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  • CHRONIQUES DE POURPRE 617 : KR'TNT 617 : LAWRENCE / BLOOD RED SHOES / LEON RUSSELL / GREG DULLI / GARLAND GREEN / C' KOI Z' BORDEL / BURNING SISTER / RED CLOUD / TELESTERION

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 617

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    26 / 10 / 2023

      

    LAWRENCE / BLOOD RED SHOES

    LEON RUSSELL / GREG DULLI / GARLAND GREEN

    C’KOI Z’ BORDEL / BURNING SISTER

    RED CLOUD / TELESTERION

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 617

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Lawrence d’Arabie

     - Part Two

     

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             Jon Dale nous dit de Felt : «One of the most mysterious and idiosyncratic indie groups of the 1980s.» Et il ajoute que ce phénomène est dû à Lawrence, lead singer et arch-conceptualist. Son truc est de donner aux fans ce qu’ils attendent et ce qu’ils n’attendraient jamais. Dale brosse ensuite le portait d’un Lawrence obsédé par la propreté, dans son appartement de Birmingham, et sa façon de gérer le quotidien grâce à a micro-industry of books. Point de départ de tout ça ? Lawrence vit T. Rex à la télé et trouva sa vocation. Et comme beaucoup de groupes de cette génération, Felt naquit de deux choses : l’éthique DIY du punk-rock et ce que Dale appelle the tedium of living in a backwater, c’est-à-dire l’ennui provincial. Et troisième élément : Maurice Deebank.

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             Si on écoute les premiers albums de Felt, ce n’est pas pour Lawrence d’Arabie, oh no no no, c’est pour Maurice Deebank. Paru en 1982, Crumbling The Antiseptic Beauty est un album de Momo Deebank, et ça saute aux yeux dès «Evergreen Dazed». Ce guitariste joue avec une fluidité exceptionnelle - Those guitar lines just kept on keeping on - Son son frappe l’imagination. En engageant un tel prodige de l’échappée belle, Lawrence d’Arabie avait tout bon. Momo crée un monde à lui tout seul, c’est autre chose que de fédérer les tribus de bédouins. Momo joue du pur crystal clear et il se montre en plus inventif. On reste dans les climats très clairs avec «Fortune». Deux guitares voyagent dans l’azur, plus aucune attache, rien qu’un son libre, Momo n’en finit plus de se fondre dans l’essence de l’éther. Mais au bout du troisième cut, forcément, la formule s’essouffle. On les sent moins déterminés à vaincre. Ils s’engluent dans l’essence de leur éther. Momo tente de redresser la barre en B avec «Cathedral», il sort un gros paquet d’arpèges d’acid-rock et encorbelle des contreforts des citadelles, il embobine ses bonnes gammes et les drape de plaids d’organdi et de somptueuses dégringolades de gammes. Ce groupe capte bien l’attention, grâce à un son intrigant et pur comme de l’eau de roche. Avec ce premier album, Lawrence ambitionnait de pondre the best English album ever. Et il ajoute : «I wanted my band to be something really special.»

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             Paru en 1984, The Splendour Of Fear est selon Dale a massive stride forward. C’est là qu’on trouve «The World Is As Soft As Lace», l’une des most beautiful songs de Felt. Lawrence et Momo y visent la paix étale, celle du lac. C’est d’une paisibilité sans fin. Momo est là et ça s’entend dès «Red Indians». Quelle présence ! On note aussi que Gary Ainge bat bien. Ce démon de Momo inscrit les arpèges de «The Optimist And The Poet» dans la durée. Son art relève d’une certaine forme d’éternité, celle du bonheur ineffable. En B, Lawrence d’Arabie se veut plus formel avec «The Stagnant Fool». Il cherche une petite veine à l’éplorée et frise le Bowie. Mais ça reste indéniablement indie dans l’esprit. Lawrence était tellement persuadé de la modernité de son son qu’il disait à Momo et aux autres : «The fans of this band haven’t been born yet.»

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             Avec The Strange Idols Pattern And Other Short Stories paru la même année, ils font encore un sacré bond en avant, car John Leckie produit l’album. Il nous pourlèche une belle pop anglaise des années quatre-vingt et on entend Momo broder sa dentelle translucide derrière le chant déterminé de Lawrence d’Arabie. Ah quelle équipe ! Momo ressort ses arpèges de cristal pour «Sempiternel Darkness» et ils embarquent tous les quatre «Spanish House» au beat déterministe. Lawrence d’Arabie va chercher la clarté de ton, soutenu par les intrépides arpeggios de Momo. Il y fait même ruisseler une véritable rivière de diamants. On sent qu’à l’époque, ces petits mecs savaient très bien ce qu’ils voulaient. On a là un cut spacieux, et aérien, totalement irréprochable. Et les petits interludes instro de Momo sont des havres de paix préraphaélite. On s’effare aussi de la belle santé d’un «Sunlight Balked The Golden Glow». Belle pop racée, solidement étayée par le plus efficace des bassmatics. Avec «Crucifix Heaven» qui se dresse en B, Momo charge la barque d’espagnolades et d’échos des temps anciens. Ce diable de Momo lagoyate comme un beau diable. Lawrence d’Arabie attaque son «Dismantled King Is Off The Throne» avec un gut extraordinaire. On le sent féru d’histoire. «Crystal Ball» est probablement le hit du disk. Lawrence d’Arabie y sonne un peu comme Tom Verlaine, il chevrote délicieusement et ce bel album s’achève avec «Whirlpool Vision Of Shame». La formule Felt tient bien la route : chant déterminé et background scintillant, dentelle de crystal clear et charpente à l’ancienne. Momo vieille bien au grain de la délicatesse et la bassmatic amène pas mal de viande.

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             Lawrence voulait Tom Verlaine pour produire Ignite The Seven Cannons And Set Sail For The Sun. Il obtint Robin Guthrie, des Cocteau Twins. Très bel album que cet Ignite. Et ce pour trois raisons, la première étant bien sûr «Primitive Painters», qui reste le grand hit de Felt devant l’éternel. C’est littéralement bardé de son. Lawrence d’Arabie chante ça avec une mâle assurance et une petite gonzesse vient mêler sa bave à la sienne. Ils se taillent une belle route dans l’apothéose et Momo cisèle des tournures pour le moins vertigineuses. Oui, c’est franchement de l’ordre du vertige, avec des relances démentes du grand Momo. Voilà ce qu’il faut bien appeler un hit séculaire. Andrew Male décrit ça comme un mariage entre Deebank’s glistening guitar, Duffy’s tranquil keyboards on some of Lawrence most melodically upbeat, cryptically-autobographical pop-songs, get lost in a chruchy echo and murk. L’autre phare dans la nuit s’appelle «Black Ship In The Harbor». Lawrence d’Arabie chante comme un décadent du XIXe siècle. On a là un cut joliment harmonique, accrocheur au possible, avec l’excellent Momo dans le paysage. Et on passe au coup de génie avec «Elegance Of An Only Dream», instro d’une élégance suprême. Ils sont mille fois plus élégants que le Monochrome Set. On note la fabuleuse finesse de l’intelligence mélodique. Rien qu’avec cet instro délié et détaché des contingences, ils créent la sensation. Et Momo n’en finit plus d’ajouter des couches. Oh bien sûr, les autres cuts valent aussi le détour, comme par exemple «My Darkest Light Will Shine», qui sonne comme de l’indie pop pas sûre d’elle, jouée au petit écho du temps, avec un Momo qui éclaire les lanternes. On l’entend aussi faire la fête foraine à lui tout seul dans «The Day The Rain Came Down». Il faut bien redire que on si écoute Felt, c’est d’abord pour Momo. Il lâche dans «Scarlet Servents» des cascades effarantes de notes libres et claires. Il tricote sa dentelle dans «Textile Ranch», sur un beau beat rebondi. Et voilà qu’ils se mettent à sonner comme le Monochrome Set avec «Caspian See». Même attaque de voix. Lawrence d’Arabie fait son Bid, même accent, même désinvolture, même beat serré. Pur Set. Quel étonnant mélange. Ils finissent cet album extrêmement riche avec «Southern State Tapestry», un nouvel instro de bistrot emmené au trot. Felt se distinguait des autres groupes de la Brit-pop par l’originalité de sa démarche.

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             Oui, c’est bien Martin Duffy qu’on voit sur la pochette de Forever Breathes The Lonely Word, paru sur Creation en 1986. On peut considérer cet album comme un classique de la pop anglaise et ce dès «Rain Of Crystal Spheres». Lawrence et Duffy sont tout simplement des experts en matière de beauté boréale - Seven brothers on their way to Avalon - Musicalité extrême ! C’est avec son côté dylanesque que Lawence va emporter la partie : «September Lady» et «Hours Of Darkness» basculent dans une ambiance sélective d’une grande ampleur. Lawrence vise le stellaire des choses de la vie et sa pop chargée d’orgue dylanesque éclate dans l’azur prométhéen. Il ramène toute l’insistance qui faisait la force du Dylan de l’âge d’or. Même chose pour «Hours Of Darkness», cette puissante pop d’Arabie - Got into something/ Dangerous & strange - Pop toxique et capiteuse - It’s your second nature/ Oh don’t fool around/ Till that’s gone/ A man is a boy is a child/ A woman’s son - Avec des retours dignes du Dylan d’antan. Tout est bien sur cet album, tiens, par exemple ce «Grey Streets», éclaté aux arpèges florentins de Marco Thomas. Cette pop fond comme beurre en broche avec tout le panache de la fusion moderniste. Exemplaire ! - Grey streets and streets of grey - Lawrence prend toujours le taureau pop par les cornes - Aw c’mon/ You say I looked kind - Et puis on voit qu’avec «All The People I Like Are Those That Are Dead», il aime bien ceux qui sont morts. Lawrence tartine sa pop avec un tour de poignet unique au monde, un petit côté gouape à casquette - The people I like are in the ground - Ce mec fait ce qu’il veut de l’Angleterre. S’il se proclamait empereur, personne ne s’y opposerait. Il chante avec une mâle assurance - It’s better to be lost than to be found - et il nous rassure en déclarant : «It’s better to be a man than to be a mouse.» On sent revenir le dylanex dans «Gather Up Your Wings And Fly». Tout est énormément écrit, sur cet album, tout sonne - Dowtnown London/ That’s not your scene - et même lors des constats d’échecs («A Wave Crashed On Rocks»), Duffy l’épaule superbement.

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             Paru aussi en 1986, Let The Snakes Crinkle Their Heads To Death, ressort sous un autre titre : The Seventeenth Century. Lawrence D’Arabie dit s’être mordu les doigts d’avoir voulu faire le malin à l’époque avec un titre aussi hermétique que Let The Snakes Crinkle Their Heads To Death. Personne n’en comprenait le sens. Deux choses concernant cet album : Momo brille par son absence et tous les cuts sont des instros. L’album n’avait donc aucune chance. Si on l’écoute aujourd’hui, c’est plus par commisération que par fanatisme. Bon d’accord, les instros se veulent frais et pimpants, mais ça reste des instros. Martin Duffy fait son apparition dans le groupe et il joue de l’orgue. Par charité, on dira que tout est délicieusement raffiné et paisible sur cet album. Ce diable de Lawrence d’Arabie y joue de la guitare diaphane. Il s’en sort avec tous les honneurs et va chercher l’océanique à sa façon.

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             L’année suivante paraît Poem Of The River, sous une pochette abstraite. De vagues silhouettes... Lawrence d’Arabie revient à ses chères obsessions dès «Silver Plane», et une diction à l’insistance dylanesque - And you’re/ Still/ Hanging/ Around - d’autant plus prépondérante que Duffy bombarde ça d’orgue Hammond - I didn’t know that you cared - Fantastique ! On reste dans le dylanex avec «Riding On The Equator». Tout y est : l’envolée, les montées de fièvre et l’insistance mélodique et littéraire à la fois. C’est là où Lawrence d’Arabie se rapproche de Dylan - And you always spent your life/ In some kind of prism/ I said those two stones/ Are the hardest to sell - Pur genius et Duffy pulse, Marco Thomas aussi, ils sonnent tous comme de beaux démons d’apparat. Ils n’en finissent plus de couler leur bronze de rêve. Avec Felt, on file au firmament de la belle pop anglaise, la plus parfaite du monde, même si la paternité de la chose revient à Dylan. Deux autres merveilles guettent l’imprudent voyageur, à commencer par «She Lives By The Castle». Lawrence d’Arabie pose bien ses arguments et la chaleur de son ton. Mais c’est Duffy qui crée la magie du son. Il joue tout simplement comme un virtuose, un enchanteur, et nous nappe ça d’orgue. Tiens et puis cet admirable rumble de pop felty qu’est «Stained Glass Windows In The Sky», monté sur un bassdrive extraordinairement sourd et profond signé Marco Thomas. Tous ces gens sont des surdoués, il ne faut donc pas s’étonner du résultat. On peut allez chez Felt les yeux fermés.

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             The Pictorial Jackson Review sort sur Creation en 1988. Pochette dépouille, aucune fantaisie. Martin Duffy et Gary Aing s’y livrent à des parties de piano jazz chabadabada. Lawrence d’Arabie ne fournit que les titres. Il laisse ses amis s’amuser. Un cut comme «On Weegee’s Sidewalk» constitue une belle base d’étude pour the Bongolian. Si on aime le piano jazz, c’est un régal. Martin Duffy joue comme un cake. Il ne se connaît pas de limites. Les gens qui croient avoir trouvé un album de pop se retrouvent le bec dans l’eau du lac. Martin Duffy revient à sa fascination pour Erik Satie dans «Seahorses On Broadway». Il joue des notes suspendues dans l’air, ce qui constitue pour l’oreille du lapin blanc une véritable bénédiction.

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             Étrange album que ce Train Above The City paru sur Creation la même année. Parti-pris de sobriété pour la pochette et Lawrence d’Arabie a l’idée de faire ce que personne n’a encore jamais fait en Angleterre : ne pas apparaître sur l’album de son groupe. Avec «Ivory Past», on sent poindre le grand songcraft. C’est du pur jus de Creation Sound des années 80, une bavette de belle petite pop lumineuse et vaguement décatie. «Until The Fools Get Wise» nous donne une idée du jour où les poules auront des dents. Tout sur cette A reste d’un niveau irréprochable. Un certain Marco Thomas joue en lead. Et puis Lawrence va faire son Dylan 65 avec «How Spook Got Her Man». Il chante au hoquet juvénile et Duffy nous nappe ça d’orgue. On retrouve des tendances dylanesques dans «Don’t Die On My Doorstep». On y sent aussi le grand méchant Lou - Don’t you cry-yh-yh-yh - et Duffy se fend d’un beau shuffle d’orgue anglais. Alors Duffy, justement : c’est lui qui se tape la B, mais d’une manière assez spectaculaire. Il attaque «Sending Lady Lord» au pianotis de round midnight. C’est même très Satie dans l’esprit. Lawrence d’Arabie nous fait là un joli cadeau : il nous laisse en compagnie du pianiste Duffy pour douze minutes d’une dérive boréale digne de Satie, et même de Debussy dans les moments d’exaltation, il crée de l’enchantement et de l’espace. Ça ne plaira pas aux amateurs de rock, mais les amateurs de grand air y trouveront leur compte. C’est de l’oxygène à l’état pur, une revanche du beau sur le laid, une aventure monumentale, un bel hommage à ce créateur d’espace que fut Erik Satie.

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             Paru en 1989, Me And A Monkey On The Moon est un album un peu plus difficile d’accès. Il faut se taper quelques cuts de pop gentillette des années quatre-vingt avant de tomber sur la viande, et quelle viande ! «New Day Dawning» est un fantastique exercice de style gratté à la cocotte de glam sourde. Et ça s’emballe au quatrième couplet - Don’t turn your back/ Today’s a moment that won’t last - et ça se termine sur un solo pour le moins pugnace. Puis Lawrence d’Arabie se met à sonner comme Nikki Sudden dans «Down An August Path». On a là un vrai balladif underground. C’est drôle, ils racontent tous leurs petites histoires, les chansons ne servent que de prétextes. Mais c’est littéralement bardé de feeling vocal. Ce mec vit ses songs, c’est un intrinsèque de la beautiful song. Il lègue à la postérité un balladif admirable et sensible. Lawrence d’Arabie va chercher la belle pop en permanence, on le constate une fois encore à l’écoute de «Never Let You Go». Si on veut comprendre le génie de Go-Kart Mozart, il faut entrer par le jardin magique de Felt. Pop inoffensive au premier abord, mais on y revient, comme attiré. Il nous surprend encore avec «She Deals In Crosses» et cette façon d’envoyer son hey sister/ What are you doing with yourself : pure magie pop. Ce hey sister crée de l’enchantement. Il termine cet album attachant avec «Get Out Of My Mirror», joué aux steel guitars de l’Americana britannique. Eh oui, Lawrence d’Arabie est capable de ce genre de prodige ! Une Americana qu’on retrouve aussi dans «Budgie Jacket». Impressionnant !

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             Dans le très bel interview qu’il accorde à Ian Shirley pour Record Collector, Lawrence d’Arabie rappelle que son premier disque fut le «Starman» de David Bowie et son premier concert, T. Rex au Birmingham Odeon. Il avait 13 ans. Quand il revient sur Felt - 10 albums in 10 years - il concède que oui, il était un peu directif - Every single thing on these 10 records was my idea. Everything down to the plectrums we used - Il voulait des médiators blancs, qui étaient à ses yeux plus modernes que les autres. L’obsession du détail est selon Shirley ce qui caractérise le mieux Lawrence d’Arabie. Mettre un terme à Felt fut relativement facile, Lawrence d’Arabie en avait marre - I was sick of it.

    Signé : Cazengler, le rance d’Arabie

    Felt. Crumbling The Antiseptic Beauty. Cherry Red 1982

    Felt. The Strange Idols Pattern And Other Short Stories. Cherry Red 1984

    Felt. The Splendour Of Fear. Cherry Red 1984 

    Felt. Ignite The Seven Cannons And Set Sail For The Sun. Cherry Red 1985

    Felt. Forever Breathes The Lonely Word. Creation Records 1986

    Felt. Let The Snakes Crinkle Their Heads To Death. Creation Records 1986

    Felt. Poem Of The River. Creation Records 1987

    Felt. Train Above The City. Creation Records 1988

    Felt. The Pictorial Jackson Review. Creation Records 1988

    Felt. Me And A Monkey On The Moon. ÉI 1989

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    Felt Reissues. Uncut #250 - March 2018

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    Felt Reissues. Mojo #292 - March 2018

    Ian Shirley : The RC Inrerview. Record Collector # 488 - January 2019

     

     

    Don’t step on my Blood Red Shoes

     

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             Ils sont deux, Laura-Mary Carter et Stephen Ansell. On les attendait de pied ferme. Concert maintes fois reporté, grâce à Pandemic.

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    La petite Carter est habillée en fille au pair, c’est-à-dire en petite robe en velours noir, avec un ruban de dentelle blanche dans sa coiffure de nunuche attardée. Pour accroître le malaise vestimentaire, elle porte des santiags noires. Elle va gratter majoritairement une Tele noire. Ansell est déguisé en Ansell, et va battre tout le beurre qu’il peut. Ah on peut dire qu’il en bat du beurre, en un heure. Il finira dans le Guinness book. Il va en plus assurer le trafic des interactions avec le public français bien dégourdi. La réputation des Shoes repose sur six albums, ils disposent donc d’un vaste choix de cuts. Normalement, c’est une bonne aubaine, pour un groupe, à condition que tous les albums soient bons, ce qui, ici, n’est pas vraiment le cas : les deux premiers sont excellents, fougueux comme des poneys apaches, et les deux derniers flirtent avec les synthés et frisent dangereusement la bonne vieille mormoille. Toujours pareil : on fait comme on peut, avec ses petits bras et ses petites jambes.

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             Bien évidemment, ils démarrent sur un «Elijah» tiré de Get Tragic, l’un des deux derniers albums. Ils font ce que font les groupes depuis l’aube des temps : la promo de leurs derniers disques. Ils tirent «Bangsar», et plus loin «Murder Me», de Ghosts On Tape, le petit dernier qui n’est pas fameux. Tous ces cuts ne laisseront aucun souvenir : ni riff, ni mélodie. On gardera le souvenir d’une certaine présence scénique. La petite Carter doit bien sentir qu’elle n’est pas les Pixies, même si elle s’efforce de sonner comme Kim Deal. C’est en puisant dans leur premier album, Box Of Secrets, qu’ils stabilisent un set titubant de faiblesse : très tôt dans le set arrive le wild stomp d’«It’s Getting Boring By The Sea», une sorte de cut Saint-Bernard sauveur d’espoirs, puis «This Is Not For You» et ses fabuleuses descentes au barbu.

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    Un peu plus loin, ils tapent un solide «Doesn’t Matter Much», et puis juste avant la fin, ça percute dans l’uppercut avec «I Wish I Was Someone Better» drivé au driving fast fuzz. Le meilleur cut du set est l’effarant «Red River» qu’on trouve uniquement sur le Water EP. Elle le joue sur une SG et fait du Sabbath pur, avec toute la rémona dont elle est capable. Et là, oui, tu dis oui. Tu imagines même tout un set monté sur le modèle de «Red River», avec la petite Carter sur sa SG. Fantastique ! Dommage que le reste ne soit pas du même niveau. Elle t’aura fait rêver le temps d’un cut. Mais quel cut ! Bon, ils bouclent leur set avec un «Morbid Fascination» tiré de Ghost et reviennent en rappel avec Ciel pour taper un cut qu’on ne connaît pas et c’est tant mieux. Dommage que la belle Michelle soit reléguée au rang d’arpète.

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             Si tu commences par écouter Get Tragic paru en 2019, tu vas au devant de gros ennuis, car tu vas perdre la pulpe des Blood Red Shoes. Get Tragic n’est pas un bon album. Trop pop de pute.

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    On perd ce qui faisait le charme des Shoes dix ans auparavant. Le fait qu’ils soient passés à la pop de pute est significatif : il s’agit de toute évidence d’une pression commerciale. Pour vendre des places de concert, il faut faire la pop de pute à la mode. On sent pourtant de bonnes intentions dans «Mexican Dress», le beat est bien binaire, mais l’habillage sonore est putassier. Ils ont perdu leur fil. Les machines ont remplacé les grattes. Ils se répandent dans l’horreur des drones. Les deux voix copulent dans l’ignominie. Les Shoes végètent dans le vieil underground des duos à synthés. Ils sont trop dans les machines. Ansell a pourtant l’air sincère. Mais les machines auront sa peau. Il ne fait pas le poids. Les cuts atroces se succèdent. Ils perdent leur dignité. Il faut attendre «Vertigo» pour retrouver espoir. Il déclenche enfin l’enfer sur la terre. Il drive son Vertigo au ramshakle des machines. Et il enchaîne avec «Elijah», un incroyable retour de manivelle. Il mélange le havoc flush avec des nappes de synthés, et la petite Carter ramène son sucre, c’est très particulier. Aw Elijah, elle amène sa petite poussée intestinale et ça explose comme un nuage atomique. Ansell profite de la déflagration pour injecter de la congestion cérébrale dans le son, et ils couronnent ça d’un refrain marmoréen.  

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             Dommage, vraiment dommage, car Box Of Secrets, le premier album des Shoes, était prometteur. Infiniment prometteur. Ils attaquent avec un «Doesn’t Matter Much» assez wild, gratté au big gaga de duo d’enfer. Tous les ingrédients sont alignés au garde à vous. Elle y va la coquine, elle se fourvoie encore dans la braguette de la pop avec «You Bring Me Down», elle est parfaitement à l’aise, très criarde, même un peu agressive. Ils passent au «Try Harder» avec du big stomp er reviennent au bon vieux wild as fuck avec «Say Something Say Anything». Mais c’est avec «I Wish I Was Someone Better» qu’ils gagnent véritablement les hauteurs, sur un beau beat bien fast des Everglades forgé au drive de fuzz. Clameur et montée en neige sont les deux mamelles de la réussite, dans ce domaine particulier. Ils tapent «Take The Weight» à deux voix. Ansell a presque une voix de femme, sa copine amène le sucre. Il chante à la décadence et elle fait des chœurs d’écho déments. Ils se renvoient bien la baballe. C’est elle qui chante «This Is Not For You» à la girl-group flavor, avec des descentes de son terribles. Et ça continue avec le wild stomp d’«It’s Getting Boring By The Sea». Ils ont décidément plus d’un tour dans leur sac. Quand ils montent leur neige à deux voix, ils sont infiniment crédibles. Ils terminent avec un «Hope You’re Holding Up» intense au possible, ils tapent dans le big buzz, ils n’ont peur de rien, à la façon dont les Raveonettes n’avaient peur de rien. Ils tapent fièrement dans l’expressif.

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             Ce qui frappe le plus sur Fire Like This, c’est la capacité des deux Shoes à monter un Wall of Sound, comme le révèlent «When We Wake» et «Keeping It Close». C’est elle qui entre au sucre sur Wake et monte vite en température, dans une ambiance très Joy Division. Ils jettent tout leur dévolu dans le son. Pareil avec «Keeping It Close», ils le plombent d’entrée de jeu. Ansell ne pense qu’à ratiboiser la planète, alors il répand ses légions de démons. Pire encore : sur deux cuts, ils sonnent comme les Pixies. C’est elle qui attaque «Count Me Out» au counting on the words that just repeat, et elle reprend pied après la tempête au count me out I’m not here. Même chose avec «Colours Fade», tapé au heavy stomp des Shoes, mais avec la Méricourt des Pixies, ils y vont cette fois au walking forwards with the light, Ansell n’a pas la voix du gros, mais il en a l’esprit, le super climaxing n’a aucun secret pour lui. Leur «Light It Pup» n’est pas non plus très loin des Pixies : même volonté de paraître à la cour. «Heartsink» est frappé du crâne d’intro, mené à deux voix dans la clameur et «Follow The Lines» repart comme si de rien n’était, au where are you now/ Dancing with the lights on. C’est assez succulent, bien inscrit dans la veine Velvet/Pixies.

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             On peut dire sans trop de risque d’erreur d’appréciation qu’In Time To Voices est un bon album. Au moins pour trois raisons, la première étant le morceau titre d’ouverture de bal. C’est elle qui attaque, un peu sucrée, un peu Kim Deal. Bel univers, féminin et coloré, bien monté en épingle. Elle s’accroche à son cut comme la moule à son rocher. Puis, le temps de quelques cuts, ça vire drôle de pop, c’est-à-dire une pop collée au plafond, une pop aux dents longues et étincelantes, une pop qui rêve de cimes. C’est vrai qu’ils créent de beaux climax («Two Dead Minutes»), ce que les Anglais appellent des musical landscapes, et nous des paysages sonores, mais des paysages sonores intéressants. Elle revient avec son sucre pour «The Silence & The Drones». Elle gratte sec et son gratté s’envenime, ça prend des allures de montagne qui sort de terre, c’est du pur sonic power, ah on peut dire qu’ils savent couler un bronze de Big Atmospherix. Ça s’auto-sature, ça s’étrangle. Plus loin, Ansell te bat «Je Me Perds» au Punk’s Not Dead, et avec «Stop Kicking», ils offrent une vision musicale du power de Zeus. On les respecte pour l’énormité de leur son. Ils referment la marche avec une belle tentative pop : «7 Years». Belle énergie du duo, pas de miracle, mais une présence des Shoes à la recherche du temps perdu.

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             Blood Red Shoes fait partie des bons albums de Blood Red Shoes. L’album s’accompagne d’un CD live, qui donne une idée on ne peut plus exacte de ce que valent les Shoes sur scène. Ce qui les rend éminemment sympathiques, c’est leur tendance à vouloir sonner comme les Pixies. «Tight Wire» est en le parfait exemple. En fait, c’est plus Breeders que Pixies, bien gorgé de son et de sucre à la Kim Deal. Même sens du soupir pop dans l’enfer de Dante. Deux cuts live confortent cette belle théorie : «In Time To Voices» et «Colourless Fade». Il faut attendre que ça décolle, Laura-Mary Carter sonne exactement comme Kim Deal. Elle a les mêmes clameurs de la torpeur d’Elseneur. Le Fade tiré de Fire Like This est aussi very heavy, elle sort le grand jeu : élévation, déplacement des plaques, le power lève le cœur et Ansell bat ça sec. Les ah-ah-ah sont ceux des Pixies, c’est en plein dans le Pix Me Up des enfers. L’enfer toujours. Ah comme on s’ennuierait si l’enfer n’existait pas. Connais-tu quelque chose de plus barbant que le paradis ? Bien sûr que non. Le pire, c’est que tout le monde veut aller au paradis ! Quelle rigolade ! Bon enfin bref, revenons à notre mouton, l’album studio, qui s’ouvre sur une belle énormité, «Welcome Home». Ça craque de partout, la petite Carter gratte ça sec, bien soutenue par le pounding Ansellien. L’album prend vite des allures de big album grâce à l’«An Animal» noyé de gratte incendiaire; suivi de «Grey Smoke», une fantastique clameur de l’ampleur, à moins que ça ne soit le contraire, en tous les cas, ils dégagent pas mal de fumée, c’est la petite Carter qui chante, toujours avec ses accents Breeders. Puis voilà venu le temps des coups de génie avec «Far Away», en plein dans les Breeders, suivi de «The Perfect Mess» drivé aux power chords, et monté sur une sorte de pounding définitif. Le son rebondit dans la clameur. On salue la qualité extrême du stomp, c’est une orgie de son, couronnée par un gratté de poux triomphal. Elle chante encore son «Beyond A Wall» avec ostentation, elle fait sa Blondie profonde, c’est écœurant de power. Avec «Speech Coma», elle se tortille encore dans la mélasse d’un caramel sonique, elle avance en rampant et dans «Don’t Get Caught», la gratte vole dans le ciel noir comme en vampire en flammes. Comme déjà dit, le live donne une idée assez juste de ce que vaut le duo sur scène. Ils ont une fâcheuse tendance à tremper dans la new wave. Elle éclate bien le Sénégal de «Say Something Say Anything» tiré du premier album. Ils font une version plutôt incendiaire de «Light It Up». On ne se lasse pas de leurs conneries. Ils remplissent tous leurs cuts de son à ras-bord. Ils terminent leur set avec un spectaculaire «Je Me Perds», tiré d’In Time To Voices. Ils piquent tous les deux leur crise et deviennent complètement psycho. 

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             Album étrange que ce Ghosts On Tape : il démarre sur une bonne note et finit en beauté, mais entre deux, c’est un peu morne plaine, mon petit Waterloo. «Comply» est en effet monté sur un beau thème de piano et Ansell se prend pour Bono le bonobo, ça chauffe pendant un temps et ça retombe sur le thème de piano, après une belle flambée des prix. Vers la fin, tu tombes sur «Dig A Hole» et tu les vois enfiler leur tunnel, Ansell chante à la voix de fille, il développe une belle énergie urbaine, avec des machines, et ça donne un étonnant mélange de mauvaise new wave avec des éclairs de glam. Justement, le voilà le glam, avec «I Lose Wathever I Own», ce mec adore le glam, il sait y faire. Il tape de heavy glam de la dernière chance. Le reste de l’album ne vaut pas tripette, c’est une new wave à la mormoille. On sauve aussi «I Am Not You» et la gratte qui craque. Dommage qu’il vire new wave à la fin. 

    Signé : Cazengler, pompe usée

    Blood Red Shoes. Le 106. Rouen (76). 5 octobre 2023

    Blood Red Shoes. Box Of Secrets. V2 2007  

    Blood Red Shoes. Fire Like This. V2 2010 

    Blood Red Shoes. In Time To Voices. V2 2012

    Blood Red Shoes. Blood Red Shoes. Jazz Life 2014

    Blood Red Shoes. Get Tragic. Jazz Life 2019  

    Blood Red Shoes. Ghosts On Tape. Jazz Life 2022

     

     

    Wizards & True Stars

    - Russell & Poivre

    (Part Five)

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             Si on y revient pour la cinquième fois, c’est qu’il y a des raisons. La principale étant la parution récente d’une somme de Bill Janovitz, remarquable rock writer spécialisé dans les Stones (The Rolling Stones’ Exile On Main Street et Rocks Off). Janovitz consacre cette fois son énergie et son talent à Tonton Leon, avec l’imposant Leon Russell - The Master Of Space And Time’s Journey Through Rock & Roll History, un fat book qui frise les 600 pages. Quand tu attaques la somme, c’est un peu comme si tu faisais une fois de plus le tour du propriétaire. Tu as vraiment l’impression de tout reprendre à zéro. Toujours le même refrain : tu prétends tout savoir, et au fond, tu dois bien admettre que tu ne sais pas grand-chose. Ce genre d’exercice te permet de relativiser et de regagner ta place, une place de presque rien, et comme tu vas bientôt mourir, tu redeviendras ENFIN rien du tout, ce que tu n’as au fond jamais cessé d’être. Le drame, c’est qu’on passe sa vie à l’ignorer, consciemment ou inconsciemment.

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             Pourquoi 600 pages ? Parce que la vie de Tonton Leon est ce qu’on appelle communément une vie extraordinaire. Il faut entendre ‘vie extraordinaire’ au sens littéraire. Osons un parallèle avec Blaise Cendrars : il part très tôt à la découverte du monde, il commence par la Sibérie, puis il s’illustre dans la boucherie de la Grand Guerre, il ne craint pas la mort et perd un bras lors de la grande offensive de Champagne, puis il repart en voyage pour nourrir une œuvre et devenir, avec Guillaume Apollinaire, l’écrivain le plus moderne de son temps, c’est-à-dire un pur équivalent littéraire de Modigliani et de Picasso.

             Tonton Leon est lui aussi un chantre de la modernité, le monde qu’il découvre tout au long de sa vie est celui du rock‘n’roll. Il faut bien 600 pages pour raconter une vie aussi extraordinaire que celle d’un homme qu’on surnommait au temps où il était devenu superstar The Master Of Space And Time.

             Avant d’entrer dans le détail du Space and Time, il est sans doute nécessaire de rappeler que le monde du rock’n’roll grouille de superstars, mais beaucoup d’entre-elles le sont pour de mauvaises raisons : on ne va pas citer de noms. La putasserie est vieille comme le monde, ça ne changera jamais. Beaucoup d’appelés mais peu d’élus. Et ce sont les élus qui nous intéressent : leur œuvre nourrit des œuvres. La semaine dernière, Chucky Chuckah nourrissait l’œuvre d’un brillant biographe, et cette semaine Tonton Leon nourrit celle de Bill Janovitz. Entrer dans son fat book, c’est une façon d’entrer dans le Jardin d’Eden, ou mieux encore, dans le Lotissement Du Ciel du Rock.   

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             En suivant les aventures de Tonton Leon, tu vas croiser des tas de géants du rock américain : Jerry Lee, Jackie DeShannon, Totor, Jack Nitzsche, Terry Melcher, Gary Lewis, Brian Wilson, Don Nix, Van Dyke Parks, Delaney & Bonnie, Dwight Twilley, Kim Fowley et bien sûr Bob Dylan, autant dire la crème de la crème. Si Tonton Leon les fréquente tous, les uns après les autres, c’est parce qu’il est d’une certaine façon un être exceptionnel, tel que le décrit Janovitz.

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             Tonton Leon grandit à Tulsa, Oklahoma. Jeune, il n’est pas joli, il porte des lunettes à grosses montures noires, comme Buddy, et il joue du piano. Il en joue si bien qu’il commence sa carrière de superstar en accompagnant son idole Jerry Lee. Tonton Leon joue tellement bien que certains soirs, Jerry Lee lui laisse le piano. Tonton Leon flashe aussi sur Lloyd Price, Ruth Brown, Chucky Chuckah, Fatsy, Bobby Blue Bland, Jackie Wilson, et surtout Ray Charles qu’il qualifie d’«one of the great innovators». Tonton Leon se dit fasciné par Ray Charles. Il s’émerveille aussi d’Esquerita - He made Little Richard look like a choirboy - et il balance un sacré souvenir : «Il est venu me trouver un soir et m’a dit : ‘Honey, monte dans ma chambre au Small Hotel, et si je ne parviens pas à te faire crier de plaisir en 30 secondes, je te donne ma télé.’» Puis le jeune Tonton Leon qui s’appelle encore Russell Bridges emprunte 40 dollars et prend le bus pour Los Angeles. Il va devenir session man et, grâce à son talent de pianiste, entrer dans le fameux Wrecking Crew.

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             Il commence par devenir pote avec James Burton qui lui apprend à gratter des licky licks. Tonton Leon s’entraîne toute la journée sur un album de Freddie King. Ils jouent un peu ensemble dans des clubs. Burton l’emmène en session pour Ricky Nelson. Et de fil en aiguille, il entre dans le circuit des sessions, se retrouve en studio avec Glen Campbell, Del Shannon, son copain de Tulsa David Gates, la belle Jackie DeShannon, et puis les Blossoms de Fanita Jones que Totor va rebaptiser Darlene Love. Janovitz indique que Tonton Leon flirte pendant quelques mois avec la belle Jackie. Il joue aussi sur les démos de Sharon Sheeley, la fiancée d’Eddie Cochran. Big set de démos : en plus de Tonton Leon, tu as David Gates on bass, Hal Blaine au beurre, et Glen Campbell gratte ses poux. Herb Alpert, P.J. Proby, Glen Campbell et Delaney Bramlett font les chœurs. Tout cela sous l’égide de Tommy LiPuma et de Snuff Garrett. Un vrai carnet mondain ! Tonton Leon sort à peine de l’adolescence, et le voilà entré dans la cour des grands.   

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             On retrouve ces démos sur Sharon Sheeley - Songwriter, un RPM de l’an 2000. Cette pop datant du tout début des années soixante vieillit affreusement mal. Avec «Guitar Child», Glen Campbell s’en sort bien, car ça sonne comme un hit de juke tapé aux tambourins. Glen prend le chant du menton et balance un solo à l’écho sale. Stupéfiant ! Mais le «Blue Ribbons» qu’il chante à la suite est à pleurer, tellement c’est mauvais. La pauvre Sharon excellait dans la mièvrerie et un chanteur aussi fantastique que P.J. Proby s’est fait piéger à chanter des conneries comme «Trouble», une incroyable soupe aux choux orchestrée aux trompettes mariachi. Ah, il faut avoir écouté «Trouble» pour savoir que ça existe ! Dans «Blue Dreams», Glen Campbell dit : «Your lips I’d like to taste !» - Vas-y mon gars, taste donc ! - On reste dans la pire daube qui se puisse concevoir avec «Thank Heaven For Tears» que psalmodie le pauvre P.J. Glen et P.J. rivalisent d’interprétations ineptes. Encore pire : «It’s Just Terrible». On se demande ce que P.J. fout là. On entend aussi Larry Collins des Collins Kids. Il a grandi, il porte la moustache et il chante «See The Hills» d’une voix de lieutenant du Huitième de Cavalerie. Delaney Bramlett se couvre lui aussi de ridicule avec «Love Is A Stranger», apocalyptique de mièvrerie. Bref, cette compile est surtout difficile à revendre. Même un fan d’Eddie Cochran n’en voudrait pas. 

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             Tonton Leon va faire pas mal de middle of the road : Pat Boone, Connie Francis, Duane Eddy, Johnny Rivers, c’est la musique qui se vend en 1964, aux États-Unis. Il va aussi accompagne Irma Thomas et bosser pour Gary Usher. On l’entend aussi pianoter sur le «Surf City» de Jan & Dean. Gary S. Paxton le recrute pour quelques sessions. Tonton Leon est fier de bosser pour ce géant de Paxton : «He was known for hiring the down-and-out and was a big supporter of musicians in general.» Tonton Leon pianote sur le «Monster Mash» de Bobby Boris Pickett. Paxton permet même à Tonton Leon d’enregistrer en 1962 son premier single avec David Gates : «Sad September», by David & Lee, Lee étant Tonton Leon. C’est James Burton qui gratte ses poux sur la B-side, «Tryin’ To Be Someone». Janovitz dit que Gates et Tonton Leon sonnent comme «the Everly Brothers fronting Buck Owen’s Buckaroos».

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             Alors bien sûr, qui dit Wrecking Crew dit Totor. Janovitz nous emmène au Gold Star. En 1963, Tonton Leon pianote sur le «Be My Baby» des Ronettes. La session dure 36 heures. Quatre pianistes. L’un d’eux s’appelle Michael Spencer : «À ma gauche se trouvait ce mec en costard trois pièces coiffé d’un ducktail. That was Leon Russell before he took acid.» C’est Jack Nitzsche qui ramène Tonton Leon chez Totor : «Leon was an innovative piano player.» Il ramène d’autres surdoués au Gold Star - Harold Battiste, Earl Palmer, Don Randi, Hal Blaine, Glen Campbell: a lot of the players came out of my phone book - En 1963, Nitzsche enregistre son album solo The Lonely Surfer, avec Tonton Leon, David Gates, Hal Blaine et Tommy Tedesco.

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             Lors de l’enregistrement de «Zip-a-Dee-Doo-Dah», Totor s’approche de Tonton Leon, «fait un geste, comme s’il voulait conjurer un vampire et dit : ‘Dumb. Play dumb’.» Tonton Leon rappelle aussi que le studio A du Gold Star pouvait contenir 6 musiciens, mais Totor en faisait entrer 25. Janovitz revient longuement sur ses techniques d’enregistrement : construction de la partie instrumentale, avant d’ajouter les voix. Des dizaines de takes, parfois une centaine, avant qu’il ne soit satisfait. Totor épuisait les musiciens, tant et si bien qu’ils finissaient par oublier toute forme d’individualisme et sonner vraiment comme un ensemble - More of a team, a system, the Wall - Selon Ahmet Ertengun, Totor est le seul producteur capable de sortir «a hit record without a hit artist».

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             Tonton Leon pianote aussi sur A Christmas Gift For You From Phil Spector. Brian Wilson affirme que c’est son album préféré. C’est Darlene Love qui chante «Chritmas (Baby Please Come Home)», co-écrit par Ellie Greenwich, Jeff Barry et Totor. Darlene se souvient qu’au piano, Tonton Leon est devenu fou : «We called it Leon’s little concerto. He just went wild on the piano and when it was finished, he just fell right off the stool.» Janovitz ajoute que Totor fut tellement excité par le piano climax qu’il signa un chèque de bonus pour Tonton Leon. Les musiciens s’accordent à dire que Totor est un peu rude en session, mais tout le monde s’écrase, «because we realized what a great talent he was». Don Randi : «Phil Spector was always excentric, let’s put up this way.» Et puis un jour, Tonton Leon fait une grosse connerie. Pour supporter la tension de la session, il va siffler un litre de vodka pendant une pause. Trois heures et 80 takes plus tard, Tonton Leon grimpe sur le piano et fait un numéro de prêcheur. Alors, Totor, via le micro de la cabine de contrôle, demande : «Leon, don’t you know what teamwork means?», et Leon lui envoie ça dans la barbe : «Phil, do you know what ‘fuck you’ means?». Boom, viré. Ils rebosseront ensemble plus tard, en 1973, sur le brillant Rock’n’Roll de John Lennon.

             Finalement, Tonton Leon n’est pas resté longtemps dans le Wrecking Crew, moins que Carol Kaye, Hal Blaine, Don Randi et Tommy Tedesco - I wasn’t one of the main guys - Ça lui a permis d’acquérir une bonne expérience du studio - That was quite something - Et il conclut à sa façon, pince-sans-rire : «90 percent of the records that I did were bullshit. I mean I didn’t play on any Ray Charles records. Didn’t play on any Mancini records.»

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             Grâce à Jack Nitzsche, Tonton Leon rencontre Terry Melcher, qui n’a que 21 ans et qui est staff producer pour Columbia. Tonton Leon joue sur l’«Hey Little Cobra» que produit Melcher pour les Rip Chords, et en 1965, il joue sur le «Mr. Tambourine Man» des Byrds. Le seul Byrd autorisé à jouer en studio est Roger McGuinn. Melcher fait jouer Hal Blaine et Jerry Cole. Croz et Michael Clarke sont livides de rage. Croz déclare : «So those cats were good, et il y avait de prodigieux musiciens dans le tas. And Leon I guess would be the most highly developped of all of them. He’s some fucking genius.» Melcher demande à Tonton Leon d’accompagner sa mère Doris Day. Leon raconte qu’il flashe sur elle. Par contre, elle ne flashe pas sur son pianotage, mais sur sa «beige Cadillac convertible». Ah les Américaines ! Elles sont d’une vulgarité !

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             Tonton Leon a aussi le privilège de jouer pour Brian Wilson. On l’entend pianoter sur «California Girls» et «Help Me Rhonda». Il est fasciné par le gros Brian : «Au Studio Western, il y avait entre 15 et 20 musiciens. Il commençait avec le premier et lui chantait la ligne qu’il devait jouer. Puis il passait au deuxième, puis au troisième, jusqu’au dernier. Alors il revenait au premier qui avait oublié sa ligne et Brian la lui rechantait. Pareil pour le deuxième. Il leur apprenait le morceau. Et soudain, l’orchestre jouait that shit. I mean, Brian is, when you want to talk about genius, there’s not any like him that I know of. He’s unbelievable.»

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             En 1965-1966, Tonton Leon bosse aussi avec Gary Lewis & The Playboys. Quand les Playboys sont appelés sous les drapeaux, the Tulsa Mafia prend le relais : Tonton Leon, Carl Radle et Jim Keltner. Puis Don Nix fait son apparition dans le circuit. Il ramène ses potes de Memphis, Duck Dunn et Steve Cropper. Nix est fasciné par Tonton Leon : «He was a rock star before he was a rock star.» Comme Dylan, Tonton Leon entre dans une pièce et capte toute l’attention. Leon rencontre aussi Van Dyke Parks avec lequel il s’entend bien. Un Tonton reste un tonton. L’exploit le plus remarquable de cette époque est son rôle actif dans l’enregistrement de Gene Clark With The Gosdin Brothers. Geno déclare : «It was all very intense. Je me souviens d’avoir dit à des gens que je faisais un album avec Leon, Clarence White, Glen Campbell, Chris Hillman, Chip Douglas, and Vern and Rex Gosdin et ils pensaient que j’étais fou.» Les gens disaient : «What a weird combination of people.» Oui, sauf que c’est le meilleur album des Byrds. Et Tonton Leon y a pondu tous les arrangements. Il bosse aussi pour Lenny Waronker, notamment comme arrangeur pour Harpers Bizarre. Selon Waronker, les deux principales sources d’inspiration pour ces sessions étaient les Beach Boys et les Swingle Singers de Paris.

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             Avec Delaney & Bonnie, Tonton Leon entre dans son âge d’or artistique. En évoquant le couple, Janovitz parle d’un «explosive, abusive and toxic mariage.» On les surnomme the Beverly Hillbillies. Delaney & Bonnie allaient attirer pas mal de grands musiciens, dont Tonton Leon. Le couple développe un special power - They sounded like a male-female Sam & Dave - En 1967, Tonton Leon bosse sur un concept, the New Electric Horn Band, avec des musiciens qu’on va retrouver dans le Taj Mahal’s band, dans Delaney & Bonnie & Friends, Mad Dogs & English Men, et Leon Russell & the Shelter People. Il donne des détails : «It was Delaney & Bonnie Bramlett, Don Preston, Don Nix, Chuck Blackwell, Carl Radle, John Gallie, Jim Horn et un mec qui joue maintenant avec Ike & Tina Turner.» Tonton Leon organise de grandes jam-sessions le dimanche. Puis Delaney & Bonnie enregistrent Home, leur premier album chez Stax, produit par Duck Dunn et Don Nix. On y entend les Stax all-stars, Isaac Hayes, The Memphis Horns, William Bell et bien sûr le piano de Tonton Leon. Mais la compagnie de Delaney & Bonnie n’est pas appréciée. Au mieux, on les considère comme des manipulateurs, au pire comme des tyrans. Rita Coolidge les admire : «That band was one of the best bands ever. Je pense qu’ils ont élevé la barre pour tout le monde, partout dans le monde. Bonnie was the powerhouse singer, mais Delaney voulait être the boss and the king. At that time, he hadn’t really turned into such an asshole yet, ou alors ça n’apparaissait pas encore, mais ça n’allait pas tarder.»

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             Mad Dogs sort donc de cette mouvance, du New Electronic Horn Band. Les musiciens constituent une sorte de pot commun. Plus tard, Delaney & Bonnie accuseront Tonton Leon d’avoir volé leur groupe. Pour Mad Dogs, Tonton Leon recrute Bobby Keys, Jim Price, Jim Keltner, Rita Coolidge, Jim Gordon, Carl Radle. Seul Bobby Whitlock reste avec Delaney & Bonnie. Bonnie en chiale encore : «On a été les derniers à le savoir et ça nous a brisé le cœur.» Mais bon, faut avancer. Mad Dogs devient un phénomène, format libre, tribu en tournée, vingt personnes sur scène, du jamais vu, Dylan louche sur le projet. Il le reproduira plus tard sous la forme de la Rolling Thunder Revue. Jim Karstein : «Mad Dogs were a little over the top. They started smoking angel dust and doing a lot of acid and I think cocaine started filtering in.» Tonton Leon voit ça comme un projet purement communautaire : tout le monde mange ensemble et tout le monde baise ensemble. Il voit de grands saladiers de salade - huge trash cans of potato salad, macaroni salad, egg salad - Chris Stainton ajoute : «It was an anything-goes sort of scene, with girls around, and Leon was pretty permissive: let’s put it that way.» Tonton Leon voulait surtout que chacun se sente bienvenu et en sécurité (welcome and safe). Il sait ce qu’il fait, car lors des répètes, il obtient de la tribu un son «tight and so exciting, and Leon was like Duke Ellington.» Tommy Vicari : «It was like a train.» Et il ajoute, émerveillé : «Joe was the star, but Leon was in control of the whole thing.» Vicari est effaré par cette concentration d’énergies et de talents. Pendant toute la tournée Mad Dogs & Englishmen, Joe Cocker est soul. Jim Keltner affirme que tout le monde était sous MDA, l’ancêtre de l’ecstasy - You really get high on that. There were some that had smoked angel dust. We were all drunk. It was a mess - Claudia Lennear confirme que the Mad Dogs & Englishmen thing was cultural - Elle évoque le free love and sex - That’s what that period was all about in the seventies - Toutes les nuits, des gonzesses font la queue dans les couloirs d’hôtels, aux portes de Tonton Leon et de Joe Cocker. Et ce n’était pas que des groupies. Carla Brown : «At the Fillmore East, Janis Joplin said she wanted to suck Leon’s dick until his head fell off.» Ah les Américaines ! Des gens filent de tout à Joe Cocker. Il ne demande même ce que c’est, straight into his mouth. Cocker : «The only difference between one tab and ten tabs of acid is the pain in the back of me neck (sic) Le film qui documente la tournée est resté un classique du ciné rock. Il montre aussi la fin d’un temps, le côté communautaire du rock va disparaître pour laisser place à un rock centré sur le profit, the cashing-in of the sesventies. Mad Dogs va notoirement influencer The Tedeschi Trucks Band. Des promoteurs tenteront même de monter une tournée de reformation, mais Joe Cocker ne voudra pas en entendre parler. Il pense que Tonton Leon s’est servi de lui pour sa propre promo.

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             Pourtant, au début, Joe admirait Tonton Leon, surtout le jour où il lui a joué pour la première fois «Delta Lady» au piano. Tonton Leon l’avait composé en hommage à Rita Coolidge, laquelle protesta car elle affirmait n’avoir jamais été «wet and naked in the garden». «Delta Lady» figure sur le fantastique premier album de Joe Cocker, qui en plus des deux cuts signés Tonton Leon, tape dans Dylan, Leonard Cohen, Lloyd Price, John Sebastian, Lennon/McCartney et George Harrison. Tonton Leon produit l’album et fait les arrangements. Il fait chanter Merry Clayton et Bonnie Bramlett dans les chœurs. Joe vit un temps chez Tonton Leon at 7709 Skyhill Drive - People were very naked. I got the clap there - Il parle de la chtouille, bien sûr. Comme Kim Fowley, il baise les dirty hippie whores. Joe traverse une mauvaise passe, car son manager Dee Anthony lui met la pression pour qu’il tourne aux États-Unis et Joe se dit épuisé. Mais Anthony est une brute. Denny Cordell n’aime pas Dee Anthony - I hated him.

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             Denny Cordell est un producteur anglais à succès : il est connu pour avoir lancé les Moody Blues et Procol Harum. C’est lui qui conseille aux Moody Blues de reprendre le «Go Now» de Bessie Banks - Cordell’s taste was impeccable - Puis «A Whiter Shade Of Pale» fait de lui un homme très riche. Il se réinstalle en Californie en 1970 et rachète le contrat de Tonton Leon chez Mercury pour fonder Shelter Records avec lui. Dans la foulée, Cordell ramène son poulain Joe Cocker en Californie. Ils vont aussi relancer la carrière de Freddie King qui est déjà une légende. Tonton Leon décide d’enregistrer Getting Ready chez Chess à Chicago. Il le co-produit avec Don Nix qui déclare : «That’s where the big blues hits were cut.» Duck Dunn débarque à Chicago pour jouer sur l’album. Don Nix est émerveillé par la classe de Freddie, «with this biggest-ass grin on his face» - He was just one of the best artists I’ve ever had anything to do with - Don Nix ramène son «Going Down» qu’il avait composé pour Moloch à Memphis. Mais Tonton Leon n’aime pas le cut. Là, il se fout le doigt dans l’œil. Freddie adore «Going Down» - So Leon had no choice - Tonton Leon flashe aussi sur Willis Alan Ramsey - He was a very strange guy, a beautiful singer and guitar player and writer - Ramsey lui gratouille quelques cuts et Tonton Leon le signe right on the spot. On voit Ramsey dans A Poem Is A Naked Person, le film qui documente la vie de  Tonton Leon de 1972 à 1973. Tonton Leon tire le titre du film des liners de Bringing It All Back Home. L’album Willis Alan Ramsey est devenu culte. On y reviendra. Quant à Les Blank, le réalisateur du film, c’est encore toute une histoire. Janovitz en fait des pages et des pages. Passionnant ! Pour résumer, Cordell et Tonton Leon ont repéré Blank via son docu The Blues Accordin’ To Lightnin’ Hopkins. Ils lui demandent de tourner un «verité-style (sic) profile of Leon for television». Les Blank finissait juste de tourner Dry Wood et Hop Pepper, un docu sur Clifton Chenier, c’est dire si ce mec est intéressant. Tonton Leon est friand de cinéma underground, notamment les films d’Andy Warhol et de Dennis Hopper. Son film préféré est Mondo Cane. Mais il va bloquer la parution d’A Poem Is A Naked Person. Pas question de le commercialiser. Les Blank mourra avant que Tonton Leon ne donne enfin son autorisation. C’est Harrod, le fils de Les Blank, qui va l’obtenir. 

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             Alors on revoit le film. Blank le tourne à Grand Lake, pas très loin de Tulsa, Oklahoma. Tonton Leon est un beau mec. On le voit pianoter «Jimabalaya» sur scène - Son of a gun - Plan rock parfait. Puis Blank filme George Jones en studio. Il chante sa country song avec une classe terrifiante - The first time I heard your voice - On tombe immédiatement sous le charme. Blank essaye de faire un film surréaliste : il filme ensuite le peintre Jim Franklin dans la piscine que Tonton Leon vient de faire construire. Franklin ramasse les scorpions dans un bocal, puis voilà Willie Nelson encore jeune. Ce n’est pas un hasard si Tonton Leon s’intéresse à des artistes aussi magnifiques que George Jones et Willie Nelson. Lorsqu’on voit danser les Navajos, on comprend que Blank tourne un film surréaliste sur l’Americana - Le Bliss Hotel explose, un boa avale un chicken, un mec mange du verre, alors forcément ce docu sur Leon n’est pas un docu, mais un Blank movie. Apparaît un mec étrange, Eric Anderson, une sorte de hippie punk qui chante un peu comme Nicck Drake. Le percussionniste Ambrose Campbell s’exprime et puis on voit les Shelter People sur scène, Chuck Blackwell et Don Preston qui sont un peu des clones de Tonton Leon. Résultat final : Tonton Leon n’aime pas le film. 

             Aux yeux de Janovitz, Cordell est plus un music fan qu’un record executive comme Clive Davis ou Ahmet Ertegun. Tonton Leon et lui finiront pourtant par se fâcher. Un jour, Jimmy Karstein demande la raison de cette fâcherie à Tonton Leon qui lui répond : «Well, I asked him a question, and he failed.» Quelle question ?, demande Karstein. Leon : «Where’s the money?»

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             Celui que Tonton Leon admire le plus, c’est Dylan, un Dylan qui l’emmène faire un tour dans Greenwich Village et qui lui montre les endroits qui lui ont inspiré des chansons. Dylan vient participer au Bengladesh concert. Il chante deux cuts tout seul puis demande au roi George et à Tonton Leon de l’accompagner : le roi Geoge à la gratte et Tonton Leon on bass - We tried a song or two, then I suggested that Ringo join us on tambourine - C’est avec le concert du Bengladesh que Tonton Leon devient an absolute superstar. Peter Nicholls : «The crowd went absolutely fucking nuts.» Et il ajoute, en proie à l’émerveillement congénital : «The sound of his voice!». Leon fait des banshee yowls avec les chœurs sur «Jumping Jack Flash». En coulisse, il assiste aussi à la métamorphose de son idole : «Quand Bob Dylan était en coulisse, il avait l’air d’un mec ordinaire, mais en arrivant sur scène, il changeait du tout au tout... His presence became all-powerful.»

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             Tonton Leon tombe amoureux d’une black nommée Mary McCreaty et l’épouse. Mary n’est pas née de la dernière pluie : elle a fréquenté Vaetta Vet Stewart, la sœur de Sly Stone, et monté avec elle un gospel group, the Heavenly Tones. Elle est pote avec Patrick Henderson, the Gap Band et surtout la fabuleuse Maxyan Lewis, qu’on a croisée ici, inside the goldmine. Mary a aussi enregistré l’un des premiers albums parus sur Shelter, Butterflies In Heaven. Tonton Leon et Mary vont enregistrer deux fantastiques albums ensemble, Wedding Album et Make Love To The Music, faire deux gosses ensemble, Tina Rose et Teddy Jack. Puis Mary va devenir la pire ennemie de Tonton Leon. Elle va même le traîner en justice pour lui pomper du blé et lui interdire de voir ses gosses pendant dix ans, jusqu’à leur majorité. Majeurs, Tina Rose et Teddy Jack viendront s’installer chez leur père. Le Gap Band enregistre son premier album Magician’s Holiday sur Shelter. Tonton Leon prendra ensuite le Gap Band comme backing band en tournée, et pour l’enregistrement de Stop All That Jazz. Avec le Gap Band, Tonton Leon renoue avec le son qu’il aime, Billy Preston, Allen Toussaint, les Meters, Stevie Wonder et Sly & The Family Stone.

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             Shelter, c’est aussi le Dwight Twilley Band, eux aussi originaires de Tulsa, comme Tonton Leon. Dwight Twilley quitte Tulsa pour échapper à l’ombre de Tonton Leon qui est partout et pouf, il arrive à Los Angeles et sur qui qu’il tombe ? Sur Tonton Leon. Ça s’appelle un destin. Twilley ajoute même qu’il avait peur de Tonton Leon à Tulsa : «He kind of scared me.» Puis il finit par faire sa connaissance à Los Angeles et l’apprécie. Il est même invité chez lui, à Skyhill. On apprend à l’instant que Dwight Twilley vient de casser sa pipe en bois. On y revient. 

             Et voilà Kim Fowley qui refait surface 18 ans après l’épisode Gary S. Paxton. Paxton et Kim avaient filé à Tonton Leon l’un de ses premiers jobs de session man. En 1978, Tonton Leon et Kim co-écrivent les cuts d’Americana. Kim raconte dans ses souvenirs que Tonton Leon l’a fait chialer lors de l’enregistrement de l’album : «Il s’est tourné vers moi et m’a dit : ‘Do you know how good you are?»’. Je me suis mis à chialer devant lui et devant tout l’orchestre, parce qu’il était le premier à me dire que j’étais bon.»  

             Tedeschi et Trucks seront donc les seuls héritiers du phénomène Mad Dogs & Englishmen. Ils voient le film la tournée Mad Dogs en 2005 et flashent dessus - Our band was loosely based on that concert footage - L’oncle de Trucks, Butch Trucks, jouait dans les Allman Brothers, «another family/communal band», donc il y avait de sérieuses prédispositions. Trucks flashe aussi sur le look Father Time de Tonton Leon. Il tente de relancer la machine avec une sacrée affiche : Tedeschi Trucks Band presents Mad Dogs & Englishmen with Leon Russell, Rita Coolidge, Claudia Lennaer, Chris Stainton. Ils embauchent aussi Chris Robinson des Black Crowes qui avoue que l’album Mads Dogs & Englishmen constitue son ADN. Même chose pour Steve Earle. Trucks & Tedeschi rêvaient aussi accompagner Joe Cocker, mais le vieux Joe venait tout juste de casser sa pipe en bois - He died from cancer before the concert.

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             En 1965, Tonton Leon transforme sa baraque de Skyhill, au Nord de Mulloland Drive, en studio - The whole house is a studio - Il devient un vampire, vit la nuit et dort le jour. Les voisins croient que des Hells Angels vivent à Skyhill, car ils voient des tas de bagnoles et de motos, «and loud music at all hours of the day and night». Karstein : «It was a twenty-four-hours-a-day deal there», et un autre témoins ajoute : «There were plenty of girls around». Il apparaît bien vite que Tonton Leon aime partouzer. Influencé par ce qu’il a vu à Muscle Shoals et chez Stax à Memphis, il monte un house-band. C’est l’époque où il essaye de chanter comme Bonnie Bramlett - At that time, we was all trying to sing like Bonnie Bramlett - On le compare plus volontiers à Doctor John qui, à l’inverse de Tonton Leon, en bave pour survivre. Tonton Leon impressionne Bobby Keys : «Tout le monde savait que Leon was superior. He was a phenomenal pianist and stylist. Il était ce que tous les autres Okies et Texans voulaient devenir : he had a black Cadillac, he had his own house in the hills, he had a studio in his house and he had chicks up there day and night.» C’est la Dolce Vita hollywoodienne. Skyhill devient un lieu célèbre. Don Nix y vivra un certain temps.

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             C’est là que Tonton Leon enregistre les deux fabuleux albums d’Asylum Choir avec Marc Benno. Pour «Soul Food», il invente a new funky rock’n’roll blend of gospel, Soul, country and blues. «Soul Food» se trouve sur le balda de Look Inside The Asylum Choir. L’album est un vrai shoot de Beatlemania, dès «Welcome To Hollywood», on entend les trompettes de Sergent Pepper. «Icicle Star Tree» sonne très anglais. On sent bien la graine de superstars. On croit entendre les Beatles dans «Death Of The Flowers», mais la tendance se confirme en B avec «Thieves In The Choir» qu’il chante exactement comme le ferait John Lennon, puis «Black Sheep Boogaloo», qui charrie des échos de «Drive My Car». Tonton Leon pousse bien le bouchon du bye/ Bye bye. Il sait déjà rocker la masse volumique d’un gros cut.

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             L’Asylum Choir II tape moins dans la Beatlemania. C’est le pur Skyhill sound. Tonton Leon et Marc Benno tapent une belle cover de «Sweet Home Chicago». Ça sent bon le studio cosy. On tombe au bout du balda sur l’énorme «Tryin’ To Stay ‘Live», nettement plus honky tonk, pianoté à la Tontonnerie affirmée. Il affecte bien sa voix. En B, il se fâche encore avec «Straight Brother». Il y va au heavy pounding. Il sait driver un Asylum. Comme son nom l’ind-ique, «Learn How To Boogie» est un solide boogie bardé de maniérismes à la Lennon. Il propose globalement un rock extrêmement pianoté, bien produit, souvent ambitieux et toujours chanté avec caractère, comme le fait Dr John sur ses albums. Leon sonne comme un chevalier Tontonique, «When You Wish Upon A Fag» swirle bien au gratté de poux.

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             Avant d’être une superstar, Tonton Leon est un amateur de femmes. C’est en tous les cas ce qui ressort de ce fat book. Quand il voit Rita Coolidge pour la première fois, il tombe amoureux d’elle. Mais elle vit avec Don Nix. Il dit à Don Nix de le prévenir si leur histoire s’arrête - If you ever break up with Rita, let me know - Six mois plus tard, Don Nix l’appelle pour lui dire qu’il peut venir récupérer Rita, redevenue célibataire. Tonton Leon débarque le lendemain, après avoir largué sa poule Donna. Don Nix va récupérer Tonton Leon à l’aéroport et l’amène au Sam Phillips Recording studio où Rita et sa sœur Priscilla font des backing vocals. Pouf, c’est vite réglé. Tonton Leon achète une ‘60 Ford Thunderbird et ramène Rita en Californie, en novembre 1968. Tout se passe bien pendant un temps, mais Tonton Leon veut partouzer avec Rita, et elle n’aime pas trop ça. Il commence par proposer un threesome avec Carl Radle - Maybe if we had Carl Radle come over, cause I know you like Carl - Tout le monde à poil ! Ça fout la relation par terre, en tous les cas, c’est ce qu’elle raconte dans son autobio. Tonton Leon la vire. Puis il tombe amoureux de Chris O’Dell, une expat américaine qui a vécu à Londres et bossé pour les Beatles. Tonton Leon réussit à la faire revenir en Californie - There was some weird, interesting sexual experimentation - et rebelote, il propose à Chris de partouzer. Chris O’Dell trouve ça uncomfortable. Claudia Lennear n’est pas très partante non plus pour les orgies. Elle est aussi l’une des muses de Tonton Leon. Comme Jesse Ed Davis ramène de l’angel dust à Skyhill, ça n’arrange pas les choses. Tonton Leon en fait une grosse conso. Eh oui, c’est non pas le temps des cerises, mais le temps du sex & drugs & rock’n’roll, c’est-à-dire le sel de la terre. 

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             Avec le Bengladesh concert, Tonton Leon atteint son pic de célébrité. Selon Al Aaronowitz, les freaks vont trouver Leon pour lui dire qu’il est le nouveau Jésus - Ça faisait dix ans que Dylan et les Beatles se tapaient cette adulatory crap et Leon affirmait que ça n’allait certainement pas lui tourner la tête - T Bone Burnett dit même qu’il aurait pu devenir «a huge star if he had wanted to be. But I guess he didn’t want to be.» Lorsqu’il se retrouve on top of the world, il décide de se mettre au vert, à Tulsa. Il n’aime pas tout ce qui accompagne la célébrité, «having to schmooze, the interviews, record executives, radio promotion. He moved back to Tulsa to get away from the hype.» Il s’installe dans ce qu’il appelle «a small fishing cabin on Grand lake O’ the Cherokees», à 100 bornes au nord de Tulsa. Il y recrée l’ambiance de Skyhill - a creative gathering spot on the lake - En 1972, il envoie Patrick Henderson recruter des backing singers à Dallas. Il en ramène quatre. Blue, qui est la fille aînée de Tonton Leon se marre : «From late ‘72 to ‘73, my dad had many many many girfriends.» Il en pince pour la musique noire, mais aussi pour la country. Willie Nelson indique qu’ils ont tous les deux le mêmes «musical roots : Hank Williams, Bob Wills, country black blues.» À Grand Lake, Tonton Leon bosse avec the Shelter People, le groupe qui l’accompagne en tournée. Il se fait faire dix costards de cosmic cowboy et fait coudre des pierreries dessus (rhinestones). Il devient une sorte de rhinestone cowboy, comme David Allen Coe. On parle aussi de lui en termes de «dark magnetism» et même de «rock evangelism». En 1974, il fait une petite crise de parano et se sépare de Peter Nicholls, de son groupe et prend ses distances avec Shelter et Denny Cordell. Il passe du stade de Master of Space and Time à celui d’«Oklahoma patriarch». Il n’a que 35 ans et Mary, sa femme, 25. Mais comme les blancs du coin sont racistes et que Mary est black, Tonton Leon est obligé de quitter la région.

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    ( Dernière demeure de Leon Russell)

             Il reste cependant un homme complexe. Bill Maxwell le compare à Dylan, «extremely friendly, intelligent, extremely kind, until they don’t want to talk to you anymore, and a wall goes up.» Il faut faire avec, et pour les potes de Tonton Leon, c’est pas simple. Côté addictions, il s’est un peu calmé depuis le temps de l’angel dust à Skyhill. Blue dit que ses addictions étaient «straight-up food and sex». Il voit pas mal de porno à la télé, même dans le bus de tournée. Il prend aussi du poids et dit que de porter ses lourds costards de rhinestone cowboy lui en fait perdre. À 33 ans, il a déjà un look de vieux pépère. Il a les cheveux blancs et marche en boitant.  Quand mary le quitte et lui déclare la guerre, il tombe en ruine. Elle lui fait des procès, «just basically nuisance suits». Cette vache lui réclame 500 000 $ qu’elle obtient, car il veut passer à autre chose, mais elle continuera de lui pomper du blé jusqu’à la fin - She was evil, dira-t-il à Jan, sa nouvelle poule - Tonton Leon est au plus bas et Willie Nelson vole à son secours. Puis en 1981, il s’installe à Hendersonville, dans le Tennessee, avec Jan qui va lui faire trois gosses, Shugaree, Coco et Honey, ce qui avec Blue, Teddy Jack et Tina Rose lui en fait six en tout. La maison du Tennessee avait appartenu à Felice et Boudheaux Bryant, les fameux auteurs de hits pour les Everly Brothers. Dans le milieu des années 80, Tonton Leon a perdu le cap. Il est passé du superstardom au rien-du-tout-dom. Sa seule consolation est de voir arriver chez lui Teddy Jack et Tina Rose, devenus majeurs. Ils s’entendent bien avec Jan, qu’ils appellent Mommy. Ils vont vivre avec leur père durant les années 90. Puis le couple s’installe avec toute la tribu à Sideview, c’est-à-dire à Gallatin, dans le Tennessee. Blues qui a aussi fondé une famille vient s’installer à Sideview. Bien qu’affaibli par un vieillissement précoce, Tonton Leon continue de tourner. Hank Williams Jr. lui propose 14 dates en première partie, mais Tonton Leon le prévient que si ça déraille à cause de ses percussionnistes nigérians, il quittera la tournée. Tom Britt : «En plein milieu de la première chanson, un mec lance une bouteille de whisky sur les Nigérians. We all walk off. End of tour.» Tonton Leon traverse une période misérable, conduisant des bus pas très fiables à travers les états, ce qui lui vaut le surnom the Miser of Space and Time. Eh oui, les temps sont durs. Tonton Leon survit à la fois artistiquement et financièrement. Le couple finit par s’installer à Harmitage, à proximité de Nashville. Cette belle demeure avait été construite pour Dennis Linde, l’auteur de «Burnin’ Love».

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             Il revient dans le rond du projecteur avec le projet d’Elton John et l’album The Union. Mais on l’a dit dans un Part Two, Elton John squatte quasiment tout l’album et fout la pression sur Tonton Leon qui n’aime pas ça : «Elton sort of insisted that I have a producer. Well I’m not a guy that has producers.» Pour Life Journey, l’avant-dernier album qu’il enregistre, son manager Barbis veut mettre Don Was sur le coup pour faire un rock’n’roll album, mais Tonton Leon préfère Tommy LiPuma «from the Blue Thumb days». LiPuma avait produit des gens comme Al Jarreau, Dr John et Diana Krall, mais aussi le Tutu de Miles Davis. Janovitz ajoute que pendant les deux dernières années de sa vie, Tonton Leon se bat pour boucler les fins de mois. Et tout ça se termine à l’hosto avec des problèmes de santé classiques, comme dans tous les romans dignes de ce nom. Tonton Leon est un peu le Johann August Suter que décrit Cendrars dans l’Or. Cette bio a le souffle d’un destin qui n’a de tragique que sa banalité. Chacun de nous finit par mourir, au terme d’une vie bien remplie ou pas.

             Selon Janovitz, Tonton Leon restera «an elite songwriter and one of the greatst arrangers and bandleaders of his generation.»

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             Alors qu’on allait refermer provisoirement ce chapitre, un beau Tribute est tombé du ciel : A Song For Leon - A Tribute To Leon Russell. Une petite équipe d’artistes s’est amusée à taper dans tous les vieux hits du Père Noël, à commencer par l’excellent chanteur masqué Orville Peck. Il tape directement dans «This Masquerade». Belle présence vocale. Le mec est bon, la compo est bonne, alors que peut-on espérer de plus ? Rien. Autre surprise de taille avec U.S. Girls & Bootsy Collins qui tapent «Superstar». C’est fabuleusement travaillé à la black, bien nappé de sucre candydo black, ils traînent le groove dans une étonnante poussière d’étoiles. On passe aux choses très sérieuses avec les Pixies et «Crystal Closet Queen». Okay ! Le gros tape dans le tas. Sans fioritures. Dans le vrai tout de suite. C’est Pixelisé à outrance. Le gros te déglingue vite fait la carlingue. Il abuse de son génie purulent pour exploser Tonton Leon. Et puis voilà Monica Martin et «A Song For You», the Beautiful Song par excellence. Océanique, chanté au fil de la respiration, avec des accents connus de type «Imagine». Quand on réécoute la version originale sur l’album bleu sans titre de Leon Russell, on trouve la voix trop maniérée, effet bizarre. C’était très stéréotypé. La bonne surprise du Tribute vient aussi de Bret McKenzie & Preservation Hall Jazz Band avec «Back To The Island», mid-tempo tapé au big power de big bassmatic et de slide volage, pur jus d’Americana, très fidèle à l’esprit leonien. Signalons aussi le très beau développement durable de Margo Price avec «Stranger In A Strange Land», et cette belle Soul qui aurait tant plu à Tonton Leon, celle de Durand Jones & The Indications avec une cover d’«Out In The Woods». Durand ne fait pas semblant. En plus ça rime.

    Signé : Cazengler, Léon recèle

    Bill Janovitz. Leon Russell. The Master Of Space And Time’s Journey Through Rock & Roll History. Hachett Book Group 2023

    Asylum Choir. Look Inside The Asylum Choir. Smash Records 1968

    Leon Russell & Mark Benno. Asylum Choir II. Shelter Records 1969

    A Song For Leon. A Tribute To Leon Russell

    Les Blank. A Poem Is A Naked Person. 1974. Réédité en DVD

     

     

    L’avenir du rock

     - Hello Dulli, mon joli Dulli

     (Part Three)

     

             La scène se déroule au club. Confortablement calé dans un Chesterfield, l’avenir du rock passe une agréable soirée en compagnie de ses amis, tous des professionnels versés dans les nouvelles technologies.

             — Alors tu résistes toujours à l’appel des sirènes, avenir du rock ? Toujours pas de smartphone ?

             — Nulle envie d’entendre bip-bipper ces machines à tout instant, écoute la tienne, c’est infernal ! Cling... Cling... Aucun smartphone, si smart soit-il, ne me sortira Dulli.

             — Tu as tort de te priver du confort de cet outil. Il te permet de checker tes mails lorsque tu es en déplacement, de surveiller tes comptes au Luxembourg et de visio-conférer avec tes prospects. Tu peux tourner des vidéos en MP4 pour e-coacher tes modules d’e-learning et même stocker des gigas de data. Tu peux aussi visionner des clips de rock sur YouTube...

             — Pas de chance, Marco, je ne vais jamais sur YouTube. Trop de pub. Je vais plutôt sur Dulli Motion.

             — Tu es tout de même très atypique, comme profil. Désolé d’avoir à te dire ça. Tu ne fais rien comme les autres. Il y a quelque chose d’élitiste chez toi, non ?

             — Tu te plantes, Marco. Il m’arrive comme tout le monde de prendre un Dulliprane 1000 effervescent quand j’ai mal au crâne.

             — Ce qui m’épate le plus, c’est que contrairement à nous, tu passes très peu de temps sur le net. Tu pourrais te créer un fil à la patte du caméléon, ha ha ha ha !

             — Non, ces outils-là ne m’intéressent pas. J’ai pas mal de chats à fouetter. Même trop ! Never a Dulli moment !

             — Tu devrais au moins prendre l’avion de temps en temps et voyager. Appelle l’agence Nouvelles Frontières à Montparnasse et demande Erwin de ma part, il te fera des prix. Et comme ça, tu pourras passer au duty free et nous ramener une bonne bouteille de scotch irlandais !

             — Quand je voyage, figure-toi que je ne passe jamais au duty free. Je préfère le Dulli free.

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             Une fois de plus, il s’en sort bien, l’avenir du rock. Il préfère parler de Greg Dulli plutôt que des gadgets de la modernité. Greg Dulli est un artiste tellement génial qu’il échappe au radar du mainstream. C’est à ça, aujourd’hui, qu’on reconnaît les vrais artistes. Ils passent à travers les mailles du filet corporatiste et parviennent ainsi à préserver leur intégrité, comme le firent jadis résistants traqués par la Gestapo. 

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             Greg Dulli a remonté les Afghan Whigs et le nouvel album s’appelle How Do You Burn? Rien qu’à voir la pochette, on sait que c’est un magnifique album : voyons-le comme le Miami du Gun Club qui serait revu et corrigé par le plus tragiquement neurasthénique des visionnaires, Dulli de la terre.  Crack boom dès «I’ll Make You See God». Explosif ! Noyé de son, le pauvre Dulli chante la gueule dans l’eau, ahhhhhbllbllbblll, avec des accords électrocutés, schherrkkrkkrk, c’est d’une violence de la mort qui tue, ça coule dans le dos comme une eau glacée, ça pulse au froid qui extermine toute idée de chaud, ça te fatalise une falaise de marbre. Les Whigs compressent tout le power du rock américain dans un seul cut, un cut qui respire à peine, congestionné à l’extrême, c’est d’une violence qui force la courbe des tropiques, yeah yeah yeah, il n’existe plus rien après un tel ramdam, c’est un beffroi qui s’écroule sur toi, là, tu sais que tu as besoin de prendre du temps pour comprendre ce qui se passe, pour appréhender cette dégelée ultra-dullique, ça grimpe encore dans les degrés du fucking hell et ça brûle à l’intérieur, comme un alcool beaucoup trop fort. Puis Dulli nous fait du heavy Dulli de Getaway avec «The Getaway». Pire encore : l’«I’ll Make You See God» te sonne tellement les cloches que tu as du mal à prendre les cuts suivants au sérieux. Voilà qu’arrive dans tes oreilles «Catch A Colt», un cut inqualifiable, presque putassier. Mais c’est du Dulli, alors tu fermes ta gueule. Le problème est qu’on attend des miracles de cet homme et les miracles se raréfient. «Jyja» peine à jouir, Dulli plonge au plus profond du deepy deep, c’est assez heavy, mais toujours pas de hit dans la hutte. Il remonte à la surface pour «A Line Of Shots». Pas facile de faire des big albums, n’est-ce pas, Dulli ? Il finit par sonner comme U2 ce qui n’est pas un compliment. Il ramène encore tout le son qu’il peut dans «Domino & Jimmy», c’est une belle apocalypse, mais rien de plus. Il pourrait bien être profondément affecté par la disparition de son ami Lanegan. Il semble avoir perdu sa voie. Maintenant il est tout seul, il semble paumé. Ses cuts ne mènent nulle part. On assiste en direct à la Bérézina de Napoléon Dulli. Ça s’agite encore un peu avec «Take Me There». C’est tragique, car le power brille par son absence. Dulli finit par aller se crasher dans les flammes d’«In Flames», criblé par les notes d’un solo problématique, il rend l’âme dans des convulsions extravagantes et nous laisse en héritage un monstrueux shoot d’Atmopshérix vénéneux. 

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             Pour se remonter le moral, le mieux est de plonger dans la rubrique ‘Album by Album’ que propose Uncut, et qui est ce mois-ci consacrée à Greg Dulli, qualifié par la chapôteuse Sharon O’Connor de «torrid grunge Soul man». Dulli passe en revue tous ses classiques et donne de sacrés éclairages. Il dit s’inspirer du classic rock et du classic metal. Quand on lui dit qu’«I’ll Make You See God» qui ouvre le bal d’How You Burn sonne comme du Queens Of The Stone Age, il répond que l’«Highway Star» de Deep Purple était sa North Star. Il indique ensuite que «Line Of Shots» «is built on a mash of Buzzcocks and The Smiths.» Puis il révèle que Van Hunt chante «Jyia» et «Take Me There» - He’s kind of the secret weapon of the record - Il revient aussi sur Lanegan et les Gutter Twins. Il leur a fallu 5 ans pour enregistrer Saturnalia - I named the record, he named the band - Dulli dit qu’il est très fier de cet album - I know we were making something cool, and we did - Il célèbre aussi la trilogie Congregation/Gentlemen/Black Love. Il dit que «Blame Etc» «is really my attempt at writing a Norman Whitfield-style Temptations song. That’s where I was coming from with that, with the wah-wah and the strings. I remember trying to get inside the David Ruffin head, a little bit.» Il rend un fantastique hommage à David Ruffin, «he seemed like a guy who had it all and just destroyed it.» Il revient aussi sur les Twilight Singers et Blackberry Belle - It might be my favorite record - Dulli a raison : Blackberry Belle est une bombe.

    Signé : Cazengler, Salvatorve Duli

    Afghan Whigs. How Do You Burn? Royal Cream Records 2022

    Greg Dulli. Album by Album. Uncut # 305 - October 2022

     

     

    Inside the goldmine

     - Le vert Garland

     

             Au premier abord, Michel Garant semblait extrêmement sympathique. Il passait son temps à sourire et à bavacher. Rien ne pouvait le contenir. Son débit oral était celui d’un fleuve en crue. Il charriait de tout, surtout du rock et du moi-je. Il passait d’un sujet à l’autre sans crier gare et soudain, il trébuchait, tournait trois fois autour d’un mot pour repartir dans une direction opposée, ce qu’on fait tous lorsqu’on perd le fil face à un auditoire. Si par hasard tu lui coupais la parole, il sautait sur la première occasion de reprendre le leadership. Pas par souci de domination. Michel Garant était naturellement extraverti. Il ne se rendait même pas compte qu’il devenait pénible, et, à force de vouloir se faire passer pour un être charitable, bienveillant, intelligent, «de gauche», comme il disait, et soit disant ouvert sur le monde, il finissait par provoquer l’effet inverse. Il transgressait tellement son pseudo-angélisme qu’il générait chez certains de ses interlocuteurs un agacement tel qu’ils peinaient à le dissimuler. Le problème, c’est que Michel Garant était très con, mais il ne s’en rendait même pas compte. À ses yeux, «tout le monde il était beau et tout le monde il était gentil», à commencer par lui. Lui, rien que lui. Lui, encore lui. Si son nombril avait eu des dents et une langue, il aurait parlé du nombril. Il gravitait en orbite autour de lui-même, il ne captait le monde extérieur qu’à travers son prisme, ce qu’on fait tous, mais il l’assujettissait à son modèle mental pour le transformer en ce discours insupportable qu’il déroulait à l’infini et qui donnait la nausée à tous, sauf à lui. On le plaignait secrètement, mais bien sûr, il n’était pas question de lui causer la moindre peine. Son ultra-suffisance, cette adoration immodérée de lui-même cachait de toute évidence une fragilité extrême. Le prier de fermer sa gueule l’aurait sans doute anéanti. Comment peut-on vouloir du mal au roi des cons ?

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             Michel Garant et Garland Green, n’ont rien de commun, si ce n’est une vague forme de consonance. Garant vit dans son monde, et Garland dans le sien. D’un côté le blanc et de l’autre le noir. D’un côté le néant absolu, et de l’autre l’avenir du monde, c’est-à-dire la Soul. Garland Green est un Soul Brother de Chicago. On le croise sur ses albums, mais aussi dans toutes les bonnes compiles de Soul.

             Éminent spécialiste de la Chicago Soul, Robert Pruter transforme la vie de Garland Green en conte de fées. Le roi du barbecue Argia B. Collins trouva la voix du jeune Garland intéressante, alors il l’envoya au Conservatoire de Chicago étudier le piano et le chant, puis il transforma son prénom Garfield en Garland. Dans la foulée, un certain Mel Collins tomba sous le charme de Garland. La femme de Collins n’était autre que l’ex-Ikette Joshie Jo Armstead, devenue une compositrice de talent. Elle allait co-signer «Jealous Kind Of Fella».

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              Quand tu vois Garland Green sur la pochette de Jealous Kind Of Fella, tu as l’impression de voir un gentil géant. Il est accueilli dans son morceau titre par des chœurs de Sisters. Ce gentil géant est un crack. Il crack-boom-hue la Soul avec le power du vert Garland. Son «Jealous Kind Of Fella» est le froti le plus gluant de l’histoire des frotas. Ce hit date de 1969. Avec «Mr Misery», il passe aussi sec au coup de génie. Il éclate son cut dans l’écho du temps et on comprend qu’il soit devenu culte. Pur genius - Won’t you leave me alone - Stupéfiante qualité. On reste dans le très haut niveau avec «All She Did (Was Wave Goodbye To Me)». Ce mec est bon, il règne sur son empire. Ce magnifique artiste fait de la Soul des jours heureux avec «Ain’t That Good Enough», puis il épouse les courbes du groove avec «You Played On A Player», mais il le fait avec la poigne d’un black aux mâchoires d’acier. Il enchaîne avec une fabuleuse pop-Soul d’anticipation, «Angel Baby». Il profile son hit sous l’horizon. Il sait driver un suspense. Il grimpe à l’Ararat avec ses nerfs d’acier. Des mecs comme lui, tu n’en verras pas beaucoup. Encore de la fabuleuse Soul d’Uni Records avec «He Didn’t Know (He Kept On Talking)», c’est travaillé au doux du doux, ambiance magique à la Fred Neil avec des nappes de cuivres. Et cette belle aventure s’achève avec un «Let The Good Times Roll» amené au groove élastique. Baby !, tu le reçois en plein, le vert Garland y va, sa voix fait le poids et c’est vaillamment coiffé aux nappes de cuivres.

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             On retrouve notre gentil géant sur la pochette de Love Is What We Came Here For. Au dos, tu le vois faire du jogging sur la plage. Le vert Garland est un géant éminemment sympathique. Son «Let’s Celebrate» est un coup de génie diskö. Il est le roi du dancefloor. Mais cet album est essentiellement un album de groove, comme le montre «Shake Your Shaker», il te shake ça avec une classe inébranlable. Il est dans le lose control, dans l’all over, il tape ça au mieux des possibilités. Le vert Garland est un diable Vauvert, on est content d’avoir fait sa connaissance. Il groove de plus belle avec «Let Me Be Your Preacher». On aime bien l’idée que ce black soit heureux et qu’il puisse courir sur la plage pour entretenir sa santé. Allez Garland, au boulot ! Il revient avec «I’ve Quit Running The Streets», pas de problème, Garland does it right - I’m going ho-ho ! - Il fait aussi des balladifs fantastiques, comme le morceau titre. Il a de l’appétit pour l’horizon. Il groove encore le r’n’b d’une voix grave dans «I Found Myself When I Lost You», c’est excellent, coloré, juteux, fruité, groovy. Garland vise toujours le côté coloré du son. Il manie l’insistance avec dextérité. Tu as deux bonus à la suite, dont un «Shale Your Shaker» plus diskö et plus sexe. Big bassmatic to the diskö sound !  - The way you shake around - Il y a en Garland Green une pâte d’amande, une Green touch, il groove au shake it on up, ça veut dire ce que ça veut dire. Et puis avec «Don’t Let Love Walk Out On Us», il fait son Barry White. Il t’enrobe les trompes d’Eustache vite fait. Il te ramollit les fourches caudines. Le vert Garland est un prince de la Soul. 

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             En 1983, alors qu’il est installé en Californie, il enregistre un album sans titre, Garland Green. Le plus stupéfiant est qu’il n’y aucun liner dans la boîte : le 4 pages n’est même pas imprimé, à part la une. Mais on sait que c’est produit par Lamont Dozier. Alors, on se console avec «Nobody Ever Came Close», une heavy Soul de dude en forme de Beautiful Song. Il attaque sur le ton de la confession, c’est excellent, une vraie chape. C’est un slow groove de rêve éveillé. Il te l’emballe vite fait. Il attaque d’ailleurs avec un hit de Lamont, «Tryin’ To Hold On». Il est sincère - I’m just tryin’ to hold on/ To my woman/ To my life - Ça va, Garland, on te croit. Mais il insiste. Alors on l’écoute. Lamont fait les backing vocals. Il fait aussi les arrangements de «You Make Me Feel (So Good)». Il chante son «System» la main sur le cœur et son «Love’s Calling» d’une voix solide. C’est un Soul Brother effarant d’assise. Garland est du genre à ne jamais lâcher la rampe. Il faut le signaler, car ça ne court pas les rues. «Love’s Calling» reste de la big Soul de calling you/Calling me. Il boucle l’album avec «These Arms», une heavy dance Soul de Lamont Dozier. C’est forcément énorme. On est une fois de plus effaré par l’incroyable power du vert Garland. Il est superbe et invincible. Black power all over. Grâce à Lamont, ça bascule dans la magie noire. 

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             En matière de compiles, la reine de Nubie s’appelle The Very Best Of Garlan Green. Comme c’est sur Kent Soul, Ady Croasdell partage le booklet avec Robert Pruter, spécialiste de la Chicago Soul et auteur d’une somme du même nom. Est-il bien utile d’ajouter que cette compile grouille de puces ? Tu te grattes dès le «Jealous Kind Of Fella» évoqué plus haut. Heavy groove de Chicago. La Soul de tes rêves, Garland te berce dans ses bras. C’est à la fois épais et imparable. On retrouve aussi «These Arms», ce vieux shoot de Green diskö, et l’excellent «Don’t Think That I’m A Violent Guy» tapé au toc toc toc de wild beurre. Oh la présence de l’immanence ! Retrouvailles encore avec «I’ve Quit Running The Streets» qu’il chante à l’accent gras. Il ne traîne plus en ville, ça rassure sa poule. Il met encore une pression artistique terrible avec «Angel Baby», sa classe flirte en permanence avec le génie. Tu vas aussi retrouver son vieux «Let The Good Times Roll» qui ne doit rien à celui de Shirley & Lee. Il navigue toujours entre la joie de vivre et les nerfs d’acier. Retrouvailles encore avec «He Didn’t Know (He Kept On Talkin’)», il te groove la Soul dans l’âme, il est aussi océanique du Fred Neil. Il tartine sa Soul comme du miel. On retrouve encore «You Played On A Player», heavy groove teinté de gospel, «Ask Me What You Want», sans doute l’un des meilleurs shoots de Soul d’Amérique, il peut aussi ruer dans les brancards comme le montre le wild «It Rained Forty Days & Nights», et avec «Sending My Best Wishes», tu touches au cœur du mythe Garland. Il fait son Barry White dans «Don’t Let Love Walk Out On Us», et de la heavy Soul de Deep South avec «Nothing Can Take You From Me», cette Soul qui colle dans le pantalon. 

    Signé : Cazengler, Garland Gris

    Garland Green. Jealous Kind Of Fella. Uni Records 1969

    Garland Green. Love Is What We Came Here For. RCA 1977

    Garland Green. Garland Green. Ocean Front Records 1983

    Garland Green. The Very Best Of Garlan Green. Kent Soul 2008

     

    *

    _ C’est quoi encore ce bordel ?

    _ Monsieur le Préfet, votre flair nous étonnera toujours, vous avez raison, c’est un regroupement séditieux d’individus mal intentionnés que nous suivons étroitement depuis plusieurs mois. Nous les suspectons de faire tourner la tête à toute une innocente partie de notre belle et saine jeunesse hélas trop naïve…

    _ Ne perdons pas notre temps, que proposez-vous pour nous en défaire ?

    _ Nous pourrions sous n’importe quel prétexte futile les enfermer en prison…

    _ Vous plaisantez, les nourrir grassement à ne rien faire et à regarder la télé aux frais du contribuables, faites comme pour Socrate !

    _ Excusez-moi Monsieur le Préfet, je ne connais pas cet individu, quel châtiment lui avions-nous infligé ?

    _ Le seul qui vaille la peine, la peine de mort !

    _ Ce n’est que justice Monsieur le Préfet, je n’ose même pas imaginer les méfaits qu’ils avaient commis.

    _ Le même que vos trois futurs condamnés, quod corrumpet juventum !

    _ Excusez-moi Monsieur le préfet, je n’ai pas compris, mais ce doit être terrible !

    _ Plus que vous ne le croyez mon brave sous-fifre ! Exécution immédiate !

    BASTA

    C’ KOI Z’ BORDEL

    Ne vous trompez pas d’objets sonore, Basta tiens n’y a-t-il pas un disque de Léo Ferré qui porte le même titre ? Pas tout à fait, un album de 1973 qui se nomme Et… Basta ! Ah bon ! Pourtant Ni Dieu ni maître, c’est de Ferré je pourrais même le chanter, ‘’il n’y en a pas un sur cent et pourtant ils existent’’, exactement même si Ferré chantait mieux que vous, sa version la plus aboutie est celle de l’enregistrement public à la Mutualité en 1970. Question Chimpanzé Léo n’entretenait-il pas une relation amoureuse avec une guenon… Ce sont donc des reprises de Ferré ? Non, des créations originales ! Alors pourquoi toutes ces connotations ?

    Peut-être pour nous faire réfléchir que depuis les révoltes de mai 68, rien n’a vraiment été bouleversé mais que tout a changé. Expliquez-moi, je ne comprends pas. L’après 68 fut le temps de l’illusion lyrique, la Révolution semblait toute proche, l’on en parlait avec emphase, l’on prenait modèle sur les chuchotements insidieux de Verlaine et la barbare violence de Rimbaud, un demi-siècle plus tard le constat est amer : le grand soir n’a jamais eu lieu… Donc c’est un disque passéiste empli de nostalgie ! Pas du tout, C’ Koi’ Z’ Bordel ne regarde pas en arrière, vous plonge le nez dans le caca du présent qui nous dit que le pire est à venir si l’on ne se bouge pas le cul.

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    Une pochette noire comme la misère mentale qui nous accable. Trois têtes, trois bustes estompés par la noirceur du monde. Ce ne sont pas les individus qu’il faut admirer, c’est le message qui prime.

    Cyril : guitariste, chanteur / Olivier : batteur / Stéphane : bassiste.

    Ni dieu ni maître : une batterie qui ricoche comme des balles sur le bitume, tout de suite c’est l’emballement, une guitare qui part en vrille, une batterie fracassante et un vocal qui vous saute à la gorge, des lyrics qui n’ont pas peur de s’encombrer de gros étrons, religions, capitalisme, théocratie, despotisme, gerber, cracher… Méfiez-vous, les étoiles ninja que lance la guitare de Cyril sont tranchantes…  Ne courez pas aux abris, criez plutôt Kick out the Jam, comme le chantait un groupe de Destroy City. Sous-race de Chimpanzés : un peu de classification zoologique n’a jamais fait de mal à personne, c’est un peu dur pour nous les hominiens, soyons justes, nous nous ne sommes pas une espèce très écologique, comment Olivier peut-il tenir ce beat incandescent tout en produisant ces flots de roulements tourbillonnants battériaux incessants, l’on dirait qu’il répand du round up à profusion sur des champs pollués. Basta : Vous avez eu le constat édifiant dressé en moins de six minutes, c’est très bien, en fait c’est très mal, maintenant faut conclure. Que faire se demandait Lénine. Nos bordellistes lui répondent : c’est assez. Cyril vous envoie à plein gosier des rafales de bastos de ‘’basta’’ la meilleure des mécadicamentations pour combattre l’épidémie des lâchetés individuelles. Assez : au cas où vous n’auriez pas compris, vous ont traduit Basta en français, en plus rapide, en plus violent, un vocal dégueulis, une basse tarabustante, une guitare vitriolée, une batterie gourdinée, 78 secondes dont vous ne vous relèverez pas. Dix de plus que 68, faut augmenter la dose !

             C’ Koi Z’ Bordel hisse l’étamine noire. Un cri de rage et de haine, pour réveiller les morts-vivants qui passent leur temps à se plaindre. Un chef-d’œuvre nécessaire.

    Damie Chad.

     

    *

    Du nouveau pour Burning Sister, la presse underground américaine, The Obelisk, Doomed Nation, The Sleeping Shaman, commence à s’intéresser à eux, nous avons été probablement les premiers à parler d’eux, voir KR’TNT 560 du 20 / 06 / 2022 et KR’TNT du 24 / 11 / 2022… Dave Brownfield a laissé sa place à Nathan Rorabaugh d’Alamo Black autre groupe de Denver ( Colorado )… Ils viennent de sortir un nouvel EP.

    GET YOUR HEAD RIGHT

    BURNING SISTER

    (Sleeping Sentinel Records / Octobre 2023 )

    Steve Miller : bass, synth, vocals / Nathan Rorabaugh : guitar / Alison Salutz : drums

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    Une ligne de chemin de fer enfoncée dans une tranchée forestière, elle ne court pas vers un horizon infini mais s’engouffre dans un tunnel d’où pour ceux qui prennent tout au pied de la lettre le conseil de tenir sa tête droite, et pour ceux qui décryptent la portée symbolique des paroles un mot d’ordre à rester droit et debout devant les difficultés…

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    Fade out : ( paru en août 2023 sous forme d’une Official Video )  : tout ce qu’il y a de plus classique : le groupe en train de jouer, de temps en temps l’image défile comme en surimpression en couleur rouge, bleu, vert, sans doute  pour éviter la monotonie d’une vidéo peut-être pour que l’auditeur  comprenne que Burning Sister flirte avec le psychédélisme, le plus intuitif serait à mettre le flou de ces images avec l’intitulé des titres du morceau et de l’album, chacun tranchera dialectiquement la contradiction exposée à sa guise, parfois la meilleure stratégie ne serait-elle pas, au lieu d’affronter un système qui finira par vous broyer, de se fondre dans le monstre, de devenir un monstre invisible, bientôt n’apparaît-il pas en sur-sur-impression évanescente un individu, un enfant de la taille d’un adulte, qui s’amuse à courir, à bondir, à faire de la balançoire, déguisé en Captain America, jusqu’au moment où à la fin du morceau l’image d’une clarté absolue nous découvre que ce n’est autre que Steve Miller, le bassiste. Dès le début l’on entend gronder la basse de Steve, mais ce n’est rien comparé à sa voix qui vous ligote et vous retient prisonnier dans ses cordes vocales, c’est un régal de voir le groupe se saisir du riff initial plus noir que noir pour le mener au bout des cinquante nuances de gris du rock’n’roll. Une superbe démonstration que les combos débutants auraient intérêt à étudier. Barbiturate Lizard : coups de basse comme autant de coups de butoir, bientôt amplifiés par une guitare qui pousse à la roue, un fond de synthé perforant et Sister Alison qui vous martèle un tempo implacable tandis que la voix de Steve qui semble résonner sous la voûte d’un souterrain enfoui au creux de la terre vous envoûte pour l’éternité, ensuite comme à tous ses morceaux le groupe vous ensorcèle, bien sûr il riffe comme des milliers de combos de par le monde à cette différence près que quand ils ont bien le riff en main il commence à ronronner comme un chat puis à rugir comme un lion et enfin à se débattre comme un dinosaure qui endormi depuis des millions d’années se réveillerait, juste, ce n’est pas de chance, sous votre maison qui s’écroule sur vous comme un château de cartes en plomb fondu. Get your head right : trois petits coups de baguettes ( magiques) et un monstre riffique déboule sur vous, ça tonne comme l’orage, ça arrache les toitures, ça écroule les gratte-ciel, je me demande qui pourra garder la tête haute sous une telle tempête, z’avez envie de rentrer tel un escargot dans une coquille de béton armé, mais la batterie tape sur votre abri anti-atomique et déjà se forment des lézardes pas du tout sous barbituriques, il y a une guitare qui ricane sinistrement, un vocal qui vous maudit jusqu’à la soixante dix-septième génération, mes chiens qui quittent leur panier ( j’écoute au casque ) heureusement c’est fini, ouf, non ça recommence en plus lent mais en plus lourd, vous en veulent à mort, vous ignorez pourquoi, mais eux ils le savent là, maintenant vous touchez du doigt, qu’ils sont en guerre contre votre lâcheté congénitale. Tant pis pour nous ! Looking through me : au cas où vous n’auriez pas compris le morceau précédent, vous refont le coup des trois petites baguettes maléfiques, ensuite ils vous prennent un riff et vous le malaxent comme quand vous jouez avec un chewing gum sonore, c’est alors que vous vous apercevez que vous avez beau le mastiquer de toutes vos forces, ils s’amusent de vous, ils vous brisent les plombages et vous scellent le dentier si fort qu’ils vous empêchent d’ouvrir la bouche et de respirer, en plus ils vous calfeutrent les fosses nasales, dix mille orchestres déchaînés se mettent à vous jouer le Te deum du Requiem de Mozart, une masse phonique en fusion vous engloutit à jamais pour l’éternité ( plus un jour, on ne sait jamais ). Le pire c’est que vous ne vous plaignez pas, c’est grandiose.

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     When tomorrow hits : une reprise de Mudhoney, manière d’affirmer haut et fort son pédigré, le morceau est sorti en avant-première assorti d’une magnifique pochette ouverte à tous les rêves, à tous les cauchemars : L’est sûr que lorsque le destin frappe il est trop tard, une basse qui sonne comme une cloche funèbre, une batterie qui enfonce les clous du cercueil une voix d’outre-tombe ( sortie tout droit des grandes orgues de la sombre magnificence de la prose des  Mémoires de Chateaubriand ), une guitare qui n’en finit pas de pleurer à chaudes larmes, à moins qu’elle ne ricane tout haut, si vous pensez qu’ils en font trop qu’ils vont mettre la pédale douce, vous n’avez rien compris au film, c’est dommage parce qu’il est déjà fini. Perso je pense qu’ils écrasent la version de Mudhoney avec beaucoup plus de boue que de miel.

             EP étourdissant. Sister Burning brûle les étapes. Il se murmure qu’ils préparent un album. Pauvre de nous tant de temps à attendre !

    Damie Chad.      

     

    *

    Des groupes qui se prénomment Red Cloud il en existe aux quatre coins du monde toute une tribu, mais celui-ci est français, z’ont leur camp sur Paris, j’avoue que tout ce qui évoque de près ou de loin la lutte désespérée menée par les grands chefs sioux pour préserver leur liberté me fascine.

    BAD REPUTATION

    RED CLOUD

    (Single : Février 2023 / BC / YT)

    Roxane Sigre : vocals / Rémi Bottriaux : guitar / Maxime Mestre : bass / Laura Luis : organ / Mano Comet : drums.

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    Roxane toute seule sur la couve rouge, une bouche grande ouverte à avaler le monde, de rondes lunettes à la Janis Joplin, elle le mérite, un trottinement de souris sur le tambour, deux éclats de guitare, dès que vous entendez le feulement de sa voix vous oubliez tout ce qui précède, une espèce de glapissement modulé de chacal ou de chien de prairie, pas besoin de sortir de polytechnique pour décréter qu’il y a une véritable chanteuse dans le groupe. Ses congénères le savent, lui clouent aussitôt le bec pour que vous vous rendiez compte qu’ils lui préparent un tapis rouge de flammes, des pyromanes qui vous dressent une barrière de feu infranchissable, elle s’en fout, elle en joue, elle maîtrise la situation, la voix pointue comme une flèche qui se fiche dans votre cœur et c’est parti pour la longue traversée, Laura vous englobe la scène d’une cavalcade de poneys affolés, Rémi érige un vol de frelons, Maxime rampe comme un serpent et Mano porte un coup à tous les ennemis qu’il écrase, Roxane medecine-squaw vous guérira de tous vos maux de son vocal tranchant comme un couteau de scalp.

    Vous avez aimé Bad Reputation : voici une vidéo promotionnelle d’Arno Vincendo, vous les voyez jouer en playback, c’est bien fait, cela permet de les admirer, soulagement Roxane ne singe pas Janis, elle se contente d’être elle-même et c’est bien. Enfants gâtés vous aimeriez voir Bad Reputation : Live à L’International : vous ne savez pas tout ce Kr’tnt ! peut faire pour vous : les voilà dans un halo de nuage rouge, le son est davantage terre à terre, moins incisif que sur disque, mais l’ensemble tient bien la route et l’on entend le public apprécier. Comme un bonheur ne vient jamais seule vous avez encore Velvet Trap et Swallow deux titres issus du même concert et n’en jetez plus  dix autres vidéos sur la chaine de Matt Diskeyes, la plupart des titres parus sur leur album éponyme paru en mars 2023 que nous chroniquerons prochainement.

             ( Sur la même chaîne vous avez le concert de Bordeaux de Gyasi auquel le Cat Zengler a consacré ( voir livraison 608 du 31 / 08 / 2023 ) une magnifique chro sur son concert au Binic Folk Blues festival 2023 + dernier album.)

    Damie Chad.

     

    *

    Laissons la parole à plus doué que nous :

    ‘’ Car parmi les nombreuses institutions excellentes et même divines que votre Athènes a créées contribuant ainsi à la vie humaine, aucune, à mon avis, n’est meilleure que ces mystères. Car grâce à eux, nous avons été sortis de notre mode de vie barbare et sauvage, et éduqués et raffinés jusqu’à un état de civilisation ; ainsi comme ces rites sont appelés ‘’ initiations’’, ainsi en vérité nous avons appris d’eux les commencements de la vie et avons acquis le pouvoir non seulement de vivre heureux, mais aussi de mourir avec une meilleure assurance.’’

    Cicéron.  Les Lois II, XIV, 36.

             L’on ne se rend pas compte de l’apport de Cicéron quant à l’élaboration de la pensée occidentale, c’est lui qui a choisi et défini les mots latins afin de traduire l’ensemble des concepts philosophiques initiés par les Grecs. Vocables grecs et latins enracinés dans les langues européennes forment les deux branches séminales et constitutives de l’ADN de toute démarche de pensée. Ce n’est sûrement pas un hasard si Telesterion a posé ce passage en épigraphe à son nouvel opus.

    EPOPTEIA

    TELESTERION

    (Snow  Wolf Records / CD - K7 / Octobre 2023)

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    Rites performés par les prêtres de Demeter : Celeus / Dioclese / Eumolpos / Triptolemus / Plolysceinus.

    J’entends déjà certains lecteurs : écoute Damie, tu nous les brises, tes rituels d’Eleusis, la petite graine d’où sort la plante, sur laquelle se développe une fleur qui engendre un fruit porteur d’une ou plusieurs nouvelles graines, n’y a pas de quoi en faire un fromage, l’on apprend ça en CM1, alors lâche-nous la grappe.

    Z’oui, mais. C’est le moment de relire attentivement l’extrait de Cicéron. La graine qui meurt mais qui se faisant engendre une nouvelle plante, pour résumer : la mort qui donne naissance à la vie, évidemment c’est un peu simpliste encore faudrait-il se demander ce que ce cycle végétatif signifie et signifiait au regard des Grecs.

    Cicéron ne parle pas de graine mais de civilisation, non pas en tant que déploiement culturel mais en tant que nouveau stade d’une maturation de l’humanité animale de l’Homme. Il faut bien comprendre qu’un mythe ou un rite n’est pas une belle histoire qui a su séduire les imaginations de dizaines de générations, qu’il suffit de répéter pour être satisfait de soi-même. Celui qui regarde une table en décrétant tout content de lui ‘’ ceci est une table’’ occulte par cette constatation péremptoire tout ce qui a précédé : par exemple : ne serait-ce que le mode de production, de distribution, d’usage de cette table… N’envisageons même pas les opérations intellectuelles nécessaires à la construction de cette table, Platon a déjà analysé ce processus intellectuel dans son dialogue Le Sophiste.

             Tout ce préambule pour affirmer qu’avec Epopteia, Telesterion a choisi de se rapprocher de la réalité de ce furent les mystères d’Eleusis. Un drôle de challenge puisque la documentation sur ses fameux mystères ne couvre pas tous les aspects de ce phénomène cultuel. Rappelons qu’il était interdit sous peine de condamnation à mort de dévoiler La partie secrète des rites éleusiniens. Nous ne possédons que des renseignements dus à des recoupements conjecturaux de textes divers qui ne se corroborent pas nécessairement… Un puzzle aux nombreuses pièces manquantes dont les éléments qui nous restent ont bien du mal à jointer entre eux. A titre d’exemple commençons par le commencement : la couve du CD.

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             Reproduction de La Danse des Bacchantes tableau du peintre Charles Gleyre. Né en 1806, mort en 1873. Le format carré du CD ne rend pas justice à cette toile, pour la voir en son entier il est préférable de regarder la vue intégrale qu’en offre l’illustration de la K7. Natif de Suisse Charles Gleyre recevra dans son atelier parisien de nombreux jeunes peintres qui rompant avec lui formeront la première phalange des impressionnistes, notamment Sisley et Monet. Autant dire qu’on le classe facilement parmi les Pompiers. Le musée d’Orsay lui a consacré une exposition en 2016. Il est une autre façon de le considérer en le définissant comme un précurseur des Symbolistes.

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             A l’intérieur du CD ce tableau de Charles Gleyre côtoie Le Retour de Perséphone de Frédéric Leighton. Né en 1830, mort en 1896. Bien oublié aujourd’hui si on compare le succès et la reconnaissance officielle de l’Etat Britannique dont il jouit de son vivant. Peintre académique qui par certains aspects n’est pas sans lien avec le préraphaélisme.

              Une question se pose : pourquoi Le Retour de Perséphone de Frédéric Leighton dont le sujet est en lien direct avec les mystères d’Eleusis consacrés à Demeter la mère de Perséphone est-il posé à côté de La guerre des Bacchantes que l’on relie généralement à Dionysos. Apportons une réponse qui demandera à être explicitée. Selon la – il vaudrait mieux employer l’adjectif indéfini ‘’une’’ - tradition, c’est Orphée - qui mourut démembré par les bacchantes du cortège de Dionysos - qui aurait institué les mystères d’Eleusis.

    La sortie des neuf titres d’Epopteia a bénéficié d’un mode de lancement   quelque peu bizarre, un titre par jour du 30 septembre au 8 Octobre. Rien à voir avec un coup publicitaire, aucune envie de faire le buzz sur les réseaux sociaux, simplement faire coïncider la parution des neuf titres avec la date anniversaire de leur déroulement lors de l’Antiquité. Le disque est donc une sorte de reprise du rituel antique. Certains l’entendront comme une fable musicale, d’autres reconnaîtront dans les quelques mots anglais   par lesquels Telesterion se définit en anglais sur son bandcamp à savoir : ‘’I begin to sing of Demeter’’ – le début de l’Hymne à Demeter dont voici la traduction du texte original grec par Leconte de Lisle : ‘’ Je commence à chanter Demeter…’’.

    Entonner l’Hymne à Demeter peut-il être efficient ? Cette question est des plus épineuses, elle soulève la problématique fondamentale en laquelle réside l’attribution que l’on donne ou que l’on s’interdit de prêter à l’essence de la poésie. Serait-elle orphique et par cela aurait-elle une action sur la nature du monde. Si non, en quoi réside le distinguo opéré entre prose et poésie. La question peut paraître oiseuse, mais elle permet de percer le sens du concept de surhomme nietzschéen, en tant qu’homme capable d’œuvrer à l’Eternel Retour des choses. Une manière de s’approprier le rôle des Dieux. La fascinante compréhension des mystères d’Eleusis touche à cette ontologie fondamentale du rapport de l’être avec l’energeia originelle si tant est qu’elle soit originelle.

             Cet Hymne à Demeter raconte comment Demeter désespérée d’avoir perdu sa fille, parvient à Eleusis, elle est reçue dans la maison du roi Keleos, pour le remercier de son accueil et de son hospitalité elle fonde le temple d’Eleusis, dans lequel elle et sa fille  Perséphone seront célébrées.

             Nous allons écouter Epoteia en essayant d’analyser l’interprétation qu’en propose Telesterion. Il n’existe, même pas de nos jours, de doxa fixe. Le déroulé sera interprété au cours des siècles différemment par les anciens grecs eux-mêmes.  Plusieurs niveaux d’interprétations coexistent : niveau strictement historial, rituellique, religieux, mythologique, mythique, politique, poétique, philosophique, métaphysique. Souvent, selon l’élément déterminé expliqué l’on passe d’un niveau à un autre sans crier gare. De plus   plusieurs grades d’initiation sont proposés, même si celle-ci est ouverte à tous : hommes, femmes, esclaves. L’epoteia est le plus élevé, réservé à ceux qui possèdent de par leur savoir ou leurs fonctions politiques des connaissances culturelles étendues et qui sont capables d’atteindre à une abstraction intellectuelle élevée.

    Gathering : ( jour 1 ) : un peu comme l’ouverture d’un opéra, l’on pense à Lohengrin, chœurs célestes et tambourinades appuyées, des milliers de pieds foulent le sol, Demeter la terre et Zeus la divinité en tant que principe de connaissance. Cette intro est magnifique, somptueuse et grandiose malgré sa brièveté. Le premier jour des mystères est une procession publique. Elle part d’Eleusis et se rend à Athènes. Les mystagogues, ceux qui enseignent les mystes, candidats à l’initiation, portent précieusement des sacs ans lesquels sont cachés les objets sacrés qui seront utilisés lors des futurs rituels. To the sea : normalement les mystes passent le deuxième jour à l’abri invités par certains athéniens dans des demeures particulières, ils ne doivent pas sortir et prendre du repos car l’initiation exige une grande dépense d’énergie physique et psychique. Cette marche vers la mer est censée se passer le troisième jour, il semble que Telesterion tout en respectant le déroulement des initiations privilégie davantage certaines phases que le calendrier stricto sensu. Mais tout cela se discute, tout dépend des chercheurs dont on suit les résultats et les propositions. Un départ plein d’allant, une course précipitée pleine d’enthousiasme, pas une procession emplie de ferveur, les chœurs chantent et accompagnent le tempo rapide de la batterie, dès qu’il nous semble percevoir un léger essoufflement, un semblant de ralentissement, le déluge sonore reprend de l’ampleur, trois coups de batterie théâtrale, de grandes vagues sonores nous assaillent nous baignons dans une allégresse purificatrice. Les mystes vont se purifier dans la mer, pourquoi la mer et pas dans une eau non salée, à proprement parler ce n’est pas une lustration dans la mer mais dans la mer posidonienne. Dans son passé tumultueux Demeter a eu une liaison avec Poseidon. Demeter, Zeus, Poseidon, la terre, le feu, l’eau, cette union élémentale n’est point hasardeuse, nous y reviendrons. Hither the victims : musique lourde et pesante, les chœurs ne s’envolent pas vers les aigus, ils semblent épouser le lent rythme percussif, les guitares laissent échapper leur riff telle une flaque de sang qui s’étendrait lentement à même le sol. Après la purification par l’eau le sacrifice par le sang. La bête immolée par le myste est un pacte de reconnaissance de l’ordre divin et sacré. Les morts aiment à boire le sang des sacrifices, n’oublions pas que les mystères d’Eleusis touchent à la mort. L’animal propitiatoire est le cochon. On en trouve peu de représentations dans les diverses images qui nous sont parvenues de l’antiquité grecque. Songeons toutefois que de retour à Ithaque Ulysse est accueilli par Eumée le porcher, un des seuls qui lui soit resté fidèle. Demeter est une vieille déesse, ses toutes premières représentations la montrent sous forme d’un porc. Le lien entre Demeter déesse du blé et le cochon est évident : la nourriture. Festival : un moment essentiel, la batterie talonne le sol, les chœurs respirent une joyeuse espérance, c’est une procession imposante, une certaine solennité accompagne ce défilé : les mystes précédés par les mystagogues sous la direction de l’hiérophante qui dirigera l’accomplissement des rituels. Ils ne sont pas seuls, les prêtres et les prêtresses de nombreux temples athéniens, les autorités politiques de la cité, les cinq cents membres de la Boulé, et le peuple qui suit… lors du passage du pont qui relie la cité d’Athènes à Eleusis les mystes sont l’objet de moqueries et de brocarts divers. C’est le retour à Eleusis des objets sacrés qui ont été au premier jour des mystères emmenés à Athènes. Pilgrimage : bruits, confusion sonore, la batterie essaie de trouver sa place, nous sommes entrés dans le Telesterion, la grande salle aux quarante – deux colonnes dans laquelle évolue lentement la procession, seuls mystes et mystagogues sont entrés, les chants s’élèvent, est-ce l’Hymne à Demeter, la tonalité baisse d’un ton, sans doute a-t-on éteint les torches, l’hiérophante est devant, dans le noir la foule le suit, l’on passe brutalement de la nuit au jour, longs tâtonnements labyrinthiques, les statues des Dieux s’illuminent d’un coup, premier enseignement symbolique, la nuit de la mort épargne les Dieux, si vous ne voulez pas mourir rejoignez les Dieux. Reverly : musicalement ce morceau est dans la continuité du précédent mais le son s’alourdit, l’on arrive au moment crucial de la révélation, une prêtresse dévoile l’objet sacré par excellence, l’épi de blé, sans doute est-il en or, et d’une taille démesurée, mais l’on n’en reste pas là, l’épi est de nouveau voilé, sans doute les torches sont-elles masquées quelques secondes, lorsqu’elles réétincellent l’épi est  une nouvelle fois encore dévoilé, mais ce n’est pas l’épi qui apparaît mais un phallus qui se dresse. L’hiérophante et la prêtresse, sont-ils retirés dans une entrée de souterrain, miment ou exécutent le mariage hiérogamique de la déesse Demeter avec Poseidon et peut-être même avec Zeus dont elle a été l’amante… Il se peut qu’au tout début des mystères l’hiérophante ait été castré ou rendu impuissant par une dose de cigüe, comment un mortel aurait-il la prétention de pénétrer ne serait-ce qu’un substitut de déesse représentée par une prêtresse…  Nous sommes loin de l’histoire de la petite graine, l’enseignement ne se contente pas de ce qui est divulgué dans les Petits Mystères. Ici l’on aborde un sujet bien plus délicat, celui de l’union de l’être humain avec le divin. Certains lecteurs seront déçus, quoi les mystères, une simple partie de jambes en l’air au fond de la terre. L’origine des mystères d’Eleusis remontent à mille cinq cents ans avant notre heure. Sans doute l’histoire de la petite graine… fait-elle allusion au lointain moment de la préhistoire néolithique ou les tribus de chasseurs-cueilleurs se sont sédentarisées en agriculteurs-éleveurs à partir desquels ont été édifiées les premières cités. Cicéron ne dit pas autre chose…The descent : une guitare égrène des notes comme si elle frappait sur un gong, cette nudité sonore correspond à la déception ressentie par le myste durant l’initiation, tout a été dit, tout a été montré, et tout compte fait l’initié est-il vraiment différent, ne va-t-il pas mourir comme tous les hommes lorsque son tour viendra, n’a-t-il pas participé à un jeu de dupe, les chœurs consolateurs s’élèvent, oui tu mourras comme tous les autres, mais puisque tu as reçu l’initiation, tu es certain que lorsque tu mourras tu ne seras pas forcé de revenir sur terre pour essayer de trouver la lumière qui t’a été donnée par l’initiation. Le lecteur tant soit peu fûté estimera que le chrétien qui a reçu le baptême et l’absolution est censé monté directement au paradis. Ce n’est pas un hasard si les pères de l’Eglise ont abondamment commenté les mystères d’Eleusis. Il suffit d’y croire. Or les Grecs ne croyaient en rien. Ils préféraient penser. The search : la musique s’alourdit encore, mais commence à s’élever une crête lumineuse de notes plus claires tandis que les chœurs deviennent célébration, la batterie conquérante va de l’avant. Dans le commentaire du morceau précédent, le lecteur aura remarqué que l’on est passé de la simple description explicative des mystères à une allusion à la pensée de Platon quant à la survie de l’âme immortelle obligée de se réincarner dans un autre corps en espérant que cette nouvelle enveloppe charnelle lui permettra de vivre une vie de haute sagesse, non engluée en les passions humaines, trop humaines c’est-à-dire mortelles, et que cette âme pourra alors entrer en contact avec le monde divin… Le myste ne peut entrevoir cela qu’en comptant sur lui-même. L’initiation est une ouverture, un dévoilement, qu’il s’agit de concrétiser par soi-même en soi-même. The ascent : le titre précédent évoque cette ascension de l’âme tels que l’ont décrite dans la suite de Platon les derniers philosophes païens, Julien, Plotin, Proclus. Il ne s’agit pas d’atteindre le divin en se projetant hors de soi mais en réalisant la graine de volonté de divin qui est en nous. Qui a toutes les chances de se désagréger si nous ne réalisons pas cet accès au divin. Les gnostiques l’ont tenté, Nietzsche à la suite de Goethe parlera de surhumanité qui ne peut être accomplie que par l’éternel retour de la volonté de son propre désir. La fin d’Epoteia est magnifique. Elle ne culmine pas en une apothéose grandiloquente. Elle s’arrête pour que chacun puisse en écrire la suite.         

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               Notre commentaire n’est qu’une lecture possible parmi tant d’autres. Sans doute ne correspond-elle pas à celle souhaitée par Telesterion. Elle n’est qu’une approche. Nous avons par exemple omis la relation Perséphone-Demeter que nous avons déjà développée en d’autres chroniques. Nous avons aussi passé sous silence la probable influence des mythes et des religions égyptiennes sur Eleusis. Le couple Isis-Osiris n’est-il pas à mettre en relation avec le couple pour ainsi dire en filigrane Demeter-Dionysos. De même malgré la présence du tableau de Charles Gleyre nous ne nous sommes pas aventurés sur les relations Demeter-Orphée-Dionysos. Nous explorerons cette triade en une autre occasion. Le lecteur qui désirerait en savoir plus peut déjà lire les deux tomes de Les mythes grecs de Robert Graves qui conte l’occultation dorienne des lieux sacrés de la Grande Déesse…

                Avec Epoteia et les quatre opus qui l’ont précédé, Telesterion a acquis parmi les groupes de metal une place à part qui attire de plus en plus de curieux…

    Damie Chad. 

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 576 : KR'TNT 576 : ROBERT GORDON / BOBBY CHARLES / JIMI HENDRIX / MERRY CLAYTON / LEO BUD WELCH / BURNING SISTER / THOU SHALL SEE / LIQUID MAZE / ROCKAMBOLESQUES

     KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 576

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    24 / 11 / 2022

     ROBERT GORDON / BOBBY CHARLES

    JIMI HENDRIX / MERRY CLAYTON

    LEO BUD WELCH / BURNING SISTER 

    THOU SHALL SEE / LIQUID MAZE

     ROCKAMBOLESQUES

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 576

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    Le Gordon ombilical - Part Two

     

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             Tous les fans de rockab respectaient Robert Gordon, pas seulement parce qu’il fut l’un des géants du revival rockab des années 80, mais aussi et surtout parce qu’il s’est associé avec trois des plus grands guitaristes du XXe siècle : Link Wray, Danny Gatton et Chris Spedding. Robert le crack vient de casser sa pipe en bois, aussi allons-nous lui rendre un modeste hommage, comme toujours, avec les moyens du bord. 

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             Bizarrement, Robert le crack répondait aux questions de Mark McStea dans le Record Collector daté de novembre, sans doute son ultime interview. Oh, pas grand chose, juste une page. Robert le crack a beau être un immense artiste, on ne lui a jamais accordé des dix/douze pages qu’on accorde ces temps-ci à Robert Fripp ou à Paul Weller. L’interview est en fait une petite promo pour Rockabilly For Life, un album de duos paru en 2020 sur Cleopatra, un excellent label.

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             Fantastique album, en fait c’est le chant du cygne de Robert le crack. Tu veux du rockab chanté par un crack ? Alors écoute «Steady With Betty» ! Robert le crack taille la route avec Williamson, mais c’est Robert le meilleur, même si cette vieille carne de Williamson fait son cirque. Tu veux des coups de génie ? Tu en as trois, à commencer par «Let’s Go Baby», avec Sped, c’mon baby let’s go ! Robert le crack redevient le roi du monde pour trois minutes, il roule des hanches et du bop in it, ça coule de source et ça coulisse comme une bite dans la culasse, il y rajoute des wanna go home et ça donne une fabuleuse merveille. La bombe des bombes, c’est sa version de «Please Give Me Something», il duette avec Kathy Valentine, il tape dans le saint des saints, il le chante de l’abdo, ah le puissant seigneur ! Il te l’accroche au punch-up de tomorrow night. Tav Falco adorait aussi ce classique rampant qui est l’un des hits les plus dévastateurs du XXe siècle. Robert le crack te le groove sous le boisseau d’argent. Troisième alerte rouge avec le «Knock Three Times» de fin d’album. Cette fois, il duette avec Steve Cropper, c’est un heavy blues amené au revienzy de non-retour. Robert le crack + Crop, ça donne du béton armé. Pas de pire power que la conjonction de ces deux bétons à deux pattes, knock three time and come in, Crop joue dans l’effroi du beffroi et Robert le crack te filoche ça au fil d’argent, sa voix virevolte dans les effluves de l’extrémisme légendaire, c’mon in ! Comme on est à la fête aux duos, alors on accueille à bras ouvert «She Will Come Back». Il y duette avec Linda Gail Lewis, c’est-à-dire la sister du hellfire, ça donne un résultat puissant et bienvenu, tu plonges immédiatement dans le bénitier de la bella vista, et quand Linda Gail duette, elle duette, elle ramène toute la niaque de la Bible Belt. Autre duo de choc : «One Cup Of Coffee» avec Joe Louis Walker. Hot as hell ! Derrière Robert le crack, ça prend feu ! Le vieux Joe joue comme un dieu, mais dans cet environnement, ça prend du volume. Robert le crack fait encore un numéro de cirque avec «If You Want It Enough», oui, il te swingue ça de haut. Tous les duos sont superbes, on sort ravi de cet album. Robert le crack ne pouvait que finir en beauté.

             Dans l’interview, il évoque ses début dans les Tuff Darts à New York, oh non, il n’aimait pas les chansons des Tuff Darts - I didn’t like the negativity and the lyrics didn’t work for me. I wanted to sing rock’n’roll, I mean REAL rock and roll - Pour éclairer la lanterne de McStea il explique comment s’est fait le rapprochement avec Link Wray : c’est tout bête. Il en parle à son producteur, Richard Gottehrer - Oh j’aime beaucoup Link Wray et j’aimerais bien travailler avec lui - et pouf, Gottehrer localise le Linkster et le contacte. On connaît la suite. Tout le détail de cette suite se trouve dans le Part One, quelque part en 2018. Robert le crack insiste sur un point capital : «We were never straight rockabilly anyway. We played it with a New York punk edge.» Rusé comme un renard, McStea demande à Robert le crack s’il reste des inédits datant de cette époque. Robert le crack hausse les sourcils :

             — Je ne pense pas qu’il en reste encore. J’ai réussi à choper des enregistrements live inédits datant de 77 et 78 que j’ai fait paraître en 2020. Ce sont les deux CDs The First National Tour et The Last Tour. Ils ont réveillé de très grands souvenirs et le son de Link là-dessus is just phenomenal. On y trouve aussi des cuts qu’on a jamais enregistrés en studio.

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             Le petit conseil qu’on pourrait donner à la fois aux fans de Robert le crack, à ceux de Link Wray et à tous les ceusses qui apprécient les grands disques live, serait de mettre le grappin sur ces deux albums. Car quel cirque ! Tout est explosif, là-dessus, on n’avait encore jamais entendu Link Wray sonner comme ça. Real wild cat ! Dès «Twenty Flight Rock», Linkster explose le préambule du vestibule. Boom ! Ça continue avec l’une des meilleures versions de «The Way I Walk» jamais enregistrées. Robert le crack reprend la main avec «I Sure Miss You», il y fait son Elvis, il en a les moyens et Linkster lâche sa vieille bombe : «Rumble» ! Boom ! Puis ils explosent tous les deux le vieux hit de Jimmy Reed, «Baby What You Want Me To Do». On note chez Linkster une fâcheuse tendance à voler le show. Il surjoue en permanence. Plus loin, ils lâchent une nouvelle bombe, «Baby Let’s Play House», Robert le crack y va au hiccup et ça bascule dans la folie. Même chose pour leur version de «Lawdy Miss Clawdy». On peut même considérer leur version de «Boppin’ The Blues» comme l’un des sommets d’un art qu’on appelle le rockab. C’est du hard rockab, comme l’est cette version effarante de «Flyin’ Saucer Rock’n’roll».

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             The Last Tour est enregistré en Allemagne. Attention, c’est un double CD. Tout est bien là-dessus. Absolument tout ! On retrouve bien sûr les mêmes standards («Rock Therapy», «The Way I Walk» et un «Twenty Flight Rock» joué à la folie Méricourt). Il jouent «Heartbreak Hotel» à l’ultimate et tapent un «Lonesome Train (On A Lonesome Track)» wild as fuck. Linkster joue de l’émulsion de la congestion. À l’entendre, on croit qu’il implose. Et comme dans chaque show, Robert le crack sort fumer sa clope pendant que Linkster joue ses killah tunes «Rumble» et «Rawhide» au maximum overdrive. Il faut aussi l’entendre amener «Flying Saucer Rock’n’roll» à la sirène d’extra-alarme, ou encore taper «Baby Let’s Play House» à la cocote sauvage. On retrouve «Baby What You Want Me To Do», encore plus heavy as hell qu’avant, Linkster joue dans tous les coins, il va chercher les notes de la folie. Ils rendent aussi hommage à Gene Vincent avec une version démente de «Be-Bop A Lula», Linkster gratte comme un con, il dévaste les cuts les uns après les autres («Endless Sleep», «(You’re So Square) Baby I Don’t Care») et tout explose à nouveau avec «Lonesome Train (On A Loneome Track)». La qualité du set dépasse les bornes du jeu des mille bornes. On retrouve encore tout ce saint-fruquin sur le disk 2, ça démarre sur l’I don’t need a doctor de «Rock Therapy», Robert le crack veut juste a rock therapy et derrière, tu as le Linkster dans un nuage de fumée. Il bascule littéralement dans la folie. Apocalyptic ! Comme on approche de la fin de l’aventure Robert Gordon/Link Wray, Linkster passe à la vitesse supérieure et attaque «The Way I Walk» à la réverb furibarde. On n’avait encore jamais entendu un truc pareil ! Robert le crack ne peut pas en placer une, l’indien Linkster fond comme l’aigle royal sur le rock’n’roll, tu n’as même pas le temps de réaliser, il est déjà reparti dans des virevoltes. Il fout ensuite une pression terrible sur «Mystery Train» et bien sûr, ils enchaînent avec le «Lonesome Train», puis ça bascule dans l’horreur sonique avec «I Sure Miss You», qui est censé être calme, mais non, Linkster en décide autrement. Il veut l’enfer sur la terre. On sent bien que ces sessions allemandes sont des sessions historiques. Linkster dévore tout cru le pauvre «Baby What You Want Me To Do». On ne peut pas imaginer plus bel hommage à Jimmy Reed. Robert le crack allume «(You’re So Square) Baby I Don’t Care», avec bien sûr l’autre fou de Linkster dans l’angle qui repart en vrille. Il ne fait que ça, de la vrille. Leur version de «Wild Wild Woman» est de la folie pure, c’est insoutenable de grandeur, ça dégouline d’intrinsèque, Linkster joue à la cisaille extrême, la pire qui soit. Encore du wild rockab supernova avec «Baby Let’s Play House», Robert le crack joue la meilleure carte, celle de la rockab madness et tu peux faire confiance à Linkster, il va te jeter de l’huile sur le feu. Ils s’envolent tous les deux comme des vampires dans le ciel noir de «Sea Cruise» et Linkster démolit tout dans «Red Hot». Il tape dans le mur du son et l’écroule. On le voit physiquement se barrer dans tous les sens. Les trois derniers cuts sont the last recordings de ce duo mythique : «Lonesome Train (On A Lonesome Track)», «The Way I Walk» et «I Sure Mis You». Véritable chaudron des enfers. Cette triplette de Bellville est l’une des plus sauvages de tous les temps. Le génie combiné de Robert le crack et de Linkster bat tous les records.

             C’est en 1979 que Robert le crack s’acoquine avec Chris Spedding. Linkster souhaitait faire son truc de son côté, alors adios Link, hello Sped.

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             On ressort enfin les enregistrements live de Robert Gordon & Chris Spedding. Rien qu’avec la pochette de Tear Up The House, c’est dans la poche : Robert Gordon se coiffe et Chris Spedding, tout décoiffé, fixe l’objectif avec la morgue d’un dieu vivant. On est tout de suite frappé par le génie vocal de Robert le crack dans «Mess Of Blues». On croit entendre Elvis. Robert le crack groove Elvis jusqu’à l’oss de l’ass, avec le même genre de power, c’est stupéfiant. Pareil avec «I Beg For You», «Little Sister» et «Don’t Be Cruel». C’est du pur jus d’Elvis. Ils développent un shuffle de locomotive avec «Heart Like A Rock». Sped devient le Mécano de la Générale. Robert le crack shake ça à la lourde et Sped le suit. C’est une merveille absolue de déroulé, avec des relances à coups d’oh oh oh qui dépassent l’entendement. Avec «Don’t Leave Me Now», Robert le crack se transforme en fantastique bouffeur d’écran. Il arrache chaque fois la victoire à la force du poignet. Leur version de «The Way I Walk» est aussi une merveilleuse conjonction de big singer et de big cocoteur. Ils terminent le live 2008 avec «Red Hot», le cheval de bataille du Memphis bop. Robert le crack le chante à la cavalcade, avec ce démon de Sped in tow. Le deuxième live est encore plus spectaculaire. Ils démarrent avec un «Blue Moon Of Kentucky» assez explosif, Robert le crack tear up the house, comme l’indique la pochette. Il ne perd pas de temps avec les détails. Il taille la route et Sped fait son Scotty. Encore une extraordinaire combinaison cut + guitar + voice : «I Love My Baby». Sped speede sa chique. Il joue partout. Il brûle toutes les politesses. Et puis voilà l’hommage mythique à Gene Vincent : «The Catman». Sped l’allume à coups de sonneries insensées - Rock rockabilly rebe/ I sure miss you - Ils cavalent leur «Gunfight» à la tagada-tagada et explosent ensuite «Lonesome Train». Les voilà propulsés au sommet de l’art rockab, avec tout le génie du gratté de Sped et la niaque imbattable de Robert le crack. Ils restent dans les transports ferroviaires avec «Mystery Train». Sped le prend à la cocote suprême et une certaine violence dans la prestance, c’est affolant de train arrives. On les voit aussi taper une version musclée de «Lonely Weekend». Il n’existe pas sur cette terre de meilleur hommage à Charlie Rich ! Sped le riffe dans le lard de la matière et Robert le crack le chante à la sérieuse convertie. Quelle fantastique énergie américaine !

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             Puis il faut voir et revoir le Rockin’ The Paradiso, un Last Call paru en 2006. Le répertoire n’a plus rien à voir avec celui du temps de Linkster, c’est plus orienté sur Elvis, beaucoup moins explosif. Robert le crack est un gros pépère, mais sa présence est immédiate. Sped est aussi un vieux pépère, mais un vieux pépère affûté, ils démarrent tout de même sur «The Way I Walk». Sped reste aux aguets en permanence, la lèvre inférieure en avant. Quel fabuleux oiseau de proie, il joue du sur-mesure, il est dessus, comme l’aigle sur la belette. Il joue un peu en mitoyen. Quel spectacle ! Sped l’affûté et Robert le massif, un massif qui recherche en permanence la perfection au chant, il n’en finit plus de jeter tout son poids dans la balance, il est on fire pour «Lonely Weekends». Sped fait quatre cuts en solo, dont le fameux «Guitar Jamboree» où il imite tous les géants, Jimi Hendrix, Pete Townshend, Jeff Beck, Leslie West et quand il claque un bout de «Sunshine Of Your Love», il cite jack Bruce, pas Clapton. Puis Robert le crack revient pour des covers de «Bad Boy» (Marty Wilde) et «Little Boy Sad». Ce n’est pas un hasard si un guitariste aussi brillant que Sped accompagne Robert le crack. Conjonction extraordinaire de deux très grands artistes. Ah il faut les voir taper un «Bertha Lou» bien rampant et rendre un fabuleux hommage à Johnny Burnette avec «Rockabilly Boogie» !

             Retour à l’interview. Badin, McStea émet l’hypothèse suivante :

             — Vous avez sans doute rencontré pas mal de légendes du rock’n’roll. Any standouts ?

             — Billy Lee Riley was a riot. On a chanté «Red Hot» tous le deux à Green Bay. Et Frankie Ford was a real sweetheart. On a duetté ensemble sur «Sea Cuise», et ces deux hits se trouvent sur mes deux premiers albums.

             McStea veut en savoir plus. Il demande à Robert le crack quels sont ses meilleurs souvenirs.

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             — Too many to mention, man. J’ai juste eu beaucoup de chance. J’ai toujours pu travailler et j’ai rencontré des tonnes de great people, fans and musicians along the way. Je suis très fier de tous les albums que j’ai pu enregistrer over the years, mon préféré est I’m Coming Home qui date de 2014, enregistré à Nashville, et je suis particulièrement excité par le dernier album, Rockabilly For Life. On l’a enregistré au Texas.

             Et quand McStea lui demande ce qu’il écoute aujourd’hui, Robert le crack répond George Jones, Conway Twitty et Johnny Cash. Et puis il dit adorer Frank Sinatra, «the greatest singer ever. His timing and his phrasing are unbelievable. J’aimerais tellement enregistrer un album de ses chansons avec un orchestra. I bet it would sound great.»

             Adios amigo.

    Signé : Cazengler, Robert Gourdin

    Le Gordon ombilical - Part Two

    Robert Gordon. Disparu le 18 octobre 2022

    Robert Gordon & Chris Spedding. Tear Up The House. Sunset Blvd Records 2019

    Robert Gordon & Link Wray. The Last Tour. Growling Guitar 2019 

    Robert Gordon & Link Wray. The First Nationwide Tour. Growling Guitar 2019

    Robert Gordon. Rockabilly For Life. Cleopatra Records 2020

    Robert Gordon & Chris Spedding. Rockin’ The Paradiso. Last Call Records 2006

    Mark McStea : 33 1/3 minutes with Robert Gordon. Record Collector #537 - November 2022

     

     

    Tu parles Charles

     

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             Dans le petit booklet qui accompagne Wish You Were Here Right Now, Colin Escot commence ainsi son superbe portait de Bobby Charles : «It’s Bobby Charles’ personal preference to be in the background.» Bobby préfère la discrétion. Puis pour bien situer les choses, Escot cite les principaux hits composés par Bobby Charles : «See You Later Alligator», «Walking To New Orleans», «But I Do», «The Jealous Kind» et «Before I Grow Too Old». Selon Escot, Bobby Charles est un grand timide, un Cajun de Louisiane qui a grandi en parlant le Français autour d’Abbeville, Louisiana, où il a vu le jour. Puis ado, il voit Fatsy, Lloyd Price et Guitar Slim dans des juke joints. Quand il compose «See You Later Alligator», il est signé par Chess. Mais il refuse de partir en tournée. No way. 

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             Wish You Were Here Right Now est donc l’album idéal pour entrer dans le monde magique de Bobby Charles. Il y chante tous ses hits et reçoit des invités de marque, le plus important étant Fatsy sur «Walking To New Orleans». On a là du mythe à l’état pur, avec des cuivres, et tous ces mecs repavent le chemin de Damas, avec un solo de tiguili de Tommy Moran, un solo de sax de Jon Smith, et Fatsy arrive pour la lutte finale. Un autre invité de marque : Neil Young qui se pointe avec cette guitare Martin de 1928 ayant appartenu à Hank Williams. Le vieux Young arrive dans un environnement musical très purifié pour chanter «I Want To be The One» avec Bobby. Willie Nelson duette avec Bobby sur «I Remember When», mais c’est trop country, on perd le New Orleans qu’on retrouve par contre dans «The Mardi Gras Song» et les filles sont folles ! Et tu as en prime Sonny Landreth on guitar ! Ça joue à la folie. On retrouve l’excellent Sonny Landreth dans «The Jealous Kind», il joue avec une finesse qui en bouche un coin. Bobby traîne son Americana dans les limbes du swamp et il enchaîne avec du pur jus de New Orleans, «See You Later Alligator», une belle usine à rythme. Avec «I Don’t See me», il fait du heavy cajun de la frontière, il te fait tourner la tête, Willie Nelson et Neil Young grattent les grattes du paradis. Encore une ambiance de rêve avec le morceau titre, salué aux trompettes mariachi et percé en plein cœur par un solo d’une pureté cristalline. Bobby Charles cultive la pureté, qu’on se le dise.

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             Dans son fantastique Rhythm And Blues In New Orleans, John Broven consacre trois pages à Bobby. Il commence par rappeler que Bobby fut le premier white kid à percer sur la scène de New Orleans - The sound was New Orleans R&B with a Cajun feel, known now as swamp pop

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    Dans un autre Broven book plus ancien, South To Louisana - The Music Of The Cajun Bayous, Bobby donne tous les détails de son démarrage dans le music biz : «J’avais joué dans un high school dance in Crowley et un mec nommé Charles Redlich qu’on surnommait Dago avait un record shop. Leonard Chess était passé le voir. Leonard was a hustler. Il voyageait dans le Sud et enregistrait les gens dans les champs de coton avec un petit magneto. Il est passé à Crowley pour la promo de son label et a dit à Dago de lui passer un coup de fil si jamais il repérait un bon coup. Quand Dago m’a vu, il a passé un coup de fil à Leonard. Ça a démarré comme ça.» Bobby dit aussi que les gens de Chess l’ont signé parce qu’ils pensaient qu’il était noir - Quand je suis descendu de l’avion, ils étaient un peu surpris - Mais Bobby dit qu’ensuite ça s’est bien passé. Son «Later Alligator» sort sur Chess, mais il est balayé par la version de Bill Haley and His Comets qui en font le fameux «See You Later Alligator». D’ailleurs, les premières photos de Bobby nous le montrent avec «a Haley-type kiss curl» pendouillant sur son front. Broven rappelle que Bobby fait partie de la vague swamp pop de 1958-1961 qui comprend aussi Jimmy Clanton, Rod Bernard, Phil Phillips, Johnnie Allan, Jivin’ Gene et Joe Barry. Boven n’y va pas de main morte. Rappelons au passage qu’Ace a aussi la main lourde sur le swamp, avec ses fabuleuses séries Rhythm’n’Bluesin’ By The Bayou, Bluesin’ By The Bayou, Swamp Pop By The Bayou et Boppin’ By The Bayou. Attiré par l’appât du gain, c’est-à-dire le publishing, Lew Chudd signe Bobby sur Imperial. Il bosse alors avec Dave Bartholomew qui n’est pas habitué à bosser avec des petits culs blancs comme Bobby. Pour rigoler, Bobby menace Bartho de l’emmener avec lui en tournée s’il ne se montre pas plus gentil. Bartho éclate rire ! La glace est brisée. Après ça, ils s’entendent bien. Bobby compose l’excellent «Before I Grow Too Old» que va reprendre Fatsy. Il compose aussi «But I Do» pour Clarence Frogman Henry, un autre géant local. En composant pour Imperial, Bobby se fait rouler car il ne reçoit rien sur le publishing. Ce sont les pratiques de l’époque, il se dit cependant fier d’avoir composé pour Fatsy. Broven dit aussi que Bobby préférait vivre à l’écart dans son Bayou, avec un petit alligator domestiqué appelé Gabon. 

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             La compile Walking To New Orleans - The Jewel & Paula Recordings 1964-65 ressemble comme deux gouttes d’eau à un passage obligé. Jewel et Paula sont les deux labels de Stan Lewis, un disquaire basé à Shreveport en Louisiane. Il possède aussi Ronn Records, le label sur lequel enregistre Ted Taylor. «Ain’t Misbehaving» est du pur jus de New Orleans, on se croirait chez Fatsy, même dynamique et mêmes magical tricks round the corner. Bobby chante comme un black. Sa cover de «Walking To New Orleans» est un chef-d’œuvre intemporel - New Orleans is my home - et «See You Later Alligator» reste d’une incroyable modernité, il ramène tout le power du New Orleans Sound, diction géniale et power du beat, wild solo et you know my love is just for you ! Il fait aussi du rockab de Louisiane avec «The Walk», ce démon de Bobby peut ramener toute la folie du rockab dans son vieux juke vermoulu. Il chante déjà comme une rock star. Il tape une fabuleuse cover de «Good Night Irene» - I’ll see you in my dreams - Il groove Leadbelly ! Il tape aussi un «Oh Lonesome Me» avec des chœurs pubères, la fraîcheur de son Lonesome Me est un modèle du genre. Il passe à tous les coups, comme le montre encore «The Jealous Kind» - You must forgive me/ For the way I act

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             Le premier album sans titre de Bobby Charles paru sur Bearsville en 1972 bénéficie d’une bonne réputation. Une réputation qui frise même un peu le gros culte. Sans doute à cause d’«I Must Be In A Good Place Now». Bobby s’inscrit d’office dans la catégorie des meilleurs good day fishers/ Until the sunset in the hills, c’est un perdant magnifique, un expert en dérive, un débiteur de grooves fabuleux, il crée l’endroit comme le faisait Tony Joe White. Il cultive son Americana cajun avec «I’m That Way» et son «Tennessee Blues» vaut pour un vrai blues de cabane pourrie du bayou. Il attaque son album en parfait Louisianais, avec un «Street People» au son spongieux, une régalade. C’est du rock de cabane abandonnée, une vraie merveille pour les amateurs de Deep South. Avec «Losing Face», on retrouve certaines ambiances à la Doctor John. C’est un vieux boogie privé d’espoir. C’est bien que Bobby Charles soit condamné aux ténèbres, ça le sauve. Le vieux son le sauve. Il amène «All The Money» au petit gospel de Bayou - He got all the whisky - Il crée son monde - He got all the women - Il fait du profil bas, là où les autres se croient malins à vouloir faire du profil haut. Ses chansons sont fines, mais elles ne passent pas inaperçues. Elles rôdent dans l’inconscient collectif. Bobby est un mec calme, avec lui, les choses se posent. Puis voilà «Grow Too Old» qui fait planer la country par-dessus sa légende et c’est bien vu.   

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             Sur la pochette de Clean Water, Bobby Charles est peint dans le bayou avec guitare, sa femme et son fils. Cette petite peinture figurative donne bien le ton : album serein, placé sous l’égide du groove de «But I Do», qu’il fait au round midnite avec une stand-up et un gratté léger d’acou manouche. Bobby Charles se s’enferme pas dans la musique Cajun, même s’il ouvre son balda avec «Lil’ Cajun». Puis il fait comme Mickey Newbury, il gratte du heavy balladif pour chanter la fin d’une relation («Secrets») - How much longer can I take it - Avec «Cowboys + Indians», il donne une leçon d’histoire - The Indians had to move away/ They had to change their way - Mais c’est en B que se planquent les hits, à commencer par «Eyes», une Beautiful Song qui donne du temps au temps - And the only thing/ Is to find inside/ For a love that just won’t die - Il cultive les élans romantiques superbes. Avec «Lil Sister», il développe une fantastique musicalité, il a du monde derrière lui, des cuivres énormes, du piano et un big bassmatic. «Party Town» est du pur jus de la Nouvelle Orleans - New Orleans is party town ! - Il va le chercher au good time roll, il y a tout, même les clarinettes. Il termine en français avec «Le (sic) Champs Élysee (sic)» - Les femmes sont jolies/ Sur le Champs Élysee/ Ils vous donnent des envies - Il crée de la poésie avec un accordéon à la Kosma, c’est toute la différence avec le Champs Élysées de Joe Dassin. Bobby Charles en fait une merveille - Vive le bon temps/ Sur le Champs Élysée - et il repart de plus belle - L’amour c’est une fleur/ Sur le Champs Élysee/ L’amour vient du cœur/ Sur le Champs Élysee/ L’amour c’est la vie/ Sur le Champs Élysee - On le croit sur parole.

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             Bobby a soixante balais quand il enregistre Secrets Of My Heart. On y retrouve son fameux «Le Champs Élysée (sic)», avec les femmes sont jolies et les la la la, vive le bon temps sur le Champs Élysée. On y retrouve aussi Fatsy dans «Happy Birthday Fats Domino» - You and your music/ Touched my heart and soul - Cut mythique une fois de plus, pur jus de pureté d’intention, ils ramènent tout, les clarinettes du jazz New Orleans, les chœurs de filles, c’est énorme ! Avec «Angel Eyes», il touille du Mariachi, Bobby sonne comme Doug Sahm, la même classe, il a derrière lui les cracks de la frontière, dont Sonny Landreth. Il revient ensuite à son cher piano bar de round midnite avec «But I Do» - I don’ know why I love you/ But I do - Et là tu tombes sur l’un de ces solos de jazz guitar qui font rêver. On voit Bobby se fondre plus loin dans l’émeraude d’un lagon nommé «I Don’t Want To Know» et Wayne Jackson vient souffler dans ses horns pour «Party Town». Bobby prend «Why Are People Like That» au doux du menton, servi par un bassmatic bien spongieux et des cuivres rutilants. Tout est beau sur cet album, il repart chercher la beauté dans «You», il possède un sens aigu de la belle aventure - I close my eyes/ You’re everywhere I turn - Beautiful Song ! Avec «I Can’t Quit You», il tape dans les fastes du New Orleans Sound et de quit drinkin’, quit smokin’, but not you

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             L’un des meilleurs investissements que tu peux faire aujourd’hui, c’est Last Train To Memphis, un double CD bourré à craquer de Bobby Charles. Ça part en trombe avec un morceau titre, un joli shuffle rock Cajun chanté à la chaleur de la joue ronde, exactement à la manière de Fatsy.  Si tu en pinces pour le son Cajun, alors tu vas bicher avec «The Legend Of Jolie Blonde» et «Full Moon On The Bayou», où tu peux entendre Willie Nelson et Neil Young, avec en plus Clarence Frogman Henry au piano. Un enchantement ! On retrouve aussi l’excellent Sonny Landreth sur «I Spent All My Money Loving You». Bobby fait de la Soul de pop avec «I Wonder» et on retrouve Eddie Hinton on guitar sur «Everyday». Bobby développe sa mélodie chant de façon spectaculaire. Nouvelle invitée de marque : Maria Muldaur sur «Homesick Blues», grosse ambiance, mais ça monte encore d’un cran avec «Forever And Always», Sonny Landreth y fait des miracles - And there’s nothing I can do/ To change my feelings for you - Bobby chante avec une chaleur de ton unique. Encore un invité de choix avec Dan Penn sur «Sing», Spoon est à l’orgue, et on peut dire que c’est mille fois moins putassier que les derniers albums de Dion qui lui aussi invite à tours de bras. Bobby boucle l’album avec une belle version de «See You Later Alligator», du pur jus de New Orleans, Bobby chante à l’arrache de la légende, il rejoint Fatsy au firmament de la Nouvelle Orleans. Tu ne peux pas rêver mieux, plus pur, et ce solo de sax ! Sur le CD bonus, tu vas retrouver tous les hits, «Angel Eyes», «But I Do», «Walking To New Orleans», «Party Town», il est aussi bon que Dr John sur «Not Really Yet», et puis tu as aussi ce fantastique balladif, «I Remember When», et ce shoot de son Cajun qui s’appelle «I Don’t See Me», c’est une sorte de Best Of imparable. Tout est beau là-dessus. 

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             Paru en 2008, Homemade Songs grouille de choses connues comme «But I Do», «Cowboys & Indians» (chanson politique par excellence), «The Mardi Gras Song» (pur jus de New Orleans), mais tu as d’autres merveilles comme «The Football Blues», où Bobby chante comme son héros Fatsy. Il fait aussi du heavy blues avec «Queen Bee». «Pick Of The Litter» est plus country, il chante avec une retenue qui tourne au génie de fin de soirée. Il amène son morceau titre au piano et il redevient supérieur à tout, le temps d’une chanson, sa mélodie balaye l’océan, c’est stupéfiant de classe, il a cette ampleur. Avec «The Truth Will Set You Free», il annonce la couleur : promises/promises, c’est du vieux revienzy de bonne guerre, du traditionnel bump on down the road. Le voilà qui se lance dans le heavy Bobby avec «Always Been A Gambler», ooh what a mess/ What a mess, il sent que et requeque. Il reste dans la qualité supérieure de la présence intrinsèque, il débouche enfin dans l’échelon supérieur de l’Americana. Il continue de cultiver la puissance avec le big raw d’«How I Go Again», tout est beau ici-bas et ça se termine avec une petite fête au village, «Sweep ‘Em».      

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             Timeless est un album dedicated to Fats Domino. D’ailleurs, ça démarre avec le vieux «Happy Birthday Fats Domino», il le fait dans les règles du lard fumant, c’est bien que des mecs comme Bobby rendent hommage à Fatsy, et tu as Derek Trucks on lead. Bobby chante «Where Did All The Love Go» à la manière de Fatsy, bien dans la mélasse du New Orleans Sound qui encore une fois est un son à part en Amérique. Il drive «Clash Of Cultures» au groove des îles, c’est sa mesure, le slow groove un peu gras et tiède, il te le chante à l’haleine chaude, il est infiniment proche de toi. On retrouve Dr John à l’orgue dans «Little Town Tramp». Comme Dan Penn, Bobby Charles est un roi du soft rock. Sonny Landreth est aussi de retour sur «Nobody’s Fault But My Own». Seul Bobby est capable d’aller se traîner ainsi dans la gadouille du swamp. Ce sont les chœurs de filles qui amènent l’excellent «Rollin’ Round Heaven». Notre vieux Bobby s’étale dans un lit de roses, il chante à la rose éclose de filles en chaleur, elles sont complètement hystériques. Avec Bobby, il faut rester prudent. Il revient enfin à son heavy balladif de hamac avec «You’ll Always Live Inside Of Me», il adore se balancer dans la chaleur du swamp, juste au-dessus des alligators.

    Signé : Cazengler, Bobby Chasse (d’eau)

    Bobby Charles. Bobby Charles. Bearsville 1972 

    Bobby Charles. Clean Water. Zensor 1987 

    Bobby Charles. Wish You Were Here Right Now. Rice ‘N’ Gravy Records 1995  

    Bobby Charles. Secrets Of My Heart. Third Venture Records 1998   

    Bobby Charles. Last Train To Memphis. Rice ‘N’ Gravy Records 2003 

    Bobby Charles. Homemade Songs. Rice ‘N’ Gravy Records 2008    

    Bobby Charles. Timeless. Rice ‘N’ Gravy Records 2010

    Bobby Charles. Walking To New Orleans. The Jewel & Paula Recordings 1964-65. Westside 2000

    John Boven. Rhythm And Blues In New Orleans. Pelican Publishing Company 2016

    John Boven. South To Louisana. The Music Of The Cajun Bayous. Pelican Publishing Company 1987

     

     

    Wizards & True Stars

    - HendriX file (Part One)

     

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             Ce n’est qu’une hypothèse : il se pourrait bien que Jimi Hendrix soit le personnage le plus iconique de la culture rock. Au sens propre de l’expression, car il est merveilleusement facile à dessiner. On ne dessine pas un visage, mais un symbole. Et pas seulement le symbole de la culture rock, mais celui plus pointu du fameux sex & drugs & rock’n’roll, l’essence même de ton réservoir. Let me stand next to your fire ! Jimi boom, dès 1966, au hit-parade, juste derrière la petite grille du transistor à piles, tu as ce mec, on ne sait pas d’où il sort, qui se balade avec un flingue et qui annone gonna shoot my old lady co’ I saw her messin’ round with another man d’une voix si sourde qu’elle résonne en toi, alors tu fais comme lui, tu entres en osmose avec le mimétisme et tu erres comme une âme en peine, et tu vas en découvrir d’autres, And I’m trying to get on the other side of town, ta caboche d’ado boutonneux reçoit de savoureuses rasades d’électrochocs cosmiques, Will I live tomorrow? Well I just can’t say, au fond de ta grotte, tu viens de découvrir un dieu et tu lui sacrifies ta vie à coups de silex dans les poignets, et lorsque tu es enfin vidé de ton sang, tu comprends tout. Have you ever been experienced?

             Jimi Hendrix. Pas seulement iconique. Attachant, il devient ton deuxième meilleur ami. Aussitôt 1967. Tu passes tes soirées avec lui, tu viens de choper l’album, alors il te pose chaque soir la même question :Have you ever been experienced? Il t’ouvre à la vie, mais pas n’importe quelle vie, la vie sauvage. Tu dois te tuer pour renaître, Manic depression is searching my soul, tu n’entres pas dans un album, mais dans la tombe d’un prince, une tombe en forme de palais, over yonder, et tu sais que tu ne vis pas ta vie, Feel like I’m sitting at the bottom of a grave, tu vis ton rêve, il devient réalité, May I land my kinky machine?, tu t’arranges pour voler quand même, t’as pas de sous, alors tu te shootes à l’éther, Secret Oh secret, et après avoir voyagé autour de ta piaule pendant des années-lumière, tu reviens à l’essentiel, oooooh Foxy, I want to take you home, yeah

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             C’est à Mick Wall que revient l’honneur de pratiquer un peu plus d’un siècle après Rimbaud l’art suprême du bouleversement de tous les sens : il fait revivre Jimi Hendrix. Frappé de l’emblème iconique, le book s’appelle Two Riders Were Approaching, un vers tiré non pas du nez de Dylan mais d’«All Along The Watchtower». Wall plante carrément l’iconique dans l’iconique, avant lui, personne n’avait pensé à la faire. Personne ! Wall te fixe ça dans ton mur. Tu peux tirer dessus, ça tient. Et c’est pas fini. Car il réussit ce que personne à part Joyce n’avait réussi à faire avant lui : faire parler l’esprit. Jimi, c’est Ulysse. L’icône sort du cadre et te parle. Et tu la connais bien, sa voix, car tu l’as fréquentée pendant quatre ans, de 1966 à 1970, quasiment tous les jours. Jimi te parlait dans les chansons, mais aussi et surtout dans l’écho des chansons, tu connaissais la moindre de ses intonations, tu étais sensible à la chaleur de sa voix et à ses petites interjections, il parlait toujours à voix basse et c’est tout cela que Magic Wall restitue dans son Magic Book. Le book s’ouvre sur une party à Londres. Jimi vient de rentrer en Angleterre - Jimi partying. Playing grab-ass with the bell-bottomed well-wishers. High fives. Just got back, you know, in town for a few days, catch up with some goooood friends. Cool on the outside, feverish on the inside. Jimi mouldering. Looking for a place to hide. ‘Didja see Monthy Python the other night, man? So funny! The Ministry of Silly Walks.’ Jimi jiving his own version. ‘Oh man, so funny! We’d been smoking the Red Leb. Oh man, I nearly died!’ - Alors tu l’entends ? On l’entend bien, hein ? Magic Wall est entré dans la peau de Jimi et dès la page 2 de son Magic Book, tu tombes sous le double charme de l’auteur et du fantôme. Alors après, ne t’étonne pas de tomber sur des scènes d’une poignante véracité. Chaque fois, tu te dis : «Wow, on s’y croirait !». Mais ce n’est pas ça : on y est. Magic Wall te fait entrer chez Linda Keith. Vazy, entre, n’aie pas peur, elle ne va pas te bouffer ! - Plus tard, cette nuit-là, Linda fait connaître une nouvelle expérience à Jimmy. Le LSD. Il va vraiment adorer ça, dit-elle. Une fois de plus, Linda a raison. Linda voit. Linda sait. Jimmy n’a jamais expérimenté un truc so... so... Il chope son reflet dans un miroir. C’est Marilyn Monroe qui le fixe. Jimmy est sous acide pour la première fois, il revoit son reflet dans le miroir et il voit le futur. Son futur. Jimmy trippe, il zoome au-delà de la lune, bien au-delà des étoiles, il flotte dans l’espace temps avec Linda the angel. Près de lui, Linda capte le reflet de Jimmy dans le miroir et elle voit la même chose que lui - Magic Wall vient de te faire le coup du Room Full Of Mirrors et il te sert Linda Keith, personnage clé de cette histoire, sur un plateau d’argent. C’est elle, Linda Keith, la poule de Keef à cette époque, qui découvre Jimmy James à New York. Elle fait d’abord venir Andrew Loog Oldham au Cafe Wha?, Loog passe la main, car il entend dire que Linda baise avec ce blackos qui s’appelle Jimmy James, quel nom ringard !, puis elle fait venir les Stones, qui sont alors en tournée américaine, chez Ondine’s, mais les Stones restent de marbre, sauf Keef qui est le seul à comprendre pourquoi Linda s’intéresse à ce Jimmy James mal habillé, fringues fifties, alors que les Stones portent des fringues sixties, puis Linda fait venir Seymour Stein qui n’accroche pas non plus, alors elle tente un dernier coup avec Chas Chandler qui fait sa dernière tournée américaine avec les Animals, come down to see this incredible guy I’ve found.

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    ( Chas Chandler / Jimi Hendrix )

    Et quand Jimmy James gratte the mooding opening chords to ‘Hey Joe’, Chas pige tout de suite - And Chas Chandler’s mind is blown. Instantly - Comme si tu étais. Tu assistes à la scène en direct. Bouge pas, c’est pas fini !

             Magic Wall est tellement plein du génie de Jimi qu’il en devient génial. Il fait une overdose d’osmose, on assiste à ça en direct, à cette prodigieuse overdose littéraire qui nous remplit d’aise mais qui brouille aussi les cartes : doit-on saluer le génie de Magic Wall ou celui de Jimi, on ne sait plus, alors saluons simplement le génie d’un écrivain entré dans la peau de son personnage, et, comme on va le voir, ça peut aller très loin. Après le coup du Room Full Of Mirrors, Magic Wall nous fait le coup de l’Olympic. Pas compliqué : t’es assis juste à côté de Jimi qui, entre deux sessions, essaye de jouer des cuts de John Wesley Harding. Il est frappé par the spectral spirituality que dégage ce nouvel album de Dylan paru après deux ans de silence. Jimi vient d’essayer de jouer «I Dreamed I Saw St Augustine», mais ça ne marche pas, what Dylan’s talking about is just too deep - Frustré, il prend alors le morceau suivant de l’album, «All Along The Watchtower», Jimi s’identifie avec les premiers vers, finding some way out of here, mais il y a too much confusion, I can’t get no relief. Noel qui a vu Jimi cesser de bosser sur ses chansons à lui est allé au pub. Rien de nouveau. Typique de Noel. Jimi est soulagé de se retrouver seul, il joue la partie de basse lui-même et invite son nouveau copain Dave Mason de Traffic à venir l’accompagner sur une guitare acoustique. Mitch suit le mouvement. Tard dans la nuit, Brian Jones fait une apparition et s’assoit au piano, il propose d’ajouter une couleur, Jimi lui répond par un sourire, hey man. Mais Brian est tellement défoncé qu’il ne peut pas se servir de ses doigts. Jimi demande à Eddie Kramer de s’occuper de Brian - Et puis tu verras aussi Chas exploser, d’autant qu’on lui a mis du LSD dans son verre - Chas lost in a roomful of mirrors, hating in, il ne peut plus respirer, il se lève finalement de son fauteuil après 42 prises de «Gypsy Eyes», Jimi double, triple quadruple les prises de guitare et de voix, split-second perfection. ‘Let’s do it again, again, let’s do it again, okay that was nearly it, let’s do it again, again, okay that was almost it...’ - Chas se casse pour aller se coucher. Jimi reprend - ‘Okay, let’s try that again...’ Jimi est debout depuis trois jours et trois nuits. No sleep. Jimi est debout depuis cinq jours et cinq nuits, no sleep. Jimi shooting speed, snorting coke, chain-smoking joints, swallowing handfuls of acid. Plus d’effet. Jimi vit de nouveau à New York depuis qu’il est devenu célèbre. Jimi surrounded by starfuckers supreme. Jimi on a motherfucking roll now. You better look out ! Le co-propriétaire du record Plant Chris Bone se souvient trente ans plus tard. «J’allais dans le control room et Hendrix était à la console, fixant les moniteurs, burned out of his gourd and just loving every second of it. The man had a constitution like no other.  

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             Magic Wall tente aussi parfois de décrire l’hendrixité et ça donne des petits paragraphes fulgurants. Un premier exemple avec «Foxey Lady» : «Here in one hot blast was Jimi in his absolute youthful essence. Feedback, distortion, bent notes, dirty sex (the only good sex there is), tail-swishing funk corporeal, night-ravaged rock elemental. Jimi bearing down on his target like a snake with its tongue out, sizzling.» S’il existait un florilège des grandes phrases de l’écriture rock, celle-ci en ferait partie. Celle-ci aussi, cueillie dans la même page : «Jimi just liking the way the words rolled off his tongue - MANick deeeee-pression! Like some space-age sounding brain-thief deal gone sideways - rather than having anything to say about vicious mood swings or suicidal duck downs - heavy metal teen fiction with extra groove.» Le pire, c’est que les phrases de Magic Wall finissent par sonner comme des lyrics hendrixiens. Magic Wall s’immerge dans une mer d’osmose hendrixienne. Il en devient l’écrivain idéal. Pour évoquer la fameuse tournée américaine de Jimi en première partie des Monkees, Magic Wall sort de Jimi pour se glisser dans la peau d’un raciste blanc confronté au sex & drugs & rock’n’roll hendrixien. Il est important de rappeler que le public des Monkees est un public blanc pré-adolescent et que cette tournée fut pour Jimi une telle source d’embrouilles qu’il dut la quitter - Les gamines vierges de gun-totting, white-hate Injun killers mélangés à des Colgate-smile moms and pops amenant leurs kids voir them nice young fellers off the TV show. Pour être confrontés à... well what the fuck would you call it, Travis? Some black hippy drug-fiend homosexual making hell-shit noise, comme s’il implorait qu’on le pende. What the fuck is the world coming to, sheriff, I gotta put my kids in front of some fucking jigaboo degenerate singing about drugs and queers and fucking right there in the street in God’s own good daylight? - American nightmare, aux frontières d’Easy Rider et du KKK, Magic Wall n’en finit plus de plier le langage à sa cause, il fait de la brutalité verbale l’un des apanages de l’Amérique profonde et indique, avec un joli tact, que d’une certaine façon, Jimi l’a échappé belle. Oh pas pour longtemps. Ils vont avoir sa peau de toute façon. 

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             Magic Wall se surpasse encore lorsqu’il nous fait entrer au studio pour assister à l’enregistrement de «Voodoo Chile» - Well I’m a voodoo  chile, Lord, I’m a voodoo chile. The band - Mitch, Jack, Steve - falling into ghost step behind him, shadows taller than their souls - et il reprend quelques lignes plus loin - An Ameriacan negro spirituel for the Space Race, a big-city bluesman’s self mythologising meets American Indian woo-woo, The protagonist, a twentielth-century cowboy, born of third-eye gypsy woman... alien African shaman... shit-talking drums... sexual holocaust... the nighty incubus... Jimi spirit-walking the vocal: I make love to you in your sleep/ Lord knows you feel no pain/ Cos I’m a million miles away/ And a the same time/ I’m right here in your picture frame - Il se pourrait fort bien qu’Electric Ladyland soit le plus grand album de tous les temps. Ce n’est qu’une hypothèse de plus. Et tu retrouves the black-cat bones masterpiece «All Along The Watchtower», avec the riffing riff, the windswept rhythm, the gathering night - sans doute le cut le plus hanté de l’histoire, et c’est de là que sortent les two riders qui donnent leur titre à ce cénotaphe, et qui vont aussi buter Jimi - Two riders now approaching - fast - Et chaque fois que tu réécoutes Electric Ladyland, tu retombes dans la même stupeur, la même torpeur, dans ton éther d’antan, tu commences toujours par réécouter «1983... (A Merman I Should Turn To Be)», tu te demandais ce qu’était un merman et tu as découvert qu’il s’agissait d’un homme-poisson, ce fil mélodique te fascinait, il grondait légèrement, Jimi le chantait d’une voix faible et la pureté du fil se dessinait dans le simili-ciel rouge de ton plafond, And the sea is straight ahead, puis il consolidait cet ether avec un couplet chant précipité au beurre de Mitch, anyway ! On ne le comprenait pas bien à l’époque, Jimi chantait avec la voix d’un messie, mais si, A merman. Son départ en solo dans le chaos de la fin avait quelque chose de surnaturel, ce genre de phénomène ne trompe pas et après une longue accalmie aquatique, le thème revenait comme intraveiné par un coup de wah - We take a last look/ At the killing noise/ Of the out of style/ The out of style, out of style - Sur la même face, tu as le swing voodoo par excellence, «Rainy Day Dream Away», Jimi duette avec un sax puis avec l’orgue de Steve. Ce qui frappe le plus chez Jimi, c’est l’intelligence de son attaque au chant, cette façon de poser son Rainy Day sur le tapis ondulé du swing. Et plus loin, il te joue d’extravagants retours de manivelle. Dommage que le cut s’arrête en si bon chemin. Tu as aussi cette B incroyablement dense qui s’ouvre sur «Little Miss Strange». Power, full power, ça file au full blast de pop hendrixienne et Jimi passe son solo sous le boisseau avec une rondeur incongrue. Le beurre de Mitch sonne toujours comme une fricassée de fracas de freak-out. Sous les jupes de Miss Strange grouille la vie. Autre tour de magie : Jimi finit cet anti-groove de confrontation qu’est «Long Hot Summer Night» par une courte ascension cosmique qui te laisse rêveur. Tu tombes ensuite sur le come on sugar let the good time roll de «Come On», il t’en claque douze à la dizaine, vieux relents de Chitlin’, Jimi amène un son dont n’était capable aucun guitariste anglais, à part Jeff Beck. Encore une intro de génie pour «Gipsy Eyes», encore du pur jus de Chitlin’, il n’y a que ces blackos qui savent jouer le funky r’n’b de manière aussi sauvage, c’est la même wild energy que «Killing Floor», Jimi joue ça au fouette cocher, il étend les cercles de son cosmos, avec une profondeur de champ qui rend chaque cut complètement irréel. Aucun groupe n’égalera jamais la splendeur de ce merveilleux Spanish Castle qu’est Electric Ladyland. Chaque cut brille comme la facette d’un gros diamant noir dressé dans l’imaginaire du rock. Les premières secondes de «Burning Of The Midnight Lamp» ressemblent à une tarte à la crème et soudain, le son te tombe dessus : c’est la dramaturgie hendrixienne surchargée de plomb sonique et sous-tendue par l’un de ces solos cristallins probablement joué sur la Flying V psychédélique qu’on voit sur certaines photos. Jimi gronde sous la surface d’un son de fin du monde, il cherche à remonter vers les sommets, comme dans Watchtower, il crie dans le vent de la nuit glaciale, il est aussi visionnaire que Dylan, mais avec le pouvoir du son et la peau noire en plus. Si les tueurs de Jeffery ne l’avaient pas buté, Jimi aurait sans l’ombre d’un doute développé une carrière encore plus fulgurante que celle de son idole Bob Dylan. Inlassablement, tu reviens à «All Along The Watchtower», Jimi cherche une issue, il enrobe son too much confusion aux accords de saccage et il part en finesse pour aller crever le ciel si bas au-dessus de l’horizon, tout est gondolé dans cette merveille ascendante, il négocie le dernier virage avant la mort du petit cheval, il wahte un brin et entreprend de gravir les marches de son Ararat pour atteindre ce ciel qui le fascine tant, il repend une strophe de Bob, la chante du poumon, out/ side in the cold distance, il voit les deux riders approaching et il lance son solo comme s’il lançait un éclair vers le haut, un solo qui résonne de toute éternité. Il enchaîne ça avec le ‘Slight Return’ de «Voodoo Child» et cette fois, c’est le cut qui s’écroule sur Jimi. Il n’a jamais plu autant de feu sur cette terre ! Il chante au milieu des fumerolles et des cendres, il torture son chant de wild negro moderniste, il met toute l’énergie dont il est capable dans le raw de son gut et dans ses coups de médiator, il module à l’infini et le son s’enfuit, sur-pressurisé, alors Jimi envoie des coup de cisaille dans les flammes, des poutres de power te tombent sur le coin de la gueule, il écarte les murs à coups d’accords, il lacère la peau des éléments et survit momentanément dans les décombres de l’infini. Tout aussi stupéfiants : «Still Raining Still Dreaming», puis le morceau titre, et puis «Crosstown Traffic», la même plastique hendrixienne, le tell me it’s alright, les chœurs d’anges de miséricorde, le claqué d’accords inconnus, so hard to get to you, le rock acidulé, bonbon sucré, yeah yeah, il crée son monde à coups de look out. Et tu retombes fatalement sur «Voodoo Chile», il a raison Magic Wall d’en faire l’apologie définitive, car tu as franchement l’impression d’entrer dans le palais des dieux, Jimi chante ses notes, ça sent bon la pénombre parfumée d’encens, la chaleur lourde des riffs de blues, Winwood et Jack Casady qui jouent dans l’ombre, le son devient mythique à mesure qu’il se déroule, avait-on déjà vu ça ? Non, bien sûr que non. Jimi te montre simplement comment se chante le blues, il harangue ses phrasés, le son sourd de l’ombre et quelque part au fond du studio, des fantômes acclament, hey ! Alors Jimi veut une petite apothéose et ça se met à grossir dans le vieil écho du temps, tu n’as jamais entendu un tel son dans aucun album de blues, même pas chez Wolf, il y a un tel spirit dans cette façon de dérouler le heavy blues, Jimi fait tout avec peu, il hante la nuit du blues, il colore le fond des nappes d’orgue, il déroule de l’infini à l’arrière de l’épais shuffle, ça prend des allures sidérales, tu savoures chaque seconde de cette heavyness plombée par le bassmatic pachydermique de Jack the crack.

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             La reconstitution du lien qui unit Jimi à Brian Jones est l’un des fleurons de ce Magic book. Tous les deux ont des vies de stars très courtes : Jimi quatre ans et Brian cinq. Magic Wall nous le rappelle, en cinq ans, it’s over for Brian - Suck-cess had consumed him whole - Sur scène à Londres, Jimi dédicace - This one is dedicated to Brian Jones - Cette nuit-là nous dit Wall, Stash et Brian débarquent chez Jimi. Stash porte le manteau en peau de kangourou que lui a offert Brian, oui, celui qu’on voit sur la pochette de Between The Buttons. Jimi leur passe Are You Experienced? qui vient de paraître - ‘Jimi, that’s beautiful, man’ says Brian in a stupor. ‘So true. How did you know, man?’ - Ils sont tous les trois stoned - Brian twittering about the ‘essential similarities’ between Elizabethan ballads and Robert Johnson - C’est encore Brian qui accompagne Jimi dans l’avion pour aller à Monterey. Eric Burdon voyage dans le siège voisin - Jimi and Brian. Sun and Moon. Brothers, born nine months apart: Brian the eldest and, later, the first to go. Right hand, left hand. Black and white. Equals. Almost - Magic Wall a tout compris - Jimi liked Brian. Felt some of his pain. Jimi se battait lui aussi avec ses poules. Mais le lien n’était pas là. Ce qui les liait était le fait qu’ils étaient tous les deux des outsiders, square pegs in diaphanous holes. Brian, whispering and paranoid, Jimi, beaten hound-dog smile.

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              Brian Jones a raison de s’extasier sur Are You Experienced?. Magic Wall voit l’album comme «the sort of thing considered advanced, experimental, daring and - in this case - danceable. It is also, of course, exceptionally good to get stoned to, as it would remain. À Monterey, Jack Casady file à Jimi deux tablettes «of brother Owsley’s powerful Monterey purple. Jimi, born high, les avale toutes les deux. This on top of the STP Jimi and Brian dropped together that will keep them tripping for seventy-two hours. Au moment où Jimi monte sur scène, le feu l’a englouti. C’est Brian qui le présente au public - ‘the most exciting guitarist I’ve ever heard’ - lost in the trillon-vision head rush.» Et Jimi démarre avec «Killing Floor», «the Howlin’ Wolf juju que Clapton n’a pas réussi à jouer». Sur trois pages, Magic Wall reconstitue le fracas du Montery show à coups de BLAM-BLAM, de FEEDBACK et de DRAGON WINGS. Ah il faut avoir lu ça au moins une fois dans sa vie. Il insiste beaucoup pour rappeler que ce soir-là, sur scène, Jimi trippe. Stone free at last - Pete Townshend looking on from the wings, shattered, hateful, terrified. Burned.

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             Comme tous les gens passionnés par un personnage, Magic Wall lit tout ce qu’il trouve sur Jimi. Il livre à la fin de son Magic Book la liste des books dans lesquels il a puisé. Pour les die-hard Hendrix people, il recommande surtout le book d’Harry Shapiro & Caesar Gleebeck (Jimi Hendrix Electric Gypsy) - On y trouve tout, les faits, et les big etceteras. Pour les autres lecteurs, je suggère de puiser dans la liste. There’s some very beautiful ugly stuff here. You’ll know when you see it - Extrêmement bien documenté, Magic Wall évoque tout le gratin de deux des grandes scènes de l’époque, Londres et New York. Tiens à commencer par Curtis Knight - In reality, he was a pimp from Kansas with a stable of whores operating out of west Manhattan. Hey baby, a man’s gotta do! - Ou encore Aynsley Dunbar qui est candidat pour jouer dans l’Experience - Comme Mickey Waller, il voulait être payé. Il demandait trente livres. A week. Chas blêmit. Mike Jeffery avait été clair : pas question de mettre la main à la poche tant que ce funny-looking colored bloke sur lequel Chas avait craqué n’était pas un coup sûr. Chas était obligé de vendre ses basses pour tenir le projet. Il proposa 20 livres par semaine à Aynsley. The tough Scouser just looked at him. ‘Naw’ - Ou encore Miles Davis - Now here came Miles with his whole thing. Miles the legend, the voodoo master, the seen-it, done-it cat of all time. The Cassius Clay of black-music magic, fuck you up good as look at you. Jimi on high alert - Bien sûr, Betty Davis n’est pas loin, Magic Wall ne la rate pas - Betty était l’oracle. Elle connaissait tous les corps, black and white. There, in spirit, at Montery. Channelling acid-Frisco, coco-caine LA, smack-city New York. Flew with the Byrds, out-zapped Zappa, wigged-out Warhol, but fell special for Arthur Lee’s Love, Sly and his Family Stone and... Jimi Hendrix - Miles repère Betty dans un club, il lui propose d’aller faire un tour en Lamborghini, «il lui dit «I like little girls», à quoi Betty spat back ‘I ain’t no girl’.» C’est Betty qui fait écouter à Miles les albums d’Aretha, de Dionne Warwick, de James Brown et de Jimi Hendrix. Bizarrement, Magic Wall oublie de citer Sly Stone. Betty se retrouve sur la pochette de Filles De Kilimanjaro. Magic Wall cite l’album, car il contient deux cuts hendrixiens, «Brown Hornet» et «Mademoiselle Mabry». 

             Ce Magic Book grouille de tous les détails dont on peut rêver. On croyait bien connaître l’histoire de Jimi Hendrix, mais Magic Wall va plus loin encore dans l’investigation, il développe tous les points sombres, «The smack bust (in Toronto), les mafiosis chez Jimi qui s’entraînent à tirer sur des cibles, le kidnapping à New York et le Madison Square Garden mind-fuck», quand Jeffery refile deux tablettes d’acide à Jimi qui va monter sur scène, occasion pour Jeffery de virer Buddy Miles et de recadrer Jimi qui doit rester sa vache à lait. Mais le pire est à venir.

             Autre aspect flamboyant de ce book : Magic Wall fait son Michel Butor lorsqu’il entreprend de décrire en quelques lignes le fameux «génie du lieu». Il commence avec le Swingin’ London : «Boozed-up young bluehoods and glamourous gangsters, pushy snappers in night-timer sunglasses, flat-chested fashion queens and pilled-up film-star wannabes. The sort of after-midnight champagne-ghettos Paul McCartney and Mick Jagger showed up in, surrounded by pop-life hierophants like Robert Fraser and David Bailey, Stash and Peter Max, and well-dressed goddess-class girls like Twiggy and Marianne Faithfull, Julie Christie and Jacqueline Bisset.» Puis plus loin, Greenwich Village où sera découvert Jimmy James : «They were arty hangs, painters, actors, models, writers, Ginsberg-Burroughs-Capote-McKuen-type places, queer factories, heroin brotherhoods, the music all acoustic and rustic and full of bile and beer and green tobacco. Dave Van Ronk, Tom Paxton. Phil Ochs. John Sebastian. Maria Muldaur. Good people but serious. Educated. Moneyed. Indoor sunglasses. Cravats. Pipes. Can Anybody here say Tom Rush?» Greenwich Village où Jimi rencontre un jeune guitariste nommé Randy Wolfe qu’il rebaptise Randy California. Toujours dans sa série Butor, Magic Wall évoque aussi le Jazz Club de Mike Jeffery à Newcastle : «Il fit la rencontre de Chuck et Kath Ward qui furent heavily involved in the running of the club and in Mike’s dreams of a swashbuckling lifestyle. Jazz and art and after-midnight friendships with some of the city’s own freeform characters, ex-forces, small-time crims, off-books cops and their grasses, working girls, arse bandits, pill pushers, scrubbers and clowns.» Le sommet de cette série de génies du lieu est sans doute le Chitlin’ Circuit : «Chitlin’ Circuit gigs, cash in the claw, no stoopid questions. Riding around the Deep South, learning about life under Jim Crow law: can’t eat here, can’t piss there, watch your back po’ boy, one wrong look at a white woman that’s one less nigger on the bus.»  

             La mort. Magic Wall démarre avec elle et finit avec elle. Il donne tous les détails, ils entrent à trois chez Jimi, disent à Monika d’aller acheter des clopes et s’occupent de Jimi, lui font gober une fiole de pills et lui enfournent une bouteille de pinard dans la gueule. Le forcent à avaler. Dig ? Dans les dernière pages, Dark Wall donne une explication. Jeffery est sous pression. Il a emprunté du blé à Warner, à Reprise, et donc à la mafia pour financer les travaux d’Electric Ladyland. Il vient de subir le fiasco de Rainbow Bridge. Il ne dort plus la nuit, il sait que le contrat de Jimi s’achève et qu’il va se retrouver nous dit Dark Wall in the shit. Il sait qu’il ne va pas s’en sortir. Et il commence à réfléchir au two-million-pound insurance policy qu’il vient de souscrire sur le nom de Jimi. Ça devient lumineux. Toutes ces drogues, tous ces cinglés qui tournent autour de lui. Il se souvient de Brian Jones retrouvé au fond de sa piscine. Not so hard to imagine, is it? - Ce passage est d’une rare violence. Dark Wall en rajoute une petite couche avec la mort de Monika dans sa bagnole. Suicidée au gaz d’échappement. Monika avait des choses à dire. Un suicide ? Dark Wall se marre - Les rumeurs démarrent immédiatement. Monika has been killed. Like all the others: by forces unknown. Night moves. Stray gazes. Bumps. Baby, just you shut yo’ mouth...         

    Signé : Cazengler, Jimi Index

    Mick Wall. Two Riders Were Approaching. The Life And Death Of Jimi Hendrix. Trapeze 2019

    Jimi Hendrix Experience. Electric Ladyland. Track Record 1968

     

     

    L’avenir du rock - Les mérites de Merry

             Quand il était petit et qu’on lui demandait ce qu’il voulait faire comme métier quand il serait grand, l’avenir du rock répétait toujours la même chose : enfant de chœur. Ce qui ne manquait pas d’interloquer les adultes qui l’interrogeaient. Ceux qui se croyaient les plus drôles lui disaient :

             — Mais mon petit chat, ne crains-tu pas de te faire sodomiser par un gros prêtre libidineux ?

             D’autres le félicitaient de sa précocité.

             — C’est bien mon petit, tu as déjà trouvé ta voie spirituelle. Tu vas sentir bon l’eau bénite. Si tu sais veiller sur la pureté de ton âme, les anges t’accueilleront au paradis !

             D’autres le bousculaient :

             — T’as pas honte, sale petit morveux ? Les curés, c’est comme les bourgeois, faut les accrocher à la lanterne ! Enfonce-toi bien ça dans le crâne, gamin : ni dieu ni maître !

             D’autres s’inquiétaient :

             — Le temps des séminaires est révolu, mon chéri. À notre époque, les gens d’église crèvent de misère. Tu te repentirais vite de ce mauvais choix. Il te faut une bonne situation, représentant de commerce, par exemple, tu auras un portefeuille bien garni, la peau du ventre bien tendue et là tu pourras remercier le petit Jésus.

             L’avenir du rock n’en pouvait plus d’entendre tous ces gens donner leur avis sur son avenir. Cette manie qu’avaient les adultes de mettre leur grain de sel partout finissait par l’agacer prodigieusement. Ce que les adultes ne pouvaient pas comprendre, du fait de leur incurie et de leur absence totale d’intérêt pour autrui, c’est qu’en voulant devenir enfant de chœur, l’avenir du rock n’avait qu’une seule et unique ambition : chanter dans le gospel choir de Merry Clayton.

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             Merry naquit un soir de Noël à la Nouvelle Orleans. Elle se serait appelée Merry Christmas si ses parents ne s’étaient pas appelés Clayton. Avant de devenir une extraordinaire Soul Sister, Merry chantait derrière les gros bonnets du genre Elvis, Ray Charles, Joe Cocker, Tom Jones, Etta James, Bob Dylan ou Neil Young. De la même façon que Mable John, elle fit partie des fameuses Raelets qui accompagnaient Ray Charles. Elle finit par devenir célèbre en duettant avec Jagger dans «Gimme Shelter».

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             Pour une bonne compréhension de Merry Clayton, il est essentiel de voir le docu tourné par Morgan Neville en 2013, Twenty Feet From Stardom. Morgan Neville part du principe que certaines choristes comme Merry Clayton, Mable John, Claudia Lennear ou encore Darlene Love avaient l’étoffe de stars, mais elles ne devinrent pas des stars, seulement des choristes de renom. Tant mieux pour nous pauvres pêcheurs, car comme dit l’une d’elle, on ne les verrait pas dans ce film. Le passage consacré à Merry vaut son pesant d’or du Rhin. Avec un petit air extraordinairement narquois, elle raconte que, petite, elle vit Ray Charles en concert. Il était le seul artiste autorisé par ses parents, et elle fit un vœu secret : «I’ll be a Realet one day !». Et elle l’est devenue, au même titre que Mable John et Clydie King. Encore plus extraordinaire, la séquence où elle évoque le coup de fil à 2 h du matin pour aller faire les chœurs de «Gimme Shelter», avec un foulard Hermes par dessus ses bigoudis et un furcoat par dessus son pyjama de soie rose. Elle raconte ça d’un air espiègle, elle est fabuleuse ! Elle est tout d’abord choquée qu’on lui demande de chanter des paroles de guerre où on tue les gens à bout portant, car elle vient du gospel. Mais en vraie pro, elle accepte. Ils font une prise. Jagger demande si elle veut bien en faire une seconde - A second take ? Wow, je l’ai montée d’une octave ! - Jagger qui témoigne lui aussi en est resté sidéré, quarante ans plus tard. Puis elle attaque l’épisode suivant : «God sent me Lou Adler...»  Et on voit le vieux Lou en chandail blanc qui nous explique qu’il a tout fait pour que ca marche, mais ça n’a pas marché. Il y avait déjà Aretha et ça suffisait aux gens, apparemment.   

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             Lou Adler la signe en 1970 sur son label Ode Records et sort son premier album, Gimme Shelter. Elle y fracasse littéralement le hit des Stones. Oh the storm ! À l’époque on ne vivait que pour s’abriter de la tourmente avec les Stones, on connaissait chaque recoin de ce hit fabuleux et on savait exactement à quel endroit allait intervenir Merry. Mais là, c’est encore pire, puisqu’elle fait tout le boulot toute seule, elle avale les trois couplets, et c’est tout juste si on ne regrette pas le couplet chanté d’une voix de fausset par Keith Richards - If you don’t get no shelter/ I think I’m gonna fade away - Elle attaque ça avec une puissance qui relève le la pure inexorabilité des choses. On est là dans l’absolu du Soul Sister System. Elle arrache la beauté du ciel des Stones - Why don’t you gimme some shelter ! - Attention, cet album fourmille de coups de génie, comme par exemple «I’ve Got Life», un groove à la Marvin - I’ve got life mother !/ I’ve got life sister ! - C’est effarant de perfection. Merry refabrique toute la Soul. Autre coup génie avec «Forget It I Got It», pur jus de r’n’b sixties. Elle dégage autant de jus que Sam & Dave. Et si on ne veut pas mourir idiot, alors il faut aussi écouter «Good Girls», une belle pop de night-club que Merry éclate au Sénégal avec sa copine de cheval. C’est dingue ce qu’elle peut dégager. Voilà l’un de ces heavy r’n’b qui aplatissent tous les discours. On suivrait Merry Clayron jusqu’en enfer ! L’autre gros cut de cet album s’appelle «Tell All The People». Merry chante ça là-haut sur la montagne. C’est aussi l’époque où les grands shouters savaient finir des cuts dans des bouquets d’explosions faramineuses.

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             Lou Adler produit aussi son deuxième album sans titre. Elle attaque avec «Southern Man», un vieux groove signé Neil Young qu’elle chante d’une voix de première main. Elle ne peut pas s’empêcher de l’exploser. Attention, cette fille est dangereuse. Ne lui confiez pas vos petites bluettes, car elle leur fout un pétard dans le cul. Elle va chercher son groove dans sa fouille de délinquante. Parmi les gens qui l’accompagnent, on trouve Carole King et Billy Preston. Alors, pour remercier Carole, Merry reprend son «Walk On It» et l’allume. Elle éclate une fois de plus les attentes. Elle pulse au-delà du raisonnable. Quand elle attaque un heavy slowah comme «Love Me Or Let Me Be Lonely», elle refuse de tomber dans le pathos. Elle préfère en faire du r’n’b joyeux et se livre à un nouvel exercice d’explosivité expiatoire. C’est plus fort qu’elle. Elle ne peut pas s’en empêcher. Et comme c’est un cut à rallonges, on a tout le loisir d’admirer la capacité qu’a Merry de couvrir tous les registres. Elle explose un peu plus loin le gros «Sho’ Nuff» de Billy Preston. Elle l’explose, aidée par des chœurs de gospel. Elle dévaste tout, de la même façon qu’Aretha, et c’est peu dire. La chose tourne à la monstruosité - You are my hot desire ! et les chœurs font Yes I do ! Inutile de vouloir résister. Elle traite ensuite le «Streamroller» de James Taylor à la heavyness. Sur ce chapitre, elle n’a plus rien à apprendre. Elle envoie des Yes I am infernaux. Quelle énergie ! Quelle classe ! Le hit de cet album bourré de hits s’appelle «Grandma’s Hands». Elle prend le cut à la base, comme le fait Aretha, et elle l’élève par la simple pression de la voix. Elle traîne son grandma à coups de yeah yeah et ça tourne une fois de plus au coup de génie.   

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             En 1975, elle enregistre Keep Your Eye On The Sparrow. Le morceau titre qui fait l’ouverture surprend un peu par sa tonalité diskö. Merry chante sur un bon beat du samedi soir. Heureusement qu’ensuite elle passe au funk avec «Gets Hard Sometimes», mais pas n’importe quel funk ! Celui des bas-fonds de la cité, la funk sabré à la rythmique. Idéal pour une Soul Sister de cet acabit. Puis elle revient au r’n’b de type Aretha avec «Sink Or Swim». Elle épate car elle attaque exactement comme Aretha, avec une incroyable franchise du collier. Comme Aretha, Merry peut tirer un chariot du Far-West à la force du poignet. Elle dégage la puissance d’un attelage. Comme Aretha, Merry remplit l’espace sonore avec une aisance déconcertante. Elle le sature de beauté. Plus loin, elle attaque «Gold Fever» comme «Gimme Shelter». Quelle poigne ! Quel faste ! Quelle puissance de feu ! Elle peut chauffer un plat de nouilles rien qu’en chantant. Elle dégage tellement de jus qu’elle réactualise le rock en permanence. Elle dispose d’une vraie niaque de Soul Sister, comme Etta et Aretha. Elle ne perd pas son temps à donner des coups d’épée dans l’eau. Non, il faut que ça pulse. Merry ne vit que dans l’idée de l’épaisseur, du tangible, du vrai truc. Elle fait en B une reprise de Dylan avec «Rainy Day Women 12 & 35» et s’amuse comme une folle avec le fameux Everybody must get stoned. Voilà une vraie parole de prophète ! Si tout le monde se défonçait, la terre deviendrait un paradis. Elle termine cet étrange album avec «Do What You Know», un énorme groove de funk à la Sly Stone. Attention, c’est un hit dévastateur.

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             Et puis voilà Emotion. Merry est devenue une sorte de belle mémère et elle porte une jolie robe bleue. C’est un énorme album. On est frappé par la classe de «Cryin’ For Love». Elle y fait ce qu’elle a toujours fait, elle embarque le beat au long du chemin et elle chante au mieux de ses énormes possibilités. Son «When The World Turns Blue» est un balladif haut en couleurs et on peine à mesurer l’ampleur considérable de son chat perché. Les monstruosités se nichent en B, à commencer par «Sly Suite». Elle rend là un fantastique hommage à Sly Stone en faisant un medley de «Dance To The Music», «Higher», «Everybody’s A Star» et «Thank You». Elle utilise l’attaque de «Gimme Shelter», idéale pour entrer dans le monde du géant Sly. On sent tout de suite l’énormité du jus. Elle prend «Higher» à la gorge, elle arrache le gant du défi, elle brise la chaîne du paquebot, elle outche comme une boxeuse, c’est pulsé au meilleur beat du monde, wow Merry, Soul Sister des enfers ! Elle hurlevente dans les Hauts, elle démonte la gueule du funk - Thank you fatelin’ me be myself - Et elle finit cet infernal medley avec un «Everybody’s A Star» digne de Ray Davies. Elle enchaîne avec «Around And Extremely Dangerous», une fameuse pièce de Soul dansante de casino des jours heureux. Merry groove au meilleur des espérances fanées par le temps. Elle termine cet album dans l’excellence du balladif avec «Let Me Make You Cry A Little Longer». Comme toujours, elle travaille sur une palette d’effets assez large. Elle sait modeler des horizons, découvrir des régions inexplorées et monter au ciel dans un dernier soupir. Elle reste l’une des plus grandes Soul Sisters de son époque.

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             Merry refait surface en 2021 avec Beautiful Scars, l’un de ces albums dont elle a le secret. Il faut la voir poser sa voix de superstar sur l’«A Song For You» de Tonton Leon. Elle explose la rate du cut, elle est puissante et belle, l’album est à peine lancé et la voilà déjà grimpée au sommet. Comme Aretha, Merry est une reine de la démesure - I love you/ love you/ love you - Tout l’album est sur le même ton, c’est un vrai festin, elle enchaîne avec le «Touch The Hem Of His Garment» de Sam Cooke, elle ramène bien sûr tout le power du gospel batch, les blacks aveugles meuglent dans la pénombre de la nef et claquent des mains, là tu te retrouves dans le plus beau gospel batch de tous les temps avec Meery debout sur l’autel, c’est le génie originel, la source de tout le rock et de tout le roll, Merry explose dans la clameur des chœurs de gospel batch. Elle plonge encore dans des vagues extraordinaires avec le morceau titre, elle semble prédestinée à la sacralisation. Merry la prédestinée ! Elle grimpe au-dessus de tout ce que tu peux imaginer, les toits, le rainbow, la montagne, elle n’en finit plus de grimper. Il faut la voir entrer dans la rivière de «Love Is A Mighty River». Elle l’allume avec une niaque universelle et elle amène «God’s Love» au big fat groove de Soul, elle groove des reins. Elle est l’une des expressions du génie humain, elle sort un groove digne de celui des Edwin Hawkins Singers, elle te déplace ton continent, ça move sous tes pieds, yeah, et elle embarque tout. Elle sacralise le mythe de la Gospel Queen - As Jesus/ I knew he will/ Ooooh yeah - Elle rôde dans le gospel batch pour mieux le jazzer. Elle s’en va et elle revient, Un vrai délire ! Elle continue de monter avec «Room At The Altar» et on reste dans l’excellence du gospel rock de Soul avec «He Made Me A Way», elle est la reine du Boulevard de la Reine, elle déboise le bois de Boulogne, elle shake les Arethas dans le beefteak, elle bouffe le son tout cru, sans moutarde, elle pousse sa voix si loin qu’elle ne la voit plus et elle n’en finit plus de monter en épingle son délire absolutiste. Elle démolit tout.

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             Dans une fantastique interview parue dans Record Collector, Merry rappelle qu’elle voyait Sam Cooke et Mahalia Jackson à l’église. Elle ajoute que ses parents lui faisaient écouter Etta James et Sarah Vaughan et qu’elle a grandi avec Billy Preston. C’est justement Billy qui la fit engager dans les Raelets. Puis elle rappelle ce fameux coup de fil de Jack Nitzsche en pleine nuit, lui demandant de venir immédiatement au studio. Merry était enceinte, en pyjama et avec des bigoudis. Évidemment, Rob Hugues évoque l’avortement qui a suivi la session, mais Merry refuse d’en parler.

    Signé : Cazengler, Claytin des Alpes

    Merry Clayton. Gimme Shelter. Ode Records 1970

    Merry Clayton. Merry Clayton. Ode Records 1971

    Merry Clayton. Keep Your Eyes On The Sparrow.  Ode Records 1975

    Merry Clayton. Emotion. MCA Records 1980

    Merry Clayton. Beautiful Scars. Motown Gospel 2021

    Rob Hugues : Tough yimes, still Merry. Record Collector # 445 - July 2015

    Morgan Neville. 20 Feet From Stardom. DVD 2013

     

     

    Inside the goldmine

    - Pas de bide chez Bud

             Il squattait un bel appartement dans South Kensington. «Oh, this is a friend’s place. Elle est en voyage», disait-il. L’appart se trouvait au dernier étage d’un petit immeuble art déco. Avec son dernier étage en forme en dôme, l’immeuble attirait l’attention. Il nous installa dans une chambre en forme de quart de sphère et à la tombée de la nuit nous redescendîmes boire des pintes au pub qui faisait l’angle. Nous étions au bar et il se lança dans un long monologue, narrant dans le détail son arrivée sur la côte du Venezuela, l’achat d’un petit bateau, d’une cargaison de coke et l’enrôlement d’un équipage de rastas qui bien sûr ne savaient pas piloter un bateau. Ils dérivèrent et se retrouvèrent au large de Costa-Rica. Repérés par un patrouilleur américain, ils furent arrêtés. Les cops le jetèrent dans un cachot moyenâgeux. Lorsque la marée montait, son cachot se remplissait d’eau. Il n’eut le droit qu’à un seul coup de fil et il appela un ami avocat à Londres qui réussit miraculeusement à le sortir de là. Mais il perdit son bateau et sa cargaison. Il entreprit deux mois plus tard un voyage moins périlleux, cette fois au Maroc et revint à Londres au volant d’un van dont le châssis était aménagé pour contenir une tonne de résine, certainement la meilleure du marché. Des amis à lui qui étaient américains vinrent nous rejoindre au bar. Ils étaient de passage et se rendaient dans une party. Nous nous joignîmes à eux. Nous ne fûmes de retour au dôme qu’à l’aube, bien défoncés. Il revint frapper à la porte de la chambre pour nous souhaiter le good night sleep tight du White Album et nous présenter un plateau de rêve : s’y côtoyaient les meilleures drogues du monde. Nous fûmes touchés par la qualité de son hospitalité. Au breakfast du début d’après-midi, il nous accueillit avec un grand sourire et nous demanda ce que nous comptions faire de notre journée et comme rien n’était prévu, il nous demanda de l’accompagner à Notting Hill Gate où il devait selon son expression collecter some small debts. Nous partîmes à l’aventure le cœur chantant et sous acide. Arrivés dans Notting Hill, il nous demanda de faire le guet pendant qu’il descendait voir un mec dans un entresol. Nous entendîmes des coups et des cris, puis on le vit ressortir avec le poing écorché, mais il souriait. Un peu plus loin, il nous demanda de l’attendre au corner shop. Il disparut une nouvelle fois dans un entresol. Cette fois nous entendîmes des coups de feu. Nous allâmes nous planquer un peu plus loin pour attendre. Un très vieux nègre fantomatique aux yeux rouges sortit hagard de l’entresol, un corbeau perché sur son épaule. 

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             Quel choc ce fut de voir Leo Bud Welch sur la pochette de son premier album ! Il ressemblait trait pour trait au vieux nègre aperçu trente ans plus tôt à Notting Hill Gate. S’agissait-il d’une coïncidence ?

             Leo Bud Welch est né dans les années 30 à Sabougla, dans le Mississippi et il a passé sa vie à jouer dans les picnics avec ses cousins. Si on ne l’a découvert que sur le très tard, c’est parce qu’il a passé sa vie à jouer dans des églises. Kevin Nutt précise en outre que les églises fourmillent dans le Mississippi. Environnement idéal pour un vieux crabe comme Bud, car c’est dans les églises en bois que les gens appréciaient son vieux gospel blues tout vermoulu.

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             Quand on écoute son premier paru sur Big Legal Mess en 2014, Sabougla Voices, on comprend ce que veut dire l’expression «crabe mythique». À l’âge de 82 ans, Bud envoie «Praise His Name» directement au tapis. Le vieux entre au chant dans son boogie blues déshérité et on a là tout le rebondi du monde, le tribal américain et le punk craze des fils d’esclaves. Quel fantastique dévoiement d’énergie sauvage ! Jimbo Mathus et Matt Patton sont là. Il récidive un peu plus loin avec «Take Care Of Me Lord», pur jus de gospel punk blues, c’est unique dans l’histoire de l’Amérique, c’est explosé de son, tapé par la fanfare avec des chœurs de mecs. Et ça repart de plus belle avec «Praying Time», on a tout, le retour de manivelle, les filles derrière et tout le bataclan, le vieux gueule son shoot de génie, flavour de gospel batch croisée avec le punk-blues, c’est d’une rare sauvagerie, c’est aussi un monde en soi, un chef-d’œuvre d’excelsior et ça redémarre en fin de cut aux clap-hands. Si on aime le gospel batch, on se régale avec «You Can’t Hurry God» joué au piano de barrelhouse, le vieux Bud chante à la harangue, l’église branlante couine de partout. Et ça continue avec «Me & My Lord», cette fois des chœurs de filles l’accompagnent. Il est le parfait Big Legal Mess Gospel Boss. C’est tout de même incroyable que Jimbo Mathus et Matt Patton soient mêlés à cette histoire. Un banjo se fond dans la clameur du gospel. Bud passe au heavy blues avec «A Long Journey». C’est nappé d’orgue souterraine. Jimbo et Matt Patton rendent hommage au génie du vieux Bud. C’est Bud le boss. Pas d’Auerbach dans la soupe. Cet album fantastique s’achève au bord du fleuve avec «The Lord Will Make A Way». Le vieux sait de quoi il parle avec ses grattés approximatifs. Ça nous repose des Clapton et des autres premiers de la classe ! Le vieux Bud tape son blues au coin de sa cabane branlante, il est parfait, true to the truth.

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             L’année suivante paraît un album aussi allumé que le précédent, I Don’t Prefer No Blues. Le vieux rentre dans le lard du heavy blues dès «Girl In The Holler». Il chante à l’ancienne et les guitares sont terribles. Tout est bon sur cet album, on ne fait l’impasse sur rien. Le vieux a du métier, il faut le voir jerker son «I Don’t Know Her Name». Il chante ça au raw et gratte à l’os du jive. On peut qualifier ça de belle dégelée extravagante. Le coup de génie de l’album s’appelle «Pray On», ambiance Panther Burns avec du gratté flamboyant, c’est le Memphis beat dans l’excellence de sa violence. Véritable orgie de son, ça joue en plein et ça sature le spectre, ils jouent à pleins tubes, à pleines ventrées, à plein beat avec le vieux par dessus qui est déchaîné, il chante comme un vieil esclave qui encule les patrons blancs parce qu’il est le meilleur chanteur du monde, wow, mille fois wow ! Son «Going Down Slow» est l’un des pires heavy blues de tous les temps, c’est écrasé du champignon, le vieux chante au milieu des coups de slide envenimés, ça tape tout ce que ça peut dans le fond du studio et chaque fois le vieux remonte le niveau d’énergie du chant. Quel délire ! Il chevauche son «Cadillac Baby» et repart en mode squelette blues avec «Too Much Time». On entend la belle bassline de Matt Patton dans «I Woke Up», encore un extraordinaire bouquet de son, c’est extravagant, le vieux met toute la gomme d’Alabama. Big Legal Mess, c’est le vrai truc ! Encore un Heartbreaking Blues avec «So Many Tomorrows», le vieux tape ça à l’arrache du fleuve et on reste dans le heavy blues avec «Sweet Black Angel». I Don’t Prefer No Blues est certainement l’un des plus beaux albums de blues de tous les temps.

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             Paru en 2017, Live At The Iridium est un album un peu moins dense que les précédents, même si on y retrouve des cuts comme «Cadillac Boogie» ou ce vibrant «Praise His Name» que le vieux joue au petit groove de cabane branlante. On est plein raw, Bud est vieux, pas de dents, mais il shake son shook comme Hooky. Il amène son «Cadillac Baby» au «Ha’ go like this» et c’est un boogie d’une qualité incommensurable. À part Hooky et Lazy Lester, personne ne joue le boogie aussi bien. Il avoine son «Still A Fool» à l’édentée et c’est parfait. Il descend encore dans le primitif avec «Got My Mojo Working». Ça pousse à la roue de gros-Jean-comme-devant. Il passe tous les classiques à la casserole, «Five Long Years», «Woke Up This Morning», «My Babe» qu’il joue à la peau sur les os. Il fait aussi une version torride de «Rollin’ & Tumblin’», il tape ça à l’ancienne, il balaye d’un revers de main tous les Clapton à la mormoille, il est à bout de souffle, il gratte des accords moisis, il chante au max d’approxe, c’est du rootsy de rêve, claqué à la salivette. Il enchaîne avec un «Good Morning Little Schoolgirl» chanté à la dent branlante et battu à la sauvageonne. Ce fils d’esclave rend hommage to one of the American greats from the Grand Ole Opry avec «Walkin’ The Floor Over You» (Ernest Tubb) et il finit en apothéose avec «Me & My Lord». On peut aussi voir de ses yeux voir le concert, car le CD se double d’un DVD. C’est même la première chose à faire ! Le vieux porte des alligator shoes rouges et un costard brillant. Il est accompagné par une batteuse et un black barbu en casquette fait les chœurs. Le vieux gratte ses cordes du bout des doigts, old school blues ! Il faut le voir jouer ses riffs incisifs, il développe de vieilles dynamiques ancestrales tout en swinguant des deux pieds. Il déclenche tous les petits réflexes du boogie, il joue à l’intricate de la main gauche et gratte du bout des doigts de la main droite. Sur «Sweet Little Angel», il jazze en milieu de manche et fouette le boogie down de «Cadillac Baby» bien sec et net. Il passe tous les classiques du blues à la moulinette, il joue stripped-down mais diable comme c’est pur. La batteuse s’appelle Dixie Street, elle bat comme Tara d’Airplane Man. Le vieux joue Schoolgirl en petits riffs incisifs de mi-manche, il joue le spirit du blues, et il finit en mode gospel blues, c’est très spectaculaire.   

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             Le dernier album du vieux n’est pas sorti sur Big Legal Mess. Apparemment, il a changé de crémerie pour aller chez Auerbach, le recycleur de vieux nègres qui travaille surtout pour son compte. L’album s’appelle The Angels In Heaven Done Signed My Name est c’est loin du festin de son que propose Big Legal Mess. À l’âge de 87 ans, le vieux est aux portes de la mort et il continue de faire le clown. On sauve un cut sur l’album, «Jesus On The Mainline», car voilà un heavy blues taillé pour la postérité. Auerbach va même signer les liners de l’album. Ça donne une idée de la taille de son ego. Il tape l’incruste sur tous les cuts. On a perdu Matt Patton et Jimbo Mathus. Auerbach finit par mettre le grappin sur tout ce qui bouge, ça gâche le plaisir. Le son est trop chargé, ça frise la putasserie. Le vieux attaque «I Love To Praise His Name», mais il ne se méfie pas, les autres viennent lui bouffer la laine de son gospel sur le dos, ils le transforment, ils en font du gaga, ils n’ont RIEN compris, le vieux sauve les meubles comme il peut, c’est un spectacle atroce, insupportable. Et ça empire encore à la suite. C’est la curée des carpetbaggers. Mais comment un vieux renard comme Bud a-t-il pu faire confiance à ces mecs-là ? Les blancs jouent mal le heavy blues, ça crève les yeux dans «I Want To Be At The Meeting», ils jouent comme Clapton, c’est intolérable d’entendre du blues de blancs chez un artiste aussi pur que Leo Bud Welch. Le «Let It Shine» qu’on croise plus loin est encore plus catastrophique. Alors adios amigo, dommage que ça se finisse en eau de boudin dans les pattes de cet horrible opportuniste. On perd la pulpe de ton génie. 

    Signé : Cazengler, Léon Wesh Wesh

    Leo Bud Welch. Sabougla Voices. Big Legal Mess Records 2014

    Leo Bud Welch. I Don’t Prefer No Blues. Big Legal Mess Records 2015

    Leo Bud Welch. Live At The Iridium. Cleopatra Blues 2017              

    Leo Bud Welch. The Angels In Heaven Done Signed My Name. Easy Eye Sound 2019

     

    *

    Livraison 560 du 28 / 05 / 2022 nous présentions le premier Ep ( 5 titres ) de Burning Sister et trois vidéos issues de leurs deux singles parus à cette date. Or voici qu’ils viennent de sortir ce mois de novembre 2022 leur premier album.

    MILE HIGH DOWNER ROCK

    BURNING SISTER

    ( Album numérique / Vinyl / Bandcamp )

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    Ne vous prenez pas la tête sur la traduction des deux premiers mots du titre. Mile High est le surnom de la ville de Denver, où réside Burning Sister, capitale du Colorado située exactement à un mile ( = 1, 609 344 kilomètre ) d’altitude. Reste que cette localisation géographique permet un joli jeu de mots lorsque l’on associe   High à down(er), en quoi nous voyons une allusion à la Tabula Smaragdina, la fameuse Table d’Emeraude, qui dès sa première ligne nous révèle que ce qui est en haut est comme ce qui est en bas. André Breton le gendarme du surréalisme s’en est inspiré pour l’écriture de son texte le plus célèbre. Une tradition davantage terre à terre nous traduirait high downer rock par rock de la grosse déprime. Le downer rock tire ses origines des trois premiers albums de Black Sabbath, tempo lent, ambiance crépusculaire, mais il existe d’autres radicelles qui courent de Grand Funk Railroad à Blue Cheer et nombre de groupes de heavy metal… Le rock procède par métissages divers et variés. Les bâtards sont les meilleurs chiens du monde. Ils mordent plus fort que les autres.

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    Vous faudra plus d’un coup d’œil pour la couve. What is it ? A chacun son interprétation, l’ensemble reste flou, tout dépend quelle porte de la perception vous ouvrez pour y accéder. Burning Sister vous décontenance, exprès. Serait-ce un oiseau buvant à une source ? Une tête d’homme aux cheveux ébouriffés ? Le paysage final de La machine à explorer le temps de H. G. Wells ? Une mise en image du principe d’incertitude d’Heisenberg afin d’accroître votre sentiment de l’irréalité de la réalité ? Ce qui est sûr c’est que le vinyle est aussi rouge qu’une tache de sang frais. Anamorphosis.

    Steve Miller : bass, synthé, vox / Drake Brownfield : guitars / Alison Salutz : drums.

    Leather mistress : (chroniqué dans notre livraison  560 ) : voix dans les tuyaux, le serpentin des tuyères démarre, le riff arrive majestueux et imparable, les vertèbres du reptile balaient vos indécisions, la maîtresse de cuir est un dinosaure qui écrase tout sur son passage, la basse de Steve balaie les arbres pour lui laisser place, des chants tribaux retentissent au loin, sont noyés dans le fracas généré par  Alison, la guitare de Drake effile les épines dorsales du terrible lézard, c’est un morceau que l’on peut résumer en une question, comment faire pour ne jamais laisser agoniser un riff, comment en présenter toutes les facettes, en tirer la substantifique moelle, en

     en explorer et développer toutes les virtualités,  l’aider à s’accomplir, sans qu’une seconde l’auditeur jamais ne se lasse. Une démonstration de grande évidence. Nette et sans bavure. Faut de l’imagination et du savoir-faire. Un seul défaut à ce morceau, faut se forcer au bout de la dixième écoute à écouter le reste de l’album. Acid night vision : (chroniqué dans notre livraison 560 )  :  sans les images de la vidéo, la vision est plus noire, nous ne sommes plus dans les fantasmagories d’un dessin animé, nous voici projetés dans un gigantesque shaker, attention au milieu du morceau quand Alison touille de sa baguette la bouillie sanglante, question guitare imaginez un Hendrix privé des couleurs de l’arc-en-ciel, qui ne chercherait pas à faire miroiter la chatoyance du monde mais à en exacerber la fatale noirceur, avec la basse de Steve qui vous pousse dans les bas-fonds de l’horreur d’être né. Magnifique. The messenger : ce doit être une bonne nouvelle, avec ces notes toutes douces dont auraient été retiré toutes les harmoniques, Steve caresse son synthé, attention sur la fin, il tinte comme une pièce de monnaie lancée en l’air pour savoir si pile c’est l’heure de vous suicider et qui n’en finit pas de tournoyer sur le trottoir, à moins que ce ne soit le bruit d’un appareil intersidéral qui s’enfonce dans les limites de l’univers. Dans les deux cas une aventure humaine. Une expérience ultime. Cloven Tongues : (chroniqué dans notre livraison 560 ) : l’écouter sans la vidéo qui l’accompagne change la donne. Nous avions l’impression d’être dans un poème symboliste d’Henri de Régnier, ambiance mystérieuse, aperçus d’une beauté noire, nous voici projetés en un autre monde, maintenant avec ces chœurs de moines encagoulés, nous serions plutôt dans Le puits et le pendule d’Edgar Poe, ce qui paraissait inquiétant et curieux est désormais plus que menaçant, la guitare hérisse des riffs de fer tordus aux bouts acérés sanglants qui dépassent des murs et se rapprochent de vous, insidieux travail d’Alison et Steve qui poussent de toutes leurs forces derrière les cloisons mobiles, et la guitare de Drake imite vos cris de souffrance, maintenant vous entendez les rouages de l’immonde machinerie, raclements de ferrailles et de roues dentées, vous voici réduit en charpie de chair pantelante. Un titre qui ne fait pas de cadeau. Dead sun blues : ce n’est pas le blues des origines mais celui de l’extinction de l’espèce humaine, un son sale et sans apprêt – vous ne croyez tout de même pas valoir mieux – un chant de vomissure, une batterie en hachoir de guillotine, des cordes lugubres et oppressives. Les Sister Burning n’ont pas le blues joyeux, joyau oui, avec par exemple ce solo d’épines empoisonnées qui s’enfonce dans la matière grisâtre de vos méninges, qui prend un plaisir sadique à vous torturez. Soyons franc, en moins de sept minutes ils font la démonstration que le blues est une musique dans laquelle il est encore possible d’innover. De trouver du nouveau dirait Baudelaire. Plus près des cercles infernaux que paradisiaques tout de même. Seraphim : ne désespérez pas, une minute trente de Paradis avec les séraphins qui psalmodient des hosannahs sur les claviers du synthé. Avant le blues il y avait le gospel, n’est-il pas vrai. Burning Sister revisite la musique populaire américaine à l’aide de petits flashbacks. Des piqûres de rappel. Aïe ! S.I.B. : je ne sais de quel syndrome il s’agit au juste, mais l’on est parti pour une espèce d’oratorio heavy, Alison tonne comme Jupiter depuis le haut de l’Olympe et c’est parti pour un régal bien creameux, les surprises arrivent au bout de deux minutes avec ces dentiers souterrains de synthé qui rayent le plancher, ah ! ce traitement de voix assourdies, cette tubulure engorgée, et ces chœurs néfastes, et cette batterie insistante, le riff recommence et c’est reparti comme la troisième guerre mondiale en préparation, la fin est splendide. Je n’en dirai rien de plus. Je l’écoute. Désormais le monde se partage en deux, ceux qui ont écouté et les autres. Stars align :  l’alignement des planètes c’est quoi, c’est ce moment ou après avoir fait le tour de la question de tout ce qui a existé en leur domaine – fuzz, psychedelic, doom - un groupe se permet de continuer le chemin là où les autres se sont arrêtés. Ce groupe a un nom il s’appelle Burning Sister.

    Précipitez-vous !

    Damie Chad.

     

     

    THOU SHALL SEE

    Ah ! tu verras, tu verras ! En fait on ne voit rien. Drôle de nom pour un groupe, l’ancien pronom Thou ( = Tu ) du vieil anglais utilisé dans une formule qui rappelle le début de certains versets de la Bible. Ils sont allemands. Viennent de Stuttgart. Impossible de vous communiquer leurs noms : il y a L à la guitare et aux synthés, et J qui s’occupe du drumming. Aucun des deux ne chante. C’est un groupe instrumental. Autre incongruité, les titres sont réduits à des numéros. Z’auraient pu faire comme les romains qui numérotaient leurs enfants dans l’ordre d’arrivée. Octave ( huitième ) est le dernier prénom qui a survécu de par chez nous à cette coutume peu poétique. Mais non, les titres ne sont pas rangés dans l’ordre croissant ou décroissant.

    Sont donnés dans le désordre. Les adeptes de la numérologie peuvent ainsi s’en donner à cœur joie et offrir un sens à cette étrange façon de compter. Est-ce qu’ils ne savent pas quoi trastéger pour se faire remarquer, ou nous délivrent-ils un message crypté. Les synthétiseurs ne sont pas ma tasse de thé, mais j’aime ne pas comprendre, alors je me suis dit que si l’on ne voit rien, peut-être entendrais-je quelque chose. Si le texte des Georgiques de Virgile se lit aisément, il en est une autre lecture beaucoup plus secrète qui repose sur le comptage orphique des vers.

    ANCIENT HORRORS

    ( Album Numérique / Novembre 2022 )

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    Nous ne partons pas dans le brouillard, enfin si, sur la couve nous avons une nappe de brume, au-dessus d’un lac, l’Art Work est crédité à Adam Burke aussi connu sous le nom de Nightjar ( engoulement ) créateur d’un monde inquiétant, aux confins du rêve et du cauchemar, un royaume secret dans lequel chacun peut rencontrer ses peurs et ses obsessions. Ce n’est pas la première fois que nous trouvons une œuvre de Nightjar sur une couve de Metal. Le titre de l’album est aussi une clef de dol qui nous ouvre les portes abyssales. Le logo dégoulinant de sang de Thou Shall See est de Unknown Relic, autrement dit de Stephen Wilson. Le lecteur amateur de Metal visitera avec intérêt son FB, il ne manquera pas de s’attarder sur ses étranges abécédaires runiques qu’il mettra en relation picturale avec les numérotations romaines des titres.

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    XII : Résonnances et tout de suite des sons qui prennent la relève, des pas de géant qui avancent, derrière la basse dansent quelques arabesques discrètes, peut-être pas l’horreur mais une crispation s’insinue en vous, un peu mélo, l’impression de deux lignes musicales qui ne se rejoignent pas, la basse qui colmate des trous, et des notes légères qui tintent comme des bouts de vitres teintées de sang, matins blêmes et réveils d’assassin, 12 semble se précipiter mais le rythme n’en est pas plus rapide, démarche lourde, qui sait où elle va. Nous non. V : la même rythmique lourde, mais des orgues dramatisent la situation, celui qui marche n’arrête pas, même s’il semble davantage appuyer ses pieds sur le sol nauséeux. Ruissellements, glougloutements, le temps ne compte plus, des motifs entendus dans le 12 réapparaissent en plus aigus, la pointe d’un poignard qui a envie de boire une gorgée de sang, car même les objets rêvent à leur propre utilité. Respiration, souffles sur l’eau, de petits bruits indistincts, une mise à mort discrète et l’assassin reprend sa marche, maintenant l’on sait que ce n’est pas un homme mais quelque chose d’indistinct, une hagarde remontée d’on ne sait où. VII : moins de brouillard, la musique se fait clairière, elle n’en reste pas moins oppressive, elle tinte et roucoule, ça y est la chose arrive, l’on a envie que ce soit la fin du film, mais ce n’est qu’une séquence aussi éprouvante que les précédentes et les suivantes, un chant sans voix s’élève, le sept n’est-il pas un nombre magique, l’horreur fascine, nous n’y pouvons rien, nous avons cru que la chose venait mais peut-être est-ce nous qui allons vers ellr b, ambiance délétère, joyeuse aussi car serait la vie sans le sel âcre de l’inconnu qui résonne en des couloirs temporels inconnus mais qui débouchent dans notre monde. Il suffit d’ouvrir la porte et l’Horreur survient, le pire c’est qu’elle nous regarde, qu’elle habite nos structures mentales depuis toujours. Serait-ce le nom de l’accoutumance à nous-mêmes. Notre portrait crachat. Nous nous regardons dans le miroir et nous nous trouvons horriblement beaux. VIII : le 8 succède à sept, la même histoire qui recommence avec en plus ce gargouillement souterrain d’échos, qu’est-ce qu’au juste, quelle est cette chose qui rampe dans les couloirs de notre cervelle, la batterie empile ses coups comme l’on enfile ses verres au troquet, pire que l’horreur existe l’absence de l’horreur, celle qui vous catapulte dans la solitude de votre néantification. Le son se plie sur lui-même, il devient une grandiose liturgie, attention, demandez-vous le nom de celui qui s’offre en sacrifice. X : est-ce la fin, en tout cas l’on ne saurait rêver meilleur final grandiose, une note funèbre auréolée d’un orgue électronique qui imite la voix humaine et brusquement la lumière jaillit, nous nous croyions dans un temple troglodyte et nous voici dans une salle de fête, lumières éclatantes en battants de cloches. Est-ce parce qu’elles sont anciennes que le sang des horreurs se teintent d’un rose d’aurore…

    DEMO

    (Album Numérique / Avril 2021 )

    Peut-être la cathédrale de Stuttgart sur la couve, en tout cas ambiance gothique assurée. L’on se croirait dans un poème d’Aloysius Bertrand. Nous avons apparemment le début de l’histoire, le 1, 2, 3, 4, mais c’est le 2 qui ouvre le bal.

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    II : ouverture en inquiétudes mineures, éclatements de tôles de zinc, derrière une rythmique cavalcade, amplification tous azimuts, comme des voix indistinctes que l’on entend très bien mais que l’on ne comprend pas, le tempo ralentit, caresses de synthés et gifles de batterie. Nous ne sommes pas loin de l’ambiance des deux premiers morceaux d’Ancient Horrors, mais le son est d’une texture plus claire, davantage segmentée, moins pressurisée. L’ensemble sonne davantage répétitif. Mais l’on n’a pas le temps de s’ennuyer. Loin de là. I : tourment de vent, assombrissement d’ambiance, les pas pesants du 12 reviennent, une démarche que l’on jugerait humaine, le géant s’est-il ratatiné ou est-ce l’habitude, pointillés de cymbales sur un drapé de moire noire, intensité primitive orchestrale, l’idée que la machine s’est mise en route et que rien ne l’arrêtera, l’on veut voir la suite, nos yeux sont peut-être crevés mais nos sens perçoivent des mugissements rhinoférociques, de lents pachydermes qui broutent l’herbe de nos représentations. Accélérations. Il est curieux d’entrevoir comment Thou Shall See compose, L et J semblent partir d’une structure très simple, mais qu’ils complexifient en la segmentant au maximum, puis ils s’appliquent à en garder tous les éléments obtenus en les dispatchant tout autrement, je ne crois pas qu’ils comptent sur le hasard, je pense qu’ils procèdent avec soin et méthodicité pour que l’auditeur soit plongé dans une espèce de magma sonore touffu dans lequel il n’est jamais perdu car les fragments dispersés recomposent par alternance une continuité sonique des plus agréables, le labyrinthe est en quelque sorte fléché. III : cette pluie qui tombe, cet orage qui tonne, cette note qui stridule et cette autre qui siffle, cette batterie qui arrache ses pieds du marécage pour retomber plus lourdement, le ciel est bas et le paysage livide, il s’écarte de lui-même comme s’il voulait conquérir toute la surface de la terre, un synthé aboie pour nous prévenir, des gémissements montent des marais qui maintenant s’étendent à perte de vue, le cauchemar se reduplique à l’infini, il est impossible de s’en extraire, à chacun de vos pas sa surface augmente, aucune extraction possible, la glaise musicale vous enduit de sa gluance, elle monte le long de votre corps telle une lèpre assassine, vous sentez la modification, vous ressentez la momification de votre chair, l’argile qui la recouvre s’insinue à l’intérieur de vous, la musique appuie par à-coups sur votre tête pour vous enfoncer centimètre par centimètre dans la vase astringente, quelques bulles d’air s’en viennent crever à la surface, c’en est fini, la bande sonore se termine. IIII : un cauchemar n’est jamais terminé, l’écho s’en répercute sous forme de secousses telluriques qui se déploient dans les rêves des dormeurs, la mer de l’horreur roule sans fin ses vagues limoneuses, elles s’échouent sur le sable de votre mémoire, elles forment le premier matériau de l’inconscient collectif.

    Disons-le vulgairement, Thou Shall See vous en donne pour votre argent, même si jamais vous ne seriez prêts à payer pour de telles suffocations éruptives. Ils parviennent à renouveler les anciennes horreurs, à les rendre attrayantes, vous en redemanderez.

    Damie Chad.

     

    *

    Tiens un groupe de rock à Metz, cité qui n’est pas spécialement connue pour son impact rock ! Je n’avais fait qu’entrevoir ces trois mots et déjà je commençais mon cinéma dans ma tête. J’avais tout faux, le groupe n’est pas originaire de notre bonne ville françoise, il est autrichien, et se nomme LIQUID MAZE. Labyrinthe Liquide, attirant concept ai-je pensé, serait-ce des déconstructivistes, faut aller voir cette bestiole de plus près, n’ai pas été déçu par leur propre présentation : Delicious Psychedelic Art Rock. Viennent de Vienne. Or moi quand on dit Vienne me vient en mémoire la fabuleuse frise de Klimt consacrée à Beethoven, et je pense à ce double vocable de Sécession Viennoise, qui pose la rupture comme acte fondateur et novateur. Dans mon fort intérieur, un synonyme de rock ‘n’ roll.

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    Liquid Maze a déjà deux autres œuvres à son actif : Colors of Euphoria ( 2018 ) et Snake Jazz ( 2021 ).  Aiment aussi enregistrer live dans leur propre local  de répétitions, surnommé Metz, d’autres groupes alternatifs. Toutes ces sessions sont in extenso sur leur chaîne YT, The Metz Sessions. Charité bien ordonnée commençant par soi-même, ils se sont octroyés la Douzième.

    THE METZ  SESSIONS # 12 : LIQUID MAZE

    Novembre 2022 / YTBandcamp ) 

    Dominici Scheleinzer : guitars, vocals / Lukas Sukal : guitars / Gerald Grimpl : bass / Stefan Celanovic : keys / Sebastian Hödimoser : Drums.

    Vous avez deux manières de le regarder, soit sur le site des The Metz Sessions, vous assistez alors à la séance filmée, soit sur la vidéo présentée par Mister Doom 666 qui ne diffuse que le son. Une seule image sur l’écran, le logo du groupe qui ressemble à ces tampons chinois ou coréens qui servent à apposer la signature sur un document ou une lettre. N’est pas non plus sans évoquer le travail de Fernand Léger. Je préfère ce second choix, il laisse davantage place au rêve et au mystère.

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    Intro : tintement acoustique, l’on s’attendrait à quelque chose de moins convenu mais le morceau s’étoffe, chacun tisse son fil dans son coin, le résultat obtenu est loin d’être désagréable, sans surprise, mais un très beau son d’orgue, digne des britanniques années soixante. Industrial salvation : après les cacahouètes de l’apéritif passons aux choses sérieuses. Salvation l’on veut bien, car l’on aime bien, c’est agréable, industrial c’est largement exagéré. Je me répète, mais ça sonne très english sixties, pas original, mais très bien fait. Se lâchent un peu sur la fin. Pieces : reviennent sur le motif de l’intro, certes ils le développent, rajoutent du son et des falbalas auditifs, mais en fait ces neuf minutes de Pieces auraient été très bien accouplées aux trois minutes de l’intro. Seul avantage, la possibilité d’apprécier la voix et les qualités de Dominici au chant.  Prennent leur temps l’on croit que c’est la fin, juste un pont pour l’envolée finale. Give me a reason : dès l’intro l’on sent que l’on est parti pour un long morceau, genre gradation apocalyptique durant laquelle les musiciens vont se donner à fond. Ne nous déçoivent pas, lancent la machine à donfe. Félicitations à Stefan qui vient de rejoindre le groupe et qui n’a eu droit qu’à deux courtes répétitions, l’a un beau son, il est vraiment le vecteur sonique du groupe. L’ensemble est un peu trop pop à mon goût, mais ils ont du talent. M’attendais à quelque chose de plus avant-gardiste.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

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    Death, Sex and Rock’n’roll !

     

    Cet épisode 7 de Rockambolesques est dédié à Claudius de Blanc Cap qui s’est donné la mort, ce 11 novembre 2022, suite au saccage de son œuvre maîtresse par les autorités étatiques. Rappelons que les démêlés de Claudius de Blanc Cap avec la justice de son pays et  l’Administration Ariégeoise sont à l’origine de la première série de nos Rockambolesques, intitulées alors Chroniques Vulveuses, dont le premier épisode parut dans notre livraison  154 du 05 / 09 / 2013. il est d’ailleurs un personnage de cette série. Nous rendrons ultérieurement un hommage à cet artiste non pas incompris mais pourchassé. La France est-elle le pays de la liberté ou de la bêtise ?

     

    EPISODE 7 ( PRESERVATIF ) :

    35

    LES MYSTERES D’ALICE

    ( Article extrait du Parisien Libéré )

    Communiqué du Rédacteur en Chef : Si je n’avais une absolue confiance en Martin Sureau et Olivier Lamar que nos lecteurs connaissent bien, jamais je n’aurais accordé la moindre confiance à cet article. Rappelons que Martin Sureau et Olivier Lamar sont affectés à notre Service Politique. Pas des huluberlus, ce sont eux qui depuis plusieurs années suivent, interviewent et analysent les propos de nos plus hauts responsables politiques. Ce qu’ils nous relatent est tellement étrange que je préfère leur laisser la parole.  

    Nous venions de quitter Troyes, nous avions dépassé Provins et rejoignions l’Autoroute afin de regagner Paris. Il devait être deux heures du matin et abordions la longue ligne droite qui coupe le village de Savigny en deux. A deux cents mètres de l’entrée du cimetière nous aperçûmes cinq points lumineux sur la chaussée. Nous ralentîmes, nous avons pensé à des bêtes, sangliers ou renards. En nous rapprochant, il nous a semblé discerné une forme couchée sur la chaussée. Moi Martin Sureau j’ai cru voir deux chiens sur le bord de la route, mon collègue Olivier Lamar est certain que c’étaient deux chats. Du côté de la modeste maison, sise en face de la grille du cimetière, il y eut comme un vague mouvements d’ombres. Nous arrivions tout près de l’obstacle. A la chevelure blonde nous identifiâmes un corps féminin. Olivier Lamar avait saisi son appareil photo, il prit quelques clichés. Il n’arrêta pas durant la suite des évènements. La victime était manifestement morte, toutefois j’appelai le Samu et la Gendarmerie. Il ne s’écoula pas dix minutes que le clignotement d’un gyrophare bleu signala l’approche d’un fourgon de la gendarmerie. Les trois gendarmes se hâtèrent d’installer un périmètre de sécurité et de procéder aux premières constatations. Qui furent très vite corroborées par le médecin du Samu, celui-ci confirma la mort de la victime, vraisemblablement renversée par un véhicule. Un infirmier recouvrit le cadavre d’une toile plastifiée blanche.  

    Durant deux ou trois minutes, tout près du cadavre nous échangeâmes nos impressions. En tant que premiers arrivants sur les lieux nous racontèrent ce que nous avions vu, c’est à ce moment que l’un des deux infirmiers s’exclama : « Quelle est cette odeur dégoutante ! Ça pue la charogne ! » et vivement il retira le drap plastifié qui recouvrait le cadavre. Nous fûmes horrifiés, cinq minutes plutôt nous étions en présence d’une jeune fille, et maintenant nous étions devant un corps en putréfaction, seule sa chevelure blonde indiquait qu’il s’agissait de la même personne. Nous étions tellement interloqués que nous n’avions pas fait attention à l’arrivée d’une voiture qui stoppa à quelques mètres de nous. C’était le maire du village. A peine eût-il jeté un coup d’œil au cadavre en décomposition qu’il s’écria : « Mais pourquoi avez-vous tiré la petite Alice de son cercueil, êtes-vous fous ! ».

    C’est nous qui le crûmes dérangé. Il s’expliqua, Alice Grandjean avait été tuée ainsi que son père et sa mère voici deux ans dans un accident de voiture, il reconnaissait ses vêtements, lui-même avait aidé à visser le cercueil. Le brigadier de gendarmerie n’était pas du genre à s’en laisser compter, il possédait un esprit pratique. Il ordonna à un de ses subordonnés et à un infirmier de garder le cadavre qu’il fit recouvrir de son voile plastifié, et tout le reste de notre groupe se dirigea vers le cimetière. Le maire nous mena devant la tombe des Grandjean, la sépulture n’avait pas été violée. Deux employés d la mairie appelés d’urgence vinrent desceller la dalle d’entrée. Les trois cercueils reposaient côte à côte. Ils sortirent celui d’Alice Grandjean, sur l’ordre du brigadier ils le dévissèrent et tirèrent la fermeture éclair du suaire. Alice était bien là, identique à son cadavre qui reposait sur la route sous sa bâche plastifiée blanche.  Nous retournâmes sur la route. D’un geste vif, le brigadier retira le voile qui épousait la forme du corps, dessous il n’y avait rien !

              Alerté, nous ne savons comment, le préfet du département de Seine & Marne nous a convoqués dans les minutes qui suivirent à la mairie de Savigny où nous avons été pris en charge par une cellule d’expertise-psychologique. Tous, infirmiers, médecin, gendarmes, maire, personnel de mairie et journalistes nous avons admis que nous avons été victimes d’un phénomène, pas si rare que cela paraît-il, d’auto-hypnose hallucinatoire collective.

              Evidemment nous n’en crûmes pas un mot. Pour notre part,   dépourvus de toute allégeance d’obéissance à un quelconque service étatique nous avons rédigé cet article au nom du principe sacré de la liberté de la presse dans le seul but de rapporter ces faits étranges dont nous avons été les témoins à nos fidèles lecteurs.

    Martin Sureau et Olivier Lamart

    P.S.: La pellicule des photos prises par Olivier Lamart - mon collègue travaille en argentique – s’est révélée vierge. De même l’appareil numérique utilisé par les gendarmes a été incapable de garder en sa mémoire une seule photographie.

    36

    Le Chef replia le Parisien Libéré dont il venait de lire l’article à voix haute et alluma un cigare. Pardon, un Coronado.

    • Agent Chad, tout s’éclaire, enfin nous tenons un bout de piste, ladite Alice écoutait bien le premier album de Black Sabbath, quant à ce que raconte nos deux journalistes, c’est une chance que nous ayons décampé dès que nous avons aperçu au loin les phares de leur automobile. Ce qu’ils relatent ne nous étonne guère, leur témoignage n’en reste pas moins précieux. Attention ces gaillards-là me semblent des teigneux. Leur tandem est bien connu dans les milieux politiques, je me suis renseigné, sont à l’origine du scandale de l’ancien Président de la République qui tous les mercredis matin séchait le Conseil des Ministres pour aller voir sa maîtresse. Rappelez-vous de cette vidéo croustillante prise par un drone, diffusée en temps réel sur les réseaux sociaux. C’étaient eux. De fieffés retors. Agent Chad, vous ne les quittez pas de la journée, toujours un œil sur eux, je suis sûr qu’ils sont en train d’en savoir davantage sur ce ‘’ vague mouvement d’ombres’’ devant la maison. Ce sont des fouineurs, je ne veux pas qu’ils remontent notre piste.

    37

    La nuit avait été longue et mouvementée, mais un agent du SSR ne dort jamais. Aussi frais qu’une rose je me levai d’un bond, Molossa et Molossito sur mes talons, j’avais déjà une main sur la poignée de la porte.

    • Agent Chad venez près de moi, j’ai quelque chose à vous dire à l’oreille.

    Désolé chers lecteurs, il est des choses qu’il vaut mieux ne pas savoir. Je n’aimerais pas que parmi vous les plus audacieux tentassent de s’amuser avec le Diable. En l’occurrence je me permets de vous rappeler que le Diable que nous poursuivons n’est autre que la Mort. Pas d’imprudence laissez faire les professionnels.

    Pour la deuxième fois de la matinée je m’apprêtais à ouvrir la porte lorsque la voix du Chef résonna une nouvelle fois.

    • Agent Chad !
    • Oui Chef !
    • Vous avez bien votre Rafalos 19 sur vous ?
    • Bien sûr Chef, il ne me quitte jamais, je le garde même tout nu sous la douche !
    • C’est bien ce qui m’inquiète !
    • La douche, Chef !
    • Non votre Rafalos 19, apportez-le-moi!
    • Voilà Chef !
    • Merci, prenez le mien, je me ferai moins de souci si vous avez sur vous le dernier modèle. Il possède un correcteur de tir qui lui permet de ne pas rater sa cible. De la haute technologie, un implant sur la gâchette lui permet d’entrer en contact avec les impulsions de votre cerveau et de comprendre intuitivement ce sur quoi ou sur qui vous voulez tirer.
    • Je vous remercie Chef !
    • Agent Chad, essayez de revenir vivant demain matin, et faites bien attention à Molossa et Molossito, ils ne possèdent pas de Rafalos 21 eux pour se défendre.

    38

    Je sifflotais en rejoignant ma voiture. Cependant je n’étais pas fier, je l’avoue, ce que j’allais faire, jamais aucun agent de n’importe quel service secret du monde ne l’avait jamais tenté, mais il vrai que j’avais sur moi un Rafalos 21, Molossa et Molossito à mes côtés, de surcroît un agent du SSR n’a jamais peur.

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 560 : KR'TNT 560 : FREDA PAYNE / ROCKABILLY GENERATION NEWS / MICHAEL DES BARRES / ROZETTA JOHNSON / FULL MOON CATS / T-BECKER TRIO / FUZZY DICE / BURNING SISTER / ALICIA F ! / PHILIPPE MANOEUVRE

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 560

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    20 / 06 / 2022

    FREDA PAYNE / ROCKABILLY GENERATION NEWS

    MICHAEL DES BARRES / ROZETTA JOHNSON

     FULL MOON CATS / T-BECKER TRIO  

    FUZZY DICE / BURNING SISTER

    ALICIA F ! / PHILIPPE MANOEUVRE

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 560

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/ 

     

    À chaque jour suffit sa Payne

     

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             Quand Freda Payne, bien aidée par Mark Bego, publie son autobio, que fait-on ? On la lit. Pourquoi ? Parce que Detroit. Parce qu’Invictus. Parce que mystérieuse. Parce que Soul Sister. Parce que très belle femme. L’image qui orne la couve est une chose, mais elle n’est rien en comparaison de celle qu’on trouve en quatrième de couverture. C’est l’une des très belles femmes de l’histoire de la Soul. Oh et puis ce corps extraordinairement bandant qu’elle met en scène sur la pochette de Reaching Out, paru sur Invictus en 1973, la voilà dans l’eau jusqu’à mi-cuisses, elle porte un bikini rose qui ne cache rien de ses formes, elle a un corps parfait, alors on comprend qu’un bon paquet de lascars soient partis à sa conquête, car se retrouver au fond d’un lit avec Freda, ça devait être quelque chose d’intéressant. Parmi ses chéris les plus connus, Freda cite Berry Gordy, Quincy Jones et Eddie Holland. Pas mal, non ?

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             On approche surtout ce book dans l’espoir d’y trouver tout ce qu’on ne sait pas encore sur Invictus, le label monté par le trio Holland/Dozier/Holland qui après s’être fâché avec Berry Gordy, s’est lancé dans l’aventure d’un label indépendant. L’autobio d’Eddie et Brian Holland saluée ici au mois de décembre 2021 (Come And Get These Memories) en disait long sur Invictus mais nous laissait quand même un peu sur notre faim. On n’apprenait pas grand-chose sur McKinley Jackson et les artistes signés par le label, comme General Jackson & The Chairmen Of The Board, c’est-à-dire Danny Woods et Harrison Kennedy, et puis aussi 100 Proof Aged In Soul, 8th Day, Glass House et Eloise Laws. Quand une autobio est bien foutue, on entre dans les endroits et on touche la réalité du doigt. Les frères Holland parlaient plus de Berry Gordy et de Motown que d’Invictus. On aura le même problème avec Freda qui fait partie des gens simples qui sont obnubilés par les fastes et la célébrité. Freda en pince pour ce que les gens appellent de nos jours les people, alors elle fait des petites brochettes de noms célèbres qui coupent un peu l’appétit, car ça flirte avec l’emputasserie conventionnelle. C’est un risque qu’on ne court pas lorsqu’on lit Lanegan.

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             Si Freda signe avec Invictus, c’est parce qu’elle vient de rater deux belles occasions : un contrat chez Motown et un autre comme chanteuse dans l’orchestre de Duke Elington, car Freda est avant toute chose une chanteuse de jazz. Eddie Holland va la signer parce qu’il savait que Berry Gordy la voulait absolument. Elle est très tôt dans les pattes de Gordy. Elle raconte notamment un voyage qu’ils font à cinq en bagnole pour aller voir chanter Little Willie John à l’Apollo de Harlem. Dans la bagnole, il y a Gordy et George Kelly devant, et derrière, Freda, sa sœur Scherrie et leur mère à toutes les deux. C’est d’ailleurs la mère qui supervise les contrats et qui les fait foirer. Gordy est proche de Little Willie John, car il est le frangin de Mable John, l’une des premières Soul Sisters que Gordy ait enregistré à Detroit et qui fait donc partie des pionnières.

             Alors c’est Mama Payne qui examine le contrat que leur présente Berry Gordy et elle commence à chipoter sur les pourcentages mentionnés, elle voit que Berry prend 20 % et l’agent 10 %. Elle demande qui paye les robes, les hôtels et les billets d’avion et quand Gordy répond que c’est sa fille, Mama Payne lui répond du tac au tac : «Alors, il ne lui reste pas grand-chose !». Gordy commence à s’énerver et indique que le Colonel Parker ramasse 50 % du blé d’Elvis. Mais Mama Payne ne bronche pas. Comme Gordy ne cède pas non plus, on arrête les frais. Gordy range son papelard. Il voulait une petite poule pour lancer Motown, alors il va voir ailleurs, et il va signer Mary Wells à la place de Freda. Côté mâle, Gordy vient de signer l’excellent Marv Johnson. À l’époque, Freda rencontre aussi Smokey Robinson et sa femme Claudette, ainsi que les trois autres membres des Miracles. Les frères Holland sont là aussi, dès le début.

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             Freda nous explique qu’en fait Berry Gordy avait une réputation de coureur de jupons et Mama Payne voulait protéger sa fille. Mais Gordy est un grand garçon, il va vite passer du stade de coureur de jupons à celui de starmaker et faire du gros business. Devenue amie avec Mary Wilson, Freda connaît bien les tenants et les aboutissants de l’histoire des Supremes. Elle sait que Florence Ballard avait du caractère et qu’elle ne pouvait pas s’entendre avec Berry Gordy, car il était trop autoritaire. Freda qualifie Gordy de control freak - It is either his way or the highway - Elle raconte un peu plus loin qu’elle vivait à Manchester au moment où The Motown Revue tournait en Angleterre avec Little Stevie Wonder, Smokey Robinson & The Miracles, Martha Reeves & The Vandella et Jr Walker. Quand Gordy apprend que Freda est aussi à Manchester, il lui demande s’il peut la voir, ils papotent dans sa chambre, puis Gordy se fait plus flirtarious et bien sûr Freda finit par se faire sauter - Berry kinda talked me into it - Il peut être très persuasif, dit-elle. Alors elle cède. Elle insiste bien pour dire qu’il ne l’a pas forcée. Elle se méfie des procès - And we made love at my hotel - Puis Gordy propose une nouvelle fois un contrat à Freda. Elle soumet le contrat à son avocat, qui veut faire une ou deux modifications. Quand Gordy la rappelle, il lui dit qu’il ne fait aucune modification - First of all: nobody changes my contracts - Alors Freda dit qu’elle sait qu’il l’a fait pour les Four Tops, et Gordy répond que c’est différent, car Levi Stubbs est un ami. Et donc il préfère en rester là avec Freda. Restons bons amis. Pas de biz. Freda pense aussi que ça aurait de toute façon posé des problèmes avec Diana Ross si elle avait accepté de signer. Elles auraient été en conflit direct. Plus tard, Freda apprend de la bouche de Mary Wilson que Gordy dit du mal d’elle. En fait, Gordy ne supporte pas les gens qui chipotent. Toujours le fameux «my way» or «no way». C’est comme ça et pas autrement. T’es pas content ? Dehors ! Beaucoup plus tard, à Las Vegas, on présente Gordy à Freda et Freda dit qu’elle le connaît déjà. Ah bon ?, font les gens. Elle répond : «I know him from Detroit.» Et Gordy se marre : «She knows me quite well.» Alors ça pique la curiosité des gens qui demandent ce que veut dire le quite well, et Berry explique : «Je connais Freda depuis qu’elle est adolescente. She was my first female protégée. I saw in her what I needed to do.» C’est un bel hommage.

             Quand Freda chante avec l’orchestre de Duke Elington, elle est encore mineure. Mama Payne veille sur ses intérêts et en lisant le contrat que finit par lui présenter Duke, elle demande qu’il réajuste le salaire de sa fille, puisqu’elle a déjà tourné partout aux États-Unis et qu’elle va devenir une star. Elle demande de monter à $3,000.00 ou $4,000.00 et Duke rompt les négociations : «Just forget about it.» Terminé. Avec Mama Payne, ça paye pas à tous les coups.

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             Freda devient aussi copine avec Miriam Makeba qui allait épouser le trompettiste Hugh Masekela et plus tard l’activiste Stokely Carmichael. Quand elle quitte Detroit pour venir s’installer à New York, elle rencontre Quincy Jones et vit une belle histoire d’amour avec lui - He was definitively one of the loves of my life. He was so young and handsome - Méchante veinarde ! Et bien sûr, Quincy fait chanter Freda à l’Apollo de Harlem. Là, elle nage en plein rêve.

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             Pendant sa période new-yorkaise, Freda vit en coloc à Central Park West avec une amie et un jour un copain l’appelle pour lui dire qu’on cherche à la joindre. Ah bon ? Il dit qu’il te connaît de Detroit. C’est qui ? Brian Holland ! Mais oui c’est vrai, on est allés au lycée ensemble. Elle le prend au téléphone et Brian lui explique qu’Eddie et lui ont quitté Motown pour monter Invictus. Il lui demande ce qu’elle fait et comme elle ne fait rien de particulier, il lui propose de venir à Detroit signer un contrat chez Invictus. Cette fois, elle n’hésite pas. Mama Payne n’est pas dans le coin. Elle signe sans avoir lu, pour être sûre de ne pas foirer son coup, comme avec Motown et Duke. Et pouf c’est parti ! Elle revient s’installer chez ses parents et Ron Dunbar vient la chercher chaque matin pour l’emmener au studio, sur Grand River Boulevard. C’est le fameux Holland/Dozier/Holland Sound Studio installé dans un théâtre. Comme ingés-son, Holland/Dozier/Holland ont récupéré Lawrence Horn et Barney Perkins, qui eux aussi ont bossé chez Motown. Freda enregistre «Band Of Gold» qui est crédité Dunbar et Wayne mais qui en réalité est du Holland/Dozier/Holland, mais ils ne peuvent pas signer de crédits tant qu’ils sont engagés dans une procédure judiciaire contre Motown. Freda évoque aussi le producteur Tony Camillo. Tony dit avoir composé la musique de «Band Of Gold», mais il n’apparaît pas non plus dans les crédits, parce qu’il avait refusé de signer avec Eddie Holland un contrat qui le liait pour sept ans, Avec «Band Of Gold», Freda décroche le jackpot et devient célèbre. Elle entame une relation amoureuse avec Eddie - Eddie Holland? What the heck? - Mais les choses vont vite se gâter. Freda est une star, mais elle ne voit pas de compensation financière. Pas d’avance à la signature, pas de royalties, alors elle comprend qu’elle doit se faire la cerise. Elle pensait qu’Holland/Dozier/Holland avaient tiré des enseignements de leur expérience chez Motown, mais dit-elle, ils répétaient exactement les mêmes erreurs.

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             Freda enregistre trois albums sur Invictus, à commencer par Band Of Gold en 1970. Avec le morceau titre, Holland/Dozier/Holland lui donnent un superbe hit Motown, lourd de conséquences et de gros popotin, gorgé d’aplomb et de rage contenue. Comme l’indique Freda, le cut est effectivement crédité Ron Dunbar. C’est du pur Motown Sound, et Freda chante d’une voix de rêve. Avec «Rock Me In The Craddle», elle règne sur la terre comme au ciel et «Unhooked Generation» vaut bien des early hits de Stevie Wonder, c’est pas loin d’«I Was Made To Love Her». Tous les cuts de l’album sont soignés, ce ne sont que des grosses compos. Elle monte bien en neige le «The World Don’t Give You A Thing» signé Holland/Dozier, et elle revient nous enchanter avec «Happy Heart», une merveille de Soul magique violonnée comme il se doit.

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             Paru l’année suivante, Contact est un peu moins dense. Il semble que cet album soit conçu comme une comédie musicale. C’est très orchestré avec du narratif intempestif. Ça bascule dans l’hollywoodien. Elle fait un tout petit peu de Motown avec «You Brought Me The Joy» et casse la baraque en fin d’A avec «You’ve Got To Love Somebody (Let It Be Me)», qui sonne comme du Motown de l’âge d’or. Elle monte en B au sommet de son chat perché pour «I Shall Not Be Moved», elle sait parfaitement pousser son Motown dans les orties. Freda est terriblement savoureuse. Et dans «Mama’s Gone», on retrouve le filet mélodique du «Patches» de General Johnson. 

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             Dernier shoot d’Invictus en 1973 avec Reaching Out. Elle attaque l’album avec une belle Soul de sexe chaud, à l’image de la pochette. Corps de rêve. Toute l’A est consacrée au sexe chaud. Les affaires reprennent en B avec «We’re Gotta Find A Way Back To Love», big Soul de prestige, tout est là, l’ambiance, le swing, la voix, la classe, c’est à se damner pour l’éternité. Elle reste dans la Soul de satin jaune avec «Rainy Days & Mondays» - Rainy days & mondays/ Always get me down - Avec Freda, le trio Holland/Dozier/Holland tenait une très grande artiste. Elle tape à la suite dans l’«If You Go Away» de Jacques Brel, elle en fait une version honorable mais pas aussi définitive que celle de Scott Walker. Elle le chante pourtant à pleine gorge. Elle finit en classic Motown Sound avec «Right Back Where I Started From», elle tape ça au gros popotin, à la suprêmo des Supremes, Freda fait sa Ross quand elle veut, avec tout le gros chien de sa petite chienne.

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             Quand Freda quitte Invictus en 1973, elle signe avec ABC/Dunhill Records à Los Angeles. Lamont Dozier débarque aussi chez ABC et y enregistre deux albums, Out Here On My Own et Black Bach. McKinley Jackson produit le premier album de Freda chez ABC, Payne & Pleasure et bien sûr, Lamont Dozier compose pour elle des hits magiques, comme l’«It’s Yours To Have» d’ouverture de balda. Une vraie merveille de Soul californienne et on peut faire confiance à Freda, elle sait monter au front. On la voit encore défendre sa Soul pied à pied dans «Didn’t I Tell You», elle reste systématiquement dans le haut de gamme. À voir la pochette, on pourrait penser que Freda est tombée dans le panneau des Diskö Queens, pas du tout, elle tape des fantastiques balladifs de Soul, comme cet «I Get Carried Away» dûment violonné par McKinley Jackson. Grosse présence effective, avec un son différent de celui de Motown. Lamont Dozier compose aussi «Don’t Wanna Be Left Out», une belle Soul de grande insistance, elle ne s’accorde aucun répit, la Freda - Don’t wanna be left out/ in the cold baby - Encore un fantastique balladif en B avec «I Won’t Last A Day», elle chante par dessus les toits de la Californie et elle termine cet album magnifique avec l’«A Song For You» de Tonton Leon, elle le jazze comme le ferait Sarah Vaughan, elle ruisselle de feeling, elle est hallucinante de virtuosité vocale. 

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             L’année suivante, elle enregistre Out Of Payne Comes Love. Le hit de l’album se trouve en B : «(See Me) One Last Time», un slowah d’inspiration divine, avec des accents de Jimmy Webb et des attaques qui renvoient à «Tell Me Like It Is». L’autre gros coup de l’album est un r’n’b signé Ashford & Simpson, «Keep It Coming». C’est quasi-Stax, pas de problème, elle est dessus, elle est au-devant du mix. «You» vaut aussi pour un joli You d’inspiration divine. On reste ici dans la Soul classique de Detroit, c’est très beau, très pur, à l’image de ce God bless you. Avec «Lost In Love», elle tape un groove de good time music. Freda est l’artiste parfaite, intense quand il le faut et apte à groover sur Coconut Beach. Elle termine avec une shoot de Soul pop très sophistiquée, «Million Dollar Horse», une Soul pop très ambitieuse, qui ne mégote pas sur les investissements qui ne recule devant aucun obstacle. C’est très Jimmy Webb comme projet, elle capte l’attention, et elle impressionne au plus haut point.

             Puis Freda se retrouve devant un sacré dilemme : on lui propose deux contrats, l’un chez Philadelphia International Records avec Gamble & Huff et l’autre chez Capitol. Le premier a les O’Jays, Harold Melvin & The Blue Notes, The Third Degrees, le deuxième a Nathalie Cole, le Steve Miller Band, Glen Campbell, Paul McCartney & Wings et Frank Sinatra. En plus Capitol propose plus de blé, alors Freda va chez Capitol. Sacrée Freda, elle a fini par apprendre à ne pas perdre le Nord.

    Signé : Cazengler, peigne-cul

    Marc Bego & Freda Payne. Band Of Gold. Yorkshire Publishing 2021

    Freda Payne. Band Of Gold. Invictus 1970

    Freda Payne. Contact. Invictus 1971

    Freda Payne. Reaching Out. Invictus 1973

    Freda Payne. Payne & Pleasure. Dunhill 1974

    Freda Payne. Out Of Payne Comes Love. ABC Records 1975

     

     

    Talking ‘Bout My Generation - Part Six

     

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             La Suissesse Lily Moe est en couve du n°20 de Rockabilly Generation. Très beaux tatouages. Comme toujours, l’icono qui fait la loi dans ce canard nous en met plein la vue. L’esthétique rockab est l’une des dernières grandes esthétiques du rock system et c’est bien qu’un petit canard puisse la célébrer en lui donnant autant de place. En plus des tatouages, Lily Moe a deux très beaux albums under the belt.

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             Ça swingue chez Lily Moe & The Barnyard Stompers ! On peut même parler de big swing action, elle chante à la revancharde, elle te tombe dessus au dancing show, elle peut faire sa gutturale et passer comme une lettre dans ta poste. Il faut la voir se mettre en pétard dans «Ripple The Tripple» ! C’est avec «Hey Little Boy» qu’elle trouve sa distance et les Barnyard Stompers swinguent comme des bêtes de bop, alors elle est en confiance, et encore plus en confiance dans «Ho Ho Ho», un vrai chaudron de swing. Les Stompers tapent un instro de swing faramineux avec «Baked Potatoes». Avec «Why Don’t You Hold Me Back», ils passent au swing de jazz, et cette fabuleuse poulette tatouée s’y colle, avec tout le chien de sa petite chienne, ouaf-ouaf-ouaf-ouaf ! Elle passe au wild drive de fifties sound avec «I’m A Wine Drinker», elle ne lâche rien, elle croque la vie à belles dents et plus loin, on la voit charger la barque du heavy jump avec «Mama He Treats Your Daughter Mean», elle s’y plaint, son mec se conduit mal avec elle - Mama he takes my money - elle a raison de se plaindre, des fois les mecs sont des vrais cons, alors elle perd la boule, he drives me crazy.

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             En 2018, Miss Lily Moe enregistre un deuxième album, Wine Is Fine. Joli titre. Mais attention au gros nez rouge. Dès «Daddy You Can’t Come Back», elle swingue son swing au boo boo ! Avec ses deux étoiles tatouées sur les épaules, Lily Moe est une grande dame du swing, elle y va au doux d’entre-deux, suivie par un solo de sax. Encore du pur jus de swing avec «Rockin’ On A Saturday Night». Elle règne sur son petit empire de groove de swing, rocking with my babe, grosse énergie ! Solo de jazz swing, et la pauvre Lily sonne comme une cerise perdue là-haut sur le gâtö. Tout sur cet album est à la fois ultra-joué et ultra-chanté. Elle revient à son cher swing avec «Sammy The Rabbit», elle est partout à l’intérieur du cut, elle chante au petit sucre candy. Encore une petite merveille avec le morceau titre, elle nage dans l’excellence du wine, elle te swingue tout ça au retour de manivelle. Elle termine avec un «Find Me A Baby Tonight» assez engagé, elle perd le raw mais tape ça aux fusées de baby tonight.

             On retrouve Marlow le marlou en couve du n°21 de Rockabilly Generation. Il y raconte à tombeau ouvert l’aventure de sa vie, une vie vouée au rock. On ne pourrait pas imaginer plus vouée que cette vie-là, d’autant qu’il la narre au présent, à la manière anglo-saxone, il est dans l’action et le temps de l’action, c’est le présent. Non seulement son voué de vie grouille d’action, mais elle grouille de gens, de projets, de groupes, de concerts, de tous les détails qui font le vrai du voué, un vrai qui ne s’invente pas, alors ça devient palpitant, car c’est extrêmement bien écrit. Tous les fans de rock rêvent d’avoir vécu un tel voué, avec une telle intensité, et le plus spectaculaire, c’est que le présent narratif couvre quasiment cinquante ans, puisque Marlow le marlou débarque à Paname en 1974 - Je quitte la Corse où j’ai grandi pour monter à Paris - Ça démarre presque comme un roman. Tu en as qui longtemps se couchent de bonne heure, et tu en as d’autres qui montent à Paname, ce n’est pas la même chose. Et hop ça part en trombe à coups de Victor Leed, de Golf Drouot, de Crazy Cavan & de Flying Saucers, de rockers de banlieue qui viennent pour la shoote, pif, paf, et pouf, il monte les Rocking Rebels avec Tintin et un copain corse, Jean-Marc Tomi, Marlow cite le noms par rafales, son récit swingue dans le temps et voilà qu’arrivent deux héros, d’abord Jean-Paul Johannes et puis Marc Zermati qui signe les Rebels sur Skydog en 1978.  

             Alors on ressort deux albums des Rockin’ Rebels de l’étagère. Le dommage du premier, paru en 1979, est que Jean-Paul Johannes joue de la basse électrique. Pas de slap. Pire encore, les Rebels ne jouent que du rock’n’roll plan-plan alors qu’ils sont parfaitement capables de swinguer le go cat go. Et bien pire encore : ils ratent l’«One Hand Loose» de Charlie Feathers. Et comme une série noire ne s’arrête jamais en chemin, ils ratent aussi le «Put Your Cat Clothes On» de Carl Perkins. Par contre, c’est avec les deux doigts dans le nez qu’ils swinguent le «Gonna Rock Tonight» des Groovies. Ça mérite un coup de chapeau.

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    Trois ans plus tard, les Rebels passent à autre chose avec 1, 2, 3... Jump ! paru sur Underdog, le label du duo Lamblin/Zermati. Jump est un album de swing phé-no-mé-nal. Et quand on a dit ça, on n’a encore rien dit. Dès «Loli Lola», Jean-Paul Johannes drive le bop sur sa stand-up. Les Rebels affichent un côté très Boris Vian, ils savent aussi jazzer leur java comme le montre l’excellent «Hoodoo». Même s’ils sortent un son très commercial, très early sixties, c’est en place et diablement bon. Il faut voir ce dingue de Joannes swinguer son bop ! S’ensuit un «Bleu Comme Jean» incroyablement groovy et mal chanté. Mais l’album est solide, les thèmes varient, tiens, voilà «A Kiss From New Orleans» et une nouvelle leçon de swing. Jean-Paul Joannes et JJ Bonnet constituent une section rythmique de rêve. On l’entend encore le Joannes faire des gammes dans «Gallupin’». Et ça repart de plus belle en B avec un «Hey Bon Temps» mal chanté mais swingué jusqu’à l’oss de l’ass. «Cinq Chats de Gouttière» sonne très Chaussettes Noires, mais Joannes nous slappe ça sec au saucisson sec. Ils shootent un gros fix de New Orleans barrelhouse dans «Bim Bam Ring A Leavio» et jivent «Preacher Ring The Bell» comme des bêtes de Gévaudan. Et ils swinguent à la vie à la mort jusqu’au bout de la B, avec «Dansez Dansez» et «Bop Jump And Run».

             Et vroom, ça repart de plus belle avec de nouvelles rafales de noms, Jerry Dixie, Victor Leeds, le Alligators et Vince Taylor, des affiches de vieux concerts qui font rêver. Ah le temps de l’abondance ! Et puis nouvelle rafale avec Matchbox, Shakin’ Stevens et les Stray Cats, 1981 et l’élection de François Mitterrand, Brian Setzer le virtuose que l’on sait, puis nouvelles rafales de dates, tournées à travers la France, avec Marlow le Marlou, ça ne s’arrête jamais, et ça reste passionnant. À travers son histoire, il raconte la vraie histoire de France, les pannes, les salles, les Olympias, les premières parties, les sonorisateurs, les ovations, il ne manque rien, on a même les 10 000 personnes du Palais d’Hiver de Lyon, on est content pour les Rebels et pour Marc qui avait cru en eux. Et ça repart de plus belle avec Jackie Lee Cochran, Best et Rock&Folk, vroom vroom, Serge Gainsbourg, Sonny Fisher, Big Beat, alors t’as qu’à voir ! Et puis les télés, toutes ces vieilles émission de télé, Marlow le marlou envoie de nouvelles rafales, puis d’autres encore avec des producteurs, des test pressings, du show biz à tire-larigot, du Blanc-Francard, et des radios, bien sûr en veux-tu en voilà, puis il nous embarque dans l’épisode Betty & The Bops, mélange knock-outant de Ted Benoît et de Betty Olson. C’est là qu’il devient Tony Marlow

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             Alors on ressort vite fait Hot Wheels On The Trail de l’étagère. L’album date de 2005. C’est Betty qui slappe et qui chante. On sent la réalité du son dès «Hound Dog On My Trail». Tony Sasia bat son bord de caisse. Ils passent aux choses sérieuses avec «You Better Run». C’est plutôt wild avec un petit côté banlieue bien ficelé. Marlow le marlou passe un killer solo flash, il en a la carrure, il sait jouer au dératé. Quand Betty reprend le lead au slap avec «Go Cat Go», le marlou joue en clair derrière. Le niveau va hélas baisser pendant une petite série de cuts, mais ils font un retour en force avec «The Memphis Train» et sa belle dégringolade de basse à la Bill Black. Comme Marcel, Betty chauffe, on peut lui faire confiance, et soudain, le marlou rentre dans le lard du Train avec un solo demented are go. On reste dans l’énormité avec un «All I Can Do Is Cry» claqué au big riffing de marloubard. C’est encore une fois slappé derrière les oreilles et saturé de big sound. Il faut voir le marlou swinguer la cabane ! Betty et ses amis ne font pas n’importe quoi, sur ce mighty label Sfax. Et paf, voilà la cover définitive : «Please Don’t Touch». Betty rentre dans le lard du Kidd avec une niaque héroïque. Côté son et esprit, c’est absolument parfait. Ils font aussi une reprise du «Tear It Up» de Johnny Burnette. Betty la prend comme il faut, à la bonne franquette et boucle l’affaire avec «Bop Little Baby». Elle y va sans se poser de questions et le marlou sonne bien le tocsin du riff raff. On peut dire que ça shake en blanc.

             Et ça repart de plus belle avec la reformation des Rockin’ Rebels et Skydog, Elvis, Graceland, voyage initiatique, puis Bandits Mancho, Marlow le marlou ne s’accorde aucun répit et c’est tant mieux pour nous. Tout s’emballe encore avec Rockers Kulture et les fameuses compiles, six en tout, concerts à la Boule Noire et au New Morning et comme il le dit si bien, du jamais vu en France ! C’est effectivement un épisode mythique car il est le seul depuis Big Beat à avoir su donner un cadre à la culture rockab en France, une culture si vivace, et ça embraye aussi sec sur Johnny Kidd et le tribute band K’Ptain Kidd, puis Marlow Rider et Alicia F, vroom vroom !  

    Signé : Cazengler, dégénéré.

    Rockabilly Generation. N°20 - Janvier Février Mars 2022

    Rockabilly Generation. N°21 - Avril Mai Juin 2022

    Miss Lily Moe. Wine Is Fine. Rhythm Bomb Records 2018

    Lily Moe & The Barnyard Stompers. Rhythm Bomb Records 2013

    Betty And The Bops. Hot Wheels On The Trail. Sfax CD 06. Sfax Records 2005

     

     

    L’avenir du rock

    - De l’or en Des Barres (Part One)

     

             Quand on lui demande s’il existe une limite d’âge en matière de rock, l’avenir du rock éclate de rire. Pour ne pas blesser son interlocuteur qui visiblement n’a jamais rien compris, il répond que c’est comme avec Tintin, ça concerne tout le monde, «de 7 à 77 ans», et s’il lui faut argumenter, alors il cite en vrac le Moulinsart total de Scriabine, les Dupontificaux de la causalité  terminologique, la Castafiore du Castle Face de John Dwyer, le Rastapopoulos Bitchos de la vie, le Capitaine (hello Damie) Haddrock me baby/ Rock me all nite long, Milou Reed on the wild side, and the colored girls go Doo do doo do doo do do doo, l’Alcazar du Back In The USSR, you don’t know how lucky you are boy, le Yeah Yeah Yéti, she loves you, yeah, yeah, yeah, le Tchang Guy de check it out, baby, le Tournesol-La de la montée d’accords sur «My Generation», why don’t you all f-f-f-f-f-fade away, la chute de Szut dans le stock de coke et son patch Keefy-Ziggy, Ziggy played guitar Jamming good with Weird and Gilly, oh et puis Rackhamala Fa Fa Fa aux frontières du free et de la flibuste, I’m the man/ for you, baby/ Yeah I am, Abdallah La La Means I Love You, all I know is/ La la la la la la la la la means I love you, le Nestor de Blaise que n’en déplaise à Suter, Muskar XII de baby you can drive my kar, le Lampion des lampistes aux étoiles de Starman waiting in the sky/ He’d like to come and meet us, le Figueira qui ne figure que dans les Cigares d’Edgar du Nord, and that’s just about the death of a/ Like I mean/ Electric citizen, et le Müller des symphonies inachevées, le Rascar Capac de Race with the Devil, move hot-rod move man,  le professeur Calys des Fleur de Lys, you say you love me but you don’t know why, le Chiquito jolie fleur de banlieue, le fakir de Kih-Oskh qui chante Phil Ochs sur sa planche à clous, et puis dans le même rayon d’action surnaturelle, le lama Foudre Bénie qui lévite à la moindre alerte sonique, l’encore plus allumé Grand Prêtre Huascarbonisateur d’offrandes humaines au dieu du Soleil, Sun Ra, Philippulus le Prophète aérolithe qui annonce au mégaphone l’apocalypse selon Jaz Coleman, les frères Loiseau qui Licornent la brocante de l’art total sur fond de Big Bird, open up the sky/ Cause I’m coming up to you, le boucher Sanzot qu’appelle l’Iggy-No-Fun de maybe call Sanzot on the telephone, le Colonel Sponsz qui éponge les dirty sponges de Misty White Satin, l’Allan vital du cargo cat go,  voyez-vous lance l’avenir du rock en guise de conclusion, il y a de la place pour tout le monde, surtout pour les vieux marquis de 74 ans ! 

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             Il fait bien sûr allusion à Michael Des Barres. Ce vieux marquis appartient à l’élite des survivants. D’où la quintessence de sa présence. Il a eu plus de chance que certains de ses collègues glamsters. Lou Reed et Bowie ont cassé leurs vieilles pipes en bois. Michael Des Barres continue de rocker la médina. Ça fait cinquante ans qu’il rocke. And what a rocker ! Peu de gens peuvent se prévaloir d’un pedigree qui repose à la fois sur le glam et Steve Jones. Qui se souvient de Silverhead, un groupe glam emmené sur la route de la gloire en 1972 par Michael Des Barres, fils unique du Marquis Philip Des Barres ?

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             Un nommé J. Elvis Weinstein vient de lui consacrer un bon vieux docu, Who Do You Want Me To Be. On peut même le choper sur DVD. C’est la façon idéale d’entrer dans l’histoire du petit marquis glam. Weisntein a choisi d’ancrer l’histoire dans l’Histoire, puisqu’il démarre sur la bataille de Bouvines en 1214 où le premier Marquis Des Barres affronte aux côtés de Philippe Auguste une coalition anglo-prussienne. Michael Des Barres est donc the 26th Marquis Des Barres. Son père Phillip tourne mal et va moisir au trou, la mère est partie en goguette, alors le jeune Michael est élevé chez des filles de joie, puis il va se retrouver à l’âge de 8 ans dans une English Public School. Dans l’aristocratie, dit-il, tout est prévu et financé à l’avance.

             Avant d’entrer dans la caste des survivants, il appartient déjà à une autre élite, celle des enfants prodiges qu’on envoyait tourner des petits rôles devant les caméras. Comme Steve Marriott en Angleterre et deux Standells (Larry Tamblyn et Dick Dodd) aux États-Unis, Michael devient ce que les Britanniques appellent un child actor et il va continuer de faire du cinéma toute sa vie. Il est l’un des rares veinards à pouvoir prétendre mener des carrières à succès à la fois dans le rock et dans le cinéma. Il connaîtra une forme de célébrité relative en jouant le rôle de Murdoc dans la série MacGyver, mais ce n’est pas notre propos.

             Quand il arrive à Londres dans les mid-sixties, il se fout du rock. Il veut juste baiser - I want to fuck ! - Puis il décide de devenir une rock star et on le voit bientôt dans les canards, torse nu avec un collier de chien. La parenté avec Iggy saute aux yeux. A lot of sex. D’ailleurs il tient le même discours qu’Iggy dans Vive Le Rock : «J’ai 74 ans, une taille de jeune homme, tous mes cheveux, une garde-robe fantastique, une très belle femme et une maison spectaculaire.» Gerry Ranson est ébloui par ce Brit aristocrat qui a «vécu the life of a Hollywood star for the best part of fifty years.»

             Comme le fait Ranson dans son article, le docu déroule la vie du petit marquis. C’est Andrew Lloyd Webber qui lui donne sa première chance en finançant Silverhead. Le futur Blondie Nigel Harrison y joue de la basse. Deux albums et un troisième inachevé.

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             En 2016, Cherry Red réédite le fameux Live At The Rainbow de Silverhead et ajoute à la suite un autre Live datant aussi de 1973. On sent un souffle dès «Hello New York». Le guitariste s’appelle Red Rock Davies. Le groupe se situe à la croisée des chemins, quelque part entre le gros son américain des seventies et les Faces, mais des Faces qui seraient américanisés. Le petit marquis va chercher des intonations de caïman. C’est un rock sans histoires, monté sur du big riff raff. «Rolling With My Baby» vaut largement le détour, c’est joué au sliding d’Amérique et drivé à l’énergie maximaliste, le tout étant saupoudré d’une pincée de démesure perverse et d’un soupçon de débauche. On retrouve les mêmes cuts dans le second live. Silverhead se veut glammy mais peine à l’être. De toute évidence, ils n’inventent pas le fil à couper le beurre. Mais ils font preuve d’une belle opiniâtreté, leur opiniâtreté est même un modèle du genre. Ils jouent «Bright Light» au heavy romp et ça accroche bien, on se croirait de retour dans la cour du lycée, dans les années soixante-dix, au temps où on vantait les mérites de groupes anglais à des mecs qui s’en foutaient. Ouuh yeah, Michael Des Barres introduit «16 And Savaged» avec un ton menaçant. Il lance sa cavalcade de heavy rock à l’assaut du ciel, mais la ruine en l’interrompant brutalement.

             C’est lors d’une tournée américaine que le petit marquis rencontre Miss Pamela. Coup de foudre. Mais il doit divorcer de son épouse anglaise qu’on voit d’ailleurs dans le docu. Silverhead splitte et le divin marquis lance un nouveau projet, Detective, avec l’ex-Steppenwolf Michael Monarch et l’ex-Yes Tony kaye. Ils sont sur Swan Song et Jimmy Page produit le premier album.

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             Par miracle, un petit label ressort en 2016 un live de Detective, occasion inespérée de goûter une fois de plus au fruit défendu que fut leur stomp. «Get Enough Love» est en effet un pur stomp à l’Anglaise, bien plus puissant que celui de Mick Ralph dans Bad Co. Michael Monarch le joue comme un dieu. Leur défaut consiste à jouer des cuts interminables qui durent parfois cinq ou six minutes. «Detective Man» sonne comme du gros rock anglais de type Faces, c’est chanté dans la force de l’âge avec une belle puissance de feu. Ce groupe savait se montrer flamboyant, récurrent et astringent, une vraie purge de nectar d’avatar. Ce mec Monarch se montrait encore irrésistible dans «Grim Reaper» et «Fever». Detective stompait un rock tragiquement classique.

             «Then I went in San Francisco and saw the Sex Pistols. It changed my life.» Il lance un nouveau projet, Chequered Past avec Clem Burke et Frank Infante de Blondie, son vieux sbire Niguel Harrison et Steve Jones. Tony Sales vient très vite remplacer Infante. Bon on reviendra sur tout ça dans un Part Two. Même chose pour les trois premiers albums solo du divin marquis. Cette fois, on va juste se focaliser sur son dernier album solo, The Key To The Universe, paru en 2015.

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             Joli en retour en force ! Il ne perd rien de sa superbe glammy et de sa niaque aristocratique, comme on le constate à l’écoute d’«I Can’t Get You Off My Mind». Il semble même plus enragé qu’avant. Il fulmine. Ça tourne à la grosse explosion d’encadrement. Quel son ! Le divin marquis se jette à fond dans l’expression d’un glam cockney. Avec «Room Full Of Angels», on goûte à l’ultra-puissance du descendu de guitares voraces et ça part en heavy-duty balladif. Le divin marquis a toujours eu un sens aigu du son, ne l’oublions pas. Il ressort sa grosse cocotte pour «I Want Love To Punch Me In The Face». Pas de quartier pour les canards boiteux. Le divin marquis hante son château avec une belle persuasion glam. C’est un bonheur que de l’entendre jouer. Tous les exégètes devraient se jeter aux pieds de cet homme. Il sait tout faire à la perfe : les solos, les envois, les envies et les envols. On reste dans le haut de gamme avec «Maybe Means Nothing». Il prend le claqué au supérieur et on note l’excellence de l’emprise du chant. C’est d’un classicisme extravagant. On tombe plus loin sur un «Yesterday’s Casanova» visité par des flots de lumière. Le divin marquis nous plonge dans une sorte de chaos d’épouvante. Excellent, d’autant que cette masse dégouline de fuites de guitare. Grosse attaque pour «Black Sheep Are Beautiful», certainement l’une des attaques du siècle. Le divin marquis percute comme un beau diable. Il groove comme un démon de bréviaire et chante comme Steve Marriott. 

    Signé : Cazengler, complètement barré

    Silverhead. Live At The Rainbow London. Cherry Red 2016

    Detective. Live From The Atlantic Studios. HNE recordings 2016

    Michael Des Barres. The Key To The Universe.  FOD Records 2015

    1. Elvis Weinstein. Michael Des Barres. Who Do You Want Me To Be. DVD 2020

    Gerry Ranson : Some like it hot. Vive Le Rock # 89 - 2022

     

     

    Inside the goldmine

    - La pierre de Rozetta

     

             La première chose qu’on t’apprend, c’est à te servir d’une machette : jamais tailler de front, taille de biais, tu vois comme ça, tchac, tchac ! Ta vie dépend de ta machette, donc graisse bien ta lame et prends soin du tranchant. Ensuite, si un serpent te mord, ouvre une plaie autour de la morsure et aspire le sang aussi vite que tu peux. Ta vie dépend de ta vitesse à réagir. Ensuite, si tu traverses un cours d’eau boueuse, fais passer le guide ou ta femme avant, car tu ne vois pas le caïman, mais lui il te voit. Équipement léger, nécessaire de survie, boussole, carte sommaire, et hop c’est parti ! Direction le cœur de la jungle, vers la mystérieuse cité du Haut-Xingu, plein Nord, tchac tchac ! Au début on est tout content, mais ça tourne vite à la galère. Putains d’insectes ! Tu passes ton temps à écraser ces putains de bestioles qui se faufilent par les manches et par l’encolure de la vareuse. C’est-y pas Dieu possible un pays pareil ! Une semaine, deux semaines, trois semaines passent avec le sentiment d’avancer à la vitesse d’un escargot, tchac tchac ! Ça n’en finit pas. Tout ça pour une soit-disant cité mystérieuse découverte au XVIIIe siècle par un soit-disant explorateur portugais ! Mon cul ! Quatrième semaine. Tchac tchac ! Effectivement, les caïmans sont énormes dans le coin. Celui qu’on a vu a chopé le guide, woaurffff, alors on fait demi-tour et on cherche un autre passage. Putain, ce monstre fait au moins cinq mètres de long, il faudrait un bazooka pour le dégommer. Bon, tout ça n’arrange pas nos affaires. On trouve un autre passage, mais au-dessus d’un petit ravin. Pas génial, surtout quand on a le vertige. Il faut tailler des arbustes pour fabriquer une sorte de passerelle. Tchac tchac ! On l’attache avec des lianes. C’est vraiment un coup à se casser la gueule. Mais bon, c’est ça ou le caïman de cinq mètres. Alors on ne se pose même pas la question. Évidemment, celui qui teste la passerelle fait les frais de l’opération, il se casse la gueule en poussant un cri, comme dans les films. C’est vraiment nul. Alors c’est pas compliqué, le choix est vite fait : soit le caïman de cinq mètres, soit demi-tour et retour au bercail. On vote à main levée. Qui veut continuer ? Le chef de l’expé lève la main. L’enfoiré ! Tchac tchac ! On lui coupe les deux mains, comme ça, il ne peut plus voter. Qui veut rentrer ? On lève tous la main. Donc on rentre. Fuck la cité mystérieuse ! Encore trois ou quatre semaines de galère pourrie et d’insectes et on pourra caler son cul dans un bon fauteuil au sec pour écouter Rozetta Johnson. Mmmmmmm...

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             Rozetta Johnson nous vient d’Alabama et si ses singles sont devenus légendaires, la raison en est bien simple : les compos sont signées Sam Dees. Dans le booklet qui accompagne la compile A Woman’s Way (The Complete Rozetta Johnson 1963-1975), Rozetta qui s’appelle en réalité Roszetta, raconte sa vie très simplement : un peu d’église, puis un peu de club au flanc à Birmingham, puis elle est repérée et pressentie pour les Supremes, puis Sam Dees, puis zéro royalties, puis elle jette l’éponge, reprend ses études, diplôme de sociologie, puis mariage, puis mari qui dit fini les clubs, alors fini les clubs, puis secrétariat pendant 23 ans, la durée du mariage, puis divorce, puis retour à la liberté.

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             Rozetta Johnson travaille sa Soul au corps, un peu comme Aretha, elle cultive le psychodrame de la Soul de manière plutôt intense. Dans «I’ve Come Too Far With You», elle pousse des pointes et derrière les mecs font des chœurs de rêve, believe me when I say. Cette Rozetta stone couine par-dessus les toits, elle chante du ventre, au pussy power. Elle travaille sa Soul au corps, elle semble redoubler de power lorsqu’elle est amoureuse. Il y a d’ailleurs deux versions d’«I’ve Come Too Far With You» une en ouverture de bal et l’autre en fermeture. Si on veut du sexe, alors il faut écouter «Willow Weep For Me», un heavy blues dégueulasse, elle se plonge de façon démente dans la bauge du génie, et lorsqu’elle gueule sa sexualité, on décolle. Les nappes d’orgue exacerbent le sexe. Le weep for me est un vrai jus de bite. Autre coup de génie avec «I Understand My Man», elle navigue au gré du pire heavy blues de l’univers, elle est tellement explosive qu’elle redore le blason du Soul Genius. Elle casse encore la baraque avec «Personal Woman». Elle se positionne au départ de tout, elle est en permanence dans la permanence, elle dans l’Aretha, elle est dans le foin, dans la cime, elle est partout, elle pousse des hey hey comme Aretha et d’ailleurs, dans «It’s Been So Nice», elle expecte du respect, comme Aretah - Respect together - On la voit aussi entrer dans un son plus profond, plus hip-hop avec «How Can You Lose Something You Never Had», mais elle reprend vite le contrôle, elle est urbaine et libre dans la ville des mecs à casquettes.

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             Avec Rozetta, tout est toujours nickel. Elle y va sans se poser de questions, elle connaît toutes les ficelles du hey hey hey et du c’mon baby. Elle refait sa Aretha avec «Can’t You Just See Me», elle est parfaitement à l’aise dans ce rôle, elle dispose du même genre de niaque, un truc qui n’appartient qu’aux petites Soul Sisters, cette façon qu’elles ont de gueuler en secouant les hanches. Encore de la fantastique allure avec «To Love Somebody». Elle est bonne dans toutes les positions, ce qui n’est pas peu dire. Comme si elle faisait tout mieux que personne. Retour au sexe pur avec «(I Love Making That) Early Morning Love». La petite coquine aime le cul à l’aube, elle y va via le via-groove reggae, c’est cousu mais comme c’est bon. Et si on aime bien le raw r’n’b, alors Rozetta nous gâte, elle fait son shoo shoo et son chain chain dans «Chained & Bound» et du raw primitif avec «Mama Was A Bad Seed» - She said loney honey - C’est tellement primitif que ça devient énorme. Elle chante son «You Better Keep What You Got» au sommet du dancing strut, dans une incroyable promiscuité, elle ne recule devant rien, c’est flamboyant ! On va de surprise en surprise, c’est une chose certaine. On trouve aussi deux versions d’«I Can Feel My Love Coming Down». Cette compile est un panier de crabes aux pinces d’or. Rozetta rentre dans le lard de chaque cut comme dans du beurre, elle doit être la première surprise d’être autant éclaboussée de lumière. Elle rôde sans fin dans les coulisses du génie. Elle se jette sans discuter dans toutes les fournaises. Elle ramène du power en permanence, avec «It’s Nice To Know You», elle devient la reine de la Soul Kent, elle pulse ça du ventre, sa Soul est un truc à part, il faut le savoir. Elle est dans l’omniscience de l’omnipotence, il suffit d’écouter «That Hurts» pour le comprendre. Elle va vite et repart de plus belle avec «Mine Was Real», elle se projette dans l’essor incomparable, elle est partout dans ses cuts, son r’n’b n’en finit plus d’éclater au firmament de la sharpitude, bienvenue au paradigme du peuple noir ! Elle illumine tout automatiquement. La Soul de «Who Are You Gonna Love» est tragique et sentimentale à la fois, c’est d’une pureté à peine croyable.

    Signé : Cazengler, Rozette de Lyon

    Rozetta Johnson. A Woman’s Way (The Complete Rozetta Johnson 1963-1975). Kent Soul 2016

     

    *

    La Teuf-teuf 2 roule allègrement vers le lac d’Orient, non elle n’ira pas tremper ses roues  dans l’onde réparatrice, l’a mieux à faire, elle veut voir l’exposition de voitures anciennes et les Harley du Bootleggers Club, quand Billy   concocte un concert de rockabilly, il n’oublie pas les ingrédients mécaniques qui vont avec, je suis aussi pressé que la Teuf-teuf, de revoir les copains du 3 B, deux longues années, depuis le confinement… Vous décris pas les retrouvailles l’on file direct aux trois concerts du soir.

     

    ROCK ‘N’ ROLL PARTY II

    18 / 06 / 2022

    LA GRANGE

    LUSIGNY-SUR-BARSE ( 10 )

     

    THE FUL MOON CATS

    Dans le triangle des Bermudes ce ne sont pas les trois sommets du triangle qui sont dangereux – encore que cela se discute, nous y reviendrons - mais c’est de se trouver au centre de la zone de grand péril. C’est exactement la même chose dans le rockabilly. Sommet du haut, Stéphane derrière sa batterie Gretsch, dans sa robe blanche elle semble aussi radieuse que la colombe de l’immaculée conception. Quand il s’y colle ça tourne au noir grabuge. Certains pensent qu’un bon batteur est là pour donner le rythme, ne vous inquiétez pas il sait le faire, mais il rajoute un paquet cadeau, le son, la tonitruance qui apporte l’ampleur du désastre.

    En bas à gauche Pascal, l’a le cœur aussi rouge et saignant que sa double-basse, slappe comme un madurle, un fou-furieux, un mec méthodique qui accomplit son devoir sans faillir, les âmes naïves demanderont pourquoi il assure avec tant de hargne le shclack-schlak-shclak typique de la rythmique rockabilly, alors qu’il y a déjà un batteur, justement braves gens parce que le Stéphane lui il bâtit le volume, alors Pascal il joue le rôle du pendule fatidique qui à chaque frappe sonne le tocsin du destin.

    En bas à droite la Gretsch de Sacha. Pas le genre de mec qui attend son heure pour sortir le solo qui tue et qui met tout le monde d’accord, sa guitare se colle à la contrebasse et ne la quitte pas, une course de formule 1 avec deux pilotes en tête, qui roulent côte à côte, se regardent de temps en temps et repartent encore plus rapidement. Pour pallier les caprices de l’acoustique je me permets de me déplacer dans la salle afin de discerner lequel des deux mord sur l’autre, aucun des deux, le résultat n’est pas probant, de véritables frères siamois.

    Bref trois cats sur le toit brûlant d’un soir de pleine lune. Comme les trois mousquetaires, survient le quatrième, Charly à la guitare rythmique et au chant. C’est cet aspect qui nous intéresse, comment un chat peut-il parvenir à se faire entendre avec le boucan qu’entretiennent ses trois acolytes, ses trois aérolithes. Très bien, très facilement. L’a sa technique à lui, il ne chante pas en anglais, il ne chante pas en français – mais oui il chante dans les deux langues, mais il chante surtout en idiome rock, l’a une manière bien à lui, de poser les mots, sa voix un peu haut perchée mais point trop, juste un tantinet acérée et pointue comme la lame d’un cran d’arrêt manié avec tant de dextérité qu’il taille dans la couenne du lard du rock ‘n’roll des morceaux saignants de barbaques délicieuses. Pour le répertoire, ne cherchent pas la rareté ultime, utilisent les classiques, et vous les ressortent en même temps totalement reconnaissables et si hardiment relookés que vous croyez les entendre pour la première fois. Un seul exemple, Twenty fligth rock interprété en français avec une telle fougue et une telle pertinence que vous ne voyez pas la différence avec par exemple le Mystery train entonné en sa langue originale. Le Charly est un grand Monsieur, s’est approprié le vocal rock ‘n’roll et vous le sert direct avec le costume trois pièces qu’il a redessiné à sa façon.

    Les trois spadassins derrière ferraillent sans désemparer, Pascal étreint de sa main gauche le manche de sa up-right bass comme s’il était en train d’étrangler un cobra, vous zèbre de sa seconde main le corps de la pauvre bête de coups tranchants. Sachez que Sacha n’est guère ému, de sa guitare il découpe le corps vivant du reptile en rondelles qu’il vous retourne sur la braise de son jeu, prêtes à être consommées par un public affamé. Derrière Stéphane vous emballe les parts et nous distribue sans relâche les hosties rockabillyennes imbibées du venin du rock ‘n’ roll. 

    Viennent du sud, les nordistes estabousiés de tant de savoir-faire et d’originalité, leur dressent une ovation enthousiaste.

    T BECKER TRIO

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    Did, Tof – ne confondez pas avec Titeuf – et Axel sont alignés sur le devant de la scène, non leur batteur n’est pas en retard, ils n’en ont pas. Z’ont du culot, après la tempête force 10 que nous venons de subir, de se présenter sans force d’appoint, ou alors ils sont totalement crétins, il semble que cette dernière hypothèse soit la bonne, ce n’est pas moi qui le dis, c’est Tof au micro qui nous prévient, non ils ne sont pas un groupe de rockabilly, sont juste des amateurs de hillbilly, la musique des péquenots.

    Pas de panique, ils sont en pays de connaisseurs, qui ne préjugent pas et qui ne demandent qu’à entendre, même si le trio cherche la difficulté, ce qui est déjà un plus, en proposant une set-list principalement basée sur leurs compositions originales.

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    Sur notre droite, Axel ne slappe pas comme un dément, caresse sa big mama doucement, donne l’impression de jouer non pas de la musique mais du mime, suit les paroles que chante Tof, sans avoir trop l’air de croire à leur message, transcrit toutes les émotions par d’imperceptible changements d’attitude, ne peut pas rester trente secondes sans qu’un sourire s’épanouisse sur sa figure. De la musique populaire qui existait avant l’explosion du rock ‘n’roll, il incarne une certaine naïveté des classes les plus humbles, elles pensent que le cœur sur la main est la seule arme qui puisse s’opposer à la méchanceté du monde.

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    Tof est d’un autre calibre. L’est plus près non pas du western swing mais de ce que nous appellerons le western bop, le bop est une musique instable, l’est de la même nature que la nitroglycérine, celui qui se charge de manipuler un de ces deux produits, doit être sûr de lui, et Tof est doué, n’en fait pas trop, ne cherche point à atteindre le point de déséquilibre, son chant navigue à vue, fait attention à ne pas éperonner le rocher du rock et encore moins à se perdre dans les eaux paisibles de la facilité. Vous captive, vous séduit, l’est un funambule qui avance courageusement, et le fil ne manque jamais sous ses pieds.

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    Did est à la lead. C’est vrai et c’est faux. Un guitariste qui ne joue pas au matamore, pas de brillance, égrène les notes une par une, mais l’on se rend compte qu’il compose dans sa tête, développe une structure subtile, l’est un peu le cube de base dont l’assise impose la stabilité des autres que l’on empile sur son aire, ne court pas après le riff pimpant, recherche les harmoniques, procède un peu d’une esthétique jazz, à plusieurs reprises il m’a semblé entendre des échos, des saveurs, du jeu de Charlie Christian.

    Trois artistes de sensibilité différente, mais ils parviennent non pas à coexister pacifiquement, mais à s’interpénétrer, à s’épauler, à s’entraider, à produire un son captivant, unifié, neuf, qui a saisi l’assistance. Sont magnifiquement applaudis.

    Dans la livraison 562 nous chroniquerons leur premier CD.

    ( Photos : Gisèle Doudement )

    THE FUZZY DICE

    Dans la série l’on prend les mêmes et l’on ne recommence pas. Ne manque que Charlie. Ce coup-ci c’est le triangle des Bermudes sans personne dedans. Zone noire particulièrement dangereuse. Pascal nous fait la surprise, certes il maltraite toujours sa contrebasse, la slappe sans pitié. On n’en attendait pas moins de lui. Je ne vous refais pas le dessin. S’empare du vocal et ne le lâchera pas une seule fois. Quelle voix, dès qu’il aborde Please don’t leave me s’échappe de son larynx un orage de goudron gloomy aussi dur, aussi épais qu’une grêle de plaques d’égouts, son timbre traduit toutes les noirceurs et toute la hargne de l’âme humaine. 

    Sacha ne le suit plus comme son double, impulse son propre jeu, certes il doit rester à la hauteur du torrent dévastateur de Pascal, et il ne s’en prive pas, mais selon sa propre partition sonique, cette fois la guitare se distingue, elle hausse le ton, elle gronde, elle fait le  gros dos, ses notes se hérissent à la manière d’un tigre qui feule avant l’attaque, certes Pascal ne lui laisse pas le temps de faire son numéro, mais Sacha en rajoute, pas des tonnes, entre deux morceaux, pas plus de trois secondes, mais ce minuscule laps de temps lui suffit pour lâcher deux, trois notes vibratoires qui atteignent à une densité extraordinaire, ou alors quand un morceau est terminé, qu’il n’est plus que de l’histoire ancienne que l’on se prépare au suivant, il plaque sur ses cordes une intumescence sonore aussi destructrice qu’un missile. Vous transcende la forme pure et parfaite du rockab en lui conférant une force extraordinaire.

    Stéphane a changé le son de sa batterie, moins de tonitruance, des coups explosifs, plus secs, plus raides. L’est comme un cuisinier sur son piano qui boute le feu à deux plats différents, l’on dirait qu’il a partagé fûts et cymbales en deux, cette partie-ci pour Pascal, cette-là pour Sacha. Ça tonne de tous les côtés, toutes voiles dehors en pleine tempête.

    Pascal en appelle aux vieux hymnes des Teddies ( boys & girls ), ça claque, ça chamboule, ça remue méchant, une version de The Train kept a rollin s’avère être une interminable apothéose. Z’ont la rage, ce qui se passe devient monstrueux, un ouragan emporte tout son passage, on essaie de varier les morceaux s’exclame Pascal, si l’on veut, disons que si celui-ci ressemble à une tornade qui remonte une rue en détruisant les maisons du côté droit, le suivant est la même tornade qui fait demi-tour pour raser les immeubles du côté gauche, ce qui se passe ensuite n’est même pas un rappel, le groupe ne peut plus s’arrêter, Pascal pousse un hurlement ininterrompu de plus de deux minutes et Sacha ne joue plus du rockab, se transforme en guitariste de metal, respecte le séquençage habituel du rockab, mais ses doigts, sa position sur les cordes, cette manière de les remonter en les égrenant, sont et viennent d’ailleurs, l’on danse sur scène et l’on crie dans le public, le rock emporte tout, faudra encore cinq morceaux plus un tout dernier pour juguler la folie…

    Un dernier merci à Billy pour cette mémorable soirée. On eût aimé un peu plus de monde, les absents ont toujours tort.

    Damie Chad.

    Attention : une deuxième chronique sur Rock’n’roll Party II sera publiée au mois de septembre.

     

    BURNING SISTER

    MILE HIGH DOWNER RIGHT ROCK

    Mile High est le surnom de la ville de Denver, qui comme chacun sait est la capitale du Colorado et qui est située exactement à un mile d’altitude soit mille six cent neuf mètres. Ce n’est pas cette particularité qui m’a attiré vers Burning Sister de Denver. Mais un groupe qui se réclame de Blue Cheer, de Mountain, de West Bruce and Laing, d’Hawkind, des Stooges, du MC5 et de quelques autres du même acabit accapare d’un seul coup tout mon capital de sympathie avant même d’en avoir écouté une seule note.

    A la première vidéo, je n’ai pas été déçu, enfin si, pas par eux mais pour les voisins, répètent dans le salon d’un appartement avec le son qui pousse les murs. J’en ai conclu que les habitants de Denver doivent être de bonne composition ou sans exception des amateurs de rock bruyant.

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    Sont trois. Drake est aux guitares, Steve au chant, au synthé et à la basse. Quant à Alison il ne m’étonne pas qu’ils aient pris la précaution de la cacher derrière la batterie, trop belle avec ses longs cheveux blonds, un sourire radieux, sur la photo où elle porte son bébé sur le dos, le bambin est ravi d’avoir une si jolie maman.

    N'ont publié qu’un EP et deux singles.

    BURNING SISTER / BURNING SISTER

     (Décembre 2020)

    Couve d’Armon Barrows, Art teacher et graphiste à temps perdu, un tour sur son instagram et son site vous permettra de visualiser nombre de dessins et de peintures. La pochette est à l’image de sa fantaisie, proche de la bande dessinée, Burning Sister, sourire aux lèvres revolver (ô my pistol packing mama ) et poignard en mains s’attaque gaillardement à ce pauvre diable qui n’en demandait pas tant,

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    Path destroyer : bruissement assourdi, ondulations de basse, sautillements de cymbales, de très loin le vol du faucon d’un riff majestueux se pose sans douceur, les couches de guitares se superposent, va falloir appliquer la méthode stratigraphique des archéologues, la frappe lourde nous évite toutes ces minuties, la voix de Steve nous demande d’ouvrir notre esprit, à coups de caisse lourde Alison nous bouche toutes les issues de secours, ère nouvelle   la basse de Steve chantonne, Drake bouscule cette oasis d’un riff caterpillar, et l’on s’achemine doucement vers la fin sans se presser. Lord of nothing : guitare moelleuse, attention à ce qui se cache par-dessous et cette batterie qui roule comme si elle se promenait sur une route départementale alors qu’elle se dirige vers l’abîme du néant, le riff taille droit sa route, semble aller   directo mais l’est formé de mille rigoles qui nécessiteraient un plus grand nombre d’oreilles, encore une fois ces vaguelettes de basse alors que par-dessus volent des mouettes qui soudainement se transforment en un immense stégosaure qui continue son voyage au loin sans se soucier de nous. Maelstrom : entrée de riffs courts empilés comme les cubes d’un jeu de construction qui ne demande qu’à s’écrouler, Alison tape le pas d’un géant débonnaire qui avance imperturbablement, sait où il va et le riff qui l’accompagne nous avertit du danger, qu’importe monte-t-on ou descend-on, est-ce le cratère béant d’un volcan ou la bouche d’ombre tournoyante de l’enfer, pour le savoir il faut écouter ce que chuchotent les instruments, ne pas rester obnubilé par leur déploiement, révèlent bien des secrets mais s’arrangent pour que l’on ne s’en aperçoive pas. Instrumental qui joue pour lui, pour l’ouïe fine. Burning sister : morceau éponyme, la sister Alison trébuche le rythme sur ses tambours et Drake parle d’elle, pas besoin de nous faire un dessin, les cordes peuvent se démener tout ce qu’elles veulent, l’on n'entend qu’elle. Pour le riff quand il se déploie, pas de problème on le suivrait au milieu des flammes de l’enfer. Ils le savent, font durer le plaisir, lui coupent même les ailes pour qu’il ralentisse encore. Faux-semblant maintenant comme le paon il déploie sa roue ocellée et le morceau prend une couleur creamique surprenante. Oblivinot :  dans la même veine que la fin du précédent, l’on agite l’éventail du riff en douceur exaltée, Alison tape des œufs d’autruches si fort, que le silence retentit, nous avons vu le riff du côté face, on vous le refait côté pile, démarche riffique cubique, mettre à plat toutes les facettes, silence on reprend, vous avez cru tout voir, l’on peut vous en montrer encore, l’on s’enfonce dans les aîtres de la beauté, ce morceau est  un diamant brut, le plus terrible c’est que quand ils arrêtent l’on est sûr qu’ils en ont encore sous la pédale.

             Z’ont le doom tranquillou, on ne se prend pas la tête, de temps en temps l’on n’oublie pas de chanter un peu pour que ça paraisse plus sérieux, et leur pattern de base est très simple, ne jamais mettre les bœufs rapides devant la charrue travailleuse, tant pis pour les tempi, ils visent l’excellence, le papillon qui s’extrait de sa chrysalide et qui enfin déploie ses ailes flamboyantes.

    ACID NIGHT VISION

    ( Vidéo YT /Novembre 2021)

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    Sont pas fous, z’ont mis Alison sur la couve et si vous regardez  l’officiel vidéo elle se démultiplie en trois, alors que la basse court de tous les côtés comme la fourmilière sur laquelle vous avez marchée, ensuite ça tournoie, les images et la musique, un miroir d’eau coulissant, une flaque d’eau mutante, une drache rimbaldienne agitée, pareil pour le riff se transforme en gerbes d’étincelles qui partent dans tous les sens, surtout les interdits qui sont les plus tentants, les images se stabilisent, enfin vous apercevez des formes, celle d’un homme qui bouge les bras, qui ne sont pas les siens, des trucages du tout premier âge du cinéma, mais mal faits, la grâce surannée des choses passées dirait Verlaine, l’est sûr que les montées d’acide vous dévoilent le monde d’une autre manière, l’image tourbillonne et le riff se stroboscope à la manière d’un ectoplasme qui a mis les doigts dans la prise, l’herbe pousse à l’envers et la musique ondule comme des algues agitées par un courant souterrain, comment dire : il semblerait que la musique éprouve des décollements de rétines, maintenant vous la regardez et vous écoutez les images, la batterie gouttège, le reste nage sur le dos, la guitare rame, le clavier coule, la tapisserie se décolle du mur et ses motifs incompréhensibles se mélangent, peut-être sont-ce le songe des lames de plaquettes microscopiques de plasma sanguin atteint de la danse de saint Guy, Drake croit qu’il chante, le pauvre il ne sait pas qu’il miaule, qu’il est perdu pour l’humanité, mais pas pour nous, surtout que maintenant fini le cinéma gris, l’on passe aux couleurs lysergiques, des signes cabalistiques à vous faire tomber en catalepsie dansent dans votre conduit auditif, et le gars de tout à l’heure qui se démenait comme s’il veillait à l’atterrissage des aéronefs sur le pont d’un porte-avions a pris des couleurs, colle au riff de si près qu’à chaque fois qu’il devient plus violent  il se rapproche de vous, s’il continue va sauter hors de l’image et squatter votre figure, le riff vous avertit, il barrit comme un éléphant pris dans un incendie, au 14 juillet de votre enfance vous en voyiez de toutes les couleurs, le beau jaune d’or et le rose flamant, redescendrions-nous sur notre planète, ces découpages colorés ne serait-ce pas les pièces d’un puzzle qui assemblées devraient ressembler à un orchestre de rock, oui c’est sûr les silhouettes des deux guys, la batterie d’Alison, elle l’absente de tous bouquets, et cette guitare inouïe qui pousse vers les orties de la folie, un point final en suspension, le petit bonhomme qui fait semblant de jouer au tennis fonce vers vos pupilles. Retour de l’image de départ, Alison, peut-être pour nous dire que la beauté existe aussi sur terre.

             Plus psychédélique, tu meurs. Rock synesthésique.

    CLOVEN TONGUES

    ( Vidéo YT /  Février 2022 )

    Le monde est vraiment petit, ce titre est sur la compilation de Cave Dweller Music où la semaine dernière nous avons trouvé The Sun le deuxième titre de Thumos issu des chutes de The Republic. Même type de vidéo que la précédente.

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    Ecran noir et geyser d’eau bleue qui retombe, l’on se croirait dans un de ces innombrables poèmes symbolistes sur les jets d’eau des fontaines qui s’élèvent vers le ciel idéal pour hélas retourner à la lourdeur de la terre, notre interprétation pas si gratuite et hasardeuse qu’il y pourrai paraître, nous voici apparemment dans un parc, l’on distingue un escalier, des feuillages, une ombre mouvante, si c’en est une dans cette obscurité bleutée, la musique passe-partout sur ses premières notes se teinte de noir, l’atmosphère s’appesantit, vocal inquiétant, serait-ce un déluge, l’eau coule, les gouttelettes qui dessinent des cercles concentriques  dans les bassins de marbre échappés des poèmes de La cité des eaux  d’Henri de Régnier, sont-elles devenues des rivières, effet ou rêve d’optique, maintenant l’on aperçoit une blanche limousine stationnée dans le jardin de cette propriété que l’on imagine en vieux manoir mystérieux,  vite effacée par l’eau  qui coule de partout, peut-être simplement un gros plan sur ces vieilles tuyauteries des jardins d’antan terminées en cols de cygne, bec de bronze ouverts et moussus, changement subit d’esthétique, nous étions en plein dix-neuvième siècle, nous voici en plein art moderne, fond bleu ripolin, avec projection spectrographiques de quelques gouttes d’eau filmées pour les mettre en équation mathématiques, dans le but de ne rien perdre de l’expérience, le fond d’écran change de temps en temps de couleur, revoici l’escalier ruisselant surmonté de sa vasque et de son mini jet d’eau, pour que le décor soit plus romantique à la manière d’Anna de Noailles, l’on a rajouté un vase de fleurs coupées, l’on en oublie la musique, à peine sa souvenance est-elle venue à notre mémoire qu’elle s’efface accaparée par cette forme blanchâtre qui se déplace, l’on pense à la silhouette de la Dame Blanche tandis que son regard se perd sur quelque chose d’indistinct dans un fond d’eau, dans la noirceur quelque chose d’inidentifiable bouge, voici qu’apparaît un de ces masques grimaçants, ces gueules ouvertes d’aegipans barbus qui crachaient  l’eau des fontaines par leur bouche, yeux peints si expressifs que le visage paraît vivant, la caméra prend du large, quelque chose se déplace, l’on ne croit pas à un rayon lunaire, un autre visage apparaît, la vitre de la caméra s’écrase sur elle, retour de la séquence moderniste avec son coloriage moins criard que la première fois, la musique en profite pour revenir dans le champ du regard, nos sens sont pervertis, maintenant elle prend de l’importance, le riff gargouille, il grouille sur lui-même, il s’illumine, il reprend des couleurs, ne nous laissons pas distraire, dans le parc encore une fois, victime d’une hallucination, ce jaillissement d’eau qui prend l’apparence d’un petit homme, d’une espèce de pantin qui ne fait que passer, dernière gerbe d’eau jaillissante, le son se dégonfle la vidéo se termine comme elle commence, l’image triple puis unitaire de burning sister blanche sur fond noir, tandis que la musique agonise, des éclairs de lumière bleue s’amusent à simplifier la blancheur de sa silhouette, la voici réduite à une gerbe d’écume bleue, notre burning sister serait-elle une ondine que nos bras ne sauraient saisir…

    Une drôle d’expérience cette écoute qui se transforme en regard. Notre perception de la réalité ne serait-elle qu’un sentier possible parmi d’autres, comme si de temps en temps à la fourche d’un chemin une autre approche du monde nous serait proposée, que nous refuserions d’essayer par peur de changer nos habitudes. Déstabilisant.

    LEATHER MISTRESS

    ( FB / 2021 )

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    De nombreuses vidéos sur leur FB, des bouts d’essais, des extraits qui la plupart du temps ne durent que quelques secondes. Nous avons choisi celle-ci de presque sept minutes. Sont chez eux, à contre-jour, par la grande baie vitrée nous apercevons arbres et buissons, nous sommes vraisemblablement à la campagne. Est-ce un sampleur qui bruite ou des doigts qui s’amusent sur un keyboard, Drake est pratiquement invisible relégué sur le côté gauche de l’écran, jouent au jeu du homard, prenez un riff et portez-le à ébullition à feu doux, attention le jeu consiste à ce qu’il ne meure pas, le riff doit se perpétuer, aussi longtemps par exemple qu’une phrase de Marcel Proust, faut avoir l’esprit inventif et chacun se doit de participer hautement à l’action, très instructif sur l’état des recherches de Burning Sister, ne visent pas la rapidité, z’ont le doom paisible, mais ile le dorent à l’or brut ou à l’étain fondu de mille pyrotechniques, pire qu’un film d’actions dont les séquences s’entremêleraient lors de la projection, c’est un peu l’écoute bonneteau, vous avez trois timbales mais seulement deux oreilles pour écouter le bruit de la mer qu’elles recèlent quand vous appliquez vos conduits auditifs à suivre la musique. Je vous souhaite bien du plaisir. Vous êtes sûrs de perdre  à chaque coup.

    Damie Chad.

     

    HEY YOU !

    ALICIA F !

    ( Official Vidéo / 02 - 06 – 2022 YT )

    L’était toute fière Alicia de prévenir que sa première vidéo officielle allait voir le jour. Y avait de quoi, certes elle est courte, deux misérables minutes trente-deux minuscules secondes, mais l’effet j’y vais yatagan sans mettre les gants est garanti, sabre de samouraï aïe ! aïe ! aïe !

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    Fond noir, en rouge ce n’est pas le logo du sacré cœur de Jésus, mais le cœur d’Alicia transpercé du poignard du rock ‘n’ roll. Profitez des trois innocentes secondes qui suivent, une main introduit une cassette dans un lecteur. Si vous ne supportez pas les émotions violentes, vous arrêtez tout de suite et vous zieutez Les 101 dalmatiens de Disney… Vous refusez ce conseil damie, alors je vous le fais le plus cool possible.

    Pas grand-chose, Alicia qui chante devant un rideau de garage, entrecoupé de vues du concert au Quartier Général du 06 mai ( le mois où il est autorisé depuis 1968 de faire tout ce qui déplaît aux autres ) 2022. Voilà, c’est tout, vaquez à vos occupations favorites, allez en paix. Vous voulez davantage, tant pis pour vous.

    Donc une mise en scène minimaliste. La caméra commence par le bout des boots, d’Alicia évidemment, remonte très vite d’une caresse tout du long pour s’arrêter sur son visage. C’est le moment de méditer : comment l’Histoire se serait-elle déroulée si au lieu d’être piquée par un redoutable aspic ce fût Cléopâtre qui d’un coup de dent aurait tranché la tête du reptile répugnant, puis l’aurait recraché et écrasé sous son talon. Vous n’en savez rien, moi non plus. Mais c’est exactement l’effet venimeux que produit Alicia quand elle entonne son texte. One, two, three, four, contrairement à Cap Canaveral quand la fusée Titan remplie de carburant explosif décolle, elle le répète deux fois, question mise à feu, vous pouvez être tranquille avec Alicia ( F comme flamme ) elle n’oublie pas, respiration, sur scène avec ses trois spadassins, nouvelle séquence de non-repos, elle agite ses cheveux et vous perce de ses yeux verts de vipère, baissez les paupières pour ne pas voir ses lèvres rouges, chaque fois qu’elle ouvre sa bouche sanglante, vous avez l’impression que panthère Alicia ( F comme férocité )  vient de vous arracher un morceau de chair, refrain pour mettre un frein, l’on en profite pour admirer le profil étrusque de Tony Marlow et la guitare Pistol Packin’ Mama de Matthieu Drapeau Blanc Moreau, notre incendiaire préférée revient, cette fois elle affiche un ton sardonique et ses mains se meuvent tels les serpents de la chevelure de Méduse, sur le solo du Marlou qui file fort, elle se fait rare, perversité de fille qui sait que l’absence aiguise le désir, mais Alicia ( F comme furie ) surgit encore plus violente, elle vous repousse des mains et termine d’un coup mortel de savate porté sur vos maxillaires.

    Ouf, c’est terminé, vous comptez et recomptez vos dents sur le trottoir, c’est tellement bon que vous remettez le clip au début. Alicia ! ( F comme fatidique ).

    Damie Chad.

     

    *

    Denys n’était pas sur le marché la semaine dernière, camion en panne, pour se faire pardonner il m’accueille avec le sourire des bonnes occases, un truc pour toi Damie, rock’n’roll bien sûr, du bout de son étalage il agite un livre, trop loin pour reconnaître le type pris en gros plan sur la couve, l’a une grosse tête de vieux sage dont les yeux sont cachés par d’énormes lunettes noires, je ne le reconnaîtrai qu’en lisant le titre :

    FLASHBACK ACIDE

    PHILIPPE MANŒUVRE

    ( Robert Laffont / Octobre 2021 )

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    Waouah ! ( ainsi parlent mes zaratoutouextras ), la tronche ! l’a vieilli le mec, on ne peut pas lui en vouloir, ce style de facétie arrive à beaucoup de monde, voyons quel genre de message l’ancien directeur de Rock & Folk tient à délivrer au monde de la piétaille rock. Commence par raconter les reproches d’un lecteur déçu par son précédent bouquin, Rock… ( je n’ai pas lu ) qu’il n’a pas trouvé assez rock ‘n’ roll ! Un comble !  Cette fois, il promet de se lâcher, de la sainte trilogie il s’épanchera sur le deuxième terme le plus litigieux chez les pères-la-morale, drug, la drogue comme l’on disait dans les seventies pour ceux qui ne comprennaient pas l’anglais.

    Petit aparté : le sujet me fait peur. J’en ai lu des pages et des pages de rock stars qui racontent leur addiction, je vous résume le topo, un soir que j’étais un peu fatigué un copain m’a refilé du truc, c’était super, j’étais devenu un surhomme, tout me paraissait facile, j’étais en pleine forme, avant il me fallait huit heures pour achever la lecture d’une oiseuse chronic de Damie Chad, et là en dix minutes j’en lisais quatre, c’est après que c’est devenu plus difficile et plus cher car, j’avais besoin d’une tonne du truc pour comprendre les quatre premières lignes…

    Ben, Phillipe l’est comme les autres, Manoeuvre à la godille pour s’en sortir, car tonnerre de Thor il s’en sort, l’est maintenant plus clean qu’un kleenex encore emballé dans sa boîte. Vingt ans d’addiction et hop grâce à un champignon mexicain, il se soigne tout seul comme un grand, pourtant avec sa copine Virginie ils étaient sur la mauvaise Despentes.

    J’avoue qu’à la fin du troisième chapitre je suis en surdose, j’ai dépassé le coma éthylique de l’ennui profond, dans ma tête je cherche dans la liste de mes ennemis à qui je vais refiler le bouquin, oui je suis un être profondément vicieux, l’instinct du rocker me sauve, avant d’abandonner le book je tourne la page du quatrième chapitre, et le miracle du champignon du pays de Quetzalcoatl s’accomplit, un seul mot du titre me tire de ma léthargie, en une fraction de seconde mon esprit s’illumine, je suis aussi clean qu’une clinique aseptisée, je ne sais si tous les Kr’tntreaders le méritent, mais je refile, oui je suis aussi un mec intensément généreux, la formule magique, très simple, un mot de deux syllabes Lemmy !

    C’est le côté un tantinet énervant du Philman, faut qu’il se mette un peu ( beaucoup ) en avant, nous parle un max de lui et un peu de Lemmy : mais il en dresse un beau portrait, l’a rencontré à maintes reprises, l’on suit ainsi sa carrière, mais décrit surtout l’homme, tout d’une pièce, un mec entier, mais pas dupe, ni des autres, ni de son personnage, ni de lui-même…

    Je suis requinqué, comme à l’armée je rempile pour trois ans, n’exagérons rien, trois chapitres suffiront. L’on commence par la visite du Musée de la drogue en Suisse et se termine par la Convention du LSD dans le pays où les banques et les coffres-forts paissent en paix dans d’opulents pâturages. C’est bien raconté, avec humour, idéal pour ceux qui n’ont pas vécu les voyageuses sixties aux States, z’apprendront des tas de noms – names droppin’ is his job – je m’incline respectueusement devant l’édition de Moonchild d’Aleister Crowley dont nous chroniqué la traduction française de Philippe Pissier dans notre livraison 537 du 13 / 01 / 2022… Je fatigue un peu, notre auteur doit s’en douter alors entre les deux tranches du pain il glisse un beau morceau de jambon bon. David Bowie. Nous surfe le coup de toutes les fois où il l’a interviewé, certes c’est intéressant comme tout ce qui touche à Bowie, les fans aimeront mais au final le portrait de Bowie n’est pas aussi fin que celui de Lemmy. L’homme est métamorphose, changeant, Manœuvre ne détache pas les yeux de ses avatars successifs, mais le marionnettiste de ce théâtre d’ombres chatoyantes lui échappe.

    Le nouveau quatrième chapitre ( le huitième pour ceux qui ont des difficultés en math ) se profile à l’horizon, souhaitons qu’il soit aussi réussi que celui de Lemmy. C’est que des rockers aussi essentiels que Lemmy ça ne court pas les rues. Ne tremblez pas, le Philman en connaît un, pas n’importe lequel, un personnage essentiel du rock ‘n’ roll, classe internationale. En plus il est français. Vous l’avez deviné. Marc Zermati. Manœuvre lui dresse un bel hommage. Une statue chriséléphantine, de celles dont les anciens grecs honoraient les Dieux, Manœuvre  raconte sa vie comme une légende que les enfants écoutent bouche bée, il conte le héros, ses exploits mythiques et ses blessures humaines. Trop humaines. Les mêmes que les nôtres.

    Clean d’œil ! Evidemment Philman est clean depuis vingt ans, donc il fume du truc herbeux depuis deux décennies et se rend en Hollande le seul pays qui nourrit ses vaches et ses touristes avec de l’herbe, boulot oblige à la Cannabis Cup. Il s’en sort défoncé à mort…

    Avant-dernier chapitre, un conte qui se termine mal. Une épopée de trois ans, celle des baby rockers. Une de ces histoires dans lesquels l’on est toujours trahi par les siens. Le dernier mouvement d’ampleur rock de la jeunesse française sur laquelle tout le monde est tombé dessus à bras raccourcis. Philman qui fut un des principaux protagonistes la raconte de l’intérieur. Le milieu rock a fait la moue, a agité de faux prétextes de classe, ce sont les enfants de l’élite, c’est sûr qu’ils étaient moins bon que Led Zepe, mais là n’était pas la question. La réponse est donnée avec les conséquences de la fin de l’aventure, beaucoup de ces jeunes travaillent aujourd’hui dans la musique… à l’étranger… et le boulevard qui a été ouvert au rap national…

    Un dernier chapitre, l’arraisonnement du rocker par la technologie l’aurait titré Heidegger, Philman en générationnelle sonic fashion victim, un peu le même cancer qui mine certains courants du rockabilly, ceux qui recherchent le son de l’époque 55, ou 56, ou 58, sachez apprécier la différence, mais à l’envers, ceux qui ont écouté le rock ‘n’ roll le nez sur les vitrines des vendeurs de chaîne stéréo, Philman les a toutes essayées de la deutcholle pourave aux engins intergalactiques du dernier cri, jusqu’au jour où il s’est aperçu qu’il n’existait rien de mieux que le vinyle, n’ose pas dire que son ancien teppaz, mais il devrait, je pense que l’on peut écouter un disque de rock sur n’importe quel engin, de toutes les manières vous avez votre cerveau qui sert d’équaliseur, réceptionne le son qui entre  dans votre oreille et illico vous le reduplique à l’identique du son originel du rock, celui qui vous a commotionné la première fois  dans votre adolescence, ce que vous entendez c’est le son qu’ a emmagasiné  et que reproduit votre cortex reptilien, celui de votre jeunesse, celui qui vous empêche de vieillir. La seule drogue de jouvence disponible sur le marché intérieur.

    Damie Chad.