KR’TNT !
KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME
LIVRAISON 700
A ROCKLIT PRODUCTION
FB : KR’TNT KR’TNT
29 / 08 / 2025
HOLLYWOOD BRATS / GLIMMER
HOOVERIII / TERRY REID / COATHANGERS
HOT CHICKENS / THE CORALS
MICHEL LANCELOT
GENE VINCENT + JOHNNY MEECKS
Sur ce site : livraisons 318 – 700
Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :
Wizards & True Stars
Wizards & True Stars
- Hollywood Boulevard
Le 1er juin dernier, Andrew Matheson a cassé sa pipe en bois. C’est un nom qui parle à pas grand monde, sauf aux fans des Hollywood Brats. C’est grâce à Lo’Spider, dans l’After Chez Eddy (sur Canal Sud) qu’on a appris la triste nouvelle, en juillet dernier. Pour rendre un dernier hommage à Andrew Matheson avant que l’oubli ne l’avale tout à fait, nous allons ressortir du bocal de formol un texte jadis confié aux bons soins de Gildas (Hello darkness, my old friend) et publié dans Dig It!.
Allez ! Tiens, on va dire que l’histoire des Hollywood Brats que raconte Andrew Matheson dans Sick On You est le meilleur rock book de l’histoire des rock books. Meilleur que The Dark Stuff de Nick Kent ? Meilleur que le Gene Vincent de Mick Farren, que l’All The Rage de Ian McLagan, que Stoned et 2Stoned d’Andrew Loog Oldham ? Meilleur que l’Hellfire de Nick Tosches, que No Irish No Blacks No Dogs de John Lydon ? Et on pourrait encore en citer d’autres comme ceux-là, tiens, par exemple les classiques de Mick Wall ou encore ceux de Carole Clerk, et pire encore, toutes les bios de David Ritz. Pourquoi meilleur ? Un, parce que ce livre n’a aucune chance (trop underground) et deux, parce qu’il est écrit par un mec qui est non seulement brillant et drôle, mais qui est aussi un vrai punk, du genre de ceux qu’on aurait adoré fréquenter. Mais attention, on ne parle pas ici des punks du dimanche après-midi : Matheson portait en 1974 les cheveux longs, du rouge à lèvres, du mascara, des fringues de fille et un brassard nazi. Comme Lemmy et Ron Asheton, Matheson adorait choquer le bourgeois. Ron Asheton avait même trouvé un nom pour ça : confrontation tactics.
Pour des raisons qu’Andrew Matheson explique très bien dans son recueil de souvenirs, les Hollywood Brats sont passés complètement à la trappe, alors qu’ils auraient dû devenir énormes, au moins en Angleterre. On avait repéré leur nom dans ces rares articles du NME qui évoquaient le fameux proto-punk britannique, et dont les figures de proue étaient bien sûr les Social Deviants de Mick Farren, l’Edgar Broughton Band, les Pink Fairies et les Pretty Things, mais aussi d’autres personnalités moins connues comme Terry Stamp & Mick Avery (Third World War), Jesse Hector (Helter Skelter et Crushed Butler, à cette époque) et les Hollywood Brats dont le mystérieux album paru en 1975 en Norvège demeura inaccessible, jusqu’à sa réédition sur CD dans les années 90. Et là, on comprit immédiatement les raisons du buzz. Cet album intitulé Sick On You est une pure merveille de ramalama, l’un des meilleurs albums de rock jamais enregistrés en Angleterre, tous mots bien pesés.
Casino Steel
Les seuls qui surent détecter l’énorme potentiel des Brats furent Ken Mewis et son ancien patron chez Immediate, Andrew Loog Oldham. Mais ni l’un ni l’autre ne réussirent à décrocher un contrat discographique pour les Brats en Angleterre. Les gens des maisons de disques jugeaient les Brats trop vulgaires - Sick On You - et trop agressifs. Casino Steel qui était d’origine norvégienne et qui jouait des claviers dans les Brats réussit l’exploit de convaincre un mec de Mercury en Norvège, mais il n’y eut aucune promotion et l’album des Brats disparut sans laisser de traces.
Andrew Matheson ne vivait que pour ça : jouer dans un groupe, enregistrer des disques et vivre de sa musique. Il était tellement convaincu de la grandeur des Brats que l’échec du groupe faillit bien le ratatiner. Il consacre 300 pages à cette histoire fabuleuse qui ne dura que quatre ans : de 1971 à 1974.
Cette histoire des Brats est avant tout celle d’une amitié entre deux kids de 20 ans, Andrew débarqué à Londres avec sa guitare pour devenir rock star, et Casino Steel, qu’Andrew appelle son blood brother - a one-off, a classic, the real thing - Ils composent ensemble tous les cuts qu’on retrouve sur leur album, et fonctionnent par télépathie. Quand par exemple un impresario véreux fait glisser sur la table une enveloppe contenant 2000 livres, Andrew la repousse en disant que les Hollywood Brats valent mieux que ça. Il sait d’instinct que Casino assis à côté de lui est d’accord. C’est d’autant plus héroïque qu’une partie des Brats, c’est-à-dire Andrew, le batteur Lou Sparks et le guitariste Brady, vivent dans des taudis et des squats, sans un rond. Pour manger, ils doivent voler, et pour fumer, Lou Sparks ramasse les mégots. Pas un rond. Ceux qui ont vécu ça savent très bien ce que ça veut dire. Avant d’être l’histoire d’un groupe, celle des Brats est aussi une épouvantable histoire de misère noire, de rats et de morbacks, ils se font pas mal d’ennemis dans des pubs et doivent souvent la vie à leurs jambes. Andrew raconte les matins où ils se réveillent frigorifiés, les sachets de thé plusieurs fois ré-utilisés, les crampes à l’estomac quand il est vide et les raids éclairs dans les petits commerces du quartier pour piquer de quoi calmer la faim. Mais l’avantage de vivre dans un squat, c’est qu’on peut y répéter tous les jours. Et les Brats répètent ! Ils savent qu’ils sont bons. Ils ont cette énergie que donne l’arrogance quand elle relève de l’évidence. Johnny Thunders et les Dolls fonctionnaient exactement de la même façon. Tiens, puisqu’on parle des Dolls... Un jour, Casino passe à Andrew un numéro du NME ouvert sur une page précise. Oh no ! Un article sur un nouveau groupe américain qui s’appelle les New York Dolls. On est en 1972. Andrew stupéfait découvre que les Dolls font exactement la même chose que les Brats ! Pire encore, ils donnent pas mal de concerts et ont déjà un contrat chez Mercury ! Et pire encore, ils arrivent en Angleterre ! - My stomach sinks into my boots - Andrew sent l’estomac lui tomber dans les godasses. Un peu plus loin dans le livre, Andrew revient sur les Dolls, au moment de la parution du premier album, en 1973. Les Brats se rassemblent pour examiner la pochette. Ils se fendent la gueule. Ils trouvent que les Dolls ont l’air parfaitement ridicules - They just look plain ridiculous - alors que sur les autres photos, ils avaient plutôt fière allure. Dans son langage extrêmement imagé et musical, Andrew dit qu’ils ont l’air de se retrouver de la neuvième à la treizième place du Hottest Transsexual Contest d’Amérique. Il insiste en expliquant que le chanteur qui ressemblait au début à Jagger ressemble maintenant à la vieille tante de Jagger installée à Palm Springs, et qu’il a eu une permanente - He’s got a perm, a perm, for Christ’s sake - Non, ce n’est pas possible ! Puis les Brats écoutent l’album, avec un mauvais a-priori, car ils n’aiment pas Rundgren. Le verdict tombe sans appel : bon groupe, chansons faibles, production merdique - Good band, weak songs, horrible production - Voilà les Brats dans tout l’éclat de leur splendeur.
Matheson ne fait de cadeaux à personne dans ce livre. Il a le courage de ses opinions plutôt tranchées, et c’est réellement cohérent avec le son du groupe : carré et brillant. Il salue Slade dont il entend «Get Down And Get Down With It» dans une boîte qui s’appelle le New Penny - The best thing I’ve heard for months - Il démolit Alice Cooper qui en 1972 fait sensation - Ils peuvent rocker, mais il y a toujours un côté comédie. C’est parfois drôle. Voilà le problème - Et il ajoute : They drink Budweiser, for Christ’s sake ! - Il salue aussi Michael Des Barres et Silverhead qu’il voit sur scène. Au premier abord, il trouve le petit marquis excellent - Des Barres is the real thing in terms of a front man - mais ça se gâte dès le deuxième cut, car Des Barres transpire abondamment et ruine sa coiffure. Le verdict tombe sans appel : un chanteur pas mauvais mais qui transpire, un groupe ordinaire et des chansons pourries - A not bad, if sweaty, front man, an ordinary band and naff songs. Dreck - Dreck, c’est le bruit du marteau. Quand il rencontre Tony McPhee dans le bureau de Ken Mewis, il remarque une grosse veine qui descend de son never-ending front et donc il le rebaptise Tony McVein. Et quand il voit une photo d’Ozzy Osbourne portant sa veste blanche à franges, il ricane et annonce que le chubby Sabbath singer a l’air de porter ce que Martha ou une autre Vandella mettrait pour aller dîner au Kentucky Fried Chicken.
Mais le plus drôle est à venir. En 1974, the Hollywood Brats are dead, écrit Andrew, c’est la fin des haricots, la mort de tous ses rêves. Lou Sparks et Brady ont déjà quitté le groupe. Il ne reste plus qu’Andrew et Casino. Un jour deux mecs viennent taper à la porte du squat. Casino descend et leur dit de dégager vite fait. Les deux mecs reviennent le lendemain, et ils insistent. Toc toc toc ! Casino passe la tête par la fenêtre pour leur redire de dégager, mais les deux sangsues brandissent un petit écriteau où est écrit : PLEASE ? Andrew dit à Casino de les faire monter. Ils arrivent déguisés en Hollywood Brats, avec des cheveux longs, du rouge à lèvres, du vernis sur les ongles, du mascara, des bijoux et des foulards. Ils se présentent : Mick Jones et Tony James et ils expliquent qu’un certain Malcolm McLaren veut manager les Hollywood Brats. McLaren... Ce nom rappelle quelque chose à Andrew... Ah oui, le mec qui a managé des New York Dolls assez mal en point et qui les a conduits droit au cercueil. Ah oui, ce mec qui, avec l’aide de l’horrible Vivisect Westwood a réussi l’exploit de transformer les Dolls en Muppet Show. Andrew n’en revient pas. Il demande qu’on le réveille quand c’est fini - Wake me shake me when it’s over - Mais par curiosité, Andrew et Casino décident d’aller voir ce McLaren. Ils passent leurs brassards nazis et débarquent à Demnark Street pour rencontrer le schpountz. Ils entrent et tombent d’abord sur quatre gamins aux allures d’apprentis comptables, assis dans un canapé et dont les yeux s’exorbitent à l’apparition des deux Brats maquillés en brassards. Les quatre arpètes sont les futurs Pistols. Et puis Mick Jones commet l’irréparable. Il ramasse une guitare et lance à Andrew : «Let’s jam man !» Casino et Andrew font déjà demi-tour pour se tirer vite fait quand arrive dans l’escalier un autre asticot : il a le look exact d’une caricature de savant fou, des yeux globuleux et des cheveux rouges bouclés (les cheveux dont personne de voudrait, précise l’impitoyable Andrew). C’est McLaren ! Le stroumpf leur dit de venir - Come come ! - Eye contact minimal and a handshake like an half-opend tin of sardines - Pas le moindre contact visuel et une poignée de main comme une boîte de sardines à moitié ouverte. C’est mal parti ! Malcolm leur annonce qu’il va aller droit au but : il veut manager les Hollywood Brats. Andrew répond que ça pue dans la pièce. Surpris, McLaren fait : Oh is it ? Et il se lève pour aller ouvrir la fenêtre.
Vivisect Westwood
Andrew et Casino reverront McLaren dans un pub. Cette fois, il est accompagné par sa compagne qu’Andrew surnomme Vivisect Westwood. Et là, l’impitoyable Andrew nous brosse un portrait atrocement drôle de cette femme : «Elle était pâle comme un cadavre et portait un truc en soie orange sur lequel avait dû passer plusieurs fois une tondeuse à gazon. Installée au sommet de sa coiffure se trouvait une toque décorée sur le devant d’une moustiquaire. Elle avait cet air renfrogné qu’ont les gens condamnés à bouffer des chardons jusqu’à la fin de leurs jours. Elle attrapa le crayon bleu qu’elle avait sur l’oreille et d’un air ennuyé, elle se mit à dessiner des robes sur la nappe. Malcolm m’expliqua en regardant à un mètre au-dessus de ma tête que ses honoraires allaient nous coûter cher car il fallait financer les fringues que Vivisect allait designer pour nous. Je lui répondis que je préférais mes fringues, alors Vivisect renifla bruyamment et tourna la tête pour exprimer clairement son dégoût. Paniqué, Malcolm l’implora : Dis-leur ce que tu m’as dit ! Soupirant bruyamment avec l’air de dire que chaque mot qu’elle allait m’adresser était pour elle une colossale perte de temps (ce qui en fait était vrai), elle expliqua que l’avenir de la mode appartenait aux T-shirts et que si on acceptait le programme, on pourrait avoir tous les T-shirts qu’on voulait. Et McLaren ajouta : Ouais, boys, les T-shirts et Sick On You ! C’est l’avenir, boys ! Nous vidâmes nos verres et partîmes avant qu’elle ne nous poignarde d’un coup d’épingle à cheveux.»
London SS
En fait, ce qu’Andrew raconte en 1974, c’est la formation des fameux London SS. Mick Jones et Tony James reviendront chercher Andrew et Casino pour les emmener dans un endroit à Maida Vale où répète déjà l’embryon de cette scène punk : un Norvégien nommé Geir Waade, batterie, Mick Jones, guitare, Tony James, basse, et un certain Matt Dangerfield, guitare (qu’on retrouvera un peu plus tard avec Casino dans les Boys). Ils veulent absolument jouer avec Andrew et Casino. Andrew acceptera de faire un bout d’essai et ne sera un London SS que l’espace de quatorze minutes, le temps de massacrer le «Bad Boy» de Larry Williams : «Ce n’était pas un groupe, mais une insulte aux instruments». Andrew ajoute que le bassiste et le batteur semblaient se haïr et Mick Jones croyait savoir jouer dans l’illusion du volume, mais il jouait comme s’il avait des jambons à la place des doigts. Perfide, Andrew ajoute qu’en fait, il n’avait pas tort de jouer comme ça puisqu’il allait réussir à en faire un fonds de commerce - It was that bad - that hopeless - C’était sans espoir. Andrew Matheson avait une idée tellement haute et pure du rock qu’il ne supportait pas la médiocrité. Il termine l’épisode Mick Jones dans le chapitre de fin qui s’intitule «Que sont-ils devenus ?» : «Il forma les Clash et eut un gros succès commercial, à l’apogée duquel il stupéfia les fans et les critiques en enregistrant cette hilarante comédie qui s’appelle Sandinista. Dans les années quatre-vingt, Mick continua de défrayer la chronique et devenant parfaitement chauve.»
Mais ce qui fait le charme toxique de ce livre, ce sont les épisodes franchement hilarants et certains méritent qu’on s’y attarde. Par exemple, lors d’une répète, le guitariste Brady s’électrocute en jouant : «Il y a un gros bang, un éclair et on voit le guitariste décoller du sol puis aller s’écraser contre le mur de briques. Il gît sur le sol, tout tremblant, le visage rouge comme une tomate, les bras blancs et ses doigts encore plus noirs que d’habitude. La Gibson Firebird est en flammes, avec des flammes d’un mètre de haut. Nous explosons tous de rire. On se tortille, en le montrant du doigt et en se tapant dans le dos. Littéralement vidés par cette crise de fou-rire, on finit par se calmer et on se penche sur Brady pour voir s’il respire encore. Pauvre Brady ! Il lui faut un temps fou pour réaliser la chance qu’il a d’avoir pu nous offrir un spectacle aussi tordant - This hilarious slice of entertainment - Il passera la nuit à l’hosto et ses cheveux ne seront plus jamais pareils qu’avant. Il a eu plus de chance que Les Harvey de Stone the Crows. Ce poor fucker a grillé vif sur scène, il y a de cela deux ans.»
Leslie Harvey
Un peu plus tard dans le récit des aventures des Brats, Andrew nous raconte que pour rompre la monotonie de leur vie de squatters, ils décident de louer un bateau pour naviguer sur un canal. Ils embarquent tous les cinq. Une demi-heure plus tard, ils sont tous soûls comme des Polonais - all of us are blind drunk - Et encore une demi-heure après, Casino passe par dessus bord. Plouf ! Alors c’est à nouveau l’hilarité générale. Andrew : «C’est un fait scientifiquement avéré, il est impossible de sortir de l’eau un Norvégien tout habillé et qui panique quand on est pris de fou-rire. On essaie chacun notre tour de l’aider à sortir de l’eau, et on allait vraiment abandonner, histoire de satisfaire le souhait de Casino qui (comme dans les Dolls) voulait un mort dans le groupe. Mais d’un sursaut désespéré, il réussit à se hisser sur le pont et comme un gros thon à l’agonie, il cherchait à retrouver sa respiration.»
The Kray Twins ( de sinistre mémoire)
On atteint des sommets lorsqu’Andrew et Casino sont conviés dans les bureaux de Worldwide Artists, l’agence dont ils dépendent contractuellement, et pour laquelle travaille Ken Mewis, leur manager. Andrew et Casino commencent par découvrir que Worldwide est une agence artistique qui gère des carrières, et non une maison de disques. Et ils ne sont pas au bout de leurs surprises, car ils découvrent ensuite que l’agence est affiliée à la mafia londonienne et aux Kray twins qui, même s’ils sont au placard de sa gracieuse majesté, n’en continuent pas moins de tirer leurs ficelles. Les autres artistes signés par Worldwide sont assez connus : les Groundhogs, Black Sabbath et Stray. Dans la hiérarchie de Worldwide, Ken Mewis dépend d’un truand nommé Wilf Pine, un dur aux mains tatouées : les mots Love et Hate, comme Robert Mitchum. Wilf explique aux deux Brats qu’il faut un single pour négocier avec les maisons de disques - Why can’t you write a fucking single, eh ? - Andrew répond que «Sick On You» est le single parfait. Wilf s’énerve : Cette chanson est dégoûtante ! Joue pas au con avec moi, Andrew, ou je vais t’arracher les tripes. Cette chanson est fucking obscène ! Andrew laisse passer l’orage et répond tranquillement que «Sick On You» est la meilleure chanson des Brats, puis il ajoute que de toute façon, les Brats ne font pas de singles, que c’est même un anathème que de faire des singles. Ana what ? rétorque Wilf qui devient rouge comme une tomate. Ana fucking what ? Et là il se met en pétard pour de bon, fuck you et fuck tes fucking words, espèce de petite merde - you little poofter shite - On veut vous envoyer à Top Of The Pops et il nous faut le single dans deux semaines, t’as compris, branleur ? Et bien sûr Andrew lui répond que les Brats détestent Top Of The Pops. À ce moment névralgique de la conversation, Casino ajoute : We’re like Pan’s People ! Ce que confirme Andrew en ajoutant : True ! Et là, ils voient une grosse veine apparaître sur la figure de Wilf, qui leur rappelle celle de Tony McVein.
Pendant un temps, Andrew crut qu’il allait finir avec une balle dans la tête. D’ailleurs, à la fin de ce livre tordant, il remercie Wilf Pine de ne pas l’avoir fait descendre.
D’autres épisodes tout aussi hilarants guettent le lecteur imprudent, comme cette cocktail-party chez Cliff Richard, ou encore cette nuit passée au poste après avoir été embarqué par les poulets. Andrew est sous acide et sa tête dodeline. Le flicard lui demande de vider ses poches, portefeuille, clés, the lot. Andrew vide ses poches : une pièce de deux pence et un tube de rouge à lèvres. C’est tout ce qu’il possède. Le flicard est sidéré, il examine les deux objets et ça dure plus de temps qu’il n’en faut. Au bout de ce temps interminable, il lève la tête et demande à Andrew : You cannot be fucking serious ? Andrew dodeline. En dodelinant, il comprend qu’il fait une énorme connerie, car le flic s’énerve, je te pose une question, branleur et tu dodelines ? Andrew s’excuse et dit que c’est tout ce qu’il a dans ses poches. Le flic se lève et s’approche de lui pour lui demander le nom de cette maladie qui le fait dodeliner comme un fucking bird. Andrew répond no no no, alors le flic lui demande pourquoi sa tête dodeline comme un nancy boy in a cubicle in Piccafuckingdilly Circus. Il s’énerve tout seul et Andrew voit arriver le moment où il va prendre des coups, alors qu’il est menotté dans le dos. Alors ce sadique de flicard lui dit : Tu ne vas pas du tout aimer ce qui va t’arriver... Andrew exulte ! Oui oui, monsieur l’officier, dites-moi donc pourquoi je ne serais pas content de me retrouver défoncé sous acide et menotté dans un commissariat à cinq heures du matin ! Par miracle, cet abruti de flicard se calme et se rassoit pour remplir le formulaire. «Je vais parler à voix haute et tu me dis si je me trompe. Premier objet. Nous avons là une pièce de deux pence, c’est exact ?» «Yes !» Puis il examine le tube de rouge à lèvres et d’une voix chargée de mépris, il dit : «Deuxième objet, un tube de lipstick ‘Cherry-Blaze Outdoor Girl, c’est exact ?» «Yes» répond Andrew, et cette ordure ajoute : «You disgust me !» Tout ce qu’Andrew trouve à dire, c’est yes ! C’est tellement bien écrit qu’on se croirait assis à côté, menotté au radiateur.
En fait, Andrew raconte qu’une nuit, Lou Sparks et lui ont forcé la serrure d’une épicerie pour voler quelques bouteilles de coca. On les a dénoncés, d’où l’arrestation à l’aube avec la violence policière habituelle et les chiens. Comme c’est un délit, ils doivent passer au tribunal et là, on assiste encore une fois à un épisode digne des Brats. Ils voient arriver dans la salle un juge perruqué qui affiche ostensiblement son dégoût. Andrew n’en revient pas de voir ce qu’il appelle the overkill at work : les témoins qui défilent au prétoire les enfoncent, le flic et puis le propriétaire de l’épicerie qu’il n’a jamais vu. Andrew se tourne vers Lou qui est aussi abasourdi que lui. Andrew demande aux flics qui sont derrière lui : pourquoi on n’a pas d’avocat ? L’un d’eux lui rétorque d’un air mauvais : Shut your fucking cakehole ! Le verdict tombe sans appel : une prune de 25 £ ou un mois au placard, au choix. Évidemment, ils n’ont pas les 25 £ et ne sont pas près de les avoir. Ils sont officiellement condamnés pour avoir privé le propriétaire de la jouissance de trois bouteilles de Coca-Cola - Permanently depriving the landlord of three bottles of Coca-Cola - Le lendemain, en se baladant dans le quartier, Andrew tombe sur la une d’un journal qui titre : Costly Coke, qui veut dire des Cokes qui coûtent cher. Le texte en dessous décrit dans le détail l’exploit hilarant de deux pauvres crétins qui ont au cœur de la nuit forcé la serrure d’un fish’n’chips fermé pour cause de faillite, à seule fin de voler trois bouteilles de Coca-Cola. Puis il tombe sur les noms des deux crétins.
Eh oui, la vie d’un groupe ne se résume pas aux disques et aux concerts. Avant d’être des légendes du proto-punk londonien, les Hollywood Brats multipliaient des exploits dignes des Pieds Nickelés, et c’est précisément ce qui les rend attachants. Ils sont tout ce qu’on aime dans le rock, des gros branleurs qui ne pensent qu’à déconner, mais dès qu’ils entrent dans un studio ou qu’ils montent sur scène, ils savent passer aux choses sérieuses. Pour en avoir le cœur net, il suffit simplement d’écouter leur album. Heureuse coïncidence, Cherry Red vient tout juste de le rééditer avec en prime un disque complet de bonus. 15 bonus des Hollywood Brats, croyez-moi, ça vaut tout l’or du monde. Dans cette foire à la saucisse, on tombe sur une version démentoïde d’«I Need You» des Kinks, montée sur une basse dévastatrice et chantée par ce dingue d’Andrew. Leur approche des Kinks est exactement la même que celle des Hammersmith Gorillas, ils tâtent de l’exaction parabolique. Comme le disait Keith Moon le soir de leur concert au Speakeasy : les Brats sont le meilleur groupe d’Angleterre ! Dans «Borgia Street», on entend un solo nasty de Brady qui est toujours en vie. Oui, si vous feuilletez le livret qui accompagne la réédition, vous verrez une photo récente des Brats. Ils traversent la rue, Casino marche devant avec ses cheveux blancs et ses lunettes noires, suivi de Brady coiffé d’un petit chapeau, puis d’un mec nommé Mick Groome, et Andrew, referme la marche, sobrement vêtu d’un petit costard et portant lui aussi des lunettes noires. Dire qu’on est content de les voir en vie serait un euphémisme. Parmi les bonus se trouve une violente version d’«Hootchie Coochie Man», du hot shivering bliss, comme le dit lui-même Andrew, on sent le shuffle du slum, et on voit la basse traverser le cut, ah quelle rigolade ! Leur version de «St Louis Blues» sonne comme un cut des Dolls. Ces mecs vont très vite en besogne, too much too soon. Le parallélisme entre les deux groupes est flagrant. Et puis, il faut avoir entendu au moins une fois dans sa vie l’effarant «Suckin’ On Suzie» pour se faire une idée de la puissance des Brats. Andrew éclate même de rire au chant tellement il sent le pouvoir du rock en lui. C’est embarqué au meilleur beat d’Angleterre et par un chanteur qu’il faut bien qualifier de génial. L’ambition d’Andrew Matheson : un groupe bien habillé qui joue vite et sale - a great looking band dressing sharp, playing fast and nasty - Rien qu’avec ces quelques mots, il résume le phénomène Hollywood Brats. Quand il passe une annonce une annonce dans le Melody Maker pour trouver un guitariste, il écrit : Guitarist wanted/ Great looking/ Drunk on scotch and Keith Richards. N’oublions pas qu’en 1971, le roi d’Angleterre s’appelle pour beaucoup de gens Keith Richards. Poor Brian is dead. Ah encore un détail intéressant : avant de s’appeler les Hollywood Brats, ils s’appelaient the Queen, rêvant de grands titres dans la presse du genre The Queen pukes on arrival in Heathrow, la Reine dégueule en arrivant à Heathrow (ce que ne manquera pas de faire Johnny Thunders). Mais à la même époque un autre groupe s’appelle Queen et un soir au bar du Marquee, Freddy Mercury vient agresser Andrew qui se voit contraint de lui coller son poing dans la gueule. Mercury est à terre, et bon prince, Andrew lui abandonne ce nom de groupe auquel il n’était pas vraiment attaché - Keep the name Queen. You can have it - Andrew tirera le nom des Hollywood Brats d’une chanson de Ray Davies qu’il chantonnait un jour en rentrant de Watford - You can see all the stars as you walk along Hollywood Boulevard - C’est l’occasion de réécouter cette pure merveille qu’est «Celluloid Heroes».
L album des Hollywood Brats donne une idée de ce qui devait se passer sur scène. Andrew voulait ce Slum Kitchen Sound, ce son des taudis dans lesquels ils répétaient - We want control - Ils l’ont, grâce à Ken Mewis, et ça s’entend avec «Chez Maximes». Tout est là, c’est le son des Dolls mais avec en plus la violence des kids anglais. Andrew chante comme un diable trop maquillé. On entend des jolis chœurs de slum et une basse dévorante qui croise dans le lagon comme un requin blanc - Chez Maximes you make your dreams come true - Avec «Nightmare», ils passent au stomp de cave joué à la cloche de bois, c’est noyé de son, mais le côté canaille du chant domine bien la situation. C’est admirable, tout est là ! Ces mecs n’ont pas seulement le sens du son, mais aussi celui de l’Empire romain et de la poigne de fer, celle d’un César qui jette ses légions comme s’il lâchait des rapaces sur la moitié du monde. Avec «Courtesan», ils passent à l’heavy boogie et sonnent comme des Dolls de l’East End - She’s the darling of the Chelsea nights - C’mon, ça ramone salement le bulbe rachidien. Et si on sait apprécier le Slum Kitchen Sound, alors on est grassement servi. Leur coup de génie, c’est sans doute la reprise magistrale de «Then He Kissed Me», car ils la tapent à la sur-puissance catégorielle, ils poussent les pressions jugulaires au maximum des possibilités et ça édifie les édifices. On trouve aussi deux hits que reprendront les Boys un peu plus tard, «Tumble With Me» et le fameux «Sick On You». Tumble, c’est la modernité du rock anglais. Voilà un cut totalement inespéré, l’un des premiers chefs-d’œuvre de ce qu’on appellera plus tard le glam-punk. Les seuls qui savent jouer ça, ce sont les Brats, les Gorillas et les Derellas. Avec Tumble, les Brats tapent dans la fantastique ampleur. We’ve got the action, dit Andrew quand il évoque le souvenir du set des Brats au Speakeasy. Quant à Sick, on a là un fabuleux shoot de pop-rock noyé de fuzz. Ce shoot de folie pure tourne à l’hypnotisme. Et quand on écoute «Zurich 17», on comprend que ce genre de cut infectueux anticipe toute une vague à venir. Les Brats sont beaucoup trop en avance sur leur temps. Ils inventent sans le savoir le far-out bubblegum des bas-fonds de nowhereland. Et puis on ne se lassera jamais de ce «Southern Belles» qui sonne encore une fois comme un hit des Dolls, mais avec quelque chose de terriblement britannique dans le ton. C’mon darling !
Et comme l’ont dit Jerry Lee et les Brats à ceux qui osaient monter sur scène après eux : Follow that, pussies !
Épilogue 1
En 1979, Andew enregistra Monterey Shoes, un album de soft rock un peu déroutant. Il semble avoir renoncé au fracas des guitares pour aller sur un son plus soft, mais il est trahi par une absence de production, et ses compos qui se voulaient ambitieuses retombent comme des soufflés. Le seul lien qui rattache cet album à la légende des Brats, c’est Gered Mankowitz. Pour les Brats, Andrew voulait le photographe des early Stones, celui de Between The Buttons. C’est donc lui qui signe la pochette de Monterey Shoes. On y voit Andrew dressé dans le crépuscule, avec le Starfish Cafe et un personnage en sailor suit en contrebas. L’image illustre «St Catherine Wheel», un balladif attachant mais atrocement mal produit, car la voix d’Andrew manque désespérément de profondeur. Dommage, car on le sent influencé par Ray Davies, et c’est criant lorsqu’on écoute «Debbie». Il revient à un tempo plus enlevé avec «Eyes Of Harlem» et retrouve un peu de sa superbe. Il s’y montre même très convainquant. Il fait plus appel aux cuivres qu’aux guitares et on note de légers accents d’«It’s All Over Now Baby Blue» dans son refrain. Une autre compo ambitieuse se niche en B avec un «Johnny Let’s Run» traversé par un solo de sax et «It Only Hurts When I Cry» pourrait presque sonner comme un hit, mais encore une fois, la prod dessert les ambitions du pauvre Andrew qui apparemment s’est fait baiser une fois de plus.
Épilogue 2
Pas facile de mettre le grappin sur The Night Of The Bastard Moon, l’album solo d’Andrew Matheson paru en 1994. Les rares heureux propriétaires qui le possèdent le vendent très cher. On y trouve deux merveilles dignes de l’âge d’or des Hollywood Brats, «Three Dead Mexicans» et «Postcards From Hollywood». Avec ses Dead Mexicans, Andrew fait du Sympathy For The Devil avec des percus exacerbées. Il renoue avec le gutsy et sonne comme les Stones à l’aube du rock - Shut it up c’mon - C’est fabuleusement drivé aux percus, comme dans Sympathy. Pur génie ambulatoire ! On a même des virées de basse et des yeah yeah yeah qui se perdent dans l’écho du temps. Ça tourne au demented are go. Andrew y renoue avec le génie des Brats. S’il fallait une preuve de sa grandeur, elle est là, dans les Dead Mexicans. Plus loin, il monte son «Poscard From Hollywood» sur le riff de «Jean Genie». Il repart sur les traces de Bowie en mode heavy glam. On peut aussi se pencher sur «Call It A Storm» bien enveloppé, bien touillé, mais ça frise parfois le Springsteen, ce qui ne vaut pas pour un compliment. Le pauvre Andrew y perd un peu de sa superbe. Il nous fait encore du Springsteen avec un «Love Is Stupid» atroce et prétentieux. On assiste à l’écroulement d’un mythe. On peut parler ici de prod cordiale, avec un solo de chais-pas-quoi. Andrew s’installe dans son cloaque springsteenien avec «Red Shoes In Italy». Cette prod cordiale cause bien des ravages. C’est même une malédiction. On voit le pauvre Andrew essayer de faire décoller sa pauvre daube. Quelle horrible tragédie !
Signé : Cazengler, Hollywood Bric (et Broc)
Andrew Matheson. Disparu le 1er juin 2025
Hollywood Brats. Sick On You. The Classic Debut Expanded. Cherry Red Records 2016
Andrew Matheson. Monterey Shoes. Ariola 1979
Andrew Matheson. Sick On You. The Disastrous Story Of Britain’s Great Lost Punk Band. Ebury Press 2015
Andrew Matheson. Night Of The Bastard Moon. MCA Records 1994
L’avenir du rock
- Glimmer twins
Chaque année, l’avenir du rock loue un stand au Salon des Désespérés qui se tient au Parc des Expositions de la Porte de Versailles. Les visiteurs s’y rendent par centaines de milliers, en quête d’une lueur d’espoir. Certains exposants proposent des petits discours de réconfort, des tisanes pour arrondir les angles, des onguents pour colmater les fissures, des flacons d’eau bénite pour laver les péchés, des promesses de félicité sur abonnement. Chaque année, l’avenir du rock se régale de tout ce tintouin chamarré. Les visiteurs errent dans les allées comme des âmes en peine et s’arrêtent ici et là. Les exposants rivalisent d’idées saugrenues. Oh, en voici un qui bêle, assis dans la paille de Bethléem, comme l’indique le panneau accroché au-dessus de sa tête. En voici un autre qui s’ouvre les veines au-dessus d’un verre et qui dit au curieux qui s’arrête : «Bois, ceci est mon sang.» Mais la spiritualité à l’ancienne ne fait plus recette. Une autre forme de spiritualité attire le gros des visiteurs : le populisme. Des harangueurs aux trognes porcines proposent la paix de l’âme en échange d’une adhésion à leur parti. On s’attroupe à leur stand. Ils promettent l’éradication de tous les problèmes. «Plus de pluie ! Un ciel bleu au-dessus du pays !» Ils haranguent à tire-larigot : «La fin des angoisses existentielles !» «Le paradis des souches !» Ils promettent encore l’éradication des impôts et la gratuité des transports. Alors les visiteurs se bousculent pour accéder au guichet. Ils veulent tous prendre une carte pour avoir accès au paradis des souches ! Ah le paradis des souches ! Quelle belle fin en soi ! Le spectacle de cet attroupement laisse l’avenir du rock circonspect. Ce n’est pas qu’il mette en doute la véracité éthique de ce que proposent les harangueurs aux trognes porcines, non, d’ailleurs il ne se mêle pas de politique. Il ne sent pas concerné. Par contre, il sait qu’il propose sur son stand une authentique lueur d’espoir, au sens propre comme au figuré : Glimmer.
Si tu demandes à Jaye Moore, le drummer blond de Glimmer, ce qu’il écoute, il va te répondre My Bloody Valentine et ça va te mettre sur une mauvaise piste. Ces quatre petits mecs sont des New-Yorkais et ils ne peuvent pas sonner comme My Bloody Valentine, c’est impossible. Sur scène, Glimmer est pris en sandwich entre deux Jaguars et on peut dire que ça gicle. Ils ont quelques morceaux lents, mais dès
qu’ils mettent leur ramshackle en toute, t’as tout le New York City Sound des bas-fonds qui redevient d’actualité. On apprendra plus tard que le simili-Woody Allen aux bras couverts de tatouages s’appelle Jeff et qu’il est le frère de Jaye. Alors attention : Jeff Moore est une rockstar en devenir. Bien évidemment, il ne finira pas à la télé comme tous les rois de la fucking mormoille, mais il va rôder, du moins on l’espère, dans les imaginaires des happy few qui auront le privilège de le voir jouer
sur scène. Car oui, Jeff Moore a tout : les good looks, la stature, l’incroyable présence, les compos, la voix, le guitarring, il pue le big bad rock à dix kilomètres à la ronde. Tu ne trouveras pas une rockstar comme celle-là sous le sabot d’un cheval. Non, il faut aller le chercher au fond d’une cave, un jour de chaos urbain, car le fucking Tour de France passe en ville et des tas de rues sont barrées. La ville est paralysée. Mais ils ont réussi à passer avec leur van. Ouf !
Tu vois ces quatre New-Yorkais jouer dans la cave et t’en reviens pas de tout ce répondant, de toute cette constance de la prestance, de ces rocking blast intermittents, t’en reviens pas de les voir clouer leur chouette à la porte de la Sonic Church, t’en reviens pas de les voir régner pendant une heure sur l’underground. T’es une fois de plus convaincu que les vrais groupes descendent dans les caves pour honorer le vieux Dionysos, dieu du rock et des pires excès. Derrière ses lunettes, Jeff Moore rocke le boat de la cave comme un Achab qui n’aurait pas basculé dans la folie, il garde les yeux rivés sur l’horizon du prochain cut, il ajuste sa voix grave en permanence et claque des dégelées de power-chords new-yorkais, pendant que de l’autre côté de la scène, son copain fourbit les dissonances. Et quand il ne fourbit ses licks, il passe son temps à se ré-accorder, ce qui finit par devenir agaçant. Surtout qu’on est tout près de lui et qu’on voit sur l’accordeur qu’il n’est pas désaccordé. Sans doute est-il mal à l’aise.
À part un flexi («Self Destroyed», deuxième cut du set), ils n’ont rien à proposer au merch. Tu le ramasses. «Self Destroyed» accroche immédiatement, avec sa belle mélodie chant digne d’Adorable. Et t’as des clameurs de rêve. Tu baves d’avance. L’album devrait être énorme, à l’image du set.
Leur premier album sortira en october, nous dit Jeff Moore, vraiment ravi de sa soirée à la cave. Miraculeusement, il y avait un peu de monde. Ouf!
Signé : Cazengler, Glimmère de tous les vices
Glimmer. Le Trois Pièces. Rouen (76). 8 juillet 2025
Glimmer. Self Destroyed. Flexi High Voltage 2023
Concert Braincrushing
L’avenir du rock
- Hoover sur le monde
Comme tout le monde, l’avenir du rock a besoin de sous pour manger et payer son loyer. Alors il postule pour un emploi. Un patron obèse, chauve et lunetté le reçoit dans son bureau. Il jette un coup d’œil sur le CV.
— Vous vous appelez avenir du rock, c’est bien ça ?
— C’est écrit dessus, comme sur le Port-Salut.
— Ce n’est pas courant comme nom... Bon, dites-moi, monsieur avenir du rock, quelles sont les limites élastiques de votre flexibilité ?
— Je sais rester Hoover à toute proposition....
— Vous venez de gagner un bon point... Résumez-moi en deux mots votre capacité à fédérer...
— Hoover Ticalité !
— Encore un bon point pour votre sagacité ! Comment inter-agissez-vous dans un contexte managérial alambiqué ?
— Très simple : par l’Hoover ture des écoutilles ! Gestion des flux, si vous préférez !
— Votre aisance à pacifier les contextes m’interpelle, croyez-le bien, aussi vais-je vous demander de quelle façon vous pragmatisez l’approche participative, comprenez-moi bien, je parle ici de l’extension du domaine de l’extraversion, laquelle, j’en suis maintenant persuadé, n’a aucun secret pour vous...
— C’est très simple : Hooveriii.
— Pardon ?
— Hooveriii ! Hoo comme Hoo la la, ver comme vert émeraude, et iii comme iiiiiiii !!! Ou iii comme three, les trois petits cochons, si vous préférez.
Tu les prononces comme tu veux : Hoover three, Hoover 3, Hoover free, Hoover frit, Hoover III ou Hooveriii, chacun fait comme il veut. Par contre, lui, il s’appelle Bert Hoover, aka Bert le Grand Pied, co-sauveur de festival binicole avec les Bad Bangs. Bert Hoover sait exactement ce qu’il veut. On lit une extrême détermination dans le regard qu’il porte sur le public sinistré agglutiné à ses (grands) pieds. Il porte
le regard d’un empereur psyché déterminé à sauver Binic. Alors il sauve Binic avec sa petite Gibson Les Paul Junior. Bert devient le temps d’un show Ali-Bébert au Pays des Merveilles, il fait le Père Noël et arrache des milliers de personnes au désespoir le plus noir. Grâce à Santa Claus Hoover, on échappe au cauchemar du rap blanc australien dont on ne connaissait pas l’existence avant que la dérive programmatoire binicole ne nous l’impose. Soudain, Bert redonne du sens à ce vieux
cadre, et là pas besoin de pogo, toute l’énergie reste prodigieusement intrinsèque. Ouf, on échappe enfin à la mainmise australienne et Binic retombe miraculeusement sur ses pattes. T’es là en principe pour découvrir des gros trucs et en voilà un. Bert au Grand Pied te donne une leçon de modernité psyché, il est extrêmement bien entouré, ses collègues hooveriens hooverisent comme des cracks, et te voilà ENFIN avec un show sous le nez. Ces mecs te rockent des cuts que tu ne connais ni d’Eve ni d’Adam, mais ces cuts te parlent et te montent droit au cerveau. La Californie arrive
comme le Septième de Cavalerie, juste au moment où les Mescaleros australiens allaient avoir ta peau. Hoover forever ! Du coup t’es content, ça te fait un slogan pour ta petite rubrique à la mormoille. Tu plains sincèrement tous ceux qui ne sont pas venus se faire piéger dans l’enfer binicole. T’es toujours content de te faire piéger, à condition bien sûr d’être sauvé in extremis par le Septième de Cavalerie de Bert au Grand Pied. Aw comme ce mec est bon, comme il en pince pour le real deal, il joue de toute sa pesanteur en apesanteur, il te rocke la boute, il te rocke la rate, ces cuts t’éclatent au Sénégal avec ta copine de cheval, pas de problème, t’y retrouves tout ton latin, t’y retrouves tous tes fucking repères et toutes les raisons de continuer à vivre cette vie qui ne t’intéresse plus du tout, mais tu te dis que ça valait le coup de tenir jusque-là, Hoover, c’est aussi simple que ça, tu prends au sérieux tout ce que
Bert te dit, tu le vois jouer et tu fais : «Ah oui !», t’es content de faire «ah oui !», c’est seulement la deuxième fois en trois jours, et après avoir vu une vingtaine de groupes qui n’ont strictement aucun intérêt. Bon la vie est ainsi faite, personne ne peut lutter contre ce genre de postulat, mais heureusement, t’as Bert qui déboule comme un dénominateur et qui dit halte là au numérateur binicole. Et ça marche, le numérateur ferme sa gueule. Pendant une heure, Bert règne sans partage. Un Américain dirait de Bert qu’il est fucking great. Un Anglais dira de Bert qu’il est fooking great. Un Français dira de Bert qu’il est le grand pied. Chacun fait comme il peut avec ses petits bras et ses petites jambes. En attendant, nous voilà avec un nouveau héros sur les bras.
Et là, t’y vas ! Ta soif de connaissance ne connaît plus de limites. T’attaques par leur dernier album, Manhunter. Tu y retrouves les hits du set binicole, notamment «Westside Pavillon Of Dreams» et ses belles dynamiques. On sent les pros. C’est même explosif. Ils décrochent le gros lot avec ce hit, c’est délié et puissant à la fois, et t’as ce refrain magique tapé à la traînasse lennonienne. «The Fly» s’offre un départ grandiose. Ils sont terrifiants d’inventivité. Tu te régales à l’écoute de cet album bourré de dynamiques. T’es encore frappé par la modernité d’«Heaven At The Gates», ses belles crises de frénésie, et ses ravissants petits éclairs de génie. C’est aussi dégourdi qu’un hit des Pixies. Malgré un départ rédhibitoire, Bert Hoover claque un fieffé killer solo sur «Tarentula Eyes». Quelle envolée ! Bert Hoover adore le firmament et les killer solos. Et puis au bout de la B, il fait de la pure Beatlemania avec «Stage», un cut puissant et languide.
Toujours émoustillé par ce petit choc révélatoire binicole, tu poursuis tes investigations et tu tombes sur Pointe. Comme t’attends des miracles de ce bon Bert Hoover, tu te dis qu’il va répondre à tes attentes, vu qu’il a du répondant. C’est logique. Alors tu le vois se lancer dans la fast pop de «The Tall Grass» avec une voix de canari impavide. On le voit ensuite chercher sa voie avec «This Rock», son art reste incertain. Pas de psyché là-dedans mais des accents lennoniens. Tu reprends espoir avec la grosse attaque de «Can’t You Hear Me Cathy». Alors tu vois Bert Hoover tordre le cou du cut, il le prend pour une volaille, mais la magie brille par son absence. Ni psyché, ni mélodie. Il ramène un brin de funk dans «The Game», mais ça n’a ni queue ni tête. Ce bon Bert fait n’importe quoi. Alors que tu allais jeter l’éponge, il allume son cut et tu l’entends gratter les poux du diable. Mais c’est limite. Car tu sens bien que ces Californiens font leur truc dans leur coin, sans se préoccuper du besoin de magie qu’on a tous. C’est une bonne raison de leur en vouloir. Comme Beckett qui attend Godot, on attend des miracles de Bert Hoover. Il vaut mieux en attendre de Smokey Robinson. Et puis voilà le cut sauveur d’album : «The Ship That I Sail». T’es encore là à te demander ce que tu fous sous ce casque et soudain le cut se réveille en sursaut, avec un riff dévastateur. Et ça vire coup de génie sur la seule foi de ce riff. La bête que sommeille en Bert Hoover s’éveille et ça prend des proportions considérables, tu prends aussitôt ta carte au parti, t’abjures toutes tes religions pour ne garder que l’Hoover, tu t’aplatis devant ce Ship, tu te sens rudement fier d’être un ver de terre inféodé, chouette, te dis-tu, ce mec Bert est capable de petits coups d’éclat. Dommage que la fin de cut soit si longue et si inutile.
Quand tu envisages de rapatrier Water For The Frogs, tu te poses la question : c’est-y aussi bon que Manhunter ou c’est-y pas ? La pochette commence par te poser un problème, ce graphisme renvoie trop aux seventies. Mais bon, comme d’usage, la curiosité l’emporte sur les a-prioris et le voilà qui débarque chez toi, fier comme un général d’opérette. Il ne te reste plus qu’une seule chose à faire : l’écouter. Bert Hoover proposait déjà en 2021 du classic stuff, mais avec une belle insistance. On sent chez lui une volonté clairement affichée d’arracher son stuff du sol. Cut après cut, l’album s’installe confortablement dans l’inconscient collectif. Il ne casse pas la baraque, mais tu comprends vite que ce n’est pas sa vocation. Water For The Frogs fait son petit bonhomme de chemin. C’est un album pépère. C’est avec «Hang Em’ High» qu’il renoue un petit peu avec la modernité. Disons pour rester magnanime que c’est une belle atteinte à l’intégrité du schéma de pensée conventionnel. Bert au grand pied en profite pour passer un beau solo liquide. Quel fieffé bretteur ! Sa présence et la qualité de ses idées sont indéniables. En B, tu sens nettement une volonté d’en découdre affleurer dans «Erasure», mais c’est dommage, car ça n’aboutit pas. Belle énergie, mais rien de déterminant. Avec «Gone», Bert et ses amis visent l’envolée belle, alors ils s’y collent et ça leur va comme un gant. Voilà, c’est fini. Tu ranges l’LP dans sa pochette et tu te poses la question : au jour d’aujourd’hui, qui va aller investir un billet de trente dans ce type d’album ? Personne, excepté ceux qui ont vu Bert Hoover sauver Binic du naufrage.
Signé : Cazengler, Hoover de terre
Hooveriii. Binic Folk Blues Festival (22). 27 juillet 2025
Hooveriii. Water For The Frogs. The Reverberation Appreciation Society 2021
Hooveriii. Pointe. The Reverberation Appreciation Society 2023
Hooveriii. Manhunter. The Reverberation Appreciation Society 2025
Wizards & True Stars
- La terrine à Terry
Dans une brève, Shindig! annonçait le grand retour de Terry Reid : une tournée anglaise. Mais elle n’aura pas lieu, car la grande faucheuse l’a fauché dans son élan. Et comme l’extraordinaire Terry Reid ne fera pas la une des magazines, nous allons ici même lui réserver la place d’honneur qui lui revient.
C’est vrai qu’il a une bonne bouille. Au fil des ans, la terrine de Terry est restée celle d’un gamin attachant. Quand on examine son visage sur les pochettes de ses albums successifs, on ne voit que de la candeur. L’arrondi de ses arcades et son léger sourire en coin révèlent une sorte de douceur naturelle et un goût pour le calme, ce qui n’est pas très courant chez les superstars.
Superstar ? Mais oui, Terry Reid l’était déjà à seize ans, en 1966, année où il participa - avec les Jaywalkers - à la fameuse tournée anglaise des Stones et d’Ike & Tina Turner. Très vite, il fut happé par le tourbillon. Il n’avait que 19 ans quand Mickie Most lui mit le grappin dessus. Il voulait faire de Terry the Next Big Thing aux États-Unis - avec une reprise de Long John Baldry, «Better By Far». En 1968, Terry fit la première partie de la tournée américaine Get Yer Yas Yas Out des Stones. Il joua aussi en première partie de Cream, pendant leur tournée d’adieux de novembre 68 aux États-Unis. Il participa au festival de Glastonbury en 1971. Il faillit aussi se retrouver dans la seconde mouture de Deep Purple. Graham Nash qui était encore dans les Hollies voyait un génie en lui, et Terry n’avait pas vingt ans.
Il fut donc plongé très jeune dans le chaudron du rock biz, mais apparemment, il en est ressorti indemne. On imagine qu’il devait avoir assez de maturité pour ne pas céder au chant des sirènes, particulièrement actives à cette époque, dans l’entourage des Stones.
Et puis il y a la fameuse histoire de la fondation de Led Zep que tout le monde connaît et qui est rabâchée chaque fois qu’un article sur Led Zep sort dans la presse, c’est-à-dire deux ou trois fois par an. Jimmy Page voulait Terry comme chanteur. Mais Terry avait d’autres engagements. Il indiqua à Jimmy les noms de Robert Plant et de John Bonham, deux mecs qui jouaient dans Band Of Joy, un petit groupe sans avenir. L’embêtant, c’est qu’on ne connaît Terry Reid que pour cette histoire, pas pour ses albums. Tout le monde savait qu’il avait repoussé l’offre de Jimmy Page. Wow, quel prestige ! Et pendant ce temps, ses disques passaient à la trappe.
On se retrouve confronté exactement au même paradoxe qu’avec Jackie Lomax. Ils sont réputés tous les deux, mais pour des raisons purement anecdotiques. Par contre, quand on connaît leurs albums, on sait qu’ils font partie des personnages les plus prestigieux et les plus doués de l’histoire du rock anglais.
Dès Bang Bang You’re Terry Reid, on sent un tempérament inventif et une soif de liberté absolue. Terry a le rock dans la peau. Il tente de moderniser «Bang Bang», le vieux hit de Sonny Bono. Il va chercher le prog à coups d’envolées jazzy et de tintements de cymbales intempestifs. On est aussitôt frappé par la qualité de la voix plaintive de ce jeune coq. Il s’échauffe au second couplet. L’orchestre bascule dans la samba et ça devient bizarre. Terry mène sa barque : on le sent essentiellement préoccupé par le feeling et surtout par les lointaines dérives du feeling. «Tinker Tailor» est monté sur un joli thème de gratte. Dans cet album, on va de surprise de taille en surprise de taille. Par exemple, ce petit mambo sympathique, «Without Expression» (qu’ont bien failli reprendre Crosby Stills & Nash sur leur premier album). Terry va chercher des choses très haut perchées. Il produit des ambiances extrêmement lumineuses. Il donne une ampleur extraordinaire à ses cuts, comme s’il était une sorte de Van Morrison heureux de vivre. «Sweater» préfigure le Led Zep acoustique, et «Something’s Gotten Hold Of My Heart» - compo de Gene Pitney - préfigure les errances mélopiques de Robert Plant. On trouve en B une cover du «Season Of The Witch» de Donovan. Pas mal de versions courent les rues, mais celle de Terry bat tous les records. Il va très haut chercher la déchirure palpitante. Il nous gave de grands passages inspirés. Ces dix minutes échappent définitivement à l’ordinaire. «Writing On The Wall» et «When You Get Home» renvoient directement à Tim Buckley. C’est du très haut de gamme.
Ce premier album est un coup de maître, mais trop en avance sur son temps, parce que trop aventureux. C’est grâce à ce premier album - uniquement sorti aux États-Unis - que Terry va fidéliser ses admirateurs.
Le single «Superlungs My Supergirl» nous rendra tous définitivement accros. Pochette superbe. Terry en sépia plaquant l’accord sur le manche de sa Gibson. L’incarnation du rock’n’roll animal, comme l’étaient à l’époque Jeff Beck ou même le Clapton de Cream en pantalon rouge. Superlungs est l’un des plus beaux hits des sixties, ruisselant de feeling, ambitieux et tendu à se rompre. Cinquante-cinq ans après, ce hit monumental fout toujours le frisson. N’oublions pas que «Superlungs My Supergirl» est une compo de Donovan.
On retrouve la superbe photo sépia de Terry sur la pochette de son deuxième album, Move Over For... Terry Reid. Il riffe «Marking Time» jusqu’à l’os et le gorge de feeling cramoisi. Terry sait créer l’événement. Il est vocalement beaucoup plus doué, plus chaleureux et coloré que Robert Plant. Ce chanteur puissant screame savamment au détour des montées de gammes. Tour repose sur la richesse de son chant. Il n’existe pas d’équivalent dans ce registre. Il tape aussi une solide reprise d’«Highway 61 Revisited», montée sur une grosse bassline. Il couple ça avec «Friends», et nous embarque dans une jam informelle, dans l’esprit des jams mythiques d’Electric Ladyland. On se régalera aussi de «Speak Now Or Forever Hold Your Peace», un bel heavy rock à l’anglaise, astucieux en diable et bien tempéré. Avec ce chant chaud, Terry irradie le bonheur dans la fraîcheur d’un petit matin d’Essex. Ses éclats de voix rappellent parfois ceux de Noddy Holder. Ambiance admirable teintée d’éclairs glam et nappée de shuffle. Cet album reste l’une des pièces les plus colorées de l’histoire du rock anglais. Et de très loin. Sa version du mythique «Stay With Me Babe» de Lorraine Ellison rivalise de grandeur épique avec celle de Sharon Tandy. Terry en fait quelque chose d’assez explosif, capable de frapper durablement les imaginations.
Terry n’a que 23 ans et il veut échapper aux griffes de Mickie Most qui l’oblige à enregistrer des tubes romantiques. Le malheureux Terry a signé un contrat pour cinq albums. Il dit à Mickie d’aller se faire voir chez les Grecs. Mickie est d’autant plus fâché que la veille, Donovan lui a dit la même chose. À cause de cet imbroglio juridique, Terry va rester bloqué pendant trois ans. Impossible d’enregistrer à cause de ce fucking contrat. De quoi foutre une carrière en l’air. C’est Ahmet Ertegun, boss d’Atlantic, qui va tirer Terry de ce guêpier. Il débarque chez Mickie Most et lui dit : «Maintenant, ça suffit !»
Terry émigre en Californie. Il se retrouve évidemment sur Atlantic. Il enregistre son troisième album, River, considéré comme un album culte. On range généralement River à côté de John Barleycorn Must Die (Traffic), d’Astral Weeks et de Moondance (Van Morrison), d’Happy Sad et de Blue Afternoon (Tim Buckley). Malheureusement, River est un album assez mou du genou et on s’y ennuie comme un rat mort pendant au moins toute une face. On se réveille un peu aux accents bossa-nova du morceau titre. On retrouve le Terry qu’on aime bien, celui qui va chercher le mélopif très loin. «Dream» et «Milestones» ressemblent à des morceaux à la dérive, à de vieux radeaux paumés sur lesquels agonisent les derniers compagnons d’Aguirre.
Dans un texte à caractère confessionnel, Terry avoue qu’il adore passer ses journées à observer le cours du fleuve. Il y trouve son inspiration. Il est entré dans une phase contemplative et sa musique s’en ressent. Il est arrivé la même chose à Van Morrison.
Les délires contemplatifs font généralement des ravages chez les artistes ambitieux. On essaye de les suivre tant qu’on peut, et puis au bout d’un moment, ça devient compliqué. La spiritualité et le rock n’ont jamais fait bon ménage. D’ailleurs, Atlantic s’est vite débarrassé de lui.
En 1976, il enregistre Seed Of Memory. Comme on sort un peu échaudé de l’épisode River, on se méfie. Dès le premier cut («Faith To Arise»), on voit que Terry est passé à la good time music de bord de mer. Il sonne un peu comme Little Feat. C’est le genre de disque qu’on écoute lorsqu’on passe une soirée romantique avec une poule qu’on aime bien. Cette espèce de soft-rock attise quelques vieux réflexes libidineux et on se laisse aller à éprouver une sorte de bien-être existentiel à la noix de coco. «Seed Of Memory» est un morceau lent et flûté. Terry chante comme Crosby & Nash, avec une certaine amertume. D’ailleurs, Nash fait les chœurs. «Brave Awakening» est un country-rock très lent. Terry sait tirer sur ses cordes vocales pour provoquer l’humeur d’un émoi. Quelque chose d’humide suinte de son essence. En dix ans, Terry a beaucoup changé. Il est passé à des choses très soft et adroitement sophistiquées, comme «Ooh Baby», qui va plus sur le Steely Dan. Mais il sait aussi revenir à des sons plus musclés, comme par exemple avec «The Way You Walk». De gros paquets d’accords tombent du ciel et la basse fait le pied de grue sous le déluge. Terry renoue avec l’heavy rock de sa jeunesse flamboyante. On retrouve là l’ampleur avantageuse de son allant d’antan. Avec «The Frame», on a du pur Crosby & Nash, avec les mêmes repères sur l’échelle des valeurs. Tel un géant en fuite, ce disque laisse derrière lui une traînée de suie.
Rogue Waves est un album mille fois plus spectaculaire. D’abord par sa pochette : on y voit Terry le magnifique claquer un accord sur une Gibson SG blanche, la même que celle de Sister Rosetta Tharpe. Sur cet album, il fait deux covers de Totor : «Baby I Love You» et «Then I Kissed Her». Il fait de «Baby I Love You» un heavy slow de carrure planétaire, repris au thème par une guitare bien née. C’est là que se tapit le grand Terry. Il peut allumer autant que Rod Stewart à ses grandes heures. Il a cette science infuse de la beauté formelle. Avec «Then I Kissed Her», il fait son Vanilla Fudge et retapisse un classique intouchable, révélant une nouvelle fois au monde entier l’ampleur de son génie défenestrateur. C’est une véritable bénédiction ! Il fait exploser «Then I Kissed Her» au sommet du riff, comme un champignon atomique multicolore. On retrouve les fulgurantes dynamiques guitare-chant du Jeff Beck Group de Beck Ola et de Truth. Rogue Waves est du pur Terry, une chanson océanique qui s’étend à l’infini et qui scintille à la lumière de la lune. Il règne là-dedans une forte impression de désespérance et de démesure. Terry se plaît à repousser les limites. C’est un pieux rocker, il n’hésite pas à hurler et à égrener les arpèges pour suivre l’infini méandre de sa vision. Belle reprise aussi du «Walk Away Rene(e)» de The Left Banke. Terry en fait une vraie perle de rock têtue comme une bourrique. Il sort aussi de son chapeau un «Believe In The Magic» digne du «Season Of The Witch» qu’on trouve sur la B des fameuses Supersessions de Stephen Stills, Mike Bloomfield et Al Kooper. Admirable de groovitude et plutôt somptueux, il faut bien l’admettre. La chose t’enveloppe, comme le bras d’une fiancée amoureuse. Comme c’est doucement violonné, on sent l’influence du grand Marvin Gaye. Dernière grosse surprise de cet album fabuleux : «Bowang», un morceau digne des Faces. Magistral. Même hérésie de glotte fouillée. Même puissance de feu guitaristique largement sustainée. Terry concurrence directement le Jeff Beck Group. Même enfer et même classe cavalante. Même heaviness lévitative de haut rang.
Mais ce sera le dernier grand éclat de Terry Reid. L’album suivant, The Driver, est très beau, mais il manque de relief. Avec «Fith Of July», Terry nous embarque dans un balladif très beau dont se régaleront les âmes sentimentales. Toute ironie mise à part, «Fifth Of July» est un morceau chaudement recommandé aux amateurs de belles chansons. Mais sur les autres cuts, on retrouve le son pompeux des années quatre-vingt-dix, celui des succès commerciaux de Michael Jackson, de U2 et du Rod Stewart californien qui nous faisaient tant hennir quand ça passait à la radio.
Apparemment, Terry est toujours en forme. Il donnait un concert au Ronnie Scott Club de Londres en 2010 et un petit malin a eu l’idée d’en faire un double album : Live In London. Terry parle beaucoup avec les gens, il raconte des histoires drôles et plonge dans ses vieux grooves de triangle des Bermudes. On retrouve des versions actualisées de «The Frame» et de «Faith To Arise» qu’il illumine d’envolées de guitare acoustique et qu’il transforme en joyaux de cosmic americana. Absolument parfait, parce que très inspiré. C’est la marque de Terry Reid. Il tisse des mélodies incomparables. Toutes les notes de guitare s’allument comme des étoiles dans le ciel, au-dessus du bivouac. Il cultive la beauté de la frontière, il charme les cactus, un fluctue les sierras, c’est un fabuleux maître chanteur. Terry et les mecs qui l’accompagnent deviennent fous avec leurs guitares. «Too Many People» est un vieux hit prévalent, impartial et directif. C’est un truc radical qui dicte sa loi, rien que par son atonalité. Il nous raréfie l’oxygène dans le cerveau, il est limpide et désarmant de pureté mélodique. On a les yeux qui piquent.
Sur l’autre disque, il chante «Wee Small Hours» comme Nina Simone. Il fait monter «Night Of The Raging Storm» d’une voix qu’il n’a plus. Il s’écorche la glotte. C’est affreux. Il renoue avec son passé de géant aux pieds palmés. Il nous refait le coup de la superstar à l’anglaise qui s’élève dans la stratosphère et il provoque un véritable délire bienfaisant, il crie yah-yah-yah, un spasme de phase terminale. Il fait le tour du propriétaire et continue de s’écorcher la glotte au sang. Mais comment fait-il pour s’infliger de telles blessures ? Pendant ce temps, nos oreilles se pâment. Il nous balance même un doom psyché labyrinthique des temps anciens, «Rich Kid Blues». On y sent le souffle de Spooky Tooth. Grosse jam informelle et captivante. Il sait plonger la tête d’un cut dans la friteuse.
L’idéal pour entrer dans le monde magique de Terry Reid est de choper une rétrospective bien foutue, Superlungs, parue en 2004, sur laquelle figurent ses deux premiers albums et les morceaux qu’il enregistra avec les Jaywalkers en 1967. Avec la belle pop sucrée d’«It’s Gonna Be Morning», on voit que Terry a le même feeling que Steve Marriott. On croirait même entendre Sam Cooke. Il montre déjà une classe effarante avec un morceau comme «Funny How Time Slips Away», parce qu’il sonne exactement comme Smokey Robinson. Il monte sans cesse d’un cran. Il a déjà du génie à revendre. Les Jaywalkers sonnent comme des géants du jazz. Terry n’en finit plus de pousser son bouchon. Il nous fait le coup du r’n’b hot as hell avec «Just Walk In My Shoes». Il s’y montre monstrueux d’exaction. Il dégage autant d’air autant que Rod The Mod ou Chris Farlowe. Puis les choses se corsent. On lui demande de participer à la foire à la saucisse du Swinging London. Terry ne sait pas ce qui l’attend. Il fait confiance. On le fait entrer dans un studio pour enregistrer
«The Hand Don’t Fit The Glove». Catastrophe ! Quand on a un chanteur de cet acabit dans les parages, il vaut mieux lui donner de bonnes chansons. Sur la B-side du single, on trouve une chanson à lui, «This Time». C’est un morceau lent, mais Terry l’interprète comme un crack.
À l’écoute de ces premiers morceaux, on comprend mieux pourquoi les Stones ont invité Terry a faire les premières parties de leurs tournées. À part le single raté, tout est vraiment excellent. On entre ensuite dans la période Mickie Most, avec un premier single, «Better By Far». C’est Graham Nash qui a mis Mickie Most, producteur de Donovan et des Animals, sur la piste de Terry. Mickie Most cherchait le tube comme d’autres cherchent le Graal. Il était complètement obsédé. Il ne pensait qu’à ça. Il fit sonner «Better By Far» comme un hit de Phil Spector. Il voulait faire de Terry un tombeur de demoiselles. Pas très malin.
Signé : Cazengler, Reid dingue de Reid
Terry Reid. Disparu le 4 août 2025
Terry Reid. Bang Bang You’re Terry Reid. Epic 1968
Terry Reid. Move Over For... Terry Reid. Epic 1969
Terry Reid. River. Atlantic Records 1973
Terry Reid. Seed Of Memory. ABC Records 1976
Terry Reid. Rogue Waves. EMI Records 1978
Terry Reid. The Driver. Warner Brothers Records 1991
Terry Reid. Live In London. House Of Dreams Music 2012
Terry Reid. Superlungs (Bang Bang + Terry Reid + bonus). EMI 2004
Inside the goldmine
- Coathang on Sloppy
Introduire Marie Coton dans l’équipe, ce fut la meilleure façon d’introduire le loup dans la bergerie. Avec son allure de petite sainte, douce et docile comme l’agnelle de service, elle inspirait la confiance. Elle posait son regard bleu sur toi et déversait toute l’innocence dont elle était capable. Tu n’attendais qu’une chose, qu’elle te demande un service ou de l’aide. Elle t’inspirait les sentiments les plus nobles, du type de ceux qui animèrent jadis ces abrutis de chevaliers servants. Elle était de petite taille, elle portait les cheveux longs et des robes longues. Elle semblait totalement asexuée, ce qui la rendait encore plus atypique. Tu ne pouvais même pas la soupçonner de jouer un rôle. Elle désamorçait le moindre soupçon. Elle ne dégageait aucune odeur, elle ne semblait cultiver aucune sorte d’arrière-pensée, elle participait aux réunions sans exprimer le moindre sentiment, elle prenait peu de notes, ne posait pas de questions, elle semblait même tout comprendre. On l’observait du coin de l’œil. Quelle part de mystère recelait cette présence insolite ? Quand on lui demandait si elle avait des questions à poser sur la mission qu’on lui confiait, elle répondait «non» avec un sourire en demi-teinte. Elle ne baissait pas les yeux, attendant que son interlocuteur détourne les siens. Elle était capable de fixité, et ça pouvait devenir dérangeant. Au fil des mois, elle ne modifia rien à son comportement. Elle remplissait ses missions avec succès. Elle allait en clientèle et les retours qu’on nous faisait étaient tous singulièrement positifs. Nos clients la qualifiaient de «charmante», d’«attentive», de «sérieuse» et même de «créative». Les événements qui suivirent montrèrent à quel point on s’était tous plantés. La consultante qui faisait équipe avec elle se tua au volant de sa voiture, sur le boulevard circulaire de la Défense. Puis son assistante ne trouva rien de mieux à faire que de se jeter du huitième étage de l’immeuble où elle vivait, à Puteaux. Nous n’étions que douze dans la structure, et bientôt nous ne fûmes plus que deux, Marie Coton et moi. Les autres avaient disparu lors des deux derniers mois, dont plusieurs sans laisser de traces. Ce matin-là, lorsqu’elle entra, ponctuelle, à 9 h dans l’atelier, je fus pris d’un accès de fièvre superstitieuse : et si elle était le diable ? Il était grand temps de la virer.
Pendant que la Coton fait des ravages, les Coathang en font aussi, mais ce sont des ravages beaucoup plus intéressants. C’est un copain qui te dit : «Tu devrais écouter les Coathangers», alors tu écoutes les Coathangers, parce que d’une part, c’est un bon copain, et d’autre part, le nom du groupe te plaît. Les cintres. Plus qu’un pied-de-nez : apparemment, c’est une allusion à l’avortement sauvage. Comme le montrent leurs albums, ces trois petites gonzesses d’Atlanta flirtent pas mal avec le post-punk, et ce depuis vingt ans. Autre détail croustillant : la batteuse Rusty Coathanger est couverte de tattoos.
Si tu attaques par Scramble, tu risques d’être vite dérouté par leur côté Riottt-Girls, avec une voix rauque pas terrible. Mais elles corrigent vite le tir avec un «Stop Stop Stompin’» plus post-punk et plus sucré. Elles tapent un peu dans le crabe craze à la Fall. Tout espoir de girl-grouping s’évanouit. C’est la modernité qui prend le dessus avec «Bury Me», «Dreamboat» et «Arthritis Six». Elles y vont dare-dare au Bury Me, avec un sucre bien candy et presque un beat de Magic Band, elles te grattent le Dreamboat dans la solace du sucre fondu et l’Arthritis t’envoie une belle giclée de modernité dans l’œil. Dans «Gettin’ Mad & Pumpin’ Iron», le bassmatic se confronte à une cisaille barbare, et posé là-dessus, t’as un chant de sauve-qui-peut-les-rats, mais globalement, ça tient la route. Elles deviennent de plus en plus incoercibles avec «Killdozer», alors que «143» est plus sautillé : elles sont fraîches comme des saucisses de Strasbourg. Elles proposent une grande variété de styles et on sent chez les Coathang une fantastique énergie des idées. Donc on décide de les suivre à la trace.
Elles restent dans la Post avec Larceny & Old Lace. C’est Gildas qui appelait le post-punk la Post. Il n’aimait pas ça. Mais cette Post est excellente, comme le montre «Huricane», elles y vont au pousse-toi-de-là que-je-m’y-mette. C’est frais, carré, plein de jus, concassé, exacerbé. Elles voient les choses comme ça, alors il faut s’y faire. Ça re-concasse de plus belle avec «Sicker», ça concasse même du sucre sur le dos de la Post, avec un petit brin d’hypnotisme. Elles sont vraiment à vif («Call To Nothing») et elles se prennent pour Joy Division avec «Jaybird» qui vire hypno. Ça bassmatique dans les règles du lard fumant. C’est la Coathanguette tatouée qui lance «Johnny» au beurre salé. Quelle énergie ! Elle drive bien son beat. C’est mille fois mieux que les Slits.
Avec Suck My Shirt, les petites Coathanguettes explorent la profondeur de champ de la Post («Follow Me») avec une énergie phénoménale et un bassmatic en liberté. Encore plus terrific et mieux troussé, voilà que déboule «Springfield Cannonball». Elles regorgent littéralement d’élan vital. Encore de la Post exacerbée avec ce «Dead Battery» en alerte suspensive, monté sur une carcasse âpre et vinaigrée. Elles en pincent pour le sans-pitié-pour-les-canards-boiteux. Ça gratte au riff aigre et tanné. On salue aussi bien bas la Post de «Merry Go Round». La Coathanguette tatouée qui bat le beurre fait des étincelles dans «Love Em & Leave Em». Elles te grattent vite fait le «Derek’s Song». Elles ne font pas dans la dentelle, c’est du fast on the run, il pleut de la Post comme vache qui pisse. Ça explose au final avec «Drive», une véritable merveille de fraîcheur expiatrice, ça jaillit et ça dégouline de joie translucide.
Sur la pochette de Nosebleed Weekend, elles ont des allures de superstars. Crook Kid Coathanger a même le pif en sang. Avec «Dumb Baby», elles développent une belle énergie gaga-girly. Ça file bien sous le vent. Elles ne sont jamais loin de leur post-punk chéri. Elles trafiquent de belles ambiances d’étrangeté congénitale («Excuse Me»), mais c’est avec «Burn Me» qu’elles raflent la mise, car c’est bien sabré du goulot et fouetté au bassmatic. Elles savent très bien balancer des hanches («I Don’t Think So», qu’elles éclairent au hello hello), et elles finissent en ramenant un sucre de «Copy Cat» tendancieux. Ce n’est pas leur meilleur album.
The Devil You Know est encore un album très post-punk. «5 Farms» bénéficie d’un petit son bien serré. Mais très vite, tu t’aperçois que certains cuts laissent à désirer. «Hey Buddy» est mal chanté, par contre, elles ramènent du sucre dans «Step Back». Tu cèdes à leur charme, ça ne mange pas de pain. En fait, il y a deux chanteuses, la bonne et la mauvaise, la rauque et la candy. Elles sauvent l’album avec le joli post-punk hystérique de «Stasher», et voilà le travail.
Signé : Cazengler, Coat Coat Codec
Coathangers. Scramble. Suicide Squeeze 2009
Coathangers. Larceny & Old Lace. Suicide Squeeze 2011
Coathangers. Suck My Shirt. Suicide Squeeze 2014
Coathangers. Nosebleed Weekend. Suicide Squeeze 2016
Coathangers. The Devil You Know. Suicide Squeeze 2019
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Dans notre dernière livraison nous avons eu Jake Calypso en concert, cette fois-ci nous avons Hervé Loison – ne cherchez pas l’erreur, les activistes rock ont parfois plusieurs identités - avec les Hot Chickens. Les poulets torrides sont un groupe essentiel du rock’n’roll dont ils ont su par chez nous, en un quart de siècle, perpétuer et refonder la légende.
ROCK’N’ROLL VENDETTA
HOT CHICKENS
(AroundThe Shack Records / Mai 2025)
Beau titre pour un album rock, le rock’n’roll n’est-il pas une vendetta métaphysique menée contre le monde entier, l’attaque n’est-elle pas la meilleure des défenses, est-ce pour cela que nos trois rebelles se camouflent derrière leur tricot d’hiver à la mode dans les années 60 et le masque des anonymous, les nouvelles peintures de guerre modernes.
Hervé Loison : chant, basse harmonica / Christophe Gillet : guitares, chœurs / Thierry Sellier : batterie, chœurs.
See See Rider : existe-t-il un meilleur chemin pour pousser la porte du rock’n’roll qu’un vieux blues de Ma Rainey, j’entrevois des sourcils qui se froncent, ne serait-ce pas un peu trop moaning pour une intro, peut-être mais il en existe une autre version, parmi des centaines, explosive, celle des Animals, c’est vers celle-là que s’orientent nos trois pistoleros, oui mais faut avoir une sévère réserve de poudre pour s’y aventurer, autant monter l’Annapurna en pantoufles, ne sont pas des perdreaux de l’année, savent que le ridicule peut tuer, alors ils s’y livrent à fond, z’ont des arguments, la guitare de Christophe Gillet qui vous escalade à mains nues les précipices, les baguettes de Thierry Sellier vous entrechoquent les glaçons des parois les plus abruptes, quant à Loison, sa voix survole et se plie à toutes les dépressions exaltantes. Elle burdonne très fort. Magnifique reprise. Mister Jack : un original, yes but what is it, un truc inidentifiable, soyons honnête, un morceau de rock’n’roll vachement bien mis en place, qui swingue un max, qui sonne et qui résonne comme il faut, avec en plus un vocal magistral de Mister Loison, mais une fois que vous dit tout cela, c’est là où commence la difficulté, à la réflexion ne serait-ce pas un blues déguisé en rock’n’roll, à moins que ce ne soit un rock’n’roll qui se fasse passer pour un blues, vous savez ça chaloupe en rythme mais ça tinte bizarre, l’est vrai que les cachalots se cachent dans l’eau, mais là nous avons affaire à un drôle de mélange, la basse qui bosse de dromadaire, la guitare sans cafard jamais en retard et le Thierry pas du tout atterré qui vous envoie valser les moustiques qui voudraient se poser sur ses tambours de guerre. Until we die : ce troisième morceau est beaucoup plus franc du collier, sans tergiverser, un rock, un vrai, un authentique, ces trois zigotos finiront par crever s’ils mettent tant de cœur à l’ouvrage, sont partis pour ne jamais s’arrêter, mon passage préféré quand Loison minaude son vocal comme une princesse au petit pois, z’ont la frite et une pêche d’enfer pour le dessert, hélas vous n’aurez pas le temps d’apprécier le café, ils arrêtent les frais trop brutalement. Un bijou ciselé au marteau piqueur de précision. Mortel. In my way : tiens-tiens me suis-je dit après trois overdoses électrique, ils nous font le coup de la ballade à la Gene Vincent, quand Loison pépie du bec si doucement on lui donnerait la confession sans le bon Dieu, mais non dès le premier coup de guitare après l’intro, j’ai reconnu mon erreur et ma honte, non c’est pas Vincent, c’est Presley, j’aurais dû reconnaître c’est dans un de ses films que je préfère, vous y filent une dose d’amphétamine par rapport à l’original, Hervé ne renie pas ses préférences. Fait partie de cette génération que la mort du King a propulsé dans le rock’n’roll. Je ne laisse pas tomber : l’est vrai que la langue monosyllabique de l’anglais est beaucoup plus flexible que le français qui ne possède que très peu d’accents toniques, bref le rock français est souvent chanté en langue shakespearienne, Hervé casse la soupière des interdits, met les choses au poing, nos poules au pot nationales chanteront désormais en français, quand elles en auront envie, un rock échevelé, un peu dans le style Je suis juste un rock ’n’roller (Sais-tu ce que cela veut dire) des Variations, en plus il s’amuse d’écraser les mots en fin de couplets à la manière d’Eddy Mitchell. Une révolution qui fera jaser en douce France. Goodbye rockin’ Mama : pour ceux qui auraient eu envie de se suicider après la déclaration d’intention précédente, un truc en anglais un peu passe partout, avec un vocabulaire limité que tout le monde peut comprendre. Cadeau de consolation un solo de derrière les fagots de Christophe Gillet. Rock’n’roll vendetta : cette fois dans rock’n’roll dans le pur style Hot Chickens, sans surprise et terriblement efficace, Gillet démarre en trombe pour écraser le chat qui traverse la rue, et tout le groupe suit, une véritable boucherie, du sang partout sur le pavé glissant, aussi puissant qu’une nouvelle de Prosper Mérimée. J’écoute Eddy : quand on enfonce un clou, faut l’enfoncer jusqu’au bout. Oui les Hot Chickens qui ont rendu hommage à Little Richard, à Gene Vincent, au Rock’n’roll Trio, tressent une couronne de lauriers à Eddy Mitchell. Pas spécialement au rocker, plutôt au crooner, pas l’Eddy que je préfère, mais c’est bien qu’un gars comme Loison remette un peu les pendules du rock français à l’heure. Old black Joe : une bonne version, mais l'interprétation de Jerry Lou sur le même tempo avec en arrière-plan son piano dévastateur occulte toutes les autres que j’ai entendues. L’intro a capella, Loison nasal, est réussie mais la rythmique qui suit manque de légèreté. Ce dernier terme devrait être remplacée par tristesse, lassitude, fatigue, nostalgie… Hard workin’ man : un rock à cuisson lente ce qui n’empêche pas la mixture de monter à haute température, ce pauvre homme vous le laisseriez bosser toute la nuit rien que pour entendre la cadence du marteau de Thierry Sellier marquer le rythme orphique, tout est parfait dans ce titre, une intrication parfaite entre les chœurs et la guitare de Christophe Gillet, la voix de Loison mène la danse du sabbat. Made in France : le titre est en anglais mais les lyrics sont en français. L’on pourrait supposer que le morceau s’inscrit dans la thématique de l’album, mais il n’en n’est rien et il en est tout. L’album est dédié à la mémoire de DIDIER BOURLON qui fut le guitariste des Hot Chickens de 1999 à 2007. Ce sont d’ailleurs ses lyrics, sa voix et sa guitare que l’on écoute que les Hot ont prélevé dans le titre éponyme du dernier album de Didier Bourlon duquel nous avions chroniqué son passage au 3 B à Troyes. Les Hot ont simplement serti la voix et la guitare de Didier dans leur background. Ecoutez les paroles, c’est un rocker, c’est un être libre qui s’exprime. Respect. Blues letter : nous approchons de la fin, c’est donc le blues qui revient, l’était-là à votre naissance, sera encore là lorsque vous passerez sur l’autre rive, la seule berceuse qui vous éveille à la vie et vous endort à la mort. Les Chickens nous font un merveilleux cadeau d’adieu. A credit et en stéréo : le Loison, l’a de la suite dans les idées, termine l’album sur un morceau de Chuck Berry, officiellement oui, car dans la version (en français) qu’en a donné Eddy Mitchell dans son album Rockin’ in Nashville. Reprend l’ironique phrasé du grand Schmall mais y rajoute le violon d’Ayako Tanaka qui se marie à merveille avec la guitare de Christophe Gillet.
Un album décisif, dans la réhabilitation du french rock’n’roll.
Damie Chad.
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J’avons ramené du concert de Jake Calypso à Troyes le cd:
THE COMPLETE RECORDINGS
THE CORALS
(ATSR / CD 003)
Le premier groupe dans lequel officia Hervé Loison, au total 31 morceaux. Dans cette première kronic nous ne nous occuperons que des morceaux liés aux deux opus du groupe. Dans notre prochaine livraison nous nous pencherons sur les titres enregistrés pour un deuxième album qui fut jamais finalisé.
CRAZY GUITAR
THE CORALS
(Mac 121 / 1983)
Un groupe qui vient de loin. Z’ont trouvé le nom en 1975 dans un train Corail ! Moins original, ils viennent d’Annequin un patelin du nord de la France. Le nord – à cheval sur la France et la Belgique - a toujours, historiquement parlant, été une terre rock. Après quelques changements le groupe se stabilisera autour de :
Pierre Picque : lead guitar / Hervé Loison : bass guitar / Michel Francomme : rhythm guitar / Hubert Letombe : drums.
Naissance de nos héros dans un mouchoir de poche, 1964 – 1965, juste à la fin de la période d’éclosion du rock’n’roll français. Certes en 1980 le premier album des Stray Cats déboule en France (et ailleurs) mais eux semblent davantage branchés sur les groupes instrumentaux de par chez nous qui surgirent en 1962 et disparurent en 1965 que par la renaissance rockabilly initiée par nos trois américains. L’est sûr que l’on peut avec passion et patience s’escrimer sur un instrument, par contre l’on ne s’improvise pas chanteur du jour au lendemain… Et puis, raison nécessaire et suffisante Mac Bouvrie patron du label Mac Records recherche un groupe instrumental…
Crazy Guitar : certes ils sont au point, mais peu originaux comparés à leurs aînés (j’en écoute beaucoup ces temps-ci) des années soixante. Un gros défaut, le titre ne tient pas ses promesses, il manque la folie annoncée. Un point essentiel, c’est bien un groupe qui joue cohésif, et non pas trois guitares d’un côté et une batterie surnuméraire que l’on intègre tant bien que mal comme un invité surprise que l’on ne sait pas où placer autour de la table. Coral Rock : c’est d’ailleurs elle qui lance le morceau, les guitares lui emboîtent le pas et s’amusent illico à faire le grand écart autour de la piste, ça poinçonne de tous les côtés et surprise au milieu du morceau vous avez droit à une rafale force 10, elle se calme un peu trop vite, mais elle revient vous claquer la porte au nez sur le final. Perso je pense que cette face B aurait mérité de s’appeler Crazy Guitar !
Seront en cette séance du mois de juillet 82 mis en boite deux autres morceaux qui resteront inédits durant 38 ans :
Mac’s Boogie : un peu trop la même facture que Crazy Guitar, mais entre les deux prises ils ont dû avaler un steak de cheval de course, z’appuient à mort sur leurs instruments et ça s’entend. L’a sans doute été écarté car trop bref. Coral’s Jump : des quatre mousquetaires c’est lui qui mérite le nom de d’Artagnan, chacun à droit à son quart de minutes de célébrité, aucun ne se défile, ça file droit au but, sont au niveau de leurs glorieux aînés.
ROCK ! CORALS ROCK !
(MAC 009 / 1984)
Rollin’ Corals Reefs : prennent leur temps, intro battériale, un rythme de stroll et c’est parti, c’est du mignon au point d’Alençon, prenez-en une leçon, l’on secoue la salade doucement, guitare et batterie. Sans sucre ni sel ajouté. Fire for sale : de la guitare comme s’ill en pleuvait. Un peu acoustique, un peu électrique. L’ensemble sonne un peu country. Américain. Ce dernier mot est un compliment. Three steps to rock : le titre n’est pas sans évoquer le Three steps to heaven d’Eddie Cochran, fausse route le son est assez plaisant, rien de funéraire, dans cette trille maigrelette à l’entrée, pour la suite, ambiance sixties-surf, vacances assurées. L’on ne s’ennuie pas, le groupe vous mène par le bout du nez et vous tient par la barbichette. Southern memories : guitare sombre, changement d’ambiance, un peu de gravité, un soupçon de nostalgie, ces souvenirs se révèlent vite obsédants, ils tourneront longtemps dans votre tête. Devil Coral Blues : le blues s’en vient ronchonner à votre porte, l’heure est grave ? pourtant z’avez aussi une guitare qui ricane ironiquement, le matou bleu a beau faire le gros dos, c’est ce hennissement insidieux de petite souris moqueuse qui clôt le morceau. King of strings : ce coup-ci ils sortent le grand jeu, sont les rois de la gâchette, n’y a pas que les cordes, un orchestre western qui vous dessine une tragédie à OK Corals. Rock ! Corals Rock ! : batterie et basse échangent quelques gifles, ça ne peut pas faire du mal et comme survient une guitare qui jette du sel sur les égratignures, vous ne vous plaignez pas de la tonicité de cette morsure, enfin ces piaillements de garçons vachers pour vous avertir que notre groupe instrumental se lancerait bien dans les vocalises. Question d’envergure, il y a de la toile dans la voilure. Rattling boogie : quand ça ne shake pas, quand ça ne rolle pas ce n’est pas grave puisque c’est obligé que ça rattle un max, depuis quelques titres ils prennent de plus en plus d’assurance, de la vieille musique certes mais entre de jeunes doigts qui ne restent pas inactifs. Walking guitar : des walking deads, à pas feutrés, en chaussettes caoutchoutées, ils ne font pas peur, sont tout mignons, ils vous mèneront en enfer. Et vous penserez : c’est ici qu’on est le mieux. Spring time rock : rythmique printanière hors de sa tanière, se balade dans la nature que nous qualifierons d’américaine, au début ce sont des sentiers verdoyants mais bientôt c’est presque un entrecroisement d’autoroutes suburbaines. 47Annequion stomp : retour à la maison, une bonne galopade pour revenir chez soi, ils ont un truc à eux, une marque de fabrique, ça leur appartient, on les reconnaît, z’ont le son que les autres n’ont pas. Singulier ! Diamonds Reefs : le meilleur pour la fin, trafiquaient le corail des récifs, désormais ils vous vendent des diamants, bruts ou ciselés, n’y en a pas pour tout le monde, juste pour les plus riches. Parce que les rockers sont tous riches.
Ces Corals nous étonnent, vingt ans après, ils ne font pas dans la revoyure, ni dans la copiure. Ils ne cherchent pas, ils trouvent : d’abord jouer ensemble, ensuite rechercher la précision, enfin être eux-mêmes. A suivre.
Damie Chad.
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Si le hasard est improbable, son improbabilité n’est-elle pas probable ? Dans notre livraison 310 du 05 / 01 / 2017 je chroniquais Le Jeune lion dort avec ses dents (1974) de Michel Lancelot, à peine avais-je fini que dans une notule je rajoutais que je venais de trouver un deuxième ouvrage de Michel Lancelot intitulé : Je veux regarder Dieu en face : vie, mort et résurrection des hippies, (1968). Quel splendide hasard m’écriais-je ! Dans les longs jours qui suivirent j’eus le temps de le lire et d’ajouter cette chro à la suite de la précédente.
Michel Lancelot (1938- 1984) anima sur Europe 1, l’émission Campus elle commença, juste à temps, le 15 avril 1968 et se termina le 8 septembre 1972, jeunes gens et étudiants perdus dans leurs provinces se hâtèrent d’écouter, Lancelot parlait d’abondance de phénomènes dont les radios n’avaient pas l’habitude de nous entretenir, la contre-culture américaine, la beat generation, le shit, le LSD, les hippies, sans éluder le problème de la non-obéissance, de la révolte, de la violence, et de son corollaire : la non-violence, Lancelot n’était pas un émule de la Bande à Bonnot. Il fut cependant en cette époque un passeur essentiel. Certains soirs l’émission dépassait le million d’auditeurs…
Voici deux jours, feuilletant l’éphéméride des publications de votre site préféré je tombais par hasard en arrêt sur le nom de Lancelot et les titres de ces deux livres chroniqués, tiens me dis-je si mes souvenirs sont bons il y en avait un troisième. Au matin suivant, farfouillant dans une boite à livres je dénichais, quel hasard ce troisième volume ! Je me hâtais de le lire et de le chroniquer :
JULIEN DES FAUVES
MICHEL LANCELOT
(Albin Michel / 1979)
Si les deux précédents ouvrages relevaient de l’essai, du documentaire, du témoignage, rédigés au cœur de la tourmente tempétueuse qui agitait les esprits en ces années, celui-ci est très différent : un roman que l’on serait tenté de qualifier de politique et de science-fiction s’il n’était pas tout simplement étonnant. Pour ne pas dire déstabilisant.
Une nouvelle notule qui a son importance, ce roman n’est pas le troisième ouvrage de Michel Lancelot consacré à ces années tumultueuses. Entre les deux ouvrages susnommés est paru chez Albin Michel en 1971 : Campus : violence ou non-violence. Que je n’ai pas lu mais dont le titre à lui tout seul aide à comprendre la problématique qui structure Julien des Fauves.
Le roman débute après les évènements de mai 68. Dix ans, vingt ans, cinquante ans après ? Plus ? Moins ? Aucune précision ne permet de désigner une date précise. Ce que l’on comprend, c’est que le grand rêve hippie est terminé. Comme disait Nougaro, une fois la fête terminée ‘’ chacun est rentré dans son automobile’’.
La secousse a été terrible. L’establishment a été ébranlé en profondeur politique. Nous rappelons que le livre a été publié en 1979, ceci pour démonter la prescience de son auteur. La vieille social-démocratie a été renvoyée par les électeurs qui ont donné le pouvoir aux porteurs de l’idéologie économico-libérale. S’ouvre une période de pseudo-prospérité qui donne aux populations européennes l’illusion d’un progrès social, les élites ne sont pas convaincues que le calme durera toujours, petit à petit sous couvert de sécurité et de précautions à prendre pour préserver la liberté, s’instaure un ordre des plus coercitifs.
Hélas, Mai 68 va renaître de ses cendres. En quelques jours éclate le mouvement des Immatures. De jeunes adolescents, entre treize et dix-sept ans dont le but revendiqué est de détruire la société qu’ils rejettent. Fini les colliers de fleurs, ils sont armés, ils tirent sur tout ce qui s’oppose à leurs mouvements. Ils massacrent allègrement. Faudra l’armée pour les réduire et une longue traque des meneurs qui seront jugés et pendus. Sans pitié. Ces jeunes révoltés ne se revendiquent d’aucune idéologie, si ce n’est bizarrement des premiers chrétiens d’avant la constitution de l’Eglise. L’on se demande alors pourquoi, plus personne en Europe ne se revendique du catholicisme, et les religions sont passés de mode… Le nouveau président de la communauté européenne qui sera porté au pouvoir s’emparera de tous les rouages, il a l’art et la manière d’établir et de maintenir un ordre hégémonique mais nécessaire, au nom des plus beaux principes et des valeurs de haute culture qui ont permis à la civilisation européenne de dominer du monde… Polices serviles et services secrets ne reculent devant aucun crime : toute tête qui pense différemment est supprimée… Vous saupoudrez le tout d’un taux chômage élevé et tout citoyen sensé n’ose revendiquer une quelconque amélioration… Evidemment l’on désigne un ennemi. Ce seront les Arabes, n’auraient-ils pas les velléités d’augmenter le prix du pétrole. L’on fait semblant de négocier, l’on prépare une bonne guerre…
Lancelot n’a pas tout inventé, sans doute s’est-il inspiré pour la révolte des Immatures, du film If sorti en 1968, des Khmers rouges cambodgiens (1975) et sur le plan international du premier choc pétrolier de 1973 causé par les pays Arabes. Toutefois toute ressemblance avec notre actualité serait-elle due au hasard ?
A ce stade-là le roman se trouve dans l’impasse. Question espoir nous sommes en plein vide, dans le No Future des punks. Mais en pire, le mouvement hippie possédait une roue de secours : le christianisme, les hippies ne prônaient-ils pas l’amour universel ? En se réclamant du christianisme les Immatures ont brûlé les vaisseaux de secours de l’idéologie de la non-violence…
Ne vous inquiétez pas pour le roman. Le héros arrive. Oui, il s’appelle Julien, les lecteurs de Kr’tnt sont perspicaces. C’est surtout Michel Lancelot qui doit se dépatouiller de l’équation qu’il s’est imposée à lui-même. Celle de l’intellectuel qui comprend la nécessité d’un changement violent et qui n’a plus à sa portée théorique le cache-sexe de la non-violence pour se défiler.
Aujourd’hui Julien se servirait des réseaux sociaux pour toucher la population. Dans les années 70, le média de masse incontournable était la télévision. Julien, le parfait inconnu y accèdera. Grâce à un ami journaliste. Avec la permission, il ne le sait pas, du président dictatorial. Il prononce un discours. Un appel à chacun. Il n’énonce aucune grande vérité. Que chacun refuse de coopérer avec le Système en place, et s’investisse de sa propre autorité pour ne plus obéir, pour agir selon ce qui lui semble juste. Un peu l’An O1 de Gébé, film de 1973.
Oui mais Julien a un truc en plus. Il n’est pas une figure charismatique. Une stature de géant mal-équarrie, un visage sans beauté, pour ne pas dire laid. Oui, mais il dégage. Quoi ? Une certaine force tranquille. D’où provient-elle ? Il n’en comprendra l’origine que trop tard. L’habite un trou perdu. L’a regroupé deux personnes autour de lui. Entre eux, aucune relation de maître à disciple, par hasard se joint à eux une des dernières immatures recherchée par la police. Après son passage à la télévision, du monde arrive, une dizaine, une centaine, mille, cinq mille… Les autorités s’inquiètent. On lui offre une participation à l’émission reine qui attire des millions de spectateurs. C’est un piège. Ses contradicteurs, jouant de son honnêteté intellectuelle, l’acculent non pas dans ses derniers retranchements, mais révèlent qu’il n’a rien de vraiment sensationnel à dire. Flop intégral. La dernière fois où l’on aperçoit il est totalement seul devant l’immeuble de la télévision…
Et ensuite ? Rien. Lancelot se fout un peu de nous, le méchant-président n’est pas si méchant que cela, il ne déclarera pas la guerre aux Arabes. Tout est bien qui finit aussi mal que l’intrigue avait commencé. Voilà, c’est tout. Circulez, il n’y a plus rien à voir. Si ! entre temps l’on a compris, Julien a pris conscience qu’il est capable d’entrer en contact avec les forces germinatives de la nature. Cette nouvelle intelligence le retranche de son premier message. Voilà, c’est tout. Vous êtes insatisfait. Vous venez de lire 498 pages, et vous vous retrouvez le bec dans l’eau. Vous vous dites que vous aimeriez savoir ce qu’il va faire de son étrange compréhension des forces de la nature. Lancelot, n’en a pas la moindre idée non plus. Comme le livre compte exactement cinq cents pages, ne lui en reste que deux pour apporter une solution.
Lancelot jette sa dernière carte. Ce n’est pas le valet de pique. C’est la dame de cœur. Pas de méprise, la demoiselle de cœur, la petite fille d’une des premières révolucides ainsi se nomment les cinq mille personnes qui se sont regroupées autour de lui. Une petite fille avec laquelle il a noué une étrange relation. Pas du tout pédophilique. Nous la retrouvons dans les deux dernières pages. Seule, au milieu du désert, elle gît sur la terre et elle attend. Peut-être est-elle morte, peut-être la mort et la vie ne sont-elles que des variations dues aux agencements de nos éléments constitutifs. Elle n’est plus une petite fille, elle est un mythe, elle est la Femme.
Michel Lancelot n’ajoute aucune explication. A chacun d’interpréter à sa guise. Veut-il nous dire avec Aragon que la Femme est l’avenir de l’Homme, perso je ne souscris guère à cette hypothèse. Je ne crois pas plus aux miracles du Christ qu’à ceux de Marie-Madeleine…
Si l’analyse de la contre-culture américaine initiée dans les deux premiers volumes doit se résoudre dans cette fable aux forts relents christianophiles… il me paraît inutile de s’appesantir davantage. Par contre la description des modalités du déploiement du pouvoir politique s’avère des plus fines. Prophétiques même, surtout si l’on pense au ralliement inconditionnel à l’idéologie libérale des élites politiques européennes au début des années quatre-vingts.
Damie Chad.
S’il fallait comparer Julien des fauves de Michel Lancelot avec un autre roman ce serait avec L’Evangile du Serpent de Pierre Bordage paru en 2001.
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Johnny Meeks, un des guitaristes mythiques des Blue Caps, parle. Il aurait tant à dire ! Pour ceux qui veulent en savoir davantage, je conseille de lire les pages que lui consacre Tony Marlow dans Rock’n’Roll Guitare Heros Hors-Série Trimestriel N° 37 d’avril 2017 de Jukebox Magazine. A la lecture de cet ouvrage indispensable vous comprendrez ainsi que Johnny Meeks ne se vante guère, qu’il occulte toute une partie de son travail auprès de Gene Vincent et reste très succinct quant à sa propre carrière…
Nous sommes plongés dans ce que nous pourrions appeler une Convention de Disques, nous supposons de rock’n’roll, davantage d’animation que dans les vidéos précédentes, peut-être pas l’endroit idéal pour la concentration qu’exigerait une interview de fond, mais lorsqu’un témoin de première importance prend la parole, il convient d’écouter avec attention. Johnny Meeks nous a quittés voici dix ans, le 30 juillet 2015.
The Gene Vincent Files #5: The Blue Caps guitarist Johnny Meeks in a rare interview.
Johnny est en train de signer sur une brochure intitulée JOHNNY un autographe à un admirateur et répond semble-t-il à une question que l’on n’entend pas : un jour j’ai adoré, c’était le rythme des ados, tu sais c’était la nouveauté et j’ai adoré, et c’est ce que j’ai commencé à jouer, avant ça je jouais des chansons de Hank Williams et puis
le beat a frappé le tube rock’n’roll et je suis rentré au rez-de-chaussée du Sullivan Show un de mes amis était à Washington DC, ainsi va la vie, il marchait dans la rue, il a vu Gene Vincent, il s’est approché de lui et lui a dit ‘’ N’es-tu pas Gene Vincent’’, il a répondu’’ Oui, je suis à la recherche d’un guitariste rythmique’’ et Paul Peek (il sera guitariste puis clapper boy chez les Blue Caps) a dit ‘’Eh bien je joue de la guitare rythmique’’ , Gene a répondu ‘’ Tu veux un travail de guitariste rythmique ?’’ et Paul l’a rejoint, pour moi ça a bien commencé environ deux jours plus tard. Gene a dit maintenant nous avons besoin d’un guitariste solo, et Paul a répondu : J’en connais un à Greenville en Caroline du Sud, il joue dans un groupe là-bas et ils sont venus de Portsmouth en Virginie à Greenville pour me voir, je jouais sans doute un vendredi soir dans un truc style lycée, ils sont venus me voir et m’ont embauché sur place, alors je suis retourné à Portsmouth en Virginie, nous avons répété un peu et nous sommes partis sur la route. A cette époque je jouais d’une guitare à trois manches, il n’y en avait qu’une de plus dans le monde entier et j’avais la deuxième guitare à
trois manches dans le monde et Bubba (surnom de Tommy Facenda lui aussi clapper boy) a raconté que c’est à cause de cette rareté que Gene m’a embauché et non pour mon jeu. Gene voulait cette guitare à trois manches dans son groupe, je l’ai finalement vendue à Gene et il m’a acheté une toute nouvelle Gretsch pour jouer et je lui ai vendu la guitare à trois manches donc il est devenu le seul propriétaire d’une guitare à trois manches donc c’est comme ça que selon Bubba je suis devenu l’un des Blue Caps. Gene était très généreux, il n’était pas une star du genre Primadonna, il était très terre à terre, mais il avait, j’avais l’impression qu’il était toujours mal, il avait eu un accident de moto et s’était cassé la jambe très gravement, elle n’a jamais guéri correctement, et j’ai l’impression qu’il avait mal, énormément, énormément, pour quelqu’un qui devait avoir mal 24 heures sur 24, j’ai l’impression qu’il s’est plutôt bien débrouillé. Oui, j’ai fait les premiers Blue Caps. Je comprends qu’ils
voulaient rester à la maison, ils avaient des femmes, des enfants, des boulots et ils n’aimaient pas la route. J’ai adoré parce que ça m’a fait sortir de Greenville, en Caroline du Sud, et nous allions partout dans le monde. Je veux dire, un petit gars en Caroline du Sud, un jour on est à New York, le lendemain à Chicago, le surlendemain à Dallas, le jour suivant dans le Dakota du Nord, c’était très excitant pour moi. Sûr je ne l’aurais échangé pour rien au monde. Mais Roy Orbison, Johnny Cash, Carl Perkins, Jerry Lee Lewis, tous les grands noms de l’époque, c’était en 57, vers Mars ou Avril, en 57, c’était une grande tournée en tête d’affiche, ils appelaient ça des packages shows, il y avait peut-être sept, huit ou dix artistes dans le même show.
Celui qui avait le plus gros succès à l’époque était la tête d’affiche du show. Vous savez, Gene avait à peu près le plus gros succès donc nous avons toujours clôturé le show. Gene et les Blue Caps. et il était difficile de passer après Jerry Lee. Ils lui ont fait ouvrir le spectacle et tous les autres médiocres le suivaient, ça n’a pas vraiment marché, après une semaine ils ont dû réorganiser le modèle et arriver à disons à Furland H ou Sonny James pour ouvrir le spectacle, vous savez et Jerry Lee a dû venir à peu près jusqu’à la fin parce qu’il était si dynamique, vous savez, et puis nous suivions Jerry Lee parce que nous étions un peu plus dynamiques que lui, mais Jerry Lee, peut, oh oui ! jamais, nulle part il ne sera un second couteau ! Il sait où se trouve sa place. Ainsi en Australie, nous avons joué là-bas pendant deux semaines avec Little Richard, inutile de dire qu’il a dû clôturer le spectacle, vous ne pouvez pas passer après Little Richard, ça s’appelait Send me some Lovin et ça a dû atteindre le numéro 10, ça n’a jamais été aussi gros que Be Bop A Lula, ça a atteint le numéro 10 et c’est comme ça, j’en suis fier et je signe mes autographes et tout ça, si c’est pour
une femme, je signe ‘’ beaucoup de semaines d’amour, Johnny’’ maintenant, je ne fais pas nécessairement cela pour les gars, vous savez, mais je suis fier de ça, beaucoup d’amour était le premier disque sur lequel j’ai joué et c’était un gros succès, et j’étais vraiment content de ça. Hollywood Capitol Tower, Hollywood, où je pense que Be Bop A Lula a été gravé, je suis presque sûr que ça a été gravé à Nashville, mais après ça tout a été enregistré à la Capitol Tower, Gene a eu un gros
succès grâce à une chanson intitulée Say Mama et j’en ai écrit la moitié moi et un gars nommé Country Earl, nous nous sommes réunis et avons écrit la chanson ensemble, je l’ai jouée pour Gene et nous l’avons enregistrée et elle se vend toujours à ce jour, c’était en 1958 et je reçois toujours dix ou quinze cents tous les six mois, vous savez donc c’est pour ça que je me dis que ça dure une seconde pour être… Quant à Be Bop A Lula c’est l’un de ses plus gros succès, environ quatre albums et peut-être environ 15 singles, je joue sur la plupart de ses morceaux après Be Bop A Lula. Ils ont gravé Be Bop A Lula puis je pense deux albums, un ou deux albums là-bas, dans une période d’environ cinq mois. Les deux premiers des albums et Be Bop A Lula était la première formation des Blue Caps, c’était Cliff Gallup qui jouait la guitare leader, après ça j’ai joué ( l’on voit Meeks accompagné d’une jeune fille marcher dans
les allées) sur presque toute cette période de Gene sur Capitol. Tout le groupe se séparait, tout le monde voulait rentrer à la maison, ce n’était plus tout à fait le même groupe, Dicky le batteur est revenu et est parti et est revenu et est reparti, Bubba et Paul ont fait la même chose, ils sont revenus pour le film, puis sont repartis, ce n’était pas le même groupe, le même lien, ils envoyaient quelqu’un d’autre et il restait un moment et il partait. Donc c’est devenu fatiguant que tout le monde veuille arrêter et rentrer à la maison, et bla-bla-bla, nous étions à Hollywood, il n’y avait aucun moyen que je quitte Hollywood pour retourner à Lauren en Caroline du Sud, donc je suis resté à Hollywood et on m’a proposé un travail avant le jour où nous allions nous séparer, nous enregistrions à Capitol et tout le monde allait finir ça, et rentrer à la maison, donc nous avons terminé l’enregistrement et je suis resté à Hollywood, je n’étais pas prêt de retourner à la maison. Vous savez donc j’ai juste
continué à partir de là j’avais un travail que j’ai joué, puis j’ai joué un autre boulot, j’ai joué un autre, joué un autre, puis un autre, j’ai rejoint les Champs, quitté les Champs, et suis allé quelque part, bla-bla-bla, ça dure depuis cinquante ans ce jeu et je n’ai pas encore eu à demander pour un boulot… Gene était programmé en Angleterre, Eddie était programmé en Angleterre, et Gene voulait que j’aille avec eux, sur cette tournée qui a tué Eddie, j’aurais pu être dans le même taxi avec lui, mais j’ai refusé, je n’y suis pas allé, alors Gene a demandé à Eddie de le soutenir sur scène, tu sais maintenant Eddie n’a pas fait tous les anciens morceaux et tout ce qu’on avait fait mais il jouait bien de la guitare, donc il soutenait bien Gene sur Be Bop A Lula et des trucs comme ca, moi j’étais avec les Champs à ce moment-là, des gars qui avaient créé Tequila, je jouais avec les Champs, on était dans un bus, en direction de Cleveland je crois, et ils m’ont réveillé pour me dire que Gene Vincent et Eddie Cochran venaient d’avoir un accident de voiture en Angleterre, ils avaient entendu la nouvelle à la radio. Ils m’ont réveillé pour me dire de me réveiller, pour me dire sur Gene Vincent et qu’ Eddie Cochran vient d’être tué dans un accident de voiture en Angleterre. Je me suis dit, oh mon Dieu c’est la même tournée que j’aurais pu faire. Lorsqu’il était à Los Angeles, il a essayé de m’embaucher ou de partir en tournée avec lui, ou quelque chose comme ça. Et je… il n’y était pour rien. je ne voulais tout simplement pas le faire. Je faisais, d’autres choses vous savez et ça n’aurait pas été pareil en aucun cas sans les autres Blue Caps, Vous savez comme je l’ai dit, nous avions un lien particulier qui n’a jamais pu être brisé… L’incrédulité, vous savez quoi ? Gene est mort et j’ai dû entrer dans les détails. Il était revenu d’Angleterre.
L’ironie de la chose c’est que j’étais à environ deux ou trois miles. Il était à environ deux ou trois miles de moi, quand il s’est effondré. Je jouais dans une boîte de nuit et il vivait environ à trois ou quatre miles de là. Je jouais dans cette boîte de nuit et il était environ à quatre miles de là mourant d’un ulcère hémorragique. Il ne savait pas que j’étais là et je ne savais pas. Il était là, on était proche pour ainsi dire jusqu’à la toute fin, dans le sens où c’est arrivé en Californie et c’était le lendemain ou quelque chose comme ça avant que ça ne sorte dans le journal, avant que je ne le sache, je ne le savais pas et c’est sorti dans le journal et je dis qu’à ses funérailles j’étais un Paul Bearer (porteur de cercueil), et c’était triste, très triste, Gene. J’ai vu beaucoup de documentaires et toutes ces choses sur le rock and roll, et ils ne mentionnent que très rarement, voire jamais, Gene. Gene était une grande star à cette époque et ils ne le mentionnent presque jamais, il n’est presque pas reconnu comme je l‘ai dit, et les Blue Caps sont très populaires en Angleterre, mais aux Etats Unis, ici il est très difficile de trouver quoi que ce soit sur Gene Vincent et les Blue Caps, ils mentionnent Jerry Lee, Elvis, Sam Cooke, Jackie Wilson, et Little Richard et jamais Gene, et nous étions tous là, dans le même sac, et j’ai joué comme je l’ai dit dans une centaine de groupes et aucun d’entre eux n’a été aussi proche pour moi. J’ai encore des souvenirs des Blue Caps ce ne sera jamais pareil, ça ne sortira jamais de ma tête, et je n’ai pas forcément un tel lien avec d’autres groupes, tu sais les Blue Caps étaient uniques en leur genre,
Say Mama, can I go out tonight?
Say Mama, will it be alright?
They got a rockin' party goin' down the street
Say Mama, can't you hear that beat?
Dis-moi, maman, je peux sortir ce soir ? Dis-moi, maman, est-ce que ça va aller ? Il y a une super fête dans la rue. Dis-moi, maman, tu n'entends pas ce rythme ?
Damie Chad.
Notes :
Sonny James (1928 – 1983), chanteur de country dont le titre de gloire reste Young Love paru en 1957.
Ferland H : vraisemblablement Ferlin Huskin (1925-2011) en contrat avec Capitol Records, son simple Gone paru en 1957 fut classé quatrième au Billboard Top 100.
Toutes ces vidéos consacrées à Gene Vincent sont à voir sur la chaîne FB : VanShots - Rocknroll Videos.