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CHRONIQUES DE POURPRE 705 : KR'TNT ! 705 : TAV FALCO / FORTY FEET TALL / VIVIAN PRINCE / BOB STANLEY / GREENHORNES / AEPHANEMER / CLAIRE HINKLE / AC SAPPHIRE / ELVIS PRESLEY / GENE VINCENT + GRAHAM FENTON

KR’TNT !

KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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LIVRAISON 705

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR’TNT KR’TNT

09 / 10 / 2025

 

TAV FALCO / FORTY FEET TALL

VIVIAN PRINCE / BOB STANLEY

   GREENHORNES /AEPHANEMER 

CLAIRE HINKLE / AC SAPPHIRE   

ELVIS PRESLEY

    GENE VINCENT +  GRAHAM FENTON

 

 

Sur ce site : livraisons 318 – 705

Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

http ://kr’tnt.hautetfort.com/

 

Wizards & True Stars

- Tav & ses octaves (Part Five)

 

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         Oh ! Une page sur Tav Falco dans Uncut ! Ça par exemple ! Il existe encore un canard qui sait faire son boulot ? La preuve en est. Une page, bon c’est pas grand chose, mais c’est déjà mieux que le que-dalle dont nous gratifient les zautres zozos. C’est tout de même dingue que les canards n’aient aucune considération pour des artistes aussi capitaux à notre époque que Wild Billy Childish ou Tav Falco. On vit dans ce monde et il faut faire avec.

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         La petite Fiona Shepherd n’y va pas de main morte : «Philadelphia-born, Arkansas-raised, Memphis-bred and now Bangkok-based, the pompadoured polymath has rubbed creative shoulders with producer Sam Phillips, artist Jean-Michel Basquiat, photographer William Eggleston and filmmaker Kenneth Anger in his time.» Voilà qui définit bien cet apôtre de Fantômas, désormais coquet Bangkokais. Tous ceux qui suivent Tav depuis le Magnolia Curtain savent qu’il s’enracine à la fois dans le rock et la littérature, ou pour le dire autrement, dans l’art et le mythe. La petite Fiona qui a bien révisé ses leçons établit très vite le lien avec l’autre mamelle de la modernité Memphistophélique, Alex Chilton, et donc la formation de The Unapproachable Panther Burns - a mix of strutting blues, blasting rockabilly, crooner cover and Argentine tango - et pouf, elle rappelle que Tav danse parfois le tango sur scène. Puis elle en vient au fait : la parution de Desire On Ice, un ambitious retooling de ten songs from his back catalogue, avec une sacrée guest-list de friends and fans : et les voilà dit-elle qui font la queue for the cool cat’s garment. Elle ajoute que Tav chante désormais avec un weathered Harry Dean Stanton-like timbre.

         Petite cerise sur le gâtö, Tav répond à quelques questions, l’occasion pour les affidés de renouer avec sa langue si somptueusement singulière. Quand on lui demande comment il a sélectionné les 10 cuts de Desire, il répond : «Desire On Ice explores thematic areas and seeks to define and heighten collusion with our audience who have also evolved.» Puis la question porte sur le choix des invités, et là, Tav s’en donne à cœur joie : «Charlie Musselwhite tactily understands how I came to the experimental from the traditional. All I do with clichés is rub them together until they explode. Bobby Gillespire has expressed a certain kindship with our stance in not allowing professionalism, media market constraints nor vistuosity to get in the way of hurling ourselves into the future.» Puis la petite souris lui demande comment se passe la vie à Bangkok et là notre coquet Bangkokais exulte : «South of Bangkok on Wong Arnat Beach is where I hang my hat. Here, under the clement skies of the Royal Kingdom of Siam, I can ride my motorbike everyday - that and jumping in the ocean to blow off some steam.» Elle termine sur le tango et Tav lui balance ça : «Tango is an addiction. There is a milonga in Bangkok where I dance.»   

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         Le Desire On Ice qui nous tombe du ciel ressemble plus à un carnet mondain qu’à un album de rock. On y retrouve toutes les légendes de l’Ouest, Kid Congo, le Reverend Horton Heat, Chris Spedding, Jon Spencer, Charlie Musselwhite, Bubba Feathers, Bobby Gillepsie, Boz Boorer et des tas d’autres. Tav recycle ses vieux classiques et on tombe immédiatement sous le charme de son vieux «Gentleman In Black». Il chante d’une voix fatiguée, mais t’as le beat des reins derrière, c’est-à-dire le Memphis Beat - There is a gentleman in black/ He travels alone - C’est Fantômas in Memphis. Tu retrouves Sped dans «Cuban Rebel Girl» et ça brasille aussi sec de génie sonique. Tav mène encore la danse à son âge. Quelle leçon de rock, avec ce dingue de Sped dans le son - Machine gun fire ! Cuban rebel ! - C’est du Memphis beat tentaculaire, maintenu de justesse en laisse. Jon Spencer gratte ses poux dans «Sympathy For Mata Hari», tu l’entends dans le filigrane, il fond son Zebra Ranch raunch dans le génie de Tav. C’est monté sur un drive digne des Cramps. Tu te croirais dans «Miniskirt Blues». Bubba Feathers se fond dans le culte de «Vampire From Havana», et Bobby Gillespie dans celui de «Doomsday Baby» qui sonne un peu comme le Velvet à Memphis. Tout ce mélange finit par donner un album totalement mythique. Puis ça va baisser en intensité, même si avec sa voix de vieux crabe, Tav porte «Crying For More» à ébullition. Pete Molinari duette avec Tav sur «The Ballad Of Rue De La Morgue». Curieux mélange de voix. Ça duette dans les arcanes de la cabane. Petit détour par cette Mitteleuropa chère à Tav avec «Garden Of The Medicis» et on le voit expirer ses exhalaisons de Shan/ Haïïïïïï dans «Lady From Shanghai». Tav Falco est le dernier descendant d’une lignée de prodigieux artistes décadents.

         Le gentleman in black conclut son brillant texte de présentation ainsi : «There are mysteries that should remain mysteries and ought not be looked back upon unless like the musician Orpheus emerging from the underground they became frozen in stone. Rather those mysteries are to be re-envisioned and hurled into the future.» Il adore hurler dans le futur. Il a fait ça toute sa vie.

Signé : Cazengler, Torve Falcon

Tav Falco. Desire On Ice. Frenzi 2025

Fiona Shepherd : Tav Falco. Uncut # 343 - October 2025

 

 

L’avenir du rock

 - Les fortiches de Forty

 

         N’allez pas croire que l’avenir du rock croise toujours les mêmes erreurs. Ce serait même une grave erreur que d’aller penser ça. Parfois, des erreurs s’amènent au loin et semblent flotter dans l’air comme des fantômes. Dans ces cas-là, l’avenir du rock commence par se pincer pour chasser toute idée d’une hallucination. L’erreur approche. L’avenir du rock le reconnaît :

         — Oh, mais vous zêtes Chucky Chuckah ! Que me vaut le plaisir ?

         — Forty Days !

         — Ouatte ?

         Alors Chucky Chuckah se met de profil et fait le duck walk en chantonnant :

         — I’m gonna give you forty days to get back home/ I’m gonna call up a gypsy woman on the te-le-phone !

         Et il s’éloigne en continuant de faire de duck walk jusqu’au moment où il disparaît à l’horizon.

         Quelques jours passent, et tiens, en voilà un autre. L’erreur flotte lui aussi dans l’air brûlant, alors l’avenir du rock se pince.  

         — Oh, mais vous zêtes Stevie Marriott ! Que me vaut le plaisir ?

         — Forty Days In A Hole !

         — Ouatte ?

         Et là Stevie Marriott se met de profil et fait le duck walk en chantonnant :

         — Chicago green/ Talkin’ bout red libaneeese/ A dirty room/ And a silver cok’ spoon !

         Et il s’éloigne en continuant de faire le duck walk jusqu’au moment où il disparaît à l’horizon.

         Ils sont bien gentils, les erreurs, se dit l’avenir du rock, mais ils n’ont pas l’air de tourner bien rond. Bon en voilà un autre... L’avenir du rock le reconnaît et se pince :

         — Oh, mais vous zêtes Stan Webb de Chicken Shack ! Que me vaut le plaisir ?

         — Forty Blue Fingers !

         Alors Stan Webb se met de profil pour faire le duck walk, mais l’avenir du rock l’arrête immédiatement :

         — J’en ai ras le bol de vos turpitudes ! Si vous voulez du vrai Forty, alors écoutez Forty Feet Tall !

 

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         Il s’appelle Cole Gann, et son groupe Forty Feet Tall. Tyva en confiance. Et t’es pas déçu. Au contraire. Encore un groupe qui brille d’un éclat particulier dans les ténèbres de la cave. Nouveau joyau de l’underground. Des Esseintes aurait adoré l’éclat perverti de ce joyau, le suc concret, l’osmazôme de ce rock. Cole Gann est un kid de Portland, Oregon, qui se tient bien doit derrière son micro avec une gratte en bandoulière, et dès l’entrée en lice, on le sent déterminé à vaincre. Il bouillonne

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d’une énergie exacerbée qu’il parvient à peine à dominer, ses jambes tremblent alors qu’il hache son chant menu, on sent en lui monter une éruption. Le petit Cole est une bombe atomique en voie de champignonner. On croit voir en lui la réincarnation de l’early Tom Verlaine, il a ce genre de classe et d’absolu sang-froid. Franchement, on est bien content d’assister à cette réincarnation en direct. Mais l’illusion Television ne dure qu’un temps, car Cole et ses amis en pincent plus pour ce que Gildas (hello Gildas) appelait la Post et que les autres appellent le post-punk, un genre musical

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 relativement abandonné de Dieu. Mais Cole adore ça. Le côté dépenaillé, raw to the bone, pas aimable du genre lui va comme un gant. Il s’y prête avec une placidité échevelée, il a tellement d’énergie qu’il surmonte les faiblesses du genre pour se transformer en petite dynamo hors de contrôle. Il déroule ses cuts avec une vélocité véracitaire qui finit par rafler tous les suffrages. À un moment il s’arrête de chanter pour gueuler «Fuck Tromp and free Palestine !». C’est comme s’il mettait le feu à la

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Sainte-Barbe ! La cave se met à sauter partout. L’underground fait la fête. Tu crois rêver. Tout bascule dans le manège-à-moi-c’est-toi, dans la féerie d’un autre pâté de foi, dans le charivari du Cap Horn, dans le pousse-toi-de-là que-je-m’y-mette, ça fonce au droit-dans-le-mur, vive la vie vive la mort, et notre roi frénétique finira par poser sa gratte pour finir à genoux au beau milieu d’une assistance entrée elle aussi en éruption. Cole est un showman en herbe destiné aux plus hautes fonctions, il a tout les atours d’une superstar de l’underground. Et c’est pas tout : ce petit mec est tellement génial qu’il vient te parler après le concert. Oui, il vient te parler à toi !

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         On ramasse bien sûr leur album au merch, le très post-punk Clean The Cage.

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En studio, ils sont encore plus exacerbés que sur scène. Ils déploient tout l’arsenal de la Post dès «Centipede» et s’exacerbent encore plus avec le violent «Bicep». Cole Gann splashe partout, il est plein d’hargne salutaire. Tout le balda s’enfonce dans la Post et dans cette exubérance si particulière. Il vise souvent l’hypno invertie, mais ce n’est pas facile. En B, tu vas tomber sur un «Wisdom Teeth» plus éthéré, plus ouvragé. Tu perds toute l’effervescence du set à la cave. Et le «Safer» qui suit est plus groovy, au point de vraiment renouer avec Television. Cole est ses amis remontent au sommet de leur power avec «Paystub», mais on a déjà entendu ça mille et mille fois chez Jesus Lizard, chez les Fire Engines ou chez Protomartyr. Et ça se termine en beauté avec le morceau titre, qui ressemble au champignon atomique de la Post. Ça vibre bien, à condition bien sûr d’en pincer pour la Post. Mieux vaut voir le groupe sur scène.

Signé : Cazengler, Forty Feet Tare

Forty Feet Tall. Le Trois Pièces. Rouen (76). 26 septembre 2025

Forty Feet Tall. Clean The Cage. Le Cepe Records 2025

Concert Braincrushing

 

 

Wizards & True Stars

 - Un Prince parmi les princes

 

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         La nouvelle vient de tomber sur nos téléscripteurs : Vivian Prince a cassé sa pipe en bois. Où et à quel âge, tout le monde s’en fout. Par contre, il est essentiel de se souvenir que Vivian Prince fut le premier batteur fou des Pretty Things. En 1964, il était déjà un Prince parmi les princes, enfin, les princes qui nous intéressent. Pour lui rendre un dernier hommage, nous extrayons des Cent Contes Rock un texte qui le met en scène en compagnie de Kim Fowley, PJ Proby, Johnny Dee et Vince Taylor. L’histoire racontée ici s’appuie sur des faits réels, tels que révélés par Kim Fowley.

 

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         Au début des années soixante, Kim Fowley grenouillait déjà dans le music business californien, en tant que producteur indépendant. Il avait à son actif trois hits dans les charts américains, une belle référence. Il rêvait d’entrer dans une grosse maison de disques. Un boss à cigare l’envoya sur les roses, malgré son fantastique palmarès. Kim le prit très mal, mais ce gros porc lui rendit service. Kim jeta ses cravates, ses costumes et ses sourires convenus aux orties. Il se laissa pousser les cheveux et devint un rock’n’roll animal. Il pouvait péter, bander, roter, hurler, cracher tant qu’il voulait. Il décida d’aller baiser des putes à Londres, car c’est à Londres que se jouait l’avenir de l’humanité, en ce printemps 1964.

         Comme de nombreux Texans, James Marcus Smith voulait vivre de sa musique. Il décida d’aller tenter sa chance en Californie. Il proposait un choix de chansons de Johnny Cash. Un quatuor d’agents hollywoodiens s’intéressa au Texan et lui suggéra de se rebaptiser PJ Proby et d’aller à Londres, à la place d’Elvis. En effet, le public anglais réclamait le King qui ne daignait pas traverser l’Atlantique.

         — Tu feras un parfait Elvis, mon garçon. Tu vas faire fortune en un rien de temps ! Tiens, signe là.

         PJ Proby habite une belle maison à Knightsbridge mews, au Sud de Londres. Il abrite sous son toit de charmants amis anglais : Vivian Prince et Jimmy Phelge. Vivian Prince est un personnage discret, lorsqu’il ne boit pas. Il est encore très jeune, mais il traîne déjà derrière lui une réputation sulfureuse. Il coiffe la couronne fort prisée de roi des lunatiques. Il tient accessoirement le rôle de batteur fou dans les Pretty Things et veille à rester incontrôlable. Vivian dort sous l’escalier.

         Ami intime des Rolling Stones, Phelge pourrait lui aussi prétendre à la couronne. Il préfère explorer les mondes intermédiaires. Il dort dans une petite niche aménagée dans l’entrée et aboie chaque fois qu’une fille passe. PJ Proby, que ses amis surnomment déjà Probyte, occupe la grande chambre du premier. Il y défile tout ce que Londres peut compter de jeunes filles en mal d’amour. Kim est bienvenu dans cette charmante demeure. Il hérite de la banquette du living-room.

         — Trinquons à notre avenir, mes amis...

         — Merci de ton accueil, Probyte. Nous allons secouer la vieille Angleterre... Nous sommes les quatre cavaliers de l’Apocalypse !

         Vivian Prince siffle plusieurs verres et tombe de son tabouret en rigolant.

         — Dis-moi, Probyte, pourquoi Vivian n’habite pas avec ses copains des Pretties ?

         — Quoi, Kim, tu ne sais donc pas que Phil lui interdit l’accès du 13 Chester Street ? Vivian adore semer le vent, mais il adore surtout récolter la tempête, tu vois ce que je veux dire ? Par contre, les autres Pretties sont des gens paisibles, lorsqu’ils ne sont pas sur scène.

         PJ ignore quelques détails. Les Pretties organisent des batailles navales, au 13 Chester Street. On remplit le living-room d’eau sur environ un mètre de hauteur et on monte à bord de petites barcasses volées à Hyde Park. On y fume du hash, on y boit du brandy et on s’y bat à coups de pagaies.

         — En attendant, Viv est le meilleur batteur de Londres. Moony lui doit tout.

         — Moony ?

         — Quoi, Kim, tu ne sais pas qui est Moony ? Le batteur des Who ?

         Kim observe le Texan. C’est un sacré gaillard, un type bien bâti. Il offre aux regards l’agréable spectacle d’un visage carré agrémenté d’yeux clairs et d’une coupe Beatles.

         — Probyte, tu chantes bien, mais ça ne suffit pas. Tu devrais soigner ta publicité !

         — J’ai déjà des affiches et le meilleur groupe de Londres...

         — Ça ne suffit pas, Texan... Raconte partout que ta bite est plus grosse que celle de Mick Jagger. Les Stones ne sont pas de taille à lutter contre toi...

         — Quel con ce Kim, ha ha ha ! T’as vraiment du génie... Ah ouais, quel coup !

         Depuis son arrivée à Londres, PJ Proby a effectué un parcours fulgurant. Il est devenu le rival direct de Tom Jones. PJ est un showman remarquable. Big Jim Sullivan et Bobby Graham l’accompagnent sur scène. Autant dire la crème de la crème. Kim flaire les gros coups. PJ en est un.

         — Probyte, tu sonnes comme Elvis accompagné par les Yardbirds et une section de cuivres !

         On sonne à la porte.

         — Kim, vas ouvrir puisque tu es en tenue de soirée...

         Kim se lève. Il porte un slip dans lequel il a découpé un trou sur le devant pour sortir sa bite. Avant d’ouvrir, il se branle un peu pour la durcir. Anna the Potato Girl fait son entrée dans le salon.

         — Salut, Anna, tu vas bien ?

         Probyte se tourne vers Kim pour lui donner une explication :

         — Viv est parti faire cuire des patates. Phelge les enfournera encore tièdes dans son vagin et après tu pourras la tirer. Tu vas voir, c’est assez excitant... On sonne encore. Kim va ouvrir. Il tombe sur un type coiffé d’un chapeau de cowboy et vêtu d’une combinaison d’aviateur. Une Cadillac décapotée est garée sur le trottoir.

         — Hello, I’m Johnny Dee, et il entre.

         À son tour, il fait son entrée dans le salon. PJ fait les présentations :

         — Johnny, je te présente Kim Fowley. Il arrive d’Hollywood. C’est un grand producteur, certainement le plus grand découvreur de talents du siècle... Je n’exagère pas...

         Johnny Dee esquisse un petit sourire en coin. Son regard glisse sur le slip troué de Kim.

         — Very funny... Vous êtes tous habillés comme ça, à Hollywood ? Phil Spector aussi ?

         Viv revient dans le salon avec une casserole fumante.

         — Oh Johnny, tu es là ? Je ne t’ai pas entendu arriver. Hey Kim, c’est Johnny qui a écrit «Don’t Bring Me Down» et «Midnight To Six Man» pour les Pretty Things !

         — Wooow ! Quels tubes, Johnny ! T’es aussi bon que Chucky Chuckah et Bo Diddley !

         Johnny se sert un grand verre de brandy et s’adresse à PJ :

         — Vince Taylor est de passage à Londres. Il tient absolument à te rencontrer, PJ !

         C’est encore l’époque où les rockers, poussés par la curiosité, se rencontrent pour faire connaissance et échanger des idées. Johnny sirote son brandy.

         — Je l’ai rencontré tout à l’heure au 2 i’s bar. Il ne va pas tarder... Je lui ai donné ton adresse.

         Phelge enfourne sa première patate. Anna hurle :

         — Aïe ! C’est trop chaud !

         — Ferme ta gueule, Anna ! Ça refroidira vite, là-dedans !

         On frappe à la porte. Kim file ouvrir. Vince Taylor est d’une beauté prodigieuse. Deux grands épis détachés de l’immense pompadour tombent sur un front pommadé. Sous ce front très haut pétillent deux yeux bruns bien écartés du nez et un sourire viril orne cette mâchoire de boxeur. Il porte une épaisse chemise en cuir au col relevé et ouverte sur le poitrail. Passée sur l’encolure, une grosse chaîne luit et un médaillon la leste. Vince porte aussi des gants de cuir. Il brandit une chaîne de vélo qu’il fait claquer contre le bois de la porte. Il toise Kim qui le domine d’au moins cinquante centimètres. Vince s’approche et commence à le flairer :

         — T’es dans le rock, baby ?

         — Je suis Kim Fowley, légendaire producteur d’Hollywood.

         — T’as une belle queue, pour un producteur... Vince tend la main et la soupèse.

         — Pas mal. Tiens, regarde la mienne. Joli morceau, hein ?

         — C’est quoi, ce tatouage sur ta queue, Vince ?

         — Une Cadillac. Les filles adorent ça. Quand je les enfile, elles chantent Bande New Cadillac, hé hé hé. Je viens voir PJ Proby. Il est là ?

         — Entre, il t’attend.

         Vince Taylor avance d’un pas ailé. Il débouche dans le salon et dévisage les gens présents un par un. Viv maintient Anna au sol. Elle est bâillonnée. Phelge lui enfourne encore des patates. Johnny Dee interpelle le nouveau venu :

         — Tu es producteur, toi aussi ? 

         — Je suis Vince Taylor, cow-boy...

         — Alors pourquoi tu as la queue à l’air ?

         Kim intervient :

         — C’est l’essence du rock, Johnny. Sans queue et sans les trous poilus des dirty bitches, le rock n’a pas de sens. Le rock de Little Richard a l’odeur du sperme. D’ailleurs, Probyte, tu devrais sortir la tienne sur scène. Regarde bien Vince Taylor ! Avec sa queue à l’air, il incarne l’esprit du rock’n’roll mieux qu’aucun autre...

         Phelge colle une baffe à Viv et lui braille :

         — Arrête de manger les patates !

         — Tu vois bien qu’on peut plus en mettre, connard !

         Viv frappe Phelge d’un coup de casserole. Bong ! Phelge s’écroule, KO.

         — On ne frappe pas Vivian Prince, fucking psychopathe ! Même s’ils m’ont viré pour mauvaise conduite, les Hells Angels de Londres ne m’ont jamais frappé !

         Anna en profite pour arracher son bâillon.

         — PJ, dis à ces deux tarés de me foutre la paix ! Regarde dans quel état ils m’ont mise !

         Viv la replaque au sol et s’écrie :

         — Tout le monde à table. La soupe est servie !

         Kim y va le premier. Il enfile sa queue dans le vagin rempli de purée chaude.

         — Wow ! I’m an animal man !

         Il éructe et chante. Il pousse d’horribles grognements.

         — Werewolf dynamite ! Uuuuh ! I’m a nightrider, yeah ! I’m the outlaw superman, the hound dog savage ! Rrrrhhhaaaaa ! I’m baaaaaaaaaad !

         Anna se débat puis finit par se calmer. Elle se met elle aussi à pousser des cris de bête. Viv lui enfonce une patate dans la bouche. Elle la recrache dans le visage de Kim. Il s’essuie les yeux, lime de plus belle et lance d’une voix de stentor :

         — Hot rod patato and the rock’n’roll ride, yeah !

         Vince Taylor plonge son regard dans l’eau bleue du regard de PJ Proby. C’est la rencontre des géants aux pieds d’argile. Ils s’observent longuement. Vince s’approche de PJ et lui serre la main.

         — Assieds-toi, Vince.

         — J’aime bien ce que tu fais, PJ. Londres est à tes pieds. Tu devrais venir jouer à Paris. Le public est bon, là-bas. Ils m’adulent...

         Kim a fini. Johnny Dee se lève et baisse la fermeture éclair de sa combinaison pour sortir sa queue. PJ sert un verre de brandy.

          — Tu veux des glaçons, Vince ?

         — Non, merci.

         Kim se laisse tomber dans la banquette. La purée commence à sécher sur son visage. Il pose la main sur la cuisse de Vince.

         — Hey Vince, tu ressembles terriblement à Rod Lauren, ce rocker en cuir noir signé par RCA en 1960...

         — Enlève ta main... Elle est pleine de purée...

         Pour détendre l’atmosphère, PJ demande :

         — Dis-moi, Vince, pourquoi n’es-tu pas encore allé détrôner Elvis à Las Vegas ?

         Vince Taylor se tourne vers PJ et lâche d’une voix sourde :

         — Elvis est le king, mais moi je suis Dieu... Je n’ai pas besoin d’aller là-bas...

         Johnny Dee revient la queue à l’air et interpelle PJ :

         — Tu peux y aller, mec. La place est encore chaude. Est-ce qu’il y a un torchon dans la cuisine ? Regarde-moi ça, j’ai la queue bardée de purée...

         PJ se lève, défait les boutons de son pantalon en cuir et sort son bâton de maréchal.

         — Je vais tirer un coup. Bouge pas, Vince, je reviens dans deux minutes.

         Kim gratte les petites croûtes de purée qui parsèment son visage.

         — Vince, ce que tu viens de dire est important, mais il faut le prouver. Quand je dis que je suis le plus grand producteur américain, je le prouve. J’ai amené les Hollywood Argyles, B.Bumble and the Stingers et les Murmaids au sommet des charts américains. Et ceux que j’ai repérés ici à Londres seront bientôt superstars ! Et toi, comment feras-tu pour prouver que tu es Dieu ? Les gens vont te prendre pour un charlatan. Fais gaffe, Vince...

         Vince Taylor tend le bras. Il pointe un doigt ganté de noir vers la cheminée du salon. Une énorme crevasse se dessine lentement au-dessus du tablier et court jusqu’au plafond.

         — Ça te va ?

         Kim fait la moue.

         — Trop facile... L’immeuble est ancien...

         Vince pointe le doigt sur le gros buffet installé près de l’escalier. Les deux portes s’ouvrent en grinçant et se mettent à claquer.

         — Alors, tu es convaincu ?

         — C’est un vieux truc de magicien, j’en fais autant...

         Vince pointe le doigt sur Johnny Dee qui revient de la cuisine. Johnny s’élève doucement et se retrouve collé au plafond. Il se met à hurler :

         — Arrêtez vos conneries ! Faites-moi descendre !

         Vince se tourne vers Kim :

         — Tu me crois maintenant ?

         Johnny s’écrase au sol. Kim se gratte le menton.

         — Je ne vois pas encore où est le truc, mais je vais trouver. Tu commences à m’épater, Vince. Tu en as encore, des tours de magie ?

         Vince pointe le doigt sur Viv occupé à enfourner une énorme patate dans la bouche d’Anna qui se débat. Les patates s’élèvent une à une de la casserole et tournent doucement autour de la tête de Viv qui s’émerveille :

         — Oh, des spoutnicks !

         La ronde des patates s’accélère subitement. Elles tournoient à travers la pièce, montent au premier et réapparaissent par la fenêtre du salon restée ouverte. Vince les guide de son doigt tendu. Elles passent au-dessus de la tête de Kim et filent une par une s’encastrer dans la bouche de Viv restée ouverte.

         — Alors, que penses-tu de ça ?

         — Au cas où tu ne serais pas au courant, Vince, je te rappelle que Dieu a créé des animaux. Il ne s’amusait pas à faire voler des patates dans les salons huppés de Londres. Arrête de me prendre pour un con. Je suis Kim Fowley !

         — Tu veux un animal ? Tu vas en avoir un, yankee !

         Vince pointe le doigt sur le cul poilu de PJ, toujours occupé à limer Anna. PJ se met à hurler :

         — Ah la salope ! Elle me serre la queue avec son vagin. Je ne peux plus bouger, shit ! Arrête ! Lâche-moi, Anna !

         PJ essaie désespérément de s’arracher du ventre d’Anna. Elle se met à hurler elle aussi.

         — Retire-toi, tu me fais mal ! Aïïïïe. Ta queue me remonte dans l’estomac ! Tire-toi de là, maudit connard ! Aïïïïïïïïïïïïïïïïe.

         Anna s’étrangle. Une sorte de champignon sort lentement de sa bouche. Kim s’extasie :

         — Mais c’est le gland violet à Probyte ! Oh shit ! Quelle rigolade !

         Le gland monte encore d’un bon mètre. Anna et PJ gigotent comme des crabes jetés dans l’eau bouillante. Le gland crache une longue giclée de sperme au plafond et pousse un rugissement horrible. Des dents apparaissent de part et d’autre de l’ouverture du méat. PJ se redresse sur ses mains et ses genoux. Anna reste accrochée sous lui. Ils forment ce qu’on appelle vulgairement une bête à deux dos. La bête se met à déambuler dans le salon, suivant un itinéraire que trace Vince à distance.

         — Tu voulais voir Dieu créer un animal. Le voici.

         — Tu l’appelles comment ?

         — Le Probytosaurus Rex.

         Kim éclate de rire et envoie un coup de poing amical dans l’épaule de Vince.

         — T’es vraiment le meilleur, Vince Taylor !

Signé : Cazengler, Vivian Pince

Vivian Prince. Disparu le 11 septembre 2025

 

 

Wizards & True Stars

- Stanley your burden down

(Part Three)

 

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         Lui, on lui donne le bon dieu sans confession. Bob Stanley couvre plus de territoire qu’aucun autre spécialiste de la rock culture. On l’a vu à l’œuvre avec Let’s Do It: The Birth Of Pop, où il explorait jusqu’au délire la musique populaire américaine du début du XXe siècle, celle qui précède Elvis en 1956 et les Beatles en 1963, c’est-à-dire celle de Bing Crosby, de Judy Garland, de Frank Sinatra, de Glenn Miller, de Nat King Cole, de Peggy Lee, et bien sûr, le fameux Great American Songbook. Alors on attaque le tome suivant : Yeah! Yeah! Yeah! The Story Of Pop Music From Bill Haley To Beyoncé.

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         Trois choses frapperont le lecteur qui osera se jeter dans les pages de ce fat Yeah! Yeah! Yeah!  book : un, l’étendue des connaissances de PolyBob. Il est tout terrain et travaille ses portraits comme un orfèvre travaille un bijou, et bien sûr, PolyBob écoute TOUT, car vois-tu amigo, pour parler des groupes, il est préférable de tout écouter. Sinon, tu risques de parler dans le vide, ce que font beaucoup de gens qui ne savent pas encore que «l’érudition» est la cousine germaine de l’exhaustivité, et dans ce mot on retrouve l’exhausted anglais qui signifie «épuisé». L’érudition t’épuise mais tu n’y vois clair qu’à ce prix. Tu ne peux pas baratiner sur Wild Billy Childish ni Smokey Robinson sans avoir écouté tous leurs albums. La connaissance de l’artiste passe par la connaissance de l’œuvre. Cela vaut pour Balzac, Stendhal et Victor Hugo. Les années de ta vie que tu leur as consacrées te rendent bien des services par la suite, car elles te donnent une notion parfaite de ce que signifie le mot ‘œuvre’. Et tu peux l’appliquer aux cadors de la rock culture. Aux cadors de l’histoire de l’art. Aux cadors de l’histoire du cinéma. Tu trouveras plus facilement ta pitance dans l’épaisseur des œuvres que dans les coups de marketing et dans les groupes à la mode.

         Deux, ce qui va te frapper chez PolyBob, c’est son enthousiasme. Il est resté intact, il est resté le fan qu’il devait être à l’adolescence. Certaines de ses pages vibrent et te donnent envie d’écouter ce qu’il préconise, même si tu sais qu’il aime bien la daube electro. PolyBob n’est pas du genre à se rouler par terre avec un clavier. PolyBob est un mec bien peigné, propre sur lui, mais il écrit bien.

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         Et trois, ses books sont vraiment dodus. Yeah! Yeah! Yeah! The Story Of Pop Music From Bill Haley To Beyoncé fait presque 600 pages. Pour rédiger 600 pages qui se tiennent, il faut développer une énergie considérable. On n’en a aucune idée tant qu’on ne s’y est pas frotté. Écrire, c’est développer une énergie de tous les instants, tu tiens ton fil et tu le perds, et avec un peu de chance, tu finis par cultiver un truc qui s’appelle le «bonheur d’écrire». Bon ou mauvais, tu t’en fous. T’écris. Ça devient en quelque sorte ta raison d’être. T’es chez toi. Rien d’autre ne compte. Toute ton énergie y passe. Tout ton temps, aussi. On imagine PolyBob confronté à son sommaire. Torcher 600 pages de haut vol, ça revient à pousser un rocher sur une mauvaise pente. PolyBob c’est Sisyphe, il pousse, et en plus il se tire une balle dans le pied en titrant avec le nom d’une moule à la mode : Beyoncé. Bill Haley, passe encore, mais Beyoncé ! Fuck it, qui va  le prendre au sérieux après ça ? Comme il est âpre au gain, il se dit que le nom de Beyoncé sur la couve va faire vendre. C’est la seule hypothèse qu’on peut formuler pour «justifier» cette faute de goût impardonnable.

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         Bon puisqu’on est au chapitre des fautes de goût, finissons-en : son histoire exhausted de la pop passe forcément par tous les mauvais plans : les Boy bands, la New Wave, la Disco, les Bee Gees, l’electropop, et ça dégénère assez vite dans les années 80 avec l’anéantissement du bon goût : Michael Jackson, Prince, Madonna, et il continue de s’enfoncer avec les Pet Shop Boys et New Order, mais au fond il a raison, tous les noms cités ont été incroyablement populaires. Dans son Part Five, il finit de suicider la culture pop avec la House et la techno, l’Acid House de Manchester, l’Hip Hop, et il tente un ultime regain de vitalité pop avec le Grunge, c’est-à-dire Nirvana, puis Suede et la Britpop, pour finit avec un R&B qui n’est pas celui qu’on croit, mais le R&B à la mode. Donc il faut se farcir tout ça pour essayer de comprendre pourquoi ces artistes ont joué un rôle si important dans l’histoire de la musique populaire. C’est perdre du temps que d’essayer de lire ces pages, car bien sûr, on n’ira jamais écouter la fucking Acid House et encore moins Michael Jackson ou Supertramp. Disons que la démarche de PolyBob est honnête, il ne fait pas un book subjectif, il brasse large et écoute des tonnes de trucs pour en parler.

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         On pourrait ajouter un quatrième point : la pertinence. Ses remarques sont toutes d’une grande pertinence, surtout lorsqu’il évoque nos chouchous, et il en évoque un gros tas, d’Elvis aux Beatles, en passant par Dylan, Motown et les Pistols. On va donner quelques échantillons de cette pertinence, puisque ce book se prête merveilleusement bien aux crises de fièvre citatoire. L’autre aspect flagrant du talent de PolyBob, c’est son humour dévastateur, et la qualité de son style. Quand il rend hommage au Rock’n’Roll Trio de Johnny Burnette, voici ce qu’il balance dans le museau de son lecteur atterré : « It was one sustained howl of sexual obsession and torment, basic and impossibly loud. Flick-knife shrieks and a fuzzed-up, deep two-note guitar linepushed it into territory beyond mere aggro - It was a gueninely frightening record.» Il évoque bien sûr «Train Kept A Rollin’». Sur ce coup-là, il bat Nick Kent à la course.

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         Humour ? Voici ce qu’il dit de Cream : «Their main problem was their total confidence in their greatness - The clue was in the name.» PolyBob sait se montrer mordant. Et à la page suivante, il mord encore plus fort : «The biggest new British name of ‘68, Fleetwood Mac, were altogether more limited than Cream - which was a blessing.» Et crack ! Il se marre bien aussi avec la T. Rextasy : «Unlike Beatlemania, T. Rextasy did not lead to a bunch of Bolan clones. Possibly no one felt they were pretty enough to compete.» PolyBob se fout bien de la gueule de McLaren, lorsqu’il évoque les Dolls, «who looked like Exile On Main Street-era Stones and played a rough, sloppy glam variant that intrigued London clothing store operator Malcolm McLaren enough for him to become their manager.» La façon dont il amène ça est hilarante : le marchand de fringues intrigué ! Plus loin, il tombe sur le râble des post-Syd Pink Floyd, avec «their self-flagellating desire to drift, and the only way they could agree to go forward was by hiding behind pyrotechnics and flying pigs. It seemed like they hated being themselves.» On se demande bien comment un groupe qui a basé son succès sur la trahison a pu devenir aussi populaire. Quand PolyBob décide de rendre hommage à Abba en fracassant leur image, voici ce qu’il balance : «What did we have? A Striking but sulky blonde, a slightly saucier brunette who most of the time looked like sh’ed just baked a cake, and two men - definitely not boys - who were stereotypical seventies uncles.» Et crack. Mais il cite Mick Farren en exergue de son chapitre Abba. Car oui, Abba mérite tout un chapitre chez PolyBob. PolyBob se fend encore bien la gueule avec Joni Mitchell qu’il accuse de manger ses mots en chantant «in a flustered schoolm’am voice that killed their radio friendliness» : «Her best record was The Hissing Of Summer Lawns, which is also maybe the most self-descriptive album title in all pop, apart from Trogglodynamite by the Troggs.» Quand tu lis ça, tu décides de suivre PolyBob les yeux fermés.

 

 

 

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  Concert Sex Pistols : Huddersfield

       Il vole aussi dans les plumes de Linda Ronstadt et du classic rock américain : «At least the UK had gone through glam and prog. America, from its new salad-crunching power base in Los Angeles, had spent all the early seventies creating what became known as ‘classic rock’». Il parle bien sûr du rock FM, le dernier grand fléau de l’humanité. Et quand il se fout de la gueule de Dr Feelgood, c’est terrible : «Singer Lee Brillaux looked a good deal older than his twenty-five years; he was the original Essex spiv, in a gravy-stained white suit, and had the kind of voice you might hear if Ford Cortinas could sing.» Tu te marres tellement que tu tombes de ta chaise, mais tu te relèves aussi sec pour continuer ta lecture. Par contre, il te brise le cœur avec une chute de chapitre, lorsqu’il évoque le concert de charité de Noël 1977, donné par les Pistols, à Huddersfield, Yorkshire - As a showing of solidarity, a small act of charity, outisders playing for outsiders, and the very real power of pop, the thought of it can just about break my heart - C’est là qu’on retrouve l’Auteur, celui qui a tout compris.

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         Tiens, il te balance des vérités vite fait : «There is more rock ‘n’ roll in the three minutes of passionate dishelvement in Barbara Pitmann’s «I Need A Man» than the combined catalogues of Aerosmith and Mötley Crüe.» Crack ! Puis il rappelle que Bill Haley n’est pas cité dans les listes des «prime movers», «which is sad and a little ridiculous.» Il rappelle tout simplement que le vieux Bill a inventé le rock’n’roll - And no one scored a rocking number one before «Rock Around The Clock» turned the music world upside down - Puis il explique que «Rock Around The Clock» vient du jump blues, dont le king était Louis Jordan - fast-talking tales of gals in fox furs and zoot-suited brothers were propelled by boogie-woogie piano and saucy sax solos -  Jordan nous dit PolyBob démarre en 1941, et en 44 il vend un million d’«Is You Is Or Is You Ain’t My Baby», et dans sa foulée déboulent Roy Brown avec «Good Rocking Tonight», Big Joe Turner avec «Shake Rattle & Roll», Wynonie Harris avec «Bloodshoy Eyes» et Stick McGhee avec «Drinking Wine Spo-Dee-O-Dee», et c’est là que Jerry Wexler déclare que ce n’est pas du blues mais du rhythm & blues, et à Cleveland, en 1951, le DJ Alan Freed lance son Moondog radio show en clamant : «Okay kids, let’s rock and roll with the rhythm and blues!» Ces pages prennent feu sous tes doigts, car PolyBob restitue bien le vent qui se lève alors en Amérique et qui va balayer l’Angleterre dans la foulée. Tout repose sur Bill Haley à cette époque, un Bill qui est quasi asthmatique et qui cache son mauvais œil sous une mèche collée, mais avec les Comets, il écrit les premières lois de la pop - Pop’s unwritten laws - They were in the right place at the right time. Bill, nous dit PolyBob, l’a fait quand il fallait le faire.

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         Dans le monde d’aujourd’hui, il existe deux races de gens : d’un côté ceux qui vénèrent Bill Haley et les Beatles, et de l’autre, ceux qui leur crachent dessus. PolyBob rappelle qu’il existe quelques intros qui font monter l’adrénaline dans la seconde. Il cite «the silver chord that opens ‘A Hard Day’s Night’, l’intro du ‘Metal Guru’ de T. Rex, the barely controlled bagpipe glee of the Crystals’ ‘Da Doo Ron Ron’» et bien sûr, à l’origine des temps, «right at the beginning there was the sharp double snare hit, followed by ‘One two three o’clock, four o’clock, rock...’» Les milliers d’Anglais accueillent Bill quand son bateau arrive à Southampton, et là PolyBob reprend feu : «Il attendaient un sun god, l’homme qui nous avait délivré de Vera Lynn. Instead, they got pop’s own Wizard of Oz, Bill Haley was no deity, he was an uncle.» Et en 1967, conclut PolyBob, les Comets étaient devenus une pièce de musée. Bill le héros va finir dans les cabarets et casser sa pipe en bois en 1981 - His heyday was brief but, truthfully, without Bill Haley the rest of this book could not have been written - PolyBob est un auteur qui sait rendre hommage.

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         Il saute aussitôt sur Elvis. Un chapitre entier ! - No one has had the pop-culture impact of Elvis Presley. À l’époque, les adultes n’ont rien compris à Elvis Presley. Il s’est inventé, a true modernist, drawing on the best of everything that surrounded him and making it new. He rose faster, fell further, had the most glorious comeback, and died young, alone in his palace - Et PolyBob balance cette vérité criante : «Elvis has been loved more fiercely than any pop star since.» Tandis que le vieux Bill a mis dix ans a trouver le right sound, «Elvis Presley walked into Sun Studios, Memphis, one day in summer 1954 and did it in a heartbeat.» Bill a tout inventé, mais Elvis aussi - On stage at the Louisiana Hayride, Elvis gyrated, wore a pink shirt and peg slacks. He looked raw, sounded rawer and girls melted - Mais on connaît la suite de l’histoire, qui n’est pas terrible : en 1965, nous dit PolyBob, l’année de Rubber Soul et de «Like A Rolling Stone», le King chantait «Petunia The Gardener’s Daughter». Des millions de kids anglais et américains ne lui ont pas pardonné d’être tombé aussi bas.

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         PolyBob enchaîne bien sur le rockab - the rocked-up itchy hillbilly sound - Voilà que déboulent Sam Phillips et Jerry Lee, qu’on surnomme le Killer pour ce qu’il inflige à son piano. Jerry Lee rappelle qu’il n’existe que quatre stylistes - There’s only been four of us, Al Johnson, Jimmie Rodgers, Hank Williams and Jerry Lee Lewis. That’s your only goddam four stylists that ever lived - Et voilà que dans la vague s’engouffrent tous les outsiders et tous les maniacs d’Amérique, «and the freakiest freak of them all was Little Richard», avec, nous dit PolyBob la bave aux lèvres, son «pounding piano, insane shrieks, unavoidably sexual lyrics». Et puis Chucky Chuckah, et son «look of a card sharp blessed with luck, a brown-eyed handsome man with a cherry-red Gibson and a major thing for cars and girls that he syphoned into super-detailed lyrics. He became the chief correspondent  for young America. Some think he was the most significnat figure in all rock’n’roll; certainly, he was an A-grade innovator.» - Hail hail rock’n’roll/ Deliver me from the days of old - Chucky Chuckah pèse aussi lourd dans l’inconscient collectif anglo-saxon que Shakespeare. Un Chucky qui s’est imprégné de Louis Jordan et de T-Bone Walker, mais qui a transformé ses influences en «motorvating marvels». Ses chansons, glose PolyBob qui est aux anges, «were bright, shiny, very fast, and super-modern. Elles sonnaient comme les ailerons d’une Cadillac. He also wrote some of the best guitar lines ever recorded.»

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         Et Gene Vincent ? T’inquiète pas, PolyBob ne l’oublie pas. Il te cale ça au bas d’une page lourde de conséquences : «His weaselly looks, mop of oil-black hair, and manic smile were hardly a match for Presley’s godlike charisma, but his music was on another plane, unhinged, like a freefom rockabilly.» Voilà qui va beaucoup plaire à Damie. Another plane !

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         PolyBob traverse ensuite l’Atlantique pour nous raconter ce qui se passe en Angleterre avec Tommy Steele et Billy Fury, mais sa prose n’est pas aussi inflammable. Il salue le côté «electrifying» de Tommy Steele on stage et trace un drôle de parallèle entre Elvis et Billy Fury : «If Elvis was all about sex and immortality, then Billy Fury’s appeal was sex and death.» Mais plus loin, il ajoute que «Billy Fury was the blueprint for the British pop star.» Par contre, Vince Taylor sort du rang, «he blew even Billy Fury off stage», et PolyBob relate la période LSD de Vince, en robe blanche dans Paris, devenu Mateus et proclamant à ses derniers fidèles qu’il était le fils de God - Like Billy Fury, he endlessly intrigued the young David Bowie. The legend of long-lost Vince, a forgetten link in the chain, would resurface a little while later in the guise of Ziggy Stardust - Voilà pourquoi il faut lire ce big fat book : c’est une caverne d’Ali-Baba. Tu y retrouves ces milliards d’informations qui font le suc de la rock culture. Et PolyBob a l’extrême obligeance de nous les remettre en scène pour leur redonner de l’éclat.

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         Et là, tu te marres, car tu arrives à la page 40 et t’as déjà vu défiler tous les cracks du boom-hue : Bill Halley, Elvis, Jerry Lee, Chucky Chuckah, Little Richard, Gene Vincent et Vince Taylor. Il y en a d’autres bien sûr, Bo Diddley, Buddy et Eddie, mais nous n’avons pas la place. Ces 40 premières pages sont de la dynamite. PolyBob écrit comme un fan en pleine crise d’hystérie.

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         Il tente de rallumer de l’intérêt pour Del Shannon. Pas facile. Apparemment, le seul qui se soit passionné pour le Del, c’est le Loog qui l’emmena en studio à Londres pour enregistrer Home & Away en 1967. Son «Runaway» date de 1961 - It was, and remains, the ultimate fairground anthem - le hit des fêtes foraines. Avec «Étoile des neiges/ Mon cœur amoureux», serait-on tenté d’ajouter. PolyBob évoque les peurs et les démons qui hantaient le pauvre Del. Mais en 1961, il était une superstar aux États-Unis, «elevated to the level of Orbison, Dion and Pitney.» Il cherchait la paix dans son verre de whisky. Il allait relancer sa carrière avec les Travelling Wilburys quand il se suicida en 1991 - But Del Shannon, king of pain, was truly one of pop’s heavyweight champs - C’est drôle, l’attachement que PolyBob porte au Del. On a fait l’effort d’écouter tout le Del et ce n’est pas aussi convaincant que veut bien le dire notre ami PolyBob. On va y revenir, car Del Shannon reste une sacrée énigme. 

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         Hop ! PolyBob saute aussitôt sur Totor et Joe Meek, avec un chapitre qu’il titre : ‘Walk with me in paradise garden’. Il n’y va pas de main morte, le PolyBob : «Joe Meek was Britain first  record producer. He could be described as the first record producer in the world.» Et crack, c’est bien envoyé et c’est d’une justesse remarquable. L’obsession de Meeky Meek est de faire sonner les «records more exciting - and more commercial - with a little mechanical manipulation.» Et crack : «Le premier disk que Meek a produit fut le straight jazz instrumental «Bad Penny Blues» d’Humphrey Lyttleton, on which he exagerated the low notes on the piano to make it danceable, got the brushed drum to fizz and gave Lyttleton his only hit - the Beatles later pinched its feel wholesale for ‘Lady Madonna’». Voilà une élégante manière de décrire un précurseur - Meek was in love with the future (space travels, satellites), Americana (teen idols and cowboys), and the world beyond - ghosts, death, deceased lovers returning as gardian angels. Il chercha à transcrire ses obsessions with overdubbing, compression, sound separation and distorsion - Meeky Meek est le personnage idéal pour un écrivain de la trempe de PolyBob. Un PolyBob qui se marre bien, ah ouais, on enregistrait les vocaux dans les gogues et les strings dans l’escalier, it should have been a joke ! - C’est tout le contraire : en 1961, il enregistre le «Johnny Remember Me» de John Leyton et le «Tribute To Buddy Holly» de Mike Berry, «two of the best records he ever made.»

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         Et crack, PolyBob embraye violemment sur Totor en nous expliquant un truc fondamental : «L’exacte différence qui existe entre la pop anglaise et la pop américaine se trouve dans la comparaison qu’on peut faire entre les productions de Meek et de Spector. Meek accélérait les tempos, worked at a frenetic pace, alors que Spector était panoramique, as big as Meek’s but warmer, more luxurious, il utilisait les meilleurs ingrédients, les meilleurs chanteurs et musiciens de New York et de Californie, alors que Meek les trouvait chez Woolworth. Meek pouvait enregistrer trois singles dans la semaine, mais Spector prenait son temps, il perfectionnait son son.» Puis quand les Beatles et Motown arrivent en 1964, on trouve Totor trop teenage. Alors il fait appel à Barry Mann et Cynthia Weil pour composer avec eux un truc plus adulte : «You’ve Lost That Loving Feeling». Totor et Meeky Meek vont connaître le même sort : l’indépendance de Meeky Meek devient sa malédiction, il produit de plus en plus, mais rien ne sort. Totor va lâcher l’affaire après l’incompréhensible flop de «River Deep Mountain High».

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         La pente naturelle nous conduit droit au Brill Bulding, 1650 Broadway, et à Don Kirshner, the man with golden ears. Il dirige une équipe d’une douzaine de compositeurs qui vont, nous dit PolyBob, redéfinir la modern pop by taking rock’n’roll uptown, en créant ce que Totor appelle des «little symphonies for the kids». PolyBob sort les chiffres : 165 music companies au Brill. On y entend de la musique partout, même dans l’ascenseur. Hommage à Leiber & Stoller, «godfathers of this new, post rock’n’roll writer/producer pop», ils s’installent au Brill en 1957 et pondent des hits pour les Coasters, cot cot ! Ils prennent aussi sous leur aile un petit coco arrivé de Los Angeles : Totor. Ils le laissent bosser avec Ben E. King sur «Spanish Harlem» - an ode to a rose growing up through the cracks in a New York sidewalk - et par conséquent hit éternel. Bizarre que PolyBob omette de préciser que Totor a composé cette merveille inextinguible avec Jerry Leiber. Et puis PolyBob rappelle que «Goffin/King, Mann/Weil and Greenwich/Barry then set about dominating the American and British charts.» Pas pour longtemps. En 1964, on projette A Hard Day’s Night à Manhattan et Carole King est terrifiée. Elle avait raison d’avoir peur, les Beatles allaient TOUT balayer, y compris le Brill.  

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         En tant qu’Anglais, PolyBob consacre une place considérable aux Beatles. Il organise sa pagination pour mettre en scène l’extraordinaire rebondissement que fut l’avènement des Beatles. Il faut dire que les gueules à fuel que nous étions ont eu du mal au début avec les Beatles. Tous ceux qui ont grandi avec Elvis, Jerry Lee, Little Richard, Vince, Gene Vincent et les autres, ne prenaient pas au sérieux ces banc-becs bien coiffés. Et puis on s’est fait avoir comme tout le monde, car les chansons étaient bonnes et John Lennon avait des racines assez pures. On le considérait au départ comme un popster, alors qu’en réalité c’était un rocker, un fan invétéré de Gene Vincent et des autres. Alors pour avancer, il a créé son monde, les Beatles, avec l’aide non négligeable de George, Paul et Ringo. Les Beatles ont ramené ce qui faisait défaut au Brill, «the blatant sex and racing-heart noise that pre-army Elvis had provided.» Et PolyBob reprend feu : «And, just as Elvis had in ‘56, they created a new generation gap. Pre-rock. Pre-Beatles. Overnight, the Brill Building’s craft, sweat, and toil was part of the past. The Beatles’ unscripted naturalism turned the lights on, and Broadway’s neon suddenly looked rather cheap.» Et ça continue sur le même tempo : «Si vous deviez expliquer l’impact des Beatles à un inconnu, il faudrait lui faire écouter l’Hard Day’s Night soundtrack.» On sent que PolyBob se régale en écrivant : «Chaque étape de la carrière des Beatles avait sa drogue : speed (leur période Hambourg et Merseybeat), cannabis (the sleepy Rubber Soul), acid (Revolver and Sgt. Pepper) and Heroin (Lennon’s crack-up on the White Album). With A Hard Day’s Night, the drug was adrenaline.»

 

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Lennon pas sur l'île de Wight 

(Wight Not!)

         Et tout naturellement, PolyBob se pose la question existentielle : «Alors pourquoi eux ? Pourquoi pas Del Shannon, ou les Four Seasons, ou les Beach Boys ? Ça semble être une interrogation stupide, mais elle est légitime. La seule réponse possible est que les Beatles were, literally, miraculous.» C’est PolyBob qui le dit, et il a raison. Il bave même sur les photos les plus ordinaires des Beatles. Il cite l’exemple d’une photo de John Lennon prise au ferry terminal de l’île de Wight - And yet Lennon still looked incredible. He looked like a Beatle - Dans des pages encore plus fascinantes, PolyBob rappelle à quel point «the early seventies was a post-Beatles world.»

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         Et crack, le Beat boom ! Belfast’s Them, le Maritime Hotel, et «Gloria» in Decca’s West Hampstead studio - It’s a dirty, dirty record, and a nervous Decca relegated it to the flip side of «Baby Please Don’t Go» which was scarcely less thrilling - Polybob s’incline encore plus respectueusement devant «Mystic Eyes», «one of the unlikeliest rackets ever to have reached the Top 40.» Et il conclut en traitant les Them de «loudest, most fractuous group since Johnny Burnette Rock And Roll Trio.» Puis coup de flash sur le «Really Got Me» des Kinks, «This was sex and violence in perfect harmony». Hommage superbe aux Kinks : «The Kinks were the rawest, the toughest and - with their sexual confusion and readiness to self-destruct - the most distinctly English of the British R&B groups.»

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         Qui arrive à la suite ? Les Stones, bien sûr, avec un chapter intitulé ‘Who’s driving your plane?’ - Essentially they refused to play the game. Les Beatles et Elvis avaient joué le jeu, l’un chantant pour un chien et les autres smiling at the royal box. Les Rolling Stones ne juraient que par l’anger, dissatisfaction, frustration, and power and they were loved or hated, really hated -  PolyBob salue le Jones’s and Richards’s sharp dual guitar work et l’animal androginy du loose-lipped Jag. PolyBob maîtrise l’art de synthétiser les mythes rock en deux courtes phrases. Arrive «The Last Time» en 1965, on s’en souvient, ça nous carillonne encore aux oreilles - It was an incredible sound for a group from Kent - car enregistré au studio RCA de Los Angeles, avec l’assistance de Jack Nitzsche, «with Keith Richards relentless spiraling hook sucking you in. From now on, they were unstoppable.» En 1967, dans le box des accusés, Keith Richards devient «a counterculture hero. Dressed like a cross between Beau Brummell and a highway robber, he told the prosecutor, ‘We are not old men. We are not worried about petty morals.’». Pouf, il prend une pige dans la barbe. Heureusement, l’éditorial du Times lui sauve la peau. Puis le Loog et le Jag divorcent. Their messianic trip was over. Et PolyBob te balance cette phrase qui n’en finit plus de le faire monter dans ton estime : «Regrouping, the Stones got back to basics in ‘68, ditched the drug-addled Jones and Oldham, and lost their adventurous streak.» PolyBob veut dire que les Stones ont perdu leur âme. On l’a clairement senti après Let It Bleed - To a large degree, they became a different group in the seventies. Jones parti, ils n’utilisaient plus de sitar, plus d’ocarina, plus de tablas. Oldham parti, they gradually became a self-parody. The Stones of the mid-sixties had been an amazing focused pop group, disobeying their mentor’s number-one rule, they became predictable. Ça vaut largement une tragédie grecque. 

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         PolyBob attaque ensuite la Soul. Il commence par le commencement : Sam Cooke. Sur une photo, PolyBob trouve Sam too good to be true : «He looks like someone playing Sam Cooke.» Il lui semble même que Sam vient du futur. En plus, il chante comme un dieu, «a mix of gentility and gospel growl like nobody else, his singing was effortless and intense. He was the original quiet storm.» Cookie vient de Clarksdale, Mississippi. À 21 ans, il a trois copines enceintes. Pas question de reconnaître la progéniture. Il commence par établir les fondations de la Soul music, puis il monte son label SAR, et donc une écurie d’où va sortir Bobby Womack. La première personne que Cassius Clay appelle quand il vient d’envoyer Sonny Liston au tapis, c’est Cookie, et PolyBob ajoute qu’Aretha et Erma Franklin revêtaient leurs plus belles robes juste pour le voir à la télé. Mais la vie privée de Cookie n’était pas de tout repos : sa femme Barbara perdait la tête à cause de son drinking et de son womanizing, et cet été-là (1963) leur fils Vincent se noya dans la piscine familiale. Pire encore : en décembre 1964, Cookie emmène une pute dans un motel et elle se barre avec ses fringues pendant qu’il prend une douche - Half naked and shooting, he scared the motel owner so much she shot him dead - Même la mort se dit mieux en anglais.

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         L’increvable PolyBob embraye aussi sec sur Stax - If Sam Cooke was the voice, then Stax set the template for the sound of soul - Et PolyBob glisse cette nouvelle vérité, affirmant que chez Stax, le sound devient plus important que l’artiste, «a southern equivalent to Spectorsound and the Brill Building.» Puis voilà Atlantic et le trio de choc Ertegun/Dowd/Wexler - All three, like Leiber & Stoller, like Andrew Oldham, were very sure of themselves, their taste, and their ideas on pop culture - Puis PolyBob rend un sacré hommage aux rois de la Chicago Soul, les Dells, qui, dit-il méritent leur place dans ce book, ne serait-ce que pour leur longévité. Formés en 1952, ils ont connu toutes les mutations, depuis le R&B et le doo wop - Leurs chansons were built from a quiet group-harmony base, subtle, almost supper club, until the moment when their baritone Marvin Junior stepped in, and then all hell broke loose - Il faut écouter les albums des Dells, ce sont des bombes atomiques, mais en France, peu de gens sont au courant.

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         De plus en plus intrépide, PolyBob décide de monter encore d’un cran avec Bob Dylan - He was his own planet and, naturally, you desperately wanted to find a way to travel there - Et crack, PolyBob sort ça qui devrait figurer dans les Tables de la Loi du Rock : «Bob Dylan created, for good and ill (c’est-à-dire pour le pire et le meilleur) the modern rock star. On the débit side, he pioneered sunglasses after dark; along with the Stones, he sealed the concept of snotty behavior as a lifestyle - Une fois de plus, les pages prennent feu. PolyBob nous explique à nous qui savons tout et qui ne savons rien que Bob était le saint patron des mauvais chanteurs (non-singers) : «He sang in a voice that was entirely unfamiliar: needling, unsifted, but impossible to ignore.» Mais le pire, c’étaient ses textes. En entendant chanter Dylan, Gerry Goffin eut tellement honte de ses textes qu’il détruisit toutes ses bandes et tous ses acétates. Pour se protéger des ravages de la gloriole, Dylan devint misanthrope. Mais il réinventait le rock - The music he made during this ‘65-66 period was extraordinary - thin wild mercury music, he called it - Avec «Like A Rolling Stone», il atteint un sommet - Dylan peaked and he knew it. By now considered a cross between Elvis Presley and Nostradamus, he had no direction home - Puis pour se débarrasser du poids du monde, il va se mettre à chanter avec une voix de canard. En guise de chute à ce chapitre d’anthologie, PolyBob pond un nouvel axiome : «What is most remarkable about Dylan, and a task not far short, is that he helped America to make sense of itself.»

         Après un gros chapitre sur les Byrds, PolyBob remonte au Nord vers Detroit pour chanter les louanges de Motown. Il serait sans doute plus raisonnable de faire un break et de voir ça la semaine prochaine. Ce n’est pas le moment d’overdoser.

Signé : Cazengler, Stan laid

Bob Stanley. Yeah! Yeah! Yeah! The Story Of Pop Music From Bill Haley To Beyoncé. Norton 2015

 

 

Inside the goldmine

 - Hornes section 

         L’évidence crevait les yeux : Grinord n’aurait jamais pu s’en sortir. Tout petit, il partait du mauvais pied : souffreteux, des yeux qu’on dit «chiasseux», toujours de la morve au nez, le cheveu filasse, la peau ingrate, le corps chétif et une voix plaintive, une cible de rêve pour les grands à l’école qui chassaient en meute. Ils chopaient Grinord dans un coin et lui faisaient avaler des limaces ou lui ouvraient la braguette de sa culotte courte pour y jeter des grosses araignées. Grinord pleurnichait, «vais l’dire à ma mère !», mais il prenait une baffe et pleurnichait de plus belle. L’un des grands l’attrapait par le col pour lui dire que s’il en parlait à sa mère, il allait lui couper le kiki, alors Grinord tremblait de peur. Plus Grinord chialait et plus les grands s’acharnaient sur lui. Ils vidaient son cartable dans une flaque d’eau. Ils donnaient des coups de canif dans son chandail. Ils savaient que les parents de Grinord étaient pauvres et qu’il allait prendre trempe pour avoir abîmé un chandail qui coûtait si cher. Lorsque la cloche sonnait pour entrer en classe, Grinord ramassait ses affaires, les remettait dans son cartable et rejoignait son banc. Comme il reniflait sa morve, l’instituteur lui demandait sèchement de se moucher et Grinord répondait dans un sanglot :

         — Y m’ont pris mon mouchoir, Monsieur Huron !

         — Qui ça, Y ?

         — Les grands du CM1, Monsieur Huron ! 

         — Alors Grinord, tu dénonces tes camarades ? Tu n’as pas honte ?

         Et le pauvre Grinord se remit à sangloter de plus belle, sous les huées de la classe.

         — Ouuh Ouuh le corbeau ! Ouuh Ouuh le corbeau !

         Grinord ramassa en hâte ses pauvres affaires trempées, quitta la classe, referma doucement la porte derrière lui et sitôt dans la rue, il se mit à courir pour aller se jeter dans l’Orne.

 

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         Les Greenhornes ont eu plus de chance que Grinord. C’est encore une évidence qui crève les yeux. Alors que Grinord n’avait pas d’autre choix que d’aller se jeter dans une rivière, les Greenhornes se sont jetés dans une carrière, et quelle carrière ! My Gawd !

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         Et si Craig Fox était l’un des plus puissants garagistes de la confédération ? Une compile nommée Sewed Soles scelle le sort de cette farouche hypothèse. Craig Fox est sans conteste l’un des cracks du boom-hue. Il navigue au même niveau que Wild Billy Childish et Mick Collins. On voit sur les photo qu’il a le regard d’un fou. Ce kid de Cincinnati t’explose le vieux gaga dès «It’s Not Real». C’est sauvage et bien raw to the bone, c’est même stupéfiant de véracité, c’est gratté à l’oss et chanté au wild scream. Tu te dois de saluer ce mec-là, ainsi que Jack Lawrence, le bassman à lunettes. Nouveau coup de wild genius avec «Shadow Of Grief», ils te grattent les poux indomptables du Far-West, le Fox embarque son Shadow dans la folie pure. T’as une des plus belles fuzz d’Amérique dans «No More». Elle est hautaine et monumentale. Tu commences à vraiment prendre le Fox au sérieux. Plus loin, t’as une quadruplette de Belleville : «Can’t Stand It» (attaqué avec une violence incroyable, digne des pires proto-punks d’Angleterre, en 1000 fois plus wild que «Crawdaddy Simone», c’est même les Them à la puissance 1000), «Good Times» (overpower, avec un ouragan d’organ et un solo à la désaille qui perd ses boulons), «Too Much Sorrow» (très anglais, boogaloo de proto-London town, écrasé de splendeur crépusculaire, digne des Animals et des Them, mais en bien pire, heavy stuff de close my eyes, tout y est) et «Satisfy My Mind», belle dégelée royale. Encore un coup de génie gaga avec «The End Of The Night», balladif d’up-tempo claqué à la sévère, cut de sleaze parfait, trucidé au killer solo liquide. Encore du beau gaga US de rêve avec «Pattern Skies», bien balancé, bien monté en neige, avec un killer solo tire-bouchonné dans l’oss de l’ass. Ouille ! Ils démontent encore la gueule de «Lies» à la fuzz. Et puis t’as ce «Shame & Misery» amené comme le «We Gotta Get Out Of This Town» des Animals. Le Fox est une bête. Il out-Burdonnerrait presque Eric Burdon. Voilà en gros ce qu’on peut dire de cet album rétrospectif.

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         Tu vas retrouver «Satisfy My Mind», «Too Much Sorrow» et «It’s Not Real» (claqué sec aux accords des Kinks) sur Dual Mono, trois cuts enfoncés du clou entre tes reins, surtout le «Too Much Sorrow», bien dans l’esprit du pont de «Gloria». Et puis t’as toute une série d’énormités ravageuses, à commencer par «The Way It’s Meant To Be». Ils tapent dans le mou du dur. Avec «You’ll Be Sorry», on se croirait chez les Sorrows, en plein cœur du freakbeat, sans oublier le killer solo. Holly Golightly fait deux apparitions sur cet album : «There Is An End» qu’elle prend toute seule, et surtout sur «Gonna Get Me Someone» qu’elle chante en duo avec le Fox. C’est brillant ! Elle ramène sa niaque de sucre et ça balance bien dans les contreforts, elle est encore plus candy-punk que les Shangri-Las et le Fox passe des killer solos en pagaille. Il est le roi du proto-punk revival. 

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         Sur le mini album East Grand Blues, tu retrouves l’excellent «Pattern Skies» et son bassmatic en alerte rouge, et ça bascule dans le coming fast, avec du killer solo flash dans la foulée. Jack Lawrence passe son temps à bassmatiquer au bas du manche, pendant que le Fox part en maraude. Quelle équipe ! Ils tapent aussi «I’m Going Away» en mode heavy folk-rock Byrdsy. En plein dans l’œil du collimateur ! Ils reviennent au heavy groove des Them avec «Shelter Of Your Arms». C’est encore une fois bien dans l’esprit du pont de «Gloria».

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         Et puis t’as cet album qu’on appelle le Quatre Étoiles (****) qui est plus orienté sur les exercices de style. Attention, c’est très intéressant. Ils commencent par sonner comme les Prisoners avec «Saying Goodbye». C’est plein comme un œuf et dopé par un bassmatic devenu fou. Avec «Left The World Behind», ils se remettent à sonner comme les Byrds. Ils ont ce power solide et radieux. Avec «Get Me Out Of Here», le Fox fait du Ray Davies. Il est assez allègre. Plus aucune trace de gaga sauvage. Sur «Underestimator», ils reviennent à un son plus anglais, après avoir exploré les racines des dents, mais les riffs sont ceux de Dave Davies et encore une fois, tu cries au loup. Encore un coup de génie avec «Better Off Without It». C’est plus poppy, et donc t’assistes à un incroyable retournement de situation, mais ça tient rudement bien la route, avec le bassmatic de Jack Lawrence et les solos en quinconce de Craig Fox. Ils ont cette classe surnaturelle qui leur permet de créer de la magie. Craig Fox superstar encore avec «Song», nouveau shout d’heavy pop. Quelle ampleur catégorielle ! Ça sonne comme un hit intercontinental, avec du rentre-moi-dans -le-chou mon chou. Ils font plus loin de l’heavy mood avec «Go Tell Benny», mais avec des incursions intestines de la pire espèce. Le Fox sait rester impressionnant, même si avec «Jacob’s Ladder», il fait de la petite pop ruineuse d’album. La vie est ainsi faite. Elle est même parfois cruelle.

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         Avec son premier album sans titre, le groupe de Craig Fox s’était taillé une belle réputation gaga-Midwest, en se rapprochant notamment des Animals. Pour preuve, leur version d’«Inside Looking Out», ils sont dessus, ooouh baby, ils savent faire monter la marée et faire le Burdon, my reaper ! My reaper yeah ! Leur «Shame & Misery» est d’ailleurs le sosie d’«Inside Looking Out» : même attaque avec la petite montée en température, exactement le même plan, avec le refrain sur les accords de «Gloria». Tiens, puisqu’on parle de Gloria, t’as le «Can’t Stand It» d’ouverture de bal qui est une sorte de Gloria en Amérique. C’est du gros bétail. Quel barouf ! C’est aussi révolutionnaire que le fut Gloria en son temps, la voix en moins, bien sûr. Power toujours avec «Shadow Of Grief». Ces Greenhornes sont bien décidés à en découdre. L’autre cover de choc est l’«High Time Baby» du Spencer Davis Group. Fantastique hommage à l’un des fleurons du British Beat, et le petit gros passe un solo d’orgue assez exemplaire. Ils sortent la fuzz pour «Lies» et t’explosent le gaga vite fait. Ils restent dans l’heavy gaga Soul sixties avec «Nobody Loves You». Ils n’en démordront pas. Ils sonnent comme Mitch Ryder, c’est très noyé d’orgue.

 Signé : Cazengler, Horny

The Greenhornes. The Greenhornes. Telstar Records 2001

The Greenhornes. Dual Mono. Telstar Records 2002

The Greenhornes. ****. Third Man Records 2010               

The Greenhornes. East Grand Blues. V2 2005

The Greenhornes. Sewed Soles. V2 2005

 

*

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Il y a des groupes qui sont prêts à tout pour me plaire. Même s’ils ne me connaissent pas. Tenez prenez celui-ci : l’a un nom qui sent le grec. Le pays d’Aristote et de Gorgias. Tout de suite s’impose un bémol : ils ne sont pas grecs. Les malheureux. Bien sûr, moi non plus je ne suis pas grec mais moi ce n’est pas pareil. Enfin eux ils ont un sacré atout dans leurs mains. Ils viennent de Toulouse. Ville occitane que j’ai longuement arpentée hors de ma folle jeunesse. Je sais, la jeunesse est partie, mais il reste la folie. J’avoue que j’ignorais leur existence, je sais ce n’est pas bien, je le regrette, je ne recommencerai pas, je le jure. Bref j’errais sans but (avouable) sur le net lorsque tout à coup mon œil de félin a repéré trois mots magiques : Le cimetière marin. Grand fan de Paul Valéry je sursaute, je zozote d’émotion, je me ceins d’un drap de lit et je commence à déclamer les premiers vers de La Jeune Parque :

Qui pleure là, sinon le vent simple, à cette heure
Seule, avec diamants extrêmes ?.. Mais qui pleure,
Si proche de moi-même au moment de pleurer ?

         Toutefois je m’interromps, je suis un rocker, or les rockers ne pleurent pas, dons je m’empare d’un stylo bille et griffonne cette chronique.

LE CIMETIERE MARIN

AEPHANEMER

(Official MusicVideo)

(Octobre 2025 / Napalm Records)

        Nous reparlerons prochainement d’Aephanemer, ce morceau est extrait de leur troisième album Utopie.

Marion Bascoul : vocals / Martin Hamiche : Guitar, bass, orchestration / Mickael Bonnevialle : drums.

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         L’auditeur qui s’attendrait à une reprise metal in extenso du texte du Cimetière Marin de Paul Valéry se mettrait le doigt dans l’œil jusqu’à la clavicule. Seul le titre du poème et le premier vers de la dernière strophe sont repris en guise d’injonction existentielle. Les vers du poëte sont à lire plutôt comme une méditation sur le non-être. Toutefois le non-être s’y trouve défini selon sa coexistence avec les possibles de l’Être. Le texte d’Aephanemer est à lire comme une transcription de l’éclat qu’irradie le soleil noir du poème de Valéry. Non il ne vaut pas le poème de Valéry, mais il garde du par son vocabulaire choisi parmi les mots rhizomiques gorgés de suc de l’ensemble strophique valeyrien la même parenté que nourrissent et pourrissent  les  morts dans leurs rapports aux survivants. Que certains surnomment les vivants.

Le cimetière marin : quatre ombres  vêtues de noir dans un studio ombragée d’ambre mordorée, la vidéo est à regarder comme une combustion orangée – voir les poèmes de José Galdo de la Danse des Morts – pas étonnant que le groupe soit étiqueté comme death metal mélodique, une flamme vive et symphonique qui s’élève, s’affaisse sur elle-même puis repart de plus belle, lorsque par deux fois le vocal survient, il semble s’évader de la bouche d’un Jolly Roger accroché au mât de misaine d’un bateau pirate, son espèce de glapissement funèbrement prophétique ne vous incite pas à rire, fermez les yeux laissez-vous emporter par cette chevauchée sur les huit sabots de Sleipnir. A vous de choisir votre rive.

         Une deuxième Video Official Music, c’est le titre qui suit le précédent sur l’album, est aussi accessible :

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La règle du jeu : esthétiquement et musicalement parlant le titre révèle une troublante unité avec le Cimetière Marin, même flamme vive qu’un vent violent, agite, courbe et recourbe mais ne parvient pas à moucher. Un vocal davantage violent et bien plus présent, l’enjeu du texte est beaucoup essentiel, vous n’êtes plus au bord de la tombe vous êtes dans la lutte pour l’existence, le texte très bien écrit est d’une force incoercible, les cartes sont sur la table, toutes les combinaisons possibles sont ouvertes, l’on ne vous demande pas de choisir celle qui vous paraîtrait la meilleure mais de réfléchir sur la notion de jeu. Le texte est beaucoup plus métaphysique au sens fort de ce terme que celui qu’ils ont rédigés pour le cimetière marin. Donc le même fond d’oronge malsaine similaire au précédent, mais non plus tout à fait avec les musiciens car parfois  avec leurs ombres – pensez à celles du mur de la caverne platonicienne  - attention vous jouez avec des tricheurs, z’ont leur as de cœur dans leur manche : elle s’appelle Louna Lebeau et elle danse comme une jeune louve dans un le poème d’Alfred de Vigny, elle danse pour sa liberté, elle est l’effigie de la vôtre, saurez-vous comme elle renverser la table,  à elle toute seule elle est un ballet d’ombres mouvantes solitaires qui survivront dans la nuit de votre mémoire.

Damie Chad.

 

*

         Nietzsche qui philosophait à coups de marteaux sur tous les totems du monde nous a prévenus, toutes les valeurs que nous accordons aux choses sont vouées à s’écrouler un jour ou l’autre. Voici un exemple parfait : je croyais (mais croire n’est-ce pas déjà ne pas penser) que depuis le temps où je m’en va faire quelques tours de reconnaissance sur Werstern AF, je ne trouverais à coup sûr que des artistes de bluegrass. A tel point que j’en rapporterais toujours quelques chroniques que je pouvais étiqueter en toute bonne conscience : ‘’Bluegrass’’. Certes le bluegrass pur et dur, disons platonicien pour rester dans le domaine philosophique, n’existe pas. Ses frontières avec le country sont très vaporeuses, mais je ne m’attendais pas à ce que je me dépêche de vous présenter au plus vite. L’on est toujours trahi par les siens ! Parfois c’est pour notre bien !

FULL PERFORMANCE

CLAIRE HINKLE

( YT / Live AF / Septembre 2025)

Claire Hinkle : vocals /  Max Kusin : Guitar / Rowdy Carter : Guitar / Kyle Farley :  Bass / Nick Tittle : Drums.

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Pas besoin d’être sorti de St Cyr pour subodorer l’embrouille. A la limite le batteur tout au fond pas très visible avec ses cheveux longs l’a un look des anciens musicos des groupes sudistes, je suis bon prince, j’admets qu’il pourrait s’être fourvoyé dans un groupe de bluegrass, je passe sur le bassiste, l’aurait plutôt l’air de Buddy Holly, mais les deux guitaristes, indubitablement ces deux mecs sont des rockers, même la vidéo éteinte sur l’image muette ils transpirent, ils puent le rock. Quant à Claire Hinkle, je veux bien qu’après un passage à New York elle soit revenue au Texas pour jouer de la country music, mais ce que nous allons regarder c’est tout simplement un bon groupe de rock’n’roll !

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In the movies : au micro, un tambourin à la main droite, elle sourit, elle oscille légèrement, l’est toute belle sous sa crinière brune de lion, parfaitement à l’aise, la grâce sans la minauderie, tranquille, sereine, sûre d’elle. Remarquez elle a de quoi, ses deux guitaristes lui déroulent un tapis rouge de notes fusantes et perfusantes, c’est parti, elle n’a plus qu’à faire son numéro, avec une désinvolture étonnante, l’est à l’aise, les deux guitars héros s’en donnent à cœur, le bassiste bouge et se dandine et tape du pied comme Buddy Holly ne l’a jamais fait, derrière sa batterie de Nick vous édifies des architectures sonores dignes de la galerie des Glaces de Versailles. C’est encore plus beau qu’au cinéma. Hot shit : rien à dire sur ce morceau. Il est parfait. Tous les cinq s’en donnent à cœur joie. Elle bouge si naturellement, ce n’est pas possible elle a dû faire de la danse pour se remuer ainsi, et la voix qui sort toujours claire (Hinkle), toujours juste, elle est aussi à l’aise sur cette scène que Madame de Récamier sur son divan, en plus elle parle rock, même si vous ne comprenez pas un mot d’anglais, c’est transparent, translucide, elle a le cran, sans arrêt, vous vivez, vous mimez dans votre tête, elle vous outre les portes du rock en grand et vous rentrez dedans sans avoir à frotter vos pieds sur le paillasson, elle tombe à genoux, les guitares dégoulinent, fusion orgasmique. Don’t ask questions : le slow qui tue,

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question slow ce n’est pas vraiment lent mais quelle tuerie, vous êtes heureux ce n’est pas à vous qu’elle s’en prend, la cruelle minaude, les musicos ralentissent, pas le moment de la déranger, elle vous a l’air de ces espagnoles qui sautent dans l’arène et s’en vont narguer le taureau qui vient d’encorner à mort el torero, elles se plantent devant lui, lui tiennent un petit discours en quatre points, et la grosse bête honteuse s’en retourne au toril la queue entre les jambes.  Get on the bus : petit sourire aux musiciens, la réaction ne se fait pas attendre les deux guitares entreprennent d’escalader l’Everest, elle ne se retient plus, la voici reine du monde, alors les musiciens la suivent dans son assomption de folie. Redescendez sur terre c’est terminé. De toutes les manières vous ne me lisez plus depuis un bon moment, vous revisionnez la bande.

         Non ils n’ont pas inventé le rock. Mais ils le réinventent à chaque instant. Vous voyez  les boys et Miss Hinkle Claire : tout s’éclaire.

Damie Chad.

 

*

         La semaine dernière nous écoutions Weed Money d’AC Sapphire. J’ai eu envie d’en savoir plus. Je n’aurais pas dû. J’ignorais totalement ou je mettais les pieds. Surprenant et déconcertant. Nous commencerons par son dernier album.

DEC. 32nd

AC SAPPHIRE

(Album Numérique / Bandcamp)

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Quel changement de look entre la vidéo de Western AF visionnée dans notre livraison 704 du 02 / 10/ 2025 et la couve de cet album. Nous étions face à une personne que l’on pourrait classer ethnologiquement  dans la catégorie des hippies-folk et cette jeune femme dans son intérieur dont le visage souriant exprime une certaine assise psychologique qui n’a rien à voir avec le mode de vie qu’instinctivement l’on pressent tant soit peu marginal de la chanteuse-guitariste filmée devant un van au bord d’une route. Ne soyons pas dupes des images. Elles ne sont que des constructions, que veulent-elles nous dire, que signifient-elles au-delà des intentions qui les ont motivées.

Il en est de même du titre de l’album, cette date du 32 décembre est-ce le jour d’après ou le jour d’avant, celui que l’on espère, celui qui n’existe pas… N’instille-t-il pas un doute introspectif quant à la vie que l’on a menée jusqu’à lors. Une manière de faire le point, de rebattre les cartes tarotiques d’une destinée qui ne nous satisfait pas, une redistribution du jeu de l’existence pour tenter de la remettre en un ordre beaucoup plus significatif, une espèce de réussite introspective censée clarifier le sens du chemin entrepris. Ce trente-deuxième jour du mois de décembre ne marque-t-il pas une zone floue d’équilibre entre le jour de trop dont on ne sait à quoi l’employer ou ce jour de moins qui nous manque pour entrer dans notre propre éternité.

Palmistry : rollin’ guitar de Sapphire, l’orchestre derrière en retrait, des chœurs féminins discrets qui prendront leur importance sur la fin lorsque le morceau se change en gospel, pas d’erreur, pas une supplication adressée à dieu mais à l’être aimé. Pas de vocal, un chant. Sachez faire la différence. Le vocal correspond à l’expressivité d’un individu intrinsèque qui se livre tel qu’en lui-même, le chant participe d’une autre dimension, certaines voix chantent, d’autres pas, Sapphire est une véritable chanteuse de la taille de Joni Mitchell, une maîtrise, une sérénité, une simplicité certes, mais le chant dans sa plénitude confine à la poésie lyrique celle de l’expression de soi, le titre anglais nous renvoie aux palmes, alors que traduit en français il se traduit par chiromancie, l’art de lire sa destinée dans les paumes de la main, mais ici le désir de changer le cours des lignes afin de modifier la passé pour influer sur le présent, il est aussi question de désert, de 2014 à 2019 Sapphire s’est retirée dans le désert de Mojave, la célèbre Vallée de la Mort, en fait elle est partie, pour faire le point… il est difficile de s’abstraire totalement de sa vie, même en rupture avec ce que l’on a été l’on reste souvent tributaire des années d’enfance, Sapphire a été élevée dans une famille religieuse, l’on sait que les prophètes se sont souvent retirés dans le désert… Traces de pas subsistant dans le désert de la mémoire. Check Engine Light : un piano aux notes enrayées et le chant déchiré de Sapphire entre passion et compassion, entre colère et vengeance, un cri de désespoir et une analyse poussée du drame intime exposé depuis les deux tronçons de la flèche brisée  du désir qui désirerait se joindre à lui-même alors qu’il en est incapable. Rien de plus américain que d’utiliser l’image d’une voiture qui ne veut plus démarrer, n'empêche qu’au-delà d’une métaphore somme toute triviale la force des mots nous confirme ce que l’on avait compris à l’écoute du premier titre, l’écriture de Sapphire est d’obédience poétique. Sibling Rivalry : il existe une official video que je vous

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invite à regarder. Elle fut tournée en 2015. On y aperçoit Sapphire rouler dans le désert mais surtout s’adonner avec ses frères et sœurs aux jeux de leur enfance. Elle ne fut pas malheureuse, les huit frères et sœurs ne fréquentèrent pas l’école, les parents aisés leur servirent de professeurs. Ils furent initiés à la musique et à la poésie. A 14 ans Sapphire monta sur scène pour interpréter Shakespeare, plus tard avec deux de ses sœurs Sapphire formèrent un groupe Sister 3. Nous en reparlerons. La chanson est de toute douceur, la prédominance des grosses notes de la basse l’assombrit quelque peu, c’est que le bonheur des jours heureux n’est pas uniforme, à mots couverts Sapphire nous confie qu’elle a jalousé sa sœur mais que cette jalousie l’a confortée à devenir elle, à suivre un chemin qui l’a séparé de son premier univers… le morceau se termine par des rires joyeux, toutefois voilés, perdus quelque part dans un temps lointain. Oblivion : à qui s’adresse-telle, sans doute à elle-même, tous les autres ne sont-ils pas des clones de nous-mêmes, une balade country chantée avec la voix de Joan Baez, même si sur la fin l’émotion de la vie et du monde qui s’effacent tempère un peu l’optimisme d’être ce que l’on est, incapable d’arrêter la course du soleil. Même avec un flingue. Mais en vivant dangereusement ne sentons-nous pas plus pleinement que le chemin de crête du présent côtoie l’abîme. Highway Hum : une guitare bourdonnante et une voix qui gesticule, qui crie, qui danse. Urgence et inquiétude. La proximité des morts. De qui parle-telle sinon de son rêve qu’elle refuse de préciser. Il est étrange de voir comme les morceaux se suivent et racontent une histoire dont chacun raconte un épisode. Suite logique. Toutefois l’on ne sait jamais si nous sommes dans un évènement passé ou dans une reconstitution mentale de ce qui a été et de ce qui n’a pas été, le néant n’est-il pas la gangue des atomes dans laquelle ils se défont, le dernier mot ne reste-t-il pas à la langue de la poésie. Starships : reviennent les cordes effilochées, parfois la réalité ne correspond plus à elle-même, où sommes-nous dans l’obscurité du monde, nous savons bien où nous ne sommes plus, mais ne sommes-nous pas vivante dans les pensées d’une autre, d’ailleurs n’est-elle pas aussi en notre pensée, notre existence se limite-t-elle à notre pensée, bien que nous n’en n’ayons pas la conscience ne serions-nous pas mieux au-dehors de nous-mêmes, la voix se presse elle se heurte aux incertitudes chaotiques que nous sommes et ne sommes pas, pas qui nous agitent, nous éliminent et nous fondent… Thunderbird aussi nommé Demon Sneeze :  guitare comme une caresse sur la fourrure soyeuse d’un chat, pas de démon et un oiseau qui ne tonne pas, mystérieuses paroles, un couple qui se rencontre pour mieux se séparer, mélodie triste, lequel rattrapera l’autre à ce jeu démoniaque, un feu qui s’éteint de lui-même faute d’être alimenté à tour de rôle mais jamais ensemble au même instant, au début était le verbe, des mots qui coulent de deux bouches qui ne se rejoignent qu’à demi, les mots ne solidifient pas le monde, ils glissent, ils tombent, de quoi parle-t-elle au juste, ne chante-t-elle les limites de la poésie incapable de changer le monde, l’on pense à Keats, la poésie de Sapphire n’a pas la même  luxuriance que celle du plus pur des grands poëtes romantiques, mais elle porte en elle la même impuissance à ne pas régir le monde des désirs à sa volonté. Quelle lassitude de ne vivre que la moitié de son rêve. Chapparal Bottoms : la suite du morceau précédent, la même lenteur, avec toutefois au milieu du pont une guitare électrique qui se sublime en folk-noise, le chant rampe tout autant, mais la guitare allume l’électricité pour voiler à sa manière l’échec de deux existences qui se quittent, Sapphire qui se désole et Victoria qui lui intime l’ordre de chanter, de continuer sur ce chemin qui lui apportera la victoire. Le plus terrible c’est qu’elle est d’accord avec son amante, c’est à elle de conquérir la moitié du ciel, elle sait que c’est le parti qu’elle est en train de prendre son chemin. Chanson mortuaire pour un merveilleux cadeau. Même les buissons d’épineux finissent par mourir. Weed Money :  le morceau repris pour

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Western AF, cette version est accompagnée d’une Official Video que nous avons déjà commentée, elle s’intègre au mieux à cet album, les images évoquent la partition de Sapphire, l’être de chair soumise à ses désirs et aux caprices des autres, son appétence de clarté apportée par l’expérience de la  poésie. Dans cette interprétation le morceau se teinte de mélancolie, celle qui résulte de cette terrible dichotomie, mais nettement moins désabusé. String Breaker : au fur et à mesure que j’écoutais cet album, je ne parvenais pas résoudre l’équation qui s’offrait, chaque morceau était plus beau, plus nécessaire et davantage essentiel que le précédent mais ô combien supplanté par le suivant. Un collier de perles, toutes d’une brillance exceptionnelle, mais cette lettre d’adieu à soi-même, ce froid constat sulfureux d’huissier poétique selon lequel deux astres qui se croisent ne font qu’accentuer leur solitude.  Le chant vous perce le cœur, la guitare le brise, et puis ce violon qui pleure toutes les larmes qu’il est inutile de verser, enfin cette voix qui se disperse et se recueille, et ces onomatopées qui se plantent en vous comme des lames de couteau.

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         Cet album unique, en le sens où il se suffit à lui-même et n’a pas besoin de vous pour exister, est une splendeur.

         Une seule consolation, il nous reste d’autres enregistrements d’AC Sapphire à écouter.

Damie Chad.

 

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En règle générale on choisit un livre pour l’auteur et le sujet. Evidemment les books sur Elvis, vont du pire au meilleur, toutefois par principe on ne crache pas dessus : on regarde. J’ai commencé pat le nom de l’auteur : Jane et Mickaël Stern. Inconnus au bataillon. Leur fiche wikipedia m’a étonné : se sont fait un nom en confectionnant non pas un dictionnaire du rock’n’roll mais un guide de cuisine. A priori pas le truc qui ne m’intéresse pas. Z’ont eu une idée originale. Normalement en tant que citoyen du pays qui possède la cuisine la plus renommée au monde, je devrais les injurier copieusement, z’ont fait fort, z’ont opté pour la cuisine populaire, leur book c’est un peu le bréviaire Michelin pour les cheeseburgers mal cuits que vous ingurgitez fissa au  hasard des highways dans des patelins américains inconnus. Avec toute cette graisse dégoulinante ils ont fait leur beurre. Se sont toutefois diversifiés, il arrive un moment où les lecteurs n’ont plus faim, alors ils ont entrecoupé leur Encyclopédie de la Mauvaise Bouffe par d’autres sujets populaires, les chiens, un grand réalisateur  Douglas Sirk, et cerise sur le sandwich au beurre de cacahouète un bouquin sorti en 1987 sur Elvis.

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         Scrongneugneu je n’étais pas chaud, mais dès la couverture y avait un argument massue auquel un rocker français ne résiste pas : traduction de François Jouffa ! L’a écrit plusieurs livres sur le rock’n’roll en collaboration avec Jacques Barsamian, notamment L’âge d’or du rock’n’roll consacré à la génération des pionniers  dont la première édition sortie en 1980 tomba à pic pour accompagner les connaissances des adeptes de la renaissance rockabilly… Entre autres, les deux complices ont aussi à leur actif un Elvis Presley Story

ELVIS

LE MONDE D’ELVIS

ELVIS AU PAYS DES MERVEILLES

JANE ET MICHAEL STERN

(France-Loisirs / 1988)

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Est-ce pour nous faire plaisir, l’introduction du livre débute par la remarque par laquelle nous terminions la semaine dernière notre chronique consacrée à Uuseen Elvis de Jim Curtin,  les fans d’Elvis connaissent tous les détails de la vie d’Elvis, tous les objets qu’il a de  près ou de loin possédés, toutes les dates marquantes, toutes les maisons qu’il a habitées, tout ce que voulez sauf… sa musique, deux ou trois titres pas un de plus… elle figure le continent noir englouti,  l’iceberg immergé…

Le choc Elvis : première surprise l’ensemble est agréable à lire, deuxième plaisir, le regard porté sur le phénomène Elvis est des plus pertinents, le texte fourmille d’anecdotes mais son principal attrait réside en la rigueur de l’analyse. Laissons de côté le public inconditionnel des jeunes filles enthousiasmées par le chanteur… Désolé pour Eddy Mitchell, ce n’est pas la voix d’Elvis qui prime, mais son attitude sur scène : ses déhanchements, ses virevoltes, sa souplesse de félin, tout ce que vous admirez, de toutes les manières même quand il ne fait rien de précis l’hystérie collective se déclenche… mais Elvis lui-même qu’en pense-t-il ? Il ne se livre pas, il se contente de constater, apparemment il est le premier surpris. Les parents qui n’ont jamais cru leurs filles capables de telles exaltations, très vite relayés par le milieu musical tirent leur conclusion : ce garçon n’a rien d’exceptionnel, pas totalement idiot mais très loin d’Einstein. Ce qui choque ce sont ses manières, pas du tout grossières mais surtout pas du tout policées. Un gars sorti de sa campagne, empli d’une rusticité étonnante, et même détonnante pour cette jeunesse blanche bien éduquée qui dans l’absolu et la vie de tous les jours ne fréquente pas ces milieux populaires. L’expression ‘’ mépris de classe’’ employée à  tort et à travers de nos jours nous paraît résumer ce haut-le-cœur des adultes surpris. Jane et Mikaël Stern vont plus loin. Ce qu’ils disent nous aide à mieux comprendre l’actuelle propension de l’Amérique de Trump à se revendiquer à chaque instant du Dieu très chrétien. Les contemporains des années cinquante réactionnairement outrés par les extravagances elvisiennes  ne visent pas aussi haut, laissent Dieu tranquille, ce qui leur semble en danger c’est la religion. Par ses poses pelvisiennes notre King effrite à lui tout seul le ciment agrégateur, le béton christique de la société américaine.

Pour nombre de rockers américains, ils le racontent dans leurs autobiographies, leur native addiction à cette musique provient du premier passage d’Elvis à la télé américaine en 1956. Une cassure sismique dont ils ne se sont jamais remis. L’élément déclencheur. Nos deux polygraphes scrutent tous les passages télé d’Elvis avant le 56 historique. Les précédents, ils ne sont pas rares et tout autant inscrits dans l’histoire, leur schéma est éloquent : par sa prestance Elvis dynamite l’écran, pour diminuer l’onde de choc on réduit l’image, on inclut sa prestation dans de ridicules scénettes. Les Stern vont plus loin, tout le reste de sa carrière Elvis sera prisonnier d’un carcan idéologique sociétal dont il ne parviendra jamais à se débarrasser. Très symboliquement la fameuse séquence de Jailhouse rock le montre derrière des barreaux.

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La face cachée d’Elvis : ce n’est pas celle à laquelle on pourrait s’attendre. La période couverte par ce chapitre commence en 56 et comporte sa période à l’armée. Elvis nous est décrit comme un ange. L’on n’est pas loin de la petite maison dans la prairie. Un garçon d’une simplicité extravagante. Son plus grand plaisir : le sandwich à la banane. N’entrevoyez aucun jeu de mot avec le dernier vocable qui précède la ponctuation. Bien sûr il reçoit ses petites amies dans sa maison qui est surtout celle de ses parents. Apparemment ils passent leur nuit à jouer avec des ours en peluche et à chanter des cantiques. Vous ne trouverez pas un garçon plus posé, plus poli, plus pieux que lui dans tout l’hémisphère nord. Sud aussi. Passe son temps à pleurnicher durant son service militaire, l’a une excuse sa maman est morte, désormais il sera seul. Priscilla est absente de ce chapitre. Toutefois, sans doute par mégarde, on évoque la soirée parisienne au Lido. C’est dommage sans quoi l’on aurait pu ajouter ce chapitre à La Vie des Saints. Il n’aurait pas dépareillé. Avec un peu de chance Elvis aurait eu droit à une palme d’or et à être assis, ni à la gauche, ni à la droite de Dieu, mais sur ses genoux.

Un Elvis en cellulose : la période Elvis au cinéma, les films sont remarquablement résumés en quatre ou cinq lignes. Jane et Mikaël Stern se détournent de leur hagiographie. Au retour de l’armée les nouveaux films d’Elvis ne sont pas bons. Il est facile d’accuser le Colonel. Parker aimait l’argent. Elvis préférait la vie facile. Un terrain d’entente était possible. Question nullité des films nos deux auteurs n’accusent pas Parker. Le côté film sans scénario correspondrait à l’imaginaire d’Elvis. Le bon garçon qui ne sera jamais du côté du mal et de la violence. Un monde de joie, de fête, de jolies filles, de plans technicolors, de couleurs vives… Que voulez-vous que le bon garçon du deuxième chapitre  puisse promener dans sa tête comme phantasmes… Les chaudes soirées des tournages ne sont jamais évoquées, puritanisme américain oblige ? Dans les bios d’Elvis on nous raconte qu’Elvis auraient désiré des films à la James Dean, à la Marlon Brando, cela nous le rend sympathique, Jane et Mickaël réagissent en bons ricains requins : si tu veux faire cela : fais-le. You can do it ! Si tu ne le fais pas, ne t’en prends qu’à toi. Assume. Autant ils ont été gentils dans le deuxième chapitre, autant dans celui-ci ils se montrent cruels. Return to sender !

Elvis enluminé : curieux chapitre, on y trouve de tout non pas comme à la Samaritaine mais comme sur ces listes de tous les ingrédients qui par exemple à toute heure du jour et de la nuit devaient se trouver dans la cuisine… Serait-ce un indice de paranoïa ou d’angoisse ? Les deux mon colonel. Maintenant une merveille : les premières pages consacrées aux spectacles d’Elvis à las Vegas. Certains de nos lecteurs y ont assisté, d’autres ont zieuté des vidéos sur le net. Si vous n’appartenez à aucune de ces deux catégories, ne soyez pas tristes, j’ai l’impression que leur évocation  écrite est encore plus belle que n’ont été ces shows dans la réalité. Ensuite l’on passe dans des détails connus et rebattus, notre couple biographes en profite pour analyser la notion conceptuelle de Roi, qu’Elvis n’aimait pas mais qu’il assuma royalement. Elvis en a-t-il été conscient ? Soyons poli avec les dames : c’est dans ce chapitre que vous émerveillerez devant le chignon monstrueux de Priscilla.

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A Graceland : nos deux reporters s’en tirent bien. Tout a déjà été dit, la visite est obligatoire, d’ailleurs les huit premières pages du bouquin vous permettent d’ouvrir vous-même le portail. Ne vous prenez pas pour Elvis, le King ne se dérangeait pas pour si peu, il ne descendait pas de sa voiture, il se contentait de repousser les deux vantaux avec le parechoc de ses Cadillacs. Geste ô combien rock’n’roll ! Elvis c’est un peu l’anti-Warhol qui entassait   dans son appartement  tout ce qui lui passait entre les mains. Elvis c’est un Des Esseinte du pauvre qui a passé sa vie à peaufiner son manoir, un tantinet nouveau riche (c’est-à-dire en ancien pauvre), du toc, du cheap, du kitch, de l’hétéroclite, je ne critique pas, si j’avais sa fortune, je ferais vraisemblablement pire. La preuve : je suis fan de sa jungle room, toutefois comme Joséphine Baker je n’aurais pas oublié de la partager avec un guépard. Ou une panthère noire. En hommage à Leconte de Lisle. C’est mon petit côté parnassien. Elvis n’aurait-il pas été un parnassien qui s’ignorait,

Prendre bien soin d’Elvis : n’est-ce pas le plus beau chapitre du livre. Le plus émouvant à coup sûr. Nos deux cicerones se laissent eux-mêmes prendre  à l’ambiance qu’ils décrivent. Au début c’est du Zola, pas Germinal mais Lourdes un roman d’une une charge féroce contre les marchands (et leurs fidèles clients) lors du pèlerinage de Lourdes. Nous voici plongés parmi la cohue des fans devant Graceland, les survivants et les vétérans. Les premiers ont survécu à la mort d’Elvis Presley, les seconds aussi mais ils ont connu Elvis de son vivant. Un peu, à peine, beaucoup, énormément mais tous le vénèrent. Insensiblement toute cette faune disparate venue des quatre coins du monde, malgré leur bêtise, leurs défauts, leurs croyances et leur vénération, nous devient sympathique. Ces exaltés ont tout compris : l’on ne peut rien contre la mort. Et encore moins contre l’oubli. Ils essaient pathétiquement à leur manière de garder Elvis vivant. Perpétuer le souvenir d’Elvis, c’est un peu leur manière à eux de rester vivants.

Pour ceux qui aiment les généalogies Mary Ann Yates qui habita tout à côté d’Elvis, ils avaient 14-15 ans, nous apprend qu’Elvis qui n’était pas encore Elvis se surnommait lui-même Valentino. A méditer.

         On n’en a jamais fini avec Elvis. Le livre est terminé. Mais il vous reste encore à lire tout un tas d’ouvrages : voici Les écrits sur Elvis : sont vraiment bons pour résumer un livre en cinq lignes. Vous apprenez tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur Elvis ou le détail qui vous foudroie. Exemple : il est bien connu que du sang cherokee coulait dans les veines d’Elvis mais j’ignorais le nom de son arrière-arrière-arrière-grand-mère : Blanche Colombe du Matin ! Faut-il y voir une véritable préfiguration du Saint-Esprit !

         J’avoue que je suis rentré dans ce livre à reculons. J’en ressors convaincu d’une chose : la magie Elvis opère toujours !

Damie Chad.

 

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Un très beau témoignage, par la force du destin pratiquement d’outre-tombe : Graham Fenton nous a quittés ce 10 août 2025.

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Nous évoquerons Graham Fenton la semaine prochaine en chroniquant le numéro de Rockabilly Generation News qui lui consacre un important dossier.

The Gene Vincent Files #10 : Graham Fenton shares his touring experiences with his all-time hero.

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La première fois que j’ai vu Gene performer en public, c‘était approximativement en 1965 en the UK, mon frère, mon frère aîné possédait tous ses disques et j’ai découvert Gene Vincent grâce à ces disques et des choses comme ça, quelques amis m’ont dit que Gene résidait en ville, qu’il vivait en Angleterre à l’époque mais pas très loin, veux-tu venir le rencontrer, bien sûr j’y suis allé avec lui, il était sur scène avec un groupe appelé a the Shouts, j’ai dit qu’il vivait en Angleterre, et j’ai vu cet homme, ce gars complètement fou sautant un peu partout dans son cuir noir, j’étais comme vampirisé par ce phénomène, Gene est devenu mon héros à tel point que j’ai voulu devenir chanteur, ce n’est que des années plus tard que suis devenu chanteur, vous savez, Gene avait ce truc en plus, je ne sais pas si c’était en quelque sorte lié à moi, je crois que l’attrait du cuir noir, je fréquentais les groupes de bikers, je pense que ce style de cuir noir, cette manière de s’habiller, cette image du Rocker que nous assimilions aux bikers y était pour beaucoup. Gene ne portait pas de cuir avant de venir en Angleterre, c’est  Jack Good qui lui  conseilla le cuir, auparavant Gene portait des chemises flashy ou des vestes, ou d’autres choses, ce nouvel accoutrement l’a rendu plus féroce aux yeux du public britannique… réellement c’est en 1970, 

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avions bien commencé l’année notre manager nous dit ‘’ Votre héros Gene Vincent vous ne le croirez pas mais nous sommes sur le point de faire une tournée en France, au mois de juin 1970, avec Gene Vincent’’. Evidemment nous ne l’avons pas cru, nous fûmes convaincus lorsqu’il me montra les contrats, je me suis précipité pour téléphoner  à Maman et Papa ‘’ Devine, je suis sur le point d’accompagner Gene’’ c’était incroyable, je n’y ai vraiment cru que lorsque nous sommes retrouvés à Paris, nous étions arrivés au plus tôt,  sa voiture est arrivée directement de l’aéroport et jusqu’à ce que nous ayons vu Gene descendre de la voiture et venir nous serrer la main et rentrer dans l’hôtel, je n’y croyais pas, mais c’était parti… oui comme vous le savez, nous avons effectué cette tournée, Est-ce que les Houseshakers avaient répété avec Gene avant la tournée ? oui, oui nous l’avons fait, nous connaissions tout un tas de titres, je pense que nous avons reçu une setlist à partir de ce matériel, il aurait établi de toutes manières, quand je pense que la moitié du set était un matos que nous jouions durant nos propres shows, je me souviens d’avoir prévu que quand nous jouerions  notre propre set de ne pas interpréter quelques titres de Gene Vincent car il les jouait dans son tour de chant, aussi nous quelque peu changé le set en laissant de côté les morceaux que nous faisions avec Gene Vincent, je pense qu’à l’époque nous n’avons pas vraiment répété tant que nous n’avons pas assuré les premières prestations, c’était dans un endroit derrière, comme si c’était un show en plein air, je ne suis pas sûr du nom de l’endroit, mais c’était à peu près à deux cent kilomètres de Paris. Nous avons réalisé un show, il y avait cette vieille ombre en arrière-plan, et nous avions une pièce, une pièce vide dans une vieille baraque où nous nous sommes installés, après quelques essais et nous sommes passés au check sound,  en suite nous sommes dépêchés de nous installer devant le public qui arrivait. Un souvenir : je me rappelle que j’étais seul avec Gene, il était en train de gratter une guitare, je lui avouais qu’une   ballade que j’admirais depuis toujours parmi les siennes était Over the Rainbow, il chanta deux couplets en s’accompagnant à la guitare, j’étais assis et j’ai senti des frissons me traverser la moelle épinière, sans savoir que plus tard en 1980 j’aurai en Angleterre un hit en enregistrant Somewhere over the rainbow’’... Que faisiez vous, vous qui étiez le chanteur des Houseshakers

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Houseshakers

quand le groupe accompagnait Gene Vincent  Que pouvais-je faire, je tournais autour du groupe, je regardais les filles, et tout ce que vous pouvez imaginer, si ce n’est regarder Gene, puisqu’il il était mon héros, je signale un incident, j’ai été réprimandé par mon manager parce que je signais des autographes pendant que j’étais assis dans le public près de la scène, des filles et des gens arrivaient et je signais des autographes, le manager me l’a reproché, il m’a dit que ce n’était pas professionnel de signer des autographes, j’ai été joliment bouleversé plus tard, car j’ai pensé que Gene serait en colère, je suis allé le voir à l’hôtel, et j’ai tout expliqué, et il m’ répondu un truc style ‘’Hey man pourquoi te prends-tu la tête avec ça, je ne peux te reprocher ce genre d’action, continue, je te le conseille’’, par la suite vous savez combien ce fut cool  entre nous, tout se passa à merveille, il avait voulu un chauffeur pour explorer les environs, c’était un français, un gros gars que nous appelions le gorille car il était énorme et chevelu, il conduisait Gene par ci par là dans une citroën, ou une bagnole du même genre, une minuscule voiture, le gars était fatigué et avait besoin de se déplacer et ce gars qui était crevé devait mener Gene aux premières heures du matin il revenait de quelque part et nous roulions  dans le bus quand nous le vîmes sur le bord de la route avec Gene à l’intérieur. Nous nous sommes arrêtés pour voir ce qui n’allait pas, Gene raconta que le gars était crevé et qu’il s’était endormi au volant, qu’il conduisait très vite   qu’il était complètement taré, il ajouta ‘’je veux voyager avec vous les gars’’  par la suite Gene a voyagé avec nous dans le bus plutôt qu’avec ce type… Gene était à l’aise, toujours un truc à dire, Bonjour  les branleurs !  Holà  les agités ! Gene se comportait naturellement, il avait le sens de la répartie, il y avait des moments de rigolade chaque fois qu’il montait dans le bus… Une fois descendait dans  un hôtel Gene a avisé ce quotidien anglais, il était géré par Don Arden, et aussi un certain temps par la femme d’Ozzy, Gene a lu l’article sur Don Arden, nous avons vu son visage glisser s cette tournée particulière en France malheureusement ce n’était pas un manque de respect   envers quiconque de déclarer que nous étions très jeunes, Gene est monté sur ses grands chevaux, mais je pense que le gars était un fan et qu’il était en train de faire notre promotion, même si c’était maladroit, ça partait d’une bonne intention… La tournée était à court

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d’argent, je pense que le père du gars, le père de l’ami qui avait mis de l’argent essayait de faire arrêter la tournée, c’est ainsi que les deux derniers shows furent annulés, comme Gene n’a pas été payé nous ne l’avons pas été non plus, nous fîmes tout de même le show mais Gene ne le fit pas. Il y a  eu d’autres désagréments  du même style. Dans un village, à Lons-le-Saunier, je me souviens qu’il y a eu une émeute, c’était un bâtiment de pierre, ils ont commencé à mettre le feu à des cartons, à des papiers, à des emballages, ces jeunes français protestaient parce que Gene n’apparaissait pas, ils ne nous ont fait aucun mal, ils étaient sympas et presque heureux de notre boulot, mais ils étaient en colère parce que Gene n’était pas là,  ils menaçaient de mort le manager, alors que nous nous nous apprêtions à sortir par la porte de derrière l’on se trouva face à des centaines  de fans français vraiment en colère, aussi nous avons désigné un des meneurs de ces mécontents comme leur porte-parole, il était capable de comprendre l’anglais et il nous a expliqué pourquoi ils étaient en colère et nous lui avons expliqué la situation,  il est  repartit expliquer aux fans la situation et ils se comportèrent comme des gentlemen, nous n’avons pas eu de problèmes, les gars nous ont laissé sortir du bâtiment, le truc c’est qu’ils se sont désintéressés du van et mais ils s’en sont pris aux pneus  de notre bus, plus tard ils regrettèrent leurs actes, le matin suivant ils revinrent, ils s’emparèrent des pneus, les ramenèrent gonflés, et les montèrent à leurs places. Voilà un genre d’aventure vraiment presque amusante, mais ils étaient encore joliment en colère de n’avoir pas

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vu Gene, alors qu’en vérité Gene n’avait pas été payé… Gene était une des plus agréables personnes que vous pouviez rencontrer quand il n’avait pas bu, mais quand il avait bu, ce n’était plus la même personne, il a pu être un peu colérique avec nous quelques fois, spécialement envers les producteurs, vous connaissez les managers et surtout les promoteurs… quant à cette photo, cette photo a été prise en

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France, en juin 1970, nous nous étions arrêtés pour prendre un café ou autre chose, j’ai juste demandé à Gene  de prendre une photo, je possède plusieurs photos avec Gene… il avait horreur de ne pas être payé, spécialement lors des tournées en France, il était hors de lui si le fric n’arrivait pas à l’heure dite, il s’agitait, il voulait son argent, si quelqu’un lui donnait un chèque comme une fois à à l’Université de Swansea, nous avions fait ce gig avec lui et à la fin du show le secrétaire général du College vint et dit – voici votre chèque, destiné à moi et aux Houseshakers, et voici le chèque pour Gene, pouvez-vous le lui donner, - non sa loge est en bas, descendez le lui porter vous-même – pourquoi c’est juste pour que vous  le  lui donniez ! Nous savions qu’il voulait du cash, nous nous sommes précipités derrière la porte,  le gars est reçu de cette façon – je ne veux pas de cette putain d’enculerie… l’on entend Gene  déchirer redéchirer et déchirer encore le chèque en jetant les morceaux à la ronde, le gars est ressorti blanc comme une merde… J’ai eu une 1959 Chevrolet Impala, ma première grosse américaine, j’étais juste en train de m’habituer à ce monstre, je me rends à cet hôtel in Heram prendre Gene, il s’était installé à l’arrière de la voiture, quelque chose clochait, soudain nous l’avons entendu s’étouffer et tousser,  Marcia dit à Gene ‘’nous ferions mieux d’aller à l’hôpital, c’est ton ulcère’’, au même moment dans le rétro j’ai vu Gene poser sa main sur la bouche de Marcia car il voulait que personne ne soit au courant de sa maladie,  tout de suite il se remet à tousser et à vomir du sang et de l’alcool au fond de la voiture, il était un peu délirant et nous l’amenâmes à l’hôpital le plus proche, nous passions le portail Gene lève les yeux et voit le mot ‘’hospital’’ il a tout de suite paniqué et crié ‘’ si vous me portez là-dedans vous pouvez aussi bien  dire adieu à cette putain de tournée’’ Marcia essaya de le persuader mais il répondit ‘’non, non, pas question, c’est fini si tu me mets là-dedans c’est fini !’’ aussi nous le ramenâmes, il s’endormit à l’arrière

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de la voiture… j’ai dû emmener Gene faire une interview radio, je ne sais pas si vous l’avez entendue, le gars est mort tristement l’année dernière, un gars nommé Johnny Peel, Johnny était un bon gars, il était un big fan de Gene Vincent,  à l’époque il avait questionné  Gene sur son label Dandelion lors d’un show, nous sommes allés faire cette radio avec John Peel, aussi j’ai pris Gene à son hôtel, redoutant le pire, je venais juste de nettoyer la bagnole, Gene ayant été malade à l’arrière de la voiture, j’avais passé un bon moment avec un seau d’eau à nettoyer la voiture, donc je vais à l’hôtel prendre Gene, et il était en forme, de bonne humeur, il était brillant, il était bien, il était souriant comme à son habitude, il est sorti, allez on y va, on y va, nous avons roulé jusqu’au  Playhouse Theater in London, pour enregistrer ce show TV, non ce radio show pour John Peel… Plus tard après cette entrevue Gene      me dit : je suis vraiment désolé pour la voiture, je vais payer pour la faire nettoyer et laver correctement, j’ai répondu je m’en suis chargé, il m’a offert de l’argent, mais je n’ai pas eu le cœur de prendre cet argent car j’étais triste de voir qu’il était malade… L’ironie de cela est que je l’ai vu,   j’étais dans ma grosse Chevy, j’étais en train de conduire, je partais quelque part rencontrer une petite amie,  là où je me rendais se situait in West London, je débouchais sur le croisement de la Main Road lorsque j’ai vu une petite voiture venir sur ma gauche tut-tut klaxonna-t-elle, je regardais par la vitre et la première chose que je vis c’était Gene Vincent qui me fixait, il était dans la voiture d’un de mes amis, Lee Tracy qui conduisait, il se dirigeait vers le nord,  je baissais la vitre   Gene s’écria – Hello, comment vas-tu, pas de rancune ?   - non ai-je répondu, j’étais comment dire réellement stupéfait, surpris de voir Gene ainsi, ce fut ma dernière impression, c’était la dernière fois que je le voyais vivant car trois semaines plus tard j’ai entendu à la radio qu’il était mort, j’ai compris d’après mon expérience la gravité de ses problèmes d’estomac… il était une des icones du début du rock’n’roll, malheureusement sur la fin des fifties, les USA lui tournèrent le dos, ils n’ont pas reconnu qu’il avait eu par la suite encore   une bonne partie de sa carrière  en Angleterre et en Europe… je pense qu’en France, il était énorme, il était comme un héros, il l’était aussi dans la plupart de l’Europe, mais en Angleterre et en France il était encore un nom qui comptait, est-ce la faute à son problème d’alcool ou non tout un tas de personnes l’ont laissé tomber, je n’en sais rien, peut-être est-ce cela, mais il aurait mérité une plus grande reconnaissance, ironiquement il a été davantage reconnu à la fin du vingtième siècle et au début du vingt et unième siècle, il a obtenu le statut de héros et a été considéré comme l’une des principales icônes du rock’n’roll, maintenant davantage qu’à son époque, si Gene Vincent et les Blue Caps donnaient des concerts avec les fans qu’il a aujourd’hui je pense que ça serait à guichets fermés, je le pense fermement, hélas c’est trop tard.

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Transcription : Damie Chad.

Notes :

Manifestement Graham Fenton puise dans ses souvenirs et ne donne que très peu d’indices chronologiques…

Pour la description de la tournée française le lecteur se rapportera au livre paru chez Camion Noir : Gene Vincent, Dieu du rock’n’roll de Jean-William Thoury. Un ouvrage indispensable.

Pour la séquence au Playhouse Theater, Gene Vincent  est interwieuvé par Keith Altham.

Thelma Riley a été la première femme d’Ozzy Osbourne le chanteur de Black Sabbath, a-t-elle travaillé avec Don Arden ?   Graham ne confond-il pas avec Norm Riley qui fut manager de Gene aux USA qui était en Angleterre en 1960, il connaissait Larry Parnes qui organisa la tournée avec Gene Vincent et Eddie Cochran. Don Arden qui était le présentateur de cette tournée récupéra le management de Gene… peut-être n’ai-je pas compris ce que disait Graham. A ma décharge je dirais que les anglais ont vraiment un mauvais accent lorsqu’ils parlent leur langue !

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L’album : I’m Back and I’m Proud est sorti le label Dandelion en janvier 1970 en Angleterre et en Mars 1970 aux USA. John Peel (1969 -2004), présentateur sur Radio 1 fut un véritable catalyseur historial de la musique rock. Notre Cat Zengler lui a consacré sur notre site plusieurs chroniques.

Cette vidéo, ainsi que beaucoup d’autres, est en accès libre sur la chaîne YT de VanShots – Rocknroll Videos

 

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