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austin osman spare

  • CHRONIQUES DE POURPRE 664 : KR'TNT ! 664 : TCHOTCHKE / DARTS / JACKIE DESHANNON / LIVERBIRDS / CHRIS CLARK / BEE DEE KAY DRIVES THE U.F.O. ZZZ + MARY / ASHEN / ACROSS THE DIVIDE / AUSTIN OSMAN SPARE

    KR’TNT ! 

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 664

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    07 / 11 / 2024

     

     

    TCHOTCHKE / DARTS / JACKIE DESHANNON

     LIVERBIRDS / CHRIS CLARK

    BEE DEE KAY DRIVES THE U.F.O. ZZZ + MARY

    ASHEN / ACROSS THE DIVIDE

    AUSTIN OSMAN SPARE

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 664

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    L’avenir du rock

     - Tchotchke de choc

             — Comment pouvons-nous te choquer, avenir du rock ?

             — Ça risque d’être très difficile...

             — Si on te traite de gros con, ça va bien te choquer, non ?

             — Pas le moins du monde. C’est un fait que j’assume avec fierté.

             — Alors si on te traite de petite bite, tu vas blêmir, non ?

             — Vous ne connaissez pas les privilèges de l’hermaphrodisme, bande d’ignares...

             — Ah tu vas le prendre vraiment très mal si on te traite de sale juif !

             — Pfffff, c’est d’une banalité qui frise l’indigence, ou pire encore, le manque d’imagination. Comment veux-tu que ça puisse me choquer ? Par contre, si tu me traites de sale nègre, là, oui, c’est intolérable.

             — Bon alors, on va te clouer le bec pour de bon en te traitant de sale beauf...

             — C’est effectivement ce qui peut arriver de pire à un être humain. Chaque fois que t’en croises un, t’es partagé entre deux façons de réagir : le dégoût ou la compassion. Les beaufs se reproduisent comme les rats, ça prolifère, t’en as partout, même dans ta famille et tes cercles rapprochés. Tu soulèves une pierre sur le bord du chemin et tu les vois grouiller. Spectacle dégoûtant ! Les beaufs c’est ça, mais si tu traites de beauf quelqu’un qui ne l’est pas, ça ne sert à rien. C’est une injure gratuite, qui fait autant d’effet qu’une balle à blanc. C’est un coup d’épée dans l’eau. Désolé d’avoir à vous dire ça, les amis, mais votre notion de choc est complètement dépassée. Aujourd’hui, on ne parle plus de choc mais de Tchotchke. Attention, amigos, ce n’est plus du tout la même chose. 

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             T’arrive devant la scène avec la gueule enfarinée. Trois petites gonzesses déboulent sur scène. Tu ne sais même pas comment elles s’appellent. Bof, une première partie des Lemon Twigs, ça devrait pas être trop mal.

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    Devant toi, la petite bassiste s’applique et ramène, par sa seule présence, toute la fraîcheur du monde dans le set. Là-haut, sur son estrade, la batteuse/chanteuse allume ses cuts un par un, et là-bas, de l’autre côté, la guitariste gratte sa Strat sans effet, elle reste en mode clairette. On l’aura compris : zéro frime.

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    Tout est dans les chansons. En fait, elles jouent une pop très dépouillée, mais au fil des cuts, tu sens comme le poids d’un envoûtement sur ta pauvre vieille cervelle. Tu comprendras mieux plus tard, quand tu apprendras qu’elles ont enregistré leur album chez les frères d’Addario, ce qui est un sacré gage de qualité. Il est parfois bon de ne rien savoir quand tu vois un groupe sur scène. Tu juges sur pièces. C’est bon ou c’est pas bon. Les Tchotchke, c’est bon, et même super-bon. Cut après cut, elles étendent leur empire et ça te monte vite au cerveau.

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    La batteuse s’appelle Anastasia Sanchez, elle navigue exactement au même niveau que Curt Boettcher, elle sait vriller son chant pour créer de la magie pop, notamment sur «Oh Sweetheart One», ce chef-d’œuvre de candy pop collante et dégoulinante de candeur, monté sur une structure d’une ahurissante simplicité.

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    Derrière son micro et ses fûts, Anastasia vrille des couplets d’une indicible beauté. Tu vas retrouver cet objet d’art pop indubitable sur leur album sans titre. L’autre merveille du set s’appelle «Dizzy», qui sonne comme une fabuleuse descente dans le lagon d’argent de la pop, ces trois gonzesses sont aussi ambitieuses que les Lemon Twigs, elles flirtent elles aussi avec le génie pop de Brian Wilson. Elles tapent plein de merveilles qui ne figurent même pas sur l’album, franchement, t’en reviens pas de toute cette qualité. T’as l’impression que le monde pop s’enfonce dans la médiocrité, et tout à coup, les Tchotchkettes et puis les Lemon Twigs te remettent les pendules à l’heure. Alors tu reprends espoir. Grâce à ces deux groupes, les Byrds, les Beatles et Brian Wilson restent d’actualité. Ils sont aussi précieux que l’air qu’on respire.

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             L’album sans titre des Tchotchke est une petite merveille, cela va sans dire. T’es tout de suite dans le haut de gamme avec «You’ll Remember Me», belle pop ambivalente, d’essence impérissable, elles disposent de cette faculté extraordinaire à savoir vriller le chant pop. C’est du Brill d’obédience vertigineuse, quasi spectorienne sur le bonus track. Anastasia chante comme une reine de Nubie blanche. On recroise ces deux coups de génie que sont «Dizzy» et «Oh Sweetheart One», mais tu vois aussi Anastasia swinguer «Come On Sean» à la pointe de la glotte, et sur «What Should I Do», tu entends les frères d’Addario. Ce fantastique cut de salubrité publique sonne comme un hit du Brill. On croise aussi ce «Don’t Hang Up On Me» joué sur scène, une pop d’essence cristalline et aérienne. Elles s’en donnent toutes les trois à cœur joie, franchement c’est un bonheur que de les voir sur scène chanter cette merveille d’exubérance. Et comme l’album est bien produit, tu retrouves tout le punch de la version scénique. Nouveau coup de Jarnac avec «Whish You Were A Girl» : fantastique shoot de Brill, ah on peut dire qu’elles Brill au firmament, Anastasia mène sa pop flamboyante qui explose en solaces d’excelsior au moindre refrain. Et avec «Longing Delights», tu retrouves toute la folie des Lemon Twigs dans cette apothéose de pop wilsonienne.

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    Signé : Cazengler, le poids des mots, le tchotchtk des fautes

    Tchotchke. BBC. Caen (14). 25 septembre 2024

    Tchotchke. Tchotchke. Tchotchke Records 2022

     

     

    She Darts it right

     - Part Three

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             Sur scène, les Darts restent imbattables. Incompressibles. Irréprochables. Indéfectibles. Inévitables. Immédiates. Inoculables. Infaillibles. Irrésistibles. Immatures. Infectueuses. Impondérables. Indémodables. Intarissables. Indubitables. Mais prenons garde, car à force de plasticité gaga, elles finiront par nous insupporter autant que les Fleshtones. Pas besoin de sortir de Saint-Cyr pour savoir que le gaga est un genre dramatiquement limité, surtout le gaga-dorgua, celui des Fuzztones et des Lords Of Altamont en particulier. Les gangs de gaga-dorgua passent leur vie à vouloir briser une routine qu’ils ne briseront jamais, car la routine est leur spécificité. La routine d’orgua est leur ADN. Seuls Question Mark & The Mysterians ont su briser le sort de la routine gaga-dorgua. Ils ont dû pour ce faire verser 96 larmes. Cry cry cry.

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             Un set des Darts s’avale d’un trait, pas de problème. Comme tous les sets, celui des Darts connaît des hauts et des bas, de beaux hauts dirons-nous, et des bas pas beaux. Jusques là, rien de nouveau. Fidèle à sa tradition, Nicole Laurenne multiplie les antics, à défaut d’être la reine du rodéo, elle est celle des cabrioles, elle bat même Jake Caveliere à la course, elle adore s’allonger au sol et faire tomber son Farfisa sur elle, elle adore empêcher sa guitariste de jouer en l’enlaçant comme un boa constrictor, elle adore sauter sur place, d’ailleurs, elle ne fait que ça, elle est très athlétique, incapable de rester calme plus de trois secondes. Elle observe bien le rituel du gaga-dorgua qui consiste à chasser les temps morts, tout doit sautiller en permanence, l’énergie doit couler à flots, ça doit pulser dans les tubulures, ça doit couiner dans les circuits. C’est drôle comme ce genre parvient à survivre, malgré ses limites. On continue d’aller voir ces groupes sur scène et, pire encore, on continue de ramasser les disks au merch. Cette manie pourrait s’apparenter à une bonne petite pathologie. T’es là, et dans les moments de grande intensité, tu te demandes pourquoi t’es là. T’en sais rien. Tu vois tout ça de l’extérieur. Tu ne peux pas faire semblant d’être le fan que tu n’es plus.

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    Alors tu observes, essayant désespérément de ne pas trouver le spectacle (dans son ensemble) grotesque. Quel sens ont les Darts aujourd’hui ? C’est en te posant ce genre de question que tu peux espérer y voir plus clair.

             Au pire, le set te fatigue. Au mieux, il te remonte un peu le moral. Dans l’in between, ça grouille de considérations :

             — Ouais, c’est bien de perpétuer la tradition.

             — Ouais, tant que des groupes comme les Darts monteront sur scène, le cœur du rock continuera de battre.

             — Ouais, elle en fait un peu trop, mais il vaut mieux en faire trop que pas assez.

             — Ouais, ça fait vingt ans qu’elle se maintient à niveau.

             — Ouais, elle est l’une des meilleures dans son genre, aussi bonne que la Flavia des Courettes et la Jackie des Jackets.

             — Ouais, les Darts, ça darde !

             — Ouais, c’est sûr qu’on va retourner les voir le mois prochain. Encore une bonne soirée en perspective ! Ouais ! Mille fois ouais !

             — Ouais, avec les Darts, c’est du zyva automatique. Tu ne te poses des questions qu’une fois arrivé sur place.

             Effectivement, tu te prends au mot et t’y retournes. Cette fois, dans ton spot préféré, au Petit Bain, là où ça rocke le boat pour de vrai. Quand elles déboulent sur scène, elles balaient le souvenir des deux premières parties, c’est tout de suite américain, c’est tout de suite en place, c’est tout de suite les Darts, c’est tout de suite wham bam, c’est tout de suite «Underground» et tout de suite suivi de «Graveyard», c’est tout de suite du 100 à l’heure, c’est tout de suite mal barré pour les canards boiteux, c’est tout de suite claqué du beignet, c’est tout de suite exactement la même set-list qu’à Rouen un mois auparavant, alors tu n’as plus qu’à te laisser porter, elles font tout le boulot, tu veux ta rasade ?

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    Elles te la servent sur le meilleur des plateaux d’argent, et t’as une salle bourrée de fans. Au moins ceux-là ont payé. Nicole Laurenne ressort tout son bataclan, la course sur place, le dos au sol avec le Farfisa sur le ventre, et toute la fantastique présence scénique dont elle est capable. Elle rampe pas mal, elle semble en donner encore plus aux Parisiens et puis c’est dit-elle le dernier set d’une tournée qui a commencé au mois d’avril. Le centième ! Elle devrait en avoir marre, mais elle y va. Elle est encore meilleure qu’avant, et le set des Darts prend du relief, le jeu de scène est bien rôdé, t’en veux pour ton billet ? Tiens-en voilà pour ton billet.

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    Ça rocke à outrance, les deux bras droits de Nicole Laurenne s’en donnent à cœur joie, elles voyagent pas mal sur scène, et derrière, la petite  Mary Rose aux cheveux verts bat un beurre de tous les diables, elle ne fait pas dans la dentelle. Nicole Laurenne communique bien avec le public, elle a fait des progrès en français. Et puis elle a cette façon de lancer les cuts qui tape chaque fois en plein dans le mille, la main droite sur le clavier et, face au public, elle court sur place en secouant les cheveux. Elle court très vite, on a même l’impression qu’elle accélère.

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    Et au bout d’une heure de bons et loyaux services, elles finiront de gaver les oies : t’auras exactement le même rappel qu’à Rouen, avec «Love Tsunami», «Shit Show» et «Liar». Ensuite ? Eh bien ensuite, tu sortiras de là sonné et ravi. T’auras vu trente-six chandelles et, last but not least, t’auras aussi vu le real deal des girl-groups contemporains. Et t’auras bien mérité un dernier tonic à la cantine.

             Et les disks dans tout ça ?

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             Avec Snake Oil, tu t’aperçois que Christina Nunez vole bien le show avec son fat bassmatic, notamment dans le morceau titre d’ouverture de bal. Les Darts sont folles : elles attaquent à la stoogerie avec un bassmatic pétaradé. Ah comme elle patate bien, la grosse Christina ! Elle est mixée à l’avant du son et ça lui donne de sacrées coudées franches. Les Darts adorent filer tout droit, comme le montre encore «Love Tsunami», et on assiste toujours au même déroulé. Nicole Laurenne compose tout, elle contrôle tout le monde des Darts. Même le merch, c’est elle. Elle tape son «Love Song» en mode Big Astmospherix assez hellish. Avec «Underground», on assiste à un fabuleux déroulé périphérique, elle rafle la mise à coups de put it down, elle adore faire exploser ses cuts, en studio comme sur scène. Avec elle, ça se remet en route vite fait. Elle tape son «Donne Moi Tout» en français. Dommage que le chant soit noyé dans la morasse. Les derniers fans de gaga-dorgua vont forcément bien se régaler avec cet album qui a pour principal mérite celui d’exister.  

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             Comme elles traversent une grosse crise de productivité, elles sortent un tout nouvel album : Boomerang. Pochette superbe, avec une sorte de graphisme crypté. Ambiance murs tagués du CBGB. Elles repartent de plus belle à la conquête du Mondo Bizarro, elles enfoncent bien leur clou dans la paume de la routine et attaquent au gros tatapoum. Il faut attendre «Pour Another» pour frémir sincèrement. Belle attaque de bassmatic invasif. Elles développent un fantastique heartbeat. Christina Nunez gratte un sacré thème, il faut bien admettre qu’elle est l’une des cracks du bassmatic moderne. Puis les Darts replongent dans leur fontaine de jouvence avec un «Liar» classique mais bienvenu, et ça explose plus loin avec «Photograph». C’est encore Christina qui attaque ça en coupe réglée. Pas de pitié pour les canards boiteux ! Darty for real ! Elle lâche encore un bassmatic de destruction massive sur «Hell Yeah». En fait, c’est elle, la grosse, la star des Darts. Belle énormité encore avec «Night». Toujours cette fantastique énergie pulsative, même dans les cuts lents. Le turbo processeur est de retour avec «Welcome To My Doldrums» : basse pouet pouet et drive d’orgua, véritable effusion d’effervescence, c’est brillant et dévastateur. Du coup, t’as hâte de les revoir sur scène. C’est comme si tu ne pouvais plus t’en passer.

    Signé : Cazengler, Dark

    Darts. Le 106. Rouen (76). 22 septembre 2024

    Darts. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 19 octobre 2024

    Darts. Snake Oil. Alternative Tentacles Records 2023

    Darts. Boomerang. Alternative Tentacles Records 2024

     

     

    Wizards & True Stars

     - Shine on De Shannon

     (Part One)

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             On va profiter d’une petite actu sur la belle Jackie DeShannon pour lui consacrer un Part One plus que bien mérité. S’il en est une qui entre de plain-pied dans la cour des Wizards & True Stars, c’est bien elle. Dans Record Collector, Lois Wilson indique que la belle Jackie atteint l’âge canonique de 83 balais et qu’elle se produit encore - Still performing - Elle a fait ça toute sa vie. Elle dit ne pas se souvenir d’un seul instant où elle ne composait pas, ou ne chantait pas.

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    (Sharon Sheeley & Eddie Cochran)

             Pas compliqué la vie : il suffit de devenir pote avec les Beatles quand ils font leur première tournée américaine en 1964. Puis t’as les Byrds et les Searchers qui reprennent tes compos. Alors ça devient easy. «When You Walk In The Room», c’est elle, et la naissance du folk-soul-rock de Laurel Canyon, c’est encore elle avec, justement l’album Laurel Canyon. C’est assez con à dire, mais il n’existe pas de blonde plus légendaire que la belle Jackie. Elle a aussi pas mal tapé dans Burt («What The World Needs Now Is Love»). Elle est très prématurée, elle se fait connaître à l’âge de 13 ans sous le nom de Sherry Lee, et à 16 ans sous le nom de Jackie Dee. En 1960, elle signe un publishing deal avec Liberty et devient pote avec Sharon Sheeley, la poule d’Eddie Cochran, qui a déjà pondu des hits pour Eddie et Ricky Nelson. Cot cot ! Elles bossent ensemble, Jackie fourbit la mélodie et elles tapent les lyrics ensemble. Mais son deal chez Liberty n’est pas bon. Ils veulent la voir composer, pas chanter. Elle parvient quand même à enregistrer un premier album en 1963. Elle y tape trois covers de Dylan. Elle voulait faire tout l’album avec des covers de Dylan, mais les mecs de Liberty n’ont pas voulu. Pourquoi ? Parce qu’ils n’ont rien pigé à Dylan. On y reviendra dans un Part Two, car cet album est un gros morceau. Elle raconte aussi qu’elle a dû se battre pour enregistrer le «Needles & Pins» de Sonny Bono et Jack Nitzsche - Liberty didn’t like that song either. They thought it was strange. But I put my foot down this time. I knew I had to do it - Eh oui, elle a eu raison de tenir bon. C’est l’un des plus beaux hits d’Amérique. 1963 ! Elle est déjà très en avance sur son temps. Le seul qui la comprenne, c’est Jack Nitzsche. Ensemble, ils écoutent Malher, Stockhausen, Wolf et Robert Johnson. Il n’y a pas de hasard, Balthazar. En 1963, les Searchers sont à Hambourg avec les Beatles et Cliff Bennett. Ils découvrent «Needles & Pins». Flash immédiat - We were awestruck by the song - La même année, ils tapent leur cover de «When You Walk In The Room». Pendant la fameuse tournée américaine des Beatles en 1964, le public hue les premières parties, même les Righteous Brothers. La seule qui tient le choc, c’est la belle Jackie.   

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             En 1965, elle rencontre Burt. Elle flashe sur «What The World Needs Now Is Love». Mais Burt ne veut pas lui filer la chanson. Pourquoi ? Parque que Dionne la lionne n’a pas voulu l’enregistrer - she turned it down - Pareil pour Timi Yuro qui l’a aussi refusée. Hal David insiste. Burt cède. Ce sera le hit que l’on sait. Et bien sûr, Dionne la lionne va se dépêcher de l’enregistrer.

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             En 1966, les Byrds accompagnent la belle Jackie quand elle enregistre «Splendor In The Grass». Croz : «Jackie was amazing. She was an inspiration and she was fun. She’s a one-off original.» Les Byrds tapent une belle compo de Jackie sur leur premier album, «Don’t Doubt Yourself Babe». C’est l’année où Los Angeles explose - So many clubs on Sunset. It was wonderful - C’est là qu’elle enregistre le fabuleux Laurel Canyon. Derrière elle, on retrouve Dr John au piano, Barry White dans les chœurs. Elle ouvre la voie pour Joni Mitchell et Carole King.

             Elle quitte Liberty en 1970, et Capitol lui bousille son Songs en 1971 (on y revient plus loin). Elle débarque ensuite sur Atlantic. Wexler l’envoie aussitôt à Memphis. Elle enregistre Jackie chez Chips. Autour de Chips, Arif Mardin, Tom Dowd et Wexler s’entassent dans la cabine. Les Memphis Boys assurent le backing de Jackie superstar. Pour les becs fins, Jackie navigue exactement au même niveau que Dusty in Memphis. Pareil, on y revient dans un Part Two.

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             Voilà-t-y pas qu’Ace réédite son album de covers de Ray Charles, Nothing Can Stop Me. Liberty Records Rareties 1960-1962 - I’m really proud of them - Elle explique qu’à l’époque elle savait tout faire, du Burt, du Ray Charles, du Needles, du Dylan, et son label voulait qu’elle reste dans un genre bien défini, alors qu’aujourd’hui, dit-elle, on demande aux artistes de se diversifier. Elle prend l’exemple de Rod The Mod - Back then, my diversity was a curse. But I was actually ahead of the curve.

             Alors oui, on saute sur Nothing Can Stop Me. Liberty Records Rareties 1960-1962. Elle est en effet très jeune sur la photo de pochette. Mais elle chante son Ray d’une voix rauque, presque black. Elle est très sauvage. Elle aurait pu taper du rockab. Avec «I Got A Sweetie», elle claque un gospel black de petite vertu. Par contre, elle force trop son «What’d I Say», elle y va au tell you mama de bonne bourre. Elle jette toute sa niaque dans la balance de «Georgia On My Mind» et devient fabuleuse d’à-propos dans «Hallelujah I Love Her So». Yes I know ! Elle s’en sort vraiment avec les honneurs. Comme toujours chez Ace, les bonus grouillent de puces. On la sent folle de Ray. On la voit twister près du juke sur «Stand Up & Testify» et son «Baby (When Ya Kiss Me)» est de très haut niveau, fast & battu sec, avec des violons. On est frappé par la qualité des interprétations et des orchestrations. Elle devient folle avec «That’s What Boys Are Made Of» et ça se termine avec l’heavy pop de «Don’t You Feel Sorry For Me», fantastique cut d’époque avec le solo de sax et les clap-hands.

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             Chez Ace, on ne fait jamais les choses à moitié. Nos amis anglais ont entrepris de compiler tous les singles de Jackie sur trois volumes. C’est très consistant, très passionnant et recommandé pour les longues soirées d’hiver. Le volume 1 couvre la période Liberty - qui était aussi le label de Bobby Vee, de Johnny Burnette et d’Eddie Cochran - de 1960 à 1963. Certains morceaux sortis du contexte des albums redeviennent des bombes, d’où l’intérêt de ce genre de compile. On note aussi que les premiers singles de Jackie sonnent comme ceux des Coasters et de Brenda Lee. Elle faisait sa gutturale des cavernes. Elle bricolait un rock de fille et elle se battait bien avec son micro. Elle a commencé à virer jerk avec « Ain’t That Love » qu’elle prenait d’une voix fêlée et qu’elle chantait comme une bête fauve. Elle révélait son animalité. Elle prit à partir de là l’habitude de se racler la gorge et de se faire passer pour une méchante. Elle enregistrait aussi pas mal de slows super-frotteurs qui ont dû favoriser l’éclosion du baby-boom américain. Avec « Needles And Pins », on entrait enfin dans le vif du sujet : elle devenait l’inventeuse de la pop moderne. Elle tirait ça d’une voix de meneuse qui cinquante après impressionne toujours autant. Elle montrait au passage sa passion pour le gospel avec « Oh Sweet Charriot » et balançait un hit de r’n’b digne des Supremes, « Till Ya Say You’ll Be Mine » qui explosait de vigueur éclatante. Et bien sûr on avait à la suite l’éclair de génie du Walk In the Room, avec ses tambourins et ses maracas, un point de repère dans l’histoire du rock.

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             Avec le volume 2, on monte en puissance. Il est à cheval sur Liberty et Imperial, et couvre la période qui va de 1964 à 1967. On y retrouve cette monstruosité punk, cette énormité de jerk de cave qu’est « It’s Love Baby ». Sur « Don’t Turn Your Back On Me », Jimmy page bat le riff. Complètement légendaire. « A Lifetime Of Loneliness » est une merveille de Burt mélodiquement parfaite. Riche car travaillée dans l’essence même du capiteux. Elle remonte au signal pour fracasser le plafond de verre. Cette fille là, mon vieux, elle est terrible ! On assiste à une montée d’intensité quasi-orgasmique. Puis elle chante « I Remember The Boy » à la cantonade. Elle montre sa puissance en tapant dans le haut de la mélodie. Elle s’y révèle la fabuleuse shouteuse qu’on va retrouver ensuite au fil des albums. C’est ferrailleux, solide. Elle dégouline de classe. Elle joue son folk-rock princier en montant dans les octaves et elle fait sauter tous les bouchons. Monstrueux. On retrouve le fabuleux « Come And Get Me » de Burt et « Splendor In The Grass », où les Byrds l’accompagnent. Avec tous ces singles extraordinaires, elle atteint son âge d’or. Ce volume est le plus dense des trois.

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             Le volume 3 couvre la période 1967-1970, jusqu’à la fin de son contrat avec Imperial. On la sent attirée par le son hollywoodien, car elle commence par sortir une série de singles trop produits (« Changin’ My Mind », « It’s All In The Game » et « I Keep Wanting You »). Avec « Me About You », on la voit embobiner la mélodie. Elle joue à la superstar hollywoodienne, elle mène sa barque et tout le monde se prosterne à ses pieds. Elle fait rêver l’Amérique blanche. « Effervescent Blue » est une pure merveille insolite chantée à la manière de Diana Ross. C’est d’une classe extrême. Elle s’y révèle l’égale des grandes shouteuses de jazz. Elle brise les mythes sur ses genoux. On retrouve le beautiful folk-rock de « Laurel Canyon » et ce furieux hit qu’est « What Is This », tout secoué de guitares. « Always Together » est une belle pièce lumineuse qu’elle éclaire de sa voix. Imbattable. C’est à ce genre de single qu’on voit la grandeur d’une interprète. Elle a une façon particulière de monter son feeling dans la lumière de l’harmonie. Encore une pure merveille avec « Keep Me In Mind », mid-tempo élégant et mélodique, prodigieusement inspiré et qu’elle amène à sa façon pour en faire une pop étrangement veloutée et artistement décolletée. On retrouve aussi l’éclat de « Brighton Hill » qu’elle passe au filtre hollywoodien. Elle ne s’arrête jamais. Elle enfile les hits comme des perles. Les gentils compileurs d’Ace ont aussi pensé à mettre l’effarant medley « You Keep Me Hanging On/Hurt So Bad », version ultime et mortelle randonnée, elle en fait de la charpie, comme le fit le Vanilla Fudge. Les trois derniers singles sont faramineux : « It’s So Nice » (hit soul), « Mediterranean Skies » (incroyablement moderne pour l’époque) et « Bird On the Wire ».

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             Dans sa collection « Songwriters », Ace a bien sûr pensé à bricoler un volume Jackie DeShannon qui s’intitule Break-A-Way. Ça commence avec la version endiablée de « Break-A-Way » d’Irma Thomas, qui est accompagnée par un batteur drôlement énervé. On tombe ensuite sur le « When You Walk In The Room » des Searchers qui fut l’un des groupes préférés de Mark E Smith. Idéal pour les soirées sixties. Hit parfait. Ces mecs-là avaient tout l’arsenal : l’énergie et les harmonies vocales. Cher reprend « Comme And Stay With Me ». Elle préfigure Chrissie Hynde. Cher est sublimement punkoïde, même si la chanson vire poppy avec des clochettes à tous les coins de rues. Cher était une vraie hargneuse. Elle connaissait tous les secrets du frisson. Mais on trouve aussi pas mal de déchets : les reprises des Fleetwoods, d’Helen Shapiro, de Dick Lory, de Brenda Lee, de Peter James et de Dobie Gray ne volent pas haut. « Carrying A Torch » par Wynona Carr vaut le détour, car c’est magistralement interprété. La valse des déchets se poursuit jusqu’à la reprise de « Splendor In The Grass » par les Boys et leur gros son gloomy, mais c’est facile, car la chanson est bonne. Les Boys sonnent comme des Byrds, mais ce sont des filles. On a là un pur joyau de Californian Hell. Fabuleuse reprise de « Should I Cry » par les Concords. Leur version est complètement dévoyée. S’ensuit un autre chef-d’œuvre, « Thank You Darling » repris par Rick Nelson, chanteur exceptionnel. Autre merveille : « Would You Come Back » par Eddie Hodges, traitée au laid-back alcoolisé du matin difficile et joliment ramassé dans le titubant. Une autre perle avec « Day Dreaming Of You » par les Fashionnettes, exercice de style admirable signé par un girl-group kitschy. C’est aux Byrds que revient l’insigne honneur de refermer le cortège avec une version exceptionnelle de « Don’t Doubt Yourself Babe » qu’ils traitent à la mode de l’apothéose. On en n’attendait pas moins des Byrds.          

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             Le volume 2 consacré à la songwriteuse vient de sortir : She Did It. The Songs Of Jackie DeShannon Volume 2. Comme le précédent, cet album dégage un petit parfum de dynamite. S’il en est une qui sait écrire des chansons, c’est bien Jackie. Les volumes Ace jettent une lumière crue sur les grands artistes. Elles sont un complément indispensable à la discographie de ces artistes, surtout dans le cas de Jackie. C’est à Dorothy Morrison que revient l’honneur de taper dans « Put A Little Love In Your Heart », un gros r’n’b monté sur la basse. Dorothy se montre digne des géantes de Stax. On retrouve un peu plus loin le grand Dave Berry et « I’ve Got My Tears To Remind Me », avec l’énergie du Swinging London. Pure merveille d’antiquaire. Brenda Lee tape dans « My Baby Likes Western Guys » et elle y va au guttural. Elle s’arrache tout, mais on salue la beauté du geste. On retrouve la grandeur des Ronettes pour « He Did It » vieux hit sixties sha-la-la-té et extrêmement juteux. Gros choc émotionnel avec Marianne Faithfull qui reprend « With You In Mind » au gothique moyenâgeux. Elle en fait même un peu trop et se prend pour Guenièvre. Par contre, les Righteous Brothers ne rigolent pas. Dans leurs pattes, « Burn On Love » devient une monstruosité, ils chauffent la tambouille et multiplient les renvois de voix au loin. Avec Jackie, on retrouve l’équation magique Spector/Righteous. Encore une merveille oubliée : « Each Time » par les Searchers. Fantastique écho. Ces mecs de Liverpool auraient mérité d’exploser comme les Beatles. Et puis on tombe sur la perle de l’album : « The Greener Side » par Tammy Grines. Véritable énormité, elle chante à la ramasse du dévolu. Pur génie. Tammy Grines est terrifiante de classe. Encore un génie avalé par l’oubli : PJ Proby. Il tape dans « The Other Side Of Town ». Il grimpe très vite dans les violonades. PJ est le roi indétrônable des stentors. Puis on tombe sur « Till You Say You’ll Be Mine » chanté par Olivia Newton John qui bénéficie d’une prod à la Spector. Incroyable mais vrai. La fête se poursuit avec « I Shook The World » par Bob B Sox & The Blue Jeans, pur r’n’b de grande cuvée, vrai hit de juke, mais ça on le savait depuis longtemps. Delaney Bramlett chante « You Have No Choice » tout seul comme un pauvre malheureux et Rita Coolidge vient nous rappeler avec « I Wanted It All » qu’elle fut l’une des grandes chanteuses américaines. Même chose avec les Carpenters et « Boat To Sail », pure merveille pop qu’il faudra bien un jour redécouvrir. C’est l’avantage des compiles bien foutues (comme les sont quasiment toutes les compiles Ace) : on voyage à travers l’histoire du rock et on fait de belles rencontres. Alors on se dit : Oh il faudra que je revienne ici. Et là !

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             Vient de paraître All The Love - The Lost Atlantic Recordings, des morceaux pilotés par Jerry Wexler et qui ne figurent pas sur les deux albums Atlantic de Jackie, Jackie et Your Baby Is A Lady. Elle attaque avec « When I’m Gone », un fantastique balladif sensible. Ne prenez pas Jackie à la légère, c’est une femme fantastique. Elle sait tenir un mid-tempo avec intégrité. Elle a autant de classe que Dylan. Elle sait driver un hit. Encore un beau balladif avec « Drift Away ». Et elle passe à la country-motion avec « All The Love That’s In You ». Elle chante un peu comme Vanessa Paradis, elle est marrante. En fait, elle cherche le petit hit de la joie et de la bonne humeur. Elle nous sort là le joli groove des jours heureux, chanté à la petite voix sucrée et c’est orchestré de main de maître, on peut faire confiance à Tom Dowd et Arif Mardin, l’A-team de Jerry Wexler. On sent aussi une fantastique aisance sur ce joli folk-rock qu’est « Grand Canyon Blues ». Avec « If You Like My Music, », Jackie fait autorité - My music ! - Elle tient à préciser les choses sur un gros fond de nappes d’orgue. On tombe plus loin sur « Spare Me A Little Of You », un fantastique balladif pulsé à coups d’acou. Puis elle reprend le fameux « Don’t Think Twice It’s Alright » de Dylan. Courage ma fille ! Tiens bon la rampe ! Jackie est très forte. S’ensuivent quatre bonus pour le moins exceptionnels : un « Sweet Sixteen » de fantastique allure, un « Flamingos Fly » d’incommensurable ampleur, un « Santa Fe » qui sonne exactement comme un groove de rêve et « The Wonder Of You » qui va ta laisser seul, définitivement seul.

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             Après le re-parution des Lost Atlantic Recordings, voici celle des Complete Capitol Recordings, une sorte de nouveau passage obligé. On y retrouve tout ce qui fait la grandeur de cette artiste, à commencer par l’immense « Stone Cold Soul », une compo signée Mark James. C’est l’époque où Jackie enregistre à Memphis, chez Chips Moman et il faut entendre cette country Soul prodigieusement inspirée. Reggie Young joue des déluges sur sa guitare et Tommy Cogbill multiplie ses triplettes de Belleville sur le manche de sa basse. On a là une pure énormité et cette folle de Jackie s’accroche au Stone à coups de yeah-eh-eh. Allez, on va dire qu’on a là la meilleure pop de tous les temps. Chips laissait entendre que ces sessions avec Jackie comptaient parmi ses préférées. Magnifique version du « Child Of Mine » signé Goffin & King. Elle chante au timbre sucré, quasi-nubile, et passe sans crier gare au timbre fêlé. Elle regorge de feeling et Reggie Young fait des prodiges sur son acou. Elle tape ensuite dans un cut d’Emmit Rhodes, « Love Till You Die » et renoue avec le génie dans « Seven Years From Yesterday », un shoot d’heavy pop de Soul of American, joué sous un certain boisseau, à la Bobbie Gentry. Elle chante sa Soul avec la foi du pâté de foi et ça donne le Memphis swamp. En réalité, elle fait ce qu’elle veut, sa voix lui permet toutes les audaces. Elle tape plus loin dans George Harrison avec « Isn’t It A Pity ». Elle reprend sa voix nubile pour clamer isn’t it a pity/ Isn’t it a shame, elle atteint des profondeurs réellement dramatiques. Le plus stupéfiant de toute cette histoire, c’est que l’ensemble des cuts enregistrés chez Chips ne vont pas plaire à Capitol. Hop, à la fosse ! Ils rejettent ce «Sweet Inspiration» pourtant signé Dan Penn & Spooner Oldham. C’est pourtant du pur Deep South genius - I need a sweet inspiration - C’est du gospel batch de Memphis, il ne manque plus que les Edwin Hawkins Singers. C’est Johnny Christopher, l’un des songwriters d’American, qui signe « Johnny Joe From California ». C’est un hit, et pourtant il finit lui aussi à la fosse. Le monde à l’envers ! D’autant qu’elle le pousse à fond. Il faut bien dire que tout est extrêmement produit, ici, Chips ne rigole pas avec l’American mood. « Now That The Desert Is Blooming » et « Sleeping With Love » sont d’authentiques modèles productivistes. Reggie Young gratte à l’arrière et c’est embarqué au big heavy Memphis sound. « Gabriel’s Mother’s Highway » est un cut d’Arlo Guthrie, elle embarque ça aux chœurs de gospel et passe à Van Morrison avec « And It Stoned Me », nouveau shoot de Memphis Sound sur le compte du Van. Chips en fait une fois encore une merveille productiviste. Mais comme tout cela ne plait pas à Capitol, elle doit enregistrer l’album Songs à Hollywood et là, ce n’est plus du tout le même son. On a quelque chose de beaucoup plus commercial. Le « West Virginia Mine » déjà enregistré à Memphis retombe sur Songs comme un soufflé. Un violon y remplace le piano de Bobby Emmons, c’est chanté au bazar de l’Hôtel de ville. Atroce. « Bad Water » sonne comme du rock US m’as-tu-vu à la Dolly Parton et dans « Ease Your Pain », Capitol balance des chœurs de gospel d’Hollywood, autant dire du Walt Disney. Ça n’a pas d’âme, pas de chien, pas de rien. L’album a tous les défauts du coup foireux : prod sèche, pas de grain, l’anti-Chips. Merci Capitol ! 

    Signé : Cazengler, Jacky Dechochotte

    Jackie DeShannon. You Won’t Forget Me. The Complete Imperial/Liberty Singles. Vol. 1. Ace 2009

    Jackie DeShannon. Come And Get Me. The Complete Imperial/Liberty Singles. Vol. 2. Ace 2011

    Jackie DeShannon. Keep Me In Mind. The Complete Imperial/Liberty Singles. Vol. 3. Ace 2012

    Break-A-Way. The Songs Of Jackie DeShannon. 1961-1967. Ace Records 2008

    She Did It. The Songs Of Jackie DeShannon Volume 2. Ace Records 2014

    Jackie DeShannon. All The Love - The Lost Atlantic Recordings. Real Gone Music 2015

    Jackie DeShannon. Stone Cold Soul - The Complete Capitol Recordings. Real Gone Music 2018

    Jackie DeShannon. Nothing Can Stop Me. Liberty Records Rareties 1960-1962. Ace Records 2024

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    Lois Wilson : Lady of the canyon. Record Collector # 558 - June 2024

     

     

    Bye Bye (Liver)birds

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             Pas le book du siècle ni le girls-group du siècle, pas non plus la compile du siècle ni les covers du siècle, mais bon, l’un dans l’autre, tu passes un bon moment avec les Liverbirds de Liverpool. Les deux survivantes du groupe, Mary McGlory (bass) & Sylvia Saunders (beurre) ont croisé leurs souvenirs pour pondre - cot cot - une autobio : The Liverbirds. Our Life In Britain’s First Female Rock’n’Roll Band. L’idéal est de croiser ces souvenirs croisés avec l’écoute d’une solide compile Big Beat des Liverbirds parue en 2010, From Merseyside To Hamburg - The Complete Star-Club Recordings.

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             La grande force du book est qu’il te ramène à l’aube de l’âge d’or du rock anglais, lorsque tout se passait à Liverpool et au Star-Club de Hambourg. Comme l’éditeur a dû leur demander d’entrer dans les détails, elles ne t’épargnent rien du contexte socio-économique du working-class system de Liverpool : les familles, les jobs des parents, l’eau courante/pas l’eau courante, les zécoles, les zozos et les zinzins des zazimuts. Mary et Sylvia sont intarissables. Ce n’est pas que tu t’ennuies, mais bon, t’es là pour le Star-Club et la Cavern. Mary s’y rend avec ses cousines Veronica et Rita, et qui-qu’elles voient sur scène ? Les Beatles ! Et t’as John Lennon qui annonce au micro : «This is another song that we wrote ourselves.» Et là Mary nous explique : «As the band ripped into ‘Please Please Me’, the audience went into a frenzy.» Alors les filles décident qu’elles veulent faire ça : jouer du rock sur scène. Elles vont trouver les Remo Four qui sont eux aussi au pied de la scène et leur demandent où ils achètent leurs instruments.

             On est en 1963. Sylvia a 16 ans. Elle se pointe chez le marchand Rushworth & Dreaper’s. Elle dit au vendeur qu’elle veut une batterie - I’d like a kit of drums - Elle flashe sur un kit noir et blanc. Le vendeur l’observe et lui demande comme elle va payer. «I’ll pay weekly.» Il lui demande son âge. Sixteen. Le mec lui dit qu’elle ne peut pas. Soit daddy soit mummy. Il lui file le formulaire. Sylvia rentre chez elle et colle le formulaire sous le nez de sa mère : «Mother, sign that.» La mère répond : «What now, Syl?». Et Syl ne se déballonne pas : «Me and Val are gonna form a group. We’re going to play rock’n’roll.» Et la mère fait : «Oh, all right.» T’es à Liverpool, amigo, chez des gens éclairés.

             Val, c’est Valerie Gell, la guitariste qui a cassé sa pipe en bois en 2016. L’autre guitariste, la blonde Pamela Birch a aussi cassé sa pipe en bois en 2009. Des quatre, Val est la plus douée : elle peut jouer les cuts des Shadows et le «Peter Gunn» de Mancini. Le groupe devait s’appeler les Squaws, puis elles ont choisi les Liverbirds qui sont des oiseaux d’acier fixés sur un bâtiment du front de mer. La légende dit que si les Liverbirds s’envolaient un jour, Liverpool disparaîtrait.

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             En 1963, tous les kids de Liverpool veulent monter des groupes. Le succès des Beatles fait des ravages dans toutes les couches de la société, surtout chez les plus pauvres - Même si vous veniez d’un milieu pauvre, vous pouviez avoir un vie différente - Elles bossent tant et si bien qu’elle finissant par jouer six fois à la Cavern. Elles n’aiment pas Lennon qui est un provocateur : il affirme que les filles ne savent pas jouer de guitare. John Wiggins, le copain de Sylvia, a un jour collé Lennon au mur parce qu’il avait été trop insultant. T’apprends des tas de petites choses comme celle-ci. Le regard des filles sur les Beatles est extrêmement intéressant.

             Mary doit lâcher son boulet chez Hunters, une usine à viande froide. Elle n’a pas le courage d’aller annoncer sa démission, aussi envoie-t-elle son père. Son père revient et lui annonce qu’elle a fait une grosse connerie, parce que le boss a dit qu’elle avait un bel avenir dans la viande froide. Mary est sciée : «A big future in cold meats?».

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             En novembre 1963, elles jouent au Co-op Ballroom de Nuneaton avec des débutants, les Rolling Stones. Le Jag a 20 piges. Les gosses bombardent la scène de petits pains fourrés à la crème. Les Stones parviennent à éviter les missiles, sauf Charlie coincé derrière sa batterie. Mary dit qu’il finit le show couvert de crème. C’est moins pire que d’être couvert de glaviots, after all.  Et grâce aux Stones, les Liverbirds passent de la Beatlemania à un son plus raunchy - a grittier, bluesy direction - Elles vont vraiment commencer à taper dans Bo et dans Chucky Chuckah. Elles jouent aussi au Club a’Gogo de Newcastle, dont les stars locales sont les Animals, pareil, avec du gritty plein les pattes. En février 1964, elles jouent avec un «new band called the Kinks». C’est Ray qui leur dit que Sheila, la cousine de Mary, n’est pas bonne, et il leur présente Pam, «wearing a black cap, striped jacket and Chelsea boots.» Pam la blonde, qui flirte avec Ray Davies, et qui remplace Sheila. Les Loverbirds sont enfin au complet : Sylvia, Mary, Val & Pam. Elles peuvent partir à la conquête du Star-Club.

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    ( Assis à son bureau Manfred Weissleder)

             Elles partent à Hambourg au moment où Brian Epstein s’intéresse à elles. Trop tard. Elles sont déjà dans le bateau. Pareil, Larry Page qui s’occupe des Kinks leur fait aussi une offre qu’elles déclinent. C’est le boss du Star-Club, Manfred Weissleder, qui va s’occuper d’elles.

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             Et là, on entre dans l’un des endroits les plus mythiques de l’histoire du rock. Sylvia et Mary regorgent de détails fascinants sur le Star-Club. Elles nous apprennent que les barmaids sont les stars du Star-Club. Si elles t’ont à la bonne, ça va marcher. Dans le cas contraire, tu peux renter en Angleterre. Si elles aiment un groupe, elles allument les lampions au-dessus du bar. Le premier soir, les Liverbirds se retrouvent sur scène devant 2 000 personnes ! C’est énorme ! Alors, elles mettent le paquet - It was like something ignited and the audience went wild - Comme à Liverpool. Ça explose dans la salle. Elles démarrent avec «Road Runner». Mary et Pam courent sur scène en jouant - Pam looked like a big glamourous cavewoman.

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             Tu retrouves ce «Road Runner» sur la compile. La cover est tout simplement fabuleuse, le son est sec et Sylvia bat un beurre terrific.

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    (Klauss Woorman en 2018)

             Et le sexe dans tout ça ? Sylvia est la première à en parler : «Même si Mary et moi avions fait le vœu de rester vierges jusqu’au mariage, on a vite changé d’idée et je fus la première à craquer. En décembre 1964, j’étais au pieu avec Klaus Voorman, my first love.»

             En matière de girl-bands, les seules concurrentes sont Goldie & The Gingerbreads, des Américaines. Elles sont restées un mois au Star-Club, en attendant leurs visas pour l’Angleterre, où elles étaient invitées par les Stones et les Animals qui les avaient vues à New York dans une party chez Warhol pour la superstar fashion icon Baby Jane Holzer. Mary indique cependant que Goldie & The Gingerbreads avaient un son trop «bombastic power pop» pour le Star-Club qui en pinçait plus pour le rock’n’roll. Les Allemands préféraient les Liverbirds.

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             C’est Manfred qui les emmène en studio enregistrer leur premier album. Il a monté son label pour promouvoir les groupes qu’il programme sur scène. L’album des Liverbirds (Star-Club Show 4) est le quatrième, après les Searchers, les Rattles et Lee Curtis & The All-Stars. Elles démarrent avec un premier single, une cover du «Shop Around» de Smokey, qu’on retrouve bien sûr sur la compile Big Beat. Elles tapent là dans l’œil du cyclope et y ramènent toute l’énergie des Pirates - Oh yeah you’d better shop around/ Yeah - Leur deuxième single est un gros clin d’œil à Bo, «Diddley Daddy», qu’elles font bien rampant - Yeah Bo Diddley/ He’s a gun slinger/ He rides again - Tu retrouves tous les cuts de Star-Club Show 4 sur la compile, à commencer par ce «Talking About You» de fantastique allure, avec du Merseybeat clair et net et sans bavure, et un fabuleux solo de clairette. Fantastique cover de «You Can’t Judge A Book By Looking At The Cover» : niaque incroyable, bassmatic dynamique à l’anglaise, et Pam au let’s go yeah ! Leur «Johnny B Goode» est assez imbattable, énergie du diable et section rythmique stupéfiante.

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             Leur deuxième album, More Of The Liverbirds, est encore plus impressionnant, car elles tapent dans des hits superbes : «For Your Love» des Yardbirds (belle crise de craze), «Around & Around» (irréprochable), «Peanut Butter» de Chubby Checker, hey c’mon now !, «Oh No Not My Baby» de Goffin & King (cover gorgée de feeling), «Heatwave» (elles font bien Martha), «Long Tall Shorty» de Don Covay (wild sound, ça vaut largement les Milkshakes), «He’s About A Mover» de Doug Sahm (en plein dans l’œil du cyclope texan), et puis tu croises aussi sur la compile une cover de «Before You Accuse Me», où elles sonnent comme des Américaines, avec tout le chien de Liverpool - Before you accuse me/ Take a look at yourself - Et si tu adores Bo, alors tu vas te régaler de «Bo Diddley Is A Lover». ça vaut tout Lord Rochester. Yeah yeah Pam Birch !

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             Sylvia couche aussi avec Bob Garner, qui joue avec Tony Sheridan et qui ira ensuite rejoindre les Creation. Elle aime bien Bob, mais comme elle dit, ils sont, elle et lui, so busy touring it didn’t last. Les Liverbirds se mettent à tourner dans l’Europe entière et deviennent des big stars. Elles sont au hit-parade allemand avec «Diddley Daddy» et «Peanut Butter». Pam la blonde chante tout ça merveilleusement. C’est aussi elle, nous dit Sylvia, qui insiste pour taper une cover d’«Heatwave». C’est encore l’époque où on a le droit de conduire bourré sur la route, et Johnny Kidd, nous dit Sylvia, aimait boire un coup et prendre le volant. Bing ! Car crash sur la route.  Johnny Kidd était une star énorme au Star-Club.

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             Elles voient aussi Jimi Hendrix jouer au Star-Club trois soirs de duite. Elles sentent que le son change, «moving from beat pop to psychedelic sounds.» Le rideau se lève sur un Jimi qui claque le premier accord de «Foxy Lady». C’est aussi le big time pour les drugs. Mary en voit à gogo backstage, des amphètes qui ne coûtent rien ou presque, «known as the Preludin and Captagon» et qu’on va surnommer les «Prellies», que les Stones appelaient aussi «Mother’s Little Helper». Elles retrouvent d’ailleurs les Stones à Dortmund, elles sont au bar de l’hôtel et Brian Jones qui arrive demande à Pam si elle a de la coke. C’est la tournée Between The Buttons. Pour Mary, ce souvenir est important, car c’est la dernière fois qu’elle voit Brian Jones vivant.

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             Puis le groupe va entamer son déclin. Il ne reste plus que Pam et Mary dans les Liverbirds quand elles partent au Japon. Chris et Dixie ont remplacé Val et Sylvia. Le dernier concert des Liverbirds a lieu en août 1968. Sylvia se souvient que les Liverbirds sont arrivées à Hambourg en 1964. Elles ne devaient rester que six semaines et elles sont restées quatre ans, pendant lesquels elles ont enregistré deux albums et fréquenté Chucky Chuckah, Jimi Hendrix, Johnny Kidd, the Remo Four, the Big Six, testé les drogues et le sexe. Quatre ans de paradis. Le Star-Club qui avait ouvert ses portes en 1962 les fermera 14 mois après la fin des Liverbirds, au jour de l’an 1969, «the very last day of the sixties.» Comme Sam Phillips et d’autres géants avant lui, Manfred Weissleder «had lost interest».

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             Bon alors, après, les Liverbirds font des gosses, enfin, celles qui sont mariées. Puis elles se reforment et on les qualifie d’«original punks». Elles participent à la Big Beat Party, à Hambourg, avec Gerry & The Peacemakers, les Troggs, Dave Dee Dozy Beaky Mick & Titch, Ian & The Zodiacs, Lee Curtis, les Pirates sans Johnny Kidd et Screaming Lord Sutch. C’est la formation originale des Liverbirds qui déboule sur scène, Val, Pam, Sylvia et Mary, avec Barbara pour filer un coup de main sur les solos.

             Puis Pam qui a toujours fumé 40 Dunhills par jour chope un petit cancer et casse sa pipe en bois au moment où on lui enlève un poumon. Val va ensuite valdinguer dans les décors. It’s only rock’n’roll. 

    Signé : Cazengler, livide bird

    Mary McGlory & Sylvia Saunders. The Liverbirds. Our Life In Britain’s First Female Rock’n’Roll Band. Faber & Faber 2024

    The Liverbirds. From Merseyside To Hamburg - The Complete Star-Club Recordings. Big Beat 2010

     

     

    Inside the goldmine

     - Quelle Clark !

             Baby Click dansait tout le temps. Même quand il n’y avait pas de musique, elle papotait en se dandinant d’un pied sur l’autre et en hochant la tête sur un rythme qu’elle était la seule à entendre. Au début, ça t’épatait, tu enviais son feeling. Wouah Baby Click tu danses le jerk au Palladium ! De toute évidence, elle était restée ancrée dans les sixties. En plein trip Teenie Weenie Boppie ! Ses fringues, ses expressions, ses sourires, ses enthousiasmes, sa ligne, tout était sixties. Pas un poil de graisse. Une vraie jerkeuse. Un corps magnifique. Pour elle, la vie consistait à jerker. Jamais un mot sur son histoire sentimentale. Rien sur son parcours professionnel. Devenue retraitée, elle était restée incroyablement désirable. Quelques mecs lui tournaient encore autour, mais ça la faisait rire de bon cœur, et hop, elle se mettait à danser et à claquer des doigts. Elle adorait quasiment tout : la Soul, le funk, le garage quand il était dansant, la pop, bien sûr, on l’a aussi vue danser sur des trucs compliqués, mais elle avait cette facilité qui lui permettait d’adapter les mouvements de ses jambes et de ses hanches à toutes sortes de déboires rythmiques, et plus tu la voyais hocher la tête sur le beat, plus tu l’admirais. Admirer une femme, c’est une façon déguisée de la désirer. Mais tu savais bien au fond que ça n’irait pas plus loin. Pourtant, c’est toujours elle qui revenait à la charge, qui proposait des plans, des voyages et des soirées, elle restait à l’affût de tout ce qui pouvait être intéressant, elle multipliait des situations de proximité, les bises d’adieu dans les parkings étaient parfois tendancieuses, et elle accepta même un jour de venir boire un verre à la maison au retour d’un trip parisien, mais au moment de basculer dans l’irréparable, elle demanda à écouter des choses qu’elle aimait à la folie, «T’as pas Sam & Dave ?». Alors on sortait le stock de Stax et ça repartait pour une heure ou deux de jerk endiablé, elle tombait la veste et jerkait toute seule jusqu’à l’aube. Puis elle te remerciait pour cette excellente soirée, faisant bien sonner l’«excellente», et rentrait chez elle. Une heure plus tard, tu recevais un SMS te disant qu’elle était bien rentrée, qu’elle avait passé une excellente soirée et qu’elle avait hâte de récidiver. De toutes les allumeuses connues au bataillon, Baby Click était sans conteste la plus merveilleuse.

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             C’est une façon comme une autre de prendre ses Click et ses Clark. Autant Baby Click est brune, autant Chris Clark est blonde. Alors on prend ses Clark mais pas ses Click, et on file chez Motown. Quoi ? Une blonde chez Motown ? Ça par exemple ! Eh oui, Chris Clark s’est pointée un beau jour de 1963 dans le bureau de Berry Gordy et lui a chanté on the spot une tonitruante mouture d’«All I Could Do Was Cry» d’Etta James. Troublé, Gordy l’a gardée. Mais avant d’essayer d’en faire une star, il va lui demander de bosser deux ans à la réception.

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             Quelques singles sur VIP et boom premier album sur Motown en 1967, l’excellent Soul Sounds. Il faut la voir taper «Love’s Gone Bad», un hit signé HDH, elle est dans le bain jusqu’au cou, wild as Motown fuck ! Elle tape plus loin dans l’«If You Should Walk Away» de Frank Wilson, elle te le drive dans les règles, pas de problème. Elle finit ce brillant balda avec une cover de «Got To Get You Into My Life», elle pique sa crise de Beatlemania à la belle attaque, mais elle n’a pas le raunch de McCartney. En B, elle tape dans Smokey avec «From Head To Toe», elle a tout, les clap-hands et la classe qui va avec. Dernier smash de l’album, un «Until You Love Someone» signé HDH. C’est tout de suite happy comme pas deux - You can’t be happy/ Until you love someone - Ah elle y va, la White Negress, comme on la surnomme en Angleterre.

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             Son deuxième album s’appelle CC Rides Again et sort en 1969 sur le label rock de Deke Richards, un jeune producteur blanc signé par Berry Gordy. Au dos, elle est grimpée sur un éléphant, une idée de Deke Richards. C’est un album de covers, dont la plus spectaculaire est celle d’«You’ve Made Me So Very Happy», l’hit de Brenda Holloway. Chris Clark n’a pas la niaque de Brenda, mais elle attaque au mieux de sa voix blanche de blanche - You treated me so kind - C’est sans doute l’une des plus belles chansons d’amour de tous les temps, avec celles de Piaf et d’Esther Phillips - I’m so glad you/ Came into my life - Et elle tartine avec passion - Thank you babe - Elle explose de bonheur. C’est le sommet du genre. Elle fait aussi une petite cover de «Spinning Wheel», elle n’a pas la niaque de David Clayton Thomas, mais elle s’y frotte bien, avec son bon feeling de blanche noircie. Et puis voilà la chanson magique, co-signée par Deke Richards et l’arrangeur Van De Pitte : «How About You». Chris Clark épouse la magie pop - Baby I love you/ How about you - C’est quasiment du Burt. Elle se vautre lamentablement avec «With A Little Help From My Friends», elle en fait de la petite pop, dommage, mais elle fait du «One» de Nilsson un jerk de fantastique allure. Elle écrase bien son champignon. Elle se frotte à ses risques et périls à l’«In The Ghetto» et tape son «Get Back» dans le fond de la casserole.  

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             Le petit conseil qu’on pourrait donner aux fans de Chris Clark serait de rapatrier The Motown Collection : on y trouve les deux albums Motown pré-cités, et une montagne de cuts inédits. Encore une fois, on saute en l’air quand on découvre la qualité d’inédits comme «Ask My Girl». Quoi ? C’est un véritable coup de génie pop groové chez Motown et signé HDH. C’est incompréhensible qu’un tel smash soit resté dans un tiroir. Et attends, c’est le premier d’une série de 25. Le compileur en a rempli un CD entier. Encore un pur hit Motown avec «Everything’s Good About You». Du HDH encore avec «Take Me In Your Arms (Rock A Little While)» et voilà un hit signé Mickey Stevenson, «In The Neighbourhood». C’est une blondasse qui te claque le beignet de Motown. Ambiance «Something To Remember» (Ray Charles) avec «I Just Can’t Forget Him», et elle repart à l’assaut des charts avec «If You Let Me Baby», tout est bon, sur ce CD d’inédits, Chris Clark finit par sonner comme une black, elle chante parfois d’une voix fêlée et joue un peu avec le feu, elle n’est jamais très loin de la vérité. Et pouf, voilà qu’elle tape «Crying In The Chapel», elle se prélasse dans l’excellence de la chapelle. Plus loin, elle défonce encore la rondelle des annales avec un «He’s Good For Me» bombardé au bassmatic Motown. Chris Clark monte sur tous les coups. «Bad Seed» et «Something’s Wrong» t’envoient directement au tapis, elle y va au wild r’n’b d’I got to lose. Elle bascule à n’en plus finir dans le génie r’n’b. Tout est alarmant de véracité, ici. Elle excelle, cut après cut. Une vraie sinécure. C’est tout de même dingue que Chris Clark ne soit pas devenue superstar ! On s’en étonnera encore dans 10 000 ans. 

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    Signé : Cazengler, Chris Clown

    Chris Clark. Soul Sounds. Motown 1967

    Chris Clark. CC Rides Again. Weed 1969 

    Chris Clark. The Motown Collection. Motown 2005

     

     

     

     

    *

    La teuf-teuf roule dans la nuit. Mais elle possède deux phares lumineux pour se guider, alors que moi les neurones de mon esprit pataugent dans la plus profonde des pénombres. Tout cela par la faute de Béatrice la patronne et son incroyable affiche, d’où a-t-elle sorti ce groupe au nom impossible, cela demande quelques éclaircissements, jugez-en par vous-même :

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    BEE DEE KAY DRIVES THE U.F.O. ZZZ & GUEST

    3 B / Troyes / 02 – 11 - 2024

            Pas grand-monde, j’arrive de bonne heure, la salle se remplit doucement mais sûrement, la curiosité du public est en attente, à première vue, un groupe de rockabilly comme les autres, la contrebasse, la batterie, et la guitare en témoignent, avec en plus, goutte d’eau qui fait déborder le vase, ce saxophone argenté sur son perchoir. Les quatre musiciens apparaissent, pas de panique, l’on va tout savoir.

    PREMIER SET

             Paniquons, pour du rockabilly c’est rudement fort, mais tellement bon. Un mur d’airain infranchissable. La guitare de Benny, d’habitude c’est lui qui règle (à merveille) le son des groupes qui passent au 3 B, est implacable, sèche, dure, genre no prisonners, derrière lui la baratte qui n’en rate pas une ne vous laisse aucune chance, quant à la up-right elle n’est pas à l’unisson, elle ne joue pas, elle pousse au crime. Jusque-là tout serait parfait. Mais nous allons vite apprendre qu’il existe un stade supérieur à la perfection. L’axe du mal existe, c’est le sax. Ce n’est pas un sax, c’est un sabre d’abordage, l’est le premier à se jeter sur l’ennemi, avez-vous déjà entendu un sax mugir avec cette force, mille cerfs en rut qui brament, il rauque et il rocke au-dessus de la normale, de l’anormal, dix mille gouttières de zinc qui s’effondrent, ce n’est pas l’appel de la forêt, c‘est le scalpel du diable, une tonitruance gargantuesque, un tel déluge sonique surhumain ne serait-il pas dû au changement climatique, la Bible s’est trompée, ce n’est pas la trompette du jugement dernier, c’est le saxophone de la mort irrémédiable pour tout le monde. En tout cas l’on adore et ce quatuor fastueux aussi, puisqu’ils enchaînent derechef un autre instrumental.

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             Je l’ai remarquée dès que j’ai eu franchi le seuil, dans sa robe noire, chevelure rousse et visage impassible, elle m’a tout de suite rappelé la sombre silhouette de Moïra, la moire noire du Destin, sur la couverture d’un ancien livre de poche du roman éponyme de Julien Green, et là tout s’éclaire, en quelques mots Benny nous met au parfum pour ce premier set ils accompagneront, c’est ici que l’identité du guest est enfin révélée : Mary. Apparemment Mary n’a peur de rien, elle se pose tout tranquillou devant le micro en avant de nos quatre gladiateurs surphoniques comme s’ils étaient un orchestre à cordes de musique de chambre.

             Ne sont pas des mufles mais ils ne mettent pas de pantoufles à leurs instrus, un peu  moins de clinquanteries mais un son si épais que nul couteau ne saurait couper. Ambiances sixties, privilégiez le rumble au slow frotti-frotta langoureux. Vous pensez que Mary va poser sa voix sur ce magma de feu. Point du tout, elle impose son vocal avec une facilité déconcertante, sans forcer, sans peine, cette aisance incroyable tient à la densité de ses émotions et de la passion qu’elle porte aux titres qu’elle interprète, on la sent habitée d’une ferveur secrète mais palpable, elle ne chante pas, elle voue un culte à ce répertoire fondateur. Pas de simagrées, elle ne cherche pas à amadouer le public, c’est à prendre ou à laisser. Et le public du 3 B, qui s’y connaît un tantinet, n’en laisse pas une miette, chaque morceau est ponctué de longs applaudissements et de vifs vivats. Elle s’en ira comme elle est venue, avec une simplicité, une humilité de diva qui a accompli sa tâche, qui s’est acquittée d’une dette envers la musique qu’elle aime.

             Les cadors du quatuor reprennent les rênes pour deux ou trois morceaux. Je ne m’attarderai pas, nous revenons longuement sur eux pour le set suivant. Par contre je vous demanderai avec la plus grande insistance d’interdire à vos enfants la lecture du paragraphe suivant.

    DEUXIEME SET

             Benny est revenu le premier. Il s’empare de sa guitare et s’évertue de répéter inlassablement une même note, une manière, pensions-nous naïvement, de rappeler au turbin ses trois copains attardés derrière le rideau des coulisses. Ils arrivent sans se presser et s’affairent en toute quiétude autour de leurs instruments.

             Le grand avec sa verte argentée et son saxo c’est Grant Seeflay, pas du genre à siffler la fin se la partie au plus vite, le mec assis au fond avec sa veste noire et son col blanc n’a pas l’air méchant se prénomme tout de même Terric ( vous êtes prévenu), accoudé sur sa contrebasse il porte le surnom d’un amie de Fantômette : Fi-Cell, z’oui mais c’est peut-être la corde pour vous pendre, bon ça y est ils rejoignent Benny de Jongh qui répète inlassablement la même note, attention, de plus en plus stridente, et les trois autres vous pondent en douceur et profondeur une purée de poix phonique des plus inquiétantes, l’ambiance se tend, si l’on y réfléchit un tant soit peu c’est un tantinet étrange, l’on se croirait dans un château en Ecosse perdu sur ce promontoire brumeux, près du lock Ness, les notes effilées comme un poignard maltais de Benny ressemblent de plus en plus à ce glas terrifiant qui résonne dans Le Mystère de Cloomber de Conan Doyle, c’est alors que l’Innommable se produit, une voix, non un borborygme dégoûtant d’Oran Outang dérangé surgit de nulle part, une espèce de grondement issu du gosier d’un lion préhistorique,  à mes côtés Jerry, mais oui vous connaissez le saxophoniste des Monarchs que nous avons vus au 3 B il n’y a pas si longtemps, ses yeux comme les miens, se portent sur les musicos, z’ont tous la boucle close et à des kilomètres du micro, en tout cas le monstre invisible insiste, sans doute un chat monstrueux de quinze mètres de haut, devant la peur d’une de ses petites filles une maman décide de rapatrier toute sa nichée à l’autre bout du café, elle n’a pas tort, c’est un truc à rattraper une jaunisse, d’autant plus qu’il semble s’instaurer une course entre les musicos et cette voix hideuse d’outre-tombe, ils ont beau augmenter le son, la bête immonde les couvre de ses tonitruances vomitoires, pire elle se rapproche, maintenant elle est tout près, les yeux de l’assistance se fixent sur le bas du rideau des coulisses, ils remuent salement, la bête nuisible et gévaudanique sort, elle se porte à quatre pattes sur le devant de la scène, je le reconnais c’était le mec à mes côtés qui mirait la prestation de Mary, l’a enfoncé le micro dans sa bouche, l’émet des barrissements d’éléphant en colère, il se relève, retire le micro de ses amygdales, et sourit à la foule. Ouf nous l’avons échappé belle. C’est donc lui Bee Dee Kay.

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             Intro fabuleuse, Jerry qui a vu des centaines de concert me confie à l’oreille, qu’il n’a jamais vu une telle entrée en matière. Digne d’Hasil Adkins, de  Screamin’ Jay Hawkins, de Lord Sutch, de tous les embrochés de la cafetière du rock’n’roll. Maintenant que le prologue est terminé si vous croyez que vous allez redescendre vers le rockabilly carré et sans bavure comme le buffet que votre grand-mère astique toutes les semaines, vous êtes dans l’erreur. Ce n’est plus du rockabilly, ce n’est pas du rock’n’roll, c’est la folie du rockabilly et la fureur du rock’n’roll. De l’after-rockak, de l’after-rock, nos quatre mousquetaires instrumentaux ne jouent pas, et Bee Dee Kay ne chante pas. Ils miment. Ne criez pas parodie, contentez-vous du paradis. Ils connaissent tous les plans à merveille, ils vous édifient des palais sonores hallucinatoires,  Dee Bee s’amuse, vous a des poses pharamineuses, une seconde il est John Kay et à la suivante David Bowie, le mâle et l’androgyne, la brute et le truand, il n’est pas le bon parce qu’il le meilleur, le voici Elvis et Gene Vincent, ce coup-ci il se vautre sur le comptoir tel un Lux Interior, chacun y aura reconnu ses propres figures tutélaires du rock’n’roll, vous vous croyez en plein délire, et plaf un geste, et tout s’écroule, Terric d’un seul break envoie en éclats the wall of sound, Fi-Cell s’introduit dans la brèche tel un bulldozer, le saxo de Grand Seeflay tousse comme un tuberculeux, la guitare de Benny se transforme en lance-flammes pour réduire en cendres les derniers déchets, l’on est au cœur de catastrophe, à un millimètre de l’anéantissement, et hop ça repart comme en quarante, comme si de rien n’était, quelle maîtrise, quelle virtuosité. Ah le sourire d’enfant de Bee Dee ! ce grand gaillard aux tempes argentées, il batifole, il s’amuse comme un gosse qui casse son train électrique pour le transformer en soucoupe volante U.F.O. ZZZ, nous transporte sur une autre planète, celle du rock’n’roll, la vraie, la délirante, la fracassante, l’upercutante, celle de l’éternelle jeunesse du débordement vital.

    TROISIEME SET

             Malgré l’heure tardive, nous aurons droit à un troisième set. Pas très long, le temps de revoir Mary nous offrant deux magistrale versions de Jezebel, et Funnel of love, le group prend son envol mais au troisième morceau Béatrice la patronne nous rappelle que sur la planète terre toutes les choses ont une fin. Hélas, les meilleures aussi.

             Lot de consolation j’ai récupéré leur unique 45 tours, nous reparlerons de Bee Dee Kay Drives the U.F.O. ZZZ dès la semaine prochaine !

    Damie Chad.

     

     

    *

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             Depuis combien de temps suivons-nous Ashen ? Depuis toujours. Je ne vous donnerai pas de date, pour une fois vous serez privés de récapitulatifs. Il y a des groupes qui touchent à l’intemporel. Non pas parce qu’ils se prévalent d’obscurs mythes originels ou qu’ils s’en aillent cogner dans les obscures contrées du futur morturial dans le but inavoué que l’on puisse prendre connaissance de l’écho morcelé de leur choc intrusif dans l’inconnaissable, simplement parce qu’ils s’inscrivent dans le présent de la présence du monde dans lequel ils vivent, ou pour être plus exact, dans lequel ils tentent de survivre.

    SACRIFICE

    ASHEN (feat. ten56)

    (Out Of Line Music / Official Visualizer / Juin 2024)

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    Pour une fois nous n’avons pas droit à une de ces vidéos mystérieusement attirantes et déchirantes auxquelles le groupe nous a habitués. Pour autant l’on ne nous a pas jeté un os sans viande en pâture, nous offrent un riche faisceau de symboles qui nous inclinent à de clivantes rêveries.

    Un rouge que d’instinct l’on n’aime pas. Rouge cœur de taureau immolé en hécatombe sur l’autel propitiatoire. Les Dieux ont-ils accepté le sacrifice ? Sur ce fond voici un œuf. Un rouge éclatant. Triomphal. Ne serait-ce ces nervures cramoisies dont il est parcouru on reconnaîtrait en lui l’œuf d’Eros originel de la plus vielle mythologie grecque. Les lyrics qui apparaissent nous interdisent cette appropriation. C’est un œuf, certes, mais plein de son trop-plein, prêt à éclater. Ici il n’est point question d’ovule générationnelle, c’est œuf est une tête. Trop pleine, trop peine, prête à exploser. Cet œuf n’est pas neuf, il est mûr, il est arrivé à maturité, à son immaturité. C’est l’œuf de la folie, souvent il reste en nous stérile, il ne donne naissance à aucune créature, on l’oublie, on ignore qu’il repose dans le lit douillet de notre cervelle, dans laquelle éclosent nos pensées les plus sublimes. Il tourne sur lui-même dans son coquetier de bois, comme s’il était fier de lui, il nous dévoile toute son ovoïdité, comme si nous n’avions d’autres tâches à effectuer, si ce n’est de l’admirer.

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    Sans préavis, un deuxième symbole. La forme d’un avion furtif, une flèche d’indien, à moins que ce ne soit le trait empoisonné de Zénon d’Elée qui ne parvient jamais à sa cible, presque rassurant puisqu’il n’atteindra jamais la mort dont il ne nous transpercera pas, mais alors quelle est sa cible, à ce poignard effilé, à cette épée d’obsidienne, à ce sabre de samouraï destiné à porter le fatal coup du seppuku létal, lui aussi tourne sur lui-même, tel un missile qui cherche sa proie et s’obstine à calculer l’angle de la plus forte nuisance.

    Un troisième objet, à croire que l’on scrute les vitrines d’un musée. Celui-ci possède un piédestal de marbre sur lequel est ancré un avant-bras couronné d’une main, paume ouverte, levée vers le ciel, arborant à son poignet un collier de perles de bois. Entre ses doigts elle tient un objet, elle tourne sur elle-même, il est difficile de se le représenter, serait-ce dans le cercle de fer forgé la silhouette d’un cheval, qui porterait un cavalier, de petite taille, serait-ce Alexandre le Conquérant sur Bucéphale, non plutôt le cheval noir de l’attelage platonicien de notre intelligence,  la monture rétive qui refuse de marcher droit, qui cherche à nous faire dérailler, certes nous ne sommes pas un train, mais notre esprit est censé suivre les rails du logos … même si parfois en toute inconscience nous piquons droit vers la folie.

    Voilà, nous n’en verrons pas davantage. Nos trois symboles reviennent. Ne sont pas des marionnettes qui font trois petits tours et s’en vont, tournoient lentement d’une manière prémonitoirement menaçante, est-ce que le cheval d’orgueil  que nous avons aperçu une première fois fut une illusion d’optique, car maintenant nous reconnaissons entre les doigts un des cinq sigils affichés tout en haut de l’écran, seraient-ils appropriés aux cinq membres du groupe…

    Damie, si tu nous parlais un peu du son et de la song, c’est tout de même un peu important en musique, écoutez l’on raconte que lorsque Attila est sorti du ventre maternel, dans son poing fermé il tenait un caillot de sang, eh bien les gars ce morceau ressemble à ce caillot de sang que le fléau de Dieu avait arraché en passant aux entrailles de sa mère, il palpite, l’on sent que rien ne pourra arrêter son rythme insatiable, une barbaque qui refuse de s’éteindre, à cette différence près, ce n’est pas de la viande qui bat mais de la folie, de la folie pure.  

    Admirez la prouesse vocale de Clem, il ne chante pas, s’échappe de lui un gargouillement hideux de souffrance mentale, vous y croyez, vous le voyez recroquevillé sur lui-même, refermé en ses pensées délirantes comme une huitre schizophrène qui tenterait à tout prix de s’enfuir de sa coquille, il veut tout et n’importe quoi, le royaume souverain de sa solitude et le désir de s’exiler de lui-même auprès des autres qui le rejettent, à moins que ce ne soit lui qui  les expulse hors de sa misérable sphère d’appropriation du monde dont il refuse la présence. Quant à la musique vous ne l’entendez même pas, comment Ashen est-il parvenu à établir cette osmose visqueuse indissoluble entre vocal et instrumentation, à tel point que la musique chante et que la voix joue.  Salmigondis indiscernable, hachis indubitable, purée inépuisable, mais dès que ce bruit gloutouneux entre dans vos oreilles, il se transforme en nectar ouïtisque, il se produit une alchimie auditive qui métamorphose les stridences de la folie, les vacarmes expectorés par une âme malade, les ramonages hallucinatoires, en le chant des sirènes dont seuls de rares héros  homériques eurent  jouissance…

    Ne croyez pas vous en tirer à si bon compte, ce mal-être exprimé par Ashen ne vous concerne peut-être pas, mais il vous donne un aperçu de ce qui se passe dans la tête de la génération actuelle qui entre dans l’âge adulte. Le monde qui les attend est kaotique. Ils en ont la prescience, ils en expriment la dureté imminente, trop courageux pour refuser le suicide, il ne leur reste que cette notion d’auto-sacrifice qu’ils acceptent car ils ne veulent pas endosser le rôle de victimes sacrifiées. Le monde est fou, mais le seul refuge qui leur soit encore accessible, le dernier rempart dérélictoire qu’ils peuvent lui opposer s’avère être leur propre folie.

    Très fort.

    Damie Chad.

    *

    Encore un groupe que nous suivons depuis longtemps. En octobre 2022 nous avions regardé leur vidéo Unforgotten, en février 2023 ce fut le tour d’Eternal suivi d’Another Day au mois de septembre, voici le tour de :

     ACROSS THE DIVIDE

    AWAY

    (Avalone Studio / Août 2024)

    Rendons à César les lauriers qui lui reviennent. Alexandre Lhéritier est le responsable d’Avalone Studio, il s’est chargé de l’enregistrement du morceau.

    Pour les images il nous est spécifié : IA generated vidéo. Sans plus. Il serait intéressant de savoir quelle part de liberté l’Intelligence Humaine aura laissée à l’Intelligence Artificielle. A moins qu’il ne faille inverser les termes de la question.

    Le résultat est là : de belles images. Elles n’illustrent pas vraiment les paroles du morceau. Elles lui apportent même un plus que je qualifierai d’interprétation écologique du texte. A croire que le poids des mots est moins fort que le choc des images.

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    L’Intelligence Artificielle ne crée pas, elle produit. Entre nous, parmi les écrivains : peu créent et beaucoup produisent. Nous retrouvons le même pourcentage différentiel chez les peintres. Les premières soixante secondes sont splendides, vous ne savez pas où vous trouvez exactement, sont-ce des illustrations anglaises d’un livre d’enfants, sont-ce des images inspirées par les photos de la forêt de Mortefontaine chère à Gérard de Nerval, ou par des scènes du Seigneur des Anneaux, en tout cas notre Intelligence Artificielle connaît les bois de Watteau et toute la période romantique de la peinture occidentale… Nous aurions aimé qu’elle nous donne un aperçu de la manière dont nos descendants représenteront les arbres en l’an, barrez au choix la partie du mot qui ne vous convient pas, de dis/grâce 2524… Toutefois aurions-nous su entrevoir le futur en cette curiosité éloignée. Tout comme l’IA, nous procédons mais nous ne précédons pas.

    Que nous conte la chanson ?  Une histoire banale. Celle de tout le monde. Du gars qui aimerait être ailleurs. Non pas aux Amériques, de lui-même, de sa vie étriquée, de son impuissance à être ce qu’il voudrait être, libre et supérieur, non pas aux autres mais à lui-même. Beaucoup d’espoir, beaucoup de rêve, mais encore davantage de doute et de peur… il aimerait que quelqu’un le rejoigne mais il ne possède rien… A la vue des images en nous armant de cynisme nous demanderions s’il vit dans les bois…

    Des colères, des remontrances, des encouragements, les voix se succèdent, se répondent, s’entraident, se poussent en avant en un très bel oratorio. Symphonie vocale qui se marie magnifiquement au vert sombre des houppes, aux éclairs de feu orangé, aux instants impulsifs de notre vie ne sommes-nous pas des incendies dévastateurs sous les frondaisons de nos chairs intérieures. Tout homme n’est-il pas une forêt première qui brûle ?

    J’aurais aimé écrire le contraire, parce que la maudite technique bla-bla-bla, parce que la singulière grandeur de l’Homme bla-bla-bla, parce que bla-bla-bla, je vous donne trois heures et je ramasse les copies, mais non je dois le reconnaître, ici les images artificielles, les paroles et les musiques humaines se confortent mutuellement, elles s’allument de reflets réciproques, elles se chargent de mystères et s’interpénètrent de telles manières que seules et séparées elle perdraient de leur force persuasive et de leur aura magique.

    Across the divide nous surprend toujours.

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    Damie Chad.

     

    *

             Les choses ne sont jamais difficiles. Certaines d’entre elles s’avèrent subtiles. Nous pénètrerons donc en notre sujet par l’évocation d’un groupe de rock. Blondie ! Les trognes des lecteurs s’illuminent. Ah ! Deborah ! Désolé, mais je voulais parler de Chris Stein. Vous préférez Debbie, je comprends, toutefois Chris est un mec intéressant. Tiens saviez-vous que Chris possédait un tableau de Spare ? Non, vous voudriez des détails, alors plongez-vous dans :

    ŒUVRES

    AUSTIN OSMAN SPARE

    (Tome III)

    Editions Anima / Octobre 2024

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    Nous avions déjà  krotntniqué les tomes I et II, parus en 2017 et 2021, ce troisième opus, cornaqué par VINCENT CAPES, s’annonce fastueux par le grand nombre de reproductions de dessins et de peintures d’OSMAN SPARE, un régal pour les yeux et l’esprit. Nous évoquerons tour à tour mais en un ordre qui ne suivra pas celui du volume les traductions de textes de SPARE établies par PHILIPPE PISSIER, ainsi que l’ensemble des diverses contributions éclairantes qui permettent quelque peu d’entrevoir la portée opérative de l’œuvre de celui qui reste, avec Aleister Crowley, un des plus grands représentants de la Magie du vingtième siècle.

    Si vous n’éprouvez aucune accointance particulière avec la Magie, je vous conseille de débuter votre lecture par l’avant-dernier texte du volume.

    LES ANGES FOSSILES

    ALAN MOORE

             Les amateurs de bande dessinée et de Death Metal ont reconnu le célèbre auteur de From Hell. Né en 1953, Alan Moore n’en n’est pas moins relié à la personne d’Alexandre le Grand. Le lien qui les unit n’est pas tant l’admiration que notre dessinateur  porterait au Conquérant, la légende raconte que Philippe II de Macédoine ne serait pas son père, il serait né de l’étreinte de sa mère Olympias avec un de ses pythons – était-ce une énième métamorphose de Zeus - qui partageaient sa couche… Or Alan Moore s’est revendiqué adepte de Glykon, serpent mythique d’origine macédonienne adoré au deuxième siècle de notre ère par les romains. Voilà de quoi faire lever les yeux au ciel à bien des lecteurs qui auront vite fait de juger l’auteur de cet article, rédigé en 2002, comme un huluberlu, ne nous étonnons pas s’ils s’apprêtent à aborder le texte avec réticence.

             Ils seront surpris. Agréablement. Moore manie la verve avec autant de dextérité que le crayon. Il est aussi écrivain. Les pages qu’il consacre à la description des milieux occultes vous feront rire aux éclats. Le marteau d’Héphaïstos n’a aucun secret pour lui. L’a l’humour qui tue. Se refuse à prendre aux sérieux les agissements des occultistes modernes, les anges fossiles ce sont eux. Ne leur concède rien. Selon lui des magiciens de pacotille, engoncés dans l’imitation naphtalinatoire, s’avèrent totalement inopératifs.

             Après une telle charge, quel avenir pour la Magie. Moore ne se dérobe pas. La Magie ne saurait être ni une psychologie, ni une science. Ni autre chose. Sa seule chance de survie réside en un renouvellement de ses pratiques. Foin des rituels, remisez déguisements et tenues  au vestiaire, un peu d’inventivités et de création, chers mages ! La Magie doit être considérée comme un art majeur, musique, peinture, et celui le mieux approprié : la littérature. L’artiste n’est-il pas par essence celui qui suscite le désir… Vingt pages grand-format, d’une plénitude exceptionnelle.

    TABLEAUX D’UNE EXPOSITION

    DAVID TIBET

    (2002)

             Musicien, poëte, féru d’occultisme, David Tibet fut inspiré entre autres  aussi bien par Blue Öyster Cult, sans doute un indice qui explique pourquoi son groupe Current 93 fut un des pionniers de la musique industrielle que par The Incridible String Band d’où sa dérive, ce mot ici dépourvu d’intention péjorative, néo-folk.

             Ce texte est très court. David Tibet visite une exposition de tableaux de Spare. Sa préférence va au tableau représentant un petit garçon beau comme Apollon. J’ai l’habitude d’avertir les lecteurs de ce blogue, méfiez-vous d’Apollon. Non prévenu David Tibet tombe dans le piège. La couleur des yeux du petit garçon change à chacun de ses regards. Il faut donc aussi se méfier des peintures d’Austin Spare. Jusqu’à la mort.

    MIROIRS VIRTUELS EN TEMPS SOLIDE

    GENESIS BREYER P-ORRIDGE

    (1995)

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    Si Spare (1886-1956) peignit et écrivit, s’il fut un artiste pour reprendre le terme d’Alan Moore, il n’en fut pas moins un Mage. Dans cet article, P-Orridge analyse plusieurs œuvres de Spare, il ne se livre pas dans ses commentaires à une critique artistique, il n’examine les dessins qu’en dévoilant les desseins de leurs exécutions. En quoi ces œuvres sont-elles, au-delà de leur réussite graphique, des pratiques magiques ?  Spare ne cherche pas à agir sur les autres, ni pour les séduire, les influencer, s’attirer leur faveur, ou les maudire. La seule personne qui l’intéresse, c’est lui-même. Ses autoportraits en témoignent. Ce n’est pas qu’il veuille par stupide vanité se présenter sous ses plus beaux aspects. Soit il recherche les moments qui, notamment par la pratique de la magie sexuelle, lui ont permis d’atteindre des étapes de maîtrise fondamentale, soit il tente de parfaire par son dessin cette maîtrise magique en travaillant sur lui-même, en parvenant à atteindre des états de conscience de pleine puissance qui lui permette de s’affranchir de son incarnation historiale, pour pénétrer dans la dimension suivante. Certains collectionneurs ont éprouvé le besoin impératif de se débarrasser de dessins de Spare, car ils avaient l’impression d’une présence inquiétante dans ces feuilles de papier… Autosuggestion ?  Pensez à Honoré de Balzac, à Oscar Wilde, à Edgar Poe…  Puisque l’on parle de Maître Corbeau, pensons à cet opuscule de Ghemma Quiroga Galdo dans lequel elle tente de démontrer que l’auteur a tenté de rester en vie, de ne pas mourir, en inoculant son esprit, un peu comme l’on fait une transfusion sanguine, dans l’encre de ses livres…

    Tout cela est bien beau, oui mais après ? P-Orridge sort le grand jeu. N’oublions pas qu’il fut l’initiateur de Throbbing Christle, c’est un rockeur, et il le prouve. Nous voici dans une méditation métaphysique de haute intensité. L’on change de niveau. A partir de Jean Cocteau l’on effectue la traversée du miroir. Bien sûr d’un certain côté les tableaux sont comme des miroirs, le rôle est inversé, ce sont eux qui nous regardent. Oui, mais qu’y a-t-il dans un miroir. Non, ce n’est pas vous, le miroir ne reflète que l’espace. Celui qui lui fait face, celui qui est en lui, le miroir permet de faire la jonction entre l’intérieur et l’extérieur. C’est ce que l’on appelle la traversée des miroirs. Evidemment tout va de travers, nous avons oublié le troisième comparse, l’élément primordial. Non pas l’éther, le temps. Le temps ne serait-il pas, non pas une espèce unissive d’espace-temporel, mais une fragmentation d’atomes de temps qui dispersés tous azimuts ont pour fonction de structurer l’espace. Sans temps vous n’avez plus d’espace. Vous n’avez que du vide. Vous n’avez plus rien. Vous pouvez même vous amuser à affirmer que vous avez tout, que vous avez le plein, puisque vous accédez à la surface non-réfléchissante du miroir. Celui-ci est alors envisagé non selon sa fonction mais selon sa chosité. ( Je renvoie le lecteur intéressé à la lecture de Qu’est-ce qu’une chose de Martin Heidegger ). Si tant est qu’il existe encore un miroir. Le temps est la chose la plus concrète de toutes les choses qui existent et dans le monde intérieur (les idées nouméniques) et le monde extérieur (la matière phénoménale). Le temps ne passe pas. C’est lui qui permet le passage. Vu sous cet angle, vous avez là la possibilité de passer par la mort d’une incarnation à un état autre.

    AVENTURE DANS LES LIMBES

    1944 – 45

    AUSTIN OSMAN SPARE

            Une série de dessins de Spare que le lecteur aura intérêt à regarder longuement parallèlement aux tableaux commentés par P-Oridge. Pour notre part nous nous contenterons de réflexions générales quant à l’art de Spare. L’on évoque souvent Aubrey Beardsley lorsque l’on s’interroge sur Osman Spare. Beardsley le mignon, Spare le cru. Ce genre de synthétisation abrupte, je préfère d’autres parallèles. Par exemple ce qui rassemble et sépare Gustav Klimt d’Egon Schiele. Il ne s’agit pas d’opposer les tenants de l’Art pour l’Art aux partisans propédeutiques de l’Expressionisme. Simplement le constat que ces frères siamois artistiques diffèrent avant tout par la maniérisation érotique de la femme dont ces familles d’esprit usent. Et abusent, je rajoute ce verbe pour que les ligues féministes ne m’intentent pas un procès.

    SATYROS DUX

    1945

    AUSTIN OSMAN SPARE

             Une deuxième série de dessins de Spare. A peine-écrivez-vous le mot femme que les satyres se radinent. Et cette fois-ci pas n’importe lequel, le chef. Il faut le dire : c’est plus fort que Picasso. Nous ne nous focalisons pas sur le trait, tous les personnages mythologiques du Catalan, ne sont que des ornements. Sont dans les tableaux pour faire antique. Au même titre qu’un tronçon de colonne. Chez Spare, les personnages ne se donnent pas systématiquement la peine de se mettre nu. Sont généralement habillés. Ces vingt dessins sont à lire comme une bande dessinée. A chacun d’imaginer son scénario. L’essentiel ne réside pas là. Ce serait oublier el Pintor. C’est lui donne corps et sens à chaque vignette. Nous ne nous risquerons pas à une lecture personnelle. D’autant plus qu’en toute fin du volume, quelqu’un d’autre s’en charge.

    VISIONS DE DIONYSOS

    2011

    JOHN ZORN

             Le lecteur se rendra sur YT écouter The Satyr’s Play (Visions of Dionysus) Ode I, II, III, IV, V, VI, VII, VIII, IX, X composé en hommage à Austin Osman Spare. L’ensemble dépourvu de paroles ne m’a guère convaincu… John Zorn est un musicien d’avant-garde qui a beaucoup produit s’inspirant de toutes sortes de musiques populaires américaines du jazz au classique.

             Le texte est une espèce de poème-rituel divisé en huit séquences, vous le préfèrerez au disque, un peu disert, un peu répétitif, sans surprise… Des sonorités que je me permettrai de qualifier d’agrestes, en rien novatrices. Texte d’une autre texture, requérant plusieurs niveaux de lectures. Aussi bien sur la numérologie sacrée que diverses et rapides évocations, philosophiques, ésotériques, sophistiques… En quelque sorte il peut se lire comme une réponse aux volontés de dépoussiérages de l’occultisme traditionnel souhaité par Alan Moore.

    RITUEL DE LA VENUE DU JOUR

    AUSTIN OSMAN SPARE

             Avant tout l’on y sent l’influence évidente de Crowley, mais cette page ressemble à des notes écrites pour soi-même. Ce rituel malgré son imagerie égyptienne apparaît surtout non pas comme une invocation héliaque mais une adresse au soleil intérieur que chacun porte en soi.

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    DEDICACé A CELUI QUI VEUT

    ET A CELUI QUI DEMANDE

    (1951)

    AUSTIN OSMAN SPARE

             Encore un texte rédigé pour soi-même et en même temps un avertissement au disciple. Spare ne fait pas l’aumône au disciple éventuel. Il   abhorre cette race de clones. Peut-être est-ce pour cela que l’on relève quelques accents nietzschéens dans le dernier paragraphe. Zarathoustra en pleine forme.

    LE SABBAT DES SORCIERES

    (1951)

    AUSTIN OSMAN SPARE

             D’abord un texte de réflexion sur la nature du Sabbat. Rien à voir avec la Nuit de Walpurgis de Goethe. Le mot sabbat désigne l’acte sexuel pratiqué en tant que pratique magique. Ce à quoi elle permet d’atteindre. A lire les pages restantes l’on a l’impression que l’on se trouve devant des notes préparées pour un cours, Spare en professeur consciencieux qui réunit toutes les pièces afférentes au sujet afin de palier  toute demande hypothétique d’un étudiant ou d’une étudiante. L’on ne peut s’empêcher de penser qu’il ne croit pas vraiment en l’efficacité de son cours théorique. Il est nécessaire de s’affronter à la pratique.

    DU MENTAL  AU MENTAL

    ET COMMENT PAR UN SORCIER

    (1951)

    AUSTIN OSMAN SPARE

             Soyons héraclitéen : l’on ne se baigne jamais deux fois dans le fleuve de la pensée pour la simple raison que le fleuve de la pensée est partout, que l’on y est plongé en plein dedans, en plus il ne possède aucune rive… Pour une fois Spare se montre pédagogue. Il passe carrément aux applications techniques :  il vous démontre comment en deux ans vous pouvez devenir un as de la divination. Le courant de pensée de vos voisins se mêle à vos pensées. Un peu d’entraînement et un jeu de cinquante-deux cartes suffisent à répondre à toutes les questions d’un consultant inquiet pour son avenir. Cela n’a rien de magique au sens trivial du terme. Il suffit de le savoir et d’être conscient de ces confluences qui s’interpénètrent. Spare vous répète que c’est relativement facile… Les détails et les exemples qu’il fournit ne sont pas particulièrement stupides, mais vous quittez ces cinq pages en vous disant qu’il se contente de refiler le minimum, quelques encouragements, et puis vous êtes assez grand pour vous débrouiller par vous-même. Répétons-le, Spare n’est pas Crowley, il n’essaie pas de vous enseigner, de vous transformer, il respecte votre liberté. Le sorcier n’est pas un maître. Son but n’est pas d’instaurer envers vous un lien de domination ou de sujétion.

    AXIOMATA ou MICROLOGUS

    (1951)

    AUSTIN OSMAN SPARE

             D’abord remercions Philippe Pissier pour la clarté de  la traduction de ce texte fondamental. Mini-logos : mon œil (d’Horus – et même d’horreur tant vous êtes saisi par la force de ce texte), maximus logos je vous l’assure. Je ne sais pas si le grand Friedrich accepterait que ces sept pages de fragments numérotés soient ajoutées en appendice à une édition du Gai Savoir mais elles n’amoindriraient  en rien la pensée du solitaire d’Engadine. Tout y est : Dieu, l’Homme et même le Surhomme. Un exposé, un concentré de gaya scienzia explosif. A lire ce texte crucial – pensez à l’idée  qui fut clouée sur la croix – la continuité entre la pensée magique et la pensée philosophique devient une évidence. Un phénomène de trans-capillarité de deux traditions d’appréhension de l’être et de la chose, de l’être de la chose et de la chose de l’être. D’où l’importance du Mot qui transporte et l’Idée et la Chose. Ce texte est un miroir qui permet la traversée de la transparence de deux modes de pensée que l’on présente communément comme antagonistes et irréconciliables. Logos Pontifex !

    GALERIE

    (Dessins, Croquis, Aquarelles, Peintures)

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             Si les mots vous restent incompréhensiblement mystérieux regardez les dessins. Ce n’est pas un hasard si cette partie essentielle du volume est placée juste après le Micrologus. S’il est évident que chez Spare l’écriture cherche à éclaircir sa propre pensée et non à dispenser un enseignement, quel rôle a-t-il dévolu à l’exercice pictural, était-ce pour lui, vis-à-vis d’un public indélicat ou non auto-préparé, une manière d’obscurcir le but de ses entreprises, tant intimes qu’extimes, en leur offrant le trompe-l’œil ou le paravent de l’apparence première de ses opérations relatives aux choses magiques. Galerie présente plus de cent pages de dessins et de peintures effectués entre 1904 et 1956. S’il fallait résumer le travail magique de la peinture de Spare en deux mots, ce serait : nudité et portrait. Dans les deux cas, que ce soient les corps ou les têtes, il s’agit d’établir une projectivité pénétrative dans la chair ou l’esprit, de l’autre ou de soi-même, afin non pas de se les approprier mais en opérant un agrandissement de soi-même. Les dessins sont alors à considérer comme les écorces mortes de ce qui a eu lieu et pour les esprits avertis autant d’indices qui servent à concevoir et à comprendre.

             C’est fini… Non, ne faites pas les glavioteux, les treize pages de l’index des noms propres, elles ne sont pas fourrées en fin de volume, fourmillent de renseignements, si vous n’y apprenez rien, c’est que vous ne l’avez pas lu.

             Ce tome III est une petite merveille, vu la taille du mastodonte l’adjectif grande serait mieux approprié, quand on pense à Audrey Muller qui s’est chargée de la relecture, on la plaint, mais je crois que grâce à la présence de son chat roux (comme Osman Spare) à ses côtés on se dit qu’elle a bénéficié d’une véritable aide de sorcière.

             Ce livre n’est pas un livre de plus sur Spare, c’est un objet de première nécessité  pour apprendre à méditer, à réfléchir, à concevoir. Indispensable à ceux qui désirent être eux-mêmes. Et surtout plus qu’eux-mêmes.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 521 : KR'TNT ! 521 : GILDAS COSPEREC / YVES ADRIEN / GASOLINE / ISRAEL NASH / TARA MILTON / IENA / JACK IN THE BOX / ORVILLE GRANT / FLORE TENEUL / AUSTIN OSMAN SPARE

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 522

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    16 / 09 / 2021

     

    GILDAS COSPEREC

    YVES ADRIEN / GASOLINE

    ISRAEL NASH / TARA MILTON

    IENA / JACK IN THE BOX / ORVILLE GRANT

    FLORE TENEUL / AUSTIN OSMAN SPARE

     

    O

    CONFESSIONS OF A GARAGE CAT

    GILDAS COSPEREC

    ( Les Musicophages / 2021 )

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    Gildas Cospérec n'est plus. L'a cassé sa pipe en bois le 8 mars 2020. Que reste-t-il de nous une fois la ligne franchie ! Pas grand-chose, un nom qui s'efface et disparaît. Les Dieux ne distribuent la postérité d'Homère qu'à quelques rares. Et pourtant certains d'entre nous en ont traversé en héros des épopées ! L'odyssée de Gildas s'est déroulée en un pays que nous aimons : la contrée du rock'n'roll. C'est notre Cat Zengler à nous, le sinistre Loser, qui a veillé à la préparation et à la parution de cette offrande hommagiale à Gildas Cospérec.

    Pour ceux qui ne connaissent ( qui ne connaîtraient ) pas Gildas, il est facile de rappeler ses états d'ârmes en quelques mots, à son actif quarante ans de l'émission rock Dig It ! et soixante-dix-sept numéros du fanzine Dig iT ! sur vingt-sept longues années. Quelques précisions, il y a rock'n'roll et rock'n'roll, ce n'est pas dire qu'il y a du bon et du mauvais, c'est instiller cette idée que la veine créatrice du rock'n'roll s'est toujours développée dans les marges, certes parfois le sort réserve à des inconnus des destins starificateurs, tant mieux pour eux, mais l'essentiel n'est pas là, si vous aimez le rock, votre attention se focalise sur les anonymes surgis de l'ombre, ceux qui œuvrent en dépit de tous les obstacles et qui essaient d'apporter ce que Baudelaire appelait de ses vœux à la fin des Fleurs du Mal, du nouveau. Pour le rock, il vaudrait mieux parler du renouveau de cette énergie primale que dans la grande Amérique en gestation le peuple noir et les prolétaires blancs surent capter, réunir en faisceaux, et jeter en cris de révolte et d'épanouissement à la face du monde.

    Le titre est sans équivoque, il définit Gildas Cospérec comme un Garage Cat. Le rock Garage est un style strictement défini qu'il ne faut surtout pas prendre à la lettre. Gildas n'aimait pas uniquement le garage, sa prédilection s'étendait à toutes les musiques qui groovent grave. Le terme de Confessions peut induire en erreur. Gildas Cospérec n'était ni Augustin, ni Rousseau. Se rapprocherait plutôt de De Quincey mais ceci est une autre histoire. Si vous pensez que Gildas se raconte de la page 1 à la page 420, qu'il s'étale d'abondance, qu'il prend la parole pour ne plus la lâcher, vous êtes dans l'erreur. N'est pas seul dans le bouquin à ouvrir la bouche, la liste des noms des coupables tourne autour de la centaine. Gildas ne soliloque pas, il contribue à la conversation avec ceux qui ont participé, un peu, beaucoup, à la folie générale, à ses aventures digitiques et autres.

    Gildas fait l'unanimité. Les témoignages convergent. Il impulse les rouages mais il est le moteur immobile. Pas du tout la grande gueule vociférante à laquelle l'on pourrait s'attendre, le mot discrétion le caractérise. C'est son manteau d'invisibilité. Encore moins le genre de mec à tirer l'édredon rouge d'Apollinaire à lui. Ne s'impose pas. On s'adresse à lui un peu par hasard, parce qu'il est là, accoudé à son comptoir, qu'il n'a pas l'air spécialement occupé, autant demander le renseignement qui vous fait défaut ou la précision qui vous manque à ce mec tranquille qui manifestement ne va pas vous considérer comme un ennemi. En effet, il sourit, il est poli, et il vous répond – la plupart de ceux qui l'ont rencontré dans sa jeunesse évoqueront sa voix grave et sereine, ce qui est un plus lorsque l'on drive une émission de radio – il y met de la bonne volonté, il s'attarde sur les détails, vous sentez que cette amabilité n'est pas que politesse, qu'elle est le signe d'une grande gentillesse.

    Nous n'en saurons guère plus. Manifestement le gars garde ses intimités pour lui seul. Ne se livre à aucune psychanalyse publique, à aucun déshabillage ostentatoire. N'empêche qu'il est le patron. Celui qui a l'œil à tout, qui reste ouvert à tous. Sûr de lui. Quand il parle, il sait de quoi il cause. Le rock il le connaît sur le bout des doigts, les grandes avenues rectilignes, les sombres venelles tortueuses dans lesquelles l'on ne se risque guère. Il a le jugement sûr. Ce qui ne signifie pas qu'il sait ce qui est bon ou mauvais, mais il a réfléchi, il a médité, il a observé, il subodore sans faillir l'inclination future des chemins.

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    Les fans sont de grands enfants, jetez-leur un torchon crasseux, ils s'en goinfreront. Gildas ne mangeait pas de ce pain-là. D'abord par respect pour lui-même. Pour celui du lecteur aussi. Et surtout pour celui du rock'n'roll avant tout. Le mot respect se retrouve dans la bouche de tous les politiciens faisandés d'aujourd'hui, à toutes les sauces, pour Gildas, pour Dig It ! l'expression qualité d'écriture la remplacera avantageusement. Un fanzine n'est pas un paillasson, on veille à l'orthographe, on surveille son style, entre dire et bien dire c'est-là que résident le secret et la différence. Gildas a le nez fin, il sait à qui il ouvre les colonnes de la revue, et tous s'y mettent, on ne se sert pas du rock pour se faire mousser mais pour servir le rock. L'on n'est ni Marcel Proust, ni Ferdinand Céline, mais les impétrants comprennent vite que l'on doit se relire, améliorer son vocabulaire, éviter les répétitions, l'attitude rock 'n' roll doit se traduire par une attitude stylistique. Petit cocorico national, mais pas nationaliste, cette volonté est consubstantielle au rock français, pour de plus amples explications, la chronique suivante de Patrick Cazengler sur Yves Adrien éclairera votre lanterne.

    Sexe, rock et littérature. Le titre n'est nullement cité dans ces Confessions, mais ma lecture bouleversante la plus rock de cet été, n'est autre que Massimilla Doni de Balzac. Non, ça ne parle pas de rock, mais de musique classique, exactement de Rossini, une histoire d'amour – le roman se déroule à Venise – atermoiements d'éros platonicien et résolutions charnelles d'un côté, mais de l'autre un long commentaire analytique sur la musique d'un opéra, j'invite le lecteur à s'y rapporter, cet entrecroisement entre le vécu, l'imaginaire existentiel qui l'appréhende, et sa transcription littéraire qui permet à un tiers de rendre compte de l'expérience d'un ou plusieurs autres s'avère d'une rigoureuse modernité. C'est ainsi que fonctionne Dig It ! En tant qu'objet rock et objet littéraire.

    Facile de vous en convaincre. Page 228 débute une anthologie de textes issus de Dig It ! A tout saigneur, tout honneur. Une cinquantaine de pages dévolues à des présentations de groupes, d'artistes et de d'interviews réalisées par Gildas. Je laisse le lecteur s'éblouir de lui-même. Elles sont suivies d'une vingtaines de chroniques dues aux plumes talentueuses d'autant de participants. Je n'en retiendrai qu'une celle de Vox consacrée à Kim Fowley. L'a un avantage, connaît le début, le milieu, et la fin de l'histoire puisque Kim est mort. Additionner les anecdotes les unes à la suite des autres n'aurait qu'un intérêt limité. Vox se livre à un portrait de l'intérieur, une évocation de Fowley, il s'obstine à le refaire revivre en essayant de mettre à jour la mécanique du dedans, son fonctionnement, nous sommes dans un véritable conte, entre Le joueur d'échecs de Maelzel d'Edgar Allan Poe, et une nouvelle diabolique E. T. A Hofmann.

    Le pesant de chair de la littérature n'est pas à dédaigner. Pèse-t-elle pourtant plus lourd que son équivalent strictement charnel. ? Gildas n'a pas été qu'un homme de paroles. Le rock c'est avant tout de la musique. Gildas fera partie de Shoo Chain ( origine bretonne oblige ) Boogie, une espèce de formation polymorphe foutraque. Les nefs emplies de fous plus que celles remplies de matelots consciencieux ont besoin d'un capitaine qui sache prévoir les écueils et les coups de vent. Gildas sait jusqu'où l'esquif peut donner de la bande, il permet tout, mais le cap ne varie pas, en quelques mots il évite les situations hasardeuses trop périlleuses. Il est le garde-fou, le parapet de l'abîme. Cette activité rock'n'roll est assez proche de son rôle d'animateur, pardon d'agitateur radio. L'émission est largement ouverte, tout en restant axée sur le rock'n'roll, il s'agit avant tout de passer des disques, de les introduire, de les mettre en relation, tout le monde le sait, quand les voitures sont au garage, elles sont bien gardées... Toulouse et sa région occitane, et de ricochet en ricochet la planète rock, ont eu de la chance de posséder un tel catalyseur rock'n'roll.

    Mais le temps passe. Evitez de regarder les illusses. Grosso modo, elles sont affichées dans l'ordre chronologique, passé un certain âge les photos devraient être interdites, Gildas n'échappe pas au temps, nous non plus, il fatigue, il met fin à la revue, il arrête la radio, même avec du produit magique le corps ne répond plus comme avant, this is the end, beautiful friends... Gildas a passé la frontière. It was a good time...

    L'est parti comme il a vécu, sur la pointe des pieds. Il reste les empreintes, profondément gravées dans l'argile de la présence, toute une vie vouée au rock 'n' roll, toute une génération, tout un rameau de la caravane humaine qui est passé sous les fourches caudines du rock 'n' roll, qui ne le regrette pas, et qui continue, par-delà le temps et la mort, car nos actes retentissent dans le futur des siècles et de l'oubli, jusqu'au retour...

    Soustrayez un homme au troupeau humain, vous obtenez un livre-somme.

    Damie Chad

    Outre le livre, le lecteur visitera le site : digitfanzine.chez.com/digit.htlm

     

    Adrien c’est pas rien

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    Pour les gens d’une certaine génération, le nom d’Yves Adrien dit tout. Tout quoi ? Tout.

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    Soixante-dix ans après sa naissance, Yves Adrien officie toujours, mais selon le mode de fonctionnement qu’il affectionne : mystérieusement. Alors un livre paraît qui tente d’ajouter du mystère au mystère, et pour les amateurs de mystère, Le Mystère Yves Adrien est une épiphanie de la bénédiction. L’auteur un certain Bru tente la pirouette d’une fictionnalisation et ajoute de la confusion au mystère, ce qui finalement revient à donner un prêté pour un rendu. Il pourrait d’ailleurs se réclamer du joli coco Cocteau - Puisque ces mystères nous dépassent, feignons d’en être l’organisateur - Alors il feint en soi. Pas facile d’entrer dans l’intelligence galactique de l’Adrianisme, mais le jeu en vaut la chandelle. Toujours est-il qu’on avale Le Mystère Yves Adrien d’un trait d’un seul, lecture qui fait idéalement suite à une énième relecture de F Pour Fantomisation, l’austrobio la plus clairvoyante du clerc de nos terres.

    Comprendre à travers cet accueil en forme d’écueil lacunaire qu’Yves Adrien fut, est et restera tout. L’écrivain et le styliste le plus marquant de son temps, puisqu’il s’adresse à sa génération, la fameuse génération rock, sixties, seventies, eighties, nouneties, deux-milleties et deux-mille-tenties, soit cinq décades. Le compte y est.

    L’acte fondateur de l’Adrianisme s’appelle «Je Chante Le Rock Électrique», un acte d’une portée comparable au fameux «You’re Never Alone With A Smith & Wesson» de Keith Richards, dont d’ailleurs Yves Adrien ne parle guère, lui préférant sans la moindre hésitation Brian Jones. C’est par le Rock Électrique que s’engouffra jadis le bataillon des élus de la Phrance. Une fois lovés dans le giron de l’Adrianisme, les élus refusèrent d’aller voir ailleurs, les plus déterminés allant même jusqu’à cracher sur les pâles imitateurs. Rock&Folk qui n’était alors qu’un canard français exposé dans les kiosques devint le support des suppôts de l’Adrianisme. Deux pages mensuelles suffisaient. Et quand Yves Adrien quitta le staff du stuff, Rock&Folk sombra dans une vulgarité abyssale dont hélas on hume encore aujourd’hui les pestilences. Yves Adrien avait sans le vouloir révolutionné puis colonisé la presse rock en France, de la même manière que Houellebecq colonisa le microcosme littéraire du quartier latin. L’Adrianisme fut en quelque sorte la dernière révolution française. C’est important qu’un mec comme Bru lui rende hommage, même si on sait que ce n’est pas facile, Yves Adrien étant déjà passé par là.

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    Selon les sondages, l’élu de la Phrance relit NovoVision (ou NovöVision) une fois tous les dix ans, ce qui fait en tout cinq fois. Le bouffant des Humanos jaunit mais le style tient bien le choc. Conçu pour polémiquer avec les mickeys, NovoVision tapa en plein dans le mille. Parmi les élus, certains reprochèrent à Yves Adrien «d’avoir raté la modernité» ou de «s’être vautré comme un bleubite». Mais l’objet de cette antithèse n’était justement pas de prêcher la bonne parole à des convertis, mais d’aller respirer higher, de sortir des kiosques pour caler des mains et tenir des yeux en haleine sur courte distance : 150 pages. Yves Adrien se livrait à son jeu favori, l’Adrianisme, ou si vous préférez la littérature, et trouvait avec NovoVision sa bonne distance qui est celle d’un précieux précis proto-rock. Le seul qui eût jamais existé en Phrance. Alors qu’il nous embarque pour Kraftwerk plutôt que pour Cythère, ce n’est pas le problème, pourvu qu’on ait l’ivresse. L’intolérance des chapelles ne pouvait atteindre un tel écrivain. Les fans des Stooges se battaient l’œil de Kraftwerk, l’essentiel pour eux était qu’Yves Adrien écrive une bonne petite bible. Ce qu’il ne manqua pas de faire. Il ne manqua pas non plus de récidiver : premier testament, deuxième testament, troisième testament. NovoVision, 2001 Une Apocalypse Rock, F Pour Fantomisation. Et puis voilà la cerise sur le gâtö : Le Mystère Yves Adrien.

    Bon, Bru se mélange les cannes avec Ottö et Orphan, mais ce n’est pas grave. Bru alterne les séquences purement biographiques avec des épisodes fictionnels qui ne sont pas sans rappeler ceux de Houellebecq, l’éros en moins, évidemment. Tous ceux qui fréquentent Houellebecq savent qu’il sait faire bander (intellectuellement) son lecteur mieux que ne le fit jamais Georges Bataille, mais nous ne sommes pas là pour ça, même si comme nous le rappelle Bru, Houellebecq et Yves Adrien s’apprécient et s’observent du coin de l’œil, au point d’aller nouer une relation haute en couleurs littéraires. Lors d’une première rencontre chez Tricatel où Houellebecq ivre de cognac enregistre Présence Humaine, Yves Adrien nous dit Bru sort de sa réserve pour lui lancer : «Michel, vous êtes un tueur, vous êtes Vince Taylor !». Le choc des titans. Une façon pour Bru de nous rappeler à quel point ces deux auteurs sont fantastiquement nécessaires à notre bien-être on va dire intellectuel. Bru cite à la suite Adrien : «J’ai vu se dessiner un axe fabuleux : Vince Taylor représentait l’alpha du rock et Houellebecq, l’oméga. Une sorte de double inversé, le résultat d’un essoufflement génétique.»

    Le Mystère Yves Adrien sert surtout à nous sortir du rock pour nous conduire vers la littérature. Bru ne brosse pas le portait d’un röck-critik mais celui d’un écrivain enraciné dans ses auteurs, comme le fut la génération des écrivains du début su XXe siècle, Gide, Camus, Cocteau, Aragon, Drieu, Paulhan, tous gavés d’auteurs classiques et de nrf et qui ne pouvaient que devenir écrivains. Alors évidemment, Bru jongle un peu avec les références, c’est de bonne guerre : il compare certains aphorismes de l’Adrianisme à ceux de René Char ou d’Henri Michaux qui comme Orphan pratique la Connaissance par les Gouffres - Dis-leur que le plus sûr moyen de vaincre le vertige est de travailler sans filet - Bru parle de chaos sémantique, de sommet de l’art, de grâce sans égale, de grande transmutation - le changement des mots en or - il cède à l’ivresse bien naturelle d’une intense immersion dans l’Adrianisme. C’est vrai qu’on ne ressort pas indemne d’une première lecture de Napalm d’Or (in 2001 Une Apocalypse Rock). Pour saluer son Mystère, Bru fait feu de tous bois : il évoque les neuf textes incandescents et obsessionnels de l’Apocalypse rock et parle d’une mise en abyme qui fait œuvre salutaire. Puisque la littérature mène ici le bal, Bru rappelle que Cocteau, joli coco, figure en épigraphe de 2001 - Je ne saurai vivre sans les fantômes de mes amis et sans rêver qu’ils se matérialisent - Fort de cet apanage coctoïque, Bru dresse un parallèle entre Julien Regoli et Raymond Radiguet qui furent pour l’un comme pour l’autre, le Jean comme l’Eve, des pertes cuisantes. D’autres noms d’écrivains viennent s’échouer sous la plume de Bru, certains plus confidentiels - orphelins volontaires - comme Joseph Joubert, Félix Fénéon, Jacques Vaché et Roberto Bazlen, d’autres plus clinquants comme Joris-Karl Huysmans, notamment pour son aspect exilé volontaire et sa conversion tardive, et là bizarrement on rejoint Houellebecq qui dans Soumission fabrique, à partir de sa fascination pour cet auteur de l’avant-siècle, un vrai bijou huysmanien. En tous les cas, il utilise les mêmes techniques, donnant la parole à des spécialistes, comme le fait Huysmans/Durtal dans Là-bas. Et par le petit jeu des dominos de la fascination - F pour Fascination - Bru fait avec ses personnages Ottö et Tania du Durtal à la sauce Houellebecquoise. Lorsque Ottö prend la parole dans cette brasserie de Montparnasse, il étend un voile de mystère comme le fit jadis Carhaix, le sonneur de cloches de l’église Saint-Sulpice. Bru croise bien les points de vue de ses personnages, mais au lieu de lever des coins du Mystère, ils l’épaississent. C’est bien joué, mais difficile à réussir. Pour ça, il faut s’appeler soit Houellebecq, soit Huysmans. À vouloir jouer avec le feu, Bru se brûle parfois les ailes, comme lorsqu’il compare Yves Adrien au Sâr Péladan, que ses contemporains moquaient gentiment en le surnommant le Sâr Pédalant. Il n’est pas certain que son Vice Suprême soit un bon exemple. Bon Bru fait gaffe, il dit que l’ouvrage est aujourd’hui terriblement démodé, comme l’est tout le bataclan rosicrucien, mais il ne peut s’empêcher de voir des similitudes dans le goût des poses et des extravagances. Péladan n’est pas le choix le plus heureux, on eut préféré Félix Fénéon ou mieux encore, Marcel Schwob pour la préciosité de sa rareté qui confinait comme dans le cas d’Yves Adrien au délire inversé. Par contre Raymond Roussel est avec Xavier de Maistre l’auteur miroir idéal, tous deux reclus sublimes et ignorés, voués aux rigueurs du culte, mais bon, les rigueurs du culte valent mieux que celles de l’hiver, personne n’osera nous contredire. Dans F. Pour Fantomisation, Yves Adrien consacre un entier chapitre - Religion - à célébrer la singularité de Raymond Roussel - le plus délicat des suicidés - précurseur avec Alfred Jarry de Dada, exilé volontaire lui aussi - Bref le prisonnier était reconnaissant à Raymond Roussel d’avoir mené sa vie en style - Et puis on croise aussi le noms de Rémy de Gourmont et bien sûr, mais higher, de Marcel Schwob.

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    Avec F. Pour Fantomisation, il faut abandonner toute idée de rock électrique : l’auteur écrit comme on écrivait à l’Avant-Siècle, son texte ahane dans les touffeurs toxiques et actionne page après page ces redoutables ressorts stylistiques qui font la grandeur surannée du genre. L’Adrien émigre d’Iggy à Barbey et se paye même le luxe de passer par Sade, histoire de nous rappeler encore une fois que les Shadows Of Knight sont déjà loin. Devenu Edgeworth de Firmont, Yves Adrien baptise sa queue Louis XIX et la confie aux bons soins de Blandine dont les cinq doigts l’enveloppent, oui, et l’honorent d’une danse exquise et affolante. En quelques lignes hautement séditieuses, Firmont décrit la grandeur du branle des réprouvés et ça vaut ses meilleures pages sur les Stooges, car au fond, il s’agit bien de la même chose : l’orgasme, cette traînée de neige ascendante. L’ultime Breakfast de Fantomisation est le cadre d’une autre célébration, celle si chère à l’auteur de l’ennui - Bref nous avons atteint ce point de civilisation où, tous traits confondus, le plaisir et son contraire portent le même masque, le même nom : ennui - Yves Adrien passe par l’ennui pour atteindre au dandysme. Il y revient dans Fragile Renommée où en quinze lignes, il résume sa vie Rock-Électrique-Stooges-Punk-Discö-Novö-Vogue-Isolement-Semi-clarté-Semi-coma, et il chute ainsi : «Et je me suis lassé de tout. Point à la ligne. De Tout ? À la ligne. De tout. Saut de ligne. De même George Sanders qui se suicida après avoir tourné 107 films.» Higher il se taxe (Wally) d’ex-chantre du Rock Électrique et choisit de s’évader de l’époque par le haut. Il fait ses adieux à Brian Jones et à Iggy et s’exile à V. pour s’y nourrir de sorbets et d’auteurs, Mallarmé, Xavier de Maistre, Rémy de Gourmont, Rimbaud, Alfred Jarry, tant d’auteurs qu’il cite et qui font de Fantomisation un ouvrage bruissant, il salue à pleines pages ces pâmés séditieux et ces coloristes incendiaires, Jean de Tinan - Les volutes éphémères de Jean de Tinan - Jean Lorrain, Hugues Rebell, Barbey et bien sûr le Sâr Peladan. Ne manquent que Léon Bloy et bizarrement, Villiers de l’Ile-Adam. À humer toutes ces volutes, on finit par sombrer dans les limbes de l’aphorisme. De la même façon que François de La Rochefoucauld, Yves Adrien ne peut échapper à son destin de fine lame. Par la force des choses, il devient le moraliste du XXe siècle : «Ainsi sept années passeraient-elles : éloignement extra-terrestre et mise à l’index des médias, l’oubli est une très bonne école.» Et quand dans Fantomisation, il revient sur terre sous le nom de Ghostwriter 69-X-69, c’est pour constater qu’il ne s’était, cette fois encore, rien passé. Il mettra son exil à profit pour se livrer à d’ahurissants exercices des style. Il prend le prétexte de Sain-Jean Baptiste, le précurseur, celui qui œuvrait pour un autre, celui dont le demi-sourire et l’index annoncent un au-delà si proche : «Leçon de maintien : le mystère. Leçon de morale : le désintéressement. Qui veut encore d’une renommée bourbeuse lorsqu’il peut, l’énigme aux lèvres et l’index dressé, devenir foreur de ciel ? Cette attitude, on aimerait que la new-wave, demi-sœur complaisante et chavirée de la foi médiocre, l’adoptât : et que, dans le couronnement de ses mèches en diadème, s’allumât quelquefois une lueur, un simple éclat de grâce perdue.» Et de lancer une nouvelle profession de foi, au cœur même de l’exil où se sont enfermés Edgeworth de Firmont et son protégé Louis XIX : «Face au ciel, il écrirait, et ses yeux seraient deux hosties électriques, deux objets violents non identifiés sillonnant les profondeurs de la page blanche, deux sondes Voyager évoluant aux confins du système solaire et du classicisme halluciné.» Et Fantomisation atteint son Apocalypse au bas d’une page Novo éblouissante : «Mais d’être allé si loin dans le néant valait bien qu’on continuât, vers un néant plus absolu encore, une théorie de contrées inexplorées ; et Firmont, investi comme jamais de l’honneur de se perdre, renouait son périple, se souvenant que le déhanchement est un progrès : la sanction de la lutte avec l’ange, quand, un matin, au seuil de l’hyper-Espace, vous est reconnu le privilège d’avoir été fort contre Dieu.»

    Bru exulte, qualifiant l’Adrien de mondain et d’ermite, de faiseur de modes et de stylite, c’est-à-dire d’ascète boule de cristal. Bru encense les grandes absences d’Yves Adrien, les exils intimes qui durent parfois dix ans et, pense-t-il, qui le fortifient en l’entraînant chaque fois toujours plus loin dans les vertiges de la création, mais ça, qu’en sait-on ? Il ajoute que l’isolement abolit le temps et parle d’un maelström sidéral où proximité et distance s’unissent à jamais. Oui, c’est un point de vue, mais l’isolement sidéral peut avoir ses limites, tous ceux qui jouent à ce petit jeu savent très bien - deep inside their heart - qu’il ne faut pas non plus en abuser. On finit par prendre racine, comme ces ermites qu’on croise dans les forêts profondes du Bengale.

    De l’isolement à l’aphorisme, il n’y a qu’un pas de danse, dirait l’Eve - Enfants des quartiers ravalés à l’âge où, relevant leur col, ils choisissent entre le mal et le dessin industriel - À l’époque, on appelait ça, nous autres les mateurs, le Beat Adrien, ces idées sur le rock et la délinquance qu’il professait et qui sonnaient à nos oreilles comme paroles d’évangile - Brian Jones et moi traquions les cœurs à la machette, jadis, quand le soir fondait sur Paris - Certains de ses textes s’ouvraient comme un hit des Standells : en dix mots, il plantait le décor - I’m gonna tell you a story/ I’m gonna tell you about my town - Dans Fantomisation, il saluait Brian Jones une dernière fois - Cœur de pierre et blancs sneakers. Brian Jones possédait tout. Je ne possédais rien : notre duo fut exemplaire - Puis il s’amusait, d’une seule phrase, à donner le vertige - Baisers qui durent des heures, tempes huilées et souffle court sur médaillon plexiglas de Vince Taylor-fragile Eden.

    Bru indique qu’à onze ans, Yves Adrien trouva dans une confiserie un médaillon Vince Taylor. Il commence donc avec Vince Taylor et poursuit avec Gene Vincent, comme on l’a tous fait à l’époque, dix ans avant le Rock Électrique. Franchement, ce parallélisme dans le funambulisme a de quoi semer le trouble : comme une exacte similitude des parcours. Mais globalement, Bru ne rentre pas trop dans le détail du rock. D’ailleurs il qualifie la découverte de Vince Taylor de syndrome de Stendhal. Chez Bru, l’appel du livre est plus fort. Alors que dans la réalité spongieuse des cervelles inféodées, les deux appels marchent de pair. Même si on ne claque pas des doigts - snap snap snap/dixit Orphan - en lisant Stendhal, les deux appels déclenchent la même bombe à hydrogène érogène. Ayant combattu pour ce Napoléon qu’admire tant l’Eve future, Stendhal aime forcément les Stooges. Ça fait partie du monde intrinsèque.

    Autre élément fondamental du mythe adrianique : le peu de moyens dont on disposait tous dans les early seventies pour s’informer et comme on dit, creuser. Bru a raison de dire que Google permet de se constituer un bagage à moindres frais, mais on sait que ce bagage ne vaut pas le ramage, c’est-à-dire qu’il ne vaut pas tripette. Pour qu’elle ait du sens, la soif de connaissance doit devenir obsessionnelle, et lorsque le hasard fait bien les choses et qu’on croise un érudit, on mesure immédiatement l’écho du chemin parcouru. Pas de complaisance chez l’érudit, le verbe porte. Il est essentiel de le rappeler, car le monde du rock grouille de gens qui parlent des groupes sans avoir écouté les disques, ou pire encore, qui citent des auteurs sans en avoir lu les livres.

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    Yves Adrien entame son wild ride chronique au 14 rue Chaptal avec un ‘papier’ sur Leon Russell. Russell, pas Bloy. Pas mal quand même pour un Absolute Beginner, surtout qu’à l’époque on ne savait pas grand chose de Tonton Leon. Il fallait se débrouiller avec les pressages français de ses albums, c’est-à-dire que dalle, en attendant de découvrir qu’il faisait partie du Wrecking Crew et qu’il avait accompagné les plus grandes stars des Amériques. Le plus frappant chez Adrien, à l’époque nous dit Bru, n’est pas son style en devenir, mais la longueur de ses cheveux qui allaient et venaient entre ses reins. Puis après avoir chatouillé l’entre-jambe humide et chaud de la West Coast, il est brutalement passé, wham-bam, janvier 1973, à la vitesse supérieure : Je Chante Le Rock Électrique - Ovni littéraire dans la presse rock, nous dit Bru - Ah on s’en souvient ! Et si par mégarde on l’oublie, certains soyez-en sûrs ne manqueront pas de vous le rappeler. Les deux dates vraiment importantes du XXe siècle en Phrance sont donc janvier 1973 et mai 1981. Avec Je Chante Le Rock Électrique, la messe est dite : Stooges, Alice Cooper, Dolls, Pretties, Who, Kinks, Yardbirds, Them, Lou Reed, Roxy, oui quel retentissement. Puis il lance la rubrique Trash - C’est dans Trash que tout commence et nous avons ici, fun-fun-fun, des tringles de fer pour briser les doigts de ceux qui l’oublieraient - Comment pouvait-on résister à ça ? Ce fut impossible.

    À sa façon, Le Mystère Yves Adrien commet quelques indiscrétions. Bru nous livre quelques secrets dont on se serait bien passé : un numéro de téléphone, et deux adresses, celle de Verneuil-sur-Seine qu’Yves Adrien appelait V., et pire encore, l’adresse actuelle dans l’Île Saint-Louis, quelque part vers le quai d’Orléans. Lorsqu’on interviewait Marc Zermati pour les besoins d’un livre à paraître, on lui posait la question fatale : «Yves Adrien accepterait-il d’écrire une préface pour ton livre ?», et Marc nous répondait qu’il fallait aller le lui demander. Mais où ? Il rigolait et nous répondait : «Allez au quai Bourbon car Yves Adrien est un Bourbon.» Y sommes-nous allés ? Pas les couilles. Ou pas encore. Puisqu’on parle du loup (Marc), le voici, aux Puces de Saint-Ouen qui demande au kid venu fouiner dans ses bacs s’il est bien celui qui a chroniqué le Goodbye And Hello du père Buckley dans Rock&Folk. C’est là que Bru situe l’origine de leur fraternité. Marc nous dira qu’Eve et lui sont frères de sang, qu’ils signèrent ensemble le Manifeste des Panthères Électriques. Leur histoire est plus rocambolesque qu’il n’y paraît car Eve se fait virer de l’Open Market, mais qu’on se rassure, Marc garde le contact. Il consacre d’ailleurs une vaste partie des entretiens à son frère de sang. L’Open, c’est aussi l’époque où, à l’instar de Tommy Hall et de ses apôtres, Eve Sweet Punk fait une consommation quotidienne de LSD - le LSD 25, comme il l’appelle lorsqu’il toise l’Ardisson d’un regard résolument privé de compassion. Ce n’est pas tout. Yves Adrien et Marc Zermati formaient avec Alain Pacadis un trio de choc qui hantait les nuits parisiennes au plus fort de l’ère Palace/Bains-Douches - entité parfaite, nous dit Bru, le mage provocateur, le businessman passionné et le gay suicidaire - Et quand il comprend qu’il risque d’être dépassé, Eve Sweet Punk se transforme en dandy nucléaire. Il se coupe les cheveux et porte du noir, ainsi qu’un gant noir. Épöque diskö/Kraftwerk/Bowie que personne, pas même Orphan, ne nous obligeait à apprécier. De toute façon, il est bien trop occupé à inventer l’Afterpunk que la plupart des gens confondront bêtement avec le post-punk.

    Occasion rêvée de relire NovoVision. Attention, l’ouvrage glaçait les sangs à l’époque. Il n’a rien perdu de son aspect tranchant. L’Eve va cultiver son ennui à New-York et coiffe au passage Speed 17 d’une auréole de légende - Qu’importe, dans 3 jours j’aurai quitté Paris. Je ne veux y laisser que ce polaroïd d’un couple parfait : Yves Adrien et son ennui - Il profite d’ailleurs de ce pas de danse pour saluer Eno : «Oui, Brian Eno a résolu le problème de l’ennui : il l’enregistre.» À New York, l’Eve se distrait en compagnie de Nico et de John Cale - Nico chante en Allemand pour Brian Jones et dédie «Deutschland Uber Alles» à Andreas Baader - Il ajoute plus loin : «Seulement downtown. Telle était résumée en deux mots, l’histoire de Nico.» L’Eve se distrait aussi en consommant ce qu’il appelle des petites Américaines - J’aime qu’une petite Américaine se réveille trois fois durant la nuit pour sniffer ce que j’ai de plus privé - Elle s’appelle Lesley. Petite veinarde. Elle doit être fière de se retrouver dans un classique littéraire. L’Eve salue aussi Marty Thau, resté sur la touche, too much too soon, alors que ses anciens associés (Terry Knight, Neil Bogart, Steve Leber, Richard Gottehrer) ont fait Grand Funk Railroad, Kisss, Aerosmith et Blondie - C’est important de le dire. Entre les Dolls et le package Kiss/Aerosmith/Blondie, le choix était vite fait. L’Eve croise bien sûr Alan Vega qui «a toujours hésité entre le rôle du «penseur» et du proxénète. C’est l’un des charmes de Suicide... mais aussi l’une de ses faiblesses : on imagine mal Jo Leb citant Sartre et, généralement, le cinéma commence là où les pensées s’arrêtent.» Puis l’Eve rentre à Londres, où dit-il «les drogues ne sont pas aussi bonnes qu’à Paris, mais la pesanteur y est moindre.» Après une parenthèse, il ajoute, avec un sourire complice : «Et les comportements plus subtils : I can hear the grass grow.» Pour écrire comme écrivait l’Eve à cette époque, il fallait connaître les disques et les drogues. NovoVision grouille de rencontres fascinantes, comme celle-ci : «Désireux de me présenter une Anglaise, Michel m’entraîne au fond de l’impasse où... est garée sa Jaguar blanche (modèle 58).» Et c’est là, dans ce petit précis précieux protö-Növö que se trouvent les plus belles pages jamais écrites sur les Cramps - Alors gravement, les Cramps ressuscitent le credo des Initiés : le «Sunglasses After Dark» de Dwight Pullen (qui inspira à Friedrich Nietzsche cette réflexion sublime : «Notre vue va plus loin et plus profond que jamais, et pourtant nous souhaitons être aveugles»-in «La Naissance De La Tragédie»).

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    Iggy bien sûr, mais surtout dans 2001 Une Apocalypse Rock. Surtout, mais surtout définitivement. Autant NovoVision est le book des Cramps, autant 2001 Une Apocalypse Rock est le book d’Iggy, via le royalement nommé Napalm d’Or - Ann Arbor, Montreuil, Saint-Jean-d’Acre, qui se souvient encore de l’arrogance des baronnies wild ? - L’Eve à son sommet de fureur replante l’arbre de vie - Bref (breath ?), retouchant la carte du rock, un public avait émergé des 80’s, pour qui, ultimement, Beatles dark shades et Stones soniques s’énonçaient : Velvet Underground, Stooges - C’est une langue qui se met en route au signal du wham-bam, le beat Adrien explose à la page suivante - Awright, hiérophantes et porte-glaive de l’Ère du Napalm, pages Midwest à franges laminées, les Stooges arrivent - Avec en fond sonore la sourde clameur de 1969 all across the USA - Symphonie de moues primitives, concentré d’US boredom et chain-gang d’handclaps délinquants sur beat boîte de vitesse - Voici Fun House et l’Eve l’élève écrase son champignon - Carburants détonnants, laves ourlées, coulées de semence salamandre et collisions-Sodome sous éclairage Rouge et Or incandescent ; loin de l’unité punk des débuts, le groupe explose sur lui-même en d’impitoyables cadences d’aciérie-fournaise cependant que son chanteur, affichant les premiers jeans lacérés de l’histoire, devient, à jamais, Iggy Pop - Ces quatre pages de Napalm d’Or sont les pages définitives sur les Stooges. Chaque mot sonne étrangement juste. Yves Adrien dut inventer une langue pour honorer le génie tragique des Stooges. Mais dans ce book aux allures de bible, d’autres hommages guettent l’imprudent voyageur, comme par exemple cet hommage à l’Abbey Road des Beatles - Abbey Road ou l’album qu’il eut fallu offrir à Maria Callas - ou encore cet hommage au Blonde On Blonde de Dylan qui luit d’un éclat lunaire, parfait joyau, au cœur de Persiste et Cygne, ou encore ce clin d’œil à Brian Wilson, ce génie replet, ce potentat médusé qui ruinait les photos des Beach Boys, ou encore cet hommage atomique à Jimi Hendrix - Hendrix en 1968 avait vertigineusement transmué Dylan dans All Along The Watchtower, opéra d’alliages dont la seule intro Stratocaster était acte de chevalerie, déconstruction d’horizons et Graal power-chord pour parabole christique - ou encore ce wild hommage aux Pretties et aux Outsiders de Wally Tax - Toute une faune échappée de louches périphéries, escarpes vietnamo-gitans vivant de 45 tours volés et d’élixir parégorique, vénérateurs immaculés de Midnight To Six Man - ou encore les Stones - les barbares dayglo de Jumpin’ Jack Flash - des Stones qui nous dit l’Yves devinent que le monde désormais était à Bowie, avant de rendre un ultime hommage à Brian Jones, LE dandy du siècle dernier - Brian Jones avait refermé chaque porte sur lui, remplacé ses relations par des sitars accordés à ses nerfs de cristal et goûté, en anti-cernes Estée Lauder et manteau d’hermine, ce cannibalisme autodestructeur que Poe nommait «démon de la perversité» et Sade, «principe de délicatesse» - Ou encore cet hommage laconique à Jim Morrison - Orphan se leva et mit Absolutely Live, album puissant - avant de terminer par le plus rock des moralistes, Bossuet, cité dans le texte pour le seul plaisir citatoire : «Je reconnais Jésus-Christ à cette fuite généreuse, qui lui fait chercher dans le désert un asile contre les honneurs qu’on lui prépare». La langue reste la langue, nous n’y pourrons rien.

    Puis Bru entre dans la période mondaine et les noms des personnalités de la vilaine époque - les 80s - tournoient comme les nacelles d’un manège. Un monde parisien qu’on observe tristement et dont Yves Adrien parle tout aussi tristement dans F. Pour Fantomisation. Il semble se battre en permanence contre l’ennui. Dans ce maelström rôdent les noms d’Iggy Pop et de Genesis P-Orridge, mais ce ne sont que les noms. Bru est beaucoup plus prolixe en matière d’auteurs, allant chercher des parallèles chez Michel Leiris (tauromachiques) ou Roger Gilbert Lecomte (géographiques). En 1982, Yves Adrien rompt avec Iggy après l’avoir encensé dans Napalm d’Or. Il faut bien que les modes trépassent - J’ai arrêté Iggy Pop comme certains arrêtent la poudre. Mais sans rechute - Puis c’est la période des Metawave et ce que Bru appelle une collision temporelle hyperréférencée, où se côtoient les figures de James Brown, de David Bowie, de Jacques Lacan ou de Mozart - et c’est là où la prodigieuse érudition de l’Eve explose. Il est le seul à pouvoir se payer ce luxe, faire danser James Brown à Salzbourg, opérer des rapprochements aussi incongrus qu’inespérés, c’est là où la métaphysique du rock emboutit l’ésotérisme littéraire, Yves Adrien adore emboutir et il n’emboutit que ça - Bru parle de forme maîtrisée, de textes prophétiques, d’auteur insaisissable et énigmatique - C’est dans 2001 Une Apocalypse Rock que l’Eve culmine, dans des pages giboyeuses qui, telles ces contrées que découvraient jadis les explorateurs, grouillent de vie jusqu’au délire : les Doors, le funk pâmé de Minneapolis, Brian Wilson, le Parrain, Dylan, S’express, Django Reinhardt, Tim Buckley, Pierre Clémenti, Brian Jones, Terence Stamp, les Stooges, Maria Callas, le rouge Ferrari, tout cela d’un trait d’un seul et plus loin, une autre zone de vie intense : Jean-Luc Godard, Disco Revue, Héraclite, Fellini, Lautréamont, Hector et ses Médiators, Stax, Strange Days, Hölderlin, Tay Garnett, Syd Barrett, les Veda, les nouveaux grands incendiaires de Motor City, Dylan, les Deviants, James Dean, Sal Mineo, les Kinks, oui tout cela jeté en vrac dans le flot d’une langue en furie, autant de noms jetés en pâture au lecteur, comme pour délimiter un territoire. S’ensuit un hommage à 1973, «l’année de Raw Power et de Lou Reed à son apogée, de John Cale éminent et de Todd Rundgren étoilé, de Bowie éclipsant Bolan et de Roxy Music exhalé en splendeur lourde.» Il se pourrait fort bien que 2001 Une Apocalypse Rock soit l’ouvrage rock définitif en langue française. Un vaillant équivalent du Gene Vincent - There’s One In Every Town - de Mick Farren et du fascinant Dark Stuff de Nick Kent. Une trilogie avec laquelle on valse depuis on va dire vingt ans.

    L’autre pool d’attraction s’appelle Julien Regoli, le guitariste d’Angel Face et lui aussi bec fin en matière de livres savants et d’écrivains marginaux, notamment François Augiéras. Bru nous parle ici de complicité intellectuelle indissoluble, ce dont on rêve tous sans hélas jamais la connaître véritablement. L’Eve future ne connaît pas sa chance. On se retrouve tous enlisés dans des ornières relationnelles, faute d’avoir su cultiver l’élitisme. Il semble qu’Yves Adrien ait su se désembourber. Mais à quel prix ! Les jeu en vaut-il la chandelle ? Bien sûr que oui, surtout lorsqu’on ne veut pas voir la médiocrité affleurer dans le ronron relationnel et nous plonger dans l’amertume et l’affliction. C’est dans 2001 Une Apocalypse Rock qu’Yves Adrien sacralise la relation qui l’unit à Julien Regoli - De ce jour, leur relation devenait illimitée : parler la langue des esprits, c’est prendre de l’avance sur soi-même - Ajoutant un peu plus loin le codicille que voicille : «L’usage veut que les esprits demeurent, au sens le plus aimable du terme, spirituels.» Julien vient à V. pour la visite, puis Julien quitte la terre pour monter au ciel, alors Orphan doit encaisser le coup - Well - l’affaire, cette fois, avait été rude - Et pour finir le chapitre dignement, il enfila son smoking cheyenne (celui qui partait si facilement en fumée) et sortant, «hey là !», héla un taxi : «Cocher, à Fontaine-Blow...

    Ce qui nous rend Yves Adrien si proche, plus que son goût pour un certain rock c’est bien sûr son goût pour la canaille et les putes. Bru cite les professionnelles désabusées de la rue Blondel comme d’autres citeraient les putes aux dents cassées des Maréchaux. L’attirance est bien réelle, mais seul Yves Adrien sait dire la grandeur de ces rapports équivoques sans équivoques. Quand il cite les petites marquises vénales des Seychelles, il décrit un univers, mieux que ne l’aurait fait cet auteur injustement méconnu qu’est Hugues Rebell et dont bien sûr parle Bru. L’Adrien partage avec Gauguin cette attirance organique pour les rivages lointains de l’Océan Indien et pour ces filles impubères qui s’offrent aux doigts fins d’or fans. Dans 2001 Une Apocalypse Rock, il s’épanche encore sur l’appât des putes : «Le commerce des prostituées était un emprunt à Aleister Crowley qui louait les whores victoriennes du plus bas étage, métisses et vestales sales dont l’animalité, l’avidité, la force défiante gardaient trace du feu originel.» Quand tu fais monter une Ghanéenne dans ta bagnole Porte d’Aubervilliers, tu fais monter le feu originel, c’est exact. Sans oublier les grosses dames de la rue de Budapest, «radeuses lasses maternant le temps d’un kir celui qui se veut un Boticelli casqué de lumière sale : tous les garçons s’appellent Ronnie.»

    Un goût prononcé pour les dédoublements nous rapproche toujours plus de lui, et ce depuis l’ère magique d’Eve Sweet Punk. Il cite d’ailleurs ces maints alias mirifiques : «Yves of Destruction (période dure), Edgeworth de Firmont (période précieuse), Miles des Vices (période vénéneuse), ou Nirvana de Noailles (période diaprée)». Il délègue ensuite les pleins pouvoirs à Orphan pour décrire l’accélération du monde, avant de se fondre dans l’ombre pour devenir Ghostwriter 69x69 et afficher le look afférent, celui qui orne la couverture du Mystère Yves Adrien. Bru le résume extrêmement bien : «Saturnien et lointain. Absent comme présent. Homme de l’ombre aux éclairs foudroyants. Indifférent au monde, mais attentif à tout...». C’est vrai que l’exil donne de la force, plus que ne le feront jamais les vitamines.

    La force du volet biographique du Mystère Yves Adrien est nous servir sur un plateau d’argent l’actualité qui nous échappe si on ne fréquente pas les galeries d’art. Yves Adrien se serait nous dit Bru épris d’un artiste intégralement tatoué du nom de Jean-Luc Verna qui alterne les expositions de body art et les performances musicales tapageuses. D’une certaine façon, c’est un retour à Genesis P-Orridge et à cette fameuse Cosey qu’Orphan allait retrouver à Londres dans F. Pour Fantomisation. Puis l’Adrien s’éprend en 2016 de l’œuvre d’un certain Hannibal Volkoff, photographe trash (que Bru situe dans la lignée de Larry Clark et de Gus Van Sant), au point d’aller signer la préface d’un photo book intitulé Nous Qui Débordons La Nuit. Dans ce texte, l’Adrien stigmatise le teasing in the face, saluant les trentenaires vifs, instables, déjetés et novateurs - aller - et vouant aux gémonies - retour - les ex-contemporains abusés et autres traditionalistes ayant fait leur temps. Autre éclairage capital : il existe deux versions d’un film intitulé Des Jeunes Gens Mödernes. Dans le premier filmé par Jérôme de Missolz apparaît Yves Adrien. Il y joue son rôle de röck critic des années 70. Dans l’une des scènes de ce film devenu culte, Yves Adrien s’adresse à quatre singes savants, les présentant comme les Monkees. Jean-François Sanz tourne un peu plus tard l’autre Jeunes Gens Mödernes, mais l’Adrien n’y paraît pas.

    Le clou du Bru book est bien sûr le rendez-vous que lui accorde Yves Adrien au café Zimmer, place du Châtelet : «Longue barbe blanche, cheveux démesurément longs couverts d’un superbe haut-de-forme (...) donnent au personnage une allure folle. Devant lui un livre retourné et un verre de vin fin. Du rouge.» Ils ont un échange très littéraire. Adrien : «Se souvenir c’est aussi une marque de fidélité. Ne rien oublier pour continuer d’exister au plus près du soleil, comme disait René Char.» Bru se dit fasciné par le fantôme : «Quoi qu’il en soit, il est subjuguant et donne à voir, par sa gestuelle, nombre d’expressions qui laissent à penser qu’il est toujours en éveil, sur le fil du rasoir, l’esprit aussi affûté que l’est sa silhouette efflanquée, à jamais juvénile. Entre l’écrivain maudit et la rock star.» Fabuleux portrait, n’est-ce pas ?

    La lecture du Bru book nous fut recommandée par Jacques. Thank you my friend.

    Signé : Cazengler, Sweet Plouc

    Yves Adrien. NovoVision. Speed 17/Les Humanoïdes Associés 1980

    Yves Adrien. 2001 Une Apocalypse Rock. Flammarion 2000

    Yves Adrien. F. Pour Fantomisation. Flammarion 2004

    Cédric Bru. Le Mystère Yves Adrien. Séguier 2021

     

    Gasoline alley

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    Revoir un groupe sur scène après un an de régime sec, c’est un peu comme «Revoir Paris», la chanson magique de Charles Trenet - Prendre un taxi/ Qui va le long d’la Seine - sauf que là, ce n’est pas le long d’la Seine, mais au bord de l’Atlantique, sur le ponton de Douarnenez, côté Port Rhu.

    Un an sans concert, c’est un peu raide, surtout quand c’est imposé par le pouvoir. Ça irrite un peu les vieilles fibres anar que certains d’entre-nous hébergent soigneusement depuis le temps béni des CAL (Comités d’Action Lycéens) du printemps 68. D’ailleurs, si on veut bien voir les choses du bon côté, ce genre de situation permet d’actualiser les vieux réflexes et de haïr encore plus brutalement ce qu’on appelait autrefois l’ordre établi, ou encore l’ordre moral, et ce que les rockers anglais appellent l’establishment. Au moins, les choses ont le mérite d’être claires.

    Le rock a la peau dure, comme le chantait Schmoll - Le Rock est notre vie/ C’est la faute à Elvis/ Nous l’avons dans la peau/ C’est la faute à Ringo - et voilà que Gasoline monte sur scène pour un set sur-vitaminé. On va en goûter chaque seconde, comme au sortir du désert lorsqu’on s’abreuve au goutte à goutte. Ce premier concert est d’autant plus symbolique que Gasoline fait du rockab. Wow, ça slappe sous le ciel bleu de Douarn, ville magique, alors que derrière la petite scène passent des voiliers. Ces bienfaiteurs de l’humanité attaquent avec le «Train Kept A Rollin’» des Burnette Brothers, alors back on the track, Jack ! Et une pensée émue pour Laurent qui, installé dans son fauteuil, suit le concert depuis le paradis.

    Les Gasoline sont basés à Douarn, trois mecs et Charlotte, chanteuse/guitariste en robe fifties, qui fait des pieds et des mains pour garder le contact avec un public un peu trop éloigné. Bizarrement, toute la faune rassemblée à l’autre bout de la ville dans le «village» du festival ne s’est pas déplacée. Le public qui assiste au set de Gasoline est un public plus «touristique», mais Charlotte parvient à le chauffer, aidée par son mari Kev, l’Anglais qui slappe comme un beau diable. Wow, comme ce mec est bon ! Il drive son slap en bopper fou, bien soutenu par l’excellent Rico au beurre. Section rythmique exemplaire, le Train keeps a rollin’, no problemo, et même up around the bend !

    Les gens font généralement une grave erreur en considérant ce son comme passéiste. C’est exactement le contraire, le rockab garde tout l’éclat de sa fraîcheur et quand c’est bien foutu, comme c’est ici le cas, toute son jus de modernité. C’est même mille fois plus moderne que ce set de DJ auquel on avait assisté la veille. Au moins, quand un groupe de rockab digne de ce nom grimpe sur scène, on ne craint plus de crever d’ennui. Here we go !

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    Bien sûr, ces quatre cocos ne sont pas des débutants. Ils ont tous des pedigrees ad’hoc, comme dirait le capitaine du même nom. Charlotte a déjà enregistré en 2010 un album de country-rock (on peut entendre des trucs sur YouTube, allez jeter un œil, Charlotte Yanni, c’est vraiment bien). Elle est très fière d’avoir fait la première partie de KT Tunstall. Elle fait aussi un duo avec Kev en Angleterre : Frog On The Tyne, Frog pour la petite Française of course. Et pas qu’en Angleterre, ils jouent partout en Europe. Faut dire aussi que Kev n’est pas né de la dernière pluie. Comme les Animals, il vient de Newcastle et a joué de la basse durant les années 80 dans Hellanbach, un quatuor influencé par Van Halen : trois albums et bien sûr des tas de premières parties de rêve, comme le souligne Charlotte. Pour ça, l’Angleterre a toujours été un pays génial. En plus de Frog On The Tyne, il fait aussi un quatuor de rockab nommé Bessie & The Zinc Buckets : pareil il faut aller voir sur YouTube, ils font une excellente version rockab d’«Ace Of Spades», avec bien sûr Kev au slap et du beau monde autour de lui. L’amateur de rockab se régale non seulement de voir jouer ces quatre cats mais d’entendre leur accent, l’épais drawl de Newcastle.

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    L’autre atout de Gasoline, c’est le Gretschman Brendan de Roeck, costard gris et fière allure, lui aussi paré d’un pedigree impressionnant : quatre album avec le duo de jazz-blues Bobby & Sue, univers haut de gamme, pareil, on peut voir des trucs extrêmement intéressants sur YouTube. Mais pas que ça, Brendan joue aussi dans le duo Rain Check et nous dit Charlotte, il fait ou a fait un petit bout de chemin avec Mick Strauss. Bref, tout un univers à découvrir. On sent chez tous ces gens-là une vitalité à toute épreuve et une évidente passion pour la scène. Charlotte nous branche aussi sur un trio rockab de Quimper, Ducky Jim Trio, et pareil, les bras nous en tombent quand on voit ce qu’ils balancent. Il suffit juste de taper Ducky Jim Trio sur ton clavier et ton écran va se mettre à swinguer comme un vieux juke chromé.

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    Sur scène, Gasoline rend par deux fois hommage aux Stray Cats, avec «Stray Cat Strut» et pour conclure, l’insubmersible «Rock This Town». Les Stray Cats feraient bien de venir voir jouer Gasoline pour prendre des notes, car la section rythmique fout bien le feu au cul des cuts. Si un jour, Gasoline tape dans «Runaway Boys», ils vont le faire exploser, c’est certain. Kev est un redoutable bopper. Il joue avec tout son corps et passe son temps à se marrer, tellement il aime bopper le blues, comme dirait Carl Perkins. Côté voix, Charlotte est parfaitement à l’aise, elle mène bien le bal, elle sort du raunch à point nommé, avec un petit côté Wanda Jackson. Ils font aussi des merveilles sur cette reprise de «Tainted Love». Bien vu les Gas ! Pour calmer le jeu avant l’assaut final, ils proposent un petit intermède qu’ils qualifient de bluegrass avec «Blue Moon Over Kentucky» et bien sûr ça passe comme une lettre à la poste. Ils ont cette aisance qui leur permet de toucher à tout avec brio. On craint le pire quand Kev pose sa stand-up pour passer la bandoulière d’une basse électrique, oh nooo, comme dirait Reg Presley, mais si, comme dirait Yves Adrien, Messie, mais si, car voilà qu’ils rockent this Douarn avec un shoot de gaga-punk bien incendiaire, «Be Mine». On assiste même à un numéro de haute voltige Kev/Brendan en forme de duel de la mort, Gretsch/bassmatic. Ce démon cornu de Kev en profite pour voyager au long cours sur son manche pendant que Brendan solote à la revoyure. On voit jaillir des étincelles alors que le soleil disparaît derrière la cime des arbres, au dessus de Tréboul, de l’autre côté du bras de mer. Fantastique partie de rockalama !

    Signé : Cazengler, gasolime la voisine

    Gasoline. Vendredis sur pilotis. Douarnenez (29). 27 août 2021

     

    L’avenir du rock - Terre d’Israel

     

    Le téléphone sonne chez l’avenir du rock.

    — Salut l’avenir du rock ! Je suis le passé du rock !

    — Ravi de t’entendre, passé du rock. Dis donc, tu m’as l’air en forme pour un vieux schnoque !

    — Oh oui, je vis sur mes réserves. Tu sais ce que c’est, avec l’âge on prend un peu de poids. Ma foi, bon an mal an, on fait aller...

    — Bon, j’imagine que tu ne m’appelles pas pour me parler de tes histoires de bide...

    — Non bien sûr. Je voulais juste avoir ton avis. L’autre jour, en feuilletant Uncut, je suis tombé sur un Nash. Pas le vieux crabe de Manchester qui est devenu millionnaire grâce à David Crosby et Stephen Stills, non, c’est un autre Nash, Israel Nash.

    — Oui, et alors ?

    — Ben, vu qu’il s’appelle Nash, et Israel en plus, je me demandais s’il avait voix à ton chapitre... Ça fait dix ans qu’il enregistre des albums de folk-rock, ce mec se fait photographier avec l’acou dans un champ de blé et il trimballe un look d’old-timer à la Greg Allman, donc tu vois, il est comme qui dirait pré-daté...

    — Tu devrais t’enregistrer, passé du rock, car t’es vraiment comique. Commence par écouter ses albums et là tu comprendras qu’Israel Nash a toute la vie devant lui.

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    Il a raison l’avenir du rock et on va voir pourquoi. Israel Nash n’est pas un débutant, car en dix ans, il a enregistré six albums. Le premier date du temps où il vivait à New York et s’appelle justement New York Town. Il gratte sa gratte devant le pont de Brooklyn et propose un heavy folk-rock bien appuyé. Pour un premier album, c’est plutôt bien. On cherche des comparaisons, mais Israel Nash sonne comme Isreal Nash. Il a beaucoup de personnalité.

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    L’album décolle avec «Bricks», Nash ouvre sur la belle power pop d’Israel, il va chercher son Bricks et ça marche. Cette façon qu’il a de se détacher du commun des mortels est fascinante. Et puis voilà qu’arrive «Either Way», une espèce de petit coup de génie qu’il groove à la rauque - Won’t you please take me home - Il faut entendre ce groove superbe de baby won’t you take me home et là on le prend vraiment au sérieux. Il fait plus loin du heavy country-rock avec «Concrete» et balance ça par dessus les toits. Il est parfaitement à l’aise, on le voit naviguer en père peinard et il ne mégote pas sur l’excellence. Il impose le respect, alors on va l’écouter chanter. D’autant plus qu’il claque ses compos en toute aménité. Il joue son «Beautiful» au piano, un «Beautiful» très beau et très pur, il chante comme une rock star évaporée, il y croit et il a raison d’y croire.

    Contrairement à ce qu’indique son nom, Israel Nash ne vient pas d’Israel. Il s’appelle Isreal Nash Gripka et vient du Missouri où on père était pasteur. Puis comme Dylan, il est allé en 2006 tenter sa chance à New York, le temps d’enregistrer ses deux premiers albums, puis il est revenu s’installer à la campagne, dans le Texas Hill Country, à l’Ouest d’Austin. Il s’est payé 15 acres de bonnes terre et a bâti son studio, Plum Creek Sound, sur une colline. Jones décrit Nash comme un big man, aviator shades, wild hair, a prophet’s beard. Plus les bijoux et les tatouages. Outlaw country look, Jones le compare à Waylon Jennings. Nash déclare : «The country is my spiritual home.» Jones le rapproche aussi de Robin Pecknold de Fleet Foxes, de Matthew Kouck de Phosphorecent, de Jonathan Wilson et de Matthew E. White. Nash écoute Lou Reed et se dit obsédé par les Byrds et Sweetheart Of The Rodeo. Il a même enregistré une cover d’«Hickory Wind», alors t’as qu’à voir.

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    Quand il enregistre Barn Doors And Concrete Floors en 2011, il est en pleine crise d’osmose. Il se prend littéralement pour Neil Young dans le «Fool’s Gold» d’ouverture de bal. Il parvient à imiter à la perfection cette nonchalance sirupeuse et cette plénitude électrisante qui firent la grandeur des premiers albums du vieux Young. Il réédite cet exploit avec «Antebellum». Cette pauvre terre d’Israel se perd dans sa finitude ! Ayant colonisé des terres qui ne lui appartiennent pas, Israel installe ses riffs monumentaux. Il est encore plus royaliste que le roi avec «Sunset Regret». C’est sa came, la came d’Israel, les grooves chaussés de plomb. Retour au spirit de Neil Young avec «Goodbye Ghost». Israel a un sens aigu des horizons, surtout quand un banjo titubant les ponctue. Il se montre valeureux comme pas deux et pousse sa came dans les orties. Sans vraiment le faire exprès, il propose de la Cosmic Americana. On la retrouve dans un «Louisiana» plus country-rock, chanté à l’extension du domaine de la turlutte. Il propose une espèce de story telling de bonne mesure. Il bascule plus loin dans le pathos avec «Bellwether Ballad», mais il s’en fout, il sait qu’il vendra des tas d’albums sur Amazon à des kids palestiniens qui ne se doutent de rien.

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    Nash enregistre ses albums suivants chez lui au Texas. Pour Rain Plains, il dit s’inspirer de Pacific Ocean Blue, l’album de Dennis Wilson et d’If I Could Only Remember My Name, celui de David Crosby. Parmi ses albums favoris, il cite aussi No Other de Gene Clark, Harvest et Déjà Vu - The whole southern Callifornia thing, that sound, the feel of these records is something I’m incredibly close to - Nash raconte aussi à Jones comment il a construit son studio sur la colline : une grande structure métallique en 17 parties qu’il a fallu assembler avec 3 700 rivets. C’est un immense hangar monté par Nash et son pote en quatre jours.

    Sur Israel Nash’s Rain Plains, l’ami Nash se prend carrément pour Neil Young et il a en a les épaules, le bougre. Trois de ses cuts pourraient figurer sur Everybody Knows This Is Nowhere : «Who In Time», «Iron Of The Mountain» et «Mansions». Le premier des trois va même droit sur Harvest, avec ses coups d’harmo. Ce vache de Nash paye sa redevance, il est incroyablement mimétique. De toute évidence, il est fasciné par le vieux Young, il fait le même genre de heavy psychedelia à patchwork, avec du chant plein la purée. Il brait son «Mansions» comme le fait le vieux Young. C’est un phénomène connu, l’anamorphisme psychotropique, Nash ramène tout le son de la sierra du Goldrush, c’est incroyable comme il se fond dans cette vieille brume psychédélique. Même le morceau titre trempe là-dedans, dans cet effarant vacuum d’ouate d’opiate à la Young, ce vache de Nash monte ça en apothéose paraplégique, ça coule comme du miel dans la vallée des plaisirs, il pressure la bulle de volupté jadis initiée par CSN&Y, ça dégouline de son, c’est même gorgé d’espoir et d’esprit, voilà ce qu’il faut bien appeler un coup de génie humide et chaud. L’album est bon dès le «Woman At The Well» d’ouverture de bal, ce vache de Nash se situe dans l’art de l’épaisseur, il a des pouvoirs de mage, il s’installe dans une foison surnaturelle. Israel encule le veau d’or. La folie mélodique d’une guitare surnage dans les couches supérieures de cette puissante Americana. Israel Nash est un organique, l’homme de boules de gomme, il navigue au feeling pur dans les Sargasses jadis inventées par Neil Young. Ses mélasses éclatent au crépuscule des dieux. «Myer Canyon» a tous les atours d’un coup de génie, c’est de la Cosmic Americana de haut vol, il l’explose à coups d’away from me, il teinte ça de psychedelia, alors t’as qu’à voir. Il fait même chanter les anges lorsqu’il s’éloigne vers l’horizon, oh oh baby. Avec «Roxanimatum», il honore sa muse dans le lit nuptial, il envoie sa pop gicler au firmament, mais pas le firmament des temps modernes, celui de l’ancien temps.

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    Israel Nash’s Silver Season date de 2015. Nash y tourne en rond, cultivant sa fascination pour Neil Young. «Lavendula» et «Mariner’s Ode» pourraient très bien figurer sur le Goldrush album. C’est exactement le même délire, c’est même assez beau. Israel colonise Neil Young, c’est tout de même incroyable. Il développe une puissance extrême, quel souffle ! Israel est très fort, il peut tout coloniser. Même s’il fait du Neil Young, il reste intéressant, il joue à la main lourde et chante au mieux de la jérémiade, c’est cool et il n’en démord pas. Il renoue avec la heavy psychedelia de l’early Young. Vas-y Israel, fais-nous rêver. Mais ce n’est pas facile de rêver, quand on est palestinien. Il faut redoubler d’efforts. Israel n’en finit plus de creuser pour irriguer ses terres. Tout l’album est pompé dans Neil Young. Il parvient à créer une sorte de luxuriance et finit par vraiment impressionner. Car bien sûr rien n’est plus difficile à jouer que l’early Young. Il termine avec un «The Rag & Bone Man» noyé de son, humain et chaud. On s’y attache, ça ne demande aucun effort, juste écouter. Israel annexe tous les territoires, il envahit tout, on le lui reprochera plus tard, mais il s’en fout. On lui dira : Israel tu n’es qu’un sale envahisseur et lui, interloqué, répondra : Mais oui, j’envahis et puis après ?

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    Paru en 2015, Lifted est comme son nom l’indique un album qui décolle comme un gros avion cargo dès «Rolling On». Heavy on the up, the Howard Hugues energy, c’est explosé dans l’énormité du push, Nash le pusher push son truc à la folish, il décoche du rolling on, il sature tout de son, il déploie des trésors de push. Même chose avec «Looking Glass» : comme il charge la prod princièrement, ça devient tout de suite inexorable et beau. Il crée un monde psychédélique et demented, sa psychedelia plane comme un gigantesque volatile au dessus de l’Amérique, c’est produit à l’outrance d’un hallali de trompettes. Tout est très beau, sur cet album, on en pend plein la barbe. Nash est un mage. Chaque fois, il va chercher la petite bête cosmique, même s’il se cantonne dans une sainteté à la Neil Young. Ce que dégage ce vache de Nash est indéniable. «Northwest Stars (Out Of Tacoma)» est l’un des sommets de cet album riche en sommets. Nash cultive l’art des dégringolades dans des gouffres béants de Cosmic Americana. Il taille sa route chaque fois, ça lui prend quatre ou cinq minutes - Down in the darkness - puis il passe au down in the desert avec des accents fêlés à la Mercury Rev - You’re spinning me out my mind - Si tu cherches la licorne ou le Graal de la Cosmic Americana, il est là, dans «Northwest Stars (Out Of Tacoma)». Ce vache de Nash profite de la moindre occasion pour régler ses comptes avec l’excellence. Il pousse les harmonies vocales de «The Widow» dans les orties. C’est gueulard, monté en neige, extrêmement en neige. Il finit en explorant la heavy Nasherie de «Golden Fleeces» au collet monté. Encore un cut puissant, un rock de mecs musclés qui ont du répondant, c’est un rock de mecs qui savent boulonner des charpentes métalliques. Pas de problème, Israel va te coloniser le Golan.

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    Pour situer Topaz, un critique de Mojo parle d’hurricane blast of country rock. Le Mojo man revient même sur la dimension spirituelle du personnage qui comme James Leg et les Kings Of Leon est fils de pasteur. Forcément, dans ce type d’hommage, les formules ronflent comme des gros moteurs et le Mojo man qualifie Israel Nash de Memphis Baby Huey. Dans Uncut, Allen Jones dit qu’au moment d’enregistrer Topaz, Nash écoutait plus George Clinton que Gram Parsons,, plus Bobby Blue Bland que les Byrds.

    Récemment paru, Topaz est l’album des rafales extrêmes, un album pris en sandwich entre deux coups de génie, «Dividing Lines» et «Stay». Nash installe aussitôt les conditions du groove, un groove blanc qui sonne étrangement juste. Il va chercher sa maturité au sommet du lard et va se fondre dans l’orchestration. Il coagule sur place et claque tout à l’éclat d’accent. Il sonne tout bêtement comme une super star. Il faut le voir exploser la cime de son Dividing Lines, c’est franchement digne des grands heures de David Crosby. C’est d’un niveau qu’on ne croise pas tous les jours. Oui, Croz en plein, power du groove océanique, influences, sous-jacence du jazz, everytime it’s alive, les Dividing Lines explosent au sommet du Topaz. Pour ceux qui s’interrogent sur l’avenir du rock, la réponse est là. Avec «Stay», c’est encore pire. Ce vache de Nash se fond dans sa chanson. Il dégage encore plus de magie que CSN, il développe le cool breeze de Californie et son Stay explose avec le solo perlé, un truc dont on n’a pas idée tant qu’on ne l’a pas entendu. Il chante comme s’il se protégeait jusqu’au moment où il s’émancipe et ça devient irréel - I just wanna stay for a little while - et il atteint des sommets inégalés à coups d’I just wanna stay. Mine de rien, il crée son monde et impose le respect. Le Mojo man ajoute que si Nash avait vendu son «Stay» à Hall & Oates, il serait devenu milliardaire. Il fait de la Soul blanche avec «Down In The Country», il appuie son chant et ça prend la tournure d’une énormité sans égale. C’est l’un des meilleurs albums qu’on entendra cette année. Il continue de bourrer Topaz de cuts superbes, comme ce «Southern Coasts», il rayonne et étend son empire, il noie ça de ah ah ah, ce mec est incroyablement impliqué, il rentre dans la peau de tous ses cuts, on suivrait ce vache de Nash jusqu’en enfer. Comme le montre «Howling Wind», il combine bien toutes ses petites combines et ça prend vite des allures stupéfiantes. Il bâtit sa légende, cut après cut. Il revient à sa fascination pour Neil Young avec «Suntherland», comme s’il bouclait la boucle. Sur cet album, tout est visité par la grâce. Israel Nash pourrait bien être l’équivalent blanc de Marvin Gaye.

    Signé : Cazengler, Israel Naze

    Israel Nash Grikpa. New York Town. Continental Song City 2009

    Israel Nash Grikpa. Barn Doors And Concrete Floors. Continental Song City 2011

    Israel Nash. Israel Nash’s Rain Plains. Loose 2013

    Israel Nash. Israel Nash’s Silver Season. Loose 2015

    Israel Nash. Lifted. Loose 2015

    Israel Nash. Topaz. Loose 2021

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    Allen Jones : File under hippie spiritual. Uncut # 287 - April 2021

     

    Inside the goldmine - Tara s’est tari

     

    Il sortit du bureau de l’infirmière en chef le cœur serré et la peur au ventre. Il comprit qu’il n’échapperait jamais à leurs griffes. Il ne savait déjà plus depuis combien d’années il se trouvait là. Il avait beau leur dire à tous et à toutes qu’il se sentait bien et qu’il pouvait se passer de traitement, on l’obligeait à avaler ses fioles quotidiennement. C’était disaient-ils pour son bien, mais il n’en croyait pas un mot, car il éprouvait des difficultés croissantes à réfléchir. Il revint dans la salle commune se faire un café. Par la porte fenêtre, il vit passer madame Francine. Elle dansait nue dans le jardin. Elle renouait à sa façon avec l’innocence du jardin d’Eden. À la table de la salle commune se trouvaient deux types murés dans le silence. Les infirmiers qui ne rataient pas une occasion de rigoler pour disaient-ils dédramatiser les surnommaient Blokette et Kasette. Blokette était un très bel homme d’allure sportive aux yeux verts. Lorsqu’il ouvrait la bouche, c’était pour imiter le bruit d’une moto tout terrain, vrooooooom-poh-poh-poh, vrooooooovroooomm poh poh. On savait que c’était une moto tout terrain à cause d’une photo punaisée sur la porte de son placard, qui remontait au temps où il fut champion du monde. Vrooooooom-poh-poh-poh. Quand il commençait, personne ne pouvait le faire taire. Alors Kasette s’énervait. Cet homme décimé par la pauvreté et les abus métaphysiques n’était plus que l’ombre de lui-même. On savait qu’il avait été libraire et qu’à force de pousser le bouchon, il s’était contrepété la cervelle. Alors il élevait la voix et se mettait à éructer :

    — La moelle de l’épée dans le poil de l’aimée !

    — Vrooooooom-poh-poh-poh !

    — Talus le tarin, talus le tarin ?

    — Vrooooooom-poh-poh-poh !

    — Tara n’est pas taré, Tara n’est pas taré !

    — Vrooooooom-poh-poh-poh !

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    Bon, le plus simple, c’est de quitter la salle, car ça devient vite insupportable. Il est en outre fort peu probable que le Tara dont fait mention Kasette soit Tara Milton, mais sait-on jamais ? Pour situer ce Tara-là, il faut remonter au temps où le NME proposait On, une rubrique très intéressante, puisque réservée à des groupes débutants qui avaient pour particularité de ruer dans les brancards, comme par exemple les Chrome Cranks ou encore Five Thirty, qu’on peut aussi écrire 5:30. Alors évidemment, on partait à la chasse, mais en ce temps-là, on chassait à pieds, nous ne disposions pas de tout le confort moderne et des fils qui chantent que les blancs nomment «réseau ADSL». On parle ici des années 1990. Il existait encore une scène underground intéressante en Grande-Bretagne. Five Thirty sortait de nulle part, un nulle part dont ils ne se sont jamais éloignés, puisque très peu de gens connaissaient leur existence. À l’écoute d’un premier maxi nommé Air Conditioned Nightmare, nos naseaux de pisteurs se mirent à frémir.

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    Paul Bassett jouait sur Télé peinte et chantait, Phil Hopper battait le beurre et Tara Milton déroulait un bassmatic entreprenant. Ces gens jouaient la carte du son, aux confins de la mad psychedelia. Ultra-joué et truffé d’harmonies vocales vitales, le morceau titre de ce maxi captait l’attention - You could be a superstar/ or worse - S’ensuivait un «Judy Jones» extrêmement ambitieux, doté d’un fougueux refrain - Judy Jones you’re such a fool - On avait là un hit considérable, bien fouillé, que Tara traversait en tous sens, naviguant dans le flux et le reflux. Oui, on avait là un cut qui battait tous les records d’excellence pulsative ultra-dynamique. En B, ils allaient carrément sur l’hendrixité des choses avec «Mistress Daydream», mais avec une fabuleuse énergie. Ça blastait at 5:30.

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    Du coup, on rapatria un autre maxi, 13th Disciple, paru sur le même label EastWest. Belle pioche puisque le morceau titre avait quelque chose d’assez miraculeux, et c’est rien de le dire. On adorait le NME pour ça, justement, pour cette possibilité d’une île. On sentait les Five Thirty prodigieusement déterminés. On n’en finissait plus d’admirer la vélocité de Tara Milton, bassman virtuose et grand voyageur devant l’éternel. Son ami Paul Bassett wahtait à tire-larigot. L’avenir leur appartenait, «Hate Male» illustrait parfaitement cette vue de l’esprit - We don’t care/ I don’t care - big heavy sound ancré dans les seventies. En B, ils passaient au Mod pop avec «On The Get In», solide, très typé, pas loin du early Ride des beaux maxis, avec un son d’une réelle densité, des couches de voix judicieuses. Ils enchaînaient avec une solide cover de «Come Together» qu’ils tapaient à la dépouille de beat mal intentionné. Tara titillait son bas de manche avec une méprisable ostentation. Ah qui dira l’importance de l’ostentation ?

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    Five Thirty n’enregistra qu’un seul album, l’indicible Bed. Avec le power-poppy «Strange Kind Of Urgency», ils frisaient le smash hit. Tara et ses amis y jouaient une pop d’époque qui depuis n’a pas pris une ride. Le NME s’en fit d’ailleurs les choux gras. Tara raflait la mise avec «Songs And Paintings», montant au créneau et jouant la carte du soft groove africain sur un riff de basse endémique. Les saveurs explosaient, comme explosent sous le palais les saveurs d’un Biriani. Tara jouait son rock Biriani à la vie à la mort. On croisait plus loin une autre énormité, «Abstain», jouée en mode heavy motion. Ils ne lésinaient pas sur les moyens, notamment les accords supersoniques. Tout l’album tenait le choc, «Supernova» sonnait comme de l’ultra-pop dynamitée au bassmatic énergétique. Tara ruait bien dans les brancards. Il ne ratait pas une seule note et chantait à la mauvaise graine. Ils montaient tous les trois en épingle ce mauvais brouet de Mod pop. Ils sonnaient plus heavy avec «Junk Male». Tara y swinguait son drive avec aménité. Ils visaient la beauté prévalente. On retrouvait aussi sur l’album l’excellent «13th Disciple» du maxi, avec ses muscles qui roulent sous la peau. Paul nous wahtait ça comme un damné et ça basculait aussi sec dans le funk. «Womb With A View» sonnait comme de la pretty pop d’inside out. Quoi qu’ils fissent, ils accrochaient. Ces trois mecs travaillaient dans l’after. Ils construisaient patiemment, il fallait juste leur faire confiance. Ils savaient se montrer excellents, aventureux et imprévisibles, un trio de qualités assez rare en matière de rock. Ils embarquaient «Catcher In The Rye» en enfer d’entrée de jeu. Tara taraudait comme un taré. Alors, pourquoi ça n’a pas marché ? Mystère et boules de gomme.

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    Après le split de Five Thirty, Tara va monter les Nubiles. Il parvient à sortir l’album Mindblinder en 1996. On retrouve notre furieux rocker dans le morceau titre d’ouverture de bal. Tara fournit tout le furnish, il tape dans son rock à bras raccourcis et finit par l’exploser. Comme il est libre de ses engagements, il fait ce que bon lui semble. Il monte son «I Wanna Be Your Kinka Kinte» sur un riff de basse métallique. Il rappelle à sa baby qu’il aimerait bien être son kinka kinte. Tara cherche sa voie. Pas facile. On se perd dans son groove intermédiaire, Tara se tarit avec «A Sap’s Guide To Rock ‘N’ Roll» et il faut attendre «Layabout» pour retrouver un peu de viande. Il redevient pendant quelques minutes le héros de l’underground britannique. On le voit ménager ses effets, et ça vire jazz, on ne sait pas pourquoi, avec de belles montées d’adrénaline. Il chante largement au-dessus de la moyenne, mais avec quelque chose de maladif dans l’intention. Il joue avec le feu et la glace, c’est très spécial, mais quand ça explose, on peut dire que ça explose pour de vrai. Il passe au démonté punkoïde avec «Single Mum Barbie» qu’il finit en mode Beatlemania demented are go à gogo et ferme la marche avec un «Best Friends Large Fries And A Diet Coke» tapé au drive de dub et fabuleusement fouillé aux guitares. De toute évidence, Tara cherche un passage dans le fromage. Il joue à l’inspi granuleuse, mais qui s’en fera la gorge chaude ?

    Signé : Cazengler, Taré notoire

    Five Thirty. Air Conditioned Nightmare. EastWest 1990

    Five Thirty. 13th Disciple. EastWest 1991

    Five Thirty. Bed. EastWest 1991

    Nubiles. Mindblinder. Lime Street Records 1996

     

    DES DESIRS DES ENVIES

    IENA

    ( Clip / You tube )

    Premier titre du prochain EP d'Iena à paraître bientôt. Quelle force et quelle beauté cette vidéo ! Noir et blanc, esthétique expressionniste, la chose seule, et rien qu'elle, et la chose porte un nom connu, un groupe de rock, dans la noire nudité perfectale de sa présence, en studio, si bien mise en scène qu'il convient d'abord de nommer Etienne Cimetière – Cano, vidéaste, je découvre, c'est plus qu'un imagier, un œil qui se colle au réel et le garde prisonnier de son regard. L'est si près de ce qu'il montre qu'il semble avoir aboli la distance qui sépare l'objet de sa représentation, vous file l'impression d'être dans l'uppercut de la décharge d'adrénaline rock'n'roll qu'il capte et envoie. Une caméra qui crache. Une mise en scène sauvage, libérée de tout carcan protectif, filme au plus rentre dedans de l'impact.

    DGD Studio Pantin, un simple espace phonique des plus anonymes, parois blanches, et le groupe droit devant vous. Tant de vide autour que les quatre silhouettes en deviennent imposantes, elles annihilent le volume du lieu, Michel Dutot au fond à la batterie, Stéphanie Dherbey sur votre droite à la basse, Eric Coudrais sur votre gauche à la guitare. Tous de noir vêtus, des menaces ambulantes, avant même que le son déferle vous comprenez qu'ils ont un compte à régler avec la vie. Ne se couche-t-elle pas trop facilement devant la défaite des jours et la mort, alors ce coup-ci, ils ne vont pas laisser filer le round entre leurs doigts. Et le son tsunamise. Ne s'arrêtera plus, à la première seconde, vous sentez qu'ils tiennent le grizzly du rock par une patte et qu'ils ne le laisseront pas échapper.

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    JYB ( Jean-Yves Bassinot ) combat à mains nues. Pour toute arme son micro. Et les trois companeros derrière qui assurent comme des bêtes, mais qui tiennent la lice fermée, pas d'échappatoire possible, pas de panique, possède une arme tranchante. Juste lui, son corps, ses mains écartées de marionnette soumise au destin de l'existence, ses regards fous prisonniers de lui-même derrière ses lunettes, et cette voix qui assène la vérité étriquée de nos vies d'individuelles si peu glorieuses. Il y aurait de quoi sangloter, et pleurer sur soi-même, mais rien ne vaut le bulldozer de l'humour ravageur pour crier son désespoir. '' Me rappelle plus en rentrant si je je me suis lavé les dents'' – un truc digne des meilleures paroles du grand Schmoll – et cette netteté incisive de l'élocution qui bouscule tout sur son allant.

    Dutot envoie la marmelade au compresseur, mène le bal des désirs insatisfaits qui tournent en rond à toute vitesse en se mordant la queue qui s'affolent et finissent par exploser lorsque Stéphanie appuie un peu plus sur ses cordes pour rendre l'ambiance encore plus frénétique, la guitare d'Eric flamboie sur les interludes, vous brosse à grands traits des cavalcades de soli qui amplifient la cadence générale, courage les amis l'on se rapproche du bout du tunnel. No insatisfaction ! n'est-il pas le cri primal, l'interjection divine du rock'n'roll bien compris.

    En tout cas Iena a pigé le truc. Nous refilent une sarabande enlevée et enfiévrée, balaient les ordures et les épluchures des renonciations intimes à la poubelle, nous rappellent que si rien ne vaut la vie, la vie ne vaut pas un bon rock'n'roll troussé de mains de maîtres. Nicolas Roy, Loran Solus, se sont partagés l'enregistrement, le mixage et le mastering, z'ont produit le son parfait, clair et enlevé, profond et sans faux-semblant. Ce premier extrait du tout prochain EP d'Iena est un must.

    Damie Chad.

     

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    IMPORTS ARIEGEOIS

    Plaisir de rocker, fouiner dans une boîte à la recherche non pas du disque rare, mais de l'inconnu, un CD, un groupe dont on ignore jusqu'à l'existence mais qui vous fait signe. Vous ne savez pas pourquoi et même pas quoi au juste, une photo, un titre, c'est un des péchés mignons de mes vendredis matins ariégeois, sur le stand de Vladimir ( disques, figurines, de revues, livres, dvd ) sur le marché de Foix. Parfois c'est une mauvaise pioche, mais dans l'ensemble, le flair du rocker tient bon la route.

    L'ignorant aime à croire que sa méconnaissance est partagée par le monde entier, une rapide enquête sur le net m'a confirmé ce que j'hypotésais à savoir que le CD que je tenais entre mes mains était bien le premier opus du groupe, ils en ont commis un second en 2003, un album Matrice, un metal de vieille frappe mais teintée d'électronique, aussi bien marquée par Rammstein que Led Zeppelin. Le groupe issu de la région toulousaine a eu plus de 250 concerts à son actif mais semble avoir cessé ses activités. Deux de ses membres sont restés dans la musique. Thierry Cladères a roulé sa bosse dans une dizaine de groupes, partage son expérience au sein de différentes structures pédagogiques et professionnelles. Hervé Chiquet a suivi un parcours similaire, a rejoint le team Batterie Magazine, et le site IZI Drumming, Quant à Bruno Brouard, dans le brouillard nétique je n'ai rien trouvé...

    Pour les oreilles curieuses une vidéo de la cover de Jack in the box du Whole lotta love du Zeppe est sur You tube. Loin de démériter. Je n'ai même pas réussi à m'ennuyer en l'écoutant. Pas du tout iconoclaste, mais à l'écart.

    JACK IN THE BOX

    ( 1997 )

    THIERRY CLADERES : guitare, chant / HERVE CHIQUET : batterie / BRUNO BROUARD : basse.

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    Jack in the box : c'est quoi ce boxderl ! Une batterie cataclysmique qui fragmente le son et ces tortillons de guitare qui vous arrivent dessus comme des fers rouges qui vous marqueraient le visage, c'est du tordu, du crochu,du éébu cornu, z'avez pas le temps de remettre de l'ordre dans votre tête que déjà le plan incliné sur lequel vous tentiez de prendre pied vous catapulte, et je n'ai pas encore parlé de cette basse qui se prend pour une guitare à part entière et ce chant en français qui baragouine l'incompréhension du monde aux quatre coins cardinaux. Fabuleuse intro, l'on a affaire à de sacrés musicos, c'est du gros son, du gros rock, mais avec une rythmique que ne désavouerait pas un trio de jazz, quand ils sortent le jack de sa boîte, vous n'avez même pas le temps de savoir de quoi il s'agit, ah cette caisse claire qui sombre comme la quille d'un navire pris dans un nid d'écueils abrasifs ! J'aurais juré que ces petits frenchies allaient sonner comme Variations mais sont plutôt dans le sillage de Dream Theater. Rien que pour ce premier opus, suis fier d'avoir le CD dans ma collection. Faut citer Marc Dubezy à la console. Pas un sorcier, un shaman qui a capté l''esprit sauvage du rock. Monnaie : le morceau précédent frôlait les six minutes et celui-ci, tout comme le suivant dépasse les sept, l'on sent le piège, vous jettent un truc binaire, un os rythmique tout bête, et ensuite s'y ruent dessus comme des chiens féroces, vous le mastiquent sans fin, se le passent et le repassent et chacun d'eux y imprime la marque famélique de ses crocs fabuleux, vous font la totale, le hachis- parmentier, le solo à l'égoïne, les chœurs sacrés de l'opéra barbare, le démantibulement du son, le piétinement du paillasson, vous étirent l'élastique jusqu'au plafond et vous écrasent les pots de fleurs à coups de vigoureux talons de fer, fini le théâtre, là ils culminent dans ces moments lyriques d'extase débridée que seul le Led Zeppe a su atteindre. Ecoute le meilleur : l'on quitte la chaussée des géants, le blues trompette et klaxonne par l'entremise de la guitare, le chant ne s'occupe pas du vocal, s'écoute comme un instrument qui au lieu d'écarteler des notes met des mots en exergue comme s'il voulait vous enfoncer des secrets infinitésimaux dans votre misérable caboche, ensuite il est difficile de dire ce qui se passe exactement, chacun endosse le rôle qui lui plaît, et vous tombez dans un charivari phonique du meilleur effet, vous aimeriez avoir trois cerveaux pour tout entendre, mais non, la basse vient vous caresser pour vous consoler, la batterie ricane et vous tapote la cabosse en compote, sur ce la guitare s'envole pour gronder encore plus fort, n'y a plus qu'à vous laisser rouler par la vague sonore, pourquoi ce qui vous fait si mal est-il si délicieux ! Ces gars-là étaient en avance sur leur temps.

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    Je croyais avoir dégoté un bon disque de rock français et j'hérite d'un chef d'œuvre inconnu.

    Damie Chad.

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    Dans la poignée de disques ramenés d'Ariège, cet Orville offert par l'amie Patou, j'ai cru qu'il s'agissait d'Orville Nash que le Cat Zengler et moi-même vous avons déjà présenté voici quelques années, mais non il s'agit d'Orville Grant, une sommité du country français, l'a enregistré dix-huit albums à ce jour.

    ORVILLE AND THE WOODBOX

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    Encore une histoire de boîte, mais celle-ci est en bois, moi qui ai passé toute une partie de ma vie à fumer des cigares plus ou moins gros – cela dépendait des hauts et des bas de ma fortune personnelle – n'ai aucune appréhension quant aux boîtes à cigares. Notamment celles avec lesquelles les premiers bluesmen confectionnaient leurs guitares. C'était déjà un progrès par rapport aux fils de fer qu'ils tendaient sur les murs et les lessiveuses armées d'un manche à balai, mais enfin c'était surtout signe de dénuement et de misère. L'est vrai que ces dernières années s'est installée une mode que l'on pourrait qualifier de retour forcené aux roots ou de recherche désespérée des racines perdues...

    Le disque se présente comme le premier volet d'une trilogie intitulée Train. Road and Prison Songs, à croire que toutes les routes mènent en prison...

    For so long now : que le son est aigrelet, c'est bien sympathique mais cela risque de devenir ennuyant. Orville est le premier à s'en apercevoir et à rajouter un peu d'électricité, la voix est douce et mélancolique, elle emmène de la profondeur à cette première compo, quelques tapotements bien venus apportent un accompagnement qui aide à rendre le long chemin plus agréable. Freedom train : une voix plus pleine, qui ne se presse point mais chargée d'espoir. Un petit défaut, l'accent est si français que l'on comprend tout, cela enlève du mystère à cette ballade et empêche le rêve, la boîte à cigare se transforme en pedal steel guitar. Terraplane blues : un démarrage de bagnole et voici le célèbre blues de Robert Johnson, un peu casse-gueule de se risquer à une telle reprise, la guitare de Johnson n'était peut-être pas du meilleur bois mais les doigts du diable agitaient les cordes, Orville rajoute une électrique et nous la joue plus rock que blues, se permet quelques filets d'accord maigrelets sur la fin. Johnson gagne la course la les yeux fermés. The road to ruin : plutôt la route du rock que le chemin de la ruine, c'est un peu comme ces plats de pattes plates qui doivent leur saveur aux ingrédients épicés que l'on rajoute. Ne jette pas non plus un cigare allumé dans le réservoir à gazoline. Alabama jail : l'état le plus raciste des USA, pays démocratique qui peut vous offrir bien des prétendants de haute tenue à cette première place, commence par un bruit de fers chevillés, l'on rajoute des froissements électrifiés pour rompre la monotonie, un peu tristounet l'est vrai que l'on n'est pas dans un hôtel cinq étoiles. Seven white horses '' Prisoner's dream'' : ballade ou berceuse d'un rêve de prisonnier à sa fenêtre, Orville nous sort sa voix la plus romantique, la plus désespérée, de la box s'élèvent des granules de notes fragiles comme une ménagerie de verre. Peut-être la piste la plus authentique de l'opus. Dommage que les paroles soient si répétitives. Folsom prison : une version de Cash un peu déjantée qui se traîne à ras la cellule comme un serpent à la colonne vertébrale brisée. L'on attendait une version plus imaginative que cet amas d'électricité qui rampe sans espoir. Ain't no grave : le vieux classique de Brother Claude Ely, avec hurlements de coyotes et sifflets de locomotive déchirant la nuit, une belle ballade country qui repose avant tout sur la voix d'Orville agrémentée de quelques chœurs, tout le reste c'est un peu de l'accompagnement, comme la salade que l'on sert pour servir de décor aux écrevisses malgré un petit solo central relevé à l'ail sauvage. Orville fait durer le plaisir, surtout le sien. The soul of a man : une reprise de BW Johnson, roi de la guitare évangéliste ( que voulez-vous, nul n'est parfait ) une belle introduction qui résonne comme un banjo, un début qui ne se concrétisera pas vraiment, l'on poursuit en easy listening, plus ou moins murmuré ou claudiqué. Sadness and shame : surprenant un petit côté jazzy-funk, pas trop non plus ne faut pas exagérer, la voix un peu mélodramatique prend le dessus, un petit air pale blue-eyed soul renforcé par la douceur de chœurs féminins. Nous sommes vraiment très loin des roots initiales avec cette compo d'Orville. Terrac-blues : Là on donne un peu dans la chansonnette mignonnette avec des oiseaux qui font cui-cui. Disons-le ce n'est pas du tout cuit. La country grand public se dissipe aussi rapidement que la fumée d'un cigare bien au chaud dans sa boîte millésimée. 35 south river blues : ouf une guirlande d'authenticité, Orville vous prend sa voix mâle d'aventurier que vous suivriez jusqu'au bout du monde en toute confiance, les poules gloussent, et tout le monde est heureux, même ceux qui sont morts. Les vaches meuglent, servent de pompom girls. Crazy mama : empruntée à J. J. Cale, idéal pour filer à la quenouille les notes sans fin, mais sur sa box Orville trotte menu du moins au début, se la joue au bluesman désespéré qui fait sonner une basse pas vraiment funèbre. Faut attendre la deuxième partie pour qu'il nous régale de ses notes piquées au cure-dents comme des olives dans le fond du bocal. Hélas, n'en restait pas beaucoup.

    Au final, un peu déçu. Manque un peu de poudre et de fougue à mon humble avis. Ce qui est sûr c'est qu'il ne joue pas au virtuose, n'est pas celui qui avance les doigts sur les cordes et les pieds en l'air, nous la joue cool, pépère, heureux, serein. Ne semble pas vraiment angoissé par la recherche de la note bleue ultime ou primordiale. Va son petit bonhomme de chemin, joue un peu sur les poncifs et les représentations country dument cataloguées. Mais c'est ainsi qu'il le voit, et il a raison de suivre ses propres visions.

    Damie Chad.

     

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    La pile de Cd's plus haute que moi c'est comme le pot de confiture, une cuillère à peine avalée vous y revenez, mais celui-ci a une drôle de consistance, pas vraiment compacte, plutôt une pâte feuilletée, examinons cette bizarrerie, le format d'un boîtier mais ce n'est pas un disc, cela me revient d'un coup, c'est un livre ! Pas de n'importe qui. De Flore Teneul.

    FLORE TENEUL

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    Rencontrée au Mima de Mirepoix, un festival de marionnettes, vous avez le In payant ( cher ) avec des compagnies officielles et reconnues. Beaucoup préfèrent le Off, moultement plus créatif et qui travaille au chapeau. Si cela ne vous suffit pas, vous avez le Out, qui s'installe un peu partout, libre et désorganisé, qui squatte chaque surface non occupée de la petite cité médiévale. Du monde partout, une cohue joyeuse et rieuse, c'est au bout des arcades de la place du marché que Flore Teneul avait délimité un espace d'une dizaine de mètres-carrés grâce à un velours pelucheux noir. Elle-même se tenait assise au bas du mur. Vêtue de noir. Ses cheveux blonds de fille du Nord n'en paraissaient que plus éclatants. Le public a fini par s'asseoir, les enfants devant, les adultes derrière, les chiens près de leurs maîtres.

    Flore Teneul nous tourne le dos. Flore Teneul n'est plus Flore Teneul, l'est devenue une espèce de chose noire informe, sa silhouette qui n'est pas très grande évoque l'architecture d'un donjon moyenâgeux massif et noirâtre, Magie de la contorsion. Le silence s'installe. L'on ne voit rien, mais elle bouge, l'on ne voit pas mais l'on sait que de l'autre côté sa tête descend, doit atteindre le point de basculement de gravité, mais elle tient son équilibre, la voici qui apparaît entre ses cuisses, renversée, le crâne enserré dans une calotte noire, son visage à contre-courant de la normale, le front en bas, mais les yeux nous regardent, les enfants ne mouftent pas un mot, les canidés ne bougent pas une oreille mais suivent du regard cette espèce d'être avortonesque – comment la délicieuse Cosette de tout-à-l'heure s'est-elle métamorphosée en Quasimodo – qui parle, une voix de gamine basse qui semble sortir de ses entrailles s'aventure dans une histoire. Difficile de trouver un sujet plus triste et plus scato, une petite crotte au coin d'une rue qui s'ennuie... sujet glissant, rappelons-nous que certains alchimistes fabriquent de l'or à partir de résidus excrémentiels, en tout cas le public immobile marche, et suit bouche ouverte, l'on aimerait connaître la suite de l'épisode, mais au bout de quelques minutes c'est fini, lorsqu'elle se retourne pour saluer elle précise que ce n'est que la première scène d'une œuvre en devenir, une espèce d'opéra-crotte synesthésique qui accrochera d'après nous aux agrès de l'art du conte et du cirque les anneaux de la poésie et de la musique.

    Ce serait dommage qu'elle disparaisse si vite, non elle a des livres à vendre, patientons quelques minutes le temps qu'elle récupère les piécettes de la recette et échange quelques bisous avec son copain. La voici. Un beau livre, que je feuillette, mais la terrible malédiction des chacals de Béthune est sur moi, je n'ai que peu de monnaie au fond de mes poches, je n'emporterai donc que ce modeste format CD :

    MON MONSTRE

    FLORE TENEUL / ARTHUR HUBERT

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    C'est petit mais ça a de la gueule. Ça vous arrache même la vôtre au premier regard. Le texte est d'Arthur Hubert duquel j'ignore tout. Flore Teneul vient d'achever un cycle de trois ans d'études de dessin à l'Ecole Nationale Supérieure La Cambre de Bruxelles. Elle s'adonne à ce que j'appellerais au dessin sauvage, un entremêlement de traits filamenteux tracés au stylo bille. C'est quoi cet embroussaillement, ce n'est pas que l'on ne voit rien, c'est que cela vous saute aux yeux et vous devez régler votre regard. Un nez de pitre trop jovial pour être honnête, un visage dépenaillé, cette bête possède des jambes, un bras, et une chevelure buissonnière. Le titre vous permet de comprendre, c'est un monstre une espèce de fœtus macrocéphale hurlant, aux dents coupantes, l'adjectif possessif '' mon'' vous permet de comprendre qu'il appartient à Flore Teneul, qu'il est du moins une expression de son moi, de sa féminité, de son sexe prêt à croquer le monde. Femme-flamme, femme-feu, femme-fontaine, femme-fleur, son corps n'est qu'un cri, un pistil qui détient en lui la perpétuation du monde. Forêt pubienne et clair matin des aurores nietzschéennes. Le monde est une représentation monstrueuse de l'élan vital. Une volonté énergétique excédentaire. N'ayez pas peur. Riez, souriez, le monstre arbore son gros nez rouge de clown. Un petit côté grotesque qui n'est pas sans rappeler l'esprit de la Trilogie noire de Verhaeren.

    Le texte d'Arthur Hubert n'est pas de reste. L'a compris que cette émanation rugissante, ce chardon urticant, cette boule de remontrances, trahit un désir de vivre sans limite et de connaissance sans entraves. Cinq dessins, cinq dards empoisonnés de sarbacane effrontée, Flore Teneul affirme sa présence avec une superbe insolence. Elle se regarde dans son propre miroir pour s'affronter à elle-même.

    Voilà je ne sais pas grand-chose d'autre sur Flore Teneul. Qu'elle est la fille d'artistes de land art, qu'elle joue de l'accordéon, mais cette manière toute simple, sans forfanterie, d'habiter son propre corps et son propre esprit, de se mouvoir avec cette aisance qui n'appartient qu'à elle, comme une ballerine-coquelicot sur les talus de nos désastres qui nous servent de décor, une attitude foutrement rock 'n' roll, une graine voyageuse aventurée dans l'ouragan de sa jeunesse – elle est née en 1999 - qui cherche sa terre au croisement arable des bauxites du songe et des arts, dans le seul but que s'épanouissent ses talents, tout cela flamboie d'aube et de promesse.

    Une artiste. A suivre.

    Damie Chad.

     

    OEUVRES / TOME II

    AUSTIN OSMAN SPARE

    LE DESSIN AUTOMATIQUE / lE FOYER DE LA VIE

    lE LIVRE DE L'EXTASE HIDEUSE / LA VALLEE DE LA PEUR

    ANATHEMIE DE ZOS / GALERIES DE DESSINS

    ( Traduction : PHILIPPE PISSIER )

    ( Editions ANIMA / 2021 )

     

    Nous avions présenté dans notre livraison 330 du 25 / 05 / 17 le premier tome des Oeuvres d'Austin Osman Spare. Ce deuxième volume s'inscrit dans la même esthétique, grand format de 292 pages, papier bouffant, typographie soignée. Si la couverture du Tome I s'auréolait d'une alchimisante couverture oronge triomphale, celle-ci d'un jaune éblouissant est à considérer comme la geste d'une véritable xantho-érotologie. Les éditions Anima cornaquées par Vincent Capes se sont attelées à une tâche gigantesque qu'elles mènent depuis plusieurs années sans défaillir. Qu'elles soient remerciées ici pour leur engagement hautement méritoire.

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    Pour ceux qui ignoreraient Austin Osman Spare ( 1886 – 1956 ) rappelons qu'il fut un artiste pictural. Cet adjectif n'est pas à entendre selon sa plus triviale acception, si ce livre présente une galerie de dessins de Spare il ne faudrait pas en conclure que Spare fut, entre autres, un dessinateur émérite. Pictural définit moins le terme de peinture ou de dessin que le geste même de l'artiste fomentant par son art et son œuvre une induction poétique sur le monde. Il ne s'agit de réaliser un beau dessin, mais par le tracé de la main sur la feuille, d'ajouter, retrancher, apporter, une modification à la réalité mondaine. L'on ne s'étonnera pas que Austin Osman Spare se soit lui-même définit en tant que Magicien. Il connut Aleister Crowley, mais se sépara de lui, la Grande Bête ne lui faisait pas peur, sans doute pensa-t-il que ses gesticulations ostentatoires – Crowley fut un ardent publiciste – s'harmonisait trop à la tunique écarlate de la Grande Prostituée, il était de ceux qui préfèrent s'entourer de silence pour mieux s'affronter à l'Innomable.

    Le premier tome présentait l'œuvre sigilaire de Spare. Répétons-le, le dessin ne consistait pas pour Spare en une plate représentation d'un objet quelconque. L'entrevoyait plutôt comme une concentration d'un point focal en lequel convergeaient les courbes de l'espace que son crayon retrouvait et inscrivait sur une feuille. Une espçce de mytho-mathématique supérieure appliquée. Le sigil est à considérer comme la mise à jour graphique d'une nodalité de forces soumises à une forte concentration. Une espèce de métaphore agissante de ces entremêlements cauchemardesques que l'on nomme nid de serpents. Bouclier mental de défense et de puissance.

    L'introduction de Phil Baxter permet d'entrer de plain-pied – s'il a du talon nu effarouché quelque gazon de territoire – dans la pensée de d'Osman Spare, en cette étape que l'on pourrait qualifier de post-sigilique. L'acquisition de la puissance est en quelque sorte une preuve, mais si l'on y réfléchit bien elle est aussi le signe de notre faiblesse puisque nous avons besoin d'elle pour interagir sur le monde. Quelque part, même si nous sommes victorieux, nous avons dû pactiser avec ce que vous voulions réduire à notre merci, l'exercice de la puissance est surtout le signe de notre manquement à dominer l'univers, l'individu se doit s'auto-suffire de sa propre souveraineté. Le Mage se doit de ne pas agir, tout se résout dans sa tête. Lancer un sort, c'est sortir de soi-même, c'est déjà ne plus être soi. S'amoindrir de soi-même.

    Suivent cinq textes théoriques de Spare. Nous octroyons ici au vocable théorique le sens de méditation, que le lecteur ne le prenne pas en sa signification de réflexion précédant l'action, ce serait un dommageable contresens. Spare essaie d'y voir plus clair en lui-même, c'est la seule manière pour que le monde perde son obscurité. Si ces textes devraient être herméneutiquement rapprochés d'ouvrages connus, un seul livre s'impose : Ainsi parlait Zarathoustra, c'est dire la beauté et la force nietzschéennes de certaines de ces pages. A la différence près que le seul disciple de Spare serait Spare lui-même. Textes philosophiques donc, qui se situent au-delà de tout moralisme kantien mais qui prennent racine dans le Moi absolu de Fichte.

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    A part que si Spare semble s'inscrire dans la mouvance de l'idéalisme absolu allemand, s'il trouve refuge dans la citadelle inexpugnable du Moi, il refuse de s'y laisser enfermer. Il possède une autre forteresse qu'il visite régulièrement. Celle du Je, qui est sa porte de communication avec le monde. Pensons à Hesse, à Narcisse qui reste enfermé dans l'abbaye et Goldmund qui s'en va folâtrer dans les champs de blé...

    S'arracher au monde en tant que déploiement physique est facile, quelques rochers, quelques herbages, rien de bien essentiel, mais s'extraire de la quintessence du désir du monde magnifié dans le corps de la femme est plus difficile. D'autant plus difficile qu'il ne s'agit pas de s'infliger les mortifications chrétiennes de privation de la chair. Essayer de jouer à faire avancer la Reine sur un plateau d'échecs sans la toucher, juste avec la force de votre esprit, nous vous promettons bien du plaisir.

    Comme toujours en méta-physis, la difficulté réside en le mouvement. Comment influer le monde sans bouger. Cruel Zénon nous apporte une solution peu satisfaisante, si vous voyez la flèche se planter dans le cœur de la cible, c'est que vous vous trompez. Votre vue n'est pas bonne, elle est illusoire. Spare évite ce faux-semblant. Si la flèche de votre action sur le monde quitte l'arc de votre tête c'est qu'elle bouge, que vous sortez de vous-même que vous agissez dans le monde.

    Surtout ne pas sortir du Moi pour se rendre dans son Je. C'est le contraire c'est le Je qui doit se rendre dans le Moi pour y mourir. Mais si le Je se meurt, c'est vous qui mourez car le Je est votre implantation mondaine. Ce qui ne vous empêche pas de renaître puisque votre Moi subsiste. C'est ainsi que vous devenez le maître de la réalité du monde.

    Cela peut sembler abstrait. C'est oublier le principe d'équivalence des mécanismes de la pensée. Privilégiez le mécanisme et pas le contenu. Vous cherchez la souveraineté absolue, remplacez-là par l'extase. Recherchez l'extase en vous-même et vous la trouverez. Nombre de lecteurs évoqueront les termes d'onanisme intellectuel. Cela est dû au fait que la pensée ésotérique anglo-saxonne est selon moi trop tributaire de ses racines chrétiennes.

    Les dessins splendides. A regarder comme les atermoiements de Spare entre son Moi et son Je. Les envisager selon leur apparente immobilité relève du non-sens, ils sont des stades, des bornes qui servent à visualiser une dynamique. Le lecteur distrait dira : superbes dessins de nus. L'être humain est surtout connu pour proférer des stupidités dans son existence. Il est nécessaire de les entrevoir en leur immobilité agissante. Spare ne dessine pas le monde, il ne le reflète pas, certains dessins sont de véritables rites que Spare s'adressait à -même, ils sont de terribles instants de solitude, d'extraction du monde, d'autres sont des approches, des vols qui n'ont pas fui pour reprendre les mots de Mallarmé.

    C'est un livre difficile, de toute beauté, il faut remercier Philippe Pissier pour la beauté et la justesse de sa traduction. C'est grâce aux efforts inlassables de Philippe Pissier que les lecteurs français peuvent approcher l'œuvre d'Aleister Crowley. Quelques rockers se demanderont ce que vient faire la chronique de cet ouvrage dans leur blogue préféré. Qu'ils réécoutent Led Zeppelin...

    Damie Chad.

     

     

  • CHRONIQUE DE POURPRE N° 211 = KR'TNT ! 330 : THEE OH SEES / T-SHIRT / POGO CAR CRASH CONTROL / SCORES / SEVENTY SEVEN / NEW ROSES / HOWLIN' JAWS / AUSTIN OSMAN SPARE

     

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 330

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    25 / 05 / 2017

    THEE OH SEES / T-SHIRT

    POGO CAR CRASH CONTROL

    SCORES / SEVENTY SEVEN / NEW ROSES

    HOWLIN' JAWS / AUSTIN OSMAN SPARE

     

    I can see Thee Oh Sees
(for miles and miles)

     

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    Sur scène, Zi Oh Sees développent une telle énergie qu’on pense aux Who. Tous ceux qui ont vu les Who sur scène le savent : aucune équivalence dans l’histoire du rock, aux plans présence et niveau sonore. Pas même Motörhead. Avec sa nouvelle formule de powerhouse à deux batteurs, John Dwyer renoue avec la démesure du Baba O’Rhum cataclysmique qui nous avait explosé les tympans à la fête de l’Huma en 1972.
    Tiens, encore un point commun avec les Who : John Dwyer joue sur une bête à cornes, comme Pete Townshend, sauf que la sienne est transparente. Et comme Pete Townshend, John Dwyer multiplie sur scène ce que les Anglais appellent the antics. Dwyer ne saute pas en moulinant comme Townshend, mais il exécute des pas de danse abyssiniens, ceux du Nijinski de l’Après-Midi d’Un Faune, très graphiques et joliment dingoïdes, pour bien ponctuer l’envoi des violentes rafales de chaos sonique. Il va très loin, bien au-delà du spectaculaire. Comme les Who, il échappe à tous les formats, parce qu’il a su bâtir un monde à son image, celle d’un blaster quasi-incontrôlable.
    Tous ceux qui ont vu les Dirtbombs et les Monsters le savent : sur scène, la double batterie démultiplie l’impact du groupe. Mais on a l’impression que les mighty Oh Sees atteignent un niveau encore supérieur de démesure, car rien de ce qu’ils jouent n’est prévisible. Leurs albums produisent exactement le même effet. Ils sont à la fois tellement libres et tellement puissants qu’ils échappent à toutes les conjectures, et sur scène, l’imprévisibilité des choses fait tout le charme du groupe. Ça veut dire en clair que John Dwyer nous emmène exactement là où il veut. Il manie une sorte de chaméléonisme impénitent qui lui permet de créer la surprise en permanence. D’où l’I can see for miles and miles and miles and miles, d’où cette facilité psychédélique à pulvériser les attentes, d’où cet immoralisme sonique qui se moque des lois de la République, d’où cette volcanisation des thèmes que les instituts de recherche ne parviennent toujours pas à interpréter, d’où cette exubérance intempestive qui ridiculise les tempêtes du Cap Horn, d’où cette manie des irruptions insoupçonnables qu’on accueille à bras ouverts, d’où cette facilité dégueulasse à réinventer le rock, et même pire, à rocker la ré-invention. John Dwyer est un homme à mille facettes. On imagine aisément que les êtres qu’on déifiait dans l’antiquité devaient lui ressembler. Il s’impose par une sorte de charisme à la fois bon enfant et mèche dans l’œil, mais une sorte de rigueur monastique semble charpenter le personnage. Il est bien évident que l’infernale qualité de son jeu de guitare ne sort pas de la cuisse de Jupiter. Il joue exactement ce qu’il faut jouer, sans en rajouter. John Dwyer n’est pas l’un de ces Raymond la science qui s’affichent en couverture des magazines de rock qui ont depuis longtemps sombré dans la vulgarité. Tout le contraire.

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    Il arrive sur scène comme s’il revenait de la plage, après une partie de surf à Malibu. Chez lui, pas la moindre trace de rock-starisation. Juste un homme en bermuda avec sa guitare, des idées et trois bons amis (extrêmement brillants, et qui eux non plus ne la ramènent pas).

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    Justement, on regarde jouer ces deux batteurs et on régale de leur spectacle, de la grâce de leur jeu et de la combinaison de leurs puissances de frappe respectives. Ils jouent tout en parfaite synchronicité, c’est un effarant ballet qui provoque par moments des hallucinations. Ces deux mecs sont beaux comme des apôtres, et de là à voir un Christ en John Dwyer, c’est un pas qu’on franchit avec allégresse dans le feu de l’action.

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    Quand je dis : ces mecs sont beaux, cela veut dire beaux au sens iconique, car les inclinations des visages, le ruissellement des sueurs, les expressions de béatitude, tout cela nous renvoie aux portraits d’apôtres signés par les peintres de la Renaissance italienne. Ces deux batteurs développent une sorte du mysticisme du beat et ne s’accordent aucun repos. John Dwyer veille à ce que leurs batteries soient installées au premier rang. Dès lors, Paul Quattrone et Daniel Rincone jouent à jeu égal avec les deux autres.
    Puisqu’on est dans les parallèles, quelque chose chez John Dwyer rappelle Kim Fowley.

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    Sans doute par le dessin très carré du visage, par la carrure, par le fait qu’il soit lui aussi californien, mais surtout par l’ampleur de sa personnalité. Il y a autant de génie chez John Dwyer qu’il y en avait chez Kim Fowley. Ils mettent tous les deux leurs vies et leurs intelligences respectives au service d’une seule forme d’art : le rock. Et on réalise un peu plus facilement que pour parvenir à ce niveau, il faut ce qu’il est convenu d’appeler une prédisposition.

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    Devenir Kim Fowley ou John Dwyer n’est tout simplement pas à la portée de tout le monde. Le rock est un art suprêmement difficile, ne l’oublions pas.

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    Les débuts du groupe n’auguraient pourtant rien de bon. Essayez d’écouter l’album Sucks Blood paru en 2007 jusqu’au bout, vous verrez, ce n’est pas facile. On trouvait alors ces albums dans le bac garage du Born Bad de la rue Keller et les pochettes piquaient la curiosité.

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    Une sorte de vampire à six dents ornait la pochette de The Master’s Bedroom Is Worth Spending A Night In paru l’année suivante et on y voyait se développer une tendance intéressante, une façon de penser le rock autrement. En entrant dans cet univers musical, il fallait abandonner tout espoir de rationalité. Sur ce disque, tout n’était que luxe arty, calme incongru et volupté désordonnée. Quand on écoutait un cut comme «Grease 2», on se demandait vraiment pourquoi on écoutait ça. On se demandait aussi à quoi pouvait servir ce groupe inclassable. On les voyait explorer toutes les figures de style inimaginables. En fait, ils nous aidaient à sortir du carcan garage qui finit par appauvrir le rock pour le transformer en peau de chagrin. Avec cet album, Zi Oh Sees se comportaient comme d’impavides stylistes soucieux de diversité. On trouvait en B un commencement de début de hit avec «Adult Acid», un hit de pop rocké du ciboulot. Avec «The Coconut», ils passaient au heavy rock en développant dans les textes une bien belle tendance surréaliste et le «Maria Stacks» d’après finissait par captiver grâce à son Maria Maria you dig a hole with words in there. John Dwyer achevait sa B en beauté avec un «Poison Finger» bien vu, puisque monté sur le riff de «Gimme Some Loving», suivi d’un «You Will See This Dog» gorgé d’I want my fun to be free and out of sight. On ne pouvait qu’admirer la diversité de leurs paysages musicaux. C’est là que John Dwyer commença à façonner le monde à son image de tatouage de main percée et de marcel rayé.

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    Un jour, on vit une chauve-souris clouée sur la pochette d’un album. Il s’agissait du fameux Help paru un an plus tard sur In The Red qui était alors LE label de référence, comme l’avait été Crypt auparavant. Dès «Ennemy Destruct» on savait à quoi s’en tenir : John Dwyer cherchait à créer l’événement. Il agissait ni plus ni moins comme un bâtisseur d’empire libre, vous savez, ces empires qu’on bâtit pour jouer, un empire d’Everybody dig in everybody clam up et le mythe du monde libre remontait à la surface, sous la forme d’une nouvelle vision du rock, loin du m’as-tu-vu des solistes grimaceurs et des Stong à la mormoille. John Dwyer donnait le champ libre à sa liberté. On entrait alors dans le tourbillon magique de «Ruby Go Home», John y répétait en boucle son Hey tambourine what that you’re saying d’argent gris joué sur un mood de groove garage assez convaincu de sa légitimité. S’ensuivait une belle gerbe d’espoir nouveau avec «Meat Step Lively» gratté à l’insistance typique. Aussitôt après, avec «A Flag In The Court», il réinventait cette belle ferveur surréaliste qui pour son malheur tomba un jour sous la coupe du dictateur Alfred Breton. John Dwyer racontait n’importe quoi, usant de la liberté comme d’un prétexte à toute forme d’expansion du domaine de la lutte. Et la B s’ouvrait comme un horizon, avec «Rainbow», joli coup de mood garage on the move avec les ba ba ba des Troggs dans un refrain scintillant d’arpèges de SG. S’ensuivait un «Go Meet The Seed» solide et terriblement bien intentionné, avec du I wanna hang way up in a tree arrosé de chœurs des Who, et toujours cette manie simplificatrice de répéter en boucle d’argent gris le même couplet en forme d’objet-prétexte. Avec «Soda St#1», il exacerbait encore plus les choses, on avait là un cut élancé, gratté, chant, œuvré, véritablement inspiré par les trous de nez, une sorte de power-pop luminescente. Attention, le festin continuait avec «Destroyed Fortress Reapers», fantastique progéniture picabiesque d’un rainbow qui n’avait pas le droit de dire non, puis tout s’arrêtait brutalement avec «Peanut Butter Oven». On avait là dans les pattes un disque qui sortait de l’ordinaire, un véritable festin d’idées, une gerbe d’éclats protéiformes, on avait la preuve qu’il existait encore un espace pour le libertarisme dadaïsant et tombouctique. Alors, amis des bêtes et de Tzara, du lama rouge et d’Ornicar, jetez-vous sur ce miroir aux alouettes.

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    John Dwyer confirmait sa pente Dada avec Dog Poison paru la même année. Comme notre homme devenait prolifique, il valait mieux avoir un portefeuille bien garni. Il attaquait avec un «The River Rushes» bien alambiqué et comme toujours sans aucune prétention. Il se payait même de luxe de balancer un solo de flûte complètement délabré. Notons qu’il jouait au seulâbre invétéré sur cet album un peu plus austère que le précédent. Il récompensait la fidélité de ses admirateurs avec «The Fizz», une pop sautillée qui non seulement puait la fuzz, qui avait en plus trouvé l’adresse et qui fell face first at the front door. Cette façon baroque d’amener les choses rappelait bien sûr celle des Holy Moundal Rounders. Avec «Sugar Boat», il fonçait droit sur le ludique barrettien. Mais le Dada se nichait en B avec notamment «I Can’t Pay You To Disappear», un solide romp de pop de so you can do it for free. On ne pouvait pas imaginer plus Dada dans l’esprit. Même chose avec «Voice In The Mirror», pur slab de Dada strut. John stroumphait son Dada stack avec la pire des impénitences ce qui nous permettait d’affirmer à l’époque qu’impénitence et impétuosité constituaient les deux mamelles de John Dwyer. Il enchaînait ce tour de force avec «Dead Energy» joué au processionnaire des fourmis rouges un jour de deuil national. Ça tintinnabulait sous le soleil de Satan.

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    La pochette abstraite de Warm Slime interloquait. On entrait dans ce monde délicieusement hirsute et créatif par la grande porte, c’est-à-dire le morceau titre, sur une face entière. On entendant la délicieuse Brigid chanter au fond d’un cut qui virait en jam de gym nasty, véritable pied de nez à l’ampoulé du prog. John Dwyer révélait là une passion pour Can, traversant avec nous des paysages chantants et variés. Il jouait littéralement la carte de la face, grâce à un hypno de fête à nœud-nœud, où l’on pêche le canard pour gagner un pingouin. On tombait ensuite sur le festin pantagruélique de la B et cet «I Was Denied» assez comique d’I flew away with a friend of mine et d’I got fucked up suffice to say joué à la ritournelle insistante bien vue, oh see bien vue. Encore plus dingue, cet «Everything Went Black» parfaitement décousu, d’un baroque sans queue ni tête, véritable stomp capable d’envoûter une légion romaine, suivi d’un «Castiatic Tackle» joué au pire strut de garage qui fut - What did she ask ?/ Are we good ?/ Yeah I think - Extrêmement solide et parfaitement cognitif au plan textuel. Il bouclait cet album effarant avec «Mega-Feast», véritable coup d’exacerbation trapézoïdale, et «MT Work», joué à la pure énergie créative. Ce groupe fonctionnait alors comme un geyser galactique.

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    On trouvait un redoutable écorché sur la pochette du Carrion Crawler/ The Dream EP paru en 2011. C’était encore une fois foutu d’avance, on sentait dès le morceau titre d’ouverture que l’album allait nous emporter la bouche. Il attaquait ça à la dégringolade d’eat meat/ Fill with holes. Il jouait ça avec un pugnacité illicite qui favorisait l’apparition d’hallucinations. En écoutant «Contraception/Soul Desert», John Dwyer établissait en peu plus clairement sa réputation de créatif illimité. Il emmenait son cut ventre à terre, à la petite exacerbation cadencée, the jewel of a song. Avec un tel homme, on se sentait vraiment en sécurité. En fait, il reprenait le «Soul Desert» de Malcolm Mooney, l’un des chanteurs de Can. Mais il pouvait aussi se faire presque passer pour la réincarnation de Picabia et piloter une Delage coiffé d’un bonnet de cuir. On avait aussi un instro cinglant nommé «Chem-Farmer» et en écoutant cette merveille on savait John parfaitement incapable de décevoir les thuriféraires. Zi Oh Sees redoublaient d’une pratique abusive de la liberté à tout crin. Et la dynamique reprenait de plus belle avec un «Opposition» monté sur un beat de pétarade pète-sec et un clair de son qui permettait de distinguer ces deux choses différentes que sont les cartilages du concept et l’élancé d’une démarche d’accompagnement cérébral. Ah mais le pire était à venir, car en B se nichait «The Dream», doté d’une fabuleuse vélocité de team intime. Ces gens-là savaient compulser dans le même sens et se passionner comme des vierges rouges pour mieux embrasser l’univers. Une fois de plus, ils tapaient dans l’essence de Can, à la bonne franquette hypno. Ils retrouvaient ce sens du panache d’effluve mythique et de plumes d’autruche, on sentait battre le pouls d’une machine de mouvement perpétuel, une véritable tinguelynade d’eau fraîche et d’amour de Sainte-Phalle. On tombait plus loin sur un nouveau trésor ali-babique intitulé «Crushed Grass», joué à la cocotte véloce d’under car et de moon beam, très proche du «Locomotive Breath» de Jethro Tull. Ils y rebattaient les cartes d’une belote de belettes. Une fois de plus, on avait dans les pattes un album créativement rempli jusqu’à la gueule, ce qui devient aussi rare qu’un cheveu sur la tête à Mathieu. Ça repartait de plus belle avec «Crack In Your Eye», extraordinaire fragrance d’univers intermédiaire et constamment visité par des idées de rafles riffales, de grattés dauphinois ou encore d’espolettes pimentées. En prime, John Dwyer s’amusait à screamer ici et là, histoire de nous rappeler la fortitude de son émancipation. On retrouvait dans «Heavy Doctor» les accords que joue Robert Quine dans l’intro de «Blank Generation». Il s’amusait à virevolter dans les trapèzes d’un Barnum post-punk et il ah-ahtait sur des descentes de gamme fuligineuses - It’s just a breeze upon a blood-rich sea - Encore un album dont on sortait à quatre pattes.

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    Une horrible main décrochait un téléphone sur la pochette de Castlemania, un double album qui se jouait en 45 tours. John Dwyer embarquait l’«I Need Seed» au beat pop mod d’I need to throw up the grass. Son beat sautillait dans la prairie, et un vent de liberté soufflait sur le pays. Une fois de plus, il défiait toutes les lois de la physique et ne respectait rien, pas même le vieux principe de gravitation universelle si cher à Newton. Avec «Corprohangist», John Dwyer cherchait un fouet pour se faire battre et traitait sa chanson de tous les noms - Oh yeah this song is sung/ This song is shit - Il sortait la meilleure fuzz de son chapeau de magicien pour un «A Wall A Century» heavy et solidement dérangé, comme ébahi à Tahiti. Il nous faisait le coup de la B qui tue avec une série invraisemblable de smash-cuts, à commencer par un «Spider Cider» joué au prog protubérant, juste pour exprimer ce qu’est le blaze, suivi de «The Whipping Continues», petite heavyness plombée au LSD et relativement pompeuse, au sens de l’Oracle des Zombies de Delphe. Ah, mais il n’allait pas s’arrêter en si bon chemin car voilà qu’arrivait «Blood On The Dock» une pop de pirates, avec un dark ship foating after me, oh no no no et il poussait le bouchon encore plus loin en passant un solo oriental de Mahabarata digne du Barabajagal, ce qui semblait logique vu qu’on retrouvait Donovan dans l’histoire. Il lançait «A Warm Breeze» à coups d’harmo sixties et recréait l’illusion d’une incommensurable diversité des genres, un peu comme si son éventail s’étendait à l’infini, telle l’une de ces japoniaiseries chères à Stéphane Mallarmé qui, souvenez-vous, fut le pape de la rue de Rome.

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    L’homme à tête de chien qu’on voit dans un cercueil au dos de Putrifiers II EP n’est autre que John Dwyer. Putrifiers II EP fut aussi le dernier album des Oh Sees paru sur In The Red. Il attaquait «Waw Face» à coup d’Oh wite ! Quel dingue, ce mec ! On le voyait tirer son son avec opiniâtreté et comme il visait la mad psychedelia, il créait les conditions d’une sévère lactose pariétale. Ses cris relevaient de l’organique et on sentait un mouvement indicible, pareil à celui d’une armée en marche dans un univers en ordre, une troupe compacte et bien gardée sur ses flancs. Il passait à la pop tétanique, et même très tétanique, avec «Hang A Picture». Cet homme n’en finissait plus de se vouloir complet, il tâtait de tous les genres avec un égal bonheur et dressait une nouvelle typologie du rock, d’une manière qu’il voulait exhaustive, sachant bien que l’exhaustivité ne compte pas dans l’absolu de la relativité. Il revenait à un format plus garage avec un «Flood’s New Light» bien martelé et chanté à l’ersatz de voix. En B, il nous régalait de «Lupine Dominus», une pop joliment enveloppée, montée sur un thème de guitare bien gras qui pouvait à la limite sonner comme une trompette wha-wha, ce qui ne manquait de nous galvaniser.

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    Avec Floating Coffin et sa pochette sucrée aux fraises, John Dwyer ouvrait l’ère Castle Face, un label aventureux au logo protéiforme. Il donnait le la avec un coup de grisou garage, «I Come From The Mountain», bien cavalé à travers les hautes plaines. Et toujours ces wow ! suivis de plongées en enfer. Comme dans ses autres chansons, il shootait un couplet en boucle d’argent gris - Girls like to smile half the time/ Boys are the trouble all the time - On avait là un vrai hit sauvage. Il en ramenait un autre à la suite, le fameux «Toe Cutter/Thumb Buster», épais et mélodieux, magnifique d’élévation spirituelle. Il le revisitait au thème gras et altérée. On avait là un cut incroyablement beau et paisible et il n’en finissait plus de relancer son équipage. Il revenait à sa vieille passion pour Can avec «No Spell», hypno à gogo ponctué de wow de la Wells Fargo. Et puis il bouclait l’A avec «Strawberries One & Two», une mélasse lysergique à l’étique raréfiée, mais il n’en cherchait pas moins l’espace du promontoire prométhéen, ainsi que des avances sur recettes. Oh et puis en B, il exultait avec «Maze Pancer» - No brains inside of me ha !/ Nothing inside of me ha ! - Il s’esclaffait alors que son char filait à train d’enfer à travers la morne plaine de Mésopotamie. Son attelage étincelait sous le soleil. Il jouait plus loin un «Sweets Helicopter» en mood de mode Pinder sous la voûte étoilée d’un chapiteau, avec des accords voltigeurs et des animaux en peluche.

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    Avec Drop, John Dwyer inaugurait la série des pochettes ratées, au nom de la liberté, bien sûr. Il attaquait avec un «Penatrating Eye» joué au heavy bulbique, une histoire d’œil volé. On se retrouvait confronté une fois de plus à la réalité d’un mec comme John Dwyer, incapable de se prendre au sérieux. Il chantait ensuite «Encrypted Bounce» d’une voix d’ange de miséricorde, sur un joli beat de rase motte. Il y avait encore là de quoi nous fasciner jusqu’à l’os du genou. Il s’agissait en effet d’un cut monté à l’idée pure, conçu dans un esprit de maniaquerie invétérée, digne d’une vestale vénale. Et en B ? Eh bien, il s’y passait des choses pour le moins intéressantes, comme ce morceau titre amené en forme de garage pop d’I don’t expect to see you again oh yeah, avec de la fuzz plein la bouche. Il enchaînait ça avec un «Camera» chargé de mad desire, celui de porter les visages des autres hommes. Pas facile. S’il fallait s’appesantir sur un cut, ça ne pouvait être que «Transparent World», joué au groove ambigu de fusion saxée sur une belle bassline de Chris Woodhouse.

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    Un drôle de monstre armé d’un flingue spongieux orne la pochette de Mutilator Defeated At Last. On était tout de suite frappé de plein fouet par l’énorme «Whitered Hand» qu’il joue encore aujourd’hui sur scène, un hit athlétique et complètement fascinant, sur lequel il bondit de droite et de gauche comme un Nijinski devenu apoplectique. Par contre, «Poor Queen» allait plus sur la pop. Il jouait ça aux accords byzantins de cristal d’apothicaire du Carrefour de Buci, d’autant qu’il s’agissait d’une bonne nouvelle - the queen willl live/ To see another day - Il enchaînait avec un «Turned Out The Light» presque glammy dans l’essence, un cut admirable et juteux comme un fruit trop mur. Et puis il bouclait l’A avec «Lupine Ossuary», un instro joué à la virtuosité paganinique. Franchement, ce mec pouvait tout se permettre, comme le montrait encore «Holy Smoke», un hit de B, une sorte de carpaccio d’arpèges frelatés et servi sur une fine couche d’ambre jaune.

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    L’an passé sont sortis trois albums des Oh Sees, à commencer par l’un des plus beaux albums live de tous les temps, Live In San Francisco. Ça démarre avec l’effarant «I Come From The Mountain» tiré de Floating Coffin, traité ici en violent mode garage californien, joué à la tonne de son et savamment vrillé de solos. Et c’est là qu’on retrouve la powerhouse des deux batteurs, et croyez-moi, ça change tout. Ils enchaînent avec «The Dream» tiré du Carrion Crawler/ The Dream EP. Derrière John Dwyer, ça bat comme chez les Pink Fairies, ça joue à l’extrême clameur d’Elseneur. Ils embarquent «Tunnel Time» au beat de ventre à terre, au pulsatif compulsif. Tim Hellman gratte du bassmatic à flots continus. Heureusement qu’il joue sur Ricken. Ils attaquent la B avec un «Web» tapé au groove anglican et les Oh Sees suent sur «Man In A Suitcase». Oh les Oh Sees savent ! Ils jouent l’organique à l’état le plus pur. Tiens, revoilà l’excellent «Toe Cutter/Thumb Buster» tiré de Floating Coffin et riffé à la Teddy Bear, mais complètement dérangé au plan sonique. John Dwyer barde son art de son et crée les conditions de l’extravagance. Il ramène le souffle d’un Abel Gance dans le rock moderne. Ils attaquent la C avec l’infernal «Withered Hand» tiré de l’album précédent, véritable blast de powerhouse, une branle se met en branle, alors si ça n’est pas du blast, qu’est-ce donc ? Rien de plus déterminant qu’une powerhouse décidée à en découdre. Avec «Gelatinous Cube», John Dwyer claque ses chœurs et profite de la moindre étincelle de frénésie pour sombrer dans le chaos. Il joue la carte des frénétiques de l’Avant siècle. Ils bouclent en D avec un «Contraption» survolté que vient concasser un chorus spatial et aventureux. John Dwyer a mis au point une formule infaillible. On se régale de cette énorme jam entreprenante. On parle de cette face cachée comme on parlerait de l’œuvre de toute une vie.

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    Pochette à la Chirico pour A Weird Exits paru la même année, mais un Chirico qui irait mal. Ça commence par une belle énormité, «Dead Man’s Gun» tarabusté vite fait et fracassé par un solo signé Dwyer. C’est joué à l’hypno fatidique et Brigid Dawson vient faire des voix de Bogus Man avec cette bête de John. On trouve en fin d’A un «Jammed Entrance», c’est-à-dire un instro tendancieux. On s’y perd en conjectures, tant l’automatisme prévaut. Picabia aurait adoré cette dynamique interne de piston polyglotte à poil dru. On retrouve l’hypno magique des Oh Sees en B avec un «Plastic Plant» chanté à la voix blanche et ils enchaînent avec le faramineux «Gelatinous Cube» qu’on trouve aussi sur l’album live. John Dwyer file en mode garage punk, avec cette façon exclusive de trousser des petits éclats de solos, pendant que la bassline ondule comme le ventre d’Oum Kalsoum sous le satin des draps du Cheik en blanc.

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    John Dwyer explique que l’album An Odd Entrances paru lui aussi en 2016 est le petit frère du précédent - An appendix, if you will - On s’y régale d’un «The Poem» joué au bel arpeggio de Giotto. Ce sacré John Dwyer semble même se prélasser dans la coquille de Boticelli. On retrouve son appétence pour la pop en B avec «At The End Of The Stairs». On sent chez lui le pape de plage, le ponte du peuple. La pop n’a plus de secret pour cet homme. Et puis on tombe sur une merveille, «Nervous Tech», joué sur un tapis de brousse de basse, très Can dans l’esprit. John Dwyer continue de repousser les frontières du possible. C’est un acharné de l’acharnement, il veut absolument ne rien devoir à personne. Son instro tentaculaire en laissera plus d’un grosjean comme devant. Ah, il faut avoir écouté ça au moins une fois dans sa vie si on veut mourir moins bête, d’autant que ça s’inspire du «Go Ahead John» de Miles Davis. Pas de meilleure source ici bas.

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    Alors, au point où on en est, on peut aussi aller fureter dans les compiles des Oh Sees, tiens par exemple le volume 3 des Singles Collections. On y trouve des démos, des inédits et des reprises. Quand on sait de quoi est capable John Dwyer, on ne risque rien. On trouve dans ce volume 3 une fantastique démo de «Crushed Grass» montée sur une bassline brontosaurique, une vraie monstruosité lovecraftienne. John y couine comme l’orfraie d’Alfred de Vigny. Ils font aussi une reprise de «Burning Spear», un cut de Sonic Youth, mais John Dwyer l’allume aux lampions de la folie expressionniste, et ça déferle comme des paquets de mer sur nos hures de pauvres ères. Aucun égard pour la mansuétude ! Avec «What You Need», John Dwyer retourne dans la pampa pousser des woo ! et des yooo ! Il adore ça. En B, on tombe sur le processionnaire «Always Flying», sur un «Devil Again» sautillé comme chez les Vibrators et un fantastique «Block Of Ice» live joué au groove profilé sous le boisseau d’argent. C’est une fois de plus l’épitôme du renlentless, l’apologie du jusqu’au-boutisme de Jean Grosjean comme devant, petit neveu du célèbre bagnard échappé de l’île du Diable à la nage.


    Signé : Cazengler, pas Oh See mais Ah See (à table)

    Thee Oh Sees. Sucks Blood. Castle Face 2007
    Thee Oh Sees. The Master’s Bedroom Is Worth Spending A Night In. Tomlab 2008
    Thee Oh Sees. Help. In The Red Recordings 2009
    Thee Oh Sees. Dog Poison. Captured Tracks 2009
    Thee Oh Sees. Warm Slime. In The Red Recordings 2010
    Thee Oh Sees. Carrion Crawler/ The Dream EP. In The Red Recordings 2011
    Thee Oh Sees. Castlemania. In The Red Recordings 2011
    Thee Oh Sees. Putrifiers II EP. In The Red Recordings 2012
    Thee Oh Sees. Floating Coffin. Castle Face 2013
    Thee Oh Sees. Drop. Castle Face 2014
    Thee Oh Sees. Mutilator Defeated At Last. Castle Face 2014
    Thee Oh Sees. Live In San Francisco. Castle Face 2016
    Thee Oh Sees. A Weird Exits. Castle Face 2016
    Thee Oh Sees. An Odd Entrances. Castle Face 2016
    Thee Oh Sees. Singles Collection Volume Three. Castle Face 2013

     

    17 / 05 / 2017PARIS
    NOUVEAU CASINO
    T-SHIRT / POGO CAR CRASH CONTROL

    Jamais mis les pieds au Nouveau Casino. A l'ancien non plus. Une appellation qui empeste un peu trop l'hypermarché, mais non, pas d' assimilation hâtive et hasardeuse, une véritable salle de concert au plafond capitonné qui doit pouvoir accueillir près de trois cents personnes. Une programmation longue comme un jour sans rock'n'roll, et la file des fans qui attendent devant la porte. Salut à Marie arrivée la première à dix-huit heures trente tapante dans son T-shirt au logo assassin de Pogo Car Crash Control.

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    T-SHIRT


    Personne ne les connaît. Prétendront que c'est leur premier concert – du moins dans un lieu moins exigu que leur appartement - même si l'on retrouve des traces d'antérieures apparitions dans la mémoire inquisitoriale du Net. De toutes les manières on les sent un peu tendus. Mais l'assistance ne sera pas cruelle. C'est qu'ils vont prendre de l'assurance au fil des morceaux et arriver à établir le contact.

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    Groupe mixte mais sans parité, une fille deux garçons. Difficile de définir le style, les deux premières entrées en matière, Mide and Hyper, flirtent avec le white rock, guitare filante et rapidité du drummin', mais ces caractéristiques vont s'effilocher au fil des morceaux. Léa se cache derrière ses lunettes et le micro de sa voix exigerait que l'on hausse le ton, la guitare surfe mais deviendra de plus en plus affirmée tout le long du set. Première caractéristique, les fins impromptues qui vous laissent sur votre faim. Les morceaux sont aussi courts que leurs titre : Heaven, Dates,Triton, Razor, Cold, Sloan... Serait-ce l'indication d'une allégeance vertueuse à l'esthétique des Ramones ?
    Rien de novateur, T-Shirt joue un rock basique sans surprise mais bien balancé, tout compte fait agréable à écouter. Des murmures d'approbation monteront de la foule au fur et à mesure que Toma appuie de plus en plus sur ses toms et que Luc à la basse double la voix de Léa. A moins que je n'aie inverti les deux prénoms. L'est sûr que l'appétit vient en mangeant et notre trio prend du poil de la bête au fur et à mesure qu'il déroule sa set-list. Z'ont encore le problème de l'ampleur du son à résoudre. Faut lui donner une couleur et une tessiture qui deviennent marque de fabrique à part entière, ce qui est sûr c'est qu'un jour ou l'autre nous repasserons sur notre torse velu le même T-Shirt.
    Sortent de scène sous les applaudissements ce qui n'était pas donné de la part d'une assistance venue pour les P3C...

    POGO CAR CRASH CONTROL


    En attendant Pogo... noir absolu parcouru de glauques luminescences... la tension monte de douze crans en moins d'une seconde, de la sono émerge un glas fatidique et irréversible, ce qui s'avance vers vous dans le lent égrenage de cette lourde ponctuation sonore, c'est la statue du Commandeur qui s'en vient demander sa ration d'âmes, les nôtres, tremblantes d'excitation à l'idée que dans quelques secondes débutera le grand transbordement énergétique.

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    Déchirure. La salle explose. Jusqu'à la fin du set ce ne sera plus qu'un horrible pandémonium de corps agités et entremêlés. Les Pogo ont frappé. Ne sont en rien des adeptes de la montée en puissance. Donnent tout et tout de suite. Sans attendre. Sans pitié. D'abord la voix, ce rut de colère, cette vomissure sanglante, qui défèque du plus profond des entrailles de la révolte métaphysique adolescente, le non définitif jeté en défi à la platitude du monde, le veto bestial s'opposant à la tristesse des existences, la condamnation excrémentielle de nos conditions de survie, tout ce crachat de haine et de rage amalgamé dans le rugissement royal des déglutitions vocales d'Olivier, il n'ouvre pas la bouche, il lâche les fauves dans l'arène néronienne de nos frustrations, et puis le reste, toute la musique que je déteste psalmodie Tante Agathe, ce déluge scansique, cette transe diluvienne, cette boule de foudre et de flamme noire comme la nuit qui détruit tout sur son passage, vous percute, vous traverse, vous éparpille, vous cendrifie, qui ne vous lâche plus, qui sans cesse revient sur vous, s'acharne, vous piétine, vous disperse, vous poudroie et vous rend à la poussière de vos égotistes petitesses.
    Une seule consolation dans cette humiliation, c'est qu'ils ne sont pas mieux lotis que vous, ne font pas le show, sont eux-mêmes dans le froid de la tourmente de leur radicalité, le rock en tant qu'ascèse orgiaque, Dionysos à tout instant démembré en un rituel ultime cent fois recommencé. Jouer à perdre haleine, puisqu'à chaque fois c'est le sort du monde qui est en jeu, que la guitare se désaccorde que le venin s'épaissit en une gangue de matière noire, l'étron fécal alchimique qui se doit d'être transfiguré en le grès rouge de tous les triomphes, Alexandre forçant les rives du Granique, entraînant ses compagnons dans les escarpements du surpassement de soi-même et des autres.
    Même Lola. La douce Lola. La frêle blondeur de Lola. Désormais guerrière provocatrice. Ponctue d'un triple coup de poing définitif, les soubassements néandertaliens, ces rafales sismiques de secousses telluriques dont les soubresauts répétitifs parsèment de cataractes géantes le long torrent tumultueux qu'est l'échevellement musical, le scalp trombinoscopique des Pogo. S'avance au bord de la scène, darde ses yeux sur vous, de longs traits de haine qui vous fusillent à bout portant, et puis recule avec ce sourire roué et en même temps naïf qui parcourt le visage des douze princesses des mortifères ballades de Maeterlinck, celles qui vous rongent l'âme, l'air de rien mais plus gloutonnes que le serpent Apophis qui vous attend dans la barque de votre éternité compromise... Petite fille cruelle qui arrache méthodiquement d'un sourire angélique les ailes des abeilles, juste pour leur apprendre à ne pas voler.
    Torse nu, d'une pâleur qui n'est pas sans rappeler la terrible bancheur cahalotique de Moby Dick, Louis à la batterie, sabote notre ouïe. L'on n'aperçoit que ses bras sémaphoriques, sémaphoniques, levés très haut – comme des signes d'appel et d'invocation des divinités du mal. Doit bien les rabaisser de temps en temps sur ses toms pour leur faire la peau comme le prouve le roulement continu des huit sabots de Sleipnir le coursier frénétique qui galope et tournoie sans fin dans un ébranlement rythmique infini.
    Flash sur la salle. Des corps sont portés à bout de bras comme des victimes expiatoires que dans un enthousiasme délirant l'on emmène en offertoire devant la scène afin qu'elles soient honorés d'un regard approbatif d'Olivier qui n'en continue pas moins de violer sa guitare et d'éructer le chant tribal des hordes fratricides. Certaines sont déversées sans ménagement sur la scène, s'enroulent dans les fils, mouches engluées dans la toile de l'aragne, s'écroulent par terre entraînant avec elles dans leurs efforts reptatifs de délivrance les pieds de micros. Inutile de s'inquiéter, Royaume de la Douleur, Hypofhèse Mort, Paroles M'assassinent, Rire et Pleurs, toute cette folie est inscrite et préfigurée dans les paroles du groupe. Jusqu'à ce quidam qui s'empare du pied du micro, ne le lâche plus et en tape résolument le sol comme s'il voulait écraser les serpents du désespoir de la chevelure vipérine de Méduse qui chaque matin nous sert de miroir. Olivier agonise sur le sol, mais tel le phénix se relèvera et renaîtra à plusieurs reprises de ses flammes auto-combustatoires.
    Apocalypse terminale, débâcle, carnage, carambolage, Olivier lance les hostilités, prophétise notre futur injonctif, Crève hurle-t-il et la sarabande de la démence s'empare des esprits. Difficile d'en relater un compte-rendu objectif, les deux guitaristes sont dans la salle et Simon se lâche, lui qui avait été particulièrement brutal envers sa guitare durant tout le set, lui qui s'était lancé dans des vocaux astringents comme des tentacules de pieuvre ne se retient plus. Slide sur les cordes avec le cromi, obtient ainsi une espèce de vomi grésilique de crocodile des plus délicieusement alligatoriens. Et c'est fini. Tout s'arrête. Vous savez bien que cela finirait ainsi mais la pierre froide du tombeau s'est refermée sur vous et vous êtes définitivement seul. Tout le monde se regarde, l'on touche un peu son voisin pour savoir s'il est bien vivant. Malaise général. Comment se raccorder à la réalité après une telle effulgence. Une seule échappatoire, un rappel, retournent enfin sur scène, dégoulinants de sueur et d'eau dont ils se sont abondamment aspergés dans les coulisses pour éteindre le feu inextinguible du rock noise qui court encore dans leurs veines. Reviennent épuisés mais le sourire de la victoire aux lèvres. Olivier nous traite d'américains puisque l'on demande more à mort. Et ajoute qu'il est a lonely guy. Toutefois adulé rajouterons-nous. Un dernier Crash Test. Dantesque. Démentiel. Et nous les laissons partir.
    Pogo Car Crash Control. Souvenez-vous de ce nom. Ce n'est pas seulement un bon groupe. Ces jeunes gens sont en train de construire une légende.

    ( Photo : FB : Guendalina Flamini )


    Damie Chad.


    21 / 05 / 2017SAVIGNY-LE-TEMPLE
    L'EMPREINTE


    SCORES / SEVENTY SEVEN
    THE NEW ROSES

    Dimanche après-midi, L'Empreinte, Savigny-le-Temple, dix-huit heures, horaire un peu inaccoutumé pour un concert, mais à ne pas manquer, trois groupes, j'ignore tout des deux derniers, mais ce n'est pas pareil pour le premier, The Scores, un concert pas tout-à-fait comme les autres, le groupe a annoncé sa dissolution, deux ans et demi que nous les suivions sur KR'TNT !

    SCORES

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    Sont là tous les quatre, Elie Biratelle à la basse, Léopold Leroy et Simon Biratelle aux guitares, Nicolas Marillot engoncé dans sa batterie, lancés dans une intro tonitruante lorsque de derrière les amplis où il s'était tapi surgit Benjamin Biot-André, s'empare du micro comme d'une hache d'abordage et entame autour de sa hampe une danse scalpique des plus sauvages, les Scores nous livrent le set définitif, seulement sept titres mais sans une once de graisse, sept épures magistrales, parfaites, l'essence d'un rock'n'roll qui flirte avec le hard sans jamais s'appesantir en des clichés par trop appuyés, trois guitares inspirées poussées grand vent par la frappe multiplicatrice de Nicolas, Good Night, Naughty Angel, Leave me Now nous tombent dessus, énergie à l'arrache au service d'une architecture mûrement maîtrisée, trois traînées d'or ruisselantes telle la semençale pluie de Zeus entre les cuisses de Danaé, et puis Ben prend la parole, explique que c'est le dernier set, à l'Empreinte, là où ils avaient débuté, évoque en mots simples ces cinq années d'amitié fraternelle et toutes ces rencontres que l'existence du combo a générées, phrases émouvantes qui bénéficient de l'attentive compréhension du public qui pour une grande partie les découvre, et qui se demande le pourquoi de cette séparation, alors que le groupe fait preuve d'une cohésion exceptionnelle. L'on sent la salle touchée, mais Scores repart avec Forget About It – il est des moments de sincérité qui ne s'oublient pas - Take a New Turn – titre prophétique – mais le meilleur est à venir, une version de Born To Be Wild d'une justesse bouleversante, les Scores se sont appropriés le morceau, y ont imprimé leur marque, l'ont customisé à leur manière, en ont saisi le balancement particulier créé par cette ligne de basse et ces riffs de guitare qui ont l'air de se marcher dessus, Ben magistral au chant, pas de criaillerie, mais sa voix évoque le moutonnement infini de l'asphalte et ce désir fou de liberté et cette appétence pour le goût sauvage de la vie qui reste une des vertus cardinales du rock'n'roll, public subjugué, longs applaudissements, et puis le plus amer, Hammer of Life, le dernier titre, la philosophie à coups de marteaux, ce besoin irrépressible proprement humain de casser les plus beaux jouets que l'on a soi-même fabriqués, la musique nous remplit et nous transporte, mais l'impression que plus personne n'écoute, l'assistance stupéfaite, silencieuse, chacun renfermé en soi-même à méditer sur la réalité des songes qui ne collent à vos doigts qu'un bien court moment et puis s'enfuient l'on ne sait pas trop pourquoi, le chef d'oeuvre s'achève, Ben nous remercie, des mots de braise et de feu, évoque la fin d'un cycle qui se termine sans haine et sans tension et d'un autre qui ne manquera pas de s'ouvrir, Scores est arrivé au bout de son sillon, l'oeuvre est accomplie, la boucle est en train de se refermer, et c'est tout, et les applaudissements éclatent, chaleureux, infinis, ils sont sortis depuis longtemps de scène que le crépitement des remerciements continue... Un instant de grâce et de gratitude. Le concert aurait pu s'arrêter là que rien n'aurait manqué, il est des moments d'une telle intensité qu'ils se suffisent à eux-mêmes, merci SCORES pour tout ce que vous avez accompli, et ce set de toute beauté qui sut accrocher un reflet d'éternité.

    SEVENTY SEVEN

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    The show must go on... scène vide, retentit une musique western d'Ennio Morricone, l'on ira jusqu'à la fin du morceau avant que '77 n'investisse le plateau, trois grands gaillards devant – à croire qu'il faut passer sous la toise pour entrer dans le groupe - mais non le quatrième est d'un gabarit bien plus modeste, un freluquet quand on le compare à ses acolytes, Andy Cobo s'installe à la batterie. Etonnant. L'est comme ces boxeurs qui ne connaissent que deux parades, le crochet du droit et le crochet du gauche. Vous refile cent fois de suite le même plan, légèrement de profil, orienté selon sa caisse claire, idem pour le break, la même distribution à chaque fois. Mais, il y a un mais. Cela pourrait être monotone. Pas du tout, vous dégage un train d'enfer, une machine gun inépuisable, une pêche infernale, d'une efficacité exemplaire, un plaisir extraordinaire à le voir jouer, avec sa coupe de cheveux à la P. J. Proby, son allure de gamin, et sa manière de bomber le torse, de lever le poing et d'exhiber fièrement les muscles de ses bras après chaque folle exagération rythmique, il pousse le groupe d'une façon insensée. D'autant plus folle que les trois tueurs de devant n'ont pas besoin qu'on leur donne le mauvais exemple. Arnaud Valeta et LG Valeta sont aux guitares, pas de la valetaille de dernière zone, vieille Gretch écaillée pour Arnaud et Gibson guère en meilleur état pour LG, viennent de Barcelone, sont comme tout Espagnol qui se respecte donnent l'impression d'avoir toujours une paella sur le feu et un taureau à tuer. Un bicho trucidé chasse l'autre vitesse grand V. Vous envoient de ces estocades de riffs à vous transpercer le corps, de l'acier de Tolède trempé, flexible et imparable. A la basse Guillem Martinez ne s'en laisse pas compter. Vous coupe les oreilles et vous hache la queue cent coups férir. A eux trois ils vous tissent un rideau de fer hardique impénétrable, et avec Andy par derrière qui vous bat la sangria à l'agua ardente, vous avez intérêt à vous faire du souci. Ses congénères le laissent tout seul pour un petit ( en stylistique cela s'appelle de l'antiphrase ) solo, nous montre tout ce que l'on subodorait qu'il devait savoir faire, nous expose à loisir, son truc à lui pour dézinguer le zinc des zimballes, l'on dirait qu'il les crisse avec des griffes de chats, vous scratche la crash et vous ride la ride, un gamin instable qui ne peut s'empêcher de taper de-ci de-là, l'on ne sait pas pourquoi, les baguettes en vadrouille, la pédale qui tamponne la grosse caisse, arrêt-buffet, en profite pour gonfler le biscoto de son bras droit à la Popeye voulant impressionner Olive et brusquement c'est la fixette sur el cencerro, je vous sers le terme hispanique, en français ce serait cloche à vache, heureusement d'ailleurs que la bovidette n'est pas là, sinon elle vous prendrait une de ces dégelées à mériter l'urgente intervention de la SPA, bref la cowbell il vous la fait meugler à faire trembler les loups les plus féroces de peur dans les alpages, l'anarchie totale et une miraculeuse architecture, de quoi flanquer une jaunisse sidérante ( et une leçon d'harmonie transgressive ) à tous les timbaliers du London Symphonic Orchestra, en tout cas l'assistance applaudit à tout rompre, tandis que ses compagnons reviennent opérer une dernière razzia de guitares sans retard. Quittent la scène sous les acclamations. Seventy Seven, pure jouissance rock'n'roll.

    THE NEW ROSES

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    Faudra quatre morceaux pour entrer dans les corolles carnivores des Nouvelles Roses. Après la tornade des Seventies, la tâche me paraissait quasi-impossible. Mais vont y réussir complètement. Efficacité allemande. Vitesse et confort. En douce, vous enveloppent l'air de rien, s'entendent comme des larrons en foire de Berlin, normal viennent d'outre-Rhin, vous enfonce dans la meilleure ouate astringente que vous trouverez sur le marché. Hardy est aux drums et Urban Berg à la basse, vous filent le chewing-gum de base, malléable à volonté et d'une élasticité à toute épreuve, refuse de se désintégrer, de se réduire à quelques filaments filandreux qui vous prennent les amygdales au lasso, une section rythmique de rêve sur laquelle vous pouvez tout vous permettre. Cela tombe bien car les deux ostrogoths restants profitent largement de l'aubaine, Norman Bites et sa Gibson en V, vous la manie comme vous un pique-date pour attraper les olives lors de l'apéritif, une dextérité, une habileté confondante, l'en fait ce qu'il veut et il lui demande le maximum, déjà de sonner juste durant qu'il joue, les esprits chagrins avanceront que c'est la moindre des choses, absolument d'accord mais Norman n'est pas homme à perdre le nord, profite du fait qu'il soit sur scène pour parfaire son parcours santé, déambule comme un dératé de long en large, exercices d'assouplissements divers, enchaînement de vertigineuses postures dignes de l'atha yoga, s'arque-boute le dos en arrière à s'en faire péter la moelle épinière, saute, bondit, s'enveloppe la tête de ses longs cheveux, un mélange détonnant de narcissisme et d'attention aux autres, immobilise ses doigts en plein milieu d'un solo pour que le photographe puisse réussir son cliché, surveille attentivement du coin de l'oeil les trois gaminos tout devant leur scène, leur sourit, leur serre la main, leur refile ses médiators, entre temps il joue, et plutôt mieux que bien, à peine touche-t-il ses cordes que cela s'entend, de la haute précision, vous envoie de ces riffs à l'indolence de panthère, à la royal tiger, tachetés à la léopard, l'est chamanisé, habité de l'aisance majestueuse des félins... Timon Rough est au centre, le grand sorcier c'est lui, guitare d'appoint et de pointe, accompagnement et notes qui vous transpercent et vous déchirent, mais au bout d'un moment vous n'y prenez plus garde, vous envoûte de sa voix, épine acérée et suavité des roses, légèrement éraillée, style expérience du baroudeur à qui on ne la fait pas qui a tout connu et tout vécu, la module savamment, l'en profite pour vous engranger dans ballades envoûtantes, les guitares pleurent et votre coeur saigne, vous hypnotise, vous emmène où il veut, commence tout doux mais très vite la machine s'emballe et ça prend une ampleur majestueuse, technicolor et coucher de soleil, le vent courbe les épis de blé, subitement la tempête déboule et déracine les arbres, et enfin un soleil mélancolique baigne le paysage, mais inutile de recourir au suicide il existe des remèdes à tout explique-t-il, une fille perdue et dix dives bouteilles de whisky retrouvées, ivresse joyeuse, et voici un boogie d'enfer qui vous déboule dessus pour vous entraîner dans une course folle... Reviendront pour un rappel de quatre morceaux, deux trip ballades à vous faire gémir sur les morts de Roncevaux et deux hard songs qu'ils ont dû mal à terminer, remettant à chaque fois que le moteur s'arrête de la gazoline dans le réservoir et c'est reparti pour un tour de piste à fond de train, sortent sous les acclamations du public dont une grosse partie est manifestement composé de fans avertis.

    BEAUTIFUL FRIENDS


    Les Scores sont dans le hall, possèdent et vibrent de l'indéfectible beauté de la vingtaine, viennent d'offrir et de partager le reliquat de leurs deux disques et de leurs t-shirts, sont maintenant maintenant réunis en cercle – ring of fire - restent soudés entre eux, même s'ils se séparent, chacun ira son chemin, encore incertain, mais mille pistes d'intensité inexplorées les attendent. Rock'n'roll can never die !

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    Damie Chad.


    CONSEIL / CLIP
    POGO CAR CRASH CONTROL

    REALISATION ROMAIN PERNO

    TEASER


    Savent faire monter la sauce les Pogo d'abord un teaser pour annoncer la parution immédiate du Clip. Tête totémique de mort sanglante qui se décharne vitesse grand V jusqu'au squelette final en neuf secondes. Plus la mâchoire inférieure qui rigole. Bientôt un nouveau clip en lettres rouges s'inscrit sur l'écran. Grand guignol pré-néolithique. Esthétique sauvage écriront plus tard les ethnologues.

    CONSEIL

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    Hall blancheur aseptisée d'hôpital. Psychiatrique. Inutile de préciser, vous vous en doutiez. Nouvelle méthode, thérapeutique douce, on laisse les pensionnaires vaquer à leurs occupations habituelles. Afin de ne pas provoquer le stress supplémentaire que ne manque pas d'induire une coupure par trop brutale avec les comportements existentiels antérieurs à l'enfermement. Me permettrai pas de condamner cette cure médicale d'un genre nouveau, me contenterai d'en juger sur pièce au vu des résultats. Que nous devons avouer déplorables.
    Certes l'on a remplacé la bonne vieille camisole de force par un t-shirt d'un blanc immaculé et d'un futal noir ébène, et on leur a refilé leurs instruments. Les pauvres, par un réflexe pavlonien du pire effet se sont précipités dessus et se sont lancés dans une répétition, peut-être même se croient-ils en leur cerveau dévasté en plein concert. Le document que nous communique si aimablement le docteur Romain Perno est des plus intéressants. Réalisé avec un scanner des plus révolutionnaires. Le principe en est simple. Au lieu de vous refiler des coupes gélatineuses de synapses en pleine action, totalement incompréhensibles pour tout individu dépourvu d'un diplôme d'ingénierie scanique, la bécane traduit l'activité mentale des neurones en les donnant à lire comme ces réactions émotionnelles qui affectent votre visage lorsque vous recevez un courrier de votre percepteur vous réclamant cinq ans d'arriéré-d'impôts.
    Terrible et effarant spectacle. La caméra se fige sur le visages de nos P3C, les images se bousculent et se coagulent, un cauchemar épileptique, les plans se succèdent et s'entremêlent, ruptures schizophréniques et fractures paranoïaques se chevauchent, rien de stable, tsunami de rictus démoniaques, éclats du miroir de l'âme fragmentée, brisée, éparpillée, tous atteints, irrémédiablement, accrochez-vous c'est la réalité du monde qui se fragmente, je n'ai jamais vu ça grommelle le docteur Perno, et j'ai bien peur que ce ne soit transmissible, une espèce de virus mental qui affecte ceux qui se trouveront pris dans les rayons de leurs yeux globuleux d'un bleu si pur, une catastrophe, je crains de rester dans la mémoire de l'humanité comme l'inventeur du bacille de Perno, le plus répugnant qui soit, vous rendez-vous compte cher Damie, encore quelques mois de recherche et j'aurai isolé le microbe de la folie. Une espèce de fibrome méningé dont la propagation se révèlera cent mille fois plus dangereux que le virus du sida. Je prévois une pandémie qui risque d'éradiquer l'espèce humaine de la planète.
    Je me hâte de répondre : certes cher Doctor Perno, c'est parti pour un sale pastis mais il y a tout de même un bon côté à ce phénomène, ce qui est mauvais pour l'humanité est visiblement et auditivement très bon pour le rock'n'roll ! Evidemment rétorque-t-il, si vous le prenez ainsi, mais restons sérieux, je vous en conjure interdisez-vous de révéler à vos lecteurs l'existence de cette vidéo... Vous risquez de déclencher l'apocalypse cérébrale générale. Je me demande même si je ne devrais pas vous interner sur l'heure. Quatre armoires d'infirmiers s'approchent de moi matraque plombée en main, je hurle, ne me touchez pas bande de brutes, mais il est déjà trop tard... Effet rédhibitoire soupire tristement le Doctor Perno.


    Damie Chad.

    THE HOWLIN' JAWS

    COMIN' HOME / I'M HOWLIN'

    DJIVAN ABKARIAN : double basse – vocal / BAPTISTE LEON : Drums / LUCAS HUMBERT : guitar

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    Comin'Home : la voix devant comme jamais sur un enregistrement des Jaws, derrière big mama et la guitare de Lucas qui sonnent le tocsin, mauvais augure qui se concrétise très vite, Djivan plus pressant que jamais, la batterie de Baptiste qui s'effondre en une dégringolade de fin de monde, Lucas qui finit la catastrophe d'un solo au couteau de commando et Djivan qui vous jette le vitriol de son vocal à la figure, tout cela pour fêter son retour. Vous n'en espériez pas tant ! I'm howlin' : lycanthropie aigüe. Djivan vous susurre un hululement à la douceur d'autant plus inquiétante, et les deux autres loups-cerviers enfuis tout droit du poème d'Alfred de Vigny, vous mijotent un de ces accompagnements de brindille foulée dans le piétinement de pattes peu bruiteuses, le genre de menace insidieuse qui ne saurait durer, vous tombe tous les trois sur un paisible troupeaux de brebis que tour à tour, basse, guitare, batterie entreprennent d'égorger méthodiquement. Le sang frais leur refile une fièvre pulsative, et Djivan clame son contentement à tous les échos. Le désir de chair fraîche n'attend pas. Un morceau à écouter comme la face obscure du petit chaperon rouge.

    Les Howlin' deviennent les serial killers du single. Troisième de laz1849bleu.jpg série. Les chasseurs de trésor sont sur les dents. Ces trois petits rectangles colorés risquent de devenir des pièces de collection extrêmement prisées par tous ceux qui ont la désagréable manie d'arriver après les batailles ou que leur maman auront éjectés de leurs ventres bien après le déroulement de l'aventure. Quand on pense à tous ces millions d'imbéciles qui n'étaient pas nés alors que l'on construisait les Pyramides ! Tout y est. Z'ont tout compris.

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    Pochettes esthétiques et morceaux d'une imparable efficacité, développent un style et un son qui n'appartiennent qu'à eux. Un des groupes français actuels les plus essentiels. Alors qu'il y a plein de britanic guys qui ne font pas preuve d'autant de pertinence imaginative et refondatrice...

     


    Damie Chad.

     

     

    AUSTIN OSMAN SPARE
    OEUVRES / Tome I

    Trad : PHILIPPE PISSIER 

    ( Collection ANIMA / Mars 2017 )

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    Je vous chronique ce bouquin, je vous sauve la vie. Ne me remerciez pas, envoyez-moi plutôt un chèque. Prochain dîner en ville, coup de Trafalgar, vous vous retrouvez assis en face de Jimmy Page, vous vous sentez mal, que lui dire qu'il ne sache déjà ? Page ce n'est pas la petite voisine du troisième qui ouvre des yeux émerveillés lorsque vous lui montrez votre collection de pirates de Led Zeppe. Ce n'est pas à lui que question rock vous allez lui en remontrer. Il existe bien une sortie de secours. Mais elle est fermée à clef, barricadée de l'intérieur avec des blocs de béton de dix tonnes. Jardin secret de Monsieur Page. Depuis des années, les journaleux n'osent plus évoquer le sujet. Secret défense, à la moindre ombre d'un semblant de fausse allusion Page devient muet comme une tombe. Son visage se ferme, une ange aux ailes cassées passe... ( voir le logo de Swan Song Records ). Ce bouquin est le cheval de Troie qui va vous permettre de pénétrer dans la citadelle. Attention, une fois que vous serez dans la forteresse, faudra assurer, avec ce diable de Page, c'est le grand jeu qui commence. C'est que dans sa vie Page ne s'intéresse qu'à deux choses : la réédition des oeuvres complètes de Led Zeppelin, et Aleister Crowley. La Grande Bête de l'Apocalypse, the king of the road 666, voici votre angle d'attaque, plein feu sur le maître du Dirigeable, Austin Osman Spare est l'anti-Crowley par excellence. Maintenant que vous avez déclaré la guerre, je ne vous laisse pas tomber, vous fournis quelques biscuits, la discussion risque d'être animée.
    Austin et Aleister se sont connus, de près. Se sont fâchés aussi. Spare ne pouvait supporter cette grande folle de Crowley. Trop de clinquant, trop de baratin, grotesque et irritant. Le cérémonial, les rituels alambiqués, les formules magicques secrètes révélées par une mystérieuse entité de l'outre-monde, Spare n'en avait rien à faire. Charlatanisme. Lui aussi pratiquait la Magie. Selon un autre mode.
    Voici donc le premier volume de ses oeuvres. Vincent Capes et Philippe Pissier ont rajouté aux quatre livres écrits et dessiné par Spare, une introduction d'Alan Moore, et un essai de Julian Moguillansky, manière de vous éviter de perdre pied à la troisième page... Spare naquit en 1886, très tôt il se fait remarquer par ses dessins qui rivalisent avec ceux de Aubrey Beardsley. Une carrière d'artiste reconnu s'ouvre devant lui, mais peu à peu il s'en détournera et finira par y renoncer. Une tâche bien plus étrange l'accapare...

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    L'est de ces hommes qui cherchent au-delà du vernis de la réussite sociale à réaliser leur moi profond, afin d'en éprouver les modalités les plus opératives. Il ne s'agit pas de faire quelque chose ( de bien ou de mal ) de sa vie, le dernier imbécile venu y parvient sans difficulté, mais d'acquérir une intime compréhension de la réalité afin de pouvoir l'acter selon sa volonté.
    Le lecteur ne sera pas sans penser au concept de volonté de puissance de Nietzsche, mais le travail d'un Spare est davantage redevable de la tradition ésotérique que de la philosophie occidentale proprement dite. D'où l'emploi d'un vocabulaire qui n'est pas spécifiquement défini. A la place de concepts il use de vocables utilisés en tant que points de fixation et de globalisation sémantique, le mot envisagé en sa puissance poétique imaginale, ce qui laisse évidemment libre-cours à maintes indéterminations.
    Le vecteur de base sparien est le Moi. Rien à voir avec l'égo ou le cogito. Simplement mon appréhension du monde. Premier piège à éviter : ne pas penser que vous détenez la vérité. Si vous trouvez que le paysage est beau, n'oubliez pas que quelqu'un d'autre le trouvera laid. Pire, même si tout le monde se pâme, la possibilité qu'il soit empreint de laideur n'en demeure pas moins. Ni beau, ni laid. Ni-Ni exclut le nihilisme tout comme moins par moins induit la positivité mathématique. Ni-Ni signifie les deux à la fois, en le sens que toute présence objectale s'inscrit dans la dualité de sa non-existence. Deuxième piège à éviter : ne pas céder au doute. Choisissez. Assumez, en toute connaissance de cause. Remarquez en passant que la non-existence de Dieu n'est guère plus importante que l'absence causale aristotélicienne... Bizarrement nous sommes sur une route qui n'est pas sans parallèle avec la démarche kantienne !
    Maintenant que vous avez réduit le champ des possibles de l'univers à la non-existence de sa possibilité impossible, il vous reste à agir dans cette espèce de zone de haute neutralité qu'est la réalité. Austin Osman Spare possède sa méthode : les sigils. Les sceaux. S'agit de se fabriquer un signe qui vous permette d'oeuvrer au sens quasi-alchimique de ce terme. Ne vous trompez pas, la réalité extérieure n'offre guère d'intérêt. Elle n'est qu'une interprétation infinie. Ma représentation selon Schopenhauer. L'autre versant de votre volonté élective. Les strates du monde sont à l'intérieur de vous. Freud appellera cela l'inconscient. Mais ne l'imaginez pas comme la poubelle de vos interdits et de vos peurs de laquelle vous ne pouvez de temps en temps vous empêcher de soulever le couvercle. Non, considérez plutôt le gouffre abject de vos immondices phantasmatiques en tant que matrice des temps perdus – qui sont donc aussi conservés – je vous laisse à vos explorations archéologiques. C'est ainsi dans ce mémoriel terreau temporel que l'induction magique de la subjectivité s'objectivise.

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    Les sceaux sont comme des symboles, des signes simplifiés à l'extrême que vous griffonnez à tâtons sur un morceau de papier dans le but de les mentaliser facilement. Les tenir toujours en représentation dans votre esprit durant votre vie quotidienne. Vous serviront au moment idoine, un peu à l'instar de ce couteau suisse que vous trimballez depuis deux ans dans votre poche mais qui à l'instant précis et critique se révèle l'outil idéal qui vous permet de vous tirer d'une situation difficile... Les quatre espèces de runes zodiacales qui ornent la pochette du Zeppelin IV ne seraient-ils pas des sceaux spariens ?... Profitez-en pour accuser Page de haute trahison. Autre piste de recherche : cette mode des monogrammes dans les milieux artistiques à la fin du dix-neuvième siècle desquels les doctes chercheurs universitaires ne se sont jamais enquis... Et pourtant que de réflexions à mener lorsque l'on considère l'analogie graphique de l'entrelacement serpentaire mallarméen avec la constellation finale du Coup de Dés...
    Spare s'est aussi intéressé à la technique du dessin inconscient. Dessiner sans réfléchir, pour ensuite réfléchir à ce que vous avez dessiné. L'écriture automatique des surréalistes n'est pas loin, mais les buts poursuivis ne sont pas les mêmes. Le surréalisme c'est encore le Connais-toi toi-même de la sentence inscrite sur le fronton du temple de Delphes, Spare c'est la deuxième partie de la devise, celle qui établit la nature des Dieux... Le livre présente de nombreux dessins de ce type. Qui ne sont pas très esthétiques, du moins à mon goût, mais ce n'est pas la recherche de cette qualité qui a présidé à leur élaboration, à leur menstruation psychique. En ajout des travaux graphiques de l'artiste, notamment des projets d'Ex-Libris, ces petits rectangles de papier, autant marque d'appropriation hommagiale qu'exaltation hiéroglyphique de soi-même que les bibliophiles se faisaient un devoir de coller sur les pages de garde de leurs exemplaires, tradition qui s'est quelque peu perdue mais qui d'après moi survit étrangement dans ces flyers que les groupes de rock distribuent pour annoncer leurs concerts... Quand on aura rajouté que le sexe semble être pour Austin Osman Spare un moyen initiatique et destructeur des plus essentiels, le lecteur se retrouve en pays de connaissance. Notons que Spare emploie souvent le mot femme quand il veut signifier sexe... Soyez déductifs.
    Les recherches de Spare sont relatives, pour ne pas dire absolument relatives – à l'obtention d'une vie de plaisir. Il ne s'agit pas de copuler à outrance. Mais c'est ici que nous voyons s'inscrire en filigrane une des faiblesses de la pensée ésotérique. Celle-ci est fortement marquée par la culture chrétienne qui a accompagné sa naissance et son déploiement. Bien entendu elle possède aussi ses racines païennes, mais elle s'est avant tout pour ce qui nous concerne développée en des siècles éminemment christianophiles. Si bien que Spare et Crowley nés et élevés dans l'Angleterre protestante ont érigé leurs oeuvres impénitentes à l'encontre du puritanisme anglo-saxon. Mais culturellement imprégnés d'un substrat biblique ils ont tenté de pervertir ce legs nauséabond de l'intérieur. Leur vision de la sexualité n'est pas libératoire telle que notre modernité la conçoit, ils effectuent un travail de sape en la présentant comme un retour aux temps édéniques. Perfection de la nudité éveillante d'Eve. Effraction des portes originelles. Au siècle précédent, Les Chants d'Innocence et d'Expérience de William Blake s'aventuraient déjà en de telles et semblables extrémités. Spare est vraisemblablement plus près de Blake que Crowley attiré par l'exemple communautaire de l'abbaye de Thélème. Le fait que Blake et Spare aient été avant tout des artistes – alors que Crowley s'inscrit par devers ses qualités intrinsèques d'homme de lettres et de poète dans le registre des grands communicants – explique la filiation en quelque sorte naturelle entre Spare et Blake qui illustrait ses propres textes.
    Austin Osman Spare finit sa vie dans un relatif anonymat. Entouré de ses chats dans le Londres populaire. L'homme s'effaça de lui-même. En notre pays, son nom a disparu de la mémoire collective. Il n'en est pas de même en Angleterre où il ne fut jamais entièrement oublié et où son oeuvre graphique et sa trajectoire individuelle fascinent de nouvelles générations. Il est aujourd'hui considéré comme l'un des générateurs de la Magie du Kaos... Pour les lecteurs sceptiques quant au sérieux des élucubrations de type sparien et crowleyen, emplis de doute cartésien, nous conseillerons de lire Vision de Yeats, ils ne trouveront pas meilleure introduction, issue du répertoire estampillé «  Littérature sérieuse, grand écrivain », à ce type de démarche intellectuelle des plus borderline. Si le Christ a marché sur l'eau pourquoi l'homme s'interdirait-il de s'aventurer au-dessus de l'abîme !
    Les esprits curieux ne manqueront pas de se procurer ce premier volume, grand format, papier Bouffant, impression exemplaire, couverture d'un orange philosophal rehaussé d'une titulature d'un jaune aussi dorée qu'une aube, 290 pages, pour la modique somme de 23 euros. Pas cher. Mais le chiffre de l'Eris. Certains comprendront. Mais un lecteur averti en vaut deux.

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    En tout cas, Jimmy Page connaît tout cela.

     


    Damie Chad.

    P. S. : lire aussi notre chronique sur Magick d'Aleister Crowley in KR'TNT ! 162 du 07 / 11 / 2013. Vous y retrouverez en ses oeuvres les plus figuratives Philippe Pissier qui s'impose de plus en plus comme l'un des activistes ésotéristes les plus germinatifs de notre temps. Une figure essentielle à découvrir.