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  • CHRONIQUES DE POURPRE 562 : KR'TNT 562 : JONATHAN RICHMAN / CHEATER SLICKS / PIXIES / ANDY PALEY / ROCKABILLY GENERATION NEWS ( 22 ) / T BAKER TRIO / IENA / VINCENT BRICKS / THUMOS /

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 562

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    07 / 07 / 2022

    JONATHAN RICHMAN/ CHEATER SLICKS

    PIXIES  / ANDY PALEY

    ROCKABILLY GENERATION NEWS ( 22 )

    T BECKER TRIO/ IENA / VINCENT BRICKS

    THUMOS

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 561

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

     http://krtnt.hautetfort.com/

     TERRIBLE DECEPTION POUR LES KR’TNTREADERS !

    ENCORE UNE FOIS CES IGNOBLES INDIVIDUS

    QUE SONT LE CAT ZENGLER ET DAMIE CHAD

    PRENNENT LEURS VACANCES !

    IMMENSE JOIE POUR LES KR’TNTREADERS !

    LA LIVRAISON 563

    ARRIVERA AU PLUS TÔT LE 25 / 08 / 2022

    AU PLUS TARD LE 01 / 09 / 2022

    KEEP ROCKIN’ TILL NEXT TIME !

     

    Spécial Boston

     

    Les Pixies, les Cheater Slicks, Jonathan Richman et Andy Paley ont un point commun. Lequel ? Boston ! Cette fournée constitue le premier volet d'un spécial Boston, imaginé pour my friend Jacques, en écho à ce qu'il écrivit un jour : "Boston est la Mecque du rock."

     

    Baby you’re a Richman

     

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             Les relations qu’on entretient avec Jonathan Richman depuis plus de quarante ans ne sont pas toujours très cordiales. On l’a adoré un temps puis détesté. Pourquoi ? Parce qu’il évoluait bizarrement. Oh il n’est pas tombé dans l’horreur diskoïdale comme Blondie («Heart Of Glass») ou encore pire, dans le rock FM commercial comme Patti Smith («Because The Night»), non il a opté pour le foutage de gueule, le rock potache, réussissant là où Jimbo et Syd Barrett avaient échoué : en se coulant artistiquement. Il échappait ainsi au star-system qui menaçait de le transformer en machine à fric, comme les deux collègues citées ci-dessus. Les seuls qui aient réussi à exister artistiquement dans ce qu’on appelle le grand public sans se faire enfiler sont assez rares. Citons les noms de Dylan, de Van Morrison ou encore de Ray Davies. Pour les blancs. Chez les Noirs, ils sont plus nombreux, beaucoup plus nombreux, James Brown en tête, et George Clinton aussitôt derrière. 

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             Le diable sait si on adorait ce premier album des The Modern Lovers qui n’avait pas de nom. The Modern Lovers était écrit en ultra-bold ital sur un fond noir, et dès «Roadrunner», Jojo et ses amis d’alors nous replongeaient dans un bain de jouvence qui s’appelle «Sister Ray» : même énergie dévastatrice, même minimalisme fondateur d’empire des sens, même ampleur catégorielle, même souffle éolien et les nappes d’orgue de Jerry Harrison nous léchaient les cuisses. Ce n’était pas un hasard, Balthazar, si le nom de John Cale apparaissait au dos de la pochette. Avec «Old World» et «Pablo Picasso», ils tâtaient de l’hypno à nœud-nœud, un bel hypno d’orgue monté sur bassmatic ventru. Ce démon de John Cale savait que la messe était dite depuis le Velvet, mais Jojo et ses amis avaient tellement envie de s’amuser qu’il n’allait pas les contrarier. Embarqué par un riff de basse génial, Picasso se répandait comme la marée du siècle. En B, ils allaient plus sur les Stooges avec «Someone To Care About». Jojo n’avait aucun problème, il pouvait sonner comme Iggy et lâcher des awite d’une troublante authenticité. La voix fait tout, on le sait. John Cale ramène même des clap-hands comme sur le premier album des Stooges et le petit shoot de frenzy fuzz, sans oublier le break de basse. Ils terminent cet album devenu classique avec un gros clin d’œil au Velvet : «Modern World». Ils sont en plein dedans, And I love the USA, avec le petit gratté de gratte à la surface du son et ces incursions intestines typiques du grand méchant Lou. Ça excellait au-delà de toute attente. 

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             Les Modern Lovers ont attiré un autre géant de l’époque : Kim Fowley. On trouve les démos qu’il produisit sur The Original Modern Lovers, paru en peu plus tard en 1981 - One two three four five six - voilà «Road Runner #1» avec le son des origines, plus garage sixties, affichant une volonté de belle dépouille, histoire de laisser monter le vocal au sommet du mix. The Fowley way. «She Cracked» est encore plus gaga, et la volonté de découdre la dépouille s’affiche de plus belle. La descente d’accords est complètement délinquante, Jojo bouffe son gaga tout cru, sans moutarde. Il était alors le chanteur gaga idéal, avec une gouaille unique, une présence terrible et un style invasif sans l’être. Toute l’A grouille de petits classiques gaga. On se régale encore de «Wanna Sleep» en B, et du génie productiviste de Kim Fowley.

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             Avec Jonathan Richman & The Modern Lovers, Jojo entame en 1976 sa petite période Beserkley. Ces Californiens ont monté un label et misent sur quelques canassons, dont Jojo, qu’ils estiment à juste titre indomptable. On l’entend hennir across the USA. C’est avec cet album qu’il commence à faire des farces. Il voit par exemple l’Abominable Homme des Neiges dans un Market. C’est extrêmement joyeux et le market du coin de la rue est très pratique car moins éloigné que le Tibet. D’ailleurs Jojo adore les grandes surfaces, car il ouvre son bal d’A avec «Rockin’ Shopping Center», du rockab pour rire, let’s rock ! alors on rocke. C’est très awity avec des jolis breaks de stand-up et le copain Radcliffe sur la Gretsch. On retrouvait ce hit sur tous les jukes en bois. Bon, il rend aussi un bel hommage à Chucky Chuckah avec «Back In The USA», ahh, oh yeah, et tous ces jolis chœurs d’artiches. Globalement, les Modern Lovers sont passés du proto-punk à la good time music docile, c’est-à-dire l’easy-going. Sa mère dirait : «Oooooh Jojo is sooo friendly !». Et elle aurait raison. Il nous fait même du comedy act de MJC avec «New England». Pour Picasso, tintin.

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             Berserkley commence à capitaliser sur le canasson Jojo en sortant l’année suivante un Live. Personne ne fut surpris à l’époque d’y retrouver les petits rocks innocents et pré-pubères du jeune Jojo. Il joue bien la carte du fool around dans «Hey There Little Insect» que gratte sévèrement le copain Radcliffe. Les autres ne se cassent pas trop la nénette. Puis avec «Ice Cream Man», ça tourne à la mauvaise plaisanterie. Bon, le principal c’est qu’ils s’amusent. Le rock sert aussi à ça, pas vrai ? Jojo est très cruel car il planque ses belles chansons au fond des albums. C’est un miracle si on écoute «The Morning of Our Lives» qui est un vrai petit moment de magie. Il fait participer la salle. 

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             Rock’n’Roll With The Modern Lovers fait partie des albums vendus puis rachetés au hasard des virées dans les salons. C’est vrai que la pochette donne envie, mais en 1977, on avait d’autres chats à fouetter, car les gros albums fourmillaient. Le raisonnement était simple : on se disait tiens, du Modern Lovers avec une contrebasse, ça doit bien sonner. Pouf, on ramenait l’objet à la maison et le malaise ne tardait pas à s’installer. Jojo prenait trop les choses à la légère. Il se prenait pour Tintin au pays du rock dans «Rockin’ Rockin’ Leprechauns» et passait ensuite en revue toute sa collection d’exotica. On ne sauvait que deux cuts en B, «Roller Coaster By The Sea», bien monté sur la stand-up, et «Dodge Veg-O-Matic» qui sonnait comme du doo-wop gaga, alors forcément une question se posait : pourquoi le reste de l’album n’était pas du même niveau ? On attend toujours la réponse.

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             Son dernier album Beserkley paraît deux ans plus tard et s’appelle Back In Your Life. L’affreux Jojo se livre à ses amusettes préférées d’aouuuh/aouuuh dès «(She’s Gonna) Respect Me» et fait un peu de rock’n’roll, oh mais pas trop, avec «Lover Please». En fait, il cultive un style champêtre dans la joie et la bonne humeur. C’est sa façon de dire qu’il se sent bien dans ses godasses et qu’il n’a besoin de personne en tondeuse à gazone. Il s’efforce de se montrer plaisant et de chanter d’un ton détaché, pas question de plonger dans le pathos du rock et les cauchemars urbains. Il préfère conter fleurette à «Lydia». L’absence de bonnes chansons finit par plomber l’ambiance. On sait l’art de Jojo austère, mais là, il pousse un peu trop le bouchon, même s’il fait le gai luron. Il faudra savoir attendre pour voir apparaître les grands albums.   

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             En 1983, Jonathan Sings ramène sa fraise sous une très belle pochette : voilà l’affreux Jojo peint torse nu devant la foule qui l’acclame. Mais au lieu de taper dans ses veux classiques des Modern Lovers, il propose une petite rumba, the kind I like, dit-il dans «This Kind Of Music», et les deux filles font des ooh-wahh-ooh. Voilà, c’est pas compliqué. Puis dans «The Neighbors», il nous explique qu’il n’a pas besoin de laisser les voisins gérer sa vie. Il a raison. Il s’enfonce dans la forêt profonde pour attaquer «The Conga Drums», avec une belle intention de nuire, car c’est assez punk, avec de vieux boon & boom & plum plum. Ça sent bon les early Modern Lovers. En B, on le verra continuer de faire son numéro de gentil troubadour, et avec «Give Paris One More Chance», il rend un bel hommage à Paname. Ah comme c’est bien embarqué et mon Dieu c’est trop cool. Le son est au rendez-vous, il est bien accompagné. Il revient à sa chère romantica avec «You’re The One For Me». Il adore tartiner son miel au clair de la lune et les deux filles derrière en rajoutent une petite couche. 

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             Jojo continue de cultiver la désuétude lénifiante avec Rockin’ And Romance, un album léger et pépère paru en 1985, et, détail capital, produit par Andy Paley. Globalement, c’est bon esprit mais surtout bien chanté. Jojo propose une espèce de laid-back à la ramasse et quelques petits coups de kitsch comme «Down In Bermuda». Jojo se prend pour l’équivalent bostonien de Kevin Ayers. Comme il dispose d’une vraie voix, il conquiert aisément l’Asie Mineure, d’autant plus aisément qu’il pratique l’intimisme patenté. La preuve ? Elle est dans «I Must Be King». C’est tellement mélancolique qu’on se fait rouler dans sa farine. Comme il se prend pour un artiste marginal, il s’intéresse par solidarité à la souffrance de Van Gogh - Have you heard about the pain of Vincent Van Gogh ? - Et dans son élan, il refait le Modern Lover avec «Walter Johnson», prenant de soin de rester à la croisée du laid-back et du doo-wop. Andy Paley prend un solo de batterie rigolo dans «I’m Just Beginning To Live». Comme ils s’amusent bien ! Jojo chante si bien qu’il peut se permettre n’importe quoi, c’est d’ailleurs pour ça qu’on l’écoute. Ok let’s rock ! Toujours prêt à driver son petit shitty shitty bikini de «Chewing Gum Wrapper». C’est même du petit bopety-bopety bop. Ça reste joyeux et chapeau-pointu. Jojo nous incite à claquer des mains, ce qu’on fait. Sa pop fifties passe comme une lettre à la poste. Jojo est le genre de mec qu’on prend pour argent comptant dès qu’il ouvre le bec. Il chante avec tellement d’entrain. Il crée une sorte de rockalama humaniste, une bebopalama généreuse et tiède, on se croirait au lit avec lui, on sent le chaud de son haleine et le soyeux de sa peau, et même le doux de sa petite glotte humide et rose. Sacré Jojo.

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             Avec It’s Time For paru l’année suivante - encore produit par Andy Paley - on reste dans le monde merveilleux de Jojo, Zette et Jocko. Oh il adore les vieux hits de juke comme «Let’s Take A Trip». Andy Paley sort un son extrêmement intéressant. Il restitue parfaitement l’ambiance du studio, avec toute la bande de copains, dont Barrence Whitfield. Bienvenue au Paley royal avec l’«It’s You» d’ouverture de bal. It’s Time For est un album d’ambiance pure. Là-dedans, tout le monde gratte des grattes et couine des chœurs. On s’y croirait. Ils sortent parfois les guitares électriques pour se taper des petites flambées de violence, comme le montre «Yo Jo Jo». «When I Dance» est une merveille. Jojo a de la jugeote. Il faut le prendre très au sérieux, au moins autant que Lou Reed. Il tente de se faire passer pour un franc-tireur toxique au charme fatal. La moindre de ses chansonnettes tape dans le mille. Oh my taylor is so Richman ! Le beurre-man vole le show dans «Double Chocolate Malted». Jojo vend les charmes d’une glace au chocolat et derrière les mecs font yeah yeah yeah ! Rien ne peut résister à un fantaisiste comme Jojo. Il nous repose la cervelle. Il a tellement de talent qu’il se permet n’importe quel délire, même celui de «Desert». Jojo sait rester à sa place. Il est trop bon enfant pour le dandysme.

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             Avec Modern Lovers 88, Jojo attaque sa période Rounder qui va durer sept ans, soit sept albums. Cette période Rounder va durer jusqu’en 1995, à la suite de quoi il va entamer sa période Vapor, plus vaporeuse, jusqu’en 2010, comme nous le verrons tout à l’heure. On trouve sur Modern Lovers 88 une belle énormité : «California Desert Party». C’est Jojo qui souffle dans le saxophone, ce que montre la pochette. Il flirte avec la mélodie dans «When Harpo Played His Harp» et avec «New Kind Of Neighborhood», on peut parler de vraie musicalité. Ils réussissent à chauffer leur petite pop juvénile à trois. «African Lady» vaut pour une jolie pièce d’exotica enchanteresse. C’est là où Jojo excelle, en marinière, dans le son des îles. Il flirte avec la calypso. L’album est extrêmement dense. Jojo semble avoir trouvé sa vitesse de croisière en pédalo. Il ouvre son bal de B avec un «I Love Hot Nights» assez groovy, bourré de guitarras. Il amène son «Circles» comme un hit de juke. Musicalité et fraîcheur à tous les étages en montant chez Jojo. Il règne sur cet album une sorte de son idéal, tout y est extrêmement bien contrebalancé et swingué des rotules.

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             L’année suivante, Jojo laisse tomber les Modern Lovers, devient Jonathan Richman tout court et enregistre Jonathan Richman tout court. Belle pochette. Sa strato bleue lui illumine le visage et d’ailleurs il lui dédie un cut : «Fender Stratocaster», qui sonne comme un hommage à Buddy Holly. L’autre merveille de l’album est un hommage à Charles Trenet. Jojo reprend «Que Reste-t-il De Nos Amours» et fait rouler ses r - Le soir le vent qui frrrrape à ma porrrte/ Me parrrrle des amourrrs morrrtes - Fabuleux Jojo, il peut taper dans les plus belles chansons de la France profonde - Que rrrreste-t-il de ces choses-là, dites-le moi - Sinon il fait son cirque habituel, du flamenco à la mormoille («Malaguena De Jojo»), de la petite pop exacerbée («Action Packed»), de l’instro sucré («Blue Moon»). Il gratte sa gratte à l’excès dans «A Mistake Today For Me». On a l’impression d’avoir déjà entendu tout ça. Il faudrait que quelqu’un de proche lui explique sans le choquer. Car on pourrait finir par ne l’écouter que par gentillesse. Comme Tim Buckey d’ailleurs. Mais ils ont en commun un certain mépris des convenances, ce qui, d’une certaine façon, les sauve.    

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             Comme l’indique le titre, Jojo pique sa crise de country avec Jonathan Goes Country. Mais on s’y ennuie un peu. C’est le problème avec Jojo, au bout d’un moment, on n’a plus envie de jouer. Il faut attendre «I Must Be King» pour sentir une épaule bouger. Il transforme sa country en good time music et là du coup l’album reprend des couleurs. Il raconte ensuite une belle traversée des USA dans «You’re Crazy For Taking The Bus», il s’amuse avec les histoires de tickets, Salt Lake City eveybody out ! Jody Ross duette avec Jojo sur «The Neighbors» et c’est excellent. Puis on le voit naviguer aux confins du kitsch dans «Man Walks Among Us». Il roule n’importe quel cut dans sa farine et ça peut devenir extrêmement beau. Et plus on avance dans l’album et plus on s’effare, comme devant cet «I Can’t Stay Mad At You», une vraie démonstration de force grattée au move de rumba, une espèce d’instro de rêve. Voilà le secret de Jojo : il fait son truc, et ça finit pas fasciner, qu’on soit d’accord ou pas.      

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             Ce qui caractérise les pochettes Rounder, c’est l’absence totale d’informations. Une façon de nous dire : débrouillez-vous avec les chansons. Alors on se débrouille avec les chansons d’Having A Party With Jonathan Richman. L’album propose le cocktail habituel de vieux rumble et d’intimisme patenté. Jojo gratte en solitaire, il n’a besoin de personne sur son pédalo. Il fait son cabaretier de la belle aventura dans «My Career As A Home Wrecker». Il saute sur tous ses cuts comme un fou. En fait Jojo est un peu timbré, c’est pour ça que les gens l’aiment bien. Ils achètent même ses disques. Il revient à sa chère rumba de juke avec «When She Kisses Me» et la tartine de confiture à la groseille. Il refait son Buddy Holly avec «At Night» et montre qu’il peut pédaler tout seul à travers l’océan. On ne sait pas qui joue de la batterie. Cet album nous propose du petit Jojo sans histoires. Pas de révolution. Il ramène un brin de Modern Lovers dans «Monologue About Bermuda», well she cracked, et fait un joli numéro d’exotica avec «Our Swingin’ Pad». C’est l’album d’un modeste artisan bostonien. 

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             La pochette d’I Jonathan s’orne d’un beau portrait de notre Jojo préféré. Belle lumière. On sent le mec serein. Ce que confirme «Parties In The USA». Cette façon de faire one two three four n’appartient qu’à lui. Et pouf, il part en mode laid-back avec du Louie Louie à la ramasse, il danse le sloopy sloopy hang on. Plus loin, il rend hommage à un vieux mythe avec «Velvet Underground», mais de façon très light. Belle tranche, néanmoins, sideways, c’est Sister Ray, awite. Vas-y Jojo ! Il revient à son petit rock gratouillé par derrière avec «I Was Dancing In The Lesbian Bar». Il ne change rien à sa vieille recette. Nonchalance à tous les étages en montant chez Jojo. L’album propose toujours la même formule : balladif + exotica + nonchalance + big voice. Si on aime bien la petite pop, alors forcément, on se régale avec cet album. Mais «Twilight In Boston» peut finir par insupporter. Il faudrait que quelqu’un dise à Jojo de mettre un peu de niaque dans ses chansons.      

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                 Rounder continue d’épouser la cause de Jojo en sortant Jonathan Te Va A Emocionar. Avec sa fleur à la boutonnière, il nous fait le coup de la belle romantica dans «Pantomima De El Amor Brujo». Si tu n’es pas espagnol, t’es mal barré. Les fans des Modern Lovers peuvent commencer à se ronger l’os du genou en attendant des jours meilleurs. Jojo fait son Jojo, sa petite rumba habituelle. Si on vient pour du «Roadrunner», c’est cuit. Bon, comme tous les artistes, Jojo a dû évoluer, mais c’est une évolution qui trompe énormément. Il devient atrocement exotique et chante même un truc en duo avec une Spanish girl. Il sonne parfois comme un stentor argentin et toutes ces conneries finissent par gâcher le plaisir. Et puis soudain, sans qu’on sache pourquoi, voilà que surgit le cut qui rocke, «Reno». Jojo fait son Spanish Modern Lover et c’est violemment bon. Il va finir l’album avec ses vieilles lunes. Il flirte avec le tango, mais il n’est pas aussi bon que Tav Falco à ce petit jeu. Jojo est trop baveux, trop séducteur. Du coup, il brouille un peu les pistes.

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             L’ère Rounder s’achève donc en 1995 avec You Must Ask The Heart. Pas de surprise, cirque habituel. L’histoire d’un mec qui vit au bord du fleuve. Il fait le choix de la paix de l’esprit et du petit tatapoum avec «Vampire Girl». Cet album va intéresser tous les amateurs de weird gratté sans avenir. Jojo fait un peu de pompe manouche dans «That’s How I Feel». Il aura tout essayé. Globalement l’album se tient, disons que Jojo sonne comme un collégien boutonneux qui a une bonne voix, mais il n’y a pas là de quoi se prosterner jusqu’à terre. Il envoie une belle giclée de country rock avec «The Rose». La voix fait tout. Comme le montre encore «You Must Ask The Heart», plus orchestré, plus océanique. Il revient à sa belle exotica avec «Amorcito Corazon». Jojo est le champion du kitsch à deux balles, vas-y Jojo, on est tous avec toi ! Parfois, on sent monter des éclairs de génie, comme dans «City Vs Country» : il vise le big country sky mais il ne transmet aucune émotion. Il revient au petit comedy act inexorable et devient une sorte de spécialiste du suicide commercial. Rounder finit par le lâcher. 

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             Début donc de l’ère Vapor l’année suivante avec Surrender To Jonathan, un album nettement plus solide. C’est le troisième album que produit Andy Paley pour Jojo. Pochette délicieuse : Jojo s’y déguise en Pirate des Caraïbes. Inespéré ! Sur cet album tout est très simple. Jojo drive sa pop bon enfant à la régalade. Pas de son dans «Surrender», il n’y a que sa voix. Il refait le cirque d’«I Was Dancing In The Lesbian Bar» et nous ressert la vieille tarte à la crème d’«Egyptian Reggae». Et puis voilà le Jojo tant espéré avec la belle pop de «When She Kisses Me» qu’il allume à coups de yeah yeah et qui émerveille comme au premier jour. Il amène encore de la pop énorme avec «Satisfy». Jojo fait son petit mic-mac, comme tout le monde. Il faut bien vivre. Et comme il dispose d’une vraie voix, ça crée des liens. Il termine cet album très Jojo avec «Floatin’». Il finit par imposer sa présence, comme savent si bien le faire les ténors du barreau américain.

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             Et puis voilà qu’il entame un cycle d’albums pour le moins extraordinaires, à commencer par I’m So Confused. Il tape son «Nineteen In Naples» d’une voix de shouter. Retour inespéré du big beat, voilà le rockab de Jojo, avec Tommy Larkins au beurre. Jojo laisse glisser sa voix dans le gras du beat, ahhh et il appelle la guitare : Guitah ! C’est lui la guitah ! Du coup, le vaisseau Jojo reprend la mer. Il transforme le petit excerpt d’«I’m So Confused» en énormité. Il ne vise pas les sommets mais les sommets le visent. Il tient tout à la voix et cet album nous réjouit. Il crée les conditions de la confusion. Et c’est parce qu’il crée les conditions de la confusion qu’on se sent redevable envers lui. Il a du pot d’avoir Tommy Larkins derrière. Il nous conte encore fleurette avec «Love Me Like I Love». Sa petite pop déjantée n’en finit plus de recommander son âme à Dieu. Jojo crée des liants extraordinaires. Il revient à sa chère rumba avec «The Lonly Little Thrift Store» que frappe l’excellent Tommy Larkins. Jojo nous gratte ça au mieux des possibilités de la rumba. Puis il amène «I Can Hear Her Flying With Herself» au heavy funk-rock de la planète black. Fantastique ambiance ! Belle plongée dans un univers qui n’appartient qu’à Jojo l’homme grenouille. On reste dans l’allégresse avec «The Night Is Still Young». Il y va de bon cœur à sa manière qui est la bonne, il fait maintenant du Modern Jojo, l’artiste idéal pour le twisted jukebox. Il termine cet album de la résurrection avec «I Can’t Find My Best Friend» qu’il chante avec une candeur qui l’honore. Ce mec est paumé dans la pop, il est tellement paumé qu’il chante de toute sa voix et ça nous fend le cœur. Il est trop sincère, cette fois. Il jerke sa pop à sa façon, loin de feux de la rampe, il s’en fout et du coup, il redevient ardemment culte. Cet album est beau comme du Jojo.

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             Suite du cycle des grands albums avec Her Mystery Not Of High Heels And Eye Shadow. Pochette extrêmement insolite, presque voodoo. Jojo démarre avec le slow groove du morceau titre, il gratte ça à l’humeur vagabonde. Comme c’est beau ! She rocks, she screams, il lui rend hommage et les hommages de Jojo valent tout l’or du monde. Il rend ensuite hommage au printemps new-yorkais, il chante ça comme un va-nu-pieds verlainien sans aucun avenir. Il joue avec des coquillages. Jojo s’amuse bien, il ne veut rien prendre au sérieux, c’est absolument hors de question ! Il tape dans tous les registres de la romantica et balance soudain une espèce de cut magique, «Maybe A Walk Home From Natick High School», puis il passe au dadaïsme avec «Give Paris One More Chance». Il y va comme Tzara, à dada. Dada est mort, vive Dada ! Serait-il le dernier Dada boy in town ? Va-t-en savoir ! Avec «Yo Tango Una Novia», il passe au heavy sludge et invente le Jojo stomp. À peine croyable ! Voilà une horreur de stomp d’exotica, le Jojo power ! Il joue encore la carte de l’exotica avec «Con El Meregue», mais il la joue au maximum des possibilités de l’exotica et quand on a dit ça, on n’a rien dit. Quel album ! Il flirte avec le punk d’exotica. Il boucle avec un nouveau coup de génie qui s’appelle «Vampiresa Mujer». Jojo y va de bon cœur. Il redevient le Modern Lover des Batignolles et nous envoie tous au tapis.   

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             Si on croit qu’il va se calmer ou refaire des mauvais albums comme au temps de Rounder, c’est raté. Not So Much To Be Loved As To Love vaut largement le détour, ne serait-ce que pour ce bel hommage à Salvador Dali qu’il joue au big beat des Modern Lovers, comme d’ailleurs le «My Baby Love Love Loves Me» qui nous replonge dans l’art ancien du Roadrunner, et cette façon unique de lancer son one two three. Il ressort aussi son vieux Vincent Van Gogh et évoque the loud colours, c’est vrai il a raison. Jojo raconte ses souvenirs du musée d’Amsterdam. On entend Tommy Larkins casser la baraque dans «He Gave Us The Wine To Taste». Et on retrouve une belle pulsion d’exotica dans «Cosi Veloce». C’est même une merveille d’exotica festive. On dira la même chose d’«In Che Modo Viviamo» : fantastique énergie ! Il chante «Les Étoiles» en français, il est marrant. Sans doute est-ce le plus beau cut de l’album - Autrement elles seraient fatiguées avec le ciel et tout cela - Chaque fois, il va chercher l’âme du chant. Il amène «Abu Jamal» à l’orgue de barbarie et boucle cette affaire avec «On A Du Soleil», Il groove en profondeur notre Jojo, poulquoi s’énerver, c’est excellent, mais ici dans l’après-midi je souis content parce qu’on a dou soleil.

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             Pochette mystérieuse pour ce Because Her Beauty Is Raw And Wild qu’il enregistre en 2008 avec Tommy Larkins. Il revient à sa passion pour la chanson française avec «Le Printemps des Amoureux Est Venu» - Les amoureux/ Qui n’ont pas besouin/ De dormir/ La nouit - Il est tellement rigolo. Back to the Moden Lovers avec «Old World», I said bye bye old world. On le voit aussi danser autour de son mythe en chaloupant des hanches dans «Because Her Beauty Is Raw & Wild». Ce vieux Jojo est un éternel amoureux. Il gratte toujours sa gratte, comme le montre «Our Drab Ways», mais la qualité du laid-back est exceptionnelle. Il refait sa samba avec «When We Refuse To Suffer». Jojo fait son bal à Jo. Il est encore pire que Tav Flaco dans «The Romance Will Be Different For Me». Il va chercher la pureté d’une très belle exotica. On tombe vers la fin sur une nouvelle mouture de «When We Refuse To Suffer», une sorte de rock de samba et là ça explose. Big Jojo stuff monté sur un drive de basse génial. Jojo vire sa cutie et nous shake un groove demented secoué de pointes inespérées. Puis Jojo fait une reprise d’«Here It Is» en hommage à Leonard Cohen. Il claque ça au solo ottoman.

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             Nouveau chef-d’œuvre exotique avec A Qué Venimos Sino A Caer et son gros tas d’espagnolades de romantica. Dès l’imprononçable morceau titre, on est conquis. Jojo fait le joyeux, alors on se lève et on danse. No problemo, Jojo. C’est un joyeux drille en vérité, il chante in tongues comme les possédées de Loudun et ça tourne assez vite à l’ultra-merveille d’extra super-nova avec des congas et de la timbale, ça coule tout seul au la la la, ce mec a réellement de génie. En fait, cet album est une compile et il nous ressert des cuts d’Her Mystery Not Of High Heels And Eye Shadow, comme l’excellent «Vampiresa Mujer», ce vieux mambo du dios Jojo. Il fait de l’exotica un art majeur, comme dirait Gainsbarre. Il nous ressert aussi «Le Printemps Des Amoureux Est Venu», tiré de l’album à la porte. C’est comme dirait Charles Trenet un poète extraordinaire, on se croirait au XIXe et ça vire même Brazil, t’as qu’à voir. «Cosi Veloce» sort de l’album au chien et même si on le connaît bien, on danse sur ce vieux shoot de Jojo mambo. Cet enfoiré nous fait danser à tous les coups. Et une fois encore, ça dégénère en Brazil. «Es Como El Plan» sort aussi de l’album à la porte et il chante ça en Spanish comme s’il était le Fagin de la cour des miracles. Il chante tout ce qu’il peut et gratte sa gratte, pendant que Tommy Larkins bat le beurre. «El Joven Se Estremece» sort aussi d’Her Mystery. Cet album compilatoire est stupéfiant de richman-mania. Il crée son monde de liberté totale, il chante tout au corps à corps et gratte à la folie. C’est un vrai délire. Il nous ressert aussi ce stomp fatal qu’est «Yo Tengo Una Novia» et qu’il gratte au banjo. Ça vaut toutes les énormités du monde. Tout sur cet album tape dans le mille. Jojo nous fait même le coup de la belle coulée de French groove avec «Silence Alors Silence». Il adore les langues -  Silence le signal de la mort - Il est très catégorique. Il termine avec l’extraordinaire numéro de charme qu’est «Ha Muerto La Rosa». Comme il maîtrise bien le Spanish, alors ça coule de source. Il chope même les accords de flamenco. Sacré Jojo, sans lui que deviendrions-nous ?

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             Dernier coup de Vapor avec O Moon Queen Of The Earth. Il y fait du Velvet pour rigoler avec «My Altered Accent» - Forty years later/ I apologize for my altered accent - Il revient au French  groove avec «Sa Voix M’Attise» - Elle joue avec les couleurs/ Elle joue avec le temps - C’est dingue comme ce mec est doué pour la polyglotterie. On se régalera surtout de «Winter Afternoon By BU In Boston», car c’est joué à l’African beat. Du coup ça repart dans la cinquième dimension. Jojo dodeline sur le beat de Tommy Larkins et ça vire assez tribal. Il chante son morceau titre à l’article de la vie. Tout est tellement laid-back sur cet album qu’on pense à celui qu’enregistra Roky au Holiday Inn. Ils font tout à deux, ici. Jojo chante au cœur de ses chansons, avec une autorité indéniable.

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             Avec Ishkode! Ishkode!, il entame en 2016 un nouveau cycle : le cycle de la flèche bleue. Plus il vieillit et plus il impressionne. Il chante de plus en plus comme Brel, à la petite désespérance. Dans «Woa How Different We All Are», des filles chantent derrière lui. C’est une fois encore très laid-back, il cherche la dérive non-évolutive, il s’en fout, il chante comme un Romanichel, c’est très pur, très weird, sans aucun espoir. Il reste dans le groove de laid-back pour le morceau titre, elle s’appelle Lisa Marie, enfin on ne sait pas. Ça joue quelque part dans le Jojoland et ça reste powerful. Tommy Larkins fait toujours partie de l’aventura. Petit retour aux Modern Lovers avec «Without The Heart For Chaperone» et on revient aux choses sérieuses avec l’exotica d’«A Nnammaruta Mia». On entend de l’accordéon et Jojo fait son gros numéro de charme. C’est d’ailleurs le ressac d’accordéon qui fait la grandeur du Mia et aussitôt après, Jojo secoue les colonnes du temple avec «Let Me Do This Right». Il faut bien dire que la qualité du laid-back sur les autres cuts est extrême, les filles renvoient bien la balle. Jojo cultive l’apanage du lo-fi avec «Outside O Duffy’s», il ramone son vieux rumble de Modern Lover et les filles font ah-ah ? Et voilà que cet enfoiré s’en va taper dans Kosma et là on ne rigole plus : sur «Longtemps», un accordéon l’accompagne. Il termine cet album qu’il faut bien qualifier de faraminé avec «Mother I Give You My Soul Call», une espèce de psychedelia asiatique. C’est le Jojo thing qui peut aller loin et qui finit toujours par fasciner. On goûte aux plaisirs de la connaissance par les gouffres de la profondeur artistique.

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             Sur SA! paru en 2018, il fait un gros clin d’œil aux fans des Modern Lovers avec «A Penchant For The Stagnant». Il chante toujours comme une star. Mais cet album réserve d’autres grosses surprises, comme par exemple cet «And Do No Other Thing» qu’il chante au sommet du lard fumant. C’est ce qu’on appelle une posture de voix. «And Do No Other Thing» devient une merveille qui dicte sa loi. Chanson après chanson, il nous enfarine. L’autre merveille inexorable s’appelle «O Mind Just Dance». Ça sent bon l’artiste culte, il hante sa chanson dès l’abord, il solarise sa glotte, ça va très loin. Il revient au let’s go home de big heavy déglingue, il explore les régions inconnues du now we can just dance, il développe un tantric beat et nous entraîne dans une aventure psychédélique stupéfiante. Il claque «My Love Is From Somewhere Else» à la claquemure de la revoyure, Jojo does it right. Puis il nous embarque avec «The Fading Of An Old World» dans un raga de bringueballe, mais avec une voix de punk - I don’t want go back to the rigid old world - C’est même du raga de vieille cabane. On a là un album complètement barré, il faut le savoir. On le voit aussi chanter «This Lovers’ Lane Is Very Narrow» comme ces Marocains qu’on voit se produire dans les restos de Marrakech. Jojo n’en finira donc pas de nous épater.

    Signé : Cazengler, Jonathan Poorman

    The Modern Lovers. The Modern Lovers. Home Of The Hits 1976

    The Modern Lovers. The Original Modern Lovers. Mohawk Records 1981

    Jonathan Richman & The Modern Lovers. Beserkley 1976

    Modern Lovers. Live. Berserkley 1977

    Jonathan Richman & The Modern Lovers. Rock’n’Roll With The Modern Lovers. Beserkley 1977

    Jonathan Richman & The Modern Lovers. Back In Your Life. Beserkley 1979

    Jonathan Richman & The Modern Lovers. Jonathan Sings. Sire 1983

    Jonathan Richman & The Modern Lovers. Rockin’ And Romance. Twin/Tone 1985

    Jonathan Richman & The Modern Lovers. It’s Time For. Upside Records 1986

    Jonathan Richman & The Modern Lovers. Modern Lovers 88. Rounder Records 1987

    Jonathan Richman. Jonathan Richman. Rounder Records 1989    

    Jonathan Richman. Jonathan Goes Country. Rounder Records 1990    

    Jonathan Richman. Having A Party With Jonathan Richman. Rounder Records 1991

    Jonathan Richman. I Jonathan. Rounder Records 1992           

    Jonathan Richman. Jonathan Te Va A Emocionar. Rounder Records 1994  

    Jonathan Richman. You Must Ask The Heart. Rounder Records 1995

    Jonathan Richman. Surrender To Jonathan. Vapor Records 1996

    Jonathan Richman. I’m So Confused. Vapor Records 1998   

    Jonathan Richman. Her Mystery Not Of High Heels And Eye Shadow. Vapor Records 2001 

    Jonathan Richman. Not So Much To Be Loved As To Love. Vapor Records 2004

    Jonathan Richman. Because Her Beauty Is Raw And Wild. Vapor Records 2008

    Jonathan Richman. A Qué Venimos Sino A Caer. Vapor Records 2008

    Jonathan Richman. O Moon Queen Of The Earth. Vapor Records 2010

    Jonathan Richman. Ishkode! Ishkode!. Blue Arrow Records 2016

    Jonathan Richman. SA! Blue Arrow Records 2018

     

     

    Don’t give a Cheater, Slick !

     

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             Quand on demande aux frères Shannon quelles sont leurs influences, la réponse ne surprend pas : Stooges, Velvet, Cramps, ce que tout le monde écoute. Tom Shannon vénère tout ce qui est fucked up et il cite encore des exemples : Alex Chilton, Roky Erickson. Et il ajoute ceci : «In terms of what we do, we just want it to be completely over the top and insane, and we’re groove-oriented. We like to do things, play things, extend them a little bit.» Les frères Shannon et Dana Hatch on fait du déséquilibre caractériel un fonds de commerce. C’est la raison pour laquelle on les adore.

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             L’aventure commence à Boston avec trois albums : On Your Knees, Destination Lonely et Whiskey. Le premier album est un classique du genre avec des cuts comme «I Won’t Last Another Day» (pure stoogerie à l’«I’m Loose», vélocité à tous les étages, David joue exactement comme Ron Asheton, ils avancent dans une ville en flammes, Motor City’s burning baby), «The Hunch» (ultra-slab de trash blasté aux quatre vents), «On Your Knees» (meilleur trash disponible sur le marché, indéfectible modèle de purée, superbement allumé par un thème de guitare lumineux, on les sent fiers de leur slick), «Chaos» (encore un joli slab de trash déterminé et même déterminant, chanté au cro-magnon et battu au Dana beat) et dans «I’ve Been Had», Dave Shannon joue en solo sur toute la distance. Ces mecs montrent qu’ils savent ramoner une cheminée. Autre merveille : «Weirdo On A Train», joué au tordu de son absolument maximaliste, hanté à l’unisson du saucisson sec de Slick, ils sont les rois du trash américain. Oh il faut aussi écouter «Golddigger», atrocement mal chanté, ce qui fait partie de leur charme, c’est très poussé dans les orties, ils adorent s’enfoncer dans leur mayhem. Et puis voilà «Why», monté sur les accords de «Gloria» avec un big aw baby d’intro. Pour un début, c’est un grand album. Le hit s’appelle «Run Away From You», un cut assez long travaillé au big atmospherix sur une belle structure mélodique du grand David Shannon. Ils se révèlent excellents sur les cuts longs et ambianciers. 

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             Le deuxième album des Slicks, Destination Lonely, compte parmi les grands classiques du trash-rock, notamment pour «Murder», pur jus ce Slick Sound System chanté à l’atrocité, joué au filet de trash, hurlé à la hurlette, c’est-à-dire à la vie à la mort. Plus vrai que nature. Leur «Can’t Explain» n’est pas celui des Who, heureusement, ils font leur soupe, hurlent dans les coins, David fait des miracles sur sa guitare. Les Slicks sont vraiment les Byrds du trash. Ils jouent «Look Out World» aux accords de «Gloria». Ils sont marrants, ils s’amusent avec les vieux mythes. Tom fait son Van et il l’explose. Il a ce pouvoir d’exploser le Van en plein vol. Il claque tout son beat dans le cul du cut, à coups de Look out de Van, alors Van va jouir. Le hurlement qu’on entend n’est pas innocent. L’autre grosse bombe de l’album s’appelle «In And Out», le cut d’ouverture de bal d’A. Un petit conseil : écoute ces dingues au casque si tu veux récupérer tout le jus. Ils vont droit au but, c’est joué sec, à l’admirabilité des choses, avec un sens aigu de la dépouille. David part en solo comme d’autres partent à l’aventure. Ils sont excellents. Le «Hear What I Say» qui suit se veut plus lancinant, pas très bienveillant. Et comme le Capitaine Flint, les Slick adorent le rhum. La preuve ? «Rum Drunk». Ils grattent dans les bas-fonds avec tout le bravado du Boston bash boom. Ils chantent «And I Cried» à la pire mélancolie agricole et ils tartinent leur «If Heaven Is Your Home» all over the bread, Brad. Quant au morceau titre, c’est encore une autre histoire. Ils claquent ça aux clameurs sourdes. C’est invraisemblable, ils s’y livrent à un festival de désaille expiatoire. Dans leur genre, ils sont les champions du monde.

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             Whiskey sort sur In The Red en 1993. Dès «Possession», Dana donne bien. C’est chanté à la hurlette de Hurlevent et pour l’époque, c’est admirable. Il la veut, il est possédé, arrhhhhhhh ! Dès qu’ils se fâchent, ils battent tous les records, comme on le voit avec «Leave My Home». Ce garage punk osseux ne peut que plaire au petit peuple. Idéal pour danser le mashed potatoes en attendant la mort. De l’autre côté, «Thinkin’ Some More» occupe toute la face. C’est une longue aventure, un genre de Tintin au pays des serviettes, très Velvet dans l’esprit, on a là une belle dérive chargée de white heat. Ils s’en donnent à cœur joie. Ils ne se connaissent pas de limites, ni de dieux, ni de maîtres, ils font absolument ce qu’ils ont envie de faire et on ne peut que les encourager. Rien ne les fera entrer dans des fucking cages à la mormoille. Vive la liberté !

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             Joli coup de Trafalgar que ce Don’t Like You paru en 1995. Titre parfait. Sur la pochette, les Slicks affichent des mines bien renfrognées, histoire d’enfoncer le clou du titre. C’est enregistré au Funhouse de Jerry Teel et produit par Jon Spencer qui se trouve alors au pinacle de sa famous fame underground. Et pour couronner le tout, ça sort sur In The Red qui est encore à cette époque LE grand label de référence, avec Crypt et SFTRI. On est donc avec cet album dans les conditions optimales du garage punk dont on se goinfrait tous à cette époque, il y a de cela vingt ans. Ils nous plongent dans leur friture dès «Feel Free». C’est emblématique d’emblée et chanté avec toute la petite hargne slicky. Ils savent créer un monde borgne et mal venu, et David Shannon en profite pour passer un solo killer flash de flush avec une surcouche de fuzz absolument dégueulasse. Ces mecs ont le génie du son qui tâche. L’autre grosse tarte à la crème se trouve en B et s’appelle «Spanish Rose». Ils jouent comme des diables à ressorts sur un fantastique beat rebondi. Quelle rythmique de rêve et quelle purulence dans la purée du solo ! Ils jouent ça à l’écharpée gangrenée, la pire qui soit. Tiens, encore un blast d’antho à Toto avec «Poor Me». C’est joué au pire gaga punk de l’univers connu, avec des renvois de tilik-tilik qui rappellent ceux de Magazine dans Shot. Avec ça, ils sont les rois du scumbag et le Shannon repasse un killer solo flash en surcouche de scam de scum. On note leur goût pour le chaos bien tempéré et une volonté rockab dans l’épais «Motherlode». C’est joué au fast beat, how crazy ! «Destroy You» fait aussi partie de leurs classiques. Ils graissent leur gras-double à outrance, aw, put you down ! Il reste à écouter «Sadie Mae», oui, car c’est encore une fois saturé de distorse libératrice. Ils jouent ça à l’apanage du panache de la nage, c’est âprement noyé de son altéré et privé de fonctions vitales, on a là un blast cosmique joué à la dégoulinade d’étalonnage dénaturé.  

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             Les Slicks quittent Boston pour s’installer à Columbus, dans l’Ohio. Ils cherchaient un coin moins cher. Le double album Forgive Thee sort du bois en 1997 et il pullule de coups de génie et de stoogeries, tout est claqué à la bonne claquouille et embarqué dans une pure frénésie de bringueballe. Ils tapent «My Friends» au foutraque de Columbus, sans foi ni loi, sans regard pour les classes sociales inférieures, pas de sentiment, juste du stripped-down low-trash-punk mal chantouillé. Avec «I’m Coming Home», ils tapent dans la Stonesy avec un battage de petite vertu. Chez eux, le baroque reste négligé et ça joue à la va-comme-je-te-pousse de gueule de bois. Et voilà le premier coup de génie : «Used Illusion» - Walking in the rain - Ils nous claquent ça aux accords processionnaires poilus et aménagent de violentes montées en température. C’est Mick Collins qui souffle dans un trombone. On croit entendre un éléphant ! Il souffle dans l’œil du typhon et provoque un déploiement sur-dimensionné d’extase parabolique. En tous les cas, on s’en effare. Tous les cuts sans exception sont hantés par le son, ravagés par des marées noirâtres et de sordides dérives comportementales, harcelés par des incursions impavides. Les Slicks jouent avec l’intention permanente de nuire à la morale. Avec «I Can Go On», ils se montrent capables de belles envolées mélodiques, mais ils veillent à soigner la désaille. Alors forcément, ça finit par sonner comme un coup de génie. Il n’existe pas de cocktail plus capiteux que celui-ci. Avec «Arm Yourself», ils amènent un struggle de bad bad sound, c’est tordu à l’extrême et chanté à la taverne des pirates. On a là le meilleur gaga-punk de tous les temps. C’est presque du Beefheart de «Woe-Is-Uh-Me-Bop», en tous les cas, on a  la même insistance cabalistique. Si on aime bien la violence intrinsèque, alors il faut écouter «This Ain’t For You», car c’est joué au claqué d’accords vénéneux et le chant va si mal qu’il frise la stoogerie inversée. La force des Slicks est qu’ils se montrent présents dans tous les cuts. Spectaculaire de slickness, voilà «Dignity And Grace». Ils jouent ça à la vie à la mort. Mick Collins fait des backing derrière dans un vrai vent de folie. Tout bascule dans la démesure. Avec «Ghost», ils vont loin, bien au-delà de la crédibilité. Ils sur-jouent leur groove ad nauseum et ça devient monstrueux, surtout quand David Shannon part en killer solo trash. Pas de répit sur le disk 2. Tu n’auras jamais rien de plus sec et net que «Retribution». Les Slicks réinventent le rock sauvage, celui qui palpite à l’ombre des jeunes filles en fleur, c’est claqué à l’outrance de la fucking démence, ils visent la démesure de l’outrepassement de tout ce qui est admis dans notre pauvre monde, ils montent à deux au créneau et s’en vont exploser dans le néant. Il n’existe rien de plus trash ici bas que «Southern Breeze». C’est atrocement mal chanté. On a là du pur Slicky strut de trash prémédité et hurlé à la dégueulade. C’est comme si Allen Toussaint venait de tomber dans une bassine de friture de crayfish. C’est atroce ! Ils continuent dans le même esprit avec «It’s OK What You Weight». Ils dégueulent dans les mains des croyants prosternés à leurs pieds. Une nouvelle religion émerge en Palestine, fabuleux shoot de weird shit all over Beethleem ! Ça chante à l’agonie et ça coule dans les pantalons, en tous les cas ça pue le trash à des kilomètres à la ronde. Ils font une belle cover du «Child Of The Moon» des Stones, mais ils la tapent à la Slicky motion. Ils créent un monde qui dépasse largement celui des Stones. Ce cut si insipide à l’origine sonne comme un hit dans les pattes des Slicks. David Shannon part en solo de vrille, ce que les Stones n’ont jamais su faire, sauf dans Sympathy. Mais le solo de Shannon sonne comme la perceuse d’un dentiste nazi qui entre dans une mâchoire juive. Pure horreur ! Ça burn in hell avec «Everybody Know One». Il semble parfois que les Slicks aient inventé l’enfer. Ces gens explosent toutes les idées préconçues et réinventent même la notion de violence sonique. On se demande comment ils parviennent à tenir sept minutes à ce train d’enfer. Ils nous projettent dans le royaume des cieux de l’apocalypse. Ils vont au-delà de tout. Ils tapent une autre reprise, le «Lonely Planet Boy» des Dolls et on retrouve la Slicky motion avec un «Didn’t You» bardé de montées en température. On ne se méfie pas, ils grattent doucement en ouverture et au refrain, ils montent pour atteindre le génie garage, et là on a de nouveau le vrai truc, claqué aux gémonies des pires accords slicky et relancé par Dana le dingo. Ils terminent cet album faramineux avec «Night Life» qu’il faut ben qualifier de saloperie trashy. Il s’y montrent odieux. Ça chante faux dans une friture de désaille guitaristique.

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             Sorti sur Crypt, Skidmarks est une compile des deux premiers albums et des fameuses Alpo Sessions qui seront rééditées en 2012.

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             Refried Dreams réserve quelques bonnes surprises. Par exemple «One Life Story», solide groove gaga à consonance stoogienne. Tom Shannon patauge dans l’heavy liquid des Stooges de 69. Joli blast que ce «Munchen Gretchen». On se croirait dans le white trash du Velvet. Ils font aussi une cover de Lee Hazlewood, «I Think I’m Coming Down». Les Shannon Bros jouent leur va-tout avec ce heavy balladif balayé par les vents d’Ouest. L’album peine pourtant à décoller avec «In This Town» et un «Another Stab» désordonné et mal fichu, gratté à la désaille. Manque de caractère. Mauvaise peau. Sale rock. En B, le morceau titre fait mal aux oreilles, car c’est atrocement mal chanté. On dirait Indochine. Ils reviennent heureusement au grand beat de la désaille avec «George Washington». Ils font presque du funk. Ils tapent «Deep Beneath The Sand» au low-down de free ride et le relancent au lance-flammes shannonique. Ils terminent avec «Last Call», un prestigieux balladif de fin de non recevoir. Ce cut est si beau qu’il finit par te fasciner comme un serpent.

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             Il semble que Yer Last Record paru en 2002 soit leur dernier album studio. On y trouve un chef-d’œuvre trash intitulé «Green Light». Ils tombent là dans l’audace de la putasse, un truc qui dépasse même la notion de trash. C’est dégueulé. Idéal quand on aime voir les immeubles s’écrouler dans les flammes. Les Slicks sont capables de chanter à la vomissure extrême et Dave Shannon revient tout exploser à coups de notes pincées. Tout aussi énorme, voilà «Pants Down», claqué aux pires accords d’American gaga. Ils montent ça en épingle et secouent des squelettes de Stonesy. C’est extravagant de flash de flush. Il n’existe rien d’aussi radical que le son des Slicks. Attention à «Stop Breeding», c’est du pur jus de demolition trash, énorme car hurlé dans le storm. Les Slicks n’en finissent plus de créer leur monde. David Shannon passe un modèle de solo trash dans «Momentary Muse» et roule «It’s Not Your Birthday» dans sa farine. Cet album est un ramassis de raffut slické de slickos. Ils dédient «Miss Q» à Andre Williams. Ils tapent là dans le suburbain, c’est cisaillé au shannonique, violent, acéré et gras. Ça gueule dans les escarres. Ils sont les champions du monde d’un genre difficile : le cut mal né, celui qui est automatiquement privé d’avenir. Ils terminent avec cette admirable fin de non-recevoir qu’est «Goodbye». Pas de retour possible, ils sont dans l’exaction du why why. 

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             Si tu sors Bats In The Dead Trees du bac, remets-le immédiatement à sa place : cet album d’impro est une arnaque. Dommage, car les Slicks sont capables de merveilles.

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             Avec Guttural (Live Vol. 1 2010) s’ouvre une nouvelle ère slicky : celle des grands albums live parus sur Columbus Discount Records, un label sur lequel ont aussi échoué les Bassholes. On trouve sur ce live une très belle version de «Motherload» claquée à la colère rouge et battue au train fou. Ils sont capables de prodiges blastiques de la meilleure catégorie. C’est du Dana pur et dur. L’autre merveille se trouve en fin de B : «Leave My Haouse» redore le blason du trash, c’est joué à la scie. L’empire du trash règne sans partage sur ce live abandonné des dieux. D’autant qu’ils tapent dans le vieux «Feel Free», vrai déballage de morve sonique, et ça part en solo il faut voir comme, sans réfléchir. Tout est joliment noyé de son, ici, notamment ce «Destroy You». Ah on peut dire que les Slicks auront bien slické leur époque. «Destination Lonely» sonne comme un modèle de trash-punk dégondé du châssis. Ils jouent ça avec un mépris total de la bienséance. Tout est exceptionnellement balèze là-dessus, comme ce «Bruno’s Night Out» qui s’implante solidement en terre sonique. Les Slicks sont vraiment les rois du genre. Tout est joué dans le raunch, comme «My Position On Nothingness», dans l’esprit de non-retour et dans l’éclat du trash de dégoulinade. Les paquets de son s’écrasent dans l’écho du temps. Et voilà un «Ghost» terriblement présent, incroyablement fantasque, ils nous grattent ça au delà du Cap de Bonne Espérance, sans la moindre prétention.

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             Sur le même label, voilà l’infernal Reality Is A Grape. Il est bon d’insister sur la principale qualité des Cheater Slicks qui est la cohérence. Cet album en est la preuve vivante et ce dès le morceau titre, embarqué au drumbeat sévère par ce dingo de Dana. David Shannon joue en solo d’exacerbation totale tout au long du cut. Ils vont au bout de leur dévoiement et c’est admirable de non-respect. Avec «Love Ordeal», ils martèlent le beat sans se préoccuper du qu’en-dira-t-on. Ils jouent ce qu’ils ont toujours joué, le sonic trash expansif. On note l’extraordinaire énergie de leur cohérence. On les sent investis dans leur mission, même dans des balladifs comme «Hold On To Your Soul» et «Jesus Christ». Ça repart de plus belle en B avec un «Half Past High» martelé au big beat sans rémission. Ils chantent à plusieurs voix et restent solidement implantés sur leur terre d’élection. David Shannon n’en finit plus de passer des solos d’exception. «Whyenhow» se situe au même niveau d’excellence, tout se tient, tout se lie dans un sonic hell soigneusement entretenu et ce démon de David Shannon n’en finit plus de multiplier les incursions divinatoires. Il est constamment en roue libre. Les mighty Slicks restent dans la fragrance de la latence avec l’extraordinaire «Current Reflexion». Et ils bouclent ce fastueux festin avec «Apocalypse» - Where you gonne be/ For the apocalypse - C’est trashé à souhait et joué dans le move d’une mélodie crépusculaire. David Shannon n’en finit plus d’émerveiller. Ce disque pourrait bien figurer parmi les très grands disques du XXIe siècle.

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             Voici le petit frère de Grape : Live Vol. 2 2010. On y retrouve une violente reprise de «Used Delusions» tapée au bon beat. Dommage que Mick Collins ne soit pas de la partie. Live, les Slicks impressionnent encore plus car on entend David jouer en filigrane de gras. Mais globalement, ça reste un énorme gargarisme punkoïde. Ils tapent ensuite une belle version de «Possession» (qu’on trouve sur Whiskey). Pur jus de Slicky motion, Dana martèle bien le beat et David joue la pire note à note de désaille qu’on ait vu de ce côté-ci du no man’s land. Ils ramènent des chœurs de cathédrale et l’ami David d’amuse à partir en vrille de dingue. Tout cela relève de la clameur. Ils attaquent la B avec le fabuleux ramshakle de «Stop Breeding». Ils n’en peuvent plus. C’est chanté à la pire désespérance, ils vont loin, au-delà du permissible, c’est de l’ultimate à la tomate, de la patate de non-retour, les Slicks sont les champions du monde, mais tout le monde s’en bat l’œil. On tombe plus loin sur une version fatidique de «Murder» que David vrille dans le sens du poil et ça joue à la désaille extrême.

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             Our Food Is Chaos propose les fameuses Allen Paulino Sessions qui datent de 1989. Alpo était l’Alpo des Real Kids et là, il joue de la basse avec les Slicks. On trouve de sacrément bonnes choses dans cette session, à commencer par «Dark Night», une vraie stoogerie bien coulée sur la descente d’accords. Ils font aussi une version littéralement crampsy de «Please Give Me Something». Et on se régale de la bassline d’Alpo, toute secouée de divines congestions. Autre merveille : une reprise de «Rollercoaster», admirable de heavyness et le côté cro-magnon amène vraiment de l’énergie à cette version sinistrée.

             Of course, this one is for Lo’ Spider.

    Signé : Cazengler, Cythère Sick

    Cheater Slicks. On Your Knees. Gawdawful Records 1989

    Cheater Slicks. Destination Lonely. Dog Meat 1991

    Cheater Slicks. Whiskey. In The Red Recordings 1993

    Cheater Slicks. Don’t Like You. In The Red Recordings 1995

    Cheater Slicks. Forgive Thee. In The Red Recordings 1997

    Cheater Slicks. Skidmarks. Crypt Records 1998

    Cheater Slicks. Refried Dreams. In The Red Recordings 1999

    Cheater Slicks. Yer Last Record. Secret Keeper Records 2002

    Cheater Slicks. Bats In The Dead Ttrees. Lost Treasures Of The Underworld Records 2009

    Cheater Slicks. Guttural (Live Vol. 1 2010). Columbus Discount Records 2011

    Cheater Slicks. Our Food Is Chaos. The Allen Paulino Sessions. Almost Ready Records 2012

    Cheater Slicks. Reality Is A Grape. Columbus Discount Records 2012

    Cheater Slicks. Live Vol. 2 2010. Columbus Discount Records 2012

     

     

    L’avenir du rock

    - Have you seen the little Pixies crawling in the dirt ?

    (Part Two)

     

                Comme il aime bien les gros, l’avenir du rock mange des gâteaux à la crème. Une façon comme une autre de leur rendre hommage. C’est dingue ce qu’il peut les aimer, tous ces gros lards qui ventripotent depuis cinquante ans dans les canards de rock. Quand il a su que Leslie West bouffait cinquante dounuts à la crème au beurre par jour, il est allé chez le boulanger de la rue Saint-Jean acheter un gros sac de donuts pour écouter «Blood Of The Sun» dans les conditions idéales, c’est-à-dire avec de la crème qui coule sur le shetland et les doigts qui collent. Quand il a appris que Crocus Behemoth pétait sur scène en l’honneur de Père Ubu, alors l’avenir du rock a fait réchauffer une très grosse boîte de pois chiches en sauce pour s’entraîner à péter sur fond de «Final Solution» - The girls won’t touch me/ Cause I got a misdirection/ Prout prout - L’avenir du rock sait que si on ne fait les choses qu’à moitié, ça ne marche pas. Il faut les faire pour de vrai, pas pour de faux. Tiens, et puis Buddy Miles ! Pour ça il est obligé d’aller au MacDo, ce dont il a horreur, mais s’il veut écouter «Them Changes» dans de bonnes conditions, il doit engloutir six triple big macs d’affilée avec une grande bouteille de coca-cola, et interdiction de dégueuler, même si c’est à cause de ses vieux réflexes d’anti-américanisme primaire. Il préfère nettement s’exploser la panse sur les hits magiques de Fatsy en cuisinant de grandes casseroles de pieds de cochon en sauce piquante, comme le faisait Fatsy dans sa chambre d’hôtel lorsqu’il était en tournée. Étant donné que Fatsy invitait ses musiciens à béqueter ses pieds de cochon, l’avenir du rock invite ses voisins, qui, en plus, aiment bien entendre «Walking To New Orleans» et «Blueberry Hill», des hits qui leur rappellent leur lointaine jeunesse. Le plus grand fantasme de l’avenir du rock est à peine avouable. Bon tant pis, on y va : il n’a toujours rêvé que d’une seule chose : récupérer la baignoire remplie de haricots en sauce qu’on voit sur la pochette de The Who Sell Out, virer bien sûr cette gueule d’empeigne de Daltrey pour le remplacer par Mama Cass, une Mama Cass à poil, avec ses mamelles et ses bourrelets qui flic-floquent dans la bouillasse un peu sucrée, l’occasion rêvée de donner libre cours à toutes les fantaisies libidinales, d’autant plus sûrement qu’on savait Mama Cass experte en la matière. Pire encore, l’avenir du rock a récupéré la table de Beggars Banquet et il attend son invité, le héros des temps modernes, le rabelaisien Frank Black, et ils vont ensemble taper dans les cochonailles du Rouergue, les brunoises d’asperges vertes, les viandes blanches et rouges, les aiguillettes de canard en compotées, les pâtés en croûte, les miches et les tomes, les pattes de fruits et les mousses à la cannelle, tout cela bien sûr en hommage à Marco Ferreri et à sa Grande Bouffe

     

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             Tu ne verras pas beaucoup d’artistes du calibre de Frank Black dans ta vie. Oh tu as peut-être pu voir ces grands dévoreurs saturniens que sont Jaz Coleman, Ian Astbury ou Iggy Pop, ou encore ces immenses chanteurs que sont Lanegan, Greg Dulli, Chris Bailey, Jerry Lee ou Lee Fields, mais aucun d’eux n’a jamais atteint ou n’atteindra jamais la démesure d’un screamer comme Frank Black. Le scream apoplectique du gros est resté le même que celui de ses débuts, quand, à l’Olympia, il allait se positionner sous son micro pour hurler son De-baser comme un goret. La musique du gros, c’est d’abord ça, une certaine idée de la folie qu’on appelle aussi la démesure. Et il met cette démesure au service de chansons dont la modernité, trente ans après, coupe toujours le souffle. Tu ne sais pas pourquoi il te parle du chien andalousia dans «Debaser», mais il est là, bien là, le chien andalousia, et à la suite, tu as le scream le plus dévolu de l’histoire du rock. Tu l’as aussi dans «Wave Of Mutilation», et dans «Gouge Away», tous ces vieux hits qui ne prennent pas une ride.

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             Le problème avec les Pixies - tout au moins en France - c’est qu’on les a enfermés (avec les Mary Chain) dans un bocal qui porte l’étiquette «rock indé», et ça reste l’une des pires façons de voir le rock, alors qu’outre-Manche, les Pixies ont toujours fait partie - avec les Screaming Trees - des rares groupes de rock américains encensés par la presse rock anglaise. Les Anglais savent reconnaître ce qui est bon. Choisis ton camps camarade : tu avais le choix entre le NME, Sounds et le Melody Maker d’un côté, Rock&Folk et Best de l’autre, et le choix était vite fait. Le rock est une chose très sérieuse qui ne devrait pas tomber aux pattes des amateurs. En France, la presse rock catalogue, et les Pixies qui sont l’un des meilleurs groupes de l’histoire du rock se sont retrouvés catalogués «rock indé». Le plus drôle, c’est que tu ne vois pas les mêmes gens au concert de Jim Jones et au concert des Pixies. Alors qu’il s’agit exactement de la même chose : un pur concert de rock. Les Pixies ont une dimension artistique qui leur permet de transgresser les genres. Ça se sent quand tu te retrouves aux pieds du gros. Il chante pas loin de deux heures, comme il l’a toujours fait, et comme Chuck Berry, il fonctionne comme un juke-box à roulettes, parce qu’il n’a que des hits, et ce sont des hits sortis de sa cervelle infestée de rock’n’roll, et dis-toi qu’elle l’est depuis sa plus tendre enfance. Il fait rarement des reprises, mais quand il tape dans l’«Head On» des Mary Chain, il en fait du gros Black, et à une autre époque, sa cover nous fascinait tant qu’on s’est crus autorisés à la reprendre, parce qu’on avait le chanteur qui nous permettait ce luxe inouï. Mais l’autre soir, en voyant le gros l’attaquer et la monter en neige, on comprenait bien que nous ne pouvions pas aller aussi loin que lui, lorsqu’il bascule dans l’insanité - And I’m taking myself/ To the dirty part of town/ Where all my troubles/ Can’t/ Be/ Found - car c’est là que ça se joue, dans le tourbillon fatal du dirty part of town, dans la chute fracassante et la remontée vers la lumière qu’induit le motif de guitare imaginé par William Reid et transgressé par Joey Santiago. Là, tu comprends, tu n’es plus dans le «rock indé», tu es au cœur ardent du mythe. Le «Head On» des Pixies, c’est exactement la même chose que «Gimme Shelter», «You’re Gonna Miss Me», «Looking At You», «Bird Doggin’», «Purple Haze» ou «Great Balls Of Fire», une sorte de petite apothéose passagère et définitive à la fois.

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             Alors tu le vois arriver sur scène. Première chose, il a perdu du poids. Il est beaucoup moins rond qu’avant, même du visage. Il a maintenant une tête de fœtus, surtout avec cette manie qui a de fermer les yeux en permanence, comme s’il était aveugle. Le peu de fois où il ouvre les yeux, c’est pour regarder le public d’une manière un peu étrange. On est obligé de mettre ça sur le compte de la timidité. On apprend en outre très vite que les photos sont interdites, alors avec l’habitude, on se débrouille pour en faire quand même. Il porte un T-shirt noir à col en V et un jean noir délavé assez moulant, qui met en valeur l’étrange architecture boudinée de ses petites jambes. Du coup, le gros passe du stade de boule de suif à celui de créature dadaïste, ce qui lui va comme un gant. Et dans les pattes, la sempiternelle Tele, avec un son d’une incroyable agressivité. On croit toujours que les cuts des Pixies sont complexes, mais quand on le voit passer ses accords, on voit que les structures sont extrêmement simples, il passe ses accords avec une lenteur spéciale, et il les plaque de ses petits boudinés, parfois de trois doigts, parfois des quatre. Il exerce en tant qu’artiste une fascination de chaque seconde. Rien dans ce qu’il fait n’est ordinaire. Il jette rarement un coup d’œil à sa main gauche, tout ce qu’il joue et bien sûr tout ce qu’il chante est intériorisé à l’extrême. Ses filets mélodiques remontent en lui comme des sources, il est dans cette prodigieuse intelligence du rock qui fait la différence avec le troupeau bêlant d’Épicure. Il est aussi pur mélodiste que le fut John Lennon, c’est la raison pour laquelle les chansons de ces deux mecs-là entrent si facilement dans l’inconscient collectif. On se surprend parfois à fredonner «Caribou» ou «Velouria», parce que ces airs si purs sont installés dans l’inconscient, comme le sont depuis longtemps «Strawberry Fields Forever» et «Penny Lane». Et de voir le gros chanter «Caribou» sur scène est une sorte de don du ciel, car c’est une chanson ancienne dont il pourrait finir par se lasser, mais non, il module son cariboooo avec une passion ardente, le visage perlé de sueur. Le gros en action, c’est l’incarnation du vif argent, c’est l’intensité à deux pattes, un fantasme béni des dieux du rock, l’un des vrais génies du monde moderne, il est fantastiquement vivace et certainement aussi littéraire que son idole Bob Dylan. Bizarrement, le public n’a pas l’air de connaître les textes. Lors du concert des Stooges au Zénith de la Villette, tous les gens des premiers rangs reprenaient les paroles en chœur avec Iggy. Là c’est autre chose. Quand le gros pique sa rituelle crise de hardcore, ça pogote sur la barrière et il faut jouer des coudes pour essayer de rester concentré sur le concert. Pas simple.

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             Ils font une set-list à la volée. Le gros dispose d’une grande set-list plastifiée posée sur l’estrade de batterie et éclairée par une petite lampe basse tension, il choisit un titre et l’annonce dans un micro de service relié aux oreillettes des autres. Parfois, il n’annonce rien, mais les autres savent tout de suite entrer dans la danse. C’est l’apanage des grands groupes, c’est-à-dire ceux qui n’ont fait que des grands albums et qui ont un bon historique, c’est-à-dire zéro compromission.

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    Parfois, c’est Paz Lenchantin qui lance un cut sur le riff de basse, comme elle le fait avec «Gigantic». Elle est marrante, la petite Paz, en jupe plissée et en chemisier à jabot, elle fait un contrepoint idéal à la présence faramineuse du gros, elle semble prendre plaisir à jouer des drives de basse qui sont eux aussi d’une simplicité enfantine. Tu crois qu’«Here Comes Your Man» est un truc tarabiscoté, mais non, c’est joué sur quelques accords bien senti, le swing vient du chant et des fantaisies vocales du gros, avec bien sûr les chœurs délicieux. L’autre contrepoint, c’est bien sûr Joey Santiago qui passe son temps à grimacer, comme s’il se demandait où était passé le gros avec ses accords. Santiago est resté le même, avec son pif écrasé de boxeur, il ne joue que sur des Les Paul en or et cultive l’art des stridences excédentaires. C’est un fabuleux expérimentateur sonique, le contrepoint idéal pour un géant punitif comme le gros.

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             Ils ne jouent qu’un seul cut en rappel, pour remercier le public, le fameux «Bone Machine» qui remonte aux années quatre-vingt, toujours aussi tordu et irrépressible. Le gros est l’un des seuls qui sache faire passer en force un cut mélodiquement biscornu, mais il le malaxe si joliment que ça devient une œuvre d’art moderne. À leur façon, les Pixies sont un groupe Dada, le chien andalousia n’est pas là par hasard. Et tu ne peux pas faire plus Dada que «Where Is My Mind?» - Where is my mind/ Way out in the water/ See it swimming - ou pire encore, ce «U-Mass» qu’ils jouent longtemps à vide sur l’accord avant de partir en vrille de Mass et de basculer dans l’exaction extrême - Oh don’t be shy/ Oh kiss me cunt/ Oh kiss me cock/ Oh kiss the world/ Oh kiss the sky/ Oh kiss my ass/ Oh let it rock - Le gros n’en perd pas une miette et nous non plus d’ailleurs. Et on le revoit plonger dans un abîme de scream épouvantable, il est le plus beau screamer qui se puisse imaginer sur cette terre. Le scream le transfigure, il passe de l’état de laideur relative à celui de beauté iconique, il dégage une odeur de sainteté, son visage perlé de sueur renvoie à tout ce fatras iconique de la sanctification, du dépassement qu’induit (théoriquement) l’état de martyre. Le gros ne te lave pas de tous tes péchés, mais pendant deux heures, il te fait oublier le monde pourri qui t’entoure. Le rock ne sert qu’à ça. Depuis le début, il n’a toujours servi qu’à ça.

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    Singé : Cazengler, Picsou

    Pixies. Le 106. Rouen (76). Le 23 juin 2022

     

     Inside the goldmine - Paley royal

     

             De tous les géants de la carambouille, Didi était le plus grand. Rien à voir avec les mecs de la Porte de Clignancourt ou ceux de Barbès. Avec Didi, tout était simple. Tu lui demandais n’importe quoi, une plaquette de shit afghan, un faux passeport, un disque des Amboy Dukes, une fiole de poudre de corne de rhino, il te répondait : «Okay ! Demain midi !». Tu lui aurais demandé un flingue, ça ne lui posait aucun problème. Il demandait toujours 50 % à la commande, en cash. Ou en marchandise, mais c’est lui qui évaluait. Il connaissait la valeur des bijoux. Il n’avait jamais besoin de calculette, il comptait comme on compte en Asie, avec une agilité mentale qui laisse toujours penser que ça cache une arnaque. Il tenait toujours sa parole, il savait que sa réputation reposait entièrement sur sa fiabilité. Il mettait un point d’honneur à ne jamais décevoir l’un de ses clients. Son petit sourire en coin laissait penser qu’il faisait de sa virtuosité une sorte de jeu. On pouvait voir Didi comme un enfant enfermé dans le corps d’un jeune homme. Sous une mèche de cheveux noirs de jais dardait un regard incroyablement direct et quand il souriait, son visage semblait irradier. Il inspirait une sorte de fascination, car ce mélange de roublardise et de candeur n’était pas commun, surtout dans ce monde interlope fréquenté par tous les aventuriers et les trafiquants que l’on peut bien imaginer. Il parlait plusieurs langues, ce qui épaississait encore le mystère de ses origines. On le voyait de loin en loin, chaque fois qu’on cherchait quelque chose de spécial. On savait où le trouver, au rez-de-chaussée d’un vieux bâtiment, il suffisait de taper à la porte et s’il était là, il ouvrait pour répondre, avec cet incroyable sourire. Et puis un jour, il demanda un service en échange d’une commande. Stupéfaction ! Besoin d’une planque pour deux mois, le temps que les choses se tassent. Un deal qui a mal tourné, disait-il sans rentrer dans les détails. Pas de problème. Il vint se planquer à la maison. Nous passions les soirées à fumer de l’herbe et il commença doucement à parler de son enfance, là-bas au Cambodge. Père américain pilote d’hélico abattu au-dessus de la frontière. Mère cambodgienne exécutée par les troupes de libération. Didi petit, en plein dans Apocalypse Now. Capturé par des guerilleros alors qu’il s’enfuyait dans la jungle. Attaché à un arbre, torse nu et cisaillé en quinconce à la machette sur toute la hauteur du torse. Traits croisés à 45°. Cinq d’un côté, cinq de l’autre. Une œuvre d’art. Laissé pour mort. Il souleva son T-shirt pour montrer cette épouvantable cicatrice. Chaque balafre mesurait deux centimètres de large. Il souriait.  

     

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             Pendant qu’on charcutait Didi au Cambodge, Andy grandissait peinard à Boston. Ils n’ont pas que le Di en commun, ils ont aussi des physiques extrêmement avantageux et des profils d’aventuriers extrêmement pointus. Tu es ravi d’avoir pu croiser dans ta vie des gens comme Andy et Didi.

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             Andy Paley et son frère Jonathan forment les Paley Brothers au début des années 70. Le boss de Sire Records Seymour Stein les découvre en 1975, via une démo. Il écoute et trouve ça bien, real pop, bordering on bubblegum. À ses yeux, ça frise le Brill, lots of two-parts harmony, great hooks. Stein les voit jouer dans un bar de Boston et décide de les signer sur Sire, en même temps que les Ramones, Richard Hell, les Talking Heads et les Dead Boys. Andy et son frère Jonathan vont travailler avec les meilleurs producteurs de l’époque, Jimmy Iovine, Earle Mankey et Phil Spector.

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             The Paley Brothers paraît en 1978. Andy et Jonathan sont tellement fans des Beach Boys qu’ils demandent à Earle Mankey de produire leur album au Brother Studio des Beach Boys. Pourquoi Mankey ? Parce qu’il a déjà produit au même endroit l’album Beach Boys Love You. Dès «You’re The Best», ils font l’unanimité parmi les oreilles. Ils mélangent leur adoration pour les Beach Boys avec leur énergie bostonienne. Mais la dominante chez eux reste la power-pop. Ils renouent avec le Beach Boys craze dans «Turn The Tide». Ils délivrent ici un shoot paranormal de sunny groove et d’entrain d’allant suprême. Si tu aimes la grande pop américaine, elle est là, dans «Turn The Tide». Ils font une reprise du «Down The Line» de Buddy Holly & Bob Montgomery assez musclée. On y croise même un solo en dérapage contrôlé. On retrouve bien sûr tout l’album dans la compile The Complete Recordings parue en 2013. Si on veut faire le tour du propriétaire, cette compile est un passage obligé. Les inédits sont tous plus spectaculaires les uns que les autres. Stein a sorti des archives et on en prend plein les mirettes. Tiens, par exemple avec ce «Meet The Invisible Man» enregistré en 1979 en Californie. C’est encore plus dingue que les Beach Boys, comme si c’était possible. L’Invisible Man sonne comme un sunny hit qui relève d’une certaine inexorabilité des choses. C’est claqué à l’arpège salvateur. Et dire que ces merveilles sont restées inédites ! Encore du Beach Boys Sound avec «Boomerang». Brian Wilson chante derrière. Fabuleux et explosif. Sabré au killer solo flash. C’est littéralement bardé de guitares, les retours de chœurs sont exactement les mêmes que ceux des Beach Boys. On tombe ensuite sur un «Felicia» enregistré live au Madison Square garden. Ces mecs sont extrêmement aguerris. Ils enregistrent «Running In The Rain» chez Ardent à Memphis. Serait-ce un clin d’œil à Big Star ? Va savoir ! Ils enregistrent aussi le vieux «Come On Let’s Go» de Ritchie Valens avec les Ramones, one two three four, Earle Mankey produit, ils foncent tous dans le mur, mais pas n’importe quel mur : le Beach Boys Wall of Sound. C’est exactement la même énergie. Nouveau coup de Jarnac avec «Spring Fever» puis voilà enfin le coup de génie : «Jacques Cousteau». Les frères Paley tapent une fois encore dans la mad frenzy des Beach Boys - Jack Jack/ Jack Cousteau - merveilleux délire - L’Atlantic c’est fantastic/ le Pacific c’est terrific - Il faut encore signaler la présence d’une pépite : «Theme From Fireball XL-5», assez poppy mais bien vu, in my imagination - My heart will be a fireball/ And you’ll be my Venus of the stars.

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             Sur The Complete Recordings, on peut surtout entendre le «Baby Let’s Stick Together» produit par Phil Spector au Gold Star de Los Angeles. Les Ramones allaient enregistrer End Of The Century aussitôt après. Ce «Baby Let’s Stick Together» est du pur Beach Boys power. Gene Sculatti raconte que Phil Spector appela Andy Paley en pleine nuit pour lui proposer une session d’enregistrement à Los Angeles. Ils envisageaient d’ouvrir le bal de leur deuxième album avec cette merveille, mais il n’y eut pas de deuxième album. Andy Paley ne s’en formalisa pas. Il joua un peu avec le Patti Smith Group et développa un goût pour la production.

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             Bon, les Paley Brothers, c’est bien gentil, mais Andy Paley n’en était pas à son coup d’essai. Il avait déjà enregistré un album avec les Sidewinders, un quintet de Boston qui aurait dû exploser en 1972 avec son album sans titre. On connaissait son existence grâce à Creem. Belle pochette, on les voit photographiés tous les cinq dans un salon du Chelsea Hotel. Dès «Bad Dreams», on sent une petite pop allègre et bien entreprenante. Ces mecs visent le clair de pop, comme les Nerves vont le faire un peu plus tard. Le lead guitar Eric Rosenberg sort un son agile et fiévreux. Le hit de l’album s’appelle «Told You So». Ce shoot de Stonesy nous renvoie à Exile. On sent bien qu’ils tentent le big hit avec ce joli coup de Soul pop qui renvoie aussi aux Box Tops. Avec «Moonshine», ils se livrent au petit jeu du balladif paradisiaque. Ils s’y sentent bien, alors nous aussi. Eric Rosenberg se tape une fois encore la part du lion avec sa dentelle de Calais. Bizarrement on les voit aussi jouer du garage surf («The Bumble Bee»). Alors et la B ? Oh pas de quoi casser trois pattes à un canard. «O Miss Mary» vaut pour un petit slab de pop énervée. Ils jouent ça à l’échevelée avec une bassline effervescente et un Rosenberg parti à vau-l’eau. La belle pop de «Got You Down» fait dresser l’oreille, mais il manque l’étincelle. Voilà un cut typique de cette époque où on aimait cavaler sans réfléchir. On trouve plus loin un autre petit slab de power pop qui s’appelle «Reputation». Même s’il se veut bien énervé, ça n’en fait pas un hit pour autant.

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             En 1985, Andy Paley produit Rockin’ And Romance, un album léger de Jonathan Richman & The Modern Lovers. Ça se passe entre Bostoniens et comme toujours avec Jojo, c’est bon esprit et bien chanté, avec quelques pitreries à roulettes comme «Down In Bermuda». Jojo y rivalise de désinvolture avec Kevin Ayers, c’est dire s’il est balèze. Comme il dispose d’une vraie voix, il rafle tous les suffrages. On se fait tous avoir. Il nous branche plus loin sur la souffrance de Van Gogh - Have you heard about the pain of Vincent Van Gogh ? - puis refait son Modern Lover avec «Walter Johnson», à la croisée du laid-back et du doo-wop. Andy Paley passe un solo de batterie pasticheur dans «I’m Just Beginning To Live». Jojo s’amuse comme un gamin, Ok let’s rock ! Pas étonnant qu’il devienne culte. Il crée une sorte de rockalama bon enfant.

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             L’année suivante, Andy Paley produit It’s Time For. On reste dans le Jojo Fricotin, avec Bibi et ses vieux hits de juke de type «Let’s Take A Trip». Andy Paley amène un son extrêmement intéressant, il veille à préserver l’ambiance du studio. Dès l’«It’s You» d’ouverture de bal, ça sent bon le Paley royal. Grosse d’ambiance, tout le monde gratte des grattes et chante en chœur. Ils sortent les guitares électriques pour «Yo Jo Jo». Jojo a de la jugeote. Même s’il fait tout pour se déconsidérer, il faut le prendre très au sérieux, au moins autant que Lou Reed. Il tente de se faire passer pour le raté de service, mais la moindre de ses chansonnettes tape dans le mille. Avec «Double Chocolate Malted», il vend les charmes d’une glace au chocolat et derrière les mecs font yeah yeah yeah. Comment résister à ça ? Impossible. Il a tellement de talent qu’il se permet n’importe quel délire, même celui de «Desert». Mais Jojo est trop bon enfant pour le dandysme.

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             Dix ans plus tard, Andy Paley produit un troisième album pour Jonathan Richman : Surrender To Jonathan. Pochette délicieuse : l’ex-Modern Lover s’y déguise en pirate. Jojo, c’est un peu l’équivalent américain de Kevin Ayers : une vraie voix et un goût prononcé pour le balladif magique. Le problème avec Jojo est qu’il a souvent fait de la petite pop aigrelette et même du balloche. Des mecs vont dire : «Ah c’est culte !». Oui, c’est aussi culte que le cul de ta voisine. Sur cet album tout est très simple. Jojo n’a besoin de personne en Harley Davidson. Il drive sa pop bon enfant à la petite semaine et Andy-Oh-Andy adore ça. Pas de son dans «Surrender», il n’y a que la voix de Jojo. Il fait encore son cirque dans «I Was Dancing In The Lesbian Bar». A-t-il vraiment besoin d’un mec comme Andy-Oh-Andy derrière ? On retrouve la vieille tarte à la crème d’«Egyptian Reggae». Et puis voilà le Jojo tant espéré avec «When She Kisses Me», une belle pop qu’il allume à coups de yeah yeah et qui émerveille pour de vrai. Il amène encore de la pop énorme avec «Satisfy». Il faut bien dire que ce genre d’album est très spécial. On l’écoute par sympathie, mais ça ne va pas plus loin. Jojo fait son business comme tout le monde. Et comme il dispose d’une vraie voix, ça facilite les choses. Il termine cet album profondément Jojotique avec «Floatin’». Il finit par imposer sa présence. Il fait quand même partie des grands chanteurs américains.

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             En 1989, Andy-Oh-Andy produit le Wild Weekend de NRBQ. On retrouve bien sûr le bassmatic de Joey Spampitano dans le morceau titre, juste derrière la cocotte d’Al Anderson. Ces mecs sont assez carrés. Andy-Oh-Andy vieille à monter la basse dans le mix. Mais le son de l’album est globalement trop propre. La pop de «Fireworks» n’est pas bonne, elle est trop passe-partout avec hélas de faux accents de Costello. On voit «Bozoo That’s Who» virer Cajun grâce à un accordéon et c’est en B qu’on trouve un peu de viande, avec notamment «Fraction Of Action». Ils renouent là avec le hard drive auquel ils nous avaient habitués. C’est un fantastique shoot de tension hérissé de gimmicks de basse. Ils terminent en fanfare avec «Like A Locomotive». L’excellence de ce groove ferroviaire leur sauve la mise. C’est habilement mené, bien arrondi par Spampi, ce crack du bassmatic que voulait embaucher Keith Richards.

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             Grâce à Seymour Stein, Andy-Oh-Andy peut travailler en 1988 avec son idole : Brian Wilson. Sur la pochette de Brian Wilson paru en 1988, Brian Wilson paraît soucieux. Il ne devrait pas s’inquiéter car Andy-Oh-Andy veille au bon grain de l’ivraie, notamment en B, avec un «Let It Shine» co-écrit avec Jeff Lyne. Forcément pop, forcément what you be - There come a burning fire/ It fills me with desire - Pur pop genius - Your words are magic to my ears - Nous voilà dans l’univers sacré des Beach Boys. Et ça continue avec «Meet Me In My Dreams Tonight», véritable festival de pounding pop, c’est du grand art digne de l’âge d’or de la civilisation de la plage, puissant et gorgé de sunny sound. C’est avec «Rio Grande» que Brian Wilson renoue avec ce qui le caractérise le mieux : le génie composital. Il va recréer sous nos yeux globuleux l’émotion de son California Saga (Holland) avec ce Cherokee trail/ I’m ridin’ all alone et il fait souffler des vents de Chimes, alors on plonge dans l’overflow de magie wilsonienne, whaooo yeah yeah yeah - I want the river to take me home/ Can’t ride the river no more all alone - Et ça explose au nez de la Saga d’éternité, ce mec crée de la magie all along, depuis le début de l’histoire du rock. On assiste à la fantastique éclosion du whole wide world. Alors évidemment, l’A paraît bien falote en comparaison, même si la pop de «Love And Mercy» reste parfaite. On retrouve aussi des échos du grand art des Beach Boys dans «Walkin’ The Line». Brian Wilson n’est pas un ré-inventeur, c’est un perpétuateur patenteur. On voit aussi qu’avec «Melt Away», il ne lâche pas sa vieille rampe. Il tartinera vraisemblablement jusqu’à la fin de ses jours. Andy Paley reste fidèle et dedicated. «Baby Let Your Hair Grow Long» est certainement le cut le plus Boyish de l’A, on s’effare de les voir tortiller aussi facilement cette grande pop californienne. 

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             Andy-Oh-Andy aura l’occasion de retravailler avec son idole Brian Wilson sur l’album Gettin’ In Over My Head, paru en 2004. C’est l’album des collaborations. Ça commence assez mal avec Elton John puis ça s’arrange avec Carl Wilson dans «Soul Searchin’», pur jus de Beachy Sound. Ils n’en finissent plus de rallumer leur vieux flambeau et un solo de sax vient resplendir dans l’embrasement du crépuscule. Le hit de l’album c’est bien sûr «Desert Drive», avec Andy Paley qui ramène la brebis Brian Wilson dans le droit chemin - We’re gonna have some fun - C’est infesté de c’mon effervescents. Andy intervient une fois encore dans «Saturday Morning In The City» et sur le morceau titre. Ils tournent pas mal autour du pot et tentent de recréer la magie des jours anciens, mais ce n’est pas si simple. Brian Wilson manque de conviction. Il prend «You’ve Touched Me» par-dessus la jambe et le chante à l’édentée. On croise d’autres invités sur l’album, comme Paul McCartney, mais il ne se passe rien de plus que ce qu’on sait déjà.

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             Après Brian Wilson, l’autre grand coup d’Andy-Oh-Andy, c’est Jerry Lee Lewis. Comment va-t-on pouvoir célébrer la grandeur d’un album comme Young Blood ? Jerr refait surface après dix ans de silence. Il a soixante balais. Il pose au bord du lac, assis en smoking dans une banquette rococo. Beat that ! Pas possible. Pas non plus possible de beater le cut d’ouverture de bal, «I’ll Never Get Out Of This World Alive». Il a raison, ni Jerr ni personne ne quittera ce monde vivant, mais quand c’est dit par un cat comme Jerr, ça change tout. Alors faut-il célébrer le génie de Jerr, ou celui d’Andy Paley qui produit cet album qu’il faut bien compter parmi les plus grands disques de l’histoire du rock ? Oui, Jerr chante, mais il a du son et c’est autre chose que le son de Jerry Kennedy à Nashville. Andy-Oh-Andy amène de l’eau au moulin de Jerr, c’est-à-dire le Memphis Beat original. Il faut dire qu’Andy Paley a fait ses preuves avec Brian Wilson et Jonathan Richman. Il n’y a pas plus de hasard sur le crâne de Mathieu qu’il n’y a de cheveu dans ta philosophie, Horatio. Rappelons l’équation fondamentale : une vraie voix + une bonne chanson + une prod de crack = un hit éternel. Des choses comme «River Deep Mountain High», «MacArthur Park» ou encore «California Girls» en sont le résultat, et il en existe beaucoup d’autres, si l’on sort les noms de Mickie Most, de Chips Moman, d’Uncle Sam ou encore de Shel Talmy. Il faut désormais ajouter «I’ll Never Get Out Of This World Alive» à ce palmarès. Jerr chevauche à la cravache, il rue comme un dieu, et voilà qu’arrive un solo d’éclat magique, alors ça grimpe directement au pinacle. Il est fort probable qu’on entende Joey Spampitano au bassmatic. Andy-Oh-Andy le connaît bien car il a produit l’un des albums de NRBQ (Wild Weekend). Font aussi partie de l’aventure James Burton et Kenny Lovelace. Andy-Oh-Andy n’a qu’une idée en tête : renouer avec le Memphis Beat des origines, celui d’Uncle Sam. Et ça marche ! Il y a encore pire à venir, et il faut y être préparé, car le génie peut frapper comme la foudre, ce qui va être le cas avec «Miss The Mississippi & You» - I’m growing tired of these big city lights - Jerr veut rentrer au pays, alors il se laisse aller en éclatant son piano bar et remonte le courant mélodique comme un saumon shakespearien. Il chante à la plus belle revoyure d’Amérique. Il pousse même une tyrolienne qui va faire le tour du monde. C’est l’une des plus belles chansons de tous les temps. Au passage, il pond deux hits de juke : «Goosebumps» et «Crown Victoria Custom 51». Il les bouffe tout crus, c’est une manie, yeah ! Il claque le cul de son boogie et déverse sur son clavier une rivière de diamants, juste pour montrer comment on finit un cut en beauté. C’est au heavy rumble de Memphis qu’il amène son Crown Victoria, rrrrrrrrrrrr, Jerr est sur le coup. Ça donne une deep merveille de deep rumble, Jerr fracasse son clavier comme le dentier d’un yank qui lui manque de respect et comme si cela ne suffisait pas, un solo rattlesnake croise son chemin à la furia del sol. Jerr sort du ring une nouvelle fois invaincu, sous les acclamations. Oh il faut aussi l’entendre éclater «Thang» au slang de sling, Southern class, baby, yeah, il faut entendre ce diable de Jerr tarauder le mur du son rien qu’avec son accent perçant. On ne remerciera jamais assez Andy Paley d’avoir réussi à ressusciter le Killer, comme Chips avait su ressusciter le King en lui proposant «Suspicious Minds». On voit aussi Jerr driver le morceau titre à la poigne d’acier. Il drive son cut comme s’il drivait un Apaloosa sauvage. Hang on ! Chez lui, tout n’est que dévotion à l’art suprême qui est celui de la culbute. Baiser une chanson pour la faire jouir, c’est la même chose que de baiser un cul de Southern bitch. Il boucle son cut à coups de mercy. Existe-t-il un shouter plus sexuel que Jerr ? Non. Il rend plus loin hommage à Huey Piano Smith avec une belle cover d’«High Blood Pressure». Jerr vénère Huey. Il le joue au piano de bastringue et ça tourne à la révélation spirituelle. Ah si Bernadette pouvait voir ça ! Jerr écrase son honey on your mind et pianote dans le vent d’Ouest, la crinière en feu. Sacré Jerr, il n’en finira plus de semer le vent pour récolter la tempête. Il se tape encore un joli coup de shake avec «Gotta Travel On». Cet homme sait embarquer une farandole. C’est fouetté à la racine des dents. Quel son ! Le bassmatic qu’on entend rouler sous la peau de «Down The Road A Piece» ne peut être que celui de Joey Spampitano, tellement ça groove.

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             En 1984, le Paley royal monte Between Meals avec quelques amis, dont Jad Fair et Maureen Tucker. On sait donc à quoi s’attendre en posant I Just Knocked Over A Cup Of Coffee sur la platine : de l’inconoclastic et du dada dodu. Du bien barré et du sans espoir pour la soif. Ils font donc une version trash-punko-déconstructiviste de «Matchbox». Ils jouent vraiment comme des brêles et c’est bien ce qui fait le charme du Between Meals. On assiste dans «Sink Or Swim» à une admirable désorganisation de l’ensemble. Et puis avec «What’d I Say», ils se rapprochent du Velvet, on croit entendre le violon grinçant de John Cale. Étonnant mélange de dada et de Velvet. Appelons ça une fantastique réussite artistique, si vous le voulez bien. La B est en fait beaucoup plus intéressante, on y entend Moe Tucker battre «How Will I Know» à la ramasse habituelle et on assiste à la belle déroute de «Route 66». Ils s’amusent comme des gamins, ça finit par devenir excellent.

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             Parmi les groupes que produit le Paley royal pour Sire, on trouve aussi John Wesley Harding. The Name Above The Title date de 1991. Autant le dire tout de suite, c’est de la petite pop à la Costello. Quand on n’aime pas Costello, c’est comme qui dirait baisé d’avance. En tous les cas, c’est très produit, très Sire-moi les pompes. La B est un peu plus ragoûtante, car on entend les Paley Brothers faire des harmonies vocales sur deux ou trois cuts comme «The Person You Are». Andy-Oh-Andy joue de l’harmo sur «Backing Out» et ils font une belle cover d’un classique de Roky Erickson, «If You Have Ghosts».

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             Dans ses mémoires, Siren Song - My Life In Music, Seymour Stein avoue qu’ Andy Paley fut l’un de ses grands espoirs. Mais ça n’a pas marché, en dépit de moyens considérables : «L’une de mes plus grosses déceptions fut de ne pas voir percer les Paley Brothers pour lesquels j’avais engagé Phil Spector.» Quand Stein rencontre Andy Paley pour causer production, Andy propose le nom de Jimmy Iovine, un protégé d’Ellie Greenwich qui avait travaillé avec Phil Spector sur l’album Rock’n’Roll de John Lennon. Et voilà. C’est à peu près tout ce que Stein dit d’Andy. On ne risque pas l’indigestion.

    Signé : Cazengler, Palette de beauf

    Paley Brothers. The Paley Brothers. Sire 1978

    Paley Brothers. The Complete Recordings. Real Gone Music 2013

    Sidewinders. RCA Victor 1972

    Jonathan Richman & The Modern Lovers. Rockin’ And Romance. Twin/Tone Records 1985

    Jonathan Richman & The Modern Lovers. It’s Time For. Upside Records 1986

    Jonathan Richman. Surrender To Jonathan. Vapor Records 1996

    NRBQ. Wild Weekend. Virgin 1989

    Brian Wilson. Brian Wilson. Sire 1988

    Between Meals. I Just Knocked Over A Cup Of Coffee. Indescence Records 1984

    John Wesley Harding. The Name Above The Title. Sire 1991

    Jerry Lee Lewis. Young Blood. Sire 1995

    Brian Wilson. Gettin’in Over My Head.

    Seymour Stein. Siren Song. My Life In Music. St. Martin’s Press 201

     

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 22

    JUILLET- AOÛT - SEPTEMBRE

     

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     Faudrait mettre un ‘S’ à Génération, au gré des interviewes c’est une histoire du rock ‘n’ roll français que raconte la revue. Cette fois-ci grâce à Jean-Claude Coulonge c’est à l’introduction du rock en notre pays, à la toute première génération des rockers que nous remontons, Coulonge n’est pas un témoin, mais un activiste, un sacré batteur, je ne l’ai entendu qu’une fois en concert, voici une dizaine d’années, ce n’était pas avec les Vinyls, remplaçait au pied levé un musicos absent, vous a filé une sacrée déverrouillée à la grosse caisse, quelques jours auparavant Guillaume des Spunyboys me le citait comme une référence, le genre de gars tout sourire qui vous déclenche le tonnerre de Thor, n’en est pas pour autant sorti de la cuisse de Jupiter, un petit gars mal parti ( je vous rassure bien arrivé ), la polio, les privations de la guerre ( né en 1945 ) la France n’était pas en ces temps-là un pays de cocagne, pas d’électricité, les cabinets au fond du jardin… s’inscrit à la fanfare pour rééduquer son bras estropié, finira batteur, connaîtra le Golf et Johnny que tout le monde appelait Jean-Philippe, je vous laisse découvrir le reste de la saga, je n’en retiendrai qu’un détail qui me touche personnellement, sa participation sur scène avec les Fingers groupe instrumental dont le morceau Spécial blue-jeans servait d’indicatif à l’émission du même nom sur Radio-Andorre… Huit pages passionnantes, et un rocker qui a su tracer son chemin dans sa vie sans renoncer à sa passion…

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    Le retour des Ghost Highway ! Ah, les Ghost, un groupe pas tout à fait comme les autres, c’est un peu grâce à eux et à Burning Dust que la modeste feuille de papier très intermittente qu’était KR’TNT est devenue le blogue hebdomadaire que vous êtes en train de lire, les Burning furent un bon groupe, mais ce n’était que la partie immergée de l’iceberg, z’avaient un fan club de followers qui les suivaient un peu partout, beaucoup de groupes reçoivent de l’estime de la part de leurs fans mais pour les Ghost c’était autre chose, il y avait un plus indéfinissable, le groupe aimantait, et stimulait les énergies, hélas la magie s’est délitée, trop de pression ou peut-être leur a-t-il manqué une structure de soutien, le do it yourself est une belle philosophie, c’est celle qui anime notre blogue, mais pour mettre une fusée en orbite faut aussi bénéficier d’une orga solide et clairvoyante… mais les revoici, interview, premier concert, couve du magazine photo double-page, Phil n’a pas changé,  fidèle à lui-même, peut-être est-il celui qui a le plus regretté le split, Jull a maigri, affiche un air décidé prometteur, Arno arbore en même temps un profil de jeune homme et de patriarche, dernier venu enfin le nouveau Bryan, méfiez-vous c’est le d’Artagnan des trois vieux bretteurs, ne sera pas le dernier pour s’engager dans de nouvelles aventures…

    Un grand saut pour la chronique Les Racines de Julien Bollinger, cette fois-ci consacrée à Emmett Miller, une mystérieuse figure de ce chaudron de sorcières que furent les années 20 aux States, documents et témoignages sont rares, Miller n’était plus qu’une ombre lointaine lorsque Nick Tosches a ressuscité son fantôme dans son livre Blackface, Editions Allia (chroniqué dans Kr’tnt ! évidemment) , pour ceux qui ne connaîtraient pas il suffit de dire que  la filiation Emmett Miller – Hank Williams est certaine, question généalogie rock ‘n’ roll vous ne trouverez pas mieux… Julien Bollinger use de formules heureuses pour expliciter cela. Le plus simple est de suivre ses conseils et de se précipiter sur You Tube, pour écouter, attention rencontre avec ce que Edgar Poe appelait l’ange du bizarre.

    Les Blakfaces ont mauvaise réputation, l’idéologie woke pense que cette pratique qui remonte aux plantations esclavagistes est une des pires abominations du racisme. Lors de réunions festives qui réunissaient maîtres et esclaves les maîtres blancs ( Emmett était blanc et  était socialement loin de posséder le statut de propriétaire d’une ferme cotonnière ) se noircissaient le visage pour imiter de façon burlesque les manières de chanter, de se mouvoir, de parler de leurs esclaves, sans aucun doute un geste de charité chrétienne empli de condescendance, mais aussi une façon esthétique pour les noirs d’accéder à leur propre représentation, c’est ici que l’on retrouve Edgar Poe et son concept de grotesque, par la suite beaucoup d’artistes noirs qui jouaient dans les vaudevilles n’hésitaient pas à  grimer leur visage et à proposer des sketches de tonalité humoristique… Une analogie est à faire avec les monologues comiques que jouaient les poëtes symbolistes comme Charles Cros lors des fiévreuses soirées du Chat Noir… Depuis une vingtaine d’années la bourgeoisie noire américaine s’éloigne du blues, ce sont maintenant les élites intellectuelles qui font pression pour vilipender toute une partie du long chemin de résistance entrepris par les générations précédentes, à mon humble avis cette acculturation programmée et ce reniement systématique du passé me paraissent dangereux…

    Interview d’un contrebassiste, Axel Richard, vous le connaissez, nous parlions de lui voici deux semaines, il est aussi présent dans cette même livraison, voir ci-après chronique du disque de T Becker Trio dont il est l’un des musiciens. On retrouve son ineffable sourire sur la photo de Sergio Katz. Ont intérêt à lire ces trois pages les curieux qui se posent des questions quant aux mérites comparés de la basse et de la contrebasse.

    Pour les amateurs de musique live, quatorze pages dévolues au report au festival Good Rockin’ tonight d’Attignat, du Boogie Bop Show de Mesnard la Barotière et le Rock Dance Party de Quimper, drôlement bien fait, jour après jour avec photos et commentaire de chaque concert, c’est comme si vous y étiez, enfin presque…

    Encore une fois un superbe numéro de Rockabilly Generation News, depuis sa lancée voici cinq années la revue de Sergio Katz réalise un parcours sans faute, ne l’oublions pas, le jour où le rockabilly mourra, ce sera aussi la mort du rock ‘n’ roll ! But rock ‘n’ roll never dies !

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News (  1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois),  5,15 Euros + 4,00 de frais de port soit 9, 15 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 37, 12 Euros ( Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents ! 

     

     

    THE BEST IS YET TO COME…

    T BECKER TRIO

    ( Crazy Times Records / 2022 )

     

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    Beau titre. Comment faut-il le comprendre, comme la promesse d’un deuxième opus meilleur ? Ou alors : que si le meilleur est sur le point de survenir c’est parce qu’il est déjà là, tout prêt, depuis longtemps, qu’il suffit de se pencher, de gratter l’écorce de la modernité pour s’apercevoir que l’aubier du passé affleure dans la présence du monde. Le T Becker Trio l’affirme, si l’old style never dies, l’hillbilly est là pour toujours.

    Axel : double bass / Tof : vocals & guitar / Did : lead guitar.

    I’ll do it on my way : dès les premières notes de la guitare rythmique l’on est projeté quelques décennies en arrière dans les Appalaches, l’intitulé respire l’affirmation rockabilly, mais l’ensemble fleure bon la campagne, l’on est plus près des chevaux au pré que des broncos au rodéo, n’empêche que c’est  prenant, tout le rockabilly est là dans le chant et le solo de guitare, mais point encore vagissant, flegmatique si l’on veut Come close to me : l’a une belle voix Tof, un peu Hillbilly Cat dans les coins mais aussi suave que Presley quand il devait chanter ce genre de ballade  le soir dans sa chambre, l’instrumentation est à l’unisson, de légères interventions en solo qui ne bousculent pas le morceau mais confortent cet aspect satiné si doux que l’on a envie de tapoter doucement les fesses de la contrebasse d’Axel pour la féliciter de savoir être omni-présente dans le marquage du tempo avec ce naturel si affolant.  The biggest mistake I’ve made : attention une entrée un peu fracassante, un pas vers le rockabilly, mais sans aucune rudesse, l’on admire la guitare de Did d’une précision absolue, le genre de morceau sur lequel l’on devait danser dans les bals du samedi soir dans les campagnes, un peu de fièvre provoque la montée du désir. Devait se passer d’étranges remuements dans les granges d’alentour. Do you remember ? : guitares nostalgiques, tout de même un petit côté pré-sixties étonnant, quel son ! Quelle beauté !  Quelles rondeurs ! et Tof qui en fait des tonnes, vous transforme une bluette amoureuse en drame shakespearien, rien qu’avec quelques intonations, Axel en sous-main repeint le crépuscule, mais l’on ne sait si c’est celui du matin ou du soir, toutefois les guitares sont si belles qu’on les laisse courir toute la fin du morceau. Can’t love you anymore : une bouffée de désespoir paisible, la voix s’amuse entre tendresse et désir perdu, elle dit tout le non-dit des relations qui unissent deux êtres humains, une atmosphère country, Did s’en donne à cœur joie, les cordes sautillantes un peu moqueuses, un peu ironiques, si la vie ne vaut rien, rien ne vaut la vie nous susurre-t-il à l’oreille, une sagesse qui permet de bercer l’âme et de relativiser les avanies de l’existence.  Why ? : soft rockabilly, tout y est, mais une certaine retenue empêche le trio de casser la baraque et d’en jeter les planches dans un feu de joie crépitant, ah ! ce jeu de Did qui couve sous la cendre, vous en ressentez la morsure dans votre chair, le shuffle  tapoté d’Axel est parti pour traverser l’Amérique dans les deux sens sans s’arrêter, quant à Tof il assume à la perfection le rôle de chanteur de rockabilly sans trop se prendre au sérieux, l’on sent le détachement, le jeu impeccable du comédien, davantage wogie que boogie. Ain’t got no money : un morceau idéal pour établir la communion avec le public, sur la scène de la Rock ‘n’ roll party II ils ne s’en étaient pas privés, tout ce qu’il faut, Tof vous miaule le titre avec un superbe accent de bouseux américain, et la musique suit derrière, tantôt devant, tantôt à trois kilomètres, font tout ce qu’il faut pour avoir une superbe mécanique prête à l’emploi. I was wrong : l’est désabusé le Tof, l’a adopté la voix du beautiful loser qui fait acte de contrition, l’on en est ravi, l’on adore entendre la guitare de Did pleurer à petites larmes, attention au crocodile, il mord quand même, ce n’est plus un titre, mais une comédie parodique tellement ressemblante qu’elle semble être vraie. On n’y croit pas, on ne marche pas. On court. Rockabilly is a state of mind : vous voulez du rockabilly, en voici, en voilà, tout ce que vous attendez est là, une véritable démonstration, toute en finesse car si on allumait le feu, les flammes vous empêcheraient d’apprécier les nuances. Attention, une réflexion   philosophique, par l’exemple, sur la nature profonde du rockab, alors on ils y vont doucement mais sûrement pour que vous compreniez mieux, Axel tape à plusieurs reprises sur le bois de la contrebasse afin que la leçon rentre profond dans votre tête. Compris, OK ! Santa Mondega : l’on descend un peu plus dans le Sud, sur la frontière mexicaine, un parfait générique pour un western fabuleux, pas trop tex-mex, mais quand on écoute l’on voit le film et il est superbe. Vous resterez pour la deuxième séance. Boogie Beat : un peu de boogie n’a jamais tué personne, ceux qui en sont morts ne sont plus là pour s’en plaindre, un boogie teinté de bop mais qui remue à merveille, Tof en profite pour hoqueter, sans trop pousser le son, mais c’est à croire que chez lui c’est une seconde nature, Axel caresse un peu sa basse et Did vous pique ses notes comme vous ramassez les olives avec votre cure-dents à l’apéritif. L’on sent que les tournées vont se succéder. Can’t get you out of my head : déjà le dernier morceau, un peu d’emphase, un peu de pression, des guitares qui accaparent l’attention et l’intensité, le vocal précipité et le manche de la big mama se balance comme le pendule du destin. Fin rapide. Faut-il compter les morts ? Pas vraiment très grave, c’est la preuve que nous sommes les survivants !

    Damie Chad.

     

     

    DES DESIRS DES ENVIES

    IENA

    JYB : chant, harmo  / Erick Erick : guitare, chant / Stéphanie Derbhey : basse / Michel Dutot : batterie.

    Y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans cette couve, c’est cette bouche carrée, carrément agressive, pire qu’un tigre affamé, l’on a plutôt envie de prendre les jambes à son cou, la belle a un collier et un harnais de pitbull, les dents aussi longues que des crocs de caïmans, des yeux aigus comme des flèches mortelles, à part cela, somme toute la chair des épaules est très désirable.

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    Nightmare : trois petits coups de baguettes, promptement les guitares remuent le menuet, bienvenue dans le cauchemar, ne vous attendez pas à un trampoline peuplé de monstres surréalistes ou d’extra-terrestres mortifères  cherchant à s’emparer de notre planète, pas besoin de fermer les yeux pour l’imaginer, Iéna vous le décrit, très terre à terre, puisqu’il n’est autre que le monde dans lequel nous vivons. Z’appuient fort, le Jyb martèle et répète les mots, au cas où vous seriez lents d’esprit ils opèrent par surprise de courts arrêts brutaux, une seconde de temps en temps pour que vous preniez conscience de la situation, pollution et guerre sont les deux mamelles de notre perdition, quand ils évoquent les combats la guitare tire des coups de canon, la batterie se charge de la mitrailleuse lourde, non ce n’est pas joyeux, Un simple constat réaliste. Mais implacable. Traverses :  la basse de Stéphanie gambade, entrerions-nous dans un monde de douceur, le couperet de la guitare d’Erick rabote nos espoirs, se permet même un petit riff impertinent qui nous tire la langue, pour la batterie aussitôt pesé aussitôt emballé, Jyb joue avec des mots de lumière et d’ombre, il tire sur le fil à merde et ce qui vient n’est pas nécessairement excrémentiel, car l’homme est un alchimiste qui peut changer l’ordure en or dur, la métamorphose est imminente et réversible, la distance entre  douceur et douleur ne nécessite qu’un coup d’aile. Parfois les cauchemars sont traversés par les oiseaux fugaces du rêve. Très beau morceau, un fouillis d’interstices qui sont autant d’échappatoires. Des désirs, des envies : titre éponyme, un peu la suite, disons une variante de Black Out des True Dukes, normal ce sont des groupes amis qui partagent batteur et bateleur, mais dans la sainte trilogie du rock ‘n’ roll la carte dominante a changé, ici l’addiction à l’alcool cède la place aux pulsions du sexe, dans les deux cas une question de soif, dont une s’étanche simplement, mais dont l’autre est parfois une denrée qui se fait rare, le morceau roule et tangue comme un bon vieux rock ‘n’ roll, les paroles tournent un peu au délire dans lequel on retrouve l’humour des textes du grand Schmoll. Une belle réussite d’auto-dérision gauloise, dans laquelle El Jyb excelle. A nos âmes : ce n’est pas Sainte Cécile jouant de la harpe sur l’aile d’un séraphin, juste une guitare et une voix. Retour à l’évocatoire pureté de l’enfance, une superbe coupure aristotélicienne avec le morceau précédent, de l’attirance physique l’on passe à la notion métaphysique d’innocence.  De l’attrait de l’Enfer l’on saute au regret paradisiaque du passé. Faut un certain courage pour chanter un tel texte. Toi et moi : la traversée du pont, soyons sérieux, ce titre encore plus surprenant que le précédent, Iéna nous invite à un drôle de voyage, question rock rien de mieux calibré, un accompagnement qui balance et un vocal des plus clairs et distincts mais le sujet est étonnant, celle de la sortie de l’âme hors du corps, non pas un simple voyage dans l’astral mais le saut définitif dans le royaume de la mort. Le Jyb vous conte cela avec un naturel confondant, un peu comme s’il nous apprenait qu’il allait ouvrir une boîte de petits pois pour son déjeuner.

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    L’hymne : apparemment vu les guitares ce n’est pas le national, eh bien si, aux armes citoyens et tutti frutti, eh bien non, c’est bien lui, mais modifié, musicalement je ne vous dis pas, mais les paroles, elles sont actualisées, les enfants de la patrie, de couleurs chatoyantes se révoltent, que les nantis se rancissent dans leur médiocrité, feraient mieux de pleurer sur eux-mêmes, le vieux monde est près de s’écrouler. Deadikass : la suite du précédent, dédié à ces millions de pauvres qui peuplent nos campagnes et nos villes, à ceux que l’on casse pour que la mort arrive plus vite mais aussi à ceux en qui le rêve et la révolte grondent, n’en disent pas plus mais le background parle pour eux, une machine inexorable qui roule et que rien n’arrêtera, deadtermination ! Les masques : c’est-là qu’ils imaginent la fin de l’oppression, un monde débarrassé de tous les masques que l’on revêt pour faire profil bas, être  libéré, devenir enfin soi-même, la guitare se met à chanter, la batterie boute les derniers résidus, Waiting : n’y a pas que le titre qu’est in englishe, tradition rock oblige, l’on en profite pour écouter le rouleau-compresseur de la musique d’Iéna, une locomorock bien réglée, à peine démarrée, elle atteint sa vitesse de croisière, la basse de Stéphanie pousse en avant par-dessous  l’air de rien, la guitare d’Erick  se charge de la dentelle phonique, l’emploie surtout du câble d’acier plutôt que du fil de coton-tige sale, la batterie de Michel, infatigable hale le navire sur terre comme sur mer. Produisent un son, gras et mobile, une véritable machine de guerre, tous terrain. Partout où elle passe l’herbe de la colère corollaire des vies gâchées pousse plus drue. Un rock d’aujourd’hui et de demain.

    Damie Chad.

    *

    Des hasards rock, comme il n’en existe que dans le rock. Damie, tu peux garder quelques affaires d’un ami chez toi jusqu’à lundi, je les lui redescends in the south / No problemo, il n’a qu’à les porter. C’est quand les deux gars ont commencé à décharger que j’ai eu comme un pressentiment, amplis, disques, pieds de micros, je ne vous fais pas un dessin. Bref l’on a passé l’après-midi à discuter de rock, et quand il est reparti, il m’a refilé un CD… Je ne connaissais pas mais rien de mieux et de plus enrichissant que d’ajouter another Bricks in the rock ‘n’roll wall.

    THE PERFECT SADNESS

    VINCENT BRICKS

    ( Décembre 2021 )

    Vincent Bricks a enregistré un premier EP en Angleterre ( Stockholm / My little being ) en 2017, l’était bien parti, le Covid confinatoire est arrivé trop vite, l’en a profité pour écrire, composer, tourner des vidéos, puis l’a recommencé les concerts, bref l’a repris la rock ‘n’roll road, avec toutes les difficultés françaises qui vont ( plutôt qui ne vont pas ) avec… Quand je dis rock ‘n’ roll lui-même se revendique de la mouvance psyché / pop, cite par exemple Brian Wilson dans ses admirations. N’est pas non plus insensible au Velvet Underground…

    La pochette de Carl Fantin nous offre une vision parfaite du bonheur, farniente et amour sur une plage de sable doré, à part que cet état idyllique n’est pas offert à tout le monde, vous faudra attendre d’être mort pour que le fantôme de votre squelette puisse jouir de ces instants sublimes… Est-ce pour cela que l’opus s’intitule Parfaite Tristesse, pour nous rappeler que dans notre vie si all the good n’est pas déjà gone ou enfui, c’est parce qu’il n’est jamais arrivé… Soyons sardonique ! Relisons Colloque Sentimental de Verlaine.

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    Stockholm : c’est vrai que l’influence Velvet saute aux oreilles mais les premières mesures rythmiques passées  le morceau devient aérien, prend de l’ampleur, s’envole dans une autre dimension, une belle voix fluide qui se coule à tel point dans l’instrumentation, que l’on peut dire qu’elle en fait partie, toutefois c’est elle qui crée les climats et mène la diligence, morceau très riche formé d’une mosaïque de petites séquences enchaînées les unes aux autres, pas le temps de s’ennuyer, l’impression à tout instant de prendre un train en marche et de savoir que le paysage qui nous attend sera encore plus beau et plus surprenant que le précédent. Yawnsville : la ville de l’ennui, un bâillement qui avalerait le monde dixit Baudelaire, pour Vincent Bricks cette cité mortelle c’est Sète, immortalisée par Le Cimetière marin de Paul Valéry, un rythme plus soutenu, une voix dont les inflexions ne sont pas sans évoquer le phrasé légèrement désabusé de Ray Davies des Kinks, elle se charge des intermèdes si j’ose dire, car les instants magiques sont dans ces envolées irréelles, dans cette neige qui tombe des étoiles du rêve ou des paradis artificiels, la beauté éblouissante n’est parfois que le paravent de la solitude humaine. The idle guilt : une guitare redondante de slow sixties en introduction, tout s’adoucit, comment la voix si légère de Vincent peut-elle être si cruelle, elle est un poignard qui perce et sépare en deux le voile de la fragilité du monde, elle détruit nos illusions mais aussi nos désillusions, ne nous laisse rien, aucun rempart dérisoire contre l’inutilité de l’existence, sur la plage de l’innocence il ne reste plus d’innocence et même plus de plage. Désespoir absolu de la nudité hominienne. The new pulp : plus enlevé, la vie n'est peut-être plus possible après la traversée du nihilisme, le ton essaie de crâner un peu – les crânes des morts ne rigolent-ils pas de toutes leurs dents – céder à de nouveaux vertiges de la chair pulpeuse du monde n’est pas un mal en soi, ni un bien d’ailleurs, le tout est de continuer à vivre sans être dupe, un ton légèrement persifleur envers soi-même, qui s’empêche de courir après l’idéal, l’important est de survivre dans une certaine désolation et de parvenir à sourire du désagrément d’exister. Parallel universe : petites notes de boîte à musique, la voix prend le dessus, elle mène le bal, des chœurs féminins planent dans le lointain, si nous sommes seuls, le monde est peuplé de couloirs parallèles au nôtre qui se côtoient et qui peut-être finiront par s’enchevêtrer. Rien n’est définitivement perdu. Du moins est-il loisible de le penser.

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             En cinq morceaux Vincent Bricks a su susciter un monde à lui, une vision harmonieuse et poétique, une toile d’araignée transparente tendue sur l’abîme du néant. Il faut espérer qu’un véritable album pourra sortir bientôt, il est à la tête d’un univers musical et mental qui n’attend que l’instant propice pour se déployer.

    Damie Chad.

     

     

    *

    Dans notre chronique 559 du 13 / 06 / 2022 nous évoquions le premier morceau offert an avant-première du prochain CD de Thumos qui vient de paraître ce 04 juillet 2022. Après The Republic dans lequel Thumos alliait musique instrumentale à la philosophie de Platon, voici que pour son nouvel opus il tente de transcrire selon son instrumentation rock la suite de tableaux peints par Thomas Cole sous le titre générique de The Course of Empire. Apparemment les deux projets n’ont rien à voir, plus de vingt siècles séparent Platon de Thomas Cole, mais le kr’tntreader aura déjà remarqué que les deux œuvres dont Thumos propose un commentaire synesthésique s’inscrivent dans une méditation historiale sur le destin humain, individuel et collectif…

    THE COURSE OF EMPIRE

    THOMAS COLE

    Nous ne répèterons pas ici ce que nous avons déjà dit dans note livraison 459 au sujet de Thomas Cole ( 1801 – 1848 ), peintre américain connu pour ces paysages. Nous nous intéressons d’abord à cette bizarrerie : The Course of Empire de Thomas Cole est un ensemble de cinq tableaux mais le CD de Thumos comporte huit titres. Un dessin très schématique de Cole destiné à Luman Reed, son mécène collectionneur, peut expliquer cette bizarrerie. Les cinq tableaux sont surmontés de trois panneaux symboliques : lever, zénith, et coucher du soleil à mettre en relation avec la naissance, l’apogée et la ruine de l’Empire, sous ces trois esquisses sont alignés The Arcadian State, The Consummation, Destruction. A gauche au-dessous de l’Arcadian, The Savage State, à droite au-dessous de Destruction : Desolation.  Au-dessous de Consummation la place était à l’origine occupée par une cheminée, rappelons que le verbe consumer dans notre langue signifie être détruit par le feu.  

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    Le principe unificateur des cinq tableaux est très simple : sur les cinq toiles c’est exactement le même lieu qui est représenté. Ce n’est pas évident si l’on n’y fait pas attention car il est à chaque fois envisagé sous des angles différents…

    THE COURSE OF EMPIRE

    THUMOS

    ( YT / Bandcamp )

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     Introduction : on s’attend à une ouverture d’opéra, du grandiose, de la grandiloquence, pas du tout, l’impression d’une mécanique implacable qui se met en route, le bruit prend de l’ampleur, l’on croit entendre des chasseurs à réaction en pleine mission destructrice qui filent droit vers leur objectif, musicalement cela n’a rien à voir mais l’on pense, surtout à un niveau symbolique, à la scène des hélicoptères d’Apocalypse Now, car la fin de l’arbre est déjà au cœur de la graine, c’est dans le dernier tiers du morceau qu' apparaissent des notes chargées de mélancolie automnale, feuilles rousses que le vent éparpille, emporte, et disperse l’on ne sait où…

    Thomas Cole / The Savage State

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    Ne nous méprenons pas le monde sauvage évoqué par ce tableau n’a rien à voir avec la préhistoire encore moins avec l’ère des dinosaures, lorsque Thomas Cole peint il est plus ou moins consciemment influencé par les représentations du dix-huitième siècle calquées sur l’idéologie de Jean-Jacques Rousseau, l’état de sauvagerie évoqué est celle du bon sauvage, ces civilisations naturellement bonnes, innocentes en quelque sorte, que le philosophe a dépeintes d’après les relations des découvreurs des contrées lointaines et ignorées… nous serions plutôt aux débuts du néolithique, les hommes chassent et élèvent des hutte de peau, cette toile que Cole nomme aussi les débuts de l’Empire, marque la naissance de l’entraide humaine chère au philosophe anarchiste Kropotkine…

    Commencement : dès les premières notes l’on est convaincu du parti-pris de Thumos, ambiance metal, ont évité le piège du symphonisme romantique, pas de langueurs qui évoqueraient le paradis des amours enfantines du commencement du monde, l’homme est un animal violent qui essaie de construire sa niche écologique de survie dans un milieu hostile, ce n'est pas Caïn qui tue Abel mais le parcours de l’humanité est parsemé de meurtres, certes en tant qu’hommes nous ne l’envisageons pas ainsi, le sang  des animaux versé par les cruels chasseurs est à entrevoir comme le suc nourricier des paisibles cueilleurs, les hommes se regroupent mais leur existence si elle en est facilitée n’en est pas pour autant de tout repos, roulements de tambours et rythme pesant d’une marche en avant pour rappeler que le chemin à parcourir dont on ne sait rien ne sera pas une partie de plaisir. C’est en ces époques lointaines et précaires que se mettent en place les outils les plus meurtriers des hommes, l’amélioration des armes et les rudiments de la poésie. Le morceau se termine sur des bruits qui sont autant de points de suspension, tous les chemins sont ouverts.  

    Thomas Cole / The Arcadian or Pastoral State

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     Etait-il possible à l’époque de Thomas Cole d’évoquer les différents stades de l’Humanité sans être influencé par les représentations de l’Antiquité Gréco-romaine ? L’Arcadie a réellement existé, elle était située dans la partie montagneuse du Péloponnèse, plus tard elle passera en partie sous la domination de Sparte. Mais nous sommes déjà dans l’Histoire officielle. Les Grecs eux-mêmes eurent très vite une vision mythique de l’Arcadie, elle était le pays idéal qui avait trouvé le parfait équilibre entre les bienfaits libertaires de la vie naturelle et les agréments procurés par les toutes premières institutions sociétales. Aujourd’hui nous inspirant de la boutade d’Alphonse Allais nous dirions que les arcadiens avaient réussi à transporter la tranquillité de la vie campagnarde dans de minuscules localités à dimension humaine. L’âge d’Or en quelque sorte. Plus pessimiste Karl Marx y verrait plutôt la gestation de la partition classiste engendrée par la spécialisation des individus, ceux qui chassent, ceux qui cultivent, ceux qui dansent, ceux qui bâtissent des temples, ceux qui préparent la guerre de conquête… Il est clair que la vision de Thomas Cole reste marquée par l’héritage de la Grèce…

    Arcadian : résonnances en tintements de cloches ou de guimbardes, musique encore plus forte, lourds de promesses sont les fruits arcadiens, à première vue tout va au mieux mais l’on ignore tout de la bête qui sortira de cette période de gésine, dans le brouhaha l’on discerne les rythmes d’une danse joyeuse, les progrès prométhéens de l’Humanité sont immenses, labourages et pâturages, commerces et sciences, pour le bien de tous, mais il faut se méfier des eaux paisibles, quelles monstruosités sont-elles capables d’engendrer en leur sein, certes il semble que par moments le temps suspende son vol, qu’il s’écoule plus lentement, que l’Arcadie aimerait à se figer en elle-même, mais le devenir entéléchique du monde qui est celui de l’Empire, l’emporte en un torrent passionné, la course s’accélère, le fracas terminal est-il de bon augure…

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    Interlude I : deux interludes encadrent le summum de l’Empire, celui-ci de moins de deux minutes synthétise tout ce que le tableau suivant tait, des armes se heurtent, des chevaux hennissent, ce sont les temps de la Conquête, toute la geste guerrière sur laquelle repose la gloire, la force et la majesté de l’Empire.

     Thomas Cole / The Consummation of Empire

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    L’Apogée le titre français habituellement donné à ce troisième tableau rend parfaitement compte de la munificence de l’Empire Romain.   L’influence de la Rome Antique est patente, au premier regard retentit en notre mémoire  la phrase d’Auguste selon laquelle il s’enorgueillit ‘’ d’avoir trouvé une Rome de pierre et d’en laisser une de marbre’’, la profusion marmoréenne architecturale nous brûle les yeux, la puissance de l’Empire - triomphe militaire, navires de guerre, trône de l’ Imperator - est manifeste, en une seule toile Thomas Cole a synthétisé les  siècles impérieux de la capitale du monde, pour la délimiter nous dirons la période qui court de Néron à Marc Aurèle… Tant de fastes et de richesses ne finiront-ils pas par amoindrir les âmes, ce n’est pas le ver qui est dans le fruit c’est le fruit qui se métamorphose en ver, mais personne ne le sait.

    Consummation : barrissements de guitares, éléphants entravés participant aux triomphes des généraux vainqueurs, la musique nous en met  plein la vue et les oreilles, la batterie en deviendrait assourdissante, les guitares claironnent comme les buccins des légions, ce n’ est pas l’éclat intangible de la beauté des monuments que tente de décrire Thumos, mais la puissance inouïe de l’Empire, le faste n’étant que le visage de la force brute et abrupte qui domine le monde, brutalement l’atmosphère change, elle était dominatrice, elle respire le faux-semblant du vide, l’on a envie de s’écrier comme Cavafy dans son poème En attendant les barbares ‘’ Pourquoi cette inquiétude soudaine et ce trouble ? comme les visages ont l’air grave !’’ , pourquoi la musique devient-elle si assourdissante, de quoi a-t-on besoin de se persuader, une cigarette se consume lentement, mais au bout du bout elle vous brûlera les lèvres et peut-être encore plus profondément que vous ne le croyez… quand la confiance en soi s’effondre…

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    Interlude II : commence le second interlude celui de l’effroi inexorable qui glace le cœur et les énergies, un immense tumulte se dirige vers le centre d’Empire.

    Thomas Cole / Destruction

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    Une toile pour synthétiser ce que l’on a nommé les invasions barbares, Rome a bien été pillée en 410 par les troupes d’Alaric mais la Ville n’a pas été détruite… Sur l’ensemble du territoire de l’Empire bien des cités ont été néanmoins saccagées, Thomas Cole a-t-il pensé à la prise de Byzance par les turcs en 1453 dont les remparts furent détruits par les canons de Mehmed II, le fait que deux factions du peuple de l’Empire soient en train de se battre, les couleurs de leurs bannières rouges et  vertes ne sont pas sans évoquer les émeutes qui secouèrent à plusieurs reprises les partisans des équipes ( rouge et bleue ) des cochers de l’Hippodrome de Constantinople, quoi qu’il en soit Thomas Cole nous dresse une scène de grande violence, incendies, viols, pillages, meurtres, guerre civile entre partisans des envahisseurs et des fidèles de l’Empire… Faut-il voir en ces dissensions intestines de la  population une allusion discrète à la partition entre païens et chrétiens – ceux-ci pactisant avec les barbares christianisés - qui précipita la fin de l’Empire… Il est clair que Thomas Cole, vu le milieu cultivé de son époque, ne pouvait reprendre ouvertement les idées défendues par Edward Gibbon dans son livre Histoire de la Décadence et la Chute de l’Empire Romain qui inspira son projet.

    Destruction : gongs d’angoisses, le danger est partout, tempo de convoi funèbre, l’Empire se délite pan par pan, un suaire de finitude s’abat sur la Ville, la Caput Mundi que l’on croyait, même tranchée, immortelle comme la tête de l’Hydre renaissante ne renaîtra plus, les temps de l’inéluctable sont venus, l’on entendait le cri des égorgements, maintenant résonnent la plainte des vents qui parcourent les rues jonchées de cadavres, la Mort repue avance d’un pas lent, elle quitte la Cité, ici il n’y a presque plus personne à tuer, le drame se clôt ainsi, la nouvelle horrifie le monde, elle devient une clameur insupportable, mais elle décroit, plus personne ne l’entend, plus personne ne l’écoute, le monde a-t-il déjà fait son deuil de l’Empire...

    Thomas Cole / Desolation

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    La dernière toile est sans appel, l’Empire est mort, il ne reste que des ruines, un peu comme les vestiges du forum romain, que vous pouvez visiter aujourd’hui, à part que Thomas Cole signale non seulement la mort de l’Empire mais la disparition des hommes. Que veut-il nous signifier ? Nous pourrions lui opposer que depuis des siècles bien des empires se sont écroulés, que partout à leur place d’autres nations les ont remplacées et que l’engeance humaine n’a   cessé de proliférer… Les Empires ne sont-ils pas comme toutes les choses vivantes condamnées à mourir. Certes c’est triste mais pas dramatique, cela reste dans l’ordre des choses… A moins que le terme de désolation ne soit comme un haillon de pourpre discrètement agité pour signaler que la fin de l’Empire est une perte irréparable, qu’il ne s’agit pas seulement d’un cycle parmi tant d’autres qui s’accomplit en naissant, en se développant, en se désagrégeant, en mourant… mais d’une irrémédiable catastrophe civilisationnelle qui remet en question la survie de l’essence de cet animal grégaire qui s’est hissé au statut d’être humain.

    Désolation : comme les rugissements des siècles éteints, la mer de l’oubli monte indéfiniment, le drame revêt une dimension cosmique, ce n’est pas l’Empire qui est mort, c’est l’Homme en tant que lumière intelligente du cosmos, ce qui est grave ce n’est pas la perte mais le fait que plus personne ne s’en souvienne, ne soit capable d’entrevoir ce qui était en jeu dans cette perte, la musique est d’autant plus violente qu’elle est à entendre comme l’ultime tentative à ne pas oublier l’oubli de l’Empire, tout se calme, le son déferle comme ces vagues qui ont recouvert l’Atlantide…

    Thomas Cole, Thumos, Nous, et Moi…

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             En peignant ses cinq toiles Thomas Cole ne s’est pas dit qu’il tenait un sujet particulièrement intéressant. Lui le peintre paysagiste, art considéré comme mineur, élevait son statut, grâce à ces cinq tableaux  il inscrivait son nom dans ce qui était honoré à son époque comme le plus haute sommité catégoriale à laquelle pouvait atteindre un peintre, celle de la peinture historique, le géographe changeait de statut, il devenait historien, c’est ainsi que l’ont compris ses contemporains.

             Il n’en était rien, The Course of Empire est un acte politique, au début du dix-neuvième siècle l’Amérique prenait conscience de sa puissance, le mercantilisme libéral devenait l’idéologie des élites, le pays était considéré comme un immense gisement à exploiter au plus vite, en commençant par l’extermination des peuples indiens… L’Empire américain en était encore à ses premiers pas, mais la route qu’il empruntait notamment sous l’injonction du président Andrew Jackson ( l’idole de Trump ) n’était pas selon Cole le bon chemin, ses tableaux sont un avertissement, une démonstration historiale adressée au peuple américain, dans un premier temps l’asservissement impérialiste des nations limitrophes apportait certes puissance et richesse, mais cette politique prédatrice était destinée un jour ou l’autre, un siècle ou l’autre, à se retourner contre elle et à la mener à la ruine…

             Sorti le quatre juillet, fête de l’Indépendance, de cette année The Course of Empire de Thumos participe d’une même gestuelle politique, elle invite tout un chacun, les Américains en premier, à réfléchir sur la nature de la politique (intérieure et extérieure) menée par les Etats Unis…  Pour faire le lien avec le précédent opus de Thumos, The Republic, exposition et méditation sur l’ouvrage de Platon, le groupe nous demande cette fois-ci à nous interroger sur la notion de République et ce pourquoi et comment elle est emmenée à se transformer ( progrès ou dégénérescence ) en Empire…

             Nous autres européens, outre le fait que nous ayons tout de suite eu le réflexe de considérer Thumos comme un groupe essentiel, et ce dernier opus nous le confirme, nous pouvons nous interroger sur les soubresauts politiques et militaires qui agitent depuis quelques mois notre continent…

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             Quant à moi, je ne saurais que vous recommander de lire les Poèmes de Constantin Cavafy, traversés, articulés sur ce que les Grecs désignent par l’expression : la grande catastrophe.

    Damie Chad.

     P.S. : à la rentrée nous nous pencherons sur Spaceseer qui a collaboré à cet enregistrement.  

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 521 : KR'TNT ! 521 : GILDAS COSPEREC / YVES ADRIEN / GASOLINE / ISRAEL NASH / TARA MILTON / IENA / JACK IN THE BOX / ORVILLE GRANT / FLORE TENEUL / AUSTIN OSMAN SPARE

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 522

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    16 / 09 / 2021

     

    GILDAS COSPEREC

    YVES ADRIEN / GASOLINE

    ISRAEL NASH / TARA MILTON

    IENA / JACK IN THE BOX / ORVILLE GRANT

    FLORE TENEUL / AUSTIN OSMAN SPARE

     

    O

    CONFESSIONS OF A GARAGE CAT

    GILDAS COSPEREC

    ( Les Musicophages / 2021 )

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    Gildas Cospérec n'est plus. L'a cassé sa pipe en bois le 8 mars 2020. Que reste-t-il de nous une fois la ligne franchie ! Pas grand-chose, un nom qui s'efface et disparaît. Les Dieux ne distribuent la postérité d'Homère qu'à quelques rares. Et pourtant certains d'entre nous en ont traversé en héros des épopées ! L'odyssée de Gildas s'est déroulée en un pays que nous aimons : la contrée du rock'n'roll. C'est notre Cat Zengler à nous, le sinistre Loser, qui a veillé à la préparation et à la parution de cette offrande hommagiale à Gildas Cospérec.

    Pour ceux qui ne connaissent ( qui ne connaîtraient ) pas Gildas, il est facile de rappeler ses états d'ârmes en quelques mots, à son actif quarante ans de l'émission rock Dig It ! et soixante-dix-sept numéros du fanzine Dig iT ! sur vingt-sept longues années. Quelques précisions, il y a rock'n'roll et rock'n'roll, ce n'est pas dire qu'il y a du bon et du mauvais, c'est instiller cette idée que la veine créatrice du rock'n'roll s'est toujours développée dans les marges, certes parfois le sort réserve à des inconnus des destins starificateurs, tant mieux pour eux, mais l'essentiel n'est pas là, si vous aimez le rock, votre attention se focalise sur les anonymes surgis de l'ombre, ceux qui œuvrent en dépit de tous les obstacles et qui essaient d'apporter ce que Baudelaire appelait de ses vœux à la fin des Fleurs du Mal, du nouveau. Pour le rock, il vaudrait mieux parler du renouveau de cette énergie primale que dans la grande Amérique en gestation le peuple noir et les prolétaires blancs surent capter, réunir en faisceaux, et jeter en cris de révolte et d'épanouissement à la face du monde.

    Le titre est sans équivoque, il définit Gildas Cospérec comme un Garage Cat. Le rock Garage est un style strictement défini qu'il ne faut surtout pas prendre à la lettre. Gildas n'aimait pas uniquement le garage, sa prédilection s'étendait à toutes les musiques qui groovent grave. Le terme de Confessions peut induire en erreur. Gildas Cospérec n'était ni Augustin, ni Rousseau. Se rapprocherait plutôt de De Quincey mais ceci est une autre histoire. Si vous pensez que Gildas se raconte de la page 1 à la page 420, qu'il s'étale d'abondance, qu'il prend la parole pour ne plus la lâcher, vous êtes dans l'erreur. N'est pas seul dans le bouquin à ouvrir la bouche, la liste des noms des coupables tourne autour de la centaine. Gildas ne soliloque pas, il contribue à la conversation avec ceux qui ont participé, un peu, beaucoup, à la folie générale, à ses aventures digitiques et autres.

    Gildas fait l'unanimité. Les témoignages convergent. Il impulse les rouages mais il est le moteur immobile. Pas du tout la grande gueule vociférante à laquelle l'on pourrait s'attendre, le mot discrétion le caractérise. C'est son manteau d'invisibilité. Encore moins le genre de mec à tirer l'édredon rouge d'Apollinaire à lui. Ne s'impose pas. On s'adresse à lui un peu par hasard, parce qu'il est là, accoudé à son comptoir, qu'il n'a pas l'air spécialement occupé, autant demander le renseignement qui vous fait défaut ou la précision qui vous manque à ce mec tranquille qui manifestement ne va pas vous considérer comme un ennemi. En effet, il sourit, il est poli, et il vous répond – la plupart de ceux qui l'ont rencontré dans sa jeunesse évoqueront sa voix grave et sereine, ce qui est un plus lorsque l'on drive une émission de radio – il y met de la bonne volonté, il s'attarde sur les détails, vous sentez que cette amabilité n'est pas que politesse, qu'elle est le signe d'une grande gentillesse.

    Nous n'en saurons guère plus. Manifestement le gars garde ses intimités pour lui seul. Ne se livre à aucune psychanalyse publique, à aucun déshabillage ostentatoire. N'empêche qu'il est le patron. Celui qui a l'œil à tout, qui reste ouvert à tous. Sûr de lui. Quand il parle, il sait de quoi il cause. Le rock il le connaît sur le bout des doigts, les grandes avenues rectilignes, les sombres venelles tortueuses dans lesquelles l'on ne se risque guère. Il a le jugement sûr. Ce qui ne signifie pas qu'il sait ce qui est bon ou mauvais, mais il a réfléchi, il a médité, il a observé, il subodore sans faillir l'inclination future des chemins.

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    Les fans sont de grands enfants, jetez-leur un torchon crasseux, ils s'en goinfreront. Gildas ne mangeait pas de ce pain-là. D'abord par respect pour lui-même. Pour celui du lecteur aussi. Et surtout pour celui du rock'n'roll avant tout. Le mot respect se retrouve dans la bouche de tous les politiciens faisandés d'aujourd'hui, à toutes les sauces, pour Gildas, pour Dig It ! l'expression qualité d'écriture la remplacera avantageusement. Un fanzine n'est pas un paillasson, on veille à l'orthographe, on surveille son style, entre dire et bien dire c'est-là que résident le secret et la différence. Gildas a le nez fin, il sait à qui il ouvre les colonnes de la revue, et tous s'y mettent, on ne se sert pas du rock pour se faire mousser mais pour servir le rock. L'on n'est ni Marcel Proust, ni Ferdinand Céline, mais les impétrants comprennent vite que l'on doit se relire, améliorer son vocabulaire, éviter les répétitions, l'attitude rock 'n' roll doit se traduire par une attitude stylistique. Petit cocorico national, mais pas nationaliste, cette volonté est consubstantielle au rock français, pour de plus amples explications, la chronique suivante de Patrick Cazengler sur Yves Adrien éclairera votre lanterne.

    Sexe, rock et littérature. Le titre n'est nullement cité dans ces Confessions, mais ma lecture bouleversante la plus rock de cet été, n'est autre que Massimilla Doni de Balzac. Non, ça ne parle pas de rock, mais de musique classique, exactement de Rossini, une histoire d'amour – le roman se déroule à Venise – atermoiements d'éros platonicien et résolutions charnelles d'un côté, mais de l'autre un long commentaire analytique sur la musique d'un opéra, j'invite le lecteur à s'y rapporter, cet entrecroisement entre le vécu, l'imaginaire existentiel qui l'appréhende, et sa transcription littéraire qui permet à un tiers de rendre compte de l'expérience d'un ou plusieurs autres s'avère d'une rigoureuse modernité. C'est ainsi que fonctionne Dig It ! En tant qu'objet rock et objet littéraire.

    Facile de vous en convaincre. Page 228 débute une anthologie de textes issus de Dig It ! A tout saigneur, tout honneur. Une cinquantaine de pages dévolues à des présentations de groupes, d'artistes et de d'interviews réalisées par Gildas. Je laisse le lecteur s'éblouir de lui-même. Elles sont suivies d'une vingtaines de chroniques dues aux plumes talentueuses d'autant de participants. Je n'en retiendrai qu'une celle de Vox consacrée à Kim Fowley. L'a un avantage, connaît le début, le milieu, et la fin de l'histoire puisque Kim est mort. Additionner les anecdotes les unes à la suite des autres n'aurait qu'un intérêt limité. Vox se livre à un portrait de l'intérieur, une évocation de Fowley, il s'obstine à le refaire revivre en essayant de mettre à jour la mécanique du dedans, son fonctionnement, nous sommes dans un véritable conte, entre Le joueur d'échecs de Maelzel d'Edgar Allan Poe, et une nouvelle diabolique E. T. A Hofmann.

    Le pesant de chair de la littérature n'est pas à dédaigner. Pèse-t-elle pourtant plus lourd que son équivalent strictement charnel. ? Gildas n'a pas été qu'un homme de paroles. Le rock c'est avant tout de la musique. Gildas fera partie de Shoo Chain ( origine bretonne oblige ) Boogie, une espèce de formation polymorphe foutraque. Les nefs emplies de fous plus que celles remplies de matelots consciencieux ont besoin d'un capitaine qui sache prévoir les écueils et les coups de vent. Gildas sait jusqu'où l'esquif peut donner de la bande, il permet tout, mais le cap ne varie pas, en quelques mots il évite les situations hasardeuses trop périlleuses. Il est le garde-fou, le parapet de l'abîme. Cette activité rock'n'roll est assez proche de son rôle d'animateur, pardon d'agitateur radio. L'émission est largement ouverte, tout en restant axée sur le rock'n'roll, il s'agit avant tout de passer des disques, de les introduire, de les mettre en relation, tout le monde le sait, quand les voitures sont au garage, elles sont bien gardées... Toulouse et sa région occitane, et de ricochet en ricochet la planète rock, ont eu de la chance de posséder un tel catalyseur rock'n'roll.

    Mais le temps passe. Evitez de regarder les illusses. Grosso modo, elles sont affichées dans l'ordre chronologique, passé un certain âge les photos devraient être interdites, Gildas n'échappe pas au temps, nous non plus, il fatigue, il met fin à la revue, il arrête la radio, même avec du produit magique le corps ne répond plus comme avant, this is the end, beautiful friends... Gildas a passé la frontière. It was a good time...

    L'est parti comme il a vécu, sur la pointe des pieds. Il reste les empreintes, profondément gravées dans l'argile de la présence, toute une vie vouée au rock 'n' roll, toute une génération, tout un rameau de la caravane humaine qui est passé sous les fourches caudines du rock 'n' roll, qui ne le regrette pas, et qui continue, par-delà le temps et la mort, car nos actes retentissent dans le futur des siècles et de l'oubli, jusqu'au retour...

    Soustrayez un homme au troupeau humain, vous obtenez un livre-somme.

    Damie Chad

    Outre le livre, le lecteur visitera le site : digitfanzine.chez.com/digit.htlm

     

    Adrien c’est pas rien

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    Pour les gens d’une certaine génération, le nom d’Yves Adrien dit tout. Tout quoi ? Tout.

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    Soixante-dix ans après sa naissance, Yves Adrien officie toujours, mais selon le mode de fonctionnement qu’il affectionne : mystérieusement. Alors un livre paraît qui tente d’ajouter du mystère au mystère, et pour les amateurs de mystère, Le Mystère Yves Adrien est une épiphanie de la bénédiction. L’auteur un certain Bru tente la pirouette d’une fictionnalisation et ajoute de la confusion au mystère, ce qui finalement revient à donner un prêté pour un rendu. Il pourrait d’ailleurs se réclamer du joli coco Cocteau - Puisque ces mystères nous dépassent, feignons d’en être l’organisateur - Alors il feint en soi. Pas facile d’entrer dans l’intelligence galactique de l’Adrianisme, mais le jeu en vaut la chandelle. Toujours est-il qu’on avale Le Mystère Yves Adrien d’un trait d’un seul, lecture qui fait idéalement suite à une énième relecture de F Pour Fantomisation, l’austrobio la plus clairvoyante du clerc de nos terres.

    Comprendre à travers cet accueil en forme d’écueil lacunaire qu’Yves Adrien fut, est et restera tout. L’écrivain et le styliste le plus marquant de son temps, puisqu’il s’adresse à sa génération, la fameuse génération rock, sixties, seventies, eighties, nouneties, deux-milleties et deux-mille-tenties, soit cinq décades. Le compte y est.

    L’acte fondateur de l’Adrianisme s’appelle «Je Chante Le Rock Électrique», un acte d’une portée comparable au fameux «You’re Never Alone With A Smith & Wesson» de Keith Richards, dont d’ailleurs Yves Adrien ne parle guère, lui préférant sans la moindre hésitation Brian Jones. C’est par le Rock Électrique que s’engouffra jadis le bataillon des élus de la Phrance. Une fois lovés dans le giron de l’Adrianisme, les élus refusèrent d’aller voir ailleurs, les plus déterminés allant même jusqu’à cracher sur les pâles imitateurs. Rock&Folk qui n’était alors qu’un canard français exposé dans les kiosques devint le support des suppôts de l’Adrianisme. Deux pages mensuelles suffisaient. Et quand Yves Adrien quitta le staff du stuff, Rock&Folk sombra dans une vulgarité abyssale dont hélas on hume encore aujourd’hui les pestilences. Yves Adrien avait sans le vouloir révolutionné puis colonisé la presse rock en France, de la même manière que Houellebecq colonisa le microcosme littéraire du quartier latin. L’Adrianisme fut en quelque sorte la dernière révolution française. C’est important qu’un mec comme Bru lui rende hommage, même si on sait que ce n’est pas facile, Yves Adrien étant déjà passé par là.

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    Selon les sondages, l’élu de la Phrance relit NovoVision (ou NovöVision) une fois tous les dix ans, ce qui fait en tout cinq fois. Le bouffant des Humanos jaunit mais le style tient bien le choc. Conçu pour polémiquer avec les mickeys, NovoVision tapa en plein dans le mille. Parmi les élus, certains reprochèrent à Yves Adrien «d’avoir raté la modernité» ou de «s’être vautré comme un bleubite». Mais l’objet de cette antithèse n’était justement pas de prêcher la bonne parole à des convertis, mais d’aller respirer higher, de sortir des kiosques pour caler des mains et tenir des yeux en haleine sur courte distance : 150 pages. Yves Adrien se livrait à son jeu favori, l’Adrianisme, ou si vous préférez la littérature, et trouvait avec NovoVision sa bonne distance qui est celle d’un précieux précis proto-rock. Le seul qui eût jamais existé en Phrance. Alors qu’il nous embarque pour Kraftwerk plutôt que pour Cythère, ce n’est pas le problème, pourvu qu’on ait l’ivresse. L’intolérance des chapelles ne pouvait atteindre un tel écrivain. Les fans des Stooges se battaient l’œil de Kraftwerk, l’essentiel pour eux était qu’Yves Adrien écrive une bonne petite bible. Ce qu’il ne manqua pas de faire. Il ne manqua pas non plus de récidiver : premier testament, deuxième testament, troisième testament. NovoVision, 2001 Une Apocalypse Rock, F Pour Fantomisation. Et puis voilà la cerise sur le gâtö : Le Mystère Yves Adrien.

    Bon, Bru se mélange les cannes avec Ottö et Orphan, mais ce n’est pas grave. Bru alterne les séquences purement biographiques avec des épisodes fictionnels qui ne sont pas sans rappeler ceux de Houellebecq, l’éros en moins, évidemment. Tous ceux qui fréquentent Houellebecq savent qu’il sait faire bander (intellectuellement) son lecteur mieux que ne le fit jamais Georges Bataille, mais nous ne sommes pas là pour ça, même si comme nous le rappelle Bru, Houellebecq et Yves Adrien s’apprécient et s’observent du coin de l’œil, au point d’aller nouer une relation haute en couleurs littéraires. Lors d’une première rencontre chez Tricatel où Houellebecq ivre de cognac enregistre Présence Humaine, Yves Adrien nous dit Bru sort de sa réserve pour lui lancer : «Michel, vous êtes un tueur, vous êtes Vince Taylor !». Le choc des titans. Une façon pour Bru de nous rappeler à quel point ces deux auteurs sont fantastiquement nécessaires à notre bien-être on va dire intellectuel. Bru cite à la suite Adrien : «J’ai vu se dessiner un axe fabuleux : Vince Taylor représentait l’alpha du rock et Houellebecq, l’oméga. Une sorte de double inversé, le résultat d’un essoufflement génétique.»

    Le Mystère Yves Adrien sert surtout à nous sortir du rock pour nous conduire vers la littérature. Bru ne brosse pas le portait d’un röck-critik mais celui d’un écrivain enraciné dans ses auteurs, comme le fut la génération des écrivains du début su XXe siècle, Gide, Camus, Cocteau, Aragon, Drieu, Paulhan, tous gavés d’auteurs classiques et de nrf et qui ne pouvaient que devenir écrivains. Alors évidemment, Bru jongle un peu avec les références, c’est de bonne guerre : il compare certains aphorismes de l’Adrianisme à ceux de René Char ou d’Henri Michaux qui comme Orphan pratique la Connaissance par les Gouffres - Dis-leur que le plus sûr moyen de vaincre le vertige est de travailler sans filet - Bru parle de chaos sémantique, de sommet de l’art, de grâce sans égale, de grande transmutation - le changement des mots en or - il cède à l’ivresse bien naturelle d’une intense immersion dans l’Adrianisme. C’est vrai qu’on ne ressort pas indemne d’une première lecture de Napalm d’Or (in 2001 Une Apocalypse Rock). Pour saluer son Mystère, Bru fait feu de tous bois : il évoque les neuf textes incandescents et obsessionnels de l’Apocalypse rock et parle d’une mise en abyme qui fait œuvre salutaire. Puisque la littérature mène ici le bal, Bru rappelle que Cocteau, joli coco, figure en épigraphe de 2001 - Je ne saurai vivre sans les fantômes de mes amis et sans rêver qu’ils se matérialisent - Fort de cet apanage coctoïque, Bru dresse un parallèle entre Julien Regoli et Raymond Radiguet qui furent pour l’un comme pour l’autre, le Jean comme l’Eve, des pertes cuisantes. D’autres noms d’écrivains viennent s’échouer sous la plume de Bru, certains plus confidentiels - orphelins volontaires - comme Joseph Joubert, Félix Fénéon, Jacques Vaché et Roberto Bazlen, d’autres plus clinquants comme Joris-Karl Huysmans, notamment pour son aspect exilé volontaire et sa conversion tardive, et là bizarrement on rejoint Houellebecq qui dans Soumission fabrique, à partir de sa fascination pour cet auteur de l’avant-siècle, un vrai bijou huysmanien. En tous les cas, il utilise les mêmes techniques, donnant la parole à des spécialistes, comme le fait Huysmans/Durtal dans Là-bas. Et par le petit jeu des dominos de la fascination - F pour Fascination - Bru fait avec ses personnages Ottö et Tania du Durtal à la sauce Houellebecquoise. Lorsque Ottö prend la parole dans cette brasserie de Montparnasse, il étend un voile de mystère comme le fit jadis Carhaix, le sonneur de cloches de l’église Saint-Sulpice. Bru croise bien les points de vue de ses personnages, mais au lieu de lever des coins du Mystère, ils l’épaississent. C’est bien joué, mais difficile à réussir. Pour ça, il faut s’appeler soit Houellebecq, soit Huysmans. À vouloir jouer avec le feu, Bru se brûle parfois les ailes, comme lorsqu’il compare Yves Adrien au Sâr Péladan, que ses contemporains moquaient gentiment en le surnommant le Sâr Pédalant. Il n’est pas certain que son Vice Suprême soit un bon exemple. Bon Bru fait gaffe, il dit que l’ouvrage est aujourd’hui terriblement démodé, comme l’est tout le bataclan rosicrucien, mais il ne peut s’empêcher de voir des similitudes dans le goût des poses et des extravagances. Péladan n’est pas le choix le plus heureux, on eut préféré Félix Fénéon ou mieux encore, Marcel Schwob pour la préciosité de sa rareté qui confinait comme dans le cas d’Yves Adrien au délire inversé. Par contre Raymond Roussel est avec Xavier de Maistre l’auteur miroir idéal, tous deux reclus sublimes et ignorés, voués aux rigueurs du culte, mais bon, les rigueurs du culte valent mieux que celles de l’hiver, personne n’osera nous contredire. Dans F. Pour Fantomisation, Yves Adrien consacre un entier chapitre - Religion - à célébrer la singularité de Raymond Roussel - le plus délicat des suicidés - précurseur avec Alfred Jarry de Dada, exilé volontaire lui aussi - Bref le prisonnier était reconnaissant à Raymond Roussel d’avoir mené sa vie en style - Et puis on croise aussi le noms de Rémy de Gourmont et bien sûr, mais higher, de Marcel Schwob.

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    Avec F. Pour Fantomisation, il faut abandonner toute idée de rock électrique : l’auteur écrit comme on écrivait à l’Avant-Siècle, son texte ahane dans les touffeurs toxiques et actionne page après page ces redoutables ressorts stylistiques qui font la grandeur surannée du genre. L’Adrien émigre d’Iggy à Barbey et se paye même le luxe de passer par Sade, histoire de nous rappeler encore une fois que les Shadows Of Knight sont déjà loin. Devenu Edgeworth de Firmont, Yves Adrien baptise sa queue Louis XIX et la confie aux bons soins de Blandine dont les cinq doigts l’enveloppent, oui, et l’honorent d’une danse exquise et affolante. En quelques lignes hautement séditieuses, Firmont décrit la grandeur du branle des réprouvés et ça vaut ses meilleures pages sur les Stooges, car au fond, il s’agit bien de la même chose : l’orgasme, cette traînée de neige ascendante. L’ultime Breakfast de Fantomisation est le cadre d’une autre célébration, celle si chère à l’auteur de l’ennui - Bref nous avons atteint ce point de civilisation où, tous traits confondus, le plaisir et son contraire portent le même masque, le même nom : ennui - Yves Adrien passe par l’ennui pour atteindre au dandysme. Il y revient dans Fragile Renommée où en quinze lignes, il résume sa vie Rock-Électrique-Stooges-Punk-Discö-Novö-Vogue-Isolement-Semi-clarté-Semi-coma, et il chute ainsi : «Et je me suis lassé de tout. Point à la ligne. De Tout ? À la ligne. De tout. Saut de ligne. De même George Sanders qui se suicida après avoir tourné 107 films.» Higher il se taxe (Wally) d’ex-chantre du Rock Électrique et choisit de s’évader de l’époque par le haut. Il fait ses adieux à Brian Jones et à Iggy et s’exile à V. pour s’y nourrir de sorbets et d’auteurs, Mallarmé, Xavier de Maistre, Rémy de Gourmont, Rimbaud, Alfred Jarry, tant d’auteurs qu’il cite et qui font de Fantomisation un ouvrage bruissant, il salue à pleines pages ces pâmés séditieux et ces coloristes incendiaires, Jean de Tinan - Les volutes éphémères de Jean de Tinan - Jean Lorrain, Hugues Rebell, Barbey et bien sûr le Sâr Peladan. Ne manquent que Léon Bloy et bizarrement, Villiers de l’Ile-Adam. À humer toutes ces volutes, on finit par sombrer dans les limbes de l’aphorisme. De la même façon que François de La Rochefoucauld, Yves Adrien ne peut échapper à son destin de fine lame. Par la force des choses, il devient le moraliste du XXe siècle : «Ainsi sept années passeraient-elles : éloignement extra-terrestre et mise à l’index des médias, l’oubli est une très bonne école.» Et quand dans Fantomisation, il revient sur terre sous le nom de Ghostwriter 69-X-69, c’est pour constater qu’il ne s’était, cette fois encore, rien passé. Il mettra son exil à profit pour se livrer à d’ahurissants exercices des style. Il prend le prétexte de Sain-Jean Baptiste, le précurseur, celui qui œuvrait pour un autre, celui dont le demi-sourire et l’index annoncent un au-delà si proche : «Leçon de maintien : le mystère. Leçon de morale : le désintéressement. Qui veut encore d’une renommée bourbeuse lorsqu’il peut, l’énigme aux lèvres et l’index dressé, devenir foreur de ciel ? Cette attitude, on aimerait que la new-wave, demi-sœur complaisante et chavirée de la foi médiocre, l’adoptât : et que, dans le couronnement de ses mèches en diadème, s’allumât quelquefois une lueur, un simple éclat de grâce perdue.» Et de lancer une nouvelle profession de foi, au cœur même de l’exil où se sont enfermés Edgeworth de Firmont et son protégé Louis XIX : «Face au ciel, il écrirait, et ses yeux seraient deux hosties électriques, deux objets violents non identifiés sillonnant les profondeurs de la page blanche, deux sondes Voyager évoluant aux confins du système solaire et du classicisme halluciné.» Et Fantomisation atteint son Apocalypse au bas d’une page Novo éblouissante : «Mais d’être allé si loin dans le néant valait bien qu’on continuât, vers un néant plus absolu encore, une théorie de contrées inexplorées ; et Firmont, investi comme jamais de l’honneur de se perdre, renouait son périple, se souvenant que le déhanchement est un progrès : la sanction de la lutte avec l’ange, quand, un matin, au seuil de l’hyper-Espace, vous est reconnu le privilège d’avoir été fort contre Dieu.»

    Bru exulte, qualifiant l’Adrien de mondain et d’ermite, de faiseur de modes et de stylite, c’est-à-dire d’ascète boule de cristal. Bru encense les grandes absences d’Yves Adrien, les exils intimes qui durent parfois dix ans et, pense-t-il, qui le fortifient en l’entraînant chaque fois toujours plus loin dans les vertiges de la création, mais ça, qu’en sait-on ? Il ajoute que l’isolement abolit le temps et parle d’un maelström sidéral où proximité et distance s’unissent à jamais. Oui, c’est un point de vue, mais l’isolement sidéral peut avoir ses limites, tous ceux qui jouent à ce petit jeu savent très bien - deep inside their heart - qu’il ne faut pas non plus en abuser. On finit par prendre racine, comme ces ermites qu’on croise dans les forêts profondes du Bengale.

    De l’isolement à l’aphorisme, il n’y a qu’un pas de danse, dirait l’Eve - Enfants des quartiers ravalés à l’âge où, relevant leur col, ils choisissent entre le mal et le dessin industriel - À l’époque, on appelait ça, nous autres les mateurs, le Beat Adrien, ces idées sur le rock et la délinquance qu’il professait et qui sonnaient à nos oreilles comme paroles d’évangile - Brian Jones et moi traquions les cœurs à la machette, jadis, quand le soir fondait sur Paris - Certains de ses textes s’ouvraient comme un hit des Standells : en dix mots, il plantait le décor - I’m gonna tell you a story/ I’m gonna tell you about my town - Dans Fantomisation, il saluait Brian Jones une dernière fois - Cœur de pierre et blancs sneakers. Brian Jones possédait tout. Je ne possédais rien : notre duo fut exemplaire - Puis il s’amusait, d’une seule phrase, à donner le vertige - Baisers qui durent des heures, tempes huilées et souffle court sur médaillon plexiglas de Vince Taylor-fragile Eden.

    Bru indique qu’à onze ans, Yves Adrien trouva dans une confiserie un médaillon Vince Taylor. Il commence donc avec Vince Taylor et poursuit avec Gene Vincent, comme on l’a tous fait à l’époque, dix ans avant le Rock Électrique. Franchement, ce parallélisme dans le funambulisme a de quoi semer le trouble : comme une exacte similitude des parcours. Mais globalement, Bru ne rentre pas trop dans le détail du rock. D’ailleurs il qualifie la découverte de Vince Taylor de syndrome de Stendhal. Chez Bru, l’appel du livre est plus fort. Alors que dans la réalité spongieuse des cervelles inféodées, les deux appels marchent de pair. Même si on ne claque pas des doigts - snap snap snap/dixit Orphan - en lisant Stendhal, les deux appels déclenchent la même bombe à hydrogène érogène. Ayant combattu pour ce Napoléon qu’admire tant l’Eve future, Stendhal aime forcément les Stooges. Ça fait partie du monde intrinsèque.

    Autre élément fondamental du mythe adrianique : le peu de moyens dont on disposait tous dans les early seventies pour s’informer et comme on dit, creuser. Bru a raison de dire que Google permet de se constituer un bagage à moindres frais, mais on sait que ce bagage ne vaut pas le ramage, c’est-à-dire qu’il ne vaut pas tripette. Pour qu’elle ait du sens, la soif de connaissance doit devenir obsessionnelle, et lorsque le hasard fait bien les choses et qu’on croise un érudit, on mesure immédiatement l’écho du chemin parcouru. Pas de complaisance chez l’érudit, le verbe porte. Il est essentiel de le rappeler, car le monde du rock grouille de gens qui parlent des groupes sans avoir écouté les disques, ou pire encore, qui citent des auteurs sans en avoir lu les livres.

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    Yves Adrien entame son wild ride chronique au 14 rue Chaptal avec un ‘papier’ sur Leon Russell. Russell, pas Bloy. Pas mal quand même pour un Absolute Beginner, surtout qu’à l’époque on ne savait pas grand chose de Tonton Leon. Il fallait se débrouiller avec les pressages français de ses albums, c’est-à-dire que dalle, en attendant de découvrir qu’il faisait partie du Wrecking Crew et qu’il avait accompagné les plus grandes stars des Amériques. Le plus frappant chez Adrien, à l’époque nous dit Bru, n’est pas son style en devenir, mais la longueur de ses cheveux qui allaient et venaient entre ses reins. Puis après avoir chatouillé l’entre-jambe humide et chaud de la West Coast, il est brutalement passé, wham-bam, janvier 1973, à la vitesse supérieure : Je Chante Le Rock Électrique - Ovni littéraire dans la presse rock, nous dit Bru - Ah on s’en souvient ! Et si par mégarde on l’oublie, certains soyez-en sûrs ne manqueront pas de vous le rappeler. Les deux dates vraiment importantes du XXe siècle en Phrance sont donc janvier 1973 et mai 1981. Avec Je Chante Le Rock Électrique, la messe est dite : Stooges, Alice Cooper, Dolls, Pretties, Who, Kinks, Yardbirds, Them, Lou Reed, Roxy, oui quel retentissement. Puis il lance la rubrique Trash - C’est dans Trash que tout commence et nous avons ici, fun-fun-fun, des tringles de fer pour briser les doigts de ceux qui l’oublieraient - Comment pouvait-on résister à ça ? Ce fut impossible.

    À sa façon, Le Mystère Yves Adrien commet quelques indiscrétions. Bru nous livre quelques secrets dont on se serait bien passé : un numéro de téléphone, et deux adresses, celle de Verneuil-sur-Seine qu’Yves Adrien appelait V., et pire encore, l’adresse actuelle dans l’Île Saint-Louis, quelque part vers le quai d’Orléans. Lorsqu’on interviewait Marc Zermati pour les besoins d’un livre à paraître, on lui posait la question fatale : «Yves Adrien accepterait-il d’écrire une préface pour ton livre ?», et Marc nous répondait qu’il fallait aller le lui demander. Mais où ? Il rigolait et nous répondait : «Allez au quai Bourbon car Yves Adrien est un Bourbon.» Y sommes-nous allés ? Pas les couilles. Ou pas encore. Puisqu’on parle du loup (Marc), le voici, aux Puces de Saint-Ouen qui demande au kid venu fouiner dans ses bacs s’il est bien celui qui a chroniqué le Goodbye And Hello du père Buckley dans Rock&Folk. C’est là que Bru situe l’origine de leur fraternité. Marc nous dira qu’Eve et lui sont frères de sang, qu’ils signèrent ensemble le Manifeste des Panthères Électriques. Leur histoire est plus rocambolesque qu’il n’y paraît car Eve se fait virer de l’Open Market, mais qu’on se rassure, Marc garde le contact. Il consacre d’ailleurs une vaste partie des entretiens à son frère de sang. L’Open, c’est aussi l’époque où, à l’instar de Tommy Hall et de ses apôtres, Eve Sweet Punk fait une consommation quotidienne de LSD - le LSD 25, comme il l’appelle lorsqu’il toise l’Ardisson d’un regard résolument privé de compassion. Ce n’est pas tout. Yves Adrien et Marc Zermati formaient avec Alain Pacadis un trio de choc qui hantait les nuits parisiennes au plus fort de l’ère Palace/Bains-Douches - entité parfaite, nous dit Bru, le mage provocateur, le businessman passionné et le gay suicidaire - Et quand il comprend qu’il risque d’être dépassé, Eve Sweet Punk se transforme en dandy nucléaire. Il se coupe les cheveux et porte du noir, ainsi qu’un gant noir. Épöque diskö/Kraftwerk/Bowie que personne, pas même Orphan, ne nous obligeait à apprécier. De toute façon, il est bien trop occupé à inventer l’Afterpunk que la plupart des gens confondront bêtement avec le post-punk.

    Occasion rêvée de relire NovoVision. Attention, l’ouvrage glaçait les sangs à l’époque. Il n’a rien perdu de son aspect tranchant. L’Eve va cultiver son ennui à New-York et coiffe au passage Speed 17 d’une auréole de légende - Qu’importe, dans 3 jours j’aurai quitté Paris. Je ne veux y laisser que ce polaroïd d’un couple parfait : Yves Adrien et son ennui - Il profite d’ailleurs de ce pas de danse pour saluer Eno : «Oui, Brian Eno a résolu le problème de l’ennui : il l’enregistre.» À New York, l’Eve se distrait en compagnie de Nico et de John Cale - Nico chante en Allemand pour Brian Jones et dédie «Deutschland Uber Alles» à Andreas Baader - Il ajoute plus loin : «Seulement downtown. Telle était résumée en deux mots, l’histoire de Nico.» L’Eve se distrait aussi en consommant ce qu’il appelle des petites Américaines - J’aime qu’une petite Américaine se réveille trois fois durant la nuit pour sniffer ce que j’ai de plus privé - Elle s’appelle Lesley. Petite veinarde. Elle doit être fière de se retrouver dans un classique littéraire. L’Eve salue aussi Marty Thau, resté sur la touche, too much too soon, alors que ses anciens associés (Terry Knight, Neil Bogart, Steve Leber, Richard Gottehrer) ont fait Grand Funk Railroad, Kisss, Aerosmith et Blondie - C’est important de le dire. Entre les Dolls et le package Kiss/Aerosmith/Blondie, le choix était vite fait. L’Eve croise bien sûr Alan Vega qui «a toujours hésité entre le rôle du «penseur» et du proxénète. C’est l’un des charmes de Suicide... mais aussi l’une de ses faiblesses : on imagine mal Jo Leb citant Sartre et, généralement, le cinéma commence là où les pensées s’arrêtent.» Puis l’Eve rentre à Londres, où dit-il «les drogues ne sont pas aussi bonnes qu’à Paris, mais la pesanteur y est moindre.» Après une parenthèse, il ajoute, avec un sourire complice : «Et les comportements plus subtils : I can hear the grass grow.» Pour écrire comme écrivait l’Eve à cette époque, il fallait connaître les disques et les drogues. NovoVision grouille de rencontres fascinantes, comme celle-ci : «Désireux de me présenter une Anglaise, Michel m’entraîne au fond de l’impasse où... est garée sa Jaguar blanche (modèle 58).» Et c’est là, dans ce petit précis précieux protö-Növö que se trouvent les plus belles pages jamais écrites sur les Cramps - Alors gravement, les Cramps ressuscitent le credo des Initiés : le «Sunglasses After Dark» de Dwight Pullen (qui inspira à Friedrich Nietzsche cette réflexion sublime : «Notre vue va plus loin et plus profond que jamais, et pourtant nous souhaitons être aveugles»-in «La Naissance De La Tragédie»).

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    Iggy bien sûr, mais surtout dans 2001 Une Apocalypse Rock. Surtout, mais surtout définitivement. Autant NovoVision est le book des Cramps, autant 2001 Une Apocalypse Rock est le book d’Iggy, via le royalement nommé Napalm d’Or - Ann Arbor, Montreuil, Saint-Jean-d’Acre, qui se souvient encore de l’arrogance des baronnies wild ? - L’Eve à son sommet de fureur replante l’arbre de vie - Bref (breath ?), retouchant la carte du rock, un public avait émergé des 80’s, pour qui, ultimement, Beatles dark shades et Stones soniques s’énonçaient : Velvet Underground, Stooges - C’est une langue qui se met en route au signal du wham-bam, le beat Adrien explose à la page suivante - Awright, hiérophantes et porte-glaive de l’Ère du Napalm, pages Midwest à franges laminées, les Stooges arrivent - Avec en fond sonore la sourde clameur de 1969 all across the USA - Symphonie de moues primitives, concentré d’US boredom et chain-gang d’handclaps délinquants sur beat boîte de vitesse - Voici Fun House et l’Eve l’élève écrase son champignon - Carburants détonnants, laves ourlées, coulées de semence salamandre et collisions-Sodome sous éclairage Rouge et Or incandescent ; loin de l’unité punk des débuts, le groupe explose sur lui-même en d’impitoyables cadences d’aciérie-fournaise cependant que son chanteur, affichant les premiers jeans lacérés de l’histoire, devient, à jamais, Iggy Pop - Ces quatre pages de Napalm d’Or sont les pages définitives sur les Stooges. Chaque mot sonne étrangement juste. Yves Adrien dut inventer une langue pour honorer le génie tragique des Stooges. Mais dans ce book aux allures de bible, d’autres hommages guettent l’imprudent voyageur, comme par exemple cet hommage à l’Abbey Road des Beatles - Abbey Road ou l’album qu’il eut fallu offrir à Maria Callas - ou encore cet hommage au Blonde On Blonde de Dylan qui luit d’un éclat lunaire, parfait joyau, au cœur de Persiste et Cygne, ou encore ce clin d’œil à Brian Wilson, ce génie replet, ce potentat médusé qui ruinait les photos des Beach Boys, ou encore cet hommage atomique à Jimi Hendrix - Hendrix en 1968 avait vertigineusement transmué Dylan dans All Along The Watchtower, opéra d’alliages dont la seule intro Stratocaster était acte de chevalerie, déconstruction d’horizons et Graal power-chord pour parabole christique - ou encore ce wild hommage aux Pretties et aux Outsiders de Wally Tax - Toute une faune échappée de louches périphéries, escarpes vietnamo-gitans vivant de 45 tours volés et d’élixir parégorique, vénérateurs immaculés de Midnight To Six Man - ou encore les Stones - les barbares dayglo de Jumpin’ Jack Flash - des Stones qui nous dit l’Yves devinent que le monde désormais était à Bowie, avant de rendre un ultime hommage à Brian Jones, LE dandy du siècle dernier - Brian Jones avait refermé chaque porte sur lui, remplacé ses relations par des sitars accordés à ses nerfs de cristal et goûté, en anti-cernes Estée Lauder et manteau d’hermine, ce cannibalisme autodestructeur que Poe nommait «démon de la perversité» et Sade, «principe de délicatesse» - Ou encore cet hommage laconique à Jim Morrison - Orphan se leva et mit Absolutely Live, album puissant - avant de terminer par le plus rock des moralistes, Bossuet, cité dans le texte pour le seul plaisir citatoire : «Je reconnais Jésus-Christ à cette fuite généreuse, qui lui fait chercher dans le désert un asile contre les honneurs qu’on lui prépare». La langue reste la langue, nous n’y pourrons rien.

    Puis Bru entre dans la période mondaine et les noms des personnalités de la vilaine époque - les 80s - tournoient comme les nacelles d’un manège. Un monde parisien qu’on observe tristement et dont Yves Adrien parle tout aussi tristement dans F. Pour Fantomisation. Il semble se battre en permanence contre l’ennui. Dans ce maelström rôdent les noms d’Iggy Pop et de Genesis P-Orridge, mais ce ne sont que les noms. Bru est beaucoup plus prolixe en matière d’auteurs, allant chercher des parallèles chez Michel Leiris (tauromachiques) ou Roger Gilbert Lecomte (géographiques). En 1982, Yves Adrien rompt avec Iggy après l’avoir encensé dans Napalm d’Or. Il faut bien que les modes trépassent - J’ai arrêté Iggy Pop comme certains arrêtent la poudre. Mais sans rechute - Puis c’est la période des Metawave et ce que Bru appelle une collision temporelle hyperréférencée, où se côtoient les figures de James Brown, de David Bowie, de Jacques Lacan ou de Mozart - et c’est là où la prodigieuse érudition de l’Eve explose. Il est le seul à pouvoir se payer ce luxe, faire danser James Brown à Salzbourg, opérer des rapprochements aussi incongrus qu’inespérés, c’est là où la métaphysique du rock emboutit l’ésotérisme littéraire, Yves Adrien adore emboutir et il n’emboutit que ça - Bru parle de forme maîtrisée, de textes prophétiques, d’auteur insaisissable et énigmatique - C’est dans 2001 Une Apocalypse Rock que l’Eve culmine, dans des pages giboyeuses qui, telles ces contrées que découvraient jadis les explorateurs, grouillent de vie jusqu’au délire : les Doors, le funk pâmé de Minneapolis, Brian Wilson, le Parrain, Dylan, S’express, Django Reinhardt, Tim Buckley, Pierre Clémenti, Brian Jones, Terence Stamp, les Stooges, Maria Callas, le rouge Ferrari, tout cela d’un trait d’un seul et plus loin, une autre zone de vie intense : Jean-Luc Godard, Disco Revue, Héraclite, Fellini, Lautréamont, Hector et ses Médiators, Stax, Strange Days, Hölderlin, Tay Garnett, Syd Barrett, les Veda, les nouveaux grands incendiaires de Motor City, Dylan, les Deviants, James Dean, Sal Mineo, les Kinks, oui tout cela jeté en vrac dans le flot d’une langue en furie, autant de noms jetés en pâture au lecteur, comme pour délimiter un territoire. S’ensuit un hommage à 1973, «l’année de Raw Power et de Lou Reed à son apogée, de John Cale éminent et de Todd Rundgren étoilé, de Bowie éclipsant Bolan et de Roxy Music exhalé en splendeur lourde.» Il se pourrait fort bien que 2001 Une Apocalypse Rock soit l’ouvrage rock définitif en langue française. Un vaillant équivalent du Gene Vincent - There’s One In Every Town - de Mick Farren et du fascinant Dark Stuff de Nick Kent. Une trilogie avec laquelle on valse depuis on va dire vingt ans.

    L’autre pool d’attraction s’appelle Julien Regoli, le guitariste d’Angel Face et lui aussi bec fin en matière de livres savants et d’écrivains marginaux, notamment François Augiéras. Bru nous parle ici de complicité intellectuelle indissoluble, ce dont on rêve tous sans hélas jamais la connaître véritablement. L’Eve future ne connaît pas sa chance. On se retrouve tous enlisés dans des ornières relationnelles, faute d’avoir su cultiver l’élitisme. Il semble qu’Yves Adrien ait su se désembourber. Mais à quel prix ! Les jeu en vaut-il la chandelle ? Bien sûr que oui, surtout lorsqu’on ne veut pas voir la médiocrité affleurer dans le ronron relationnel et nous plonger dans l’amertume et l’affliction. C’est dans 2001 Une Apocalypse Rock qu’Yves Adrien sacralise la relation qui l’unit à Julien Regoli - De ce jour, leur relation devenait illimitée : parler la langue des esprits, c’est prendre de l’avance sur soi-même - Ajoutant un peu plus loin le codicille que voicille : «L’usage veut que les esprits demeurent, au sens le plus aimable du terme, spirituels.» Julien vient à V. pour la visite, puis Julien quitte la terre pour monter au ciel, alors Orphan doit encaisser le coup - Well - l’affaire, cette fois, avait été rude - Et pour finir le chapitre dignement, il enfila son smoking cheyenne (celui qui partait si facilement en fumée) et sortant, «hey là !», héla un taxi : «Cocher, à Fontaine-Blow...

    Ce qui nous rend Yves Adrien si proche, plus que son goût pour un certain rock c’est bien sûr son goût pour la canaille et les putes. Bru cite les professionnelles désabusées de la rue Blondel comme d’autres citeraient les putes aux dents cassées des Maréchaux. L’attirance est bien réelle, mais seul Yves Adrien sait dire la grandeur de ces rapports équivoques sans équivoques. Quand il cite les petites marquises vénales des Seychelles, il décrit un univers, mieux que ne l’aurait fait cet auteur injustement méconnu qu’est Hugues Rebell et dont bien sûr parle Bru. L’Adrien partage avec Gauguin cette attirance organique pour les rivages lointains de l’Océan Indien et pour ces filles impubères qui s’offrent aux doigts fins d’or fans. Dans 2001 Une Apocalypse Rock, il s’épanche encore sur l’appât des putes : «Le commerce des prostituées était un emprunt à Aleister Crowley qui louait les whores victoriennes du plus bas étage, métisses et vestales sales dont l’animalité, l’avidité, la force défiante gardaient trace du feu originel.» Quand tu fais monter une Ghanéenne dans ta bagnole Porte d’Aubervilliers, tu fais monter le feu originel, c’est exact. Sans oublier les grosses dames de la rue de Budapest, «radeuses lasses maternant le temps d’un kir celui qui se veut un Boticelli casqué de lumière sale : tous les garçons s’appellent Ronnie.»

    Un goût prononcé pour les dédoublements nous rapproche toujours plus de lui, et ce depuis l’ère magique d’Eve Sweet Punk. Il cite d’ailleurs ces maints alias mirifiques : «Yves of Destruction (période dure), Edgeworth de Firmont (période précieuse), Miles des Vices (période vénéneuse), ou Nirvana de Noailles (période diaprée)». Il délègue ensuite les pleins pouvoirs à Orphan pour décrire l’accélération du monde, avant de se fondre dans l’ombre pour devenir Ghostwriter 69x69 et afficher le look afférent, celui qui orne la couverture du Mystère Yves Adrien. Bru le résume extrêmement bien : «Saturnien et lointain. Absent comme présent. Homme de l’ombre aux éclairs foudroyants. Indifférent au monde, mais attentif à tout...». C’est vrai que l’exil donne de la force, plus que ne le feront jamais les vitamines.

    La force du volet biographique du Mystère Yves Adrien est nous servir sur un plateau d’argent l’actualité qui nous échappe si on ne fréquente pas les galeries d’art. Yves Adrien se serait nous dit Bru épris d’un artiste intégralement tatoué du nom de Jean-Luc Verna qui alterne les expositions de body art et les performances musicales tapageuses. D’une certaine façon, c’est un retour à Genesis P-Orridge et à cette fameuse Cosey qu’Orphan allait retrouver à Londres dans F. Pour Fantomisation. Puis l’Adrien s’éprend en 2016 de l’œuvre d’un certain Hannibal Volkoff, photographe trash (que Bru situe dans la lignée de Larry Clark et de Gus Van Sant), au point d’aller signer la préface d’un photo book intitulé Nous Qui Débordons La Nuit. Dans ce texte, l’Adrien stigmatise le teasing in the face, saluant les trentenaires vifs, instables, déjetés et novateurs - aller - et vouant aux gémonies - retour - les ex-contemporains abusés et autres traditionalistes ayant fait leur temps. Autre éclairage capital : il existe deux versions d’un film intitulé Des Jeunes Gens Mödernes. Dans le premier filmé par Jérôme de Missolz apparaît Yves Adrien. Il y joue son rôle de röck critic des années 70. Dans l’une des scènes de ce film devenu culte, Yves Adrien s’adresse à quatre singes savants, les présentant comme les Monkees. Jean-François Sanz tourne un peu plus tard l’autre Jeunes Gens Mödernes, mais l’Adrien n’y paraît pas.

    Le clou du Bru book est bien sûr le rendez-vous que lui accorde Yves Adrien au café Zimmer, place du Châtelet : «Longue barbe blanche, cheveux démesurément longs couverts d’un superbe haut-de-forme (...) donnent au personnage une allure folle. Devant lui un livre retourné et un verre de vin fin. Du rouge.» Ils ont un échange très littéraire. Adrien : «Se souvenir c’est aussi une marque de fidélité. Ne rien oublier pour continuer d’exister au plus près du soleil, comme disait René Char.» Bru se dit fasciné par le fantôme : «Quoi qu’il en soit, il est subjuguant et donne à voir, par sa gestuelle, nombre d’expressions qui laissent à penser qu’il est toujours en éveil, sur le fil du rasoir, l’esprit aussi affûté que l’est sa silhouette efflanquée, à jamais juvénile. Entre l’écrivain maudit et la rock star.» Fabuleux portrait, n’est-ce pas ?

    La lecture du Bru book nous fut recommandée par Jacques. Thank you my friend.

    Signé : Cazengler, Sweet Plouc

    Yves Adrien. NovoVision. Speed 17/Les Humanoïdes Associés 1980

    Yves Adrien. 2001 Une Apocalypse Rock. Flammarion 2000

    Yves Adrien. F. Pour Fantomisation. Flammarion 2004

    Cédric Bru. Le Mystère Yves Adrien. Séguier 2021

     

    Gasoline alley

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    Revoir un groupe sur scène après un an de régime sec, c’est un peu comme «Revoir Paris», la chanson magique de Charles Trenet - Prendre un taxi/ Qui va le long d’la Seine - sauf que là, ce n’est pas le long d’la Seine, mais au bord de l’Atlantique, sur le ponton de Douarnenez, côté Port Rhu.

    Un an sans concert, c’est un peu raide, surtout quand c’est imposé par le pouvoir. Ça irrite un peu les vieilles fibres anar que certains d’entre-nous hébergent soigneusement depuis le temps béni des CAL (Comités d’Action Lycéens) du printemps 68. D’ailleurs, si on veut bien voir les choses du bon côté, ce genre de situation permet d’actualiser les vieux réflexes et de haïr encore plus brutalement ce qu’on appelait autrefois l’ordre établi, ou encore l’ordre moral, et ce que les rockers anglais appellent l’establishment. Au moins, les choses ont le mérite d’être claires.

    Le rock a la peau dure, comme le chantait Schmoll - Le Rock est notre vie/ C’est la faute à Elvis/ Nous l’avons dans la peau/ C’est la faute à Ringo - et voilà que Gasoline monte sur scène pour un set sur-vitaminé. On va en goûter chaque seconde, comme au sortir du désert lorsqu’on s’abreuve au goutte à goutte. Ce premier concert est d’autant plus symbolique que Gasoline fait du rockab. Wow, ça slappe sous le ciel bleu de Douarn, ville magique, alors que derrière la petite scène passent des voiliers. Ces bienfaiteurs de l’humanité attaquent avec le «Train Kept A Rollin’» des Burnette Brothers, alors back on the track, Jack ! Et une pensée émue pour Laurent qui, installé dans son fauteuil, suit le concert depuis le paradis.

    Les Gasoline sont basés à Douarn, trois mecs et Charlotte, chanteuse/guitariste en robe fifties, qui fait des pieds et des mains pour garder le contact avec un public un peu trop éloigné. Bizarrement, toute la faune rassemblée à l’autre bout de la ville dans le «village» du festival ne s’est pas déplacée. Le public qui assiste au set de Gasoline est un public plus «touristique», mais Charlotte parvient à le chauffer, aidée par son mari Kev, l’Anglais qui slappe comme un beau diable. Wow, comme ce mec est bon ! Il drive son slap en bopper fou, bien soutenu par l’excellent Rico au beurre. Section rythmique exemplaire, le Train keeps a rollin’, no problemo, et même up around the bend !

    Les gens font généralement une grave erreur en considérant ce son comme passéiste. C’est exactement le contraire, le rockab garde tout l’éclat de sa fraîcheur et quand c’est bien foutu, comme c’est ici le cas, toute son jus de modernité. C’est même mille fois plus moderne que ce set de DJ auquel on avait assisté la veille. Au moins, quand un groupe de rockab digne de ce nom grimpe sur scène, on ne craint plus de crever d’ennui. Here we go !

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    Bien sûr, ces quatre cocos ne sont pas des débutants. Ils ont tous des pedigrees ad’hoc, comme dirait le capitaine du même nom. Charlotte a déjà enregistré en 2010 un album de country-rock (on peut entendre des trucs sur YouTube, allez jeter un œil, Charlotte Yanni, c’est vraiment bien). Elle est très fière d’avoir fait la première partie de KT Tunstall. Elle fait aussi un duo avec Kev en Angleterre : Frog On The Tyne, Frog pour la petite Française of course. Et pas qu’en Angleterre, ils jouent partout en Europe. Faut dire aussi que Kev n’est pas né de la dernière pluie. Comme les Animals, il vient de Newcastle et a joué de la basse durant les années 80 dans Hellanbach, un quatuor influencé par Van Halen : trois albums et bien sûr des tas de premières parties de rêve, comme le souligne Charlotte. Pour ça, l’Angleterre a toujours été un pays génial. En plus de Frog On The Tyne, il fait aussi un quatuor de rockab nommé Bessie & The Zinc Buckets : pareil il faut aller voir sur YouTube, ils font une excellente version rockab d’«Ace Of Spades», avec bien sûr Kev au slap et du beau monde autour de lui. L’amateur de rockab se régale non seulement de voir jouer ces quatre cats mais d’entendre leur accent, l’épais drawl de Newcastle.

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    L’autre atout de Gasoline, c’est le Gretschman Brendan de Roeck, costard gris et fière allure, lui aussi paré d’un pedigree impressionnant : quatre album avec le duo de jazz-blues Bobby & Sue, univers haut de gamme, pareil, on peut voir des trucs extrêmement intéressants sur YouTube. Mais pas que ça, Brendan joue aussi dans le duo Rain Check et nous dit Charlotte, il fait ou a fait un petit bout de chemin avec Mick Strauss. Bref, tout un univers à découvrir. On sent chez tous ces gens-là une vitalité à toute épreuve et une évidente passion pour la scène. Charlotte nous branche aussi sur un trio rockab de Quimper, Ducky Jim Trio, et pareil, les bras nous en tombent quand on voit ce qu’ils balancent. Il suffit juste de taper Ducky Jim Trio sur ton clavier et ton écran va se mettre à swinguer comme un vieux juke chromé.

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    Sur scène, Gasoline rend par deux fois hommage aux Stray Cats, avec «Stray Cat Strut» et pour conclure, l’insubmersible «Rock This Town». Les Stray Cats feraient bien de venir voir jouer Gasoline pour prendre des notes, car la section rythmique fout bien le feu au cul des cuts. Si un jour, Gasoline tape dans «Runaway Boys», ils vont le faire exploser, c’est certain. Kev est un redoutable bopper. Il joue avec tout son corps et passe son temps à se marrer, tellement il aime bopper le blues, comme dirait Carl Perkins. Côté voix, Charlotte est parfaitement à l’aise, elle mène bien le bal, elle sort du raunch à point nommé, avec un petit côté Wanda Jackson. Ils font aussi des merveilles sur cette reprise de «Tainted Love». Bien vu les Gas ! Pour calmer le jeu avant l’assaut final, ils proposent un petit intermède qu’ils qualifient de bluegrass avec «Blue Moon Over Kentucky» et bien sûr ça passe comme une lettre à la poste. Ils ont cette aisance qui leur permet de toucher à tout avec brio. On craint le pire quand Kev pose sa stand-up pour passer la bandoulière d’une basse électrique, oh nooo, comme dirait Reg Presley, mais si, comme dirait Yves Adrien, Messie, mais si, car voilà qu’ils rockent this Douarn avec un shoot de gaga-punk bien incendiaire, «Be Mine». On assiste même à un numéro de haute voltige Kev/Brendan en forme de duel de la mort, Gretsch/bassmatic. Ce démon cornu de Kev en profite pour voyager au long cours sur son manche pendant que Brendan solote à la revoyure. On voit jaillir des étincelles alors que le soleil disparaît derrière la cime des arbres, au dessus de Tréboul, de l’autre côté du bras de mer. Fantastique partie de rockalama !

    Signé : Cazengler, gasolime la voisine

    Gasoline. Vendredis sur pilotis. Douarnenez (29). 27 août 2021

     

    L’avenir du rock - Terre d’Israel

     

    Le téléphone sonne chez l’avenir du rock.

    — Salut l’avenir du rock ! Je suis le passé du rock !

    — Ravi de t’entendre, passé du rock. Dis donc, tu m’as l’air en forme pour un vieux schnoque !

    — Oh oui, je vis sur mes réserves. Tu sais ce que c’est, avec l’âge on prend un peu de poids. Ma foi, bon an mal an, on fait aller...

    — Bon, j’imagine que tu ne m’appelles pas pour me parler de tes histoires de bide...

    — Non bien sûr. Je voulais juste avoir ton avis. L’autre jour, en feuilletant Uncut, je suis tombé sur un Nash. Pas le vieux crabe de Manchester qui est devenu millionnaire grâce à David Crosby et Stephen Stills, non, c’est un autre Nash, Israel Nash.

    — Oui, et alors ?

    — Ben, vu qu’il s’appelle Nash, et Israel en plus, je me demandais s’il avait voix à ton chapitre... Ça fait dix ans qu’il enregistre des albums de folk-rock, ce mec se fait photographier avec l’acou dans un champ de blé et il trimballe un look d’old-timer à la Greg Allman, donc tu vois, il est comme qui dirait pré-daté...

    — Tu devrais t’enregistrer, passé du rock, car t’es vraiment comique. Commence par écouter ses albums et là tu comprendras qu’Israel Nash a toute la vie devant lui.

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    Il a raison l’avenir du rock et on va voir pourquoi. Israel Nash n’est pas un débutant, car en dix ans, il a enregistré six albums. Le premier date du temps où il vivait à New York et s’appelle justement New York Town. Il gratte sa gratte devant le pont de Brooklyn et propose un heavy folk-rock bien appuyé. Pour un premier album, c’est plutôt bien. On cherche des comparaisons, mais Israel Nash sonne comme Isreal Nash. Il a beaucoup de personnalité.

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    L’album décolle avec «Bricks», Nash ouvre sur la belle power pop d’Israel, il va chercher son Bricks et ça marche. Cette façon qu’il a de se détacher du commun des mortels est fascinante. Et puis voilà qu’arrive «Either Way», une espèce de petit coup de génie qu’il groove à la rauque - Won’t you please take me home - Il faut entendre ce groove superbe de baby won’t you take me home et là on le prend vraiment au sérieux. Il fait plus loin du heavy country-rock avec «Concrete» et balance ça par dessus les toits. Il est parfaitement à l’aise, on le voit naviguer en père peinard et il ne mégote pas sur l’excellence. Il impose le respect, alors on va l’écouter chanter. D’autant plus qu’il claque ses compos en toute aménité. Il joue son «Beautiful» au piano, un «Beautiful» très beau et très pur, il chante comme une rock star évaporée, il y croit et il a raison d’y croire.

    Contrairement à ce qu’indique son nom, Israel Nash ne vient pas d’Israel. Il s’appelle Isreal Nash Gripka et vient du Missouri où on père était pasteur. Puis comme Dylan, il est allé en 2006 tenter sa chance à New York, le temps d’enregistrer ses deux premiers albums, puis il est revenu s’installer à la campagne, dans le Texas Hill Country, à l’Ouest d’Austin. Il s’est payé 15 acres de bonnes terre et a bâti son studio, Plum Creek Sound, sur une colline. Jones décrit Nash comme un big man, aviator shades, wild hair, a prophet’s beard. Plus les bijoux et les tatouages. Outlaw country look, Jones le compare à Waylon Jennings. Nash déclare : «The country is my spiritual home.» Jones le rapproche aussi de Robin Pecknold de Fleet Foxes, de Matthew Kouck de Phosphorecent, de Jonathan Wilson et de Matthew E. White. Nash écoute Lou Reed et se dit obsédé par les Byrds et Sweetheart Of The Rodeo. Il a même enregistré une cover d’«Hickory Wind», alors t’as qu’à voir.

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    Quand il enregistre Barn Doors And Concrete Floors en 2011, il est en pleine crise d’osmose. Il se prend littéralement pour Neil Young dans le «Fool’s Gold» d’ouverture de bal. Il parvient à imiter à la perfection cette nonchalance sirupeuse et cette plénitude électrisante qui firent la grandeur des premiers albums du vieux Young. Il réédite cet exploit avec «Antebellum». Cette pauvre terre d’Israel se perd dans sa finitude ! Ayant colonisé des terres qui ne lui appartiennent pas, Israel installe ses riffs monumentaux. Il est encore plus royaliste que le roi avec «Sunset Regret». C’est sa came, la came d’Israel, les grooves chaussés de plomb. Retour au spirit de Neil Young avec «Goodbye Ghost». Israel a un sens aigu des horizons, surtout quand un banjo titubant les ponctue. Il se montre valeureux comme pas deux et pousse sa came dans les orties. Sans vraiment le faire exprès, il propose de la Cosmic Americana. On la retrouve dans un «Louisiana» plus country-rock, chanté à l’extension du domaine de la turlutte. Il propose une espèce de story telling de bonne mesure. Il bascule plus loin dans le pathos avec «Bellwether Ballad», mais il s’en fout, il sait qu’il vendra des tas d’albums sur Amazon à des kids palestiniens qui ne se doutent de rien.

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    Nash enregistre ses albums suivants chez lui au Texas. Pour Rain Plains, il dit s’inspirer de Pacific Ocean Blue, l’album de Dennis Wilson et d’If I Could Only Remember My Name, celui de David Crosby. Parmi ses albums favoris, il cite aussi No Other de Gene Clark, Harvest et Déjà Vu - The whole southern Callifornia thing, that sound, the feel of these records is something I’m incredibly close to - Nash raconte aussi à Jones comment il a construit son studio sur la colline : une grande structure métallique en 17 parties qu’il a fallu assembler avec 3 700 rivets. C’est un immense hangar monté par Nash et son pote en quatre jours.

    Sur Israel Nash’s Rain Plains, l’ami Nash se prend carrément pour Neil Young et il a en a les épaules, le bougre. Trois de ses cuts pourraient figurer sur Everybody Knows This Is Nowhere : «Who In Time», «Iron Of The Mountain» et «Mansions». Le premier des trois va même droit sur Harvest, avec ses coups d’harmo. Ce vache de Nash paye sa redevance, il est incroyablement mimétique. De toute évidence, il est fasciné par le vieux Young, il fait le même genre de heavy psychedelia à patchwork, avec du chant plein la purée. Il brait son «Mansions» comme le fait le vieux Young. C’est un phénomène connu, l’anamorphisme psychotropique, Nash ramène tout le son de la sierra du Goldrush, c’est incroyable comme il se fond dans cette vieille brume psychédélique. Même le morceau titre trempe là-dedans, dans cet effarant vacuum d’ouate d’opiate à la Young, ce vache de Nash monte ça en apothéose paraplégique, ça coule comme du miel dans la vallée des plaisirs, il pressure la bulle de volupté jadis initiée par CSN&Y, ça dégouline de son, c’est même gorgé d’espoir et d’esprit, voilà ce qu’il faut bien appeler un coup de génie humide et chaud. L’album est bon dès le «Woman At The Well» d’ouverture de bal, ce vache de Nash se situe dans l’art de l’épaisseur, il a des pouvoirs de mage, il s’installe dans une foison surnaturelle. Israel encule le veau d’or. La folie mélodique d’une guitare surnage dans les couches supérieures de cette puissante Americana. Israel Nash est un organique, l’homme de boules de gomme, il navigue au feeling pur dans les Sargasses jadis inventées par Neil Young. Ses mélasses éclatent au crépuscule des dieux. «Myer Canyon» a tous les atours d’un coup de génie, c’est de la Cosmic Americana de haut vol, il l’explose à coups d’away from me, il teinte ça de psychedelia, alors t’as qu’à voir. Il fait même chanter les anges lorsqu’il s’éloigne vers l’horizon, oh oh baby. Avec «Roxanimatum», il honore sa muse dans le lit nuptial, il envoie sa pop gicler au firmament, mais pas le firmament des temps modernes, celui de l’ancien temps.

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    Israel Nash’s Silver Season date de 2015. Nash y tourne en rond, cultivant sa fascination pour Neil Young. «Lavendula» et «Mariner’s Ode» pourraient très bien figurer sur le Goldrush album. C’est exactement le même délire, c’est même assez beau. Israel colonise Neil Young, c’est tout de même incroyable. Il développe une puissance extrême, quel souffle ! Israel est très fort, il peut tout coloniser. Même s’il fait du Neil Young, il reste intéressant, il joue à la main lourde et chante au mieux de la jérémiade, c’est cool et il n’en démord pas. Il renoue avec la heavy psychedelia de l’early Young. Vas-y Israel, fais-nous rêver. Mais ce n’est pas facile de rêver, quand on est palestinien. Il faut redoubler d’efforts. Israel n’en finit plus de creuser pour irriguer ses terres. Tout l’album est pompé dans Neil Young. Il parvient à créer une sorte de luxuriance et finit par vraiment impressionner. Car bien sûr rien n’est plus difficile à jouer que l’early Young. Il termine avec un «The Rag & Bone Man» noyé de son, humain et chaud. On s’y attache, ça ne demande aucun effort, juste écouter. Israel annexe tous les territoires, il envahit tout, on le lui reprochera plus tard, mais il s’en fout. On lui dira : Israel tu n’es qu’un sale envahisseur et lui, interloqué, répondra : Mais oui, j’envahis et puis après ?

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    Paru en 2015, Lifted est comme son nom l’indique un album qui décolle comme un gros avion cargo dès «Rolling On». Heavy on the up, the Howard Hugues energy, c’est explosé dans l’énormité du push, Nash le pusher push son truc à la folish, il décoche du rolling on, il sature tout de son, il déploie des trésors de push. Même chose avec «Looking Glass» : comme il charge la prod princièrement, ça devient tout de suite inexorable et beau. Il crée un monde psychédélique et demented, sa psychedelia plane comme un gigantesque volatile au dessus de l’Amérique, c’est produit à l’outrance d’un hallali de trompettes. Tout est très beau, sur cet album, on en pend plein la barbe. Nash est un mage. Chaque fois, il va chercher la petite bête cosmique, même s’il se cantonne dans une sainteté à la Neil Young. Ce que dégage ce vache de Nash est indéniable. «Northwest Stars (Out Of Tacoma)» est l’un des sommets de cet album riche en sommets. Nash cultive l’art des dégringolades dans des gouffres béants de Cosmic Americana. Il taille sa route chaque fois, ça lui prend quatre ou cinq minutes - Down in the darkness - puis il passe au down in the desert avec des accents fêlés à la Mercury Rev - You’re spinning me out my mind - Si tu cherches la licorne ou le Graal de la Cosmic Americana, il est là, dans «Northwest Stars (Out Of Tacoma)». Ce vache de Nash profite de la moindre occasion pour régler ses comptes avec l’excellence. Il pousse les harmonies vocales de «The Widow» dans les orties. C’est gueulard, monté en neige, extrêmement en neige. Il finit en explorant la heavy Nasherie de «Golden Fleeces» au collet monté. Encore un cut puissant, un rock de mecs musclés qui ont du répondant, c’est un rock de mecs qui savent boulonner des charpentes métalliques. Pas de problème, Israel va te coloniser le Golan.

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    Pour situer Topaz, un critique de Mojo parle d’hurricane blast of country rock. Le Mojo man revient même sur la dimension spirituelle du personnage qui comme James Leg et les Kings Of Leon est fils de pasteur. Forcément, dans ce type d’hommage, les formules ronflent comme des gros moteurs et le Mojo man qualifie Israel Nash de Memphis Baby Huey. Dans Uncut, Allen Jones dit qu’au moment d’enregistrer Topaz, Nash écoutait plus George Clinton que Gram Parsons,, plus Bobby Blue Bland que les Byrds.

    Récemment paru, Topaz est l’album des rafales extrêmes, un album pris en sandwich entre deux coups de génie, «Dividing Lines» et «Stay». Nash installe aussitôt les conditions du groove, un groove blanc qui sonne étrangement juste. Il va chercher sa maturité au sommet du lard et va se fondre dans l’orchestration. Il coagule sur place et claque tout à l’éclat d’accent. Il sonne tout bêtement comme une super star. Il faut le voir exploser la cime de son Dividing Lines, c’est franchement digne des grands heures de David Crosby. C’est d’un niveau qu’on ne croise pas tous les jours. Oui, Croz en plein, power du groove océanique, influences, sous-jacence du jazz, everytime it’s alive, les Dividing Lines explosent au sommet du Topaz. Pour ceux qui s’interrogent sur l’avenir du rock, la réponse est là. Avec «Stay», c’est encore pire. Ce vache de Nash se fond dans sa chanson. Il dégage encore plus de magie que CSN, il développe le cool breeze de Californie et son Stay explose avec le solo perlé, un truc dont on n’a pas idée tant qu’on ne l’a pas entendu. Il chante comme s’il se protégeait jusqu’au moment où il s’émancipe et ça devient irréel - I just wanna stay for a little while - et il atteint des sommets inégalés à coups d’I just wanna stay. Mine de rien, il crée son monde et impose le respect. Le Mojo man ajoute que si Nash avait vendu son «Stay» à Hall & Oates, il serait devenu milliardaire. Il fait de la Soul blanche avec «Down In The Country», il appuie son chant et ça prend la tournure d’une énormité sans égale. C’est l’un des meilleurs albums qu’on entendra cette année. Il continue de bourrer Topaz de cuts superbes, comme ce «Southern Coasts», il rayonne et étend son empire, il noie ça de ah ah ah, ce mec est incroyablement impliqué, il rentre dans la peau de tous ses cuts, on suivrait ce vache de Nash jusqu’en enfer. Comme le montre «Howling Wind», il combine bien toutes ses petites combines et ça prend vite des allures stupéfiantes. Il bâtit sa légende, cut après cut. Il revient à sa fascination pour Neil Young avec «Suntherland», comme s’il bouclait la boucle. Sur cet album, tout est visité par la grâce. Israel Nash pourrait bien être l’équivalent blanc de Marvin Gaye.

    Signé : Cazengler, Israel Naze

    Israel Nash Grikpa. New York Town. Continental Song City 2009

    Israel Nash Grikpa. Barn Doors And Concrete Floors. Continental Song City 2011

    Israel Nash. Israel Nash’s Rain Plains. Loose 2013

    Israel Nash. Israel Nash’s Silver Season. Loose 2015

    Israel Nash. Lifted. Loose 2015

    Israel Nash. Topaz. Loose 2021

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    Allen Jones : File under hippie spiritual. Uncut # 287 - April 2021

     

    Inside the goldmine - Tara s’est tari

     

    Il sortit du bureau de l’infirmière en chef le cœur serré et la peur au ventre. Il comprit qu’il n’échapperait jamais à leurs griffes. Il ne savait déjà plus depuis combien d’années il se trouvait là. Il avait beau leur dire à tous et à toutes qu’il se sentait bien et qu’il pouvait se passer de traitement, on l’obligeait à avaler ses fioles quotidiennement. C’était disaient-ils pour son bien, mais il n’en croyait pas un mot, car il éprouvait des difficultés croissantes à réfléchir. Il revint dans la salle commune se faire un café. Par la porte fenêtre, il vit passer madame Francine. Elle dansait nue dans le jardin. Elle renouait à sa façon avec l’innocence du jardin d’Eden. À la table de la salle commune se trouvaient deux types murés dans le silence. Les infirmiers qui ne rataient pas une occasion de rigoler pour disaient-ils dédramatiser les surnommaient Blokette et Kasette. Blokette était un très bel homme d’allure sportive aux yeux verts. Lorsqu’il ouvrait la bouche, c’était pour imiter le bruit d’une moto tout terrain, vrooooooom-poh-poh-poh, vrooooooovroooomm poh poh. On savait que c’était une moto tout terrain à cause d’une photo punaisée sur la porte de son placard, qui remontait au temps où il fut champion du monde. Vrooooooom-poh-poh-poh. Quand il commençait, personne ne pouvait le faire taire. Alors Kasette s’énervait. Cet homme décimé par la pauvreté et les abus métaphysiques n’était plus que l’ombre de lui-même. On savait qu’il avait été libraire et qu’à force de pousser le bouchon, il s’était contrepété la cervelle. Alors il élevait la voix et se mettait à éructer :

    — La moelle de l’épée dans le poil de l’aimée !

    — Vrooooooom-poh-poh-poh !

    — Talus le tarin, talus le tarin ?

    — Vrooooooom-poh-poh-poh !

    — Tara n’est pas taré, Tara n’est pas taré !

    — Vrooooooom-poh-poh-poh !

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    Bon, le plus simple, c’est de quitter la salle, car ça devient vite insupportable. Il est en outre fort peu probable que le Tara dont fait mention Kasette soit Tara Milton, mais sait-on jamais ? Pour situer ce Tara-là, il faut remonter au temps où le NME proposait On, une rubrique très intéressante, puisque réservée à des groupes débutants qui avaient pour particularité de ruer dans les brancards, comme par exemple les Chrome Cranks ou encore Five Thirty, qu’on peut aussi écrire 5:30. Alors évidemment, on partait à la chasse, mais en ce temps-là, on chassait à pieds, nous ne disposions pas de tout le confort moderne et des fils qui chantent que les blancs nomment «réseau ADSL». On parle ici des années 1990. Il existait encore une scène underground intéressante en Grande-Bretagne. Five Thirty sortait de nulle part, un nulle part dont ils ne se sont jamais éloignés, puisque très peu de gens connaissaient leur existence. À l’écoute d’un premier maxi nommé Air Conditioned Nightmare, nos naseaux de pisteurs se mirent à frémir.

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    Paul Bassett jouait sur Télé peinte et chantait, Phil Hopper battait le beurre et Tara Milton déroulait un bassmatic entreprenant. Ces gens jouaient la carte du son, aux confins de la mad psychedelia. Ultra-joué et truffé d’harmonies vocales vitales, le morceau titre de ce maxi captait l’attention - You could be a superstar/ or worse - S’ensuivait un «Judy Jones» extrêmement ambitieux, doté d’un fougueux refrain - Judy Jones you’re such a fool - On avait là un hit considérable, bien fouillé, que Tara traversait en tous sens, naviguant dans le flux et le reflux. Oui, on avait là un cut qui battait tous les records d’excellence pulsative ultra-dynamique. En B, ils allaient carrément sur l’hendrixité des choses avec «Mistress Daydream», mais avec une fabuleuse énergie. Ça blastait at 5:30.

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    Du coup, on rapatria un autre maxi, 13th Disciple, paru sur le même label EastWest. Belle pioche puisque le morceau titre avait quelque chose d’assez miraculeux, et c’est rien de le dire. On adorait le NME pour ça, justement, pour cette possibilité d’une île. On sentait les Five Thirty prodigieusement déterminés. On n’en finissait plus d’admirer la vélocité de Tara Milton, bassman virtuose et grand voyageur devant l’éternel. Son ami Paul Bassett wahtait à tire-larigot. L’avenir leur appartenait, «Hate Male» illustrait parfaitement cette vue de l’esprit - We don’t care/ I don’t care - big heavy sound ancré dans les seventies. En B, ils passaient au Mod pop avec «On The Get In», solide, très typé, pas loin du early Ride des beaux maxis, avec un son d’une réelle densité, des couches de voix judicieuses. Ils enchaînaient avec une solide cover de «Come Together» qu’ils tapaient à la dépouille de beat mal intentionné. Tara titillait son bas de manche avec une méprisable ostentation. Ah qui dira l’importance de l’ostentation ?

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    Five Thirty n’enregistra qu’un seul album, l’indicible Bed. Avec le power-poppy «Strange Kind Of Urgency», ils frisaient le smash hit. Tara et ses amis y jouaient une pop d’époque qui depuis n’a pas pris une ride. Le NME s’en fit d’ailleurs les choux gras. Tara raflait la mise avec «Songs And Paintings», montant au créneau et jouant la carte du soft groove africain sur un riff de basse endémique. Les saveurs explosaient, comme explosent sous le palais les saveurs d’un Biriani. Tara jouait son rock Biriani à la vie à la mort. On croisait plus loin une autre énormité, «Abstain», jouée en mode heavy motion. Ils ne lésinaient pas sur les moyens, notamment les accords supersoniques. Tout l’album tenait le choc, «Supernova» sonnait comme de l’ultra-pop dynamitée au bassmatic énergétique. Tara ruait bien dans les brancards. Il ne ratait pas une seule note et chantait à la mauvaise graine. Ils montaient tous les trois en épingle ce mauvais brouet de Mod pop. Ils sonnaient plus heavy avec «Junk Male». Tara y swinguait son drive avec aménité. Ils visaient la beauté prévalente. On retrouvait aussi sur l’album l’excellent «13th Disciple» du maxi, avec ses muscles qui roulent sous la peau. Paul nous wahtait ça comme un damné et ça basculait aussi sec dans le funk. «Womb With A View» sonnait comme de la pretty pop d’inside out. Quoi qu’ils fissent, ils accrochaient. Ces trois mecs travaillaient dans l’after. Ils construisaient patiemment, il fallait juste leur faire confiance. Ils savaient se montrer excellents, aventureux et imprévisibles, un trio de qualités assez rare en matière de rock. Ils embarquaient «Catcher In The Rye» en enfer d’entrée de jeu. Tara taraudait comme un taré. Alors, pourquoi ça n’a pas marché ? Mystère et boules de gomme.

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    Après le split de Five Thirty, Tara va monter les Nubiles. Il parvient à sortir l’album Mindblinder en 1996. On retrouve notre furieux rocker dans le morceau titre d’ouverture de bal. Tara fournit tout le furnish, il tape dans son rock à bras raccourcis et finit par l’exploser. Comme il est libre de ses engagements, il fait ce que bon lui semble. Il monte son «I Wanna Be Your Kinka Kinte» sur un riff de basse métallique. Il rappelle à sa baby qu’il aimerait bien être son kinka kinte. Tara cherche sa voie. Pas facile. On se perd dans son groove intermédiaire, Tara se tarit avec «A Sap’s Guide To Rock ‘N’ Roll» et il faut attendre «Layabout» pour retrouver un peu de viande. Il redevient pendant quelques minutes le héros de l’underground britannique. On le voit ménager ses effets, et ça vire jazz, on ne sait pas pourquoi, avec de belles montées d’adrénaline. Il chante largement au-dessus de la moyenne, mais avec quelque chose de maladif dans l’intention. Il joue avec le feu et la glace, c’est très spécial, mais quand ça explose, on peut dire que ça explose pour de vrai. Il passe au démonté punkoïde avec «Single Mum Barbie» qu’il finit en mode Beatlemania demented are go à gogo et ferme la marche avec un «Best Friends Large Fries And A Diet Coke» tapé au drive de dub et fabuleusement fouillé aux guitares. De toute évidence, Tara cherche un passage dans le fromage. Il joue à l’inspi granuleuse, mais qui s’en fera la gorge chaude ?

    Signé : Cazengler, Taré notoire

    Five Thirty. Air Conditioned Nightmare. EastWest 1990

    Five Thirty. 13th Disciple. EastWest 1991

    Five Thirty. Bed. EastWest 1991

    Nubiles. Mindblinder. Lime Street Records 1996

     

    DES DESIRS DES ENVIES

    IENA

    ( Clip / You tube )

    Premier titre du prochain EP d'Iena à paraître bientôt. Quelle force et quelle beauté cette vidéo ! Noir et blanc, esthétique expressionniste, la chose seule, et rien qu'elle, et la chose porte un nom connu, un groupe de rock, dans la noire nudité perfectale de sa présence, en studio, si bien mise en scène qu'il convient d'abord de nommer Etienne Cimetière – Cano, vidéaste, je découvre, c'est plus qu'un imagier, un œil qui se colle au réel et le garde prisonnier de son regard. L'est si près de ce qu'il montre qu'il semble avoir aboli la distance qui sépare l'objet de sa représentation, vous file l'impression d'être dans l'uppercut de la décharge d'adrénaline rock'n'roll qu'il capte et envoie. Une caméra qui crache. Une mise en scène sauvage, libérée de tout carcan protectif, filme au plus rentre dedans de l'impact.

    DGD Studio Pantin, un simple espace phonique des plus anonymes, parois blanches, et le groupe droit devant vous. Tant de vide autour que les quatre silhouettes en deviennent imposantes, elles annihilent le volume du lieu, Michel Dutot au fond à la batterie, Stéphanie Dherbey sur votre droite à la basse, Eric Coudrais sur votre gauche à la guitare. Tous de noir vêtus, des menaces ambulantes, avant même que le son déferle vous comprenez qu'ils ont un compte à régler avec la vie. Ne se couche-t-elle pas trop facilement devant la défaite des jours et la mort, alors ce coup-ci, ils ne vont pas laisser filer le round entre leurs doigts. Et le son tsunamise. Ne s'arrêtera plus, à la première seconde, vous sentez qu'ils tiennent le grizzly du rock par une patte et qu'ils ne le laisseront pas échapper.

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    JYB ( Jean-Yves Bassinot ) combat à mains nues. Pour toute arme son micro. Et les trois companeros derrière qui assurent comme des bêtes, mais qui tiennent la lice fermée, pas d'échappatoire possible, pas de panique, possède une arme tranchante. Juste lui, son corps, ses mains écartées de marionnette soumise au destin de l'existence, ses regards fous prisonniers de lui-même derrière ses lunettes, et cette voix qui assène la vérité étriquée de nos vies d'individuelles si peu glorieuses. Il y aurait de quoi sangloter, et pleurer sur soi-même, mais rien ne vaut le bulldozer de l'humour ravageur pour crier son désespoir. '' Me rappelle plus en rentrant si je je me suis lavé les dents'' – un truc digne des meilleures paroles du grand Schmoll – et cette netteté incisive de l'élocution qui bouscule tout sur son allant.

    Dutot envoie la marmelade au compresseur, mène le bal des désirs insatisfaits qui tournent en rond à toute vitesse en se mordant la queue qui s'affolent et finissent par exploser lorsque Stéphanie appuie un peu plus sur ses cordes pour rendre l'ambiance encore plus frénétique, la guitare d'Eric flamboie sur les interludes, vous brosse à grands traits des cavalcades de soli qui amplifient la cadence générale, courage les amis l'on se rapproche du bout du tunnel. No insatisfaction ! n'est-il pas le cri primal, l'interjection divine du rock'n'roll bien compris.

    En tout cas Iena a pigé le truc. Nous refilent une sarabande enlevée et enfiévrée, balaient les ordures et les épluchures des renonciations intimes à la poubelle, nous rappellent que si rien ne vaut la vie, la vie ne vaut pas un bon rock'n'roll troussé de mains de maîtres. Nicolas Roy, Loran Solus, se sont partagés l'enregistrement, le mixage et le mastering, z'ont produit le son parfait, clair et enlevé, profond et sans faux-semblant. Ce premier extrait du tout prochain EP d'Iena est un must.

    Damie Chad.

     

    *

    IMPORTS ARIEGEOIS

    Plaisir de rocker, fouiner dans une boîte à la recherche non pas du disque rare, mais de l'inconnu, un CD, un groupe dont on ignore jusqu'à l'existence mais qui vous fait signe. Vous ne savez pas pourquoi et même pas quoi au juste, une photo, un titre, c'est un des péchés mignons de mes vendredis matins ariégeois, sur le stand de Vladimir ( disques, figurines, de revues, livres, dvd ) sur le marché de Foix. Parfois c'est une mauvaise pioche, mais dans l'ensemble, le flair du rocker tient bon la route.

    L'ignorant aime à croire que sa méconnaissance est partagée par le monde entier, une rapide enquête sur le net m'a confirmé ce que j'hypotésais à savoir que le CD que je tenais entre mes mains était bien le premier opus du groupe, ils en ont commis un second en 2003, un album Matrice, un metal de vieille frappe mais teintée d'électronique, aussi bien marquée par Rammstein que Led Zeppelin. Le groupe issu de la région toulousaine a eu plus de 250 concerts à son actif mais semble avoir cessé ses activités. Deux de ses membres sont restés dans la musique. Thierry Cladères a roulé sa bosse dans une dizaine de groupes, partage son expérience au sein de différentes structures pédagogiques et professionnelles. Hervé Chiquet a suivi un parcours similaire, a rejoint le team Batterie Magazine, et le site IZI Drumming, Quant à Bruno Brouard, dans le brouillard nétique je n'ai rien trouvé...

    Pour les oreilles curieuses une vidéo de la cover de Jack in the box du Whole lotta love du Zeppe est sur You tube. Loin de démériter. Je n'ai même pas réussi à m'ennuyer en l'écoutant. Pas du tout iconoclaste, mais à l'écart.

    JACK IN THE BOX

    ( 1997 )

    THIERRY CLADERES : guitare, chant / HERVE CHIQUET : batterie / BRUNO BROUARD : basse.

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    Jack in the box : c'est quoi ce boxderl ! Une batterie cataclysmique qui fragmente le son et ces tortillons de guitare qui vous arrivent dessus comme des fers rouges qui vous marqueraient le visage, c'est du tordu, du crochu,du éébu cornu, z'avez pas le temps de remettre de l'ordre dans votre tête que déjà le plan incliné sur lequel vous tentiez de prendre pied vous catapulte, et je n'ai pas encore parlé de cette basse qui se prend pour une guitare à part entière et ce chant en français qui baragouine l'incompréhension du monde aux quatre coins cardinaux. Fabuleuse intro, l'on a affaire à de sacrés musicos, c'est du gros son, du gros rock, mais avec une rythmique que ne désavouerait pas un trio de jazz, quand ils sortent le jack de sa boîte, vous n'avez même pas le temps de savoir de quoi il s'agit, ah cette caisse claire qui sombre comme la quille d'un navire pris dans un nid d'écueils abrasifs ! J'aurais juré que ces petits frenchies allaient sonner comme Variations mais sont plutôt dans le sillage de Dream Theater. Rien que pour ce premier opus, suis fier d'avoir le CD dans ma collection. Faut citer Marc Dubezy à la console. Pas un sorcier, un shaman qui a capté l''esprit sauvage du rock. Monnaie : le morceau précédent frôlait les six minutes et celui-ci, tout comme le suivant dépasse les sept, l'on sent le piège, vous jettent un truc binaire, un os rythmique tout bête, et ensuite s'y ruent dessus comme des chiens féroces, vous le mastiquent sans fin, se le passent et le repassent et chacun d'eux y imprime la marque famélique de ses crocs fabuleux, vous font la totale, le hachis- parmentier, le solo à l'égoïne, les chœurs sacrés de l'opéra barbare, le démantibulement du son, le piétinement du paillasson, vous étirent l'élastique jusqu'au plafond et vous écrasent les pots de fleurs à coups de vigoureux talons de fer, fini le théâtre, là ils culminent dans ces moments lyriques d'extase débridée que seul le Led Zeppe a su atteindre. Ecoute le meilleur : l'on quitte la chaussée des géants, le blues trompette et klaxonne par l'entremise de la guitare, le chant ne s'occupe pas du vocal, s'écoute comme un instrument qui au lieu d'écarteler des notes met des mots en exergue comme s'il voulait vous enfoncer des secrets infinitésimaux dans votre misérable caboche, ensuite il est difficile de dire ce qui se passe exactement, chacun endosse le rôle qui lui plaît, et vous tombez dans un charivari phonique du meilleur effet, vous aimeriez avoir trois cerveaux pour tout entendre, mais non, la basse vient vous caresser pour vous consoler, la batterie ricane et vous tapote la cabosse en compote, sur ce la guitare s'envole pour gronder encore plus fort, n'y a plus qu'à vous laisser rouler par la vague sonore, pourquoi ce qui vous fait si mal est-il si délicieux ! Ces gars-là étaient en avance sur leur temps.

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    Je croyais avoir dégoté un bon disque de rock français et j'hérite d'un chef d'œuvre inconnu.

    Damie Chad.

    *

    Dans la poignée de disques ramenés d'Ariège, cet Orville offert par l'amie Patou, j'ai cru qu'il s'agissait d'Orville Nash que le Cat Zengler et moi-même vous avons déjà présenté voici quelques années, mais non il s'agit d'Orville Grant, une sommité du country français, l'a enregistré dix-huit albums à ce jour.

    ORVILLE AND THE WOODBOX

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    Encore une histoire de boîte, mais celle-ci est en bois, moi qui ai passé toute une partie de ma vie à fumer des cigares plus ou moins gros – cela dépendait des hauts et des bas de ma fortune personnelle – n'ai aucune appréhension quant aux boîtes à cigares. Notamment celles avec lesquelles les premiers bluesmen confectionnaient leurs guitares. C'était déjà un progrès par rapport aux fils de fer qu'ils tendaient sur les murs et les lessiveuses armées d'un manche à balai, mais enfin c'était surtout signe de dénuement et de misère. L'est vrai que ces dernières années s'est installée une mode que l'on pourrait qualifier de retour forcené aux roots ou de recherche désespérée des racines perdues...

    Le disque se présente comme le premier volet d'une trilogie intitulée Train. Road and Prison Songs, à croire que toutes les routes mènent en prison...

    For so long now : que le son est aigrelet, c'est bien sympathique mais cela risque de devenir ennuyant. Orville est le premier à s'en apercevoir et à rajouter un peu d'électricité, la voix est douce et mélancolique, elle emmène de la profondeur à cette première compo, quelques tapotements bien venus apportent un accompagnement qui aide à rendre le long chemin plus agréable. Freedom train : une voix plus pleine, qui ne se presse point mais chargée d'espoir. Un petit défaut, l'accent est si français que l'on comprend tout, cela enlève du mystère à cette ballade et empêche le rêve, la boîte à cigare se transforme en pedal steel guitar. Terraplane blues : un démarrage de bagnole et voici le célèbre blues de Robert Johnson, un peu casse-gueule de se risquer à une telle reprise, la guitare de Johnson n'était peut-être pas du meilleur bois mais les doigts du diable agitaient les cordes, Orville rajoute une électrique et nous la joue plus rock que blues, se permet quelques filets d'accord maigrelets sur la fin. Johnson gagne la course la les yeux fermés. The road to ruin : plutôt la route du rock que le chemin de la ruine, c'est un peu comme ces plats de pattes plates qui doivent leur saveur aux ingrédients épicés que l'on rajoute. Ne jette pas non plus un cigare allumé dans le réservoir à gazoline. Alabama jail : l'état le plus raciste des USA, pays démocratique qui peut vous offrir bien des prétendants de haute tenue à cette première place, commence par un bruit de fers chevillés, l'on rajoute des froissements électrifiés pour rompre la monotonie, un peu tristounet l'est vrai que l'on n'est pas dans un hôtel cinq étoiles. Seven white horses '' Prisoner's dream'' : ballade ou berceuse d'un rêve de prisonnier à sa fenêtre, Orville nous sort sa voix la plus romantique, la plus désespérée, de la box s'élèvent des granules de notes fragiles comme une ménagerie de verre. Peut-être la piste la plus authentique de l'opus. Dommage que les paroles soient si répétitives. Folsom prison : une version de Cash un peu déjantée qui se traîne à ras la cellule comme un serpent à la colonne vertébrale brisée. L'on attendait une version plus imaginative que cet amas d'électricité qui rampe sans espoir. Ain't no grave : le vieux classique de Brother Claude Ely, avec hurlements de coyotes et sifflets de locomotive déchirant la nuit, une belle ballade country qui repose avant tout sur la voix d'Orville agrémentée de quelques chœurs, tout le reste c'est un peu de l'accompagnement, comme la salade que l'on sert pour servir de décor aux écrevisses malgré un petit solo central relevé à l'ail sauvage. Orville fait durer le plaisir, surtout le sien. The soul of a man : une reprise de BW Johnson, roi de la guitare évangéliste ( que voulez-vous, nul n'est parfait ) une belle introduction qui résonne comme un banjo, un début qui ne se concrétisera pas vraiment, l'on poursuit en easy listening, plus ou moins murmuré ou claudiqué. Sadness and shame : surprenant un petit côté jazzy-funk, pas trop non plus ne faut pas exagérer, la voix un peu mélodramatique prend le dessus, un petit air pale blue-eyed soul renforcé par la douceur de chœurs féminins. Nous sommes vraiment très loin des roots initiales avec cette compo d'Orville. Terrac-blues : Là on donne un peu dans la chansonnette mignonnette avec des oiseaux qui font cui-cui. Disons-le ce n'est pas du tout cuit. La country grand public se dissipe aussi rapidement que la fumée d'un cigare bien au chaud dans sa boîte millésimée. 35 south river blues : ouf une guirlande d'authenticité, Orville vous prend sa voix mâle d'aventurier que vous suivriez jusqu'au bout du monde en toute confiance, les poules gloussent, et tout le monde est heureux, même ceux qui sont morts. Les vaches meuglent, servent de pompom girls. Crazy mama : empruntée à J. J. Cale, idéal pour filer à la quenouille les notes sans fin, mais sur sa box Orville trotte menu du moins au début, se la joue au bluesman désespéré qui fait sonner une basse pas vraiment funèbre. Faut attendre la deuxième partie pour qu'il nous régale de ses notes piquées au cure-dents comme des olives dans le fond du bocal. Hélas, n'en restait pas beaucoup.

    Au final, un peu déçu. Manque un peu de poudre et de fougue à mon humble avis. Ce qui est sûr c'est qu'il ne joue pas au virtuose, n'est pas celui qui avance les doigts sur les cordes et les pieds en l'air, nous la joue cool, pépère, heureux, serein. Ne semble pas vraiment angoissé par la recherche de la note bleue ultime ou primordiale. Va son petit bonhomme de chemin, joue un peu sur les poncifs et les représentations country dument cataloguées. Mais c'est ainsi qu'il le voit, et il a raison de suivre ses propres visions.

    Damie Chad.

     

    *

    La pile de Cd's plus haute que moi c'est comme le pot de confiture, une cuillère à peine avalée vous y revenez, mais celui-ci a une drôle de consistance, pas vraiment compacte, plutôt une pâte feuilletée, examinons cette bizarrerie, le format d'un boîtier mais ce n'est pas un disc, cela me revient d'un coup, c'est un livre ! Pas de n'importe qui. De Flore Teneul.

    FLORE TENEUL

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    Rencontrée au Mima de Mirepoix, un festival de marionnettes, vous avez le In payant ( cher ) avec des compagnies officielles et reconnues. Beaucoup préfèrent le Off, moultement plus créatif et qui travaille au chapeau. Si cela ne vous suffit pas, vous avez le Out, qui s'installe un peu partout, libre et désorganisé, qui squatte chaque surface non occupée de la petite cité médiévale. Du monde partout, une cohue joyeuse et rieuse, c'est au bout des arcades de la place du marché que Flore Teneul avait délimité un espace d'une dizaine de mètres-carrés grâce à un velours pelucheux noir. Elle-même se tenait assise au bas du mur. Vêtue de noir. Ses cheveux blonds de fille du Nord n'en paraissaient que plus éclatants. Le public a fini par s'asseoir, les enfants devant, les adultes derrière, les chiens près de leurs maîtres.

    Flore Teneul nous tourne le dos. Flore Teneul n'est plus Flore Teneul, l'est devenue une espèce de chose noire informe, sa silhouette qui n'est pas très grande évoque l'architecture d'un donjon moyenâgeux massif et noirâtre, Magie de la contorsion. Le silence s'installe. L'on ne voit rien, mais elle bouge, l'on ne voit pas mais l'on sait que de l'autre côté sa tête descend, doit atteindre le point de basculement de gravité, mais elle tient son équilibre, la voici qui apparaît entre ses cuisses, renversée, le crâne enserré dans une calotte noire, son visage à contre-courant de la normale, le front en bas, mais les yeux nous regardent, les enfants ne mouftent pas un mot, les canidés ne bougent pas une oreille mais suivent du regard cette espèce d'être avortonesque – comment la délicieuse Cosette de tout-à-l'heure s'est-elle métamorphosée en Quasimodo – qui parle, une voix de gamine basse qui semble sortir de ses entrailles s'aventure dans une histoire. Difficile de trouver un sujet plus triste et plus scato, une petite crotte au coin d'une rue qui s'ennuie... sujet glissant, rappelons-nous que certains alchimistes fabriquent de l'or à partir de résidus excrémentiels, en tout cas le public immobile marche, et suit bouche ouverte, l'on aimerait connaître la suite de l'épisode, mais au bout de quelques minutes c'est fini, lorsqu'elle se retourne pour saluer elle précise que ce n'est que la première scène d'une œuvre en devenir, une espèce d'opéra-crotte synesthésique qui accrochera d'après nous aux agrès de l'art du conte et du cirque les anneaux de la poésie et de la musique.

    Ce serait dommage qu'elle disparaisse si vite, non elle a des livres à vendre, patientons quelques minutes le temps qu'elle récupère les piécettes de la recette et échange quelques bisous avec son copain. La voici. Un beau livre, que je feuillette, mais la terrible malédiction des chacals de Béthune est sur moi, je n'ai que peu de monnaie au fond de mes poches, je n'emporterai donc que ce modeste format CD :

    MON MONSTRE

    FLORE TENEUL / ARTHUR HUBERT

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    C'est petit mais ça a de la gueule. Ça vous arrache même la vôtre au premier regard. Le texte est d'Arthur Hubert duquel j'ignore tout. Flore Teneul vient d'achever un cycle de trois ans d'études de dessin à l'Ecole Nationale Supérieure La Cambre de Bruxelles. Elle s'adonne à ce que j'appellerais au dessin sauvage, un entremêlement de traits filamenteux tracés au stylo bille. C'est quoi cet embroussaillement, ce n'est pas que l'on ne voit rien, c'est que cela vous saute aux yeux et vous devez régler votre regard. Un nez de pitre trop jovial pour être honnête, un visage dépenaillé, cette bête possède des jambes, un bras, et une chevelure buissonnière. Le titre vous permet de comprendre, c'est un monstre une espèce de fœtus macrocéphale hurlant, aux dents coupantes, l'adjectif possessif '' mon'' vous permet de comprendre qu'il appartient à Flore Teneul, qu'il est du moins une expression de son moi, de sa féminité, de son sexe prêt à croquer le monde. Femme-flamme, femme-feu, femme-fontaine, femme-fleur, son corps n'est qu'un cri, un pistil qui détient en lui la perpétuation du monde. Forêt pubienne et clair matin des aurores nietzschéennes. Le monde est une représentation monstrueuse de l'élan vital. Une volonté énergétique excédentaire. N'ayez pas peur. Riez, souriez, le monstre arbore son gros nez rouge de clown. Un petit côté grotesque qui n'est pas sans rappeler l'esprit de la Trilogie noire de Verhaeren.

    Le texte d'Arthur Hubert n'est pas de reste. L'a compris que cette émanation rugissante, ce chardon urticant, cette boule de remontrances, trahit un désir de vivre sans limite et de connaissance sans entraves. Cinq dessins, cinq dards empoisonnés de sarbacane effrontée, Flore Teneul affirme sa présence avec une superbe insolence. Elle se regarde dans son propre miroir pour s'affronter à elle-même.

    Voilà je ne sais pas grand-chose d'autre sur Flore Teneul. Qu'elle est la fille d'artistes de land art, qu'elle joue de l'accordéon, mais cette manière toute simple, sans forfanterie, d'habiter son propre corps et son propre esprit, de se mouvoir avec cette aisance qui n'appartient qu'à elle, comme une ballerine-coquelicot sur les talus de nos désastres qui nous servent de décor, une attitude foutrement rock 'n' roll, une graine voyageuse aventurée dans l'ouragan de sa jeunesse – elle est née en 1999 - qui cherche sa terre au croisement arable des bauxites du songe et des arts, dans le seul but que s'épanouissent ses talents, tout cela flamboie d'aube et de promesse.

    Une artiste. A suivre.

    Damie Chad.

     

    OEUVRES / TOME II

    AUSTIN OSMAN SPARE

    LE DESSIN AUTOMATIQUE / lE FOYER DE LA VIE

    lE LIVRE DE L'EXTASE HIDEUSE / LA VALLEE DE LA PEUR

    ANATHEMIE DE ZOS / GALERIES DE DESSINS

    ( Traduction : PHILIPPE PISSIER )

    ( Editions ANIMA / 2021 )

     

    Nous avions présenté dans notre livraison 330 du 25 / 05 / 17 le premier tome des Oeuvres d'Austin Osman Spare. Ce deuxième volume s'inscrit dans la même esthétique, grand format de 292 pages, papier bouffant, typographie soignée. Si la couverture du Tome I s'auréolait d'une alchimisante couverture oronge triomphale, celle-ci d'un jaune éblouissant est à considérer comme la geste d'une véritable xantho-érotologie. Les éditions Anima cornaquées par Vincent Capes se sont attelées à une tâche gigantesque qu'elles mènent depuis plusieurs années sans défaillir. Qu'elles soient remerciées ici pour leur engagement hautement méritoire.

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    Pour ceux qui ignoreraient Austin Osman Spare ( 1886 – 1956 ) rappelons qu'il fut un artiste pictural. Cet adjectif n'est pas à entendre selon sa plus triviale acception, si ce livre présente une galerie de dessins de Spare il ne faudrait pas en conclure que Spare fut, entre autres, un dessinateur émérite. Pictural définit moins le terme de peinture ou de dessin que le geste même de l'artiste fomentant par son art et son œuvre une induction poétique sur le monde. Il ne s'agit de réaliser un beau dessin, mais par le tracé de la main sur la feuille, d'ajouter, retrancher, apporter, une modification à la réalité mondaine. L'on ne s'étonnera pas que Austin Osman Spare se soit lui-même définit en tant que Magicien. Il connut Aleister Crowley, mais se sépara de lui, la Grande Bête ne lui faisait pas peur, sans doute pensa-t-il que ses gesticulations ostentatoires – Crowley fut un ardent publiciste – s'harmonisait trop à la tunique écarlate de la Grande Prostituée, il était de ceux qui préfèrent s'entourer de silence pour mieux s'affronter à l'Innomable.

    Le premier tome présentait l'œuvre sigilaire de Spare. Répétons-le, le dessin ne consistait pas pour Spare en une plate représentation d'un objet quelconque. L'entrevoyait plutôt comme une concentration d'un point focal en lequel convergeaient les courbes de l'espace que son crayon retrouvait et inscrivait sur une feuille. Une espçce de mytho-mathématique supérieure appliquée. Le sigil est à considérer comme la mise à jour graphique d'une nodalité de forces soumises à une forte concentration. Une espèce de métaphore agissante de ces entremêlements cauchemardesques que l'on nomme nid de serpents. Bouclier mental de défense et de puissance.

    L'introduction de Phil Baxter permet d'entrer de plain-pied – s'il a du talon nu effarouché quelque gazon de territoire – dans la pensée de d'Osman Spare, en cette étape que l'on pourrait qualifier de post-sigilique. L'acquisition de la puissance est en quelque sorte une preuve, mais si l'on y réfléchit bien elle est aussi le signe de notre faiblesse puisque nous avons besoin d'elle pour interagir sur le monde. Quelque part, même si nous sommes victorieux, nous avons dû pactiser avec ce que vous voulions réduire à notre merci, l'exercice de la puissance est surtout le signe de notre manquement à dominer l'univers, l'individu se doit s'auto-suffire de sa propre souveraineté. Le Mage se doit de ne pas agir, tout se résout dans sa tête. Lancer un sort, c'est sortir de soi-même, c'est déjà ne plus être soi. S'amoindrir de soi-même.

    Suivent cinq textes théoriques de Spare. Nous octroyons ici au vocable théorique le sens de méditation, que le lecteur ne le prenne pas en sa signification de réflexion précédant l'action, ce serait un dommageable contresens. Spare essaie d'y voir plus clair en lui-même, c'est la seule manière pour que le monde perde son obscurité. Si ces textes devraient être herméneutiquement rapprochés d'ouvrages connus, un seul livre s'impose : Ainsi parlait Zarathoustra, c'est dire la beauté et la force nietzschéennes de certaines de ces pages. A la différence près que le seul disciple de Spare serait Spare lui-même. Textes philosophiques donc, qui se situent au-delà de tout moralisme kantien mais qui prennent racine dans le Moi absolu de Fichte.

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    A part que si Spare semble s'inscrire dans la mouvance de l'idéalisme absolu allemand, s'il trouve refuge dans la citadelle inexpugnable du Moi, il refuse de s'y laisser enfermer. Il possède une autre forteresse qu'il visite régulièrement. Celle du Je, qui est sa porte de communication avec le monde. Pensons à Hesse, à Narcisse qui reste enfermé dans l'abbaye et Goldmund qui s'en va folâtrer dans les champs de blé...

    S'arracher au monde en tant que déploiement physique est facile, quelques rochers, quelques herbages, rien de bien essentiel, mais s'extraire de la quintessence du désir du monde magnifié dans le corps de la femme est plus difficile. D'autant plus difficile qu'il ne s'agit pas de s'infliger les mortifications chrétiennes de privation de la chair. Essayer de jouer à faire avancer la Reine sur un plateau d'échecs sans la toucher, juste avec la force de votre esprit, nous vous promettons bien du plaisir.

    Comme toujours en méta-physis, la difficulté réside en le mouvement. Comment influer le monde sans bouger. Cruel Zénon nous apporte une solution peu satisfaisante, si vous voyez la flèche se planter dans le cœur de la cible, c'est que vous vous trompez. Votre vue n'est pas bonne, elle est illusoire. Spare évite ce faux-semblant. Si la flèche de votre action sur le monde quitte l'arc de votre tête c'est qu'elle bouge, que vous sortez de vous-même que vous agissez dans le monde.

    Surtout ne pas sortir du Moi pour se rendre dans son Je. C'est le contraire c'est le Je qui doit se rendre dans le Moi pour y mourir. Mais si le Je se meurt, c'est vous qui mourez car le Je est votre implantation mondaine. Ce qui ne vous empêche pas de renaître puisque votre Moi subsiste. C'est ainsi que vous devenez le maître de la réalité du monde.

    Cela peut sembler abstrait. C'est oublier le principe d'équivalence des mécanismes de la pensée. Privilégiez le mécanisme et pas le contenu. Vous cherchez la souveraineté absolue, remplacez-là par l'extase. Recherchez l'extase en vous-même et vous la trouverez. Nombre de lecteurs évoqueront les termes d'onanisme intellectuel. Cela est dû au fait que la pensée ésotérique anglo-saxonne est selon moi trop tributaire de ses racines chrétiennes.

    Les dessins splendides. A regarder comme les atermoiements de Spare entre son Moi et son Je. Les envisager selon leur apparente immobilité relève du non-sens, ils sont des stades, des bornes qui servent à visualiser une dynamique. Le lecteur distrait dira : superbes dessins de nus. L'être humain est surtout connu pour proférer des stupidités dans son existence. Il est nécessaire de les entrevoir en leur immobilité agissante. Spare ne dessine pas le monde, il ne le reflète pas, certains dessins sont de véritables rites que Spare s'adressait à -même, ils sont de terribles instants de solitude, d'extraction du monde, d'autres sont des approches, des vols qui n'ont pas fui pour reprendre les mots de Mallarmé.

    C'est un livre difficile, de toute beauté, il faut remercier Philippe Pissier pour la beauté et la justesse de sa traduction. C'est grâce aux efforts inlassables de Philippe Pissier que les lecteurs français peuvent approcher l'œuvre d'Aleister Crowley. Quelques rockers se demanderont ce que vient faire la chronique de cet ouvrage dans leur blogue préféré. Qu'ils réécoutent Led Zeppelin...

    Damie Chad.

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 476 : KR'TNT ! 476 : GENE SCULATTI / SEAN TYLA / IENA / C' KOI Z' BORDEL / THE TRUE DUKES / HEAVYCTION / DANIEL BOONE

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 476

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    17 / 09 / 20

     

    GENE SCULATTI / SEAN TYLA

    IENA / C' KOI Z' BORDEL / THE TRUE DUKES

    HEAVYCTION / DANIEL BOONE

     

    Sculatti là mon vieux, il est terrible

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    Paraît ces temps-ci un recueil d’articles de Gene Sculatti, Tryin’ To Tell A Stranger About Rock And Roll - Selected Writings 1966-2016. Sculatti ? Pas très connu en France, sauf par ceux qui surent choper en son temps le fameux Catalog Of Cool. Comme l’indique le titre, Sculatti y dresse un catalogue de la coolitude en huit chapitres, Sounds, Screen, Ink, Threads, Good Looks, Rest ‘N’ Rec, Tube & Wheels. Sounds concerne les disques (Abba, le Velvet, les Flamingos, Swamp Dogg, etc.), Screen les films (James Bond au temps de Sean Connery, etc.), Ink les livres (l’autobio d’Ozzie Nelson, le père de Ricky, etc.), puis il passe aux fringues, aux endroits et aux bagnoles. Pour l’époque c’était bien vu. Disons que The Catalog Of Cool est à l’Américain distingué ce que Sawdust Caesars - Original Mod Voices de Tony Beesley est à l’Anglais distingué.

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    Dans une courte et brillante introduction à Tryin’ To Tell A Stranger, Sculatti se définit comme un vétéran de toutes les guerres : «Né à San Francisco en 1947, j’appartiens à ce que j’appellerais la première génération de fans de rock, ceux qui furent assez jeunes pour avoir été secoués par Elvis, enchantés par les sixties des Beatles, des Stones et de Dylan, réanimés par le punk et qui aujourd’hui se posent continuellement cette question : que vais-je donc pouvoir écouter cette semaine ? The only cohort to have experienced it all in real time», oui cette génération qui a eu la chance de vivre tout ça en direct. Sculatti rappelle aussi qu’il a passé sa vie à écrire sur le rock, aussi bien dans des gros canards kiosqués (LA Weekly, Rolling Stone, etc.) que dans les zines du temps jadis (Crawdaddy, Mojo-Navigator Rock & Roll News,etc.) ou contemporains (Ugly Things). Oui mais bon, attention, Sculatti peut aller sur le meilleur (Beach Boys ou Gary Usher) comme sur le pire (Springsteen ou Madonna). C’est un regard purement américain sur le rock américain qui souvent ne correspond pas au regard européen. Pour ce recueil, il a sorti des textes de toutes les époques et les a classés par décennies : sixties, seventies, et the aughts/Aughts-teens, avec un afterword intitulé : These days.

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    Les Beach Boys figurent dans les deux premiers chapitres et semblent être restés le grand amour de Sculatti, comme ils le sont restés pour tous ceux qui ont suivi le groupe à la trace à travers toutes les époques. Dans un texte qui date de 1968, Sculatti rend sans doute le plus bel hommage jamais rendu à Brian Wilson, le voyant comme «l’un des plus grands mélodistes du rock, avec Lennon/McCartney, John Phillips et Smokey Robinson». Il parle de Pet Sounds comme d’un album révolutionnaire, ça on le savait, mais il le compare surtout à Rubber Soul, the definitive ‘rock as art’ album. Pour Sculatti, Rubber Soul, Pet Sounds et Aftermath sortent du même moule. Selon lui, tous les groupes importants de l’époque sont tombés sous le charme de Pet Sounds. Il cite les noms de Yellow Balloon, the Association, du Grateful Dead, des Beatles d’«A Day In The Life», de Van Dyke Parks et même des Who. Il rend hommage à tous les albums des Beach Boys qui ont suivi Pet Sounds et s’appesantit particulièrement sur Friends - may actually be their best - il le voit comme the culmination des efforts menés avec Pet Sounds, Smiley Smile et Wild Honey. Tout cela est extrêmement passionnant. Sculatti parle de strong melodies et conclut avec ce smash : «C’est un autre exemple de ce qu’est aujourd’hui la musique la plus originale et la plus consistante qu’on ait pu créer.»

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    Dans un article de 1973, Sculatti récidive et en même temps élargit le champ de vision, pour indiquer qu’autour des Beach Boys prolifère une sacrée faune de surdoués : il appelle ça the nucleus of California-rock family : «Jan & Dean, Phil (P.F.) Sloan and Steve Barri and Don Altfield, writer-singers Bruce Johnston, Terry Melcher and Gary Usher, session men like Glenn Campbell and Leon Russell.» C’est vrai que ça grouille de légendarité. Sculatti entre dans le détail pour rappeler que Johnston et Melcher avaient un groupe en 1963, les Rip Chords, et que Roger Christian et Gary Usher composaient pour tous ceux que ça pouvait intéresser : Dick Dale, the Hondells, Astronauts, Wheel Men et Surfaris, dont le «Surfer Joe» nous dit Sculatti, est un classique proto-punk. Puis il rentre dans le détail des session men, rappelant qu’Hal Blaine et Leon Russell jouaient sur le «Mr. Tambourine Man» des Byrds. Que Terry Melcher produisit les deux premiers albums des Byrds ainsi que les Raiders, très populaires à l’époque. Que Bruce Johnston produisit aussi les Raiders avant d’intégrer les Beach Boys en remplacement de Glenn Campbell qui remplaçait déjà Brian Wilson en tournée. Il cite aussi Lou Adler qui produisit Jan & Dean avant de driver les carrières de Johnny Rivers, de Barry McGuire, des Mamas & the Papas, de Scott McKenzie, du Monterey Pop Festival, de Spirit, de Carole King et de Cheech & Chong. Le panorama que fait Sculatti de la scène californienne des Sixties est éblouissant. Il ramène à la lumière le nom de Curt Boettcher, qui collabora un temps avec Gary Usher et dit que son album solo paru sur Elektra est l’un des biggest delights of 1973. Coup de projecteur aussi sur Spring, ou American Spring, un duo composé de Marilyn, la femme de Brian Wilson et de sa sœur, qui auparavant firent partie de the Honeys, un surf/girl group que produisit aussi Brian Wilson. Sculatti salue leur album paru en 1972 - a perfectly delightful album - et il conclut le chapitre Spring avec cette phrase qui met l’eau à la bouche : «No doubt that Spring has the potential to be a very big part of what’s about to happen in music.»

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    On parlait plus haut de Gary Usher. C’est la raison pour laquelle il faut rapatrier ce book. Sculatti y republie son Gary Usher interview de 1971 et seulement publié en 2002 dans un zine nommé Scram. Sculatti rappelle dans son chapô que Gary Usher produisit the Notorious Byrds Brothers et des soft-rock gems by Sagittarius et Millenium. L’interview est de celles qu’on traite de mythiques. Quand Sculatti attaque en lui demandant comment il a démarré dans le business, Usher répond ça : «Je travaillais dans une banque. National Bank in Berverly Hills. J’habitais chez mon oncle. Il était comme mon père. Mes parents étaient partis vivre à Lake Tahoe. Un soir, j’entendis de la musique dans la rue. Mon oncle me dit que des gamins avaient formé un groupe. Alors j’ai traversé la rue pour aller les voir. Je me suis présenté. C’était la famille Wilson. L’aîné c’était Brian. On est devenus très vite amis. On a décidé de composer des chansons ensemble. On tapotait sur le piano. J’avais appris quelques accords de guitare.» Plus tard, Gary Usher monte les Four Speeds avec Dennis Wilson : «Dennis vivait chez moi quand j’avais mon appartement. Un jour, on est allés à Tijuana et j’avais pris de la Benzedrine. On a écrit deux chansons dans la bagnole, «RPM» et «Stingray». On est rentrés et on a enregistré les chansons.» Gary Usher rappelle aussi que Jan Berry et Dean Torrence étaient un peu les enfants des Beach Boys, qui ont aussi inspiré Terry Melcher. Et quand Sculatti lui demande si Dick Dale a lancé la surf music, oui, bien sûr. «Dennis Wilson fut le premier Beach Boy à faire du surf. Il connaissait Dick Dale, les vestes Pendleton et tout le reste. Je n’ai jamais surfé. J’étais juste un hot-rod freak. I had a 409. Un jour, on roulait vers Los Angeles pour aller chercher une pièce pour ma bagnole et j’ai dit ‘écrivons une chanson qui s’appelle 409’, et on va faire un truc du genre giddy up giddy up, c’est le son du moteur, horses for horsepower, pour rigoler. On est rentrés, on a mis trois accords là-dessus et ça a donné un million-dollar car craze.» Ce qui frappe le plus dans cette interview, c’est l’incroyable simplicité du style, aussi bien dans les questions que dans les réponses. On est au cœur du mythe et Usher parle de ça comme s’il parlait de la pluie et du beau temps. Soudain, Usher entre dans le détail du son : «Personne ne comprenait le rock comme on le jouait. C’est ce qu’on appelait des straight eights avec l’accent sur le quatrième beat. C’était la base du son. Un truc de feeling. Peu gens avaient ce feel. Brian l’avait. Terry Melcher et Jan Berry aussi. Terry et Bruce Johnston ont enregistré «Little Cobra», ils s’appelaient les Rip Chords et je chante sur pas mal d’albums de Jan & Dean. Jan ne chantait pas trop, mais il avait de bonnes idées de production. Il travaillait avec Lou Adler. Lou ne comprenait pas le feel, mais il savait que Jan avait du talent et il s’est occupé de lui. C’est l’une de ses forces.» Puis Sculatti explique comment Dick Dale s’est planté, avec ses quatre albums pour Capitol. «Ils ont sorti Dick Dale de son environnement et ça n’a pas marché. En 1965, il était découragé et il est parti s’installer à Hawaï. Il a joué là-bas et s’est fait un public. Il est revenu en Californie et a acheté un club à Riverside, the Dick Dale Club. Il y joue chaque semaine et c’est plein. Je voulais le signer sur RCA et l’enregistrer. Pour moi, il était une légende vivante. Quant à Jan & Dean, c’est autre chose. En 64 ou 65, six mois après «Dean Man Curve», Jan a failli se tuer dans un accident de voiture. Il conduisait une Corvette. Il roulait sur Sunset Boulevard, il a tourné et heurté une bagnole garée. Mauvaise blessure au crâne. On ne croyait pas qu’il allait survivre à l’opération. Il a survécu. Mais il n’est plus tout à fait normal. Maintenant, en 1971, il est redevenu normal à 80%, après l’avoir été à 40%. Il devrait redevenir tout à fait normal dans quelques années. Quant à Dean, il n’a jamais chanté sur les albums. Il n’a jamais pu développer son talent. C’est un type très gentil, très agréable.»

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    Sculatti saute ensuite de la scène hot rods à la scène folk-rock. C’est là qu’Usher tire l’overdrive : «Les Byrds étaient les premiers, puis les Grass Roots avec Sloan et Lou Adler, puis les Mamas & The Papas, the second wave of California music.» Puis il évoque Peanut Butter Conspiracy, the Sons Of Adam qu’il a signés en 1965. Usher rappelle aussi qu’il a fait partie du staff Columbia, qu’il a fait un album avec Gene Clark et quatre avec les Byrds, deux avec Chad & Jeremy, quelques cuts de Bookends avec Paul Simon & Roy Halee, puis bien sûr Saggitatius. Et là c’est Usher qui demande à Sculatti s’il connaît cette scène. Oui bien sûr, Sagittarius, puis Millenium avec Curt Boettcher, un rock que Sculatti qualifie d’intellectual Association-type thing. Alors Usher écrase le champignon : «On les a faits juste après ceux des Byrds. Je ne sais pas s’il s’agissait d’un ego-trip, je voulais juste expérimenter mes trucs. J’avais une chanson intitulée «My World Fell Down» que je voulais enregistrer avec Chad & Jeremy. Ils ont refusé. Je savais que c’était un hit. Alors je l’ai enregistré. C’était la première fois qu’on utilisait un 16 pistes. J’ai synchronisé deux 8 pistes, mis des repères sur les bandes, puis je les ai mixées. Ça a marché. C’est Glenn Campbell qui chante là-dessus. Comme il était sous contrat avec Capitol il a dit qu’il allait maquiller sa voix. Bruce Johnston était là aussi, parce qu’il enregistrait «Heroes & Villains» dans le studio voisin. Il joue sur plusieurs pistes. Contrairement à ce que les gens racontent, ce projet n’a rien à voir avec les Beach Boys. Brian n’a rien à voir avec ça.» Et quand Sculatti demande si les albums de Millenium et Sagittatius se sont bien vendus, Usher dit que oui, bien sûr. Il rappelle surtout que Curt Boettcher a produit Millenium. Sculatti revient aux Byrds et demande à Usher s’il s’entendait bien avec eux. Pas du tout. «Je portais les cheveux courts. Je viens de «Younger Girl» par les Hondells. Les Byrds étaient ultra hip et portaient les cheveux longs. Ils m’ont un peu rejeté à cause de mon look. J’en ai bavé pour gagner leur respect. Il m’a fallu quatre mois. C’est avec Younger Than Yesterday que j’ai enfin gagné leur respect. Pas facile de se faire respecter par David Crosby, croyez-moi. Il est très pointu en tout. Pareil pour McGuinn. Finalement, on s’entendait bien. On a fait Notorious Byrds Brothers, l’un des albums préférés de Jac Holzman. Quand j’ai rencontré Mick jagger il m’a dit que j’avais produit son album favori.» Usher rappelle aussi qu’il a monté son label, Together Records, mais ça n’a pas marché, même en sortant le fameux Preflyte des Byrds.

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    Bon alors après, on passe à des choses nettement moins sexy : une interview de John Lennon en 1973 (où il rend hommage à Ann Peebles, Al Green, au Todd Rundgren d’«I See The Light» et à Charlie Rich), puis un hommage aux Ramones publié dans Creem en 1976 («Ramones : quatre mecs, 14 chansons de 2 minutes, trois grands accords, efficacité, poésie, goût. L’art n’a rien à voir avec les Ramones. Ni le blues, ni les impros ni les pedal steel. Ces speed-crazed cruisers font du white American rock’n’roll, dans une lignée qui va d’Eddie Cochran à Iggy en passant par leur loft du Bowery.»). Sculatti s’étend aussi longuement sur deux mythes purement américains, les Four Seasons et Dion. Son texte sur les Four Seasons date de 1987 et figure sur une antho Rhino Records. Il leur accorde une fine and private place dans l’histoire du rock américain, the hot link between Fifties and Sixties models. Ils sont à ses yeux les East Coast Beach Boys, avec à leur actif 90 millions de disques vendus en 20 ans. «Comme les Beach Boys, les 4 Seasons gave the Beatles a run for their money, en updatant un genre Fiftees, le doo-wop, pour les Sixties. À la différence des Beach Boys, Frankie Valli, Bob Caudio, Nick Massi et Tommy DeVito étaient d’abord des chanteurs et non un rock’n’roll band à guitares. C’est ce qui a permis aux 4 Seasons d’échapper au laminoir du Sixties Beatles sound. Ils sont restés intouchables pendant toute cette décade. Alors que les stars de l’époque se montraient nues sur des pochettes et fréquentaient des gourous, les 4 Seasons continuaient de faire des albums. Qui comptent parmi les plus grands disques pop.» Sculatti n’y va pas de main morte et il a raison. Il cite «Candy Girl»/«Marlena» comme one of the choisiest twin spins ever waxed. Et il n’en finit plus de citer des exemples de gros hits qu’on ne connaît en fait qu’à Little Italy. Il rappelle aussi que Frankie Valli enregistra des choses superbes pour Motown à Los Angeles (Mowest en fait) et qu’il laisse en héritage un wealth of stirring supremely American music. On trouve plus loin une interview de Frankie Valli, mais il n’y a rien a en tirer. Sculatti veut juste rencontrer l’une de ses idoles.

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    Tiens tant qu’on est dans les ritals, voilà Dion qui fut, nous dit Sculatti, la première rock’n’roll star chez Columbia. C’est Dion DiMucci qui nous explique ce qu’est le Bronx Blues : «Vous mélangez le R&B, le street-corner doo-wop, un peu d’Hank Williams, vous filtrez ça dans un quartier italien plein de wiseguys et vous sortez ça avec attitude, like Yo !» Et il ajoute plus loin que ce Bronx Blues, quel que soit le nom qu’on lui donne, ne vous quittera jamais, believe me.

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    Sculatti passe brutalement de Dion à Screamin’ Jay Hawkins avec un texte somptueux intitulé Cow Fingers and Mosquito Pie. Dans ce texte écrit pour Epic Records en 1991, Sculatti déclare : «Il est l’un des derniers grands R&B shouters issus des early Fifties à la suite de géants comme Roy Brown et Wynonie Harris. Il est aussi une légende du rock. Il a vendu des millions d’«I Put A Spell On You», un hit repris par Sarah Vaughan, Alan Price, Them, Creedence et a influencé tout le monde, depuis Alice Cooper jusqu’à George Clinton, en passant par tous les metal-gloom-doom outfits qui parlent de voodoo en croquant des capsules de sang. I mean he invented flashpots, baby.» Jay dit qu’il a tout fait pour être différent. «Si vous voulez me traiter de crazy, do it. It makes sense to me, tough, cause I can go to the bank on it.» Sculatti repend le fil de l’histoire : «Jalacy J. Hawkins n’a pas vendu beaucoup de disques, même s’il en a enregistré un paquet, pour des labels comme Tinely, Gotham, Mercury et Wing, et même Atlantic, entre 1952 et 1955. Jay se souvient de son expérience avec Atlantic, il enregistrait «Screaming The Blues» pour Jerry Wexler. Il m’a arrêté 5 fois pendant la prise. Il s’est mis à gueuler : ‘No no no, je veux que tu chantes comme Fats Domino, man !’ Alors je lui ai dit : ‘Now listen, Fats est bien parti, he’s doing okay. Je chante avec Tiny Grimes et je chante la chanson que j’ai choisie. Si vous voulez Fats, allez le chercher !’ Il s’est remis à me gueuler dessus et je lui ai mis mon poing dans la gueule.» Pas étonnant qu’on ne trouve pas de trace de Screamin’ Jay sur Atlantic. C’est un producteur nommé Arnold Maxim qui insista pour que le vieux Jay chante son Spell avec folie - live up to its weird title - Pour créer l’ambiance, Maxim transforma la session d’enregistrement en pique-nique, fournit au groupe des côtelettes grillées, du poulet, des patates, du vin, de la bière, du whisky et laissa tourner la bande. On connaît la suite. Tout ce dont Jay se souvient c’est qu’ils ont démarré le morceau lentement. «Une semaine plus tard, j’étais suis chez moi et on m’a amené un 78 tours of the thing. I put it on, I played it again and again. Je croyais qu’ils m’avaient menti, ça ne pouvait pas être ma voix. Alors j’ai essayé de reproduire cette façon de chanter. J’ai tordu ma bouche comme ça et comme ça. Je n’y arrivais pas. Alors je me suis versé un grand verre de J&B Scotch, l’ai avalé cul sec et là je pouvais chanter comme sur le disque.» Avec Jay on n’en finit plus de se marrer. Il termine en disant qu’à sa mort, il ne veut pas qu’on l’enterre. «I’ve been in too many damn coffins already !»

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    Sculatti fait aussi quelques fixations : Tony Bruno avec The Beauty Of Bruno, et Ron Nagle, auquel il consacre le dernier article du recueil daté de 2015 et paru pour la réédition du cultissime Bad Rice qu’on a tous acheté puis revendu. On l’avait déjà acheté sans doute à cause de Sculatti qui en a toujours fait l’apologie. Ron Nagle est surtout important pour sa fréquentation de Tom Doanhue, un personnage mythique de la scène de San Francisco, puisqu’il découvrit Sly Stone et qu’il lança les Beau Brummels sur son label Autumn Records. Il revendit son label à Warner en 1966, mais il fut aussi le premier à enregistrer le Grateful Dead et The Great Society avec Grace Slick. Sur son label on trouvait aussi the Mojo Men et Harper’s Bizarre. Puis Warner lui offrit un job de producteur et c’est là qu’il signa Ron Nagle. Warner était alors le hottest label in the business. Quand Ron Nagle demande à Donahue d’avoir Jack Nitzsche comme arrangeur, Donahue dit ok. Jack et Ron s’entendent à merveille, Jack qui en a pourtant vu des vertes et des pas mures, ne tarit plus d’éloges sur Ron qu’il traite de «best undiscovered songwriter around».

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    Alors évidemment, avec un book comme celui là, on n’en finit plus de réécouter des trucs : Four Seasons, Tony Bruno, Ron Naggle, Spring. Et ce n’est pas fini. Dans un texte intitulé «Who Killed Rock’n’roll», Sculatti fait un panorama des mutations et redit sa foi dans le rock, via les découvertes improbables et il cite comme exemples les rééditions Norton de Gino Washington et le Gear Blues de Thee Michelle Gun Elephant, sorti sur Skydog. Il fait aussi l’apologie d’un album tombé dans l’oubli de Dick Campbell, Sings Where It’s At. Il insiste beaucoup pour dire que ça vaut la peine de le dénicher. Alors dénichons, comme dirait Henry Miller. Sculatti fait aussi une douce apologie du Here & Now de Dorsey Burnette, qu’on eut le fringuant plaisir de dénicher récemment sur la seule foi du nom et d’une délicieuse pochette. Sculatti y va fort et il a raison : «Burnette sounds like a soul saved.» C’est son premier album sur Capitol, «big-production countrypolitan album, the perfect habitat for that soulfoul booming baritone. Think P.J. Proby minus the overt mannerisms, with a Tennessee accent.» Sculatti parle d’un country album «robust, real, life-filled, worth it», et il a raison.

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    Sur la page d’en face, il attaque un texte consacré aux deux albums mythiques de Chicago blues produits par Marshall Chess : Electric Mud et The Howlin’ Wolf Album. Chess et l’arrangeur Charles Stepney collèrent Muddy face à un orchestre de huit personnes comprenant un flûtiste, un sax amplifié et les mad guitar slingers Pete Cosey et Phil Upchurch. Wham bam ! On connaît le résultat - delicious noise-stew thick with polyrhythms and fonked-up solos. Think David Axelrod’s Songs Of Innocence with more focus and meat and fat on its frame. Muddy - et plus tard Wolf qui se retrouva avec the same crew - devinrent de simples briques dans le mur, comme Darlene Love ou Ronnie Spector. But what a wall ! - Fuzz, wah tout y est, Sculatti se permet même de comparer ça à Cream et Sabbath qui jammeraient ensemble.

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    Dans un petit texte sur le TAMI show publié dans Ugly Things, Sculatti rend un superbe hommage aux Stones : ils furent à ce moment-là, en 1964, the most liberating, revolutionary act around. That’s why they have to be cherished. Il évoque aussi les prestations dans le même show des Miracles, de Lesley Gore, des Beach Boys et de Chuck Berry et il conclut ainsi : «C’est la preuve irréfutable que la grande époque de la pop eut bien lieu, qu’un très vaste public appréciait cette musique et ces artistes. Profitez-en, car ça ne risque pas de se reproduire de sitôt.» Il rend aussi un hommage émouvant à Captain Beefheart - Il m’est impossible d’imaginer le monde moderne sans la musique de Captain Beefheart - Pareil pour nous, Gene. Il signe aussi en 2013 un papier sur les Doors, rappelant qu’en 67, il vit les vit pour la première fois au Fillmore Auditorium - I almost thought they were a joke - Quoi, les Doors un gag ? Il ne comprend rien au jeu de scène de Morrison qui feint de s’évanouir sur scène et qui se relève - What is this ? Euripides ? - Sculatti fut finalement sensible à la musique des Doors, mais il ne savait que penser de tous les artifices théâtraux.

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    On va terminer avec l’un des fleurons de ce recueil, a Brief History of Buddah Records, une histoire passionnante troussée en six pages. Artie Ripp commence par engager Bob Krasnow comme A&R sur la West Coast. C’est Krasnow qui sort Safe As Milk sur Buddah. Puis Ripp engage Neil Bogart, un young hot-shot formé chez Cameo-Parkway à Philadelphie. Questions Mark & the Mysterians, c’est lui. «Bogart savait déjà promouvoir ce type de super-basic record and just blow it out - bang-o !» Comme Mickie Most, Bogart ne raisonne qu’en termes de hits. Il lance aussi les Ohio Players. Puis il ramène Kasenetz & Katz, et pouf, ça vire bubblegum, une vraie usine à hits, à commencer par «Yummy Yummy» des Ohio Players et «Simon Says» de Fruitgum Co. Buddah explose, courtesy of Kasenetz-Katz producing’s and Bogart’s pushing. En 1967, Buddah est dans le peloton de tête des labels indépendants, ils ont du pop-rock grand public (Lou Christie, Motherlode) et distribuent deux labels mythiques, Curtom (Curtis Mayfield) et T-Neck (Isley Brothers). Mais cela ne suffit pas pour tenir face aux appétits des carnassiers. Ripp dit que pour résister comme le font Atlantic ou Motown, il faut des Arethas, des Ray Charles et des Dylans. Ce sont les stars qui vendent des albums, pas les groupes de bubblegum. Pourtant, Buddah distribue des pointures, Melanie, Gladys Knight et le Superfly de Curtis, mais cela ne suffit pas. En 1973, Neil Bogart quitte Buddah pour fonder Casablanca et fait fortune avec Kiss et... la diskö - The House That Disco Built - On se demandait après la fin de Buddah comment un label spécialisé dans le bubblegum - des disques destinés essentiellement aux enfants et aux adolescents - pouvait avoir fait paraître un album de Captain Beefheart - It was an odd place for the dada captain to begin - Puis un conglomérat nommé BMG réanima le cadavre de Buddah et réédita Melanie, Waylon Jennings, les Flamin’ Groogies et Henry Rollins. Comme la vie peut être bizarre. Vous avez dit bizarre ? Comme c’est bizarre.

    Signé : Cazengler, sculotté

    Gene Sculatti. Tryin’ To Tell A Stranger ‘Bout Rock’n’Roll: Selected Writings 1966-2016. Create Space Independent Publishing Platform 2016

     

    Tyla ou Tyla pas ?

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    Pauvre Sean Tyla. Sa disparition est passée complètement inaperçue. La presse anglaise lèche plus facilement les bottes de cadavres célèbres. Sean Tyla ne fut que menu fretin. Dans les seventies, on ne savait déjà pas trop quoi faire du pub-rock, un genre trop rustique pour les esthètes et musicalement trop pauvre pour les fans de prog qui pullulaient à l’époque. Genesis et Yes remplissaient les grandes salles alors que les Ducks Deluxe et autres Brinsley Schwarz jouaient dans les pubs des faubourgs de Londres. D’un côté on avait les vestes brodées et les capes de satin, et de l’autre les vieilles chaussettes puantes et les dents cariées. D’ailleurs quand on le voit sur la couverture de son livre, on comprend tout de suite que Sean Tyla ne se lave jamais les dents. On voit aussi sur la table tout l’attirail du pub-rocker : le verre d’alcool, le billet roulé pour sniffer la coke et le cendrier rempli de bons vieux mégots. Une façon très directe de planter le décor.

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    Quand il monte les Ducks Deluxe en 1972, Sean Tyla est déjà vieux. Il va rester vieux tout le long de sa carrière jusqu’en 2013. Faites le compte vous-mêmes. Ce vieux pépère un peu ours avait pourtant des fans, notamment en France et dans les groupes de reprises, ceux qui jouaient un peu avec le feu en tapant dans les Groovies, les Dolls ou les Mary Chain. L’un des joyaux de la couronne s’appelait «Fireball» qui fut et qui reste l’un des cuts magiques de l’histoire du rock anglais. Rien que pour «Fireball», Sean Tyla mérite le plus grand respect. Au moins autant que les Stones pour «Jumping Jack Flash» ou les Damned pour «New Rose».

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    Nous voici de nouveau à la croisée des chemins : soit on entre dans l’histoire de Sean Tyla par le livre, soit on y entre par les disques. Optons pour le livre. Il s’appelle Jumpin’ In The Fire et vous imaginez bien qu’il n’était pas en vitrine des libraires. Si on apprenait son existence, c’était par hasard, au détour d’une conversation de comptoir. Quoi ? Ah bon ! Bah dis donc ! L’a écrit un livre ? Ah bah dis, tu m’en diras tant ! Savais pas qu’il écrivait des livres... Tyla lu ?

    Alors forcément après ça, on ne pouvait plus faire marche arrière. C’est l’époque où on commandait encore des books chez Smith, rue de Rivoli. Ils n’eurent aucun mal à le trouver. La semaine suivante, il était là. Oh c’est pas un gros livre, à peine 200 pages, mais en commençant à le feuilleter dans le RER de retour au bercail, on voyait bien qu’il avait du caractère. Il faut savoir que Sean Tyla est réputé pour la qualité des chansons qu’il compose. Il est donc logique que certaines pages de son autobio sonnent comme des paroles de chanson : «Je me suis débrouillé pour survivre à la folie des années 70 et 80, une époque où les managers et les maisons de disques étaient particulièrement corrompus et ineptes, où la coke était pure à 95 % et où la bouteille de Jack était votre seule amie. On testait les organismes jusqu’au point de rupture, j’ai passé 200 jours par an sur la route entre 1972 et 1984, propulsé par la musique et livré aux demons of the boogie night, abruti de drogues et d’alcool.» Et il continue, toujours aussi lancinant : «L’insanité était l’élément clé du business. Que ce soit pour cultiver votre ego ou vous remplir les poches, les risques que vous preniez pour votre santé étaient énormes. Ils fallait desserrer quelques boulons et faire preuve d’une certaine bravado pour ça. Aujourd’hui, les artistes semblent passer autant de temps à la salle de sport que sur la route. Ça paraît logique, mais je ne sais pas quelle répercussion ça peut avoir sur la musique. Sur scène, je continue de jouer comme avant, même si je suis conscient de mes limites. J’ai presque 64 ans et pas 21. J’ai arrêté les drogues en 1982, arrêté de boire il y a douze ans et arrêté de fumer quand j’ai été diagnostiqué.» Encore une histoire de vieux pépère qui a bien fait le con et qui ne se plaint pas trop, finalement.

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    Puis au fil des pages, tout s’éclaire. Sean Tyla admire Jimmy Webb et Burt Bacharach, ce qui explique son goût pour les grosses compos. Il se retrouve assez vite payé par Lionel Bart pour écrire des chansons et entre un beau jour en studio avec la crème de la crème du gratin dauphinois de l’époque pour l’enregistrement de Gulliver’s Travels, une comédie musicale : «Clem Cattini on drums, Herbie Flowers on bass, Chris Spedding on guitar, Mike Moran on piano, Frank Ricotti on percussion and Madeline Bell, PP Arnold, Lindsay Duncan, Tony Rivers and Tony Burrows on backing vocals.» Ça dure un an, Tyla s’enrichit mais il en bave : «J’apprenais vite. Entrer dans le music business, c’était comme de glisser sur le tranchant d’une lame de rasoir en utilisant ses couilles pour freiner. Il ne fallait croire ni faire confiance à personne.»

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    Il forme les Ducks Deluxe en 1972 et passe aux choses sérieuses. Il commence par rencontrer Martin Belmont qui est roadie des Brinsleys. Puis Nick Garvey qui est roadie des Groovies. Quant à Tim Roper, personne se sait d’où il vient, nous dit Tyla. «Le rock’n’roll est un poison contre lequel il n’existe pas d’antidote. L’expérience des Ducks fut un voyage de non-retour. J’étais une coquille perdue sur une mer de rêves. J’ai été aux quatre coins du monde avec le groupe et poussé mon esprit et mon corps dans leurs limites. Mais là, on était en route pour Durham avec les Ducks et nous n’avions que 7 livres à nous quatre.» Malgré leur popularité, les Ducks ne roulaient pas sur l’or. La seule explication pourrait être la relative faiblesse de leurs deux albums, Ducks Deluxe et Taxi To Terminal Zone parus sur RCA en 1974 et 75. Ces deux albums ne tiennent que par la présence de «Fireball» et cette intro de rêve amenée d’un coup de Watch out ! Dommage que les autres cuts de l’album ne soient pas aussi fringants.

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    Au fil des années, on a souvent réécouté ces deux albums et on éprouve toujours une sorte de déception. Tyla ne chante pas tous les cuts, c’est Nick Garvey qui se tape l’Ama/havanah de «Nervous Breakdow». On appelait ce premier Ducks l’album des reins brisés, à cause de trucs comme «I Get You» ou «Hearts On My Sleeve». C’est un album globalement assez calme qui se termine avec une belle cover raunchy d’«It’s All Over Now», chantée par Nick Garvey, pas par Tyla. Quant à Taxi To Terminal Zone, laisse tomber.

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    On trouve dans le commerce une petite compile de trois Peel Sessions datant de 73, 74 et 75. Comme toujours, les Peel Sessions font la différence, le «Fireball» de 73 est just perfect, bien soutenu par la frappe sèche de Tim Roper, oh what a world. Ils chantent the songs we knew. Même leur «Coast To Coast» passe mieux que la version studio. Quelle énergie, baby ! Martin Belmont fusille tous ses solos. Il n’a jamais eu un son aussi killer. Leur version de «Bring Back My Old Packard», c’est quasiment «Love In Vain» avec des échos d’«Honky Tonk Woman». Gimme gimme gimme sweet lovin’. Ils redémarrent en 74 avec «Fireball» et un son moins cru. Mais ça reste un hymne, oh what a world. En 75, ils attaquent avec «Paris 9» et une belle giclée de son. C’est là qu’on réalise à quel point Martin Belmont est excellent. Les Ducks explosent chez Peely. Il faut entendre le travail que fait Belmont en embuscade dans «Jumpin’ In The Fire». Il joue des phrasés tordus et simples à la fois. Belmont est un boogie-man, comme Tyla. Leur coup de Fire sonne comme une épopée. Encore une énorme compo avec «Amsterdam Dog». Crépusculaire et pesante. Tyla aime à se vautrer dans le gutter mais il le fait avec une certaine grâce.

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    Dans son book, Tyla brosse un très beau portrait de Marc Zermati. Il le rencontre en 1974, lors d’une tournée européenne de Lou Reed. Les Canards jouent en première partie. «Marc était un vrai fan de musique, fondateur de Skydog et propriétaire de l’Open Market, a veritable bazaar de disques rares de garage américain. Il avait monté Skydog trois ans avant Stiff. Il avait aussi monté avec un autre Français, Larry «Green Beard» Debay, le premier réseau de distribution indépendant en Europe, Bizarre Distribution. On est devenus amis et on l’est toujours aujourd’hui. Il allait avoir une importance vitale pour tous les groupes dont j’ai fait partie. On s’est rencontrés ce soir-là à l’Olympia. Zermati était un visionnaire qui flairait les talents, tous ceux que ne voyait pas l’industrie musicale. Il sentait le next big thing. Les gros labels lui proposaient de l’embauche mais il préférait conserver son indépendance. Il n’a jamais cédé.»

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    Il n’est donc pas surprenant de voir paraître All Too Much sur Skydog. Oh what an album ! On y retrouve l’excellent «Amsterdam Dog» enregistré en 75 chez Peely, amené sur petit canapé de cocote. Ce vieux renard du désert qu’est Tyla sait siffler sa menthe à l’eau. Sous sa casquette à carreaux, il bascule dans une espèce de magie balladive, ça tourne au mythe. Tyla chante au mieux des possibilités du genre. C’est très impressionnant. Même son «Cannons Of The Boogie Night» sonne les cloches. Tyla le traîne dans la boue. Il est dans la vérité. Heavy boogie classique mais inspiré. Il allume jusqu’au bout de la boogie night. Il revient à son vieux fonds commerce avec «Moonlight», un boogie de rêve gorgé de swagger britannique. Ils font aussi une version d’«I Fought The Law» grattée au clair de clairette de London Underground. C’est aussi sur cet album que se trouve le fameux «Jumpin’ In The Fire», joué dans les règles de la Stonesy. Ça frise même un peu le glam. Tyla est dessus, ça se laisse écouter, même si c’est cousu de fil blanc comme neige. C’est d’ailleurs le seul reproche qu’on puisse faire à Tyla et aux autres pub-rockers : le classicisme.

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    On trouve dans le Tyla book un autre épisode pas très flatteur pour Marc. Une histoire tragi-comique, un promoteur suisse qui ne veut pas payer et en voulant planter son cran d’arrêt dans la main du promoteur, Marc a raté son coup et s’est épinglé la sienne sur le bureau comme un papillon. Ce qui pourrait expliquer le fait qu’il n’aimait pas trop qu’on parle de ce book.

    Comme déjà dit plus haut, les Ducks ne roulent pas sur l’or. Dans son book, Tyla nous raconte un épisode anecdotique qui illustre bien ce sombre aspect des choses. En 1978, ils se retrouvent en tournée avec Rush. Le bassiste de Rush qui s’appelle Geddy Lee vient trouver Tyla dans la loge pour lui demander pourquoi il reprend la route tous les soirs après les concerts, et Tyla lui explique qu’ils n’ont pas de blé pour l’hôtel. Tyla dit aussi qu’ils jouent à l’œil. C’est ça ou rien en Angleterre. What ? Geddy Lee n’en croit pas ses oreilles. That’s crazy ! Et Tyla lui répond comme l’aurait fait Jean Gabin : I know. Alors Geddy Lee décide de changer tout ça. Il propose 500 £ par concert et prend en charge la bouffe et l’hôtel. Tyla n’en revient pas. Un vrai conte de fées.

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    Avec ses faux airs de double live qui ne sert à rien, Last Night Of A Pub Rock Band joue pourtant un rôle essentiel dans l’histoire brève des Canards. Paru sur le label hollandais Dynamite Records en 1979, ce double live propose en fait le dernier concerts des Canards au 100 Club, le 1er juillet 1975. Tim Roper et Nick Garvey avaient déjà quitté le groupe, remplacés par Billy Rankin (drums) et Mickey Groom (bass). On n’écoute pas ça pour la qualité du son, mais pour l’ambiance. On découvre que les Canards avaient un choix de reprises assez intéressant : deux covers de Fog («Proud Mary» et «Have You Ever Seen The Rain» reprises illuminées par le jeu de Martin Belmont), de Dylan bien sûr («The Mighty Queen» et «Knocking On Heaven’s Door»), de Chuck Berry («Run Rudolph Run» et «Little Queenie») et des Stones (Brown Sugar» et «Midnight Rambler» que massacre Bob Andrews). Ils attaquent leur set avec «Fireball». En B, «Amsterdam Dog» confirme tout le bien qu’on pense de ce big heavy balladif et ils terminent avec «Going Down The Road», moment chargé d’émotion qui illustre la fin d’un groupe et d’une époque. Au dos, le mec du label écrit : «Alors les Ducks jouèrent leur ultime cut, «Going Down The Road» et rentrèrent à la maison.»

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    Après la fin des Ducks, Tyla produit des groupes, notamment Little Bob. En 1976, le jour de la Saint-Valentin, il rencontre McLaren et les Pistols dans un West London restaurant. Tyla est accompagné de Marc Zermati qui voulait signer les Sex Pistols sur Skydog - J’avais la dégaine du parfait greaser et eux looked like a collection of electrocuted fist-aid kits in tartan - Les Pistols demandent à Tyla ce qu’il a produit et il répond Shirley Bassey, ce qui fait éclater de rire Steve Jones. McLaren dit à Tyla et Marc de passer voir jouer le groupe le soir-même à Butler’s Wharf. Tyla trouve le groupe mauvais sur scène - I just didn’t get it so I passed. Marc loved them but, obviously, never got to sign them - Ainsi va la vie. Qui était à l’affût une fois de plus ? Zermati himself.

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    En 2007, Tyla remonte les Ducks avec Martin Belmont, Kevin Foster (bass et ex-Doll By Doll) et Jim Russel (drums, ex-Wild Angels et ex-Inmates). Ils enregistrent quatre albums ensemble, à commencer par un mini-album, Box Of Shorts. Malgré d’évidentes bonnes volontés, Box Of Shorts peine à convaincre. Tyla ramène sa fraise de clear blue sky & footprint in the sand dans «Tremolo Bay» et reste très formel avec ce «Dig It Deep» bien tempéré. Il fait de la vieille Americana dans «Long John» et sonne comme un étrange mélange de Dylan et de Dr. John. C’est justement Dylan qui sauve l’album avec «Absolutely Sweet Marie». Ça se passe entre deux big songwriters. Tyla chante le Dylan jeune avec la voix du Dylan vieux. Les attaques du grand Martin Belmont rentrent bien dans le lard de la matière. S’il faut retenir une cover de Dylan, c’est bien celle-ci. Tyla tisonne la légendarité, il chante de toute sa force tranquille. Encore une belle leçon de savoir-vivre qui ne profitera pas à grand monde, vu la désuétude dans laquelle sont tombés les Canards.

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    Il existe aussi un live à Monte-Carlo enregistré par la même mouture des Canards en 2011 et paru sous le titre Riviera Shuffle. Tyla sort la grosse artillerie pour «Paris 9» et ramène son sens aigu de l’énormité. Ils font en fait la promo de Box Of Shorts avec «Diesel Heart», «Dig It Deep» et «Red Dust Highway». Ce qui frappe le plus, c’est l’incroyable présence de Tyla. Il dégage tous les a-priori. Mais c’est Jim Russell qui vole le show avec son fouetté de fûts dans «Dig it Deep». Il joue avec une extrême agilité, mais aussi comme un fauve à l’affût. Tyla reste fidèle à sa manie des heavy balladifs, avec un Belmont en contrepoint toujours prêt à tailler sa bavette. Ils ressortent le vieux «Coast To Coast» pour l’occasion. Tyla s’amuse bien avec son vieux tagada. Ça finit par sonner comme un classique. Mais avec une section rythmique aussi parfaite, il ne craint rien.

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    Puis en 2010 paraît Side Tracks & Smokers, une compile avec un seul original, «Twist Of Fate», qui est en fait une cover de Bob Dyaln, mais enregistrée en 2009. C’est monté sur un dub sound et Tyla le chante jusqu’à l’ass de l’os. On croirait entendre le vieux Dylan. C’est assez pénible. Comme dirait l’autre : «Vinyle jaune ! 25 euros chez Gibert !». On trouve là-dessus une série de raw mixes datant du premier album des Ducks, du big heavy rock anglais d’accords lumineux. On se réveille un peu avec une série de B-sides de singles, notamment «Bring Back The Packard Car» et l’excellent «Two Time Twister». Les clameurs sont au rendez-vous, ça frise à nouveau la Stonesy, avec un vrai sens du story telling. C’est une fois de plus le boogie rock de rêve. La grande aisance de Tyla est un spectacle extraordinaire. L’album se termine avec une série de cuts live enregistrés en 2009 à Monte-Carlo. Jim Russell bat «Johnny Too Bad» comme plâtre. Ils ne font qu’une bouchée du vieux «Willie & The Hand Jive» de Johnny Otis. C’est tapé dans les règles du lard. Ils ramènent aussi leur science du heavy gut avec un vieux rock de Canard nommé «Long John». Et tout explose avec «Styrofoam». S’ensuit une version de «Teenage Head» qui dure 9 minutes, ce qui n’est pas forcément une bonne idée.

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    L’ultime coin-coin des Canards date de 2012 : c’est un album live, Rockin’ At The Moon, enregistré à Londres. It got my head real tense ! Eh oui, ils attaquent avec «Fireball». L’occasion est trop belle de re-savourer ce chef-d’œuvre. Il s’agit d’un rock d’une autre époque, celle des frissons du cuir et des choses de la vie. Tyla descend d’un ton au deuxième couplet. Bien sûr quand on le jouait, on jouissait dans son futal. «Fireball» était the real deal, claqué à l’accord avec du redémarrage en côte. L’autre point fort du live est le vieux shoot de «Willie & The Hand Jive». en fait, ils retapent dans tous leurs vieux coucous de Canards. Sur scène, les Canards se montrent à la hauteur de leur réputation : le son est excellent, section rythmique Foster/Rusell impeccable, avec en plus Belmont et Brinsley Schwarz. Ils amènent «Daddy Put The Bomp» à la vieille cocote des connaisseurs et ce démon de Tyla fait danser le rock’n’roll. Son Daddy est une pure merveille. Il peut gueuler, on est avec lui, down in the swamp, Daddy put the rock in my soul. Ils réussissent l’exploit de foirer l’intro de «Teenage Head», mais la suite est bien. Ils terminent avec un «Coast To Coast» d’antho à Toto. Décidément, rien ne vaut une bonne chanson.

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    En 1977, Tyla monte le Tyla Gang avec Bruce Irvine, un guitariste canadien, Michael Desmarais (drums, ex-Winkies) et Brian Turrington (bass). Ils se retrouvent sur l’un de labels en pointe de l’époque, Beserkley Records. Le premier album du Tyla Gang s’appelle Yatchless. Le hit de l’album se niche en B et s’appelle «The Young Lords» - They know they’ll get/ They’ll get through to you - Fantastique ! Tout repose sur le power du refrain. Avec cet album, Tyla privilégie les heavy balladifs, comme «Dust On The Needle», et Bruce Irvine joue ses bons vieux accords bien gras du bide. On a bien compris que Tyla ne cherchait pas à réinventer la poudre. L’A s’écoule paisiblement et s’achève sur un «Speedball Morning» que Tyla chante dans l’ombre d’une voix menaçante. «Don’t Shift A Gear» vaut pour un joli coup de boogie rock qui refuse obstinément d’aller éclater au firmament, en dépit un réel vivier de compétences. On trouve un autre hit en B : «Whizz Kid», back on the saddle again, doté d’un vrai texte de carburator deng - Motorcycle ride and brand new Dylan leopardskin pill box hat - Ne perdons pas de vue l’essentiel : Tyla est un lyricist exemplaire.

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    Il rend à nouveau hommage à Marc Zermati en évoquant le second festival de Mont-de-Marsan. Tyla pense que son groupe ne colle pas avec l’affiche, mais Marc veille au grain et les met à l’affiche du deuxième jour, juste après Little Bob. Pour Tyla, ce show est le meilleur de sa carrière. Un journaliste anglais alla même jusqu’à dire que le Tyla Gang fut le meilleur concert du week-end. Tyla se retrouva en première page du Monde avec le titre : «Un Nouveau Christ ?». Il dit encore que sans Marc, il ne serait pas devenu ce qu’il est devenu : «Il a fait ça pour l’amour de la musique et des fans. On lui doit énormément. Honte sur ceux qui l’ont oublié.»

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    Le deuxième album du Tyla Gang s’appelle Moonproof. Pareil, c’est l’album d’un seul hit, mais quel hit : «Suicide Jockey», lui aussi planqué en B comme une faute non avouable. Ça sonne pourtant comme une bombe. On pense au «Screwed-up» de Mick Farren : vrai son de Gang, chant gras double et sharp riffs. Avec cet album, Tyla va plus sur la grosse prod. Il va même friser le Springsteen sur certains cuts, ce qui n’est pas bon signe. On sent le vieux pépère à l’affût du succès. C’est en B que se joue le destin de cet album, avec «Spanish Sheet», presque un hit, très relaxé, suivi d’une «No Roses» monté sur un riff délicat et vainqueur à la fois. On sent clairement une volonté de hit, avec une mélodie intrigante et des effets mesurés. Avec «American Mother», Tyla va chercher le groove et les chœurs de filles évaporées. Il est bon quand il fait son Max la Menace et renoue avec les vieilles vibes de «Teenage Head». Il boucle sa B avec «Flashing In The Subway», une belle flambée de fin de non recevoir. Le Tyla Gang sait piquer sa crise, ils n’ont besoin de personne en Tyla Davidson. Bruce Irvine sait jouer le killer solo flash, il sait infecter un vieux cut.

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    Retour à Skydog en 1998 avec ce Blow You Out du Tyla Gang, une espèce de compile parue au Japon. On y retrouve un «Suicide Jockey» (1977) qu’on prend en plein poire dès l’ouverture du bal d’A. Very big cocoting. Tyla ne rigole pas avec la cocote. Il claque le meilleur (pub)rock d’Angleterre et chante à la coulée de bave. On possédait tous ce single Skydog à l’époque. C’est d’ailleurs le Tyla de la pochette qu’on retrouve en illustration de cet obituary. Tyla chante son Suicide Jockey jusqu’à l’ass de l’oss. Il chante son root down here. Blow You Out grouille de hits, comme par exemple «Whizz Kids» ou encore «Cannons Of The Boogie Night». Tyla sonne comme un chef de gang. Fabuleux boogie-man ! Et puis bien sûr «Styrofoam», le hit du voyou Tyla. Il chante comme un punk. Le seul qui a essayé d’en faire une star, c’est Marc. «Styrofoam» (1976) est aussi l’un des singles magiques de l’époque. Le plus frappant c’est peut-être la ressemblance avec Dr. John : même génie de la diction. Il y a aussi une ressemblance physique entre Dr. John et Tyla sur certaines photos, à cause de la barbe et de la prestance. «Paris Boogie» figure aussi sur Blow You Out. Difficile d’échapper à la grandeur du boogie anglais. On y reste avec «Texas Chainsaw Massacre Boogie». Pour l’amateur de boogie, c’est un régal. Tyla y fait son Américain de derrière les fagots de London. Il se prend pour un simili-Canned Heat et chante à la revancharde, il ne laisse rien au hasard, c’est un artiste complet.

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    Paru en 2010 sur Jungle Records (associés londoniens de Marc), Rewired propose un ensemble de choses extraordinaires, notamment les démos qu’enregistra le Tyla Gang en 1978 pour un troisième album qui devait s’appeler Whaleback et qui n’est jamais sorti, car Beserkley venait tout juste de les virer. Les bandes furent effacées mais Bruce Irvine réussit à conserver des cassettes et ce sont elles qu’on peut entendre dans Rewired. Tyla fait du glam d’ours mal léché avec «Jungle Of Love» et il chante «Bar Du Telephon» avec une voix de pervers sexuel qui bave sur sa veste. Il remet aussi en service l’excellent «Amsterdam Dog» on the run of the cocote sourde et se tape avec «Out On The Run» un vieux shoot de friendly boogie - I’m back on the run - Wow Tyla on te fait confiance, pas la peine de gueuler comme ça. Bruce Irvine prend le relais et ça tourne au big heavy power balladif. Tyla fout le souk dans sa médina. C’est «On The Street» qui ouvre le bal avec son big heavy sound et on retrouve à la suite des versions datant de 1977 et 1978 de «Styrofoam» (belle dégelée de Teddy Bear, avec un Irvine en embuscade), de «Dust On The Needle» (joué à la cocote sourde comme un pot), «No Roses» (Wrong baby you’re wrong, Tyla gratte la corde sensible du heavy balladif - Ain’t got no roses to send) et puis voilà «Moonlight Ambulance», heavy balladif de London dope craze qui ne sert à rien. Le disk 2 est un live enregistré dans une cave d’Epernay et notre vieux Jean-Jean qui était le premier fan de France du Tyla Gang (mais aussi de Chris Bailey) s’était rendu à ce concert. Il en reparlait chaque fois qu’il était défoncé. C’est vrai qu’il y a de quoi être traumatisé, si on écoute ça. Le concert démarre en force avec devinez quoi ? «Styrofoam», bien sûr. What an energy ! Dans les liners, Tyla nous dit que le concert fut enregistré sur un Aka 47, pardon, Revox A77 Mk III. Le son n’est pas jojo, Mike Desmarais semble jouer sur des caisses en bois, tellement le son est sec, mais le Tyla Gang passe en force. Ils jouent leur va-tout. Tyla revient à ses vieilles enclaves de middle rock d’envergure avec «Lost Angels». Il vise toujours l’excellence, même dans les caves d’Epernay. Il fait son big heavy Teddy Bear dans «I Don’t Want Your Love» et boom, tout explose avec «Suicide Jockey» - So instead of Stranglers, it’s Suicide Jockey - (oui car le Tyla Gang remplace au pied levé les Stranglers) et ça part en big rave up, sale merveille vénéneuse que ce riffing, pur jus de Tyla/Irvine, ça riffe à la poigne de fer. Puis Tyla annonce : «This one is called The Young Lords» (qui est oublié dans la track-list). C’est un hit phénoménal, incroyable intersection de l’intermission des protubérances pubescentes, le vieux Tyla fout le feu dans la cave, c’est un moment historique. Ces démons enchaînent avec «Cannons Of The Boogie Night» et «Fireball». Ils jouent le boogie le plus épais de l’univers. Absolute fucking genius. Il prend «Gonna Take Me Away» à la pire violence d’attaque frontale. Irvine passe en mode killer et le Tyla Gang descend aux enfers. Ils collent «The Muddy River» à la place de «Pool Hall Punks» (c’est curieux que le mec de Jungle n’ai pas corrigé cette erreur sur la pochette). La descente aux enfers se poursuit avec «Hurricane» qui n’est pas celui de Neil Young, mais il faut entendre Tyla bramer au sommet d’Hurricane. C’est un exploit sportif. Il va au-delà du possible et pousse encore des petits cris d’orfraie dans la frénésie du rumble. Il grimpe au sommet de son art. Comme on approche de la fin, il présente les musiciens. Ça se termine en apothéose avec «Whizz Kids», un nouveau shoot de heavy boogie idéal pour une cave à champagne. On se souviendra de ce live comme de l’un des plus grands du siècle passé et donc condamné à l’oubli. Oubli, régale-toi. Avale tout. Le seul bruit qu’on entendra bientôt sera le ressac des sargasses de la médiocrité.

    Après la fin des Ducks et du Tyle Gang, Tyla entame une carrière solo. Il va enregistrer quatre albums sous son nom.

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    Pochette ratée et zéro hit pour Sean Tyla’s Just Popped Out paru en 1980. Tyla sort la big prod pour ce «Breakfast In Marin» dont il se dit si fier dans son book. Des accents dylanesques parcourent les cuts et on voit qu’avec «Lonelyhearts», il cherche le hit, comme le cochon cherche la truffe. En B, il revient au big boogie avec «Credit Card Bash». Un nommé Bam King passe des solos intéressants. Bruce Irvine refait surface dans «Big Fat Zero» et rappelle le temps d’un solo éblouissant qu’il est un grand guitariste. Et puis avec «Chase The Fire», Tyla renoue avec la grande aisance du vieux Canard.

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    Pochette atroce et zéro hit pour Redneck In Babylon paru en 1981, année de l’élection de François Mitterrand. Tyla s’entoure d’une autre équipe, mais c’est toujours le même son. «Casino Queen» vire même rock symphonique. L’horreur. On retrouve le calme avec «Daddy Put The Bomp» et «Let Me Love You» se veut puissant comme un seigneur de l’An Mil. C’est le domaine du vieux Tyla, il cherche toujours à passer en force. Mais c’est pas bon, mon pépère. Inutile de persévérer. Par contre, le «Lands Of The Buffalo» qui traîne en B finit en puissance, in the land where the Buffalo roam. On sent nettement la puissance du songwriter dans le «Babylon Suite» en trois parties qui clôt l’album.

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    Notre Tyty des Batignolles finit ses années 80 avec Rhythm Of The Swing, un album qu’il vaut mieux oublier. Il y rivalise de putasserie avec Dire Straits. Il y perd son âme. Des fois c’est pas beau de vieillir. Avec «In The Blood», il taille sa bavette de balladif avarié. Il réussirait presque à nous faire pleurer, ce vieux schnock. Avec «Running On Empty», on sent poindre une immense fatigue. Il termine avec «Tripocal Love», un heavy balladif chargé d’ambition sentimentale qu’il s’en va gueuler par dessus les toits, comme un Verlaine ivre de misère et d’absinthe.

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    Sean Tyla refait surface en 2007 avec Back In The Saddle. Ne regardez pas la photo qui se trouve à l’intérieur, car Tyla ressemble à un Metallica, avec son Stetson en paille et ses lunettes noires. En plus il force un peu sur le guttural dans «Montanarama». Avec cette espèce de rock FM, on perd de vue le Teddy Bear. Il va trop dans le powerful m’as-tu-vu. Il propose plus loin une version longue d’«All Along The Watchtower». On l’attend au virage. Il tente le coup. C’est de bonne guerre - There’s too much confusion - Comment passer après Jimi Hendrix ? Il gorge sa version de distorse - And the wind began to howl - Le plan est foireux. Il tente l’impossible, mais l’impossible porte bien son nom. Tyla tente de passer en force. On finit par comprendre qu’il ne faut pas attendre de miracle. Les albums américains de Tyla deviennent aussi bizarres que ceux de Terry Stamp. Même si le «Cross Pony» est plus viandu, il peine à convaincre. En homme civilisé, Tyla déroule avec «Moon Falls Down» le tapis rouge d’un balladif qui ne sert à rien, mais il insiste tellement que ça finit par devenir beau. Extrêmement beau. Il finit par emporter la partie à coups d’until the moon falls down. Il développe son cut de manière spectaculaire, il est dans l’excellence, il joue tellement sur l’insistance du croyant que «Moon Falls Down» devient un hit génial. Tyla embarque littéralement sa compo pour Cythère. Ensuite, on le voit hélas se vautrer lamentablement avec «Fightin’ Fifty Boogie», il chante au mauvais guttural et traîne sa légende dans la boue en voulant sonner comme les Maiden ou les Judas, ça tourne au gag. Comment un mec aussi doué peut-il se vautrer ainsi ?

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    Comme il a remonté les Ducks, Tyla remonte aussi le Tyla Gang et enregistre Stereo Tactics en 2013. Encore un album sur lequel il est conseillé de ne pas faire l’impasse, ne serait-ce que pour cette fantastique reprise du «Breed» de Nirvana. Tyla jette tous son power dans la balance, ça sonne comme du surf-garage, mais punk as hell - She said ! She said ! - Cette folie lui va comme un gant. L’autre big hit s’appelle «Chinese Moon», il y prend de l’opium in old Shangai. Sans douce est-ce l’album le plus rock de Tyla, c’est en tous les cas ce que tendrait à montrer «That’s Rock’n’roll» - Up in the hills/ They’re cooking a new kind of blow - et pouf, il nous envoie nager dans des piscines remplies de dauphins. Le riffing y est aussi puissant que les lyrics - Got me a pick up that runs on aviation gasoline/ It’s got a thousand watt stereo and 90’’ plasma screen - Tyla sait élever un débat. Encore plus heavy et même défenestrateur, voici «Hard Road Rocker». Tyla chasse sur les terres du Comte Zaroff. Il sort son meilleur guttural - I love to ride the highway/ Burnin’ rubber on the road - Il raconte même qu’il boit du mescal in the morning/ It brightens up my day et il crache le feu le soir when the band gets up to play. C’est dingue comme Tyla sait planter un décors. Sa vitesse de prédilection reste la heavy cocote sourde, comme le montre «Blood On The Radio». C’est assez convaincu d’avance - Rock’n’roll is a hard road to ride - les paroles de «Deadhorse Run» tapent aussi en plein dans le mille - It’s a short way to hell I know/ To kiss the Devil’s ass - Sorti du contexte, ça paraît bizarre, mais replacé dans le contexte, ça ne l’est plus, croyez-le bien. Dans «Long Road Home», il sort cette merveille : «If I die with my boots on/ Only get myself to blame.» Il conserve cette inexpugnable ferveur du boogie. Dans «Runaway», il dit que tous les maux du monde viennent du diable - There’s nothing you can do/ When the Devil’s out top play - et Bruce Irvine se fend d’un beau solo flashy flasho. Avec ses chansons imparables, King Tyla est assis sur un tas d’or. Et dans un ultime réflexe politique, il rappelle que the needy feed the greedy. Il termine avec «Lock & Load», une chanson d’alerte rouge - Check the people !

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    En 2013, Tyla enregistre son ultime album dans son endroit préféré, the Akkurat Bar, à Stockholm. Ce Live In Stockholm est une sorte de best of explosif. On y retrouve tous les hits, mais aussi Bruce Irvine et Mike Desmarais. Tyla finit son histoire en bouquet et on note l’excellente santé du son dès le gros riff d’intro de «Cannons Of The Boogie Night». Nombreux sont les groupes qui aimeraient sortir un son pareil. Même «Dust On The Needle» qui passait pour un balladif passe-partout prend ici une résonance particulière. On sent le gang bien soudé. Mike Desmarais n’a jamais aussi bien frappé. Tyla oh-ohte ses fins de couplets comme un cake. Quelle belle dégelée ! Du coup, les heavy balladifs prennent leur envol : on admire la force tranquille de «Lost Angels» et le coucher de soleil de «New York Sun». Les gros solos de Bruce Irvine grésillent dans l’embrasement crépusculaire. Oui, Bruce nous brise. «Hurricane» sonne comme l’explosion du bonheur et «Texas Chainsaw Massacre Boogie» comme la pire des déboulades. D’ailleurs c’est avec elle qu’ils terminent. Oh mais il manque les hits ! Pas d’inquiétude, ils sont là, à commencer par «The Young Lords» qui renvoie aux grandes heures de Kim Fowley, même sens de l’underground radieux et des soudains éclats de lumière, avec un Bruce Irvine qui part en fibrille de solo et un Tyla qui tartine ses young Lords they knew. Ils nous font plus loin le coup de l’enchaînement fatal avec «Styrofoam» et «Suicide Jockey». Ils tapent dans le dur, comme on dit chez les Portugais. Tyla attaque dans le sharp du shock et Desmarais cogne comme un soudard. Aw, ces mecs réduisent le rock en bouillie. Bruce prend soudain son solo en levrette, lui taille une croupière avec la frénésie maladroite d’une belette avinée. Ces mecs sont des démons, ne vous approchez pas trop près d’eux. Surtout du Bruce qui sous des apparences de mec sympa pourrait bien être le pire killer qui soit ici bas. Ils font du «Suicide Jockey» une vraie pétaudière, on s’y attendait un peu. Les voilà devenus féroces et rebelles, ils jouent au pumping heart. Teddy Bear on the run, il est imbattable à ce petit jeu. Ces mecs sont le secret le mieux gardé du rock anglais.

    Signé : Cazengler, Tyla pas cent balles ?

    Sean Tyla. Disparu le 17 mai 2020

    Ducks Deluxe. Ducks Deluxe. RCA Victor 1974

    Ducks Deluxe. Taxi To Terminal Zone. RCA Victor 1975

    Ducks Deluxe. Last Night Of A Pub Rock Band. Dynamite Records 1979

    Ducks Deluxe. All Too Much. Skydog 1998

    Ducks Deluxe. The John Peel Sessions. Hux records 2007

    Ducks Deluxe. Box Of Shorts. Hawkhead Records 2009

    Ducks Deluxe. Side Tracks & Smokers. Jungle Records 2010

    Ducks Deluxe. Riviera Shuffle. Jungle Records 2011

    Ducks Deluxe. Rockin’ At The Moon. Mystic Records 2013

    Tyla Gang. Yatchless. Beserkley 1977

    Tyla Gang. Moonproof. Beserkley 1978

    Tyla Gang. Blow You Out. Skydog International 1998

    Tyla Gang. Rewired. Jungle Records 2010

    Tyla Gang. Stereo Tactics. Ball And Chain Records 2013

    Tyla Gang. Live In Stockholm. Angel Air Records 2014

    Sean Tyla. Sean Tyla’s Just Popped Out. Zlich 1980

    Sean Tyla. Redneck In Babylon. Zlich 1981

    Sean Tyla. Rhythm Of The Swing. Instant Records 1983

    Sean Tyla. Back In The Saddle. Hawkhead Records 2007

    Sean Tyla. Jumpin’ In The Fire. Soundcheck Books 2010

    MONTREUIL / 12 – 09 – 2020

    LA COMEDIA

    IENA / C' KOI Z' BORDEL

    THE TRUE DUKES

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    J'fais un peu la tête. J'aurais pu faire coup double cette semaine, en ces temps de disette deux concerts à la suite, peut-être mon nom aurait-il été inscrit en lettres d'or sur le livre des Records, je ne peux m'en prendre qu'à moi, complètement oublié que hier soir c'était soirée rockabilly avec les Ringtones au Pub Le Bacchus de Château-Thierry, double raison de ne pas rater l'affiche alléchante de La Comedia, le moteur rassurant de la teuf-teuf gronde sur la N4, les Dieux de l'Olympe compatissants oignent mon âme meurtrie d'un népenthes, revigorant, sur la radio une revisitation de la carrière du Led Zeppe ! Je gare la teuf-teuf alors que le Dirigeable achève Rock'n'roll, quel magnifique cri de guerre conviendrait mieux à la soirée qui s'ouvre !

    IENA

    Ne sont que trois. Loin de moi l'abjection abhorrée de dire du mal d'un trio de rock'n'roll, cette formation de base du rock électrique, mais Stéphane le chanteur est absent titillé par une vilaine bébête qui court les rues ces derniers temps. Donc trois qui se tiennent debout et stoïques, tels les grenadiers de Napoléon massés devant les troupes prussiennes attendant l'ordre victorieux de charger, le temps qu'un long sampler déroule sa musique, pas une catapulte de cavalerie, plutôt les anneaux quelque peu entremêlés d'une marche cadencée.

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    Sur votre gauche, une bonne fée, de fait une véritable sorcière aux doigts crochus, faut voir comme elle tire sur les cordes de sa basse. Vous les crochette avec l'habileté diabolique d'un cambrioleur s'attaquant à la serrure de votre porte d'entrée, vous n'avez pas réalisé qu'il est déjà ressorti avec l'argenterie de la famille, mais elle ne s'enfuit point à toutes jambes, elle se jette sur la porte de l'appartement voisin, vous monte et descend les quinze paliers de son manche en un temps record, pour dégringoler au fond de la cave, autant vous dire que ça swingue un max, au début vous n'entendez qu'elle, en plus il y a l'impact, elle tire et elle frappe, une volée de bastos qui vous percent le buffet, et vous coupent le souffle de la vie. Z'êtes tellement focalisés sur la mitraille de cette amazone qu'il vous faut quelques minutes pour réaliser qu'elle n'est pas la seule à bosser.

    Sur notre droite Eric, un roc dans la tempête. Guitariste et compositeur. Genre de gars qui a tout vu et tout fait. Statique. Le visage fermé. Oui mais c'est un subtil. Il est à la lead et vous ne savez pas où il vous mène, ne vous envoie pas une ribambelle de riffs dans les esgourdes, ne donne pas dans le spectaculaire, accorde sa confiance à l'auditeur, le juge assez doué pour qu'il suive. Ne pas le perdre de l'oreille, sinon vous errerez sans fin dans les structures labyrinthiques qu'il déroule avec un flegme étonnant, et puis il chante, comme pour lui-même, se lance dans d'étranges mélopées intérieures fascinantes. Pas un brin de séduction et tout le monde écoute avec attention. Une force persuasive tranquille

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    Michel Dutot, est à la batterie. Nous le connaissons, il est aussi le batteur de The True Dukes – les lecteurs à la mémoire alzheimerienne se repporteront à la livraison précédente – n'a pas la tâche facile, doit faire le pont ( important quand on s'appelle Iéna ) entre les abrupts dévissages des mains dansantes de la cigale Stéphanie et le sage fourmillement ramassé et industrieux des doigts de la fourmi noire d'Eric, s'en tire comme un chef, le fléau de la balance de la justice qui établit un équilibre parfait entre des modalités flottantes. Presque sans y penser, quelques coups, caisse claire et cymbale, et en trois coups de cuillère à peaux il vous monte la mayonnaise jusqu'au plafond. La preuve, n'ont-ils pas un titre nommé Black Icare ?

    On se serait contenté d'eux tout seuls, mais les amis sont au rendez-vous, Jyb le chanteur des True Dukes vient pousser la goualante sur L'hymne et en final sur Citoyens du Monde. Un boute-feu, nous y reviendrons plus tard. Mais aussi Isa – la chanteuse de The Red Truck, vous savez ce camion de pompiers squatté par des pyromanes – qui se déchaîne sur trois titres consécutifs, Stooges, Pixies, Rory Gallagher, trois tueries, même qu'elle termine sur une étrange danse du scalp, pas besoin de beaucoup d'imagination pour comprendre qu'elle est en train de découper en petits morceaux ensanglantés un pauvre prisonnier attaché au poteau de torture, et toute La Comedia l'encourage en hurlant de joie, en plus Iéna déverse sur la salle un son pistolien à vous donner envie de vous faire sauter la cafetière rien que pour le plaisir.

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    Un set trop court, juste pour comprendre que Iéna en a dans l'alambic. Ne sont pas nés de la dernière pluie. Savent tout faire. Une belle ouverture de concert, qui vous aiguise les dents à en rayer le parquet. Faudra les revoir à quatre.

    C' KOI Z' BORDEL

    Ne sont que trois. Mais pour eux c'est normal. Un peu comme quand votre gamin vous annonce que pour son anniversaire il n'a invité que trois copains. Les meilleurs, qu'il a ajouté. Mais en quoi ? Lorsque vous rentrez chez vous, votre appartement est ravagé et après l'envoi des photos l'assureur vous rappelle que les dommages de guerre ne sont pas prévus par le contrat.

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    Tableau d'honneur. Ou de déshonneur selon vos préférences idéologiques. Le meilleur en batterie, c'est Olivier. Du bois centenaire dont il nous brûle les oreilles. Une machine automatique. Quand il frappe, il frappe. D'abord il n'arrête pas. Impulse toute son énergie. En rajoute. L'en fait des tonnes et ça détonne. Claquements secs ultra-rapides à répétition. Si j'osais, j'écrirais qu'il met du cœur à l'ouvrage, à lui tout seul une compagnie de CRS s'activant consciencieusement sur les crânes de paisibles manifestants exerçant leur simples droits démocratiques de déambuler sereinement dans les rues, mais cette comparaison risque de ne pas leur plaire. Ce sont des teigneux. Ne s'en cachent pas. Des minutieux aussi. Fournissent les paroles et l'explication orale pour les intelligences obtuses au cas il y aurait dans le public quelques esprits non-avertis. Ainsi quand ils annoncent Les Nuisibles donnent des exemples, non ce ne sont pas les renards sanguinaires qui visitent vos poulaillers, mais les patrons, les juges, les policiers, les banquiers qui veillent sur notre bien-être d'esclaves soumis et notre sécurité d'ilotes apeurés par leurs ombres, parce que les stupides poulets saignés à blanc c'est nous.

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    Z'ont choisi leur camp, A coups de pelles dans la gueule, Allez tous vous faire enculer bande de bâtards, nous assène Cyril. Une belle voix, porteuse, un peu vrillée, qui s'enfonce dans vos tympans comme une vis sans fin, une trépanation idéologique qui vous fait du bien. Le tout agrémenté des cisailles de sa guitare, force de persuasion assurée. Maîtres mots : vitesse et précipitation. Ne laissent pas retomber la flamme.

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    Stéphane à la basse assure le grondement de base. Sur le même modèle que ses deux acolytes, partisan de la cabosse plein pot. Pousse sans ménagement la matière sonore au bulldozer, vous la ravachole de haut en bas, C' koi z' bordel déteste les temps morts. Ils aiment la vie pétillante et explosive. Colorée noir anarchie strié de jaune gilet. N'ont pas le punk sinistrose. Pas rose non plus. Ne vous laissent pas un instant de répit, enchaînent les titres sans rémission, ne sont pas cois mais foutent un bordel inimaginable, beau tangage devant la scène, une véritable fête, une crise aggravée d'épilepsie, pas du tout Waterloo morne plaine. Un régal. Se déguste brûlant. Garçons sauvages.

    THE TRUE DUKES

    A cinq sont un peu serrés sur la scène mais ça ne se voit pas, et pour être plus précis ça ne s'entend pas, because z'ont le son parfait, méchamment mis en place, aéré, une netteté étonnante, pas le gazouillis des petits zoziaux dans le jardin municipal, un true truc beaucoup plus percussif, les battements d'ailes de Quetzacoalt le serpent à plumes qui fonce sur vous pour vous déchirer les entrailles de son bec invincible. Le genre de désagrément que votre sensibilité exacerbée d'esthète rock'n'roll vous permet d'apprécier à sa juste valeur.

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    Dans ces cas-là ne faut pas désigner le coupable mais définir le responsable, ne se cache pas, l'est tout au fond contre le mur, et il distribue. Vous aimeriez savoir quoi ? Le silence. Cela peut sembler bizarre, car il fait pas mal de bruit, il a la frappe puissante et punchy de Sugar Ray Robinson sur le ring, il n'en abuse poing, il espace ses coups mais vous les abat avec un mortel aplomb, Micky Boys, le métronome, le maître homme, vous définit l'espace en espaçant les retombées de ses baguettes, sonne le tocsin sur sa grosse caisse pour galvaniser les troupes qui n'en ont pas besoin.

    Le Micky vous définit la structure, ne reste plus qu'à remplir les intervalles. Du boulot pour tout le monde, car entre les ogives de cette cathédrale punkézoïdale qu'il élève, vous avez les vides à combler de parois épaisses, attention les Dukes ne font pas expressément dans la dentelle, plutôt dans la pierre massive. La première qui s'y colle, c'est la basse de Kamboui, les deux mains en plein dedans, sa spécialité c'est les architraves, c'est vrai qu'il est un peu archi-grave, comment parvient-il notre mécano à refiler des lignes de basse aussi épaisses que les entablements des colonnes des grands temples antiques et en même temps à déployer sur leurs épaisseurs le swing d'une sculpture aux fines ciselures. Rajoute la feuille d'acanthe qui vous enchante.

    N'ayons pas honte de le dire, the True Dukes trichent dur. Plutôt trois fois qu'une. C'est leur truc, leur papier true-mouches, l'on n'aliène pas la sympathie des spectateurs avec de la soupe d'ortie, de temps à autres, ils sortent la grosse artillerie, trois guitares en même temps, et là ils sont imparables, rendent l'assistance totalement folle, la transforment en derviche tourneurs animés par des moteurs électriques. Des pales tournoyantes d'hélicoptères détachées de leurs rotors virevoltent sans frein devant la scène.

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    Sous son bonnet Riko affiche une sérénité sans égale. L'est tout sage avec sa guitare. L'est habité par intermittences de crises de démence. Peu spectaculaires, ne saute pas partout, l'a simplement les doigts qui ricochent sur les cordes, et alors là, pas besoin de taper sur la porte du paradis pour demander à entrer, Riko vous l'ouvre en grand. Tromperie sur la marchandise, c'est celle de l'enfer et vous voici encerclés sans rémission dans un riff infini de feu incandescent qui vous calcine la moelle épinière en moins de deux secondes. Vous pensez que vous finirez en torche vivante mais non Riko referme le vantail et vous vous retrouvez tout bête d'être encore là. Riko le riche n'est pas cruel, vous laisse entre les mains de Kikaï.

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    Un autre père de manche. Dans ses mains de géant, la guitare semble minuscule. Mais il en prend soin. La tient serrée avec sollicitude. Ressemble un peu au Duc ( pardon au Duke ) de Nevers dans Le Bossu de Paul Féval qui se bat en duel contre un groupe de spadassins, portant son bébé dans le repli de son bras gauche. Kikaï ne la quitte pas des yeux, la couve du regard, mais de ses doigts il vous file de ces terribles poinçons aussi efficaces que la terrible botte de Nevers, vous troue le front, vous transperce le cerveau à chaque fois. Vous tombez mort sur place en criant nevermore mais vous vous relevez aussitôt car never mort les coups d'épée maléfiques de Kikaï attisent en vous l'appétit de vivre.

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    Trois guitares de temps en temps car Jyb se déleste souvent de la sienne, un grand gaillard, sa haute taille et sa queue de cheval lui refilent l'allure d'un scalde échappé d'une antique saga nordique, ces récitants vénérés qui pour donner du courage à l'équipage et défier les Dieux, scandaient de farouches épopées sur les drakkars assaillis par les tempêtes. Plante ses dents dans le vocal et ne lâche plus, vous le mastique avec avidité, un molosse qui rompt un fémur de bœuf d'un seul coup de dents tranchant comme la lame de la guillotine. Vous passe le répertoire du groupe à la moulinette. Idem pour les reprises. Tout ce qui entre fait ventre, même cette version de Laid des laids de Gainsbourg qu'il vous épice sous forme d'hymne punk.

    Un set mené de toute folie, y'en a pour tout le monde, Eric de Iéna au micro, Kamboui passe son joujou à à Stéphanie qui nous montre avec quel savoir-faire ( ancestralement genré ) les filles savent s'occuper des nourrissons criards, Jyb dédie spécialement Le Mitard à Rachid qui au comptoir abreuve la foule, et puis je ne sais plus, The True Dukes ont La rage, La Comedia est transformée en émeute dans la cellule numéro neuf du pénitencier national covidique, que dire de plus, que cette soirée fut un régal rock'n'roll ! La preuve, Isa est remontée sur scène et nous a smashé Rock'n'roll de Led Zeppe, difficile de faire mieux pour boucler la boucle de cette soirée !

    Damie Chad.

    ( Photos : Isabelle Jarre )

     

    HYBRID COGNITION

    HEAVYCTION

    ( EP / Bandcamp / You Tube )

     

    Nous ont impressionné lors du concert ( voir chronique 475 ) de Château-Thierry, n'étaient pas comme le corbeau de la fable, n'avaient aucune galette vinylique ou cédéique à laisser tomber du haut de leur bec sur les foxes-fans affamés, juste l'indication de la possible connexion à leur EP vieux de trois ans. Donc nous sommes allés écouter. Et voir. Parce que sur YT vous trouverez le clip-vidéo.

    La première fois que j'ai déchiffré le nom du groupe, sur le T-shirt d'un gars qui n'arrêtait pas de bouger j'ai lu Heavaction. J'ai immédiatement traduit, heavy / action, ces gars-là vont nous bourrer le mou à la vitesse du mur du son, à part que là la balle nous foudroiera en retard bien après le son... ben non, le concept est beaucoup plus complexe que cela, heavyction c'est heavy et éviction. Cela vous concerne un peu, ne s'agit pas non plus de vous et de votre médiocre personne, mais de cette saleté de race humaine en son entier. Et pas par un malheureux virus mortel et proliférant. Par les machines. Un scénario de science-fiction maintes fois traité dans des films et des bouquins. Déjà Wells dans L'île du docteur Moreau, avait abordé dès 1896 le thème de l'hybridation, ne parlait alors que de traficotages chirurgicaux entre animaux et hommes, depuis le danger se rapproche, qui n'a entendu parler de réalité augmentée et de transhumanisme, un film comme Matrix est un parfait exemple de ces vertiges futuro-existentiels...

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    Kumus : à l'origine Kumus est un guerrier mandalorien dont l'histoire est révélée dans la tumultueuse saga livresque de Star-Wars. Rien à voir avec l'univers de Petit Ours Brun. Âmes et oreilles sensibles s'abstenir. Seule la haine est plus forte que la mort, car lorsque vous haïssez et semez la mort, vous êtes vivant. Brutal clip. Toutefois la musique est plus forte que les images. Elle a tendance à les effacer, à les reléguer dans une zone de désintérêt profond. Vous emporte sur le toboggan de la mort. Une espèce de course contre la montre. Mais le son se déploie comme le drap du lit d'un moribond que l'on retire d'un coup sec, on dirait qu'on lui ôte le temps de mourir et celui de vivre. Kumus est à écouter comme un acte musical à part entière. Un de ces coups de dés mallarméens que l'on tente pour détruire le monde. The key : la clef est à l'intérieur de nous, il suffit de la trouver... Ce n'est pas celle du bonheur. Juste pour forcer la serrure qui met en communication la petitesse du microcosme humain et l'infini du macrocosme universel. Un seul trou et deux portes s'ouvriront. Grognements exponentiels du vocal et guitares qui filent comme pluie de météorites qui s'écrasent sur le sol raboté de votre conscience et traversent les espaces interstellaires infinis. Une espèce de prière insultante à l'infinitésimalité de l'illimité. Des voix qui se rejoignent en un chœur fabuleux, des guitares qui tissent une espèce de chant gravitationnel de triomphe et le hurlement du loup Fenrir qui dévore la main du dieu ou de l'homme qui détient la clef. Into Hiding ( Amorphis Cover ) : reprise d'Amorphis groupe d'heavy death metal finlandais qui explore des thèmes similaires à ceux de Heavyction, centrés sur le concept d'anamorphose ou pour être moins simple d'amétamorphose, l'idée que tout changement engendre aussi mais pas uniquement le néant. Un vocal théâtralisé et déclamatoire qui, pour employer une expression nietzschéenne, cligne de l'œil. Cet Into Hiding ne serait-il pas une intro-hiding, comme l'œil blafard de face cachée de la lune hécatienne. Le morceau se déroule selon une rituellique déambulation emphatique, le générique d'un film catastrophe métaphysique.

    Cet EP d'Heavyction est fascinant. Présente l'aspect d'une pyramide à trois faces, forgée d'un métal inconnu qui permet d'entrevoir des aspects ignorés de notre monde que les reflets évanescents et fantomatiques qu'il projette dévoilent et teintent d'un obscur mystère. Mourir pour revivre. Ou : Mourir pour vivre. Cochez la bonne case. Ici l'on perd à tous les coups.

    Damie Chad.

     

    DANIEL BOONE

    VIE ET LEGENDE D'UN PIONNIER AMERICAIN

    JOHN MACK FARAGHER

    ( Editions du Rocher / 1996 )

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    Salvador Dali vante dans un de ses écrits l'incomparable prééminence du peuple espagnol sur tous les autres car il aurait inventé le principe du sous-marin et de l'hélicoptère. Nous lui laissons l'entière responsabilité de ses assertions, nous nous contenterons de répliquer que les américains eux ont inventé le rock'n'roll et Edgar Poe, ce qui nous semble participer d'une véritable éblouissance souveraine. Toutefois ce genre de concours de cour de récréation n'offre que peu d'intérêt, de toutes les manières il reste à savoir qui a inventé les américains. Nous ne possédons pas la réponse, je tiens à préciser que nous ne la trouverons pas le livre de John Mack Faragher consacré à une des figures mythiques de l'Ouest américain.

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    Peut-être le nom de Faragher ne vous est-il pas inconnu, du moins vous dit-il quelque chose, regardez par exemple au dos des pochettes de Willy de Ville, Wanda Jackson, Dusty Springfield, les frères de Mack œuvrèrent dans la musique, vous retrouvez même le nom de l'aîné dans la programmation de la célèbre émission American Bandstand... mais John devait être l'intello de la famille, né en 1945 il est devenu un professeur d'université bardé de récompenses et spécialisé dans l'histoire de la formation des Etats-Unis.

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    Pas étonnant qu'il se soit donc intéressé à la vie de Daniel Boone. Une des images chocs de mon enfance : une illustration du Daniel Boone due au pinceau de Myriam Huford dans Les Petits Livres d'Or, notre héros s'emparant d'un poney tatoué de belles peintures de guerre pour s'évader des féroces indiens qui le retenaient prisonnier... et puis plus rien pendant des dizaines d'années jusqu'à ce que je me plonge dans ce livre.

    John Mack Faragher nous fait dès le début du livre le coup du gars qui ne sait rien mais qui vous raconte tout. Ce que l'on connaît de Daniel Boone tiendrait en une demi-page  décrète-t-il au début de sa relation, et plouf il nous pond un pavé qui frôle les cinq cents pages. Sans remplissage, des noms, des dates, des faits, et toute une époque révolue qui revit en un récit haletant. En plus son héros n'est pas le premier en tout, même son titre de gloire de découvreur du Kentucky est historialement faux. Bien d'autres ont pénétré avant lui dans cette promesse d'Eldorado et quand il est parvenu à fixer une crasseuse implantation villageoise dans ce qui n'était pas encore l'état du Kentucky, son nom ne s'écrit pas en tête du classement, il occupe la détestable place poulidorienne... Faut être juste, Daniel Boone n'a jamais rien revendiqué de semblable. D'abord c'était un taiseux, et puis la seule chose qui l'intéressait c'était la chasse.

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    Daniel Boone naît en 1734 à Exeter pas très loin de l'Atlantique. Dans une communauté Quaker. Un milieu lourd et intolérant. Puritain. La famille outrée de se voir reprocher que deux de ses filles batifolent avec des non-quakers prendra le large et se fixera en Caroline du Nord. En ces temps-là une famille c'était une moyenne de dix enfants, le père la mère et des chiens. Plus les oncles et les tantes du mari et de l'épouse. Les filles se marient jeunes, beaucoup avant seize ans, les garçons guère plus vieux, une espèce de ''gens'' romaine regroupant plusieurs foyers, toute une smala informelle mais fidèle, quand l'un des membres les plus en vue décide d'aller voir ailleurs si l'herbe est plus verte, beaucoup le suivent...

    Le jeune Daniel n'est pas un écolier assidu, plus tard une de ses belles-sœurs lui apprendra à écrire, les bois, la forêt, la chasse l'attirent, à quinze ans il sera déjà un chasseur confirmé. Il n'est pas le seul à subir ce que plus tard Jack London appellera the call of the wild... La forêt est mystérieuse mais pas déserte. Il n'est pas donné à tout le monde de survivre en ses étendues boisées. Une science qui s'apprend. Les éducateurs des premiers blancs - déclassés, aventuriers, têtes-brûlées - qui s'aventurèrent en ses vastitudes furent les Indiens. Ces individus pâlichons isolés, peu expérimentés, ne semblaient pas un danger, fallait tout leur enseigner, les mœurs des animaux, les techniques d'approche, la conservation des peaux, les ruses, les pistes, l'occasion d'un commerce informel à base de troc... Certains trappeurs n'hésitèrent pas à prendre femme chez les Indiens, certains s'assimilèrent, beaucoup vécurent entre ces deux mondes, frontières poreuses....

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    A quinze ans il participe à sa première grande chasse, plusieurs semaines dans la nature sauvage en groupe soudé et réduit. Le jeune Daniel aura de toujours une préférence pour les courses en solitaires. Le voici marié, il a construit une cabane en rondins d'une seule pièce, plus de vingt personnes vivent dedans, nichées d'enfants, les siens, ceux d'amis ou de parents décédés généreusement adoptés, visiteurs, parentés... – on comprend le besoin de solitude et d'éloignement qui poignait les hommes - Rebecca s'occupe des bêtes, des champs, du ménage, les femmes sont dures au mal et ne se plaignent pas. Boone est de ces maris qui reviennent après plusieurs mois d'absence, retrouvent le gamin qu'ils ont mis en train lors de leur précédent retour, et repartent à la nouvelle saison...

    Boone est un fameux fusil. Souvent en temps de mauvaise récolte il a nourri l'ensemble de la parentèle avec le gibier qu'il a ramené. C'est un pisteur infatigable. Ne se vante jamais. Ceux qui l'ont connu en action savent que ces brèves paroles sont porteuses de sens et ont pris l'habitude de lui obéir, possède le flair, il sent le danger qu'aucun signe n'annonce... Dans son petit milieu, il est respecté et écouté. C'est un sage, qui ne s'affole jamais. Reste que dans le monde, dans la petite niche écologique que l'on s'est construit, l'on n'est jamais seuls même si l'on est le seul responsable de son propre malheur.

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    Un peu de géopolitique. Au nord sous les grands lacs sont les Iroquois. Poussés du Canada par les anglais ils exercent une pression peu mortelle mais efficace sur les Indiens Delaware qui eux-mêmes empiètent quelque peu au sud sur leurs frères Shawnees. Mais ces derniers doivent composer à l'est avec la poussée des blancs. Beaucoup de chefs ont signé des traités de paix, entendez par là qu'ils ont accepté de laisser leurs territoires de chasse de la rive gauche de l'Ohio, mais déjà des blancs s'en viennent chasser sur la rive droite... Beaucoup trop de monde...

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    Il existe une porte de sortie, un bout du haut de la Virginie bute sur des montagnes impénétrables, du moins semble-t-il, ce ne sont que les Appalaches, des pisteurs en sont revenus, ils décrivent les épaisses forêts et de merveilleuses collines herbacées entrecoupées de douces et larges vallées où coulent de belles rivières... Boone ne peut qu'être aimanté par de telles promesses, le voici cherchant une piste, il la trouve, mais elle n'est guère carrossable, il revient, on le croit, c'est un homme de parole, un riche notable le charge d'une mission, élargir le sentier, permettre à des charriots de pionniers de passer... La mission sera accomplie. Boone se charge de fonder une petite colonie : ce sera Bonesborrough, quelques misérables cabanes entourés d'une palissade, l'on cultive des champs autour, Boone se livre à son occupation favorite la chasse. Sur le territoire ultra-giboyeux situé de l'autre côté de la rivière Kentucky.

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    Boone est capable d'abattre dix ours ou dix cerfs en une demi-journée. Ne comptons pas le menu gibier, lièvres et castors ni le gros : les bisons. Sur la fin de sa vie il se plaindra de la raréfaction du gibier... Certes il prélève de délicieux rôtis et dépouille ses proies pour plus tard revendre les peaux... Il n'est pas le seul. D'autres l'imitent. Il n'est pas le seul. D'autres les observent. Les Shawnees qui détestent ces carcasses d'animaux qui pourrissent sur place. Ce gaspillage les choque...

    Un peu de géopolitique : les temps changent, un fort sentiment indépendantiste parcourt les treize colonies américaines. Sur la frontière la population des nouveaux venus serait plutôt loyaliste, mais les anglais arment et attisent les Shawnees déjà remontés contre les migrants. Les guerres vont se succéder, celle de libération qui finira par la proclamation de l'Indépendance des Etats-Unis d'Amérique et la guerre indienne qui oppose les colons du Kentucky aux Indiens.

    Boone navigue à vue. Il ne déteste pas les Anglais mais par l'Etat de Virginie qui administre les territoires du Kentucky – cette proximité explique la présence d'esclaves chez les trappeurs - il est chargé de commander les troupes civiles prélevées sur les colons. Les grades de capitaine, puis de colonel lui seront octroyés. Il ne fera guère preuve d'un zèle partisan. Boone déteste la guerre, les évènements lui permettront de ne pas participer aux combats meurtriers et décisifs.

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    Boone ne détestait pas les anglais mais il aimait les indiens. Il a vite compris qu'en chassant il ne faisait qu'aider à la main-mise américaine sur des terres qui leur appartenaient. Les indiens le respectent, mais les Shwanees deviennent de plus en plus entreprenants et font la chasse aux chasseurs. Boone possède un sixième sens qui lui permet d'appréhender les dangers mais un jour il se fait prendre avec un groupe d'une vingtaine de colons partis en patrouille. Un véritable western : les scénaristes lui doivent une sacrée chandelle, il restera deux ans prisonniers toutefois adopté par le chef de la tribu. Il a tué son fils, or les Indiens croient en la transmigration des âmes. Pourquoi celle du défunt ne s'installerait-elle pas chez son assassin ?... Jusqu'à la fin de sa vie il restera en bons termes avec sa famille adoptive... Il parviendra à s'enfuir et prendra la tête de la défense de Boonesborrough, lorsque les indiens attaqueront, cet homme taciturne parviendra à être lors de longs palabres encore plus rusés qu'eux... Après de longs combats acharnés la pluie effondrera la mine qu'étaient en train de percer les Indiens pour écrouler les murs du fortin...

    La jeunesse est passée. Le bilan que Boone établit de son premier demi-siècle n'est pas très positif. Lui qui a ouvert la route du Kentucky, a passé le plus clair de son existence à courir les bois et à faire la guerre, il n'a pas amassé la fortune espérée... Il aimerait se poser, posséder une propriété pour abriter sa famille. Nous avons eu l'épopée, le western, voici la face sombre de l'Amérique. Celle que nous n'aimons pas. Celle de l'argent. Sonnant et trébuchant pour ceux qui tirent les ficelles, un mirage pour les âmes simples et candides. Les sociétés et les banquiers ont tissé leur toile. Squattent les plus hautes places dans les instances politiques décisionnelles.

    Le procédé est simple. Si vous possédez un petit pécule, pas besoin de grand-chose pour commencer, nous vous délivrons une charge d'arpenteur. Boone mord à l'hameçon, plutôt deux fois qu'une. Il connaît le Kentucky, il sait repérer un bon terrain bien situé, il en trace les limites, il le vend à un heureux propriétaire. Maintenant ce nouvel acquéreur doit recevoir la confirmation de son titre de propriété que lui concèdera l'Etat de Virginie, une formalité en principe. Petit hic, la loi peut changer, un terrain qui avait été décrété achetable peut voir son statut changer il faut donc rembourser le propriétaire ou entrer en procès avec lui. Mais il y a pire : le terrain peut avoir été arpenté par un autre voire plusieurs autres arpenteurs, un micmac juridique, procès, contre-procès, temps et argent perdus... Mais ce n'est pas tout, la plupart des terrains tombent ( comme par hasard ) en fin de parcours dans la poche de consortiums aux main de riches spéculateurs, ce sont eux qui font changer les décrets d'attribution des sols, très facilement puisqu'ils occupent les postes-clefs de l'administration, ils possèdent aussi des armadas d'hommes de lois... au bout de dix ans Boone ne tirera pour tout bénéfice de son activité que des dettes...

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    Il est tellement dégoûté qu'il décide de quitter les Etats-Unis et de ne plus jamais remettre les pieds dans le Kentucky. S'installe dans la possession espagnole du Missouri, on lui offre pour peu cher - son nom circule parmi les migrants - un beau domaine en spécifiant oralement qu'il n'a pas besoin d'habiter depuis un an sur celui-ci comme il est exigé habituellement, et il reçoit son titre de propriété sans problème... Manque de chance Boone n'a pas une tête très géopolitique, lorsque les Etats-Unis achètent le Missouri les nouvelles autorités exigent l'attestation écrite qui confirme qu'il a bien résidé un an sur le terrain avant de l'avoir acheté... Boone sera exproprié.

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    Passera les vingt dernières années de sa vie auprès de sa famille et de sa fille, se refermant sur lui-même un peu désabusé, se couchant de temps en temps dans son cercueil pour piquer un bon petit somme, les rhumatismes le font souffrir, l'empêchent de marcher, quand il se sent mieux il part à la chasse... Il partira définitivement le 26 septembre 1820.

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    Comment et pourquoi ce héros local se transformera-t-il en mythe ? Pourquoi lui et pas un autre ? Il ne fut pas le seul coureur des bois. Il eut la chance d'avoir alors qu'il atteignait la cinquantaine un biographe, John Filson qui d'un style ampoulé brossa de sa figure de coureur de bois un portrait digne des héros homériques. L'homme qui avait gagné à lui tout seul la guerre contre les Indiens et sauvé le Kentucky. Daniel Boone lui-même jugea son panégyrique nettement exagéré, après sa mort ses nombreux descendants eurent beau s'indigner et dénoncer cette stature de héros invincible et invulnérable, les racontars  poussaient  et  croissaient  encor e plus vite que l'herbe bleue ( qui n'était que de la simple luzerne )  du Kentucky,  non il n'était pas un scalpeur d'indiens, au cours de sa vie il n'en avait tué que trois afin de sauver sa propre peau, en règle générale l'esprit humain a tôt fait de choisir entre la stricte réalité des faits et l'amplification de la légende...

    Plusieurs fois Boone répéta qu'il préférait les indiens aux colons du Kentucky, les guerriers ne défendaient que leurs territoires ancestraux, plus tard sous couvert de sa défense et illustration des Shawnees la gent cultivée ne manqua pas d'entrevoir une relation exemplaire saisissante entre la vie de Boone au fond des bois au milieu d'une nature protectrice et le mythe du bon sauvage théorisé par Jean-Jacques Rousseau...

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    Cet être fruste que fut Daniel Boone eut une destinée littéraire peu banale, très vite après sa mort il devint le héros de moult romans populaires... Nec plus ultra, Fenimore Cooper s'inspira de sa vie et de ses déclarations pour créer son personnage Bas-de-cuir, la série de cinq volumes des Leatherstocking fut tout au long du dix-neuvième siècle un élément constitutif essentiel de l'imaginaire américain. Consécration poétique, Lord Byron lui consacra plusieurs strophes élogieuses dans Don Juan son œuvre maîtresse.

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    Mais il est encore des conjonctions souterraines plus étranges. Lors de sa phase spéculatoire d'arpenteur Daniel Boone fut joliment escroqué par un aventurier anglais, un certain Gilbert Imlay qui de retour en son pays eut une liaison avec Mary Wollstonecraft, les amants se séparèrent, de leur union passagère naquit une fille Fanny Imlay. Mary se maria avec le philosophe William Goodwin ( un des théoriciens de l'anarchie ). Fanny Imlay devint la demi-sœur de Mary Wollstonecraft-Goodwin qui à la suite de son union avec le poëte Percy Bysshe Shelley publia sous le nom de Mary Shelley son célèbre Frankenstein... Did you ever meet with Frankesnstein s'enquerraient les New Yok Dolls sur leur premier 33 tours. Méthode généalogique.

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    Cette biographie due à l'érudition sans faille de John Mack Faragher nous plonge au cœur de la formation historico-mythologique des Etats-Unis. Pour ceux qui voudraient avoir quelques lueurs supplémentaires sur la suite de la constitution de cette nation nous les engageons à lire L'Amérique de Mark Twain de Bernard De Voto publié en 1932, voir notre recension dans la livraison 287 de KR'TNT ! Du 23 / 06 / 2016, le livre débute sur les rives du Missouri...

    Pour nous, nous dirons que l'âme de Daniel Boone résonne pour qui sait y prêter attention chez Johnny Cash et bien d'autres chanteurs de country. Selon notre vision le rock'n'roll est à considérer comme une des résurgences du romantisme européen.

    Damie Chad.