Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

the true dukes

  • CHRONIQUES DE POURPRE 561 : KR'TNT 561 : RONNIE HAWKINS / MICHAEL DES BARRES / SPIRITUALIZED / TYN COLLINS / THE TRUE DUKES / C' KOI Z' BORDEL / TELESTERION / FALLS OF RAUROS

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    , ronnie hawkins, michael des barres, spiritualized, tyn collins, the true dukes, c' koi z' bordel, telesterion, falls of raucos,

    LIVRAISON 561

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    27 / 06 / 2022

      RONNIE HAWKINS / MICHAEL DES BARRES

    SPIRITUALIZED / TYN COLLINS

    THE TRUE DUKES / C’ KOI Z’ BORDEL

     TELESTERION / FALLS OF RAUROS

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 561

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

      http://krtnt.hautetfort.com/

     

      Hawkins of rock’n’roll

     

    , ronnie hawkins, michael des barres, spiritualized, tyn collins, the true dukes, c' koi z' bordel, telesterion, falls of raucos,

             L’un des derniers pionniers du rock vient de tirer sa révérence, aussi allons-nous lui rendre un modeste hommage. Le Canadien Ronnie Hawkins fut un personnage assez haut en couleurs. Jim Dickinson l’évoque dans ses mémoires : «Ronnie Hawkins ? Ah, the Hawk. C’était le roi de la boutade. Il y en a certaines que je n’ai toujours pas compris ! (He has the greatest one liner I ever heard. I could work the rest of my life and not come up with the line !). En 1971, Dickinson et les Dixie Flyers accompagnent Ronnie Hawkins sur l’album The Hawk. Dans l’équipe, on trouve Duck Dunn et Duane Allman (They called him Skydog, reflecting his concious state). Ça joue fabuleusement. Mais on n’en finirait plus avec ces mecs-là. D’ailleurs, on n’en finit pas. Comme les Envahisseurs que traque David Vincent, ils sont partout. Dickinson nous décrit l’arrivée de Ronnie Hawkins à l’aéroport de Muscle Shoals : «Il descendit de l’avion avec un carton rempli de bouteilles d’alcool et accompagné d’une femme qui était un mélange de Playboy bunny et de serial killer. Elle avait une gueule à faire tourner le lait. On aurait dit qu’elle avait le pare-choc d’une ‘49 Cadillac sous son sweater. Ses seins pointaient comme des obus. Cette femme était une lesbienne hardcore, une ancienne Miss Toronto et une star du roller-derby. Ronnie préférait ça aux groupies et aux road whores. Il portait un vieux stetson fatigué. Il lança à Wexler : ‘I got the pills, pot and pussy. I’m ready to rock’n’roll.’»

    ronnie hawkins,michael des barres,spiritualized,tyn collins,the true dukes,c' koi z' bordel,telesterion,falls of raucos

             Cet album paru sur Cotillon est certainement le meilleur moyen d’entrer dans l’univers du Canadien. Les gens rassemblés par Dickinson swinguent «Sick & Tired» au pur Memphis Beat, avec les Memphis Horns dans le studio. Ils font aussi une fantastique version du «Drinkin’ Wine Spo-Dee-O-Dee». Ça swingue, mais à un point que tu ne peux pas imaginer, avec Sammy Creason au beurre. Les autres cuts sont plus classiques, comme par exemple cette version de «Red Rooster» amenée au boogie-rock de rockin’ tonite. Encore un brin de Memphis Beat dans le «Lonely Weekends» de Charlie Rich. Franchement, l’Hawk a du pot d’être entouré de cette équipe de diables. Le «Don’t Tell Me Your Troubles» d’ouverture de balda vaut aussi le détour, car voilà du wild country rock du Tennessee, tu as tous ces vieux baroudeurs qui sortent du sous-bois, Charlie Freeman, Duane Allman, Duck Dunn, méchante congrégation ! Et comme Ronnie se fait appeler The Hawk, tout le monde chevauche derrière lui. Sur «Ooby Dooby», il chante comme Gene Vincent, ce qui nous le rend éminemment sympathique. En B, tu te régaleras d’un «Patricia» plein de jus et de la romantica d’«Odessa».

    , ronnie hawkins, michael des barres, spiritualized, tyn collins, the true dukes, c' koi z' bordel, telesterion, falls of raucos,

             Il existe un deuxième album de l’Hawk paru sur Cotillon, l’année précédente. C’est un album sans titre avec un beau portrait de l’Hawk cigare au bec et Stetson vissé sur le crâne. Jerry Wexler et Tom Dowd produisent cet album à Muscle Shoals. On retrouve une partie de la fine équipe citée plus haut, Duane Allman, mais aussi toute l’équipe des Swampers, Eddie Hinton, Jimmy Johnson, David Hood et Roger Hawkins, mais pas Dickinson ni aucun des Dixies Flyers et c’est toute la différence. On a là une good time music de gros mec à cigare et zéro hit. L’Hawk fait un peu de country bien grasse («One More Night») et du gospel («Will The Circle Be Unbroken»). Il sauve les meubles du balda avec une version de «Matchbox», l’Hawk does it right, il est dans le bain, mais c’est trop délayé dans les coups d’harmo. En B, il fait une version un peu conventionnelle de «Forty Days». Son clin d’œil à Chuck est moins percutant que la version qu’il en fit en 1959 sur son premier album. Il a des chœurs de filles bien propres. Incroyable que Wexler et Dowd aient pu flinguer un album pareil. «Down In The Alley» sauve les meubles de la B des cochons. Cet album dont on attendait à l’époque des miracles peine à jouir. C’est une prod très bizarre, trop propre, comme ces gens qui se lavent tous les jours. C’est encore avec les hommages à Bo que l’Hawk est le meilleur. Il a toujours adoré Bo. Il fait une version cha-cha-cha de «Who Do You Love», mais encore une fois, le son de Muscle Shoals est trop polissé pour du Bo, ces mecs sont bons pour la Soul, mais ni pour le rockab, ni pour du Bo. On perd toute la niaque.

    , ronnie hawkins, michael des barres, spiritualized, tyn collins, the true dukes, c' koi z' bordel, telesterion, falls of raucos,

             L’Hawk a bâti toute sa réputation de wild man sur ses deux premiers albums Roulette, l’album sans titre paru en 1959 et Mister Dynamo, paru l’année suivante. C’est là, sur le premier album Roulette qu’on trouve son excellente cover de «Forty Day», excellente parce que wild as fuck, battue à la folie, une vraie mascarade de mavericks malovelents, l’Hawk swingue son «Forty Days à la folie Méricourt. Nouveau coup de Jarnac avec une version de «Ruby Baby», l’Hawk a tout bon, fantastique allure. Il devient même un peu hystérique en B sur «Dizzy Miss Lizzy» et il rend un superbe hommage au grand Billy Lee Riley avec «My Gal Is Red Hot», c’est claqué au gratté de clairette, pur jus de vif argent. On entend aussi un solo de sax épouvantablement bon dans «Odessa». L’Hawk est bon à l’époque, il sait chanter. Il a encore le feu au cul dans «Wild Little Willy». C’est même assez explosif.

    , ronnie hawkins, michael des barres, spiritualized, tyn collins, the true dukes, c' koi z' bordel, telesterion, falls of raucos,

             Et puis voilà Mr Dynamo avec l’une des meilleures versions d’«Honey Don’t», fabuleux clin d’œil à Carl, un cover complètement délinquante avec un solo qui s’écroule, ahhh ahhh, et Robertson revient à la pisse froide dans le couplet. On a une belle ouverture de balda avec «Clara», jouée au Diddley Beat, oh-oho ! Le son s’étoffe par rapport au premier album, on le voit avec «Hey Boba Lou». L’Hawk chante «You Cheated You Lied» à l’insistance panaméenne, la pire de toutes. Robbie Robertson passe un wild killer solo flash dans «Baby Jean», ah il sait fouiller sa viande ! Ils terminent en beauté avec «Southern Love», du vieux kitschy kitschy petit bikini de Southern Georgia, allumé au what’s you gonna do, ça swingue, l’Hawk sait y faire.

    , ronnie hawkins, michael des barres, spiritualized, tyn collins, the true dukes, c' koi z' bordel, telesterion, falls of raucos,

             Après Roulette et Atlantic/Cotillon, l’Hawk arrive en 1972 sur Monument, chez Fred Foster. On change encore une fois de son, puisqu’après New York et Muscle Shoals, voilà le son de Nashville. Rock And Roll Resurrection est un bon album, même avec son côté conventionnel. L’Hawk s’en sort toujours avec des covers, comme le montre encore sa version de «Memphis Tennessee». Ils ont l’attaque, ils ont le son et l’Hawk in tow, il ne manque rien, wow, le génie de Chucky Chuckah n’en rebondit que de plus belle. Ils sacrent leur ouverture de balda avec une belle version de «Lawdy Miss Clawdy», salée et poivrée au sax free. Tout est bien joué et bien cuivré sur cet album, les Nashville cats ne font pas n’importe quoi. On les voit à l’intérieur du gatefold avec leurs chapeaux de cowboys. Par contre, l’Hawk porte un manteau de fourrure. Il y a du Victor Koramovsky en lui - Remember Dotor Jivago ? - Bel hommage à Fatsy avec une cover d’«Ain’t That A Shame» et en B, ils tapent dans Bo avec un «Diddley Daddy» absolument parfait. C’est avec Bo que l’Hawk est le plus à l’aise, il est tout de suite dessus au mah pretty babhy she tried in vain. Par contre, leur cover de «Maybellene» est trop nashvillaise.

    , ronnie hawkins, michael des barres, spiritualized, tyn collins, the true dukes, c' koi z' bordel, telesterion, falls of raucos,

             Le deuxième album Monument s’appelle The Giant Of Rock’n’Roll et il s’y niche une belle cover de «Bo Diddley». Fantastique swagger, nappes de cuivres et chœurs tourbillonnaires. On retrouve dans le backing-band tous les transfuges d’American, le studio de Chips. Pour gagner leur croûte après la fermeture d’American à Memphis, Reggie Young, Bobby Woods et Bobby Emmons sont allés s’installer à Nashville. Le reste de l’album est aussi passe-partout. Tu ne risques pas de tomber de ta chaise. Comme l’Hawk est à Nashville, il fait un peu de country («Home From The Forest») et en B, tu vas trouver une petite reprise d’El Cramped, «Lonesome Town».

    ronnie hawkins,michael des barres,spiritualized,tyn collins,the true dukes,c' koi z' bordel,telesterion,falls of raucos

             Produit par Keith Allison, The Hawk est très certainement le meilleur album de l’Hawk. Que de son, my son ! Dès «South In New Orleans», ils ont du son et l’Hawk chante à l’admirabilité des choses. Il revient à son vieux forever my dhaling avec «Pledging My Love» et au vieux «Sick & Tired» de Fatsy, qu’il reprend depuis le début. En B, l’Hawk nous fait un gros shoot d’Americana avec «Blue Moon Of Kentucky», c’est un paradis, avec les coups de slide, l’entrain, le violon. On retrouve la fantastique présence de l’Hawk dans «Ain’t That Loving You Baby», encore un cut boosté au big sound. L’Hawk ne fait qu’une bouchée du «My Babe» de Big Dix. C’est l’une des meilleures versions de ce vieux hit séculé par tant d’abus. Cet album est une vraie bénédiction, en tous les cas, celui que tous les fans de l’Hawk doivent serrer contre leur cœur.

    , ronnie hawkins, michael des barres, spiritualized, tyn collins, the true dukes, c' koi z' bordel, telesterion, falls of raucos,

             On croisait aussi à une époque le Rrrracket Time de Ronnie Hawkins & The Hawks, paru sur Charly. L’Hawk y proposait un beau «Diddley Daddy» trashé par un wild solo de Terry Bush. C’est en B que l’affaire se corsait avec un «Little Red Rooster» chauffé à l’harp par James Cotton, et ils partaient ensuite en mode rockab avec «Going To The River». Bobby Starr volait le show avec sa clairette dans «Ain’t That Just Like A Woman» et un autre lead, Don Triano, transperçait en plein cœur l’excellente cover de «Let The Good Times Roll». L’Hawk tapait aussi une fantastique cover d’«Ooby Dooby» et finissait en beauté avec le beau «Hey Bo Diddley», son cheval de bataille. 

    , ronnie hawkins, michael des barres, spiritualized, tyn collins, the true dukes, c' koi z' bordel, telesterion, falls of raucos,

             Fantastique pochette que celle de Making It Again, un Epic de 1984 : l’Hawk y sourit, barbu et Stetson vissé sur le crâne, une vieille habitude. C’est enregistré à Toronto et c’est hélas pas un big album. Il tape son morceau titre à la nostalgia et ressort son vieux «Patricia». Il a une sacrée présence, comme tous les vieux crabes de son acabit. Il passe à la heavy country avec «Everybody Knows». Toujours cette belle présence de la prestance. Rien de tel qu’un vieil Hawk. Il attaque sa B avec «Hit Record», un joli shoot de boogie rock, et puis tout finit par glisser dans le néant, un destin faut-il le rappeler, commun à tous.

    Signé : Cazengler, Ronnie Rognon

    Ronnie Hawkins. Disparu le 29 mai 2022

    Ronnie Hawkins. Ronnie Hawkins. Roulette 1959

    Ronnie Hawkins. Mister Dynamo. Roulette 1960

    Ronnie Hawkins. Ronnie Hawkins. Cotillon 1970

    Ronnie Hawkins. The Hawk. Cotillon 1971

    Ronnie Hawkins. Rock And Roll Resurrection. Monument 1972

    Ronnie Hawkins. The Giant Of Rock’n’Roll. Monument 1974

    Ronnie Hawkins. The Hawk. United Artist Records 1979

    Ronnie Hawkins & The Hawks. Rrrracket Time. Charly Records 1979

    Ronnie Hawkins. Making It Again. Epic 1984

     

     

    De l’or en Des Barres - Part Two

             

    ronnie hawkins,michael des barres,spiritualized,tyn collins,the true dukes,c' koi z' bordel,telesterion,falls of raucos

    Pendant que Michael Des Barres s’agitait pour faire décoller Silverhead en Angleterre, une petite coquine prenait du bon temps en Californie. Pamela Miller adorait les bites. Surtout celle de Captain Beefheart qu’elle branlait avec toute la candeur de sa jeunesse. Puis elle passa de la branlette au romantisme en tombant follement amoureuse de bassistes célèbres comme Chris Hillman (Byrds), Nick St Nicholas (Steppenwolf) ou Noel Redding (Jimi Hendrix Experience). Elle s’amouracha aussi de Duncan Sanderson (Pink Fairies - «a sensitive prince in search of Sleeping Beauty»), au cours d’un voyage à Londres. Ce qui ne l’empêcha pas d’avoir des relations groupiques avec McCartney, Jagger, Marlon Brando, Jim Morrison (elle ne posa les mains qu’une seule fois sur lui, car il était dit-elle un «one-woman man»). Elle entretint des relations beaucoup plus suivies avec Jimmy Page et Keith Moon, qui d’une certaine façon s’attachèrent à elle et à ce qu’elle incarnait : sex, drugs and rock’n’roll, comme le disait si bien Ian Dury. Puis vint le moment où elle ressentit un violent besoin de stabilité. Coucher avec des rock stars, ça va bien cinq minutes, on s’éclate au Sénégal avec sa copine de cheval, c’est vrai, mais quand on a vingt-trois ans, on aspire à rencontrer le prince charmant. Le destin fit admirablement bien les choses, puisqu’en 1974, Michael Des Barres tournait aux États-Unis avec Silverhead. Alors ce fut le coup de foudre et elle tomba dans les bras du divin marquis. «He was a degenerate drug-taking sex-dog toting two bottles of Southern Comfort, wearing two dozen silver bracelets on each arm. He even wore his sunglasses at night.» (C’était une bête de sexe dégénérée et camée qui descendait deux bouteilles de Southern Comfort dans la journée et qui portait deux douzaines de bracelets en argent à chaque bras. La nuit, il portait ses lunettes noires). Puis elle ajoute qu’il ne s’est rien passé la première nuit «because his dick was about to fall off from some ununterable thing he had caught in Japan» (sa queue était toute pourrie, à cause d’une maladie vénérienne chopée au Japon).

    ronnie hawkins,michael des barres,spiritualized,tyn collins,the true dukes,c' koi z' bordel,telesterion,falls of raucos

             Les souvenirs de Pamela Miller jettent une lumière crue sur Silverhead qui fut l’un des groupes glam les plus excitants de son temps. Ils enregistrèrent deux albums, Silverhead et 16 And Savaged, très appréciés de ces becs fins qu’on appelle les glamsters. Un vrai glam-stomper, aux puissantes épaules - «Long Legged Lisa» - ouvrait le balda du premier album. On trouvait aussi sur cet album des morceaux comme «Rolling With My Baby» qui roulait sa bosse sur le pourtour, un peu comme chez Alice Cooper. L’un des chefs-d’œuvre du glam anglais se trouve sur cet album. Il s’agit de «Sold Me Down The River», avec ses gros accords hachés et son chant maniéré, joué avec la retenue qui fait le charme fatal du glam. Dans «Rock’n’Roll Band», on entend l’extraordinaire bassiste Nigel Harrison se livrer à quelques acrobaties. Il va d’ailleurs rester l’un des fidèles compagnons du divin marquis.

    ronnie hawkins,michael des barres,spiritualized,tyn collins,the true dukes,c' koi z' bordel,telesterion,falls of raucos

             16 And Savaged propose aussi son lot de gros boogies des seventies. Il faut rappeler qu’à l’époque, 99% des groupes de rock voulaient sonner comme les Stones. Il faut attendre «Bright Light» pour retrouver le pur glam, celui qui s’empale sur des syncopes émancipées. Dans «Cartoon Princess», Michael Des Barres pousse bien sa voix et ce sera d’ailleurs l’un de ses signes distinctifs. Nigel Harrison fait des ravages et Pete Thompson bat le beurre comme un barbare. Avec son chant perverti et son boogie apesanti, «This Ain’t A Parody» sonne comme du pur jus. Au dos de la pochette, on voit les cinq musiciens poser torse nu : un petit côté MC5, mais sans les cartouchières.

             Pour des raisons qui nous échappent, Silverhead ne marche pas. Qu’importe. Le divin marquis remonte Detective avec Michael Monarch (Steppenwolf) et signe sur Swan Song, le label de Led Zep. Normalement, ça devrait faire un carton. D’autant que Creem Magazine soigne sa réputation de wild rocker : Michael Des Barres fait sensation, au moins autant que toutes les rock stars dévoyées qui à l’époque hantent the Sunset Strip by night.

             L’un des atouts majeurs de Detective est son bassman black, Bobby Pickett. Sur le premier album paru en 1977, il se distingue dès le «Recognition» d’ouverture de balda. Pickett groove autant que James Jamerson, le bassman légendaire de Motown. L’autre atout de Detective, c’est Jon Hyde, batteur-compositeur coiffé d’un buisson de cheveux blonds qu’on dirait taillé par Le Nôtre. Ce mec frappe sec et ça donne tout suite du caractère aux morceaux. On sent une volonté très nette de prédominance sonique, une volonté de son massif et percutant qu’on ne trouvera pas forcément ailleurs. Sauvagement syncopé et bourré de soul-shaking, «Grim Reaper» ouvre une voie royale. Plus tard, Bowie avec les frères Sales s’y engouffreront et ça donnera le fantastique premier album de Tin Machine.

    ronnie hawkins,michael des barres,spiritualized,tyn collins,the true dukes,c' koi z' bordel,telesterion,falls of raucos

             Sur cet album de Detective, la surprise vient d’un instru, «Deep Down», une compo de Michael Monarch qui sonne exactement comme un classique de Bernard Herrmann. On entend ça et on s’alarme, car on croit voir glisser l’aile d’un taxi jaune dans la nuit pluvieuse. Voilà une étonnante pièce de qualité supérieure, urbaine en diable. La présence de cet instru évoque, par l’incongruité de sa présence ici, le fabuleux «Serenade To A Sweet Lady» qui se trouve sur Every One Of Us d’Eric Burdon & The Animals. Ils passent ensuite au funk avec «Wild Hot Summer Nights» et reviennent au bon vieux stomp avec «One More Heartache». Michael Monarch riffe comme au temps béni de Steppenwolf. C’est lourd et bon comme les seins de la bonne du curé. Solide et convaincu comme une bite en rut. Admirable et bienvenu comme la main de Pamela Miller.

             Quand Michael rencontre Pamela, il est déjà marié. Il tombe amoureux d’elle et rentre en Angleterre pour demander le divorce. Il quitte ensuite l’Angleterre pour venir s’installer en Californie et vivre avec Pamela. Elle vient le chercher à l’aéroport. Il n’a que cinq dollars en poche et son séchoir à cheveux dans un sac en papier. Il a laissé tout le reste. Leur fils Nicky Dean Des Barres voit le jour onze mois plus tard.

    ronnie hawkins,michael des barres,spiritualized,tyn collins,the true dukes,c' koi z' bordel,telesterion,falls of raucos

             Le second album de Detective s’appelle It Takes One To Know One. On y retrouve le son bien musclé des seventies et la voix du divin marquis. Il peut sonner comme Rod Stewart. Avec «Competition», il élargit son cercle de poètes disparus, car ce heavy blues est un véritable festival de prouesses techniques : Michael Monarch joue comme un dieu, Jon Hyde bat toujours aussi sec et Bobby Pickett tricote des gammes aussi démentes que celles de Ronnie Wood dans «The Hangman’s Knee» (Beck Ola/Jeff Beck Group). Cet album est d’une rare densité. On retrouve le gras double et le son plein comme un œuf dans «Are You Talkin’ To Me» : production d’époque et chant perché, mais il y a chez Detective le petit quelque chose en plus qu’on ne retrouvait pas chez les autres groupes : un vrai son, une vraie voix et un certain parfum de légende. Michael Monarch place dans «Are You Talkin’ To Me» un solo en suspension et l’autre archange du groupe reprend le chant à la suite, très haut dans les cieux. Bobby Pickett embarque «Dynamite» à la basse. On assiste à un festival de syncopes, de glissés de notes, de vibrillons et de roulements inusités. On voulait à l’époque comparer Detective à Led Zep. Grave erreur. Detective avait un son plus lourd et un bassman noir surdoué qui amenait un bassmatic de Soul. Le chanteur avait une voix plus chaude et plus colorée que celle de Robert Plant et le drumming de Jon Hyde s’apparentait aussi à un feeling Soul. Michael Monarch liait tout ça avec un son purement américain. «Warm Love» est un joli mid-tempo d’une incomparable élégance. Le divin marquis sonne cette fois comme le Rod Stewart de l’époque Mercury. C’est le quatrième album de Michael Des Barres, et on note qu’à chaque fois, il s’y passe des choses intéressantes. L’album s’achève avec «Tear Jerker», un heavy rock bien fagoté. Même recette à base : voix perchée et section rythmique rutilante. On entend jouer des surdoués du break et de la syncope. Ils flirtent même avec le funk. Michael Monarch s’octroie une passade jazzy et on sent une fois de plus l’influence du Jeff Beck Group. À part l’Electric Flag, peu de groupes pouvaient prétendre jouer à ce niveau, à l’époque. Curieusement, on trouve les deux albums de Detective dans les bacs des disquaires d’occasion à des prix ridiculement bas, alors que ce sont deux albums fantastiques. À côté de ça, les collectionneurs sont prêts à sortir un ou deux billets de cent euros pour les pires déchets du prog anglais (et quand ils n’ont pas les billets, on les voit chez les disquaires signer des chèques sans provisions). Spectacle hilarant.

             Mais le succès ne pointe toujours pas le bout de son nez. Michael Des Barres tentera une dernière fois le diable en montant un super-groupe avec Steve Jones, Clem Burke (l’un des grands batteurs américains, ex-Blondie), Nigel Harrison (ancien Silverhead) et Tony Sales (qui avec son frère Hunt accompagnait Todd Rundgren sur ses premiers albums solo et qui fera partie de Tin Machine un peu plus tard). Cinq playboys. On les voit sur la pochette, avec les coupes de cheveux ridicules de l’époque. Sauf Michael Des Barres, teint en blond et maquillé. Le groupe s’appelle Chequered Past et l’album subit le même sort que ceux de Detective : on peut l’avoir pour une bouchée de pain, comme dirait Jean Valjean.

    ronnie hawkins,michael des barres,spiritualized,tyn collins,the true dukes,c' koi z' bordel,telesterion,falls of raucos

             On retrouve pourtant dans cet album tout ce qui faisait le charme de Silverhead et de Detective : le son, la voix et un certain style enraciné dans le glam. Ils font une reprise musclée d’«Are You Sure Hank Did It This Way», cut signé Waylon Jennings (que Pamela a croisé dans une chambre de motel et qu’elle qualifie de vrai mâle américain, «with lots of hair on the chest»). Avec «Let Me Rock», ils reviennent aux sources du stomp, celui du gros glam à la Gary Glitter, le glam-candy que suçaient tous les gamins d’Angleterre, y compris Steve Jones. Il est là-dedans comme un poisson dans l’eau. Pour corser l’affaire, un solo californien incendie le poulailler et tout s’écroule dans la réverb. Comme on le voit dans le cut suivant qui s’appelle «Never A Million Years», Steve Jones est en grande forme. Il sort la cisaille qui l’a rendu célèbre. On reconnaîtrait sa façon de jouer entre mille. Ils repompent le «Start Me Up» des Stones pour jouer le très nietzschéeen «Only The Strong (Will Survive)» et réussissent une incroyable osmose, ce qui les disculpe du délit de repompage. Le reste de l’album semble assez moyen, mais ces gens-là vivaient la nuit, consommaient énormément de drogues et d’alcool et la qualité du travail en studio en pâtissait. Pamela finit par vraiment s’inquiéter pour la santé de son prince charmant et elle réussit à le convaincre de reprendre sa vie en main, ce qu’il fit en acceptant de se désintoxiquer. Michael Des Barres est aujourd’hui membre actif d’un collectif d’aide aux jeunes sans domicile fixe.

             Comme les ventes de disques de ses groupes successifs ne décollaient pas, il fit ce que tout le monde faisait à cette époque : il entama une carrière solo. Son premier album solo parut en 1980, à la pire époque, celle où on synthétisait le son et où on vidait les chansons de tout contenu, comme on vide les poissons sur les marchés. Le rock devenait un produit de consommation au sens cru de l’expression et les gens étaient assez bêtes pour se jeter dessus. Quand on entendait les chansons des groupes à synthés à la radio, on vomissait.

    ronnie hawkins,michael des barres,spiritualized,tyn collins,the true dukes,c' koi z' bordel,telesterion,falls of raucos

             Malheureusement, on entend des synthés sur I’m Only Human, le premier album solo de Michael Des Barres. Un producteur véreux lui a certainement expliqué que c’était le seul moyen de vendre des disques et, entre deux crises de vomissement, le divin marquis a dû accepter. Ce que n’aurait jamais fait Hasil Adkins, par exemple. Mais on pardonne tout au divin marquis. On pousse même la compassion très loin, puisqu’on écoute cet album foutu d’avance. Heureusement, Nigel Harrison a survécu aux naufrages antérieurs et il ramène un peu de verdeur avec son jeu de basse. Il fallait attendre la B pour voir se réveiller les vieux démons du glam. Eh oui, «Boy Meet Car» pouvait très bien dater de 1972, avec sa belle intro heavy. On y voyait la tentation d’un Saint-Antoine glam posée sur un bon drumbeat d’antho à Toto. Avec «Bullfighter (I’m Not)», c’est le seul spasme silverheadien de l’album. La pochette du vinyle sorti en 1980 mentionne les noms des musiciens. Sur une réédition CD parue récemment, toutes les informations ont disparu, comme si personne n’avait jamais accompagné le divin marquis. C’est dire si certains labels se foutent de la gueule du monde.

    ronnie hawkins,michael des barres,spiritualized,tyn collins,the true dukes,c' koi z' bordel,telesterion,falls of raucos

             L’autre album solo de Michael Des Barres paru dans les années 80 s’appelle Somebody Up There Likes Me. Comme Steve Jones faisait partie de l’aventure, on nourrissait les plus grands espoirs. On entendait bien son cocotage caractéristique sur deux cuts, mais ça restait hélas très conventionnel.

             Il est arrivé à Steve Jones exactement le même problème qu’à Keef : une perte subite d’inspiration. À une certaine époque de leur vie, ils se sont retrouvés comme deux ronds de flan avec leurs guitares dans les mains et aucune idée en tête. On peut passer des journées entières à gratter sa gratte et ne rien sortir de propre. Les guitaristes à gros nez rouges savent de quoi on parle. Alors, Keef et Steve Jones se sont contentés de reproduire année après année, décennie après décennie, leurs vieux plans usés jusqu’à la corde. 

             Même les fans les plus endurants finissent par décrocher. Un bon copain, qui a passé sa vie à idolâtrer les Stones, vient de se séparer de sa collection de bootlegs auxquels il tenait tant, les oreilles usées par l’inlassable travail des réécoutes inutiles. Comme il fallait essayer de tourner la page en rigolant, on a eu cette conversation digne de Pétrus Borel :

             —  Bon maintenant, tu vas pouvoir te pendre, comme ta vie ne sert plus à rien.

             —  J’attends quand même un peu. Keef ne va pas tarder à crever et là, c’est vrai, je n’aurai plus aucune raison de continuer à me faire chier sur cette terre en compagnie d’imbéciles de ton espèce.

             — Fais gaffe ! Keef risque de durer encore un bon bout de temps. À mon avis, tu ne tiendras pas. Si j’étais toi, j’anticiperais. Essaye de voir le bon côté des choses ! La mort est souvent une délivrance : plus de grosses épouses réactionnaires qui te pourrissent la vie, plus de factures à payer, plus de caillantes en hiver, plus de bagnole qui tombe en panne, plus de corvée de super-marché, plus de coups de fil de l’autre enfoiré de banquier qui veut que tu bouches le trou...

             — Dommage que la connerie ne soit pas reconnue d’utilité publique. T’aurais pu te présenter aux élections cantonales et t’aurais gagné haut la main.

    ronnie hawkins,michael des barres,spiritualized,tyn collins,the true dukes,c' koi z' bordel,telesterion,falls of raucos

             Figurez-vous que Michael Des Barres est toujours en activité. Il a le cheveu blanc et la tête de son âge vénérable. Il monte encore sur scène avec un tatouage à l’épaule et une Gibson Les Paul à la main. Son troisième album solo s’appelle Carnaby Street, clin d’œil au Swingin’ London de sa jeunesse enfuie. Il pose pour la pochette sur fond d’Union Jack. Terminé la rigolade et les concepts photographiques à la con. Terminé les synthés et les errances californiennes à la mormoille. Le glam de Silverhead était peut-être moins bon que celui de Slade ou des Jook, mais il était quand même costaud. Michael Des Barres revient aux sources avec le gros son de «You’re My Painkiller». Il retrouve le raunchy de sa voix et frise une fois de plus le Rod Stewart de la grande époque. Il remonte le moral des fans de la première heure, même si avec ce genre de morceau, il n’invente pas le fil à couper le beurre. Par contre, «Carnaby Street» sonne comme un hit, bardé de chœurs dollsy - J’avais 19 ans en 1967/ Dans les rues de Londres/ Je planais, j’étais Oscar Wilde en jeans de velours ! - Tout ça sur un riff purement stoogien. Voilà le vrai Michael Des Barres, le rock’n’roll animal qui écumait les ballrooms d’Angleterre en 1972. Eric Shermerhorn qui accompagnait Iggy sur l’album American Caesar accompagne le divin marquis. Il vrille «Carnaby Street» d’un solo névrotique. Michael Des Barres rallume la chaudière de la nostalgie, la pire, celle du Londres de ces années-là, rendez-vous à Carnaby Street, oh yeah et il part en screaming contrôlé. C’est un coup de maître. Les autres cuts de l’album sont plus ordinaires, on va de structure classique en structure classique, ça joue, c’est sûr, mais on ne retrouve pas le panache de «Carnaby Street». Dommage. «Little Latin Lover» sort du lot, avec sa grosse efficacité et on retrouve cette belle spécificité du son plein, à laquelle le divin marquis est resté attaché depuis le début de sa «carrière». Il évoque dans cette chanson son passé de baiseur fou. Mais il tombe aussi dans des panneaux pénibles, avec «Hot And Sticky», par exemple, qui sonne comme du Tina Turner, avec cette voix rauque des vieux de la vieille qui ont encore des choses à dire ou à chanter alors que personne ne les écoute. Comme on ne trouve l’album nulle part, il faut aller le chercher sur Internet. Merci Internet ! 

    ronnie hawkins,michael des barres,spiritualized,tyn collins,the true dukes,c' koi z' bordel,telesterion,falls of raucos

             Même chose pour l’album live Hot N Sticky. Il n’est disponible qu’en ligne. Les fans du divin marquis se régaleront, car l’album est bon. Version live de «Carnaby Street» sur coussin de riffs stoogiens chantée avec une haine de la médiocrité qui en dit long sur son pedigree. Derrière, on a des chœurs dignes de ceux des Dolls. Grosse pièce de Stonesy avec «Hot N Sticky». On sent la puissance du vétéran qui fut un grand seigneur du glam. Version dévastatrice de «Stop In The Name Of Love». Il en fait un aligot de type Vanilla Fudge. Il a compris le principe de la mécanique quantique. Il suffit juste d’entertainer et de lâcher une bombe au moment du refrain et la ville explose. Il devient Hercule Thanatos. Retour au glam avec un «Detective Man» somptueux. Le divin marquis est intouchable. C’est un glamster légendaire. Avec «Little Latin Lover», on revient aux Stooges et aux puissances des ténèbres. Ça joue dans la fournaise. Michael Des Barres dépasse les bornes de la bienséance. Il emmène tout à la voix rauque. Ce mec est au soir de sa vie, mais comme Iggy, il brandit bien haut l’étendard sanglant. Il n’a vécu toute sa vie que pour le rock. C’est un fabuleux personnage, vraiment digne de notre confiance. On ressent une sorte d’étrange fierté à l’avoir suivi à travers toutes ces décennies. Il finit le disque avec un medley où il chante «I Don’t Need No Doctor» comme Steve Marriott et il balance une version infernale de «Get It On», histoire de boucler la boucle.

    ronnie hawkins,michael des barres,spiritualized,tyn collins,the true dukes,c' koi z' bordel,telesterion,falls of raucos

             Pendant que Michel Des Barres remonte sur scène, Pamela publie. On ne peut plus l’arrêter, depuis le succès de son premier recueil de souvenirs (I’m With The Band. Confessions Of A Groupie). Mais ses deux autres livres ne valent pas un clou. On ne les lit que par acquis de conscience, et elle ne fait que nous montrer le degré zéro de sa vie intellectuelle. Avec Let’s Spend The Night Together, elle propose une galerie de portraits de groupies qu’elle connaît, et qui ont sensiblement le même problème qu’elle : pas grand chose à raconter. Le book s’avère effarant de platitude. Elles dressent toutes des inventaires des nuits passées avec des musiciens pour la plupart californiens, et forcément, ça ne vole pas haut, quand on connaît la réputation des musiciens en question. Tout l’aspect détestable de la scène rock californienne se retrouve dans ce livre. C’est le néant absolu, à l’image des disques de groupes comme les Guns’n’Roses ou Motley Crüe. Et tout ce joli monde fabrique de l’imagerie «sex and drugs and rock’n’roll» qui est tellement mauvaise qu’on ne comprend pas que ça puisse se vendre. Et comme Pamela, ces musiciens californiens vont même jusqu’à publier leurs mémoires dans des livres dont les titres donnent la nausée. On comprend que Michael Des Barres ait fini par s’éloigner de cette femme et de tout ce qu’elle représente. Leurs mondes respectifs étaient beaucoup trop disparates. Et c’est souvent ce qui détruit les couples : l’incompatibilité intellectuelle. Le décalage culturel ne fait généralement pas de cadeaux. Essayez de vivre avec une femme qui regarde TF1, vous allez voir que c’est compliqué. Même la libido finit par passer à la casserole. Pamela Des Barres se prend pour une star du rock parce qu’elle a réussi à approcher quelques personnages légendaires, mais quand on lit ses pages qui n’en finissent pas, on réalise que ça s’arrête là. Il n’y a rien ni avant, ni pendant, ni après. Ses portraits de Jimmy Page et de Keith Moon sont vides, complètement superficiels. Et c’est normal, puisqu’en plus, elle ne sait pas écrire. Dommage, car elle fréquentait Frank Zappa, et des gens intéressants comme Captain Beefheart ou Chris Hillman.  

    ronnie hawkins,michael des barres,spiritualized,tyn collins,the true dukes,c' koi z' bordel,telesterion,falls of raucos

             Les seuls portraits intéressants de Let’s Spend The Night Together sont ceux de Tura Satana et de Cynthia Plaster Caster - qui vient tout juste de casser sa pipe en bois - On a droit à une magnifique photo de Tura Satana pleine page offrant au regard gourmand du lecteur une magnifique paire de seins : «I was unique on the Burlesque circuit. Orientals weren’t supposed to be busty like I was.» (J’étais unique dans le monde du Burlesque. Les Orientales n’étaient pas censées avoir des seins aussi gros que les miens). Puis elle raconte qu’Elvis vint la voir à Biloxi, Mississippi. Il était fasciné par sa façon de bouger et voulut savoir comment elle avait appris à bouger comme ça. Tura lui expliqua qu’elle pratiquait les arts martiaux. Et elle proposa de lui donner des cours. Non seulement Tura lui apprit à danser et à remuer les hanches, mais elle lui apprit aussi - et surtout - à baiser.  

             Cynthia Plaster Caster raconte dans le détail le moulage de la bite de Jimi Hendrix : «Il plongea sa queue dans la mixture du moule - on leur enduisait la queue de vaseline ou d’huile Kama Sutra, mais je n’en avais pas mis assez - et ses poils pubiens furent pris dans le moule. Il resta très longtemps dans le moule, beaucoup plus longtemps que prévu. Il restait calme et très coopératif. Il ne se plaignait pas. Il baisait le moule pendant qu’on attendait.» Les exploits des Plaster Casters ont fait le tour du monde, depuis cet épisode connu comme le loup blanc. Cynthia a continué de collectionner les moulages de bites (comme celle de Danny Doll Rod) et elle a eu la brillante idée de développer son business en ajoutant les moulages de seins. Ses premières clientes ont été Margaret Doll Rod et sa sœur Christine, Karen la chanteuse des Yeah Yeah Yeahs et Laeticia de Stereolab.  

    ronnie hawkins,michael des barres,spiritualized,tyn collins,the true dukes,c' koi z' bordel,telesterion,falls of raucos

             Dans Take Another Piece Of My Heart, Pamela nous raconte sa vie insipide de nantie californienne qui n’a rien à dire, mais qui réussit une fois de plus à noircir trois cents pages. Certains pourraient y voir un prodige. Nombreux sont en effet ceux qui rêvent de pouvoir remplir trois cents pages, car c’est déjà une fin en soi. Elle nous raconte en long en large et en travers sa vie conjugale, son accouchement, ses exploits d’actrice et finalement le naufrage de sa vie de couple. On ne retire que deux informations de ce livre pathétique. Voici la première. Un soir, Michael Des Barres rentra bouleversé chez lui. Il rentrait de San Francisco et avait vu les Sex Pistols au Winterland. Bien sûr, il ne savait pas que c’était le dernier concert du groupe, et il déclara que les Sex Pistols allaient conquérir le monde. Il ne se trompait pas. (Curieusement, Rory Gallagher était lui aussi au Winterland ce soi-là et il fut lui aussi tellement secoué par le set des Pistols qu’il revint à un son plus punk). Des Barres fasciné par les Sex Pistols ? Rien de surprenant quand on sait que Steve Jones vient du glam. Si on lit ce livre, c’est dans l’espoir d’y trouver de l’info sur Detective et Chequered Past, mais il n’y a rien, absolument rien, à part de désespérantes banalités. L’auteuse reste en surface, comme si la musique ne l’intéressait pas. On trouve à peine deux lignes sur Tony Sales (qu’elle s’empresse d’ajouter à son tableau de chasse), mais rien ni sur les disques ni sur les concerts. Rien. Le vide abyssal. On ne sait même pas comment Michael Des Barres et Steve Jones se sont rencontrés pour monter leur groupe. Rien. Comme si ça ne l’avait jamais intéressée. Et pouf, elle finit par nous dire que Steve Jones est venu vivre six semaines chez les Des Barres, et elle en fait le portrait d’un ancien voyou («a thief convicted sixteen times», s’empresse-t-elle de préciser) devenu respectable, presque un beauf, l’animal de foire qu’on accueille le dimanche et qui raconte à table ses souvenirs de junkie roublard avec un accent cokney qui fait bien rire les convives, tous aussi bronzés et cons les uns que les autres. Pamela se dit très fière d’avoir un Sex Pistol chez elle. C’est pour elle une façon de rester dans le bain en continuant de fréquenter la crème de la crème. On se demande vraiment ce que Steve Jones est allé foutre dans ce bordel, et comment Michael Des Barres a pu tolérer ça.

             Michael Des Barres a heureusement retrouvé sa liberté, peut-être pas au sens philosophique où l’entend Apollinaire quand il rend hommage au divin marquis, le vrai, mais ce n’est pas si grave, après tout. De retour à Londres, notre vieux libertin s’est jeté à corps perdu dans le carrousel des nostalgies et c’est tant mieux.

    Signé : Cazengler, complètement barré

    Silverhead. Silverhead. Signpost 1972

    Silverhead. 16 And Savaged. EMI Records 1973

    Detective. Detective. Swan Song 1977

    Detective. It Takes One To Know One. Swan Song 1977

    Michael Des Barres. I’m Only Human. RSO 1980

    Chequered Past. Chequered Past. EMI 1984

     Michael Des Barres. Somebody Up There Likes Me. MCA Records 1986

    Michael Des Barres. Carnaby Street. Gonzo Multimedia 2012

    Michael Des Barres. Hot N Sticky Live. Immedia 2013

    Pamela Des Barres. I’m With The Band. Confessions Of A Groupie. Beech Tree Book 1987

    Pamela Des Barres. Let’s Spend The Night Together. Chicago Review Press 2007

    Pamela Des Barres. Take Another Piece Of My Heart. Chicago Review Press 2008

     

     

    L’avenir du rock

    - La voie Spiritualized (Part Two)

     

             Allez hop ! C’est décidé. L’avenir du rock part en pèlerinage. Il sent qu’il doit se ressourcer spirituellement, car sa passion pour le rock le rend de plus en plus frivole et donc superficiel. Bon, un pèlerinage, c’est bien gentil, mais lequel choisir ? Il hésite entre La Mecque, Compostelle, Graceland, le Tibet et Lourdes. Il a un faible pour Stonehenge à cause d’un vieil album des Ten Years After, mais le voyagiste qui réserve les billets d’avion lui dit que ça n’existe plus depuis des siècles. Le Tibet, non, ça caille trop, éliminé d’office. Finalement, le moins compliqué, c’est encore Compostelle. Alors il va faire ses courses au Vieux Campeur, rue des Écoles. Il a préparé une liste : un couteau suisse, une boussole, une lampe torche, un K-way, un pantalon avec plein de poches hermétiques pour quand il pleut, un bouchon pour l’anus en cas de colique, un chapeau d’Indiana Jones qui s’attache avec une ficelle sous le menton, des lunettes étanches d’explorateur pour marcher dans les tempêtes de sable, des barres vitaminées, une montre d’aviateur qui indique l’altitude, un ciré de marin breton, et des grosses pompes bien laides de rando, vendues généralement avec le tube de pommade pour les ampoules. Et puis une boîte de vaseline, au cas où un curé voudrait l’enfiler. Le vendeur lui recommande en plus le grand bâton sculpté qu’utilisent tous les pèlerins. L’avenir du rock sort de la boutique chargé comme une mule. Il ne s’est jamais senti aussi con. Mais bon, il faut parfois essayer d’aller au bout de ses idées. Comme tout le monde, il a un GPS sur son smartphone et il n’a pas oublié le tube de gel pour les coups de soleil sur le pif. Le lendemain, lorsqu’il sort du métro déguisé en pèlerin pour se rendre au point de rendez-vous, il sent bien qu’un truc ne va pas. Il démarre une petite crise de parano : et s’il rentrait de pèlerinage encore plus con qu’il ne l’était en partant ? La vue des autres pèlerins qui l’attendent au point de rendez-vous achève de le déstabiliser : ils paraissent encore plus grotesques que lui, avec leurs équipements chamarrés et leurs grands bâtons sculptés. Moyenne d’âge : soixante-dix ans. L’avenir du rock sait qu’il ne va pas pouvoir supporter d’entendre leurs conversations plus de cinq minutes, alors il prend la première rue à gauche et décide de rentrer chez lui. En passant boulevard Saint-Michel, il entre chez le grand spécialiste des nouveautés et résout le problème spirituel en s’offrant le nouvel album de Spiritualized.

    ronnie hawkins,michael des barres,spiritualized,tyn collins,the true dukes,c' koi z' bordel,telesterion,falls of raucos

             — Comment diable n’y avais-je pas pensé plus tôt ?

    ronnie hawkins,michael des barres,spiritualized,tyn collins,the true dukes,c' koi z' bordel,telesterion,falls of raucos

             Effectivement, Everything Was Beautiful est un album capable de résoudre tous les problèmes, tellement il est génial. Dès «Always Together With You», Jason Pierce fait de son embarquement pour l’hosto une œuvre d’art. La pureté de cette pop anglaise est absolue. Il ré-instaure sa grandeur, il s’insinue dans la mélodie du drug craze. C’est un peu comme si tu réapprenais tout ce que tu dois savoir sur la grandeur du rock anglais. Il n’existe rien d’aussi précis dans l’exercice de cette fonction. Jason Pierce reprend les choses à l’endroit exact où Syd Barrett les laissa jadis, Always together with you/ If you’ve got a lonely heart too. Noyé de voix et so fucking great. Cette pluie de son et les échos à la Spector sont de l’ordre de l’inespérabilité des choses. Ça décroche dans les montagnes. Si le rock anglais est une bénédiction pour le genre humain, l’apôtre de cette bénédiction porte aujourd’hui le nom de Jason Pierce. Ce que montre «Best Thing You Never Had (The D Son)», il revient vers nous avec un cut plus musclé mais fabuleusement inspiré, un son bardé de guitares vives et de réverbérations, il mène ça de front et il n’existe pas en cet instant de meilleur front, il te descend sur le râble, tel une belle coulure de London lave, il te joue le double jeu de l’hyperdisto d’hypercondo nappé de cuivres ensuqués, jamais tu ne verras ça ailleurs, il ne se contente pas de ré-instaurer la grandeur du rock anglais, il la chamarre, il l’aristocratise, il l’anoblit, il est le dernier descendant d’une lignée britannique qui remonte à Keith Richards et à Syd Barrett, il tape dans l’immensité des couches supérieures et envoie un sax, ou plutôt des sax nettoyer les écuries d’Augias, car enfin, il faut bien nettoyer cette crasse de l’humanité qu’on appelle la médiocrité des télévisions, fuck quel album, t’es dedans, tu ne peux pas échapper à cette emprise, il ramène tout le ramshakle du monde et des cuivres d’or. C’est Jason, my friend, le roi des Argonautes. Il reste dans l’excellence du groove électrique pour envoyer un clin d’œil à Iggy avec «Let It Bleed». Pour rendre son hommage aux Stooges, il sort le heavy Spiritualized, comme au temps des Spacemen 3, il monte son cut en neige blanche, c’mon c’mon, il élève un Kilimandjaro de gospel blanc, pour mieux t’aider à entrer en religion. Retour aux puissances telluriques avec «The Mainline Song». Il semble reprendre vie après la mort, il adore danser sur le shuffle de Lazare. On croit que c’est un instro, mais non, il revient au micro sur le tard avec sa voix de dandy angulaire. On se prosterne jusqu’à terre devant ce prodigieux magicien. Sa spécialité est de monter les cuts en neige. Il est le seul avec Martin Carr à savoir le faire en Angleterre. Jason Pierce est un génie du show must go on. S’il a survécu, c’est uniquement pour pouvoir enregistrer cet album. On retombe dans un océan de grandeur totémique avec «The A Song (Laid In Your Arms)». Il plombe son rock avec des cuivres, il est le seul encore une fois à savoir le faire en Angleterre, il pousse son bouchon toujours plus loin, il y a un prodigieux écrivain en Jason Pierce car il a du souffle, il pulse l’extrême heavyness de la psychedelia, Jason la recrée et ça revient au creux de ton oreille, c’est irréel de verdeur tentaculaire. Il tape ça au heavy beat, il ramène dans le son le souvenir de nuées oubliées, il redevient le roi de la mad psychedelia anglaise, comme au temps béni des Spacemen 3. C’est d’une violence hors normes. Il met vraiment le paquet. Et voilà, cet album s’achève avec «I’m Coming Home Again». Jason Pierce revient toujours. Il n’a plus la même voix. Il chante d’une voix légèrement abîmée. Mais il te chante ça aux petits oignons. Jason Pierce est l’une des dernières superstars de notre époque, il est là avec un nouvel album, tu vas pouvoir y savourer son inexorable présence doublée d’une incroyable proximité.

    ronnie hawkins,michael des barres,spiritualized,tyn collins,the true dukes,c' koi z' bordel,telesterion,falls of raucos

             Du coup, la presse anglaise se prosterne devant le roi des Argonautes. Andrew Male lui consacre le fameux Mojo Interview et Johnnie Johnstone lui consacre huit pages dans Shindig!. Par les temps qui courent, ce sont des pages qui comptent, car on y parle beaucoup des Stooges et des Spacemen 3. Johnstone n’y va pas de main morte, il chapôte à coups de «sonic innovation and re-invention». C’est exactement de cela dont il s’agit. Johnstone le présente aussi comme un survivor qui a tout surmonté pendant 40 ans : «band breakups, drug dependancy, desintegrating personal relationships and battles with ill heath» et à travers tout ça, «he has been responsible», ajoute Johnstone, «for creating some of the most extraordinary records of our time, or indeed any time». Jason Pierce commence par évoquer le Velvet qu’il dit avoir écouté obsessionnellement pendant un temps, tout le Velvet, «bootlegs, demos, everything, all of it endlessly informative, endlessly played», il n’écoutait rien d’autre. Il se souvient aussi du Raw Power des Stooges - Buying the Stooges’ Raw Power when I was 14 really changed my life - Puis c’est Nuggets et la découverte du 13th Floor Elevator, puis il découvre comme nous tous qu’il n’y a pas qu’un seul cut du 13th, il existe «four albums of their stuff» - The adrenaline rush of it ! - Il dit aussi avoir essayé d’écouter le Grateful Dead sur les conseils de Lenny Kaye, mais il ne s’est rien passé, il dit n’y avoir trouvé aucune psychedelia alors qu’ils sont censés être LE groupe psychédélique. Il n’y trouve pas le rush qu’il trouve dans le Velvet ou les Elevators. Il embraye ensuite sur le break-up des Spacemen 3 et le démarrage de Spiritualized. C’est avec le premier album Lazer Guided Melodies qu’il s’éprend du son et du travail en studio. Il dit qu’à l’époque My Bloody Valentine fut une révélation. Pour lui, l’album qu’on enregistre en studio est un jeu, ça se construit et il dit que ça vaut mille fois le son live sur scène, il cite les exemples des Beach Boys, de Lee Hazlewood et de Lee Perry - It’s the sound that is important - Il comprend aussi que se détacher des autres scènes lui permet de devenir timeless. Johnstone pense que la grande influence de Lazer Guided Melodies est le troisième album du Velvet, mais le roi des Argonautes lui dit non, car il ne voulait pas se contenter de faire un beautifully simple record, il voulait au contraire «épuiser toutes les possibilités». Il se dit fier de Pure Phase, l’album suivant, sur lequel on va passer, si vous le voulez bien, et boom voilà qu’arrive Ladies And Gentlemen We’re Floating In Space, «and the blend of metronomic sonics with avant-garde noise and earthly Stooges riffing». C’est l’un des grands albums des temps modernes, Jason dit qu’il est allé travailler sur «Cop Shoot Cop» - a 17-minute voodoo incantation - avec Mac Rebennack  - It was an amazing experience. Il flew to New York to work with Mac and then flew to Memphis to work with Jim Dickinson - Puis arrive la double pneumonie et l’hosto, en 2005, une near-death experience à la Lanegan. Et il évoque the devil, sa petite black guitar - I found it in a little cage in Cincinatti. It’s a 1926/27 black Gibson. It was relatively cheap - about $1,000 - but it seemed like it came with the songs already in it - Il pensait aussi qu’en ressuscitant après sa near-death experience, il allait changer, mais non, «I came out of it all the same disappointing person I was before».  

    ronnie hawkins,michael des barres,spiritualized,tyn collins,the true dukes,c' koi z' bordel,telesterion,falls of raucos

             Andrew Male repart du même point pour Mojoter le roi des Argonautes, «from the edge of heaven to the brink of death». Le roi dit que «the songs always seem precient». Il ajoute que ça l’inquiète. Puis au fil des questions, il ressort un peu ce qu’il dit dans Shindig!, par exemple qu’il n’a jamais perçu de royalties, même avec les albums de Spiritualized, il redit aussi que son premier album fut Raw Power, «99p at Boots». Quand Male lui dit qu’avec les Spacemen 3, Sonic Boom et lui voulaient sonner comme les Stones, mais qu’ils n’avaient pas la voix, Jason lui répond qu’il a raison : «Definitely. That’s all that American garage music is. On peut être les Stones, mais nourri par notre propre culture et notre inaptitude, ça devient quelque chose d’autre, de greater, something beyond that.» Avec ses questions, Male remue pas mal de mauvais souvenirs, le break-up du groupe à cause d’une question de crédits, le départ de la copine Kate qui s’en va se marier avec un autre mec, et puis la double pneumonie que Jason Pierce n’a pas vu venir, petit malaise, docteur et hosto, de l’eau dans les poumon, «one breath a second pendant neuf jours» et d’immenses difficultés à reconnecter avec le rock en sortant de cette épreuve. Il avoue aussi avoir chopé une petite hépatite C, d’où les rumeurs de chimio. Puis il met les choses au clair sur le nouvel album : les chansons datent du précédent, Nothing Hurts, Jason voulait faire un double album, mais Matthew Johnson de Fat Possum ne voulait pas. Il pensait que c’était trop de boulot pour les gens d’écouter un double album. Bon alors d’accord, Nothing Hurts sort et quatre ans plus tard arrive dans les bacs Everything Was Beautiful. Maintenant, Jason est convaincu que Johnson avait raison : «Finishing one album, then making the other one, was the smartest thing to do.»

    Signé : Cazengler, Jason pisse

    Spiritualized. Everything Was Beautiful. Fat Possum 2022

    Johnnie Johnstone : Brought to heal. Shindig! # 123 - January 2022

    Andrew Male : The Mojo Interview. Mojo # 338 - January 2022

     

    Inside the goldmine - Down the Lyn

     

             Ses yeux verts et la lithographie de Miro qu’elle avait accrochée au mur de son salon faisaient tout le charme de Baby Doc. Sinon, rien de spécial. Cette femme extrêmement intelligente parlait d’une voix anormalement grave qu’on aurait dit masculine. De petite taille, brune et d’origine espagnole, elle ne portait que des pantalons. Baby Doc était médecin chef dans un hôpital de grande banlieue. Elle ne donnait son avis que sur ce qu’on voulait bien lui dire, comme le font les psychologues, mais elle le faisait avec ce côté maternel qui instaure un climat de confiance. En fait, c’est elle qui menait le bal et il suffisait de se laisser porter. Plus besoin de veiller à la qualité des échanges, c’est elle qui s’en chargeait. Un propos insignifiant pouvait déclencher des ricochets en forme de traits d’esprit, et rester sur le qui-vive devenait une forme de jouissance. Baby Doc était la reine de l’interaction. C’était toujours un plaisir que de la retrouver dans Paris pour boire un verre du côté de Bastille ou aller faire un tour dans une galerie du Quartier Latin, où elle achetait parfois une œuvre d’art contemporain. Elle habitait un petit pavillon en banlieue Sud. Au premier étage se trouvait sa chambre et la pièce voisine était ce qu’elle appelait son bureau. Tous ses livres se trouvaient là, sans doute des milliers de livres, les quatre murs de la pièce en étaient couverts. Beaucoup de littérature classique en langue française et espagnole, mais aussi des ouvrages scientifiques en grande quantité. Elle devait faire de la recherche mais elle ne s’en vantait pas. Elle veillait à rester sur le terrain de ses interlocuteurs. Sans doute n’aimait-elle pas qu’on fasse semblant de s’intéresser à elle, comme c’est généralement le cas dans les jeux de séduction. Ce mode de relation finit forcément par créer un attachement. Rien à voir avec la passion, c’est encore autre chose. Une affinité élective. Le type de relation dont il faut savoir se montrer digne. Et puis un soir, alors qu’elle avait un peu bu, elle voulut baiser. Elle sortit de la douche et vint s’allonger sur le lit. Elle avait un corps magnifique, presque un corps de jeune garçon. Elle changea complètement de discours et devint funky. Elle était du booty. Première surprise. La deuxième surprise coupa court à tout : ses seins n’étaient pas des seins mais des petites prothèses en forme de tue-l’amour.  

     

    ronnie hawkins,michael des barres,spiritualized,tyn collins,the true dukes,c' koi z' bordel,telesterion,falls of raucos

             On sait bien que le funk est le sel de la terre. Alors que Baby Doc shakait son booty dans son pavillon de banlieue, Lyn Collins shakait le sien sur trois des meilleurs albums de funk qu’on puisse trouver ici bas, en banlieue comme ailleurs. 

    ronnie hawkins,michael des barres,spiritualized,tyn collins,the true dukes,c' koi z' bordel,telesterion,falls of raucos

             C’est à Jessica Lipsky, à son Daptone book, et donc à la compile James Brown’s Funky People qu’on doit la découverte de celle qui se fait appeler The Female Preacher. Lyn Collins fait partie du cercle rapproché de James Brown, un Mister Dynamite qu’on peut d’ailleurs entendre sur Check Me Out If You Don’t Know Me By Now, le deuxième album de The Female Preacher paru en 1975.

    ronnie hawkins,michael des barres,spiritualized,tyn collins,the true dukes,c' koi z' bordel,telesterion,falls of raucos

    Fantastique pochette, avec une Lyn Collins rayonnante de black power et en B, elle duette avec James Brown, promu Minister of New New Super Heavy Funk au dos de la pochette. On les entend tous les deux fracasser «Backstabbers» et funker comme des cracks «Rock Me Again & Again & Again & Again & Again & Again» yeah yeah, cut mythique entre tous, take the time/ To make me loving good, James Brown fait du vrai c’mon here, ils tapent le booty du meilleur funk du paradis, on comprend que James Brown l’ait prise sous son aile, il la double au chant d’again & again & again sur un beat funk minimaliste, ah il faut l’entendre chanter sa plainte en parallèle ! Elle enchaîne avec une reprise de «Try A Little Tenderness» extrêmement orchestrée, servie par des chœurs de rêve, elle y navigue au long cours, mais elle ne va pas l’exploser au final. Dommage. James Brown traîne aussi dans les parages de «Baby Don’t Do It» qui ouvre le bal de la B. Pur funk genius ! Elle ouvre son balda avec «A Foggy Day», un heavy groove des jours heureux qu’elle chante à l’Aretha. Elle est capable d’aller chercher la clameur de la Soul par dessus les toits, comme le montre encore «To Each His Own». Avec «Mr Big Stuff», elle fait du good time funk fabuleusement bien envoyé.

    ronnie hawkins,michael des barres,spiritualized,tyn collins,the true dukes,c' koi z' bordel,telesterion,falls of raucos

             Son premier album s’appelle Think (About It) et sort comme le précédent sur People, le label de James Brown, en 1972. Dès le morceau-titre, elle est dans le real deal, dans le funk des reins, elle fait du pur James Brown. En fait, elle navigue entre deux pôles, James Brown et Aretha, comme le montre encore «Wheels Of Life», elle s’y révèle fantastique de présence perçante, elle shake son heavy groove avec la poigne d’une big sister. Elle replonge en plein dans James Brown avec «Things Got To Get Better». Exactement la même moelle ! En B, elle monte son «Never Gonna Give You Up» là-haut sur la montagne, servie par des chœurs de filles frivoles et dévouées. La B est une extraordinaire face lente, Lyn Collins vise avec «Women’s Lib» la supra-intensité, l’hyper-perçant de la Soul, elle ne parvient pas à égaler le perçant d’Aretha mais le sien épaterait la galerie des glaces. Elle nous goinfre d’intensité, elle vise l’éplorée définitive. Elle termine avec cet extraordinaire groove des jours heureux qu’est «Fly Me To The Moon». Elle le bouffe tout cru ! Ah elle veut qu’on l’envoie sur la lune ? Aw yeah yeah, elle est wild et belle, elle envoie des awite et des c’mon/c’mon qui en disent long sur ses appétits.

    ronnie hawkins,michael des barres,spiritualized,tyn collins,the true dukes,c' koi z' bordel,telesterion,falls of raucos

             Il existe un troisième album plus récent de Lyn Collins, Mama Feelgood, paru en 2006. Si on en pince pour le funk, c’est l’album de rêve. «You Don’t Work» est un petit chef-d’œuvre de heavy funk - Now/ You don’t work/ Ah ! - Elle explose littéralement le booty du funk, ça chante à deux voix, ça pulse dans l’ultimate et à coups de trompettes, et comme les standards du funk, ça dure douze minutes. Elle reprend son vieux «Think (About It)» avec Martha High, Marva Whitney et Guen McCrae. Après une longue intro, elle se barre en mode funk demented - I don’t need no honey/ Think ! - Elle est extrêmement balèze - Get on down ! - Elle ramène tout le funk du monde - This is the right time to think/ Baby / I’ve got to think/ Thinh about it ! - Nous voilà tous prévenus. Elle repart pour douze minutes de funk des enfers du paradis avec le morceau titre. Elle cultive la violence du funk, elle suit la voie tracée par son mentor James Brown. On est là dans le fondamental du funk gratté à l’attaque perpétuelle d’everybody. Dans «Rock Me», elle invite everybody to get funky. Entre chaque cut, on entend un extrait d’interview et bien sûr elle relate ses souvenirs de James Brown. Elle indique que son meilleur souvenir de lui est l’enregistrement de Payback. Sur «Summertime», elle duette avec Martha High - Lyn/ Yes Martha/ The next song we are gonna do - C’est un fantastique hommage à James Brown. Martha évoque les cotton picking songs, the love songs, the songs of pain. Awite now.

    Signé : Cazengler, Lyn Colique

    Lyn Collins. Think (About It). People 1972

    Lyn Collins. Check Me Out If You Don’t Know Me By Now. People 1975

    Lyn Collins. Mama Feelgood. Hi & Fly records 2006

     

     

    L’ ECORCHE

    THE TRUE DUKES

    ( Sortie : 24 / 06 / 2022 )

    Jean-Yves Bassinot : voix / Christian Kikaï : guitare rythmik / Eric Chartier : lead guitar / Jean-Luc Vinot : Bass / Michel Dutot : drums

    ronnie hawkins,michael des barres,spiritualized,tyn collins,the true dukes,c' koi z' bordel,telesterion,falls of raucos

    L’objet n’est pas encore sorti, mais Kr’tnt ! prend ses quartiers d’été, la semaine prochaine, on n’a pas pu attendre jusqu’à la fin août, donc on chronique sans avoir jeté un coup d’œil sur la pochette intérieure.  Huit titres, dont quatre pas tout à fait inédits mais une seconde écoute ne gâte pas le plaisir au contraire ! 

    Les esprits chagrins grimacent, huit titres, ces trouducs ne seraient-ils pas un ramassis de feignasses, je concède qu’ils auraient pu pousser jusqu’à douze, comme sur les bons vieux vinyles, mais il faut le reconnaître les True Dukes sont des grands seigneurs – de grands saigneurs aussi – l’opus fonctionne un peu sur le principe de la table ouverte, entrée gratuite : le monde s’est précipité…  Au final l’on croirait lire les Caractères de Théophraste, hélas, depuis la haute Antiquité la race humaine ne s’est guère améliorée, les Trouducs nous ont pondu une espèce de comédie à la Balzac mais inhumaine, en plus ils ont poussé le vice jusqu’à chanter en français, ainsi si par hasard vous vous reconnaissiez dans un des personnages représentés vous ne pourrez pas faire semblant de n’avoir pas compris. Arrêtons de blablater, il est temps de nous plonger dans cette galerie de portraits contemporains. 

    Le cafard : ça canarde dur, sont sans pitié pour les cafards, ce n’est pas qu’ils soient pour la sixième extinction des insectes, n’ont rien contre les cancrelats et diverses autres espèces, ne nous trompons pas de sujet, The True Dukes n’ont peur de rien, ouvrent leur album par un texte éminemment politique, tant pis pour ceux qui cachent leurs idées sous un mouchoir, eux ils les agitent comme des banderoles de mise en garde. Ne mâchent pas leurs mots, un texte de combat contre les racistes, les fascistes et tout autre individu du même acabit. Ce n’est pas tout, il y a le fond mais aussi la forme, percutent sec, le morceau équivaut à une rafale de mitraillette, court mais efficace, le JYB ne chante pas, il stigmatise sec, défilent les mots percutants, pas de pitié, pas de regret, derrière les copains catapultent la zique à fond de train, vous avez une envolée de guitares propulsées par une batterie nucléaire, lorsque vous reprenez vos esprits c’est terminé depuis longtemps. Mais qu’est-ce que ça fait du bien ! Ou du mal. Tout dépend de quel côté de la barricade où vous vous placez. L’écorché : on peut frapper ceux qu’on n’aime pas, on peut aussi tendre la main à ceux qui sont au fond du trou, les True Dukes sont gentils mais pas gnangnan la praline au trou du cucul, faut que les blessés de la vie saisissent aussi leur vie à pleines mains, pour les consolations vous repasserez, les Duke ne vous dorent pas la pilule, le plus dur est toujours devant soi, compter sur ses propres forces telle est la loi que les faibles doivent s’appliquer à eux-mêmes, encore un morceau à cent à l’heure, un solo de guitare démentiel au milieu, avant et après ça castagne dur, rien de tel qu’une volée d’horions pour vous insuffler l’énergie nécessaire pour survivre.  Le couperet : un fond de rythmique bluesy qui n’empêche pas les guitares de partir en fusée,  les psychologues vous expliqueront que les True Dukes évoquent un problème difficile, ne les écoutez pas, ne portent aucun jugement, ne racontent pas le pourquoi et le comment, juste l’émotion du gars sur qui tombe le couperet de la justice, qu’a-t-il fait, on ne sait pas, est-il coupable, est-il innocent, là n’est pas la question, juste le moment où le gars enquille sa privation de liberté,  tout ce qui se bouscule dans sa tête, du doute envers soi-même à la haine envers la société, tout y est, les guitares tournoient, le JYB répète ses paroles intérieures à plusieurs reprises, sur tous les tons, le constat est simple, la vie ne fait pas de cadeau, les True Dukes non plus. La rage : ce n’est pas bien d’écrire des mensonges alors je ne dirais pas que c’est un instrumental, mais l’est sûr qu’ici le frontground musical emporte le morceau. L’écrase aussi un peu le vocal qui a compris qu’il valait mieux se faire discret et laisser les copains nous écorcher à satiété les oreilles, ce n’est pas que la rage soit mauvaise conseillère, c’est qu’il est nécessaire de la maîtriser et de ne pas retourner cette arme contre soi-même. L’ennemi est partout. Même à l’intérieur de soi.

    ronnie hawkins,michael des barres,spiritualized,tyn collins,the true dukes,c' koi z' bordel,telesterion,falls of raucos

    Politiclowns : après les deux introspections précédentes retour à la politique, avec un ‘’ p’’ minuscule, un titre prophétique quand on l’écoute en ces lendemains de cirque électoral,   les True Dukes n’y croient  pas, sont du côté des déviants qui mènent leur vie à la lumière de leurs rêves d’enfants, dénoncent la farce mais se revendiquent de cette attitude anarchisante qui refuse de prendre part à cette mascarade éhontée. Le titre est joliment envoyé, se termine brutalement, pas de temps à perdre, ont mieux à faire de leur vie. Black out : guitares grondantes, les Trouducs ont aussi des trous noirs, z’en sont tout fiers, ne savent pas ce qu’ils ont fait la veille, mais la vraie vie c’est ainsi (rien à voir avec un bulletin de vote glissé dans l’urne, voir le morceau précédent) joyeux, jouissif, roboratif, la vie à l’emporte-pièce, totalement assumée. Marie : comment messieurs les True Dukes, vous ne seriez pas pour la parité, seriez-vous d’immondes mâles blancs phallocrates, enfin une femme dans votre disque, on n’y croyait plus, vous vous rattrapez de justesse, en plus ils lui font une belle entrée riffique, plus un solo de basse, plus plein d’autres trucs musicalement extra, l’acclament tous en chœur, vous la couvrent de compliments (c’est moins cher que les diamants ), c’est vrai qu’elle leur ressemble un peu, qu’elle mène le même style de vie…  Dans ma rue : tiens, cèdent à leur mauvaise habitude, encore un texte politique, les esprits timorés parleront d’un douloureux problème social, s’agit de toute autre chose, de ceux qui dans la société de consommation ont une maison en carton… le groove cartonne à mort, que voulez-vous de plus, à chacun son destin… implacable.

             The True Dukes, z’ont un son plein, rond, l’a l’air de rouler tout seul, vous entraînerait au bout du monde, idem pour le vocal qui coule et vous emporte au loin, n’ont pas comme beaucoup le punk décharné, ne cherchent pas l’outrance, posent juste un regard juste sur la réalité de notre époque, tout de suite cela fait mal.

    Damie Chad.

      

    SUBVERSIF

    C’KOI Z’ BORDEL

    ronnie hawkins,michael des barres,spiritualized,tyn collins,the true dukes,c' koi z' bordel,telesterion,falls of raucos

     Stéphane : basse & chœurs / Olivier : batterie & chant / Cyril : guitare & chant.

    La macronie : intro qui débourre sec, trois coups de cymbales et c’est parti au triple galop, bienvenue en macronie, remarquez je vous laisse ma place, suis comme C’ Koi Z’ Bordel cette dictature poigne d’acier dans des gants de gluances molles me déplaît fort, les vocaux n’oublient rien les LBD, les rues barrées par les milices policières, le fric pris aux pauvres, la couverture vaccinale obligatoire, j’en passe et des pires, le clament haut et fort, sont des anarchistes, sont contre la dictature de la valeur travail et la dictature de l’ acquiescement, n’y vont pas mollo, guitare, basse et batterie engagées dans une course contre la mort programmée des libertés individuelles et sociales, un titre qui met les poings sur le I de macronie. Ce morceau est agité comme l’étamine noire qui flotte en tête des manifestations violentes. Le kepon et le psylo : ne confondez pas psylo et psycho, ce dernier est un souvent un fonctionnaire qui fait office de régulateur social, Antonin Artaud lui appréciait les champignons magiques, ceci dit même si le titre évoque les titres des fables de La Fontaine, la morale du punk qui se prépare une omelette d’eukaryota risque de blesser les esprits tempérés, en tout cas le groupe en a tiré une énergie folle et inépuisable, Olivier barate à s’en dilater la rate, la guitare de Cyril prend feu avant, pendant et après le solo, mais ce dernier mot est-il vraiment adapté à cette torrentielle cavalcade collective- surtout lorsque la basse de Stéphane se transforme en coulée de lave noire. Je ne voudrais pas les dénoncer mais je pense que l’enregistrement de ce morceau a dû impacter le taux de carbone de notre planète bien aimée et accélérer la dégradation climatique.

    ronnie hawkins,michael des barres,spiritualized,tyn collins,the true dukes,c' koi z' bordel,telesterion,falls of raucos

    Face contre terre : pas de repos possible, c’est que l’on appelle une soirée arrosée, la météo n’y pour rien, une habitude partagée par bien des ethnies, le vieux fond gaulois qui remonte, boire un petit coup est agréable mais dégueuler dans sa chaussure c’est plus sûr, c’est là que l’on s’aperçoit que le nom du groupe n’est pas uniquement une critique de la société libérale, mais une expression qu’ils ont conçue spécialement pour se décrire. Un gros défaut à ce morceau, je vous mets au défi de liquider un magnum de djack avant que ne s’éteigne la dernière note. L’est trop court. Le bourreau : ralentissent le rythme sur ce morceau, bon ils ont remplacé la  guitare, elle se prend pour une scie sauteuse, le morceau mérite  l’attention, un personnage de choix, l’exécuteur des basses œuvres, donne un spectacle public, l’a le tract mais il assure, pas question d’exécuter le travail à la va-vite, faut que le patient souffre longtemps, c’est C’ Koi Z’ Bordel qui pique une crise de nerf, tous ensemble, eux qui avait adopté un rythme modéré foncent maintenant tout droit, n’en peuvent plus, lancent des anathèmes contre ce pourvoyeur de la douleur et de la mort. C’est tout ce qu’ils peuvent faire pour se soulager de leur colère et de leur haine. Le mal est déjà fait. Allez vous faire enculer bande de bâtards : déjà l’on subodore qu’ils n’ont pas piqué le titre dans une lettre de Mme de Sévigné, belle intro de guitare, la batterie prend le pas de l’éléphant, et le vocal se déploie en oriflamme de colère, c’est la vie des petites mains celles qui sont chargées des gros travaux ou des tâches fastidieuses qu’ils racontent et qui suscitent leur ire, toutes les existences étriquées des mal-payés, le morceau n’est pas bien long mais tout est dit. L’on sent que le bâton est prêt et qu’il ne manque plus que l’étincelle pour qu’il explose. Weekend punk / Quand est-ce qu’on picole ? : c’est le weekend, la musique se précipite, pas question d’en laisser perdre un milliardième de seconde, soirée punk dans les grandes largeurs, ce morceau bourrin est à entendre comme une phénoménologie de l’alcool punk, soyons sérieux, le sens de la fête est une option métaphysique.

             Dans les hautes sphères ce genre de groupe punk sera catalogué d’extrémiste. Pour une fois que nos élites énonceront une vérité nous n’allons pas les détromper. D’ailleurs avec leur pochette noire au lettrage d’un rouge subversif, ce n’est pas C’ Koi Z’ Bordel qui se fendront d’une lettre de protestation. Nous non plus, ce CD est trop bon. Excellent.

    Damie Chad.

     

     

                      AN EAR OF GRAIN IN SILENCE REAPED

    TELESTERION

    ( Juin 2022 / YT / Bandcamp)

     

    Aucune autre indication. Il existe ( ou il a existé ) un autre groupe nommé Telesterion qui en 1998 a sorti un CD intitulé Hall of the Mysteries qui arbore sur sa pochette une image qui provient de la même série que celles qui ornent le CD du groupe qui nous préoccupe. C’est justement la couve de leur EP qui a sauté aux yeux du grand admirateur de l’Antiquité gréco-moderne qui, telle la chouette d’Athéna, ne ferme jamais l’œil en moi.

    Deuxième étonnement : le Télestérion était un des endroits les plus importants du sanctuaire d’Eleusis, la grande salle où les participants recevaient un ‘’enseignement’’ dispensé sous forme d’exécution de rites d’initiation. Les mystères d’Eleusis sont d’autant plus mystérieux que quiconque était accusé de les dévoiler encourrait la peine de mort. Pour la petite histoire qui rejoint la grande c’est durant ces mystères que Philippe de Macédoine rencontra Olympias – le culte était ouvert aux hommes et aux femmes – Alexandre le Grand naquit de cette union. Or l’iconographie est empruntée à la Villa des Mystères, qui fut ensevelie sous les cendres du Vésuve à Pompéi. Si mythologie grecque et romaine se rejoignent la manière de les appréhender n’a jamais été similaire. La réflexion grecque n’hésitait pas à s’orienter vers la recherche de principes originels, celle des romains se concentrait davantage sur les applications sensibles.

    Il est de troublantes accointances entre ce nous décryptons de la fresque de la Villa et de ce que nous supposons être la signification d’Eleusis. Ainsi il est facile de remarquer que la Villa représente des scènes liées à la vie de Bacchus alors qu’Eleusis évoque Dionysos. Or le Bacchus romain n’étant que l’incarnation nationale du Dionysos grec, un partout, balle au centre.

    Il est pourtant une différence essentielle, le culte d’Eleusis trouve son origine dans Hades le dieu des morts, celui de la Villa culmine dans la proclamation de la germination vitale, entrevue dans ses applications sexuelles.

    ronnie hawkins,michael des barres,spiritualized,tyn collins,the true dukes,c' koi z' bordel,telesterion,falls of raucos

    Things done : les choses accomplies : l’on retrouve le mot chose dans les trois premiers titres. C’est un vocable utile, puisque nos connaissances d’Eleusis sont en majeures parties hypothétiques il permet de nommer sans précision. Les grecs l’utilisaient aussi. Nous dirons qu’ici Things signifie actes. Le morceau se déploie majestueusement, une rythmique de marche lente mais affirmée, s’élève bientôt une mélodie qui serpente longuement jusqu’au moment où des choeurs la remplacent, l’on imagine facilement la foule des processionnaires qui partaient à pied d’Athènes vers Eleusis, les voix indistinctes qui psalmodient donnent une idée de la ferveur religieuse et la mélodie keyboardiste qui reprend marque l’élan spirituel qui poussaient nos impétrants vers le sanctuaire. Mais tout se calme, le bruit cesse, un coup sec impose le silence. Things shown : les choses montrées : c’est dans ce deuxième titre que le mot chose prend sa dimension la plus objective. Lors des mystères d’Eleusis l’on présentait aux initiés un panier dans lequel se trouvait la révélation ultime : un épi de blé. Car le grain enfoui dans la terre éclate et disparaît ( mort) pour donner naissance à un épi ( vie ). Au cours des cérémonies il semble que l’on dévoilait un autre objet, un olisbos, lecteurs et lectrices ne dites pas que vous n'avez pas de dictionnaire de grec, cet engin n’était autre qu’un phallus fièrement dressé symbole du principe germinatif de la vie. Rythmes d’entrée saccadés, qui prend aux tripes, des chœurs cette fois-ci à dominante féminine s’élèvent, nous sommes aux moments les plus importants ceux de la révélation, la musique devient plus large, l’on entend comme le bruit des vagues de la mer amère qui frange d’écume la terre, la voix d’une prêtresse s’élève et prononce des mots que nous ne comprenons pas, le son s’éloigne comme s’il tournait autour de lui-même, il revient plus fort, nous sommes aux instants cruciaux du dévoilement, une sorte d’écho tente de traduire le choc révélatif qui doit se passer dans les neurones des prosélytes, ce saut qualitatif qui permet de passer de la vision d’objets usuels à la force opératoire de leur compréhension symbolique. Things said : choses dites : autrement dit les paroles sacrées, sans doute des formules relativement courtes qui résumaient en quelques mots subtilement et euphoniquement agencés – un peu comme les mantras indiens – l’enseignement révélé. Malheur à celui qui les prononcerait en public. Ces formules ne nous sont pas parvenues… Des sons comme des ondes qui se déplacent, volent au loin, à l’intérieur de vous car ils ne sont pas fait pour voyager dans le monde mais pour raisonner, et la machine se met en route, l’on n’entend pas les mots mais l’instrumentalité les propage, sont des diamants irradiants auxquels l’écrin maintenant ajouté des chœurs ne fait pas écran mais accentue leur luminosité, le morceau file vers son apogée, l’en devient grandiloquente, le rythme de la batterie s’accélère tout en gardant une solennité  mystique, illimitée vers les confins du silence. The Rharian field : le champ rharian : sur l’injonction de Déméter ce champ situé à Eleusis fut le premier à être ensemencé de grains de blé et à donner la première récolte. C’est ainsi que l’agriculture fut enseignée aux hommes par Déméter déesse de la terre et des moissons. Hades séduit par la beauté de Koré la fille de Déméter l’enleva et l’emmena pour épouse dans le royaume souterrain des Enfers où elle prit le nom de Perséphone. Déméter se plaignit à Zeus qui décréta que Koré passerait les mois d’hiver avec son mari sous la terre et le reste de l’année sur la terre en compagnie de sa maman. L’analogie avec le grain de blé est évidente…des notes en giclées de grêles que relaie une orchestration luxuriante, les principes sont acquis, le triomphe de l’âme est assuré les chœurs chantent la délivrance de l’angoisse, une joie incoercible chasse les peurs inutiles, la musique par sa beauté étincelante tente de traduire le confort d’esprit que procure l’initiation, rien n’a changé, mais l’individu s’est assimilé le cycle de la vie et la mort. Clarté et apaisement prennent le pouvoir, la musique baisse et disparaît il n’en n’est plus besoin. Elle n’a été qu’une démarche vers la plénitude d’une plus grande transparence. An ear of grain in silence reaped, nous traduirons un épi de blé dans le silence de la moisson.

    ronnie hawkins,michael des barres,spiritualized,tyn collins,the true dukes,c' koi z' bordel,telesterion,falls of raucos

             Les mystères ne se livrent pas facilement. Telesterion nous en a offert une interprétation – un commentaire préfèreraient dire les anciens Grecs  - musicale, ils nous en offrent une autre qui n’est pas de leur cru en reprenant sur leur CD quatre images issues de la fresque de la Villa des Mystères de Pompéi. Quel rapport existe-t-il entre la Déméter d’Eleusis et le Bacchus romain. Le trait d’union c’est évidemment Dionysos ( = Bacchus ). Dionysos fils de Zeus et de la mortelle Sémélé sera par ordre d’Héra l’épouse jalouse de Zeus déchiré en lambeaux sanglants par les géants. Zeus recollera les morceaux (c’est le cas de le dire) et lui confèrera l’immortalité. Le lecteur fera de lui-même la relation avec le grain de blé dont l’enfouissement et la décomposition dans la terre provoquera la naissance de l’épi, la mort du héros a engendré l’apparition du dieu.   

              La fresque est comme une bande dessinée dont on aurait supprimé les bulles et dont on ignore l’ordre de lecture des images. Très prosaïquement on peut la décrire comme le récit de la vie d’une femme, qui commencerait par les préparatifs du mariage, la fête (présence du vin et de Dionysos ) la défloration ( très symbolique ), la maîtresse de maison souveraine en sa demeure, la fierté de la mère devant les progrès ‘’scolaires’’ de son enfant.

    ronnie hawkins,michael des barres,spiritualized,tyn collins,the true dukes,c' koi z' bordel,telesterion,falls of raucos

             D’autres interprétations existent. Elle se chevauchent, oscillent entre la précédente très terre à terre et une représentation de l’histoire de Dionysos. Aucune n’est totalement pertinente. Je profite de l’occasion pour présenter très rapidement la mienne, très fragile, renforcée par la présence de la statue de Livie sur le site. Si la fresque est si difficile à interpréter c’est parce qu’elle est codée et que les dessins ne représentent pas les scènes qu’ils illustrent. La statue de Livie, la femme d’Auguste n’est pas là par hasard. Sans doute marmorérait-elle une toute autre personne. La tête de Livie a été rajoutée après coup, un peu comme un paratonnerre pour éviter non pas la foudre de Zeus, mais celle beaucoup plus dangereuse d’Auguste. Se mettre sous la protection de l’épouse de l’Empereur pouvait se révéler une sage précaution, surtout lorsque Auguste s’en est pris aux cultes orientaux qui florissaient dans Rome, par exemple celui d’Isis. Ainsi toute une partie des motifs de la décoration du reste de la villa est inspirée par l’Egypte. Une des hypothèses retenues pour expliquer l’exil du poëte Ovide à l’autre bout de l’Empire serait sa participation à une célébration orphique.  Je me demande si sous le couvert d’une représentation d’Homère (avec la lyre) le sujet initial n’était pas destiné au travers de certains poëtes comme Sapho une espèce d’évocation de la poésie sous laquelle se profilait le personnage d’Orphée. Il se peut que lors de la proclamation des édits augustéens la fresque en cours d’élaboration ait été prudemment modifiée. Il se trouve que les quatre vues choisies par Telesterion sont celles qui corroborent le mieux mon hypothèse…   ( Image 1 : le vin de la poésie, Image 2 : Sappho, Image 3 : lecture de la poésie, Image 4 : Homère ). Poésie et musique ne naissent-elles pas du silence. Comme l’épi du grain.

    ronnie hawkins,michael des barres,spiritualized,tyn collins,the true dukes,c' koi z' bordel,telesterion,falls of raucos

    Damie Chad.

     

    *

    Lorsque l’on tient un groupe américain qui parle et même chante  en français, on ne le lâche pas des yeux, souvent je fais un tour sur le FB de Forêt Endormie ( non, je n’ai pas traduit leur nom ), vont bien, donnent quelques concerts, mais n’ont pas forniqué un petit frère à leur album Une voile déchirée que nous avions chroniqué le 06 / 05 /2021 dans notre livraison 509 + autre chronique in livraison 515 le 17 06 / 2021  ne les accusez pas de paresse, Jordan Guerette qui a formé Forêt Endormie, participe aussi à Falls of Raucos qui a sorti un nouvel opus, que je décide aussi sec de chroniquer, mais – dans les plus belles histoires il y a toujours un mais – me rendant sur leur Bandcamp, je m’aperçois qu’ils ont déjà à leur actif une dizaine d’albums, dont un, l’avant-dernier, dont le titre tilte en moi, vous trouverez donc d’abord la chronique de celui-ci.

     PATTERNS IN MYTHOLOGIE

    FALLS OF RAUROS

    ( Juillet 2019 )

     Evan Lovely : basse / Jordan Guerette : vocal, guitars, keyboard / Ray Capizzo : drums / Aaron Charles : vocal, guitars.

    ronnie hawkins,michael des barres,spiritualized,tyn collins,the true dukes,c' koi z' bordel,telesterion,falls of raucos

    Détournements : instrumental. Ouverture wagnérienne, écroulements de guitare et surgissement du leitmotiv de la tristesse ou de la nostalgie ou de l’impuissance de l’esprit devant le cours et l’effondrement des choses. Le morceau se finit en queue de poisson on attend un final grandiose, mais non une espèce de grincement qui s’étire non pas pour s’éteindre mais pour culminer dans la violence déchaînée de Weapons of refusal : les dieux sont morts depuis longtemps, Falls of Rauros ne fait allusion à aucune des anciennes mythologies, il y a longtemps que les hommes les ont troquées contre de nouveaux modèles, vous les connaissez tous, ils ne reposent sur aucun récit antérieur, ce sont les chaînes mentales qui régissent notre présent qui correspondent aux comportements de tout un chacun englué dans notre sinistre modernité, c’est pour cela que le leitmotiv du désespoir inéluctable et du regret impossible interrompt parfois l’éruption de colère intransigeante portée par  le vocal, le côté black death metal se marie à merveille à la présence obsédante de cette mélodie du désenchantement qui puise ses racines aussi bien dans la ténuité d’une guitare folk que dans des arrangements à caractère symphonique, n’empêche que le chant se déploie telle une prophétie de haine et de destruction, il n’y aura ni repos ni pitié, les temps ne sont pas à la contemplation. New inertia : une guitare seule, méfiez-vous, elle chantonne doucement et derrière elle monte un blues balladif qui retient votre attention, vous vous arrêtez pour l’écouter, la voix grogne, elle vous explique que ce n’est que du faux-semblant, que le présent possède aussi un visage que l’on aime contempler, il dit calme, luxe et beauté, ils parle d’intelligence mais si vous tentez de gratter l’écaille le système sera sans pitié, vous mettra hors d’état de lui nuire, et dès que la voix se tait les notes douces et ensorcelantes reprennent le dessus et vous mènent par la main, ça scintille, ça miroite, le poignard du vocal se plante en vous pour vous réveiller, le piège renaît sans cesse, autant de fois vous le briserez, et la musique se fait vague destructrice pour vous aider, mais les remparts qu’elle essaie d’abattre tiennent bon, vous n’êtes pas encore sorti de l’auberge du désespoir… Renouvellement : en plein dans la mouise, roulements implacables de la batterie, c’est pourtant ce qu’Heidegger appelait le retournement, l’instant où la route de la pensée tourne pour emprunter une direction opposée à celle qu’elle semblait avoir choisie, l’accompagnement prend une ampleur nouvelle, ce qui n’empêche pas que la joie est absente, que nous sommes au point crucial, mais que rien n’est gagné. Le vocal est en français. Last empty tradition : l’ampleur de la tâche, qui nous nargue, plus on s’approche pour briser les cadres de l’actuelle mythologie qui nous emprisonne, plus elle paraît invincible, détient mille ruses pour nous réduire à l’impuissance, le vocal fronce la voix comme un taureau qui croise ses cornes avec son ennemi, longtemps le combat reste indécis, la musique piétine, fait du surplace, ondes vibratoires pour relancer la machine, toute mythologie renferme une autre mythologie, la forteresse possède une autre enceinte et ainsi de suite, c’est l’assaut, celui qui doit emporter le morceau, impulsion ultime celle de la dernière chance, il semble que l’ennemi recule, qu’il cède, que la place est libre. Memory at night : était-ce un rêve ou un épisode du cauchemar, quelque chose a-t-il changé, comme la plus belle fille du monde le groupe donne tout ce qu’il peut, n'empêche qu’il est rongé par le doute, et si la mythologie oppressive n’était pas au-dehors mais au-dedans, que c’est l’homme qui la sécrète comme l’escargot sa bave, peut-être est-ce déjà une victoire de s’en être aperçu, peut-être le doute est-il un hymne à la joie, la seule délivrance possible, peut-être ne ferons-nous pas mieux, maintenant au moins nous savons, ce qui est terrible c’est que la perte de l’ignorance ne débouche que sur une incertaine vérité à laquelle on se refuse déjà de croire. L’on n’en est pas plus avancé pour autant, tout ce l’on a appris c’est que nous appartenons à une espèce précaire dont l’esprit vacille.

    KEY TO A VANISHING  FUTURE

    FALLS OF RAUROS

    ( Mars 2022 /

    La différence entre les deux pochettes est éloquente. Celle de Patterns of mythologie dégage une certaine puissance, même si ces vagues qui se brisent sur le rivage en des tourbillons d’écume insistent sur l’inéluctabilité du phénomène, une deuxième lame est là pour la remplacer, et une fois écroulée une autre surgira encore et encore, vous ne brisez les chaînes d’une mythologie que pour vous retrouver dans les fers d’une autre, et votre malheur se répètera ad vitam aeternam. Mais ce recommencement éternel laisse subsister l’espoir insensé qu’une fois il serait possible que vous échapperiez à cette prison perpétuelle. A croire qu’un autre futur est possible…

    ronnie hawkins,michael des barres,spiritualized,tyn collins,the true dukes,c' koi z' bordel,telesterion,falls of raucos

    La couve de Key to a vanishing future dont le titre laisse déjà présager que le futur est incertain, ne vous laisse pas un seul d’espoir. Nous sommes au sommet d’une montagne enneigée, seuls poussent ces sapins sempervirens que l’on plante dans les cimetières (quelle ironie funèbre) pour symboliser l’éternité alors que leur bois sont tirées les planches de nos cercueils… brrr !, quant à la clef on vous l’offre au premier plan, tordue, cassée, incapable d’ouvrir la porte du futur évanoui que l’on ne vous promet pas…

    Clarity : l’on ne s’attend pas à quelque chose de gai, de fait l’ambiance est plutôt lugubre, l’album a été composé durant le confinement, le moral n’était pas au beau fixe et la prospective peu engageante, la clarté évoquée n’est pas celle du soleil levant, c’est celle de la lucidité du désespoir, une vision nihiliste du monde et de l’être humain, la voix éraillée, la musique semble courir à sa propre fin, à sa propre perte, pratiquement en apesanteur, légère et comme en train de se désagréger, vocal désenchanté de loup enrhumé qui ne parvient pas à hurler à la lune, gorge en extinction. Silence brutal. Que dire de plus. Rien. Desert of heart : ce n’est pas fini, puisque la promesse du monde s’amenuise, le riff tourne en boucle, la basse tressaute comme un vinyle écorché, la voix glapit et vaticine sur la seule dimension accessible à sa connaissance, la désespérance des hommes, leur esprit tari, la sécheresse des sentiments, le titre s’épanche se transforme en hymne de défaite, lorsque l’on a tout perdu, il ne reste que l’orgueil d’avoir été vaincu, peut-être est-cela la débâcle totale de l’être humain, la nullité de la vanité, l’ortie de la médiocrité pullule dans notre cœur, pas de quoi en être fier, mais l’on se doit de faire avec ce que l’on a. Qui équivaut à ce que l’on n’a pas.  Survival poem : quand on n’a rien  pour vivre, comme dit Rilke qui m’entendrait parmi les anges si je criais, il reste à survivre, un background qui essaie de donner l’apparence qu’il ne rampe dans la boue des désillusions que pour donner l’illusion de monter vers les sphères célestes, pour le vocal il ressemble plutôt aux vomissures excrémentielles de Satan au fond de l’abîme, alors les guitares et tout le bataclan essaient de repeindre la guimbarde sans moteur de couleurs flashantes, il faut bien donner rendez-vous à l’improbable si vous voulez qu’il survienne, certes ce n’est pas la carmagnole mais pas non plus la torgnole pour éteindre la bougie de l’être. Known world narrows : ce n’est pas parce que l’on est parvenu à rester vivant que le monde est devenu beau et grand, les cordes chantonnent le clavier carillonne en cachette, mais pas pour  longtemps, nous voici, le vocal nous prévient, face à l’étendue du désastre, s’il est une échappée possible peut-être réside-telle dans ces parties du monde que nous ne percevons pas, un peu comme si nous regardions que la face obscure de la lune et que nous ignorions son envers lumineux, la basse riffe plus grave pour nous avertir que ces sortes de raisonnements constituent ce que l’on appelle la consolation du pauvre, n’empêche que le background devient lyrique, pas optimiste, ni festif, mais enfin un tout petit peu entraînant. La clef est cassée mais l’on a récupéré les deux morceaux. Ce n’est pas si mal. On a déjà traversé pire. Daggers in floodlight : changement de rythme, plus marqué, davantage affirmé, avec des suspensions, c’est que si vous éteignez la lumière, vous êtes dans le noir, mais au moins vous êtes surs qu’elle existe quelque part, c’est cette bivalence, cette ambivalence que nous conte Falls of Rauros, belle prestation vocale l’on dirait qu’elle se bat avec elle-même et que la batterie lui flagelle la langue, soit pour l’arrêter de trop  parler, soit pour qu’elle se presse d’annoncer la bonne nouvelle, l’on ne sait pas trop, l’on reste un peu le cul entre deux chaises inconfortables, parfois l’on croirait déceler un sentiment de joie allègre et parfois la batterie imite la démarche titubante du dromadaire perdu dans le désert, qui meurt de soif et entre en agonie, manque de chance le voici couché dans le sable, qui s’infiltre dans ses naseaux, derniers spasmes de guitare. Poverty hymn : hymne de la pauvreté, nous parlions tout à l’heure de Rilke, n’a-t-il pas écrit Le livre de la pauvreté et de la mort qui est à comprendre comme un idéal, un effort de vie, la musique triomphe, elle devient hymne à la douleur, un peu retenue mais d’autant plus altière qu’elle vient de très bas, certes la clef cassée est inutilisable mais qui nous dit que la porte est fermée à clef, et qu’il n'est pas interdit  d' enfoncer les portes ouvertes, et que si le futur n’existe pas, il reste l’ éternel présent du vouloir survivre. Sans illusion, avec ce que l’on n’aura jamais. (Très belle vidéo sur YT ).

             Magnifique !

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 556 : KR'TNT 556 : HENSKE JUDY / TEENAGE FANCLUB / LOS BITCHOS / HONEY / CAT ZENGLER / THE TRUE DUKES / DEEP PURPLE+ MARIE DESJARDINS / SPINNE / EMILIE KOSMIC

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    henske judy,teenage fanclub,los bitchos,honey,cat zengler,the true dukes,deep purple + marie desjardins,spinne,émilie kosmic

    LIVRAISON 556

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    26 / 05 / 2022

     

    JUDY HENSKE  / TEENAGE FANCLUB

    LOS BITCHOS / HONEY

    CAT ZENGLER / THE TRUE DUKES

    DEEP PURPLE + MARIE DESJARDINS

    SPINNE / EMILIE KOSMIC

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 556

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur : http://krtnt.hautetfort.com/

     

    Henske Judy est là ?

     

    henske judy,teenage fanclub,los bitchos,honey,cat zengler,the true dukes,deep purple + marie desjardins,spinne,émilie kosmic

             Dans les early sixties, la plupart des artistes américains débutaient dans des clubs. Tu te pointais avec ta gratte, deux chansons et tu montais sur scène. Comme Dylan, Fred Neil, Richie Havens et tous les autres, Judy Henske a démarré ainsi. Pas à New York, mais à Hollywood, repérée dans la rue par le propriétaire d’un club, Herbie Cohen, qui est aussi manager d’Odetta puis de Zappa, Tim Buckley, Fanny et d’autres. Ce soir-là, Cohen entend Judy chanter ses deux chansons et lui propose aussitôt de la manager. Il la fait jouer en première partie de Lenny Bruce dont il est aussi le manager - Not an easy place to start, dit Judy qui a du mal avec le public de Lenny Bruce, mais elle va faire évoluer son set vers ce qu’elle appelle le bloody fun, et qu’on appellerait ici du dadaïsme. Elle va aussi intéresser Jac Holzman qui qualifie sa voix d’«outsized». Holzman dit aussi qu’elle ne se contentait pas de briser des verres avec sa voix, elle pouvait aussi briser des vitres blindées. Pour parler d’elle, on emploie aussi l’expression «énergie du diable» - devilish wit.

             Judy n’est pas née de la dernière pluie. Sa mère jouait du piano et petite, Judy se passionnait pour la poésie, le jazz et le blues. L’une de ses chouchoutes, c’est Peggy Lee. Quand elle découvre Pete Seeger, elle apprend à jouer au banjo. Elle ne se veut ni spécialement folk, ni jazz, ni blues, elle se veut Henske. Et comme beaucoup de gens à l’époque, elle finit par jouer au Troubadour, à Los Angeles.

    henske judy,teenage fanclub,los bitchos,honey,cat zengler,the true dukes,deep purple + marie desjardins,spinne,émilie kosmic

             Judy revient dans l’actu par deux biais : un très bel article dans Shindig! et un biais beaucoup moins marrant, puisqu’elle vient tout juste de casser sa pipe en bois. Alors prosternons-nous jusqu’à terre, les amis, car Judy Henske fut une très grande dame.

             David Pearson qui retrace l’histoire de Judy dans Shindig! a bien travaillé, puisqu’il a épluché les interviews de Kris Needs et les mémoires de Jac Holzman (Becoming Elektra). Un Holzman qui admire tellement Judy qu’il ne mégote pas sur les dépenses, puisque pour l’enregistrement de son premier album sur Elektra, il embauche un arrangeur de jazz, un big band dans un big studio et, ajoute-t-elle en rigolant, une big audience.

    henske judy,teenage fanclub,los bitchos,honey,cat zengler,the true dukes,deep purple + marie desjardins,spinne,émilie kosmic

             Judy Henske sort en 1963. Elle n’en garde pas un bon souvenir, d’autant qu’on l’a un peu obligée à porter une robe pour la pochette, ce qui n’est pas du tout son style. En B, elle chante «Every Night When The Sun Goes In» à la dure. C’est le blues selon Judy. Elle le travaille à la force du poignet, elle force bien ses syllabes. Elle passe en mode jazz New Orleans pour «Empty Red Blues». La plupart des cuts sont enregistrés live et elle fait bien rigoler son public. C’est là sur cet album que se trouve sa fameuse version de «Wade In The Water» qu’elle chante au power du gospel batch. Pour «Hooka Tooka», elle crée une ambiance de mama chalk’d tobacco, elle est assez géniale, elle chante tous ses cuts à l’énergie maximaliste.

    henske judy,teenage fanclub,los bitchos,honey,cat zengler,the true dukes,deep purple + marie desjardins,spinne,émilie kosmic

             Elle préfère nettement l’album enregistré l’année suivante, High Flying Bird. Il est en effet nettement supérieur. More banjo and guitar stuff, dit Judy. Elle rend d’ailleurs hommage au guitariste John Forsha, disant que sans lui il n’y aurait pas eu de Judy. Le morceau titre d’ouverture de balda est une reprise de Billy Edd Wheeler. Il illustre la vraie dimension du rock d’Elektra, ce folk-rock qui va donner le ton pendant quelques années. Pearson cite d’ailleurs Richie Unterberger qui voit cette version d’«High Flying Bird» comme «incredibly influential». Pearson cite aussi Mike Houghton, l’historien d’Elektra - One of the first exemples of what was to be called folk-rock - Houghton ajoute que Richie Havens, Stephen Stills et l’Airplane vont faire des reprises de cette reprise. Avec «Til The Real Thing Comes Along», Judy passe aux énormités, elle rentre dans le lard du heavy blues comme elle seule sait le faire. Paf ! Elle se jette dans le son et chante tout à l’accent fatal. Elle chante à fleur du peau. En B elle revient au blues avec «Blues Chase Up A Rabbit», un heavy blues de cool Colorado rain. Avec «Glod Bless The Child», elle passe en mode round midnite, elle est black dans l’âme, on pense à Nina Simone. À l’écoute de «Good Old Wagon», on sent bien qu’elle a roulé sa bosse partout, car ce qu’elle fait là est de la pure Americana. Mais c’est avec le round midnite qu’elle excelle, avec notamment «You Are Not My First Love». Tout est bien sur cet album. Saluons aussi «Lonely Train» et «Charlotte Town», qu’elle développe admirablement. 

             Quand elle débarque à Greenwich Village, Judy joue en première partie de Woody Allen. Ils vont devenir de très bons amis et Woody va baser le personnage d’Annie Hall sur Judy.

    henske judy,teenage fanclub,los bitchos,honey,cat zengler,the true dukes,deep purple + marie desjardins,spinne,émilie kosmic

             Elle quitte Elektra, car ça ne marche pas, et elle arrive en 1965 chez Mercury pour enregistrer Little Bit of Sunshine Little Bit Of Rain. On y trouve des covers extraordinaires, notamment deux covers de Fred Neil, «The Other Side Of This Life» et «Just A Little Bit Of Rain». L’Other Side est joué très psyché, sous le boisseau, et le Bit Of Rain qui se niche en B impressionne encore plus par la qualité du feel à la patte du caméléon. C’est le groove psychédélique de Freddie la star, reconnaissable entre tous, Judy la star l’embraye à la Henske, résolument, avec sa niaque légendaire - If I should lee/ eave you - Elle fait glisser ses syllabes. D’autres merveilles sont à découvrir, comme l’«I Loves (sic) You Porgy» qu’elle attaque avec détermination. Elle en impose autant que Liza Minnelli. Elle chante «He Needs Me» à l’intensité frémissante, suivie à la trace par une flûte bucolique. Puis elle groove de blues de «Blues My Naughty Sweetie Gives To Me» à outrance, elle ne fait pas semblant. Elle chante aussi «Silver Dollar» au sommet de son registre, avec une bravado de femme à barbe, très virile, très décidée à en découdre, très théâtrale.

    henske judy,teenage fanclub,los bitchos,honey,cat zengler,the true dukes,deep purple + marie desjardins,spinne,émilie kosmic

             Judy change encore de label et se retrouve en 1966 sur Reprise, avec un album produit par Herb Cohen et arrangé par Jack Nitzsche : The Death Defying Judy Henske, qui pourrait bien être son plus bel album. C’est un album live et Judy y raconte des histoires qu’il faut bien qualifier d’extraordinaires. Ça commence avec «Betty & Dupree». Elle y raconte l’histoire d’un femme qui a cherché le true love all her life. Dupree a 87 ans. She found the man of HER dreams, a man of HER age. His name was Betty. He was a communist. Elle fait bien marrer le public. Elle se marre elle aussi. Elle enquille un puissant heavy blues qui préfigure nettement Janis Joplin - This was Janis Joplin on speed, nous dit Pearson - Tommy Tedesco joue une partie de guitare flamboyante et Judy est spectaculaire de power Hensky. Elle redéconne un peu plus loin avec «Saved» et une histoire loufoque de chef indien au Nebraska, Slowlowless et de sa fille Dolauress. La B est encore plus délirante. Elle tape une cover d’«I’ve Been Loving You Too Long» et l’explose en guise de final. Judy est la plus grande finisseuse d’Amérique, il est important de le savoir. Dans «Ace In The Hole», elle met en scène Scarlet O’Hara and Red Butler sitting in her veranda. The mansion is being burnt to the ground by Bill Haley AND His Comets led by Miles Davis AND Vincent Price. Fabuleux délire. Nous voilà en plein cœur de Dada. Puis elle va chercher «Danny Boy» là-haut sur la montagne beaucoup plus haut que ne le fera jamais Cash. Elle a ce pouvoir extraordinaire de monter là-haut sur le mont Ararat. Puis dans «Nobody Knows», elle rappelle qu’elle est allée à la recherche du Yéti avec l’Admiral Byrd. Elle avoue aussi avoir rencontré The Incredible Nanouk Gettigoumi, meaning Old Eskimo. His companion and confident a bearded and one-legged Theology student from the Unversity of Chicago named Vanzetti. En plus, elle amène du son. Merci Judy pour cette purge dadaïste.

             Pearson indique au passage que Judy est très impressionnée par Jack Nitzsche - He was completely outrageous, willing to try anything. He was brillantly intelligent and had a completely original take on the music - C’est Nitzsche qui sacre Judy Queen of the Beatnicks.

    henske judy,teenage fanclub,los bitchos,honey,cat zengler,the true dukes,deep purple + marie desjardins,spinne,émilie kosmic

             Avec son mec Jerry Yester, Judy enregistre en 1969 Farewell Aldebaran, un album considéré comme culte. Il s’agit en effet d’eccentric instensity et de weird sparkle of outsider art. Aldebaran est une grande étoile rouge que Judy a découverte dans son encyclopédie. C’est Zal Yanovsky qu’on entend sur «Snowblind», il attaque ça au big deepy deep de heavy boogie psychédélique et Judy rentre dans le Snowblind à la rage folle, impossible de la retenir, quel son ! Jerry, Zal et les autres font du stomp mythologique. Elle y va, la mémère ! Ils tapent dans l’hors du commun. Alors après, ça se dégrade. Judy fait son biz et chante pas mal à la mormoille. Dommage qu’ils aient perdu le fil de Snowblind. Elle s’en va chanter «Three Ravens» en haut des barricades et retombe dans le folky folkah avec «Raider». Jerry Yester déloge le heavy groove d’«One More Time» au sweep along tentateur. Judy la revancharde revient aux barricades avec «Rapture», c’est une vraie harpie et il faut attendre «Charity» pour retrouver la veine de la grande pop. C’est une petite merveille évangélique, pleine d’ampleur, Judy lui donne de la voile, alors ça file sous le vent, la compo est ambitieuse, Judy travaille bien ses demi-teintes. Et ça continue avec le morceau titre, Jerry le prend au chant, vite rejoint par les ptérodactyles et par cette folle de Judy, ils chantent à l’éclate et ça devient tout simplement stupéfiant. Pearson qualifie l’album de psych-folk masterpiece. Malgré tous leurs efforts, l’album flip, floppe & fly.

    henske judy,teenage fanclub,los bitchos,honey,cat zengler,the true dukes,deep purple + marie desjardins,spinne,émilie kosmic

             Judy et Jerry Yester montent ensuite Rosebud et enregistrent un album sans titre en 1971. Bon alors ce n’est pas l’album du siècle, oh la la pas du tout. On s’ennuie un peu sur toute l’A et il faut attendre la fin de la B pour commencer à frétiller avec «The Yum Yum Man», elle y entre par la voie douce, puis elle passe en mode Airplane, elle fait son égérie et grimpe sur la barricade. Elle retrouve ensuite sa niaque de maître à penser du Quartier Latin avec «Roll Home Cheyenne». Il y a un homme en elle, elle peut chanter avec fermeté et au menton carré. Et puis voilà que «Flying To Morning» sauve l’album. Elle s’en va par dessus l’over the rainbow, elle retrouve sa démesure de grande chanteuse, c’est savamment orchestré, alors elle peut gueuler. Elle développe une puissance vocale exceptionnelle, elle en fait même chuinter la pointe de sa glotte, l’effet sidère, elle redevient fabuleusement attachante, haute en couleurs, à la fois héroïque et psychédélique.

    henske judy,teenage fanclub,los bitchos,honey,cat zengler,the true dukes,deep purple + marie desjardins,spinne,émilie kosmic

             En 1999 paraît Loose In The World. C’est encore un album qu’elle chante au heavy Henske et ça peut avoir un côté pénible, car elle n’est pas très bonne dans les descentes de slalum. Elle donne trop de la voix, certains de ses accents qui sont trop mâles font mal aux oreilles. Elle adresse un gros clin d’œil à Kurt Weil avec un «Master Of Love» très Opera de Quat’ Sous, puis elle tape «Dropped Like A Dime» au vieux freesbee de nowhereland. Hey mister ! On se croirait dans un pub en Irlande ! C’est n’importe quoi. Elle se prête vraiment à tous les jeux. Comme elle donne de la voix, elle se paye de bonnes tranches. Elle monte trop à l’assaut de son «Tikky Tikky Gumdrop» et elle brise le charme. Dommage, car elle pourrait casser la baraque. Ce qu’elle finit par faire (enfin) avec «Blue Fortune». Elle se fond dans le groove de blues et elle l’explose au never never get enough. Elle enchaîne avec un «Wish I Had My Old Guitar» qu’elle prend au guttural de vieille bitch et elle ne lâche rien. C’est pour ça qu’on l’adore. Mais elle en fait trop. Elle revient se fondre dans l’Americana de grande gueule avec son vieux «Betty & Dupree», elle chante à la clameur viscérale, elle le beugle au diamond ring, elle pousse l’une de ces gueulantes dont on se souvient longtemps après que les poètes ont disparu, elle est incapable de mettre la pédale douce. Puis elle explose de bonheur avec «Tin Star». C’est un exploit, elle explose le concept même de good time music, elle gueule sa joie, elle se rend hommage, elle est stupéfiante d’Hensky power, oh boy take me home now ! Judy est une reine du heavy rock américain, mais aussi la reine d’Elektra, elle ramène dans son «Til The Real Thing» de fin tout le rumble de la Nouvelle Orleans.

    Signé : Cazengler, Judy Husky (ouaf ouaf)

    Judy Henske. Disparue le 27 avril 2022

    Judy Henske. High Flying Bird. Elektra 1963

    Judy Henske. Judy Henske. Elektra 1963

    Judy Henske. Little Bit of Sunshine Little Bit Of Rain. Mercury 1965

    Judy Henske. The Death Defying Judy Henske. Reprise Records 1966

    Judy Henske & Jerry Yester. Farewell Aldebaran. Straight 1969

    Rosebud. Rosebud. Reprise Records 1971

    Judy Henske. Loose In The World. Fair Star Music 1999

    David Pearson : High Flying Bird. Shindig! # 118 - August 2021

     

     

    You got the Teenage Fanclub blues - Part Two

     

    henske judy,teenage fanclub,los bitchos,honey,cat zengler,the true dukes,deep purple + marie desjardins,spinne,émilie kosmic

             Le concert de Teenage Fanclub est reprogrammé pour la troisième fois, et cette fois, ouf, c’est la bonne. Dire qu’on est content de revoir les Fannies en chair et en os serait un euphémisme. Personne n’a oublié l’éclat de leurs grands albums, notamment Bandwagonesque et A Catholic Education. Ils naviguaient à l’époque au même niveau que les Mary Chain, Oasis et les très grands groupes anglais. De la formation originale, il ne reste plus que Norman Blake et Raymond McGinley. L’autre co-fondateur Gerard Love avait annoncé qu’il quittait le groupe lors du concert des Fannies à la Gaité Lyrique en 2017. Des trois, Gerard Love était le plus brillant, il composait énormément de hits magiques et les chantait sur scène. Blake et McGinley s’efforcent de perpétuer la tradition et bon an mal an, ils s’en sortent plutôt bien, surtout quand ils tapent dans la mine d’or de Bandwagonesque.

    henske judy,teenage fanclub,los bitchos,honey,cat zengler,the true dukes,deep purple + marie desjardins,spinne,émilie kosmic

             Norman Blake est devenu un pépère marrant. Il ne fait aucun effort vestimentaire et  comme en 2017, il porte le cheveu taillé ras. Il ne ressemble plus à rien, lui qui dans les années 90 avait si fière allure avec sa tignasse de Big Star freak. Il cracke des jokes en permanence, auxquelles on ne comprend rien à cause de son accent épais. Il adresse aussi des sourires aux gens du premier rang, c’est sa façon de montrer qu’il est ravi de retrouver le public, et de toute manière, c’est un gentil mec, ça se voit à sa bonne bouille. Quand il cracke ses jokes, il n’a pas une très belle voix, mais dès qu’il chante, il redevient ce prodigieux mélodiste qu’on suit depuis trente ans, il a une façon très spéciale de coller les lèvres au micro et de fermer les yeux pour chanter entre ses dents. Fabuleux artiste, il a ce power en lui, cette grâce indéfinissable qui fit jadis la grandeur d’Alex Chilton. McGinley chante dans un autre style. Ils font parfois des harmonies vocales à deux voix et ça devient sidérant.

    henske judy,teenage fanclub,los bitchos,honey,cat zengler,the true dukes,deep purple + marie desjardins,spinne,émilie kosmic

    C’est McGinley qui prend les solos sur sa Jaguar, il ramène de la disto, il a un maintien assez spécial, comme il est haut est sec, il joue un peu à bout de bras, avec la désinvolture d’un vétéran de toutes les guerres, et une telle expression prend tout son poids dans le contexte de la scène anglaise. Ces mecs ont tout vécu, ils ont joué partout et n’ont que des hits à proposer. Ils sont devenus invulnérables. Il ne reste plus beaucoup de groupes de cette stature en Angleterre, mis à part les Mary Chain. Ils auraient pu devenir une institution mais ils ont su garder une certaine fraîcheur de ton, et surtout un mépris absolu du m’as-tu-vu. Ce mélange de talent fou et d’humilité les rend infiniment attachants.

    henske judy,teenage fanclub,los bitchos,honey,cat zengler,the true dukes,deep purple + marie desjardins,spinne,émilie kosmic

             Alors bien sûr ils démarrent avec l’«Home» de leur nouvel album, Endless Arcade. C’est le rituel habituel, nouvel album et donc tournée de promo. L’«Home» est solide, on voit McGinley partir en vrille de Jaguar disto pendant de longues minutes, et là on comprend un peu mieux ce que l’expression groupe anglais veut dire. Ça reste le haut du panier, jamais un groupe français ne sortira un tel ramshakle, les Fannies foncent et ça bringuebale, mais en même temps, ça tient prodigieusement la route. McGinley joue un peu comme s’il s’en foutait, sur ses deux longues jambes qu’on dirait flageolantes. Wow Raymond superstar ! Il n’a plus un cheveu sur le caillou, mais il a gardé une bouille d’éternel adolescent, avec des petits yeux clairs derrière de grosses lunettes, un petit nez pointu et un menton délicat de page italien de la Renaissance. Ils tirent forcément pas mal de cuts d’Endless Arcade, à commencer par le morceau titre, puis «Everything Is Falling Apart», «Back In The Day», mais c’est avec l’excellent «I’m In Love» tiré d’Here qu’ils regagnent du terrain. En rappel, ils tapent aussi dans Songs From Northern Britain avec l’excellent «Can’t Feel My Soul». Ils réussissent parfois le prodige de jouer des mauvais cuts, mais il est impossible de leur en vouloir.

    henske judy,teenage fanclub,los bitchos,honey,cat zengler,the true dukes,deep purple + marie desjardins,spinne,émilie kosmic

    À la Gaîté Lyrique, des mecs gueulaient et réclamaient les vieux hits, alors Norman Blake leur disait, «oui oui, ça vient !». Pour éviter que ça se reproduise, ils ont préféré disperser les vieux hits dans le set, et boom, tout à coup Blake annonce «Alcoholiday» ! Machine à remonter le temps, c’est le power des Fannies à leur sommet. Plus loin, ils tapent dans «What You Do To Me» qui fut l’un des grands hits des noughties avec «Star Sign». C’est une explosion de bonheur mélodique et d’électricité, d’harmonies vocales et de génie Scottish. Ils n’ont rien perdu de leur bravado extraordinaire.

    henske judy,teenage fanclub,los bitchos,honey,cat zengler,the true dukes,deep purple + marie desjardins,spinne,émilie kosmic

    Ils terminent le set avec «The Concept», nouvelle explosion de joie pop, le morceau scintille au firmament, ça reste un modèle, un véritable déluge de son. Frisson garanti et la salle danse. Ils reviennent en rappel pour quatre titres et finissent avec le hit le plus éblouissant d’entre tous leurs hits, leur premier single qu’on retrouve sur A Catholic Education, le mesmerisant «Everything Flows» qui à l’époque nous hantait en permanence, avec ce riff lancinant que joue McGinley avec une niaque intacte - I’ll never know which way to flow/ Set a course that/ I don’t know - Tout est resté intact chez les Fannies, ne te fais pas de souci pour eux.   

    henske judy,teenage fanclub,los bitchos,honey,cat zengler,the true dukes,deep purple + marie desjardins,spinne,émilie kosmic

             Endless Arcade est donc leur dernier album en date. Bon, on va y aller franchement : ils proposent une petite pop pépère de Fannies un peu fanés, mais ils ont toujours du son. Ils font avec l’«Home» d’ouverture de bal une sorte de long fleuve tranquille et le solo s’enfuit jusqu’à l’horizon, il a le temps, Raymond, il est à la retraite. Il a tellement le temps qu’il en devient hypnotique, comme le sont les vieux crabes obsessionnels. Deux cuts bombent le torse pour sauver cet album qui pue un peu la routine, même si c’est une belle routine : «The Sun Ain’t Shine On Me» et «Back In The Day». Leur Sun n’est pas comme on serait tenté de le croire du heavy blues, mais du Fanny poppy, ils savent tellement faire la fête qu’ils sonnent comme les Byrds. Avec «Back In The Day» ils reviennent doucement au génie de Bandwagonesque, avec les gentle chords et les harmonies vocales - Find a peace of mind in back on the day - Ils réintègrent leur pré carré. Par contre, on perd le fil du Bandwagon avec «Arm Embrace». C’est très Scottish, on se croirait au pied de la forteresse d’Edimburgh, parmi les touristes. Beaucoup de cuts manquent de la magie habituelle. Ils jouent avec les effets de voix et leur insistance finit toujours par payer. Ils ont un truc que n’ont pas les autres groupes anglais. L’album finit vraiment par devenir attachant. Ils vivent de toute évidence sur leurs credentials. Avec «In Our Dreams» ils font de la heavy power pop, la plus rauque, celle des monts d’Écosse invaincus. On sent ça sous les kilts, la consistance. Ils ont le cœur au ventre, ça finit par impressionner. Ils grattent leur grattes de concert dans «Living With You», on les imagine de profil, tous bien concernés, et ils se payent même le luxe de se vautrer avec une pop inutile. Mais ce sont les Fannies, after all. C’est drôle comme certains groupes peuvent perdre le fil. Ils doivent être les premiers à le constater et pour eux ça doit être terrible, ils passent du statut de Scottish Big Star à celui de Scottish rien de tout. Aw fuck, comme la vie peut être cruelle. Difficile d’imaginer que les Fannies puissent enregistrer des cuts qui ne servent à rien («Living With You», et «Silent Song»). What you do to me!

    Signé : Cazengler, Teenage Fantoche

    Teenage Fanclub. Le 106. Rouen (76). 6 mai 2022

    Teenage Fanclub. Endless Arcade. Merge Records 2021

     

     

    L’avenir du rock - Les Bitchos de la vie

     

             L’avenir du rock aimerait bien perdre le contrôle de sa voiture pour faire des tonneaux et se retrouver dans un champ à moitié dans le coma. Un bel accident, comme celui de Pierre Bérard au volant de sa Giulietta Sprint, boom badaboum, crack boom hu-hu, les roues qui se barrent dans l’herbe, la caisse qui crame et lui, éjecté comme un sac de grain sous la violence du choc. N’allez pas imaginer que l’avenir du rock soit maso. A-t-on déjà vu un concept maso ? Non. Pourquoi ? Parce que le concept maso n’existe pas. La seule chose qui intéresse l’avenir du rock dans cette histoire, c’est la dernière heure, l’heure où comme le disent ceux qui ne l’ont pas vécue, «toute ta vie redéfile devant tes yeux». Alors bien sûr, ça fait rêver, même quand on passe sa vie à revoir le passé, mais la dernière heure a quelque chose de plus ésotérique, elle fonctionne comme un sas qui existerait entre les deux univers que sont ceux de la vie et de la mort, les deux vies du cerveau en quelque sorte. D’autres diraient les deux vies de l’esprit, celle d’ici et celle de l’au-delà. Comme l’avenir du rock est persuadé que la vie de l’au-delà vaut mieux que la vie d’ici, il voit la dernière heure comme une façon de boucler ses malles avant de partir en voyage. Le grand départ ! Rassemble tes souvenirs, petit cerveau ! D’y penser l’excite au plus point, il se voit à l’agonie dans l’herbe haute, se sentant fatigué pour jouer le jeu, mais à l’inverse de Piccoli, il ne va pas ramener ses histoires de cul avec Romy et toutes les petites turpitudes relationnnelles qui émaillent la vie des gens qui ont une bite en guise de cerveau. L’avenir du rock ne voudra pas non plus voir toute l’histoire du rock redéfiler devant ses yeux, car ce serait d’une prévisibilité qui flirte avec le mauvais goût, non, il veut vivre sa dernière heure de coma vigile avec un immense sourire aux lèvres, à sentir son crâne ouvert et sa cervelle palpiter une dernière fois au grand air, il veut sentir la vie quitter ce corps qui l’a toujours embêté, un corps qu’il a fallu laver, brosser, habiller, trimballer, il pousse un dernier soupir d’extase à l’idée de s’en débarrasser et il veut surtout consacrer l’essentiel de sa dernière heure aux Bitchos de la vie.

    henske judy,teenage fanclub,los bitchos,honey,cat zengler,the true dukes,deep purple + marie desjardins,spinne,émilie kosmic

             Elles sont bien gentilles, les Bitchos de la vie, mais quand on les voit attaquer un set d’intros, on redoute le pire, c’est-à-dire l’ennui. Rien de plus âpre qu’un set d’instros. Autrefois, dans les familles pauvres, on appelait ça une journée sans pain.

    henske judy,teenage fanclub,los bitchos,honey,cat zengler,the true dukes,deep purple + marie desjardins,spinne,émilie kosmic

    Un set d’instros, ça veut dire un set sans chant, le Germinal du rock, un rock noir comme les soutanes de Bernanos, un noir et blanc à l’image du puritanisme torturé de Dreyer, l’âpreté d’une impénétrabilité des choses à la Bergman, le set d’instros vaut bien l’auto-flagellation, les rubans que se coud Ugolin sur la poitrine, on descend dans les soubassements de l’endurance, dans les catacombes de Piranese, des marches encore des marches toujours plus loin dans les ténèbres de la condition humaine, on compte les secondes de chaque instro, c’est long les secondes, ça vit sa vie quand on les compte, elles lancinent, elles prennent leur temps, certaines semblent plus longues que les autres, et puis en voilà une autre, et puis encore une autre, c’est l’infiniment long de l’infiniment court, c’est l’éphémera d’Esmeralda à dada prout prout cadet du tronc de Jacques Faispassi-faipassa et soudain alors que tout dodeline, le set prend vie avec «Linsday Goes To Mykonos». D’extraordinaires dynamiques internes entrent en fonctionnement, et ce set qui commençait à ressembler à du regardez-comme-on-joue-bien développe une vie littéralement organique, ces quatre petites gonzesses arrachent leur set du sol à la seule force de leur énergie et là, tout bascule dans l’excellence de la pugnacité du vernaculaire véracitaire.

    henske judy,teenage fanclub,los bitchos,honey,cat zengler,the true dukes,deep purple + marie desjardins,spinne,émilie kosmic

    La guitariste s’appelle Serra Petale, elle mène le bal avec un gusto magnifico, elle injecte pas mal de son sud-américain dans son limbo, elle groove dans des Dardanelles de mortadelle et joue toutes sortes de motifs exotiques qui semblent militer pour le bouleversement de tous les sens.

    henske judy,teenage fanclub,los bitchos,honey,cat zengler,the true dukes,deep purple + marie desjardins,spinne,émilie kosmic

    La petite blonde qui danse et qui keyboarde s’appelle Augustina Ruiz, elle a un côté candide early Jane Brikin d’era Blow Up, mais c’est Josefine Jonsson qui groove tout l’ensemble avec son bassmatic, elle danse de la première à la dernière seconde du set, mais pas seulement des jambes, elle bouge du buste et de la tête, à tel point qu’on croit reconnaître la guitariste des Moonlandingz. Mais non, ce n’est pas moi, répondra-t-elle à la question posée. Troublante similitude, cependant. On voit rarement des gonzesses bouger aussi bien sur scène.

    henske judy,teenage fanclub,los bitchos,honey,cat zengler,the true dukes,deep purple + marie desjardins,spinne,émilie kosmic

    Les Bitchos de la vie se payent même le luxe d’éclats de wild gaga dévastateur, elles savent foutre le souk dans la medina, pas de problème, inutile de leur faire un dessin, et puis il y a cette batteuse infernale qui joue comme savent jouer tous les grands batteurs anglais, backbeat technique et puissant. Cette conjonction des quatre énergies amène de l’eau au moulin de l’avenir du rock qui du coup tourne à plein régime. Elles retournent leur set d’instros comme une crêpe pour en faire un magic carpet ride. C’est bien sûr ce mélange d’énergie et de fantaisie qui sauvera la mise de l’avenir du rock.

    henske judy,teenage fanclub,los bitchos,honey,cat zengler,the true dukes,deep purple + marie desjardins,spinne,émilie kosmic

    Tant que des groupes comme les Bitchos de la vie monteront sur scène, tout ira bien dans le meilleur des mondes. Surtout quand ça se termine avec une reprise faramineuse de «Tequila». Olé ! 

    henske judy,teenage fanclub,los bitchos,honey,cat zengler,the true dukes,deep purple + marie desjardins,spinne,émilie kosmic

             Leur album s’appelle Let The Festivities Begin. Évidemment, «Tequila» n’y figure pas. Ça veut dire en clair que si tu veux l’entendre, t’es condamné à voir les Bitchos de la vie sur scène. On est tout de suite embarqué par «The Link Is About To Die», un joli groove on the rocks doté d’un bel écho, monté sur l’élégant bassmatic de Josefine Jonsson, elle est d’une présence incroyable, on la voit danser en jouant et c’est sa copine du beurre et l’agent du beurre qui ramène de l’énergie. Alors attention, en studio, elles n’ont pas la niaque qu’elles ramènent sur scène. «I Enjoy It» tape dans le joyeux sautillant, on se croirait au bal populaire en Uruguay et Augustina chante dans les retours de manivelle. Le bassmatic de Josefine guêpe est plus balloche sur la plupart des cuts et Serra la Petale drive bien son drive de figures aztèques dans «Pista». Elles restent dans l’exotica avec «FFS», entre le greek et le turkish, comme elles disent, elles le déroulent bien, elles ont chopé le chop. Mais on perd tout le raw scénique, dommage. L’album est bien gentil, mais il ne reflète pas du tout le magic carpet ride. Il n’a donc aucune chance. Dans le petit dépliant qui l’accompagne, un paragraphe commente chaque cut. Elles nous expliquent par exemple que «Los Panteras» est une histoire de Panther through a forest, ou peut-être the Pink Panther cartoon. Pas les Panther Burns en tous les cas. C’est Josefine guêpe qui embarque «Los Panteras», elle est précise et fine comme l’éclair qui zèbre la nuit au-dessus de la jungle. Voilà un modèle parfait de bassmatic volubile.

    Signé : Cazengler, Los Bidochon

    Los Bitchos. Le 106. Rouen (76). Le 5 mai 2022

    Los Bitchos. Let The Festivities Begin. City Slang 2022

     

     

    Inside the goldmine - Just like Honey

     

             Le vicomte et ses convives festoyaient gaîment. Tous avaient bu plus que de raison, aussi les langues se déliaient-elles.

             — Voulassiez-vous que nous contrepétions, les amis ? Je vous propose de jouter autour de l’honey. Qui veut commencer ?

             — Moâ, fit la marquise de Mertouille.

             — Eh bien, nous sommes tout ouïs, madame...

             — Trop poli pour être honey, roucoula-t-elle...

             Tout le monde applaudit. Le chevalier de Belledoche leva le doigt :

             — Comme Pinochio, j’ai l’honey qui s’allonge...

             Éclat de rire général. Le vicomte fit remplir les verres par les laquais.

             — À qui le tour ? Monsieur le comte de la Gerbe ?

             — J’admire sans réserves les toiles modernes de Sonia de l’Honey !

             Il y eut un oooh d’admiration et tous applaudirent cet excellent trait d’esprit. Le chevalier Dansavélélou leva la main droite, non pour dire je le jure, mais pour déclarer :

             — J’apporterais volontiers de l’honey à votre moulin, vicomte !

             — Vous mordez le trait, jeune impudent...

             — Expliquez-vous monsieur !

             — Vous pouvez certes amener de l’ho à votre moulin, mais le ney n’y peut paraître...

             — M’accuseriez-vous de tricher, vicomte ?

             Le jeune chevalier ne pouvait perdre la face. Il se leva d’un bond en renversant sa chaise et lança son verre au visage du vicomte :

             — Demain à l’aube, monsieur, au Pré Saint-Gervais, je vous tuerai pour laver mon honey.

             D’abord frappée de stupeur par l’incident, la petite assistance se reprit et ovationna le jeune chevalier qui s’inclina pour saluer, tourna les talons et disparut en un éclair.

    henske judy,teenage fanclub,los bitchos,honey,cat zengler,the true dukes,deep purple + marie desjardins,spinne,émilie kosmic

             Penchons-nous un instant sur un joli pot de miel : Honey. On a tous cru que cet Honey qui ne doit rien aux Mary Chain allait décrocher le jackpot. Hélas, ce trio de St Austell, Cornouailles, emmené par Sarah Marie Tyrrell, décida en 2018 d’enregistrer un ultime EP et de tirer sa révérence. Après huit ans de tournées et la naissance d’une grosse réputation, Sarah annonçait dans Louder Than War qu’elle jetait l’éponge pour se consacrer à sa vie de famille. Voilà, c’est aussi bête que ça. La vie d’un groupe, ça tient parfois à un fil, mais c’est aussi ce qui fait son charme. Pendant huit ans, Honey fut un groupe invincible.

    henske judy,teenage fanclub,los bitchos,honey,cat zengler,the true dukes,deep purple + marie desjardins,spinne,émilie kosmic

             C’est en tous les cas ce qu’on éprouvait à l’écoute de ce fringuant Weekend Millionaire paru en 2014 sur Easy Action, l’un des labels anglais les plus intéressants. Il suffisait d’écouter le morceau titre d’ouverture de bal pour tomber de sa chaise. Boom ! Sarah emmenait ça à train d’enfer, elle fonçait comme un train fou dans la nuit. Ces deux blondes - Sarah et sa copine Ele Lucas - étaient complètement folles. Au fil des cuts suivants, on les voyait taper dans des dynamiques à la Kurty Kurt. Elles jouaient en permanence la carte de la dévastation et Sarah gueulait tout ce qu’elle pouvait gueuler, la vache, elle était bonne au scream, elle montait bien au créneau. Dans Louder Than War, Mark Ray ne tarissait plus d’éloges sur elles. Il rappelait qu’elles se firent connaître avec une reprise de «Thunderhead» sur le Jeffrey Lee Pierce Sessions album, Axels and Sockets. Il en concluait qu’en Sarah coulait le sang de Jim Morrison et de Jeffrey Lee Pierce. Pas mal, non ? L’autre moteur de ce trio infernal était Sammy Downing, le batteur fou qu’on entendait voler le show dans «I Wish I Was Gibson Girl». Et puis l’album allait connaître un orgasme final avec la doublette «Feral»/«Black Teeth». Ah quelle déboulade ! Ils fonçaient dans le tas, Sarah passait d’énormes quantités de power chords, elle s’adonnait aux joies du blasting pur, elle évangélisait des forêts inexplorées et avec «Black Teeth» elle nous envoyait une dernière giclée de sonic scum dans l’œil.

    henske judy,teenage fanclub,los bitchos,honey,cat zengler,the true dukes,deep purple + marie desjardins,spinne,émilie kosmic

             Honey tire donc sa révérence en 2018 avec le fameux Honey EP. Fameux oui, car bing !, dès «Manual Juicer», claqué dans l’exercice du pouvoir. Sarah explose au casse-noisette la coque de son Juicer et c’est embarqué aux dynamiques extrêmes, avec Simon Walker on lead trash-guitar, ça va très vite en besogne. Ce trio qui n’a l’air de rien développe un son extraordinaire. Ils disposent en fait des mêmes atouts que Nirvana : niaque et explosivité à tous les étages. Ils font de l’abattage. Samuel Howard explose le fion du cut. Sarah ne perd jamais le Nord et son «Bored Without Me» flirte avec le génie, elle chante au sommet d’un certain lard et son riff paraît machiavélique. Elle a l’ampleur d’une super star, c’est édifiant. Elle dispose de ce génie rare des full contact compos.

    Signé : Cazengler, morve Honez

    Honey. Weekeend Millionaire. Easy Action 2014

    Honey. Honey EP. Not On Label 2018

     

     

    *

            C’est dans la cent trente-huitième livraison  du  04 / 04 / 2013 que le Cat Zengler est apparu dans votre blogue préféré, c’est moi qui ai fait rentrer le loup dans la bergerie. J’avais chroniqué le livre des Cent Contes Rock de Patrick Cazengler paru au Camion Blanc. Si vous ne l’avez pas encore lu, soyez heureux, sachez qu’il vous reste encore quelque chose d’important à faire sur cette terre avant de quitter la planète. Quelques jours après je recevais un mot de remerciement et une huitaine plus tard un autre me proposant l’envoi de quelques textes pour agrémenter le blog. Z’évidemment j’ai accepté, une gâchette de cette qualité ne se refuse pas. L’a commencé par la recension d’un bouquin de Billy Poore intitulé Rock-A-Billy, dès la livraison 142, j’ai rajouté, selon mon habitude, quelques photos de pochettes de disques pour faire saliver le lecteur, livraison 143 l’a rien envoyé, c’est dès la 144 qu’il a commencé à jouer son double-jeu, un bel article dur Tav Falco, O. K. my guy, no problemo, como se dice en Mexico, mais y avait un deuxième truc, joint à l’envoi. Ne me dites-pas que vous ne l’avez pas vu, depuis neuf ans vous ne voyez qu’eux, ces petits dessins qui agrémentent chacune des chro-rock que croque notre Cat Zengler. Je n’ai pas compté, doit y en avoir autour du millier sur le blogue, aussi nombreux que l’armée de guerriers de terre cuite du premier de Qin Shu Huan, le premier Empereur de Chine. Cela mérite réflexion.

    RÊVERIES  D’UN ROCKER SOLITAIRE

    AUTOUR DES VIGNETTES DE PATRICK CAZENGLER

    PARUES DANS KR’TNT !

     ( I : Partie théorique )

     

    1 ) DU MOUTON

    Certains possèdent un cerveau binaire, vous leur montrez un dessin quelconque et aussitôt ils réagissent à la manière d’un Pavlov’s dog, soit un ‘’ Wouah ! c’est terrible !’’ soit un ‘’ Nul à chier !’’. Sont contents, se sont donnés le pouvoir de juger, leur vie a pris brusquement de la valeur.  Feraient mieux de poser la bonne question, la même que celle que ne pose pas le Petit Prince de Saint-Eupéry, parce que ‘’ Dessine-moi un mouton !’’ ce n’est pas une question mais une demande. Qui a demandé à Patrick Cazengler : ‘’ Dessine-moi un rocker !’’ ? Je n’en sais rien, hors de toutes circonstances je pense que c’est Patrick Cazengler lui-même qui se l’est d’une façon plus ou moins consciente et agréable posée et intimée.

    Faisons dans la facilité : le Cat Zengler aime le rock et possède une bonne plume, naturellement il écrit des articles sur des musiciens. Le Cat n’est pas manchot, l’a aussi un joli coup de crayon, logiquement il dessine des artistes rock.

    Dessiner un mouton est relativement simple, si vous continuez à en croquer d’autres, la donne change. Vous devenez le berger d’un troupeau. Mine de rien cela vous file des responsabilités. Vous avez dessiné un, puis deux, puis trois… puis mille rockers, vous n’obtenez pas un troupeau, mais les responsabilités vous incombent tout autant. Ce n’est plus vous qui êtes le maître de vos productions, c’est votre création qui vous interroge et qui bientôt prend le pouvoir sur vous. Bien sûr tout cette armada de rockers provient de vous et vous pouvez  claquer la porte sur le nez de cette bruyante marmaille, vous n’en serez pas soulagé pour autant, tout ce bruit dans votre tête qu’elle fait en tapant sur l’huis de votre conscience vous dérange. C’est Alain Barrière ( pas vraiment un rocker ) qui dans Lamento chante ‘’ Quand   le berger tombe piétiné par ses brebis…’’

    Le paragraphe précédent pour dire que nos actes sont parfois sinon plus grands que nous, du moins incontrôlables, Cazengler dessine, les autres regardent, moi je m’interroge. Le symbole du mythe de l’artiste dévoré par sa création.

    2 ) DU SYMBOLE

             Les dessins de Cazengler ne fonctionnent pas comme les T-shirts Johnny Hallyday. Peut-être n’en portez-vous pas mais vous en avez vu, sont noirs, le visage de Johnny en premier plan, mais en partie mangé par l’arrière-plan, souvent un mustang sauvage au galop, ou un gros trucker lancé à toute vitesse, ou un aigle éployé, parfois pour que vous compreniez mieux carrément un de ces paysages ultra-connus de l’Arizona, pour vous aider à faire la relation : Johnny-vitesse-puissance-beauté-Amérique-pays-du-rock = Johnny-rocker. N’accablons pas Johnny, les T-shirts qu’affectionnent les fans de Metal ne sont point davantage subtils (tête de morts, squelettes, dame à la faulx..) même si l’esthétique est beaucoup plus recherchée.

             Les dessins de Cazengler ne sont en rien symboliques. Pourrait par exemple prendre un chanteur qu’il apprécie, Iggy au hasard, et le représenter tel qu’il l’entrevoit. Faire son portrait de telle manière que ce ne soit pas Iggy mais Iggy tel que Patrick Cazengler se le représente. Tout le monde connaît le poster de Freud par Bob Dara dont le visage dessine le corps d’une femme nue. Le Cat Zengler ne joue pas ce jeu-là.

      judy henske, teenage fanclub,los bitchos,honey,cat zengler,the true dukes,deep purple + marie desjardins,spinne,émilie kosmic

    3 ) DE L’IDENTIQUE

      judy henske, teenage fanclub,los bitchos,honey,cat zengler,the true dukes,deep purple + marie desjardins,spinne,émilie kosmic

             On le lui a répété à l’école, mais ce garnement de Cat Zengler n’en fait pas qu’à sa tête : il copie. Prend par exemple une pochette de disque et la recopie. Enfin pas tout à fait. Enlève le nom de l’artiste, le logo de la maison de disque, effectue en quelque sorte un découpage des personnages dans la position qu’ils occupent, ou l’action qu’ils sont en train de commettre. Essaie de reproduire aussi les expressions des visages.  Idem pour les couleurs, tente de se rapprocher le plus près possible des teintes de la photographie. Par contre il supprime les décors qui ne participent pas étroitement des personnages. Se détachent sur un fond blanc. Ce qui produit une drôle d’impression. Les personnages sont réduits à eux-mêmes, comme déshabillés du monde, ramenés à l’essentiel de leur forme. Un peu comme s’ils avaient été ravis par des extraterrestres et cryogénisés à l’instant précis de leur capture pour être transportés à des millions d’années-lummière… Oui, mais ceux qui dans une hyper-lointaine galaxie regardent dans l’exposition d’un musée ces spécimens venus d’une planète inconnue, c’est nous. Déduction : la répétition à l’identique est un leurre. Si l’on examine soigneusement le résultat et le modèle initial il apparaît nettement que l’artwork produit par Patrick Cazengler est comme stylisé, épuré. S’en détache une impression d’étrangeté, les personnages sont comme hors-sol, détachés de la réalité qui les a engendrés. Des icônes dans lesquelles le peintre aurai omis le ciel paradisiaque de leur impalpable provenance, celle du rock ‘n’ roll.

      judy henske, teenage fanclub,los bitchos,honey,cat zengler,the true dukes,deep purple + marie desjardins,spinne,émilie kosmic

    4 ) UNE LIGNE PAS TRES CLAIRE

             Patrick Cazengler le reconnaît sans peine, il est un partisan de la ligne claire, il avoue son admiration pour Hergé. Reste que ce n’est pas très clair. Certes ce qui fait mystère ce n’est pas le mystère mais ce qui le fait. D’autre part quand il y a mystère c’est qu’il manque un mot pour le désigner. Que sont donc au juste ces dessins de Patrick Cazengler. Ni Tintin, ni Milou, plutôt la Castafiore et le Capitaine Haddrock.

             Seraient-ce les images Panini du rock ‘n’roll, c’est vrai qu’on a envie de les échanger contre celles que l’on désirerait avoir. Ou alors les images pieuses du rock’n’roll. Dans ce second cas l’on change de dimension, le rock n’est plus un divertissement pascalien mais le dieu lui-même incarné en ses mille avatars. Ou alors fonctionnent-elles comme ces patchs revendicatifs que l’on appose sur les perfectos, seront-elles un jour mercantile reproduites comme des pin’s ou des badges que l’on épingle sur un blouson. En ce bas-monde tout est possible. Les œuvres vives échappent facilement à leurs géniteurs.

             Il me plaît à les considérer autrement. Des artefacts d’images mentales qui auraient été emprisonnées dans un support graphique.  Sans doute faut-il les considérer selon le processus inversé de de leurs réalisations. Ce n’est pas l’artiste qui a copié une image, une photographie de la réalité, c’est l’image première ou la photographie originelle qui s’est imposée sur le mental de l’artiste dans le but d’être représentée sur et par le support graphique qu’il met en œuvre. Si les vignettes de Patrick Cazengler produisent cet effet d’irréalité, c’est parce qu’elles proviennent de cet effet d’irréalisation mentale dont Patrick Cazengler est le point de passage et de fixation, le thaumaturge.

             Par ce mot nous n’entendons point un faiseur de miracle mais un individu qui par une connaissance sympathique très précise d’une fraction de la réalité sert de point de jonction entre celle-ci, lui-même et les autres. La ligne de jonction n’est pas très claire car elle est comme brisée par deux fois, son mental réceptif agi par la réalité agit à son tour sur la représentation de la réalité. En d’autres termes le rock ‘n’roll agit sur Patrick Cazendler qui agit à son tour sur sa représentation, c’est-à-dire sur la réalité du rock ‘n’roll elle-même qui est à son tour modifiée par sa propre représentation. Acte graphique, au sens d’acte poétique.

    Damie Chad.

     

    *

    L’ECORCHE

    THE TRUE DUKES

    ( YT / Avant-première 19 Mai 2022 )

     Y-a pas que des trous du cul dans ce bas-monde, y a même de dispendieux aristocrates, de véritables ducs, qui vous proposent l’apéritif avant le rendez-vous promis. Les True Dukes sortent leur prochain CD le 24 juin 2022, quelle date plus triomphale, quels auspices plus favorables que le jour de l’apothéose du  Sol Invictus pour lancer une nouvelle réalisation.   

    Jean-Yves Bassinot : vocal / Christian Kikaï : rhythmic guitar / Eric Chartier : lead guitar /  Jean-Louis Vinet : bass / Michel Dutot : drums.

    henske judy,teenage fanclub,los bitchos,honey,cat zengler,the true dukes,deep purple + marie desjardins,spinne,émilie kosmic

    Un premier titre du futur album donc, les True Dukes n’ont pas l’habitude de couper la mortadelle en tranches fines, pouvez y mordre dedans à pleines dents, vous offrent un morceau de barbaque saignant à souhait, avec les braises du barbecue - une invention des pirates - que l’on avale sans sourciller. Rajustez votre nœud de cravate et prenez votre air intelligent ( le numéro 4 ) faites bonne contenance l’écorché vous regarde, du fond de la verroterie de ses grosses lunettes kaléidoscopiques, non ce n’est pas un miroir, quoique si vous trouvez que vous y ressemblez, ne tremblez pas, les True Dukes vont vous refiler aussitôt la dose d’adrénaline nécessaire pour quitter votre gueule de laissé-pour-compte avec bassine ( d’eau sale incorporée ) en guise de couvre-chef, pour vous requinquer le moral ça commence par une salve d’applaudissements, non ils ne sont pas pour vous, faites comme si, ensuite il est sûr que vous allez morfler – mais quittez donc cet air niais et cette bouche tordue – le Dutot vous fait glapir ses cymbales, les guitares embrayent, c’est parti pour un shoot revigorant, pour que vous compreniez bien le Jyb vous prescrit son ordonnance en bon français, à la manière dont ils cognent dur, ils ne sont pas prêts à vous faire de cadeaux, ce n’est pas le genre de la maison, vous dressent le portrait-robot de votre vie d’insecte social punaisé sur le panneau de la réalité, votre passé de rampant ne plaide pas pour vous, vous avez la guitare qui grogne et la guitare qui en rajoute dans les coins, vous êtes au fond du trou, n’y restez pas suivez l’exemple des True Dukes et vous serez comme un  rock ‘n’ roll winner, ça pilonne et ça riffe de partout, le deuxième couplet ne l’écoutez pas il est impitoyable, sur le ring de la vie vous gisez en entendant sonner les cloches ( c’est le solo carillonnant d’ Eric (qui pique) Chartier, alors on vous avertit au suivant, ce ne sera pas facile, vous morflerez comme jamais, les éclats de voix del Gyb éclatent comme une grêle de coups de poings, les True Dukes s’envolent. Poing final. L’on ne saura jamais si l’écorché s’en sortira, dans une série Netflix si, mais dans un disque de rock ‘n’roll l’empreinte carbone des vaincus de la vie ne pardonne pas.

             Superbe morceau, dans la grande tradition du rock français, sans concession, sans atermoiements. Une éthique du combat rock.

    Damie Chad.

     

     

    DEEP PURPLE

    LA SYNEDOQUEDU ROCK ‘N’ ROLL

    A CINQUANTE ANS

    MARIE DESJARDINS

    ( in Profession Spectacle20 / 05 / 2022

     

    henske judy,teenage fanclub,los bitchos,honey,cat zengler,the true dukes,deep purple + marie desjardins,spinne,émilie kosmic

    Si j’avais dû toucher un franc pour chaque note du riff de Smoke on the water de Deep Purple que j’ai fredonnée dans les années soixante-dix, je serais milliardaire. Comme je n’étais pas le seul, la moitié de la jeunesse le serait aussi devenue. Terrible conséquence, cet amas d’argent aurait provoqué une montée des prix, l’inflation galopant, je me serais retrouvé aussi pauvre qu’auparavant. Que voulez-vous la fortune est éphémère, heureusement que Marie Desjardins est là pour nous rappeler que seul le rock ‘n’ roll est immortel.

    Deep Purple ! ah ! ces pochettes géniales, In Rock, Fireball, Machine Head, l’immémoriale, la spatiale, et la glauque, vous n’aviez qu’à les regarder pour entendre le disque sans l’avoir écouté. Arrêtons, je ne suis pas là pour la nostalgie mais pour chroniquer le superbe article que Marie Desjardins pour les cinquante ans de la création de Smoke on the water.

    henske judy,teenage fanclub,los bitchos,honey,cat zengler,the true dukes,deep purple + marie desjardins,spinne,émilie kosmic

    Je ne vais pas vous refaire l’article, tout y est dedans, les détails que vous avez oubliés et ceux que vous apprendrez. Au début ce n’est pas Zorro qui arrive mais Zappa, par contre celui qui courageusement re-rentre dans le Casino en flammes pour rechercher le manteau de sa copine c’est Ian Gillan, normal, c’est un rocker. Reste à traiter de la synecdoque.

    Je crains de ne point éclairer votre lanterne si je vous explique qu’une synecdoque ce n’est qu’une métonymie, c’est pourtant ce qu’affirme Aristote, et Aristote n’a jamais tort. Quand il se trompe, c’est que vous ne comprenez pas. J’admets qu’entre Aristote et Deep Purple le rapport n’est guère évident. Pourtant il est simple. La vie mouvementée et légendaire du groupe ne s’est vraiment jamais arrêtée malgré des éclipses, les membres se sont déchirés, rabibochés, ont changé, sont partis, sont revenus, sont repartis… une saga épique, le groupe sera le six juillet prochain à Paris. Et au Hellfest ce 17 juin, ce qui est dans la logique des choses puisque le hard du Pourpre Profond est une des racines du Metal… Gageons que dans la setlist figurera Smoke on the water. Cela ne pourra attiser que le feu.

    henske judy,teenage fanclub,los bitchos,honey,cat zengler,the true dukes,deep purple + marie desjardins,spinne,émilie kosmic

    Si le Deep a encore ses fans et ses connaisseurs, attention c’est maintenant que la synecdoque se profile, le large public ne connaît plus qu’un seul de ses morceaux, vous l’avez deviné Smoke on the water ! Comparez avec les Stones, certes l’on vous citera Satisfaction mais aussi une quinzaine de titres différents. L’on a oublié le tout pour la partie, l’on a privilégié la partie d’une unique piste au détriment de tout le reste des vingt-deux albums du groupe, seul surnage cette trace de fumée sur l’eau… citez Les Trophées de José-Maria de Heredia et surgira le vers : Comme un vol de gerfauts hors de son charnier natal… pas un autre… Sic transit gloria mundi répétaient les jésuites…

    C’est cela que raconte avec brio Marie Desjardins. Une chronique qui suscite le Rêve. Ah, cette idée qu’il n’y a pas moins d’injustice dans le monde du rock que dans le reste du monde comme elle fait mal… Avec toutefois un superbe cadeau de consolation après la lecture, ce désir d’aller fouiner dans la discographie du groupe.

    Damie Chad.

     

    ROTTEN SOCIETY

    SPINNE

    ( Bandcamp – YT /  May 2022 )

    Emiliano Saucedo ; vocals, rhythm guitar / Daniel Zamora : lead guitar / Aldo Lopez : Bass guitar / Ross Valencia : drums.

    Je ne sais rien d’eux si ce n’est qu’ils nichent au Mexique et que c’est leur premier disque, leur volonté musicale est d’allier le vieux Metal à la Metallica à des ‘’choses’’ plus modernes. Voyons d’abord et écoutons ensuite. 

    Artwork : belle couve de Cabrito Sentado. Qui est donc l’artiste qui se cache sous le sobriquet de Biquet Assis. Attention les pistes sont brouillées, à la manière de George Sand qui s’habillait en homme Cabrito Sentado est une femme nommée Jessica Ocampo, parfois elle diminue son prénom en Jessie. Une visite sur son site s’impose, n’ayez pas peur elle aime les monstres, sont bien monstruosos mais très beaux. La pochette de Spinne autant que j’ai pu en voir est un peu à part dans sa production. Illustre bien le concept de société pourrie ( bonjour John Lydon ) déployé dans l’album, une rue en proie à la violence et à l’incendie, l’on ne peut s’empêcher de penser aux scènes émeutières de La Commune de Paris, mais ce n’est pas tout à fait cela, plutôt la ruée d’êtres humains qui se livrent à une étrange fête de révolte sans ennemi, comme si le système ne redoutait pas leur colère. Graphiquement cela n’a rien à voir, mais  m’évoque irrésistiblement la pochette de Strange Days des Doors, des gens obligés de jouer leur propre rôle dans lequel la nature ou la société les cantonne en eux-mêmes.

    henske judy,teenage fanclub,los bitchos,honey,cat zengler,the true dukes,deep purple + marie desjardins,spinne,émilie kosmic

    In the burrow of it : commence par ces belles sonorités de guitares qui ravissent les tympans, par deux fois saupoudrées d’ondées de grésil qui n’enlèvent rien au plaisir, nous nous en doutons cela ne saurait durer, la machine se met en route et frappe les quinze coups de l’horreur à venir, speedy trashy a pris les commandes, survient le vocal, un parfum sludge   suggérant les dangers de ce monde, le piège qui se referme sur vous, maintenant le vocal est pratiquement binairement dictatorial afin de vous mettre en garde, clameurs d’horreurs en guise de décor, gorge déchirée, déglutitions sans paroles, la hache du trash vous réduit en déconfiture, un solo de guitare dans le fandango de la démence, la pression s’accroît, la voix s’est tue, la guitare vous entortille en des filets poisseux, sachez que l’araignée du pouvoir se nourrit de votre âme, un bourdon de requiem éteint la bougie de vos illusions. Rotten society : à fond d’essieux, vocal craché à la gueule de l’auditeur, la société est pourrie, ni mal, ni bien, simplement un monde d’ignorance organisée dont il est impossible de s’extraire, les coups sur la casse claire tombent comme des injections de ciment dans les trous des fourmilières, ricanements de haines et de désespoir, le groove se kaotise et se perd en lui-même, voix échoïfiées en leurs impuissances, ce monde est pourri, vous n’en sortirez pas vivants mais assassinés. Le tunnel n’a pas de bout. Violence en dard de scorpion retourné contre soi-même. Hunted by the police : dénonciation sans équivoque – ne dites pas cela se passe au Mexique, ouvrez davantage les yeux – le vocal mène le jeu et forge le réquisitoire, le background musical se contente d’appuyer sur les plaies des morts, la guitare mine une fuite éperdue, évoque des gens qui fuient poursuivis par la police, pas de bruit de sirènes, elles sont inutiles, le titre est assez explicite. The old yellow : très, très rapide, confession dégorgeant de haine et de dégoût, orgueilleuses invectives, la société vous a corrompu, pourri jusqu’à la moelle des os et de aîtres de votre âme, dans un monde de violence vous ne vous réalisez qu’en assimilant la brutalité ambiante qui sous-tend la société, confession jusqu’au bout de l’horreur d’un serial killer, nul regret, nul remord, les châtiments n’y feront rien, serial killer une fois, serial killer pour toujours. La musique s’étrangle de colère, comparé à ce maelström de tourmente Anarcky in the U. K. des Pistols fait figure d’une image pieuse pour jeune communiante encore au couvent. L’affare Divino : au cas où vous auriez besoin d’explications supplémentaires l’on va vous mettre les points sur les I,  un manifeste purement politique clamé à haute voix en prenant le temps de claquer fort clairement chaque syllabe, les riches s’enrichissent sur le dos des pauvres, c’est le principe  de base qui régit l’organisation sociale au niveau mondial, misère, pauvreté, sans-logis, morts de faim, consolation de la religion, voilà l’accord divin qui commande notre monde, les guitares flamboient, la basse se trémousse, la batterie barate à la pirate,  envoient la toute gomme non pas pour effacer mais pour décrire la réalité.

    henske judy,teenage fanclub,los bitchos,honey,cat zengler,the true dukes,deep purple + marie desjardins,spinne,émilie kosmic

    The truth lies : la batterie s’affole, les guitares pataugent dans la colle, la vérité est prise au piège du mensonge, les imbéciles psalmodient leurs repentances, leurs paroles tuent mais la colère renaît dans les générations suivantes, une espèce d’apocalypse de tutti instrumental explose comme une bombe et couvre le moutonnement des abattoirs mentaux. Psychosis : surprise d’un doux cordage, même plus la force de crier, tout va mal dans ma tête, si vous n’êtes pas capable de résister à la violence du monde votre âme s’assombrit, la dépression s’installe, vous avez trouvé refuge dans l’unique tour d’ivoire à votre portée, votre tête malade. Profitez de cette fausse accalmie c’est le slow du disque, la ballade qui vous réconcilie ( ironie suprême ) avec la paix de l’âme. N’exagérons rien, vers la fin le temps et le tempo se gâtent, nous avons droit à un beau galop. T. O. C. : réveil brutal, retour à la pleine perception du bruit et de la fureur du monde dans lequel nous vivons, survient le moment le plus dur, celui du trouble obsessionnel de la conscience, l’instant où l’on s’accuse d’avoir fui lâchement la rage qui nous aidait à vivre, vous appliquez les fers rouges des guitares sur votre esprit, vous culpabilisez d’avoir trahi la cause du refus et de la colère, la musique s’alanguit, le système est si pervers que vous êtes tenté de retourner votre seule arme de défense contre vous. Une autre forme de folie s’installe en vos méninges, la plus terrible, la démence douce. Crachez-lui au visage.  Ch 21 on the ground : le beau riff balladif recommence, vous êtes au mieux dans cette chambre d’hôpital, instrumental, tout ce vous avez vécu et pensé défile dans votre tête, la batterie agonise vos synapses et les guitares jouent à l’électrochoc, confusion totale, défonce aveugle, l’on peut échapper à soi-même mais pas à l’emprise de la Société opprimante, émissions de bouffées de rémission, sensation de pensées courageuses et bienfaisantes qui s’infiltrent dans vos veines, l’odieuse réalité s’entremêle à cette nouvelle énergie c’est en combattant, en se livrant au corps à corps avec l’ennemi que l’on devient plus fort.  Qu’en adviendra-t-il ? Metal militia : sans doute est-ce le moment décisif, quelle force apporter dans le plateau de la balance de l’incertitude, morceau éruptif le vocal volcan reprend ses droits, il hurle, il chasse, il se confronte au monde, guitares enragées, il faut battre le metal tant qu’il est brûlant.

    Un manifeste sans concession, sur l’état de notre société mais surtout les ravages mentaux qu’elle provoque. Un brûlot.

    Damie Chad.

     

    *

    Franchement si j’avais entendu je n’aurais jamais écouté, j’aurais fui à toute vitesse, mais j’ai vu. Je me baladais sur le FB de Danny Louzon, au cas où il y aurait des nouvelles sur Hurakan ( voir Kr’tnt 552 du 28 / 04 / 2022 ) le groupe ouragan avec la voix de Louzon qui résonne comme le tonnerre. Un nom m’a accroché, pas n’importe lequel celui d’Alek Garbowski, un artworkiste de génie qui ne voit pas tout à fait le réel comme tout le monde, cela le regarde, mais quand il le met en forme, cela nous concerne. Les kr’ntreaders se souviendront que nous avons évoqué ses travaux lors de précédentes réalisations pour Pogo Car Crash Control. J’avoue que l’image sous la vidéo au-dessous était tentante. La réalisation (+ montage et étalonnage) d’Alex Garbowski et Danny Louzon en chef-opérateur. Caution esprit rock, vous avez coché la bonne case.

    Emilie Kosmic possède un passé rock, elle chantait ( en anglais ) dès le lycée dans un groupe rock composé uniquement de filles, l’avait de belles références Janis Joplin, Amy Winehouse, David Bowie… Cette première période s’achève en 2018, elle profite du confinement de 2019 pour jeter les bases du projet Emilie Kosmic, qu’elle mettra en les deux années suivantes à mettre en œuvre avec David Blum son producteur.

    KOSMICOLOGIE

    ( EP / YT )

    henske judy,teenage fanclub,los bitchos,honey,cat zengler,the true dukes,deep purple + marie desjardins,spinne,émilie kosmic

    APOLLO : ( 26 / 10 / 2021 ) : pas un clip, juste une image, mais quelle image, une être venue d’un autre monde, une alien, crâne rasé, visage bleuté, pailleté, en combinaison latex solaire, sur fond un bleu vénusien stellaire, mystérieuse, cosmonaute du désir trahie par le rouge sang de ses lêvres, jusque-là tout est parfait, lorsque le son démarre, c’est la bande-son d’un départ de capsule Apollo à Cap Carnaveral, jusque-là tout va encore bien, lorsque la musique survient l’on grimace, de l’électro assez commun, mais l’on s’en doutait, jusque ça va encore mais pas si bien que cela, c’est quand la voix arrive que le ciel s’assombrit, surprenante, une voix blanche, presque de petite fille, sans nuance, impersonnelle, raconte une histoire loin des astres mais en plein dans le désastre des petites existences vouées aux boulots précaires, le rêve d’Apollo n’est pas renié pour autant. L’on a envie d’écrire que c’est le genre de morceau idéal pour la playlist de France-Inter, alors on l’écrit. Existe aussi en clip : au début un peu trop réaliste, le décollage de fusées qui quittent leur pas de tir, parfois passées en marche arrière, la tête bleue d’Emilie entourée d’une couronne de fleurs colorées, les lèvres rouges prononcent, semble-t-il, les paroles avec beaucoup plus d’énergie, mais le rêve tout comme la réalité parfois se brise. C’est ainsi que l’on s’aperçoit que l’image fait partie intégrante de la chanson.  J’AI DORMI : ( 06 / 12 / 2021) : est-ce un hasard si l’on retrouve le nom d’Abel Garbowski au montage donc un véritable clip, minimaliste, avec trois fois rien, mais qui retient l’attention, la voix d’Emilie cette fois de toute petite fille, presque poignante, une chanson d’amour, toute simple, mais d’amour fou et éperdu, et puis les images, le visage, toujours bleu et pailleté d’Emilie, l’on ne voit que du bleu, le bleu de ce qui pourrait être sa combinaison spatiale d’alien, avec de minuscules détails  vous exprimez l’idée de l’infini universel et le drame romantique d’un amour humain aux dimensions kosmics. 1 382 400 : ( 18 / 01 / 2022 ) : encore une histoire d’amour, à désespérer des aliens. Un clip de David Blum qui doit faire fureur chez nos adolescents. Commence comme le précédent, notre alien préférée couchée, dans une combinaison encore plus belle et stylisée que les deux précédentes, la musique électro débute, non c’est la sonnerie d’un portable et la conversation de nos amoureux s’inscrit sur la messagerie de l’I-Phone, Emilie  prend de temps en temps une voix de petite fille perverse et irrésistible, maintenant elle crie et sa voix embrasse la voûte stellaire, de la belle ouvrage, un beau montage, pratiquement une véritable orchestration et une adéquation complète entre  la visée et l’esthétique, un produit pensé de la première à la dernière image.

    henske judy,teenage fanclub,los bitchos,honey,cat zengler,the true dukes,deep purple + marie desjardins,spinne,émilie kosmic

    SUPERPREDATEUR : ( 22 / 02 / 22 ) : ce coup-ci de toute beauté, c’est celui-ci que j’ai vu en premier, sous le nom d’Alex Garbowski, le sujet est à la mode et n’est pas sans évoquer le Balance ton quoi d’Angèle, mais les images sont sublimes, un véritable ballet filmé, les mecs autour de la nénette, le tournoiement époustouflant des images est une deuxième chorégraphie ajoutée à la première. C’est en visionnant ce clip que l’on s’aperçoit que la voix d’Emilie est elle aussi pour ainsi dire mise en scène, l’on joue sur des subtilités de timbres et des effets sonores peut-être faciles et attendus mais qui surviennent toujours à pic.  CRÂNE CONTRE CRÂNE : ( 26 / 04 / 22 ) : surprise, un dessin animé, plus d’Emilie Kosmic, juste sa voix parfaitement écoutable, elle parle, elle chante, elle susurre, elle exulte d’une voix plaintive, une histoire d’amour éternel, couleurs naïves, sur fond d’espace interstellaire, valse d’un couple enlacé, survient la noirceur de la mort, mais l’amour romantique est éternel et survit dans l’immensité du cosmos et à l’intérieur des têtes réunies. Un petit bijou de moins de deux minutes trente, une boîte à musique, une bonbonnière que l’on n’arrête pas d’ouvrir et de rouvrir pour enclencher le mécanisme, une exquise suavité.

    henske judy,teenage fanclub,los bitchos,honey,cat zengler,the true dukes,deep purple + marie desjardins,spinne,émilie kosmic

     

             Emilie Kosmic se définit comme une artiste électro-pop et  électro-rock, pas évident pour cette dernière revendication, l’on serait plutôt aux confins de l’électro-variété, mais l’ensemble regorge d’idées et de créativité. Le fait que Jessica Rock, une de nos pianistes-jazz les plus originales et novatrices participe à l’aventure est un gage de qualité. Sur le papier le projet semble hasardeux, et vecteur d’un large spectre peu créatif, la succession de ces cinq vidéos fignolées, subtilement méditées, dément notre a priori. Nous avons affaire à une démarche novatrice, mûrement stylisée, images et chanson forment un ensemble indissoluble, l’on ne sait ce qu’il deviendra de cette aventure mais elle attire déjà l’attention et éveille la curiosité.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 476 : KR'TNT ! 476 : GENE SCULATTI / SEAN TYLA / IENA / C' KOI Z' BORDEL / THE TRUE DUKES / HEAVYCTION / DANIEL BOONE

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 476

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    17 / 09 / 20

     

    GENE SCULATTI / SEAN TYLA

    IENA / C' KOI Z' BORDEL / THE TRUE DUKES

    HEAVYCTION / DANIEL BOONE

     

    Sculatti là mon vieux, il est terrible

    Z10311BOOKSCULATTI.jpg

    Paraît ces temps-ci un recueil d’articles de Gene Sculatti, Tryin’ To Tell A Stranger About Rock And Roll - Selected Writings 1966-2016. Sculatti ? Pas très connu en France, sauf par ceux qui surent choper en son temps le fameux Catalog Of Cool. Comme l’indique le titre, Sculatti y dresse un catalogue de la coolitude en huit chapitres, Sounds, Screen, Ink, Threads, Good Looks, Rest ‘N’ Rec, Tube & Wheels. Sounds concerne les disques (Abba, le Velvet, les Flamingos, Swamp Dogg, etc.), Screen les films (James Bond au temps de Sean Connery, etc.), Ink les livres (l’autobio d’Ozzie Nelson, le père de Ricky, etc.), puis il passe aux fringues, aux endroits et aux bagnoles. Pour l’époque c’était bien vu. Disons que The Catalog Of Cool est à l’Américain distingué ce que Sawdust Caesars - Original Mod Voices de Tony Beesley est à l’Anglais distingué.

    z10256dessingene.gif

    Dans une courte et brillante introduction à Tryin’ To Tell A Stranger, Sculatti se définit comme un vétéran de toutes les guerres : «Né à San Francisco en 1947, j’appartiens à ce que j’appellerais la première génération de fans de rock, ceux qui furent assez jeunes pour avoir été secoués par Elvis, enchantés par les sixties des Beatles, des Stones et de Dylan, réanimés par le punk et qui aujourd’hui se posent continuellement cette question : que vais-je donc pouvoir écouter cette semaine ? The only cohort to have experienced it all in real time», oui cette génération qui a eu la chance de vivre tout ça en direct. Sculatti rappelle aussi qu’il a passé sa vie à écrire sur le rock, aussi bien dans des gros canards kiosqués (LA Weekly, Rolling Stone, etc.) que dans les zines du temps jadis (Crawdaddy, Mojo-Navigator Rock & Roll News,etc.) ou contemporains (Ugly Things). Oui mais bon, attention, Sculatti peut aller sur le meilleur (Beach Boys ou Gary Usher) comme sur le pire (Springsteen ou Madonna). C’est un regard purement américain sur le rock américain qui souvent ne correspond pas au regard européen. Pour ce recueil, il a sorti des textes de toutes les époques et les a classés par décennies : sixties, seventies, et the aughts/Aughts-teens, avec un afterword intitulé : These days.

    Z10312PETSSOUNDS.jpg

    Les Beach Boys figurent dans les deux premiers chapitres et semblent être restés le grand amour de Sculatti, comme ils le sont restés pour tous ceux qui ont suivi le groupe à la trace à travers toutes les époques. Dans un texte qui date de 1968, Sculatti rend sans doute le plus bel hommage jamais rendu à Brian Wilson, le voyant comme «l’un des plus grands mélodistes du rock, avec Lennon/McCartney, John Phillips et Smokey Robinson». Il parle de Pet Sounds comme d’un album révolutionnaire, ça on le savait, mais il le compare surtout à Rubber Soul, the definitive ‘rock as art’ album. Pour Sculatti, Rubber Soul, Pet Sounds et Aftermath sortent du même moule. Selon lui, tous les groupes importants de l’époque sont tombés sous le charme de Pet Sounds. Il cite les noms de Yellow Balloon, the Association, du Grateful Dead, des Beatles d’«A Day In The Life», de Van Dyke Parks et même des Who. Il rend hommage à tous les albums des Beach Boys qui ont suivi Pet Sounds et s’appesantit particulièrement sur Friends - may actually be their best - il le voit comme the culmination des efforts menés avec Pet Sounds, Smiley Smile et Wild Honey. Tout cela est extrêmement passionnant. Sculatti parle de strong melodies et conclut avec ce smash : «C’est un autre exemple de ce qu’est aujourd’hui la musique la plus originale et la plus consistante qu’on ait pu créer.»

    z10321usher.jpg

    Dans un article de 1973, Sculatti récidive et en même temps élargit le champ de vision, pour indiquer qu’autour des Beach Boys prolifère une sacrée faune de surdoués : il appelle ça the nucleus of California-rock family : «Jan & Dean, Phil (P.F.) Sloan and Steve Barri and Don Altfield, writer-singers Bruce Johnston, Terry Melcher and Gary Usher, session men like Glenn Campbell and Leon Russell.» C’est vrai que ça grouille de légendarité. Sculatti entre dans le détail pour rappeler que Johnston et Melcher avaient un groupe en 1963, les Rip Chords, et que Roger Christian et Gary Usher composaient pour tous ceux que ça pouvait intéresser : Dick Dale, the Hondells, Astronauts, Wheel Men et Surfaris, dont le «Surfer Joe» nous dit Sculatti, est un classique proto-punk. Puis il rentre dans le détail des session men, rappelant qu’Hal Blaine et Leon Russell jouaient sur le «Mr. Tambourine Man» des Byrds. Que Terry Melcher produisit les deux premiers albums des Byrds ainsi que les Raiders, très populaires à l’époque. Que Bruce Johnston produisit aussi les Raiders avant d’intégrer les Beach Boys en remplacement de Glenn Campbell qui remplaçait déjà Brian Wilson en tournée. Il cite aussi Lou Adler qui produisit Jan & Dean avant de driver les carrières de Johnny Rivers, de Barry McGuire, des Mamas & the Papas, de Scott McKenzie, du Monterey Pop Festival, de Spirit, de Carole King et de Cheech & Chong. Le panorama que fait Sculatti de la scène californienne des Sixties est éblouissant. Il ramène à la lumière le nom de Curt Boettcher, qui collabora un temps avec Gary Usher et dit que son album solo paru sur Elektra est l’un des biggest delights of 1973. Coup de projecteur aussi sur Spring, ou American Spring, un duo composé de Marilyn, la femme de Brian Wilson et de sa sœur, qui auparavant firent partie de the Honeys, un surf/girl group que produisit aussi Brian Wilson. Sculatti salue leur album paru en 1972 - a perfectly delightful album - et il conclut le chapitre Spring avec cette phrase qui met l’eau à la bouche : «No doubt that Spring has the potential to be a very big part of what’s about to happen in music.»

    z10312notorious.jpg

    On parlait plus haut de Gary Usher. C’est la raison pour laquelle il faut rapatrier ce book. Sculatti y republie son Gary Usher interview de 1971 et seulement publié en 2002 dans un zine nommé Scram. Sculatti rappelle dans son chapô que Gary Usher produisit the Notorious Byrds Brothers et des soft-rock gems by Sagittarius et Millenium. L’interview est de celles qu’on traite de mythiques. Quand Sculatti attaque en lui demandant comment il a démarré dans le business, Usher répond ça : «Je travaillais dans une banque. National Bank in Berverly Hills. J’habitais chez mon oncle. Il était comme mon père. Mes parents étaient partis vivre à Lake Tahoe. Un soir, j’entendis de la musique dans la rue. Mon oncle me dit que des gamins avaient formé un groupe. Alors j’ai traversé la rue pour aller les voir. Je me suis présenté. C’était la famille Wilson. L’aîné c’était Brian. On est devenus très vite amis. On a décidé de composer des chansons ensemble. On tapotait sur le piano. J’avais appris quelques accords de guitare.» Plus tard, Gary Usher monte les Four Speeds avec Dennis Wilson : «Dennis vivait chez moi quand j’avais mon appartement. Un jour, on est allés à Tijuana et j’avais pris de la Benzedrine. On a écrit deux chansons dans la bagnole, «RPM» et «Stingray». On est rentrés et on a enregistré les chansons.» Gary Usher rappelle aussi que Jan Berry et Dean Torrence étaient un peu les enfants des Beach Boys, qui ont aussi inspiré Terry Melcher. Et quand Sculatti lui demande si Dick Dale a lancé la surf music, oui, bien sûr. «Dennis Wilson fut le premier Beach Boy à faire du surf. Il connaissait Dick Dale, les vestes Pendleton et tout le reste. Je n’ai jamais surfé. J’étais juste un hot-rod freak. I had a 409. Un jour, on roulait vers Los Angeles pour aller chercher une pièce pour ma bagnole et j’ai dit ‘écrivons une chanson qui s’appelle 409’, et on va faire un truc du genre giddy up giddy up, c’est le son du moteur, horses for horsepower, pour rigoler. On est rentrés, on a mis trois accords là-dessus et ça a donné un million-dollar car craze.» Ce qui frappe le plus dans cette interview, c’est l’incroyable simplicité du style, aussi bien dans les questions que dans les réponses. On est au cœur du mythe et Usher parle de ça comme s’il parlait de la pluie et du beau temps. Soudain, Usher entre dans le détail du son : «Personne ne comprenait le rock comme on le jouait. C’est ce qu’on appelait des straight eights avec l’accent sur le quatrième beat. C’était la base du son. Un truc de feeling. Peu gens avaient ce feel. Brian l’avait. Terry Melcher et Jan Berry aussi. Terry et Bruce Johnston ont enregistré «Little Cobra», ils s’appelaient les Rip Chords et je chante sur pas mal d’albums de Jan & Dean. Jan ne chantait pas trop, mais il avait de bonnes idées de production. Il travaillait avec Lou Adler. Lou ne comprenait pas le feel, mais il savait que Jan avait du talent et il s’est occupé de lui. C’est l’une de ses forces.» Puis Sculatti explique comment Dick Dale s’est planté, avec ses quatre albums pour Capitol. «Ils ont sorti Dick Dale de son environnement et ça n’a pas marché. En 1965, il était découragé et il est parti s’installer à Hawaï. Il a joué là-bas et s’est fait un public. Il est revenu en Californie et a acheté un club à Riverside, the Dick Dale Club. Il y joue chaque semaine et c’est plein. Je voulais le signer sur RCA et l’enregistrer. Pour moi, il était une légende vivante. Quant à Jan & Dean, c’est autre chose. En 64 ou 65, six mois après «Dean Man Curve», Jan a failli se tuer dans un accident de voiture. Il conduisait une Corvette. Il roulait sur Sunset Boulevard, il a tourné et heurté une bagnole garée. Mauvaise blessure au crâne. On ne croyait pas qu’il allait survivre à l’opération. Il a survécu. Mais il n’est plus tout à fait normal. Maintenant, en 1971, il est redevenu normal à 80%, après l’avoir été à 40%. Il devrait redevenir tout à fait normal dans quelques années. Quant à Dean, il n’a jamais chanté sur les albums. Il n’a jamais pu développer son talent. C’est un type très gentil, très agréable.»

    z10313byrds.jpg

    Sculatti saute ensuite de la scène hot rods à la scène folk-rock. C’est là qu’Usher tire l’overdrive : «Les Byrds étaient les premiers, puis les Grass Roots avec Sloan et Lou Adler, puis les Mamas & The Papas, the second wave of California music.» Puis il évoque Peanut Butter Conspiracy, the Sons Of Adam qu’il a signés en 1965. Usher rappelle aussi qu’il a fait partie du staff Columbia, qu’il a fait un album avec Gene Clark et quatre avec les Byrds, deux avec Chad & Jeremy, quelques cuts de Bookends avec Paul Simon & Roy Halee, puis bien sûr Saggitatius. Et là c’est Usher qui demande à Sculatti s’il connaît cette scène. Oui bien sûr, Sagittarius, puis Millenium avec Curt Boettcher, un rock que Sculatti qualifie d’intellectual Association-type thing. Alors Usher écrase le champignon : «On les a faits juste après ceux des Byrds. Je ne sais pas s’il s’agissait d’un ego-trip, je voulais juste expérimenter mes trucs. J’avais une chanson intitulée «My World Fell Down» que je voulais enregistrer avec Chad & Jeremy. Ils ont refusé. Je savais que c’était un hit. Alors je l’ai enregistré. C’était la première fois qu’on utilisait un 16 pistes. J’ai synchronisé deux 8 pistes, mis des repères sur les bandes, puis je les ai mixées. Ça a marché. C’est Glenn Campbell qui chante là-dessus. Comme il était sous contrat avec Capitol il a dit qu’il allait maquiller sa voix. Bruce Johnston était là aussi, parce qu’il enregistrait «Heroes & Villains» dans le studio voisin. Il joue sur plusieurs pistes. Contrairement à ce que les gens racontent, ce projet n’a rien à voir avec les Beach Boys. Brian n’a rien à voir avec ça.» Et quand Sculatti demande si les albums de Millenium et Sagittatius se sont bien vendus, Usher dit que oui, bien sûr. Il rappelle surtout que Curt Boettcher a produit Millenium. Sculatti revient aux Byrds et demande à Usher s’il s’entendait bien avec eux. Pas du tout. «Je portais les cheveux courts. Je viens de «Younger Girl» par les Hondells. Les Byrds étaient ultra hip et portaient les cheveux longs. Ils m’ont un peu rejeté à cause de mon look. J’en ai bavé pour gagner leur respect. Il m’a fallu quatre mois. C’est avec Younger Than Yesterday que j’ai enfin gagné leur respect. Pas facile de se faire respecter par David Crosby, croyez-moi. Il est très pointu en tout. Pareil pour McGuinn. Finalement, on s’entendait bien. On a fait Notorious Byrds Brothers, l’un des albums préférés de Jac Holzman. Quand j’ai rencontré Mick jagger il m’a dit que j’avais produit son album favori.» Usher rappelle aussi qu’il a monté son label, Together Records, mais ça n’a pas marché, même en sortant le fameux Preflyte des Byrds.

    z10314fourseasons.jpg

    Bon alors après, on passe à des choses nettement moins sexy : une interview de John Lennon en 1973 (où il rend hommage à Ann Peebles, Al Green, au Todd Rundgren d’«I See The Light» et à Charlie Rich), puis un hommage aux Ramones publié dans Creem en 1976 («Ramones : quatre mecs, 14 chansons de 2 minutes, trois grands accords, efficacité, poésie, goût. L’art n’a rien à voir avec les Ramones. Ni le blues, ni les impros ni les pedal steel. Ces speed-crazed cruisers font du white American rock’n’roll, dans une lignée qui va d’Eddie Cochran à Iggy en passant par leur loft du Bowery.»). Sculatti s’étend aussi longuement sur deux mythes purement américains, les Four Seasons et Dion. Son texte sur les Four Seasons date de 1987 et figure sur une antho Rhino Records. Il leur accorde une fine and private place dans l’histoire du rock américain, the hot link between Fifties and Sixties models. Ils sont à ses yeux les East Coast Beach Boys, avec à leur actif 90 millions de disques vendus en 20 ans. «Comme les Beach Boys, les 4 Seasons gave the Beatles a run for their money, en updatant un genre Fiftees, le doo-wop, pour les Sixties. À la différence des Beach Boys, Frankie Valli, Bob Caudio, Nick Massi et Tommy DeVito étaient d’abord des chanteurs et non un rock’n’roll band à guitares. C’est ce qui a permis aux 4 Seasons d’échapper au laminoir du Sixties Beatles sound. Ils sont restés intouchables pendant toute cette décade. Alors que les stars de l’époque se montraient nues sur des pochettes et fréquentaient des gourous, les 4 Seasons continuaient de faire des albums. Qui comptent parmi les plus grands disques pop.» Sculatti n’y va pas de main morte et il a raison. Il cite «Candy Girl»/«Marlena» comme one of the choisiest twin spins ever waxed. Et il n’en finit plus de citer des exemples de gros hits qu’on ne connaît en fait qu’à Little Italy. Il rappelle aussi que Frankie Valli enregistra des choses superbes pour Motown à Los Angeles (Mowest en fait) et qu’il laisse en héritage un wealth of stirring supremely American music. On trouve plus loin une interview de Frankie Valli, mais il n’y a rien a en tirer. Sculatti veut juste rencontrer l’une de ses idoles.

    z10323dion.jpg

    Tiens tant qu’on est dans les ritals, voilà Dion qui fut, nous dit Sculatti, la première rock’n’roll star chez Columbia. C’est Dion DiMucci qui nous explique ce qu’est le Bronx Blues : «Vous mélangez le R&B, le street-corner doo-wop, un peu d’Hank Williams, vous filtrez ça dans un quartier italien plein de wiseguys et vous sortez ça avec attitude, like Yo !» Et il ajoute plus loin que ce Bronx Blues, quel que soit le nom qu’on lui donne, ne vous quittera jamais, believe me.

    z10315hawkins.jpg

    Sculatti passe brutalement de Dion à Screamin’ Jay Hawkins avec un texte somptueux intitulé Cow Fingers and Mosquito Pie. Dans ce texte écrit pour Epic Records en 1991, Sculatti déclare : «Il est l’un des derniers grands R&B shouters issus des early Fifties à la suite de géants comme Roy Brown et Wynonie Harris. Il est aussi une légende du rock. Il a vendu des millions d’«I Put A Spell On You», un hit repris par Sarah Vaughan, Alan Price, Them, Creedence et a influencé tout le monde, depuis Alice Cooper jusqu’à George Clinton, en passant par tous les metal-gloom-doom outfits qui parlent de voodoo en croquant des capsules de sang. I mean he invented flashpots, baby.» Jay dit qu’il a tout fait pour être différent. «Si vous voulez me traiter de crazy, do it. It makes sense to me, tough, cause I can go to the bank on it.» Sculatti repend le fil de l’histoire : «Jalacy J. Hawkins n’a pas vendu beaucoup de disques, même s’il en a enregistré un paquet, pour des labels comme Tinely, Gotham, Mercury et Wing, et même Atlantic, entre 1952 et 1955. Jay se souvient de son expérience avec Atlantic, il enregistrait «Screaming The Blues» pour Jerry Wexler. Il m’a arrêté 5 fois pendant la prise. Il s’est mis à gueuler : ‘No no no, je veux que tu chantes comme Fats Domino, man !’ Alors je lui ai dit : ‘Now listen, Fats est bien parti, he’s doing okay. Je chante avec Tiny Grimes et je chante la chanson que j’ai choisie. Si vous voulez Fats, allez le chercher !’ Il s’est remis à me gueuler dessus et je lui ai mis mon poing dans la gueule.» Pas étonnant qu’on ne trouve pas de trace de Screamin’ Jay sur Atlantic. C’est un producteur nommé Arnold Maxim qui insista pour que le vieux Jay chante son Spell avec folie - live up to its weird title - Pour créer l’ambiance, Maxim transforma la session d’enregistrement en pique-nique, fournit au groupe des côtelettes grillées, du poulet, des patates, du vin, de la bière, du whisky et laissa tourner la bande. On connaît la suite. Tout ce dont Jay se souvient c’est qu’ils ont démarré le morceau lentement. «Une semaine plus tard, j’étais suis chez moi et on m’a amené un 78 tours of the thing. I put it on, I played it again and again. Je croyais qu’ils m’avaient menti, ça ne pouvait pas être ma voix. Alors j’ai essayé de reproduire cette façon de chanter. J’ai tordu ma bouche comme ça et comme ça. Je n’y arrivais pas. Alors je me suis versé un grand verre de J&B Scotch, l’ai avalé cul sec et là je pouvais chanter comme sur le disque.» Avec Jay on n’en finit plus de se marrer. Il termine en disant qu’à sa mort, il ne veut pas qu’on l’enterre. «I’ve been in too many damn coffins already !»

    z10316nagle.jpg

    Sculatti fait aussi quelques fixations : Tony Bruno avec The Beauty Of Bruno, et Ron Nagle, auquel il consacre le dernier article du recueil daté de 2015 et paru pour la réédition du cultissime Bad Rice qu’on a tous acheté puis revendu. On l’avait déjà acheté sans doute à cause de Sculatti qui en a toujours fait l’apologie. Ron Nagle est surtout important pour sa fréquentation de Tom Doanhue, un personnage mythique de la scène de San Francisco, puisqu’il découvrit Sly Stone et qu’il lança les Beau Brummels sur son label Autumn Records. Il revendit son label à Warner en 1966, mais il fut aussi le premier à enregistrer le Grateful Dead et The Great Society avec Grace Slick. Sur son label on trouvait aussi the Mojo Men et Harper’s Bizarre. Puis Warner lui offrit un job de producteur et c’est là qu’il signa Ron Nagle. Warner était alors le hottest label in the business. Quand Ron Nagle demande à Donahue d’avoir Jack Nitzsche comme arrangeur, Donahue dit ok. Jack et Ron s’entendent à merveille, Jack qui en a pourtant vu des vertes et des pas mures, ne tarit plus d’éloges sur Ron qu’il traite de «best undiscovered songwriter around».

    z10317burnett.jpg

    Alors évidemment, avec un book comme celui là, on n’en finit plus de réécouter des trucs : Four Seasons, Tony Bruno, Ron Naggle, Spring. Et ce n’est pas fini. Dans un texte intitulé «Who Killed Rock’n’roll», Sculatti fait un panorama des mutations et redit sa foi dans le rock, via les découvertes improbables et il cite comme exemples les rééditions Norton de Gino Washington et le Gear Blues de Thee Michelle Gun Elephant, sorti sur Skydog. Il fait aussi l’apologie d’un album tombé dans l’oubli de Dick Campbell, Sings Where It’s At. Il insiste beaucoup pour dire que ça vaut la peine de le dénicher. Alors dénichons, comme dirait Henry Miller. Sculatti fait aussi une douce apologie du Here & Now de Dorsey Burnette, qu’on eut le fringuant plaisir de dénicher récemment sur la seule foi du nom et d’une délicieuse pochette. Sculatti y va fort et il a raison : «Burnette sounds like a soul saved.» C’est son premier album sur Capitol, «big-production countrypolitan album, the perfect habitat for that soulfoul booming baritone. Think P.J. Proby minus the overt mannerisms, with a Tennessee accent.» Sculatti parle d’un country album «robust, real, life-filled, worth it», et il a raison.

    z10315muddy.jpg

    Sur la page d’en face, il attaque un texte consacré aux deux albums mythiques de Chicago blues produits par Marshall Chess : Electric Mud et The Howlin’ Wolf Album. Chess et l’arrangeur Charles Stepney collèrent Muddy face à un orchestre de huit personnes comprenant un flûtiste, un sax amplifié et les mad guitar slingers Pete Cosey et Phil Upchurch. Wham bam ! On connaît le résultat - delicious noise-stew thick with polyrhythms and fonked-up solos. Think David Axelrod’s Songs Of Innocence with more focus and meat and fat on its frame. Muddy - et plus tard Wolf qui se retrouva avec the same crew - devinrent de simples briques dans le mur, comme Darlene Love ou Ronnie Spector. But what a wall ! - Fuzz, wah tout y est, Sculatti se permet même de comparer ça à Cream et Sabbath qui jammeraient ensemble.

    z10322wolf.jpg

    Dans un petit texte sur le TAMI show publié dans Ugly Things, Sculatti rend un superbe hommage aux Stones : ils furent à ce moment-là, en 1964, the most liberating, revolutionary act around. That’s why they have to be cherished. Il évoque aussi les prestations dans le même show des Miracles, de Lesley Gore, des Beach Boys et de Chuck Berry et il conclut ainsi : «C’est la preuve irréfutable que la grande époque de la pop eut bien lieu, qu’un très vaste public appréciait cette musique et ces artistes. Profitez-en, car ça ne risque pas de se reproduire de sitôt.» Il rend aussi un hommage émouvant à Captain Beefheart - Il m’est impossible d’imaginer le monde moderne sans la musique de Captain Beefheart - Pareil pour nous, Gene. Il signe aussi en 2013 un papier sur les Doors, rappelant qu’en 67, il vit les vit pour la première fois au Fillmore Auditorium - I almost thought they were a joke - Quoi, les Doors un gag ? Il ne comprend rien au jeu de scène de Morrison qui feint de s’évanouir sur scène et qui se relève - What is this ? Euripides ? - Sculatti fut finalement sensible à la musique des Doors, mais il ne savait que penser de tous les artifices théâtraux.

    z10218questio,.jpg

    On va terminer avec l’un des fleurons de ce recueil, a Brief History of Buddah Records, une histoire passionnante troussée en six pages. Artie Ripp commence par engager Bob Krasnow comme A&R sur la West Coast. C’est Krasnow qui sort Safe As Milk sur Buddah. Puis Ripp engage Neil Bogart, un young hot-shot formé chez Cameo-Parkway à Philadelphie. Questions Mark & the Mysterians, c’est lui. «Bogart savait déjà promouvoir ce type de super-basic record and just blow it out - bang-o !» Comme Mickie Most, Bogart ne raisonne qu’en termes de hits. Il lance aussi les Ohio Players. Puis il ramène Kasenetz & Katz, et pouf, ça vire bubblegum, une vraie usine à hits, à commencer par «Yummy Yummy» des Ohio Players et «Simon Says» de Fruitgum Co. Buddah explose, courtesy of Kasenetz-Katz producing’s and Bogart’s pushing. En 1967, Buddah est dans le peloton de tête des labels indépendants, ils ont du pop-rock grand public (Lou Christie, Motherlode) et distribuent deux labels mythiques, Curtom (Curtis Mayfield) et T-Neck (Isley Brothers). Mais cela ne suffit pas pour tenir face aux appétits des carnassiers. Ripp dit que pour résister comme le font Atlantic ou Motown, il faut des Arethas, des Ray Charles et des Dylans. Ce sont les stars qui vendent des albums, pas les groupes de bubblegum. Pourtant, Buddah distribue des pointures, Melanie, Gladys Knight et le Superfly de Curtis, mais cela ne suffit pas. En 1973, Neil Bogart quitte Buddah pour fonder Casablanca et fait fortune avec Kiss et... la diskö - The House That Disco Built - On se demandait après la fin de Buddah comment un label spécialisé dans le bubblegum - des disques destinés essentiellement aux enfants et aux adolescents - pouvait avoir fait paraître un album de Captain Beefheart - It was an odd place for the dada captain to begin - Puis un conglomérat nommé BMG réanima le cadavre de Buddah et réédita Melanie, Waylon Jennings, les Flamin’ Groogies et Henry Rollins. Comme la vie peut être bizarre. Vous avez dit bizarre ? Comme c’est bizarre.

    Signé : Cazengler, sculotté

    Gene Sculatti. Tryin’ To Tell A Stranger ‘Bout Rock’n’Roll: Selected Writings 1966-2016. Create Space Independent Publishing Platform 2016

     

    Tyla ou Tyla pas ?

    z10257dessintyla.gif

    Pauvre Sean Tyla. Sa disparition est passée complètement inaperçue. La presse anglaise lèche plus facilement les bottes de cadavres célèbres. Sean Tyla ne fut que menu fretin. Dans les seventies, on ne savait déjà pas trop quoi faire du pub-rock, un genre trop rustique pour les esthètes et musicalement trop pauvre pour les fans de prog qui pullulaient à l’époque. Genesis et Yes remplissaient les grandes salles alors que les Ducks Deluxe et autres Brinsley Schwarz jouaient dans les pubs des faubourgs de Londres. D’un côté on avait les vestes brodées et les capes de satin, et de l’autre les vieilles chaussettes puantes et les dents cariées. D’ailleurs quand on le voit sur la couverture de son livre, on comprend tout de suite que Sean Tyla ne se lave jamais les dents. On voit aussi sur la table tout l’attirail du pub-rocker : le verre d’alcool, le billet roulé pour sniffer la coke et le cendrier rempli de bons vieux mégots. Une façon très directe de planter le décor.

    z10283ducks.jpg

    Quand il monte les Ducks Deluxe en 1972, Sean Tyla est déjà vieux. Il va rester vieux tout le long de sa carrière jusqu’en 2013. Faites le compte vous-mêmes. Ce vieux pépère un peu ours avait pourtant des fans, notamment en France et dans les groupes de reprises, ceux qui jouaient un peu avec le feu en tapant dans les Groovies, les Dolls ou les Mary Chain. L’un des joyaux de la couronne s’appelait «Fireball» qui fut et qui reste l’un des cuts magiques de l’histoire du rock anglais. Rien que pour «Fireball», Sean Tyla mérite le plus grand respect. Au moins autant que les Stones pour «Jumping Jack Flash» ou les Damned pour «New Rose».

    z10277book.jpg

    Nous voici de nouveau à la croisée des chemins : soit on entre dans l’histoire de Sean Tyla par le livre, soit on y entre par les disques. Optons pour le livre. Il s’appelle Jumpin’ In The Fire et vous imaginez bien qu’il n’était pas en vitrine des libraires. Si on apprenait son existence, c’était par hasard, au détour d’une conversation de comptoir. Quoi ? Ah bon ! Bah dis donc ! L’a écrit un livre ? Ah bah dis, tu m’en diras tant ! Savais pas qu’il écrivait des livres... Tyla lu ?

    Alors forcément après ça, on ne pouvait plus faire marche arrière. C’est l’époque où on commandait encore des books chez Smith, rue de Rivoli. Ils n’eurent aucun mal à le trouver. La semaine suivante, il était là. Oh c’est pas un gros livre, à peine 200 pages, mais en commençant à le feuilleter dans le RER de retour au bercail, on voyait bien qu’il avait du caractère. Il faut savoir que Sean Tyla est réputé pour la qualité des chansons qu’il compose. Il est donc logique que certaines pages de son autobio sonnent comme des paroles de chanson : «Je me suis débrouillé pour survivre à la folie des années 70 et 80, une époque où les managers et les maisons de disques étaient particulièrement corrompus et ineptes, où la coke était pure à 95 % et où la bouteille de Jack était votre seule amie. On testait les organismes jusqu’au point de rupture, j’ai passé 200 jours par an sur la route entre 1972 et 1984, propulsé par la musique et livré aux demons of the boogie night, abruti de drogues et d’alcool.» Et il continue, toujours aussi lancinant : «L’insanité était l’élément clé du business. Que ce soit pour cultiver votre ego ou vous remplir les poches, les risques que vous preniez pour votre santé étaient énormes. Ils fallait desserrer quelques boulons et faire preuve d’une certaine bravado pour ça. Aujourd’hui, les artistes semblent passer autant de temps à la salle de sport que sur la route. Ça paraît logique, mais je ne sais pas quelle répercussion ça peut avoir sur la musique. Sur scène, je continue de jouer comme avant, même si je suis conscient de mes limites. J’ai presque 64 ans et pas 21. J’ai arrêté les drogues en 1982, arrêté de boire il y a douze ans et arrêté de fumer quand j’ai été diagnostiqué.» Encore une histoire de vieux pépère qui a bien fait le con et qui ne se plaint pas trop, finalement.

    z10282webb.jpg

    Puis au fil des pages, tout s’éclaire. Sean Tyla admire Jimmy Webb et Burt Bacharach, ce qui explique son goût pour les grosses compos. Il se retrouve assez vite payé par Lionel Bart pour écrire des chansons et entre un beau jour en studio avec la crème de la crème du gratin dauphinois de l’époque pour l’enregistrement de Gulliver’s Travels, une comédie musicale : «Clem Cattini on drums, Herbie Flowers on bass, Chris Spedding on guitar, Mike Moran on piano, Frank Ricotti on percussion and Madeline Bell, PP Arnold, Lindsay Duncan, Tony Rivers and Tony Burrows on backing vocals.» Ça dure un an, Tyla s’enrichit mais il en bave : «J’apprenais vite. Entrer dans le music business, c’était comme de glisser sur le tranchant d’une lame de rasoir en utilisant ses couilles pour freiner. Il ne fallait croire ni faire confiance à personne.»

    z10262ducks.jpg

    Il forme les Ducks Deluxe en 1972 et passe aux choses sérieuses. Il commence par rencontrer Martin Belmont qui est roadie des Brinsleys. Puis Nick Garvey qui est roadie des Groovies. Quant à Tim Roper, personne se sait d’où il vient, nous dit Tyla. «Le rock’n’roll est un poison contre lequel il n’existe pas d’antidote. L’expérience des Ducks fut un voyage de non-retour. J’étais une coquille perdue sur une mer de rêves. J’ai été aux quatre coins du monde avec le groupe et poussé mon esprit et mon corps dans leurs limites. Mais là, on était en route pour Durham avec les Ducks et nous n’avions que 7 livres à nous quatre.» Malgré leur popularité, les Ducks ne roulaient pas sur l’or. La seule explication pourrait être la relative faiblesse de leurs deux albums, Ducks Deluxe et Taxi To Terminal Zone parus sur RCA en 1974 et 75. Ces deux albums ne tiennent que par la présence de «Fireball» et cette intro de rêve amenée d’un coup de Watch out ! Dommage que les autres cuts de l’album ne soient pas aussi fringants.

    z10263taxi.jpg

    Au fil des années, on a souvent réécouté ces deux albums et on éprouve toujours une sorte de déception. Tyla ne chante pas tous les cuts, c’est Nick Garvey qui se tape l’Ama/havanah de «Nervous Breakdow». On appelait ce premier Ducks l’album des reins brisés, à cause de trucs comme «I Get You» ou «Hearts On My Sleeve». C’est un album globalement assez calme qui se termine avec une belle cover raunchy d’«It’s All Over Now», chantée par Nick Garvey, pas par Tyla. Quant à Taxi To Terminal Zone, laisse tomber.

    z10266peels.jpg

    On trouve dans le commerce une petite compile de trois Peel Sessions datant de 73, 74 et 75. Comme toujours, les Peel Sessions font la différence, le «Fireball» de 73 est just perfect, bien soutenu par la frappe sèche de Tim Roper, oh what a world. Ils chantent the songs we knew. Même leur «Coast To Coast» passe mieux que la version studio. Quelle énergie, baby ! Martin Belmont fusille tous ses solos. Il n’a jamais eu un son aussi killer. Leur version de «Bring Back My Old Packard», c’est quasiment «Love In Vain» avec des échos d’«Honky Tonk Woman». Gimme gimme gimme sweet lovin’. Ils redémarrent en 74 avec «Fireball» et un son moins cru. Mais ça reste un hymne, oh what a world. En 75, ils attaquent avec «Paris 9» et une belle giclée de son. C’est là qu’on réalise à quel point Martin Belmont est excellent. Les Ducks explosent chez Peely. Il faut entendre le travail que fait Belmont en embuscade dans «Jumpin’ In The Fire». Il joue des phrasés tordus et simples à la fois. Belmont est un boogie-man, comme Tyla. Leur coup de Fire sonne comme une épopée. Encore une énorme compo avec «Amsterdam Dog». Crépusculaire et pesante. Tyla aime à se vautrer dans le gutter mais il le fait avec une certaine grâce.

    z10281expozermat.jpg

    Dans son book, Tyla brosse un très beau portrait de Marc Zermati. Il le rencontre en 1974, lors d’une tournée européenne de Lou Reed. Les Canards jouent en première partie. «Marc était un vrai fan de musique, fondateur de Skydog et propriétaire de l’Open Market, a veritable bazaar de disques rares de garage américain. Il avait monté Skydog trois ans avant Stiff. Il avait aussi monté avec un autre Français, Larry «Green Beard» Debay, le premier réseau de distribution indépendant en Europe, Bizarre Distribution. On est devenus amis et on l’est toujours aujourd’hui. Il allait avoir une importance vitale pour tous les groupes dont j’ai fait partie. On s’est rencontrés ce soir-là à l’Olympia. Zermati était un visionnaire qui flairait les talents, tous ceux que ne voyait pas l’industrie musicale. Il sentait le next big thing. Les gros labels lui proposaient de l’embauche mais il préférait conserver son indépendance. Il n’a jamais cédé.»

    z10265toomuch.jpg

    Il n’est donc pas surprenant de voir paraître All Too Much sur Skydog. Oh what an album ! On y retrouve l’excellent «Amsterdam Dog» enregistré en 75 chez Peely, amené sur petit canapé de cocote. Ce vieux renard du désert qu’est Tyla sait siffler sa menthe à l’eau. Sous sa casquette à carreaux, il bascule dans une espèce de magie balladive, ça tourne au mythe. Tyla chante au mieux des possibilités du genre. C’est très impressionnant. Même son «Cannons Of The Boogie Night» sonne les cloches. Tyla le traîne dans la boue. Il est dans la vérité. Heavy boogie classique mais inspiré. Il allume jusqu’au bout de la boogie night. Il revient à son vieux fonds commerce avec «Moonlight», un boogie de rêve gorgé de swagger britannique. Ils font aussi une version d’«I Fought The Law» grattée au clair de clairette de London Underground. C’est aussi sur cet album que se trouve le fameux «Jumpin’ In The Fire», joué dans les règles de la Stonesy. Ça frise même un peu le glam. Tyla est dessus, ça se laisse écouter, même si c’est cousu de fil blanc comme neige. C’est d’ailleurs le seul reproche qu’on puisse faire à Tyla et aux autres pub-rockers : le classicisme.

    z10280affichezermat.jpg

    On trouve dans le Tyla book un autre épisode pas très flatteur pour Marc. Une histoire tragi-comique, un promoteur suisse qui ne veut pas payer et en voulant planter son cran d’arrêt dans la main du promoteur, Marc a raté son coup et s’est épinglé la sienne sur le bureau comme un papillon. Ce qui pourrait expliquer le fait qu’il n’aimait pas trop qu’on parle de ce book.

    Comme déjà dit plus haut, les Ducks ne roulent pas sur l’or. Dans son book, Tyla nous raconte un épisode anecdotique qui illustre bien ce sombre aspect des choses. En 1978, ils se retrouvent en tournée avec Rush. Le bassiste de Rush qui s’appelle Geddy Lee vient trouver Tyla dans la loge pour lui demander pourquoi il reprend la route tous les soirs après les concerts, et Tyla lui explique qu’ils n’ont pas de blé pour l’hôtel. Tyla dit aussi qu’ils jouent à l’œil. C’est ça ou rien en Angleterre. What ? Geddy Lee n’en croit pas ses oreilles. That’s crazy ! Et Tyla lui répond comme l’aurait fait Jean Gabin : I know. Alors Geddy Lee décide de changer tout ça. Il propose 500 £ par concert et prend en charge la bouffe et l’hôtel. Tyla n’en revient pas. Un vrai conte de fées.

    z10264lastnight.jpg

    Avec ses faux airs de double live qui ne sert à rien, Last Night Of A Pub Rock Band joue pourtant un rôle essentiel dans l’histoire brève des Canards. Paru sur le label hollandais Dynamite Records en 1979, ce double live propose en fait le dernier concerts des Canards au 100 Club, le 1er juillet 1975. Tim Roper et Nick Garvey avaient déjà quitté le groupe, remplacés par Billy Rankin (drums) et Mickey Groom (bass). On n’écoute pas ça pour la qualité du son, mais pour l’ambiance. On découvre que les Canards avaient un choix de reprises assez intéressant : deux covers de Fog («Proud Mary» et «Have You Ever Seen The Rain» reprises illuminées par le jeu de Martin Belmont), de Dylan bien sûr («The Mighty Queen» et «Knocking On Heaven’s Door»), de Chuck Berry («Run Rudolph Run» et «Little Queenie») et des Stones (Brown Sugar» et «Midnight Rambler» que massacre Bob Andrews). Ils attaquent leur set avec «Fireball». En B, «Amsterdam Dog» confirme tout le bien qu’on pense de ce big heavy balladif et ils terminent avec «Going Down The Road», moment chargé d’émotion qui illustre la fin d’un groupe et d’une époque. Au dos, le mec du label écrit : «Alors les Ducks jouèrent leur ultime cut, «Going Down The Road» et rentrèrent à la maison.»

    z10279.jpeg

    Après la fin des Ducks, Tyla produit des groupes, notamment Little Bob. En 1976, le jour de la Saint-Valentin, il rencontre McLaren et les Pistols dans un West London restaurant. Tyla est accompagné de Marc Zermati qui voulait signer les Sex Pistols sur Skydog - J’avais la dégaine du parfait greaser et eux looked like a collection of electrocuted fist-aid kits in tartan - Les Pistols demandent à Tyla ce qu’il a produit et il répond Shirley Bassey, ce qui fait éclater de rire Steve Jones. McLaren dit à Tyla et Marc de passer voir jouer le groupe le soir-même à Butler’s Wharf. Tyla trouve le groupe mauvais sur scène - I just didn’t get it so I passed. Marc loved them but, obviously, never got to sign them - Ainsi va la vie. Qui était à l’affût une fois de plus ? Zermati himself.

    z10267box.jpg

    En 2007, Tyla remonte les Ducks avec Martin Belmont, Kevin Foster (bass et ex-Doll By Doll) et Jim Russel (drums, ex-Wild Angels et ex-Inmates). Ils enregistrent quatre albums ensemble, à commencer par un mini-album, Box Of Shorts. Malgré d’évidentes bonnes volontés, Box Of Shorts peine à convaincre. Tyla ramène sa fraise de clear blue sky & footprint in the sand dans «Tremolo Bay» et reste très formel avec ce «Dig It Deep» bien tempéré. Il fait de la vieille Americana dans «Long John» et sonne comme un étrange mélange de Dylan et de Dr. John. C’est justement Dylan qui sauve l’album avec «Absolutely Sweet Marie». Ça se passe entre deux big songwriters. Tyla chante le Dylan jeune avec la voix du Dylan vieux. Les attaques du grand Martin Belmont rentrent bien dans le lard de la matière. S’il faut retenir une cover de Dylan, c’est bien celle-ci. Tyla tisonne la légendarité, il chante de toute sa force tranquille. Encore une belle leçon de savoir-vivre qui ne profitera pas à grand monde, vu la désuétude dans laquelle sont tombés les Canards.

    z10268riviera.jpg

    Il existe aussi un live à Monte-Carlo enregistré par la même mouture des Canards en 2011 et paru sous le titre Riviera Shuffle. Tyla sort la grosse artillerie pour «Paris 9» et ramène son sens aigu de l’énormité. Ils font en fait la promo de Box Of Shorts avec «Diesel Heart», «Dig It Deep» et «Red Dust Highway». Ce qui frappe le plus, c’est l’incroyable présence de Tyla. Il dégage tous les a-priori. Mais c’est Jim Russell qui vole le show avec son fouetté de fûts dans «Dig it Deep». Il joue avec une extrême agilité, mais aussi comme un fauve à l’affût. Tyla reste fidèle à sa manie des heavy balladifs, avec un Belmont en contrepoint toujours prêt à tailler sa bavette. Ils ressortent le vieux «Coast To Coast» pour l’occasion. Tyla s’amuse bien avec son vieux tagada. Ça finit par sonner comme un classique. Mais avec une section rythmique aussi parfaite, il ne craint rien.

    z10269smokers.jpg

    Puis en 2010 paraît Side Tracks & Smokers, une compile avec un seul original, «Twist Of Fate», qui est en fait une cover de Bob Dyaln, mais enregistrée en 2009. C’est monté sur un dub sound et Tyla le chante jusqu’à l’ass de l’os. On croirait entendre le vieux Dylan. C’est assez pénible. Comme dirait l’autre : «Vinyle jaune ! 25 euros chez Gibert !». On trouve là-dessus une série de raw mixes datant du premier album des Ducks, du big heavy rock anglais d’accords lumineux. On se réveille un peu avec une série de B-sides de singles, notamment «Bring Back The Packard Car» et l’excellent «Two Time Twister». Les clameurs sont au rendez-vous, ça frise à nouveau la Stonesy, avec un vrai sens du story telling. C’est une fois de plus le boogie rock de rêve. La grande aisance de Tyla est un spectacle extraordinaire. L’album se termine avec une série de cuts live enregistrés en 2009 à Monte-Carlo. Jim Russell bat «Johnny Too Bad» comme plâtre. Ils ne font qu’une bouchée du vieux «Willie & The Hand Jive» de Johnny Otis. C’est tapé dans les règles du lard. Ils ramènent aussi leur science du heavy gut avec un vieux rock de Canard nommé «Long John». Et tout explose avec «Styrofoam». S’ensuit une version de «Teenage Head» qui dure 9 minutes, ce qui n’est pas forcément une bonne idée.

    z10270moon.jpg

    L’ultime coin-coin des Canards date de 2012 : c’est un album live, Rockin’ At The Moon, enregistré à Londres. It got my head real tense ! Eh oui, ils attaquent avec «Fireball». L’occasion est trop belle de re-savourer ce chef-d’œuvre. Il s’agit d’un rock d’une autre époque, celle des frissons du cuir et des choses de la vie. Tyla descend d’un ton au deuxième couplet. Bien sûr quand on le jouait, on jouissait dans son futal. «Fireball» était the real deal, claqué à l’accord avec du redémarrage en côte. L’autre point fort du live est le vieux shoot de «Willie & The Hand Jive». en fait, ils retapent dans tous leurs vieux coucous de Canards. Sur scène, les Canards se montrent à la hauteur de leur réputation : le son est excellent, section rythmique Foster/Rusell impeccable, avec en plus Belmont et Brinsley Schwarz. Ils amènent «Daddy Put The Bomp» à la vieille cocote des connaisseurs et ce démon de Tyla fait danser le rock’n’roll. Son Daddy est une pure merveille. Il peut gueuler, on est avec lui, down in the swamp, Daddy put the rock in my soul. Ils réussissent l’exploit de foirer l’intro de «Teenage Head», mais la suite est bien. Ils terminent avec un «Coast To Coast» d’antho à Toto. Décidément, rien ne vaut une bonne chanson.

    z10271yatchless.jpg

    En 1977, Tyla monte le Tyla Gang avec Bruce Irvine, un guitariste canadien, Michael Desmarais (drums, ex-Winkies) et Brian Turrington (bass). Ils se retrouvent sur l’un de labels en pointe de l’époque, Beserkley Records. Le premier album du Tyla Gang s’appelle Yatchless. Le hit de l’album se niche en B et s’appelle «The Young Lords» - They know they’ll get/ They’ll get through to you - Fantastique ! Tout repose sur le power du refrain. Avec cet album, Tyla privilégie les heavy balladifs, comme «Dust On The Needle», et Bruce Irvine joue ses bons vieux accords bien gras du bide. On a bien compris que Tyla ne cherchait pas à réinventer la poudre. L’A s’écoule paisiblement et s’achève sur un «Speedball Morning» que Tyla chante dans l’ombre d’une voix menaçante. «Don’t Shift A Gear» vaut pour un joli coup de boogie rock qui refuse obstinément d’aller éclater au firmament, en dépit un réel vivier de compétences. On trouve un autre hit en B : «Whizz Kid», back on the saddle again, doté d’un vrai texte de carburator deng - Motorcycle ride and brand new Dylan leopardskin pill box hat - Ne perdons pas de vue l’essentiel : Tyla est un lyricist exemplaire.

    z10284marsan.jpg

    Il rend à nouveau hommage à Marc Zermati en évoquant le second festival de Mont-de-Marsan. Tyla pense que son groupe ne colle pas avec l’affiche, mais Marc veille au grain et les met à l’affiche du deuxième jour, juste après Little Bob. Pour Tyla, ce show est le meilleur de sa carrière. Un journaliste anglais alla même jusqu’à dire que le Tyla Gang fut le meilleur concert du week-end. Tyla se retrouva en première page du Monde avec le titre : «Un Nouveau Christ ?». Il dit encore que sans Marc, il ne serait pas devenu ce qu’il est devenu : «Il a fait ça pour l’amour de la musique et des fans. On lui doit énormément. Honte sur ceux qui l’ont oublié.»

    z10273moonproof.jpg

    Le deuxième album du Tyla Gang s’appelle Moonproof. Pareil, c’est l’album d’un seul hit, mais quel hit : «Suicide Jockey», lui aussi planqué en B comme une faute non avouable. Ça sonne pourtant comme une bombe. On pense au «Screwed-up» de Mick Farren : vrai son de Gang, chant gras double et sharp riffs. Avec cet album, Tyla va plus sur la grosse prod. Il va même friser le Springsteen sur certains cuts, ce qui n’est pas bon signe. On sent le vieux pépère à l’affût du succès. C’est en B que se joue le destin de cet album, avec «Spanish Sheet», presque un hit, très relaxé, suivi d’une «No Roses» monté sur un riff délicat et vainqueur à la fois. On sent clairement une volonté de hit, avec une mélodie intrigante et des effets mesurés. Avec «American Mother», Tyla va chercher le groove et les chœurs de filles évaporées. Il est bon quand il fait son Max la Menace et renoue avec les vieilles vibes de «Teenage Head». Il boucle sa B avec «Flashing In The Subway», une belle flambée de fin de non recevoir. Le Tyla Gang sait piquer sa crise, ils n’ont besoin de personne en Tyla Davidson. Bruce Irvine sait jouer le killer solo flash, il sait infecter un vieux cut.

    z10274rewired.jpg

    Retour à Skydog en 1998 avec ce Blow You Out du Tyla Gang, une espèce de compile parue au Japon. On y retrouve un «Suicide Jockey» (1977) qu’on prend en plein poire dès l’ouverture du bal d’A. Very big cocoting. Tyla ne rigole pas avec la cocote. Il claque le meilleur (pub)rock d’Angleterre et chante à la coulée de bave. On possédait tous ce single Skydog à l’époque. C’est d’ailleurs le Tyla de la pochette qu’on retrouve en illustration de cet obituary. Tyla chante son Suicide Jockey jusqu’à l’ass de l’oss. Il chante son root down here. Blow You Out grouille de hits, comme par exemple «Whizz Kids» ou encore «Cannons Of The Boogie Night». Tyla sonne comme un chef de gang. Fabuleux boogie-man ! Et puis bien sûr «Styrofoam», le hit du voyou Tyla. Il chante comme un punk. Le seul qui a essayé d’en faire une star, c’est Marc. «Styrofoam» (1976) est aussi l’un des singles magiques de l’époque. Le plus frappant c’est peut-être la ressemblance avec Dr. John : même génie de la diction. Il y a aussi une ressemblance physique entre Dr. John et Tyla sur certaines photos, à cause de la barbe et de la prestance. «Paris Boogie» figure aussi sur Blow You Out. Difficile d’échapper à la grandeur du boogie anglais. On y reste avec «Texas Chainsaw Massacre Boogie». Pour l’amateur de boogie, c’est un régal. Tyla y fait son Américain de derrière les fagots de London. Il se prend pour un simili-Canned Heat et chante à la revancharde, il ne laisse rien au hasard, c’est un artiste complet.

    z10278rewired.jpg

    Paru en 2010 sur Jungle Records (associés londoniens de Marc), Rewired propose un ensemble de choses extraordinaires, notamment les démos qu’enregistra le Tyla Gang en 1978 pour un troisième album qui devait s’appeler Whaleback et qui n’est jamais sorti, car Beserkley venait tout juste de les virer. Les bandes furent effacées mais Bruce Irvine réussit à conserver des cassettes et ce sont elles qu’on peut entendre dans Rewired. Tyla fait du glam d’ours mal léché avec «Jungle Of Love» et il chante «Bar Du Telephon» avec une voix de pervers sexuel qui bave sur sa veste. Il remet aussi en service l’excellent «Amsterdam Dog» on the run of the cocote sourde et se tape avec «Out On The Run» un vieux shoot de friendly boogie - I’m back on the run - Wow Tyla on te fait confiance, pas la peine de gueuler comme ça. Bruce Irvine prend le relais et ça tourne au big heavy power balladif. Tyla fout le souk dans sa médina. C’est «On The Street» qui ouvre le bal avec son big heavy sound et on retrouve à la suite des versions datant de 1977 et 1978 de «Styrofoam» (belle dégelée de Teddy Bear, avec un Irvine en embuscade), de «Dust On The Needle» (joué à la cocote sourde comme un pot), «No Roses» (Wrong baby you’re wrong, Tyla gratte la corde sensible du heavy balladif - Ain’t got no roses to send) et puis voilà «Moonlight Ambulance», heavy balladif de London dope craze qui ne sert à rien. Le disk 2 est un live enregistré dans une cave d’Epernay et notre vieux Jean-Jean qui était le premier fan de France du Tyla Gang (mais aussi de Chris Bailey) s’était rendu à ce concert. Il en reparlait chaque fois qu’il était défoncé. C’est vrai qu’il y a de quoi être traumatisé, si on écoute ça. Le concert démarre en force avec devinez quoi ? «Styrofoam», bien sûr. What an energy ! Dans les liners, Tyla nous dit que le concert fut enregistré sur un Aka 47, pardon, Revox A77 Mk III. Le son n’est pas jojo, Mike Desmarais semble jouer sur des caisses en bois, tellement le son est sec, mais le Tyla Gang passe en force. Ils jouent leur va-tout. Tyla revient à ses vieilles enclaves de middle rock d’envergure avec «Lost Angels». Il vise toujours l’excellence, même dans les caves d’Epernay. Il fait son big heavy Teddy Bear dans «I Don’t Want Your Love» et boom, tout explose avec «Suicide Jockey» - So instead of Stranglers, it’s Suicide Jockey - (oui car le Tyla Gang remplace au pied levé les Stranglers) et ça part en big rave up, sale merveille vénéneuse que ce riffing, pur jus de Tyla/Irvine, ça riffe à la poigne de fer. Puis Tyla annonce : «This one is called The Young Lords» (qui est oublié dans la track-list). C’est un hit phénoménal, incroyable intersection de l’intermission des protubérances pubescentes, le vieux Tyla fout le feu dans la cave, c’est un moment historique. Ces démons enchaînent avec «Cannons Of The Boogie Night» et «Fireball». Ils jouent le boogie le plus épais de l’univers. Absolute fucking genius. Il prend «Gonna Take Me Away» à la pire violence d’attaque frontale. Irvine passe en mode killer et le Tyla Gang descend aux enfers. Ils collent «The Muddy River» à la place de «Pool Hall Punks» (c’est curieux que le mec de Jungle n’ai pas corrigé cette erreur sur la pochette). La descente aux enfers se poursuit avec «Hurricane» qui n’est pas celui de Neil Young, mais il faut entendre Tyla bramer au sommet d’Hurricane. C’est un exploit sportif. Il va au-delà du possible et pousse encore des petits cris d’orfraie dans la frénésie du rumble. Il grimpe au sommet de son art. Comme on approche de la fin, il présente les musiciens. Ça se termine en apothéose avec «Whizz Kids», un nouveau shoot de heavy boogie idéal pour une cave à champagne. On se souviendra de ce live comme de l’un des plus grands du siècle passé et donc condamné à l’oubli. Oubli, régale-toi. Avale tout. Le seul bruit qu’on entendra bientôt sera le ressac des sargasses de la médiocrité.

    Après la fin des Ducks et du Tyle Gang, Tyla entame une carrière solo. Il va enregistrer quatre albums sous son nom.

    z10258popped.jpg

    Pochette ratée et zéro hit pour Sean Tyla’s Just Popped Out paru en 1980. Tyla sort la big prod pour ce «Breakfast In Marin» dont il se dit si fier dans son book. Des accents dylanesques parcourent les cuts et on voit qu’avec «Lonelyhearts», il cherche le hit, comme le cochon cherche la truffe. En B, il revient au big boogie avec «Credit Card Bash». Un nommé Bam King passe des solos intéressants. Bruce Irvine refait surface dans «Big Fat Zero» et rappelle le temps d’un solo éblouissant qu’il est un grand guitariste. Et puis avec «Chase The Fire», Tyla renoue avec la grande aisance du vieux Canard.

    z10259babylon.jpg

    Pochette atroce et zéro hit pour Redneck In Babylon paru en 1981, année de l’élection de François Mitterrand. Tyla s’entoure d’une autre équipe, mais c’est toujours le même son. «Casino Queen» vire même rock symphonique. L’horreur. On retrouve le calme avec «Daddy Put The Bomp» et «Let Me Love You» se veut puissant comme un seigneur de l’An Mil. C’est le domaine du vieux Tyla, il cherche toujours à passer en force. Mais c’est pas bon, mon pépère. Inutile de persévérer. Par contre, le «Lands Of The Buffalo» qui traîne en B finit en puissance, in the land where the Buffalo roam. On sent nettement la puissance du songwriter dans le «Babylon Suite» en trois parties qui clôt l’album.

    z10260swing.jpg

    Notre Tyty des Batignolles finit ses années 80 avec Rhythm Of The Swing, un album qu’il vaut mieux oublier. Il y rivalise de putasserie avec Dire Straits. Il y perd son âme. Des fois c’est pas beau de vieillir. Avec «In The Blood», il taille sa bavette de balladif avarié. Il réussirait presque à nous faire pleurer, ce vieux schnock. Avec «Running On Empty», on sent poindre une immense fatigue. Il termine avec «Tripocal Love», un heavy balladif chargé d’ambition sentimentale qu’il s’en va gueuler par dessus les toits, comme un Verlaine ivre de misère et d’absinthe.

    z10261saddle.jpg

    Sean Tyla refait surface en 2007 avec Back In The Saddle. Ne regardez pas la photo qui se trouve à l’intérieur, car Tyla ressemble à un Metallica, avec son Stetson en paille et ses lunettes noires. En plus il force un peu sur le guttural dans «Montanarama». Avec cette espèce de rock FM, on perd de vue le Teddy Bear. Il va trop dans le powerful m’as-tu-vu. Il propose plus loin une version longue d’«All Along The Watchtower». On l’attend au virage. Il tente le coup. C’est de bonne guerre - There’s too much confusion - Comment passer après Jimi Hendrix ? Il gorge sa version de distorse - And the wind began to howl - Le plan est foireux. Il tente l’impossible, mais l’impossible porte bien son nom. Tyla tente de passer en force. On finit par comprendre qu’il ne faut pas attendre de miracle. Les albums américains de Tyla deviennent aussi bizarres que ceux de Terry Stamp. Même si le «Cross Pony» est plus viandu, il peine à convaincre. En homme civilisé, Tyla déroule avec «Moon Falls Down» le tapis rouge d’un balladif qui ne sert à rien, mais il insiste tellement que ça finit par devenir beau. Extrêmement beau. Il finit par emporter la partie à coups d’until the moon falls down. Il développe son cut de manière spectaculaire, il est dans l’excellence, il joue tellement sur l’insistance du croyant que «Moon Falls Down» devient un hit génial. Tyla embarque littéralement sa compo pour Cythère. Ensuite, on le voit hélas se vautrer lamentablement avec «Fightin’ Fifty Boogie», il chante au mauvais guttural et traîne sa légende dans la boue en voulant sonner comme les Maiden ou les Judas, ça tourne au gag. Comment un mec aussi doué peut-il se vautrer ainsi ?

    z10275stereo.jpg

    Comme il a remonté les Ducks, Tyla remonte aussi le Tyla Gang et enregistre Stereo Tactics en 2013. Encore un album sur lequel il est conseillé de ne pas faire l’impasse, ne serait-ce que pour cette fantastique reprise du «Breed» de Nirvana. Tyla jette tous son power dans la balance, ça sonne comme du surf-garage, mais punk as hell - She said ! She said ! - Cette folie lui va comme un gant. L’autre big hit s’appelle «Chinese Moon», il y prend de l’opium in old Shangai. Sans douce est-ce l’album le plus rock de Tyla, c’est en tous les cas ce que tendrait à montrer «That’s Rock’n’roll» - Up in the hills/ They’re cooking a new kind of blow - et pouf, il nous envoie nager dans des piscines remplies de dauphins. Le riffing y est aussi puissant que les lyrics - Got me a pick up that runs on aviation gasoline/ It’s got a thousand watt stereo and 90’’ plasma screen - Tyla sait élever un débat. Encore plus heavy et même défenestrateur, voici «Hard Road Rocker». Tyla chasse sur les terres du Comte Zaroff. Il sort son meilleur guttural - I love to ride the highway/ Burnin’ rubber on the road - Il raconte même qu’il boit du mescal in the morning/ It brightens up my day et il crache le feu le soir when the band gets up to play. C’est dingue comme Tyla sait planter un décors. Sa vitesse de prédilection reste la heavy cocote sourde, comme le montre «Blood On The Radio». C’est assez convaincu d’avance - Rock’n’roll is a hard road to ride - les paroles de «Deadhorse Run» tapent aussi en plein dans le mille - It’s a short way to hell I know/ To kiss the Devil’s ass - Sorti du contexte, ça paraît bizarre, mais replacé dans le contexte, ça ne l’est plus, croyez-le bien. Dans «Long Road Home», il sort cette merveille : «If I die with my boots on/ Only get myself to blame.» Il conserve cette inexpugnable ferveur du boogie. Dans «Runaway», il dit que tous les maux du monde viennent du diable - There’s nothing you can do/ When the Devil’s out top play - et Bruce Irvine se fend d’un beau solo flashy flasho. Avec ses chansons imparables, King Tyla est assis sur un tas d’or. Et dans un ultime réflexe politique, il rappelle que the needy feed the greedy. Il termine avec «Lock & Load», une chanson d’alerte rouge - Check the people !

    z10275stockolm.jpg

    En 2013, Tyla enregistre son ultime album dans son endroit préféré, the Akkurat Bar, à Stockholm. Ce Live In Stockholm est une sorte de best of explosif. On y retrouve tous les hits, mais aussi Bruce Irvine et Mike Desmarais. Tyla finit son histoire en bouquet et on note l’excellente santé du son dès le gros riff d’intro de «Cannons Of The Boogie Night». Nombreux sont les groupes qui aimeraient sortir un son pareil. Même «Dust On The Needle» qui passait pour un balladif passe-partout prend ici une résonance particulière. On sent le gang bien soudé. Mike Desmarais n’a jamais aussi bien frappé. Tyla oh-ohte ses fins de couplets comme un cake. Quelle belle dégelée ! Du coup, les heavy balladifs prennent leur envol : on admire la force tranquille de «Lost Angels» et le coucher de soleil de «New York Sun». Les gros solos de Bruce Irvine grésillent dans l’embrasement crépusculaire. Oui, Bruce nous brise. «Hurricane» sonne comme l’explosion du bonheur et «Texas Chainsaw Massacre Boogie» comme la pire des déboulades. D’ailleurs c’est avec elle qu’ils terminent. Oh mais il manque les hits ! Pas d’inquiétude, ils sont là, à commencer par «The Young Lords» qui renvoie aux grandes heures de Kim Fowley, même sens de l’underground radieux et des soudains éclats de lumière, avec un Bruce Irvine qui part en fibrille de solo et un Tyla qui tartine ses young Lords they knew. Ils nous font plus loin le coup de l’enchaînement fatal avec «Styrofoam» et «Suicide Jockey». Ils tapent dans le dur, comme on dit chez les Portugais. Tyla attaque dans le sharp du shock et Desmarais cogne comme un soudard. Aw, ces mecs réduisent le rock en bouillie. Bruce prend soudain son solo en levrette, lui taille une croupière avec la frénésie maladroite d’une belette avinée. Ces mecs sont des démons, ne vous approchez pas trop près d’eux. Surtout du Bruce qui sous des apparences de mec sympa pourrait bien être le pire killer qui soit ici bas. Ils font du «Suicide Jockey» une vraie pétaudière, on s’y attendait un peu. Les voilà devenus féroces et rebelles, ils jouent au pumping heart. Teddy Bear on the run, il est imbattable à ce petit jeu. Ces mecs sont le secret le mieux gardé du rock anglais.

    Signé : Cazengler, Tyla pas cent balles ?

    Sean Tyla. Disparu le 17 mai 2020

    Ducks Deluxe. Ducks Deluxe. RCA Victor 1974

    Ducks Deluxe. Taxi To Terminal Zone. RCA Victor 1975

    Ducks Deluxe. Last Night Of A Pub Rock Band. Dynamite Records 1979

    Ducks Deluxe. All Too Much. Skydog 1998

    Ducks Deluxe. The John Peel Sessions. Hux records 2007

    Ducks Deluxe. Box Of Shorts. Hawkhead Records 2009

    Ducks Deluxe. Side Tracks & Smokers. Jungle Records 2010

    Ducks Deluxe. Riviera Shuffle. Jungle Records 2011

    Ducks Deluxe. Rockin’ At The Moon. Mystic Records 2013

    Tyla Gang. Yatchless. Beserkley 1977

    Tyla Gang. Moonproof. Beserkley 1978

    Tyla Gang. Blow You Out. Skydog International 1998

    Tyla Gang. Rewired. Jungle Records 2010

    Tyla Gang. Stereo Tactics. Ball And Chain Records 2013

    Tyla Gang. Live In Stockholm. Angel Air Records 2014

    Sean Tyla. Sean Tyla’s Just Popped Out. Zlich 1980

    Sean Tyla. Redneck In Babylon. Zlich 1981

    Sean Tyla. Rhythm Of The Swing. Instant Records 1983

    Sean Tyla. Back In The Saddle. Hawkhead Records 2007

    Sean Tyla. Jumpin’ In The Fire. Soundcheck Books 2010

    MONTREUIL / 12 – 09 – 2020

    LA COMEDIA

    IENA / C' KOI Z' BORDEL

    THE TRUE DUKES

    Z10255AFFICHECONCERT.jpg

    J'fais un peu la tête. J'aurais pu faire coup double cette semaine, en ces temps de disette deux concerts à la suite, peut-être mon nom aurait-il été inscrit en lettres d'or sur le livre des Records, je ne peux m'en prendre qu'à moi, complètement oublié que hier soir c'était soirée rockabilly avec les Ringtones au Pub Le Bacchus de Château-Thierry, double raison de ne pas rater l'affiche alléchante de La Comedia, le moteur rassurant de la teuf-teuf gronde sur la N4, les Dieux de l'Olympe compatissants oignent mon âme meurtrie d'un népenthes, revigorant, sur la radio une revisitation de la carrière du Led Zeppe ! Je gare la teuf-teuf alors que le Dirigeable achève Rock'n'roll, quel magnifique cri de guerre conviendrait mieux à la soirée qui s'ouvre !

    IENA

    Ne sont que trois. Loin de moi l'abjection abhorrée de dire du mal d'un trio de rock'n'roll, cette formation de base du rock électrique, mais Stéphane le chanteur est absent titillé par une vilaine bébête qui court les rues ces derniers temps. Donc trois qui se tiennent debout et stoïques, tels les grenadiers de Napoléon massés devant les troupes prussiennes attendant l'ordre victorieux de charger, le temps qu'un long sampler déroule sa musique, pas une catapulte de cavalerie, plutôt les anneaux quelque peu entremêlés d'une marche cadencée.

    z10300steph+++.jpg

    Sur votre gauche, une bonne fée, de fait une véritable sorcière aux doigts crochus, faut voir comme elle tire sur les cordes de sa basse. Vous les crochette avec l'habileté diabolique d'un cambrioleur s'attaquant à la serrure de votre porte d'entrée, vous n'avez pas réalisé qu'il est déjà ressorti avec l'argenterie de la famille, mais elle ne s'enfuit point à toutes jambes, elle se jette sur la porte de l'appartement voisin, vous monte et descend les quinze paliers de son manche en un temps record, pour dégringoler au fond de la cave, autant vous dire que ça swingue un max, au début vous n'entendez qu'elle, en plus il y a l'impact, elle tire et elle frappe, une volée de bastos qui vous percent le buffet, et vous coupent le souffle de la vie. Z'êtes tellement focalisés sur la mitraille de cette amazone qu'il vous faut quelques minutes pour réaliser qu'elle n'est pas la seule à bosser.

    Sur notre droite Eric, un roc dans la tempête. Guitariste et compositeur. Genre de gars qui a tout vu et tout fait. Statique. Le visage fermé. Oui mais c'est un subtil. Il est à la lead et vous ne savez pas où il vous mène, ne vous envoie pas une ribambelle de riffs dans les esgourdes, ne donne pas dans le spectaculaire, accorde sa confiance à l'auditeur, le juge assez doué pour qu'il suive. Ne pas le perdre de l'oreille, sinon vous errerez sans fin dans les structures labyrinthiques qu'il déroule avec un flegme étonnant, et puis il chante, comme pour lui-même, se lance dans d'étranges mélopées intérieures fascinantes. Pas un brin de séduction et tout le monde écoute avec attention. Une force persuasive tranquille

    z10302michel.jpg

    Michel Dutot, est à la batterie. Nous le connaissons, il est aussi le batteur de The True Dukes – les lecteurs à la mémoire alzheimerienne se repporteront à la livraison précédente – n'a pas la tâche facile, doit faire le pont ( important quand on s'appelle Iéna ) entre les abrupts dévissages des mains dansantes de la cigale Stéphanie et le sage fourmillement ramassé et industrieux des doigts de la fourmi noire d'Eric, s'en tire comme un chef, le fléau de la balance de la justice qui établit un équilibre parfait entre des modalités flottantes. Presque sans y penser, quelques coups, caisse claire et cymbale, et en trois coups de cuillère à peaux il vous monte la mayonnaise jusqu'au plafond. La preuve, n'ont-ils pas un titre nommé Black Icare ?

    On se serait contenté d'eux tout seuls, mais les amis sont au rendez-vous, Jyb le chanteur des True Dukes vient pousser la goualante sur L'hymne et en final sur Citoyens du Monde. Un boute-feu, nous y reviendrons plus tard. Mais aussi Isa – la chanteuse de The Red Truck, vous savez ce camion de pompiers squatté par des pyromanes – qui se déchaîne sur trois titres consécutifs, Stooges, Pixies, Rory Gallagher, trois tueries, même qu'elle termine sur une étrange danse du scalp, pas besoin de beaucoup d'imagination pour comprendre qu'elle est en train de découper en petits morceaux ensanglantés un pauvre prisonnier attaché au poteau de torture, et toute La Comedia l'encourage en hurlant de joie, en plus Iéna déverse sur la salle un son pistolien à vous donner envie de vous faire sauter la cafetière rien que pour le plaisir.

    z10301final.jpg

    Un set trop court, juste pour comprendre que Iéna en a dans l'alambic. Ne sont pas nés de la dernière pluie. Savent tout faire. Une belle ouverture de concert, qui vous aiguise les dents à en rayer le parquet. Faudra les revoir à quatre.

    C' KOI Z' BORDEL

    Ne sont que trois. Mais pour eux c'est normal. Un peu comme quand votre gamin vous annonce que pour son anniversaire il n'a invité que trois copains. Les meilleurs, qu'il a ajouté. Mais en quoi ? Lorsque vous rentrez chez vous, votre appartement est ravagé et après l'envoi des photos l'assureur vous rappelle que les dommages de guerre ne sont pas prévus par le contrat.

    Z10304KGUITAR.jpg

    Tableau d'honneur. Ou de déshonneur selon vos préférences idéologiques. Le meilleur en batterie, c'est Olivier. Du bois centenaire dont il nous brûle les oreilles. Une machine automatique. Quand il frappe, il frappe. D'abord il n'arrête pas. Impulse toute son énergie. En rajoute. L'en fait des tonnes et ça détonne. Claquements secs ultra-rapides à répétition. Si j'osais, j'écrirais qu'il met du cœur à l'ouvrage, à lui tout seul une compagnie de CRS s'activant consciencieusement sur les crânes de paisibles manifestants exerçant leur simples droits démocratiques de déambuler sereinement dans les rues, mais cette comparaison risque de ne pas leur plaire. Ce sont des teigneux. Ne s'en cachent pas. Des minutieux aussi. Fournissent les paroles et l'explication orale pour les intelligences obtuses au cas il y aurait dans le public quelques esprits non-avertis. Ainsi quand ils annoncent Les Nuisibles donnent des exemples, non ce ne sont pas les renards sanguinaires qui visitent vos poulaillers, mais les patrons, les juges, les policiers, les banquiers qui veillent sur notre bien-être d'esclaves soumis et notre sécurité d'ilotes apeurés par leurs ombres, parce que les stupides poulets saignés à blanc c'est nous.

    Z10305KGUITAR.jpg

    Z'ont choisi leur camp, A coups de pelles dans la gueule, Allez tous vous faire enculer bande de bâtards, nous assène Cyril. Une belle voix, porteuse, un peu vrillée, qui s'enfonce dans vos tympans comme une vis sans fin, une trépanation idéologique qui vous fait du bien. Le tout agrémenté des cisailles de sa guitare, force de persuasion assurée. Maîtres mots : vitesse et précipitation. Ne laissent pas retomber la flamme.

    Z10306TROISK.jpg

    Stéphane à la basse assure le grondement de base. Sur le même modèle que ses deux acolytes, partisan de la cabosse plein pot. Pousse sans ménagement la matière sonore au bulldozer, vous la ravachole de haut en bas, C' koi z' bordel déteste les temps morts. Ils aiment la vie pétillante et explosive. Colorée noir anarchie strié de jaune gilet. N'ont pas le punk sinistrose. Pas rose non plus. Ne vous laissent pas un instant de répit, enchaînent les titres sans rémission, ne sont pas cois mais foutent un bordel inimaginable, beau tangage devant la scène, une véritable fête, une crise aggravée d'épilepsie, pas du tout Waterloo morne plaine. Un régal. Se déguste brûlant. Garçons sauvages.

    THE TRUE DUKES

    A cinq sont un peu serrés sur la scène mais ça ne se voit pas, et pour être plus précis ça ne s'entend pas, because z'ont le son parfait, méchamment mis en place, aéré, une netteté étonnante, pas le gazouillis des petits zoziaux dans le jardin municipal, un true truc beaucoup plus percussif, les battements d'ailes de Quetzacoalt le serpent à plumes qui fonce sur vous pour vous déchirer les entrailles de son bec invincible. Le genre de désagrément que votre sensibilité exacerbée d'esthète rock'n'roll vous permet d'apprécier à sa juste valeur.

    Z10309BATTEUR.jpg

    Dans ces cas-là ne faut pas désigner le coupable mais définir le responsable, ne se cache pas, l'est tout au fond contre le mur, et il distribue. Vous aimeriez savoir quoi ? Le silence. Cela peut sembler bizarre, car il fait pas mal de bruit, il a la frappe puissante et punchy de Sugar Ray Robinson sur le ring, il n'en abuse poing, il espace ses coups mais vous les abat avec un mortel aplomb, Micky Boys, le métronome, le maître homme, vous définit l'espace en espaçant les retombées de ses baguettes, sonne le tocsin sur sa grosse caisse pour galvaniser les troupes qui n'en ont pas besoin.

    Le Micky vous définit la structure, ne reste plus qu'à remplir les intervalles. Du boulot pour tout le monde, car entre les ogives de cette cathédrale punkézoïdale qu'il élève, vous avez les vides à combler de parois épaisses, attention les Dukes ne font pas expressément dans la dentelle, plutôt dans la pierre massive. La première qui s'y colle, c'est la basse de Kamboui, les deux mains en plein dedans, sa spécialité c'est les architraves, c'est vrai qu'il est un peu archi-grave, comment parvient-il notre mécano à refiler des lignes de basse aussi épaisses que les entablements des colonnes des grands temples antiques et en même temps à déployer sur leurs épaisseurs le swing d'une sculpture aux fines ciselures. Rajoute la feuille d'acanthe qui vous enchante.

    N'ayons pas honte de le dire, the True Dukes trichent dur. Plutôt trois fois qu'une. C'est leur truc, leur papier true-mouches, l'on n'aliène pas la sympathie des spectateurs avec de la soupe d'ortie, de temps à autres, ils sortent la grosse artillerie, trois guitares en même temps, et là ils sont imparables, rendent l'assistance totalement folle, la transforment en derviche tourneurs animés par des moteurs électriques. Des pales tournoyantes d'hélicoptères détachées de leurs rotors virevoltent sans frein devant la scène.

    Z10307RIKO+ERIC.jpg

    Sous son bonnet Riko affiche une sérénité sans égale. L'est tout sage avec sa guitare. L'est habité par intermittences de crises de démence. Peu spectaculaires, ne saute pas partout, l'a simplement les doigts qui ricochent sur les cordes, et alors là, pas besoin de taper sur la porte du paradis pour demander à entrer, Riko vous l'ouvre en grand. Tromperie sur la marchandise, c'est celle de l'enfer et vous voici encerclés sans rémission dans un riff infini de feu incandescent qui vous calcine la moelle épinière en moins de deux secondes. Vous pensez que vous finirez en torche vivante mais non Riko referme le vantail et vous vous retrouvez tout bête d'être encore là. Riko le riche n'est pas cruel, vous laisse entre les mains de Kikaï.

    Z10307KOKAÎ.jpg

    Un autre père de manche. Dans ses mains de géant, la guitare semble minuscule. Mais il en prend soin. La tient serrée avec sollicitude. Ressemble un peu au Duc ( pardon au Duke ) de Nevers dans Le Bossu de Paul Féval qui se bat en duel contre un groupe de spadassins, portant son bébé dans le repli de son bras gauche. Kikaï ne la quitte pas des yeux, la couve du regard, mais de ses doigts il vous file de ces terribles poinçons aussi efficaces que la terrible botte de Nevers, vous troue le front, vous transperce le cerveau à chaque fois. Vous tombez mort sur place en criant nevermore mais vous vous relevez aussitôt car never mort les coups d'épée maléfiques de Kikaï attisent en vous l'appétit de vivre.

    Z10308JYB.jpg

    Trois guitares de temps en temps car Jyb se déleste souvent de la sienne, un grand gaillard, sa haute taille et sa queue de cheval lui refilent l'allure d'un scalde échappé d'une antique saga nordique, ces récitants vénérés qui pour donner du courage à l'équipage et défier les Dieux, scandaient de farouches épopées sur les drakkars assaillis par les tempêtes. Plante ses dents dans le vocal et ne lâche plus, vous le mastique avec avidité, un molosse qui rompt un fémur de bœuf d'un seul coup de dents tranchant comme la lame de la guillotine. Vous passe le répertoire du groupe à la moulinette. Idem pour les reprises. Tout ce qui entre fait ventre, même cette version de Laid des laids de Gainsbourg qu'il vous épice sous forme d'hymne punk.

    Un set mené de toute folie, y'en a pour tout le monde, Eric de Iéna au micro, Kamboui passe son joujou à à Stéphanie qui nous montre avec quel savoir-faire ( ancestralement genré ) les filles savent s'occuper des nourrissons criards, Jyb dédie spécialement Le Mitard à Rachid qui au comptoir abreuve la foule, et puis je ne sais plus, The True Dukes ont La rage, La Comedia est transformée en émeute dans la cellule numéro neuf du pénitencier national covidique, que dire de plus, que cette soirée fut un régal rock'n'roll ! La preuve, Isa est remontée sur scène et nous a smashé Rock'n'roll de Led Zeppe, difficile de faire mieux pour boucler la boucle de cette soirée !

    Damie Chad.

    ( Photos : Isabelle Jarre )

     

    HYBRID COGNITION

    HEAVYCTION

    ( EP / Bandcamp / You Tube )

     

    Nous ont impressionné lors du concert ( voir chronique 475 ) de Château-Thierry, n'étaient pas comme le corbeau de la fable, n'avaient aucune galette vinylique ou cédéique à laisser tomber du haut de leur bec sur les foxes-fans affamés, juste l'indication de la possible connexion à leur EP vieux de trois ans. Donc nous sommes allés écouter. Et voir. Parce que sur YT vous trouverez le clip-vidéo.

    La première fois que j'ai déchiffré le nom du groupe, sur le T-shirt d'un gars qui n'arrêtait pas de bouger j'ai lu Heavaction. J'ai immédiatement traduit, heavy / action, ces gars-là vont nous bourrer le mou à la vitesse du mur du son, à part que là la balle nous foudroiera en retard bien après le son... ben non, le concept est beaucoup plus complexe que cela, heavyction c'est heavy et éviction. Cela vous concerne un peu, ne s'agit pas non plus de vous et de votre médiocre personne, mais de cette saleté de race humaine en son entier. Et pas par un malheureux virus mortel et proliférant. Par les machines. Un scénario de science-fiction maintes fois traité dans des films et des bouquins. Déjà Wells dans L'île du docteur Moreau, avait abordé dès 1896 le thème de l'hybridation, ne parlait alors que de traficotages chirurgicaux entre animaux et hommes, depuis le danger se rapproche, qui n'a entendu parler de réalité augmentée et de transhumanisme, un film comme Matrix est un parfait exemple de ces vertiges futuro-existentiels...

    z10254couveheavyction.jpg

    Kumus : à l'origine Kumus est un guerrier mandalorien dont l'histoire est révélée dans la tumultueuse saga livresque de Star-Wars. Rien à voir avec l'univers de Petit Ours Brun. Âmes et oreilles sensibles s'abstenir. Seule la haine est plus forte que la mort, car lorsque vous haïssez et semez la mort, vous êtes vivant. Brutal clip. Toutefois la musique est plus forte que les images. Elle a tendance à les effacer, à les reléguer dans une zone de désintérêt profond. Vous emporte sur le toboggan de la mort. Une espèce de course contre la montre. Mais le son se déploie comme le drap du lit d'un moribond que l'on retire d'un coup sec, on dirait qu'on lui ôte le temps de mourir et celui de vivre. Kumus est à écouter comme un acte musical à part entière. Un de ces coups de dés mallarméens que l'on tente pour détruire le monde. The key : la clef est à l'intérieur de nous, il suffit de la trouver... Ce n'est pas celle du bonheur. Juste pour forcer la serrure qui met en communication la petitesse du microcosme humain et l'infini du macrocosme universel. Un seul trou et deux portes s'ouvriront. Grognements exponentiels du vocal et guitares qui filent comme pluie de météorites qui s'écrasent sur le sol raboté de votre conscience et traversent les espaces interstellaires infinis. Une espèce de prière insultante à l'infinitésimalité de l'illimité. Des voix qui se rejoignent en un chœur fabuleux, des guitares qui tissent une espèce de chant gravitationnel de triomphe et le hurlement du loup Fenrir qui dévore la main du dieu ou de l'homme qui détient la clef. Into Hiding ( Amorphis Cover ) : reprise d'Amorphis groupe d'heavy death metal finlandais qui explore des thèmes similaires à ceux de Heavyction, centrés sur le concept d'anamorphose ou pour être moins simple d'amétamorphose, l'idée que tout changement engendre aussi mais pas uniquement le néant. Un vocal théâtralisé et déclamatoire qui, pour employer une expression nietzschéenne, cligne de l'œil. Cet Into Hiding ne serait-il pas une intro-hiding, comme l'œil blafard de face cachée de la lune hécatienne. Le morceau se déroule selon une rituellique déambulation emphatique, le générique d'un film catastrophe métaphysique.

    Cet EP d'Heavyction est fascinant. Présente l'aspect d'une pyramide à trois faces, forgée d'un métal inconnu qui permet d'entrevoir des aspects ignorés de notre monde que les reflets évanescents et fantomatiques qu'il projette dévoilent et teintent d'un obscur mystère. Mourir pour revivre. Ou : Mourir pour vivre. Cochez la bonne case. Ici l'on perd à tous les coups.

    Damie Chad.

     

    DANIEL BOONE

    VIE ET LEGENDE D'UN PIONNIER AMERICAIN

    JOHN MACK FARAGHER

    ( Editions du Rocher / 1996 )

    z10286frenchbook.jpg

    Salvador Dali vante dans un de ses écrits l'incomparable prééminence du peuple espagnol sur tous les autres car il aurait inventé le principe du sous-marin et de l'hélicoptère. Nous lui laissons l'entière responsabilité de ses assertions, nous nous contenterons de répliquer que les américains eux ont inventé le rock'n'roll et Edgar Poe, ce qui nous semble participer d'une véritable éblouissance souveraine. Toutefois ce genre de concours de cour de récréation n'offre que peu d'intérêt, de toutes les manières il reste à savoir qui a inventé les américains. Nous ne possédons pas la réponse, je tiens à préciser que nous ne la trouverons pas le livre de John Mack Faragher consacré à une des figures mythiques de l'Ouest américain.

    z10287englishbook.jpg

    Peut-être le nom de Faragher ne vous est-il pas inconnu, du moins vous dit-il quelque chose, regardez par exemple au dos des pochettes de Willy de Ville, Wanda Jackson, Dusty Springfield, les frères de Mack œuvrèrent dans la musique, vous retrouvez même le nom de l'aîné dans la programmation de la célèbre émission American Bandstand... mais John devait être l'intello de la famille, né en 1945 il est devenu un professeur d'université bardé de récompenses et spécialisé dans l'histoire de la formation des Etats-Unis.

    z10285coqd'or.jpg

    Pas étonnant qu'il se soit donc intéressé à la vie de Daniel Boone. Une des images chocs de mon enfance : une illustration du Daniel Boone due au pinceau de Myriam Huford dans Les Petits Livres d'Or, notre héros s'emparant d'un poney tatoué de belles peintures de guerre pour s'évader des féroces indiens qui le retenaient prisonnier... et puis plus rien pendant des dizaines d'années jusqu'à ce que je me plonge dans ce livre.

    John Mack Faragher nous fait dès le début du livre le coup du gars qui ne sait rien mais qui vous raconte tout. Ce que l'on connaît de Daniel Boone tiendrait en une demi-page  décrète-t-il au début de sa relation, et plouf il nous pond un pavé qui frôle les cinq cents pages. Sans remplissage, des noms, des dates, des faits, et toute une époque révolue qui revit en un récit haletant. En plus son héros n'est pas le premier en tout, même son titre de gloire de découvreur du Kentucky est historialement faux. Bien d'autres ont pénétré avant lui dans cette promesse d'Eldorado et quand il est parvenu à fixer une crasseuse implantation villageoise dans ce qui n'était pas encore l'état du Kentucky, son nom ne s'écrit pas en tête du classement, il occupe la détestable place poulidorienne... Faut être juste, Daniel Boone n'a jamais rien revendiqué de semblable. D'abord c'était un taiseux, et puis la seule chose qui l'intéressait c'était la chasse.

    z10292chasseur.jpg

    Daniel Boone naît en 1734 à Exeter pas très loin de l'Atlantique. Dans une communauté Quaker. Un milieu lourd et intolérant. Puritain. La famille outrée de se voir reprocher que deux de ses filles batifolent avec des non-quakers prendra le large et se fixera en Caroline du Nord. En ces temps-là une famille c'était une moyenne de dix enfants, le père la mère et des chiens. Plus les oncles et les tantes du mari et de l'épouse. Les filles se marient jeunes, beaucoup avant seize ans, les garçons guère plus vieux, une espèce de ''gens'' romaine regroupant plusieurs foyers, toute une smala informelle mais fidèle, quand l'un des membres les plus en vue décide d'aller voir ailleurs si l'herbe est plus verte, beaucoup le suivent...

    Le jeune Daniel n'est pas un écolier assidu, plus tard une de ses belles-sœurs lui apprendra à écrire, les bois, la forêt, la chasse l'attirent, à quinze ans il sera déjà un chasseur confirmé. Il n'est pas le seul à subir ce que plus tard Jack London appellera the call of the wild... La forêt est mystérieuse mais pas déserte. Il n'est pas donné à tout le monde de survivre en ses étendues boisées. Une science qui s'apprend. Les éducateurs des premiers blancs - déclassés, aventuriers, têtes-brûlées - qui s'aventurèrent en ses vastitudes furent les Indiens. Ces individus pâlichons isolés, peu expérimentés, ne semblaient pas un danger, fallait tout leur enseigner, les mœurs des animaux, les techniques d'approche, la conservation des peaux, les ruses, les pistes, l'occasion d'un commerce informel à base de troc... Certains trappeurs n'hésitèrent pas à prendre femme chez les Indiens, certains s'assimilèrent, beaucoup vécurent entre ces deux mondes, frontières poreuses....

    gene sculatti,sean tyla,iena,c' koi z' bordel,the true dukes,heavyction,daniel boone

    A quinze ans il participe à sa première grande chasse, plusieurs semaines dans la nature sauvage en groupe soudé et réduit. Le jeune Daniel aura de toujours une préférence pour les courses en solitaires. Le voici marié, il a construit une cabane en rondins d'une seule pièce, plus de vingt personnes vivent dedans, nichées d'enfants, les siens, ceux d'amis ou de parents décédés généreusement adoptés, visiteurs, parentés... – on comprend le besoin de solitude et d'éloignement qui poignait les hommes - Rebecca s'occupe des bêtes, des champs, du ménage, les femmes sont dures au mal et ne se plaignent pas. Boone est de ces maris qui reviennent après plusieurs mois d'absence, retrouvent le gamin qu'ils ont mis en train lors de leur précédent retour, et repartent à la nouvelle saison...

    Boone est un fameux fusil. Souvent en temps de mauvaise récolte il a nourri l'ensemble de la parentèle avec le gibier qu'il a ramené. C'est un pisteur infatigable. Ne se vante jamais. Ceux qui l'ont connu en action savent que ces brèves paroles sont porteuses de sens et ont pris l'habitude de lui obéir, possède le flair, il sent le danger qu'aucun signe n'annonce... Dans son petit milieu, il est respecté et écouté. C'est un sage, qui ne s'affole jamais. Reste que dans le monde, dans la petite niche écologique que l'on s'est construit, l'on n'est jamais seuls même si l'on est le seul responsable de son propre malheur.

    Z10310USA.jpg

    Un peu de géopolitique. Au nord sous les grands lacs sont les Iroquois. Poussés du Canada par les anglais ils exercent une pression peu mortelle mais efficace sur les Indiens Delaware qui eux-mêmes empiètent quelque peu au sud sur leurs frères Shawnees. Mais ces derniers doivent composer à l'est avec la poussée des blancs. Beaucoup de chefs ont signé des traités de paix, entendez par là qu'ils ont accepté de laisser leurs territoires de chasse de la rive gauche de l'Ohio, mais déjà des blancs s'en viennent chasser sur la rive droite... Beaucoup trop de monde...

    z10288boo,mythifié.jpg

    Il existe une porte de sortie, un bout du haut de la Virginie bute sur des montagnes impénétrables, du moins semble-t-il, ce ne sont que les Appalaches, des pisteurs en sont revenus, ils décrivent les épaisses forêts et de merveilleuses collines herbacées entrecoupées de douces et larges vallées où coulent de belles rivières... Boone ne peut qu'être aimanté par de telles promesses, le voici cherchant une piste, il la trouve, mais elle n'est guère carrossable, il revient, on le croit, c'est un homme de parole, un riche notable le charge d'une mission, élargir le sentier, permettre à des charriots de pionniers de passer... La mission sera accomplie. Boone se charge de fonder une petite colonie : ce sera Bonesborrough, quelques misérables cabanes entourés d'une palissade, l'on cultive des champs autour, Boone se livre à son occupation favorite la chasse. Sur le territoire ultra-giboyeux situé de l'autre côté de la rivière Kentucky.

    z10289idem.jpg

    Boone est capable d'abattre dix ours ou dix cerfs en une demi-journée. Ne comptons pas le menu gibier, lièvres et castors ni le gros : les bisons. Sur la fin de sa vie il se plaindra de la raréfaction du gibier... Certes il prélève de délicieux rôtis et dépouille ses proies pour plus tard revendre les peaux... Il n'est pas le seul. D'autres l'imitent. Il n'est pas le seul. D'autres les observent. Les Shawnees qui détestent ces carcasses d'animaux qui pourrissent sur place. Ce gaspillage les choque...

    Un peu de géopolitique : les temps changent, un fort sentiment indépendantiste parcourt les treize colonies américaines. Sur la frontière la population des nouveaux venus serait plutôt loyaliste, mais les anglais arment et attisent les Shawnees déjà remontés contre les migrants. Les guerres vont se succéder, celle de libération qui finira par la proclamation de l'Indépendance des Etats-Unis d'Amérique et la guerre indienne qui oppose les colons du Kentucky aux Indiens.

    Boone navigue à vue. Il ne déteste pas les Anglais mais par l'Etat de Virginie qui administre les territoires du Kentucky – cette proximité explique la présence d'esclaves chez les trappeurs - il est chargé de commander les troupes civiles prélevées sur les colons. Les grades de capitaine, puis de colonel lui seront octroyés. Il ne fera guère preuve d'un zèle partisan. Boone déteste la guerre, les évènements lui permettront de ne pas participer aux combats meurtriers et décisifs.

    z10295monaieindiens.jpg

    Boone ne détestait pas les anglais mais il aimait les indiens. Il a vite compris qu'en chassant il ne faisait qu'aider à la main-mise américaine sur des terres qui leur appartenaient. Les indiens le respectent, mais les Shwanees deviennent de plus en plus entreprenants et font la chasse aux chasseurs. Boone possède un sixième sens qui lui permet d'appréhender les dangers mais un jour il se fait prendre avec un groupe d'une vingtaine de colons partis en patrouille. Un véritable western : les scénaristes lui doivent une sacrée chandelle, il restera deux ans prisonniers toutefois adopté par le chef de la tribu. Il a tué son fils, or les Indiens croient en la transmigration des âmes. Pourquoi celle du défunt ne s'installerait-elle pas chez son assassin ?... Jusqu'à la fin de sa vie il restera en bons termes avec sa famille adoptive... Il parviendra à s'enfuir et prendra la tête de la défense de Boonesborrough, lorsque les indiens attaqueront, cet homme taciturne parviendra à être lors de longs palabres encore plus rusés qu'eux... Après de longs combats acharnés la pluie effondrera la mine qu'étaient en train de percer les Indiens pour écrouler les murs du fortin...

    La jeunesse est passée. Le bilan que Boone établit de son premier demi-siècle n'est pas très positif. Lui qui a ouvert la route du Kentucky, a passé le plus clair de son existence à courir les bois et à faire la guerre, il n'a pas amassé la fortune espérée... Il aimerait se poser, posséder une propriété pour abriter sa famille. Nous avons eu l'épopée, le western, voici la face sombre de l'Amérique. Celle que nous n'aimons pas. Celle de l'argent. Sonnant et trébuchant pour ceux qui tirent les ficelles, un mirage pour les âmes simples et candides. Les sociétés et les banquiers ont tissé leur toile. Squattent les plus hautes places dans les instances politiques décisionnelles.

    Le procédé est simple. Si vous possédez un petit pécule, pas besoin de grand-chose pour commencer, nous vous délivrons une charge d'arpenteur. Boone mord à l'hameçon, plutôt deux fois qu'une. Il connaît le Kentucky, il sait repérer un bon terrain bien situé, il en trace les limites, il le vend à un heureux propriétaire. Maintenant ce nouvel acquéreur doit recevoir la confirmation de son titre de propriété que lui concèdera l'Etat de Virginie, une formalité en principe. Petit hic, la loi peut changer, un terrain qui avait été décrété achetable peut voir son statut changer il faut donc rembourser le propriétaire ou entrer en procès avec lui. Mais il y a pire : le terrain peut avoir été arpenté par un autre voire plusieurs autres arpenteurs, un micmac juridique, procès, contre-procès, temps et argent perdus... Mais ce n'est pas tout, la plupart des terrains tombent ( comme par hasard ) en fin de parcours dans la poche de consortiums aux main de riches spéculateurs, ce sont eux qui font changer les décrets d'attribution des sols, très facilement puisqu'ils occupent les postes-clefs de l'administration, ils possèdent aussi des armadas d'hommes de lois... au bout de dix ans Boone ne tirera pour tout bénéfice de son activité que des dettes...

    z10291plaquedb.jpg

    Il est tellement dégoûté qu'il décide de quitter les Etats-Unis et de ne plus jamais remettre les pieds dans le Kentucky. S'installe dans la possession espagnole du Missouri, on lui offre pour peu cher - son nom circule parmi les migrants - un beau domaine en spécifiant oralement qu'il n'a pas besoin d'habiter depuis un an sur celui-ci comme il est exigé habituellement, et il reçoit son titre de propriété sans problème... Manque de chance Boone n'a pas une tête très géopolitique, lorsque les Etats-Unis achètent le Missouri les nouvelles autorités exigent l'attestation écrite qui confirme qu'il a bien résidé un an sur le terrain avant de l'avoir acheté... Boone sera exproprié.

    z10296cadastre.png

    Passera les vingt dernières années de sa vie auprès de sa famille et de sa fille, se refermant sur lui-même un peu désabusé, se couchant de temps en temps dans son cercueil pour piquer un bon petit somme, les rhumatismes le font souffrir, l'empêchent de marcher, quand il se sent mieux il part à la chasse... Il partira définitivement le 26 septembre 1820.

    z10290statue.jpg

    Comment et pourquoi ce héros local se transformera-t-il en mythe ? Pourquoi lui et pas un autre ? Il ne fut pas le seul coureur des bois. Il eut la chance d'avoir alors qu'il atteignait la cinquantaine un biographe, John Filson qui d'un style ampoulé brossa de sa figure de coureur de bois un portrait digne des héros homériques. L'homme qui avait gagné à lui tout seul la guerre contre les Indiens et sauvé le Kentucky. Daniel Boone lui-même jugea son panégyrique nettement exagéré, après sa mort ses nombreux descendants eurent beau s'indigner et dénoncer cette stature de héros invincible et invulnérable, les racontars  poussaient  et  croissaient  encor e plus vite que l'herbe bleue ( qui n'était que de la simple luzerne )  du Kentucky,  non il n'était pas un scalpeur d'indiens, au cours de sa vie il n'en avait tué que trois afin de sauver sa propre peau, en règle générale l'esprit humain a tôt fait de choisir entre la stricte réalité des faits et l'amplification de la légende...

    Plusieurs fois Boone répéta qu'il préférait les indiens aux colons du Kentucky, les guerriers ne défendaient que leurs territoires ancestraux, plus tard sous couvert de sa défense et illustration des Shawnees la gent cultivée ne manqua pas d'entrevoir une relation exemplaire saisissante entre la vie de Boone au fond des bois au milieu d'une nature protectrice et le mythe du bon sauvage théorisé par Jean-Jacques Rousseau...

    z10299mohican.jpg

    Cet être fruste que fut Daniel Boone eut une destinée littéraire peu banale, très vite après sa mort il devint le héros de moult romans populaires... Nec plus ultra, Fenimore Cooper s'inspira de sa vie et de ses déclarations pour créer son personnage Bas-de-cuir, la série de cinq volumes des Leatherstocking fut tout au long du dix-neuvième siècle un élément constitutif essentiel de l'imaginaire américain. Consécration poétique, Lord Byron lui consacra plusieurs strophes élogieuses dans Don Juan son œuvre maîtresse.

    z10293tombe.jpg

    Mais il est encore des conjonctions souterraines plus étranges. Lors de sa phase spéculatoire d'arpenteur Daniel Boone fut joliment escroqué par un aventurier anglais, un certain Gilbert Imlay qui de retour en son pays eut une liaison avec Mary Wollstonecraft, les amants se séparèrent, de leur union passagère naquit une fille Fanny Imlay. Mary se maria avec le philosophe William Goodwin ( un des théoriciens de l'anarchie ). Fanny Imlay devint la demi-sœur de Mary Wollstonecraft-Goodwin qui à la suite de son union avec le poëte Percy Bysshe Shelley publia sous le nom de Mary Shelley son célèbre Frankenstein... Did you ever meet with Frankesnstein s'enquerraient les New Yok Dolls sur leur premier 33 tours. Méthode généalogique.

    z10293deuxièmetombe.jpg

    Cette biographie due à l'érudition sans faille de John Mack Faragher nous plonge au cœur de la formation historico-mythologique des Etats-Unis. Pour ceux qui voudraient avoir quelques lueurs supplémentaires sur la suite de la constitution de cette nation nous les engageons à lire L'Amérique de Mark Twain de Bernard De Voto publié en 1932, voir notre recension dans la livraison 287 de KR'TNT ! Du 23 / 06 / 2016, le livre débute sur les rives du Missouri...

    Pour nous, nous dirons que l'âme de Daniel Boone résonne pour qui sait y prêter attention chez Johnny Cash et bien d'autres chanteurs de country. Selon notre vision le rock'n'roll est à considérer comme une des résurgences du romantisme européen.

    Damie Chad.