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  • CHRONIQUES DE POURPRE 599: KR'TNT 599 : BLACK MUSIC IN BRITAIN IN SIXTIES / THEE SACRED SOULS / BRIAN JONES / T BECKER TRIO / RUBY ANDREWS / GROMAIN MACHIN / NEW NOISE / THE DEVICE / CHANT OF THE GODDESS / ROCKAMBOLESQUES

     

    KR’TNT !

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    LIVRAISON 599

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    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    04 / 05 / 2023

     

    BLACK MUSIC IN BRITAIN IN SIXTIES

    THEE SACRED SOULS / BRIAN JONES

    T BECKER TRIO / RUBY ANDREWS

    GROMAIN MACHIN / NEW NOISE

    THE DEVICE / CHANT OF THE GODDESS

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 599

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    Paint it black

     

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             L’autre jour, en faisant les courses au supermarché, on est tombé sur une belle box couleur crème au rayon des produits frais : Gotta Get A Good Thing Goin’ (Black Music In Britain In The Sixties). Miam miam ! On se doutait bien qu’avec cette box couleur crème miam miam, on allait rôtir en enfer.

             Bon, va en profiter pour ouvrir un petite parenthèse : il y a deux sortes de gens sur cette terre, ceux qui détestent rôtir en enfer (pour des raisons qui leur appartiennent) et ceux qui adorent ça. Les premiers mènent généralement des existences bien conventionnelles et ne prennent jamais aucun risque, les seconds font exactement le contraire. 

             Cette box couleur crème miam miam est tellement bien foutue qu’on la croirait conçue par Eddie Piller. Mais c’est un certain John Reed qui gère le truc, et Fitzroy Facey se charge du préambule.

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             Il s’agit évidemment d’une box hautement sociologique. D’autant plus sociologique que Fitzroy Facey est jamaïcain. Il raconte que son oncle Bert Facey sillonnait certains quartiers de Londres à bord d’un van équipé en sound system pour animer les fêtes des communautés. Car bien sûr, toute la black music d’Angleterre se trouvait confinée dans les communautés. Les gens de couleur n’étaient pas très bien vus chez les blancs. Chacun dans son coin - Black people did not have equality - Tout va changer pendant les mid-sixties avec l’avènement de la Soul qui va selon Fitzroy «bridger the UK racial gap», c’est-à-dire lancer un pont de la rivière Kwai par dessus l’abîme du racisme. Il adore aussi employer l’expression «cross pollenisation». Il a raison de penser que l’intégration des communautés noires a pu se faire, tout au moins en Angleterre, grâce à la Soul et à des musiciens comme Fela Kuti ou Prince Buster. En 1962, Owen Gray tourne en Angleterre accompagné par un orchestre blanc. Parmi les pionniers, il cite aussi Ray King venu des Grenadines. Premier groupe inter-racial d’Angleterre : the Foundations, et puis on a Blue Mint avec Madeline Bell. Fitzroy cite aussi les stars issues du métissage, du «bi-racial generation of White, Carribbean and African heritage», «Dame Cleo Laine» (père jamaïcain) et «Dame Shirley Bassey» (père nigérien). Oh et puis Kenny Lynch dont le père vient des Barbades. Et tout explose en Angleterre quand Dusty chérie présente the Sound of Motown à la télé.

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             Et badaboom, voilà les Mods qui écoutent «Motown and Stax Soul, R’n’b, ska and Blue Beat, with elements of cool, straight ahead jazz.» C’est un autre héros, David Godin, qui du fond de sa boutique Soul City Records, lance le concept de Northern Soul, un concept qui va mettre pas mal de kids sur la paille. Fitzroy définit vite fait la Northern Soul : «uptempo records, différents des balladifs et des funkier sounds en vogue à l’époque.» Autre caractéristique de la Northern : elle fait un carton chez les working-class kids du Nord de l’Angleterre et d’Écosse. Et donc grâce à Stax et à Motown, la Soul est entrée dans le mainstream. En Europe, on déroule le tapis rouge aux blackos. Les portes s’ouvrent, voilà les Equals, Jimmy James & The Vagabonds, une vraie déferlante.

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             Fitzroy tape ensuite dans le cœur du sujet : la musique jamaïcaine des années 50 qui se métamorphose en ska, en rocksteady et en reggae. Il ne laisse rien au hasard. Il prépare l’auditeur à un sacré trip, puisque voilà le prog africain de Cymande, de The Real Thing et d’Osibisa, «a uniquely British take on Afro Carribbean music, Funk and Soul, blended with elements of rock and jazz.» Il a raison de s’émerveiller, Fitzroy - I am a 1960s UK born Jamaican Windrush second-generation child and it is incredible to have witnessed the journey and success of Black British music from its infancy to adulthood and to marvel at its worlswide recognition - C’est en plus écrit avec des mots très simples qu’un Français peut comprendre sans trop se gratter la tête.

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             Quatre disks dans la box crème miam-miam. Autant dire quatre nids de puces épouvantables. Même quand on est habitué aux big boxes, on se sent cette fois très vite dépassé par la qualité de ce trié sur le volet, par l’extraordinaire profusion de découvertes, avec ces 120 cuts, tu frises en permanence l’overdose, alors consomme avec modération, si d’aventure il te vient l’idée saugrenue de mettre le nez là-dedans.

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    Le disk 1 est bourré à craquer de stars démentes, tiens, tu as les Flirtations, trois blackettes débarquées à Londres pour faire fortune et elles te font du heavy Motown avec «Nothing But A Heartache». Tu peux y aller, c’est du Motown exacerbé d’Angleterre, avec une prod terrifique. Les sœurs Earnestine et Shirley Pearce, plus Viola Vi Billup arrivent de Caroline du Sud. Du Motown à l’anglaise, tu crois rêver. Alors pince-toi ! Carl Douglas ? C’est un forcené ! Avec «Serving A Sentence For Life», ce Jamaïcain demented te fait du wild scuzz de Pye et d’Acid Jazz. Et puis, tu as les trois Jimmy, Jimmy Thomas, Jimmy James & The Vagabonds et Jimmy Cliff. Ils te cassent ta pauvre baraque quand ils veulent, le Cliff avec la fantastique allure de la heavy pop de «Waterfall», le Thomas avec le groove aquatique de «Spingtime» et le James avec le pur Motown blast de «This Heart Of Mine». L’autre gros pyromane de la scène anglaise, c’est Geno Washington et son Ram Jam Band, avec le groove de clap-hands «Michael». On croise plus loin Cleo Laine avec «Did You Pass Me By», elle est très théâtrale, très Cleo de 5 à 7, très impliquée dans sa subversion.

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    Mais c’est Madeline Bell qui va te sonner le cloches pour de bon avec «Picture Me Gone», elle s’en va exploser la pop par-dessus les toits, c’est le summum du London black voodoo. La révélation de ce disk 1, c’est Ebony Keyes avec «If You Knew», et sa fantastique attaque à la Edwin Hawkins Singers, il vient de Trinitad et tombe à bras raccourcis sur le groove. Merveilleux Ebony, une vraie présence, pas de carrière, il est tellement persistant qu’il te réchauffe le cœur. Sugar Simone est un mec atrocement doué, un roi du style, une proie de choix pour les rapaces, il te chante «Take It Easy» d’une voix de diable circonspect. Quant à Kim D, elle n’a que 17 ans et donne une parfaite idée de la vitalité de la scène black anglaise. Elle est la reine du sucre nubile, la reine des compiles, il faut écouter «The Real Thing» si on ne veut pas mourir idiot. On la retrouve partout sur les compiles Pye Girls d’Ace et les compiles Northern Soul. Back to Motown avec The Brothers Grimm et «Looky Looky», c’est bardé de big sound, de chœurs, d’écho et de what I got. Énorme ! Looky looky what I got ! Et ça continue avec Lucas & The Mike Cotton Sound et «Ain’t Love Good Ain’t Love Proud». Ce black à la voix cassée s’appelle Bruce McPherson Ludo Lucas, il sonne comme une superstar et mérite les ovations.

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    Le problème encore une fois, c’est que tout est bon sur cette compile, voilà les Fantastics, des New-Yorkais débarqués en Angleterre pour doo-wopper «Ask The Lonely». Ils se sont fait passer pour les Temptations mais ont fini par rester The Fantastics. Avec «Gonna Work Out Fine», Owen Gray tape dans Ike. C’est un reggae man avec une palanquée d’albums et son Darling est cool as fuck. Kenny Lynch y va au doux du menton avec «Movin’ Away». Ce vieux crooner est infiniment crédible, infiniment juste. Kenny Bernard, on le connaît bien, grâce à Acid Jazz. Son truc c’est le wild shuffle de «What Love Brings». Et pour finir, saluons ce cake épouvantable qu’est le Guyana-born Ram John Holder avec «Yes I Do». C’est un persistant qui sait persister : d’abord fronting an early line-up of the Ram Jam Band puis en enregistrant deux albums devenus quasiment mythiques.

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             Les têtes de gondole du disk 2 sont les Foundations et Marsha Hunt. Marsha tape dans le wang dang doodle de «Walk On Gilded Splinters», elle te recrée toute la fournaise voodoo entre ses cuisses, et les Foundations te refont les Mystères de Londres d’Eugene Sue avec «New Direction», on assiste à une fantastique évolution du domaine de l’anticipation, ça file à travers London Town. Il est essentiel de rappeler que les Foundations et les Equals furent les deux premier multi-racial bands en Angleterre. Côté révélations, ce disk 2 ne mégote pas. Ça commence avec John Fitch & Associates et «Stoned Out Of It», un wild r’n’b typique du wild as fuck des jukes de Camden, rien sur ce mec-là, un single et bye bye. Et puis voilà ces allumeuses de Flamma Sherman et «Move Me», quatre frangines, comme les Ramones. C’est une bombe atomique ! Leur «Move Me» te monte droit au cerveau. Le mec de This ‘N’ That se prend pour Slade avec «Get Down With It/I Can’t Get No Satisfaction». Il est assez inflammatoire ! Deux singles et puis plus rien. Disparu ! Il te screame le Satisfaction à outrance. T’es vraiment content de ta box crème miam miam. Ray Gates y va au heavy jerk avec «Have You Ever Had The Blues», et tu danses avec la main pliée à l’ancienne. Irrésistible, car c’est du stomp.

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    Pire encore, voilà Paula & The Jetliners et «I Know Some Day», elle y va au petit sucre et derrière, ça bat la chamade. Le sucre + le beat, ça ne pardonne pas. Deux singles et puis bye bye. Véritable coup de génie. Après, il te reste pas mal de jolies choses, comme par exemple Norma Lee et «Hurt», une fantastique déclaration d’intention, elle sait chevaucher un dragon. Les Curdoroys qu’on croise ici ne sont pas ceux que l’on croit, c’est-à-dire les Mods blancs : «Too Much Of A Woman» fut enregistré par Shel Talmy sur son label Planet et Tony Wilson est le black des Soul Brothers. Il est bon. Autre petite merveille : B.B. James And Derv et «Kiss Me, Kiss Me». Elle est terrifiante et Derv la ramène au it feels good. Derv, c’est bien sûr le Derv des Equals. Cette compile n’en finit plus de taper dans le très haut de gamme de la Northern Soul. Ah il faut aussi saluer Jack Hammer et «What Greater Love». Jack y va bien pépère, il est sûr d’y arriver, et c’est orchestré à outrance. Et voilà un gros pépère, J.J. Jackson avec «But It’s Alright», il pulse son groove d’it’s alright. Quant à Errol Dixon, c’est le diable, un puissant seigneur des ténèbres, une star du night-clubbing : son «I Don’t Want» réveillerait les morts du Chemin des Dames. Et puis on le sait, Freddie Mack s’est échappé de l’asile. Avec «Sock It To ‘Em, J.B.», il bat tous les records d’insanité.

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             C’est à quatre pattes qui tu entres dans le disk 3. Il est plus orienté Blue Beat et reggae. Mais tu as deux cuts qui vont t’envoyer directement au tapis : l’«African Velvet» de Black Velvet et le «Pony Ride» de Winston & Pat. L’«African Velvet» est du heavy London beat, une bombe de black bombass, un supra-power noyé d’orgue et de reggae beat. Quand tu écoutes le «Pony Ride» de Winston & Pat, tu comprends que c’est la black la plus libre et la plus intense d’Angleterre. Ce groove est une merveille absolue. C’est le génie des quartiers, c’est coulé dans le beat reggae, groové dans l’âme de la Soul. Nouveau coup de génie avec Ambrose Campbell et sa cover d’«Hey Jude». Là tu donnerais ton père et ta mère en échange de ce single. On reste dans le reggae béni des dieux avec The Classics et «Worried Over Me», heavy beat exotique de London Town, power à tous les étages, bassmatic + shuffle d’orgue, classe extraordinaire ! 

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    Tiens voilà le Blue Beat de rêve avec The Rudies et «Boss Sound». En plein dedans ! Belle énergie d’Hi Boss ! Avec Boss ! Boss!, tu es en Angleterre. C’est ce qu’on appelle The Pure Brit Sound. Encore du wild Blue Beat avec Laurel & Girlie et «Scandal In Brixton Market», c’est la même énergie que celle du r’n’b, ce mec y va à la vie à la mort. Avec «Jezebel», Pat Rhoden nous fait du fast Blue Beat avec un solo de trompette. Tous ces cuts sont exotiques et affreusement bons. Cette box crème miam miam est l’une des meilleures illustrations culturelles de la société anglaise moderne.

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             C’est Shirley Bassey qui ouvre le bal du Quat’ Zart avec «Sunshine». Shirley est l’une des géantes de cette terre, inutile de le rappeler. Côté énormités, on est bien servi avec Joy Marshall et «Heartache Hurry On By», elle est terrifique, cette New-Yorkaise débarquée à Londres en 1961 te monte ça en neige de Wall of Sound. Aussi bonne, voilà Mabel Hillery et «Rock Me Daddy» qui te rocke le daddy et tout le reste vite fait. Encore du Wall of Sound avec Peanut et «I’m Waiting For The Day», sans doute l’une des anomalies du système : cette cover des Beach Boys par Katie Kissoon aurait dû exploser à la face du monde.

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    Le Davy Jones de «Love Bug» n’est pas celui qu’on croit. Il s’agit là d’un Dutchman de r’n’b, c’est un authentique allumeur. Pure merveille encore que le «Liggin’» du Joe Harriott Quintet, assez jazz, full of swing. On salue la cover du «Green Onions» de Shake Keane, powerful instro d’anticipation, avec un solo de guitare et un solo de trompette. On reste dans le big brawl de big band avec The New Orleans Knights et «Enjoy Yourself» : fantastique énergie, encore plus New Orleans que la Nouvelle Orleans. C’est même explosif. Tiens voilà du doo-wop avec The Southlanders et «Imitation Of Love», c’est une œuvre d’art, décidément la box crème miam miam te bourre comme un dinde. Tu es littéralement noyé de son, dans une diversité extraordinaire, avec un souci constant de qualité artistique maximaliste. L’«I Ain’t Mad At You» d’Howie Casey & The Seniors est battu sec à la bonne franquette du pub d’en face. C’est le fast Blue Beat, une frénésie à la fois réelle et universelle. Tu n’as pas besoin d’être érudit pour entrer dans cette musique. Elle te prend littéralement dans ses bras. Avec une nouvelle série de hits Blue Beat, on replonge dans cette exotica des quartiers de Londres. Emile Ford & The Big Six et «Hold Me Thrill Me Kiss Me» t’invitent à la fête, c’est probablement la musique la plus conviviale de toutes, et cette façon qu’ont les Big Six de fouetter les notes d’orgue ! Oh Emile Ford ! Énorme carrière et éclats de cuivres. Blue Beat magic. Avec Ricky Wayne With The Fabulous Flee-Rackers et «Chicka’roo», c’est une nouvelle descente au barbu, Ricky colle bien au palais, un vrai Dupont d’Isigny, le solo de sax te décolle du sol et tu te débrouilles avec le chicka’roo. Et voilà une occasion en or, comme dirait ton marchand de voitures : Ray Ellington et «The Rhythm Of The World». Il y va à la glotte de vétéran, il est là depuis le début, avec une vraie voix et la box crème miam miam te donne l’occasion de découvrir ce chanteur extraordinaire. Le «Soon You’ll Be Gone» du Ray King Soul Band te pousse dans le dos, avec une énorme énergie tropicale. Ray King était déjà là en 1968. Tu ne vas plus de cut en cut, mais de rêve de cut en cut de rêve. Tiens voilà une folle : Winifred Atwell et «Bossa Nova Boogie». Elle dévore le boogie et le woogite entre ses dents.

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    Trois vieux crabes traînent sur le Quat’ :  Champion Jack Dupree avec «Get Your Head Happy», Otis Spann avec «Keep Your Hand Out Of My Pocket» et Screamin’ Jay Hawkins avec «All Night». C’est Tony McPhee qui fournit le fourniment à Champion Jack Dupree, Otis Spann fait le show lui aussi, pas de problème, quant à Screamin’ Jay, il te propose de danser le mambo du diable - I really love you baby - Bon, cette compile crème miam miam est encore plus épuisante que la voisine d’en dessous qui est nymphomane. On se plaint, mais on y retourne.

    Signé : Cazengler, Gotta Get A Godmiché Goin’

    Gotta Get A Good Thing Goin’ (Black Music In Britain In The Sixties). Cherry Red Box 2022

     

     

    Sacrés Sacred !

     

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             On avait découvert Thee Sacred Souls en 2021 sur une belle compile chicos, Penrose Showcase Vol. 1. Penrose ? Mais non, pas Roland ! C’est le nouveau label que vient de lancer Gabe Roth, vingt ans après Daptone. Il y présente ses nouveaux poulains, Los Yesterdays, Jason Joshua, Vicky Tafoya, Thee Sinseers et bien sûr Thee Sacred Souls, tous des tenants et des aboutissants de la Soul de charme, mais une Soul de charme poussée au fond de ses retranchements, loin des yeux près du cœur, une Soul de charme encore plus volatile que celles des Intruders et des géants de la Philly Soul, une Soul pour laquelle il vaut mieux être bien équipé, notamment d’un ciré breton et du chapeau jaune qui va avec, car il y pleut des larmes, des torrents de larmes. Toute cette Soul est construite sur le chagrin d’amour, sur le cœur qui saigne, sur l’inaccessible étoile des neiges/ mon cœur amoureux, sur le forever my love à la béchamel, c’est une véritable industrie, un laminoir à tombeaux ouverts, un Bessemer Tinguely, un chagrinage sidérurgique en mouvement perpétuel, il pleut plus de larmes que n’en peut concevoir ta philosophie, Horatio, et pourtant, cette école de la Soul a la peau dure, elle a son public, ses prêtres et ses demi-dieux hermaphrodites à la peau noire. Des Esseintes aurait adoré cette école du raffinement. Rendue légendaire par Gamble & Huff, la Philly Soul est une forme d’art à part entière, des gens la haïssent et d’autres la vénèrent. On la hait mécaniquement, de la même façon qu’on hait les gens sans souvent savoir exactement pourquoi on les hait. C’est le principe même de la haine. Elle est malheureusement une forme d’énergie, sans doute la principale forme d’énergie chez beaucoup de gens. On peut prendre des exemples au hasard, tiens, les Rednecks, par exemple, avec leur drapeau confédéré, ou encore l’Allemagne des années 30, avec sa fierté haineuse. Tiens, la collaboration et l’ombre du fascisme moderne qui continue de planer sur notre beau pays de beaufs. Alors c’est peut-être pour ça qu’il faut écouter Thee Sacred Souls, parce que beaucoup de gens vont les haïr.

             Éperdu de langueur, tremblant d’impatience, bavant de désir, brûlant de fièvres exotiques, travaillé par des intuitions mal placées, on s’est tout de suite jeté sur le premier album sans titre, et dès qu’ils ont été annoncés au programme du Soulodrome local, on s’est jeté en tout bien tout honneur sur la pauvre caissière de la billetterie pour lui avouer qu’elle rendrait un homme heureux, rien qu’en lui vendant un billet pour le concert de Thee Sacred Souls.

             — Zi ?

             — Oui, vous prononcez Zi, mais vous tapez t, h, e, e.

             — Sacred comme sacrède ?

             — Oui, et pi Soul comme Soul. Y mettent un s. Mais ça fait Soul.

             Elle devait bien sûr en faire exprès de traîner en longueur. Pour faire durer le plaisir, comme on dit. Par chance, le concert n’est pas complet. Il ne pourrait d’ailleurs pas être complet. Pour des raisons indiquées plus haut. Tant mieux. On va pouvoir respirer un peu dans la petite salle. Et comme d’usage, on arrive un peu à l’avance pour prendre la température. Oh une petite queue ! Ça papote. En voilà une qui dit dans son smartphone à sa copine qu’elle vient à cause du mot Soul, mais elle avoue ne rien savoir du groupe. Le mot Soul attire toujours les curieux. Puis un géant à barbichette s’approche et engage la conversation :

             — Ah c’est drôle, on va voir les mêmes concerts !

             Il parle d’un ton jovial, et hop c’est parti pour une demi-heure de poireau. Il faut vite saisir la perche qu’il tend :

             — C’est vrai, t’as raison, on croise toujours un peu les mêmes gens. Du temps où je vivais encore à Paris, on voyait toujours les mêmes gens au premier rang dans les concerts de rock et de Soul, alors on finissait par papoter, et puis on allait siffler une mousse après le concert, juste avant le dernier métro. Mais avec le temps, on voit moins de monde. T’as beaucoup de gens qui regardent les concerts sur YouTube. C’est idéal pour avoir une idée complètement fausse du concert.

             — Bien aimé les Travelots machin chose l’aut’ soir...

             — Non, c’est pas ça. Har-lem Go-spel Tra-ve-lers !

             — Ah oui, c’est ça ! Ah la vache ! Z’étaient rudement bons !

             — C’est pas compliqué : t’avais les Temptations sur scène. Tant mieux pour ceux qui étaient là et tant pis pour ceux qui ont raté ça.

             — Et ce soir, c’est du même tonneau ?

             — Rien à voir. J’ai écouté l’album. C’est de la Soul de charme. Ça risque d’être compliqué sur scène. Tu connais la Philly Soul ?

             — Oh oui ! J’lis Soul Bag.

             — Alors tu sais ce qu’est la Soul de charme. L’Ange Gabriel à la peau noire. Le vrai mysticisme. Aux antipodes des balivernes du catéchisme. Les gens qu’aiment pas ça parlent de sirop. Alors tu leur réponds harmonies vocales. Voies impénétrables.

             — La Soul ça marche pas très bien en France.

             — Tous les grands amateurs de Soul sont en Angleterre. Tu sais bien qu’un coup de dés jamais n’abolira le hasard. 

             On a fini par entrer. Heureusement, car on aurait pu y passer la nuit. C’est toujours le risque lorsqu’on tombe sur un bavard passionné.

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             Par sécurité, on a réécouté l’album juste avant le concert, pour mesurer le risque d’ennui. On sait pertinemment que certains groupes ne sont pas faits pour la scène. La sophistication et la scène n’ont jamais fait bon ménage. Le black qu’on voit sur la pochette entouré de deux blancs s’appelle Josh Lane. C’est un petit rasta qui doit peser trente kilos et qui bouge sur scène avec une grâce infinie. Il danse comme un rasta, avec ce balancement si particulier qui semble un peu décalé, juste derrière le beat, mais on réalise à force de l’observer que c’est ce décalage qui fait tout le charme de son pas de danse. On pense bien sûr à l’insoutenable concept de Kundera, la légèreté de l’être. Le petit rasta chante d’une voix de miel et ses dents battent tous les records de blancheur. Il y a quelque chose d’impénétrable en lui.

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             De la même façon que l’album, le set met du temps à décoller. Josh Lane et ses deux choristes se goinfrent de heavy froti. Ils font une heavy Soul de revienzy, du well done de gluant supérieur. Apparemment, le petit rasta et les deux blancs à moustaches - le beurreman Alex Garcia et le bassman Sal Samano - constituent le noyau dur du groupe. En fait, on pourrait presque accuser Samano de voler le show.

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    Il est planté au fond de la scène, mais il joue des drives de basse extraordinaires, il joue des deux doigts de la main droite et des quatre de la main gauche sur le manche, il enchaîne des figures de style très techniques et injecte une énergie considérable dans cette Soul sentimentale. Il porte des tatouages sur les doigts et un fantastique scorpion lui orne le cou. Un keyman barbu et un guitariste à cheveux longs complètent cette fine équipe. «Trade Of Hearts» sonne comme un fabuleux shoot de Soul descendante. Une pluie chaude s’abat sur la salle, le set s’enlise dans une délicieuse Soul liquide. Mais en même temps, c’est très direct, pas de pas de côté. Josh Lane peut monter au chat perché, comme dans «Weak For Love», mais il le fait  avec une certaine classe intrinsèque.

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             On comprend que Gabe Roth ait flashé sur eux. «Future Lover» est un cut de Soul effective. Le petit rasta sait driver sa chique. On le croit fragile, comme ça, mais il mène admirablement bien sa barque. Il plonge dans le deepy deep avec «For Now», classique et doux à la fois. Il rassemble chaque fois les deux extrêmes, c’est sa force. Il adore descendre dans la foule et chanter avec les gens. Ces mecs sont finalement capables de voler au ras des pâquerettes, avec une audace vampirique. Tiens voilà deux coups de génie, «Once You Know» et «Happy And Well». L’Once est très Philly, il tinte dans l’écho du temps d’avant, tout au moins sur l’album.

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    Comme c’est monté sur un groove élastique, ça devient une merveille incomparable. On tombe tellement à court de mots qu’on ne peut que s’extasier. Tu te fais encore happer par l’«Happy And Well», c’est d’une qualité extrême, une Soul fine et enlevée, mais lourde de sens, il faut aimer ces fondus de voix qui finissent par te fendre le cœur - Don’t need money/ Or fancy things/ I just need my baby - C’est la vision Daptonienne de la Soul moderne.

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    Signé : Cazengler, sacrée soupe

    Thee Sacred Souls. Le 106. Rouen (76). 10 avril 2023

    Thee Sacred Souls. Thee Sacred Souls. Daptone 2022

     

     

    Wizards & True Stars

    - Il faut sauver le soldat Brian (Part Two)

     

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             Quand on admire Brian Jones, la dernière chose à faire est de visionner Rolling Stone: Life And Death Of Brian Jones, un docu signé Danny Garcia. Pourquoi ? Parce que.

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             Le problème avec les docus, c’est que les sujets des docus ont des têtes de docus. Dans ce docu, Brian Jones a une tête de docu. Quand on a la gueule de bois, on dit qu’on a la tête dans le cul. Là c’est pire : on parle d’une tête de docu. Oh bien sûr, on le voit sourire, on le voit jeune sur un bateau, on le voit sortir du tribunal enveloppé dans un manteau afghan, on le voit descendre d’un avion sur un aéroport américain, on le voit même sur scène gratter sa gratte, mais il a tout le temps une tête de docu. Ce n’est pas celle qu’on connaît. La paille des cheveux, la diction impeccable lorsqu’il répond aux journalistes dans les conférences de presse, tout ça reste du docu, comme si les images sortaient d’un journal télévisé, cette institution qui est, comme chacun sait, l’un des fléaux des XXe et XXIe siècles. Le docu ne nous montre pas le Brian Jones des Rolling Stones, mais le Brian Jones d’Antenne 2.

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             Alors d’où vient le malaise ? Principalement du manque de distanciation. Brian Jones est l’objet d’un culte qui remonte à l’adolescence. L’époque de la tête de culte. Oh ça ne reposait pas sur grand-chose, quelques images et quelques chansons : une photo de Brian Jones et Françoise Hardy dans Salut Les Copains, la pochette de Big Hits (High Tide And Green Grass), où il porte un pantalon rouge, le fish-eye d’«Have You Seen Your Mother Baby Standing In The Shadow» où il porte le fameux costard bleu marine à rayures jaunes et rouges, ou encore Brian Jones assis aux pieds d’Howlin’ Wolf dans une émission de télé américaine, et puis bien sûr les pochettes de December’s Children et de Between The Buttons. Ces quelques images se mariaient merveilleusement bien à «Ruby Tuesday», au sitar de «Paint It Black», aux accents sauvages d’«I’m A King Bee» et à tout ce qui faisait la grandeur des early Stones, le groupe de Brian Jones. Jusqu’à ce clip mirifique de «Jumping Jack Flash» où on l’aperçoit un instant fardé de vert et portant des lunettes de Mars Attack, et là mon gars, ce n’est plus une tête de docu, mais le real deal, Brian Jones, LE Rolling Stone, le plus beau camé d’Angleterre, le punk avant les punks, la plus pure incarnation du rock anglais. Mais tu ne verras pas la tête de culte de Jack Flash dans le docu. Si tu veux la voir, tu la trouveras sur Internet.

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             Ces quelques images et ces quelques chansons constituent la base du culte. C’est l’imaginaire qui ajoute tout le reste. Les fans cultivent des visions comme d’autre cultivent les betteraves. On remplit facilement des heures de visions psychédéliques en écoutant les albums de l’âge d’or des Rolling Stones. On se fout de savoir si Brian Jones allait mal, comme voudraient le montrer certaines images du Rock’n’Roll Circus ou pire encore, celles du One + One de Jean-Luc Godard. Brian Jones reste envers et contre tout le guitariste des Rolling Stones, et aucun docu ne pourra jamais remettre cette réalité en cause. Pas de Rolling Stones sans Brian Jones. Des gens viennent heureusement le rappeler dans cette resucée de journal télévisé.

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             Dès le début du docu, on sent que ça va mal tourner : un avion survole la fameuse Cotchford Farm d’Hartfield, dans le Sussex, où s’était réfugié Brian pour lécher ses plaies. Et que voit-on ? La piscine ! On ne voit qu’elle ! La piscine de la mort devient le personnage principal du docu. Les témoins parlent plus de la piscine de la mort que de Brian Jones. La piscine ! La piscine ! Franchement, a-t-on idée de construite une piscine en Angleterre, un pays aussi peu ensoleillé ? Et crack, le docu fonce tête baissée dans le piège : l’enquête policière. Crack, journal télévisé. Crack, les journalistes. Crack, on l’a-t-y buté ou on l’a-t-y pas buté ? Crack le Thorogood. Crack le gros chauve qui enquête et qui se prend pour Rouletabille. Crack, la police qu’a-pas-fait-son-boulot. Crack, les unes des journaux. Crack un dossier de 500 pages cinquante ans plus tard. Crack, c’est-pas-une-mort-accidentelle. Quelle catastrophe ! Tout le monde s’en fout de savoir si Thorogood lui a démonté la gueule, ça date de cinquante ans. Avec cette histoire d’enquête à la mormoille, c’est un peu comme si le docu se tirait une balle de magnum 357 dans le pied. 

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             Ce qui sauve le soldat Brian, c’est d’avoir su tirer sa révérence à 27 ans. Dans le contexte des têtes de cultes, ça prend tout son sens. Depuis 1969, il n’a pas bougé. Il n’a pas grossi comme Elvis, il ne s’est pas racorni comme Keef, il est resté intact, comme d’ailleurs son ami Jimi Hendrix. C’est le privilège des têtes de culte : ils échappent à la réalité pour entrer dans un domaine beaucoup intéressant qui est celui de l’imaginaire. Il passe de l’état d’irréprochable à celui d’intouchable. L’iconique ta mère. Le secret des têtes de culte : mourir jeune. Le seul qui échappe à cette règle d’or, c’est Dylan. Scorsese le filme dans Rolling Thunder Review: A Bob Dylan Story et ce vieil homme au regard clair reste incroyablement fascinant.

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             On aurait dû confier le docu à Jean-Christophe Averty : il aurait passé à la moulinette toute la première époque Cheltenham/ Jazz/ Clarinette/ Trois enfants illégitimes à 19 ans/ Ealing West London en 1962/ Elmore James/ Elmo Williams/ Alexis Korner/ Dick Taylor, un Dick Taylor qui d’une certaine façon sauve les meubles du docu en témoignant pour rappeler qu’il jouait de la basse avec Brian Jones en 1962 et qu’il a quitté les Rolling Stones parce qu’il voulait jouer de la gratte. Mais il rappelle au passage que tout passait par Brian Jones. Tout ! Admirablement bien conservé, le Dick Taylor. On voit aussi Phil May, pur rock’n’animal. Mais l’idée est là : l’absolute beginner, c’est Brian Jones. Averty aurait fait sonner sa voix dans l’écho du temps : «It’s my band ! It’s my band !». Mais ce n’est pas l’avis d’Andrew Loog Oldham qui décide avec Mick & Keef de changer l’orientation musicale du groupe. L’écho peut bien répéter «It’s my band ! It’s my band !», il est trop tard. Zouzou dans le métro qui est à l’époque la zézètte de Brian zozote elle aussi pour dire que son zozo chéri chialait tous les soirs - Brian was side-lined - Ça veut dire mis de côté. Son ego en prend un coup, un sacré coup. Le genre de coup dont on ne se relève pas. Alors il boit comme un trou. Ça aide à faire passer la douleur. Mais comme il reste malgré tout un esprit moderne, il veille à apporter des contributions musicales de choix.

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             Averty aurait passé à la moulinette la deuxième époque, celle du rôtissage en enfer : Anita/ Courtfield Road/ Copain Keef qui squatte/ Satanic Majesties qui floppe/ Redland bust/ Sauve-qui-peut-les-rats au Maroc dans la Bentley de Keef/ Brian déposé à l’hosto d’Albi-pas-de-Toulouse/ Keef qui barbote Anita/ Brian abandonné à Marrakech avec la note d’hôtel. Et Averty aurait sans doute fait un gros plan sur la note d’hôtel, puis sur la bobine de Brian avec les yeux ronds qui bien sûr n’avait pas un rond. Tête de cocu. Diable cornu. Une élégante façon de montrer que même cocu, il est culte. D’ailleurs Averty n’en est pas à son coup d’essai : il a déjà fait Ubu Cocu. Il est fort cet Averty qui en vaut deux. Et bien sûr en fond sonore, il envoie les flûtes de Joujouka. Personne n’aurait pu empêcher Averty de faire joujou avec Joujouka. Taka faire joujou, Jean-Christophe, t’as carte blanche !   

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             Il aurait bien sûr refusé de passer la troisième époque à la moulinette. Pas question de toucher à ça, berk, le premier bust de Courtfield Road, la condamnation à 19 mois de ballon, l’appel, et la probation de trois ans ! Quoi, mettre un Rolling Stone sous contrôle judiciaire ? Quelle blague ! Même si Averty raffole du grotesque, l’idée-même de ce verdict ne passe pas. Revêtu de son costume de Grand Satrape du Collège de Pataphysique, Averty aurait alors opté pour une stratégie viscéralement opposée : il aurait déguisé Brian Jones en Sapeur Camembert pour l’emmener prendre l’apéro chez Alfred Jarry, qui vit alors dans ce «demi-étage» que décrit si bien Guillaume Apollinaire dans les Contemporains Pittoresques. Arrivé là, le Sapeur Brian Jones aurait poussé un soupir d’aise ubuesque en posant son cul de tête de culte sur un pouf marocain, et pour divertir l’hôte Alfred, Averty aurait demandé au Sapeur Brian Camembert de livrer ses Impressions d’Afrique et de palper les Mamelles de Tirésias, avant de trinquer goulûment, car il n’est, comme aimait à le dire Gildas, de bonne compagnie qui ne se cuite.

    Signé : Cazengler, pas brillant

    Danny Garcia. Rolling Stone: Life And Death Of Brian Jones. DVD 2020

     

     

    L’avenir du rock

     - Better and Becker

     

             L’avenir du rock a quelques copains. Il n’en abuse pas. Pourquoi ? Parce que. S’il est une tare que l’avenir du rock ne supporte pas, c’est bien l’inconstance. Alors pour éviter ça, il limite drastiquement le copinage. Il sait bien qu’au fond les gens font comme ils peuvent, avec leurs petits bras et leurs petites jambes, mais quand même, la constance ne demande pas de gros efforts intellectuels. L’un des copains qui gravitent encore dans son orbite est journaliste. Ils se voient de temps et temps et passent la nuit à bavacher et à picoler. Ils profitent bien sûr de l’occasion pour mettre à rude épreuve leur respect mutuel et tester l’élasticité de leurs tolérances respectives.

             — Dis donc, avenir du rock, au risque de te déplaire, je trouve que tu as un nom trop global, complètement ringard...

             — C’est un simple concept, rien de plus. L’important c’est qu’on parle d’avenir. En même temps, je sais bien que des mecs comme toi trouveront toujours à redire.

             — Quoi des mecs comme moi ?

             — Tu sais très bien ce que je veux dire... Tu fais partie de ceux qui fouillent du groin le fumier de leur médiocrité, comme dirait notre cher Léon Bloy. Parlons plutôt d’avenir, si tu veux bien.

             — Ah il est beau l’avenir ! Non mais t’as vu ta gueule ? Et puis ton rock, c’est devenu une musique de vioques, regarde les Stones et tous les autres vieux crabes à la ramasse, comment veux-tu que les kids se reconnaissent dans ce désastre ? Tu devrais t’appeler l’avanie du rock !

             — Ton manque de discernement m’inquiète. Permets-moi de le mettre sur le compte de l’alcool. Tu sais bien qu’il n’y a pas que les Stones, tu as une actualité grouillante de vie avec des centaines de groupes passionnants, dans tous les genres. Et puis si le mot rock t’ennuie, que proposes-tu ? L’avenir du punk ? Tu vois bien que ça n’est pas possible. L’avenir de la Soul ? Pas possible non plus puisqu’intemporelle. L’avenir de quoi, à ton avis ? L’avenir des haricots mexicains ?

             — Ah oui, alors là, ça aurait de la gueule ! Ou encore l’avenir des rillettes du Mans ! Tiens, appelle-toi l’avenir des week-ends à Maubeuge, au moins ça te fera marrer et comme ça, t’auras l’air moins constipé !

             — J’ai encore mieux : l’avenir du rockabilly !

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             Contrairement aux apparences, l’avenir du rock est très sérieux quand il dit ça. Le rockab est un peu comme la Soul, intemporel et donc intouchable, mais il y a un petit canard qui œuvre activement pour mettre en lumière une réalité : la scène rockab n’a jamais été aussi vivace ! Il suffit de feuilleter Rockabilly Generation pour prendre la mesure de cette vivacité. Donc oui, le rockab a tout l’avenir devant lui.

             Vivace, oui, et particulièrement la scène rockab normande. C’est toujours un bonheur que de croiser les Hot Slap dont on a salué ici en décembre 2018 le fantastique deuxième album Lookin’ For The Good Thing et les extravagants départs en solo de Martin, ces véritables killer attacks que vient télescoper Dédé de plein fouet avec un fulgurant tacatac de stand-up psychotique. Tu crois entendre James Kirkland et James Burton, le dream team de l’early Bob Luman, avant que Ricky Nelson ne le lui barbote. Rien qu’avec des albums de cette qualité, le rockab a de beaux jours devant lui. Et puis voilà que surgit des limbes de Rockabilly Generation une autre équipe : T Becker Trio. Pareil, des Normands, et le guitariste n’est autre que Didier, un vétéran de toutes les guerres qu’on a vu écumer les scènes normandes depuis vingt ou trente ans, la plus récente équipée fut celle du Blue Tears Trio. Le T Becker Trio a déjà deux albums sur Crazy Times Records, le label de Pierre Maman, l’un des derniers grands disquaires en France, qu’on croise chaque année à Béthune, gros fan de Vince Taylor et de Gene Vincent. Jake Calypso a aussi un single sur Crazy Times, c’est dire la qualité du bec fin.    

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             Le premier album du T Becker Trio date de l’an passé et s’appelle The Best Is Yet To Come, avec sur la pochette des petites gonzesses qui tombent dans les pommes. Les fans de rockab peuvent y aller les yeux fermés : l’album sonne comme un passage obligé, dès «I’ll Do It On My Way», ils te jouent ça dans les règles du wild lard, ils t’exacerbent vite fait le beat, ce mec Tof au chant est génial, c’est slappé de frais et tu as le gratté de poux qui va avec. Incroyable swagger !  Le solo de clairette est une merveille. L’autre coup de Trafalgar s’appelle «Rockabilly Is A State Of Mind», une vraie profession de pâté de foi, ils tapent dans le dur du mythe, et là, on peut parler de coup de génie, tout le power du rockab est là, en plein dans le mille, pression terrible avec le solo du Did à la surface, et donc tu nages dans le bonheur. Avec ce premier album, tu navigues au meilleur niveau : voice superbe + gratté superbe et le slap qui va et qui vient entre tes reins, rien de plus vital que cette véracité du beat. Encore une belle énormité avec «Can’t Get You Out Of My Head», une cavalcade effrénée, et juste avant, un «Boogie Beat» bien amené au petit gratté de poux, alors le Tof peut le prendre au boogie boo. Avec «Come Close To Me», ils appréhendent le bop avec magnificence, et le gratté de poux arrondit bien les angles. Retour des wild cats avec un «Biggest Mistake I’ve Made» slappé de frais et embarqué en mode fast and furious. C’est du frenzy pur de wild craze de cats on fire : solo de classe intercontinentale et pulsion rockab ultimate. «Can’t Love You Anymore» est un cut de guitar man, et avec «Why» ils repartent ventre à terre. Wow, c’est du wild ride de tell me why, le Did est là en embuscade, il tombe à bras raccourcis sur les cowboys et les indiens, il revient pour une deuxième embuscade et finit le travail.  

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             Leur Second Round vient tout juste de paraître. Il semble un tout petit peu moins intense que le premier round mais tu te prosternes quand même devant «Bop Bop Bop». Le Tof te le bop-bop-boppe à la Gene Vincent, de quoi rendre fou Damie Chad. Tu te retrouves une fois de plus dans le vrai du bop, un bop si pur qu’il confine au génie, avec à la clé un solo d’antho à Toto. Les wild cats sortent les griffes avec deux bombes : «Why Does She Never Look At Me» et surtout «Tell Me», le slap y ramone la cheminée du wild strut. C’est pas beau à voir ! Façon de dire la violence de l’attaque à sec du slap. Wild as fuck, comme on dit en Angleterre, et coiffé par un solo échappé de la basse-cour. Belle pièce fumante aussi que ce «Gone She’s Gone» d’ouverture de bal, suivi d’un «I Wanna Bop» bien enraciné dans le rockab de 56, c’est claqué sévère, le slap est pur, tout est beau sur cet album. Grosse énergie. C’est vraiment digne des grandes heures de Carl Perkins. «Cloud 9» est encore un cut de Guitar Man, le Did accompagne toutes les retombées avec des doigts de fée. Pareil avec «Litttle Queen», où il noie le cut d’arpèges en dentelle de Calais et «Luckiest Guy», flanqué d’un solo joué à la clairette éclairée. Pour finir, saluons «Me & My Baby» claqué du beignet dans les règles du lard. Ils sont invulnérables. Tout est là : l’esprit, le son, la dentelle de Calais, le slap et tu as le solo de rêve de fête foraine. Le temps d’un cut, les trois Becker sont les rois du monde.           

    Signé : Cazengler, le Beck(er) dans l’eau

    T Becker Trio. The Best Is Yet To Come. Crazy Times Records 2022

    T Becker Trio. Second Round. Crazy Times Records 2023

    Rockabilly Generation n° 25 - Avril Mai Juin 2023

     

     

    Inside the goldmine

    - Andrews Sister

     

             Andrus n’était pas ce qu’on aurait pu appeler un ami. Nous nous trouvions de part et d’autre de cette frontière qui sépare le patron de l’employé. On sentait chez lui une tendance à vouloir sympathiser, mais pas question de céder aux tentations, même après deux ou trois verres de champagne. D’ailleurs, dans cette agence, tout était prétexte à ouvrir des bouteilles de champagne. Dès qu’un visiteur s’annonçait, on préparait le seau et les flûtes. Reprendre l’activité après avoir descendu deux bouteilles n’est pas toujours chose facile. Dans certains contextes, ça peut donner des ailes, mais lorsqu’on bosse pour le compte d’un mec comme Andrus, on se coupe les ailes. Il était d’une corpulence bizarre, assez court sur pattes, une espèce de freluquet devenu homme d’affaires, le regard extrêmement clair derrière des lunettes à la mode, souvent sapé comme un ministre, avec une pochette assortie à la cravate, et une façon agaçante de hacher menu son discours. Chaque après-midi, il se volatilisait. Au retour de la pause déjeuner, il avait disparu. Il démarrait très tôt le matin et bouclait sa journée à 13 h. Les visiteurs étaient pour la plupart des décisionnaires de grands comptes. Andrus les recevait d’abord dans son bureau et comme toutes les cloisons étaient vitrées, on voyait ce qui se passait. Andrus faisait glisser sur le bureau une enveloppe vers son interlocuteur qui s’empressait de l’enfouir dans une poche intérieure. L’activité n’était qu’une façade et bien sûr, il avait fallu signer une clause de confidentialité. Interdiction absolue de divulguer quoi que ce fut. Et puis un matin, vers 8 h 30, peu après l’ouverture, on sonna à la porte. Andrus débloqua la porte, crrrrrrr, et une petite équipe de types pas très aimables fit irruption. Police ! Ils demandèrent à Andrus s’il était bien Andrus, et, avec cette arrogance de jeune coq qui le caractérisait, Andrus leur demanda ce qu’ils voulaient et s’ils avaient un mandat, à quoi ils répondirent que tout était en règle et qu’on l’arrêtait sur ordre d’un juge d’instruction pour détournement de fonds publics et association de malfaiteurs, accusation qu’Andrus réfuta vertement, alors les flics tentèrent de l’immobiliser pour lui passer les menottes, mais Andrus fit l’anguille, il leur échappa et s’empara d’une bouteille vide pour frapper ses agresseurs à la volée, et pif et paf, il frappait à tours de bras, le sang giclait sur les cloisons vitrées, mais les flics étaient trop nombreux, et quand Andrus appela son employé à l’aide, il reçut la réponse qu’il méritait : «Fuck you !».

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              Espérons que la vie d’Andrews est moins agitée que celle d’Andrus. C’est dans une belle compile Northern Soul Weekender qu’on fit la connaissance de Ruby Andrews, magnifique Soul Sister de Chicago. Ruby Andrews ? C’est du rubis sur l’ongle.

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             Son premier album s’appelle Everybody Saw You et date de 1970. Alors accroche-toi car elle ouvre son balda avec un sacré coup de génie : le morceau titre. Elle se situe d’emblée dans un entre-deux du Soul System, ça joue au doux du riff raff, à la patte d’hermine. On tombe une fois de plus sur une tenante de l’aboutissant. Dommage que les cuts suivants soient plus classiques, comme cet «Help Yourself Lover», soutenu aux chœurs et aux orchestrations Motown. Elle reste très classique avec «You Made A Believer Out Of Me», épaulée par des chœurs d’hommes superbes, ils font tuluhhh tuluhhh et Ruby monte au créneau avec une fière allure. Elle attaque sa B avec «Casanova 70», au bang bang I’m gonna shoot you down. Elle maîtrise absolument toutes les situations de la Soul, c’est la raison pour laquelle il faut la suivre à la trace. Elle pratique aussi le groove de r’n’b traîne-savate, comme le montre «Can You Get Away» et pour «Since I Found Out», elle ramène des chœurs de filles superbes. Comme elles sont fidèles au poste, Ruby peut bramer à la lune, ce qu’elle fait merveilleusement bien. Elle termine cet excellent album avec le gros popotin de «Tit For Tat», elle le prend au Stax de Tat, elle y va, la mémère, ça joue au so heavy beat.   

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             Un deuxième album date de 1972, Black Ruby. La pochette en ferait presque un album mythique, car tout le mystère de la Soul y plane. Le seul coup de génie qu’on y trouve s’appelle «You Ole Boo Boo You», un fantastique groove de boo boo you, une énormité rampante, c’est même le r’n’b du momentum roulé dans une farine de wah bien grasse. Elle boucle sa bonne B avec une cover funkoïde d’«Hound Dog», très spéciale, très ravagée de l’intérieur, elle la shoute à la dure, avec une réelle férocité, une vraie panthère noire, elle fait siffler sa glotte, ah, quelle sale petite garce, elle bouffe Big Mama Thornton toute crue. C’est avec «(I Want To Be) Whatever It Takes To Please You» qu’elle annonce la couleur : raw r’n’b avec une sensibilité funk. L’album est enregistré à l’Universal Studio de Memphis. C’est solide et savamment orchestré, sacrément bien foutu, insistant, enflammé par des chœurs de raw babes. Ruby Andrews vise la Soul combative et ambitieuse, une Soul très dévouée et axée sur l’avenir. Elle tape «You Made A Believer Out Of Me» au wild & frantic drive de guitare funk. Elle attaque sa B avec un r’n’b à l’ancienne, «Good ‘N’ Plenty», fantastiquement contrebalancé, soooo good, comme le chuinte Ruby sur l’ongle, all rubies are not red ! Fantastique ! Elle fait aussi de l’élégiaque avec «Just Lovin’ You», sweet baby yeah, elle monte sur tous les coups, elle ramène tout le chien de sa petite chienne. Encore une preuve de l’existence d’un dieu de la Soul avec «My Love Is Comin’ Down». Soul alambiquée de biquette alanguie.   

    Signé : Cazengler, Rebut Andrews 

    Ruby Andrews. Everybody Saw You. Zodiac Records 1970  

    Ruby Andrews. Black Ruby. Zodiac Records 1972 

     

    *

    Il est des nouvelles qui vous cueillent au petit matin et vous laissent un goût amer dans la bouche. Gromain Machin n’est plus. Comment, pourquoi, à l’heure où j’écris ces mots je n’en sais rien. Montreuil Cité Rock et Capitale de l’humour acerbement désabusé ne rit plus.

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    Voici une kronik qui parut dans la livraison 409 du 07 / 03 / 2019 /, sur une œuvre à deux mains, dont une grosse, car plus on est de fous plus on rit.

    FLÂÂÂSH

    BENJO SAN & GROMAIN MACHIN

    ( www.labrulerietatoo.com / 2019 )

             Désolé ce n'est pas un livre sur les bienfaits de l'héroïne. Ni une chronique sur Flash le roman de Charles Duchaussois qui en 1970 fit triper toute une génération de lycéens. Ce Flâââsh-ci participe d'un innocente manie partagée par de nombreux contemporains. Celle du tatouage. Par chez nous elle est restée pendant très longtemps l'apanage des mauvais garçons, se cantonnait le plus souvent à quelques signes symboliques, le quinconce des cinq points d'enfermé entre quatre murs pour les prisonniers par exemple, au milieu des années soixante-dix les groupes proto-rockabilly l'adoptèrent sou forme de dessins colorés tout aussi déclaratifs, la tête de loup ou de renard transpercée d'un poignard et d'un commentaire vindicatif style Vaincu mais pas Soumis... Aujourd'hui cette pratique s'est largement répandue, l'est même devenue une mode bobo. L'on est parfois surpris en dénudant une jeune fille de bonne famille. Que voulez-vous, dans la société du spectacle même le fait de s'encanailler ne dépasse pas le niveau de l'image.

             Ce n'est pas tout à fait un guide style tout ce que vous devez savoir sur le tatouage en dix leçons, plutôt un mix qui allie tatouage et bande dessinée. La rencontre paraît naturelle, c'est pourtant la première fois, à ma connaissance, qu'elle est mise en scène. Par la même occasion le bouquin renvoie à une mode qui envahit voici deux ou trois ans les étalages des distributeurs de journaux. Celle des albums de coloriage. Pour adultes. Le même procédé que pour les gamins, les contours d'un dessin que l'on se doit de colorier. Evidemment on y a trouvé d'autres enjeux que les infâmes barbouillages des têtes blondes, on ne les a pas affublés du nom péjoratif et subalterne de bariolages mais on les a présentés comme des albums anti-stress. Un bon coup publicitaire, qui consistait à appliquer l'esthétique du mandala à une occupation jusque-là dévolue aux mioches. L'on en a vendu quelques centaines de milliers d'exemplaires et puis le public s'est lassé...

             Benjo et Gromain se sont partagés le boulot, ne perdez pas votre temps avec la généreuse idée de l'entraide mutuelle, vous savez dans la vie moins on en fait... je   soupçonne ces deux lascars d'être des adeptes du Droit à la Paresse de Paul Lafargue, se refilent le bébé à la moindre échéance. N'ont peut-être pas tort, car le résultat est désopilant. Ce qu'il y a de terrible avec les tatoueurs lorsque vous vous promenez dans une convention tatoo c'est qu'ils ont tous d'immenses classeurs à vous proposer. Sont remplis de dessins – les fameux flashs – qu'ils se proposent de vous inoculer sous l'épiderme. Au bout d'une centaine, la tête vous tourne, vous ne savez plus où la donner – de toutes les manières personne n'en veut, preuve qu'elle ne vaut pas grand-chose – c'est comme quand Tante Agathe voulait changer la tapisserie du salon, et que vous feuilletiez les lourds registres des spécimens du tapissier, non celui-ci il est trop cela, et celui-là il est trop ceci...

             Le Benjo San est un fin psychologue, l'a compris que le choix d'un tatou c'est comme la rencontre amoureuse, tout se passe dans les premiers instants, sans quoi vous aurez beau ramer pendant dix ans l'affaire ne sera jamais conclue, alors l'a demandé un coup de main à son pote Gromain Machin. Ecoute mec, on partage, cinquante-cinquante, toi tu baratines et moi je refourgue en bout de course les icônes. Alors le Gromain de sa petite menotte il s'est attelé à la seule chose qu'il sait si bien faire dans sa vie : une bande dessinée, vous met le Benjo San en scène dans son atelier de tatoueur - je ne voudrais pas me mêler de ce qui ne me regarde pas mais si j'étais Benjo, j'aurais mis une petite note pour avertir le futur client qu'il ne ressemble en rien à cet Hamster Jovial dénudé et désopilant, sans quoi terminé les clientes futures – et puis au fur et à mesure des désidérata de la clientèle, le Benjo il vous exhibe selon la thématique proposée quelques flâââshiques suggestions idoines. Homme libre toujours tu chériras la mer, ne faut pas contrarier les poëtes, alors sur cette thématique baudelairienne voici les fins voiliers et les portraits de pirate.

             Arrêtez de rêver, le libéralisme triomphant de ces dernières années  nous l'a appris, rien ne vaut la sous-traitance surtout quand c'est le client qui s'en charge, si voulez que la mer soit bleue et la barbe du capitaine rousse, prenez votre boîte à feutres et fiez-vous à votre sensibilité artistique, le Gromain vous file le cercle chromatique en coin de page pour vous rappeler qu'il existe des couleurs froides comme des serpents et d'autres chaudes comme des crêpes à la framboisine.

             Fini l'océan sauvage, l'est rempli de plastique, alors pour oublier, au client suivant l'on se rabat sur les petits oiseaux et les animaux tout mignonitos, j'ai l'impression que le tandem San-Machin bat un peu de l'aile romantique, car chacun dans son style rivalise en mauvais goût, je sais bien que ce dernier ne se discute pas plus que les couleurs, mais voici justement que quelques pages plus loin – je saute les têtes de mort qui pourraient renseigner le lecteur sur sa destinée finale – nous abordons la colorisation de la rose, question épineuse, si vous tartinez les pétales en monochrome, l'on ne voit plus rien, retour illico au circulo chromatoc, dans la vie tout est question de nuance et de doigté.

             Le plus dur est à venir. Deux horreurs monstrueuses. Benjo San et Gromain Machin à colorier. Deux vieillards putrides présentés en nourrisson. Deux images aussi obsédantes qu'une nouvelle de Lovecraft. Deux visions symboliques de la décrépitude de notre société qui ne s'effaceront plus jamais du vitrail de votre conscience. En plus ne manquent pas de toupet puisqu'ils nous suggèrent de les embellir. Après tout chacun est libre de choisir son suicide.

             Mais ce n'est pas tout. Pour une fois voici un livre qui conjugue beauté grimaçante et utilité pécuniaire. Pouvez aussi vous en servir comme album de découpage. Vous détachez, sans la déchirer, faites gaffe nom de Zeus, l'image que vous aimeriez vous faire tatouer une partie de votre corps ( je n'ose imaginer laquelle ) charnue ou rétractile, et vous courez à l'enseigne de La Brûlerie, le bourreau Benjo San fera son office. C'est le moment de nous quitter sur une poignée de Gromain Machin.

    Damie Chad.

     

    *

    New Noise N° 26 est dans les kiosques depuis ce 21 avril, je vais vous parler du Numéro 25. Traîne sur mon bureau depuis le mois de Février, mais j’ai oublié. Je n’aurais pas dû. J’ai failli. Mea culpa. Les esprits caustiques feront remarquer que je n’avais pas chroniqué non plus, ni le 24, ni le 23, ni le 22… Je n’ose plus regarder mon éphéméride, voici plusieurs années que, soyons plus bref, je n’ai livré d’élucubrations noisiques qu’une seule fois depuis l’existence de KR’TNT, soit exactement en quatorze ans, normal on y parlait d’Edgar Poe.

    C’est que New Noise a traversé une mauvaise passe. Et peut-être-même devrais mettre le verbe précédent au présent. Les ventes du numéro 62 avaient été catastrophiques, sans préavis, n’ont vu rien vu venir, la 63 n’a guère été meilleure, et la 64 s’est désagréablement révélé inférieure au 63. Pour le 65, les chiffres ne seront connus que dans une dizaine de jours. Pour le moment New Noise ne tient l’eau que grâce aux abonnés, aux nouveaux abonnés, aux réabonnements de lecteurs qui n’ont pas envie de perdre leur magazine… La clef n’a jamais été aussi près de la porte.

    En mai 2020, le numéro 401 de Jukebox Magazine n’a pas été envoyé à l’imprimerie… Y aurait-il une crise éditoriale, de lecteurs, générationnelle, un manque de ressources financières… L’est vrai que quatre-vingt-dix neufs virgule quatre-vingt-dix-neuf pour cent des artistes présentés par ces deux magazines si différents, d’arrière ou d’avant-garde, n’ont aucune chance de se retrouver dans la play-list de France Inter.

    NEW NOISE N° 65

    (Février-Mars 2023)

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    L’on voit ce que l’on entend. Noise (généralement on ne mentionne pas New, pratiquement caché sur les deux couvertures au choix) l’on imagine un fanzine destroy, des mises en page apocalyptiques, des aberrations typographiques, des pages mal agrafées, une couverture flottante, des éditos au bazooka, des titres lance-flamme, des textes sous-forme de déclaration de guerre, d’ultimatums injurieux, de revendications à bout-portant, le genre de délicieuse lecture qui vous agresse plus qu’elle ne vous informe.

    Cherchez l’erreur. Même chez votre kiosquier, la couverture de Noise en impose autant que la façade de la cathédrale de Reims, un grand format de cent trente pages au dos carré. Sur le coup vous vous demandez si ce n’est pas une revue sur les engins de travaux public sponsoriséé par Caterpillar. Non c’est une revue de rock vous assure le préposé tapi derrière son bureau, l’est tranquille vu le format vous ne risquez pas de la glisser incognito dans votre poche. Vous l’ouvrez, votre étonnement croît. C’est quoi ce bordel ! c’est aussi propre que les jardins à la française de Le Nôtre, parterre au cordeau, et allées ratissées.

    Diable c’est du sérieux, pour les photos affriolantes et les couleurs criardes faudra faire votre deuil. Z’y vont à l’économie parcimonieuse de subsistance. Par contre ils se rattrapent sur les textes. En colonnes serrées de fourmi noires. Pas une lettre qui dépasse. Noir sur blanc. En petits caractères. Pour moins de douze euros vous emportez un Folio de trois cents pages. Une revue musicale certes mais qui cherche à vous faire réfléchir, qui ne se contente pas de recopier les communiqués de presse, ils farfouillent, ils s’interrogent, ils présentent, ils interviewent, comprenez qu’ils ne posent pas des questions-bateaux qui coulent dès qu’on les pose sur l’eau conversationnelle du délayage conventionnel.

    Un objet qui ne se lit pas à l’emporte-pièce, qui se savoure, qui a le goût du revenez-y, qui vous réserve bien des surprises. Par exemple, j’ouvre au hasard, Oiseau-Tempête, je connais une revue de poésie qui se distribuait dans les manifs entre deux charges de CRS voici quelques années, faudra que je retrouve mes numéros, ben non, je fais fausse route, c’est un groupe, d’ailleurs ça s’écrit Oiseaux-Tempête. Premier opus en 2013, ils présentent le dernier : What on earth, ( Que Diable) : Sub Rosa & Nahal Recordings, je suis allé écouter, une musique post-rock je dirai vide de bruit et de fureur mais emplie d’éclats et de luminosités tranchantes, pour un futur à qui, pour reprendre leurs propres mots, on n’a pas laissé la chance d’exister… Bref une découverte.

    Pour ceux qui aiment les musiques davantage étiquetées je file sur l’interview de Tom Angelripper le bassiste de SODOM groupe allemand de Black Metal qui se vantait de jouer plus fort que Venom et plus vite que Metallica… revisite sa discographie sans état d’âme avec lucidité, l’on sent la fierté de ce fils et petit-fils de mineur, qui a su se battre pour imposer sa marque de fabrique prolétarienne dans le monde musical dans lequel il évoluait. 

    Après ce titre, l’impressionnante revue des nouveaux albums. Plouf mon œil est attiré par une zone grise. Une bonne nouvelle. Et une mauvaise. Le premier album de Cosse est paru. Nous parlions de Cosse au printemps dernier dans nos colonnes, pour une raison bien simple, Lola Frichet, la bassiste de Pogo Car Crash Control y jouait aussi de la basse. Grand écart stylistique, faire partie d’un groupe rock destroy et en même temps d’un combo que nous qualifierons, pour faire vite, de progressif. D’après le topo de Clément Dubosco, It turns pale est très bon, nous n’en doutons pas, mais Lola accaparée par l’auréole grandissante de Pogo quitte Cosse. Pas de souci à se faire pour Lola, prise dans le tourbillon féministe suscitée par l’inscription More women on stage au dos de sa basse.

    Sur les deux Pages suivantes, huit albums chroniqués, trois me disent quelque chose, Psychotic Monks, Might, Deadboys, ces derniers mois je les ai écoutés soigneusement pour finalement en chroniquer d’autres, de même pour Eternal Youth, par contre pour La Mort appelle tous les vivants de Barabbas je ne suis pas le seul à l’avoir remarqué.

    Nous terminerons par l’interview, qui d’ailleurs clôt le volume, d’Yvan Robin. Un gars qui a mal tourné. Le destin aux ailes de fer. L’était bien parti. Chanté trois titres d’Elmer Food Beat devant toute la classe en CE1, il ne s’améliore pas au collège, un avenir radieux s’ouvre devant lui, il formera un groupe, Les GENS, de la vague Louise Attaque et Têtes Raides… L’arrête tout à vingt-cinq piges. Les otites qu’il avait eues tout petit le rattrapent. Il ne supporte plus le son un tout petit peu trop fort… Comme ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort, il sera écrivain. N’ai jamais lu un de ses livres. Il en parle bien. Assez rock’n’roll dans l’esprit. Donne envie de les parcourir. Perso je préfère Aristote mais c’est une autre histoire. En plus parmi la musique qu’il écoute : Pogo Car Crash Control.

    En exagérant j’ai causé de quinze pages sur les cent trente de la revue. Ce qu’il vous faut retenir : Noise parle de musique post-rock, post-punk, post-metal, post-cyberg, post-électro, post-noise, pos-post-tout ce que vous voudrez, s’intéressent aux gens qui comme Baudelaire cherchent du nouveau dans la musique, sont aux limites de tout ceux qui s’interrogent et sont en rupture du vieux monde, des vieilles habitudes de penser.

    Qu’une telle revue disparaisse serait une grande perte.

    Damie Chad.

     

    *

    J’ai d’abord cru que le groupe s’appelait East et que The Device était le titre de l’album, avec la pochette représentant un vieil immeuble que j’imaginais squatté dans un quartier chaud de New York, ou de Los Angeles ou de Detroit, c’est en examinant de près la photographie que je me suis dit que le building était promis à la démolition, en agrandissant l’image mon cerveau a fait clic, fausse route nous sommes en Ukraine…

    EAST

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    THE DEVICE

    ( K7 / Bandcamp / Mars 2023 )

    Ces trois titres ont été enregistrés en un jour en Pologne en 2021 en des temps beaucoup plus tranquilles. L’opus est dédié à tous les easteners d’Europe.

    Work : sifflements, concassage, rythme lent, appuyé, vocal traînant et porteur d’une colère sourde, l’impression d’une machine autour de laquelle s’agitent des hommes uniformes, unidimensionnels, une broyeuse d’énergie sans âme et sans regret, vocal interjectionnel de cris harassés, l’on ressent la  lassitude, la fatigue qui abîme et corrompt les corps, en arrière-plan la critique de la mécanisation du travail humain par lequel l’homme devient un individu aliéné dans une société qui n’a besoin que d’une main d’œuvre soumise, la cadence s’accélère et bientôt l’on entend les vociférations des contremaîtres qui s’en prennent à ceux qui ne suivent pas le rythme imposé. La musique cède la place au bruit, toute expression humaine devient inaudible, les dernières clameurs sont anéanties par l’impitoyable ramonage mécanique. Crawl : il ne suffit pas de travailler, il faut encore ramper, le bruit n’est pas exceptionnellement fort, une espèce de tondeuse géante qui arase toute volonté de résistance, l’on modélise les individus, on leur apprend à se taire, à écouter et à exécuter les ordres, l’expression des pleurs, des peurs, des angoisses est interdite, silence dans les rangs, accepter et se soumettre, surtout se taire, le bruit de la tondeuse idéologique faiblit, elle n’a plus rien à recouvrir. Front : le même rythme que sur le premier morceau, mais l’atmosphère a changé, le plomb de la résignation se métamorphose en or d’insoumission et de révolte. Sous la chape, dans chaque esprit naît la possibilité d’une autre existence, d’un autre monde, une guitare chante en sourdine, la batterie tapote cahin-caha, la marche sera longue et dure, mais une chose est sûre, forger les marteaux de la colère qui briseront les chaînes de l’esclavage moderne économique et idéologique exigera du temps et des souffrances. Parfois l’on a envie, de se laisser faire, d’abandonner, mais non, la lutte est la seule solution possible. Travailler, ramper, faire face. Silence. Un chant de lutte s’élève dans le lointain. Easteners de tous les pays, unissez-vous !

    Il s’agit uniquement de la face A de la K7. La face B propose trois autres titres : Unsleeping-Unsleeping / Aproc-BCD / Raqal – The beauty of a bad trip. + deux poèmes sur papier, un en ukrainien, un en polonais. Si vous voulez les écouter, il faut commander la cassette ( 10 € ). La somme récoltée sera envoyée en Ukraine. Une autre collecte est organisée afin d’acheter des drones Punisher réutilisables pour la 60ième Brigade Mécanisée.

    Il s’agit donc d’un disque engagé. Ceci peut déplaire. Ceci peut plaire. Cela soulève bien des réflexions politiques et métapolitiques mais aussi sur l’essence de l’art. The Device que l’on pourrait traduire par l’Appareillage ou Le Dispositif se présente en une courte définition : The Cult of an ancient hydrophonic artefact. Veulent-ils signifier que leur action musicale répercute l’air ambient des époques qui la suscitent…

    Damie Chad.

     

    *

    Viennent de Sao Paulo, du Brésil comme personne ne l’ignore. Le groupe Chant of the Goddess existe depuis 2014 et Martial Laws of discordia est leur deuxième opus. Il est formé de :

    Renan Angelo : guitars, vocals / Vinicius Biz : bass / Guilherme Cillo : drums.

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    Avant de l’écouter. Demandons-nous de quelle déesse se revendique le groupe. La première idée qui nous vient à l’esprit est celle de la déesse primordiale, celle dont les hommes préhistoriens nous ont laissé de nombreuses représentations sous forme de figurines à grosses fesses et gros seins. Robert Graves (1895 – 1995) s’est essayé dans ses Mythes Grecs et La Déesse blanche de retrouver la trace de cette déesse originelle dans les mythologies occidentales, la manière dont elle fut supplantée par les Dieux de la deuxième génération dont la naissance correspond à des invasions d tribus guerrières et ses résurgences plus ou moins voilées dans les figures de nouvelles déesses, épouses, filles, mères, sœurs des Dieux.

    L’iconographie de leur premier opus nous montre bien une jeune et belle femme accoudée sur un cippe devant un chant de ruines antiques. Toutefois la longue chevelure et le style du dessin évoqueraient plutôt l’esthétique préraphaéliste ou symboliste.  Quant à celle de l’œuvre qui nous préoccupe elle nous semble entachée d’un style que nous qualifierons de néo-médiéval très prisé durant le dix-neuvième siècle. Elle représente juste le buste d’une jeune femme qui dirige contre sa poitrine la longue lame de laquelle s’échappe une goutte de sang.

    MARTIAL LAWS OF DISCORDIA

    CHANT OF THE GODDESS

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    ( Bandcamp / Avril 2023 )

    Cold as loneliness : premier choc aux premières notes, le mot discordia induit une idée de violence, le rythme est trop lent, pas assez échevelé, sans ruptures, sans entrechocs pour donner l’impression d’une fureur guerroyante, certes les passages chantés creusent comme des ornières dans le lourd chemin processionnaire du fond musical, cette impression est confortée par les échos choeurifiés des voix, les guitares se brisent et s’éteignent, la batterie et la basse avancent à pas mesurés, ne résonnent plus bientôt que des frissons de basse qui se meurent. Qui se plaint tout le long du morceau, quelle est cette reine découronnée, si découragée que l’on n’ose point utiliser le terme de déesse, à qui s’adresse-t-elle, sa solitude glacée ne ressemble-t-elle pas à la mort, que lui reprochent ses fidèles, comment pourraient-ils se mettre à sa place. Beaucoup d’amertume et de justification à mots couverts. Quel est le sens du mot péché… In the name of… : le titre est incomplet, le voici restauré en sa plénitude : In the name of hatred, distress, delusion and discord : la même musique mais plus appuyée, plus intense avec ces haines de guitares, cette batterie en détresse qui bat un autre rythme et cette voix qui hurle comme un loup au fond des bois, miaulements de fureurs et de détresse, une vague sonore déferle sur nous, la voix désigne et accuse, l’on a beau vivre dans le mensonge de l’illusion, la réalité vous rattrape toujours à l’instar de cette ligne mélodique qui s’enflamme sur la crête des montagnes dont les versants se séparent et se différencient, la discorde gîte entre les âmes, l’esprit, les croyances, tout le reste n’est que brouillard de mots. La chaîne musicale se casse, elle avance de rupture en rupture, les guitares crient l’irréalité de toute pensée morale. About the brevity of life : le morceau le plus bref, instrumental, quels mots pourraient illustrer cette évidence de la brièveté de la vie, juste des résonnances cordiques, chacun tirera de cette indiscutabilité phénoménale le sens qu’il lui donnera. Les mots modèlent l’argile de la réalité mais ne changent en rien sa nature. Enjoy this sin : son écrasant, la voix se métamorphose en roulement d’orage, doit-on comprendre que le tonnerre dit son fait à la terre en la frappant de la foudre. Il est temps de dire ce que l’on est, de revendiquer ses actes, que certains nommeront péché, la déesse a perdu sa virginité et les fidèles ont été précipités dans le veuvage de leur royaume idéel et illusoire. Maintenant tout est dit, plus besoin de faire la grosse voix, ces tintements de cymbales permettent à chacun de reprendre ses esprits, de se conforter dans sa propre vision, qu’elle soit vraie ou fausse. La musique vous ploie la tête, le poids de vos idées vous courbent le corps bien plus que vos actes. Flamboiements de guitares. Apothéose. ( Ce titre a été publié en avant-première sur Bandcamp en décembre 2022 agrémenté d’une couve informe dans laquelle il nous a paru judicieux d’apercevoir un fœtus nageant dans le liquide amniotique ). Dam : pourquoi cette adaptation de System of a down, les quatre premiers titres se suffisent à eux-mêmes, il est vrai que ce morceau indique bien la filiation sonore du groupe et ne jure en rien avec la tonalité de ce qui précède une reprise pratiquement à l’identique, hommagiale. Nommer ses propres maîtres dont généalogiquement l’on procède est la plus grande des qualités humaines.

             Cette chronique n’est qu’une proposition de lecture. Cet opus est assez riche pour en offrie d’autres.

    Damie Chad.

     

     ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    Services secrets du rock 'n' roll

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    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 25 ( Canif  ) :

    135

    Le Chef alluma un Coronado :

    • Je résume : première vague d’assaut, Agent Chad, Molossa et Molossito, deuxième vague d’assaut Carlos et Alice, elle n’intervient que si l’Agent Chad envoie Molossa pour les avertir, troisième vague d’assaut, moi-même en personne, je n’interviens que si Molossito vient me chercher. Avez-vous tous compris ?

    Tous nous hochâmes la tête, Molossa et Molossito firent entendre un ouah ! vindicatif, nous pourrons compter sur eux.

    • Attention, je le répète, l’attaque commencera demain matin à quatre heures. Les préparatifs d’endormissement de l’ennemi dureront toute la journée. Evidemment, dès la première seconde nous serons repérés. Je dis mieux : ils nous attendent. Ne vous faites pas d’illusion, nous reprenons la vieille tactique d’Alexandre sur les rives de l’Hydaspe, parader au vu et au su de tous devant l’ennemi, pour nous ruer au dernier moment sur l’objectif, à trois heures cinquante-huit, nous devons tous être à nos postes prêts à intervenir. Départ de la maison à 11 heures pile.

    136

    Le début de la mission se révéla très agréable pour Carlos et Alice. Ils jouèrent à la perfection le couple d’amoureux. Commencèrent en début d’après-midi par louer une chambre à la seule auberge restaurant du village, descendirent vers seize heures demander si possible un petit encas roboratif pour chasser la faim qui les tenaillait et la lassitude de leurs muscles, faveur qui leur fut immédiatement accordée lorsque Carlos appuya sa demande exceptionnelle de trois billets de cinq cents euros négligemment posés sur le comptoir. En quelques secondes la maison leur fut acquise. Vers dix-sept heures ils s’accordèrent une petite promenade digestive, remontèrent dans leur chambre, redescendirent à vingt heures pour une dernière collation suivie d’un repos mérité. A trois heures du matin, selon leur désir un petit déjeuner leur fut porté au lit, à trois heures et demie, ils quittèrent l’auberge sous les embrassades du patron et du personnel ébahis par la prodigalité de ses clients qui distribuaient à tout bout de champ des billets de cinq cent euros comme la neige éparpille ses flocons… A trois heures cinquante-huit précises nos valeureux combattants étaient à leur poste.

    137

    La journée du maire fut davantage pénible. A quatorze heures  un individu au visage peu avenant s’introduisit dans son bureau. Il n’eut même pas le temps d’ouvrir la bouche qu’une carte d’Inspecteur Administratif du Ministère des Finances lui fut présentée sans aménité. Il pâlit comme un linge, mais déjà le gars peu commode le prévint qu’il venait vérifier la comptabilité de la commune des cinq années précédentes et de se dépêcher au plus vite de lui amener les registres afférents et un cendrier. Lorsqu’il revint le gars avait pris sa place, l’épaisse fumée d’un cigare lui provoqua un début de nausée, son interlocuteur se montra insatiable, il éplucha page par page tous les dossiers un par un, vérifiant sur sa calculette la moindre addition, l’interrogeant d’un air soupçonneux sur le plus petit détail :

               _ Sur cette adduction d’eau les boulons de quarante n’auraient-ils pas pu être remplacés par du 38 comme dans toutes les communes du voisinage ? Je ne sais pas comment ils vont admettre ce genre de facétie là-haut, notre élite de technocrates je préfère vous prévenir ne sont pas des rigolos, veillent au centime près sur les finances de l’Etat.

    A trois heures et quart du matin, le gars referma le dernier dossier, alluma un énième Coronado et au moment où il refermait la porte :

    • Vous avez de la chance, il se fait tard, je n’ai pas le temps de rédiger un rapport, faites attention, les boulons de 40, j’aurais pu vous intenter un procès pour prévarication, ne recommencez pas.

    A trois heures cinquante-huit tapantes le Chef était à son poste.

    138

    J’avais tourné toute la journée à la lisière de la commune, à travers champs muni d’un filet à papillons et de mes deux chiens.  Dès que j’apercevais un agriculteur sur son tracteur je lui faisais signe d’arrêter, je m’excusais de l’interrompre en plein travail et lui demandai s’il n’aurait pas aperçu par hasard des concentrations exceptionnelles de Corylidae, papillon inoffensif mais sur lequel l’augmentation de l’empreinte carbone et le changement climatique provoquaient de multiples mutations notamment sur sa chenille qui jusque-là inoffensive se transformait en une espèce de fourmi ravageuse qui se nourrissait indistinctement de graines, de feuilles, de fruits, de tubercules, elle risquait de provoquer d’ici une dizaine d’années la ruine des exploitations agricoles et une famine endémique sur toute l’Europe. Le pauvre paysan affolé remontait sur son engin en me promettant de téléphoner immédiatement au Ministère de l’Agriculture et au Muséum d’Histoire Naturelle de Paris dès qu’il apercevrait des proliférations inquiétantes de papillons, quelles que soient leur espèce, leur couleur, leur forme, leur grandeur…

    A quatre heures du matin je poussai la grille du cimetière. Etait-ce un hasard si elle était entrouverte… Molossa se porta sur ma gauche et Molossito sur ma droite, en quelques secondes je ne les vis plus, mais je savais qu’ils étaient là et leur présence me rassurait.

    139

    Dans la lumière blême du petit matin il régnait un silence de mort. Je frissonnais. Je passais sans m’attarder sur le demi-cercle des tombes des jeunes profanateurs que nous avions au début de notre aventure froidement envoyés rejoindre leurs ancêtres pour les empêcher de commettre leur vil forfait. Je m’arrêtais devant la tombe d’Alice, elle était dépouillée de toute ornementation. J’aurais pu, j’aurais dû, couper cette après-midi un bouquet de fleurs de champs, je ne l’avais pas fait, j’étais sûr qu’Alice aurait aimé cette offrande. Pourquoi avais-je oublié, n’étais-je pas indigne de l’amour qu’elle m’avait portée… Le museau de Molossa vint se poser contre ma jambe, je compris qu’elle ne m’avertissait pas d’un danger mais qu’elle tenait à me témoigner de son chagrin. Quelque part j’entendis un chouinement, Molossito à sa façon me faisait part de sa tristesse. Braves bêtes, Alice les adorait. Je m’abîmais dans mes pensées…

    • Agent Chad !
    • Damie !
    • Damie !

    Les trois interjections me réveillèrent. Je sursautai, le cimetière était envahi de silhouettes menaçantes, déjà les Rafalos du Chef et de Carlos entraient en action, Alice se précipitait vers moi, elle me tira violemment derrière une croix, Molossa et Molossito grognant de toutes dents me protégeaient d’un groupe d’ombres qui se dirigeaient vers moi :

    • Tire Damie, remets-toi, sors ton Rafalos !

    Je ne repris totalement conscience que lorsque je sentis la crosse de mon arme dans la main, je réalisai le spectacle hideux qui m’entourait, tous les morts du cimetière étaient sortis de leurs tombes, les vieux, les jeunes, les femmes, les enfants, devaient être au moins près de quatre cents autour de nous. De certains anciens tombeaux il s’en échappait encore, heureusement leurs gestes étaient encore maladroits, leurs mouvements plutôt lents les empêchaient de se ruer sur nous. Une épouvantable odeur de putréfaction avancée envahissait nos narines. Molossa et Molossito avaient disparu.

    Le Chef et Carlos nous avaient rejoint. Nous formâmes un triangle. Alice assise à même le sol derrière nous rechargeait les Rafalos que nous lui jetions dès que nos chargeurs étaient vides. La bataille se termina à l’aube. Le cimetière était jonché de morts-vivants que nous avions occis sans rémission une deuxième fois… Je courais comme un fou parmi les cadavres en putréfaction, les saisissant à pleines mains, retournant leurs corps pour vérifier si l’un d’entre eux n’était pas Alice. Mes camarades me laissaient faire. Plus tard ils me dirent que le rictus de la démence balafrait mon visage. Je criais Alice ! Alice ! Pris d’une rage insensée je butais à coup de pied les têtes des cadavres les envoyant rouler dans tous les sens. Ma rage inassouvie me poussa à démembrer les macchabées un par un éparpillant bras et jambes aux alentours. Je ne m’arrêtais que lorsque je fus certain qu’Alice ne se trouvait pas dans ses débris mortuaires.

    Un grand silence succéda à mes cris. Nous eûmes tous pendant quelques secondes l’impression que le monde flottait dans nos yeux. Maintenant tout était calme. Les cadavres avaient disparu. L’on aurait dit qu’il ne s’était rien passé. Le Chef alluma un Coronado :

    • Je pense que nous pouvons rentrer.

    Nous passions la grille du cimetière. Des aboiements rageurs retentirent. Molossa et Molossito ! Je compris que pendant que nous exterminions la légion des morts, les braves chiens avaient monté la garde auprès de la tombe d’Alice. Refusaient-ils de la quitter on nous avertissaient-ils d’un nouveau danger.

    A suivre…

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 562 : KR'TNT 562 : JONATHAN RICHMAN / CHEATER SLICKS / PIXIES / ANDY PALEY / ROCKABILLY GENERATION NEWS ( 22 ) / T BAKER TRIO / IENA / VINCENT BRICKS / THUMOS /

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 562

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    07 / 07 / 2022

    JONATHAN RICHMAN/ CHEATER SLICKS

    PIXIES  / ANDY PALEY

    ROCKABILLY GENERATION NEWS ( 22 )

    T BECKER TRIO/ IENA / VINCENT BRICKS

    THUMOS

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 561

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

     http://krtnt.hautetfort.com/

     TERRIBLE DECEPTION POUR LES KR’TNTREADERS !

    ENCORE UNE FOIS CES IGNOBLES INDIVIDUS

    QUE SONT LE CAT ZENGLER ET DAMIE CHAD

    PRENNENT LEURS VACANCES !

    IMMENSE JOIE POUR LES KR’TNTREADERS !

    LA LIVRAISON 563

    ARRIVERA AU PLUS TÔT LE 25 / 08 / 2022

    AU PLUS TARD LE 01 / 09 / 2022

    KEEP ROCKIN’ TILL NEXT TIME !

     

    Spécial Boston

     

    Les Pixies, les Cheater Slicks, Jonathan Richman et Andy Paley ont un point commun. Lequel ? Boston ! Cette fournée constitue le premier volet d'un spécial Boston, imaginé pour my friend Jacques, en écho à ce qu'il écrivit un jour : "Boston est la Mecque du rock."

     

    Baby you’re a Richman

     

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             Les relations qu’on entretient avec Jonathan Richman depuis plus de quarante ans ne sont pas toujours très cordiales. On l’a adoré un temps puis détesté. Pourquoi ? Parce qu’il évoluait bizarrement. Oh il n’est pas tombé dans l’horreur diskoïdale comme Blondie («Heart Of Glass») ou encore pire, dans le rock FM commercial comme Patti Smith («Because The Night»), non il a opté pour le foutage de gueule, le rock potache, réussissant là où Jimbo et Syd Barrett avaient échoué : en se coulant artistiquement. Il échappait ainsi au star-system qui menaçait de le transformer en machine à fric, comme les deux collègues citées ci-dessus. Les seuls qui aient réussi à exister artistiquement dans ce qu’on appelle le grand public sans se faire enfiler sont assez rares. Citons les noms de Dylan, de Van Morrison ou encore de Ray Davies. Pour les blancs. Chez les Noirs, ils sont plus nombreux, beaucoup plus nombreux, James Brown en tête, et George Clinton aussitôt derrière. 

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             Le diable sait si on adorait ce premier album des The Modern Lovers qui n’avait pas de nom. The Modern Lovers était écrit en ultra-bold ital sur un fond noir, et dès «Roadrunner», Jojo et ses amis d’alors nous replongeaient dans un bain de jouvence qui s’appelle «Sister Ray» : même énergie dévastatrice, même minimalisme fondateur d’empire des sens, même ampleur catégorielle, même souffle éolien et les nappes d’orgue de Jerry Harrison nous léchaient les cuisses. Ce n’était pas un hasard, Balthazar, si le nom de John Cale apparaissait au dos de la pochette. Avec «Old World» et «Pablo Picasso», ils tâtaient de l’hypno à nœud-nœud, un bel hypno d’orgue monté sur bassmatic ventru. Ce démon de John Cale savait que la messe était dite depuis le Velvet, mais Jojo et ses amis avaient tellement envie de s’amuser qu’il n’allait pas les contrarier. Embarqué par un riff de basse génial, Picasso se répandait comme la marée du siècle. En B, ils allaient plus sur les Stooges avec «Someone To Care About». Jojo n’avait aucun problème, il pouvait sonner comme Iggy et lâcher des awite d’une troublante authenticité. La voix fait tout, on le sait. John Cale ramène même des clap-hands comme sur le premier album des Stooges et le petit shoot de frenzy fuzz, sans oublier le break de basse. Ils terminent cet album devenu classique avec un gros clin d’œil au Velvet : «Modern World». Ils sont en plein dedans, And I love the USA, avec le petit gratté de gratte à la surface du son et ces incursions intestines typiques du grand méchant Lou. Ça excellait au-delà de toute attente. 

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             Les Modern Lovers ont attiré un autre géant de l’époque : Kim Fowley. On trouve les démos qu’il produisit sur The Original Modern Lovers, paru en peu plus tard en 1981 - One two three four five six - voilà «Road Runner #1» avec le son des origines, plus garage sixties, affichant une volonté de belle dépouille, histoire de laisser monter le vocal au sommet du mix. The Fowley way. «She Cracked» est encore plus gaga, et la volonté de découdre la dépouille s’affiche de plus belle. La descente d’accords est complètement délinquante, Jojo bouffe son gaga tout cru, sans moutarde. Il était alors le chanteur gaga idéal, avec une gouaille unique, une présence terrible et un style invasif sans l’être. Toute l’A grouille de petits classiques gaga. On se régale encore de «Wanna Sleep» en B, et du génie productiviste de Kim Fowley.

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             Avec Jonathan Richman & The Modern Lovers, Jojo entame en 1976 sa petite période Beserkley. Ces Californiens ont monté un label et misent sur quelques canassons, dont Jojo, qu’ils estiment à juste titre indomptable. On l’entend hennir across the USA. C’est avec cet album qu’il commence à faire des farces. Il voit par exemple l’Abominable Homme des Neiges dans un Market. C’est extrêmement joyeux et le market du coin de la rue est très pratique car moins éloigné que le Tibet. D’ailleurs Jojo adore les grandes surfaces, car il ouvre son bal d’A avec «Rockin’ Shopping Center», du rockab pour rire, let’s rock ! alors on rocke. C’est très awity avec des jolis breaks de stand-up et le copain Radcliffe sur la Gretsch. On retrouvait ce hit sur tous les jukes en bois. Bon, il rend aussi un bel hommage à Chucky Chuckah avec «Back In The USA», ahh, oh yeah, et tous ces jolis chœurs d’artiches. Globalement, les Modern Lovers sont passés du proto-punk à la good time music docile, c’est-à-dire l’easy-going. Sa mère dirait : «Oooooh Jojo is sooo friendly !». Et elle aurait raison. Il nous fait même du comedy act de MJC avec «New England». Pour Picasso, tintin.

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             Berserkley commence à capitaliser sur le canasson Jojo en sortant l’année suivante un Live. Personne ne fut surpris à l’époque d’y retrouver les petits rocks innocents et pré-pubères du jeune Jojo. Il joue bien la carte du fool around dans «Hey There Little Insect» que gratte sévèrement le copain Radcliffe. Les autres ne se cassent pas trop la nénette. Puis avec «Ice Cream Man», ça tourne à la mauvaise plaisanterie. Bon, le principal c’est qu’ils s’amusent. Le rock sert aussi à ça, pas vrai ? Jojo est très cruel car il planque ses belles chansons au fond des albums. C’est un miracle si on écoute «The Morning of Our Lives» qui est un vrai petit moment de magie. Il fait participer la salle. 

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             Rock’n’Roll With The Modern Lovers fait partie des albums vendus puis rachetés au hasard des virées dans les salons. C’est vrai que la pochette donne envie, mais en 1977, on avait d’autres chats à fouetter, car les gros albums fourmillaient. Le raisonnement était simple : on se disait tiens, du Modern Lovers avec une contrebasse, ça doit bien sonner. Pouf, on ramenait l’objet à la maison et le malaise ne tardait pas à s’installer. Jojo prenait trop les choses à la légère. Il se prenait pour Tintin au pays du rock dans «Rockin’ Rockin’ Leprechauns» et passait ensuite en revue toute sa collection d’exotica. On ne sauvait que deux cuts en B, «Roller Coaster By The Sea», bien monté sur la stand-up, et «Dodge Veg-O-Matic» qui sonnait comme du doo-wop gaga, alors forcément une question se posait : pourquoi le reste de l’album n’était pas du même niveau ? On attend toujours la réponse.

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             Son dernier album Beserkley paraît deux ans plus tard et s’appelle Back In Your Life. L’affreux Jojo se livre à ses amusettes préférées d’aouuuh/aouuuh dès «(She’s Gonna) Respect Me» et fait un peu de rock’n’roll, oh mais pas trop, avec «Lover Please». En fait, il cultive un style champêtre dans la joie et la bonne humeur. C’est sa façon de dire qu’il se sent bien dans ses godasses et qu’il n’a besoin de personne en tondeuse à gazone. Il s’efforce de se montrer plaisant et de chanter d’un ton détaché, pas question de plonger dans le pathos du rock et les cauchemars urbains. Il préfère conter fleurette à «Lydia». L’absence de bonnes chansons finit par plomber l’ambiance. On sait l’art de Jojo austère, mais là, il pousse un peu trop le bouchon, même s’il fait le gai luron. Il faudra savoir attendre pour voir apparaître les grands albums.   

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             En 1983, Jonathan Sings ramène sa fraise sous une très belle pochette : voilà l’affreux Jojo peint torse nu devant la foule qui l’acclame. Mais au lieu de taper dans ses veux classiques des Modern Lovers, il propose une petite rumba, the kind I like, dit-il dans «This Kind Of Music», et les deux filles font des ooh-wahh-ooh. Voilà, c’est pas compliqué. Puis dans «The Neighbors», il nous explique qu’il n’a pas besoin de laisser les voisins gérer sa vie. Il a raison. Il s’enfonce dans la forêt profonde pour attaquer «The Conga Drums», avec une belle intention de nuire, car c’est assez punk, avec de vieux boon & boom & plum plum. Ça sent bon les early Modern Lovers. En B, on le verra continuer de faire son numéro de gentil troubadour, et avec «Give Paris One More Chance», il rend un bel hommage à Paname. Ah comme c’est bien embarqué et mon Dieu c’est trop cool. Le son est au rendez-vous, il est bien accompagné. Il revient à sa chère romantica avec «You’re The One For Me». Il adore tartiner son miel au clair de la lune et les deux filles derrière en rajoutent une petite couche. 

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             Jojo continue de cultiver la désuétude lénifiante avec Rockin’ And Romance, un album léger et pépère paru en 1985, et, détail capital, produit par Andy Paley. Globalement, c’est bon esprit mais surtout bien chanté. Jojo propose une espèce de laid-back à la ramasse et quelques petits coups de kitsch comme «Down In Bermuda». Jojo se prend pour l’équivalent bostonien de Kevin Ayers. Comme il dispose d’une vraie voix, il conquiert aisément l’Asie Mineure, d’autant plus aisément qu’il pratique l’intimisme patenté. La preuve ? Elle est dans «I Must Be King». C’est tellement mélancolique qu’on se fait rouler dans sa farine. Comme il se prend pour un artiste marginal, il s’intéresse par solidarité à la souffrance de Van Gogh - Have you heard about the pain of Vincent Van Gogh ? - Et dans son élan, il refait le Modern Lover avec «Walter Johnson», prenant de soin de rester à la croisée du laid-back et du doo-wop. Andy Paley prend un solo de batterie rigolo dans «I’m Just Beginning To Live». Comme ils s’amusent bien ! Jojo chante si bien qu’il peut se permettre n’importe quoi, c’est d’ailleurs pour ça qu’on l’écoute. Ok let’s rock ! Toujours prêt à driver son petit shitty shitty bikini de «Chewing Gum Wrapper». C’est même du petit bopety-bopety bop. Ça reste joyeux et chapeau-pointu. Jojo nous incite à claquer des mains, ce qu’on fait. Sa pop fifties passe comme une lettre à la poste. Jojo est le genre de mec qu’on prend pour argent comptant dès qu’il ouvre le bec. Il chante avec tellement d’entrain. Il crée une sorte de rockalama humaniste, une bebopalama généreuse et tiède, on se croirait au lit avec lui, on sent le chaud de son haleine et le soyeux de sa peau, et même le doux de sa petite glotte humide et rose. Sacré Jojo.

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             Avec It’s Time For paru l’année suivante - encore produit par Andy Paley - on reste dans le monde merveilleux de Jojo, Zette et Jocko. Oh il adore les vieux hits de juke comme «Let’s Take A Trip». Andy Paley sort un son extrêmement intéressant. Il restitue parfaitement l’ambiance du studio, avec toute la bande de copains, dont Barrence Whitfield. Bienvenue au Paley royal avec l’«It’s You» d’ouverture de bal. It’s Time For est un album d’ambiance pure. Là-dedans, tout le monde gratte des grattes et couine des chœurs. On s’y croirait. Ils sortent parfois les guitares électriques pour se taper des petites flambées de violence, comme le montre «Yo Jo Jo». «When I Dance» est une merveille. Jojo a de la jugeote. Il faut le prendre très au sérieux, au moins autant que Lou Reed. Il tente de se faire passer pour un franc-tireur toxique au charme fatal. La moindre de ses chansonnettes tape dans le mille. Oh my taylor is so Richman ! Le beurre-man vole le show dans «Double Chocolate Malted». Jojo vend les charmes d’une glace au chocolat et derrière les mecs font yeah yeah yeah ! Rien ne peut résister à un fantaisiste comme Jojo. Il nous repose la cervelle. Il a tellement de talent qu’il se permet n’importe quel délire, même celui de «Desert». Jojo sait rester à sa place. Il est trop bon enfant pour le dandysme.

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             Avec Modern Lovers 88, Jojo attaque sa période Rounder qui va durer sept ans, soit sept albums. Cette période Rounder va durer jusqu’en 1995, à la suite de quoi il va entamer sa période Vapor, plus vaporeuse, jusqu’en 2010, comme nous le verrons tout à l’heure. On trouve sur Modern Lovers 88 une belle énormité : «California Desert Party». C’est Jojo qui souffle dans le saxophone, ce que montre la pochette. Il flirte avec la mélodie dans «When Harpo Played His Harp» et avec «New Kind Of Neighborhood», on peut parler de vraie musicalité. Ils réussissent à chauffer leur petite pop juvénile à trois. «African Lady» vaut pour une jolie pièce d’exotica enchanteresse. C’est là où Jojo excelle, en marinière, dans le son des îles. Il flirte avec la calypso. L’album est extrêmement dense. Jojo semble avoir trouvé sa vitesse de croisière en pédalo. Il ouvre son bal de B avec un «I Love Hot Nights» assez groovy, bourré de guitarras. Il amène son «Circles» comme un hit de juke. Musicalité et fraîcheur à tous les étages en montant chez Jojo. Il règne sur cet album une sorte de son idéal, tout y est extrêmement bien contrebalancé et swingué des rotules.

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             L’année suivante, Jojo laisse tomber les Modern Lovers, devient Jonathan Richman tout court et enregistre Jonathan Richman tout court. Belle pochette. Sa strato bleue lui illumine le visage et d’ailleurs il lui dédie un cut : «Fender Stratocaster», qui sonne comme un hommage à Buddy Holly. L’autre merveille de l’album est un hommage à Charles Trenet. Jojo reprend «Que Reste-t-il De Nos Amours» et fait rouler ses r - Le soir le vent qui frrrrape à ma porrrte/ Me parrrrle des amourrrs morrrtes - Fabuleux Jojo, il peut taper dans les plus belles chansons de la France profonde - Que rrrreste-t-il de ces choses-là, dites-le moi - Sinon il fait son cirque habituel, du flamenco à la mormoille («Malaguena De Jojo»), de la petite pop exacerbée («Action Packed»), de l’instro sucré («Blue Moon»). Il gratte sa gratte à l’excès dans «A Mistake Today For Me». On a l’impression d’avoir déjà entendu tout ça. Il faudrait que quelqu’un de proche lui explique sans le choquer. Car on pourrait finir par ne l’écouter que par gentillesse. Comme Tim Buckey d’ailleurs. Mais ils ont en commun un certain mépris des convenances, ce qui, d’une certaine façon, les sauve.    

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             Comme l’indique le titre, Jojo pique sa crise de country avec Jonathan Goes Country. Mais on s’y ennuie un peu. C’est le problème avec Jojo, au bout d’un moment, on n’a plus envie de jouer. Il faut attendre «I Must Be King» pour sentir une épaule bouger. Il transforme sa country en good time music et là du coup l’album reprend des couleurs. Il raconte ensuite une belle traversée des USA dans «You’re Crazy For Taking The Bus», il s’amuse avec les histoires de tickets, Salt Lake City eveybody out ! Jody Ross duette avec Jojo sur «The Neighbors» et c’est excellent. Puis on le voit naviguer aux confins du kitsch dans «Man Walks Among Us». Il roule n’importe quel cut dans sa farine et ça peut devenir extrêmement beau. Et plus on avance dans l’album et plus on s’effare, comme devant cet «I Can’t Stay Mad At You», une vraie démonstration de force grattée au move de rumba, une espèce d’instro de rêve. Voilà le secret de Jojo : il fait son truc, et ça finit pas fasciner, qu’on soit d’accord ou pas.      

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             Ce qui caractérise les pochettes Rounder, c’est l’absence totale d’informations. Une façon de nous dire : débrouillez-vous avec les chansons. Alors on se débrouille avec les chansons d’Having A Party With Jonathan Richman. L’album propose le cocktail habituel de vieux rumble et d’intimisme patenté. Jojo gratte en solitaire, il n’a besoin de personne sur son pédalo. Il fait son cabaretier de la belle aventura dans «My Career As A Home Wrecker». Il saute sur tous ses cuts comme un fou. En fait Jojo est un peu timbré, c’est pour ça que les gens l’aiment bien. Ils achètent même ses disques. Il revient à sa chère rumba de juke avec «When She Kisses Me» et la tartine de confiture à la groseille. Il refait son Buddy Holly avec «At Night» et montre qu’il peut pédaler tout seul à travers l’océan. On ne sait pas qui joue de la batterie. Cet album nous propose du petit Jojo sans histoires. Pas de révolution. Il ramène un brin de Modern Lovers dans «Monologue About Bermuda», well she cracked, et fait un joli numéro d’exotica avec «Our Swingin’ Pad». C’est l’album d’un modeste artisan bostonien. 

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             La pochette d’I Jonathan s’orne d’un beau portrait de notre Jojo préféré. Belle lumière. On sent le mec serein. Ce que confirme «Parties In The USA». Cette façon de faire one two three four n’appartient qu’à lui. Et pouf, il part en mode laid-back avec du Louie Louie à la ramasse, il danse le sloopy sloopy hang on. Plus loin, il rend hommage à un vieux mythe avec «Velvet Underground», mais de façon très light. Belle tranche, néanmoins, sideways, c’est Sister Ray, awite. Vas-y Jojo ! Il revient à son petit rock gratouillé par derrière avec «I Was Dancing In The Lesbian Bar». Il ne change rien à sa vieille recette. Nonchalance à tous les étages en montant chez Jojo. L’album propose toujours la même formule : balladif + exotica + nonchalance + big voice. Si on aime bien la petite pop, alors forcément, on se régale avec cet album. Mais «Twilight In Boston» peut finir par insupporter. Il faudrait que quelqu’un dise à Jojo de mettre un peu de niaque dans ses chansons.      

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                 Rounder continue d’épouser la cause de Jojo en sortant Jonathan Te Va A Emocionar. Avec sa fleur à la boutonnière, il nous fait le coup de la belle romantica dans «Pantomima De El Amor Brujo». Si tu n’es pas espagnol, t’es mal barré. Les fans des Modern Lovers peuvent commencer à se ronger l’os du genou en attendant des jours meilleurs. Jojo fait son Jojo, sa petite rumba habituelle. Si on vient pour du «Roadrunner», c’est cuit. Bon, comme tous les artistes, Jojo a dû évoluer, mais c’est une évolution qui trompe énormément. Il devient atrocement exotique et chante même un truc en duo avec une Spanish girl. Il sonne parfois comme un stentor argentin et toutes ces conneries finissent par gâcher le plaisir. Et puis soudain, sans qu’on sache pourquoi, voilà que surgit le cut qui rocke, «Reno». Jojo fait son Spanish Modern Lover et c’est violemment bon. Il va finir l’album avec ses vieilles lunes. Il flirte avec le tango, mais il n’est pas aussi bon que Tav Falco à ce petit jeu. Jojo est trop baveux, trop séducteur. Du coup, il brouille un peu les pistes.

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             L’ère Rounder s’achève donc en 1995 avec You Must Ask The Heart. Pas de surprise, cirque habituel. L’histoire d’un mec qui vit au bord du fleuve. Il fait le choix de la paix de l’esprit et du petit tatapoum avec «Vampire Girl». Cet album va intéresser tous les amateurs de weird gratté sans avenir. Jojo fait un peu de pompe manouche dans «That’s How I Feel». Il aura tout essayé. Globalement l’album se tient, disons que Jojo sonne comme un collégien boutonneux qui a une bonne voix, mais il n’y a pas là de quoi se prosterner jusqu’à terre. Il envoie une belle giclée de country rock avec «The Rose». La voix fait tout. Comme le montre encore «You Must Ask The Heart», plus orchestré, plus océanique. Il revient à sa belle exotica avec «Amorcito Corazon». Jojo est le champion du kitsch à deux balles, vas-y Jojo, on est tous avec toi ! Parfois, on sent monter des éclairs de génie, comme dans «City Vs Country» : il vise le big country sky mais il ne transmet aucune émotion. Il revient au petit comedy act inexorable et devient une sorte de spécialiste du suicide commercial. Rounder finit par le lâcher. 

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             Début donc de l’ère Vapor l’année suivante avec Surrender To Jonathan, un album nettement plus solide. C’est le troisième album que produit Andy Paley pour Jojo. Pochette délicieuse : Jojo s’y déguise en Pirate des Caraïbes. Inespéré ! Sur cet album tout est très simple. Jojo drive sa pop bon enfant à la régalade. Pas de son dans «Surrender», il n’y a que sa voix. Il refait le cirque d’«I Was Dancing In The Lesbian Bar» et nous ressert la vieille tarte à la crème d’«Egyptian Reggae». Et puis voilà le Jojo tant espéré avec la belle pop de «When She Kisses Me» qu’il allume à coups de yeah yeah et qui émerveille comme au premier jour. Il amène encore de la pop énorme avec «Satisfy». Jojo fait son petit mic-mac, comme tout le monde. Il faut bien vivre. Et comme il dispose d’une vraie voix, ça crée des liens. Il termine cet album très Jojo avec «Floatin’». Il finit par imposer sa présence, comme savent si bien le faire les ténors du barreau américain.

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             Et puis voilà qu’il entame un cycle d’albums pour le moins extraordinaires, à commencer par I’m So Confused. Il tape son «Nineteen In Naples» d’une voix de shouter. Retour inespéré du big beat, voilà le rockab de Jojo, avec Tommy Larkins au beurre. Jojo laisse glisser sa voix dans le gras du beat, ahhh et il appelle la guitare : Guitah ! C’est lui la guitah ! Du coup, le vaisseau Jojo reprend la mer. Il transforme le petit excerpt d’«I’m So Confused» en énormité. Il ne vise pas les sommets mais les sommets le visent. Il tient tout à la voix et cet album nous réjouit. Il crée les conditions de la confusion. Et c’est parce qu’il crée les conditions de la confusion qu’on se sent redevable envers lui. Il a du pot d’avoir Tommy Larkins derrière. Il nous conte encore fleurette avec «Love Me Like I Love». Sa petite pop déjantée n’en finit plus de recommander son âme à Dieu. Jojo crée des liants extraordinaires. Il revient à sa chère rumba avec «The Lonly Little Thrift Store» que frappe l’excellent Tommy Larkins. Jojo nous gratte ça au mieux des possibilités de la rumba. Puis il amène «I Can Hear Her Flying With Herself» au heavy funk-rock de la planète black. Fantastique ambiance ! Belle plongée dans un univers qui n’appartient qu’à Jojo l’homme grenouille. On reste dans l’allégresse avec «The Night Is Still Young». Il y va de bon cœur à sa manière qui est la bonne, il fait maintenant du Modern Jojo, l’artiste idéal pour le twisted jukebox. Il termine cet album de la résurrection avec «I Can’t Find My Best Friend» qu’il chante avec une candeur qui l’honore. Ce mec est paumé dans la pop, il est tellement paumé qu’il chante de toute sa voix et ça nous fend le cœur. Il est trop sincère, cette fois. Il jerke sa pop à sa façon, loin de feux de la rampe, il s’en fout et du coup, il redevient ardemment culte. Cet album est beau comme du Jojo.

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             Suite du cycle des grands albums avec Her Mystery Not Of High Heels And Eye Shadow. Pochette extrêmement insolite, presque voodoo. Jojo démarre avec le slow groove du morceau titre, il gratte ça à l’humeur vagabonde. Comme c’est beau ! She rocks, she screams, il lui rend hommage et les hommages de Jojo valent tout l’or du monde. Il rend ensuite hommage au printemps new-yorkais, il chante ça comme un va-nu-pieds verlainien sans aucun avenir. Il joue avec des coquillages. Jojo s’amuse bien, il ne veut rien prendre au sérieux, c’est absolument hors de question ! Il tape dans tous les registres de la romantica et balance soudain une espèce de cut magique, «Maybe A Walk Home From Natick High School», puis il passe au dadaïsme avec «Give Paris One More Chance». Il y va comme Tzara, à dada. Dada est mort, vive Dada ! Serait-il le dernier Dada boy in town ? Va-t-en savoir ! Avec «Yo Tango Una Novia», il passe au heavy sludge et invente le Jojo stomp. À peine croyable ! Voilà une horreur de stomp d’exotica, le Jojo power ! Il joue encore la carte de l’exotica avec «Con El Meregue», mais il la joue au maximum des possibilités de l’exotica et quand on a dit ça, on n’a rien dit. Quel album ! Il flirte avec le punk d’exotica. Il boucle avec un nouveau coup de génie qui s’appelle «Vampiresa Mujer». Jojo y va de bon cœur. Il redevient le Modern Lover des Batignolles et nous envoie tous au tapis.   

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             Si on croit qu’il va se calmer ou refaire des mauvais albums comme au temps de Rounder, c’est raté. Not So Much To Be Loved As To Love vaut largement le détour, ne serait-ce que pour ce bel hommage à Salvador Dali qu’il joue au big beat des Modern Lovers, comme d’ailleurs le «My Baby Love Love Loves Me» qui nous replonge dans l’art ancien du Roadrunner, et cette façon unique de lancer son one two three. Il ressort aussi son vieux Vincent Van Gogh et évoque the loud colours, c’est vrai il a raison. Jojo raconte ses souvenirs du musée d’Amsterdam. On entend Tommy Larkins casser la baraque dans «He Gave Us The Wine To Taste». Et on retrouve une belle pulsion d’exotica dans «Cosi Veloce». C’est même une merveille d’exotica festive. On dira la même chose d’«In Che Modo Viviamo» : fantastique énergie ! Il chante «Les Étoiles» en français, il est marrant. Sans doute est-ce le plus beau cut de l’album - Autrement elles seraient fatiguées avec le ciel et tout cela - Chaque fois, il va chercher l’âme du chant. Il amène «Abu Jamal» à l’orgue de barbarie et boucle cette affaire avec «On A Du Soleil», Il groove en profondeur notre Jojo, poulquoi s’énerver, c’est excellent, mais ici dans l’après-midi je souis content parce qu’on a dou soleil.

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             Pochette mystérieuse pour ce Because Her Beauty Is Raw And Wild qu’il enregistre en 2008 avec Tommy Larkins. Il revient à sa passion pour la chanson française avec «Le Printemps des Amoureux Est Venu» - Les amoureux/ Qui n’ont pas besouin/ De dormir/ La nouit - Il est tellement rigolo. Back to the Moden Lovers avec «Old World», I said bye bye old world. On le voit aussi danser autour de son mythe en chaloupant des hanches dans «Because Her Beauty Is Raw & Wild». Ce vieux Jojo est un éternel amoureux. Il gratte toujours sa gratte, comme le montre «Our Drab Ways», mais la qualité du laid-back est exceptionnelle. Il refait sa samba avec «When We Refuse To Suffer». Jojo fait son bal à Jo. Il est encore pire que Tav Flaco dans «The Romance Will Be Different For Me». Il va chercher la pureté d’une très belle exotica. On tombe vers la fin sur une nouvelle mouture de «When We Refuse To Suffer», une sorte de rock de samba et là ça explose. Big Jojo stuff monté sur un drive de basse génial. Jojo vire sa cutie et nous shake un groove demented secoué de pointes inespérées. Puis Jojo fait une reprise d’«Here It Is» en hommage à Leonard Cohen. Il claque ça au solo ottoman.

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             Nouveau chef-d’œuvre exotique avec A Qué Venimos Sino A Caer et son gros tas d’espagnolades de romantica. Dès l’imprononçable morceau titre, on est conquis. Jojo fait le joyeux, alors on se lève et on danse. No problemo, Jojo. C’est un joyeux drille en vérité, il chante in tongues comme les possédées de Loudun et ça tourne assez vite à l’ultra-merveille d’extra super-nova avec des congas et de la timbale, ça coule tout seul au la la la, ce mec a réellement de génie. En fait, cet album est une compile et il nous ressert des cuts d’Her Mystery Not Of High Heels And Eye Shadow, comme l’excellent «Vampiresa Mujer», ce vieux mambo du dios Jojo. Il fait de l’exotica un art majeur, comme dirait Gainsbarre. Il nous ressert aussi «Le Printemps Des Amoureux Est Venu», tiré de l’album à la porte. C’est comme dirait Charles Trenet un poète extraordinaire, on se croirait au XIXe et ça vire même Brazil, t’as qu’à voir. «Cosi Veloce» sort de l’album au chien et même si on le connaît bien, on danse sur ce vieux shoot de Jojo mambo. Cet enfoiré nous fait danser à tous les coups. Et une fois encore, ça dégénère en Brazil. «Es Como El Plan» sort aussi de l’album à la porte et il chante ça en Spanish comme s’il était le Fagin de la cour des miracles. Il chante tout ce qu’il peut et gratte sa gratte, pendant que Tommy Larkins bat le beurre. «El Joven Se Estremece» sort aussi d’Her Mystery. Cet album compilatoire est stupéfiant de richman-mania. Il crée son monde de liberté totale, il chante tout au corps à corps et gratte à la folie. C’est un vrai délire. Il nous ressert aussi ce stomp fatal qu’est «Yo Tengo Una Novia» et qu’il gratte au banjo. Ça vaut toutes les énormités du monde. Tout sur cet album tape dans le mille. Jojo nous fait même le coup de la belle coulée de French groove avec «Silence Alors Silence». Il adore les langues -  Silence le signal de la mort - Il est très catégorique. Il termine avec l’extraordinaire numéro de charme qu’est «Ha Muerto La Rosa». Comme il maîtrise bien le Spanish, alors ça coule de source. Il chope même les accords de flamenco. Sacré Jojo, sans lui que deviendrions-nous ?

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             Dernier coup de Vapor avec O Moon Queen Of The Earth. Il y fait du Velvet pour rigoler avec «My Altered Accent» - Forty years later/ I apologize for my altered accent - Il revient au French  groove avec «Sa Voix M’Attise» - Elle joue avec les couleurs/ Elle joue avec le temps - C’est dingue comme ce mec est doué pour la polyglotterie. On se régalera surtout de «Winter Afternoon By BU In Boston», car c’est joué à l’African beat. Du coup ça repart dans la cinquième dimension. Jojo dodeline sur le beat de Tommy Larkins et ça vire assez tribal. Il chante son morceau titre à l’article de la vie. Tout est tellement laid-back sur cet album qu’on pense à celui qu’enregistra Roky au Holiday Inn. Ils font tout à deux, ici. Jojo chante au cœur de ses chansons, avec une autorité indéniable.

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             Avec Ishkode! Ishkode!, il entame en 2016 un nouveau cycle : le cycle de la flèche bleue. Plus il vieillit et plus il impressionne. Il chante de plus en plus comme Brel, à la petite désespérance. Dans «Woa How Different We All Are», des filles chantent derrière lui. C’est une fois encore très laid-back, il cherche la dérive non-évolutive, il s’en fout, il chante comme un Romanichel, c’est très pur, très weird, sans aucun espoir. Il reste dans le groove de laid-back pour le morceau titre, elle s’appelle Lisa Marie, enfin on ne sait pas. Ça joue quelque part dans le Jojoland et ça reste powerful. Tommy Larkins fait toujours partie de l’aventura. Petit retour aux Modern Lovers avec «Without The Heart For Chaperone» et on revient aux choses sérieuses avec l’exotica d’«A Nnammaruta Mia». On entend de l’accordéon et Jojo fait son gros numéro de charme. C’est d’ailleurs le ressac d’accordéon qui fait la grandeur du Mia et aussitôt après, Jojo secoue les colonnes du temple avec «Let Me Do This Right». Il faut bien dire que la qualité du laid-back sur les autres cuts est extrême, les filles renvoient bien la balle. Jojo cultive l’apanage du lo-fi avec «Outside O Duffy’s», il ramone son vieux rumble de Modern Lover et les filles font ah-ah ? Et voilà que cet enfoiré s’en va taper dans Kosma et là on ne rigole plus : sur «Longtemps», un accordéon l’accompagne. Il termine cet album qu’il faut bien qualifier de faraminé avec «Mother I Give You My Soul Call», une espèce de psychedelia asiatique. C’est le Jojo thing qui peut aller loin et qui finit toujours par fasciner. On goûte aux plaisirs de la connaissance par les gouffres de la profondeur artistique.

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             Sur SA! paru en 2018, il fait un gros clin d’œil aux fans des Modern Lovers avec «A Penchant For The Stagnant». Il chante toujours comme une star. Mais cet album réserve d’autres grosses surprises, comme par exemple cet «And Do No Other Thing» qu’il chante au sommet du lard fumant. C’est ce qu’on appelle une posture de voix. «And Do No Other Thing» devient une merveille qui dicte sa loi. Chanson après chanson, il nous enfarine. L’autre merveille inexorable s’appelle «O Mind Just Dance». Ça sent bon l’artiste culte, il hante sa chanson dès l’abord, il solarise sa glotte, ça va très loin. Il revient au let’s go home de big heavy déglingue, il explore les régions inconnues du now we can just dance, il développe un tantric beat et nous entraîne dans une aventure psychédélique stupéfiante. Il claque «My Love Is From Somewhere Else» à la claquemure de la revoyure, Jojo does it right. Puis il nous embarque avec «The Fading Of An Old World» dans un raga de bringueballe, mais avec une voix de punk - I don’t want go back to the rigid old world - C’est même du raga de vieille cabane. On a là un album complètement barré, il faut le savoir. On le voit aussi chanter «This Lovers’ Lane Is Very Narrow» comme ces Marocains qu’on voit se produire dans les restos de Marrakech. Jojo n’en finira donc pas de nous épater.

    Signé : Cazengler, Jonathan Poorman

    The Modern Lovers. The Modern Lovers. Home Of The Hits 1976

    The Modern Lovers. The Original Modern Lovers. Mohawk Records 1981

    Jonathan Richman & The Modern Lovers. Beserkley 1976

    Modern Lovers. Live. Berserkley 1977

    Jonathan Richman & The Modern Lovers. Rock’n’Roll With The Modern Lovers. Beserkley 1977

    Jonathan Richman & The Modern Lovers. Back In Your Life. Beserkley 1979

    Jonathan Richman & The Modern Lovers. Jonathan Sings. Sire 1983

    Jonathan Richman & The Modern Lovers. Rockin’ And Romance. Twin/Tone 1985

    Jonathan Richman & The Modern Lovers. It’s Time For. Upside Records 1986

    Jonathan Richman & The Modern Lovers. Modern Lovers 88. Rounder Records 1987

    Jonathan Richman. Jonathan Richman. Rounder Records 1989    

    Jonathan Richman. Jonathan Goes Country. Rounder Records 1990    

    Jonathan Richman. Having A Party With Jonathan Richman. Rounder Records 1991

    Jonathan Richman. I Jonathan. Rounder Records 1992           

    Jonathan Richman. Jonathan Te Va A Emocionar. Rounder Records 1994  

    Jonathan Richman. You Must Ask The Heart. Rounder Records 1995

    Jonathan Richman. Surrender To Jonathan. Vapor Records 1996

    Jonathan Richman. I’m So Confused. Vapor Records 1998   

    Jonathan Richman. Her Mystery Not Of High Heels And Eye Shadow. Vapor Records 2001 

    Jonathan Richman. Not So Much To Be Loved As To Love. Vapor Records 2004

    Jonathan Richman. Because Her Beauty Is Raw And Wild. Vapor Records 2008

    Jonathan Richman. A Qué Venimos Sino A Caer. Vapor Records 2008

    Jonathan Richman. O Moon Queen Of The Earth. Vapor Records 2010

    Jonathan Richman. Ishkode! Ishkode!. Blue Arrow Records 2016

    Jonathan Richman. SA! Blue Arrow Records 2018

     

     

    Don’t give a Cheater, Slick !

     

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             Quand on demande aux frères Shannon quelles sont leurs influences, la réponse ne surprend pas : Stooges, Velvet, Cramps, ce que tout le monde écoute. Tom Shannon vénère tout ce qui est fucked up et il cite encore des exemples : Alex Chilton, Roky Erickson. Et il ajoute ceci : «In terms of what we do, we just want it to be completely over the top and insane, and we’re groove-oriented. We like to do things, play things, extend them a little bit.» Les frères Shannon et Dana Hatch on fait du déséquilibre caractériel un fonds de commerce. C’est la raison pour laquelle on les adore.

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             L’aventure commence à Boston avec trois albums : On Your Knees, Destination Lonely et Whiskey. Le premier album est un classique du genre avec des cuts comme «I Won’t Last Another Day» (pure stoogerie à l’«I’m Loose», vélocité à tous les étages, David joue exactement comme Ron Asheton, ils avancent dans une ville en flammes, Motor City’s burning baby), «The Hunch» (ultra-slab de trash blasté aux quatre vents), «On Your Knees» (meilleur trash disponible sur le marché, indéfectible modèle de purée, superbement allumé par un thème de guitare lumineux, on les sent fiers de leur slick), «Chaos» (encore un joli slab de trash déterminé et même déterminant, chanté au cro-magnon et battu au Dana beat) et dans «I’ve Been Had», Dave Shannon joue en solo sur toute la distance. Ces mecs montrent qu’ils savent ramoner une cheminée. Autre merveille : «Weirdo On A Train», joué au tordu de son absolument maximaliste, hanté à l’unisson du saucisson sec de Slick, ils sont les rois du trash américain. Oh il faut aussi écouter «Golddigger», atrocement mal chanté, ce qui fait partie de leur charme, c’est très poussé dans les orties, ils adorent s’enfoncer dans leur mayhem. Et puis voilà «Why», monté sur les accords de «Gloria» avec un big aw baby d’intro. Pour un début, c’est un grand album. Le hit s’appelle «Run Away From You», un cut assez long travaillé au big atmospherix sur une belle structure mélodique du grand David Shannon. Ils se révèlent excellents sur les cuts longs et ambianciers. 

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             Le deuxième album des Slicks, Destination Lonely, compte parmi les grands classiques du trash-rock, notamment pour «Murder», pur jus ce Slick Sound System chanté à l’atrocité, joué au filet de trash, hurlé à la hurlette, c’est-à-dire à la vie à la mort. Plus vrai que nature. Leur «Can’t Explain» n’est pas celui des Who, heureusement, ils font leur soupe, hurlent dans les coins, David fait des miracles sur sa guitare. Les Slicks sont vraiment les Byrds du trash. Ils jouent «Look Out World» aux accords de «Gloria». Ils sont marrants, ils s’amusent avec les vieux mythes. Tom fait son Van et il l’explose. Il a ce pouvoir d’exploser le Van en plein vol. Il claque tout son beat dans le cul du cut, à coups de Look out de Van, alors Van va jouir. Le hurlement qu’on entend n’est pas innocent. L’autre grosse bombe de l’album s’appelle «In And Out», le cut d’ouverture de bal d’A. Un petit conseil : écoute ces dingues au casque si tu veux récupérer tout le jus. Ils vont droit au but, c’est joué sec, à l’admirabilité des choses, avec un sens aigu de la dépouille. David part en solo comme d’autres partent à l’aventure. Ils sont excellents. Le «Hear What I Say» qui suit se veut plus lancinant, pas très bienveillant. Et comme le Capitaine Flint, les Slick adorent le rhum. La preuve ? «Rum Drunk». Ils grattent dans les bas-fonds avec tout le bravado du Boston bash boom. Ils chantent «And I Cried» à la pire mélancolie agricole et ils tartinent leur «If Heaven Is Your Home» all over the bread, Brad. Quant au morceau titre, c’est encore une autre histoire. Ils claquent ça aux clameurs sourdes. C’est invraisemblable, ils s’y livrent à un festival de désaille expiatoire. Dans leur genre, ils sont les champions du monde.

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             Whiskey sort sur In The Red en 1993. Dès «Possession», Dana donne bien. C’est chanté à la hurlette de Hurlevent et pour l’époque, c’est admirable. Il la veut, il est possédé, arrhhhhhhh ! Dès qu’ils se fâchent, ils battent tous les records, comme on le voit avec «Leave My Home». Ce garage punk osseux ne peut que plaire au petit peuple. Idéal pour danser le mashed potatoes en attendant la mort. De l’autre côté, «Thinkin’ Some More» occupe toute la face. C’est une longue aventure, un genre de Tintin au pays des serviettes, très Velvet dans l’esprit, on a là une belle dérive chargée de white heat. Ils s’en donnent à cœur joie. Ils ne se connaissent pas de limites, ni de dieux, ni de maîtres, ils font absolument ce qu’ils ont envie de faire et on ne peut que les encourager. Rien ne les fera entrer dans des fucking cages à la mormoille. Vive la liberté !

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             Joli coup de Trafalgar que ce Don’t Like You paru en 1995. Titre parfait. Sur la pochette, les Slicks affichent des mines bien renfrognées, histoire d’enfoncer le clou du titre. C’est enregistré au Funhouse de Jerry Teel et produit par Jon Spencer qui se trouve alors au pinacle de sa famous fame underground. Et pour couronner le tout, ça sort sur In The Red qui est encore à cette époque LE grand label de référence, avec Crypt et SFTRI. On est donc avec cet album dans les conditions optimales du garage punk dont on se goinfrait tous à cette époque, il y a de cela vingt ans. Ils nous plongent dans leur friture dès «Feel Free». C’est emblématique d’emblée et chanté avec toute la petite hargne slicky. Ils savent créer un monde borgne et mal venu, et David Shannon en profite pour passer un solo killer flash de flush avec une surcouche de fuzz absolument dégueulasse. Ces mecs ont le génie du son qui tâche. L’autre grosse tarte à la crème se trouve en B et s’appelle «Spanish Rose». Ils jouent comme des diables à ressorts sur un fantastique beat rebondi. Quelle rythmique de rêve et quelle purulence dans la purée du solo ! Ils jouent ça à l’écharpée gangrenée, la pire qui soit. Tiens, encore un blast d’antho à Toto avec «Poor Me». C’est joué au pire gaga punk de l’univers connu, avec des renvois de tilik-tilik qui rappellent ceux de Magazine dans Shot. Avec ça, ils sont les rois du scumbag et le Shannon repasse un killer solo flash en surcouche de scam de scum. On note leur goût pour le chaos bien tempéré et une volonté rockab dans l’épais «Motherlode». C’est joué au fast beat, how crazy ! «Destroy You» fait aussi partie de leurs classiques. Ils graissent leur gras-double à outrance, aw, put you down ! Il reste à écouter «Sadie Mae», oui, car c’est encore une fois saturé de distorse libératrice. Ils jouent ça à l’apanage du panache de la nage, c’est âprement noyé de son altéré et privé de fonctions vitales, on a là un blast cosmique joué à la dégoulinade d’étalonnage dénaturé.  

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             Les Slicks quittent Boston pour s’installer à Columbus, dans l’Ohio. Ils cherchaient un coin moins cher. Le double album Forgive Thee sort du bois en 1997 et il pullule de coups de génie et de stoogeries, tout est claqué à la bonne claquouille et embarqué dans une pure frénésie de bringueballe. Ils tapent «My Friends» au foutraque de Columbus, sans foi ni loi, sans regard pour les classes sociales inférieures, pas de sentiment, juste du stripped-down low-trash-punk mal chantouillé. Avec «I’m Coming Home», ils tapent dans la Stonesy avec un battage de petite vertu. Chez eux, le baroque reste négligé et ça joue à la va-comme-je-te-pousse de gueule de bois. Et voilà le premier coup de génie : «Used Illusion» - Walking in the rain - Ils nous claquent ça aux accords processionnaires poilus et aménagent de violentes montées en température. C’est Mick Collins qui souffle dans un trombone. On croit entendre un éléphant ! Il souffle dans l’œil du typhon et provoque un déploiement sur-dimensionné d’extase parabolique. En tous les cas, on s’en effare. Tous les cuts sans exception sont hantés par le son, ravagés par des marées noirâtres et de sordides dérives comportementales, harcelés par des incursions impavides. Les Slicks jouent avec l’intention permanente de nuire à la morale. Avec «I Can Go On», ils se montrent capables de belles envolées mélodiques, mais ils veillent à soigner la désaille. Alors forcément, ça finit par sonner comme un coup de génie. Il n’existe pas de cocktail plus capiteux que celui-ci. Avec «Arm Yourself», ils amènent un struggle de bad bad sound, c’est tordu à l’extrême et chanté à la taverne des pirates. On a là le meilleur gaga-punk de tous les temps. C’est presque du Beefheart de «Woe-Is-Uh-Me-Bop», en tous les cas, on a  la même insistance cabalistique. Si on aime bien la violence intrinsèque, alors il faut écouter «This Ain’t For You», car c’est joué au claqué d’accords vénéneux et le chant va si mal qu’il frise la stoogerie inversée. La force des Slicks est qu’ils se montrent présents dans tous les cuts. Spectaculaire de slickness, voilà «Dignity And Grace». Ils jouent ça à la vie à la mort. Mick Collins fait des backing derrière dans un vrai vent de folie. Tout bascule dans la démesure. Avec «Ghost», ils vont loin, bien au-delà de la crédibilité. Ils sur-jouent leur groove ad nauseum et ça devient monstrueux, surtout quand David Shannon part en killer solo trash. Pas de répit sur le disk 2. Tu n’auras jamais rien de plus sec et net que «Retribution». Les Slicks réinventent le rock sauvage, celui qui palpite à l’ombre des jeunes filles en fleur, c’est claqué à l’outrance de la fucking démence, ils visent la démesure de l’outrepassement de tout ce qui est admis dans notre pauvre monde, ils montent à deux au créneau et s’en vont exploser dans le néant. Il n’existe rien de plus trash ici bas que «Southern Breeze». C’est atrocement mal chanté. On a là du pur Slicky strut de trash prémédité et hurlé à la dégueulade. C’est comme si Allen Toussaint venait de tomber dans une bassine de friture de crayfish. C’est atroce ! Ils continuent dans le même esprit avec «It’s OK What You Weight». Ils dégueulent dans les mains des croyants prosternés à leurs pieds. Une nouvelle religion émerge en Palestine, fabuleux shoot de weird shit all over Beethleem ! Ça chante à l’agonie et ça coule dans les pantalons, en tous les cas ça pue le trash à des kilomètres à la ronde. Ils font une belle cover du «Child Of The Moon» des Stones, mais ils la tapent à la Slicky motion. Ils créent un monde qui dépasse largement celui des Stones. Ce cut si insipide à l’origine sonne comme un hit dans les pattes des Slicks. David Shannon part en solo de vrille, ce que les Stones n’ont jamais su faire, sauf dans Sympathy. Mais le solo de Shannon sonne comme la perceuse d’un dentiste nazi qui entre dans une mâchoire juive. Pure horreur ! Ça burn in hell avec «Everybody Know One». Il semble parfois que les Slicks aient inventé l’enfer. Ces gens explosent toutes les idées préconçues et réinventent même la notion de violence sonique. On se demande comment ils parviennent à tenir sept minutes à ce train d’enfer. Ils nous projettent dans le royaume des cieux de l’apocalypse. Ils vont au-delà de tout. Ils tapent une autre reprise, le «Lonely Planet Boy» des Dolls et on retrouve la Slicky motion avec un «Didn’t You» bardé de montées en température. On ne se méfie pas, ils grattent doucement en ouverture et au refrain, ils montent pour atteindre le génie garage, et là on a de nouveau le vrai truc, claqué aux gémonies des pires accords slicky et relancé par Dana le dingo. Ils terminent cet album faramineux avec «Night Life» qu’il faut ben qualifier de saloperie trashy. Il s’y montrent odieux. Ça chante faux dans une friture de désaille guitaristique.

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             Sorti sur Crypt, Skidmarks est une compile des deux premiers albums et des fameuses Alpo Sessions qui seront rééditées en 2012.

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             Refried Dreams réserve quelques bonnes surprises. Par exemple «One Life Story», solide groove gaga à consonance stoogienne. Tom Shannon patauge dans l’heavy liquid des Stooges de 69. Joli blast que ce «Munchen Gretchen». On se croirait dans le white trash du Velvet. Ils font aussi une cover de Lee Hazlewood, «I Think I’m Coming Down». Les Shannon Bros jouent leur va-tout avec ce heavy balladif balayé par les vents d’Ouest. L’album peine pourtant à décoller avec «In This Town» et un «Another Stab» désordonné et mal fichu, gratté à la désaille. Manque de caractère. Mauvaise peau. Sale rock. En B, le morceau titre fait mal aux oreilles, car c’est atrocement mal chanté. On dirait Indochine. Ils reviennent heureusement au grand beat de la désaille avec «George Washington». Ils font presque du funk. Ils tapent «Deep Beneath The Sand» au low-down de free ride et le relancent au lance-flammes shannonique. Ils terminent avec «Last Call», un prestigieux balladif de fin de non recevoir. Ce cut est si beau qu’il finit par te fasciner comme un serpent.

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             Il semble que Yer Last Record paru en 2002 soit leur dernier album studio. On y trouve un chef-d’œuvre trash intitulé «Green Light». Ils tombent là dans l’audace de la putasse, un truc qui dépasse même la notion de trash. C’est dégueulé. Idéal quand on aime voir les immeubles s’écrouler dans les flammes. Les Slicks sont capables de chanter à la vomissure extrême et Dave Shannon revient tout exploser à coups de notes pincées. Tout aussi énorme, voilà «Pants Down», claqué aux pires accords d’American gaga. Ils montent ça en épingle et secouent des squelettes de Stonesy. C’est extravagant de flash de flush. Il n’existe rien d’aussi radical que le son des Slicks. Attention à «Stop Breeding», c’est du pur jus de demolition trash, énorme car hurlé dans le storm. Les Slicks n’en finissent plus de créer leur monde. David Shannon passe un modèle de solo trash dans «Momentary Muse» et roule «It’s Not Your Birthday» dans sa farine. Cet album est un ramassis de raffut slické de slickos. Ils dédient «Miss Q» à Andre Williams. Ils tapent là dans le suburbain, c’est cisaillé au shannonique, violent, acéré et gras. Ça gueule dans les escarres. Ils sont les champions du monde d’un genre difficile : le cut mal né, celui qui est automatiquement privé d’avenir. Ils terminent avec cette admirable fin de non-recevoir qu’est «Goodbye». Pas de retour possible, ils sont dans l’exaction du why why. 

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             Si tu sors Bats In The Dead Trees du bac, remets-le immédiatement à sa place : cet album d’impro est une arnaque. Dommage, car les Slicks sont capables de merveilles.

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             Avec Guttural (Live Vol. 1 2010) s’ouvre une nouvelle ère slicky : celle des grands albums live parus sur Columbus Discount Records, un label sur lequel ont aussi échoué les Bassholes. On trouve sur ce live une très belle version de «Motherload» claquée à la colère rouge et battue au train fou. Ils sont capables de prodiges blastiques de la meilleure catégorie. C’est du Dana pur et dur. L’autre merveille se trouve en fin de B : «Leave My Haouse» redore le blason du trash, c’est joué à la scie. L’empire du trash règne sans partage sur ce live abandonné des dieux. D’autant qu’ils tapent dans le vieux «Feel Free», vrai déballage de morve sonique, et ça part en solo il faut voir comme, sans réfléchir. Tout est joliment noyé de son, ici, notamment ce «Destroy You». Ah on peut dire que les Slicks auront bien slické leur époque. «Destination Lonely» sonne comme un modèle de trash-punk dégondé du châssis. Ils jouent ça avec un mépris total de la bienséance. Tout est exceptionnellement balèze là-dessus, comme ce «Bruno’s Night Out» qui s’implante solidement en terre sonique. Les Slicks sont vraiment les rois du genre. Tout est joué dans le raunch, comme «My Position On Nothingness», dans l’esprit de non-retour et dans l’éclat du trash de dégoulinade. Les paquets de son s’écrasent dans l’écho du temps. Et voilà un «Ghost» terriblement présent, incroyablement fantasque, ils nous grattent ça au delà du Cap de Bonne Espérance, sans la moindre prétention.

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             Sur le même label, voilà l’infernal Reality Is A Grape. Il est bon d’insister sur la principale qualité des Cheater Slicks qui est la cohérence. Cet album en est la preuve vivante et ce dès le morceau titre, embarqué au drumbeat sévère par ce dingo de Dana. David Shannon joue en solo d’exacerbation totale tout au long du cut. Ils vont au bout de leur dévoiement et c’est admirable de non-respect. Avec «Love Ordeal», ils martèlent le beat sans se préoccuper du qu’en-dira-t-on. Ils jouent ce qu’ils ont toujours joué, le sonic trash expansif. On note l’extraordinaire énergie de leur cohérence. On les sent investis dans leur mission, même dans des balladifs comme «Hold On To Your Soul» et «Jesus Christ». Ça repart de plus belle en B avec un «Half Past High» martelé au big beat sans rémission. Ils chantent à plusieurs voix et restent solidement implantés sur leur terre d’élection. David Shannon n’en finit plus de passer des solos d’exception. «Whyenhow» se situe au même niveau d’excellence, tout se tient, tout se lie dans un sonic hell soigneusement entretenu et ce démon de David Shannon n’en finit plus de multiplier les incursions divinatoires. Il est constamment en roue libre. Les mighty Slicks restent dans la fragrance de la latence avec l’extraordinaire «Current Reflexion». Et ils bouclent ce fastueux festin avec «Apocalypse» - Where you gonne be/ For the apocalypse - C’est trashé à souhait et joué dans le move d’une mélodie crépusculaire. David Shannon n’en finit plus d’émerveiller. Ce disque pourrait bien figurer parmi les très grands disques du XXIe siècle.

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             Voici le petit frère de Grape : Live Vol. 2 2010. On y retrouve une violente reprise de «Used Delusions» tapée au bon beat. Dommage que Mick Collins ne soit pas de la partie. Live, les Slicks impressionnent encore plus car on entend David jouer en filigrane de gras. Mais globalement, ça reste un énorme gargarisme punkoïde. Ils tapent ensuite une belle version de «Possession» (qu’on trouve sur Whiskey). Pur jus de Slicky motion, Dana martèle bien le beat et David joue la pire note à note de désaille qu’on ait vu de ce côté-ci du no man’s land. Ils ramènent des chœurs de cathédrale et l’ami David d’amuse à partir en vrille de dingue. Tout cela relève de la clameur. Ils attaquent la B avec le fabuleux ramshakle de «Stop Breeding». Ils n’en peuvent plus. C’est chanté à la pire désespérance, ils vont loin, au-delà du permissible, c’est de l’ultimate à la tomate, de la patate de non-retour, les Slicks sont les champions du monde, mais tout le monde s’en bat l’œil. On tombe plus loin sur une version fatidique de «Murder» que David vrille dans le sens du poil et ça joue à la désaille extrême.

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             Our Food Is Chaos propose les fameuses Allen Paulino Sessions qui datent de 1989. Alpo était l’Alpo des Real Kids et là, il joue de la basse avec les Slicks. On trouve de sacrément bonnes choses dans cette session, à commencer par «Dark Night», une vraie stoogerie bien coulée sur la descente d’accords. Ils font aussi une version littéralement crampsy de «Please Give Me Something». Et on se régale de la bassline d’Alpo, toute secouée de divines congestions. Autre merveille : une reprise de «Rollercoaster», admirable de heavyness et le côté cro-magnon amène vraiment de l’énergie à cette version sinistrée.

             Of course, this one is for Lo’ Spider.

    Signé : Cazengler, Cythère Sick

    Cheater Slicks. On Your Knees. Gawdawful Records 1989

    Cheater Slicks. Destination Lonely. Dog Meat 1991

    Cheater Slicks. Whiskey. In The Red Recordings 1993

    Cheater Slicks. Don’t Like You. In The Red Recordings 1995

    Cheater Slicks. Forgive Thee. In The Red Recordings 1997

    Cheater Slicks. Skidmarks. Crypt Records 1998

    Cheater Slicks. Refried Dreams. In The Red Recordings 1999

    Cheater Slicks. Yer Last Record. Secret Keeper Records 2002

    Cheater Slicks. Bats In The Dead Ttrees. Lost Treasures Of The Underworld Records 2009

    Cheater Slicks. Guttural (Live Vol. 1 2010). Columbus Discount Records 2011

    Cheater Slicks. Our Food Is Chaos. The Allen Paulino Sessions. Almost Ready Records 2012

    Cheater Slicks. Reality Is A Grape. Columbus Discount Records 2012

    Cheater Slicks. Live Vol. 2 2010. Columbus Discount Records 2012

     

     

    L’avenir du rock

    - Have you seen the little Pixies crawling in the dirt ?

    (Part Two)

     

                Comme il aime bien les gros, l’avenir du rock mange des gâteaux à la crème. Une façon comme une autre de leur rendre hommage. C’est dingue ce qu’il peut les aimer, tous ces gros lards qui ventripotent depuis cinquante ans dans les canards de rock. Quand il a su que Leslie West bouffait cinquante dounuts à la crème au beurre par jour, il est allé chez le boulanger de la rue Saint-Jean acheter un gros sac de donuts pour écouter «Blood Of The Sun» dans les conditions idéales, c’est-à-dire avec de la crème qui coule sur le shetland et les doigts qui collent. Quand il a appris que Crocus Behemoth pétait sur scène en l’honneur de Père Ubu, alors l’avenir du rock a fait réchauffer une très grosse boîte de pois chiches en sauce pour s’entraîner à péter sur fond de «Final Solution» - The girls won’t touch me/ Cause I got a misdirection/ Prout prout - L’avenir du rock sait que si on ne fait les choses qu’à moitié, ça ne marche pas. Il faut les faire pour de vrai, pas pour de faux. Tiens, et puis Buddy Miles ! Pour ça il est obligé d’aller au MacDo, ce dont il a horreur, mais s’il veut écouter «Them Changes» dans de bonnes conditions, il doit engloutir six triple big macs d’affilée avec une grande bouteille de coca-cola, et interdiction de dégueuler, même si c’est à cause de ses vieux réflexes d’anti-américanisme primaire. Il préfère nettement s’exploser la panse sur les hits magiques de Fatsy en cuisinant de grandes casseroles de pieds de cochon en sauce piquante, comme le faisait Fatsy dans sa chambre d’hôtel lorsqu’il était en tournée. Étant donné que Fatsy invitait ses musiciens à béqueter ses pieds de cochon, l’avenir du rock invite ses voisins, qui, en plus, aiment bien entendre «Walking To New Orleans» et «Blueberry Hill», des hits qui leur rappellent leur lointaine jeunesse. Le plus grand fantasme de l’avenir du rock est à peine avouable. Bon tant pis, on y va : il n’a toujours rêvé que d’une seule chose : récupérer la baignoire remplie de haricots en sauce qu’on voit sur la pochette de The Who Sell Out, virer bien sûr cette gueule d’empeigne de Daltrey pour le remplacer par Mama Cass, une Mama Cass à poil, avec ses mamelles et ses bourrelets qui flic-floquent dans la bouillasse un peu sucrée, l’occasion rêvée de donner libre cours à toutes les fantaisies libidinales, d’autant plus sûrement qu’on savait Mama Cass experte en la matière. Pire encore, l’avenir du rock a récupéré la table de Beggars Banquet et il attend son invité, le héros des temps modernes, le rabelaisien Frank Black, et ils vont ensemble taper dans les cochonailles du Rouergue, les brunoises d’asperges vertes, les viandes blanches et rouges, les aiguillettes de canard en compotées, les pâtés en croûte, les miches et les tomes, les pattes de fruits et les mousses à la cannelle, tout cela bien sûr en hommage à Marco Ferreri et à sa Grande Bouffe

     

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             Tu ne verras pas beaucoup d’artistes du calibre de Frank Black dans ta vie. Oh tu as peut-être pu voir ces grands dévoreurs saturniens que sont Jaz Coleman, Ian Astbury ou Iggy Pop, ou encore ces immenses chanteurs que sont Lanegan, Greg Dulli, Chris Bailey, Jerry Lee ou Lee Fields, mais aucun d’eux n’a jamais atteint ou n’atteindra jamais la démesure d’un screamer comme Frank Black. Le scream apoplectique du gros est resté le même que celui de ses débuts, quand, à l’Olympia, il allait se positionner sous son micro pour hurler son De-baser comme un goret. La musique du gros, c’est d’abord ça, une certaine idée de la folie qu’on appelle aussi la démesure. Et il met cette démesure au service de chansons dont la modernité, trente ans après, coupe toujours le souffle. Tu ne sais pas pourquoi il te parle du chien andalousia dans «Debaser», mais il est là, bien là, le chien andalousia, et à la suite, tu as le scream le plus dévolu de l’histoire du rock. Tu l’as aussi dans «Wave Of Mutilation», et dans «Gouge Away», tous ces vieux hits qui ne prennent pas une ride.

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             Le problème avec les Pixies - tout au moins en France - c’est qu’on les a enfermés (avec les Mary Chain) dans un bocal qui porte l’étiquette «rock indé», et ça reste l’une des pires façons de voir le rock, alors qu’outre-Manche, les Pixies ont toujours fait partie - avec les Screaming Trees - des rares groupes de rock américains encensés par la presse rock anglaise. Les Anglais savent reconnaître ce qui est bon. Choisis ton camps camarade : tu avais le choix entre le NME, Sounds et le Melody Maker d’un côté, Rock&Folk et Best de l’autre, et le choix était vite fait. Le rock est une chose très sérieuse qui ne devrait pas tomber aux pattes des amateurs. En France, la presse rock catalogue, et les Pixies qui sont l’un des meilleurs groupes de l’histoire du rock se sont retrouvés catalogués «rock indé». Le plus drôle, c’est que tu ne vois pas les mêmes gens au concert de Jim Jones et au concert des Pixies. Alors qu’il s’agit exactement de la même chose : un pur concert de rock. Les Pixies ont une dimension artistique qui leur permet de transgresser les genres. Ça se sent quand tu te retrouves aux pieds du gros. Il chante pas loin de deux heures, comme il l’a toujours fait, et comme Chuck Berry, il fonctionne comme un juke-box à roulettes, parce qu’il n’a que des hits, et ce sont des hits sortis de sa cervelle infestée de rock’n’roll, et dis-toi qu’elle l’est depuis sa plus tendre enfance. Il fait rarement des reprises, mais quand il tape dans l’«Head On» des Mary Chain, il en fait du gros Black, et à une autre époque, sa cover nous fascinait tant qu’on s’est crus autorisés à la reprendre, parce qu’on avait le chanteur qui nous permettait ce luxe inouï. Mais l’autre soir, en voyant le gros l’attaquer et la monter en neige, on comprenait bien que nous ne pouvions pas aller aussi loin que lui, lorsqu’il bascule dans l’insanité - And I’m taking myself/ To the dirty part of town/ Where all my troubles/ Can’t/ Be/ Found - car c’est là que ça se joue, dans le tourbillon fatal du dirty part of town, dans la chute fracassante et la remontée vers la lumière qu’induit le motif de guitare imaginé par William Reid et transgressé par Joey Santiago. Là, tu comprends, tu n’es plus dans le «rock indé», tu es au cœur ardent du mythe. Le «Head On» des Pixies, c’est exactement la même chose que «Gimme Shelter», «You’re Gonna Miss Me», «Looking At You», «Bird Doggin’», «Purple Haze» ou «Great Balls Of Fire», une sorte de petite apothéose passagère et définitive à la fois.

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             Alors tu le vois arriver sur scène. Première chose, il a perdu du poids. Il est beaucoup moins rond qu’avant, même du visage. Il a maintenant une tête de fœtus, surtout avec cette manie qui a de fermer les yeux en permanence, comme s’il était aveugle. Le peu de fois où il ouvre les yeux, c’est pour regarder le public d’une manière un peu étrange. On est obligé de mettre ça sur le compte de la timidité. On apprend en outre très vite que les photos sont interdites, alors avec l’habitude, on se débrouille pour en faire quand même. Il porte un T-shirt noir à col en V et un jean noir délavé assez moulant, qui met en valeur l’étrange architecture boudinée de ses petites jambes. Du coup, le gros passe du stade de boule de suif à celui de créature dadaïste, ce qui lui va comme un gant. Et dans les pattes, la sempiternelle Tele, avec un son d’une incroyable agressivité. On croit toujours que les cuts des Pixies sont complexes, mais quand on le voit passer ses accords, on voit que les structures sont extrêmement simples, il passe ses accords avec une lenteur spéciale, et il les plaque de ses petits boudinés, parfois de trois doigts, parfois des quatre. Il exerce en tant qu’artiste une fascination de chaque seconde. Rien dans ce qu’il fait n’est ordinaire. Il jette rarement un coup d’œil à sa main gauche, tout ce qu’il joue et bien sûr tout ce qu’il chante est intériorisé à l’extrême. Ses filets mélodiques remontent en lui comme des sources, il est dans cette prodigieuse intelligence du rock qui fait la différence avec le troupeau bêlant d’Épicure. Il est aussi pur mélodiste que le fut John Lennon, c’est la raison pour laquelle les chansons de ces deux mecs-là entrent si facilement dans l’inconscient collectif. On se surprend parfois à fredonner «Caribou» ou «Velouria», parce que ces airs si purs sont installés dans l’inconscient, comme le sont depuis longtemps «Strawberry Fields Forever» et «Penny Lane». Et de voir le gros chanter «Caribou» sur scène est une sorte de don du ciel, car c’est une chanson ancienne dont il pourrait finir par se lasser, mais non, il module son cariboooo avec une passion ardente, le visage perlé de sueur. Le gros en action, c’est l’incarnation du vif argent, c’est l’intensité à deux pattes, un fantasme béni des dieux du rock, l’un des vrais génies du monde moderne, il est fantastiquement vivace et certainement aussi littéraire que son idole Bob Dylan. Bizarrement, le public n’a pas l’air de connaître les textes. Lors du concert des Stooges au Zénith de la Villette, tous les gens des premiers rangs reprenaient les paroles en chœur avec Iggy. Là c’est autre chose. Quand le gros pique sa rituelle crise de hardcore, ça pogote sur la barrière et il faut jouer des coudes pour essayer de rester concentré sur le concert. Pas simple.

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             Ils font une set-list à la volée. Le gros dispose d’une grande set-list plastifiée posée sur l’estrade de batterie et éclairée par une petite lampe basse tension, il choisit un titre et l’annonce dans un micro de service relié aux oreillettes des autres. Parfois, il n’annonce rien, mais les autres savent tout de suite entrer dans la danse. C’est l’apanage des grands groupes, c’est-à-dire ceux qui n’ont fait que des grands albums et qui ont un bon historique, c’est-à-dire zéro compromission.

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    Parfois, c’est Paz Lenchantin qui lance un cut sur le riff de basse, comme elle le fait avec «Gigantic». Elle est marrante, la petite Paz, en jupe plissée et en chemisier à jabot, elle fait un contrepoint idéal à la présence faramineuse du gros, elle semble prendre plaisir à jouer des drives de basse qui sont eux aussi d’une simplicité enfantine. Tu crois qu’«Here Comes Your Man» est un truc tarabiscoté, mais non, c’est joué sur quelques accords bien senti, le swing vient du chant et des fantaisies vocales du gros, avec bien sûr les chœurs délicieux. L’autre contrepoint, c’est bien sûr Joey Santiago qui passe son temps à grimacer, comme s’il se demandait où était passé le gros avec ses accords. Santiago est resté le même, avec son pif écrasé de boxeur, il ne joue que sur des Les Paul en or et cultive l’art des stridences excédentaires. C’est un fabuleux expérimentateur sonique, le contrepoint idéal pour un géant punitif comme le gros.

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             Ils ne jouent qu’un seul cut en rappel, pour remercier le public, le fameux «Bone Machine» qui remonte aux années quatre-vingt, toujours aussi tordu et irrépressible. Le gros est l’un des seuls qui sache faire passer en force un cut mélodiquement biscornu, mais il le malaxe si joliment que ça devient une œuvre d’art moderne. À leur façon, les Pixies sont un groupe Dada, le chien andalousia n’est pas là par hasard. Et tu ne peux pas faire plus Dada que «Where Is My Mind?» - Where is my mind/ Way out in the water/ See it swimming - ou pire encore, ce «U-Mass» qu’ils jouent longtemps à vide sur l’accord avant de partir en vrille de Mass et de basculer dans l’exaction extrême - Oh don’t be shy/ Oh kiss me cunt/ Oh kiss me cock/ Oh kiss the world/ Oh kiss the sky/ Oh kiss my ass/ Oh let it rock - Le gros n’en perd pas une miette et nous non plus d’ailleurs. Et on le revoit plonger dans un abîme de scream épouvantable, il est le plus beau screamer qui se puisse imaginer sur cette terre. Le scream le transfigure, il passe de l’état de laideur relative à celui de beauté iconique, il dégage une odeur de sainteté, son visage perlé de sueur renvoie à tout ce fatras iconique de la sanctification, du dépassement qu’induit (théoriquement) l’état de martyre. Le gros ne te lave pas de tous tes péchés, mais pendant deux heures, il te fait oublier le monde pourri qui t’entoure. Le rock ne sert qu’à ça. Depuis le début, il n’a toujours servi qu’à ça.

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    Singé : Cazengler, Picsou

    Pixies. Le 106. Rouen (76). Le 23 juin 2022

     

     Inside the goldmine - Paley royal

     

             De tous les géants de la carambouille, Didi était le plus grand. Rien à voir avec les mecs de la Porte de Clignancourt ou ceux de Barbès. Avec Didi, tout était simple. Tu lui demandais n’importe quoi, une plaquette de shit afghan, un faux passeport, un disque des Amboy Dukes, une fiole de poudre de corne de rhino, il te répondait : «Okay ! Demain midi !». Tu lui aurais demandé un flingue, ça ne lui posait aucun problème. Il demandait toujours 50 % à la commande, en cash. Ou en marchandise, mais c’est lui qui évaluait. Il connaissait la valeur des bijoux. Il n’avait jamais besoin de calculette, il comptait comme on compte en Asie, avec une agilité mentale qui laisse toujours penser que ça cache une arnaque. Il tenait toujours sa parole, il savait que sa réputation reposait entièrement sur sa fiabilité. Il mettait un point d’honneur à ne jamais décevoir l’un de ses clients. Son petit sourire en coin laissait penser qu’il faisait de sa virtuosité une sorte de jeu. On pouvait voir Didi comme un enfant enfermé dans le corps d’un jeune homme. Sous une mèche de cheveux noirs de jais dardait un regard incroyablement direct et quand il souriait, son visage semblait irradier. Il inspirait une sorte de fascination, car ce mélange de roublardise et de candeur n’était pas commun, surtout dans ce monde interlope fréquenté par tous les aventuriers et les trafiquants que l’on peut bien imaginer. Il parlait plusieurs langues, ce qui épaississait encore le mystère de ses origines. On le voyait de loin en loin, chaque fois qu’on cherchait quelque chose de spécial. On savait où le trouver, au rez-de-chaussée d’un vieux bâtiment, il suffisait de taper à la porte et s’il était là, il ouvrait pour répondre, avec cet incroyable sourire. Et puis un jour, il demanda un service en échange d’une commande. Stupéfaction ! Besoin d’une planque pour deux mois, le temps que les choses se tassent. Un deal qui a mal tourné, disait-il sans rentrer dans les détails. Pas de problème. Il vint se planquer à la maison. Nous passions les soirées à fumer de l’herbe et il commença doucement à parler de son enfance, là-bas au Cambodge. Père américain pilote d’hélico abattu au-dessus de la frontière. Mère cambodgienne exécutée par les troupes de libération. Didi petit, en plein dans Apocalypse Now. Capturé par des guerilleros alors qu’il s’enfuyait dans la jungle. Attaché à un arbre, torse nu et cisaillé en quinconce à la machette sur toute la hauteur du torse. Traits croisés à 45°. Cinq d’un côté, cinq de l’autre. Une œuvre d’art. Laissé pour mort. Il souleva son T-shirt pour montrer cette épouvantable cicatrice. Chaque balafre mesurait deux centimètres de large. Il souriait.  

     

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             Pendant qu’on charcutait Didi au Cambodge, Andy grandissait peinard à Boston. Ils n’ont pas que le Di en commun, ils ont aussi des physiques extrêmement avantageux et des profils d’aventuriers extrêmement pointus. Tu es ravi d’avoir pu croiser dans ta vie des gens comme Andy et Didi.

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             Andy Paley et son frère Jonathan forment les Paley Brothers au début des années 70. Le boss de Sire Records Seymour Stein les découvre en 1975, via une démo. Il écoute et trouve ça bien, real pop, bordering on bubblegum. À ses yeux, ça frise le Brill, lots of two-parts harmony, great hooks. Stein les voit jouer dans un bar de Boston et décide de les signer sur Sire, en même temps que les Ramones, Richard Hell, les Talking Heads et les Dead Boys. Andy et son frère Jonathan vont travailler avec les meilleurs producteurs de l’époque, Jimmy Iovine, Earle Mankey et Phil Spector.

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             The Paley Brothers paraît en 1978. Andy et Jonathan sont tellement fans des Beach Boys qu’ils demandent à Earle Mankey de produire leur album au Brother Studio des Beach Boys. Pourquoi Mankey ? Parce qu’il a déjà produit au même endroit l’album Beach Boys Love You. Dès «You’re The Best», ils font l’unanimité parmi les oreilles. Ils mélangent leur adoration pour les Beach Boys avec leur énergie bostonienne. Mais la dominante chez eux reste la power-pop. Ils renouent avec le Beach Boys craze dans «Turn The Tide». Ils délivrent ici un shoot paranormal de sunny groove et d’entrain d’allant suprême. Si tu aimes la grande pop américaine, elle est là, dans «Turn The Tide». Ils font une reprise du «Down The Line» de Buddy Holly & Bob Montgomery assez musclée. On y croise même un solo en dérapage contrôlé. On retrouve bien sûr tout l’album dans la compile The Complete Recordings parue en 2013. Si on veut faire le tour du propriétaire, cette compile est un passage obligé. Les inédits sont tous plus spectaculaires les uns que les autres. Stein a sorti des archives et on en prend plein les mirettes. Tiens, par exemple avec ce «Meet The Invisible Man» enregistré en 1979 en Californie. C’est encore plus dingue que les Beach Boys, comme si c’était possible. L’Invisible Man sonne comme un sunny hit qui relève d’une certaine inexorabilité des choses. C’est claqué à l’arpège salvateur. Et dire que ces merveilles sont restées inédites ! Encore du Beach Boys Sound avec «Boomerang». Brian Wilson chante derrière. Fabuleux et explosif. Sabré au killer solo flash. C’est littéralement bardé de guitares, les retours de chœurs sont exactement les mêmes que ceux des Beach Boys. On tombe ensuite sur un «Felicia» enregistré live au Madison Square garden. Ces mecs sont extrêmement aguerris. Ils enregistrent «Running In The Rain» chez Ardent à Memphis. Serait-ce un clin d’œil à Big Star ? Va savoir ! Ils enregistrent aussi le vieux «Come On Let’s Go» de Ritchie Valens avec les Ramones, one two three four, Earle Mankey produit, ils foncent tous dans le mur, mais pas n’importe quel mur : le Beach Boys Wall of Sound. C’est exactement la même énergie. Nouveau coup de Jarnac avec «Spring Fever» puis voilà enfin le coup de génie : «Jacques Cousteau». Les frères Paley tapent une fois encore dans la mad frenzy des Beach Boys - Jack Jack/ Jack Cousteau - merveilleux délire - L’Atlantic c’est fantastic/ le Pacific c’est terrific - Il faut encore signaler la présence d’une pépite : «Theme From Fireball XL-5», assez poppy mais bien vu, in my imagination - My heart will be a fireball/ And you’ll be my Venus of the stars.

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             Sur The Complete Recordings, on peut surtout entendre le «Baby Let’s Stick Together» produit par Phil Spector au Gold Star de Los Angeles. Les Ramones allaient enregistrer End Of The Century aussitôt après. Ce «Baby Let’s Stick Together» est du pur Beach Boys power. Gene Sculatti raconte que Phil Spector appela Andy Paley en pleine nuit pour lui proposer une session d’enregistrement à Los Angeles. Ils envisageaient d’ouvrir le bal de leur deuxième album avec cette merveille, mais il n’y eut pas de deuxième album. Andy Paley ne s’en formalisa pas. Il joua un peu avec le Patti Smith Group et développa un goût pour la production.

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             Bon, les Paley Brothers, c’est bien gentil, mais Andy Paley n’en était pas à son coup d’essai. Il avait déjà enregistré un album avec les Sidewinders, un quintet de Boston qui aurait dû exploser en 1972 avec son album sans titre. On connaissait son existence grâce à Creem. Belle pochette, on les voit photographiés tous les cinq dans un salon du Chelsea Hotel. Dès «Bad Dreams», on sent une petite pop allègre et bien entreprenante. Ces mecs visent le clair de pop, comme les Nerves vont le faire un peu plus tard. Le lead guitar Eric Rosenberg sort un son agile et fiévreux. Le hit de l’album s’appelle «Told You So». Ce shoot de Stonesy nous renvoie à Exile. On sent bien qu’ils tentent le big hit avec ce joli coup de Soul pop qui renvoie aussi aux Box Tops. Avec «Moonshine», ils se livrent au petit jeu du balladif paradisiaque. Ils s’y sentent bien, alors nous aussi. Eric Rosenberg se tape une fois encore la part du lion avec sa dentelle de Calais. Bizarrement on les voit aussi jouer du garage surf («The Bumble Bee»). Alors et la B ? Oh pas de quoi casser trois pattes à un canard. «O Miss Mary» vaut pour un petit slab de pop énervée. Ils jouent ça à l’échevelée avec une bassline effervescente et un Rosenberg parti à vau-l’eau. La belle pop de «Got You Down» fait dresser l’oreille, mais il manque l’étincelle. Voilà un cut typique de cette époque où on aimait cavaler sans réfléchir. On trouve plus loin un autre petit slab de power pop qui s’appelle «Reputation». Même s’il se veut bien énervé, ça n’en fait pas un hit pour autant.

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             En 1985, Andy Paley produit Rockin’ And Romance, un album léger de Jonathan Richman & The Modern Lovers. Ça se passe entre Bostoniens et comme toujours avec Jojo, c’est bon esprit et bien chanté, avec quelques pitreries à roulettes comme «Down In Bermuda». Jojo y rivalise de désinvolture avec Kevin Ayers, c’est dire s’il est balèze. Comme il dispose d’une vraie voix, il rafle tous les suffrages. On se fait tous avoir. Il nous branche plus loin sur la souffrance de Van Gogh - Have you heard about the pain of Vincent Van Gogh ? - puis refait son Modern Lover avec «Walter Johnson», à la croisée du laid-back et du doo-wop. Andy Paley passe un solo de batterie pasticheur dans «I’m Just Beginning To Live». Jojo s’amuse comme un gamin, Ok let’s rock ! Pas étonnant qu’il devienne culte. Il crée une sorte de rockalama bon enfant.

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             L’année suivante, Andy Paley produit It’s Time For. On reste dans le Jojo Fricotin, avec Bibi et ses vieux hits de juke de type «Let’s Take A Trip». Andy Paley amène un son extrêmement intéressant, il veille à préserver l’ambiance du studio. Dès l’«It’s You» d’ouverture de bal, ça sent bon le Paley royal. Grosse d’ambiance, tout le monde gratte des grattes et chante en chœur. Ils sortent les guitares électriques pour «Yo Jo Jo». Jojo a de la jugeote. Même s’il fait tout pour se déconsidérer, il faut le prendre très au sérieux, au moins autant que Lou Reed. Il tente de se faire passer pour le raté de service, mais la moindre de ses chansonnettes tape dans le mille. Avec «Double Chocolate Malted», il vend les charmes d’une glace au chocolat et derrière les mecs font yeah yeah yeah. Comment résister à ça ? Impossible. Il a tellement de talent qu’il se permet n’importe quel délire, même celui de «Desert». Mais Jojo est trop bon enfant pour le dandysme.

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             Dix ans plus tard, Andy Paley produit un troisième album pour Jonathan Richman : Surrender To Jonathan. Pochette délicieuse : l’ex-Modern Lover s’y déguise en pirate. Jojo, c’est un peu l’équivalent américain de Kevin Ayers : une vraie voix et un goût prononcé pour le balladif magique. Le problème avec Jojo est qu’il a souvent fait de la petite pop aigrelette et même du balloche. Des mecs vont dire : «Ah c’est culte !». Oui, c’est aussi culte que le cul de ta voisine. Sur cet album tout est très simple. Jojo n’a besoin de personne en Harley Davidson. Il drive sa pop bon enfant à la petite semaine et Andy-Oh-Andy adore ça. Pas de son dans «Surrender», il n’y a que la voix de Jojo. Il fait encore son cirque dans «I Was Dancing In The Lesbian Bar». A-t-il vraiment besoin d’un mec comme Andy-Oh-Andy derrière ? On retrouve la vieille tarte à la crème d’«Egyptian Reggae». Et puis voilà le Jojo tant espéré avec «When She Kisses Me», une belle pop qu’il allume à coups de yeah yeah et qui émerveille pour de vrai. Il amène encore de la pop énorme avec «Satisfy». Il faut bien dire que ce genre d’album est très spécial. On l’écoute par sympathie, mais ça ne va pas plus loin. Jojo fait son business comme tout le monde. Et comme il dispose d’une vraie voix, ça facilite les choses. Il termine cet album profondément Jojotique avec «Floatin’». Il finit par imposer sa présence. Il fait quand même partie des grands chanteurs américains.

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             En 1989, Andy-Oh-Andy produit le Wild Weekend de NRBQ. On retrouve bien sûr le bassmatic de Joey Spampitano dans le morceau titre, juste derrière la cocotte d’Al Anderson. Ces mecs sont assez carrés. Andy-Oh-Andy vieille à monter la basse dans le mix. Mais le son de l’album est globalement trop propre. La pop de «Fireworks» n’est pas bonne, elle est trop passe-partout avec hélas de faux accents de Costello. On voit «Bozoo That’s Who» virer Cajun grâce à un accordéon et c’est en B qu’on trouve un peu de viande, avec notamment «Fraction Of Action». Ils renouent là avec le hard drive auquel ils nous avaient habitués. C’est un fantastique shoot de tension hérissé de gimmicks de basse. Ils terminent en fanfare avec «Like A Locomotive». L’excellence de ce groove ferroviaire leur sauve la mise. C’est habilement mené, bien arrondi par Spampi, ce crack du bassmatic que voulait embaucher Keith Richards.

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             Grâce à Seymour Stein, Andy-Oh-Andy peut travailler en 1988 avec son idole : Brian Wilson. Sur la pochette de Brian Wilson paru en 1988, Brian Wilson paraît soucieux. Il ne devrait pas s’inquiéter car Andy-Oh-Andy veille au bon grain de l’ivraie, notamment en B, avec un «Let It Shine» co-écrit avec Jeff Lyne. Forcément pop, forcément what you be - There come a burning fire/ It fills me with desire - Pur pop genius - Your words are magic to my ears - Nous voilà dans l’univers sacré des Beach Boys. Et ça continue avec «Meet Me In My Dreams Tonight», véritable festival de pounding pop, c’est du grand art digne de l’âge d’or de la civilisation de la plage, puissant et gorgé de sunny sound. C’est avec «Rio Grande» que Brian Wilson renoue avec ce qui le caractérise le mieux : le génie composital. Il va recréer sous nos yeux globuleux l’émotion de son California Saga (Holland) avec ce Cherokee trail/ I’m ridin’ all alone et il fait souffler des vents de Chimes, alors on plonge dans l’overflow de magie wilsonienne, whaooo yeah yeah yeah - I want the river to take me home/ Can’t ride the river no more all alone - Et ça explose au nez de la Saga d’éternité, ce mec crée de la magie all along, depuis le début de l’histoire du rock. On assiste à la fantastique éclosion du whole wide world. Alors évidemment, l’A paraît bien falote en comparaison, même si la pop de «Love And Mercy» reste parfaite. On retrouve aussi des échos du grand art des Beach Boys dans «Walkin’ The Line». Brian Wilson n’est pas un ré-inventeur, c’est un perpétuateur patenteur. On voit aussi qu’avec «Melt Away», il ne lâche pas sa vieille rampe. Il tartinera vraisemblablement jusqu’à la fin de ses jours. Andy Paley reste fidèle et dedicated. «Baby Let Your Hair Grow Long» est certainement le cut le plus Boyish de l’A, on s’effare de les voir tortiller aussi facilement cette grande pop californienne. 

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             Andy-Oh-Andy aura l’occasion de retravailler avec son idole Brian Wilson sur l’album Gettin’ In Over My Head, paru en 2004. C’est l’album des collaborations. Ça commence assez mal avec Elton John puis ça s’arrange avec Carl Wilson dans «Soul Searchin’», pur jus de Beachy Sound. Ils n’en finissent plus de rallumer leur vieux flambeau et un solo de sax vient resplendir dans l’embrasement du crépuscule. Le hit de l’album c’est bien sûr «Desert Drive», avec Andy Paley qui ramène la brebis Brian Wilson dans le droit chemin - We’re gonna have some fun - C’est infesté de c’mon effervescents. Andy intervient une fois encore dans «Saturday Morning In The City» et sur le morceau titre. Ils tournent pas mal autour du pot et tentent de recréer la magie des jours anciens, mais ce n’est pas si simple. Brian Wilson manque de conviction. Il prend «You’ve Touched Me» par-dessus la jambe et le chante à l’édentée. On croise d’autres invités sur l’album, comme Paul McCartney, mais il ne se passe rien de plus que ce qu’on sait déjà.

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             Après Brian Wilson, l’autre grand coup d’Andy-Oh-Andy, c’est Jerry Lee Lewis. Comment va-t-on pouvoir célébrer la grandeur d’un album comme Young Blood ? Jerr refait surface après dix ans de silence. Il a soixante balais. Il pose au bord du lac, assis en smoking dans une banquette rococo. Beat that ! Pas possible. Pas non plus possible de beater le cut d’ouverture de bal, «I’ll Never Get Out Of This World Alive». Il a raison, ni Jerr ni personne ne quittera ce monde vivant, mais quand c’est dit par un cat comme Jerr, ça change tout. Alors faut-il célébrer le génie de Jerr, ou celui d’Andy Paley qui produit cet album qu’il faut bien compter parmi les plus grands disques de l’histoire du rock ? Oui, Jerr chante, mais il a du son et c’est autre chose que le son de Jerry Kennedy à Nashville. Andy-Oh-Andy amène de l’eau au moulin de Jerr, c’est-à-dire le Memphis Beat original. Il faut dire qu’Andy Paley a fait ses preuves avec Brian Wilson et Jonathan Richman. Il n’y a pas plus de hasard sur le crâne de Mathieu qu’il n’y a de cheveu dans ta philosophie, Horatio. Rappelons l’équation fondamentale : une vraie voix + une bonne chanson + une prod de crack = un hit éternel. Des choses comme «River Deep Mountain High», «MacArthur Park» ou encore «California Girls» en sont le résultat, et il en existe beaucoup d’autres, si l’on sort les noms de Mickie Most, de Chips Moman, d’Uncle Sam ou encore de Shel Talmy. Il faut désormais ajouter «I’ll Never Get Out Of This World Alive» à ce palmarès. Jerr chevauche à la cravache, il rue comme un dieu, et voilà qu’arrive un solo d’éclat magique, alors ça grimpe directement au pinacle. Il est fort probable qu’on entende Joey Spampitano au bassmatic. Andy-Oh-Andy le connaît bien car il a produit l’un des albums de NRBQ (Wild Weekend). Font aussi partie de l’aventure James Burton et Kenny Lovelace. Andy-Oh-Andy n’a qu’une idée en tête : renouer avec le Memphis Beat des origines, celui d’Uncle Sam. Et ça marche ! Il y a encore pire à venir, et il faut y être préparé, car le génie peut frapper comme la foudre, ce qui va être le cas avec «Miss The Mississippi & You» - I’m growing tired of these big city lights - Jerr veut rentrer au pays, alors il se laisse aller en éclatant son piano bar et remonte le courant mélodique comme un saumon shakespearien. Il chante à la plus belle revoyure d’Amérique. Il pousse même une tyrolienne qui va faire le tour du monde. C’est l’une des plus belles chansons de tous les temps. Au passage, il pond deux hits de juke : «Goosebumps» et «Crown Victoria Custom 51». Il les bouffe tout crus, c’est une manie, yeah ! Il claque le cul de son boogie et déverse sur son clavier une rivière de diamants, juste pour montrer comment on finit un cut en beauté. C’est au heavy rumble de Memphis qu’il amène son Crown Victoria, rrrrrrrrrrrr, Jerr est sur le coup. Ça donne une deep merveille de deep rumble, Jerr fracasse son clavier comme le dentier d’un yank qui lui manque de respect et comme si cela ne suffisait pas, un solo rattlesnake croise son chemin à la furia del sol. Jerr sort du ring une nouvelle fois invaincu, sous les acclamations. Oh il faut aussi l’entendre éclater «Thang» au slang de sling, Southern class, baby, yeah, il faut entendre ce diable de Jerr tarauder le mur du son rien qu’avec son accent perçant. On ne remerciera jamais assez Andy Paley d’avoir réussi à ressusciter le Killer, comme Chips avait su ressusciter le King en lui proposant «Suspicious Minds». On voit aussi Jerr driver le morceau titre à la poigne d’acier. Il drive son cut comme s’il drivait un Apaloosa sauvage. Hang on ! Chez lui, tout n’est que dévotion à l’art suprême qui est celui de la culbute. Baiser une chanson pour la faire jouir, c’est la même chose que de baiser un cul de Southern bitch. Il boucle son cut à coups de mercy. Existe-t-il un shouter plus sexuel que Jerr ? Non. Il rend plus loin hommage à Huey Piano Smith avec une belle cover d’«High Blood Pressure». Jerr vénère Huey. Il le joue au piano de bastringue et ça tourne à la révélation spirituelle. Ah si Bernadette pouvait voir ça ! Jerr écrase son honey on your mind et pianote dans le vent d’Ouest, la crinière en feu. Sacré Jerr, il n’en finira plus de semer le vent pour récolter la tempête. Il se tape encore un joli coup de shake avec «Gotta Travel On». Cet homme sait embarquer une farandole. C’est fouetté à la racine des dents. Quel son ! Le bassmatic qu’on entend rouler sous la peau de «Down The Road A Piece» ne peut être que celui de Joey Spampitano, tellement ça groove.

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             En 1984, le Paley royal monte Between Meals avec quelques amis, dont Jad Fair et Maureen Tucker. On sait donc à quoi s’attendre en posant I Just Knocked Over A Cup Of Coffee sur la platine : de l’inconoclastic et du dada dodu. Du bien barré et du sans espoir pour la soif. Ils font donc une version trash-punko-déconstructiviste de «Matchbox». Ils jouent vraiment comme des brêles et c’est bien ce qui fait le charme du Between Meals. On assiste dans «Sink Or Swim» à une admirable désorganisation de l’ensemble. Et puis avec «What’d I Say», ils se rapprochent du Velvet, on croit entendre le violon grinçant de John Cale. Étonnant mélange de dada et de Velvet. Appelons ça une fantastique réussite artistique, si vous le voulez bien. La B est en fait beaucoup plus intéressante, on y entend Moe Tucker battre «How Will I Know» à la ramasse habituelle et on assiste à la belle déroute de «Route 66». Ils s’amusent comme des gamins, ça finit par devenir excellent.

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             Parmi les groupes que produit le Paley royal pour Sire, on trouve aussi John Wesley Harding. The Name Above The Title date de 1991. Autant le dire tout de suite, c’est de la petite pop à la Costello. Quand on n’aime pas Costello, c’est comme qui dirait baisé d’avance. En tous les cas, c’est très produit, très Sire-moi les pompes. La B est un peu plus ragoûtante, car on entend les Paley Brothers faire des harmonies vocales sur deux ou trois cuts comme «The Person You Are». Andy-Oh-Andy joue de l’harmo sur «Backing Out» et ils font une belle cover d’un classique de Roky Erickson, «If You Have Ghosts».

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             Dans ses mémoires, Siren Song - My Life In Music, Seymour Stein avoue qu’ Andy Paley fut l’un de ses grands espoirs. Mais ça n’a pas marché, en dépit de moyens considérables : «L’une de mes plus grosses déceptions fut de ne pas voir percer les Paley Brothers pour lesquels j’avais engagé Phil Spector.» Quand Stein rencontre Andy Paley pour causer production, Andy propose le nom de Jimmy Iovine, un protégé d’Ellie Greenwich qui avait travaillé avec Phil Spector sur l’album Rock’n’Roll de John Lennon. Et voilà. C’est à peu près tout ce que Stein dit d’Andy. On ne risque pas l’indigestion.

    Signé : Cazengler, Palette de beauf

    Paley Brothers. The Paley Brothers. Sire 1978

    Paley Brothers. The Complete Recordings. Real Gone Music 2013

    Sidewinders. RCA Victor 1972

    Jonathan Richman & The Modern Lovers. Rockin’ And Romance. Twin/Tone Records 1985

    Jonathan Richman & The Modern Lovers. It’s Time For. Upside Records 1986

    Jonathan Richman. Surrender To Jonathan. Vapor Records 1996

    NRBQ. Wild Weekend. Virgin 1989

    Brian Wilson. Brian Wilson. Sire 1988

    Between Meals. I Just Knocked Over A Cup Of Coffee. Indescence Records 1984

    John Wesley Harding. The Name Above The Title. Sire 1991

    Jerry Lee Lewis. Young Blood. Sire 1995

    Brian Wilson. Gettin’in Over My Head.

    Seymour Stein. Siren Song. My Life In Music. St. Martin’s Press 201

     

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 22

    JUILLET- AOÛT - SEPTEMBRE

     

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     Faudrait mettre un ‘S’ à Génération, au gré des interviewes c’est une histoire du rock ‘n’ roll français que raconte la revue. Cette fois-ci grâce à Jean-Claude Coulonge c’est à l’introduction du rock en notre pays, à la toute première génération des rockers que nous remontons, Coulonge n’est pas un témoin, mais un activiste, un sacré batteur, je ne l’ai entendu qu’une fois en concert, voici une dizaine d’années, ce n’était pas avec les Vinyls, remplaçait au pied levé un musicos absent, vous a filé une sacrée déverrouillée à la grosse caisse, quelques jours auparavant Guillaume des Spunyboys me le citait comme une référence, le genre de gars tout sourire qui vous déclenche le tonnerre de Thor, n’en est pas pour autant sorti de la cuisse de Jupiter, un petit gars mal parti ( je vous rassure bien arrivé ), la polio, les privations de la guerre ( né en 1945 ) la France n’était pas en ces temps-là un pays de cocagne, pas d’électricité, les cabinets au fond du jardin… s’inscrit à la fanfare pour rééduquer son bras estropié, finira batteur, connaîtra le Golf et Johnny que tout le monde appelait Jean-Philippe, je vous laisse découvrir le reste de la saga, je n’en retiendrai qu’un détail qui me touche personnellement, sa participation sur scène avec les Fingers groupe instrumental dont le morceau Spécial blue-jeans servait d’indicatif à l’émission du même nom sur Radio-Andorre… Huit pages passionnantes, et un rocker qui a su tracer son chemin dans sa vie sans renoncer à sa passion…

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    Le retour des Ghost Highway ! Ah, les Ghost, un groupe pas tout à fait comme les autres, c’est un peu grâce à eux et à Burning Dust que la modeste feuille de papier très intermittente qu’était KR’TNT est devenue le blogue hebdomadaire que vous êtes en train de lire, les Burning furent un bon groupe, mais ce n’était que la partie immergée de l’iceberg, z’avaient un fan club de followers qui les suivaient un peu partout, beaucoup de groupes reçoivent de l’estime de la part de leurs fans mais pour les Ghost c’était autre chose, il y avait un plus indéfinissable, le groupe aimantait, et stimulait les énergies, hélas la magie s’est délitée, trop de pression ou peut-être leur a-t-il manqué une structure de soutien, le do it yourself est une belle philosophie, c’est celle qui anime notre blogue, mais pour mettre une fusée en orbite faut aussi bénéficier d’une orga solide et clairvoyante… mais les revoici, interview, premier concert, couve du magazine photo double-page, Phil n’a pas changé,  fidèle à lui-même, peut-être est-il celui qui a le plus regretté le split, Jull a maigri, affiche un air décidé prometteur, Arno arbore en même temps un profil de jeune homme et de patriarche, dernier venu enfin le nouveau Bryan, méfiez-vous c’est le d’Artagnan des trois vieux bretteurs, ne sera pas le dernier pour s’engager dans de nouvelles aventures…

    Un grand saut pour la chronique Les Racines de Julien Bollinger, cette fois-ci consacrée à Emmett Miller, une mystérieuse figure de ce chaudron de sorcières que furent les années 20 aux States, documents et témoignages sont rares, Miller n’était plus qu’une ombre lointaine lorsque Nick Tosches a ressuscité son fantôme dans son livre Blackface, Editions Allia (chroniqué dans Kr’tnt ! évidemment) , pour ceux qui ne connaîtraient pas il suffit de dire que  la filiation Emmett Miller – Hank Williams est certaine, question généalogie rock ‘n’ roll vous ne trouverez pas mieux… Julien Bollinger use de formules heureuses pour expliciter cela. Le plus simple est de suivre ses conseils et de se précipiter sur You Tube, pour écouter, attention rencontre avec ce que Edgar Poe appelait l’ange du bizarre.

    Les Blakfaces ont mauvaise réputation, l’idéologie woke pense que cette pratique qui remonte aux plantations esclavagistes est une des pires abominations du racisme. Lors de réunions festives qui réunissaient maîtres et esclaves les maîtres blancs ( Emmett était blanc et  était socialement loin de posséder le statut de propriétaire d’une ferme cotonnière ) se noircissaient le visage pour imiter de façon burlesque les manières de chanter, de se mouvoir, de parler de leurs esclaves, sans aucun doute un geste de charité chrétienne empli de condescendance, mais aussi une façon esthétique pour les noirs d’accéder à leur propre représentation, c’est ici que l’on retrouve Edgar Poe et son concept de grotesque, par la suite beaucoup d’artistes noirs qui jouaient dans les vaudevilles n’hésitaient pas à  grimer leur visage et à proposer des sketches de tonalité humoristique… Une analogie est à faire avec les monologues comiques que jouaient les poëtes symbolistes comme Charles Cros lors des fiévreuses soirées du Chat Noir… Depuis une vingtaine d’années la bourgeoisie noire américaine s’éloigne du blues, ce sont maintenant les élites intellectuelles qui font pression pour vilipender toute une partie du long chemin de résistance entrepris par les générations précédentes, à mon humble avis cette acculturation programmée et ce reniement systématique du passé me paraissent dangereux…

    Interview d’un contrebassiste, Axel Richard, vous le connaissez, nous parlions de lui voici deux semaines, il est aussi présent dans cette même livraison, voir ci-après chronique du disque de T Becker Trio dont il est l’un des musiciens. On retrouve son ineffable sourire sur la photo de Sergio Katz. Ont intérêt à lire ces trois pages les curieux qui se posent des questions quant aux mérites comparés de la basse et de la contrebasse.

    Pour les amateurs de musique live, quatorze pages dévolues au report au festival Good Rockin’ tonight d’Attignat, du Boogie Bop Show de Mesnard la Barotière et le Rock Dance Party de Quimper, drôlement bien fait, jour après jour avec photos et commentaire de chaque concert, c’est comme si vous y étiez, enfin presque…

    Encore une fois un superbe numéro de Rockabilly Generation News, depuis sa lancée voici cinq années la revue de Sergio Katz réalise un parcours sans faute, ne l’oublions pas, le jour où le rockabilly mourra, ce sera aussi la mort du rock ‘n’ roll ! But rock ‘n’ roll never dies !

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News (  1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois),  5,15 Euros + 4,00 de frais de port soit 9, 15 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 37, 12 Euros ( Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents ! 

     

     

    THE BEST IS YET TO COME…

    T BECKER TRIO

    ( Crazy Times Records / 2022 )

     

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    Beau titre. Comment faut-il le comprendre, comme la promesse d’un deuxième opus meilleur ? Ou alors : que si le meilleur est sur le point de survenir c’est parce qu’il est déjà là, tout prêt, depuis longtemps, qu’il suffit de se pencher, de gratter l’écorce de la modernité pour s’apercevoir que l’aubier du passé affleure dans la présence du monde. Le T Becker Trio l’affirme, si l’old style never dies, l’hillbilly est là pour toujours.

    Axel : double bass / Tof : vocals & guitar / Did : lead guitar.

    I’ll do it on my way : dès les premières notes de la guitare rythmique l’on est projeté quelques décennies en arrière dans les Appalaches, l’intitulé respire l’affirmation rockabilly, mais l’ensemble fleure bon la campagne, l’on est plus près des chevaux au pré que des broncos au rodéo, n’empêche que c’est  prenant, tout le rockabilly est là dans le chant et le solo de guitare, mais point encore vagissant, flegmatique si l’on veut Come close to me : l’a une belle voix Tof, un peu Hillbilly Cat dans les coins mais aussi suave que Presley quand il devait chanter ce genre de ballade  le soir dans sa chambre, l’instrumentation est à l’unisson, de légères interventions en solo qui ne bousculent pas le morceau mais confortent cet aspect satiné si doux que l’on a envie de tapoter doucement les fesses de la contrebasse d’Axel pour la féliciter de savoir être omni-présente dans le marquage du tempo avec ce naturel si affolant.  The biggest mistake I’ve made : attention une entrée un peu fracassante, un pas vers le rockabilly, mais sans aucune rudesse, l’on admire la guitare de Did d’une précision absolue, le genre de morceau sur lequel l’on devait danser dans les bals du samedi soir dans les campagnes, un peu de fièvre provoque la montée du désir. Devait se passer d’étranges remuements dans les granges d’alentour. Do you remember ? : guitares nostalgiques, tout de même un petit côté pré-sixties étonnant, quel son ! Quelle beauté !  Quelles rondeurs ! et Tof qui en fait des tonnes, vous transforme une bluette amoureuse en drame shakespearien, rien qu’avec quelques intonations, Axel en sous-main repeint le crépuscule, mais l’on ne sait si c’est celui du matin ou du soir, toutefois les guitares sont si belles qu’on les laisse courir toute la fin du morceau. Can’t love you anymore : une bouffée de désespoir paisible, la voix s’amuse entre tendresse et désir perdu, elle dit tout le non-dit des relations qui unissent deux êtres humains, une atmosphère country, Did s’en donne à cœur joie, les cordes sautillantes un peu moqueuses, un peu ironiques, si la vie ne vaut rien, rien ne vaut la vie nous susurre-t-il à l’oreille, une sagesse qui permet de bercer l’âme et de relativiser les avanies de l’existence.  Why ? : soft rockabilly, tout y est, mais une certaine retenue empêche le trio de casser la baraque et d’en jeter les planches dans un feu de joie crépitant, ah ! ce jeu de Did qui couve sous la cendre, vous en ressentez la morsure dans votre chair, le shuffle  tapoté d’Axel est parti pour traverser l’Amérique dans les deux sens sans s’arrêter, quant à Tof il assume à la perfection le rôle de chanteur de rockabilly sans trop se prendre au sérieux, l’on sent le détachement, le jeu impeccable du comédien, davantage wogie que boogie. Ain’t got no money : un morceau idéal pour établir la communion avec le public, sur la scène de la Rock ‘n’ roll party II ils ne s’en étaient pas privés, tout ce qu’il faut, Tof vous miaule le titre avec un superbe accent de bouseux américain, et la musique suit derrière, tantôt devant, tantôt à trois kilomètres, font tout ce qu’il faut pour avoir une superbe mécanique prête à l’emploi. I was wrong : l’est désabusé le Tof, l’a adopté la voix du beautiful loser qui fait acte de contrition, l’on en est ravi, l’on adore entendre la guitare de Did pleurer à petites larmes, attention au crocodile, il mord quand même, ce n’est plus un titre, mais une comédie parodique tellement ressemblante qu’elle semble être vraie. On n’y croit pas, on ne marche pas. On court. Rockabilly is a state of mind : vous voulez du rockabilly, en voici, en voilà, tout ce que vous attendez est là, une véritable démonstration, toute en finesse car si on allumait le feu, les flammes vous empêcheraient d’apprécier les nuances. Attention, une réflexion   philosophique, par l’exemple, sur la nature profonde du rockab, alors on ils y vont doucement mais sûrement pour que vous compreniez mieux, Axel tape à plusieurs reprises sur le bois de la contrebasse afin que la leçon rentre profond dans votre tête. Compris, OK ! Santa Mondega : l’on descend un peu plus dans le Sud, sur la frontière mexicaine, un parfait générique pour un western fabuleux, pas trop tex-mex, mais quand on écoute l’on voit le film et il est superbe. Vous resterez pour la deuxième séance. Boogie Beat : un peu de boogie n’a jamais tué personne, ceux qui en sont morts ne sont plus là pour s’en plaindre, un boogie teinté de bop mais qui remue à merveille, Tof en profite pour hoqueter, sans trop pousser le son, mais c’est à croire que chez lui c’est une seconde nature, Axel caresse un peu sa basse et Did vous pique ses notes comme vous ramassez les olives avec votre cure-dents à l’apéritif. L’on sent que les tournées vont se succéder. Can’t get you out of my head : déjà le dernier morceau, un peu d’emphase, un peu de pression, des guitares qui accaparent l’attention et l’intensité, le vocal précipité et le manche de la big mama se balance comme le pendule du destin. Fin rapide. Faut-il compter les morts ? Pas vraiment très grave, c’est la preuve que nous sommes les survivants !

    Damie Chad.

     

     

    DES DESIRS DES ENVIES

    IENA

    JYB : chant, harmo  / Erick Erick : guitare, chant / Stéphanie Derbhey : basse / Michel Dutot : batterie.

    Y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans cette couve, c’est cette bouche carrée, carrément agressive, pire qu’un tigre affamé, l’on a plutôt envie de prendre les jambes à son cou, la belle a un collier et un harnais de pitbull, les dents aussi longues que des crocs de caïmans, des yeux aigus comme des flèches mortelles, à part cela, somme toute la chair des épaules est très désirable.

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    Nightmare : trois petits coups de baguettes, promptement les guitares remuent le menuet, bienvenue dans le cauchemar, ne vous attendez pas à un trampoline peuplé de monstres surréalistes ou d’extra-terrestres mortifères  cherchant à s’emparer de notre planète, pas besoin de fermer les yeux pour l’imaginer, Iéna vous le décrit, très terre à terre, puisqu’il n’est autre que le monde dans lequel nous vivons. Z’appuient fort, le Jyb martèle et répète les mots, au cas où vous seriez lents d’esprit ils opèrent par surprise de courts arrêts brutaux, une seconde de temps en temps pour que vous preniez conscience de la situation, pollution et guerre sont les deux mamelles de notre perdition, quand ils évoquent les combats la guitare tire des coups de canon, la batterie se charge de la mitrailleuse lourde, non ce n’est pas joyeux, Un simple constat réaliste. Mais implacable. Traverses :  la basse de Stéphanie gambade, entrerions-nous dans un monde de douceur, le couperet de la guitare d’Erick rabote nos espoirs, se permet même un petit riff impertinent qui nous tire la langue, pour la batterie aussitôt pesé aussitôt emballé, Jyb joue avec des mots de lumière et d’ombre, il tire sur le fil à merde et ce qui vient n’est pas nécessairement excrémentiel, car l’homme est un alchimiste qui peut changer l’ordure en or dur, la métamorphose est imminente et réversible, la distance entre  douceur et douleur ne nécessite qu’un coup d’aile. Parfois les cauchemars sont traversés par les oiseaux fugaces du rêve. Très beau morceau, un fouillis d’interstices qui sont autant d’échappatoires. Des désirs, des envies : titre éponyme, un peu la suite, disons une variante de Black Out des True Dukes, normal ce sont des groupes amis qui partagent batteur et bateleur, mais dans la sainte trilogie du rock ‘n’ roll la carte dominante a changé, ici l’addiction à l’alcool cède la place aux pulsions du sexe, dans les deux cas une question de soif, dont une s’étanche simplement, mais dont l’autre est parfois une denrée qui se fait rare, le morceau roule et tangue comme un bon vieux rock ‘n’ roll, les paroles tournent un peu au délire dans lequel on retrouve l’humour des textes du grand Schmoll. Une belle réussite d’auto-dérision gauloise, dans laquelle El Jyb excelle. A nos âmes : ce n’est pas Sainte Cécile jouant de la harpe sur l’aile d’un séraphin, juste une guitare et une voix. Retour à l’évocatoire pureté de l’enfance, une superbe coupure aristotélicienne avec le morceau précédent, de l’attirance physique l’on passe à la notion métaphysique d’innocence.  De l’attrait de l’Enfer l’on saute au regret paradisiaque du passé. Faut un certain courage pour chanter un tel texte. Toi et moi : la traversée du pont, soyons sérieux, ce titre encore plus surprenant que le précédent, Iéna nous invite à un drôle de voyage, question rock rien de mieux calibré, un accompagnement qui balance et un vocal des plus clairs et distincts mais le sujet est étonnant, celle de la sortie de l’âme hors du corps, non pas un simple voyage dans l’astral mais le saut définitif dans le royaume de la mort. Le Jyb vous conte cela avec un naturel confondant, un peu comme s’il nous apprenait qu’il allait ouvrir une boîte de petits pois pour son déjeuner.

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    L’hymne : apparemment vu les guitares ce n’est pas le national, eh bien si, aux armes citoyens et tutti frutti, eh bien non, c’est bien lui, mais modifié, musicalement je ne vous dis pas, mais les paroles, elles sont actualisées, les enfants de la patrie, de couleurs chatoyantes se révoltent, que les nantis se rancissent dans leur médiocrité, feraient mieux de pleurer sur eux-mêmes, le vieux monde est près de s’écrouler. Deadikass : la suite du précédent, dédié à ces millions de pauvres qui peuplent nos campagnes et nos villes, à ceux que l’on casse pour que la mort arrive plus vite mais aussi à ceux en qui le rêve et la révolte grondent, n’en disent pas plus mais le background parle pour eux, une machine inexorable qui roule et que rien n’arrêtera, deadtermination ! Les masques : c’est-là qu’ils imaginent la fin de l’oppression, un monde débarrassé de tous les masques que l’on revêt pour faire profil bas, être  libéré, devenir enfin soi-même, la guitare se met à chanter, la batterie boute les derniers résidus, Waiting : n’y a pas que le titre qu’est in englishe, tradition rock oblige, l’on en profite pour écouter le rouleau-compresseur de la musique d’Iéna, une locomorock bien réglée, à peine démarrée, elle atteint sa vitesse de croisière, la basse de Stéphanie pousse en avant par-dessous  l’air de rien, la guitare d’Erick  se charge de la dentelle phonique, l’emploie surtout du câble d’acier plutôt que du fil de coton-tige sale, la batterie de Michel, infatigable hale le navire sur terre comme sur mer. Produisent un son, gras et mobile, une véritable machine de guerre, tous terrain. Partout où elle passe l’herbe de la colère corollaire des vies gâchées pousse plus drue. Un rock d’aujourd’hui et de demain.

    Damie Chad.

    *

    Des hasards rock, comme il n’en existe que dans le rock. Damie, tu peux garder quelques affaires d’un ami chez toi jusqu’à lundi, je les lui redescends in the south / No problemo, il n’a qu’à les porter. C’est quand les deux gars ont commencé à décharger que j’ai eu comme un pressentiment, amplis, disques, pieds de micros, je ne vous fais pas un dessin. Bref l’on a passé l’après-midi à discuter de rock, et quand il est reparti, il m’a refilé un CD… Je ne connaissais pas mais rien de mieux et de plus enrichissant que d’ajouter another Bricks in the rock ‘n’roll wall.

    THE PERFECT SADNESS

    VINCENT BRICKS

    ( Décembre 2021 )

    Vincent Bricks a enregistré un premier EP en Angleterre ( Stockholm / My little being ) en 2017, l’était bien parti, le Covid confinatoire est arrivé trop vite, l’en a profité pour écrire, composer, tourner des vidéos, puis l’a recommencé les concerts, bref l’a repris la rock ‘n’roll road, avec toutes les difficultés françaises qui vont ( plutôt qui ne vont pas ) avec… Quand je dis rock ‘n’ roll lui-même se revendique de la mouvance psyché / pop, cite par exemple Brian Wilson dans ses admirations. N’est pas non plus insensible au Velvet Underground…

    La pochette de Carl Fantin nous offre une vision parfaite du bonheur, farniente et amour sur une plage de sable doré, à part que cet état idyllique n’est pas offert à tout le monde, vous faudra attendre d’être mort pour que le fantôme de votre squelette puisse jouir de ces instants sublimes… Est-ce pour cela que l’opus s’intitule Parfaite Tristesse, pour nous rappeler que dans notre vie si all the good n’est pas déjà gone ou enfui, c’est parce qu’il n’est jamais arrivé… Soyons sardonique ! Relisons Colloque Sentimental de Verlaine.

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    Stockholm : c’est vrai que l’influence Velvet saute aux oreilles mais les premières mesures rythmiques passées  le morceau devient aérien, prend de l’ampleur, s’envole dans une autre dimension, une belle voix fluide qui se coule à tel point dans l’instrumentation, que l’on peut dire qu’elle en fait partie, toutefois c’est elle qui crée les climats et mène la diligence, morceau très riche formé d’une mosaïque de petites séquences enchaînées les unes aux autres, pas le temps de s’ennuyer, l’impression à tout instant de prendre un train en marche et de savoir que le paysage qui nous attend sera encore plus beau et plus surprenant que le précédent. Yawnsville : la ville de l’ennui, un bâillement qui avalerait le monde dixit Baudelaire, pour Vincent Bricks cette cité mortelle c’est Sète, immortalisée par Le Cimetière marin de Paul Valéry, un rythme plus soutenu, une voix dont les inflexions ne sont pas sans évoquer le phrasé légèrement désabusé de Ray Davies des Kinks, elle se charge des intermèdes si j’ose dire, car les instants magiques sont dans ces envolées irréelles, dans cette neige qui tombe des étoiles du rêve ou des paradis artificiels, la beauté éblouissante n’est parfois que le paravent de la solitude humaine. The idle guilt : une guitare redondante de slow sixties en introduction, tout s’adoucit, comment la voix si légère de Vincent peut-elle être si cruelle, elle est un poignard qui perce et sépare en deux le voile de la fragilité du monde, elle détruit nos illusions mais aussi nos désillusions, ne nous laisse rien, aucun rempart dérisoire contre l’inutilité de l’existence, sur la plage de l’innocence il ne reste plus d’innocence et même plus de plage. Désespoir absolu de la nudité hominienne. The new pulp : plus enlevé, la vie n'est peut-être plus possible après la traversée du nihilisme, le ton essaie de crâner un peu – les crânes des morts ne rigolent-ils pas de toutes leurs dents – céder à de nouveaux vertiges de la chair pulpeuse du monde n’est pas un mal en soi, ni un bien d’ailleurs, le tout est de continuer à vivre sans être dupe, un ton légèrement persifleur envers soi-même, qui s’empêche de courir après l’idéal, l’important est de survivre dans une certaine désolation et de parvenir à sourire du désagrément d’exister. Parallel universe : petites notes de boîte à musique, la voix prend le dessus, elle mène le bal, des chœurs féminins planent dans le lointain, si nous sommes seuls, le monde est peuplé de couloirs parallèles au nôtre qui se côtoient et qui peut-être finiront par s’enchevêtrer. Rien n’est définitivement perdu. Du moins est-il loisible de le penser.

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             En cinq morceaux Vincent Bricks a su susciter un monde à lui, une vision harmonieuse et poétique, une toile d’araignée transparente tendue sur l’abîme du néant. Il faut espérer qu’un véritable album pourra sortir bientôt, il est à la tête d’un univers musical et mental qui n’attend que l’instant propice pour se déployer.

    Damie Chad.

     

     

    *

    Dans notre chronique 559 du 13 / 06 / 2022 nous évoquions le premier morceau offert an avant-première du prochain CD de Thumos qui vient de paraître ce 04 juillet 2022. Après The Republic dans lequel Thumos alliait musique instrumentale à la philosophie de Platon, voici que pour son nouvel opus il tente de transcrire selon son instrumentation rock la suite de tableaux peints par Thomas Cole sous le titre générique de The Course of Empire. Apparemment les deux projets n’ont rien à voir, plus de vingt siècles séparent Platon de Thomas Cole, mais le kr’tntreader aura déjà remarqué que les deux œuvres dont Thumos propose un commentaire synesthésique s’inscrivent dans une méditation historiale sur le destin humain, individuel et collectif…

    THE COURSE OF EMPIRE

    THOMAS COLE

    Nous ne répèterons pas ici ce que nous avons déjà dit dans note livraison 459 au sujet de Thomas Cole ( 1801 – 1848 ), peintre américain connu pour ces paysages. Nous nous intéressons d’abord à cette bizarrerie : The Course of Empire de Thomas Cole est un ensemble de cinq tableaux mais le CD de Thumos comporte huit titres. Un dessin très schématique de Cole destiné à Luman Reed, son mécène collectionneur, peut expliquer cette bizarrerie. Les cinq tableaux sont surmontés de trois panneaux symboliques : lever, zénith, et coucher du soleil à mettre en relation avec la naissance, l’apogée et la ruine de l’Empire, sous ces trois esquisses sont alignés The Arcadian State, The Consummation, Destruction. A gauche au-dessous de l’Arcadian, The Savage State, à droite au-dessous de Destruction : Desolation.  Au-dessous de Consummation la place était à l’origine occupée par une cheminée, rappelons que le verbe consumer dans notre langue signifie être détruit par le feu.  

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    Le principe unificateur des cinq tableaux est très simple : sur les cinq toiles c’est exactement le même lieu qui est représenté. Ce n’est pas évident si l’on n’y fait pas attention car il est à chaque fois envisagé sous des angles différents…

    THE COURSE OF EMPIRE

    THUMOS

    ( YT / Bandcamp )

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     Introduction : on s’attend à une ouverture d’opéra, du grandiose, de la grandiloquence, pas du tout, l’impression d’une mécanique implacable qui se met en route, le bruit prend de l’ampleur, l’on croit entendre des chasseurs à réaction en pleine mission destructrice qui filent droit vers leur objectif, musicalement cela n’a rien à voir mais l’on pense, surtout à un niveau symbolique, à la scène des hélicoptères d’Apocalypse Now, car la fin de l’arbre est déjà au cœur de la graine, c’est dans le dernier tiers du morceau qu' apparaissent des notes chargées de mélancolie automnale, feuilles rousses que le vent éparpille, emporte, et disperse l’on ne sait où…

    Thomas Cole / The Savage State

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    Ne nous méprenons pas le monde sauvage évoqué par ce tableau n’a rien à voir avec la préhistoire encore moins avec l’ère des dinosaures, lorsque Thomas Cole peint il est plus ou moins consciemment influencé par les représentations du dix-huitième siècle calquées sur l’idéologie de Jean-Jacques Rousseau, l’état de sauvagerie évoqué est celle du bon sauvage, ces civilisations naturellement bonnes, innocentes en quelque sorte, que le philosophe a dépeintes d’après les relations des découvreurs des contrées lointaines et ignorées… nous serions plutôt aux débuts du néolithique, les hommes chassent et élèvent des hutte de peau, cette toile que Cole nomme aussi les débuts de l’Empire, marque la naissance de l’entraide humaine chère au philosophe anarchiste Kropotkine…

    Commencement : dès les premières notes l’on est convaincu du parti-pris de Thumos, ambiance metal, ont évité le piège du symphonisme romantique, pas de langueurs qui évoqueraient le paradis des amours enfantines du commencement du monde, l’homme est un animal violent qui essaie de construire sa niche écologique de survie dans un milieu hostile, ce n'est pas Caïn qui tue Abel mais le parcours de l’humanité est parsemé de meurtres, certes en tant qu’hommes nous ne l’envisageons pas ainsi, le sang  des animaux versé par les cruels chasseurs est à entrevoir comme le suc nourricier des paisibles cueilleurs, les hommes se regroupent mais leur existence si elle en est facilitée n’en est pas pour autant de tout repos, roulements de tambours et rythme pesant d’une marche en avant pour rappeler que le chemin à parcourir dont on ne sait rien ne sera pas une partie de plaisir. C’est en ces époques lointaines et précaires que se mettent en place les outils les plus meurtriers des hommes, l’amélioration des armes et les rudiments de la poésie. Le morceau se termine sur des bruits qui sont autant de points de suspension, tous les chemins sont ouverts.  

    Thomas Cole / The Arcadian or Pastoral State

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     Etait-il possible à l’époque de Thomas Cole d’évoquer les différents stades de l’Humanité sans être influencé par les représentations de l’Antiquité Gréco-romaine ? L’Arcadie a réellement existé, elle était située dans la partie montagneuse du Péloponnèse, plus tard elle passera en partie sous la domination de Sparte. Mais nous sommes déjà dans l’Histoire officielle. Les Grecs eux-mêmes eurent très vite une vision mythique de l’Arcadie, elle était le pays idéal qui avait trouvé le parfait équilibre entre les bienfaits libertaires de la vie naturelle et les agréments procurés par les toutes premières institutions sociétales. Aujourd’hui nous inspirant de la boutade d’Alphonse Allais nous dirions que les arcadiens avaient réussi à transporter la tranquillité de la vie campagnarde dans de minuscules localités à dimension humaine. L’âge d’Or en quelque sorte. Plus pessimiste Karl Marx y verrait plutôt la gestation de la partition classiste engendrée par la spécialisation des individus, ceux qui chassent, ceux qui cultivent, ceux qui dansent, ceux qui bâtissent des temples, ceux qui préparent la guerre de conquête… Il est clair que la vision de Thomas Cole reste marquée par l’héritage de la Grèce…

    Arcadian : résonnances en tintements de cloches ou de guimbardes, musique encore plus forte, lourds de promesses sont les fruits arcadiens, à première vue tout va au mieux mais l’on ignore tout de la bête qui sortira de cette période de gésine, dans le brouhaha l’on discerne les rythmes d’une danse joyeuse, les progrès prométhéens de l’Humanité sont immenses, labourages et pâturages, commerces et sciences, pour le bien de tous, mais il faut se méfier des eaux paisibles, quelles monstruosités sont-elles capables d’engendrer en leur sein, certes il semble que par moments le temps suspende son vol, qu’il s’écoule plus lentement, que l’Arcadie aimerait à se figer en elle-même, mais le devenir entéléchique du monde qui est celui de l’Empire, l’emporte en un torrent passionné, la course s’accélère, le fracas terminal est-il de bon augure…

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    Interlude I : deux interludes encadrent le summum de l’Empire, celui-ci de moins de deux minutes synthétise tout ce que le tableau suivant tait, des armes se heurtent, des chevaux hennissent, ce sont les temps de la Conquête, toute la geste guerrière sur laquelle repose la gloire, la force et la majesté de l’Empire.

     Thomas Cole / The Consummation of Empire

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    L’Apogée le titre français habituellement donné à ce troisième tableau rend parfaitement compte de la munificence de l’Empire Romain.   L’influence de la Rome Antique est patente, au premier regard retentit en notre mémoire  la phrase d’Auguste selon laquelle il s’enorgueillit ‘’ d’avoir trouvé une Rome de pierre et d’en laisser une de marbre’’, la profusion marmoréenne architecturale nous brûle les yeux, la puissance de l’Empire - triomphe militaire, navires de guerre, trône de l’ Imperator - est manifeste, en une seule toile Thomas Cole a synthétisé les  siècles impérieux de la capitale du monde, pour la délimiter nous dirons la période qui court de Néron à Marc Aurèle… Tant de fastes et de richesses ne finiront-ils pas par amoindrir les âmes, ce n’est pas le ver qui est dans le fruit c’est le fruit qui se métamorphose en ver, mais personne ne le sait.

    Consummation : barrissements de guitares, éléphants entravés participant aux triomphes des généraux vainqueurs, la musique nous en met  plein la vue et les oreilles, la batterie en deviendrait assourdissante, les guitares claironnent comme les buccins des légions, ce n’ est pas l’éclat intangible de la beauté des monuments que tente de décrire Thumos, mais la puissance inouïe de l’Empire, le faste n’étant que le visage de la force brute et abrupte qui domine le monde, brutalement l’atmosphère change, elle était dominatrice, elle respire le faux-semblant du vide, l’on a envie de s’écrier comme Cavafy dans son poème En attendant les barbares ‘’ Pourquoi cette inquiétude soudaine et ce trouble ? comme les visages ont l’air grave !’’ , pourquoi la musique devient-elle si assourdissante, de quoi a-t-on besoin de se persuader, une cigarette se consume lentement, mais au bout du bout elle vous brûlera les lèvres et peut-être encore plus profondément que vous ne le croyez… quand la confiance en soi s’effondre…

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    Interlude II : commence le second interlude celui de l’effroi inexorable qui glace le cœur et les énergies, un immense tumulte se dirige vers le centre d’Empire.

    Thomas Cole / Destruction

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    Une toile pour synthétiser ce que l’on a nommé les invasions barbares, Rome a bien été pillée en 410 par les troupes d’Alaric mais la Ville n’a pas été détruite… Sur l’ensemble du territoire de l’Empire bien des cités ont été néanmoins saccagées, Thomas Cole a-t-il pensé à la prise de Byzance par les turcs en 1453 dont les remparts furent détruits par les canons de Mehmed II, le fait que deux factions du peuple de l’Empire soient en train de se battre, les couleurs de leurs bannières rouges et  vertes ne sont pas sans évoquer les émeutes qui secouèrent à plusieurs reprises les partisans des équipes ( rouge et bleue ) des cochers de l’Hippodrome de Constantinople, quoi qu’il en soit Thomas Cole nous dresse une scène de grande violence, incendies, viols, pillages, meurtres, guerre civile entre partisans des envahisseurs et des fidèles de l’Empire… Faut-il voir en ces dissensions intestines de la  population une allusion discrète à la partition entre païens et chrétiens – ceux-ci pactisant avec les barbares christianisés - qui précipita la fin de l’Empire… Il est clair que Thomas Cole, vu le milieu cultivé de son époque, ne pouvait reprendre ouvertement les idées défendues par Edward Gibbon dans son livre Histoire de la Décadence et la Chute de l’Empire Romain qui inspira son projet.

    Destruction : gongs d’angoisses, le danger est partout, tempo de convoi funèbre, l’Empire se délite pan par pan, un suaire de finitude s’abat sur la Ville, la Caput Mundi que l’on croyait, même tranchée, immortelle comme la tête de l’Hydre renaissante ne renaîtra plus, les temps de l’inéluctable sont venus, l’on entendait le cri des égorgements, maintenant résonnent la plainte des vents qui parcourent les rues jonchées de cadavres, la Mort repue avance d’un pas lent, elle quitte la Cité, ici il n’y a presque plus personne à tuer, le drame se clôt ainsi, la nouvelle horrifie le monde, elle devient une clameur insupportable, mais elle décroit, plus personne ne l’entend, plus personne ne l’écoute, le monde a-t-il déjà fait son deuil de l’Empire...

    Thomas Cole / Desolation

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    La dernière toile est sans appel, l’Empire est mort, il ne reste que des ruines, un peu comme les vestiges du forum romain, que vous pouvez visiter aujourd’hui, à part que Thomas Cole signale non seulement la mort de l’Empire mais la disparition des hommes. Que veut-il nous signifier ? Nous pourrions lui opposer que depuis des siècles bien des empires se sont écroulés, que partout à leur place d’autres nations les ont remplacées et que l’engeance humaine n’a   cessé de proliférer… Les Empires ne sont-ils pas comme toutes les choses vivantes condamnées à mourir. Certes c’est triste mais pas dramatique, cela reste dans l’ordre des choses… A moins que le terme de désolation ne soit comme un haillon de pourpre discrètement agité pour signaler que la fin de l’Empire est une perte irréparable, qu’il ne s’agit pas seulement d’un cycle parmi tant d’autres qui s’accomplit en naissant, en se développant, en se désagrégeant, en mourant… mais d’une irrémédiable catastrophe civilisationnelle qui remet en question la survie de l’essence de cet animal grégaire qui s’est hissé au statut d’être humain.

    Désolation : comme les rugissements des siècles éteints, la mer de l’oubli monte indéfiniment, le drame revêt une dimension cosmique, ce n’est pas l’Empire qui est mort, c’est l’Homme en tant que lumière intelligente du cosmos, ce qui est grave ce n’est pas la perte mais le fait que plus personne ne s’en souvienne, ne soit capable d’entrevoir ce qui était en jeu dans cette perte, la musique est d’autant plus violente qu’elle est à entendre comme l’ultime tentative à ne pas oublier l’oubli de l’Empire, tout se calme, le son déferle comme ces vagues qui ont recouvert l’Atlantide…

    Thomas Cole, Thumos, Nous, et Moi…

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             En peignant ses cinq toiles Thomas Cole ne s’est pas dit qu’il tenait un sujet particulièrement intéressant. Lui le peintre paysagiste, art considéré comme mineur, élevait son statut, grâce à ces cinq tableaux  il inscrivait son nom dans ce qui était honoré à son époque comme le plus haute sommité catégoriale à laquelle pouvait atteindre un peintre, celle de la peinture historique, le géographe changeait de statut, il devenait historien, c’est ainsi que l’ont compris ses contemporains.

             Il n’en était rien, The Course of Empire est un acte politique, au début du dix-neuvième siècle l’Amérique prenait conscience de sa puissance, le mercantilisme libéral devenait l’idéologie des élites, le pays était considéré comme un immense gisement à exploiter au plus vite, en commençant par l’extermination des peuples indiens… L’Empire américain en était encore à ses premiers pas, mais la route qu’il empruntait notamment sous l’injonction du président Andrew Jackson ( l’idole de Trump ) n’était pas selon Cole le bon chemin, ses tableaux sont un avertissement, une démonstration historiale adressée au peuple américain, dans un premier temps l’asservissement impérialiste des nations limitrophes apportait certes puissance et richesse, mais cette politique prédatrice était destinée un jour ou l’autre, un siècle ou l’autre, à se retourner contre elle et à la mener à la ruine…

             Sorti le quatre juillet, fête de l’Indépendance, de cette année The Course of Empire de Thumos participe d’une même gestuelle politique, elle invite tout un chacun, les Américains en premier, à réfléchir sur la nature de la politique (intérieure et extérieure) menée par les Etats Unis…  Pour faire le lien avec le précédent opus de Thumos, The Republic, exposition et méditation sur l’ouvrage de Platon, le groupe nous demande cette fois-ci à nous interroger sur la notion de République et ce pourquoi et comment elle est emmenée à se transformer ( progrès ou dégénérescence ) en Empire…

             Nous autres européens, outre le fait que nous ayons tout de suite eu le réflexe de considérer Thumos comme un groupe essentiel, et ce dernier opus nous le confirme, nous pouvons nous interroger sur les soubresauts politiques et militaires qui agitent depuis quelques mois notre continent…

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             Quant à moi, je ne saurais que vous recommander de lire les Poèmes de Constantin Cavafy, traversés, articulés sur ce que les Grecs désignent par l’expression : la grande catastrophe.

    Damie Chad.

     P.S. : à la rentrée nous nous pencherons sur Spaceseer qui a collaboré à cet enregistrement.