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  • CHRONIQUES DE POURPRE 643: KR'TNT 643: ELVIS PRESLEY / PIXIES / SONIC BOOM / CORMAC McCARTHY - JEAN-FRANCOIS JACK - FLAUBERT / CHUCK BROOKS / CHIP TAYLOR / SCIONS / ERIC CALASSOU / MARIE DESJARDINS / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 643

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    02 / 05 / 2024

     

    ELVIS PRESLEY / PIXIES / SONIC BOOM

    CORMAC McCARTHY - JEAN-FRANCOIS JACQ  - FLAUBERT   

    CHUCK BROOKS / CHIP TAYLOR

    SCIONS / ERIC CALASSOU 

    MARIE DESJARDINS / ROCKAMBOLESQUES  

      

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 643

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

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    Je connais Sergio Kazh, un gars sympa, photographe et fondateur de la revue Rockabilly Generation News, l’est peut-être comme moi rempli de milliers de défauts, toutefois je peux témoigner à sa décharge qu’il lui en manque un, des plus importants, le mensonge : non Sergio Kazh n’est pas un menteur ! Figurez-vous que voici quinze jours il m’envoie un très court message surprenant : ‘’ Tu vas recevoir le Graal’’. Le Graal me suis-je demandé et pourquoi pas tant qu’il y est  le Ptyx mallarméen  en supplément, le Sergio il est gentil, mais il raconte un peu n’importe quoi.

    Ben non, quinze jours plus tard j’ouvre ma boite à lettres, juste une enveloppe blanche, un peu épaisse au toucher certes, mais pas le genre de colissimo à contenir le sacré graal tant recherché par les fameux chevaliers de la Table Ronde. J’étais un peu déçu, je m’étais dit que si c’était vrai je le revendrais aux enchères et que je pourrais me payer un petit resto pas cher avec mes deux chiens. J’ai ouvert l’enveloppe, j’ai été ébloui, non seulement le graal était dedans mais il y en avait deux !  

    ROCK’N’ROLL MAGAZINE

    ROCKABILLY GENERATION

    HORS-SERIE N° 5 – PARTIE 1

    ELVIS PRESLEY

    1935 – 1955

    L’ENFANT DIVIN

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             Z’ont peur de rien chez Rockabilly Generation, que reste-t-il à écrire sur Elvis, son histoire est connue de fond en comble, tout a déjà été dit. Mais là, ils sortent le grand jeu, non pas deux numéros à la suite, mais deux Hors-Série en même temps.

             Commençons par désigner les coupables, Sergio à la manœuvre et aux photos, Gilles Vignal  aide technique et support encyclopédique, Sylvie Monin, Yolande Gueret, Pascale Clech, petites mains indispensables sans lesquelles il n’y aurait pas de grands projets.

             Ce n’est pas tout. Depuis son apparition dans la revue, la rubrique Racines tenue par Julien Bollinger attire l’attention, il s’y connaît et il écrit bien, ce n’est donc pas étonnant d’apprendre que c’est lui qui a rédigé l’ensemble des textes des deux numéros. Je n’ose pas me demander combien de recherches, d’heures, de nuits et de jours lui ont été nécessaires… Des années car Julien Bollinger ne nous donne pas une énième biographie de l’enfant de Tupelo, il nous présente sa vision d’Elvis Presley, une défense et illustration de ce personnage insensé aujourd’hui ficelé dans une camisole dorée qui ne lui appartient plus, que notre auteur essaie de saisir tel qu’en lui-même la légende l’occulte.

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             L’enfant divin. Le titre peut poser question. Non Elvis n’est pas né de la cuisse de Jupier. Un gamin comme les autres. Pas tout à fait, pas venu au monde avec une golden spoonfull dans la bouche, mais aimé et protégé par ses parents. Qui tirent le diable par la queue, de parfaits représentants de cette white trash people, cette saloperie blanche, ces pauvres dont la frontière économique jouxte celle des nègres… nous sommes dans le Sud, pays de la ségrégation, l’on a envie de dire l’autre pays de la ségrégation, l’autre de cet autre n’étant que le Nord des Yankees.

             L’enfant divin, vit à l’abri du monde mais pas de la misère, dans un lieu mental protégé et solitaire, entre son père et sa mère. La musique l’attire, il l’apprivoisera petit à petit, jusqu’à ce jour où il en deviendra, sans le savoir, le maître. Comment cet enfant poli, timide, va-t-il accumuler en lui cette puissance charismatique qui le transformera en bombe humaine. Julien Bollinger ne le dit pas, qui d’ailleurs pourrait le dire à part Elvis lui-même, il ne le dit pas mais il le suggère. Il décrit minutieusement les circonstances et les rencontres  qui vont faire Presley, car l’on est souvent davantage construit que l’on ne se fait soi-même. Bollinger nous montre le chemin que Presley emprunte sans savoir où il le mènera mais qui lui permettra de devenir lui-même.

             Evidemment, pour reprendre le titre d’un film brésilien qui sera tourné en 1964, au cours de sa sulfureuse saga Elvis rencontrera le dieu noir et le diable blond. Le premier s’appelle Sam Phillips et le deuxième Tom Parker. Phillips révèlera Elvis à lui-même, Elvis a trouvé sans le savoir ce que Sam cherchait. C’est l’étincelle salvatrice, celle qui tire Elvis de son incertitude qui le met sur les rails. Il chante dans des bleds paumés, les jeunes du coin aiment son style. Une idole locale. Mais ce n’est pas avec cela que l’on conquiert l’Amérique.

             Elvis n’a pas les dents qui rayent le parquet, mais Parker le colonel a les idées longues, l’a aussi du savoir-faire, de l’expérience, de l’entregent et l’assurance qu’Elvis ne possède pas.

             Le magazine fourmille de renseignements, Julien Bollinger décrit les lieux, dessine le portrait des protagonistes, il montre, il dévoile, il révèle, il redonne vie à tout un monde aujourd’hui disparu, il nous captive, il nous retient prisonniers, il déroule un scénario dont nous ne sommes les héros que par procuration.

    ROCKABILLY GENERATION

    HORS-SERIE N° 5 – PARTIE 2

    ELVIS AARON PRESLEY

    1955 – 1958

    THE KING

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                    L’on ouvre le tome 2 avec regret, le tome 1 nous a emmenés si loin que l’on aimerait qu’il n’y ait pas de suite, que tout se soit arrêté-là… Julien Bollinger possède plusieurs as dans sa manche, le cœur et le pique. Nous avons vu grandir le gamin, mais Elvis n’est pas encore Presley. Certes les géniales et originelles sessions chez Sun ont été plus que prometteuses mais c’est en rentrant chez RCA qu’Elvis se révèle. N’y a plus Sam aux manettes, c’est Elvis qui commande, qui sait, qui impose son savoir-faire.

             Idem pour les concerts. Ne suffit pas de chanter. S’agit de créer le rock’n’roll, de le démarquer de toutes les musiques qui existent déjà. Elvis comprend que l’on ne chante pas avec sa voix, mais avec son corps. A son corps défendant. Mais il ne le sait pas. Ses manières de nègres et ses outrancières attitudes sexuelles par trop explicites ne plaisent pas à tout le monde. Que la jeunesse blanche se mette à l’écoute de la musique noire n’est guère admissible. Décadence et fin de la ségrégation en vue. Hommes politiques conservateurs, élites blanches et Klu-Klux Klan s’inquiètent.

             Parker a tracé les limites : petit tu t’occupes de la musique et moi du cash. Pour le cash Parker tiendra parole. Pour la musique aussi. A sa manière, l’air de rien, il fait le vide autour d’Elvis, avec des contreparties, des passages-télé, des films, mais toujours de petites suggestions d’améliorations… qui ne sont que des affadissements… L’on ne tue pas la poule aux œufs d’or, on la met en cage. Bollinger admet qu’il n’a pas de preuves, mais selon lui si Elvis s’est retrouvé à l’armée ce n’est pas parce que l’administration militaire… Lorsqu’Elvis comprendra, ce sera trop tard.

             L’on peut se demander pourquoi Elvis n’a pas rué dans les brancards, pourquoi il n’a pas renversé les tables de la loi du profit financier, simplement par honnêteté, le respect de la parole donnée, la peur de dégringoler aussi vite qu’il était monté sur le toit du monde, quel pacte faustien avait-il passé avec le Colonel, à moins que ce ne soit le Colonel lui-même qui ait été manipulé au vu de son trouble passé par des forces réactionnaires très puissantes…

    L’histoire d’Elvis est celle d’une défaite, Julien Bollinger la métamorphose en victoire, Elvis révolutionne la manière de faire la musique, il est en avance sur tous les autres mais surtout sur son temps, il dérègle l’ordre du monde, l’Amérique ne sera plus jamais pareille. Il perdra son royaume, mais il restera le King mythique pour toujours.

    Ceux qui aiment Elvis, ceux qui ne l’aiment pas, ceux qui s’en foutent, ont intérêt à lire ces deux graals, incidemment ils apprendront comment le rock’n’roll est né, et mieux que cela comment il a réveillé le monde en le révélant à lui-même. En lui faisant comprendre ses possibilités illimitées et ses tares intarissables.

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             Attention, ces deux numéros sont de splendides artefacts, elles donnent à lire la vie d’Elvis, mais elles la montrent aussi. Elvis a été l’homme le plus photographié du vingtième siècle, les documents d’époque ne manquent pas, encore faut-il faire le bon choix, les mettre en évidence, leur pertinence doit signifier et renforcer le texte. Leur force aussi, l’a fallu les  travailler, les éclairer, leur attribuer une nouvelle vie, nous permettre de les voir  pour la première fois, les rendre iconiques, nous retenir, nous hanter. Un seul exemple, même pas pris au hasard, tome 1 page 3, la première photo, avez-vous déjà vu un noir aussi intense, aussi mystérieusement presleysien, Sergio Kazh est un magicien. Il révèle, lui aussi il donne sa vision. Celle qui donne son sens à l’image.

             Damie Chad.

    Attention : vu la qualité de ces deux Hors-Séries d’emblée des collectors, passez commande au plus vite :

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    Wizards & True Stars

     - Have you seen the little Pixies crawling in the dirt?

    (Part Five)

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             Frank. Black. Franc. Bloc. Rock. Blue. Bât. Flanc. Big. Front. Free. Bad. Bossanova et Trompe Le Monde. Les Pixies font de nouveau trembler les colonnes du temple parisien, l’Olympia. Ils rejouent ces deux albums qui ont tétanisé pas mal de kids à travers le monde dans les années 90. Ah tu l’as dansée la Bossanova. Pas ton préféré des quat’ premiers, comme on dit, mais quand le gros descend «Down To The Well» pour lancer l’assaut à chaud, tu ravales ta morgue et ta morve, Down to the well/ Betty always knows, il éructe ça au gras du bide, il incarne le rock mieux que tous les autres rois du raw, et il plonge dans l’hystérie les milliers de brebis entassées dans la fosse à coups d’I can hardly wait baby/ I can hardly wait/ Til we go down to the well, il n’existe rien de plus pressant, de plus brutalement beau et puissant que cette injonction, il l’hurle à moitié, il chante hors du temps, il écrase le rock et l’idée qu’on s’en fait, on comprend une fois de plus que le rock n’est qu’affaire de puissance et de somptueuse brutalité. Tu veux faire du rock ? Apprends à enfoncer ton coin à coups d’I can hardly wait baby jusqu’au bout, jusqu’au Til we go down to the well, et le show à peine commencé, la masse de brebis ondule comme l’océan dans la tempête. Tout vole en éclat, les accastillages, les coques, les culs blancs, les conques, les cliques et les claques, c’est une communion dans la violence au paradis, ton être reçoit et diffuse, tu descends au puits avec le gros et tous ses fans, tu vis enfin dans l’instant, tu goûtes à l’éternité de l’instant, et ce downnnnnnnn to the well te résonnera dans les oreilles pendant des jours et des jours. En certaines occasions, le rock prend l’allure d’un accomplissement. Voilà, c’est là. Très exactement là. Merci le gros pour ces minutes de sable mémorial. Au moment où tu tapes ces mots, ces minutes sont derrière toi, mais tu refuses de les voir s’effacer, alors comme tu es un petit présomptueux, tu tapes qu’elles ne vont pas s’effacer. Elles ne vont pas s’effacer. Elles ne vont pas s’effacer. Pas s’effacer. Pas...

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             Le gros est ton meilleur ami. Tu sais pourquoi ? Parce qu’il te chante ton cut préféré des Pixies, «Letter To Memphis». Ah oui, on a les copains qu’on mérite. Et là, le gros ne fait pas dans la dentelle. Il t’introduit son The day since I met her/ I can’t believe it’s true dans la vulve, il t’honore comme tu honores ton épouse, mais en même temps, il honore le rock, pire encore, il le sanctifie, tout à coup, le rock du vieux devient religieux, purement religieux, c’est-à-dire mystique, I’m sending a letter/ I’ll send it right to you/ I’ll send it to Memphis, oh comme il appuie le phis de Memphis, il chante ça d’un air imperturbable, mais il est forcément dans le même état que toi, en vrac sensoriel, car ce Trying to get to you/ How I tried to get to you/ Trying to get to you te broie le cœur, te plonge dans l’extase mystique, le gros prend un ton de voix déphasé, brouillé comme un écran brouillé, cette voix crépite dans des inter-zones, tu en captes le moindre détail, tu pries le diable pour que le temps s’arrête, car voilà la félicité telle qu’on la décrit ailleurs, mais celle-là n’est pas la même, elle est rock, c’est la félicité de la Lettre à Memphis, rien à voir avec celle des fucking curetons. C’est dire si les fucking curetons n’ont rien compris à rien : s’ils chantaient «Letter To Memphis», ils rempliraient leurs églises comme des Olympias. Ce sont des évidences qui te fatiguent, comme toutes les évidences.  

             Tiens, quand le gros attaque «Head On», tu te dis que t’es pas sorti de l’auberge et c’est tant mieux. Une fois de plus, tu vas pouvoir chanter ça à tue-tête avec les milliers de brebis rassemblées dans la tempête, en même temps, tu vas revoir Jean-Jean attaquer comme le gros dans le virage l’As soon as I get my head around you/ I come around catching sparks off you et tu vas voir l’Head On monter en température comme un Krakatoa en colère décidé à rayer le genre humain de la surface de la terre à coups de Makes you wanna feel, makes you wanna try/ Makes you wanna blow the stars from the sky, eh oui, tu prends une fois de plus ce wanna blow the stars from the sky en pleine gueule et tu tends l’autre joue, tu fais ton Gandhi, t’en peux plus de faire le maso, il pleut des coups, le gros t’entraîne, il te plonge dans tes souvenirs de répètes et une fois encore dans l’éternité de l’instant, te voilà écartelé, te voilà Ravaillac Gandhique, te voilà gros-Jean-comme-devant, le rock décide de tout, le gros est ton maître, tu es sa brebis, vazy écartèle les cuisses, ça te rentre par tous les pores de la peau et tu te dépêches de chanter car la diligence revient dans le virage, Yeah the world could die in pain/ And I wouldn’t feel no shame, ah oui, le feel no shame te coule dessus comme une semence de félicité, tu savoures les miasmes à pleine bouche, tu chantes avec de la semence de félicité plein la gorge à t’en étrangler de jouissance, tu y vas de toutes tes forces, car tu n’as plus le choix, tu ne peux plus reculer, alors tu te jettes dans l’écume du jour à coups d’And I’m taking myself/ To a dirty part of town/ Where all my troubles/ Can’t/ Be/ Found en concordance exacte avec le gros et tu fusionnes avec son lard, avec son gras du bide, tu fusionnes avec le rock le plus cosmique de l’univers, tu te take to the dirty part of town une fois encore et c’est un peu comme si tu épousais le rock, veux-tu prendre le rock pour époux, oui, oui, oui, avec les poux de Joey Santiago, et comme d’habitude l’Head On finit en eau de boudin et s’encastre dans le platane d’un coup ralenti de makes you wanna blow the stars from/ The/ Sky, et te voilà veuf, inconsolable, seul au monde. Chaque fois c’est pareil : tu finis veuf. Baisé. Trahi par le destin. Seul. Maudit. Tout ce qu’il te reste à faire, c’est d’attendre la suite. Tu ne vis plus que par curiosité. Quelle autre forme de sentiment pourrait t’animer après un tel drame ?

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             Oh des drames il en pleut encore. «Velouria» te re-traumatise, trop vénitien, trop perverti, trop délicieusement fourbe, trop embué d’imbu, c’est un serpent sonique qui te rentre dans la gorge, c’est pas lui qui t’avale, c’est toi qui l’avales, c’est encore pire, tu veux pas mais t’es obligé, My Velouria/ My Velouria/ Even I’ll adore you/ My Velouria, tu veux dégueuler, mais tu peux pas, avale, de toute façon ton corps n’est qu’un passage, ça rentre et ça sort, alors avale, tu ne sers à rien d’autre qu’à avaler My Velouria, sacré serpent qui se tortille dans ta gorge à coups de We will wade in the shine of the ever, et si, pour te changer un peu les idées, tu veux creuser pour trouver du feu, alors creuse avec le gros, car «Dig For Fire» te transforme en Tchernobyl à deux pattes, ah les concerts du gros ne sont pas de tout repos. Et il te précipite une fois encore dans la centrale nucléaire, ça explose avec le subreptice And then he said qui entraîne fatalement l’I’m diggin’ for fire, car dans ces cas-là il faut savoir la suite, alors l’old woman/ She lives down the road ou l’old man who spent so much of his life sleeping te font, via le gros, cette réponse : I’m diggin’ for fire, dix fois I’m diggin’ for fire, au cas où t’aurais pas bien compris, oui dix fois, on les a comptées. Le gros n’en finit plus d’enfoncer le même vieux clou et ça marche à tous les coups. Tu vis son rock physiquement. C’est un rock qui d’une certaine façon te transforme, c’est un rock qui te manipule, qui te modèle, au sens de la pâte à modeler. Autant faire ça bien.

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             Alors tu crois t’en tirer à bon compte, mais non, tu reçois «Motorway To Roswell» sur le coin de la gueule, il arrive en fourbasse, beau mais boom car c’est la mélodie du bonheur avec la puissance des forges, le Motorway arrive au tagada de Last night he could not make it/ He tried hard but could not make it, et cette boule de pus, cette pomme d’amour t’allume à la subreptice en miaulant l’He started heading for the motorway la bouche en cœur, And he came right now, beau mais boom encore avec «Palace Of The Brine», l’insidieux Palace comme pas deux, cet air de rien qui s’enroule autour de toi comme un joli petit serpent vénéneux, A life that’s so sublime et ça dégringole dans le Palace of the brine, le gros te révèle tous ses secrets, chaque cut est un nouvel accès à son intimité intellectuelle, c’est un peu comme si tu te penchais sur son oreille et que tu voyais sa belle cervelle rose palpiter, elle palpite pour toi, le gros chante pour toi, et comme il est gentil, il chante aussi pour les autres, oh le boom de «Planet Of Sound», tu le connais par cœur, tu en connais tous les replis, les poils et les orifices, comme si tu avais passé ta vie à les examiner et à les tripoter, alors tu tripotes encore ton This ain’t the planet of sound, et une fois de plus tu réalises que tout Nirvana vient de ce refrain, car ce This ain’t the planet of sound n’est rien d’autre qu’une bombe atomique, l’une des plus violentes de l’histoire du rock. Même niveau qu’«Helter Skelter». Comme avec le gros ça n’arrête jamais, l’all nite long repart de plus belle avec une autre bombe atomique, «U-Mass» et sa ribambelle d’appels à l’émeute des sens, oh dance with me/ Oh don’t be shy/ Oh kiss me cunt/ And kiss me cock, le gros veut baiser, le gros provoque, il fait du Dada cul à coups d’oh kiss the world/ Oh kiss the sky/ Oh kiss my ass/ Oh let it rock, tu ajouterais presque while I kiss the sky, mais le kiss my ass du gros est plus performant, c’est sûr qu’on lui kiss l’ass, pas de problème, et il t’enfonce son clou dans la paume à coups redoublés d’it’s educational/ It’s educational. Comme s’il réinventait non seulement le rock, mais aussi la puissance et la modernité. Il n’existe pas d’artiste plus complet et plus fulgurant que ce magnifique gros lard.

             Et ça se termine d’un coup de «Caribou». Mais un «Caribou» demented qui crève les cieux car le gros va au bout du booo du Cariboo-ooo puis il plonge dans les entrailles de l’enfer pour aller chercher des graves de Repent qui te foutent à la fois la trouille et la peau en vrac à coups de frissons. Encore pire que Tannhäuser ! Ça te rabote à vif, ça te déplace de toi-même, ça t’emboîte dans Pandora, ça te déboîte la clavicule, tu peux retourner ça par tous les bouts du Cariboo, tu sors transformé du temple. T’es gavé comme une oie. Coin coin.

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    Signé : Cazengler, Picsou

    Pixies. Olympia. Paris IX. 26 mars 2024

     

     

    L’avenir du rock

    - Sonic Boom reducer

    (Part Two)

             L’avenir du rock a toujours aimé les pétards, surtout ceux qui font boom. Aussi loin qu’il se souvienne, il a toujours fait des farces. Le pétard dans la cigarette le fait généralement pleurer de rire. Tu veux du feu ? Boom ! C’est l’hallali de l’ha ha ha. Si l’avenir du rock ne se roule pas par terre, c’est uniquement parce qu’il ne veut pas salir le costume blanc que lui a offert John Cale en gage de reconnaissance pour services rendus à la cause du peuple. Mais à travers ses larmes de rire, l’avenir du rock voit la clope en peau de banane, et ça, dit-il, ça vaut tout l’or du Rhin. À une époque, il adorait accompagner Baby Small au Badaboum. On pouvait y traîner son spleen aviné jusqu’à quatre heures du matin, et le soir du 14 juillet, Baby Small allumait systématiquement un gros pétard rose qu’elle jetait aux pieds des mecs agglutinés au bar. Boom ! Passé l’effet de surprise, personne ne rigolait, sauf l’avenir du rock et Baby Small qui se faisaient virer. Les mecs du Badaboum n’avaient aucun humour ! Si l’avenir du rock est tellement fan de Charles Trenet, c’est bien sûr à cause du cœur qui fait boum, magnifique, Boum/ Quand notre cœur fait Boum, ah il faut le voir l’avenir du rock pogoter dans son salon, Tout avec lui dit Boum/ Et c’est l’amour qui s’éveille, eh oui, c’est la vie, et la vie sans boum n’a aucun sens. Boum encore avec les surboums d’antan, boom encore avec le temps béni des pétards dans la gueule des crapauds, et le rataboum-boum des mobylettes de banlieue et des petites gonzesses en chaleur, et celui-là, le vétéran des vieux souvenirs, le «Boom Boom» d’Hooky de gonna shoot you right down, entendu pour la première fois sur le gros poste de radio jaune qui trônait au sommet du frigo familial, right offa your feet, mais le fin du fin sera sûrement le «Sophisticated Boom Boom» des Shangri-Las repris par Kid Congo au temps des Knoxville Girls, et là, tu as la quadrature du cercle, sans oublier, insiste l’avenir du rock en pointant l’index vers le ciel, le Sonic Boom des Sonics dont Sonic Boom se fera la gorge chaude et des choux gras.

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             Après quarante ans de bons et loyaux service, l’explosif Sonic Boom refait surface avec une sorte d’album mirobolant, Reset. Bon, c’est présenté comme l’album du duo Panda Bear & Sonic Boom, mais rien à foutre de Panda Bear. T’es pas là pour ça. D’autant plus qu’on s’est fait baiser avec un buzz autour du dernier album tout pourri d’Animal Collective, qui est le groupe de Panda Bear, alors ça va, laisse tomber.

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             Avec Sonic Boom, c’est tout de suite dans la poche. Ça fait quarante ans qu’on fait le tour du propriétaire, avec les Spacemen 3, Spectrum, ce mec-là n’a jamais arrêté d’enregistrer des albums géniaux. Tant qu’il reste dans le circuit, l’avenir du rock peut dormir sur ses deux oreilles. Et nous aussi. Reset ? Oui boom dès «Everyday» qui sonne comme un heavy groove de Spacemen 3. C’est assez stupéfiant, quand même - I got something to tell you - Sonic Boom reste dans le vieil esprit demented d’everyday a little bit stronger, wow, c’est du vrai Spacemen stuff ! Il va en enchaîner trois autres comme celui là, il attaque «Edge Of The Edge» en mode Buddy Holly, avec des vents de la mort, c’est tout de suite d’un haut niveau cabalistique, terrifiant de qualité, no no no, avec les effets magiques des sixties, c’est-à-dire une qualité qui te fait dégorger comme un coquillage, qui t’arrête en pleine course, un vrai miracle productiviste, Sonic Boom atteint le sommet du lard, c’est d’une sixties quality invraisemblable, franchement digne de Brian Wilson. Tu es ravi d’écouter cet album, rien que pour «Edge Of The Edge», tu entends des no no no tapés au gras du baryton, c’est tout simplement l’expression du génie sonique de Sonic Boom.

             Avec «In My Body», il va chercher l’influence la plus pure, avec celle de Brian Wilson : Gary Usher. Il se situe dans cette zone d’influence sonique, il atteint à l’imputrescible, il s’en va taper très haut et semble négocier des parts de paradis avec les archanges. Puis il s’offre une belle descente au barbu avec «Whirlpool», le voilà dans la magie communale, avec des accents orientaux et des clap-hands, quelle dérive délirante ! Il faut le voir dériver en père peinard sur la grand-mare des braquemards. Oh mais ce n’est pas fini, car voilà que se pointe le bien dosé «Danger», joué aux castagnettes de Totor, avec une extraordinaire prestance de substance présentielle. Clin d’œil évident. Bravo Sonic Boom ! Ton cœur fait boom ! Il faut aussi saluer le «Gettin’ To The Point» d’ouverture de bal, car on voit cette wild rumba exploser en plein vol. Le beat est celui des reins, Sonic Boom s’y connaît en beat des reins. Il a fait ça toute sa vie. Quand il fait de la petite pop avec «Go On», il la drive fabuleusement, il y va aux clap-hands et au give it to me. Le petit  Panda Bear chante à la mode de la mormoille, mais Sonic Boom pèse de tout son poids.

             Comme toutes les belles histoires, celle-ci touche à sa fin. «Livin’ In The After» bénéficie d’une belle envolée orchestrale. On attend Dario Moreno et c’est Sonic Boom qui vient danser dans la télé, il est même fabuleux de contre-feux, il vient faire du Spacemen de kitsch exotica, avec tout le power de la prod. Sonic Boom concentre tellement de pouvoirs qu’il pourrait bien être le Zeus du rock.

    Signé : Cazengler, Sonic Bouse

    Panda Bear & Sonic Boom. Reset. Domino 2022

     

     

    La triplette de Belleville

     

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             Bien évidemment, Cormac McCarthy, Jean-François Jacq et Flaubert n’ont rien à voir avec Belleville. Il s’agit simplement d’une triplette voulue par le destin : dans le même laps de temps, trois amis te recommandent chacun un bon livre (Cormac McCarty/ Méridien De Sang, Régis Jauffret/ Dictionnaire Amoureux de Flaubert, et Jean-François Jacq/ Il Fera Bon Mourir Un Jour). Alors, pour les remercier de cet égard, tu les lis. C’est la moindre des choses. Viendra ensuite l’occasion d’en causer. Comme le disait si bien Raymond Roussel, il est toujours intéressant de confronter les Impressions d’Afrique.

             Et si cette triplette de Belleville surgit ici, sur ce bloggy bloggah, la raison en est simple : ces trois books sont extrêmement rock. De la même façon que Kerouac, Burroughs, Houellebecq et Céline sont des écrivains rock. 

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             Le McCarthy s’appelle en réalité Blood Meridian. Un traducteur nommé François Hirsh a dû bien batailler avec le texte originel, car sa réécriture du McCarthysme est globalement maladroite, parfois fanatisée, souvent taillée à l’emporte-pièce, bancale, décousue, le texte sent le roussi, la blessure mal soignée, la poudre, bien sûr, l’épuisement (450 pages), on le sent exténué, l’Hirsh, à genoux au bord du texte, il tire la langue, et pourtant il continue d’avancer, car en même temps, toute cette violence le titille et le galvanise. Comme le lecteur, il veut savoir ce que vont devenir ses personnages principaux. Comme toi, il espère secrètement que ces deux ordures, Glanton et le juge, vont se faire descendre. Et puis il faut bien que ces horreurs franchissent la barrière de corail du langage, alors l’Hirsh s’y colle, il pousse ses tombereaux de cadavres scalpés et mutilés, il te ramène ça sous le nez, il te met le museau dedans, ô brave lecteur français, il en tartine des pages entières, et parfois la trad s’emballe, c’est peut-être la prose délicate de McCarthy qui s’emballe, en tous les cas, les massacres s’étendent sur des pages et des pages, alors il épuise tout le stock de vocabulaire afférent. Quand ils sont tous morts, il n’y a plus de mots. Hélas, ou tant mieux, car il faut bien reprendre le fil du récit, la trad n’attend pas, les rotatives non plus, et puis des gens, il en existe encore des millions qu’on peut aller massacrer, des Indiens, des Mexicains, des Palestiniens, des Vietnamiens, des Irakiens, ça sert à ça les gens, alors on ne va pas aller s’apitoyer sur ces quelques villages indiens. Après tout, c’est bien fait pour leur gueule, ils n’avaient qu’à pas se trouver sur la route de cette horde sauvage de tueurs d’Indiens.

             McCarthy nous raconte l’histoire d’un gamin qu’il appelle le gamin. Dans sa forme originelle, il s’appelle forcément le kid. Ici le ‘gamin’ est un mot qui sonne faux, donc c’est mal barré. Aussi mal barré que le Pat Garrett de Peckinpah doublé en français. Cette histoire commence dans le Tennessee quelque part dans les années 1840. Et puisque c’est écrit sur la couverture, la mort commence à rôder à toutes les pages, tout le long du méridien, et même quand elle n’est pas là, elle est là quand même. Le gamin va quitter son trou à rats pour partir à l’aventure. Il va croiser le chemin d’une bande d’«irréguliers» qui sont des tueurs d’Indiens. C’est leur métier. Leur hobby. Leur passion. Alors attention, c’est autre chose que Peckinpah et Blueberry. Ce n’est pas non plus Hollywood ni Jeremiah Johnson, et encore moins le Danse Avec Les Loups de l’autre pomme de terre. McCarthy appelle cette horde sauvage «la compagnie», l’équivalent de ce qu’on imagine être les ‘routiers’ de la Guerre de Cent Ans, qu’on appelait aussi les Écorcheurs. Le gamin, Glanton (chef de la compagnie) et le juge constituent la triplette de Blood Belleville, et ils ne valent pas plus cher les uns que les autres. On est presque content quand un Yuma fend d’un coup de massue le crâne de Glanton «jusqu’à la trachée». Par contre, le juge qui est de la pire engeance sera là jusqu’à la dernière page, personne n’ayant réussi à descendre cette horrible crapule chauve. Pour une raison X, McCarthy protège ce monstre. Seule explication possible : le juge, c’est le diable. Bon donc, aventures, virées sans fin à travers un Mexique encore infesté d’Apaches, et où la vie ne tient qu’à un fil. McCarthy ne nous épargne pas non plus les descriptions de cadavres torturés par les Apaches. Si tu veux voyager au Mexique à cette époque, ça fait partie du jeu. McCarthy donne tout le détail des armes de cette époque, tout le détail des repas et des bêtes qu’on tue pour se nourrir, il décrit avec un soin maniaque les paysages, il y a du souffle, du réalisme poétique, il donne à voir ce qu’aucun d’entre-nous n’aurait jamais pu voir, car il faut chevaucher dans les montagnes et dans les déserts pour voir ce qu’il décrit. Et soudain, on réalise que ce récit n’est pas une ode à la violence, mais une ode à la liberté, cette liberté extrême qu’ont dû vivre ces gens-là, aussi bien «la compagnie», que les mineurs ou les «immigrants». C’est une région du monde où tout est permis. Et où rien ne se passe normalement, visiblement. La compagnie voyage pour tuer. C’est encore l’époque du commerce des scalps. Si quelques Indiens ont survécu, c’est un miracle. Les nazis ont employé exactement les mêmes méthodes. Search & Destroy. Tu sors de ce livre un peu hagard. Bouche ouverte avec un filet de bave. Et tu n’as plus aucun respect pour l’Américain moyen, issu de cette barbarie, et fier de son histoire. Il serait peut-être plus juste de dire qu’on est tous issus de la barbarie.

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             Allez, on va oser un petit parallèle, ça ne mange pas de pain : Jean-François Jacq, c’est Cormac McCarthy en France. Alors attention, on ne croise pas d’Indiens scalpés dans Il Fera Bon Mourir Un Jour. On croise juste les mots d’un homme aussi abîmé que le gamin de McCarthy, qui pendant 200 pages lutte pour survivre. Ce qu’il décrit est aussi inaccessible que ce que décrit McCarthy : Jacq passe les premières années de sa vie à prendre des coups dans la gueule, pim pam poum, puis il s’échappe, vivote et finit par se retrouver à la rue, et découvre pour finir, à l’âge de 22 ans, que sa mère et sa sœur sont atteintes de schizophrénie incurable, d’où l’explication des coups dans la gueule. Eh oui, amigo, les coups dans la gueule quand t’as 6 ans, c’est bien plus rock que de lire les Inrocks rue de la Roquette - Crochet du droit, que tu en prennes plein la vue. Enchaînement, crochet du gauche, que tu en prennes plein la gueule - Il en chie dans son froc. C’est lui qui le dit. Du coup, le lecteur en prend aussi plein la gueule. Damie Chad aussi, lui qui, en février dernier (livraison # 630), dans un texte frénétique, recommandait la lecture de ce livre - Ne cherche pas à apitoyer le lecteur sur son enfance malheureuse. Ni sur sa jeunesse calamiteuse. Gardez vos larmes, il s’occupe du crocodile - C’est donc une autobio qui halète dès l’intro, Jacq écrit le souffle court, il tente de décrire l’indescriptible. En intro de son chapitre 3, il sort d’ailleurs d’on ne sait où un exergue qui parle tout seul : «(...) Je me sens comme les anciens déportés des camps de concentration, car lorsque je témoigne, je me rends compte que mon auditeur ne peut pas réaliser la profondeur de ma souffrance et la gravité de mon vécu.» Et il signe ça «Anonyme. Récit d’un enfant de mère schizophrène», qui ne peut être que lui.

             Ce texte se lit le souffle court, comme il fut sans doute écrit. Jean-François Jacq réussit à transformer le plomb de sa vie de chien en or littéraire, et il n’en rajoute pas. Il s’applique à sonner juste, au plus près de ce qu’il a ressenti. Comme chez McCarthy, la mort rôde en permanence, dès le titre, et mille fois, il se demande pourquoi il continue à supporter tout ça. Il se retrouve même quasiment mort à l’hosto, et lorsqu’il décide de survivre, il survit. On la sent nettement dans son écriture, cette force de vie. Il est au-delà de malheur - au-delà du bien et du mal dit Damie - sa seule ressource, ce sont les mots. Il laisse cette impression constante de ne vivre que pour les mots. Il n’a rien. Si, une sœur ! Une sœur qu’il va essayer de sauver, car elle est elle aussi très mal barrée. Et puis il y a Frida, comme dans la chanson de Brel, une dame qui l’aide à quitter la rue, qui lui trouve une place dans un foyer «pour se reconstruire». Tu parles d’une reconstruction ! «Ce foyer, un miracle», dit l’auteur, et Frida lui «remet un sac de voyage, spécialement préparé pour toi», avec des petites affaires, Jean-François Jacq les décrit, c’est l’un des passages les plus émouvants du récit - À l’intérieur, un change propre. Radio-réveil, une cartouche de cigarettes. Diverses emplettes pour la toilette. Un petit mot d’encouragement. Plus un billet glissé affectueusement dans l’une de tes poches - Jacq décrit ce geste de charité chrétienne avec minutie, et te voilà avec lui saturé d’émotion. Tu recoupes ce passage avec le souvenir récent d’un homme qui avait hébergé chez lui un ami nommé Laurent pour les deux derniers mois de sa vie. En rencontrant cet homme pour la première fois, je compris qu’il pratiquait la charité chrétienne au sens où elle avait dû exister à l’aube des temps, avant l’établissement de l’Église. Frida et cet homme sont exactement le même type de personnages. Laurent va mourir et Jean-François Jacq va vivre, mais tous les deux auront connu la grâce de cette charité qui vient tout droit de l’enseignement du Christ, et qui n’est pas encore pervertie par les dogmes et par les bloody fucking prélats. Le catholicisme a tué la chrétienté, de la même façon que Staline a tué le marxisme. 

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             L’écrivain le plus rock des trois est sans doute Flaubert. Pas facile de transgresser les lois du temps, et de ramener un gaillard comme lui dans la réalité du rock. Ses textes sont tellement brillants qu’on pourrait pour rire négocier des équivalences. S’il écrivait hier Salammbô, il enregistrait aujourd’hui Electric Ladyland. Hier Bouvard & Pécuchet, aujourd’hui le White Album. Hier Madame Bovary, aujourd’hui The Rise & Fall Of Ziggy Stardust And The Spiders From Mars. Hier La Tentation De Saint-Antoine, aujourd’hui A Christmas Gift For You From Philles Records. Hier L’Éducation Sentimentale, aujourd’hui Pet Sounds. Hier Trois Contes. Aujourd’hui The Piper At The Gates Of Dawn. Bon, avec son Dictionnaire Amoureux de Flaubert, Régis Jauffret ne prend pas du tout ce chemin là. Il reste dans une approche plus traditionnelle. Une approche plus tactile, dirons-nous. Plus dionysiaque. Il se montre même très familier avec son «bon Gustave». Il ne nous cache rien de ses petits tracas de santé, ni de la syphilis supposément ramenée du fameux voyage en Orient, ni des dents pourries, ni des merveilleuses petites crises libidineuses, ni de son coup de fourchette - notamment le fameux gueuleton avec Maupassant que détaille Jauffret, huîtres, crevettes, poularde, saumon, trou normand, rôti de bœuf, fromages, fruits et pâtisseries, le tout arrosé de vieux bordeaux non carafés - il ne nous cache rien non plus de ses pipes en terre, de ses longs bains du matin, ni de ses crises d’épilepsie, ni des plumes d’oie qu’il taille lui-même, ni de ses goûts littéraires, ni de ses relations amicales et voire plus si affinités (Georges Charpentier), ni des éclats de ce style étincelant - la beauté tranquille d’un style si pur - L’Eros titille bien Flaubert et Jauffret ne rate pas une seule occasion d’illustrer ce penchant. Pas facile pour un écrivain de se pencher sur un autre écrivain, surtout sur un crack-boom-hue comme Flaubert. Il arrive à Jauffret de se vautrer en vantant par exemple les mérites de la connexion, est-ce de l’humour ? Doutons-en. Ailleurs, il fait monter les amis de Flaubert en partance pour Croisset à la gare d’Austerlitz. Mais bon, on lui pardonne, ça ne réfrène pas le plaisir de savourer ce Dictionnaire Amoureux, comme on goûtait autrefois les albums cités plus haut. La cervelle énervée par l’intense fréquentation de Flaubert, Jauffret cite des noms par rafales, Céline («l’enfant de Marcel et le petit-fils de Gustave»), Proust, Isodore Isou, puis Sollers, et ailleurs Balzac et Pierre Guyotat, il parle d’œuvres qui forment des cosmos, il donne un idée de l’infini, puis plonge dans les adaptations, notamment Emma/Isabelle Huppert et Charles/Jean-François Balmer, le plus décadent des acteurs français et grand amateur de Baudelaire, puis Jauffret rêve d’avoir 15 ans pour recommencer à lire pour la première fois cette obsédante Madame Bovary, un Dictionnaire Amoureux, ça sert à ça, à se replonger dans le souvenir des premières fois, il cite d’autres premières fois, La Recherche Du Temps Perdu et l’Oblomov d’Ivan Gontcharov, et puis voilà un Gustave «réactionnaire, hostile au progrès», comme le fut Léautaud au micro de Robert Mallet, et puis il y a cette relation magnifique de maître à élève entre Flaubert et Maupassant, qui rejaillit à plusieurs reprises dans les pages du Dictionnaire, Jauffret nous livre de larges tranches de souvenirs littéraires, des pages qui montent droit au cerveau, comme le ferait «1983... (A Merman I Should Turn To Be)», ou encore «Happiness Is A Warm Gun». Et puis voilà ces traits de caractère qu’épingle Jauffret et qui nous rendent Flaubert encore plus attachant - Un homme vitupérant, emporté, quelque peu pitre mais d’une étonnante bienveillance - Et George Sand d’ajouter : «Il était d’ailleurs sans fiel, sans fausses susceptibilités, facile à vivre, et ses brutalités, toutes de langage, tenaient moins à son tempérament sanguin qu’au plaisir d’étonner.» Et puis voilà Sade qui selon Jauffret reste «un auteur fondamental pour Gustave.» Il s’en explique : «Alors qu’à son époque, ce nom évoque la gaudriole, il trouve dans l’œuvre du marquis une profondeur, une philosophie matérialiste à laquelle il adhère absolument.» Il suffit de lire et de relire Français Encore Un Effort Si Vous Voulez Être Républicains : Manifeste Politique, qui est en fait Le Cinquième Dialogue De La Philosophie Dans Le Boudoir. Alors qu’on s’achemine vers la sortie du Dictionnaire, on tombe sur une sorte d’apothéose à la lettre S : le Style, ou plutôt la religion du style, selon Albert Thibaudet, que cite encore Jauffret. Un Jauffret fasciné par le style de son cher Gustave comme le fut en son temps Léautaud par celui de Stendhal - Comme chez Flaubert, de la pâte même de la phrase, de son humus se dégage la vérité de l’écriture - C’est un lièvre admirablement bien levé, et, incapable de se calmer, Jauffret bascule dans une sublime surenchère : «Les phrases sont pareilles à des processions de mots, comme au temps des corsaires les galions l’étaient d’or, remplis jusqu’à la gueule de sens, de beauté, de sublime.» Il tape en plein dans le mille. Il Salammbique ! Et non seulement il Salammbique, mais il jette encore un pont fatal, cette fois avec Les Caractères de La Bruyère qui, avec Flaubert, incarne pour lui la perfection du style. Eh oui, La Bruyère forevère ! Et Jauffret atteint à l’immanence apoplectique en chopant cette sortie de Flaubert dans sa correspondance : «On ne sait pas assez tout le mal que donne une phrase bien faite. Mais quelle joie quand tout y est ! c’est-à-dire, la couleur, le relief et l’harmonie.» Et Jauffret d’ajouter un corollaire impérieux : «Voilà le secret de la vie des artistes. Ce n’est pas la douleur, le sacrifice, l’immolation, c’est la joie.» Écrasant d’évidence ! Pachydermiquement vrai ! C’est aussi la même joie que tu retrouves dans Pet Sounds et dans Electric Ladyland. Nourris ta cervelle, amigo ! Flaubert, Hendrix et Brian Wilson même combat ! La lanterne rouge de ce fastueux Dictionnaire Amoureux est bien sûr Émile Zola, qui, dans un court extrait, se dit ahuri par Flaubert - Terrible gaillard, esprit paradoxal, romantique impénitent, qui m’étourdissait pendant des heures sous un déluge de théories stupéfiantes - Mais c’est surtout pour Jauffret une occasion en or de repositionner Zola en tant que visionnaire, en médecin penché sur les plaies de la société : «L’homme qui tuerait l’ivrognerie ferait plus pour la France que Charlemagne et Napoléon. J’ajouterai encore : Assainissez les faubourgs et augmentez les salaires.»

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             Or donc merci à tous les trois, Pat Caramba pour le McCarthy et ton chaleureux enthousiasme, Damie pour le Jean-François Jacq (ami tentateur, on aurait tendance à vouloir suivre toutes tes recommandations), et Jacques pour le Dictionnaire Amoureux De Flaubert dont tu m’avais si bien vanté les mérites à la terrasse ensoleillée d’un petit hôtel breton, l’an passé.

    Signé : Cazengler, la pipelette de Belleville

    Cormac McCarty. Méridien De Sang. Éditions de l’Olivier 1998

    Régis Jauffret. Dictionnaire Amoureux de Flaubert. Plon 2023

    Jean-François Jacq. Il Fera Bon Mourir Un Jour. ARDAVENA 2023

     

     

    Inside the goldmine

     - You can’t judge a Brooks by the cover

             Fréquenté Bracmard pendant quelques années. Il était l’ami d’enfance de ma poule d’époque, Baby Rich, donc il dînait couramment avec nous. Bracmard avait un petit côté Javier Bardem, grosse gueule, grosses mèches de cheveux, forte présence, voix forte. Il portait hiver comme été un trois-quart en cuir qui devait peser une tonne et qui datait de l’avant-guerre. Il y stockait des quantités impressionnantes de matos, ses clopes, ses briquets, ses téléphones, ses couteaux. Bracmard était ce qu’on appelle un homme de ressources, il pouvait te brancher sur n’importe quel type de lascar, en fonction de ton besoin ou de ton problème. Plombier ou voyou ? Pas de problème. Il nous recevait parfois dans sa bicoque du Blanc Mesnil. Il y vivait avec une poule qui chantait sur des péniches. Comme beaucoup de vieilles bicoques de banlieue, la sienne était arrivée en fin de vie, mais elle fonctionnait apparemment encore, on pouvait y manger et y dormir, même si de temps à autre, on voyait un gros cafard baguenauder sur le carrelage de la cuisine. Bracmard n’était pas seulement un mover-shaker de banlieue, il était aussi extraordinairement cultivé et disposait de l’atout majeur : une mémoire d’éléphant. Il profitait des grandes tablées du mois de juin pour croiser le fer avec des spécialistes de l’École de Paris. Comme il avait écumé toutes les galeries d’art de Saint-Germain-des-Prés, Bracmard évoquait Zao Wou-Ki ou Bernard Buffet, il jonglait avec les noms et les lieux avec une virtuosité qui fascinait l’auditoire. Bracmard appartenait à la caste des indestructibles. On le voyait vraiment ainsi. Jusqu’au jour où la main de Dieu s’abattit sur lui. Nous lui rendîmes visite une dernière fois. Il gisait au fond de sa bicoque du Blanc Mesnil, réduit à portion congrue, allongé sur son canapé pouilleux, toujours enveloppé de son énorme veste en cuir. Il n’était plus que l’ombre de lui-même. Il demanda à rester seul avec son amie Baby Rich. Une heure plus tard, alors que nous étions en route pour regagner nos pénates et que le silence régnait dans la bagnole, je ne pus m’empêcher de demander si le tête-à-tête s’était bien passé. «Oh très bien», fit Baby Rich, «il voulait juste une dernière pipe avant de casser sa pipe.»  

     

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             Pendant que Bracmard montait au paradis des mover-shakers, Chuck Brooks chantait la Soul des paradis artificiels, c’est-à-dire des paradis qui n’existent pas.

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             Chuck Brooks ? L’archétype de l’inconnu au bataillon. Un petit label anglais nommé Soulscape s’est retroussé les manches pour arracher les inconnus du bataillon à l’oubli, et leur Volume 1 titré Malaco Soul Brothers en présente trois, Chuck Brooks, Joe Wilson et George Soule. Et leurs trois histoires, même très brèves, sont passionnantes. On ne parle même pas des cuts qui sont, comme on dit en Angleterre, astonishing, c’est-à-dire qu’ils t’astonishent la quiche.

             Comme Geoge Soule est un petit privilégié et qu’il a son goldmining ailleurs, on va focuser sur Chuck Brooks et Joe Wilson. Rien qu’avec ces deux-là, on se sent comme une oie, bien gavé, mais au bon sens du terme. D’ailleurs, puisqu’on parle des oies, on se demande vraiment comment font les gens pour manger du foie gras, sachant dans quelles conditions cette sordide friandise est fabriquée. Mais bon, c’est vrai, on fait comme on peut. Tu as même des gens qui coupent les homards vivants dans le sens de la longueur parce qu’on leur a dit que cette «technique» rendait la chair meilleure. Le jour où les homards et les oies prendront le contrôle de la planète, on va bien se marrer. Bon bref, on n’est pas là pour ça.

             Pour retrouver Chuck Brooks, il faut remonter dans les années 70. Dans le booklet, John Ridley nous raconte que Chuck a commencé par bosser pour Ike & Tina Turner, puis il est allé à Memphis tenter sa chance. Il est à la fois chanteur et guitariste. Il est pote avec Homer Banks et il enregistre des bricoles pour Stax avec les musiciens d’American. Puis il descend à Jackson enregistrer chez Malaco. Dès «Loneliness (Is A Friend Of Mine)», on est frappé par la présence vocale de Chuck Books : il est coriacement bon. C’est un adepte du raw, il y va même au raw du raw. On retrouve le son classique de Malaco : ni Stax, ni Hi, ni Motown, ni Muscle Shoals, c’est encore autre chose. Avec «Behind Closed Doors», il sonne comme les Tempts, ça rampe sous le boisseau d’argent de Malaco, le vieux Chuck a de la ritournelle à revendre. Il tape dans la Soul de haut rang, il vise l’excès mélodique, c’est magnifique. Les orchestrations rappellent celles des early Bee Gees. Son «I Belive In Love» est assez puissant, mais puissant comme la marée, il y va au believe somebody, c’est du heavy froti, so good, so good. Il sauve son «What Would We Do Without Music» avec sa classe, il fait tout ce qu’il peut avec les moyens du bord de Malaco, il se bat seul sur le front de mer, face aux tempêtes. Et quand il s’en va twister le groove d’«Once Upon A Love Affair», on se lève pour danser avec lui. 

             Bon, malgré tous ces fantastiques singles, ça ne marche pas. Alors Chuck se maque avec son pote Homer et ils montent le label Sound Town à Memphis. Ils composent pour d’autres artistes, notamment Shirley Brown. Chuck joue sur Intimate Storm. Malheureusement, Homer et Chuck sont doués pour la musique, mais pas pour le biz et pouf, ils font faillite. À dégager.

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             Quant à Joe Wilson, c’est un mec de New Orleans qui a commencé par enregistrer sur le petit label éphémère de Cosimo Matassa. Puis Wardell Quezergue le prend sous son aile et l’emmène, avec Jean Knight et King Floyd, chez Malaco. Tommy Couch est le seul à croire en Joe Wilson qui est immensément doué. Les autres labels spécialisés (Stax et Atlantic) font la fine bouche.

             Joe Wilson est un chanteur jouissif, il chante au sensitif absolu, il presse ses syllabes comme des boutons de pus et ça gicle, notamment dans «Let A Broken Heart Come In». Il est très sensible, donc très fin. C’est extra, comme dirait Léo. Il passe au heavy r’n’b avec «Other Side Of Your Mind», c’est vraiment du gros popotin. Et voilà le coup de génie : «Our Love Is Strong». Oh la belle romantica ! Il a le pouvoir. Il évolue dans une ambiance extraordinaire signée Werdell Quezergue. Ce mec contre-attaque toujours à bon escient, comme le montre encore «Sour Love Bitter Sweet». Il est énorme, il monte toujours sur la barricade. Joe Wilson est un pur Soul Brother, il explose «Go On And Live». Il te groove encore «Walking Away From A True Love» en profondeur, aw comme il est bon !

    Signé : Cazengler, de bric et de brooks

    Chuck Brooks, Joe Wilson, George Soule. Malaco Soul Brothers. Soulscape 2006

     

     

    My Chip Taylor is rich

     - Part Two

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             Comme Chip Taylor est un auteur prolifique, ses albums se bousculent au portillon. Pour bien prendre la mesure de son importance, l’idéal serait peut-être de commencer par écouter Hit Man, car c’est une sorte de Best Of de rêve.

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    Il y reprend tous les hits qu’il a distribués à droite et à gauche, à commencer par l’«I Can Make It Without You» repris par Jackie DeShannon et les Pozo-Seco Singers. Heavy pop de génie ! Et ça continue avec l’«I Cant Let Go» qui fut un hit pour les Hollies. «Angel Of The Morning» fut un hit pour Merrilee Rush et P.P. Arnold. Chip Taylor est un bélier de la grosse compo. On tombe inévitablement sur «Wild Thing», qui permit aux Troggs, à X et à l’ami Jimi de se distinguer. Et combien d’autres ? La version du Chip est pure, bien grattée sous le boisseau. Il a des tiguilis en filigrane dans le son. Pure magie taylorienne. Et ça continue avec l’«Anyway That You Want Me» repris par les Troggs, mais surtout par Evie Sands et Walter Jackson - If it’s love you want/ Baby you’ve got it - C’est un hit mythique - From the depth of my soul - Il a aussi composé «Try (Just A Little Bit Harder)» pour Janis. Chip Taylor est un homme effarant de classe, mais dans tous les genres : pop, country et le voilà king of r’n’b. Il enchaîne avec le hit le plus imparable de tous, «Storybook Children», popularisé par Billy Vera et Judy Clay - We’ve got your words/ And I got mine/ And it’s a shame - Balladif magique. «Country Girl/City Man» est aussi repris par Billy & Judy, mais aussi par Ike & Tina, fabuleux exercice de nonchalance duetté en mode country. On tombe ensuite sur le «Welcome Home» repris par Walter Jackson. Il te le cueille au menton. Et sa maestria éclate encore au grand jour avec «Just A Little Bit Later On Down The Line».

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             L’autre conseil d’ami qu’on pourrait donner aux becs fins serait d’écouter les deux albums du premier groupe de Chip Taylor, Gorgoni Martin & Taylor, deux Buddah de 1971. Le premier s’appelle Gotta Get Back To Cisco. Ils ouvrent leur balda sur un authentique coup de génie, «Caroline Timber», c’est fabuleusement joué, gorgé de son, ils chantent à trois, cut magique de Chip, avec Trade Martin on lead vocals. On sent bien la puissance compositale de Chip Taylor et l’ampleur des arrangements sur «I Can’t Do It For You». C’est très Righteous Brothers. Ils chantent tous les trois à l’unisson du saucisson sur «Stick-A-Lee», comme le feront CS&N. C’est exactement la même approche, avec les mêmes coups d’acou. Ils adorent rentrer à San Francisco comme le montre «Cisco». Chippy chante ça au doux du menton et tape un final éblouissant. Nos trois larrons adorent la belle pop. Et puis tu as un «Got The Feeling Something Got Away» qui préfigure Guided By Voices. Même esprit.

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             Leur deuxième album n’a pas de titre. On y retrouve la belle pop de Chip («Fill In The Fast Line». Grosse compo. C’est du niveau de Mann & Weil. «I Can’t Let Go» est plus rocky. Ah ils savent rocker leur roll ! Cette belle pop écarlate contrebalance tout. On se régale encore de l’«I Can Make You Cry» monté sur un heavy beat chippy, sévèrement gratté à coups d’acou. Quelle énergie ! Franchement, ces deux albums valent le détour.            

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             Puis Chip Taylor va entamer une carrière solo et tourner avec une moyenne de deux hits par album. Gasoline est encore un Buddah de 1972. Il y recase son «Angel In The Morning». Ah il sait placer sa cerise sur le gâtö. Ça sonne presque comme du Righteous Brothers. Mélodie solide et orchestration du diable - Just call her angel in the morning - Et ça monte aux anges des Righteous Brothers. S’ensuit une Beautiful Song, «Home Again», une pop d’horizons lointains, stupéfiante d’immensité. Il gratte à la suite son «Lady Lisa» à sec, c’est du good time pas loin des Byrds, assez électrique, en vérité. Il passe à son cheval de bataille, la country, avec le morceau titre, un cut solide et bien intentionné. Chip Taylor est déterminant dans tous les domaines, surtout celui de la Gasoline country. Il ne s’intéresse qu’aux chansons, comme le montrent encore «Dirty Matthew» - Sometimes it don’t come easy - et «You Didn’t Get There Last Night». Puis on le voit poser sa voix de deep country man dans «Swear To God Your Honor». Une merveille, pas loin de la révélation, c’est du pur busy cryin’ in the beer.

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             Mine de rien, Chip Taylor’s Last Chance est un bel album. Belle pochette, on voit Chip à la table de jeu, avec des faux airs de Robert Redford en Sundance Kid. Il y va au soft country groove, easy baby. Chip est doux, excellent et inspiré. Dans «I Read It In Rolling Stone», on le voit swinguer ses vers à la folie - Where every brown eyed teased hair mare ran him of his stool - Il boucle ce fringuant balda avec «I Wasn’t Born In Tennessee», un fantastique swagger de country cat. En B, tu vas tomber sur «It’s Still The Same», l’une de ces Beautiful Songs dont est capable l’ami Chippy Chip, et puis avec «101 In Cashbox», il fait une sorte de «Success» à la Iggy - And it comes from the soul/ And it ain’t rock’n’roll - On se régalera encore de «Clean Your Own Tables», un belle country song où il raconte sa vie et celle de la barmaid qu’il épouse.

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             Pochette pépère pour Some Of Us, un Warner Bros de 1974. On est vite frappé par la qualité de la Chippy country. Avec «Early Sunday Morning», Chip chope le truc. Sa country est joyeuse. On se peut se fier à lui. Chip est un chic chap. On sent bien la poigne du songwriter. Grosse emprise encore avec «Something ‘Bout The Way This Story Ends». Chip sait tailler un costard, pas de problème. En B, ils évoque deux villes : Varsovie et Austin. Dans «If You’re Ever In Warsaw», il raconte l’histoire d’un mec qui apprend aux aveugles à voir. Et avec «If I Can’t Be In Austin», il propose un joli groove country. On le sent jubiler.  

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             This Side Of The Big River arrive en 1975 avec une belle pochette à l’américaine. Alors on se régale, même quand on n’est pas fan de country. Il attaque avec «Same Old Story», un joli tagada country, c’est même extrêmement agréable à écouter. Il oscille toujours entre la gorgeous country et le balladif intimiste crooné au coin de la glotte («Holding Me Together»). Très bel artiste, pas loin de Kristofferson. Disons qu’il propose une country de proximité, il avoisine le George Jones avec «Getting Older Lookin’ Back». Chip a un truc que d’autres n’ont pas : le talent. Tout ici est sans surprise mais beau. Il boucle son beau balda avec «Big River», plus rockalama. Solide claqué de chique, belle dégaine et big bass drum. Ces mecs ta cassent vite une baraque de clear blue sky. Ça flirte avec le rockab d’Elvis. Pas mal, non ? Dommage que la B soit si transparente. On y sauve «Sleepy Eyes» : heavy country et belle chaleur de ton.

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             Le Somebody Shoot Out The Jukebox de Chip Taylor With Ghost Train est un album résolument country. Il salue Atlanta dans «Hello Atlanta», it’s good to see you again, mais après, ça devient trop country pour une gueule à fuel. Le morceau titre est un gros boogie rock de saloon. La hit de l’album s’appelle «Still My Son». Chip ressort du moule country pour aller sur la belle pop violonnée. Il sait entraîner un cut au firmament, c’est très Brill dans l’esprit, il faut le voir monter sa clameur de Still my son en neige inexpected, c’est vraiment très impressionnant. Chip Taylor fait de la Beautiful Song quand ça lui chante. C’est un surdoué, au même titre que Burt ou Jimmy Webb, il est très porté sur l’orchestration et les sautes d’humeur vocales, son let me carry you home est suivi à la flûte devenue folle, on voit littéralement le songwriting s’envoler et aller  virevolter dans un azur immaculé. 

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             Saint Sebastien n’est pas son meilleur album. Il l’attaque à la petite pop pépère de «Mary Ann». Chip compose à profusion, il n’est donc pas gêné aux entournures. Il songwrite à gogo. Pas de hit sur cet album martyrisé, du sans surprise, mais du beau sans surprise. Il sonne comme Fred Neil sur «He Ain’t Makin’ Music Anymore», même velouté de poireaux dans le coulé de voix. Avec le morceau titre, il fait bien le tour du balladif, Chip est un inconditionnel de l’intimisme velouté. Il ne peut pas s’empêcher d’enregistrer des albums intimistes. Si l’intimisme ne te plaît pas, t’es baisé.

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             Deux jolis choses sur The Living Room Tapes : Something About Losing It All» et «Grandma’s White LeBaron». Il gratte dans sa cuisine, c’est un intimiste, alors il établit le contact et parfume son balladif de flavor country. Il sait se montrer profond et sincère, alors on l’écoute attentivement. Il chante sa Grandma d’un ton grave et lance un manège enchanté. Il faut saluer son fabuleux entrain country. Petite merveille encore avec «Good Love Last Night». C’est là qu’il convainc, dans l’intimisme - And I took her in my arms last night - Quelle puissance d’évocation - I said girl I like the way you kiss - On n’en saura pas davantage. Son «Shut You Down» est assez pur de shut you down my old friend.

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             Tu vas trouver deux duos d’enfer sur Seven Days In May. A Love Story : «If You Don’t Know Love» où il duette avec Lucinda Williams, et «One Hell Of A Guy» où il duette avec Guy Clark. Comme Lucinda est bien languide, ça donne un duo à la ramasse de la rascasse, ce qui n’est pas déplaisant. L’Hell Of A Guy est le fin du fin du duo country. Mais ailleurs, on s’ennuie un peu. Trop de country, ou pas assez de magie ? Il nous a trop habitués aux cuts magiques. Dans «Florence The Baby & Me», il fait la plus belle des déclarations : «You’re the most beautiful I ever did see.» Une autre merveille se niche plus loin : «Alexander» - You look so beautiful - Joli confessionnal, c’est une Beautiful Song contrebalancée à coups d’accordéon. Le plus drôle avec Chip, c’est que t’as chaque fois l’impression d’écouter la même chanson, et tu tombes sous le charme.

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             Curieusement, on trouve pas mal de belles énormités sur Black & Blue America. À commencer par «The Ship», un duo avec une Lucinda Williams qui a l’air complètement dans les vapes. La grosse compo du jour s’appelle «In Your Weakness», il faut voir comme il l’éclate, c’est le grand Chip qu’on préfère. Il fait un brin de good time music avec «Stroke City Girls». C’est assez magique, il faut bien l’avouer. Il combine la grande pop avec ses affinités country. C’est effarant de stories just behind. La cerise country sur le gâtö pourrait bien être «You Left Me Here». Chip est tellement à l’aise. C’est le plus à l’aise de tous. Avec le morceau titre, il se morfond sur le destin de l’Amérique - Back in 1966, the answer is blowing in the wind - Et il passe du petit boogie fier comme Artaban («It Don’t Get Better Than This») au heavy balladif country («Sometimes I Act Just Like A Fool»). Il dit aussi avoir besoin d’open space et de chevaux. Son «Blind At The Midnight Hour» est magnifico - If you need a place to hide/ Come to my home/ And take some comfort here - Il attaque son «Way Of It» à la Lou Reed. Ce mec Chip est un magicien, il fait de chacun de ses cuts une aventure passionnante. On le comprend mieux sur la durée. Il est certainement plus intéressant que Cash. Chip duette avec P.P. Arnold sur «Temptation», un vieux gospel de fin de partie. Il y va au I did run. Il a des blackettes derrière et ça prend des proportions insoupçonnables, d’autant que P.P. Arnorld te l’explose en plein vol. Quel mélange extraordinaire que ce country king et cette ex-Ikette. Quel accomplissement et quelle apothéose ! Il monte avec elle mais il peine à la suivre. La reine, c’est P.P. 

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             Unglorious Hallelujahs est un double Train Wreck de 2005. Un bel album de country, où il surpasse Cash sur «Hallelujah Boys» et «Jacknife». Il fait exactement le même bazar - I don’t wanna kill nobody - On se croirait sur «I Hung Myself». Il rend un hommage émouvant à Townes Van Zandt dans «What Would Townes Say About That». Il raconte ses souvenirs de Townes dans un motel à Reno. Retour de la clameur country magique dans «Christmas In jail». Et il revient à son cher intimisme d’I don’t know about that avec «Michael’s Song». Sur le disk 2 se niche une pure merveille : «Red Red Rose» où il duette avec Carrie Rodriguez. Pur country genius. Elle vole le show. Il tape plus loin un heavy slowah de très haut niveau, «If I Stop Loving You». Encore une grosse compo ! Ça vaut vraiment le coup de le suivre. On se s’ennuie pas en compagnie du vieux Chip. Encore deux balladifs étoilés avec «Magic Girl» et «It’s Different Now», et il salue cette bonne ville de Santa Cruz avec «Santa Cruz» - There’s still mountains we have to climb - Magnifico.

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             Rien de plus country que New Songs Of Freedom. Avec «Former American Soldier», il rend hommage à des soldats du Vietnam. L’horreur. Son apologie des GIs donne un peu la gerbe. On sauve un cut sur l’album : «Dance With Jesus», un fantastique shoot de country. Tu as là tout l’éclat de la meilleure country américaine.  

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             Très bel album que ce Rock & Roll Joe. Pour deux raisons éminentes : «Monica» et «I Can’t Let Go». «Monica» est inspiré d’un riff trouvé pour Van Morrison et joué sur un vieux beat appuyé. Le hit c’est bien sûr «I Can’t Let Go», lancé en mode heavy rock de saloon, c’est excellent, ça carillonne au big day out et Kendel Carson duette dans cette affaire. On se régale aussi du «Sugar Sugaree» basé sur le «Try A Little Bit Harder» co-écrit par Chip et Jerry Ragovoy. Un violon vient crin-crinter l’«Hot Rod Carson» et Karen Carson tient encore la bavette à Chip dans «Measurin’». Et comme le montre «The Union Song», le Chip sait rocker une baraque ! Et puis dans «R&R Joe Reprise», Chip cite les unsung heroes, Paul Griffin et d’autres. Il raconte des souvenirs de sessions avec des great guys, dont John Paul Jones et des tas d’autres complètement inconnus au bataillon.

    Signé : Cazengler, Chip à l’ancienne

    Gorgoni Martin & Taylor. Gotta Get Back To Cisco. Buddah Records 1971

    Gorgoni Martin & Taylor. Gorgoni Martin & Taylor. Buddah Records 1971                          

    Chip Taylor. Gasoline. Buddah Records 1972 

    Chip Taylor. Chip Taylor’s Last Chance. Warner Bros. Records 1973

    Chip Taylor. Some Of Us. Warner Bros. Records 1974

    Chip Taylor. This Side Of The Big River. Warner Bros. Records 1975

    Chip Taylor With Ghost Train. Somebody Shoot Out The Jukebox. Warner Bros. Records 1976

    Chip Taylor. Saint Sebastian. EMI 1979 

    Chip Taylor. Hit Man. Train Wreck Records 1997 

    Chip Taylor. Living Room Tapes. Train Wreck Records 1997

    Chip Taylor. Seven Days In May. A Love Story. Train Wreck Records 1999

    Chip Taylor. Black & Blue America. Train Wreck Records 2001    

    Chip Taylor. Unglorious Hallelujahs. Train Wreck Records 2005

    Chip Taylor. New Songs Of Freedom. Train Wreck Records 2008 

    Chip Taylor. Rock & Roll Joe. Train Wreck Records 2011

     

    *

    Il est des disques mystérieux, celui-ci est carrément obscur. Imaginez un poème d’Edgar Poe dont on aurait effacé les paroles, dont il ne resterait que l’ambiance, le corbeau s’est envolé, mais le lieu qu’il a quitté est la seule empreinte qu’il nous ait laissée. Vous aussi quand vous ne serez plus là, ne survivront de vous que les lieux par où vous aurez passé. Vous êtes-vous demandé pour combien de temps…

    SCIONS

    O

    (Digital Album / Bandcamp / Mars 2024)

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    Ne comptez pas sur la pochette pour vous aider. Elle est toute noire. Bien sûr je vois bien qu’il y a du blanc, qui n’ajoute que de la noirceur à cet étrange artefact. Sur You Tube, ils sont gentils, ils précisent qu’ils sont quatre, de Sydney en Australie. L’on s’en doutait en regardant le bandcamp. Je vous expliquerai pourquoi plus loin. Le nom du groupe est peu commun. Ne soyez pas idiots, rien à voir avec le présent de l’indicatif ou de l’impératif du verbe français ‘’scier ‘’. Quoique si l’on y réfléchit le hasard linguistique s’avère  parfois malicieux. Scion est un terme botanique, ils le rappellent aussi sur YouTube, en terme beaucoup plus commun un scion est une greffe. Attention, le mot scion désigne aussi bien la greffe que l’on insère dans un tout jeune arbre que le rameau qui naîtra de cette greffe qui portera un composite des gènes de l’arbre greffé et du greffon.

             Un scion est donc le rejeton issu de deux essences d’arbre. Par extension le mot scion désigne aussi un enfant de grande famille tant soit peu dévoyé. Le mot scion s’accorde comme tous les noms communs : un scion, des scions. Nous savons donc ce que signifie le nom du groupe. Nous avons beau scruter la pochette cela ne nous aide guère.

             Comment lire le titre de l’album : est-ce la lettre o, est-ce le zéro, est-ce le dessin d’un cercle ou d’un anneau. Ce qui est certain c’est que ce signe est à décrypter symboliquement. Choisir l’un de ces quatre termes ne mène à rien, ce qu’il faut, quel que soit le signe que l’on élit, c’est en trouver la signifiance.

             Eliminons toutefois trois grossières fausses pistes : Scions n’a rien à voir avec Sion, que ce soit la Jérusalem céleste, la colline inspirée de Maurice Barrès, ou le Prieuré de Sion de Pierre Plantard.    

             Toutefois on ne s’embarque pas sans biscuit : sur bandcamp le groupe se présente d’une étrange manière, un court texte que certains jugeront énigmatique :   ‘’ Ô porteurs de la Malédiction, vous qui êtes morts mais vivez encore. Faites un pèlerinage à travers le Vide jusqu’au pied du grand Arbre et laissez votre destin se révéler. Au début il n’y avait que le Vide. Puis vint le Feu… et avec le Feu vinrent les germes de la disparité : la chaleur et le froid, la vie et la mort, la lumière et l’obscurité. Mais rien n’est éternel  et pourtant rien n’est perdu…’’

             Considérons la mystérieuse circonférence du titre comme le boîtier d’une boussole et le texte comme les indications directionnelles et l’aiguille qui nous guidera.

    0 : l’on n’entend rien, ce n’est pas que le disque n’ait pas encore démarré c’est qu’il n’y a rien, juste rien, mais il faut attendre ou pousser les potards à onze pour que se manifeste une espèce de montée en impuissance, écoutez la version du Ring de Wagner, juste le tout début de L’Or du Rhin mais sous la houlette de Wilhelm Furtwängler, car il est le seul qui ait compris l’importance des toutes premières notes de la Tétralogie et il fait si fort résonner l’insignifiance de leur apparence qu’il vous explose la tête, pour ceux qui seraient choqués, employons une expression emplie de plénitude, qu’il vous ouvre les chakras, cela vient doucement, heureusement qu’il y a cette espèce de klaxon comme une corne de brume pour attirer votre attention, et puis cette voix solennelle qui vous parle mais que vous ne comprenez pas…  Alpha and Omega : vos êtes passé au morceau suivant sans vous en rendre compte, dès lors vous réalisez que le petit o du titre, c’était le zéro absolu, le rien, le néant et que maintenant vous êtes dans le o-riginel, au tout début, à l’alpha du commencement, mais aussi dans l’o-mega de la fin, pourquoi si près du début  atteint-on si vite la fin, et pourquoi cette musicalité fondationnelle semble-t-elle battre de l’aile comme un oiseau qui ne parvient pas à s’envoler, ouf la batterie entre dans le jeu, elle marque la lenteur du rythme mais elle entraîne la basse et tout le bataclan, elle se permet même quelques roulements, la basse joue au vrombissement de l’élastique qui se prend pour un moustique géant qui veut atteindre le haut du ciel, tambour tribal et presque joyeux, fin brutale comme si la bête s’était cognée le nez contre le mur de la fin.  Comme dans le titre précédent  vous réalisez ce que veut dire le morceau qui vient de se terminer. Vous avez parcouru le cycle du début à la fin et vous voici Gros-Jean comme devant, groggy de vous retrouver à l’endroit dont vous êtes parti. Bizarre tout de même. Qu’est-ce que cela signifie ? Thy Master Calls Across Countless Aeon : un bourdonnement qui vient de loin, de très loin, il met des siècles à te parvenir, tu es perdu et l’aide te parvient, tu ne sais pas qui t’appelle, tu le reconnais, tu étais seul, il se soucie de toi, il t’appelle, sa voix traverse des siècles et des siècles, une flèche rapide qui a tant de distance à parcourir pour celui qui l’attend qu’elle a l’air de traverser l’éternité du temps, de faire le tour du monde, avant d’arriver et de se ficher en toi, rien ne bouge si ce ne sont les plumes de son empennage encore vibrantes de leur course, le maître t’appelle et te délivre son message. Seek the River of Fire : cherche la rivière de feu, ne t’inquiète pas tu brûles, la musique a l’air de s’amuser, tout juste si elle ne te chantonne pas un air allègre pour se moquer de toi, quel vacarme, quel boucan, tu brûles, pas besoin de chercher bien loin, elle n’est pas au bout du monde tu y es juste dessus, en plein dedans, tu t’y baignes, passe à l’étape supérieure, souviens-toi d’Héraclite, la notion grecque du sec et de l’humide t’y mène tout droit,  l’on dirait que les musicos s’amusent à imiter un orchestre oriental, oui tu y es, un charmeur de serpent, le cycle du feu qui brûle, qui s’éteint qui se rallume, qui brûle, qui s’éteint, oui tu as deviné, le grand serpent, l’ouroboros, calme-toi, oui c’est grave, médite un peu, essaie de saisir le concept philosophique de l’Eternel Retour, de comprendre ce qu’il veut dire… On wings of steel and chrome : oui les âges métalliques se succèdent, quelle ferblanterie de l’âge d’or à l’âge de fer, tout dégénère, les hommes vivent en paix et puis se disputent, c’est ainsi tu n’y peux rien, c’est le destin collectif de l’Humanité de courir à sa perte, un jour obligatoirement, indubitablement l’énergie du feu régénérateur faiblira, s’épuisera et s’éteindra. Escape Thy Fate : regarde l’autre côté de cette pièce de monnaie ronde que l’on enfourne dans la bouche des morts avant de les porter au bûcher, une face pour tous, une autre uniquement pour toi seul, échappe à ton destin de mort-vivant, puisque quand tu vis éternellement, tu meurs aussi éternellement, pense à toi, échappe à ton destin, rien n’est perdu puisque tout est perdu. Ecoute comme la musique se fait belle et luxuriante, elle est la vie, l’on ne te demande pas de jouer à pile ou face, mais de trouver le lieu de ta fuite qui te sauvera de ce piège sans retour. Through the Valley of Silence : dans la vallée du silence près de l’arbre de vie, de l’Yggdrasil du monde, étrangement le morceau est plein de bruits, de tintements, comme le marteau de Siegfried qui forge l’épée qui tuera le dragon, la vallée est dite silencieuse car entre les coups survivalistes du marteau l’on entend le silence de la mort qui ne veut pas mourir. May the Winds Deliver Thee : l’on entend le vent siffler dans les branches de l’arbre, est-ce celui de l’espoir, du surpassement, peut-être pas pour cette fois-ci, peut-être qu’au prochain tour, au prochain retour, l’on trouvera le moyen de s’échapper du serpent sans qu’il ne te rattrape au dernier moment. Fom the Calamity : trop tard, beaucoup de bruit pour rien puisque le cataclysme final te mènera au rien, sonnailles de troupeaux de moutons destinés à l’abattoir métaphysique, un rouleau concasseur qui passe et pousse, des chœurs processionnels qui tremblent de frousse. Le chemin est long, il tourne sur lui-même, il s’enroule, décrit-il un cercle ou une spirale qui s’écarte et s’enfuit de son centre…

             Chacun en jugera selon son optimisme ou son pessimisme…

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             Mais comment interpréter le titre de cet album. De quelle greffe parle-t-il ? Peut-être faut-il la chercher dans l’espèce de blason symbolique qui leur sert à présenter le groupe. Un cercle, d’or. Selon le diamètre vertical s’épanouit un arbre, l’Yggdrasil mythique, sous sa ramure se tiennent debout une nouvelle race d’hommes d’or et de turquoise.  Sur le FB du groupe, pratiquement vide, seulement deux images, celle de la couve du disque, une deuxième qui nous révèle l’entièreté de l’artwork dont elle n’est que la partie centrale. Un paysage désertique comme vitrifié par une bombe atomique. Comment interpréter cette rivière orange qui serpente depuis les soubassements de l’Arbre, le feu s’est-il changé en eau de feu… Aucune feuille sur l’Arbre réduit à sa structure exo-squelettique, d’ailleurs les nouveaux rejetons qui nous tournent le dos ne possèdent-ils pas un exo-squelette, sont-ils les fils de l’Arbre, sommes-nous à la fin du Ring, à la scène finale de l’anneau wagnérien, entrons-nous non plus en le cycle mais en une nouvelle ère, avec ce nouveau type d’êtres humains alchimisé par l’opérativité cataclysmique de l’anneau brisé… La greffe a-t-elle consisté à introduire le greffon des mythes nordiques dans le mythe de l’Eternel Retour ?

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             Ce qui est sûr c’est que nous retournerons écouter les nouvelles sorties de Scions. Ne serait-ce que pour leur montrer de quel bois nous nous chauffons.

    Damie Chad.

     

    *

    Life like poetry. Généralement les rockers se comportent comme des rockers. Prenons un exemple au hasard, quand Eric Calassou résidait en France il possédait un groupe de rock Bill Crane. Il a donné quelques concerts, nous en avons chroniqué quelques-uns, il a produit des disques, nous les avons chroniqués. Jusque-là nous restons dans le registre de la normalité. L’est parti en Thaïlande, dernièrement il a sorti deux disques, l'un très rock, le dernier constitué de reprises des pionniers du rock. Une vie de rocker parfaitement calibrée.

    0ui, toutefois il y a eu des signes avant-coureurs. S’est mis à faire des photos. Pas tout à fait comme tout le monde. Pas le mec normal qui photographie son chien, sa femme et la Tour Eiffel. Ce n’est pas qu’il se désintéresse du monde, loin de là, il le regarde de près. De trop près. Relisez Le Sphinx d’Edgar Poe. Le héros qui se réveille d’une bonne sieste, ouvre et ses yeux et s’aperçoit qu’un monstre monumentalement horrible s’apprête à le mâchouiller comme un vulgaire chewing-gum, heureusement qu’il n’avait pas son portable, les pompiers et la police se seraient bien moqués de lui en lui montrant que son monstre n’était qu’un inoffensif papillon posé sur la vitre près de laquelle il s’était endormi dans son fauteuil. Calassou s’est amusé à ce petit jeu : photographiez dix-centimètre-carrés de bitume et vous apercevrez ce que vous n’avez jamais vu.

    Dernièrement nous avons chroniqué un album de ses photos. Là il aggrave son cas. A première vue des formes informes et colorées. Des couleurs plutôt sombres. A la réflexion l’on se demande s’il ne s’efforce pas à donner une idée d’un quelque chose que personne n’a jamais vu et dont on peut douter de l’existence, alors que des calculs de haute mathématique   inclinent les scientifiques à supposer sa présence. Il s’agirait donc d’une espèce d’alchimie photographique destinée à produire des représentations de cette matière noire invisible que les physiciens traquent depuis un demi-siècle.

    Je laisse votre cerveau infuser. Revenons à des choses moins abstruses. Non seulement Eric Calassou joue, chante et enregistre de la musique, mais il compose. J’entends vos réactions, qu’un artiste de rock compose des morceaux de rock, cher Damie, rien de plus normal, certainement mais il compose des morceaux de musique classique qu’interprètent des musiciens classiques. Je ne veux pas crier à la trahison, nous en avons chroniqué, et la cloison entre musique classique et rock’n’roll n’est pas si étanche que l’on veut bien l’accroire. Simplement vous prévenir, que nous allons rendre compte de quelques morceaux tirés de la chaine You Tube Bill Crane, et qu’à traverser les cloison étanches l’on se retrouve à pénétrer dans des zone-limites.

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    Danse médiévale : un truc tout doux, parfaitement calibré, facile à suivre, juste une guitare, deux minutes et une demi-poignée de secondes, une belle image de danseurs que je qualifierai de turcs certainement à tort, mes connaissances ethnologiques étant des plus faibles. Ce n’est pas du rock, c’est beau. Tout simplement. Musique pure.

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    Ding dang dong : faut se fier aux titres. Ce truc est totalement dingue. L’image est à la ressemblance de notre monde, une toile de jute ou une natte d’osier sur laquelle sont entassée cinq à six récipients en plastique, bouteilles et bidons. Serait-ce un clin d’œil pour nous dire dans le creux de l’oreille que c’est bidong. Osons le pas, entrons dedang. Un truc à devenir fou, un labyrinthe sonore, une boite à rythmes et une voix qui se prend pour une balle de ping-pong devenue  foutraque, elle rebondit de plus en plus vite, squash vocal, est-ce un crétinoïde dont la voix tintinnabule, ou la bande-son Ferrari qui finit par dérailler, meuglement de vache, z’avez l’impression que sa langue vous lèche la figure, exercice de style à la Queneau, un trente-trois des Double-six passé en 78, peut-être que ça se termine parce que des infirmiers sont venus lui passer une camisole de force pour l’emmener sous une douche froide, sur la fin vous êtes sauvé, une effulgence de guitare électrique vous tire de cette embuscade. Morale de cette aventure : par rapport à la vidéo-précédente vous avez changé d’univers.

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    Message from Mars : que disions-nous !  Tout à l’heure la voix déblatérait, elle ne communiquait pas, juste du bruit buccal, dans cette troisième vidéo, nous recevons un message. Pas de n’importe qui, des fameux petits hommes verts, la musique est inquiétante mais les structures de la langue martienne nous sont incompréhensibles, le pire c’est que  côté élocution nous sommes en avance sur eux de quelques millénaires. En sont au stage du bégaiement. Nous qui attendions des extra-terrestres qu’ils viennent améliorer notre situation, seraient-ils un peuple de sous-doués. Sans doute nous demandent-ils des conseils, ils ont besoin de notre expertise, ils ne possèdent pas un langage aussi élaboré que le nôtre. Très décevants.

    Ne nous demandons pas : que veulent dire les martiens, mais que veut dire la réalisation de ce morceau : qu’un solo de guitare électrique est une agonie sans fin, que la musique instrumentale produit le son mais pas le sens. Que le langage non évolué n’est qu’un ensemble de borborygmes inconsistants. Qu’il est comme l’image qui l’accompagne, un puits avec fond, un puits bouché, qui empêche l’accès à une source de connaissance totale.

             Notre chronique des trois vidéos suivantes éclairera les trois premiers mots de l’ouverture de cette chronique : life like poetry. Que nous empruntons à Lefty Frizzel. Aperçu théorique : Mallarmé fut artistiquement subjugué par l’entreprise d’Art-Total théorisé et mis en pratique par Wagner. Selon Wagner l’opéra était un art total : il mêlait : musique, chant, danse, poésie (les livrets), théâtre (mise en scène) peinture, sculpture (pour les décors) architecture (l’édifice du théâtre de Bayreuth conçu selon les représentations…) jusqu’à l’art équestre avec introduction de véritables chevaux sur scène… Maintenant si vous dites Wagner : tout le monde répondra : musique et si vous dites Mallarmé la réponse unanime sera : poésie.

    Conclusion mallarméenne : la poésie se devait ‘’de reprendre son droit’’ à la musique. Entendez par là qu’étant la voix profonde du monde, (l’expression est d’Edouard Dujardin fondateur et directeur de La Revue Wagnérienne) : c’est en elle que devait s’inscrire la pensée actante de la globalité du monde. En d’autres termes la poésie était à elle seule l’art-total dont le monde avait nécessité pour être exprimé et par là même supprimé. Dans ses esquisses du Livre, dans Le coup de dés, dans Les Noces d’Hérodiade, Mallarmé s’est adonné à cette tâche…

    Eric Calassou écrit de la poésie. Nous n’avons jusqu’à maintenant chroniqué aucun de ses recueils. Donc musicien et poëte. Penchons-nous sur trois vidéos dans lesquelles ii a mis en voix et en musique trois de ses textes.

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    Dans la nuit : (extrait du recueil Les anges de l’enfer) : la couve comme une tenture épaisse, pas aussi noire que l’on s’y attendrait, bleu sombre et reflets d’or : une basse à pas lents, une guitare qui crisse et se plaint, comme du verre sur lequel on marche, le morceau n’est pas très long mais si l’on en croit la longue énumération la nuit est longue, la voix n’est pas blanche, elle joue ses émotions, la nuit est porteuse de peur et de rêves inaccomplis durant les jours. La fin est surprenante, elle pose davantage de questions qu’elle n’en résout. Dans la nuit on ne fuit pas la noirceur du monde mais soi-même.

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    Nuit blanche : couve : soleil noir, ou araignée noire écrasée sur la matière blanche de votre cerveau. Cette nuit est plus éprouvante que la précédente, la boîte à rythmes boitille imperturbablement, le poëte nous la joue tragique, le drame n’est que l’expression de la comédie de la solitude que l’on se donne à soi-même, la guitare grésille, elle est comme ses yeux qui sont les derniers s’éteindre dans le poème de Tennessee Williams, le poëte est-il rattrapé par ses fantômes qu’il tente de fuir, l’on entend ses râles, petite ou grande mort, là est la question… Toujours est-il qu’il ne prononce plus une parole.

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    Ciel éclair : visage brouillé, derrière une vitre pluvieuse : la guitare aigüe telle une lame égoïne qui scie votre boîte crânienne pour savoir si Dieu s’est caché à l’intérieur, la double postulation baudelairienne, pluie de crachats, révolte et soulagement, des trois textes c’est le plus réussi, le mieux mis en bouche, la poésie est parfois comme un bonbon acidulé dont il est difficile de se débarrasser. Midnight rambler arpente le miroir de son âme…

             Grâce à Eric Calassou et ces six vidéos nous avons fait un long voyage. De la musique à la poésie. De la musique en poésie. N’oubliez pas, un autre chemin, life like poetry.

    Damie Chad.  

     

    NEWS FROM MARIE DESJARDIN

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             Ce n’est pas poli de suivre les filles, c’est vrai mais chez Kr’tnt ! on suit Marie Desjardins, avec assiduité, l’on ne peut s’en empêcher, en tout bien tout honneur, d’autant plus qu’elle réside au Canada, en plus c’est de sa faute, comment ne pas la remarquer, même de si loin, elle écrit de bons livres et d’excellents articles, en plus elle nous provoque, elle s’intéresse au rock’n’roll, comment voulez-vous que l’on ferme les yeux, c’est notre devoir de chroniqueur.

             Attention elle est maline, elle vient de m’apprendre quelque chose sur le rock que je ne connaissais pas, de surcroît sur un groupe que je connais bien. Que j’ai suivi disque par disque durant des années. Deuxième honte de ma vie, c’est un article qui est paru en août 2023 sur La Métropole, un magazine culturel  québécois que vous trouverez sur le net. J’avoue que si l’article n’avait pas été signé par Marie Desjardins je n’y aurais accordé aucune attention.  Je n’aime point trop Jésus Christ, encore moins lorsque à son nom est accolée la mention rock star, oui mais voilà c’est de Marie Desjardins, alors je lis. Et puis il y a le sous-titre Dans l’ombre ou la lumière. Déjà je choisis l’ombre.

             Tiens un vieux truc, cinquante ans d’âge, un film. J’ai des excuses de ne pas l’avoir vu, je ne vais jamais au cinéma. Donc un film sur Jésus Christ, un opéra-rock, déjà que j’ai trouvé les paroles de Tommy des Who, un peu gnangnan, oui mais il y avait les Who. C’est-là que je pousse un rugissement, j’ai bien lu, ce n’est pas un trouble visuel ce pourpre profond qui  empourpre mon cerveau, j’ai bien déchiffré, Deep Purple, ils auraient enregistré un disque sur Jésus Christ, non ce ne sont pas eux, c’est Ian Gillan le chanteur qui fut contacté pour les parties vocales, si vous voulez savoir la suite lisez l’article.

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             Vous y arriverez en passant par le FB Marie Desjardins Portraits Rock.

    Pas très loin vous avez un lien sur le nouveau site d’Offenbach, non pas Jacques qui composa des bouffonneries, l’autre : le plus grand groupe de rock du Canada (1970 – 1985 ). Ne comptez pas sur moi pour vous raconter la saga de ce groupe, vous trouverez le lien pour atterrir sur le site, une longue bio rédigée par Louis de Bonneville, Marguerite Desjardins l’a un peu aidé. Pour la remercier Louis Bonneville a construit un site consacré à Marie Desjardins. Ecrivain.

             Un petit conseil, n’oubliez pas de cliquer sur l’onglet ‘’nouvelles’’ vous n’avez pas que les titres, les textes sont à votre disposition… Nous en avons déjà chroniqué quelques-uns sur Kr’nnt !  Vous ferez des découvertes, je viens d’en faire deux, je vous en reparlerai bientôt.

             Ce site est vraiment bien fait, clair net et précis. Il permet d’embrasser le parcours de notre écrivain. Il n’y a pas que le rock’n’roll qui l’intéresse, ce qui est sûr c’est que désormais vous vous intéresserez à Marie Desjardins.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll ! 

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    Repli stratégique avait dit le Chef. Nous cavalions comme des fous vers l’Esplanade du Trocadéro. Nous ne savions pas pourquoi, mais le Chef le savait et cela suffisait. Il est des êtres qui sont comme des phares dans la tempête. Leur Intelligence salvatrice rougeoie dans la nuit noire comme la braise réconfortante d’un Coronado. Cette dernière comparaison ne tient pas la route, je m’en excuse auprès des lecteurs, je devrai l’améliorer quand je  relirai une dernière fois Les Mémoires d’un GSH avant de le confier à un éditeur impatient de lancer l’impression de ce chef-d’œuvre absolu, ce splendide cadeau jeté en pâture à l’’Humanité qui ne le mérite pas. Parfois dans des moments de doute je déraisonne en pensant que personne n’aurait assez d’intelligence pour en saisir le sens profond, que ce magnifique manuel de survie n’empêcherait pas l’espèce des hominidés de courir à sa perte.

    Les filles pensaient que pendant que nous contemplerions la tour Eiffel nous reprendrions notre souffle appuyés sur la rambarde. Il n’en fut rien, il fallut descendre au triple galop les escaliers et nous ne nous arrêtâmes que lorsque le Chef eut choisi sur la vaste pelouse un assez large espace éloigné de tout touriste avachi… J’intimai à Molossa et Molossito l’ordre de monter une garde vigilante autour de notre réunion impromptue.

    Avant tout le Chef alluma un Coronado :

             _ La situation est grave !

    Loriane lui coupa la parole :

             _ Parce que nous sommes partis du café sans payer ?

    Doriane lui répondit :

             _ Mais non, si le garçon nous avait poursuivis, le Chef l’aurait abattu immédiatement d’un coup de Rafalos, c’est un homme lui !

    Le Chef lui adressa un merveilleux sourire :

             _ Vous avez raison charmante enfant, sachez que nous sommes poursuivis par une terrible bande de malfrats, capables de traverser les murs, d’où la nécessité de tenir cette assemblée générale dans un lieu dépourvu de murs. Nous vous aurions invités avec plaisir dans les locaux Des Services Secrets du Rock’n’roll mais l’ennemi a déjà tenté de pénétrer dans cette forteresse invincible, nous les avons repoussés mais maintenant que vous êtes avec nous je ne veux pas que couriez le moindre danger. Ne vous affolez pas, si nous ne trouvions aucun abri sûr d’ici ce soir nous trouverons refuge dans les locaux de la CIA, ils nous accueilleraient avec joie, je pense qu’ils aimeraient devenir propriétaires du secret de la méthode qui permet de traverser les murs, cela les aiderait beaucoup à s’emparer des secrets des chinois qui rêvent de devenir la puissance mondiale numéro 1 et de s’emparer des Etats-Unis.

    Les yeux des jumelles brillèrent de mille feux. Il y a quelques heures encore elles n’étaient que deux lycéennes sages et elles se retrouvaient projetées pratiquement par un coup de baguette magique au cœur des affaires secrètes du monde.

             _ Chef, peut-être pourrions-nous nous mettre à l’abri dans la maison devant laquelle j’ai failli être enlevé par les passeurs de murailles.

    Les filles me regardèrent avec respect, n’étais-je pas un héros invincible qui au dernier moment se tire de tous les dangers. 

             _ Agent Chad, l’idée n’est pas mauvaise, je préfèrerais tout de même une autre solution, certes s’installer dans une demeure connue de nos ennemis est un merveilleux coup d’audace et de poker mais…

    Le Chef ne put terminer sa phrase. Non, ni Molossa, ni Molissito ne donnèrent l’alarme, ce fut Loriane qui proposa une solution miraculeuse :

             _ Vous n’avez qu’à venir à la maison !

             _ En plus papa possède une importante collection de disques de rock !

             _ Et il fume des Coronados !

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    Le lecteur m’excusera de ne pas fournir l’adresse exacte de ce petit havre de paix, de ce paradis terrestre qu’était la maison des parents de Doriane et Loriane. Une petite villa dans une rue perdue du seizième arrondissement  entourée des quatre côtés par une large pelouse impeccablement tondue. Du vaste salon central de larges fenêtres permettaient une surveillance quasi panoramique du moindre brin d’herbe.

    Le Chef puisa sans ménagement dans la large provision de Coronados du géniteur de nos deux héroïnes préférées. Molossa et Molossito remarquèrent très vite qu’en sautant de canapés en fauteuils ils pouvaient effectuer le tour de la pièce sans poser une patte sur le plancher ciré. Ils s’amusèrent comme des fous à faire la course sur ce parcours improvisé. Ils ne s’arrêtèrent que lorsque Loriane les appela pour leur offrir deux grosses tranches de pâté de sanglier aux truffes qu’ils dévorèrent en un clin d’œil… Après quoi ils s’allongèrent sur une table basse depuis laquelle ils avaient vue sur l’ensemble du jardin et décidèrent qu’au lieu de monter une garde éreintante et inutile, ils feraient mieux de prendre des forces pour être prêts à affronter les nouvelles péripéties que la suite de nos aventures ne manqueraient pas de leur procurer.

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    Le Chef alluma un Coronado, il avait décidé de tenir un conseil de guerre, la situation est grave et dangereuse avait-il  déclaré en préambule.

    • Agent Chad, je n’ignore pas vos connaissances en mathématiques sont plutôt médiocres mais en toute vérité sans vouloir vous faire mousser auprès de nos charmantes hôtesses, combien avez-vous abattu de gardes qui entouraient Géraldine Loup, prenez le temps de réfléchir pendant que je nous verse une lampée de ce merveilleux whisky de vingt ans d’âge.

    Après avoir froncé les sourcils, signes d’intenses réflexions et compté à plusieurs reprises sur mes doigts :

             _ C’est étrange Chef, j’aurais cru en avoir abattu davantage, toutefois en revisualisant mentalement la scène, je me dois de reconnaître que je n’en ai mis hors de combat que le ridicule chiffre de huit.

             _ C’est à peu près ce que j’escomptais, pour ma part je n’ai guère fait mieux, à peine neuf !

    Les filles poussèrent des exclamations de joie et nous applaudirent mais le Chef doucha leur exubérance :

              _ Or j’ai compté et recompté les cadavres, vingt-quatre en tout. Si je ne m’abuse huit plus neuf égalent :

             _ dix-sept !

    _ Exactement, jeunes filles, nous avons donc sept cadavres de trop !

    _ Ne seraient-ce Chef pas quelques agents de la CIA qui nous auraient filé un coup de main en douce.

    Le Chef prit le temps d’allumer un Coronado, d’aspirer longuement puis d’expirer un long panache de fumée digne d’une locomotive à vapeur :

             _ J’y ai pensé, mais non, les ricains aiment bien se faire voir, ils se seraient débrouillés d’une manière ou d’une autre pour nous faire signe. En plus un léger détail m’oblige à penser que ce ne sont pas eux, figurez-vous que sur les sept cadavres six ont reçu une balle entre les deux omoplates, je n’ai pas eu l’occasion de mesurer mais je jurerais que c’est au juste au centre, pour ainsi dire au millimètre près.

             _ Chef, la CIA n’a pas la réputation d’embaucher des manchots !

    Les filles m’approuvèrent et citèrent une vingtaine de films d’espionnage américains. Le Chef les écouta avec magnanimité mais reprit la parole.

             _ Franchement j’aurais préféré être confronté à des tireurs d’élite américain qu’à l’individu qui s’en est pris à nous ! Ne nous trompons pas, aussi étonnant que cela puisse paraître, il n’est pas venu pour nous défendre, au contraire il était déterminé à se débarrasser de ces empotés qui l’empêchaient de viser l’Agent Chad ! Voyez-vous Agent Chad la mort marchait vraiment à vos côtés.

             _ Il y en a pourtant un, Chef, qui m’avait subrepticement délesté de mon revolver, ils étaient-là aussi pour moi.

             _ Oui mais pas pour vous tuer, vous empêcher de vous défendre oui, vous étiez un gibier de choix réservé !

    Loriane se serra tout contre moi.

             _ Lorsque j’ai déglingué votre voleur, tous les autres se sont jetés sur vous, ils ont paniqué, ils ont voulu vous abattre, ce n’était pas prévu dans le plan, vous étiez la seule cible qui importait, ils ont payé de leur vie leur affolement. 

             _ Donc d’après vous…

             _ D’après moi Géraldine Loup n’était pas la cible prioritaire, peut-être même n’a-t-elle été  plus tard qu’une victime collatérale, faute de grive on abat une merlette ! C’était vous qui étiez LE numéro 1 sur la liste !

             _ Donc le tueur…

             _Agent Chad, n’avez-vous jamais entendu parler de la théorie du genre, c’est très à la mode par les temps qui courent !

    A suivre…     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 597: KR'TNT 597 : STANDELLS / SARI CHORR / PIXIES / BUZZCOCKS / CHUCK JACKSON / MARLOW RIDER / WESTERN MACHINE / STONE OD DUNA / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 597

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    20 / 04 / 2023

     

    STANDELLS / SARI SCHORR

    PIXIES / BUZZCOCKS / CHUCK JACKSON

     MARLOW RIDER / WESTERN MACHINE

    STONE OF DUNA / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 597

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

    Les standards des Standells

     

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             C’est dans Shindig! qu’on a chopé l’info : parution de l’autobio de Larry Tamblyn, le keyboardist des Standells. Comme toujours dans ces cas-là, on se frotte les mains. On se régale même d’avance. De tous les ténors du barreau gaga, les Standells étaient les plus percutants, donc les chouchous, comme l’étaient les Pretties en matière de British Beat, et Jerry Lee en matière de tout.

             Les Standells sont arrivés en France via Nuggets, cette redoutable compile Elektra qui a mis pas mal de kids sur la paille. Parce que forcément, quand tu entends «Dirty Water», tu as envie de choper les albums. Oh c’est pas compliqué ! Il te faut juste sortir un bon billet et aller sur l’auction list de Suzy Shaw, chez Bomp! et avec un peu de chance, si tu mises bien, tu peux récupérer les gros cartonnés US des Standells sur Tower. C’est comme ça que les quatre Tower des Standells sont arrivés ici. On les ressort périodiquement de l’étagère, histoire de se rassurer.

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             Eh oui, les Standells furent un groupe à hits, comme le furent tous les groupes gaga-punk sixties, certainement pas des groupes à albums, comme vont l’être un peu plus tard le Jimi Hendrix Experience et les Small Faces. Sur chaque album, les Standells tournent sur une moyenne de deux ou trois hits, mais ce sont des hits majeurs. Le reste n’est que du filler. Tiens, si tu commences par leur premier album, Dirty Water, tu as deux grosses cacahuètes à te mettre sous la dent : «Dirty Water», bien sûr, radical - Aw Boston you’re my home - et en B, «Sometimes Good Guys Don’t Wear White» - But tell your moma and your popa that sometimes... - Sous des airs bravaches de balloche chicano, c’est le cut le plus punk de Los Angeles, bien épais, avec un Dodd bien raw to the bone. On se régale encore d’un «Little Sally Tease» plein de jus, harcelé par les interventions intestines de Tony Valentino et bercé par le shuffle d’orgue de Larry Tamblyn. Ils font aussi une belle cover du «19th Nervous Breakdown» des Stones avec lesquels ils sont partis en tournée. C’est l’une des plus belles intros des sixties - You gotta stop & look around - Ils piquent là une belle crise de Stonesy. Mais le reste de l’album n’est pas du tout au même niveau. Oh la la, pas du tout.

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             Alors après, voilà Why Pick On Me - Sometimes Good Guys Don’t Wear White, paru la même année, avec l’une des pochettes les plus iconiques de la culture gaga. C’est là que ça commence à carambouiller car on retrouve sur l’album le «Sometimes Good Guys Don’t Wear White» de l’album précédent. Joli cut c’est sûr, mais à l’époque, le procédé ne nous plaisait pas. Et comme on va le voir, cette façon de refourguer les mêmes hits sur des albums différents n’est pas finie. Côté covers, ils retapent dans les Stones avec un shoot d’acier de «Paint It Black», ils ramènent énormément de power dans un cut qui au fond n’en nécessite pas plus que ça, et puis ils tapent dans Burt avec «My Little Red Book», déjà repris par Arthur Lee & Love, et là, oui, banco, car grosse énergie punk, les Standells sont dans l’excellence du big L.A. brawl, ils y vont à l’énergie d’aw no ! L’autre coup de Jarnac est le «Mainline» qui traîne vers le bout de la B des cochons, encore du pur jus d’L.A. punk, qu’infeste à outrance le wild slinger Tony Valentino. En trois étapes («Dirty Water», «Sometimes Good Guys Don’t Wear White» et «Mainline») les Standells ont défini l’archétype du gaga-punk sixties.

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             Allez, on va dire que leur meilleur album est le Try It paru l’année suivante. Les deux coups de génie sont «Barracuda» et «Riot On Sunset Strip». Le Barracuda est le vrai hit des Standells - I’m a young barracuda/ Swimming in the deep blue sea - Wow, les fantastiques chœurs d’artichaut résonnent dans l’écho du temps. Ils finissent en mode hypno de c’mon c’mon c’mon. Planqué au fond de la B voilà l’excellent «Riot On Sunset Strip» - I’m going down/ To the Strip tonite - et ça va très vite avec le call for action. Vaillants Standells ! Dommage que le cut vire pop. Arrivent les sirènes de police, alors ça repart au wild as fuck avec le Tony en embuscade derrière les immeubles en flammes. Classic L.A. punk. Ils font aussi une cover bien standellienne de «St James Infirmary», gluante à souhait et chantée à outrance. Et puis bien sûr, tu as le morceau titre, belle invitation au c’mon girl. 

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             Le quatrième Tower s’appelle The Hot Ones et c’est un album de reprises. On y retrouve le «19th Nervous Breakdown» des Stones et le punk genius de «Dirty Water». Le troisième standout de The Hot Ones est la version punkish de «Last Train To Clarksville». Tony Valentino et Dick Dodd jettent tout leur swagger dans la balance. Par contre, ils se vautrent sur «Wild Thing». Les Troggs font ça beaucoup mieux. Ils tapent aussi dans Donovan avec «Sunshine Superman». Ils ont la main lourde, ils ramènent un gros bassmatic sur le dos de Don, disons que c’est de bonne guerre. Ils enchaînent avec «Sunny Afternoon». Choix étrange de la part de punks angelinos. Nouveau choix étrange en B avec «Eleonor Rigby», et ils retrouvent enfin des couleurs avec une retake tape dur de «Black Is Black», encore un hit qui date de la belle époque, une fantastique machine à remonter le temps.

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             Dans son book, Larry Tamblyn se dit très fier du Live On Tour 1966 exhumé par Sundazed. On y trouve à boire et à manger. Ils attaquent avec un classic gaga pysch, «Mr Nobody», pas vraiment de son, ça joue sous le boisseau, dans les ténèbres de la légende. Ils enchaînent deux covers, «Sunny Afternoon» et «Gloria». C’est très mou du genou dans les deux cas, le Gloria est doux comme un agneau, ils en font même un comedy act. Ça se réchauffe en B avec «Why Pick On Me», une valse à trois temps qui préfigure les Doors. Ils flirtent aussi avec Paint It Black, mais ça bascule heureusement dans le punk de why pick on me baby. Puis ils osent taper dans James Brown avec «Please Please Please», wanna be your lover man baby, mais c’est imbuvable. Même leur «Midnight Hour» est mou du genou, complètement édulcoré, chanté en mode petit cul blanc. On est aux antipodes de Wicked Pickett. Ils finissent en mode Standells action avec «Sometimes Good Guys Don’t Wear White» et «Dirty Water». C’est Dave Burke qui fait rouler la poule au bassmatic avec un son bien rond et de vaillantes transitions.

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             Pour tous les fans des Standells, le Tamblyn book est un passage obligé, même si globalement on y apprend rien de plus que ce qu’on sait déjà. Début d’autobio classique avec tous les détails d’une enfance californienne et fin d’autobio classique avec tous les détails des règlements de comptes et des petites trahisons, le traître principal étant Dick Dodd.

             Bizarrement, Tamblyn reste en surface. Il relate. Il raconte sa vie très simplement. Comme si sa vie se résumait aux quatre hits déjà cités. Mais il n’entre pas dans la chimie du groupe comme le fait Kid Congo avec le Gun Club. À la lecture du Congo book, on comprend pourquoi le Gun Club est un groupe si important. Larry Tamblyn se limite aux faits. Si les Standells sont devenus un groupe tellement mythique, on ne saura jamais vraiment pourquoi, on devra donc se contenter de les écouter. On grapille néanmoins quelques petites infos complémentaires et on s’en régale, puisqu’il s’agit des Standells, after all. Larry Tamblyn commence par nous rappeler que le Sicilien Tony Valentino s’appelle en réalité Emiliano Bellissimo et qu’ils ont co-fondé tous les deux les Standells en 1962. L’autre principale caractéristique de Tony est qu’il passe sa vie à courir les jupons et à baiser comme un lapin. Alors pourquoi les Standells ? Tamblyn tire le nom du «standing around in booking agents’ offices», c’est-à-dire «faire le poireau chez bookers». Larry a un grand frère, le fameux Russ Tamblyn, de neuf ans son aîné, qui deviendra movie star. En 1958, Russ joue le rôle d’un détective dans High School Confidential, avec Mamie Van Doren. On y voit surtout Jerry Lee. Larry avoue que Jerry Lee est l’un de ses héros et c’est grâce à lui qu’il arrête la gratte pour passer aux keyboards - After seing the movie, my musical perspective changed forever - Ça s’appelle une vocation.

             Le deuxième line-up des Standells comprend en plus de Tony et de Larry, Gary McMillan (bass), rebaptisé Gary Lane, et Gary Leeds (beurre). Gary Leeds qui vient de voir The Village Of The Damned veut changer le nom du groupe pour l’appeler The Children, en référence au film, et il propose que tout le monde se teigne les cheveux en blond. Proposition refusée. Gary Leeds commence alors à voir le groupe de travers. Il ne va d’ailleurs pas tarder à le quitter pour rejoindre les Walker Brothers. On ne saura hélas rien de plus sur ce personnage clé de l’histoire du rock américain.

             En 1965, Larry abandonne le Farfisa pour un Vox Continental organ. C’est Dick Dodd qui remplace Gary Leeds, un mec «handsome and self-assured», «half Hispanic and half Irish». Larry lui trouve «a real punk attitude». Dodd dit aux autres qu’il a eu l’info par Jackie DeShannon qui savait que les Standells cherchaient un beurreman. Dodd dit aussi qu’il a joué un moment dans le groupe de Jackie. 

             C’est aussi en 1965 qu’ils rencontrent Greengrass Productions et Ed Cobb, un ex Four Preps. Les Standells signent avec eux, parce qu’ils ont un deal avec Tower Records. C’est Cobb qui pond «Dirty Water». Il suggère de laisser Dick Dodd chanter. Et Tony sort le riff qu’on connaît tous, le fameux dum-dum-dum dump-da-dum. C’est Dick Dodd qui a l’idée de l’intro d’I’m going to tell you a story - It’s about my town/ I’m going to tell you a big fat story baby/ It’s all about my town - C’est aussi lui qui ramène les petites transitions du genre «along with lovers muggers and thieves», et «aw but they’re cool people». Et pour bien enfoncer le clou, Larry révèle que «Dirty Water» fut enregistré dans un garage aménagé en studio à Westwood, sur un trois pistes. Wham bam thank you pas mam, mais Armin Steiner, l’ingé-son. Inutile de dire que la version enregistrée de «Dirty Water» n’a plus rien à voir avec la démo d’Ed Cobb, mais les Standells ne sont pas crédités.

             En 1966, un mec de Screen Gems appelle Larry pour lui proposer la botte dans les Monkees, mais comme les Standells commencent à décoller, il reste loyal au groupe. D’autant plus loyal qu’avec «Dirty Water», les Standells obtiennent a «national prominence». Soudain, Dick Dodd annonce qu’il quitte le groupe pour rejoindre les Ravens. Tony est furieux : «Dat fucking Mexican ruined my life». Tony parle encore un mauvais Anglais que Larry s’amuse à le citer dans le texte. En remplacement de Dodd, ils recrutent Dewey Martin qui bat le beurre dans Sir Raleigh & The Coupons, et qui le battra ensuite dans Buffalo Springfield. Comme Dodd, Dewey est un excellent beurreman et un excellent chanteur. Quand Dick Dodd revient, Dewey gicle. Soulagement général, car Dewey se baladait avec un ocelot dont tout le monde avait la trouille.

             Il est temps d’enregistrer le premier album et Ed Cobb emmène le groupe au Keaney Barton’s Audio Recording Studio, là où les Kingsmen, les Sonics et les Wailers ont créé le Northwest Sound. Et quand Gary Lane quitte le groupe, c’est l’excellent Dave Burke qui le remplace.

             L’épisode le plus important dans l’histoire des Standells est certainement leur tournée en première partie des Rolling Stones, en 1966. Rick Derringer et les McCoys font aussi partie de cette tournée devenue mythique. Le tour manager des Stones est Mike Gruber que Larry voit comme un «major asshole». Dans l’avion les drugs sont plentiful : pot, mais aussi l’amyl nitrate qu’on utilise nous dit Larry pour relancer le cœur des mourants. Hélas, Larry reste à la surface des choses. On trouve beaucoup d’infos sur cette tournée dans Love That Dirty Water: The Standells And The Improbable Red Sox Victory Anthem de Chuck Burgess & Bill Nowlin.

             Ils enregistrent leur deuxième album Why Pick On Me à Los Angeles. C’est Ed Cobb qui choisit tous les cuts. Larry ajoute qu’il impose aussi le titre à rallonge. La même année sort The Hot Ones. Cobb fout la pression commerciale. Comme ça se vend bien, il accélère la cadence. Biz biz biz. Puis Larry voit Cobb changer. Il devient despotique et bien sûr, bosser avec lui devient compliqué. Il se prend pour une superstar, comme Totor, il s’attribue le fulgurant succès des Standells. En studio, il fait venir deux blackos, Ethen McElroy et Don Bennett qui composent et qui arrangent, puis des musiciens black qui remplacent les Standells sur un cut. C’est la même arnaque qu’avec le Chocolate Watchband. Larry assiste à l’enregistrement des faux Standells et demande à Cobb pourquoi il ne laisse pas jouer les Standells. Cobb lui répond : «These guys sound more like the Standells than you do.» Merci Cobb ! Le cut dont il parle est «Can’t Help But Love You». Cobb rajoute aussi des cordes sur «Trip To Paradise». Heureusement, le reste de l’album est purement standellien. C’est Larry qui chante «St James Infirmary». Puis les choses se dégradent encore avec Cobb qui décide de mettre Dick Dodd en avant, avec les Standells comme sidemen - He had lost all respect for our artistic integrity.

             C’est John Fleck qui va remplacer Dave Burke. Fleck n’est pas n’importe qui, il a joué dans Love. C’est un mec brillant qui sait aussi composer. Les Standells enregistrent encore un single avec Cobb : «Animal Girl»/«Soul Drippin’», qui paraît en 1968, puis un cut de Graham Gouldman, «Schoolgirl», mais comme Tony n’arrive pas à le jouer, Gouldman pique sa crise de fiotte et quitte le studio en claquant la porte. Larry se dit surpris de voir réapparaître le cut plus tard sur une réédition CD de The Hot Ones, mais il ne reconnaît pas la voix de Dick Dodd. Il se pourrait dit-il que ce soit celle de Gouldman.

              1968 est pour Larry l’année de la fin des haricots. Le single «Animal Girl» floppe. Le gaga-punk des Standells et des Seeds cède la place à l’acid rock de San Francisco. Les riffs de Tony n’intéressent plus les gens. Les Standells en profitent pour virer Cobb. Ouf ! Dunhill Records louche sur les Standells. Une fois de plus, Dodd quitte le groupe pour entamer une carrière solo.  Il reproche aux trois autres d’avoir viré Cobb qu’il considère comme un père. Cobb reproche aussi aux Standells de l’avoir quitté après qu’il ait tout fait pour les lancer et les rendre célèbres. Larry pense le contraire : Cobb leur doit tout, ce sont les Standells qui ont fait le son de «Dirty Water», certainement pas Cobb. La meilleure preuve dit Larry c’est qu’après les Standells, Cobb n’aura plus jamais de hits. Dodd avouera aux trois autres qu’il avait été manipulé par Cobb, lui faisant croire qu’il était The voice et que les autres ne servaient à rien.

             Les Standells se reforment avec Daniel Edwards (lead guitar) et Willie Dee (beurre). Le groupe tourne essentiellement en Californie. Puis Lowell George monte à bord, mais avec lui, ça se termine en eau de boudin. S’ensuit un autre line-up avec Bill Daffern (beurre), Paul Drowning (gratte) et Tim Smyser (bass) et là, on commence à s’ennuyer comme un rat mort. Larry finit par en avoir marre de jouer dans les nightclubs. Il se dit «disillusioned with the entire rock group thing». Il jette l’éponge. Pour lui, les Standells sont morts et enterrés. Kaput.   

             Grave erreur ! Le groupe se reforme en 1983 avec Bruce Wallenstein et Eric Wallengren. Ils partagent un studio de répète avec Motley Crüe que Larry voit comme des singes - Pour eux, l’abus d’héro et des orgies sexuelles sont probablement un pré-requis pour jouer dans un groupe de rock - En 1984, les Standells originaux se reforment pour jouer dans un festival rétro : Dick Dodd et Gary Lane remontent à bord. Puis c’est au tour de Tony de mal tourner et de devenir a pain in the ass. Il veut jouer ses compos sur scène et le problème, c’est qu’elles ne sont pas bonnes.

             Puis ce sera le fameux Cavestomp à New York. Le grand Peter Stuart des Headless Horsemen accompagne Tony, Dick et Larry. Et en l’an 2000, ils participent au fameux Las Vegas Grind avec les Remains et les Lyres. Larry est ensuite contacté par un tourneur espagnol qui veut les Standells au Go Sinner Go Festival de Madrid, et pour une tournée espagnole grassement payée. Tony dit non, parce qu’il doit s’occuper de son restau. Quand Larry propose de le remplacer à la gratte pour la tournée, Tony réussit à convaincre en douce Dick et Gary de refuser. Larry se dit trahi par son vieil ami. Il atteint les tréfonds de l’acrimonie. Pour lui, c’est la fin des haricots définitive.

             Il se fourre encore une fois le doigt dans l’œil. En 2009, les Standells originaux jouent à Vegas, puis à Amoeba Records, le super-marché du disque de Los Angeles, pour la parution de la box Rhino Where The Action Is, sur laquelle «Riot On Sunset Strip» est le kick-off cut. Larry découvre ensuite que Dick Dodd a détourné à son profit les royalties du fameux Live On Tour 1966 de Sundazed, sans bien sûr le dire aux autres. Il avait signé «Dick Dood for the Standells». Comment a-t-il pu faire une chose pareille, se demande le pauvre Larry, effondré au spectacle de cette abominable trahison. En 2010, les Standells reformés tournent en Europe. Ils jouent enfin au Go Sinner Go Festival de Madrid, dix ans après que Tony ait comploté pour l’annuler. Comme Tony a été viré du groupe, il appelle Larry pour lui demander de le prendre pour la tournée et Larry l’envoie sur les roses. Il a déjà engagé un guitariste «much better musician than Tony». Et puis la vraie raison, c’est qu’il ne peut pas recommencer à travailler avec Tony. Impossible !

             Alors la guerre éclate entre Tony et Larry. Tony ouvre un site officiel des Standells sur lequel il traite Larry de menteur. Les Standells continuent cependant à tourner jusqu’en 2017 et le concert final a lieu au Palace Theater de Los Angeles. Quelle histoire !

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             Dans Shindig!, Chaim O’Brien-Blumenthal re-raconte le book, comme le fait le cat Zengler, il reprend méthodiquement toute la chronologie et sort les anecdotes les plus croustillantes. O’machin sort par exemple l’anecdote du concert de Toronto, sur la tournée des Stones en 1966, lorsque les Ugly Dickings sont virés de la scène parce qu’ils tapent un cut des Stones. Ils ne savaient pas qu’ils jouaient en première partie des Stones et que, dans ce contexte, c’est interdit de jouer leurs cuts. Larry raconte aussi qu’un jour, il est invité à dîner chez les Stones, dans leur hôtel de Manhattan, et quand il demande du ketchup pour arroser son steak, le Jag le traite de «fucking yank». Larry raconte aussi que John Fleck fut débauché de Love, ce qui n’a pas plu à Arthur Lee. Pour se venger, le roi Arthur débranchera tous les amplis des Standells au moment où ils arrivent sur scène. C’est John Fleck nous dit Larry qui compose «Riot On Sunset Strip», et Tony ramène le riff, pour le film du même nom. O’Brien-Blumenthal cite bien sûr le garage revival des années 80 et le rôle crucial qu’a joué Rhino pour la renaissance des Standells. Et puis tout ça se termine bien sûr avec l’épisode du Red Sox Baseball team de Boston qui demande aux Standells de venir jouer «Dirty Water» dans leur stade en 2004 : c’est l’hymne du club. Et l’hymne des garagistes.

    Signé : Cazengler, Standouille

    Standells. Dirty Water. Tower 1966

    Standells. Why Pick On Me. Sometimes Good Guys Don’t Wear White. Tower 1966

    Standells. Try It. Tower 1967

    Standells. The Hot Ones. Tower 1967

    Standells. Live On Tour. - 1966. Sundazed Music 2015

    Chaim O’Brien-Blumenthal : I’m gonne tall you a story.  Shindig! # 135 - January 2023

    Larry Tamblyn. From Squeaky Clean To Dirty Water. BearManor Media 2022

     

     

    Sari jette un Schorr

     

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             Si on est allé voir Sari Shorr sur scène, c’est sur les conseils de Mike Vernon, le vieux boss du British Blues et de Blue Horizon, qui dans une interview récente disait avoir craqué pour elle. Sari Schorr est une blanche qui chante avec Joe Louis Walker en tournée - She’s the most extraordinary singer, a big-voiced blues rocker - C’est d’autant plus troublant que le vieux Mike doit être blasé, d’avoir fréquenté toute la crème de la crème du gratin dauphinois, de Mayall à l’early Fleetwood Mac de Peter Green, en passant par le Chicken Shack de Stan Webb. Et combien d’autres ? Alors on fait confiance à Mike et on y va. D’un pas d’autant plus ferme quand on a pris la peine d’écouter A Force Of Nature, paru en 2016.

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             Elle y fait une cover du «Black Betty» de Leadbelly. Elle la gueule mais on voit bien qu’elle en veut, la petite Sari. Derrière, Innes Sibun fait un incroyable travail d’ascension vers les dieux du blues. Sari gueule mais elle est bonne. On le voit dès l’«Ain’t Got No Money» d’ouverture de bal, elle chante au registre haut, ce qui n’est généralement pas bon signe, mais Innes Sibun amène l’eau du blues à son moulin et ça finit par sonner juste. Sari allume bien ses cuts. Elle s’investit à fond, comme on dit dans les entreprises. C’est Oli Brown qui vient gratter ses poux dans «Damn The Reason». On perd le blues, elle se barre dans son truc. Mais quand Innes Sibun revient pour «Cat And Mouse», les affaires reprennent leur cours normal. La petite Sari chante comme une black et Innes Sibun fait merveille au solotage, il va dans le sens de la fluidité, il est parfait dans son rôle de guitar slinger en embuscade. Il monte vite à la note. L’autre invité de l’album n’est autre que Walter Trout («Work No More»). Le Trout ramène du blues électrique. Alors Sari chante son blues à la dure, comme les femmes le chantaient dans les années 70, Maggie Bell, par exemple, à la rauque, et le Trout en fait des tonnes, il n’en finit plus de jouer son blues, il tombe dans sa démesure et c’est pas mal. Elle chante un peu «Demolition Man» comme Nicoletta, elle chante du ventre, et Innes est là, juste derrière. Elle fait un peu sa Guesh Patti, on s’attend à voir se pointer Étienne. Il n’empêche que le son est plein comme un œuf et qu’on en savoure chaque seconde. Oli Brown revient jouer sur «Oklahoma» et il joue plus jazz. Il se croit malin, il a raison. Avec «Letting Go», on entre dans le registre de la main courante, avec un Innes éclatant au coin du bois de Boulogne. Oli Brown revient sur «Kiss Me» et lui entre dans le lard à la colère latente. Il gratte en concordance, mais il reste prudent, il a raison, car Sari est chaude - All I want you to do is to kiss me - C’est très sexuel, kiss me hey hey, ça sent bon la cuisse offerte et le ventre afférent, c’mon kiss me ! Elle tape aussi dans le vieux «Stop In The Name Of Love» des Supremes, elle passe bien, même avec des accents mâles. Elle en fait une version heavy et donc on perd le Motown. Elle écrase son Why don’t you stop comme un mégot et rate son effet.

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             Sur scène, c’est un peu du sans surprise. Les Anglais qualifient ce type de spectacle d’old-school. Sari Schorr ramène son public dans les seventies. Tous les poncifs accourent au rendez-vous, les gros solos d’orgue Hammond, les grattés de poux grimacés d’un petit mec affreusement doué qui s’appelle Ash Wilson, on a même le bassman black au crâne rasé qui descend du heavy bassmatic sur un manche de basse plus large que la moyenne, et bien sûr une Sari Schorr qui incarne toute la bravado du blues-rock des seventies avec cette petite veste à franges qui rappelle celle de l’early Ozzy Osbourne.

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    Sari Schorr est une très belle femme aux cheveux noirs, dotée d’une voix extrêmement puissante, mais diable, comme elle peut être prévisible. Ce qui n’enlève rien bien sûr à l’intensité de sa présence.

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    Pour ce set en Normandie, elle tape dans ses deux albums et on est ravi de la voir niaquer le «Black Betty» du vieux Leadbelly. Dès qu’elle tape dans le blues, elle est passionnante. Mais quand elle tape dans les balladifs à l’Aerosmith, alors là, c’est plus compliqué. On bâille aux corneilles. Elle établit avec le public un lien de très bonne qualité, on sent qu’elle est contente d’être sur scène, elle sait se montrer très chaleureuse, en tous les cas, ses mots sonnent juste. La petite ombre à ce tableau angélique, c’est que la salle n’est pas très pleine. 

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             Il existe sur le marché un Live In Europe qui donne une idée précise de ce que donne Sari Schorr sur scène. On y retrouve son excellente retake du «Black Betty», elle le prend bien heavy et ça prend feu à force de craquer des allumettes. On y retrouve aussi «Back To LA», un balladif incendiaire porté par le pur power de sa voix, puis «Valentina», son cut de fin de set, juste avant les rappels. Des retrouvailles encore avec «Demilition Girl», heavy boogie élastique, mais avec de la voix, et «Ain’t Got No Money», un véritable shoot de hard boogie qu’elle éclate avec une force spectaculaire. Il faut la saluer, car elle génère énormément d’énergie. C’est une petite centrale à deux pattes. Elle pourrait alimenter une ville moyenne. Elle a joué aussi «Dame The Reason» à la Traverse, un cut de c’mon hanté par des fantastiques retombées d’excelsior, elle se fond dans le moule du bronze et n’en finit plus de battre de tous les records d’intensité énergétique. Elle peut se montrer très vindicative, avec une voix venue d’en haut, elle ramène des tonnes de power féminin. C’est dingue comme on s’attache à elle ! Elle fait une version superbe d’«I Just Want To Make Love To You», elle y déclenche une véritable émeute ses sens, elle s’y colle avec toute l’énergie dont elle est capable. Et puis elle ouvre son bal avec l’excellent big heavy boogie down de «The New Revolution», elle est vite dessus, beaucoup trop dessus. Trop de power, mais de ce trop-plein émane une forme de magie relative, c’est un hit, une vraie panacée, elle est splendide, elle épouse bien les développements, elle génère des petits phénomènes surnaturels. 

    Signé : Cazengler, Sari gole pas

    Sari Schorr. La Traverse. Cléon (76). 1er avril 2023

    Sari Schorr. A Force Of Nature. Marathon Records 2016

    Sari Schorr. Live In Europe. Marathon Records 2020

     

     

    Wizards & True Stars

    Have you seen the little Pixies crawling in the dirt ?

     (Part Four)

     

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             Se pourrait-il qu’après (bientôt) quarante ans de bons et loyaux services, les Pixies fassent encore les malins en enregistrant un album qu’il faut hélas qualifier de génial ? Se pourrait-il qu’après tant et tant d’années, le Pixass des Pixies, c’est-à-dire Frank Black, soit encore capable de puiser à la source même de son art, un art qu’il faut bien qualifier d’art total ? Se pourrait-il qu’au soir de sa vie, un petit homme à tête affreuse soit encore capable d’illuminer la terre, comme il a su le faire sa vie entière ? Se pourrait-il qu’après tant et tant d’albums extrêmement denses Frank Black soit encore apte à densifier la densité au point d’en troubler la nature profonde ? Se pourrait-il qu’un homme ayant exploré tous les recoins de la métaphysique du rock soit encore capable de pousser ses recherches pour éventuellement révéler au monde de nouvelles découvertes ? Se pourrait-il qu’une cervelle humaine, celle de Frank Black en l’occurrence, soit tellement rompue aux excès de l’intelligence qu’elle puisse s’auto-régénérer ? Se pourrait-il qu’un homme soit tellement amoureux de sa muse qu’il puisse envisager de l’épouser pour atteindre à l’immortalité ? Se pourrait-il qu’un homme soit tellement passionné par l’art magique de la composition qu’il puisse se croire autorisé à bousculer l’ordre des choses établies, au point d’éradiquer la notion même de déclin ? Se pourrait-il qu’un petit homme affreux du nom de Frank Black soit capable à lui seul de bouleverser le cours du temps ? Se pourrait-il que Doggerel soit le meilleur album des Pixies ? Se pourrait-il que cette hypothèse soit une vue de l’esprit ? Se pourrait-il que toute vue de l’esprit ne soit qu’une hypothèse ? Se pourrait-il que Doggerel soit en réalité un monstre sonique qui dévore vivantes toutes les hypothèses et toutes les vues de l’esprit ? Se pourrait-il que le morceau titre de Doggerel soit l’une des incarnations du mythe d’on a road to nowhere, c’est-à-dire le mythe du Graal ? Se pourrait-il que Frank Black fasse monter tout doucement la pression de ce morceau titre pour mieux nous convaincre de le suivre on the road to nowhere, c’est-à-dire vers le merveilleux néant ? Se pourrait-il que cet assaut - I’m a wonder Doggerel - soit le plus grand assaut de l’histoire du rock ? Se pourrait-il que sa scansion I’ll never wonder again/ I’ll never wonder again soit la scansion primale du rock, comme le fut en son temps l’Out Demons Out d’Edgar Broughton ? Se pourrait-il qu’il claque au passage un solo d’outer-space pour mieux nous convaincre de son extrême sincérité ? Se pourrait-il qu’il revienne inlassablement sur son never wonder again pour nous montrer la direction des nouvelles voies impénétrables ? Se pourrait-il que ce nerver wonder again soit the real wonder de l’histoire du rock ? Se pourrait-il que cet album incite les hommes à se prosterner ?

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             Foin des interrogations. Il est temps de passer aux affirmations : Doggerel se joue en Technicolor. Tu es là pour ça, bien calé dans ton fauteuil de velours rouge, mais tu ne sais pas encore à quel point c’est du Technicolor. Le gros va t’en foutre plein la vue, et même certainement plus qu’avant, plus qu’au temps de Trompe le Monde, quand il injectait sous ta peau un torrent de frissons baptisé «Letter To Memphis». Dès «Nomatterday», Frank Black nous ramène sur son spot de prédilection, back to the edge of sound. Tu le verras gratter sa cocotte au bord du gouffre. Il oscille dangereusement mais il reste le maître du jeu, c’est-à-dire le maître du rock américain, autrement dit le maître des éléments et des tempêtes soniques - It’s Nomatterday/ Here we go again/ Necromancers bending to and from - Il retape dans son vieil art de la digression, d’autant plus librement qu’il n’a plus rien à prouver. Il vise encore l’apocalypse avec «Vault Of Heaven», mais il y va en fourbasse, en dessous du boisseau, là où rôdent les reptiles vénéneux et aveugles, il emprunte la voie humide de la pop, accompagné du son de basse qu’il affectionne particulièrement - Here in the vault of heaven/ Just trying to keep me straight/ But I ended up still in outer space - S’ensuit une extraordinaire descente aux enfers («Dregs of The Wine»), nouveau numéro de charme killer de sixty-six - And then it’s time to go/ It’s really time to go - définitivement wild as fuck, il le tire au cul en feu. Le shaman Pixass détient tous les pouvoirs du rock. Pire encore avec «Haunted House» ! On se croirait sur un album solo du gros, au temps béni des Catholics, il nous a tellement habitués à ce genre de fantasia, mais fais gaffe, car ça devient vite incontrôlable, il va te bouffer le foie vite fait. Cet artiste surnaturel est capable de descendre aux enfers avec le chant du paradis. Il re-Cariboute sous la voûte étoilée - Haunted house all full of ghosts/ I’m gonna pass that way - Ça reste à la fois d’un très haut niveau et inexorablement sublime - Whoa, whoa, whoa, whoa, whoa - Il reste au paradis pour enfoncer un suppositoire dans l’anus rose de l’Ange Gabriel : «Get Stimulated» - ah-ah ah-ah - il schtroumphe sa heavyness, la bourre comme une dinde et claque sa chique aux accords délétères - Let it be said I’m a little narcissist/ But my favorite rock and roll is sealed with a kiss - Bizarrement, on se croit toujours en territoire connu, alors qu’il entre dans des zones inexplorées. Au point où on en est, on pourrait même parler de zones inexplorables. Il chante à l’agonie et reste magnifiquement infectueux - Get simulated/ I really get me down now - Il joue de sa voix comme d’un instrument. C’est sa façon de courir sur l’haricot du rock. Il reste le plus gros géant d’Amérique, un géant semblable à ceux que Zeus combattit et qu’Héraklès acheva. La seule différence avec les géants de Thrace, c’est que le gros est invulnérable. Il domine le monde et gratte sa petite pop. C’est un enchantement que de l’entendre. Il se permet même le luxe de sonner comme Creedence avec «Pagan Man». Il te concocte encore tout le bonheur que tu peux espérer avec «Who’s Sorry Now» et «You’re Such A Sadducce». Pix me up, Frank ! 

    Signé : Cazengler, Picsou

    Pixies. Doggerel. BMG 2022

     

     

    L’avenir du rock

    - Alors ça Buzz, cock ?

     (Part Two)

     

             L’avenir du rock prend souvent l’apéro à la terrasse du petit rade qui se trouve en face de la FNAC Saint-Lazare. Il se grise du spectacle d’une foule extrêmement dense, comme elle peut l’être aux abords de toutes les grandes gares parisiennes. Ce fleuve incessant charrie des êtres de toutes les couleurs et de toutes les tailles et semble les emporter vers leur destin. Quoi de plus vertigineux que le spectacle d’une foule en mouvement ? Un homme assis juste à côté engage la conversation :

             — Je vous connais. Suis certain de vous avoir vu à la télé, mais votre nom m’échappe...

             — Avenir du rock.

             — Vous rigolez ?

             — Pas du tout. Ai-je l’air de rigoler ?

             — Mais c’est pas un nom !

             — Et pourquoi ne serait-ce pas un nom ?

             — Excusez-moi de vous dire ça, mais ça sonne plutôt comme le titre d’un bouquin.

             — Non, je suis un concept, mais ce serait trop long à vous expliquer. Je préférerais que nous trinquions à l’arrivée du printemps, par exemple. Et puis dites-moi, à qui ai-je l’honneur ?

             — Je m’appelle Coq, comme un coq. 

             — Alors à la bonne vôtre, Coq.

             — À la bonne vôtre, Rock !

             Les tournées s’enchaînent, les visages s’empourprent et l’échange se fait plus cordial :

             — Pour un avenir, tu m’as l’air un peu fané, Rock.

             — On a l’âge de ses artères, Coq.

             — J’aimerais bien te tâter le bas, Rock.

             — Serais-tu bi, Coq ?

             — J’ai l’easy rut, Rock.

             — Là t’abuzz, Coq.

     

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             Pendant que l’avenir du rock tente de s’extraire de ce guêpier, Steve Diggle reprend en main la destinée des Buzzcocks, l’un des très grands groupes anglais rescapés, comme les Damned, de la première vague punk. Pourtant frappé de plein fouet par le cassage de pipe de Pete Shelley, le groupe existe encore. C’est inespéré.

             Pendant quarante ans, Steve Diggle a vécu dans l’ombre du grand Pete Shelley et ça n’a pas dû être simple pour lui. Diggle est un ‘Chester cat extrêmement brillant, c’est en tous les cas ce que montre Sonics In The Soul, le nouvel album des Buzzcocks, et on pourrait même aller jusqu’à dire : le nouvel album génial des Buzzcocks. Oui car quelle claque !

             Tiens, ça tombe bien, il en parle à Gerry Ranson dans Vive Le Rock. Ranson rappelle qu’il s’agit pour Diggle et Shelley d’une amitié vieille de 40 ans. Quand il a pris la décision de continuer le groupe, Diggle a dû surmonter le fameux «there’s no Buzzcocks without Pete», mais apparemment, nous dit Diggle, les fans ont accepté l’idée d’une continuation sans Pete. Il évoque les deux ou trois gros concerts de reformation donnés à Londres et comme ça lui tirait sur la paillasse, il est allé se reposer dans sa maison près de Thessaloniki, en Grèce - just walking up and down by the sea and having a cool drink - C’est là qu’il écrit des chansons - I always take a notebook - Il ne faut jamais perdre de vue que Diggle est un ‘Chester cat de base, brillant mais de base, un mec très ordinaire, qu’on est toujours content de revoir sur scène. Il dit avoir flashé très jeune sur Little Richard, Chuck Berry et Elvis et, comme tout le monde, sur les Beatles, les Stones, les Who, les Kinks et Bob Dylan. Puis il est passé à ce qu’il appelle le ‘hippie stuff’, «Donovan’s «Hurdy Gurdy Man», all that psychedelic thing», alors il s’emballe, «it was exciting, then later I got into The Velvet Underground, The Stooges and the MC5... via Bowie, really. ‘Cos as soon as Bowie came out, I remember seing the Ziggy Stardust Tour.» Voilà ce qu’on appelle une Éducation Sentimentale parfaite. Il a 16 ans quand il flashe sur Neu! et Can. C’est McLaren qui le présente à Pete Shelley au Lesser Free Trade, en 1976.

             Comme l’article s’étend sur 6 pages, Ranson retrace toute l’histoire des Buzzcocks, singles, albums, puis la première tournée américaine, et là, Diggle saute en l’air : «It was like Hammer Of The Gods!», il n’en revient toujours pas - Drink, drugs and girls every night. It was mental. But we always came out with the goods - Alors il développe, car c’est important : «Quand on est allés pour la première fois en Amérique, on a compris que tout était plus gros là-bas, alors on est montés d’un cran. Les Who pétaient leurs guitares et on a fait la même chose. Pas à cause des Who, mais à cause du public américain, the magic and the craziness of it!». Il raconte ensuite qu’à New York, les Ramones sont venus les voir en concert. Là, Diggle exulte : «Les Ramones nous adoraient et on leur a dit qu’on les adorait et qu’on avait été inspirés par leur premier album. Proper rock’n’roll times. But you have to live those times. That’s one of the reasons you get in a band: the excitement, the energy and... things!».

             Les Pistols choisissent les Buzzcocks pour jouer en première partie du Finsbury Park show en 1996. Là, Diggle devient sérieux : «That was the nucelus of 76. All the others came after. I always say, we wrote the fucking play, we wrote the script.» Diggle revient aussi sur la dernière tournée avec Pete, et un Pete fatigué qui vient le trouver chez lui pour lui dire qu’il songe à s’arrêter. Alors Diggle lui lance : «You’re not leaving it all with me! We’ve still got a lot to do!». Mais quelques jours plus tard, Pete casse sa pipe en bois.

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             Il est grand temps d’écouter Sonics In The Soul. Diggle attaque avec «Senses Out Of Control» et va se lover dans le giron de la légende. Quelle énergie ! Diggle crée de la bien bonne énormité, il insiste bien sur le control. S’ensuit un «Manchester Rain» vite torché. L’album s’annonce revigorant. Diggle est capable de ce genre de miracle, il t’explique comment on fonce à travers la plaine des Midlands, il te fait du pur jus. Il apparaît vite comme l’un des derniers géants de la grande époque du rock anglais, il tape en pleine power-pop avec «You’ve Changed Everything Now», il rue bien dans les brancards, Diggle dig it ! Le festival power-pop se poursuit avec «Nothingless World», ces mecs n’ont rien perdu de leur grandeur ancestrale. Diggle chante à la porte, mine de rien, il te sort un hit, il insiste et te colle au train. Il fait encore un prodigieux numéro de try it off avec «Don’t Mess With My Brain», il l’amène au heavy riffing de punch up, il chante à la menace à peine voilée, avec tout le poids de son héritage cocky, et ça prend de sacrées tournures, il rocke et il rolle à n’en plus finir, you betcha !, il transforme son mess en fookin’ legendary mess, you betcha, il n’en finit plus d’annoncer la couleur. Il illumine encore le rock anglais avec «Everything Wrong», il embarque ça au train d’enfer de Chester, il riffe avec une sorte d’incroyable facilité et une bassline croise sa route, ça sonne comme un hymne, tu as là du big Dig. Il te casse encore la digue vite fait avec «Experimental Farm», il te gratte ça à la vieille cocote. Diggle est l’un des mecs les plus attachants de l’histoire du rock anglais, mais aussi de la scène actuelle. Il gratte son énorme cocote en souriant, tellement il est heureux d’être là. Encore un coup de génie avec «Can You Hear Tomorrow», il claque ça au carillon, il pose bien ses conditions, il pousse le bouchon toujours plus loin, so far-out ! Il couronne son album à la dure de Chester.

             La chute de l’article de Ranson est magnifique. Diggle dit qu’après Devoto et Pete, c’est la troisième génération - We’re on the third generation now. You’ve been to the V&A and seen the Ming Dinasty? This is the Steve Diggle Dinasty, it’s my time now. Most people are on that journey now with us. Most people are saying ‘I’m glad you carried on, it’s nice to have Buzzcocks music in 2022’ - Magnifique artiste. Il devient chef de meute et trace la route vers l’avenir. Alors, on se prosterne jusqu’à terre.  

    Signé : Cazengler, la (triple) Buse

    Buzzcocks. Sonics In The Soul. Cherry Red 2022      

     

     

    Inside the goldmine

    - Un Chuck de choc

     (Part One)

     

             S’il fallait établir un hit parade des forces de la nature, nul doute que Jacques Somme trônerait au sommet. La notion d’obstacle ne l’a jamais effleuré une seule fois, tout au long de sa longue vie. Ne nous méprenons pas, Jacques Somme n’était pas un Hercule de foire. Il planquait ses biscotos sous un crâne garni de mèches blondes taillées à la serpe, comme celles de Jean-Paul Sartre, une autre force de la nature. Il était même courant, chez ceux qui goûtaient au privilège de sa fréquentation, de le comparer à Sartre, le strabisme divergeant en moins. Passionné de langues vivantes, Jacques Somme passait sa vie à les apprendre et à les enseigner. Il eut tôt fait d’apprendre le Russe et le Chinois et pour parfaire sa pratique, il y fit, comme Blaise Cendrars en son temps, des escapades sauvages. Plus tard, dans sa vie, lorsqu’il eût passé l’âge de sauter dans des trains en marche, il y organisa des voyages et créa un vaste réseau d’érudits et d’écrivains, dans les deux pays. Car bien sûr, la pente naturelle des polyglottes est la traduction. Il ne se contentait pas du Chinois officiel, il creusa un peu dans les régions et s’amouracha des dialectes locaux. Puis il entreprit à une époque où ce n’était encore courant d’apprendre TOUTES les langues des Balkans. Pour ce faire, il installait un magnétophone à cassettes sous son oreiller, et après avoir baisé ses deux maîtresses et son épouse qui partageaient sa couche chaque nuit, il s’endormait pour apprendre une nouvelle langue serbe ou croate. Il me confia un jour, en éclatant de ce rire rocailleux qui le caractérisait, qu’on apprend mieux en dormant. Il traduisait des auteurs qu’il connaissait personnellement pour le compte des fameuses POF, les Presses Orientales de France, et organisait des voyages culturels dans des pays très fermés comme la Corée du Nord et l’Albanie. Il nouait pour cela des contacts dans les ambassades et obtenait des autorisations que personne d’autre ne pouvait obtenir. Il commença au soir de sa vie à se pencher sur les dialectes d’Afrique de l’Ouest. Une nuit, son épouse et ses deux maîtresses furent réveillées par une atroce odeur de brûlé. Une fois la lumière allumée, elles hurlèrent en chœur : la tête de Jacques Somme était carbonisée. Sa cervelle en surchauffe avait pris feu. Ses lèvres bougeaient encore. Il semblait vouloir dire quelque chose. Son épouse se pencha. «Oua... ga... dou... gou...» Elle ne comprenait pas. «Oua... ga... dou... gou...»

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             Espérons que Chuck Jackson n’a pas connu une fin aussi atroce que celle de Jacques Somme. Enfin, atroce dans les apparences. C’est quand même pas mal de casser sa pipe en bois en apprenant une langue africaine. Chuck Jackson pratiquait une autre langue, la Soul. Il fut pendant 40 ans l’un des plus puissants Soul Brothers d’Amérique. Il ne connaissait qu’un seul rival, Wilson Pickett. Étant donné la nature tragique de l’événement, nous allons revêtir nos plus beaux habits noirs pour lui rendre un dernier hommage.

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             La meilleure introduction à l’œuvre de ce géant de la Soul est une belle compile Kent, Big New York Soul. Wand Records 1961-1966. Dans le booklet, c’est Ady Croasdell qui se charge des présentations. Il commence par rappeler que les Wand recordings du Chuck de choc sont considérés comme «some of the finest Soul tracks of their era». Entre 1961 et 1967, Chuck enregistre 30 singles et 10 albums pour Wand. Bien sûr, il est l’un des chouchous de la Northern Soul, sinon l’Ady ne serait pas là. Petite cerise sur le gâtö : les Kentomanes sont gâtés car l’Ady n’en finit plus de rappeler que cette compile grouille d’inédits découverts par les fureteurs d’Ace, lorsqu’ils ont récupéré les vaults d’or de Scepter/Wand, dans les années 80. Parmi les inédits, voilà «Things Just Ain’t Right», un heavy r’n’b gorgé de remona. Le Jackson boy y va au straight gut in the face. Chez lui, ça ne marche qu’à l’énergie du punch. Cette compile grouille littéralement de puces. Autre inédit : «All About You», cut dévorant dans une bruine de son. Chuck fait des étincelles, c’est raw, c’mon brother !, il y va au ah !’, il préfigure tout ce qui va suivre. Il t’aplatit l’All About You vite fait. Il allume aussi le «Why Why Why» à outrance. Upbeat and catchy, comme dit l’Ady. Il précise en outre que Doris Troy, Yvonne Fair et Maxine Brown chantent avec Chuck. Il fait un duo d’enfer avec Dionne la lionne sur «Anymore», qui date de 1963. Elle est jeune, presque fausse. C’est Chuck qui fait le show. Dionne vient se chauffer à la chaleur du Chuck. On peut dire de cet artiste extraordinaire qu’il chante d’une voix complète, cassée et cassante, une voix d’airain et d’étain, raw et polie à la fois. Il exerce une âcre fascination («Getting Ready For The Heartbreak»). Il est sur le pont dès l’aube de la Soul avec «In Between Tears». La série noire des coups de génie continue avec «Hand It Over», il te groove le hard du lard dans le creux de l’oreille, c’est de l’early Soul de génie, rien à voir avec la Soul plan-plan qu’on entend ailleurs. On plonge encore un peu plus au cœur du mythe Jackson avec «Big New York», le Chuck de choc rebondit dans le big heavy groove élastique. Voilà un mix idéal de groove et de big voice. Pour l’Ady, «Another Day» est une haunting performance. Chuck chante par dessus les toits. Avec «Why Some People Don’t Like Me», il passe au heavy blues. Il est dessus, mais au jazz bound. À chaque fois, il tape dans le mille. Il est énorme et plein, comme le montre encore «What You Gonna Say». Plein comme un plain singer. Dans «I’ve Got To Be Strong», il est juste derrière le groove. Chuck ne fait rien comme les autres. C’est un artiste unique, il groove son «Silencer» comme un cake. Il s’accroche encore à «This Broken Heart (That You Gave Me)», il s’y accroche de toutes ses forces, tu as sans doute là la meilleure Soul de l’époque, et donc du monde. Il faut le voir balancer des hanches sur «Forget About Me», il est d’une présence inexpugnable. Plus on progresse dans la compile et plus Chuck fascine par son talent et sa modernité de ton. Il est encore plus tranchant que Wilson Pickett. Un Part Two bien gras et dodu comme un sacristain viendra conforter cette idée.

    Signé : Cazengler, Chuck assomme

    Chuck Jackson. Disparu le 16 février 2023

    Chuck Jackson. Big New York Soul. Wand Records 1961-1966. Kent Soul 2017

     

     

    *

    Y a des gens cruels, vous n’y pouvez rien, c’est la nature humaine. Ici ils sont quatre, Tony Marlow, Amine Leroy, Fred Kolinski, à eux trois ils forment Marlow Rider, mais comme pour les trois mousquetaires, ii faut chercher le quatrième, un nom que l’on n’oublie pas, ce n’est pas le loup blanc, c’est Seb le Bison. On ne le voit pas, durant l’enregistrement du disque il était caché derrière la console et sur cette vidéo planqué derrière la caméra.

    Marlow Rider, l’on vous a présenté le premier opus ( 2021 ) du trio intitulé First Ride, l’on a doublé la mise, une fois le Cat Zengler, une fois votre serviteur, pour être sûrs que vous n’oublierez pas, un truc qui a foutu le sbeul partout où on l’a entendu. Gros succès, conséquence ils recommencent. La sortie de la deuxième rondelle vinylique est prévue pour ce début du joli mois 68, que dis-je, de mai !

    Pour le moment vous ne voyez rien à leur reprocher, pour un peu vous les traiteriez de bienfaiteurs de l’Humanité, vous avez tort, ils ont décidé de mettre le feu partout, des adeptes d’Héraclite qui pensait que le feu présidait au cycle éternel de la naissance et de la destruction du monde, leur nouvel album s’intitule CRYPTOGENESE, bref ils ne s’en cachent pas ils veulent nous brûler tout vifs comme Jeanne d’Arc. Les écologistes qui redoutent la sécheresse me font rire. En attendant, regardons et écoutons en avant-première :

    DE BRUIT ET DE FUREUR

    MARLOW RIDER

    ( Official Vidéo Bullit Records/ 05 – 05 – 2023 )

     

    Pas un bruit, sommes-nous dans un fond de banlieue là où commence ( presque ) la campagne, le Marlou étui de guitare en main, allure décidée, lorsqu’il passe devant une porte de garage, la caméra se focalise sur son visage, un quart de seconde pas plus, le Marlou vous regarde, votre sang se fige dans vos artères, maintenant vous comprenez pourquoi dans ses interviewes il n’oublie pas de spécifier qu’il est né en Corse, le pays des bandits d’honneur, très gentils mais il vaut mieux s’abstenir de leur marcher sur les pieds, même sur un seul, vous paniquez, pourvu qu’il ne m’ait pas vu, mais non il n’a rien contre vous, par contre dès l’image suivante il s’en prend à sa guitare.

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    Marlow envoie le riff, tout de suite lourdement ponctué par Fred à la main lourde, la contrebasse d’Amine vous pose des contreforts en béton précontraint, vous entrevoyez cinq minutes de volupté paradisiaque, déjà vous voyez venir la suite, riff + riff + riff + solo fulminant, puis retour riff + riff + riff + solo embrasement terminal, personne ne descend tout le monde totalement stoned, le Marlou vous réserve une surprise, une vipère froide comme la mort qu’il balance autour de votre cou, elle sort de sa bouche, une espèce de Ah ! de derrière le larynx, un feulement de lynx sauvage qui se laisse tomber du haut d’un arbre et enfonce les griffes de ses quatre pattes au travers de votre boîte crânienne pour le plaisir de labourer votre matière cervicale particulièrement spongieuse, le Marlou ne cessera de répéter  la déliquescence de son cri ante-primal tout le long du morceau, pour accentuer l’effet et l’effroi la caméra se bloque sur sa bouche ouverte et vous apercevez sa langue rouge comme la torche d’Erostrate avec laquelle il incendia le temple d’Artémis à Ephèse, sur l’autel duquel Héraclite avait déposé son livre, la même nuit où naquit Alexandre le Grand, vous voyez la conséquence que cette gutturalité spasmodique a produit sur ma modeste personne, mais ce n’est pas tout, puisqu’il a ouvert la bouche, Marlow parle, en français, comment il ose jouer de la guitare psykédélique et il chante en français, sachez-le Marlow n’a peur de rien, il sait imposer ses choix, l’image qui déjà n’était pas très stable se démultiplie, Marlow ressemble à l’Hydre de Lerne, il est impossible de compter ses têtes, Marlow partout, le reste du monde nulle part, z’êtes emportés dans un tourbillon stroboscopique, Fred vous plombe sa batterie, l’a tendu ses peaux sur des gouffres ce qui explique leurs résonnances, et Amine vous dénature sa big Mama, il vous décalamine le son en décalcomanie, le Marlou n’en continue pas moins à glapir tel le Renard du désert à la recherche du Petit Prince, à la fin sa guitare ondule comme une tête de cheval séparée de son corps, elle circonvolute avec la grâce et la maestria d’un évêque qui vous balance un encensoir autour d’un cercueil. La messe est dite. Ite. Sur l’image suivante, on retrouve le Marlou dans la rue tenant son étui à guitare d’une main et une jolie fille de l’autre. Normal c’est un rocker.

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    Damie Chad.

      

    *

    Je connais nos lecteurs, je n’ignore rien de nos lectrices, en lisant la chro précédente sur Tony Marlow, les premiers en lisant le nom de Seb le Bison ont rêvé à la légende indienne du bison blanc, les secondes ont cru qu’elles allaient enfin assister au retour de la femme Bison Blanc. Je crains de décevoir le lectorat, non Seb le Bison n’est pas un bison blanc, non il n’est pas une femme, l’est un homme comme tous les autres, avec quelques particularités, il est Directeur Artistique de Bullit Records, label Rock Indépendant basé à Montreuil City Rock. Enregistrent chez Bullit, Marlow Rider, Cooking with Elvis, Loolie & The Surfin Rogers, je cite ces trois en premiers car nous les avons déjà chroniqués, disques et concerts, mais aussi : Smash, Rikkha, Les Daltons, Nico Shona and the Freshtones, et Modern Delta. Enfin Western Machine dans lequel Seb le Bison officie à la guitare.

    SHORT CUTS

    WESTERN MACHINE

    ( Bullit Records 02 / 2021 )Jésus la Vidange : bass / Taga Adams : bass, vocals / François Jeannin : drums,  vocals / Fred le Bison : vocals, guitar, producteur / Matt le Rouge : saxophone / Andrew Crocker : trumpet.

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    Une pochette hommagiale, pas spécialement dédiée au western, pas mal au cinéma, pour le reste il n’est pas évident de reconnaître les effigies, ce qui est sûr c’est que les trois carrés blancs représentent les membres du groupe : Taga Adam, François Jeannin et Fred le Bison mais au cinéma. Faudra-t-il considérer chaque morceau comme une séquence de film.

    Going back to Hollywood : ne dites pas qu’à Hollywood les cowboys sont d’opérette car ça ramone sévère, si vous attendez une ballade country c’est raté, Jeannin s’obstine fatidiquement sur ses outils de travail, le Bison  meugle méchant, l’on intuite qu’il n’est pas dans un champ de pâquerettes en train de conter fleurette sous un soleil printanier, et pour finir Matt se fâche tout rouge sur son sax, déraille dans un long solo qui finit par se confondre avec des bruits de voitures. High shape woman : Jeannin balance la salière, et la horde cavale derrière, tous en chœur pour le refrain, à la manière dont il mord dans le vocal comme dans le fruit du péché il est sûr que Calamity a produit un effet bœuf sur notre Bison. Bison : Bison fait son autopromotion, sort de son étui une belle voix sombre à la Johnny Cash, sur le refrain les copains le soutiennent à mort, l’a encore une arme secrète, c’est Andrew qui dégaine sa trompette, illico l’on est transporté dans les grandioses paysages de la Sierra Nevada, hélas un coup de téléphone impromptu tire-bouchonne les illusions héroïques. Run run : galopade effrénée, tout se passe dans la tête, voix et contre voix, presque un instrumental serait-on tenté de dire, ce qui serait un mensonge éhonté, mais y mettent tant tout leur cœur que la coagulation rythmique des instruments emporte l’adhésion. Red horse : le cheval n’est pas rouge par hasard, c’est Matt qui mène le troupeau sauvage, se lance dans une espèce de solo vrillé qui tient autant du jazz-noise que du sixty-garage, à la toute fin il essaie de recracher le crotale de la fiole du moonshine qu’il avait avalé par inadvertance. Betty Jane : ce n’est pas Betty Jane Rose, plutôt Betty Jane blue, de toutes les manières rose ou bleue les filles sont toujours problématiques, n’y a qu’à se fier à la voix blanche qui raconte, en douce langue françoise, cette triste histoire, concentrons-nous plutôt sur le travail de François Jeannin que la valdinguerie de la guitare met en évidence. Down by law : voix implacable de la justice en intro, musique en cavale précipitée et voix hargneuse tout de suite après, nous n’avons pas encore parlé des chœurs masculins qui émaillent beaucoup de ces titres, ces soulignements lyriques ne sont pas à négliger, surtout dans ce titre où ils apportent stigmates du drame. I won’t back down : de Johnny Cash, rendons à César ce qui est appartient à Tom Petty et ses Heartbreakers, disons que Western Machine rajoute de la viande instrumentale autour de l’os Cashien, l’idée se défend mais parfois le dénuement squelettique est plus inquiétant. Diamond ring : une espèce de parodie westernique très bien faite, la scène du saloon avec le sax de Matt le Rouge qui se permet de danser la gigue sur les tables et les chœurs de cowboy qui rajoutent de l’ambiance. Moon phase : western interstellaire, avant tout un instrumental, Jeannin se démultiplie, le sax de Matt déraille et fouraille une fois de plus pour notre plus grand plaisir. Western dream : les westerns mexicains, ceux qui se passent au Mexique, de Vera Cruz à El Chuncho, sont-ils les plus beaux, la question mérite discussion, la trompette d’Andrew fait pencher la balance en leur faveur, pratiquement seule, elle surgit comme l’incarnation de l’âme d’un peuple sur un dialogue de film. Magnifique.

    Ne pas se focaliser sur le terme western, machinent un peu tous les styles, garage, rock, punk, ska, mélangent le tout et ressortent la mixture à leur sauce. Résultat : l’envie d’écouter le premier.

    FROM LAFAYETTE TO SIN CITY

    ( Bullit Records / 2016 )

    Olivier HSE : bass / Jésus la Vidange : bass, vocals / François François : drum, vocals / / Fred le Bison : vocals, guitar, / Matt le Rouge : saxophone.

    Big Zym s’est chargé de la chouette pochette, mélangeant mythologie western et modernité avec humour.

    Le titre désigne-t-il la ville de Lafayette située dans l’Indiana ou une autre, plusieurs bourgades des USA ont en effet pris le nom de notre célèbre marquis.  Quant à Sin City la difficulté de localisation est encore plus grande, certes c’est ainsi que l’on surnomme Las Vegas, toutefois nous partirons du principe suivant : il y a déjà une Sin City dans chaque ville où réside une lectrice ou un lecteur de notre blogue. Ailleurs aussi, mais la liste serait trop longue.

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    Hey Western Machine : est-ce en l’honneur de Bo Diddley l’homme à la guitare en fourrure que le titre démarre sur une cascade battériale, par la suite François s’amuse à nous servir le jungle sound en catimini, l’on change d’époque, guitare et basse écrasent tout sur leur passage, z’ont sorti la voiture de la pochette du garage et ça s’entend. Débutent leur disque par un instrumental, un peu comme les westerns qui s’ouvrent sur une tuerie.  Dead man : une guitare saignante, une basse grondante une batterie qui joue au tapis de bombes et une voix qui survole le tout comme un vol de vautours autour d’un cadavre, n’y vont pas de main morte, vous ratiboisent le secteur sous tous ses angles. Pour les amateurs de déglingue. I got a D : intro fanfaronnade, puis l’on prend les patins pour glisser sur le plancher sans rayer, avoir un D comme date, ça vous file de l’entrain, à la fille comme au boy, ne sentent plus, j’ignore le nombre de flacons pilules qu’ils ont avalés, mais ils sont en forme, une espèce de trombe joyeuse qui dévastera les adeptes de la sérénité zen. Failing down : après les deux giboulées précédentes, avec un tel titre on espérait un blues tempéré, totally raté, c’est encore pire, une folie furieuse vous emporte au vent mauvais, n’en finissent pas de jacter, à croire que le rendez-vous ne s’est pas passé comme on l’a cru, un jungle sound démentiel, une catastrophe auditive, les fauves sont lâchés sur les auditeurs innocents. Phénoménal.  Walking dead : pas de panique avec ce  que vous venez d’entendre vous pouvez croiser une horde de morts vivants affamés avec le sourire, un bon départ rock’n’roll, souplesse rythmique, la basse lourde comme un éléphant qui fait des claquettes, sur les refrains le morceau décolle comme un gros porteur, évitez les hélices elles vous décapiteront en un rien de temps, en fait c’est très métaphysique, notre mort-vivant ne retrouve personne, l’on comprend qu’il ait des poussées d’adrénaline, un drame de la solitude. Comme quoi même au milieu d’un vacarme l’on peut se sentir seul. You’re hot : vous ne résisterez pas à la féminine voix suave qui vous interpelle et encor moins à cette batterie aux abonnés présents, à cette basse épouvante et à ce riff éprouvant, hélas les meilleures choses sont les plus courtes. Deux minutes d’éjaculation précoce.  Lonesome hero : ne confondez pas avec Im a lonesome fugitive, décidément la ballade sentimentale ce n’est pas leur truc, le gars n’est pas abattu par la nostalgie, roule comme une pierre qui rolling stone, mais hargneuse, hérissée de rage et de fureur, le François se prend pour Rocky 2, et tout le reste à l’avenant, attention à l’avoinée qui vous tombe dessus. N’arrivent même pas à se calmer sur les trois dernières secondes. Des brutes épaisses. Adorable ! Come to me : n’écoutez pas ce morceau je vous en conjure allez sur YT visionner l’official video, et après vous ne reconnaîtrez plus personne, pas même une Harley Davidson. Very Hot. Pour ceux qui en veulent plus, Juliette Dragon officie aussi sur Sin City. Mustang : une chevauchée fantastique pleine de bruit et de fureur, du bitume et des motos, un shoot de basse à vous déchausser les dents, une cavalcade motorisée comme vous n’avez jamais osé, la poignée dans le rouge. Sin City : maintenant vous savez pourquoi ils étaient si pressés, la voix de Juliette Dragon incarne le péché à elle toute seule, le saxophone de Matt le rouge éclate comme un bulbe turgescent, il se dresse comme une tête de serpent en train de muer, le morceau chavire dans l’enfer du stupre et le gouffre de la dépravation, vous croyez avoir atteint le fond, vous n’avez pas tort, mais vous n’avez pas raison.  D blues : Blues urbain ou country blues. Epineuse question. Ces deux rails parallèles sont-ils fait pour se rencontrer. Pour ceux qui veulent comprendre une official video sur YT vous aidera. Entre délire et questionnement philosophique sur la nature de l’Homme cet animal bipolaire. Un morceau un peu à part, moins rentre dedans que les précédents, mais tout aussi bon.

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             Je pense que cet album est encore plus réussi que le précédent qui vaut son pesant de berlingots à la nitro. Sûrement plus tonitruant, pratiquement à chaque morceau vous auriez envie qu’ils nous en fassent une version instrumentale pour mieux en goûter la richesse. Power trio de choc. Luxuriant.

              D’une richesse extraordinaire.

    Damie Chad

     

    *

    STONE OF DUNA

    Des inconnus par chez nous. De Gothenbourg, deuxième ville de Suède située au sud-Ouest du pays, au bord de mer. Déjà un bon point, en règle générale les groupes Suédois raffolent de la violence, cela provient-il de leur ascendance viking, peut-être. En tout cas Stone of Duna ne semble pas déroger à cette règle. Ils ne donnent pas leur identité, mais les mots qu’ils emploient pour définir leur musique ne paraissent pas évoquer la douceur de vivre. Jugez-en par vous-mêmes : machine à riffs, doom, stoner, sludge, fuzz. Ne les traitez pas de grosses brutes épaisses sans peur et sans pitié. Sont comme la lune, z’ont une face cachée, sont aussi des amateurs et peut-être même des armateurs de musique progressive. Je reconnais que cette appellation recouvre le meilleur comme le pire, l’insipide ou la découvrance de terres inconnues. Se présentent comme des philosophes, pas dans le genre Kant rébarbatif, comme des adeptes de la pierre philosophale, ne l’appellent pas tout à fait comme cela, usent de l’expression de pierre de Duna, qu’ils cherchent à atteindre par la transmutation alchimique des éléments précités, voire précipités dans l’athanor de la recherche sonore. Quoi qu’ils en soient, en sont juste au début de leurs recherches, n’ont publié que deux singles, en mars et en avril de cette année.

    STYGIAN SLUMBER

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    La pochette n’est pas sans évoquer l’intérieur du Led Zeppelin IV, ce mystérieux vieillard encapuchonné perché sur le sommet d’un pic rocheux tenant en sa main gauche une lampe dont le halo lumineux paraît d’un diamètre bien trop réduit pour éclairer le monde. Sur la couve de Stygian Slumber, l’ermite est en marche, il n’est pas encore parvenu au point culminant de sa montée. Si tout comme sur le Led Zeppe il s’appuie sur un long bâton, il ne brandit aucune lanterne, le haut de sa silhouette s’inscrit dans l’orbe d’un astre satellitaire, il porte sur son dos un étrange appareil, entre appareillage de plongée et alambic portatif dans la transparence duquel s’agitent de verts linéaments. Une image aussi difficile à déchiffrer que celle du IV. A la bien regarder l’on pense intuitivement à la nuit du Walpurgis dans le Faust de Goethe.

    Etrange, étrange, étrange, oui trois fois étrange, une distribution parfaite, un tiers pour la musique, un tiers pour le vocal, un tiers pour les lyrics. ( Pour ces derniers si l’anglais vous pose des difficultés regardez sur YT la version Lyric Video ). C’est l’entrée du vocal qui est déstabilisante. L’intro mérite le logo classic doom sans discussion, une montée en puissance des cordes avec très vite le jeu de la batterie qui tient à jouer son rôle de jeune première, tout est parfait, quand l’on y revient l’on s’aperçoit que du premier coup on n’a pas fait attention au merveilleux équilibre sonore apporté à chaque instrument, tous traités à égalité, puissance équivalente, un peu plus tard la basse bénéficie d’une thérapie un peu spéciale, on la laisse grogner toute seule dans son coin à la manière d’un loup fourvoyé dans une cage, ce traitement de faveur n’est pas dû au hasard, l’est sans doute là pour attirer l’attention sur l’exhaussement des voix, pour qu’à l’instant où l’organe humain prend son envol l’auditeur en ressente la clarté absolue. En règle générale dans le doom l’obscurité de la musique assombrit la voix qui pour se mettre en diapason avec l’atmosphère morbide s’enkiste dans une raucité gutturale et le background instrumental pour ne former qu’une unique coulée de lave torrentielle, ici vocal el instrumentation font cavalier seul, aucun n’empiète dans le couloir de l’autre, ce n’est pas qu’ils s’ignorent, qu’ils essaient de tirer la couverture à eux, l’on pourrait parler de coexistence pacifique, si tu déchaînes ta puissance je libèrerai la mienne, tu as tout à y perdre autant que moi, alors ne joue pas avec le feu, tu te brûleras. En cherchant bien, un peu ce qu’avait réussi en 1970 Uriah Heep dans Gypsy sur Very ‘Eavy, Very ‘Umble. Toute constatation mérite explication. Elle réside dans les lyrics. Assez obscurs. Non pas l’histoire d’un cheminement extérieur plutôt celui d’un dévoilement intérieur, ces pensées par lesquelles survient la prise de conscience que la réalité qui s’offre à nous n’est qu’une croûte de mensonge, que sous la boue terrestre des chemins se cache la réalité d’un autre monde, que la fange alluvionnaire recouvre et cache une pierre à la dureté impérissable. Une fois que l’on a saisi c’est alors que commence le chemin, celui de la maîtrise opératoire, la première étape celle de l’œuvre au noir, par laquelle le compost de la matière première est réveillé, préparé, réactivé, cette épreuve exige habileté et réflexion, ce qui explique maintenant la construction de ce morceau dont les différents ingrédient sont portés à leur plus haut niveau d’intensité, la recherche du kairos dans le kaos, de l’instant précis où toutes les séquences ordonnées seront à même de subir l’épreuve de l’étape suivante. Les alternances, les phases, les déclinaisons instrumentales et chantées sont à écouter comme un processus rituelliques dont le but principal serait de reléguer le hasard dans le néant des inexistences parcellaires. L’on n’épuise pas ce morceau, il faut sans cesse le réécouter pour en signifier le déroulement.

    DEATHBRIGHT

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    L’on retrouve sur la couve le marcheur de la pochette de Stygian Slumber. Il semble (tout comme le vieillard du IV) parvenu au faîte du mont dont il n’abordait alors que les premières pentes. Il contemple le grandiose paysage qui s’étend devant lui. Des aiguilles pierreuses s’offrent à sa vue. L’artwork est manifestement inspiré du tableau Le voyageur de Caspar David Friedrich. Le lecteur aura remarqué de lui-même que si la première image reste dans une tonalité ombreuse, cette deuxième semble auréolée de couleurs beaucoup plus éclatantes.

    Musique plus vive, le vocal davantage dans le magma sonore, mais encore lumineux, nous voici dans l’instant du réveil, le maître a agi sur la matière noire, elle se rend compte qu’elle était morte puisqu’elle prend conscience qu’elle vit, le son se charge d’impétuosité, le morceau oscille, tantôt il penche du côté de la mort et tantôt de la vie. Si le maître a rendu la vie à la matière morte, que lui a donné en échange la matière morte, toute l’opération ne serait-elle pas un va-et-vient incessant entre les deux formes suprêmes de toute phénoménologisation, entre existence et inexistence. Entre couleurs et nuit, entre chaleur et froideur. Entre inertie et mouvement. Le deuxième menant immanquablement à l’autre. Nous n’avons parcouru qu’une partie du chemin. Nous attendons avec impatience la suite.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 24 ( Black teeth  ) :

    129

    Je m’écroule sur la moquette. Evanoui. Ainsi la clef de cette mystérieuse et labyrinthique de cette affaire repose en moi. Le choc émotif a été trop fort ! Molossito me lèche le visage. Molossa me mord les pieds. Rien n’y fait. Lorsque les pompiers sont arrivés, ils sont à mes côtés et hurlent à la mort. Le toubib et les infirmiers du Samu, s’évertuent de longues minutes à pratiquer un massage cardiaque, en vain. Le docteur ne se décourage pas :

              _ La dernière chance, hier j’ai été appelé au zoo de Vincennes, l’éléphant ne se réveillait pas après la dose d’Angel Dust que le vétérinaire lui avait administrée, on lui a refilé cent soixante- dix-sept litres d’ammoniac dans le cœur sous forme de piqûres, l’était tout faiblard quand il s’est réveillé, n’est toujours pas en grande forme ce matin, avec trois mois de convalescence à l’isolement complet on estime qu’il a une chance sur cent pour retrouver la santé, il me reste une seringue dans le sac !

    Et hop il me plante l’aiguille dans la poitrine et m’instille direct un litre d’ammoniac dans le cœur. Je ne bouge pas, mon corps ne frémit même pas. Cinq minutes d’attente angoissée, le praticien se tourne vers le Chef :

             _ Monsieur, je suis désolé, la science ne peut plus rien pour votre collaborateur !

              _ Arrêtez vos jérémiades, d’abord sachez que les agents du Service Secret du Rock ‘n’ roll, ne sont pas comme les autres humains, maintenez-lui la bouche ouverte, et vous là débouchez-moi la bouteille sur l’étagère là-bas !

    Le Chef ouvre le tiroir de son bureau et en tire un Supositario qu’il allume sans tarder, il aspire longuement une énorme bouffée et se penchant vers moi, il me souffle un épais nuage de fumée malodorante dans les bronches. Les deux pompiers qui m’écartent les mâchoires se détournent pour vomir leur quatre heure. J’ouvre les yeux et tousse un bon coup.

             _ Un miracle, je n’ai jamais vu ça, balbutie le Diafoirus

             _ Au lieu de dire n’importe quoi ingurgitez-lui une demi-bouteille de Moonshine dans le gosier, dans un quart d’heure il batifolera dans le bureau comme un poulain qui vient de naître !

    130

    Après cette longue journée nous avons dormi au local. Je me hâte de rétablir la vérité historique. Après le départ des secouristes je me suis allongé sur un divan, mes chiens serrés contre moi, à ma grande honte j’ai roupillé comme un loir. Le Chef est resté à son bureau toute la nuit, en fumant Coronado sur Coronado. Lorsque je me réveille il est train de vérifier avec soin une dizaine de Rafalos posés devant lui.

             _ Agent Chad, vous devriez dormir toutes les nuits au bureau, nous gagnerions ainsi un temps précieux !

             _ Pour quoi faire Chef, je ne sais plus par quel bout continuer cette enquête, je suis perdu !

             _ Agent Chad savez-vous la différence existant entre un dédale et un labyrinthe ?

             _ A peu près la même chose, je suppose

             _ Pas du tout un dédale possède plusieurs entrées et donc plusieurs sorties, à l’opposé un labyrinthe n’a qu’une seule entrée qui est aussi son unique sortie.

             _ Oui Chef mais où cela nous mène-t-il, je ne vois pas où…

            _ Elémentaire mon cher Chadson, nous savons que tout ce mystère repose sur vous, l’espèce de commotion psychique dont vous avez été saisi hier le prouve, pour résumer vous êtes l’entrée et la sortie de cet imbroglio, nous sommes en plein dedans, il suffit de trouver la sortie pour nous en tirer. Actuellement nous nageons un peu si vous me permettez cette expression, il suffit donc de remonter le courant pour nous extraire de ce guêpier.

             _ C’est-à-dire que nous allons procéder en quelque sorte à l’envers !

             _ Exactement Agent Chad, mais en procédant selon notre logique et non pas selon celle du labyrinthe. Je vous explique parce que votre mine me signifie que vous n’entravez que couic. N’oubliez pas que c’est vous Agent Chad qui avez défié la mort, vous avez même dit que vous vouliez tuer la mort. Ce qui n’est pas sans poser quelques problèmes, si vous réussissez, pensez à ces millions d’imbéciles qui nous entourent présentement et que nous devrions supporter durant des milliers d’années…

    • Présenté comme cela en effet il me semble…
    • Ce n’est pas le problème, dîtes-moi plutôt où l’on a la chance de rencontrer la mort ?
    • Dans les cimetières Chef !
    • Eh bien, nous allons revisiter les cimetières que nous avons traversés durant nos pérégrinations, mais en commençant par le dernier !
    • Si je comprends bien nous…
    • Allez plutôt me voler une grosse berline noire !

    131

    Nous avions pris l’air de promeneurs inoffensifs, des curieux, des touristes, nous avons tourné et retourné, ne pas attirer l’attention avait dit le Chef, personne n’aurait pu dire si au prochain croisement nous prendrions à droite ou à gauche tant notre promenade paraissait capricieuse et hasardeuse. Malgré cette nonchalance affichée, nos circonvolutions faussement aléatoires ont fini de nous rapprocher de notre but.

    • Nous sommes à moins de deux cents mètres, murmura le Chef, Agent Chad une main sur votre Rafalos, maintenant tout peut arriver !

    Le Chef croyait-il si bien dire ? Il ne nous restait plus qu’une soixantaine de pas pour arriver lorsque nous les vîmes. Ils étaient deux manifestement occupés à se livrer à une étrange tâche. Nous nous sommes rapprochés sans bruit. Ils ne nous ont pas entendu venir. En bleu de travail, ils avaient l’air de rassembler leur outillage. L’un s’est brutalement retourné :

    • Ah c’est vous ! Vous venez voir le travail, ça n’a pas été difficile ni trop long, j’espère que vous serez satisfaits
    • Non, non, nous sommes de simples visiteurs, nous nous demandions ce que vous faisiez
    • Excusez-moi, nous avons cru que vous étiez des membres de la famille. Nous sommes des marbriers, nous avons été chargés de terminer l’inscription sur la tombe, pour moi ce n’était pas difficile, juste rajouter 80 à l’année de naissance et 95 à l’année de sa mort, par contre pour le collègue ce n’était pas de la tarte.
    • Pensez donc Messieurs il a fallu rajouter une première lettre au nom et en plus l’attacher à la suivante, pas facile mais je ne suis pas mécontent de moi, pas mal l’artiste, qu’en pensez-vous ?

    Je m’extasiai :

             _ Sûr qu’accoupler le E initial avec un O qui prend sa place, il faut être sacrément habile, de la belle ouvrage !

            _ Par contre la personne qui est dessous est là depuis presque 30 ans, puisque nous sommes en 2023, et durant tout ce temps la famille n’a pas trouvé le temps de rajouter quatre misérables chiffres, des radins comme cela, ça ne devrait pas exister, une honte, il n’y a plus de respect dans cette société, même pour les morts, nous vivons dans un drôle de monde !

    Nous compatissons gravement. Un coup de klaxon rompt retentit.

              _ Ah ! le patron, doit y avoir un autre chantier, on prend le matos et l’on file, au revoir Messieurs !

               _ Bonne journée Messieurs et félicitation pour votre travail.

    Une camionnette s’arrête sans bruit un peu plus loin dans l’allée. Les deux gars ouvrent la porte arrière déposent leur matériel et s’engouffrent dedans… Le véhicule redémarre lentement :

    • Chef, le patron ne leur permet pas de monter avec lui dans la cabine, ce n’est pas sympa !

    Le Chef n’a pas le temps de répondre. La camionnette s’arrête et opère un demi-tour. Elle repasse devant nous. Le chauffeur ne nous jette pas un regard. Le Chef retient mon bras :

             _ Doucement Agent Chef, je l’ai reconnue moi aussi, notre vieille amie la Mort, malgré le col de sa veste remonté et la visière de sa casquette qui voile son visage.

             _ Chef sa camionnette fonctionne à l’électricité, elle ne doit pas aller bien vite, les engins de cette marque sont réputés pour ne pas battre des records, courons jusqu’à notre voiture et essayons de la rattraper !

             _ Pas d’affolement Agent Chad, inutile de nous faire remarquer, j’ai deviné où elle va !

             _ Où ça ?

             _ Sur une route que vous connaissez bien !

    J’arrête de marcher, mon esprit fonctionne à toute vitesse, tout s’éclaire soudainement.

             _ Chef avec la voiture que j’ai volée nous y serons avant elle, je vous le promets !

             _ Agent Chad je n’en doute pas, je vois que vous commencez à comprendre la différence entre un dédale et un labyrinthe !

    A suivre….

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 563 : KR'TNT 563 : PIXIES / WILLIE LOCO ALEXANDER / GA - 20 / UPPER CRUST / THE TWANGY & TOM TRIO / ELVIS PRESLEY / BEST /ARCHIE FIRE LAME DEER / DIDIER LAUTERBORN

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 563

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    25 / 08 / 2022

    BOSTON : PIXIES / WILLIE LOCO ALEXANDER

    GA – 20 / UPPER CRUST

    THE TWANGY & TOM TRIO / ELVIS PRESLEY

    ARCHIE FIRE LAME DEER / DIDIER LAUTERBORN

     Sur ce site : livraisons 318 – 563

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    Spécial Boston

     Part Two

     

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    Pour faire suite au Spécial Boston Part One, voilà le Part Two. Peut-on imaginer meilleure introduction au Boston rock que ce Live At The Rat paru en 1976 ? Non, bien sûr que non. C’est le désormais vieux Willie Loco Alexander et son Boom Boom Band qui ouvre le balda avec «At The Rat». Cut historique qui fit alors la réputation de ce double album. C’est monté sur un riff de basse et ça y va au let’s go to the Rat ! L’autre gros coup, c’est le «Who Needs You» des Real Kids. Joliment stompé, ils sont là au sommet de leur apogée avec un petit claqué d’accords insidieux et Ferguson nous tape ça dur. L’autre grosse attraction de l’A, c’est bien sûr DMZ avec tout le gratin dauphinois de Boston : Mono Man, Jay Jay Rassler et Peter Greenberg. Mais leur «Boy From Nowhere» n’est pas très bon. On croise le chemin d’autres groupes, Third Rail, Thundertrain, Susan, mais ce n’est pas non plus très bon. Ils ont l’air complètement dépassés pour l’époque. Susan se prend pour Led Zep, alors qu’à New York, les Ramones et Television sont déjà entrés en lice. C’est un groupe nommé Sass qui sauve la B avec un punchy «Rockin’ The USA». Ils n’inventent ni la poudre, ni le fil à couper le beurre, mais ils jouent avec une énergie spectaculaire. En C, Willie Loco fait le show avec son vieux «Kerouac» et la surprise vient des Infliktors et des superbes guitares qu’on entend dans «Da Da Dali». Ce sont de véritables incisives d’incentive intrusives, elles entrent dans la couenne du son. Les DMZ ouvrent le bal de D avec «Ball Me Out». Ils s’imaginent que c’est bon alors que ça ne l’est pas. Et le «Better Be Good» des Real Kids semble un peu forcé. On assiste aussi au retour des Infliktors qui se prennent pour Led Zep avec «Norkis Of The North» et de Thundertrain avec «I’ve Got To Rock». Ce sont eux les plus énervés, le chanteur est excédé, ça riffe dans tous les coins et ça coule entre les doigts.

    Passons maintenant aux choses sérieuses.

     

     

    Have you seen the little Pixies crawling in the dirt ?

    - Part Three

     

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             C’est donc en 2008 que parut Fool The World - The Oral History Of A Band Called Pixies, un petit book très sympathique signé Josh Frank & Caryn Ganz. Une chose est sûre : on ne perd pas son temps à le lire. On se félicite même d’être moins con à la fin de la journée, car on apprend de choses. On pourrait prétendre que les albums des Pixies - comme ceux de Bob Dylan - se suffisent à eux-mêmes, et qu’on peut très bien se passer des commentaires des commentateurs. Mais ce sont les Pixies et les gens de leur entourage qui parlent. Tout ce que peut dire Frank Black est intéressant. Même chose pour Dylan. Dès que ces deux mecs-là ouvrent le bec, c’est pour dire des choses intelligentes. Ça nous repose la cervelle. Tant qu’on y est, on peut regretter que Frank Black n’ait pas encore écrit son autobio, comme a commencé de le faire son idole Dylan. Si on en juge par la qualité de ses chansons, le gros devrait être un écrivain prodigieux.

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             L’oral history ? On en connaît deux et pas des moindres : le fameux Please Kill Me de Legs McNeil et les Confessions Of A Garage Cat de Gildas Cospérec. McNeil a saucissonné les punks new-yorkais dans son gros sandwich, et Gildas mène le bal dans le sien, en donnant la parole à une tripotée de gens intéressants. Le principe de l’oral history est extrêmement bien adapté à l’histoire d’un groupe ou d’une scène. Curieusement, les Pixies ne s’étendent pas trop sur la scène de Boston, tu as quelques noms qui se baladent ici et là : Kristin Hersh et Throwing Muses, Buffalo Tom et J. Mascis. Rien sur Robert. Pas d’apologie de la Mecque du rock (Hello Jacques), juste quelques souvenirs d’une tournée européenne avec Throwing Muses. D’ailleurs, à ce moment-là, les Pixies jouent en première partie des Muses, mais rapidement la situation évolue, les Muses ne peuvent pas jouer après les Pixies. Tanya Donelly : «We switched billing in Holland. I was relieved because who wants to play after the Pixies ?». Elle ajoute que la salle se vidait après le set des Pixies et les Muses flippaient à l’idée de monter sur scène devant une salle à moitié vide.

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             En fait, l’histoire des Pixies est assez simple : elle se résume en sept étapes : Pilgrim, Rosa, Doolittle, Bossanova, Trompe le Monde, la shoote avec Kim et le split. Pour faire bonne mesure, on peut en ajouter une huitième : la reformation. Aux yeux de beaucoup de gens, notamment les Anglais, les Pixies furent the best band on the planet (Ian Gittins, Melody Maker), et pire encore, the masters of the calculated incongruity (Mat Snow, Q Magazine). Quand au tout début le gros passe une annonce dans le Boston Phoenix pour former un groupe, il cadre : «Hüsker Dü et Peter Paul & Mary.» Kim Deal voit ça et répond à l’annonce. Le pote du gros, Joey Santiago, trouve le nom du groupe : Pixies in Panoply. Stupid name, dit Kristin Hersh. Le gros gratte déjà une Tele et Joey une Les Paul. Ça démarre comme ça, avec quelques idées de chansons - They had songs, which is very rare, dit encore Kristin Hersh qui les voit démarrer sur scène - Les gens les trouvent poppy, pas d’influences apparentes. Quand le producteur Gil Norton les voit sur scène pour la première fois, il est scié : «I was litteraly blown away the first time I saw them». Blown away, on l’était chaque fois qu’on les voyait sur scène. Un set des Pixies est systématiquement cathartique, une combinaison unique au monde de violence et de modernité, et les albums ne sont rien comparativement à ce qui se passe sur scène : le gros est l’une des plus magnifiques incarnations de l’essence du rock. Artistiquement, il rivalise de grandeur tutélaire avec Elvis, Jerry Lee et Iggy, mais en amenant en plus son génie Dada. Si Dylan, c’est Rimbaud avec une guitare électrique, alors le gros est Picabia avec une Telecaster. Comme Picabia, il est la figure de proue de son temps, la tête de gondole des éphémérides, le Jesus-Christ Rastaquouère de la divine comédie, l’enfonceur définitif de toutes les portes ouvertes. Dans un petit paragraphe d’introduction de chapitre, les auteurs tentent de qualifier l’art sonique des Pixies : «The screamed vocals, abstract lyrics, the quiet/loud punch, the surf guitar lines, the delicately plunking basslines, the crushing snare drums.» Et soudain, ils s’enflamment : «It’s easy to call Pixies quintessential artist of our time.» Burn baby burn. C’est vrai que les Pixies ont bien dépassé les bornes. Un autre témoin affirme que Nirvana n’aurait jamais existé sans les Pixies et Perry Farrell leur rend le plus beau des hommages : «The Pixies were very underground, sophisticated to the funkiest, punk rock way, if you know what I mean.» On les traite aussi de volcano, de natural phenomenon, leur tour manager Chas Banks les compare aux Who : «On ne peut pas tenir éternellement avec ce niveau d’intensité. That’s what the Who were like.» Le journaliste Johnny Angel ajoute que leurs chansons sont des good songs - They’re timeless. Little Richard’s songs are timeless 50 years after the fact. Mozart is timeless.

             Ces good songs sortent du cerveau de Frank Black. Dans le book, il porte son vrai nom, Charles Thompson. Il évoque ses balbutiements : «Je me souviens comment j’ai appris à hurler. Celui qui m’a appris était un voisin. Il était thaïlandais et tenait une boutique de fleurs et de T-shirts. Je faisais des livraisons pour lui. Je lui jouais l‘Oh Darling’ des Beatles et il disait : ‘No no scream it like you hate the bitch.’» Même ses histoires de teenager bostonien sonnent comme des chansons. Ado, le gros aimait les Cars - I used so sing Cars songs - Il ajoute plus loin : «You can hear that on early Pixies stuff, especially ‘Is She Weird’. That’s totally Cars.» Il adorait aussi les deux premiers albums solo d’Iggy - Those records were like gospel religion to me. I wasn’t a drinker, I didn’t take drugs, there was a lot of clarity there - Il cite aussi le Zen Arcade d’Hüsker Dü, le Spotlight Kid de Captain Beefheart et l’I’m Sick Of You d’Iggy, kind of demos that had been widely bootlegged - Those were the main records that I listened to right before I started a band - C’est ce qu’on appelle une Éducation Sentimentale. Tanya Donelly se souvient d’une soirée à Berlin, lors de la fameuse tournée Pixies/Muses. En sortant de scène, le gros a proposé de rouler toute la nuit dans le van en écoutant Lust For Life - Let’s just drive around all night - And so we played «The Passenger» over and over, 30 times or something, and drove around Berlin all night.

             Quand elle commence à le fréquenter, Kim Deal trouve le gros gentil et amusant - He was always really fun and nice. Funny guy - Gary Smith, le boss du studio Apache, est surpris de voir le fresh-faced kid screamer at the top of his lungs. Il dit qu’à l’époque personne ne hurlait comme ça - Kristin Hersh screamed. Who screamed ? Hüsker Dü ? No they didn’t. They made a racket but they didn’t actually go «Balahahaha». People just didn’t do that - Smith dit aussi que le gros semblait sortir d’une scène de l’Exorciste. Il n’est pas loin du compte, puisque le gros se réclame de David Lynch - If anything is a big influence on me, it’s David Lynch. he’s really into presenting something but not explainig it - Et d’une certaine façon, il met le principe en application : «J’écrivais les chansons dans le studio. Tout ce qu’on faisait marchait bien, aussi personne ne posait de questions. J’écrivais sur des sets de table cinq minutes avant de chanter. Sometimes it’s good, sometimes not. That’s just the nature of that songwrting». Le gros bosse à l’emporte-pièce, au ça-passe-ou-ça-casse. Au zyva-Mouloud. On appelle aussi ça de l’automatisme psychique de la pensée. Du rock surréaliste. Si Buñuel avait eu une guitare électrique, il aurait joué «Debaser». D’ailleurs, si le gros rend hommage au White Album, c’est pas un hasard, Balthazar : «Ce n’est pas la peine de vouloir faire que des chansons géniales. La musique doit rester éclectique. Les albums sont éclectiques. C’est pourquoi ‘Wild Honey Pie’ est sur le White Album. Ce n’est pas ‘Hey Jude’, ce n’est pas ‘Revolution’, c’est just some weird thing they did one day with a tape recorder. So there’s a lot of room for that kind of expression».» Avec les Beatles, le gros est l’un des seuls à pouvoir se permettre ce luxe inouï, ramener some weird things dans ses albums. Pour bien ancrer son concept de fraîcheur artistique, le gros déteste faire des vidéos. Pas question de mimer les paroles d’une chanson.   

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             Alors justement, les albums, parlons-en. Ils commencent par enregistrer Come On Pilgrim (qui s’appelle alors The Purple Tape) en trois jours à Fort Apache South. Le gros dit avoir emprunté a thousand bucks à son père. Paul Kolderic dit que les gens dormaient dans le studio.  Le photographe Simon Larbalestier indique que l’homme poilu sur la pochette fait partie d’une série de portraits qui lui furent inspirés par la lecture de La Tentation de Saint-Antoine (Gustave Flaubert). Dans Spin, Jon Dolan qualifie l’album de ruined teen dementia - Francis’ vocal on «Caribou» are the best punk rock physical comedy since Johnny Rotten.

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             Six mois plus tard, ils enregistrent Surfer Rosa avec Steve Albini. C’est le boss de 4AD Ivo  Watts-Russell qui l’a choisi - Albini ne voulait pas être crédité comme producteur. Il se voit comme un ingé-son, et en tant qu’ingé-son, c’est un génie - Mais en même temps, Albini n’est pas un mec facile. C’est un petit teigneux, nous dit Kolderic, un mec tout petit, maigre comme un clou, il porte des boots, des tatouages, se rase la tête et n’est jamais content. Il aime bien le gros, mais sa musique ne lui parle pas - I liked my favorite bands’ music, like the Jesus Lizard, Television, Public Image, the Sex Pistols, the Ramones, Suicide, Kraftwerk, unique and brillant bands that I loved - Il trouve que Kim Deal is the best singer ever et que «Charlie is a talented and unique guy. But the things that I like about that band, it’s not really the music.» En fait, Albini haïssait les Pixies, il les prenait pour de branleurs (pussies) et il a fini par produire leur meilleur album. Larbalestier indique que la photo de le femme nue sur la pochette n’est pas là par hasard. Le père du gros tenait a topless Spanish bar. Quand Watts-Russell entend l’album fraîchement enregistré, il est frappé par le raw - I didn’t know the Pixies could sound like the Fall. That was my immediate reaction, in other words, incredibly raw - Dans un fanzine, Albini dit à l’époque tout le mal qu’il pense des Pixies, mais dans le book, il avoue le regretter. C’est avec les Pixies qu’il a appris à bosser - I behaved like an ass - Le gros avoue lui qu’Albini a fait un gros boulot sur Surfer Rosa - It’s obvious we weren’t there to make some kind of a slicko, lame-ass record

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             Gil Norton commence à produire les Pixies avec Doolittle. Curieusement, il indique que le gros ne voulait pas inclure «Debaser» sur l’album - I’m not sure about this song - Mais Norton l’adore et il insiste pour l’inclure. Frank Black : «‘Gouge Away’ is about Samson and Delilah. ‘Dead’ is about David and Bathesheba. There were some Biblical things I had gotten into. You can’t go wrong with the Old Testament.» Norton parle de l’album comme d’un rock’n’roll classic, a great rock’n’roll clasic album - It was so good - Partout des dithyrambes, fucking guitars screaming, slicing up eyeballs ha ha ha ha et St Thomas se souvient des gens qui chantaient en chœur «Devil is six and God is seven», au cœur de «Monkey’s Gone To Heaven». Dans le NME, Edwin Pouncey parle d’evil genius et dans Q, Peter Kane parle d’un «15-track affirmation of mushrooming Pixie power».

             C’est au moment de Doolittle que le groupe s’essouffle. En interne, les rapports deviennent glaciaux. On ne se parle plus. Chacun voyage de son côté. Le gros constate : «Tu joues un show où les gens deviennent fous, c’est sold out, trois rappels, everything’s going great... Retour aux loges and it’s cold as ice.» Fini le temps des copains. On se fait la gueule.

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             Pour enregistrer Bossanova, les Pixies partent s’installer à Los Angeles, sans Kim Deal. Elle pense qu’elle est virée, mais elle n’en sait rien. Elle les rejoint quand même sur la Côte Ouest. Le gros écrit l’album dans le studio, à l’arrache surréaliste. C’est l’époque où Kim Deal s’entend bien avec Tanya Donelly et elles montent Breeder. Lors d’un concert dans un club de Stuttgart, Kim Deal arrive en retard, ce qui met le gros en pétard, lui qui n’est jamais en retard et qui n’a jamais raté un seul concert. En pleine apocalypse sonique, le gros jette sa guitare. Bing, elle heurte Kim ! Il quitte la scène furibard et Kim lui court après lui demandant : «Comment oses-tu kicker your guitar at me ?». Au moment du book, le gros regrette d’avoir piqué sa crise. Il n’empêche qu’en interne, les relations en avaient pris un sacré coup.

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             Dernier album de l’âge d’or, Trompe Le Monde. Ils ne sont jamais ensemble en studio. Chacun vient de son côté. Le gros a fini par virer Kim Deal, mais elle vient quand même faire ses lignes de basse et ses backing vocals. Le gros intègre Eric Drew Feldman qui a bossé avec Captain Beefheart et Pere Ubu. D’ailleurs David Thomas pense que l’arrivée de Feldman a envenimé les choses au sein des Pixies. Jon Dolan de Spin salue la cover d’«Head On» - so much more streamlined and hooky than the Jesus and Mary Chain original - Il salue aussi «Letter To Memphis» - it is Black mixing heavy noise with a pomo take on Chuck Berry’s «Memphis Tennessee» - James Brown dans le NME dit que l’album is dark and dirty, et some of it’s downright unbearable, but it will grow on you - On a rarement égalé des splendeurs soniques de Trompe Le Monde. C’est l’un des meilleurs albums de rock de tous les temps, avec le Dust des Sceaming Trees, le Parachute des Pretties, le Never Mind The Bollocks des Pistols, les trois albums de Jimi Hendrix, la trilogie du Velvet et celle des Stooges. Trompe Le Monde sonne comme un accomplissement. À l’époque, on l’écoutait jusqu’à plus soif.

             Puis vient le temps du split. Joey Santiago : «Breaking up ? Well Charles just did it. Just broke it off without anyone knowing, actually. De toute façon, on ne s’amusait plus. Ça devenait bizarre dans les loges. On ne se parlait plus. Et pourtant le groupe marchait bien, on progressait. I don’t know, it was just weird.» Le gros confirme qu’il ne voulait pas de confrontation avec les autres membres du groupe. Il ne voulait pas d’une réunion pour en parler. «I wasn’t happy, and I left.» Kim Deal : «Charles m’a traitée de conne une fois. Je venais juste de le traiter d’asshole. Je trouvais que conne était un peu exagéré.» Les tensions venaient du fait que les Pixies étaient le groupe du gros et Kim Deal aspirait à plus de présence. Elle était extrêmement populaire en Europe. Pour un groupe comme les Pixies, le split fut un bonne chose, comme le dit si bien J. Mascis : «I guess you can stay together forever like the Ramones and then all die of cancer.» Alors autant splitter plutôt que de finir comme les Ramones.

             Le gros est clair sur le compte des Pixies : «C’est un groupe, mais ce n’est pas exactement  comme une démocratie. Au moins en termes de créativité, vous savez, ils ont un frontman qui s’appelle Black Francis qui écrit basically tous les cuts et qui a démarré le groupe. Ils ont répondu à mon annonce dans le journal, vous voyez ce que je veux dire ? Et je ne veux pas non plus dire qu’ils ne font pas intégralement partie du groupe. Hey je ne vais pas sortir dans la rue, embaucher trois personnes et les appeler les Pixies.» Il en arrive fatalement à l’idée de la reformation : «Je suis moins intransigeant qu’avant. Les choses sur lesquelles j’étais strict me semblent devenues infantiles et ridicules. I’m kind of more like, what the fuck ? Chaque année, ces mecs nous proposent des tonnes de blé pour jouer quelques shows. Let’s go do it. I’m fine with it now.»

             Il était temps, car les autres Pixies ramaient. Le batteur Dave Lovering vivait de tours de magie et il dormait dans des hôtels pour putes. Joey Santiago vivait dans un minuscule appartement et attendait son deuxième baby. Quant au gros, il ramait aussi avec les Catholics. La seule qui s’en sortit bien, c’était Kim Deal qui a ramassé plus de blé avec «Cannonball» qu’elle n’en a ramassé pendant tout son temps dans les Pixies. Joey et Dave ont dû insister auprès d’elle pour qu’elle accepte de participer à la reformation - Please do it for us, it would really change our lives - Alors elle l’a fait pour eux, nous dit Steven Cantor.   

    Signé : Cazengler, Picsou

    Josh Frank & Caryn Ganz. Fool The World. The Oral History Of A Band Called Pixies. Virgin Books 2008

     

    Loco Motion - Part Two

     

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             Jacques fut l’un des principaux contributeurs de Dig It!. Il traduisait pour nous les souvenirs de JJ Rassler, figure historique de la Boston scene et membre fondateur de DMZ, l’un des groupes phares de cette scène. Grâce à son activité de chercheur, Jacques passait plusieurs mois de l’année à Boston, ce qui lui a permis de nouer des liens avec les ténors du barreau local, à commencer par Willie Loco Alexander, devenu au fil du temps un ami de longue date. Lui ayant fait part de difficultés à dénicher certains albums récents de Willie, Jacques a fini par me transmettre un beau jour un ensemble de fichiers téléchargés sur le Bandcamp de son vieil ami. Bon, nous sommes bien d’accord : ce n’est pas l’idéal que d’écouter des fichiers MP3 sur la carte son d’un ordi, mais vu les circonstances exceptionnelles, nous décidâmes, sous la haute voûte de l’observatoire de la veille technologique avancée, de faire une exception, et d’écouter aussi religieusement que possible ces trois albums qui n’existent hélas qu’en téléchargement, mais qui permettent de suivre l’évolution/révolution d’un très grand artiste contemporain.

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             EP cinq titres paru en 2012, I’ll Be Goode est assez porté sur l’ambiancier dérangeant. Notre vieux Loco adore gratter les plaies du rock dans le pus du Velvet. Les accords d’«All Things Go» semblent sortir du «Black Angel Death Song», il reste aux frontières du sacré et du profane, c’est-à-dire du Velvet et de l’expérimental bostonien, si tant est que. Il va même jusqu’à souffler du free dans son sax. Autant le dire franchement : c’est excellent, surtout pour un mec qui prétend ne pas savoir jouer, son solo coule comme du miel dans la vallée des plaisirs. Notre vieux Loco a su développer un sens aigu du catchy weird. Avec «Song For Mike», il jette l’ancre dans l’ambiancier caractérisé, I walk the streets/ I don’t know shit, il renoue avec sa jeunesse de heavy punkster, les heavy tempos urbains ne lui font pas peur. Il fait encore des merveilles dans le morceau titre, heavy groove de Loco motion, avec des coups de sax qui fondent comme beurre en broche dans un groove de piano jazz, il cultive une sorte de délectation. Le vieux Loco navigue dans des eaux magiques, pas loin de Babaluma et de Steely Dan, avec le riff d’orgue de «96 Tears» dans «No More Tony» - No more Tony and his cigar/ No more Tony under his car - Mine de rien en passant, ce petit EP sans prétention ressemble à un passage obligé pour tout fan du vieux Loco.

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             Fantastique album que cet Aqua Vega rebalancé dans le commerce en 2022. Classic Loco, avec toutes les fantaisies vocales dont il se fait une spécialité depuis cinquante ans. Il fait son cirque avec «All Alone», flirte avec le groove de satin jaune, il adore chanter la solitude au deepy deep d’un confort cabaretier. Puis il s’en va chercher des noises à la petite bête avec le morceau titre, c’est plus fort que lui, le vent du large expérimental l’appelle alors il hisse sa voile. Il énumère les genres, comme on effeuille la rose éclose, hip hop, mod jazz, rockabilly, il s’émeut en douceur et en profondeur. On savait que le vieux Loco était un grand artiste, mais Aqua Vega l’entraîne vers la voie lactée. Nouvel exercice de free libre avec «Bud’s Twilight Lounge», il chante même en français, histoire d’exacerber l’exotisme de la catharsis. Si on aime bien se régaler, alors il faut l’écouter faire le con au chant sur «DNR Blues», il casse sa voix pour geindre et miauler, ça donne des effets de blues à la Beefheart, mais sans le grain beefheartien, juste le côté délirant de type «White Jam», ou le grand art de tortiller sa voix pour gagner l’autre rive. Et comme si cela ne suffisait pas, il ramène des doo-watchoolike doo-watchoolike du doo wop des Flamingos dans «Dear God Embracing Humankind». Dans «Joy To The World», il monte un gospel choir pour évoquer la mémoire de Dave Coller, un mec qui enregistrait tous les concerts et qui faisait des fanzines - Without him, people like me don’t exist - Et il cite tous les noms magiques que l’on sait - Joy to the world for rock/ And/ Roll - Comme son nom l’indique, «When I Remember» revisite le passé, le vieux Loco nous swingue les souvenirs de sa jeunesse enfuie. A long time ago, sounds like 1968, il évoque Bagatelle. Et toujours cet art du groove catchy, monté sur un groove caoutchouteux d’une efficacité sidérante. Il se rappelle de toute sa famille, de ses chiens et de ses chats. Il finit cet album étonnant en mode rap. Eh oui, il en a les moyens.

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             The World Famous Non Stop Seagull Opera Meets The Fishtones At The Strand date de 2010. On y retrouve dès «Just Around The Corner» les exercices ambianciers de l’underground d’Alexandrie Alexandra. Il adore hurler à la lune sur fond de guitares du désert. Et si on aime bien les exercices ambianciers, alors on se retrouve en quelque sorte au paradis avec des gens de bonne compagnie. Sa passion pour le jazz expérimental le rattrape avec «2 Swans» et ses réflexes boogie remontent à la surface avec «Man On A Mission». Rien de nouveau sous le Soleil de Satan-Loco. Notre cher vieux Loco s’accommode de son prosélytisme, il lui donne même des touches de modernité, feignant par moments la folie Méricourt, ça gorge son charme d’un certain jus toxique. Son groove bat comme un gros cœur d’animal. Il sait aussi lancer un Cubist Blues avec son «Seagull II» - I wish I was a seagull - C’est d’un charme fatal, real deal de Loco-motion, visité par la grâce. Ce vieux Loco reste à la fois polymorphe et polyvalent, il touche à tout avec le tact d’un franc-tireur, il est l’enfant caché du Capitaine Conan et de Jean des Esseintes, l’hermaphrodite définitif du rock américain, son «4 Legged Chiken» intrigue, avec ses décalcomanies felliniennes en filigrane et ses odeurs de basse-cour du Massachusetts. Comme le montre «The Sky», Dada l’intéresse au plus haut point. «Ectoplasm» sombre dans la délinquance sonique et tourne mal, ses parents ne peuvent rien pour lui, il finira damné pour l’éternité, ce qui finalement est moins pire que de finir rien du tout. Le principal avantage qu’offre la fréquentation du vieux Loco, c’est qu’on ne s’ennuie pas un seul instant. Il réussit chaque fois à capter l’attention, en veillant à ne jamais radoter, ce qui est un exploit pour un vieux Loco de 80 piges. Après les étapes classiques du Boom Boom Band, les délires expérimentaux du vieux Loco sont la meilleure des bonnes nouvelles. Il faut l’entendre souffler son free dans «Moustard», il fait l’Albert Ayler picabien, sur fond d’alchimie bulbique du cerveau, ça percole dans la synove. T’en connais beaucoup des vieux pépères qui s’amusent à réinventer le rock américain ?   

    Signé : Cazengler, Willie Locus Solus

    Willie Loco Alexander And The Fishtones. I’ll Be Goode. Fisheye Records 2012

    Willie Alexander And The Fishtones. Aqua Vega. Somor Music 2022

    Willie Loco Alexander. The World Famous Non Stop Seagull Opera Meets The Fishtones At The Strand. Fisheye Records 2010

     

    L’avenir du rock - Gaga des GA-20

     

             L’avenir du rock va rarement traîner dans les bars. Il ne supporte plus les familiarités de tous ces pseudo-rockers qui prétendent le connaître assez pour se faire payer un verre. Dès qu’il est installé au bar, ils arrivent comme des mouches. Toujours le même scénario, le côté friendly de l’internationale situa-sioniste de l’underground du pauvre, la petite vanne initiatique censée sceller des ententes tacites, l’intolérable informulabilité des choses de la vie, l’implicite du corporatisme à deux sous, l’on-fait-partie-du-même-monde alors que tout indique le contraire, nous grands sachems et eux pauvres cons, hein ?, l’insalubrité totémique des rapprochements non voulus qu’imposent les rites sociaux, surtout ceux qui ont cours dans les bars, l’horrible sensation du piège qui se referme après un premier échange de regards qui conduit irrémédiablement à un échange de propos non désiré, cette sensation d’un sale moment à traverser envenimé par l’accès direct à l’alcool, ce chancre de temporalité que vient crever sans anesthésie le fameux «tu payes ta mousse ?», le sentiment suraigu que tout empire dans les pseudo-bars rock, que rien ne va s’arranger, et le pire, c’est encore d’avoir à parler de musique, car évidemment, si l’avenir du rock boit un verre dans un bar rock, c’est pour répondre aux questions qu’on lui pose sur des groupes dont il n’a aucune envie de parler, des groupes qui à ses yeux n’auraient jamais dû exister et que ces imbéciles prennent assez au sérieux pour demander un avis à l’avenir du rock qui sent monter en lui le mal de mer, même si rien ne tangue, simplement la profonde bêtise des gens finit par lui donner la nausée. Joli concept philosophique pour un concept ! L’avenir du rock s’en sort toujours très bien avec l’idée de la nausée, car il se dit que s’il ne la vivait pas de temps en temps, il ne saurait pas ce que c’est. Le sentiment d’apprendre des choses a bon dos, c’est pour ça qu’on l’aime bien. On lui donne même un nom : Opportunité. Opportunité chérie... L’avenir du rock aimerait bien dégueuler au pied du bar, mais ça ne se fait pas. Il lui reste encore des restes de civisme. Ça durera le temps que ça durera. Surtout qu’on vient encore une fois de lui taper sur l’épaule, ce qu’il déteste par-dessus tout.

             — Alors mon gars, ça gaze ?

             — Non, ça GA-20 ! 

     

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             Ah il a raison l’avenir du rock, de rétorquer GA-20 ! Cette répartie l’honore, mais en même temps, elle nécessite une explication. On ne dit pas GA-20 comme ça. Si l’avenir du rock sort GA-20 c’est qu’il a une bonne raison : deux albums parus sur Karma Chief Records, un sous-label de Colemine qui accueille les groupes de rock. Pour découvrir l’existence de GA-20, il faut se taper les compiles Colemine qui sont des petits chefs-d’œuvre d’incitation à la dépense. Elles sont un peu les Nuggets des temps modernes. GA-20 est un duo de Boston monté par Matthew Stubbs, qui fait partie du Charlie Musselwhite band, et Pat Faherty, le barbu qui ressemble à l’Idiot de Dostoïevski. C’est donc un groupe à deux guitares, plus un batteur, dans la tradition établie jadis par Hound Dog Taylor et reprise par les Gories, les Cheater Slicks et les Oblivians. Étrange coïncidence, leur deuxième album paru l’an passé est un hommage à Hound Dog Taylor, l’un des géants du siècle précédent.

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    L’album s’appelle GA-20 Does Hound Dog Taylor. Aucune ambiguïté possible, d’autant qu’ils illustrent la pochette avec la main à six doigts d’Hound Dog.  Stubbs et Faherty font bien l’Hound Dog Taylor, avec tout le gras double dans le mood. Ouf, pas d’Auerbach dans les parages ! Stubbs et Faherty jouent à la folie Méricourt. Ils tapent «Let’s Get Funky» à la véracité véracitaire - Did you hear me - Back to the straight boogie d’Hound Dog, leur approche relève du génie pur, il tapent le real deal du boogie, on salue la pureté de leurs intentions. Avec «Sitting At Home Alone», ils passent au heavy blues round de corner. Retour en force au boogie avec «It’s Alright». C’est le boogie du ventre, le plus beau des hommages, ils sont en plein dedans, au sec et net, au pur et dur. Pour des blancs, c’est étonnant. On pense bien sûr aux premiers albums de Charlie Musselwhite qui tapait lui aussi dans le sec et net. Ils reviennent au heavy blues avec «It Hurts Me Too», bien fondu dans le moule. L’amateur se régale et ils repartent en mode pète-sec avec «See Me In The Evening» qu’ils ramonent à qui mieux-mieux, il maîtrisent parfaitement l’art du heavy boogie, oh yeah that’s all. Avec «Sadie» ils tapent dans l’Hound Dog primitif, ils se rapprochent bien de l’esprit du vieux géant, ils flirtent avec son mojo, ils jouent vraiment dans les règles du lard fumant d’antan, bel hommage au vieux Hound Dog qui avait réussi à fuir les psychopathes du Deep South pour aller se réfugier à Chicago. 

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             Paru en 2019, leur premier album s’appelle Lonely Soul et il vaut largement le rapatriement. Rien que pour le «Naggin’ On My Mind» d’ouverture de bal. Pas de son plus pète-sec. Charlie Musselwhite is on harp et Luther Dickinson on slide, on a donc la crème de la crème du gratin dauphinois de Memphis. Ce Naggin’ sonne comme le rendez-vous des géants. Stubbs et Faherty désossent ensuite le heavy blues de «You Know I’m Right» et passent en mode hypno avec «One Night Man». Ils optent pour le beat du North Mississippi Hill Country Blues sur un accord fantôme. Le beat presse le pas alors que la nuit tombe et que s’allongent les ombres, ambiance tendue et fabuleuse texture, t’es ravi d’avoir cet album dans les pattes, car Stubbs et Faherty touchent à l’excellence du blues primitif. Ils tapent ensuite «Got Love If You Want It», un vieux classique éculé par tant d’abus. Ils sont là dans le deepy deep du petit bikini, merci Bo Diddley ! Ça tombe bien qu’on salue Bo, car ils reprennent un peu plus loin le magnifique «Crackin’ Up» de Calypso Bo. C’est assez miraculeux. On reste dans le miraculeux avec leur cover d’«I Feel So Good» de J.B. Lenoir, encore un personnage légendaire, le quatrième après Bo, Hound Dog et Charlie Musselwhite. Ils filent doit sur le génie jubilatoire de J.B., ils ont bien pigé le swing déhanché du grand J.B., et ça devient mythique tellement c’est bien foutu et bien dans l’esprit de la version originale. Avec «My Soul», ils jerkent un classic blues de Soul, yeah it’s my Soul, ils explorent tous les confins du genre avec une certaine forme de réussite.

    Signé : Cazengler, GA-teux  

    GA-20. Lonely Soul. Karma Chief Records 2019

    GA-20. GA-20 Does Hound Dog Taylor. Karma Chief Records 2021

     

     Inside the goldmine - Les apôtres du Crust

             S’il n’avait pas vécu à notre époque, Ricci se serait parfaitement accommodé du XVIIIe siècle. La pâleur de son teint renvoyait aux visages des aristocrates filmés par Stanley Kubrick dans Barry Lydon, où, comme chacun sait, la lumière des chandelles aggravait considérablement la blafardise de visages naturellement pâles, une blafardise qu’accentuaient encore jusqu’au délire les poudres et les fards. Mais Ricci ne se souciait guère d’esthétique. Par quelque phénomène naturel, son visage s’était vidé de son sang, et s’il lui arrivait de se faire peur en croisant son reflet dans un miroir, il dopait son psychisme en observant une hygiène de vie inflexible : pas de tabac, pas d’alcool, pas de dope. Et du sport. Chaque dimanche. Plus un peu de musique pour répondre aux exigences d’un karma garagiste. Ceux qui le voyaient sourire ne se comptaient pas sur les doigts d’une main, mais sur le crochet d’un pirate. Ricci toisait la vie et les gens d’un regard perçant. Il ne parlait pas beaucoup. S’il prenait la parole, c’était surtout pour lancer une idée. On appréciait sa compagnie pour ça, pour cette fabuleuse modération et pour la confiance qu’il nous témoignait en partageant ce qu’il avait de plus précieux. On prenait sa discrétion non pas comme l’expression d’une gêne, mais au contraire comme l’expression d’une forme de bien-être. Nous pouvions passer des soirées en sa compagnie sans vraiment parler, et se sentir bien. C’est un peu comme s’il nous avait appris les vertus du silence, et de cela, nous lui en serons éternellement reconnaissants. Il était présent dans sa façon d’être absent. Il semblait réfléchir en permanence. Une lueur d’intelligence dansait dans son regard. Il faisait partie de cette rare catégorie de gens avec lesquels on ne pouvait se fâcher. Il fallait seulement apprendre à le connaître. Nous remodelâmes tout notre business sur ses idées. La question n’était plus de savoir si ses idées étaient bonnes ou pas. Ses idées nous bottaient parce qu’elles étaient les siennes. Ça arrive rarement dans la vie qu’on suive quelqu’un d’instinct. Ricci avait-il des pouvoirs ? Bien des années après, on se pose encore la question. Toujours est-il qu’un jour il décida de mourir et fut emporté par une maladie foudroyante. Aussi foudroyante que l’était son intelligence. Le plus difficile est sans doute de continuer à vivre dans un monde privé de Ricci.

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             Ricci aurait très bien pu battre le beurre dans Upper Crust, un quarteron de perruqués sadiens basés à Boston. On les croyait anglais, mais non, ils sont l’un des fleurons de l’undergound américain. Si on osait, le seul reproche qu’on pourrait leur adresser serait de vouloir parfois sonner comme AC/DC. Mais pour le reste, on peut parler de buried treasure, c’est-à-dire de trésor caché du rock contemporain des Amériques. Il n’existe quasiment pas de littérature sur Upper Crust, et dans ces cas-là, on se rabat naturellement sur les disques, qui sont plutôt locaces, à l’inverse de Ricci.

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             Ils commencent à sonner le tocsin en 1995 avec Let Them Eat Rock, et dès le morceau titre, ça valdingue dans les clochers. Leur extraordinaire blend de rock US est surchargé de guitares pulvérulentes. Ils tiennent bien les rênes de ce rock puissant et agressif et sortent un son plein comme un œuf de tortue. Ils enchaînent avec un «Little Lord Fauntleroy» bien powerful, chanté au gras d’hey hey hey, freakouté à outrance. On y évoque les bandaisons du little Lord. Les apôtres du Crust sont des gens versés dans l’art des brutalités soniques. Fabuleux «Rock’n’Roll Butler» - This is the story of my rnr chauffeur - On assiste à un emballement - She says I’m much nicer than the marquis de Sade - Retour de l’effarant riffing des enfers dans «Who’s Who of Love». Ils riffent à l’aune des supplices du château de Lacoste. Rien ne vaut un vieux riff admirablement balancé, rien ne vaut ce départ en solo de décrépitude excessive. Ces mecs basculent dans l’indécence de la grandeur jadis prônée par Sade, ce vieux maître à penser. Les apôtres du Crust comptent parmi les géants de la débauche riffique. Ça parle encore de bite dans «I’ve Got My Ascot», sur un beat assez explosif, et dans «Old Manners», on voit killer solo nettoyer un village : tout est rasé par les dragons du Roy. Encore de l’épais avec «Friend Of A Friend Of The Working Class». Voilà un cut qui coule comme de la glu dans le col de la courtisane évaporée. Ces mecs déploient des trésors de vitalité priapique. Ce sont de véritables insatiables. On reste dans la puissance pure avec «RSVP» - Love but I can’t tonite - Il faut voir comme il fait claquer son fouet de  tonite. C’est brillant, sans dieu ni maître. Ils jouent à la régalade, bien au-dessus de la mêlée. Ils terminent avec le dévastateur «Opera Glass». Ils maîtrisent l’art d’éblouir les alcôves à coups de solos d’exception. 

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             Dans un petit article que leur consacre Vive Le Rock , on les salue ainsi : The Upper Crust merge a classic rock sound with weirdo lyrics and top it off with some crazy George Washington era fashion.

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             Leur deuxième album s’appelle The Decline & Fall Of The Upper Crust. Il paraît deux ans plus tard. Dès «Cream Of The Crust», on est fixé : pure démence ! Ces mentons bleus sonnent comme des géants du power-rock. Avec «Beauty Spot», ils s’efforcent en vain de sonner comme les Ramones. Mais leurs relances de distorse apoplectique les emmènent ailleurs. Leur claqué d’accords intermédiaires vaut tout l’or de d’Eldorado. Ils sont stupéfiants à tous les niveaux : son et chœurs. Ils développent une invraisemblable vitalité intrinsèque. Nouvelle énormité avec «Boudoir». Wow, quel abreuvoir de vibes sadiennes ! Ils saturent leur Boudoir d’arpèges atmosphériques. On est convaincu d’avance. C’est du jus d’alcôve, du war avec du ouch de reins. Oui, il font rimer war avec boudoir. Ils se montrent à la fois sur-puissants et expressionnistes. «Boudoir» est gorgé de son à outrance et transpercé par un solo en forme de botte de Nevers. Et ça continue avec «Rattle Rouser», tapé au heavy cocotage et chanté au loud débauché. Ça sonnerait presque comme un hymne. Toute la jute de Sweet est là, mais avec les clameurs d’Elseneur en plus. Dans «Versailles», ils font rimer Versailles avec get high. Et ils ajoutent : «Come on to Versailles/ Come on canaille !» C’est quasi glam. S’ensuit un terrific «Vulgar Tongue», empreint d’une solide nonchalance - She’s the only one - et il y pleut du solo d’exception. Tout est absolument noyé de son sur ce superbe album de rock - She speaks the vulgar tongue - On a encore du très grand glam américain avec «Neer-Do-Well» et puis on retombe sur un hit, «Gold-Plated Radio», et quel hit ! Ils jouent ça en relentless - Ouh ouh/ Litttle transistor/ Turn me on - C’est l’un des meilleurs sonic trash on earth - Ouh ouh/ Litttle transistor/ Turn me on - C’est digne des meilleures envolées de Cheap Trick, mais avec de la démesure sadienne en plus. C’est à la fois affolant et apostolique. 

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             Paru en l’an 2000, Entitled pourrait bien être l’un des plus grands albums live de tous les temps. On retrouve les «Let Them Eat Rock» et «Little Lord Fauntleroy» du premier album, mais avec une fantastique décharge d’adrénaline en prime. Lord Bendover chante si merveilleusement bien, tranchant et narcisse à la fois. Il repose sa voix sur un matelas de guitares virulentes. La version de Fauntleroy épate, car c’est joué au riff ardu et ardent, ravagé par les gimmicks étrilleurs.Il faut aussi entendre Lord Bendover rouler ses r dans «Rable Rouser». On reste dans le mélange toxique de puissance et de décadence sadienne. Ces démons du Crust bouffent la motte du rock et en sucent les lèvres goulûment. Tout est embarqué au final révolutionnaire. Ils tapent «High Falutin’» à la dementia de heavy rock. Ils jouent leur va-tout avec une sorte d’indécence cathartique, leur gros boogie semble sortir d’un caveau glacé. Dans le son, tout se télescope. «Persona Non Grata» semble traversé par les pires fléaux de l’humanité sonique. Ils enchaînent les vertiges soniques comme des perles et ça continue avec «Boudoir» - Welcome to my bou/ Doir/ Oh oh/ I need you so - Avec ces mecs-là, il faut se méfier, car un cut d’apparence normale peut vite basculer dans l’horreur subliminale. Le solo colle à la peau - Boudoir ! - Ça sonnerait presque comme le «War» d’Edwin Starr, mais avec d’exceptionnelles relances pathologiques. Enchaînement parfait avec «Paradise Lost». Si on aime les albums live, il faut écouter ce chef-d’œuvre de pur jus. Ils partent en jive de solo destroy oh boy. On note la présence de chœurs de Dolls dans la fournaise - The next one is also simple and also pleasant. It’s called Old Money -  Voilà comment Lord Bendover amène «Old Money» Et ça explose. Ces démons ne lésinent pas. Ils vont vite en besogne, ils n’épargnent aucun canard boiteux. On ne peut que les comparer à Motörhead pour leur magnifique brutalité. Lord Bendover jette ses dés avec «Tell Mother I’m Home». Il drive son gang et ça reste bien dans l’explosivité des choses du Crust. Du son, rien que du son. Une leçon de son. On reste dans la fournaise avec «We’ve Finished With The Finishing School». Tout est là : le solo dévastateur, l’incendie du Reischtag, et l’explosion d’Hiroshima. Ils terminent ce premier disk avec un «Cream Of The Crust» joué à la pire cisaille de l’univers. Et oui, le pire c’est qu’il y a deuxième disk dans la boîte. Aussi hot que le premier, sinon plus. Tiens, voilà un coup de génie «Who’s Who Of Love», monté sur le riff de «Gimme Some Lovin’». Les Crust en font leur truc, bien relentless, ils dépravent le rock jusqu’à l’oignon, ils riffent jusqu’à plus-soif, ils valent tout l’or du Rhin et le solo incendie la forteresse de la Bastille. Encore plus énorme, ce balladif perverti qu’est «Matron» - When she was young - On sait comment ça va se terminer. Princes & kings ont des mains baladeuses. Heavy as hell. Ils savent créer la sensation forte. Ça s’embrase littéralement sous nos yeux globuleux. Fabuleux shoot de Malmaison, on adore les Crust car ils font bander le rock - It’s called Bleed me ! - Et ça repart de plus belle en heavy rffing. The Crust are on the rocks. Ils deviennent faramineux, les solo coulent comme de l’or fondu dans la gorge du Consul de Rome capturé par les Parthes. Il faut aussi rappeler que ce disk deux démarre en trombe avec «Once More Into The Breeches», véritable blast de heavy rock mauvais comme une teigne, ce rock lourd, sourd et perverti qui ne fait pas dans la dentelle. Le solo coule comme une rivière de lave entre les seins d’une courtisane. Ils enchaînent ça avec «She Speaks The Vulgar Tongue», pas de répit, c’est complètement transfiguré à coups de vitriol, solos déments, énergie considérable. On tombe plus loin sur le spectaculaire «20 Faces» chauffé à blanc, et même à l’ultra-blanc. Il n’existe pas sur cette terre de gang plus dépravé que les Mighty Crust. Ils jouent avec la même énergie que le MC5. Les solos valent bien ceux de Wayne Kramer.  Quel bon blast ! Lord Bendover annonce bien ses cuts : j’ai trouvé l’amour ! «Eureka I Found Love». On imagine que c’est dans l’anus d’une courtisane dévouée. Lord Bendover sait ménager ses effets. On rôtit en enfer grâce à «Luncheon». Tiens, encore une dégelée avec «Little Rickshaw Boy» emmené ventre à terre et ils montrent comment exploser un balladif avec «Everybody’s Equal». Quelle science de la subversion ! Ils envoient de gros paquets de mer, c’est d’une rare puissance. Tout ce qu’on aime dans le rock. 

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             Leur nouvel album Delusions Of Grandeur vient de paraître. On les voit tous les quatre au dos de la pochette perruqués de frais et l’air peu avenant. Le coup de Trafalgar s’appelle «Frippery & Froppery». Il s’agit là d’un gros clin d’œil au divin Marquis. Ils y explosent leur voûte, ça chante à l’extrême raout sadien, un peu à la manière de Chris Farlowe. Ces gens-là disposent de pouvoirs surnaturels. S’ensuit un big heavy romp intitulé «Set For Life/ I Beg To Differ». Ça stompe dans la gueule du rock - I’m set for life - C’est explosif et saturé de violence. On croit entendre un hit monté sur des vieux retakes de juke, mais les Crust explosent tous les jukes du monde au money to burn - I beg to differ - Lord Bendover est un démon. Sur cet album, tout est joué à outrance, avec des guitares partout. N’oublions pas qu’ils posent dans la rue avec des Flying V et des Dan Electro. Attention, cet album est d’une rare violence. Ils font couiner Little Castrato de plaisir en le grattant sévèrement. Et puis voilà «Out Of The Mouths Of Babes» - She look so good/ She looks so fine - Les voilà devenus les maîtres du heavy rock de Boston, ils allument tout aux renvois de hits - She plays a game/ She plays a part - Ça plombe et ça burne à tout va, ils rivalisent d’ampleur avec le MC5, ça ciboulote la ciboulette, les mots se consument dans l’exaction protubérante. Nous voici rendus en Place de Grève avec un «Heads Will Roll» d’une violence digne de Motörhead. Ils pétaradent comme mille diables et ça cavale à la Fast Eddie. Quelle bande de destructeurs ! Rien ne saurait leur résister. L’album dépasse l’entendement, les perruqués de Boston défoncent la mémoire des annales et sur le tard, l’un de ces mauvais nobliaux arrose tout d’un solo de lave infectueuse. Ils tapent «Flagrante Delicto» à la cloche de bois et riffent leur petite affaire avec une rare violence. C’est un uppercut sonique fait de dentelles, de violence, de beat, de bois et d’ébats. Il a été surpris en flagrant delicto, avec un killer solo flash à la clé. Nouvelle dégelée éruptive avec «The Pleasure’s All Mine» - Place my card on the servant’s tray - Voilà un dude entreprenant - Now we’re gonna be face to face - On entend ronfler les accords de dingue comme un incendie - You’re too kind/ The Pleasure’s all mine - On trouve des vieux relents d’early Kinks dans le riffing.

             Le mot de la fin revient à Lord Bendover : we are travelling in individual private steam-powered airplanes, eating foie gras and being waited on hand and foot by handmaidens and footmen (nous voyageons à bord d’avions à vapeur privés, où l’on déguste du fois gras que nous présentent des servantes et des valets de pied).

    Signé : Cazengler, l’in-Crust

    Upper Crust. Let Them Eat Rock. Upstart Records 1995

    Upper Crust. The Decline & Fall Of The Upper Crust. Emperor Norton Records 1997

    Upper Crust. Entitled. Reptilian Records 2000

    Upper Crust. Delusions Of Grandeur. UCL 2017

    Upper Crust. Vive le Rock # 48 – 2017

     

    *

            L’on avait aimé. Rappelez-vous, c’était le 21 février 2020, à Troyes, au 3 B dans l’antre rockabyllien de Béatrice Berlot. Pour ceux qui sont atteints d’Alzheimer, voir notre livraison 453 du 27 / 02 / 2020, le Twangy & Tom Trio avait donné un concert éblouissant, trois sets incandescents, nous avaient en prime même refilé une info en douce, la possibilité de nous refaire le coup des trois mousquetaires, rajouter un quatrième homme à leur trio torride. Vous êtes désormais prêt à comprendre le titre de leur album.

             Une superbe pochette, cartonnée, l’artwork est de Sam ‘’Milouf’’ Roux, très belle mise en scène outside looking in du photographe Olivier Prévost, vous ouvrez la première portière pour entrer dans la caisse, vous sautent à la gueule les clichés de scène des deux premiers passagers, Phil Twanguy penché sur sa guitare comme s’il couchait une fille dans l’herbe bleue du Kentucky. Long John bouffe d’angoisse bleue ses doigts et son harmo, vous ouvrez la deuxième, Gégène vous attend, tient le manche de sa contrebasse comme un gourdin, un peu à la manière, pour ceux qui ont vu le film, de Justice sauvage ( 1973 ), un western moderne à regarder avant tout pour ses paysages typiquement américains, sur le deuxième volet Little officie sur sa batterie, l’affiche le regard énigmatique du reptile qui s’apprête à frapper. L’on remercie Claudine Clodelle pour ses quatre photographies saisissantes.

    FINALLY FOUR !

    THE TWANGY & TOM TRIO

     ( Twang 03 / Juin 2022 )

     

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    Phil Twangy : guitars & vocals / Long Tom : harmonica & backing vocals / Gégène : Upright & electric bass / Little : drums

    Special guest : Yvec ‘’Captain’’ Louët : backing vocals, maracas, tambourin.

    Huit titres, et non douze, ce choix délibéré est hautement symbolique, le groupe serait capable de remplir un coffret de cent titres, rockabilly oblige, l’on opte pour le 25 cm et non pour le 33 tours. De même l’on mêlera  reprises ( racines ) et compositions ( perpétuation ).

    18 miles from Memphis :  choix pertinent, la désignation du lieu originel et la renaissance opérée par les Stray Cats. D’entrée la guitare klaxonne, et la voix rauque de Phil secoue le cocotier, l’harmo de Long Time déchire la métrique rythmique de violents éclairs – le Trio a laissé tomber ce son de pedal steel guitar qui   larmoie quelque peu sur  le Rant N’ Rave des Chats Errants ce qui donne à leur morceau des allures d’orchestration des titres d’Eddy Mitchell enregistrés à Memphis ( j’va me faire des ennemis ) - sur le solo de Tom, Gégène vous festonne en sourdine des entrechats de contrebasse, patte de velours sur verres brisés crissant. Le petit Little vous mène le beat infatigable jusqu’au bout de la nuit. Full moon : pleine lune, ce coup-ci prennent la course en tête, ne suivent plus personne, sont eux et ça ronronne méchant, suivent leur route et ne lèvent pas le pied de l’accélérateur, une voix qui fonce et bouscule les obstacles, tout le reste au même niveau, jettent de l’essence dans la fournaise, zébrures de Tom, cloche-pieds de Gégène, giclées de guitare, et pousse-au-crime de Little. L’on n’est jamais davantage soi que quand l’on est soi-même. Phénoménalement juste. I can’t sleep at night : deuxième compo, très différente de la première, course poursuite entre guitare et harmo, autant dire entre le rockab et le blues, se tiennent tous les deux au pantalon et aucun des deux n’entend lâcher prise, autant se fracasser dans le fossé que de laisser le champ-libre à l’autre, derrière la galopade tambourine pour leur envoyer des billes sous les souliers, perdent souffle mais ne se rendent pas, nous ne saurons jamais si l’âme du blues et du rockab ont vraiment trouvé le repos à la fin du morceau. Pour être honnête nous pensons que non. C’est mieux ainsi, pour nos futures nuits blanches.  Jungle rock : un vieux titre de Hank Mizell, le genre de scie musicale qui vous coupe en deux à la première écoute, le morceau de gloire pour Little et les maracas, disons-le Mizell n’arrive pas à la cheville de Bo Diddley, pas de panique Long Tom et son harmonica vous insuffle les litres de sang noir qui manquent à l’original, sous les pavés la plage disait-on, ici ce serait plutôt sous le délassement la vraie vie rimbaldienne qui palpite. I ain’t had no lovin’ : retour aux compos et aux racines, ce que l’on appelle en littérature le retour au classicisme, quoique l’harmonica de Long Tom joue le rôle du grain de sable qui tombe sur un nid de frelons et déclenche l’inquiétude des promeneurs innocents. Ce titre fonctionne comme une piqûre de rappel, le Twangy & Tom Trio use d’un rockab subtil dont le pendule oscille entre fidélité et modernité. The Jinx : la belle arnaque. Nous en tomberait une comme celle-ci chaque matin au petit déjeuner que nous serions heureux. Juste un instrumental. Pour le plaisir de jouer. De montrer ce qu’ils savent faire. Sans se prendre la tête. Tout doux. Carquois narquois. Un western sans coups de feu. De la finesse, de petites flammes qui vous rôtissent un dinosaure de trente mètres de long (n’est-ce pas Tom ) en deux heures. La porte qui grince, et le tueur que vous redoutiez s’approche de vous… pour une petite sieste revigorante. Discrètement délicieux. These boots are made for walkin’ : l’on en profite pour faire la bise à Nancy et à la moustache de Lee, Phil vous la chante à la sardonique, sa guitare sonne à la Buddy Holly et Long Tom grimace sur son harmo, quant aux deux autres ils poussent l’air de rien le feu sous la marmite de la colère rentrée. Sainte Vierge je crains que cette interprétation insidieuse n’obtienne l’approbation des ligues féministes ! Right behind you baby : l’on a débuté par le revival, l’on termine par l’original, rien de mieux qu’une pette tornade rockab de derrière les fagots enflammés pour délester notre triste humanité de ses miasmes malfaisants. Personne n’a jamais mieux fait que Billy Lee Riley mais à ce niveau-là ça n’a pas d’importance, le quatuor fonce droit derrière et s’en donne à cœur joie, Phil se défonce la voix, Tom entortille ses entrailles sur son instrus, Little s’entraîne à imiter le bruit de l’armoire de sa grand-mère qui s’écroule sur le plancher et Gégène ne se gêne pas pour faire bourdonner sa basse comme la reine des abeilles. L’en coule un miel empoisonné qui vous terrasse un grizzli en moins de deux secondes. Un régal.

             Au total, une pépite rockab a rajouter au trésor amassé depuis soixante-dix ans. Authentique et actuel.

    Damie Chad.

     

     

    ELVIS, HEARTBREAK DESTINY

     

    Il y a quarante-cinq ans, le monde apprenait la disparition de celui qu’on nommait le King. Pour souligner cet anniversaire de la mort d’Elvis Presley, que dire encore de celui qui bouleversa la musique, la société, son époque ? Le défunt lucratif, c’est clair, ne cesse d’être exploité.

     

    Cependant – et enfin – une chose est certaine : Elvis, le film de Baz Luhrmann, sorti en salle en phase avec cette date, est éminemment positif et juste. Elvis est enfin réhabilité selon son essence même. C’était un artiste. Un immense artiste tenu en laisse.

    Elvis chantait Heartbreak Hotel.

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    Il aurait pu chanter Heartbreak Destiny.

    Ce souffle angélique, ce visage qui l’était tout autant, ce talent si pur – un énigmatique enchantement…

    Car que sait-on des êtres que tous connaissent et que personne, pourtant, ne parvient à véritablement cerner ? Que des perceptions, des chatoiements du joyau qui brille sans jamais s’éteindre.

    Des angles pour raconter Elvis, il y en a de nombreux. Les femmes, l’argent, les parasites, le colonel Parker, Priscilla, les accointances avec la mafia, les drogues, le talent, le gigantesque succès, sa fille…

    Peut-on vraiment le découvrir, même avec ces loupes?

    Repartir à zéro, sous le seul éclairage de la famille, est sans doute la voie la plus sûre pour appréhender un parcours, quel qu’il soit.

    Comme on sait, trente-cinq minutes avant son arrivée en ce monde, en cette vie, Elvis perdit son frère jumeau, Jesse Garon, mort à la naissance. On imagine aisément les premières heures du petit Presley ; il est celui qui reste, l’autre, celui qui a survécu. Gladys pleure amèrement l’enfant mort tandis qu’elle berce le vivant. Bien sûr, ce n’est pas la faute d’Elvis si son frère n’a pas vécu, mais devant l’accablant chagrin de sa mère, comment pourra-t-il, en grandissant, ne pas s’interroger à cet égard ? L’enfance, la jeunesse, la vie entière d’Elvis seront imprégnées de ce deuil. Jesse envahit tout, le cœur de sa mère, celui de son jumeau, la maison de Tupelo, une bicoque qui, un jour, sera visitée par des millions de gens fouinant dans tous les coins à la recherche de l’introuvable. Elvis vit avec un spectre à qui on voue un culte, qu’on arrache en vain au ciel, le plus souvent possible à genoux devant sa petite pierre tombale. Gladys enseigne à Elvis à aimer son frère, à prier pour lui, à l’invoquer et surtout à ne pas l’oublier.

    Étant donné que Vernon, son père, est souvent absent (au point de passer un long moment en taule), voilà qu’Elvis assume une nouvelle responsabilité : soutenir Gladys dans cette autre peine. La mère et le fils s’aiment éperdument, vivent en fusion, Gladys comptant sur son seul fils alors qu’elle racle les fonds de tiroir pour assurer leur subsistance. Elle ne sera pas déçue : promis à un avenir grandiose, Elvis compensera au centuple la souffrance causée par l’absence du jumeau et les défaillances du père.

    Certes. Mais tout cela lui coûtera cher, et Gladys sera la première à le déplorer.

    Au moment où il enregistre son premier disque (l’intention est de faire une surprise à sa mère), la chance souffle. Les choses s’enclenchent. Dans son coin de pays, le sud de ses frères noirs, transes et gospels, Elvis devient rapidement connu, et encensé. Tout en lui est original, avant-gardiste, audacieux, autant que spontané ; ses gestes frénétiques, ses hanches insolentes, sa bouche enjôleuse. Il institue une nouvelle façon d’être alors qu’il ensorcelle la jeunesse de tout un pays et bien au-delà avec sa voix douce et chaude comme des larmes, puissante et fluide, virilement suave – une voix d’esclave blanc. Elvis est le héraut de la liberté. Le messie du rock. Cependant, alors qu’il vit hanté par Jesse, et bientôt par sa mère qui meurt au début de son ascension, il n’a pas droit, lui, à la liberté qu’il défend si totalement. Son destin est christique.

    Elvis est une machine à rentabilité, à succès. Le colonel Parker, son agent, lui fera grimper les échelons de la gloire sans jamais – ou presque – respecter les désirs de l’artiste qui l’enrichit. Or Elvis en est un, authentique, profondément lui-même, peu à peu massacré par ces exigences. Les fans savent les films que l’idole ne souhaitait pas tourner (pour la plupart), les chansons qu’il ne voulait pas chanter même si elles dépassaient les frontières et rapportaient des fortunes (It’s now or never…), l’interdiction de tournées en Europe. Très rapidement, Elvis est claquemuré dans des hôtels de Las Vegas, affublé de costumes clinquants, cuirassier du show-biz. Désormais, alors que dehors on vit, il chante devant des parterres remplis de « mémères endiamantées », comme le précise parfaitement le journaliste Daniel Lesueur. La bête de scène s’est transformée en bête de cirque.

    Pendant ce temps, la nouvelle génération (bien près de lui) poursuit, elle, et pour l’ancrer, la véritable révolution. Ces artistes surgis du Royaume-Uni, des States et bientôt d’Australie – autant dire nés de sa colossale impulsion – envahissent des stades, envoûtent les foules, centuplant les décibels, imposant un son nouveau, lançant le hard, le glam, le métal, le trash et tous ses dérivés, établissant un nouveau règne anarchique d’une force nucléaire. La Terre a bougé.

    Elvis, qui a tant compté dans ce séisme décisif, en est réduit à se donner de tout son être dans des amphithéâtres aseptisés et moquettés du Nevada – aliéné du public à ciel ouvert. Le rock qu’il a si bien servi lui a échappé. Le pauvre King, l’inspirateur de ceux qui sont venus à sa suite et qui maintenant le dépassent dans leur démesure, ne sort plus de cet antre dans lequel le colonel Parker l’a crucifié. Sait-il au moins que la plupart de ces rock stars se réclament de lui ? En effet, la liste pourrait se dérouler sur des kilomètres ; il est touchant d’entendre Keith Richards lui rendre hommage,  Johnny Hallyday en parler avec un respect qui donne la chair de poule, et de songer à Robert Plant qui l’admirait tant qu’un des plus grands moments de son existence fut de se retrouver avec lui, un soir, dans sa loge, dans une ville américaine. À cette occasion, le secrétaire précisa aux membres du band britannique de ne surtout pas parler au King de ses chansons, expliquant qu’Elvis, cette immense idole au demeurant simple et avenante, détestait traiter de ce sujet…

    Mais Plant ne résista pas. Avant de prendre congé d’Elvis, il se jeta presque sur lui pour lui dire merci, je t’aime, tes chansons sont extraordinaires, je les connaissais toutes par cœur, tu m’as ébloui ; devenant, l’espace d’un instant, un groupie surexcité.

    La rencontre se prolongea. Elvis était heureux de discuter de ce qui avait bercé la jeunesse de ces stars aux cheveux longs, à moitié nues, ornées de chaînes et de tatouages, libres ! Quelle ironie.

    Peu de temps après, il mourut.

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    Elvis délivré de son poids dans tous les sens du terme. Depuis le jour où la planète vibra à l’annonce de sa disparition, quarante-cinq années sont passées. Et pourtant, ne serait-ce qu’à Graceland, où les foules défilent, toujours nombreuses, voire plus que jamais, son esprit résiste. Que n’a-t-il donc pas dit, condamné au mutisme comme son frère mort ?

    J’aurais tant voulu vivre…

    J’aurais tant voulu être.

     

    Marie Desjardins

    Publié le 19 Août 2022 dans Presse PROFESSION SPECTACLE ( Revue Web ).

     

     

    BEST N° 2

    MUSIQUE – STYLE – POPCULTURE

    (Mai 2022 - 162 pp15 E )

     

    Se mookerait-on des vieux rockers, Best, la mythique rivale de Rock & Folk, la cadette délurée qui avait misé sur l’éclosion punk alors que la vénérable aînée s’amusait à repeindre les dinosaures moussus, squatte à nouveau de manière fort impromptue les kiosques. Après vingt ans d’absence ? Pas croyable ! D’ailleurs quand j’ai eu le numéro 1 entre les mains je l’ai vite remis sur son rayonnage, pire que la baleine blanche, l’épaisseur du cachalot mais pas grand-chose dans le ventre, si un poster comme dans l’ancien temps, mais que de vide, des articles de trente lignes perdues dans l’écume des blancheurs stériles, des photos couleurs certes, par côté texte portion congrue. A première vue rien de bien folichon, ah, si une belle photo et un article pas très long sur Alicia F !  Déjà on leur pardonne d’exister et on se promet de passer au scalpel le numéro 2.  

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    Le voici ! La couverture ne vous procurera pas un orgasme pictural, dans l’édito le rédac-chef  Patrick Eudeline – tiens il a aussi une chronique dans le R & F d’août, la rivalité Best R & F serait-elle une ficelle du même calibre que Beatles versus Stones – annonce une mauvaise nouvelle, conséquence de l’augmentation du prix du papier s’est imposée la suppression du poster… Par contre tout de suite après c’est la grosse amélioration, l’œuf de l’autruche est rempli à ras-bord, pas tout à fait comme La recherche du temps perdu mais si l’ensemble ne fait pas Proust, l’est loin de faire prout !

    Prenons le temps de regarder la partie immergée de l’iceberg. Les dessous cachés : pas tant que cela. Cette nouvelle mouture n’est pas un geste gratuit. David S. Kane promoteur de l’aventure n’est pas là pour perdre son argent, encore moins sa dernière chemise. Se lance dans une drôle d’entreprise, doit susciter son lectorat, le public de niche-rock, caution essentielle, a pris de l’âge, squatte déjà les maisons de retraite et bientôt ne tardera pas à encombrer les cimetières, lui faut donc enrôler de nouvelles phalanges de lecteurs, attirer à lui une jeunesse qui ne lit plus sur support papier et qui n’écoute plus comme tout être humain normalement constitué  du matin au soir et du soir au matin exclusivement du rock’n’roll, signe évident de la proximale déchéance de l’humanité bien plus inquiétant que le dérèglement climatique dont on nous rebat et rabat sempiternellement les oreilles.

    Z’en gros faut s’adapter au public et aux contingences économiques de survie en zone capitalistique. Ne faut pas être grand stratège pour remarquer que si l’une des premières pub pleine page est de Cifonelli, la page 146, section mode, nous présente la maison Cifonelli, spécialisée en costumes classieux, même David Bowie en portait, c’est dire si c’est rock ! En tout cas ce n’est pas un hasard si les gens comme moi ne fréquentent pas ce genre d’endroit… Autre renvoi d’ascenseur, Radio Perfecto une webmusic qui lance PerfectoMusic.Fr ( un spotify rock ) qui a droit à un article et qui dans sa double page de pub offre avec le code Promo Best cinquante pour cent sur l’abonnement Premium de douze mois. Faire feu de tout bois pour survivre est de bonne guerre, toutefois que le client roi courtisé se souvienne aussi qu’il est un être libre.

    Plus le chalut est large plus vous ramassez de poissons. Le spectre choisi par le nouveau Best n’échappe à cette loi mathématique du rendement tout azimut, De Serge Reggiani à Orelsan, y’en a pour tous les goûts et toutes les couleurs se marient entre elles, ne pas fâcher les amateurs de la bonne vieille chanson française de qualité, leur prouver que l’on pense à eux, ne pas rejeter les adeptes du rap, l’est sûr qu’il se variétise tellement depuis ces cinq dernières années qu’il ne saurait échauder les oreilles de vastes portions de notre saine jeunesse.

    Un dernier truc pour amener les mouches à se poser sur la tartine de miel, présenter le mec que tout le monde connaît sans avoir lu ou même retenu le nom. Ainsi vingt pages sont dévolues au portfolio de Sébastien Micke, photographe attiré de Paris-Match, notre snipper a shooté tout le monde, de Cœur de Pirate à Iggy Pop.

    Ne pas sous-estimer le bestiau pour autant. Oui, il y a du rock, l’on peut même s’amuser comme les archéologues à remettre en ordre les couches stratigraphiques. Années cinquante : cocorico l’on ne part pas à Memphis visiter les studios ensoleillés, l’on reste chez nous, en douce France avec ce très méchant macaque de Mac Kac – méfiez-vous de la variole du singe – le batteur qui n’avait pas perdu ses baguettes dans un tonneau de goudron, un bel article de Jean-William Thoury qui remet la pendule du rock français à l’heure, juste un peu avant le trio Henri Salvador – Boris Vian – Michel Legrand. N’oublions jamais les ignominies que le second a écrites sur Elvis Presley.

    Années soixante, années fastes, un topo de Jean-Albert Baudenon sur les managers véreux ( ce qualificatif n’est-il pas inutilement redondant ) et les frères Kray, de véritables kraypules, comme l’on en fait encore aujourd’hui, qui eurent maille à partie avec le sorcier des manettes Joe Meeks, espérons que les anges aient pris soin de son âme… l’article le plus palpitant du numéro, de la plume d’aigle de Pierre Hecher.

    Années soixante-dix : Julien Deléglise nous narre les premières années du hard rock français, Océan, Trust, Warning, Variations, ne râlez pas, l’en cite d’autres, mais l’on sent que c’est juste le bas de la première vertèbre de l’épine dorsale de ce qui un jour ou l’autre deviendra un bouquin… Par contre plus loin, l’on vous raconte que loin du punk il y avait Patrick Juvet et la disco…  

    Années quatre-vingt, je triche, à eux seuls ils cochent toutes les décennies du rock, les Stones, pas tout à fait eux, les acolytes plus ou moins anonymes qui sont sur scène et qui assument une bonne part du boulot. Qui trop étreint mal embrasse, dans le six-cent soixantième de R & F, l’interview de Chuck Lewel nous en apprend plus que les diverses fiches récapitulatives de Best.

    Tapent aussi dans l’actualité, ne sont pas fous, les belles histoires c’est pour endormir les grands enfants, les benjamins réclament des légendes qu’ils peuvent vivre à leur tour. Peut-être la partie la plus risquée. Je vous laisse découvrir par vous-mêmes. L’on peut tout de même tirer quelques éléments de structuration du magazine, sont ouverts et la part de la France n’est pas la portion congrue. Un choix qui se révèlera payant. J’aime à prophétiser. Dans le désert. Surtout si personne ne m’écoute.

    Deuxième révélation mais tout le monde s’en doute : n’oublient ni le cinéma ( un très beau Qui a peur de Lucy Gordon de Caroline Calloch, elle a su vivre et mourir vite ) ni la BD, ni les mangas, ni les livres ( et encore moins les écrivains ), même pas les tatoueurs, n’hésitent pas non plus à présenter ce prince du rockabilly français qu’est Victor Huganet.

    De fait ils cherchent à capter l’esprit de l’époque, morcelé, biseauté, fragmenté, et la tâche n’est pas facile. Faut leur reconnaître qu’ils ont du courage. Parviendront-ils à faire jaillir une cohérence de tout ce patchwork, est-ce seulement souhaitable, si notre réalité est kaléidoscopique pourquoi tenter d’y mettre ordre et unilatéralité ? En quoi l’incohérence des choses du monde serait-elle d’une nature inférieure à son contraire ? Nous ne savons si nous marchons sur des cendres ou sur des semences s’exclamait voici deux siècles Alfred de Musset. Aujourd’hui j’ai l’impression que nous n’en savons pas plus que l’auteur de Lorenzaccio. Apparemment le Best historique était pour reprendre une expression de Jean Giono un lanceur de graines. Souhaitons à cette nouvelle mouture le même futur. Comme le dit le proverbe austro-hongrois, ceux qui mourront ne le sauront pas.

    J’ai laissé de côté bien des aspects et bien des pages qui méritent tout autant attention et lecture. N’espérez point que l’on va tout vous dire. Read it yourself !

    Damie Chad.

     

    LE CERCLE SACRE

    MEMOIRES D’UN HOMME-MEDECINE SIOUX

    ARCHIE FIRE LAME DEER

    ( Terre Indienne  / Albin Michel 1995 )

     

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             Les indiens foulaient la terre sacrée d’Amérique bien avant la naissance du rock ‘n’roll ce qui n’a pas empêché Archie Fire Lame Deer de travailler avec Elvis Presley. Sont tous deux nés en 1935, enfants ils ont tous deux connu la misère, mais malgré les gouttes de sang indien légué par son arrière-arrière-arrière-grand-mère cherokee leur communauté de destin s’arrête là.           

    Archie Fire Lame Deer a disparu en 2004. Sa vie ne fut pas un long fleuve tranquille, elle se résume en quelques mots : né indien, il est devenu indien. Orphelin il est recueilli par son grand-père. Ours Rapide ne possède rien, une pauvre cabane de rondins. Mais c’est un résistant. Il vit de peu et ne manque de rien. A chaque instant il transmet à l’enfant, coutume, savoir, esprit, sagesse, histoire, esprit de révolte, la mémoire de cette vie indienne originelle, celle d’avant les blancs.

    Archie n’en échappera pas pour autant à la réalité indienne, celle des vaincus, condamnés à subir la honte, à supporter les outrages, le racisme des blancs, l’inaction forcée, les salaires misérables… A la mort de son grand-père, son oncle ne s’oppose pas à son instruction, il partagera le sort de ses enfants enfermés dans les pensionnats des missionnaires qui vous inculquent l’amour de Jésus à coups de fouets… Il s’échappera…  

    A dix-sept ans il trichera ( tout comme Gene Vincent ) pour s’engager en Corée, ce n’est pas qu’il ait envie de faire la guerre, c’est que l’avenir ne lui offre rien d’autre, si ce n’est traîner dans la réserve, boire, se mêler à des bagarres, une espèce de sauvageon pour reprendre une expression ministérielle…

    Des horreurs de la guerre de Corée il refuse de parler… à sa sortie il entame une longue période de soulographie, qui durera vingt ans, l’adopte une vie de conduite très simple, accepte n’importe quel boulot pourvu qu’il paye bien, finira par devenir cascadeur à Hollywood. Très vite il devient le spécialiste des cascades à cheval, c’est ainsi qu’il doublera Elvis Presley. D’Elvis il ne dit rien, sinon qu’il n’était pas le dernier à boire…

    Archie n’est pas tendre avec les réalisateurs et leurs conseillers (ethnologues et universitaires blancs) quant à leur représentation des indiens. Si en Europe Un homme nommé cheval a été reçu comme un western réhabilitant au plus près les modes de vie indienne, les critiques d’Archie frappées d’un simple bon sens historial ne sont point laudatives… Il parviendra toutefois à faire corriger certaines (comprenez pas toutes) grossières erreurs pour le second volet La revanche d’un homme nommé Cheval

    Quittera ce boulot lucratif, ne trouvera pas mieux, sera chasseurs de serpents, l’on sent poindre une lassitude, boit de plus en plus, se bagarre de plus en plus, tape sur les policiers qui viennent l’arrêter, passe ( plus de  deux cent fois ) devant le juge, finit au poste pour quelques jours, à peine libéré repart en courant vers le bar le plus proche dans lequel il ne manque pas de s’embrouiller avec le premier assoiffé qui passe à sa portée… jusqu’au jour où lassé de vingt années de beuveries il décide à la minute même d’arrêter…

    Sera chargé de prendre en main les jeunes indiens qui n’arrêtent pas de boire, d’entrer et de sortir de prison, l’est un expert, parvient à infléchir la sévérité des juges, devient visiteur  de prison, c’est là qu’il rencontre Leonard Peltier qui vient de s’évader mais qui s’est fait reprendre – cette tentative d’évasion ressemble d’ailleurs à une manipulation policière – la rencontre avec le leader charismatique de la cause indienne emprisonné à vie pour l’exemple et un crime qu’il n’a pas commis l’aidera à comprendre la signification d’une rencontre décisive antérieure de vingt années, alors qu’il se trouve pour la première fois de sa vie en face de son père.

    Il a vingt ans, et la femme s’avance vers lui, elle vient d’être violemment ovationnée par le public, elle est connue sur le circuit des rodéos, c’est elle qui fait des pitreries pour attirer l’attention du taureau sauvage qui vient de désarçonner son cavalier et qui s’apprête à s’acharner sur son corps, cette femme qui vient de descendre de son cheval, célèbre pour son courage, son audace et sa sveltesse, dans sa longue robe et ses tresses blondes, c’est son père !

    Sur le moment il tirera de cette première rencontre amertume et colère, c’est donc cela la fierté indienne, en être réduit à se déguiser en femme, pour faire le clown afin d’amuser un public majoritairement composé de blancs ! Mais maintenant il commence à comprendre, son père est un Contraire, un de ces hommes qui font le contraire de tout ce que la logique exige. Ne pas prendre celui qui s’essuie d’abord et qui ensuite se lave pour un farfelu, un fou, un caractériel, un idiot, rien n’est plus sérieux que cette attitude, elle est là pour rappeler que la majesté de l’Esprit qui commande aux choses et aux êtres vivants, n’est pas absolue mais relative, que le Tout est aussi constitué de son contraire, et qu’ainsi est affirmé la liberté de penser et d’agir des individus.

    C’est ce même père homme-médecine qui lui transmettra sur son lit de mort les pouvoirs spirituels afférents à sa charge. Dans la deuxième partie du livre Archie expose les mystères de sa religion, il explique longuement le sens des cérémonies sioux, des plus simples ou plus complexes, de la loge de sudation à la danse du soleil. Il décrit minutieusement les circonstances qui président à la tenue des rituels. Rapporte des anecdotes qui ont trait à la manifestation de l’Esprit.

    L’on ne dévoile pas des savoirs sacrés sans danger. Archie en est conscient. Il met en garde contre les faiseurs et les arnaqueurs. Les stages de sagesse indienne à 3000 dollars la semaine… L’on comprend qu’Archie qui a passé sa vie à revivifier les traditions indiennes sent très bien que son enseignement est voué à être phagocyté par le système d’appropriation mercantile importé par les blancs. Que l’identité indienne est menacée, qu’elle a peu de chance de survivre dans le monde qui vient…

    Dans une troisième partie Archie raconte sa vie quotidienne, il est marié, il donne des conférences un peu partout, aux Etats-Unis et en Europe. Il entre en relation avec les traditions païennes, trouve des points de convergences ou de troublantes similitudes entre d’antiques cérémonies européennes et indiennes, cherche à rencontrer les représentants de diverses religions du Pape ( très décevant ) au Dalaï Lama, des grottes préhistoriques au Renouveau druidique breton… donne l’impression de vouloir créer un front spirituel commun grâce auquel les traditions indiennes seraient préservées… Ressemble un peu à ces Chefs Indiens du dix-neuvième siècle qui avant d’être vaincus avaient compris qu’ils avaient déjà perdu la guerre. Triste, très triste.

    Damie Chad.

     

    LE VIBRATO MUNDI

    DIDIER LAUTERBORN

    ( St Honoré Editions  / Février 2022 )

     

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    Apparemment il existe deux Didier Lauterborn. Le premier est tout ce qu’il y a de plus dans la norme du moment. Ecrit des livres sur les plantes, ce n’est pas de sa faute, son grand-père tenait l’herboristerie de Manosque, un bon plan quand on est écrivain d’être originaire de la ville de Jean Giono, l’est dans l’air du temps, retour à la nature, les bonnes recettes de l’ancien temps, en plein dans la vulgate écologique, bref tout ce qu’il faut pour que l’on ne parle pas de lui dans un blogue rock ‘n’ roll. Oui mais il y a l’autre celui qui écrit des romans. Qui ne parlent pas de rock ‘n’ roll, ainsi dans celui-ci, son troisième, hormis quatre lignes sur un disque des Who, vous ne trouverez rien d’autre. Normal puisque ce n’est pas un livre sur le rock’n’roll.

    Donc il y a l’autre, le Didier Lauterborn qui n’est pas dans l’air (pollué) du temps, puisque ce n’est pas l’actuel, nous le désignerons par le vocable contraire et si nietzschéen d’inactuel, ce qui tombe bien puisque avant d’entrer plus avant dans ce roman nous nous devons de faire un petit détour par Nietzsche. Par l’aspect le plus controversé du philosophe, celui qui a commencé à inquiéter ses amis les plus proches, l’on est souvent trahi par les siens, ils n’ont pas manqué de faire remarquer que le premier signe tangent de la maladive folie de Nietzsche est apparu lorsque le solitaire d’Engadine a dévoilé son concept d’éternel retour. Comment donc ce génie supérieur qui était en train de mettre à bas vingt-cinq siècles de tradition philosophique s’en revenait aux vieilles lunes des fumeuses doctrines stoïciennes, quelle chute, la montagne himalayenne accouchait d’une souris liliputienne…

    Si le concept d’éternel retour a fait un flop, Nietzsche le présentait comme la pensée la plus lourde, celle qui vous retombait à coup sûr sur les pieds dès que vous tentiez de l’aborder. La preuve en est qu’aujourd’hui l’on ne s’attarde guère sur ce concept d’éternel retour, on lui substitue le concept d’éternel retour du même, ce qui  logiquement est absurde, car  le retour du même est impossible car si le même revient, il n’est plus le même mais justement le retour du même ce qui est très différent du même. Donc ce qui revient ce n’est pas le même, mais le retour. Mais le retour de quoi ? Elémentaire mes chers lecteurs watsoniens : le temps.

    C’est ici qu’il est nécessaire de faire preuve de finesse. Sans laquelle vous ne comprendriez rien au livre de Didier Lauterborn. Il est facile de se représenter le temps comme un cercle serpentaire qui se mord la queue, lorsque le cercle est terminé il recommence illico à l’instant même où il s’achève, certes il peut commencer éternellement, mais s’il recommence ainsi il ne peut s’arrêter éternellement, puisqu’il recommence… Ne regardez pas le pourtour du cercle mais la surface qu’il encercle, c’est ainsi que Parménide représentait l’Être éternel, à tout instant le cercle s’achève et recommence, en d’autres termes si vous suivez le pourtour vous restez dans la présence de l’instant qui passe, mais si vous considérez l’espace éternel décrit par la courbe qui l’entoure, vous comprenez que vous pouvez aussi bien marcher dans votre présence, que dans votre futur, que dans votre passé.

    Ce genre de raisonnement donne le vertige. Les esprits qui s’accrochent aux petites herbes de la paroi de l’abîme vous demanderont de révéler la preuve de vos dires. Le roman de Didier Lauterborn s’emploie à vous l’apporter. Il ne s’agit pas de dire mais de démontrer. L’a sa théorie. Ceci est du ressort de la mathématique et de la physique.  Nul besoin d’être fort en math. Vous pouvez suivre. Sans trop de mal. Mais sans trop de bien non plus. Disons qu’aux déductions intuitivement logiques du Tractacus Logicus de Wittgenstein, Didier Lauterborn use plutôt des démonstrations axiomatiques de l’Ethique de Spinoza. Le roman démarre sur du solide, difficile de trouver plus terre à terre et plus local, dans une propriété viticole, aux mains d’une grande famille, l’on se croirait dans une série télévisée, tout ce qu’il y a du plus classique, et d’autant plus rassurant que ça se passe à notre époque, le lecteur n’est en rien dépaysé… Pour la petite histoire Didier Lauterborn s’était lancé dans l’écriture d’un roman policier lorsque le confinement l’a emmené à revoir son projet. Brutalement enfermé chez lui il prit le temps de réfléchir, l’a eu l’opportunité comme tout le monde de se poser des questions, et pourquoi ceci et comment cela… Notamment du genre et pourquoi l’on est confiné et comment cela se fait-il… Heidegger l’affirme : si vous voulez savoir ce qu’est la philosophie, il suffit de se poser la question pour commencer à philosopher. Tout est question de synchronicité.

    N’empêche que les ouvrages d’Heidegger sont un peu astringents, alors Didier Lauberton vous a simplifié la tâche, vous raconte une histoire bizarre et étrange, qui se lit facilement, qui vous happe, et qui vous emporte, vous pouvez ne pas y croire, et le traiter de tous les noms d’alligators qui vous passeront par la tête, vous pouvez y croire et le considérer comme le nouveau prophète ou analyste politique des temps modernes, vous pouvez surtout vous mettre à réfléchir à votre tour et à vous demander ce qu’il veut dire en racontant son histoire. Le roman offre plusieurs niveaux de lecture. Notre présentation en a choisi une, il en est d’autres, beaucoup plus contemporaines et actuelles, chacun y trouvera ce qu’il y apportera. Essayez d’être subtil afin d’être utile à vous-mêmes.

    Un livre très rock’n’roll en somme.

    Damie Chad.