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  • CHRONIQUES DE POURPRE 664 : KR'TNT ! 664 : TCHOTCHKE / DARTS / JACKIE DESHANNON / LIVERBIRDS / CHRIS CLARK / BEE DEE KAY DRIVES THE U.F.O. ZZZ + MARY / ASHEN / ACROSS THE DIVIDE / AUSTIN OSMAN SPARE

    KR’TNT ! 

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 664

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    07 / 11 / 2024

     

     

    TCHOTCHKE / DARTS / JACKIE DESHANNON

     LIVERBIRDS / CHRIS CLARK

    BEE DEE KAY DRIVES THE U.F.O. ZZZ + MARY

    ASHEN / ACROSS THE DIVIDE

    AUSTIN OSMAN SPARE

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 664

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    L’avenir du rock

     - Tchotchke de choc

             — Comment pouvons-nous te choquer, avenir du rock ?

             — Ça risque d’être très difficile...

             — Si on te traite de gros con, ça va bien te choquer, non ?

             — Pas le moins du monde. C’est un fait que j’assume avec fierté.

             — Alors si on te traite de petite bite, tu vas blêmir, non ?

             — Vous ne connaissez pas les privilèges de l’hermaphrodisme, bande d’ignares...

             — Ah tu vas le prendre vraiment très mal si on te traite de sale juif !

             — Pfffff, c’est d’une banalité qui frise l’indigence, ou pire encore, le manque d’imagination. Comment veux-tu que ça puisse me choquer ? Par contre, si tu me traites de sale nègre, là, oui, c’est intolérable.

             — Bon alors, on va te clouer le bec pour de bon en te traitant de sale beauf...

             — C’est effectivement ce qui peut arriver de pire à un être humain. Chaque fois que t’en croises un, t’es partagé entre deux façons de réagir : le dégoût ou la compassion. Les beaufs se reproduisent comme les rats, ça prolifère, t’en as partout, même dans ta famille et tes cercles rapprochés. Tu soulèves une pierre sur le bord du chemin et tu les vois grouiller. Spectacle dégoûtant ! Les beaufs c’est ça, mais si tu traites de beauf quelqu’un qui ne l’est pas, ça ne sert à rien. C’est une injure gratuite, qui fait autant d’effet qu’une balle à blanc. C’est un coup d’épée dans l’eau. Désolé d’avoir à vous dire ça, les amis, mais votre notion de choc est complètement dépassée. Aujourd’hui, on ne parle plus de choc mais de Tchotchke. Attention, amigos, ce n’est plus du tout la même chose. 

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             T’arrive devant la scène avec la gueule enfarinée. Trois petites gonzesses déboulent sur scène. Tu ne sais même pas comment elles s’appellent. Bof, une première partie des Lemon Twigs, ça devrait pas être trop mal.

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    Devant toi, la petite bassiste s’applique et ramène, par sa seule présence, toute la fraîcheur du monde dans le set. Là-haut, sur son estrade, la batteuse/chanteuse allume ses cuts un par un, et là-bas, de l’autre côté, la guitariste gratte sa Strat sans effet, elle reste en mode clairette. On l’aura compris : zéro frime.

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    Tout est dans les chansons. En fait, elles jouent une pop très dépouillée, mais au fil des cuts, tu sens comme le poids d’un envoûtement sur ta pauvre vieille cervelle. Tu comprendras mieux plus tard, quand tu apprendras qu’elles ont enregistré leur album chez les frères d’Addario, ce qui est un sacré gage de qualité. Il est parfois bon de ne rien savoir quand tu vois un groupe sur scène. Tu juges sur pièces. C’est bon ou c’est pas bon. Les Tchotchke, c’est bon, et même super-bon. Cut après cut, elles étendent leur empire et ça te monte vite au cerveau.

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    La batteuse s’appelle Anastasia Sanchez, elle navigue exactement au même niveau que Curt Boettcher, elle sait vriller son chant pour créer de la magie pop, notamment sur «Oh Sweetheart One», ce chef-d’œuvre de candy pop collante et dégoulinante de candeur, monté sur une structure d’une ahurissante simplicité.

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    Derrière son micro et ses fûts, Anastasia vrille des couplets d’une indicible beauté. Tu vas retrouver cet objet d’art pop indubitable sur leur album sans titre. L’autre merveille du set s’appelle «Dizzy», qui sonne comme une fabuleuse descente dans le lagon d’argent de la pop, ces trois gonzesses sont aussi ambitieuses que les Lemon Twigs, elles flirtent elles aussi avec le génie pop de Brian Wilson. Elles tapent plein de merveilles qui ne figurent même pas sur l’album, franchement, t’en reviens pas de toute cette qualité. T’as l’impression que le monde pop s’enfonce dans la médiocrité, et tout à coup, les Tchotchkettes et puis les Lemon Twigs te remettent les pendules à l’heure. Alors tu reprends espoir. Grâce à ces deux groupes, les Byrds, les Beatles et Brian Wilson restent d’actualité. Ils sont aussi précieux que l’air qu’on respire.

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             L’album sans titre des Tchotchke est une petite merveille, cela va sans dire. T’es tout de suite dans le haut de gamme avec «You’ll Remember Me», belle pop ambivalente, d’essence impérissable, elles disposent de cette faculté extraordinaire à savoir vriller le chant pop. C’est du Brill d’obédience vertigineuse, quasi spectorienne sur le bonus track. Anastasia chante comme une reine de Nubie blanche. On recroise ces deux coups de génie que sont «Dizzy» et «Oh Sweetheart One», mais tu vois aussi Anastasia swinguer «Come On Sean» à la pointe de la glotte, et sur «What Should I Do», tu entends les frères d’Addario. Ce fantastique cut de salubrité publique sonne comme un hit du Brill. On croise aussi ce «Don’t Hang Up On Me» joué sur scène, une pop d’essence cristalline et aérienne. Elles s’en donnent toutes les trois à cœur joie, franchement c’est un bonheur que de les voir sur scène chanter cette merveille d’exubérance. Et comme l’album est bien produit, tu retrouves tout le punch de la version scénique. Nouveau coup de Jarnac avec «Whish You Were A Girl» : fantastique shoot de Brill, ah on peut dire qu’elles Brill au firmament, Anastasia mène sa pop flamboyante qui explose en solaces d’excelsior au moindre refrain. Et avec «Longing Delights», tu retrouves toute la folie des Lemon Twigs dans cette apothéose de pop wilsonienne.

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    Signé : Cazengler, le poids des mots, le tchotchtk des fautes

    Tchotchke. BBC. Caen (14). 25 septembre 2024

    Tchotchke. Tchotchke. Tchotchke Records 2022

     

     

    She Darts it right

     - Part Three

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             Sur scène, les Darts restent imbattables. Incompressibles. Irréprochables. Indéfectibles. Inévitables. Immédiates. Inoculables. Infaillibles. Irrésistibles. Immatures. Infectueuses. Impondérables. Indémodables. Intarissables. Indubitables. Mais prenons garde, car à force de plasticité gaga, elles finiront par nous insupporter autant que les Fleshtones. Pas besoin de sortir de Saint-Cyr pour savoir que le gaga est un genre dramatiquement limité, surtout le gaga-dorgua, celui des Fuzztones et des Lords Of Altamont en particulier. Les gangs de gaga-dorgua passent leur vie à vouloir briser une routine qu’ils ne briseront jamais, car la routine est leur spécificité. La routine d’orgua est leur ADN. Seuls Question Mark & The Mysterians ont su briser le sort de la routine gaga-dorgua. Ils ont dû pour ce faire verser 96 larmes. Cry cry cry.

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             Un set des Darts s’avale d’un trait, pas de problème. Comme tous les sets, celui des Darts connaît des hauts et des bas, de beaux hauts dirons-nous, et des bas pas beaux. Jusques là, rien de nouveau. Fidèle à sa tradition, Nicole Laurenne multiplie les antics, à défaut d’être la reine du rodéo, elle est celle des cabrioles, elle bat même Jake Caveliere à la course, elle adore s’allonger au sol et faire tomber son Farfisa sur elle, elle adore empêcher sa guitariste de jouer en l’enlaçant comme un boa constrictor, elle adore sauter sur place, d’ailleurs, elle ne fait que ça, elle est très athlétique, incapable de rester calme plus de trois secondes. Elle observe bien le rituel du gaga-dorgua qui consiste à chasser les temps morts, tout doit sautiller en permanence, l’énergie doit couler à flots, ça doit pulser dans les tubulures, ça doit couiner dans les circuits. C’est drôle comme ce genre parvient à survivre, malgré ses limites. On continue d’aller voir ces groupes sur scène et, pire encore, on continue de ramasser les disks au merch. Cette manie pourrait s’apparenter à une bonne petite pathologie. T’es là, et dans les moments de grande intensité, tu te demandes pourquoi t’es là. T’en sais rien. Tu vois tout ça de l’extérieur. Tu ne peux pas faire semblant d’être le fan que tu n’es plus.

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    Alors tu observes, essayant désespérément de ne pas trouver le spectacle (dans son ensemble) grotesque. Quel sens ont les Darts aujourd’hui ? C’est en te posant ce genre de question que tu peux espérer y voir plus clair.

             Au pire, le set te fatigue. Au mieux, il te remonte un peu le moral. Dans l’in between, ça grouille de considérations :

             — Ouais, c’est bien de perpétuer la tradition.

             — Ouais, tant que des groupes comme les Darts monteront sur scène, le cœur du rock continuera de battre.

             — Ouais, elle en fait un peu trop, mais il vaut mieux en faire trop que pas assez.

             — Ouais, ça fait vingt ans qu’elle se maintient à niveau.

             — Ouais, elle est l’une des meilleures dans son genre, aussi bonne que la Flavia des Courettes et la Jackie des Jackets.

             — Ouais, les Darts, ça darde !

             — Ouais, c’est sûr qu’on va retourner les voir le mois prochain. Encore une bonne soirée en perspective ! Ouais ! Mille fois ouais !

             — Ouais, avec les Darts, c’est du zyva automatique. Tu ne te poses des questions qu’une fois arrivé sur place.

             Effectivement, tu te prends au mot et t’y retournes. Cette fois, dans ton spot préféré, au Petit Bain, là où ça rocke le boat pour de vrai. Quand elles déboulent sur scène, elles balaient le souvenir des deux premières parties, c’est tout de suite américain, c’est tout de suite en place, c’est tout de suite les Darts, c’est tout de suite wham bam, c’est tout de suite «Underground» et tout de suite suivi de «Graveyard», c’est tout de suite du 100 à l’heure, c’est tout de suite mal barré pour les canards boiteux, c’est tout de suite claqué du beignet, c’est tout de suite exactement la même set-list qu’à Rouen un mois auparavant, alors tu n’as plus qu’à te laisser porter, elles font tout le boulot, tu veux ta rasade ?

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    Elles te la servent sur le meilleur des plateaux d’argent, et t’as une salle bourrée de fans. Au moins ceux-là ont payé. Nicole Laurenne ressort tout son bataclan, la course sur place, le dos au sol avec le Farfisa sur le ventre, et toute la fantastique présence scénique dont elle est capable. Elle rampe pas mal, elle semble en donner encore plus aux Parisiens et puis c’est dit-elle le dernier set d’une tournée qui a commencé au mois d’avril. Le centième ! Elle devrait en avoir marre, mais elle y va. Elle est encore meilleure qu’avant, et le set des Darts prend du relief, le jeu de scène est bien rôdé, t’en veux pour ton billet ? Tiens-en voilà pour ton billet.

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    Ça rocke à outrance, les deux bras droits de Nicole Laurenne s’en donnent à cœur joie, elles voyagent pas mal sur scène, et derrière, la petite  Mary Rose aux cheveux verts bat un beurre de tous les diables, elle ne fait pas dans la dentelle. Nicole Laurenne communique bien avec le public, elle a fait des progrès en français. Et puis elle a cette façon de lancer les cuts qui tape chaque fois en plein dans le mille, la main droite sur le clavier et, face au public, elle court sur place en secouant les cheveux. Elle court très vite, on a même l’impression qu’elle accélère.

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    Et au bout d’une heure de bons et loyaux services, elles finiront de gaver les oies : t’auras exactement le même rappel qu’à Rouen, avec «Love Tsunami», «Shit Show» et «Liar». Ensuite ? Eh bien ensuite, tu sortiras de là sonné et ravi. T’auras vu trente-six chandelles et, last but not least, t’auras aussi vu le real deal des girl-groups contemporains. Et t’auras bien mérité un dernier tonic à la cantine.

             Et les disks dans tout ça ?

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             Avec Snake Oil, tu t’aperçois que Christina Nunez vole bien le show avec son fat bassmatic, notamment dans le morceau titre d’ouverture de bal. Les Darts sont folles : elles attaquent à la stoogerie avec un bassmatic pétaradé. Ah comme elle patate bien, la grosse Christina ! Elle est mixée à l’avant du son et ça lui donne de sacrées coudées franches. Les Darts adorent filer tout droit, comme le montre encore «Love Tsunami», et on assiste toujours au même déroulé. Nicole Laurenne compose tout, elle contrôle tout le monde des Darts. Même le merch, c’est elle. Elle tape son «Love Song» en mode Big Astmospherix assez hellish. Avec «Underground», on assiste à un fabuleux déroulé périphérique, elle rafle la mise à coups de put it down, elle adore faire exploser ses cuts, en studio comme sur scène. Avec elle, ça se remet en route vite fait. Elle tape son «Donne Moi Tout» en français. Dommage que le chant soit noyé dans la morasse. Les derniers fans de gaga-dorgua vont forcément bien se régaler avec cet album qui a pour principal mérite celui d’exister.  

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             Comme elles traversent une grosse crise de productivité, elles sortent un tout nouvel album : Boomerang. Pochette superbe, avec une sorte de graphisme crypté. Ambiance murs tagués du CBGB. Elles repartent de plus belle à la conquête du Mondo Bizarro, elles enfoncent bien leur clou dans la paume de la routine et attaquent au gros tatapoum. Il faut attendre «Pour Another» pour frémir sincèrement. Belle attaque de bassmatic invasif. Elles développent un fantastique heartbeat. Christina Nunez gratte un sacré thème, il faut bien admettre qu’elle est l’une des cracks du bassmatic moderne. Puis les Darts replongent dans leur fontaine de jouvence avec un «Liar» classique mais bienvenu, et ça explose plus loin avec «Photograph». C’est encore Christina qui attaque ça en coupe réglée. Pas de pitié pour les canards boiteux ! Darty for real ! Elle lâche encore un bassmatic de destruction massive sur «Hell Yeah». En fait, c’est elle, la grosse, la star des Darts. Belle énormité encore avec «Night». Toujours cette fantastique énergie pulsative, même dans les cuts lents. Le turbo processeur est de retour avec «Welcome To My Doldrums» : basse pouet pouet et drive d’orgua, véritable effusion d’effervescence, c’est brillant et dévastateur. Du coup, t’as hâte de les revoir sur scène. C’est comme si tu ne pouvais plus t’en passer.

    Signé : Cazengler, Dark

    Darts. Le 106. Rouen (76). 22 septembre 2024

    Darts. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 19 octobre 2024

    Darts. Snake Oil. Alternative Tentacles Records 2023

    Darts. Boomerang. Alternative Tentacles Records 2024

     

     

    Wizards & True Stars

     - Shine on De Shannon

     (Part One)

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             On va profiter d’une petite actu sur la belle Jackie DeShannon pour lui consacrer un Part One plus que bien mérité. S’il en est une qui entre de plain-pied dans la cour des Wizards & True Stars, c’est bien elle. Dans Record Collector, Lois Wilson indique que la belle Jackie atteint l’âge canonique de 83 balais et qu’elle se produit encore - Still performing - Elle a fait ça toute sa vie. Elle dit ne pas se souvenir d’un seul instant où elle ne composait pas, ou ne chantait pas.

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    (Sharon Sheeley & Eddie Cochran)

             Pas compliqué la vie : il suffit de devenir pote avec les Beatles quand ils font leur première tournée américaine en 1964. Puis t’as les Byrds et les Searchers qui reprennent tes compos. Alors ça devient easy. «When You Walk In The Room», c’est elle, et la naissance du folk-soul-rock de Laurel Canyon, c’est encore elle avec, justement l’album Laurel Canyon. C’est assez con à dire, mais il n’existe pas de blonde plus légendaire que la belle Jackie. Elle a aussi pas mal tapé dans Burt («What The World Needs Now Is Love»). Elle est très prématurée, elle se fait connaître à l’âge de 13 ans sous le nom de Sherry Lee, et à 16 ans sous le nom de Jackie Dee. En 1960, elle signe un publishing deal avec Liberty et devient pote avec Sharon Sheeley, la poule d’Eddie Cochran, qui a déjà pondu des hits pour Eddie et Ricky Nelson. Cot cot ! Elles bossent ensemble, Jackie fourbit la mélodie et elles tapent les lyrics ensemble. Mais son deal chez Liberty n’est pas bon. Ils veulent la voir composer, pas chanter. Elle parvient quand même à enregistrer un premier album en 1963. Elle y tape trois covers de Dylan. Elle voulait faire tout l’album avec des covers de Dylan, mais les mecs de Liberty n’ont pas voulu. Pourquoi ? Parce qu’ils n’ont rien pigé à Dylan. On y reviendra dans un Part Two, car cet album est un gros morceau. Elle raconte aussi qu’elle a dû se battre pour enregistrer le «Needles & Pins» de Sonny Bono et Jack Nitzsche - Liberty didn’t like that song either. They thought it was strange. But I put my foot down this time. I knew I had to do it - Eh oui, elle a eu raison de tenir bon. C’est l’un des plus beaux hits d’Amérique. 1963 ! Elle est déjà très en avance sur son temps. Le seul qui la comprenne, c’est Jack Nitzsche. Ensemble, ils écoutent Malher, Stockhausen, Wolf et Robert Johnson. Il n’y a pas de hasard, Balthazar. En 1963, les Searchers sont à Hambourg avec les Beatles et Cliff Bennett. Ils découvrent «Needles & Pins». Flash immédiat - We were awestruck by the song - La même année, ils tapent leur cover de «When You Walk In The Room». Pendant la fameuse tournée américaine des Beatles en 1964, le public hue les premières parties, même les Righteous Brothers. La seule qui tient le choc, c’est la belle Jackie.   

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             En 1965, elle rencontre Burt. Elle flashe sur «What The World Needs Now Is Love». Mais Burt ne veut pas lui filer la chanson. Pourquoi ? Parque que Dionne la lionne n’a pas voulu l’enregistrer - she turned it down - Pareil pour Timi Yuro qui l’a aussi refusée. Hal David insiste. Burt cède. Ce sera le hit que l’on sait. Et bien sûr, Dionne la lionne va se dépêcher de l’enregistrer.

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             En 1966, les Byrds accompagnent la belle Jackie quand elle enregistre «Splendor In The Grass». Croz : «Jackie was amazing. She was an inspiration and she was fun. She’s a one-off original.» Les Byrds tapent une belle compo de Jackie sur leur premier album, «Don’t Doubt Yourself Babe». C’est l’année où Los Angeles explose - So many clubs on Sunset. It was wonderful - C’est là qu’elle enregistre le fabuleux Laurel Canyon. Derrière elle, on retrouve Dr John au piano, Barry White dans les chœurs. Elle ouvre la voie pour Joni Mitchell et Carole King.

             Elle quitte Liberty en 1970, et Capitol lui bousille son Songs en 1971 (on y revient plus loin). Elle débarque ensuite sur Atlantic. Wexler l’envoie aussitôt à Memphis. Elle enregistre Jackie chez Chips. Autour de Chips, Arif Mardin, Tom Dowd et Wexler s’entassent dans la cabine. Les Memphis Boys assurent le backing de Jackie superstar. Pour les becs fins, Jackie navigue exactement au même niveau que Dusty in Memphis. Pareil, on y revient dans un Part Two.

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             Voilà-t-y pas qu’Ace réédite son album de covers de Ray Charles, Nothing Can Stop Me. Liberty Records Rareties 1960-1962 - I’m really proud of them - Elle explique qu’à l’époque elle savait tout faire, du Burt, du Ray Charles, du Needles, du Dylan, et son label voulait qu’elle reste dans un genre bien défini, alors qu’aujourd’hui, dit-elle, on demande aux artistes de se diversifier. Elle prend l’exemple de Rod The Mod - Back then, my diversity was a curse. But I was actually ahead of the curve.

             Alors oui, on saute sur Nothing Can Stop Me. Liberty Records Rareties 1960-1962. Elle est en effet très jeune sur la photo de pochette. Mais elle chante son Ray d’une voix rauque, presque black. Elle est très sauvage. Elle aurait pu taper du rockab. Avec «I Got A Sweetie», elle claque un gospel black de petite vertu. Par contre, elle force trop son «What’d I Say», elle y va au tell you mama de bonne bourre. Elle jette toute sa niaque dans la balance de «Georgia On My Mind» et devient fabuleuse d’à-propos dans «Hallelujah I Love Her So». Yes I know ! Elle s’en sort vraiment avec les honneurs. Comme toujours chez Ace, les bonus grouillent de puces. On la sent folle de Ray. On la voit twister près du juke sur «Stand Up & Testify» et son «Baby (When Ya Kiss Me)» est de très haut niveau, fast & battu sec, avec des violons. On est frappé par la qualité des interprétations et des orchestrations. Elle devient folle avec «That’s What Boys Are Made Of» et ça se termine avec l’heavy pop de «Don’t You Feel Sorry For Me», fantastique cut d’époque avec le solo de sax et les clap-hands.

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             Chez Ace, on ne fait jamais les choses à moitié. Nos amis anglais ont entrepris de compiler tous les singles de Jackie sur trois volumes. C’est très consistant, très passionnant et recommandé pour les longues soirées d’hiver. Le volume 1 couvre la période Liberty - qui était aussi le label de Bobby Vee, de Johnny Burnette et d’Eddie Cochran - de 1960 à 1963. Certains morceaux sortis du contexte des albums redeviennent des bombes, d’où l’intérêt de ce genre de compile. On note aussi que les premiers singles de Jackie sonnent comme ceux des Coasters et de Brenda Lee. Elle faisait sa gutturale des cavernes. Elle bricolait un rock de fille et elle se battait bien avec son micro. Elle a commencé à virer jerk avec « Ain’t That Love » qu’elle prenait d’une voix fêlée et qu’elle chantait comme une bête fauve. Elle révélait son animalité. Elle prit à partir de là l’habitude de se racler la gorge et de se faire passer pour une méchante. Elle enregistrait aussi pas mal de slows super-frotteurs qui ont dû favoriser l’éclosion du baby-boom américain. Avec « Needles And Pins », on entrait enfin dans le vif du sujet : elle devenait l’inventeuse de la pop moderne. Elle tirait ça d’une voix de meneuse qui cinquante après impressionne toujours autant. Elle montrait au passage sa passion pour le gospel avec « Oh Sweet Charriot » et balançait un hit de r’n’b digne des Supremes, « Till Ya Say You’ll Be Mine » qui explosait de vigueur éclatante. Et bien sûr on avait à la suite l’éclair de génie du Walk In the Room, avec ses tambourins et ses maracas, un point de repère dans l’histoire du rock.

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             Avec le volume 2, on monte en puissance. Il est à cheval sur Liberty et Imperial, et couvre la période qui va de 1964 à 1967. On y retrouve cette monstruosité punk, cette énormité de jerk de cave qu’est « It’s Love Baby ». Sur « Don’t Turn Your Back On Me », Jimmy page bat le riff. Complètement légendaire. « A Lifetime Of Loneliness » est une merveille de Burt mélodiquement parfaite. Riche car travaillée dans l’essence même du capiteux. Elle remonte au signal pour fracasser le plafond de verre. Cette fille là, mon vieux, elle est terrible ! On assiste à une montée d’intensité quasi-orgasmique. Puis elle chante « I Remember The Boy » à la cantonade. Elle montre sa puissance en tapant dans le haut de la mélodie. Elle s’y révèle la fabuleuse shouteuse qu’on va retrouver ensuite au fil des albums. C’est ferrailleux, solide. Elle dégouline de classe. Elle joue son folk-rock princier en montant dans les octaves et elle fait sauter tous les bouchons. Monstrueux. On retrouve le fabuleux « Come And Get Me » de Burt et « Splendor In The Grass », où les Byrds l’accompagnent. Avec tous ces singles extraordinaires, elle atteint son âge d’or. Ce volume est le plus dense des trois.

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             Le volume 3 couvre la période 1967-1970, jusqu’à la fin de son contrat avec Imperial. On la sent attirée par le son hollywoodien, car elle commence par sortir une série de singles trop produits (« Changin’ My Mind », « It’s All In The Game » et « I Keep Wanting You »). Avec « Me About You », on la voit embobiner la mélodie. Elle joue à la superstar hollywoodienne, elle mène sa barque et tout le monde se prosterne à ses pieds. Elle fait rêver l’Amérique blanche. « Effervescent Blue » est une pure merveille insolite chantée à la manière de Diana Ross. C’est d’une classe extrême. Elle s’y révèle l’égale des grandes shouteuses de jazz. Elle brise les mythes sur ses genoux. On retrouve le beautiful folk-rock de « Laurel Canyon » et ce furieux hit qu’est « What Is This », tout secoué de guitares. « Always Together » est une belle pièce lumineuse qu’elle éclaire de sa voix. Imbattable. C’est à ce genre de single qu’on voit la grandeur d’une interprète. Elle a une façon particulière de monter son feeling dans la lumière de l’harmonie. Encore une pure merveille avec « Keep Me In Mind », mid-tempo élégant et mélodique, prodigieusement inspiré et qu’elle amène à sa façon pour en faire une pop étrangement veloutée et artistement décolletée. On retrouve aussi l’éclat de « Brighton Hill » qu’elle passe au filtre hollywoodien. Elle ne s’arrête jamais. Elle enfile les hits comme des perles. Les gentils compileurs d’Ace ont aussi pensé à mettre l’effarant medley « You Keep Me Hanging On/Hurt So Bad », version ultime et mortelle randonnée, elle en fait de la charpie, comme le fit le Vanilla Fudge. Les trois derniers singles sont faramineux : « It’s So Nice » (hit soul), « Mediterranean Skies » (incroyablement moderne pour l’époque) et « Bird On the Wire ».

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             Dans sa collection « Songwriters », Ace a bien sûr pensé à bricoler un volume Jackie DeShannon qui s’intitule Break-A-Way. Ça commence avec la version endiablée de « Break-A-Way » d’Irma Thomas, qui est accompagnée par un batteur drôlement énervé. On tombe ensuite sur le « When You Walk In The Room » des Searchers qui fut l’un des groupes préférés de Mark E Smith. Idéal pour les soirées sixties. Hit parfait. Ces mecs-là avaient tout l’arsenal : l’énergie et les harmonies vocales. Cher reprend « Comme And Stay With Me ». Elle préfigure Chrissie Hynde. Cher est sublimement punkoïde, même si la chanson vire poppy avec des clochettes à tous les coins de rues. Cher était une vraie hargneuse. Elle connaissait tous les secrets du frisson. Mais on trouve aussi pas mal de déchets : les reprises des Fleetwoods, d’Helen Shapiro, de Dick Lory, de Brenda Lee, de Peter James et de Dobie Gray ne volent pas haut. « Carrying A Torch » par Wynona Carr vaut le détour, car c’est magistralement interprété. La valse des déchets se poursuit jusqu’à la reprise de « Splendor In The Grass » par les Boys et leur gros son gloomy, mais c’est facile, car la chanson est bonne. Les Boys sonnent comme des Byrds, mais ce sont des filles. On a là un pur joyau de Californian Hell. Fabuleuse reprise de « Should I Cry » par les Concords. Leur version est complètement dévoyée. S’ensuit un autre chef-d’œuvre, « Thank You Darling » repris par Rick Nelson, chanteur exceptionnel. Autre merveille : « Would You Come Back » par Eddie Hodges, traitée au laid-back alcoolisé du matin difficile et joliment ramassé dans le titubant. Une autre perle avec « Day Dreaming Of You » par les Fashionnettes, exercice de style admirable signé par un girl-group kitschy. C’est aux Byrds que revient l’insigne honneur de refermer le cortège avec une version exceptionnelle de « Don’t Doubt Yourself Babe » qu’ils traitent à la mode de l’apothéose. On en n’attendait pas moins des Byrds.          

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             Le volume 2 consacré à la songwriteuse vient de sortir : She Did It. The Songs Of Jackie DeShannon Volume 2. Comme le précédent, cet album dégage un petit parfum de dynamite. S’il en est une qui sait écrire des chansons, c’est bien Jackie. Les volumes Ace jettent une lumière crue sur les grands artistes. Elles sont un complément indispensable à la discographie de ces artistes, surtout dans le cas de Jackie. C’est à Dorothy Morrison que revient l’honneur de taper dans « Put A Little Love In Your Heart », un gros r’n’b monté sur la basse. Dorothy se montre digne des géantes de Stax. On retrouve un peu plus loin le grand Dave Berry et « I’ve Got My Tears To Remind Me », avec l’énergie du Swinging London. Pure merveille d’antiquaire. Brenda Lee tape dans « My Baby Likes Western Guys » et elle y va au guttural. Elle s’arrache tout, mais on salue la beauté du geste. On retrouve la grandeur des Ronettes pour « He Did It » vieux hit sixties sha-la-la-té et extrêmement juteux. Gros choc émotionnel avec Marianne Faithfull qui reprend « With You In Mind » au gothique moyenâgeux. Elle en fait même un peu trop et se prend pour Guenièvre. Par contre, les Righteous Brothers ne rigolent pas. Dans leurs pattes, « Burn On Love » devient une monstruosité, ils chauffent la tambouille et multiplient les renvois de voix au loin. Avec Jackie, on retrouve l’équation magique Spector/Righteous. Encore une merveille oubliée : « Each Time » par les Searchers. Fantastique écho. Ces mecs de Liverpool auraient mérité d’exploser comme les Beatles. Et puis on tombe sur la perle de l’album : « The Greener Side » par Tammy Grines. Véritable énormité, elle chante à la ramasse du dévolu. Pur génie. Tammy Grines est terrifiante de classe. Encore un génie avalé par l’oubli : PJ Proby. Il tape dans « The Other Side Of Town ». Il grimpe très vite dans les violonades. PJ est le roi indétrônable des stentors. Puis on tombe sur « Till You Say You’ll Be Mine » chanté par Olivia Newton John qui bénéficie d’une prod à la Spector. Incroyable mais vrai. La fête se poursuit avec « I Shook The World » par Bob B Sox & The Blue Jeans, pur r’n’b de grande cuvée, vrai hit de juke, mais ça on le savait depuis longtemps. Delaney Bramlett chante « You Have No Choice » tout seul comme un pauvre malheureux et Rita Coolidge vient nous rappeler avec « I Wanted It All » qu’elle fut l’une des grandes chanteuses américaines. Même chose avec les Carpenters et « Boat To Sail », pure merveille pop qu’il faudra bien un jour redécouvrir. C’est l’avantage des compiles bien foutues (comme les sont quasiment toutes les compiles Ace) : on voyage à travers l’histoire du rock et on fait de belles rencontres. Alors on se dit : Oh il faudra que je revienne ici. Et là !

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             Vient de paraître All The Love - The Lost Atlantic Recordings, des morceaux pilotés par Jerry Wexler et qui ne figurent pas sur les deux albums Atlantic de Jackie, Jackie et Your Baby Is A Lady. Elle attaque avec « When I’m Gone », un fantastique balladif sensible. Ne prenez pas Jackie à la légère, c’est une femme fantastique. Elle sait tenir un mid-tempo avec intégrité. Elle a autant de classe que Dylan. Elle sait driver un hit. Encore un beau balladif avec « Drift Away ». Et elle passe à la country-motion avec « All The Love That’s In You ». Elle chante un peu comme Vanessa Paradis, elle est marrante. En fait, elle cherche le petit hit de la joie et de la bonne humeur. Elle nous sort là le joli groove des jours heureux, chanté à la petite voix sucrée et c’est orchestré de main de maître, on peut faire confiance à Tom Dowd et Arif Mardin, l’A-team de Jerry Wexler. On sent aussi une fantastique aisance sur ce joli folk-rock qu’est « Grand Canyon Blues ». Avec « If You Like My Music, », Jackie fait autorité - My music ! - Elle tient à préciser les choses sur un gros fond de nappes d’orgue. On tombe plus loin sur « Spare Me A Little Of You », un fantastique balladif pulsé à coups d’acou. Puis elle reprend le fameux « Don’t Think Twice It’s Alright » de Dylan. Courage ma fille ! Tiens bon la rampe ! Jackie est très forte. S’ensuivent quatre bonus pour le moins exceptionnels : un « Sweet Sixteen » de fantastique allure, un « Flamingos Fly » d’incommensurable ampleur, un « Santa Fe » qui sonne exactement comme un groove de rêve et « The Wonder Of You » qui va ta laisser seul, définitivement seul.

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             Après le re-parution des Lost Atlantic Recordings, voici celle des Complete Capitol Recordings, une sorte de nouveau passage obligé. On y retrouve tout ce qui fait la grandeur de cette artiste, à commencer par l’immense « Stone Cold Soul », une compo signée Mark James. C’est l’époque où Jackie enregistre à Memphis, chez Chips Moman et il faut entendre cette country Soul prodigieusement inspirée. Reggie Young joue des déluges sur sa guitare et Tommy Cogbill multiplie ses triplettes de Belleville sur le manche de sa basse. On a là une pure énormité et cette folle de Jackie s’accroche au Stone à coups de yeah-eh-eh. Allez, on va dire qu’on a là la meilleure pop de tous les temps. Chips laissait entendre que ces sessions avec Jackie comptaient parmi ses préférées. Magnifique version du « Child Of Mine » signé Goffin & King. Elle chante au timbre sucré, quasi-nubile, et passe sans crier gare au timbre fêlé. Elle regorge de feeling et Reggie Young fait des prodiges sur son acou. Elle tape ensuite dans un cut d’Emmit Rhodes, « Love Till You Die » et renoue avec le génie dans « Seven Years From Yesterday », un shoot d’heavy pop de Soul of American, joué sous un certain boisseau, à la Bobbie Gentry. Elle chante sa Soul avec la foi du pâté de foi et ça donne le Memphis swamp. En réalité, elle fait ce qu’elle veut, sa voix lui permet toutes les audaces. Elle tape plus loin dans George Harrison avec « Isn’t It A Pity ». Elle reprend sa voix nubile pour clamer isn’t it a pity/ Isn’t it a shame, elle atteint des profondeurs réellement dramatiques. Le plus stupéfiant de toute cette histoire, c’est que l’ensemble des cuts enregistrés chez Chips ne vont pas plaire à Capitol. Hop, à la fosse ! Ils rejettent ce «Sweet Inspiration» pourtant signé Dan Penn & Spooner Oldham. C’est pourtant du pur Deep South genius - I need a sweet inspiration - C’est du gospel batch de Memphis, il ne manque plus que les Edwin Hawkins Singers. C’est Johnny Christopher, l’un des songwriters d’American, qui signe « Johnny Joe From California ». C’est un hit, et pourtant il finit lui aussi à la fosse. Le monde à l’envers ! D’autant qu’elle le pousse à fond. Il faut bien dire que tout est extrêmement produit, ici, Chips ne rigole pas avec l’American mood. « Now That The Desert Is Blooming » et « Sleeping With Love » sont d’authentiques modèles productivistes. Reggie Young gratte à l’arrière et c’est embarqué au big heavy Memphis sound. « Gabriel’s Mother’s Highway » est un cut d’Arlo Guthrie, elle embarque ça aux chœurs de gospel et passe à Van Morrison avec « And It Stoned Me », nouveau shoot de Memphis Sound sur le compte du Van. Chips en fait une fois encore une merveille productiviste. Mais comme tout cela ne plait pas à Capitol, elle doit enregistrer l’album Songs à Hollywood et là, ce n’est plus du tout le même son. On a quelque chose de beaucoup plus commercial. Le « West Virginia Mine » déjà enregistré à Memphis retombe sur Songs comme un soufflé. Un violon y remplace le piano de Bobby Emmons, c’est chanté au bazar de l’Hôtel de ville. Atroce. « Bad Water » sonne comme du rock US m’as-tu-vu à la Dolly Parton et dans « Ease Your Pain », Capitol balance des chœurs de gospel d’Hollywood, autant dire du Walt Disney. Ça n’a pas d’âme, pas de chien, pas de rien. L’album a tous les défauts du coup foireux : prod sèche, pas de grain, l’anti-Chips. Merci Capitol ! 

    Signé : Cazengler, Jacky Dechochotte

    Jackie DeShannon. You Won’t Forget Me. The Complete Imperial/Liberty Singles. Vol. 1. Ace 2009

    Jackie DeShannon. Come And Get Me. The Complete Imperial/Liberty Singles. Vol. 2. Ace 2011

    Jackie DeShannon. Keep Me In Mind. The Complete Imperial/Liberty Singles. Vol. 3. Ace 2012

    Break-A-Way. The Songs Of Jackie DeShannon. 1961-1967. Ace Records 2008

    She Did It. The Songs Of Jackie DeShannon Volume 2. Ace Records 2014

    Jackie DeShannon. All The Love - The Lost Atlantic Recordings. Real Gone Music 2015

    Jackie DeShannon. Stone Cold Soul - The Complete Capitol Recordings. Real Gone Music 2018

    Jackie DeShannon. Nothing Can Stop Me. Liberty Records Rareties 1960-1962. Ace Records 2024

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    Lois Wilson : Lady of the canyon. Record Collector # 558 - June 2024

     

     

    Bye Bye (Liver)birds

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             Pas le book du siècle ni le girls-group du siècle, pas non plus la compile du siècle ni les covers du siècle, mais bon, l’un dans l’autre, tu passes un bon moment avec les Liverbirds de Liverpool. Les deux survivantes du groupe, Mary McGlory (bass) & Sylvia Saunders (beurre) ont croisé leurs souvenirs pour pondre - cot cot - une autobio : The Liverbirds. Our Life In Britain’s First Female Rock’n’Roll Band. L’idéal est de croiser ces souvenirs croisés avec l’écoute d’une solide compile Big Beat des Liverbirds parue en 2010, From Merseyside To Hamburg - The Complete Star-Club Recordings.

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             La grande force du book est qu’il te ramène à l’aube de l’âge d’or du rock anglais, lorsque tout se passait à Liverpool et au Star-Club de Hambourg. Comme l’éditeur a dû leur demander d’entrer dans les détails, elles ne t’épargnent rien du contexte socio-économique du working-class system de Liverpool : les familles, les jobs des parents, l’eau courante/pas l’eau courante, les zécoles, les zozos et les zinzins des zazimuts. Mary et Sylvia sont intarissables. Ce n’est pas que tu t’ennuies, mais bon, t’es là pour le Star-Club et la Cavern. Mary s’y rend avec ses cousines Veronica et Rita, et qui-qu’elles voient sur scène ? Les Beatles ! Et t’as John Lennon qui annonce au micro : «This is another song that we wrote ourselves.» Et là Mary nous explique : «As the band ripped into ‘Please Please Me’, the audience went into a frenzy.» Alors les filles décident qu’elles veulent faire ça : jouer du rock sur scène. Elles vont trouver les Remo Four qui sont eux aussi au pied de la scène et leur demandent où ils achètent leurs instruments.

             On est en 1963. Sylvia a 16 ans. Elle se pointe chez le marchand Rushworth & Dreaper’s. Elle dit au vendeur qu’elle veut une batterie - I’d like a kit of drums - Elle flashe sur un kit noir et blanc. Le vendeur l’observe et lui demande comme elle va payer. «I’ll pay weekly.» Il lui demande son âge. Sixteen. Le mec lui dit qu’elle ne peut pas. Soit daddy soit mummy. Il lui file le formulaire. Sylvia rentre chez elle et colle le formulaire sous le nez de sa mère : «Mother, sign that.» La mère répond : «What now, Syl?». Et Syl ne se déballonne pas : «Me and Val are gonna form a group. We’re going to play rock’n’roll.» Et la mère fait : «Oh, all right.» T’es à Liverpool, amigo, chez des gens éclairés.

             Val, c’est Valerie Gell, la guitariste qui a cassé sa pipe en bois en 2016. L’autre guitariste, la blonde Pamela Birch a aussi cassé sa pipe en bois en 2009. Des quatre, Val est la plus douée : elle peut jouer les cuts des Shadows et le «Peter Gunn» de Mancini. Le groupe devait s’appeler les Squaws, puis elles ont choisi les Liverbirds qui sont des oiseaux d’acier fixés sur un bâtiment du front de mer. La légende dit que si les Liverbirds s’envolaient un jour, Liverpool disparaîtrait.

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             En 1963, tous les kids de Liverpool veulent monter des groupes. Le succès des Beatles fait des ravages dans toutes les couches de la société, surtout chez les plus pauvres - Même si vous veniez d’un milieu pauvre, vous pouviez avoir un vie différente - Elles bossent tant et si bien qu’elle finissant par jouer six fois à la Cavern. Elles n’aiment pas Lennon qui est un provocateur : il affirme que les filles ne savent pas jouer de guitare. John Wiggins, le copain de Sylvia, a un jour collé Lennon au mur parce qu’il avait été trop insultant. T’apprends des tas de petites choses comme celle-ci. Le regard des filles sur les Beatles est extrêmement intéressant.

             Mary doit lâcher son boulet chez Hunters, une usine à viande froide. Elle n’a pas le courage d’aller annoncer sa démission, aussi envoie-t-elle son père. Son père revient et lui annonce qu’elle a fait une grosse connerie, parce que le boss a dit qu’elle avait un bel avenir dans la viande froide. Mary est sciée : «A big future in cold meats?».

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             En novembre 1963, elles jouent au Co-op Ballroom de Nuneaton avec des débutants, les Rolling Stones. Le Jag a 20 piges. Les gosses bombardent la scène de petits pains fourrés à la crème. Les Stones parviennent à éviter les missiles, sauf Charlie coincé derrière sa batterie. Mary dit qu’il finit le show couvert de crème. C’est moins pire que d’être couvert de glaviots, after all.  Et grâce aux Stones, les Liverbirds passent de la Beatlemania à un son plus raunchy - a grittier, bluesy direction - Elles vont vraiment commencer à taper dans Bo et dans Chucky Chuckah. Elles jouent aussi au Club a’Gogo de Newcastle, dont les stars locales sont les Animals, pareil, avec du gritty plein les pattes. En février 1964, elles jouent avec un «new band called the Kinks». C’est Ray qui leur dit que Sheila, la cousine de Mary, n’est pas bonne, et il leur présente Pam, «wearing a black cap, striped jacket and Chelsea boots.» Pam la blonde, qui flirte avec Ray Davies, et qui remplace Sheila. Les Loverbirds sont enfin au complet : Sylvia, Mary, Val & Pam. Elles peuvent partir à la conquête du Star-Club.

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    ( Assis à son bureau Manfred Weissleder)

             Elles partent à Hambourg au moment où Brian Epstein s’intéresse à elles. Trop tard. Elles sont déjà dans le bateau. Pareil, Larry Page qui s’occupe des Kinks leur fait aussi une offre qu’elles déclinent. C’est le boss du Star-Club, Manfred Weissleder, qui va s’occuper d’elles.

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             Et là, on entre dans l’un des endroits les plus mythiques de l’histoire du rock. Sylvia et Mary regorgent de détails fascinants sur le Star-Club. Elles nous apprennent que les barmaids sont les stars du Star-Club. Si elles t’ont à la bonne, ça va marcher. Dans le cas contraire, tu peux renter en Angleterre. Si elles aiment un groupe, elles allument les lampions au-dessus du bar. Le premier soir, les Liverbirds se retrouvent sur scène devant 2 000 personnes ! C’est énorme ! Alors, elles mettent le paquet - It was like something ignited and the audience went wild - Comme à Liverpool. Ça explose dans la salle. Elles démarrent avec «Road Runner». Mary et Pam courent sur scène en jouant - Pam looked like a big glamourous cavewoman.

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             Tu retrouves ce «Road Runner» sur la compile. La cover est tout simplement fabuleuse, le son est sec et Sylvia bat un beurre terrific.

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    (Klauss Woorman en 2018)

             Et le sexe dans tout ça ? Sylvia est la première à en parler : «Même si Mary et moi avions fait le vœu de rester vierges jusqu’au mariage, on a vite changé d’idée et je fus la première à craquer. En décembre 1964, j’étais au pieu avec Klaus Voorman, my first love.»

             En matière de girl-bands, les seules concurrentes sont Goldie & The Gingerbreads, des Américaines. Elles sont restées un mois au Star-Club, en attendant leurs visas pour l’Angleterre, où elles étaient invitées par les Stones et les Animals qui les avaient vues à New York dans une party chez Warhol pour la superstar fashion icon Baby Jane Holzer. Mary indique cependant que Goldie & The Gingerbreads avaient un son trop «bombastic power pop» pour le Star-Club qui en pinçait plus pour le rock’n’roll. Les Allemands préféraient les Liverbirds.

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             C’est Manfred qui les emmène en studio enregistrer leur premier album. Il a monté son label pour promouvoir les groupes qu’il programme sur scène. L’album des Liverbirds (Star-Club Show 4) est le quatrième, après les Searchers, les Rattles et Lee Curtis & The All-Stars. Elles démarrent avec un premier single, une cover du «Shop Around» de Smokey, qu’on retrouve bien sûr sur la compile Big Beat. Elles tapent là dans l’œil du cyclope et y ramènent toute l’énergie des Pirates - Oh yeah you’d better shop around/ Yeah - Leur deuxième single est un gros clin d’œil à Bo, «Diddley Daddy», qu’elles font bien rampant - Yeah Bo Diddley/ He’s a gun slinger/ He rides again - Tu retrouves tous les cuts de Star-Club Show 4 sur la compile, à commencer par ce «Talking About You» de fantastique allure, avec du Merseybeat clair et net et sans bavure, et un fabuleux solo de clairette. Fantastique cover de «You Can’t Judge A Book By Looking At The Cover» : niaque incroyable, bassmatic dynamique à l’anglaise, et Pam au let’s go yeah ! Leur «Johnny B Goode» est assez imbattable, énergie du diable et section rythmique stupéfiante.

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             Leur deuxième album, More Of The Liverbirds, est encore plus impressionnant, car elles tapent dans des hits superbes : «For Your Love» des Yardbirds (belle crise de craze), «Around & Around» (irréprochable), «Peanut Butter» de Chubby Checker, hey c’mon now !, «Oh No Not My Baby» de Goffin & King (cover gorgée de feeling), «Heatwave» (elles font bien Martha), «Long Tall Shorty» de Don Covay (wild sound, ça vaut largement les Milkshakes), «He’s About A Mover» de Doug Sahm (en plein dans l’œil du cyclope texan), et puis tu croises aussi sur la compile une cover de «Before You Accuse Me», où elles sonnent comme des Américaines, avec tout le chien de Liverpool - Before you accuse me/ Take a look at yourself - Et si tu adores Bo, alors tu vas te régaler de «Bo Diddley Is A Lover». ça vaut tout Lord Rochester. Yeah yeah Pam Birch !

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             Sylvia couche aussi avec Bob Garner, qui joue avec Tony Sheridan et qui ira ensuite rejoindre les Creation. Elle aime bien Bob, mais comme elle dit, ils sont, elle et lui, so busy touring it didn’t last. Les Liverbirds se mettent à tourner dans l’Europe entière et deviennent des big stars. Elles sont au hit-parade allemand avec «Diddley Daddy» et «Peanut Butter». Pam la blonde chante tout ça merveilleusement. C’est aussi elle, nous dit Sylvia, qui insiste pour taper une cover d’«Heatwave». C’est encore l’époque où on a le droit de conduire bourré sur la route, et Johnny Kidd, nous dit Sylvia, aimait boire un coup et prendre le volant. Bing ! Car crash sur la route.  Johnny Kidd était une star énorme au Star-Club.

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             Elles voient aussi Jimi Hendrix jouer au Star-Club trois soirs de duite. Elles sentent que le son change, «moving from beat pop to psychedelic sounds.» Le rideau se lève sur un Jimi qui claque le premier accord de «Foxy Lady». C’est aussi le big time pour les drugs. Mary en voit à gogo backstage, des amphètes qui ne coûtent rien ou presque, «known as the Preludin and Captagon» et qu’on va surnommer les «Prellies», que les Stones appelaient aussi «Mother’s Little Helper». Elles retrouvent d’ailleurs les Stones à Dortmund, elles sont au bar de l’hôtel et Brian Jones qui arrive demande à Pam si elle a de la coke. C’est la tournée Between The Buttons. Pour Mary, ce souvenir est important, car c’est la dernière fois qu’elle voit Brian Jones vivant.

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             Puis le groupe va entamer son déclin. Il ne reste plus que Pam et Mary dans les Liverbirds quand elles partent au Japon. Chris et Dixie ont remplacé Val et Sylvia. Le dernier concert des Liverbirds a lieu en août 1968. Sylvia se souvient que les Liverbirds sont arrivées à Hambourg en 1964. Elles ne devaient rester que six semaines et elles sont restées quatre ans, pendant lesquels elles ont enregistré deux albums et fréquenté Chucky Chuckah, Jimi Hendrix, Johnny Kidd, the Remo Four, the Big Six, testé les drogues et le sexe. Quatre ans de paradis. Le Star-Club qui avait ouvert ses portes en 1962 les fermera 14 mois après la fin des Liverbirds, au jour de l’an 1969, «the very last day of the sixties.» Comme Sam Phillips et d’autres géants avant lui, Manfred Weissleder «had lost interest».

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             Bon alors, après, les Liverbirds font des gosses, enfin, celles qui sont mariées. Puis elles se reforment et on les qualifie d’«original punks». Elles participent à la Big Beat Party, à Hambourg, avec Gerry & The Peacemakers, les Troggs, Dave Dee Dozy Beaky Mick & Titch, Ian & The Zodiacs, Lee Curtis, les Pirates sans Johnny Kidd et Screaming Lord Sutch. C’est la formation originale des Liverbirds qui déboule sur scène, Val, Pam, Sylvia et Mary, avec Barbara pour filer un coup de main sur les solos.

             Puis Pam qui a toujours fumé 40 Dunhills par jour chope un petit cancer et casse sa pipe en bois au moment où on lui enlève un poumon. Val va ensuite valdinguer dans les décors. It’s only rock’n’roll. 

    Signé : Cazengler, livide bird

    Mary McGlory & Sylvia Saunders. The Liverbirds. Our Life In Britain’s First Female Rock’n’Roll Band. Faber & Faber 2024

    The Liverbirds. From Merseyside To Hamburg - The Complete Star-Club Recordings. Big Beat 2010

     

     

    Inside the goldmine

     - Quelle Clark !

             Baby Click dansait tout le temps. Même quand il n’y avait pas de musique, elle papotait en se dandinant d’un pied sur l’autre et en hochant la tête sur un rythme qu’elle était la seule à entendre. Au début, ça t’épatait, tu enviais son feeling. Wouah Baby Click tu danses le jerk au Palladium ! De toute évidence, elle était restée ancrée dans les sixties. En plein trip Teenie Weenie Boppie ! Ses fringues, ses expressions, ses sourires, ses enthousiasmes, sa ligne, tout était sixties. Pas un poil de graisse. Une vraie jerkeuse. Un corps magnifique. Pour elle, la vie consistait à jerker. Jamais un mot sur son histoire sentimentale. Rien sur son parcours professionnel. Devenue retraitée, elle était restée incroyablement désirable. Quelques mecs lui tournaient encore autour, mais ça la faisait rire de bon cœur, et hop, elle se mettait à danser et à claquer des doigts. Elle adorait quasiment tout : la Soul, le funk, le garage quand il était dansant, la pop, bien sûr, on l’a aussi vue danser sur des trucs compliqués, mais elle avait cette facilité qui lui permettait d’adapter les mouvements de ses jambes et de ses hanches à toutes sortes de déboires rythmiques, et plus tu la voyais hocher la tête sur le beat, plus tu l’admirais. Admirer une femme, c’est une façon déguisée de la désirer. Mais tu savais bien au fond que ça n’irait pas plus loin. Pourtant, c’est toujours elle qui revenait à la charge, qui proposait des plans, des voyages et des soirées, elle restait à l’affût de tout ce qui pouvait être intéressant, elle multipliait des situations de proximité, les bises d’adieu dans les parkings étaient parfois tendancieuses, et elle accepta même un jour de venir boire un verre à la maison au retour d’un trip parisien, mais au moment de basculer dans l’irréparable, elle demanda à écouter des choses qu’elle aimait à la folie, «T’as pas Sam & Dave ?». Alors on sortait le stock de Stax et ça repartait pour une heure ou deux de jerk endiablé, elle tombait la veste et jerkait toute seule jusqu’à l’aube. Puis elle te remerciait pour cette excellente soirée, faisant bien sonner l’«excellente», et rentrait chez elle. Une heure plus tard, tu recevais un SMS te disant qu’elle était bien rentrée, qu’elle avait passé une excellente soirée et qu’elle avait hâte de récidiver. De toutes les allumeuses connues au bataillon, Baby Click était sans conteste la plus merveilleuse.

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             C’est une façon comme une autre de prendre ses Click et ses Clark. Autant Baby Click est brune, autant Chris Clark est blonde. Alors on prend ses Clark mais pas ses Click, et on file chez Motown. Quoi ? Une blonde chez Motown ? Ça par exemple ! Eh oui, Chris Clark s’est pointée un beau jour de 1963 dans le bureau de Berry Gordy et lui a chanté on the spot une tonitruante mouture d’«All I Could Do Was Cry» d’Etta James. Troublé, Gordy l’a gardée. Mais avant d’essayer d’en faire une star, il va lui demander de bosser deux ans à la réception.

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             Quelques singles sur VIP et boom premier album sur Motown en 1967, l’excellent Soul Sounds. Il faut la voir taper «Love’s Gone Bad», un hit signé HDH, elle est dans le bain jusqu’au cou, wild as Motown fuck ! Elle tape plus loin dans l’«If You Should Walk Away» de Frank Wilson, elle te le drive dans les règles, pas de problème. Elle finit ce brillant balda avec une cover de «Got To Get You Into My Life», elle pique sa crise de Beatlemania à la belle attaque, mais elle n’a pas le raunch de McCartney. En B, elle tape dans Smokey avec «From Head To Toe», elle a tout, les clap-hands et la classe qui va avec. Dernier smash de l’album, un «Until You Love Someone» signé HDH. C’est tout de suite happy comme pas deux - You can’t be happy/ Until you love someone - Ah elle y va, la White Negress, comme on la surnomme en Angleterre.

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             Son deuxième album s’appelle CC Rides Again et sort en 1969 sur le label rock de Deke Richards, un jeune producteur blanc signé par Berry Gordy. Au dos, elle est grimpée sur un éléphant, une idée de Deke Richards. C’est un album de covers, dont la plus spectaculaire est celle d’«You’ve Made Me So Very Happy», l’hit de Brenda Holloway. Chris Clark n’a pas la niaque de Brenda, mais elle attaque au mieux de sa voix blanche de blanche - You treated me so kind - C’est sans doute l’une des plus belles chansons d’amour de tous les temps, avec celles de Piaf et d’Esther Phillips - I’m so glad you/ Came into my life - Et elle tartine avec passion - Thank you babe - Elle explose de bonheur. C’est le sommet du genre. Elle fait aussi une petite cover de «Spinning Wheel», elle n’a pas la niaque de David Clayton Thomas, mais elle s’y frotte bien, avec son bon feeling de blanche noircie. Et puis voilà la chanson magique, co-signée par Deke Richards et l’arrangeur Van De Pitte : «How About You». Chris Clark épouse la magie pop - Baby I love you/ How about you - C’est quasiment du Burt. Elle se vautre lamentablement avec «With A Little Help From My Friends», elle en fait de la petite pop, dommage, mais elle fait du «One» de Nilsson un jerk de fantastique allure. Elle écrase bien son champignon. Elle se frotte à ses risques et périls à l’«In The Ghetto» et tape son «Get Back» dans le fond de la casserole.  

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             Le petit conseil qu’on pourrait donner aux fans de Chris Clark serait de rapatrier The Motown Collection : on y trouve les deux albums Motown pré-cités, et une montagne de cuts inédits. Encore une fois, on saute en l’air quand on découvre la qualité d’inédits comme «Ask My Girl». Quoi ? C’est un véritable coup de génie pop groové chez Motown et signé HDH. C’est incompréhensible qu’un tel smash soit resté dans un tiroir. Et attends, c’est le premier d’une série de 25. Le compileur en a rempli un CD entier. Encore un pur hit Motown avec «Everything’s Good About You». Du HDH encore avec «Take Me In Your Arms (Rock A Little While)» et voilà un hit signé Mickey Stevenson, «In The Neighbourhood». C’est une blondasse qui te claque le beignet de Motown. Ambiance «Something To Remember» (Ray Charles) avec «I Just Can’t Forget Him», et elle repart à l’assaut des charts avec «If You Let Me Baby», tout est bon, sur ce CD d’inédits, Chris Clark finit par sonner comme une black, elle chante parfois d’une voix fêlée et joue un peu avec le feu, elle n’est jamais très loin de la vérité. Et pouf, voilà qu’elle tape «Crying In The Chapel», elle se prélasse dans l’excellence de la chapelle. Plus loin, elle défonce encore la rondelle des annales avec un «He’s Good For Me» bombardé au bassmatic Motown. Chris Clark monte sur tous les coups. «Bad Seed» et «Something’s Wrong» t’envoient directement au tapis, elle y va au wild r’n’b d’I got to lose. Elle bascule à n’en plus finir dans le génie r’n’b. Tout est alarmant de véracité, ici. Elle excelle, cut après cut. Une vraie sinécure. C’est tout de même dingue que Chris Clark ne soit pas devenue superstar ! On s’en étonnera encore dans 10 000 ans. 

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    Signé : Cazengler, Chris Clown

    Chris Clark. Soul Sounds. Motown 1967

    Chris Clark. CC Rides Again. Weed 1969 

    Chris Clark. The Motown Collection. Motown 2005

     

     

     

     

    *

    La teuf-teuf roule dans la nuit. Mais elle possède deux phares lumineux pour se guider, alors que moi les neurones de mon esprit pataugent dans la plus profonde des pénombres. Tout cela par la faute de Béatrice la patronne et son incroyable affiche, d’où a-t-elle sorti ce groupe au nom impossible, cela demande quelques éclaircissements, jugez-en par vous-même :

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    BEE DEE KAY DRIVES THE U.F.O. ZZZ & GUEST

    3 B / Troyes / 02 – 11 - 2024

            Pas grand-monde, j’arrive de bonne heure, la salle se remplit doucement mais sûrement, la curiosité du public est en attente, à première vue, un groupe de rockabilly comme les autres, la contrebasse, la batterie, et la guitare en témoignent, avec en plus, goutte d’eau qui fait déborder le vase, ce saxophone argenté sur son perchoir. Les quatre musiciens apparaissent, pas de panique, l’on va tout savoir.

    PREMIER SET

             Paniquons, pour du rockabilly c’est rudement fort, mais tellement bon. Un mur d’airain infranchissable. La guitare de Benny, d’habitude c’est lui qui règle (à merveille) le son des groupes qui passent au 3 B, est implacable, sèche, dure, genre no prisonners, derrière lui la baratte qui n’en rate pas une ne vous laisse aucune chance, quant à la up-right elle n’est pas à l’unisson, elle ne joue pas, elle pousse au crime. Jusque-là tout serait parfait. Mais nous allons vite apprendre qu’il existe un stade supérieur à la perfection. L’axe du mal existe, c’est le sax. Ce n’est pas un sax, c’est un sabre d’abordage, l’est le premier à se jeter sur l’ennemi, avez-vous déjà entendu un sax mugir avec cette force, mille cerfs en rut qui brament, il rauque et il rocke au-dessus de la normale, de l’anormal, dix mille gouttières de zinc qui s’effondrent, ce n’est pas l’appel de la forêt, c‘est le scalpel du diable, une tonitruance gargantuesque, un tel déluge sonique surhumain ne serait-il pas dû au changement climatique, la Bible s’est trompée, ce n’est pas la trompette du jugement dernier, c’est le saxophone de la mort irrémédiable pour tout le monde. En tout cas l’on adore et ce quatuor fastueux aussi, puisqu’ils enchaînent derechef un autre instrumental.

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             Je l’ai remarquée dès que j’ai eu franchi le seuil, dans sa robe noire, chevelure rousse et visage impassible, elle m’a tout de suite rappelé la sombre silhouette de Moïra, la moire noire du Destin, sur la couverture d’un ancien livre de poche du roman éponyme de Julien Green, et là tout s’éclaire, en quelques mots Benny nous met au parfum pour ce premier set ils accompagneront, c’est ici que l’identité du guest est enfin révélée : Mary. Apparemment Mary n’a peur de rien, elle se pose tout tranquillou devant le micro en avant de nos quatre gladiateurs surphoniques comme s’ils étaient un orchestre à cordes de musique de chambre.

             Ne sont pas des mufles mais ils ne mettent pas de pantoufles à leurs instrus, un peu  moins de clinquanteries mais un son si épais que nul couteau ne saurait couper. Ambiances sixties, privilégiez le rumble au slow frotti-frotta langoureux. Vous pensez que Mary va poser sa voix sur ce magma de feu. Point du tout, elle impose son vocal avec une facilité déconcertante, sans forcer, sans peine, cette aisance incroyable tient à la densité de ses émotions et de la passion qu’elle porte aux titres qu’elle interprète, on la sent habitée d’une ferveur secrète mais palpable, elle ne chante pas, elle voue un culte à ce répertoire fondateur. Pas de simagrées, elle ne cherche pas à amadouer le public, c’est à prendre ou à laisser. Et le public du 3 B, qui s’y connaît un tantinet, n’en laisse pas une miette, chaque morceau est ponctué de longs applaudissements et de vifs vivats. Elle s’en ira comme elle est venue, avec une simplicité, une humilité de diva qui a accompli sa tâche, qui s’est acquittée d’une dette envers la musique qu’elle aime.

             Les cadors du quatuor reprennent les rênes pour deux ou trois morceaux. Je ne m’attarderai pas, nous revenons longuement sur eux pour le set suivant. Par contre je vous demanderai avec la plus grande insistance d’interdire à vos enfants la lecture du paragraphe suivant.

    DEUXIEME SET

             Benny est revenu le premier. Il s’empare de sa guitare et s’évertue de répéter inlassablement une même note, une manière, pensions-nous naïvement, de rappeler au turbin ses trois copains attardés derrière le rideau des coulisses. Ils arrivent sans se presser et s’affairent en toute quiétude autour de leurs instruments.

             Le grand avec sa verte argentée et son saxo c’est Grant Seeflay, pas du genre à siffler la fin se la partie au plus vite, le mec assis au fond avec sa veste noire et son col blanc n’a pas l’air méchant se prénomme tout de même Terric ( vous êtes prévenu), accoudé sur sa contrebasse il porte le surnom d’un amie de Fantômette : Fi-Cell, z’oui mais c’est peut-être la corde pour vous pendre, bon ça y est ils rejoignent Benny de Jongh qui répète inlassablement la même note, attention, de plus en plus stridente, et les trois autres vous pondent en douceur et profondeur une purée de poix phonique des plus inquiétantes, l’ambiance se tend, si l’on y réfléchit un tant soit peu c’est un tantinet étrange, l’on se croirait dans un château en Ecosse perdu sur ce promontoire brumeux, près du lock Ness, les notes effilées comme un poignard maltais de Benny ressemblent de plus en plus à ce glas terrifiant qui résonne dans Le Mystère de Cloomber de Conan Doyle, c’est alors que l’Innommable se produit, une voix, non un borborygme dégoûtant d’Oran Outang dérangé surgit de nulle part, une espèce de grondement issu du gosier d’un lion préhistorique,  à mes côtés Jerry, mais oui vous connaissez le saxophoniste des Monarchs que nous avons vus au 3 B il n’y a pas si longtemps, ses yeux comme les miens, se portent sur les musicos, z’ont tous la boucle close et à des kilomètres du micro, en tout cas le monstre invisible insiste, sans doute un chat monstrueux de quinze mètres de haut, devant la peur d’une de ses petites filles une maman décide de rapatrier toute sa nichée à l’autre bout du café, elle n’a pas tort, c’est un truc à rattraper une jaunisse, d’autant plus qu’il semble s’instaurer une course entre les musicos et cette voix hideuse d’outre-tombe, ils ont beau augmenter le son, la bête immonde les couvre de ses tonitruances vomitoires, pire elle se rapproche, maintenant elle est tout près, les yeux de l’assistance se fixent sur le bas du rideau des coulisses, ils remuent salement, la bête nuisible et gévaudanique sort, elle se porte à quatre pattes sur le devant de la scène, je le reconnais c’était le mec à mes côtés qui mirait la prestation de Mary, l’a enfoncé le micro dans sa bouche, l’émet des barrissements d’éléphant en colère, il se relève, retire le micro de ses amygdales, et sourit à la foule. Ouf nous l’avons échappé belle. C’est donc lui Bee Dee Kay.

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             Intro fabuleuse, Jerry qui a vu des centaines de concert me confie à l’oreille, qu’il n’a jamais vu une telle entrée en matière. Digne d’Hasil Adkins, de  Screamin’ Jay Hawkins, de Lord Sutch, de tous les embrochés de la cafetière du rock’n’roll. Maintenant que le prologue est terminé si vous croyez que vous allez redescendre vers le rockabilly carré et sans bavure comme le buffet que votre grand-mère astique toutes les semaines, vous êtes dans l’erreur. Ce n’est plus du rockabilly, ce n’est pas du rock’n’roll, c’est la folie du rockabilly et la fureur du rock’n’roll. De l’after-rockak, de l’after-rock, nos quatre mousquetaires instrumentaux ne jouent pas, et Bee Dee Kay ne chante pas. Ils miment. Ne criez pas parodie, contentez-vous du paradis. Ils connaissent tous les plans à merveille, ils vous édifient des palais sonores hallucinatoires,  Dee Bee s’amuse, vous a des poses pharamineuses, une seconde il est John Kay et à la suivante David Bowie, le mâle et l’androgyne, la brute et le truand, il n’est pas le bon parce qu’il le meilleur, le voici Elvis et Gene Vincent, ce coup-ci il se vautre sur le comptoir tel un Lux Interior, chacun y aura reconnu ses propres figures tutélaires du rock’n’roll, vous vous croyez en plein délire, et plaf un geste, et tout s’écroule, Terric d’un seul break envoie en éclats the wall of sound, Fi-Cell s’introduit dans la brèche tel un bulldozer, le saxo de Grand Seeflay tousse comme un tuberculeux, la guitare de Benny se transforme en lance-flammes pour réduire en cendres les derniers déchets, l’on est au cœur de catastrophe, à un millimètre de l’anéantissement, et hop ça repart comme en quarante, comme si de rien n’était, quelle maîtrise, quelle virtuosité. Ah le sourire d’enfant de Bee Dee ! ce grand gaillard aux tempes argentées, il batifole, il s’amuse comme un gosse qui casse son train électrique pour le transformer en soucoupe volante U.F.O. ZZZ, nous transporte sur une autre planète, celle du rock’n’roll, la vraie, la délirante, la fracassante, l’upercutante, celle de l’éternelle jeunesse du débordement vital.

    TROISIEME SET

             Malgré l’heure tardive, nous aurons droit à un troisième set. Pas très long, le temps de revoir Mary nous offrant deux magistrale versions de Jezebel, et Funnel of love, le group prend son envol mais au troisième morceau Béatrice la patronne nous rappelle que sur la planète terre toutes les choses ont une fin. Hélas, les meilleures aussi.

             Lot de consolation j’ai récupéré leur unique 45 tours, nous reparlerons de Bee Dee Kay Drives the U.F.O. ZZZ dès la semaine prochaine !

    Damie Chad.

     

     

    *

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             Depuis combien de temps suivons-nous Ashen ? Depuis toujours. Je ne vous donnerai pas de date, pour une fois vous serez privés de récapitulatifs. Il y a des groupes qui touchent à l’intemporel. Non pas parce qu’ils se prévalent d’obscurs mythes originels ou qu’ils s’en aillent cogner dans les obscures contrées du futur morturial dans le but inavoué que l’on puisse prendre connaissance de l’écho morcelé de leur choc intrusif dans l’inconnaissable, simplement parce qu’ils s’inscrivent dans le présent de la présence du monde dans lequel ils vivent, ou pour être plus exact, dans lequel ils tentent de survivre.

    SACRIFICE

    ASHEN (feat. ten56)

    (Out Of Line Music / Official Visualizer / Juin 2024)

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    Pour une fois nous n’avons pas droit à une de ces vidéos mystérieusement attirantes et déchirantes auxquelles le groupe nous a habitués. Pour autant l’on ne nous a pas jeté un os sans viande en pâture, nous offrent un riche faisceau de symboles qui nous inclinent à de clivantes rêveries.

    Un rouge que d’instinct l’on n’aime pas. Rouge cœur de taureau immolé en hécatombe sur l’autel propitiatoire. Les Dieux ont-ils accepté le sacrifice ? Sur ce fond voici un œuf. Un rouge éclatant. Triomphal. Ne serait-ce ces nervures cramoisies dont il est parcouru on reconnaîtrait en lui l’œuf d’Eros originel de la plus vielle mythologie grecque. Les lyrics qui apparaissent nous interdisent cette appropriation. C’est un œuf, certes, mais plein de son trop-plein, prêt à éclater. Ici il n’est point question d’ovule générationnelle, c’est œuf est une tête. Trop pleine, trop peine, prête à exploser. Cet œuf n’est pas neuf, il est mûr, il est arrivé à maturité, à son immaturité. C’est l’œuf de la folie, souvent il reste en nous stérile, il ne donne naissance à aucune créature, on l’oublie, on ignore qu’il repose dans le lit douillet de notre cervelle, dans laquelle éclosent nos pensées les plus sublimes. Il tourne sur lui-même dans son coquetier de bois, comme s’il était fier de lui, il nous dévoile toute son ovoïdité, comme si nous n’avions d’autres tâches à effectuer, si ce n’est de l’admirer.

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    Sans préavis, un deuxième symbole. La forme d’un avion furtif, une flèche d’indien, à moins que ce ne soit le trait empoisonné de Zénon d’Elée qui ne parvient jamais à sa cible, presque rassurant puisqu’il n’atteindra jamais la mort dont il ne nous transpercera pas, mais alors quelle est sa cible, à ce poignard effilé, à cette épée d’obsidienne, à ce sabre de samouraï destiné à porter le fatal coup du seppuku létal, lui aussi tourne sur lui-même, tel un missile qui cherche sa proie et s’obstine à calculer l’angle de la plus forte nuisance.

    Un troisième objet, à croire que l’on scrute les vitrines d’un musée. Celui-ci possède un piédestal de marbre sur lequel est ancré un avant-bras couronné d’une main, paume ouverte, levée vers le ciel, arborant à son poignet un collier de perles de bois. Entre ses doigts elle tient un objet, elle tourne sur elle-même, il est difficile de se le représenter, serait-ce dans le cercle de fer forgé la silhouette d’un cheval, qui porterait un cavalier, de petite taille, serait-ce Alexandre le Conquérant sur Bucéphale, non plutôt le cheval noir de l’attelage platonicien de notre intelligence,  la monture rétive qui refuse de marcher droit, qui cherche à nous faire dérailler, certes nous ne sommes pas un train, mais notre esprit est censé suivre les rails du logos … même si parfois en toute inconscience nous piquons droit vers la folie.

    Voilà, nous n’en verrons pas davantage. Nos trois symboles reviennent. Ne sont pas des marionnettes qui font trois petits tours et s’en vont, tournoient lentement d’une manière prémonitoirement menaçante, est-ce que le cheval d’orgueil  que nous avons aperçu une première fois fut une illusion d’optique, car maintenant nous reconnaissons entre les doigts un des cinq sigils affichés tout en haut de l’écran, seraient-ils appropriés aux cinq membres du groupe…

    Damie, si tu nous parlais un peu du son et de la song, c’est tout de même un peu important en musique, écoutez l’on raconte que lorsque Attila est sorti du ventre maternel, dans son poing fermé il tenait un caillot de sang, eh bien les gars ce morceau ressemble à ce caillot de sang que le fléau de Dieu avait arraché en passant aux entrailles de sa mère, il palpite, l’on sent que rien ne pourra arrêter son rythme insatiable, une barbaque qui refuse de s’éteindre, à cette différence près, ce n’est pas de la viande qui bat mais de la folie, de la folie pure.  

    Admirez la prouesse vocale de Clem, il ne chante pas, s’échappe de lui un gargouillement hideux de souffrance mentale, vous y croyez, vous le voyez recroquevillé sur lui-même, refermé en ses pensées délirantes comme une huitre schizophrène qui tenterait à tout prix de s’enfuir de sa coquille, il veut tout et n’importe quoi, le royaume souverain de sa solitude et le désir de s’exiler de lui-même auprès des autres qui le rejettent, à moins que ce ne soit lui qui  les expulse hors de sa misérable sphère d’appropriation du monde dont il refuse la présence. Quant à la musique vous ne l’entendez même pas, comment Ashen est-il parvenu à établir cette osmose visqueuse indissoluble entre vocal et instrumentation, à tel point que la musique chante et que la voix joue.  Salmigondis indiscernable, hachis indubitable, purée inépuisable, mais dès que ce bruit gloutouneux entre dans vos oreilles, il se transforme en nectar ouïtisque, il se produit une alchimie auditive qui métamorphose les stridences de la folie, les vacarmes expectorés par une âme malade, les ramonages hallucinatoires, en le chant des sirènes dont seuls de rares héros  homériques eurent  jouissance…

    Ne croyez pas vous en tirer à si bon compte, ce mal-être exprimé par Ashen ne vous concerne peut-être pas, mais il vous donne un aperçu de ce qui se passe dans la tête de la génération actuelle qui entre dans l’âge adulte. Le monde qui les attend est kaotique. Ils en ont la prescience, ils en expriment la dureté imminente, trop courageux pour refuser le suicide, il ne leur reste que cette notion d’auto-sacrifice qu’ils acceptent car ils ne veulent pas endosser le rôle de victimes sacrifiées. Le monde est fou, mais le seul refuge qui leur soit encore accessible, le dernier rempart dérélictoire qu’ils peuvent lui opposer s’avère être leur propre folie.

    Très fort.

    Damie Chad.

    *

    Encore un groupe que nous suivons depuis longtemps. En octobre 2022 nous avions regardé leur vidéo Unforgotten, en février 2023 ce fut le tour d’Eternal suivi d’Another Day au mois de septembre, voici le tour de :

     ACROSS THE DIVIDE

    AWAY

    (Avalone Studio / Août 2024)

    Rendons à César les lauriers qui lui reviennent. Alexandre Lhéritier est le responsable d’Avalone Studio, il s’est chargé de l’enregistrement du morceau.

    Pour les images il nous est spécifié : IA generated vidéo. Sans plus. Il serait intéressant de savoir quelle part de liberté l’Intelligence Humaine aura laissée à l’Intelligence Artificielle. A moins qu’il ne faille inverser les termes de la question.

    Le résultat est là : de belles images. Elles n’illustrent pas vraiment les paroles du morceau. Elles lui apportent même un plus que je qualifierai d’interprétation écologique du texte. A croire que le poids des mots est moins fort que le choc des images.

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    L’Intelligence Artificielle ne crée pas, elle produit. Entre nous, parmi les écrivains : peu créent et beaucoup produisent. Nous retrouvons le même pourcentage différentiel chez les peintres. Les premières soixante secondes sont splendides, vous ne savez pas où vous trouvez exactement, sont-ce des illustrations anglaises d’un livre d’enfants, sont-ce des images inspirées par les photos de la forêt de Mortefontaine chère à Gérard de Nerval, ou par des scènes du Seigneur des Anneaux, en tout cas notre Intelligence Artificielle connaît les bois de Watteau et toute la période romantique de la peinture occidentale… Nous aurions aimé qu’elle nous donne un aperçu de la manière dont nos descendants représenteront les arbres en l’an, barrez au choix la partie du mot qui ne vous convient pas, de dis/grâce 2524… Toutefois aurions-nous su entrevoir le futur en cette curiosité éloignée. Tout comme l’IA, nous procédons mais nous ne précédons pas.

    Que nous conte la chanson ?  Une histoire banale. Celle de tout le monde. Du gars qui aimerait être ailleurs. Non pas aux Amériques, de lui-même, de sa vie étriquée, de son impuissance à être ce qu’il voudrait être, libre et supérieur, non pas aux autres mais à lui-même. Beaucoup d’espoir, beaucoup de rêve, mais encore davantage de doute et de peur… il aimerait que quelqu’un le rejoigne mais il ne possède rien… A la vue des images en nous armant de cynisme nous demanderions s’il vit dans les bois…

    Des colères, des remontrances, des encouragements, les voix se succèdent, se répondent, s’entraident, se poussent en avant en un très bel oratorio. Symphonie vocale qui se marie magnifiquement au vert sombre des houppes, aux éclairs de feu orangé, aux instants impulsifs de notre vie ne sommes-nous pas des incendies dévastateurs sous les frondaisons de nos chairs intérieures. Tout homme n’est-il pas une forêt première qui brûle ?

    J’aurais aimé écrire le contraire, parce que la maudite technique bla-bla-bla, parce que la singulière grandeur de l’Homme bla-bla-bla, parce que bla-bla-bla, je vous donne trois heures et je ramasse les copies, mais non je dois le reconnaître, ici les images artificielles, les paroles et les musiques humaines se confortent mutuellement, elles s’allument de reflets réciproques, elles se chargent de mystères et s’interpénètrent de telles manières que seules et séparées elle perdraient de leur force persuasive et de leur aura magique.

    Across the divide nous surprend toujours.

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    Damie Chad.

     

    *

             Les choses ne sont jamais difficiles. Certaines d’entre elles s’avèrent subtiles. Nous pénètrerons donc en notre sujet par l’évocation d’un groupe de rock. Blondie ! Les trognes des lecteurs s’illuminent. Ah ! Deborah ! Désolé, mais je voulais parler de Chris Stein. Vous préférez Debbie, je comprends, toutefois Chris est un mec intéressant. Tiens saviez-vous que Chris possédait un tableau de Spare ? Non, vous voudriez des détails, alors plongez-vous dans :

    ŒUVRES

    AUSTIN OSMAN SPARE

    (Tome III)

    Editions Anima / Octobre 2024

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    Nous avions déjà  krotntniqué les tomes I et II, parus en 2017 et 2021, ce troisième opus, cornaqué par VINCENT CAPES, s’annonce fastueux par le grand nombre de reproductions de dessins et de peintures d’OSMAN SPARE, un régal pour les yeux et l’esprit. Nous évoquerons tour à tour mais en un ordre qui ne suivra pas celui du volume les traductions de textes de SPARE établies par PHILIPPE PISSIER, ainsi que l’ensemble des diverses contributions éclairantes qui permettent quelque peu d’entrevoir la portée opérative de l’œuvre de celui qui reste, avec Aleister Crowley, un des plus grands représentants de la Magie du vingtième siècle.

    Si vous n’éprouvez aucune accointance particulière avec la Magie, je vous conseille de débuter votre lecture par l’avant-dernier texte du volume.

    LES ANGES FOSSILES

    ALAN MOORE

             Les amateurs de bande dessinée et de Death Metal ont reconnu le célèbre auteur de From Hell. Né en 1953, Alan Moore n’en n’est pas moins relié à la personne d’Alexandre le Grand. Le lien qui les unit n’est pas tant l’admiration que notre dessinateur  porterait au Conquérant, la légende raconte que Philippe II de Macédoine ne serait pas son père, il serait né de l’étreinte de sa mère Olympias avec un de ses pythons – était-ce une énième métamorphose de Zeus - qui partageaient sa couche… Or Alan Moore s’est revendiqué adepte de Glykon, serpent mythique d’origine macédonienne adoré au deuxième siècle de notre ère par les romains. Voilà de quoi faire lever les yeux au ciel à bien des lecteurs qui auront vite fait de juger l’auteur de cet article, rédigé en 2002, comme un huluberlu, ne nous étonnons pas s’ils s’apprêtent à aborder le texte avec réticence.

             Ils seront surpris. Agréablement. Moore manie la verve avec autant de dextérité que le crayon. Il est aussi écrivain. Les pages qu’il consacre à la description des milieux occultes vous feront rire aux éclats. Le marteau d’Héphaïstos n’a aucun secret pour lui. L’a l’humour qui tue. Se refuse à prendre aux sérieux les agissements des occultistes modernes, les anges fossiles ce sont eux. Ne leur concède rien. Selon lui des magiciens de pacotille, engoncés dans l’imitation naphtalinatoire, s’avèrent totalement inopératifs.

             Après une telle charge, quel avenir pour la Magie. Moore ne se dérobe pas. La Magie ne saurait être ni une psychologie, ni une science. Ni autre chose. Sa seule chance de survie réside en un renouvellement de ses pratiques. Foin des rituels, remisez déguisements et tenues  au vestiaire, un peu d’inventivités et de création, chers mages ! La Magie doit être considérée comme un art majeur, musique, peinture, et celui le mieux approprié : la littérature. L’artiste n’est-il pas par essence celui qui suscite le désir… Vingt pages grand-format, d’une plénitude exceptionnelle.

    TABLEAUX D’UNE EXPOSITION

    DAVID TIBET

    (2002)

             Musicien, poëte, féru d’occultisme, David Tibet fut inspiré entre autres  aussi bien par Blue Öyster Cult, sans doute un indice qui explique pourquoi son groupe Current 93 fut un des pionniers de la musique industrielle que par The Incridible String Band d’où sa dérive, ce mot ici dépourvu d’intention péjorative, néo-folk.

             Ce texte est très court. David Tibet visite une exposition de tableaux de Spare. Sa préférence va au tableau représentant un petit garçon beau comme Apollon. J’ai l’habitude d’avertir les lecteurs de ce blogue, méfiez-vous d’Apollon. Non prévenu David Tibet tombe dans le piège. La couleur des yeux du petit garçon change à chacun de ses regards. Il faut donc aussi se méfier des peintures d’Austin Spare. Jusqu’à la mort.

    MIROIRS VIRTUELS EN TEMPS SOLIDE

    GENESIS BREYER P-ORRIDGE

    (1995)

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    Si Spare (1886-1956) peignit et écrivit, s’il fut un artiste pour reprendre le terme d’Alan Moore, il n’en fut pas moins un Mage. Dans cet article, P-Orridge analyse plusieurs œuvres de Spare, il ne se livre pas dans ses commentaires à une critique artistique, il n’examine les dessins qu’en dévoilant les desseins de leurs exécutions. En quoi ces œuvres sont-elles, au-delà de leur réussite graphique, des pratiques magiques ?  Spare ne cherche pas à agir sur les autres, ni pour les séduire, les influencer, s’attirer leur faveur, ou les maudire. La seule personne qui l’intéresse, c’est lui-même. Ses autoportraits en témoignent. Ce n’est pas qu’il veuille par stupide vanité se présenter sous ses plus beaux aspects. Soit il recherche les moments qui, notamment par la pratique de la magie sexuelle, lui ont permis d’atteindre des étapes de maîtrise fondamentale, soit il tente de parfaire par son dessin cette maîtrise magique en travaillant sur lui-même, en parvenant à atteindre des états de conscience de pleine puissance qui lui permette de s’affranchir de son incarnation historiale, pour pénétrer dans la dimension suivante. Certains collectionneurs ont éprouvé le besoin impératif de se débarrasser de dessins de Spare, car ils avaient l’impression d’une présence inquiétante dans ces feuilles de papier… Autosuggestion ?  Pensez à Honoré de Balzac, à Oscar Wilde, à Edgar Poe…  Puisque l’on parle de Maître Corbeau, pensons à cet opuscule de Ghemma Quiroga Galdo dans lequel elle tente de démontrer que l’auteur a tenté de rester en vie, de ne pas mourir, en inoculant son esprit, un peu comme l’on fait une transfusion sanguine, dans l’encre de ses livres…

    Tout cela est bien beau, oui mais après ? P-Orridge sort le grand jeu. N’oublions pas qu’il fut l’initiateur de Throbbing Christle, c’est un rockeur, et il le prouve. Nous voici dans une méditation métaphysique de haute intensité. L’on change de niveau. A partir de Jean Cocteau l’on effectue la traversée du miroir. Bien sûr d’un certain côté les tableaux sont comme des miroirs, le rôle est inversé, ce sont eux qui nous regardent. Oui, mais qu’y a-t-il dans un miroir. Non, ce n’est pas vous, le miroir ne reflète que l’espace. Celui qui lui fait face, celui qui est en lui, le miroir permet de faire la jonction entre l’intérieur et l’extérieur. C’est ce que l’on appelle la traversée des miroirs. Evidemment tout va de travers, nous avons oublié le troisième comparse, l’élément primordial. Non pas l’éther, le temps. Le temps ne serait-il pas, non pas une espèce unissive d’espace-temporel, mais une fragmentation d’atomes de temps qui dispersés tous azimuts ont pour fonction de structurer l’espace. Sans temps vous n’avez plus d’espace. Vous n’avez que du vide. Vous n’avez plus rien. Vous pouvez même vous amuser à affirmer que vous avez tout, que vous avez le plein, puisque vous accédez à la surface non-réfléchissante du miroir. Celui-ci est alors envisagé non selon sa fonction mais selon sa chosité. ( Je renvoie le lecteur intéressé à la lecture de Qu’est-ce qu’une chose de Martin Heidegger ). Si tant est qu’il existe encore un miroir. Le temps est la chose la plus concrète de toutes les choses qui existent et dans le monde intérieur (les idées nouméniques) et le monde extérieur (la matière phénoménale). Le temps ne passe pas. C’est lui qui permet le passage. Vu sous cet angle, vous avez là la possibilité de passer par la mort d’une incarnation à un état autre.

    AVENTURE DANS LES LIMBES

    1944 – 45

    AUSTIN OSMAN SPARE

            Une série de dessins de Spare que le lecteur aura intérêt à regarder longuement parallèlement aux tableaux commentés par P-Oridge. Pour notre part nous nous contenterons de réflexions générales quant à l’art de Spare. L’on évoque souvent Aubrey Beardsley lorsque l’on s’interroge sur Osman Spare. Beardsley le mignon, Spare le cru. Ce genre de synthétisation abrupte, je préfère d’autres parallèles. Par exemple ce qui rassemble et sépare Gustav Klimt d’Egon Schiele. Il ne s’agit pas d’opposer les tenants de l’Art pour l’Art aux partisans propédeutiques de l’Expressionisme. Simplement le constat que ces frères siamois artistiques diffèrent avant tout par la maniérisation érotique de la femme dont ces familles d’esprit usent. Et abusent, je rajoute ce verbe pour que les ligues féministes ne m’intentent pas un procès.

    SATYROS DUX

    1945

    AUSTIN OSMAN SPARE

             Une deuxième série de dessins de Spare. A peine-écrivez-vous le mot femme que les satyres se radinent. Et cette fois-ci pas n’importe lequel, le chef. Il faut le dire : c’est plus fort que Picasso. Nous ne nous focalisons pas sur le trait, tous les personnages mythologiques du Catalan, ne sont que des ornements. Sont dans les tableaux pour faire antique. Au même titre qu’un tronçon de colonne. Chez Spare, les personnages ne se donnent pas systématiquement la peine de se mettre nu. Sont généralement habillés. Ces vingt dessins sont à lire comme une bande dessinée. A chacun d’imaginer son scénario. L’essentiel ne réside pas là. Ce serait oublier el Pintor. C’est lui donne corps et sens à chaque vignette. Nous ne nous risquerons pas à une lecture personnelle. D’autant plus qu’en toute fin du volume, quelqu’un d’autre s’en charge.

    VISIONS DE DIONYSOS

    2011

    JOHN ZORN

             Le lecteur se rendra sur YT écouter The Satyr’s Play (Visions of Dionysus) Ode I, II, III, IV, V, VI, VII, VIII, IX, X composé en hommage à Austin Osman Spare. L’ensemble dépourvu de paroles ne m’a guère convaincu… John Zorn est un musicien d’avant-garde qui a beaucoup produit s’inspirant de toutes sortes de musiques populaires américaines du jazz au classique.

             Le texte est une espèce de poème-rituel divisé en huit séquences, vous le préfèrerez au disque, un peu disert, un peu répétitif, sans surprise… Des sonorités que je me permettrai de qualifier d’agrestes, en rien novatrices. Texte d’une autre texture, requérant plusieurs niveaux de lectures. Aussi bien sur la numérologie sacrée que diverses et rapides évocations, philosophiques, ésotériques, sophistiques… En quelque sorte il peut se lire comme une réponse aux volontés de dépoussiérages de l’occultisme traditionnel souhaité par Alan Moore.

    RITUEL DE LA VENUE DU JOUR

    AUSTIN OSMAN SPARE

             Avant tout l’on y sent l’influence évidente de Crowley, mais cette page ressemble à des notes écrites pour soi-même. Ce rituel malgré son imagerie égyptienne apparaît surtout non pas comme une invocation héliaque mais une adresse au soleil intérieur que chacun porte en soi.

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    DEDICACé A CELUI QUI VEUT

    ET A CELUI QUI DEMANDE

    (1951)

    AUSTIN OSMAN SPARE

             Encore un texte rédigé pour soi-même et en même temps un avertissement au disciple. Spare ne fait pas l’aumône au disciple éventuel. Il   abhorre cette race de clones. Peut-être est-ce pour cela que l’on relève quelques accents nietzschéens dans le dernier paragraphe. Zarathoustra en pleine forme.

    LE SABBAT DES SORCIERES

    (1951)

    AUSTIN OSMAN SPARE

             D’abord un texte de réflexion sur la nature du Sabbat. Rien à voir avec la Nuit de Walpurgis de Goethe. Le mot sabbat désigne l’acte sexuel pratiqué en tant que pratique magique. Ce à quoi elle permet d’atteindre. A lire les pages restantes l’on a l’impression que l’on se trouve devant des notes préparées pour un cours, Spare en professeur consciencieux qui réunit toutes les pièces afférentes au sujet afin de palier  toute demande hypothétique d’un étudiant ou d’une étudiante. L’on ne peut s’empêcher de penser qu’il ne croit pas vraiment en l’efficacité de son cours théorique. Il est nécessaire de s’affronter à la pratique.

    DU MENTAL  AU MENTAL

    ET COMMENT PAR UN SORCIER

    (1951)

    AUSTIN OSMAN SPARE

             Soyons héraclitéen : l’on ne se baigne jamais deux fois dans le fleuve de la pensée pour la simple raison que le fleuve de la pensée est partout, que l’on y est plongé en plein dedans, en plus il ne possède aucune rive… Pour une fois Spare se montre pédagogue. Il passe carrément aux applications techniques :  il vous démontre comment en deux ans vous pouvez devenir un as de la divination. Le courant de pensée de vos voisins se mêle à vos pensées. Un peu d’entraînement et un jeu de cinquante-deux cartes suffisent à répondre à toutes les questions d’un consultant inquiet pour son avenir. Cela n’a rien de magique au sens trivial du terme. Il suffit de le savoir et d’être conscient de ces confluences qui s’interpénètrent. Spare vous répète que c’est relativement facile… Les détails et les exemples qu’il fournit ne sont pas particulièrement stupides, mais vous quittez ces cinq pages en vous disant qu’il se contente de refiler le minimum, quelques encouragements, et puis vous êtes assez grand pour vous débrouiller par vous-même. Répétons-le, Spare n’est pas Crowley, il n’essaie pas de vous enseigner, de vous transformer, il respecte votre liberté. Le sorcier n’est pas un maître. Son but n’est pas d’instaurer envers vous un lien de domination ou de sujétion.

    AXIOMATA ou MICROLOGUS

    (1951)

    AUSTIN OSMAN SPARE

             D’abord remercions Philippe Pissier pour la clarté de  la traduction de ce texte fondamental. Mini-logos : mon œil (d’Horus – et même d’horreur tant vous êtes saisi par la force de ce texte), maximus logos je vous l’assure. Je ne sais pas si le grand Friedrich accepterait que ces sept pages de fragments numérotés soient ajoutées en appendice à une édition du Gai Savoir mais elles n’amoindriraient  en rien la pensée du solitaire d’Engadine. Tout y est : Dieu, l’Homme et même le Surhomme. Un exposé, un concentré de gaya scienzia explosif. A lire ce texte crucial – pensez à l’idée  qui fut clouée sur la croix – la continuité entre la pensée magique et la pensée philosophique devient une évidence. Un phénomène de trans-capillarité de deux traditions d’appréhension de l’être et de la chose, de l’être de la chose et de la chose de l’être. D’où l’importance du Mot qui transporte et l’Idée et la Chose. Ce texte est un miroir qui permet la traversée de la transparence de deux modes de pensée que l’on présente communément comme antagonistes et irréconciliables. Logos Pontifex !

    GALERIE

    (Dessins, Croquis, Aquarelles, Peintures)

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             Si les mots vous restent incompréhensiblement mystérieux regardez les dessins. Ce n’est pas un hasard si cette partie essentielle du volume est placée juste après le Micrologus. S’il est évident que chez Spare l’écriture cherche à éclaircir sa propre pensée et non à dispenser un enseignement, quel rôle a-t-il dévolu à l’exercice pictural, était-ce pour lui, vis-à-vis d’un public indélicat ou non auto-préparé, une manière d’obscurcir le but de ses entreprises, tant intimes qu’extimes, en leur offrant le trompe-l’œil ou le paravent de l’apparence première de ses opérations relatives aux choses magiques. Galerie présente plus de cent pages de dessins et de peintures effectués entre 1904 et 1956. S’il fallait résumer le travail magique de la peinture de Spare en deux mots, ce serait : nudité et portrait. Dans les deux cas, que ce soient les corps ou les têtes, il s’agit d’établir une projectivité pénétrative dans la chair ou l’esprit, de l’autre ou de soi-même, afin non pas de se les approprier mais en opérant un agrandissement de soi-même. Les dessins sont alors à considérer comme les écorces mortes de ce qui a eu lieu et pour les esprits avertis autant d’indices qui servent à concevoir et à comprendre.

             C’est fini… Non, ne faites pas les glavioteux, les treize pages de l’index des noms propres, elles ne sont pas fourrées en fin de volume, fourmillent de renseignements, si vous n’y apprenez rien, c’est que vous ne l’avez pas lu.

             Ce tome III est une petite merveille, vu la taille du mastodonte l’adjectif grande serait mieux approprié, quand on pense à Audrey Muller qui s’est chargée de la relecture, on la plaint, mais je crois que grâce à la présence de son chat roux (comme Osman Spare) à ses côtés on se dit qu’elle a bénéficié d’une véritable aide de sorcière.

             Ce livre n’est pas un livre de plus sur Spare, c’est un objet de première nécessité  pour apprendre à méditer, à réfléchir, à concevoir. Indispensable à ceux qui désirent être eux-mêmes. Et surtout plus qu’eux-mêmes.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 571 : KR'TNT 571 : BUTTHOLE SURFERS / DARTS / URGE OVERKILL / EIGHTIES MATCHBOX B-LINE DISASTER / GEESHIE WILEY & ELVIE THOMAS / ROCKAMBOLESQUES / ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 571

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    20 / 10 / 2022

    BUTTHOLE SURFERS / DARTS

    URGE OVERKILL / EIGHTIES MATCHBOX B-LINE DISASTER

      GEESHIE WILEY & ELVIE THOMAS

    ROCKAMBOLESQUES

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 571

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com

     

    Les Surfers ont pris de la Butthole

     

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             Oh comme il a raison Ben Graham de s’extasier sur les Butthole Surfers ! Il le fait dans le cadre d’un petit book paru récemment et pas facile à trouver, Scatological Alchemy: A Gnostic Biography Of The Butthole Surfers. Remarquablement bien écrit, on voit très vite que c’est un book de fan, car il sait communiquer son enthousiasme. Certaines pages vibrent pour de vrai. Graham qui est cultivé se paye le luxe d’ancrer l’histoire des Butthole dans Dada, mais il fait surtout l’apologie du Texas rock psychédélique et des drogues. L’histoire des Butthole préfigure celle de Fat White Family, avec le même goût du chaos, mais la différence avec les Fat White, c’est que les Butthole ont enregistré d’excellents albums. 

             «Les Butthole Surfers sont arrivés du Texas comme une tornade de brutal, ugly noise, surrealist free association, sick humour and rampant, anti-establishment chaos qui a ruiné des pans entiers de l’histoire du rock.» Graham démarre en trombe avec cette métaphore d’une justesse magistrale. «On les considérait à l’origine comme un groupe punk, mais ils étaient surtout la suite du acid-driven mouvement psychédélique qui avait connu son âge d’or dix ans auparavant.» Graham évoque bien sûr le 13th Floor. Et c’est là qu’il se fend de son couplet Dada. Il rappelle que Dada s’est formé en réaction contre la boucherie de la Première Guerre Mondiale - plus précisément contre les forces qui ont sous-tendu cette guerre, le conformisme bourgeois, la culture mainstream, la pensée rationnelle, les lieux communs, la moralité et les structures sociales, politiques et économiques. Pour lutter contre ces monolithes, Dada a utilisé des actes irrationnels, des déclarations et des comportements volontairement choquants, du non-sens, des clowneries, de la provocation, de la satire et de la magie. Les idées de Dada furent un peu plus tard formalisées et commercialisées par les Surréalistes. Si Dada était punk, alors le surréalisme était la new wave. D’ailleurs, le mouvement punk fut perçu comme une résurgence de the original Dada spirit, comme l’indique Greil Marcus dans Lipstick Traces - Voilà, on t’avait prévenu, Graham et un bon. Il te permet en plus de réviser tes leçons. Il enfonce son clou en affirmant que les Butthole ont ramené the Dada elements of punk dans leur époque, out in the open - Ils se limitaient à choquer et à provoquer, car ils n’étaient pas vraiment doués musicalement, ils jouaient fort et braillaient des textes insultants, ce qui était aussi le cas de beaucoup de groupes punk, mais les Butthole savaient aussi se montrer ridicules, ils étaient souvent à poil, ou couverts de vêtements, ils chiaient et pissaient sur scène - et dans son élan, Graham s’en va chercher Easy Rider : «This was absolute freedom, the American dream taken to its furthest frontier. Mais comme le dit Jack Nicholson dans Easy Rider, parler de liberté est une chose, montrer aux gens ce qu’est la vraie liberté en est une autre, ça leur fout la trouille et ils peuvent devenir dangereux.» Et Graham s’enflamme en affirmant que Paul Leary was one of the most innovative guitar players of his generation.

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    ( Butthole Surfers / 1987 / from Burns' Book - voir plus loin )

             Tout ça dans les six premières pages. Tu sentais confusément que les Butthole étaient un gros truc, et Graham t’éclaire la lanterne. Il parle d’alchimie scatologique : «They have turned shit into gold.» Oh et puis il y a le Texas et sa mythologie d’absolute independance by any means necessary, il évoque the special place in psychedelic history, et cite les Elevators, Golden Dawn, Zakary Thaks, the Lost And Found, tous ces gens harcelés par les flics et les rednecks, mais c’est parce qu’ils étaient harcelés qu’ils sont devenus ce qu’ils sont devenus, ça les a durcis, ça a durci leur son, «so that Texan psyschedelia became characterised by a snotty, kick-ass punk element, d’autant plus que tout ça trempait dans une authentic acid experience» - Le culte des Elevators continua de grossir après leur disparition, mais si un groupe a réussi à maintenir le spirit of Texan psychedelia au long des fucking années Reagan, c’est bien les Butthole Surfers - Les Butthole montent sur scène sous acide, comme les Elavators, Gibby se fout à poil et simule une partie de cul avec Kathleen, Aka Ta-dah The Shit Lady - The Butthole se sont jetés dans les flammes, à la scène comme à la ville, dans leur musique comme dans leur vie, ils sont allés jusqu’au bord de l’abîme. They were America’s last great psychedelic band. Ils sont allés plus loin que les Elevators, Jimi Hendrix, l’Airplane, le Dead, le Velvet ou tout autre ‘out-there’ sixties group qui puisse venir à l’esprit - À l’époque où ils débutent, ils croisent d’autres groupes devenus légendaires : les Big Boys de Tim Kerr, Stickmen With Rayguns et the Hugh Beaumont Experience - Fort Worth’s infamous teen punk band the Hugh Beaumont Experience - dont fait partie un futur Butthole, King Coffey, lequel King partage avec Gibby et Paul un goût prononcé pour le punk-rock, l’art et les drogues psychédéliques. Gibby et Paul sont particulièrement impressionnés par sa façon de jouer de la batterie debout. Ce sont surtout les Big Boys qui mènent le bal de la scène locale, ils considèrent les Butthole comme their little brothers, nous dit Burns, de la même façon que le MC5 considérait les Stooges comme leur baby band. Burns évoque aussi the spaced out alien locks of guitarist Tim Kerr.

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             L’histoire des Butthole se met en route sous nos yeux globuleux, autour du duo Gibby/Paul Leary. King Coffey bat le beurre. Comme ils sont devenus potes avec Jello Biafra, leur premier EP sort sur Alternative Tentacles en 1983. Cet EP sans titre sera retitré un peu plus tard Brown Reason To Live, va-t-en savoir pourquoi. Ils optent aussitôt pour le freak-out extrémiste et c’est insupportable. Toute l’A est mauvaise, presque post-punk, mal chantée, pas sexy. Graham parle de some kind of All-American Satanic ritual. Il faut attendre «Wichita Cathedral» en B pour se régaler d’un excellent bim bam boom de Butthole. C’est leur vision du stomp, monté sur un bassmatic bien rebondi. Et ça se termine avec «The Revenge Of Anus Presley», the concentrated fatty essence of deep-fried southern rock’n’roll.

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             Un an plus tard, ils récidivent avec un autre EP, Live PCPPEP. Même bordel, c’est confus et privé d’avenir. Ils font du trashy-trasho à la ciboulette, enfin on peut appeler ce bordel comme on veut. On retrouve «Wichita Cathedral» qu’ils attaquent à la heavyness parégorique. Ces mecs ramènent du son comme d’autres ramènent leur fraise. Mais c’est tout ce qu’on peut dire de cet EP vert. 

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             Il existe un deuxième Butthole book, beaucoup plus fouillé : Let’s Go To Hell: Scattered Memories Of The Butthole Surfers. On doit ce gros pavé de 500 pages à James Burns, le bien nommé. Il n’est pas aussi intense que Ben Graham, mais son pavé complémente bien ce petit chef-d’œuvre qu’est Scatological Alchemy. Burns fait intervenir directement les principaux acteurs de cette épopée, et ça donne une sorte d’oral history. Comme Graham, Burns est un fan de la première heure. Il rappelle que the touring ethic des Butthole n’avait aucun équivalent - même pas les Minutemen qui jouaient 50 shows en 50 jours, mais qui rentraient chez eux après la tournée. Les Butthole n’avaient pas de maison et vivaient dans leur bagnole.

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             En 1984, ils s’embarquent à bord du Chevy Nova de Terence Smart pour une tournée à travers les États-Unis qui va durer trois ans. Ils ont viré la banquette arrière, de sorte qu’on puisse  dormir à l’arrière. Les instrus et le matériel sont dans une remorque. Ils ont peint ‘Ladykiller’ sur le côté et attaché du fil barbelé sur le pare-choc avant. Teresa qui vient de rejoindre le groupe indique que la virée a duré trois ans - We never came back to Austin - Teresa lavait la vaisselle at the Peacan Street café et quand elle rencontre les Butthole, elle les prend pour des rock stars parce qu’ils connaissent Jello Biafra. Ils embauchent Teresa comme deuxième batteuse, «like the Grateful Dead, the Allman Bros, or the JBs», nous dit Burns qui lui aussi s’enflamme : «The rhythm section became like a steamroller. They took Killing Joke, the Velvet Underground, Wire and the Jimi Hendrix Experience together and interwined them like the roots of a banyan tree.» C’est exactement ce qu’on voit dans le Butthole DVD, Blind Eye Sees All. Live In Detroit 1985. Teresa et King Coffey sont un vrai pilon des forges. Et Burns recrame de plus belle : «Pendant la plus grande partie des années 80, les Butthole Surfers furent sur la route, prenant des acides pour rester éveillés pendant les marathons de 3000 miles d’une côte du pays à l’autre, vivant dans un van pendant trois ans, sans domicile, ni relations sentimentales, ni argent.» Ils trouvent le temps de passer un accord tacite avec Touch & Go, un label indé de Chicago, sur lequel paraît leur premier album, Psychic Powerless Another Man’s Sac.

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    Ils optent pour un parti-pris graphique sans merci : les pochettes sont encore plus libres que leur son. Dès «Concubine», ils renouent avec leurs vieux bon côtés. Ils disposent de ce qu’on appelle the natural heavyness. Ils commencent d’ailleurs à cultiver leur réputation de groupe culte, grâce à leur goût du foutraque. Comme c’est du foutraque texan, ça plaît en Europe. Les cuts hirsutes se succèdent, mais Paul Leary est toujours intéressant. Graham indique qu’ils singent le «surf-gothic hardcore punk des Dead Kennedys». Il parle aussi d’«early eighties electro-pop gone horribly wrong» et d’«hideous vocoder abuse». Il qualifie aussi «Woly Boly» de «psychobilly chicken dancing number qui assimilerait le son des Cramps et de Brithday Party, and dragging back to Captain Beefheart territory» - Leary’s twisted guitar part is certainly  worthy of either Roland S Howard or Zoot Horn Rollo - Dommage que la voix de Gibby Haynes ne soit pas bonne. Il chante faux la plupart du temps. Quand ils font du post-punk mal chanté, comme dans «Negro Observer», on perd patience. On croit entendre l’un de ces atroces groupes gothiques anglais. En B, ils optent pour la provocation et dans le redneck cowboy fuzz-stomp de «Lady Sniff», ils pètent, ils dégueulent, ils crachent, ils font tout ce qu’il faut pour choquer le bourgeois. On assiste plus loin à une belle déclaration d’hostilité avec un «Mexican Caravan» joué ventre à terre - fractured take on the Damned’s «Neat Neat Neat» - et Paul Leary freine des quatre fers, mais de manière acrobatique. Il fait encore la pluie et le beau temps dans ce heavy doom de cul de basse fosse qu’est «Cowboy Bob» - «Cowboy Bob» kicks in like Hawkwind’s «Brainstorm», with Lemmyesque bass and sax blurts of Nik Turner, all flanged vocals and headbanging downer psychedelia - Quand ça sonne bien au chant, c’est Leary qui chante, «and turns in a classic garage-psych guitar solo.» Graham qualifie cet album de freaky party record. Burns rappelle que les photo recto et verso de pochette sont signées Michael Macioce, un photographe rencontré à New York. C’est Paul Leary qui flashe sur celle du verso, Cherub the angel.

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             Sur scène, les Butthole deviennent une sorte de Cecil B DeMille apocalypse. Dans le NME, on les décrit ainsi : «Beefheart, the Virgin Prunes, Residents, Dead Kennedys, Hawkwind and the Mothers of Invention all naked and rolling around in a bestial orgy.» Sur scène, Gibby enfile dix robes qu’il arrache une par une pour finir à poil. Dans son book, Graham collectionne les détails de tous les excès scéniques, notamment à l’époque où Kathleen danse sur scène avec le groupe. Mais leur point faible sera toujours le bassiste : fatigué de la pauvreté, de la malnutrition et des excès, Terence Smart quitte le groupe en 1985, après un concert à Atlanta. Comme Graham, Burns parle de la création d’un monster - The monster is us: it is sex, death, drugs, life, lies, neuroses and politics. Not the politics of government, but the politics of the mind.

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             En 1985, Mark Kramer de Shockabilly rejoint les Butthole. Burns rappelle que Shockabilly était avec Sonic Youth «among the biggest bands in the New York scene». Eugene Chadbourne qui est le guitariste de Shockabilly est par la suite devenu assez culte. Mais Kramer n’en peut plus de voir Chadbourne vendre ses K7 après les concerts de Shockabilly et il finit par lui dire to go fuck himself. Chadbourne ne pensait qu’au blé - He’d become a fisrt class prick, and a completely fucking miserable human being. Après son passage dans les Butthole, Kramer va monter Bongwater, son studio et son label, Shimmy Disc Records, spécialisé dans la «Downtown scene», les groupes les plus connus étant Galaxie 500, Ween et King Missile. Quand Kramer quitte le groupe, Teresa qui est épuisée rentre aussi chez ses parents. Les Butthole se retrouvent à trois. King : «C’était dur et nous n’étions pas des gens faciles à vivre, il faut bien le reconnaître.» Tout s’arrange avec l’embauche de Jeff Pinkus, un bassman qui comme eux adore jammer sur Sabbath et Blue Cheer. Pour Burns Pinkus est le bassman qui a le plus contribué au son et à l’image des Butthole. «Bill Jolly avait rendu le groupe célèbre au Texas, et grâce à Terence Smart, le groupe est parti en tournée à travers le pays. But Jeff brought them up from the street and out into the cosmos.»

             The «on-stage sex show» avec Kathleen continue. Burns : «The show cemented their reputation as the most dangerous touring band in existence.» Plus de lois ni de règles, ils avaient créé les leurs. Une certaine Kabbage se joint à eux comme deuxième batteuse, en remplacement de Teresa, mais elle bat tous les records de puanteur, au point que les Butthole finissent par s’en débarrasser en la déposant à un arrêt d’autobus. Ils poursuivent nous dit Burns leur «never ending coast to coast death race». Quand tous les groupes célèbres à l’époque, Jane’s Addiction, Pixies et Red Hot Chilli Peppers, ramassent des tonnes de blé et s’achètent des voitures, les Butthole continuent de tirer la langue et mettre leurs sous de côté pour enregistrer. Teresa : «Le seul moyen que nous avions de continuer à enregistrer était de ne pas nous payer.» Les Butthole ne vivaient que des concerts. Le seul choix qu’ils avaient nous dit Burns était «entre ne pas tourner et ne pas manger, ou tourner et ne pas dormir». Burns dresse un étrange parallèle entre les Cramps et les Butthole - The Cramps, one of the few bands who could actually rival the Butthole on stage - Alors que pendant 15 ans, les Cramps ont développé their own psychotic hillbilly beach parties, les Butthole cultivaient de leur côté le full blown freakout et veillaient à ramener sur scène toute l’insanité du monde. En 1988, les Butthole jouent en première partie des Cramps à Washington D.C.

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             Dada pointe le museau sur Rembrandt Pussyhorse paru en 1986. Oui, Tzara aurait adoré «Waiting For Jimi To Hide», car c’est du vrai Dada d’entre-deux, comme ça en passant. Pas mal, le Dada texan, en tous les cas, ils s’amusent bien. Graham : «Avec Rembrandt Pussyhorse les Butthole on trouvé leur son : a dark, compelling mixture of psychedelia, avant-garde noise rock and a sick, surreal sense of humour.» On trouve aussi une belle bourrache de stomp sur l’astonishing deconstruction of «American Woman». Les Butthole se montrent capables de ramener énormément de son, ils se fendent ici d’un big beat indus, le vrai beat des forges du Creusot, avec la vapeur et les murs qui tremblent. En B, on devra se contenter de «Perry», un freak-out monté sur un riff envahisseur. Power & Texas blast. Mais tout le reste est à jeter. Graham : «Rembrandt Pussyhorse est un album extrêmement sombre et torturé qu’il ne faut pas écouter en conduisant. Ni en prenant des drogues hallucinogènes, sauf si vous êtes le genre de maso qui apprécie cette espèce de fucked-up fun. Comme le dit le proverbe : in your head be it.»

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             Les Butthole continuent de se montrer avares d’infos avec la pochette de Locust Abortion Technician. Contentons-nous de savoir que les clowns sont peints par Arthur Sarnoff. Mais c’est avec cet album qu’ils montrent enfin leur vrai visage. Gaham dit qu’il s’agit du meilleur album des Butthole - Their heaviest and most extreme - Et il ajoute, le souffle court : «Ce n’est ni du punk, ni du goth, ni de l’indus ou du heavy metal, mais leur son intègre ces éléments. This is the Butthole Surfers in full-on acid psychosis mode, qui ne ressemble à rien de ce qui existait avant, et que peu de gens ont osé approcher depuis.» Les Butthole commencent à émerger en tant que rois du heavy sound, et ce dès la cover de «Sweat Loaf», tiré du Master Of Reality de Sabbath - Les Butthole attrapent un couteau de cuisine rouillé pour vous ouvrir sur le front le troisième œil. Look ! See the horror ! - Dans les années 80, Sabbath n’était plus en odeur de sainteté, mais nous dit Graham, les Butthole reconnaissaient en eux the very primal ooze of rock et savaient que la stupidité constituait son essence autant que l’énergie ou the darkness - La heavyness ne leur fait pas peur. C’est même leur péché mignon. On commence alors à les prendre au sérieux. «Pittsburg To Lebanon» sonne comme un chef-d’œuvre de heavy blues joué au raw texan. Cette immense merveille de gras double s’étend jusqu’à l’horizon. En B, ils font du trash-punk avec «The O-Men» - Pure Texas psychedelia, lost in a bad trip on too much peyote and trucker speed - Ils ne reculent devant aucun excès, c’est d’ailleurs ce qui fait leur grandeur. On croirait entendre du trash-dada tellement c’est audacieux, avec cette voix de va-pas-bien. S’ensuit un petit délire d’exotica asiatique nommé «Kuntz». Voilà, c’est à peu près tout ce qu’on pourra se mettre sous la dent. Quatre cuts, c’est déjà pas mal. Graham qui n’en finit plus de loucher sur Paul Leary ajoute qu’il ramène la même énergie qu’Hendrix dans «Star-Spangled Banner» ou Eddie Hazel dans «Maggot Brain». Selon Burns, Locust est devenu l’archétype de l’album qu’on fait comme on a envie de le faire, sans aucun objectif commercial et sans craindre de perdre des fans - On their own terms, dit Burns. Il ne s’arrête pas là, le Burns. Pour lui, Locust est un big FUCK YOU adressé au mainstream rock. Et alors que des groupes comme Devo, Throbbing Gristle, les Residents et Pere Ubu s’engagent dans des voies obscures qu‘on qualifie de punk ou de post-punk parce qu’on ne sait pas comment les qualifier, les Butthole renouent avec le rock des seventies.

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             C’est l’époque où Kathleen danse sur scène avec le groupe. Elle tourne donc avec eux. Ils passent vingt heures par jour dans le van et comme elle est anti-hygiène, elle dégage une drôle d’odeur. Elle ne se lave jamais, elle adore la merde et la pisse et tout ce qui peut sortir du corps. Quand les autres Buttholes chopent des morpions, elle les adopte comme des animaux domestiques. Kathleen avait bossé dans un peepshow de Times Square et une nuit, alors qu’elle avait chopé un virus intestinal, elle arrosa accidentellement le mur de merde. D’où son surnom de Ta-Dah the Shit Lady. Sur scène, elle danse à poil, comme Stacia le fit au temps d’Hawkwind. Alors forcément, les salles de concert se remplissent.  

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             Génial ! Aucune info sur la copie Touch And Go d’Hairway To Steven qui est ici. Ni les titres des cuts, ni les noms des gens. Les seuls indices sont des petits crobards sur les rondelles des labels. Si on observe attentivement les petits personnages et les animaux, on voit qu’ils chient. Les Butthole cultivent des obsessions scatologiques. Après enquête sur Discogs, on découvre que le long cut d’ouverture de bal d’A s’appelle «Jimi». Alors attention, car c’est piétiné dans l’épaisseur du pire blues rock texan, on a là une vraie pulsation antique, ils jouent avec brutalité et donc c’est vite grandiose. Ça vaut tout Killing Joke. Les Butthole ont du génie et leur génie consiste à s’éloigner des voies conventionnelles du rock pour tenter l’aventure de l’avant-garde. Ils allument plus que tous les géants du blues-rock réunis, ils découvrent des territoires inexplorés. On tient là l’un des disques les plus édifiants de cette époque. Ils tâtent de la folie, souvenez-vous brothers & sisters que la folie est l’essence même du rock. Il y a dans «Jimi» tout le power de «Sister Ray» et de «Death Party», le Velvet et le Gun Club se mélangent à la crazyness texane - Some of Paul Leary’s most demented guitar playing - Avec «Ricky», on voit qu’ils savent gratter des poux et ils terminent cet effarant balda avec «I Saw An X-Ray Of A Girl Passing Gas» qui frise les Fugs dans le côté hargneux et pouilleux. C’est tellement chargé de son qu’on s’en épate. Gibby Haynes rajoute des maniérismes anglais dans le chant et un violon renvoie directement à Family. Ils attaquent leur bal de B avec du Dada texan, le plus incongru qui soit. Le cut s’appelle «John E. Smoke» et bat les Godz à la course. Ils racontent l’histoire de John E. Smoke avec de l’Americana schtroumphée et mine de rien, ils blastent leur son en déconnant. Ils font du pur Joujouka avec «Rocky» qui fut composé pour Roky Erickson, mais celui-ci refusa de l’interpréter, nous dit Graham. Puis ils font du rockab psychédélique avec «Julio Eclesias». Ils montrent une stupéfiante aisance à mixer les genres et là, ce démon de Paul Leary passe un solo de jazz guitar, avec ce débridé énergétique qui caractérise le freak-out texan. En fait c’est le même élan vital que celui du 13th Floor. Ah il faut entendre cette machine rockab derrière et ces fabuleux coups de starter en cours de route. Encore du heavy as hell avec «Backass». Ils visent cette fois le heavy psyché anglais. Diable, comme leur mad psyché peut être belle, elle vaut tout l’or du monde, bien crazy, bien déjantée. Ils terminent en mode wild gaga avec un truc qu’ils appellent «Fast Song». Paul Leary joue comme un desperado. 

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             En 1988, les Butthole ont en marre de la bohème et s’installent dans une ferme, à quarante bornes d’Austin. Tous sauf King Coffey qui préfère rester en ville. Épuisée, Teresa a quitté le groupe pour rentrer chez ses parents. On la voit, Teresa dans Slackers, un film underground texan. Elle apparaît dans une scène et se lance dans un monologue psychotique sur Madonna. Elle porte une casquette noire et des lunettes noires. C’est un plan très bizarre.

             Après le départ définitif de Teresa, les Butthole deviennent nous dit Burns «a solid rock freak out. Not the sloppy lo-fi southern-fried punk of their early days, nor the experimental art damaged drug orgy of yesteryear, but a more firespitting comet of hardcore psychedelic rock, shooting across the intergalactic space somewhere between Hawkwind’s «Motorhead», Blue Cheer’s «Second Time Around» and Steppenwolf’s «Foggy Mental Breakdown». Bien vu Burns ! Il ajoute plus loin qu’aucun groupe ne peut survivre pendant dix ans à ce niveau de madness, même pas les Butthole qui l’ont pourtant fait plus longtemps que n’importe quel autre groupe - Que ce soit par choix ou par nécessité, on ne peut que les honorer d’avoir été the most dedicated band in the history of Texas Rock’n’Roll. Et c’est là qu’ils décrochent un contrat chez Rough Trade, avec $100,000 à la clé.

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             Leur meilleur album paraît en 1991 et s’appelle Piouhgd. Imprononçable. Il faut comprendre «pee-oh-d», c’est-à-dire pissed-off. Au dos de la pochette, un graphiste a bricolé leurs photos. On était alors à l’aube de l’ère Photoshop et c’est vrai qu’en découvrant les outils, on pouvait parfois bien s’amuser. La déformation des visages donnait parfois des résultats intéressants. Cet album grouille de heavy stuff et dès «Revolution Part 1» et le Part 2 qui suit, Paul Leary se paye une fantastique partie de gras double de stoner rock jam. Il travaille la lancinance au corps, il dispose d’un beat solide. C’est encore du blues rock Dada, ils gueulent des prénoms et ça bascule dans la transe de la prescience - Gary Gary ! - Le chant entre en perdition d’acid freak-out. Ils font plus loin une excellente cover d’«Hurdy Gurdy Man», idéale pour un trip texan. C’est Paul Leary qui chante «in dislocated fashion, while his guitar solo dips and cuts like a shell-shocked gravedigger decomposing in the acid rain, or limps across the ultra-violet sky like a haemorrhaging seagull.» Retour au heavy Texas blast en B avec «Blindman». Aw my Gawd, comme ces mecs sont bons, comme ils poussent bien leur bouchon dans le gras du blues, ils culminent dans les virages, ils rivalisent d’ardeur avec Mountain et sortent le grand jeu du freak-out à la Cactus - A classic Butthole grind, Stooges and Cramps influenced hard rock with unintelligible vocals that speed up nightmarishly - On croit entendre les Mary Chain avec «Something». Même son, même beat, même écho. Symbiose parfaite, Paul Leary peut sortir le grand jeu comme William Reid. Retour à la mad psyché texane avec «Psy», ils ramènent tout le lard de la matière, leur blast foisonne, ils multiplient les plongées histrioniques dans les nuages de bassmatic et de blasting booms. C’est l’un des plus spectaculaires freak-outs de l’histoire du rock. Graham : «Don’t write off Piouhgd as a mess. Okay it is a mess, but it’s a glorious one. And the Butthole Surfers never claimed to be consistent afeter all.»

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             Et puis on tombe sur le chapitre qui s’appelle ‘Clean Up’. En 1991, les Butthole s’assagissent. Ils ont un peu de blé et participent à Lollapaloooza, un concept de festival imaginé par Perry Farrell en hommage à son groupe, Jane’s Addiction, et à tous les groupes qui les ont influencés, à commencer par les Butthole - Perry had just the vision, and ego, to pull it off - Paul Leary : «C’est la première fois qu’on n’avait pas à conduire notre van, à installer nos amplis, à accorder nos guitares et à réclamer notre blé. Comme on avait les mains libres, on pouvait se défoncer un peu plus.» Projet risqué, Lollapaloooza est un succès et devient au fil des ans le vivier dans lequel viennent pêcher tous les gros labels : l’underground devient à la mode. Un mois après le premier Lollapaloooza, Geffen sort le Nevermind de Nirvana. Le rock connaît alors sa dernière révolution. C’est grâce à Lollapaloooza que les Butthole décrochent un contrat chez Capitol.

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             Comme ils ramassent un peu de blé, ils abandonnent le mode de vie en collectivité pour essayer de vivre comme des «gens normaux». Paul Leary va même jusqu’à se marier ! Gibby et Jeff Pinkus s’installent eux aussi dans des baraques. King Coffey profite de son blé pour monter son label, Trance Syndicate. Paul Leary enregistre son premier album solo la même année. L’album s’appelle The History Of Dogs. Graham le compare à l’Automatic des Mary Chain et à Vision Things des Sisters Of Mercy. Il y trouve aussi un «metronomic take on Texas boogie that ZZ Top trademarked on 1983’s Eliminator.» Il parle encore d’un «oblique, hermetic solo statement». C’est on s’en doute un album somptueux. «Apollo One» sonne tout simplement comme une course vers l’avenir du rock. Paul Leary devient féroce, il fait gerber un punk-rock liquide comme une diarrhée, il chante sa diarrhée au liquide pur. Ce mec a du génie. Bienvenue dans la modernité, il fit rimer Dada avec fracas, c’est exceptionnel. Il repart au chant liquide avec «Dalhart Down The Road». Il a tout compris, il fait du punk-blues organique, du Texas romp diarrhéïque, le solo est un chef-d’œuvre de dégueulis d’overdose, merci Paul, pas de pire folie, pas de pire déviance d’esprit rock, c’est digne de Roky. Il revient à la petite couture à deux voix pour «How Much Longer», il est têtu, il insiste, il joue contre vents et marées, il est en avance sur tout le monde, même sur Tim Presley et John Dwyer. Graham a raison de citer les Mary Chain car les voilà dans «He’s Working Overtime» : même vent de folie, Leary est au cœur de la tourmente, même sens du génie sonique, avec la basse qui traverse la tempête, Mary Chain, oui, but the Texas way, baby. Il ramène les tambours de guerre indiens dans «Indians Storm The Government», c’est un rêve qu’il met en musique, il tape ça au délire Butthole, il s’y connaît en tambours de guerre. Paul Leary est un mec extrêmement aventureux. Il va chercher ses trucs et il les nourrit. Il est excellent, surtout quand il devient excentrique («Too Many People»). Encore un cut de rêve avec «The City», perdu dans l’azur de Leary, il cloue son couvercle au ciel avec de coups de basse lourde. Et il finit en heavy beauté avec «Fine Home».

             Pendant ce temps, Gibby enregistre «Jesus Built My Hotrod» avec Al Jourgensen et profite de l’occasion pour passer à l’héro - When he left the Ministry enclave in Chicago, he slipped into smoking crack and doing heroin all the time.

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             Ils décident d’arrêter de tourner pendant un an et enregistrent Independant Worm Saloon avec John Paul Jones. Les sessions durent deux mois - Gibby dit de John Paul Jones qu’il était un horrible drunk but we were loaded too. On a dépensé tellement de blé sur cet album. We basically spent a fortune to hang out with some guy from Led Zeppelin - Comme ils sont sur Capitol, pas de problème. L’amateur de Dada trouvera encore son bonheur sur Independant Worm Saloon, paru en 1993. Oh pas grand-chose, juste «The Annoying Song» en B. Mais c’est un joli stomp Dada en tous les cas. Ils ont la main lourde sur le beat et d’excellentes tendances à la marée. «Who Was In My Room Last Night?» donne le ton - the long standing love with Black Sabbath - et Graham parle de «gonzo rock workouts with monomaniacal, robotic rhythm section and barely intelligible, gibbering lunatic vocals.» Il ajoute que c’est «du punk et du métal à leur plus petit commun dénominateur and retooled with military-strength hardware. Mais ça marche, comme c’est souvent le cas, the results are exhilarating and irresistible fun.» On trouvera aussi une belle cavalcade en A. Elle s’appelle «Dog Inside Your Body». Guitar God joue ça en retenue au bord du coït. Oui, Paul Leary mérite bien qu’on l’appelle Guitar God. Fantastique aisance de l’appétence, il sait riffer un beignet dans le sens du poil et barder un barda bersek. Guitar God is on fire. Encore une vraie dégelée royale d’impénitence dans «Goofy’s Concern» et «Alcohol» tombe à pic pour nous rappeler à leur bon souvenir et à leur sens aigu de la heavyness. Ils se situent vraiment au-delà de tout. On retrouve la main lourde de Guitar God en B dans «Dust Devil». Il multiplie les coups de vrille, dommage que la voix de Gibby Haynes soit si ingrate. En fait, ils sonnent comme Pere Ubu. Mais leur équation fonctionne : Guitar God + heavy beat = Butthole magick. Ils repartent en mode ventre à terre avec «Leave Me Alone». Ils adorent les rasades de cavalcade. Il reste encore un beau morceau à se mettre sous la dent : «Edgar». C’est un véritable festival traversé par des pointes de bassmatic. Les Butthole sont les rois de la densité atmosphérique. Graham s’amourache de «Dancing Fool», «a Paul Leary tour de force, the guitarist hollering ‘dance like cancer’ and ‘Fuck you I’m the dancing fool!», over a veritable autobahn of punishing Wagnerian Panzer attack guitars, remorseless and unstoppable.» L’album dit encore Graham s’achève avec «an all-time Butthole Surfers freak-out classic, «the near-nine minutes of «Clean It Up». Les auditeurs capables de supporter les deux premières minutes de vomissements et de bowel-twitching bass sont ensuite catapultés dans un stupéfiant duel de guitares qui oppose Paul Leary et Helios Creed de Chrome, leurs notes hurlantes reverberate across the rhythm section’s apocalyptic black hole rumble. Il est bien certain que ce n’est pas le son d’un groupe qui a vendu son cul et qui s’est rangé des voitures. Rien de ce qui paraît sur un gros label dans les années 90 n’est aussi far out et psychédélique que ce track.» Pour Burns, les Butthole d’Independant Worm Saloon sont le 4 piece band in full glory. Ils ont même assez de cuts pour remplir un double album.

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             C’est là que Jeff Pinkus quitte le groupe. Gibby quant à lui frôle la mort en permanence. Il va en detox à Los Angeles et se retrouve dans la même chambre que Kurt Cobain. Gibby est l’un des derniers à avoir vu Cobain vivant : le 31 mars 1994, Kurt s’évade du centre de detox et on le retrouve mort huit jours plus tard avec une balle dans le crâne. Dans son coin, King Coffey ne chôme pas. Il est devenu pote avec Roky et sort son label  Trance Syndicate l’excellent All That May Do My Rhyme. Paul Leary joue sur trois des cuts de l’album - Roky nous dit Graham is one of the few characters  who could out-weird the Butthole Surfers - Roky arrive en studio avec un chapeau en papier alu. L’ingé-son lui demande pourquoi il porte un tel chapeau et Roky dit que c’est pour le protéger des rayons. Comme l’ingé-son lui dit que le studio est isolé, Roky enlève son chapeau.

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             Paru en 1996, Electriclarryland est un faux double album, une sorte de clin d’œil à Electric Ladyland sur trois faces. Ils enregistrent l’album avec le producteur Steve Thompson dans le studio de Todd Rundgren à Bearsville, dans l’État de New-York. Pour Graham, c’est encore un big album, leur meilleur depuis Locust Abortion Technician, mais dans un genre radicalement différent. Deux énormités se nichent en A : «Birds» et «Thermador». C’est un heavy beat texan monté sur bassmatic proéminent. Du gâtö pour Guitar God. Ce sens du pounding redore le blason les Butthole. C’est avec ces heavy cuts qu’ils donnent leur vraie mesure. Ils étendent leur règne et ne font pas de détail avec ce heavy beat déclamatoire, seul compte le poids du beat et la transversalité du bassmatic. Ils sont fantastiques. Avec ce «genuine Texan psych classic» qu’est «Pepper», Graham nous dit qu’ils documentent «the dark side of the druggy counter-culture in the true 13th Floor Elevators tradition». Encore une belle énormité en B : «Ulcer Breakout», c’est pulsé comme il faut, Guitar God est en furie et il dévaste tout. Avec «Ah Ha», Gibby Haynes fait son Crocus Behemot, il va chercher la petite démesure avec la même pugnacité des cités. Mais c’est avec la C que l’affaire se corse. Ils opèrent un gigantesque retour à la psychedelia texane avec «The Lord Is A Monkey». C’est exactement ce qu’on attend d’eux. Guitar God entre dans la danse à coups de wah excédée et envoie de fabuleux shoots d’excelsior patibulaire. Ils montent «Let’s Talk About Cars» sur un dialogue français. Elle parle d’une voix intime - Chuis d’accord, les films français sont plus lents que les films américains - et elle rit. Encore un shoot de Pere Ubu avec «LA», même pataquès et ça se termine en mode mad psychedelia avec «Space» et tout le power des Butthole. C’est monstrueusement bon. Graham : «Electriclarryland is an album about death, loss of faith and drugs - specifically heroin.» Graham en profite pour rappeler que Courtney Love et Kurt se sont rencontrés à un concert des Butthole et que River Phoenix est mort sur le trottoir du Viper Room alors que Gibby était sur scène. Graham qui est extrêmement bien documenté, rappelle enfin que l’héro était au début un médicament contre la toux, mis au point par le laboratoire Bayer à la fin du XIXe siècle, qu’on vendait partout jusqu’en 1914, et qui fut interdit dix ans plus tard à cause du nombre grandissant d’addictions. 

             C’est nous dit Burns le contrat signé chez Capitol qui a fini par avoir la peau des Butthole. Le groupe va quand même se reformer pour tourner, avec des mercenaires. Le noyau de base, Gibby, Paul et King, a survécu.

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             Les Butthole restent dans leur fucking délire avec Weird Revolution, paru en 2001. Ils jouent la carte d’une certaine modernité et Paul Leary n’est pas avare de gras double, mais on voit qu’ils changent de son. Ils mixent le Butt sound avec du hip-hop et de l’electro et donc on les perd un peu. Inutile d’attendre des miracles de cet album. Pour «Dracula From Houston», ils reviennent aux accords rock’n’roll, mais le hip-hop s’en mêle, ce qui ne les empêche pas de rocker leur cut à coups de we gotta go. On les voit jouer «Shit Like That» à la vieille heavyness, mais c’est parasité par du techno sound. Puis ça dégénère, au fil des cuts, les machines prennent le pouvoir. Ils redressent un peu la barre avec «Jet Fighter», gratté à coups de big acou, voilà le Butt qu’on aime bien. Ils terminent avec «They Came In» et on assiste au grand retour des guitares. C’est même assez violent. Ils ramènent tout leur décorum, les falaises de marbre et les orchestrations de péplum, ils défoncent la rondelle des annales du Texas. Pour Graham, c’est un album raté, «just a bad album for bad times.» Le vrai bon album, c’est After The Astronaut qui n’est pas sorti officiellement.

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             En 2018, Paul Leary monte The Cocky Bitches avec the Baroness et enregistre Mercy. Qu’on se rassure, Paul Leary est encore capable de bourrer sa dinde. Premier coup de génie avec «Hand In Fire» qui sonne littéralement comme un cut des Pixies. Très spécial, avec du poids dans la balance. Encore un coup de génie en B avec «Rocket», un joli Rocket de destruction massive. Leary n’a rien perdu de son gut d’undergut, son sens du beat n’a jamais été aussi aigu, et il faut entendre les descentes de basse demented ! Il termine cet album passionnant avec le morceau titre, à la heavyness maximalis, qui est, souviens-toi, le pré carré de Paul Leary. Imbattable ! Il envoie des violons à la fin en rase-motte dans le mayhem de sa heavyness. D’autres cuts valent le détour, comme le heavy doom de «Burn Baby Burn» qui se perd dans l’ombilic des limbes, ou encore «Free The People» tapé au tribal texan, presqu’Indien. Il règne toujours une ambiance superbe chez Paul Leary. Avec cet album, il poursuit ses recherches sur le doom d’avant-garde. 

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             Il enregistre encore un album solo en 2021, Born Stupid. Les Dadaïstes l’ont tous rapatrié pour se régaler de «Do You Like To Eat A Cow», car voilà du real Dada cow punk, meuhhhhh ! Paul Leary s’amuse bien, il chante comme Zampano. Mais attention, ce n’est pas fini ! On le voit ensuite danser la bourrée texane dans «Sugar Is The Gateway Drug», puis il s’en va faire du Dada robot tribal avec «What Are You Gonna Do». N’allez surtout pas imaginer qu’il va se calmer en B. Oh la la, pas du tout. Il l’attaque avec une chevauchée fantastique à la John Ford qui s’appelle «Mohawk Town», puis il passe à la farandole du IIIe Reich avec «Things Away Freely» et revient faire du noir cacadou au Cabaret Voltaire avec «Gold Cap», alors attention, on parle du Cabaret Voltaire de Zurich, bien entendu, pas de l’autre.  

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             On bouclera ce modeste panorama avec un Humpty Dumpty LSD, un ramassis de démos et d’outtakes de Butthole. Oh rien de très spectaculaire mais des choses comme «One Hundred Million People Dead» accrochent bien l’oreille. Ces mecs-là ont des idées et du jus. On entend des choses rebondir dans le son. Belle leçon d’hypno, en tous les cas. Ils noient ça dans une certaine sauvagerie incongrue et Paul Leary s’en va brûler les plaines. Ils reviennent au cinémascope avec «Day Of The Dying Alive». Ils jouent au ahhh uhh, ils avancent à pas lourds dans le son comme des zombies, Paul Leary passe des lignes géniales qui hurlent comme des monstres à l’agonie. Avec les Butt, il y a toujours du spectacle. Paul Leary prend «Just A Boy» au chant et les Butt sonnent comme des Anglais. Ils sont un peu ridicules, dans leur trip de tripe, on croirait entendre un groupe de lycée technique, sauf que Leary joue de la haute voltige casse-gueule. Avec «I Hate My Job», ils font encore les punks anglais et sont encore plus ridicules. On dirait des Johnny Moped texans. Ils prennent parfois les gens pour des cons. C’est important de le savoir avant d’acheter leurs disques, surtout celui-ci.

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             Les plus curieux verront le DVD des Butthole paru en 2002, Blind Eye Sees All - Live In Detroit 1985. Ça permet de les voir sur scène. Le concert filmé à Detroit en 1985 est entrecoupé de bouts d’interview loufoques. Ils sont au lit tous les cinq, tous torse nu et Teresa porte un sous-tif noir et des petites lunettes noires. Gibby raconte n’importe quoi. Retour sur scène : Teresa et King battent un beurre de tous les diables. Ils sont le moteur du chaos. Gibby porte un sous-tif blanc et souffle n’importe quoi dans un sax. Ils développent par moment de belles séquences d’hypno («Cherub») et Paul Leary veille au grain. Il joue un lead admirable. Il est essentiel de revoir le film après avoir lu les deux books, car tout s’éclaire. Les Butthole proposent une vraie drug-trance-music, comme le firent avant eux les 13th Floor. Fabuleux acid trip texan. Le bassman Trevor Malcolm s’est fait un look à la Warhol et il ramène sur scène le sousaphone qu’il a barboté à l’école de musique. Ils ont du génie sonique. Paul Leary hurle et joue ses stridences hallucinogènes, tout cela propulsé par les deux batteurs. Il chante comme David Thomas dans Pere Ubu («Something»). Ils n’avaient pour seule ambition que d’échapper aux conventions.

             Graham conclut en disant que Gibby et Paul Leary on crée en 1981 un monstre qui a vécu 10 ans - dix ans vécus dans des conditions de pauvreté et de dégradation extrêmes, of self-inflicted mental and physical torture, oscillant entre les extrêmes psychiques, toujours affamés et au bord de l’épuisement. Mais c’est de ce contexte qu’a jailli l’une des plus grandes et plus folles live performances ever seen in the rock music era.

    Signé : Cazengler, Butthole surfait

    Butthole Surfers. Butthole Surfers. Alternative Tentacles 1983

    Butthole Surfers. Live PCPPEP. Alternative Tentacles 1984

    Butthole Surfers. Psychic Powerless Another Man’s Sac. Touch And Go 1984

    Butthole Surfers. Rembrandt Pussyhorse. Touch And Go 1986

    Butthole Surfers. Locust Abortion Technician. Touch And Go 1987

    Butthole Surfers. Hairway To Steven. Touch And Go 1988

    Butthole Surfers. Piouhgd. Rough Trade 1991

    Butthole Surfers. Independant Worm Saloon. Capitol Records 1993

    Butthole Surfers. Electriclarryland. Capitol Records 1996

    Butthole Surfers. Weird Revolution. Hollywood Records 2001

    Butthole Surfers. Humpty Dumpty LSD. Latino Burger Veil 2002

    Butthole Surfers. Blind Eye Sees All. Live In Detroit 1985. DVD MVD 2002

    Paul Leary. The History of Dogs. Rough Trade 1991

    Paul Leary. Born Stupid. Shimmy Disc 2021 

    The Cocky Bitches. Mercy. Slope Records 2018

    James Burns. Let’s Go To Hell: Scattered Memories Of The Butthole Surfers. Cheap Drugs 2015

    Ben Graham. Scatological Alchemy: A Gnostic Biography Of The Butthole Surfers. Eleusinian Press Ltd. 2017

     

     

    She Darts it right - Part Two

     

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             Des anciennes Darts, il ne reste plus que Nicole Laurenne et la bassiste Christina Nunez. L’illusse est donc périmée. Elles sont de retour en Normandie avec du turn-over pas dans les ovaires, mais presque, nouvelle crackette au beurre et nouvelle goddesse à la gratte, et bien sûr, une envie d’en découdre qui n’en démord pas, elles sont plus dare-dare qu’un dard du Darfour, elles valent mieux Dart que jamais, la crakette bat le Dart pendant qu’il est chaud, elle darde bien sous son bonnet de laine cardée.

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    Ce quarteron de goules des Dardanelles joue dans une quasi-obscurité, elles portent des capes et des dentelles noires, elles se meuvent comme des ombres dans un vacarme de gaga darwiniste de la pire auspice, elles font la tournée des grands Darts, elles appliquent à la lettre la règle du Qui Dart dîne, avec elles, ça darde sec, elle tapent dans le Dart fumant de la matière, nothing to lose and Love You 2 Dart, tout passe à la casserole, Don’t Hold My Dart, ça Break Your Dart au coin du bois, personne ne bat les Darts au petit jeu du real Darty, ce qui est dû est Dart, on ne revient pas là-dessus, et puis on l’a assez dit et répété,

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    les girl groups développent des énergies supérieures, elles sécrètent des jus qui exacerbent la notion même de gaga-punk, on le sait depuis Goldie & The Gingerbreads, les Runaways et les Pleasure Seekers, le Dart suprême des girl groups te surprendra chaque fois et t’émerveillera toujours. Chaque fois, c’est extrêmement condensé, fabuleusement ramassé, rien de traîne, leur cohésion est un modèle du genre, elles canardent chaque cut avec une soif vengeresse, elles palpitent de toutes leurs forces, elles taillent dans la masse avec une vertigineuse sensualité, si on ne les retenait pas, elles feraient danser la terre entière, elles te jerkent le ciboulot, t’expatrient la ciboulette, elles te chopent par ce que tu as de plus précieux, les sentiments, et tu leur fonds dans la main, elles t’ont sans rien, elles t’ont comme elles veulent, tu es à un mètre d’elles et tu les regardes d’un œil brillant comme si tu tombais au fond d’une caverne sur un trésor de pirate, elles font de toi un Monte-Christo à la petite semaine, mais au moins, ton œil brille pendant une heure, et ça, dis-toi bien que ça vaut largement tout l’or du Rhin entre tes reins, et même la loi Dartchimède, elles te servent sur un plateau Dartgent tout le Dart moderne, tout le Dart fumant !

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    Toutes pour une, une pour toutes !, chante la Dartagnan au moment où elle passe une jambe par-dessus le clavier de son Dartfiza, elle reptilise le gaga-punk, elle l’enjolive et l’épouse de ses formes, elle s’en Dartarise et dégage tellement d’énergie qu’elle ramollit les murailles en caramel. La cave palpite comme the house of love, les Darts te ramènent dans le giron du rock, au plus secret des cavités profondes.    

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    Signé : Cazengler, Tarte

    Darts. Le Trois Pièces. Rouen (76). 10 octobre 2022

     

     

    L’avenir du rock - Ça urge, Overkill ! (Part Two)

     

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           À une certaine époque, l’avenir du rock considérait que la musique et les fringues devaient marcher de pair. Il raffolait des col roulés blancs et des pantalons rouges de Brian Jones, mais aussi de ce costume bleu marine à rayures rouges et jaunes que Brian Jones portait dans le fish-eye d’«Have You Seen Your Mother Baby Standing In The Shadow». Tu avais l’image et le son. L’avenir du rock raffolait aussi des jeans taille basse en velours côtelé que portaient Eddie Phillips, Michael Nesmith, ou encore Skip Battin, ce prince de la nonchalance en jean rouge et ceinturon blanc. L’avenir du rock ne manquait pas de loucher sur les escarpins à boucles de P.J. Proby et sur les boots en peau de serpent que portait Keith Richards à l’apogée de sa désaille. Mais pour porter ce type de boots, tes dents devaient bringuebaler, sinon tu n’étais pas crédible. Il était beaucoup plus difficile de flasher sur le blouson de Captain America ou le costard pied de poule que Dylan portait à l’Albert Hall en 1965, car dans les deux cas, le look et la tête ne faisaient qu’un. Même chose avec la veste Union Jack : si tu n’as pas la tête de Pete Townshend, ça ne marche pas. Les gens qui ont essayé sont passés pour des clowns. Par contre, l’avenir du rock pouvait se permettre de porter une toque en fourrure, en souvenir d’Anton Newcombe dans Dig et David Crosby à Monterey. Le fute de cuir noir est plus difficile à porter. Il vaut mieux s’appeler Vince Taylor, Johnny Rotten ou encore Jimbo pour se balader en cuir noir, car sinon, ça n’a pas de sens. C’est même assez ridicule. Ou porter les fameux silver jeans de Raw Power. Si tu ne t’appelles pas Iggy, t’es mal barré. L’avenir du rock se souvient d’avoir évolué avec les modes et d’avoir goûté au confort du mohair et de l’alpaga, de s’être enivré de l’odeur des tissus chez des tailleurs londoniens. Il s’est même un jour mis à rêver de monogrammes, du style de ceux que Nash Kato et King Roeser faisaient broder sur les cols de leurs tuniques, voici trente ans. C’est à Chicago qu’on lançait les modes en 1990, et l’avenir du rock adorait voir la classe et le son, c’est-à-dire les fringues et la musique, marcher de pair.

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             Un taureau pose pour la pochette du nouvel album d’Urge Overkill. Ugh ! Il est bien coiffé, avec une raie au milieu et si tu examines le détail de l’anneau passé dans ses naseaux, tu verras qu’il y pendouille un médaillon UO en or, oui, comme au bon vieux temps des dandys de Chicago. D’ailleurs l’album s’appelle Oui. C’est ce qu’on appelle un big album. Mieux que ça : un very big album. T’es averti dès le «Freedom» d’ouverture de bal, boom badaboom dès le premier accord, le king Kato et King Roeser font leur retour avec tout l’UO power, ce n’est pas une vue de l’esprit. Ces mecs te jerkent un power surge en deux minutes. Ça te balaye tout le rock américain. Schloooofff ! Ils sont brillants. Kato & King renouent avec le prestige de Saturation. Diable, comme on a pu adorer cet album ! Peu de groupes savent ramener autant de brio. Là, tu entres dans le club des dandys de Chicago. Pas d’infos sur le digi, mais le son est là. La niaque d’antan fait son retour en fanfare. On apprend que c’est l’ex-Cherry Valence Brian Quast qui bat le beurre sur certains cuts. L’autre coup de génie d’Oui s’appelle «How Sweet The Light». Ils plongent dans le meilleur UO Sound de tous les temps, Kato chante comme une rockstar définitive, c’est d’une classe inexorable, il chante à la voix confondue, ce mec est une véritable cerise sur le Katö, ses longs cheveux gris flottent au vent glacé de Chicago - I walk away from my suicide - C’est claqué au beignet d’accords d’how sweet the light, avec un thème qui plane comme un énorme ptérodactyle ! Voici venir l’incroyable dégelée d’UO, c’est d’une rare puissance et relancé en permanence. Le Katö gratte son «Forgiven» à la vieille cocote d’UO, celle des rockstars d’Amérique. Globalement, c’est un album très agressif. Ces deux mecs ne sont pas prêts à jeter l’éponge. Pas question de baisser les bras ! Quast bat «I Been Ready» comme plâtre, idéal pour du pur jus d’UO, ça se tord dans des travers de porc d’UO avec une superbe énergie cadenassée. Ils sortent un son tight et bien sanglé. Le Katö drive «Totem Pole» à la glotte folle. Le plus bizarre dans toute cette histoire c’est que Nash Kato devrait être une star, au même titre que Kurt Kobain et Lanegan. Il semble que le destin en ait décidé autrement. En attendant, on se retrouve encore avec un big album sur les bras. Un de plus ! C’est du boulot, les big albums, il faut savoir les gérer, c’est-à-dire les écouter et leur consacrer du temps en les réécoutant, et plus ils sont bons, plus on les réécoute. Un big album, c’est le miracle du rock toujours recommencé. Ça fonctionne ainsi depuis le départ. Tu te réveilles le matin et hop, tu sautes sur ton big album de la veille, car il est toujours dans ton oreille. On a toujours eu des big albums sur les bras à travers toutes les époques et ils sont d’une certaine façon le fil rouge, une sorte de raison de continuer à vivre. C’est le beurreman qui propulse l’UO dans la stratosphère avec «I Can’t Stay Glad@U» et ils font encore du big biz avec «Don’t Let Go». Ils sont dans l’élévation, c’est leur truc, leur raison d’être. Tout l’album est bardé de dandy rock, ils assurent leur postérité, tu peux y aller, l’UO c’est du solid as hell. Solid as hell jusqu’au bout de la cocote sévère de «Snow», le dernier cut. Et Richard III s’écria : «Mon royaume pour un UO !». 

    Signé : Cazengler, murge Overkil de rouge

    Urge Overkill. OUI. Omnivore Recordings 2022

     

     

    Inside the goldmine - Will a matchbox hold my clothes

     

             Personne n’aurait misé un seul kopeck sur Tortor, sans doute à cause de sa dégaine de berger calabrais. Il portait un béret enfoncé jusqu’aux oreilles et une épaisse moustache lui barrait le visage. Mais il suffisait de l’observer pour surprendre l’étincelle de malice qui dansait parfois dans son regard et le vrac de sa barbe de trois jours indiquait à qui voulait bien voir que cet homme disposait de toutes les qualités qui font ce qu’on appelle généralement l’humanité. Tortor ne se contentait pas d’être Tortor, il peignait et ses toiles, lorsqu’on pouvait les voir, ne laissaient pas indifférent. Il aimait à rappeler qu’il était autodidacte et un vieux fond d’anticonformisme le poussait dans les bras d’une sorte de Dadaïsme primitif, bien qu’au plan visuel, il fût plus proche de Dubuffet que de Picabia. Les toiles de Tortor s’accompagnaient généralement d’un petit poème très court, une strophe tout au plus. Tortor était aussi poète, mais poète libre. Ses strophes, comme ses toiles, se riaient des cadres et des contraintes. Un menuisier de ses amis lui fabriquait des châssis aux formes incongrues, souvent triangulaires et Tortor qui peignait au couteau n’hésitait pas à utiliser des matériaux illicites, comme par exemple des copeaux métalliques récupérés sur un tour pour figurer une barbe, ou des culs de bouteilles pour figurer des lunettes. Ses toiles étaient le plus souvent des portraits abstraits, mais d’une saisissante ressemblance. Il peignait ses portraits le plus souvent de mémoire, un exercice auquel peu de peintres osent se risquer, car rien n’est plus difficile que de restituer l’expression d’un visage. C’est là où Tortor impressionnait, car à la manière de Dubuffet, il parvenait à pousser l’abstraction assez loin dans les orties pour en dégager une symbolique qui ne tenait qu’à un fil, mais on ne voyait que ce fil. Par exemple, lorsqu’on tombe sur le portrait d’Artaud que fit Dubuffet, on ne voit qu’Artaud. On ne voit que ce qu’on veut bien voir. Tortor peignit «L’auto-portrait d’un pendu» juste avant de se pendre et le texte qui accompagnait sa prodigieuse montfauconnerie disait : «C’est en peignant qu’on devient peigneron. Signé : la gueule d’empeigneron.» 

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             Il existe de toute évidence un lien entre ces deux arts extrêmes que sont ceux de Tortor et des Eighties Matchbox B-Line Disaster. Pendant que Tortor cultivait la barbarie figurative, les Matchbox cultivaient le chaos. Si tu y réfléchis cinq minutes, tu verras que ça revient exactement au même. T’en souvient-il, Guy McKnight & The Eighties Matchbox B-Line Disaster furent au tout début du XXIe siècle les rois maudits de l’insanité.

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    Leur premier album Hörse Of The Dög se répandit sur l’Europe comme un fléau biblique. Dans «Psychosis Safari», McKnight se vantait de dormir tout le jour - I sleep all day/ And I sleep all night - puis il s’éveillait pour exploser son papa ouh nah nah dans l’œuf du serpent. On ne savait pas à l’époque comment décrire cette apocalypse concassée et hurlée entre quatre murs. Il rééditait l’exploit un peu plus loin avec «Charge The Guns», menant la charge au waoouuh c’mon naw, il visait l’ultraïque, celui de Frank Black et de McLusky, mais en plus barré. Plus barré au waouuuhhh ? Comment est-ce possible ? Les rois maudits de l’insanité, telle est la réponse à ta question. Et tu les vois repartir à l’accent de l’insanitif avec «Presidential Wave», power, baby, pure power, McKnight explose son my babe en hurlant comme l’hérétique sur son bûcher, c’est d’une certaine façon puissant et inquiétant, tu as toutes les forces de la mort dans ce Wave, ils font exploser cette mélasse dans une solace de crânes de mort, oh yeah, c’est le cut des crânes de mort. Il te reste deux coups de génie à avaler, si tu peux : «Fishfingers» et «Chiken». Tu avais intérêt à suivre à l’époque, peu de groupes pouvaient te proposer un tel programme de démolition. Ils sont complètement irrécupérables, ces mecs n’ont aucun respect pour le rock anglais, c’est ce qui fait leur grandeur. Ils explosent «Fishfingers» au get out de fear ultime et derrière McKnight ronflent les flammes de l’enfer. Ils attaquent «Chicken» en mode Crampsy, mais en mille fois plus puissant, comme si c’était possible. Ils fonctionnent à la rafale, au dégueulis de fast beat et comme d’usage, le chevalier McKnight chante à l’ultimate. Ils sonnent les cloches de Tintern Abbey, ils produisent un invraisemblable shaking de grelots, ils vomissent dans leur volcan et ne vivent que pour l’imparabilité des choses. Fuck, ces mecs négocient en direct avec la folie pure. Ils se nourrissent d’extrême violence dès le breakfast. Ils jouent leur va-tout en permanence. Pas facile de taper dans les extrêmes. Leur point faible serait une certaine fébrilité, celle de barbares confrontés à la civilisation.

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             Leur deuxième album The Royal Society paraît deux ans plus tard. Ils perdent un peu de leur extrémisme mais veillent à rester dans l’énormité tapageuse, comme le montre «I Could Be An Angle», cut ravagé par des clameurs, ces mecs semblent proliférer juste au-dessus de ton épaule. McKnight pose son chant au sommet du mayhem. Il faut attendre «The Fool» pour voir le son voler en éclats. Ils développent des réflexes extraordinaires, comme ces claqués de cisaille dans les breaks. McKnight s’abreuve à la source du slaughter, il patauge dans des mares. Il reste dans l’épais malaise sonique avec «I Rejection» et envoie le vieux rock anglais ahaner dans un coin de la cave. McKnight sonne parfois comme Iggy, il sait poser sa voix, comme le montre «Drunk On The Blood». Il est l’un des singers absolus. Les Eighties n’ont pas de hits mais une superbe collection de dérives. On les voit ensuite s’écrouler avec tout le rock anglais dans «Mister Mental», puis exploser le heavy funk-rock de «Freud’s Black Muck». Il s’arrache littéralement la rate à gueuler ses aw. Ils tatapoument sur ton crâne et pilonnent comme des canons allemands de la Première Guerre Mondiale. «When I Hear You Call My Name» sonne comme un cut sans queue ni tête comprimé à outrance. Ici tout est taillé à la serpe et chanté à la McKnight. On peut finir en beauté avec «Temple Music», une belle overdose de Big Atmospherix.

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             Et voilà le chant du cygne de cette brillante équipe : Blood & Fire, paru en 2010. Nouvelle pochette cryptique, omniprésence des crânes de mort. Le hit de l’album s’appelle «Monsieur Cutts», amené au heavy bast de Matchbox, ils percutent leur destin de plein fouet. C’est le cut des guts de Cutts, ils se tirent une balle dans la tête, pow !, leur blast suprême n’a aucune chance en Angleterre et pourtant ils créent le meilleur mayhem local. À l’époque, tout le monde est passé à côté. On les voit se perdre avec «So Long Good Night», ils visent l’épique, mais ils ramènent tellement de son qu’ils pourraient sauver la vieille Angleterre. McKnight dit qu’il hait le blues dans «I Hate The Blues», il gonfle ses veines puis il revient au blast avec «Man For All Seasons». Ils démolissent tout sur leur passage, avec cette disto qui les caractérise. Ils fourrent encore leur dinde avec «Homemade» et McKnight entre dans le temple du cut comme un Saint. Il a une façon de tituber dans les grooves qui est unique («Never Be The Same») et avec «Are You Living?», les Matchbox visent carrément l’Hiroshima mon amour du rock, alors oui, ça explose. Ces mecs ne reculent devant aucune horreur. Trop de puissances des ténèbres. Ça ne peut pas marcher. Trop de chaos. Avec ces trois albums, ils ont développé un son d’une intensité unique en Angleterre. Excepté McLusky, aucun groupe n’a jamais atteint ces extrêmes sur le sol anglais. 

    Signé : Cazengler, E.T. Pinard Retox Disaster

    Eighties Matchbox B-Line Disaster. Hörse Of The Dög. No Death Records 2002

    Eighties Matchbox B-Line Disaster. The Royal Society. No Death Records 2004

    Eighties Matchbox B-Line Disaster. Blood & Fire. Black Records 2010

     

    FORTUNES & INFORTUNES DU BLUES

              Si l’on poussait un peu les meubles pour y voir plus clair. Pas ceux de votre deux-pièces cuisine, uniquement ceux estampillés Paramount. Vous n’en n’avez pas, il doit en rester aux USA. Au début du vingtième siècle la firme Paramount vendait des meubles. Appliquaient la méthode américaine. Ne pas attendre le client, le précéder. Sont à l’affût des nouveautés. Or dans les années vingt y a un truc qui commence à se vendre : le phonographe. Non, ils ne vont pas se lancer dans la fabrication de ces engins. Ils n’en maîtrisent pas la technique. Sont plus malins que cela, ils proposent des meubles de rangement pour le phonographe que vous ne savez pas où poser dans votre living-room.

              Lorsque l’on tient un filon, on l’exploite à fond. Quand vous possédez un phono, vous achetez des disques, vite encombrants et fragiles ces 78 tours épais, lourds et envahissants. Ne paniquez pas Paramount est là, l’a créé exprès pour vous le meuble range-disques. Très utile. Surtout quand un surplus de galettes vous oblige à en acheter un deuxième…

    O.K. vous avez compris ? Ben non ! Un tremblement de terre ravage les USA, la firme de disques Okeh écoule entre 1920 et 1921, un million d’exemplaires de Crazy Blues interprété par Mamie Smith. Déjà chez Okeh records, on n’y croit pas, quelle incongruité, qu’un disque de nègre se vendît tant, c’est affolant, c’est incompréhensible ! Peut-être même immoral, mais les dollars qui s’entassent dans les tiroirs-caisses dégagent quoi qu’en ait décrété l’Empereur Vespasien une fort alléchante odeur.

              Chez Paramount l’on est pragmatique. Puisque l’on vend des range-disques pourquoi ne pas vendre des disques de ces sous-races colorées dont le public semble si friand… Vous connaissez la ruée vers l’or du Klondike, la ruée vers l’or noir peu écologique, nous voici à la naissance de l’or bleu. Le problème c’est que chez Paramount l’on ne possède pas de musicologue. Chez beaucoup d’autres non plus. Pas la peine de s’inquiéter. L’on enregistre tout le monde, ce n’est pas cher la chair noire, avec un ou deux techniciens et quelques affiches, en se déplaçant de bourgade en bourgade, vous ratissez large, en bout de chaîne le dieu dollar reconnaîtra les siens. Paramount sera récompensé, le Long Lonesome blues de Blind Lemon Jefferson atteindra aussi le million d’exemplaires.

             Voici pourquoi la firme Paramount produit en 1930 et 1931, trois 78-Tours, deux attribués à Geeshie Wiley et un autre à Elvie Thomas. De fait toutes deux sont présentes sur les enregistrements, Geeshie à la guitare et au chant, Elvie Thomas également mais surtout en soutien.

    Paramount 12 951 : GEESHIE WILEY : Last kind words blues : c’est en écoutant ce morceau ( voir notre livraison 570 ) pour en présenter  la version de Robert Plant et Alison Kraus que j’ai voulu en savoir davantage sur cette énigmatique figure :  dépouillé, mais étrangement vous ne savez où donner de la tête, guitare ou voix, la guitare vous avez l’impression d’une corde de pendu qui n’en finit pas de tomber et de rebondir vers le haut pour retomber et ainsi de suite, et malgré tout cette douceur suave du baiser de la mort qui apporte le soulagement espéré. La voix de Geeshie, malgré l’accent traînant l’on dirait qu’elle est pressée, la lassitude de vivre, une certaine désinvolture, presque un je-m-en-foutisme qui confine à l’attrait du néant. Doom à la puissance mille. Une chanson de mort. Skinny leg blues : au morceau précédent nous étions au moment de la cristallisation du early folk en early blues, cette fois-ci les cristaux de blues sont en voie de coalescence. Skinny Legs l’expression est émoustillante, mais le bourdonnement bleu outremort de la guitare ne présage rien d’excitant, les paroles tranchantes sont à double-sens, elles se transforment vite en sens unique via le létal terminus. La petite mort et la grande se rejoignent. Paramount 12977 : ELVIE THOMAS : Motherless child blues :  Elvie est au chant et à la guitare, une voix plus pleine que celle de Geeshie, si Last Kind words blues évoquait les dernières paroles du père, ici ce sont celles de la mère qui sont chantées, ces deux chansons sont jumelles. Lyrics beaucoup plus percutants, la guitare tressaute et trottine, les cordes semblent montées sur ressort, et ne s’accordent pas trop avec l’interprétation vocale. Y aurait-il maldonne ? Over to my house : sans doute retrouve-ton Geeshie au chant, et si c’était le premier morceau de rock ‘n’roll car ça déménage vraiment, cru et violent, ce n’est plus du rural blues mais du b-RUT-al blues. Paramount 13074 : GEESHIE WILEY :  Eagles on a half : un régal ce pickin’, dans lequel la difficulté est évincée par son évidence, malgré le premier couplet, la demoiselle ne semble pas avoir si honte qu’elle le déclare, le ton est enjoué l’on pourrait appeler ce morceau un blues salace, si l’on en croit la numismatique et les reproductions graphiques des pièces d’un demi-dollar, les lyrics évoqueraient la sodomie. Pick poor Robin Clean : Geeshie et Elvie s’amusent, chantent ensemble, s’il y a des enfants à l’écoute vous expliquerez que c’est un peu comme notre alouette, je te plumerai la tête, mais là c’est un peu plus bas. Sympathique mais si vous y regadez de plus près, glaçant.

    Damie Chad

             Nous ne possédons aucun autre enregistrement de Geeshie Wiley et d’Elvie Thomas. Que sont-elles devenues ? Pour Elvie la suite de l’aventure est décevante. En 1933 elles mettent fin à leur relation musicale – rien ne nous autorise à penser qu’elle fut aussi plus intime. La jeunesse passant Elvie  - le prénom est la contraction de ses deux initiales L. V - s’assagit, l’on dit qu’elle serait revenue à une vie davantage chrétienne, partageant ainsi le sort de nombreux artistes de blues qui après avoir pactisé avec la musique du diable sont retournés dans le giron de leur communauté religieuse.

             Quant à Geeshie… On l’a retrouvée ! Quoi l’éternité ? Non mais un certain John Jeremiah Sullivan reporter du New York Times a entrepris une longue traque, il a remonté la piste, il a publié le 13 avril 2014 un long papier que tout amateur de blues se doit de lire.  Tout ce qui suit s’inspire de cet article intitulé The Ballad od Geeshie and Elvie. Ce n’est pas seulement Geeshie et Elvie que nous allons retrouver mais aussi d’autres personnages tout aussi essentiels et singuliers.

             Le premier est John Bussard, le plus grand collectionneur de 78 Tours, l’en avait amassé près de 25 000 ( blues, country, jazz). C’est lui qui a dégoté chez un antiquaire de Baltimore ( Edgar Poe y est mort, il n’y a pas de hasard, seulement des vols de corbeaux ) l’un des deux uniques exemplaires de Motherless child blues, nous a quittés ce 26 septembre 2022, il ne stérilisait pas ses découvertes, il envoyait des enregistrements de ses trouvailles à qui lui en faisait la demande, les amateurs de blues et de country lui doivent beaucoup.

             Le deuxième est beaucoup plus connu : Allan Lomax. Lorsque le jeune Dylan le rencontrera lors d’une soirée new yorkaise – la scène est rapportée dans ses Chroniques – il a l’impression de se trouver face à  une institution humaine avec tout ce que ce mot contient de désagréable… mais dans sa jeunesse Allan qui a accompagné son père lors de ses enregistrements pour La Bibliothèque du Congrès tombera un jour sur un gros stock des disques Paramount, à partir de ce trésor et de la récolte de son paternel  il publiera  la liste American Folk Songs on Commercial Records, qui circulera, parfois recopiée manuscritement, parmi le milieu des folkloristes et des collectionneurs. La quête graalique est lancée…

             Parmi ces pisteurs, Jim McKune du ( ? ) YMCA (mouvement de jeunesse chrétienne international), je n’avais jamais entendu son nom et je rencontre un personnage fascinant. Peut-être né à Baltimore ( tiens-tiens ) en 1915, assassiné en 1971 dans un hôtel, ses dossiers ont disparu, connu dans le milieu des collectionneurs, gentil et survolté, énigmatique, insatisfait, sautant de petits boulots en jobs insatisfaisants  – le fait qu’il fût homosexuel n’était peut-être pas étranger à son comportement – l’un des tout premiers à collectionner les disques de Rural Blues, sa collection de 300 disques a été préservée. Il privilégiait la qualité sonore de ses exemplaires et la rareté comme Isiah Nettles surnommé le Mississippi Moaner ou Crying Sam Collins … N’a apparemment pas été en mesure de rédiger un ouvrage qui lui tenait à cœur, dont on ne sait rien…

             Le personnage de McKune possède aussi une face plus sombre. L’a fait partie dans les années soixante de ce que l’on a appelé la Maffia Blues. Rien à voir avec la Maffia, simplement un regroupement d’amateurs de blues qui se sont en quelque sorte de par le travail de recherche qu’ils avaient accompli ‘’institutionnalisés’’. Etaient devenus des incontournables du blues un peu comme les mandarins de l’American Folk Center évoqué par Dylan. Certains se sont enrichis après avoir ouvert des cabarets. On leur reproche aussi d’avoir été des mâles blancs, sous-entendu de sales oppresseurs… ce qui est un tantinet grossièrement injuste quand on pense à tout ce qu’ils ont préservé… Dylan (encore un mâle blanc) déclarera que s’il n’avait pas entendu les rééditions de Robert Johnson et de quelques autres il ne serait jamais devenu Bob Dylan…

             John Jeremiah Sullivan cite encore l’écrivain Paul Bowles et Harry Smith qui réalisa la toute première anthologie de la musique américaine pour Folkway Records…

             Enfin entre en scène Robert McCormick (1930 – 2015). Un esprit curieux de tout. Surtout des phénomènes auxquels personne n’était prêt à accorder une importance quelconque. Tout gamin il commence à copier sur des carnets les réparties des spectacles burlesques (notons que Poe a théorisé et pratiqué l’écriture grotesque ), adolescent amateur de jazz il ravitaille les musiciens en produits illicites. Le doigt dans l’engrenage. Pas celui auquel vous pensez, du Texas à la New Orleans en autostop la distance n’est pas bien grande, il y rencontre Orin Blackstone, journaliste entiché de jazz qui lui demande de farfouiller dans les entrepôts et les brocanteurs du Texas à la recherche de vieux disques de jazz. En 1946 Robert participe activement à la rédaction de l’Index du jazz du Texas… Il se pique au jeu, se fait nommer à Houston et commence à explorer comté par comté toute la région. Il agit progressivement suivant l’ancienne progression de l’esclavage. Il n’en croit ni ses yeux, ni ses oreilles. D’un quartier à l’autre tout change, dans l’un   l’on jouait principalement du banjo et dans l’autre du violon. Il en déduit les principes d’une théorie des Clusters qu’il n’aura jamais le temps de mettre au net : tout dépend des individus, si ici se sont retrouvés à l’origine quatre esclaves doués pour le chant la contagion gagnait tout le quartier, de même trois violonistes suscitaient des émules autour d’eux… Pendant des années il accumule des notes, des transcriptions d’interviewes, de chants, il répertorie et il enregistre tout ce qui se présente. Il devient prisonnier de sa passion boulimique, il ne la contrôle plus et ne contrôle plus ses réactions, il déraille quelque peu, le pire c’est que les autres chercheurs le prennent en grippe, dès qu’ils croient avoir trouvé du neuf, Robert a dans ses monceaux de documents des éléments qui apportent bien plus de renseignements que leurs découvertes… McCormick prêta à Peter Guralnick la documentation qu’il avait recueillie sur Robert Johnson… Lui-même devait écrire son propre livre sur Johnson, ce qu’il ne fit pas. Il est curieux de voir que McKune et McCormick, dévorés par une même fièvre de connaissance, ont tous deux été incapables de finaliser leurs ouvrages.   

             Sans connaître son nom les amateurs de rock ont entendu parler de McCormick : c’est lui qui a tenté de couper le câble électrique qui alimentait le Paul Butterfield Blues Band qu’avait choisi Dylan pour révolutionner le folk au Festival de Newport en 1965. McCormick désirait que Dylan acceptât d’être accompagné par quatre anciens prisonniers noirs qui n’avaient jamais joué ensemble…

    Robert McCormick a aussi enquêté sur Wiley Geeshie. Il a retrouvé et interviewé E. V. Thomas (originaire d’ Houston ) dans le Texas. Elle semblait fière d’avoir donné à Lillie Mae Wilay le surnom de Geeshie. Elles auraient commencé à tourner ensemble au tout début des années vingt. Jusqu’en 1933. Toutefois selon John Jeremiah Sullivan,  Geeshie ( qui serait née en 1908 en Louisiane ) aurait poignardé son mari Thornton Wiley en 1931. Comment se fait-il que malgré son crime elle tourne encore avec Elvie en 1933. Elvie aurait quitté Geeshie à Chico, Oklaoma. Elle ne l’aurait jamais revue depuis. C’est en l’Oklaoma que McCormick aurait vers 1950   retrouvé la famille et la maison de Geeshie. Quand Geeshie est-elle morte en 1938 / 39 ou accidentellement en 1950 selon Caitlin Love qui à la fin de son article avoue qu’elle n’a trouvé aucun indice qui apporterait une preuve irréfutable à ses recherches et déductions généalogiques.

             La route de Geeshie se perd dans le sable de l’immémoire…

    *

             Voilà je pense que vous êtes aussi insatisfait que moi de cette fin. A tel point que pour le dernier paragraphe précédent, j’ai bricolé ces lignes en m’aidant de l’article (rédigé en anglais) de Wikipedia. Il y en a un autre qui ne devait pas être content, c’est John Jeremiah Sullivan le rédacteur de Ballad of Geesshie and Elvie. Je suis retourné relire son article. Je me suis débattu un long moment contre le site du New York Times qui ne voulait plus me donner accès à JJS alors que j’avais obtenu une permission au long cours la fois précédente.  J’insiste, et surprise la porte est de nouveau ouverte. Je donne ces détails oiseux pour que les esprits curieux qui désireraient aller voir par eux-mêmes ne se découragent pas, parce que cette deuxième fois, surprise, le texte qui s’offre à ma vue est beaucoup plus long.

             Non seulement il est beaucoup plus étendu, mais il se lit comme un roman. L’écriture a changé. Dans la première partie Sullivan rapporte des faits. Dans la seconde il devient le personnage principal de l’enquête, pour une raison simple, il mène la traque en personne. Nous fait donc part de ses doutes, de ses réactions, de ses analyses au fur et à mesure qu’il avance dans ses recherches. Il ne raconte pas, il n’évoque plus, il rencontre des gens, le récit dégage une densité littéraire peu commune. 

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             Première démarche : une visite chez Mack ( Robert Mackormick ), l’a plus de quatre-vingt ans, se déplace en fauteuil roulant, il commence la conversation en déclarant qu’il refusera de parler de Robert Johnson, ce  qui tombe bien puisque Sullivan n’est pas venu pour ça, et là-dessus Mack se lance dans une espèce de monologue sur Robert Johnson, tout ce que l’on sait sur Robert Johnson est sujet à controverse, l’acte de décès, la photographie , et plus grave, le Robert Johnson que nous nommons Robert Johnson est-il le même que le Robert Johnson qui a enregistré les disques… Mack en sait-il davantage, a-t-il seulement envie de révéler un jour les documents inédits qu’il aurait sur Johnson, en a-t-il seulement, bluffe-t-il, quel jeu joue-t-il ? Le livre sur Johnson qu’il n’a pas écrit ( et qu’il n’écrira pas ) n’est-il pas en lui-même plus fondamental et intrinsèquement supérieur à tout ce qui a été publié. Sullivan fait référence à Borges, pour nous c’est le fantôme du Non-Livre du Livre de Mallarmé qui se profile en filigrane des milliers de pages classées (et déclassées) dans les rayonnages qui recouvrent les murs de l’appartement.

             Enfin l’entretien en arrive à Geeshie et Elvie. Oui McCormick a retrouvé Elvie (1960-61) et il lui lance une mince chemise de photocopies de documents et de lettres qu’il lui permet de lire. Sullivan éprouve la sensation d’être traité comme un gamin, un jeune blanc-bec qui se préoccupe de deux petites blueswomen de rien du tout alors que lui Mack possède une vue synthétique de l’Histoire du Blues… Il ressort de l’entretien déçu. 

             C’est un tenace le Sullivan. L’a été contacté par une jeune étudiante qui a décidé d’arrêter pour une année son école pour enquêter sur Geeshie et Elvie, celle que nous connaissons sous le pseudonyme de Caitling Rose Love, Sullivan réussit à persuader McCormick de la prendre pour l’aider à ranger ses papiers. Le deal ne durera pas. Le (très) vieux garçon n’aime pas que l’on tente de classer le fouillis qu’il a amassé, préfèrerait que la jeune femme s’asseye en face de lui et écoute sans bouger le Maître raconter l’Histoire du Blues… Caitling Rose Love parvient à photographier grâce à son téléphone portable quelques pages inédites d’un dossier de McCormick… Enfin une piste !

             Le dossier ‘’ récupéré’’ est une transcription de l’interview d’Elvie par McCormick. Elle est née en 1891 à Acres Homes  ( Houston )  elle a commencé à jouer de la guitare, très jeune dans la rue, son père Peter Grant a fait de la prison, très tôt elle rencontre Texas Alexander – à la charnière des songters et du blues - il joue de la guitare, elle chante… elle a trente-huit ans lorsqu’elle enregistre en 1930 les six morceaux avec Geeshie… maintenant elle ne chante plus qu’à l’église de sa congrégation. Un demi-siècle s’est écoulé depuis ses confidences. Catling tilte. Est-ce qu’elle ne pourrait pas retrouver à Acres Homes l’église et des gens qui l’auraient connue…

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    ( ... enfin une photo d'Elvie... )

             Elle trouve, elle habitait tout près de l’église, une bicoque sans eau, toujours en pantalon, pas causante, une dure à cuire, une solitaire, parfois elle amenait un petit garçon avec elle à l’église… Le puzzle s’enrichit, le petit garçon sera retrouvé en Californie, bientôt Sullivan et Caitling réunissent les membres de la famille d’Elvie pour leur faire écouter les six morceaux de leur tante qu’ils ne connaissaient pas… et tout s’enchaîne… à une parente éloignée Sullivan suggère avec délicatesse qu’avec son allure… Elvie aurait pu être… oui une lesbienne !

             Et donc Geeshie sa compagne. Mais pourquoi Geeshie aurait-elle tué son mari. Parce qu’il les aurait surprises au lit. Pourquoi n’a-t-elle pas été en prison, pourquoi la police l’a-t-elle relâchée, parce qu’à l’époque un nègre mort était le meilleur des nègres et que l’on n’allait pas se fatiguer pour un cas qu’il était si facile de classer en légitime défense. Nous sommes là dans le domaine du possible. Mais la preuve ?

    Elle va être apportée par un vieux musicien de quatre-vingt dix ans qui n’a plus toute sa tête. Mais quand sa fille lui annonce la venue de Caitlin qui veut parler avec lui de Geeshie Wiley, il s’exclame : tu veux parler de Slack ?

             Si vous voulez comprendre écoutez les six morceaux enregistrés par Geeshie et Elvie, tout est dedans, et si vous ne comprenez pas l’anglais le net vous offrira la traduction des lyrics.

             Qu’est devenue Geeshie ? Nul ne le sait.  Mais nous aurons fait un beau voyage dans les fantômes et l’essence du blues.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                              

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    EPISODE 2 ( ITERATIF ) :

    8

    Les chiens sont heureux de batifoler en pleine campagne, ils courent à vive allure parmi les herbes hautes. Sortir de Paris n’a pas été facile. Je n’ai rien remarqué de spécial, j’ai tenu compte de l’avertissement du Chef : ‘’ vous serez le chasseur et le gibier’. J’ai pris mille précautions. Molossito et Molossa n’ont pas été à la fête, contraints de cavaler à une quinzaine de mètres derrière moi dans les couloirs du métro. J’ai même été obligé de précipiter sous une rame un contrôleur qui s’obstinait à vouloir me contrôler malgré le billet de 500 euros que je tentais de lui refiler. ‘’ Un conseil d’ami : l’honnêteté peut tuer’’ lui ai-je murmuré à l’oreille avant de l’expédier sur les rails. Une heureuse initiative, la panique qui a suivi m’a permis de m’éclipser subito abrupto et de retarder tout éventuel poursuivant. J’ai volé une voiture que j’ai abandonnée quinze minutes plus tard non sans avoir aspergé d’essence l’intérieur alors que je m’étais arrêté pour prendre du carburant. L’allumette que j’ai négligemment jetée a provoqué une superbe explosion. N’ayez crainte, les chiens et ma pomme étaient déjà loin lorsque la station s’est enflammée. Ensuite nous avons progressé étape par étape, de voiture volée en voiture volée, prenant soin à chaque changement de véhicule de le précipiter dans la rivière qui bordait mon parcours. Mon âme romantique est comme celle d’Alfred de Vigny, j’aime entendre le son des glou-glou au bord des bois. Je ne vous raconte pas toutes les péripéties, cela deviendrait fastidieux. L’essentiel c’est que maintenant nous nous nous dirigions gaillardement à pied et à pattes vers notre destination.

    9

    Je suis assez content de moi. Je n’ai jamais visité l’Oise et je m’apprête à parcourir ce département en promeneur solitaire à la manière de Jean-Jacques Rousseau. J’éprouve toutefois un manque. Non ce n’est pas Alice, je l’ai déjà dit un agent du SSR en mission est un loup pour l’homme et un mâle Alpha dédaigneux pour la femelle, non c’est le fumet délicat d’un Coronado du Chef, parfois âpre et irrespirable, je vous l’accorde, mais si rassurant. Tant que nous y sommes, j’ai le regret de vous annoncer que malgré un nombre de plusieurs milliers de lettres que nous avons réceptionnées suite à notre concours de la semaine dernière, aucun de nos lecteurs n’a indiqué la bonne route à suivre. C’était pourtant si facile, ainsi personne n’a établi la relation entre les contes de ma mère l’Oye et l’Oise orthographiée en Oyse au dix-septième siècle. Je sais, ce n’est qu’un mince indice mais rassurez-vous au cours de notre chemin j’apporterai quelques nouveaux arguments à cette assertion pour l’instant d’apparence gratuite et fragile…   

    10

    Il devait être près de quatorze heures quand au détour d’une allée la vaste terrasse ensoleillée s’offrit à mes yeux. Personne aux alentours, je ne résistais pas à tentation de prendre place à une table. Une jolie brunette surgit de l’intérieur.

    • Désolée, Monsieur c’est notre jour de relâche. Nous ne recevons pas de client.

    Ses yeux s’agrandissent de surprise, elle vient de remarquer Molossa et Molossito :

              - Qu’ils sont mignons ! Attendez, je crois qu’il me reste du cuissot de biche, je leur en apporte avec de l’eau, ils ont l’air fatigué, pour vous nous avons une excellente terrine de caille et un gratin de cèpes dont vous me direz des nouvelles.

              - Ah Madnoiselle, si vous nous prenez par les sentiments…    

              - Appelez-moi Sylvaine !

              - Moi c’est Damie, Sylvaine suis-je loin de d’Armancourt ?

    Ici normalement l’esprit des lecteurs devrait tilter. La première édition des Contes de ma mère l’Oye était signée de Pierre d’Armancour…

              - Vous l’avez déjà dépassée, la ville est derrière vous !

              - J’ai dû la contourner, je suis passé par les champs.

              - Vous aimez la nature Damie, continuez tout droit et vous ne pouvez manquer la forêt,

              - Je n’y manquerai pas, je règle l’addition et je pars à la minute.

              - Vos chiens se sont endormis sous la table, vous aussi devez être fatigué, venez dans ma chambre pour une sieste réconfortante.

    Je ne suis pas une tête brûlée. Je sais reconnaître la sagesse. Je cédais à la proposition de Sylvaine… Mais à dix-neuf heures je mis un terme à nos ébats.

    • Sylvaine, il est temps pour moi de te quitter, je ne saurais résister à l’appel de la forêt.
    • Damie, je ne vous retiens pas, sachez toutefois qu’une vieille légende raconte qu’elle est hantée. Des billevesées sans doute, mais certains promeneurs ont disparu…
    • N’ayez crainte Sylvaine avec Molossa et Molossito j’irai jusqu’au bout du monde !
    • Oh, la forêt de Laigue n’est pas la jungle amazonienne, elle ne s’étend que sur une longueur d’une dizaine de kilomètres, elle est très bien entretenue et les sentiers sont larges, avec vos deux molosses vous ne risquez pas de vous perdre. Embrassez-moi une dernière fois et si vous repassez par ici, revenez me voir !
    • Je n’y manquerai pas Sylvaine.

    Je la tins serrée contre moi durant une longue minute, puis je la quittai brusquement pour prendre en compagnie de mes deux fidèles cabotos la direction que Sylvaine m’avait indiquée.

    11

    Sylvaine ne devait pas avoir les mêmes notions que moi sur l’entretien des forêts et les distances kilométriques. Si le premier chemin que j’empruntais était large et dégagé, très vite il devint plus étroit, et les arbres se rapprochaient de plus en plus de ses bords. J’avais déjà parcouru une bonne quinzaine de kilomètres lorsque la pénombre m’obligea à m’arrêter. A l’orée d’une petite clairière j’avisai un frêne dont les branches curieusement tombantes formaient comme un tipi indien. Nous nous y faufilâmes, personne ne pouvait nous voir, je déroulais une couverture de survie contre l’humidité du sol et   une deuxième sur nous pour nous tenir au chaud. Je n’avais pas froid, les deux chiens collés contre moi s’endormirent aussitôt et je ne tardai pas à les imiter…

    12

    Il devait être trois heures du matin lorsque Molossa colla son museau contre mon cou. Pas un bruit. Même pas un hululement de chouette effraie. J’avais saisi mon Rafalos, prêt à tirer, mais seul le silence nous entourait. Molossa gardait la tête penchée. Elle entendait quelque chose, mais quoi ? Quel bruit lointain lui parvenait ? Molossito continuait à dormir… Arme au poing je veillai jusqu’à l’apparition des premières pâleurs de l’aube. Pas une seconde Molossa ne relâcha son attention. Le danger était devant nous. Quel était-il ? Au petit matin nous grignotâmes un biscuit à chien et nous faufilant sous les branches basses du frêne nous reprîmes notre route.

    13

    Un véritable cauchemar. Bientôt il n’y eut plus de sentier. Un rideau quasi-impénétrable d’arbres se dressait devant nous. Des lianes, des épines, des ronces obstruaient le moindre passage. Le moindre mètre nous coûtait des efforts surhumains et surcanidéens. Nous nous coulions dans de minuscules espaces libres mais à midi nous avions tout juste progressé de deux cents mètres. A trois heures de l’après-midi les troncs étaient si serrés qu’il fut impossible d’avancer. Découragé mais pas vaincu, j’avisai entre deux fûts une espèce de fente étroite dans laquelle je parvins à insérer le bras jusqu’au coude. Mes doigts glissèrent sur une surface plane qui ressemblait à de la pierre. Un mur !  Tout proche mais inatteignable. Rien ne saurait arrêter un agent du SSR, avec mon Rafalos je tirais sur un arbre. A intervalles réguliers mes balles percutantes réalisèrent le long de l’aubier une série d’encoches dans lesquelles mes pieds pourraient prendre place.

    • Les chiens vous m’attendez, je reviens.

    Et hop j’entrepris l’escalade.  J’eus tôt fait de dépasser l’arête supérieure du mur.

    14

    Au premier regard je compris où j’étais. Le château de la Belle au bois dormant ! Avec ses tours, ses toits pointus, ses échauguettes il était presque plus beau que celui de Disneyland-Paris. Des dizaines de gardes et de serviteurs disséminés sur le vaste parvis figés dans la pose dans laquelle le sommeil les avait saisis. Le plus remarquable était ce carrosse tiré par huit chevaux blancs immobiles dans leur galop. Je me laissai choir de la cime de mon arbre et courus comme un fou vers le pont-levis. Personne ne s’opposa (et pour cause) à mon passage, j’entrai sans m’arrêter, le chemin était comme tracé par la foule des domestiques et des courtisans qui formaient une haie d’honneur. Je déboulai dans la grande salle d’apparat, sur une estrade on avait dressé u lit à baldaquin, la princesse était là, je gravis les marches, enfin j’allais savoir si la fameuse princesse était vraiment belle, elle était là, couchée sur un édredon virginal, je poussai un cri, je la connaissais, Alice ! Rien n’aurait pu me retenir, je me baissai et déposai sur la rose de ses lèvres un baiser vaporeux…

    15

    Au premier regard je compris où j’étais. Chers lecteurs, si vous n’avez pas eu l’intuition que le paragraphe précédent était just a joke, c’est que vous n’êtes pas très pertinents. J’exagère, je ne le compris pas immédiatement mais j’eus une soudaine révélation : je connaissais cet endroit. Mais, oui, bien sûr, le manoir aux toits d’ardoises, les feuilles roses des arbres, les arbres centenaires, le mur de pierre tout concordait j’étais dans la pochette du premier album de Black Sabbath. Tout y était. Tout sauf cette mystérieuse dame noire – les membres du groupe aimaient à raconter qu’elle n’était pas présente lorsque la photo fut prise, mais que sa présence se manifesta au développement – intox, mystification pensez-en ce que vous voulez – un bruit feutré puis la fameuse cloche qui retentit dans le disque se mit à sonner, lugubrement, et Elle apparut, Elle était assez loin, doucement Elle se dirigeait vers moi. La pâleur de son visage, son doux sourire, tout concordait. Elle ne marchait pas. Elle glissait. Lentement. Elle se rapprochait. Son sourire s’épanouit, maintenant il grimaçait, je réalisai que c’était la Mort qui venait à moi. Instinct de survie, je dégainai mon Rafalos et tirai sur Elle. Une fois, deux fois, trois fois, quatre fois, cinq fois, la dernière presque à bout portant, les balles l’atteignaient, ne lui faisaient aucun mal, peut-on tuer la mort ?

    16

    Elle posa la main sur mon cœur, j’étais déjà mort, reverrai-je une dernière fois le visage d’Alice avant de sombrer dans le néant, je ne vis rien, mais je sentis. Une odeur de Cornado. Ma dernière pensée serait donc pour mon frère d’arme… Une main se posa sur mon épaule.

    • Agent Chad ne bougez pas, je me charge de la camarade

    J’ouvris les yeux au moment où la bastos du Chef lui traversa la tête. Il y eut comme un tintement de verre brisé, des centaines de petits fragments tombèrent à terre et disparurent… Le Chef rengainait son Rafalos.

    • Agent Chad, vous avez fait du beau boulot, je vous remercie, il est temps de récupérer les cabots et de rentrer au local. L’aventure ne fait que commencer.

    A suivre