axel Praefcke. Ils traînent «King Of Fools» dans la boue magique, avec un talent fou. Ils passent au fast jive avec «Wait A Minute Baby». Vince sait sauter sur l’occase et il te claque un jazz solo dans la foulée. On se croirait à Memphis avec «The One To Blame». Pur jus. Le hit de l’album est le «Long Time Gone» de fin. Heavy rockab de don’t you leave me alone. Clin d’œil à Charlie Feathers - I’m a long gone daddy/ I’m a long time gone - Pur genius.

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             Nouvelle éruption de Dale Rocka & The Volcanoes cette année avec Keep On Rockin’. Ouverture de balda sur l’incroyable élégance du that’s all for me de «Goodbye That’s All». Dale chante au Rocka tranchant et enchaîne avec un autre cut de fantastique allure, «My Mamma Don’t Like Her». Dale Rockab est parfaitement à l’aise dans le mid tempo. Il swingue les deux doigts dans le nez. Puis on perd un peu la magie rockab pour aller sur des choses plus rock et le slappeur Andrea Amico fait des siennes dans le bluesy «Stop Shake Your Hips». Et quand les Volcanoes tapent «No Letter From You», on se croirait à la Nouvelle Orleans. Ils attaquent la B des cochons avec «Rip It Up Hip It Down» et un sens aigu du groove rockab. Tout est bien équilibré dans le cratère du Volcano. Ils sont capables d’aller sur la country, comme le montre «Rusty Moon», mais diable comme ça swingue !

    Signé : Cazengler, Dale Roquet (ouaf ouaf)

    Dale Rocka & The Volcanoes. The Midnight Ball. Rhythm Bomb Records 2014

    Dale Rocka & The Volcanoes. Keep On Rockin’. Bulleye 2023

    Vince & The Sun Boppers. Gone For Lovin’. Rhythm Bomb Records 2017

    Vince & The Sun Boppers. Spinnin’ Around. Rhythm Bomb Records 2017

    Vince & The Sun Boppers. By request. Rhythm Bomb Records 2018

    Rockabilly Generation # 27 - Octobre Novembre Décembre 2023

     

     

    L’avenir du rock

    - Ciel mon mari !

             Contrairement à ce qu’on pourrait croire, l’avenir du rock rêve de monter au Ciel, mais il ne s’agit pas du ciel qu’on fait miroiter aux gens ordinaires. Pendant des siècles, on leur a fait croire qu’en se repentant de leurs péchés et en purifiant leur âme, ils pouvaient espérer grapiller une place au paradis. C’est précisément cette idée qui laisse l’avenir du rock extrêmement perplexe. Manipulés par les cancrelats ecclésiastiques, les gens ordinaires ont fini par voir le paradis comme un terrain de camping : il suffisait d’aller à la messe chaque dimanche pour réserver un emplacement au paradis, alors qu’en réalité pend au nez de tout un chacun une bonne vieille séance de décomposition. Putréfie-toi, mon fils, et tu seras dissout ! Pour en savourer l’avant-goût, on peut relire Une Charogne de Charles Baudelaire - La puanteur était si forte/ Que sur l’herbe vous crûtes vous évanouir - Baudelaire écrase sa puanteur dans le creuset du vers, et fait craquer son crûtes sous la dent. Baudelaire dit vrai, car c’est là que tout se passe, dans les jus, dans les bataillons de larves, il charbonne bien le trait, l’avant-goût qu’il donne devient vertigineux de puanteur poétique - Et pourtant vous serez semblable à cette ordure/ À cette horrible infection/ Étoile de mes yeux, soleil de ma nature/ Vous mon ange et ma passion - il traîne sa gluante persistance à longueur de vers - Alors ô ma beauté, dites à la vermine/ Qui vous mangera de baisers/ Que j’ai gardé la forme et l’essence divine/ De mes amours décomposés - Quand on lit ça, il faut détacher les syllabes de dé com po sés, comme la hyène détache les membres d’une charogne. La décomposition n’a de sens que baudelairienne et l’avenir du rock se réjouit de ce fulgurant trait de réalisme poétique. Affamé de totémisme, il se prélasse dans les poisons toxiques et les noires exhalaisons de la vision baudelairienne, des cuisses ouvertes de sa Charogne jaillit l’éclair d’une absolue perfection poétique, l’avenir du rock s’y abreuve, il se vautre dans cette mare des jus de putréfaction où flottent, soufflées par le vent, les images d’Épinal de l’enfer et du paradis. Alors que les religions sont depuis longtemps entrées elles aussi en décomposition, le rock survit à toutes les avanies et framboises, à toutes les mamelles du destin, de la même façon qu’Avanie et mamelle sont les framboises du festin, mais l’avenir du rock, qui n’est jamais avare d’un coup d’avance, n’hésitera jamais à clamer haut et fort qu’il espère bien monter au Ciel.  

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             Il parle bien sûr du Ciel de Michelle.

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             Rien qu’à la voir arriver sur scène, c’est dans la poche. Après le concert, au merch, on apprendra qu’elle s’appelle Michelle (ma belle) et qu’elle tombe du ciel, puisque son groupe s’appelle Ciel. Brune, cheveux mi longs, yeux clairs, lunettée, fantastique sourire, maigreur sexy, elle chante, bassmatique et ondule comme une authentique rockstar en devenir. Ah il faut l’avoir vue onduler avec sa grande basse blanche, elle fait partie de celles qui savent merveilleusement se fondre dans le groove. Elle y croit dur comme fer. Son trip, c’est d’être sur scène.

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    Elle chante d’une voix perchée et bien fine qui n’est pas sans rappeler celles de Kim Deal, et de Miki Berenyi, au temps de Lush. Elle chante à l’éther pur, avec un joli brin de power. Au début du set, on ne la prend pas vraiment au sérieux, comme c’est souvent le cas avec les premières parties, elle est sexy, c’est vrai, mais on attend de voir ce que ça va donner au plan artistique. Et puis, cut après cut, elle fait son petit bonhomme de chemin, elle avance à la force de son petit poignet et finit par conquérir la ville. Pas de problème, elle va même voler le show.

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             Ciel nous vient de Brighton. Derrière elle, un mec bat le beurre, et un Espagnol aux cheveux teints en blond et nommé Jimenez gratte sur une vieille Jaguar qui en a vu d’autres. Comme on ne connaît pas les cuts du Ciel, alors on boit les paroles. Ils ont un son très indy, mais un peu avant la fin du set, on note la présence d’un gigantesque hit pop. Coup de pot, il figure sur l’un des EPs que Michelle vend au merch : «Baby Don’t You Know». Elle est dedans, et franchement, on est au Ciel avec elle. Straight to the sun ! Elle remonte le courant pop à la seule force de son petit génie sexy et là, bravo, car c’est explosif.  

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             Elle n’a que deux EPs à vendre, the Not In The Sun Not In The Dark EP et le Make It Better EP/ Rather Be Alone EP. «Baby Don’t You Know» se trouve sur le premier. Mais il y a d’autres merveilles sur l’EP, comme par exemple «Back To The Feeling», qu’on entend aussi sur scène. Elle y ramène tout son sucre, elle est exceptionnelle de wild drive juvénile. Ah il faut la voir groover des hanches sur scène, avec sa grosse basse blanche ! Elle fait du rock de Michelle ma belle, these are words that go together well. Elle drive bien le Ciel. «Fine Everything» sonne comme un cut des Breeders, elle fait bien sa Kim Deal. Si tu aimes l’esprit des Breeders, tu vas te régaler avec Michelle ma belle. «Fine Everything» est d’ailleurs le dernier cut du set. Avec «Not In The Sun Not In The Dark», elle replonge dans cet excelsior mirifique de pop humide et si délicieusement féminine. Quelle révélation ! Elle sait monter au front mélodique. Sur scène, elle a vraiment le look d’une égérie, on la boit jusqu’à plus soif, on l’accueille dans le giron, Michelle ma belle est une star en devenir. Elle fait encore du pur Breeders avec «Far Away». Franchement, on ne perd pas son temps à écouter ce genre d’EP. Elle dispense tous ses bienfaits elle est all over son Far Away. Tout est beau sur cet EP tombé du Ciel.

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             L’autre disk est un fat vinyle translucide qui rassemble deux EPs : Make It Better EP/ Rather Be Alone EP. Pareil, on y va les yeux fermés. On retrouve son incroyable fraîcheur de ton dès «Somebody». On peut dire qu’on en raffole, à ce stade des opérations. Elle tape en plein dans le juicy des Pixies au féminin. Elle reste dans l’esprit avec «So Scarred», elle le prend à l’éthérée, avec du gros gratté de poux derrière. Encore du pur jus de Pix Me Up avec «Make It Better». Elle remonte à la surface tout le power des profondeurs de l’underground britannique. C’est bardé du meilleur indie sound d’ici bas. De l’autre côté, ça repart de plus belle avec «Circles», encore plus indy, big sound et petites échappées vocales éthérées. C’est du meilleur effet, même si on connaît ça par cœur. Elle ramène sa poudre d’éther et son big bassmatic dans «Talk». Elle crée une sorte de magie pop, un éther sublimé et lesté de plomb alchimique. Là, elle est en plein dans Lush. Avec «Shut In My Body», elle projette sa poudre de sucre dans l’aveuglante lumière du jour et pulse inlassablement son bassmatic. Ça s’appelle un son. Le son du Ciel. Tout est bien là-haut, même si persiste une impression de déjà vu. Michelle ma belle jette tout son dévolu d’à-valoir dans la balançoire. Au Merch, elle se dit fan des Breeders. Of course !

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             — Why Ciel ?

             — My name is Michelle and my friends call me Celle, and then Ciel, you see ?

             Et elle éclate de ce rire de reine.

    Signé : Cazengler, scié

     

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    Ciel. Le 106. Rouen (76). 5 octobre 2023

    Ciel. Not In The Sun Not In The Dark EP. Not On Label 2022

    Ciel. Make It Better EP/ Rather Be Alone EP. Jazz Life 2023

     

     

    Inside the goldmine

    - The Moore I see you

     

             Ce n’est pas toujours évident de partager le lit d’une gonzesse. Surtout quand il s’agit d’une super-conne. À sa façon, et sans doute sans le faire exprès, Baby Cloche battait tous les records, même ceux atteints par cette madame Bignolle dont on a parlé ailleurs. Quand, dans les conversations de salon, un attablé demandait à Baby Cloche quelle avait été la nature de ses études, elle répondait sans ciller : «Les arts ménagers.» Un autre qui n’avait pas bien compris ce que ça signifiait lui demanda de préciser. Alors elle précisa. Si on lui demandait plus de détails, elle en donnait. Pour la tirer de ce guêpier, il fallut changer très vite de conversation. Un autre jour, alors que nous étions installés sur une terrasse ensoleillée pour prendre un verre, elle posa une étrange question : «J’ai pas quelque chose dans les cheveux ?» Un rapide coup d’œil permit en effet de constater qu’un piaf s’était soulagé sur elle. Pour ne pas la mettre dans l’embarras, il fallut la rassurer : «Non, il n’y a rien.» La fiente allait sécher rapidement et disparaître. Un moindre mal dans ce genre de quiproquo. La pauvre Baby Cloche collectionnait les infortunes, à commencer par ce visage relativement ingrat que sanctionnait une bouche très moche, en forme de moue, au-dessus duquel proéminait un nez grec un peu trop massif. À cela, il fallait ajouter un cou trop gros. Par contre, elle sauvait les meubles grâce à des très jolis seins, de ceux qu’on aime à soupeser dans les moments de vérité. Nous avions fort heureusement tous les deux des aventures parallèles qui nous permettaient de continuer à nous supporter, mais bien sûr, nous n’en parlions pas. Et puis un jour, pensant l’amuser, je lui racontai comment à la fin d’une fête extrêmement arrosée je m’étais retrouvé seul sur un trottoir, lâchement abandonné par des amis qui étaient censés m’héberger. En ayant vu d’autres, décision fut prise cette nuit-là de prendre le volant pour rentrer au bercail. Oh, ce n’était pas un trajet très important, environ une heure de route et zéro circulation. Dans cet état, tout est toujours jouable. La réaction de Baby Cloche fut inespérée. Avec un air mauvais, elle lança : «Tu sais donc pas que c’est interdit de rouler bourré ?».

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             Un petit côté bourru pourrait à l’extrême limite rapprocher Baby Cloche de Dorothy Moore, mais ça s’arrête là. Baby Cloche vit sa vie dans la région parisienne et Dorothy Moore la sienne dans la légende de Malaco. Ces deux femmes font leur petit biz, chacune à sa façon, ainsi va la vie.

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             Dorothy Moore fut l’une des figures de proue de Malaco. C’est vrai qu’à l’écoute de certains albums, on lui trouve un petit côté bourru, par exemple sur Stay Close To Home, qui date de 1992. Chez une femme, le côté bourru n’est pas un avantage. On l’accepte plus facilement chez Michel Simon. Si Dorothy donne cette impression, c’est parce qu’elle chante à la poigne. Elle est aussi capable de délicatesse, comme le montre le «Blues In The Night» de George Jackson. Elle fait le job. Pas d’excelsior, juste du Dorothy. On attend la magie. Elle peut chanter très haut avec autorité, mais elle ne provoque pas d’émotion. Sa voix est trop sanglée. Le hit de l’album est le morceau titre, un shoot de big r’n’b, puis elle tape dans Sam Dees avec «I Betcha Don’t Know It». Dorothy trouve enfin l’ouverture, elle fond comme neige au soleil, elle s’immole sur le beat de Sam Dees, la magie devient enfin sexuelle, c’est important de la préciser, you’re my sunshine ! Elle reste dans la heavy Soul de Sam Dees avec «It’s Raining On My Side Of The Bed». Dès que Sam Dees entre en lice, ça décolle. Elle reste dans le heavy groove de rude mémère avec «What You Won’t Do For Love». Dès qu’on fait attention à elle, elle rayonne Il faut juste lui prêter attention. Puis elle tape dans George Soule avec «A Woman Without Love», elle implore un mec de l’aimer un peu - Don’t let me be a woman without love - Et elle finit avec «Before I Fall In Love Again», elle connaît le biz, elle se cale sur le chameau.    

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             Sur Misty Blue, elle tape une très belle cover du «Funny How Time Slips Away» de Willie Nelson. Elle monte bien par-dessus les toits de Malaco. Dorothy est une fière Soul Sister pleine de verve et de modestie. Sa cover est une vraie merveille d’interprétation coercitive. Et comme Wardell Quezergue est dans le coup, on a du son. Globalement, le balda est très mélancolique. La viande se planque en B. Première énormité avec «Enough Woman Left (To Be Your Lady)», big r’n’b, bien pulsé par un bassmatic dévorant, le tout arrosé de cuivres et de violons. Encore une belle dégelée de heavy funk avec «Ain’t That A Mother’s Luck». Dorothy fait son Aretha, elle est pleine de jus. Et ça continue avec «Too Much Love». Elle se jette dans la balance, so c’mon, elle est de tous les ébats. Dorothy forever ! Elle finit avec l’«It’s So Good» d’Eddie Floyd. Elle y va de bon cœur au yeah yeah yeah, elle fait plaisir à voir. Ça swingue, chez Malaco, on est content d’être là, on se sent en sécurité sur ce genre d’album, les cocos de Malaco t’accueillent à bras ouverts.  

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             Si d’aventure, on se plonge dans son album sans titre paru sur Malaco en 1977, on se régalera de deux Beautiful Songs, «I Believe You» et «With Pen In Hand». Elle chante son Believe You d’une voix un peu verte, mais c’est une vraie merveille. Avec le Pen, on sent qu’elle est extrêmement concernée par la beauté du geste. Comme sa Soul atteint l’horizon, elle reste fabuleusement juste dans le lointain. Sur les balladifs, elle est fantastique. Elle offre chaque fois un vrai panorama, comme avec «Love me». Elle fait aussi de la diskö Soul («Make It Soon»), mais ça reste très bon esprit. La maison Malaco est une maison sérieuse. Elle fait encore de la Soul de haut rang en B avec «Loving You Is Just An Old Habit», elle l’allume à pleins poumons, avec une verdeur qui l’honore. Elle peut se montrer aussi très pugnace, comme on le voit avec «Daddy’s Eyes», Dorothy est une Soul Sister très fiable et d’une grande intégrité. Elle reste dans la Soul ultra-fouillée, et ultra-chantée pour «For The Old Time’s Sake». Elle réussit un équilibre entre la grande modernité et la facture classique. On l’applaudit à tout rompre.  

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             Dorothy n’est pas jojo sur la pochette d’Once Moore With Feeling, mais elle s’impose dans son balda, avec deux cuts, «With A Little Prayer» et «The Going Up & The Coming Down». Elle tape la Prayer de King Floyd au yeah yeah yeah, dans une ambiance très New Orleans. Puis elle remonte à son niveau, qui est le très haut niveau, avec The Going Up, ah elle sait jiver une Soul de bonne compagnie. On y savoure le balancement du swing harmonique. Elle finit par te tétaniser. Elle ouvre son balda avec un «Special Occasion» signé Sam Dees et enchaîne avec la belle Soul dansante de «What Am I To Do», pur jus de Malaco, tout est beau, ici, la présence de Dorothy, l’orchestration et le petit diskö beat. En B, elle te tartine «Being Alone» avec un aplomb extraordinaire. Cette fantastique shouteuse colle bien au terrain de la Southern Soul.

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             Un joli portrait sensible d’elle orne la pochette de Definitively Dorothy. Il s’agit sans doute de l’un de ses meilleurs albums. Toute la viande se planque en B, à commencer par «Since I Don’t Have You Since I Fell For You». C’est dingue comme la classe de Dorothy te parle. Plus tu l’écoutes, et plus tu réalises qu’elle est souple et belle. «Sleeping Single In A Double Bed» sonne vraiment comme la diskö des jours heureux. Moore is Moore. Elle boucle sa B avec «Mississippi Song» - Mississippi/ This is your song - Grosse compo avec du violon à gogo - It’s been a long time coming/ So Mississippi this one’s for you - Elle le prend bien dans ses bras, le vieux Missip. Dans son balda, elle tape une reprise du «Rain» de Mac Rebennack, elle s’inscrit bien dans le groove, elle a du métier et fait de l’excellent travail. Encore un joli shoot de Soul d’insistance métronomique avec «I Feel The Hurt Coming On», et elle balance avec «Can’t Keep A Good Love Down» un sacré coup de diskö funk. No no no ! Mais si, Dorothy est une Soul Sister tout terrain.

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             Le portrait qui orne la pochette de Talk To Me est un peu trop angélique, mais bon, ça doit bien correspondre à l’idée que Dorothy se fait d’elle même. Voilà encore un bel album de Soul. On s’y sent bien, dès «Talk To Me (Every Beat Of My Heart)». «It’s All In The Game» sonne presque comme une Beautiful Song. Elle chante au doux de sa peau de pêche. Dorothy est une femme subtile et langoureuse. Elle adore danser, comme le montre «There’ll Never Be Another Night Like This», monté sur un soft dancing beat et puis voilà qu’elle rend allégeance au roi George avec «Something In The Way He Smiles». Elle atteint à la perfection de Malaco. C’est le cut idéal pour une gentille géante comme elle - Now I believe it now - C’est la cover de rêve, montée sur un joli beat diskö. Elle termine cet album attachant avec «Lonely», une soft Soul de Malaco arc-boutée sur une diskö beat rebondi. Le mélange est heureux. 

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             Une belle énormité se niche sur Time Out For Me : «Whatever You Can Do». C’est du hard r’n’b bien planté dans la gencive de Volt, elle rocke sa chique avec une bel aplomb, elle peut devenir féroce, elle pousse l’aaoooouuh d’une panthère noire, c’est une fière Soul Sister, I can do better ! Et tu as des funky guitars qui te groovent bien l’oss de l’ass, aaaouuuh, alors elle y va, la mémère, elle pousse son same thang, oh ! Elle attaque l’album avec un heavy balladif, «Walk Through This Pain». Elle adore faire durer le plaisir. On la voit encore se battre pied à pied  avec la très grande Soul orchestrée d’«He May Not Be Mine», bien épaulée par des chœurs féminins. Elle te claque encore un balladif intense et doré sur tranche avec «I Still Get Turned On». Tu peux lui faire confiance, elle te borde ça correctement.

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             Par contre, Winner n’est pas un très bon album. Le côté ingrat de sa voix reprend le dessus. Elle a des côtés chauds sur «Are You Ready» et on en profite pour aller se lover dans son giron. Si tu lis les notes de pochette, tu vas tomber sur le nom d’Andre Williams, mais ce n’est pas le même Andre Williams. Il a une voix trop aiguë. Avec «I Thank You», elle remercie son mec, comme le fait Brenda Holloway dans «You Made Me So Very Happy».

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             Dorothy fait sa grosse mémère langoureuse sur la pochette de Feel The Love, un album pas très dense dont on retiendra trois choses, à commencer par «Be Strong Enough To Hold On». Elle y va doucement, c’est du tout cuit. Elle s’explose les trompes sur le récif de la Soul, à coups d’ouh baby. Elle s’implique énormément. Elle tape «All Night Blue» au deep gluant, au so in love with you. Elle y va, suivie par des chœurs de gospel. La troisième chose est un beau balladif, «Ain’t Nothing Changed». Très froti, en fin de compte. Elle tape aussi deux compos de George Jackson, «Seein’ You Again», où elle se plaint de le revoir, et «Talk To Me», plus diskö. Globalement, Doro se distingue par une voix à part, parfois bourrue, comme déjà dit. Avec elle, tu es chez Malaco, alors c’est assez moite, mais pas trop. Juste un peu.  

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             Son dernier album sur Malaco s’appelle More Moore et date de 1997. Elle sourit, sur la pochette, avec un petit regard en coin qui en dit long. Elle attaque au vieux groove de Malaco chargé de regrets, «You Should Have Been Good To Me». C’est la heavy Soul suprême de Malaco. Elle chante comme une reine. Fantastique présence ! Elle est niaquée jusqu’au bout des ongles. Tous les cuts de l’album font 4 minutes. Ça laisse du temps pour réfléchir. Heavy Soul toujours avec «Knee Deep In A River». Elle jette l’ancre dans le deepy deep avec des chœurs de gospel et cette fois, ça explose. Les chœurs font le power du blast. Elle renoue avec l’intensité dans «Why Is Leaving You So Hard To Do». Elle appuie sur le champignon et fait de la clameur de why. Plus loin, elle frise l’orgasme avec «Stop What You’re Doing To Me» - You’re driving me crazy baby/ I’m out of my mind - Elle y va la garce, c’est Doro, la reine de Nubie.

    Signé : Cazengler, Dorothy Mou

    Dorothy Moore. Misty Blue. Malaco Records 1976 

    Dorothy Moore. Dorothy Moore. Malaco Records 1977 

    Dorothy Moore. Once Moore With Feeling. Malaco Records 1978

    Dorothy Moore. Definitively Dorothy. Malaco Records 1979

    Dorothy Moore. Talk To Me. Malaco Records 1980

    Dorothy Moore. Time Out For Me. Volt 1988 

    Dorothy Moore. Winner. Volt 1989 

    Dorothy Moore. Feel The Love. Malaco Records 1990

    Dorothy Moore. Stay Close To Home. Malaco Records 1992   

    Dorothy Moore. More Moore. Malaco Records 199

     

    *

             Il est des choses qui vous attirent, vous ne savez pas pourquoi. Bien sûr il y a la pochette, ce taureau blanc et ce titre Myth. En plus ce morceau Dionysus, tout ce qui évoque la Grèce antique me fascine, je file sur leur bandcamp, première étrangeté : tiens ils sont turcs ! Etrange, en règle générale les Turcs ne sont pas philhellènes, quant à la photo si elle dérange toutes les idées reçues que l’on peut se faire de la société turque, elle n’est pas spécialement rock, mettons les pieds dans le plat, elle a un petit côté carrément variétoche : sont très beaux tous les deux, elle dans sa robe rouge et lui sous sa casquette et ses cheveux frisés, le look étudié de deux étudiants, enfants sages d’une bourgeoisie aisée, tout pour déplaire, n’empêche que souvent les apparences sont trompeuses, alors on écoute, on essaie de comprendre, on fouille, on cherche. Et l’on trouve.

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             Première trouvaille due à mon incompétence visuelle, ce n’est pas un taureau blanc, c’est pis puisque c’est une vache. S’éclaire ainsi le nom du groupe : Sun Q pour Suzy Queen, comme pour la Suzy Q de Dale Hawkins.

             En farfouillant un peu ils se présentent comme un groupe russe, cette dimension internationale doit avoir été choisie afin de jouir d’une plus grande liberté culturelle de création.

    MYTH

    SUN Q

    Avant d’écouter l’album afin de se mettre dans l’ambiance il convient de regarder le TEASER de présentation que vous trouverez sur le FB du groupe.

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    Attention ce n’est pas très long, je conseillerais presque de l’écouter avant de le regarder, afin de s’apercevoir que le doux fredonnement des premières images se transforme en une sorte de mélopée arabisante qui n’est pas sans rappeler le Zeppelin, l’image n’est ni noire ni blanche, plutôt d’un grisâtre évanescent, sans doute ce parti-pris d’une fluidité incontrôlable est-elle transcription de la lapidaire formule qui tente de définir le projet musical du groupe : If magical realisme was music… un mantra à lire comme un appel au réalisme magique d’un Malcolm de Chazal par exemple. Que chacun regarde et décrypte cette série de visions archétypales selon son monde intérieur, avec si possible activation de votre œil pinéal.

    Lui : Ivan Chalimov. Elle : Elena Tiron. Ils ne sont pas seuls sur cet album, si la base de l’album a été enregistré en Russie, divers musiciens et chœurs ont étoffé les premières pistes, le mixage a été réalisé en Angleterre et masterisé aux USA, un processus complexe supervisé depuis la Turquie et la Moldavie...

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    Jane Doe :  nom donnée aux Etats-Unis aux cadavres féminins dépourvus d’identité, Jane Doe Identity est aussi le titre d’un film d’horreur d’André Ovredal ) : ne vous laissez pas séduire par la beauté du chant d’Elena, ni par le magnifique boulot des musicos, surtout le batteur, à première écoute cela ressemble à un irréprochable morceau avec section de cuivres et harmonium aux mieux de leurs formes, le tout impeccablement mis en forme, pas une seconde d’ennui, rien de bien novateur dans la structure, mais envoûtant, n’y a qu’à suivre, réfléchissez avant de fermer les yeux et de céder au balancement océanique, sachez où vous allez, s’agit d’une traversée des apparences, vous risquez de reprendre pied sur le rivage d’une autre dimension dont le sable serait constitué de la cendre des morts. Children singing : quoi de plus innocent que des enfants qui chantent, l’image qui accompagnait le single sorti en avant-première( juillet 2021 ) est davantage fantomatique, la voix si douce et si pure d’Elena s’élève, elle nous conte une histoire, pas drôle, trois fois rien, ne pas trop s’arrêter au sens des mots, d’ailleurs ils s’arrêtent pour laisser place à un pesant oratorio, une batterie aussi funèbre que le crépuscule des dieux, étaient-ce d’ailleurs des enfants, ou leurs seules voix perdues dans les interstices d’un monde équivoque. Tree : grincements, morceau beaucoup plus torturé que les précédents, elle ne dit pas I’m free mais I’m tree, sachez désapprécier la différence, keyboards en larmes, voix suppliante, traversée des cycles de l’humanité au végétal, unité pythagorienne du monde, le sang se transforme en sève, le chant en rêve cauchemardesque, l’on ne peut s’empêcher de penser à Gatzo le héros d’Henri Bosco recherchant l’âme d’Hyacinthe prisonnière d’un arbre dans la forêt en flammes. Animals : vous avez dans ce morceau l’explication de la pochette, après le règne végétal, le règne animal, orphisme et chamanisme sont plus proches que l’on ne le pense communément, ici ce n’est pas le bestiaire fantastique d’Apollinaire, simplement le cheval, la vache, le chien, trois incarnations, une véritable performance vocale d’Elena, d’une farouche retenue sur un rythme balkanique endiablé. Magnifique. Dionysus : beaucoup plus heavy, l’on change de règne, l’on quitte la sphère terrestre, Dionysus est celui qui meurt pour devenir immortel, qui subit victorieusement l’œuvre au noir, l’on ne reconnaît plus la voix d’Elena, elle vous claque les syllabes à la gueule, les guitares écrasent et forgent le riff, le morceau n’est pas très long, la présence des Dieux est nuisible aux humains corrodés par la mort. I am the sun : voix célestiale, musique rayonnante, la divinité repose en la frange infrangible de sa propre présence, percussions templières, une ampleur irradiante s’empare du morceau, la voix monte haut, elle glisse comme la barque de Ré sur le flanc laiteux de la vache divine. Mythe égyptien de la déesse vache Athor, épouse et mère de Ré, qui possède aussi une face sombre, car chaque soir Ré se meurt… Still searching for the skrulls : joyeuse ballade et balade sur le chemin de la vie, douces vagues, bonheur ineffable d’être êtres charnels dans le mitant de nos existences, au zénith du partage, le ciel est si azurescent qu’il semble infini, pourtant le début ne fut pas paradisiaque et la fin ne sera pas heureuse, l’on sait déjà ce que l’on trouvera au bout du chemin. La voix d’Elena se démultiplie pour cacher la réponse. Guitare et keyboard perdent leur élan lentement comme une bougie qui s’éteint. Elizabeth Siddal : (vous ne connaissez peut-être pas Elizabeth Siddal, mais vous l’avez déjà vue sur le tableau de John Everett Millais qui la choisit pour représenter Ophélie noyée flottant sur les eaux, elle fut l’épouse de Dante Gabriel Rossetti, peintre elle-même, poëtesse, tuberculeuse, addict au laudanum, morte à l’âge de 31 ans, un personnage éminemment décadent et romantique) : retour à la case départ, l’on entrevoit le cheminement en son entier, la mort, que l’on peut assimiler au règne minéral du tombeau, l’exhaussement végétal, la floraison animale, l’asymptotique lieu du divin, puis l’île en vue des morts d’Arnold Böcklin, et maintenant le corps qui s’en va, qui glisse au fil de l’eau clapotante, imperturbable comme ce riff appuyé vite oublié, par cette vie partie mais encore si proche que la voix d’Elena essaie de rappeler, comme s’il valait encore mieux la brûlure des tourments que le rien, elle crie l’on retrouve le motif du teaser allongé d’une funèbre note finale. Crystal doors : il suffit de lire ce dernier titre pour comprendre pourquoi sur l’Instagram de Sun Q vous trouvez une photo de Jim Morrison, dans le même ordre idée vous irez lire les poèmes d’Ossip Mandelstam, d’Euripide et de Joseph Brodsky pour comprendre comment cet album prend sa source en poésie métaphysique. Musique lente et répétitive même si la batterie maintient une rythmique implacable, on n’arrête pas le voyage dans la mort, ces portes de cristal sont proches de celles de corne et d’ivoire de Gérard de Nerval, Elena se tait la musique continue son chemin inlassablement, un satellite détachée de son orbite terrestre qui se perd dans l’espace… l’aventure n’est pas terminée, nous parviennent les échos de la voix d’Elena, semblent se métamorphoser en une sorte d’apothéose mais qui peut dire ce qu’il y a derrière les vantaux transparents de ces portes…

             Très bel album.

             Avant cet opus, Sun Q a livré un EP en 2015, un album neuf titres intitulé Charms en 2018, plus deux ou trois singles isolés. You Tube propose plusieurs vidéos. Nous évoquons dans les lignes qui suivent quatre d’entre elles visibles aussi sur le site du groupe.

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    La première, très courte, est un reportage sur un concert donné en 2021 elle permet d’entrevoir Elena et Ivan (guitare) sur scène mais aussi le batteur, un bassiste et une violoniste. Le plus intéressant reste les vues du public, des étudiants vraisemblablement, des étrangers qui nous ressemblent étrangement. La deuxième : Searching for skulls, beaucoup plus intéressante, un clip qui associe images couleurs ou de ce flou grisâtre qui doit relever d’un choix esthétique, s’entremêlent des passages sur scène, des vues en studio, des feuillets d’écriture, sans oublier les lyrics en une graphie biscornue qui s’affichent très discrètement sur l’écran. Des vidéos de ce genre vous en trouvez des centaines sur YT mais celle-ci est particulièrement agréable à regarder car elle colle à l’esprit du projet, ses plans qui se succèdent donnent l’illusion qu’ils ne sont pas disposés de manière aléatoire. La troisième : Big Fish morceau tiré de leur premier EP, sur scène, très rock, basse, guitare, batterie, bien filmée en plans d’ensemble américains rapprochés, permet de voir Elena, c’est une chose d’enregistrer en studio et une autre de chanter live. Tire son épingle du jeu avec brio. La quatrième Secret Ways Live in SPB ressemble à une longue dérive de blues psychédélique, espace confiné, obscurité mauve et mouvante, public sur le chemin de la transe, Elena en sueur accrochée à son micro, prêtresse vaudou nous emmène jusqu’au bout de la nuit. Ne la regardez pas, sinon vous serez comme moi, encore un concert où vous auriez aimé être. Le temps perdu malgré ce qu’en dit Proust ne se retrouve jamais. In another place, another time comme le chante Jerry Lee Lewis…

    J’ai gardé le meilleur pour la fin, le slogan qu’ils affichent pour la sortie de leur opus :

    SUN Q IS A MYTH

             Que pourrions-nous rajouter ?

    Damie Chad.

     

    *

    Musicien, compositeur, peintre, poëte, photographe, Eric Calassou est un artiste   que nous suivons sur KR’TNT depuis plusieurs années, depuis notre première rencontre lors d’un concert Du groupe Bill Crane groupe de rock’n’roll dont il était et reste le fondateur. Cette fois-ci nous intéressons à son œuvre de plasticien. Ne vaudrait-il pas mieux substituer à cette appellation peu signifiante celle de voyant au sens rimbaldien et révélatif de ce terme ?

             Attention, le lecteur consciencieux  qui désirerait prendre connaissance de l'ouvrage en son entier se reportera à :  Photographique Fantastique Wattpad Livre couverture

    PLASTIC RESURGENCY

    ERIC CALASSOU

    ( WATTPAD ) 

    1

    HÂTIVE CONVERSATION ENTRE SHERLOCK ET WATTSON

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             Drôle d’OTPI, Objet Transmissif Parfaitement Identifié provenant de la planète Wattpad. Le titre ne dit pas grand-chose. Résurgence plastique, serait-ce une allusion écologique aux millions de tonnes de plastique jetés à la mer qui au milieu du Pacifique forment un sixième continent ? Nous ne savons pourquoi : un sixième sens nous détourne de cette hypothèse militante. Pourtant ce cloaque bourbeux noirâtre sur lequel s’inscrit le titre n’est pas sans faire penser à des résidus pétrolifères souillant et polluant la surface de nos océans…

    Soyons logique si ce n’est pas une dénonciation de nos déchets plastifiés, c’est donc une glorification. D’ailleurs ce terme de résurgence n’induirait-il pas une identification avec la résurrection du Christ ? Ne nous perdons pas dans des considérations inconsidérées. Déroulons, la première page. Que voyons-nous ? Rien, c’est tout blanc ! Normal, c’est une page blanche. Abordons la suivante.

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    Que voyons-nous ? Rien, si un trou noir ! Pas d’erreur possible c’est même écrit dessous BLACK HOLE (N° 1). Avouons que c’est troublant. Ne nous prenons pas pieds de la pensée dans le premier trou venu, déroulons le parchemin nettique en son entier, et par la suite trouvons, non pas la réponse, mais la question qui donnera sens à cette œuvre.

    Qu’avons-nous trouvé ? Une suite de 48 photographies, représentant on ne sait trop quoi, peut-être des bouts de plastiques déchirés, des lambeaux informes, de différentes couleurs. Voilà, c’est tout. Ah, si tout en bas une courte notule de trois lignes apportant quelques renseignements sur Eric Calassou.

    2

    DEUXIEME ROUND

    Nous tenons le bon bout. Si nous étions dans une nos habituelles enquêtes criminelles nous dirions que nous avons découvert le coupable.  Nous sommes en présence d’une œuvre d’Eric Calassou. Quarante-huit photographies. Plutôt quarante-huit objets photographiques. Elles ne représentent ni des gens, ni des animaux, ni des maisons, à peine si nous apercevons sur quatre ou cinq d’entre elles des rails, une bouteille, des bananes et une espèce de cadran de réveil, Eric Calassou n’est pas un reporter de la réalité.

    Ces photos ne représentent donc rien ? Ne soyons pas si péremptoires. Déjà elles se représentent elles-mêmes. Elles sont aussi le fruit d’un long travail. D’un long désir. De l’artiste. Il est des tas de programmes informatiques qui permettent de trifouiller à sa guise la moindre photographie. Nous ignorons comment il a opéré, voudrions-nous vraiment le savoir, ce qui compte c’est le résultat obtenu.

    Et si c’était du n’importe quoi ? Si notre artiste comptait sur le hasard pour bien faire ? Le problème c’est que si vous comptez sur le hasard pour parfaire votre résultat vous rendez par ce fait le hasard nécessaire. Ce n’est plus le dé qui s’arrête sur le nombre qu’il décide, c’est vous qui le stoppez dans sa course sur le chiffre qui vous semble le plus adéquat. Cette affaire est plus sérieuse qu’il n’y paraîtrait de prime abord !

    3

    TROISIEME ROUND

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             Comme disait Maurice de Scève, peut-être devrions-nous nous pencher un peu plus sérieusement sur les objets du délit, pas les quarante-huit, n’allons pas très loin, par exemple ce BLACK HOLE (N° 2). Il est indubitable que ce trou n’est pas troué. Un trou sur une surface plane ne peut pas être un trou, nous avons donc affaire à de l’art abstrait. Pas si abstrait que cela, puisque se dessine parfaitement sur la gauche supérieure un animal. Un chat, un chien, un renard. Que chacun décide selon ses propres critères.  Ce n'est pas là l’essentiel.

    Si le trou est noir, il est d’autant plus noir qu’il recèle en son fond deux étamines blanches, et moins évident que cela, toutes les formes que nous devinons ou que nous imaginons sont guidées par d’étranges effets de transparence. Pour être plus clair : noir +transparence = noir. Or nous voyons des choses, ou du moins des formes. Bref, déjà louons cet artiste qui déjoue l’opacité du noir.

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    Comme dirait l’autre, cela me soulage, essayons avec une autre couleur. Tenez ce BAD BLOOD. Du sang rouge, on en boirait, un véritable grenache pour vampires assoiffés, l’on discerne bien des formes, rehaussées par ces transparences cette-fois-ci davantage blanche, mais il est difficile de savoir à quel objet, à quelle substance pour parler comme Descartes, appartiennent ces formes.

    QUATRIEME ROUND

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             Aurions-nous plus de chance avec ce DARK VEINS (N° 3), du vert, du saumon, du jaune, et ces transparences encore plus transparentes, et toujours ces formes qui ne ressemblent à rien. Ou à elles-mêmes si vous préférez. Je préfère à rien. Ah bon ! Oui cela ouvre davantage de perspectives. Le rien n’est que l’autre côté du tout. Ce qui ne ressemble à rien ne ressemble-t-il pas à n’importe quoi ?

             Tout est question d’échelle. Nous avons tendance à retrouver ce que nous connaissons déjà. Exemple quand vous avez perdu vos clefs vous retrouvez vos clefs. Quand je suis perdu dans mon monde je retrouve donc le monde.

             Exactement. Or là vous ne le retrouvez pas, ce que vous trouvez, c’est un autre monde. Cet Eric Calassou de malheur, cet Eric Calassou de bonheur, barrez la mention inutile, vous plonge dans l’infiniment grand ou dans l’infiniment petit. Cette photo peut aussi bien être la représentation d’une aurore boréale, que les teintes d’une feuille de pommier, à ceci près que vous êtes sûr qu’ Eric Calassou n’a jamais voulu représenter le rayon vert cher à Jules Verne ou les magnificences automnales d’une feuille.

             Donc chacun y voit ce qu’il veut ? Totalement Oui et parfaitement non.

    Expliquez-vous.

    CINQUIEME ROUND

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             Prenez THE ABYSSAL FOREST N° 1, peut-être y verrez-vous les fûts élancés d’une forêt, perso il est évident que nous assistons à la rencontre de trois corbeaux. C’est mon côté abyssal. Parce que je regarde avec des yeux qui ont été éduqués par Edgar Poe.

             L’auberge espagnole, chacun apporte avec lui ce qu’il veut. Oui mais certains voient davantage que d’autres. Non, ils n’ont pas un imaginaire plus grand que les autres, c’est qu’ils se sentent autorisés à voir ce qu’ils voient. Par qui ? Mais par Eric Calassou.

             Si j’étais vous, j’aimerais que vous m’expliquiez pourquoi au début de son opus Eric Calassou nous montre un trou pour un peu plus tard nous poser devant un abysse. En plus pour les esprits distraits il l’écrit en toutes lettres sous chacune des lames idoines.

             Parce que tel est son plaisir. Un grand trou ou un petit trou n’est-ce pas toujours un trou.

    SIXIEME ROUND

             Vous oubliez que l’insignifiance a le sens de ne pas avoir de sens. Plastic Resurgency, contrairement à ce que vous insinuez n’est pas un acte aléatoire. Certes je reconnais qu’Eric Calassou brouille un peu les cartes. Il vous les étale devant vous sans rien cacher. Mais il ne les a pas mises dans l’ordre. A vous de le retrouver. Une espèce de processus alchimique. Tout dire et ne rien dévoiler. Pensez un peu à toutes ces couleurs, ne correspondraient-elles pas à quelque chose. Mais laissons cela.

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             Je préfère attirer votre attention sur le grand arcane 18. Vous parlez de THE OPENING, je consens à y voir un trou puisque vous semblez y voir un trou, serait-ce une obsession quasi-psychanalytique ? Ne serait-ce pas vous qui verrait des trous partout. The opening ne signifie pas ‘’ trou’’ mais ‘’ ouverture’’. Pensez à Rilke et à sa notion de l’Ouvert, le lieu de passage poétique par excellence.

             Voyez-vous si notre coupable, le dénommé Eric Calassou est coupable de quelque chose, ce n’est pas d’avoir au petit bonheur la chance traficoté des photographies, mais d’avoir en toute intelligence créatrice indiqué la route qui mène à la sente la plus secrète.

    Damie Chad.

     

     

    *

    Au mois de février 2018, il m’est arrivé une drôle d’aventure, je la relate dans la livraison 362, que les âmes sensibles s’abstiennent de se précipiter pour la lire, les cauchemars les plus déplorables risquent de perturber leur sommeil durant des années, je m’en souviens bien, cela s’est passé un jour où je me rendais à un concert des Jallies. Trois années, entrecoupées du carnavalesque épisode covidique, se sont écoulées avant que je ne retrouve les Jallies le 21 / 04 / 2022 à Fontainebleau. Chance, voici que les Jallies redonnent un concert au Glasgow de Fontainebleau ce jeudi 09 novembre.

    Les lecteurs s’étonneront de cette bizarre obstination à voir les Jallies. Nous les suivions depuis leur début, nous avions dû assister à une dizaine de leurs concerts moi et Alain, parfois surnommé dans nos chroniques Mister B, donc ce soir la voiture fonce vers Fontainebleau. Un trajet sans péripétie, même pas un cycliste à écraser. Ce n’est pas ce qui me rend triste. Tourne dans ma tête le joyeux souvenir de ce vieux dimanche après-midi vers quatorze heures trente lorsque le téléphone a sonné :

    _ Allo Damie ?

    _ Salut Alain !

    _ Qu’est-ce que tu fais ?

    _ Rien de spécial, et toi !

    _ Ben, comme un dimanche après-midi, calme plat. Il n’y a pas de concert ce soir ?

    _ Si, des Jallies !

    _ Tu viens me chercher, comme d’hab, huit heures à la maison !

    _ Impossible !

    _ Tu es pris ?

    _ Non, il faut partir maintenant !

    _ Ah, c’est un concert d’après-midi !

    _ Pas du tout, mais c’est à quatre cents kilomètres au fin-fond du centre de la France, dans un endroit que j’ai du mal à localiser sur la carte.

    _ Tu y vas ?

    _ Si tu viens, oui !

    _ Dans une de mi-heure je suis chez toi, l’on trouvera facilement, j’ai récupéré un GPS !

    Je ne vous raconte pas la suite de l’histoire avec ce GPS si fantaisiste que nous avons fini par remiser sur la banquette arrière à côté de Zeus. Pas le dieu de l’Olympe, ce jour-là il n’avait pas pu venir, tout simplement mon chien. Bien sûr, comme l’on est des rockers, l’on est arrivé à temps…

    C’était le bon temps, hier soir Alain n’est pas venu. Il ne viendra plus jamais voir les Jallies. Ce n’est pas qu’il ne les aime plus. C’est qu’il repose au cimetière…

    JALLIES

    (GLASGOW09 / 11 / 2023)

    FONTAINEBLEAU

    dwight twilley,bruce iglauer,vince mannino,ciel,dorothy moore,sun q,eric calassou,jallies

    Les filles se sont installées les premières, mais que peuvent espérer trois pauvres filles sans les garçons pour les protéger. Les voici, sans se presser, ils se saisissent doctement de leurs instruments, la cérémonie peut commencer. Difficile de raconter un concert des Jallies, les filles n’arrêtent de bouger. Comme toutes les filles elles sont interchangeables. Chacune peut faire ce que les deux autres ne sont pas en train de faire. Elles ne se disputent pas, elles se décident sur le vif, à l’instant. Un jeu délicieux. Au bout de trois secondes, elles se sont partagées les ustensiles, caisse claire, micro, guitare, cela doit leur rappeler les cours de récréation quand elles jouaient à papier, pierre, ciseaux.

    Faut être juste. Dès qu’elles ouvrent la bouche vous ne voyez plus qu’elles. Est-ce pour cela que les deux gars derrière font un boucan inimaginable. Vous scotchent contre le mur dont ils ne vous décolleront pas. A tel point que les filles ont inventé une nouvelle stratégie, quand il y en a une qui chante ses deux copines harmonisent à fond à ses côtés, un bourdonnement d’essaim d’abeilles emplit vos oreilles, alors les garçons accélèrent et les filles surenchérissent.

    Derrière ce rideau mouvant de filles vous reconnaissez Tom à son chapeau. Pour sa guitare pas de souci, elle fuse tous azimuts. Un hors-bord lancé à toute vitesse, attention les courbes sont nerveuses, le son prend sans arrêt la tangente, jamais là où il devrait être, vous trousse de ces soli zig-zag vrombissants en moins de six secondes, une féconde imagination au bout des doigts, ramène toujours un grain de sel ou de soufre là où on ne l’attend pas, un ingénieux, aussi rusé que le renard, aussi fourbe que le serpent, aussi insaisissable que le furet, aussi subtil qu’un traité d’Aristote. Mama mia ! quel guitariste ! Le guy qui sait se faire entendre, coupez-lui l’électricité et vous aurez l’idée d’une île sans trésor, d’un océan sans eau.

    Kros use de la technique dite du rhinocéros. Il ne slappe pas, il cogne. Si fort que sa contrebasse noire et tuméfiée essaie en vain d’échapper à ses ramponeaux systématiques en effectuant une volte sur elle-même, avec un tutu elle ressemblerait à une danseuse d’opéra tournoyant sans fin sur ses pointes. Dans un western il endosserait le rôle de la grosse brute sympathique à qui l’on pardonne tout, certes il vous démolit le septième de cavalerie qui s’en est venu arracher des mains des féroces séminoles qui les retiennent prisonnières les trois pauvres orphelines, aucune d’entre elles ne saurait résister à son sourire jovial, à ses cris de guerres stentoriens et à ses adresses hilarantes au public. Kros c’est l’éléphant dans le magasin de porcelaine, mais il vous dégomme les soupières et les bibelots avec une telle adresse que vous applaudissez pour l’encourager.

    Non, je ne les ai pas oubliées, j’ai gardé les trois plus belles pour la fin. Bérénice la brune, Leslie la rousse, Vanessa la blonde. C’est comme au jeu du marchand des couleurs, nommez la teinte que vous préférez, elle s’enfuira si vite que jamais vous ne la rattraperez. Elles n’accaparent pas le micro c’est le micro qui se bat pour être à toutes les trois. Bérénice au chant nerveux, Leslie aux roucoulades insidieuses, Vaness rentre-dedans et bouscule-tout. Toutes ensemble et chacune selon sa personnalité. Un point commun, la vitesse, en accélération constante, une patinoire inclinée à quarante-cinq degrés, pas étonnant qu’elles reprennent Slippin’ and Slidin’ de Little Richard, gazelles gracieuses et galopantes, insaisissables, sourires mutins et voix accrocheuses.

    Question métaphysique : est-ce du swing ou est-ce du rock ‘n’ roll ? Disons que c’est du pur Jallies. Début du deuxième set : mise au clair : cette fois-ci ce sera davantage rock’n’roll. Cela en a tout l’air. Oui mais voilà, les choses ne vont pas se passer tout à fait comme annoncées. Ce sera plus rock qye rock. D’abord un truc sympa, trois fois rien, c’est l’anniversaire de Leslie, soigneusement applaudie. Son interprétation de Funnel of love de Wanda Jackson et ses reprises de Janis Martin, ainsi que sa version de A train Kept A Rollin de Johnny Burnette ( merci pour la dédicace ) ont éveillé une sympathie certaine envers sa personne et par ricochet sur ses copines. L’atmosphère s’est magiquement transformée, prémices de la montée d’une hystérie collective.

    Tiens, Kros emmène sa contrebasse devant, nos trois grâces s’écartent pour lui laisser la place, il ne joue pas, il prend la parole, il annonce son départ, il quitte les Jallies après plusieurs années de bons et loyaux services, il a d’autres projets, un groupe punk et un autre folkly, il remercie ses camarades et le public. Ovations et applaudissements, galvanisé il interprète Hound Dog de Presley  ( oui l’on sait c’est de Big Mama…), à l’emporte-pièce, au chalumeau, au lance-flammes, z’après il rentre dans le rang et nos demoiselles prennent la relève, l’on ne sait pas, l’on ne sait plus, mais elles se mettent à swinguer vertigineusement et à rocker comme des roquettes, Bérénice hisse le grand pavois de sa voix, les danseurs s’élancent, comment dans un espace si confiné parviennent-ils à évoluer ? Ça caracole de tous côtés sans carambole. Vanessa annonce les deux derniers titres. Puis un troisième et un quatrième. Kros se permet la plus mauvaise blague du siècle, un morceau de Queen !

    C’est bien Queen mais pas n’importe laquelle, ni Mary, ni Elizabeth, la Rock’n’roll Queen d’Ady des tout premiers temps du groupe, et c’est la débandade, les filles y jettent tout leur cœur et toute leur hargne, les guys vous font un feu roulant, maintenant l’on sait que c’est parti pour ne plus s’arrêter. Le répertoire Du groupe est repris de fond en comble mais ça ne suffit pas alors en avant toute on tape dans le meilleur, un Stray Cat et Led Zeppelin, un Whole Lotta Love à la caisse claire, un swing-rock déglingué monstrueusement beau et halluciné comme l’iceberg qui s’est rué sur le Titanic. Kros nous bombarde d’un Tutti Frutti épileptique, Tom mange les cordes de sa guitare, la Vaness en pyromane avertie jette l’huile bouillante de sa voix sur le feu, l’on était parti jusqu’au petit matin, hélas les portes du pub sont ouvertes en grand et tout le monde est prié (et poussé) de descendre au plus vite les quelques marches de pierres glissantes et abruptes qui donnent accès à la rue du Coq Gris.… Il est bien connu que dans la nuit tous les cats sont gris.

    Il est pile une heure du matin et c’est l’heure pour les honnêtes citoyens de la bonne ville de Fontainebleau de s’endormir paisiblement dans leur lit douillet…

    Je n’ai pas tout conté de ce concert mirifique, une ambiance unique, une joie indescriptible et une communion extatique du groupe avec son public.

    Damie Chad.

    Post-scriptum : je sais, je ne me suis guère attardé sur nos trois merveilleuses fillettes mais bientôt je vais y être obligé. Le groupe continue, le remplaçant de Kros est même venu lui emprunter pour un morceau sa contrebasse, s’en est sorti comme un chef. Mais Vanessa m’a confié que les filles sont en train de concocter aussi une formule davantage ramassée, uniquement les trois filles sous le nom de Jallies-pocket, je vous tiens au courant, promis, juré, craché si je mens je vais en enfer. Ne me plaignez pas, l’enfer est cette partie du paradis où se retrouvent les rockers.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 619 : KR'TNT 619 : CHRISSIE HYNDE / LARKIN POE / RUMER / MARIE NIGHT / SHRINE / THE MONARCHS / THE DEVIL AND THE ALMIGHTY BLUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 619

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    09 / 11 / 2023

     

    CHRISSIE HYNDE / LARKIN POE

    RUMER / MARIE KNIGHT

    SHRINE / THE MONARCHS

    THE DEVIL AND THE ALMIGHTY BLUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 619

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Chrissie & chuchotements

     

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             Quand Chrissie Hynde est apparue dans les pages des canards anglais en 1978-1979, beaucoup de petits mecs sont tombés amoureux d’elle. Leur état s’aggravait chaque fois qu’ils l’entendaient chanter à la radio. Ça a commencé avec « Stop Your Sobbing », puis il y a eu « Kid » et le coup fatal arriva avec « Brass In Pocket », trois des plus beaux singles de l’histoire du rock anglais. Chrissie incarnait la femme fatale en perfecto rouge, la brune incendiaire, celle dont on rêvait de partager la vie, et elle amenait tout ce qu’on aimait dans le rock : une certaine forme de sensualité portée par une classe magistrale. Le parfait rock’n’roll animal au féminin.

             Elle devint tout simplement une sorte d’idéal féminin. En tant qu’icône, elle prenait la suite de Brian Jones, de Ronnie Bird et de Sonny & Cher. Elle recraquait l’actualité compliquée des années 78-79 à sa façon, par petites touches de magie sixties alliées à une incroyable maturité. C’est ainsi qu’on évaluait sa stature.

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             Pourtant écrit dans un style elliptique, Reckless fait partie des grands classiques de la rock culture. On s’est tous jetés sur cette autobiographie tant désirée. Chrissie explique qu’elle a dû attendre la disparition de ses parents, car elle craignait - à juste titre - que certains passages de son livre ne les choquent. Ses parents étaient des gens trop normaux.

             Elle commence bien sûr par évoquer son enfance à Akron dans l’Ohio - dont est aussi originaire Lux Interior - That’s when Akron was the center of the universe - puis ses premiers souvenirs de concerts, et pas n’importe quoi, puisqu’il s’agit de Mitch Ryder & The Detroit Wheels - Guitarist Jim McCarty, within the space of two songs, dismantled, rebuilt and changed my entire outlook of the world (en l’espace de deux morceaux, le guitariste Jim McCarty démonta, reconstruisit et changea toute ma vision du monde) - Puis elle voit les Stones - Puffy-eyed Brian with his tartan boots and Vox Teardrop guitar. How could anyone forget that ? (Brian avec ses cernes sous les yeux, ses boots tartan et sa guitare Vox Teardrop - Comment peut-on oublier ça ?) - et Jackie Wilson - It was definitely more nuts than any rock show I’d been to (C’était encore plus dingue que n’importe quel autre concert que j’ai pu voir dans ma vie) - Le gorille de Jackie Wilson l’arrache de son siège et l’amène au beau Jackie qui lui roule une pelle. Ça faisait partie du spectacle.

             Elle parle admirablement bien de sa découverte du sexe et des drogues. Pour elle, la meilleure drogue pour baiser, c’était l’alcool. Elle ne s’attarde jamais sur les détails. Elle file d’événement en événement. Elle s’éprend tour à tour de Tim Buckley, puis de Ziggy Stardust - Witnessing Bowie en stage with Mick Ronson was life-changing, I’m sure, for everyone there - et enfin Iggy. Fun House est son disque de chevet, avec White Light White Heat du Velvet et Raw Power - Nobody was obsessed with Iggy Pop like I was (Personne ne pouvait être plus obsédé par Iggy que je l’étais). Jusque-là, son parcours musical est un sans faute : Bowie, Stones, Velvet et Stooges...

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             Elle fréquente un heavy biker et veut le quitter. Mais on ne quitte pas un heavy biker. Pour sauver sa peau, elle doit quitter le pays. Elle arrive à Londres en 1973. Elle veut absolument jouer dans un groupe. Elle commence par rencontrer Nick Kent dans une party, complètement par hasard - Mainly he was fascinated by anyone in music if they were damaged and weird, or deranged an destructive or addicted - Oui, Nick Kent ne s’intéresse qu’aux gens abîmés et étranges, ou destructeurs et camés. Nick et Chrissie écoutent Goat’s Head Soup, les Groovies et les Dolls. Nick la fait entrer au NME, puis elle travaille chez McLaren et Viv, two guenine English eccentrics. Elle débarque ensuite à Paris et répète avec des Keef look-alike dans le sous-sol de l’Open Market. Elle parle de Paris comme de l’une des périodes les plus heureuses de sa vie, avant de rentrer chez elle à Akron et de monter un groupe de reprises nommé Jack Rabbit à Cleveland qui hélas ne marche pas. Elle chantait « Fight The Power » des Isley Brothers et « Slippery When Wet » des Commodores. 

             Retour à Londres pour quelques essais avec Johnny Moped, et Mick Jones qui n’était pas encore dans les Clash. Puis avec les futurs Damned dans les Masters of the Backside. Elle avait une culture musicale que les punks anglais n’avaient pas - I was a little bit too musical for that punk scene - Elle leur parlait de Bobby Womack et ils écoutaient encore Mott The Hoople. Pour elle, l’Américaine, l’Angleterre est un vrai pays de science-fiction, l’exact opposé des États-Unis. Les soins dentaires gratuits, l’allocation qu’on appelle ‘the dole’ et le droit de vivre dans un squat, tout cela est impossible aux États-Unis. Elle n’en revient pas ! Elle rend de beaux hommages aux Lou’s, à Patti Paladin et aux Slits. Elle traîne avec les Clash - Joe Strummer looked like a statue covered in pigeon shit after every show (le pauvre Joe était couvert de glaviots après chaque concert) - et Lemmy - Lemmy was bigger than punk - et elle poursuit sa quête obsessive : monter un groupe. Elle voit des tas de musiciens, et fait tout à l’instinct - I never doubted it. That was my main, possibly my only strong point - natural instinct - C’est la grande force de Chrissie. Elle n’a jamais douté de son choix de vie. Elle ne fonctionnait qu’à l’instinct.

             Par miracle, elle rencontre Pete Farndon puis Honeyman-Scott qui admirait Dave Edmunds. Avec eux, elle peut enfin monter le groupe dont elle rêvait, les Pretenders. Chrissie raconte l’histoire classique du groupe avalé par le succès, les premières dissensions, les excès des tournées. Puis c’est la rencontre avec Ray Davies. Elle ne parle même pas dans son livre du mec des Simple Minds. Dans les dernières pages, le rythme s’accélère brutalement avec l’éviction de Farndon qui se shoote et que les deux autres ne supportent plus, puis la mort de Jimmy à 25 ans, pendant son sommeil, des suites d’un abus de coke, et enfin la mort de Pete, des suites d’une overdose. L’histoire tourne au vertige.

             Tout au long de ce récit passionnant, Chrissie tient son rang, elle refuse toute forme de compromission et fait tout ce qui est en son pouvoir pour échapper aux mirages de la gloire. Elle n’en veut pas, mais elle est obligée de vivre avec - The one thing I hated about drugs was the assholes you had to hang out with to get them - En matière de drogues, la seule chose qu’elle ne supportait pas, c’était ces mecs qu’ils fallait fréquenter pour avoir sa came. Elle se montre intransigeante de bout en bout.

             Le seul défaut des Pretenders est qu’ils frimaient un peu. Pas Chrissie, mais les autres derrière. Ils avaient le même goût du m’as-tu-vu que les Clash. Les photos de presse étaient tout simplement insupportables de pose et d’arrogance. Mais on n’écoutait pas les Pretenders, on écoutait Chrissie Hynde. Rien à foutre des autres. Elle aurait pu avoir n’importe quel backing-band, l’impact serait resté exactement le même. D’ailleurs, le groupe a été décimé. Qui se souvient des événements ? Personne. Le destin tragique de Canned Heat nous a vraiment affecté, pas celui des Pretenders.

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             Pas mal d’albums au compteur. The Singles Collection pourrait presque suffire à rendre un homme heureux, car c’est du concentré de Chrissie. Cette compile est aussi définitive que le Singles Going Steady des Buzzcocks ou l’Off The Bone des Cramps. Ça démarre avec « Stop Your Sobbing » et sa voix de rêve humide, la compo du chéri Ray. Véritable machine à remonter le temps. Hit de juke de rêve. Chrissie devint avec ça la reine des fourmis, au sens polnareffien des choses. Encore un hit racé avec « Kid », bien coupé sous le vent, emmené par une voix d’Américaine qui la ramène à Londres, cette brune maquillée qui te plante son regard dans le tien, alors que derrière défile le thème. Elle a du chien à ne plus savoir qu’en faire, elle te pompe l’âme, mais pas de sexe, juste du mythe romantique bon esprit, if you see what I mean. La classe de l’Américaine débarquée à Londres pour briser les cœurs, comme rêvait de le faire Johnny Thunders avec ses Heartbreakers. Et derrière, on entend une basse élastique, impossible que ce soit Farndon, c’est trop bien joué. Chrissie est dans la perfection absolue, « Kid » est le hit des temps honnis, le hit des culs de basse fosse. Pur jus encore avec « Brass In Pocket », elle monte avec la puissance américaine, elle fabrique son époque et réinvente la féminité. Elle est la plus grande shouteuse américaine d’Angleterre, ce n’est pas rien, niveau PP Arnold - I’m special, so special - on s’abreuve encore de ce hit trente-cinq ans plus tard, on s’en goinfrait à l’aube, après une nuit arrosée de vodka - Gonna use my fingers - et on repartait dans la vie de tous les jours - Special so special - alors elle montait avec des petites chutes de maintien qui indiquaient son impatience. Il y avait en elle du Francis Scott Fitzgerald, évidemment. On retrouve la basse subtile dans « Talk Of The Town ». Elle rôde dans la chanson comme une chatte noire aux yeux translucides. Elle chasse la souris blanche. C’est une fureteuse, elle fouine dans la mélodie, petit museau humide et ces yeux bruns qui te disent le sexe de maybe tomorrow, tu ne l’auras pas, tu ne l’auras jamais, regarde, elle n’a pas de fesses, elle n’a pas de cuisses, elle n’a pas de seins, elle n’est que la déesse du rock et les hommes tombent sous son charme, y compris les guerriers tatoués. On reste dans l’âge d’or des singles avec « Day After Day ». Chrissie en profite. Elle règne sur l’Angleterre. Elle dégouline de classe. On peut même parler de majesté. Hit fumant et beau. Doux comme un geste d’amour pur. On a tous rêvé d’aimer une reine du rock. Avec Chrissie c’est possible et bien sûr impossible. Mais l’idée du possible peut rendre fou. Attention. Démence de « Message Of Love » - And it’s good good like Brigit Bardot - le hit parfait, la voix fatale et ça descend dans les entrailles de l’exaction - Me and you we’ll be together/ Your eyes like the heavens above/ Talk to me darling with the message of love - c’est dingue, il n’existe rien au-dessus de ça. Elle chante son « Middle Of The Road » avec du chien, un chien qu’elle tire du ventre. Quelle attaque ! Pour une Américaine, c’est facile, elle sait poser les conditions avec un certain aplomb. Encore un slow rock mid-tempo de rêve avec « Show Me », mené à la baguette, suprême de légèreté. Elle sonne carré dans le vent mélodique. « Don’t Get Me Wrong » est l’un de ses derniers hits. On retrouve cette classe indécente. Si elle avait eu les ongles sales, on l’aurait surnommé Chrissie la crasse. Mais c’est Chrissie la classe, elle a toujours su rester au-dessus de la mêlée. Il émane d’elle une sorte d’essence aristocratique. On frise le rock FM avec « Don’t Get Me Wrong », c’est sûr, mais on sait que Chrissie vient des punks et de Nick Kent, alors ça la préserve de la vulgarité. Et puis elle tente de remonter la pente avec « My Baby ». Comme toutes les stars brûlées par la lumière, elle garde la nostalgie de l’odeur de brûlé.

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             Le premier album des Pretenders sort en 1979. Dans son livre, Chrissie rend hommage à Chris « Nevermind The Bollocks » Thomas  et Bill Price qui ont enregistré et produit cet album qui s’inscrit dans la veine des grands albums de pop anglaise puisqu’il ne propose pas moins de quatre hits planétaires. Le premier morceau de l’album, « Precious », annonce la couleur. Avec ce bel uptempo, Chrissie allume le brasier - Maybe wanna - et rétablit la suprématie de la pop anglaise. Petite cerise sur la gâtö : elle signe tous les hits. « Tattooed Love Boys » est une belle pièce qui ne tient la route que par la voix de timbre voilé. Elle s’amuse bien. Elle sait qu’elle va devenir la reine de Saba. Puis elle tape dans le répertoire de Ray Davies avec « Stop Your Sobbing ». Ray Davies et Jimi Hendrix seront les seuls auxquels elle empruntera des chansons. En début de B, on tombe sur « Kid » qui est un morceau véritablement hanté par l’esprit de la grandeur pop. « Kid » fait probablement partie des dix plus grands hits pop de tous les temps. Tout est dans la subtilité d’interprétation : c’est l’art magique de Chrissie Hynde. À partir de là, elle n’en finira plus de fasciner les rockers de banlieue. Elle enfonce son clou avec « Brass In Pocket » et puis « Lovers Of Today », un balladif de circonstance. « Mystery Achievement » est un bon cut de clôture, bien poundé par Martin Chambers, mais heureusement que Chrissie est là pour donner du sens - au sens de la sensualité - à cette pop anglaise qui n’attendait que ça. Elle porte tout. Pas une seule Anglaise ne sonne comme elle - Ooooh my mind - et elle envoie valser ses plaintes fugitives dans la stratosphère.

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             Pretenders II sort deux ans plus tard. Avec la pochette, les Pretenders tentent de réactiver le vieux mythe des belles pochettes d’albums de rock anglais, notamment celles des Stones. La photo est belle, mais les pauvres Pretenders friment un peu trop. La seule qui s’en sorte honorablement, c’est Chrissie, qui justement se plaint dans l’autobio de la qualité surfaite de l’image. Tout le monde n’est pas Brian Jones, n’est-ce pas ? Chris Thomas produit. Et encore une fois, Chrissie signe tous les hits. On tombe rapidement sur « Message Of Love ». Rien qu’avec ce titre, Chrissie Hynde mérite de figurer au panthéon du rock anglais. C’est le même jus que « Jumpin’ Jack Flash » et ça vaut tout l’or du monde. Nouvelle reprise de l’ami Ray avec « I Go To Sleep », une bluette qui devient sérieuse parce qu’elle l’interprète. On retrouve sa pop de haut rang avec « Talk Of The Town », et son chant un brin aristocratique. C’est de la petite pop magique vraiment digne de celle des Beatles. Il faut attendre « Day By Day » pour retrouver le chemin du frisson. Chrissie sait donner de l’élan, de l’épaisseur et une carrure interplanétaire à ses chansons. Elle a tout compris à l’esprit du rock. Sa vision ne souffre d’aucun zonage. Elle conduit sa pop avec l’autorité d’une reine antique. Chrissie est une invaincue. On retrouve l’effarance de sa classe dans « The English Roses », elle y méduse la mélodie, elle pointe le doigt sur l’horizon flamboyant. Sa chanson est d’une beauté surnaturelle. Elle tient tête et se fond en même temps dans la beauté du monde.

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             Changement de personnel pour Learning To Crawl. Deux morts. Chrissie retrouve un guitariste et un bassman. Curieusement, le son reste le même, comme on le voit avec « Middle Of The Road ». C’est encore un hit fantastique - Big diamond ring & silk suits ah c’mon baby - et elle envoie ça avec des yeh-yehh qui en disent long sur l’étendue de sa classe. Et voilà qu’elle roule des r et qu’elle miaule comme cette panthère qui rôde la nuit autour des plantations. Elle fait l’oraison funèbre des deux morts avec « Back On The Chain Gang ». C’est une fois de plus de la pop très haut de gamme, un nouveau hit mondial. Elle y met toute la délicatesse et toute la fermeté d’accent grave dont elle est capable. Belle pop toujours avec « Time The Avenger », on retrouve la même recette. Cette femme emmènerait n’importe quel groupe au paradis. D’ailleurs, on se fout des Pretenders comme de l’an quarante. C’est elle qui fait tout, les compos, la magie du chant, l’ambiance, elle sauve un peu la pop anglaise des années 80. À sa façon, elle a réussi à injecter un vrai shoot d’adrénaline dans le cul flapi de la vieille Angleterre. Nouveau hit planétaire avec « Show Me » - Show me the meaning of the world - qui sonne un peu comme « Kid », mais ça reste magique, pas de problème de ce côté-là. Elle fait ce qu’elle veut de la mélodie, elle la colore, elle l’élève, elle l’éclaire de l’intérieur, elle la vit de l’intérieur, elle touche le firmament du bout des doigts, car elle est une géante. Sur « Thumbelina », on entend beaucoup trop ce pauvre Martin Chambers qui frime depuis le début avec ses rouflaquettes effilées. Ils finissent cet album solide avec un nouveau hit de belle tenue, « 2000 Miles ». En trois albums, Chrissie a aligné dix hits qu’on peut bien qualifier d’intemporels, n’ayons pas peur d’utiliser les grands mots. Alors chapeau bas. En plus, elle a un charme fou. Elle est certainement ce qui est arrivé de mieux à l’Angleterre des années 80.

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             La valse des accompagnateurs se poursuit, comme on le voit avec la parution de l’album Get Close en 1986. On retrouve le même son, et pour nous, c’est tout ce qui compte. C’est bien la preuve que les accompagnateurs de Chrissie sont parfaitement interchangeables, et ce depuis le début. Elle chante toujours avec la même classe et ses paroles éclatent au grand jour - Can this really happen/ In this day and age/ Suddenly to just turn the page/ Like walking on stage my baby - Mais on trouve des morceaux un peu âpres sur cet album, et notamment des horreurs à tendance disco. Tout s’arrange en B avec le « Don’t Get Me Wrong » qui est le hit de l’album - I see neon lights/ Whenever you walk by - Elle emmène ça avec une élégance incomparable. C’est une illustration de ce qu’on appelle la perfection. Par contre, elle massacre « Room Full Of Mirrors ». Elle croyait bien faire en reprenant ce vieux hit psyché de Jimi Hendrix, mais la production des années 80 a transformé ce vœu pieux en massacre à la tronçonneuse.

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             Packed va certainement rester aux yeux de ses fans son album le plus faible. Dommage, car la pochette était réussie. Pour une fois, on pouvait se noyer dans l’intensité brun clair de son regard. Elle amène dans cet album pas mal de beaux balladifs, mais ce sont pour la plupart des resucées de « Talk Of The Town ». On a déjà entendu « Let’s Make A Pact », « Sense Of Purpose » ou « Criminal ». Elle rate encore une cover de Jimi Hendrix, « May This Be Love ». Ça ne fonctionne pas. C’est comme si elle cassait la patte valide d’un canard boiteux. Elle essaie de redorer la pilule du rock avec « Downtown (Akron) » - sa ville natale, mais la messe est dite depuis longtemps. Pour la première fois depuis le début de sa carrière, Chrissie semble perdre de la vitesse.   

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             Sur Last Of The Independents, on retrouve les ingrédients habituels : voix de la reine des nuits de Londres, de cette Américaine qui a coulé tous les rêves de gloire des Anglaises. Chrissie était dix mille fois plus fatale que toutes les reines de Soho réunies. « Hollywood Perfume » reste dans le registre habituel, celui d’un sex-appeal hors normes, épaulé par une belle basse jazzy. Mais c’est un peu trop produit. On est en 1994, sale époque pour le rock. Sur « Night In My Veins », on voit bien que la voix mène la barque. Pur Chrissie. Tout est solide sur ce disque. Tout ne tient que par la voix. C’est une vraie voix, comme chez Esther Phillips. Elle entre dans « Money Talk » par les intestins. Et elle peut aussi monter si haut qu’elle donne le vertige. Elle a ce qu’on appelle un faramineux chien de sa chienne. Il faut voir à quelle altitude elle emmène son Money Talk - to meee ! Avec chaque morceau, elle crée l’événement. Elle est partout, comme le frelon des Andes. Retour à la classe monumentale avec « Revolution », cette beauté formelle qui n’appartient qu’à elle, c’est du chain gang perlé de street slang cult pulp. Elle chante avec le velouté du cuir sur la peau. Son art toucherait le cœur d’un soudard. Look out ! Elle tend le bras - You hear your children sing freedon ! - Impressionnant. « Everymother’s Son » est la berceuse à la mormoille que tout le monde connaît, mais elle amène ça avec tellement de classe qu’on ne peut que s’incliner. Elle fait un hit de « Colours », par la simple force de sa voix. Elle a une façon unique de faire sonner le thing d’everything - Calling to me ah ! - Il faut voir ce qu’elle envoie. « Forever Young » est un balladif qui nous prend au piège. Quelle garce !

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             Paraît ensuite un album live, The Isle Of View, autant dire un festival. Elle joue acoustique, avec des violons. Ça met d’autant plus sa voix en valeur. Elle attaque le set avec « Sense Of Purpose ». Elle grimpe très vite, avec un bel éclat de voix. L’Américaine en impose. C’est du balladif, mais elle y met pas mal de vigueur et de petite hargne. Surprenant, bien foutu et surtout bien chanté. Chrissie tient son cut par la barbichette. Sa petite rogne passe à l’immortalité. Elle nous rend tous dingues de sa voix. Elle peut faite tout ce qu’elle veut, on la suit. Encore du balladif bien enveloppé avec « Chill Factor ». Elle tape dans le haut de gamme et montre qu’elle peut aussi éclater. Belle version acoustique de « Back On The Chain Gang ». Elle gratte ça à l’arpège. Elle règne sur un empire, celui des sens - I’m back oh oh on the chain gang - c’est une purge, un petit moment de magie. Le fait qu’elle joue au coin du feu ravive les pulsions libidinales. C’est une sensuelle, il faut voir comment elle ramène son « ahhhh back on the chain gang ». Avec « Kid », elle redevient la reine moderne de la pop anglaise. Version acoustique de « Brass In Pocket ». Elle se fond dans l’arborescence de la jouissance, sa voix dit la pureté verlainienne du plaisir en toute chose. Elle sait allumer. C’est traité sixties. Elle n’en finit plus de rallumer la chaudière. Elle geint admirablement bien. Et elle continue de rebâtir sa mythologie avec « Lovers Of Today », « I Go To Sleep » et même « Revolution », un peu tarte à la crème, mais elle chante ça divinement bien.

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             Nouveau retour en force avec l’album Viva El Amor. Elle retrouve le mordant des compos d’antan avec « Popstar » - Your baby wants to be a popstar/ Probably just to spite me/ She thinks it’s so easy to get to the top/ But a girl like that, she won’t know where to stop - Quelle niaque ! Elle passe ensuite au beau balladif avec « Human ». Elle redescend dans la soute de la mélodie. La voix, rien que la voix. Elle descend encore plus loin dans les entrailles du balladif avec « From The Heart Down ». S’ensuit une belle pièce, « Nails In The Road » qu’elle fond dans une nappe inattendue. Elle explose quand elle veut. Retour à l’étage des hits monstrueux avec « Who’s Who », encore un fantastique règlement de compte - Your future exists in her shopping lists/ Please call your office - On ne sait pas à qui c’est destiné, mais c’est d’une rare violence. Elle continue de régler ses comptes dans « Baby’ Breath » - The love you have to offer/ Is only baby’s breath - et le pauvre malheureux qui est visé s’en prend plein la gueule - You think you’re wild/ In your designer jeans - Elle en fait de la charpie. Elle le bouffe tout cru. Elle fait ensuite sa Sharon Tandy dans « One More Time » : elle grimpe de façon spectaculaire dans les octaves. Et voilà qu’elle explose le souvenir sacré de Sharon Tandy. Encore une chanson puissante avec « Legalise Me » - oh baby doll - et dans « Samurai », elle parle d’un mec qui entre dans sa chambre et qui se déshabille. Elle continue de cultiver cette forme de sensualité qui évoque celle de Marlene Dietrich. Elle termine l’album sur une autre histoire du cul intitulée « Biker » - You bring the biker out of me oh oh oh.

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             Énorme album que ce Loose Screw paru en 2002. Elle attaque avec « Lie To Me », un gros rock bien tiré des bretelles et doté d’une couenne épaisse. Comme d’habitude, la voix fait tout et derrière on a veillé à ce que le son reste dense et bien carré. Elle reprend sa belle allure mélodique pour « You Know Who Your Friends Are ». Elle donne du champ à sa profondeur de champ. On retrouve le charme de « Talk Of The Town » avec les oh oh oh qui descendent. Elle ressort son timbre de voix fêlée pour « The Losing » et réinstalle sa suprématie dans « Saving Grace ». Beat infernal et voix impériale qu’elle réinstalle dans les hauteurs habituelles. C’est le grand retour de l’émotion chrissique, cette grâce infinie, cette merveilleuse expression développée qu’elle a en commun avec Esther Phillips. On retrouve dans « Saving Grace » la Chrissie qui faisait rêver Londres, la grande prêtresse du rêve rock éveillé. Elle a vraiment cette grandeur en elle, cet éclair malin de la classe supérieure. Et pour finir, surprise de taille avec une reprise de Charles Trénet : « I Wish You Love ». C’est de la pure magie. Elle peut le prendre perché et le chanter tout le long sur le haut de son registre. Surtout, ne commettez pas l’erreur de prendre Chrissie Hynde pour une chanteuse pop à la mode. Elle évolue depuis trente ans dans la cour des grandes.

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             Retour aux affaires en 2008 avec Break Up The Concrete, un album mitigé et mitigeur, où on retrouve bien sûr le chien de la chienne qu’on aime bien et tout particulièrement dans « Boots Of Chinese Plastic » - You look fantastik/ With your boots of Chinese plastik ! - Elle peut se permettre de se moquer des mecs, elle en a largement les moyens. « The Nothing Maker » est aussi une belle pioche, elle chauffe son couplet et joue de son charme vieillissant (n’allez pas voir les dernières images d’elle sur le net, c’est dur - même chose pour Moe Tucker - toute ridée - et Ellie Greenwich - toute bouffie). Bon, mais du moment qu’on a la voix, tout va bien. Quarante ans après ses débuts, elle peut encore miauler d’une voix de chauffarde des barrières. Mais on sent les limites du système avec des morceaux comme « Don’t Cut Your Hair », où le batteur l’oblige un peu à se secouer et elle frôle un peu le ridicule. À un moment, ça ne marche plus. Elle risque de passer pour la mémère qui joue encore les rockeuses, comme le fait le pépère-héros national de la France profonde. Mais d’un autre côté, il faut toujours essayer de suivre les artistes qu’on a vraiment admirés. Ils ne peuvent que réserver de bonnes surprises. Dans « Love’s A Mystery », elle refait son vieux numéro de charme, même tempo que « Talk Of The Town ». Elle n’arrive plus à se renouveler. Elle fait un morceau pornographique avec « The Last Ride » - We take shelter in each other - et on tombe enfin sur une belle pièce, « Almost Perfect ». Elle tente de groover la situation et ça accroche car elle chante dans une ambiance laid-back fabuleuse de douceur traînarde. Voilà le hit de l’album et le retour de la très grande Chrissie. C’est un morceau exceptionnel. Elle traîne dans le vieux groove usé de circonstance. Dommage qu’elle n’ait pas traité tout l’album sur ce registre. Du coup, elle redevient invincible et rayonnante.  

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             JP, Chrissie & the Fairground Boys était annoncé comme une sorte de retour au rock, par le biais d’une entreprise relationnelle métabolique. Malheureusement, l’espèce de JP montré sur la pochette en compagnie de Chrissie ruine tout le travail. On a exactement le même problème avec les albums de Wanda Jackson produits par Jack White, où on se retrouve avec des solos de guitares complètement m’as-tu-vu qui n’ont rien à faire sur un disque de Wanda. Chaque fois qu’il ouvre la bouche pour chanter, ce JP de malheur amène la honte sur l’album. Dommage, car ça partait assez bien, avec « Perfect Lover », où Chrissie sonnait comme une vieille pute avec des descentes de baryton, et « If You Let Me », où elle retrouvait sa vraie voix d’ensorceleuse. On sent toutefois chez elle un besoin de rajeunir en fréquentant des petits frimeurs barbus. « Australia » est une belle pièce de power-pop à l’ancienne qui permet à Chrissie de se déployer, jusqu’au moment où le JP de malheur arrive en braillant et c’est foutu. Quand il ne chante pas, ça va, comme par exemple dans « Misty Valleys », où Chrissie chante divinement. Elle revient au sommet de son art et monte dans les octaves ovipares. Elle redevient la reine de Nubie des bas-fonds londoniens, elle tient la beauté du ciel par la barbichette. On retrouve notre chère vieille Américaine qui a eu cette chance incroyable d’être reconnue par les Anglais pour son seul talent. D’autres morceaux font vomir, à cause du JP de malheur. On implore Chrissie de nous sauver de la médiocrité, comme elle l’a fait toute sa vie. Mais comment a-t-elle pu accepter d’enregistrer un disque avec un tel ringard ? Ah les femmes qu’on croit fortes sont parfois très faibles. « Your Fairground » donne le frisson, même si on entend le JP de malheur derrière - Where does the sun go - la voix est là, Chrissie geint. Ne touchez pas à ce trésor. Encore un hit avec « Never Drink Again », elle y va de bon cœur, c’est envoyé ! Elle embarque ça où elle veut et elle finit l’album sur un coup magique, « Fidelity », qu’elle amène comme elle amenait jadis ses vieux hits, avec un tact et une classe inégalables.

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             Sur la pochette de Stockholm, on la voit poser en gilet cravate, comme si rien n’avait changé depuis 1979. Elle cultive le mythe wildien de l’éternelle jeunesse et elle a raison, car c’est aussi son fonds de commerce, même si elle atteint l’âge canonique de 62 ans. On trouve de belles choses sur cet album qu’elle a fait avec Björn de Peter, Björn & John. Quand on veut la situer dans l’histoire du rock, on parle souvent de rock au féminin, mais il serait plus juste de parler de romantisme, au sens où l’entendait Chateaubriand. Il suffit d’écouter « You Or No One » pour en avoir le cœur net. C’est une nouvelle apologie du romantisme. Elle chante comme une égérie fatale, avec une classe irréprochable. Dans « Dark Sunglasses », on retrouve les envolées généreuses de la grande époque. On sent chez elle l’élancé de la constance et ce goût immuable pour la très grande pop. Elle rejoue les petites rockeuses dans « Down The Wrong Way » (Neil Young joue sur ce morceau). Elle connaît toutes les ficelles, alors pour elle c’est un jeu. Elle parle de pills et de choses interdites. Et ça tient, car elle tient sa voix. Elle rentre dans le lard d’« A Plan Too Far » à l’ancienne mode. Elle sait driver un beat. Elle sort cet accent cassé de la décadence chère à notre jeunesse et envoie son refrain décorer le plafond. Avec « House Of Cards », elle rallume le brasier des vieux hits. C’est la révélation du disque. Elle secoue sa pop et redevient la reine antique du rock anglais. Ah comme nous aimions l’entendre chanter, au temps jadis...

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             Et puis la voilà de retour avec Alone. Pochette coup de poing, Chrissie semble décidée à en découdre, en vieille akroneuse qui se respecte. Précisons que Dan Auerbach produit l’album. Chrissie attaque avec « Alone », un modèle de heavy rock. Elle y module bien sa tension sexuelle - Yeah ! I like it - Elle rejoue de tous ses charmes. On a là l’un de ces rocks classiques et sans histoires qui réchauffent si bien le cœur. Encore un petit coup de stomp avec « Gotta Wait ». Nouvelle preuve de l’existence d’un dieu du rock. Le stomp plaira aux masses, car il est bien sourd. Et le reste de l’album va plus sur le balladif intimiste, qui est quand même le fonds de commerce de notre héroïne. En B, elle profite justement de « Blue Eyed Sky » pour renouer avec son cher intimisme. Elle n’a rien perdu de son charme fatal et de sa présence. « The Man You Are » confirme la tendance au calme. Elle dit à l’homme qu’elle aime qu’elle ne veut ni fleurs, ni bagues, ni promesses. Elle veut juste qu’il soit l’homme qu’il est. Pas mal, n’est-ce pas ? Franchement, ce mec a beaucoup de chance. Ce sont en général les femmes très intelligentes qui demandent ça à leur compagnon. Les autres préfèrent les bagues. Dans « I Hate Myself », elle avoue qu’elle se hait for being jealous et elle boucle avec un balladif suprêmement empirique, « Death Is Not Enough ». Chrissie n’en finit plus d’étendre l’empire de sa mélancolie. La mort n’est rien, elle le sait.  

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             Elle refait surface en 2019 avec le Valve Bone Woe Ensemble et un album du même nom. Dès « How Glad I Am », cette folle s’enfonce dans la classe. Elle fait de cette reprise de Nancy Wilson un fabuleux hit de Soul jazz qu’elle groove à la folie Méricourt. Et tout l’album va rester à ce niveau d’excellence, avec à la suite un hommage à Brian Wilson avec « Caroline No ». Elle jazze la mélodie, elle excède le maximum de ses possibilités. Elle rame dans le limon du groove. Elle passe ensuite à Sinatra avec « I’m A Fool To Want You », elle fait des merveilles révolutionnaires, et derrière, ça joue au Hynde System. On reste dans l’émerveillement avec « I Get Along Without You Very Well », encore un shoot de deep deepy jazz, elle s’y prélasse et atteint des sommets dans l’art de caresser le feeling dans le sens du poil. Elle bascule dans le mythique avec l’« Once I Loved » de Carlos Jobim. Elle se fond dans la magie du Brazil, c’est un miracle d’équilibre interprétatif, elle chante dans son for intérieur. Tout ce qu’elle propose sur cet album est effarant de classe, comme ce heavy groove de jazz, « You Don’t Know What Love Is » qu’elle prend à pleine voix. Elle devient déchirante. Elle tape aussi dans Nick Drake avec « River Man », elle se jette dans le Drake avec tout son sucré de petite chatte. Il faut savoir que Drake met un certain temps à se développer. Elle rend hommage à son ex Ray avec « No Return ». Belle énergie d’anticipation, c’est groové à la trompette de la renommée. Et elle termine avec un clin d’œil à Charles Trenet et « Que Reste-t-il De Nos amours » - Et je pense aux jours lointains - alors elle se demande ce qui reste et ça vire à la démence subliminale, une photoo/ Vieille photoo de ma jeunesse, alors oui, elle y va aux amours fanés, cheveux au vent, que reste-t-il de tout cela, dites-le moi. À travers Chrissie Hynde, tout le génie de Gainsbarre se reflète dans celui de Charles Trenet.

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             Spectaculaire retour en 2020 avec Hate For Sale. Elle nous shake son punk dès le morceau titre d’ouverture de bal, elle chante à la rémona. Le guitar slinger s’appelle James Walbourne. Par contre, Chambers pose un problème : on est plié de rire en le voyant sur la pochette. Il bat tous les records de ridicule du vieux pépère qui veut faire le coq. Elle enchaîne avec un coup de génie intitulé « The Buzz ». Elle fait son business, c’est le même qu’avant, elle est tellement sexy, makes you feel, elle chante au long du fantasme, elle reste the queen of the underground - I can’t get no relief - il n’y a qu’elle pour tourner comme ça autour d’un beat, ahhhh, comme dirait Jean-Pierre Marielle, comme elle est bonne ! Welcome in the fairy sexy world of Chrissie Hynde ! Ils font aussi un reggae qui fonctionne avec « Ligthning Man ». Le vieux Chambers se prend pour un rasta, mais c’est Wilkinson qui fait tout le boulot à la basse. Il pouette à la Jamaïque et Chrissie s’éclate la rate au coin des couplets. Elle est merveilleusement juteuse et juste. Nouveau coup de génie avec « Turf Accountant Daddy », heavy schluff demented, elle te saute dessus comme la nympho de l’immeuble, c’est la reine du rodéo, la gueuse du rock, elle est terrifiante, ça descend dans les catacombes, God comme c’est big ! Elle renoue avec les clameurs vénales de Sonny & Cher. Et ça continue avec « You Can’t Hurt A Fool », elle mène le bal, ferme et déterminée, elle met tout l’album et tous les sens en alerte. Ça navigue encore une fois au plus au niveau de l’état des lieux. Chrissie est celle qu’il te faut. Elle crève l’écran à tout instant. C’est encore elle la commodore avec « I Didn’t Know When To Stop ». Elle te dégringole tout et ça prend feu au premier coup d’harmo. Elle chante comme si elle réglait ses comptes. Tout sur cet album est puissant. Elle revient au junkie walk dans « Junkie Walk », elle n’en démord pas - When you walk the junkie walk - et ça bascule dans l’enfer du paradis - Every junkie has to die - Et puis on la voit monter le chant d’un ton dans « Didn’t Want To Be This Lonely ». C’est donc elle la reine. Il faut s’en souvenir. Elle chantera jusqu’au bout. 

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             Retour aux affaires en 2021 avec un hommage à Dylan : Chrissie Hynde Sings Bob Dylan. Standing In The Dorway. Elle ne choisit pas les cuts les plus connus. Elle sort «You’re A Big Girl Now» de Blood On The Tracks et le tape au big Bob. Elle l’allume bien, elle réactualise d’une certaine façon la magie dylanesque. L’autre cover magique est celle de «Love Minus Zero/No Limit» tiré de Bringing It All Back Home. Pur jus de grande époque. Elle tape dans le cœur battant du mythe - The bridge at midnight trembles/ The country doctor rambles - Mais elle fait des choix de cuts plus obscurs, comme le morceau titre, tiré de Time Out Of Mind. Elle y ramène tout le chien de sa chienne et le diable sait qu’elle n’en manque pas. Elle va plus dans la harangue avec «Sweetheart Like You» tiré d’Infidels. Elle y va à la bavache, beaucoup de texte, mais elle capte bien la mélodie chant. Elle sait cultiver le climax dylanex. Son «Blind Willie McTell» est tiré des Bootleg Series et devait figurer sur Infidels, nous dit la légende de la Mer Morte. C’est monté sur le fil mélodique d’«House Of The Rising Sun». Même balancement de vagues. Elle n’en finit plus de finasser. Elle a des choix très pointus. Bob doit être fier d’écouter ça. Elle est chaude, intime. Elle termine avec «Every Grain Of Sand» qu’elle tire de Shot Of Love. Mais il ne faudrait pas que ça dure trois heures.

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             Et pouf, elle repart à la conquête des charts avec un nouvel album des Pretenders, l’excellent Relentless. Boom dès «Losing My Sense Of Taste». Elle émerge d’un épais bouillon. Plus elle vieillit et plus elle rocke. Elle démarre l’album en mode rentre-dedans, avec cette façon géniale qu’elle a conduire la mélodie chant à travers le funnel of love. Il pleut du feu dans cette purée. Elle retrouve ses accents de prune offerte, mais avec une sensualité unique. Il faut attendre un peu pour voir arriver les coups de génie. Le premier s’appelle «Merry Widow». C’est un peu comme si elle écrasait son champignon - I’m a divorcee/ I’m a merry widow - elle éclate dans le rayonnement latéral d’accords de Blade Runner. Elle reste merveilleusement présente dans l’éclat de ses chansons. Elle retrouve sa voix de chef de meute pour «Let The Sun Come In», sa voix ne change pas, toujours aussi pure et juste - We don’t have to get fat/ To get old - Son grain de voix te transperce le cœur. Et puis voilà la pop magique de «Just Let It Go». Elle a du génie, il faut bien l’admettre. «Just Let it Go» est l’illustration parfaite du power suprême de Chrissie Hynde. Elle revient au wild rockalama avec «Vainglorious» et elle termine avec «I Think About You Daily», elle sait rester merveilleusement intime sans l’être. Cette femme est un épais mystère, et elle nous plonge une fois de plus dans sa magie. 

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             L’idéal pour conclure serait de visionner Alone With Chrissie Hynde, un portrait documentaire balladif signé Nicola Roberts. Pas de témoignages, Chrissie préfère gérer ça à sa manière, ce qu’elle appelle glander. Alors elle nous emmène faire un tour à Paris où visiblement elle possède un appart. Elle y achète des T-shirts Elvis et des fringues. Elle profite de la balade pour faire l’apologie de la solitude - Be yourself all the time - et de la classe. Elle cite comme exemples David Johansen, Johnny Thunders, Charlie Sexton, Bob Dylan et Amy Whinehouse. Pas facile pour un film d’entrer dans la vie d’une femme aussi classe. Puis elle nous emmène à West London où elle possède un autre appart - I’m a bit of a loner - Elle peint et indique que la solitude is a luxury. On la voit jouer dans un club avec les nouveaux Pretenders et répondre à une interview. Elle est très directe. Alpaguée sur le féminisme et les vegans, elle répond qu’elle don’t give a fuck et ajoute avec toute la morgue dont elle est capable un fuck off retentissant. Nicola Roberts fait là le portrait d’une femme indépendante et complètement libre. Elle adore les parcs à Londres et les forêts d’Akron, elle adore partir en tournée et dormir dans des bus. Elle préfère les chambres d’hôtels à sa chambre à Paris ou à Londres. Alors évidemment, on n’échappe pas au plan avec Dan Auerbach, histoire de rappeler qu’il a produit l’album du même nom, Alone. Ce mec ne rate pas une seule occasion de faire sa petite promo à la mormoille. Il fait écouter Lazy Lester et Slim Harpo à Chrissie, comme si elle ne les connaissait pas ! Quel prétentieux ! Elle revient à son thème de prédilection, la solitude, et explique qu’il faut faire de son mieux avec ce qu’on a. Elle fait un tour au Boogaloo, a North London pub, pour chanter un cut avec Mother’s Little Helper, un trio rockab. La seule allusion au passé est Sid & Nancy qu’elle va voir au cinéma. Elle dit qu’il lui aura fallu 35 ans de recul pour voir ça. Elle rend aussi hommage à Tim Buckley qu’elle écoutait quand elle avait 17 ans. La balade à Akron est le moment fort du film. Elle emmène la caméra dans le centre commercial où elle travaillait quand elle était ado, puis dans la rue où elle a grandi, puis dans la forêt locale et enfin dans un cimetière. Par contre, rien sur Robert, rien sur Ray, rien sur Sex, rien sur ses enfants. Les fans sont gâtés car le DVD propose en bonus un concert des Pretenders filmé en 1981 au Rockpalast, et bien sûr, Chrissie monte au firmament des rock chicks, comme elle dit.

    Signé : Cazengler, Chrissy Dinde

    Pretenders. Pretenders. Real Records 1979

    Pretenders. Pretenders II. Real Records 1981

    Pretenders. Learning To Crawl. Real Records 1984

    Pretenders. Get Close. WEA Records 1986

    Pretenders. Packed. WEA Records 1990

    Pretenders. Last Of The Independents. WEA Records 1994

    Pretenders. The Isle Of View. WEA Records 1995

    Pretenders. Viva El Amor. Warner Bros. Records 1999

    Pretenders. Loose Screw. Artemis Records 2002

    Pretenders. Break Up The Concrete. Rhino Records 2008

    Pretenders. The Singles Collection. WEA Records 1987

    JP, Chrissie & the Fairground Boys. Fidelity. Rocket Science 2010

    Chrissie Hynde. Stockholm. Caroline Records 2014

    Pretenders. Alone. BMG 2016

    Chrissie Hynde With The Valve Bone Woe Ensemble. Valve Bone Woe. BMG 2019

    Pretenders. Hate For Sale. BMG 2020

    Chrissie Hynde Sings Bob Dylan. Standing In The Dorway. BMG 2021

    Pretenders. Relentless. Parlophone 2023

    Nicola Roberts. Alone With Chrissie Hynde. DVD 2018

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    Mojo #247 - June 2014. The Great Pretender by Jill Furmanonsky

    Chrissie Hynde. Reckless. Ebury Press 2015

     

     

    Larkin Poe taux roses

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             C’est le genre de concert qu’on dit incertain. Une façon de dire qu’on y va à reculons. Mais comme on n’est jamais à l’abri d’une bonne surprise, on passe le reculons en marche arrière, donc on avance, mais à reculons. Dans la vie, il faut avancer, sinon on recule. Essaye le reculons en marche arrière, tu verras c’est marrant.

             Trêve de balivernes. Pourquoi tant d’aprioris ? Tout bêtement parce que Larkin Poe est catalogué American roots rock. Originaires d’Atlanta, les deux sœurs Lovell sont maintenant installées à Nashville, ce qui veut bien dire ce que ça veut dire : nous voilà au cœur du rock US plan-plan, celui qu’on qualifiait autrefois de Southern rock, un rock typiquement américain et dont les figures de proue furent Lynyrd Skynyrd, Marshall Tucker Band, Molly Hatchet et Black Oak Arkansas. Ennui garanti à 100%. On fuyait tous ces albums comme la peste, de la même façon qu’on fuyait ceux des mauvais groupes de hard-rock anglais. On ne va pas re-citer de noms, inutile de gâcher de la place.

             Revenons à nos moutonnes, les sœurs Lovell. Le risque d’ennui est certain, mais assumé. On y va en plus avec les oreilles vierges. Pas d’écoute préalable. Ce sera à prendre ou à laisser. Take it or leave it. Bien évidemment, le groupe qui assure la première partie est dans la veine American roots rock. Il s’appelle Sheepdog. Ce sont des Canadiens déguisés en Allman Brothers Band. Jolie collection de clichés. Voici quelques années, ils jouaient en première partie des Rival Sons. On a quitté la salle au bout de deux cuts. Solide sur scène mais sans surprise. Tout repose sur la férocité du soliste. Mais qui va aller écouter ça aujourd’hui ? Ils doivent très bien savoir qu’ils sont hors du temps et que leur rock seventies vieillit mal, même si le soliste est bon. Sur le moment, on éprouve un certain malaise. On se demande vraiment ce qu’on fout là. Où est passé l’avenir du rock ? Malaise d’autant plus aigu qu’on relisait ces derniers jours les chroniques de Mick Farren parues dans le NME et dans d’autres canards, et certaines d’entre-elles ne vieillissent pas très bien non plus, à cause du traitement de l’actualité politique d’une autre époque. Farren est très politique et l’actu politique d’une autre époque est ce qui vieillit le plus mal. S’immerger dans le passé peut parfois s’avérer périlleux. Même sentiment de désuétude à la revoyure, voici quelques jours, du film que Les Blank a tourné sur Leon Russell : A Poem Is A Naked Person. Trop complaisant. Tout le monde ne s’appelle pas Abel Ferrara. Sheepdog + Farren + Tonton Leon, tout cela ne s’entrelace pas très bien. Ce malaise révèle en fait un besoin toujours plus pressant d’avenir.

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             Et soudain, elles déboulent sur scène, entièrement vêtues de blanc. Virginales et plutôt sexy. Rebecca Lovell chante et gratte une Strato blanche, sa grande sœur Megan gratte une lapsteel. Elles sont tout bonnement adorables. Elles jouent en face à face et dégagent une énergie fabuleuse. Un gros beurreman black et un bassman blanc vêtu d’une combinaison blanche les accompagnent. Tous les aprioris volent en éclats : elles s’imposent avec un rock solide et une réelle fraîcheur de ton.

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    On craque pour le sourire de Rebecca, mais aussi pour son corps parfait. Elle ramène tout le chien de sa petite chienne, ouaf ouaf, elle a des mouvements du buste qui ne trompent pas sur ses intentions, elle a une vraie dégaine de real rock’n’roll animal. Elles échappent au piège du roots rock pour faire du Larkin, et ça marche. Rebecca forever ! Sa frangine passe des solo de slide assez diaboliques et elle a une façon de hocher la tête qui montre qu’elle rocke pour de vrai. Tu sens tes naseaux frémir. C’est quasiment une révélation. Elles concentrent tout le power et suscitent une réelle émotion. Elles sont parfaitement au point.

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    Rebecca établit un vrai contact avec le public, elle a du métier. On sent qu’elle adore la scène. Elle jubile. Elle indique à un moment que Megan et elle font le groupe depuis 18 ans. Le premier cut du set et le dernier sont de véritables killer cuts. Après enquête, on saura qu’il s’agit de «Strike Gold» et «Bolt Cutters & Family Name», tirés de leur dernier album Blood Harmony. On reconnaît aussi au passage une cover du «Jessica» d’Allman Brothers Band, et une version acoustique du «Crocodile Rock» d’Elton John. On voit le corbeau d’Edgar Poe sur la grosse caisse, mais après enquête, il apparaît que Larkin Poe est le nom de leur ancêtre. Rien à voir avec Edgar Poe. Dommage.

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    Elles rendent hommage à leur façon à deux géants disparus : Ray Charles avec «Georgia Off My Mind» et Screamin’ Jay Hawkins avec «Bad Spell». Dommage qu’elles n’aient pas tapé des covers de ces deux vieux cadors. Le blues qu’elles tapent en cœur de set est une cover du «Preachin’ Blues» de Son House, qu’on va d’ailleurs retrouver avec d’autres jolies choses sur Peach. On ne se lasse plus du ravissant sourire complice de Rebecca Lovell et de son feeling.  

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             Alors on va faire une razzia au merch. On en ramasse trois : Venom & Faith, Self-Made Man et Blood Harmony.

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    On retrouve effectivement les deux killer cuts pré-cités, «Strike Gold» et «Bolt Cutters & Family Name». Ils tournent comme sur des roulettes. Bim bam boom ! «Strike Gold» stompe le boogie rock. Idéal pour lancer un set. Ça ne fait pas un pli, c’est extravagant d’énergie et même un brin glammy par le stomp et les ouh ouh ouh. Elles raflent la mise avec les deux doigts dans le nez. Même topo avec «Bolt Cutters & Family Name», un cut amené sous le boisseau et conçu pour exploser. Et ça explose encore sur la base d’un stomping stomp. Leur péché mignon, c’est le stomp, avec comme cerise sur le gâtö la voix de Reb. Hard to beat ! C’est un album incroyablement abouti. On y retrouve encore le «Bad Spell» d’hommage à Screamin’ Jay, Reb l’attaque à l’heavy disto, on se croirait chez le Vanilla Fudge. Elle charge bien sa barcasse, mais d’un certain côté, ça reste sans surprise, même avec son ravissant sourire. S’ensuit le coucou à Ray du cul, «Georgia Off My Mind», très boogie rock, Reb chante ça à la revoyure. Sur l’album, le «Southern Comfort» passe mieux que sur scène. Les frangines ramènent leur grosse patate dans «Summertime Sunset». Reb sait claquer un beignet derrière les oreilles, avec des effets de chat perché demented. Elle est absolument parfaite, personne ne peut lui résister, surtout quand elle sourit. Et Meg viole toutes les conventions à coups de slide, elles sont bien meilleures que tous ces groupes de gros poilus qui ont encombré les hit-parades depuis cinquante ans. Elles sonnent comme l’artefact de l’apanage, elles jouent à la coulée d’or, l’Athanor dégueule, Reb & Meg rockent l’Amérique. Tu ne t’ennuies pas sur cet album. Reb pourrait bien être une petite superstar. 

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             Quand on remonte dans le temps, la qualité s’en ressent. Malgré sa jolie pochette, Venom & Faith n’est pas un album indispensable. Elles proposent un rock classique et sans surprise, même si Reb est déjà une battante. Elles restent bien dans la ligne du parti. On peut dire ce qu’on veut, mais ça reste incroyablement bien foutu. «Mississippi» sonne comme une image d’Épinal. On voit Reb remonter le courant du fleuve au yeah yeah dans «California King» et le cut sauveur d’album s’appelle «Blue Ridge Mountain» qu’elles reprennent d’ailleurs sur scène. Joli stomp, c’est à ça qu’on le reconnaît. Reb est bonne. «Ain’t Gonna Cry» est plus heavy, elle ne va pas pleurer, oh la la ce n’est pas le genre et voilà que la malheureuse s’aventure sur un terrain miné avec «Hard Time Killer Floor Blues», le terrain de Wolf. Elle n’aurait jamais dû s’attaquer à ça. La voix de Reb dans l’abattoir ne passe pas. Aucune crédibilité. Avec Hard Time, on parle de choses sérieuses. Ce n’est pas une amusette. Évidemment Meg se fend d’un solo de lapsteel les pieds dans une mare de sang. C’est insupportable. Elles bouclent avec «Good & Gone», un blues blanc bien stompé. Reb chante comme une crack, alors effectivement, tu peux tenter le coup sur 5 albums.

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             Avec Self-Made Man, Reb & Meb s’en sortent les deux doigts dans le nez. Très bel album solidement parfumé de blues-rock, généreux, bien produit. S’y niche un sacré coup de génie, le bien nommé «Tears Of Gold To Blue». C’est un fabuleux hommage à Elvis - Tupelo rest my Soul - Hit bien senti - Tupelo rock & roll/ Sing in the kitchen - Meg l’illumine au lapsteel de back in the days gone by. Quelle surprise ! Elles vont encore faire un tour au bord du fleuve avec «Back Down South». Meg t’infecte ça vite fait de slide dévorante. Elles sont vraiment très bien. Même si ça reste du sans surprise, on ne s’ennuie pas une seule seconde. Leur «Keep Diggin’» est assez fin, gorgé de blues rock - Oh the rumor - Elles font l’album du fleuve. Encore du blues de référence avec «God Moves On The Water», puissant, gorgé de slide et de beat tribal. Pas facile de créer l’événement dans un genre aussi roboratif. Petit crochet par la morale avec «Ex-Con», cette histoire de taulaurd rentré dans le rang. Il a fait son temps, but now the time has come for me to get back in my mama’s good grace.

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             Peach est encore un bel album de blues-rock et même d’heavy blues du fleuve, ah elles adorent le fleuve, les Nashvillaises d’adoption. Elles tapent dans les vieux coucous comme «Come On In My Kitchen», «Black Betty» et tout le saint-frusquin du bam balam, elles y vont de bon cœur, elles tapent même dans le «Preachin’ Blues» de Son House - I wanna get me some religion - Elles s’amusent bien avec le vieux Son. Reb tape «Freedom» à la saturation du beat, combine connue et pratiquée par tous les défenseurs de la cause du peuple. Reb est excellente dans son rôle de mère courage. Elles ont tout le son du fleuve électrique. C’est devenu leur pré carré. Le hit de l’album s’appelle «Cast ‘Em Out», heavy boogie rock qui renvoie à Nashville Pussy. Avec «John The Revelator», elles font un peu main basse sur le mystère qui appartient  aux noirs. Cet album finit par ressembler à un hold-up. Elles développent une puissance énorme avec «Wanted Woman-AC/DC». Ça chevrote dans les tubulures. Ça vibre de partout dans la carlingue. Elles te rockent le boat vite fait. On se croirait une fois encore chez Nashville Pussy. Même genre de dévolu jeté par-dessus la jambe. Elles terminent ce petit tour au bord du fleuve avec «Tom Devil». Elles se prennent vraiment pour des négresses, elles tapent dans le chain gang beat, ce qui peut laisser perplexe. Les frangines font main basse sur un imaginaire trempé de sueur, de sang et d’horreur. Mais comment les blancs osent-ils se comporter ainsi, en faisant du blé sur le dos de l’art nègre ?

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             Kindred Spirits est le genre d’album quitte ou double : si tu l’écoutes avant d’aller au concert, tu ne vas pas au concert. Donc écoute-le après. Le truc qui cloche sur cet album de reprises, c’est précisément le choix des reprises. Il ne faut jamais oublier que l’Américain moyen écoute pas mal de daube. Dans le choix des sœurs Lovell, on tombe sur les noms de Phil Collins, d’Elton John et de Derek & The Dominoes. Normalement, tu t’enfuis en courant. Elles reprennent d’ailleurs de «Crocodile Rock» d’Elton John sur scène. En soi, ce n’est pas un si mauvais cut, c’est la personne d’Elton John qui pose un problème. On se souvient tous de ses atroces interviews de cocaïnomane dans le NME. Kindred Spirits, c’est un peu comme si les sœurs Lovell avaient raté leur exam. Elles massacrent le «Rockin’ In The Free World» du vieux Young et le «Devil In Disguise» d’Elvis. Versions ralenties. C’est un désastre. Elles font une cover nashvillaise de «Nights In White Satin». Pas terrible. Le seul cut qu’on sauve et une belle version de «Who Do You Love» grattée à coups d’acou. Mais c’est uniquement parce qu’on les aime bien.

    Signé : Cazengler, Larkin Pot de chambre

    Larkin Poe. Le 106. Rouen (76). 14 octobre 2023

    Larkin Poe. Peach. Tricki-Woo Records 2017

    Larkin Poe. Venom & Faith. Tricki-Woo Records 2018

    Larkin Poe. Self-Made Man. Tricki-Woo Records 2020

    Larkin Poe. Kindred Spirits. Tricki-Woo Records 2020

    Larkin Poe. Blood Harmony. Tricki-Woo Records 2022

     

     

    L’avenir du rock

    - Rumer veille (au grain)

             Son panier au bras, l’avenir du rock s’en va faire ses courses. Il descend la rue Saint-Martial et arrivé sur la place Notre Dame, il enfile les arcades pour entrer chez son charcutier préféré, Pradine, grand tripouteur de saucisses sèches archi-sèches. Prince de la faconde, Pradine sait recevoir ses clients :

             — Comment allez-vous bien, avenil du lock, pal ce beau joul de plintemps ?

             — Bien et même fort bien, monsieur Pradine. Une faim de loup, voyez-vous, m’amène chez vous. Woouuuh-ooouuuuuuuuuh ! Qu’avez-vous à me proposer aujourd’hui ?

             — Un bougalou taillé dans la bavette d’un blun-café d’Aublac et fumé à la poutle dans l’œil, vous allez me maudile, avenil du lock, car vous ne poullez plus vous en passer, ha ha ha ha !

             Pradine sort de sa glacière en céramique un quartier de bœuf extrêmement odorant, et de ses petits doigts boudinés, il entreprend d’en tailler deux belles tranches, flic flac, avec ces virevoltes de gestes vifs transmis de génération en génération, depuis la nuit des temps. Il s’essuie les mains sur son vieux tablier gris-bleu, s’empare du crayon coincé sur l’oreille et écrit le prix sur le papier gras où ont atterri les deux belles tranches palpitantes.

             — Vous felez passer ce bougalou avec un Malcillac, je vous lecommande ce clu, un Moulia des familles, vous m’en dilez des nouvelles, avenil du lock, ha ha ha ha !

             — Mettez-moi aussi des fritons, monsieur Pradine, j’en ai les narines qui en frétillent d’avance...

             — Ah vous me faites plaisil, avenil du lock, vous êtes un fin goulmet. La lecette que j’utilise poul pétlile mes flitons vient de mon gland-pèle Célestin, ses flitons étaient lenommés dans toute le Louergue voyez-vous, l’alchevêque envoyait sa selvante chaque lundi quélil une boullasse lemplie de flitons bien flais, ha ha ha ha !

             — Et quel est donc ce plat de boules qui me fait de l’œil ?

             — Ah, vous n’avez pas les yeux au fond de votle poche, avenil du lock, ha ha ha ha ! C’est la pansette de Gelzat voyez-vous, glillée ou en papillottes de Padilac, elle fela votle délice, c’est un plat de plince à Cassaniouze, voyez-vous...

             — Cassaniouze ? Voulez-vous parler de la mine de Cassaniouze ?

             — Paldi, oui, la mine de Cassaniouze, ha ha ha ha !

      

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             Monsieur Pradine ne sait probablement pas que Tardi et Christin plantèrent le décor de Rumeurs sur le Rouergue à Cassaniouze, et pour rester dans l’univers de la bonne gamelle et de la fête au palais, passons de la Rumeur à la Rumer. Monsieur Pradine te dirait que Rumer, c’est «la délectation galantie». Cette jeune femme d’origine pakistanaise s’appelle en réalité Sarah Joyce. Miraculeusement, elle reprend le flambeau d’une tradition, celle de la grande pop au féminin, jadis illustrée par Jackie DeShannon, Dusty chérie, Dionne la lionne et Karen Carpenter.

             Dans un vieux Mojo, Andy Fyfe s’interrogeait sur ce qui faisait la grandeur de Rumer. «L’évidence numéro 1», nous dit-il, est la voix, une voix qu’il rapproche de celle de Karen Carpenter, and the limitless love for all things ‘70s, oui, une passion pour le son des seventies. Fyfe ajoute que Rumer has both the voice and her emotional baggage, mais elle n’est pas une victime, comme Karen Carpenter, qui devint anorexique et qui en mourut. Toujours dans Mojo, Lois Wilson rappelle qu’un jour de 2010, Rumer reçut un étrange coup de fil : Burt Bacharach, alors âgé de 82 ans, désirait la rencontrer car il avait craqué sur une chanson intitulée «Slow». Burt voulait savoir si Rumer était d’accord pour venir chanter chez lui. Alors, nous dit Lois, Rumer éclata en pleurs, car recevoir un appel de Burt, c’est un don de Dieu. Et un mois plus tard, elle débarque chez Burt à Malibu.

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             Burt ne s’était pas trompé. On trouve chez Rumer tout ce qui fit la grandeur de Carole King, d’Aretha et de Dionne la lionne - The perfect balance between effusion and restraint, ruminating on love, loss, death and rebirth - The seasons of the soul - C’est-à-dire le titre du premier album auquel Mojo attribue le rarissime 5 étoiles. Seasons Of My Soul est en effet un album miraculeux. Rumer t’embarque dès l’«Am I Forgiven» d’ouverture de bal, une pop très Jimmy Webb, très Bacharach, can we begin again, on s’amourache aussi sec. Le «Blackbird» qu’on entend vers la fin n’est pas celui de Lennon, non, elle compose tout, elle travaille sa pop au hideaway - Now there’s a blackbird singing - Comme le montre «On My Way Home», elle est capable de merveilles, elle attaque au full of sorrow - Now I hear you say/ It’s time to walk away - Elle termine avec une compo du grand David Gates, «Goodbye Girl», elle atteint au genius à coups de let me tell you goodbye. Le «Slow» qui a tapé dans l’œil de Burt est un fantastique balladif de dérive adriatique. Elle charge toutes ses ambiances et celle de «Take Me As I Am» en particulier - Don’t tell me it’s alrigh/ It’ll never be alright - Elle chante à l’intimisme déferlant et produit une beauté surnaturelle. Puis elle atteint au mythe avec «Aretha» - I got Aretha in the morning - Elle rend hommage - I got the blues/ In springtime/ Baby you got the words - Elle se fond dans Aretha. Plus loin, elle tape son «Saving Grace» au groove pépère, comme Croz, elle l’ultra-chante. Pour l’avenir du rock, c’est du gâtö, mais pas n’importe quel gâtö : de la fouasse.

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             Deux ans plus tard paraît Boys Don’t Cry. C’est un album de reprises triées sur le volet. Elle démarre sur le mythique «PF Sloan» de Jimmy Webb. Elle l’enchante littéralement. Elle enchaîne avec l’«It Could Be The First Day» de Croz. Attention, magie ! Elle est heavy on the (magic) beat. Elle passe à Todd Rundgren avec «Be Nice To Me» et reste dans la magie pure. Elle renvoie Laura Nyro dans les bras de Todd via sa passion, ça bascule dans la bénédiction extravagante, elle se fond dans le jazz groove de pop évasive. Ce choix de reprises n’en finit plus de l’honorer. Elle rentre dans chacune d’elles à la passion consommée, comme le montre encore ce «Travelin’ Boy» de Paul Williams. Tranquille et magnifique à la fois, et elle enchaîne avec le «Soulsville» d’Isaac, elle le tape au groove de feeling pur, elle chante tout à la dentelle de Calais. Elle tape un peu plus loin dans le «Sara Smile» d’Hall & Oates, mais elle le prend au heavy soft. Elle atteint avec cet album des hauteurs inexplorées, surtout quand elle tape dans des auteurs pas très évidents comme Townes Van Zandt («Flyin’ Shoes»), elle en fait son affaire. Même chose avec l’«Home Thoughts From Abroad» de Clifford T. Ward, un auteur britannique que tout le monde a oublié, elle en fait une œuvre d’art - I miss you/ I really do - et ça monte encore d’un cran avec le mythical «Just For A Moment» de Ron Wood & Ronnie Lane. En plus, elle ramène toutes les pochettes d’albums dans le booklet. Rumer + Plonk Lane = magie pure. L’équation fatale. Elle l’éclate dans le canyon, elle tombe dans les bras d’un immense compositeur, on la sent amoureuse de Plonk car elle chante de tout son être, avec des surélévations extraordinaires. Ça continue d’évoluer avec le «Brave Awakening» de Terry Reid. Elle retombe dans les bras d’un autre géant. Elle s’y fond et on découvre l’incroyable vulnérabilité de Rumer. Elle se plonge dans le destin des géants de la pop anglaise, il faut la voir allumer l’art supérieur de Terry Reid, elle chante de toutes ses forces et elle finit par décoller, par flotter dans la stratosphère, elle est stupéfiante.   

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             On retrouve la merveilleuse rumeur de Rumer dans Into Color, un album paru en 2014. Après un départ en mode diskoïdal, elle revient à la chanson avec un «Reach Out» digne de Burt, qu’elle chante d’une voix chaleureuse - Why don’t you reach out and touch me in the dark - et elle passe au balladif de latence orchestrale avec «You Just Don’t Know People». C’est elle qui compose mais on la sent influencée par Burt - Take a little walk in the sunshine - Elle n’en finit plus de rayonner - Most people are kind - Elle se paye même des arrangements de trompettes, comme souvent chez Burt. Elle attaque «Baby Come Back To Bed» comme un hit de Marvin, c’est l’apanage du romantisme, elle tente de le ramener - Baby come back to bed/ Don’t tell me there’s somewhere else/ In the world you would rather be/ But here with me - Elle rebondit sur le somewhere else in the world. C’est tellement puissant qu’on y revient. Rumer donne là une grande leçon de tendresse, elle a hérité de toute la magie de Burt. Elle n’en finit plus de grandir, cut après cut. «Play Your Guitar» est l’un de ses plus beaux grooves - Don’t give up/ We need your love - C’est encore de la magie pure - They’re trying to break us down/ We need your love - Elle est héroïque - Can’t you see this is war - Cet album est une caverne d’Ali-Baba, elle tartine son «Sam» au will you hold my hand tonight. Pour «Pizza And Pinball», elle passe en mode good time music, comme Jackie DeShannon, elle y va au go clickety-clack, elle rocke les mots dans le fleuve de sa pop enchantée - It’s a beautiful day/ Let’s go outside and play - Et avec «I Am Blessed», elle monte son chant au sommet du feel de cristal, elle est éberluée par ce qu’elle découvre - Love can be found in this world - Alors elle en fait sa renommée.     

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             Deux ans plus tard paraît (enfin) un hommage à Burt : This Girl’s In Love (A Bacharach & David Songbook). Quand on connaît les albums de Dionne la lionne et les reprises de ces géantes que sont Jackie DeShannon et Dusty chérie, on se dit que la messe est dite depuis un bon bail, mais on se trompe. Car Rumer ré-interprète tous ces hits parfaits pour en faire du mythe pur. Si on cherche le pur mythe pop, c’est là, à commencer par sa version de «The Look Of Love». C’est marrant car la blancheur de Rumer tranche avec le black groove de la lionne, mais la torpeur latente engage les mêmes légions de frissons dans le combat des Thermopyles épidermiques : belle présence, grâce infinie, accents poignants et descentes aux graves, tout est là. Deux autres reprises mythiques, «Walk On By» et «This Girl’s In Love With You», sont rassemblées vers la fin. Avec «Walk On By», Rumer tape dans l’intapable, alors elle y va doucement, au walk on by, les petits coups de trompettes sont là, elle y va au when you say goodbye et ça marche. Elle reste dans le cercle magique avec «This Girl’s In Love With You» et Burt chante l’intro. Oui, le vieux Burt ! Il chante au feeling de vieux prince - I need your love/ I want your love - Avec «One Less Bell To Answer», elle se fond si bien dans la dignité de Burt qu’elle en devient irréelle, elle passe sans ambages à la clameur supérieure quand ça lui chante. Elle travaille son Burt au corps, c’est le principe même du Burt, c’est une pop pleine de dynamiques, ça bouge constamment. Et elle rebascule dans la magie avec «(They Long To Be) Close To You». Elle y va toute seule avec un pianiste - Why do stars fall from the sky - C’est tellement puissant. Elle nous fait le coup de la reprise de génie pur, elle la travaille à la féminine attentive, elle chante à la sensibilité extrême - Cause like me/ They long to be close to you - Elle prend aussi «You’ll Never Get To Heaven (If You Break My Heart)» à la materneuse, elle vise le soft, mais le soft puissant, pas le petit soft à la mormoille. Puis on la voit se frayer un chemin vers le sommet de la mélodie dans «Land Of Make Believe». Elle joue avec le ballon de Burt au soleil du paradis, elle le travaille à la pointe de la glotte comme l’otarie joue avec son ballon, superbe Rumer lumineuse, elle est ivre de Rumer power et elle s’écroule à la renverse. Elle adore tellement Burt qu’elle en perd l’équilibre. Elle s’enivre encore des évidences bachariennes : «What The World Needs Now Is Love» et «A House Is Not A Home». On sort de cet album complètement sonné.

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             C’est dur à dire, mais Nashville Tears - The Songs Of Hugh Prestwood déçoit considérablement. Elle garde pourtant le sens des attaques à la Fred Neil. En fait, on arrive la bouche en cœur, pensant que Rumer va nous gaver de miracles comme elle l’a fait avec ses premiers albums, mais ce n’est pas le cas. On sauve «Ghost In This House» pour sa beauté formelle à la Mickey Newbury. Elle épouse la mélodie de Prestwood, mais le problème c’est que Prestwood n’est pas un grand compositeur. Ses balladifs country suscitent un léger ennui. On préfère la Rumer de Burt. Du coup la pauvre Rumer se trouve écartelée entre son génie vocal et la pauvreté de cette country passe-partout. Elle essaye pourtant de la chauffer («Starcrossed Hanger Of The Moon» et «The Song Remembers When»), où elle semble allumer l’intimité.

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             On retrouve tous ses gros hits sur Live From Lafayette paru en 2021, à commencer par l’infernal «Aretha» - I got Aretha/ In the morning aw yeah/ I got the blues/ In springtime - Quel hommage, il est encore plus vibrant en live qu’en studio - Oh Aretha/ I just don’t wanna go to school - Elle chante avec tout le power d’I got the blues in springtime. Encore une merveille avec «Play Your Guitar» - Don’t give up/ We need your love - Elle l’attaque au groove de music people in the city, elle est complètement black dans sa blancheur, cette façon qu’elle a de groover son just play your guitar. Merveille absolue ! On retrouve aussi l’excellent «Pizza & Pinball» - It’s a beautiful day/ let’s go outside  - Avec ce clickety clac clac qu’on trouve aussi chez Jackie DeShannon («Brighton Hill»). Elle swingue le jazz. Elle fait aussi une cover spectaculaire du «Sara Smile» d’Hall & Oates qu’elle reprenait déjà sur Boys Don’t Cry. Autre cover de choc : «Love Is The Answer» de Todd Rungren qu’elle chante à la voix de rêve, à l’assaut charnel de shine on babe. Les chœurs d’hommes fendent la bise. Pure Rumerveille. Son grand hit est probablement «You Just Don’t Know People» tiré lui aussi d’Into Colour, elle l’attaque bille en tête au take a little walk in the sunshine, c’est du heavy genius comme on l’a déjà dit. Toutes ses chansons sont puissantes, elle navigue au long cours mélodique, avec la voix qui va. «Take Me As I Am» est tiré de son premier album et elle irradie - Don’t tell me it’s alright - Elle ne veut pas d’embrouilles, elle exige la franchise, elle chante au sommet du feel, comme elle chante à la ramasse du génie vocal («Learning How To Love»). Son chant devient de l’art pur.

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             Oh ! Vient de paraître un B Sides & Rarities Vol. 2 ! On y va ? On y va ! La surprise vient d’un cover des Bee Gees, «How Deep Is Your Love», un cut languide qu’on a tellement détesté à l’époque. Mais Rumer en fait un lagon dans lequel on entre avec elle. Alarmante de beauté, elle ramène toute sa Soul pour en faire un coup de génie, elle retravaille la mélodie à sa façon, au care for you/ And you want to show me how deep is your love. C’est l’une des love songs ultimes. Elle tape aussi dans Van Morrison et Carly Simon. Plus loin, elle s’en va se fondre dans le groove de Burt avec «Wives & Lovers». Elle jazze sa voix et redevient la reine du round midnite. Le groove d’orgue chancelle fabuleusement et elle arrondit les angles à petits coups de glotte douce. Elle tape un autre hit de Burt, «Anyone Who Had A Heart» et lui redonne tout son sens. C’est d’une pureté mélodique extrême, comme l’est plus loin «The Windows Of The World», un autre hit de Burt, let the sunshine through. Encore un coup de génie avec «Old Fashioned Girl», où elle raconte que la fête est finie et qu’elle va prendre son mec dans ses bras, comme une old fashioned girl - I’ll take care of you baby - Tous les mecs rêvent d’entendre ça. Elle en fait un groove magique. Merci Rumer pour cette rumeur. 

    Signé : Cazengler, Rumerde

    Rumer. Seasons Of My Soul. Atlantic 2010   

    Rumer. Boys Don’t Cry. Atlantic 2012   

    Rumer. Into Color. Atlantic 2014       

    Rumer. This Girl’s In Love (A Bacharach & David Songbook). EastWest 2016 

    Rumer. Nashville Tears - The Songs Of Hugh Prestwood. Cooking Vinyl 2020

    Rumer. Live From Lafayette. Cooking Vinyl 2021

    Rumer. B Sides & Rarities Vol. 2. Cooking Vinyl 2022

     

     

    Inside the goldmine

    - Shadows of Marie Knight

             Ce petit bout de femme n’en finissait plus d’éberluer. Elle parlait d’une voix extrêmement perchée qui avait pour effet d’hypnotiser son auditoire. Personne n’osait l’interrompre, car elle déroulait d’interminables monologues tous plus passionnants les uns que les autres. Elle puisait dans un vécu richissime, tiré du privilège d’avoir vécu dans le Quartier Latin de l’entre-deux guerres. Elle avait alors épousé un artiste peintre qui faisait deux fois sa taille, et dans leur salon de la rue du Sommerard se côtoyaient des éminences aussi peu cardinales que Picasso et Fernand Léger. Lady Merry recréait les ambiances de ces dîners fabuleux, elle donnait des milliers de petits détails qui reconstituaient les tablées, elle y mettait un tel enthousiasme qu’on se sentait transporté dans le passé. Lady Merry était une sorte de joyau relationnel. On se disputait sa présence. On se l’arrachait. Chacun la voulait pour soi. La petitesse de sa taille contrastait violemment avec la force de sa présence. Elle avait une bobine bien ronde construite autour d’un nez en trompette et une masse de cheveux raides et argentés taillés à hauteur des oreilles lui casquait le crâne. Elle disposait d’un charisme épouvantable. Elle n’en faisait pourtant pas un jeu. C’était dans sa nature que de se montrer aussi pétillante de vie, aussi drôle dans ses commentaires, aussi littéraire dans la syntaxe de ses jugements, aussi sardonique dans ses moqueries, sa voix tintait à n’en plus finir comme tintent les verres de cristal dans les salons des grands hôtels de l’Avenue Foch. Chacun prétendait bien la connaître, mais elle brouillait merveilleusement les pistes. Toujours mariée ? Oh quelle idée ! Elle fut l’une des premières égéries du Quartier Latin à rejoindre ouvertement les rives de Lesbos. Elle fut aussi l’une des premières graphistes professionnelles de renom, courtisée par les plus grands éditeurs parisiens pour son talent, un talent qu’ils voyaient comme une plus-value à son extravagance. Lady Merry s’inspirait de ce qu’elle observait dans la rue et chez les gens pour nourrir son imaginaire, et proposait toujours des idées charmantes et pertinentes à la fois. Personne ne la vit jamais commettre la moindre faute de goût. Elle fit des adeptes. Elle enfanta sans même le savoir. On devenait graphiste non par vocation, mais par osmose avec le vif argent de Lady Merry.

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             D’une Merry l’autre, dirait Céline. Comme Lady Merry, Marie Knight préférait la compagnie des femmes à celle des hommes. Pour les ceusses que ne seraient pas au courant, cette inclination est souvent gage de délicatesse.

             Pourtant connue comme l’une des stars du gospel, compagne de Sister Rosetta Tharpe sur quelques albums, Marie Knight apparaît aussi sur des compiles Kent (par exemple Cry Cry Crying, un somptueuse compile parue en 1984) car elle est avant toute chose l’une des grandes Soul Sisters de son époque. 

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             Paru en 1957, Songs Of The Gospel est un pur album de wild gospel. Dès «The Storm Is Passing Over», on est prévenu : elle y va la Marie, avec derrière elle le wild guitar slinger des Millionaires. Il va d’ailleurs faire des miracles sur pas mal de cuts, «Put My Trust In Thee» est un gospel rock assez demented. La Marie ramène énormément de raunch dans tous ses cuts puis elle passe au gospel blues avec «I Can’t Keep From Crying». Elle tape dans tous les registres avec un égal bonheur. On la voit encore gueuler par-dessus les toits du Mississippi avec «Prayer Change Things» et elle revient en B avec l’excellent gospel pop de «Just Walk With Me». C’est bourré à craquer de Black Power. Elle tape enfin dans le gospel craze avec «O Lord Remember Me» et plonge l’église dans la transe avec un pur final de tous les diables. Oh the voice !, s’exclame-t-on à l’écoute de «My Home Over There». Elle semble régner sur la terre comme au ciel, le temps d’une chanson. Elle termine avec the wild energy de «You Better Run», preuve que le gospel a enfanté le jump, c’est exactement le même son et la même énergie, solo d’orgue et bassmatic endiablé.

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             Par contre, le Lift Every Voice And Sing paru en 1960 est plus classique. C’est un gospel bien propre qui ne fait pas de vagues. Trop soigné pour être honnête, taillé pour plaire aux blancs. Il n’empêche que Marie Knight dispose d’une voix énorme, elle dégage autant qu’une chanteuse d’opéra. Mais ça bascule dans le Spirituals, les blackos cherchent à plaire.    

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             Dans les liners de Today, Tony Heilbut rappelle que Marie Knight a démarré très tôt avec Madame Ernestine B. Washington, surnommée the songbird of the cast et pionnière du Gospel batch. Elle fait vite partie du fameux Church of God in Christ. Et c’est en 1946 que Sister Rosetta Tharpe lui propose de duetter. Elles vont tourner ensemble pendant neuf ans. Sur Today, elle est accompagnée par Floyd Waite (piano), Virgie Knight (organ) et trois autres mecs. Pour qui aime le real deal du Gospel batch, cet album est du gâtö, il faut la voir balancer «Pushing For Jesus» dans la gueule de Dieu, elles y vont les mémères, toute l’énergie est là, elle pulse, la Marie, I can’t stop ! Elle repart toute seule à l’assaut du ciel avec «My Eye Is On The Sparrow», elle est intense et brûlante, elle développe une fantastique intensité soutenue à l’orgue d’église - I sing because/ I’m happy/ I sing because/ I’m freeeee ! - Franchement tu te poses des questions quand tu écoutes «The Florida Storm». Car derrière cette fonceuse, ça joue le rumble des enfers. Pas surprenant puisque le guitariste n’est autre que Louisiana Red, épaulé d’un bassman et d’un beurreman, ils développent une fantastique énergie de Gospel jump. La Marie va chercher le sommet du Gospel batch, elle dispose pour ça de toutes les facilités. Elle dispose d’une voix d’une rare puissance, elle fait vibrer sa glotte ad vitam sur «Is My Home Over There» et elle développe the surnatural power. C’est une façon de dire qu’elle ramone autant qu’une Soul Sister de Stax, surtout dans «Move On Up A Little Higher». Elle attaque encore «He’s Got Enough Left Over» à la heavy Soul. Elle frise le génie en permanence, ça vaut tout l’Aretha, tout le Soul Sister System. Avec «Step By Step», elle bat Janis à la course. Elle tient le Gospel par la barbichette avec «I’m Going To Work Until The Day Is Done». Pour ça, elle prend sa voix ferme et définitive, I’m going to pray fort Jesus. Les blacks ont récupéré la religion des blancs pour en faire de l’art, c’est incroyable, car ça devient de l’art moderne. Elle s’éclate au Sénégal with Him, et pour aller chanter «Where He Leads Me», elle monte là-haut, tout là-haut.         

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             On trouve dans le commerce un autre album de Marie Knight (featuring Larry Campbell) : Let Us Get Together - A Tribute To Reverend Gary Davis. C’est un album de Gospel gratté à coups d’acou. Comme la Marie est une grande artiste, elle en profite pour faire du Gospel-folk de tous les diables. Quel son ! Ça voltige autour d’elle ! Encore plus puissant, voici «You Got To Move», le vieux standard repris jadis par les Stones, elle l’embarque au paradis, aw when he Lawd gets ready, tu ne trouveras pas mieux, même dans le rock, Larry Campbell joue l’acou manouche, c’est dire si cette équipe est balèze. Encore de la fantastique allure avec «I Am The Light Of This World», Marie swingue son âme et les filles pulsent derrière. C’est en place, avec du bon beurre. Marie va loin car elle rocke les dynamiques du Gospel batch. C’est précisément là où le rock prend sa source. La Marie est rompue à tous les arts de l’envol. Elle fait autorité sur Lawd qui écrase sa banane devant Marie pleine de grâce. Elle passe au Gospel de good time avec «When I Die», ils swinguent comme des démons, c’est visité par les licks énormes de Larry Campbell - When I die/ I’ll live again.

    Singé : Cazengler, Mari Knyctalope

    Marie Knight. Songs Of The Gospel. Mercurey 1957   

    Marie Knight. Lift Every Voice And Sing. Carlton 1960   

    Marie Knight. Today. Blue Labor 1976             

    Marie Knight featuring Larry Campbell. Let Us Get Together - A tribute To Reverend Gary Davis. DixieFrog 2007

     

     

    Shrine impériale

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             Tu peux difficilement espérer voir de tes yeux voir plus bel objet que Shrine Northern -The 60s Rarest Dance Label, une compile Kent/Ace tout juste sortie du four. Elle fait partie de ce qu’on appelle les disques parfaits : contenu, contenant et réputation irréprochables. Ce sont les Chansonnettes qu’on voit rayonner sur la pochette. Et dedans, tu as 14 titres qui devraient régaler tous les fans de Soul sixties. Un brin de littérature accompagne cette bonne compile : d’une part des liners d’Andrew Rix et d’Ady Croasdell, et d’autre part, un vibrant article d’Ady dans Record Collector.

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    ( Eddie Singleton + Raymona Liles)

             Shrine ne tombe pas du ciel. Raymona Liles, aka Miss Ray, est la première femme de Berry Gordy. Elle fait partie des pionnières de Motown dès 1960, mais quand Gordy et elle se séparent, Miss Ray quitte Detroit et s’installe à New York où elle se maque avec Eddie Singleton. Puis le couple s’installe à Washington DC et monte Shrine. Ils tirent des singles Shrine à 2 000 ex. Mais ils auront du mal à tenir la cadence, le label va vite les mettre sur la paille. Ils bossent un peu pour Florence Greenberg, chez Scepter, à New York, mais ça ne suffit pas à boucler les fins de mois. Épuisés, ils voient Shrine couler. Glou glou, terminé. Raymona et Singleton rentreront à Detroit et Singleton va même bosser pour Motown pendant quelques mois.    

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    ( Bettye Swann & Addy Croasdell )

             Dans Record Collector, cet enfoiré d’Ady s’amuse même à donner les prix, car évidemment, les singles Shrine sont recherchés par les collectionneurs de Northern Soul. Si tu veux te payer l’«I Won’t Be Coming Back» de J.D. Bryant, tu vas devoir sortir 8 000 £. Ça les vaut, mon gars, car non seulement J.D. Bryant a le look d’une superstar, mais il sonne comme une superstar, avec son «I Won’t Be Coming Back». Singleton compose «I Won’t Be Coming Back» pour Ben E. King, mais comme il vaut une démo parfaite, il demande à Bryant de la chanter. Singleton trouve la démo tellement bonne qu’il décide de la garder pour Shrine. L’Ady qualifie ce single d’«all-nigher anthem». Il a raison, le bougre. Mais bon, il vaut mieux rapatrier l’album. On fait de sacrées économies.

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             L’Ady raconte aussi qu’au moment où Shrine coule, Eddie Singleton ferme son bureau et abandonne son stock. Il ne sait pas qu’en Angleterre, les DJs raffolent de ses singles, notamment Keb Darge. Les Anglais, sont complètement dingues : ils cherchent les hidden gems et les singles Shrine en font partie. Keb Darge ramasse tous ceux qui sont parus et boom, ça explose sur son dance-floor. Quand il apprend ça, Eddie Singleton réussit à récupérer ses masters, parmi lesquels se trouvent des cuts inédits comme ceux des Prophets, de Bobby Lee ou encore de Little Bobby Parker. L’Ady recommande chaudement l’emplette de la compile car elle permet «aux collectionneurs et aux lovers of classic rare Soul to get their hands on these tracks for under £20», ce qui est un excellent argument commercial. 

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             C’est vrai qu’on se régale, même quand on a trop écouté les compiles Soul. Celle-ci se prévaut d’une certaine fraîcheur de ton. Le «No Other Way» des Cautions est puissant d’ouh-ouh. Une vraie tribu primitive ! - Tall and slender, good dancers who were really into the Temptations - C’est le seul groupe à avoir fait deux singles sur Shrine. Les Cautions sont le group à succès de Shrine, the bread-and-butter group, nous dit Rix, mais au moment où ils font rentrer les sous, Shrine coule à pic. Glou-glou. L’Ady nous dit que Keb Darge a payé £8 sa copie de «No Other Way». Elle en vaut aujourd’hui 800. Drôle de dérive. Il semble que ce soit spécifique à la Northern Soul. On a déjà vu sur des salons des mecs revendre leur collection d’albums garage pour se payer des singles de Northern. Il faut rester cependant vigilant et ne pas trop entrer dans le délire des prix, car c’est la qualité des singles qui doit primer. Le problème est que l’Ady n’a pas grand-chose à dire sur les cuts, un problème qu’on retrouve aussi chez les disquaires : il ne parlent plus de musique, mais de la valeur des disques. Autrefois, les disquaires ne parlaient que de musique.  À présent ils sont, à de rares exceptions près, obsédés par Internet. 

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             On monte d’un très gros cran avec les DC Blossoms et «Hey Boy», heavy r’n’b de légende, suprême de fraîcheur, là tu te lèves et tu danses. Jacqui et Vicki Burton ont démarré en 1962 chez OKeh. Elles s’appelaient les Blossoms et quand elles ont entendu parler de Shrine, elles ont déboulé - We rushed down there to get a piece of the action - Comme il existait déjà des Blossoms à Los Angeles (celles de Darlene Love), elles ont dû se rebaptiser DC Blossoms. Selon Rix, il est possible que leur single ne soit jamais arrivé chez les disquaires, comme d’ailleurs 11 autres smash singles enregistrés et prêts à paraître, car Shrine avait glou-glouté.

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             Les Cairos tapent «Stop Overlooking Me» au pire beat sec de Shrine. Sur cette compile, tout dégouline de classe. Les Cairos amènent un truc à eux, des pom pom pom de doo-wop. L’Ady parle de stomping beat, il a raison.

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             L’autre star de ce panier de crabes, c’est Little Bobby Parker avec «I Won’t Believe It Till I See It», tapé au big Motown Sound. On se croirait chez Little Stevie Wonder. Imbattable de force tranquille et de sucre masculin. Little Bobby Parker deviendra grand et se fera connaître en tant que Bobby Parker avec «Watch Your Step». L’Ady ne le commente pas, car ce hit fait partie des inédits et n’existe pas sous la forme de single.

             Ah il y va le Ray Pollard avec «This Time (I’m Gonna Be True)». Pour Singleton, ce hit de Pollard reste l’un de ses meilleurs souvenirs - I remember being moved to tears with the excitment - L’Ady ne rate pas l’occasion de rappeler que le single de Ray Pollard est extrêmement recherché et qu’il vaut la peau des fesses. Pendant que les collectionneurs se mettent sur la paille, nous on jerke au Palladium grâce à Kent. Merci Kent.

             L’Ady revient sur les Prophets et «If I Had (One Gold Piece)». C’est l’un des membres du groupe qui envoie le single fabriqué à partir des Masters à Andy Rix, en Angleterre. Les Prophets y vont au doo-wop exaltant avec des voix d’anges et belles harmonies vocales.

             Les Chansonnettes font du bon Motown avec «Don’t Let Him Hurt You», elles tapent en plein dans le Motown Sound et au beat it de sucre. High-school girls ! L’Ady se régale à chanter leurs louanges - There’s plenty going on as the girls swing in and out of this in-demand dancer - Il raconte aussi que Ken Darge a récupéré à l’époque une copie cassée en deux et qu’il l’a recollée avec de la superglu - And it played quite well - L’Ady ne nous épargne aucun détail.

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             Bobby Reed profile son r’n’b sur le beat sixties, son «Baby Don’t Leave» est un vrai scorcher. L’Ady n’en parle pas, car il fait aussi partie des inédits. Par contre, il vante les mérites d’un tas d’autres Shiners, Linda & The Vistas, Jimmy Armstrong, The Epsilons, Sidney Hall et The Cavaliers, ce qui permet de penser qu’un jour va tomber du ciel le volume deux de la Shrine impériale.

    Signé : Cazengler, c’est pas du Shrinois

    Shrine Northern. The 60s Rarest Dance Label. Kent Dance/Ace Records 2023

    Ady Croasdell : Sacred and round. Record Collector # 548 - September 2023

     

     

    *

    Je ne suis pas spécialement monarchiste mais parfois il est nécessaire de fourrer ses idées politiques dans la poche. Depuis Louis XIV tout le monde sait qu’un roi n’attend pas, alors je fonce à toute vitesse sur la route de Troyes. La météo a prévenu : grand vent dans le grand-Est, le long de la route pas un arbre ne bouge, les Dieux du rock aiment et protègent les rockers !

    La salle est pleine comme un œuf, une bise rapide à Béatrice la patronne en plein boum, tout au fond nos majestés ripaillent, en sujet servile je me hâte de les imiter en m’attaquant à une planche de charcutaille aux côtés de Billy, d’Ingrid et de Cyril. La vie est belle quand elle est rock.

    TROYES / 04 – 11 – 2023

    BAR LE 3B

    THE MONARCHS

             Il est des signes qui ne trompent pas, sont tous les quatre en train de prendre place, Fabien le seul qui est assis, non pas sur un trône mais derrière sa batterie, tape trois secondes sur ses fûts pour s’assurer que tout est en place. Puissance sonore assurée ! L’on pressent que les Monarchs vont diriger leur peuple d’une poigne de fer ! 

             Un petit instrumental n’a jamais tué personne. C’est ce que l’on dit. Dès les premières notes de Summertime, je n’en suis plus aussi sûr.  Oubliez la trompette nostalgique d’Armstrong, c’est Jerry Rocka qui est au saxophone, ce n’est plus l’été languide du Sud des USA si bien évoqué par Julien Green, mais une rimbaldienne saison en enfer, changement climatique assuré, un siroc(k)co saharien déferle sur la planète et la transforme en astre désertique.  Entrée fracassante. Envol de fusée. Jerry vous brandit son sax en pleine figure, son embouchure se transforme en corne d’abondance amalthéenne, un souffle torride s’en échappe, le râle de Pasiphaé manœuvrée par le taureau divin vous submerge. N’est pas seul Jerry, l’est méchamment aidé par ses trois acolytes. Z’ont le son américain des groupes instrumentaux, cette furie hélicoïdale à la Dick Dale qui vous emporte vent debout au milieu des tempêtes.

             Deux guitares et une batterie. Pas d’erreur, Stéphane joue bien de la basse. Mais comme il me dira entre deux sets il ‘’s’amuse un peu’’, comprendre qu’il fait partie de ces bassistes qui jouent de la basse comme d’une guitare solo. Ce n’est pas qu’il swingue jazz comme une big mama, c’est qu’il leade rock, un régal de regarder le jeu de ses doigts sur ses cordes, cela vous amplifie et rehausse la force d’impact monarchique. Plus tard le groupe jouera Ragnar, une de ses compositions, dans lequel il donne à chacun de ses camarades l’occasion de se livrer à un petit solo éruptif.

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              Fabien n’a pas le choix, le rôle de la section rythmique lui échoit, ce qui ne semble pas l’effrayer, sourire aux lèvres et chewing gum en bouche, il assure, il colle au groupe en le même temps qu’il le soutient, pose les fondations et s’envole de sa frappe lourde et souple. En haut et en bas. Ubiquité parfaite. Table d’émeraude.

             She’s as skinny as a stick of macaroni, j’suis comme Larry Williams, j’aime Bony Moronie (hélas, elle ne m’aime pas !), un morceau idéal pour attirer l’attention du lecteur distrait qui n’aurait pas compris que The Monarchs n’est pas un groupe spécifiquement instrumental. L’a du coffre Yannis, sa voix, un poil sur-réverbérée pour qu’il puisse s’entendre vu la configuration des lieux, ne vous lâche plus. Elle n’est plus qu’un instrument au même titre que sa guitare dont il fait ce qu’il veut, couteau incisif et percussif, elle tranche et elle cogne, écumante comme un torrent de montagne elle marrie la flexibilité du cobra à la force du tigre, subtile et frondeuse. Infatigable notre Stéphane, pas le genre à se lancer dans un discours de réception à l’Académie Française entre deux titres, précision minimale ‘’ de Roy Orbison’’ par exemple, et il enchaîne aussi sec sur une de ces nombreuses et inaltérables pépites rockabilly dont le répertoire des Monarchs est constitué.

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             Sur sa guitare, il commence souvent par trois petites notes aigrelettes, le temps que ses congénères lui emboîtent le pas en démarrant sur les chapeaux de roue, ensuite c’est le festival cordique, elle ronronne, elle darde, elle attaque, elle se tapit une seconde dans les broussailles du silence pour bondir sur vous, Yannis à la particularité de lancer ses notes comme des étoiles de ninja, toutes blessent mais la dernière ne tue pas car elle est immanquablement suivie d’une kyrielle d’autres, jaillissement de vif-argent parfaitement maîtrisé.

             Ils ont la classe, Jerry sanglé dans son costume noir à liseret blanc, beau comme un croque-mort qui vient pour vous enterrer dans un western, Stéphane au sourire énigmatique qui affleure dans son bouc grisonnant aux contours méphistophélesques, Fabien une allure désinvolte qui cache de sérieux atouts, l’on ne sait pas trop lesquels mais on lui fait confiance, Yannis n’a que deux yeux, se sert de son troisième pour tenir ses pairs au calme, l’en garde encore un quatrième pour vérifier la set-list. Deux sets incandescents. Pas de rappel. Munificence royale, ils offriront carrément un troisième set.

             Maintenant ils ne furent pas seuls. La piétaille du public leur a emboîté le pas d’un commun élan au premier accord, l’on se serait cru à la bataille de Bouvines derrière Philippe Auguste, un délire tumultueux, nos chastes (l’adjectif est-il vraiment approprié ?) demoiselles n’ont cessé de danser et nos beaux messieurs de se trémousser, Bastien et Jerry ont quitté leurs chemises afin de montrer leur impressionnante musculature, jusqu’à Béatrice la patronne qui a annoncé dans la liesse générale qu’elle baissait le prix du Mojito !  Vent de folie sur le 3 B. Nos Monarques ont conquis une nouvelle province, ils ont ajouté un fleuron troyen à leur couronne.

    Damie Chad.

            

    *

    Le diable est présent en tout lieu, à n’importe quelle heure, même à Oslo, les mauvaises langues prétendent qu’il se cache partout où l’on trouve du blues, pour une fois elles n’ont pas tort :

    THE DEVIL AND THE ALMIGHTY BLUES

    THE DEVIL AND THE ALMIGHTY BLUES

    ( Blues for the red sun / 2015 )

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    Arnt Andersen : chant / Petter Svee : guitare / Torgein Wardelmar : guitare / Kim Skaug : basse / Kenneth Simonsen : drums.

    The gosth of Charlie Barracudas : corde de pendu grince au vent rouillé, tout de suite dans l’ambiance, une voix qui s’enfonce en vous comme un couteau dans le dos, une batterie commence à compter le temps imparti qui vous reste à vivre, inutile de penser aux instants heureux que vous avez traversés, ils sont terminés, le pire poisseux vous attend, Arnt ne raconte pas des fariboles à la Andersen, la guitare gargouille, elle vous refile la chtouille, - l’Andersen faudrait l’abattre, on a dû s’en charger puisqu’on ne l’entend plus, Svee et Torgein vous vomissent dessus un de ces soli barbelés dont vous vous souviendrez toute votre mort, autant vous passer vous-même la corde autour du cou, au moins une fois de l’autre côté vous serez en sécurité. Le Keeneth fait monter la pression dans vos artères, votre cœur explose. Totalement écœurant. Distance : changerions-nous d’ambiance après le retour du fantôme aux dents longues, une chanson d’amour. Z’y mettent toute la gomme, ça balance terrible mais le vocal d’Andersen vous coupe le moral, c’est fini, c’est foutu, à croire que le bonheur ne sert à rien, sûr que c’est vrai mais entre nous elle a bien fait de le quitter car le chagrin lui fiche une pêche d’enfer et les copains derrière lui bourrent le mou à cent kilomètres à la seconde. Storm coming down : devraient être sponsorisés par le Giec, vous annoncent une sacré tempête, le coup du papillon, un fait insignifiant et c’est parti pour la destruction finale, commencent finaudement, un rythme en excroissance normale, l’Andersen appelle les forces du mal, évidemment elles rappliquent, les guitares valdinguent comme des folles, attention batteur particulièrement vicieux, vous chaloupe le rythme sans effort, un peu comme quand vous montez la Côte de l’Enfer à Provins en vélo électrique, vous êtes pénardos vous n’y croyez pas, mais des grêlons comme des rochers s’abattent sur vous et vous cassent le dos, votre colonne vertébrale se tortille à la manière d’un lombric, c’est à ce moment que Kim vous fait gronder sa basse à la manière d’un loup-garou affamé, on entend plus que lui, plus une espèce d’hennissement intermittent qui vous glace le sang que vous n’avez plus. Vous aimeriez que ça finisse, mais non ils vous font le coup de la locomotive qui fonce dans la nuit à la fin de la Bête Humaine. L’Andersen est dans son élément, indubitablement les sensations fortes lui filent du punch. Root to root : tiens un blues bringuebalant qui ressemble à un blues, ces gars commencent à se civiliser, tout le monde le sait le blues c’est très roots, vous avez les cordes qui vous distillent un peu de tristesse, dommage qu’elles soient en tripe de loup solitaire hurlant à la déglingue, l’Andersen vous gueule dessus toute sa solitude et sa tristesse, vous lui refilerez bien deux euros pour le consoler, vous retenez votre geste car c’est quand même trop beau à entendre, si vous avez la corde sensible ( et les oreilles en béton précontraint ) vous adorerez, par moment c’est presque lyrique, et un guitariste se la joue à l’espagnole, et puis arrive le solo blues que vous attendiez depuis votre premier cadeau de Noël, vous l’étirent au maximum, vous le font durer au moins trois éternités, vous restez la bouche ouverte, vous en redemandez c’est vraiment du spoonfull non pas en argent mais en diamant.  Never darken my door : faut toujours qu’ils noircissent le tableau. Vous aimez le blues ? Très bien vous aurez du rock. Non ce n’est pas un instrumental mais ça y ressemble tellement vous courez d’un musicos à l’autre pour recueillit l’ondée bienfaisante qui pulse de partout. Un peu vitriolée certes cette pluie revigorante, mais vous vous en moquez, se laissent aller, ne peuvent plus s’arrêter, foncent dans le blues pour vous éclaircir les idées. L’Andersen hurle comme un peau-rouge autour du poteau de torture. Doucement les gars, on se calme, on n’est pas des brutes semblent-ils dire at the end. N’ayez crainte ils ont tort. Tired old dog : dans la série nos amis les bêtes soufrent moins que moi, vous vous asseyez sur votre derrière et vous écoutez de toutes vos oreilles, vous pouvez aussi remuer la queue puisque vous aimez, le combo vous file la bonne dose, celle qui est over, l’Andersen quand il se plaint c’est plus fort que lui faut qu’il hurle à la lune, alors ses copains vous imitent la lune qui explose et qui vient s’écraser sur son museau. Je vous rassure, lui en faut plus pour le faire taire.

    Ils n’ont pas inventé la poudre bleue mais ils savent s’en servir. Ne sont pas nés de la dernière pluie, ces damné danois. D’habitude ils jouent dans leur propre groupe, mais une fois tous les deux ans ils se réunissent pour produire une galette électrique. Alors comme on a beaucoup apprécié la première on écoute la deuxième. Z’ont tout prévu pour que vous ne vous mélangiez pas les pinceaux, l’ont sobrement intitulé :

    II

    (  Blues for the red sun / 2017 )

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    These are old hands : ce n’est pas qu’ils ont changé de son, c’est qu’ils ont changé d’amplitude. Un peu moins blues, un peu plus stoner, imaginez une tornade infinie qui souffle dans un désert illimité, l’Andersen gueule moins, l’a la voix d’un barde qui aurait mis en musique une nouvelle de Jack London, vous comprenez maintenant sur la couve ces chiens de traineaux couchés dans la neige, en fait ce sont peut-être des yacks enlisés in the snow, l’on s’en moque, suivez votre imagination, tout ce calme vous pensez à Mountain, vous n’avez pas tort les lyrics causent d’un gars qui a rêvé d’être un marin et qui n’a jamais osé, maintenant c’est trop tard, l’a raté sa vie et ses rêves, pour sûr vous lui ressemblez, alors les guitares gémissent sans fin, elles flambent, elles brûlent, elles s époumonnent sur le bûcher des vanités inaccomplies, le vent du désert s’engouffre maintenant dans les voiles de vos rêves, vous êtes une frégate bondissant sur les vagues de l’autre côté de la vie. Prodigieux. North road : la route du nord, blues pur, le vocal en avant et l’accompagnement derrière, pas pour longtemps car les deux lignes se rejoignent vite et voguent de concerve, cette route du nord vous la connaissez, vous êtes présentement en train d’y marcher dessus, c’est celle qui conduit votre vie jusqu’à votre mort, oui c’est triste et désespéré mais ils vous la font parcourir magnifiquement, toute la grandeur humaine dans cette voix glaçante, toute la démesure de votre bestialité dans cette musique grandiose qui vous entraîne de plus en plus rapidement sut ce chemin inéluctable, à croire que l’on y prend du plaisir, l’homme serait-il un animal masochiste… quelle cavalcade inespérée, le rythme s’alentit. Vous atteignez le bout de la piste. Démentiel. When the light dies : un titre à la Doors, que voulez-vous quand vous êtes juste devant la porte de la sortie définitive, il est normal que la lumière s’éteigne, l’Andersen connaît le blues, une guitare et une voix suffisent à votre bonheur (à votre malheur aussi), les copains ne l’entendent pas ainsi, ils alimentent les grandes orgues de la tristesse pour qu’il soit conscient de sa solitude. Low : ce qui s’appelle avoir le moral au plus bas, le thème rappelle un peu Rivière… ouvre ton lit de Johnny ; alors l’Andersen clame son envie d’en finir, les autres appuient systématiquement sur chacune de ses blessures vocales, c’est lent et c’est fort, un peu comme l’eau de la vie qui traverse le marc du café pour se transformer en un désespoir encore plus noir, encore davantage brûlant, si vous n’avez jamais entendu des cymbales ruisseler de larmes c’est le moment d’écouter. Solo funèbre. How strange the silence : combien est étrange cette musique lorsque le blues cherche à traduire le silence de l’inconscience de la mort. L’Andersen gueule bien fort au début, normal les contraires s’appellent et se ressemblent, alors il baisse d’un ton pendant que les instruments haussent leur tonalité, ensuite l’on essaie de patauger dans un no man’s land entre bruit et silence, l’on claudique quelque peu, enfin ils optent pour le carnage sonore, puisque l’on ne peut se taire totalement autant hurler à la mort. Il existe bien un point où tous les antagonismes s’annulent et s’extrémisent en même temps. Neptune brothers : hé ! hé ! plus fort que la mort le rock’n’roll, les Dieux sont avec nous, que sommes-nous sinon des hommes habités par le serpent du rêve qui brûle notre sang, nous chevauchons à toute vitesse, la musique descend des montagnes en galopant vers le delta, un bras pour le blues, un bras pour la mort, le sable marécageux du rock au milieu. Le morceau claque comme le fouet sur les flancs de la cavale chimérique, une guitare se dresse comme le serpent obnubilé par le mouvement du cadencé du flutiste, désir de mort et désir de vie sont tous deux du désir…

             Ce deuxième opus est bien plus original que le premier, alors tout de suite on se jette sur le troisième, n’en n’ont commis aucun autre même s’ils donnent encore de nombreux concerts. Comment d’après vous dit-on trois en langue danoise ? Solution à la ligne suivante :

    TRE

    ( Blues for the red sun  / 2019 )

    chrissie hynde,larkin poe,rumer,marie knight,shrine,the monarchs,the devil and the almighty blues

    Salt the earth : une guitare mélodique, très rare chez eux, pas de panique les cordes s’enrouent très vite, drummin’ beaucoup plus rond, lorsque les Romains eurent détruit Carthage, ils labourèrent le sol et y semèrent du sel pour que rien ne repousse, alors méfiez-vous de cette entrée agréable, l’Andersen clame et vous remet les idées au clair, la vie est si peu agréable qu’il vaut mieux l’éradiquer, les instrus vous la font un peu à la grandiloquence d’un générique de film-catastrophe annoncée, pas la peine de se prendre la tête, en finir au plus vite semble être la bonne solution, tout doux, il est tout de même une dimension pathétique à cet état d’esprit, ne plus hurler, ne plus tonitruer, ressentir la tristesse de cette vie, faudrait-il s’apitoyer sur soi-même, pas de fausse pitié, tout balayer d’un revers de main, d’un envol de guitares, même si les remontées d’humanité de trop d’humanité tergiversent trop longtemps, la hargne et la passion de la destruction reprennent le dessus. Soyons logique. One for sorrow : surprenants ces chœurs féminins, Andersen nous remet dans le droit chemin, va-t-il nous faire le coup du mal-aimé, de l’étranger exilé sur sa terre natale, non il est le serpent qui connaît tous vos secrets et dont la morsure distille le chagrin, morceau enjoué, avec un final endiablé, est-il nécessaire qu’il en existe un seul pour niquer tous les autres. En plus notre cantador paraît content de lui. Serait-ce un relent de masochisme christique. Lay down : encor un titre qui ne trompe pas son monde, ainsi que l’affirmait Alfred de Musset ‘’ les chants les plus beaux sont les plus désespérés’’, notre moribond n’a pas perdu toutes ses forces, l’Andersen a encore la niaque pour raconter ses derniers instants, pourtant l’on ne sent pas le désespoir, mais le regret des beaux instants passés, une musique endormeuse comme la Meuse de Charles Péguy, le vocal pourrait être qualifié de nihilisme tempéré, les guitares ne regardent plus la lune noire de la mort mais la rondeur des jours dont elles déroulent les lourds anneaux, un rythme qui ne cache rien mais empli de sérénité, le plus beau reste cette voix d’autant plus présente qu’elle est un peu aspirée par un écho grandiloquent, une guitare si pleine que vous ne savez point si elle est un soleil levant ou couchant. L’on pense à l’aigle sur la pochette, s’élève-t-il vers l’azur ou s’apprête-t-il à tomber sur sa proie. Heart of the mountain : intro mélancolique, tant de grandeur, tant de beauté, un fier sommet immarcescible, l’Andersen nous conte la légende impérissable, une basse monumentale remet les choses à leur juste niveau, la montagne est morte, ce joyau inaltérable n’est plus, les guitares ont l’âme lourde, la batterie palpite comme un cœur débordé,  l’onde de choc musicale envahit tout, une guitare flamboie comme le sceptre de l’archange qui devant les portes du paradis empêchait quiconque d’entrer,  la montagne n’est pas venue à toi, l’Andersen résume la situation: de ce colosse aux pieds de granit il ne reste rien.  No man’s land : une entrée presque jazzy, les guitares ne jouent plus au percolateur atomique, la batterie agite les sonnailles alléchantes de ses cymbales, envie de danser au-dessus des abîmes, le magicien aux couleurs d’arc-en-ciel nous enchante, chœurs féminins à l’unisson, trop beau pour être vrai, entre les couleurs du rêve et le rien peut-être existe-t-il un lieu où il ferait bon vivre, dans le pays des hommes où il n’y a plus un seul homme. Retour des chœurs féminins pour nous rappeler que la beauté a existé, qu’elle n’est pas une fable.  Magnifique instrumentation. Time ruins everything : retour au blues, une guitare crie dans le lointain, bientôt se confirme ce que promettait le titre, une vérité si profonde que ce n’est pas tout à fait du blues, l’est trop plein de vigueur, un fruit qui laisse échapper son jus nourricier, un chant de défaite et de rancœur définitive, velours mélodique, le rêve d’une rencontre impossible se précise à l’horizon, un instant de bonheur qui serait éternel, l’on en connaît la triste fin, à tel point que la mort nous apparaît comme une suprême consolation, le temps ne suspend jamais son vol nous rappellent les derniers mots d’Andersen.

             Le premier album était du blues, le deuxième sonnait heavy. Celui-ci est mi-figue-mi-raisin, pas assez désespéré pour être blues, pas assez lourd pour laisser toute la place au désespoir. Ce troisième ménage la chèvre et le chou. L’arrondit les angles. Un arrière-plan mélodique qui essaie de nous persuader que si tout est perdu, il a existé comme une possibilité de quelque chose d’autre qui aurait pu avoir lieu.

             Est-ce pour cela que 2021 et 2023 ne nous ont pas offert un nouvel album. Une fois que le nihilisme du premier CD a été métamorphosé en un dit légendaire dans le deuxième, le troisième ne pouvait être qu’une redite. Trop d’espoir tue le désespoir. Le blues est aussi mortel. Toute forme musicale qui atteint à son apogée est condamnée à se répéter indéfiniment ou à se taire. Reconnaissons à The Devil and this Almighty Blues le mérite d’avoir renoncé à se recopier.

             Le lecteur qui n’aura pas unanimement cédé à la force du groupe aura peut-être consacré quelques instants à se demander pourquoi le Diable n’est jamais venu fourrer le bout de son nez au moins une fois dans les trois disques. Même pas une petite malédiction, au moins pour la couleur (bleue) locale. Nos cinq mousquetaires l’auraient-ils oublié au premier carrefour. A moins que.

             A moins que nos cinq bretteurs aient tout compris, la malédiction du blues ce n’est pas le Diable, vous savez celui qui Please allow me to introduce myself… Non, ce n’est pas personnage arrogant, la malédiction du blues c’est le blues lui-même cette musique qui ne peut pas être elle-même sans se renier elle-même. D’ailleurs historialement parlant lorsque le blues se renie ne quitte-t-il pas son statut de Diable pour devenir un serviteur de Dieu. Dans ce cas-là il vaut mieux qu’il reste un Homme…

    Damie Chad.