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rockabilly generation news

  • CHRONIQUES DE POURPRE 638: KR'TNT 638 : BILL CALLAHAN / GRUFF RHIS / LEON WARE / DITZ /THE PEARLFISHERS / ROCKABILLY GENERATION NEWS / JEZEBEL ROCK / JOHN LANNY / PENITENCE ONIRIQUE / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 638

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    29 / 03 / 2024

     

    BILL CALLAHAN / GRUFF RHIS

    LEON WARE / DITZ / PEARLFISHERS

      ROCKABILLY GENERATION NEWS

    JEZEBEL ROCK / JOHN LANNY

    PRESENCE ONIRIQUE / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 638

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

    L’avenir du rock

    - Smog on the water

    (Part One)

             L’avenir du rock n’en revient pas : ça fait la troisième fois en deux mois qu’il croise Jeremiah Johnson dans l’hiver rude du Colorado. Johnson arrête son cheval à dix mètres de distance. Toujours aussi peu avenant, la mine renfrognée, il lance, d’une voix qui résonne dans l’écho de la vallée :

             — Encore vous ? Vous vous croyez où ? Dans un western ? C’est pour éviter les pipelettes de votre espèce que je suis venu me réfugier dans ces montagnes ! Vous commencez à me briser le bollocking !

             — Oh cessez vos jérémiades, Jeremiah ! Je ne vais pas vous demander un autographe. Je suis simplement à la recherche de Buffalo Bill.

             — Ouais c’est ça, t’as raison... Buffalo du lac...

             Comme il n’a pas envie de poursuivre cette conversation débile, Jeremiah Johnson éperonne son cheval qui repart au pas. L’avenir du rock le salue d’un hochement de tête, mais lui dit, au moment où leurs chevaux se croisent :

             — Vous savez que vous avez un javelot planté dans le dos ?

             — Of course !

             — Voulez-vous que je vous aide à le retirer ?

             — Non, car les Crows, qui sont cons comme des bites, me croient mort, et comme ils sont encore plus radins que les fucking Cauchois, ils n’iront pas gaspiller un autre javelot. Sur ce, bonjour chez vous, Buffalo tous les râteliers !

             — Vous êtes drôlement Buffalo salé, Jeremiah, la solitude ne vous réussit pas. Vous avez du Buffalo dans le gaz !

             — Te fais pas de Buffalo Bill, pauvre dé-Bill !

             — Des Bill, des Bill, oui mais des Callahan !

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             L’avenir du rock est prêt à tout pour vanter les mérites de Bill Callahan, il peut même aller jusqu’à contrepéter avec Jeremiah Johnson au fond des montagnes du Colorado.

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             Se pourrait-il que le nouvel album du bon Bill Callahan soit l’un des plus beaux albums des temps modernes ? L’objet en question est une REALITY inversée qu’on lit YTILAER, avec le l’L, l’E et l’R à l’envers, enfin bref, le bon Bill s’est bien amusé avec son outil ‘miroir’. Les chansons de cet album sont quasiment toutes des merveilles, à l’image de «First Bird». Ce fabuleux chanteur sort un baryton plus profond encore que celui de Lanegan et s’en va taper dans sa lumière. Il swingue son chant dans des profondeurs mirifiques. Comme ses chansons sont longues, ça te laisse le temps d’entrer dedans. Et comme il gratte sa gratte à la dérive, son baryton dérive merveilleusement. Il rappelle que «Bowevil» vient du Texas et profite de cette occasion pour devenir insalubre. Il se débarrasse de toutes les règles - Looking for a/ Home - Il use et abuse des profondeurs abyssales de son baryton - Goddam Bowevil - Il fait du raga d’hypno avec «Partition», il va chercher un vieux groove de do what you do to qui semble dater du temps de Smog. Il aménage sa niche et c’est battu sec. Ils joue avec son baryton comme d’un instrument, il faut le voir swinguer «Naked Souls», il est magnifique et tranquille à la fois, il s’offre en prime une belle tempête de trompettes. Il montre une capacité extraordinaire à embarquer chaque cut aussi loin que possible. Ce bon Bill est le prince des horizons. Il amène «Coyotes» au classic drive de Smog, une belle merveille de yes I am/ Your lover man, il ondule dans sa romantica - As she grows older/ And older - Il crée des climats fouillés extravagants de modernité, il fouille sa voix dans des fouilles ambiancières d’une ferveur extrême. Il semble parvenu au sommet d’un lard unique, le lard Callahan. Pour lancer «Natural Information», il gratte les accords de Peter Green et ça part aussi sec en flèche dans l’Americana, Bill ne se bile pas, il fonce sur le meilleur chemin du monde, pas celui de Damas, mais le sien. Wow, quelle belle Information ! Il fouette le cul de l’Americana, laisse tomber les autres coqs de basse-cour, c’est le Bill qu’il te faut, c’est lui le cake - Talent + voice = Bill - Il est aussi bon que Jerry Lee et les trompettes reviennent embraser l’horizon. «Natural Information» est un véritable coup de génie. Avec «Planets», il t’emmène creuser dans sa mine du Kentucky, staring at the sky. Comme Bill est très profond, on l’écoute avec un immense respect.

             Bill Callahan, c’est aussi Smog. On voit tout ça dans le détail d’un bon Part Two.

    Signé : Cazengler, Bill Callagland 

    Bill Callahan. Reality. Drag City 2022

     

     

    Wizards & True Stars

    Dans les griffes de Gruff

    (Part One)

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             Il est marrant le Gruff : au lieu de publier une grosse autobio de 500 pages pour vanter les mérites de son génie pop, il se contente de lâcher dans la nature un petit graphic book intitulé Resist Phony Encores. Graphic car objet. Graphic car typo. Graphic car panneaux. Graphic car pictures. Objet énigmatique comme l’est parfois son lard Dada, que ce soit en solo à la Gruff Rhys ou dans la combine des Super Fury Animals, qui sont comme chacun sait, le secret pop le mieux gardé d’Angleterre. Les spécialistes te diront qu’il y a les Beatles puis les Super Furry Animals. Encore une fois, la pop anglaise est un art trop sacré pour être confié à des betteraviers. Rings Around The World est l’album que Brian Wilson rêvait d’enregistrer. On y reviendra.

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             Revenons à notre mouton. Comme le Gruff est un esprit libre, il ne foliote pas son graphic book. Tu te débrouilles avec on va dire une grosse centaine de pages libres comme l’air. Il explique rapidement qu’il éprouvait d’énormes difficultés à communiquer avec son public, alors il a trouvé l’idée des panneaux. Le titre du graphic book en est un. Quand tu l’ouvres à la première page, tu tombes sur un gros «FUCK OFF EVERYONE», avec écrit, en tout petit, en dessous : «Please don’t», à quoi il ajoute : «That’s just the name of my fisrt band, translated.» Rassuré, on reste, et on poursuit la lecture. Il ne faut jamais perdre de vue que le Gruff est un Dadaïste contemporain. Il faut donc s’attendre à de bonnes surprises.

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             Il donne à la suite quelques éléments autobiographiques, confiant par exemple qu’en 1986, il monte Ffa Coffi Pawb avec son pote Rhodi Puw. Il a 16 ans et en profite pour «quitter l’école», comme il dit. Ffa Coffi Pawb veut dire «Everyone’s coffee beans» et les paroles sont en Welsh, c’est-à-dire en gallois. Le Gruff dit aimer l’espace entre les langues, mais il ajoute aussitôt que ce book traite de l’espace entre les chansons. Comme il a une chanson qui s’appelle «Valium», on tombe sur un panneau qui dit : «VALIUM YUM YUM»

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             Il parle des années 80 comme d’un «dark time pour beaucoup de gens», mais lui s’en sort bien car il bénéficie du confort et fait de la musique. Il dit bien vite son admiration pour les Beatles : «Même si je ne vivais pas à la même époque que les Beatles, au moins, je partageais le même espace. Quand Lennon fut dégommé, j’avais dix ans et les jours suivants la télé rediffusait les films des Beatles, ce qui cimenta ma passion pour la composition de chansons mélodiques.» Puis il commence à franchir la frontière du Pays de Galles pour aller voir des groupes sur scène, «des groupes qui semblaient maintenir la tradition mélodique en la transcendant : Spacemen 3, My Bloody Valentine et The Jesus & The Mary Chain. Aucun de ces groupes ne communiquait avec le public, et je trouvais ça très rafraîchissant.» Il se raccroche à cette idée. Tout ce qu’il veut, c’est composer et chanter ses chansons. «Je n’étais pas très doué pour les relations sociales, je ne savais pas m’exprimer clairement ou regarder un public dans le blanc des yeux, et ça ne m’intéressait pas d’avoir à demander aux gens s’ils passaient un bon moment.»

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             Ffa Coffi Pawb splitte au bout de 7 ans et 3 albums, et le Gruff repart à l’aventure avec les Super Furry. Il embarque le beurreman de Ffa Coffi Pawb Dafydd Isuan, et ses copains de Cardiff Huw et Guto. Le Gruff se retrouve «fronting a rock band that had golden discs, le public était nombreux et je sentais que je devais trouver un moyen de lui transmettre les informations logistiques.» Lors du 4e show, il emprunte à Bruce Nauman le slogan suivant : «PAY ATTENTION MOTHERFUCKERS.» Mais il sent bien que le ton de sa voix n’est pas assez ferme. En 1995, les Super Furry se déguisent en pandas. Et petit à petit, le Gruff va développer sa tactique du panneau. On tombe sur une photo de Buf brandissant le panneau «RESIST PHONY ENCORES», inspiré d’un poster irlandais de lutte contre l’impérialisme britannique, «RESIST BRITISH RULES». Puis ça va dégénérer en «RESIST VONDA SHEPARD», «a MOR piano balladeer» qu’il soupçonne d’être la partie visible d’un iceberg des piano balladeers qui allaient détruire la musique. Une menace pour ce qu’il appelle la pop civilisation, mais il regrette d’avoir été aussi loin, alors il lève son verre à la santé de Vonda Shepard et à celle des «pataphysical studies students at the Normal College, I’m sorry, what the fuck was I thinking?». Et bien sûr, en face du texte, tu as la photo de la belle Vanda machin.

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             Quand il joue à Londres, il provoque des malaises avec le panneau «TAX THE RICH». Effectivement, une partie de son public fait partie des privilégiés. Il le brandit aussi sur scène un soir où il accompagne McCartney. Une photo montre la stupéfaction de McCartney. À l’occasion d’une collaboration au Brésil avec le hippie portugais Tony da Gatorra - a slow-burning artist - le Gruff aligne une série de panneaux sur le thème : «WHAT CORRUPS MY COUNTRY» : «VIOLENCE», «HYPOCRISY», «IMPUNITY», «EGOISM», «COWARDS», «TRAITORS», «CAPITALISTS». Et comme il joue de plus en plus à l’autre bout du monde, le Gruff est obligé de faire des panneaux en caractères chinois ou japonais. Il fait évoluer sa technique vers l’allemand, le français et d’autres langues européennes. Et comme au fond il n’a pas grand-chose à dire, il remplit la fin du book de doubles en forme de panneaux. Il a même un camion avec le panneau géant : «NO PROFIT IN PAIN». S’il veut une franche participation du public, il sort le panneau «WHOA!».    Et comme il perd ses panneaux d’un concert à l’autre, il fait refaire le «WHOA!» qui devient accidentellement «WOAH!». Il a même eu un «WOHA!» au Connecticut. Les panneaux vivent leur propre vie. Il termine avec un panneau «THANK YOU!», suivi à la page suivante d’un panneau «GOOD NIGHT!». On sort de ce book ravi. On n’en attendait pas moins d’un mec comme lui.

             Avant d’aller plonger dans le lagon magique des Super Furry, on peut s’arrêter un instant sur l’actu du Gruff. C’est une actu replète, qui se tient bien à table.

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             On ne s’ennuie pas un seul instant à écouter The Almond & The Seahorse (Original Soundtrack), un joli double album tout juste sorti des cuisses de Jupiter. Depuis le temps béni des Super Furry, on sait qu’il s’est spécialisé dans la petite pop entraînante. Il continue de gambader au long de son petit chemin de fortune poppy poppah, avec parfois une volonté d’hypno pas assez affirmée («People Are Pissed»). On peut qualifier son lard de petite pop métronomique, en tous les cas dans ce nouvel opus qui grouille de puces. Par contre, il tourne mal avec «Layer Upon Layer», car on croit entendre Etienne Daho. La honte ! On B, on va sauver la fast pop de «Sunshine & Laughter Ever After». Il est à l’aise dans tous les râteliers. C’est un brillant pique-assiette. Il drive sa fast pop au hard beat turgescent. Voilà la petite merveille tant convoitée : «Liberate Me From The Love Song». Il sonne comme les Tindersticks, c’est puissant et beau. Il repart de plus belle en C avec «I Want My Old Life Back». Il reste le magic man que l’on sait. Encore de la belle pop avec «Dance All Your Shadows To Death». C’est sa façon d’installer sa tente dans le pré-carré. Quant à la D, c’est de l’instro. Il pianote son «Toni’s Theme» au clair de la lune.

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             Le dernier bim-boom du Gruff vient de paraître. Il s’appelle Sadness Sets Me Free. On se précipite. On cherche les truffes du groin. Tiens en voilà presqu’une, le morceau titre d’ouverture de bal. Le Gruff y fait son crooner, il y va au «Dead Flowers» - C’mon set me free now/ My vain & selfish way - Il frise la Stonesy d’you can send me dead flowers for my wedding. On retrouve la griffe du Gruff qu’on aime bien. Puis il va continuer de faire du croon de Gruff, il sait envoûter une voûte, il propose une belle pop de petit mec confirmé. Maintenant il n’a plus rien à prouver. On aimerait simplement voir poindre un tout petit brin de magie Super Furry. Mais ça ne décolle pas. Il cherche à renouer avec le Super Furry, alors il groove à la surface des choses. On comprend soudain qu’on ne trouvera pas de truffes dans cet album. Quand ça stagne sur 5 cuts, c’est pas bon signe. Il fait une petite samba avec «They Sold My Home To Build A Skyscrapper». Plus entreprenant, ce mec a des assises, mais ça reste en plan. Son «Cover Up The Cover Up» est l’hit de l’alboom, mais ça ne griffe pas. Il redevient doux comme un agneau avec «I Tendered My Resignation», on le voit chercher à créer du climax mélodique, il frime un peu, il cherche des effets, mais il ne les a pas. Il est en perte de vitesse. Il reste dans une espèce de petite pop et chante d’un ton complice, mais il ne parvient pas à la transcender comme au temps des Super Furry. Sa pop est relativement agréable, mais loin d’être déterminante. C’est un peu comme s’il se mettait en retrait, comme s’il craignait de se brûler des ailes qu’il n’a plus. On s’ennuie à mourir de chagrin sur ce faux bel alboom. 

    Signé : Cazengler, Rhys orangis

    Gruff Rhys. The Almond & The Seahorse (Original Soundtrack). Rough Trade 2023

    Gruff Rhys. Sadness Sets Me Free. Rough Trade 2024

    Gruff Rhys. Resist Phony Encores. Hat & Beard, LLC 2020

     

     

    Inside the goldmine

     - Ware house

             Des quatre contremaîtres de maintenance, Monsieur Léon était le plus attachant. Pourquoi ? Sans doute à cause de son perpétuel air de bonhomie, cette bonté discrète qu’on croise si rarement dans le regard des hommes, surtout à notre époque. Monsieur Léon était un gros bonhomme ventripotent coiffé d’une casquette à carreaux, vêtu d’un bleu de travail rapiécé, qui se déplaçait lentement, un mégot toujours collé au coin des lèvres, allumé ou éteint. Et puis il y avait ce regard espiègle, toujours un peu en coin et ce sourire de petit garçon qui contrastait tellement avec son allure d’homme usé par le travail et le manque d’argent. On l’avait nommé contremaître car il savait conduire les chantiers de maintenance des turbines. Il les connaissait depuis leur naissance, il savait caler un rotor dans ses coussinets, il savait mesurer l’effort de serrage des boulons, il avait pour ce genre de mécanique des mains de magicien. Oh il fallait voir ces grosses mains ! Cœur battant de l’unité de production, la salle des turbines était aussi son domaine. Il ne semblait vivre que pour les arrêts. Il assistait à l’ouverture des carters qui pesaient plusieurs tonnes et avec un sourire encore plus appuyé qu’à l’ordinaire, il commençait l’inspection des zones d’usure. Les ingénieurs envoyés par le fabriquant écoutaient attentivement ses remarques. Ils savaient que Monsieur Léon avait une relation fusionnelle avec ces énormes machines et jamais, en quarante ans de carrière, il ne s’était trompé dans ses diagnostics. Son expertise en matière de maintenance avait dû rallonger considérablement la durée de vie de ces turbines. Et puis un jour, le directeur de production demanda un arrêt d’urgence. Ordre fut donné à tous d’intervenir dans un planning très serré, car les temps d’arrêt coûtaient une fortune. La première équipe devait intervenir de nuit. Arrêt des turbines, chute de la pression, puis ouverture de l’échangeur et pour finir ouverture des carters. Monsieur Léon attendait qu’on ait ouvert l’échangeur pour lancer le démontage des carters. Une équipe démontait les boulons de l’énorme échangeur horizontal, et au moment où tombaient les derniers boulons, le couvercle s’écrasa au sol, propulsé par un gigantesque geyser de vapeur brûlante, schlllooooffff, Monsieur Léon qui se trouvait là fut ébouillanté sur le coup, il avança en titubant vers la passerelle de sortie, bascula comme un gros sac par-dessus la rambarde et s’écrasa au sol six mètres plus bas, splllaaashhh ! Il gisait sur le dos, rouge comme une écrevisse ébouillantée, la peau du visage et des mains en lambeaux. Son sourire si prodigieux était devenu une grimace atroce.

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             De toute évidence, Leon Ware a eu plus de chance que Monsieur Léon. Ils n’ont de commun que trois petites choses, le nom, la bonhomie et d’une certaine façon, la légende. Sous son petit chapeau, Leon Ware était devenu une sorte de Monsieur Léon en black, pas en rouge.

             Légendaire, oui, car Leon est un petit black de Detroit qui a démarré avec Lamont Dozier dans les Romeos. Comme Doz, il a un peu fricoté chez Motown avant de voler de ses propres ailes pour aller fricoter avec d’autres géants, Ike & Tina Turner, Donny Hathaway, Minnie Riperton et des tas d’autres. Leon fut ce qu’on appelle un artiste complet, c’est-à-dire qu’il est à la fois auteur-compositeur, producteur et interprète, une sorte d’équivalent black de Tonton Leon, l’autre, le Russell. Inutile de préciser que tous les albums de Leon Ware sont chaudement recommandés.

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             Tiens, on va écouter le premier, l’album sans nom, Leon Ware, paru en 1972. Tu tombes sous sa coupe dès «The Spirit Never Dies», un fantastique groove de Soul, et là, t’es content du voyage. Groove sublime, Leon te roule dans sa farine de satin jaune pour une Beautiful Song de Soul. Puis il claque une fabuleuse Soul d’Able avec «Able Qualified & Ready». Quelle énergie ! Il te met les sens en alerte maximale, il a derrière lui les backings demented de Clydie King, Jessie Smith, Patrice Holloway, Julia Tillman et Maxine Willard. Leon est un fantastique artiste, il rôde bien dans la Soul, il chante son «Why Be Alone» à la cantonade. Il passe au heavy groove d’allure supérieure avec «Mr Evolution», il cultive son groove à la folie, il est dans l’excellence dès les premières mesures, et quand on écoute «Nothing’s Sweeter Than My Baby’s Love», on comprend qu’il ne vit que pour le smooth de sweeter, Leon est incroyablement attachant, on ne le quitte plus des yeux. Tiens, encore une clameur de groove supérieur avec «What’s Your World». Comme le fit Marvin, il arrose le monde, il navigue dans les mêmes eaux. D’ailleurs, Leon a produit l’I Want You de Marvin. Il attaque «It’s Just A Natural Thing» à la grandeur d’âme, avec les folles derrière. Elles te plombent ça vite fait et Leon charge la barcasse jusqu’à la fin. Il termine cet album faramineux avec «Tamed To Be Wild», il drive sa diskö-Soul sous le boisseau, il chante aux accents perçants de l’extrême blackitude et grimpe sur la barricade. C’est énorme !  

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             Dans Record Collector, Paul Bowler consacre la rubrique ‘Engine Room’ à Leon Ware. Il le sacre d’entrée de jeu «master of sensual Soul». Il le situe dans les parages du Marvin, et va d’ailleurs produire I Want You et en composer tous les titres. Bowler parle aussi d’erotically charged, silky-mouth brand of Soul qui allait inspirer Sade et la fameuse vague neo-Soul. En fait, Leon Ware lançait les carrières des autres, préférant rester dans le background. Un peu comme Allen Toussaint, Van McCoy ou encore Sam Dees. Et puis un jour, il voit son copain Lamont Dozier rouler en Cadillac, alors il se dit qu’il pourrait lui aussi en avoir une, after all.  

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             Bon alors, tant qu’on y est, on peut aller écouter Musical Massage, paru sur Gordy en  1976, la même année qu’I Want You. D’ailleurs, Bowler dit que si on veut entendre la version d’I Want Your par Leon Ware, c’est Musical Massage -Bedroom focused lyrics and slick Soul sonics - Quand Berry Gordy entend les maquettes de l’album, il demande à Leon de le filer à Marvin et Leon refuse. En guise de punition, l’album sort sans promo et Leon est dévasté de chagrin. Commençons si tu veux bien par les coups de génie, «Share Your Love» et «Phantom Lover». Ce sont des hits. Share your love, clame Leon en plein émoi, c’est fabuleusement profilé sous le boisseau d’un groove mirifique, les petites pointes de vitesse soulignent l’urgence du groove et au loin planent les nappes de violons. Leon aurait-il inventé groove liquide ? Comme d’habitude, la réponse est dans la question. «Phantom Lover» sonne encore comme l’un des meilleurs grooves de l’univers. La pureté groovytale de Leon te confond. Il ne te roule plus dans sa farine, mais dans la ouate. Globalement l’album sonne comme l’un des albums de Marvin à l’âge d’or : nappes de violons et percus. Leon délie «Learning How To Love You» au doux de menton. Sur «Instant Love», Minnie Riperton duette avec lui. Il muscle un peu son groove pour «Holiday», c’est excellent, chanté au lâcher de ballons, ça tourne au petit chef-d’œuvre de good time music. Avec «Journey Into You», tu entres dans le territoire de Leon. Il est soft au-delà de toute expectitude. Tu as l’impression de remonter le courant en sa compagnie. Son «French Waltz» renvoie aux films français, Les Choses De La Vie ou encore Un Homme Et Une Femme, et avec «Turn Out The Light», ce petit coquin de Leon veut éteindre la lumière. Aurait-il une idée derrière la tête ? 

             C’est après Musical Massage  que Leon quitte Motown.

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             Après un mauvais départ et une série de trois cuts ratés, Inside Is Love s’impose avec un coup de génie nommé non pas Wanda mais «Club Sashay». Leon amène ça comme un groove de Marvin et tu entres dans le vrai monde, celui du groove qui balance par-dessus les toits, et des chœurs de filles te pavent le chemin de bonnes intentions, it’s alrite, Leon tombe dans la démesure. Il est partout à la fois, dans le chant et dans le groove. Autre magic cut : «Small Café», big groove sentimental, typique de Leon, c’est un slow groove de rêve finement joué au violon tzigane, il te l’élève au bon niveau et ça finit par violonner à outrance. La troisième merveille de cet album s’appelle «On The Island», et Leon fonce dans le tas de l’exotica, il crée du rêve et des grands espaces, il fait du technicolor à l’état pur, il est capable d’ouvrir de grands espaces, c’est la raison pour laquelle on le suit à la trace, ici tout est knockouté à l’extrême de la Soul du bonheur, merci Leon de nous amener on The Island et de nous donner autant de joie.

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             Comme beaucoup d’autres grands artistes, Leon a connu sa petite période Elektra, oh pas longtemps, le temps de deux albums, Rockin’ You Eternally, en 1981 et un album sans titre l’année suivante. Tout ce qu’on peut dire, c’est que Leon a du génie. La preuve ? Elle est dans l’enchaînement de quatre cuts, «Sure Do Want You Now», «Our Time», «Rockin’ You Eternally» et «Got To Be Loved». Son fonds de commerce est le slow groove de Soul en forme d’entrelac de jouissance. Il ne chante pas, en réalité, il touille la magie. Avec «Our Time», il explore le Pôle Nord de la Soul, il affronte les vents, Leon tu le suis partout, même au Pôle Nord, il a de la Soul plein le Time. On prie sincèrement pour qu’il se calme, trop de génie tue le génie, c’est bien connu mais avec «Rockin’ You Eternally», il déploie de telles ailes d’ange qu’il en devient définitif, il te plonge dans un bouillon de Soul, Leon te retourne comme une saucisse dans sa friteuse de magie bouillonnante, il fait une Soul de sorcier, ça wave dans la Warehouse, ça explose littéralement de magie. Et ça continue avec «Got To Be Loved», il monte au chant supérieur de la Soul des temps modernes, il faut le voir prendre de l’élan, quel spectacle, I don’t care, il maîtrise bien la situation et il resurgit à coup d’I don’t care ! Il boucle cet album effarant avec «In Our Garden» et développe aussitôt une nouvelle vague de magie incommensurable, il te la travaille au mieux du Ware System, avec des coupes psychédéliques, mais il revient au chant pour t’exploser la conscience, au so far out, il est l’égal de Marvin Gaye et des plus beaux groovers d’Amérique. Jamais vu ça ! Quand tu écouteras l’«A Little Boogie (Never Hurt No One)», tu verras, tu seras accueilli par un déluge de son. Ça te tombe dessus. Leon ne plaisante pas. Il va très vite. C’est un fonceur. Son Little Boogie est plein comme un œuf, on n’y rentre rien d’autre.

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             Le deuxième Elektra est nettement moins dense. Le hit de cet album sans titre s’appelle «Why I Came To California» : ambiance diskö-pop avec un arty funk de bass dans le dos et des petites gonzesses aux backings et ça tourne vie au big biz, mais un big biz de super good time, et ça vire groove des jours heureux. Il faut suivre Leon pour ça, pour les jours heureux. Leon est un artiste fantastique, il est deeper than love comme le montre le cut du même titre, et puis avec «Cant I Touch You There», il veut la toucher, alors il entrelace sa colonne du temple à l’entrelac de la Soul grimpante. Il sait aussi te susurrer sa Soul de satin jaune dans le creux de l’oreille, comme le montre «Words Of Love». On le voit aussi se fondre dans un «Shelter» extraordinaire - She’s my shelter - et avec «Somewhere», il duette avec une poule qui est pas mal, car elle sait roucouler au sommet de la Tour Eiffel.

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             Paru en 1987, Undercover sonne comme un passage à vide. Le blue velvet de Leon est d’une douceur parfaite, mais un peu monotone. Il cultive une sorte de grande délicatesse sexy, il caresse le duvet de la peau de pêche et fait durer le plaisir. Leon est un orfèvre, toute sa glotte humide est impliquée. Avec son rythme, le graphisme de la pochette et tout le saint-frusquin, Undercover est un album typique des années 80

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             Taste The Love est un pur album de sexe. Leon te fourre la tête entre les cuisses de Jupiter dès «Come Live With Me Angel». Leon se polit bien le chinois, il adore le sexe. Sa musique suinte, elle goutte de scum. Mais du bon scum bien blanc de black God. Il va t’engrosser des juments, patron, oh oh, fais confiance à Leon, il a ça dans les reins. Encore du sexe avec «Feel Your Love», au doux du groove de feel your smile in your hands, et puis toujours plus de sexe avec «Can’t Stop Love», il descend de sa montagne, vêtu de rien, I see you, il administre ses sacrements, Leon est un dieu nuageux. Du sexe encore dans le «Taste Of Love» de fin de parcours, chanté à l’ouate de Marvin, time is right. C’est écrit au dos : «Every song is prepared with our main ingredient, LOVE. Bon appetit.» On le voit aussi aller et venir entre les reins du groove avec «Meltdown». Il ne fait que des cuts longs, jamais moins de 4 minutes. Avec «Cream Of Love», on s’attend au pire. Puis il vire légèrement Brazil avec «Telepathy». Un solo de sax vient lisser tout ça. Merci Leon pour cette embellie. Et puis il se produit un phénomène bizarre avec «Musical Massage» : le cut s’arrête quelque part au siècle d’avant, au milieu des terres, il chante parmi les patrons blancs, il suspend son chant.

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             Le pianiste Don Grusin accompagne Leon sur Candlelight. C’est donc un album de jazz.  Le piano jazz album de Leon. Il faut tout de suite se jeter sur «Red Top», car quelle effervescence ! Ça joue au piano jazz avec la stand-up. Fantastique ! Le stand-up man s’appelle Brian Brombey. Il fait son Charlie Mingus. Il joue le mystère du round midnite, il pulse bien le jazz d’after-hour et Leon revient au chant comme la vague sur la rive. L’autre temps fort de l’album s’appelle «How Insensitive». Le guitariste s’appelle Oscar Castro-Neves et il nous joue le groove du Brazil pur, logique puisque c’est signé Carlos Jobim. Belle exotica, Leon s’y fond. Ils tapent aussi une version de «My Funny Valetine». Rien de plus pur. Leon vise un absolu de pureté. On parlait du loup, le voici : «Round Midnight», fabuleux hommage à Monk, mais c’est trop jazz pour un groover comme Leon. En même temps, on sent bien dans ses autres albums qu’il est trop évolué pour la pop. Brombey revient groover «Misty» au heavy groove d’I get misty. Ça joue au fond du club, là-bas, dans la fumée bleue, ils tapent un «My Foolish Heart» assez éperdu, pas loin de Liza Minnelli, lorsqu’elle souffre dans New York New York. Ça ne tient qu’à un fil de piano pur. Et puis avec «Let Go», Leon fond comme le chocolat dans la casserole. 

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             Malgré sa pochette romantique, Love’s Drippin est un bon album. L’extrême qualité du groove de Leon te monte au cerveau dès «All Around The World». Leon gère son monde fabuleusement groovy. Il enchaîne avec «Underneath Your Sweetness», bon d’accord, il groove à la mode, mais Leon est un winner, alors il winne, et comme il va toujours chercher des noises à la noise, ça finit par le rendre génial. Il travaille son groove dans la matière de la Soul, et comme Marvin, il ouvre des horizons. Il laisse filer son groove céleste dans l’azur marmoréen. Il passe au sexe avec «Saveur», il déclenche des machines organiques et des dynamiques impavides, tout est bien foutu chez Leon. Il reste dans le sexe avec «Breathe On Me». On pourrait presque parler de groove direct, c’est aussi direct que de mettre la main au cul d’une allumeuse. D’ailleurs, dans «Is It Drippin’ On Yourself», il se demande si ça goutte sur elle, ooooh baby. Il file le parfait amour avec le charme chaud d’«I’m Ooin’ You Tonight» (sic). Leon est un expert sensoriel, il chante à la glotte de velours mauve. Si on l’écoute, c’est pour des raisons précises, il faut bien l’avouer. Parfois, ses cuts sont un peu gluants, enfin, il fait comme il veut, il est chez lui, inutile de l’embêter. Il attaque son «Finger Party» à la Marvin, mais c’est avec «Hands On My Heart» qu’il rafle définitivement la mise, et pire encore, il t’embobine. C’est violemment lourd de conséquences, on pourrait même parler de dérive abdominale d’éternité parallélépipédique, de boîte oblongue de groove de Poe, Leon travaille sa sauce à l’infini thaumaturge, son groove te caresse les côtes, voilà une Beautiful Song parfaite, le must de maître Leon.

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             Une chose est sûre : tu n’écoutes pas les albums de Leon en cinq minutes. Le meilleur exemple est sans doute Moon Ride. Tu ne prends pas l’album au sérieux à cause de la pochette. Quoi ? Une bagnole américaine ? Oui, mais attention, Leon ne fait jamais de tout-venant. Comme l’album sort sur Stax, ça démarre dans la Soul et un léger parfum de diskö-funk et il faut attendre «Just Take Your Time» pour voir Leon prendre sa mesure. Il susurre dans la chaleur de ton cou, relaxsssss, il te séduit au kisssing you baby, il a très bien compris que tout tournait autour de ça, relax your mind, et derrière tu as une guitare jazz qui groove entre tes reins. On le voit tâter de l’océanique avec «Loceans» et se battre avec la Soul dans «I Never Loved So Much», mais comme Russell Crowe dans Gladiator, il se bat pour la victoire. Il renoue avec Marvin dans «To Serve You (All My Love)», il le rejoint aux jardins suspendus du firmament, c’est extraordinairement bien chanté, Leon et Marvin, même combat ! Puis il amène «Soon» à l’espagnolade et redevient le temps d’un cut magique le puissant seigneur de l’ombre que l’on sait, le roi du groove d’exotica de jazz interlope. On le voit ensuite naviguer à la surface d’«A Whisper Away», un coconut groove jazzé au piano. C’est encore de la magie pure, il fluctue dans l’entre-deux, il est fabuleusement liquide, dans la lignée de Marvin, il tient son monde dans le creux de ses mains, un monde gorgé de finesses, de piano jazz, de percus et de stand-up, tout est porté au summum, comme béni des dieux. Il plonge encore une fois dans le lagon avec «From Inside». Au-dessus de Leon et de Marvin, il n’y a plus rien. Il finit cet album miraculeux avec «Urban Nights», il y ramène encore une jazz guitar et des chœurs de soubassement. Tout est surchargé de trésors sur cet album. 

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             Paru sur le tard, Rainbow Deux pourrait bien être l’album - le double album - de sa consécration. Leon l’attaque d’ailleurs avec l’heavy-oh-so-heavy «For The Rainbow», dominé par le bassmatic d’un nommé Stephen Bruner. Le festin se poursuit en B avec «The Darkest Night», deep dark groove de dark-oh-so-dark night, rien de plus deepy dark ici bas. Il passe à la sensualité avec «Surrender Now», d’ailleurs, à l’intérieur du gateford, il signe : «The Sensual Minister, aka Leon Ware». Puis il nous emmène au paradis de la good time music avec «Summer Is Her Name». Retour aux énormités en C avec «Are You Ready» et il passe au heavy groove de samba avec «Samba Dreams», il injecte carrément de la heavyness dans le lard de la samba et c’est énorme. Avant Leon, personne n’avait pensé à le faire. Cette course paradisiaque s’achève en D avec «Let’s Go Deep» (le courant file à travers lui, comme s’il était fait de cuivre, il vibre et il chauffe) et l’heavy-oh-so-hevy exotica de «Wishful Thinking». On croit entendre Marvin accompagné par les congas de Congo Square !

    Signé : Cazengler, Leon Whore

    Leon Ware. Leon Ware. United Artists 1972

    Leon Ware. Musical Massage. Gordy 1976 

    Leon Ware. Inside Is Love. Fabulous 1979

    Leon Ware. Rockin’ You Eternally. Elektra 1981

    Leon Ware. Leon Ware. Elektra 1982

    Leon Ware. Undercover. Sling Shot Records 1987

    Leon Ware. Taste The Love. Expansion 1995

    Leon Ware. Candlelight. Expansion 2001

    Leon Ware. Love’s Drippin. P-Vine 2003

    Leon Ware. Moon Ride. Stax 2008

    Leon Ware. Rainbow Deux. Be With Records 2019

    Paul Bowler : The Engine Room/ Leon Ware. Record Collector # 531 - May 2022

     

     

    Auto Ditz

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             Ditz ? Parlons-en. Contrairement à ce qu’indique le titre, Ditz n’a strictement rien d’automatique. L’auto Ditz n’est en réalité qu’un clin d’œil à Otto Dix. Mais tiens, le hasard fait bien les choses, car par le son, Ditz rejoint Dix. Dix se fout des perspectives et Ditz aussi. Dix concasse et provoque, Ditz aussi. Dix déforme, Ditz aussi, Dix sublime la laideur, Ditz aussi. Dix trempe ses pinceaux dans la putréfaction des tranchées, Ditz aussi. Dix catalyse la barbarie, Ditz aussi. C’est dire si Dix et Ditz vont bien ensemble.

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             Ditz ? Scène de Brighton. Vazy ! On en bouffe, du Brighton : Ciel, Squid, Wytches, il en pleut comme vache qui pisse, et maintenant Ditz, avec un son Dixien concassé et d’une ampleur considérable, même si ça rôde aux frontières de la Post. Alors on débarque au concert avec les oreilles vierges, histoire d’explorer une zone inconnue. On sait juste pour avoir vu une photo dans le programme qu’ils ne sont pas très beaux et qu’ils ont une chanteuse qui n’est pas sexy non plus. D’ailleurs, tiens, la voilà, elle débarque sur scène, une grande rouquine en petite robe noire, chaussée de bottes noire à très grosses semelles. Elle arpente la scène en attendant que les autres finissent d’accorder leurs grattes déjà accordées. Elle n’a pas l’air commode, elle marche un peu comme un docker du Havre, on voit son dos nu et ses cuisses musclées. Pas trop de tatouages, un de ci de là, derrière la cuisse et sur le bras. Elle est rousse, coiffée vite fait, pas de bijoux. Quand elle commence à chanter, elle le fait avec une voix de mec. Elle a même une voix superbe, bien grave, bien décadente, et elle mène le bal. On découvrira un peu plus tard qu’elle s’appelle Cal, diminutif de Callum. Cal mène un sacré bal des vampires, Ditz tape aux portes de la démesure, deux grattes, un gros bassman hyper-présent, un beurre du diable, et ça ira ça ira les aristocrates à la lanterne. Le guitariste du fond à droite n’a pas d’image, par contre celui qu’on sous le nez à gauche est un petit chétif avec de faux airs de Ian Curtis. Ces deux mecs bâtissent des décorums pharaoniques, un peu à la manière de Greg Ahee, l’artificier en chef de Protomartyr. Il faut bien dire que le début du set est un peu laborieux, mais au fil des cuts, la pression et la température montent, et ça finit par t’exploser la calebasse, avec un son dru d’emporium en flammes, dans une quête constante d’apocalypse selon Saint-Jean, ils rivalisent d’élan cathartique avec le Pandemonium de Killing Joke, et Cal s’en va marcher sur la foule, comme une sorte de trave christique sorti d’une toile mortifère d’Otto Dix. Tu vois la mort et la décadence marcher à la surface d’une petite foule, c’est un drôle de spectacle. Heureusement qu’il est allé de l’autre côté. Pas facile d’imposer un spectacle aussi ahurissant dans une région comme celle-ci. Les Normands n’ont pas pour habitude d’aller reluquer sous la jupe d’un trave.

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             Ce mec est un fantastique showman, qui, entre deux crises apoplectiques, s’adresse aux gens d’une voix délicieusement désabusée. Il se pourrait que Cal Davis soit une rockstar en devenir. Difficile, car il s’élève à la force du poignet, sans le secours d’aucune mélodie, il n’a qu’un son âpre et ingrat à nous mettre sous la dent, alors on doit s’en contenter. Ditz est un groupe qui n’aura jamais de hit, car leur rock vise trop l’aventure de la marge. Ils développent une énergie comparable à celles d’Idles et de Protomartyr. Leur ambition paraît évidente et démesurée, mais leur concept reste strictement anti-commercial. Et malgré tout ça, ils ont deux cuts qui tapent vraiment dans le mille : «Instinct», qu’ils jouent vers la fin du set, et l’explosif «No Thanks I’m Full» qui clôt à la fois le set et leur album The Great Regression, un titre qui, au passage, sonne très Dixien.

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             Cal te chante «Instinct» dans le creux du cou, l’haleine chaude et profonde, tu adores cette proximité et derrière, c’est fabuleusement orchestré, et tellement explosif que les immeubles s’écroulent, ils tapent dans l’apanage de la fin du monde, ils mettent un point d’honneur à battre tous les records d’apoplexie. Mais c’est avec «No Thanks I’m Full» qu’ils te laissent sur ta faim, avec une fin de set comme on en voit peu, ils optent pour une violente intro Post-hardcore et le Cal entre immédiatement dans le chou du lard, il pose sa voix dans l’enfer des tranchées d’Otto Ditz, c’est puissant, bien déroulé, gorgé de power, la version enregistrée est à la hauteur, tu peux y aller si tu aimes l’embrasement sonique, ils atteignent un niveau qu’on n’imagine pas, et ça se décuple, aussi bien sur scène qu’en studio, ils sont tellement dans le full blown que ça saute partout dans la cambuse du Docteur Mabuse, c’est drivé sec par le bassman et battu à la diable. Normalement, tu ne t’en remets pas. Ou alors très difficilement. Comme d’un méchant coup de poing dans l’estomac.

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             L’album s’appelle donc The Great Regression. Ils optent pour un visuel macabre, sous film plastique, qui rappelle The Thoughts Of Emerlist Davjack des Nice, à une autre époque.

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    Ils ont un son très anglais, très énervé, ils démarrent avec le gros ragnagna de la Post, «Clocks», et enchaînent avec un «Ded Wurst» amené à la grosse cocote de la Post. Ils visent le big atmo à Momo. On comprend que ce sont des cuts de chauffe, comme d’ailleurs lors du set. Un peu plus loin, on entend les chutes du Niagara de la Post dans «Three». Ils charpentent bien leur son, ces mecs ne mégotent pas sur la mortaise. Avec «The Warden», ils se font passer pour les maîtres de la dégelée Postale. Cal tient bien son rang d’égérie des annales. Il se prend ensuite pour Kate Moss dans «I Am Kate Moss», il joue beaucoup sur le calme après la tempête. Le Cal s’accroche au son comme la moule à son rocher. Ils ont des stridences d’attaques biseautées, comme dans «He He», mais ça devient riche avec ce chant de dark angel en robe noire. Tout est très chargé musicalement, le Kate Moss sonne comme une compression de layers, avec des trucs qui grattent dans le mix et des poussées de fièvre, et voilà qu’ils enchaînent à nouveau dans la douleur de la Post avec «Teeth», ils deviennent féroces et décuplent la violence de leurs crises. Ils finissent par rivaliser de démesure avec les Pixies. Ils développent un pouvoir totalitaire.    

    Signé : Cazengler, quoi qu’il en Ditz

    Ditz. Le 106. Rouen (76). 16 février 2024

    Ditz. The Great Regression. Alcopop! Records 2022

     

     

    Les Pearlfishers enfilent des perles

     

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             Pas la peine de tourner autour du pot : les Pearlfishers, c’est David Scott, un autre surdoué du rock anglais. Cet Écossais est aussi membre actif des BMX Bandits, l’une des grandes institutions écossaises. Pour mieux situer le Scott Scott, on peut le comparer à Paddy McAlloon : il cultive exactement la même perfection du lard fumant. Et c’est aussi la raison pour laquelle ses albums sont tous réussis. Le Scott Scott squatte le paradis depuis vingt ans.

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             Le premier album de Scott Pearlfisher s’appelle The Strange Underworld Of The Tall Poppies. Il date de 1997. Graphiquement, quasiment toutes les pochettes vont se caler sur la première : une simple image de la vie quotidienne cadrée sur un fond blanc. Ouverture de bal avec «Even On A Sunday Afternoon» et Scott met la main au Paddy. Même élan pop chatoyant. Une vraie merveille. Le Scott Scott condescend dans le cours du fleuve, it doesn’t matter. Il compose comme il respire, sans effort. Il remplit des albums entiers. Son «Banana Sandwich» éclate de fraîcheur, il est tellement plein d’élan vers l’avenir - Just feeling the sun in the snow - Encore plus puissant, voici «Waiting On The Flood», il swingue son floo-ooood et t’en explose la fin, fabuleuse fin d’explosivita en gerbes de génie prévalent. Encore de la heavy pop de Scott avec «Jelly Shoes». Il vise toujours l’horizon, avec la même ampleur que Paddy God, avec des montées en puissance herculéennes. Tous ses cuts sont puissants, il fait du ric et rac de Paddy Padirac, il ne lésine pas sur l’envergure, il s’adosse aux Everglades du forever et relance en permanence son relentless. Il ne se lasse plus d’élancer. Il joue son rôle de songsmith jusqu’au bout, il gratte les poux d’«Away From It All» avec du soleil plein la bouche, il est tellement convaincu d’avance !

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             The Young Picnickers pourrait bien être son album le plus affolant. À cause notamment de ce violent coup de génie, «Every Day I Read Your Stars» qu’il attaque au jingle jangle des Byrds. Là, tu affrontes le vent du rock extrême, le cut explose dans le ciel, tu n’en reviens pas, tu entends des clap hands et des contre-coups d’«Oh Happy Day», ça explose en gerbes, c’est sa spécialité, oui les retenues viennent d’Oh Happy Day, les tombées aussi, tu imagines un peu la grandeur de la cascade ? Et il monte encore au chant à coups d’I read your stars. Le Scott Scott est en passe de devenir l’un de tes meilleurs amis, avec Paddy Padirac et Brian Wilson. Alors attends, c’est pas fini. Écoute un peu «You Justify My Life». Ce ne sont pas des choses qu’on dit à la légère. Il enchante son Justify au chat perché, il yodelle dans le bonheur, il sonne comme une superstar, mais au sens fort du terme. Et puis tu as cette pop magique d’Écosse, «We’re Gonna Save The Summer», une pop impitoyable d’éclat mordoré, gorgée de références à Big Star et à Brian Wilson, en passant par Paddy Padirac et tous les anges du paradis pop, il te plug ça dans le Summer pur, ce mec explose de bonheur, c’est tout ce qu’on entend. Il trafique aussi «We’ll Get By» à la bonne mesure, ça prend vite de l’ampleur et ça devient stupéfiant d’excelsior parégorique. On écoute le Scott Scott avec un profond respect. Il déroule une œuvre d’une infinie délicatesse. Pour son morceau titre, il descend dans un groove à taille humaine. C’est très impressionnant, il dépote là un instro de fête foraine, il y a de la magie dans ses Young Picnickers. Quand il fait de la power pop («Once There Was A Man»), il sonne comme Martin Carr ou Paddy Padirac, c’est le même genre de gabarit impérieux. 

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             S’enfoncer dans le dédale des albums de David Scott, c’est une façon de se noyer dans l’excellence. Across The Milky Way est encore un album remarquable, dont le joyau s’appelle «We’ll Be The Summer». Bienvenue dans le domaine royal de David Scott. Il commence par te groover le bas des reins. Oh rien de sexuel là-dedans, il swingue sa pop avec panache et il emprunte les bah-bah-bah de Brian Wilson. «Steady With You» pourrait sortir d’un album de Paddy. Scottish Scott s’y livre à de prodigieuses accélérations. Sa pop peut être aussi évangélique et se montrer digne des Beatles (le morceau titre). Scottish Scott soigne sa droite. On attend que tombent les hits, comme au temps de Grandaddy. Tiens, en voilà un : «New Stars». Quand tu entends ça, tu sais où tu mets les pieds. Ses harmonies vocales éclatent au Sénégal d’Écosse. Il y a du Big Star là-dedans. Il attaque l’«I Was A Cowboy» à la Lennon et on s’effare de la qualité du sucre dans «Sweet William», mais aussi de la qualité de la prod, de la qualité de tout. Oui car tout sur cet album sent bon l’esprit. Il continue d’exploiter ses inépuisables réserves naturelles avec «Shine It Out». Il repart toujours à l’assaut, avec chaque fois la même grâce. Il rappelle parfois les grandes heures de Belle & Sebastian. Il tartine son «Where The Highway Ends» en contre-bas et il termine cet album idyllique avec un «Is It Any Wonder» salué aux trompettes urbaines. Il fait du pur Paddy, même voix, même sens aigu de la magie pop, celle qui filtre sous la toile du cirque. Te voilà donc avec un nouveau génie sur les bras. David Scott coule de source, comme Martin Carr, Brian Wilson ou encore Michael Head.

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             Continuons de voyager au paradis de la pop avec Sky Meadows. Il y rend un hommage qu’il faut bien qualifier de mythique à Todd of the pop : «Todd Is God». Ils sortent tous les deux de la même fontaine de jouvence. David Scott chante comme le Todd du temps de Something/Anything. Il démarre aussi l’album avec «Flora Belle» qu’il faut hélas qualifier une fois encore de coup de génie. Il l’attaque à la Paddy, il grimpe tout de suite à un très haut niveau d’intellect mélodique, te voilà conquis, amigo, inutile de résister, David Scott est un empereur génial, tu vas lui donner tout ce que tu possèdes, ta femme, les clés de ta bagnole, ta carte bleue, tes mots de passe sur internet, t’es content de lui donner tout ça en mains propres, tiens mon David, c’est pour toi, et en échange, il va te déverser des torrents de beauté dans les oreilles, alors tu peux te dire heureux d’avoir croisé son chemin. «Sky Meadows» est encore une fois du pur Paddy, David Scott suit la voix tracée par son maître. Même chose avec «My Dad The Weatherfan», ça tourne en pop de rêve à la McAlloon. David Scott s’amuse en permanence, il fait plaisir à voir. Avec «I Can’t Believe You Met Nancy», il te lèche les bottes, il t’abreuve dans le désert, il t’initie à l’harmonie d’un jour naissant. Il repart à la conquête de la perfection avec «Haricot Bean And Bill» qu’il arrose de big guitars et termine avec «Say Goodbye To The Fairground», qui semble aussi sortir du cerveau psychédélique de Paddy Padirac : même magie évanescente. C’est de l’extrême pureté pop, David Scott revient toujours à Paddy par la bande. 

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             Paru en 2004, A Sunflower At Christmas est un album heureusement beaucoup moins dense. Ça permet aux oreilles de se reposer. Le «Snowboardin’» d’ouverture de bal sonne comme une pop magique et automatique digne de celle de Brian Wilson : même élan vers l’éternité. Le Scott Scott monte bien ses éclats d’harmonies vocales. Et le «Winter Roads» qui suit est du pur Paddy. On se croirait sur Jordan: The Comeback. Même volonté de parcours initiatique. Et puis après ça se calme terriblement. Le Scott Scott tient néanmoins très bien sa maison. Ce n’est pas le genre de mec qu’on repasse à la pattemouille. C’est un maître de forge. Comme Totor, il fait son Christmas album.  

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             Par contre, ça chauffe terriblement avec Up With The Larks. Shindig! lui attribue 5 étoiles, ça les vaut largement. L’album grouille de puces, et ce dès le morceau titre, un shoot d’heavy power pop sur-déterminée. On se voit une fois encore contraint de parler de magie. Il s’agit là de sunshine pop révélatoire. Et ça continue avec «The Blue Bells», tu tombes dans le fleuve pour de vrai, tout est beau, les violons, le chant. David Scott, pur genius. Le Pearlfisher enfile les hits comme des perles, «Send Me A Letter» (heavy groove d’excelsior), «The Umbrellas Of Shibuya» (big Glasgow sound), «Womack & Womack» (il plonge dans la diskö de Womack & Womack, mais avec sa bravado de Glasgow, il met tout à sa main, comme le fait Martin Carr à Liverpool), «London’s In Love» (heavy balladif de sensation forte, il évoque les busy streets of London, c’est du si haut niveau ! Il éclate ça au chat perché, final explosif). Avec «Eco Schools», il va chercher la difficulté harmonique pour se l’approprier. David Scott est un effarant songsmith, il navigue au niveau des grands compositeurs américains de type Brian Wilson ou Jimmy Webb, mais avec le petit truc de Glasgow en plus. Il chante son «Blue Riders On The Rage» à la pointe de la glotte, au pur feeling. Cet mec est une authentique superstar. Il ne vit que pour l’échappée belle. Son «Ring The Bells For A Day» est heavy as hell, il monte ça aux harmonies vocales, tout est harponné là-haut. 

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             On retrouve de sacrés clins d’yeux à Paddy Padirac sur Open Up Your Coloring Book : «You Can’t Escape The Way You Feel» et «A Christmas Tree In A Hurricane». T’es baisé car te voilà obligé de te prosterner. Le Scott Scott règne sur la pop avec bienveillance. Rien de plus Padirac que le Christmas Tree, il chante ça avec le même grain de voix. Le hit de l’album s’appelle «Gone In The Winter». Il tombe le rideau. David Scott a une réelle autorité. Il est le roi de la grosse attraction. Il sait faire monter la sauce. Il sait aussi teinter sa pop de Soul comme le montre «Diamonds». Réflexe magique. Il fait sa fable de La Fontaine avec «A Peacock And A King». Il joue ça au piano et se montre une nouvelle fois délicieusement fondu de Paddy Padirac. Il travaille tout au corps sur cet album, tout est beau, sculpté dans le cristal. Scottish Scott est le Rodin du Paddy rock. Il semble naviguer dans l’inconscient collectif. Tous les cuts font six minutes. Il a besoin de temps pour se développer. Il poursuit la pop de ses attentions. Mais il ne se montre jamais pressant. Il est ardent, mais ne le montre pas. C’est un charmeur. Il sait qu’elle viendra à lui au bout de six minutes.

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             Son dernier album en date s’appelle Love & Other Hopeless Things. Il fait encore son Paddy au soleil d’Écosse avec «Could Be A Street Could Be A Street». Même power. Même imparabilité des choses. Même volonté d’épanouissement. All my life. Power pur ! Il passe en mode fast pop vampirique avec «You’ll Miss Her When She’ Gone», il survole le monde avec ses ailes de vampire génial à la Joann Sfar, il gratte ses poux avec passion. La passion, c’est ce qu’il faut retenir de ce mec. Magnifique encore, ce «You Can Take Me There» ponctué par des gonzesses intrusives. Il refait son Paddy avec «Once I Lived In London» et passe au heavy Pearl avec «One For The Bairns». Il se montre encore inlassable avec «I Couldn’t Stop The Tide». Du coup, tu t’en lasses plus.

    Signé : Cazengler, Pearl Harbour

    The Pearlfishers. The Strange Underworld Of The Tall Poppies. Marina Records 1997

    The Pearlfishers. The Young Picnickers. Marina Records 1999

    The Pearlfishers. Across The Milky Way. Marina Records 2001

    The Pearlfishers. Sky Meadows. Marina Records 2003

    The Pearlfishers. A Sunflower At Christmas. Marina Records 2004 

    The Pearlfishers. Up With The Larks. Marina Records 2007

    The Pearlfishers. Open Up Your Coloring Book. Marina Records 2014

    The Pearlfishers. Love & Other Hopeless Things. Marina Records 2019

     

    *

    Demain le printemps, tiens des oiseaux se sont installés dans la boîte à lettres. Approchons-nous doucement pour ne pas les effrayer. Brr ! ça croasse méchamment là-dedans, sûrement pas des mésanges, encore moins des anges !  Je n’ose pas ouvrir. Un rocker n’a jamais peur. Vivement je tire la porte ! Aucune bête à plumes, juste une épaisse enveloppe d’un blanc virginal !  Bien compris comme disait Vince Taylor, c’est le nouveau :

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 29

    AVRIL  – MAI – JUIN ( 2024 )

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            Une fois n’est pas coutume, l’on saute pratiquement à la fin de la revue, la situation est grave, je vous rassure, pas pour nous (quoique si l’on y pense un peu…), pour un groupe que nous aimons bien. Nous les avons vus sur le blogue à plusieurs reprises en concert et ils étaient sur la couve du numéro 2 de Rockabilly Generation News, les WiseGuys, nos garçons avisés ont donné un nom anglais à leur formation, jusqu’ici rien d’original pour un groupe de rockabilly, oui mais ils sont ukrainiens… Nous avions reçu quelques nouvelles au tout début du conflit, mais depuis plus rien. C’est donc un plaisir de les savoir encore vivants. L’on espère pour longtemps, Saturnus le batteur : En marchant dans la rue il a été ‘’invité’’ par les recruteurs à rejoindre l’armée. Nous lui souhaitons bonne chance…

             Chris nous parle de l’ambiance, beaucoup d’alertes journalières, des bombes pleuvent un peu partout, la mort peut survenir à chaque instant, le moral n’est pas très bon, il lui semble que l’Ukraine est bien seule… elle reçoit de l’aide mais ce dont elle a le plus besoin, ce sont des armes… Le groupe réussit à donner quelques concerts, les bénéfices sont en très grande partie pour l’armée et des associations d’aide à la population… Chris n’est pas optimiste… On le sent désemparé, avec ce sentiment désagréable de ne pouvoir peser en aucune manière sur la suite des évènements…

             Je pense que la majorité de nos lecteurs sont au courant de la situation, mais l’entendre raconter avec ses mots à lui, par quelqu’un qui partage notre passion rock, avec qui l’on a vécu de festives soirées, les mots pèsent plus lourd. Oui la guerre est faite pour tuer les gens.

             Un beau portrait de Lavern Baker en page 2, la beauté des femmes nous fait oublier la laideur des hommes. Jean-Louis Rancurel nous offre des photos d’une époque beaucoup plus insouciante, celle de la naissance du rock français, focus sur Danny Boy et ses Pénitents, l’est vrai que des pionniers français du rock Danny reste l’un des plus oubliés. Moi-même j’avoue avoir fait l’impasse sur lui et sur ses premières apparitions discographiques sous le nom de Claude Piron, en tout cas l’article de Jean-LouisRancurel est savoureux à lire autant pour le photographe que pour le chanteur, un monde où tout semblait possible, même si le miroir du rêve s’est cassé assez vite… Les noirs et blancs de Rancurel sont magnifiques et surprenants d’authenticité…

             Sautons page 22 retrouver Lavern Baker, J. Bollinger réussit en deux pages, malgré la place prise par les documents d’époque à nous apprendre un tas de détails ignorés. Il est vrai que dès que surgit le nom de Lavern Baker dans notre tête résonne sa voix et l’on ne pense plus à rien… Elle est une des racines du rock certes mais aussi une de ses plus belles frondaisons.

             Whaow !!! de tous les posters publiés par Rockabilly c’est le plus fort, un coup de poing dans les yeux arrachés, le prince du rock’n’roll est-il marqué sur la couverture, un prince comme on les aime, wild and rock, quand j’aurais ajouté un émule de Jerry Lou, il a été adoubé par le Maître in person, l’interview de Lewis Jordan Brown est passionnante, une personnalité de rocker jusqu’au bout des doigts (de pieds aussi), mais qui se défend d’être puriste. Un être libre. Les photos de Sergio sont sublimes, sur  la toute dernière, l’on dirait un portrait d’Arsène Lupin, un parfait gentleman, pas cambrioleur, mais cabrioleur si l’on en juge de ses acrobaties sur son piano.

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    Info ultra-secrète : vous retrouvez le jeune prince en live à Quimper accompagné par les Starlights. Pas de répétition, et en avant non pas la musique, mais la folie. Y avait du monde à Quimper, en ce début de janvier pour fêter 2024, sur scène les Big Shots et les Evil Teds, en dehors des planches Marc et Rozenn les organisateurs, l’article est précis et chacun des protagonistes de cette soirée est assez longuement présenté, textes et photos.

    L’on arrive à la fin, pardon au début, au tout début d’une longue aventure, les grandes personnes ont souvent de mauvaises influences sur les enfants, prenons au hasard le grand-père de Tiloé qui l’a biberonné au rock’n’roll, les chats engendrent des cats c’est bien connu, du haut de ses neuf ans et demi il lit Rockabilly Generation, il apprend la guitare, il est imbattable sur Elvis. Un futur prince du rock’n’roll.

             Plein d’autres choses, les reports sur le dix-huitième Rockin’Gone, l’Atomic Rockin’ de décembre 2023, le Good Rockin’Tonight du 24 février dernier par exemple, vous aimeriez tout savoir sans payer, vous avez raison, mais c’est encore mieux de s’abonner !

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois),  6 Euros + 4,30 de frais de port soit 10,30 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 38 Euros (Port Compris), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( Rajouter 1,10 € ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de tous les magazines... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents ! 

     

    *

    Je les croisais souvent à Toulouse. A la fin des années 70. Faciles à reconnaître. Portaient toujours leurs instruments à la main ou sous le bras, avec une obstination que je qualifierai d’Egyptienne.  En tout cas ils ont édifié une des premières pyramides sonores du rockabilly français.

    En 1978, Jezebel Rock sort en 1978 un 45 tours sur le petit label toulousain de Gérard Vincent : Baccara International. Deux titres : Can you feel it et Peggy Sue. Plus tard en 1979 un nouveau 45 sur Oxygène un curieux label, un peu passé dans les oubliettes, qui s’était fait la spécialité d’enregistrer des groupes et chanteurs français de tous genres, ils publient un deuxième deux titres : Teenage queen et That’s all right. Le nom du groupe évoque Gene Vincent, c’est pourtant deux des titres les plus célèbres de Buddy Holly que l’on trouve sur ces deux disques.

    En 1979 rencontre avec Jacky Chalard en train de monter le légendaire label, made in France, Big Beat RecordJacky Chalard ex-bassiste de Dynastie Crisis groupe qui accompagna Dick Rivers sur Dick’n’Roll et Rock Machine enregistrés au studio Condorcet à Toulouse. Ces deux albums parus en 1971 et 1972 constitués en leurs majeures parties de classiques issus de répertoires des pionniers marquent le début de l’intérêt porté au rock’n’roll des origines, qui se concrétisera au début de la décennie suivante par la rockabillyenne explosion des Stray Cats…

    Mais nous n’en sommes pas encore là, Jezebel Rock est des un des tout premiers groupes issus de nos lointaines provinces françaises qui s’acharne à redécouvrir le legs américain originel, à l’époque au mieux ignoré, au pire décrié, dans le seul but de le remettre au goût du jour tout en y imprimant leur propre marque.

    Il n’était pas simple de trouver des disques old rock dans le Sud-Ouest de la France en ces époques de disette rock, heureusement qu’à Toulouse la boutique de Jacky Allen vous permettait d’acquérir pour 3 ou 6 francs bien des merveilles…

    ROUTES OF ROCK

    JEZEBEL ROCK

    (Big Beat Records / 0001

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    La photo (les deux premiers 45 n’en portent pas) et les notes de présentation sont d’Alain Mallaret, un infatigable activiste rock, auquel nous devons beaucoup, qui durant des années tint le blogue Roll Call, nous en avons parlé et encouragé nos lecteurs à écrire auprès de l’hébergeur lorsqu’il fut désactivé, il fut aussi le directeur de la revue, Big Beat Magazine, à l’origine sur papier puis numérique.  

    Jean-Jacques Moncet : guitare, chant / Denis Rebeillard : basse / Gérard Moncet : batterie.

    Hot doc boogie : dès l’intro l’on sait que le toubib nous a refilé le bon sirop, une guitare caramel à pointe d’asperge à l’arsenic, une basse qui joue à saute kangourou, et une batteuse qui décalque les tickets de métro à la perfection, que demander de plus, surtout qu’il y a cette voix qui a l’air d’échapper à l’attraction terrestre à chaque fin de ligne, deux minutes de perfection, c’est peu mais en notre monde de brutes l’on ne peut espérer davantage. La finesse de Buddy Holly mais sur un groove de bop. Le rockab parfait, rien de trop, rien de moins. Moonstruck : z’avez pas le temps de respirer que le vocal vous cueille comme une marguerite sur le bord du chemin, vous avez le moteur qui gronde en-dessous pas trop fort, juste assez pour vous inquiéter et la guitare qui s’amuse à imiter un jeu de bielles qui se déglingue, prennent leur temps, un soupçon de rhythm ‘n’ blues et c’est parti pour un balade sous la lune glauque, vous n’avez pas l’impression mademoiselle que peu à peu le chauffeur parle à l'astre sélénique comme un loup. Brand new lover : la légèreté entraînante du rockabilly, tout dans la voix, pour un peu vous vous laisseriez faire, attention, c’est aussi piégeux qu’un bayou, vos croyez avoir posé le pied sur une branche d’arbre, c’est un museau d’alligator, qui se pourlèche les babines. Caroline : le Jean-Jacques vous imite le timbre de Buddy à la perfection, ce côté innocent et candide qui vous pousserait à lui donner le bon dieu sans confession, le slow insidieux qui perdra le petit chaperon rouge. Crazy beat : rien à voir avec le Crazy beat de Gene Vincent, deux titres sur lesquels ils viennent de jouer les jolis cœurs, alors ce coup-ci ils sortent la grosse artillerie, ce Diddley Beat qui affleure dans les titres les plus rentre-dedans d’Holly, cette noirceur africaine de forêts primaires dont les fourmis vous rongeront les chairs jusqu’aux os. Le pire c’est que l’on adore.

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    Teenage queen : la voix de Jean-Jacques Moncet claudique gentiment, nous font le coup du charme, son frère Gérard donne le rythme mais essaie de ne pas faire trop de bruit. La basse de Denis caresse gentiment le bouton du plaisir des jeunes adolescentes en fleur. Boppin’ cat boogie : (slow version) : le rockab est pliable corvéable à merci, vous pouvez tout faire avec lui. Vous le voulez tout doux, voici une petite merveille, pour les enfants, un véritable dessin animé, une voix typiquement américaine, une basse qui joue au petit train, c’est mignon tout plein. Boppin’ cat boogie : (fast version) : attention, version pour les plus grands, une guitare qui pétille comme un feu de joie, une ambiance cow-boy en mode détente. Oui l’on danse, mais le colt toujours à la ceinture. Ne tirent pas, ils aiment toutefois le dégainer pour se faire respecter. Truckin’ babe : sucré comme une fraise tagada, un peu trop, un peu trop long aussi. S’amusent bien mais l’on s’ennuie un peu. Elle y met vraiment de la mauvaise volonté à ne pas revenir à la maison.  Mercy go round : un instrumental, davantage en place que bien des premiers groupes français des sixties, mais il manque l’audace de proposer quelque chose de neuf. Osons le mot : de moderne.

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             Avec ce premier 25 centimètres de compositions Jezebel Rock recherchait avant tout l’authenticité. Pour un jeune public aux oreilles façonnées par Deep Purple, Zeppelin et consorts, c’était un son nouveau venu de nulle part. Soit on (beaucoup) s’en moquait, soit on (beaucoup moins) adorait. Jezebel aurait attiré davantage s’ils avaient été fans d’Eddie Cochran et de sa guitare accrocheuse, mais non eux c’était Buddy Holly, sa finesse, sa légèreté, sa fluidité…

             Pour ceux qui connaissaient les originaux, ce fut un signe, on louait leur courage de se tenir au plus près d’une production des premiers rockers qui n’ont pas toujours été rock à fond de train dans leur discographie… on pressentait qu’ils rouvraient une route abandonnée depuis longtemps, et l’on attendait la suite… Qui finit par arriver. Un disque de pionnier en quelque sorte.  

    Damie Chad.

    Si Jacky Chalard vous raconte l’épopée de Big Beat Record ainsi que celle de sa vie dans un numéro de Rockabilly Generation News. Lequel. Vous n’avez qu’à tous les relire !

     

    *

    Avouez que lorsque vous êtes fan de Vince Taylor et que vous tombez sur l’inscription suivante comme titre d’une vidéo : ‘’Vince Taylor buvait beaucoup parce qu’il avait du temps à perdre’’, vous perdez votre respiration, vous suffoquez, vous frisez la crise cardiaque, une envie de meurtre vous saisit, bref vous cherchez à en savoir plus.

    JOHN LANNY

                    Au début vous ne le voyez même pas, vos yeux sont fixés sur l’écran TV géant, l’on y cause de Vince Taylor à Mâcon, une des parties les plus vertigineuses de sa vie,  lisez Vince Taylor- Le Perdant magnifique de Thierry Liesenfield, l’on explique que Vince Taylor buvait pour se sevrer de la drogue, mais le gars qui passe sans arrêt devant l’écran devient gênant, l’attire manifestement l’attention sur lui, je le reluque : n’arrête pas de se verser des verres ( à la relecture je m’aperçois que j’avais écrit des rêves) de vin rouge, manifeste ainsi sa solidarité avec l’ange noir, bientôt il éteint la télé et commence à parler. N’arrête pas durant vingt minutes. Non ce n’est pas un pochtron qui radote, l’est soul mais l’a toute son âme. L’avoue sans drame ni larme sa dépendance à l’alcool. Parfois les anges ont besoin d’une béquille pour voler. Pas une infirmité, il suffit de savoir lire les signes pour comprendre les manquements des êtres humains à leur imperfection.  Cause des gens qu’il aime, sur certains comme Yves Mourousi ou Laure Adler, je ne dirai rien, ils ne font pas partie de mon monde. Mais il cite aussi Elvis, Chucky Chucka (ainsi le nomme notre Cart Zengler), Jerry Lou, et le petit Richard, son quatuor gagnant. Plein d’autres aussi.

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             L’est émouvant, un fracassé du rock’n’roll, nous sommes tous des fracassés du rock’n’roll, chez certains ça se voit davantage, peut-être parce qu’ils se sont davantage brûlés que les autres… John Lanny est un être authentique puisqu’il ressemble à lui-même, à nous aussi.

             Sur son site YT vous trouverez des tas de vidéos. L’est aussi connu sous un autre pseudo, Sammy Ace. Chanteur. Fête ses cinquante ans en donnant un concert au Rio’s Banana Club à Golfe-Juan. ‘’Dans ma vie j’ai réussi à survivre sans argent mais je n’ai jamais réussi à survivre sans reconnaissance’’ déclare-t-il, alors allez faire un tour sur sa chaîne. Vous y rencontrez un être humain. C’est rare par ces temps qui courent. A leur perte.

    Damie Chad.

     

    *

    Sans être un masochiste invétéré vu le plaisir que j’ai pris à écouter l’album Nature Morte la semaine dernière, je m’impose de mon chef derechef une douce pénitence onirique en écoutant leur précédent album.

    VESTIGE

    PENITENCE ONIRIQUE

    (Les Acteurs de l’Ombre / Juillet 2019)

    Une phrase de Philippe Muray est pour ainsi dire mise en exergue de cet album : ‘’ Le monde est ce qui doit être subi de toute façon sans possibilité de le critiquer et encore moins de le combattre.’’ Cette citation ne permet pas de comprendre directement les textes de Vestige, en les lisant abruptement ils m’ont évoqué Les minutes de sable mémorial d’Alfred Jarry, par contre de mieux intuiter le sens du nom du groupe. Je rangerais Philippe Muray dans les nouveaux réactionnaires. Ces écrivains qui considèrent, notons qu’ils n’ont pas tort, la Modernité comme une catastrophe. Très logiquement l’on peut en conclure que vivre en nos âges délétères équivaut à une terrible pénitence. Selon Muray la modernité est une prison dont on ne peut physiquement s’échapper, la seule évasion reste donc le rêve.

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    La critique de Muray envers notre époque n’est pas sans fondement. Il fustige ce que j’appellerai le carcan métaphysique de la Morale érigée en dogme absolu qui condamne tout déviationisme normatif, à tel point que tout est permis à la condition expresse de ne pas sortir de cette notion de permissivité, l’individu se retrouve ainsi dans une solitude incapacitante prisonnier de sa propre individualité, puisqu’il lui est interdit de penser la globalité du monde. Un seul hiatus à cette vision de la modernité : Muray pense que son déploiement repose sur l’hégémonie d’une idéologie gauchisante. Il ne le dit pas expressément mais il le sous-entend si fort qu’il en oublie que toute critique d’une idéologie (quelle qu’elle soit) appartient elle-même à un discours idéologique. Toute critique idéologique est par essence idéologique. Souvent d’ailleurs, sous prétexte qu’il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis, nos idéologues naviguent selon le courant, très à gauche quand l’air du temps porte à gauche, très à droite quand l’air du temps s’incline à droite. Pensons au Foucault de Surveiller et punir et au Foucault du début des années quatre-vingt qui penche de plus en plus vers l’idéologie libérale. La mort l’empêchera de faire le grand saut. Le plus grand défaut des écrivains est de se prendre pour des penseurs.  Ce paragraphe critique relève évidemment de l’idéologie.

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    La couve est d’Aurore Lepheliponnat. (Voir notre chronique de Nature Morte dans notre livraison 637 du 21 / 03 / 2024). Un visage d’homme, assez âgé. Aucun détail ne peut nous aider à trouver son identité. Le portrait est posé sur un fond noir de toute opacité. Ce n’est pas quelqu’un de célèbre, mais sa mise en évidence péremptoire indique que ce n’est pas n’importe qui. Une seule solution s’impose, si cette tête ne nous dit rien, ce sont les morceaux de l’album qui vont nous révéler son identité, au sens large du terme. Un portrait intérieur en quelque sorte. Le titre de l’album nous aide à comprendre : Vestige, l’homme n’est pas un croulant, encore moins un écroulé de la vie, son visage porte les traces de ceux qui ont beaucoup vécu. Mais de tout ce qu’il a traversé, il ne reste rien, il ne reste que lui, les vestiges sont enfouis en lui, il peut les ressusciter en lui, dans sa pensée.

    Dimiourgos : basse / Noktürnos : guitare / Cathbad : drums / Bellovesos : guitar, sampler / Ebrietas : vocal / Vorace : guitare.

    Le corps gelé de Lise : comme des traits de neige qui tombent, je m’inspire de la vidéo, la musique vient jusqu’à former une épaisse couche tympanique qui glisse vers vous, et la voix qui sludge en allongé avec par derrière comme des bises froides et sifflantes, des chœurs s’en viennent et s’en vont preuve que l’on est en un endroit sanctifié où resonnent les échos du passé et du présent, il est beaucoup de reines qui portent le prénom de Lise (Elise, Elisabeth, Isabelle) en voici une statufiée, ciselée en une belle strophe ornée d’or, dans un lieu sacré et royal, le temps a passé, elle n’est plus qu’un objet touristique de curiosité, une foule renégate dont la seule présence est un blasphème à ce qui a été, ils l’entourent de leur haine et de leur rejet, mais un rayon de soleil illumine sa couronne et la désigne souveraine à ceux qui l’exècrent et ne voient en elle qu’un épisode historial honni, il faudra un jour futur les chasser. Ampleurs sonores comme rappel des lourdes tapisseries des châteaux en feu, ravagés par les forces révolutionnaires, qui se tordent sous le souffle dégagé par la violence de l’incendie, une clameur vengeresse qui pousse le passé devant la porte du présent. Haine contre haine. Tumulte oratorien. Pour le Roi ! l’on baise la lame, avant le duel final espéré. La Cité des larmes : grondements, il faut battre le fer tant qu’il est froid, la cité est en ruines mais qu’importe les murailles démantelées, là n’est pas le drame, il est une autre cité répliquée à l’infini dont la situation est beaucoup plus dramatique, ce sont les âmes égarées en elles-mêmes de nos contemporains, leurs esprits défaillants, une foule d’esclaves qui ne pensent qu’à se plaindre de leur situation désastreuse, alors qu’ils devraient s’atteler à relever les murailles  écroulées de leur citadelle intérieure,  que dire de plus, le vocal est pour ainsi dire intermittent, il faut déjà se débattre soi-même contre les sables stériles qui nous assiègent, la musique souffle en rafales infinies comme le vent porteur des miasmes de l’engloutissement, il ne tient qu’à nous, à chacun, à moi, de préserver le lointain souvenir de ce qui n’est plus, de ce qui a été, juste survivre au milieu de la délétère autoflagellation universelle, se battre jusqu’au bout, être soi-même le fer que rien ne pourra briser, qui résistera à la lèpre de la rouille. Les sirènes misérables : douces sonorités, des sirènes d’Ulysse émanait-il d’aussi suaves et captivantes mélodies, la mer  moutonne à l’infini, les sirènes d’aujourd’hui ne chantent pas au-dehors des hommes, leur île se trouve dans les têtes humaines, écoutez le chant qui s’allonge démesurément comme s’il racontait un étrange conte inouï et incroyable, transplantation cérébrale, nous voici au cœur de la manipulation mentale, les esclaves écoutent leurs propres voix intérieure qui se moquent d’eux, le chant se transforme en dénonciation guerrière, les esclaves ont élu des maîtres, sans quoi ils seraient des êtres libres,  leurs potentats se servent d’eux, ils croient se battre pour leur liberté, mais ils luttent contre leurs propres intérêts. Douce musique aux oreilles de leurs maîtres Hespéros : instrumental, lumière du soir, batterie lente et guitare processionnaire, toute chose s’enfuit vers son déclin, c’est ainsi que s’achèvent les rêves et le destin, nous sommes à la mitan de l’opus, nous dirigeons-nous au plus noir de la nuit... Extase exquise : non ce n’est pas la petite traîtrise pour laquelle il faut être deux pour l’accomplir, c’est la grande, car l’on n’est jamais trahi que par soi-même, la musique tisse des voiles funèbres, mais le vocal essaie d’arracher ce suaire dans lequel quiconque aimerait se rouler, abdiquer à tout jamais, se laisser emporter par la communion des esprits serviles, ne serait-ce pas la solution de fermer les yeux et de mourir à soi-même comme l’autruche qui se cache les yeux pour ne pas voir sa lâcheté, maintenant il hurle, il refuse de s’adonner à la sérénité du renoncement, il se dresse en lui-même, les dieux ne vivent que si on les pense, désormais l’énergie parcourt son corps, il triomphe de lui-même, des miasmes putrides, de ses peurs, et de ses découragements. Au bout de la nuit se profile l’aube. Souveraineté suprême : le background musical infuse l’énergie, tu as vaincu la peur, tu revois tous les obstacles mentaux qui t’ont assailli et maintenant tu rugis comme le lion face à la réalité du monde moderne, jamais tu n'as été aussi conscient de la situation mondiale, la batterie assène coup sur coup, la guitare n’a jamais été aussi cinglante, tu te lèves en toi-même, tu es ta propre volonté, ton propre dieu,  c’est ainsi que tu retrouves l’accès interdit au divin, tu éclates de joie et de certitude, tu as toujours condamné les esclaves, cela ne suffit pas, il faut d’abord ne plus revêtir cette carapace servile pour être un être libre. Libéré des autres et de soi-même. Tuer l’hydre de la modernité. Treizième travail herculéen. Vestige : un aigle funèbre fond sur toi, après l’exaltation la réalité refait surface, retrouvailles avec la même colère, la même exécration, une bataille remportée en soi n’est pas une victoire sur le monde qui s’obstine à persévérer dans son horreur tentaculaire, la catastrophe subsiste et refuse de disparaître, vestige est un vertige, pas de happy end, l’on ne dépasse pas le réel, toute ta hargne, toute ta rage ne sont pas parvenues à faire reculer le monstre, la batterie frappe d’estoc et de taille, toute pensée est réduite en poudre, l’homme est perdu, le souvenir du jardin d’éden aussi, il ne reste que la mort.

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              Il est temps de revenir à la pochette. L’Homme se souvient-il de ce qu’il fut vraiment. Les vestiges de ce qui a été affleure-t-il encore des sables de sa mémoire. Encore faut-il qu’il ait une mémoire ! Le vestige c’est lui, le sait-il seulement. Les pierres éparses de remparts écroulés gardent-elles le souvenir, ne serait-ce que le nom, du peuple qui les a édifiées et défendues… n’avons-nous pas oublié qu’autrefois nous portions l’immémorial nom d’Homme…  

             Opus noir. Celui d’une défaite annoncée. Qui a déjà eu lieu. Pénitence Onirique ne se paye pas de maux. Il dit vestige pour nous aider à comprendre qu’il n’y a plus rien à voir. Après le crépuscule wagnérien des Dieux Pénitence Onirique déclare le crépuscule des Hommes achevé. Un truc qui ne nous fait pas rêver.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

     

    50

    Le Chef allume un Coronado pendant que Jim Ferguson s’assied. Il n’y paraît pas mais il a jeté un regard circonspect sur la chaise que je lui ai apportée. Le gars n’est pas un perdreau de l’année, plutôt genre crotale qui fait semblant de sommeiller tapi dans l’herbe. Au deuxième regard je rectifie, un cobra royal sûr de sa force. A ne pas déranger pour des futilités. J’ai une intuition, le Chef me la confirmera en fin de soirée, non il n’est pas le directeur de la CIA pour la France, un gros calibre, il doit chapeauter tous les réseaux européens, qu’il se soit dérangé avec le micmac ukrainien actuel qu’il a sur les bras, ce doit être grave. J’apporte trois verres et une bouteille de Moonshine, il ne sourit pas quand il lit l’étiquette CUVEE JERRY LOU, CELLE QUI REND FOU ! S’en verse tout de même une grande lampée qu’il avale d’un coup, à croire qu’on lui tend un verre d’eau en plein Sahara. Il pose un mince porte-document noir sur le bureau dont il tire la fermeture éclair avec une précision. Attention me dis-je ce gars est un sniper, chaque fois qu’il s’intéresse à une cible il traite le sujet avec une efficacité maximale.

    Sans attendre il prend la parole.

             _ Chef, je vous remercie d’avoir pris contact avec nous. La mort du Professor Longhair ne nous étonne pas. Lors de mon entretien avec elle hier soir avant qu’elle ne retourne chez elle nous avions conclu que nous marchions sur un volcan… Nous ne nous trompions pas. Nous avions en lisant les rapports de notre Reconstutive Service rencontré une, comment dire, une… incongruité évènementielle dans les évènements auxquels nos deux services ont été mêlés, avec votre permission j’aimeras d’abord avoir un entretien avec l’agent Chad. Vous pouvez assister à cette conversation, toutefois je vous demanderais de ne pas y intervenir. C’est notre façon de procéder, une remarque adjacente et pertinente peut ouvrir de vastes perspectives mais un infime détail significatif qu’allait ajouter le témoin questionné sera passé sous silence puisque son esprit se tournera dans les réponses possibles à apporter à cette nouvelle injonction.

    Jim Ferguson déplie une feuille A3, je reconnais le tracé rectiligne de la rue Phillipe Daumier, deux croix rouges marquent l’endroit exact où les briseurs de murailles ont tenté de m’attirer à eux. Jim Ferguson me scrute longuement, il pose son index sur la première croix :

             _ Que s’est-il passé exactement ici ?

             _ Je marchais tranquillou, deux bras sont sortis de la muraille, mes deux chiens m’ont retenu !

             _ Ouah ! Ouah !

    Jim Ferguson ne tient aucun compte de la confirmation apportée par Molossa et Molossito.

              _ Disons que dans cette affaire c’est de l’ordre du plausible. Mais à cette deuxième croix ?

             _ Le briseur de murailles doit être vexé, il me fait un croc-en-jambe, les accompagnatrices au lieu de tenir les gamins m’assaillent à coups de parapluie, quelques gamins qui ont quitté les rangs se font écraser sur la chaussée et…

             _ Agent Chad nous ne sommes pas ici pour déblatérer sur les dégâts collatéraux… Pour ce deuxième cas nous dirons que nous sommes dans l’ordre du plausible.

    Jim Ferguson tire une deuxième feuille de son porte document, elle représente la rue Hector Marbreau elle est aussi marquée de deux croix rouges, il m’en désigne une :

             _ Là, je passe devant la vitrine d’une auto-école, cette fois ils sont deux à m’attirer, deux fortes et gaillardes commères m’arrachent à leurs étreintes.

             _ Vous les avez donc vus, une vitrine c’est transparent !

             _ Heu, je dirais oui, j’essayais de leur échapper, je suis incapable de les décrire, en toute logique je réponds oui !

             _ Hum, hum ! Passons à notre quatrième cas.

             _ Je passe devant une grille de fer forgée, je suis happée, ils me tiennent, je m’évanouis, heureusement que vos agents sont intervenus.

             _ Exactement, des agents chevronnés, issus de nos unités d’intervention les plus spécialisées. Leurs témoignages sont formels, il n’y avait personne de l’autre côté de la grille. D’après eux vous étiez comme pris d’une crise de folie, vous vous débattiez avec cette porte comme un forcené. Ils ont eu un mal fou à vous en décrocher. Dans ce dernier cas, cher Agent Chad, nous ne sommes plus dans l’ordre du plausible. Vous êtes simplement victime d’hallucination !

    Pour employer une expression populaire, je reste comme deux ronds de frites, ce satané amerloc m’a carrément traité de fou, je m’apprête à lui répondre vertement. Je n’en ai pas le temps, le Chef intervient :

             _ Cher ami, je m’étonne, je n’ignore rien du vaste travail qui vous incombe, c’est pourquoi je suis surpris que vous preniez le temps de vous interroger sur le cas d’un agent, nous le qualifierons de légèrement surmené, qui n’appartient même pas à un de vos services.

             _ Le SSR nous rend tous les jours de grands services à défendre la musique populaire de notre pays, cela mérite bien un petit renvoi d’ascenseur… toutefois je rajouterai avant de nous quitter, que l’affaire des briseurs de murailles nous intrigue vivement, évidemment l’aspect briseurs de murailles nous paraît, comment dire, des plus aléatoires. Mais je ne voudrais pas non plus abuser de votre temps. Messieurs au revoir et merci pour ce succulent Moonshine. Agent Chad, nous n’avons qu’une vie, prenez soin de votre santé.

    Deux shake-hands à vous briser l’épaule et Jim Ferguson s’éclipse en une mini-seconde.

    52

    Le Chef allume un Coronado :

             _ Voilà qui est clair comme de l'eau dr  roche, que dis-je comme de l’eau de rock !

             _ Chef vous vous rangez à son avis, tant que vous y êtes envoyez-moi à Charenton !

             _ Quelle idée bizarre, je vais finir un de ces jours par vous croire totalement madurle, filez-moi plutôt me faucher une voiture. Une grosse berline noire, vous viendrez me prendre ce soir au bas du local à 23 heures. Entre temps allez faire courir vos chiens au bois de Boulogne, qu’ils soient en forme pour cette nuit.

    53

    Sur la banquette arrière Molossa et Molossito font semblant de dormir. J’ai arrêté la voiture rue Marbreau, pas très loin de la grille où les briseurs de murailles ont tenté de me capturer. Je ne la quitte pas des yeux. A mes côtés le Chef fume paisiblement un Coronado.

             _ Chef, le bout incandescent de votre cigare trahit notre présence !

             _ J’espère bien, Agent Chad cessez d’admirer cette porte, vous êtes comme le fou qui regarde le doigt de celui qui lui montre la lune. 

    Je soupire, vexé je lève les yeux et fixe la maison qui se dresse derrière la grille. Dans la pénombre je la distingue mal, en tout cas, une superbe bâtisse, elle doit valoir quelques centaines de milliers d’Euros.

             _ Chef !

             _ Taisez-vous, contentez-vous de regarder.

    J’ouvre grand mes yeux, je ne vois rien. Les minutes s’égrènent lentement. Sur le siège arrière Molossa grogne en sourdine. Molossito ne tarde pas à l’imiter. What-is it ? Comment dire une parcelle de lumière un millionième de seconde sur la gauche de la façade. Non, un rayon de lune, ou l’éclairage public ! Et là maintenant le même phénomène sur la droite mais plus haut et encore le même phénomène sur le milieu, vers la porte d’entrée.

             _ Chef baissez-vous, dans le rétro une camionnette tous feux éteints !

             _ Oui, ils vont sortir, agent Chad ce n’est pas la peine de vous tapir sous le siège !

    La camionnette nous dépasse et s’arrête sur le trottoir juste à quelques mètres de la porte grillagée ! Je l’entends grincer. Je n’en crois pas mes yeux. Huit silhouettes se profilent, survêtement noir, cagoule noire, baskets noires, sans un bruit ils montent dans le véhicule qui s’éloigne. Je la suis des yeux jusqu’au bout de la rue. Elle ne tourne ni à gauche, ni à droite, elle opère un demi-tour et revient sur nous, feux toujours éteints, à petit vitesse.

             _ Agent Chad, plein-phare !

    J’obéis. Je perds pied. J’ai vraiment des hallucinations, la Camionnette est elle aussi passée en plein-phare, dans la seconde où j’ai braqué mes projecteurs sur elle, j’ai reconnu le chauffeur ! Jim Ferguson !

             _ Ah ces Ricains ils sont forts ! Ils ont les moyens, en plus ils sont sympathiques, ils nous ont fait signe, la voie est libre ! Agent Chad c’est à notre tour d’intervenir, ils ont nettoyé le chemin, mais l’on reste sur nos gardes, Molossa et Molossito devant, nous deux : Rafalos à la main !

    A suivre…

            

  • CHRONIQUES DE POURPRE 562 : KR'TNT 562 : JONATHAN RICHMAN / CHEATER SLICKS / PIXIES / ANDY PALEY / ROCKABILLY GENERATION NEWS ( 22 ) / T BAKER TRIO / IENA / VINCENT BRICKS / THUMOS /

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 562

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    07 / 07 / 2022

    JONATHAN RICHMAN/ CHEATER SLICKS

    PIXIES  / ANDY PALEY

    ROCKABILLY GENERATION NEWS ( 22 )

    T BECKER TRIO/ IENA / VINCENT BRICKS

    THUMOS

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 561

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

     http://krtnt.hautetfort.com/

     TERRIBLE DECEPTION POUR LES KR’TNTREADERS !

    ENCORE UNE FOIS CES IGNOBLES INDIVIDUS

    QUE SONT LE CAT ZENGLER ET DAMIE CHAD

    PRENNENT LEURS VACANCES !

    IMMENSE JOIE POUR LES KR’TNTREADERS !

    LA LIVRAISON 563

    ARRIVERA AU PLUS TÔT LE 25 / 08 / 2022

    AU PLUS TARD LE 01 / 09 / 2022

    KEEP ROCKIN’ TILL NEXT TIME !

     

    Spécial Boston

     

    Les Pixies, les Cheater Slicks, Jonathan Richman et Andy Paley ont un point commun. Lequel ? Boston ! Cette fournée constitue le premier volet d'un spécial Boston, imaginé pour my friend Jacques, en écho à ce qu'il écrivit un jour : "Boston est la Mecque du rock."

     

    Baby you’re a Richman

     

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             Les relations qu’on entretient avec Jonathan Richman depuis plus de quarante ans ne sont pas toujours très cordiales. On l’a adoré un temps puis détesté. Pourquoi ? Parce qu’il évoluait bizarrement. Oh il n’est pas tombé dans l’horreur diskoïdale comme Blondie («Heart Of Glass») ou encore pire, dans le rock FM commercial comme Patti Smith («Because The Night»), non il a opté pour le foutage de gueule, le rock potache, réussissant là où Jimbo et Syd Barrett avaient échoué : en se coulant artistiquement. Il échappait ainsi au star-system qui menaçait de le transformer en machine à fric, comme les deux collègues citées ci-dessus. Les seuls qui aient réussi à exister artistiquement dans ce qu’on appelle le grand public sans se faire enfiler sont assez rares. Citons les noms de Dylan, de Van Morrison ou encore de Ray Davies. Pour les blancs. Chez les Noirs, ils sont plus nombreux, beaucoup plus nombreux, James Brown en tête, et George Clinton aussitôt derrière. 

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             Le diable sait si on adorait ce premier album des The Modern Lovers qui n’avait pas de nom. The Modern Lovers était écrit en ultra-bold ital sur un fond noir, et dès «Roadrunner», Jojo et ses amis d’alors nous replongeaient dans un bain de jouvence qui s’appelle «Sister Ray» : même énergie dévastatrice, même minimalisme fondateur d’empire des sens, même ampleur catégorielle, même souffle éolien et les nappes d’orgue de Jerry Harrison nous léchaient les cuisses. Ce n’était pas un hasard, Balthazar, si le nom de John Cale apparaissait au dos de la pochette. Avec «Old World» et «Pablo Picasso», ils tâtaient de l’hypno à nœud-nœud, un bel hypno d’orgue monté sur bassmatic ventru. Ce démon de John Cale savait que la messe était dite depuis le Velvet, mais Jojo et ses amis avaient tellement envie de s’amuser qu’il n’allait pas les contrarier. Embarqué par un riff de basse génial, Picasso se répandait comme la marée du siècle. En B, ils allaient plus sur les Stooges avec «Someone To Care About». Jojo n’avait aucun problème, il pouvait sonner comme Iggy et lâcher des awite d’une troublante authenticité. La voix fait tout, on le sait. John Cale ramène même des clap-hands comme sur le premier album des Stooges et le petit shoot de frenzy fuzz, sans oublier le break de basse. Ils terminent cet album devenu classique avec un gros clin d’œil au Velvet : «Modern World». Ils sont en plein dedans, And I love the USA, avec le petit gratté de gratte à la surface du son et ces incursions intestines typiques du grand méchant Lou. Ça excellait au-delà de toute attente. 

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             Les Modern Lovers ont attiré un autre géant de l’époque : Kim Fowley. On trouve les démos qu’il produisit sur The Original Modern Lovers, paru en peu plus tard en 1981 - One two three four five six - voilà «Road Runner #1» avec le son des origines, plus garage sixties, affichant une volonté de belle dépouille, histoire de laisser monter le vocal au sommet du mix. The Fowley way. «She Cracked» est encore plus gaga, et la volonté de découdre la dépouille s’affiche de plus belle. La descente d’accords est complètement délinquante, Jojo bouffe son gaga tout cru, sans moutarde. Il était alors le chanteur gaga idéal, avec une gouaille unique, une présence terrible et un style invasif sans l’être. Toute l’A grouille de petits classiques gaga. On se régale encore de «Wanna Sleep» en B, et du génie productiviste de Kim Fowley.

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             Avec Jonathan Richman & The Modern Lovers, Jojo entame en 1976 sa petite période Beserkley. Ces Californiens ont monté un label et misent sur quelques canassons, dont Jojo, qu’ils estiment à juste titre indomptable. On l’entend hennir across the USA. C’est avec cet album qu’il commence à faire des farces. Il voit par exemple l’Abominable Homme des Neiges dans un Market. C’est extrêmement joyeux et le market du coin de la rue est très pratique car moins éloigné que le Tibet. D’ailleurs Jojo adore les grandes surfaces, car il ouvre son bal d’A avec «Rockin’ Shopping Center», du rockab pour rire, let’s rock ! alors on rocke. C’est très awity avec des jolis breaks de stand-up et le copain Radcliffe sur la Gretsch. On retrouvait ce hit sur tous les jukes en bois. Bon, il rend aussi un bel hommage à Chucky Chuckah avec «Back In The USA», ahh, oh yeah, et tous ces jolis chœurs d’artiches. Globalement, les Modern Lovers sont passés du proto-punk à la good time music docile, c’est-à-dire l’easy-going. Sa mère dirait : «Oooooh Jojo is sooo friendly !». Et elle aurait raison. Il nous fait même du comedy act de MJC avec «New England». Pour Picasso, tintin.

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             Berserkley commence à capitaliser sur le canasson Jojo en sortant l’année suivante un Live. Personne ne fut surpris à l’époque d’y retrouver les petits rocks innocents et pré-pubères du jeune Jojo. Il joue bien la carte du fool around dans «Hey There Little Insect» que gratte sévèrement le copain Radcliffe. Les autres ne se cassent pas trop la nénette. Puis avec «Ice Cream Man», ça tourne à la mauvaise plaisanterie. Bon, le principal c’est qu’ils s’amusent. Le rock sert aussi à ça, pas vrai ? Jojo est très cruel car il planque ses belles chansons au fond des albums. C’est un miracle si on écoute «The Morning of Our Lives» qui est un vrai petit moment de magie. Il fait participer la salle. 

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             Rock’n’Roll With The Modern Lovers fait partie des albums vendus puis rachetés au hasard des virées dans les salons. C’est vrai que la pochette donne envie, mais en 1977, on avait d’autres chats à fouetter, car les gros albums fourmillaient. Le raisonnement était simple : on se disait tiens, du Modern Lovers avec une contrebasse, ça doit bien sonner. Pouf, on ramenait l’objet à la maison et le malaise ne tardait pas à s’installer. Jojo prenait trop les choses à la légère. Il se prenait pour Tintin au pays du rock dans «Rockin’ Rockin’ Leprechauns» et passait ensuite en revue toute sa collection d’exotica. On ne sauvait que deux cuts en B, «Roller Coaster By The Sea», bien monté sur la stand-up, et «Dodge Veg-O-Matic» qui sonnait comme du doo-wop gaga, alors forcément une question se posait : pourquoi le reste de l’album n’était pas du même niveau ? On attend toujours la réponse.

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             Son dernier album Beserkley paraît deux ans plus tard et s’appelle Back In Your Life. L’affreux Jojo se livre à ses amusettes préférées d’aouuuh/aouuuh dès «(She’s Gonna) Respect Me» et fait un peu de rock’n’roll, oh mais pas trop, avec «Lover Please». En fait, il cultive un style champêtre dans la joie et la bonne humeur. C’est sa façon de dire qu’il se sent bien dans ses godasses et qu’il n’a besoin de personne en tondeuse à gazone. Il s’efforce de se montrer plaisant et de chanter d’un ton détaché, pas question de plonger dans le pathos du rock et les cauchemars urbains. Il préfère conter fleurette à «Lydia». L’absence de bonnes chansons finit par plomber l’ambiance. On sait l’art de Jojo austère, mais là, il pousse un peu trop le bouchon, même s’il fait le gai luron. Il faudra savoir attendre pour voir apparaître les grands albums.   

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             En 1983, Jonathan Sings ramène sa fraise sous une très belle pochette : voilà l’affreux Jojo peint torse nu devant la foule qui l’acclame. Mais au lieu de taper dans ses veux classiques des Modern Lovers, il propose une petite rumba, the kind I like, dit-il dans «This Kind Of Music», et les deux filles font des ooh-wahh-ooh. Voilà, c’est pas compliqué. Puis dans «The Neighbors», il nous explique qu’il n’a pas besoin de laisser les voisins gérer sa vie. Il a raison. Il s’enfonce dans la forêt profonde pour attaquer «The Conga Drums», avec une belle intention de nuire, car c’est assez punk, avec de vieux boon & boom & plum plum. Ça sent bon les early Modern Lovers. En B, on le verra continuer de faire son numéro de gentil troubadour, et avec «Give Paris One More Chance», il rend un bel hommage à Paname. Ah comme c’est bien embarqué et mon Dieu c’est trop cool. Le son est au rendez-vous, il est bien accompagné. Il revient à sa chère romantica avec «You’re The One For Me». Il adore tartiner son miel au clair de la lune et les deux filles derrière en rajoutent une petite couche. 

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             Jojo continue de cultiver la désuétude lénifiante avec Rockin’ And Romance, un album léger et pépère paru en 1985, et, détail capital, produit par Andy Paley. Globalement, c’est bon esprit mais surtout bien chanté. Jojo propose une espèce de laid-back à la ramasse et quelques petits coups de kitsch comme «Down In Bermuda». Jojo se prend pour l’équivalent bostonien de Kevin Ayers. Comme il dispose d’une vraie voix, il conquiert aisément l’Asie Mineure, d’autant plus aisément qu’il pratique l’intimisme patenté. La preuve ? Elle est dans «I Must Be King». C’est tellement mélancolique qu’on se fait rouler dans sa farine. Comme il se prend pour un artiste marginal, il s’intéresse par solidarité à la souffrance de Van Gogh - Have you heard about the pain of Vincent Van Gogh ? - Et dans son élan, il refait le Modern Lover avec «Walter Johnson», prenant de soin de rester à la croisée du laid-back et du doo-wop. Andy Paley prend un solo de batterie rigolo dans «I’m Just Beginning To Live». Comme ils s’amusent bien ! Jojo chante si bien qu’il peut se permettre n’importe quoi, c’est d’ailleurs pour ça qu’on l’écoute. Ok let’s rock ! Toujours prêt à driver son petit shitty shitty bikini de «Chewing Gum Wrapper». C’est même du petit bopety-bopety bop. Ça reste joyeux et chapeau-pointu. Jojo nous incite à claquer des mains, ce qu’on fait. Sa pop fifties passe comme une lettre à la poste. Jojo est le genre de mec qu’on prend pour argent comptant dès qu’il ouvre le bec. Il chante avec tellement d’entrain. Il crée une sorte de rockalama humaniste, une bebopalama généreuse et tiède, on se croirait au lit avec lui, on sent le chaud de son haleine et le soyeux de sa peau, et même le doux de sa petite glotte humide et rose. Sacré Jojo.

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             Avec It’s Time For paru l’année suivante - encore produit par Andy Paley - on reste dans le monde merveilleux de Jojo, Zette et Jocko. Oh il adore les vieux hits de juke comme «Let’s Take A Trip». Andy Paley sort un son extrêmement intéressant. Il restitue parfaitement l’ambiance du studio, avec toute la bande de copains, dont Barrence Whitfield. Bienvenue au Paley royal avec l’«It’s You» d’ouverture de bal. It’s Time For est un album d’ambiance pure. Là-dedans, tout le monde gratte des grattes et couine des chœurs. On s’y croirait. Ils sortent parfois les guitares électriques pour se taper des petites flambées de violence, comme le montre «Yo Jo Jo». «When I Dance» est une merveille. Jojo a de la jugeote. Il faut le prendre très au sérieux, au moins autant que Lou Reed. Il tente de se faire passer pour un franc-tireur toxique au charme fatal. La moindre de ses chansonnettes tape dans le mille. Oh my taylor is so Richman ! Le beurre-man vole le show dans «Double Chocolate Malted». Jojo vend les charmes d’une glace au chocolat et derrière les mecs font yeah yeah yeah ! Rien ne peut résister à un fantaisiste comme Jojo. Il nous repose la cervelle. Il a tellement de talent qu’il se permet n’importe quel délire, même celui de «Desert». Jojo sait rester à sa place. Il est trop bon enfant pour le dandysme.

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             Avec Modern Lovers 88, Jojo attaque sa période Rounder qui va durer sept ans, soit sept albums. Cette période Rounder va durer jusqu’en 1995, à la suite de quoi il va entamer sa période Vapor, plus vaporeuse, jusqu’en 2010, comme nous le verrons tout à l’heure. On trouve sur Modern Lovers 88 une belle énormité : «California Desert Party». C’est Jojo qui souffle dans le saxophone, ce que montre la pochette. Il flirte avec la mélodie dans «When Harpo Played His Harp» et avec «New Kind Of Neighborhood», on peut parler de vraie musicalité. Ils réussissent à chauffer leur petite pop juvénile à trois. «African Lady» vaut pour une jolie pièce d’exotica enchanteresse. C’est là où Jojo excelle, en marinière, dans le son des îles. Il flirte avec la calypso. L’album est extrêmement dense. Jojo semble avoir trouvé sa vitesse de croisière en pédalo. Il ouvre son bal de B avec un «I Love Hot Nights» assez groovy, bourré de guitarras. Il amène son «Circles» comme un hit de juke. Musicalité et fraîcheur à tous les étages en montant chez Jojo. Il règne sur cet album une sorte de son idéal, tout y est extrêmement bien contrebalancé et swingué des rotules.

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             L’année suivante, Jojo laisse tomber les Modern Lovers, devient Jonathan Richman tout court et enregistre Jonathan Richman tout court. Belle pochette. Sa strato bleue lui illumine le visage et d’ailleurs il lui dédie un cut : «Fender Stratocaster», qui sonne comme un hommage à Buddy Holly. L’autre merveille de l’album est un hommage à Charles Trenet. Jojo reprend «Que Reste-t-il De Nos Amours» et fait rouler ses r - Le soir le vent qui frrrrape à ma porrrte/ Me parrrrle des amourrrs morrrtes - Fabuleux Jojo, il peut taper dans les plus belles chansons de la France profonde - Que rrrreste-t-il de ces choses-là, dites-le moi - Sinon il fait son cirque habituel, du flamenco à la mormoille («Malaguena De Jojo»), de la petite pop exacerbée («Action Packed»), de l’instro sucré («Blue Moon»). Il gratte sa gratte à l’excès dans «A Mistake Today For Me». On a l’impression d’avoir déjà entendu tout ça. Il faudrait que quelqu’un de proche lui explique sans le choquer. Car on pourrait finir par ne l’écouter que par gentillesse. Comme Tim Buckey d’ailleurs. Mais ils ont en commun un certain mépris des convenances, ce qui, d’une certaine façon, les sauve.    

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             Comme l’indique le titre, Jojo pique sa crise de country avec Jonathan Goes Country. Mais on s’y ennuie un peu. C’est le problème avec Jojo, au bout d’un moment, on n’a plus envie de jouer. Il faut attendre «I Must Be King» pour sentir une épaule bouger. Il transforme sa country en good time music et là du coup l’album reprend des couleurs. Il raconte ensuite une belle traversée des USA dans «You’re Crazy For Taking The Bus», il s’amuse avec les histoires de tickets, Salt Lake City eveybody out ! Jody Ross duette avec Jojo sur «The Neighbors» et c’est excellent. Puis on le voit naviguer aux confins du kitsch dans «Man Walks Among Us». Il roule n’importe quel cut dans sa farine et ça peut devenir extrêmement beau. Et plus on avance dans l’album et plus on s’effare, comme devant cet «I Can’t Stay Mad At You», une vraie démonstration de force grattée au move de rumba, une espèce d’instro de rêve. Voilà le secret de Jojo : il fait son truc, et ça finit pas fasciner, qu’on soit d’accord ou pas.      

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             Ce qui caractérise les pochettes Rounder, c’est l’absence totale d’informations. Une façon de nous dire : débrouillez-vous avec les chansons. Alors on se débrouille avec les chansons d’Having A Party With Jonathan Richman. L’album propose le cocktail habituel de vieux rumble et d’intimisme patenté. Jojo gratte en solitaire, il n’a besoin de personne sur son pédalo. Il fait son cabaretier de la belle aventura dans «My Career As A Home Wrecker». Il saute sur tous ses cuts comme un fou. En fait Jojo est un peu timbré, c’est pour ça que les gens l’aiment bien. Ils achètent même ses disques. Il revient à sa chère rumba de juke avec «When She Kisses Me» et la tartine de confiture à la groseille. Il refait son Buddy Holly avec «At Night» et montre qu’il peut pédaler tout seul à travers l’océan. On ne sait pas qui joue de la batterie. Cet album nous propose du petit Jojo sans histoires. Pas de révolution. Il ramène un brin de Modern Lovers dans «Monologue About Bermuda», well she cracked, et fait un joli numéro d’exotica avec «Our Swingin’ Pad». C’est l’album d’un modeste artisan bostonien. 

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             La pochette d’I Jonathan s’orne d’un beau portrait de notre Jojo préféré. Belle lumière. On sent le mec serein. Ce que confirme «Parties In The USA». Cette façon de faire one two three four n’appartient qu’à lui. Et pouf, il part en mode laid-back avec du Louie Louie à la ramasse, il danse le sloopy sloopy hang on. Plus loin, il rend hommage à un vieux mythe avec «Velvet Underground», mais de façon très light. Belle tranche, néanmoins, sideways, c’est Sister Ray, awite. Vas-y Jojo ! Il revient à son petit rock gratouillé par derrière avec «I Was Dancing In The Lesbian Bar». Il ne change rien à sa vieille recette. Nonchalance à tous les étages en montant chez Jojo. L’album propose toujours la même formule : balladif + exotica + nonchalance + big voice. Si on aime bien la petite pop, alors forcément, on se régale avec cet album. Mais «Twilight In Boston» peut finir par insupporter. Il faudrait que quelqu’un dise à Jojo de mettre un peu de niaque dans ses chansons.      

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                 Rounder continue d’épouser la cause de Jojo en sortant Jonathan Te Va A Emocionar. Avec sa fleur à la boutonnière, il nous fait le coup de la belle romantica dans «Pantomima De El Amor Brujo». Si tu n’es pas espagnol, t’es mal barré. Les fans des Modern Lovers peuvent commencer à se ronger l’os du genou en attendant des jours meilleurs. Jojo fait son Jojo, sa petite rumba habituelle. Si on vient pour du «Roadrunner», c’est cuit. Bon, comme tous les artistes, Jojo a dû évoluer, mais c’est une évolution qui trompe énormément. Il devient atrocement exotique et chante même un truc en duo avec une Spanish girl. Il sonne parfois comme un stentor argentin et toutes ces conneries finissent par gâcher le plaisir. Et puis soudain, sans qu’on sache pourquoi, voilà que surgit le cut qui rocke, «Reno». Jojo fait son Spanish Modern Lover et c’est violemment bon. Il va finir l’album avec ses vieilles lunes. Il flirte avec le tango, mais il n’est pas aussi bon que Tav Falco à ce petit jeu. Jojo est trop baveux, trop séducteur. Du coup, il brouille un peu les pistes.

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             L’ère Rounder s’achève donc en 1995 avec You Must Ask The Heart. Pas de surprise, cirque habituel. L’histoire d’un mec qui vit au bord du fleuve. Il fait le choix de la paix de l’esprit et du petit tatapoum avec «Vampire Girl». Cet album va intéresser tous les amateurs de weird gratté sans avenir. Jojo fait un peu de pompe manouche dans «That’s How I Feel». Il aura tout essayé. Globalement l’album se tient, disons que Jojo sonne comme un collégien boutonneux qui a une bonne voix, mais il n’y a pas là de quoi se prosterner jusqu’à terre. Il envoie une belle giclée de country rock avec «The Rose». La voix fait tout. Comme le montre encore «You Must Ask The Heart», plus orchestré, plus océanique. Il revient à sa belle exotica avec «Amorcito Corazon». Jojo est le champion du kitsch à deux balles, vas-y Jojo, on est tous avec toi ! Parfois, on sent monter des éclairs de génie, comme dans «City Vs Country» : il vise le big country sky mais il ne transmet aucune émotion. Il revient au petit comedy act inexorable et devient une sorte de spécialiste du suicide commercial. Rounder finit par le lâcher. 

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             Début donc de l’ère Vapor l’année suivante avec Surrender To Jonathan, un album nettement plus solide. C’est le troisième album que produit Andy Paley pour Jojo. Pochette délicieuse : Jojo s’y déguise en Pirate des Caraïbes. Inespéré ! Sur cet album tout est très simple. Jojo drive sa pop bon enfant à la régalade. Pas de son dans «Surrender», il n’y a que sa voix. Il refait le cirque d’«I Was Dancing In The Lesbian Bar» et nous ressert la vieille tarte à la crème d’«Egyptian Reggae». Et puis voilà le Jojo tant espéré avec la belle pop de «When She Kisses Me» qu’il allume à coups de yeah yeah et qui émerveille comme au premier jour. Il amène encore de la pop énorme avec «Satisfy». Jojo fait son petit mic-mac, comme tout le monde. Il faut bien vivre. Et comme il dispose d’une vraie voix, ça crée des liens. Il termine cet album très Jojo avec «Floatin’». Il finit par imposer sa présence, comme savent si bien le faire les ténors du barreau américain.

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             Et puis voilà qu’il entame un cycle d’albums pour le moins extraordinaires, à commencer par I’m So Confused. Il tape son «Nineteen In Naples» d’une voix de shouter. Retour inespéré du big beat, voilà le rockab de Jojo, avec Tommy Larkins au beurre. Jojo laisse glisser sa voix dans le gras du beat, ahhh et il appelle la guitare : Guitah ! C’est lui la guitah ! Du coup, le vaisseau Jojo reprend la mer. Il transforme le petit excerpt d’«I’m So Confused» en énormité. Il ne vise pas les sommets mais les sommets le visent. Il tient tout à la voix et cet album nous réjouit. Il crée les conditions de la confusion. Et c’est parce qu’il crée les conditions de la confusion qu’on se sent redevable envers lui. Il a du pot d’avoir Tommy Larkins derrière. Il nous conte encore fleurette avec «Love Me Like I Love». Sa petite pop déjantée n’en finit plus de recommander son âme à Dieu. Jojo crée des liants extraordinaires. Il revient à sa chère rumba avec «The Lonly Little Thrift Store» que frappe l’excellent Tommy Larkins. Jojo nous gratte ça au mieux des possibilités de la rumba. Puis il amène «I Can Hear Her Flying With Herself» au heavy funk-rock de la planète black. Fantastique ambiance ! Belle plongée dans un univers qui n’appartient qu’à Jojo l’homme grenouille. On reste dans l’allégresse avec «The Night Is Still Young». Il y va de bon cœur à sa manière qui est la bonne, il fait maintenant du Modern Jojo, l’artiste idéal pour le twisted jukebox. Il termine cet album de la résurrection avec «I Can’t Find My Best Friend» qu’il chante avec une candeur qui l’honore. Ce mec est paumé dans la pop, il est tellement paumé qu’il chante de toute sa voix et ça nous fend le cœur. Il est trop sincère, cette fois. Il jerke sa pop à sa façon, loin de feux de la rampe, il s’en fout et du coup, il redevient ardemment culte. Cet album est beau comme du Jojo.

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             Suite du cycle des grands albums avec Her Mystery Not Of High Heels And Eye Shadow. Pochette extrêmement insolite, presque voodoo. Jojo démarre avec le slow groove du morceau titre, il gratte ça à l’humeur vagabonde. Comme c’est beau ! She rocks, she screams, il lui rend hommage et les hommages de Jojo valent tout l’or du monde. Il rend ensuite hommage au printemps new-yorkais, il chante ça comme un va-nu-pieds verlainien sans aucun avenir. Il joue avec des coquillages. Jojo s’amuse bien, il ne veut rien prendre au sérieux, c’est absolument hors de question ! Il tape dans tous les registres de la romantica et balance soudain une espèce de cut magique, «Maybe A Walk Home From Natick High School», puis il passe au dadaïsme avec «Give Paris One More Chance». Il y va comme Tzara, à dada. Dada est mort, vive Dada ! Serait-il le dernier Dada boy in town ? Va-t-en savoir ! Avec «Yo Tango Una Novia», il passe au heavy sludge et invente le Jojo stomp. À peine croyable ! Voilà une horreur de stomp d’exotica, le Jojo power ! Il joue encore la carte de l’exotica avec «Con El Meregue», mais il la joue au maximum des possibilités de l’exotica et quand on a dit ça, on n’a rien dit. Quel album ! Il flirte avec le punk d’exotica. Il boucle avec un nouveau coup de génie qui s’appelle «Vampiresa Mujer». Jojo y va de bon cœur. Il redevient le Modern Lover des Batignolles et nous envoie tous au tapis.   

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             Si on croit qu’il va se calmer ou refaire des mauvais albums comme au temps de Rounder, c’est raté. Not So Much To Be Loved As To Love vaut largement le détour, ne serait-ce que pour ce bel hommage à Salvador Dali qu’il joue au big beat des Modern Lovers, comme d’ailleurs le «My Baby Love Love Loves Me» qui nous replonge dans l’art ancien du Roadrunner, et cette façon unique de lancer son one two three. Il ressort aussi son vieux Vincent Van Gogh et évoque the loud colours, c’est vrai il a raison. Jojo raconte ses souvenirs du musée d’Amsterdam. On entend Tommy Larkins casser la baraque dans «He Gave Us The Wine To Taste». Et on retrouve une belle pulsion d’exotica dans «Cosi Veloce». C’est même une merveille d’exotica festive. On dira la même chose d’«In Che Modo Viviamo» : fantastique énergie ! Il chante «Les Étoiles» en français, il est marrant. Sans doute est-ce le plus beau cut de l’album - Autrement elles seraient fatiguées avec le ciel et tout cela - Chaque fois, il va chercher l’âme du chant. Il amène «Abu Jamal» à l’orgue de barbarie et boucle cette affaire avec «On A Du Soleil», Il groove en profondeur notre Jojo, poulquoi s’énerver, c’est excellent, mais ici dans l’après-midi je souis content parce qu’on a dou soleil.

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             Pochette mystérieuse pour ce Because Her Beauty Is Raw And Wild qu’il enregistre en 2008 avec Tommy Larkins. Il revient à sa passion pour la chanson française avec «Le Printemps des Amoureux Est Venu» - Les amoureux/ Qui n’ont pas besouin/ De dormir/ La nouit - Il est tellement rigolo. Back to the Moden Lovers avec «Old World», I said bye bye old world. On le voit aussi danser autour de son mythe en chaloupant des hanches dans «Because Her Beauty Is Raw & Wild». Ce vieux Jojo est un éternel amoureux. Il gratte toujours sa gratte, comme le montre «Our Drab Ways», mais la qualité du laid-back est exceptionnelle. Il refait sa samba avec «When We Refuse To Suffer». Jojo fait son bal à Jo. Il est encore pire que Tav Flaco dans «The Romance Will Be Different For Me». Il va chercher la pureté d’une très belle exotica. On tombe vers la fin sur une nouvelle mouture de «When We Refuse To Suffer», une sorte de rock de samba et là ça explose. Big Jojo stuff monté sur un drive de basse génial. Jojo vire sa cutie et nous shake un groove demented secoué de pointes inespérées. Puis Jojo fait une reprise d’«Here It Is» en hommage à Leonard Cohen. Il claque ça au solo ottoman.

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             Nouveau chef-d’œuvre exotique avec A Qué Venimos Sino A Caer et son gros tas d’espagnolades de romantica. Dès l’imprononçable morceau titre, on est conquis. Jojo fait le joyeux, alors on se lève et on danse. No problemo, Jojo. C’est un joyeux drille en vérité, il chante in tongues comme les possédées de Loudun et ça tourne assez vite à l’ultra-merveille d’extra super-nova avec des congas et de la timbale, ça coule tout seul au la la la, ce mec a réellement de génie. En fait, cet album est une compile et il nous ressert des cuts d’Her Mystery Not Of High Heels And Eye Shadow, comme l’excellent «Vampiresa Mujer», ce vieux mambo du dios Jojo. Il fait de l’exotica un art majeur, comme dirait Gainsbarre. Il nous ressert aussi «Le Printemps Des Amoureux Est Venu», tiré de l’album à la porte. C’est comme dirait Charles Trenet un poète extraordinaire, on se croirait au XIXe et ça vire même Brazil, t’as qu’à voir. «Cosi Veloce» sort de l’album au chien et même si on le connaît bien, on danse sur ce vieux shoot de Jojo mambo. Cet enfoiré nous fait danser à tous les coups. Et une fois encore, ça dégénère en Brazil. «Es Como El Plan» sort aussi de l’album à la porte et il chante ça en Spanish comme s’il était le Fagin de la cour des miracles. Il chante tout ce qu’il peut et gratte sa gratte, pendant que Tommy Larkins bat le beurre. «El Joven Se Estremece» sort aussi d’Her Mystery. Cet album compilatoire est stupéfiant de richman-mania. Il crée son monde de liberté totale, il chante tout au corps à corps et gratte à la folie. C’est un vrai délire. Il nous ressert aussi ce stomp fatal qu’est «Yo Tengo Una Novia» et qu’il gratte au banjo. Ça vaut toutes les énormités du monde. Tout sur cet album tape dans le mille. Jojo nous fait même le coup de la belle coulée de French groove avec «Silence Alors Silence». Il adore les langues -  Silence le signal de la mort - Il est très catégorique. Il termine avec l’extraordinaire numéro de charme qu’est «Ha Muerto La Rosa». Comme il maîtrise bien le Spanish, alors ça coule de source. Il chope même les accords de flamenco. Sacré Jojo, sans lui que deviendrions-nous ?

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             Dernier coup de Vapor avec O Moon Queen Of The Earth. Il y fait du Velvet pour rigoler avec «My Altered Accent» - Forty years later/ I apologize for my altered accent - Il revient au French  groove avec «Sa Voix M’Attise» - Elle joue avec les couleurs/ Elle joue avec le temps - C’est dingue comme ce mec est doué pour la polyglotterie. On se régalera surtout de «Winter Afternoon By BU In Boston», car c’est joué à l’African beat. Du coup ça repart dans la cinquième dimension. Jojo dodeline sur le beat de Tommy Larkins et ça vire assez tribal. Il chante son morceau titre à l’article de la vie. Tout est tellement laid-back sur cet album qu’on pense à celui qu’enregistra Roky au Holiday Inn. Ils font tout à deux, ici. Jojo chante au cœur de ses chansons, avec une autorité indéniable.

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             Avec Ishkode! Ishkode!, il entame en 2016 un nouveau cycle : le cycle de la flèche bleue. Plus il vieillit et plus il impressionne. Il chante de plus en plus comme Brel, à la petite désespérance. Dans «Woa How Different We All Are», des filles chantent derrière lui. C’est une fois encore très laid-back, il cherche la dérive non-évolutive, il s’en fout, il chante comme un Romanichel, c’est très pur, très weird, sans aucun espoir. Il reste dans le groove de laid-back pour le morceau titre, elle s’appelle Lisa Marie, enfin on ne sait pas. Ça joue quelque part dans le Jojoland et ça reste powerful. Tommy Larkins fait toujours partie de l’aventura. Petit retour aux Modern Lovers avec «Without The Heart For Chaperone» et on revient aux choses sérieuses avec l’exotica d’«A Nnammaruta Mia». On entend de l’accordéon et Jojo fait son gros numéro de charme. C’est d’ailleurs le ressac d’accordéon qui fait la grandeur du Mia et aussitôt après, Jojo secoue les colonnes du temple avec «Let Me Do This Right». Il faut bien dire que la qualité du laid-back sur les autres cuts est extrême, les filles renvoient bien la balle. Jojo cultive l’apanage du lo-fi avec «Outside O Duffy’s», il ramone son vieux rumble de Modern Lover et les filles font ah-ah ? Et voilà que cet enfoiré s’en va taper dans Kosma et là on ne rigole plus : sur «Longtemps», un accordéon l’accompagne. Il termine cet album qu’il faut bien qualifier de faraminé avec «Mother I Give You My Soul Call», une espèce de psychedelia asiatique. C’est le Jojo thing qui peut aller loin et qui finit toujours par fasciner. On goûte aux plaisirs de la connaissance par les gouffres de la profondeur artistique.

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             Sur SA! paru en 2018, il fait un gros clin d’œil aux fans des Modern Lovers avec «A Penchant For The Stagnant». Il chante toujours comme une star. Mais cet album réserve d’autres grosses surprises, comme par exemple cet «And Do No Other Thing» qu’il chante au sommet du lard fumant. C’est ce qu’on appelle une posture de voix. «And Do No Other Thing» devient une merveille qui dicte sa loi. Chanson après chanson, il nous enfarine. L’autre merveille inexorable s’appelle «O Mind Just Dance». Ça sent bon l’artiste culte, il hante sa chanson dès l’abord, il solarise sa glotte, ça va très loin. Il revient au let’s go home de big heavy déglingue, il explore les régions inconnues du now we can just dance, il développe un tantric beat et nous entraîne dans une aventure psychédélique stupéfiante. Il claque «My Love Is From Somewhere Else» à la claquemure de la revoyure, Jojo does it right. Puis il nous embarque avec «The Fading Of An Old World» dans un raga de bringueballe, mais avec une voix de punk - I don’t want go back to the rigid old world - C’est même du raga de vieille cabane. On a là un album complètement barré, il faut le savoir. On le voit aussi chanter «This Lovers’ Lane Is Very Narrow» comme ces Marocains qu’on voit se produire dans les restos de Marrakech. Jojo n’en finira donc pas de nous épater.

    Signé : Cazengler, Jonathan Poorman

    The Modern Lovers. The Modern Lovers. Home Of The Hits 1976

    The Modern Lovers. The Original Modern Lovers. Mohawk Records 1981

    Jonathan Richman & The Modern Lovers. Beserkley 1976

    Modern Lovers. Live. Berserkley 1977

    Jonathan Richman & The Modern Lovers. Rock’n’Roll With The Modern Lovers. Beserkley 1977

    Jonathan Richman & The Modern Lovers. Back In Your Life. Beserkley 1979

    Jonathan Richman & The Modern Lovers. Jonathan Sings. Sire 1983

    Jonathan Richman & The Modern Lovers. Rockin’ And Romance. Twin/Tone 1985

    Jonathan Richman & The Modern Lovers. It’s Time For. Upside Records 1986

    Jonathan Richman & The Modern Lovers. Modern Lovers 88. Rounder Records 1987

    Jonathan Richman. Jonathan Richman. Rounder Records 1989    

    Jonathan Richman. Jonathan Goes Country. Rounder Records 1990    

    Jonathan Richman. Having A Party With Jonathan Richman. Rounder Records 1991

    Jonathan Richman. I Jonathan. Rounder Records 1992           

    Jonathan Richman. Jonathan Te Va A Emocionar. Rounder Records 1994  

    Jonathan Richman. You Must Ask The Heart. Rounder Records 1995

    Jonathan Richman. Surrender To Jonathan. Vapor Records 1996

    Jonathan Richman. I’m So Confused. Vapor Records 1998   

    Jonathan Richman. Her Mystery Not Of High Heels And Eye Shadow. Vapor Records 2001 

    Jonathan Richman. Not So Much To Be Loved As To Love. Vapor Records 2004

    Jonathan Richman. Because Her Beauty Is Raw And Wild. Vapor Records 2008

    Jonathan Richman. A Qué Venimos Sino A Caer. Vapor Records 2008

    Jonathan Richman. O Moon Queen Of The Earth. Vapor Records 2010

    Jonathan Richman. Ishkode! Ishkode!. Blue Arrow Records 2016

    Jonathan Richman. SA! Blue Arrow Records 2018

     

     

    Don’t give a Cheater, Slick !

     

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             Quand on demande aux frères Shannon quelles sont leurs influences, la réponse ne surprend pas : Stooges, Velvet, Cramps, ce que tout le monde écoute. Tom Shannon vénère tout ce qui est fucked up et il cite encore des exemples : Alex Chilton, Roky Erickson. Et il ajoute ceci : «In terms of what we do, we just want it to be completely over the top and insane, and we’re groove-oriented. We like to do things, play things, extend them a little bit.» Les frères Shannon et Dana Hatch on fait du déséquilibre caractériel un fonds de commerce. C’est la raison pour laquelle on les adore.

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             L’aventure commence à Boston avec trois albums : On Your Knees, Destination Lonely et Whiskey. Le premier album est un classique du genre avec des cuts comme «I Won’t Last Another Day» (pure stoogerie à l’«I’m Loose», vélocité à tous les étages, David joue exactement comme Ron Asheton, ils avancent dans une ville en flammes, Motor City’s burning baby), «The Hunch» (ultra-slab de trash blasté aux quatre vents), «On Your Knees» (meilleur trash disponible sur le marché, indéfectible modèle de purée, superbement allumé par un thème de guitare lumineux, on les sent fiers de leur slick), «Chaos» (encore un joli slab de trash déterminé et même déterminant, chanté au cro-magnon et battu au Dana beat) et dans «I’ve Been Had», Dave Shannon joue en solo sur toute la distance. Ces mecs montrent qu’ils savent ramoner une cheminée. Autre merveille : «Weirdo On A Train», joué au tordu de son absolument maximaliste, hanté à l’unisson du saucisson sec de Slick, ils sont les rois du trash américain. Oh il faut aussi écouter «Golddigger», atrocement mal chanté, ce qui fait partie de leur charme, c’est très poussé dans les orties, ils adorent s’enfoncer dans leur mayhem. Et puis voilà «Why», monté sur les accords de «Gloria» avec un big aw baby d’intro. Pour un début, c’est un grand album. Le hit s’appelle «Run Away From You», un cut assez long travaillé au big atmospherix sur une belle structure mélodique du grand David Shannon. Ils se révèlent excellents sur les cuts longs et ambianciers. 

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             Le deuxième album des Slicks, Destination Lonely, compte parmi les grands classiques du trash-rock, notamment pour «Murder», pur jus ce Slick Sound System chanté à l’atrocité, joué au filet de trash, hurlé à la hurlette, c’est-à-dire à la vie à la mort. Plus vrai que nature. Leur «Can’t Explain» n’est pas celui des Who, heureusement, ils font leur soupe, hurlent dans les coins, David fait des miracles sur sa guitare. Les Slicks sont vraiment les Byrds du trash. Ils jouent «Look Out World» aux accords de «Gloria». Ils sont marrants, ils s’amusent avec les vieux mythes. Tom fait son Van et il l’explose. Il a ce pouvoir d’exploser le Van en plein vol. Il claque tout son beat dans le cul du cut, à coups de Look out de Van, alors Van va jouir. Le hurlement qu’on entend n’est pas innocent. L’autre grosse bombe de l’album s’appelle «In And Out», le cut d’ouverture de bal d’A. Un petit conseil : écoute ces dingues au casque si tu veux récupérer tout le jus. Ils vont droit au but, c’est joué sec, à l’admirabilité des choses, avec un sens aigu de la dépouille. David part en solo comme d’autres partent à l’aventure. Ils sont excellents. Le «Hear What I Say» qui suit se veut plus lancinant, pas très bienveillant. Et comme le Capitaine Flint, les Slick adorent le rhum. La preuve ? «Rum Drunk». Ils grattent dans les bas-fonds avec tout le bravado du Boston bash boom. Ils chantent «And I Cried» à la pire mélancolie agricole et ils tartinent leur «If Heaven Is Your Home» all over the bread, Brad. Quant au morceau titre, c’est encore une autre histoire. Ils claquent ça aux clameurs sourdes. C’est invraisemblable, ils s’y livrent à un festival de désaille expiatoire. Dans leur genre, ils sont les champions du monde.

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             Whiskey sort sur In The Red en 1993. Dès «Possession», Dana donne bien. C’est chanté à la hurlette de Hurlevent et pour l’époque, c’est admirable. Il la veut, il est possédé, arrhhhhhhh ! Dès qu’ils se fâchent, ils battent tous les records, comme on le voit avec «Leave My Home». Ce garage punk osseux ne peut que plaire au petit peuple. Idéal pour danser le mashed potatoes en attendant la mort. De l’autre côté, «Thinkin’ Some More» occupe toute la face. C’est une longue aventure, un genre de Tintin au pays des serviettes, très Velvet dans l’esprit, on a là une belle dérive chargée de white heat. Ils s’en donnent à cœur joie. Ils ne se connaissent pas de limites, ni de dieux, ni de maîtres, ils font absolument ce qu’ils ont envie de faire et on ne peut que les encourager. Rien ne les fera entrer dans des fucking cages à la mormoille. Vive la liberté !

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             Joli coup de Trafalgar que ce Don’t Like You paru en 1995. Titre parfait. Sur la pochette, les Slicks affichent des mines bien renfrognées, histoire d’enfoncer le clou du titre. C’est enregistré au Funhouse de Jerry Teel et produit par Jon Spencer qui se trouve alors au pinacle de sa famous fame underground. Et pour couronner le tout, ça sort sur In The Red qui est encore à cette époque LE grand label de référence, avec Crypt et SFTRI. On est donc avec cet album dans les conditions optimales du garage punk dont on se goinfrait tous à cette époque, il y a de cela vingt ans. Ils nous plongent dans leur friture dès «Feel Free». C’est emblématique d’emblée et chanté avec toute la petite hargne slicky. Ils savent créer un monde borgne et mal venu, et David Shannon en profite pour passer un solo killer flash de flush avec une surcouche de fuzz absolument dégueulasse. Ces mecs ont le génie du son qui tâche. L’autre grosse tarte à la crème se trouve en B et s’appelle «Spanish Rose». Ils jouent comme des diables à ressorts sur un fantastique beat rebondi. Quelle rythmique de rêve et quelle purulence dans la purée du solo ! Ils jouent ça à l’écharpée gangrenée, la pire qui soit. Tiens, encore un blast d’antho à Toto avec «Poor Me». C’est joué au pire gaga punk de l’univers connu, avec des renvois de tilik-tilik qui rappellent ceux de Magazine dans Shot. Avec ça, ils sont les rois du scumbag et le Shannon repasse un killer solo flash en surcouche de scam de scum. On note leur goût pour le chaos bien tempéré et une volonté rockab dans l’épais «Motherlode». C’est joué au fast beat, how crazy ! «Destroy You» fait aussi partie de leurs classiques. Ils graissent leur gras-double à outrance, aw, put you down ! Il reste à écouter «Sadie Mae», oui, car c’est encore une fois saturé de distorse libératrice. Ils jouent ça à l’apanage du panache de la nage, c’est âprement noyé de son altéré et privé de fonctions vitales, on a là un blast cosmique joué à la dégoulinade d’étalonnage dénaturé.  

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             Les Slicks quittent Boston pour s’installer à Columbus, dans l’Ohio. Ils cherchaient un coin moins cher. Le double album Forgive Thee sort du bois en 1997 et il pullule de coups de génie et de stoogeries, tout est claqué à la bonne claquouille et embarqué dans une pure frénésie de bringueballe. Ils tapent «My Friends» au foutraque de Columbus, sans foi ni loi, sans regard pour les classes sociales inférieures, pas de sentiment, juste du stripped-down low-trash-punk mal chantouillé. Avec «I’m Coming Home», ils tapent dans la Stonesy avec un battage de petite vertu. Chez eux, le baroque reste négligé et ça joue à la va-comme-je-te-pousse de gueule de bois. Et voilà le premier coup de génie : «Used Illusion» - Walking in the rain - Ils nous claquent ça aux accords processionnaires poilus et aménagent de violentes montées en température. C’est Mick Collins qui souffle dans un trombone. On croit entendre un éléphant ! Il souffle dans l’œil du typhon et provoque un déploiement sur-dimensionné d’extase parabolique. En tous les cas, on s’en effare. Tous les cuts sans exception sont hantés par le son, ravagés par des marées noirâtres et de sordides dérives comportementales, harcelés par des incursions impavides. Les Slicks jouent avec l’intention permanente de nuire à la morale. Avec «I Can Go On», ils se montrent capables de belles envolées mélodiques, mais ils veillent à soigner la désaille. Alors forcément, ça finit par sonner comme un coup de génie. Il n’existe pas de cocktail plus capiteux que celui-ci. Avec «Arm Yourself», ils amènent un struggle de bad bad sound, c’est tordu à l’extrême et chanté à la taverne des pirates. On a là le meilleur gaga-punk de tous les temps. C’est presque du Beefheart de «Woe-Is-Uh-Me-Bop», en tous les cas, on a  la même insistance cabalistique. Si on aime bien la violence intrinsèque, alors il faut écouter «This Ain’t For You», car c’est joué au claqué d’accords vénéneux et le chant va si mal qu’il frise la stoogerie inversée. La force des Slicks est qu’ils se montrent présents dans tous les cuts. Spectaculaire de slickness, voilà «Dignity And Grace». Ils jouent ça à la vie à la mort. Mick Collins fait des backing derrière dans un vrai vent de folie. Tout bascule dans la démesure. Avec «Ghost», ils vont loin, bien au-delà de la crédibilité. Ils sur-jouent leur groove ad nauseum et ça devient monstrueux, surtout quand David Shannon part en killer solo trash. Pas de répit sur le disk 2. Tu n’auras jamais rien de plus sec et net que «Retribution». Les Slicks réinventent le rock sauvage, celui qui palpite à l’ombre des jeunes filles en fleur, c’est claqué à l’outrance de la fucking démence, ils visent la démesure de l’outrepassement de tout ce qui est admis dans notre pauvre monde, ils montent à deux au créneau et s’en vont exploser dans le néant. Il n’existe rien de plus trash ici bas que «Southern Breeze». C’est atrocement mal chanté. On a là du pur Slicky strut de trash prémédité et hurlé à la dégueulade. C’est comme si Allen Toussaint venait de tomber dans une bassine de friture de crayfish. C’est atroce ! Ils continuent dans le même esprit avec «It’s OK What You Weight». Ils dégueulent dans les mains des croyants prosternés à leurs pieds. Une nouvelle religion émerge en Palestine, fabuleux shoot de weird shit all over Beethleem ! Ça chante à l’agonie et ça coule dans les pantalons, en tous les cas ça pue le trash à des kilomètres à la ronde. Ils font une belle cover du «Child Of The Moon» des Stones, mais ils la tapent à la Slicky motion. Ils créent un monde qui dépasse largement celui des Stones. Ce cut si insipide à l’origine sonne comme un hit dans les pattes des Slicks. David Shannon part en solo de vrille, ce que les Stones n’ont jamais su faire, sauf dans Sympathy. Mais le solo de Shannon sonne comme la perceuse d’un dentiste nazi qui entre dans une mâchoire juive. Pure horreur ! Ça burn in hell avec «Everybody Know One». Il semble parfois que les Slicks aient inventé l’enfer. Ces gens explosent toutes les idées préconçues et réinventent même la notion de violence sonique. On se demande comment ils parviennent à tenir sept minutes à ce train d’enfer. Ils nous projettent dans le royaume des cieux de l’apocalypse. Ils vont au-delà de tout. Ils tapent une autre reprise, le «Lonely Planet Boy» des Dolls et on retrouve la Slicky motion avec un «Didn’t You» bardé de montées en température. On ne se méfie pas, ils grattent doucement en ouverture et au refrain, ils montent pour atteindre le génie garage, et là on a de nouveau le vrai truc, claqué aux gémonies des pires accords slicky et relancé par Dana le dingo. Ils terminent cet album faramineux avec «Night Life» qu’il faut ben qualifier de saloperie trashy. Il s’y montrent odieux. Ça chante faux dans une friture de désaille guitaristique.

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             Sorti sur Crypt, Skidmarks est une compile des deux premiers albums et des fameuses Alpo Sessions qui seront rééditées en 2012.

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             Refried Dreams réserve quelques bonnes surprises. Par exemple «One Life Story», solide groove gaga à consonance stoogienne. Tom Shannon patauge dans l’heavy liquid des Stooges de 69. Joli blast que ce «Munchen Gretchen». On se croirait dans le white trash du Velvet. Ils font aussi une cover de Lee Hazlewood, «I Think I’m Coming Down». Les Shannon Bros jouent leur va-tout avec ce heavy balladif balayé par les vents d’Ouest. L’album peine pourtant à décoller avec «In This Town» et un «Another Stab» désordonné et mal fichu, gratté à la désaille. Manque de caractère. Mauvaise peau. Sale rock. En B, le morceau titre fait mal aux oreilles, car c’est atrocement mal chanté. On dirait Indochine. Ils reviennent heureusement au grand beat de la désaille avec «George Washington». Ils font presque du funk. Ils tapent «Deep Beneath The Sand» au low-down de free ride et le relancent au lance-flammes shannonique. Ils terminent avec «Last Call», un prestigieux balladif de fin de non recevoir. Ce cut est si beau qu’il finit par te fasciner comme un serpent.

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             Il semble que Yer Last Record paru en 2002 soit leur dernier album studio. On y trouve un chef-d’œuvre trash intitulé «Green Light». Ils tombent là dans l’audace de la putasse, un truc qui dépasse même la notion de trash. C’est dégueulé. Idéal quand on aime voir les immeubles s’écrouler dans les flammes. Les Slicks sont capables de chanter à la vomissure extrême et Dave Shannon revient tout exploser à coups de notes pincées. Tout aussi énorme, voilà «Pants Down», claqué aux pires accords d’American gaga. Ils montent ça en épingle et secouent des squelettes de Stonesy. C’est extravagant de flash de flush. Il n’existe rien d’aussi radical que le son des Slicks. Attention à «Stop Breeding», c’est du pur jus de demolition trash, énorme car hurlé dans le storm. Les Slicks n’en finissent plus de créer leur monde. David Shannon passe un modèle de solo trash dans «Momentary Muse» et roule «It’s Not Your Birthday» dans sa farine. Cet album est un ramassis de raffut slické de slickos. Ils dédient «Miss Q» à Andre Williams. Ils tapent là dans le suburbain, c’est cisaillé au shannonique, violent, acéré et gras. Ça gueule dans les escarres. Ils sont les champions du monde d’un genre difficile : le cut mal né, celui qui est automatiquement privé d’avenir. Ils terminent avec cette admirable fin de non-recevoir qu’est «Goodbye». Pas de retour possible, ils sont dans l’exaction du why why. 

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             Si tu sors Bats In The Dead Trees du bac, remets-le immédiatement à sa place : cet album d’impro est une arnaque. Dommage, car les Slicks sont capables de merveilles.

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             Avec Guttural (Live Vol. 1 2010) s’ouvre une nouvelle ère slicky : celle des grands albums live parus sur Columbus Discount Records, un label sur lequel ont aussi échoué les Bassholes. On trouve sur ce live une très belle version de «Motherload» claquée à la colère rouge et battue au train fou. Ils sont capables de prodiges blastiques de la meilleure catégorie. C’est du Dana pur et dur. L’autre merveille se trouve en fin de B : «Leave My Haouse» redore le blason du trash, c’est joué à la scie. L’empire du trash règne sans partage sur ce live abandonné des dieux. D’autant qu’ils tapent dans le vieux «Feel Free», vrai déballage de morve sonique, et ça part en solo il faut voir comme, sans réfléchir. Tout est joliment noyé de son, ici, notamment ce «Destroy You». Ah on peut dire que les Slicks auront bien slické leur époque. «Destination Lonely» sonne comme un modèle de trash-punk dégondé du châssis. Ils jouent ça avec un mépris total de la bienséance. Tout est exceptionnellement balèze là-dessus, comme ce «Bruno’s Night Out» qui s’implante solidement en terre sonique. Les Slicks sont vraiment les rois du genre. Tout est joué dans le raunch, comme «My Position On Nothingness», dans l’esprit de non-retour et dans l’éclat du trash de dégoulinade. Les paquets de son s’écrasent dans l’écho du temps. Et voilà un «Ghost» terriblement présent, incroyablement fantasque, ils nous grattent ça au delà du Cap de Bonne Espérance, sans la moindre prétention.

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             Sur le même label, voilà l’infernal Reality Is A Grape. Il est bon d’insister sur la principale qualité des Cheater Slicks qui est la cohérence. Cet album en est la preuve vivante et ce dès le morceau titre, embarqué au drumbeat sévère par ce dingo de Dana. David Shannon joue en solo d’exacerbation totale tout au long du cut. Ils vont au bout de leur dévoiement et c’est admirable de non-respect. Avec «Love Ordeal», ils martèlent le beat sans se préoccuper du qu’en-dira-t-on. Ils jouent ce qu’ils ont toujours joué, le sonic trash expansif. On note l’extraordinaire énergie de leur cohérence. On les sent investis dans leur mission, même dans des balladifs comme «Hold On To Your Soul» et «Jesus Christ». Ça repart de plus belle en B avec un «Half Past High» martelé au big beat sans rémission. Ils chantent à plusieurs voix et restent solidement implantés sur leur terre d’élection. David Shannon n’en finit plus de passer des solos d’exception. «Whyenhow» se situe au même niveau d’excellence, tout se tient, tout se lie dans un sonic hell soigneusement entretenu et ce démon de David Shannon n’en finit plus de multiplier les incursions divinatoires. Il est constamment en roue libre. Les mighty Slicks restent dans la fragrance de la latence avec l’extraordinaire «Current Reflexion». Et ils bouclent ce fastueux festin avec «Apocalypse» - Where you gonne be/ For the apocalypse - C’est trashé à souhait et joué dans le move d’une mélodie crépusculaire. David Shannon n’en finit plus d’émerveiller. Ce disque pourrait bien figurer parmi les très grands disques du XXIe siècle.

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             Voici le petit frère de Grape : Live Vol. 2 2010. On y retrouve une violente reprise de «Used Delusions» tapée au bon beat. Dommage que Mick Collins ne soit pas de la partie. Live, les Slicks impressionnent encore plus car on entend David jouer en filigrane de gras. Mais globalement, ça reste un énorme gargarisme punkoïde. Ils tapent ensuite une belle version de «Possession» (qu’on trouve sur Whiskey). Pur jus de Slicky motion, Dana martèle bien le beat et David joue la pire note à note de désaille qu’on ait vu de ce côté-ci du no man’s land. Ils ramènent des chœurs de cathédrale et l’ami David d’amuse à partir en vrille de dingue. Tout cela relève de la clameur. Ils attaquent la B avec le fabuleux ramshakle de «Stop Breeding». Ils n’en peuvent plus. C’est chanté à la pire désespérance, ils vont loin, au-delà du permissible, c’est de l’ultimate à la tomate, de la patate de non-retour, les Slicks sont les champions du monde, mais tout le monde s’en bat l’œil. On tombe plus loin sur une version fatidique de «Murder» que David vrille dans le sens du poil et ça joue à la désaille extrême.

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             Our Food Is Chaos propose les fameuses Allen Paulino Sessions qui datent de 1989. Alpo était l’Alpo des Real Kids et là, il joue de la basse avec les Slicks. On trouve de sacrément bonnes choses dans cette session, à commencer par «Dark Night», une vraie stoogerie bien coulée sur la descente d’accords. Ils font aussi une version littéralement crampsy de «Please Give Me Something». Et on se régale de la bassline d’Alpo, toute secouée de divines congestions. Autre merveille : une reprise de «Rollercoaster», admirable de heavyness et le côté cro-magnon amène vraiment de l’énergie à cette version sinistrée.

             Of course, this one is for Lo’ Spider.

    Signé : Cazengler, Cythère Sick

    Cheater Slicks. On Your Knees. Gawdawful Records 1989

    Cheater Slicks. Destination Lonely. Dog Meat 1991

    Cheater Slicks. Whiskey. In The Red Recordings 1993

    Cheater Slicks. Don’t Like You. In The Red Recordings 1995

    Cheater Slicks. Forgive Thee. In The Red Recordings 1997

    Cheater Slicks. Skidmarks. Crypt Records 1998

    Cheater Slicks. Refried Dreams. In The Red Recordings 1999

    Cheater Slicks. Yer Last Record. Secret Keeper Records 2002

    Cheater Slicks. Bats In The Dead Ttrees. Lost Treasures Of The Underworld Records 2009

    Cheater Slicks. Guttural (Live Vol. 1 2010). Columbus Discount Records 2011

    Cheater Slicks. Our Food Is Chaos. The Allen Paulino Sessions. Almost Ready Records 2012

    Cheater Slicks. Reality Is A Grape. Columbus Discount Records 2012

    Cheater Slicks. Live Vol. 2 2010. Columbus Discount Records 2012

     

     

    L’avenir du rock

    - Have you seen the little Pixies crawling in the dirt ?

    (Part Two)

     

                Comme il aime bien les gros, l’avenir du rock mange des gâteaux à la crème. Une façon comme une autre de leur rendre hommage. C’est dingue ce qu’il peut les aimer, tous ces gros lards qui ventripotent depuis cinquante ans dans les canards de rock. Quand il a su que Leslie West bouffait cinquante dounuts à la crème au beurre par jour, il est allé chez le boulanger de la rue Saint-Jean acheter un gros sac de donuts pour écouter «Blood Of The Sun» dans les conditions idéales, c’est-à-dire avec de la crème qui coule sur le shetland et les doigts qui collent. Quand il a appris que Crocus Behemoth pétait sur scène en l’honneur de Père Ubu, alors l’avenir du rock a fait réchauffer une très grosse boîte de pois chiches en sauce pour s’entraîner à péter sur fond de «Final Solution» - The girls won’t touch me/ Cause I got a misdirection/ Prout prout - L’avenir du rock sait que si on ne fait les choses qu’à moitié, ça ne marche pas. Il faut les faire pour de vrai, pas pour de faux. Tiens, et puis Buddy Miles ! Pour ça il est obligé d’aller au MacDo, ce dont il a horreur, mais s’il veut écouter «Them Changes» dans de bonnes conditions, il doit engloutir six triple big macs d’affilée avec une grande bouteille de coca-cola, et interdiction de dégueuler, même si c’est à cause de ses vieux réflexes d’anti-américanisme primaire. Il préfère nettement s’exploser la panse sur les hits magiques de Fatsy en cuisinant de grandes casseroles de pieds de cochon en sauce piquante, comme le faisait Fatsy dans sa chambre d’hôtel lorsqu’il était en tournée. Étant donné que Fatsy invitait ses musiciens à béqueter ses pieds de cochon, l’avenir du rock invite ses voisins, qui, en plus, aiment bien entendre «Walking To New Orleans» et «Blueberry Hill», des hits qui leur rappellent leur lointaine jeunesse. Le plus grand fantasme de l’avenir du rock est à peine avouable. Bon tant pis, on y va : il n’a toujours rêvé que d’une seule chose : récupérer la baignoire remplie de haricots en sauce qu’on voit sur la pochette de The Who Sell Out, virer bien sûr cette gueule d’empeigne de Daltrey pour le remplacer par Mama Cass, une Mama Cass à poil, avec ses mamelles et ses bourrelets qui flic-floquent dans la bouillasse un peu sucrée, l’occasion rêvée de donner libre cours à toutes les fantaisies libidinales, d’autant plus sûrement qu’on savait Mama Cass experte en la matière. Pire encore, l’avenir du rock a récupéré la table de Beggars Banquet et il attend son invité, le héros des temps modernes, le rabelaisien Frank Black, et ils vont ensemble taper dans les cochonailles du Rouergue, les brunoises d’asperges vertes, les viandes blanches et rouges, les aiguillettes de canard en compotées, les pâtés en croûte, les miches et les tomes, les pattes de fruits et les mousses à la cannelle, tout cela bien sûr en hommage à Marco Ferreri et à sa Grande Bouffe

     

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             Tu ne verras pas beaucoup d’artistes du calibre de Frank Black dans ta vie. Oh tu as peut-être pu voir ces grands dévoreurs saturniens que sont Jaz Coleman, Ian Astbury ou Iggy Pop, ou encore ces immenses chanteurs que sont Lanegan, Greg Dulli, Chris Bailey, Jerry Lee ou Lee Fields, mais aucun d’eux n’a jamais atteint ou n’atteindra jamais la démesure d’un screamer comme Frank Black. Le scream apoplectique du gros est resté le même que celui de ses débuts, quand, à l’Olympia, il allait se positionner sous son micro pour hurler son De-baser comme un goret. La musique du gros, c’est d’abord ça, une certaine idée de la folie qu’on appelle aussi la démesure. Et il met cette démesure au service de chansons dont la modernité, trente ans après, coupe toujours le souffle. Tu ne sais pas pourquoi il te parle du chien andalousia dans «Debaser», mais il est là, bien là, le chien andalousia, et à la suite, tu as le scream le plus dévolu de l’histoire du rock. Tu l’as aussi dans «Wave Of Mutilation», et dans «Gouge Away», tous ces vieux hits qui ne prennent pas une ride.

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             Le problème avec les Pixies - tout au moins en France - c’est qu’on les a enfermés (avec les Mary Chain) dans un bocal qui porte l’étiquette «rock indé», et ça reste l’une des pires façons de voir le rock, alors qu’outre-Manche, les Pixies ont toujours fait partie - avec les Screaming Trees - des rares groupes de rock américains encensés par la presse rock anglaise. Les Anglais savent reconnaître ce qui est bon. Choisis ton camps camarade : tu avais le choix entre le NME, Sounds et le Melody Maker d’un côté, Rock&Folk et Best de l’autre, et le choix était vite fait. Le rock est une chose très sérieuse qui ne devrait pas tomber aux pattes des amateurs. En France, la presse rock catalogue, et les Pixies qui sont l’un des meilleurs groupes de l’histoire du rock se sont retrouvés catalogués «rock indé». Le plus drôle, c’est que tu ne vois pas les mêmes gens au concert de Jim Jones et au concert des Pixies. Alors qu’il s’agit exactement de la même chose : un pur concert de rock. Les Pixies ont une dimension artistique qui leur permet de transgresser les genres. Ça se sent quand tu te retrouves aux pieds du gros. Il chante pas loin de deux heures, comme il l’a toujours fait, et comme Chuck Berry, il fonctionne comme un juke-box à roulettes, parce qu’il n’a que des hits, et ce sont des hits sortis de sa cervelle infestée de rock’n’roll, et dis-toi qu’elle l’est depuis sa plus tendre enfance. Il fait rarement des reprises, mais quand il tape dans l’«Head On» des Mary Chain, il en fait du gros Black, et à une autre époque, sa cover nous fascinait tant qu’on s’est crus autorisés à la reprendre, parce qu’on avait le chanteur qui nous permettait ce luxe inouï. Mais l’autre soir, en voyant le gros l’attaquer et la monter en neige, on comprenait bien que nous ne pouvions pas aller aussi loin que lui, lorsqu’il bascule dans l’insanité - And I’m taking myself/ To the dirty part of town/ Where all my troubles/ Can’t/ Be/ Found - car c’est là que ça se joue, dans le tourbillon fatal du dirty part of town, dans la chute fracassante et la remontée vers la lumière qu’induit le motif de guitare imaginé par William Reid et transgressé par Joey Santiago. Là, tu comprends, tu n’es plus dans le «rock indé», tu es au cœur ardent du mythe. Le «Head On» des Pixies, c’est exactement la même chose que «Gimme Shelter», «You’re Gonna Miss Me», «Looking At You», «Bird Doggin’», «Purple Haze» ou «Great Balls Of Fire», une sorte de petite apothéose passagère et définitive à la fois.

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             Alors tu le vois arriver sur scène. Première chose, il a perdu du poids. Il est beaucoup moins rond qu’avant, même du visage. Il a maintenant une tête de fœtus, surtout avec cette manie qui a de fermer les yeux en permanence, comme s’il était aveugle. Le peu de fois où il ouvre les yeux, c’est pour regarder le public d’une manière un peu étrange. On est obligé de mettre ça sur le compte de la timidité. On apprend en outre très vite que les photos sont interdites, alors avec l’habitude, on se débrouille pour en faire quand même. Il porte un T-shirt noir à col en V et un jean noir délavé assez moulant, qui met en valeur l’étrange architecture boudinée de ses petites jambes. Du coup, le gros passe du stade de boule de suif à celui de créature dadaïste, ce qui lui va comme un gant. Et dans les pattes, la sempiternelle Tele, avec un son d’une incroyable agressivité. On croit toujours que les cuts des Pixies sont complexes, mais quand on le voit passer ses accords, on voit que les structures sont extrêmement simples, il passe ses accords avec une lenteur spéciale, et il les plaque de ses petits boudinés, parfois de trois doigts, parfois des quatre. Il exerce en tant qu’artiste une fascination de chaque seconde. Rien dans ce qu’il fait n’est ordinaire. Il jette rarement un coup d’œil à sa main gauche, tout ce qu’il joue et bien sûr tout ce qu’il chante est intériorisé à l’extrême. Ses filets mélodiques remontent en lui comme des sources, il est dans cette prodigieuse intelligence du rock qui fait la différence avec le troupeau bêlant d’Épicure. Il est aussi pur mélodiste que le fut John Lennon, c’est la raison pour laquelle les chansons de ces deux mecs-là entrent si facilement dans l’inconscient collectif. On se surprend parfois à fredonner «Caribou» ou «Velouria», parce que ces airs si purs sont installés dans l’inconscient, comme le sont depuis longtemps «Strawberry Fields Forever» et «Penny Lane». Et de voir le gros chanter «Caribou» sur scène est une sorte de don du ciel, car c’est une chanson ancienne dont il pourrait finir par se lasser, mais non, il module son cariboooo avec une passion ardente, le visage perlé de sueur. Le gros en action, c’est l’incarnation du vif argent, c’est l’intensité à deux pattes, un fantasme béni des dieux du rock, l’un des vrais génies du monde moderne, il est fantastiquement vivace et certainement aussi littéraire que son idole Bob Dylan. Bizarrement, le public n’a pas l’air de connaître les textes. Lors du concert des Stooges au Zénith de la Villette, tous les gens des premiers rangs reprenaient les paroles en chœur avec Iggy. Là c’est autre chose. Quand le gros pique sa rituelle crise de hardcore, ça pogote sur la barrière et il faut jouer des coudes pour essayer de rester concentré sur le concert. Pas simple.

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             Ils font une set-list à la volée. Le gros dispose d’une grande set-list plastifiée posée sur l’estrade de batterie et éclairée par une petite lampe basse tension, il choisit un titre et l’annonce dans un micro de service relié aux oreillettes des autres. Parfois, il n’annonce rien, mais les autres savent tout de suite entrer dans la danse. C’est l’apanage des grands groupes, c’est-à-dire ceux qui n’ont fait que des grands albums et qui ont un bon historique, c’est-à-dire zéro compromission.

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    Parfois, c’est Paz Lenchantin qui lance un cut sur le riff de basse, comme elle le fait avec «Gigantic». Elle est marrante, la petite Paz, en jupe plissée et en chemisier à jabot, elle fait un contrepoint idéal à la présence faramineuse du gros, elle semble prendre plaisir à jouer des drives de basse qui sont eux aussi d’une simplicité enfantine. Tu crois qu’«Here Comes Your Man» est un truc tarabiscoté, mais non, c’est joué sur quelques accords bien senti, le swing vient du chant et des fantaisies vocales du gros, avec bien sûr les chœurs délicieux. L’autre contrepoint, c’est bien sûr Joey Santiago qui passe son temps à grimacer, comme s’il se demandait où était passé le gros avec ses accords. Santiago est resté le même, avec son pif écrasé de boxeur, il ne joue que sur des Les Paul en or et cultive l’art des stridences excédentaires. C’est un fabuleux expérimentateur sonique, le contrepoint idéal pour un géant punitif comme le gros.

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             Ils ne jouent qu’un seul cut en rappel, pour remercier le public, le fameux «Bone Machine» qui remonte aux années quatre-vingt, toujours aussi tordu et irrépressible. Le gros est l’un des seuls qui sache faire passer en force un cut mélodiquement biscornu, mais il le malaxe si joliment que ça devient une œuvre d’art moderne. À leur façon, les Pixies sont un groupe Dada, le chien andalousia n’est pas là par hasard. Et tu ne peux pas faire plus Dada que «Where Is My Mind?» - Where is my mind/ Way out in the water/ See it swimming - ou pire encore, ce «U-Mass» qu’ils jouent longtemps à vide sur l’accord avant de partir en vrille de Mass et de basculer dans l’exaction extrême - Oh don’t be shy/ Oh kiss me cunt/ Oh kiss me cock/ Oh kiss the world/ Oh kiss the sky/ Oh kiss my ass/ Oh let it rock - Le gros n’en perd pas une miette et nous non plus d’ailleurs. Et on le revoit plonger dans un abîme de scream épouvantable, il est le plus beau screamer qui se puisse imaginer sur cette terre. Le scream le transfigure, il passe de l’état de laideur relative à celui de beauté iconique, il dégage une odeur de sainteté, son visage perlé de sueur renvoie à tout ce fatras iconique de la sanctification, du dépassement qu’induit (théoriquement) l’état de martyre. Le gros ne te lave pas de tous tes péchés, mais pendant deux heures, il te fait oublier le monde pourri qui t’entoure. Le rock ne sert qu’à ça. Depuis le début, il n’a toujours servi qu’à ça.

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    Singé : Cazengler, Picsou

    Pixies. Le 106. Rouen (76). Le 23 juin 2022

     

     Inside the goldmine - Paley royal

     

             De tous les géants de la carambouille, Didi était le plus grand. Rien à voir avec les mecs de la Porte de Clignancourt ou ceux de Barbès. Avec Didi, tout était simple. Tu lui demandais n’importe quoi, une plaquette de shit afghan, un faux passeport, un disque des Amboy Dukes, une fiole de poudre de corne de rhino, il te répondait : «Okay ! Demain midi !». Tu lui aurais demandé un flingue, ça ne lui posait aucun problème. Il demandait toujours 50 % à la commande, en cash. Ou en marchandise, mais c’est lui qui évaluait. Il connaissait la valeur des bijoux. Il n’avait jamais besoin de calculette, il comptait comme on compte en Asie, avec une agilité mentale qui laisse toujours penser que ça cache une arnaque. Il tenait toujours sa parole, il savait que sa réputation reposait entièrement sur sa fiabilité. Il mettait un point d’honneur à ne jamais décevoir l’un de ses clients. Son petit sourire en coin laissait penser qu’il faisait de sa virtuosité une sorte de jeu. On pouvait voir Didi comme un enfant enfermé dans le corps d’un jeune homme. Sous une mèche de cheveux noirs de jais dardait un regard incroyablement direct et quand il souriait, son visage semblait irradier. Il inspirait une sorte de fascination, car ce mélange de roublardise et de candeur n’était pas commun, surtout dans ce monde interlope fréquenté par tous les aventuriers et les trafiquants que l’on peut bien imaginer. Il parlait plusieurs langues, ce qui épaississait encore le mystère de ses origines. On le voyait de loin en loin, chaque fois qu’on cherchait quelque chose de spécial. On savait où le trouver, au rez-de-chaussée d’un vieux bâtiment, il suffisait de taper à la porte et s’il était là, il ouvrait pour répondre, avec cet incroyable sourire. Et puis un jour, il demanda un service en échange d’une commande. Stupéfaction ! Besoin d’une planque pour deux mois, le temps que les choses se tassent. Un deal qui a mal tourné, disait-il sans rentrer dans les détails. Pas de problème. Il vint se planquer à la maison. Nous passions les soirées à fumer de l’herbe et il commença doucement à parler de son enfance, là-bas au Cambodge. Père américain pilote d’hélico abattu au-dessus de la frontière. Mère cambodgienne exécutée par les troupes de libération. Didi petit, en plein dans Apocalypse Now. Capturé par des guerilleros alors qu’il s’enfuyait dans la jungle. Attaché à un arbre, torse nu et cisaillé en quinconce à la machette sur toute la hauteur du torse. Traits croisés à 45°. Cinq d’un côté, cinq de l’autre. Une œuvre d’art. Laissé pour mort. Il souleva son T-shirt pour montrer cette épouvantable cicatrice. Chaque balafre mesurait deux centimètres de large. Il souriait.  

     

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             Pendant qu’on charcutait Didi au Cambodge, Andy grandissait peinard à Boston. Ils n’ont pas que le Di en commun, ils ont aussi des physiques extrêmement avantageux et des profils d’aventuriers extrêmement pointus. Tu es ravi d’avoir pu croiser dans ta vie des gens comme Andy et Didi.

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             Andy Paley et son frère Jonathan forment les Paley Brothers au début des années 70. Le boss de Sire Records Seymour Stein les découvre en 1975, via une démo. Il écoute et trouve ça bien, real pop, bordering on bubblegum. À ses yeux, ça frise le Brill, lots of two-parts harmony, great hooks. Stein les voit jouer dans un bar de Boston et décide de les signer sur Sire, en même temps que les Ramones, Richard Hell, les Talking Heads et les Dead Boys. Andy et son frère Jonathan vont travailler avec les meilleurs producteurs de l’époque, Jimmy Iovine, Earle Mankey et Phil Spector.

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             The Paley Brothers paraît en 1978. Andy et Jonathan sont tellement fans des Beach Boys qu’ils demandent à Earle Mankey de produire leur album au Brother Studio des Beach Boys. Pourquoi Mankey ? Parce qu’il a déjà produit au même endroit l’album Beach Boys Love You. Dès «You’re The Best», ils font l’unanimité parmi les oreilles. Ils mélangent leur adoration pour les Beach Boys avec leur énergie bostonienne. Mais la dominante chez eux reste la power-pop. Ils renouent avec le Beach Boys craze dans «Turn The Tide». Ils délivrent ici un shoot paranormal de sunny groove et d’entrain d’allant suprême. Si tu aimes la grande pop américaine, elle est là, dans «Turn The Tide». Ils font une reprise du «Down The Line» de Buddy Holly & Bob Montgomery assez musclée. On y croise même un solo en dérapage contrôlé. On retrouve bien sûr tout l’album dans la compile The Complete Recordings parue en 2013. Si on veut faire le tour du propriétaire, cette compile est un passage obligé. Les inédits sont tous plus spectaculaires les uns que les autres. Stein a sorti des archives et on en prend plein les mirettes. Tiens, par exemple avec ce «Meet The Invisible Man» enregistré en 1979 en Californie. C’est encore plus dingue que les Beach Boys, comme si c’était possible. L’Invisible Man sonne comme un sunny hit qui relève d’une certaine inexorabilité des choses. C’est claqué à l’arpège salvateur. Et dire que ces merveilles sont restées inédites ! Encore du Beach Boys Sound avec «Boomerang». Brian Wilson chante derrière. Fabuleux et explosif. Sabré au killer solo flash. C’est littéralement bardé de guitares, les retours de chœurs sont exactement les mêmes que ceux des Beach Boys. On tombe ensuite sur un «Felicia» enregistré live au Madison Square garden. Ces mecs sont extrêmement aguerris. Ils enregistrent «Running In The Rain» chez Ardent à Memphis. Serait-ce un clin d’œil à Big Star ? Va savoir ! Ils enregistrent aussi le vieux «Come On Let’s Go» de Ritchie Valens avec les Ramones, one two three four, Earle Mankey produit, ils foncent tous dans le mur, mais pas n’importe quel mur : le Beach Boys Wall of Sound. C’est exactement la même énergie. Nouveau coup de Jarnac avec «Spring Fever» puis voilà enfin le coup de génie : «Jacques Cousteau». Les frères Paley tapent une fois encore dans la mad frenzy des Beach Boys - Jack Jack/ Jack Cousteau - merveilleux délire - L’Atlantic c’est fantastic/ le Pacific c’est terrific - Il faut encore signaler la présence d’une pépite : «Theme From Fireball XL-5», assez poppy mais bien vu, in my imagination - My heart will be a fireball/ And you’ll be my Venus of the stars.

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             Sur The Complete Recordings, on peut surtout entendre le «Baby Let’s Stick Together» produit par Phil Spector au Gold Star de Los Angeles. Les Ramones allaient enregistrer End Of The Century aussitôt après. Ce «Baby Let’s Stick Together» est du pur Beach Boys power. Gene Sculatti raconte que Phil Spector appela Andy Paley en pleine nuit pour lui proposer une session d’enregistrement à Los Angeles. Ils envisageaient d’ouvrir le bal de leur deuxième album avec cette merveille, mais il n’y eut pas de deuxième album. Andy Paley ne s’en formalisa pas. Il joua un peu avec le Patti Smith Group et développa un goût pour la production.

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             Bon, les Paley Brothers, c’est bien gentil, mais Andy Paley n’en était pas à son coup d’essai. Il avait déjà enregistré un album avec les Sidewinders, un quintet de Boston qui aurait dû exploser en 1972 avec son album sans titre. On connaissait son existence grâce à Creem. Belle pochette, on les voit photographiés tous les cinq dans un salon du Chelsea Hotel. Dès «Bad Dreams», on sent une petite pop allègre et bien entreprenante. Ces mecs visent le clair de pop, comme les Nerves vont le faire un peu plus tard. Le lead guitar Eric Rosenberg sort un son agile et fiévreux. Le hit de l’album s’appelle «Told You So». Ce shoot de Stonesy nous renvoie à Exile. On sent bien qu’ils tentent le big hit avec ce joli coup de Soul pop qui renvoie aussi aux Box Tops. Avec «Moonshine», ils se livrent au petit jeu du balladif paradisiaque. Ils s’y sentent bien, alors nous aussi. Eric Rosenberg se tape une fois encore la part du lion avec sa dentelle de Calais. Bizarrement on les voit aussi jouer du garage surf («The Bumble Bee»). Alors et la B ? Oh pas de quoi casser trois pattes à un canard. «O Miss Mary» vaut pour un petit slab de pop énervée. Ils jouent ça à l’échevelée avec une bassline effervescente et un Rosenberg parti à vau-l’eau. La belle pop de «Got You Down» fait dresser l’oreille, mais il manque l’étincelle. Voilà un cut typique de cette époque où on aimait cavaler sans réfléchir. On trouve plus loin un autre petit slab de power pop qui s’appelle «Reputation». Même s’il se veut bien énervé, ça n’en fait pas un hit pour autant.

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             En 1985, Andy Paley produit Rockin’ And Romance, un album léger de Jonathan Richman & The Modern Lovers. Ça se passe entre Bostoniens et comme toujours avec Jojo, c’est bon esprit et bien chanté, avec quelques pitreries à roulettes comme «Down In Bermuda». Jojo y rivalise de désinvolture avec Kevin Ayers, c’est dire s’il est balèze. Comme il dispose d’une vraie voix, il rafle tous les suffrages. On se fait tous avoir. Il nous branche plus loin sur la souffrance de Van Gogh - Have you heard about the pain of Vincent Van Gogh ? - puis refait son Modern Lover avec «Walter Johnson», à la croisée du laid-back et du doo-wop. Andy Paley passe un solo de batterie pasticheur dans «I’m Just Beginning To Live». Jojo s’amuse comme un gamin, Ok let’s rock ! Pas étonnant qu’il devienne culte. Il crée une sorte de rockalama bon enfant.

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             L’année suivante, Andy Paley produit It’s Time For. On reste dans le Jojo Fricotin, avec Bibi et ses vieux hits de juke de type «Let’s Take A Trip». Andy Paley amène un son extrêmement intéressant, il veille à préserver l’ambiance du studio. Dès l’«It’s You» d’ouverture de bal, ça sent bon le Paley royal. Grosse d’ambiance, tout le monde gratte des grattes et chante en chœur. Ils sortent les guitares électriques pour «Yo Jo Jo». Jojo a de la jugeote. Même s’il fait tout pour se déconsidérer, il faut le prendre très au sérieux, au moins autant que Lou Reed. Il tente de se faire passer pour le raté de service, mais la moindre de ses chansonnettes tape dans le mille. Avec «Double Chocolate Malted», il vend les charmes d’une glace au chocolat et derrière les mecs font yeah yeah yeah. Comment résister à ça ? Impossible. Il a tellement de talent qu’il se permet n’importe quel délire, même celui de «Desert». Mais Jojo est trop bon enfant pour le dandysme.

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             Dix ans plus tard, Andy Paley produit un troisième album pour Jonathan Richman : Surrender To Jonathan. Pochette délicieuse : l’ex-Modern Lover s’y déguise en pirate. Jojo, c’est un peu l’équivalent américain de Kevin Ayers : une vraie voix et un goût prononcé pour le balladif magique. Le problème avec Jojo est qu’il a souvent fait de la petite pop aigrelette et même du balloche. Des mecs vont dire : «Ah c’est culte !». Oui, c’est aussi culte que le cul de ta voisine. Sur cet album tout est très simple. Jojo n’a besoin de personne en Harley Davidson. Il drive sa pop bon enfant à la petite semaine et Andy-Oh-Andy adore ça. Pas de son dans «Surrender», il n’y a que la voix de Jojo. Il fait encore son cirque dans «I Was Dancing In The Lesbian Bar». A-t-il vraiment besoin d’un mec comme Andy-Oh-Andy derrière ? On retrouve la vieille tarte à la crème d’«Egyptian Reggae». Et puis voilà le Jojo tant espéré avec «When She Kisses Me», une belle pop qu’il allume à coups de yeah yeah et qui émerveille pour de vrai. Il amène encore de la pop énorme avec «Satisfy». Il faut bien dire que ce genre d’album est très spécial. On l’écoute par sympathie, mais ça ne va pas plus loin. Jojo fait son business comme tout le monde. Et comme il dispose d’une vraie voix, ça facilite les choses. Il termine cet album profondément Jojotique avec «Floatin’». Il finit par imposer sa présence. Il fait quand même partie des grands chanteurs américains.

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             En 1989, Andy-Oh-Andy produit le Wild Weekend de NRBQ. On retrouve bien sûr le bassmatic de Joey Spampitano dans le morceau titre, juste derrière la cocotte d’Al Anderson. Ces mecs sont assez carrés. Andy-Oh-Andy vieille à monter la basse dans le mix. Mais le son de l’album est globalement trop propre. La pop de «Fireworks» n’est pas bonne, elle est trop passe-partout avec hélas de faux accents de Costello. On voit «Bozoo That’s Who» virer Cajun grâce à un accordéon et c’est en B qu’on trouve un peu de viande, avec notamment «Fraction Of Action». Ils renouent là avec le hard drive auquel ils nous avaient habitués. C’est un fantastique shoot de tension hérissé de gimmicks de basse. Ils terminent en fanfare avec «Like A Locomotive». L’excellence de ce groove ferroviaire leur sauve la mise. C’est habilement mené, bien arrondi par Spampi, ce crack du bassmatic que voulait embaucher Keith Richards.

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             Grâce à Seymour Stein, Andy-Oh-Andy peut travailler en 1988 avec son idole : Brian Wilson. Sur la pochette de Brian Wilson paru en 1988, Brian Wilson paraît soucieux. Il ne devrait pas s’inquiéter car Andy-Oh-Andy veille au bon grain de l’ivraie, notamment en B, avec un «Let It Shine» co-écrit avec Jeff Lyne. Forcément pop, forcément what you be - There come a burning fire/ It fills me with desire - Pur pop genius - Your words are magic to my ears - Nous voilà dans l’univers sacré des Beach Boys. Et ça continue avec «Meet Me In My Dreams Tonight», véritable festival de pounding pop, c’est du grand art digne de l’âge d’or de la civilisation de la plage, puissant et gorgé de sunny sound. C’est avec «Rio Grande» que Brian Wilson renoue avec ce qui le caractérise le mieux : le génie composital. Il va recréer sous nos yeux globuleux l’émotion de son California Saga (Holland) avec ce Cherokee trail/ I’m ridin’ all alone et il fait souffler des vents de Chimes, alors on plonge dans l’overflow de magie wilsonienne, whaooo yeah yeah yeah - I want the river to take me home/ Can’t ride the river no more all alone - Et ça explose au nez de la Saga d’éternité, ce mec crée de la magie all along, depuis le début de l’histoire du rock. On assiste à la fantastique éclosion du whole wide world. Alors évidemment, l’A paraît bien falote en comparaison, même si la pop de «Love And Mercy» reste parfaite. On retrouve aussi des échos du grand art des Beach Boys dans «Walkin’ The Line». Brian Wilson n’est pas un ré-inventeur, c’est un perpétuateur patenteur. On voit aussi qu’avec «Melt Away», il ne lâche pas sa vieille rampe. Il tartinera vraisemblablement jusqu’à la fin de ses jours. Andy Paley reste fidèle et dedicated. «Baby Let Your Hair Grow Long» est certainement le cut le plus Boyish de l’A, on s’effare de les voir tortiller aussi facilement cette grande pop californienne. 

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             Andy-Oh-Andy aura l’occasion de retravailler avec son idole Brian Wilson sur l’album Gettin’ In Over My Head, paru en 2004. C’est l’album des collaborations. Ça commence assez mal avec Elton John puis ça s’arrange avec Carl Wilson dans «Soul Searchin’», pur jus de Beachy Sound. Ils n’en finissent plus de rallumer leur vieux flambeau et un solo de sax vient resplendir dans l’embrasement du crépuscule. Le hit de l’album c’est bien sûr «Desert Drive», avec Andy Paley qui ramène la brebis Brian Wilson dans le droit chemin - We’re gonna have some fun - C’est infesté de c’mon effervescents. Andy intervient une fois encore dans «Saturday Morning In The City» et sur le morceau titre. Ils tournent pas mal autour du pot et tentent de recréer la magie des jours anciens, mais ce n’est pas si simple. Brian Wilson manque de conviction. Il prend «You’ve Touched Me» par-dessus la jambe et le chante à l’édentée. On croise d’autres invités sur l’album, comme Paul McCartney, mais il ne se passe rien de plus que ce qu’on sait déjà.

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             Après Brian Wilson, l’autre grand coup d’Andy-Oh-Andy, c’est Jerry Lee Lewis. Comment va-t-on pouvoir célébrer la grandeur d’un album comme Young Blood ? Jerr refait surface après dix ans de silence. Il a soixante balais. Il pose au bord du lac, assis en smoking dans une banquette rococo. Beat that ! Pas possible. Pas non plus possible de beater le cut d’ouverture de bal, «I’ll Never Get Out Of This World Alive». Il a raison, ni Jerr ni personne ne quittera ce monde vivant, mais quand c’est dit par un cat comme Jerr, ça change tout. Alors faut-il célébrer le génie de Jerr, ou celui d’Andy Paley qui produit cet album qu’il faut bien compter parmi les plus grands disques de l’histoire du rock ? Oui, Jerr chante, mais il a du son et c’est autre chose que le son de Jerry Kennedy à Nashville. Andy-Oh-Andy amène de l’eau au moulin de Jerr, c’est-à-dire le Memphis Beat original. Il faut dire qu’Andy Paley a fait ses preuves avec Brian Wilson et Jonathan Richman. Il n’y a pas plus de hasard sur le crâne de Mathieu qu’il n’y a de cheveu dans ta philosophie, Horatio. Rappelons l’équation fondamentale : une vraie voix + une bonne chanson + une prod de crack = un hit éternel. Des choses comme «River Deep Mountain High», «MacArthur Park» ou encore «California Girls» en sont le résultat, et il en existe beaucoup d’autres, si l’on sort les noms de Mickie Most, de Chips Moman, d’Uncle Sam ou encore de Shel Talmy. Il faut désormais ajouter «I’ll Never Get Out Of This World Alive» à ce palmarès. Jerr chevauche à la cravache, il rue comme un dieu, et voilà qu’arrive un solo d’éclat magique, alors ça grimpe directement au pinacle. Il est fort probable qu’on entende Joey Spampitano au bassmatic. Andy-Oh-Andy le connaît bien car il a produit l’un des albums de NRBQ (Wild Weekend). Font aussi partie de l’aventure James Burton et Kenny Lovelace. Andy-Oh-Andy n’a qu’une idée en tête : renouer avec le Memphis Beat des origines, celui d’Uncle Sam. Et ça marche ! Il y a encore pire à venir, et il faut y être préparé, car le génie peut frapper comme la foudre, ce qui va être le cas avec «Miss The Mississippi & You» - I’m growing tired of these big city lights - Jerr veut rentrer au pays, alors il se laisse aller en éclatant son piano bar et remonte le courant mélodique comme un saumon shakespearien. Il chante à la plus belle revoyure d’Amérique. Il pousse même une tyrolienne qui va faire le tour du monde. C’est l’une des plus belles chansons de tous les temps. Au passage, il pond deux hits de juke : «Goosebumps» et «Crown Victoria Custom 51». Il les bouffe tout crus, c’est une manie, yeah ! Il claque le cul de son boogie et déverse sur son clavier une rivière de diamants, juste pour montrer comment on finit un cut en beauté. C’est au heavy rumble de Memphis qu’il amène son Crown Victoria, rrrrrrrrrrrr, Jerr est sur le coup. Ça donne une deep merveille de deep rumble, Jerr fracasse son clavier comme le dentier d’un yank qui lui manque de respect et comme si cela ne suffisait pas, un solo rattlesnake croise son chemin à la furia del sol. Jerr sort du ring une nouvelle fois invaincu, sous les acclamations. Oh il faut aussi l’entendre éclater «Thang» au slang de sling, Southern class, baby, yeah, il faut entendre ce diable de Jerr tarauder le mur du son rien qu’avec son accent perçant. On ne remerciera jamais assez Andy Paley d’avoir réussi à ressusciter le Killer, comme Chips avait su ressusciter le King en lui proposant «Suspicious Minds». On voit aussi Jerr driver le morceau titre à la poigne d’acier. Il drive son cut comme s’il drivait un Apaloosa sauvage. Hang on ! Chez lui, tout n’est que dévotion à l’art suprême qui est celui de la culbute. Baiser une chanson pour la faire jouir, c’est la même chose que de baiser un cul de Southern bitch. Il boucle son cut à coups de mercy. Existe-t-il un shouter plus sexuel que Jerr ? Non. Il rend plus loin hommage à Huey Piano Smith avec une belle cover d’«High Blood Pressure». Jerr vénère Huey. Il le joue au piano de bastringue et ça tourne à la révélation spirituelle. Ah si Bernadette pouvait voir ça ! Jerr écrase son honey on your mind et pianote dans le vent d’Ouest, la crinière en feu. Sacré Jerr, il n’en finira plus de semer le vent pour récolter la tempête. Il se tape encore un joli coup de shake avec «Gotta Travel On». Cet homme sait embarquer une farandole. C’est fouetté à la racine des dents. Quel son ! Le bassmatic qu’on entend rouler sous la peau de «Down The Road A Piece» ne peut être que celui de Joey Spampitano, tellement ça groove.

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             En 1984, le Paley royal monte Between Meals avec quelques amis, dont Jad Fair et Maureen Tucker. On sait donc à quoi s’attendre en posant I Just Knocked Over A Cup Of Coffee sur la platine : de l’inconoclastic et du dada dodu. Du bien barré et du sans espoir pour la soif. Ils font donc une version trash-punko-déconstructiviste de «Matchbox». Ils jouent vraiment comme des brêles et c’est bien ce qui fait le charme du Between Meals. On assiste dans «Sink Or Swim» à une admirable désorganisation de l’ensemble. Et puis avec «What’d I Say», ils se rapprochent du Velvet, on croit entendre le violon grinçant de John Cale. Étonnant mélange de dada et de Velvet. Appelons ça une fantastique réussite artistique, si vous le voulez bien. La B est en fait beaucoup plus intéressante, on y entend Moe Tucker battre «How Will I Know» à la ramasse habituelle et on assiste à la belle déroute de «Route 66». Ils s’amusent comme des gamins, ça finit par devenir excellent.

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             Parmi les groupes que produit le Paley royal pour Sire, on trouve aussi John Wesley Harding. The Name Above The Title date de 1991. Autant le dire tout de suite, c’est de la petite pop à la Costello. Quand on n’aime pas Costello, c’est comme qui dirait baisé d’avance. En tous les cas, c’est très produit, très Sire-moi les pompes. La B est un peu plus ragoûtante, car on entend les Paley Brothers faire des harmonies vocales sur deux ou trois cuts comme «The Person You Are». Andy-Oh-Andy joue de l’harmo sur «Backing Out» et ils font une belle cover d’un classique de Roky Erickson, «If You Have Ghosts».

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             Dans ses mémoires, Siren Song - My Life In Music, Seymour Stein avoue qu’ Andy Paley fut l’un de ses grands espoirs. Mais ça n’a pas marché, en dépit de moyens considérables : «L’une de mes plus grosses déceptions fut de ne pas voir percer les Paley Brothers pour lesquels j’avais engagé Phil Spector.» Quand Stein rencontre Andy Paley pour causer production, Andy propose le nom de Jimmy Iovine, un protégé d’Ellie Greenwich qui avait travaillé avec Phil Spector sur l’album Rock’n’Roll de John Lennon. Et voilà. C’est à peu près tout ce que Stein dit d’Andy. On ne risque pas l’indigestion.

    Signé : Cazengler, Palette de beauf

    Paley Brothers. The Paley Brothers. Sire 1978

    Paley Brothers. The Complete Recordings. Real Gone Music 2013

    Sidewinders. RCA Victor 1972

    Jonathan Richman & The Modern Lovers. Rockin’ And Romance. Twin/Tone Records 1985

    Jonathan Richman & The Modern Lovers. It’s Time For. Upside Records 1986

    Jonathan Richman. Surrender To Jonathan. Vapor Records 1996

    NRBQ. Wild Weekend. Virgin 1989

    Brian Wilson. Brian Wilson. Sire 1988

    Between Meals. I Just Knocked Over A Cup Of Coffee. Indescence Records 1984

    John Wesley Harding. The Name Above The Title. Sire 1991

    Jerry Lee Lewis. Young Blood. Sire 1995

    Brian Wilson. Gettin’in Over My Head.

    Seymour Stein. Siren Song. My Life In Music. St. Martin’s Press 201

     

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 22

    JUILLET- AOÛT - SEPTEMBRE

     

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     Faudrait mettre un ‘S’ à Génération, au gré des interviewes c’est une histoire du rock ‘n’ roll français que raconte la revue. Cette fois-ci grâce à Jean-Claude Coulonge c’est à l’introduction du rock en notre pays, à la toute première génération des rockers que nous remontons, Coulonge n’est pas un témoin, mais un activiste, un sacré batteur, je ne l’ai entendu qu’une fois en concert, voici une dizaine d’années, ce n’était pas avec les Vinyls, remplaçait au pied levé un musicos absent, vous a filé une sacrée déverrouillée à la grosse caisse, quelques jours auparavant Guillaume des Spunyboys me le citait comme une référence, le genre de gars tout sourire qui vous déclenche le tonnerre de Thor, n’en est pas pour autant sorti de la cuisse de Jupiter, un petit gars mal parti ( je vous rassure bien arrivé ), la polio, les privations de la guerre ( né en 1945 ) la France n’était pas en ces temps-là un pays de cocagne, pas d’électricité, les cabinets au fond du jardin… s’inscrit à la fanfare pour rééduquer son bras estropié, finira batteur, connaîtra le Golf et Johnny que tout le monde appelait Jean-Philippe, je vous laisse découvrir le reste de la saga, je n’en retiendrai qu’un détail qui me touche personnellement, sa participation sur scène avec les Fingers groupe instrumental dont le morceau Spécial blue-jeans servait d’indicatif à l’émission du même nom sur Radio-Andorre… Huit pages passionnantes, et un rocker qui a su tracer son chemin dans sa vie sans renoncer à sa passion…

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    Le retour des Ghost Highway ! Ah, les Ghost, un groupe pas tout à fait comme les autres, c’est un peu grâce à eux et à Burning Dust que la modeste feuille de papier très intermittente qu’était KR’TNT est devenue le blogue hebdomadaire que vous êtes en train de lire, les Burning furent un bon groupe, mais ce n’était que la partie immergée de l’iceberg, z’avaient un fan club de followers qui les suivaient un peu partout, beaucoup de groupes reçoivent de l’estime de la part de leurs fans mais pour les Ghost c’était autre chose, il y avait un plus indéfinissable, le groupe aimantait, et stimulait les énergies, hélas la magie s’est délitée, trop de pression ou peut-être leur a-t-il manqué une structure de soutien, le do it yourself est une belle philosophie, c’est celle qui anime notre blogue, mais pour mettre une fusée en orbite faut aussi bénéficier d’une orga solide et clairvoyante… mais les revoici, interview, premier concert, couve du magazine photo double-page, Phil n’a pas changé,  fidèle à lui-même, peut-être est-il celui qui a le plus regretté le split, Jull a maigri, affiche un air décidé prometteur, Arno arbore en même temps un profil de jeune homme et de patriarche, dernier venu enfin le nouveau Bryan, méfiez-vous c’est le d’Artagnan des trois vieux bretteurs, ne sera pas le dernier pour s’engager dans de nouvelles aventures…

    Un grand saut pour la chronique Les Racines de Julien Bollinger, cette fois-ci consacrée à Emmett Miller, une mystérieuse figure de ce chaudron de sorcières que furent les années 20 aux States, documents et témoignages sont rares, Miller n’était plus qu’une ombre lointaine lorsque Nick Tosches a ressuscité son fantôme dans son livre Blackface, Editions Allia (chroniqué dans Kr’tnt ! évidemment) , pour ceux qui ne connaîtraient pas il suffit de dire que  la filiation Emmett Miller – Hank Williams est certaine, question généalogie rock ‘n’ roll vous ne trouverez pas mieux… Julien Bollinger use de formules heureuses pour expliciter cela. Le plus simple est de suivre ses conseils et de se précipiter sur You Tube, pour écouter, attention rencontre avec ce que Edgar Poe appelait l’ange du bizarre.

    Les Blakfaces ont mauvaise réputation, l’idéologie woke pense que cette pratique qui remonte aux plantations esclavagistes est une des pires abominations du racisme. Lors de réunions festives qui réunissaient maîtres et esclaves les maîtres blancs ( Emmett était blanc et  était socialement loin de posséder le statut de propriétaire d’une ferme cotonnière ) se noircissaient le visage pour imiter de façon burlesque les manières de chanter, de se mouvoir, de parler de leurs esclaves, sans aucun doute un geste de charité chrétienne empli de condescendance, mais aussi une façon esthétique pour les noirs d’accéder à leur propre représentation, c’est ici que l’on retrouve Edgar Poe et son concept de grotesque, par la suite beaucoup d’artistes noirs qui jouaient dans les vaudevilles n’hésitaient pas à  grimer leur visage et à proposer des sketches de tonalité humoristique… Une analogie est à faire avec les monologues comiques que jouaient les poëtes symbolistes comme Charles Cros lors des fiévreuses soirées du Chat Noir… Depuis une vingtaine d’années la bourgeoisie noire américaine s’éloigne du blues, ce sont maintenant les élites intellectuelles qui font pression pour vilipender toute une partie du long chemin de résistance entrepris par les générations précédentes, à mon humble avis cette acculturation programmée et ce reniement systématique du passé me paraissent dangereux…

    Interview d’un contrebassiste, Axel Richard, vous le connaissez, nous parlions de lui voici deux semaines, il est aussi présent dans cette même livraison, voir ci-après chronique du disque de T Becker Trio dont il est l’un des musiciens. On retrouve son ineffable sourire sur la photo de Sergio Katz. Ont intérêt à lire ces trois pages les curieux qui se posent des questions quant aux mérites comparés de la basse et de la contrebasse.

    Pour les amateurs de musique live, quatorze pages dévolues au report au festival Good Rockin’ tonight d’Attignat, du Boogie Bop Show de Mesnard la Barotière et le Rock Dance Party de Quimper, drôlement bien fait, jour après jour avec photos et commentaire de chaque concert, c’est comme si vous y étiez, enfin presque…

    Encore une fois un superbe numéro de Rockabilly Generation News, depuis sa lancée voici cinq années la revue de Sergio Katz réalise un parcours sans faute, ne l’oublions pas, le jour où le rockabilly mourra, ce sera aussi la mort du rock ‘n’ roll ! But rock ‘n’ roll never dies !

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News (  1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois),  5,15 Euros + 4,00 de frais de port soit 9, 15 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 37, 12 Euros ( Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents ! 

     

     

    THE BEST IS YET TO COME…

    T BECKER TRIO

    ( Crazy Times Records / 2022 )

     

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    Beau titre. Comment faut-il le comprendre, comme la promesse d’un deuxième opus meilleur ? Ou alors : que si le meilleur est sur le point de survenir c’est parce qu’il est déjà là, tout prêt, depuis longtemps, qu’il suffit de se pencher, de gratter l’écorce de la modernité pour s’apercevoir que l’aubier du passé affleure dans la présence du monde. Le T Becker Trio l’affirme, si l’old style never dies, l’hillbilly est là pour toujours.

    Axel : double bass / Tof : vocals & guitar / Did : lead guitar.

    I’ll do it on my way : dès les premières notes de la guitare rythmique l’on est projeté quelques décennies en arrière dans les Appalaches, l’intitulé respire l’affirmation rockabilly, mais l’ensemble fleure bon la campagne, l’on est plus près des chevaux au pré que des broncos au rodéo, n’empêche que c’est  prenant, tout le rockabilly est là dans le chant et le solo de guitare, mais point encore vagissant, flegmatique si l’on veut Come close to me : l’a une belle voix Tof, un peu Hillbilly Cat dans les coins mais aussi suave que Presley quand il devait chanter ce genre de ballade  le soir dans sa chambre, l’instrumentation est à l’unisson, de légères interventions en solo qui ne bousculent pas le morceau mais confortent cet aspect satiné si doux que l’on a envie de tapoter doucement les fesses de la contrebasse d’Axel pour la féliciter de savoir être omni-présente dans le marquage du tempo avec ce naturel si affolant.  The biggest mistake I’ve made : attention une entrée un peu fracassante, un pas vers le rockabilly, mais sans aucune rudesse, l’on admire la guitare de Did d’une précision absolue, le genre de morceau sur lequel l’on devait danser dans les bals du samedi soir dans les campagnes, un peu de fièvre provoque la montée du désir. Devait se passer d’étranges remuements dans les granges d’alentour. Do you remember ? : guitares nostalgiques, tout de même un petit côté pré-sixties étonnant, quel son ! Quelle beauté !  Quelles rondeurs ! et Tof qui en fait des tonnes, vous transforme une bluette amoureuse en drame shakespearien, rien qu’avec quelques intonations, Axel en sous-main repeint le crépuscule, mais l’on ne sait si c’est celui du matin ou du soir, toutefois les guitares sont si belles qu’on les laisse courir toute la fin du morceau. Can’t love you anymore : une bouffée de désespoir paisible, la voix s’amuse entre tendresse et désir perdu, elle dit tout le non-dit des relations qui unissent deux êtres humains, une atmosphère country, Did s’en donne à cœur joie, les cordes sautillantes un peu moqueuses, un peu ironiques, si la vie ne vaut rien, rien ne vaut la vie nous susurre-t-il à l’oreille, une sagesse qui permet de bercer l’âme et de relativiser les avanies de l’existence.  Why ? : soft rockabilly, tout y est, mais une certaine retenue empêche le trio de casser la baraque et d’en jeter les planches dans un feu de joie crépitant, ah ! ce jeu de Did qui couve sous la cendre, vous en ressentez la morsure dans votre chair, le shuffle  tapoté d’Axel est parti pour traverser l’Amérique dans les deux sens sans s’arrêter, quant à Tof il assume à la perfection le rôle de chanteur de rockabilly sans trop se prendre au sérieux, l’on sent le détachement, le jeu impeccable du comédien, davantage wogie que boogie. Ain’t got no money : un morceau idéal pour établir la communion avec le public, sur la scène de la Rock ‘n’ roll party II ils ne s’en étaient pas privés, tout ce qu’il faut, Tof vous miaule le titre avec un superbe accent de bouseux américain, et la musique suit derrière, tantôt devant, tantôt à trois kilomètres, font tout ce qu’il faut pour avoir une superbe mécanique prête à l’emploi. I was wrong : l’est désabusé le Tof, l’a adopté la voix du beautiful loser qui fait acte de contrition, l’on en est ravi, l’on adore entendre la guitare de Did pleurer à petites larmes, attention au crocodile, il mord quand même, ce n’est plus un titre, mais une comédie parodique tellement ressemblante qu’elle semble être vraie. On n’y croit pas, on ne marche pas. On court. Rockabilly is a state of mind : vous voulez du rockabilly, en voici, en voilà, tout ce que vous attendez est là, une véritable démonstration, toute en finesse car si on allumait le feu, les flammes vous empêcheraient d’apprécier les nuances. Attention, une réflexion   philosophique, par l’exemple, sur la nature profonde du rockab, alors on ils y vont doucement mais sûrement pour que vous compreniez mieux, Axel tape à plusieurs reprises sur le bois de la contrebasse afin que la leçon rentre profond dans votre tête. Compris, OK ! Santa Mondega : l’on descend un peu plus dans le Sud, sur la frontière mexicaine, un parfait générique pour un western fabuleux, pas trop tex-mex, mais quand on écoute l’on voit le film et il est superbe. Vous resterez pour la deuxième séance. Boogie Beat : un peu de boogie n’a jamais tué personne, ceux qui en sont morts ne sont plus là pour s’en plaindre, un boogie teinté de bop mais qui remue à merveille, Tof en profite pour hoqueter, sans trop pousser le son, mais c’est à croire que chez lui c’est une seconde nature, Axel caresse un peu sa basse et Did vous pique ses notes comme vous ramassez les olives avec votre cure-dents à l’apéritif. L’on sent que les tournées vont se succéder. Can’t get you out of my head : déjà le dernier morceau, un peu d’emphase, un peu de pression, des guitares qui accaparent l’attention et l’intensité, le vocal précipité et le manche de la big mama se balance comme le pendule du destin. Fin rapide. Faut-il compter les morts ? Pas vraiment très grave, c’est la preuve que nous sommes les survivants !

    Damie Chad.

     

     

    DES DESIRS DES ENVIES

    IENA

    JYB : chant, harmo  / Erick Erick : guitare, chant / Stéphanie Derbhey : basse / Michel Dutot : batterie.

    Y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans cette couve, c’est cette bouche carrée, carrément agressive, pire qu’un tigre affamé, l’on a plutôt envie de prendre les jambes à son cou, la belle a un collier et un harnais de pitbull, les dents aussi longues que des crocs de caïmans, des yeux aigus comme des flèches mortelles, à part cela, somme toute la chair des épaules est très désirable.

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    Nightmare : trois petits coups de baguettes, promptement les guitares remuent le menuet, bienvenue dans le cauchemar, ne vous attendez pas à un trampoline peuplé de monstres surréalistes ou d’extra-terrestres mortifères  cherchant à s’emparer de notre planète, pas besoin de fermer les yeux pour l’imaginer, Iéna vous le décrit, très terre à terre, puisqu’il n’est autre que le monde dans lequel nous vivons. Z’appuient fort, le Jyb martèle et répète les mots, au cas où vous seriez lents d’esprit ils opèrent par surprise de courts arrêts brutaux, une seconde de temps en temps pour que vous preniez conscience de la situation, pollution et guerre sont les deux mamelles de notre perdition, quand ils évoquent les combats la guitare tire des coups de canon, la batterie se charge de la mitrailleuse lourde, non ce n’est pas joyeux, Un simple constat réaliste. Mais implacable. Traverses :  la basse de Stéphanie gambade, entrerions-nous dans un monde de douceur, le couperet de la guitare d’Erick rabote nos espoirs, se permet même un petit riff impertinent qui nous tire la langue, pour la batterie aussitôt pesé aussitôt emballé, Jyb joue avec des mots de lumière et d’ombre, il tire sur le fil à merde et ce qui vient n’est pas nécessairement excrémentiel, car l’homme est un alchimiste qui peut changer l’ordure en or dur, la métamorphose est imminente et réversible, la distance entre  douceur et douleur ne nécessite qu’un coup d’aile. Parfois les cauchemars sont traversés par les oiseaux fugaces du rêve. Très beau morceau, un fouillis d’interstices qui sont autant d’échappatoires. Des désirs, des envies : titre éponyme, un peu la suite, disons une variante de Black Out des True Dukes, normal ce sont des groupes amis qui partagent batteur et bateleur, mais dans la sainte trilogie du rock ‘n’ roll la carte dominante a changé, ici l’addiction à l’alcool cède la place aux pulsions du sexe, dans les deux cas une question de soif, dont une s’étanche simplement, mais dont l’autre est parfois une denrée qui se fait rare, le morceau roule et tangue comme un bon vieux rock ‘n’ roll, les paroles tournent un peu au délire dans lequel on retrouve l’humour des textes du grand Schmoll. Une belle réussite d’auto-dérision gauloise, dans laquelle El Jyb excelle. A nos âmes : ce n’est pas Sainte Cécile jouant de la harpe sur l’aile d’un séraphin, juste une guitare et une voix. Retour à l’évocatoire pureté de l’enfance, une superbe coupure aristotélicienne avec le morceau précédent, de l’attirance physique l’on passe à la notion métaphysique d’innocence.  De l’attrait de l’Enfer l’on saute au regret paradisiaque du passé. Faut un certain courage pour chanter un tel texte. Toi et moi : la traversée du pont, soyons sérieux, ce titre encore plus surprenant que le précédent, Iéna nous invite à un drôle de voyage, question rock rien de mieux calibré, un accompagnement qui balance et un vocal des plus clairs et distincts mais le sujet est étonnant, celle de la sortie de l’âme hors du corps, non pas un simple voyage dans l’astral mais le saut définitif dans le royaume de la mort. Le Jyb vous conte cela avec un naturel confondant, un peu comme s’il nous apprenait qu’il allait ouvrir une boîte de petits pois pour son déjeuner.

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    L’hymne : apparemment vu les guitares ce n’est pas le national, eh bien si, aux armes citoyens et tutti frutti, eh bien non, c’est bien lui, mais modifié, musicalement je ne vous dis pas, mais les paroles, elles sont actualisées, les enfants de la patrie, de couleurs chatoyantes se révoltent, que les nantis se rancissent dans leur médiocrité, feraient mieux de pleurer sur eux-mêmes, le vieux monde est près de s’écrouler. Deadikass : la suite du précédent, dédié à ces millions de pauvres qui peuplent nos campagnes et nos villes, à ceux que l’on casse pour que la mort arrive plus vite mais aussi à ceux en qui le rêve et la révolte grondent, n’en disent pas plus mais le background parle pour eux, une machine inexorable qui roule et que rien n’arrêtera, deadtermination ! Les masques : c’est-là qu’ils imaginent la fin de l’oppression, un monde débarrassé de tous les masques que l’on revêt pour faire profil bas, être  libéré, devenir enfin soi-même, la guitare se met à chanter, la batterie boute les derniers résidus, Waiting : n’y a pas que le titre qu’est in englishe, tradition rock oblige, l’on en profite pour écouter le rouleau-compresseur de la musique d’Iéna, une locomorock bien réglée, à peine démarrée, elle atteint sa vitesse de croisière, la basse de Stéphanie pousse en avant par-dessous  l’air de rien, la guitare d’Erick  se charge de la dentelle phonique, l’emploie surtout du câble d’acier plutôt que du fil de coton-tige sale, la batterie de Michel, infatigable hale le navire sur terre comme sur mer. Produisent un son, gras et mobile, une véritable machine de guerre, tous terrain. Partout où elle passe l’herbe de la colère corollaire des vies gâchées pousse plus drue. Un rock d’aujourd’hui et de demain.

    Damie Chad.

    *

    Des hasards rock, comme il n’en existe que dans le rock. Damie, tu peux garder quelques affaires d’un ami chez toi jusqu’à lundi, je les lui redescends in the south / No problemo, il n’a qu’à les porter. C’est quand les deux gars ont commencé à décharger que j’ai eu comme un pressentiment, amplis, disques, pieds de micros, je ne vous fais pas un dessin. Bref l’on a passé l’après-midi à discuter de rock, et quand il est reparti, il m’a refilé un CD… Je ne connaissais pas mais rien de mieux et de plus enrichissant que d’ajouter another Bricks in the rock ‘n’roll wall.

    THE PERFECT SADNESS

    VINCENT BRICKS

    ( Décembre 2021 )

    Vincent Bricks a enregistré un premier EP en Angleterre ( Stockholm / My little being ) en 2017, l’était bien parti, le Covid confinatoire est arrivé trop vite, l’en a profité pour écrire, composer, tourner des vidéos, puis l’a recommencé les concerts, bref l’a repris la rock ‘n’roll road, avec toutes les difficultés françaises qui vont ( plutôt qui ne vont pas ) avec… Quand je dis rock ‘n’ roll lui-même se revendique de la mouvance psyché / pop, cite par exemple Brian Wilson dans ses admirations. N’est pas non plus insensible au Velvet Underground…

    La pochette de Carl Fantin nous offre une vision parfaite du bonheur, farniente et amour sur une plage de sable doré, à part que cet état idyllique n’est pas offert à tout le monde, vous faudra attendre d’être mort pour que le fantôme de votre squelette puisse jouir de ces instants sublimes… Est-ce pour cela que l’opus s’intitule Parfaite Tristesse, pour nous rappeler que dans notre vie si all the good n’est pas déjà gone ou enfui, c’est parce qu’il n’est jamais arrivé… Soyons sardonique ! Relisons Colloque Sentimental de Verlaine.

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    Stockholm : c’est vrai que l’influence Velvet saute aux oreilles mais les premières mesures rythmiques passées  le morceau devient aérien, prend de l’ampleur, s’envole dans une autre dimension, une belle voix fluide qui se coule à tel point dans l’instrumentation, que l’on peut dire qu’elle en fait partie, toutefois c’est elle qui crée les climats et mène la diligence, morceau très riche formé d’une mosaïque de petites séquences enchaînées les unes aux autres, pas le temps de s’ennuyer, l’impression à tout instant de prendre un train en marche et de savoir que le paysage qui nous attend sera encore plus beau et plus surprenant que le précédent. Yawnsville : la ville de l’ennui, un bâillement qui avalerait le monde dixit Baudelaire, pour Vincent Bricks cette cité mortelle c’est Sète, immortalisée par Le Cimetière marin de Paul Valéry, un rythme plus soutenu, une voix dont les inflexions ne sont pas sans évoquer le phrasé légèrement désabusé de Ray Davies des Kinks, elle se charge des intermèdes si j’ose dire, car les instants magiques sont dans ces envolées irréelles, dans cette neige qui tombe des étoiles du rêve ou des paradis artificiels, la beauté éblouissante n’est parfois que le paravent de la solitude humaine. The idle guilt : une guitare redondante de slow sixties en introduction, tout s’adoucit, comment la voix si légère de Vincent peut-elle être si cruelle, elle est un poignard qui perce et sépare en deux le voile de la fragilité du monde, elle détruit nos illusions mais aussi nos désillusions, ne nous laisse rien, aucun rempart dérisoire contre l’inutilité de l’existence, sur la plage de l’innocence il ne reste plus d’innocence et même plus de plage. Désespoir absolu de la nudité hominienne. The new pulp : plus enlevé, la vie n'est peut-être plus possible après la traversée du nihilisme, le ton essaie de crâner un peu – les crânes des morts ne rigolent-ils pas de toutes leurs dents – céder à de nouveaux vertiges de la chair pulpeuse du monde n’est pas un mal en soi, ni un bien d’ailleurs, le tout est de continuer à vivre sans être dupe, un ton légèrement persifleur envers soi-même, qui s’empêche de courir après l’idéal, l’important est de survivre dans une certaine désolation et de parvenir à sourire du désagrément d’exister. Parallel universe : petites notes de boîte à musique, la voix prend le dessus, elle mène le bal, des chœurs féminins planent dans le lointain, si nous sommes seuls, le monde est peuplé de couloirs parallèles au nôtre qui se côtoient et qui peut-être finiront par s’enchevêtrer. Rien n’est définitivement perdu. Du moins est-il loisible de le penser.

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             En cinq morceaux Vincent Bricks a su susciter un monde à lui, une vision harmonieuse et poétique, une toile d’araignée transparente tendue sur l’abîme du néant. Il faut espérer qu’un véritable album pourra sortir bientôt, il est à la tête d’un univers musical et mental qui n’attend que l’instant propice pour se déployer.

    Damie Chad.

     

     

    *

    Dans notre chronique 559 du 13 / 06 / 2022 nous évoquions le premier morceau offert an avant-première du prochain CD de Thumos qui vient de paraître ce 04 juillet 2022. Après The Republic dans lequel Thumos alliait musique instrumentale à la philosophie de Platon, voici que pour son nouvel opus il tente de transcrire selon son instrumentation rock la suite de tableaux peints par Thomas Cole sous le titre générique de The Course of Empire. Apparemment les deux projets n’ont rien à voir, plus de vingt siècles séparent Platon de Thomas Cole, mais le kr’tntreader aura déjà remarqué que les deux œuvres dont Thumos propose un commentaire synesthésique s’inscrivent dans une méditation historiale sur le destin humain, individuel et collectif…

    THE COURSE OF EMPIRE

    THOMAS COLE

    Nous ne répèterons pas ici ce que nous avons déjà dit dans note livraison 459 au sujet de Thomas Cole ( 1801 – 1848 ), peintre américain connu pour ces paysages. Nous nous intéressons d’abord à cette bizarrerie : The Course of Empire de Thomas Cole est un ensemble de cinq tableaux mais le CD de Thumos comporte huit titres. Un dessin très schématique de Cole destiné à Luman Reed, son mécène collectionneur, peut expliquer cette bizarrerie. Les cinq tableaux sont surmontés de trois panneaux symboliques : lever, zénith, et coucher du soleil à mettre en relation avec la naissance, l’apogée et la ruine de l’Empire, sous ces trois esquisses sont alignés The Arcadian State, The Consummation, Destruction. A gauche au-dessous de l’Arcadian, The Savage State, à droite au-dessous de Destruction : Desolation.  Au-dessous de Consummation la place était à l’origine occupée par une cheminée, rappelons que le verbe consumer dans notre langue signifie être détruit par le feu.  

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    Le principe unificateur des cinq tableaux est très simple : sur les cinq toiles c’est exactement le même lieu qui est représenté. Ce n’est pas évident si l’on n’y fait pas attention car il est à chaque fois envisagé sous des angles différents…

    THE COURSE OF EMPIRE

    THUMOS

    ( YT / Bandcamp )

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     Introduction : on s’attend à une ouverture d’opéra, du grandiose, de la grandiloquence, pas du tout, l’impression d’une mécanique implacable qui se met en route, le bruit prend de l’ampleur, l’on croit entendre des chasseurs à réaction en pleine mission destructrice qui filent droit vers leur objectif, musicalement cela n’a rien à voir mais l’on pense, surtout à un niveau symbolique, à la scène des hélicoptères d’Apocalypse Now, car la fin de l’arbre est déjà au cœur de la graine, c’est dans le dernier tiers du morceau qu' apparaissent des notes chargées de mélancolie automnale, feuilles rousses que le vent éparpille, emporte, et disperse l’on ne sait où…

    Thomas Cole / The Savage State

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    Ne nous méprenons pas le monde sauvage évoqué par ce tableau n’a rien à voir avec la préhistoire encore moins avec l’ère des dinosaures, lorsque Thomas Cole peint il est plus ou moins consciemment influencé par les représentations du dix-huitième siècle calquées sur l’idéologie de Jean-Jacques Rousseau, l’état de sauvagerie évoqué est celle du bon sauvage, ces civilisations naturellement bonnes, innocentes en quelque sorte, que le philosophe a dépeintes d’après les relations des découvreurs des contrées lointaines et ignorées… nous serions plutôt aux débuts du néolithique, les hommes chassent et élèvent des hutte de peau, cette toile que Cole nomme aussi les débuts de l’Empire, marque la naissance de l’entraide humaine chère au philosophe anarchiste Kropotkine…

    Commencement : dès les premières notes l’on est convaincu du parti-pris de Thumos, ambiance metal, ont évité le piège du symphonisme romantique, pas de langueurs qui évoqueraient le paradis des amours enfantines du commencement du monde, l’homme est un animal violent qui essaie de construire sa niche écologique de survie dans un milieu hostile, ce n'est pas Caïn qui tue Abel mais le parcours de l’humanité est parsemé de meurtres, certes en tant qu’hommes nous ne l’envisageons pas ainsi, le sang  des animaux versé par les cruels chasseurs est à entrevoir comme le suc nourricier des paisibles cueilleurs, les hommes se regroupent mais leur existence si elle en est facilitée n’en est pas pour autant de tout repos, roulements de tambours et rythme pesant d’une marche en avant pour rappeler que le chemin à parcourir dont on ne sait rien ne sera pas une partie de plaisir. C’est en ces époques lointaines et précaires que se mettent en place les outils les plus meurtriers des hommes, l’amélioration des armes et les rudiments de la poésie. Le morceau se termine sur des bruits qui sont autant de points de suspension, tous les chemins sont ouverts.  

    Thomas Cole / The Arcadian or Pastoral State

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     Etait-il possible à l’époque de Thomas Cole d’évoquer les différents stades de l’Humanité sans être influencé par les représentations de l’Antiquité Gréco-romaine ? L’Arcadie a réellement existé, elle était située dans la partie montagneuse du Péloponnèse, plus tard elle passera en partie sous la domination de Sparte. Mais nous sommes déjà dans l’Histoire officielle. Les Grecs eux-mêmes eurent très vite une vision mythique de l’Arcadie, elle était le pays idéal qui avait trouvé le parfait équilibre entre les bienfaits libertaires de la vie naturelle et les agréments procurés par les toutes premières institutions sociétales. Aujourd’hui nous inspirant de la boutade d’Alphonse Allais nous dirions que les arcadiens avaient réussi à transporter la tranquillité de la vie campagnarde dans de minuscules localités à dimension humaine. L’âge d’Or en quelque sorte. Plus pessimiste Karl Marx y verrait plutôt la gestation de la partition classiste engendrée par la spécialisation des individus, ceux qui chassent, ceux qui cultivent, ceux qui dansent, ceux qui bâtissent des temples, ceux qui préparent la guerre de conquête… Il est clair que la vision de Thomas Cole reste marquée par l’héritage de la Grèce…

    Arcadian : résonnances en tintements de cloches ou de guimbardes, musique encore plus forte, lourds de promesses sont les fruits arcadiens, à première vue tout va au mieux mais l’on ignore tout de la bête qui sortira de cette période de gésine, dans le brouhaha l’on discerne les rythmes d’une danse joyeuse, les progrès prométhéens de l’Humanité sont immenses, labourages et pâturages, commerces et sciences, pour le bien de tous, mais il faut se méfier des eaux paisibles, quelles monstruosités sont-elles capables d’engendrer en leur sein, certes il semble que par moments le temps suspende son vol, qu’il s’écoule plus lentement, que l’Arcadie aimerait à se figer en elle-même, mais le devenir entéléchique du monde qui est celui de l’Empire, l’emporte en un torrent passionné, la course s’accélère, le fracas terminal est-il de bon augure…

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    Interlude I : deux interludes encadrent le summum de l’Empire, celui-ci de moins de deux minutes synthétise tout ce que le tableau suivant tait, des armes se heurtent, des chevaux hennissent, ce sont les temps de la Conquête, toute la geste guerrière sur laquelle repose la gloire, la force et la majesté de l’Empire.

     Thomas Cole / The Consummation of Empire

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    L’Apogée le titre français habituellement donné à ce troisième tableau rend parfaitement compte de la munificence de l’Empire Romain.   L’influence de la Rome Antique est patente, au premier regard retentit en notre mémoire  la phrase d’Auguste selon laquelle il s’enorgueillit ‘’ d’avoir trouvé une Rome de pierre et d’en laisser une de marbre’’, la profusion marmoréenne architecturale nous brûle les yeux, la puissance de l’Empire - triomphe militaire, navires de guerre, trône de l’ Imperator - est manifeste, en une seule toile Thomas Cole a synthétisé les  siècles impérieux de la capitale du monde, pour la délimiter nous dirons la période qui court de Néron à Marc Aurèle… Tant de fastes et de richesses ne finiront-ils pas par amoindrir les âmes, ce n’est pas le ver qui est dans le fruit c’est le fruit qui se métamorphose en ver, mais personne ne le sait.

    Consummation : barrissements de guitares, éléphants entravés participant aux triomphes des généraux vainqueurs, la musique nous en met  plein la vue et les oreilles, la batterie en deviendrait assourdissante, les guitares claironnent comme les buccins des légions, ce n’ est pas l’éclat intangible de la beauté des monuments que tente de décrire Thumos, mais la puissance inouïe de l’Empire, le faste n’étant que le visage de la force brute et abrupte qui domine le monde, brutalement l’atmosphère change, elle était dominatrice, elle respire le faux-semblant du vide, l’on a envie de s’écrier comme Cavafy dans son poème En attendant les barbares ‘’ Pourquoi cette inquiétude soudaine et ce trouble ? comme les visages ont l’air grave !’’ , pourquoi la musique devient-elle si assourdissante, de quoi a-t-on besoin de se persuader, une cigarette se consume lentement, mais au bout du bout elle vous brûlera les lèvres et peut-être encore plus profondément que vous ne le croyez… quand la confiance en soi s’effondre…

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    Interlude II : commence le second interlude celui de l’effroi inexorable qui glace le cœur et les énergies, un immense tumulte se dirige vers le centre d’Empire.

    Thomas Cole / Destruction

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    Une toile pour synthétiser ce que l’on a nommé les invasions barbares, Rome a bien été pillée en 410 par les troupes d’Alaric mais la Ville n’a pas été détruite… Sur l’ensemble du territoire de l’Empire bien des cités ont été néanmoins saccagées, Thomas Cole a-t-il pensé à la prise de Byzance par les turcs en 1453 dont les remparts furent détruits par les canons de Mehmed II, le fait que deux factions du peuple de l’Empire soient en train de se battre, les couleurs de leurs bannières rouges et  vertes ne sont pas sans évoquer les émeutes qui secouèrent à plusieurs reprises les partisans des équipes ( rouge et bleue ) des cochers de l’Hippodrome de Constantinople, quoi qu’il en soit Thomas Cole nous dresse une scène de grande violence, incendies, viols, pillages, meurtres, guerre civile entre partisans des envahisseurs et des fidèles de l’Empire… Faut-il voir en ces dissensions intestines de la  population une allusion discrète à la partition entre païens et chrétiens – ceux-ci pactisant avec les barbares christianisés - qui précipita la fin de l’Empire… Il est clair que Thomas Cole, vu le milieu cultivé de son époque, ne pouvait reprendre ouvertement les idées défendues par Edward Gibbon dans son livre Histoire de la Décadence et la Chute de l’Empire Romain qui inspira son projet.

    Destruction : gongs d’angoisses, le danger est partout, tempo de convoi funèbre, l’Empire se délite pan par pan, un suaire de finitude s’abat sur la Ville, la Caput Mundi que l’on croyait, même tranchée, immortelle comme la tête de l’Hydre renaissante ne renaîtra plus, les temps de l’inéluctable sont venus, l’on entendait le cri des égorgements, maintenant résonnent la plainte des vents qui parcourent les rues jonchées de cadavres, la Mort repue avance d’un pas lent, elle quitte la Cité, ici il n’y a presque plus personne à tuer, le drame se clôt ainsi, la nouvelle horrifie le monde, elle devient une clameur insupportable, mais elle décroit, plus personne ne l’entend, plus personne ne l’écoute, le monde a-t-il déjà fait son deuil de l’Empire...

    Thomas Cole / Desolation

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    La dernière toile est sans appel, l’Empire est mort, il ne reste que des ruines, un peu comme les vestiges du forum romain, que vous pouvez visiter aujourd’hui, à part que Thomas Cole signale non seulement la mort de l’Empire mais la disparition des hommes. Que veut-il nous signifier ? Nous pourrions lui opposer que depuis des siècles bien des empires se sont écroulés, que partout à leur place d’autres nations les ont remplacées et que l’engeance humaine n’a   cessé de proliférer… Les Empires ne sont-ils pas comme toutes les choses vivantes condamnées à mourir. Certes c’est triste mais pas dramatique, cela reste dans l’ordre des choses… A moins que le terme de désolation ne soit comme un haillon de pourpre discrètement agité pour signaler que la fin de l’Empire est une perte irréparable, qu’il ne s’agit pas seulement d’un cycle parmi tant d’autres qui s’accomplit en naissant, en se développant, en se désagrégeant, en mourant… mais d’une irrémédiable catastrophe civilisationnelle qui remet en question la survie de l’essence de cet animal grégaire qui s’est hissé au statut d’être humain.

    Désolation : comme les rugissements des siècles éteints, la mer de l’oubli monte indéfiniment, le drame revêt une dimension cosmique, ce n’est pas l’Empire qui est mort, c’est l’Homme en tant que lumière intelligente du cosmos, ce qui est grave ce n’est pas la perte mais le fait que plus personne ne s’en souvienne, ne soit capable d’entrevoir ce qui était en jeu dans cette perte, la musique est d’autant plus violente qu’elle est à entendre comme l’ultime tentative à ne pas oublier l’oubli de l’Empire, tout se calme, le son déferle comme ces vagues qui ont recouvert l’Atlantide…

    Thomas Cole, Thumos, Nous, et Moi…

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             En peignant ses cinq toiles Thomas Cole ne s’est pas dit qu’il tenait un sujet particulièrement intéressant. Lui le peintre paysagiste, art considéré comme mineur, élevait son statut, grâce à ces cinq tableaux  il inscrivait son nom dans ce qui était honoré à son époque comme le plus haute sommité catégoriale à laquelle pouvait atteindre un peintre, celle de la peinture historique, le géographe changeait de statut, il devenait historien, c’est ainsi que l’ont compris ses contemporains.

             Il n’en était rien, The Course of Empire est un acte politique, au début du dix-neuvième siècle l’Amérique prenait conscience de sa puissance, le mercantilisme libéral devenait l’idéologie des élites, le pays était considéré comme un immense gisement à exploiter au plus vite, en commençant par l’extermination des peuples indiens… L’Empire américain en était encore à ses premiers pas, mais la route qu’il empruntait notamment sous l’injonction du président Andrew Jackson ( l’idole de Trump ) n’était pas selon Cole le bon chemin, ses tableaux sont un avertissement, une démonstration historiale adressée au peuple américain, dans un premier temps l’asservissement impérialiste des nations limitrophes apportait certes puissance et richesse, mais cette politique prédatrice était destinée un jour ou l’autre, un siècle ou l’autre, à se retourner contre elle et à la mener à la ruine…

             Sorti le quatre juillet, fête de l’Indépendance, de cette année The Course of Empire de Thumos participe d’une même gestuelle politique, elle invite tout un chacun, les Américains en premier, à réfléchir sur la nature de la politique (intérieure et extérieure) menée par les Etats Unis…  Pour faire le lien avec le précédent opus de Thumos, The Republic, exposition et méditation sur l’ouvrage de Platon, le groupe nous demande cette fois-ci à nous interroger sur la notion de République et ce pourquoi et comment elle est emmenée à se transformer ( progrès ou dégénérescence ) en Empire…

             Nous autres européens, outre le fait que nous ayons tout de suite eu le réflexe de considérer Thumos comme un groupe essentiel, et ce dernier opus nous le confirme, nous pouvons nous interroger sur les soubresauts politiques et militaires qui agitent depuis quelques mois notre continent…

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             Quant à moi, je ne saurais que vous recommander de lire les Poèmes de Constantin Cavafy, traversés, articulés sur ce que les Grecs désignent par l’expression : la grande catastrophe.

    Damie Chad.

     P.S. : à la rentrée nous nous pencherons sur Spaceseer qui a collaboré à cet enregistrement.  

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 506 : KR'TNT ! 506 : ROCKABILLY GENERATION NEWS 14 / JACK NITZSCHE/ TERRY STAMP / PESTICIDES / STÜPOR MENTIS / NINETEEN / ERIC BURDON BAND / AALON / ROCKAMBOLESQUES XXIX

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 506

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    15 / 04 / 2021

     

    ROCKABILLY GENERATION NEWS ( 14 )

    JACK NITZSCHE / TERRY STAMP

    PESTICIDES / STÜPOR MENTIS / NINETEEN

    ERIC BURDON BAND / AALON

    ROCKAMBOLESQUES 29

     

    Talking ‘Bout My Generation

    - Part Four

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    Ah tiens, un article sur Carl Mann dans le dernier numéro de Rockabilly Generation. Heureuse initiative, car le pauvre Carl fait partie des laissés pour compte du système solaire. En fait, le vrai problème est qu’il est arrivé après la bataille. Craig Morrison indique dans Go Cat Go que le rockab avait rendu l’âme en 1959. Et Carl Mann se pointe chez Uncle Sam en 1960. Mais nous dit Morrison, il amène une nouvelle énergie. Morrison le compare à Charlie Rich, lui aussi arrivé sur le tard, quand Uncle Sam n’y croyait plus. Charlie et Carl même combat ? Oui, car ils jouent tous les deux du piano comme des cracks et se passionnent pour Nat King Cole. Comme l’indique Greg Cattez dans son article, «Mona Lisa» est un vieux hit de Cole modernisé par Carl. Cet excellent pianiste qu’est Carl va d’ailleurs jouer dans le backing band d’un autre Carl, le cat Perkins.

    Uncle Sam crée une filiale de Sun qui s’appelle Phillips International Records et c’est sur ce label que Carl et Charlie sortent leurs hits en 1960, «Mona Lisa» et «Lonely Weekends». Mais il s’agit d’un autre son. Si on veut du rockab, il faut écouter «Love My Baby» d’Hayden Thompson, sorti au même moment sur le même label.

    La bonne surprise de l’article pré-cité, c’est qu’on y trouve une interview de Carl menée par Craig Morrison en 2007. Carl raconte sa vie, et c’est passionnant, car ça grouille de détails qui comme les asticots font le charme capiteux d’un vieux claquos. Il fait bien sûr référence aux deux mamelles du rock’n’roll, l’église et le Grand Ole Opry. D’où cette country flavour qu’on retrouve chez Carl et qui passe plutôt bien. Alors qu’Elvis en pinçait pour les blackos, Carl en pince pour les whiteys, Webb Pierce, Hank Snow, Ernest Tubb et son idole Lefty Frizzel. Il y a toute la collection. Le seul blackos qu’il cite, c’est Brook Benton. Et bien sûr, ce gros veinard de Carl voit Elvis sur scène à Memphis avec Scotty Moore et Bill Black.

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    Alors on ressort de l’étagère les albums de Carl. Oh il n’y pas grand chose, Carl n’est pas aussi tentaculaire que Jerry Lee. Deux albums ont échappé aux purges : le Gonna Rock’n’Roll Tonight cité dans l’article et paru sur Charly/Rockhouse et un Super Saver paru sur Rockhouse Records qui fait un peu double emploi, car on y retrouve dix titres enregistrés en Hollande en 1978 et qui figurent déjà sur le Gonna Rock’n’Roll Tonight, mais on le garde rien que pour cette reprise d’«Ain’t Got No Home» dont parle Cattez, un hit de l’immense Clarence Frogman Henry, down in New Orleans baby ! Frogman et Fatsy même combat ? On y reviendra. En tous les cas, cette version d’«Ain’t Got No Home» et un modèle de swing du Tennessee. Carl rocke avec aisance, il propose un son enraciné dans la country, mais il ramène un tel swagger («Judy») qu’on oublie complètement de bâiller. Ce démon de Carl swingue son swagger avec un talent fou, mais il ne la ramène pas pour autant. On sent chez lui une sorte de réserve naturelle. Just sing, boy ! Son «Bull O The Woods» claque bien le beignet de la country et dans «It Couldn’t Happen With Me», il salue Jackie Wilson et Elvis en développant ce que Jean-Sébastien Bach appellerait un pulsatif bien tempéré. Et on finit par se faire baiser avec «Pretend», une sorte d’ancêtre flamboyant du country rock qui, soit dit en passant, pave le chemin de l’enfer de bonnes intentions. Carl est le roi de l’up-tempo, son «Gonna Drink A Little Beer» reste résolument country, mais avec un gros pétard dans le cul.

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    Sur Gonna Rock’n’Roll Tonight, Carl est accompagné par le Dave Travis Bad River Band. On est là en plein revival rockab des années 80 et Dave Travis accompagnait tous les vétérans du rockab qui débarquaient en Europe pour se refaire une jeunesse et émerveiller les fans. L’album est donc enregistré en Hollande et wow, quel punch ! On est vite subjugué par ce «Why Do I Keep Telling Lies To Me» bien enveloppé de son. Carl n’est pas avare d’élégance naturelle, telle qu’on la retrouve chez les grands artistes américains issus du cru. Il semble chanter «Till I Waltz Again With You» avec du coton dans la bouche, et ça explique en partie que sa voix puisse déconcerter. Globalement, Carl reste très classique, il ne s’éloigne jamais de son swagger et derrière lui, le Dave Travis Bad River Band sonne comme le backing-band de rêve. Ces Anglais connaissent toutes les ficelles. C’est vrai que de ce côté-là, on a aucun mauvais souvenir. Carl tape dans l’excellent «I’m Left You’re Right She’s Gone», un vieux hit signé Stan Kesler, d’abord enregistré sur Sun par Elvis, puis par Jerry Lee dans les année 70, pendant sa période Smash/Mercury. En B, Carl reprend un autre hit magnifié par Jerry Lee pendant la même période, l’excellent «You Win Again». Carl s’en sort avec les honneurs. Pas facile de passer après des géants comme Elvis et Jerry Lee. C’est la raison pour laquelle ce mec attache autant que le sparadrap du Capitaine Haddock. Carl pique sa petite crise d’exotica avec «South Of The Border» - Aïe, Aïe, Aïe - Il fait une mexicana à la Dario Moreno et ça tient debout. Quant au morceau titre, c’est un beau flash de rockab. Le Bad River Band soigne le pulsatif et Carl se met à bopper le blues. Cette belle aventure hollandaise s’achève bien sûr avec «Mona Lisa». Le Bad River Band joue dans la joie et la bonne humeur. On salue donc ce mélange réjouissant de swagger country et d’aisance vocale.

    Ravi aussi de croiser dans l’interview de Gilles Vignal le nom de Jerry Dixie, impeccable rocker de banlieue. Dix ans de relations avec sa frangine. Merveilleuse époque !

    Signé : Cazengler, dégénéré

    Rockabilly Generation. N°17 - Avril Mai Juin 2021

    Carl Mann. Gonna Rock’n’Roll Tonight. Charly Records 1975

    Carl Mann. The Best Rockhouse Tracks. Rockhouse Records 1989

     

    La philosophie de Nitzsche

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    L’histoire de Jack Nitzsche ? Inutile d’aller fouiner chez votre libraire, messieurs les philosophes, on la trouve chez Ace. Il suffit de joindre l’utile à l’agréable en rapatriant les trois tomes de The Jack Nitzsche Story. Les livrets dodus vous diront tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur la philosophie de Nitzsche et les compiles vous garantiront pas mal d’allers et retours au paradis, dont l’accès est grandement facilité depuis que Dieu est mort. Car c’est bien de paradis dont il s’agit dès lors qu’on aborde la question nitzschéenne, n’en déplaise aux adeptes de la surhumanité que sont ces messieurs les vampires.

    Passionnante histoire que celle du petit Jack avec sa tête de boche, mais de bon boche : ado il porte ces lunettes à grosses montures d’écaille rondes que portaient tous les militants communistes dans les années trente, Paul Nizan en premier. Comme son nom l’indique, la famille Nitzsche descend du célèbre métaphysicien, mais en émigrant aux États-Unis d’Amérique, ils décidèrent de virer l’e du nom pour brouiller les pistes, vu que l’ancêtre était plutôt mal vu au soit-disant pays de la liberté. Jack naît donc dans un état stoogien, le Michigan, mais il grandit dans une maison où on écoute de l’opéra. Jour et nuit, 365 jours sur 365. C’est une famille de fondus. Chez les Nitzsche, on ne vit que pour la musique. Jack apprend à jouer Chopin pendant que son grand-père pleure de joie à l’écoute de Figaro.

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    Et puis un jour, le jeune Jack se pétrifie : il entend les Penguins à la radio. Puis les Moonglows et Chuck Berry. Alors le ciel s’ouvre au dessus de lui et il aperçoit non pas Dieu parce qu’il est mort, mais sa vocation qui est le rock’n’roll. En vertu de l’efficacité qui caractérise si bien l’esprit germanique, il décide de s’inscrire dans une école qui enseigne ce qu’il appelle the modern harmony, qui précise-t-il, n’a rien à voir avec the traditional harmony. Il n’en existe que deux écoles aux États-Unis d’Amérique : l’une se trouve à Boston et l’autre à Hollywood. Allez hop, direction Hollywood. Mais il ne reste pas longtemps à l’école de musique. En 1956, il commence à composer des chansons et fait du porte à porte pour les vendre. Drring ! Je vends des chansons !

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    Et comme chacun sait, le monde est petit puisqu’il débarque un jour chez Art Rupe. Il ne pouvait pas mieux tomber. Rupe qui est un homme civilisé le reçoit bien et lui donne du boulot. Jack entre au paradis puisqu’il bosse avec H.B. Barnum et Sonny Bono. C’est auprès d’H.B. que Jack apprend son métier d’arrangeur. Nous y voilà. Le Gai Savoir. L’arrangeur est l’un des personnages clés du processus métaphysique d’enregistrement - Stan Applebaum was my hero. Je pense qu’il était le plus grand arrangeur vivant. C’est lui qui a écrit tous les arrangements pour Leiber & Stoller, notamment pour les Drifters. C’est le premier arrangeur auquel je me sois intéressé. Leiber & Stoller furent les premiers à utiliser des grandes chorales, des sections de cuivres et de cordes sur les disques de rock’n’roll, les early Drifters records - Si Jack est devenu tellement légendaire, c’est grâce à Phil Spector qui le prit comme arrangeur.

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    C’est parti mon kiki. Jack rencontre tous ces mecs qui vont faire la légende du rock californien, Kim Fowley, Gary Paxton et il partage même un bureau avec Lee Hazlewood. C’est là dans ce petit bureau que Lester Sill lui présente Phil Spector. Jack dit que Phil avait tout compris au rock’n’roll et qu’il était bien plus en avance que la plupart des gens qui étaient dans le record business et qui n’auraient jamais dû y être, ajoute-t-il. Totor et Jack démarrent ensemble avec «He’s A Rebel». Comme les Crystals sont à New York et Totor à Los Angeles, il enregistre son Rebel avec Darlene Love et les Blossoms. Jack arrange le coup. Rebelote avec «Zip-A-Doo Doo Dah» de Bob B. Soxx & the Blue Jeans : c’est Darlene qui chante avec Bobby Sheen. On est en 1962, ces mecs ont déjà pris de l’avance. Jack commence aussi à bosser avec Jackie DeShannon et Terry Melcher. C’est à partir de là qu’on peut parler d’une philosophie de Nitzsche. Il multiplie les coups de Jarnac, il compose «Needles & Pins» avec Sonny Bono pour les Searchers et produit «When You Walk In The Room» pour Jackie DeShannon.

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    Et plein d’autres trucs terribles qu’on retrouve dans Hearing Is Believing. The Jack Nitzsche Story Volume 1 - 1962-1979, comme par exemple la version de «Needles & Pins» que fit Jackie DeShannon, Jackie & Jack pour le pire et pour le meilleur, over the top, Spectorish en diabolo. On trouvera aussi son gigantic «Lonely Surfer», du surf qui n’est pas du surf. Partout beaucoup de son, même beaucoup trop de son, écouter les 26 titres de la compile d’une traite est impossible, ça monte trop massivement au cerveau. Il faut aussi entendre Doris Day, c’est-à-dire la mère de Terry Melcher, chanter «Move Over Darling» à la délectation du chant d’excellence. Doris Day, c’est la reine de Saba dans le dreamworld de Jack. Un Jack qui reprend aussi le «Rumble» de Link Wray mais qui l’écrase sous des tonnes d’orchestrations. Dans les pattes de Jack, Round Robin s’en sort mieux qu’avec P.F. Sloan, en tous les cas son «Kick That Little Foot Sally Ann» est une pure merveille. On reste dans le Spectorish avec l’«Always Wanted» des Paris Sisters. Pur génie productiviste. On trouve aussi Lesley Gore avec l’excellent «No Matter What You Do», elle est très impliquée dans sa démarche, elle rentre dans le lard du cut à coups de yeah et les filles derrière font yeah yeah yeah.

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    Et puis voilà la rois de la romantica, les Righteous Brothers avec «Hung For You». Eux ne font pas de détails : ils explosent le firmament. Sans doute a-t-on là le pire génie vocal qui se puisse imaginer. On a ici un cut écrasé par les harmonies vocales et les violons, Jack te tartine ça à bras raccourcis, on est un pleine spectorisation des choses. Malheureusement, Jack est embauché comme directeur musical du TAMI Show et il ne peut pas travailleur avec Totor sur «You’ve Lost That Lovin’ Feelin’» et Totor lui en voudra énormément.

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    C’est aussi en 1964 que Jack rencontre les Stones qui l’invitent à jouer quelques coups de piano sur leur deuxième album. Le piano sur «Satisfaction», c’est aussi Jack Flash. C’est encore Jack qu’on entend pianoter dans «Have You Seen Your Mother Baby Standing In The Shadow». Jack nous raconte que les Stones furent les premiers à louer le Studio RCA pour deux semaines à plein temps. Ça ne s’était encore jamais fait à Hollywood. Pas de producteur, ils jouaient quand ils voulaient. Jack ira un peu plus tard à Londres diriger la chorale qu’on entend dans «You Can’t Always Get What You Want». Par contre, c’est avec les sessions de «River Deep Mountain High» que prend fin la relation Totor/Jack. Parmi les autres grands clients de Jack, voici Bob Lind avec «Cheryl’s Going Home», solide rasade de heavy country rock, ah quelle merveille ! Chaque cut est gorgé de vérité apostolique, même l’«I Could Be So Good To You» de Don & The Goodtimes nous renvoie tous aux gémonies des Beach Boys. Mais Jack vois-tu explose le concept Beach Boys pour faire du Don & The Goodtimes. Il leur fait ce cadeau royal. Avec Jack, on voit proliférer les artistes géniaux, tiens comme Judy Henske. Jack la fait sonner comme une reine de Saba avec «Road To Nowhere», même si elle a des accents à la mormoille. Elle gueule dans les cataractes que déverse l’orchestre de Jack, cette femme semble complètement exacerbée, alors avec elle, on explore les mystères de la création. Dans Shindig!, on parle d’emotionally-wracked delivery et d’une clattering production that suggests Nico & the Velvet Underground were listening. Encore un cut de magie pure avec «The Heat Of Juliet Jones» de Garry Bonner. Quand Jack traîne dans les parages, ça ne pardonne pas. Voilà encore un hit invraisemblable, avec tellement de profondeur de champ qu’on en chope le torticolis. C’est explosif ! Pour Jack, c’est le triomphe artistique de 1967. Il devient pote avec Neil Young et produit «Expecting To Fly» du Buffalo Springfield, qui pour une raison x n’est pas sur la compile - To this Days, Expecting To Fly is one of my favorite things - Il s’entend si bien avec Neil Young qu’il part en tournée avec Crazy Horse. Il va aussi bosser sur After The Gold Rush. On croise d’autres noms appétissants dans cette histoire : les Flamin’ Groovies (Supersnazz), Them et Lou Christie dont on peut entendre l’excellent «Wild Life In Season», ultra produit, sans concession, mais fascinant. Merci Ace ! C’est la force des compiles, elles nous embarquent sans discussion, surtout les compiles nitzschéennes.

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    Tiens, voilà P.J. Proby avec «You Make Me Feel Someone». Big singer ! Au sommet du Nitzsche System, là haut, dans ces cimes qui furent si chères à son aïeul. Monté comme un âne, Proby explose la rondelle du Wall. Jack bosse aussi avec Tim Buckley, son «It Happens Everytime» est bardé de barda, c’est impensable de beauté et de voix de rêve, on assiste à la collision de tous les arts. Retour aux Stones avec «Sister Morphine», mais cette fois c’est Marianne qui chante. Jack lui offre sur un plateau d’argent les profondeurs de l’hospital bed. Il a tout compris, Jack se coule dans le mood de Marianne, dans l’excellence du mythe - Tell me sister Morphine, when you’re coming round again - Jack donne aussi de la profondeur de champ au James Gang sur l’album Rides Again et il opère un grand retour aux choses sérieuses avec sa seconde épouse Buffy Sainte-Marie, car il produit l’album She Used To Be A Ballerina et notamment l’excellent «Helpless» qui est un cut de Neil Young. C’est bien que Jack soit allé s’occuper de Buffy. Elle le mérite plus que les autres. Elle bouffe tout le ciel de l’Amérique, elle rayonne dans l’écho du son de Jack. Par contre, le «Mixed Up, Shook Up Girl» qu’il produit pour Mink DeVille est plus pop. Il bosse aussi avec David Blue et revient filer un coup de main à Neil Young sur Harvest.

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    Jack fait aussi son album avec le London Symphonic Orchestra, le fameux St Giles Criplegate. C’est l’époque où il intègre Crazy Horse. Il s’est installé avec sa famille dans le ranch de Neil Young. Le groupe répète pour préparer la tournée et c’est pendant ces répétitions que Danny Whitten fait une overdose. Il produira aussi un album de Graham Parker (Squeezing Out Sparks), un deuxième Mink DeVille (Coup de Grace) et un Ricky Nelson (Playing To Win). Mais en arrivant dans les années 80, il se spécialise dans les bandes originales de films.

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    C’est d’ailleurs avec un extrait de BO que s’ouvre le bal d’Hard Workin’ Man - The Jack Nitzsche Story Volume 2, et pas n’importe extrait, puisqu’il s’agit du «Hard Working Man» de Captain Beefheart tiré de la BO de Blue Collar, un cult movie de Paul Shrader. Certainement l’un des cuts les plus heavy de tous les temps. Jack utilise le two-tons hammer et des musiciens de blues triés sur le volet, Ry Cooder, Jesse Ed Davis, Tim Drummond, Stan Szelest et Jim Keltner, t’as qu’à voir. Puis la foire à la saucisse se poursuit avec Karen Verros et «You Just Gotta Know My Mind», un freakbeat nugget qui démolirait n’importe quel juke. Karen fout le feu. Dans une interview, Terry Melcher explique que le grand secret de Jack est de savoir réunir les bons musiciens. Terry et Jack bossent pas mal ensemble entre 1962 et 1964, avec des gens fabuleux mais tombés dans l’oubli comme Emil O’Connor («Some of Your Lovin’», classic jive avec des filles terribles en backing). Tiens encore un coup de Jack Jarnac avec Tammy Grimes et «Nobody Needs Your Love More Than I Do», elle chante à l’explosif, elle est encore plus balèze qu’Esther Phillips, c’est inespéré de puissance mirobolante, Jack la spectorise jusqu’à la moelle. Et pouf sur qui tombe-t-on à la suite ?

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    Sur Merry Clayton, une copine d’église d’Edna Wright, la sœur de Darlene Love. Edna Wright ? Mais oui bien sûr, Honey Cone ! Le monde est petit. On est en 1963, l’année la plus prolifique de Jack, et Merry Clayton enregistre «It’s In His Kiss». Merry s’entend bien avec Jack. On la retrouve d’ailleurs derrière Buffalo Springfield («Expecting To Fly»), Buffy Sainte-Marie et les Everly Brothers. Sans oublier les Stones, bien sûr. Avec «It’s In His Kiss», Merry est le clou du bec, elle épouse l’acceptance du génie nitzschéen, cette folle chante même par dessus les cimes. On reste dans la magie pure avec les Righteous Brothers qui avec «Just Once In My Life» démarrent en bas de l’échelle des grandeurs et montent aussi sec au big shoot, ça explose, Jack nous emmène au sommet du génie productiviste. C’est le cut insurpassable par excellence. Tous les adjectifs du monde n’y pourront rien. Pareil avec Timi Yuro qui claque son «Teardrops Till Dawn» dans la meilleure prod de l’époque. Ah la vache !, comme dirait Jacques Vachet. C’est Nick Venet qui met Jack sur ces coups-là, Timi Yuro, les Walker Brothers et les Paris Sisters. Jack soigne aussi le «Like Someone In Love» de Bobby Vee, encore une prod de rêve, une prod à se damner pour l’éternité.

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    Jack fait sonner les Satisfactions («Baby I’m So Glad It’s Raining») comme Abba. La chanteuse du groupe n’est autre que Gracia Ann May, la première épouse de Jack. Elle chante sa pop jusqu’à l’extinction des feux de la rampe, my baby ! Et on apprend au passage qu’il existe un album inédit des Satisfactions, même chose pour Tammy Grimes, alors ça nous baver comme des grosses limaces dégueulasses. Humain trop humain, comme dirait Nitzsche. Dans The Gas Co, Greg Dempsey se prend pour Dylan, il attaque «Blow Your Mind» au nez pincé mais avec une pugnacité qui le rendrait presque sympathique. Nouvel exemple de génie productiviste avec Donna Loren et «Woman In Love (With You)», encore une blanche que Jack orchestre jusqu’à l’orgasme, et là on a un pur orgasme pop. Nouveau shoot de heavy prod avec l’«As Long As You’re Here» de Zalman Yanovsky, l’ex Lovin’ Spoonful. Jack en fait un festin imputrescible. Oui, on tombe dans les excès de langage avec des mecs comme Jack, tout avec lui devient tellement inexorable. Il propulse tous ses clients dans des dimensions magiques. Jack est donc un magicien. On tombe ensuite sur une version nitzschéenne de «Mr Soul» par les Everly Brothers. C’est hanté, joli et psyché, volontairement ralenti pour les besoins de la causalité. Et pouf tout ré-explose à nouveau avec les Turtles et «You Know What I Mean». C’est chanté aux bouquets de voix, et donc voilà la pop du paradis. Une pop digne de celle de Brian Wilson, d’une hauteur de vue imprenable, montée en cascades de bouquets d’harmonies. Il faut se souvenir qu’en 1965, les Turtles étaient l’un des meilleurs groupes de pop-folk-rock d’Amérique. Jack bosse aussi avec les Monkees dont voici «Porpoise Song», belle pop-song entreprenante dotée d’un soubassement beatlemaniaque et montée sur des couches de voix caviardées de violons. Signé Goffin/King, «Porpoise Song» est le cut d’ouverture de Head. Shindig! parle de luminescent waves of organ punctuated with chimes, bells ans the trance-like mantra of goodbye goodbye goodbye. Comme on l’a déjà rappelé, Jack intègre Crazy Horse et produit leur premier album, où se trouve cette merveille signée Danny Whitten et rendue célèbre par Rod The Mod, «I Don’t Want To Talk About It». Wow, l’excellence du Whit ! Voilà une nouvelle équation de base : Danny/Jack, c’est-à-dire singer + song + prod. Imparable. Voilà du Jack pur avec «I’m The Loniest Fool», tiré de son troisième album solo mystérieusement passé à l’as. Puissamment orchestré, il ne peut pas s’empêcher de mettre la gomme sur les orchestrations et il chante au beau milieu de tout son bordel de violonades. Pour les beaux yeux des Tubes, Jack recrée le wall of sound et Fee Waybill plonge dans la romance des Ronettes avec une fille pleine de soupirs. «Don’t Touch Me There» a la violence d’un pastiche miraculeux. Ils sont en plein dans le teen soap opera de bas étage, mais que de son, my son ! - I love your sweet sweet lips ! -

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    Et puis Jack atteint le sommet de sa carrière en réunissant Taj Mahal, John Lee Hooker et Miles Davis pour la BO du Hot Spot de Dennis Hopper. Le cut qu’Ace propose s’appelle «Bank Robbery» et Hooky mène le bal des vampires, car c’est bien de cela dont il s’agit, baby, c’est sec et net, avec du Miles dans le groove, cut mythique par excellence, with Taj in tow and Miles on daggers. Puis quand Jack comprend que sa carrière est finie et qu’il faut tourner la page, il commence à rédiger ses mémoires. Mais il découvre CC Adcock, le fils du capitaine. Jack va hélas casser sa pipe en bois avant que ne sortent les précieux albums du fils du capitaine. On trouve à la fin du booklet un long témoignage de CC Adcock, ce kid de Louisiane qui eut le privilège de bosser avec Jack. Il donne pas mal de détails effarants qui nous reposent du discours habituel : «Oh Jack Nitzsche quel génie, blih blih blah blah», non Adcock nous parle d’un Jack parfois défoncé qui s’écroule la gueule dans son assiette, qui s’habille comme un toréador parce qu’il aime bien les belles fringues et qui quand il a quelques verres dans le pif envoie des couteaux dans la lune (throw knives at the moon), et puis il y a toute l’histoire de la connexion avec Willy DeVille et un peu de junk pour faire bonne figure. On ne fréquente pas des junkies notoires comme Danny Whitten ou Keith Richards sans finir par y goûter. Autant Totor aimait les guns, autant Jack aimait les knives. Il lui arrivait d’en sortir un dans un business meeting, ou alors, il demandait une somme faramineuse, mais, nous dit Adcock, c’était toujours hilarant.

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    Justement, c’est CC Adcock qui ouvre le bal du volume 3, Night Walker - The Jack Nitzsche Story Volume 3, avec l’excellent «Castin’ My Spell», reprise d’un grand hit des Pirates. Adcock nous raconte toute l’histoire de cet enregistrement. Ça donne un Spell assez raw, très spécial, pas loin de Moon Martin mais avec un son à casser la baraque. La guitare y fait la pluie et le beau temps. Même genre de rage mortifère que dans «Cold Turkey». Et puis voilà l’épisode Performance dont Jack a composé la BO. Rappelons que le réalisateur Donald Cammell se disait le filleul d’Aleister Crowley et pour s’imprégner d’occultisme, Jack est allé faire un stage chez un occultiste de Laurel Canyon. Californian hell, okay ? Pour Jack pas de problème, sa passion de l’occulte lui vient de sa mère qui en était très férue. On retrouve donc pas mal de clients de Jack dans la BO de Performance : Buffy Sainte-Marie, Ry Cooder et Merry Clayton. Merry est toujours la backing singer que Jack appelle en premier. On reste dans les big voices avec Darlene Love et «A Long Way To Be Happy». C’est elle la reine du Wall of Sound. Elle est l’une des meilleures incarnations de la pop. Nous voilà au cœur du mythe. Darlene rappelle que les Crystals qui chantent «He’s Rebel» sont en réalité elle et sa sœur Edna Wright, Fanita James et Gracia, la femme de Jack. On entend aussi deux cuts de Jack, «Night Walker» et «Lower California». Dans le premier Jack ramène une basse pouet pouet atroce dans sa soupe aux choux, avec des violons à gogo. Le deuxième est exceptionnel de légendarité. Jerry Cole fit partie du Wrecking Crew et donc le voilà avec «Every Window In The City». Ce mec est ce qu’on appelle un pléthorique, il a passé sa vie à enregistrer des instros dans tous les coins.

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    Alors voilà les vraies Crystals avec «Little Boy». LaLa Brooks chante et fait le bonheur du Wall. Quelle chance il a ce frimeur de Willy DeVille d’avoir Jack derrière lui pour produire «Just Your Friends». Jack est très demandé en fait. Sa réputation se base sur la BO de Performance et le premier album de Crazy Horse. Et donc Jack va produire trois albums de Mink DeVille. Willy : «He was like my crazy uncle. I called him my mentor and my tormentor.» C’est au cours de l’enregistrement d’«Is This What I Get For Loving You» des Ronettes que Totor comprit qu’il atteignait la fin de son règne. L’esprit n’y était plus. Le Wall ne marchait plus. Il fallait passer à autre chose. Il cessa de produire les Ronettes et demanda à Jeff Barry de s’en charger. Voilà les Fleetwoods avec «Come Softly To Me» : encore un hit des silver sixties d’une implacabilité sans fin. Avec «June Is As Cold As December», les Everly Brothers passent à la psychedelia rampante. Quel merveilleux artefact ! Pour sa femme Gracia et ses Satisfactions, Jack sort son meilleur Wall : «Daddy You Just Gotta Let Him In» sent bon les sixties, les filles sont sucrées à souhait, voilà le power des girl groups. Énormes dynamiques de son : Jack = sucre + power. Jackie DeShannon bénéficie aussi du power de Jack dans «Try To Forget Him», elle ramène tout son sucre. Elle est assez balèze dans le genre. Elle descend dans la pop yéyé et brasse à gogo. Jackie explique qu’ils forment un couple à trois avec Jack et le producteur Dick Glasser - It was a wonderful musical mariage between the three of us - Le «What About You» de Ramona King date du temps où Jack bossait avec Lee Hazlewood. Shindig! précise toutefois que la pauvre Ramona fut parasitée by some hysterical backing vocals ricocheting of that wall od sound. C’est Lee Hazlewood qui présenta Jack à Phil Spector et ça l’amusait de taquiner Totor en lui disant : «Tu m’as piqué mon arrangeur», à quoi Totor répondait : «Tu n’as jamais rien fait pour lui, moi au moins j’en ai fait quelque chose (I turned him into something)», alors forcément, Lee ne pouvait qu’opiner. Dans le Wall, on retrouve aussi la Mama, Michelle Phillips avec «Victim Of Romance». C’est incroyable de la voir soloter. Elle est bonne en plus. Superbe poulette. Solo de sax et merci Jack ! On reste en plein dans le Wall avec l’un des cuts les plus mythiques de Jack : «Yes Sir That’s My Baby» par Hale & The Hushabyes qui sont en réalité Edna Wright (lead vocals), avec la crème de la crème en backing vocals : Sonny Bono, Cher, les Blossoms et Jackie DeShannon. Jack n’a jamais été aussi loin dans le productivisme. C’est Brian Wilson qui chante les high harmonies. Jack fit aussi cette chanson avec Emil O’Connor puis avec Gracia, pour l’album des Satisfactions qui sortira peut-être un jour. Back to Terry Melcher avec l’«Here I Stand» des Rip Cords. Ça bombarde ! Aw comme ces mecs savaient gérer leur barcasse !

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    Alors bien sûr, l’idéal est d’aller fouiner sous les jupes des albums de Jack. Son premier album solo s’appelle The Lonely Surfer et date de 1963. Comme on l’a dit, Jack orchestre, il ne chante pas. Le morceau titre, c’est du son pour du son et comme ça touche au surf, Jack balance du clong clong de basse dans les vagues. Il ramène des effets orchestraux spectorculaires, c’est du wow de base et de rigueur, car oui wow comme c’est beau ! Big instro pompeux comme Pompée, bien dressé vers l’horizon, pur jus de cinémascope, Jack fait sonner les rrrooo rrrooo des péplums. Il tape son «Stranger On The Shore» à la trompette mariachi pour un résultat quasi-fellinien. Tout est pesé comme chez Totor, peut-être même encore plus. La moindre note semble soupesée, étayée, façonnée, bichonnée. Jack adore les trompettes qui bavent. Le deal de Jack, c’est donc le big intro chauffé à la clameur, avec tous les moyens du bord, violonnades, espagnolades. Il faut attendre «Ebb Tide» pour sentir ses naseaux frémir. Comme Totor, Jack travaille la matière du rêve, il va chercher la profondeur, il développe le même genre de power, «Theme From Mondo Cane» en est la preuve : ils ont tous les deux le même sens de l’élévation congénitale.

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    Paru en 1972, ST. Giles Cripplegate est un album enregistré avec le London Symphony Orchestra. On peut l’écouter, mais il n’y a pas grand chose à en dire. Par contre, un album sans titre pas paru deux ans plus tard sous forme de test-pressing et réédité en 2020 requiert plus d’attention. Dans Shindig!, Grahame Bent chante les louanges de cet album resté coincé depuis 1974. Pourquoi coincé ? Bent dit que dans «Little Al», Jack chante : «Hey Mo where you gonna go with that rock in your back pocket?», une phrase qui n’aurait pas plu à Mo Austin, le boss du label qui du coup aurait envoyé l’album aux oubliettes dans un Warner Bros storage facility in North Hollywwod. Bent parle d’un album filmic, au sens où les cuts se fondent les uns dans les autres comme les scènes d’un film. D’ailleurs Jack l’enregistre avec le filmmaker Robert Downey, un peu dans l’esprit de ce que fait à la même époque Mike Nesmith avec Jack Nicholson et Bob Rafelson dans Head. Bent parle bien sûr de résonances de Brian Wilson, de Jimmy Webb et de Van Dyke Parks, et à ses yeux, c’est l’album qui illustre le mieux l’ampleur du Gai Savoir de Nitzsche.

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    Ce mystérieux pas paru est apparu pour la première fois en 2001 sur une espèce de compile Rhino, Three Piece Suite - The Reprise Recordings 1971-1974. En plus de l’album pas paru et de ST. Giles Cripplegate, on y trouve quatre démos fantastiques. Et là attention, ça ne rigole plus car Jack chante. La première qui s’appelle «I’ll Bet She Knew It» est une pop à la George Harrison extrêmement bien foutue. Sur «We Have To Stay», Jack sonne comme un bienfaiteur de l’humanité. Il s’exprime à travers une voile de beauté purpurine et ça s’achève avec une nappe de violons sous le vent. S’ensuit un «Carly» dédié à Carly Simon - Carly did you hear me calling your name - Il n’en finit plus d’émerveiller. Quant à l’album pas paru, il grouille lui aussi de merveilles, à commencer par «Lower California», belle pop incertaine digne de celle des Beach Boys de Smile, groove à la ramasse de la rascasse. Jack chante et c’est plutôt bon. Il dote «Who Said That To Who» d’une fin orchestrée somptueuse et son «I’m The Loneliest Fool» est stupéfiant de grandeur. Jack va chercher la sensation au piano. Chaque cut sonne comme un exercice de style et on crie de nouveau au loup avec «Hanging Around», un fantastique balladif de fin de soirée avinée. Cette façon qu’il a de ramener des violons dans la mélodie est unique. Tiens encore une merveille avec «Marie», Jack descend dans la romantica, mais avec la puissance d’un fleuve.

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    Dans les early sixties, Lester Sill signe les Paris Sisters et il demande à Totor de les produire. Forcément, Jack est dans le coup. Avec ces trois blondes, on est au cœur du phénomène girl-groups que Totor va ensuite développer avec les Crystals et les Ronettes. L’idéal pour bien prendre leur mesure est de se plonger dans une antho des Paris Sisters et comme toujours, c’est Ace qui fait le nécessaire avec Always Heavenly. Grâce au Wall, elles sont capables de coups de génie, comme par exemple «Always Waitin’», produit par Mike Curb, chanté d’une voix de grosse pute, une vraie bénédiction. Le stomp est celui d’une armée de l’Antiquité en marche. On retrouve ces méchantes allumeuses dans «Why Do I Take From You», toujours produit par Mike Curb. Elles sucrent bien les fraises, on est pleine spectorisation des choses, au cœur de la prod d’extrême onction, une véritable explosion au sommet de l’art, elles grimpent là-haut sur la montagne. Totor ne produit que cinq cuts des Sisters, le plus connu étant «I Love How You Love Me», fabuleux deep chick pop, c’est d’un kitsch qui en bouche un coin. Mais Totor ne fait pas de miracles avec les autres cuts, «Be My Boy», «What Am I To Do» et «He Knows I Love Him Too Much». «Once Upon A While Ago» par contre groove bien, Totor renoue avec la pop magique. Jack produit quelques petites merveilles, comme par exemple «When I’m Alone With You», pure pop de Brill, mais composée par P.F. Sloan. Jack reste dans l’énergie du Brill avec «My Good Friend». Elles sont dans l’éclat de l’éclair avec tout le sucre du Brill, aw yes we’re still good friends, ah les garces comme elles chantent bien leur petit bout de gras. Jack orchestre «I’m Me» jusqu’à l’infini, c’est très tendu dans l’excellence des violons, on voit Jack là-bas au fond du ciel, avec son sourire énigmatique. Elles sont encore magnifiées dans «See That Boy», toujours en plein Brill, Jack orchestre à la racine du son. Il produit aussi une reprise de Burt, «Long After Tonight Is All Over» et puis «You», fabuleux cut car ramassé sous le boisseau, elles chantent comme des garces et collent au train du beat. C’est Jack et Jackie DeShannon qui composent «Baby That’s Me» et c’est Terry Melcher qui produit. Époque Columbia. On est content que Jack soit impliqué dans cette merveille inexorable, c’est du spectorish pur et dur. «Dream Lover» est un hit signé Bobby Darin et comme beaucoup de ceux qui précèdent, il est invincible. Les Sisters sont balèzes, elles chantent du haut de leur talent. Les amateurs de sex-pop se régaleront de «Lonely Girl», chanté dans la chaleur de la nui des cuisses, c’est chaud et humide, on y glisserait bien la langue. Les Sisters sont atroces de Brillitude et c’est noyé de violons. Elles font de la pop d’époque, mais l’amènent avec esprit. One of the earliest 60s girl-group, Albeth, Priscilla et Sherrell Paris auraient dû exploser. Diable, comme le destin peut être cruel. Album Columbia jamais sorti, projet Totorish avorté. Notez bien qu’en 1966, Jack produit Sing Everything Under The Sun, leur seul album paru sur Reprise.

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    Jack a produit une belle ribambelle de bandes originales, la plus connue étant certainement Performance - The Original Motion Picture Sound Track, parue en 1970, avec la tête du Jag sur la pochette. C’est lui le Jag qui ouvre le bal de la B avec l’excellent «Memo From Turner» : vrai son, prod de rêve, parfait enchevêtrement de la slide et de la basse, extrême tension du son et puis bien sûr the voice. Randy Newman ouvre le bal d’A avec «Gone Dead Train» co-écrit par Jack et Russ Titelman, un vieux boogie de pas-de-problème-ça-y-va-tout-seul. C’est Ry Cooder qui joue les coups de mercurial slide guitar et, nous dit Shindig!, indique la voie aux Stones pour la décade suivante. On entend Merry Clayton se plaindre dans le morceau titre et on croise pas mal de cuts dont il n’y a rien à dire. Buffy fait son cirque indien dans «Dyed Dead Red» et en B, les Last Poets font leur cirque urbain avec «Wake Up Niggers». Comme ce film n’est pas le chef d’œuvre du siècle, non seulement on peine à s’effarer, mais on peine aussi à resituer les cuts dans le déroulé du film. Jack donne de la profondeur à Merry pour «Poor White Hound Dog» et ça redevient superbe.

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    En 1970, Jack produit l’excellent Bad Rice de Ron Nagle, un album devenu quasiment culte. On y note de sacrées présences : Mickey Waller qui bat si bien le beurre, Ry Cooder qui gratte si bien sa gratte et Sal Valentino qui couine si bien les chœurs. Très vite, la qualité du son rafle la mise, alors merci Jack. Au dos de la pochette, Ron Nagle commente ses cuts et indique que le cry cry cry de «Frank’s Store» est celui d’un retarted guy with an identity crisis. Il fait aussi preuve d’une grande aisance compositale dans «That’s What Friends Are For» : c’est ce qu’on appelle communément une pop parfaite, written nous dit Ron for Jack and I, two manic depressives. Toujours de l’aisance en B avec «Dolores». La prod de Jack ne pardonne pas - A young guy falls in love with his baby sitter and she likes it - Ron sait aussi gérer les petites pétaudières californiennes, comme on le constate à l’écoute de «Capricorn Queen». Mickey Waller bat ça bien sec et net. Tout sur cet album se veut convaincu d’avance, même le country-rock de «Somethin’s Gotta Give Now». Ça reste léger et printanier, prod de rêve, la patte de Jack. Ron enchaîne avec la belle pop autobiographique de «Family Style», et aussitôt après l’album va coucher au panier.

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    Année prolifique puisque Jack produit aussi 12 Songs de Randy Newman et l’After The Gold Rush de Neil Young. On ne gardera pas un grand souvenir du Randy Newman, même s’il allonge cet «Have You Seen My Baby» repris par les Groovies. Newman est bon mais faible. Pas de rémona. Il chante son hold on à la voix blanche. En fait Jack ne produit qu’un seul cut sur 12 Songs : «Let’s Burn Down The Cornfield», une espèce de soft groove rural, mais pas de quoi se prosterner jusqu’à terre. Le reste de l’album n’est pas facile d’accès. Après tu as des mecs qui aiment ça. Chacun cherche son chat. Randy Newman est bien gentil, mais il manque de crédibilité. Il va parfois chercher des trucs rétro assez beaux comme «Underneath The Harlem Moon», mais on s’ennuie. Sur quoi se base sa réputation ? Va-t-en savoir. «Old Kentucky Home» est encore une preuve de l’inexistence de Dieu, ce qui serait logique, nous dirait Jack. But my God, comme on est loin du compte.

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    Par contre, l’After The Gold Rush va rester dans les mémoires, on le sent dans «Tell Me Why», même si c’est un parti-pris très folk-rock. De toute évidence, Neil Young en pince pour la chanson. Il se passe un truc énorme dans le son, un truc inespéré qui relève de la beauté pure. C’est vrai qu’à l’époque, la voix de Neil Young pouvait insupporter très vite, mais avec le recul, sa voix sonne vraiment très bien. Ce mec chante à l’amphitryon schtroumphique, à la pointe de la glotte de chèvre chaud avec une incroyable pureté d’intention. Il peut exploser n’importe quelle pop, il a du génie. C’est en tous les cas ce que montre «Only Love Can Break Your Heart». Il sait tout faire, même la pop de proximité («Till The Morning Comes»). Il sait remonter une pente de heavy glue dans l’axe du visuel («Oh Lonesome Me») et chanter d’une voix de fille-mère («Don’t Let It Bring You Down»). C’est une façon de chanter l’Americana très spéciale. Il chante sans même se rendre compte qu’il sonne bizarrement. Avec «Birds», il vise la Beautiful Song et il vise bien, il a le compas dans l’œil, il pianote dans la plaine et revient aux guitares électriques pour «When You Dance I Can Really Love». Il fait tout simplement de la psychedelia ravagée. Il finit avec une «Cripple Creek Ferry» bien foutu, hey hey. Comme Dylan, il prend sa carte au parti.

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    En 1971, Jack intègre Crazy Horse comme pianiste et produit leur premier album sans titre, Crazy Horse. On sent sa patte dès «Gone Dead Train», le boogie que chante Randy Newman sur la BO de Performance. Derrière, on a Talbot, Molina et Nils Lofgren. Il faut attendre «Look At All The Things» pour voir trente-six chandelles. Car c’est du heavy psycho-rock à la Danny Whitten. Il se pourrait très bien que Neil Young se soit inspiré du génie fantomatique de Danny Whitten. Car c’est lui l’âme du groupe. Il mène le bal et les autres ne sont rien. Son grand hit est bien sûr «I Don’t Want To Talk About It». C’est pour ça que Jack est là, il a vu le génie de Danny. Un Danny qui monte au sommet de sa maîtrise du chant. Jack le soigne, le génie mélodique se double d’un génie productiviste. «Downtown» est du pur Neil Young Sound, comme si Danny le pré-datait. C’est la même énergie de vieux hippie héroïnomane. Le dernier grand coup de Jack & Danny s’appelle «I’ll Get By». C’est merveilleusement emmené, comme joué dans l’envol, les fondus de voix sont une véritable bénédiction. Après, le Crazy Horse va continuer, mais sans Jack & Danny. Et ça n’a plus aucun intérêt.

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    Étonnant album que cet album solo de Michelle Phillips paru en 1971, Victim Of Romance. Jack ramène quelques amis en studio, parmi lesquels Tricia Johns et Ron Nagle. Et pouf, «Let The Music Begin» crée de l’enchantement. Here comes my baby, c’est de la belle pop de Jack. Et ça continue avec le morceau titre. Jack recrée les conditions du Wall et ça devient spectorculaire. Rien que pour ce bal d’A, on est comblé. Bon, il y a d’autres choses, mais ce n’est pas aussi brillant. Il faut aller piocher en B pour choper «Baby As You Turn Away», une compo signée des frères Gibb. Difficile d’espérer plus réjouissant. Michelle chante divinement, c’est un balladif éclatant de beauté. La mélodie est fidèle au poste et ce surhomme qu’est Jack l’orchestre fantastiquement. Il revient à sa vieille équation : the song + the voice + the sound = bingo. Michelle ma belle finit sa modeste contribution à la beauté du monde avec une chanson de Ron Nagle, «Where’s Mine», qui est une belle pop océanique, idéale pour Jack et cette superbe poulette.

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    La même année, Jack orchestre sa femme, Buffy Sainte-Marie, pour les besoins de She Used To Be A Ballerina, un album Vanguard difficile d’accès, malgré la présence de tous les copains de l’époque, Danny Whitten, Ry Cooder, Merry Clayton et Crazy Horse. Buffy tape dans le «Smack Water Jack» de Goffin & King, mais ça ne marche pas. Elle essaye pourtant de chanter à l’indienne, avec le secours des esprits, mais son élégiaque ne décolle pas. Elle finit son bal d’A avec «Helpless», un cut du vieux Young, mais ça plombe, même si on entend Merry Clayton dans les chœurs. La B est nettement plus politique car c’est là qu’elle reprend la chanson du Partisan, «Song For The French Partisan» - J’ai perdu femme & enfants/ J’ai changé 100 fois de nom/ Mais j’ai plein d’amis/ Sur la terre entière - Jack a raison de soutenir cette cause. S’il en est une qui est habilitée à chanter ça, c’est bien Buffy. Elle enchaîne avec l’encore plus politique «Soldier Blue». Elle revendique la terre de ses ancêtres, elle a raison, c’est la chanson de ce film atroce qui montre le massacre d’un campement indien par la cavalerie - This is my country - Elle demande aux soudards de voir les choses autrement. Mais le vrai coup de tonnerre s’appelle «Maratorium». Buffy est aussi balèze que Dylan, elle harangue avec le même aplomb et elle s’accompagne au piano. Elle est spectaculaire. Sacrée Buffy, que deviendrions-nous sans elle ?

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    En 1977, Jack attaque une série de trois albums avec l’un de ses chouchous, Willy DeVille. Voilà donc Cabretta qui paraît en pleine vague punk et qui bien sûr n’a rien à voir avec cette vague punk. C’est d’ailleurs le côté tragique de son histoire, Willy l’inopportun. Jack amène «Venus Of Avenue D» au petit groove. Quand on écoutait ça en 1997, on ne savait rien - ou peu de choses - ni de Jack ni de la Nouvelle Orleans. Il faut bien dire que Willy screame à la perfection. Il tape aussi dans les grosses compos comme «Little Girl» (Spector/Greenwich). Il nous refait le coup du girl-group du New Jersey avec toute la romantica qu’on peut bien imaginer. Quel album fantastique ! C’est chanté à gogo et plein de son. Que demande le peuple ? Il fait encore des siennes dans «One Way Street», cut de white Soul brûlante, derrière lui ça jive et Jack veille au grain. Willy DeVille allume comme Wilson Pickett, il chante à la voix blanche, il frise le génie en permanence. Puis il s’en va groover son «Mixed-Up Shook Up Girl» dans le sens du poil, alors oui, il peut se permettre de frimer. Il chaloupe bien sa Shook Up Girl. Il boucle son bal d’A avec «Gunslinger», une belle cocote de back-door New Orleans. Il chante son gut out. En fait, Willy et Jack font de la Southern Soul, il faudra attendre un bon bail avant de comprendre ce que ça signifie. Par contre, il se vautre en tapant dans le rock FM de Moon Martin. «Cadillac Walk», c’est un peu comme si Willy suçait Moon et c’est pas terrible. Par contre, on a du son avec «Spanish Stroll». C’est même du son de rêve, avec les castagnettes de Totor et les filles qui font ooh ooh. Willy fait son Lou Reed et il sonne juste. Joli mélange de Rosita et de Brother Johnny - Hey Mister Jim/ I can see the shape you’re in - Pure merveille. Il est de toute évidence sur les traces de «Walk On The Wild Side». Ça donne un mélange sidérant de Lou Reed et de chœurs de filles, de castagnettes et de Wall. Il fait son caballero, avec des guitare de flamenco en contrefort et ça frise le génie en permanence. Il termine avec «Party Girls» dans la romantica de juke. Vraie voix, grosse prod, big backings, quel album !

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    Paru l’année suivante, Return To Magenta est un peu moins bon. Par contre la prod de Jack reste irréprochable, comme le montre «Soul Twist». Méchante attaque ! Ces mecs ont du gusto. Quelle belle niaque de son ! Avec «Rolene», Willy propose un vieux rumble. S’il se fâche, ça peut devenir âpre. Encore un cut de Moon Martin. Jack leur taille un son sur-mesure. Il faut attendre «Just Your Friends» en B pour renouer avec la viande. C’est quasiment un coup de génie. Ils y vont de bon cœur avec les castagnettes. Le pauvre Jack ne fait que répliquer les recettes de Totor. Ils sont en plein Wall, au point que ça finit par sonner comme un hommage, ou un pastiche, si on veut faire sa mauvaise langue. Coups d’harmo superbes et tout est porté par des nappes de violons. À noter que Jack co-écrit cette merveille. Puis Willy fait du Dylan de Highway avec «Steady Drivin’ Man». On y entend un joli riff de déglingue. Mais la fin d’album est assez faiblarde.

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    Le troisième Mink DeVille que Jack produit s’appelle Coup De Grace et date de 1981. Il ne laissera pas de souvenirs impérissables. Willy attaque avec «Just Give Me One Good Reason», une belle Soul blanche bien produite, pas de problème de ce côté-là, des garçons font les chœurs, on est au maximum des possibilités du genre, avec un son sec et assez profond. Puis Willy tape dans Eddie Hinton avec «Help Me To Make It». Pareil, on reste dans la belle Soul blanche. Jack soigne cette voix parfaite. On se doute bien qu’il se régale derrière sa console. Il envoie un gros coup de sax dans le son de «Maybe Tomorrow» et Willy boucle son bal d’A avec une cover du fameux «You Beter Move On» d’Arthur Alexander. En B, Jack injecte de l’accordéon dans «Love & Emotion» est ça devient magique. Plus des cuivres en sortie de couplet, alors t’as qu’à voir ! Willy manie très bien les vieux hits de r’n’b comme «Love Me Like You Did Before». Et même très très bien. Voilà encore un album qui se termine dans l’excellence avec «End Of The Line». Jack ramène toutes ses vieilles recettes, la profondeur de champ, la mandoline, les cordes. Il ne manque que les castagnettes.

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    En 1978, Jack produit le premier album sans titre des Neville Brothers. Il va vite se régaler de la voix d’Aaron, notamment dans «Audience For My Pain». Pour un producteur, cette voix d’ange est une véritable aubaine. Du coup, Jack se demande si Dieu est vraiment mort. Si on écoute les Neville Brothers, c’est essentiellement pour entendre chanter l’ange de miséricorde. Jack y ramène tous les violons du monde. Par contre, quand Art chante, on passe à autre chose. The Neville Brothers est un album de belle pop nevillaise pleine d’énergie. Jack fait sonner les accessoires dans le son, quelques castagnettes et des cymbalums de pataphysique pendant que les frères Neville chantent à gorge déployée. Grâce à «Washable Ink», on ne coupe pas à la romantica chantée au clair de la lune blanche de la cité des morts, près de la tombe de Marie Lavaux. Aaron revient en B faire vibrer son timpani dans «If It Takes All Night», puis Jack donne du volume au diskö-funk d’«I’ll Take My Chances» et va fondre l’exotica de «Vieux Carré Rouge» dans le groove magique d’une gelée de carré louge.

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    Pour un producteur, Graham Parker est l’artiste parfait. Pourquoi ? Parce que voix de rêve. En pouf, en 1979, Jack produit Squeezing Out Sparks. En plus de la voix parfaite, on trouve Brinsley Schwartz et Marin Belmont aux guitares. Bon ça reste du Parker. Jack ou pas Jack, ça ne change pas grand chose. On se demande même ce qu’il vient faire dans cette histoire de surdoués. Il est aussi important de signaler que «Local Girls» est un hit. Disons qu’on l’a beaucoup entendu à la radio. Tout est foncièrement bien foutu sur cet album. Les guitares se fondent bien dans le gras. Il faut voir Parker trousser à la hussarde son «Saturday Nite Is Dead» en B, c’est un homme qui ne traîne pas en besogne et qui ne prend pas de gants. Jack charge au maximum le son de chant, de guitares et de piano. De toute évidence, il se régale. Voilà enfin le hit : «Waiting For The UFOs», un hit pop avec du raunch aux joues et une basse cavalante au fond du son. Tout est beau dans ce cut, les éclats de guitare et le chant. Surtout le chant. Sacré Parker.

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    En 1981, en plus du Mink, Jack produit un album de Rick Nelson, Playing To Win. Oh ce n’est pas l’album du siècle mais deux ou trois cuts font bien dresser l’oreille, tiens comme cet «Almost Saturday Night» d’ouverture de bal d’A. C’est du country-rock, mais quel swagger ! Jack l’orne d’une dentelle de guitare en doublure au long cours, belle basse et donc prod de rêve. Et Ricky devenu Rick chante divinement. L’autre coup de maître s’appelle «Don’t Look At Me» et se trouve en B. C’est visité par des vents mauvais de guitares. Rick peut sortir les crocs. Il est excellent dans son rôle de superstar en colère. Jack barde ça comme il faut avec des basses de rêve et de la profondeur de champ. On tombe aussi en A sur le «Believe What You Say» des Burnette Brothers. Jack en fait un country rock bien ronflant des ronflettes. Rick reprend aussi le «Back To Schooldays» de Graham Parker, il en fait un petit rock trépidant mais c’est très cousu de fil blanc. Pour le reste, il se contente de jouer un country-rock bon chic bon genre, c’est son apanage.

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    Jack croise aussi la route de Dwight Twilley, mais il ne produit qu’un seul titre, «Somebody To Love», qu’on peut trouver sur The Great Lost Twilley LP, une espèce de Loch Ness qui engraisse les spéculateurs. Comme on le sait, Twilley c’est du sérieux, ses deux premiers albums furent de sacrées bombes. «Somebody To Love» est une belle giclée de power pop, une fantastique flambée commitatoire. Jack est dessus, comme l’aigle sur la belette. Maintenant qu’on a rapatrié l’album, on peut écouter la suite. L’amateur de power-pop va adorer «Shaking In The Brown Grass», «Please Say Please» et «I Don’t Know My Name». C’est l’ambiance du premier album, avec un son extraordinaire. Dans «Please Say Please», il va chercher des accents terribles. Et «I Don’t Know My Name» rayonne littéralement, on entend même de l’harmo, c’est une véritable perfection. Vers la fin, on tombe sur la version originale d’«I’m On Fire», hit faramineux tiré du premier album. Et puis tu as aussi «Burning Sand» gratté au power de power-pop, avec la voix de Twilley en orbite. Que de power ! Twilley joue du piano sur «Sky Blue». C’est dire si ce mec est complet. Il va chercher sa pop. Comme Brian Wilson, il vend du rêve. Il redistribue. Il frôle le génie pop en permanence. Il ramène tout l’écho du monde dans «Firefly». Twilley garde son cap de manière spectaculaire. Phil Seymour traîne bien sûr dans les parages. Twilley revient au rockab de Ray Smith avec «Rock Yourself Son» et avec «I Can’t Get No», il sonne comme un géant du Brill. Il aurait pu ensorceler Totor, c’est évident. Twilley fait lui aussi du très grand art.

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    Sur l’album de C.C. Adcock paru en 2004, Lafayette Marquis, Jack ne produit qu’un seul cut, «Stealin’ All Day». C’est une prod à la Moon Martin. On perd l’agressivité du cut d’ouverture de bal, «Y’All’d Think She’d Be Good To Me», un heavy groove de Louisiane, joué au vrai gratté de boogie. Autre coup d’éclat : «Runaway Life», joué en mode cajun, monté sur une carcasse tradi qui a bon dos et ramoné au violon du Bayou. Ces mecs cherchent un son et le trouvent. On les sent influencés par Doctor John («All 4 The Betta») et l’exotica excédée («Blacksnak Bite»). Mais c’est avec «Loaded Gun» qu’il explosent la conjecture, car voilà un cut monté au slap central station, aw Lord have merci, le heavy slap bat comme un cœur. On entend rarement un slap aussi lourd de conséquences. L’ami Adcock a du son et c’est une révélation, il se situe dans l’excellence de la persistance et on comprend que Jack l’ait pris sous son aile. Ce mec est le champion des ambiances, l’atmospherix est son cup of tea, mais un atmospherix sombre et peu amène.

    Un jour, Jack et Totor se trouvent tous les deux dans un avion qui les ramène à Los Angeles. Jack sent qu’une question lui brûle les lèvres. Il se penche vers Totor :

    — J’ai entendu des histoires, Leonard Cohen, les Ramones et deux ou trois autres personnes. As-tu vraiment braqué un gun sur tous ces gens-là ?

    — You know the problem Jack ? Aucune de toutes les personnes que tu mentionnes n’a le même sens de l’humour que le mien.

    En fin de parcours, Jack était sur des coups fumants, notamment une collaboration avec Mercury Rev sur All Is Dream, restée lettre morte, et un coup foireux avec Totor : Linda Ronstadt. Jack qui était alors bien schtroumphé avait écrit des arrangements pour «My Goodbye Song» qui ne fonctionnaient pas et qui ont planté la session. En représailles, Totor lui demanda de prendre les coûts en change. Quand en 1998, Totor sollicita à nouveau Jack pour bosser sur le lancement d’Ashley Ballard que venait de découvrir Ahmet Ertegun, Jack déclina. Il conseilla à Toror de trouver un young kid fresh out of music school. Et puis, une semaine avant de casser sa pipe en bois, Jack proposa à LaLa Brooks de relancer sa carrière avec une chanson de Jackie DeShannon qui bien sûr avait donné son accord au téléphone.

    Signé : Cazengler; Jack Niche (ouaf ouaf)

    Hearing Is Believing. The Jack Nitzsche Story Volume 1 - 1962-1979. Ace Records 2005

    Hard Workin’ Man. The Jack Nitzsche Story Volume 2. Ace Records 2006

    Night Walker. The Jack Nitzsche Story Volume 3. Ace Records 2014

    Jack Nitzsche. The Lonely Surfer. Reprise Records 1963

    Jack Nitzsche. Three Piece Suite: The Reprise Recordings 1971-1974. Rhino Handmade 2001

    Paris Sisters. Always Heavenly. Ace Records 2016

    Performance. The Original Motion Picture Sound Track. Warner Bros. Records 1970

    Ron Nagle. Bad Rice. Warner Bros. Records 1970

    Neil Young. After The Gold Rush. Reprise Records 1970

    Randy Newman. 12 Songs. Reprise Records 1970

    Crazy Horse. Crazy Horse. Reprise Records 1971

    Michelle Phillips. Victim Of Romance. A & M Records 1971

    Buffy Sainte-Marie. She Used To Be A Ballerina. Vanguard 1971

    Mink DeVille. Cabretta. Capitol Records 1977

    Mink DeVille. Return To Magenta. Capitol Records 1978

    Neville Brothers. The Neville Brothers. Capitol Records 1978

    Graham Parker & The Rumour. Squeezing Out Sparks. Vertigo 1979

    Rick Nelson. Playing To Win. Capitol Records 1981

    Mink DeVille. Coup De Grace. Atlantic 1981

    Dwight Twilley. The Great Lost Twilley LP. DCC 1993

    C.C. Adcock. Lafayette Marquis. Yep Rock 2004

    Cazy Rider. Shindig! # 107 - September 2020

     

    Le stomp de Stamp - Part One

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    C’est une devinette : qui est l’homme le plus légendaire du London Underground ? Bon c’était facile. Terry Stamp, bien sûr. Tu aurais pu répondre Dave Kusworth, Larry Wallis ou Jesse Hector qui ont en commun le chic working-class et le no sell out viscéral, mais Terry Stamp est tout de même celui qui préfère aller couper de la canne à sucre pour Castro - Fidel ! Fidel ! Fildel ! - et prêcher la violence sur Stardom Road en grattant sa chopper guitar. L’Hammersmith Guerilla n’était pas une vue de l’esprit, Yobo. Les deux albums de Third World War ont fait dans les imaginaires plus de ravages que tous les albums de Stones, des Pretties et de Jerry Lee réunis. Et comme bien sûr Terry Stamp et son bras droit Jim Avery n’arrivaient pas à vivre de leur musique insurrectionnelle, ils devaient bosser pour manger. Alors Terry Stamp était camionneur.

    En 1968, il écrivit des chansons qu’Helen Shapell enregistra pour Pye, mais cet album produit par Roger Cook n’est jamais sorti - At that time I was still driving trucks to make ends meet and was not of course the cleanest of individuals. Quand on demanda aux musiciens de la session Pye s’ils souhaitaient rencontrer l’auteur des chansons, quelques uns sortirent pour me voir et furent choqués de mon apparence - L’un d’eux s’exclama : «Comment un mec comme toi peut écrire de telles chansons ?» (Food for though on that one, ajoute Terry). Dans cette histoire, Roger Cook est un mec important : il croit au génie de Terry Stamp et rêve de faire un album avec lui.

    Terry Stamp n’a pas encore pondu d’autobio, mais il raconte son histoire sur un site miraculeux, stardomroad.com. Il écrit comme il chante, à l’arrache working class et quand on connaît bien son growl de camionneur, ses récits prennent des allures de heavy talking-blues. Il raconte dans le détail l’histoire de cet album fascinant qu’est Fatsticks, enregistré après la fin de Third World War en 1974. Il rentre alors d’un voyage chez sa sœur dans le Milwaukee, aux États-Unis, avec une Gibson Melody Maker et un Pignose Amplifier achetés 100 $ dans un pawnshop - Try doing that today - dit-il et il entre en studio avec son vieux complice Jim Avery on bass. L’instigateur du projet n’est autre que Roger Cook qui ramène Tony Newman au beurre et propose Steve Marriott à la guitare. Steve qui n’est pas libre suggère Ollie Halsall. Alors voilà l’Ollie qui débarque avec sa SG blanche. Oui, l’Ollie de Kevin Ayers, le fabuleux tisseur de mésaventures métaboliques. Terry Stamp, Jim Avery, Tony Newman et Ollie répètent les cuts de Fatsticks pendant une semaine. Puis Cook les emmène enregistrer au studio Morgan, North London. On a tout le détail des sessions, sur le site. Quand Jim Avery jette l’éponge, c’est Herbie Flowers qui vient le remplacer, puis Alan Spenner, le bassman du Grease Band.

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    Pour des raisons que l’évidence endosse, Fatsticks est resté un album culte, une sorte d’inaccessible étoile du rock anglais. D’autant plus inaccessible qu’il faut aujourd’hui sortir un très gros billet pour s’offrir l’A&M paru en 1975. Gered Mankowitz signe le beau portrait de Terry Stamp qui orne la pochette. Ça démarre avec «Kid», un heavy funk du mighty London Underground. Stamp maintient son haut niveau de shoo-shoo-shooshine. Il a du beau monde derrière lui : Ollie on lead et Spenner on bass. Ils jouent le funk d’Hammersmith, pur génie, touch it ! Stamp garde cette voix qui sent le goudron. Il revient au Third World War boogie down avec «Black Bomber Waltz», le boogie le plus gluant d’Angleterre qu’il chante du fond du pantalon. Énorme boogie brit sous le boisseau d’Ollie, up a lucky lukyola. Il sort aussi un «Motorhead» capable de faire pâlir Lemmy. Stamp dispose déjà de tout le menu fretin, mais avec du piano. Il l’emmène à train d’enfer, go go little motor head ! On est en 1975, bien en avance sur tout le reste - Kick out on the road/ Right behind the wheel/ Four hot tyres/ half a ton of steel - Il préfigure Lemmy - I said you look pretty good/ With a boot full of lead - Terry Stamp est avant toute chose un fantastique lyricist. On entend Herbie Flowers jouer de la basse sur «Stage Of Fools», chef d’œuvre décadent échoué dans le backstage du rock anglais. Stamp is the real deal - The first time we played Britania/ She was wearing the dead man’s shoes I tell ya - Il chante ça à l’extrême retenue - The promoter tried to roll it and fly/ But Willy stuck an arrow in his eye - Il prend «Salvation Army» à la Stamp, loin derrière, dans la cour de l’usine, ça sonne comme un vieux heavy stomp d’Armée du Salut, ce mec pue la misère à plein nez. En Angleterre, il fut l’un des seuls à évoquer la misère des pauvres dans ses chansons. Avec son «Salvation Army» il va encore plus loin que Kaurismaki dans L’Homme Sans Visage. En B, il dégringole le boogie down de «Razor City», soutenu par des chœurs admirables. Ollie et Spenner jouent comme des dieux. Ils perpétuent le vieil art de Third World War - I said oo oo baby down to Alphaville - On entend encore la basse chevroter dans l’imparable «Town Drunk». Stamp chante son ass off, il est encore une fois au bord du dégueulis, oh me oh my. Nouveau coup de Jarnac avec «Dinah Low», une vraie purge de Stonesy - I asked her once if she was my baby/ And she said mister well maybe - Voilà très exactement le hit dont les Stones ont toujours rêvé. Mais c’est Stamp qui le pond, avec un riffing juste en dessous du chant. Il profite d’ailleurs de l’occasion pour exploser la Stonesy, il en a les moyens, vu qu’il est le meilleur groover d’Angleterre, oh oh Dina Low Dinah lay. On n’entend Jim Avery que sur «Motor Head» et le «Itchy Feet» de fin de B, une espèce de cut monstrueux typique d’Hammersmith - Oh mother I need a seat/ I got the itchy feet. Mais le cut le plus étonnant de cet album restera sans doute «Honky Honda», car c’est joué sur un groove de basse harmonique. Une véritable merveille. Stamp n’a plus qu’à s’y couler - You know I’d made a little speed/ Oh papa Honda oh yeah.

    En 2004, Terry Stamp indiquait qu’avec Fatsticks, il avait renoncé à «faire carrière» dans le music biz et avait émigré avec sa femme et son fils aux États-Unis, d’abord dans le Massachusetts où il travaille dans une usine de fabrication de cercueils, puis à Los Angeles où il prend un job in Water & Sanitation. A&M lui envoie quelques exemplaires de Fatsticks qu’il distribue à droite et à gauche. Il apprend que l’album n’est sorti qu’en Angleterre, ce qui en fera une pièce de choix pour les spéculateurs. Il apprend aussi que les albums de Third World War sont réédités en CD et il se demande où est passé le blé. Certainement pas dans sa poche - Yer just have to wonder where the money goes, it certainly never dribbled down to Jim Avery or myself! - Toujours la même histoire.

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    Paru en 2004, Bootlace Johnny And The Ninety Times n’en finit plus d’amener de l’eau au moulin d’Alphonse Daudet : oui, Terry Stamp a du génie, il suffit d’entrer dans «Bootlace Johnnie» pour voir à quel point c’est criant de vérité - Just one of God’s factory fodder - C’est extravagant de classe balladive - Over that/ I’m over that now - et il termine avec ce quatrain fabuleusement autobiographique - He’s done pretty good for a West London boy/ Who’d had it stamped on his forehead - La voix de Stamp se fond dans la trompette, c’est d’une puissance incommensurable, qui peut égaler Stamp dans l’éclat de son désespoir ? Personne. Avec «Wastelanders», il joue sur les espaces - Ahead of the law/ There’s a wastelander’s score/ And hoooooo - Il compte sur l’échappée, c’est noyé d’harmo, il travaille ses fantastiques souvenirs de fouilles à Dover avec les chiens des stups, Stamp décrit ses mésaventures douanières avec une écrasante mélancolie hugolienne. Il laboure la pop de «Cruel Masseur» comme un laboureur de Millet, il creuse son sillon et passe au cajun avec «Tender Guillotine». Mais c’est avec le morceau titre qu’il va décoller - To hell with Shakespeare/ And to hell with Caesar - Il lance une fantastique poussée interne de boogie - Let’s climb up through the Hippodrome skylight - Il continue d’expurger des souvenirs de délinquance extraordinaires. Dans les bonus, on tombe aussi sur un autre coup de Jarnac, une démo intitulée «Down Pentonville Way». Elle vaut vraiment le détour. Il faut aussi saluer le «Christmas The Way I Like It» d’ouverture de bal, cut magnifique et d’humeur dylanesque. Stamp s’y montre éperdu de montagne, il chante à la magnificence de Mayence, il embolit les embolies, il se dresse tel un géant de panier de crabes with the red shoes on. Terry Stamp est l’artiste définitif.

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    Encore un album mirifique avec Howling For The Highway Home paru en 2007. On y entre comme on entre au paradis. Il faut cependant attendre «Voltaire Blues» pour commencer à frétiller. Il s’embourbe dans une espèce de blues intimiste et renoue avec l’intensité - Seventy-five volts/ Seventy-five - Il impose un heavy groove à base de rockabilly night avec un Louie qui kiss his Gretsch goodbye forever. Il enchaîne ça avec un «Immortals» très sombre, il s’enterre dans la déveine mais il CHANTE ! - Ummm God rest you immortals - Il impose une incroyable présence vocale, il pressure le son au maximum. L’écoute de cet album constitue une fantastique expérience. On reste dans l’intensif marmoréen avec «Christmas Eyes», une absolue merveille, une dégoulinade de Christmas eyes way down on my heart. Stamp a le power, comme Zeus, un éclair au poing. C’est embarqué au solo de sax, il chante jusqu’au bout de la nuit célinienne, génie pur, mate ultimate, il est moite et épais, il s’abat lourdement, I’m down on my heart tonite ! Renversant ! S’ensuit un «Standing With The Detaineees» absolument parfait. Stamp élève le balladif au rang d’art majeur. C’est poignant car profondément juste et il gratte ça à la vie à la mort. Il s’enfonce avec le morceau titre dans les bas-fonds de l’Americana et ça lui va comme un gant. Il passe au badass blues de la frontière avec «If You Owe You Will Pay», histoire de prévenir que ça va mal se terminer. Il devient là le dieu du heavy blues d’église en bois. Il développe une sorte de mystique, mais il veille à rester humble. Tiens, voilà «Fatsticks». Il chante chaque syllabe de son Fatsticks à l’extrême - Fat/ Sticks/ It’s just/ For a night/ On the town - Il termine cet album effarant avec «Ancient History Now» qu’il chante dans l’église. C’est puissant. Perdu. Maudit. Il largue tout son art. Balladif religieux et hanté qu’il vient encore orchestrer.

    Et les deux albums de Third World War ? On coulera la barque une prochaine fois.

    Signé : Cazengler, Third World Whore

    Terry Stamp. Fatsticks. A&M Records 1975

    Terry Stamp. Bootlace Johnny And The Ninety Times. Burning Shed 2004

    Terry Stamp. Howling For The Highway Home. Burning Shed 2007

    Satardomroad.com

    RADIUM PESTICIDES

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    Je sais la vie est injuste. Plus de concert depuis un an. Plus moyen de voir les Pesticides. C'est ce que l'on appelle une double peine. Sont comme tous les autres me direz-vous logées à la même enseigne. Pas tout fait, n'ont pas été épargnées par les coups du sort. Z'étaient trois. Ne furent plus que deux. Les anges noirs ont rappelé Djipi, leur guitariste, jouait trop bien. Parti to the other side. De quoi tuer un groupe dans l'œuf. Des larmes, du chagrin, mais ne se sont pas apitoyées sur elles-mêmes. Désormais elles sont cinq. Elise, elle en vaut deux à elle toute seule, John à la basse, Maxime à la batterie et Sébastien à la gratte, évidemment on ne les a pas vus, mais l'on peut faire confiance aux filles pour ne pas avoir choisi des demi-portions à la pâte molle. On les imagine ces trois garçons plutôt Sitting Bull que Vache qui rit.

    Donc pour survivre et diffuser leur musique elles ont imaginé ( comme tout le monde ) le Plan A. Soyons francs rien de nouveau sous le soleil qui refuse de briller, elles campent sur les réseaux, FB, Twitter, Spotify et tous les autres. Pas ce qu'il y a de plus original comme démarche. Alors elles ont enclenché le Plan B, celui-là est démoniaque, en ces temps de covid généralisé, elles ont pris modèle sur l'ennemi, elles ont décidé de s'attaquer au monde entier. Non, ce n'est pas une métaphore, et le plus fort c'est qu'elles sont en train de réussir leur pari. Les Pesticides sont partout. Leur poison s'infiltre bien au-delà de nos frontières, une traînée de poudre, une traînée de foudre. Attention masque inutile, le bacille s'infiltre en vous par les oreilles !

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    L'idée est simple. Puisque l'on ne peut pas les voir, on les entendra. Si tu es dans l'incapacité d'aller aux Pesticides, les Pesticides iront à toi. Un peu comme si les Twin Towers au lieu d'attendre sagement que les avions s'écrasassent sur leur carcasse étaient allées les décaniller dans le ciel à la manière de battes de base-ball envoyant bouler les balles hors champ. Sont comme cela nos tours jumelles pesticidiques. La meilleure défense c'est l'attaque tous azimuts.

    N'essayez pas de les fuir. Elles vous rattraperont. Squattent les playlists des radios, en Allemagne, en Angleterre, aux USA, on Kaotic Radio par exemple, ou on Orange County California et sur Charlie Mason Radio à Norfolk ( ville natale de Gene Vincent ), plus des tas d'interviews, bref vous n'y échapperez pas, une pandémie jouissive !

    Damie Chad.

    Pour ceux qui veulent en croire leurs propres ( ou sales ) oreilles, passez par exemple par leur site, thepesticides.com

     

    FURIES

    ( Extrait de Prometheus Unbound )

    STÜPOR MENTIS / MARKKU NYKÄNEN

    Nous avons déjà présenté en nos livraisons 478 et 495 cinq maillons de Prometheus Unbound de Stüpor Mentis. En voici donc un sixième sous forme d'une vidéo visible sur You Tube. Il s'agit bien d'extraits en langue anglaise  de la pièce de théâtre Prométhée délivré de Percy Bysshe Shelley. Un texte écrit pour être lu et non représenté. L'anecdote visuelle d'acteurs s'agitant sur scène n'aiderait en rien à la compréhension du poème qui s'appréhende avant tout comme un objet mental, gardons la métaphore d'un oiseau cruel qui s'installe en vous pour déchirer vos idées d'être humain sans cesse renaissantes dans votre tête au fur et à mesure que vous poursuivez votre lecture.

    L'on s'attendrait donc très logiquement à trouver par exemple la photographie du CD de Stüpor Mentis figé sur l'écran jusqu'à la fin du morceau tandis que défile la bande-son. Ou alors la retransmission d'un tour de chant, l'on trouve en effet sur la vidéothèque du duo nombre de séquences filmées issues des interventions scéniques de Stüpor Mentis et de sa chanteuse Erszebeth. Il n'en est rien, nous avons affaire à un véritable clip – ce mot sonne très futile quant on l'envisage selon le prospective publicitaire de notre modernité – réalisé par Markku Nykänen, nous n'avons glané que très peu d'informations sur ses réalisations, la langue finnoise nous étant une barrière infranchissable...

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    Une chose est sûre Markku Nykanën n'a cherché à traduire en images ni le texte de Shelley, ni l'interprétation d'Erzsebeth, ni le mouvement de la musique due à Fulcannelli sorcier des manettes. S'est simplement employé à offrir un équivalent poétique de la beauté dégagée, à des titres opératifs divers, par nos deux passeurs en abîme phonique prométhéen. Toutefois rien de moins abstrait que sa réalisation, il a fait avec ce qu'il avait sous la main et dans l'esprit, des paysages et des symboles.

    Les Furies apparaissent au pied du rocher sur lequel Prométhée est enchaîné pour aviver ses souffrances. Elles ont beau promettre les maux les plus terribles et lui révéler l'horreur absolue de la faiblesse de l'Homme, il ne les hait point, il n'en attend pas plus ni moins, ni d'elles, ni des hommes ni des Dieux, il se bat pour un principe plus grand, dépitées elles s'enfuient....

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    Une flamme qui ondoie, une langue de feu, un bougie que le vent chavire, un paysage de neige, des traits incandescents comme autant d'épines rougeoyantes plantées dans les images à la manière des antiques pratiques de sorcellerie, la caméra se rapproche d'infimes détails, une feuille recroquevillée sous le gel, une main crispée, emmêlés d'immensité de paysage enfuie, le tout et le détail, il suffit de changer la focale du regard pour se perdre dans la vastitude du monde ou s'égarer dans la moindre petitesse de minuscules fragments pour percevoir l'infinitude de ses dimensions, la voix d'Erszebeth est devenue innombrable, nuées d'oiseaux qui emportent le temps dans leur vol, l'orchestration n'est plus qu'un battement d'ailes en action qui scandent et précipitent la durée du monde, imprécations sans fin entremêlées à des branches d'arbres, images et musique ne forment plus qu'un tourbillon mortel, un blizzard létal qui s'enroule à l'espace, apparition insistante, est-ce un masque ou le squelette d'une tête d'aigle mort, à moins que la mort ne soit qu'un masque de feu et de neige qui brûle et stérilise la vie qui n'est plus et se perpétue en sa propre absence, car l'être qu'il soit ou ne soit pas n'est que volonté d'être, nous voici perdus dans la tourmente des images et de la voix surmultipliée en une sombre lamentation, se détache une figure hiératique de pierre, ne serait-elle pas plutôt visage imprécatif, qui ne dit plus un mot, ou qui parle à une hauteur que vous ne pouvez atteindre, car tout se mélange, le son, le sens, la voix, la caméra, le verbe et le vertige des dieux rejetés.

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    Splendide réussite graphique, un oratorio de rouge, de blanc, de gris, qui vous coupe de la réalité tangible du monde et vous enferme dans le labyrinthe de votre finitude. Tout en vous laissant déchiffrer les runes des rêves qui vous hantent.

    Damie Chad.

    NINETEEN

    ( 1982 – 1988 )

    ANTHOLOGIE D'UN FANZINE ROCK

    ANTOINE MADRIGAL

    ( Vidéo : SF You Tube )

     

    Ce n'est pas du neuf, cela date de quatre ans, une production de SuperFlux Le Toulousain Indispensable un webzine, l'épicentre radio-actif en est bien entendu la ville rose, mais les problématiques abordées sont loin d'être régionales, culture, livres, disques, films, présentations d'activistes de tous acabits, faites un tour chez eux vous y trouverez de quoi vous nourrir.

    Nineteen a été la revue rock des années 80, en une décennie où Rock'n'Folk battait de l'aile, Kr'tnt l'a déjà présentée, Antoine Madrigal en a été le co-fondateur, la vidéo ne dure que treize minutes, pas le temps de décliner le sommaire de chaque livraison, juste d'exposer brièvement les quatre angles d'attaque du projet.

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    Le premier semble couler de source, causer de rock'n'roll, cela peut paraître la condition sine qua non, toutefois dans les eighties, changements de génération et de paradigme économique et politique obligent, le rock'n'roll était une cause perdue, l'on ne jurait plus que par les synthétiseurs, quant aux survivants punks ils s'enfermaient dans une espèce de nihilisme destructivo-radical qui menait à une impasse... Nineteen s'intéressera à des groupes comme les Cramps, Sonics, Gun Club, Dogs... N'oublions pas, à l'époque la Toile n'existait pas...

    Le deuxième procède d'un principe ultra-simple, le DIY, faites-le vous-même, n'attendez pas des autres qu'ils obtempèrent à vos désirs... Nineteen en ses débuts sera un fanzine plus ou moins traficoté avec les bonnes volontés des amateurs, trouvera ses lecteurs, s'étoffera, grandira, grossira à tel point que nos aventuriers pensent pouvoir changer de statut, le fanzine amateur se métamorphosera en revue ayant pignon sur rue, un mensuel distribué par les MNPP ! Un rêve. Rapidement avorté. Faut avoir les reins financiers solides pour affronter la pieuvre... Nineteen ne survivra pas à l'expérience...

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    Troisième pilier de la sagesse : minimum de photos, maximum de textes. Nineteen ne sera pas remplie d'articulets de quinze lignes, l'on n'hésite pas à balancer des paquebots de dix pages sur un groupe, même s'il est inconnu, vous retrouvez dans KR'TNT , comme par hasard, ce parti-pris dans les articles de fond du Cat Zengler, plongez-vous dans les deux volumes que Les Fondeurs de Briques lui ont consacrés : Nineteen : Anthologie d'un fanzine rock ( 432 pp, Mars 2016 ) et Nineteen 2 : La scène française 1982 – 1988 ( 352 pp, Octobre 2017 ), lectures captivantes.

    Mais il y a un point dans les propos d'Antoine Madrigal qui me plaît encore plus que les trois précédents, la nécessité selon lui d'asseoir le rock'n'roll en dehors du domaine musical strictement rock 'n' roll, de l'appréhender en tant que mouvement culturel dont les racines plongent loin et sont à revisiter, démarches artistiques rebelles de toutes formes, peinture, littérature, poésie, graphisme, cinéma, philosophie, théories et révoltes sociales...

    Antoine Madrigal, parle debout campé dans son antre, une caverne d'Ali Baba qui regorge de trésors, L'Amardillo, boutique de disques rares et obscurs comme titre La Dépêche. De quoi illuminer votre vie. ( 32 rue Pharaon. Toulouse ).

    Damie Chad.

     

    ERIC BURDON BAND

     

    STOP

    ERIC BURDON BAND

    1975

    Sorti en 1975, donc après Sun Secrets paru en 1974 mais enregistré entre 1971 et 1973 avec les musiciens du groupe Tovarich rebaptisé en Eric Burdon Band après le retentissement de Sun Secrets mis en boîte avec en partie un personnel différent. Il est possible de trouver les deux opus dans le même emballage.

    Eric Burdon : vocals / Kim KestersonRandy Rice : bass / John SterlingAalon Butler : guitar / Teddy Ryan : keyboards / Alvin Taylor : percussions, drums / George Suranovitch : drums / Moses Wheelock : percussions.

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    La pochette ressemble à ce que j'appelle une fausse bonne idée, marrante durant les deux premières secondes où elle vous traverse le ciboulot, affligeante dès que vous vous attachez à la mettre en œuvre, accablante lorsqu'elle est finalisée, encore certaines versions aux USA ont-elles été livrées sous la forme hexagonale du panneau de signalisation qui l'a inspirée... Par contre sur le gatefold une belle photo de Burdon clope au bec. Quand je pense que dans les manuels de philosophie, voici déjà dix ans, l'on a supprimé la cigarette que tenait entre ses doigts Albert Camus sur son cliché le plus célèbre, l'on voit la puritaine régression civilisationnelle...

    City boy : stop à quoi ? A l'injustice et à la misère du monde, certes, mais aussi au blues. Le disque est méchamment option rock'n'roll avec guitares à foison. Même si Burdon pensait que le mixage n'était pas assez tonitruant. Le morceau est à écouter comme la la suite de We 've gotta get out of this place, ne s'agit plus de s'enfuir au plus vite, au contraire de revenir, le constat est accablant la situation ne s'est pas améliorée, et puisque le dernier morceau de Guilty ! était d'inspiration gospel, dans le premier du disque suivant Burdon s'adresse à Dieu directement, sûr qu'il pourrait être ailleurs dans un lieu paradisiaque, mais il est juste un city boy. L'on revient toujours sur les lieux des crimes que l'on n'a pas commis mais dont on se sent coupable. Gotta get it on : premières mesures bluesy mais l'on n'est pas sorti de l'auberge espagnole, Burdon nous a apporté une tortilla musicale, une guitare rock, un piano jazz, une rythmique funky, des chœurs soul, ne poussez pas il y en a pour tout le monde et pour tous les goûts, par contre ne vous attardez pas, le morceau est bien court pour un tel contenu, Burdon vous l'optimise de sa petite voix. The man : un morceau culte de Burdon, dans mon souvenir il était sur Sun Secret, mais non il est sur Stop, remarquez c'est plus logique, l'histoire d'un mec qui se fait arrêter par les flics, oui mais c'est filmé à l'américaine, course poursuite in the city, la voix des cops puants filtrée par la CB, sirène hurlantes, musique qui carambole et qui froisse la tôle de vos cauchemars, filles hystériques, des paroles qui font froid dans le dos, si vous en sortez vivant, vous pouvez écouter le morceau suivant, ce n'est pas moi qui le dis c'est la police. I'm looking up : c'est mignon tout plein, chœurs masculins en entrée, orgue qui vous déroule le tapis rouge, des paroles qui ont dû demander moins de temps que l'écriture de La Recherche du temps perdu, ça dure deux minutes, et encore une fois vous écoutez parce que le Burdon vous lui filez trois fois rien et il se débrouille pour faire du trapèze volant et vocal dessus. Rainbow : texte un peu con-con, si tout va bien rainbow, si tout va mal rainbow, heureusement que les guitares s'en moquent éperdument, ronronnent à la manière des tigres mangeurs d'hommes qui vous ont aperçu de l'autre côté de la rue, pas de panique la musique décolle à la manière d'une fusée supersonique, good trip, my brother. All I do : encore un spaghetti de deux minutes, belles guitares, beau vocal, Burdon prend le temps de vous dire qu'il n'a pas le temps de vous attendre, c'est bien mais s'il rallongeait cette super gazoline mazoutée l'on ne s'en plaindrait pas.

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    Funky fever : si vous aimez les guitares qui miaulent comme des chats de gouttière amoureux, ce morceau est pour vous, les paroles sont idiotes mais une fois que vous avez la fièvre funky-rock vous vous en moquez. Une seule objection, on aimerait que le Burdon Band se défonçât dessus pendant au moins dix minutes. Be mine : enfin le blues qui tue, lentement mais on n'est pas pressé, agonie de huit minutes, guitare et orgue de feu en entrance, ensuite c'est du tout lent entrecoupé de quelques coups de hachoir sur les doigts avec dans les intervalles Burdon qui étire la mélodie pour ne pas réveiller les voisins qui dorment, vous excuserez de temps en temps les hurlements et aussi cette guitare qui tirebouchonne un solo long scandé par la batterie de Suranovitch qui rassure nos vies et nos vices. The way it should be : ça part en accordéon, des hauts et des bas qui se chevauchent comme si l'on avait accéléré les bandes, le vocal est dégobillé de la même façon, en une minute tout est expédié et c'est alors que la splendeur commence, un entortillement barbelé de guitares qui court comme un feu de brousse, le vocal survient encore plus azimutant et c'est terminé, vous n'avez rien compris au film, vous le remettez. Stop : un début de session hésitant, la marmelade ne tarde pas à survenir par grosses saccades, la voix est derrière comme si elle n'était qu'un instrument parmi le background général, c'est en ces moments que dans notre tête nous nous repassons le fil de l'album et que tous ses côtés énervants car jamais exploités à fond nous nous apercevons qu'ils ont un côté expérimental non affirmé, comme si le groupe semblait chercher des chemins de non-facilité qui ne le mènent pas directement dans un hard rock de base boogie qui se débite au kilomètre. Burdon veut bien aller au rock'n'roll mais pas comme tout le monde.

    Lorsque paraît Sun SecretsStop n'arrivera que l'année suivante, Guilty ! n'ayant eu qu'une diffusion restreinte – l'on est content de retrouver Eric Burdon, une belle couve, un beau titre, une belle gueule sur la photo intérieure, n'en faut pas plus pour rallumer le brasier ( jamais éteint ) dans le cœur des fans, rien qu'à tenir la pochette l'on est sûr que l'on ne sera pas déçus, l'on a l'impression même si comme tous les précédents il est enregistré en Californie que Burdon est revenu parmi nous. Ces secrets du soleil on a d'autant plus hâte de les déchiffrer qu'une bonne partie de ces hiéroglyphes mystérieux proviennent des Animals et l'on se sent déjà chez soi sans l'avoir écouté.

    SUN SECRETS

    ERIC BURDON BAND

    1974

    Eric Burdon : vocals / Aalon Butler : guitar / Randy Rice : bass / Alvin Taylor : drums.

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    It's my life : sur le premier couplet pas grande différence avec la version animale mais à peine est-il terminé que l'on comprend que ce n'est pas la même musique, la guitare d'Aalon Butler vous boute le feu aux synapses, la batterie d'Alvin Taylor vous transbahute au sommet de l'Everest, le mec ne marque pas le rythme, il est partout à la fois, prend toute sa place et ne la lâche pas, ces deux enragés vous poussent Burdon au cul, il explose en plein vol tel un missile qui vient percuter votre maison. Ring of fire : idem pour l'anneau de feu, l'Alvin vous alevine la rythmique et les autres le suivent sans rechigner, imaginez le début du Boléro de Ravel, aussi lent mais plus fort, et là-dessus le Burdon vous psalmodie les versets secrets qui transforment le monde en un gigantesque incendie, alors ils s'y mettent tous à la manière des chevaliers de l'Apocalypse pris d'une frénésie destructrice non prévue au programme. When I was young / War child : une intro qui vient de loin parsemée de roulements sleipniriens d'Alvin, ambiance orientalisante, la musique se perd en de très brèves séquences qui semblent contenir l'infini, vocal burdonien d'une gravité absolue, parfois il meugle, parfois il s'écrase en hurlant du haut d'un minaret, messe basse de la basse de Randy, long passage qui correspond à ce que Rimbaud nommait le dérèglement de tous les sens, hurlements, aboiements, cris, toutes les bêtes de la création s'y joignent, aucune ne veut monter sur l'arche pour être sauvée, mieux vaut mourir jeune que vivre vieux, une splendide folie. The real me : un rock à tout berzingue droit devant et pas de prisonniers, voyage au bout de la folie, l'on croyait que l'on en avait fait le tour au morceau précédent, mais non Burdon est mort, celui qui chante est un être mythique venu de la nuit des temps, c'est lui et ce n'est plus lui, l'est l'Homme Eternel que nous n'atteindrons jamais. Inclinez-vous. Don't let me be misunderstood / Nina's school : la même optique, reprendre les morceaux sur un tempo plus lent, découper les syllabes et laissez la basse et la guitare occuper les espaces vides tandis que la batterie accélère en cachette tout en faisant semblant d'être en retard, brusquement tout bascule, le chagrin et le désespoir prennent les commandes, Burdon est devenu incontrôlable, Aalon joint les couinements hérissés de sa guitare à sa voix, le monde se confond avec une longue supplique à la Nina Simone, Burdon en plein délirium tremens, et l'on s'enfonce dans une nuit plus noire que l'enfer. Letter from the county farm : un vieux blues revisité par Burdon, spoken words, la basse de Rancy bourdonne telle une mouche épuisée derrière la vitre, Aalon moane et Alvin reste discret, Burdon donne le rythme, vous hisse sur les montagnes du désespoir, Aalon se déchire, Alvin calme le jeu, Burdon écrase la mouche mais la vitre est toujours là, même lorsqu'il travaille dans les champs du pénitencier, le morceau n'avance pas, tourne en rond comme la folie dans la tête du prisonnier, peut crier ou rêver il ne s'échappera jamais du rythme impitoyable marqué par Alvin, Aalon tire sur ses cordes comme s'il préparait une évasion, rien ne changera jamais... Ereintant, désespérant, ne rentrez pas dans ce titre, vous n'en sortirez nevermore. Sun secrets : que dire de plus, rien. Sun Secrets est un instrumental. Cadence lente et lourde comme tout ce qui précède mais la guitare d'Aalon se fait légère, plus claire, un rayon de soleil qui se glisse dans une pièce obscure...

    L'on pourrait reprocher à cet album son manque de nouveauté, se dire que Burdon doit plus à ses musiciens qu'à lui-même, ce ne serait pas faux, mais l'on n'oubliera pas que le soleil de cet album d'une grande cohérence est aussi un soleil noir.

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    C'est bien Damie, tu es un honnête travailleur, me suis-je dit, tu as fini ta chronique, le Seigneur te remerciera malgré ce coupable penchant envers cette musique de nègres et de dévoyés blancs dégénérés, oui mais en fait je n'étais pas content, un truc me titillait, tout de même bizarre que John Sterling soit crédité sur la composition de tous les morceaux de Stop - normal en tant que guitariste qu' il ait emmené ses idées, d'ailleurs le nom d'Aalon Butler n'est-il pas aussi inscrit sur cinq des sept titres de Sun Secrets - z'oui mais le légendaire flair du rocker me tenaillait, alors j'ai fouiné et j'ai fini par trouver, Stop ( l'album ) a d'abord été enregistré à la suite de Guilty ! jusque-là pas de lézard, oui mais c'est John Sterling qui chantait, Burdon est venu après, en écoutant le disque attentivement m'étais dit que sur The Man il y avait vraisemblablement la voix supplémentaire d'un musicien mais cela s'inscrivait dans la logique du scénario, par contre sur le dernier titre Stop, la pensée m'a effleuré que ce n'était pas tout à fait le timbre de Burdon, fausse idée, prémonition, je n'en sais rien. Sterling accompagnera plus tard Burdon en tournée. C'est sur sur forum.stevehoffman.TV que j'ai aussi trouvé les photos des musiciens de Tovarich...

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    Quant à Aalon Butler doué comme il était étrange qu'il n'ait pas donné suite à sa carrière. Il le fit en publiant chez Arista un album soul Cream City avec le groupe Aalon qui n'obtint pas le succès espéré. Abandonna le métier quelques années plus tard pour s'occuper de son fils. Dut recevoir une excellente éducation le fiston puisque Jason Aalon Butler devint le leader du groupe hardcore Letlive...

    Le nom d'Alvin Taylor se retrouve sur de nombreuses pochettes, il accompagna sur scène Little Richard et Jimi Hendrix, son nom est aussi associé à Ron Wood et George Harrison...

    Damie Chad.

     

    CREAM CITY

    AALON

    ( Arista / 1977 )

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    Incroyable mais vrai, c'est le même individu, Thomas Warkentin, qui a dessiné la pochette de Stop et celle de Cream city. Comme quoi l'homme est un animal capable du pire comme du meilleur ! Quand on compare la pochette de Stop et celle de Deliver the word de War, de Warkentin aussi, l'on s'aperçoit qu'il suffit de peu de chose pour qu'une représentation banale s'auréole d'une touche qui confine à l'infinitude.

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    Soyons franc quand on voit la pochette et que l'on lit les titres l'on a envie de traduire Cream City par La Cité du Crime, ne cédons pas à nos instincts criminels, ne serait-ce pas plutôt un groupe de rock attendu par ses fans devant le dancing dans lequel ils vont donner un concert, panneau publicitaire faisant foi, le dos de couve nous le confirme, le style bande dessinée adopté par Warkentin arrache l'œil, si l'aventureuse idée baudelairienne de luxe et volupté vous vient à l'esprit pour le calme c'est raté, belles bagnoles, foule compacte, couleur vive, tout concourt à l'idée d'une vie trépidante et tapageuse.

    Aalon Butler : vocals, guitar / Luis Cabaza : keyboards / Luther Rabb : bass / Ron Hammond : drums / Barbara Beeney, Freddie Pool, Paula Bellamy : backing vocals / + Al Roberts : bass / Alvin Taylor : drums /

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    Cream city : un album de soul sans cuivres ne serait-ce pas comme un repas sans fromage, le groove démarre à la première note, quant aux cuivres vous oubliez très vite que ces instruments ont existé autrefois dans le monde, peut-être avant l'extinction des dinosaures, mais vous avez beaucoup mieux, la crème de la soul, sont trois enchanteresses, le Butler l'est pas fou, ne moufte pas une demi-seconde de lyric, Barbara, Freddie et Paula, mêlent leurs voix, quelle légèreté, quel naturel, quel tact suprême, cet art de ne pas y toucher, un chant d'oiselles, faudrait demander ces fauvettes en mariage toutes les trois en même temps, je ne suis pas sûr qu'Ulysse eût résisté à l'enchantement de ces syrènes. Rock'n'roll gangster : Aalon se dépêche de faire sonner sa guitare, trop tard les divines vous envoûtent, vous vous moquez que le Butler buté essaye de nous la jouer à la Stevie Wonder, ambiance, musicalité, tout le bataclan frime soft qui marche avec est insupportable, vous avez mieux à faire dans votre vie, guetter les moments où les trois stars viennent fredonner la-la-la, faut hausser l'oreille, les ont mixées derrière, mais sans elles du jardin des délices vous passeriez à celui des supplices. Midnight man : z'ont enfermé les filles dans le placard, alors les gars doivent bosser un max, bye-bye Stevie, ce n'est pas non plus AC / DC, mais Aalon mouille les cordes vocales et la guitare, ça balance force trois, mais les filles ont fini par se radiner alors c'est mieux, même que Butler joue au guitar-héros avec un beau solo pour se faire pardonner. Summer love : encore un de ces mid-tempo groovés qui vous donnent envie d'ouvrir la fenêtre, d'abattre une douzaine de personnes rien que pour calmer votre crise de nerfs, et au moment où vous tirez sur l'espagnolette pour commettre votre horrible forfait, les trois fées surgissent et chantonnent tout doux, houhouhou, et votre colère tombe aussitôt, vous êtes heureux, sur trois coups intempestifs de batterie Buttler essaie de se faire passer pour un Wonder-man alors vous guettez sur le tapis d'orgue les précieux instants où on les entend fredonner dans le lointain. Steven Baine's electric train : un petit shuffle n'a jamais tué personne, ce qu' il y a de bien c'est que Buttler se souvient qu'il a aussi joué du rock 'n'roll, alors il nous chouchoute l'arrière-train, et l'on crie choo-choo comme si l'on servait une choucroute royale dans le wagon restaurant. C'est le meilleur morceau du disque et les trois grâces n'ont pas daigné quitter leur banquette. Lonely princess : entrée au clavier, faut être juste, le Cabaza il fait un merveilleux boulot sur tous les titres, l'a un touché miraculeux, a mi-morceau l'on se perd dans le groove et des chœurs masculins ( alors qu'ils ont beaucoup mieux dans le studio ) mais non Cabaza ne cabosse pas le dromadaire, il vous festonne un riff de rêve sur son piano électrique et vous réconcilie avec l'humanité masculine, même Buttler qui chante bien sur ce morceau se tait, signe qu'il a tout compris de la beauté chatoyante du monde. Magic night : plus de sept minutes, orgue et voix, Buttler risque gros sur ce morceau, tout de suite l'on pense à Marvin Gaye et à Stevie Wonder ( rien n'est parfait sur cette planète ), on y va sans se presser, il faut le dire sont tout de même de super-musicos, même si l'on s'ennuie un peu, en fait ça manque d'originalité et les filles qui entrent sur la pointe des pieds ne parviennent pas à insuffler l'énergie nécessaire à faire sauter la banque et la baraque. Jungle desire : rien qu'au titre l'on prévoit le groove fiévreux, et là ils ne loupent ni le coche ni l'accroche, sont en train de réussir le morceau qu'ils ont raté sur la piste précédente. Des surprises partout, une panthère noire ondule sur le clavier, le pas lourd de l'éléphant hante la basse, des galops de girafe parcourent la batterie, le Buttler se déchaîne, vous sort sa voix de post-romantique attardé, entrecoupée de cris d'animaux, et les trois démones viennent enfiévrer la nuit qui tombe, y a même un crocodile qui clapote dans le fleuve à la fin du morceau.

    Le disque est agréable à écouter. Des trouvailles mais pas de trésor. Il est dommage qu'ils n'aient pas tiré les leçons de cet échec et qu'ils n'aient pas enregistré un deuxième album qui nous manquera jusqu'à la fin de notre existence.

    Damie Chad.

    XXVIII

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

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    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

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    Cher Vince,

    Ce n'est pas le traiteur, tu t'en doutes bien, qui s'adresse à toi de cette manière, mais l'ami, je tiens à te rapporter deux faits étranges :

    1° ) Hier soir, dix minutes avant la fermeture, deux clients sont rentrés, plutôt jeunes, pendant que l'un est resté devant la vitrine aux gâteaux sa compagne a engagé la conversation, m'assurant que l'on en avait au moins jusqu'à minuit avant qu'il ne se décide, le ton était enjoué, ajoutons qu'elle avait une mine sympathique, voilà pourquoi j'ai continué la causette, de tout et de rien, au bout d'un moment me suis aperçu qu'elle aiguillait finement la conversation sur la clientèle du quartier, puis elle m'a demandé si je connaissais les propriétaire de la belle villa à trois rues d'ici et si elle était à vendre, j'ai répondu évasivement faisant semblant de ne pas comprendre de quelle maison elle parlait précisément, j'avais toutefois reconnu à sa description qu'elle parlait de ton domicile... sont repartis avec une trentaine d'éclairs au chocolat...

    2° ) Ce matin juste après ton coup de téléphone, deux gars sont arrivés, se sont installés sur une des deux tables ont commandé un café et une corbeille de croissants, je suis sûr que c'étaient des flics en civil, tu sais comment je les renifle, je les ai observés du coin de l'œil, quand l'un a montré une photo à l'autre, me suis faufilé derrière lui pour voir, c'était la photo de ta maison ! Fais attention, t'es surveillé. Sont partis au bout de cinq minutes et quinze secondes plus tard un car de flics s'est stationné juste en face du magasin. Me suis douté que j'allais être suivi, voilà pourquoi tu lis cette lettre.

    Si tu as besoin de quelque chose fais-moi signe ! En souvenir de notre vieille formule d'adolescence !

                                                                                                                                     Ludovic.

    Il y eut un silence, Le Chef en profita pour allumer un Coronado :

      • Cela est bien mystérieux, peut-être pourrions-nous tout de même prendre notre petit déjeuner, je goûterai avec plaisir cette chocolatine au miel, nous avons besoin de sucre rapide afin de phosphorer après ces nouvelles !

    C'était un conseil avisé aussi nous ruâmes-nous tous à table sauf Vince qui déclara qu'il devait vérifier ses mails. Pendant quelques minutes l'on n'entendit plus que le bruit de nos mandibules, une douce torpeur nous envahissait, nos ventres criaient famine et nous sustenter nous fit un bien terrible. Nous engloutissions les délices de Ludovic, à ma grande honte le brain trust projeté se réduisait à satisfaire nos instincts les plus primaires. Un cri subit interrompit le bien-être qui insidieusement nous gagnait...

      • Bordel !

      • Voyons Vince, nous avons des jeunes filles ici, veuillez emprunter un langage un tantinet châtié !

    Mais Vince ne nous entendait pas, tout blanc les yeux exorbités d'une main tremblante il désignait sur l'écran la photographie d'un homme pris de trois-quart devant une vitrine remplie d'éclairs au chocolat ! Il lui fallut presque cinq minutes pour reprendre son souffle :

      • Notre formule d'adolescence... toujours avoir deux sorties à son terrier... sur les mails... Ludo a envoyé une photo prise par son apprentie pour son rapport de stage... mais le gars... c'est... c'est... Eddie crescendo !

    Les filles poussèrent des cris de stupéfaction, les chiens aboyèrent, le Chef alluma un Coronado, quant à moi j'en profitai pour subtiliser le dernier croissant.

    117

      • Pas d'affolement déclara péremptoirement le Chef, si Crescendo est vivant il nous contactera, s'il est mort ce n'est pas lui, ou alors c'est son fantôme – les filles poussèrent des cris d'horreur – dans les deux derniers cas nous le retrouverons sur notre chemin tôt ou tard ! Par contre agent Chad, vous qui vous targuez d'être un GSH, une fois que vous aurez vidé votre bouche du dernier croissant dont vous vous êtes honteusement emparé à notre insu, j'aimerais entendre de votre part une réflexion sagace quant au contenu de cette lettre.

      • Vince, êtes-vous sûr de Ludovic ?

      • On se connaît depuis la maternelle, on a fait les 400 coups ensemble dans notre jeunesse ! Personne au-dessus de tout soupçon, je réponds de lui comme de moi !

      • Agent Chad, pourriez-vous préciser votre réflexion, votre angle d'attaque me convient !

      • Une remarque toute simple Chef, cela fait deux fois qu'un épisode de cette histoire embrouillée se déroule dans une pâtisserie !

      • Très bien Chad, pour vous prouver que je ne vous tiens pas rigueur de votre vol de croissant, j'offre une tournée d'éclairs au chocolat ! Vince conduis-nous !

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    Ce matin-là Vince faillit devenir fou. Il nous emmena tout droit à la boutique de Ludovic. Un seul problème ! Il n'y avait plus de pâtisserie ! Il remonta la rue dans les deux sens, crut qu'il s'était trompé, mais non là où devait s'ouvrir une pâtisserie, l'emplacement était occupé par une étude notariale ! Nous ne nous attardâmes pas, la présence d'une camionnette de la gendarmerie nationale qui vint se ranger à quelques mètres de notre groupe nous dissuada fortement d'échanger nos impressions. Nous pressâmes le pas, notre marche fut ralentie par une jeune adolescente qui tenait par la main un garçonnet de sept à huit ans. Ils marchaient lentement, mais lorsque nous entreprîmes de la dépasser, sans nous regarder, elle laissa tomber d'une voix sourde :

      • Monsieur Vince c'est Ludovic qui m'envoie, je suis son apprentie il m'a fait sortir par derrière quand les flics sont arrivés, deux gros camions en dix minutes ils ont tout déménagé et changé la façade, ils étaient au moins trente ! Rendez-vous à la Villa des Ormeaux !

    Nous les laissâmes derrière nous, le Chef m'intima de voler au plus vite une voiture.

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    Je ralentis à peine lorsque nous passâmes devant la villa des Ormeaux sise sur une crête désertée du Lubéron, à peine avions-nous entrevu l'orme gigantesque qui cachait pratiquement toute la bâtisse et les deux estafettes de gendarmerie qui bloquaient le portail. Ludovic était manifestement tenu au secret dans sa demeure familiale.

      • Parfait ! déclara Vince, Damie tu continues à toute vitesse, tu prends la direction de Nîmes, arrivé devant les arènes tu t'arrêtes, discrétos tu empruntes une nouvelle voiture, et l'on refile à la Villa des Ormeaux !

      • Tant de route pour revenir d'où l'on vient, persifla Brunette !

      • En plus avec la flicaille qui garde l'entrée l'on n'est pas prêt de délivrer Ludovic, déclara Charlotte !

    Vince se contenta de sourire, attendit un long moment avant de laisser échapper :

      • Où va le monde si les jeunes générations ne savent pas compter jusqu'à deux !

    ( A suivre... )