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  • CHRONIQUES DE POURPRE 703 : KR'TNT ! 703 : BARON FOUR / GRAHAM DEE / ROBERT PALMER / STEADYBOY RECORDS / EDDY GILES / EDDIE GAZEL AND THE FAMILY ECHOES / ROBERT PLANT / KRAMPOT / JEAN MICHELIN / GENE VINCENT+ CHAS HODGES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 703

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    25 / 09 / 2025

     

     

    BARON FOUR / GRAHAM DEE / ROBERT PALMER

    STEADYBOY RECORDS / EDDY GILES

    EDDIE GAZEL AND THE FAMILY ECHOES

    ROBERT PLANT / KRAMPOT / JEAN MICHELIN 

        GENE VINCENT +  CHAS HODGES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 703

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    L’avenir du rock

    - Red Barons

             Comme il se sent d’humeur badine, l’avenir du rock soumet une devinette à ses amis Boule et Bill. C’est l’heure de l’apéro et tous les coups sont permis :

             — Si vous trouvez la réponse, je paye la tournée. Si vous ne la trouvez pas, vous payez la tournée. D’accord ?

             Boule et Bill jettent sur l’avenir du rock un regard éminemment suspicieux.

             — Bon d’accord...

             — Qu’est-ce qui est noble et qui est quatre ? C’est enfantin...

             L’avenir du rock voit les trognes de Boule et Bill se rembrunir, leurs sourcils se froncer, on entendrait presque leurs méninges grincer, le spectacle qu’ils offrent est atroce.

             — Comment k’ta dit, nob’ et quoi ?

             — Qu’est-ce qui est noble et qui est quatre ?

             Les deux trognes se rembrunissent de plus belle et de grosses veines bleues affleurent sur leurs tempes. Jamais ils n’ont autant réfléchi de leur vie. Boule se jette à l’eau :

             — Les frères Dalton ?

             — Sont pas vraiment nobles...

             Bill vole au secours de Boule :

             — Les quat’ mousquetaires !

             — Tu brûles, Bill...

             Boule saute en l’air :

             — Les sept mercenaires !

             — T’en as trois en trop, Boule...

             — Les quat’ quat’ !

             — Les go quat’ go !

             — Les quat’ vérités !

             Fatigué par leur connerie, l’avenir du rock leur donne un indice :

             — C’est un groupe de rock...

             — Ah fallait l’dire plus tôt ! Les Quat’ Onoma !

             — Les Stray Quat’ !

             — Les Quat’ Stevens ?

             — Bon on arrête. C’était pourtant pas compliqué : Baron Four. Sont nobles et sont quatre.

             — Putain quelle arnaque ! Tu nous as encore bien roulé la gueule, avenir du froc !

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             Contrairement à ce qu’indique le titre, les Baron Four ne sont pas Red, ils sont quatre. Mais ils arrivent en piqué sur le Pig. C’est leur côté Red, tacatatacatac, ils mitraillent sec. C’est même pire que ça. Ils chauffent leur Merseybeat à blanc. Pour

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    des Red, c’est pas mal. No mercy for the Mersey ! Nobody beats les Barons à la course. T’es beaté au Beatwave. Tu ne peux pas rêver meilleure prévalence de la cohérence. T’es dans la quadrature du cercle. T’as dans les pattes la clavicule de Salomon. Tu touches la vérité du doigt. Tu veux du rock anglais ? Cours voir les Baron Four. Ou plutôt les Fab (Baron) Four. Car là t’as tout : le freakbeat, le bulldobeat, l’extrabeat, l’ultrabeat, le beat à l’air, les chœurs d’arrache, les claqués de clairette, les foldingueries, le no way back dont t’as toujours rêvé, l’énergie brute, les références, les racines, l’horizon, l’ambiance, t’es chez Ali Babeat, ça dégouline d’or du Rhin, ça ruisselle de son, ça secoue les colonnes du temple, ça joue simple mais in the face, ils te calent même un gros clin d’œil à Bo en plein cœur de set («I Can Tell»), un autre clin d’œil encore plus appuyé au Stones de December’s Children («She Said Yeah»), et t’as tout le reste du saint-frusquin, une véritable aubaine

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    d’inespérette, t’as l’impression qu’il pleut des hits tellement leurs cuts sont frais comme des gardons, tellement ça grouille de vie, tellement ces mecs ne friment pas, tellement ils incarnent le pur spirit du British Beat, l’originel, l’intouchable, le pur parmi les purs, et une fois du plus, tu vois le gouffre qui sépare les groupes anglais des groupes français, t’as une élégance, une aisance, une prestance naturelle qui n’existe pas ailleurs qu’en Angleterre, ne serait-ce que dans la diction, mais t’as tout le reste, les 5 mn pour se brancher, pas de connard qui accorde les grattes pendant une plombe, t’as tout de suite le tac tac de départ et bam !, ça part sur «Trying», le cut d’ouverture de balda d’Outlying, leur dernier album en date. Tu prends ça en pleine poire. Le petit mec à la basse et au chant s’appelle Mike Whittaker et vient des Vicars, qui, t’en souvient-il, sonnaient comme les Buzzcocks. Il est encadré par deux fiévreux guitar slingers, CK Smith et Joe Eakins. Eakins paraît encore très jeune, il est sapé freakbeat anglais et gratte sa Tele. Par contre CK Smith porte une

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    casquette de chantier, une veste et des lunettes à grosses montures, et c’est un real wild cat, il gratte ses plans à l’ancienne, le manche en l’air. Et derrière, t’as la réincarnation de Keith Moon, l’invulnérable Mole. Quand t’as un batteur comme

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    Mole derrière, tu ne crains plus ni le diable ni la mort. Mole pétarade en permanence. On l’avait vu à l’œuvre dans Galileo 7. Avec l’âge, ça ne s’arrange pas. Un jour, il finira par exploser sur scène, splassshhhh !, et chacun voudra récupérer un bout de chair ou un os pour en faire une relique, car Mole est le saint homme du rock anglais. Il partage son génie avec des tas de copains. Tous ses groupes sont des groupes devenus mythiques grâce à lui, à commencer par les Baron Four, les Embrooks, Galileo 7, les Mystreated, The Higher State et tous les autres. 

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             Silvaticus va tout seul sur l’île déserte. C’est quasiment un album de proto-punk. Tout est wild as fuck sur cet album, dès «It’s Alright» et sa belle énergie d’early British beat. Mole te bat ça à la vie à la mort, t’as toute l’énergie des early

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    Stones et des Pretties. Complètement foutraque ! Ils tapent dans Bo avec une cover protozozo d’«I Can Tell» Awite ! Ils sont furax ! Encore du foutraque pur avec «Certain Type Of Girl», ils te propulsent leur Certain Type au firmament de l’underground, le wouahhhh est digne de ceux que pousse Wild Billy Childish avec CTMF. Encore du wild attack avec «I Gotta Know». Les Barons sont les rois du wild attack, Mike Whittaker est un vrai protozozo. Ils attaquent leur B au «I Know» avec un kilo de killer incendiaire. Le foutraque règne en maître chez les rois du wild attack. Et pouf, voilà une fantastique dégelée de jingle jangle avec «I Don’t Mind». Tu crois rêver. Mon manège à moi, c’est toi Baron ! Mole bat «Walking Out» comme plâtre. Ça tape encore en plein dans l’œil du colimateur, woouuuahhh et un kilo de killer. Leur cover de «Wild Angel» explose de protozozotisme, ça gratte à deux grattes.

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             C’est Lois Tozer, la Moonette des Embrooks, qui te vend l’Outlying. Ça grouille de vie là-dessus, mais pas autant que sur scène, ce qui semble logique. Mole is on fire dès «Trying». Le son est plus clean que sur scène, mais t’assistes à de belles flambées de violence pop. Certains cuts sont traversés par des éclairs de beauté purpurine («Is This Real»). Tu vas de cut en cut, le nez au vent, au fil de cette petite pop anglaise qui a chaud au cul. T’as pas d’hit mais t’as le beurre et l’argent du beurre de Mole. Tu retrouves le fantastique «That Beat When You Walk» tapé dans le premier quart de set, un cut assez déterminé à vaincre et boum !, tu tombes aussitôt après sur le real deal du rock psyché, «Hypnotized». Pourquoi real deal ? Parce que digne du 13th Floor. Pur genius pop ! La B n’est pas en reste, t’as un «Never Feeling Blue» sacrément secoué du cocotier, ils te swinguent carrément les entrailles du psyché, et Joe Eakins claque sa belle clairette de Tele. Un dernier coup de génie pour la route avec «You Need Me», freakbeat de haut rang, ils te claquent de la niaque à la volée. Baron Four, amigo ! S’ils passent dans ton coin, arrange-toi pour pas les rater.

    Signé : Cazengler, Baron comme une queue de pelle

    The Baron Four. Beatwave 9. The Pig. Hastings (UK). 19 juillet 2025

    The Baron Four. Silvaticus. Get Hip Recordings 2017

    The Baron Four. Outlying. Soundflat Records 2024

     

     

    In Mod We Trust

     - Dee donc Graham !

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             Sur la pochette intérieure de Carnaby Street Soul West Coast Vibes, Richard Searle nous raconte l’histoire détaillée de Graham Dee qui est bien sûr inconnu du grand public. Par contre, Eddie Piller et Acid Jazz le connaissent bien, et l’aiment assez pour proposer deux compilations, la pré-citée et The Graham Dee Connection. On en reparle un peu plus loin. Dee nous dit Searle est né pendant la guerre, à Whitechapel, East London, sous les bombes allemandes, et comme bon nombre de kids de sa génération, il a vite décidé qu’il serait musicien. Il commence par le commencement, une petite guitare et des airs de skiffle, un dad compatissant et des concerts au pub. Il joue dans des embryons de groupes embryonnaires dont Searle s’amuse à citer les noms, histoire de nous faire bâiller aux corneilles, puis arrivent les premiers contacts intéressants, notamment Steve Marriott & The Moments. Dee nous dit Seale est session-man sur «What’cha Gonna Do About It». Puis il se met à composer, monte les Storytellers, et pouf, c’est parti. Il propose ses compos aux Fleur de Lys et à Sharon Tandy. C’est Frank Fenter, le mari/impressario de Sharon Tandy qui dirige l’antenne européenne d’Atlantic. Fenter propose à Dee un job d’A&R chez Atlantic. En 1968, Dee signe des groupes et les produit. En studio, il fait jouer toutes les pointures de l’époque, Big Jim Sullivan, Little Jimmy Page, Andy White, John Paul Jones. Dee frôle la gloire avec le «Two Can Make It Together» de Tony & Tandy. Il fréquente tout le gratin dauphinois en devenir : David Bowie, Elkie Brooks, Mike Berry, il joue aussi pas mal sur scène, accompagnant les Walker Brothers, Carl Perkins, les Drifters et allant même jusqu’à remplacer le Syd Barrett absent du Floyd.

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             À la fin des sixties, Dee nous dit Searle devient bizarre. Il joue avec un flingue dans le studio et tire des balles à blanc. L’ingé-son lui demande d’arrêter, car ça abîme les micros. Alors il achète un arc et tire des flèches dans les meubles, mais l’arc est trop puissant. Il perce un radiateur et tout le monde à la trouille. En 1971, Dee nous dit Searle émigre au Wyoming pour s’amuser avec son nouveau Colt. Il zigzague un peu à travers les USA et débarque à Macon, Georgie, où est installé Frank Fenton. Il grenouille un moment avec les Allman Brothers Band. Roger Hawkins lui suggère de traverser la frontière de l’état pour descendre à Muscle Shoals, ce que fait Dee puis il compose pour Prince Phillip Mitchell. Il reprend ensuite la route vers l’Ouest, se bagarre avec des Navajos et finit par perdre son passeport et sa guitare. Il rentre à Londres composer «Sea Music» avec Gerry Shury puis il repart au Japon et aux Philippines. Il revient à Londres enregistrer «Sampaguita» et repart aussi sec à Los Angeles. Dee a la bougeotte. Il ne fait rien pendant les années 80, mais dans les années 90, il retourne au Japon apprendre l’art du sabre japonais. C’est Acid Jazz qui commence à déterrer ses légendaires productions via la série Rare Mod. «This album, nous dit Searle, is our tribute to an eccentric, a charmer, an unsung sixties hero... who still has soul.» Dee nous dit Searle est maintenant un vieux crabe entré dans ses seventies. Il rejoue sur scène avec les Fleur de Lys & Sharon Tandy, et compose à nouveau.

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             Pour savourer le génie de Graham Dee, il est fortement recommandé d’aller fourrer son nez dans les deux compiles pré-citées : Carnaby Street Soul West Coast Vibes et The Graham Dee Connection. C’est du pur jus d’Acid Jazz. Graham Dee a produit pas mal de groupes et c’est une véritable caverne d’Ali Baba qu’Acid Jazz met à notre portée. Le point fort de Carnaby Street Soul West Coast Vibes est l’«It’s A Hard Way But It’s My Way» de Razor, un fabuleux shoot de Dee-gaga. «Sampaguita» sonne comme de la petite exotica de London town. L’«A Love I Believe In» de Maxine est bizarrement co-écrit avec Donnie Elbert. C’est tout de même incroyable de croiser ici le nom de Donnie Elbert ! Graham Dee produit aussi Mike Berry. Quant à sa «Carrie», elle est tellement bourrée d’harmonies vocales qu’elle ne peut que plaire à Eddie Piller. En fait, les cuts de la compile reflètent surtout la grande habileté sélective d’Acid Jazz. Le «Tomorrow’s Children» de Tony Rivers est quasi californien. Voilà donc la magie du grand Dee : recréer les harmonies vocales de la légende dorée.

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             Mais c’est surtout avec The Graham Dee Connection qu’on tombe de sa chaise, et ce dès l’effarant «Two Can Make It Together» de Tony & Tandy, c’est-à-dire Dave Anthony & Sharon Tandy. Pur génie productiviste. Vraiment digne des géants de la prod américaine, ça explose en mode duo dévastateur avec des orchestrations ultra dynamiques signées Gerry Shury. Impossible d’espérer mieux. Compo + duo d’enfer + prod + swingin’ London, c’est l’équation magique de Graham Dee. On retrouve en B le Gerry Shury Orchestra pour cet instro vertigineux qu’est «Sea Music». On retrouve aussi Sharon Tandy avec les Fleur de Lys sur «Love Them All». C’est l’une des meilleures conjonctions de London Town : Sharon la douce + les Wild Fleur de Lys. Autre bombe : Lenny White et «Friday Night», pur jus de r’n’b de Mod club scene. On vendrait encore son père et sa mère pour Tony Rivers & The Castaways et la sunshine pop d’«Out Of This World». On reste au niveau supérieur de la Mod club scene avec Maxine et son «Who Belongs To You». Dennis Lotis est plus américain avec son «Celebration», c’est très pro, extraordinairement orchestré, une aubaine pour des oreilles qui n’en demandaient pas tant.

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             Graham Dee a enregistré trois albums solo. Le premier date de 1977, sort sur Pye et s’appelle Make The Most Of Every Moment. On y trouve deux Beautiful Songs : «If You Feel The Way That I Do» et «Slow Down». Dee en devient quasi-américain. On croirait entendre Jimmy Webb. «Slow Down» marque un fantastique retour aux sources chaudes du Beautiful Songwriting. Alors que d’autres adorent se lover dans le giron de la Gironde, l’ami Dee préfère se lover dans le giron d’une chanson douce et belle. Sur le reste de l’album il fait de la Dee pop, bien groovy, jamais éloignée de l’exotica urbaine de Steely Dan. C’est encore dans le Brazil qu’il excelle, comme le montre «Too Good To Last», pur jus d’Acid Jazz. Graham Dee convoite un univers, comme le montre encore «Stepping Out In Style», plus rétro. Il semble conduire le convoi dans les dunes du temps passé. Puis avec «We Spoke Of Love», il entre en résonance avec la persistance persique.

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             Sur la pochette de Something Else, l’ami Dee pilote une voiture de course. Sorti sur Pye, l’album date de 1978. Dès les premiers cuts, il nous plonge dans son pré carré, qui est le groove, mais un groove très soft, très beau, très dirigé, une Soul de rêve, mais blanche. Il en pince aussi pour l’exotica, comme on le voit avec «Love Where Are You Now». Il flirte avec les îles, c’est le son qui l’attire et il rehausse tout ça d’un beau solo de sax. Le hit de l’album s’appelle «As Long As I’m Close To You», il t’emmène dans son monde, un monde de groove de close to you, le groove des jours heureux, avec à la clé un solo jazz de sax. Tout aussi fantastiquement amené, voici «Couldn’t Believe My Eyes», une Soul de pop qui n’en croit pas ses yeux. L’ami Dee fait encore son petit numéro avec «Starlight Starlight», on perd le Mod mais on gagne du groove. Son «Another Night Alone» est très adulte. On sent qu’il est barré dans son trip, comme le montre encore le morceau titre de fin de parcours, c’est très loin de tout, sa pop de Soul redouble de finesse avec l’arrivée du timpani, il fait de l’Acid Jazz, c’est du groove de racines vivantes.

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             Et puis voilà cet énorme album qu’est The Thirteenth Man. Retour à l’exotica avec «Duckin ‘N’ Divin». L’ami Dee adore les tropiques, les maracas et Coconut Beach. Son exotica reste over the tip top - Never give up and I’ll never go down - On se sent bien en compagnie de l’ami Dee et de son exotica de never go down. Sur les autres cuts, il navigue en eaux claires, à la façon de Steely Dan, avec une voix très anglaise. Dee dit bien les choses et il a des chœurs de rêve. «Distracted» est un fabuleux shoot de slow groove à la Dee, ça dérive au long cours, de manière élégante, ça va de soi, l’ami Dee cherche en permanence un passage vers le paradis, distracted by your love. S’il fait du glam avec «Dark Night», c’est juste pour frapper les imaginations. Cette fois, il va chercher une diction et un groove de basse américains. L’ami Dee est un finaliste, il va toujours au bout des choses. Son «Cheatin’ On Love» est en fait du cheatin’ on me, du pur jus de satin jaune. Il redevient le temps d’un cut le roi du groove, il tape là une Philly Soul à la voix éreintée, son groove sort de la cuisse d’on ne sait qui, pas de Jupiter, mais d’un autre. L’ami Dee dégouline de ce talent rare en Angleterre qui est celui de la Soul blanche inspirée de Gamble & Huff. Retour à l’exotica de brazil avec «Notice Me Notice You». C’est son dada, il groove à l’excellence patentée, à l’esprit de rêve humide - I know it’s you/ You know it’s me - Toujours la même histoire. Il termine ce beau voyage avec «(All I Wanna Say Is) What About Me», encore un extrait de fine fleur du groove, il navigue pour toi, alors laisse-le faire. Il est blanc, mais il groove comme le plus beau des blacks, il y a du Leroy Hutson en lui.

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             En 2025, Eddie Piller sort un nouveau Graham Dee, Mr Super Cool, et signe les liners, au dos - Graham Dee had something of a charming life - Eddie rappelle que Graham Dee grattait ses poux derrière les early Small Faces, puis il fut repéré par Frank Fenter, l’A&R Atlantic pour l’Angleterre, qui le fit bosser pour Sharon Tandy, les Fleur De Lys et Mike Berry - He developped a unique ‘British Soul’ sound - En 1971, il s’installe brièvement aux États-Unis et bosse avec Prince Philip Mitchell. Et voilà que, comme dit Eddie, the story got weird : en 2019, Graham Dee entre en contact avec Eddie pour lui proposer l’acetate d’un album qui n’est jamais sorti. Eddie dit à Dee qu’on ne peut rien en faire : trop abîmé - And this is where it gets really weird - Coup de pot, un mec retrouve les master tapes dans la maison abandonnée d’un certain Gerry Shury, disparu en 1978, qui fut arrangeur et compositeur. La maison était complètement vide, il ne restait que 15 master tapes dans une back bedroom. L’agent immobilier qui les trouve les propose à un record dealer qui fait des recherches et ses recherches le conduisent à Eddie - Would I be interested in some of Graham’s tapes? - Well I was. Forcément, Eddie voit Mr Super Cool comme le Graal. C’est un album de groove urbain, le morceau titre est assez imparable, Dee sonne comme un dandy super cool. Et t’as un beau final cuivré de frais. Puis ça vire petite pop, bien fraîche et bien née, accueillie à bras ouverts. On pourrait presque la qualifier de coup de Syd au pays des merveilles. C’est une pop qui va bien, qui est en bonne santé, mais ce n’est pas l’album du siècle. En B, il revient au groove urbain avec «Answer Man». Ça lui va comme un gant. Il a en plus les violons de Marvin. Graham Dee s’amuse bien, il en a les moyens. Il regagne la sortie avec l’heavy funk de «So Much I Want You». Fantastique allure ! 

    Signé : Cazengler, Graham Dit tout

    Graham Dee. Make The Most Of Every Moment. Pye Records 1977 

    Graham Dee. Something Else. Pye Records 1978

    Graham Dee. The Thirteenth Man. Tin-kan Records 2014

    Graham Dee. Carnaby Street Soul West Coast Vibes. Acid Jazz 2020

    Graham Dee. Mr Super Cool. Acid Jazz 2025

    The Graham Dee Connection. Acid Jazz 2011

     

     

    Wizards & True Stars

    - Palmer qu’on voit danser le long des golfes clairs

    (Part Two)

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             En 1995, c’est-à-dire au siècle dernier, Robert Palmer publiait l’un des grands classiques de la rock culture : Rock & Roll: An Unruly History. Voilà encore un ouvrage qu’il faut bien qualifier de fondamental. C’est l’œil américain qui parle. Palmer a vécu l’émergence de la rock culture de l’intérieur, c’est-à-dire de l’Arkansas où il a grandi, et ça donne l’un des meilleurs panoramas jamais imaginés. C’est sans doute parce qu’il est fan de blues et de jazz qu’il rend hommage aux vrais pionniers de la rock culture : Bo Diddley, Sam Phillips, Alan Freed, le Velvet, Little Richard, et il rétablit des vérités élémentaires en consacrant des pages hallucinantes de vénération véracitaire à Pat Hare, Guitar Slim, Gatemouth Brown, Ike Turner, Lowman Pauling (Five Royales) et Tarheel Slim. Il consacre aussi un chapitre explosif aux funksters : James Brown, Bootsy Collins, George Clinton, puis il revient aux blancs en passant par le Cleveland des early seventies (Ubu, Peter Laughner), le rockab et les Dolls. Ça s’appelle trier sur le volet.

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             On savait Palmer exigeant. S’il consacre un ouvrage au blues, il ne citera pas B.B. King ni aucun bluesman de Chicago, il va leur préférer Junior Kimbrough et T Model Ford. Les ruraux. Cette histoire du rock est donc l’une de celles qu’il faut lire, car on y croise tous les gens qu’on aime bien, ceux déjà cités et beaucoup d’autres.

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             Le book tient bien en main, c’est un grand format quasi-carré, imprimé sur un solide satimat, allez on va dire un 170 g, richement illustré, et soigné quant aux choix typo (Minion pour le corps de texte, Franklin Gothic pour la titraille). Quant à la mise en page, quelle embellie ! Le designer n’a pas lésiné sur le barouf graphique des têtes de chapitre et sur ces larges colonnes de blanc qui aèrent si bien la lecture. C’est un livre d’art majeur. Au propre comme au figuré.

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             Petite cerise sur le gâtö : Palmer écrit remarquablement bien, mais ça, on le savait déjà depuis Deep Blues et Blues & Chaos: The Music Writing Of Robert Palmer, deux ouvrages essentiels épluchés dans des Parts précédents. Palmer injecte du swing dans sa prose. Quand il veut définir la pop et le rock’n’roll, il commence par rappeler que la pop music est la musique qui devient populaire. Mais le rock’n’roll va plus loin - rock and roll is not what’s just popular, nor it is the sum of its own tradition - Il précise sa pensée, le rock and roll nous dit «something fundamental about the music it describes: The music wants to rock you.» Il va développer cette idée sur 300 pages d’une densité effarante. Ça vaut vraiment la peine d’apprendre à lire l’anglais pour pouvoir se taper ce book. Si on raisonne à l’envers, on peut aussi dire qu’il vaut mieux écouter Bo Diddley en ayant lu Robert Palmer. On sait à l’écoute que Bo est un génie, mais Palmer décrit la nature de ce génie : «Bo Diddley a adapté les children’s game songs et l’oral street culture, comme par exemple l’échange rituel d’insultes connu sous le nom the dozens pour en faire un humorous wordplay et il créa un larger-than-life personna. La plupart des albums de Bo Diddley, depuis Bo Diddley et I’m A Man (1955) jusqu’à Say Man et Who Do You Love chroniquent les aventures de Bo Diddley superhero. Jouant avec sa own seasoned rhythm section, il a ramené les traditional African-derived rhythms into rock and roll.» Palmer rend au passage un hommage au «deep-voiced sparring partner» et maracas player Jerome Green. Voilà comment Palmer résume en quelques phrases l’art d’un des géants de la rock culture. Il indique aussi qu’une des influences de Bo fut le «Boogie Chillen» de John Lee Hooker, «a hard-rocking stomp with a chant-like melody, no chord change, heavily amplified guitar and shoot-like percussion provided by Hooker’s stomping feet.» Encore une façon de définir le rock.  

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             La grande force de Palmer est de s’intéresser à ceux qu’on appelle les unsung heroes du rock : Billy Lee Riley, Charlie Feathers, Mickey & Sylvia, Don & Dewey, Frankie Lymon & The Teenagers, les Collins Kids, et d’autres dont on a encore jamais entendu parler : the jiving Turbans, les El Dorados, les Moonglows and the rougher Cadillacs. Il reste encore des tas de pistes à creuser. Et Palmer n’en finit plus de rappeler à quel point le rock’n’roll était, à l’époque de son émergence dans la culture américaine, «a music with a future». Ce qu’elle est restée, comme nous le rappelle ici-même chaque semaine l’avenir du rock. La modernité est l’essence même du (bon) rock.

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             Palmer s’enivre de la multitude de belles voix qui ont enchanté les fifties et les early sixties : Sam Cooke, Jackie Wilson, Jesse Belvin, Marv Johnson, les Falcons ou encore Hank Ballard & The Midnighters, et dans la page d’en face, il tombe à genoux devant Totor - a Leiber & Stoller protégé - et ses works of art qu’il qualifiait lui-même de «little symphonies for the kids». Et paf, il cite les Ronettes, les Crystals, Darlene Love, the Righteous Brothers et Bob B. Soxx & the Blue Jeans. Totor choisissait des black singers with gospel roots. Brian Wilson est subjugué par ces «little symphonies for the kids» : non seulement il dit les entendre, mais il dit les envier. Et hop, Palmer bascule habilement dans la surf culture, d’abord avec Dick Dale - Dale’s guitar playing was fast, twangy and metallic, with long-lined Middle Eastern melodies slithering along atop shimmering Spanish-inflected chording, punctuated by slamming slides up the neck - Palmer peut rentrer dans la technique, car il est musicien de jazz et il sait de quoi il parle. Dans ses textes consacrés à Joujouka, il décrit bien les particularismes du rythme nord-africain, en établissant un lien avec l’Antiquité et la pratique des religions antiques. Les master musicians of Joujouka célèbrent encore aujourd’hui le culte du dieu Pan. Pas de dieu Pan en Californie, mais deux autres dieux plus récents : Dick Dale et Brian Wilson. Un Brian Wilson qui est tellement fasciné par Totor qu’il va utiliser les mêmes musiciens : le Wrecking Crew - Wilson creates ever-more-elaborate settings for his sagas of surf and sun. Like Spector, like Leiber & Stoller, he didn’t wrire songs, he wrote records

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             Palmer passe aussi sec à un autre géant : Uncle Sam. À l’époque de la guerre froide, Uncle Sam trouvait que le pouvoir américain traitait mal Fidel Castro. Alors un soir, il décide de l’appeler au téléphone et il tombe sur Raul, le frère de Fidel pour lui dire : «Raul, they just didn’t treat you folks right up there in New York. You tell Fidel the next time he comes to the United States, he can come to Memphis, Tennessee, and stay with Sam C. Phillips. And maybe we can straighten this thing out.» Fantastique Uncle Sam et surtout fantastique Palmer qui est allé chercher cette anecdote pour bien définir le degré d’indépendance d’esprit d’Uncle Sam. Il n’acceptait pas qu’on traite mal Fidel de la même façon qu’il n’acceptait pas qu’on traite mal les blackos, et c’est la raison pour laquelle il les accueillait dans son petit studio. Palmer veut dire que la modernité du rock passe aussi par l’indépendance d’esprit. Fuck it ! On fait comme il nous plait. C’est exactement ce qu’Uncle Sam a fait. À son idée. Sans lui, nous n’aurions pas tout ce que nous avons aujourd’hui. Wolf, Elvis et Ike Turner ne seraient jamais devenus des superstars. Uncle Sam : «We were all beginners, just beginners, and we were making history.» Il est persuadé que le rock a donné aux gosses une «individualité». Il est convaincu que le rock’n’roll a changé l’Amérique - which was for the better, I don’t give a damn what anydody says - Fuck le qu’en-dira-t-on ! Palmer rattrape la balle au bond : «Rock was our religion. But what kind of religion was it?»

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             Il répond aussi sec : «Les Grecs anciens ont inclus le dualisme philosophique dans leur hiérarchie de dieux et de mythes, identifiant deux courants de forces spirituelles qui incarnaient deux tendances de base dans la société et la culture : the ‘balanced, rational’ Apollo, et the ‘intoxicated, irrational’ Dionysus. Le culte de Dionysos fait partie des plus anciens, avec des racines dans l’encore plus ancien culte pré-aryen de Shiva. On a donné des surnoms à Shiva et Dionysos. Shiva was the Howler, the Noisy One, the Ithyphallic (god with a hard-on), or Skanda, literally ‘the jet of sperm’.» Sex & drugs & rock’n’roll. Tout devient clair. Il harangue encore son lecteur un peu plus loin : «As rockers, we are heirs to one of our civilisation’s richest, most time-honored spiritual traditions.» Il fait un saut de ligne pour ajouter ça qui sonne comme un dicton : «We must never forget our glorious Dionysian heritage.» La messe est dite. C’est un peu comme si tu choisissais entre Dieu et le diable. Le choix est vite fait. Et alors que tu navigues au gré de ces pages en frisant l’overdose intellectuelle, Palmer t’injecte une nouvelle dose de mythe pur, en citant Hakim Bey, «a self-described poetic terrorist» : «Au fil du temps, les concerts de rock allaient devenir ce qu’Hakim Bey appelle des ‘Temporary autonomous zones’. Une TAZ est une zone de liberté, une sorte d’anarchie fonctionnelle qui existe à l’intérieur d’une culture mainstream plus ou moins répressive. Une tournée rock is a portable TAZ, creating a temporary Dionysian community in a different location night after night.»

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             Palmer revient longuement sur la spécificité du studio Sun et notamment son plafond. Uncle Sam y avait installé des tuiles ondulées qui maximalisaient la qualité du son. Il avait aussi imaginé un système entièrement original de slap-back tape echo : le signal rentrait dans une tape machine puis dans une deuxième tape machine with an infinitesimal delay. Uncle Sam avait en plus l’oreille : il savait équilibrer les instruments et les voix, et faisait en sorte de donner à ses artistes «the influence... to be free in their expression.» Palmer parle ici d’un «customary live sound».

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             C’est aussi Uncle Sam qui découvre Willie Johnson, le wild guitariste de Wolf et ses «slashing rhythm licks and jazzy fill-in runs», qui bien avant tous les petits culs blancs, savait foutre son ampli à fond pour le faire craquer, «slamming out dense and distorded power chords.» Et Palmer exulte, il voit «Johnson’s slamming power chords crashing like thunder», et il cite Wolf qui, en pleine session chez Sun («House Rockers»), «catapulted Johnson into his guitar solo by hollering, ‘Play that guitar, Willie Johnson, till it smoke... blow your top, blow your top, blow your TOP!» (L’harangue rappelle celle de Captain Beefheart quand, dans «Big Eye Beans From Venus, il lance : «Mister Zoot Horn Rollo, hit that long lunar note and let it float»). Les Sun Sessions de Wolf font partie de ce qui s’est fait de mieux en matière de rock. Et quand Uncle Sam enregistre Wolf, il n’a pas encore de label, alors il cède ses enregistrements sous licence à Chess, et comme Leonard le Renard voit en Wolf un jackpot, il le barbote à Uncle Sam - For Phillips, losing Jackie Breston and Wolf to Chess, and Rosco Gordon and B.B. King to Modern/RPM, was devastating - C’est là qu’Uncle Sam décide de monter un label, alors qu’il ne roule pas sur l’or. Son premier label s’appelle Phillips Records, un seul single : «Boogie In The Park», «one of the loudest, most overdriven and distorded guitar stomp ever recorded», «by Memphis one-man-band Joe Hill Louis».  Et crack, deux autres cakes se pointent chez Uncle Sam : James Cotton et Junior Parker, qui vont enregistrer avec un guitariste black qu’Uncle Sam a repéré en 1952, alors qu’il jouait dans le Walter Bradford’s combo : Pat Hare. Pat Hare et Willie Johnson même combat - Johnson and Hare were originators of one of the most basic gambits in the rock and roll guitarist arsenal, the power chord - Il faut entendre Pat Hare gratter ses power chords sur le «Cotton Crop Blues» de James Cotton paru en 1954. Entre 1952 et 1954, Pat Hare est le power chord king chez Sun - Rarely has a grittier, nastier, more ferocious electric-guitar sound been captured on record, before or since -  On va retrouver Pat Hare avec Muddy Waters sur Muddy Waters Sings Big Bill et Muddy Waters At Newport. Tout cela relève du mythe pur. On retrouvera Pat Hare prochainement. Où ça ? Inside the goldmine.

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    Al Jackson

             Palmer est un cabri : il saute d’un pic à l’autre, de Sun à Motown. ll commence par saluer James Jamerson, «the most influential bassist of the sixties». Un Jamerson qui avoue des influences orientales - My feel was always an Eastern feel, a spiritual thing - Comme chez Stax et à Muscle Shoals, Berry Gordy a mis en place une «house rhythm section to build records from scratch.» Mais Steve Cropper estime que «Motown was white music», alors que Stax «was a form of community music that spoke for the black person. And it was a step above what people call the blues. It was slicker, but it wasn’t too slick.» John Fogerty qualifiait Booker T & The MGs de «world’s greatest rock and roll band». De son côté, Dylan qualifiait Smokey Robinson d’«America’s greatest poet». Et Palmer boucle ‘Respect’, le chapitre qu’il consacre à la Soul, en l’enterrant - The Soul era was over en 1975, le jour où Al Jackson s’est fait buter chez lui par un cambrioleur, et en 1979, quand Al Green s’est retiré du music biz pour chanter le gospel dans son église.

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             Palmer attaque aussi sec ‘A Rolling Stone’, un court chapitre consacré à Dylan. Pour nous mettre dans l’ambiance, il évoque la première rencontre des Beatles et de Dylan qui eut lieu dans un hôtel new-yorkais, le Delmonico, sur Park Avenue. La scène se passe en 1964 et c’est Al Aronowitz qui en donne tous les détails. Palmer cite Al car il fut à ses yeux «one of the first journalists to specialize in writing intelligently about popular music.» C’est aussi Aronowitz qui allait brancher Andy Warhol sur le Velvet, un peu plus tard. Donc Dylan et son road manager Victor déboulent dans la suite des Beatles au Delmonico. Ils sifflent des verres, Dylan demande du cheap wine, puis ils abordent la question des drogues. Dylan propose un joint de marijuana. Les Beatles ne connaissent pas. Dylan tend le joint à John qui répond que Ringo est son royal taste tester. Ringo fume le joint et il se met à rigoler. Alors tout le monde rigole - and that’s all it was, one big laugh - Paul fume et croit que c’est la première fois dans sa vie qu’il fait du real thinking. Aronowitz indique en outre que cette rencontre fut déterminante, «Bob went electric and the Beatles started to write much grittier lyrics.» Palmer a raison de dire que Dylan a cassé la baraque avec Bringing It All Back Home - His electric music was not guitar-band pop rock; it was wildly original, high-energy brand of electric blues, as gritty and unpolished as the rural folk music that had inspired his earlier acoustic work - Al Kooper rappelle de son côté que Dylan «was not a Gershwin» et qu’il était en fait très primitif. Durant l’enregistrement de «Like A Rolling Stone», Dylan a demandé à Tom Wilson de monter l’orgue de Kooper, «turn up the organ», et Tom Wilson lui a répondu : «Oh man, that guy’s not an organ player», and Dylan said : «I don’t care, turn the organ up.» Palmer n’en finit plus de se prosterner devant la triplette de Belleville, «Bringing It All Back Home, the luminous, from-the-hip Highway 61 Revisited (with Kooper and Bloomfield), and the epic Blonde On Blonde, cut with Kooper, Robbie Robertson, and a crew of ace Nashville session men and described by Dylan himself as ‘that wild mercury sound’.» Et Palmer de conclure son chapitre en rappelant que Dylan et les Beatles ont créé «a kind of rock and roll art music, explicitly designed for listening and thinking rather than dancing and romancing.» De là vont naître les Byrds, qui s’inspirent de Dylan pour les textes, et des Beatles pour les harmonies vocales.

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             Palmer consacre quelques pages aux Anglais : Jeff Beck, qui est traumatisé par Jimi Hendrix - He was doing things so up front, so wild and unchained, and that’s sort of what I wanted to do, but being British and the product of these poxy little schools I used to go to, I couldn’t do what he did - Oui, Hendrix avait déjà «alchemized his many blues influences into an approach that was unmistakably his own.» Et Paf, ce démon de Palmer embraye sur l’Experience - The Experience took blues-based, improvisional rock to perhaps its ultimate level of development. Hendrix himself expanded the tonal and sonic resources of the electric guitar so spectacularly that his work remains definitive a quarter-century after his death - Palmer adresse aussi un gros clin d’œil à Keef, rappelant que quoi qu’il fasse sur une guitare, personne ne sonnera jamais comme lui. Par contre, Muddy remet bien les pendules à l’heure : il voit des blancs jouer le blues - They got all these white kids now. Some of them can play good blues. They play so much, run a ring around you playin’ guitar, but they cannot vocal like the black man - Palmer abonde dans le même sens : si vous ne grandissez pas avec cette culture, votre chant va passer pour ce qu’il est : une imitation. Il n’ose pas dire une pâle imitation, mais on le devine.

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              Palmer consacre des pages émouvantes à Alan Freed, l’un des personnages clés de la rock culture américaine. Son boss lui demande un jour de signer un papelard comme quoi il n’aurait pas touché de blé au noir, et bien sûr Freed refuse de signer, considérant que ce papelard est une insulte à son intégrité. Pouf, viré ! Puis il est arrêté et jugé. C’est le fameux scandale du payola. Il s’en tire avec 300 $ d’amande, mais il est mentalement rincé. Il a continué un temps d’animer un radio show, mais dans l’obscurité. Il est malade. Urémie. Il casse sa pipe en bois en 43 ans. C’est une tragédie.

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             Palmer passe du coq à l’âne, c’est-à-dire d’Alan Freed à Leonard le renard, pour nous raconter l’une de ces fascinantes anecdotes dont il s’est fait une spécialité : apparemment, la mafia de Chicago s’intéressait de près au Chess business. Mais Leonard le renard avait grandi dans le ghetto juif polonais et s’était endurci. Les mafieux chopaient Leonard et le tabassaient de temps en temps. Ils menaçaient même de le buter. Mais Leonard était têtu comme une bourrique. Il a tenu tête. Comment ? En envoyant un émissaire à New York, chargé de rencontrer Mr. Big, dont les liens avec la mafia sont connus comme le loup blanc. Palmer ne cite pas de nom, mais on en déduit qu’il s’agit de Morris Levy. Mr. Big passe quelques coups de fil. Les mafieux de Chicago foutent enfin la paix à Leonard le renard. Pendant les années suivantes, les stations de radio que possèdent les frères Chess vont consacrer pas mal de temps à la promotion des «records from Mr. Big’s family of labels. Naturally, this was purely coincidental.»

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             Petit hommage vite fait à Little Richard qui reste avec «the rable-rouser Alan Freed» le pionnier «of what we might call the rock and roll lifestyle.» Au détour d’une page, Palmer rappelle qu’à l’âge de 15 ans, en 1960, il assista à un sacré show - some arcadian dream - À la même affiche, t’avais Sam Cooke, Jackie Wilson, Jesse Belvin et Marv Johnson. Et pouf, Palmer te claque l’anecdote de choc : c’était la dernière fois que Jesse Belvin montait sur scène. Plus tard dans la nuit, «he died in a flaming collision on a dark Arkansas highway, and some of us missed him as much as we missed Holly and Valens.» Il faut lire ces pages, car elles sont grandioses.

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             De la même façon qu’il restaure le culte de Dionysos, Palmer restaure celui du LSD 25 - un cadeau que fit la CIA to the burgeonning youth culture of the sixties - Il rappelle que le LSD fut synthétisé en 1938 sous le nom de lysergic acid diethylamide. Il fallut des cobayes et Ken Kesey en fit partie : «Je suis allé au Stanford Research Institute chaque mardi  pendant des semaines. Il me donnaient du LSD 25, du LSD 6 ou de la mescaline et me payaient vingt dollars.» Puis quand la CIA a stoppé les tests, les cobayes se sont révoltés. Kesey : «Well if you guys don’t have the balls to carry on with this, we’ll do it on our own. And it’s still going on.» Alors Kesey et ses amis les Merry Pranksters ont lancé des LSD parties à San Francisco. Et toute la scène de San Francisco est partie de là. Plus bas, à Los Angeles, David Crosby et les Byrds vont rendre hommage à cette drug-culture avec «Eight Miles High» - We had a strong feeling about drugs, or rather psychedelics and marijuana. We thought they would help us blast our generation loose from the fifties. Personnaly, I don’t regret my psychedelic experiences. I took psychedelics as a sort of sacrament.

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             Palmer continue se surfer sur les mythes avec le Velvet - En 1965, deux des founding members of the Velvet Underground, Lou Reed & original percussionist Angus MacLise décrivaient leur groupe comme «the Western equivalent of the cosmic dance of Shiva. Playing as Babylon goes up in flames.» - Le Lou se souvient aussi des recommandations d’Andy Warhol - Keep it rough - Le Lou : «Andy wanted it to disturb people and shake ‘em up, so did we.» Calimero parle d’une «punk attitude» basée sur la haine et la dérision. Le meilleur exemple de cette punk attitude est «Sister Ray». Palmer rentre dans les détails de «Sister Ray», rappelant pour le cas où on l’aurait oublié, que «Partway through, Cale’s organ took off with a tremendous surge of power amid the guitarist’s howling feedback. Il était le vainqueur de cette bataille sonique, mais il perdit la guerre  quelques mois plus tard quand Reed, malgré les protestations de Sterling Morrison et Maureen Tucker, lui demanda de quitter le groupe.» Calimero va devenir le producteur que l’on sait, en produisant deux des plus importants punk-rock precursors, Jonathan Richman et Patti Smith - mais il avait déjà anticipé the shape of punk to come avec les Stooges - Le jeune Palmer avait déjà bien frémi durant ses high school years avec le «Louie Louie» des Kingsmen et le «Farmer John» des Premieres - It was a transcendental experience - Palmer revient aussi sur the Ostrich guitar du Lou, avec ses six cordes accordées sur une seule note - in order to get a harmonic-rich drone sound - un détail qui avait frappé Calimero. La Monte Young étudiait lui aussi la drone music et avait demandé à Calimero et à Tony Conrad d’accorder leurs instruments respectifs - the electric violin and electric viola - sur la même note. L’influence de La Monte Young sur l’early Velvet était donc manifeste, comme le souligne Palmer : «the drome and shimmering harmonics of Indian music, the distinctive melodic language of the blues, the classical avant-garde of Weber, Stockhausen and Cage, and an affinity for volume levels surpassing anything previously heard in rock.» Et Palmer entre de plus belle dans le chou du détail : «John Cale put heavy-gauge guitar strings on his electric viola, played it through an amplifier stack, and achieved a sound he favorably compared to that of a jet taking off.» Ce démon de Palmer se met ensuite à analyser : «Voici l’une des façons de voir le rock tel que le conçoit le Velvet : les paroles montrent le monde tel qu’il est, alors que la musique rend la souffrance plus supportable en incarnant la géométrie sacrée d’un paradis sonique imaginaire.» Palmer rappelle aussi que les Stooges furent les premiers à capter le message du Velvet et que David Bowie ramena la dimension du «demi-monde» warholien dans le British rock. Palmer rappelle encore que «Television carried on the Velvet’s legacy of street-real lyrics and harmonic clang-and-drone, with approrpiate nods to John Coltrane’s modal jazz and the Byrds’ resonating raga-rock from lead guitarist Tom Verlaine.» C’est dingue ce que Palmer peut être précis. Et quand Danny Fields découvre les Stooges sur scène à Detroit, il déclare : «They were by far the most interesting band since the Velvet Underground.»

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             C’est là que Palmer embraye sur le chapitre le plus hot de son book, ‘The Church of the Sonic Guitar’, déjà évoqué via Willie Johnson et Pat Hare. L’autre géant qu’il épingle est bien sûr T-Bone Walker. Il épingle aussi Goree Carter, un guitariste d’Houston, inspiré par T-Bone Walker. Selon Palmer, le «Rock Awhile» de Goree Carter est un sérieux candidat pour le titre de «first rock and roll record». Et puis voilà le Texan Clarence Gatemouth Brown - One of the flashier, and perhaps the most resourceful explorer of the electric guitar’s sonic resources. Ses early and mid-fifties singles abound in volume and sustain effects, deliberate amplifier overloading, wildly stuttering scrambles up the neck, screaming high-note sustain, and other proto-rock-and-roll devices - C’est vrai que Gatemouth Brown est un sauvage. Il faut le suivre à la trace. On en reparle.

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             Comme si c’était possible, Palmer monte encore d’un cran avec Guitar Slim. Selon Jeff Hammusch, Guitar Slim est le prototype du «live fast/die young» rock’n’roll comet - He was the best! Slim just wouldn’t take care of himself. He lived fast. Different women every night - Quand on lui demandait de se reposer et de prendre soin de lui, Guitar Slim répondait : «I live three days to y’all’s one. The world don’t owe me a thing when I’m gone.» Il casse sa pipe en bois à New York à l’âge de 32 ans. Gros mélange d’alcool et de pneumonie. Palmer embraye aussi sec sur Ike : «If Guitar Slim was the  patron saint of our Church of the Sonic Guitar, Ike Turner can only be its fallen angel, the dark prince, who is also Lucifer, the ‘light-bringer’.» Grâce à Ike, on reste chez Dionysios. Palmer rappelle au passage que St. Louis was a mecca for black southeners. C’est une sorte de capitale du country blues et du sophisticated jazz. En 1955, la concurrence est rude entre les Kings Of Rhythm d’Ike et le Chuck Berry’s trio. Albert King traîne aussi dans les parages. Quand Uncle Sam voit débarquer Ike dans son studio à Memphis, il sait tout de suite ce qui se passe : «Ike had the best-prepared band that ever came in and asked me to work with them.» Ike est aux yeux de Palmer le plus wild d’entre tous - Turner unleashed his full power, wrestling twisted, tortured, bent and shattered blue notes and chords out of his guitar, not just for empahis, but practically every bar of every solo. On n’avait encore jamais entendu une telle sauvagerie, il était tellement en avance sur son temps - Puis Palmer remet un peu les pendules à l’heure, car après son divorce avec Tina Turner, le pauvre Ike a fait la une des canards qui puent - Il y eut cette séparation dûment médiatisée, des accusations et des arrestations. It’s too bad because Ike Turner deserves a prominent place in rock and roll history, and not just as a guitarist whose wild-man strategies were rarely heard again until the advent of the Velvet Underground and later punk groups like Richard Hell & The Voidoids, with resourceful gonzo-guitar inheritor Robert Quine - La parenté Ike/Velvet/Quine est parfaite. Par ici, on appelle ceux-là des triplettes de Belleville essentielles.

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             Palmer consacre ensuite des pages indécentes de classe à Lowman Pauling, des Five Royales, et à Tarheel Slim qui est quasiment inconnu - Lowman made his mark as the musical director of one of the most accomplished and consistently innovative of fifties vocal groups, the «5» Royales - Quand Hank Ballard veut appeler son groupe Hank Ballard & The Royals, on lui dit : impossible. La réputation des Five Royales est trop bien établie. Palmer rappelle aussi que Pauling était le moins connu des greatest r&b guitarists de l’époque : Chuck Berry, Bo Diddley et New York sessionman supreme Mickey Baker. Lowman savait tout faire : gratter ses cordes avec les dents, gratter derrière sa tête. Steve Cropper le cite comme sa principale influence. Doctor John vénérait aussi les Five Royales. «The Slummer The Slum» est Pauling’s masterpiece - It begins  with Pauling unleashing some of the most ferocious lead-guitar riffs heard on record up to that time - Les royales sont sur King, mais il y a du tirage avec James Brown qui est aussi sur King, alors les Royales doivent quitter King. Ils se retrouvent sur le label Home Of The Blues et bossent avec Willie Mitchell. Et bizarrement, leurs singles ne marchent pas. Les Royales se séparent et sombrent dans l’oubli. Lowman Pauling casse sa pipe en bois en 1974 - Recognition for his achievments has long been overdue - Heureusement que t’as des mecs comme Palmer qui écrivent des books, mais si personne ne les lit, alors tout ça ne sert à rien.

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             Palmer passe aussi sec à un autre géant inconnu du grand public, Tarheel Slim. On peut le croiser inside the goldmine. Avec l’immense Tarheel Slim, on passe au black blues-rockabilly. Slim enregistre avec un autre démon, the redoutable Wild Jimmy Spruill. Palmer connaît tous les gens qu’il faut connaître. En 1959, Slim et Spruill sortent «the cataclysmic two-sided nonhit single» «Wildcat Tamer»/«Number 9 Train», sur le label Fire du grand Bobby Robinson. Robinson enregistrait déjà Elmore James - the most thunderous electric-guitar records of the decade - Palmer souligne en outre que ce single de Tarheel Slim et Wild Jimmy Spruill définit le son à deux guitares que vont développer Hound Dog Taylor et les Gories - Both players mix tremolo, twang, slamming runs, and crazed lead playing.

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             Palmer salue aussi bien bas le «Down On The Farm» de Big Al Drowning, «backed by a white rockabilly combo under the leadership of one Bobby Poe - it was Little Richard-meets-Carl Perkins in flavor.» Palmer s’enthousiasme facilement. Il prend feu à la moindre étincelle. Rares sont les pages qui n’explosent pas. Il boucle ce chapitre hors du temps avec les Falcons qui comprenaient Joe Stubbs (le frère le Levi Stubbs, lead des Four Tops), et Eddie Floyd qui allait donner à Stax ses lettres de noblesse. Le baritone des Falcons n’est autre que Mack (later Sir Mack) Rice, qui allait composer «Mustang Sally», un hit qui allait rendre célèbre le remplaçant de Joe Stubbs dans les Falcons, Wilson Pickett. Quand les Falcons décrochent un hit avec «I Found A Love», Wicked Pickett quitte les Falcons pour signer sur Atlantic - If any fifties vocal group was a school for future soul stars, it was the Falcons. Comme les «5» Royales, Nolan Strong & The Diablos, and other gospel-soul vocal groups, ils ont aussi contribué au développement de la guitare électrique - Et Palmer cite le nom du guitariste des Falcons, Lance Finnie. 

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             Il passe aussi sec au funk avec Bootsy en face du titre : ‘Brand new bag’. Comme c’est bien vu, Palmer ! Il commence par rappeler l’origine du mot funk : «In black vernacular, le mot funk se référait à une odeur, une odeur impolie. Funk était l’odeur de la sueur, l’odeur du sexe, l’odeur de...». Il n’ose pas dire du cul, mais il cite le funky butt. Et de rappeler dans la foulée que personne n’a mis autant de sueur dans un show que James Brown - Add to this Ki-Kongo concept of positive sweat, the Yoruba concept of ashé, or ‘cool’, and what have you got? ‘Cold Sweat’ - Et voilà James Brown qui part en quête du Graal, c’est-à-dire «l’ultimate groove». Palmer consacre des pages hallucinées à James Brown, «playing drums with his larynx», «Audiences dig go crazy, making ‘Bag’ one of Brown’s biggest hits so far - Even Brown was surprised by what he had created.» Le sujet échappe au maître, c’est bien connu. Et Palmer y retourne à coup de «Bag» qui electrified the musical community, et t’as Jerry Wexler affolé qui déclare au coin d’un paragraphe : «‘Cold Sweat’ deeply affected the musicians I knew. It just freaked them out. For a time, no one could get a handle on what to do next.» Oui, James Brown brouillait les pistes, il était devenu en son temps l’artiste le plus moderne, le plus puissant du monde. Au même moment, à Detroit, Norman Whitfield «crafted a series of revolutionary singles that synthetized both the James Brown and Sly Stone versions of funk.» Palmer évoque bien sûr les Temptations - The Whitfield/Temptations collaborations of 1967-72 are among rock ans roll’s most consistently creative and adventuesome bodies of work - S’ensuit un hommage fulgurant à Bootsy - Bootsy had truly taken to heart Brown’s practice of accenting «on the one» which reversed the rhythmic priorities that had long been standard in jazz, rock and r&b - Il redéfinissait le funk. Puis George Clinton récupère Bootsy - If Bootsy was taking some weird new drug, George didn’t necessarily want him to stop; he wanted to try some himself - Et pouf, Palmer part droit sur Parliament-Funkadelic, c’est-à-dire P-Funk, qui tournait à l’époque avec les Stooges - In their early years, P-Funk incorporated all the volume a Marshall stack could crank out, all the onstage brinkmanship an Iggy Pop could munster, and all the drugs in the rocker’s pharmacopoeia - Nous voilà parmi les géants - Clinton developped a more positive mythology involving outer space, black tribalism and the whole-system integrity of the funk itself. «If you fake the funk» warned Clinton, «your nose will grow.» - Pour beaucoup de gens, Earth Wind & Fire était les «black Beatles» et P-Funk les «black Rolling Stones».

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             Quoi de plus naturel que de passer au punk après le funk ? Le chapitre s’appelle ‘Blank Generation’ et s’ouvre avec les Dolls. Palmer n’y va pas de main morte, puisqu’il attaque par la racine du punk, le rockab - Rock and roll has always had a «punk» underground of sorts. In the fifties, there were rockabilly wild men who played hard and fast, leaving a trail of pandemonium and wreckage behind them - Et pouf, il cite Billy Lee Riley, Sonny Burgess et ses «flaming red suits, socks and shoes, with guitar ans hair to match.» Et puis bien sûr Gene Vincent (hello Damie), qui «with his black leather jacket, his sneer, and his frenzied, amphetamine-stoked stage shows, was a fifties punk who greatly influenced the wilder side of John Lennon.» Sans oublier Eddie Cochran et ses teenage anthems repris par les garage bands et les Who.

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             Palmer fait un focus sur Cleveland - an unlikely hotspot for early protopunk activity - Il rappelle que les Stooges et le Velvet ont joué à Cleveland et qu’ils ont bien marqué les gens - The Velvets the thinkers and the Stooges the thugs - Oui, car Palmer dit aussi quelque part dans le book que pour mener une révolution, il faut à la fois des thinkers pour l’imaginer et des thugs pour la mettre en œuvre. Cleveland, ça commence avec Rocket From The Tombs dont font partie Peter Laughner et David Thomas, qui vont ensuite former Pere Ubu, «injecting a healthy dose of Captain Beefheart’s mutant blues strains into their Velvets/Stooges/glitter influences.» Palmer rend bien sûr hommage à «Final Solution» et à ses lyrics, un «cleverly twisted teenage-wasteland psychodrama.»

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             Par contre, il ne trouve pas grand-chose à se mettre sous la dent dans les années 80, à part The Fall, «an abrasive, ratchety-sounding agitprop outfit», Public Image Limited, Birthday Party et The Jesus & Mary Chain, «an unlikely hybrid of the Velvet Underground and the Beach Boys.» Bizarre qu’il oublie de citer les Cramps et le Gun Club. Étant américain il cite bien sûr Sonic Youth qui aurait inspiré My Bloody Valnetine, the Wedding Present et Swervedriver. Il retombe finalement sur ses pattes en rappelant que les Dolls, vus comme un rip-off des Stones, «was a fundamental inspiration for the entire New York punk movement.»

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             Il faut aussi voir le petit docu qu’il consacra à Trane en 1990, et paru sur DVD en 2010 : The World According To John Coltrane. Tu vois Trane souffler et Elvin Jones de dos battre le beurre du diable. Tu sens la puissance de ces deux locomotives de l’ultra-freedom : larges épaules et racines du beat. Les anecdotes pullulent, la plus savoureuse étant celle-ci : Trane apprend que Bird se balade avec une partition de L’Oiseau De Feu, alors il va dans une bibliothèque municipale de Philadelphie écouter Stravinsky. On voit Trane jouer avec Miles, puis en 1960, Trane quitte Miles pour explorer le modal. Mais tu risques l’overdose de modernité. Trane joue les yeux fermés, il tortille son free à l’infini. Trane joue toujours, avant, pendant et après le concert. Robert Palmer a l’intelligence de ne pas couper les cuts. Palmer dit aussi que Trane a influencé les Byrds («Eight Miles High»). C’est juste, Croz est un fan de Trane. Il raconte un bel épisode dans son autobio : il est dans les gogues d’un club à Chicago et soudain, il entend un sax. C’est Trane. Trane jouait même dans les gogues. En visionnant ces images, tu comprends un truc élémentaire : la musique de Trane parle toute seule. Pas besoin de commentaires. Tu assistes à la glorification du peuple noir via sa spiritualité. Trane devient fou sur scène. Alice pianote. Trane se tortille. Robert De Niro/Jimmy Doyle va s’inspirer des fabuleuses contorsions de Trane pour saxer son set dans New York New York. Et petite cerise sur le gâtö, Palmer nous ramène au Maroc avec Roscoe Mitchell qui réussit à jouer avec les derviches marocains, ce que Trane voulait faire et qu’il n’a pas réussi à faire de son vivant. Merci Palmer pour cet hommage au Love Supreme.  

    Signé : Cazengler, Pied Palmer

    Robert Palmer. Rock & Roll: An Unruly History. Harmony Books 1995

    Robert Palmer. The World According To John Coltrane. DVD 2010

     

     

    Label bel bel comme le jour

    - Ready SteadyBoy

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             Tiens tiens... Tu feuillettes Record Collector et tu tombes sur un petit article illustré par des pochettes d’albums recommandables : Rocky Erickson & The Explosives et Bob Mosley. Et t’as la photo d’un mec chapeauté de frais, un certain Freddie Knoc. Il se trouve que ce Knoc est boss d’un label, SteadyBoy Records. Wow quel label ! Tu lis la short-list du bas de la page et tes yeux dansent la rumba : Peter Lewis, Mike Wilhelm, Charlatans, The Explosives, Doug Sahm, Davie Allen & The Arrows, plus les deux pré-cités, Roky et Bob Mosley. Il enregistre aussi ses propres albums sous le nom de Freddie Steady.

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             Freddie le crack est un Texan. On s’en serait douté. Un Texan d’Austin. Il a choisi de s’appeler Steady parce qu’on le dit régulier, c’est-à-dire steady, au beurre. Freddie est multi-instrumentiste. Quand Nick Dalton lui demande quels sont ses modèles, il cite Immediate, Sundazed, Chess, Sun, Stax - Immediate seemed the most creative and adventurous - Il rêve de rencontrer Andrew Loog Oldham pour un chat. L’une de ses fiertés est d’avoir sorti Halloween II de Roky Erickson & The Explosives. Et paf, il indique que «The Explosives were my band from 1979 to 1981 and then 2005-2008.» Il dit aussi avoir eu la chance de produire Sal Valentino. Mais aussi de co-produire le Just Like Jack de Peter Lewis, l’ex-Moby Grape. La chance encore de rééditer le True Blue de Bob Mosley, un autre ex-Moby Grape. Puis il a profité d’une belle tranche de vie à Londres dans les année 80 pour sortir le Dangerous Ground des Downliners Sect. Et quand Dalton lui demande quel album il aurait aimé publier, il répond sans hésitation le premier Moby Grape. Et la réédition de ses rêves ? Moby Grape’s second album Wow. Il prévoit de publier son autobio, Freddie Steady Go! A Journeyman’s Guide To A Life In Music. Le coco est assez complet.  

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             Alors bien sûr, tu vas fourrer ton nez dans les affaires de Freddie Steady. Ça tombe bien, il réédite son Lucky 7. Le groupe s’appelle Freddie Steady’s Wild Country. Te voilà donc au Texas, Amigo ! L’album est trop country pour être honnête, tu te retrouves coincé dans le saloon, mais tu persévères. Freddie Steady ne jure que par le tradi. Tu ne l’écoutes que parce qu’on lui rend hommage dans Record Collector. Ça s’arrange quand il va traîner dans le Bayou avec «Night Time». Et ça devient passionnant lorsqu’il passe au Cajun wild as fuck avec «Love You Tonight» et l’accordéon. Sinon, il campe sur ses positions et propose une belle country texane sans histoire. Il va plus sur le r’n’b avec «I’ve Been Framed» : il tape dans la veine de Wolf à coups d’oooh-oooh oooh. T’as des bonus à la pelle et tu vas te régaler de «Midnight Special», un boogie rock texan bien claqué du beignet, il y va à coups de shine a light on me !     

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             Que dire du Dangerous Ground des Downliners Sect sinon que c’est encore un disque énorme ? En plus, l’ami Art Wood a peint la pochette. Les Downliners proposent pas moins de cinq bombes sur ce disque, à commencer par «Keep On Rocking», une énormité cavalante. On sent les Anglais bien formés à Richmond. Ils sonnent comme les Pirates. Voilà ce qu’on peut appeler a high octane blend of r’n’b.  Ils rendent hommage à Bo avec «Escape From Hong Kong» et «In The Pit». Puis on tombe sur la bombe suivante qui est en fait le morceau titre, un gaga-cut bien plié au bombast d’ambiance rampante. S’ensuit une autre bombe intitulée «Lucy’s Bar Room». Del Dwyer fait un véritable festival, il chauffe le cut à blanc. Il arrose cette somptueuse rythmique de guitar licks éclatants. Encore deux belles bombes pour finir : «Quicksand» et «Deamon Lover». «Quicksand» pourrait sortir du Crusade de Mayall. Les Downliners vont chercher le guttural pour honorer ce boogie blues d’excellence définitive. Tu vas aussi te régaler de «Deamon Lover», fantastique shoot de rocky road pulsé au beat anglais et plein de son. Pur jus de rave-up. Les Downliners ont du génie.

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             Il a eu raison Freddie Steady de rééditer cette petite merveille qu’est le True Blue de Bob Mosley. Petite merveille car «Lazy Me», balladif à la Gene Clark de qualité supérieure. Suprême dérive abdominale. Et puis t’as ce coup de génie, «Rainbows End (Used To Be My Friend)», un autre balladif de rang princier. T’es frappé par la stupéfiante qualité du cut. Bob adore le boogie, comme le montrent «Come Back Woman» et «Sad & Blue». C’est le boogie de San Pedro, celui qu’on appelle l’heavy boogie down bien sanglé. Tout aussi impressionnant, voici «Never» un heavy balladif circonstanciel. Bob tape ça au pur power vocal. Bob est un bon. L’intensité n’a décidément aucun secret pour lui.

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             Peter Lewis ? T’y vas parce qu’il jouait dans Moby Grape. Dans les liners de Just Like Jack, David Fricke nous explique que Peter Lewis «could sing in a voice of deep-velvet warmth and gently commanding force, play intricate, effervescent rhythm guitar in a unique finger picking tangle of folk-blues roots, bluegrass facility and the drive’n’sheen of the Byrds gone surfin’.» Il nous rappelle aussi que Peter Lewis est le fils de Loretta Young. Qui bat le beurre derrière lui ? Freddie Steady, le vétéran des Explosives, bien sûr ! Peter Lewis attaque Just Like Jack avec la jolie country pépère de «Be With Me», enrichie jusqu’au délire par du picking texan d’Austin. La température monte au fil des cuts, on sent vraiment les vieux restes légendaires, Peter Lewis n’est pas né de la dernière pluie. «Last Chance» sonne comme une belle énormité. Il chante son heavy boogie blues d’une voix blanche. T’en reviens pas de toute cette qualité. Il sonne comme Tony Joe White sur «Valley Music Festival». Il remonte jusqu’à 1967 et rend hommage à Neil Young et au temps de Mister Soul. Il attaque sa B avec un «Sailing» co-écrit avec Skip Spence. C’est tout simplement somptueux et traversé d’éclairs de killer solo flash d’éclat majeur. Tout se tient admirablement sur cet album qui sonne comme une belle suite à Moby Grape. Il boucle avec «These Blues», well okay, il gratte ses gros coups d’acou d’Austin, I mean these blues for you.

    Signé : Cazengler, Steady oui

    Freddie Steady’s Wild Country. Lucky 7. SteadyBoy Records 2003

    Downliners Sect. Dangerous Ground. SteadyBoy Records 2011

    Peter Lewis. Just Like Jack. Shagrat Records 2017

    Bob Mosley. True Blue. SteadyBoy Records 2024

    Nick Dalton : label of love. Record Collector # 566 - January 2025

     

     

    Inside the goldmine

    - Eddy sois bon

             Avec Adi, on s’amusait bien. Disons qu’on s’amusait à ses frais. Adi donc ! Adi quoi ? Ça nous venait naturellement. Il faisait le canard. Celui qui n’entendait pas. Adi peut ! Adi Baba ! Il tournait la tête de l’autre côté. On sentait qu’il avait de l’entraînement. Ça avait dû commencer très tôt, à l’école. Adi mentaire ! Adi Xion ! Dans la vie, c’est toujours la même chose : on choisit chaque fois la facilité. Dès qu’on sent une faille, on s’y engouffre. C’est plus facile de s’engouffrer que de réfléchir. Adi Bouti ! Adi Gaga ! Comme il ne réagissait pas, on prenait ça pour une invitation à continuer. Adi Quat ! Adi Lescent ! On en rajoutait. Adi Das ! Adi Boron ! Il n’existait plus de limites, on battait tous les records d’automatisme psychique de la pensée. Adi Solu ! Adi Plôme ! Évidemment, tout ça se déroulait au moment le plus opportun, alors que nous étions en route pour un braquo. Adi s’installait toujours à l’avant, à la place du mort. On ne trouvait rien de mieux que de se divertir aux frais d’Adi pour faire baisser la tension. Adi Vague ! Adi Fâme ! Parfois, on rigolait de nos conneries. Adi veillait à rester de marbre. Il n’était pas question pour lui de s’abaisser à notre niveau. C’est comme si on lisait dans ses pensées. On se demandait parfois pourquoi il restait dans le gang. Il devait bien se douter que ça n’allait pas s’arranger. À sa façon, il savonnait la pente. Nous entrâmes à trois dans l’agence, comme d’usage. Le chauffeur restait à l’extérieur et laissait tourner le moteur. Ce jour-là, il y eut un gros hic. Le caissier était enfouraillé et il se mit à canarder comme un cow-boy, bam babam bababam ! Gégé la Guigne prit un pruneau en plein tête et tomba raide mort. J’en pris un dans le ventre et fis un sacré vol plané, allant exploser la porte d’entrée en verre. Adi riposta et calma le cow-boy d’une balle dans la tête. Il regagna la sortie, et passa près de moi. Il vit que j’étais blessé, mais au lieu de m’aider à me relever pour me ramener jusqu’à la bagnole, il souleva sa cagoule et me dit, avec un drôle de sourire en coin : Adi Os ! 

     

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             Espérons qu’Eddy a mené une vie plus pépère que celle d’Adi. On ne sait pas comment s’est terminée la carrière d’Adi, mais on sait comment s’est terminée celle d’Eddy : par de très bons enregistrements.

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             Ace propose une belle compile pour découvrir l’excellent Eddy Giles : Southern Soul Brother. The Murco Recordings 1967-1969. Dean Rudland se tape les liners. Il commence par nous expliquer qu’Eddy est devenu sur le tard le Reverend Eddie Giles hosting his Old Time religion Show.  On voit une photo du vieil Eddy en train de prêcher. Dans les années 60, Eddy enregistrait sur le label de Dee Marais, Murco, à Shreveport, en Louisiane. 18 cuts en tout, que Rudland rassemble sur cette compile. Puis il donne la parole à Eddy qui raconte son incroyable histoire de pauvre black né en 1938 et qui ne vit que pour la gratte. Il traverse toutes sortes de galères, joue dans un groupe itinérant de gospel, revient au bercail et finit par se faire connaître à Shreveport. C’est là qu’il capte l’attention de Dee Marais qui lui propose d’enregistrer un single. Mais Eddy n’a pas de chanson. Alors il dit qu’il va s’en composer une  - I’m going to write me a song and I’m going to write me a hit song - Incroyable détermination ! Il attrape un bloc et un crayon - I got out a pad and a pencil and wrote down the title, «Lonely Boy». I said, «That’s not strong enough». Then I wrote «Losin’ Boy». After writing the title, I started asking myself questions - Eh oui, Eddy n’a jamais écrit de chansons auparavant. Il sait juste qu’il faut un couplet et un refrain. Alors il se demande ce qu’est un Losin’ Boy, «and the words came out.» - I’m a Losing Boy, because my baby’s gone - En gros Eddy raconte l’histoire de tous les blackos qui ont cherché à faire de la musique à cette époque. Et c’est extrêmement bien raconté. Rudland a bien respecté le ton d’Eddy. «Losin’ Boy» ouvre le bal de la compile. Puis Eddy va enregistrer chez Stax, avec Al Bell, mais ça ne marche pas. 

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             Sacré Eddy ! Il est très Wilson-Pickett dans sa démarche. Sur «Don’t Let Me Suffer», il est délicieusement conventionnel. L’époque veut ça. 1967 est l’âge d’or de la Southern Soul. Son «Eddy’s Go-Go Train» est assez hot, il y va au c’mon ride with me ! Pur Black Power ! Il alterne avec des slowahs de haute volée bien enracinés dans le gospel («Happy Man»). Il refait son wicked Pickett avec «Music», mais il est bien meilleur dans les slowahs, comme le montre encore «Love With A Feeling» : excellent de lourd de sens. Ah il est bon l’Eddy ! Faut pas le prendre pour une brêle. Il fait encore du classic Pickett jerk de 1967 avec «Soul Feeling Pt 1» et «Soul Feeling Pt 2», il y va au sock it to me babe et au black scream, soutenu par un beat fabuleusement primitif. Mais Eddy reste le roi du satin jaune. Il perce davantage sur les slowahs, comme le montre encore «That’s How Strong My Love Is», l’un des hits d’O.V. Wright. Il ne fait aucun effort pour échapper à l’influence de wicked Pickett («Pins & Needles»), et il revient à son fonds de commerce avec «It Takes More», un groove suspendu en l’air, oooh baby, un cut extrêmement intéressant, tellement moderne dans sa structure.

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             Tant qu’on y est, on peut aller voir ce qu’il y a sous les jupes de Murco : Shreveport Southern Soul. The Murco Story. T’y retrouves le bon Eddy Sois Bon, c’est sûr, avec «Losin’ Boy» et «That’s The Way My Love Is», où il pousse bien son bouchon. T’as aussi son «Love With A Feeling», cet heavy slowah de séduction massive et rose, c’est même un Southern hit un peu spongieux. Côté découvertes, t’as trois choses. La première s’appelle Ann Alford, avec «Got To Get Me A Job». Big funk out ! Elle est hard on the beat. Quand t’entends ça, tu sors ta pelle et ta pioche pour aller creuser. La deuxième chose s’appelle Reuben Bell avec «Action Speaks Louder Than Words», un vieux ramshakle communautaire : organ + cœurs de louves, quasi église en bois. Reuben Bell est très présent sur la compile, mais tout n’est hélas pas au niveau d’Action Speak. Troisième chose : Dori Grayson. Et là, jackpot ! C’est elle qu’on voit sur la pochette. Elle a au moins quatre hits sur la compile, à commencer par «Got Nobody To Love». Dori forever ! Soul Sister de choc, même si on la sent un peu verte. Elle est tellement sincère avec «I Can’t Fix That For You» qu’elle te fend le cœur. Elle fait du real deal de Soul impubère. Dori se dore encore la tranche avec «Sweet Lovin’ Man» et elle redevient fantastique d’opportunisme avec «Be Mine Sometimes», elle y va de tout son corps, elle s’essouffle facilement, c’est d’ailleurs ce qui la rend touchante, elle chante comme une ingénue libertine à peine éclose. Elle reste très tendue avec «Try Love», elle chante le cul entre deux chaises, la puberté et l’hot as hell. Elle reste délicieusement imparfaite avec «Never Let Go». Ce miracle d’imperfection aurait tellement fasciné Uncle Sam ! Et bien sûr, Dori n’a enregistré que deux singles sur Murco. Pas d’album, rien d’autre. Encore une fois : merci Ace.

    Signé : Cazengler, Eddy donc

    Eddy Giles. Southern Soul Brother. The Murco Recordings 1967-1969. Kent/Ace Records 2014

    Shreveport Southern Soul. The Murco Story. Kent/Ace Records 2000

     

    *

    Quand je vais à Troyes, la teuf-teuf connaît le chemin, je la laisse faire, je ferme les yeux et roulez jeunesse, non je ne dors pas, je regarde mon cerveau (fertile) travailler.  L’est en train d’inventer un nouveau jeu de cartes, Les Sept Familles, non ce n’est pas celui que vous connaissez, celui-ci ne possède que trois cartes, attention trois as, non pas une de plus, oui trois as ça suffit amplement, je ne vous explique pas la règle, l’on commence la partie tout de suite, bon, dans la famille rockabilly je veux : le père, le fils, non surtout pas le Saint-Esprit, tout simplement l’oncle. Voilà, c’est parti, je place les cartes sur le plateau de jeu, nous allons passer une soirée passionnante !

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    EDDIE GAZEL  AND THE FAMILY ECHOES

    3 B

    (Troyes / 19 – 09 – 2025)

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    Admirez le Père, c’est Thierry Gazel, l’est sur notre droite, tout de noir vêtu tout comme sa big mama, au centre le Fils Eddie Gazel, sur notre gauche lui aussi tout de noir vêtu Stéphane Gazel, oui c’est l’Oncle, non il ne vient pas d’Amérique, celui qui en revient c’est le fils, parti depuis trois ans, l’a vécu bien des aventures, nous les raconterons une autre fois, l’est revenu faire coucou à la famille, et comme c’est une famille Rockabilly, par un hasard (pas du tout) extraordinaire, les voici aux 3B, pour un concert  que nous nous pourrions nommer  : Festives retrouvailles musicales de la famille Gazel.

    Z’ont fait les choses en grand. Je n’avais jamais vu de set-lists aussi magnifiques, aussi grandes que des affiches, striées de rouge pétant et de jaune trompettant, les titres des chansons aussi larges que des manchettes de journaux à sensation, un coloré tapis de corolles éblouissant écloses sur le carrelage.  Terrible question métaphysique : à quoi peut servir une set-lists si ce n’est de l’utiliser à coups d’œil discrets pour se remémorer le titre qui suivra celui que l’on est en train d’interpréter ! Pourquoi faire simple quand c’est si facile de faire compliqué. La Gazel Family n’a pas osé user d’un tel subterfuge qui ne trompe personne. Se penchent dessus, méditent, s’interrogent, jettent leur dévolu sur l’un d’entre eux, hésitent, se concertent, finalement ils se mettent d’accord sur le numéro Quatre. Ouf c’est parti jusqu’au prochain morceau. Parfois changement de braquets, ils en interprètent trois à la suite qui manifestement ne sont pas sur la liste… Ce pourrait être pénible, pas du tout, parfois on se prend à se demander comment va se dérouler le prochain épisode du sketch interludique. En fait c’est un magnifique objet transactionnel pour emprunter un terme au jargon des psychologues. C’est ainsi que très vite se noue une grande complicité entre le public et le groupe.

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    Pour le premier plat nous mijotent un succulent gumbo, plus qu’un titre d’Hank Williams hommagial c’est une déclaration d’intention, plus tard ce sera le tour de Your Cheatin Heart, Eddie se hâtant de spécifier que c’est le dernier morceau composé par Hank, juste avant sa mort. Une manière de nous présenter le programme, après Hank la prochaine star sera Elvis. Le tour de chant oscillera dans l’interzone, entre country et l’orée du rock’n’roll ce qui nous vaudra quelques raids audacieux  dans les contrées sauvages du rockabilly.  Du rock’n’slow à la Conway Twitty aux farouches chevauchées de Charlie Feathers. C’est qu’Eddie Gazel n’a pas qu’une corde vocale à son arc. Un véritable chanteur capable de plier sa voix aux exigences de bien des courants de la musique populaire américaine.

    Ny avait pas qu’Eddie, y avait aussi ma modeste personne. Tout devant, voluptueusement assis à quarante centimètres de la contrebasse de Thierry Gazel. J’étais au mieux je ressentais les ondes sonores de la big mama que Thierry traitait, il faut l’avouer, un tant soit peu abruptement, une véritable balnéothérapie, j’étais délicieusement heurté par les apports incessants de la houle de cette mer sans cesse recommencée, mes yeux subjugués ne quittaient pas les cordes, lorsque la grosse mémère nous fit le coup Du Titanic, même pire car sans l’aide d’un iceberg elle explosa littéralement, le chevalet s’envola et tout le cordier s’effondra comme s’affaient les voiles d’un trois-mâts qu’une bordée de canons ennemis a sans préavis démâtés. C’est dans ces moments que l’on reconnaît les grands capitaines, sans la trace du moindre affolement, Thierry se saisit des débris du naufrage, se faufila derrière ses deux camarades pour remettre de l’ordre dans ses abattis. Moins de dix minutes plus tard il était de retour, sa big mama prête à reprendre le combat.

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    L’ingratitude humaine est sans limite. Les deux survivants changèrent illico leurs fusils d’épaule. Je ne peux pas dire leurs guitares car les deux bandoulières ne bougèrent pas. Nous eûmes un magnifique lot de consolation, un petit Comin’ Home de Gene Vincent. Moment adéquat pour présenter Stéphane Gazel dont nous n’avons pour l’instant qu’entrevu la noire silhouette. Nous l’agrémentons d’une Gretsch, un coloris London Grey si je ne m’abuse, c’est étrange quand il ne joue pas Stéphane regarde sa Gretsch d’un regard suspicieux comme s’il ne lui faisait pas confiance. Mais quand il joue ! D’abord il ne joue pas, il la touche à grande parcimonie du bout des doigts, il  l’effleure, à peine s’il la frôle, et tout de suite vous ne percevez ni les notes, ni la musique, ni la sonorité, ce qui coule comme du miel dans vos oreilles, c’est une espèce de musicalité arachnéenne, un son comme nous n’en n’avez jamais entendu jusqu’ à lors. Une espèce de suavité rock inédite, un prestidigitateur, ses mains survolent sa guitare comme des hirondelles qui choisissent le fil et l’emplacement précis sur lesquels elles vont s’appesantir comme un soupir rapidement évanoui, et toujours cette ambroisie musicale qui englobe et vous transporte tout en haut de l’empyrée. De l’empyrock.

    En plus il sait se servir d’un harmonica d’une façon diabolique et en  surplus l’est nanti d’un à-propos et d’un humour pince-sans-rire interjonctif dévastateur, un seul exemple : son adaptation d’Eddie Sois Bon ! des mythiques Chaussettes Noires, pour  presser le choix d’un morceau.

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    Eddie toujours à fond sur son Epiphone, n’en est pas pour autant aphone. S’il vous plaît ne confondez pas bruit de fond et mur du son. Eddie se redresse et s’approche du micro, l’a l’étrange besoin qu’il soit deux centimètres plus haut que sa bouche, ses doigts battent le beurre, j’emprunte cet expression à notre Cat Zengler national, pas la tambouille à la je-t-embrouille, z’engendrent à chaque morceau un espace sonore différent, et puis il jette le vocal, plus exactement il se jette sur le vocal comme s’il voulait le bouffer, à n’importe quelle sauce,  sucré pour le doo wop – ses deux acolytes  et le public se chargeant des chœurs - mélasse aigre-douce pour les slows déchirés, rasade de piment de cayenne pour le rockab, mais surtout ce qui vous surprend toujours ce sont ses accélérations vocales foudroyantes, un étalon qui s’enfuit du corral et que personne ne pourra rattraper, ou encore cette façon de poser la voix juste là où il faut, perso vous n’en avez aucune idée, mais vous vous reconnaissez que c’est exactement à cette hauteur, à cet élan, à cette vitesse, à cet instant précis qu’il faut la mettre.

    Le pire c’est que quand c’est terminé, c’est fini. Entente familiale. Chacun coupe le robinet de son instrument en même temps que les autres. Pas un centimètre de plus ou de moins. Coupure abrupte. Désintégration sonore surprenante. L’on vous supprime le gâteau que vous comptiez savourer. Vous auriez envie de rouspéter, mais au fond de vous ? vous reconnaissez que vous êtes repu. A satiété.

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    ( Photos : Rocka Billy)

    Revenons à Thierry. Faudrait peut-être disséquer nos trois malandrins  pour savoir comment percer le mystère : pourquoi une certaine ressemblance dans leur manière de jouer, est-ce de l’inné ou de l’acquis, Eddie a avoué que c’est son père qui l’a initié aux sortilèges de doo wap, mais seule une étude scientifique de haut niveau pourrait répondre à cette angoissante question.  Quoi qu’il en soit Thierry ne frappe comme un madurle sur son cordier. Il ne passe pas en force. Pas aux poings. Mais à point. Une précision grondante, big mama en tant que chat noir hérissé, du swing, mais sans verbiage, une espèce de métronome ondulaloire, une mécanique quantique en ébullition mais par-dessous existe un ordre inapparent, une structure invisible, qui joue sue le fait que les mêmes causes produisent les mêmes effets mais que les effets ne sont pas nécessairement dus aux mêmes causes. Un jeu cérébralement instinctif comme si l’outrance du rockabilly prévalait sur la variabilité du swing.

    Bref l’on a beaucoup ri. Et pris beaucoup de plaisir. Un public réceptif et un groupe éruptif. Sont allés chercher Pascal Lambert pour qu’il joue deux morceaux sur scène. Il nous a offert un Mystery Train dans lequel l’on serait tous montés sans vouloir redescendre. A la réflexion Elvis a été un peu le contrefort musical auquel se sont acculés les trois sets. Lorsqu’ils ont fini, Béatrice la patronne en personne est intervenue à la demande générale pour que la fête continue encor un peu(beaucoup). Pour un concert pratiquement improvisé la famille Gazel a visé dans le mille. Cœur de cible.

     

    Damie Chad.

     

    *

    Certains cherchent de l’or, moi je cherchais l’origine. Du blues.  J’ai trouvé. Je vous en reparlerai bientôt. Rien ne sert d’avoir trouvé, encore faut-il continuer à chercher. Bref, je me suis retrouvé à tourner, autour de la petite Minnie. En tout bien et tout honneur, ai-je besoin de le préciser. Mais quand vous vous intéressez à une fille, vous ne tardez pas à tomber nez à nez avec un autre gars.  Qui n’est jamais là par hasard.  L’a eu de la chance. Je le connaissais. Depuis un demi-siècle et plus. Vous aussi, je vous refile son nom, au cas où vous ne le reconnaîtriez pas sur la photo. L’a vieilli. Le pauvre.   Vous voudriez  son blaze : Robert Plant !

    Au total trois vidéos en annonce de son prochain album. A paraître dans deux jours !

    SAVING GRACE

    ROBERT PLANT

    And SUZI DIAN

    (Nonesuch Records / 26 – 09 – 2025)

             Sûr que la photo veut être belle : le chromo nature écologique parfait, avec sous-entendu accusatoire, toutes les espèces animales que nous avons décimées… Maintenant, soyons futé, j’avons rien contre les bisons, mais celui-ci qui accapare le premier plan vous a un petit air de descente de lit usée, peut-être pas anguille sous roche mais sûrement bison sur la plaine.

             Je ne vous fais pas l’injure de présenter Robert Plant.

    Robert Plant : vocal, harmonica / Suzi Dian : vovals, accordéon / Oli Jefferson : drums, percussions / Tony Kelsey : acoustic or electric guitar / Barney Morse-Brown : violoncelle / Matt Worley : banjo, vocal, acoustic guitar, cuatro (petite guitare à quatre cordes).

    CHEVROLET

    (Official Music Video)

    Je connais ce truc, je ne regarde pas la vidéo, je cherche dans ma tête, ah oui Hey Gyp des Animals, tiens un led Zeppe qui reprend Eric Burdon, c’est étonnant, l’est vrai que l’original est de  Donovan. Les anglais étant tous des voleurs, vérifions, pour sûr c’est de Memphis Minnie, une des plus grandes chanteuses de blues, le Zeppelin lui a déjà subtilisé When The Levee Breaks sur le IV, le dernier morceau de la Face B, au début je stationnais sur la Face A de Black Dog à Stairway to Heaven et à la fin je ne quittais plus ces maudites digues que le Mississippi avait emportées… Je file écouter Minnie, elle n’est pas seule, décidément encore un gars autour d’elle, cette fois c’est son mari Kansas Joe McCoy, l’auteur de When the Levee… Le titre original qui nous préoccupe est Can I do it for you ? le pauvre gars ne sait pas quoi faire pour séduire la fille, lui offre des tas de trucs jusqu’à une collection de voitures, et la girl refuse tout. Suis étonné que les féministes ne l’aient pas pris pour hymne. En tout cas le morceau est superbe, comme tout ce que fait Minnie, l’est long, s’étale sur les deux faces d’un Vocalion, d’où les parties 1 et 2. Ce qu’il y a de bien avec Led Zeppe c’est qu’il faut farfouiller un peu… Maintenant que nous avons à chacun rendu son bien, regardons la vidéo. N’oublions pas de l’écouter, ce

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     n’est pas le screamin’ Plant de la belle époque, mais l’est bien plus en forme qu’il y a quelques années, dans certains concerts avec Alison Kraus, Plant murmurait, ici  la voix est douce mais presque rauque, un sortilège, quant à la zique un délice, très zeppeline, très folk. Avant d’être le titre de ce nouvel album Saving Grace est le nom du groupe qui depuis plusieurs années accompagne Plant. Une osmose parfaite, le chant d’Alison écrasait celui de Plant, a contrario la voix de Suzi Dian possède ce privilège de conforter, d’enlacer et de soutenir celle de notre ancien shouter man. Faut l’écouter plusieurs fois pour saisir la richesse de la cavalcade de l’orchestration, nous sommes loin du country, dans une espèce de tourbillon musical, quasi symphonique tant la diversité des timbres et leurs entrecroisements incessants s’avère multiforme. La vidéo tient du conte de fée, une version moderne, enfin c’est moi qui l’affirme l’histoire de Rapunzel avec ses longs cheveux blonds, mais vous n’êtes pas obligés de me suivre sur cette piste… surtout qu’au début nous sommes dans un paysage typiquement américain, disons symboliquement car par du tout naturel, plutôt dans un dessin animé constitué d’images de synthèses, si bien faites que la fille semble vivante, sans doute incrustée, nous subodorons qu’elle est jolie, car l’on ne voit pas, l’est cachée par ses cheveux, pas vraiment une longue chevelure, imaginez-la plutôt enfermée comme le premier des trois petits cochons dans sa maison de paille, pas de méchant loup pour venir souffler sa fragile demeure, une maîtresse femme, Plant a mis toutes les chances de son côté, survient à toute vitesse dans sa Chevrolet décapotable, l’est beau comme le prince de l’histoire de La Belle et la bête, s’est déguisé en lion. Entre nous soit dit, le royal animal est en aussi mauvais état que le bison de la couve. L’est pas seul, toute une ménagerie, de pacotille, des jouets usés de gamin peu soigneux, un élan, un aigle, le fameux bison… Ce clip ressemble à de maladroites manipulations d’objets sur les tréteaux d’un théâtre de Guignol. La princesse n’arrête pas d’agiter son index, comme un doigt d’honneur, rien ne lui plaît…

    Si vous ne me croyez pas, allez-y voir par vous-même, vous en ai livré une description cryptée, c’est qu’avec Led Zepe vous avez des symboles cachés un peu partout à déchiffrer. N’oubliez pas que selon Edgar Poe ce qui est caché est intentionnellement posé au premier plan. Si vous n’avez pas envie de vous prendre la tête jetez un œil sur le site de Manu Viquera, c’est lui le créateur : un véritable Artiste.

    GOSPEL PLOUGH

    (Official Audio)

    La version de ce traditionnel, parue en 1962 sur le premier trente-trois tours de Bob Dylan,  est un crachat lancé à la face de Dieu qui métamorphose la lourde plainte de l’esclave le dos ployé sur sa charrue en cri de haine, en envie nietzschéenne de tuer le Seigneur esclavagiste des âmes.

    Difficile de faire mieux. Certes vous avez une version de Mahalia Jackson, la diva du gospel, qui vous en offre une cover totalement déjantée, une espèce de cavalcade, avec un piano qui hennit comme un étalon qui s’apprête à honorer la plus belle des juments du troupeau, je ne voudrais pas insinuer des faussetés mais quand vous l’écoutez, vous en tirez la conclusion qu’elle et ses musiciens, l’orchestre de Ducke Ellington, sont totalement  ivres.

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    Face à Dylan et à Mahalia, le Plant n’a que sa voix, diminuée tout de même, et son orchestre.  L’est mal parti, c’est vrai faut arriver au troisième tiers morceau pour comprendre comment ils vous retournent l’âme comme une crêpe au rhum. Premier tiers : les musicos au boulot, c’est beau comme un arbre de Noël, vous retirez vos pataugas pour ne pas faire de bruit, de la belle ouvrage, au fond un bourdon, devant une guitare qui n’ose pas être totalement espagnole. Deuxième tiers : Plant et Suzi au chant, magnifiques, les musicos font les zigouigouis attendus, mais vous ne leur prêtez aucune attention, une brise de printemps vous frôle l’échine et vous insuffle la force de vivre. Troisième tiers : instrumental, mettent la gomme  au début, le barouf d’honneur, pas du tout, une espèce d’apocalypse sonore fond sur vous, elle ne fait que passer, elle s’éloigne et bourdonne au fond de l’horizon. C’est Dieu qui s’éloigne de vous. Définitivement.

    EVERYBODY’S SONG

    (Official Music Video)

    A l’origine une chanson du groupe Low. Pourquoi Plant l’a-t-il choisi. J’ai ma réponse : parce que ce morceau ressemble à un morceau de Led Zeppelin, très mal joué, une imitation grossière, y mettent tout leur cœur mais leur manque la grâce. La maîtrise aussi. Trop brouillon. Des idées jetées pêle-mêle. Rien de structuré. Rien de digéré.

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    La vidéo n’est pas un chef d’œuvre, elle recycle un peu des idées de Chevrolet. L’on est content au début de retrouver le bison qui court qui semble vouloir nous emmener dans les vertes prairies de l’Eden, l’est vite rejoint toujours en surimpression par toute la faune du paradis… Là où ça se gâte c’est quand vous vous retrouvez dans votre salle à manger à visionner une émission animalière, sur TV couleur grand écran, de belles images d’animaux sur sites naturels, tellement vues et revues que l’on a envie d’arrêter.

    Ce serait dommage car maître Plant vous remet de l’ordre dans la bouillie à gros gruaux d’avoine de Low. Désormais le morceau est high. Et allégé. Extermination des gluances marécageuses Luxe, calme charliphores et volupté baudelairienne à tous les étages.

    Damie Chad.

     

    *

    Sur le coup le nom du groupe ne m’a rien dit, ma mémoire est certes infaillible mais là toute mon attention était monopolisée par le son des guitares, une marmelade de bon augure. C’est en parcourant leur discographie que j’ai sursauté, j’ai reconnu la couve, le lion ailé, j’ai vite retrouvé la chronique de l’album Ouroboros de Krampot dans la livraison 573 du 03 / 11 / 2022. Donc trois après ils sévissent encore, illico je kronico. Je ne suis pas un escargot.

    DIS

    KRAMPOT

    (Bandcamp / Août 2025)

    N’ont pas changé : Claudia Mühlberger : vocals, guitar / Andrea Klein : guitar /Georg Schiffer : drums /Julian Kirchner : bass.

    Viennent de Vienne, pas notre antique Vienna située sur le territoire gaulois des Allobroges, mais la capitale de l’Autriche. Ne sont pas des stakhanovistes : trois singles en trois ans, Dis est le premier titre de leur futur album… à venir à une date indéterminée.

    Ils se définissent comme une formation  Pagan Desert Doom mais leur emblème incite à penser qu’ils se réfèrent davantage à l’infâme créature dominatrice des mondes souterrains et ténébreux qu’aux lumineuses divinités de la Grèce antique. Si vous êtes une âme sensible ne jetez pas un seul regard à l’Instagram d’Andrea Klein peuplé de monstre voraces et inquiétants. Si vous visitez l’Instagram de Krampot vous vous apercevrez qu’elle n’ignore point qu’il existe des couleurs moins angoissantes que le blanc et le noir.

    Le single est précédé d’une courte notule du groupe : l’album projeté raconte un voyage vers la Cité de Dis. Ne vous précipitez pas pour vous inscrire : la Cité de Dis appartient à Pluton, le dieu des enfers, ainsi surnommé le Riche (dives en latin) puisqu’il règne sur l’innombrable peuple des morts. Dante cornaqué par Virgile nous la fait visiter. Elle s’étend sur les derniers cercles des Enfers, les plus profonds qui renferment les âmes les plus exécrables non pas parce qu’elles auraient commis le plus grand nombre d’assassinats mais parce que leurs crimes révèlent leurs bassesses naturelles : elles ont menti, volé, trahi… sachant qu’elles commettaient le mal en toute connaissance de cause… Le voyage devrait s’achever dans la zone du froid absolu de la souffrance…

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    Ne vous fiez pas à la première impression lorsque vous regarderez la couve. La couleur rouge ne représente pas la joie de vivre mais la souffrance des supplices. Les volutes torsadées ne représentent pas les dentelles d’une robe de princesse, elles sont les émanations glacées du cœur gelé de Dis. Toi qui te diriges vers ce concentré de haine froide abandonne tout espoir. La bestiole verdâtre qui semble parfaitement à l’aise dans ces eaux polaires n’est pas votre amie !

    Dis : les lignes précédentes n’incitent guère à l’optimisme, la voix de Claudia est sans pitié, aussi froide qu’un couteau qui s’enfonce dans votre cœur très doucement pour que vous souffriez éternellement. Les vingt premières secondes, guitares et batterie sont comme toutes les guitares et toutes les batteries de tous les groupes de stoner doom, vous respirez, vous êtes en terrain connu, rien de plus brûlant et réconfortant que le rock, hélas, elles deviennent insupportables, ce n’est pas qu’elles hurlent et pilonnent, pas du tout, elles ne cherchent pas atteindre le noise industriel grinçant et insupportable, elles restent dans le domaine mélodique, elles s’appesantissent, elles deviennent aussi lourdes qu’une calotte d’iceberg, elles vous englobent, elles vous phagocytent, elles s’emparent de vous, il y a longtemps que Claudia s’est tue, que dire d’autre que cette sensation d’être enfermé vivant ad vitam aeternam dans un des tiroirs de la morgue de votre esprit. Imaginez le parcours d’une âme avide de savoir, de voir, de se fondre, voire de se morfondre dans l’absolu de la mort, lorsque résonnent les derniers mots prononcés en latin, la créature ressuscitera. La créature qui est la mort : oui. Mais toi : non.

             Un morceau sibérien ! La curiosité n’est pas nécessairement un vilain défaut. Ce dernier titre nous a donné envie d’écouter l’avant dernier.

    LORD OF DARKNESS

    (Bandcamp / Octobre 2023)

    Reprise d’une démo parue en 2017. La couve de ce tout premier opus représentait sur un fond mauve les trois gueules de Cerbère beaucoup plus proches du loup que des molosses de l’iconographie grecque traditionnelle. 

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    La couve de cette reprise préfigure celle du single qui suivra. Un peu plus mystérieuse, peut-être est-ce dû qu’au fond d’une obscurité érébéenne s’agitent des formes transversales, seraient-ce des larves, la vivacité de l’orange qui tranche superbement sur ce tableau noir inciteraient, malgré le titre, à l’optimisme, mais les longues mâchoires de crocodile sans corps qui les enserrent nous aident à comprendre que nous faisons fausse route. Les grosses majuscules du titre semblables à un panneau d’affichage nous le confirment.

    Sur YT la présentation de la couve est davantage explicite : les larves orange se révèlent être les langues serpentines des trois gueules de Cerbère et les mâchoires orphelines des crocodiles se transforment en la caninique et terrible dentition  dans le dessin au trait fin des trois têtes du gardien des Enfers. 

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    Lord of Darkness : rythmique lancinante, le chemin sera long et peu voluptueux, franchement on n’est pas là pour rigoler, la traversée de cercles infernaux s’avère harassante, des morts partout qui essaient de mourir ou de vivre, ce genre de postulations se ressemblent, le pire c’est le Seigneur des Ténèbres lui-même, ne paraît prendre aucun plaisir à son rôle, donne l’impression qu’il accueille les âmes mourantes parce qu’il ne peut pas faire autrement, certes la rythmique s’éparpille un tantinet quand elles se retrouvent au plus près de lui, Krampot fait tous ses efforts pour nous dissuader de quelque espoir, les morts essaient d’attirer son attention, peine perdue… la partie qui se joue se passe ailleurs, les Dieux se meurent, ils sont engloutis dans l’oubli et cèdent la place aux Titans, ce n’est pas dit mais sans doute le Seigneur des obscurités suppute-t-il que lui aussi, un millénaire ou l’autre devra périr, ne serait-il pas nécessaire de l’écrire sur les vitres du néant avec le sang des morts…

    SLAVIA DIVINORUM 

    (Bandcamp / Mai 2023)

    De l’avant dernier nous passons sans complexe à l’antépénultième comme dirait Stéphane Mallarmé. Pas besoin d’être un spécialiste en musique classique pour savoir d’où provient l’inspiration d’Andrea Klein pour cette couve si différente des deux précédentes.

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    Nommons le coupable : le grand compositeur russe Modeste Moussorgski qui pour rendre hommage à son ami peintre Viktor Hartmann décédé en 1873 composa l’année suivante une série de dix pièces pour piano intitulées : Tableaux d’une exposition. Ainsi nommée car le musicien s’est inspiré de tableaux ou d’aquarelles de son ami, notamment de l’une  d’entre elles nommée la Cabane Aux Pattes de Poule qui n’est autre que la maison d’un des personnages les plus célèbres des contes russes : la sorcière Baba Yaga.

    Slavia divinorum : encore une reprise d’un des quatre  morceaux de leur premier opus Odyssea :  l’auditeur qui aura écouté les deux morceaux précédents sera surpris. Certes c’est du doom, mais un doom qui mériterait d’être qualifié de joyeux, les guitares ronchonnantes jouent un peu à l’ogre de nos contes d’enfant mais la batterie imite à merveille la démarche claudiquante de l’isba aux pattes de poules. Nous sommes à mille lieues des antres obscurs plutoniens. Le problème, c’est qu’à la moitié de l’opus tout change. La batterie brinqueballe un petit peu  moins mais encore une fois  c’est la voix de Claudia qui vous glace le chant, les paroles s’inscrivent sur la vidéo, pas bien longues, de très courts vers, morphologiquement vous avez l’impression d’une comptine pour endormir les enfants, mais avec ce vocal qui résonne sous les voûtes des cités interdites vous vous dites qu’il y a quelque chose qui cloche, vous voulez en avoir le cœur net d’autant plus que lorsque la voix se tait après une apothéose chorale qui se termine par deux stridences, les instruments abandonnent leur allure sympathique  pour s’adonner à un doom de la mort qui se termine sur un long grondement d’orage… Vous demandez à votre traducteur de vous traduire les paroles, sans doute du russe, peut-être de l’ukrainien, c’est tout mignon, avec un gentil renard, parfait pour une classe de maternelle, ben non, le renard n’est que l’image de la mort… Serait-ce une illustration de l’âme slave, de son infinie tristesse… mais cette maison aux pattes de poule ne repose-t-elle pas sur une large tache verte à laquelle on pourrait prêter la forme d’une feuille de sauge (salvia), plante médicinale par excellence, la mort médicament des dieux…

             Un groupe qui vous vous apporte des réponses aux questions que vous ne leur posiez pas. La poudre noire qui reste au fond du creuset.

             Je pensais en avoir fini avec Krampot pour cette kronic, mais voici qu’en cherchant j’ai trouvé deux autres titres. Sont-ce deux morceaux qui se retrouveront sur l’album à venir, je n’en sais rien, toutefois leur visionnage apporte non pas quelques lueurs mais quelques noirceurs.

             Le premier est une démo-vidéo sur laquelle le groupe interprète :

    HADAL HYBRIS

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             Osons le dire cette vidéo est bien plus puissante que les trois titres précédents. Les quatre membres de Krampot sont enfermés dans un local, image grise, ne jouant aucunement sur les ruptures expressionnistes du noir et du blanc. La musique est la même mais totalement différente, cette assertion  n’est pas aussi absurde qu’il pourrait le paraître de prime abord, le même inclut le retour or le retour n’est déjà plus le même, pensez au titre de leur premier album Ouroboros… dès les premières secondes vous vous trouvez projeté en une dimension orientale (évacuez de votre esprit l’Orient typique pour ne pas employer le terme de touristique à la Led Zeppelin), pensez à la notion d’intemporalité de la musique indienne qui semble avancer infiniment tout en laissant par de rares modulations qu’elle reste toujours dans le même confort acoustique d’une zone dont elle ne s’échappe pas. A part que nous avons affaire à un véritable groupe de rock, deux guitares, une basse, une batterie, et une voix, féminine puisque proférée par un être féminin, mais ô combien d’outre-sexe, d’autre part, venue d’ailleurs, une mélopée atemporelle qui serait fichée dans un gosier pour prendre pied dans notre monde. La section rythmique s’active méchamment, les images le prouvent, mais leur action semble n’avoir aucune action efficiente sur le rythme du morceau, j’ai envie d’écrire que ce groupe ne produit pas de la musique mais de l’intensité sonore, une lampe qui éclaire d’elle-même sans être branchée sur une source d’électricité quelconque et dont parfois la luminosité devient plus forte sans qu’elle semble en être la responsable car n’obéissant qu’à ses propres injonctions. Musique fascinatoire. De quelle hybridité ce morceau rend-il compte ? De celle des Dieux et des Titans s’engouffrant dans les profondeurs abyssales, rappelons que toute glace n’est que de l’eau, que l’abîme n’est que l’image renversée du soleil mort, que la lumière se congèle aussi facilement que de l’eau de vie métamorphosée en eau de mort. Toute alchimie n’est-elle pas réversible. D’où cette impression d’immobilité parcourue de tempêtes sans frein… Comme si musique et poésie s’équivalaient sans cesse sans parvenir à un équilibre fondationnel.

             Deuxième vidéo :

    MARENA

    (Music vidéo / Krampot / 21-12 -2021)

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              La vidéo portée par la voix de Claudia permet d’entrevoit le groupe en train d’interpréter sa chanson, la primauté est toutefois accordée aux images. Les premières sont magnifiques, grandioses paysages de forêts recouvertes de neige, arbres le tronc engoncé en leur carapace de glace. Splendeurs naturelles figées en une immobilité morbide.  Elles sont bientôt suivies de vues ravissantes mais beaucoup moins fortes, écureuils, cerfs, loup… toute une faune qui s’éveille ou qui sort de ses tanières pour se réchauffer. Après l’hiver, le printemps. Après la mort, la vie. Dans une note sous la vidéo il est nous est expliqué que dans les pays d’Europe de l’Est  le titre Marena désigne la déesse de l’hiver, de la mort et de la renaissance. Parfois une effigie de Marena était noyée ou brûlée pour fêter le printemps. Le mythe païen a survécu au christianisme, les villageois expliquant que ce n’était pas une déesse que l’on brûlait mais une sorcière.

             Ce titre fait partie du premier album de Krampot : Odyssea. Le titre est à lui tout seul une revendication paganiste. L’odyssée en question ne conte pas les aventures du héros grec mais évoque le cycle de la nature, qui paraît s’teindre, puis qui renaît de ses cendres tel un phénix immortel.

             Le lecteur n’aura pas été sans remarquer que ce titre contient à lui seul la vision du monde développée par Krampot dans son œuvre.

    Damie Chad.

     

    *

    Il y a des mots que l’on préfère à d’autres. Excusez-moi de cette introductive évidence. J’entends la radio sans l’écouter. L’on déblatère sur un roman qui s’intitule Nous Les Moches. Qui pourrait s’intéresser à la mocheté des hommes et du monde, certains auteurs doivent détester avoir des lecteurs, enfin ça les regarde, des bribes parviennent à mes oreilles, tiens un romancier, normal la séquence porte sur les romans de la rentrée littéraire de septembre, tiens en plus c’est un militaire, drôle de zèbre une rayure noire pour la guerre une blanche pour l’écriture, je ne vais pas critiquer, un  de mes livres préférés ne se nomme-t-il pas Les Sept Piliers de la Sagesse de T.E Lawrence plus connu sous la prestigieuse nomination de Lawrence d’Arabie, qu’importe de toutes les manières pour moi la littérature s’est arrêté au dix-neuvième siècle, après la génération 1870 - 1930 je ne suis que très rarement preneur, j’ai terminé mes ablutions matinales, mes doigts s’apprêtent à retirer le cordon de la prise lorsque surgit un mot incroyablement incongru, aurais-je mal compris, ne serait-ce pas mon cerveau compatissant qui voulant me préserver de la laideur actualitoire  m’aurait fait accroire qu’il aurait été prononcé par le journaliste, mais non, je ne suis pas fou, je ne suis pas en train de prendre mes désirs pour la réalité, pas du tout, le speaker le répète : Norfolk !

    Norfolk ! La ville de Gene Vincent !

    Bref, je me suis précipité chez ma libraire préférée et j’ai acheté le bouquin.

    NOUS LES MOCHES

    JEAN MICHELIN

    (Editions Héloïse Michelin / Août 2025)

             Evidemment je m’y attendais, pas la moindre trace de Gene Vincent in the book. Dommage d’ailleurs, car c’est un peu la même histoire, de grandes similarités si l’on se donne la peine de réfléchir. Donc un roman. La trame est simple. Quatre gamins américains qui rêvent de devenir des Rock’n’roll Stars. L’histoire est racontée du début à la fin. Ce qui ne veut pas dire chronologiquement. Narrativement c’est beaucoup plus complexe que ça n’en a l’air. Jean Michelin n’est pas retors. Ne fait pas ses coups en douce. Vous avertit en toutes lettres chaque fois que le récit est victime (consentante) de ce  que j’appellerais un désencadrement, imaginez un tableau qui vous montrerait un paysage différent de celui que vous êtes en train d’admirer ? Entre parenthèse du paysage vous allez en bouffer, de toutes sortes, nos quatre héros ne traversent-ils pas les Etats-Unis en voiture, paysages géographiques à gogo, paysages mentaux à vous rendre gaga.

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             Retournons à nos rockers. Utilisons un terme précis : des metalleux, z’étaient gamins quand ils ont été percutés par Metalicca, Iron Maiden, Megadeth, vous entrevoyez la tribu à laquelle ils appartiennent. Marx ne l’a pas dit ainsi : mais dans chaque tribu rock il y a une sacrée lutte de classe. Pas de chance ils ne font pas parti de l’upper class, ne sont pas tout-à-fait non plus des soutiers à fond de cale. En France on dirait des bénéficiaires des aides sociales, celles-ci n’existant pratiquement pas dans la Grande Amérique  ils seront obligés de se fader toute leur vie des petits boulots de merde, de durée volatile… Bref la colère vous habite. Une seule solution. Non ce n’est pas la révolution. C’est la formation. A l’école certes, mais aux USA faut avoir les moyens intellectuels (un peu) et financiers (beaucoup). Donc ils opteront pour la formation d’un groupe.

             Evidemment ils partent de rien. Logiquement ils arrivent à pas grand-chose. Ne voyons pas tout en noir, ils ont in niveau déplorable, ils bossent, ils s’améliorent. Ne sont plus des nuls. Ne leur manque qu’un peu de chance pour se faire remarquer. Elle se présente, ils n’oseront pas la prendre. Tant pis pour eux, bien fait pour leurs gueules ! C’est que voyez-vous quand le système pourrait vous accueillir, faut pas hésiter.

             Fatalité sociale ! Ils sont pauvres, ils sont  moches, l’argent, les filles, la gloire ce n’est pas pour eux. Broken dreams ! Les années passent… Et Doug le batteur les rappelle. Notons, c’est écrit sur la quatrième de couverture, l’auteur Jean Michelin est aussi un batteur.

             Doug a un plan. Foireux à l’évidence. Suffit de faire comme si l’on croyait qu’il était réalisable. Je vous rassure, il ne fonctionnera pas. Pourtant Jean Michelin fait tout pour les aider. Partent sur un coup de dés. Pipé à la base. Mais Michelin leur trouve une solution de substitution. Le lecteur n’y croit pas. Eux si. Enfin quand les dés sont lancés il faut les regarder rouler. Alors ils roulent au travers des Etats-Unis, d’est en Ouest, de Norfolk à la Californie.  (Tiens la même trajectoire que Gene Vincent).

             Pour les cartes postales vous irez sur le Net. Nos quatre pieds nickelés ne s’intéressent qu’aux gens. Ne profitent pas du voyage pour devenir des ethnologues. Partout où  ils passent, mégalopoles ou bourgs ruraux ils ne voient que la même chose. Une égalité démocratique parfaite : des jeunes cons et des vieux cons.  American Beauty is not American Reality dirons-nous pour parodier une couve du Grateful Dead. Des vaincus de la vie, le ventre bouffi d’alcool, le cerveau empli de bêtises hideuses. Misère partout : sociale et intellectuelle.

             Soyons justes : il n’y a pas que des pauvres. Il y a aussi des riches. Les vrais riches ils sont rares dans le bouquin. Les riches auxquels se heurtent nos héros, sont des gagne-petit, ne vous louent pas des chambres mais des espèces de galetas… La richesse n’existe pas, ce qui lui sert de substitut c’est le dollar. Alors dès que vous en avez en poche vous faites tout pour les garder… Avarice et égoïsme seraient-ils les deux mamelles de cette société inégalitaire…

             L’Amérique que nous présente Michelin n’est pas attirante. Mais tout cela ce n’est rien, presque un conte de fée, à côté de la face sombre de l’Amérique : la leçon est simple : même si vous êtes riche, vous n’êtes pas libre, vous êtes obligé de pactiser avec le système, de le faire fonctionner. Même si vous ne le voulez pas. Sans quoi il vous rejettera. Prenons un exemple : le rock’n’roll. Doug et ses camarades ont la rage. D’autres l’ont eu avant eux. Metalicca par exemple. Mais si vous percez, si vous émergez, pour rester tout en haut vous êtes obligé de mettre de l’eau tiède dans votre rock. Les idoles se décolorent vite… Metalicca par exemple.

             Nos héros ne sont pas dupes. Même le guitariste qui s’est joint à eux. Plus jeune et peut-être encore plus désespéré. Michelin est assez malin pour nous proposer une fin ‘’heureuse’’. Du moins qui le semble. Elle ne l’est pas du tout. Chacun des personnages retourne dans sa nuit et l’on pressent que la lumière ne sera pas au bout du tunnel.

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             Vous fermez le livre. Je n’aimerais pas vivre aux USA concluez-vous. Remarquez, par chez nous ça y ressemble de plus en plus… Le roman n’incite pas à l’optimisme… Jean Michelin né en 1981 n’est pas un militaire de salon, il a servi au  Kosovo, au Liban, en Afghanistan et bien d’autres… il a travaillé à Norfolk dans les services de l’Otan, un itinéraire de haute responsabilité, je ne m’attendais pas à un tel livre chez un homme officiant à de tels postes…

             En tout cas un roman qui analyse les USA à partir d’un lieu d’observation peu utilisé : le rock’n’roll.

    Damie Chad.

     

     

    *

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    Le nom de Chas Hodges (1943 – 2018) n’est guère connu du grand public en France. Le seul titre de gloire que nous lui reconnaissons est d’avoir accompagné Gene Vincent  en tant que bassiste des Outlaws.  Sa carrière en Angleterre et aux Etats-Unis ne se limita pas à ce groupe… Pour la petite histoire rappelons que le célèbre John Peel – le rock anglais lui doit beaucoup - animateur et producteur sur Radio One (BBC) décréta que le titre Shake With Me enregistré en 1964 par les Outlaws fut le premier morceau d’heavy Metal apparu sur cett terre… Et les Outlaws et Chas Hodges furent des figures agissantes du rock anglais qui mériteraient davantage de renommée que la réputation de seconds couteaux du rock anglais qui leur est trop souvent attribuée. Ecoutons Chas, ses souvenirs sur Gene Vincent sont essentiels quant aux tribulations de Gene outre-Manche…

    The Gene Vincent Files #8: Chas Hodges reminiscing

     the times he toured with Gene and The Outlaws.

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    Les Outlaws se sont formés, à l’origine ils s’appelaient The Formers, Mike Barry voulait un groupe d’accompagnement, pour enregistrer au studio de Joe Meek en 1961, nous avons donc auditionné et Joe changea notre nom en Outlaws, je tenais la basse, Kenny Ludgren était à la guitare rythmique, Ritchie Blackmore était à la lead, et Mickey Underwood à la batterie, nous avons repéré une annonce sur le Melody Maker selon laquelle Gene Vincent était à la recherche d’un groupe de soutien, le guitariste Kenny Lundgren téléphona à Don Arden et Don Arden vint nous auditionner dans un studio de répétition, nous avons joué quelque chose comme cinq ou six morceaux et il a dit ‘’ Ok les gars vous avez le job’’ nous étions tous contents d’être de cette tournée mais nous sommes arrivés trop tard pour la  tournée, Don Arden a dit, oui il a dit j’ai déjà un groupe pour accompagner Gene Vincent, nous partions, lorsqu’ il a dit, oui  il a dit : Jerry Lee Lewis a besoin d’un groupe d’accompagnement, et c’était parfait parce que nous avons accompagné Jerry Lee sur cette tournée et quand Jerry est rentré chez lui, nous avons pris la route avec Gene Vincent, ainsi tout s’est parfaitement combiné, ainsi vous avez eu les deux bouts du monde ! bien sûr mais je veux dire que quand je regarde cette année 1963 c’est une de mes plus belles années, derrière Jerry Lee et ensuite sur la route avec Gene Vincent et de retour à la maison je me suis mis au piano, Jerry Lee oblige !, oui ce fut

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    une très belle année. Nous avons répété avant le Saturday Club, assez drôle, nous avons couru jusqu’au domicile de Gene, à Muse quelque part dans le West End. Je me souviens de Gene disant nous allons organiser  une cocktail party, j’avais seulement entendu dire cela dans les films, je n’avais aucune idée de quoi il s’agissait, Gene m’expliqua : on y boit, j’étais partant, j’ai bu quelques verres, ainsi nous avons organisé une cocktail party et avons répété en même temps. Il savait ce qu’il aimait. Gene était très bon pour organiser les choses que nous faisions. Nous jouions Baby Blue : I got her name, it’s Baby Blue, well, baby, baby, baby, et nous avons pris l’habitude, je pense que c’était sur sa suggestion, nous étions vraiment agiles en ce temps-là, sur le solo nous sautions sur nos  amplis, le guitariste s’allongeait sur le sol, imaginez des contorsions de tous genres, c’était super, Gene se jetait à terre, nous étions capables de reprendre nos places initiales, de la manière dont nous l’effectuons c’était presque une chorégraphie.  Est-ce que Joe Meek and Gene Vincent travaillaient ensemble ?, oui ils l’ont fait et je ne sais pas avec quel groupe d’accompagnement, j’ai découvert cela après, j’ai été un petit peu déçu que Joe ne m’ait pas embauché comme bassiste, c’est sorti dans un film, Live It Up, dans lequel les Outlaws sont crédités, qui était aussi bien foutu qu’une série A , ce n’était même pas une série B, c’était une C,  ou une D, je dirais même une E, avec Heinz comme star, mais Gene a chanté un morceau appelé Temptation Baby, plutôt bon, il l’a enregistré chez Joe je crois, mais je n’étais malheureusement pas présent lors de cette session.  je pense

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    hélas que Gene avait quelque chose de spécial, je l’ai compris pendant que j’étais en tournée avec lui, pas systématiquement,  il le faisait toutes les nuits, chaque fois qu’ il était de mauvaise humeur, c’était terrible, il  se laissait aller durant le show et je me souviens que je l’encourageais, allons Gene il faut y aller, je n’aimais pas cela, mais s’il y avait quelqu’un qui attendait, si quelqu’un dans le public était venu spécialement pour le voir, comme Johnny Kidd qui avait pris l’habitude de venir le voir ça et là, eh bien si Johnny Kidd était là Gene était capable de donner un show fantastique. Je pense qu’il avait une très grande voix. Il  était le rock’n’roller le plus pointu. Elvis était très bon. Gene était très bon et très pointu. Il était plus pointu qu’Elvis dans son style. Gene avait cette attitude de rock’n’roll agressif et il avait tout ce qui va avec, il avait la voix, et il avait les mouvements sur scène, je veux dire qu’il avait le rythme, la première fois que je l’ai vu sur scène, j’étais derrière lui, nous avions l’habitude de garder le micro en position basse et sa jambe passait par-dessus, c’était exécuté en une seconde, c’était comme un plan coupé dans un film, vous savez il esquissait à peine sa parade et à la seconde suivante ses jambes s’envolaient invisibles, et comme par magie vous les aperceviez à leur place  sur le plancher c’était fantastique, il faisait cela à la perfection, Gene avait l’habitude de dire des choses, je veux dire qu’il a dit alors que nous  rentrions en Angleterre depuis Hambourg, il disait que sa femme, il pensait que sa femme avait une liaison, je ne sais pas si c’était vrai ou pas vrai, il a dit ‘’je rentre à la maison et je  tue ma femme’’, je disais ‘’Ok, veux-tu prendre un verre !’’  ‘’Entends-tu ce que je suis en train de dire sur ma chaise, je rentre à la maison, et je vais descendre Margie ! »  ‘’D’accord Gene, tu veux un café ou quelque chose d’autre ?’’  ‘’ Les copains, vous n’écoutez rien !’’ … Nous sommes  enfin rentrés à la maison, deux jours plus tard j’avisai une grosse manchette sur un journal, il avait réellement pointé son arme sur Margie, mais apparemment, j’ai lu la chose, le pistolet n’était pas en état de fonctionner, ainsi il ne l’a pas réellement tuée, il a juste reçu, je crois, un avertissement. Nous avions une répétition cette après-midi-là à Londres et j’ai pensé qu’il était en train de filer un très mauvais coton, vous savez après ce truc dans le journal, c’était au Din Studio de répétition, in the West End fréquenté par de nombreux groupes et chanteurs, où nous avions l’habitude de répéter, nous sommes arrivés, Gene était dans une pièce, Gene nous a ouvert  la porte et nous regarda, il arborait un très grand sourire sur son visage, ‘’ Je t’ai dit que je jouais aux échecs n’est-ce pas !’’ et il était réellement en train d’y jouer tout seul. Sur ce, il me dit : ‘’

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    Demain, demain je pars à Gênes’’ et il ajouta ‘’ils veulent que je joue avec leur orchestre, je veux que tu viennes avec moi pour que tu leur montres ce qu’il faut faire’’. C’était super ! je me revois écrire un mot dans la maison de ma copine, qui est aujourd’hui ma femme, disant, ‘’S’il te plaît je suis obligé de rester avec Gene, je file chez lui à l’instant, dans le West End, parce que nous partons à cinq heures du matin à Sumit D’’.   Cette nuit-là nous sommes restés éveillés, il a sorti toutes ses armes , je faisais genre parce que je n’étais pas intéressé, ‘’Chas regarde cette arme’’, ‘’oui’’ il disait ‘’c’est un Smith & Wesson’’ ou quelque chose comme ça, et il possédait des brassards, des brassards Nazis, il collectionnait des trucs comme ça, mais je me suis rendu compte que je n’avais rien à craindre, j’ai juste dit d’accord, alors il m’a dit ‘’viens voir mon nouveau bébé’’, sa femme était au lit, il devait être deux heures du matin, ‘’c’est mon nouveau bébé’’, sa femme a dit ‘’Gene tiens-toi tranquille tu es en train de réveiller toute la maison’’, Gene et moi avons fini par nous mettre au lit à quatre heures du matin,  il me réveilla sur les cinq heures, je me souviendrai toujours de Gene sur sa chaise avec cette première cigarette et    cette première bière,  j’ai répondu, je préfèrerais plutôt une tasse de thé ou quelque chose comme ça, de toutes les manières Don Arden a hurlé à la porte sur les cinq heures du matin, je ne sais pas si vous connaissez la voix d’Arden, la plus grosse voix que vous n’ayez jamais entendue ‘’Gene, dépêche-toi, lève-toi’’, je suis debout ma valise à la main, ‘’ô Gene je n’ai pas de costume’’ et Gene Vincent, il était plus petit que moi, déclara ‘’j’ai un costume pour toi ‘’   il me passa un de ses costumes et un de ses pantalons qui m’arrivaient là, je me suis un peu contorsionné  pour me donner une contenance présentable, et je me tenais debout, et certainement Don Arden était déjà dans l’appartement et Don déclama : ‘’dépêche-toi Gene nous allons être en retard’’ et sans même me regarder ils sont passés devant moi : ‘’ Pour le premier groupe,  je pense que Chas pourrait venir !’’  ‘’Nous n’avons besoin de personne d’autre, nous n’avons pas de ticket pour quelqu’un d’autre, le  groupe connaît ton boulot, grouille, monte !’’ Il monta dans la bagnole et ils arrivèrent à l’aéroport et je suis resté là debout, dans cet état en plein milieu de Londres, et le costume de Gene Vincent dans la valise, et je n’avais pas réalisé, je ne sais pas comment je suis revenu chez moi, et je ne peux me souvenir si j’ai évoqué cela avec Gene ou pas, je ne sais pas si je n’ai pas encore probablement par là son costume quelque part. Don Arden était Don Arden, une grosse voix, il semblait totalement insensible, quelle que soit la situation il aboyait ses ordres et il ne savait rien faire d’autre qu’aboyer. Nous avons été payés. Nous avons l’habitude de ces histoires sur Don Arden, cela ne s’est jamais produit avec nous, nous avions une avance de  30 livres par weekend et nous étions payés au plus vite, c’était parfait pour nous. Toutefois  je pense que c’était une honte d’après ce que avons su  il a gagné beaucoup avec Gene qui sur l’alcool a été le meilleur de tous ceux que j’ai jamais connus, j’ai toujours connu dans ma famille de gros buveurs de bière, je peux les traiter de gros buveurs mais pas d’alcooliques, Gene a été au sens propre du mot le premier alcoolique dont je me souvienne, il se levait, il prenait une bouteille de whisky, s’il y avait aussi de la viande, je lui disais ‘’tu n’as rien mangé’’ je n’ai jamais vu quelque chose comme cela, je lui disais ‘’ Tiens, je te ramène un hamburger ou quelque chose qui lui ressemble, si tu veux autre chose, un bol de soupe offert par le voisin’’, ‘’non, non, c’est bon’’ et il a juste vécu seulement avec du whisky. La semaine suivante, je n’ai pas insisté, et il a fait ce qu’il voulait…

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    J’étais dans un groupe avec Albert Lee, les Heads Hands Feets, et Tony Colton avait écrit une chanson Warmin’up in the band ( Alerte rouge dans le groupe) et il a pompé une ligne à la fameuse chanson de Gene Be Bop A lula, Be Bop A Lula To night oh Mama you’re allright et il se produisit que nous étions juste en train de l’enregistrer, et Gene devait jouer au Marquee tout près, j’ai dit au producteur si je pouvais aller chercher Gene pour qu’il vienne chanter ce couplet, j’ai dit je sais que tu aimerais faire cela et ça ferait un petit coup de publicité pour Gene Vincent qu’il chante actuellement ce couplet, maintenant je sais que c’était une excellente idée, donc je suis parti le chercher et on me dit il y a une grosse affiche dehors : En raison de circonstances imprévues Gene Vincent est rentré aux USA pas de show ce soir bla-bla-bla et j’ai cherché pour savoir si c’était vrai ou non, j’ai découvert assez

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    facilement qu’il était en litige pour la pension alimentaire de sa femme, qu’ils sont venus le chercher et qu’il était retourné en Amérique, et je pense qu’il est mort environ un mois plus tard. J’ai lu qu’il est mort alors que j’allais  enregistrer. Jamais vous ne le verrez plus, et c’est une honte terrible que Gene ne soit pas avec nous aujourd’hui, car il serait encore en train de rocker et d’attirer les foules et même davantage, je pense qu’il était englué dans la crise du rock’n’roll  des mid-sixties, ce qui n’a pas été le cas pour moi, mais quand les Beatles éclatèrent et quand la Soul éclata, vous savez que j’aime bien la soul, mais un grand nombre de rock’n’rollers n’ont pas gagné beaucoup d’argent, ils se sont battus, et certains comme Jerry Lee Lewis aujourd’hui, ce n’est pas le Jerry Lee Lewis  des premiers temps  mais il attire les foules et Gene Vincent aurait pu le faire, mais il nous reste ses disques à écouter et Rock A long Time… là c’est moi qui chante avec Gene…

    Transcription Damie Chad.

    Notes :

    Don Arden (1926 - 2007), figure controversée et irremplaçable du rock anglais, il suffit de citer, parmi d’autres, les noms de Gene Vincent, Small Faces, Black Sabbath, pour comprendre que ses activités de ‘’manager’’ ne furent pas sans conséquence sur l’histoire de notre musique.

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    Johnny Kidd ( 1935 – 1966 ) : rocker anglais de la première génération qui ne fut pas submergé par l’arrivée des Beatles… Tony Marlow, grand admirateur de notre pirate a consacré deux albums à son œuvre.

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    Heinz Burt (1942 – 2000) : l’ami Alain Couraud, souvent ici nommé Mister B, qui n’écrivit jamais une ligne dans ce site, mais sans qui ce blog n’aurait jamais existé, tenait Heinz et Billy Fury pour les deux meilleurs rockers anglais de la première génération.

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    Albert Lee (né en Angleterre, en 1943) guitariste rock prodigieux qui participa aux London Sessions de Bo Diddley et Jerry Lee Lewis… Quelle autre caution rock’n’roll avez-vous à offrir… La seule lecture de sa discographie est un émerveillement…

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    Cette vidéo, ainsi que beaucoup d’autres, est en accès libre sur la chaîne YT de VanShots – Rocknroll Videos

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 702 : KR'TNT ! 702 : FIN DEL MUNDO / BEATLES / SHARP PINS / WILD BILLY CHILDISH / FEELIES / THRAEDS / DRONTE / BRONZE AGE VISIONS / GENE VINCENT+ JACK NEAL

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 702

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    18 / 09 / 2025

     

     

    FIN DEL MUNDO /  BEATLES

    SHARP PINS / WILD BILLY CHILDISH

    FEELIES  / THRAEDS

       DRONTE / BRONZE AGE VISIONS

        GENE VINCENT + JACK NEAL

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 702

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    L’avenir du rock

     - Fin Del Mundo n’est pas la fin du monde

             À force d’errer dans le désert, l’avenir du rock a parfois l’impression d’être arrivé au bout du chemin. Et chaque fois que cette idée effleure sa pensée, il constate que le chemin continue. Soit il s’en agace, soit il s’en désole, ça dépend des jours. Alors il reprend son petit bonhomme de chemin, convaincu qu’un beau jour, il arrivera au bout du chemin. Car enfin, tout chemin a sa fin, se dit-il. Comme le jour ou comme la vie ! Il développe l’idée dans sa tête surchauffée et aboutit au concept de fin en soi. Ah ça lui plaît ! Ça le rassure. Ça lui met du baume au cœur. S’il ne trouve pas le bout du chemin, au moins il a ce beau concept en compensation : la fin en soi. Ça pourrait presque calmer sa soif d’aboutissement. Et donc, chaque fois qu’il croise un erreur, il se vante de chercher une fin en soi. Les autres erreurs ne comprennent pas forcément, mais sous ces latitudes, les finesses dialectiques perdent facilement leur importance. Les déserts ne sont pas des salons où l’on glose. On se contente généralement du strict minimum. Intrigué par cette idée de fin en soi, l’avenir du rock continue de réfléchir. Ça tombe bien, à part marcher, il n’a que ça à faire : réfléchir. Au moins, il ne perd pas son temps. Il se concentre sur les fins. Il décide de les collectionner. Chaque fois qu’il croise un erreur, il lui demande quelle est sa fin et lui propose de l’échanger contre l’une des siennes. Alors pour en avoir en double, il se met à fabriquer des tas de fins. Un jour, au pied d’une dune, il tombe sur un mourant et lui propose une fin qu’il a en double : «La fin justifie les moyens». Alors, dans un dernier râle, le mourant lui cède la sienne : «La fin des haricots». L’avenir du rock repart tout guilleret. Deux jours plus tard, il croise Lawrence d’Arabie. L’avenir du rock essaye de lui refourguer l’une de ses fins en soi, et du haut de son chameau, Lawrence éclate d’un gigantesque rire cristallin : «Le suicide n’est pas une fin en soi. C’est la fin de soi !» Vexé, l’avenir du rock rétorque d’un air mauvais : «Ah ! La fin Del Mundo n’est pas encore pour demain !» 

      

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             L’avenir du rock parle bien sûr de Fin Del Mundo. Elles arrivent d’Argentine. Elles sont quatre. Pas de mec sur scène, donc c’est le groupe parfait. Elles sont très jeunes. Sur les 4, 3 sont tatouées. Elles sortent à peine du collège. Vu les tatouages et des Doc Martens, tu t’attends à du punk latino. Le punk des labyrinthes de Jorge Luis Borges. Tu fantasmes un peu, c’est normal, on ne voit jamais d’Argentines

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    tatouées dans le coin. Formation classique : deux grattes, basse et beurre. Ça commence mal, la petite chanteuse n’a vraiment pas de voix et son cut sonne gnan-gnan. On se croirait à la MJC de Buenos Aires. En plus, elles n’ont pas de son. La petite chanteuse s’appelle Lucia. T’avales ta déconvenue et, philosophiquement, tu te dis que ça va forcément s’arranger. Dans ces cas-là, il faut toujours trouver un moyen de se remonter le moral, car avec l’âge, on s’aperçoit que le moral prend la vilaine habitude de descendre vite fait dans les godasses. Comme tu ne connais pas les cuts, tu fais confiance à tes oreilles. Et voilà que cut après cut, elles font honneur à

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    ta confiance, car elles se mettent à chauffer la cave qui est déjà surchauffée, et ça devient vite extraordinaire, d’autant que la petite vingtaine d’happy few exulte, et l’ambiance devient géniale, alors les Argentines montent d’un cran et on assiste à un phénomène assez rare qui est celui de l’élévation d’un groupe inconnu. Elles s’élèvent toutes les quatre du sol et claquent une pop excitante, révélatoire, même pas exotique, une pop fine et racée, bourrée d’énergie, éclatée par de trop rares harmonies vocales, celles qu’on entend dans Le Temps Des Gitans, les poux prennent du volume, t’en reviens pas de les voir régner sans partage sur cette cave qui en a déjà vu des vertes et des pas mures. La petite guitariste qui est devant toi s’appelle

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     Julieta. Elle porte des lunettes et mine de rien, elle ramène énormément de son. La bassiste Yanina est la plus tatouée des quatre. Et derrière ses fûts t’as une autre Julieta qui lance tous les cuts au tac tac tac. Elles sont tout simplement sidérantes de fraîcheur saumonique, t’as l’impression que cette pop s’adresse directement à toi, cette pop fait de toi le bec fin de service, t’en goûtes chaque seconde avec une délectation dégoulinante de sueur, et si le dieu de l’underground existait, t’irais lui serrer la pince pour le remercier d’avoir mis ensemble dans la cave ces deux groupes géniaux que sont Zement et Fin Del Mundo.   

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             Comme elles n’ont pas de merch, tu réunis le soir même un conseil restreint pour voter les crédits de rapatriement superfétatoire, car cette pop t’intrigue et quand une pop t’intrigue, il faut la tirer au clair. Elles ont deux albums à leur petit

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    palmarès argentin, Hicimos Crecer Un Bosque (qui veut dire en français ‘Nous Avons Fait Pousser Une Forêt’) et une compile, Todo Va Hacia El Mar (qui veut dire ‘Tout Va À La Mer’). Et au vu de la setlist, on constate que ces petites coquines jouent sur scène un mix des deux albums. Le conseil restreint chougne un peu mais finit par voter le budget. 

             Alors attention : avec Hicimos Crecer Un Bosque, t’as un pot-aux-roses. Ces petites coquines d’Argentine ont du son, rien à voir avec celui de la cave. Sur l’album, elles sonnent comme les Pixies, aussitôt «Una Temporada En El Invierno». C’est plein d’élan et plein de vie. Te voilà transfixé. S’ensuit une autre fontaine de jouvence, «Vivimos Lejos». Non seulement les poux sont précis mais voilà qu’elles font les chœurs magiques du Temps Des Gitans, ceux qu’on entend dans la scène des funérailles sur le fleuve. Et ça plonge dans l’inferno du vivid, c’est hot as elles, la plongée est en fait une montée au firmament, elles cultivent leurs harmonies vocales juvéniles et c’est une aubaine pour tes vieilles oreilles, une aubaine fouettée par des vents de poux, t’en reviens pas de tant de maîtrise. Elles grattent des petits poux lumineux, chaque cut est exaltant. T’as un joli Wall of Sound dans ce «Refugio» puissant et comme illuminé de l’intérieur. Elles créent bien leur monde et savent mettre le paquet quand il faut. T’es frappé par la grosse attaque de «Devenir Paisaje». Elles développent des chevaux vapeur, elles déroulent du continuum, elles sabrent les goulots de leurs cuts avec des accords inconnus, elles fourbissent des résonances mystérieuses, tu crois entendre un instro, mais elles arrivent au chant quand tu ne t’y attends plus et ça devient génial. Cut après cut, t’as l’impression de monter dans les échelons, elles se fondent dans «El Dia De Las Flores», elles sonnent quasiment comme les Breeders, tant de power t’éberlue, elles se montrent vertigineuses d’ambition sonique, leurs abysses ressemblent à s’y méprendre à celles des Pixies. Elles regagnent la sortie avec «Vendra La Calma» et se barrent en mode heavy pop. Elles te drivent ça sec, avec des coups d’acou, c’est puissant, et même sur-puissant, saturé de power féminin et de clameurs argentines. Tu les adores.

             Une seule déconvenue : le Todo Va Hacia El Mar commandé en Espagne n’est jamais arrivé. Ainsi va la vie.

    Signé : Cazengler, fan del Mundo

    Fin Del Mundo. Le Trois Pièces. Rouen (76). 5 août 2025

    Fin Del Mundo. Hicimos Crecer Un Bosque. Spinda Records 2024

    Concert Braincrushing

     

     

    Wizards & True Stars

     - Sale petite Beatlemanie (Part One)

     

             — Tu traînes cette sale petite Beatlemanie depuis combien de temps ?

             — Soixante ans...

             — Pourquoi ne tu vas-tu pas te faire soigner ?

             — Certainement pas.

             Les Beatles, c’est comme Elvis : ils sont le tenant de l’aboutissant. Ce sont eux qui ont inventé les hits, qui ont enchanté les radios et par conséquent nos vies de jeunes coqs. On a tous aimé à la folie Lady Madonna et pris la main que John nous tendait pour aller faire un tour dans Strawberry Fields, c’est lui qui t’a expliqué que rien n’était réel - nothing’s real - et que la vie est easy quand tu fermes les yeux. On a vérifié : c’est vrai.

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             Les Beatles ? Zéro défaut et toutes les qualités. Lorsque tu entends des gens cracher sur les Beatles, tu les plains secrètement, non pas pour leur manque de curiosité, mais pour ce sectarisme qui est hélas l’une des formes «culturelles» de l’extrême vulgarité. Et souvent, les qualificatifs sont à l’avenant. Un jour, dans la voiture, alors qu’on roulait avec Janvuc vers un patelin normand, nous échangions nos points de vue sur nos vieux coups de foudre. Après les Zombies, les Small Faces et Syd Barrett, vint le tour des Beatles :

             — Que penses-tu de l’Album Blanc ?

             Avant de répondre, Janvuc prit une profonde inspiration, puis il lâcha avec tout le dégoût dont il était capable :

             — C’est de la merde !

             Au moins les choses étaient claires. Et ce fut la fin de nos échanges «culturels». Nous parlâmes ensuite de la pluie et du beau temps. Puis, tout naturellement, nous nous perdîmes de vue.

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             Ce que cet abruti de Janvuc n’avait pas compris, c’est que le White Album est l’un des albums parfaits de l’histoire du rock. C’est en tous les cas ce que nous ré-explique Opher Goodwin dans son minuscule mini-book : Rock Classics: The Beatles White Album. Il plafonne à 80 pages dans le format qui rentre dans toutes les poches, et t’es bien content de lire sa prose, car il te redit tout ce que tu sais déjà, mais avec la passion dévorante d’un fan resté en phase.

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             L’idéal est de coupler cette lecture avec l’écoute de la box White Album - 50th Anniversary, qui propose les fameuses ‘Esher Demos’. T’es pas surpris de constater que le White Album n’a pas pris une seule ride, que toute sa diversité a gardé sa fraîcheur et que John, aussi bien que Paul, restent des interprètes exceptionnels. La Beatlemanie n’a jamais été une vue de l’esprit.

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             Goodwin commence bien sûr par rappeler le contexte révolutionnaire de 1967 : l’émergence de la psychedelia (The Piper At The Gates of Town, Are You Experienced, Mr. Fantasy et Disraeli Gears), puis l’arrivée de l’acid rock de la West Coast («the strange days of the Doors, Captain Beefheart dropping pout, Frank Zappa freaking out, The Byrds being notorious, Love forever changing, Country Joe & The Fish applying electric music for the mind, and Jefferson Airplane taking off.»). Il rappelle aussi l’évolution spectaculaire des Beatles, à partir de «the folkie essence of Beatles For Sale», suivi du harder pop-rock de la B.O. d’Help, puis Rubber Soul «qui vit the beginning of a new type of songwriting ultimately exploding into full ferocity on Revolver.» Et comme Syd Barrett, Jimi Hendrix et le West Coast acid rock avaient ouvert les portes en grand, la counterculure «was in full swing» et quelques-uns des «vieux groupes», nous dit Goodwin, s’étaient eux aussi engouffrés dans ce full swing : les Rolling Stones, les Who, les Yardbirds et les Pretties. Et bien sûr, les Beatles naviguaient au sommet du full swing avec Sgt. Pepper - They never disappointed lyrically, poetically, thematically, and musically. The Beatles remained right at the forefront of wathever was happening - Sgt Pepper étant alors considéré comme le sommet de 1967, le problème des Beatles était alors d’enregistrer le sommet suivant, celui de 1968. Entre les deux sommets, et contraints par leur contrat, ils allaient enregistrer cinq singles qu’il faut bien qualifier de magiques : «Strawberry Fields Forever»/«Penny Lane», «All You Need Is Love»/«Baby You’re A Rich Man», «Hello Goodbye»/«I’m The Walrus», «Lady Madonna»/«The Inner Light», «Hey Jude»/«Revolution». Pardonnez du peu. 

             C’est aussi à ce moment qu’ils montent Apple Records et qu’ils signent une palanquée de cracks, James Taylor, Jackie Lomax, Mary Hopkins, Doris Troy, Badfinger et Billy Preston. C’est leur vision de full swing. Le full swing bat son plein.

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             Si on a eu la chance de vivre le full swing des sixties en direct, on a le souvenir d’un vertige. La radio déversait son lot quotidien d’hits tous plus magiques les uns que les autres. Et par la force des choses, tu devenais une sorte de pirate en herbe, puisque tu jetais ton grappin sur tous les bateaux, tous les oiseaux, tous les singles, tous les EPs et tous les LPs qui traînaient dans les parages.

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             Pendant ce temps, les Beatles étaient aux Indes, chez le Maharishi. Ils ont profité de ce séjour pour composer une quarantaine de chansons, dont le fameux «Sexie Sadie» qui concerne la libido galopante du Maharishi. Ils bidouillaient des chansons avec leurs copains Donovan et Mike Love qui étaient aussi du voyage. Rentrés en Angleterre, ils sont allés chez le roi George enregistrer 28 demos. Ce sont les fameuses Esher Demos.

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             C’est le CD3 de la box. Et l’un des plus beaux jours de ta vie, quand tu l’écoutes. Ça démarre sur une version grattée à coups d’acou de «Back In The USSR». T’entends un truc unique au monde. Ils formatent ton esprit, ils chantent cette merveille à deux voix et font les cons à la fin. Ils vont pondre leurs démos une à une, comme des œufs d’or. Cot cot ! Les Beatles, amigo. T’as la version démo de «While My Guitar Gently Weeps», sans Clapton (le ton c’est bon). Tout repose sur la qualité des harmonies vocales. Heavy druggy John tape l’«Happiness Is A Warm Gun» au Mother Superior/ Jump the gun et il part en délire de Yoko Ono/ Yoko Oh yes. C’est un peu comme les démos du Parachute des Pretties : tout est déjà là. Encore une belle démo de wanna die avec «Yer Blues» - If I’m dead already/ Girl you know the reason why - Et tu retrouves l’early frénésie d’«Everybody’s Got Something To Hide Except Me And My Monkey», c’mon c’mon such a joy ! T’as aussi le «Revolution» gratté à coups d’acou. Très haut niveau, ils font les chœurs d’you know it’s gonna be, et Lennon ajoute «alrite !». Puis on attaque les inédits avec le «Sour Milk Sea» du roi George, qu’a enregistré par la suite Jackie Lomax. Pure magie vocale, c’est chanté à la petite arrache congénitale, le roi George fait sortir sa voix du virage. Encore une fantastique dérive Beatlemaniaque avec «Child Of Nature». Retour en force du roi George avec «Not Guilty». Ces finesses mélodiques et harmoniques n’existent pas ailleurs. Ils te swinguent ça à coups d’acou et au chant. La cerise sur le gâtö Esher s’appelle «What’s The New Mary Jane». Toute la magie des Beatles tombe du ciel. T’as le fondu des voix d’espolette, une qualité d’osmose de big time de what a shame ! C’est chanté dans l’or de l’âge d’or, dans l’immense torpeur du génie Beatlemaniaque - What a shame Mary Jane/ Had a pain at the party.

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             Nouveau rebondissement dans la vie des Beatles : leur père adoptif Brian Epstein casse sa pipe en bois en août 1967. À partir de là, les Beatles vont dysfonctionner et le White Album  sera l’une des conséquences de ce dysfonctionnement. Le groupe se casse littéralement en deux : d’un côté John et George, de l’autre Paul et Ringo. Et puis t’as Yoko qui entre dans la danse. Impossible pour John et Yoko de rester séparés plus d’une minute. La voilà donc dans les pattes  du White Album. Comme le dit si diplomatiquement Goodwin, Yoko allait amener une nouvelle dynamique et abîmer les relations qui n’étaient pas en très bon état. 

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             Fin mai 1968, ils attaquent l’enregistrement du White Album. Il devait s’appeler A Doll’s House mais le titre fut abandonné car Family venait de sortir Music In A Doll’s House. Pour les Beatles, Richard Hamilton pond le concept d’anti-pochette. Il ne voulait rien sur la pochette, histoire de créer un contraste avec celle de Sgt. Pepper. 

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    au centre : George Emerick

             Pendant les sessions, la tension est palpable. Il y a des engueulades et des portes claquées. L’atmosphère est tellement lourde que George Martin part en vacances et confie les Beatles aux bons soins de l’ingé-son Geoff Emerick. Une chanson du roi George disparaît du track-listing : «Not Guilty». Cut compliqué. 101 takes, nous dit ce brave Goodwin. Les Beatles décident de virer «Not Guilty» du track-listing pendant que le roi George est à New York. Lennon dit aussi que les sessions furent bizarres : «It’s like me and a backing group and Paul and a backing group. I enjoyed it, but we broke up there.» Quand on écoutait le White Album à l’époque on avait le sentiment d’un accomplissement, alors qu’en fait l’album scellait le destin du groupe. Qui l’eût cru ?

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             Puis Goodwin va décortiquer les cuts un par un et nous apprendre une foule de petits détails intéressants. L’influence de Mike Love sur «Back In The USSR» est flagrante. On y retrouve en effet des échos de «California Girls». C’est le cut d’ouverture de balda. T’as là toute la magie plastique des Beatles. Tout swingue, même l’honey disconnect the phone ! C’est l’hymne intemporel que tu vas chanter toute ta vie, You don’t kow how lucky you are boy ! S’ensuit «Dear Prudence» : John Lennon at his melodic best. La Prudence en question est Prudence Farrow, la sœur de Mia - The sun is up/ The sky is blue - Cette magie est effarante de clarté. Tu te re-repais de «Glass Onion», tout y passe : la fabuleuse attaque, le big beat, Strawberry Fields et The Walrus. «Wild Honey Pie» est un cut solo de Paul. Il joue tous les instruments. C’est ce qui se passait lorsqu’on laissait Paul tout seul une heure ou deux dans un studio : il bricolait un hit. Dans «While My Guitar Gently Weeps», la voix du roi George est saturée de chagrin. Il fait pleurer l’I look at you all/ See the love that’s sleepy et l’I don’t know why nobody told you.  

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             «Happiness Is A Warm Gun» est une chanson sexuelle - My finger on your trigger - John surnomme Yoko ‘Mother Superior’. Il rappelle qu’au début, leur relation était extrêmement sexuelle - When we weren’t in the studio, we were in bed - La fuzz qu’on entend est celle du roi George sur sa Bartell fretless. John répète qu’il need a fix because I’m going down, singing in a mournful, desperate voice spanning two octaves. «Piggies» s’inspire de l’Animal Farm de George Orwell. Le roi George ne cachait pas son dégoût de la cupidité des décideurs et du business side du showbiz : il les voit comme «des greedy pigs dressed in their immaculate white shirts», se roulant dans la boue «while stabbing each other in the back.» Paul et Ringo enregistrent «Why Don’t We Do It In The Road». John aurait bien aimé participer à ce festin. Paul voyait que John et George étaient occupés dans leur coin, alors il dit à Ringo «Let’s go and do this». Même chose avec «Revolution 9».

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    Chris Thomas

             C’est «Birthday» qui ouvre la bal de la C. Chris Thomas produit en l’absence de George Martin. Le groupe déboule un soir après avoir vu Little Richard dans The Girl Can’t Help It - Paul was the first in and began thumping out a riff. He was joined by the rest and they improvised the song, delivering it as a wild rocker in the Little Richard style. T’entend bien l’heavy bassmatic de Paul. Il n’existe rien de plus rock‘n’roll que les Beatles dans «Birthday». S’ensuit «Yer Blues». John aimait tellement son «Yer Blues» qu’il a choisi de le jouer dans le Rolling Stones Rock And Roll Circus, accompagné par le Dirty Mac Band (Mitch Mitchell, Keith Richards et Clapton - le ton c’est bon). Nouveau shoot de big rock out avec «Everybody’s Got Something To Hide Except Me And My Monkey» : référence évidente à l’hero, dont John décrochera, comme il en témoigne dans «Cold Turkey». Les Beatles rockent le boat comme nul autre groupe. Tu tombes ensuite sur l’inégalable beauté purpurine de «Sexy Sadie». Ton sens de la beauté vient peut-être de là, ou alors d’un poème d’Apollinaire, tu ne sais plus. En tous les cas, ces vers te hantent encore - Sexy Sadie, you broke the rules/ You laid it down for all to see - Et aussitôt après, t’as le plus gros smash de l’histoire du rock (avec «Sister Ray») : «Helter Skelter». Quand Paul voit que Pete Townshend se vante d’avoir écrit «the raunchiest, loudest, most ridiculous rock’n’roll record you’ve ever heard», il dit aux autres Beatles : «We should do a song like that, something really wild. And I wrote ‘Helter Skelter’.» Goodwin ajoute que de soir-là les Beatles étaient out of their minds. Goodwin dit encore que Paul sonne comme un Little Richard on amphetamines - It’s relentless, crazy, fast and dangerous. Saturé de violence définitive. Macca y va au yeah yeah yeah. Helter Skelter résonne encore dans tes os.

             Puisqu’on est en pleine crise, continuons.

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             Qu’est-ce qu’une compile idéale ? C’est une compile qui propose des chansons parfaites.  Et juste au-dessus, t’as la compile supra-idéale : celle qui propose des chansons parfaites interprétées par des artistes bénis des dieux. Ace en propose trois : Come Together - Black America Sings Lennon & McCartney, Let It Be - Black America Sings Lennon McCartney & Harrison et Here And There And Everywhere - Black America Sings Lennon McCartney & Harrison.

             Des chansons parfaites, ça veut dire quoi ? Les Beatles, bien sûr. Les interprètes bénis des dieux, ça veut dire quoi ? Les blackos, évidemment. Ace ne s’est donc pas trop cassé la nénette. Te voilà avec trois CDs magiques dans les pattes. Ma-gi-ques ! Non seulement tu voyages dans le temps, c’est-à-dire que tu remontes aux sources, mais en plus t’entends tous ces Soul Brothers et toutes ces Soul Sisters sublimer la magie des Beatles. T’es bien obligé de parler de magie. Tu ne peux pas faire autrement.

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             Quand en 2011 est paru Come Together - Black America Sings Lennon & McCartney, on criait déjà au loup. Eh oui, comment peux-tu résister à la cover que fait le grand Chubby Checker  de «Back In The USSR» ? Toute la niaque des Kremlin girls est là, ça te replonge aussi sec dans la grandeur fiévreuse du White Album, t’en revenais déjà pas à l’époque de toute cette classe Beatlemaniaque, mais là c’est encore pire. Plus loin, t’as Fatsy qui tape l’excellent «Everybody’s Got Something To Hide Except Me & My Monkey» et il te rocke bien le boat du Monkey, comme le fait aussi Jim Jones sur scène - Your outside is in & your inside is out/ Make it easy ! - T’es effaré par la classe invraisemblable du cut, mais tu l’es encore plus par ce qu’en fait ce démon de Fatsy. Et puis voilà Wee Willie Walker avec une version à la dynamite de «Ticket To Ride». Il t’explose ça vite fait et te laisse comme deux ronds de flan. Roy Redmond tape une version heavy de «Good Day Sunshine» et tiens-toi bien, le bassmatic vibre entre tes reins. Plus loin, les anges du paradis arrivent avec «And I Love Her» : ce sont les Vibrations, bien sûr, ils hissent la Beatlemania au sommet de la grâce et ça chante à la glotte de lumière. T’es au sommet d’un art qui s’appelle le rock, amigo. Ace t’emmène ensuite à Chicago retrouver les mighty Chairmen Of The Board et leur cover de «Come Together» qu’ils bouffent toute crue. General Johnson et ses Chairmen tapent ça au chant d’esclaves africains, ils groovent dans le dur de la condition. Avec «Drive My Car», les Black Heat ramènent tout le swagger black, il faut les voir groover leur c’mon baby you can drive my car. t’as le groove des black dudes et des chœurs de blackettes. Tu ne peux décemment pas espérer mieux. Dans la foulée arrive un autre magicien, Junior Parker avec «Lady Madonna» et Linda Jones tartine «Yesterday», elle s’en va groover ça là-haut sur la montagne. Il n’existe rien de plus raw qu’Otis et sa cover de «Day Tripper». Il sonne comme un coup fatal d’I found out, personne n’enfonce un clou dans la paume du beat comme Otis. Et lui, là, le Lowell Fulsom, il amène sa cover de «Why Don’t We Do It In The Road» au proto-black de do it in the road. Tu retrouves l’extraordinaire poids de la Soul dans la cover de «The Long & Winding Road» des New Birth. Le blackos chante à la voix extrêmement fêlée. Et ça se termine en apothéose avec Al Green («I Want To Hold Your Hand», il sonne comme le génie suprême, il fait danser les Beatles sur ses genoux) et pour finir Aretha («Let It Be»). T’as plus rien au-dessus d’elle. C’est l’universalisme des Beatles magnifié par la plus grande chanteuse de tous les temps.   

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             Une fois que t’as retrouvé ton souffle, tu peux attaquer Let It Be - Black America Sings Lennon McCartney & Harrison. Cette fois, Aretha ouvre le bal avec «Eleanor Rigby». Elle tape ça à l’attaque directe de where do you come from, elle a des petits chœurs de Soul Sisters et ça swingue. Elle reste the Queen of Soul. Tu restes au sommet du genre avec Earth Wind & Fire et leur cover de «Got To Get You Into My Life». C’est imbattable. Mary Wells est incroyablement sensuelle avec «Do You Want To Know A Secret». Elle se frotte contre la braguette de John Lennon. Fatsy cloue les Beatles à la porte de l’église avec «Lovely Rita» et Nina Simone bascule dans le surnaturel avec «Here Comes The Sun», elle t’emmène au little darling. Retour de cet effarant groover qu’est Junior Parker avec un «Tomorrow Never Knows» qui préfigure le Prophète Isaac. Il plombe le beat. Pur genius. La fascinante Randy Crawford tape «Don’t Let Me Down» au beat élastique primitif, et The Undisputed Truth rivalisent de grandeur marmoréenne avec Joe Cocker sur «With A Little Help From My friends». Le mec fait de son mieux pour le scream. Gary Us Bonds explose «It’s Only Love», il va le chercher à la force du poignet. Et puis t’as bien d’autres choses : Dionne la lionne, Screamin’ Jay Hawkins, Ella Fitzgerald, et pour finir l’excellent Bill Withers avec un «Let It Be» groové à l’orgue. 

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             La troisième compile Ace vient de sortir : Here And There And Everywhere - Black America Sings Lennon McCartney & Harrison. Fais gaffe à l’overdose. Natalie Cole tape un fantastique «Lucy In The Sky With Diamonds» et le prend très perché. Tu retrouves bien sûr ce démon de Junior Parker avec «Taxman». Il te groove ça dans la couenne du lard et fait de la Soul psychédélique. On passe au petit sucre de Motown avec les Supremes et «You Can’t Do That». Quel punch ! Ça joue derrière la Ross. Le bassmatic du paradis ! T’as tout le son du monde. Carmen McRae te jazze la Beatlemania («Here & There & Everywhere») et Randy Crawford donne une chance au «Give Peace A Chance». Nouveau coup de Jarnac sensuel avec Mary Wells et «He Loves You», elle te feule ça vite fait et te jazze le beat. Les Drifters chantent «Everynight» à la pointe du génie et Margie Joseph nous fait son tour de magie avec «My Love». Elle te le tortille et tu fonds dans sa main. On remonte plus loin au sommet avec les Chiffons et «My Sweet Lord», elles te plongent en plein rêve. Hallelujah ! Elles t’explosent tout au really want to see you Lawd. Pur black power ! Marvin Gaye monte là-haut sur la montagne pour rajouter du doux au doux de «Yesterday». Et cette compile invraisemblable de qualité se termine avec sans doute l’une des covers les plus mytiques de l’histoire du rock, pesons bien les mots : Esther Phillips et «And I Love Her». Elle te fend le cœur à coups d’I gave him/ All my love, fabuleuse Esther Phillips, elle presse le jus des syllabes et elle t’abreuve de magie.  

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             Tant qu’on y est, on peut aussi sauter sur une belle petite box qui date de 2020 :  Looking Through A Glass Onion - The Beatles Psychedelic Songbook 1966-1972. Pareil : trois CDs bourrés de chansons parfaites, mais cette fois, les interprètes sont des petits culs blancs. On n’est pas tout à fait au même niveau. Il n’empêche que ça se laisse écouter. Et qu’on se régale car les chansons sont là. T’as des groupes qui font leur petite sauce (Deep Purple avec «Help» et Yes avec «Every Little Thing»). Bon t’as la chanson et ce que les gens en font. Ils font comme ils peuvent, won’t you pleeeease. Souvent, il vaut mieux écouter les Beatles. On le sait, les Hollies sont presque plus balèzes que les Beatles, et la compile commence à prendre de la hauteur avec The Mirage et un joli «Tomorrow Never Knows». Ça se confirme à la hausse avec Kippington Lodge et «In My Life», c’est à la fois overdosé et intéressant, avec une prod tenace, c’est poignant et bardé de barda à outrance. Nouvelle révélation avec Episode Six et «Here & There & Everywhere». C’est la cover d’une Beautiful Song de rêve. Il n’existe rien de plus parfait sur cette terre. Et ça continue d’atteindre des sommets avec Cliff Bennett & The Rebel Rousers et «Got To Get You Into My Life». En plein dans l’œil du cyclope, wild as Cliff ! Le «Fixing A Hole» de Duffy Power ne passe pas, car trop écorché vif, mais par contre, les Tremoloes passent comme une lettre à la poste avec «Good Day Sunshine», les Trem savent mettre le paquet. C’est la plus belle cover du disk 1. Puis t’as Infinity qui tape un «Taxman» de rêve. Ils taillent un beau costard au Taxman !

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             Le disk 2 est nettement plus dense. Spooky Tooth donne le La avec «I’m The Walrus». Version d’apothéose comme on sait avec un Luther qui vrille sa chique et un Mike de choc au mic. Énorme cover d’«Hey Bulldog» des Gods, le groupe pré-Uriah Heep de l’excellent Ken Hensley. Don Fardon fait son white nigger sur «Day Tripper» et Andy Ellison tape «You Can’t Do That» à l’insidieuse cacochyme. Il dispose des gros moyens du cabaret. On retrouve bien sûr l’excellent Cliff Bennett avec un smash, «Back In The USSR», il a tout le power des réacteurs. Franchement, là t’as tout : le raw, le killer solo et le souffle de l’aéroport. Encore un flash avec The Majority et «Hard Day’s Night», car ils te tapent ça aux harmonies vocales. Magique, car chanté à la traînasse de la rascasse. Retour en fanfare du wild as fuck avec Bo-Street Runners et «Drive My Car», and baby I love you/ Beep Beep/ Aw Beep Beep yeah ! Maggie Bell (et Stone The Crows) fait de la charpie avec «The Fool On The Hill». Elle chante ça à la glotte ensanglantée. En fait, Maggie Bell chante exactement comme Rod The Mod. Et cette belle aventure se termine avec Lol Coxhill et sa version Dada d’«I’m The Walrus». Lol fait chanter des gosses et essaye de détruire le groove en pianotant à l’envers et en pétant.

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             Le disk 3 est nettement moins dense. On ne sauve que trois covers : le «Strawberry Fields Forever» de Tomorrow, le «Taxman» de Loose Ends et l’«I Will» de Real McCoy. La cover de Tomorrow est forcément psyché, Steve Howe y fait des miracles. Loose Ends tape son Taxman en mode fat r’n’b, avec des percus. Et Real McCoy restitue bien la magie des Beatles. Bon t’as d’autres choses, comme par exemple le «Good Day Sunshine» des Eyes et l’«Ob-la-di Ob-la-da» de The Spectrum. Même ça c’est beau. C’est Vera Lynn qui referme la marche avec le «Good Night» qui refermait jadis la marche du White Album.  

    Signé : Cazengler, Beatlemaniaque

    Beatles. White Album. 50th Anniversary. Apple Corps 2018

    Opher Goodwin. Rock Classics: The Beatles White Album. Sonicbond Publishing 2024

    Come Together. Black America Sings Lennon & McCartney. Ace Records 2011

    Let It Be. Black America Sings Lennon McCartney & Harrison. Ace Records 2016

    Here And There And Everywhere. Black America Sings Lennon McCartney & Harrison. Ace Records 2024

    Looking Through A Glass Onion. The Beatles Psychedelic Songbook 1966-1972. Grapefruit Records 2020

     

     

    L’avenir du rock

     - (Sharp) Pins up

             — Bon les gars, je vais vous parler de Sharp Pins !

             Boule et Bill s’interloquent. Leurs quatre sourcils s’arquent de concert.

             — De charp qui ?

             — Sharp Pins !

             Boule et Bill éclatent de rire. Bon, ce n’est pas un rire très fin, c’est le rire gras des rades de banlieue.

             — Wouaf wouaf wouaf !

             — Pourquoi vous rigolez comme des bossus ?

             — Wouaf wouaf wouaf !

             Ils sont pris d’un fou rire. À travers leurs larmes, ils aperçoivent l’air ahuri de l’avenir du rock. Alors ça repart de plus belle !

             — Wouaf wouaf wouaf ! Wouaf wouaf wouaf !

             Boule lance d’une voix hystérique :

             — Arrêtez vos conneriiiiies, les gars, j’vais piiiisser dans mon froc ! Wouaf wouaf wouaf !

             Ils en hurlent de rire. Et plus ils hurlent de rire, plus l’avenir du rock s’ahurit, et plus la crise de fou rire s’aggrave. C’est automatique. Rien de tel qu’une tête de merlan frit pour aggraver les choses. Boule réussit à reprendre le contrôle de ses zygomatiques :

             — Comment qu’y s’appelle déjà ton groupe ?

             Avant que l’avenir du rock n’ait eu le temps de répondre, Bill lance d’une voix stridente :

             — Sharp Piiiiiiiiiiiiiiiiiiine d’alouette ! Wouaf wouaf wouaf !

             — Sharp Piiiiiiiiiiiiiiiiiiine de s’rein ! Wouaf wouaf wouaf !

     

             Chaque fois que la situation dégénère, l’avenir du rock préfère se barrer. De toute façon, il n’y a rien a faire, avec des cons pareils.

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             Sharp Pins, c’est pas de la tarte. L’avenir du rock en sait quelque chose. Eh oui, rien de plus vitalement futuristic que Sharp Pins, c’est-à-dire Kai Slater, un petit mec de Chicago qui reprend tout à zéro, fermement ancré dans un passé trié sur le volet. Dans Shindig!, Tess Carge le coince pour lui faire avouer des noms. Alors il

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    parle : «I tried to do The Ronettes drum sound on it («You Don’t Live Here Anymore»), so I flipped the snare drum upside down and hit it like that.» Oui car c’est lui qui joue tous les instrus sur son Radio DDR qui vient de paraître. Voilà donc le nouveau Todd Rundgren.

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             Côté références, Carge cite aussi Guided By Voices, le Paisley Underground, les Soft Boys et les Mods. Mais ça va beaucoup plus loin. «You Don’t Live Here Anymore» sonne comme du Lennon intimiste. Sur Radio DDR, le Kai fait de la big British pop. Il se lance sur les traces de Syd Barrett avec «Lorelei». T’as tout l’éclat du Swinging London et le jingle jangle des Byrds. «If I Was Ever Lonely» sent bon la Ricken. D’ailleurs, t’en vois une au dos de la pochette. Quel brillant coco ! Il n’en finit plus de prendre de la hauteur avec «Circle All The Dots», il fait une early pop anglaise avec un jingle jangle à la Television Personalities. Nouvel élan pop avec «You Have A way», surgi de nulle part et soudain énorme. Ça sonne comme un hit, pas la peine de tourner autour du pot. En B, impérieux comme pas deux, «Is It Better» est tendu à se rompre, et c’est bardé de tortillettes vénéneuses. Puis ça atteint encore des sommets avec ce «Race For The Audience» allumé par un fantastique battage d’accords et des harmonies vocales qui feraient pâlir les Who d’envie. «I Can’t Stop» sonne comme une pop incroyablement carrée et inspirée. La pop du Kai a le même éclat que celle de Big Star, une pop stupéfiante de clarté harmonique et allumée par des guitares scintillantes.

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             Dans un autre numéro de Shindig!, Jon Mojo Mills a la chance de le voir sur scène à Londres. Le Kai est accompagné par Joe Bass (bass) et Peter Cimbalo (beurre). Mills est flabbergasted - And bam, they’re straight into the buzzsaw pop - Il les décrit sur scène avec leurs pantalons à rayures et leurs casquettes de marins grecs, et il redit sa fascination, lui qui a pourtant du métier, pour ces newcomers : «The audience is transfixed. He (Kai) processes the kind of rock’n’roll frontman star quality that you rarely witness outside of a Lemon Twigs or Daniel Romano gig.» Voilà donc les vraies références. Mills affirme au passage que Radio DDR est un brillant album. Il compare encore Peter Cimbalo à Jody Stephens et à Keith Moon, c’est dire s’il en bave d’admiration - These kids have it - Il dit encore que les harmonies vocales à trois voix captent «an early Beatles-meet-Rubinoos sensibility». Il les a dans le baba. Il parle de «collision of early Fabs, The Who and Television personalities». C’est une évidence qui crève les yeux.

    Signé : Cazengler, Sharp pain rassis

    Sharp Pins. Radio DDR. Perennial 2025

    John Mojo Mills : Live. Shindig! # 165 - July 2025

    Tess Carge : Circle all the dots. Shindig! # 164 - June 2025

     

     

    Wizards & True Stars

     - Le rock à Billy

     (Part Eight)

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             Toujours avide de nouvelles aventures, notre héros Wild Billy Childish monte en 1998 Billy Childish & The Blackhands et pond Play Capt’n Calypso’s Hoodoo Party. Comme il a un trompettiste et un mec à l’accordéon, Billyl opte pour l’exotica

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    de New Orleans («Rum’n Coca Cola»), l’exotica de Ludella («Underneath The Mango Tree» et «Three Blind Mice»), l’exotica de Screamin’ Jay («I Love Paris»), et l’exotica du zydéco (punk-zydéco avec «Long Tall Shorty», banjo, trompette et hard beat, seul Billy peut sortir un tel son). Puis il tape dans l’Americana avec «Sen’ Me To The ‘Lectric Chair», judge ! My judge ! Et puis en B, il transforme l’«Anarchy In The UK» des Pistols en exotica de banjo, d’accordéon et de beat foutraque. Les Blackhands ont encore la main lourde sur le beat foutraque de «Yella Skinned baby» et Billy t’explose le vieux «Tequila» des Champs, oun, dès, très, quatro, booom !     

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             Les Blackhands re-sévissent en 1992 avec The Original Chatham Jack et sa pochette néo-moderniste signée Billy. Ils restent dans l’exotica de fake Americana, c’est-à-dire un mélange de jazz New Orleans, de zydéco, on entend bien l’accordéon dans «Chatham Jack», et avec «Millionaire, ils font même le chain gang, et là c’est pas terrible, car on ne joue pas avec ça. En B, Billy gratte «Crying Blud» au banjo et chante à la bonne arrache de don’t let me be misunderstood. On entend le slap du tea-chest bass dans «Broken Stone» et il nous surprend encore une fois encore avec cette resucée de «Louis Louie» qui s’appelle «Louis Riel», mais qu’il tape en mode Augie Meyers avec de l’accordéon. En bout de B, il rend hommage à Linky Link avec un petit coup de «Rumble».

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             On retrouve Bruce Brand dans les Blackhands pour une tournée hollandaise et donc le Live In The Netherlands. Un joli bois gravé de Billy orne la pochette. Sur ce live, on croise fatalement les cuts des deux albums précédents, le «Chatham Jack» tapé en mode zydéco, le «Yellow Skinned Baby» tapé en mode fast boogie de ventre à terre, avec un incroyable débraillé énergétique. Belle cover du «Black Girl» de Lead Belly et fantastique apologie du débraillé avec «She’s Fine She’s Mine». En B, t’as le grand retour de «Louis Riel», puis «Lambreth Walk» bascule dans le bal du 14 juillet, c’est absurde et joyeux à la fois, et on en arrive à la viande avec l’«Alabama Song» de Kurt Weil. Billy en fait une version plus joyeuse que celle de Jimbo, il crée les conditions du Bal des Naze et tout cela se termine en apothéose avec l’«Anarchy» des Pistols tapé en mode heavy barroom bash, c’est une version demented, tu crois entendre Augie Meyers & The Sex Pistols, avec un pont à la trompette New Orleans et le beat de la frontière, du côté d’El Paso.

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             En 1993, Wild Billy Cildish monte un nouveau projet de dark gothic country avec Arf Allen et Bob Shepherd, Billy Childish & The Singing Loins. La pochette d’At The Bridge s’orne d’un beau painting post-moderniste de Billy, coiffé de son canotier, comme sur la pochette de The Original Chatham Jack. Bon, c’est pas l’album du siècle. Au dos tu peux lire : «Folk variations and new songs.» Billy explore le folk anglais et on s’ennuie comme un rat mort. On croise Pocahontas dans «Pocahontas Was Her Name.» On la connaît bien, elle, on l’a vue dans Le Nouveau Monde de Terrence Malik. Avec «I Don’t Like The Man I Am», Billy va plus sur le Dylanex. On retrouvera d’ailleurs ce cut dans l’un des albums de The William Loveday Intention - I don’t like you/ Cause I don’t like the man/ I am

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             Le deuxième album de Billy Childish & The Singing Loins paraît dix ans plus tard et s’appelle The Fighting Temeraire, le Temeraire étant un vaisseau. C’est pourquoi les trois Loins portent des chapeaux de marine marqués «Téméraire» et fument des pipes de marin en os de baleine. Sur la pochette, ils sont vieux et ils sont armés, avec l’air de vouloir dire : «On est pas là pour rigoler.» Il faut continuer de comprendre que l’œuvre de Wild Billy Childish est d’essence littéraire. Afin de ne pas tourner en rond, il monte des projets pour styliser à outrance, il est même devenu au fil du temps un virtuose de l’Exercice de Style, une sorte de Raymond Queneau du rock moderne. Il est même d’ailleurs le seul au monde à réussir un tel exploit. Tu écoutes Wild Billy Childish comme tu lis Queneau, car c’est en écoutant qu’on devient liseron, de la même façon qu’on devient écouton en lisant. Et ce Fighting Temeraire est un prodigieux pastiche de Sea Shanty, il faut le voir, le Billy, chanter «A La Mort Subite» à la traînasse de bave et d’édentée, avec derrière l’harp de John Riley qu’on entend aussi avec The William Loveday Intention. Billy the sailor fait aussi de l’early Dylan avec «I Don’t Like The Man That I Am», suivi par un violon mélancolique. Tu savoures chaque seconde de cet exercice de style, tu goûtes au privilège d’écouter l’un des plus beaux artistes de ton époque. Dans «White Whale Blues», il recycle son vieux «to sing the blues, man, you gotta be true», déjà entendu dans The William Loveday Intention. Il sonne encore comme l’early Dylan avec «The Broken & The Lost Of The Old Long Bar», et te mixe ça avec du Sea Shanty à la chantilly, c’est une âpre chanson de taverne, pas loin des Pogues. En B, il recycle encore un vieux coucou du William Loveday Intention, «A Rusty Stain» - Somewhere in the distance/ I hear her calling my name - et on retombe sur ce final devenu légendaire chez les fans de big Billy, ce kiss this rusty stain fabuleusement dylanesque. Plus loin, il fait son McGowan by the factory wall dans «The Walls Of Red Wing», à coups de by the wall of the gas factory. Et puis tu as cette fantastique chanson de marin, «The Jutland Sea», c’mon you sailors ! Don’t you wanna go ! Chaque fois, big Billy t’envoie au tapis.  

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             Pour l’anecdote : vient de sortir un nouvel album des Singing Loins, Twelve, mais sans Big Billy. Bizarrement, l’album est bien meilleur que ceux auxquels a participé Big Billy. T’as là un bel album de folk-pop, tu te régales du joli, frais et vivant «House In The Woods» et de l’excellent «God Bless The Whores Of Rochester». La seule trace de Big Billy est la cover qu’ils font d’«I Don’t Like The Man» qui est en fait l’«I Don’t Like The Man That I Am». «Where’s My Machine Gun» est plus rocky roady, et ils terminent avec un brillant «Angel Of The Medway».

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             Comme il garde la nostalgie du James Taylor Quartet, Big Billy monte en 2022 The Guy Hamper Trio et invite James Taylor sur All The Poisons In the Mud. Derrière Billy, on retrouve Juju Hamper et Wolf, ses deux bras droits de CTMF. T’adores l’orgue Hammond et le James Taylor Quartet ? Alors tu vas tomber de ta chaise dès «All The Poisons In The Mud» qui ouvre le balda au heavy shuffle d’orgue, ça chauffe comme au temps du Spencer Davis Group. Power maximal ! On reste dans l’heavy gaga d’orgue des Prisoners avec «Come Into My Life», c’est l’instro du pouvoir totalitaire aux semelles de plomb. Deux cuts et te voilà déjà gavé. C’est l’apanage du big Billy. Il te prend pour une oie. Il te cale un shuffle comme s’il t’enfonçait un entonnoir dans la gorge. Et il envoie la purée. Encore du lourd de la main lourde avec «Moon of The Popping Trees». Quel tour de force ! Il ressort ensuite un vieux «Girl From 62» du CTMF et big Billy chante «Full Eclipse Of The Sun», un brûlot sournois que les trois autres swinguent jusqu’à plus soif. Le «Step Out» qu’on trouve en B sonne exactement comme un hit de Booker T. & The MGs. Et le «Polygraph Test» qui suit est encore plus rampant que Booker T. Juju joue devant dans le mix, comme Duck Dunn à Memphis. Chez les Hamper, on respecte l’étiquette. Et comme coup du lapin, voilà une version instro de «Fire», ce démon de Billy tape encore une fois dans l’hendrixité des choses, James Taylor fait le can’t stand by your fire au shuffle, et Wolf bat comme une brute. Quel que soit le genre, chaque album de Wild Billy Childish est passionnant.

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             Retour cette année du Guy Hamper Trio avec Dog Jaw Woman. C’est un album d’instros, dans la tradition de ceux du James Taylor Quartet. James Taylor sort le grand jeu, accompagné par Juju Hamper et Guy Hamper. Big Billy raffole des pseudos. Tout ici est tapé au big instro d’anticipation allègre et vindicative. «Young & Able» est monté sur le riff que joue Brian Jones dans «King Bee». Bien vu, très Swingin’ London.

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             Toujours en trio avec Wolf et Juju, big Billy lance en 2005 un nouveau projet : Wild Billy Childish & The Chatham Singers. Avec sa belle pochette primitive, Heavens Journey signe le grand retour au primitif et à Bo. Absolute beginner to begin with, «The Man With The Gallow Eyes», avec Bludy Jim on harp. Big Billy tape ensuite un duo d’enfer avec Juju sur le morceau titre et on bascule dans l’énormité primitive avec «Gods Rain» et là, oui, tu reprends ta carte au parti. Wolf vole le show dans «Ballad Of A Lost Man». Pur Diddley beat ! En B, Billy lit ses poèmes avec une diction de punk. Textes fantastiques, tu te gorges d’échos, dans «I Am A Angry Man» il claque ça : «angry enough to have twelve bad teeth/ Angry enough to say nothing» et dans «I’m Bathed In Forgiveness», il te claque ça : «Walking from God/ I’m walking to God/ I’m kissing your lips» et plus loin, il clame qu’il hait les galeries d’art et les éditeurs. Wild Billy Childish forever ! 

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             Juju et un crâne ornent la pochette de Juju Claudius, deuxième album des Chatham Singers. Au bout du balda, tu vas tomber sur le plus bel hommage qui soit ici bas à Slim Harpo : «Queen Bee». Quelle violente cover, baby ! Big Billy tape ça dans les meilleures formes du lard, avec le buzz dans le son. Nouveau coup de génie en B avec «Demolition Man» gratté au riff pernicieux, Juju te chante ça à la desperate de la rate et ils terminent avec un gros clin d’œil à Jimmy Reed et «Baby What’s Wrong». Big Billy adore torcher ça au I shaid baby/ What’s wrong with you honey.      

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             Pour leur troisième album, Kings Of The Medway Delta, Wild Billy Childish & The Chatham Singers se payent une pochette fantastique. Tu sais tout de suit à quoi t’en tenir. Ils attaquent avec «The Good Times Are Killing Me», un wild blues qu’ils tapent au raw du wouahhhh ! Cette fois, big Billy opte pour l’early Stonesy, car il tape une prestigieuse cover de «Got Love If You Want It» et retrouve le spirit des early Stones de Brian Jones, il est en plein dedans, avec Jim Riley à l’harp. On retrouve tout le côté mystérieux et sauvage des early Stones. Même chose avec le «Wiley Coyote» d’ouverture de bal de B, un heavy blues de type Queen Bee. On croise plus loin un fantastique boogaloo sentimental, «Why Did I Destroy Our Love», gratté aux poux fantômes.

             Et en 2007, le trio Billy/Wolf/Juju se lance dans une nouvelle aventure : Wild Billy Childish & The Musicians Of The British Empire, et trois albums, Punk Rock At The British Legion Hall, suivi de Christmas 1979 et de Tatcher’s Children.

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             Ils attaquent Punk Rock At The British Legion Hall avec «Joe Strummer’s Grave», du Clash en real deal d’heavy punk, mais avec de accords de proto-punk. Pur sonic hell ! Au-dessus de ce truc-là, t’as rien en Angleterre. Le ton est donné : c’est un album explosif. Big Billy ne tient pas en place, il fonce dans le tas avec «Dandylion Clock» et claque les accords de Dave Davies sur «Date With Doug», pendant que Nurse Juju t’emmène en enfer. Nouveau coup de Jarnac avec «Bugger The Buffs», this is the story of the Buff Medways, amené au heavy blues d’early Stonesy. Ils bouclent leur balda avec le wild gaga craze de «Walking Off The Map». Tout est bardé de power à ras-bord. Ça repart de plus belle en B avec ce vrai chef-d’œuvre s’anticipation qu’est «Snack Crack», emmené ventre à terre sur un thème efflanqué et t’as à la suite ce «Comb Over Mod» amené au dialogue de dingues et au riff à Billy, repris par l’heavy beat de Wolf. Et cette folle aventure se termine avec le morceau titre monté sur le beat de «The Final Solution». Ah comme big Billy a bon goût !

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             Big Billy & The Musicians Of The British Empire savent aussi dézinguer un Christmas Album, comme le montre Christmas 1979. Woah, comme dirait Bo In The Garage ! 11 bombes sur 12 cuts, pas mal non ? Ça t’éclate à la gueule (désolé, il n’y a pas d’autre mot pour ça) dès «Santa Claus», Hello little girl/ What would you like for Christmas ?, fait Big Billy d’une grosse voix délirante de Santa Claus, et Nurse Juju répond d’une voix d’ingénue libertine en rut qu’elle veut les Sonics. Wouaahhhhhh, alors ça duette dans le garage des dingues au killer kill kill et au yeah yeah yeah. Nurse Juju est la pire de toutes ! Ils sont sur «Farmer John». Et ça continue avec «Christmas Lights» et l’attaque mortelle de big Billy, ça punche à outrance. Tu prends tout en pleine gueule. Tu les vois enfiler les bombes comme des perles, «Knick Knack Daddywach (Chuck In The Bin)», ça bascule dans le gaga-protozozo, big Billy rocks out son «Downland Christmas» sur l’air d’Anarchy In The UK. Guitar ! Guitar ! Guitar ! Clin d’œil à Pete Townshend avec «A Quick One (Pete Townshend’s Christmas)», big Billy tape en plein dans la cocarde des Who, il recrée toute l’effervescence, t’en reviens pas de voir tout ce bordel remonter à la surface et Nurse Juju lui fait les chœurs de Shepherd’s Bush. Compréhension totale des Who, et bien sûr, final explosif. Il fait un pastiche des Ramones avec «Mistleto», oh-oh !, il est en plein dedans et Nurse Juju te claque ensuite «Dear Santa Claus» au sucre avarié. Méchant clin d’œil à Linky Link avec «Comanche (Link Wray’s Christmas)» et plus loin, t’as ce «Christmas Bell» drivé à l’harp du diable. Tu vois big Billy entrer là-dedans un lance-flamme. Pour finir, il amène son morceau titre au cockney de Chrrristmas seventy nâïne, il fait son Rotten. On retrouve là toute la tension des Pistols et la cocote fatale, c’est le rythme d’Anarchy - Merry fucking Christmas to you all – Ah ! il adore le merry fucking !

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             Le troisième album de Wild Billy Childish & The Musicians Of The British Empire est un album politique, puisqu’il s’appelle Thatcher’s Children, et ça démarre sur des chapeaux de roues avec le morceau titre, everyone’s a loser !  C’est du protest à la big Billy. Puis ils vont faire de l’heavy pop extrêmement chargée de la barcasse («Little Miss Contrary» et «An Image Of You») et basculer dans les Who avec l’explosif «Rosie Jones». Exactement le même power que celui des early Who ! Juju reprend la main en B avec «Coffee Date», «He’s Making A Tape» et «I’m Depressed». Elle est encore plus wild que les Headcoatees. Elle est effroyablement bonne. Big Billy revient faire corps avec sa matière dans «I Fill All Of Your Dreams», et cette folle virée se termine avec un «Back Amongst The Medway Losers» monté sur le riff de «Summertime Blues». Juju te jacte ça en mode Medway punk, pendant que Big Billy claque son riff et passe vite fait bien fait le plus wild des killer solos flash.

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             Au hasard des autres projets, on croise d’autres albums extrêmement intéressants, comme par exemple le Poets Of England des Vermin Poets, qui sont en fait les Spartan Dreggs dont on va reparler ailleurs. Pochette faramineuse de ce quatuor monté autour de Neil Hereward Palmer, avec Wolf, Big Billy et Nurse Juju. Ils cultivent tous les quatre une esthétique de la bohème anglaise. Wolf et Juju se partagent le beurre et big Billy bassmatique. Neil Hereward Palmer chante et gratte ses poux. C’est d’ailleurs le cut d’ouverture de balda, «Spartan Dregg», qui donne naissance au projet suivant. Autant le dire tout de suite : Poets Of England est un fantastique hommage aux early Who. Ça s’entend dès «He’s Taken His Eye Off The Sparrow». T’as encore quatre hits whoish à la suite, «Like Poets Often Do» (avec un chant à la limite de la rupture), «Baby Booming Bastards» (chargé de cocote lourde comme au temps des Who, et une mélodie chant en surface), «Grandfathering» (power chords à la Townshend et chœurs de folles), et en B, «Vermin Poets» qui rappelle «Can’t Explain». Exactement la même volonté d’en découdre. Whoish pur encore avec «A Cup Of Deadly Cheer». Ça gicle dans tous les coins ! 

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             En 1988, big Billy prend le maquis avec Jack Ketch & The Crowmen et un horrible album punk, Brimfull Of Hate. Au dos, tu vois une illustration gravée de pendaison, avec un bourreau qui tire le pendu par les jambes. L’album sort sur le label de big Billy, Hangman Records. Tu ne perds pas ton temps à l’écouter, car big Billy règle ses comptes avec le punk-rock. Il gratte ses cuts à la cocote sourde et vénéneuse. Il fait du Fall de Medway avec «I’ve Been Wrong», il tape dans le sommet du genre, il se paye ce genre de luxe intérieur. Il gratte la grosse fournaise de «Brimfull Of Hate» à la dure et envoie des coups de wah. Il est enragé, notre Jack Ketch. Encore une fantastique volée de bois vert avec «You Shouldn’t Do That» en B. Punk at its max ! Wild Billy Childish ne peut faire que du wild punk. Mais le pire est à venir et là t’es content d’avoir chopé cet album. Billy Ketch termine avec une cover du «Boredom» des Buzzcocks. Hommage définitif. Mythe pur. Il jette toute sa niaque dans se smash d’early punk et ça t’explose sous le nez, boredom ! Il fait bien le budum budum et le solo sur deux notes, il y jette toute la Méricourt dont il est capable. Wild punk définitif. Budum budum !

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             En 2006, big Billy produit l’album des Buffets. Saucy Jack. Il s’agit d’un trio monté autour de Sister Tiffany Lee Linnes «who flew from Seattle», avec Nurse Juju et Matron Bongo des Headcoatees au beurre. Tiffany Lee Linnes joue dans les Stuck

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    Ups. Elles attaquant avec «Misty Water» qui sonne exactement comme un early cut des Buzzcocks, même si c’est une cover de Ray Davies. Elles tapent ensuite dans le «Troubled Mind» de big Billy et en font une version wild as fucking fuck. Elle est bonne la Tiffany, elle sait claquer des killer solos flash. Matron Bongo vole le show dans «I’m A Lie Detector» et dans «Archive From 1959». On croit vraiment entendre Wolf, mais non, c’est elle. En B, on se régale encore de l’heavy gaga d’«Unable To See The Good». C’est excellent, bien pulsé par le team Juju/Bongo. Grosse tension encore dans «Just 15» et Sister Tiffany Lee Linnes passe un killer solo flash d’étranglement contigu. Elles terminent cet album solide avec une cover de l’«Ivor» de Pete Townshend. C’est donc très Whoish, battu à la diable de Moony par Bongo, et ça devient parfaitement exubérant, avec bien sûr tous les glorieux développements qu’implique ce genre de démarche, t’as même les bouquets de chœurs magiques.    

    Signé : Cazengler, Billy Chaudepisse

    Billy Childish & The Blackhands. Play Capt’n Calypso’s Hoodoo Party. Hangman Records 1988       

    Billy Childish & The Blackhands. The Original Chatham Jack. Sub Pop 1992

    Billy Childish & The Blackhands. Live In The Netherlands. Hangman Records 1993

    Billy Childish & The Singing Loins. At The Bridge. Hangman’s Daughter 1993

    Billy Childish & The Singing Loins. The Fighting Temeraire. Damaged Goods 2022

    The Singing Loins. Twelve. Damaged Goods 2024

    The Guy Hamper Trio. Featuring James Taylor. Hangman Records 2023

    The Guy Hamper Trio. Dog Jaw Woman. Damaged Goods 2024

    The Buffets. Saucy Jack. Damaged Goods 2006 

    Wild Billy Childish & The Chatham Singers. Heavens Journey. Damaged Goods 2005

    Chatham Singers. Juju Claudius. Damaged Goods 2009       

    Wild Billy Childish & The Chatham Singers. Kings Of The Medway Delta. Damaged Goods 2020

    Wild Billy Childish & The Musicians Of The British Empire. Punk Rock At The British Legion Hall. Damaged Goods 2007

    Wild Billy Childish & The Musicians Of The British Empire. Christmas 1979. Damaged Goods 2007

    Wild Billy Childish & The Musicians Of The British Empire. Tatcher’s Children. Damaged Goods 2008

    The Vermin Poets. Poets Of England. Damaged Goods 2010

    Jack Ketch &  The Crowmen. Brimfull Of Hate. Hangman Records 1988

     

     

    Inside the goldmine

     - Feelies all right

             Philip porte des lunettes. Comme autre signe distinctif, il dispose d’une intelligence supérieure. On l’écoute très attentivement lorsqu’il prend la parole. Son discours frise souvent la prophétie. Et quand on bosse dans un domaine aussi sensible que celui de l’e-learning et de ses applications digitales, on tend l’oreille lorsqu’un mec de son acabit énonce un postulat. Il faut toujours essayer de garder une distance avec les gens qu’on admire. Mais ce n’est pas toujours facile, surtout quand on bosse en tandem. Ça crée de relations de proximité extrêmement tendues, au bon sens du terme. Les interactions agissent parfois comme des électrochocs, et ceux qui y sont passés savent de quoi il s’agit. Pour être plus clair, il faut savoir se montrer en permanence à la hauteur, et intellectuellement parlant, c’est aussi épuisant qu’une séance d’électrochocs, surtout quand, dans la conversation, arrive un petit leitmotiv du genre «Tu vois ce que le veux dire ?», ou pire encore, «Tu me suis ?». Philip a pour habitude de jeter les bases d’un dossier par écrit, mais de le retravailler oralement, en direct, afin de tester la faisabilité. Le concept de base est toujours bon - que dis-je, flamboyant ! - mais il doit trouver chaussure à son pied pour devenir un outil pédagogique, et la chaussure se bricole à deux, on la teste, aïe, ça ne marche pas, on la modifie, ou on change de cap, on part dans l’autre sens, plein Sud ? Non, plein Nord ! Petit format ? Non grand format ! Et tout à coup ça devient une nouvelle possibilité excitante, alors on l’explore, et Philip adapte son contenu en conséquence, l’échange monte en température, ça monte ! Ça monte encore ! Il exprime des doutes, «T’es sûr sur ça va marcher ?» et pour garder sa confiance, il faut surtout répondre avec une formule hasardo-mallarméenne à base de coups de dés, ce qui le fait toujours bien rire. Il adore rire ! Soudain le processus créatif nous échappe et devient une sorte de golem destiné à terroriser les réactionnaires pédagogiques, et d’un commun accord, nous décidons de le lâcher dans la nature.

     

             Comme Philip, les Feelies portent des lunettes. Et comme Philip, ils lâchent dans la nature des golems destinés à terroriser les réactionnaires du rock.

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             C’est grâce ou à cause de Garnier qu’on écoute les Feelies. Il en faisait une petite apologie dans Les Coins Coupés. Pourtant, on a longtemps reculé. La pochette de Crazy Rhythms ne faisait pas envie. Les binoclards n’inspiraient pas confiance. C’est une vieille histoire. Il avait tout de même fallu un bon coup de «Reminiscing» et de «Rock A-Bye Rock» pour tomber dans les bras de Buddy Holly. T’avais aussi des binoclards chez les Zombies et Manfred Mann. Pour surmonter les a-priori, tu devais écouter les disks. Puis, de la même façon qu’avec Buddy, tu tombais carrément des nues. Comment de tels binoclards pouvaient-ils être aussi bons ?

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             On la voyait partout cette pochette bleue des binoclards d’Haledon, New Jersey. Ce qui frappe le plus à la première écoute de Crazy Rhythms, c’est l’immédiateté du son. Il apparaît clairement qu’immédiateté et crédibilité non seulement vont de pair, mais sont en plus les deux mamelles des Feelies. T’as de l’énergie dès «The Boy With The Perpetual Nervousness» et «Fa Ce La». Et surtout un beurre de fou. Il s’appelle Anton Fier et vient de Cleveland. Et bien sûr, il a joué avec Electric Eels et Pere Ubu. Anton Fier se trouve à gauche, sur la pochette de Crazy Rhythms. Les principales influences des Feelies sont les Beatles et le Velvet. D’où la cover d’«Everybody’s Got Something To Hide Except Me And My Monkey», qui a forcément tapé dans l’œil de Jim Jones qui la reprend aujourd’hui sur scène. La mouture des Feelies tape en plein dans l’œil du cyclope à coups de take it easy. Fantastique ! Le Velvet apparaît dans «Forces At Work», un cut très axé sur le drone. Le beurre, toujours le beurre ! Très hypno, très bienvenu très clairvoyant. Il faut dire que Glenn Mercer et Bill Million le binoclard grattent des poux de clairette subliminale. On se gave aussi de cet «Original Love» sur-vitaminé et gratté à ce qu’on imagine être deux Teles, et qui ne sont peut-être que des Stratos. On détecte une volonté de clameur dans «Moscow Nights» et un horizon génétiquement complet dans «Raised Eyebrows». Le chant arrive tard et ça monte en petite neige du New Jersey. 

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             Garnier recommandait deux autres albums des Feelies, The Good Earth et Time For A Witness. Alors tu dis «Merci Garnier !». T’es frappé par la présence indéniable d’«On The Roof». Et par le beurre ! Mais ce n’est plus Anton Fier qui est parti rejoindre les Jesus Lizards, mais Stan Demeski. Il te bat ça si sec ! On reste sur une impression très favorable avec «The High Road». Leur fonds de commerce est la tension. Ils ultra-jouent. Ils naviguent très haut avec des grattes Velvet. On les entend dans «Slippin’ (Into Something)». C’est gratté sur les accords de «Gloria», mais ça tourne à la belle virée impérieuse. Ils trafiquent une sorte d’artefact minimaliste sur de beaux accords de clairette. Quel fantastique album ! Idée que vient encore conforter «When Company Comes». Avec «Let’s Go» et sa petite énergie Velvet, ça marche à tous les coups. Le mec Demeski est un cake du beurre. Il te monte «Two Rooms» en neige du New Jersey vite fait. Ils sont aussi denses que Yo La Tengo. Ils adorent monter en neige. «Slow Down» sonne comme du pur Yo La Tengo. On se croirait sur Electropura. Ils ont exactement le même schéma directeur.

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             Time For A Witness est un album encore plus dense. Trois gros points de repère : Dylan, le Velvet et les Stooges ! Stooges avec une cover de «Real Cool Time». Rien de plus véracitaire que cette intro de poux grattés à la sauvage - Can I come over/ Tonite - Belle tentative de stoogerie, même si ça manque cruellement d’Iggy touch. Glenn Mercer fait bien son Ron Asheton, il arrose dans tous les coins et le batteur demented te cloue ça vite fait à la porte de l’église. Velvet avec «Decide», où le filet de Tele croise bien le bassmatic. On trouve aussi du Velvet dans les arpèges lancinants de «Find A Way». Dylan avec le morceau titre, c’est du «Maggie’s Farm» sous amphètes. Pure ecstasy de neige. C’est énorme ! Et les Feelies allument encore avec «Sooner Or Later», puis plus loin avec «Invitation», pulsé à l’outrance de la jouissance. Leur outrecuidance danse entre tes cuisses. Et puis t’as ce «For Now» fin et sournois, bien drivé du bikini.

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             Only Life n’est pas leur meilleur album, loin de là. Ils pompent adroitement le riff d’«Alabama Bound» dans leur morceau titre, mais ils tapent ça avec un léger parfum Velvetien. Puis ils enchaînent une série de cuts à la fois plan-plan, pisse-froid et passe-partout. Tu n’apprendras rien de neuf, inutile d’espérer. Ils peuvent même devenir incroyablement conventionnels. Ils savent très bien tourner en rond. Ça fout un peu la trouille de les voir errer ainsi. Ils se veulent denses, incompressibles, mais ils ne sont pas sexy du tout. Toujours ce beat rapide, un peu âpre, parfois gentillet et sautillé. Leur plan est de faire du post-Velvet. Il faut attendre «Too Far Gone» pour frémir d’une oreille. Belle ferveur des deux grattes, la clairette d’accords d’un côté, et la fuzz tête chercheuse de l’autre. Fast et frais. Tout droit, avec un joli solo introspectif. Ça te rattrape à la course. Ces mecs ont un bon fond, ils s’y entendent, oh-oh yeah ! Ils passent enfin en mode Velvet avec un «Away» bien fouetté au sang, en plein dans l’esprit du drive Velvetien, joué au fouette-cocher de Times Square. Et ils terminent en beauté avec une cover de «What Goes On», amenée au tire-bouchon de disto et reprise au petit chant de what goes on. Ils te grattent ça à la clairette de Die, ils zyvont au zyva, ça file droit sur l’horizon du mythe hypno.

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             Eh oui ! Encore un big album : Here Before. Et même un very big album. On y retrouve le Velvet dans un «On & On» bien enveloppé d’accords ondoyants, c’est une démarche purement velvétienne, ça décolle au nah nah nah et ça vire vite hypno. Le yeah n’a aucun secret pour eux. Coup de génie avec «Change Your Mind», cut joyeux, hit merveilleux, bien en main, Glenn Mercer chante un peu comme Lou Reed, il sait peser de tout son poids. Mais c’est Brenda Sauter qui vole le show avec son bassmatic sur «Nobody Knows», un mid-tempo monté sur un fast drive de clairette. Le bassmatic chatoyant prend vite le dessus. Elle va partout, avec une allégresse qui laisse rêveur. On la retrouve sur «Way Down», un cut encore porté par un bassmatic revigorant et les poux gracieux et bien secs de Glenn Mercer. Mais c’est Brenda Sauter qui vole le show à force de grâce chorégraphique. «Should Be Gone» sonne comme une Beautiful Song. Les Feelies sont un groupe idéal, warm et attentionné. Même chose pour «So Far», avec son thème de guitare qui te fait rêver. Ils troussent encore «When You Know» à la hussarde. Ils ne traînent jamais en chemin. C’est dru et fast, avec un solo liquide en fin de course. Ils savent bien tirer les marrons du feu.

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             Bel album que cet In Between de 2017. Ça sonne Velvet dès le morceau titre d’ouverture de bal. Glenn Mercer et Bill Million sont toujours là, bien rivés dans leur tatapoum à la Moe Tucker. Ils n’ont rien perdu de leur vieux cachet Velvétien. On les retrouve encore plus allumés dans «In Between (Reprise)». Ça repart en mode Sister Ray. En plein dans l’œil de bœuf, avec un départ en bassmatic comme dans le Velvet de Calimero. Ils poussent la mécanique du Velvet encore plus loin avec une vraie architecture de bassmatic. L’In Between s’étend quasiment à l’infini, c’est bardé de départs en vrille et de motifs géométriques de bassmatic vitupérant à la Calimero. On assiste ici à une fantastique réinvention du mythe Velvet. Très beau «Flag Days» aussi, bien amené au hey now/ Hey now, c’est un hit, le claqué est beau comme un cœur et ça monte comme la marée. Avec «Been Replaced», ils revisitent le vieil adage du raw Velvetien. Quelle fantastique assise ! Les grattés de poux restent implicitement délétères. Ils montent leur «Gone Gone Gone» sur un fast beat à la Lou Reed, vite rejoint par une petite fuzz du New Jersey. Et on retrouve avec «Time Will Tell» cette belle ambiance de chant chaud et les poux de clairette. Ils ont l’air contents du résultat. Et voilà une Beautiful Song : «Make It Clean», superbe et lumineuse.

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             Avec Some Kinda Love (Performing The Music Of The Velvet Underground), t’as le meilleur tribute au Velvet. Ça rivalise de power velvetien avec tout ce que font les Subsonics. Ce double album live des Feelies est même un véritable chef-d’œuvre. Ils alignent tous les hits un par un, «Sunday Morning» (en plein dans l’œil du real deal), «Who Loves The Sun» (moins connu, mais vibrant de velvetude, c’est gratté à l’ongle sec, avec une réelle ampleur), et puis ça s’emballe avec «There She Goes Again» (claqué à la clairette flamboyante), «What Goes On», et son évasion fiscale d’accords vers la frontière, «Sweet Jane» (trop classique pour être honnête, mais Glenn Mercer est dessus au chant, un vrai clone), et puis t’as l’«Head Held High» bien dévastateur et attention, tu vas tomber de ta chaise avec «Waiting For The Man» et le bassmatic de Brenda Sauter en roue libre. C’est une cover endiablée. On reste dans l’hot as hell avec les sur-puissantes moutures de «White Light White Heat» et «I Heard Her Call My Name» (les Feelies plongent dans la folie du Velvet. Pur génie interprétatif, c’est saturé de fuzz distoïque, c’est même l’un des sommets du genre), puis ça va se calmer avec «That’s The Story Of My Life» et «All Tomorrow’s Parties» que chante Brenda Sauter, avec en prime un divin bassmatic. Elle part bien en vrille sur la fin de «Rock & Roll» et les Feelies replongent dans la folie avec «We’re Gonna Have A Real Good Time Together», fast one on fire, et Brenda devient folle ! Pur génie sonique ! Tu croises rarement des tribute albums d’un tel niveau). Le «Run Run Run» qui suit est encore plus allumé, avec un solo trash d’extrême onction. Trash définitif ! Ils enfoncent terriblement le clou avec «I Can’t Stand It» et Brenda Sauter chante «After Hours». Magie pure. T’as pas idée. Concert enregistré en 2018, au White Eagle Hall in Jersey City.  Dans les liners, Howard Wuelfing cite Lou Reed qui avait pris les Feelies en première partie d’une tournée : «They remind me of myself, only five times faster.» Wuelfing qualifie aussi le son de Mercer et Million de «suitably scrappy guitar swagger» et salue le «fiercely corrosive lead guitar from Mercer.» Tu sors de cet album complètement ahuri, comme lorsque tu as écouté pour la première fois The Velvet Underground & Nico.

    Signé : Cazengler, Filou

    Feelies. Crazy Rhythms. Stiff America 1980

    Feelies. The Good Earth. Coyote Records 1986

    Feelies. Only Life. A&M Records 1988

    Feelies. Time For A Witness. A&M Records 1991

    Feelies. Here Before. Bar/None Records 2011

    Feelies. In Between. Bar/None Records 2017

    Feelies. Some Kinda Love (Performing The Music Of The Velvet Underground). Bar/None Records 2023

     

    *

             En ce mois d’août, regard sur les nouveautés, pas grand-chose, enfin si, beaucoup de gros riffs sans âme à la chaîne sur thématiques éculées, après maintes recherches mon attention est attirée par un drôle de titre, le genre de mot qui promet le pire comme le meilleur, à première oreille pas de mon goût mais il faut savoir prendre son risque dans ce monde mouvant qui nous entoure…

    IMPERMANENCE

    THRÆDS

    (Bandcamp /Juin 2025)

             Un peu torturé, beaucoup tortueux, normal le projet initial est d’Angelos  Tzamtzis, originaire de Thessalonique, or en règle générale les grecs font preuve d’une intelligence subtile et abstraite qu’ils adaptent à l’esprit de l’époque dans laquelle ils vivent. Tzamtis s’est installé en Allemagne, à Berlin, pour réaliser son projet. Qu’il voulait solo. La chose s’est transformée, Thraeds se présente aujourd’hui comme un groupe à part entière et Impermanence comme leur premier album. Le groupe continuera-t-il sur sa lancée, je ne le certifierai pas car peut-être vous en êtes-vous rendu compte en ce bas monde tout change…

    Thread signifie fil. Ne pas comprendre le fil à couper le beurre qui dénoue en un clin d’œil une situation a priori peu compliquée, avec Threads ce serait plutôt les fils entremêlés de la bobine de la réalité sur lesquels il faut tirer pour tenter, en pure perte, de déceler dans l’inextricable pelote de notre implication personnelle dans le monde ne serait-ce qu’un semblant de signifiance.

             La pochette n’est guère engageante, une silhouette humaine déambulant sans but dans le monde post-industriel de notre modernité aux teintes grises et glauques.

    Celso Borralho : vocals /Angelos Tzamtzis : guitars, synths / Tim Crawford : guitars, backing vocals / Felipe Melo Villarroel : drums / Barnabás Mihály : bass :

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    Timeless : incertitudes sonores, émerge un doux clapotement, la voix ne parle pas, elle chuchote avant de s’allonger comme si elle passait sous un laminoir, elle est comme le titre, elle décrit une temporalité dont on ne sait s’il faut profiter de sa durée illimitée ou  la regretter, car si ce qui a eu lieu n’existe plus, son existence n’est-elle pas encore accessible, directement ne nous pouvons-nous nous y reporter par la force de l’esprit, ne pouvons-nous accéder à ces instants de bonheur suprême où nous avons eu l’impression d’échapper aux serres voraces du temps, est-ce pour cela que la batterie se précipite et que le vocal donne l’impression  d’embrasser le ciel, mais nous voici arpentant sans désir notre société de consommation, prisonniers de notre solitude, hantés par l’immarcessible émerveillement de de notre échec à nous fondre dans le soleil communautaire de l’être. Reflections : musique brillante, ne pensons-plus à la splendeur du soleil mais à des braises rougeoyantes dont nous devinons qu’elles déclinent doucement, scintillements de guitares, vocal éjaculé puis s’étendant en longues ombres, la batterie concasse le gravier de nos rêves, c’est un drame mais d’une telle splendeur qu’il n’est pas encore mort, qu’il se débat, qu’il crie comme une salamandre qui agoniserait dans le feu qui lui fut jadis protecteur, ce n’est pas l’extérieur du monde qui se meurt, mais notre monde intérieur qui s’éteint en beauté  pour disparaître à jamais, nous abandonnant au vide de l’univers.  Nothing Good to Say : pourquoi cette intro si douce alors que nous cheminons dans l’hostilité du monde et de notre vécu, peut-être parce qu’il existe une solution, un autre abandon, la voix gémit et se fait amadouante, il existe un autre monde, une autre réalité, une autre histoire, une autre épopée qui n’est accessible que si on se laisse emporter par le tumulte de l’ultime tentation, quand on n’a plus rien à dire ne reste-il pas autre chose à vivre, un autre appel, colère et angoisse, les vagues de la mer, une nacelle à enjamber pour rejoindre l’autre rive… Clockworks :

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    cliquètements, juste pour se raccrocher aux petites branches qui n’ont pas su nous retenir, les aiguilles de l’horloge avancent doucement nous offrant le cadeau de la beauté des choses, toutes les merveilles que les générations humaines nous ont léguées, ces instants de beauté qui sont comme les supports de notre seule transcendance, et cette leçon des choses de la vie et de la nature, toute cette sagesse d’être au monde dans notre propre émerveillement.  Sole Survivor : petites cascades de notes, se faire à l’idée que l’on est le seul à survivre à son propre anéantissement, hurlements, la mort et la vie ne se ressemblent-elles pas si fort qu’elles soient identiques, une seule et même chose, un espoir et un désespoir absolus, quelques accords de basse jugulent la crise, il suffit d’entrer dans l’acceptance des choses, un jour  ou l’autre la nature   décidera quelle que soit la stase existentielle de notre état de notre égocité. Devolve : background un peu chaotique, à qui déléguer sa propre vie, la proposition mérite qu’on s’y arrête, le vocal scande et puis s’apaise, plus exactement la réflexion mûrit lentement sur sa branche dont est n’est qu’une efflorescence arbitraire, se donner, s’abandonner à la vie ou au contraire s’y soustraire, mettre illico un point final, qui a raison, qui se défend avec davantage d’acharnement, des pensées diffuses s’entrechoquent, il est temps de choisir. Vaut-il mieux être mort ou vivant ?  Einsten Rosen Bridge : vous conviendrez que la question mérite une réponse. A moins que vous ne soyez le chat de Schrödinger. Mais laissons-là ce satané matou. Elaguons, le morceau est très court, très beau, très poétique, très lyrique mais il ne répond qu’imparfaitement à la question : que dans la mort, l’âme se débrouille comme dans la vie ! D’ailleurs Thraeds appelle la cavalerie en renfort, en l’occurrence une curieuse idée : en effet s’il est facile d’imaginer la distance entre un point A et un point B, il existe sûrement ne serait-ce que dans le monde du possible hypothétique un autre chemin plus court, c’est ce raccourci que Albert Einstein et Nathan Rosen  ont baptisé bridge, une espèce de pont qui permet cette liaison rapide. Exemple si le point A et le point B situés sur une pomme sont diamétralement opposés, pour se rendre de A à B il est plus simple de passer par le trou qu’un ver aurait creusé à l’intérieur de la pomme, bien sûr en physique la pomme représente l’univers (n’oubliez point la courbure de l’espace-temps chère à Einstein père de la théorie de la relativité)  et le souterrain créé par le ver d’identifie aux fameux trous noirs dont tout le monde parle sans en avoir jamais vu un… Laissons mathématiciens et physiciens discuter doctement dans leur coin, Thraeds applique cette théorie à leur propre thématique nettement plus métaphysique.  : si le point A représente la vie et le point B la mort, si vous voulez parcourir le chemin qui les sépare plus rapidement achetez-vous un revolver.  Si cette réponse vous apparaît comme trop risquée ou trop radicale voici une autre solution : si vous trouvez un chemin encore plus court, si court que les points A et B se touchent presque, peut-être-mêmes sont-ils si proches  qu’ils sont juste à côté l’un de l’autre et pourquoi n’auraient-ils pas un côté commun, voire aucune séparation qui les différencierait… Et si vous-même cher lecteur étiez déjà en même temps  mort et vivant, voilà de quoi alimenter le fil de la conversation lors de votre prochain

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     petit déjeuner familial… Merci Thraeds ! Story in Reserve : il est une autre façon de lire cet album, non pas le vertige métaphysique d’un individu oscillant entre la vie et la mort, il suffit de comprendre que la mort c’est celle de l’autre, pas de n’importe qui, de l’être aimé. Scénario de secours bien plus romantique ! Mais si l’Un est vivant et l’autre morte, quel étrange paradoxe puisque tous deux sont morts et vivants en mêmes temps, incompréhensible gymnastique positionnelle que d’être séparés dans un même lieu. Et si cette survivance de l’un et cette mort de l’autre n’étaient pas la mort de l’autre mais la mort de l’amour. Comment l’amour peut-il être mort alors qu’il vit encore dans deux êtres séparés qui n’en forment qu’un. Curieux quand on y réfléchit : la physique moderne donnerait-elle raison au mythe de l’Androgyne initial. Etrange embrouille ! Que l’amour meure alors qu’il vit encore ! Le morceau précédent était celui où les contraires s’annulent, un point paradisiaque spirituel ancré dans la science, d’où cette musique rayonnante, mais nous voici revenu dans la vie concrète, dans la chair humaine confrontée à son insuffisance pragmatique, il est une barrière infranchissable entre les choses de l’esprit et l’engoncement strictement existentiel, il suffit de franchir la porte fermée à double-tour dont on possède la clef magique, la musique s’arrête, hésitation ultime, rugissements et apaisements. Définitifs. Dans le Coup de dés de Mallarmé les dés ne sont pas en une suprême hésitation lancés il n’empêche que l’univers salue d’un signe cette possibilité de l’impossible qui n’est que l’autre face de l’impossibilité du possible… ici notre héros refuse de pousser la porte de l’amour, que vous préfériez le Rêve de l’Action à l’Action du Rêve, n’est-ce pas dans les deux cas se confronter à sa propre vie, à sa propre mort… autant dire la mort  de l’Action et la mort du Rêve…

             Attention cet album ne s’écoute pas, il se médite. Vous pensez que vous allez entrer dans un sujet bateau, par exemple l’impermanence de tout ce qui est. Toute chose n’est-elle pas en train de devenir ce qu’elle n’est pas… Encore convient-il de nommer la chose telle qu’elle n’est plus.

             Rock métaphysique. Soyons subtil.

    Damie Chad.

            

     

    *

             Ce n’est pas que je sois particulièrement nationaliste mais ce matin je me suis levé en ayant envie de kroniquer un groupe français. Qui cherche trouve, j’ai découvert la perle rare, un tintouin tordu, un bathyscaphe bizarroïde, un truc qui normalement ne devrait pas exister, ne se présente-t-il pas lui-même comme un groupe de post-metal acoustique. J’avoue que je n’aurais pas dû, mais d’instinct je m’étais entiché d’explorer le catalogue de P.O.G.O Records. Voici quelques mois j’avais jeté mon dévolu sur un objet phoniquement assez redoutable (numéroté : 185) à savoir Ghost : Whale – imaginez le raffut que ferait Moby Dick dans votre bocal à poisson rouge – chez P.O.G.O. vous n’êtes jamais déçu, je n’ai pas eu à farfouiller longtemps, juste la case 184 ! Jugez-en par vous-mêmes !

    LA BÊTE

    DRONTE

    (P.O.G.O. Records  184 / Octobre 2024)

    Z’ont déjà commis deux opus : en premier Quelque part entre la guerre et la lâcheté : magnifique titre, l’on pourrait croire qu’il s’agit d’une description de la situation politique de ces derniers mois mais il est sorti en 2019, suivi en 2023 d’un split avec Thomas Augier intitulé Dés - Astres, titre qui fleure bon Mallarmé.

    Le dronte n’existe pas. Je ne parle pas du groupe mais de ces oiseaux trop gros pour voler, communément appelé dodos sur l’île Maurice qui ont été dévorés par les chiens introduits par le capitalisme colonisateur. Si vous croyez que j’exagère reportez-vous aux titres de l’Ep.

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    Toute une tribu : Benoît Bédrossian : contrebasse / Camille Segouin : vibraphone, percussions / Frédéric Braut : chant, shruti, bâton de pluie / Gregory Tranchant : guitares / Lucas de Geyler : batterie / Nicolas Aubert : guitares. Devaient se sentir seuls puisqu’ils ont demandé la collaboration de Raoul Sinier : clavier. Producteur, musicien, graphiste, écrivain, artiviste, Raoul Sinier mériterait une chronique à lui tout seul.

    Le shruti est un instrument indien bourdonnant, attention certains shrutis se prêtent mieux aux voix féminines et d’autres, carrément masculinistes, aux gosiers virils.

    La couve est de Benoît Bédrossian. Encore un artiviste, dessinateur réalisateur de films et de dessin animés. Nous avons dû rencontrer son nom voici quelques années aux temps heureux de la Comedia à Montreuil puisqu’il a publié dans Kronik, fanzine BD que nous avons kroniké à plusieurs reprises.  Au début l’on n’y voit que du jaune, notez la structure diagonalique de la composition qui répartit  équitablement tout en les séparant la face claire du monde et son  côté obscur. Quant à la bête, être mal dégrossi dont on n’aperçoit que la tête, elle fait sûrement partie de l’espèce la plus dangereuse qui peuple  notre planète. Si vous ne vous êtes pas reconnu c’est que vous êtes un incurable optimiste.

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    Perspective : attention piégeux, un départ coolos et cette voix qui se met à parler, l’on se croirait dans un début de chanson française, et puis c’est insidieux le rythme se met à jazzifier, les voix se croisent, l’on ne comprend pas très bien de quoi ils causent, on se croirait dans un fumoir chez des gens bien, maintenant on lève le pied, le moment où les musicos se la coulent doucereux, z’ouvrent une boîte à sourdine,  du coup tout le monde se tait et l’angoisse fond sur vous, ça djente à mort, font de la parodie metal, c’est au tour de la cavalerie de foncer, galop de générique de film d’aventure, et l’on repart à pas lents et lourds, du coup le mec prend sa voix philosophique de vieux sage, du gars  qui a tout vécu puisqu’il s’est contenté de se complaire en lui-même. N’en déplaise au titre l’on a l’impression que les perspectives sont bouchées, que l’on n’est pas encore sorti de l’auberge. Soyons franc, on se demande si en fait on y est déjà entré. Révolution : ( Feat Raoul Sinier) : quelle est cette note de guitare qui insiste pour se répéter tout en fluctuant sur elle-même, le zigue reprend la parole, quand il se tait l’on peut goûter la beauté de l’accompagnement quand il n’accompagne pas, la plaine est envahie, il vous le répète une vingtaine de fois de plus en plus rapidement, l’on s’attend au pire, c’est le meilleur qui survient, un long passage musical, même sans fermer les yeux vous sentez qu’une engin interplanétaire cherche à se poser sur la terre, évidemment vous pouvez imaginer tout autre scénario, c’est un peu dramatique, et multo intriguant, la musique s’éloigne, le poëte reprend la parole, on l’a échappé belle puisque l’humanité a survécu, auprès de ma blonde qu’il fait bon vivre… Soyons sans crainte : la bête reviendra. Perspective : ne faites pas les malins, vous n’avez rien compris au film, normal c’est juste un disque, alors pour que vous intuitiez mieux, ils vous repassent le premier morceau, à l’identique, enfin presque z’ont coupé la piste du microphone, désormais micraphone, oui c’est juste l’instrumental, ce n’est pas que c’est mieux parce l’on peut apprécier la fluidité de la zique, en fait la musique toute seule nous permet de comprendre que le chanteur, non il ne chantait pas puisqu’il parlait, ne faisait que nous communiquer son angoisse à déblatérer sur son malaise à paraître sur la scène du monde. Révolution : (Feat Raoul Sinier) : donc la reprise instrumentale du deuxième morceau. Bien sûr on déguste la partoche, sans toutes ces bavardages bavassant, mais là n’est pas le problème, vous avez cinq minutes et quelques secondes, pas une de plus, pour résoudre la problématique. Non la perspective ne débouche pas sur la révolution, c’est la révolution qui tourne sur elle-même pour vous renvoyer à votre perspective, vous avez cru accéder au nirvana de l’amour, ben non la bête de l’angoisse est en vous, c’est vous la bête, c’est vous le bête, à peine avez-vous trouvé le bonheur que vous sortez de vous-même afin de mieux vous retrouver en vous-même au cœur de votre angoisse. Terrible incomplétude humaine.

             L’opus est composé de deux miroirs qui se réfléchissent l’un dans l’autre. Bien sûr votre image qui est dans l’un des deux miroirs n’est pas dans l’autre, car cela signifierait que vous auriez atteint à une certaine complétude humaine, mais puisque vous n’y êtes pas c’est que vous n’y êtes pas, vous êtes juste à côté, comme un crottin de cheval sur un chemin vicinal dont la pluie  dissoudra jusqu’au souvenir...

             Cela ressemble à cette littérature fort en vogue dans les années soixante-dix, on n’écrivait pas un livre, on disait que l’on était en train d’écrire un livre. Que le lecteur aurait peut-être le malheur ou le bonheur de tenir un jour entre les mains.

             Curieuse expérience concepto-auditive.

    Damie Chad.

     

    *

             Je reconnais que les deux kronics précédentes peuvent désarçonner la stabilité granitique  des esprits sensés, je m’étais donc juré de présenter un groupe bourré de riffs électriques dévastateurs, j’avais un candidat redoutable sous la main, hélas les Dieux ne l’ont pas voulu. Evidemment je parle des Dieux grecs. Je plaide non coupable car qui pourrait résister à l’appel de Ganymède. Pas moi. Comment vous non ! Quelle folie ! Quelle inconséquence !  C’est votre droit le plus absolu. Par contre je m’interroge sur la nécessité de votre existence sur cette planète.

    Bref encore une embardée musicale hors-norme. Doublement sidérante. Je pensais me trouver face à un groupe grec. Pas du tout. Sont domiciliés à Budapest. Capitale de la Hongrie.

    THE GANYMEDE’S CALLING

    BRONZE AGE VISIONS

    (Bandcamp / 2024)

    Pour les malheureux qui n’auraient pas eu accès à des visions provenant  de l’âge de bronze voici quelques rudiments historiaux. L’âge de Bronze succède à la période néolithique, elle débute au troisième millénaire avant notre ère, se poursuit durant la Proto-histoire et débouche dans l’Histoire. Si le néolithique s’apparente à l’essor de la l’agriculture, si l’Histoire débute par l’invention de l’écriture, l’âge de bronze est celui de l’émergence de la métallurgie, bref une époque tumultueuse et guerrière…

    Ganymède, de sang royal issu de cette lignée qui fondera Troie, fut tout jeune réputé pour sa beauté. Zeus, se métamorphosant en aigle, l’enleva et l’emporta dans les demeures de l’Olympe. Pour remercier son nouvel amant Zeus lui offrit le poste d’échanson des Dieux, chargé de distribuer lors des banquets divins le nectar nécessaire à leur immortalité… Jalouse, Héra somma Zeus de se débarrasser de ce rival insurpassable… Zeus lui conféra l’immortalité en le plaçant dans la voûte céleste. Aujourd’hui il forme la constellation du Verseau. Ce personnage qui partagea le quotidien des Dieux retint l’attention des Grecs, on le retrouve aussi bien chez Homère que chez Platon…

    Kaszas: guitar / A. Marias: bass / B. Bodis : drums / E kaszas-Kosa : vocals.

    La couve représente ce qui doit être un détail d’un tableau de Frans Franken dont le titre serait : La sorcière. Nous sommes loin de Ganymède, mais quand nous ne comprenons pas il faut instinctivement savoir faire confiance et attendre que les visions qui nous semblent floues prennent netteté et consistance.Nous remarquons que l'appel de Ganymède passe par l'intelligence, le livre et le savoir...

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    Come with me : le titre est paru en 2023 sur Bandcamp accompagné d’une couve empruntée à Frans Franken (1581- 1642), le tableau n’est pas représenté en entier, seulement une petite portion sise dans le coin gauche supérieur. Un détail sans importance : un morceau de fenêtre, une applique architecturale, une étagère. Le choix est d’autant plus surprenant que la gravure intitulée La Mort et l’Avare représente notre riche bourgeois endormi et le squelette de la Mort interprétant sur son violon une danse

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    guillerette. Guitare morbide, par bonheur le chant survient, ce n’est pas exactement l’envoûtement de sirènes, mais dans ce bourdonnement riffique nous parlerions plutôt d’un répit salvateur, la voix quoique voilée s’avère douce et mélodique, même lorsqu’elle se change en plainte et que le ronronnement de la guitare reprend sa place, toutefois l’appel indistinct revient pour notre plus grand soulagement, bruit de scie égoïne découpant un cercueil ou un cadavre, l’on ne sait pas mais il faut l’avouer on succombe à la beauté de ce vrombissement d’élytres funéraires. Même si vers la fin on a l’impression de déboucher en un drôle d’endroit. Listen to the Thetis Ocean : beaux accords de guitare, est-ce en l’honneur de Thétys l’ancienne maîtresse des Océans, aussi mère d’Achilles, la batterie exsude le rythme régulier du battement des vagues monotones de la mer, en catimini une guitare aigre rappelle que le sel de la mer est amer, un long solo tortueux étend la monstruosité de ses tentacules de pieuvre, celle que sa propre noirceur efface au regard des hommes, qui n’ont plus droit de cité dans les antres abyssaux qu’éclaire le soleil rayonnant des cymbales. Chalices : une résonnance de conque marine, serait-ce l’adieu définitif des vaisseaux qui ne sont jamais revenus de Troie ou un thrène funéraire en l’honneur d’Achilles mort au combat, ou simplement le regret de ces coupes, de ces calices dans lesquels Ganymède n’a encore versé aucun breuvage revigorant, béance symbolique de l’inhumanité humaine. The Ganymede’s calling : présence du son, le chant mélodieux se glisse sous la guitare tandis que la batterie impavide trace son lourd sillon impavide, ce n’est pas la voix de Ganymède qui appelle mais celle de Io, la douce voix cosmique qui se languit de Zeus, son amant, la guitare se fait lyrique, la voix de Zeus n’apaise-t-elle pas n’importe quelle souffrance, n’importe quel mal, tant pis si la mer se gonfle, le flot impétueux n’emportera-t-il pas sa victime jusqu’en Egypte, terre de rut et d’assomption, l’on entend le mufle de la vache qui mugit de plaisir et se perd en un long râle définitif. Le groupe a joint à ce titre une Official Vidéo dont le déroulement risque de laisser le spectateur dans la plus grande perplexité. Elle semble n’avoir aucun lien avec Ganymède. Les esprits subtils comprendront qu’il s’agit d’une image métaphorique de l’histoire de Zeus bâtie sur le double féminin de notre échanson, Io et Ganymède tous deux amants de Zeus, et si c’étaient eux qui avaient appelé et ravi Zeus par leur seule beauté, la vidéo nous montre deux personnages féminins, affublées du nom de Sorcière, peut-être pour se mettre au diapason des baroques tableaux de Frans Francken, peut-être pour marquer l’évidence d’une relation avec le mouvement féministe actuel qui souvent revendique le pour la femme le titre de sorcière, donc deux femmes l’une en robe indigo et l’autre en robe cramoisi jouée par la même actrice, normal puisque toutes deux incarnent le même personnage, mais chacune des deux à un degré d’initiation désirante différente, l’une plus haut que l’autre, l’indigo qui correspond au noir alchimique et le rouge à la complétude philosophale, je vous laisse non pas regarder mais contempler. Pour ceux qui n’y verraient que du vert naturel, saisissez-vous de la baguette magique des sorcières exhaussé en bâton phallique de grand-papa Freud pour essayer de mettre en place les pièces du puzzle. Other wordly Exhaling : résonnances multiples, les instruments sont fatigués, ils reprennent leur souffle, comme des membres rompus aux plus doux combats qui perdent leur tension et se reposent en leur satisfaction de ce qu’ils viennent de commettre. De connaître aussi. Car il est des actes qui n’ont de sens que s’ils sont pénétrés de leur propre conscience. Repos. Onde berceuse.

             A première vue l’ensemble semble disparate, composé de bric et de broc. Il n’en est rien, il fonctionne par déplacements quasiment poétiques, refusant le verbiage explicite, négligeant les structurations causales.  Des visions de temps anciens et homériques, ayant traversé bien des époques, mais gardant par-delà les représentations culturo-circonstantielles l’actualité primordiale et constitutionelle de notre hominisation.

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              Pour ceux qui veulent en savoir plus Bronze Age Visions a sorti ce 25 août 2025 un EP enregistré en public intitulé … And The Io Too ( Live At Dopamine). A Bucarest.   

    Damie Chad.

     

    *

    Jumpin’ Jack Neal fut le contrebassiste des Blue Caps. Il fit partie des Virginians qui devinrent le groupe de Gene. La carrière américaine de Gene est vite partie à vau l’eau, Capitol ne les a pas pris en main… Peut-être ces amateurs de génie n’étaient-ils guère malléables, en même temps trop jeunes et trop âgés…

             La lecture des propos de Jack Neal n’est guère facile. A l’intérieur d’une même phrase  il change facilement de sujet. Il semble que le montage de la vidéo n’aide pas à s’y retrouver… Quoi qu’il en soit, ce témoignage nous dresse un beau portrait de Gene.

             Il est évident que Jack Neal n’a pas réalisé l’importance de l’aventure qu’il a traversée.

    The Gene Vincent Files #6: Interview with Jack Neal,

    first bass player for Gene and the Blue Caps.

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    Eh bien pour commencer, ils avaient un groupe de studio et ils s’appelaient les Viriginians, et donc nous y sommes allés et tous ceux qui voulaient passer une audition nous les avons accompagnés. Il y avait Dickie, nous : Willie William et Cliff Gallup et moi-même. Je n’ai jamais connu Gene Vincent avant que ce truc maigre n’entre par la porte d’entrée et que je dise que cette maigre brindille devait être Gene Vincent, mais il s’est vite révélé, c’était un bon chanteur, et WCMS l’aimait et c’est comme ça que tout a commencé avec WCMS pour autant que je me souvienne, ils, Gene et le Sheriff Tex Davis, ce dernier  était notre propre manager, ont écrit Be Bop A Lula, donc pour essayer de faire avancer les choses ils ont envoyé la cassette à Capitol Records à Nelson et immédiatement Nelson l’a aimée et donc il a voulu que nous venions l’enregistrer au studio Owen Bradley qui n’existe même plus, et je pense que c’est de là que le bruit a couru que Nelson ne nous voulait pas, ou un truc du même genre, ce n’est pas vrai. Mais pour obtenir ce que Gene voulait faire il nous a mis à part et nous a séparés de Gene, il était comme derrière une porte fermée, mais bien sûr nous pouvions l’entendre, mais c’est comme ça que nous avons enregistré

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    tout ça, c’est-à-dire Race with the Devil, Blue Jean Bop et Up a lazy River. mais avant cela nous avons fait tous nos concerts à Norfolk, nous avons fait le Wilkin Show sur Military Highway, le Old Commodore Theater à Portsmouth, et quel était le nom du Grand dans le Sud, oui le Grand Hotel dans le sud de Norfolk, puis nous sommes allés au  Nags Head Casino. Ensuite nous avons pris la route, nous avons fait le spectacle pour le Perry Como Show. Le groupe était au complet, et quelqu’un vous a-t-il raconté comment cela s’est passé quand nous avons pris la route nous n’étions pas des romanichels.  Nous avions  une Ford, seulement c’était une de ces longues limousines, une sorte de limousine avec un porte-bagages sur le toit, nous avons mis nos affaires sur la galerie, et en avant. Plus tard nous avons changé   le  véhicule contre une Cadillac.  Lorsque nous avons eu  la Cadillac, nous sommes allés de Las Vegas à Nevada.  Je tiens à dire qu’en voiture de chez moi à Las Vegas dans le Nevada c’était alors une véritable aventure mon Dieu ! J’étais vraiment  heureux quand j’en eus terminé avec cette épreuve !  C’est un interminable chemin, nous sommes crevés, l’habitacle sent mauvais, les gars mangent là-dedans et ils font un ramdam du diable, Dickie est devenu fou, Seigneur aie pitié de nous ! il ne voulait même pas s’asseoir sur son siège la plupart du temps, et il est devenu tellement cinglé qu’il a déchiré le fond de son pantalon. Une fois à Los Angeles j’ai cassé le cheviller sur ma basse, ce n’était pas ma basse, elle appartenait à l’endroit où nous jouions et le Sheriff Tex Davis n’aimait pas beaucoup ce genre d’ennui, Gene s’en fichait, eh bien dis-leur

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    comment tu faisais, oh je l’ai juste levée au-dessus de moi et quand je l’ai redescendue et qu’elle a heurté le sol  le cheviller s’est cassé en-dessous, et a brisé l’un des ressorts, les cordes et le chevalet sont tombés en-dessous, et le sheriff Tex Davis n’a pas du tout aimé mais Gene raffolait de cela, il était à fond pour ce genre de truc, mec il devenait totalement dingue chaque fois que nous allions faire un spectacle, il nous disait toujours de ne pas rester immobiles, pour bouger il n’était pas le dernier, il était souvent là, mais la plupart du temps c’était juste parce que l’on aimait la musique. Vous savez il fallait bouger quand on l’aimait. Vous ne pouviez vous empêcher de sauter partout. Gene était quelqu’un de bien, un homme pour qui il était agréable de travailler. Il ne s’est jamais fâché contre l’un de nous. Il était toujours dans le mouve. Il venait toujours nous demander conseil, c’est ainsi que ça se passait. C’était un homme bien. Parfois on pouvait voir qu’il souffrait mais il essayait de ne pas le montrer. Je pense qu’il a assuré. Il m’a toujours bien traité, tout ce genre d’anecdotes que ma femme a racontées, un désastre rapporté dans les livres, j’ai  du mal à croire que c’était ce genre d’homme. Je n'y crois pas, mais c’était un homme bien. N’ai-je pas l’air stupide ! (Jack s’est coiffé d’une casquette bleue) si ça

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    l’est tu peux l’enlever ! Oui, il y avait une raison, ça avait quelque chose avoir avec Eisenhower, ne portait-il pas une caquette bleue ou quelque chose de ce genre. Je ne le crois pas non plus mais ça avait quelque chose à voir avec ce dont tu parles, comme Willie Williams. Eh bien je le pense. Sa femme a été la cause  de son départ. Cliff dès le départ il n’avait pas l’intention de rester. Il était en congé. Eh bien, c’était un guitariste fabuleux. Je peux vous dire que beaucoup de gens ont essayé de l’imiter mais ils n’y sont pas parvenus. Tellement il était bon. Et moi aussi, quand tout, je veux dire quand le fric n’a plus été au rendez-vous je suis parti. Dickie a été le dernier à rester avec lui. Puis il est finalement parti et Gene est parti en Angleterre.

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    J’ai entendu dire qu’il était très populaire là-bas, en fait il était plus populaire là-bas qu’ici.  Pourquoi ? je ne sais pas. Ainsi ils pensent toujours qu’il est Dieu, mais il est devenu célèbre là-bas même une fois mort, il est devenu célèbre depuis le jour de notre départ. Je n’ai jamais eu de ses nouvelles, je ne l’ai jamais contacté. Je pense qu’une fois que tout cela a été fini il est parti en Angleterre, je ne sais pas si Dickie a gardé des contacts avec lui ou non. Je ne pense pas, oui ça m’a surpris qu’après 50 ans des gens comme vous continuent à faire un film sur ce sujet. Après 50 ans, oui ça me surprend, on aurait pu penser que tout cela disparaîtrait au bout de huit ans, mais je ne pense pas que ce sera le cas, peut-être que lorsque j’aurais 90 ans cela continuera encore.

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    Transcription : Damie Chad.

    Notes :

    Jack Neal né en 1930 nous a quittés le 27 septembre 2011.

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    Wilkin Show on Military Highway : peu d’indices sur ce Wilkin Show, par contre voici deux vues de la Military Highway la première de 1954, la seconde prise en 2015 ou 2018.

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    Commodore Theater à Norfolk, ouvert de 1945 à 1975. Aujourd’hui, voir notre photo, transformé en cinéma.

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    The Grand Hotel : sis à Norfolk, plus tard devenu le Continental Hotel. Puis fortement remanié et vendu sous forme d’appartements. La photo a été prise circa 1960.

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    Nags Head Casino, un des haut-lieux de distraction des Outer Banks, situé en Caroline du Nord. La salle de spectacle a reçu dans les années 40 tous les grands noms du jazz. Dans les années cinquante elle s’est ouverte au rock’n’roll, Platters, Fats Domino, Jerry Lee Lewis, Gene Vincent. Dans les années soixante elle s’est ouverte groupes de surf. Le complexe fut détruit en 1970.

    Perry Como Show : Gene participa à cette émission de télévision à New York le 26 juillet 1956.

    A suivre.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 701 : KR'TNT ! 701 : BLACK SABBATH / TÖ YÖ / WILD BILLY CHILDISH / ZEMENT / WHEELS / SNAKES IN THE BOOTS / MISS CALYPSO / THE CORALS / GENE VINCENT+ WANDA JACKSON

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 701

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    05 / 09 / 2025

     

     

    BLACK SABBATH / TÖ YÖ

    WILD BILLY CHILDISH / ZEMENT

    WHEELS / SNAKES IN THE BOOTS

    MISS CALYPSO / THE CORALS 

        GENE VINCENT + WANDA JACKSON

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 701

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    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

    - Sabbath tous les records

    (Part One) 

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             On se doutait bien que l’histoire d’Ozz allait mal finir, mais la nouvelle de son cassage de pipe en bois nous a tout de même surpris. C’est arrivé quelques jours après l’ultime concert de reformation de Sab à Birmingham. Encore une page d’histoire qui se tourne. On va bientôt se retrouver seuls. Ils seront tous partis. Rien n’est pire que de voir partir ses amis et de se retrouver seul.

             On a tous été fans de Sabbath, sans doute parce qu’ils étaient fans des Beatles. Il ne faut jamais perdre ceci de vue : dans les années 60 et 70, les Beatles furent au cœur de la vie de tous les kids anglais : ils ont eu cette chance extraordinaire d’avoir eu comme modèle un groupe parfait. En France, on proposait aux kids un autre genre de modèle : Johnny Hallyday. C’est pas la même chose.  

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             Dans Mojo, Keith Cameron assiste pour nous aux préparatifs de l’ultime concert de Sabbath, prévu le 5 juillet 2025 au stade Villa Park de Birmingham, à côté duquel les quatre Sab ont grandi - We all lived around that Villa ground - Le concert porte le doux nom de ‘Back to the beginning’. L’Ozz a 76 ans. Il ne tient plus debout. Parkinson. Son dernier concert date de 2018. Un Ozzfest à Los Angeles.

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             Puis l’idée d’un concert d’adieu a commencé à germer dans les vieilles cervelles vermoulues des quatre Sab. L’Ozz a donné son accord et il a repris l’entraînement avec son équipe d’assistants : respiration, altères, on imagine le travail. L’obsession de l’Ozz est de dire adieu à tout le monde avec un seul big show. Sharon Osbourne : «Well why don’t we just do one big show and you can thank everybody? So we’ve been working on it for nearly two years. You know, Birmingham has given Ozzy so much, he’s so proud of where he was born. He’s working his little old arse off to get there.»

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             Ça n’a pas été simple de rassembler les quatre Sab originaux, surtout Bill Ward, qui avait quitté le groupe depuis belle lurette. Geez indique qu’Ozz l’a appelé pour lui proposer de «finir là où tout avait commencé», et Geez lui a répondu qu’il était d’accord si Tony et Bill donnaient eux aussi leur accord. Alors l’Ozz appelle Bill et lui propose le deal - I’m gonna do one last time. Do you want to come and play? - Bill accepte, mais Tony Io n’est pas très chaud. Il commence par dire non - To be honest, when it was first mentioned to me, I said no - Tony Io se demande surtout si les quatre Sab sont encore en état de monter sur scène, myself included - We need to be good. We’ve got a good legacy, and I didn’t want to destroy it by everything not being right - Et voilà, c’est the end of the End, comme il dit. Tony Io n’est pas beaucoup plus frais qu’Ozz : il s’est tapé un petit cancer, et fait pas mal d’allers et retours à l’hosto. C’est l’âge. 77 ans, la zone de tous les dangers. On vient de lui retirer un gros truc dans la gorge et crack, il s’est coincé un nerf dans le cou - When you get to our age, things just go wrong - Il craint surtout qu’un des quatre Sab ne se casse la gueule sur scène après deux cuts. C’est le risque qui pend au nez des vieux crabes quand ils montent sur scène à l’âge de 77 ans. Faut savoir ce qu’on veut dans la vie.

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             Geez n’est pas beaucoup plus frais. En 2022, il était trop malade pour grimper sur scène avec l’Ozz et Tony Io. Et comme dit Cameron, «he’s currently working hard on his flexibility». Il a des crampes dans les mains. Il craint que ça ne lui arrive sur scène. Devant les fans, il aurait l’air d’un con avec ses cramps. Quant à Bill, il fait du fitness avec son drum crew. Ils ont tous des crews. Ils ne parlent que de crews. C’est l’apanage des vieilles superstars. Un crew sinon rien ! Bill bosse son leg power pour driver «Sabbath’s massive double bass drum attack.» Vazy Bill, drive ! À son âge, Bill a encore des choses à prouver. Il a lui aussi 77 ans - that’s a whole other world, 77 and playing 26-inch bass drums. One could call it lunacy - Tu l’as dit, Billy !   

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             Justement, Bill donne une grosse interview dans Uncut. Dans son introduction, John Robinson parle d’une «incredible unity of purpose». C’est bien vu. Bill rappelle qu’il a fait une petite crise cardiaque en 2017, et donc, il a dû mettre la pédale douce. Et surtout retrouver la forme, grâce à son crew. Puis il raconte la formation de Sabbath à Birmingham et leurs premiers cuts, «Wicked World» et «Black Sabbath». Ils répètent chez Tony - We wrote it and we played it - Puis ce sont les tournées en Europe, le Star Club d’Hambourg, les putes, le premier album, et patati et patata. Puis Robinson le branche sur les farces de Sab : c’est vrai Bill qu’ils mettaient le feu à ta barbe ? - They were pranks - C’est Tony qui avait le briquet. Bill n’a pas grand-chose à raconter, mais il fait un petit retour sur la pochette de Sabotage. C’est lui qui porte les collants rouges de sa femme sur la pochette. Comme il ne porte rien en dessous, on voit ses balls, alors il demande à l’Ozz de lui prêter son calbut, «which he more than happily did». C’est pourquoi l’Ozz porte une robe.  

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             Luke la main froide n’en finit plus de loucher sur la pochette de Sabotage, «the most psychologically damaged record (just look at the sleeve)». Et il ajoute, emporté par son élan : «Le Midland death trip d’Ozzy culmine en 1975 avec l’album Sabotage qui depuis la pochette jusqu’au contenu est l’un des albums de rock les plus étranges jamais enregistrés. Les paroles sont pour la plupart signées by Brummie shaman Terry ‘Geezer’ Butler.» C’est l’album chouchou des fans de Sab, à cause de cette énormité qu’est «Hole In The Sky», un nouveau modèle de riff anglais sorti du cerveau de Tony Io. Il fabrique du Sab en permanence, et quand l’Ozz ramène son chat perché, ça fait l’identité de Sab, avec en plus derrière les deux cavemen qui allument sec. C’est dans «Symptom Of The Universe» qu’on entend cracher les haut-fourneaux de Birmingham. Dommage que les petits épisodes prog viennent perturber le bel équilibre. Il semble que Tony Io ne gratte que des séquences mythiques, comme ces espagnolades de fin de parcours. Et puis avec «Megalomania», ils se rapprochent du premier album, ils sont si heavy et si présents ! Ils disposent d’une science inégalée en matière de redémarrage en côte et se payent en plus le luxe d’un final épouvantable aux lueurs du génie sabbatique. L’autre hit de Sabotage est le dernier cut de la B, «The Writ», un heavy blues chanté au chat perché d’Ozz, sans doute le perché le plus perçant de tous. Ils ont du panache, le monde entier le sait, on ne fait pas l’impasse sur le Sab, on les connaît par cœur, ces beaux cuts de Sabotage, sans doute les a-t-on trop écoutés. Avec «Am I Going Insane», ils sonnent comme Syd Barrett. Tout est beau et puissant sur cet album. Tony Io fait exploser des bouquets fatals sur «The Thrill Of It All», il soigne ses fins de loup. «Supertzar» est le cut qui a dû impressionner le plus la main froide, car on y entend des voix surgies du passé. On se croirait dans un film d’Eisenstein, c’est exactement la même ampleur catégorielle.

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             Dans sa colonne infernale, Luke la main froide avait raison de se prosterner devant les six premiers Sabbath de la période Vertigo - Without doubt some of the greatest rock’n’roll ever made. These records fucking swing, man - Ils font partie des albums fondateurs de l’empire du rock anglais. Tony Io est l’un des grands guitaristes classiques du rock anglais, il fait partie de ceux qui ont tout inventé. Ah comme on a pu adorer ce Black Sabbath paru en 1970 ! Chaque fois qu’on le réécoute, il fonctionne comme une machine à remonter le temps. Tous les cuts de l’album sonnent comme des classiques, cette belle et étrange musicalité s’installe avec «Behind The Wall Of Sleep». Rien à voir avec l’hard-rock, c’est de l’heavy pop dotée d’une mélodie chant d’une indicible qualité. Le génie riffeur de Tony Io prend forme avec «NIB» et l’Ozz entre dans l’histoire avec son fameux Oh yeah ! Fabuleuse énergie ! Très beaux longings de Tony Io, il est fabuleux d’à-propos. Ils ouvrent leur bal de B avec «Evil Woman Don’t Play Your Games With Me», monté sur un riff classique bien contrebalancé par le bassmatic du Geez. Ces quatre Brummies fabriquent du rock classique, et cette fois c’est le Geez qui vole le show. Ils finissent en beauté avec «Warning» et l’Ozz revient au chant après une longue absence, une si longue absence.  

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             Paranoid paraît la même année. On imagine l’ado Luke dans sa cave, secouant ses petits cheveux blonds au son de «War Pigs». Heavy, baby ! Voilà d’où vient toute cette culture heavy. Ils jouent à la respiration interrompue, c’est un peu emprunté, mais c’est Sab, alors respect. Ils réussissent l’exploit de créer un monde à partir d’un riff, puis ça part en virée seventies. Voici venu le temps des classiques avec «Paranoid» et «Iron Man». Le riff de Parano est tellement classique qu’on dirait du Led Zep. Bravo Tony Io ! Stop to fuck my brain, gueule l’Ozz et pendant ce temps, Geez fait un carnage. «Iron Man» est aussi monté sur un riff classique, et Tony Io le ralentit pour l’alourdir. Tout l’heavy métal vient de là, de l’Iron. Et cette manie qu’ils ont de partir en virée ! En B, on trouve deux autres pièces palpitantes : «Electric Funeral», d’abord, plus tarabiscoté, même si c’est monté sur un riff funéraire du grand Tony Io, un riff d’une portée universelle, c’est dire la grandeur de sa hauteur. Puis voilà «Fairies Wear Boots», un titre qui a dû beaucoup plaire à la main froide, mais ça se présente comme une jam, with no direction home, perdue dans la pampa, avec une succession de thèmes impies, et l’Ozz entre dans l’ass de la danse à l’impromptu, il s’installe dans l’ambiance du power Sab, c’est très fairy witchy, il raconte son histoire d’une voix étrangement perçante.

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             Paru l’année suivante, Master Of Reality a dû mettre la jeune main froide sur la paille. On retrouve notre cher heavy Sab dès «Sweet Leaf». Tony Io joue du gras double, ils sont dans leur élément, c’est saturé d’heavyness ralentie, mais après un moment, ça se barre en vrille prog, et ils reviennent on ne sait comment en mode rouleau compresseur. Le Geez fait vrombir sa basse. Sur toute l’A, le Sab se montre déterminé à vaincre, il fait même du boogie rock anglais avec «Children Of The Grave». Pas d’hit sur cet album, mais une constance sabbatique, comme le montre encore «Lord Of The World», ils restent dans leur formule, pas de surprise, Tony Io se place en embuscade et malgré les apparences, le son reste très linéaire. Ils reviennent au big sound avec «Into The Void». Chez Sab, ce n’est pas le gros popotin, mais le gros patapouf qui a le vent en poupe. Il est tellement gros, le patapouf, qu’il a du mal à respirer... Si on cherche des aventures, il faut aller voir ailleurs. Les kids adorent le gros patapouf de Tony Io.

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             La jeune main froide a dû beaucoup admirer la pochette du Black Sabbath Vol. 4. Quel rocking artwork ! Et hop ça démarre avec du classic Sab monté sur une nouvelle trouvaille Ionique. Pas question de s’énerver, il joue son riff en retenue et miraculeusement, on échappe cette fois au petit développement prog de mi-parcours. Tous les cuts de Sab sont montés sur un riff de Tony Io. Alors pour l’Ozz, c’est du gâtö. Il peut enfourcher son canasson et chanter «Tomorrow’s Dream» au chat perché. Tony Io remplit le son à ras-bord. Il lui donne de l’ampleur. «Changes» pourrait être un balladif de Croz, car c’est assez océanique. Peut-être s’agit-il du meilleur sob de Sab. Pour boucler l’A, Tony Io charge la barque de «Supernaut». Il est l’un des plus gros démolisseurs d’Angleterre et l’Ozz s’élance comme un loup à l’assaut de la caravane, ça joue pour de vrai. Tony Io a plus de son qu’avant, on voit qu’ils enregistrent à Los Angeles. La B se tient bien elle aussi, «Snowblind» reste du classic Sab. L’Ozz ne change rien à sa méthode, il va droit sur son petit chat perché. Tony Io boucle ce valeureux Snowblind à l’embrasée de Birmingham. «Laguna Sunrise» montre qu’ils sont capables de climat lumineux et d’espagnolades, et ce gros mélange de riffing et d’orientalisme qu’est «St Vitus Dance» montre qu’ils adorent danser avec Saint-Guy. Cet album surprenant s’achève avec «Under The Sun», classic package de Sab monté comme un millefeuille, bien bourré de crème au beurre et concassé à tous les instants comme le corps d’un malheureux soumis au supplice de la roue.

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             Paru en 1973, Sabbath Bloody Sabbath n’est pas le meilleur Sab. C’est du classic Sab, bourré de climats, de cocotes et de chat perché. L’Ozz se veut criard, mais il n’est pas toujours juste. Ils amènent l’«A National Acrobat» au heavy Sab, mais ça vire troubled troubadour un peu proggy.  Tony Io a du mal à renouveler le cheptel. Ses compos peinent à jouir. C’est encore dans la délicatesse diaphane qu’il excelle le mieux («Fluff»). Il revient à son pré-carré et à ses vieilles racines de mandragore avec «Sabbra Cadabra», on se croirait sur le premier Sab, tellement c’est bien foutu. C’est même l’hit de ce bloody album. Le «Killing Yourself To Live» qui ouvre le bal de la B semble lui aussi sortir du premier Sab. Merci Tony Io de ce retour aux sources. L’Ozz s’en donne à cœur joie. Ils font de la petite pop bien intentionnée avec «Looking For Today» et pour «Spiral Architect», Tony Io pompe les accords des Who dans Tommy. Cette fois, ils tombent dans le n’importe quoi, et ça finit par devenir trop poli pour être honnête. 

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             Pourquoi diable a-t-on ramassé Paranoid: Black Days With Sabbath & Other Horror Stories chez Smith il y a plus de vingt ans ? Certainement pas à cause de la couve et de ce mélange visuel complètement sabbatique de croix et de seringue (attention, le book est reparu avec une couve encore pire : une cuillère pleine de poudre et une seringue). Certainement pas à cause du nom de l’auteur : on savait que Mick Wall drivait Kerrang!, cet hebdo ou bi-hebdo metal qu’on n’approchait qu’avec des pincettes (c’était le seul canard anglais qui consacrait des pages aux Wildhearts). Et pourtant on a fini par lire ce book de Mick Wall. Et on l’a adoré. Pour deux raisons : Mick Wall écrit comme un cake. Et son book est un fantastique hommage à l’Ozz. Et pour saluer le départ de l’Ozz, on l’a relu, car le souvenir du bon moment était un peu fané et les notes de lecture ne semblaient pas trop fiables. Dans ces cas-là, on relit.

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             Alors attention, ce n’est pas exactement un book sur Sabbath. Mick Wall raconte ses années de junkie et ça démarre comme ça : «J’ai pris la seringue et l’ai plantée right in my arm. Habituellement, on ne pique pas une veine du premier coup, mais cette fois ça a marché. La chance était avec moi et je vis, fasciné, le petite nuage de sang remplir la seringue.» Mick Wall écrit dans un style direct, et comme Nick Kent, il s’est forgé un langage : «We called our works ‘guns’. I slowly squeezed the trigger on mine and waited for the bullet to hit. ‘Go on you slag!’.»  Il donne absolument tous les détails, dans un style à l’emporte-pièce, il traîne son addiction pendant un bon bail puis finit par décrocher pour pouvoir faire ce qui l’intéresse : écrire. C’est donc l’autobio d’un pur écrivain rock. Dans Apathy For The Devil, Nick Kent raconte qu’il est passé par les mêmes travers. Ça faisait semble-t-il partie du jeu.

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             Wall vit en coloc avec un certain Mandy - Like Mandy, I loved heroin. As drugs go, it was the best. Booze, coke, dope, even acid, they were social drugs, party tricks, something you shared with a crowded room. La différence entre le trip à l’acide et le trip on smack était comme celle qui existe entre le dernier blockbuster d’Hollywood et un small art-house movie from Europe. (...) Smack was for the conoisseurs of the anti-social, the solo artists and mavericks who stood for nothing - Et il ajoute ça qui permet de comprendre la suite : «Smack was not a recreational drug, it was a vocation.» Puis il décrit le glissement de l’addiction, car le smack cesse d’être un «personal statement and becomes purely a matter of day-to-day survival.» Ça se passe entre 1979 et 1980, endless junk summer. Il associe le smack au jazz - Willfully perverse, unashamedly self-absorbed, insistently élisist (il met un é), jazz was the perfect junk soundtrack. Like punk and speed, reggae and dope, Hendrix and acid.

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             Mandy prétend que ce n’est pas l’hero qui tue les gens, c’est la télé - Every fix we took was like a big, beautiful fuck-off to the world - Wall et Mandy voient le rite de l’hero comme le summum de l’anticonformisme. Plus loin, il rend hommage à Lou Reed et à «Heroin», «because when the smack begins to flow, it’s true, you really don’t care any more. There was no science to it. It was pure and simple. Smack was just the baddest and the best. Total white-out.» Comme il est écrivain, il peut sortir ça : «Smack was whaterver you wanted it to be.» Les mots n’ont plus d’importance. Il donne aussi pas mal de détails sur la marchandise : «Strickly Iranian brown was our mainman. Après la chute du Shah, by the end of 1980, London was awash with cheap, strong Iranian smack.» Mandy et lui bossent dans le music biz à Londres, et chaque jour, Wall raconte qu’il disparaît un moment dans les gogues pour se faire un fix - One fix at a time - Il va bien sûr se faire repérer et se faire virer. Il donne pas mal d’autres détails, comme par exemple la constipation - Not shitting for weeks on end becomes the norm - Il explique qu’il faut s’accroupir et s’aider soi-même avec les doigts. Mais le pire, c’est l’aspect financier. On vend tout ce qu’on a, même ses disques rares. En une semaine, il a refourgué ses 200 albums collectionnés pendant trois ans. Puis il vend sa machine à écrire, sa montre, ses bagues, son tourne-disques, sa télé, sa radio, et tous ses books.

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    Mick Wall

             Ce qui rend Mick Wall infiniment crédible, c’est bien sûr la qualité de son style. Quand on lui propose une grosse ligne de coke, Wall s’extasie ainsi : «Just go with the flow, baby! Chop ‘em out, Charlie! I was the Jean Genie, letting myself go...», et bien sûr t’entends sonner les accords de Ronno. C’est ça, l’écriture rock, ça sonne. Et quand il n’aime pas quelqu’un, il devient une sorte de Léon Bloy rock. Il évoque le Live Aid et pouf, qui arrive dans son viseur ?, «Geldorf himself. Who would remember Bob now, oher than as the big-headed, mouthy twat from the crappy Boomtown Rats.» Et puisqu’il est en plein dans la daube de Live Aid, il cible U2, «particulary in America, where Bono’s down-on-one-knee histrionics went down a storm.» Quand il devient célèbre grâce à Kerrang!, il ne se rate pas : «I was a cover story writer now, the fattest fat frog in the murky green pond.»

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             Lorsqu’il vit à Los Angeles et qu’il devient riche et célèbre, Mick Wall s’aperçoit qu’il ne bande plus beaucoup, alors il s’en explique très bien : «Il y avait des nuits when I could no longer get it up, que ce soit mentalement ou physiquement. Somewhere along the line, I’d lost a few steps. Pas à cause du smack - pas besoin d’être un junkie pour être fatigué de la chasse. Too much sun and not enough time, that was my excuse.» Et plus loin, il précise : «D’une certaine façon, j’avais de nouveau atteint ce point. Pas à travers l’hero cette fois, mais à travers une drogue plus puissante que le junk. I was high on life, man. And it was slowly killing me. J’ai essayé d’arrêter ça plusieurs fois, mais je n’avais plus d’énergie. À partir d’un certain point, même l’argent n’a plus d’intérêt. Je savais que je ne deviendrais jamais un millionnaire, mais une fois le loyer payé, à quoi peut-on bien penser ?»

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             Ailleurs, il vole dans les plumes des années 80, «the most stupid decade since the ‘50s. Les gens, me semblait-il, étaient prêts à payer pour n’importe quoi, aussi longtemps que c’était bien habillé. And the more stupid, the better. Look at Duran Duran. Look at Bowie and ‘Let’s Dance’. Look at JR and Joan Collins and Margaret Thatcher and Ronald Reagan... What a vulgar, unconvincing bunch of arse-sucking stupidity.» Pourtant, ailleurs, il rend hommage à Bowie qu’il rencontre pour une interview - What a great interview he gave, too - sharp, witty, full of fun, full of stories (...) He was just on it like a motherfucker. He was an interview-killing machine - Wall rappelle qu’«après Ozzy, Ziggy was my mainman. Il venait du futur et j’ai grandi en pensant que Diamond Dogs and David Live were the greatest, most underrated albums of the ‘70s.»

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             En attendant, il rencontre pas mal de gens, dont bien sûr toute la faune de Kerrang!, les Motley Crüe, les Guns N’ Roses et tous ces machins là. Il rencontre aussi David Crosby qui s’apprête à partir au ballon pour 5 piges et qui a le look of the condemned man. Puis Jimmy Page, avec lequel il a un échange intéressant. Wall lui demande pourquoi il est gentil avec lui, alors que tout le monde raconte qu’ils se conduit comme un «complete bastard», et Jimmy lui répond que cette gentillesse «is the other side of the coin. C’est comme la guitare électrique et la guitare acoustique, les gens veulent entendre le bruit le plus fort, alors que d’autres veulent entendre the more gentle acoustic side out. You’ve only ever seen the acoustic side of me.» Wall est tellement impressionné par la classe de Jimmy Page qu’ils vont rester amis. Et bien sûr, Wall va consacrer à Led Zep ce chef-d’œuvre mémorable qu’est When Giants Walked the Earth: A Biography of Led Zeppelin.

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             L’autre géant que Wall salue dans Paranoia est bien sûr Phil Lynott : «Tall as a vampire and dressed from head to foot in black leather, his fingers, wrists anf throat wrapped in a cluter of expansive bejewelled baubles, his dark afro framing his long, sly face like a publicity shot, Philip Lynott played the most convincing rock star I ever met.» Et bien sûr, il le compare à Jimi Hendrix - Maybe Hendrix was the original and the best, but Jimi wasn’t around any more - Quand Wall lui demande pourquoi il porte sa basse si haut, si c’est pour mieux jouer, Phil grommelle : «Naw. It’s so’s da girlies can gedda good look at me bollocks.» Wall rappelle que les punks respectaient Lizzy et que les Pistols se trouvaient backstage aux Lizzy gigs. Un soir, Phil Lynott propose à Mick Wall du Fleetwood Mac. Wall ne pige pas. Alors Phil précise : smack. Ils se font un petit snort ensemble. Et là t’as deux pages absolument magnifiques de rock writing.

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             Autre chapitre déterminant : Dave Brock. Un Dave Brock qui prend l’histoire d’Hawkwind très au sérieux. Voici comment Mick Wall l’épingle : «Alors que certaines pop stars - Phil Collins, say - vous font penser à des chauffeurs de bus, something about the greasy unwashed hair, the stringy beard, the decade-old jeans and rancid-looking fingerless leather gloves always made me think of Dave Brock as a dustman. Chaque fois que je voyais Dave, c’est comme si je le voyais jeter des sacs poubelles à l’arrière d’un big truck.» Mick Wall accompagne Hawkwind en tournée et un matin, au lobby de l’hôtel, histoire de briser la glace, Mick lance à Dave : «The bins are around the back, mate.» - Je m’attendais à le voir rire, ou au moins sourire, mais il me regarda, «his expression as inscrutable as the cosmos his music purported to explore» - La chute ne fit pas attendre. «You’re fired», he said and walked off.

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             On croise aussi des pages extraordinairement captivantes sur les rock critics - À quelques exceptions près, la plupart des journalistes rock que j’ai rencontrés étaient des gens ordinaires et décevants, generally of less-than-average intelligence - Et il ajoute ça qui tue les mouches : «None of them seemed to have much idea of what rock’n’roll might actually be about.» Eh oui, c’est bien ça le problème, même dans la presse anglaise. Il n’en sauve qu’un, Nick Kent - The dark prince. What hadn’t he written, done, been, said, thought, lost, won that wasn’t great? Nothing I could think of. Tall, rakishly handsome in a thin, permanently stoned way, his black raven’s hair cut like Keef’s and streaked with cat-piss yellow, paint-chipped fingernails, badly applied make-up, chandelier earring, the whole bit, Nick Kent was the man who invented the term ‘elegantly wasted’, not just on the page but in real life - Après Bowie, Phil Lynott et Jimmy Page, c’est le quatrième grand hommage du book, juste avant l’Ozz. 

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             L’Ozz, c’est pour ça qu’on est là. Mais encore une fois, ce book n’est pas Ozzé à 100%. Mick Wall brasse assez large, et c’est ce brassage qui à l’époque nous intéressait. Et c’est la raison pour laquelle on a décidé de suivre l’auteur à la trace, même si ensuite, il proposait des monographies, au sens plus strict du terme, mais quelles monographies ! Led Zep, Hendrix, Lou Reed, Lemmy, John Peel, les Doors, des books qui sont devenus, mine de rien, des ouvrages de référence, et dont on a bien sûr causé, soit ici-même (Doors, Lou Reed, Peely, Hendrix), soit dans les Cent Contes Rock (Led Zep). On reviendra plus tard sur son Lemmy et son Sabbath.

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             En 1980, Wall est embauché comme agent de presse de Sabbath et accompagne le groupe en tournée américaine. L’Ozz n’est plus dans le groupe, il s’est fait virer 18 mois plus tôt par Tony Io qui en avait marre de ses ‘antics’. Ils ont embauché Ronnie James Dio pour le remplacer. Wall s’amuse bien avec les Sab qui ne volent pas haut. Voilà ce qu’il dit de Bill Ward : «Dark panda-eyes, hair like a Christmas tree, full alky beard, big beer belly hanging over his spangly rock star belt.» Wall ne sait rien des drogues que prennent les Sab, à cette époque. Ils n’en parlaient jamais ouvertement - I suspected Tony was a coke man - Ils prenaient de tout dans les années 60 et 70, «but by 1980, in the aftermath of Ozzy’s dismissal for being too out of it, anything like that which still went on was kept strickly under wrap.» Ils ne touchaient plus à rien. Mais pour Wall, le Sab a perdu tout son charme - They were the most miserable and difficult bunch of bastards I’d ever had to deal with. Tetchy uncommunicative, grim; Truly Sabbath were an enigma for me - Il les voit comme des middle-aged men qui ont une upside-down cross to bear.

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    Sharon + Ozzy

             Avec l’Ozz, c’est une autre histoire. Mick Wall aura même une relation privilégiée avec lui - J’avais découvert qu’au-delà du masque de sad clown, Ozzy était l’une des très rares rock stars qui disait toujours exactement ce qu’il pensait - L’Ozz se confie à Mick et lui raconte qu’après sa détox d’alcool, il a encore un bar à la maison, «except it’s got no booze in it.» Diet coke. Et ça l’afflige. C’est comme d’avoir une table de billard sans les boules. Puis il reconnaît qu’il n’est ni un grand songwriter ni un grand chanteur - With me, it’s all the orher stuff, the mad fucking stuff - mais l’Ozz n’est pas dupe. Il sait ce que les gens pensent de lui et il fait avec. Il dit aussi qu’il a eu du mal à s’extraire «of that fuckin’ mess with Sabbath». Quand Mick Wall le rencontre, l’Ozz vit dans un seedy, second-string hotel de West Hollywood, «working his way through the ninety thousand dollars the band had given him when they told him to fuck off.» C’est bien que ce soit Mick Wall qui le dise. Dans la foulée, Wall rencontre Sharon qui explique pourquoi elle s’est attachée à l’Ozz : «Ozzy had always bugged me. Because he was lazy, he was insecure and... dumb!»

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             Wall revient sur ses premières amours : «I still loved my old Sabbath albums lile Paranoid and Master Of Reality the way I would always love The Man Who Sold The World and the first New York Dolls album.» Il rappelle aussi que Diary Od A Madman: The Uncensored Memoirs Of Rock’s Greatest Rogue fut son «first little success», comme il dit - Some of the worst writing I ever did was in this book - Il y collectionne en effet les anecdotes : l’Ozz qui pisse sur Alamo, l’Ozz qui trippe à l’acide et qui raconte qu’«il entre dans un pré and started talking to this horse. That was all right. Then the horse started talking back to me and I knew I was in trouble.» Ah la rigolade ! Et Wall de conclure : «The only rock star I could really relate to was Ozzy. Not just because he was funny, but because he was real. He was the only one I’d ever known who really felt his luck.»

             C’est avec cette image qu’on referme une page d’histoire nommé Ozzy Osbourne. Merci Ozz d’avoir enchanté nos adolescences.

    Signé : Cazengler, Black Savate

    Ozzy Osbourne. Disparu le 22 juillet 2025

    Black Sabbath. Black Sabbath. Vertigo 1970

    Black Sabbath. Paranoid. Vertigo 1970

    Black Sabbath. Master Of Reality. Vertigo 1971

    Black Sabbath. Vol 4. Vertigo 1972

    Black Sabbath. Sabbath Bloody Sabbath. Vertigo 1973

    Black Sabbath. Sabotage. Vertigo 1975

    Mick Wall. Paranoid: Black Days With Sabbath & Other Horror Stories. Mainstream 1999

    John Robinson : After forever (Bill Ward gets heavy). Uncut # 340 - July 325

    Keith Cameron : Into The Void? Mojo # 381 - August 2025

     

     

    L’avenir du rock

    - Pas trop Tö, Yö

    (Part Two)

     

             Boule et Bill observent l’avenir du rock du coin de l’œil.

             — On te voit venir, avenir du froc, avec tes Tö Yö...

             — On t’a vu faire tes petites photottes de branleur...

             — Tu vas même nous refourguer l’illusse que t’as déjà utilisée y’a un an !

             — Tu vas encore nous torcher une kro à la mormoille, comme d’hab’ !

             — T’es d’un prévisible qui fout la trouille...

             — Tout le monde s’en branle de tes Tö Yö...

             — À voir ta gueule, on sait qu’t’es en train d’chercher ton titre...

             — Ouais, t’as la gueule d’une poule qu’a trouvé un couteau !

             — Comme on est gentils, on va t’donner un coup de main, avenir du broc !

             — Tö Yö Tä pas cent balles ? Quesse-t’en penses ? Pas mal hein ?

             — Tö Yö ! Tö Yö ! Ferme ta gueule répondit l’écho !

             — Et ça : Thirty Seconds Over Tö Yö !

             — Et pis ça : Tö Yö Yö Stuff !

             — Et ça : Tö Yä Yä Twist !

             — Et pis ça : c’est ton destin, Yö Yö !

             — Et ça : Tö Yö La Tengö !

             — Et pis ça : Tö Tö Yö Lariflette !

             — Et ça : Tö Yö Kö Onö !

             — Et pis ça : Tö Yä Kä faire ci Tö Yä Kä faire ça !

     

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             L’avenir du rock les laisse parler. À l’heure où tu lis ces quelques lignes, ils y sont encore.  Passons aux choses sérieuses.

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             Tö Yö ? Tyva ! Ou plutôt t’y retournes. T’y come back (baby come back). Sont déjà venus dans la cave. En juin, l’an passé. Comme déjà dit, ce fut un set psyché aux frontières de l’exotisme et des japoniaiseries chères à Mallarmé. Sont les quatre mêmes, mais le son n’est plus le même. Tö Yö chevauche désormais un dragon. Et là, amigo, si tu veux voyager dans le cosmos, c’est l’occasion en or. Pas besoin de te schtroumpher, le son te monte droit au cerveau, par vagues, les vagues d’Hokusai, celles qui s’élèvent dans l’éternité graphique d’un artiste visionnaire. Ça prend même parfois la dimension extravagante d’une tempête au Cap Horn, telle qu’on se l’imagine, t’as l’impression que la cave tangue, tellement ces quatre Japonais sont puissants. En fait, c’est ta pauvre cervelle qui tangue, mais t’aime bien l’idée du Cap Horn. Ils reprennent les choses exactement là où Dave Brock les a laissées voici 50 ans avec Space Ritual, et ils vont plus loin, beaucoup plus loin. Ils font ce que des tas de groupes ne savent pas faire : mettre la virtuosité au service du dragon. Car leur

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    son, c’est le dragon. Quand les deux guitaristes grattent leurs gammes avec une infinie délicatesse, le dragon crache des flammes, le dragon crame les colonnes du temple, le dragon embrase ton imaginaire, soudain, la vraie dimension est à portée de main, tu peux toucher le dragon, t’en reviens pas de voir ruisseler cette pluie de feu sonique, t’en reviens pas de voir ces deux guitaristes lever des tempêtes comme d’autres ramassent des betteraves, t’en reviens pas de voir ce batteur fouetter la peau des fesses psychédéliques avec une vélocité criante de swing véracitaire, t’en

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    reviens pas de voir ce bassiste remonter les flots à contre-courant sur sa cinq cordes, barrant des accords en forme de barrage contre le Pacifique, t’en reviens pas de tous ce blasting flash et de toutes ces interactions entre les deux virtuoses, t’as l’impression de voir le rock renaître de ses cendres à chaque instant, t’es sidéré de toute cette affabulation lysergique précipitée dans l’écume d’Hokusai, ces mecs redonnent vie à un genre qu’on croyait éculé par tant d’abus, et du coup, le psyché remonte à la pointe du progrès, plein de vie, gorgé de sens, hallucinant, en avance

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    sur tous les peine-à-jouir, loin devant, t’as pas idée. Rarement un groupe aura autant fasciné la cave, ils n’ont même pas besoin de chanter, le dragon suffit, on attend juste qu’il se manifeste, et on va le voir cracher du feu jusqu’au bout du set. Il fait une chaleur à crever et t’es complètement flabbergasted. Pas d’autre mot possible.

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             Tu ramasses leur nouvel album au merch, Yosuieiho - Tö Yö Live At Shindaita Fever. T’auras pas exactement le dragon sur ce live, mais un simili-dragon, c’est déjà pas mal. Deux longs cuts sur chaque face. Leur «Jam» monte lentement, comme toutes les bonnes jams. Ils se la jouent délicate, en attendant le passage du Cap Horn. C’est très dedicated to the followers of the hollow.   Les Japonais jamment dans la soie, puis ça vire Krakatoa au Cap Horn, et là tu dis quoi ? Tu dis oui, mille fois oui, car ça valse dans les bastingages, le psyché krakatoate à gogo, ça Tö-Yöte dans les tuyaux, t’en as pour ton billet de trente. S’ensuit la très belle tension psyché d’«Untitled #1». Dans leur genre, ce sont des cracks, ils bouffent le psyché tout cru, ça croque de l’électron. Ah comme elles sont belles, ces interactions de poux, nos deux gratteurs s’en donnent à cœur joie, ils génèrent de longues giclées éjaculatoires. Tu veilles, tu penses à tout rien, tu écris des vers de la prose, tu dois trafiquer quelque chose en attendant le jour qui vient, sachant bien que près du passé luisant, demain est incolore. Ils attaquent leur B avec la belle exotica de l’«Untitled #2», un Untitled un brin Kill Bill, doux et floconneux comme la Seine sous le Pont Mirabelle. Puis avec «Li Ma Li», ils s’en vont brasser l’écume des jours à gestes larges, ça bassmatique aux galères, sur un beat lourd et lent, il n’existe rien de plus psyché sur cette terre que cet Untitled, c’est même du psyché limande dont la platitude s’étend à l’infini. Puis, sans prévenir, ça vire thermonucléaire avec une plongée en abysse, t’as le meilleur psyché du coin, ça bouillonne d’énergie avec un beat rebondi qui n’en finit plus de t’uppercuter sous le menton, les spasmes chevauchent les vagues qui percutent les storms de plein fouet. Cette affaire-là va très loin. 

    Signé : Cazengler, Tö Tö l’haricöt.

    Tö Yö. Le Trois Pièces. Rouen (76). 16 juillet 2025

    Tö Yö. Yosuieiho - Tö Yö Live At Shindaita Fever. Not On Label 2025

    Concert Braincrushing

     

     

    Wizards & True Stars

    - Le rock à Billy

    (Part Seven)

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             Après l’épisode Headcoats, Wild Billy Chidish repart de plus belle avec les Buff Medways, c’est-à-dire Johnny Barker et Wolf Howard. Ils virent les casquettes Sherlock et revêtent des uniformes anglais de la guerre de 14. On verra même Wolf porter un casque à pointe, histoire de bien rigoler avec la paraphernalia militaire. Buff Medways, c’est 5 albums, entre 2001 et 2005. Big Billy entre avec Buff Medways dans sa période Who/Hendrix.

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             This Is This est sans le moindre doute le plus hendrixien des albums de Big Billy. «Cross Lines» est une fabuleuse resucée de «Crosstown Traffic». Il recrée littéralement le mythe. Il monte aussi «Don’t Hold Me Back» sur les accords de «Fire». Même fin en soi à coups de let me stand by your fire, et t’as même la plongée en enfer. Ils sont encore en pleine hendrixité des choses avec «Till The End Of Time» et ils font monter plus loin «Don’t Give Up On Love» à l’hendrixienne, les chorus sont du pur jus d’Are You Experienced. Dans «Till It’s Over», tu crois aussi entendre dans les ponts des échos de let me stand by your fire. C’est un son très chargé, Big Billy y case tous les riffs hendrixiens qu’il a pu choper. Et puis rien n’est plus in the face que ce «No Mercy» d’ouverture de bal. C’est du mayhem ultime. Itou pour «This Won’t Change», attaqué au riff de basse sixties, un véritable chef d’œuvre d’attaque frontale. Et dans le morceau titre qui boucle le bouclard, Big Billy réussit l’exploit de sonner comme Richard Hell dans Dim Stars.

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             On sent une nette poussée vers les Who dans Steady The Buffs. Ils reprennent d’ailleurs «Ivor», qui n’est autre qu’Ivor The Engine Driver, qu’on entend via The Ox dans «A Quick One While He’s Away». Alors Big Billy tape en plein dans l’œil de la cocarde, avec des chœurs de folles, de l’énergie foutraque, et le moonisme de Wolf, tout y est ! Summum du genre ! Encore plus Whoish que les Who - You are/ Forgiving - Explosif ! Encore du killer Whoish avec «Strood Lights». Big Billy a fait ça toute sa vie, alors pas de problème. Il tape ensuite le «Misty Water» des Kinks en mode Buzzcocks. Rien ne peut arrêter Big Billy sur le chemin de la grandeur marmoréenne. Son «Well Well» n’est autre que le vieux «Baby Please Don’t Go» et il s’adonne à la suite à l’une de ses spécialités, le super-blast, avec «You Piss Me Off». Et le «Toubled Mind» qui ouvre la balda n’est autre que le vieux «Trouble Times». Il le recycle. C’est de bonne guerre. Il ne rate pas l’occasion de pousser l’un des plus beaux wouahhhhh de l’histoire du rock, histoire d’introduire un killer solo flash d’antho à Toto. Johnny Barker bombarde tout ça de bassmatic impénitent. «Archive From 1959» est purement autobiographique - Started school/ In nineteen/ Sixty five - Punk rock baby ! Et puis «Sally Sensation» va t’en boucher un coin. Les Buff Medways sont alors le plus puissant power-trio britannique.

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             Encore un wild wild wild album des Buff Medways : 1914. Triple hommage aux Who avec «Unable To See The Good» (pas de pire explosivité ! Coup de génie faramineux), «Just 15» (monté sur un bassmatic exubérant) et «Saucy Jack» qui n’est autre qu’«Happy Jack». Avec ça, t’es calé, mais il y a encore de la viande à avaler, comme par exemple ce vieux «All My Feelings Denied» qui date des Headcoats, monté sur une carcasse des Sonics. Big Billy indique qu’«Evidence Against Myself» est recorded live in the front room - The song is about my nature: I find a speck of dirt in my heart and hold it up for all the world to see - Et puis t’as «Nurse Julie» - Nurse Julie/ please talk to me - Complètement dévastateur, avec un killer solo tranché dans le vif, puis dans le riff. Tu tombes plus loin sur «Barbara Wire», un shoot d’heavy British Punk, très Buzzcocks. Avec «You Are All Phoneys», il dénonce tout le bordel - Rock stars/ Are phoneys - Il se paye un killer solo d’étranglement convulsif sur «Caroline». C’est sa grande spécialité. Sur l’encart, Big Billy indique qu’il enregistre avec deux micros - We don’t hide behind volume or celebrity - Et il déclare ceci qui vaut son poids d’or du Rhin : «We are not a rock group, we are not an garage rock group, we just play rock n roll in the tradition of Link Wray, British r’n’b and early punk.» À quoi il ajoute : «We are just happy to be good at what we do, we don’t need celebrity or all that junk. The Buff’s don’t go to parties et ne fréquentent pas les gens qui pourraient nous aider, on ne veut pas que nos chansons soient utilisées pour la publicité de bagnoles inutiles ou de marques de fringues qui font travailler les gosses with no piss break. We’re anti cool and plan to remain nobodies. Go and tell your friends that you’ve heard a real rock n roll group. May all beings be happy.» L’anti-star Big Billy signe ça en 2003.

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             Medway Wheelers est encore plus Whoish que 1914. Le solo d’«A Distant Figure Of Jon» est du pur Pete Townshend, et le bassmatic dévorant du pur John Entwistle. Big Billy attaque «Medway Wheelers» à la pure Whoisherie, c’est complètement enroulé dans «Substitute» et Graham Day te bassmatique ça en profondeur. Ils attaquent «Private View» aux chœurs des Who, c’est réellement explosé de chœurs et de Wolfmania : Wolf bat exactement le même beurre que Moonie. Rrrraplaplapla Rrrataplac ! En fait, Big Billy mélange les Who avec des stances à la Johnny Rotten. Il recycle aussi son vieux «The Man I Am» et l’attaque cette fois au riff proto. Big Billy n’en démord plus. C’est le roi de l’attaque frontale. Avec «Karen With A C», on voit bien que Wolf bat comme Moonie. Rrrraplaplapla Rrrataplac ! Big Billy chante son «22 Weeks» comme un vieux punk qui aurait trop écouté les Who. C’est bien enfoncé du clou ! On entend les accords de «My Generation» dans «Dustbin Mod». Graham Day fait encore des étincelles en B avec «You’re Out The Band Sunshine». On croit entendre la basse des Equals. Il te cloue bien la chouette à la porte du beat. Et puis tu vas te pourlécher les babines de ce «Poundland Poets» monté sur le beat du fondamental «Last White Christmas» des Basement Five. Que peux-tu attendre de plus d’un album de rock ? Rien.  

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             Pas question de faire l’impasse sur The Xfm Sessions. Tu sais pourquoi ? Parce que tu y trouves la seuls version enregistrée du «Fire» de Jimi Hendrix, que Big Billy joua au temps d’avant au Nouveau Casino. C’est l’une des covers définitives de l’histoire des covers, comme si l’élève dépassait le maître, et quel maître ! Cet album live est complètement Whoish, tu y retrouves «Strood Lites» que lance Johnny Barker au big bass drive, t’as aussi une cover d’«ATV», Action!/ Time!/ And vison !, il s’amuse bien le vieux Billy ! Wolf te bat sec le vieux «Troubled Mind», et Graham Day prend la basse pour bombarder «What You Got» et ramener des chœurs Whoish. C’est encore lui qui bassmatique «David Wise» et «Fire». Ce concert au Nouveau Casino fait partie des meilleurs souvenirs de concerts, avec ceux des Who à la fête de l’Huma et des Heartbreakers au Bataclan.

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             Nouvel épisode de la saga childishienne avec les Spartan Dreggs. Big Billy garde Wolf dans l’équipe et s’adjoint les services de Nurse Juju et de l’excellent Neil Palmer, qui du coup prend le lead, chant et guitare. Big Billy passe à la basse. Alors autant le dire tout de suite : les quatre albums des Spartan Dreggs sont un fantastique hommage aux Who. 

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             Sur Forensic R’n’b, t’as 7 cuts qui pourraient figurer sur un album des early Who. Ça commence avec le morceau titre en ouverture de balda. Ça a le mérite d’être clair : en plein dans le full blown Whoish, les Dreggs poussent l’art des Who dans les orties, même les chœurs sont purs. Et derrière, tas le bassmatic de Big Billy qui pétarade comme ce n’est pas permis. Palmer qui baigne les golfes clairs passe un petit solo inverti dans «The Ocean River Runs Around The Edge» et ça repart en mode infiniment Whoish avec «Tower Block» - My baby lives in a crumbling tower block - Neil Palmer est un puissant leader. «The Fishing Tameraire» est le Temeraire des Singing Loins. Ça joue de partout. Neil Palmer is all over. Et ça ré-explose de plus belle avec «Our Strange Power Of Speech», éclatant d’attaque frontale, avec des rosaces de solace, Maximum Forensic R’n’B ! Fais gaffe, la B va t’envoyer au tapis. Boom dès «Intertidal Marshland». Un mec siffle à l’intro comme chez les Dolls et ça part en mode power-blast. Retour aux Who avec «The Charcoal Burners Lament», ils raccordent les cocotes de Ricken avec des solaces étiolées. C’est glorieux. On reste dans l’éclat des Who avec «Scout-A-Boo» et de fantastiques montées aux chœurs. Ils font du rock Quadrophoniaque. «Are You A Wally?» sonne comme un hit de 1965 : Maximum R’n’B au Marquee ! Wolf a l’intelligence du beurre de Moonie, il recrée toutes les dynamiques explosives et Big Billy, via son tugboat bass, recrée le ramdam de The Ox. Alors le tour est joué. 

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             Hélas, Deggradation n’est pas aussi bon que le Forensic R’n’B. Ils sont dans un trip plus héroïque. Don Craine des Downliners Sect signe un petit texte au dos de la pochette, histoire de rappeler l’importance des Tales of the heroic age - From the Iliad to the Irish Mythological Cycle 1 - Le son s’en ressent. Big Billy fait du prog héroïque et ça coince, même si on retrouve le power pur dans «Grimen Mire». Big Billy rentre dans le chou de l’heavy heroic prog. On sauve encore «The Goose Girl» en B, mais pour le reste, ceinture. Palmer chante tout à la surface des golfes pas très clairs, comme dirait Bashung.

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             Histoire de bien brouiller les pistes, Big Billy fout un avion sur la pochette de Coastal Command. Encore quatre hommages aux Who : «A Shropshire Lad» (bardé d’éclats étoilés), «Punk Before Chips» (Punk before chips/ On Radio Six/ We’re the Spartan Dreggs!), «Transcending Utter Deggradation» (en plein dans le mille de la cocarde) et «We’ve Written Our Song (And Done Our Duty)», avec tout le power et les chœurs de lads des Who. Les Spartan Dreggs sont sans doute le groupe le plus entreprenant de Big Billy. Il défonce les annales d’«Eli The Baker» à la basse fuzz. Power incommensurable ! Et en B, t’as le morceau titre qui fracasse le freakbeat, ça claque dans tous les coins, Big Billy n’a jamais été aussi flamboyant !  

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             Dernier spasme des Spartan Dreggs : Archaeopteryx Vs Coelacanth. Album complètement Whoish, et ce dès «The Fen Raft Spider», où Wolf ramène tout le ramdam de Moonie et t’as en prime tout l’éclat des chœurs de lads des Who. Pareil avec «The Drawing Down Of The Blinds», très Who Sell Out, puis «A Romance British Song» et «The Insulted Choir», pure pop de frustration sexuelle et de gros pif boutonneux à la Townshend. C’est délicieusement imparable. Sur «Oak» Nurse Juju fait de belles harmonies vocales par derrière. Cut confus, bien brouillé de la piste. «Cure Of Love» qui est plus Downliners opère un beau retour aux sources. 

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             Il existe un autre album des Spartan Dreggs, Tablets Of Linear B, mais il fallait découper les coupons de deux autres pochettes des Dreggs pour l’avoir, alors laisse tomber.

    Signé : Cazengler, Bluff mais ouais

    Buff Medways.

    This Is This. Vinyl JapanJapan2001                                                                          

    Buff Medways. Steady The Buffs. Transcopic 2002

    Buff Medways. 1914. Transcopic 2002

    Wild Billy Childish & The Buff Medways. Medway Wheelers. Damaged Goods 2005

    Wild Billy Childish & The Buff Medways. The Xfm Sessions. Damaged Goods 2007

    Wild Billy Childish & The Spartan Dreggs. Forensic R’n’b. Damaged Goods 2011

    Wild Billy Childish & The Spartan Dreggs. Deggregation. Damaged Goods 2012 

    Wild Billy Childish & The Spartan Dreggs. Coastal Command. Damaged Goods 2012

    Wild Billy Childish & The Spartan Dreggs. Archaeopteryx Vs Coelacanth. Squoodge Records 2015

     

     

    L’avenir du rock

     - Zement c’est dément

             L’avenir du rock s’est encore fait ramasser par la Gestapo. Ces ordures ont tout essayé sur lui, mais rien n’a marché, ni les coups de barre à mine sur la bite, ni l’arrachage des ongles à la pince becro, ni le rat lâché dans sa culotte, ni les pieds plongés dans la friteuse, ni l’accrochage au plafond par les oreilles, ni l’obligation de manger le caca de l’Oberführer avec du ketchup, rien ! On ne parle même pas de la baignoire, du chalumeau ou des prélèvements de peau au scalpel, soi-disant pour lui fabriquer un abat-jour en souvenir. Chaque fois qu’on lui demande s’il connaît le chef de la Résistance, l’avenir du rock dit non, alors l’Oberführer lui dit qu’il ment, et comme l’avenir du rock déteste se faire traiter de menteur, il glapit :

             — Zement pas !

             Alors les brutes redoublent d’ingéniosité. Ils lui tatouent des croix gammées sur le front, ils le marquent au fer rouge sur les joues, ils lui greffent des boulons rouillés sous la peau.

             — Zement pas !

             Ça finit par les écœurer. Si vous souhaitez écœurer des bourreaux, suivez la recette de l’avenir du rock :

             — Zement pas !

             Ils finiront par en avoir marre avant vous.

             Ils essayent une dernière fois. Ils font venir un taureau pour sodomiser l’avenir du rock, puis ils l’enferment à poil dans un congélateur pendant une nuit entière et le réveillent en lui balançant l’huile bouillante de la friteuse dans la gueule, puis ils lui cousent une fermeture éclair sur la bouche pour qu’il la ferme quand il dit «Zement pas», puis ils tentent de lui greffer des nibards pour faire honte à sa masculinité, mais rien n’y fait.

             — Zement pas ! 

     

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             Tout le monde l’a bien compris : l’avenir du rock est prêt à faire n’importe quoi pour assurer la postérité d’un groupe dément comme Zement.

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             C’est une soirée à la cave qui va te remonter le moral, après le désastre binicole : Zement, en première partie des petites coquines argentines de Fin Del Mundo. Nous les saluerons un peu plus tard. En attendant, parlons un peu de Zement : des Kraut allemands, deux Johnny casquettes et un gros bassiste qui joue très peu. Celui qui gratte ses poux derrière un immense synthé germanique s’appelle Philipp, et comme on dit, l’habit ne fait pas le moine. Quand il arrive sur scène derrière son gros synthé et sous sa casquette, tu ne lui accordes pas la moindre chance. Tu te dis chouette, on va aller siffler une jupi vite fait au bar. Te voilà pris une fois encore en flagrant délit d’apriorisme, car Philipp est un crack : (long) cut après (long) cut, il réinvente un

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    genre qu’on prend difficilement au sérieux, le kraut de bic, sauf quand c’est Can the Can. Quand il est bien joué, le kraut de bic peut te monter au cerveau, et dans le cas de Zement, c’est exactement ce qui se passe. C’est le genre musical le plus insidieux de tous. Tu ne te méfies pas et soudain te voilà baisé. C’est exactement la même chose lorsque tu traînes avec une nympho : tu ne fais pas gaffe et soudain, tu t’aperçois qu’elle a mis la main dans ta culotte. Et il est trop tard. Zement t’engloutit, Zement te laboure, Zement t’assimile, Zement t’éclate au Sénégal, Zement te colonise, Zement t’asservit, Zement t’embarque pour un aller simple, Zement crée son monde, ce mec Philipp devient a hero just for one day, il gratte des poux qui prennent feu, il tellurique ta mère, il fait des grimaces d’un hérétique qu’on charcute au tison, et à sa droite, son pote Christian Budel bat une sorte de beurre de jazz somptueusement désarticulé, qui prend une tournure hallucinante lorsque Philipp embouche un sax pour Coltraner son kraut de bic, et franchement, tu te demandes vraiment ce que font ces deux superstars, ici, au fond d’une cave, en plein mois d’août. Ce qui t’affole le plus, c’est de voir que très peu de gens profitent de tout ce talent. On doit être une

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    petite vingtaine d’happy few, alors que t’avais des milliers de personnes qui assistaient à l’étalage de la daube binicole. Par ici, on appelle ça le monde à l’envers. C’est la même chose que de faire passer Kim Salmon AVANT Cash Savage, au Petit Bain. On vit aujourd’hui dans ce monde. Le plus difficile est de s’habituer à cette idée du monde à l’envers. Pour certains, ça ne sera pas possible.

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             En attendant, écoutons le Passenger que Philipp était tellement fier de vendre l’autre soir. Une fois passé le cap des deux premiers cuts, t’arrives au paradis de Philipp : «Making A Living» sonne comme de l’exotica germanique, ça monte doucement en pression hypnotique. L’hypno, ça marche toujours. Philipp est un fieffé musicologue, il ramène du sax sans sa soupe. Il exhorte au take off dans «Journeys To A Beautiful Nowhere». C’est vraiment très insistant, il gratte ses poux derrière ses machines, il installe un Wall of Sound derrière les spoutnicks. Puis il se fâche avec «Back To My Looping Cave». Il gratte les poux du diable et là ça devint sérieux, il se révèle tel qu’on l’a vu sur scène, un vrai killer, il en fait des kilos et bascule dans l’hyper violence, avec toute la dynamique du back to/ My looping cave, et ses poux prennent feu. Là ça devient extrêmement sérieux, Philipp fout le feu au Kraut, ça prend une tournure apocalyptique, l’effarant Christian Budel pulse tout ça au beat hypnotique. C’est avec «The Night We Saw The Holy Ghost» qu’il sort le sax d’Ornette et derrière, Christian bat le beat désarticulé avec la classe d’un squelette des catacombes. C’est du free à la dérive astrale. Diable, comme ce mec est brillant, il lance sa machine et fait haleter le sax, il a tout compris. Ça respire intensément, en free form, il se laisse complètement aller et t’as le vrai truc, au-delà du kraut de bic et des étiquettes à la mormoille. Il monte son free form en neige et comme Ornette, il te drive ça dans la nuit.

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             Intrigué au plus haut point, tu fous le grappin sur l’album précédent, Rohstoff, paru en 2021. C’est un pur album d’hypno. Mise en bouche avec «Goa», Christian Budel te bat ça dru, alors Philipp développe sa petite ambiance ambivalente. Le Goa s’accroche à toi comme un gros cancrelat hypnotique. T’as un beau drive de basse sur le «Soil» qui suit. Wow, ça zoue chez Zement, Philipp agrémente son hypno d’ambiances synthétiques extrêmement persuasives. Tout se tient sur Rohstoff, «Seine» aussi. Tout s’aboutit en toute logique, l’hypno t’obsède, tout s’absout, tout s’étire, tout s’admet, tout s’y met, tout s’omet et tout s’amène. Ils font du bon Can dira-t-on avec «Entzucken». Même power hypno, c’est subtil et bien pensé. Il ne se passe rien en surface, tout se trame dans l’attitude de la latitude, pas facile à expliquer. C’est du big bersek. Philipp sait monter son hypno en neige. Il regagne la sortie avec «Atem», une belle petite cavalcade. Tout est bien sérié, bien calibré, bien en avant toutes, tout est soigneusement délibéré, bien à dada sur le bidet, bien sanglé de frais, libre de toute contrainte, enclin à l’enclume. La claquemure est totale.

    Signé : Cazengler, Zement comme un arracheur de dents

    Zement. Le Trois Pièces. Rouen (76). 5 août 2025

    Zement. Rohstoff. Crazysane Records 2021

    Zement. Passengen. Crazysane Records 2025   

    Concert Braincrushing

     

    Inside the goldmine

     - Wheels on fire

             Will était ce qu’on appelle un surexcité. Et quand on a dit ça, on n’a rien dit. Il semblait écumer en parlant. De grosses veines saillaient dans son cou. Il répétait plusieurs fois la même phrase, et souvent, il claquait la table du plat de la main pour appuyer le dernier mot, avant de repartir dans une autre diatribe. Il avait les manies d’un speed-freak, mais ces sautes d’humeur répétitives semblaient naturelles, chez lui. Il avait ce qu’on appelait autrefois un tempérament sanguin, mais avec quelque chose de profondément malsain en plus. Tu te demandais parfois s’il n’allait pas te frapper. Ses mains volaient en permanence et il te fixait d’un regard noir. Comme tu fréquentais sa belle-sœur, il indiquait d’un ton menaçant à peine voilé qu’il valait mieux «que ça se passe bien avec elle», t’avais presque envie de rigoler, mais en même temps, tu sentais qu’il valait mieux éviter, car il était tellement imprévisible qu’il pouvait mal le prendre. Pour bien compliquer les choses, il avait pris la fâcheuse habitude de se pointer en pleine nuit. Quand on entendait tambouriner à la porte, on savait que c’était lui. Il savait qu’on était là car il avait vu la bagnole en bas. Il entrait, allait directement dans la cuisine chercher des bières et s’installait dans le canapé. Tu savais que tu n’allais pas pouvoir retourner te coucher. Il valait mieux essayer de prendre les choses du bon côté et faire semblant de s’intéresser à ses vitupérations intempestives. Et pour corser l’affaire, il guettait le moindre signe de malaise chez les autres, histoire de balancer un truc du genre : «Vazy, dis-le si ma gueule te revient pas !», ce qu’il fallait bien sûr éviter, car l’agressivité montait d’un cran et on le voyait serrer les poings, ce qui n’était pas bon signe. Il ne cherchait qu’une chose, en réalité : un prétexte pour frapper les gens qu’il n’aimait pas. Et à part lui-même, il n’aimait personne.

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             Avoir Will dans ton salon peut poser un problème. C’est tout le contraire avec Wheels. Will et Wheels n’ont qu’un seul point commun : l’art de créer de la tension, mais pour le reste, c’est le jour et la nuit : on accueille Wheels à bras ouvert, alors qu’on pousse un soupir de soulagement lorsque Will quitte les lieux.

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             Si tu veux écouter les Wheels, le mieux est de rapatrier la compile Big Beat sortie en 2012, Road Block. L’album fait partie des passages obligés, c’est-à-dire des albums indispensables, si tu en pinces pour le raw. Au dos du Big Beat, Grant Forbes amène quelques infos datées de 1966 (?) sur les Wheels. Il rappelle que le groupe vient du même endroit que les Them, Belfast. Puis ils sont allés s’installer à Bristol pour tourner dans le Nord de l’Angleterre. Les Wheels doivent leur réputation sulfureuse à Rod Demick et à sa «fantastic blues voice». Le mec au crâne rasé sur la pochette est l’organiste Brian Rossi, qui voulait se distinguer des «hordes of would-be

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    long-hairs». Les Wheels signent sur Columbia et sortent un premier single qui est une cover de «Gloria». C’est dirons-nous la cover des Athéniens qui s’atteignirent. Ils sont en plein dedans ! Leur deuxième single sera «Road Block» qui donne son titre au Big Beat. Tu y retrouves la tension des Them et le big bass sound, c’est du hot as hell. De l’autre côté de ce deuxième single, t’as «Bad Little Woman», un chef-

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    d’œuvre protozozo inspiré par la transe de Gloria. C’est de la pure folie d’its alriiiiite. Forbes indique que le single circula aux États-Unis et qu’il tomba dans les pattes des Shadows Of Knight qui s’empressèrent de le reprendre sur Back Door

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    Men. Et pour leur troisième et dernier single, les Wheels tapent une cover du «Kicks» signé Mann & Weil et popularisé par Paul Revere & The Raiders. Bizarrement, les Wheels en font un version poppy popette. Sur le Big Beat, tu croises une autre horreur, l’«Im Leaving» d’Hooky, et ça retombe en plein dans les Them, le Rod y va au that’s my home !, avec un final en mode Them apocalyptique, c’est du pur proto-punk digne de «Crawdaddy Simone». Déterré aussi, voilà «Send Me Your Pillow» un shoot de British beat chauffé à coups d’harp. Ce Big Beat est un vrai must ! On y croise aussi une mouture poppy du «Call My Name» de James Royal. Quatre bombes, c’est déjà pas mal pour un Big Beat.  

    Signé : Cazengler, Vil

    Wheels. Road Block. Big Beat Records 2012

     

    *

    Je ne pouvais pas rater ce concert. Jusqu’à ce que n’apparaisse son affiche j’ignorais jusqu’à l’existence de ce groupe, mais son seul nom raviva en moi un souvenir frémissant de lecture, une scène sise en Le Spectre aux balles d’Or, la suite de La Mine de l’Allemand Perdu, le douzième épisode des aventures du Lieutenant Blueberry, un scénario qui aurait été inspiré à Jean-Michel Charlier et Jean Giraud par le film L’or de MacKenna, un beau western (1969), je vous recommande la version française (Part 1 & Part 2) du générique, chantée par Johnny Hallyday, l’un de ses meilleurs titres.  Autre source d’inspiration  Les Chasseurs de Loups et Les Chasseurs  d’or de James Oliver Curwood. Tant que l’on cause de Curwood, allez faire aussi un tour sur son chef d’œuvre : Le Piège d’Or.

    Je vous résume succinctement la scène : un crotale criminellement introduit au fond d’une botte… Vous ne vous étonnerez donc pas si le groupe se nomme :

    SNAKES IN THE BOOTS

    3B

    (Troyes - 08 / 08 / 2025)

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    Sont trois, placidement alignés au fond du bar, z’ont de l’espace, vu la chaleur quasi-caniculaire l’on se dit qu’ils ont de la chance, un de plus z’auraient été serrés comme dans une cocote minute. En fait c’est nous qui avons eu de la veine, un vrai filon d’or, mais comme ils n’avaient pas encore joué une note, on ne le savait pas. Guitare, rythmique, contrebasse. Chanteur ? Vous voulez rire. D’abord ils n’en ont pas besoin. Ensuite tout le monde sait que le rockabilly ne se chante pas. Ne commettez pas un raisonnement stupide, non ce n’est pas un groupe instrumental. Le rockabilly a juste besoin d’un interprète. Ils en ont un. S’appelle Thibaud Lefaix. En trois titres l’a mis les pendules du rockab à l’heure. L’on en a oublié que ses doigts couraient sur la rythmique. Idem pour ses deux acolytes qui le flanquaient, un sur sa droite, un sur sa gauche. Ne vous inquiétez pas, ils s’occuperont de nous tout à l’heure.

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    Le rockabilly man ne cherche pas à chanter, tout réside en la parfaite adéquation entre la voix et la volonté de cette voix qui ne s’enkyste  pas  dans la recherche stérilement abusive de  la note juste – ce qui ne veut pas dire que l’on se doit de rechercher la fausse.  Il s’agit de mimer non pas le sens des paroles mais de maintenir l’intention explosive de l’exposition du récit de ce qui est en train de fondre sur l’auditeur. Lefay ne chante pas, il monte, il descend, il dégringole, il tranche, il rassure, il entre en transe, il clapote, il serpente, il minaude, il gronde, il galope, il stoppe, il winchesterise, ii rebelote, il séminole, il vérolise, il bêle, il blatère, il baraque, bien plus encore, et tout cela chrono en main en deux minutes. Vous avez reçu entre les deux oreilles, un film d’action trépidant, un dessin animé déjanté, mais maintenant c’est fini. N’en demandez pas plus. D’ailleurs le groupe ne vous fait pas le coup de faire briller l’enjoliveur de la malle arrière. C’est fini, alors ils arrêtent de jouer. Vous surprennent à tous les coups. En moins d’une seconde l’instrumentation se met en grève. Plus rien. C’est ça le rockabilly, le petit Chaperon rouge n’a pas le temps de se promener, le méchant loup sort du bois et la croque illico sur un tapis de coquelicots. Pas le temps de vous remettre de vos émotions ou de pleurnicher, c’est Barbe Bleue qui prend la suite et trucide sa septième épouse d’un coup de poignard intrusif et définitif.

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    A la fin du deuxième morceau, l’on demande à Stéphane Ferlay de monter le son de sa double bass. On n’aurait pas dû, fairplay il s’exécute. C’était introduire le renard dans le poulailler, l’a maintenant a quadruplex bass entre les pognes. Quel boxeur ! Quel swingueur ! Quel tapageur ! Stéphane il ne picore pas, il chicore. Ouragan sur le Caine non-stop !  Les hordes d’Attila sont lâchées, là où elles passent les poils de vos oreilles ne repoussent pas, mais quel régal ! A lui tout seul il est les Percussions de Strasbourg. Il doit confondre les cordes de son instrument de douce torture avec celles qui délimitent les rings de boxe. Il tonne, attention il n’en fait pas des tonnes, il ne joue jamais au matou-vu perché sur le toit de l’église en feu, l’est tout comme Zeus tout en haut de l’Olympe, il domine le monde. Silence, le morceau est terminé. Oui mais lui il n’a pas fini. Non il ne touche plus à sa contrebasse. Celle qui tabasse. Alors il vous achève, de deux mots qui tuent. De rire. La réflexion qui flexionne vos zigomatiques. Un pince-sans-rire qui ne le vous fait pas dire. Géant débonnaire désopilant.

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    ( Photos : Régis Laine)

    Suite aux propos précédents, il semblerait que Mathieu  Clairvoy en soit réduit à la portion congrue. Pourtant l’on n’entend que lui. Et sa guitare d’or. Une midasienne, tout ce qu’elle touche elle le transforme en or sonore le plus pur. Pas le gars qui tire la couverture à lui. Toutefois il ne se passe pas deux secondes sans qu’il n’intervienne. Avec un tel à propos que ça ressemble à une intervention d’urgence. D’orgence devrais-je dire si vous acceptez ce  très mauvais jeu de mot. Je passerai sous silence ces soli au maximum de quinze secondes. Comment peut-il bouter le feu à la forêt hercynienne de nos sensations en si peu de temps ! C’est la stricte loi du rockab. Ou vous vous y pliez ou vous adoptez un autre style de musique. L’a un truc en plus. Les fioritures irremplaçables, la chantilly  à l’arsenic sur la glace aux marrons, ou la bouteille de champagne emplie de nitroglycérine pour baptiser le destroyer, l’a les doigts qui patinent dans le platine et les tubulures du cerveau qui carburent aux hydrocarbures de l’inventivité la plus pure, le mec vous fait pousser à la queue-leu-leu  des bao(rock)abs soniques dans votre ouïe, des clinquances fabuleuses, des ronronnements de dinosaure, des feulements de tigre mangeur d’hommes, méfiez-vous vous appartenez à cette triste espèce de bipèdes en voie de disparition, un styliste, pas de brouillon, aucune rature, en plus il vous sert la pâture sans esbrouffe, sans esclandre, à croire qu’il ne s’est pas aperçu de l’uppercut qu’il vient d’envoyer au public.

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    Trois sets. Le premier vous n’avez jamais entendu cela de votre vivant. Ou alors c’est que vous avez une belle collection sur vos étagères, du Johnny Burnette, du Don Woody, du Carl Perkins, du Sony Fischer, du Buddy Holly, pas du revival à la Stray Cats, pas à la revisitation Cramps, proximité authentique, mais rien de mortifère, d’académique, de naphtalinaire, ils ont saisi l’esprit et la racine, n’érigent pas de mausolée, insufflent de la vie, de l’entrain, de la joie, l’on sent qu’ils aiment ça, ne jouent pas au papier calque, ni du papier calcre. Pas de triche. Fontaine de jouvence.

    Deuxième set un peu similaire au premier, cependant une imperceptible différence, mais c’est en écoutant le troisième que l’on comprendra ce qu’il préfigurait. Poétiquement parlant, sont passés de l’octosyllabe à l’alexandrin.  N’ont pas chevillé des rallonges à la tablature, mais les résultantes harmoniques sont différentes. En mentant un max l’on dirait : ce fut un set instrumental. Bien sûr il n’en fut rien, du rockabilly sans voix c’est comme un baiser sans noire moustache et même plus grave sans Cadillac rouge. Simplement z’ont laissé les aller les abrupts chemins de traverse du rockab dans quelques sinuosités instrumentales, rien à voir avec les longueurs d’une symphonie, simplement laisser couler le flot torrentiel sur son aire pour jouir de la vitesse pure de son impétuosité natale.

    Bref une soirée d’autant plus inoubliable que les connaisseurs étaient nombreux dans le public. Béatrice la patronne sait choisir les serpents les plus sauvages. Faut avoir déjà été mordu pour apprécier les morsures à leur  démesure.

    Viennent de Bretagne. Géographiquement le renseignement est bon. Mais z’ont dû être transfusés avec de l’ADN des Appalaches.

    SNAKES IN THE BOOTS

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    Brown Eyed Handsome Man : c’est par ce morceau de Chuck Berry qu’ils ont débuté leur show au 3B, n’avaient pas le piano de Johnnie Johnson, alors ils ont plutôt regardé du côté de Buddy Holly et son magistral saupoudrage de guitare, oui les pionniers c’est bien bon, mais faut parfois les booster pour les adopter à notre époque trépidante qui fonce vers sa propre autodestruction. Alors ils vous envoient un missile qui se dirige vers vous et vous fait exploser le palpitant. Devaient avoir un rendez-vous après la séance studio car ils sont pressés. Rien de mieux qu’une bonne baffée de gifles pour vous réveiller et vous avertir que vous n’avez pas vu passer le premier titre de cet EP dévastateur. You’re Barking Up The Wrong Tree : l’existe une compilation de Don Woody chez Bear Family, le titre est sorti en sorti en 1957, oui mais depuis les chiens aboient plus fort : si vous mettez en doute mes assertions éthologiques sur le comportement animal écoutez ce morceau, une espèce de piétinements de mille loups affamés qui foncent sur vous, et le meneur de la horde qui aboie à la lune qu’ils viennent de croquer. How come it : sur ce titre George Jones tangue salement comme un navire que l’océan submerge, nos serpents quittent leurs bottes et jouent au Léviathan, détruisent tout sur leur passage, ‘’hystérie collective incompréhensible toutefois fortement répréhensible dans un studio’’ a dû noter le commissaire alerté par les voisins sur son rapport. Red Ants in my Pants : Un original, apparemment des reptiles dans leurs pantoufles ne leur suffisaient pas, nous racontent un beau bobard qu’ils auraient des fourmis rouges (turgescentes ?) dans leur pantalon, perso aux bruits juteux (néanmoins délicieux) qu’ils émettent j’opterais pour un troupeau de brontosaures dans leurs salles de bain. Wild Wild Lover : un bel hommage à Benny Joy rockabillyman hyper doué, qui aurait pu, qui aurait dû… Dernière malchance, la camarde peu camarade ne lui a pas permis de profiter de la reconnaissance qui a pointé son nez à l’aube des années 80 : les Snakes en font une version torride, mais l’aspect gloomy de l’original aura votre préférence.

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             Un EP sauvage. Abattez sans sommation toute personne qui s’approchera de votre exemplaire à moins de douze mètres. Il est des plaisirs égoïstes qui ne se partagent pas.

    Damie Chad.

    P.S. : les deux derniers titres sont aussi disponibles sur le 45 t Snakes In The Boots sur Spare Time Records (FRS 011)sorti en mai 2023.

     

    *

             La vie de Maya Angelou (1928 – 2014) est un long fleuve torrentueux. Elle en décrit le parcours dans son autobiographie de sept volumes. Elle fut une activiste, une militante pour les droits civiques, sa vie mouvementée croisa celle de Malcolm X, de Luther King, de James Baldwin… des noms que nous avons déjà rencontrés à plusieurs reprises dans nos livraisons.

             Née pauvre et noire elle connut misère et petits boulots, prête à saisir toutes les occasions pour survivre. Notamment entraîneuse, danseuse et, détail qui nous intéresse particulièrement, chanteuse. Dans cette chronique nous nous pencherons sur le tome de son autobiographie qui conte cette période de son existence mais aussi sur les circonstances qui conduisirent plus tard au seul album musical qu’elle ait enregistré.

    CHANTER, SWINGUER, FAIRE LA BRINGUE

    COMME A NOËL

    MAYA ANGELOU

    (Noir sur Blanc Editions / 2024)

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             Le titre est attirant, avis aux amateurs de livres grivois il ne correspond ni aux saturnales, ni aux bacchanales qu’il semble nous promettre. Les amateurs de rock’n’roll se jetteront sur le QR code final ajouté par l’éditeur qui vous renvoie à une centaine de titres cités dans le bouquin, je ne cite que deux noms Wynonie Harris, John Lee Hooker, beaucoup de jazz aussi…

             Au début du livre Maya se voit proposé du travail par la patronne d’un magasin de disques. Bien sûr, défile toute une série d’albums que vous aimeriez posséder, mais là n’est pas la problématique. Elle est noire et son employeuse blanche. Qui fait preuve d’une attitude très déstabilisante. Tout dans ses actes démontre qu’elle est indifférente à la couleur de peau des clients et de sa vendeuse. Elle ne s’intéresse qu’aux individus. Voilà de quoi déconcerter une très jeune fille noire déjà mère d’un enfant.

             Toute la problématique des noirs américains, nous sommes à l’orée des années cinquante, vous saute à la figure.  Aujourd’hui nous dirions que les noirs se sentent racisés, ce qui ne veut rien dire car si les noirs sont racisés les blancs par simple contre-coup le sont aussi. Angelou se contente de décrire les stratégies des noirs vis-à-vis des blancs. Le passif de l’esclavage, OK ! Le poids de la ségrégation OK ! Mais malgré la lourdeur de l'handicap, les noirs subissent la dominance sociale des blancs mais en compensation ils exercent à l’encontre de leur monde clôturé une  indifférence totale. L’apartheid du pauvre en quelque sorte.

             Maya Angelou possède sa base-arrière de résistance mentale. Sa famille sa grand-mère, et sa mère qui lui ont transmis les rudiments d’une bonne conduite : l’on ne rencontre pas de problème dans son existence, si quelque chose vous pose problème, le problème c’est vous. Qui ne savez pas vous en dépatouiller.  En d’autres termes plus cruellement réalistes : affrontez les difficultés sans vous plaindre ou pleurnicher. Corollaire de ce conseil : Nécessité fait loi.

             Maya Angelou rêve d’un amant, mais aussi d’un mari. Elle en trouve un. Parmi la clientèle. Un blanc. Non, un grec. Sachez faire la différence. Un homme sérieux, qui travaille, qui s’occupe de son gosse qui bientôt l’appelle papa. Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Pas tout à fait. Elle finit par s’ennuyer dans son rôle de mère au foyer. Elle cherche un réconfort. Elle finit par le trouver. Non, pas un amant, Dieu en personne. Elle commence par fréquenter en cachette les diverses paroisses de son quartier. Une guerre idéologique couve dans le couple. Notre grec est athée. Pour elle retourner à l’Eglise, c’est retrouver une collectivité, du bruit, de la musique, du chant… mais surtout réintégrer l’ossature de la rédemption spirituelle du peuple noir. Les esclaves se sont assimilés au peuple hébreu de la Bible, prisonniers du pharaon ils n’ont pu traverser les aléas historiques que grâce à une fidélité exemplaire, à leur Dieu… Ce retour à la religion est d’autant plus curieux et symptomatique que Maya nous fait part de ses doutes quant à cette étrange mansuétude divine qui permet l’oppression de son peuple aimé…

             Une fois séparée de son mari la cellule familiale récupère le gamin pour qu’elle puisse travailler. Ce sera dans un cabaret, le Purple Onion, qui propose à sa clientèle des numéros chantés de striptease suggestif non intégral. Elle évitera ce genre d’attraction en proposant un numéro de danse. La direction insiste, en dehors de son passage sur scène elle devra se plier au rôle d’entraineuse. Question rémunération elle ne se plaint pas, toutefois pour un contrat en bonne et due forme elle devra adjoindre le chant à son attraction. Elle chante comme tout le monde mais ne sait pas placer sa voix, évidemment elle ne sait pas lire la musique… Le seul genre de musique sur laquelle  elle se sent capable, grâce à sa rythmique, de danser et de chanter lui paraît être le calypso. Elle sera présentée sous le nom de Miss Calypso.

             Le Purple Onion peut accueillir deux cents personnes. Elle parviendra à faire salle comble durant des mois… Nous devrions arrêter notre rapide résumé ici, car ensuite sa carrière se diversifie. On lui propose un rôle à New York dans une pièce de Truman Capote. Elle est acceptée mais elle refusera car elle est retenue pour la tournée européenne de Porgy and Bess l’opéra de George Gershwin (créé en 1935), la deuxième moitié du livre est consacrée à cette aventure intercontinentale, lecture passionnante pour tous ceux qui s’intéressent à la Musique américaine.

             La tournée s’achève, elle rompt son contrat avant les dernières représentations alertée par une lettre familiale : son fils âgé de neuf ans est gravement malade. Elle accourt à son chevet, maladie psychologique due à l’absence de sa mère. Elle lui promet de l’emmener partout avec lui. Le livre s’achève sur un contrat (très bien payé) qui spécifie un hébergement pour elle et son fils  à Hawaï. A croire que Maya Angelou est une vedette.

             Maya Angelou, est un véritable écrivain. Son récit est captivant. Peut-être en rajoute-t-elle un peu et en retranche-t-elle beaucoup… Mais en littérature tous les coups sont permis. Il suffit qu’ils soient exécutés avec style.

             Plus tard dans son existence elle partira en Afrique à la recherche des racines noires des noirs américains. Elle en reviendra dépitée mais convaincue que  la problématique du peuple noir des Etats-Unis ne pourra être surmontée que par le peuple noir d’Amérique, qui n’a plus trop rien à voir avec la situation des peuples noirs africains…

    MISS CALYPSO

    MAYA ANGELOU

    (Liberty  / 1956)

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             Soyons précis : Maya Angelou n’a-t-elle enregistré qu’un seul disque ? Oui et non. Parce qu’il existe une dizaine d’albums dans lesquels Maya Angelou lit ses poèmes. Elle est reconnue comme une des plus grandes poétesses d’Amérique.

              C’est vraisemblablement dans le tome suivant Chanter, swinguer, faire la bringue comme à Noël  qu’elle parle de l’enregistrement de son disque. Toujours est-il que la plupart des titres qu’elle cite lors de ces prestations au Purple Onion correspondent aux morceaux enregistrés sur cet album. Miss Calypso s’inscrit dans la lignée d’Harry Belafonte (né en 1927) surnommé King of Calypso qui sortit son album Calypso en 1956…

             La ressemblance des couvertures du livre et du disque est flagrante, celle du bouquin très classe, l’originale offre un décolleté davantage échancré…

    Maya Angelou : chant  / Al Bello : congas, bongos, drums / Johnny Tedesco : guitar.

    Run Joe : orchestration minimale, en comparant avec l’originale de Louis Jordan vous conviendrez que ce dépouillement permet surtout de mettre en valeur la voix de Maya Angelou mais avant tout de gommer l’aspect burlesque du morceau, certes ce n’est pas un drame shakespearien non plus, mais le vocal nous donne une sensation d’urgence inexistante chez son créateur. Oo-Dla-Ba-Doo : original de Maya, l’on n’est jamais mieux servi que par soi-même, juste l’envie de dire n’importe quoi, avec des percus derrière qui vous drossent le feu au cul. Scandal in the family : depuis

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    ( Toutes les photos tirées du film Calypso Heat Wawe (1957)

     dans lequel nous retrouvons Maya Angelou)

    l’adaptation française de Sacha Distel l’on ne saurait écouter avec sérieux ce scandale familial. L’original est d’Harry Belafonte. Mambo in the Africa : encore une fois gymnastique vocale, guitare téléguidée en sourdine, et la percu qui percute en douceur, le refrain est expédié sans frein. Since My Man Done Gone and Went : surprenant ça ressemble à un véritable morceau avec un début, un milieu une fin, y a même une intro mémorable (mais pas immémoriale) et un petit pont de guitare-jazzy, Maya  semble nous dire que la chanson n’est pas un simple assemblage syllabique, qu’elle aurait même peut-être un sens. Polymon Bongo : bongo partout, la musique polymorphe est faite pour remuer son arrière-train sur le polygone de tir, un bongo à vous rendre mongolo. Peut-être même bongolo. Neighbour, Neighbour :

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    un soupçon d’espagnolade caribéenne, très belafontien dans l’esprit, un voisin un peu trop entreprenant, rien de plus pour tenir la chandelle du vocal, les papillons de nuit s’y brûleront les ailes. Donkey City : non, ah non, Maya n’anone pas les syllabes, elle chantonne, elle ne tronçonne pas, elle ne hache pas, elle suit une ligne mélodique, à tel point que le morceau atteint presque les trois minutes, les percus filent doux, de la guitare s’échappent en douce quelques trilles de notes. Stone Cold Dead in the Market : attention à la concurrence sur l’original vous avez le combo de Louis Jordan mais celle qui partage le vocal n’est pas n’importe qui, Ella la diva Fitzgerald en personne, l’est vrai que cette dernière, pardon cette première, se met au niveau de Jordan, et non Louis à la hauteur d’Ella, la voix tranchante de Maya surplombe

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    l’original, l’est sûr qu’elle vient de tuer son mari ce qui lui donne du peps. Calypso Blues : de tous les titres précédents c’est le meilleur, emprunté à Nat King Cole, oui mais là où le roi Cole vous colle une chansonnette gentillette (écoutez en contre- exemple Havana Moon de Chuck Berry) Maya abandonne le calypso pour vous faire entendre le blues. Tamo : de quoi qu’elle cause on s’en fout, il y a ce mot Tamo qu’elle prononce de haut gosier, toute la force sur la première syllabe, toute l’énergie sur la seconde, vous n’entendez que lui, vous n’attendez que lui, elle aurait dû bannir tous les autres. Peas and Recel : Maya n’a peur de rien, encore une fois elle se confronte à Ella, qui nous concocte recette de cuisine à la sud-américaine avec trompettes bien embouchées. Celle de Maya est comme épurée, elle lâche ses mots à la manière de petits pois qui rebondissent dans la casserole, je ne prends pas de risque, pas match nul, mais match plein entre nos deux cuisinières au fourneau.

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    Down to Mexico (‘’Flo and Joe’’) : encore un truc volé à Nat King Cole, y’a pas photo, la guitare de Tesdesco enfonce le piano du brave Cole et la voix de Maya moins suave, davantage astringente mérite la palme. Push Ka Pee Shee Pe : Jordan possède sa fanfare, Angelou se contente de sa guitare jazz, Angelou n’a pas de de chœurs, sa voix lui suffit, elle est la trapéziste tournoyante dans les airs suspendue à quinze mètres du sol, Louis fait le clown au bas de la piste pour faire rire les enfants avec ses grosses chaussures rouges rutilantes comme des camions de pompiers…

              Tout compte fait je préfère les morceaux courts du début, genre d’exercice de gymnastique aux barres asymétriques qui essaient de se donner l’air de grandes chansons, même qu’’ils s’avèrent très souvent supérieurs aux originaux. Cet album s’écoute avec plaisir, mais il n’apporte rien de bien novateur.

    Damie Chad.

     

     

    THE COMPLETE RECORDINGS (2)

    THE CORALS

    (Around The ShackRecords 2020)

    THE LAST BUT NOT THE LEAST

             En novembre 1985 les Corals se réunissent pour enregistrer leur deuxième trente-trois tours. Le disque ne verra pas le jour. Il ne porte aucun titre, celui que nous lui attribuons sort tout droit de notre maladive imagination. Les morceaux devaient être réenregistrés, bien que le terme ne soit employé qu’une fois dans le livret ce sont en quelque sorte des démos. De véritables témoignages d’une époque qui s’achève… L’appel du rockabilly sera le plus fort pour Hervé Loison.

    Pierre Picque : lead guitar / Hervé Loison : bass guitar / Michel Francomme : rhythm guitar / Hubert Letombe : drums.

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    Hobo Rock : un soupçon de shuffle, normal, les hoboes sont les vagabonds du rail passagers clandestins des trains qui leur permettaient de traverser à les USA à la recherche de boulots (introuvables) de saisonniers… Ce sont les temps de misère noire, de la Grande Dépression, des luttes menées par les IWW… tout un pan de l’histoire souterraine des Etats-Unis. Le morceau roule tout seul, calibré à la perfection, mais au vu du titre l’on s’attendrait à quelques déraillements. Tribute To The Diggers : historialement un bond de quarante ans, nous voici avec les Diggers d’Emmett Grogan (lire son livre Ringolevio qui rend compte de cette épopée sociale) organisation anarchisante qui multiplia  spectacles, distributions de nourriture, lieux d’échanges dans le but de venir en aide aux populations de jeunes hippies attirées à San Francisco par l’idée d’une vie différente… le morceau jouit de quelques ruptures salvatrices, mais il paraît  bien en deçà de l’esprit de révolte activiste des Diggers. Spanish Guitar : qui dit guitare pense à l’Espagne, une manière pour les Corals de quitter les précédentes évocations sociales pour les vertiges égotiques de l’art pour l’art. Entre nous soit dit la veine espagnole n’est pas vraiment marquée, mais le morceau est de toute beauté. Une réussite qui démontre à l’excès que le groupe maîtrise désormais parfaitement son sujet. Coral’s Theme : vous convaincront de la justesse de notre approbation avec ce morceau de présentation : vous offrent la quintessence de ce que doit être un instrumental : d’abord la résonnance des cordes qui se doit de ne jamais être démentie ne serait-ce que d’un quart de seconde, enfin la présence de la batterie, jamais de prépondérance de m’as-tu-vu, toujours cette délicatesse d’effraction de gentleman-cabrioleur sur son pur-sang. Surfin Days : ici le son équivaut à la beauté du geste du surfer qui chevauche une grosse lame le sourire aux lèvres, la guitare et l’écume, la batterie et le ressac. Quand vous écoutez vous ne pensez plus aux filles aux seins nus sur la plage. Frankeinstein Hop ! : après les jours d’innocence les hurlements des nuits de terreurs, de l’ambiance, de l’adrénaline, des frissons, après le rêve, le cauchemar, ils se sont beaucoup amusés, vous envoient des giclées d’épouvante, un véritable film, vous ne vous plaignez pas de l’absence d’images, la bande-son est amplement suffisante. The Bullfighter : notre taureau de combat trotte allègrement dans les plaines herbacées de la country, la bestiole n’éventre personne, mais prisonnière dans le coral elle donne une impression de force tranquille que vous n’avez nullement envie de déranger. De toutes les manières elle vaque à ses propres affaires, aux coups de reins qu’elle donne doit être en train de saillir un troupeau de longues horns. Twangy Guitar : hé ! dis ! passage obligatoire à la duane quand tu te veux instrumentiste, pas question de rester en deçà de la frontière de la ligne séparation qui sépare les gratteux d’occasion de ceux qui caracolent sur les hauts de gamme, se plient à l’exercice avec imagination, ça twangue un max, mais chacun glisse sa propre lettre à la poste, ne vous laissent pas avec le résonnateur à fond la caisse, l’éloignent de temps en temps de vos tympans pour qu’il revienne en lonely cowboy encore  plus fort. California Road : une route pleine d’inconnu, vous démarrez avec le cœur qui twangue à mort, mais par la suite y a des coups de freins à vomir votre quatre-heures et virages desserrés surprenants. Je ne sais pas ce qu’ils ont fumé mais font preuve d’une imagination peu commune pour un combo purement  instrumental. Space Dreams : encore un incontournable à dépasser, le Telstar des Tornados qui en 1962 imposèrent non pas un son venu de l’’espace mais de l’imagination créatrice de Joe Meek… vous pouvez rêver mais il semble que les Corals aient confondu l’espace interstellaire avec les grands espaces, américains certes, toutefois le morceau le moins novateur de l’album. Coral Power : une belle cavalcade menée par le tambour d’Hubert, bien enlevée mais brève comme un coup de tampon ou un fer brûlant apposé sur la cuisse d’un animal pour lui montrer qui est le maître. Un paraphe de signature pour ceux qui possèderaient une âme sensible. Normalement ce titre devait clôturer cet album. Mac Bouvrie  tenait à écarter deux morceaux qu’il jugeait trop rockabilly. Dans leur infinie mansuétude, les Corals les ont rajoutés pour notre plus grand bonheur. Crazy House Bop : c’est vrai que ce Bop sent un peu trop Gene Vincent et vous avez des effulgences de guitare qui semblent sortir tout droit de Buddy Holly, des cris en sourdine inspirés de Dickie Harrell, et un rythme échevelé qui laisse à penser que nos instrumentistes regardent un peu ailleurs… Superbop ! Hot Foot Boogie : traversent leur boogie à trop grand pas pour être honnêtes. Le morceau dépasse à peine les deux minutes, le dernier tiers est un peu redondant. Peut-être n’ont-ils pas osé passer le Rubicon du rockabilly. Ne vous inquiétez pas, cela viendra bien vite. L’Histoire des Corals s’arrête-là.  

             C’est en octobre 2020 que les Corals se reforment à l’occasion de la mise en piste de ce Complete Recordings. Deux titres seront enregistrés.

    Fantastic Mac : morceau dédié à Mac Bouvrie disparu en 2014, d’autant plus hommagial que la plupart des enregistrements de son label sont malheureusement perdus. Trente-cinq ans plus tard the Corals n’ont pas perdu le son original mais l’est vrai que l’on peut ressentir des bribes de sonorité des premiers Beatles qu’affectionnait Mac Bouvrie. The Corals Bow Out : le dernier feu d’artifice, un peu Shadows, les Apaches sont en embuscade, les Corals tirent leur révérence.

             Nous n’avons fait qu’écouter les disques, si vous pensez avec raison que c’est une manière trop désincarnée, procurez-vous le CD, le livret vous racontera toute l’histoire des Corals. Photos et documents d’époque mais surtout le récit de leurs apparitions publiques avec les rencontres marquantes comme celle de Cavan Grogan

             Notons qu’Hervé Loison n’est pas le seul membre du groupe à avoir continué dans la musique. Hubert Letombe qui possède son propre studio d’enregistrement a particulièrement veillé à la qualité sonore  de ce Complete Recordings.

             Cette démarche est particulièrement importante quand on sait que les enregistrements des premiers groupes français du début des années soixante ne sont guère accessibles en leur intégralité…

    Damie Chad.

     

    *

    Quand j’entends le nom de Wanda Jackson, je ne peux m’empêcher à Phil des Ghost Highway qui l’accompagnèrent sur scène lors de sa dernière tournée en France, et de sa voix émue lorsqu’il me raconta comment elle se confiait et se raccrochait à lui dans cet étrange pays qui est le nôtre…

    The Gene Vincent Files #7: Wanda Jackson talking about the early days of her career and Gene Vincent

    L’on n’attend plus que Wanda, son orchestre fin-prêt sur la scène, on l’annonce, on ne verra pas, mais la voici assise, elle répond aux questions qui sont omises sur la bande-son, pour une américaine elle possède une voix très compréhensible, elle parle sans ostentation, on sent qu’elle a envie d’exprimer clairement ce qu’elle veut nous transmettre.

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    Le rock’n’roll a tout bouleversé. Nous les artistes, avions toujours enregistré des chansons avec l’intention de les vendre aux adultes. Mais à partir de 1955 ou 1954 le cirque a commencé.  Nous avons dû alors  évoluer et commencer à faire des chansons pour les adolescents et les jeunes. Car quand Elvis est arrivé sur scène, ce sont les jeunes filles qui achetaient les disques. Nous avons donc dû suivre le mouvement. C’était une période frénétique et confuse. Les artistes ne savaient pas quoi enregistrer. Nous cherchions à nous adapter. J’étais jeune à l’époque aussi. Tout ce que je sais c’est que c’était si frais et si nouveau. Ces chansons parlaient ou traitaient dans leur contenu de choses auxquelles un teenager devait se confronter. Les choses qui nous préoccupaient, les rendez-vous, les balades en décapotables, tout ce genre de choses, aller au bal de promo, et ainsi nous pouvions nous identifier à ce genre de chanteurs country appelés hillbilly, aucun d’entre nous n’aimait ce terme, mais c’est

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     comme cela qu’on les nommait. Mais quand Elvis jouait de la guitare et faisait ce nouveau style de truc, rien d’autre que du rock’n’roll, on a commencé à comprendre. Donc si vous jouiez de la guitare et chantiez ces chansons, vous étiez rockabilly. Il n’y avait probablement pas une très grande différence entre les morceaux, peut-être juste l’artiste qui les interprétait au début. Puis, bien sûr cela a évolué vers les années 60, les sons de la Motown, dans les groupes  ça a commencé à changer avec des concerts comme le Big D Jamboree à Dallas, puis il y a eu le Louisiana Hayride en Louisiane, le Town Hall Party en Californie, ces spectacles sont encore parmi les plus populaires aujourd’hui. Si vous pouvez mettre la main sur les vidéos, vous adorerez. Ce n’était pas difficile de jouer là-bas parce que j’étais un artiste country et la plupart d’entre nous l’étaient. C’étaient toujours du pur country. J’ajouterais simplement que je chantais Hard Headed Woman ou Let’s have a party. Rockabilly et Country sont comme des cousins germains, on peut difficilement avoir l’un sans l’autre, donc ils se mélangent très bien et je ne crois pas qu’aucun de nous ait eu des problèmes. Elvis Presley et moi avons eu des problèmes avec la grande vieille tradition qui était presque morte dans la région du coton et qui était très différente de ce que nous faisions et donc ce n’était pas une bonne expérience pour aucun de nous au début. J’ai signé avec Decca Records au bout de deux ans. J’étais encore au lycée mais je travaillais beaucoup avec Hank Thompson, je le considérais comme mon idole, il est devenu mon mentor, il était sur Capitol Records, donc pour moi Capitol Records était le plus grand label du monde et donc après que mon contrat

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    avec Decca a expiré j’ai signé, Hank m’a beaucoup aidé à obtenir un contrat, avec Capitol Records, c’était comme la réalisation d’une une utopie. En ce qui concerne les enregistrements de Capitol Records, j’ai enregistré sur la côte Ouest dans la fameuse Tower, puis à Nashville aussi. Du mieux que je m’en souvienne j’étais alors en tournée dans l’Ouest, j’avais besoin d’enregistrer, nous les artistes enregistrions beaucoup à l’époque, parce que nous devions produire  quatre singles et deux albums par an. En fait j’enregistrais à l’endroit où je me trouvais, on n’hésitait pas parce que les studios étaient  aussi bons l’un que l’autre.   Dans les années soixante on a commencé à utiliser davantage Nashville, je l’ai fait parce que le son de Nashville  était davantage apprécié par le public. Toutefois j’enregistrais quand même sur la côte, pour moi c’était un peu égal, mais Ken Nelson doit être le gars le plus gentil du monde, je veux dire qu’à travailler avec lui il pouvait vous apporter tellement ! Je peux dire que tout ce que j’ai appris sur l’enregistrement je l’ai appris de Ken, un grand producteur, je pense que ce que j’aime tant chez Ken, c’est que si je voulais faire une certaine chanson ou un certain type de matériel et qu’il ne comprenait pas pourquoi, il me permettait de le faire, il me disait ‘’si c’est ce que tu veux on va essayer’’, je ne pense pas que beaucoup de producteurs  soient capables d’agir ainsi, non je ne le pense pas. Je me souviens de la première fois où j’ai rencontré Gene Vincent, on était à une convention de disk jockeys, un très gros évènement à Nashville une fois par an, c’était le début de CMA, on l’a appelé ainsi plus tard, c’était une convention de DJ de tout le pays qui venaient rencontrer les artistes pour obtenir leurs disques et tout le reste, on a joué. Donc Capitol Records ainsi que toutes les autres maisons de disques avaient leur stand, toutes les portes étaient ouvertes, on pouvait juste aller et venir, ils offraient des boissons ou peut-être de l’eau, et on pouvait faire des photos. Donc Gene Vincent et moi nous nous sommes retrouvés au stand Capitol, on s’est rencontrés là pour la première fois, il était déjà

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    une grande star et je pense qu’on a fait une photo  je crois celle-ci (qu’elle montre du doigt derrière elle) mais je n’ai jamais eu l’occasion de travailler avec Gene, je suis désolée de ne pas l’avoir fait, mais c’est ainsi, je pense qu’il était comme tout le monde, nous étions de vrais gamins, nous nous amusions comme des fous, on faisait ce qu’on aimait et on devenait  célèbres et populaires, c’était tellement excitant, il était très sympathique, c’était agréable de lui parler, je me souviens, oui je me souviens, tu sais parfois, je ne sais pas comment les histoires commencent, c’est au

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     sujet de Let’s have a party, un mot là-dessus, je suppose que le son rappelait aux gens le groupe de Gene Vincent, les Blue Caps, je ne sais pas pourquoi exactement, tout d’un coup, j’entendais et je lisais des articles selon lesquels j’avais enregistré avec les Blue Caps, mais non c’était avec mon groupe et quelques musiciens de studio, au Capitol Tower que j’ai enregistré, ce n’était pas les Blue Caps. Oui, quand je pense à Gene Vincent je ne peux m’empêcher de penser à la première fois que j’ai fait une tournée en France. Nous avons vu les publications du journal et ils annonçaient que l’ouragan Wanda frapperait la côte ouest de la France pour ma tournée. Par la suite ils me surnommaient ‘’la Gene Vincent féminine’’ dans tous les articles qui me concernaient.  Je me demandais pourquoi. Je n’aurais jamais accepté d’être appelée l’Elvis Presley au féminin, ou quelque chose comme ça. Et voilà c’était imprimé. Mais ensuite j’ai compris grâce aux fans et aux gens avec qui j’ai travaillé. Ils répétaient que c’était le plus grand compliment que l’on puisse recevoir. J’ai dit comment se fait-il que les Français ne se soucient même pas d’Elvis. ni de Little Richard, ni de Chuck Berry ? Pour eux c’est Gene Vincent, donc être comparé à lui était le plus grand compliment qu’ils pouvaient vous faire . Que pensez-vous du fait, que les Européens, je pense que c’est bien connu, ne varient pas très facilement dans leurs habitudes, en tout cas  certainement pas aussi vite que les Américains. Nous, nous sommes tous toujours à la recherche de la prochaine grande nouveauté comme on dit, mais en Europe, ils chérissent ces, comment dire plus les gens sont vieux, plus les bâtiments sont vieux, plus les voitures sont de vieux modèles, ils continuent à aimer encore et encore, ils entretiennent ces vieux bâtiments de 700 ans et tout le reste, nous avons séjourné, dans des hôtels de cent ans toujours entretenus, au moins la structure, donc ils ne sont pas tellement si prompts à laisser partir quelque chose s’ils l’aiment, donc c’est une aubaine pour les artistes de cette époque comme moi parce qu’il n’en reste pas beaucoup, mais ils estiment vraiment ceux qui sont encore là et qui travaillent toujours, Jerry et moi et Sleepy Labeef, et beaucoup d’entre eux

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    parcourent les festivals. Oui quand nous avons appris que Gene Vincent était mort, je me souviens avoir pensé que c’était impossible, c’était que seulement à 35 - 36 ans il ne pouvait pas, ça devait être une erreur, et c’était assez dévastateur, parce que nous avions tous à peu près le même âge, et nous pensions qui si cela pouvait arriver, ça pouvait arriver à n’importe lequel d’entre nous, ce qui d’ailleurs est arrivé à certains, mais ce fut une grande perte pour l’industrie de la musique c’est sûr, cependant il a laissé beaucoup de bons souvenirs à beaucoup de gens et nous a laissé toute cette bonne musique qu’il a faite. 

    Damie Chad.

    Hank Thompson (1925 –2007) chanteur de country, bien qu’il fût admirateur du Western Swing de Bob Wills, il en proposa tout le long de sa carrière (quelques jours avant sa mort il était encore sur scène) une version un peu moins abrupte. Le rock’n’roll doit beaucoup au Western Swing.

    CMA = Country Music Assocciation, aujourd’hui nommé : CMA FEST, festival de musique country.

    Sleepy Labeef (1935 – 2019), chanteur de country et de rock’n’roll, tombé pratiquement dans l’oubli, le rachat des disques Sun par Shelby Singleton lui permit de revenir et de participer plus tard au renouveau du rockabilly.

    Cette vidéo, ainsi que beaucoup d’autres, est en accès libre sur la chaîne YT de VanShots – Rocknroll Videos