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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 16

  • CHRONIQUES DE POURPRE 652 : KR'TNT ! 652 : BUZZCOCKS / COSMIC PSYCHOS / HOMER BANKS / EBO TAYLOR / GHOST WOMAN / ROCKABILLY GENERTAION NEWS 30 / BILL CRANE / AIVVASS / SERPENT NOIR

    KR’TNT ! 

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 652

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    O4 / 07 / 2024 

     

    BUZZCOCKS  / COSMIC PSYCHOS

    HOMER BANKS / EBO TAYLOR / GHOST WOMAN

    ROCKABILLY GENERATION NEWS

    BILL CRANE / AIVVASS / SERPENT NOIR

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 652

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

    - Alors, ça buzz, cock ?

    (Part Three)

     

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             As-tu vraiment besoin de lire un livre pour savoir que Pete Shelley est un Wizard & une True Star ? Non, mais tu le lis quand même. Pourquoi ? Parce que Sixteen Again - How Pete Shelley & Buzzcocks Changed Manchester Music (And Me) est un book de fan à l’état pur. L’ex-Fall Paul Hanley est même un fan de la première heure. Comme pas mal de kids à Manchester, il est tombé en 1976 sous le charme des Buzzcocks. Il faut se rappeler que Spiral Scratch eut à l’époque autant d’impact sur les becs fins en herbe qu’«Anarchy In The UK» et «New Rose».

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             Bon, c’est vrai, Paul Hanley n’est pas Nick Kent. Ni Andrew Loog Oldham. Il se contente de rester fan et ne cherche pas à devenir écrivain. Il n’a pas vraiment de style, juste une bonne mémoire et une grosse énergie. Il est en outre extraordinairement bien documenté. Le book grouille d’infos. Et la cerise sur le gâtö, c’est qu’Hanley cite Pete Shelley en permanence, et là on se régale, car Pete Shelley est avec John Lydon le meilleur «théoricien» du punk. Pour lui, le punk c’est de l’art - Le punk m’a permis de justifier le bruit que je faisais. J’ai toujours pensé que Devoto et moi étions comme Gilbert & George. En voyant les choses sous cet angle, tu peux faire tout ce que tu veux et appeler ça de l’art - Il formule une évidence. Pete Shelley a créé et vécu le punk comme Tzara et Picabia ont créé et vécu Dada. C’est exactement la même approche. Ailleurs Pete Shelley rend hommage au génie provocateur de Johnny Rotten : «À l’époque, dire au public d’aller se faire foutre, c’était extraordinaire. Mais aussi hilarant. On a perdu de vue l’aspect comédie du punk. D’une certaine façon, le punk était le Théâtre de l’Absurde, il fallait  provoquer pour obtenir une réaction. Les Pistols ne tenaient qu’à un fil. On sentait que ça pouvait s’écrouler à tout moment.» Le regard que porte Pete Shelley sur le punk est d’une finesse extrême. Il en fut l’acteur, le pionnier, mais aussi l’observateur. C’est un peu comme si seuls son regard et celui de John Lydon comptaient, certainement pas celui des journalistes rock, mis à part Nick Kent, bien sûr. Pete Shelley rend le plus bel hommage qui soit aux Pistols : «Il y avait une mélodie, ce n’était pas du bruit pour du bruit, c’était viscéral, très chargé, très vivant. En les voyant jouer, Howard et moi avons décidé que s’ils pouvaient jouer comme ça, on pouvait aussi le faire. Alors on s’est attelé à la tâche : transformer notre rêve en réalité.» Il rappelle plus loin qu’au premier gig des Pistols qu’il ont organisé Howard et lui à Manchester, il n’y avait que 42 personne, mais ce gig a transformé la vie de ces 42 personnes qui après ont opté pour des activités créatives. Et Steve Diggle ajoute qu’à la première répète des Buzzcoks, avec Pete et Howard, ils étaient tous les trois motivés par ce gig des Pistols - The feeling that you don’t need money, you just need ideas - C’est tout l’esprit de Spiral Scratch. Pas de moyens, mais un EP révolutionnaire. Et Pete de surenchérir : «La seule chose qu’il faut se rappeler, c’est que le punk était une idée.» 

             Pour un kid de Manchester, les Buzzcocks, The Fall et Joy Division constituent la Sainte Trinité. Mais il précise que The Fall et Joy Division parlaient à sa cervelle alors que les Buzzcocks parlaient à son cœur. Il sentait en outre une certaine vulnérabilité et une chaleur dans les chansons de Pete Shelley, des qualités qui n’étaient pas vraiment de mise chez les autres punksters.

             Et pouf, c’est parti. Première grosse influence de Pete Shelley : les Beatles ! Il apprend à jouer et à composer en bossant sur le songbook des Beatles - J’ai appris en jouant sur les chansons des Beatles, puis j’ai étudié celles de T. Rex, puis celles David Bowie et du Velvet Underground. J’ai appris en jouant along with the records - Le premier groupe qu’il voit sur scène, c’est celui de Marc Bolan, en 1973, puis Bowie. Il est au premier rang. De son côté, Howard Devoto ne se nourrit que de Bowie, de Velvet, de Stooges et de Roxy. Howard et Pete étaient donc faits pour s’entendre. Kindred spirits, comme on dit en Angleterre.

             Alors il leur faut un nom pour le groupe. On demande à Julie Covington qui fait Dee, dans le TV show Rock Follies, pourquoi elle veut jouer dans un groupe. Alors Dee dit : «It’s the buzz, cock», cock étant nous dit Hanley un terme affectueux dans le Nord de l’Angleterre. Pas de connotation sexuelle. On peut dire cock aussi bien à un mec qu’à une gonzesse. Alors ça va, cock ? - Buzzcock has never actually been a slang term for a sex toy - Hanley a raison de redonner ces précisions : cinquante ans d’ignorance crasse ont conduit pas mal de gens en France à croire qu’on parlait de bite avec Buzzcocks.

             Maintenant, Howard et Pete ont besoin d’un bassman. C’est là que Steve Diggle entre en lice. Un Diggle qui toute sa vie sera marqué par des accidents. Grave accident de voiture à 17 ans, son pote Alan Hughes y casse sa pipe en bois et là, Steve Diggle jure qu’il va vivre to the full, et ça veut dire entrer dans un groupe - C’est là que j’ai juré de former the best fucking band I could and I’d do it for him - c’est-à-dire pour Alan Hughes. On reviendra sur les accidents un peu plus loin. Steve Diggle les collectionne.

             Maintenant il leur manque un batteur. Voilà John Maher, 16 ans, grand fan de Blondie. Il a même appris à battre le beurre en écoutant Clem Burke sur le premier Blondie. Il voit l’annonce dans le Melody Maker et rejoint les Buzzcocks. Une fois de plus, on se régale car Hanley donne tous les détails de la plus fascinante des phases qui est celle de la formation d’un groupe. Et quel groupe !

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             Comme tous les apprentis sorciers, les Buzzcocks commencent par taper des covers : «I Can’t Control Myself» des Troggs, «Steppin’ Stone» des Monkees, «Don’t Gimme No Lip Child» des Pistols, «I Love You Big Dummy» de Captain Beefheart. Jolis choix. Pete Shelley casse sa Stairway en deux lors d’une répète et il prend l’habitude de jouer sur une demi-Stairway, alors les Buzzcoks deviennent le groupe with half a guitar. Il faut voir les docus d’époque en noir et blanc. C’est wild as fuck ! À l’époque, Devoto ne jure que par les trois albums des Stooges. Tout le reste l’ennuie profondément. Quant à Pete Shelley, il aime bien dire que sans Marc Bolan et Michael Karoli de Can, il n’aurait jamais appris à jouer de la guitare. Il adore aussi Bowie qui n’en finit plus de citer le Velvet, Iggy & The Stooges et William Burroughs dans ses interviews.  Voilà donc le terreau dans lequel les Buzzcocks plongent leurs racines.

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             En octobre 1976, ils payent 45 £ pour 4 heures au studio Revolution, à Cheadle Hulme, une banlieue de Stockport, au Sud de Manchester. Ils enregistrent leur répertoire. Puis Pete Shelly monte New Hormones, le label du groupe, pour pouvoir sortir Spiral Scratch. Il faut un petit budget pour produire et fabriquer l’EP. 300 £ ! Ce sont les parents de Pete, Johnny et Margaret McNeish qui filent le blé. Pete dit que son père a fait un emprunt pour sortir les 300 £. Pete dit à son père que c’est une bonne idée et qu’il peut lui faire confiance - Je ne crois pas qu’il ait attendu que je le rembourse - Ils enregistrent en décembre 1976 chez Indigo, un studio 16 pistes installé dans le centre de Manchester. Ils profitent d’un prix réduit, car ils enregistrent le 28, entre Noël et le Jour de l’An. Ils enregistrent en live, mais avec des écrans de séparation - Everyone could play as loud as they wanted - John Maher indique que Pete s’est inspiré du «Canyon Of Your Mind» des Bonzo Dog Doo-Dah Band pour gratter les 2 notes de son solo sur «Boredom». La séance d’enregistrement dure trois heures. C’est vite plié. Pour la pochette de Spiral Scratch, ils choisissent un polaroid pris, nous dit Hanley, sur les marches de la statue de Robert Peel, in Piccadilly Gardens. Ils récupèrent les EPs chez le fabricant puis font des envois. Et ça marche tout de suite. Le Rough Trade shop en réclame 200. Les Spiral Scratch partent comme des petits pains. On en voit même en Normandie, alors t’as qu’à voir ! - It spiralled out of control ! - Les 1 000 premiers exemplaires sont sold-out en 4 jours. Avec l’argent des ventes, Les Buzzcocks en font represser d’autres. Howard Devoto offre une copie de Spiral Scratch à Iggy et lui dit : «I’ve got all your records. Now you’ve got all mine.» Ils en sortent en tout 16 000 ex, puis ils arrêtent les frais. Et c’est là qu’Howard Devoto jette l’éponge !

             Quand il quitte les Buzzcocks, c’est dit-il parce qu’il se lasse du train-train des concerts où on joue toujours les mêmes cuts. Et puis, il ne se sent pas aussi motivé que les autres. Pour Steve Diggle, c’est une bonne aubaine. Il passe de la basse à la guitare et ça devient autre chose, dit-il, avec deux guitares.

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             Et puis, tu vas tomber sur le témoignage de Walter Lure qui était en Angleterre à l’époque, extrait qu’Hanley tire de To Hell And Back. Walter voit les Buzzcocks sur scène et explose de rire, bon, il dit que c’était a good band, mais il est plié de rire en voyant la guitare sciée en deux, it looked ridiculous, et il jouait si fort que le chanteur était obligé de tout hurler, et en plus ils fonçaient à 200 à l’heure, it was so fucking funny. Mais Walter ajoute qu’ils vont vite s’améliorer.

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             C’est l’occasion ou jamais d’écouter un fantastique bootleg, Time’s Up, paru sur Voto quelque part dans le temps. On y retrouve les coups de génie de Spiral Scratch, of course, mais aussi une belle cover de «Can’t Control Myself». Pur jus de Chester sound, bien foutraque, mal coiffé, avec des carottes dans les cheveux. C’est là que le pah pah pah des Troggs prend tout son sens : ça devient moins poppy et plus raw des pâquerettes. Avec «Friends Of Mine», Howard nous sort son meilleur cockney strut. Fantastique dynamique ! Le cut exulte, avec la basse qui broute le pré carré. Une vraie brouette de brouet ! En B, ils pondent l’un des grands standards de punk-rock mélodique avec «Breakdown». Howard va chercher son cockney d’institut technologique et on tombe ensuite sur l’ineffable «Time’s Up» hanté par des chœurs de génie. C’est l’un des hauts lieux du rock anglais. On peut dire la même chose de «Boredom», avec son solo sur deux notes pendant que le bassmatic voyage dans sa mesure. Utter punk ! Bodum bodum ! C’est tarabusté à la basse de petite vertu alors que Pete reste sur son tili-tili-tili. Just perfect.

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             Le groupe va ensuite prendre sa vitesse de croisière. Steve Diggle est passé à la gratte et Garth Smith arrive avec sa basse. Andrew Lauder qui a adoré Spiral Scratch signe les Buzzcocks sur United Artists. Le problème c’est que Garth est colérique et il s’en prend principalement à Pete qui n’a peur de rien, ni de personne. Hanley nous emmène en tournée avec le groupe et on assiste à tout le ramdam d’une tournée punk en Angleterre, sous les crachats. Sur scène à Leeds, Garth insulte les gens. Après le concert, le groupe monte dans la bagnole pour quitter la ville et quelqu’un tape à la vitre, alors Garth baisse imprudemment la vitre et il prend un tas en pleine gueule. Paf ! Pete : «He wasn’t the world’s luckiest man.»

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             Toute la grandeur des Buzzcocks repose sur Pete et ses compos. Il crée un genre qu’on peut qualifier de fast power-pop, et qui va inspirer nous dit Hanley des tas de gens, notamment les Undertones, Ash et Green Day - L’idée n’était pas de sonner comme les Sex Pistols, dit Pete, qui redit à la suite sa passion pour Can et Neu! - C’est l’occasion ou jamais de réécouter ce qui est sans le moindre doute le meilleur album des Buzzcocks, Singles Going Steady. T’en prends plein la barbe dès «Orgasm Addict» et cette fantastique énergie de chant de délinquance juvénile. Art total et modernité fulgurante, voilà les deux mamelles des mighty Buzzcocks. Pete te singe l’orgasme, ahhhh ahhhhh, et ça débouche sur «What Do I Get», le hit fondateur de l’Occident chrétien, un hit qui repose sur la dalle d’un rumble de basse. Tu as là du pur génie civilisationnel. Pete te chante comme le roi des décadents. Te voilà une fois encore au sommet de ce que peut te proposer le rock anglais. Pete est encore plus décadent sur «I Don’t Mind», punk genius d’aïe aïe aïe. Toute l’énergie punk est là. Il amène son «Love You More» au I’m in love again, les autres font oh oh, et tu vois Pete monter son love you more au sommet de l’Ararat, alors tu fais oh oh avec les autres. Ça enchaîne aussi sec sur l’intro mythique d’«Ever Fallen In Love». Pete entre dans le chou du lard à l’émotion pure. Les Cocks buzzent encore à 100% sur «Promises», avec le fast & furious How could you ever let me down. T’es toujours au sommet du genre et t’es encore plus au sommet avec «Everybody’s Happy Nowadays», sans conteste leur plus beau hit de résonance universelle, avec le refrain du diable, l’expression pure et dure du génie atomique de Pete Shelley. L’impact de Buzzcocks est le même que celui des Beatles. «Everybody’s Happy Nowadays» est imbattable, c’est l’un des plus grands singles de l’histoire du rock anglais, avec «Arnold Layne», «Anarchy In The UK», «Jumping Jack Flash» et «Strawberry Fields Forever». Pas la même chose avec «Harmony In My Head» : Steve Diggle chante, il passe en force et il a derrière lui tout le power des Buzzcocks. Et ça repart en B en mode wild as punk avec «What Ever Happened To?», pur Buzz blow-out de Chester punk. Puis le filon va se tarir. La fin de la B est moins glorieuse. On passe à travers la plupart des cuts, sauf «Lipstick» que Pete attaque à la pointe de la glotte. Il en profite pour récupérer la carcasse du «Shot By Both Sides» qu’il a filé à Howard Devoto. Il tape ça au chat perché excédentaire. Pete Shelley est l’un des chanteurs les plus fascinants d’Angleterre.  

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             Puis il va s’épuiser, déprimer et menacer de quitter le groupe - J’étais très désillusionné. I really wanted to hit Buzzcocks on the head - it had become too much of a burden - Il existe aussi une tension entre Steve Diggle et lui : ils composent tous les deux, mais Pete passe ses compos en priorité. C’est Diggle qui compose «Harmony In My Head», mais Pete vole le show avec sa guitar line. Les tensions, oui, mais aussi tout le bataclan qui va avec la vie sur la route. Steve Diggle : «On était comme les empereurs de Rome qui ne voyaient pas que the place was burning down. We were having the orgies, and the drink and drugs, the coke binges and now it was crystal meth and the first signs of heroin.» Pendant les sessions d’enregistrement, la dope coule à flots - Cocaine, acid and heroin were the order of the day - Pete se souvient que c’était «quite chaotic. On allait en studio et on attendait que les drogues arrivent, où qu’elles fassent effet. I dropped a tab of acid every day that I worked on ‘Are Everything. I was in ‘the zone’, so to speak, on every part of that song.» Steve Diggle se souvient que le recording «was insane» - We were tripping so much we didn’t know what the fuck we were doing - Steve Garvey confirme tout le bullshit : «Bosser avec Martin Hammett était un désastre. Steve et Pete prenaient du bon temps parce qu’ils étaient totalement fucked up on all kinds of shit.» Personne ne prend la mesure de la pression que subit Pete en tant que leader du groupe. Il n’est pas taillé pour ça. Steve Garvey : «Composer hit après hit n’était pas facile pour lui, and he got into some heavy drugs.» Pete ne se rase plus et ne fait plus aucun effort pour plaire aux gens. Ils se retrouvent un jour en studio sans compos, sans producteur et Steve Diggle perd patience : «Pete allait mal, physiquement et mentalement. Je n’ai pas été surpris quand il a demandé à nous voir dans sa chambre d’hôtel pour annoncer qu’on allait prendre un an de congés et recharger nos batteries.» Belle façon d’arrêter les machines. Mais en 1981, John Maher, Steve Garvey et Steve Diggle reçoivent un courrier officiel du management : les Buzzcocks n’existent plus. Maher le prend mal et fait la gueule à Pete pendant des années. Pour Steve Diggle, c’est un coup de fourbasse et de lâche.

             Et comme toujours, après le split vient la reformation, en 1988. Même Pete est content.  Le moteur est bien sûr un gros billet. Pete et Steve espèrent alors que les 8 ans passés ont apaisé les ressentiments et éteint les volcans. Mais la tension entre Pete et Steve existe toujours. Terrible fights, dit Steve Garvey. Steve Diggle veut plus de compos à lui sur le nouvel album. Puis Tony Barber et Phil Barker entrent dans le groupe en remplacement de John Maher et Steve Garvey, démissionnaires.

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             C’est avec cette nouvelle section rythmique qu’ils enregistrent Trade Test Transmissions qu’Hanley qualifie de «most musically satisfying album» de la reformation. Il ajoute que «Who’ll Help Me To Forget» est «the best one the re-formed group ever recorded.» Mais après «Do It» et «Innocent», on devait se taper une interminable série de cuts médiocres, suivis de deux bonnes surprises : «Energy», un vrai standard punk, où Pete enfonce l’E d’Energy et soigne ses chutes, pendant que derrière les autres font oh-oh, le tout arrosé d’un killer-solo d’anthologie qui arrive en dérapage contrôlé. Puis «Crystal Night», amené par une intro monstrueuse et chanté avec une morgue épouvantable. Morceau du même niveau qu’«ESP» ou «Everybody’s Happy Nowadays», classique demented qu’on réécoute plusieurs fois d’affilée pour faire durer l’extase. Peu de groupes savent provoquer une telle excitation. Pete Shelley détient ce pouvoir magique.  

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             En 1998, ils enregistrent Modern, dont on a dit grand bien ici même en 2014, après avoir vu le groupe sur scène à Saint-Germain-En-Laye. Et puis en 2001, Steve Diggle se paye un horrible accident de scooter en Grèce qui lui abîme la main gauche, au point qu’il doute de pouvoir un jour regratter une gratte. On lui fixe un plaque dans le poignet, et ça marche. Il vient tout juste de refaire l’actu avec un autre accident de scooter : dans Mojo, tu tombes sur une photo de Steve scalpé. Il vient de se payer un nouveau scoot crash-boom ! - I had a bit of a scooter accident in Highgate - Comme il a un trou dans le scalp, il rase tout le reste - It symbolises a new start - Le onzième album est répété, il ne reste plus qu’à l’enregistrer. Juin ou juillet, dit-il. Holloway Road, mais pas chez Joe Meek. Steve profite de l’article pour dire qu’il voit arriver la fin des haricots : «I’m in the fast lane now. You can see the end of life in some ways.» Eh oui, Steve, toutes les bonnes choses ont une fin, même les Buzzcocks. S’il pense encore à Pete ? Ben oui, mais il faut avancer, dit-il. «You’ve got to keep moving, otherwise I’d be in a fucking lunatic asylum.» De toute façon, il sait qu’il va le revoir, son pote Pete - I’ll be seing him before I know it - Il annonce aussi qu’il ressort un book, ce sera le deuxième : on l’attend de pied ferme.

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             En 2014, les Buzzcocks enregistrent The Way, et Steve Diggle prend progressivement la main dans le groupe. Il compose une bonne moitié des cuts et ce sont eux qui flattent vraiment l’oreille. Pete Shelley semble traverser une mauvaise passe. Et pourtant son «Keep On Believing» qui fait l’ouverture du balda sonne comme un gros classique de power-pop à la buzz-buzz. C’est joliment roulé dans la farine de basse. Il faut dire que Chris Remington est un fucking dynamic bass master ! C’est idéal pour l’avenir du buzz-buzz. Avec «People Are Strange Machines», Steve prend la main. On voit bien qu’il ne vit que pour ça et rien ne pourra jamais l’empêcher de grimper sur scène avec sa Tele. Sacré punch. Ses compos restent incroyablement solides. Toujours du Steve avec «In The Black» et son vieux cocotage mancunéen. Il adore les sentiers battus du rock anglais. Son truc n’est pas de surprendre, il se contente de jouer du rock et d’envoyer des refrains élégants bardés de chœurs classiques. Il connaît toutes les ficelles et notamment celle du stomp qu’il sort pour «Third Dimension». C’est le stomp qu’il te faut. Steve connaît les bons stratagèmes. Brillant, efficace et venant d’un mec comme Steve Diggle, bienvenu. Pete Shelley revient au punch cockney avec «Out Of The Blue» Il n’a rien perdu de son mordant. Il sort là une belle compo un brin heavy, allumée aux riffs gras et aux remontées de teintes gluantes. S’ensuit un petit coup de génie signé Steve Diggle : «Chasing Rainbows/Modern Times» qui sonne comme un hymne. C’est amené par un beau brouet d’accords et paf, Steve nous pond le hit du disque. Édifiant ! C’est là que se niche la grandeur des Buzzcocks.

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             Et puis voilà : Pete casse sa pipe en bois en 2018, en Estonie. Alors Steve Diggle décide de continuer le groupe. Il a la bénédiction de Pete, qui est venu le trouver après l’un des derniers shows qu’ils ont fait ensemble - Il m’a dit : ‘Je veux juste me retirer, Steve. Mais je veux que tu continues. Tu as ma bénédiction.’ Et je lui ai dit : ‘Tu ne peux pas arrêter maintenant, on a encore des tas de trucs à faire.’ Ça m’aide beaucoup d’avoir la bénédiction de Pete, mais la situation est très étrange. Thing is tough. Pete est mort, et si je ne continue pas le groupe, ses chansons vont mourir elles aussi.

    Signé : Cazengler, triple Buzz

    Buzzcocks. Singles Going Steady. United Artists Records 1979

    Buzzcocks. The Way. BUZZP 001 2014

    Buzzcocks. Time’s Up. Featuring Howard Devoto. Voto

    Paul Hanley. Sixteen Again - How Pete Shelley & Buzzcocks Changed Manchester Music (And Me). Route 2024

     

     

    L’avenir du rock

    - Cosmic Trip

     (Part Two)

             Toujours intéressé par les conneries, l’avenir du rock décide pour se distraire de monter ce qu’il appelle «un coup faramineux». Il sait qu’il va dépasser les bornes, mais il y va quand même. Ceux qui l’approchent d’assez près savent qu’il est un peu caractériel, et que ça fait partie de son charme. Il part du principe qu’il faut savoir faire le con, car sinon, à quoi servirait la vie ? Pour mettre son «coup faramineux» en œuvre, il commence par se déguiser en femme. Allez hop, la perruque, le rouge à lèvres, le sous-tif bombardier, le haut minimal panthère, la mini-jupe en cuir, les bas résille et les talons hauts. Cette crapule d’avenir du rock ne lésine pas sur la décadence. Ça fait partie du jeu. Allez hop, il monte dans sa bagnole et prend la direction du motel de Norman Bates, là-bas, à la sortie de la ville. Allez hop, il se gare devant le bureau du motel. Il voit bien la maison sinistre en surplomb, avec la momie de la mère de Norman Bates derrière le rideau, à l’étage. Allez hop, il entre, cling cling, il tape sur la sonnette de la réception et Norman Bates arrive, allez hop, l’avenir du rock se fait inscrire sous le nom de Marion Crane et se suce un doigt comme s’il suçait une moule pour aiguiser la libido de Norman Bates. Allumé, Bates lui propose de partager sa modeste gamelle. La fausse Marion accepte et ajoute d’une voix frelatée et en se caressant les seins qu’elle va d’abord aller prendre une bonne douche bien chaude. «Le cul propre, telle est ma deviiiise !», glapit-elle d’une voix de délinquante juvénile. Elle voit un petit filet de bave couler au coin de la bouche de Bates. Allez hop, elle file dans la chambre en tortillant du cul, allez hop, elle commence à se désaper. L’avenir du rock sait que Bates va arriver avec son grand couteau de cuisine à la mormoille. Allez hop, il arrive, tire le rideau de douche d’un coup sec et, ahhhhhhh !, pousse un cri d’horreur, en découvrant l’anatomie de Marion Crane.

             — Mais vous zêtes pas une gonzesse !

             L’avenir du rock éclate de rire :

             — Je ne vous plais pas, madame Bates ? Profitez donc de cette belle bite !

             Norman Bates qui est déguisé en vieille ne rigole pas. Il a même l’air très con, avec sa perruque cendrée de traviole et son tablier en dentelle.

             — Ici on fait Psychose, lance-t-il d’une voix de vieille dame indignée. On n’est pas chez les tantes ! 

             — Non, Psychose, c’est fini, Norman. Ras le bol ! Maintenant, c’est Cosmic Psychose !

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             L’avenir du rock fait bien sûr allusion aux Cosmic Psychos. Il ne rate jamais une occasion de vanter les mérites d’un bon groupe. Il prend parfois des voies détournées pour parvenir à ses fins, mais le résultat est toujours intéressant. Les Cosmic Psychos sont ce qu’on appelle aujourd’hui un vieux groupe, mais par le diable, ils ont tout l’avenir du rock dans leur poche.

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             Soleil de plomb sur les quais de Seine. Pas un temps à aller voir jouer les Cosmic Psychos au P’tit Bain, mais t’y vas quand même. Et puis les Cosmic à Paris, c’est un événement. Pourquoi ? Parce que c’est un groupe qui n’a enregistré que des bons albums, souvent critiqués par les ceusses qui ne les ont pas écoutés, comme toujours. Les Cosmic sont même victimes d’un préjugé : dans des conversations, on a souvent entendu des gens les qualifier d’australobourrins, cousins des australopithèques, vagues descendants des australowilsonpiquettes des abyssinies abyssales, alors que non, grave erreur, les Cosmic ont une délicieuse tendance à sonner comme Motörhead. T’en connais beaucoup des groupes capables d’un tel prodige ? Ils font du No Sleep Till quand ils veulent. Ils sonnent comme une charge de cavalerie quand ils veulent. Ils tagadadent à travers notre imaginaire comme la Brigade Légère lancée à l’assaut des lignes russes, ils bam-balament à un niveau qu’on voir rarement, c’est-à-dire pas assez souvent, et là, t’as le vrai bam-balam, celui de Ross Knight, ce géant qui ferraille frénétiquement ses cordes de basse et qui réussit miraculeusement à contrôler son corps et à poser son chant, car les Cosmic, ça part au quart de tour et ça fonce comme un train fou, ou une Brigade légère, c’est comme tu veux. Il faut juste retenir la notion de vitesse et d’ultra-power, comme chez Motörhead. Ni punk ni hard-rock. Pur rock blast. Le blast, ils ne vivent que pour ça, comme les Lazy Cowgirls à la grande époque, comme Rocket From The Crypt ou encore les Drippers et les Coachwhips, l’un des premiers groupes de John Dwyer, comme la faramineuse Broke Revue de Dan Melchior, trois quatre et ça part. Boom !

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     T’en prends plein la barbe. Pas un hasard non plus si le batteur porte un T-shirt Zeke. Par contre, John McKeering ne porte pas de T-shirt Zeke. Il préfère opter pour un infâme T-shirt bleu clair troué et passé par-dessus une bedaine à la King Khan (en trois fois pire) et un short rouge, celui que portent les beaufs au camping de Fécamp.

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    But my Gawd, McKeering joue comme un dieu sur sa gratte trafiquée. Il ne va pas chercher forcément le Fast Eddie Clarke, personne ne peut aller chercher le Fast Eddie Clarke, il va chercher le Cosmic sound, il croise un son incroyablement incendiaire et mélodique avec les riffs que cisaille Ross Knight sur sa basse ultra-saturée.

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    C’est complètement irréel de bruit et de fureur. Gigantic, comme dirait Kim Deal. Ils livrent un set d’une violence superbe, sans jamais baisser de niveau, la qualité du set est telle qui tu comprends mieux pourquoi ce groupe est devenu légendaire. Ton imaginaire peine à suivre, mais il suit quand même, comme s’il trouvait un second souffle, et tu entres en osmose avec cette comatose incendiaire, ce mec Ross n’en finit plus de percuter les cordes qui ne cassent toujours pas, tu te demandes pourquoi, ah mais quel ferrailleur du diable, il dégouline des mains, et gratte des riffs australiens complètement inconnus, avec une étrange position de la main droite. Bel équivalent de Lemmy.

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    Et puis t’as la qualité des cuts. Ils attaquent avec «Pub» tiré de Go The Hack, leur deuxième album, l’album au bulldozer qui les résume si bien, et c’est un peu comme si la messe était dite, mais on en veut encore. Alors t’as tous ces cuts demented qu’on retrouve sur le live Slave To The Crave, «Custom Credit», «Rip & Dig», et l’apocalyptique «Lost Cause». Ils nous refont quasiment l’excellent live Hooray Fuck - Live At The Tote qui s’appelle aussi I Love My Tractor et qui pourrait bien être leur meilleur album. Nitro à l’état pur. On y retrouve le «Pub» dévastateur, Ross Knight gueule comme un Bob Mould devenu fou. Tu y retrouves aussi «Nice Day To Go To The Pub» avec un Ross on fire. Il prend «I’m Up You’re Out» en frontal. C’est dingue comme ces mecs savent tenir la distance. On pourrait qualifier leur style de «tout droit». Ou de boom-badaboom. Ou de tout ce qui te passe par la tête, tellement c’est bon, tellement ça parle à ta cervelle. Chaque cut est pulsé dans les règles du pire lard fumant. Leur passion pour le bulldozer prend ici tout son sens. Cette violence ricoche dans le son, comme le montre «Dead In A Ditch». Ils élèvent la violence sonique au rang d’art sacré. Encore une belle envolée avec «Quater To Three». Ils savent très bien ce qu’ils font. Grosse accointance avec the real deal. Les accords de McKeering rayonnent dans la chaleur du blast. Chaque cut sonne comme une invasion barbare. Ils cherchent chaque fois le maximalisme de la violence sonique et parviennent à la maîtriser pour en faire une sorte d’anti-art radical, comme le fut Dada en son temps. Et ils terminent leur set avec «David Lee Roth» - Suck me off ! - Puis ils se tournent, baissent leurs frics et te montrent leurs culs.

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             Par contre, ils ne tapent aucun cut de Mountain Of Piss, leur dernier album. Coup de pot, il est au merch pour un billet de 20 alors qu’il en vaut 100 sur Discogs. Commence par retourner la pochette, et tu reverras leurs culs, tels qu’ils les montrent juste avant de quitter la scène. En plus, l’album est sacrément bon, t’as dans les pattes un big album de power trio : magnifique son de basse et beurre du diable de Dean Muller. «Accountant Song», c’est en quelque sorte l’intraveineuse du diable. Ils te grattent «Bleeding Knuckles» sous le boisseau de la fuzz bass et John McKeering ramène ses power-poux. C’est d’ailleurs lui qui chante «Dickson» - I’m going down to Dixon/ I know you come in with me too - Et ils bouclent leur balda avec la belle descente au barbu de «Dunny Seat». Fabuleuse accroche, le riff ne te lâche plus. C’est vraiment digne de Motörhead. Ils te collent le morceau en ouverture de la B des cochons. T’as l’impression d’écouter un rock très ancien, très établi, avec son odeur de salle et sa clameur anglaise. C’est ce qu’on appelle le fumet britannique. S’ensuit un «Munted» embarqué au tagada de Dean Muller et Ross Knight attaque «Rude Man» à la basse fuzz. Crois-le bien, le vieux Ross sait driver un beat. Les trois larrons partent ensemble sur «Sin Bin». Quelle énergie et quel power !

     Signé : Cazengler, Comique Psycho

    Cosmic Psychos. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 28 juin 2024

    Cosmic Psychos. Mountain Of Piss. Go The Hack Records 2021

     

     

    Inside the goldmine

     - Homérique Homer

             Les souvenirs d’Homais remontent à loin, environ cinquante ans. Nous ne savions pas qui était ce mec assis au fond de la pièce, dans la pénombre. Il ne parlait pas. Il portait des lunettes, une tignasse bouclée bien fournie et des vêtements noirs. Il s’entourait de mystère, ce qui n’est pas toujours très indiqué, lors de premières rencontres. On peut mal interpréter ce mystère et le voir comme du mépris. Les quelques personnes rassemblées dans la pièce papotaient gaiement. Homais gardait le silence. Personne n’osait s’adresser à lui. Le cirque dura un bon moment, jusqu’à la tombée de la nuit. Vint l’heure de quitter les lieux et en descendant les escaliers menant à la rue, nous échangeâmes quelques sarcasmes :

             — C’est qui cet abruti qui dit rien ?

             — Chais pas. Un super con.

             — L’a dû être un serpent dans une vie antérieure.

             Nous apprîmes un peu plus tard qu’il s’appelait Homais, comme le pharmacien de Flaubert. Comme il s’était maqué avec l’une des frangines de la smala. On fut amené à le croiser ici et là, mais il affichait toujours le même genre d’attitude, s’ingéniant à battre froid et à éviter méthodiquement toute amorce de conversation. Il cultivait l’antipathie avec un naturel désarmant et on s’amusait presque de voir son visage se transformer comme celui du portrait de Dorian Gray. Il devint rapidement affreusement laid, son vissage s’affaissait sous une épaisse broussaille de cheveux d’un gris très sale, et derrière des lunettes à grosses montures noires, ses gros yeux cernés brillaient d’un éclat reptilien. Il inspirait une sorte de répulsion. Pour parfaire ce panorama cauchemardesque, il portait en permanence une barbe de trois jours qui valorisait jusqu’au délire une bouche horrible, rouge et tordue. À l’instar du pharmacien de Yonville, Homais exerçait un métier de santé publique : gynécologue. C’est par le torche-cul local que nous apprîmes la fin logique de l’histoire d’Homais. Comme toutes ses clientes passaient à la casserole et qu’il les menaçait pour qu’elles gardent le silence, elles décidèrent de se venger. On retrouva Homais occis dans son cabinet, ligoté sur le fauteuil gynécologique, sans pantalon. On lui avait coupé sa petite paire de couilles pour la fourrer dans sa bouche rouge et tordue. 

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             Inutile d’ajouter qu’Homais se situe aux antipodes d’Homer. Encore une fois, l’analogie systémique permet de rapprocher les destins pour mieux les opposer. Homer ? Il s’agit bien sûr d’Homer Banks, personnage légendaire aux yeux des amateurs de Northern Soul et de Soul tout court. On croise Homer à tous les coins de rue, surtout sur la belle compile Wrap It Up, qu’Ace consacre au prophète Isaac. Homer est donc un blackos de Memphis. C’est Miz Axton qui l’embauche pour composer des cuts chez Stax. Homer va composer «A Lot Of Love» que va pomper goulûment le Spencer Davis Group («Gimme Some Loving»). Homer compose pas mal de hits pour des tas et des tas de gens infiniment respectables, notamment les Staple Singers.

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             Pour se faire une idée précise du talent fou d’Homer, le plus simple est encore d’écouter un bon Best Of, l’excellent Hooked By Love - The Best Of Homer Banks, paru en 2005. C’est le coup de cœur immédiat, dès «Hooked By Love», eh oui, Homer chante au gut de raw, il crée son monde à l’Hook. Encore une énormité avec «60 Minutes Of Your Love», il tape ça au heavy raw de r’n’b, il est à la fois explosif et éclatant, c’est l’école Stax. Il s’intéresse encore à l’amour avec «A Lot Of Love», et crée le fameux riff de «Gimme Me Some Loving». Cette pétaudière est typique d’Homer. Plus loin, tu vas croiser «Round The Clock Lover Man», il reste très classique, très Staxy, pas loin de Sam & Dave, pour lesquels il a d’ailleurs composé. Il fait du pur hot de Staxy pour Tobrouk. Ce démon d’Homer des Caraïbes génère du pur jus de raw, son r’n’b accroche bien («I Know You Know I Know», «I’m Drifting»). Il sait encore se montrer fabuleux d’explosivité avec «Sometimes It Makes Me Want To Cry», ah il faut voir comme il t’explose le sometimes, c’est incroyable de down the drain. Il se vante ensuite d’être un «Lucky Loser» - I’m a lucky loser/ Yes I am - Homer, c’est la crème de Stax. Il utilise le wild r’n’b pour poser la question : «(Who You Gonna Run To) Me Or Your Mama ?». Il veut savoir : alors, tu vas chez ta mère ou chez moi ? Homer restera dans les mémoires comme le prince du pré carré. Pas n’importe quel pré carré : celui du raw.

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             Il existe un autre album qu’Homer enregistra en 1977 avec son pote Carl Hampton, sous le nom de Banks & Hampton, le fameux Passport To Ecstasy. Ils adorent la Soul des jours heureux, comme le montre l’excellent morceau titre. Ils se complaisent aussi dans le heavy satin jaune, comme le montre «Believe». On y assiste à un joli développement de chœurs de gospel. Sur la pochette, on les voit porter des beaux costards et des bagouzes. En B, ils passent au big r’n’b avec «We’re Movin’ On». Just perfect. Ils reviennent à la Soul des jours heureux avec «Get On Up Shake Some Butt», c’est un dancing groove bien violonné à la Barry White, très chaud et très back, puis ils tapent en plein Barry White avec «Loving You». Ils s’enfoncent à deux voix dans le lard du groove magique.

    Signé : Cazengler, Banks postale

    Banks & Hampton. Passport To Ecstasy. Warner Bros. Records 1977

    Homer Banks. Hooked By Love. The Best Of Homer Banks. EMI 2005

     

     

    Ebo est beau

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             On l’attendait comme le messie de l’Afro-beat. Ebo Taylor est arrivé sur un fauteuil roulant, poussé par son fils Henry. Dès le début du concert, ça sentait la fin des haricots. Le pauvre Ebo n’est plus que l’ombre de lui-même.

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    Dommage, car autour de lui joue l’un de ces fabuleux orchestres d’Afro-beat dont l’Afrique, et le Ghana en particulier, ont le secret. Si tu veux groover, c’est là. Certainement pas chez les punks. L’Afro-beat ghanéen est aussi joyeux et propulsif que celui de Fela Kuti au Nigeria. D’ailleurs Ebo et Fela se connaissaient bien, d’après ce que raconte Wiki, la pipelette du village. C’est le fils Henry qui mène la sarabande aux keyboards, le fils William qui gratte une basse cinq cordes, et le fil Roy X qui gratte des poux délicieusement liquides sur sa demi-caisse. Ils sont tous magnifico. Ils créent un monde et t’es là pour ça.

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             Mais ça ne se passe pas comme tu l’avais imaginé. Le spectacle est terrible car tu as d’un côté cette effarante source de vie, et de l’autre un vieil homme aux portes de la mort, prostré dans son fauteuil, qui n’a même plus la force de chanter dans le micro installé devant lui. C’est la première fois qu’on voit la vie et la mort ainsi rassemblées sur scène. Du coup, ça donne au set un cachet particulier. Paradoxalement, le côté tragique n’apparaît pas chez les Africains, c’est autre chose. On a l’impression que le fils Henry fait du business, il n’en finit plus de sortir son père Ebo de sa torpeur. C’en est presque comique. Chez les blancs, ce serait révoltant.

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    Chez les blacks, c’est cocasse. Incroyablement cocasse. Et pendant que cette farce se joue sous nos yeux, l’orchestre tourne comme un gros moteur exotique. Le black aux percus bat tout Santana à la course. Au fond, t’as un black qui bat un beurre virulent et même inexorable, et de l’autre côté deux mecs aux cuivres qui font un véritable festival, surtout le tromboniste qui passe des solos hallucinants de swing. T’en reviens pas de voir des cakes pareils sur une scène normande ! À la vie à la mort ! Cette fois on est en plein dedans. Seuls les Africains peuvent te proposer un cocktail aussi capiteux. 

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             Palaver ? Tu peux y aller les yeux fermés, si t’aimes l’Afro-beat. C’est le dernier album en date d’Ebo qui chante au revienzy de paradis africain. Ces mecs groovent comme des anges du paradis. C’est un peu comme si t’arrivais à la fin du mythe et que tu découvrais un monde. Il faut le voir l’Ebo groover son «Make You No Mind», cette belle Africana gorgé de cuivres et de poux miraculeux. Et puis tu as ces extraordinaires solos de sax et de trompette. Tu ondules des hanches sur «Abebrese». Te voilà dans la cour des miracles, alors tu tortilles du cul. Le riff d’orgue est assez punk, avec une incroyable verdeur de la clameur sourde. Elle te brise le cœur. Supremo groovyta ! L’Ebo chante «Nyame Dadow» dans le creux d’un chou-fleur étincelant, tu ne le quittes pas des yeux, l’Ebo, il chaloupe avec les copines. L’Ebo et ses blackettes donnent une idée assez juste de ce que pourrait être le paradis. Tout y est facile et doux, et tu sens monter en toi la petite marée de bien-être.

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             Si tu tapes au hasard dans sa discographie, tu vas tomber sur Appia Kwa Bridge, un album au son plus dur, qu’on pourrait qualifier d’heavy Africana. Il y durcit le ton. On s’attache plus particulièrement à «Yaa Ampensah». L’Ebo fouille le beat de l’Afrobeat avec des poux délicieux. Il colle bien au papier. Quel cake ! Sa mélodie chant est un enchantement, l’Ebo est un orfèvre, un artisan de la victoire. Et puis quand tu écoutes «Assondwee», tu réalises qu’il s’agit là du Black Power originel. Te voilà à la source du fleuve. Il a derrière lui tous les pouvoirs, t’as même le solo de jazz liquide. Mais c’est avec le morceau titre qu’il groove to the max. Il redore le blason de l’Afrobeat, avec toute la belle clameur du continent noir. Tu ne bats pas ça, Sam.

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             Oh et puis, t’as Yen Ara, avec ce beau portrait d’Ebo sur la pochette, sous son petit chapeau. Ses fils Henry et Ray X sont déjà là. Les percus du diable aussi. Quelle majesté ! Coup de génie avec «Mumudey Mumudey». L’enfer, c’est l’Afrobeat. T’as pas idée ! Droit au cerveau. L’Ebo groove des hanches et toi aussi. C’est la clameur des origines. Excelsior + solo de trompette = big bang originel. Demented, baby ! Mudy/ Mumudy ! Ebo a le diable au corps. Il te groove le squelette et un solo de sax arrive en dérapage contrôlé dans l’Afrobeat, t’as en plus tous les congas de Congo Square, ça sort tout droit des forêts inexplorées. Encore du fondamental avec «Krumandey». C’est effarant de revienzy. Ebo y va au call my name. Percus + solo de trompette, toujours pareil. Hey les garagistes, prenez des notes ! Ebo fait du bon boulet et un certain Justin Adams groove sa Jazz Guitar.

    Signé : Cazengler, ÉpaBo

    Ebo Taylor. Le 106. Rouen (76). 14 mai 2024

    Ebo Taylor. Appia Kwa Bridge. Comet Records 2012

    Ebo Taylor. Yen Ara. Mr Bongo 2018

    Ebo Taylor. Palaver. BBE Africa 2019

     

     

    Evil Ghost Woman

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             Ghost Woman en concert, pas forcément le bon plan. Tu vois arriver sur scène deux nouveaux candidats au désastre, le Canadien Evan Uschenko et sa compagne Ille. Duo. Doom. Johnny casquette. Va pas bien. Zéro contact avec un public clairsemé. Cherche des noises à la noise. Elle bat un beurre métronomique. Vise l’hypno. T’es pas Can, baby. Mais elle persiste et signe. L’hypno. La fête à Nono. Hyp hyp hyp pas hourrah. On croirait voir les Kills. Aussi insignifiants. Au bout de cinq six cuts, tu ne sais toujours pas ce qu’il faut en penser. Du bien, du mal. Tu vas devoir faire ton Nietzsche et trouver une solution par-delà le bien et le mal. Trouve. Vite, car le temps passe.

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    Alors focus sur la gratte. Il gratte des poux intéressants. Tu t’intéresses. Tu fais ce qu’on appelle en langage pédagogique un focus de faux cul. Tu te forces. Mais tu restes sur l’impression que ces duos font tous la même chose. Ils montent leur soupe en neige. L’Evan groove à l’intérieur de sa neige de soupe. Il sait traîner un solo dans la boue sibérienne. Tu admires sincèrement quelques éclairs lumineux. Tu dis bravo aux éclairs. Et tu te réjouis à l’avance, car tu vas les retrouver sur Hinsight Is 50/50, qui est leur troisième album, celui qui est promu pour la promo à Nono. La promo à Nono vaut mieux que la fête à Neu-Neu, pas vrai ?

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             Ils portent bien leur nom. C’est vrai qu’ils ont quelque chose de fantômal. Hyp hyp hyp hypno, des fois ça prend. Comme ils bénéficient d’un bon buzz, ils en profitent pour rallonger la sauce de la soupe en neige. L’Evan gratte quelques incursions sauvages. On le voit aussi noyer ses portées dans la disto. On a parfois l’impression d’entendre du vieux rock indé des années antérieures. En attendant, il navigue dans ses Sargasses. Gros son, c’est vrai, mais zéro modernité. Inventer la roue ou le fil à couper le beurre, ça ne l’intéresse pas. Nos deux Ghosts sortent parfois les muscles, mais nul ne sait où ça les mènera. Il n’empêche qu’ils y vont de bon cœur. Foncer, ça ne leur fait pas peur. L’Evan sait foutre le feu. Sous la casquette se planque un petit pyromane. Son truc, c’est le Big Atmospherix. Tu fais des efforts pour le prendre au sérieux. Ça veut dire que sa musique ne s’impose pas automatiquement. Il faut attendre une heure pour adhérer au parti. L’Evan cultive un goût particulier pour les apothéoses abyssales. Ils bouclent leur set avec ce qui pourrait bien être «Buick», un fabuleux groove hypno qu’Ille bat au tom bass à la tension extrême. Là oui, ça devient faramineux. Il y va au I’m sacred of myself/ And everyone else, c’est assez Velvet dans l’esprit. Te voilà convaincu in extremis.   

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             Sur Hinsight Is 50/50, c’est elle qui chante «Ottessa», et ça vire electro-pop de girl group. Alors ça flirte avec le juke ! Le morceau titre est solide comme un morceau titre d’albâtre, et son «Juan» vire en bouquet d’apothéose. Il sait ménager ses effets. Le hit de l’album est bien sûr «Buik», un pur hommage au Velvet.

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             Leur premier album sans titre date de 2022. Rien d’écrit nulle part dans le digi. Tu te débrouilles avec le son, Sam. L’Evan ne vit que pour l’entre-deux eaux, celui qu’on a déjà entendu des milliers de fois. Il frise un peu le Steely Dan dans «All The Time», ce qui vaut pour un compliment. Et sur «Do You», il fait son Oasis. Globalement, l’Evan ne t’apprend rien. Il se contente d’exister. Mais tu t’ennuies toujours quand tu n’apprends rien. Le dernier album des Pink Fairies (Screwed Up) et les deux Third Mind que tu écoutes le même soir t’apprennent des choses. Pas l’Evan. Il ne cherche pas à créer la surprise. Il reste dans la charité bien ordonnée, comme sur scène. Puis l’album finit par se réveiller avec «Behind Your Eyes», plus psyché et plus insidieux. Même assez persuasif. Il bouffe à tous les râteliers, mais dans son cas, ce n’est pas un reproche. Il ramène sa petite gratouille dans le fond du tatapoum d’«All Your Love». C’est assez boom boom et plutôt bien vu, assez Velvet tordu dans l’esprit. Beau vertigo ! Et le «Screaming» qui suit est assez bien foutu, groovytal, inspiré et serpentin. Alors là, ouiiiiiiiiiii ! (avec une voix de femme au moment fatidique).

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             Anne If paraît un an plus tard. Et bien sûr, c’est leur meilleur album. Pochette inerte, pas d’infos, pas de rien, juste un track-listing au dos. Débrouille-toi avec le son. Il arrive très vite avec un «3 Weeks Straight» bien lesté de plomb. Ça frise même l’heavy stomp ghosty. Easy going ! Beau et puissant à la fois. L’Evan adore gratter ses poux. Il ne vit que pour ça. Il se joue dessus dans «Broke», il fait ses layers. C’est elle qui vole le show dans «Street Meet», elle bat ça si sec, elle tend bien l’hypno à nœud-nœud. S’ensuit un «The End Of A Gun» bien claqué du beignet. C’est vraiment excellent. Tu te régales. L’Evan graisse les trames d’«Arline» et surveille ses arrières. Il combine ses ambiances dans «Down Again». Un bon esprit règne sur cet album, ce que vient encore confirmer «Tripped». Cette fois il sonne comme Lanegan, il traîne la savate dans le gutter, il réussit une grosse opération d’osmose avec la comatose. Bravo !

    Signé : Cazengler, Ghost Ridé

    Ghost Woman. Le 106. Rouen (76). 22 mai 2024

    Ghost Woman. Ghost Woman. Full Time Hobby 2022

    Ghost Woman. Anne If. Full Time Hobby 2023

    Ghost Woman. Hindsight Is 50/50. Full Time Hobby 2023

     

    *

    Une odeur désagréable émane de la boîte aux  lettres. Le facteur facétieux aurait-il vomi dans le coffret aux missives. Non, ce n’est la fragrance imbibée d’alcool de ces échappées stomacales que dans mon Ariège natale l’on nomme un renard. Analysons, se dégage de cette émanation pestilentielle une senteur fortement poivrée, cela me dit quelque chose, et hop en une fraction de seconde mon cerveau restitue la scène, je suis en quatrième et sur l’estrade de la salle de musique, en train d’interpréter Si tu n’étais pas mon frère (je crois bien que je t’aurais tué) d’Eddy Mitchell, la voix du prof s’élève : je n’ai jamais aimé Les Chaussettes Sales !

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 30

    JUILLET  – AOÛT – SEPTEMBRE (2024)

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             Les voici ! Non pas les sales, les Noires ! Avec Eddy Mitchell ! Jean-Louis Rancurel frappe un grand coup. Huit pages de photos inédites ! Les mythiques années 60, du début des Chaussettes à leur lente désagrégation, service militaire obligatoire… Rancurel raconte, factuel et réfléchi, nous on zieute les photos, le grand Schmoll, tout jeune, presque freluquet, belle prestance sur scène, s’affirme, devient un monsieur, prend de l’aplomb au fur et à mesure que le vedettariat le change… et puis l’on apprend des choses, Maryse Lecoultre, indispensable cheville ouvrière du magazine qui habitait à Noisy-Le-Sec, lieu de résidence d’Eddy et sa famille… flash-back personnel, une collègue de qui travail (voici plus de quarante ans, son prénom m’échappe) qui gamine habitait à Noisy, mitoyenne de la maison d’Eddy, qu’elle a bien connu par qui j’ai appris qu’Eddy avait un frère… J’ai été un grand fan d’Eddy pendant ma jeunesse, merci à Jean-Louis Rancurel. Belle idée cette série de documents inédits sur les pionniers du rock français, grâce à Jean-Louis Rancurel s’établit un beau trait d’union, une sorte de passage de témoin entre Rockabilly Generation et Disco-Revue la première revue de rock française…

             C’était un nom, une référence, on le citait avec respect, même si l’on n’avait pas entendu grand-chose de lui, un as de la guitare, une espèce de totem protecteur, on savait qu’il existait et cela nous faisait du bien, dur de le retrouver sur la page de gauche dès que l’on ouvre la revue, sur la photo l’est tout jeune, Duane Eddy nous a quittés fin avril de cette année, plus loin une page lui est consacrée, on apprend l’importance de Lee Hazlewood pour le début de sa carrière… On était gamin, il suffisait d’entendre le nom de Duane Eddy, qui sonnait si américain, que l’on comprenait que le rock’n’roll venait de là-bas…

             Julien Bollinger, celui qui a rédigé les deux numéros spéciaux sur Elvis, évoque Bob Wills, un pionnier d’avant les pionniers. L’est né trente ans avant Elvis, celui-là l’a fallu attendre longtemps avant d’épingler son nom, de déchiffrer quelques paragraphes et entendre sa musique, le roi du western swing, un musicien expert, lisez Julien Bollinger, en deux pages (avec photos) il vous dévoile tout un monde, another place, another time comme dirait Jerry Lee Lewis, plus près des racines…

             Vous en avez assez des vieux mecs, voici une jeune femme. Lil’Lou, elle se raconte, une belle personne, physiquement certes, mais surtout le regard qu’elle porte sur la musique, la country, le honky tonk, le hillbilly, le western swing, le rockabilly, la vie, les êtres humains, sa fille, son chat. Bien sûr elle évoque longuement son groupe les Cactus Candies, qu’elle fonde en 2015 avec son compagnon  Jull le guiar-hero de Ghost Highway, groupe qui évolue, qui permet des rencontres et des découvertes… Une grande chanteuse, ouverte à tous les styles, écoutez-la avec son ancien groupe les Pathfinders, vous découvrirez le rhythm and blues comme jamais aucune autre fille n’a  su le chanter par chez nous, ce n’est pas une star, une sensibilité, une personnalité, elle donne l’impression d’habiter en elle-même… Un être debout.

             Aïe ! Aïe ! Aïe !  Deux festivals, Good Rockin’ Tonitght (Bourg-en-Bresse), Boogie Bop Show (Mesnard-La-Barotière / Vendée), quand vous voyez les deux programmations, des jeunes, des vétérans, de tous les pays, vous regrettez de n’y être pas allé, les photos de Sergio vous font baver d’envie, vous êtes sûr que vous avez raté quelques concerts inoubliables. Pourquoi donc ces trois Aïe ! en début de paragraphe ? A  cause de ce magnifique printemps pluvieux ! Pas de panique, grosse humidité dehors, hot and dry dedans ! Par contre beau temps à Rock in Berry, in Toury.

    Voilà, c’est tout ! Non pas du tout ! une nouvelle chronique sur la dernière page, Good Rockin’ News, le Teddy Cat’s Rockabilly Live, vous ne connaissez pas, achetez la revue, lisez la revue et vous saurez ! En plus ils viennent de fonder un label : Teddy Cats Records !

    Numéro trente, sept ans d’existence, revue de plus en plus excitante !

    Merci à Sergio Katz et à toute l’équipe !

    Damie Chad.

    1. S.: n’en voulez pas à mon prof de musique, plus tard il m’a tiré des pattes du Surveillant Général, ce qui m’a permis d’éviter de sérieux ennuis !

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois),  6 Euros + 4,30 de frais de port soit 10,30 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 38 Euros (Port Compris), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( Rajouter 1,10 € ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de tous les magazines... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites surtout pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents ! 

     

    *

    Sixième album enregistré par Eric Calassou sous le nom de Bill Crane. Bill Crane fut le nom de son groupe du temps où il habitait en région parisienne. Qu’il a quittée pour s’installer en Thaïlande. L’a passé plusieurs années à faire des photographies. Ce qui devait arriver arriva. La tarentule du rock’n’roll l’a repris. Devait être cachée sous les cordes de sa guitare qu’il a un jour effleurée sans y penser. Hélas l’antique malédiction du rock’n’roll lui est retombée  dessus. Que voulez-vous, rocker un jour, rocker toujours. Nous avons pris l’habitude de chroniquer ses nouveaux moreaux, EP’s et albums. Nous avons laissé passer le cinquième, nous en reparlerons à la rentrée prochaine.

    Une démarche particulière, un homme seul face à tout le passé et tout le futur du rock’n’roll face à lui. Une œuvre souterraine qui creuse ses galeries très profond, le passé est une terre friable modulable à volonté et le futur un roc impénétrable. On ne ruse pas avec lui, on l’use avec obstination.

    CRACKIN’UP

    BILL CRANE

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    La pochette est une photographie d’Eric Calassou. Ne dites pas : c’est quoi au juste ce truc ? Eric Calassou ne représente pas les objets, il ne les donne pas à voir, pour cela vous avez vos yeux, il vous les pose sous le nez, de si près que vous ne les reconnaissez pas, c’est à votre cerveau non pas de les reconstituer, mais de les restituer dans le mystère de leur apparence. Eric Calassou vous envoie deux messages, le premier vous caresse dans le sens du poil : rien n’est simple. Le deuxième vous prend un peu à rebrousse-poil : rien n’est plus simple que vous. Un peu vexant pour la condition humaine, je vous l’accorde.

    Come along : rien à voir avec le Come Along des Variations, si ce n’est qu’avec le rock c’est comme avec les pièces de base du Lego, tout le monde a les mêmes, mais chacun, dès qu’il s’écarte des modèles proposés en fait ce qui le différentie des autres. Une boîte à beat pour que chacun reconnaisse les battements des pattes de l’alligator qui s’approche de la rive, et la guitare qui s’abat sur vous comme un couperet de guillotine qui prend tellement de plaisir à vous trancher la tête qu’il vous découpe en tranches fines comme si vous étiez un jambon d’York, ensuite vous avez le trio de base qui entreprend sa parade nuptiale, la baby et le gars qui se fait tout sucre pour que la baby s’approche de lui, celui qui mène la danse c’est le désir, se pose où il veut quand il veut, alors le gars s’énerve sur sa guitare, et sa voix se liquéfie comme du sperme. Tout le drame métaphysique de la rock’n’roll solitude, le caméléon qui attend que la mouche se pose près de lui pour tirer la langue. Cracking up : Crackin’ up est aussi un titre de Bo Diddley, un des pionniers, élémental,  sémental et fondamental, l’a été repris par les Stones, écoutez sur Love You Live, pas tout à fait un hymne féministe mais nécessaire pour la sauvegarde viriliste. C’est la suite du précédent. L’acte  II. Le I n’a rien donné, alors le beat (je devrais écrire ce mot au féminin) devient plus obsédant et angoissant, il insiste, fait son baratin, sifflotements et sifflements, l’en remet une couche, le désir bleu triste vous peint la vie en rose tendre, quand il sait plus quoi dire, il fait la-la-la, de toutes les façons elle a compris, aux modulations finales, l’est arrivé au bout de sa faim. Party : si l’on devait me donner un dollar chaque fois que l’on rencontre le mot party dans les lyrics du rockab, je deviendrais riche. Pas de panique c’est du rock’n’roll, l’on vous montre tout, l’on ne vous cache rien. Coït intégral, le mec a allumé son portable et les copains l’entendent prendre son pied en direct. Un petit groove de guitare guilleret, l’on ne voit rien, mais le troisième œil fonctionne  à fond. D’ailleurs le gars à fond, fond de plaisir.

    Am so : le retour de l’égo, deux c’est bien, un l’on est davantage soi. Âmes sensibles s’abstenir. Guitare glauque, la bête se réveille, croyez-vous que ce soit un hasard si des chiens poussent en douce des aboiements cerbériques, le vocal épouse toutes les nuances de la folie. Pas douce du tout. Ce n’est plus l’amourette c’est l’amou-rets. The killer awoke au moment où l’on s’y attend le moins. Le conte à l’eau de rose se termine en pulp fiction. 100 % Rock ! Une guitare cinglante est-elle obligatoirement une guitare sanglante ? Dance pretty baby : bien sûr surgit dans notre mémoire Pretty Pretty Baby de Gene Vincent, la mémoire des rockers est une brocante, à tous les stands l’on trouve un truc intéressant. Après le drame, retour à l’innocence, le rock‘n’roll est une pirouette, un pied de nez gesticulatif que la jeunesse adresse au vieux monde fossilisé. Tout dans le vocal, qui ne tient pas laisser sa place aux castagnettes de la guitare, la voix est profonde et grave. L’est vrai que souvent l’on danse sur un volcan. Come around the world : Normalement le rock c’est around the clock, quand il délaisse sa pendule pour faire le tour du monde, c’est qu’il y a un lézard dans l’horloge. Le même morceau que le précédent. C’est-à-dire complètement différent. Ici la musique à son importance, elle en deviendrait presque lyrique dans l’intro, le vocal ne brigue pas la première place, vient de loin, n’a pas le regard porté sur l’objet de ses convoitises, l’est déjà teinté de nostalgie. Dancin’ in the world : les cats sont comme des chats, des animaux nyctalopes, ils aiment l’ombre, dans le noir tout est permis, l’est nécessaire pour voyager jusqu’au bout de la nuit.  Guitare clinquante et persuasive, un vocal couleur de serpent qui ondule, chargé d’attrait et de mélancolie, yodle en douceur et en continu, tentant et inquiétant. The strange case of Mr Edward : je  me permets d’attirer votre attention sur l’architecture secrète de cet album, 3 + 1 + 3 + 1, à chaque fois une trilogie, désir pour la première, danse pour la deuxième, suivie d’un épilogue dramatique : Oui le cas de Mr Edward n’est pas commun, un individu qui bouffe ses mots, l’a du mal à s’exprimer, de lui émanent d’étranges et plaintifs chevrotements ou d’inusuels borborygmes, parle tout seul car il a l’air de penser qu’il est le seul à pouvoir se comprendre, comme par hasard l’on entend le chien qui aboie sur Am so, le genre de gars que vous n’aimeriez pas rencontrer la nuit, par contre écouter ce morceau vous procurera de douteuses sensations dont vous ne pourriez  dire qu’elles n'éveillent pas en vous de troubles aspects de votre personnalité que vous refoulez au plus profond de vous.

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    The vault of horror : d’après Wittgenstein le philosophe : ce que l’on ne peut dire, il faut le taire, vous ne saurez rien du passage à l’acte de Mr Edward sous la voûte de l’horreur, ce morceau est un instrumental : une guitare qui résonne comme une intro de film policier américain, une poursuite à tombeau ouvert, elle dépasse à peine les deux minutes, mais déjà vous avez compris que l’affaire sordide ne vous sera révélée qu’à la fin du film. Pas d’images, vous êtes obligé de construire votre propre scénario… L’eau à la bouche et rien à boire ! Save my soul : j’ai toujours douté des gens qui ont besoin de quelqu’un pour sauver leur âme, comment peuvent-ils être sûrs d’avoir une âme, cela me semble bien présomptueux : l’appelle sababy pour qu’elle lui rende service, y a comme un broutement de trombone sur ce morceau, rien que pour ce bruit de basse il faut l’écouter, le gars bêle après sa babe, la guitare semble se moquer de lui, normal celui qui demande de l’aide est un faible. Close my eyes : sortez votre mouchoir, c’est la dernière bobine, celle qui est censée vous faire pleurer ou réfléchir. Généralement les spectateurs jugent la deuxième opportunité trop difficile :  this is the end beautiful friend, la guitare vous plante des petits motifs émotifs dans tous les recoins émojiques, le gars fait son examen de conscience, se prend un peu pour Tommy des Who, fait son cinéma, son dernier film, que regrette-t-il au juste, sans doute lui-même, on ne peut pas lui en vouloir, on ferait, on fera, de même. Dancin’ : générique de fin, la musique plus forte. Que la vie. Que la mort. C’est un peu comme si le film recommençait au début. Avez-vous déjà vu un truc qui finit vraiment. En tout cas les albums de rock s’appellent tous : reviens !

             Superbe réussite, avec trois fois rien, une guitare et quelques bribes de lyrics éculés depuis la naissance du rock‘n’roll, Bill Crane vous rejoue la funeste histoire du rock’n’roll. Vous explique comment ce poulpe destructeur a étendu ses tentacules prédateurs dans votre existence. Tant mieux pour vous. Tant pis pour vous. N’en dit pas trop, préfère que chacun comprenne et raconte la légende noire à sa manière. N’oubliez pas, personne n’en ressortira vivant.

    Damie Chad.

     

    *

    Il n’y a pas de hasard. Ou alors tout est hasard. La vérité doit être entre les deux. Le problème c’est que la vérité n’existe pas. Bref mon œil est attiré par une image, tiens, on dirait une parodie des armoiries de la Grande-Bretagne. Honni soit qui mal y pense. Je lève les yeux et je sursaute, ceux qui ont lu ma recension du Volume 2 de l’Anthologie introductive à l’œuvre d’Aleister Crowley, se rappelleront que le livre s’achève sur l’influence de la pensée et du personnage de la Grande Bête sur les productions littéraires, cinématographiques et musicales contemporaines. En voici un parfait exemple.

    SPIRITUAL ARCHIVES

    OCCULT RITES I + II

    AIVVASS

    (Darkness Shall Rise Productions / Juin 2024)

    Combien sont-ils ? Sur la photo : cinq. Mais le seul qui est crédité pour l’écriture, l’enregistrement, le mix et le master : Frater Thelis. Ne m’en demandez pas plus, sur la photo ils portent tous un masque, lui est au centre, sa robe noire agrémentée d’un soleil orange et invictus dans le triangle le désigne comme maître de cérémonie. Dernier détail : folk domm metal band de Germany. Vous pouvez maintenant poser vos questions, j’y répondrai avec plaisir dans la mesure de mes moyens.

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    Pourquoi l’album est-il surtitré comme ‘’Archives’’ ? : Parce ce qu’il s’agit de la compilation de deux EP’s, le premier Rites I paru en mars 2023 et le second : Rites II paru en juillet de la même année.

    Que signifie Aivvass en langue germaine ? : Rien du tout, ce n’est pas de l’allemand, c’est le nom d’une personne un peu particulière. Si vous permettez j’éclairerai un peu votre lanterne, toutefois je ne pourrais vous apporte que de la lumière noire.

    Aleister Crowley était tranquillou chez lui, au Caire, il vaquait à ses occupations favorites qui ne sont les mêmes que les vôtres. La scène se passe le 7 avril 1904, lorsqu’il entendit une voix derrière lui. C’était Aivvass, une entité, j’emploie ce mot mais Crowley laisse entendre qu’Aivvass se matérialise sous une forme évanescente, disons pétri d’une matière instable qui ne peut se maintenir trop longtemps dans un milieu qui n’est pas le sien, bref un être venu de loin  qui lui dicta ce qui allait devenir  Le Livre de la Loi. Ouvrage qui contient la base de l’enseignement de Crowley que  lui-même jivaroïsa en une formule quintessencielle : L’amour est la loi. L’amour sous la volonté. Un mix qui selon moi est composé d’un alliage improbable puisqu’il marie christianisme et Schopenhauer. Là n’est pas le débat.

    Crowley affirmera plus tard qu’Aivvas était son propre Ange Gardien Sacré. Ne riez pas, Socrate ne se vantait-il pas de posséder son propre Daemon… Généralement on élude ce problème en affirmant que c’est l’individu qui perçoit ses auto-projections quasi-somnambuliques désiro-intellectuelles qu’il s’adresse à lui-même comme si elles provenaient d’un tiers… Parfois quand on doute que notre individu ait une quelconque influence sur la marche de l’univers, l’on résout inconsciemment (perso je réprouve la notion d’inconscient, je parlerai plutôt de ruse instinctive de notre cerveau) notre nihilisme dépréciatif en affirmant que c’est l’univers qui exerce une influence sur notre petite personne dans le but d’exercer une influence sur lui-même. L’homme qui se châtie lui-même n’est que l’autre face de celui qui s’aime bien lui-même. (Pour mieux comprendre la phrase précédente voir la livraison 651). C’est ainsi que malheureusement naissent non pas les Dieux mais les religions.

    Frater Thelis n’est pas un adepte de notre scepticisme, il prononce des rituels dans le but d’entrer en communication avec une couche éonique supérieure.

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    Aiwass : disons-le, ce premier morceau est épique, une force qui déferle sans fin, et au milieu de la survenue de cette monstruosité, une voix psalmodiante et hachée qui énonce l’appel qui a déclenché l’avalanche sonore. Cela s’appelle aussi chevaucher le tigre. Satan : changement sonore, après le Metal grondant, la guitare néo-folk, le récitant n’invoque pas le Satan de la Bible, il invoque le Satan de la Bible, celui qui a appris à l’homme qu’il n’est qu’un Dieu, terrible dualité de cet Adversaire du Dieu unique qui est un libérateur, les Dieux sont au-delà du Bien et du Mal, est-ce pour cela que les passages violents alternent avec les plus doux. Satan n’est qu’un des visages d’Aivvass.

    Baphomet : laissons de côté l’idole hideuse que les Templiers étaient censés adorer ou alors tournons-la en son contraire, un être de lumière, la beauté de l’orchestration, le chant angélique, tout nous révèle que nous sommes en présence d’une êtralité parfaite qu’aucune dissociation ne saurait fragmenter, le couple alchimique réuni en un seul être androgynique.  Lucifer : le porteur de lumière, celui qui a libéré Crowley, une autre image d’Aivvas, il est celui qui a su s’opposer, celui qui détenait le savoir primordial, un double de Crowley, son Ange Gardien et quelque part Crowley lui-même. La musique allie sérénité et puissance, une antinomie kantienne spirituelle en action que rien jamais n’arrêtera.

             Etrange, à première écoute de cet EP s’est établie une connexion dans mon cerveau avec Eloa, la sœur des anges d’Alfred de Vigny, à priori rien à voir, si ce n’est de loin, des années que je n’ai pas relu ce texte, mais voici que je tombe ce matin sur une vidéo de Darkness Shall Rise Production consacrée au morceau Lucifer, et tout de suite la corrélation avec Eloa me revient à l’esprit. Je vous laisse libre de tenter l’expérience !

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    Un regard sur la pochette du premier EP, un seul être, et rien ne vous manque, ne possède-t-il pas tous les symboles, et n’est-il pas pour cela en lui-même un symbole, l’œil, l’épée, le serpent, les ailes angéliques et les cornes du diable. Tout le contraire de la deuxième, la sainte trinité en quelque sorte, Aivvass se dialectiquise, pour le personnage du milieu, ne dites pas : ‘’Je le connais c’est le Christ !’’, ce n’est pas tout-à-fait lui, l’est-là en tant que symbole représentatif d’Osiris, le dieu qui est mort (et ressuscité), la mort des Dieux correspond au changement d’ère. Crowley est persuadé que le message délivré par Aivvass annonce la fin de l’ère Chrétienne à laquelle doit succéder l’ère d’Horus, non pas l’ancien dieu égyptien mais celui engendré par la Nuit et le Diable. Ce nouvel Horus se trouve à la droite du crucifié, remarquez la beauté androgynique de l’effigie… A notre gauche, à première vue la Mort, peut-être le Diable. Toujours eu l’impression que chez Crowley la figure du Diable est une résurgence de son éducation chrétienne dont il n’a jamais su quoi faire dans son propre panthéon, je n’engage que moi, disons qu’il est la négativité de Ra, le dieu soleil suprême. Ne pourrait-on pas dire que les quatre rituels du premier EP sont adressés à quatre figures positives du Diable. Les Dieux sont-ils, chez Crowley, réversibles comme les symboles. Les Dieux possèdent d’autres masques que leur présentation habituelle, certains pensent que Crowley n’est qu’un monothéiste dont le Dieu porterait l’ensemble des masques de tous les Dieux créés par l’imagination humaine. Une espèce de sainte-trinité à la puissance mille.

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    Cruxificion : musique point torturée, exit le tragique, le dramatique, passion douce ! Parfait pour illustrer une vidéo champêtre sur le printemps avec les lapins qui courent dans l’herbe tendre, tout s’arrête, l’on entend les cloches sonner au clocher du village, serait-ce l’angélus, l’angélux, la lumière de l’ange. Qui passe. Witchcraft : ne pas traduire par le terme de sorcellerie très mal connoté en notre langue, la magie noire n’est pas la tasse de thé de Crowley, lui serait plutôt magick, rouge s’il fallait lui apposer une teinture alchimique. Il y a comme des reposoirs dans ce morceau, après de longues proférations dont le timbre épouse parfois une trame serpentique. L’on a l’impression que le rite s’effrite, qu’il laisse la place à une scansion transsique avant que l’écho mental du dôme créé ne retourne dans le silence. Cremation of care : il y a quelque chose de circassien dans ce rituel, l’on dirait plutôt une performance, une musique joyeuse pour accompagner  des images dévoilées au public - d’ailleurs il existe une vidéo – une manière de rappeler que si Crowley a beaucoup écrit il a aussi beaucoup peint. L’on ne connaît surtout que les images de son tarot, qui d’ailleurs ne sont pas de lui, rehaussées de couleurs vives, regardez toutes les planches, l’orange domine, non pas parce qu’il squatte un maximum de surface, mais parce qu’il miroite, il éblouit, il captive le regard, un soleil illuminatif. L’on pense aussi à la crémation finale de Crowley, comme s’il mettait une grande attention à ce que son corps, chair et esprit soit au ras de Ra. Danse de flammes. Prenez soin de brûler aussi les cendres des applaudissements. The Ghoul : reprise du groupe Pentagram : une sombre histoire d’une goule qui s’en vient faire l’amour avec les ossements d’une de ses précédentes victimes.  Le serpent se mord la queue, on se croirait un peu revenu au tout début du premier Ep, plus pour la voix que par la musique, les goules sont des espèces de vampires femelles qui se gorgent du sang et des forces vives des êtres masculins (sans exclusivité)… une manière comme une autre d’évoquer les pratiques rituelles et magickes axées sur la sexualité prônées et expérimentées par la Grande Bête. L’esprit et la chair forment un tout unique sensoriel. Qui se doit d’être exercé pour atteindre à une plénitude solaire zénithale. L’obscur n’est que l’autre face du soleil.

             Ce deuxième EP me semble plus diversifié que le premier. Sans doute ne suis-je pas en mesure de détenir toutes les clés d’ouverture. Mais rien ne vous empêche de forcer la serrure.

    Damie Chad.

             Une dernière note : vous trouverez plus facilement Aivvass écrit Aiwass.  Une question de numérisation kabbalistique. En attendant sur la pochette visez les deux ‘’S’’ en forme de serpent.

     

    *

    Les mots appellent-ils ce qu’ils désignent. Hier soir la chronique précédente s’est achevée sur le mot serpent. Or en ce début d’après-midi en ouvrant You Tube une vidéo s’offre à mon œil obstinément aigu. Chic un groupe français ! Sur bandcamp je m’aperçois qu’ils sont grecs. J’ai l’habitude d’accorder une certaine importance à tout ce qui vient de Grèce, même à un serpent noir.

    DEATH CLAN 0D (44,1 mastering)

    SERPENT NOIR

    (Vinyl épuisé / YT / Bandcamp / 2020)

    Etonnant de trouver cette mention que nous qualifierons   d’écologique et d’anticapitaliste sur un disque de l’Ordre du Dragon. En résumé vous n’avez pas besoin d’une fréquence supérieure à Khz 44,1 pour entendre pleinement un artefact sonore mis à votre disposition sonnante et trébuchante sur le marché. En effet toute norme supérieure inutile vous est évidemment facturée plus cher.

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    Freud n’aurait pas de mal pour nous apprendre que le crâne de la couverture représente la mort (Thanatos) et le signe phallique l’Eros. Je vous le sers à sauce grecque ; c’est le trident vindicatif de la neptuienne vitalité bestiale poseidonesque.

    Yiannis K. : Rhythm guitars, lead guitars, chants, lyrics  / Kostas K. : Lead Vocals, chants / Johannes K. : Bass guitar / Cain Letifer. : Lead guitars / George C. : Drums, percussion / Lead vocals on Goeh Raeh : Thomas Karlsson /  

    Pour mieux comprendre : lire La Magie Kabbalistique Qliphotique et Goétique de Thomas Carlsson fondateur de l’Ordre du Dragon. La goétie est l’art d’invoquer les démons. Serpent Noir se réclame de la Magie Noire.

    The black knighthoof of OD : l’entrée aussi inquiétante que La porte des Enfers d’Auguste Rodin, quelque chose de droit, de debout, de bronze et de mort. L’Ordre du Dragon se donne pour but d’entrouvrir le portail funeste. La chevalerie noire est un peu comme l’âme maudite et intérieure de l’Ordre du Dragon Rouge. Une bulle, un bulbe, au-delà de l’espace et temps. Aux lisières du soleil noir de la Nuit. Cutting the umbilical cord of Hel : pluie de cendres et voix rocailleuses, couper le cordon de Hel, la Perséphone nordique, c’est renaître à la vie. Une porte est un passage qui se franchit des deux côtés. C’est ainsi que se regroupe  la fraternité chevaliers du Dragon. Le chemin est tracé, les ordres et conseils sont dispensés, la route est dangereuse, le vocal va si vite qu’il semble courir à sa perte ou sa victoire, qui sont une seule et même chose, les plus grands démons vous guideront, les fils de la Mort ne meurent plus, sur la fin du morceau de leitmotive de l’entrouvrement des portes se fait entendre. Hexcraft : imaginez un Botticelli maudit qui n’ait pas composé le Printemps, mais une saison d’outre-tombe qui sente le sexe, la mort et le feu. L’ordre du Dragon se recrute aussi au pays des hommes où l’on brûle damnés et hérétiques, les âmes qui ont traversé le feu des bûchers se métamorphosent en ardences phénixales, les filles de Hel dansent dans une Walpurgis de renaissance et de fécondation. Si le rythme est relativement cadencé au début il prend peu à peu l’allure d’un cheval fou lancé dans un galop d’épouvante. Les guitares comme d’incandescents fulgurances d’épées brandies… Grondement du vocal qui s’étire comme les tripes d’un chat qu’on éviscère. Asmodeus : the sword of Colachab : attention Coalachab est l’inverse du feu de l’arbre de vie sérophital qui débarrasse le monde de ses miasmes et de ses impuretés, il est le feu de l’arbre de mort qliphothal qui détruit pour le plaisir de détruire, pour répandre le mal et anéantir l’ordonnance divine, Asmodée est un des Démons les plus importants – il se murmure que c’est lui sous forme de serpent qui a séduit Eve…  Asmodée ouvre les portes de l’Enfer pour qu’à la tête de la Chevalerie noire il aille semer la mort sur terre, sans doute respecte-t-il un équilibre de la terreur, autant de braves aura-t-il menés, autant de morts dont il ramènera les âmes victimales de l’autre côté du portail infernal, chevaux ployant sous le poids des corps morts, mais Asmodée brandit son épée et les têtes volent, il est le grand Destructeur, avant de passer la porte il se retourne et regarde tel un visionnaire le grand carnage que lui et sa troupe ont opéré. Astaroth : the jaws of Gha’Agseblah : Gha’Agseblah s’apparente à ce que l’on pourrait appeler l’érotologie mystique : ne soyez pas surpris de la beauté soyeuse de l’intro, ni de la chute vertigineuse qui suit, les vocaux sortent leurs griffes de chat, vous êtes la souris, Astaroth est un démon de l’Enfer d’autant plus dangereux qu’il est double, un être répugnant à l’odeur fétidé, oui mais aussi la plus belle de toutes les déesses, l’Astarté phénicienne, sœur en beauté d’Aphrodite, et parente d’Inanna déesse de la mort mésopotamienne, elle vous accueille, elle vous vous sourit, elle vous caresse, elle est la passeuse, l’étoile noire de l’abîme, déjà vous êtes son enfant sur terre et c’est elle qui vous redonne vie pour servir dans les légions ténébreuses du Dragon. Avez-vous déjà entendu un morceau de Metal aussi fou. Astaroth sait vous séduire. Necrobiological chant of Tara : nécrobiologie, le terme est contradictoire, comment la mort peut-elle être biologique, porteuse de vie, c’est pourtant ce que laissent entendre les morceaux précédents, pour mieux l’illustrer voici un exemple de mythologie hindou, Kali, Ananta, Inanna eet bien d’autres déesses nommées dans les lyrics, elles sont toutes différentes comme chacun des jours de votre vie forment une seul existence, De Kali la tueuse à Tara la consolatrice, toutes vous font le don de la vie et le don de la mort. Et le don de la vie après la mort. Soit dans le cycle des renaissances, soit dans l’ordre du Dragon Rouge originel. Serpent Noir, ne serait-ce pas la langue du Dragon Rouge, vous étourdit de son assommance battériale, de son grondement vocalisé, et de ses guitares de feu.  Goeh Ra Reah : garm unchained : (ce titre signifie-t-il  si je m’en rapporte à mes infimes connaissances interprétatives hébraïques ‘’Calme, mauvaise odeur – voir Astaroth - la lettre dévoilée,), le texte s’apparente à  une reprise de tout le parcours effectué durant les six stations précédentes. Carlsson ne chante pas vraiment. Il explique et vaticine. La scène est prise de plus haut, d’autant plus étonnant qu’il s’agit de la descente dans l’Abîme, la focale temporelle est élargie, Virgile et Béatrice sont nommés  pour avoir passé la porte des Enfers. Le Christ aussi - si Dieu est mort, n’a-t-il pas franchi le long calvaire du  seuil appelé via Dolorosa – le véritable Seigneur n’est-il pas celui qui règne en maître : le Dragon Rouge… Serpent Noir déroule sa musique comme l’on étendait un tapis d’ordalie chez les Grecs. A vous de tenter l’expérience. L’alchimie ne vous fait-elle pas passer du noir au rouge, de la Mort au Dragon.

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             (Il existe sur YT une Official Vidéo de ce morceau Enfin plutôt une projection engrammique rituellique destinée à émettre des effets psychiques. Comme sur les hypocrites recommandations qui accompagnent les publicités sur l’alcool je le ferais précéder de la mention : A consommer avec modération. Ceci n’est pas une mise en garde, juste une hypocrisie.

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             Pour ceux qui veulent en sa-voir davantage : Serpent Noir, Complete Show au Klub le 23 mai 2023 in Paris, longue mélopée insidieuse lyrique et serpentine. Soleil rouge.)

             Voilà, maintenant vous possédez les éléments prémissaux qui vous permettront de briguer l’initiation dans l’Ordre du Dragon. Vous n’êtes pas obligé. Vous pouvez vous contenter d’écouter la musique. Du très bon Metal dont on forge les meilleures épées.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 651 : KR'TNT ! 651 : PETER GURALNICK / THE BIG IDEA / TÖ YÖ / TY KARIM / JOHN CALE / ROTTING CHRIST / ALEISTER CROWLEY / ROCKAMBOLESQUES

     

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 651

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    27/ 06 / 2024

     

    PETER GURALNICK / THE BIG IDEA

    TÖ YÖ / TY KARIM / JOHN CALE

    ROTTING CHRIST / ALEISTER CROWLEY

      ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 651

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Guralnick plus ultra

     (Part Two)

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             Part Two ? Mon œil ! Ça fait un moment que Peter Guralnick hante les soutes de ce bloggy blogah. On l’a vu intervenir au service de Sleepy LaBeef, d’Elvis et de la Soul (Sweet Soul Music). Le voilà de retour dans l’actu déguisé en Père Noël avec un gros patapouf imprimé en Chine : The Birth Of Rock’n’Roll - The Illustrated Story of Sun Records. En Père Noël, car paru pour les fêtes, et comme le Dylan book (The Philosophy Of Modern Song), le Sun book se retrouve transformé en cadeau de Noël. C’est vraiment ce qui peut arriver de pire à un book. Des grosses rombières réactionnaires offrent ce genre de book à leurs couilles molles de maris qui disent «oh merci chérie» uniquement par politesse. Pour des auteurs comme Peter Guralnick et Bob Dylan, c’est insultant de se voir mêlé à ça. Mais qu’y peut-on ? Rien.

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             On laisse passer quelques mois pour chasser les odeurs, puis on met le nez dedans. Impossible de faire l’impasse sur le nouveau Guralnick, d’autant qu’il co-signe cette espèce de bible grand format avec l’autre grand spécialiste de Sun, Colin Escott. L’ouvrage fait partie de ceux qu’on peut qualifier de déterminants. Même si on prétend connaître l’histoire de Sun par cœur, on a vraiment l’impression de tout reprendre à zéro, car l’enthousiasme de Guralnick reste intact, après tant de books et tant d’années. En plus, l’objet est magnifique. Tu ne regrettes pas ton billet de 50. Choix d’images parfait, qualité d’impression parfaite, ambiance parfaite, le patapouf pèse de tout son poids entre tes mains, tu rentres là-dedans comme si tu entrais dans un lagon à Hawaï, c’est un moment privilégié. Guralnick et Escott se partagent ce festin de pages : Escott traite la partie historique de Sun, et Guralnick se réserve la part du lion : les singles Sun. Il fait un festival. Ça explose à toutes les pages. Le fan n’a pas vieilli. Il ne parle que de très grands artistes. Chaque page te coupe le souffle. Aw my Gawd, Uncle Sam a TOUT inventé. Sun et Sam, c’est une histoire unique, une histoire parfaite qui te rend fier d’appartenir à cette école de pensée. Jerry Lee signe la préface. Il te balance ça directement : «It was real rock’n’roll and that’s what we did at Sun. We cut real rock’n’roll records. That was the beginning of it all. Rock’n’roll started at Sun Records, and without Sun there would be no rock’n’roll.» C’est bien que ce soit Jerry Lee qui le dise. Plus loin, il ajoute ceci qui est bouleversant : «Des tas de gens m’ont demandé au fil des années ce que je pensais de Sam Phillips. C’est sûr qu’on a eu des moments tendus, mais vous savez, il était comme un frère pour moi. Il m’a aidé à démarrer, et je lui en serai toujours reconnaissant. Il n’y aura jamais plus un cat comme lui et il n’y aura jamais plus un Sun Records. (...) Sam Phillips et Sun Records ont changé le monde.» C’est l’une de plus belles préfaces que tu pourras lire dans ta vie, car c’est l’hommage d’un géant à un autre géant.

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             Quand Jerry Lee débarque chez Sun en 1956 pour une audition, Uncle Sam n’est pas là. Il se repose en Floride. C’est Jack Clement qui enregistre l’audition. Quand Uncle Sam entend l’enregistrement à son retour de vacances, il dresse l’oreille : «Where in hell did this man come from?». Il y entend quelque chose de spirituel. Il dit aussitôt à Jack : «Just get him in here as fast as you can.» Jerry Lee enregistre «Crazy Arms» en décembre 1956 chez Uncle Sam. Puis tous les génies locaux viennent taper à la porte d’Uncle Sam. Escott cite l’exemple d’Harold Jenkins qui ne s’appelle pas encore Conway Twitty et qui a composé «Rock House», un cut qu’Uncle Sam adore et qu’il achète pour Roy Orbison qu’il essaye de lancer. Plus tard, Uncle Sam dira à Conway qu’il n’avait pas la bonne voix pour enregistrer son cut. Alors Conway a bossé pour trouver un style.

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             Puis on plonge dans le cœur battant du Sun book, les pages de Guralnick intitulées ‘The 70 Recordings’. 70 singles Sun. Il fait feu de tous bois. Il n’a jamais été aussi en forme. Quelle exubérance ! Démarrage en trombe avec Jackie Brenston, Ike Turner et Rosco Gordon. Uncle Sam, nous dit Guralnick, est persuadé que «Rocket 88» va exploser les frontières - move out of the race field into general popularity - Ça s’appelle une vision - That was Sam Phillps articulated vision of the future: that music would break down barriers, musical, social, above all racial. And that was something in which he would firmly believe all his life - Guralnick re-balance ici une évidence, pas de problème, ce sont des évidences dont on ne se lasse pas. Uncle Sam a fait le job, Elvis aussi, en popularisant la musique noire. Et puis tu as toutes ces images extraordinaires : B.B. King jeune avec une belle Tele, et à la page suivante, Wolf jeune, en veste blanche, photographié dans une épicerie avec une petite guitare dans ses grosses pattes. Quand Uncle Sam entend Wolf sur une radio locale, il saute en l’air et s’exclame : «THIS IS WHAT I’M LOOKING FOR.» Guralnick met l’exclamation en Cap alors on la remet en Cap, puis Uncle Sam réussit à faire venir Wolf dans son studio. C’est là qu’il s’exclame : «This is where the soul of a man never dies.» Uncle Sam avait tout compris. Un peu plus tard, Andrew Lauder éprouvera exactement la même chose. Et on verra Brian Jones assis aux pieds de Wolf dans une émission de télé américaine. Tu tournes la page et tu tombes encore de ta chaise, car voilà une photo en pied de Joe Hill Louis avec dans les pattes une magnifique gratte blanche. Pour chanter les louanges de «Gotta Let You Go», Guralnick parle d’un son «raw and gut-bucket (not to mention chaotic), a feel as any record that Sam would ever release.» En plus d’être un visionnaire, Uncle Sam a le génie du son. Son modèle, c’est le «Boogie Chillen» d’Hooky qui fut aussi le modèle absolu de l’ado Buddy Guy - With its driving beat, it may well have been the downhome blues first and only million seller - Rien qu’avec les blackos, Guralnick a déjà gagné la partie. Les early Sun singles sont des passages obligés. Puis arrivent Willie Nix, Jimmy & Walter, Rufus Thomas, Ma Rainey qu’on voit danser dans une photo extraordinaire avec Frankie Lymon, et dans la page consacrée à Jimmy DeBerry, Uncle Sam explique qu’il ne supporte pas la perfection - Perfect? That’s the devil - Il lui faut des imperfections. Même si le téléphone sonne en plein enregistrement, il garde l’enregistrement. Pour lui «Time Has Made A Change» «is a mess, but a beautiful mess.» Plus loin, on tombe sur le pot aux roses de Junior Parker et le fameux «Love My Baby/Mystery Train». Pour Guralnick c’est le prototype de tout ce qui va suivre. Uncle Sam est dingue du rythme de Mystery Train, un rhythmic pattern qu’on va retrouver dans «Blues Suede Shoes». Guralnick parle aussi de la «house-wrecking guitar» de Floyd Murphy qu’Uncle Sam imposera comme modèle à tous les guitaristes blancs qui entreront dans son studio. Et puis il y a la partie vocale de Junior Parker que Guralnick compare à celle d’Al Green - Qui a dédicacé son ineffable «Take Me To The River» to a cousin of mine, Little Junior Parker - On reste en famille. Aux yeux de Guralnick, ce single est le single Sun le plus parfait - Sam Phillips most «perfect» two sided single - À moins que ce ne soit, ajoute-t-il, goguenard, le premier single de Wolf. Guralnick rend aussi un hommage appuyé à Billy The Kid Emerson qu’on voit apparaître à plusieurs reprises dans le book - Eccentric talent, fabuleux compositeur - On reste dans les excentriques avec Hot Shot Love et «Wolf Call Boogie». Uncle Sam est friand d’excentriques et Guralnick ajoute qu’Uncle Sam aurait pu se targuer d’être le plus grand excentrique de tous. Hot Shot Love dialogue avec lui-même comme Hooky dans «Boogie Chillen» et Bo Diddley avec Jerome Green. Mais derrière, on entend ce démon de Pat Hare.  

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             Et le book explose à la page 105 avec Scotty Moore. Scotty n’est pas encore avec Elvis, il joue avec les Starlite Wranglers et accompagne Doug Poindexter sur «My Kind Of Carrying On». Il entre chez Uncle Sam pour la première fois en 1954. Les Wranglers sont son groupe et il vient de recruter comme chanteur un boulanger nommé Doug Poindexter qui est passionné d’Hank Williams. Puis Scotty prend l’habitude de passer voir Uncle Sam chaque jour après le boulot (il bosse au pressing de son frangin). Uncle Sam lui parle de ses visions du futur - Sam savait que les choses allaient changer. Il le pressentait. C’est pourquoi il enregistrait tous ces artistes noirs - Ce qui intéresse Uncle Sam chez les Wranglers, c’est nous dit Guralnick l’interaction qui existe entre Scotty et Bill Black. Et Uncle Sam teste ses idées de son - A kind of artificial echo - Il fait passer la bande enregistrée en simultané dans un deuxième magnéto, ce qui crée un delay. Il baptise son invention «slapback», un effet qui allait devenir «the hallmark of the Sun sound.» Puis le 3 juillet 1954, Uncle Sam envoie un jeune mec auditionner chez Scotty. C’est Elvis qui se pointe chez Scotty en chemise noire, pantalon rose et pompes blanches. En ouvrant la porte, Bobbie, qui est la femme de Scotty, est complètement sciée. C’est le lendemain qu’ils enregistrent le fameux cut historique. Tu tournes la page sur qui tu tombes ? Devine... C’est facile. Charlie Feathers. Photo connue. Charlie gratte sa gratte en souriant. Guralnick le qualifie d’aussi «extravagantly gifted as anyone on the Sun roster - and as determinedly eccentric.» Mais Charlie est pour lui-même son pire ennemi et Uncle Sam ne le sent pas assez motivé «pour réaliser son potentiel». Charlie ne fait confiance à personne. Il est assez ingérable. Bill Cantrell dit de lui «qu’avec un petit peu d’éducation et un petit peu de bon sens, il aurait pu faire carrière comme Carl Perkins.» Charlie va enregistrer ses hits sur King à Cincinnati, et comme le dit si bien Guralnick, «il n’a jamais eu de succès, mais il a su créer une légende.»  

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             À ce stade des opérations, force est de constater que le book s’emballe. Guralnick perd un peu les pédales. L’image est celle d’un gosse affamé devant la vitrine du pâtissier. Il veut tout bouffer, tous les gâtös, tous les éclairs, toutes les religieuses, toutes les tartelettes à la frangipane, tous les mokas et tous les millefeuilles, c’est-à-dire tout Elvis, tout Carl Perkins, tout Billy Riley, tout Jerry Lee, c’est incroyable, tous ces gâtös chez Uncle Sam le pâtissier du diable. Et du Sun, t’en bouffe avec Guralnick à t’en faire exploser la panse, tu tombes sur un immense portait de James Cotton qui file des coups d’harp pour «Cotton Crop Blues», puis tu tombes en arrêt devant Harmonica Frank, en pantalon rayé, sa gratte dans les pattes et un truc à la bouche. Oh c’est pas un cigare, c’est son harmo. Une vraie gueule de taulaurd, l’un des plus gros flashes d’Uncle Sam. Guralnick s’excuse d’avoir abusé du mot excentrique - eccentric par ci, eccentric par là - D’ailleurs Uncle Sam donne sa propre définition de l’eccentric : «Individualism to the extreme.» Mais Guralnick dit qu’on est obligé de parler d’eccentric à propos d’Harmonica Frank, «a grizzled White medecine show veteran in his forties», un mec qui joue de l’harmo sans jamais y mettre les mains, l’harmo est dans sa bouche et il chante en même temps. Uncle Sam : «A beautiful hobo. He was short, fat, very abstract - vous le regardiez et ne saviez pas ce qu’il pouvait penser, ni ce qu’il allait chanter ensuite. He had the greatest mind of his own - I think hobos by nature have to have that - et ça m’a fasciné depuis le début. Et il avait certains de ces vieux rythmes et vieilles histoires qu’il avait enrichis, and some of them were so old, God, I guess they were old when my father was a kid.» Le propos d’Uncle Sam sonne comme une parole d’évangile.

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             Quand tu tournes, c’est un peu comme si tu prenais la porte dans la gueule : Elvis. «That’s All Right». C’est la révolution qu’annonçait Uncle Sam à Scotty Moore. Guralnick précise sa pensée : «C’est peut-être ou ça n’est peut-être pas le moment où est né le rock’n’roll (en fait ça ne l’est pas), mais de toute évidence, c’est la naissance de something new.» Guralnick confirme que «That’s All Right» est arrivé «par accident», pendant le coffee break. Ça tombait à pic. Guralnick ajoute que la version était si pure dans son essence, qu’Uncle Sam n’a rajouté aucun effet. No slapback. One take or two - And it’s just as timeless today as it was then, and just as uncategorizable - Quelques pages plus loin, tu les vois tous les trois sur scène, Elvis, Scotty et Bill Black, le premier power-trio de l’histoire du rock. Magnifico. Comme si tout ce qui est venu après était superflu. Guralnick considère «Baby Let’s Play House/I’m Left You’re Right She’s Gone» comme «the apogee of Elvis’ Sun career». Selon l’auteur, «the brand-new hiccoughing slutter just knocked Sam out.» Plus loin, il revient sur «Tryin’ To Get To You», an obscure R&B song qu’Elvis commençait à bosser chez Sun au moment où Uncle Sam négociait la vente de son contrat. Le single ne sortira pas sur Sun, mais sur le premier album RCA d’Elvis, et quand les gens demandent à Guralnick quel est son cut préféré d’Elvis, il répond «Tryin’ To Get To You». Dans «Letter To Memphis», Frank Black rend aussi hommage à Elvis en miaulant Tryin’ to get to you/ Just tryin’ to get to you dans le refrain.

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             Nouveau flash cette fois sur Willie Johnson, le premier guitariste de Wolf. Guralnick consacre cette double au «I Feel So Worried» de Sammy Lewis & Willie Johnson Combo. Il qualifie Willie Johnson de «smolderingly overamplified player». Uncle Sam fut fasciné par l’attaque et la subtilité du jeu de Willie qui combinait «lead and rhtyhm in a combination of thick, clotted chords and defty distorted single-string runs.» Guralnick s’emballe : «Mais il n’y avait pas que ça. Il allait beaucoup plus loin que les bebop inflections, on entendait des échos du phrasé délicat de T-Bone Walker, et beaucoup important, il sortait the dirtiest sound you could ever imagine being drawn from an electric guitar. C’est là que Sammy Lewis entrait dans la danse avec son harmo et tous les deux ils créaient un son tellement explosif que, lorsque Willie criait «Blow the backs of it, Sammy», vous aviez vraiment l’impression qu’il allait le faire.» Guralnick a vraiment bien écouté ses singles Sun. Chaque fois, il sait dire pourquoi c’est un chef-d’œuvre. Le book ne contient que ça, des pages superbes. C’est assommant. Il faut lire à petites doses. Conseil d’ami. 

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             Encore une double faramineuse sur Carl Perkins, pour le single Sun «Let The Jukebox Keep On Playing/Gone Gone Gone». C’est Carl qui débarque pour la première fois chez un Uncle Sam qui n’a pas le temps, mais qui dit quand même «Okay, get set up. But I can’t listen long». On voit à quoi tient le destin d’un artiste : à peu de chose. Carl poursuit : «Plus tard,  il m’a dit : ‘Je ne pouvais pas dire non. J’avais encore jamais vu un pitifuller-looking fellow as you looked quand je vous ai dit que je n’avais pas le temps. You overpowered me. Alors je lui ai répondu que ce n’était pas mon intention, mais que j’étais content de l’avoir fait. That was the beginning right there.» Carl Perkins, sans doute le plus grand d’entre tous. Remember le Mystery Train de Jim Jarmush et les deux kids japonais qui hantent les rues de Memphis : elle est fan d’Elvis et lui de Carl Perkins. Merci Peter Guralnick de remettre les pendules à l’heure avec tous ces héros. Tu tournes la page et tu retombes sur Carl avec une pompe à la main. Logique, c’est la double «Blue Suede Shoes». Wham bam. Enregistré un mois après le départ d’Elvis pour RCA.   

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             Et voilà Uncle Sam en compagnie de Rosco Gordon et «The Chicken (Dance With You)». Rosco est l’un des premiers cracks qu’Uncle Sam ait enregistré - One of his favorite «originals» - bien avant «Rocket 88», précise l’indestructible Guralnick. Uncle Sam ne voit pas Rosco comme un bon pianiste, mais «as a different kind of piano player, with a unique, rolling style.» Sam lui dit qu’il est le seul au monde à jouer comme ça, et Rosco lui répond : «I don’t know what it is, it’s not blues. It’s not pop. It’s not rock. So we gonna call it ‘Rosco’s Rhythm’.» Puis Guralnick rappelle que le chicken de Rosco s’appelait Butch et que Butch mourut alcoolique, car Rosco lui faisait boire une capsule remplie de whisky tous les soirs avant de monter sur scène.

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             Et puis les inévitables : Cash et Roy Orbison avec leurs têtes à claques. Puis back to the real deal, Carl Perkins dans une double intitulée «Boppin’ The Blues», un hit qui devrait être l’hymne national américain. Photo démente de Carl en chemise rayée, en train de gratter sa Les Paul. Plus rockin’ wild, ça n’existe pas. Puis la gueule d’ange de Billy Riley, suivi de Sonny Burgess et «Red Headed Woman/We Wanna Boogie». Guralnick commence par dire qu’il craint de se répéter. Puis il donne la clé de Sonny : l’enthousiasme - Like Billy Riley, Sonny Burgess was the one of the preeminent wildmen of Southen rock - Uncle Sam ne tarit pas d’éloges sur Sonny : «C’était un groupe qui savait ce qu’il faisait, and they had a sound like I’ve never heard. Maybe Sonny’s sound was too raw, I don’t know - but I’ll tell you this. They were pure rock and roll.»

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              Sun qui a déjà connu maintes apothéoses en connaît une nouvelle avec Jerry Lee. Guralnick a du mal à monter les enchères : «Okay, remember I said, ‘This is it’, I’m sure more than once. Well this was definitely it once again, a pivotal moment in the history of rock’n’roll.» On s’aperçoit au fil des pages que Guralnick accomplit un exploit. Il veille à saluer chacun des géants découverts par Uncle Sam de la façon la plus honnête qui soit. Pas facile de faire un Sun book. Essaye et tu verras. Une fois de plus, Jerry Lee arrive par accident. Chez lui à Ferryday, il lit un canard qui raconte l’histoire d’Elvis et qui cite le nom de Sam Phillips comme «the guiding influence behing all these rising stars, Elvis, Johnny Cash, Carl Perkins, even B.B. King», alors il décide, lui le kid Jerry Lee, qu’il a autant de talent que toutes ces rising stars. Il dit à son père Elmo : «This is the man we need to go see.» Guralnick consacre autant de doubles à Jerry Lee qu’à Elvis. Ça tombe sous le sens. Dans la double «Whole Lot Of Shakin’ Going On», Guralnick s’étrangle de jouissance : «His appearance on July 28, 1957, was nothing short of cataclysmic. Vous ne me croyez pas ? Watch the video. And now watch it again. And again. De toute évidence, c’est l’un des moments clés du rock’n’roll, as Jerry Lee kicks out his piano stool, and Steve Allen sends it flying back.» Nouvelle éruption volcano-guralnicienne avec «Great Balls Of Fire», puis «In The Mood», au moment où Jerry Lee est au plus bas. Uncle Sam tente de restaurer son image - He was the most talented man I ever worked with, Black or White. One of the most talented human beings to walk on God’s earth. There’s not one millionth of an inch difference  (between) the way Jerry Lee Lewis thinks about music and the way Bach or Beethoven felt about theirs - Guralnick rappelle en outre qu’en 1961, pour la sortie du single Sun «What’d I Say», Jerry Lee et Jackie Wilson partirent ensemble en tournée dans une série de Black clubs, «in what was billed without exageration as ‘The Battle of the Century’.»

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             Puis vient le temps de Charlie Rich, et Guralnick démarre sa double ainsi : «Of all his artists, Sam saw Charlie Rich alone as standing on the same level of emotional profundity as Howlin’ Wolf.» Ça s’appelle planter un décor. Dans ses interviews, Uncle Sam ne manquait jamais nous dit Guralnick de revenir sur ce point. Il le classait parmi les profonds inclassables, comme Wolf. C’est vrai que Charlie Rich est profondément inclassable. Sur la photo en vis-à-vis, il est presque aussi beau qu’Elvis. C’est la double «Who Will The Next Fool Be», sorti sur Phillips International. On tombe à la suite sur Frank Frost, le dernier black qu’Uncle Sam ait enregistré. Il vaut le détour, comme d’ailleurs tous les autres. Sun est une mine d’or. L’idéal pour tout fan éclairé est de rapatrier les six volumes des Complete Sun Singles parus chez Bear : overdose garantie, contenu comme contenant. Pareil, il faut écouter ça avec modération. On y reviendra un de ces quatre.

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             Le dernier single Sun (Sun 400) est le légendaire «Cadillac Man» des Jesters. Pourquoi légendaire ? Parce Dickinson et parce que Jerry Phillips, fils cadet d’Uncle Sam, et parce que Teddy Paige, future légende vivante. On les voit photographiés avec Uncle Sam qui porte un costard noir. Écœurant d’élégance. En fait, c’est Knox, l’autre fils d’Uncle Sam, qui a enregistré la session. Jerry gratte la rythmique. Dickinson chante et pianote. Quand Sam entend «Cadillac Man», il le sort sur Sun, en 1966. Mais son cœur n’y est plus. Il va d’ailleurs vendre Sun. 25 ans plus tard, il rendra hommage à Dickinson, lors de son 50e anniversaire : «Vous savez, je ne crois pas que Jim Dickinson ait jamais eu honte de l’horrible musique qu’il jouait - Sam joked (I think!) - and that’s not easy to do.»  

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             Colin Escott referme la marche avec le rachat de Sun et Shelby Singleton. Si Uncle Sam lui revend Sun, c’est uniquement parce qu’il sait que Sun est entre de bonnes mains. Colin Escott documente formidablement cet épisode historique. Singleton fouille dans les archives d’Uncle Sam et déterre des tas d’inédits, Cash, Jerry Lee, puis arrive Orion. Comme il n’a pas accès à Elvis, Singleton se rabat sur un clone d’Elvis, Jimmy Ellis, qu’il baptise Orion. C’est vrai que les pochettes sont belles. On y reviendra un de ces quatre.  

    Signé : Cazengler, Sun of a bitch

     Peter Guralnick & Colin Escott. The Birth Of Rock’n’Roll. The Illustrated Story of Sun Records. Omnibus Press 2022

     

     

    L’avenir du rock

     - The Big Idea est une bonne idée

             Qui aurait cru qu’en errant dans le désert, on rencontrait des tas de gens intéressants ? C’est en tous les cas le constat que fait l’avenir du rock. Il y a croisé Ronnie Bird, M le Muddy, les Courettes, Sylvain Tintin porté par Abebe Bikila et ses trois frères, Lawrence d’Arabie, et des tas d’autres voyageurs inopinés. Alors ça lui plaît tellement qu’il a décidé de continuer d’errer. Errer peut devenir un but en soi, mais il faut bien réfléchir avant de prendre ce genre de décision. On ne décide pas d’errer comme ça, pour s’amuser. Non, c’est un choix de vie, ce qu’on appelait autrefois une vocation. Plongé dans ses réflexions, l’avenir du rock avance en pilote automatique. Un personnage étrange arrive à sa rencontre et le sort de sa torpeur méditative. L’homme porte sur les épaules une énorme poutre en bois. L’avenir du rock s’émoustille :

             — Oh mais je vous reconnais ! Zêtes Willem Dafoe !

             Dafoe sourit. Son visage s’illumine de toute la compassion dont il est capable.

             — Qu’est-ce que vous fabriquez par ici, Willem ?

             — Oh ben j’erre... Dans quel état j’erre... Où cours-je... Martin Scorsese m’a envoyé errer par ici. On va tourner La Dernière Tentation Du Christ, alors il veut que je m’entraîne.

             — Ça fait longtemps que vous zerrez ?

             — Chais plus. Pas pris mon portable. Ça doit faire quelques mois.

             — Et la couronne d’épines, ça fait pas trop mal ?

             — Oh ça gratte un peu, mais bon, c’est comme tout, on s’habitue.

             — En tous les cas, zêtes bien bronzé, Willem. Vous serez magnifique sur la croix.

             — Au début, j’avais des sacrés coups de soleil, mais maintenant, ça va mieux.

             — Dites voir, Willem, dans votre entraînement, il y a aussi les miracles ?

             — Oui, bien sûr. Vous voulez quoi, du pain, du vin, du boursin ?

             — Non, zauriez pas quelque chose de plus original ?

             — Vous me prenez au dépourvu. Attendez, j’ai une idée. Voilà...

             — Voilà quoi ?

             — Zêtes bouché ou quoi ? Je viens de vous le dire : the Big Idea !

     

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             Ils arrivent comme l’annonce le Christ scorsesien, par miracle. Tu ne les connais ni d’Eve ni d’Adam. Ils montent en short sur scène, enfin trois d’entre eux.

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    Ils s’appellent The Big Idea, ce qui est en vérité une bonne idée. Apparaissent très vite des tas de particularités encore plus intéressantes : ils sont tous quasiment multi-instrumentistes, ils savent tous chanter, la loufoquerie n’a aucun secret pour eux, ils jouent à trois grattes plus un bassmatic, avec un bon beurre et des chics coups de keys, et petite cerise sur le gâtö, ils savent déclencher l’enfer sur la terre quand ça leur chante. Et là tu dis oui, tu prends la Big Idea pour épouse. Pour le pire et pour le meilleur. Disons que le pire est une tendance new wave sur un ou deux cuts en début de set, et le meilleur est un goût prononcé pour l’apocalypse grunge, mais la vraie, pas l’autre.

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    Ils cultivent l’apanage d’un large éventail et passé l’inconfort moral d’un ou deux cuts new wavy, tu entres dans le jeu, car chaque cut réserve des surprises de taille. Ils sont tous fantastiquement brillants, ça joue des coups de trompettes free au coin du bois, et les belles rasades de congas de Congo Square te renvoient tout droit chez Santana. En plus, ils sont drôles, extrêmement pince-sans-rire. À la fin d’un cut, le petit brun en short qui joue à gauche balance par exemple des petites trucs du genre : «Elle était pas mal celle-là.» On le verra danser la macumba du diable sur scène et aller fendre la foule comme Moïse la Mer Rouge pour chanter à tue-tête une extraordinaire «chanson d’amour», comme il dit.

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    On sent chez eux une réelle détermination, un vrai goût des chansons bien faites, leur ahurissante aisance leur donne les coudées franches, ils sont encore jeunes, mais ils semblent arborer une stature de vétérans de toutes les guerres, ce que va confirmer l’un d’eux un peu plus tard au merch.

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    «On est un vieux groupe», dit-il. Il ajoute qu’ils ont déjà enregistré cinq albums. What ? Cinq albums ! Un vrai labyrinthe ! Mais le pot-aux-roses arrive. À la question rituelle du vous-zécoutez quoâ ?, il balance le nom fatal : The Brian Jonestown Massacre. What ? Et d’expliquer qu’ils ont formé ce groupe après avoir vu Anton Newcombe sur scène. Alors bam-balam, ça ne rigole plus. Et pourtant, leur set n’est pas calqué directement sur les grooves psychotropiques d’Anton Newcombe, c’est beaucoup plus diversifié, mille fois plus ambitieux, comme si les élèves dépassaient le maître. Mais - car il y a un mais - ils ont retenu l’essentiel de «l’enseignement» du maître : la modernité. The Big Idea est un groupe éminemment moderne. Mieux encore, pour paraphraser André Malraux : The Big Idea sera moderne ou ne sera pas.

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             Alors t’en ramasses deux au merch pour tester. Margarina Hotel date de 2019. Seul point commun avec le Brian Jonestown Massacre : la modernité. Mais pas vraiment le son - La vie est belle/ Au bord de l’eau - groovent-ils dans cette samba de Santana, «The Rivers King». On assiste cut après cut à une incroyable éclosion de diversité. Tout est chargé d’événementiel, la pop d’«Is In Train» est bienveillante, ils prennent le chant chacun leur tour, comme sur scène. Et voilà «In Shot» qui groove entre les reins de l’or du Rhin, groove de rêve et voix plus grave - And for the next turn/ I swear they won’t find us - Une merveille tentaculaire ! «Two» est plus new-wavy, mais léger, ça reste une pop de pieds ailés, visitée par un solo de grande intensité. Tu te passionnes pour ce groupe. «Us Save» délire sur le compte d’you are the fruit of desire. Ils font du Pulp quand ils veulent. Encore un soft groove de rêve avec «At Lose» - Everyboy wants to be at home/ In the sofa - Ils se diversifient terriblement. Toujours pareil avec les surdoués. Nouveau coup de Jarnac avec «Re-Find Milk» et son bassmatic à la Archie Bell. Tout ici n’est que luxe intérieur, calme et volupté. Merveilleux univers ! Et ça continue avec le come on & get a ride Sally de «Quick & Party» - We’re going to Crematie - C’est dans cette chanson qu’on entre au Margarina Hotel. Ils bouclent avec «The Peace» qui grouille de héros des Beatles, Lovely Rita et Bungalow Bill.

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             Leur petit dernier s’appelle Tales Of Crematie. Il vient de paraître et s’accompagne d’un petit book que t’offre le fils spirituel d’Anton. Le book porte le même nom que l’album et nous raconte en une trentaine de pages «une épopée fantastique et dantesque du roi Andrew Ground et de ses amis, qui les emmènera aux confins des terres maudites du Royaume de Renëcoastie et d’eux-mêmes.» Tu découvres une carte des deux îles, la Crématie et en face, une île composée de trois royaumes, la Diplomatie, la Sylvanie et la Renëcroastie. Le conte nous raconte le temps de la paix puis le temps de la guerre. L’un des quatre rois s’appelle bien sûr Anton Mac Arthur. Les rois font appel à Zeus pour les aider à mettre fin à la guerre. Zeus accepte et leur confie à chacun d’eux une pierre qui garantit la paix et qui ne doit pas se briser. Chacune des pages du book illustre un cut de l’album. Pas mal de jolies choses sur Tales Of Crematie. On y retrouve ces aspects ‘new wave militaire’ («Guess Who’s Back») du set, à la limite du comedy act. Retour au «Margarina Hotel» de l’album précédent avec les percus, the king & his butterflies. C’est jouissif et pianoté à la folie - Only a king makes it possible - Ils font de la prog («The Council Of The King»), mais leur prog peut exploser. Gare à toi ! Les cuts sont tous longs et entreprenants. Bizarrement tu ne t’ennuies jamais, comme tu t’ennuierais dans un album de Genesis ou du Floyd post-Barrett. «The River’s Queen» nous plonge dans la folie rafraîchissante des collégiens, et ça explose dans la phase finale. C’est à la fois leur grande spécialité et ce qui rend leur set spectaculaire. «In The Claws Of Cremazilla» s’ouvre dans une ambiance mélancolique et puis ça monte violemment en neige. Tout est parfait dans cet album, les flambées, les idées, surtout les flambées, elles sont toutes extravagantes. On voit encore «The Cursed Ballerina» s’ouvrir sur le monde, et ça vire wild jive de jazz by night, avec un sax in tow. Effarant ! Et puis tu as «With A Little Help From ESS 95» qui démarre en mode Procol et au bout de trois minutes, ça s’énerve, on ne sait pas vraiment pourquoi. Encore une lutte finale en forme d’explosion nucléaire ! Ils explosent encore la rondelle des annales avec «The Fight». Décidément, c’est une manie. Et la cerise sur le gâtö est sans doute «We Are Victorians», tapé aux clameurs victorieuses du gospel rochelais. Ces petits mecs on brillamment rocké le boat du 106, alors il faut les saluer et surtout les écouter. Ce genre d’album est un don du ciel, dirons-nous.

    Signé : Cazengler, The Big Idiot

    The Big Idea. Le 106. Rouen (76). 11 avril 2024

    The Big Idea. Margarina Hotel. Only Lovers Records 2019

    The Big Idea. Tales Of Crematie. Room Records 2024

     

     

    Pas trop Tö, Yö !

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             Ils sont quatre, les Tö Yö, t’as presque envie d’ajouter Ta pour faire plus japonais. Tö Yö  Ta ! Vroom vroom ! C’est ton destin, Yö ! Taïaut, taïaut, vlà Tö Yö ! Bon Tö Yö ? Oui, c’est pas un Tö Yö crevé. Quatre Japs timides comme pas deux, et psychédéliques jusqu’au bout des ongles. T’en reviens pas de voir des mecs aussi bons.

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    C’est le genre de concert dont tu te goinfres, comme si tu te goinfrais d’un gros gâtö Yö à la crème, quand ça te coule dans le cou et dans les manches, tu t’en goinfres jusqu’à la nausée, les Japs jappent leur psyché à deux mètres de tes mains moites et tremblantes, ils jouent un heavy psyché à deux guitares, ils entrelacent leurs plans, ils lient leurs licks, ils yinguent leur yang, ils versent dans la parabole des complémentarités du jardin d’Eden, et tu as ce grand Jap zen et chevelu qui garde toujours un œil sur son collègue survolté, tu assistes à la coction d’une sorte de Grand Œuvre psychédélique, comme seuls les Japonais sont capables de l’imaginer.

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     Ils tapent des cuts longs et chargés d’atmosphère, selon les rites du genre, ils savent cultiver les ambiances et t’emmener en voyage avec eux. Ils savent tripper aussi bien que Bardo Pond, leurs intrications sont aussi viscérales, leurs ambitions aussi cosmiques. Avec Tö Yö, le psyché redevient simple, à portée de main, loin des baratins pompeux de pseudo-spécialistes, Tö Yö te fait un psyché à visage humain, comme le fut jadis le socialisme d’Alexandre Dubcek, Tö Yö te donne les clés de son royaume, viens, Yūjin, t’es le bienvenu, entre donc, regarde comme ce monde est beau, vois ces navires de guerre en feu, surgissant de l’épaule d’Orion. Vois ces C-beams dans l’obscurité, près de la Porte de Tannhäuser. Vois ces ponts de cristal et ces flèches de cathédrales qui se perdent dans la voûte étoilée.

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    Pendant une heure, les proTö Yö élèvent des architectures soniques audacieuses et majestueuses à la fois, ils évitent habilement tous les clichés et semblent couler de source. Leur psychedelia semble tellement pure, tellement naturelle que tu finis par t’en ébahir, car comment est-ce possible, soixante ans après Syd Barrett et le «Tomorrow Never Knows» de Revolver. Ne te pose pas de questions, Tö Yö t’offre l’occasion de vivre l’instant présent, alors ne le gâche pas avec tes questions à la mormoille.     

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             Par contre, des questions à la mormoille, tu vas t’en poser en écoutant l’album ramassé au merch. Le son n’a rien à voir avec celui du concert ! L’album s’appelle Stray Birds From The Far East. Son et ambiances très différents. Tu les vois s’élancer fièrement dans l’aventure et Masami Makino chante d’une voix claire et distincte, alors qu’en concert, il se contentait de pousser des soupirs psychédéliques. Avec «Hyu Dororo», ils proposent une pop orientalisante et même funky, une pop presque arabisante sertie d’un solo de cristal pur. Masami Makino chante beaucoup sur «Twin Montains». Il n’a pas de voix, mais c’est pas grave. Ambiance pop et rococo et soudain, ils mettent la pression et ça devient clair, mais d’une clarté fulgurante, ça grouille de poux psychés, ils grattent dans la cour des grands et ça devient même fascinant. Ils renouent enfin avec les pointes du set. Ils savent monter un Fuji en neige ! Les deux grattes croisent encore le fer sur «Tears Of The Sun». Elles s’entrelacent sur un beau beat intermédiaire, ça a beaucoup d’allure, les poux sont ravissants et brillent dans les vapeurs d’un bel éclat mordoré. La gratte de Masami Makino perce les blindages et celle de Sebun bat le funk asiatique sur «Titania Skyline». Et «Li Ma Li» s’en va se perdre dans le lointain. Ils dessinent un horizon, ils visent un but qui nous échappe. C’est la règle.

    Signé : Cazengler, Tö Tö l’haricöt.

    Tö Yö. Le Trois Pièces. Roun (76). 11 juin 2024

    Tö Yö. Stray Birds From The Far East. King Volume 2023

     

     

    Inside the goldmine

     - Ty taille sa route

             Cette pauvre femme en a bavé. Pendant quarante ans, Lady Taïaut a dû servir à table un démon cornu ventripotent. Elle eut en son jeune temps la malencontreuse idée de répondre à une petite annonce matrimoniale. Elle rencontra un homme bien mis dans une brasserie proche de la gare. La sentant facile d’accès, il l’invita aussitôt à dîner chez lui. Il la fit entrer dans un pavillon cossu. La salle à manger ne se trouvait pas à l’étage, mais au sous-sol. Elle s’inquiéta de la chaleur qui y régnait. Il la fit asseoir au bout d’une longue table et prit place en vis-à-vis. La table était jonchée de restes des repas précédents, principalement des os. L’homme commença à transpirer abondamment et défit sa cravate. Il passa dans la pièce voisine et revint avec une assiette qu’il déposa devant elle. L’assiette contenait un saucisson. Elle fut consternée. Il la rassura en lui expliquant qu’il se contentait de peu et qu’il cherchait une épouse pour tenir la maison. Il acheva sa conquête en lui promettant qu’elle ne manquerait jamais de rien. Il exhiba alors une énorme liasse de billets. Lady Taïaut mordit à l’hameçon, comme le ferait n’importe quelle femme pauvre, et deux semaines plus tard, ils se mariaient discrètement à la marie. Elle passa une première nuit à subir tous les outrages. Le lendemain matin, elle s’enferma dans la salle de bains pour s’examiner et découvrit avec horreur des profondes égratignures infectées aux abords de ses deux orifices. Mais comme elle était de religion catholique et élevée chez des paysans, elle garda le silence. En son temps, les femmes mariées se taisaient. Jour après jour, pendant quarante années, elle servit son époux à la grande table. Il trônait, bâfrait, grondait, il jurait, bavait, gueulait, il bouffait tellement qu’il ventripotait, ses petits yeux injectés de sang brillaient dans la pénombre. Il régnait dans cette salle à manger une chaleur infernale. À chaque repas, il lui demandait d’amener un animal vivant, agneau ou pintade, chien ou cochon de lait, chat ou canard. Elle le posait devant lui sur la grande table et il se jetait dessus en poussant de terribles hurlements. Une fois repu, il se renversait dans sa chaise et éclatait de ce rire gras qui la traumatisait. Quand elle demandait s’il avait encore faim, il répondait invariablement : «Taïaut Taïaut ! Ferme ta gueule, répondit l’écho !». Elle ne manqua jamais de rien.

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             De toute évidence, Ty Karim a connu une existence plus enviable que celle de Lady Taïaut : l’existence d’une princesse de la Soul dans la cité des anges, Los Angeles, a largement de quoi faire baver cette pauvre Lady Taïaut.

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             Fantastique compile que celle qu’Ace consacre à Ty Karim, The Complete Ty Karim: Los Angeles Soul Goddess, avec un booklet signé Ady Croasdell. Ty nous dit Ady a du sang indien. Comme pas mal de blackos, elle fuit le Mississippi avec un premier mari et une baby girl pour s’installer en Californie. Elle divorce puis rencontre Kent Harris qui va l’épouser et la mentorer. Mais le mariage ne va pas durer longtemps. La pauvre Ty nous dit Ady va casser sa pipe en bois des suites d’un cancer du sein en 1983. En fait, l’Ady n’a pas grand-chose à nous raconter, il se livre à sa passion de collectionneur pour éplucher chaque single, en décrire minutieusement le contexte, souligner la couleur du label, rappeler que Jerry Long signe les arrangements, et que toutes ces merveilles s’inscrivent dans la tranche fatidique 1966-1970. On est bien content d’apprendre tout ça. On paye l’Ady pour son savoir encyclopédique, alors c’est bien normal qu’il en fasse 16 pages bien tassées, dans un corps 6 qui t’explose bien les yeux. Bon, il nous lâche quand même deux informations de taille : c’est Alec Palao qui a récupéré les masters de Ty auprès de Kent Harris, et d’autre part, la fille de Ty & Kent, Karime Kendra (Harris) a pris la relève de sa mère et vient désormais swinguer le Cleethorpes Northern Soul Weekender.

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             Ty devrait être connue dans le monde entier pour «Lightnin’ Up» - Aw my darling/ Darling - Elle est dans un groove d’une extrême pureté, c’est le groove des jours heureux.  Ou encore pour «You Really Made It Good To Me», ce wild r’n’b de rang princier, elle est enragée, hot night in South Central. Et puis il y a ce «Keep On Doin’ Watcha Doin’» en deux parties, qu’elle tape à l’accent profond de «Walk On By», elle duette sur le Part 1 avec George Griffin, oh c’est de la Soul de si haut vol, arrosée de solos de sax et de nappes de violons. Ty et George sont magiques, on croit entendre une Soul intersidérale, et ça continue avec le Part 2, à réécouter mille et mille fois, Ty taille sa route dans un groove de magie pure. Elle étend son empire sur Los Angeles à coups de keep on doin’/ Yeah, ils sont imbattables à force de keep it et ça leur échappe au moment où le sax entre dans le groove urbain. D’autres énormités encore avec le «Lighten Up Baby» d’ouverture de bal, un r’n’b extravagant de sauvagerie, et ça continue avec «Help Me Get That Feeling Back Again», elle rôde littéralement dans le groove, Ty est une artiste superbe, elle te groove jusqu’à la racine des dents et elle devient de plus en plus wild avec «Ain’t That Love Enough», elle est hard as funk, c’est une Ty de combat. Fantastique petite blackette ! Plus loin, elle refait sa hard as funk avec «Wear Your Natural Baby». Elle est extrêmement bonne à ce petit jeu. Elle sait aussi manier le gros popotin comme le montre «Take It Easy Baby». Elle te drive ça de main de maître. Elle te broute encore le groove avec «Don’t Make Me Do Wrong», elle s’implique à fond dans la densité des choses, c’est remarquable. Globalement, Ty montre une détermination à toute épreuve. Elle chante tous ses hits avec un éclat merveilleux. Elle monte littéralement à l’assaut de la Soul et devient admirable, car elle reste gracieuse. Il faut la voir attaquer «Natural Do» comme une lionne du désert, c’est vrai qu’elle a un petit côté Dionne la lionne, elle y va au oooh-weee ! Tout aussi stupéfiant, voilà «I’m Leavin’ You», pas révolutionnaire, mais c’est du Ty pur, elle le quitte, today oh yeah bye bye, elle a raison ! Elle revient au pied du totem chanter «All In Vain». Elle est enragée, elle se pose en victime avec une voix de vampirette, elle explose dans le sexe in vain. Elle est fabuleusement barrée. Puis on tombe sur les versions alternatives et ce ne sont que des cerises sur le gâtö. Merveille absolue que l’«If I Can’t Stop You (I Can Slow You Down)», ce slow groove est gorgé d’ardeur incommensurable. Elle finit en mode hard funk avec «It Takes Money». Elle te met tout au carré, pas la peine de chipoter. It takes monay ahhh yeah. C’est du sérieux.

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             Tant qu’on y est, on peut en profiter pour écouter une autre compile qu’Ace consacre à Kent Harris, Ken Harris’ R&B Family. C’est Ady Croasdell qui se tape le booklet et ça grouille d’infos. L’essentiel est de savoir que Kent Harris est né en 1930 et que sa famille s’est installée à San Diego en 1936. Il ne date donc pas de la dernière pluie. Il faut partie des pionniers, comme Johnny Otis. Son monde est celui de la Soul d’avant la Soul, qu’on appelait le jump. Kent Harris sera compositeur, label boss, disquaire et chanteur. Il monte Romark Records en 1960 et lance une chaîne de Target record stores à Los Angeles. Il va lancer deux des reines de la Soul moderne, Ty Karim, qu’il épousera, et Brenda Holloway. Mais la botte secrète de Kent Harris, c’est sa frangine Dimples Harris & Her Combo. On tombe très vite sur l’incroyable «Long Lean Lanky Juke Box» qu’elle éclate au sucre primitif. C’est assez wild, si on y réfléchit cinq minutes. Sous le nom de Boogaloo & His Gallant Crew, Kent Harris enregistre «Big Fat Lie», un jump des enfers. Puis il enregistre ses sœurs sous le nom des Harris Sisters, avec «Kissin’ Big». C’est encore un jump au féminin, plutôt bien allumé - C’mon baby/ Just one more kiss - Comme Kent Harris se passionne pour les girl-groups, il lance les Francettes - named after Frances Dray - avec «He’s So Sweet» et «You Stayed Away Too Long». Pure délinquance juvénile - You know what - c’est réellement du grand art, le r’n’b des singles obscurs. Et puis voilà Jimmy Shaw avec «Big Chief Hug-Um An’ Kiss-Um», wild & fast, ça plonge dans un spirit wild gaga qui transforme cette compile en compile des enfers. Kent Harris était-il un visionnaire ? Les Valaquons rendent hommage à Bo avec «Diddy Bop». Nouvelle révélation avec Donoman et «Monday Is Too Late». C’est un scorcher. Il s’appelle aussi Cry Baby Curtis. Nous voilà en pleine mythologie. Cry Baby Curtis a tout : le scream, la dance. On retrouve bien sûr Ty Karim avec «Take It Easy Baby». elle fait tout de suite la différence. Et puis Kent Harris s’intéresse aux blues guys : Cry Baby Curtis avec «Don’t Just Stand There», Roy Agee avec «I Can’t Work And Watch You», fast heavy blues. Oh voilà Eddie Bridges avec «Pay And Be On My Way», heavy groove d’église, heavy as hell, bien sûr. Rien sur ce mec, sauf que c’est énorme. Encore du heavy blues avec le texan Adolph Jacobs et «Recession Blues», claqué à la claquemure de Kent, tu te régales si tu aimes bien le gratté de poux détaché, Adoph joue au semi-detached suburban, il est fabuleux de présence et d’incognito. Par miracle, Ace arrache tous ces cuts magiques à l’oubli. Ce festin révélatoire se termine avec Faye Ross et «You Ain’t Right», elle est chaude et experte en heavy blues. Comme tous ceux qui précèdent, deux singles et puis plus rien. Il faut saluer le merveilleux travail de Kent Harris. Il rassemblait autour de lui d’extraordinaire artistes noirs. C’est une bénédiction que de pouvoir écouter cette compile.

    Signé : Cazengler, Ty Carie

    Ty Karim. The Complete Ty Karim: Los Angeles Soul Goddess. Kent Soul 2008

    Kent Harris’ R&B Family. Ace Records 2012

     

     

    Cale aurifère

    - Part Three

     

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             Dans Mojo, Andrew Male propose une petite rétrospective de l’œuvre de Calimero. Il tape dans le dur dès le chapô, le qualifiant de «creator of radical atmospheres turned unique» et d’«unpredictable songsmith». Lorsqu’il reprend la parole, Calimero commence par rendre hommage à Lou Reed - Lou and I were that once-in-a-lifetime perfect fit - et il ajoute, rêveur : «Heroin and Venus In Furs didn’t work as tidy folk songs - they needed positioning - rapturous sonic adornments that could not be ignored.» Male ajoute à la suite que Nico reste «an ongoing influence on Cale». Calimero voit Nico comme une artiste très moderne. Elle mettait en pratique l’enseignement de son gourou Lee Strasberg : «Create your own time». Il dit qu’elle pratique cet art dans ses chansons, «it’s a strange world, a world of mystery. But it’s real.» Calimero ajoute que Nico «was indifferent to style».

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             Sur son premier album solo, Vintage Violence, Calimero dit adopter «an attitude very similar to Nico’s, whereby the language that’s used is very rough and ready.» Une attitude qu’il va maintenir sur Church Of Anthrax, qui paraît en 1971. On est aussitôt happé par l’hypno du morceau titre. C’est emmené au shuffle d’orgue assez demented et bien remonté des bretelles. On se croirait chez Can. Calimero et Terry Riley font un carnage, Riley à l’orgue et Calimero au bassmatic. Ils sont complètement allumés. On retrouve cette grosse ferraille des rois de l’hypno dans «Ides Of March», encore du pur Can sound. Il règne aussi dans «The Hall Of Mirrors In The palace Of Versailles» une ambiance étrange. On est aux frontières du réel : le free, l’hypno, le Cale, le pianotage obstiné, ça vire free avec Riley au sax et Cale aux keys. Quel album ! Puissant de bout en bout.

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             Paru l’année suivante, The Academy In Peril est aussi un album hors normes, car drivé droit dans l’avant-garde. Grosse ambiance à dominante hypno dès «The Philosopher». Calimero s’éloigne du rock avec «Brahms». Il revient à ses études. Il est trop cultivé pour le rock. C’est très plombé, très Boulez. Tu avais l’album dans les pattes et tu avais envie d’étrangler le disquaire qui te l’avait vendu. Pourtant, il t’avait prévenu. Calimero pianote dans le néant expérimental. C’est très in peril. Il pianote dans un monde qui n’est pas le tien. C’est drôle que Warners l’ait laissé bricoler cette daube avant-gardiste. Il tape encore «Hong Kong» à l’exotica shakespearienne du Pays de Galles. Il fait son bar de la plage à la mode galloise, c’est-à-dire métallique et âpre. «Hong Kong» est le cut le plus accessible de cet album hautement improbable. 

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                 Après Fear, Calimero enregistre Slow Dazzle. Il commence par prendre les gens pour des cons avec de la petite pop, puis il passe aux choses sérieuses avec «Mr. Wilson», un hommage superbe à Brian Wilson.  Mais pour le reste, on passe complètement à travers. Dommage, car il a Manza et Chris Spedding en studio. En B, il tape une cover peu orthodoxe d’«Heartbreak Hotel» et revient à Paris 1919 avec «I’m Not The Loving Kind», un balladif magnifique et plein d’ampleur galloise. Puis vient le fameux «Guts» anecdotique - The bugger in short sleeves fucked my wife - Le bugger en question c’est Kevin Ayers - Did it quick and split - Assez Velvet comme ambiance.

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            Le troisième Island s’appelle Helen Of Troy et paraît la même année, en 1975. C’est là qu’on trouve la cover du «Pablo Picasso» des Modern Lovers - Cale at his mad best - Retour dans le giron du Velvet et Sped troue le cul de Picasso avec des riffs en tire-bouchon. S’ensuit un «Leaving It Up To You» bien raw. Encore du Cale at his mad best, suivi d’un hommage à Jimmy Reed avec «Baby What You Want Me To Do». On sent encore la forte présence du Sped. Il allume tous les cuts au riff raff magique. On note aussi une tentative de retour à Paris 1919 avec «Engine». Il tente de rallumer la flamme, mais ça ne marche pas. Sur «Save Us», Sped fait de son mieux pour sauver les meubles et suivre les facéties galloises. On note aussi la belle envergure d’«I Keep A Close Watch». Il y a un côté guerneseyrien chez Calimero. Il sait toiser un océan.

             En tant que producteur, Calimero se présente moins comme collaborateur que catalyseur, et occasionnellement, «a figure of conflict». Technique aussi utilisée par Guy Stevens.  

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             En 1979, paraît le fameux Sabotage/Live. Fameux car intéressant et parfois déroutant. Calimero peut parfois agacer. Dès que le Lou n’est plus là pour le cadrer, il aurait tendance à vouloir faire n’importe quoi. On sent bien qu’il n’est pas fait pour le rock, et pourtant, il est l’âme du Velvet. D’ailleurs, c’est cette âme qui remonte à la surface dans «Rosegarden Funeral Of Sores», amené comme le «Gift» du Velvet, monté sur un groove au long cours et chanté à la Lou, et on comprend que Calimero puisse être à l’origine des longs cuts du Velvet. Il fait aussi du proto-punk avec «Chicken Shit». Il crée la psychose, et cette fois, ça marche. Il cultive un protozozo malveillant, il dégueule plus qu’il ne chante, il vise clairement les racines du proto-punk, c’est monté sur un beat épais, avec une voix de femme ici et là. Son autre heure de gloire est sa cover de «Memphis». Elle a bien marqué l’époque, très maniérée, passée à la moulinette du New York City Sound. Sur scène, il est accompagné par un Aaron qui vrille du lead à gogo, et un certain George Scott au bassmatic bien sec. Sur «Mercenaries (Ready For War)», l’Aaron lâche des déluges de wild trash. Sur «Evidence», Calimero s’en-Stooge, comme d’autres s’encanaillent. C’est du big morning after. Il tape l’heavy boogie de «Dr. Mudd» avec des chœurs de traves. Pour une raison X, ça n’accroche pas, même si Calimero s’épuise à tirer son train. Il tente la cover d’avant-garde avec «Walkin’ The Dog». Il y va au baby’s back/ Dressed in black, mais c’est laborieux, mal engoncé. Le compte n’y est pas. Ça pue l’artifice et le m’as-tu-vu. Il est plus à l’aise sur «Captain Hook», une belle pop qui explore les frontières du Nord. Ils sont gonflés de jouer ça sur scène. Puis Calimero va se saboter avec «Sabotage», trop avant-gardiste, trop concassé. Mal coiffé. Inepte. Il revient à la modernité par la bande avec «Chorale». Il fait sa Nico. 

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             Retour en force en 1981 avec Honi Soit. Trois coups de génie là-dedans, à commencer par le morceau titre, un heavy rumble tapé aux percus des îles, il crée son monde, il a le contrôle complet de tout ce qu’on dit et tout ce qu’on fait. Il est le seul à pouvoir réussir un coup pareil, un shoot de rock à la mode enraciné dans le Velvet ! Tu t’inclines devant ce chef-d’œuvre de drive hypno visité par une corne de brume. Autre coup de génie : «Strange Times In Casablanca», ça prend vite de l’allure - Strange times in casablanca when people pull down their shades/ And it’s easy enough for us to look at each other and wonder why/ We were to blame - c’est même carnassier, ça rampe comme un crocodile affamé, le Cale te tortille ça à la Cale, il te tord ça à l’essorage, il chante comme Nosferatu - But I don’t think anybody wants to smash anymore - Pire encore, ce «RussianRoulette» tapé en mode heavy rock, gravé dans la falaise de marbre. Mais on retrouve aussi son côté hautain dans «Dead And Live», un côté qui a forcément dû agacer le Lou. Calimero tient trop la dragée haute. Il sonne comme un premier de la classe dans son «Dead Or Alive», c’est trop collet monté, trop prétentieux, avec un solo de trompette qui court sous les voûtes du palais royal. Encore de la pop frigide avec «Fighter Pilot». Trop spécial pour être pris en considération. Il subit l’influence de Nico - Fighter pilot/ Say goodbye/ You’re going down - Il reprend le thème du cut de Captain Lookheed. Pour finir, il charge son «Magic & Lies» de plomb. Il pose sa voix. Cherche un passage. Il opère toujours de la même manière : ça passe ou ça casse.

             On sent bien qu’il cherche à s’éloigner du rock : «I was running away from style, from rock’n’roll style. I wanted do show that I was a songwriter with some angles.»   

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             C’est un immense chanteur qu’on retrouve dans Caribbean Sunset. Avec «Experiment Number 1», il monte son chant au sommet de l’Experiment. Il élève la portée de son discours. L’autre morceau de bravoure s’appelle «The Hunt», en B. Caribbean Sunset est l’album de la course sans fin, il devient fou, il hurle en courant. C’est de l’effréné de course à l’échalote. Attention au big beat d’«Hungry For You». C’est une grosse machine et Brian Eno est aux commandes ! Calimero fait monter son rising et son ragtag au chat d’Ararat. Il passe à une saga sévère avec un «Model Beirut Recital» aux accents germaniques. C’est violent et complètement sonné des cloches d’all fall down. Encore de l’hyper-fast en B avec «Magazines». Le beat court sur l’haricot caribéen, même pas le temps de reprendre sa respiration, cut efflanqué, nerveux, pas sain, tendu à se rompre. Il boucle cette sombre affaire caribéenne avec le gros ramshakle de «Villa Albani», ça pianote dans les virages et ça bringueballe à la Lanegan. Impossible de s’en lasser. Tu peux toujours essayer, tu n’y arriveras jamais.

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             C’est sur Artificial Intelligence qu’on trouve «Dying In The Vine», «one of the truly great songs on excess and exhaustion.» À quoi Male ajoute : «a song with all the hopeless, ruined grandeur of a Sam Peckinpah movie.» Enchanté, Calimero répond : «Oh thanks very much for that! Peckinpah was my God by then. This man who hated violence and filled his movies with violence. Se where do you go from there? It’s a dead end. So come, tell me about the dead end.» C’est vrai que «Dying In The Vine» t’envoie au tapis, avec sa structure complexe et ce timbre puissant. Calimero crée de la mythologie - I’ve been chasing ghosts/ And I don’t like it - c’est somptueux, il faut que tes oreilles s’en montrent dignes - I was living like a Hollywood/ But I was dying on the vine - Pur génie. Il y a de l’Européen dans son son, un lourd héritage de chairs brûlées. Comme le Lou, Calimero hante nos bois. Ses structures mélodiques sont du très grand art. Nouveau coup de génie avec l’heavy groove de «Vigilante Lover». Il ramène se disto, sa purée originelle et se fâche au chant. Il attaque «Fade Away Tomorrow» sur un petit beat primaire, bien soutenu au shuffle d’orgue. Calimero drive bien son dancing biz, il swingue encore plus que les B52s. Il flirte encore une fois avec le génie. «Black Rose» sonne comme un mélopif impitoyable. Il crée un envoûtement qui semble prendre sa source dans des temps très anciens. Si tu cherches l’or du temps et le Big Atmospherix, c’est là. Les retombées de couplets sont superbes, comme rattrapées au vol par un beat en rut. Calimero crée toujours l’événement au coin du bois, à la nuit tombée. Il revient au heavy dancing beat avec «Satellite Walk» - I took my tomahawk for a satellite walk - Il finit en get up/ Get up/ let’s dance. Fabuleux ! 

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             Words For The Dying est un album trompeur. On croit retrouver le Calimero de Paris 1919 dans «There Was A Saviour», et ce grain de voix unique et si particulier, mais ça reste hautain et pas rock. Plus épique/épique et colégram que rock. Cette fois, il fait du symphonique. Le voilà sur son terrain de prédilection qui est la conduite d’un orchestre symphonique. Il s’en rengorge. Il s’en dégorge. C’est un album qu’on peut écouter jusqu’au bout, sachant qu’il ne va rien s’y passer. Il nous fait Le Temps des Gitans avec «Lie Still Sleep Becalmed». On s’ennuie comme un rat mort, c’est important de le préciser. On perd le Cale et le ‘Vévette’, comme on disait au temps du lycée. Encore de l’orchestral bienveillant et cette voix de meilleur ami avec «Do Not Go Gentle». On comprend que le Lou l’ait viré. Avec «Songs Without Words I», il s’adresse aux paumés du Jeu de Paume. Il t’embobine bien le bobinard. On retrouve notre fier clavioteur sur «Songs Without Words II». Il se joue des dissonances et des écarts de température. Et «The Soul Of Carmen Miranda» est forcément intense. Cette fois il ramène des machines en guise de viande. Tu retrouves des infra-basses dans le matelas financier. Il chante les charmes de Carmen Miranda alors que sourdent des infra-basses en fond de Cale. C’est le cut le plus intéressant de l’album. Il ramène sa science à la surface de la terre, tel un Merlin décomplexé. Il y a de la magie chez Calimero. De puissantes résurgences montent des profondeurs de son être, il est essentiel de le souligner. Sa vie entière, il sera un chercheur, un doux mage.   

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             En 1994, il enregistre avec Bob Neuwirth le bien nommé Last Day On Earth. Bien nommé, car t’as du Dada dans «Who’s In Charge», un exercice de gym avant-gardiste. Calimero s’amuse bien, il duette avec le copain Bob - Who’s in charge/ It’s not the pope/ It’s not the president - C’est personne - It’s not the teacher/ Not the computer - C’est personne. Donc du Dada pur. Calimero monte au chant sur «Modern World», il reste très Calé, très tranchant dans l’accès au chant, et avec la flûte, ça devient très weird. Il finit tous ses cuts en quinconce. Il ramène son heavy bassmatic dans «Streets Come Alive». Quelle modernité ! C’est monté sur le plus rond des grooves urbains, avec ces éclats de poux invincibles. On croise plus loin la pop serrée et sérieuse de «Maps Of The World», avec une structure invariablement complexe, aussi imprenable qu’un fortin dessiné par Vauban. Il tartine son miel effervescent dans «Broken Hearts» et déconstruit son «Café Shabu» à la Boulez. Trop avant-gardiste, tu ne peux pas lutter. «Angel Of Death» n’est pas loin du Velvet. Beau et même extrêmement beau. Il est encore très à l’aise dans «Paradise Nevada» avec son banjo et ses coups d’harp. Il biaise systématiquement toutes ses fins de cuts. On sent une tendance au Paris 1919 dans «Old China» et Cale te cale vite fait «Ocean Life» pour Jenni Muldaur. Impossible de se désolidariser de cet album, surtout d’«Instrumental», un brillant instro violonné sec et net.

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             Walking On Locusts renferme en son sein un sacré coup de génie : «Entre Nous», une heavy samba de Calimero, lourde de sens, parée d’éclats mélodiques, et qui se présente comme un ensemble complexe et enthousiaste. La divine samba du grand Calimero ! Retour à la modernité avec «Secret Corrida», il y bâtit une sorte de romantica surannée. On y entend un solo de trompette à la Miles Davis. Là, t’as autre chose que du rock. «Circus» est bien à l’image du cirque : un artiste se produit et les gens applaudissent. On sent bien que Calimero cherche la suite de Paris 1919. Il chante devant le bon peuple, sous le chapiteau, c’est très spécial, très arty, on entend des violoncelles et une section de cordes, ça s’encorbelle sous la voûte. «Gatorville & Point East» montre encore qu’il adore la douce pression des escouades de cordes, il reste effervescent, gallois, lyrique, unique, il déploie des trésors de science harmonique. Toujours ce son à angles droits dans «Indistinct Notion Of Cool». Tant qu’on ne comprend pas qu’il fait de la littérature orchestrée, on perd son temps. Calimero pose ses conditions, comme n’importe quel compositeur de symphonies. Attention au «Dancing Undercover» d’ouverture de bal : c’est un cut brouilleur de piste, une grosse pop montée sur l’un de ses bassmatics bien ronds. Il tente encore de renouer avec Paris 1919 dans «Set Me Free», mais il peine à retrouver ce sens de la pureté virginale. Il retente le coup encore une fois avec «So Much For Love», un mélopif de château d’Écosse bien appliqué, pas au sens scolaire, of course, mais au sens des couches. Il appuie bien sa mélodie et redevient le Calimero magique qui nous est si cher. 

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             Il reste dans la veine des grands albums avec Hobo Sapiens. Il y fait une apologie de Magritte - My favorite painter - dans «Magritte», il y évoque le bowler hat upstairs, il laisse sa voix se perdre dans la nuit étoilée. De la même façon que Ceci n’Est Pas Une Pipe, Ceci n’Est Pas Un Rock, mais de l’art moderne. Encore de l’art moderne avec «Reading My Mind», plus rocky road et vite embarqué, il te fracasse ça au chant de subjugation, c’est d’une rare modernité de ton, il véhicule un brouet insolite, il prend prétexte d’un beat appuyé de fort impact pour tester des idées de chœurs. Il propose un groove de rêve avec «Bicycle», il y glisse des rires d’enfants, tulululu, il te groove ça dans le gras du bide, ça a beaucoup d’allure et ça se développe dans le temps. Puis il ferraille dans la cisaille de «Twilight Zone», il charge sa barcasse de son, et revient à l’exotica avec «Letter From Abroad» : il nous emmène dans les campements du désert. Puis direction l’océan avec «Over Her Head». Il recrée les conditions du climax, il tape à un très haut niveau conductiviste, il navigue à l’œil et génère de la puissance, avec un beat d’heavy rock respiratoire, un vrai poumon d’acier, la Méricourt fait son apparition et une gratte en folie qui nous ramène droit sur «Sister Ray». Si ça n’est pas du génie, alors qu’est-ce c’est ?

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             Il monte encore d’un cran avec Black Acetate. Il y fait sa folle en collier de perles dès «Outta The Bag» et passe soudain à l’heavy rockalama avec «For A Ride». C’est fabuleusement bardé de power et de démesure. C’est lui, Calimero, qui gratte les poux du diable. T’as vraiment intérêt à écouter l’album pour te faire une idée. Il passe au laid-back d’heavy urban dub avec «Brotherman», il groove sa modernité pour tes beaux yeux, alors profite zen. Il met bien la pression sur son songwriting comme le montre «Satisfied». Il ramène essentiellement du son et c’est magnifique. Il éclaire la terre. Tout est ultra-composé sur cet album. Tu n’en reviens pas. Avec «In A Flood», il tape un heavy balladif marmoréen. Il n’a rien perdu de cette aura spéciale, cette présence intense de Gallois fatal. Son «Hush» n’est pas l’«Hush» qu’on connaît, c’est l’«Hush» de Calimero, une petite hypno infectueuse. Il reste le grand spécialiste de l’hypno à Nono. Il cherche à se réconcilier avec les radios en tapant l’heavy rock de «Perfect». Il rame encore comme un damné dans «Sold Motel». Il a su garder l’élément rock de son son, mais à sa façon. Il ressort ses infra-basses et ses oh-oh pour «Woman». Il sait monter au braquo de l’apocalypse, c’est sa spécialité. Il brûle en permanence et voilà l’heavy doom de rock calimerien : «Turn The Lights On», c’est fantastiquement profond, plongé dans l’huile bouillante du son, il transforme l’heavyness en génie purpurin, ça groove dans la matière, il articule les clavicules grasses d’un rock d’émeraude et monte tout en neige cathartique. Il termine cet album faramineux avec un «Mailman (The Lying Song)» très ancien, très labouré, très paille dans les sabots d’oh yeah yeah yeah, le cut se ramifie en un nombre infini de pistes et Calimero en suit une. Tu ressors de l’album complètement ahuri. 

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             Rien de tel qu’un petit Live pour réviser ses leçons. Circus Live est un beau double album qui grouille littéralement de puces. Calimero nous devait bien ça, d’autant qu’il tape deux covers du Velvet, «Venus In Furs» et «Femme Fatale». Il se prend pour Lou et y va au shiny shiny boots of leather. Il jette toute sa nostalgie dans la balance pour «Femme Fatale». Dommage qu’il en fasse une version allongée et édulcorée, un peu à la mode. Le Lou a dû bien le haïr pour ce coup-là. Par contre, il s’en sort mieux avec son «Helen Of  Troy». Il a derrière un Guitar God nommé Dustin Bover. Calimero a quelque chose de chevaleresque en lui, c’est épique et puissant, dévoré de basse et sur-bardé de barda et d’armures. Son «Buffalo Bullet» est très Paris 1919, puis il tape l’«Hush» du Black Acetate qui devient sur scène du funk indus à la petite semaine. Il tente un retour à Paris 1919 avec «Set Me Free», mais il reste planté là à attendre Godot. «The Ballad Of Cable Hogue» est encore bourré de nostalgie parisienne - Cable Hogue where you been - il chante au gras gallois, mais ça n’en fait pas un hit. Il noue re-présente son favourite painter «Magritte», et boucle le disk 1 avec «Dirty Ass Rock’n’roll» : c’est le grand retour du père tape dur. Quand un Gallois tape dur, il tape vraiment très dur. Il attaque son disk 2 avec cette cover malencontreuse de «Walking The Dog». Trop musclée. Le côté tape dur est peut-être le talon d’Achille de Calimero. En plus, c’est délayé. L’horreur. Pareil pour «Gut» : c’est bien meilleur en studio. Live, ça plante. Retour (enfin) à Paris 1919 avec «Hanky Panky Nohow», mais ce n’est pas la même magie. La mélodie est parfaite, mais live, ça ne marche pas. Il ramène la fraise de «Pablo Picasso/Mary Lou», et comme il y va au tape dur, cette fois ça passe. Il passe en force. Il te sonne bien les cloches. Il se jette dans la bataille avec tout le poids du Pays de Galles. Plus loin, il sort le «Style It Takes» de Songs For Drella et concocte un moment de magie - You get the style it takes - On le voit ensuite traiter «Heartbreak Hotel» à l’océanique hugolien, il fait une version gothique, à la Nico. Et comme on s’y attendait, il se vautre avec un «Mercenaries (Ready For War)» qu’il noie d’electro gothique. Il surnage difficilement dans les vagues de dark. 

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             Brillant album que ce Shifty Adventures In Nookie Wood paru en 2012. Il commence par te gratter vite fait «I Wanna Talk» à coups d’acou. Il fait une pop de père tape dur. Parfois on se demande s’il n’est pas plus portugais que gallois. Grand retour à la modernité avec «Scotland Yard», un heavy blast hanté par des sons d’avant-garde. C’est tout simplement faramineux de programming. On y entend les sirènes de Satan. Calimero t’y challenge les méninges. Il ne va pas te laisser sortir indemne de cet album. Luke la main froide avait raison de s’extasier dans sa column de Record Collector. Puis Calimeo passe à son dada, la littérature, avec «Hemingway» - Drowning in pina coladas/ As the bulls prowl round the ring - heavy as hell, il y va à coups de Guernica fall et de thousand yard stare. Et là, cet album se met en branle, te voilà en alerte rouge. Calimero opère encore une fabuleuse ouverture littéraire dans «Nookie Wood» - If you’re looking to find/ A place to hide/ Where the climate is good/ And the river is wide - alors c’est Nookie Wood. Il arrive comme un cheveu dans la soupe et avec ses épis blancs dans «December Rains», une diskö d’öuter space. On l’écoute avec respect, car c’est profond et bien épais. Pour «Vampire Café», il sort son arsenal d’avant-garde et ça devient irrévérencieux. Mais comme il est chez lui, il fait ce qu’il veut, c’est à toi de t’adapter à «Mothra». Il vise l’avant-garde, mais on n’a pas toujours les moyens de le suivre. Il fait de l’esbroufe avec des effroyables effets de machines. Mothra Mothra ! C’est très païen, en fait. Il renoue (enfin) avec Paris 1919 dans «Living With You». Il y ramène toute sa vieille magie et ses vieilles espagnolades, et là, oui, tu y es. Il te monte ça en neige, il en fait un Calimerostorum évanescent, un joyau serti dans une montagne de son, il tape dans l’écho avec une force démesurée, il inscrit son power dans un deepy deep jusque-là inconnu. 

    Signé : Cazengler, John Cave

    John Cale. Church Of Anthrax. Columbia 1971

    John Cale. The Academy In Peril. Reprise Records 1972  

    John Cale. Slow Dazzle. Island Records 1975            

    John Cale. Helen Of Troy. Island Records 1974      

    John Cale. Sabotage/Live. Spy Records 1979

    John Cale. Honi Soit. A&M Records 1981  

    John Cale. Caribbean Sunset. ZE Records 1984

    John Cale. Artificial Intelligence. Beggars Banquet 1985

    John Cale. Words For The Dying. Opal Records 1989

    John Cale/Bob Neuwirth. Last Day On Earth. MCA Records 1994

    John Cale. Walking On Locusts. Hannibal Records 1996 

    John Cale. Hobo Sapiens. EMI 2003

    John Cale. Black Acetate. EMI 2005

    John Cale. Circus Live. EMI 2006

    John Cale. Shifty Adventures In Nookie Wood. Double Six 2012

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    Andrew Male : Songwriting is an attempt at hypnosis. Mojo # 352 - March 2023

     

     

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    Une petite leçon de latin n’a jamais fait de mal à personne, en tout cas de tous ceux qui en sont morts nul n’est revenu de l’outre-monde pour s’en plaindre. Rassurez-vous le cours sera court, juste deux petites notifications sur la traduction de la préposition latine : pro. En notre noble langue françoise nous avons deux manières de la traduire. Exemple : pro signifie : pour, en faveur de : ainsi un pro-chrétien n’est pas un adepte du christianisme, mais quelqu’un qui se sent proche de cette religion, voire un compagnon de route pour employer une terminologie plus moderne emprunté au vocabulaire politique. Toutefois ce serait un  grave contresens de le traduire uniquement de cette manière. Prenons un exemple au hasard mais circonscrit par la terrible nécessité de cette chronique, le titre du dernier album  Pro Xhristou de Rotting Christ ne signifie pas en faveur du Christ mais avant le Christ. Ainsi le groupe des présocratiques désignent les penseurs grecs qui ont précédé Socrate.  Evidemment se réclamer des présocratiques ou du temps d’avant le Christ signifie souvent, d’une part que l’on revendique une préférence marquée pour des penseurs comme Gorgias ou Protagoras, que d’autre part l’on se réclame d’un antichristianisme virulent.

    Les lecteurs qui se souviennent de notre recension de l’album Heretics Du groupe grec  Rotting Christ dans notre livraison  635 du 07 / 03 / 2024 ne seront pas surpris  d’une telle  acception.

    PRO XRISTOU

    ROTTING CHRIST

    (Season of the Mist / Mai 2024)

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    Les lecteurs auront reconnu le cinquième tableau  Destruction de The Course of Empire du peintre américain Thomas Cole puisque nous le retrouvons sur l’album de Thumos : The Course on Empire (Voir notre livraison 563 du 25 / 08 /2022). Si Thumos a employé cette image iconique pour nous rappeler que toute civilisation est mortelle, sous-entendu rappelez-vous celle de l’Antiquité, Rotting Christ nous signifie que la venue du christianisme s’avère être le surgissement d’un âge sombre et de grande décadence.

    Sokis Tolis ; guitars, vocals / Kostas Foukarakis : guitars / Kostas Cheliokis : bass / Themis Tolis : drums.

    Chœurs : Christina Alexiou / Maria Tsironi / Alexandros Loyziolis / Vassili Karatzas

    Récitants : Andrew Liles / Kim Dias Holm

    Pro Christou : le titre est annoncé, aussitôt débute la litanie proférationnelle des noms des Dieux qui furent là avant le Christ. Rythme battérial  lent et lourd, voix sépulchrale à soulever les pierres tombales sous lesquelles reposent les antiques déités qu’il est nécessaire de nommer pour qu’elles reviennent, pour qu’elles ne gisent point pour toujours dans l’immémoire humaine.

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    The Apostate : thrène en l’honneur de Julien, l’Eglise l’affubla du surnom de L’Apostat, manière de l’attacher et de le rejeter en même temps du christianisme, il fut simplement le dernier empereur païen celui qui mena l’ultime combat, le voici à l’agonie, il implore la déesse de la victoire, il sait qu’il a perdu, que l’Empire court à sa fin, il s’est durement battu à la tête de ses troupes, il a longuement écrit, il a prophétisé l’Inéluctable, ce ne sont pas les Dieux qui ont abandonné l’Empire, ce sont les hommes qui se sont écartés des Dieux, il aurait pu, il aurait dû, tout se délite, il a tenté l’impossible, superbe morceau, funèbre et martial, une dernière supplique, le récitant lit quelques une de ses lignes, les chœurs accompagnent son âme qui s’élève vers le Sol Invictus… Il nous reste son œuvre à continuer. (Voir vidéo YT by manster.design. Like Father, Like Son : goûtons l’ironie du titre, au dieu qui abandonna son fils, voici le chant des fils qui continueront l’héritage des pères, contrechant à la mort de Julien, rien n’est définitivement perdu, chant épais, vindicatif et victorial, une guitare qui vibre comme un javelot qui se plante en la poitrine de l’ennemi, des chœurs sombres, des paroles qui évoquent les cultures guerrières et farouches des peuplades du Nord pour qui combattre vaillamment champ de bataille est le plus grand des honneurs, se battre jusqu’au bout de la terre là où commence le domaine du rêve. (Official Video Clip : belles images un peu trop naturalistes à mon goût) The sixth Day : Dieu se vante d’avoir créé l’Homme, cette bête immonde qui se gorge de sang, qui tue en son nom, qui massacre en l’honneur de sa sainteté, flamme noire des guitares, coups d’enclumes de la batterie fracassant casques et poitrines, maintenant il est clair qu’à chaque nouveau titre la prégnance instrumentale et vocale s’intensifie, et ce qui est sûr c’est que l’Homme retourne inexorablement à la poussière. La lettra del Diavolo : torrent verbal, déluge metal, Rotten Christ ne se trompe pas d’ennemi, le Diable n’est que l’autre face de Dieu la lettre du Diable est tracée par la main de Dieu, nombre de groupes de la mouvance dark se recommandent du Diable n’est-il pas écrit qu’il est l’Adversaire de Dieu, Rotting Christ ne tombe pas dans le panneau, une seule et même entité, un scotch, un scratch à double-face qui colle à l’Homme comme la moquette sur le mur, Dieu te sauve et puis Dieu te perd, il te connaît, tu es cruel comme le tigre et obéissant comme un mouton, à croire que je suis le filigrane de ton âme, la lymphe constitutive de ton sang, tu crois qu’en t’agenouillant tu te sauves, mais le système ne fonctionne pas comme tu penses. Les magnifiques chœurs qui se répondent n’ont pas de cœur. (Ce morceau est basé sur une fait ‘’légendaire historique’’ : dans son couvent bénédictin de Palma de Montechiaro Sœur Maria se réveille un matin de 1676 avec une lettre couverte de signes étranges que l’on pressent écrit par le Diable. La lettre ne fut déchiffrée que trois siècles plus tard, on y apprendre que Dieu juge que son œuvre est ratée… (La vidéo de HK Visual Creations vaut le déplacement !) The Farewell : l’adieu, méditation sur la mort et l’immortalité, rythme lent, chœurs hommagiaux, la mort est au bout du chemin, la voix de Sokis troue les étoiles et rejoint le soleil, la guitare sonne comme une trompette, le chemin de la mort, et le chemin de résurrection pour nous qui restons et te perpétuons, tu es mort et tu règnes, tu nous abandonnes mais tu nous conduis jusqu’au bout de nos craintes jusqu’au bout de la contrée du rêve, les splendides  images animées (Official Animation Video YT) de  Costin Chloreanu arborent une dernière inscription épitaphique, la mort ne tue pas ce qui ne meurt jamais.  Pyx Lax Dax : les formules religieuses sont un peu comme des grigris sans portée dont on use faute de mieux comme protection, de véritables punching balls que l’on envoie à la face de Dieu pour le faire tomber de son trône et qui vous reviennent d’autant plus fort en pleines gueules que c’est vous-mêmes que vous tapez en tapant Dieu.

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    Une superbe vidéo sur UT de Harris Contournis voir FB : HK Visual Creations), à voir séance tenante, beauté des images et effets spéciaux, je vous laisse regarder, une seule indication, l’inscription finale sur le portail du fond,  Komx Om Pax qui signifie incarnation de lumière. Cette formule vient de loin, d’Egypte, des Mystères d’Eleusis, elle a transité par Crowley (voir, qui tombe à pic, la chronique suivante), qui lui a donné le sens d’Incarnation de Lumière, cette interprétation éclaire les lyrics qui pourraient paraître mystérieux, tout comme la vidéo, grenade perséphonique, rien n’est à chercher en dehors de nous, nous portons notre propre lumière, ce mélange homogène contradictoire de vie et de mort, nous sommes la vie et la mort. Toute vie est mortelle, toute mort est vivante, le morceau est comme une longue marche envoûtante vers la lumière noire des mystères qui n’est que notre ombre. Qui erre sur la terre.

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    Pretty World, Pretty Dies : bruit d’épées sorties du fourreau, un rythme de musique irlandaise, presque entraînant, sûrement ironique, pour rabattre nos casques et  notre caquet, ce n’est pas seulement nous qui mourons, c’est le monde entier, les immeubles, les rues, les forêts etc… mais aussi toutes les sagesses, tous les savoirs, tous les enseignements qui nous ont précédés, la vidéo YT (voir le site manster.design.com) nous en donne une vision héraclitéenne un peu attendue mai qui se laisse voir, nous rappelle que nous l’Homme-Dieu, la torche humaine qui éclairons le monde ne sommes qu’une parcelle et le tout d’un Tout, bien plus grand que nous mais dont nous partageons la même nature. Bruit d’épées sorties du fourreau. La fin du cycle éternel, l’éternel retour de notre immortalité. Yggdrassill : des vidéos il en existe de toutes sortes, des indigentes, des nulles, des soporifiques, des belles, des exceptionnelles, beaucoup plus rarement des intelligentes. Comment évoquer en moins de six minutes le cycle du monde des anciennes Eddas magnifié par l’arbre-monde Yggdrassil, Costin Chloreanu s’est chargé du montage vidéo mais c’est Kim Diaz Holm – celui qui cherchera trouvera- qui s’est chargé de peinture, du bleu, du rouge, du noir, pour commencer l’histoire du cycle infini terminal et inaugural, la musique est lourde et majestueuse, pesante, inéluctable comme les dents du Destin, n’oubliez pas que notre vie et notre mort résident dans notre force. Saoirse : chant de gloire hommagial à Tara, en fait Diarmait Mac Cerbail le dernier roi d’Irlande à résister au christianisme, dédié à tous les néo-païens qui essaient de préserver l’ancienne sagesse primordiale. Avec ces chœurs  le morceau est grandiose, l’on ne peut s’empêcher de penser au Crépuscule des Dieux. La grandeur des Hommes est égale à celle des Dieux.

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    Primal resurrection : (bonus track) : vidéo Wolf’s Path Media Creation, elle reprend l’imagerie des précédentes sans surprise :  lyrics un peu didactiques : la première résurrection est dite primale car elle est toujours à l’œuvre dans le renouvellement incessant de la nature.  Une manière de dire qu’il est vain d’attendre la résurrection chrétienne, elle à l’œuvre et en acte depuis toujours à tout instant du déroulement du cycle éternel. Récitatif imposant empreint d’une sérénité destinale imposante. All for one : (bonus track) : ce morceau est un peu un remake de Like father like son, il n’apporte rien de plus à l’album nonobstant sa qualité musicale intrinsèque, tous ensemble dans le combat de la vie, tous ensemble dans les combats de la mort.

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             Cet album n’est pas une simple défense et illustration du paganisme. Le fait de se rebeller contre le Dieu très chrétien et son Eglise ne résout pas le problème du destin humain. L’Homme ainsi que le définit Heidegger est un être pour la mort. Vous pouvez faire avec, vous pouvez le nier, à la fin des fins vous serez obligés d’y passer. Pas d’alternative. Le christianisme vous en offre une, non pas l’immortalité tout de suite, pour y avoir droit vous devez vous soumettre et admettre votre culpabilité. Le paganisme de Rotingn Christ n’est pas la proposition d’adopter de nouveaux ou d’anciens cultes, il ne s’agit pas d’adopter des Dieux de substitution, votre salvation ici et maintenant - pas plus tard une fois mort, ni ailleurs - réside avant tout en une attitude, faites face à la mort comme vous faites face à la vie, le prix à payer si vous voulez rester libre.

    Damie Chad.

     

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    L’influence d’Aleister Crowley sur les artistes rock et d’avant-garde est énorme. Nous avons pris l’habitude de chroniquer toutes les traductions françaises de ses ouvrages cornaquées par Philippe Pissier. Par exemple, dans notre livraison 621 du 23 / 11 / 2023 nous chroniquions Nuées sans eaux, un des recueils de poésie de La Grande Bête 666 et le Volume I d’une anthologie introductrice à son œuvre dans notre livraison 592 du 23 / 03 / 2023. Or voici que vient de paraître le volume II :

    LE SILENCE ELECTRIQUE

    ET AUTRES TEXTES

    Une anthologie introductrice à l’œuvre d’

    ALEISTER CROWLEY

    TRADUCTION

    PHILIPPE PISSIER & AUDREY MULLER

    VOLUME II

    ( Editions Anima / Mars 2024)

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    Pour ceux qui débarqueraient sans rien connaître d’Aleister Crowley (1855-1947) : il est un des maîtres du renouveau de l’occultisme, théoricien et praticien. Sa biographie est foisonnante nous ne garderons pour ces quelques lignes introductives que la fondation en 1907 l’Ordre Astrum Argentum  AA∴ .

     

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     I / LA DEMARCHE INITIATIQUE

    Le Soldat et le Bossu : ! et ? : quoi que vous pensiez le véhicule de votre pensée est la pensée. D’où la nécessité de vous interroger d’abord sur la nature de la pensée. Pour rester parmi des auteurs contemporains d’Aleister Crowley, pensons d’abord à Paul Valéry qui au-delà de tout contenu de pensée s’est longuement interrogé sur la manière dont la mécanique intellectuelle à partir d’une pensée initiale (quelle qu’elle soit) produit une pensée conséquentielle (quelle qu’elle soit) à celle-ci, il s’est intéressé au deuxième terme (ergo-donc) de la célèbre formule de Descartes cogito ergo sum. Pensons maintenant à Wittgenstein qui a préféré considérer le produit fini (quel qu’il soit) de la pensée logique doutant de la véracité de cette pensée hors de l’expression même de cette pensée, autrement dit posant que toute pensée n’a d’efficience que sur elle-même. Le britannique Crowley n’est pas allé chercher ses outils théoriques en France ou en Autriche. S’est contenté de ses légendaires concitoyens : Locke, Hume et Berkeley. Il ne le dit pas, il choisit les deux premiers pour à partir de leur empirisme pro-matérialiste afin de conforter son anti-christianisme, par contre il ne s’attarde guère sur Berkeley car celui-ci est un point de bascule opératoire des plus utiles, en niant toute réalité sensible Berkeley lui permet très vite d’échapper à la recherche philosophique rationnelle et de privilégier sa vision d’une pensée magicke. Il passe ainsi du corpus de la pensée occidentale au véhicule bouddhiste de la pensée orientale. La dernière page de ce texte est saisissante : Crowley n’utilise plus des concepts mais des symboles. La froideur des premiers est nettement moins opératoire que la charge mentale des seconds. Les Cartes Postales aux Novices : conseils aux novices qui veulent s’initier aux sciences magiques :  Crowley trace une feuille de route, comme toute pensée la pensée magique possède sa méthode. Il est difficile de déshériter le père. La terre : magnifique poème en prose dont le lyrisme fait oublier les doctes notules indicatrices du texte précédent. Nous le lisons comme une réécriture des mystères  d’Eleusis. L’emploi du terme christianophile ‘’amour’’ nous paraît participer d’un syncrétisme peu satisfaisant. Les dangers du mysticisme : est-ce pour cela qu’avec son humour ravageur Crowley rappelle que la voie mystique, voie d’union amoureuse mystique avec Dieu, si elle existe n’est hélas pour les adeptes qu’un prétexte pour s’exonérer de simples tâches imparties aux êtres humains. Trop souvent le mystique déclaré ressemble à s’y méprendre à un hypocrite tire-au-flanc métaphysique !  Le silence électrique : texte symbolique qui conte le périple d’un adepte ayant réussi son voyage initiatique : nous sommes aux confluences, du Bateau ivre de Rimbaud, des rituels égyptiens du voyage de l’âme du Livre des morts et du Serpent Vert de Goethe, c’est dire la beauté d’écriture de cet écrit qui doit aussi pouvoir être lu comme une méditation tarotique.

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    II / LES LIBRI DE  L’ AA

    Liber Nu sub figura XI / Liber XIII vel Graduum Montis Abiegni / Llber Turris vel Domus Dei sub figura XVI : trois livres d’instructions destinés aux impétrants soucieux de progresser dans l’ordre argentique , la lecture des textes ne pose aucune difficulté, leur compréhension risque par contre de vous laisser sans voix si vous n’êtes pas engagé dans une démarche volontaire d’apprentissage pratique et spirituel, pour une première approche le mieux serait d’en faire une lecture poétique. La poésie portée son plus haut niveau d’intellection suscite ce que les anciens grecs nommaient un enthousiasme qui permet d’entrer en relation avec des forces enfouies dans la réalité du monde. En ce sens-là, vous n’êtes pas très loin des objurgations hermétiques de ces textes. Liber XXIII : un exposé de l’  AA : cet écrit est d’une nature différente des trois précédents, au  bas mot une fiche descriptive de l’Ordre dans lequel vous vous apprêtez à entrer. Méchamment hiérarchisé à mon humble avis. Evidemment faire partie d’une organisation qui se présente comme l’ossature secrète et opératoire du monde est flatteur pour votre petite personne. Disons que la mienne est davantage à l’écoute de Seul est l’Indompté d’Eddy Mitchell ou du Coup de Dés de Mallarmé. Pour la troisième par exemple Je préfèrerais davantage habiter dans la Maison Dorée de Néron que dans la Domus Dei. Liber CLXXXV : Liber Collegh Sancti : codifie les tâches qui se doivent d’être accomplies par les membres des différents grades de l’Ordre. Liber CDLXXIV : Liber Os Abysmi Daäth : daäth désigne la connaissance absolue de l’univers que l’on puisse atteindre. Nous notons que l’adepte doit avoir de larges connaissances de philosophie allemande, de Kant à Hegel et anglaise, d’Hume à Berkeley sans oublier Crowley. LIBER BATPAXO PENOBOOKOSMOMAXIA : la philosophie européenne c’est bien mais la grecque c’est beaucoup mieux, s’agit ici de remonter selon une configuration imagée à l’origine, de passer de la lumière du Soleil à la pénombre de la Nuit. Le texte ne remonte pas plus loin et élude l’origine kaotique de Nyx. LIBER HAD SUB FIGURA DLV : ce livre me semble porter la marque d’une régression mystique, après la connaissance totale, la rose se referme sur elle, et se perd en son infinité. L’infinité n’est pas une démesure, mais une mesure qui fait le tour d’elle-même. LIBER VIARUM VIAE SUB FIGURA DCCCLXVIII : une simple, façon de parler, nomenclature des étapes à parcourir.

    III / TAO :

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    LIBERXXI : LE CLASSIQUE DE LA PURETE ( d’abord rédigé par moi : Lao-Tseu durant la Période de la Dynastie des Wu, et maintenant versifié par moi Aleister Crowley : cette auto-traduction du Tao par Crowley marque pour nous non pas l’enseignement du chemin, mais le retour, le repli, en tant que pli, selon pli, à la poésie. Comme si toute traduction n’était que Poésie. Car le chemin n’enseigne ni ceci, ni cela, ni la parole, ni le silence, il est seulement Poésie.

    IV / LE VOYAGE

    LA DECOUVERTE DE GNEUGH-OUGHRCK : Fragment : en apparence un récit loufoque et d’imagination pure, notre voyageur débarque dans un pays foutraque, évidemment il n’en n’est rien, il suffit de lire même pas entre  les lignes pour comprendre que c’est le fonctionnement des sociétés européennes qui est visé… l’humour permet de remettre en cause bien des aberrations ‘’raisonnables’’ de notre organisation sociale. Décapant, Crowley n’était pas un admirateur de Rabelais pour rien.

    LE CŒUR DE LA SAINTE RUSSIE : un très beau texte, très littéraire, comme l’on n’en écrit plus, de nos jours de simples reportages journalistiques auréolés de photographies couleurs remplacent avantageusement ce genre d’écrits puisqu’il suffit de regarder les clichés pour voir… N’évoquons même pas les documentaires filmiques à tout instant disponibles sur le net…  Un seul défaut à mon avis : Crowley traite un peu cavalièrement Théophile Gautier un de nos meilleurs prosateurs et un critique d’art éblouissant. L’on regrette que ce ne soit pas notre gilet rouge qui ait été chargé de juger des toiles de La Galerie Tretiakov. Un texte qui donne à lire  l’écrivain et non le maître de l’AA∴ .

    V / LA TRADUCTION

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    Trois poèmes français traduit par Crowley. Evidemment nous préférons l’original à la copie ! Par contre nous pouvons nous demander les raisons du choix du traducteur.

    L’Héautontimorouménos : l’un des textes les plus surprenants des Fleurs du Mal de Baudelaire : déjà le titre, à l’origine titre d’une pièce de Térence, qui signifie L’homme qui se châtie lui-même, surprend le lecteur moderne : la violence sado-masochiste du poème a dû séduire Crowley, homme des extrêmes Crowley ne pouvait être sensible qu’à cette vision selon laquelle il existe une corrélation entre le monde, notre action sur le monde et nous-même. Une espèce d’effet boomerang magique opératoire entre soi et le monde, que l’on pourrait de qualifier de tripartite, le terme important étant l’ergo conséquentiel de la trilogie philosophale, conçu en tant qu’égo mu(g)nificent.

    The magician : poème d’Eliphas Levis  dont Crowley affirmait qu’il était la réincarnation, l’importance et le rôle d’Eliphas Lévi est aujourd’hui sous-estimée dans l’histoire littéraire et hermétique de son époque, l’on ressent pourtant son influence dans Axel de Villers de l’Isle Adam, de même ce poème est comme un parfait condensé prophétique de la démarche magicke de Crowley qui métaphoriquement consiste à dompter les forces nocturnes pour atteindre l’éclat solaire. Une démarche que nous qualifierons de bellérophonique puisqu’elle consiste à juguler les forces obscures et enthousiamantes de l’opérativité poétique pour la mettre au pas d’une scansion rythmique ordonnatrice de l’univers.

    Colloque Sentimental : ce court poème de Verlaine agit comme une aimantation poétique. L’on y revient toujours. Nous en ferons une lecture alchimique, les états, les étapes métamorphosiques de la matière, avec cette idée étrange et révolutionnaire, que l’œuvre au noir n’était pas aussi terrible que cela, nous sommes symboliquement au milieu du processus l’ergo est conçue comme un pont, toute conséquence peut être considérée comme la cause qui l’a produite, un pont que l’on peut emprunter dans les deux sens, notamment vers le kaos primitif.

    VI / LA POESIE

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    Crowley se serait-il décidé à devenir Magicien parce qu’il se  serait aperçu qu’il ne pourrait jamais être le Keats, le Shelley, ni même le Byron, qu’il aurait voulu être, toujours est-il que la poésie occupât une grande place dans sa vie :

    Tête de femme : ce poème est à lire comme une réponse toute crowleynienne au Colloque Sentimental de Verlaine. Ode à Hécate : la tentation du kaos.  Le Pentagramme : ode à l’Homme, le champion du monde, qui est devenu souverain de lui-même puisqu’il a gagné la bataille sur les forces kaotiques. Le Pèlerin : qu’importe la lumière si l’on s’est détourné des ténèbres, une seule solution : décréter qu’ombre et lumière ne sont que l’avers et le revers d’une même pièce. Alaylah Huit-et-Vingt : triomphe de l’Eros, cette unique pièce de monnaie d’entre-deux, ithyphallique. Thrène : chant de célébration de la mort des poëtes : ils meurent car leur nature immortelle ne saurait vivre dans un monde  mortel. Vers pour une jeune violoniste au sujet de son jeu dans une vêture de sinople conçue par l’auteur : d’Elle vers Lui, et la mort de tout ce qui est, et la vie de tout ce qui n’est plus.  En Mer : l’Homme est l’édificateur de ses propres rêves et de ses propres souffrances. Sekhmet (1) : que l’on ne s’y trompe pas l’épée de Damoclès qui tombe et tranche l’homme en deux est la femme. Sekhmet (2) : non pas la Même, mais le Même. Version mythologique de soi-même. Le Point Faible : la femme.

    VII  / LA LIBERTE EN AMOUR

    L’érotisme est essentiel dans l’œuvre de Crowley, point de pénétration et de soumission, à l’autre, aux Dieux, à soi-Même. Mieux vaut en rire qu’en pleurer ! Dormir à Carthage : nox de sang. La Pornographie : défense et illustration de la pornographie, c’est le sentiment de culpabilité chrétien qui vilipende de ce terme la douce et joyeuse activité érotique. Un extrait de ‘’The Scented Garden of Abdullah the Sairist of Shiraz ( qbagh-I-Muattar)’’ : seize recettes d’irrumation à portée de tous et toutes. Sorite : syllogisme hypocrite. Un Psaume : blasphème biblique.

    APPENDICE I

    L’Editorial de The Equinox(1) I

    Court éditorial inaugural de The Equinox revue de l’Astrum Argentum AA∴ dans lequel il est spécifié que  l’Ordre se refuse à tout charlatanisme ésotérique de bas-étage. CQFD.

    APPENDICE II

    REFLLETS D’UN HERITAGE

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    Exploration de l’influence de l’œuvre de Crowley sur la création contemporaine. Cette partie s’ouvre sur une interview par Lady S. Cobar  de LILITH VON SIRIUS intitulée : TOUT CE QUI DERANGE L’ARRANGE :  Diana Orlow (1971-1997) vécut une vie de flamme et de feu, poétesse, danseuse, opératrice de costumes et d’objets SM, courtisane, adonnée à une vision et une pratique de l’art amoureux exempt de toute moraline, elle reste une égérie noire de ce que la société fustige sous l’appellation de déviances, l’incarnation féminine et  métaphysique d’un être libre.  /Suit un dossier, hélas trop mince du RESEAU 666, dont Philippe Pissier en France et Thierry Tillier en Belgique furent les initiateurs. Il semble que le monde littéraire de l’époque n’était pas à apte pour accueillir une telle apparition. Ce ne fut qu’un bref moment mais bien plus intense que l’explosion surréaliste des années 20. Encore une quinzaine d’années et le Réseau 666 renaîtra de ses cendres, nous vivrons alors les temps hagiographiques, ceux d’après la guerre. / Encore une interview, lettre cette fois-ci, qui risque d’intéresser la majorité de nos lecteurs puisqu’il s’agit de JOHN BALANCE fondateur avec Peter Christopherson du groupe de musique industrielle COIL. Ceux qui sont persuadés que ce genre de musique consiste en l’enregistrement de bruits divers souvent désagréables auront à réviser leurs préjugés si d’aventure ils parcourent cet écrit, seront sans doutes étonnés par le nombre de connaissances ésotériques ( Crowkey, Spare, Kabbale…) qui forment pour ainsi dire l’ossature théorique de ce genre maubruitant. Cerise à l’arsenic sur le gâteau empoisonné, John Balance est vraisemblablement le fan le moins optimiste quant à l’effet de sa musique, pas spécialement pour des raisons auxquelles vous vous attendriez. / Ce coup-ci c’est un entretien de la revue SPIDER avec Kenneth Anger, il date de 1966 et il date tout court. Nous devrions être contents, plein de questions sur le rock’n’roll qu’utilse le cinéaste pour son film Scorpio Rising de 1962, il nous parle des adolescents, du puritanisme américain, à l’époque ses dires étaient subversifs maintenant tout cela nous paraît comme de vieux moulins avant qui n’ont plus besoin de Don Quichotte, une attaque en règle de la société américaine, qui a perdu de son mordant. Sympa mais du déjà vu-lu-entendu. / Cet entretien est suivi d’un deuxième du même pour la revue T. OP. Y CHAOS : beaucoup plus intéressant que le premier même si le début sur Mickey Mouse nous semble relever de la trahison d’un phantasme d’enfant devenu adulte, par contre son attaque contre toutes les groupes ésotériques qui se réclament de Crowley est croustillante, il les trouve semblables aux groupes d’extrême-droite chrétiens… je vous laisse lire la suite, Moonchild, Manson Family, Love ( le groupe, Brian Jones, Keith Richard, Mick Jagger… / Enfin un portrait hommagial de Kenneth Anger  tracé par William Breeze dirigeant de l’Ordo Templi Orientis vous réconciliera définitivement avec le novateur expérimental que ce brise-glace sociétal fut…

    APPENDICE III

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    Un article de Serge Hutin (1929-1997) tiré du N° 37 de la revue Horizon, à laquelle collabora Daniel Giraud, paru en 1975, le titre est significatif : POUR LA REHABILITATION D’UN MAGE NOIR, après sa mort la personnalité et l’œuvre de Crowley subirent une longue éclipse et de nombreux anathèmes. Ce texte est un des premiers en notre douce France à œuvrer pour sa redécouverte.

    Ne vous dispensez pas de lire les longues notes L’APPENDICE IV consacrées aux instructives notices bibliographiques.

    Ce volume 2 de cette Anthologie introductive est passionnant. Remercions Philippe Pissier de ce colossal travail. Certes lire Crowley est un sport de combat, vous ne savez jamais trop s’il feinte ou s’il attaque. Son rire est communicatif, sa joie ressemble au rire de Zarathoustra, la base de son enseignement est simple : ayez la volonté d’être vous-même sans vous enquérir du regard des autres, d’ailleurs prenez soin de porter votre regard plus haut que la commune humanité. Ce n’est pas du mépris, juste une ascèse luxuriante qui vous rendra plus fort.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

    94

    Le Chef alluma un Coronado. Nous eûmes l’impression qu’il faisait durer exprès le plaisir (le sien) :

             _ Agent Chad vous souvenez-vous de l’endroit où nous nous rendons ?

             _ Parfaitement Chef, mais la circulation est particulièrement difficile ce soir, ces centaines de milliers de personnes qui débordent de plus en plus sur la chaussée…

             _ Agent Chad, point de tergiversations, foncez dans le tas, écrasez-les sans ménagement, ne vous préoccupez pas du sillage de sang que laissera notre véhicule, c’est pour le bienfait général de l’humanité, ce soir plus que jamais la survie du rock’n’roll est en jeu, que les lecteurs horrifiés par cet ordre cruel quittent cette page, demain ils nous tresseront des couronnes de laurier rose, en écoutant Pink Thunderbird de Gene Vincent.

    95

    J’abordai enfin le rond-point de l’Arc de Triomphe lorsqu’un bruit sourd se fit entendre. Au fur et à mesure que nous descendions l’Avenue des Champs-Elysées, le grondement qui s’accentuait ne provoqua aucun effet sur la foule compacte qui avançait toujours sans y prendre garde. Nous comprîmes assez vite l’origine de ce qu’il faut bien appeler un boucan infernal. Deux files de blindés, une à gauche de la chaussée, l’autre sur la droite se dirigeait vers nous. La foule ne s’écarta pas les chars les écrasèrent imperturbablement, les malheureux ne tentèrent même pas de s’enfuir.

             _ C’est affreux s’écria Doriane !

             _ Oui c’est atroce surajouta Lauriane

             _ Mesd’noiselles un peu de cran, l’heure est grave c’est ici que les athéniens s’atteignirent !

    La file de chars s’arrêta à notre hauteur, elle repartit pratiquement aussitôt, remonta une centaine de mètres et fit demi-tour. Trois minutes plus tard les premiers Leclercs étaient derrière nous. Les filles ne restèrent pas insensibles :

             _ Ils vont nous écraser !

             _ Nous réduire en bouillie !

    Il n’en fut rien, ils nous suivirent sans manifester de mauvaises intentions, seulement de temps en temps lorsque la foule s’amoncelait devant notre voiture l’un d’entre eux s’approchait délicatement de l’arrière de notre auto et la poussait pour que nous ne restions pas bloqués.

             _ Ces militaires sont vraiment prévenants observa le Chef en allumant un Coronado, je me demande ce que l’on nous veut, moi qui pensais que  nous aurions dû nous frayer un passage de force, comme quoi même un stratège supérieur comme moi peut être soumis aux caprices de ses ennemis, Agent Chad vous tournerez à gauche pour prendre la rue de Marigny.

    Nous n’étions pas au bout de nos surprises.

    96

    La colonne de chars, s’arrêta l’un d’entre eux nous poussa devant l’entrée de la Cour d’Honneur, il exécuta une marche arrière dès que nous eûmes franchi le portail. Arrivé au bas de l’escalier j’arrêtai la voiture. Nous descendîmes. Personne pour nous accueillir. Le Chef en profita pour allumer un Coronado.

    Nous montions les marches, un hurlement s’éleva et un individu surgit en courant de derrière une des colonnes :

             _ Enfin ! Vous voilà, je vous attendais depuis longtemps !

    Les filles mirent du temps à reconnaître dans cette personne sans cravate, les pans de sa chemise blanche sortis de son pantalon, la face ravagée de tics et les yeux étranglés de rage  notre Président bien-aimé.

             _ Tout ça est de votre faute vous avez intérêt à me sortir d’affaire sinon je vous fais fusiller, vous les gamines et les chiens. Quand je pense que nous avons dépensé des millions pour ce fiasco à cause de vous ! Dans mon bureau immédiatement !

    97

    Le bureau était désert, le Président marchait de long en large en nous couvrant d’insultes, le Chef contourna le vaste bureau présidentiel et s’assit sans façon sur le fauteuil du Président devant ce qui ressemblait à une énorme machine à écrire de l’ancien temps.

             _ Monsieur le Président, le temps presse pourriez-vous nous expliquer l’origine des griefs que vous proférez à notre encontre !

             _ C’est très simple, nous avons conçu cette machine…

             _ Avec la CIA, si je ne m’abuse, je suis sûr quand nous avons traversé leurs locaux d’en avoir entrevu une identique posée sur un bureau, exactement la même, sur le coup je n’y ai pas fait attention, mais en voyant celle-ci je commence à comprendre l’ampleur de vos tracas…

             _ Avec la CIA bien sûr, eux ils ont des ingénieurs de qualité, ils ont accepté de travailler avec nous pour mettre au point cette machine…

             _ A impédance psychologique, si j’en crois les derniers articles parus dans les revues scientifiques de haut-niveau, mais je ne croyais pas le projet si avancé !

             _ Ces derniers temps nous avons beaucoup progressé, nous sommes passés au stade expérimental !

             _ Vous avez donc trouvé des cobayes ?

             _ Nous les avons sélectionnés soigneusement, nous les avons entraînés à leur insu, une préparation parapsychologique de haut-niveau qui a exigé de gros moyens !

    Je me permis de prendre la parole :

             _ Par exemple de leur faire croire qu’ils étaient confrontés à un groupe de passeurs de murailles !

             _ Je vois que vous comprenez. Une fois que vous seriez devenus idiots nous aurions pu nous débarrasser définitivement du rock’n’roll ! Cette musique est trop subversive !

             _ Parfaitement, vous nous avez bernés un long moment, mais votre plan a foiré depuis peu !

             _ Oui, une fausse manœuvre, vous étiez les cobayes désignés, vous deviez par un envoi d’ondes magnétiques devenir des espèces de zombies, hélas l’appareil s’est déréglé, toute la population parisienne est devenue zombies, sauf vous deux et votre équipe, l’on a annoncé à la radio que j’avais été mis à l’abri, c’est le contraire, tout le personnel a été évacué, je suis resté seul, j’ai fait venir un régiment de blindés le plus éloigné de Paris et leur ai donné l’ordre de vous ramener ici.

             _ Ça tombait bien, j’avais moi aussi donné à l’Agent Chad l’ordre de nous conduire ici même, je me doutais que vous étiez la source de nos ennuis, mais que voulez-vous de nous au juste ?

             _ C’est simple, la machine à impédance psychologique est devant vous, débrouillez-vous pour qu’elle fonctionne dans le bon sens, que les gens rentrent chez eux et reprennent leur vie comme avant, si vous réussissez je vous gracie sinon je vous jure que je vous fais fusiller par mon régiment de blindés ! 

    Le Chef alluma un Coronado. Il frôla d’un doigt quelques touches, examina  la machine attentivement deux minutes, fronça les sourcils par deux fois, se cala le dos dans le fauteuil et regarda le Président dans les yeux :

             _ Je ne vois pas où se trouve la difficulté, cet appareil me semble marcher comme toutes les machines du monde !

    Le Président se redressa comme s’il avait été piqué par un serpent :

             _ Vous dites n’importe quoi, son élaboration a exigé la collaboration des plus grands cerveaux des unités de Berkeley, de Yales et de Princeton, et monopolisé la force de calcul de Saclay durant trois ans, puisque vous êtes si fort arrêtez-la à l’instant.

    Le Chef haussa les épaules, exhala une longue bouffée de Coronados, étendit le bras vers la gauche, se saisit du cordon électrique et le sépara de la prise.

    • Voilà, votre Tornado psychologique fonctionne comme un chargeur de téléphone portable, si vous le laissez dans la prise, il continue à user du courant et à dispenser ses effets pervers. C’est stupide que vous n’ayez pas pensé à ce truc. Même éteinte votre machine à impédance psychologique n’arrête pas d’émettre ces zones négatives, Il suffisait d’y penser.

    Une énorme rumeur fit vibrer les murs de l’Elysée, c’était l’exclamation poussée par des millions de parisiens libérés de leur emprise noétique.

    Nous nous éclipsâmes discrètement laissant le Président fracasser à coups de pied son joujou électronique. Nous eûmes du mal à nous extraire de la foule compacte qui riait, criait, dansait, sautait de joie…

    Nous parvînmes enfin à trouver une rue plus calme. Le Chef alluma un Coronado :

             _ Agent Chad, allez nous voler une nouvelle voiture, une belle berline assez spacieuse pour contenir quatre personnes et deux chiens, nos jeunes demoiselles ont vécu de fortes émotions, emmenons-les en vacances au bord de la mer !  

             Je n’ai jamais obéi à un ordre du Chef avec autant de célérité.

    Fin de l’épisode.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 650 : KR'TNT ! 650 : LUKE HAINES / QUINN DEVEAUX / ANDREW LAUDER / JOHN CALE / ARTIE WHITE / OCULI MELANCHOLIARUM / THY DESPAIR / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 650

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    20 / 06 / 2024

     

    LUKE HAINES / QUINN DEVEAUX

    ANDREW LAUDER / JOHN CALE

    ARTIE WHITE / OCULI MELANCHOLIARUM

    THY DESPAIR/ ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 650

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

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    Wizards & True Stars

     - Luke la main froide

    (Part Five)

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             Pas compliqué : Luke Haines, c’est Noël Godin. Son Freaks Out! Weirdos Misfits & Deviants - The Rise & Fall Of Righteous Rock’n’Roll, c’est l’Anthologie De La Subversion Carabinée. D’un côté les screaming girls de la Beatlemania, de l’autre les Pieds Nickelés de Forton. Même sens du droite gauche dans la bedaine de la bien-pensance, même impertinence salvatrice, même vision résolutrice, même envie d’en découdre avec les fucking lieux communs du ventre mou du lard global, on l’a dit ici et répété, Luke la main froide, c’est Léon Bloy avec une guitare électrique, c’est l’entartreur avec la férocité britannique. Jetez-vous tous sur ces deux bibles ! Plus l’environnement socio-culturel sent mauvais, et plus elles s’avèrent aussi nécessaires que l’oxygène. Respire un bon coup, avec Luke, t’es en bonne main (froide).

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             Comment dire ? C’est une occasion rêvée que de saluer une telle parution, et donc une chance que de contribuer à ce bloggy bloggah pour pouvoir l’annoncer. Freaks Out! est l’un des rock books majeurs de notre époque, mais comme on répète ça à chaque fois, disons qu’il est encore plus majeur que d’habitude. D’ailleurs, sur l’étagère, tu vas pouvoir le ranger à côté de toutes tes bibles : l’Anthologie citée plus haut, le gros volume bleu clair de Pascal Pia, Romanciers, Poètes & Essayistes Du XIXe Siècle, les deux volumes de Richie Unterberger, Unknown Legends Of Rock’n’Roll et Urban Spacemen & Wayfaring Strangers, le Dada Duchamp de Michael Gibson, L’Art Magique et l’Anthologie De l’Humour Noir d’André Breton (un mec qu’on déteste profondément, mais son Histoire de l’Art et son Antho valent tripette), le Record Makers & Brokers de John Broven, L’Histoire De L’Insolite de Romi & Philippe Soupault, La Lettre & L’Image de Massin, les trois tomes des Souvenirs Sans Fin d’André Salmon, le Quatre Siècles De Surréalisme de Marcel Brion, enfin bref, tout ça donne le vertige à chaque fois qu’on s’y plonge. Que deviendrait-on sans les étagères ?

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             Avec son mighty Freaks Out!, Luke la main froide reprend grosso-modo ses fameuses columns de Record Collector et les développe, il fait donc du nec plus ultra de trié-sur-le-volet. Il monte sa science en neige. En lisant chaque mois sa column, on avait l’impression de lire du rare. Avec son book, il cultive le rare jusqu’au délire. Il l’élève. Il l’ararate. Ça va de Gene Vincent aux Go-Betwwens (ses deux chouchous hors compétition) en passant par Steve Peregrin Took, Earl Brutus, Robert Calvert et Jesse Hector. Luke la main froide est bien le seul mec en Angleterre à consacrer des chapitres entiers à ces héros de l’underground britannique. Il le fait avec une bravado qui en dit long sur son panache. Il est inutile de rappeler qu’à notre époque des mecs comme la main froide ne courent pas les rues. Pas besoin de sortir de Saint-Cyr pour le constater.

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             Si tu veux savoir tout le bien qu’il faut penser de Gene Vincent, tu peux lire deux auteurs : Damie Chad et Luke la main froide. L’un comme l’autre sont des inconditionnels définitifs, des prêtres du temple d’Apollo-Gene. Heureusement qu’ils sont là ! Dans Freaks Out!, t’as un chapitre entier bourré à craquer de sailor Craddock, de Triumph motorbike, de Norfolk Virginia, le texte vibre de toute l’énergie de «Be-Bop-A-Lula», t’as le Gene qui voit Elvis sur scène, alors Eugene perd son Eu, se rebaptise, «becoming Gene Vincent. Holy fucking shit», s’exclame la main froide en tombant à genoux ! Il se reprend aussitôt et, le visage tourné vers le ciel, il déclare : «Chaos magick takes over; Gene puts together a backing-band - the Blue Caps - a potent brew of the amateur and the genius.» Seul un fan hébété de transe obsessionnelle peut te sortir un tel sermon, sa phrase claque au vent, tu peux la lire et la relire, tu la verras toujours claquer au vent, a potent brew of the amateur and the genius. Mais attends, c’est pas fini, la main froide a la main lourde : plus loin, il traite «Be-Bop-A-Lula» de «full-on wolverine prowl», c’est-à-dire de pire monstre carnassier qui ait hanté l’inconscient, et, ajoute-t-il, «en dépit de tous leurs efforts, ni les Stooges, ni les Troggs, ni Suicide n’ont jamais fait mieux.» La main froide lâche ensuite une petite bombe de sa fabrication : «Mais ce n’est pas Gene Vincent qui a inventé le rock’n’roll que nous connaissons. C’est le batteur Dickie Harrell, qui n’a alors que 15 ans, et qui à la fin du deuxième couplet, pousse un feral scream», c’est-à-dire un hurlement sauvage. Mais bon, comme toujours, c’est plus joli en anglais. Feral, ça ferraille dans ton imagination, alors qu’hurlement peine à jouir.

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             Tu crois que la main froide va se calmer après sa bombe ? Tu te fous le doigt dans l’œil, amigo. La main rappelle qu’en 1959, Gene était cuit aux patates, aux États-Unis. Terminé. Kapout. Direction l’Angleterre. Alors l’anglais Jack Good tombe à pic. Il fait de Gene l’icône que l’on sait en Angleterre. Il le fait passer du stade de «skinny hillbilly farm-punk» à celui de «bad-boy black leather», avec le médaillon et les gants noirs. Et là, notre épouvantable main froide atteint l’un de ses sommets : il décrit l’arrivée de Gene sur scène, et dans la coulisse, Jack Good lui crie : «Limp, you bugger, limp !», ce qui veut dire «Boite, connard, boite !» - Amazingly, Gene didn’t shoot him - Oui, la main froide a raison, c’est miraculeux que Gene n’ait pas descendu Jack Good. Alors tu vois, tu n’en es qu’à la page 20 et tu frises déjà l’overdose. Chaque page est un chef-d’œuvre d’heavy mystique dégoulinante de vitriol ironique. La main froide revient pour la énième fois sur l’incroyable movie tourné en 1969, The Rock & Rock Singer : Gene Vincent est filmé en tournée sur l’«oldies circuit», gavé de Benzedrine, de Dexedrine, d’heavy painkillers et de booze, ça va mal, et puis ces répètes dans une cave de Croydon avec les Wild Angels qui «kick out a motherfuckin’ dynamite version of ‘Baby Blue’ and Gene’s weary eyes light up. The Teds are gonna dig this shit.» La main froide écrit le rock comme un dieu. Il décrit le réveil de Gene dans la cave de Croydon. Ils tapent ensuite une country-song, «I Heard That Lonesome Whistle», dédiée à John Peel qui a sorti, nous dit la main froide, «Gene’s country rock album I’m Back And I’m Proud» - The Teds won’t be digging this - mais bon, la répète prend fin et les Wild Angels demandent à Gene ce qu’il compte faire de sa soirée. «I’m going to the pub, to get drunk.» Alors l’un des Angels demande : «Mind if we tag along?». Autre plan : à la télé, le présentateur annonce Gene Vincent & the Wild Angels with Be-Bop-A-Lula - Utter transformative chimera. Black leather and chains. John Lydon fronting the Troggs. Limp you bugger, limp - Comme elle doit aimer Gene !, la main froide, pour écrire comme ça ! Le seul qui atteigne ce niveau d’intense perfection stylistique, c’est Nick Kent.

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             À la fin du book, tu as 30 pages de recommandations (Discography, bibliography, miscellany), et la main froide n’y va pas par quatre chemins : «Gene Vincent & The Blue Caps - Bluejean Bop. The greatest album ever recorded?». Il te pose la question. Dans le chapitre qui précède celui de Gene, la main froide salue Jerry Lee exactement de la même façon : «Jerry lee Lewis At The Star-Club. It is unarguably the greatest live album ever recorded.» Et voilà, ça t’en fait deux pour ton étagère. Une autre façon de dire les choses : si tu es fan de rock, tu ne peux pas vivre sans ces deux préalables à tout le reste. La main froide utilise la surenchère à bon escient. C’est la raison pour laquelle elle est si fiable. Tous les fans de Gene et de Jerry Lee savent qu’il a raison.

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             Dans son intro, la main froide te fait tourner en bourrique. C’est l’un de ses apanages. Il te dit d’un côté que le rock’n’roll n’est pas une question de vie et de mort, «c’est plus important que ça.» Et de l’autre : «Le rock’n’roll est aussi utterly ridiculous. Ne perdez jamais ça de vue. Alors en voiture, les groovers.»

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             Il rentre dans l’eau bénite de ses chapitres en rappelant qu’ado, il était obsédé par The Fall. Il est encore plus fasciné par les Doors, qui, dit-il, allaient vite être démodés - Off-trend. Passé. Terminally uncool, even. Sure, they were loved by French people, Euro hippies, female students and me - La main froide ajoute en croassant qu’elle n’a encore jamais rencontré un music journalist qui ait eu un mot aimable sur Jimbo. La presse s’en prenait même à l’excellent film d’Oliver Stone sur les Doors, que défend la main froide. Alors elle donne 8 raisons d’aimer Big Jim, la deuxième étant le fute de cuir - Très peu de gens savent porter un fute de cuir. Bowie n’en portait pas, Bolan non plus, ni le Velvet, parce qu’ils ne savaient en porter. Les seuls qui ont su le faire sont les Beatles à Hambourg, Gene Vincent, Lulu et Jim. Morrison was the king of leather trousers - La troisième raison est la poésie. Il en profite pour saluer Iggy Pop et Geezer Butler «as favorite say-what-you-see-and-don’t-edit-visionary lyricists.» La septième raison est que les Doors avaient the tunes, c’est-à-dire les compos. «God bless you, Big Jim.» Ces deux pages constituent sans doute le meilleur hommage jamais rendu à Jimbo. Dommage que la main froide ne fasse pas allusion aux faits que Gene et Jimbo picolaient ensemble, et que Jimbo s’inspirait de Gene : le cuir noir et la façon de s’arrimer au pied de micro, sur scène.

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             Pour rester dans l’œil du cyclone, la main froide évoque plus loin le set du Velvet à Glastonbury, en 1993. Pour lancer la machine, elle se fend d’un paragraphe bien Hainien - Il existe un clip du Velvet en 1967 qui crée bien l’ambiance : Andy, Lou, Nico, Cale qui ressemblent à Satan. Moe qui ressemble à une secrétaire de Long Island. Paul Morisseay a l’air méchant, Ondine, l’air mauvais, Brigit Polk qui se shoote du speed dans le cul. Amphetamine. Amphetamine. Amph,ph-ph,ph,ph, phetamine. Tthe Siver Factory. Whip it on me Jim, whip it on me, Jim, whip it on me, Jim, whip it on me, Jim - Joli clin d’œil à Mick Farren, mais après, c’est une autre histoire, car le Velvet à Glasto, «the greatest band of all time», c’est une catastrophe, ils transforment «Venus In Furs» en «late-80s cocaine boogie» - The VU don’t belong in a field full of cowpats - Le Velvet dans les bouses de vaches ! La main froide est sidérée !

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             Ailleurs, il salue Joe Meek via «Telstar», et Jesse Hector via l’une de ses amies, Caroline Katz, qui a tourné le fameux docu sur les Gorillas - Les groupes les plus connus de Jesse furent the excellently named Crushed Butler and Hammersmith Gorillas - et ajoute avec tout l’éclat de sa foot-note : «Jesse a maintenu (jusqu’à aujourd’hui) an orthodox bovver/glam aesthetic.» Et pour couronner le tout, la main froide indique qu’à la grande époque, Jesse arborait «three haircuts simultaneously.»

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             Au rayon super-culte, on retrouve bien sûr Steve Peregrin Took. La main froide commence par rappeler qu’on le voit à côté de Marc Bolan sur la pochette of «Ty Rex 1969 masterpiece, Unicorn». D’un côté le Freak’s Freak of Ladbroke Grove, et de l’autre, Bolan, plus carriériste. Un Took viré sans ménagement de T Rex pour être remplacé par le «plus photogénique, moins musical, and most importantly, plus conciliant Mickey Finn.» La main froide rappelle encore que Tookie, comme on le surnommait, amenait dans T Rex des «exceedingly freaky harmonies and gueninely disturbing feral animal noises.» Et ça, que la main froide te balance entre les deux yeux : «Over in Ladbroke grove, Steve Took was helping to keep Britain untidy. He had already been kicked out of the utterly deviant Pink Fairies.» Ça résume bien la situation. Tookie avait alors monté Shagrat, «with soon-to-be Pink Fairy Larry Wallis.» La main froide profite de cette exaction pour rappeler que d’autres groupes mythiques ont brièvement existé, citant l’Entire Sioux Nation de Larry Wallis (encore lui !), les Rocket From The Tombs et les Electric Eels de Cleveland, «London’s Flies and New York’s Flies, Brighton’s Dodgems.» La main froide qualifie ces groupes de blink-and-you-miss-them-cos-they-barely-existed mythical bands in rock, et le plus grand serait Shagrat. Elle cite en référence «the demonic ‘Steel Abortion’» qu’on a salué ici même lors d’un hommage à Tookie justement instrumenté par l’une de ses columns infernales. Puis elle profite de l’occasion, l’infâme main froide, pour oser une comparaison entre «the dreary sweaty Fat White Family» et Shagrat, une Family qui, en comparaison, sonne «like a Nancy Reagan tribute act.» Dont acte. Shagrat s’est cassé la gueule parce que Lazza est allé rejoindre les Pink Fairies, alors Tookie a poursuivi «sa mission consistant à priver tout Londres de drogues en les prenant lui-même.» Puis il atterrit dans le basement de l’ex-manager des Move, Tony Secunda, et l’une de ses rares fréquentations n’était autre que «the disssolute and dislocated Syd Barrett.» La main froide soigne toujours ses chutes de chapitres et celle-ci est particulièrement gratinée : Tookie vient de recevoir un chèque de royalties pour les trois albums de T Rex, et avec sa copine Valérie Billiet, ils décident de s’offrir un blowout. Ils prennent des champignons et s’injectent de la morphine. Selon la main froide, on a taxé la mort de Tookie de «drugs misadventure». Alors la main froide se met à rêver : «Aurai-je contribué à ce dernier blowout royalty cheque en achetant Unicorn/A Beard Of  Stars, lorsque j’étais ado ?»

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             Elle reprend plus loin le thème des cult bands, avec ceux des années 80 : Psychic TV, Death In June, Curent 93, mais elle s’intéresse surtout aux Rallizes Dénudés, des Japonais qu’elle qualifie de «first post truth rock’n’roll band». La main froide recommande froidement deux albums, mais attention, c’est à tes risques et périls. Elle se fend en outre de ses plus belles formulations pour chanter leurs louanges : «Think half-hour ‘songs’ of jet combustion-engine blitzkrieg, howitzer trails of phased guitar trampling to death the most moronic troglodyte three-note girl-group bass lines.» Elle bat largement Kriss Needs et Nick Kent à la course des formules sur-oxygénées. Pour en avoir testé quelques-uns, les albums des Rallizes sont parfois inaudibles. Mais uniques dans leur genre. Donc cultissimes. C’est l’apanage des alpages. Mais ce n’est pas fini, car la main froide t’attend au coin du bois : «Tout ce que je dis peut être vrai ou faux. Ça n’a pas vraiment d’importance. Si vous lisez ce book et que vous ne connaissez pas les Rallizes Dénudés, vous aurez sans doute envie d’y mettre le nez. Ne cédez pas à la tentation. Il n’en sortira rien de bon.» Toujours au chapitre des cult-bands, voici les Sun City Girls, «the three dumbest people in the Appalachian Mountains.» Louanges aussi de The Manson Family et Family Jams, «undeniably great record». Oh et puis Earl Brutus ! La main froide salue Jim Fry et son book, A Licence To Pop And Rock - An Inventory Of Attitude, dans lequel «il déclare avec clairvoyance que dans le monde of pop and rock, ‘sport is for cunts’. On ne l’a pas assez dit, aussi vais-je le répéter : sport is for cunts. One more time: sport is for fucking cunts.»

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             Ce chapitre cult-bands grouille d’infos, mais on s’étonne cependant de ne pas y trouver les noms des Starlings, des Earls Of Suave, des 1990s ou de Tery Stamp. Ou encore de Lewis Taylor. Ailleurs, la main froide attire l’attention de son lecteur sur la distinction entre cool et uncool. Elle prend un exemple : «Smog/Bill Callahan are cool; but to the real Freak, Smog/Little Bill Callahan are totally uncool. My Bloody Valentine and Spiritualized are cool but also really uncool.» Tu tournes la page et tu tombes là-dessus : «Prince. No one cool has ever liked Prince; if you like Prince, you are doomed.» Mieux vaut écouter Parliament ! Et plus loin, elle tombe sur le râble de Radiohead : «Radiohead are totally uncool/uncool.» Les Clash sont aussi à ses yeux uncool. Ces pages sont hilarantes, et la main froide dégomme au passage pas mal de lieux communs du rock, comme le fit en son temps Léon Bloy avec sa redoutable Exégèse Des Lieux Communs. Les médiocres tremblaient de peur lorsque Léon Bloy tirait son sabre du fourreau. La main froide, c’est pareil : lorsqu’elle s’abat sur la médiocrité du rock anglais, c’est avec tout le poids de la Main de Dieu d’Isaac Bashevis Singer. Plaf ! 

             Luke la main froide joue aujourd’hui le même rôle que John Lydon : celui d’empêcheur de tourner en rond. John Lydon donne encore de rares interviews, et ça reste un bonheur que de le lire. Sa verve est intacte et il n’a aucune pitié pour les cons. Luke et Lydon et Léon même combat ! La filiation est évidente, aussi évidente que la grande littérature est d’une certaine façon l’ancêtre de la rock culture. Disons pour faire simple que Léon Bloy est un pionnier, que Johnny Rotten est son héritier et que Luke la main froide reprend de flambeau avec brio. Ça te donne une belle trinité. Le père, le fils et le saint esprit, tu vois un peu le travail ? Tu peux relire Le Pal en écoutant «Bodies» et lire Freaks Out! en écoutant «Pretty Vacant» ou «Be-Bop-A-Lula», tout ça se tient merveilleusement. Luke la main froide redore le blason de l’excitation, et redonne du panache à la rock culture. Sous sa plume, celle-ci redevient vivante, grouillante, impertinente, délicieusement impubère, et enracinée dans la terre grasse de l’underground. Avec son book, Luke la main froide génère un enthousiasme considérable. S’il t’arrive de douter, de te dire par exemple, «à quoi bon tout ce rock, tous ces disks, tous ces concerts, tout ce blah blah blah», la lecture de ce book te remet en selle et tu repars, au tagada-tagada, frétillant comme jamais.

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             Et en prime, tu rigoles comme un bossu. Exemple. En mai 1974, les Sparks passent à la télé. La main froide voit son père réagir en voyant Ron Meal apparaître à l’écran. Il appelle sa femme qui est à la cuisine : «Joy, come in here. It’s bloody Adolf Hitler on Top Of The Pops!». Chez les Haines, on savait rigoler. Ailleurs, la main froide s’en prend aux panta-courts. Quand elle arrive à Glastonbury en 1993, la main froide est horrifiée de voir tous ses gens en panta-courts, les mecs des maisons de disques, du NME et même John Peel ! Oï ! Et quand son père le traîne gamin dans un match de foot, la main froide ne comprend pas qu’on puisse passer «90 interminables minutes à cavaler autour d’un sack of shit in the gloomy Portsmouth mud.»

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             C’est encore avec brio que la main froide évoque la dernière utopie du genre humain, celle de Timothy Leary qui prêchait the «global psychedelic revolution». Il voyait une «cinquième dimension dans laquelle la banalité, le temps et l’espace seraient éradiqués.» Et pouf, voilà que John Lennon, grand adepte de Leary, pond «the somnambulist proto-Mandrax anthem, ‘I’m Only Sleeping’, and ‘Tomorrow Never Knows’, un hommage à sa lecture préférée, Timothy’s Leary’s Psychedelic Experience.» Et la main froide embraye sec sur l’implacabilité des choses de la vie, c’est-à-dire les Beatles : «‘Tomorrow Never Knows’ est un rare exemple d’outward-looking, future-seeking, free-falling, fifth-dimension Brit psychedelia, going to places few had dared to venture before.» Le chapitre s’intitule ‘The psychedelic dawn of Hank B. Marvin & The Shadows’, et dans le chapitre suivant, ‘How the Beatles ruined everything’, la main froide revient aux fondements de l’histoire du rock anglais, c’est-à-dire les Beatles - The Beatles went beyond cool, uncool, too cool, uncool in a groovy way. Ils sont allés jusqu’au sommet de l’Holy Mountain, ont jeté un regard vers le bas et... ont juste haussé les épaules - Et la main froide persévère : «Vous n’avez pas besoin de moi pour vous raconter l’histoire des Beatles. La plus grande histoire de toutes. Si vous avez besoin de moi, c’est pour vous dire que les Beatles - et ce n’est pas de leur faute - ruined all rock’n’roll for everyone. Ever.» Sa façon de dire : «Quoi que tu fasses, tu ne seras jamais aussi bon que les Beatles.» Elle ajoute plus loin que «les Beatles were the first mytical group in rock’n’roll», la notion de mystique en rock n’existait pas avant eux.

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             Un peu plus loin, la main froide rend hommage au Bolan de Zinc Alloy, c’est-à-dire la période Soul de Bolan, avec Gloria Jones, un Zinc «bien meilleur, wilder and weirder than similar contemporary white English-Honky-Boys-go-soul experiments, comme Bowie’s dry hump ‘Young Americans’ ou Ian Hunter’s ‘All American Alien Boy’.» Et ça qui vaut comme hommage suprême : «Marc Bolan est mort le 16 septembre 1977, à l’âge de 29 ans, dans un car crash, comme son héros Eddie Cochran. Just like Eddie.» Alors le sarcasme reprend le dessus dans la main froide : «Vieille plaisanterie d’école des années 70. Question : What was Marc Bolan’s last hit?. Réponse : A tree.» Dans sa foot-note, la main froide précise que la vanne est de mauvais goût, mais elle lui est restée en mémoire après qu’il l’ait entendue dans la cour d’école peu après l’accident. Pour rester dans le secteur des grands disparus, la main froide consacre un chapitre à Mick Farren et déroule son curriculum : «Mick Farren: ex-Deviant, almost Pink Fairy, UFO doorman, David Frost botherer, Germaine Greer beau and botherer, partner in crime to previous chapter anti-hero Steve Peregrin Took, White Panther, poet, solo act, International Times editor. NME punk flagpole hoister. Author.» Et son plus grand accomplissement : mourir sur scène au Borderline - On-stage dead - Et boom ça repart de plus belle dans l’éclate sidérale du Sénégal de London town : «Si Steve Peregrin Took was the Freaks’ Freak, alors Mick Farren was the Freak El Presidente, running around Ladbroke Grove agitating, facilitation, ‘freaktaiting’, man.» Alors la main froide essaye de se calmer en imaginant une petite hypothèse : «Si tu devais détruire toute ta collection de disques, et n’en garder qu’un seul, alors ce serait Mona - The Carnivorus Circus.» Mais en même temps, elle ne voudrait pas qu’on attribue trop de vertus commerciales à ce «mudslide of blurgh». Et ça continue dans la même veine : «De la même façon que les cons littéraires disent que tout ce qu’on a besoin de lire se trouve dans Ulysse, on peut dire la même chose de Mona, sauf que les cons du rock n’ont même pas écouté Mona.» Et la main froide, qui s’est spécialisée dans les petits coups du lapin en fourbasse, te balance ça, alors que tu te crois tiré d’affaire : «Il y a aussi une extremely low-slung and heavy version of ‘Summertime Blues’, and yes, read it here: it is better than Eddie Cochran’s original.» Comme son ancêtre Léon, la main froide ne perd pas son temps à secouer le cocotier, il préfère l’abattre à coups de hache.

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             Il était donc logique qu’elle passe ensuite à Hawkwind et au Space Ritual, «a hard rock prolapse of the mind on a fuck tonne of drugs.» Elle adore rappeler que la pub pour l’album indiquait : «90 minutes of brain damage» - Doubtless the most honest advertising campaign ever - Space Ritual est un festin de Freaks, pour la main froide - Sure, Lemmy was a speed freak, and topless-dancing petrol pump attendant Stacia was a Freak for real - et bhammm ! - Robert Calvert was of course the real Freak genius of Hawkwind imperial period (1969-79) - et comme dans sa column infernale, la main froide revient sur Captains Lockheed & The Starfighters, album cultissime - no half-measures classic - où l’on entend aussi Vivian Stanshall, Paul Rudolph, Twink, Steve Perrgrin Took (of course), Arthur Brown - Il faut toutes affaires cessantes réécouter «The Right Thing» que reprendra plus tard Monster Magnet. Et là tu touches le cœur battant du cosmos Haineux.

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             Elle consacre bien évidemment un chapitre à l’autre chouchou de service, Mark E. Smith & The Fall - The Fall’s 1980 compilation album Early Fall 77-79 really split my adolescent mind in two - Puis les albums qu’elle pouvait se payer, Live At The Witch Trial, Hex Enduction Hour, Totale’s Turns «utterly blew my tiny mind». Et voilà la confession du siècle : «The Fall helped make a Freak of me, helped me reach my true Freak potential.» D’où le book. La main froide salue aussi le génie de Mark E. Smith consistant à recevoir les louanges de la presse anglais avec un mépris inimaginable. Et voilà la chute de The Fall : «The Fall, ou pour être plus précis, Mark E. Smith, devint célèbre. De façon admirable, les albums devenaient de plus en plus étranges et se vendaient de moins en moins. And the... death. Et l’inévitable canonisation a suivi. Tu ne peux pas être à la fois un national treasure and a Freak.»

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             Nouveau coup de chapeau aux Australiens de London town, les Go-Betweens, et elle n’y va pas de main morte, la main froide : «The Go-Betweens were the greatest rock’n’roll band of the ‘80s - juste derrière (à mes yeux) the beloved Fall.» Elle qualifie ensuite Robert Forster de «first proper Freak I’d ever met.» Alors elle repart à la foire à la saucisse, cette fois, avec «le great rock’roll qui devrait être sharp and devastatingly funny : The Modern Lovers, late-period Velvets, Iggy, Big Jim Morrison, all funny as hell. The Go-Betweens on the Whistle Test was one of these.» La main froide explique qu’elle flashé sur «Apology Accepted», «a kind of Velvets’ circa 1970 New Age drone-age confessional». Elle chante bien sûr les louanges de Liberty Belle And The Black Diamond Express, et notamment d’«Head Full Of Steam», «not only a Go-Betweens’ 24-carat classic but an all-time classic.» Et de rappeler que dans les années 80, «Robert Forster et Grant McLeman were nothing less than rock’n’roll gods.» Elle va même jusqu’à les comparer aux Beatles, «with Grant as Paul and Robert as John. John the Freak.» - Robert Forster was a star. Polite, otherwordly, palpably a rock’n’roll star and most importantly: a Freak - Elle salue aussi bien bas Tallulah, «their London album». Rusée comme un renard, la main froide profite du chapitre australien pour saluer The Evening Visits... And Stays For Years des Apartments - it stayed on my record player for years

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             Et puis voilà l’hommage funèbre «for my friend, Cathal Coughlan.» Elle rend hommage à «Cathal’s visionary and uncompromising artistic life.» Lors de leur première rencontre, la main froide lui vantait les mérites du génie de David Crosby, et Cathal l’écoutait poliment - We became firm and easy friends - et c’est là bien sûr qu’on plonge dans Microdisney et les Fatima Mansions. On en reparle.

     

    Signé : Cazengler, lancelot du Luke

    Luke Haines. Freaks Out! Weirdos Misfits & Deviants - The Rise & Fall Of Righteous Rock’n’Roll. Nine Eight Books 2024

     

     

    L’avenir du rock

     - God save the Quinn

             En 1977, l’avenir du rock adorait promener son cul non pas sur les remparts de Varsovie, mais dans les rues de Chelsea, et notamment sur King’s Road. Il y croisait essentiellement des lycéens français en quête d’exotisme et de petites fringues à la mormoille. Ah comme ils avaient l’air godiches dans leurs petits blousons de cuir, leurs petits jeans et leurs petites boots à élastiques. Aussi caricaturaux que les touristes japonais qui eux préféraient traîner leurs savates du côté de Piccadilly Circus ou d’Oxford Street. Pour se distraire, l’avenir du rock en suivit deux qui semblaient un peu plus dégourdis. Ils se dirigeaient vers l’autre bout de l’avenue, là où se trouve Sex, le bouclard de McLaren. Ils passèrent une fois devant sans s’arrêter, firent demi-tour et passèrent une deuxième fois devant, en jetant un coup d’œil furtif à l’intérieur. C’est là qu’intervint l’avenir du rock :

             — Alors, les gaziers, vous n’osez pas entrer ?

             — Oh bah beuhhh...

             — C’est la grosse Jordan qui vous fout la trouille ?

             — Oh bih bahhhh...

             — Zavez vu, elle porte rien sous sa robe transparente. Belle moule, pas vrai ? Ça ne vous fait pas bander, les bibards ?

             — Oh bon bahhhh...

             — Au moins avec vous on ne s’ennuie pas, vous avez de la conversation !

             — Ah bah oui !

             L’avenir du rock s’émerveillait. Il n’avait encore jamais vu des kids aussi cons.

             — Hey les gazous, zécoutez quoi comme musique ?

             — God Save The Queen !

             — Pfff... N’importe quoi !

             — Ah bahh beuhhhh, alors c’est quoi qu’y faut écouter ?

             — God Save the Quinn !

     

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             Heureusement qu’il est là, l’avenir du rock. Tout le monde pense à la Queen des Pistols, mais jamais au Quinn DeVeaux. Alors le voilà sur scène, et dès les premières secondes, tu te frottes les mains, car voilà ce qu’on appelle un showman au sommet de son art. God save the Quinn !

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    T’es parti pour une heure de petit bonheur sidéral, celui qui te remplit bien la vie, celui qui te draine la cervelle, celui qui te remet l’équerre au carré et qui te réordonne la charité, oui, le petit bonheur sidéral de rien du tout, qui arrive de nulle part et qui te remplit comme une outre, ce petit bonheur sidéral qui t’arrache pour une heure à cette terre terne et à cette vie vile, à cette société sèche et à cette actu tue, le simple fait de voir un artiste aussi brillant et aussi inconnu, aussi black et aussi beau redonne du sens au sens, redonne vie à la vie, remet des touches de couleur dans le monochrome de la monotonie monitorée, le Quinn danse et chante comme le dieu Pan dans les vignes, alors tu le suis et en le vénérant, car au fond, tu n’es qu’un vieux païen. Grâce à Pan Quinn, tu renoues avec ton identité, avec ton anarchie inhérente, la vieille sève remonte en toi, la vie reprend vie, il suffit qu’un blackos chante et danse pour que le sens retrouve ses sens.

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             Mais attention, derrière lui se planque un gros voleur de show : le bassmatiqueur du diable, David Guy. Il bassmatique des six doigts, c’est-à-dire quatre + deux, et sonne exactement comme James Jamerson. Wow, c’est Jamerson en blanc, et quand on lui dit ça après le show, ça le fait rigoler de bon cœur. Il sait que Jamerson est le plus grand bassman d’Amérique. David Guy fait partie de gang des voleurs de shows, avec Dale Jennings qu’on vu agir derrière Say She She. Ces mecs n’ont aucune pitié. Ils volent sans vergogne. T’as un show petit black ? T’as plus de show, petit black. Baisé ! Dépouillé !

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    Mais Pan Quinn a du métier, il entend le voleur groover son show jusqu’à l’oss de l’ass, alors il danse et chante de plus belle, il se surpasse, il groove les vignes et tout le reste, la vie, le sens, l’équerre, ta cervelle et ta charité à la mormoille, Pan Quinn résiste au fabuleux harcèlement de son voleur de show et du coup, le set prend une dimension spec-ta-cu-laire. Aurait-on imaginé voir un jour un spectacle d’une telle qualité en Normandie ? 

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             Le reste du backing-band est au même niveau, c’est-à-dire exceptionnel, des blancs comme les MG’s derrière Booker T, ou les Swampers derrière les Soul Brothers et Sisters qui venaient alors enregistrer à Muscle Shoals. Gratte, beurre, keyboards, ils sont superbes, alors pour le dieu Pan Quinn c’est du gâtö. Il tape une incroyable diversité de styles, ça va de la Nouvelle Orleans («Bayou») au heavy rumble («Take You Back»), en passant par le black rock («Holy») et l’hommage suprême avec «What’d I Say» qu’on connaît par cœur, mais dans les pattes de Quinn, ça prend une autre dimension.

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             C’est avec «Been Too Long», le cut d’ouverture de Book Of Soul, qu’il attaque son set, un heavy groove de since you’ve been away. Puis il s’en va bourrer la dinde avec l’énorme «All I Need», beat énorme claqué  à la cloche de bois, qu’il tape dans la première moitié du set. Quinn chante d’une voix de gorge chaude, il plonge tous ses cuts dans une fantastique ambiance. On sent chez lui l’inconditionnel de Ray Charles et de Sam Cooke. Il a vraiment du génie, comme le montre encore «Think About You», les chœurs de blackettes intrusives tortillent le think about you, c’est une merveille d’équilibre en orbite groovytale. Quinn donne des leçons de Soul et de groove. Il te regroove «Gimme Your Love» à la cloche de bois. Tous ses cuts sont brillants, bien bourrés du mou. Il passe à la Good Time Music avec «Walk & Talk» qui sonne comme un sommet du genre. Big time groove ! Il est tellement à l’aise ! Il entame son chemin de croix avec «Take Me To Glory» et revient à la Nouvelle Orleans avec «Good Times Roll», tapé aussi en concert au débotté orléanais. Quelle énergie ! C’est battu sec et net. Quinn connaît toutes les ficelles du sec & net System. Son «Home At Last» est fabuleux de suspension académique. Il termine avec «Stay The Night» et y va au groove carnassier. C’est un véritable festival de pianotis et de poux killah derrière, final explosif, guitar kill kill et croon épais du Quinn.

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             Son meilleur album est sans doute Meklit & Quinn qu’il a enregistré en 2012 avec Meklit Hadero, une Éthiopienne. C’est globalement un album de covers extraordinaires, à commencer par l’«I Was Made To Love Her» de Little Stevie Wonder. Ils le prennent à la coule d’I was born in Newark, c’est incroyablement ralenti et ça coule tout seul au my baby needs me ! L’autre cover de choc est le «Stallite Of Love» de Lou Reed : pure et translucide. Ils font décoller le Satellite ! Ils tapent aussi l’«Electric Feel» de MGMT. Quinn le fait avec une classe indéniable. Un vrai coup de génie, salué par des trompettes et des chœurs de rêve. Sur «Slow», Meklit est tout simplement géniale. Quinn la révèle comme Chip Taylor a révélé Carrie Rodriguez. Ils passent au duo d’enfer avec «Look At What The Light Did Now». Ça groove à la trompette de Miles, ils mêlent leurs voix, ça groove dans l’air du temps, ça échappe aux genres, le Quinn chante d’une voix radieuse, à l’égal de Marvin et de Terry Callier. Imparable ! Shock full of groove ! Meklit entre dans la danse de «Saving Up» avec un tact éthiopien, et puis voilà l’hommage suprême : le «Bring It On Home To Me» de Sam Cooke. Le Black Power à son apogée. Meklit fait des yeah qui te foutent des frissons, ils prennent le Sam à l’aspiration d’espolette, c’est complètement overwhelmed de délicatesse, ils a-capellatent ça vite fait et bien fait.

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             Tu vas trouver quelques petites pépites sur Late Night Drive, à commencer par ce «Try» qui sonne comme du Terry Callier. Quinn gratte tout au rootsy de coups d’acou, il navigue en mode folky black. Même goût que Terry Callier pour le groove de jazz intrinsèque. C’est un son très adulte, très affirmé. Le morceau titre entre dans la même catégorie : tentateur, intègre et chaleureux. Sur cet album, Quinn se veut résolument country Soul. Vrai poids dans la balance. Il arrive là où on ne l’attend pas. Il gratte son «Sun & Moon» à la porte du paradis. C’est très inattendu, le Quinn est un black de haut vol. Il fait même de l’Americana avec «What The Heart Want». Il puise aux sources d’I want you in my bed. Magnifique black cat ! Encore une merveille avec «Good Thang». Le Quinn est le Johnny Adams des temps modernes, il y va au I know a good thang/ When I see her. Il sonne vraiment comme une superstar. Sur «Summer», sa gratte sonne comme celle de Nick Drake. Il dispose de ressources naturelles inépuisables. Et «Find» confirme ce que tu pressentais : le Quinn est un artiste complet : il a les chansons, le son, la voix et l’épais mystère du mysticisme. 

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             Quinn DeVeaux & The Blue Beat Review enregistrent en 2011 un bel album de covers :  Under Covers. Sa passion pour la Nouvelle Orleans éclate au grand jour avec trois covers : le «Packin’ Up» de Chris Kenner (fantastique shoot d’I’m packing up et les chœurs font I’m packing up/ I’ve got enough), puis l’«I’m In Love Again» de Fatsy (Oh baby don’t you let your dog bite me, superbe !), et plus loin «They All Asked For You» des Meters (le Quinn sait mouiller ses syllabes, c’est stupéfiant d’avanie meteroïque). Ils tapent aussi deux shouts de Gospel batch, «Come & Go» et «Glory Glory». Le Quinn ne manque pas de rendre hommage à ses deux idoles : Sam Cooke avec «Good News» (fabuleux mambo de Lawd ain’t that news) et Ray Charles avec «Leave My Woman Alone» (gospel funk et chœurs de rêve). Coup de génie encore avec l’«All Night Long» de Spooks Eaglin, fantastique boogie de clameur énorme avec des chœurs de folles dans l’écho du temps. Alors attention, car les cuts ne correspondent pas au track-listing, au dos du digi. T’as vraiment intérêt à écouter les paroles.

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             Toujours avec The Blue Beat Review, il enregistre Originals en 2013. L’album vaut le détour pour deux raisons. Un, «Lil 45», très New Orleans dans l’esprit. Le Quinn chante avec des accents d’Eddie Bo. Fantastique allure de beat sec et net. Oh et les chœurs ! Des chœurs paradisiaques qu’on retrouve sur «Raindrops», la deuxième raison. C’est fantastique d’I miss you more today/ Than yesterday ! Le reste de l’album est très classique. Ça se banalise, dommage. Il a des trompettes New Orleans dans «Left This Town» et il repart du bon pied pour «How Many Teardrops». Pas de problème, le Quinn y va. «Hey Right On» est très caribéen. Il adore onduler dans les alizés. Jivy encore le «Lil Papa». Tout est jivy chez Quinn, c’est bien drivé au guitar slinging avec une accointance de piano.   

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             Au merch, la petite black sort une bonne surprise : le nouvel album de Quinn qui vient à peine de paraître. Il s’appelle Leisure. Quinn s’y prélasse dans son hamac. Une merveille ! Ça grouille de puces, tiens, t’as «Holy» (Stonesy, atrocement balèze, cuivré sous l’horizon, il truffe son Southern rock de wild r’n’b, avec des breaks d’hyper haute voltige), et t’as aussi «You Got Soul» (fantastique drive de basse à la Spencer Davis Group, en pire, ça groove au raw to the bone, early in the morning baby/ You got Soul/ Late at night mama / You got Soul), t’as «Give Love A Try» (heavy slowah allumé pat le guitarring, très grosse allure de mix max), et t’as encore «Take You Back» (Quinn rock le groove au hard beat, Quinn est un fabuleux entertainer, avec des chœurs de jolis cœurs, ah elles sont craquantes !).T’as encore «Very Best Thing» (il attaque ça au big beat, avec l’incroyable ramalama du trombone fa fa fa). Il sait aussi taper la country Soul de Bayou avec «Little Bit More». Il se pourrait bien que David Guy soit derrière. Quinn devient avec cet album l’archétype du r’n’b moderne. Il revisite tous les gros classiques de la groove attitude avec un bonheur certain. Gawd save the Quinn !

    Signé : Cazengler, couenne de veau

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    Quinn DeVeaux. Le 106. Rouen (76). 22 mai 2024

    Quinn DeVeaux. Meklit & Quinn. Porto Franco Records 2012 

    Quinn DeVeaux. Late Night Drive. Not On Label 2013  

    Quinn DeVeaux & The Blue Beat Review. Under Covers. QDV Records 2011 

    Quinn DeVeaux & The Blue Beat Review. Originals. QDV Records 2013 

    Quinn DeVeaux & The Blue Beat Review. Book Of Soul. QDV Records 2020

    Quinn DeVeaux. Leisure. Sofa Burn 2024

     

     

    Lauder de sainteté

     - Part Two

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             Si l’on veut suivre à la lettre l’œuvre d’Andrew Lauder, Greasy Truckers Party fait partie des passages obligés.

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    Ce double album propose un concert enregistré à la Roundhouse en février 1972, avec à l’affiche, tous les chouchous d’Andrew Lauder : Man, Brinsley Schwarz et Hawkwind. Jamais vu Man en concert, mais quand tu écoutes les 22 minutes de «Spunk Rock», t’es content d’avoir échappé à ça. Rien de plus ennuyeux que ce type de presta. À quoi sert Man ? On les retrouve en B avec «Angel Easy». Ce sont des surdoués du free wheeling. Après la coupure de courant, on entend Brinsley Schwarz. Ils jouent avec l’air de ne pas y toucher. On sent chez eux un goût prononcé pour la good time music. Ils sont en plein dans le spirit californien, le gentil singalong. On les retrouve en C avec «Midnight Train». C’est vrai qu’ils sont top quality. Il faudrait peut-être y revenir. Virtuosic guitars ! Ils restent dans le rock relax d’obédience californienne avec «Surrender To The Rhythm». Et bien sûr, c’est Hawkwind qui rafle la mise en D avec deux énormités, «Master Of The Universe» et «Born To Go». L’early Hawk avait tellement d’allure ! C’est immédiatement riffé par Dave Brock et ça décolle. Il y a déjà tout le punk dans le son d’Hawk, ils chantent à plusieurs, ils sortent un son qui te dévore le foie, avec pas mal de spoutnicks et toujours cette rythmique infernale. Ah merci Andrew Lauder pour cette bonne aubaine. «Born To Go» sonne exactement comme un spaced out so far out embarqué sous le boisseau d’un heeeeeavy bassmatic. Comme c’est puissant ! Sidérant et voyageur à la fois, ils visent l’infini. 

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              Passage encore plus obligé, celui d’Hapshash & The Coloured Coat Featuring The Human Host And The Heavy Metal Kids, un Liberty de 1967 mythique à bien des égards, car on y entend Art, c’est-à-dire les Spooky Tooth, ET Guy Stevens, qui est non seulement un visionnaire, mais aussi l’initiateur du projet. Ça démarre en trombe avec «H-o-p-p-Why», une belle jam qui te renvoie aussi sec à Can. Effarant ! Même énergie. Mike Kellie et Greg Ridley tapent la rythmique du diable et Mike Harrison mêle sa voix dans l’Hapshash. Encore du groove d’Art dans «The New Messiah Coming 1985» et ça explose de plus belle avec le cut final, «Empire Of The Sun». Big Art sound. Très Can, Greg Ridley tape une grosse arrache de bassmatic, c’est du pur wild as fuck. Art c’est Can. Mike Kellie = Jaki Liebezeit.

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             Le deuxième album d’Hapshash & The Coloured Coat s’appelle Western Flier et sort deux ans plus tard. Plus du tout la même ambiance, car plus d’Art. L’invité cette fois n’est autre que Tony McPhee. Ils font un brin de Cajun in London town avec «Colinda» et on entend McPhee faire des miracles dans «Chicken Run». Il joue au long cours et double le chant. C’est mal chanté, mais on s’en fout, c’est Tony qu’on écoute. S’ensuit un «Big Bo Peep» encore plus mal chanté. Dommage. C’est Tony qui fait tout le boulot sur cet album mal fagoté. Rien n’accroche véritablement sur cet album prétentieux. On perd le Can du premier Hapshash. On gagne Tony McPhee même s’il n’est qu’en déco.

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             Dans Mojo, Andrew Lauder répond aux questions que lui pose Ian Harrison. Il indique surtout qu’il a eu beaucoup de chance, «tout tombait en place in a ridiculous manner.» En tant que musicien frustré, il dit qu’il aurait aimé jouer dans Brinsley Schwarz, Hawkwind et Dr. Feelgood. Quand il parle du spirit de United Artists qui lui laissait les coudées franches, le Mojoman lui demande si ce spirit existe encore. «Probably», dit Lauder, «chez Lawrence Bell from Domino, Geoff Travis (Rough Trade), Mute are still going, putting out records by Neu! and Can that I put out in the first place!» Et dans Ugly Things, il répond aux questions que lui pose Mike Stax, un Stax qui le qualifie d’«one of the most successful and impactful figures in the history of the UK record business.» Stax salue aussi le roi de la red que fut Andrew Lauder via Edsel et il cite des noms en rafales, chutant glorieusement avec «UT faves like Kaleidoscope, Moby Grape and Clear Light.» Mais c’est surtout le super fan que Stax a repéré.

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             Pour Andrew Lauder, ça démarre de bonne heure au pensionnat, avec les canards de l’époque et l’argent de poche pour acheter des singles, notamment des early Merseybeat singles (trois pour une livre, précise-t-il). L’interview démarre très fort sur la compile Merseybeat qu’a sortie Lauder en 1974, puis The Beat Merchants en 1977. Stax n’en finit plus de s’effarer sur le «My Babe» des Pirates et le «Bad Time» des Roulettes. Tu te marres à voir ces deux vieux fans s’extasier à répétition. C’est une interview d’une incroyable vivacité. Seul Stax peut provoquer de tels rushes d’hyper-fandom.

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             C’est l’occasion rêvée d’écouter The Beat Merchants - British Beat Groups 1963-1964. Alors effectivement tu croises le «My Babe» des Pirates en tête de B, c’est vrai qu’elle fascine avec le solo de Mick Green. Le «Bad Time» des Roulettes est en tête de D, joli shout d’early Beatlemania. Mais ce sont les groupes proto-punk qui te piquent au vif, à commencer par les Zephyrs avec «I Can Tell», puis les Soul Agents en B avec «Let’s Make It Pretty Baby» (chanté au raw de rauque), puis les Beats Merchants avec «Pretty Face» (Fast proto d’excelsior, sur les traces des Pretties), et puis bien sûr les Downliners Sect avec «Baby What’s Wrong» (rien de plus protozozo que les Downliners, ils groovent toute la délinquance britannique). À ce stade des opérations, il est important de signaler deux choses : un, il faut choper toutes les compiles qu’a conçues Andrew Lauder. Et deux, la pochette du The Beat Merchants est un régal pour l’œil : un certain Tony Wright y dessine l’intérieur d’une boutique de disques et de guitares en 1963, en Angleterre, et un kid gratte des accords sur une Epiphone en faisant une moue d’élève appliqué : c’est criant de vérité et de tendresse, avec les mégots sur le parquet, et la gueule du tenancier derrière son comptoir avec son œil de verre. Au dos, tu vois la boutique de l’extérieur. Wright a même dessiné les pochettes de disques de l’époque, les Beatles, Bo Diddley & compagnie, et à l’extérieur, le nez collé à la vitrine, tu as un kid encore plus jeune qui observe la scène. Du coup, te voilà avec un objet parfait dans les pattes : contenu comme contenant. Merci Andrew Lauder ! Et tu as un peu plus de 40 titres sur les 4 faces ! Cover demented de «Roadrunner» par Wayne Fontana & The Mindbenders, puis tu as le mythique «Poison Ivy» des Paramounts qui vont devenir bien sûr Procol Harum. Grosse cover encore du «Got My Mojo Working» par les Sheffields (raw to the bone, singer énorme), cover toujours avec «Roll Over Beethoven» par Pat Wayne & The Beachcombers, et au bout de la B, t’as le «Sick & Tired» des Searchers live au Star-Club - Oh baby whatcha gonne do ! - Cover encore d’«Oh Yeah» par The Others, presqu’aussi bonne que celle des Shadows Of Knight. Côté découvertes, t’es nanti avec Keith Powell & The Valets («Too Much Monkey Business», fantastique présence vocale, avec du rap dans les breaks) et Earl Preston & The T.T’s (cover de «Watch Your Step», hotte as hell). Ce sont les Pirates qui referment la marche avec «Casting My Soul» qui préfigure Dr Feelgood. Tout Wilko vient de là. Mais il y a encore des tas de choses, comme si Andrew Lauder avait réussi à rassembler tout le creap of the crap : Dave Berry & The Cruisers, The Redcaps, Mickey Finn & The Blues Men, cette compile n’en finit de plus de souligner la qualité de la scène anglaise de cette époque.  

             Et ça s’accélère lorsqu’Andrew raconte à Stax son arrivée à Londres, avec son frère. Il passe par hasard dans Denmark Street et voit toutes ces vitrines bourrées de Fenders, de Gibsons, de sheet music des Pretty Things, c’est encore plus fou que dans le book. L’émerveillement du jeune Andrew vaut bien celui d’Uncle Sam qui roule dans Beale Street à 3 h du matin pour la première fois. Et le lendemain, Andrew commence son porte-à-porte armé d’un guide London A to Z. Il fait deux adresses, chou blanc, puis entre chez Southern Music au bon moment : un comptable vient de partir aux Indes, alors Andrew tombe à pic. Il est dans le temple des Pretty Things sheet music. Son boss lui dit que la porte, là derrière, conduit au studio en sous-sol, et le premier musicien que voit Andrew, c’est Clem Cattini, le batteur qui joue sur «Telstar» et «Shaking All Over». Andrew n’est à Londres que depuis 15 heures ! - Tout tombait en place in a ridiculous manner - Et dans le studio sous des pieds, les Artwoods ont enregistré le fameux «Sweet Mary» qu’il avait demandé à sa mère de lui ramener de Newcastle - At that point, I thought, this is science fiction! - Stax parle lui de sérendipité. Andrew va rester chez Southern Music un an et demi. Il devient pote avec les Artwoods auxquels Stax consacre vingt pages dans le même numéro d’Ugly Things. Puis il évoque Jeff Beck qui vient de rejoindre les Yardbirds, puis les Who qu’il voit au Marquee - I was blown away - Mais il ne voit pas les Pretties, qui voyagent alors un peu partout, Nouvelle Zélande, Suède et surtout, nous dit Andrew, Hollande - En 1964 ils jouaient tout le temps au 100 Club, mais en 1965 ils ont littéralement disparu - Le seul soir où ils passent au 100 Club, en 1965, Andrew n’a pas un rond. Il va se rattraper un peu plus tard, lorsqu’il fera bosser Dick Taylor sur le premier album d’Hawkwind, «and a group called Cochise as well.» Stax le relance sur Dick, alors Andrew précise que c’est Doug Smith, le manager d’Hawkwind, qui a choisi Dick Taylor. Et crack, il sort toute l’histoire de Clearwater, l’agence de Doug Smith qui manageait aussi Trees, Skin Alley et The Entire Sioux Nation, le premier groupe de Larry Wallis.

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             Et c’est à ce moment qu’en tant qu’A&R de Liberty, il signe High Tide, un quatuor psycho-psyché londonien dont le premier album, Sea Shanties, défonça en 1969 la rondelle des annales. Alors attention, High Tide s’adresse aux amateurs de prog. Disons que leurs deux albums sont proggy, mais solides. Proggy, mais avec du caractère, comme le montre le «Futurist’s Lament» d’ouverture de balda. C’est bardé de barda. On croit entendre la prog des cavernes. Tony Hill est un guitariste féroce, et même carnassier. On n’entend que lui dans tout ce bazar, même si parfois Simon House vient mêler son violon à ses virées pouilleuses. Tony Hill est un bon, il a de la suite dans les idées. «Death Warned Up» est un shoot de Mad Psychedelia avec du power. Même dans les cuts plus calmes, on entend des petites flambées de violence. Retour à la Mad Psyché avec «Missing Out». Tony Hill devient même assommant. Il supervise tout. Il est puissant mais sournois. On se demande parfois à quoi sert le prog quand ça dure trop longtemps. Les High Tide sont un peu les Don Quichotte du rock. Ils font du prog en armure, montés sur des ânes. «Regardez comme je joue bien.»

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             L’année suivante parut un deuxième album sans titre d’High Tide. Ils nous re-servent le même cocktail de mic mac avec le violon de Simon House toujours en interconnexion avec les terminaisons nerveuses de la Marée Haute. C’est très expressif, très emballé et très pesé. C’est entêtant, même quand on n’aime pas trop la proggy motion. Il n’empêche que Tony Hill est un sacré virtuose, il cavale bien sur l’haricot de «The Joke». On s’attache, fatalement, même si patacam-patacam sur le lac gelé. Un méchant bassmatic plaque «The Joke» en son centre. C’est un vrai dévoreur de vésicule biliaire. Tony Hill est un fou, un évaporé, un coureur de jetons, un organisateur de voyages soniques sur fond de bassmatic. Ces mecs croisent le fer à l’ancienne. Tony Hill se livre à des exercices de haute voltige, et ça proggue dans les brancards. Simon House n’est jamais loin, avec son clavier. Le bassmatiqueur s’appelle Peter Pavli. Mais bon, ça reste du prog seventies, en dépit d’indéniables qualités. Simon House voyage bien dans le cut, son violon se fond dans l’unisson d’un certain saucisson, ça s’arrête et ça repart, c’est fait de tout petits riens, ils sont plus forts que le Roquefort et ça se termine en mode singalong. Ça dure 14 minutes, mais au bout de dix minutes, tu laisses pisser le Mérinos.

             Andrew ajoute qu’il a aussi fait trois albums avec Cochise et Dick Taylor, et les deux albums de Captain Lockheed & The Starfighters. Il rappelle qu’il ne signe que les groupes qu’il adore, comme Hawkwind et les Groundhogs. Puis il presse les cinq premiers singles Stiff pour aider Jake Riviera.  

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             Comme son mentor Guy Stevens, il a craqué en son temps pour le son de la Nouvelle Orleans, et le small label Minit en particulier. C’est à lui qu’on doit cette belle petite compile, 33 Minits Of Blues And Soul, parue en 1968. Il signe aussi les liners au dos. Deux coups de génie sur cette compile : Homer Banks avec «Hooked By Love» et les O’Jays avec «Working On Your Case». C’est lui, Homer, le crack de Minit, avec Bobby Woamack, dont le «Trust Me» accroche bien. Mais ce sont les O’Jays qui raflent la mise. C’est du très haut de gamme. Avec «I’ll Never Stop Loving You», Clydie King est déjà bien en place. On sent bien la vétérante de toutes les guerres. L’ex-Raelet duette aussi avec Jimmy Holiday sur «We Got A Good Thing Goin’», mais ça reste trop groovy. Pourtant très présents (deux cuts chacun), Jimmy Holiday et Jimmy McCracklin ne convaincront pas. Sans doute un problème de prod. Pas de son. 

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             En 1998, Andrew Lauder sortait sur son label Cello un compile de blues complètement fascinante, Expressin’ the Blues - Reconstructed History Of The Blues. Très haut niveau compilatoire, d’autant plus haut que les compilés sont quasiment tous inconnus au bataillon. L’underground du blues pullule de fontaines de jouvence. À commencer par Capt. Luke et sa cover de «Rainy Night In Georgia». Beau baryton plein de jus, idéal pour rendre hommage à Tony Joe White. Et si tu en pinces pour le primitif, alors écoute Marie Manning et «Hard Luck & Trouble», un fabuleux shake de blues, claqué des mains juste à côté de toi, elle chante à l’arrache de juke. Encore mieux, voilà Macavine Hayes et «Let’s Talk It Over». Macavine est héroïque d’heavy primitivisme. Il incarne tout le concept de l’édentée et de la cabane branlante. C’est le real deal. Encore plus fantômal que Skip james, voilà Preston Pulp et «Careless Love». Retour en force au primitivisme avec Cootie Stark et «Metal Bottom», fantastique boogie antediluvien, big bad sound claqué en bord de caisse. Énorme drive. Pur genius ! On retrouve aussi Robert Wolfman Belfour et «Black Mattie», un pur et dur du primitivisme. Il te gratte ça à l’arpège. Quant à Rufus McKenzie, c’est un fou ! «Woopin’ The Blues» ? Encore pire que Skip James, ça ne dure pas longtemps, mais quel big wail ! 

    Signé : Cazengler, Andrew Lourdaud

    Greasy Truckers Party. United Artists 1972 

    The Beat Merchants - British Beat Groups 1963-1964. United Artists 1977

    Hapshash & The Coloured Coat. Featuring The Human Host And The Heavy Metal Kids. Liberty 1967

    Hapshash & The Coloured Coat. Western Flier. Liberty 1969

    High Tide. Sea Shanties. Liberty 1969

    High Tide. High Tide. Liberty 1970

    33 Minits Of Blues And Soul. Minit 1968

    Expressin’ the Blues. Reconstructed History Of The Blues. Cello Recordings 1998 

    Mike Stax. Andrew Lauder’s Happy Trails. Ugly Things # 64 - Winter 2023

    Andrew lauder. Rock’n’Roll Confidential. Mojo # 355 - June 2023

     

     

    Cale aurifère

     - Part Two

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             Viré du Velvet, John Cale entend pourtant rester dans la légende. Il reprend donc son envol en devenant producteur. Et quel producteur ! Il va ajouter de la légende à la légende.

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             Une compile Ace documente bien cet envol : Conflict & Catalysis (Productions & Arrangements 1966-2006). Si on la fait marcher avec la deuxième partie de What’s Welsh for Zen, on re-bascule dans l’incandescence, on entre à nouveau dans une foire aux superlatifs. Ce début de carrière est un étourdissement. On risque à chaque instant la commotion cérébrale : Nico, les Stooges, les Modern Lovers, tout va de pair, tout va bene, tout va à tout-va.

             C’est Jac Holzman qui propose à John Cale de produire Nico - The first golden opportunity - John dit qu’il a produit, composé et joué sur quatre de ses albums, dont le premier, Chelsea Girl, produit par Tom Wilson. C’est là-dessus qu’on trouve l’«I’ll Keep It Mine» qu’offrit Dylan à Nico. Calimero ajoute que Chelsea Girl est l’album le plus accessible de Nico, et celui sur lequel il n’est pas le plus présent. Calimero n’a composé que «Winter Song» et «Wrap Your Troubles In Dreams», et co-écrit deux cuts avec le Lou et Sterling, «Little Sister» et «It Was A Pleasure Then». Lou et Sterling ont écrit le morceau titre.

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             «Chelsea Girls» (avec un s, contrairement au titre de l’album) est un ensorcellement, un cut très Velvet dans l’esprit, c’est-à-dire anti-conventionnel, beau mais insolent, et c’est surtout une fabuleuse drug song - Dropout, she’s in a fix/ Amphetamine has made her sick/ White powder in the air/ She’s got no bones and can’t be scared - On sent la patte du Lou et du Walk On The Wild Side. Et puis voilà l’excellent «I’ll Keep It With Mine» gratté à coups d’acou, soutenu par des violons, pur jus Dylanex. Qu’existe-t-il de plus mythique qu’un cadeau de Dylan chanté par Nico ? T’es vraiment content d’avoir cet album dans les pattes. Par contre, elle chante certains cuts à l’accent malade de Berlin («These Days»), mais c’est presque beau, on sent une volonté de beauté virginale. Elle finit par te hanter la calebasse avec le «Little Sister» signé Lou & Cale, même si elle flirte avec l’esprit harmonium qui finira par la rendre insupportable. Elle adore grincer dans les ténèbres. Elle refait du Velvet avec «It Was A Pleasure Then», elle plane comme un vampire sur l’esprit du Velvet, c’est très avant-gardiste, co-écrit par Lou & Cale, très anti-commercial, gorgé de bruits incertains et de feedback. Elle exagère ses graves germaniques. Il est évident que son grain de voix a fasciné Andy, elle est baroque dans l’âme, elle ramène toute la profondeur séculaire des Chevaliers Teutoniques dans sa verve glacée, d’où cette résonance si particulière dans l’univers frivole de la Factory. C’est dingue comme elle est glacée. Diva teutonique  ! Ses accents te glacent les sangs. Dans «Wrap Your Troubles In Dreams», elle est suivie par la flûte de Fellini, pour lequel elle a tourné. C’est un monde étrange d’art total. Elle pose son chant sur l’autel pour le sacrifier. Elle fait bien le lien entre le Velvet et le cinéma. Elle ne te laissera jamais indifférent. Jamais. 

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             Calimero dit qu’il passe son temps à se battre avec Nico en studio - We always had fights, physical at times - Et puis à la fin, Nico pleure devant tant de beauté, car certains cuts sont éblouissants - The crying-fighting business happened on every project we did together - C’est grâce à aux arrangements qu’il écrit pour The Marble Index que John Cale va devenir producteur pour le compte d’Elektra. Frazier Mohawk produit The Marble Index, Cale signe les arrangements. Bon, l’album reste du Nico, avec un son bien germanique et bien glacial. Un album de Nico, ça s’explore. Quand tu explores, tu trouves parfois des mines d’or («Evening Of Light») et d’autres fois des peaux de banane. Calimero ramène toute son énergie avant-gardiste dans ce prodigieux tas de mormoille. Avec «No One Is There», elle ne fait pas du Velvet, mais de l’anthropologie vénale. C’est violonné à l’aube des temps, elle pousse sa supplique dans un désert glacé. Elle est très teutonique. Ça ne pouvait que plaire à un Gallois. «Ari’s Song» est flûté dans l’esprit de Fellini, noyé dans un brouillage de piste intense, elle y va au sail away my little boy, elle s’égare dans un entre-deux d’infra-sons, c’est trop avant-gardiste. T’as du mal à entrer dans son weirdy weird, Calimero en rajoute une caisse et Frazier Mohawk valide tout. C’est vrai que Jac Holzman s’est lancé dans de drôles d’aventures : Nico, et puis Jobriath qu’il a regretté. Si un violon grince dans «Julius Caesar», il ne peut s’agir que de Calimero. Nico finit par établir une sorte de statu quo entre la beauté et l’étrangeté, et le violon n’en finit plus de tournicoter autour du chant. Nico s’établit quelque part entre le rêve et la réalité. Elle semble planer comme une brume matinale en Sibérie. Tout est figé dans un air glacial.

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             Tu grelottes encore sur Desertshore. Malgré le titre, aucun espoir de réchauffement climatique. «Janitor Of Lunacy» est bien chargé de glaçons. Calimero se régale. Le joli son de «My Only Child» résonne dans l’écho du temps. Et c’est Ari qui chante «Le Petit Chevalier». On entend bien sûr le violon de Calimero dans «Abschied», et il joue du piano magique dans cette merveille qu’est «Afraid». Avec «All That Is My own», Nico plonge dans des temps très reculés. 

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          Puis Calimero se lance dans une carrière solo avec Vintage Violence - Basically an exercice to see if I could write tunes - Il se masque le visage avec un bas nylon pour la pochette. Il cite une critique d’Ed Ward dans Rolling Stone, disant que Vintage Violence «sounds like a Byrds album produced by Phil Spector, marinated for six years in burgundy, anis and chili peppers.» À l’époque, on a revendu l’album, puis rechopé au hasard des bacs. Il démarre en mode heavy avec «Hello There». C’est fantastiquement bardé de barda. Il faut voir la photo de Calimero au dos de la pochette, torse nu avec des bretelles. On sent le Gallois prêt à en découdre. «Songs are simplistic», dit-il dans Zen. Il baptise son groupe Penguin. Attention, il a Harvey Brooks au bassmatic et Garland Jeffreys à la gratte. Il commence à dégager de la majesté avec «Please». Tout est très spécial, très solide et très attachant sur cet album. Avec «Amsterdam», il revient à son chant de Guernesey, face à l’océan, puis il challenge la pop à outrance avec «Ghost Story». Il y a du souffle, et pour finir, il lève une tempête de shuffle d’orgue.

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             Oh et puis voilà les Stooges. Calimero accompagne Danny Fields à Detroit pour les voir sur scène - I fell in love with the Stooges, and so I produced them. Je dirais que les Stooges et Patti Smith were the two biggest challenges I’ve ever had as a producer - Il fait un portrait extraordinaire d’Iggy - Iggy was just normal. He certainly wasn’t unhappy - À ce stade des opérations, il est nécessaire de mettre le nez dans la compile Ace/Big Beat épinglée plus  haut : Conflict & Catalysis (Productions & Arrangements 1966-2006). Neil Dell et Mick Patrick ont choisi «I Wanna Be Your Dog» pour illustrer l’épisode Stoogy. On sent la patte de Calimero dans le son, ça sort des ténèbres, avec l’arrivée du beurre - So messed up/ I want to feel - Iggy + Calimero = Boom de we’re gonna be face to face. On entend le piano de Calimero au fond du son. C’est le mix original. La compile s’ouvre sur «Venus In Furs», et le pur éclat d’une œuvre d’art. Le son + le Lou + le Shiny shiny shiny boots of leather, ça te donne l’équation fondamentale. Les liners nous rappellent que l’ingé-son était le mec de Scepter Records, John Licata, mais c’est Calimero qui produit. Troisième bombe avec l’«In Excelsis Deo/Gloria» de Patti Smith - Oh she looks so good - C’est vrai qu’elle est fabuleuse. Elle fait partie des «trucs de base» - Shaman, poet, beat, musician, singer, writer, activist, outsider - Elle fait de l’incantation et Horses reste il est vrai l’un des plus beaux debut albums - Cale was the only possible choice for producer - mais Patti se plaint de lui, elle voulait un «technical person, instead I got a total maniac artist.» Les liners s’emballent avec «Gloria» - a transcendental, transgressive, hallucinatory religious/sexual experience in just six minutes. Pop music could  never be the same - Et sur l’«Afraid» de Nico, on capte la beauté pure du piano de Calimero. Nico vient de se faire virer par Elektra et c’est Joe Boyd qui la sauve en imposant Calimero comme producteur de Desertshore. Pur, car pas d’harmonium. Puis on replonge dans les cuts mythiques avec le «Pablo Picasso» des Modern Lovers. C’est heavy, bien mythique, bardé de freakout de poux - raw, abrasive and lyrical qualities - Puis Big Beat déterre Harry Toledo & The Rockets et «Who Is That Saving Me», un heavy rock hérissé de guitares sauvages. Dans les pattes de Calimero, ça ne pouvait être que sauvage. Puis la compile dérive sur des trucs d’un intérêt plus limité (Marie & les Garçons, Squeeze). Par contre on accueille à bras ouverts le «Kuff Dam» des Happy Mondays. On sent le souffle dès l’aéroport, avec Shaun Ryder qui entre dans le chou de Madchester. On entend même du punk atroce au fond du groove. Calimero a réussi à capturer leur live energy. Plus loin, on croise Jesus Lizard et «Needles For Teeth», avec une basse qui sonne comme une dent creuse. C’est à la fois instro et intestinal. Prout prout. Calimero doit adorer ça. Puis il va aller se vautrer dans la pire des mormoilles avec Lio et «Dallas». Le voilà dans Star Academy. Pire encore avec Siouxie et «Tearing Apart», et le coup du lapin arrive avec l’insupportable «Spinnig Away» tiré de Wrong Way Up, cet horrible album electro qu’il enregistra avec Eno.

             En 1971, John Cale quitte New York pour s’installer en Californie. Il dit attaquer la pire période de son existence, basculant «in a cocaine-filled haze that quickly corrupted my life into its worst point.» Comme tout le monde à l’époque. John Cale bosse pour Warner Brothers, avec une élite constituée entre autres de Lenny Waronker, Ted Templeman, Russ Titleman et Van Dyle Parks. Mais il revient inlassablement sur LA - LA is coke central and things spiralled out of control in my life too - Il ne peut rien gérer, ni avec Cindy sa femme, ni avec Warner Brothers, ni avec lui-même - I was drinking and drugging to numb myself.

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             Et voilà qu’il enregistre l’un de ces albums parfaits dont il a le secret : Paris 1919. Il parle de paroles nasty planquées derrière des sweet melodies. Il est accompagné par Lowell George et Richie Hayward de Little Feat, qu’il a rencontrés via Ted Templeman, et le West Coast jazz sawman Wilton Felder, «for a collection of eclectic valedictory laments for a culturally vanishing Europe». Il ajoute, narquois : «Paris 1919 was about history in the way Mercy is about religion. The nicest way to say something ugly.» C’est en fait un album éminemment littéraire qui montre à quel point Calimero échappe au rock, il suffit d’écouter «Antartica Starts Here» en bout de la B des Anges pour comprendre que Paris 1919, ce sont les Impressions d’Afrique du rock, c’est-à-dire un au-delà du genre - Beneath the magic lights that reach from Barbary to her - Il chante en lousdé littéraire, accompagné par une basse et un piano. L’album recèle en son sein trois pure Beautiful Songs qui comptent parmi les joyaux de la couronne : «Hanky Panky Nohow» (une merveille insidieuse qui dérive au nothing frightens me more than/ Religion at my door et qui te hantera jusqu’à la fin des temps), «Andalucia» (gratté à coups d’acou avec les bruits de glissés, Calimero y va au needing you/ Taking you/ Keeping you/ Leaving you et éclot en chou-fleur baroque avec un I love you préraphaélite), et «Half Past France» (où on assiste au fantastique développement des harmoniques au take your time de we’re so far away/ Floating in this bay. Calimero y fait en plus son misanthrope - People always bored me anyway). Ailleurs, il chante «The Endless Plain Of Fortune» d’une voix chargée de mélancolie bien grasse, il passe au mighty boogie rock avec «Macbeth» et se livre à un fantastique déballage de you’re a ghost la la la dans le morceau titre, le plus baroque de tous, soutenu par une section de cordes et bien sûr il nous fait le coup des Champs Élysées. Il n’oublie pas sa chère calypso, comme le montre «Graham Greene», qu’il enrichit d’un refrain enchanté de welcome back to Cipping and Sodbury. Paris 1919 compte parmi les chefs-d’œuvre du XXe siècle.

             Il enregistre quelques démos avec les Modern Lovers, avant qu’un contrat ne soit signé - Mais à la minute où Jonathan a signé, he immediately went on self-destruct - Les démos vont paraître sur Beserkley. Et en 1973, John Cale entre en studio avec les Modern Lovers pour le compte de Warners, et ça tourne aussitôt en eau de boudin. Pour John Cale, il est évident que Jonathan ne veut pas du succès. On retrouvera une belle cover de «Pablo Picasso» sur Helen Of Troy.

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             Calimero bosse avec Eno sur «Gun», qu’il voit comme une espèce de «Sister Ray» avec des passages de guitares qui renvoient à «I Heard Her Call My Name». On trouve cette merveille sur Fear, premier album de la fameuse trilogie Island. À l’époque, ces trois albums causèrent dans nos rangs une légère déception. Le problème venait du fait qu’on attendait une suite au Velvet et Calimero proposait autre chose. En studio, en plus d’Eno, il a Phil Manzanera et Richard Thompson. «Fear Is The Man’s Best Friend» est très Paris 1919. C’est excellent, il enfonce son clou dans la paume du Man’s best friend. Il drive encore une mélodie très Paris 1919 dans «Buffalo Bullet» et passe à la samba avec «Barracuda». Il revient encore à son cher Paris 1919 en bout de balda avec un «Ship Of Fools» très beau et très Calé. Mais c’est «Gun» qui te cueille au menton de l’autre côté, voilà un classic sludge bien sonné, un heavy coup de génie avec Manza et Eno, plus Calimero au bassmatic. Nous voilà de retour au cœur du Velvet. «Gun» est balayé par du killer killah de Manza, et Calimero pose sa voix sur le beat de Moloch. Il est effarant de grandeur. Alors oui, «Gun» forever. On trouve encore de la belle ouvrage à la suite avec «You Know More Than I Know», pur jus de Paris 1919, et bien sûr «Sylvia Said», l’une de ces Beautiful Songs dont Calimero a le secret. Fear est un grand album.

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             Plus tard, Calimero va revenir en force sur l’aspect conceptuel avec Music For A New Society - Je cherche à ramener les éléments à leur dénominateur commun et voir quelle tension peuvent générer ces éléments distincts. C’est ce que j’ai essayé de faire avec New Society. Ça avait marché avec le Velvet Underground - Il reconnaît que c’était «un album sombre, mais il n’était pas fait pour pousser les gens à sauter par la fenêtre - Ils n’auraient pas sauté, de toute façon - Ils n’achetaient même pas l’album. Music For A New Society was my best-received record ever, mais il ne s’est pas vendu. Et je voulais vendre des disques, je me fous des éloges, elles sont tout juste bonnes pour ma pierre tombale. John Cale - Va-va-voom.» Il ré-enregistre les cuts de Music For A New Society sur M:FANS en 2016, alors autant écouter M:FANS. Deux coups de génie particulièrement féroces guettent l’imprudent voyageur : «If You Were Still Around» et «If You Were Still Around (Reprise)». Attention, Calimero nous plonge dans sa friture. Il te prend littéralement pour une frite. Il est complètement barré dans ses élégies, il est le Malher du rock, il vise l’absolu des étendues. Il faut le voir monter son Still around là-haut, puis l’écraser dans une zone de drone mortel, serait-il le Malher du bonheur ? Et cette façon qu’il a d’écraser la beauté des paysages de Caspar David Friedrich au fond d’un cendrier en acier ! Il y revient dans la Reprise, il remonte son Still around là-haut, c’est du haut niveau surélevé, il tarpouine sa pureté mélodique dans le chaos des machines, il cherche la lumière désespérément, comme un Edmond Dantès qui creuse son tunnel au château d’If, quel puissant Gallois ! Ailleurs, il végète dans les herses du rock electro, il est la seule créature vivante dans cet univers de machines incroyablement agressives qu’est «Taking Your Life In Your Hands». Avec «Thoughtless Kind», il rappelle qu’il adore le beat des forges et les fumées du Creusot. On sent le fil de mineur, le goût de la pelle et des coups de pioche, le goût de l’âpre. En fait, il adore l’electro à la mormoille, il faut voir les tartines ! Calimero est un robot ? Va-t-en savoir. Le Cale sci-fi finit par te fatiguer. On se croirait dans un mauvais roman de Philip K. Dick. À ce petit jeu, Hawkwind est bien plus balèze.

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             L’enregistrement de Songs For Drella ne se passe pas très bien. C’est le moins qu’on puisse dire. En studio, le Lou fume et envoie sa fumée au visage de John Cale, «knowing full well that I hated it». Rétrospectivement, John Cale voit cet album avec horreur. Quand il demande au Lou s’il a encore besoin de lui, le Lou lui dit de dégager. Ça ravive les mauvais souvenirs du Velvet. Calimero affirme que jamais le Lou ne s’est assis face à lui pour lui parler franchement - Lou always, always used other assassins - Il n’empêche que Songs For Drella est d’une certaine façon le cinquième album du Velvet. Dès «Style It Takes», t’es dedans - ‘Cos I get the style it takes - Ils se fondent tous les deux dans leur vieux Velvet. Avec des relents de «Walk On The Wild Side». Même chose avec cet «Images» noyé de disto, cut wild & littéraire, comme tout dans le Velvet, on entend même le violon, alors t’as qu’à voir ! Ils recréent la tension mythique des deux premiers albums du Velvet. Sur «Open House», le Lou chante comme un dieu. Il est dans son élan Transformer - Fly me to the moon - Puis c’est l’hommage fondamental à Andy avec «Trouble With Classicists» que chante Calimero - I like the druggy downtown kids who spray paint walls and trains/ I like their lack of training/ Their primitive technique - Seul Calimero pouvait taper un cut aussi warholien. Encore un cut purement warholien avec «Slip Away (A Warning)», on recommande à Andy de fermer les portes de la Factory, mais Andy dit non, où vais-je trouver l’inspiration ? - If I close the factory door/ And don’t see those people anymore/ If I give in to infamy/ I’ll slowly slip away - On voit aussi Calimero charger la barcasse d’«It Wasn’t Me». Il orchestre à outrance. Toujours pareil : c’est une question de carrure d’épaules. Dans «I Believe», le Lou raconte l’attentat de Valerie Solanas qui prend l’elevator jusqu’au 4th floor pour aller buter Andy. C’est violent. Pareil, on retrouve the bullet dans «Nobody But You» - I’m still not sure I didn’t die/ And if I’m dreaming I still have bad pains inside/ I know I’ll never be a bride/ To nobody like you - Et ça se termine sur l’effarant «Hello It’s Me» que chante le Lou. Il est tout de même gonflé le Lou, car il a viré Andy à l’époque du Velvet - Andy it’s me/ Haven’t seen you in a while/ I wished I talked to you more when you were alive - Pas de plus bel hommage - I really miss you/ I really miss your mind/ I haven’t heard ideas like that for such a long long time - Coup de génie faramineux.

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             John Cale a aussi de gros ennuis relationnels avec Eno sur Wrong Way Up - Risé, Eden et moi sommes allés deux semaines nous reposer aux Caraïbes, mais les plaies infligées par Songs For Drella et Wrong Way up suppuraient. Pas de chance. Pourtant un trouve une belle énormité velvetienne sur Wrong Way Up : «In The Backroom». Calimero réussit l’exploit de chanter comme le Lou, avec le même cérémonial new-yorkais. C’est prodigieusement orchestré, très weird, très flatteur. Mais globalement, l’album laisse un peu à désirer. «One Word» sonne comme de l’Étienne Daho. Gloups ! Ou plutôt berk. Calimero réussit à sauver «Empty Frame» du désastre en l’embarquant sur un mid-tempo accompli. On entend même des échos de Beach Boys dans les remous du fleuve pop. Puis l’album s’en va à vau-l’eau dans la new wave. Comment peut-on tolérer des cuts comme «Spinning Away» et «Footsteps» ? T’en as un qui vient du Velvet et l’autre de Roxy, alors pourquoi font-ils de la daube ? Au fil des cuts, l’album devient catastrophique. Calimero et Eno se prennent pour des jeunes rockers déguisés en gravures de mode, ils tentent encore de sauver l’album avec «Crimes In The Desert», mais bon, ça va, laisse tomber. 

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             Et puis voilà la fameuse reformation. Mal barrée, en raison du vieux contentieux entre le Lou et Sterling, qui lui en veut toujours de l’avoir forcé à aller annoncer à John Cale qu’il était viré du Velvet, SON groupe. Calimero rappelle aussi qu’un soir, en concert à Bologne, en Italie, il jouait l’intro de «Waiting For The Man» au piano et le Lou a dit au mec du son de couper le piano - At that point I was ready to knock his teeth down his throat. Il devenait de plus en plus étrange and I couldn’t deal with that - À la fin de tournée, dans l’avion, John Cale observe le Lou et comprend soudain qu’il est vide - this guy is empty - Le Lou en bout de course ? Contrairement aux apparences, cette reformation fut un gros panier de crabes. Calimero dit tout vers la fin de What’s Welsh for Zen?, cet extraordinaire book en forme de confessionnal.

             Suite des prodigieuses aventures de notre héros Calimero dans le prochain épisode.

    Signé : Cazengler, John Cave

    John Cale. Conflict & Catalysis (Productions & Arrangements 1966-2006). Big Beat Records 2012

    Nico. Chelsea Girl. Verve Records 1967

    Nico. The Marble Index. Elektra 1968

    Nico. Desertshore. Reprise Records 1970

    John Cale. Vintage Violence. Columbia 1970

    John Cale. Paris 1919. Reprise Records 1973

    John Cale. Fear. Island Records1974 

    John Cale. M:FANS. Double Six 2016 (= Music For A New Society)

    Lou Reed/John Cale. Songs For Drella. Sire 1990 

    John Cale/Brian Eno. Wrong Way Up. Warner Bros. Records 1990

    John Cale. What’s Welsh for Zen?: The Autobiography Of John Cale. Bloomsbury Publishing Plc 1998

     

     

    Inside the goldmine

    - Artie chaud

             Petit, dense, noueux, Arno n’avait pas des allures de tribun. Il savait pourtant tenir en haleine une salle de conférence bourrée à craquer de chefs à plumes. Il avait ce qu’on appelle communément le feu intérieur. Il savait alimenter un discours à l’énergie pure, c’est-à-dire l’énergie intellectuelle. Il s’adressait à un public de managers, des gens qu’il était difficile d’impressionner et qui n’acceptaient pas les discours au rabais ni les pensums à la petite semaine. Il fallait un certain panache pour briser les réticences et surmonter les suffisances, car pour ceux qui ne le savent pas, le monde des managers est un monde hermétique de gens qui n’acceptent de leçons que si elles viennent d’en haut, jamais d’en bas. Arno devait grimper sur son Olympe pour diffuser ses connaissances, tâche d’autant plus difficile qu’il s’efforçait de prôner un autre mode de fonctionnement, vantant les mérites de l’écoute et du management participatif, et pour vendre ces idées qui ressemblaient à de vieilles tartes à la crème, il devait redoubler d’éloquence. La théorie du management participatif avait vingt ans d’âge et tombait en désuétude, d’autant plus facilement que ses théoriciens en furent des penseurs de gauche. Cette théorie était même devenue une caricature. Mais selon Arno, elle pouvait jouer un rôle prépondérant, associée à la révolution numérique qui bouleversait le monde du tertiaire. Selon lui, rien de ce qui existait auparavant n’allait subsister, tous les codes allaient se fondre dans de nouvelles mœurs managériales, oui, tonnait-il, les échelons allaient fondre comme fondit jadis le bronze des statues pour couler les canons des guerres républicaines, les têtes des vieux managers allaient finir fichées sur des piques, des charrettes entières de tyrans cravatés allaient traverser Paris jusqu’à la place de Grève pour y être guillotinés, et l’odeur du sang managérial donnerait la nausée à tous les habitants du quatrième arrondissement. Au lendemain de l’épuration, tous les managers reconvertis aux processus meta-cognitifs se verraient confier des postes valorisants dans les nouveaux échelons de la Concorde Participative. Et Arno, emporté par l’ivresse de sa vision concluait en criant : «Vive la Transe ! Vive la pollénisation des processus cognitifs ! Vive la régulation des niveaux de motivation !»

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             Si Arno avait eu la peau noire et une guitare électrique, il aurait très bien pu tenir en haleine un public de trois cents personnes dans un club de Chicago, comme l’a fait Artie toute sa vie. Artie ? Mais oui, Artie White, un vieux loup de mer du Chicago blues. Comme d’autres avant lui, Artie White a fini par atterrir un jour chez Malaco. C’est d’ailleurs grâce à la Malaco box qu’on l’a découvert. En réalité, il est sur Waldoxy Records, le label monté par le fils de Tommy Couch qui s’appelle Tommy Couch Jr.

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             Artie va enregistrer trois albums sur Waldoxy, Different Shades Of Blue, Home Tonight, et Can We Get Together, de 1994 à 1999. Different Shades Of Blue est un magnifique album. Artie commence par vouloir épouser sa belle-mère avec «I’m Gonna Marry My Mother-in-Law» - She got the kind of love/ That I am longing for - c’est vrai, tu as des vieilles salopes irrésistibles, tout ça en mode heavy blues. Il sort sa meilleure voix pour «There’s Nothing I Wouldn’t Do». Il est l’un des plus puissants seigneurs de son temps. Il chante vraiment comme un dieu noir. C’est pour ça qu’on est là. Il enchaîne deux coups de génie : «Willie Mae Don’t Play» et «I’ve Been Shackin’». Il tape le premier au groove insidieux, le pire qui soit, c’est un peu comme s’il ramenait les grattes de JB dans le swamp, looka here, il groove entre tes reins au Willie Mae she don’t play. Là tu as gagné ta soirée. Il revient au ouuuh pour son Shackin’, avec une diction superbe et une présence démente dans le son, nouvelle merveille inexorable. Ce démon d’Artie te plie tout l’album en quatre, il sait tout faire, le swamp, l’heavy blues, la Soul, «Did Alright By Myself» est une autre merveille. Il revient à l’heavy blues avec «Ain’t Nothing You Can Do», il reste le maître du jeu, il établit les règles, puis il te colle la cerise au sommet du groove avec «I’d Rather Be Blind Crippled & Crazy», il rentre dans le chou de l’un des meilleurs grooves de tous les temps, c’est d’une profondeur extrême en termes de blackitude, il ramène même des chœurs de gospel !

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             Home Tonight est enregistré à Muscle Shoals. Dès «Your Man Is Home Tonight», Artie domine bien la situation. On sent le Barry White en lui. Il fait de la Soul de grand seigneur. Il te réconcilie avec la vie. Artie White est un fantastique shouter de real deal. Avec sa force tranquille, il sait qu’il va remporter les élections. Présence énorme. Il sait graisser la patte d’un heavy blues («Somebody’s Fool», «Man Of The House») et taper dans la Soul des jours heureux («If You Don’t Love Me»). Artie est non seulement un puissant seigneur, mais il est aussi ton meilleur copain. Il crée l’événement à chaque cut. Tu veux de l’heavy blues de haut niveau et bien gluant ? Alors écoute «Black Cat Scratchin’», Artie est un artiste fabuleux, appliqué et subtil, il règne sans partage sur son empire de blues, il est plein de doigté, les solos sont beaux, on ne sait pas qui de Big Mike Griffin ou Andrew Thomas les prend, mais quel régal ! David Hood nous drive ça au bassmatic. Tout est bien foutu sur cet album. «The More You Lie To Me» est classique mais si bien chanté, all the time ! Sous son panama blanc, Artie est un crack. Il passe au fast boogie avec «Feet Must Be Tired», il sort tous ses chevaux vapeur pour l’occasion.

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             On trouve son premier album Blues Boy sur le fameux label Ronn Records, subsidiary avec Paula Records du Jewel Records de Stan Lewis, basé à Shreveport, en Louisiane. Trilogie précieuse pour les amateurs éclairés de Southern Soul, car c’est sur Paula, Ronn et Jewel qu’on trouve les grands albums de Bobby Patterson, Ted Taylor, Frank Frost, Lowell Fulson, Jerry McCain, Toussaint McCall et Bobby Rush. Malgré un développement commercial sans précédent, Lewis finira par se casser la gueule en 1983. Les labels indépendants n’avaient pas les reins assez solides.

             Sur Blues Boy, Artie joue le blues des années 80, mais il veille au grain, même s’il n’invente ni la poudre, ni le fil à couper le beurre. Sur la pochette, il a une bonne bouille. On sent le petit blackos heureux de vivre. Alors on y va. Pas de problème. Ça sort sur Ronn, mais c’est enregistré à Chicago. Artie fait du Chicago blues. Et même de l’heavy Chicago blues («What Pleases You Pleases Me»). Rien de plus que ce qu’on sait déjà. Tout sur l’album sonne comme du standard classique, et même parfois comme du Bristish Blues avec des cuivres derrière («Leaning Tree»). Il termine avec une belle cover de «Chain Of Fools». Il jette tout son poids dans la balance, et avec Artie, ça veut dire ce que ça veut dire. Il chante son Chain entre ses dents, à la tendancieuse, c’est un excellent groover de chain chain chain

             Entre 1987 et 1992, il va enregistrer six albums sur Ichiban Records, un label de blues basé à Atlanta qui, comme Rounder et Alligator, a marqué son temps, mais pas au fer rouge.

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             Artie sourit sur la pochette de Nothing Takes The Place Of You. Il propose un heavy blues d’Ichiban joué à la frappe sèche. Artie est chaud. Son «Wondering How You Keep Your Man» est classique mais bien tartiné au miel de blues. Artie s’y  connaît en syllabes, c’est un spécialiste du roulage de pelles. Que fait-on après l’heavy blues ? Un boogie blues. De ce point de vue, il est imparable. Et puis voilà «All You Got», une fantastique Soul de blues, cuivrée de frais, Artie est fabuleusement actif, il joue tout d’un bloc. Il boucle son balda avec une cover de Willie Nelson, «Funny How Time Slips Away». Il va encore sur la Soul en B avec «Something Good Goin’ On». Artie est un bon artiste, il connaît ses bases et ses limites. Il flirte avec le gospel, bien aidé par des chœurs de femmes ouvertes. Il fait aussi pas mal de Chicago blues pointu et acéré. Il termine cet album intéressant avec «I Need Someone», un heavy blues de Soul de Solomon. C’est excellent, plein d’intention intensive, les chœurs font all the time, c’est du grand lard fumant, une vraie sinécure qui n’en a cure.   

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             Belle pochette que celle de Where It’s At : Artie pose le pied posé sur le pare-choc de sa Cadillac. Dès «Too Weak To Fight», il a un son énorme, avec un fat bassmatic au devant du mix. Chicago sound, here we go ! Et avec le fast boogie d’«One Woman’s Man», il avoisine le Bobby Blue Bland. C’est dire s’il a du caractère. Pour se taper Artie, il faut bien aimer le boogie blues, c’est la condition pour entrer dans «Nobody Wants You When You’re Old And Grey». C’est son fonds de commerce. Et quand il fait du heavy blues avec «Proud To Be Your Man», il ramène toute sa grosse arrache      

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             Encore un beau portrait d’Artie sur la pochette de Thangs Got To Change. Tout vêtu de rouge, il arbore son petit sourire de blackos heureux, comme sur la pochette de son premier album. On note aussi la présence de Little Milton on lead guitar. Artie ramène ses vieux accents de Bobby Blue Bland dans son morceau titre. C’est comme on s’en doute un album extrêmement joué. Comme le montre «Thank You Pretty Baby», Artie est un sacré charmeur - Tank you pretty baby for being so kind - On se régale aussi de cette belle escalope d’heavy blues en B, «I Wonder Why». Toujours les mêmes plans, mais avec Artie ça reste du très haut niveau. Puis il tape dans l’excellent «Reconsider Baby» de Lowell Fulsom, il tartine son I hate to see you go à la perfection.

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             Le morceau titre de Dark End Of The Street est bien sûr le classique composé par Dan Penn et Chips Moman. C’est là où l’expression Soul blues prend tout son sens. Il est bon l’Artie, sur ce coup-là. Avec «Clock Don’t Tick», il passe à l’heavy Chicago blues cuivré à outrance - Come back baby/ Let me try again - Il termine l’album avec un «I’m Mean» bien sonné des cloches. L’Artie sait allumer une bouffarde, aw listen here, il est aux commandes, pas de problème, tu peux dormir sur tes deux oreilles, le cause I’m mean est solide comme un bœuf. Sur la pochette, il se fait photographier devant une taule, avec ses bottes rouges aux pieds. C’est vraiment le dernier endroit où il faut aller frimer. Sur l’album, le guitariste s’appelle Larry Williams. Il sait graisser la patte du blues. Avec «Hit The Nail On The Head», l’Artie plonge dans le son comme Tarzan dans un fleuve.

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             Le voilà enfin avec les mains couvertes de bijoux sur la pochette de Tired Of Sneaking Around. Il bat Little Milton et Johnnie Taylor à la course. Aucun blackos n’a jamais porté des bagues aussi énormes. Il ramène tout le velouté de Bobby Blue Bland dans «Today I Started Loving You Again», puis dans «Turn About Is Fair Play», en B, Ce sont les mêmes oh nooo dans les descentes de gammes. Sinon, il fait du bon Ichiban bien huilé. Non seulement c’est bien huilé, mais c’est aussi bien cuivré. Le morceau titre est un joli slow blues, a jewel of rendez-voooo. 

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             Avec Hit And Run, on sent une petite baisse de régime. Il est sur Ichiban, et le son s’en ressent. L’Artie y va doucement. Il ne force plus le passage. Il se la coule douce, avec un art de la dépouille très évolué et un guitariste loin derrière sur «Doctor Doctor». Chez Ichiban, on ne fait pas de vagues. Tout est très classique : le blues, le boogie blues, même l’heavy boogie blues d’«I’m Glad You Gone» - Don’t write me no lettah/ Oh don’t write me no lettah baby ! - Rien ne dépasse sur Ichiban, tout est bien lisse, bien électrique, les filles dans les chœurs sont dévouées et l’Artie tient bien sa rampe, pas de problème. L’Artie enfile ses perles. L’Artie est chaud. Il termine avec «I’m A Lonely Man», il tartine son wanna live my life en mode gospel blues. Fantastique !

    Signé : Cazengler, cœur d’artichaut

    Artie White. Blues Boy. Ronn Records 1985

    Artie White. Nothing Takes The Place Of You. Ichiban Records 1987  

    Artie White. Where It’s At. Ichiban Records 1988       

    Artie White. Thangs Got To Change. Ichiban Records 1989 

    Artie White. Dark End Of The Street. Ichiban Records 1990 

    Artie White. Tired Of Sneaking Around. Ichiban Records 1990  

    Artie White. Hit And Run. Ichiban Records 1992      

    Artie White. Different Shades Of Blue. Waldoxy Records 1994 

    Artie White. Home Tonight. Waldoxy Records 1997  

     

    *

    Je n’étais pas particulièrement triste mais j’avais envie de DBSM, ne flashez pas sur les deux dernières lettres, non nous ne nous embarquons pas dans un trip porno-sado-maso, quoique en y réfléchissant Eros n’est jamais très loin de Thanatos, cet acronyme signifie Depressive Black Suicidal Metal, c’est fou de voir comment avec quatre lettres l’on peut casser une ambiance, bref quand on cherche on trouve. Suis tombé sur VCH, je vous rassure non ces initiales ne signifient pas Viol Collectif Homicidal, c’est juste un label que je ne connaissais pas. Rien que pour vous j’ai choisi un album.

    THREE CRIMSON TEARS

    OCULI MELANCHOLIARUM

    (Bandcamp / VCH / 2022)

    VCH pour Victoria Carmilla Hazemaze qui a fondé le label. Vous la retrouvez sur l’opus élu sous le nom de Victoria Nox. Le visage que vous apercevez sur la couve n’est pas le sien. L’artwork est de Suzy Hazelwood. Elle dispose d’un site sur Pexels, elle collationne des photos de toutes sortes, notamment vintage, qu’elle met librement à la disposition de tout un chacun. J’ai particulièrement apprécié cette vue d’un bouquin dont on ne voit que le nom de l’auteur : Keats. Il en faut peu pour me rendre heureux, juste l’essentiel et l’absolu.

    Dans la nuit tous les chats sont gris, parfois Victoria Nox apparait sous diverses nuances de… noir : par exemple dans AIAA7, Careus, Luna Pythonissam, Persephone’s Legacy, Cantodea Dianthus

    Victoria Nox : all instruments, vocals / Sumabrander : vocals.

    Victoria Nox est mexicaine, de Mexico exactement, l’on ne s’étonnera pas de trouver un texte en anglais et un second en espagnol. Sur Bandcamp le lien qui permet de rejoindre le bandcamp de Sumabrander, hétéronyme de Paul Moritz, de Dresde, est suivi de la mention : lyrics de Thy  Despair. Sumabrander est un artiste qui suit une démarche parallèle à celle de Victoria Nox, comme elle, il est impliqué  dans plusieurs projets : Tausenderm, Alott, Raute, Nurez, Akoasma

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    The presence : attention le texte aide à comprendre la structure de cet EP, j’en cite quelques vers : She once walk trouugh among us, she walks through the woods, le texte est magnifique il ressemble à ces poèmes que l’on savait écrire aux temps du romantisme : magnifique photo de couve, il faut écouter ce premier morceau en comprenant qu’il n’est pas une illustration de cette belle image, mais que le titre tend à reconstruire les sentiments de cette jeune fille, vu le style du cliché l’on peut se dire que cette âme fragile et accablée a disparu depuis longtemps, nous avons affaire à une illustration phonique non pas de la beauté triste de cette jeune fille mais à une transcription imaginaire des sentiments dont elle est agitée, si les yeux sont les fenêtres de l’âme il est inutile de regarder au-travers en se fiant à la sérénité résignée qu’a pris le terme de mélancolie dans notre modernité, longtemps mélancholia a été le terme qui désignait la folie, non pas celle des crises de fureur destructrice d’un Alfred de Musset, mais cette prison de rêveries de soi-même dans laquelle s’enferma Gérard de Nerval et dont on ne s’échappe que par la mort, ne vous attendez pas une musique triste, certes ce n’est pas joyeux, le cercle des tempêtes intérieures est un maelström dont nul ne réchappe, une belle mélodie profonde, l’eau sans fond d’un miroir fendu par une fine brisure indiscernable, la voix féminine de Victoria et masculine de Paul Moritz se répondent, échos lointains qui se déploient en un dialogue mille fois repris,  et bientôt la fêlure éclate, la voix du dessous celle qui dicte sa vérité, celle de Nox, qui essaie de se regarder du dehors, marchant dans le monde dont elle s’est coupée, et celle du dessus enlisée dans les tourmentes du dedans, l’intensité baisse d’un cran, le plus terrible c’est que ceux qui regardent le fantôme de la folie arpenter sa solitude sont eux aussi happés par ce tourbillon intérieur qui leur est totalement étranger, mais dont ils sont maintenant le reflet, et le monde se dissout en vous à moins que ce ne soit vous qui vous dissolvez dans la folie… Magnifique. Il est dangereux de se pencher par certaines fenêtres. Magistral. Cora : comme un prénom qui voudrait dire Cœur, fêlé serait-on tenté d’ajouter, musique sombre, douce, avec sous la guitare la voix chuhotante de la Nuit Victorieuse, c’est la fin, les derniers jours, ne vous étonnez pas de ces déchirements sonores, de  ces souffles aussi violents que ceux de Wuthering Heights, ils s’amplifient encore, elle n’est plus que l’image décolorée de soi-même, mais à l’intérieur, une plaie saignante et purulente que ses pensées lacèrent encore et encore, en cora, la musique baisse d’un ton, elle n’a pas survécu, elle est morte, croyez-vous que le drame soit terminé que la souffrance s’est tue, non de ses yeux coulent trois larmes de pourpre… She wanders in Mystery : croyez-vous que ce soit terminé, que la vie continue, que l’on puisse passer à autre chose, non ce qui a été dans la présence du monde existe pour l’éternité, dans l’éternel retour des choses en soi-même, en elles-mêmes, en le regard des témoins, un piano rejoue la mélodie, il est des choses qui ne s’oublient pas, même quand on a oublié qu’on les a oubliées, elles subsistent, malgré vous, malgré nous, malgré elles-mêmes, celle qui ère un jour ère pour toujours.

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    Cora (Demo) : sortie 8 / 11 / 2021 : d’ailleurs on remet le morceau, on le rejoue, non pas pour étoffer un Ep, mais parce que le tourbillon du souvenir et de la présence vous entraîne à tout moment, vous n’avez qu’à tendre la main d’une pensée pour être happé une nouvelle fois, des chœurs encore et en Cora, une bouffée sonique peut-être un peu moins forte, mais plus dense, une douleur dans le corps qui vous empêche de dormir la nuit et de vivre le jour. Sur la fin des doigts qui courent longtemps sur les cordes d’une guitare comme s’ils espéraient que le morceau ne se terminât jamais. She walked among us : des notes comme un oiseau incroyable qui viendrait se poser parmi les vivants, la batterie se fait lourde, c’est ici que l’on s’aperçoit que le drame s’est joué parmi nous, que l’on n’a rien fait pour l’arrêter, même si c’était impossible, ce clavier qui bat de l’aile comme un cœur qui a du mal à reprendre sa respiration, comme si la folie nous habitait aussi et que nous n’y pouvions rien. Pour nous comme pour elle. She walked through the wood : un te deum final pour clore la grande messe des adieux, la dernière minute, pour être encore dans la silhouette éblouissante de ses errances, de sa folie, l’ultime image d’elle, que nous garderons puisque c’est elle qui nous gardera. Les revenants ne sont pas des fantômes, c’est nous qui revenons.

             Sombre, mais lumineux.

    Damie Chad.

     

    *

    Paul Moritz est-il le parolier de Thy Despair, et ce Thy Despair c’est quoi au juste ? A mon grand désespoir je n’ai pas été capable d’établir une relation   entre Moritz et Thy Despair. Enfin une photo de Thy Despair, trop sombre pour bien discerner, une bande de hardos chevelus, tout ce qu’il y a de plus classique chez les hardos. Je ne voudrais pas que les héritiers de Bo Diddley m’intentent un procès but you can’t judge a band just looking a pic, alors j’ai cliqué sur une vidéo que les dieux du rock m’ont fort opportunément glissé dans mon champ de vision :

    FALLING STAR

    THY DESPAIR

    (Official Lyrics Video / YT / Rockshots Records / 2020)

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    Première image, c’est du léché, de magnifiques paysages, terre, mer, ciel et une intro grandiloquente à la dack symphonic metal, ambiance romantique, moi j’aime le romantisme, au lycée les filles m’avaient surnommé René à cause de Chateaubriand, je connais les codes, j’attends la voix sépulcrale du chanteur, l’antithèse hugolienne après la lumière, l’ombre, Après les trois premiers éléments, je pressens le pire, je me prépare à être carbonisé par le feu, surprise, me voici projeté dans l’éther réservé aux Dieux, une voix féminine d’une intense pureté me projette en un autre monde, bien sûr un hardos craignos au timbre éraillé et caverneux ne tarde pas à prendre le relais, mais elle ne se laisse pas faire, un dialogue s’installe, la laideur charbonneuse  d’Héphaïstos rend la voix d’Artémis encore plus pure…

    Qui est cette sirène, je veux la voir, je veux l’avoir, justement la voici !

    GHOST RIDER

    THY DESPAIR

    (Official Live Video / YT / Rockshots Records / 2020)

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             Superbe vidéo, tous les membres du band ont droit à leurs secondes de gloire, des plans super-étudiés, j’avais vraiment mal regardé la photo, y a pas que des craignos chevelos, une deuxième fille, une mutine au clavier, toujours au chant  cette alternance des rayons et des ombres, je ne vois qu’elle, je n’entends qu’elle, cette voix séraphique qui se pose comme l’alcyon dans la tempête et plus rien n’existe, le monde fait naufrage, mais elle survit indifférente à l’ouragan sonore, sa voix plane dans les nuées, son corps enveloppé de ses longs cheveux, les pieds enracinés dans la terre, elle bouge, elle ondule, houppe d’arbre flexible que le vent ne rompt pas, elle se meut, sur la rondeur de ses épaules d’albâtre reposent les colonnes invisibles du  ciel…

    ARMY OF DEAD / Official Music Video

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             Un véritable film de chevalerie, superbement mis en scène par Niphilim, voix d’ombre, guitariste et fondateur du groupe, en moins de cinq minutes défilent devant vous les scènes iconiques qui semblent sortir tout droit des romans de Chrétien de Troyes, en plus l’orchestre  joue comme l’on festoyait dans le château du roi Arthur, et cette voix éthérée pour laquelle vous oublierez la quête du Graal, car il vaut mieux étancher sa soif à la lymphe d’Iseult la blonde qu’au sang du Christ.   

             Descendons de notre nuage. Ils sont ukrainiens. De Kiev. Leur FB ne donne plusieurs de nouvelles depuis plusieurs mois, fin août 2023 ils donnaient encore des concerts (voir vidéo, elle dure six heures : Bokaya Metal Birthday 27 / 08 Volume Club Kyiv ), si vous descendez dans leurs posts abondent des photos de destructions dues à la guerre… De tous les animaux l’homme est le plus grand des prédateurs.

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             Six groupes se succèdent dans le Club, le public est clairsemé. Une trentaine de personnes au maximum, le set de Ty Despair débute (timing vidéo) sur les 3h 40 et se termine sur les 4 H 30. Le son n’a pas l’amplitude symphonique des vidéos, pourquoi s’arrêtent-ils une à deux minutes entre les morceaux. Le set serait beaucoup plus fort s’il n’y avait pas ses coupures silencieuses. Nonobstant ce défaut, le set est magnifique, l’accord entre les deux vocalistes parfaitement au point, mais quand Elin, aussi belle que l’Hélène de Sparte, chante, vous êtes transporté ailleurs dans un autre monde, une autre dimension, entre terre et rêve.

             Le groupe s’est formé en 2008, il n’a produit que deux singles, deux Ep’s, et un seul album :

    В​і​л​ь​н​и​й

    (2015)

    Tous les titres des sigles et des EP sont repris dans l’album, nous les écouterons au moment de le chroniquer. Le lecteur risque de s’étrangler en prononçant le titre. Pas d’affolement c’est de l’ukrainien, méfiez-vous si vous tentez de le traduire en utilisant votre translateur, la traduction proposée ne rime à rien ; Gratuit. Ce vocable ne s’inscrit pas dans l’imaginaire dark metal, au plus une consonance gidienne d’acte gratuit, question littérature l’on s’attendrait davantage à des résonnances entre autres lovecraftiennes ou une allusion aux sagas islandaises, à Edgar Poe ou à Arthur Machen. En attendant de lever cette incertitude nous nous contenterons d’admirer la couve.

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             Admirable logo, le Tau du sacrifice mêlé au Delta dzétien du Destin. Instinctivement avec cet oiseau posé sur un champ de neige l’on pense à La Pie de Claude Monet. Mais le travail de ce merveilleux coloriste, ce maître de la nuance dissociative de la couleur irriguée par une vision contemplative de la nature qu’est notre impressionniste ne cadre pas avec la thématique de l’image. Champ de neige après la bataille, ne restent que les épées, les armes et les boucliers à moitié enfouis dans les amoncellements d’ouate mortuaire qui doit recouvrir les cadavres, sur la droite un corbeau odinique gras comme un chapon nous le confirme, nous sommes dans Le cœur de Hialmar, un des plus beaux poèmes de Lecomte de Lisle, pratiquement au centre, posé dans sa propre fierté, solitaire un faucon, ne jette même pas un regard indifférent autour de lui, la vie est un carnage, il y a ceux qui meurent et ceux qui survivent. Il a choisi son camp. Depuis sa naissance. 

    THE FREE ONE

    (2018)

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             Encore une fois nous ne regarderons que la couve. Attention, il existe deux versions de cet EP, l’un tout en ukrainien qui porte le même titre que le précédent В​і​л​ь​н​и​й et ce deuxième en langue anglaise qui nous aide à comprendre le sens de cette gratuité non-commerciale, qui n’a pas de fondement nous dit le dictionnaire, à comprendre selon une acceptation stirnérienne, ‘’ J’ai basé ma cause sur rien, j’ai basé ma cause sur Moi.’’ L’image est sans appel, un rapace qui se laisse tomber du haut du ciel sur sa proie toutes serres ouvertes, la liberté n’a qu’un prix : la vie. La liberté n’a qu’un coût : la mort.  

             Trois tires : l’ensemble forme une splendide trilogie : The free one / Sabbath / War.

    THE SONG OF DESOLATION

      (Rockshots Records / Mai 2020)

    Elin : vocals / Phil ou Niphilim : guitar, vocals / Nawka : keyboards / Strike : guitar / Alex : drums / Anton : bass.

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    L’artwork de la pochette est d’Elin, une pythonisse écrasée par le message qu’elle doit délivrer, des roses motivent sa robe, mais tout dans son attitude désespérée démontre qu’elle n’est qu’épine empoisonnée, celle dont la piqûre déclencha  le cancer de Rilke,  pochette rouge de sang symbole du futur de l’Homme, et cette bouche démesurée à la Gwinplaine, l’enfant que les comprachicos ont défiguré, le monstre au cœur pur, Elle que le chant de désolation prophétique dont elle nous avertit transforme en carnassière de l’Humanité. Nul n’est innocent, nul ne sera épargné, même pas celui  ou celle qui détient dans sa bouche les affres du Dire destinal cruel et souverain.

    The free one : ne nous y trompons pas, le morceau est ancien, sa première mouture est parue en 2015, n’oublions pas que la guerre en Ukraine a débuté en 2014, même si depuis notre hexagone elle paraît avoir commencé en 2022… Le genre dark metal se complait dans les thématiques catastrophiques, voire apocalyptiques, à cette aune-là le titre de cet album Song of Desolation n’est guère dramatique, il semble s’inscrire dans les canons du genre, mais il est nécessaire de le relire en pensant à la guerre qui actuellement ravage l’Ukraine, il est rare de rencontrer des albums de Metal qui évoquent des évènements politiques d’actualité brûlante en train de se dérouler. Ne nous laissons pas emporter par la fougue symphonique de cette musique, il nous faut en quelque sorte actualiser les paroles de ce morceau, qui sont assez intelligentes pour ne nommer personne, ce qui leur permet d’atteindre une portée symbolique universelle, il y a une tension extraordinaire dans ce morceau bâti comme un dialogue, sublime aussi cette évocation du faucon, créature du rêve, qui se suffit à lui-même, qui insuffle du courage au guerrier comme à son ennemi, être ambivalent pour ceux dont il recouvre l’imaginaire de ses ailes. Sabbath : changement de décor, guitares grondantes, passage mélodramatiques, fuites éperdues de soli, grand pandémonium très agité, sorcières et sorciers vous entraînent dans un ballet chaotique, cette nuit du sabbath paraît très éloignée de l’Ukraine d’aujourd’hui, moment crucial, n’entrez pas dans cette ronde, sans quoi vous serez tué, fuyez les puissances maudites si vous le pouvez, la mort est au bout de tous les chemins. Il n’et de pire sabbath que les hommes et les nations mènent tous les jours, toutes semaines, tous les mois, toutes les années. Fear and despair : tournez les pages de ce livre de contes, le petit chaperon, rouge de sang, pour enfants imprudents. Rien de pire qu’un vampire, ivre du sang pur de la vierge qui se consume de désir, elle chante, elle appelle, il grogne, il arrive, musique hystérique, glas qui sonne et vous glace, à son tour elle doit assurer son immortalité dans le sang de ses victimes, la voix monte haut car elle est descendue très bas. Oratorio shakespearien. Burned by love : l’autre côté de l’obscurité, un autre conte que l’on lit en commençant par la fin, nul ne peut aller contre sa nature, le vampire est amoureux, tel est pris qui croyait prendre, dialogue d’outre-tombe et tentation de la beauté, l’on se laisse emporter par cette tempête phonique qui se termine par une extase infinie… elle éclate comme une bulle de savon dans l’infini de la mort. Est-ce l’éternité qui ne dure qu’un instant ou juste le contraire. Pour le savoir il faut tenter l’expérience. N’écoutez pas trop ce morceau, vous auriez toutes les chances de risquer l’aventure, tellement la pureté tentatrice  du chant d’Elin est envoûtante.  Last breath : la ballade du remord, dernier titre de la trilogie, tout se passe dans la tête, la frontière entre la vie et la mort est fragile, le désir est peut-être le point de passage qui permet de passer d’une rive à l’autre. C’est un feu qui brûle l’autre et l’autre de l’autre, car l’autre n’est que l’autre figure du même. Ces trois titres explorent les fantastiques tréfonds de l’âme humaine. Le deuxième titre de l’album nous avait prévenus tous les chemins de votre vie mènent à votre mort, même si parfois les chemins de votre mort mènent à votre vie.

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    War : ce titre était le dernier de ce que nous avons nommé la trilogie de la nuit du premier EP paru en 2018. Un chant de guerre, appel au courage, ordre de s’armer et de se porter au combat, chacune des deux voies comme le contre-chant d’arc-boutant qui s’appuie sur l’autre pour l’élever encore plus haut. Dans les morceaux de Thy Despair systématiquement au deux-tiers de sa longueur apparaît  une déperdition phonique comme une vague qui perd de sa force en s’approchant du rivage, ici les guitares remplissent de leur hargne ce moment de déperdition. La guerre n’admet aucune faiblesse. Army of dead : l’on retrouve le morceau dont nous avons présenté la vidéo. Sans doute le temps est-il venu de l’écouter en dehors des oripeaux colorées des belles images, dénudé de nos superfétatoires surinterprétations littéraires.  Que veut cette belle princesse : qu’un magicien redonne vie à son beau et preux chevalier tué dans un combat singulier. Le mage s’exécute et le chevalier revient de la mort. Hélas il n’est plus qu’une sorte de zombie à l’esprit demeuré (de l’autre côté). Certes il se souvient d’elle mais à la manière titubante dont il se dirige vers elle l’on pressent que c’est pour honorer sa chair d’une manière point trop courtoise pour ne pas dire bestiale… Il serait facile de ranger ce morceau aux côtés de la trilogie Fear-and-despair-Burned-by-love-Last-breath, dans une interview Thy Despair en propose une lecture différente : dans les situations désespérées, l’on ne peut s’empêcher de penser à l’Ukraine, il convient de réfléchir et de ne pas se livrer à des gestes inconséquents. Au va-t-en-guerre du morceau précédent Phil semble ajouter  la nécessité d’actions réfléchies. Ces deux postulations ne sont pas contradictoires. Falling star : que dire de plus. Ma première appréhension était innocente, ne connaissant rien de Thy Despair je l’ai entendu comme l’éternel combat de l’ombre et de la lumière, pour Thy Despair les paroles sont ancrées dans une réalité bien plus historiale que ‘’philosophique’’, mais encore plus que dans The Free One le fait qu’il n’y ait pas dans les lyrics une seule allusion à une situation politique quelconque lui confère une portée et microcosmique et macrocosmique qui nous plonge au plus près de l’intimité personnelle de tout un chacun comme au plus près de nos extimités intergalactiques les plus lointaines. Ghost Rider : encore un apologue de la même veine que Army of Dead. Ici, ce n’est plus la lumière et les ombres qui s’affrontent, mais le Mal et le Bien, Dieu et Satan, la voie angélique d’Elin, le timbre adversorial de Phil, bientôt l’on ne sait plus qui parle au travers du chant, la frontière entre le bien et le mal est beaucoup plus poreuse que l’on ne le voudrait, nous sommes tous, nous et nos actes, des hell’sangels métaphysiques, le mal peut engendrer le bien et le bien le mal. Pour libérer son pays ne doit-on pas tuer son ennemi. Falcon : la boucle est bouclée, musicalement aussi heurté  que War, c’est ici que nous est révélé la mystérieuse identité héraldique de ce faucon apparu sur les premières couvertures, notons que ce symbole est d’une clarté absolue pour tous les uchrainiens, les lyrics nous content le combat de la nation ukrainienne pour fonder leur indépendance, il s’agit du monogramme du blason de l’Ukraine. Ce vieux signe de mille ans d’âge de ralliement des peuplades nomades proto-bulgares, représente un gerfaut stylisé fondant sur sa proie. A l’origine ce serait une tamga emblème adopté dès l’antiquité par de nombreux peuples qui figurerait un trident… Ce dernier morceau inscrit cet album dans un acte de résistance politique délibéré.

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             Un bel album qui selon moi, n’a pas mérité l’accueil critique qu’il mérite. Il est vrai que son écoute peut se révéler étonnante, que la logique subtile qui serpente entre les pièces politico-guerrières, les morceaux à consonnance fantastique, et les titres dont il faut saisir la projective signifiance, il y a de quoi se perdre, alors qu’il participe d’un  projet réflexif d’une grande logique.

             Pour les lecteurs à l’esprit binaire qui voudraient savoir si je suis pour l’Ukraine ou pour les Russes, je dirais que premièrement tout peuple a le droit de se défendre et que tout peuple a aussi hélas le droit de s’attaquer à un autre, vision très hegélienne pour qui le droit n’est que l’expression de la force. C’est ce genre de remise en cause de l’idéologie lénifiante étatiste qui   a valu à notre philosophe un espionnage accru de la part des services de renseignement gouvernementaux... Deuxièmement : à ceux qui m’opposeront l’existence d’un droit moral international supérieur je répondrais que l’homme est un animal amoral, comme tous les animaux. Troisièmement : que l’Europe ne s’est jamais relevée de la chute désagrégative de l’Imperium Romanum. Quatrièmement : que les dirigeants n’ont que le pouvoir de vous envoyer à l’abattoir que leurs peuples leur octroient. Les guerres ne sont pas une solution mais une conséquence de nos faiblesses.…

             Lecteur sens-toi concerné par ce groupe car jamais sans toi, en français Thy Despair ne signifie-t-il pas Ton désespoir

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

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             Il y eut un double ‘’Heu’’ suivi de deux minutes de silence comme réponse à la question posée par Le Chef décidément en verve :

             _ Demoiselles je m’inquiète pour votre oral de français en fin d’année, votre bac est en train de couler au milieu de la rivière. Agent Chad un petit tour sur les grands boulevards, après quoi nous nous dirigerons vers l’Elysée.

    Les boulevards se révélèrent noirs de monde, j’estimai qu’à peu près vingt pour cent de la population marchait sur les trottoirs sans un mot, dans un silence impressionnant, les enfants étaient particulièrement calmes, ils donnaient sagement leur main à un adulte, sans rechigner, sans poser une question, sans sourire. Au bout d’un moment il y eut tant de monde que la foule déborda sus trottoirs, je dus ralentir, ce qui n’est pas dans mes habitudes. Le Chef alluma un Coronado :

             _ Alors les filles, je ne vous entends pas, de quoi ont-ils peur ?

    Doriane se dévoua pour répondre :

             _ Moi, la seule chose qui me ferait fuir dans la rue, ce serait une grosse araignée noire sur le plafond de ma chambre.

              _ Oui mais tu courrais partout en poussant des hurlements, éliminons cette hypothèse, qui ne saurait concerner le quart des parisiens !

             _ Oui tu as raison Loriane, mais qu’en pensez-vous, vous les hommes ?

    Le Chef secoua la cendre de son cigare :

             _  Il est temps demoiselles, que vous appreniez le b-a BA des méthodes des agents spéciaux des Services Secrets du Rock’n’roll, quand on ne sait pas on enquête, Agent Chad arrêtez cette voiture. Doriane allez interroger les passants sur le côté droit du boulevard, vous Loriane vous vous chargerez du côté gauche. Nous vous attendons, soyez rapides et efficaces.

    Elles y mirent du leur, nous les vîmes se faufiler entre les rangs, et s’arrêter un peu au hasard, soit devant un visage qui leur semblait un tantinet amène. Elles ne reçurent aucune réponse, personne ne manifesta un geste d’agressivité à leur encontre, ce n’est que l’on ne voulait point leur répondre, les gens les évitaient, il semblait qu’ils ne les apercevaient même pas. Elles revinrent :

             _ Avec Molossito et Molossa dans les bras, l’on nous répondra, tout le monde ou presque adore les animaux, c’est gagné d’avance.

    Elles revinrent tête basse, Molossito semblait encore plus vexé qu’elles, il avait léché le bout du nez de plusieurs enfants qui avaient semblé ne pas l’apercevoir. Même pas une réaction de leurs mères. Molossa avait adopté une autre tactique, elle aboya bien fort, grogna et n’hésita pas à faire semblant de mordre une ou deux gambettes, quand elle planta ses crocs dans la jambe d’un papa qui portait sa petite-fille sur ses épaules, à peine y eut-il un geste d’agacement très légèrement esquissé pour la dissuader de continuer.

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    Nous roulions depuis un quart d’heure lorsque Loriane s’écria :

             _ Euréka, j’ai une idée, je crois avoir trouvé, je pense que je j’ai découvert la cause de cet étrange comportement, je suis sûre que j’ai compris, je suis une championne !

             _ Diable, jusques là nous avions l’agent Chad convaincu d’être un génie supérieur de l’Humanité, en plus maintenant nous possédons une championne d’on ne sait trop quoi, tout ça dans l’espace restreint d’une simple voiture, j’espère que vous pouvez chère enfant apporter la preuve irréfutable de votre idée qui si j’en crois votre sourire devrait changer le sort de l’humanité.

              _ Bien sûr, il suffit d’arrêter l’auto, de descendre et de me suivre.

    _ Parfait juste le temps d’allumer un Coronado et nous vous suivons !

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    L’idée de Loriane n’était pas bête : si les gens sortaient parce qu’ils avaient peur chez eux, le plus simple était d’aller voir ce qui leur faisait peur chez eux. Il ne fut pas difficile de visiter quelques appartements. Les portes donnant sur les rues n’étaient pas fermées  et celles des logements individuels avaient été laissées ouvertes par leurs occupants. Rien de notable, la télévision était encore allumée et parfois il était manifeste que les occupants étaient partis précipitamment en plein repas. Molossito et Molossa n’hésitèrent pas à se partager un immense gigot de mouton de douze personnes pour un repas entre amis, les verres d’apéritifs à moitié pleins abandonnés sur une table basse  témoignaient de la célérité avec laquelle la petite fête avait été interrompue. Nous visitâmes soigneusement toutes les pièces, regardant sous les lits, inspectant les meubles, farfouillant dans les tiroirs. Rien, pas même une araignée. Tous les regards se tournèrent vers Loriane :

             _ C’est que nous faisons trop de bruit, expliqua-t-elle souvenez-vous de hier soir, lorsque nous avons été attaqués et que nous avons dû abattre à coups de Rafalos, les briseurs de murailles qui n’arrêtaient pas de sortir des murs, avant qu’ils n’arrivent nous avons entendu des bruits de pas, les gens ont eu peur, nous nous avons tué ces envahisseurs, lorsqu’ils sont sortis des murs les gens ont fui, c’est tout !

    Il y eut un moment de silence, les propos de Loriane appelaient à méditer, le Chef en profita pour allumer un Coronado :

             _ Admettons, mais où sont passés nos envahisseurs ? Ils ne sont pas dans les rues et manifestement ils ne sont pas restés dans les appartements !

    Loriane ne se démonta pas :

             _ Ils sont repartis par les murs, les gens chassés de chez eux, mission accomplie, ils n’avaient plus aucune raison de rester. Par contre je suis persuadée que si nous nous taisons nous les entendrons arriver, ils reviendront, j’en suis certaine !

    Nous restâmes près de deux heures. Nous n’étions pas mal tombés, chez des bons vivants, le bar regorgeait de bonnes bouteilles et des plateaux d’amuses gueules fort appétissants nous tendaient, vous excuserez cet anthropomorphisme  culinaire, pour ainsi dire les bras. Hélas nos briseurs de murailles ne daignèrent pas, ne serait-ce que par politesse, venir nous adresser un petit bonjour amical. Après un énième et dernier Coronados le Chef donna l’ordre du départ.

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    Il était de plus en plus difficile de circuler, à croire que l’entière population de Paris  était désormais dans les rues. De temps en temps j’écrasais sans le faire exprès un piéton, aucune hargne ne se manifestait envers nous lorsque l’on entendait un malheureux pousser d’atroces cris de souffrance quand une des roues lui écrasait la poitrine. Tout au plus nous adressait-on quelques gestes genre ‘’ ce n’est pas grave’’ et s’empressait-on de nous libérer le passage, nous avions même l’impression que s’ils avaient pu parler ils se seraient excusés…

             _ Chef nous avons traversé des situations étranges, mais comme celle-ci jamais !

             _ Agent Chad, vous me permettrez de ne pas être de votre avis, certes nous avons vécu des moments difficiles et périlleux, je le concède, par exemple la fois où nous avions dû aller chercher Keith Richards perché sur son arbre au milieu d’une jungle dont personne à part nous et ce brave Keith n’est jamais sorti vivant. En tout cas je ne comprends pas ce qu’il aurait d’étrange et de mystérieux dans cette affaire.

    Sur le siège arrière les filles s’insurgèrent :

             _ Et les briseurs de murailles qui sortent des murs, vous ne trouvez pas cela mystérieux, à vous croire c’est tout-à-fait normal !

             _ Au premier abord oui, mais si vous prenez le temps de fumer quelques Coronados, vous vous apercevez que nous avons agi comme ces imbéciles qui ne regardent que le doigt qui vous montre la lune !

             _ Chef vous voulez dire que les passeurs de murailles ne sont qu’un leurre ?

    _ Je suis enchanté Agent Chad que vous commenciez à tirer le bon lacet qui permet de dénouer ce nœud cousu de de fil blanc !

    _ Donc, dans tout ce qui nous est arrivé jusqu’à maintenant nous avons été victimes de mises en scène dues à la CIA…

    _ Parfaitement, ils sont très forts, il faut le reconnaître !

    _ Oui, mais maintenant John Deere et Jim Ferguson sont très morts !

    _ C’est parce qu’ils ont trouvé plus forts qu’eux, à tous les coups l’on ne gagne pas !

    _ Et vous pourriez nous révéler qui se cache derrière la CIA ?

    _ Bien sûr, mais nous arrivons au bout de nos trois pages réglementaires, je vous le dirai la semaine prochaine !

    A suivre…