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alicia f !

  • CHRONIQUES DE POURPRE 560 : KR'TNT 560 : FREDA PAYNE / ROCKABILLY GENERATION NEWS / MICHAEL DES BARRES / ROZETTA JOHNSON / FULL MOON CATS / T-BECKER TRIO / FUZZY DICE / BURNING SISTER / ALICIA F ! / PHILIPPE MANOEUVRE

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 560

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    20 / 06 / 2022

    FREDA PAYNE / ROCKABILLY GENERATION NEWS

    MICHAEL DES BARRES / ROZETTA JOHNSON

     FULL MOON CATS / T-BECKER TRIO  

    FUZZY DICE / BURNING SISTER

    ALICIA F ! / PHILIPPE MANOEUVRE

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 560

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/ 

     

    À chaque jour suffit sa Payne

     

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             Quand Freda Payne, bien aidée par Mark Bego, publie son autobio, que fait-on ? On la lit. Pourquoi ? Parce que Detroit. Parce qu’Invictus. Parce que mystérieuse. Parce que Soul Sister. Parce que très belle femme. L’image qui orne la couve est une chose, mais elle n’est rien en comparaison de celle qu’on trouve en quatrième de couverture. C’est l’une des très belles femmes de l’histoire de la Soul. Oh et puis ce corps extraordinairement bandant qu’elle met en scène sur la pochette de Reaching Out, paru sur Invictus en 1973, la voilà dans l’eau jusqu’à mi-cuisses, elle porte un bikini rose qui ne cache rien de ses formes, elle a un corps parfait, alors on comprend qu’un bon paquet de lascars soient partis à sa conquête, car se retrouver au fond d’un lit avec Freda, ça devait être quelque chose d’intéressant. Parmi ses chéris les plus connus, Freda cite Berry Gordy, Quincy Jones et Eddie Holland. Pas mal, non ?

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             On approche surtout ce book dans l’espoir d’y trouver tout ce qu’on ne sait pas encore sur Invictus, le label monté par le trio Holland/Dozier/Holland qui après s’être fâché avec Berry Gordy, s’est lancé dans l’aventure d’un label indépendant. L’autobio d’Eddie et Brian Holland saluée ici au mois de décembre 2021 (Come And Get These Memories) en disait long sur Invictus mais nous laissait quand même un peu sur notre faim. On n’apprenait pas grand-chose sur McKinley Jackson et les artistes signés par le label, comme General Jackson & The Chairmen Of The Board, c’est-à-dire Danny Woods et Harrison Kennedy, et puis aussi 100 Proof Aged In Soul, 8th Day, Glass House et Eloise Laws. Quand une autobio est bien foutue, on entre dans les endroits et on touche la réalité du doigt. Les frères Holland parlaient plus de Berry Gordy et de Motown que d’Invictus. On aura le même problème avec Freda qui fait partie des gens simples qui sont obnubilés par les fastes et la célébrité. Freda en pince pour ce que les gens appellent de nos jours les people, alors elle fait des petites brochettes de noms célèbres qui coupent un peu l’appétit, car ça flirte avec l’emputasserie conventionnelle. C’est un risque qu’on ne court pas lorsqu’on lit Lanegan.

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             Si Freda signe avec Invictus, c’est parce qu’elle vient de rater deux belles occasions : un contrat chez Motown et un autre comme chanteuse dans l’orchestre de Duke Elington, car Freda est avant toute chose une chanteuse de jazz. Eddie Holland va la signer parce qu’il savait que Berry Gordy la voulait absolument. Elle est très tôt dans les pattes de Gordy. Elle raconte notamment un voyage qu’ils font à cinq en bagnole pour aller voir chanter Little Willie John à l’Apollo de Harlem. Dans la bagnole, il y a Gordy et George Kelly devant, et derrière, Freda, sa sœur Scherrie et leur mère à toutes les deux. C’est d’ailleurs la mère qui supervise les contrats et qui les fait foirer. Gordy est proche de Little Willie John, car il est le frangin de Mable John, l’une des premières Soul Sisters que Gordy ait enregistré à Detroit et qui fait donc partie des pionnières.

             Alors c’est Mama Payne qui examine le contrat que leur présente Berry Gordy et elle commence à chipoter sur les pourcentages mentionnés, elle voit que Berry prend 20 % et l’agent 10 %. Elle demande qui paye les robes, les hôtels et les billets d’avion et quand Gordy répond que c’est sa fille, Mama Payne lui répond du tac au tac : «Alors, il ne lui reste pas grand-chose !». Gordy commence à s’énerver et indique que le Colonel Parker ramasse 50 % du blé d’Elvis. Mais Mama Payne ne bronche pas. Comme Gordy ne cède pas non plus, on arrête les frais. Gordy range son papelard. Il voulait une petite poule pour lancer Motown, alors il va voir ailleurs, et il va signer Mary Wells à la place de Freda. Côté mâle, Gordy vient de signer l’excellent Marv Johnson. À l’époque, Freda rencontre aussi Smokey Robinson et sa femme Claudette, ainsi que les trois autres membres des Miracles. Les frères Holland sont là aussi, dès le début.

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             Freda nous explique qu’en fait Berry Gordy avait une réputation de coureur de jupons et Mama Payne voulait protéger sa fille. Mais Gordy est un grand garçon, il va vite passer du stade de coureur de jupons à celui de starmaker et faire du gros business. Devenue amie avec Mary Wilson, Freda connaît bien les tenants et les aboutissants de l’histoire des Supremes. Elle sait que Florence Ballard avait du caractère et qu’elle ne pouvait pas s’entendre avec Berry Gordy, car il était trop autoritaire. Freda qualifie Gordy de control freak - It is either his way or the highway - Elle raconte un peu plus loin qu’elle vivait à Manchester au moment où The Motown Revue tournait en Angleterre avec Little Stevie Wonder, Smokey Robinson & The Miracles, Martha Reeves & The Vandella et Jr Walker. Quand Gordy apprend que Freda est aussi à Manchester, il lui demande s’il peut la voir, ils papotent dans sa chambre, puis Gordy se fait plus flirtarious et bien sûr Freda finit par se faire sauter - Berry kinda talked me into it - Il peut être très persuasif, dit-elle. Alors elle cède. Elle insiste bien pour dire qu’il ne l’a pas forcée. Elle se méfie des procès - And we made love at my hotel - Puis Gordy propose une nouvelle fois un contrat à Freda. Elle soumet le contrat à son avocat, qui veut faire une ou deux modifications. Quand Gordy la rappelle, il lui dit qu’il ne fait aucune modification - First of all: nobody changes my contracts - Alors Freda dit qu’elle sait qu’il l’a fait pour les Four Tops, et Gordy répond que c’est différent, car Levi Stubbs est un ami. Et donc il préfère en rester là avec Freda. Restons bons amis. Pas de biz. Freda pense aussi que ça aurait de toute façon posé des problèmes avec Diana Ross si elle avait accepté de signer. Elles auraient été en conflit direct. Plus tard, Freda apprend de la bouche de Mary Wilson que Gordy dit du mal d’elle. En fait, Gordy ne supporte pas les gens qui chipotent. Toujours le fameux «my way» or «no way». C’est comme ça et pas autrement. T’es pas content ? Dehors ! Beaucoup plus tard, à Las Vegas, on présente Gordy à Freda et Freda dit qu’elle le connaît déjà. Ah bon ?, font les gens. Elle répond : «I know him from Detroit.» Et Gordy se marre : «She knows me quite well.» Alors ça pique la curiosité des gens qui demandent ce que veut dire le quite well, et Berry explique : «Je connais Freda depuis qu’elle est adolescente. She was my first female protégée. I saw in her what I needed to do.» C’est un bel hommage.

             Quand Freda chante avec l’orchestre de Duke Elington, elle est encore mineure. Mama Payne veille sur ses intérêts et en lisant le contrat que finit par lui présenter Duke, elle demande qu’il réajuste le salaire de sa fille, puisqu’elle a déjà tourné partout aux États-Unis et qu’elle va devenir une star. Elle demande de monter à $3,000.00 ou $4,000.00 et Duke rompt les négociations : «Just forget about it.» Terminé. Avec Mama Payne, ça paye pas à tous les coups.

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             Freda devient aussi copine avec Miriam Makeba qui allait épouser le trompettiste Hugh Masekela et plus tard l’activiste Stokely Carmichael. Quand elle quitte Detroit pour venir s’installer à New York, elle rencontre Quincy Jones et vit une belle histoire d’amour avec lui - He was definitively one of the loves of my life. He was so young and handsome - Méchante veinarde ! Et bien sûr, Quincy fait chanter Freda à l’Apollo de Harlem. Là, elle nage en plein rêve.

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             Pendant sa période new-yorkaise, Freda vit en coloc à Central Park West avec une amie et un jour un copain l’appelle pour lui dire qu’on cherche à la joindre. Ah bon ? Il dit qu’il te connaît de Detroit. C’est qui ? Brian Holland ! Mais oui c’est vrai, on est allés au lycée ensemble. Elle le prend au téléphone et Brian lui explique qu’Eddie et lui ont quitté Motown pour monter Invictus. Il lui demande ce qu’elle fait et comme elle ne fait rien de particulier, il lui propose de venir à Detroit signer un contrat chez Invictus. Cette fois, elle n’hésite pas. Mama Payne n’est pas dans le coin. Elle signe sans avoir lu, pour être sûre de ne pas foirer son coup, comme avec Motown et Duke. Et pouf c’est parti ! Elle revient s’installer chez ses parents et Ron Dunbar vient la chercher chaque matin pour l’emmener au studio, sur Grand River Boulevard. C’est le fameux Holland/Dozier/Holland Sound Studio installé dans un théâtre. Comme ingés-son, Holland/Dozier/Holland ont récupéré Lawrence Horn et Barney Perkins, qui eux aussi ont bossé chez Motown. Freda enregistre «Band Of Gold» qui est crédité Dunbar et Wayne mais qui en réalité est du Holland/Dozier/Holland, mais ils ne peuvent pas signer de crédits tant qu’ils sont engagés dans une procédure judiciaire contre Motown. Freda évoque aussi le producteur Tony Camillo. Tony dit avoir composé la musique de «Band Of Gold», mais il n’apparaît pas non plus dans les crédits, parce qu’il avait refusé de signer avec Eddie Holland un contrat qui le liait pour sept ans, Avec «Band Of Gold», Freda décroche le jackpot et devient célèbre. Elle entame une relation amoureuse avec Eddie - Eddie Holland? What the heck? - Mais les choses vont vite se gâter. Freda est une star, mais elle ne voit pas de compensation financière. Pas d’avance à la signature, pas de royalties, alors elle comprend qu’elle doit se faire la cerise. Elle pensait qu’Holland/Dozier/Holland avaient tiré des enseignements de leur expérience chez Motown, mais dit-elle, ils répétaient exactement les mêmes erreurs.

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             Freda enregistre trois albums sur Invictus, à commencer par Band Of Gold en 1970. Avec le morceau titre, Holland/Dozier/Holland lui donnent un superbe hit Motown, lourd de conséquences et de gros popotin, gorgé d’aplomb et de rage contenue. Comme l’indique Freda, le cut est effectivement crédité Ron Dunbar. C’est du pur Motown Sound, et Freda chante d’une voix de rêve. Avec «Rock Me In The Craddle», elle règne sur la terre comme au ciel et «Unhooked Generation» vaut bien des early hits de Stevie Wonder, c’est pas loin d’«I Was Made To Love Her». Tous les cuts de l’album sont soignés, ce ne sont que des grosses compos. Elle monte bien en neige le «The World Don’t Give You A Thing» signé Holland/Dozier, et elle revient nous enchanter avec «Happy Heart», une merveille de Soul magique violonnée comme il se doit.

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             Paru l’année suivante, Contact est un peu moins dense. Il semble que cet album soit conçu comme une comédie musicale. C’est très orchestré avec du narratif intempestif. Ça bascule dans l’hollywoodien. Elle fait un tout petit peu de Motown avec «You Brought Me The Joy» et casse la baraque en fin d’A avec «You’ve Got To Love Somebody (Let It Be Me)», qui sonne comme du Motown de l’âge d’or. Elle monte en B au sommet de son chat perché pour «I Shall Not Be Moved», elle sait parfaitement pousser son Motown dans les orties. Freda est terriblement savoureuse. Et dans «Mama’s Gone», on retrouve le filet mélodique du «Patches» de General Johnson. 

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             Dernier shoot d’Invictus en 1973 avec Reaching Out. Elle attaque l’album avec une belle Soul de sexe chaud, à l’image de la pochette. Corps de rêve. Toute l’A est consacrée au sexe chaud. Les affaires reprennent en B avec «We’re Gotta Find A Way Back To Love», big Soul de prestige, tout est là, l’ambiance, le swing, la voix, la classe, c’est à se damner pour l’éternité. Elle reste dans la Soul de satin jaune avec «Rainy Days & Mondays» - Rainy days & mondays/ Always get me down - Avec Freda, le trio Holland/Dozier/Holland tenait une très grande artiste. Elle tape à la suite dans l’«If You Go Away» de Jacques Brel, elle en fait une version honorable mais pas aussi définitive que celle de Scott Walker. Elle le chante pourtant à pleine gorge. Elle finit en classic Motown Sound avec «Right Back Where I Started From», elle tape ça au gros popotin, à la suprêmo des Supremes, Freda fait sa Ross quand elle veut, avec tout le gros chien de sa petite chienne.

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             Quand Freda quitte Invictus en 1973, elle signe avec ABC/Dunhill Records à Los Angeles. Lamont Dozier débarque aussi chez ABC et y enregistre deux albums, Out Here On My Own et Black Bach. McKinley Jackson produit le premier album de Freda chez ABC, Payne & Pleasure et bien sûr, Lamont Dozier compose pour elle des hits magiques, comme l’«It’s Yours To Have» d’ouverture de balda. Une vraie merveille de Soul californienne et on peut faire confiance à Freda, elle sait monter au front. On la voit encore défendre sa Soul pied à pied dans «Didn’t I Tell You», elle reste systématiquement dans le haut de gamme. À voir la pochette, on pourrait penser que Freda est tombée dans le panneau des Diskö Queens, pas du tout, elle tape des fantastiques balladifs de Soul, comme cet «I Get Carried Away» dûment violonné par McKinley Jackson. Grosse présence effective, avec un son différent de celui de Motown. Lamont Dozier compose aussi «Don’t Wanna Be Left Out», une belle Soul de grande insistance, elle ne s’accorde aucun répit, la Freda - Don’t wanna be left out/ in the cold baby - Encore un fantastique balladif en B avec «I Won’t Last A Day», elle chante par dessus les toits de la Californie et elle termine cet album magnifique avec l’«A Song For You» de Tonton Leon, elle le jazze comme le ferait Sarah Vaughan, elle ruisselle de feeling, elle est hallucinante de virtuosité vocale. 

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             L’année suivante, elle enregistre Out Of Payne Comes Love. Le hit de l’album se trouve en B : «(See Me) One Last Time», un slowah d’inspiration divine, avec des accents de Jimmy Webb et des attaques qui renvoient à «Tell Me Like It Is». L’autre gros coup de l’album est un r’n’b signé Ashford & Simpson, «Keep It Coming». C’est quasi-Stax, pas de problème, elle est dessus, elle est au-devant du mix. «You» vaut aussi pour un joli You d’inspiration divine. On reste ici dans la Soul classique de Detroit, c’est très beau, très pur, à l’image de ce God bless you. Avec «Lost In Love», elle tape un groove de good time music. Freda est l’artiste parfaite, intense quand il le faut et apte à groover sur Coconut Beach. Elle termine avec une shoot de Soul pop très sophistiquée, «Million Dollar Horse», une Soul pop très ambitieuse, qui ne mégote pas sur les investissements qui ne recule devant aucun obstacle. C’est très Jimmy Webb comme projet, elle capte l’attention, et elle impressionne au plus haut point.

             Puis Freda se retrouve devant un sacré dilemme : on lui propose deux contrats, l’un chez Philadelphia International Records avec Gamble & Huff et l’autre chez Capitol. Le premier a les O’Jays, Harold Melvin & The Blue Notes, The Third Degrees, le deuxième a Nathalie Cole, le Steve Miller Band, Glen Campbell, Paul McCartney & Wings et Frank Sinatra. En plus Capitol propose plus de blé, alors Freda va chez Capitol. Sacrée Freda, elle a fini par apprendre à ne pas perdre le Nord.

    Signé : Cazengler, peigne-cul

    Marc Bego & Freda Payne. Band Of Gold. Yorkshire Publishing 2021

    Freda Payne. Band Of Gold. Invictus 1970

    Freda Payne. Contact. Invictus 1971

    Freda Payne. Reaching Out. Invictus 1973

    Freda Payne. Payne & Pleasure. Dunhill 1974

    Freda Payne. Out Of Payne Comes Love. ABC Records 1975

     

     

    Talking ‘Bout My Generation - Part Six

     

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             La Suissesse Lily Moe est en couve du n°20 de Rockabilly Generation. Très beaux tatouages. Comme toujours, l’icono qui fait la loi dans ce canard nous en met plein la vue. L’esthétique rockab est l’une des dernières grandes esthétiques du rock system et c’est bien qu’un petit canard puisse la célébrer en lui donnant autant de place. En plus des tatouages, Lily Moe a deux très beaux albums under the belt.

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             Ça swingue chez Lily Moe & The Barnyard Stompers ! On peut même parler de big swing action, elle chante à la revancharde, elle te tombe dessus au dancing show, elle peut faire sa gutturale et passer comme une lettre dans ta poste. Il faut la voir se mettre en pétard dans «Ripple The Tripple» ! C’est avec «Hey Little Boy» qu’elle trouve sa distance et les Barnyard Stompers swinguent comme des bêtes de bop, alors elle est en confiance, et encore plus en confiance dans «Ho Ho Ho», un vrai chaudron de swing. Les Stompers tapent un instro de swing faramineux avec «Baked Potatoes». Avec «Why Don’t You Hold Me Back», ils passent au swing de jazz, et cette fabuleuse poulette tatouée s’y colle, avec tout le chien de sa petite chienne, ouaf-ouaf-ouaf-ouaf ! Elle passe au wild drive de fifties sound avec «I’m A Wine Drinker», elle ne lâche rien, elle croque la vie à belles dents et plus loin, on la voit charger la barque du heavy jump avec «Mama He Treats Your Daughter Mean», elle s’y plaint, son mec se conduit mal avec elle - Mama he takes my money - elle a raison de se plaindre, des fois les mecs sont des vrais cons, alors elle perd la boule, he drives me crazy.

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             En 2018, Miss Lily Moe enregistre un deuxième album, Wine Is Fine. Joli titre. Mais attention au gros nez rouge. Dès «Daddy You Can’t Come Back», elle swingue son swing au boo boo ! Avec ses deux étoiles tatouées sur les épaules, Lily Moe est une grande dame du swing, elle y va au doux d’entre-deux, suivie par un solo de sax. Encore du pur jus de swing avec «Rockin’ On A Saturday Night». Elle règne sur son petit empire de groove de swing, rocking with my babe, grosse énergie ! Solo de jazz swing, et la pauvre Lily sonne comme une cerise perdue là-haut sur le gâtö. Tout sur cet album est à la fois ultra-joué et ultra-chanté. Elle revient à son cher swing avec «Sammy The Rabbit», elle est partout à l’intérieur du cut, elle chante au petit sucre candy. Encore une petite merveille avec le morceau titre, elle nage dans l’excellence du wine, elle te swingue tout ça au retour de manivelle. Elle termine avec un «Find Me A Baby Tonight» assez engagé, elle perd le raw mais tape ça aux fusées de baby tonight.

             On retrouve Marlow le marlou en couve du n°21 de Rockabilly Generation. Il y raconte à tombeau ouvert l’aventure de sa vie, une vie vouée au rock. On ne pourrait pas imaginer plus vouée que cette vie-là, d’autant qu’il la narre au présent, à la manière anglo-saxone, il est dans l’action et le temps de l’action, c’est le présent. Non seulement son voué de vie grouille d’action, mais elle grouille de gens, de projets, de groupes, de concerts, de tous les détails qui font le vrai du voué, un vrai qui ne s’invente pas, alors ça devient palpitant, car c’est extrêmement bien écrit. Tous les fans de rock rêvent d’avoir vécu un tel voué, avec une telle intensité, et le plus spectaculaire, c’est que le présent narratif couvre quasiment cinquante ans, puisque Marlow le marlou débarque à Paname en 1974 - Je quitte la Corse où j’ai grandi pour monter à Paris - Ça démarre presque comme un roman. Tu en as qui longtemps se couchent de bonne heure, et tu en as d’autres qui montent à Paname, ce n’est pas la même chose. Et hop ça part en trombe à coups de Victor Leed, de Golf Drouot, de Crazy Cavan & de Flying Saucers, de rockers de banlieue qui viennent pour la shoote, pif, paf, et pouf, il monte les Rocking Rebels avec Tintin et un copain corse, Jean-Marc Tomi, Marlow cite le noms par rafales, son récit swingue dans le temps et voilà qu’arrivent deux héros, d’abord Jean-Paul Johannes et puis Marc Zermati qui signe les Rebels sur Skydog en 1978.  

             Alors on ressort deux albums des Rockin’ Rebels de l’étagère. Le dommage du premier, paru en 1979, est que Jean-Paul Johannes joue de la basse électrique. Pas de slap. Pire encore, les Rebels ne jouent que du rock’n’roll plan-plan alors qu’ils sont parfaitement capables de swinguer le go cat go. Et bien pire encore : ils ratent l’«One Hand Loose» de Charlie Feathers. Et comme une série noire ne s’arrête jamais en chemin, ils ratent aussi le «Put Your Cat Clothes On» de Carl Perkins. Par contre, c’est avec les deux doigts dans le nez qu’ils swinguent le «Gonna Rock Tonight» des Groovies. Ça mérite un coup de chapeau.

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    Trois ans plus tard, les Rebels passent à autre chose avec 1, 2, 3... Jump ! paru sur Underdog, le label du duo Lamblin/Zermati. Jump est un album de swing phé-no-mé-nal. Et quand on a dit ça, on n’a encore rien dit. Dès «Loli Lola», Jean-Paul Johannes drive le bop sur sa stand-up. Les Rebels affichent un côté très Boris Vian, ils savent aussi jazzer leur java comme le montre l’excellent «Hoodoo». Même s’ils sortent un son très commercial, très early sixties, c’est en place et diablement bon. Il faut voir ce dingue de Joannes swinguer son bop ! S’ensuit un «Bleu Comme Jean» incroyablement groovy et mal chanté. Mais l’album est solide, les thèmes varient, tiens, voilà «A Kiss From New Orleans» et une nouvelle leçon de swing. Jean-Paul Joannes et JJ Bonnet constituent une section rythmique de rêve. On l’entend encore le Joannes faire des gammes dans «Gallupin’». Et ça repart de plus belle en B avec un «Hey Bon Temps» mal chanté mais swingué jusqu’à l’oss de l’ass. «Cinq Chats de Gouttière» sonne très Chaussettes Noires, mais Joannes nous slappe ça sec au saucisson sec. Ils shootent un gros fix de New Orleans barrelhouse dans «Bim Bam Ring A Leavio» et jivent «Preacher Ring The Bell» comme des bêtes de Gévaudan. Et ils swinguent à la vie à la mort jusqu’au bout de la B, avec «Dansez Dansez» et «Bop Jump And Run».

             Et vroom, ça repart de plus belle avec de nouvelles rafales de noms, Jerry Dixie, Victor Leeds, le Alligators et Vince Taylor, des affiches de vieux concerts qui font rêver. Ah le temps de l’abondance ! Et puis nouvelle rafale avec Matchbox, Shakin’ Stevens et les Stray Cats, 1981 et l’élection de François Mitterrand, Brian Setzer le virtuose que l’on sait, puis nouvelles rafales de dates, tournées à travers la France, avec Marlow le Marlou, ça ne s’arrête jamais, et ça reste passionnant. À travers son histoire, il raconte la vraie histoire de France, les pannes, les salles, les Olympias, les premières parties, les sonorisateurs, les ovations, il ne manque rien, on a même les 10 000 personnes du Palais d’Hiver de Lyon, on est content pour les Rebels et pour Marc qui avait cru en eux. Et ça repart de plus belle avec Jackie Lee Cochran, Best et Rock&Folk, vroom vroom, Serge Gainsbourg, Sonny Fisher, Big Beat, alors t’as qu’à voir ! Et puis les télés, toutes ces vieilles émission de télé, Marlow le marlou envoie de nouvelles rafales, puis d’autres encore avec des producteurs, des test pressings, du show biz à tire-larigot, du Blanc-Francard, et des radios, bien sûr en veux-tu en voilà, puis il nous embarque dans l’épisode Betty & The Bops, mélange knock-outant de Ted Benoît et de Betty Olson. C’est là qu’il devient Tony Marlow

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             Alors on ressort vite fait Hot Wheels On The Trail de l’étagère. L’album date de 2005. C’est Betty qui slappe et qui chante. On sent la réalité du son dès «Hound Dog On My Trail». Tony Sasia bat son bord de caisse. Ils passent aux choses sérieuses avec «You Better Run». C’est plutôt wild avec un petit côté banlieue bien ficelé. Marlow le marlou passe un killer solo flash, il en a la carrure, il sait jouer au dératé. Quand Betty reprend le lead au slap avec «Go Cat Go», le marlou joue en clair derrière. Le niveau va hélas baisser pendant une petite série de cuts, mais ils font un retour en force avec «The Memphis Train» et sa belle dégringolade de basse à la Bill Black. Comme Marcel, Betty chauffe, on peut lui faire confiance, et soudain, le marlou rentre dans le lard du Train avec un solo demented are go. On reste dans l’énormité avec un «All I Can Do Is Cry» claqué au big riffing de marloubard. C’est encore une fois slappé derrière les oreilles et saturé de big sound. Il faut voir le marlou swinguer la cabane ! Betty et ses amis ne font pas n’importe quoi, sur ce mighty label Sfax. Et paf, voilà la cover définitive : «Please Don’t Touch». Betty rentre dans le lard du Kidd avec une niaque héroïque. Côté son et esprit, c’est absolument parfait. Ils font aussi une reprise du «Tear It Up» de Johnny Burnette. Betty la prend comme il faut, à la bonne franquette et boucle l’affaire avec «Bop Little Baby». Elle y va sans se poser de questions et le marlou sonne bien le tocsin du riff raff. On peut dire que ça shake en blanc.

             Et ça repart de plus belle avec la reformation des Rockin’ Rebels et Skydog, Elvis, Graceland, voyage initiatique, puis Bandits Mancho, Marlow le marlou ne s’accorde aucun répit et c’est tant mieux pour nous. Tout s’emballe encore avec Rockers Kulture et les fameuses compiles, six en tout, concerts à la Boule Noire et au New Morning et comme il le dit si bien, du jamais vu en France ! C’est effectivement un épisode mythique car il est le seul depuis Big Beat à avoir su donner un cadre à la culture rockab en France, une culture si vivace, et ça embraye aussi sec sur Johnny Kidd et le tribute band K’Ptain Kidd, puis Marlow Rider et Alicia F, vroom vroom !  

    Signé : Cazengler, dégénéré.

    Rockabilly Generation. N°20 - Janvier Février Mars 2022

    Rockabilly Generation. N°21 - Avril Mai Juin 2022

    Miss Lily Moe. Wine Is Fine. Rhythm Bomb Records 2018

    Lily Moe & The Barnyard Stompers. Rhythm Bomb Records 2013

    Betty And The Bops. Hot Wheels On The Trail. Sfax CD 06. Sfax Records 2005

     

     

    L’avenir du rock

    - De l’or en Des Barres (Part One)

     

             Quand on lui demande s’il existe une limite d’âge en matière de rock, l’avenir du rock éclate de rire. Pour ne pas blesser son interlocuteur qui visiblement n’a jamais rien compris, il répond que c’est comme avec Tintin, ça concerne tout le monde, «de 7 à 77 ans», et s’il lui faut argumenter, alors il cite en vrac le Moulinsart total de Scriabine, les Dupontificaux de la causalité  terminologique, la Castafiore du Castle Face de John Dwyer, le Rastapopoulos Bitchos de la vie, le Capitaine (hello Damie) Haddrock me baby/ Rock me all nite long, Milou Reed on the wild side, and the colored girls go Doo do doo do doo do do doo, l’Alcazar du Back In The USSR, you don’t know how lucky you are boy, le Yeah Yeah Yéti, she loves you, yeah, yeah, yeah, le Tchang Guy de check it out, baby, le Tournesol-La de la montée d’accords sur «My Generation», why don’t you all f-f-f-f-f-fade away, la chute de Szut dans le stock de coke et son patch Keefy-Ziggy, Ziggy played guitar Jamming good with Weird and Gilly, oh et puis Rackhamala Fa Fa Fa aux frontières du free et de la flibuste, I’m the man/ for you, baby/ Yeah I am, Abdallah La La Means I Love You, all I know is/ La la la la la la la la la means I love you, le Nestor de Blaise que n’en déplaise à Suter, Muskar XII de baby you can drive my kar, le Lampion des lampistes aux étoiles de Starman waiting in the sky/ He’d like to come and meet us, le Figueira qui ne figure que dans les Cigares d’Edgar du Nord, and that’s just about the death of a/ Like I mean/ Electric citizen, et le Müller des symphonies inachevées, le Rascar Capac de Race with the Devil, move hot-rod move man,  le professeur Calys des Fleur de Lys, you say you love me but you don’t know why, le Chiquito jolie fleur de banlieue, le fakir de Kih-Oskh qui chante Phil Ochs sur sa planche à clous, et puis dans le même rayon d’action surnaturelle, le lama Foudre Bénie qui lévite à la moindre alerte sonique, l’encore plus allumé Grand Prêtre Huascarbonisateur d’offrandes humaines au dieu du Soleil, Sun Ra, Philippulus le Prophète aérolithe qui annonce au mégaphone l’apocalypse selon Jaz Coleman, les frères Loiseau qui Licornent la brocante de l’art total sur fond de Big Bird, open up the sky/ Cause I’m coming up to you, le boucher Sanzot qu’appelle l’Iggy-No-Fun de maybe call Sanzot on the telephone, le Colonel Sponsz qui éponge les dirty sponges de Misty White Satin, l’Allan vital du cargo cat go,  voyez-vous lance l’avenir du rock en guise de conclusion, il y a de la place pour tout le monde, surtout pour les vieux marquis de 74 ans ! 

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             Il fait bien sûr allusion à Michael Des Barres. Ce vieux marquis appartient à l’élite des survivants. D’où la quintessence de sa présence. Il a eu plus de chance que certains de ses collègues glamsters. Lou Reed et Bowie ont cassé leurs vieilles pipes en bois. Michael Des Barres continue de rocker la médina. Ça fait cinquante ans qu’il rocke. And what a rocker ! Peu de gens peuvent se prévaloir d’un pedigree qui repose à la fois sur le glam et Steve Jones. Qui se souvient de Silverhead, un groupe glam emmené sur la route de la gloire en 1972 par Michael Des Barres, fils unique du Marquis Philip Des Barres ?

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             Un nommé J. Elvis Weinstein vient de lui consacrer un bon vieux docu, Who Do You Want Me To Be. On peut même le choper sur DVD. C’est la façon idéale d’entrer dans l’histoire du petit marquis glam. Weisntein a choisi d’ancrer l’histoire dans l’Histoire, puisqu’il démarre sur la bataille de Bouvines en 1214 où le premier Marquis Des Barres affronte aux côtés de Philippe Auguste une coalition anglo-prussienne. Michael Des Barres est donc the 26th Marquis Des Barres. Son père Phillip tourne mal et va moisir au trou, la mère est partie en goguette, alors le jeune Michael est élevé chez des filles de joie, puis il va se retrouver à l’âge de 8 ans dans une English Public School. Dans l’aristocratie, dit-il, tout est prévu et financé à l’avance.

             Avant d’entrer dans la caste des survivants, il appartient déjà à une autre élite, celle des enfants prodiges qu’on envoyait tourner des petits rôles devant les caméras. Comme Steve Marriott en Angleterre et deux Standells (Larry Tamblyn et Dick Dodd) aux États-Unis, Michael devient ce que les Britanniques appellent un child actor et il va continuer de faire du cinéma toute sa vie. Il est l’un des rares veinards à pouvoir prétendre mener des carrières à succès à la fois dans le rock et dans le cinéma. Il connaîtra une forme de célébrité relative en jouant le rôle de Murdoc dans la série MacGyver, mais ce n’est pas notre propos.

             Quand il arrive à Londres dans les mid-sixties, il se fout du rock. Il veut juste baiser - I want to fuck ! - Puis il décide de devenir une rock star et on le voit bientôt dans les canards, torse nu avec un collier de chien. La parenté avec Iggy saute aux yeux. A lot of sex. D’ailleurs il tient le même discours qu’Iggy dans Vive Le Rock : «J’ai 74 ans, une taille de jeune homme, tous mes cheveux, une garde-robe fantastique, une très belle femme et une maison spectaculaire.» Gerry Ranson est ébloui par ce Brit aristocrat qui a «vécu the life of a Hollywood star for the best part of fifty years.»

             Comme le fait Ranson dans son article, le docu déroule la vie du petit marquis. C’est Andrew Lloyd Webber qui lui donne sa première chance en finançant Silverhead. Le futur Blondie Nigel Harrison y joue de la basse. Deux albums et un troisième inachevé.

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             En 2016, Cherry Red réédite le fameux Live At The Rainbow de Silverhead et ajoute à la suite un autre Live datant aussi de 1973. On sent un souffle dès «Hello New York». Le guitariste s’appelle Red Rock Davies. Le groupe se situe à la croisée des chemins, quelque part entre le gros son américain des seventies et les Faces, mais des Faces qui seraient américanisés. Le petit marquis va chercher des intonations de caïman. C’est un rock sans histoires, monté sur du big riff raff. «Rolling With My Baby» vaut largement le détour, c’est joué au sliding d’Amérique et drivé à l’énergie maximaliste, le tout étant saupoudré d’une pincée de démesure perverse et d’un soupçon de débauche. On retrouve les mêmes cuts dans le second live. Silverhead se veut glammy mais peine à l’être. De toute évidence, ils n’inventent pas le fil à couper le beurre. Mais ils font preuve d’une belle opiniâtreté, leur opiniâtreté est même un modèle du genre. Ils jouent «Bright Light» au heavy romp et ça accroche bien, on se croirait de retour dans la cour du lycée, dans les années soixante-dix, au temps où on vantait les mérites de groupes anglais à des mecs qui s’en foutaient. Ouuh yeah, Michael Des Barres introduit «16 And Savaged» avec un ton menaçant. Il lance sa cavalcade de heavy rock à l’assaut du ciel, mais la ruine en l’interrompant brutalement.

             C’est lors d’une tournée américaine que le petit marquis rencontre Miss Pamela. Coup de foudre. Mais il doit divorcer de son épouse anglaise qu’on voit d’ailleurs dans le docu. Silverhead splitte et le divin marquis lance un nouveau projet, Detective, avec l’ex-Steppenwolf Michael Monarch et l’ex-Yes Tony kaye. Ils sont sur Swan Song et Jimmy Page produit le premier album.

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             Par miracle, un petit label ressort en 2016 un live de Detective, occasion inespérée de goûter une fois de plus au fruit défendu que fut leur stomp. «Get Enough Love» est en effet un pur stomp à l’Anglaise, bien plus puissant que celui de Mick Ralph dans Bad Co. Michael Monarch le joue comme un dieu. Leur défaut consiste à jouer des cuts interminables qui durent parfois cinq ou six minutes. «Detective Man» sonne comme du gros rock anglais de type Faces, c’est chanté dans la force de l’âge avec une belle puissance de feu. Ce groupe savait se montrer flamboyant, récurrent et astringent, une vraie purge de nectar d’avatar. Ce mec Monarch se montrait encore irrésistible dans «Grim Reaper» et «Fever». Detective stompait un rock tragiquement classique.

             «Then I went in San Francisco and saw the Sex Pistols. It changed my life.» Il lance un nouveau projet, Chequered Past avec Clem Burke et Frank Infante de Blondie, son vieux sbire Niguel Harrison et Steve Jones. Tony Sales vient très vite remplacer Infante. Bon on reviendra sur tout ça dans un Part Two. Même chose pour les trois premiers albums solo du divin marquis. Cette fois, on va juste se focaliser sur son dernier album solo, The Key To The Universe, paru en 2015.

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             Joli en retour en force ! Il ne perd rien de sa superbe glammy et de sa niaque aristocratique, comme on le constate à l’écoute d’«I Can’t Get You Off My Mind». Il semble même plus enragé qu’avant. Il fulmine. Ça tourne à la grosse explosion d’encadrement. Quel son ! Le divin marquis se jette à fond dans l’expression d’un glam cockney. Avec «Room Full Of Angels», on goûte à l’ultra-puissance du descendu de guitares voraces et ça part en heavy-duty balladif. Le divin marquis a toujours eu un sens aigu du son, ne l’oublions pas. Il ressort sa grosse cocotte pour «I Want Love To Punch Me In The Face». Pas de quartier pour les canards boiteux. Le divin marquis hante son château avec une belle persuasion glam. C’est un bonheur que de l’entendre jouer. Tous les exégètes devraient se jeter aux pieds de cet homme. Il sait tout faire à la perfe : les solos, les envois, les envies et les envols. On reste dans le haut de gamme avec «Maybe Means Nothing». Il prend le claqué au supérieur et on note l’excellence de l’emprise du chant. C’est d’un classicisme extravagant. On tombe plus loin sur un «Yesterday’s Casanova» visité par des flots de lumière. Le divin marquis nous plonge dans une sorte de chaos d’épouvante. Excellent, d’autant que cette masse dégouline de fuites de guitare. Grosse attaque pour «Black Sheep Are Beautiful», certainement l’une des attaques du siècle. Le divin marquis percute comme un beau diable. Il groove comme un démon de bréviaire et chante comme Steve Marriott. 

    Signé : Cazengler, complètement barré

    Silverhead. Live At The Rainbow London. Cherry Red 2016

    Detective. Live From The Atlantic Studios. HNE recordings 2016

    Michael Des Barres. The Key To The Universe.  FOD Records 2015

    1. Elvis Weinstein. Michael Des Barres. Who Do You Want Me To Be. DVD 2020

    Gerry Ranson : Some like it hot. Vive Le Rock # 89 - 2022

     

     

    Inside the goldmine

    - La pierre de Rozetta

     

             La première chose qu’on t’apprend, c’est à te servir d’une machette : jamais tailler de front, taille de biais, tu vois comme ça, tchac, tchac ! Ta vie dépend de ta machette, donc graisse bien ta lame et prends soin du tranchant. Ensuite, si un serpent te mord, ouvre une plaie autour de la morsure et aspire le sang aussi vite que tu peux. Ta vie dépend de ta vitesse à réagir. Ensuite, si tu traverses un cours d’eau boueuse, fais passer le guide ou ta femme avant, car tu ne vois pas le caïman, mais lui il te voit. Équipement léger, nécessaire de survie, boussole, carte sommaire, et hop c’est parti ! Direction le cœur de la jungle, vers la mystérieuse cité du Haut-Xingu, plein Nord, tchac tchac ! Au début on est tout content, mais ça tourne vite à la galère. Putains d’insectes ! Tu passes ton temps à écraser ces putains de bestioles qui se faufilent par les manches et par l’encolure de la vareuse. C’est-y pas Dieu possible un pays pareil ! Une semaine, deux semaines, trois semaines passent avec le sentiment d’avancer à la vitesse d’un escargot, tchac tchac ! Ça n’en finit pas. Tout ça pour une soit-disant cité mystérieuse découverte au XVIIIe siècle par un soit-disant explorateur portugais ! Mon cul ! Quatrième semaine. Tchac tchac ! Effectivement, les caïmans sont énormes dans le coin. Celui qu’on a vu a chopé le guide, woaurffff, alors on fait demi-tour et on cherche un autre passage. Putain, ce monstre fait au moins cinq mètres de long, il faudrait un bazooka pour le dégommer. Bon, tout ça n’arrange pas nos affaires. On trouve un autre passage, mais au-dessus d’un petit ravin. Pas génial, surtout quand on a le vertige. Il faut tailler des arbustes pour fabriquer une sorte de passerelle. Tchac tchac ! On l’attache avec des lianes. C’est vraiment un coup à se casser la gueule. Mais bon, c’est ça ou le caïman de cinq mètres. Alors on ne se pose même pas la question. Évidemment, celui qui teste la passerelle fait les frais de l’opération, il se casse la gueule en poussant un cri, comme dans les films. C’est vraiment nul. Alors c’est pas compliqué, le choix est vite fait : soit le caïman de cinq mètres, soit demi-tour et retour au bercail. On vote à main levée. Qui veut continuer ? Le chef de l’expé lève la main. L’enfoiré ! Tchac tchac ! On lui coupe les deux mains, comme ça, il ne peut plus voter. Qui veut rentrer ? On lève tous la main. Donc on rentre. Fuck la cité mystérieuse ! Encore trois ou quatre semaines de galère pourrie et d’insectes et on pourra caler son cul dans un bon fauteuil au sec pour écouter Rozetta Johnson. Mmmmmmm...

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             Rozetta Johnson nous vient d’Alabama et si ses singles sont devenus légendaires, la raison en est bien simple : les compos sont signées Sam Dees. Dans le booklet qui accompagne la compile A Woman’s Way (The Complete Rozetta Johnson 1963-1975), Rozetta qui s’appelle en réalité Roszetta, raconte sa vie très simplement : un peu d’église, puis un peu de club au flanc à Birmingham, puis elle est repérée et pressentie pour les Supremes, puis Sam Dees, puis zéro royalties, puis elle jette l’éponge, reprend ses études, diplôme de sociologie, puis mariage, puis mari qui dit fini les clubs, alors fini les clubs, puis secrétariat pendant 23 ans, la durée du mariage, puis divorce, puis retour à la liberté.

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             Rozetta Johnson travaille sa Soul au corps, un peu comme Aretha, elle cultive le psychodrame de la Soul de manière plutôt intense. Dans «I’ve Come Too Far With You», elle pousse des pointes et derrière les mecs font des chœurs de rêve, believe me when I say. Cette Rozetta stone couine par-dessus les toits, elle chante du ventre, au pussy power. Elle travaille sa Soul au corps, elle semble redoubler de power lorsqu’elle est amoureuse. Il y a d’ailleurs deux versions d’«I’ve Come Too Far With You» une en ouverture de bal et l’autre en fermeture. Si on veut du sexe, alors il faut écouter «Willow Weep For Me», un heavy blues dégueulasse, elle se plonge de façon démente dans la bauge du génie, et lorsqu’elle gueule sa sexualité, on décolle. Les nappes d’orgue exacerbent le sexe. Le weep for me est un vrai jus de bite. Autre coup de génie avec «I Understand My Man», elle navigue au gré du pire heavy blues de l’univers, elle est tellement explosive qu’elle redore le blason du Soul Genius. Elle casse encore la baraque avec «Personal Woman». Elle se positionne au départ de tout, elle est en permanence dans la permanence, elle dans l’Aretha, elle est dans le foin, dans la cime, elle est partout, elle pousse des hey hey comme Aretha et d’ailleurs, dans «It’s Been So Nice», elle expecte du respect, comme Aretah - Respect together - On la voit aussi entrer dans un son plus profond, plus hip-hop avec «How Can You Lose Something You Never Had», mais elle reprend vite le contrôle, elle est urbaine et libre dans la ville des mecs à casquettes.

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             Avec Rozetta, tout est toujours nickel. Elle y va sans se poser de questions, elle connaît toutes les ficelles du hey hey hey et du c’mon baby. Elle refait sa Aretha avec «Can’t You Just See Me», elle est parfaitement à l’aise dans ce rôle, elle dispose du même genre de niaque, un truc qui n’appartient qu’aux petites Soul Sisters, cette façon qu’elles ont de gueuler en secouant les hanches. Encore de la fantastique allure avec «To Love Somebody». Elle est bonne dans toutes les positions, ce qui n’est pas peu dire. Comme si elle faisait tout mieux que personne. Retour au sexe pur avec «(I Love Making That) Early Morning Love». La petite coquine aime le cul à l’aube, elle y va via le via-groove reggae, c’est cousu mais comme c’est bon. Et si on aime bien le raw r’n’b, alors Rozetta nous gâte, elle fait son shoo shoo et son chain chain dans «Chained & Bound» et du raw primitif avec «Mama Was A Bad Seed» - She said loney honey - C’est tellement primitif que ça devient énorme. Elle chante son «You Better Keep What You Got» au sommet du dancing strut, dans une incroyable promiscuité, elle ne recule devant rien, c’est flamboyant ! On va de surprise en surprise, c’est une chose certaine. On trouve aussi deux versions d’«I Can Feel My Love Coming Down». Cette compile est un panier de crabes aux pinces d’or. Rozetta rentre dans le lard de chaque cut comme dans du beurre, elle doit être la première surprise d’être autant éclaboussée de lumière. Elle rôde sans fin dans les coulisses du génie. Elle se jette sans discuter dans toutes les fournaises. Elle ramène du power en permanence, avec «It’s Nice To Know You», elle devient la reine de la Soul Kent, elle pulse ça du ventre, sa Soul est un truc à part, il faut le savoir. Elle est dans l’omniscience de l’omnipotence, il suffit d’écouter «That Hurts» pour le comprendre. Elle va vite et repart de plus belle avec «Mine Was Real», elle se projette dans l’essor incomparable, elle est partout dans ses cuts, son r’n’b n’en finit plus d’éclater au firmament de la sharpitude, bienvenue au paradigme du peuple noir ! Elle illumine tout automatiquement. La Soul de «Who Are You Gonna Love» est tragique et sentimentale à la fois, c’est d’une pureté à peine croyable.

    Signé : Cazengler, Rozette de Lyon

    Rozetta Johnson. A Woman’s Way (The Complete Rozetta Johnson 1963-1975). Kent Soul 2016

     

    *

    La Teuf-teuf 2 roule allègrement vers le lac d’Orient, non elle n’ira pas tremper ses roues  dans l’onde réparatrice, l’a mieux à faire, elle veut voir l’exposition de voitures anciennes et les Harley du Bootleggers Club, quand Billy   concocte un concert de rockabilly, il n’oublie pas les ingrédients mécaniques qui vont avec, je suis aussi pressé que la Teuf-teuf, de revoir les copains du 3 B, deux longues années, depuis le confinement… Vous décris pas les retrouvailles l’on file direct aux trois concerts du soir.

     

    ROCK ‘N’ ROLL PARTY II

    18 / 06 / 2022

    LA GRANGE

    LUSIGNY-SUR-BARSE ( 10 )

     

    THE FUL MOON CATS

    Dans le triangle des Bermudes ce ne sont pas les trois sommets du triangle qui sont dangereux – encore que cela se discute, nous y reviendrons - mais c’est de se trouver au centre de la zone de grand péril. C’est exactement la même chose dans le rockabilly. Sommet du haut, Stéphane derrière sa batterie Gretsch, dans sa robe blanche elle semble aussi radieuse que la colombe de l’immaculée conception. Quand il s’y colle ça tourne au noir grabuge. Certains pensent qu’un bon batteur est là pour donner le rythme, ne vous inquiétez pas il sait le faire, mais il rajoute un paquet cadeau, le son, la tonitruance qui apporte l’ampleur du désastre.

    En bas à gauche Pascal, l’a le cœur aussi rouge et saignant que sa double-basse, slappe comme un madurle, un fou-furieux, un mec méthodique qui accomplit son devoir sans faillir, les âmes naïves demanderont pourquoi il assure avec tant de hargne le shclack-schlak-shclak typique de la rythmique rockabilly, alors qu’il y a déjà un batteur, justement braves gens parce que le Stéphane lui il bâtit le volume, alors Pascal il joue le rôle du pendule fatidique qui à chaque frappe sonne le tocsin du destin.

    En bas à droite la Gretsch de Sacha. Pas le genre de mec qui attend son heure pour sortir le solo qui tue et qui met tout le monde d’accord, sa guitare se colle à la contrebasse et ne la quitte pas, une course de formule 1 avec deux pilotes en tête, qui roulent côte à côte, se regardent de temps en temps et repartent encore plus rapidement. Pour pallier les caprices de l’acoustique je me permets de me déplacer dans la salle afin de discerner lequel des deux mord sur l’autre, aucun des deux, le résultat n’est pas probant, de véritables frères siamois.

    Bref trois cats sur le toit brûlant d’un soir de pleine lune. Comme les trois mousquetaires, survient le quatrième, Charly à la guitare rythmique et au chant. C’est cet aspect qui nous intéresse, comment un chat peut-il parvenir à se faire entendre avec le boucan qu’entretiennent ses trois acolytes, ses trois aérolithes. Très bien, très facilement. L’a sa technique à lui, il ne chante pas en anglais, il ne chante pas en français – mais oui il chante dans les deux langues, mais il chante surtout en idiome rock, l’a une manière bien à lui, de poser les mots, sa voix un peu haut perchée mais point trop, juste un tantinet acérée et pointue comme la lame d’un cran d’arrêt manié avec tant de dextérité qu’il taille dans la couenne du lard du rock ‘n’roll des morceaux saignants de barbaques délicieuses. Pour le répertoire, ne cherchent pas la rareté ultime, utilisent les classiques, et vous les ressortent en même temps totalement reconnaissables et si hardiment relookés que vous croyez les entendre pour la première fois. Un seul exemple, Twenty fligth rock interprété en français avec une telle fougue et une telle pertinence que vous ne voyez pas la différence avec par exemple le Mystery train entonné en sa langue originale. Le Charly est un grand Monsieur, s’est approprié le vocal rock ‘n’roll et vous le sert direct avec le costume trois pièces qu’il a redessiné à sa façon.

    Les trois spadassins derrière ferraillent sans désemparer, Pascal étreint de sa main gauche le manche de sa up-right bass comme s’il était en train d’étrangler un cobra, vous zèbre de sa seconde main le corps de la pauvre bête de coups tranchants. Sachez que Sacha n’est guère ému, de sa guitare il découpe le corps vivant du reptile en rondelles qu’il vous retourne sur la braise de son jeu, prêtes à être consommées par un public affamé. Derrière Stéphane vous emballe les parts et nous distribue sans relâche les hosties rockabillyennes imbibées du venin du rock ‘n’ roll. 

    Viennent du sud, les nordistes estabousiés de tant de savoir-faire et d’originalité, leur dressent une ovation enthousiaste.

    T BECKER TRIO

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    Did, Tof – ne confondez pas avec Titeuf – et Axel sont alignés sur le devant de la scène, non leur batteur n’est pas en retard, ils n’en ont pas. Z’ont du culot, après la tempête force 10 que nous venons de subir, de se présenter sans force d’appoint, ou alors ils sont totalement crétins, il semble que cette dernière hypothèse soit la bonne, ce n’est pas moi qui le dis, c’est Tof au micro qui nous prévient, non ils ne sont pas un groupe de rockabilly, sont juste des amateurs de hillbilly, la musique des péquenots.

    Pas de panique, ils sont en pays de connaisseurs, qui ne préjugent pas et qui ne demandent qu’à entendre, même si le trio cherche la difficulté, ce qui est déjà un plus, en proposant une set-list principalement basée sur leurs compositions originales.

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    Sur notre droite, Axel ne slappe pas comme un dément, caresse sa big mama doucement, donne l’impression de jouer non pas de la musique mais du mime, suit les paroles que chante Tof, sans avoir trop l’air de croire à leur message, transcrit toutes les émotions par d’imperceptible changements d’attitude, ne peut pas rester trente secondes sans qu’un sourire s’épanouisse sur sa figure. De la musique populaire qui existait avant l’explosion du rock ‘n’roll, il incarne une certaine naïveté des classes les plus humbles, elles pensent que le cœur sur la main est la seule arme qui puisse s’opposer à la méchanceté du monde.

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    Tof est d’un autre calibre. L’est plus près non pas du western swing mais de ce que nous appellerons le western bop, le bop est une musique instable, l’est de la même nature que la nitroglycérine, celui qui se charge de manipuler un de ces deux produits, doit être sûr de lui, et Tof est doué, n’en fait pas trop, ne cherche point à atteindre le point de déséquilibre, son chant navigue à vue, fait attention à ne pas éperonner le rocher du rock et encore moins à se perdre dans les eaux paisibles de la facilité. Vous captive, vous séduit, l’est un funambule qui avance courageusement, et le fil ne manque jamais sous ses pieds.

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    Did est à la lead. C’est vrai et c’est faux. Un guitariste qui ne joue pas au matamore, pas de brillance, égrène les notes une par une, mais l’on se rend compte qu’il compose dans sa tête, développe une structure subtile, l’est un peu le cube de base dont l’assise impose la stabilité des autres que l’on empile sur son aire, ne court pas après le riff pimpant, recherche les harmoniques, procède un peu d’une esthétique jazz, à plusieurs reprises il m’a semblé entendre des échos, des saveurs, du jeu de Charlie Christian.

    Trois artistes de sensibilité différente, mais ils parviennent non pas à coexister pacifiquement, mais à s’interpénétrer, à s’épauler, à s’entraider, à produire un son captivant, unifié, neuf, qui a saisi l’assistance. Sont magnifiquement applaudis.

    Dans la livraison 562 nous chroniquerons leur premier CD.

    ( Photos : Gisèle Doudement )

    THE FUZZY DICE

    Dans la série l’on prend les mêmes et l’on ne recommence pas. Ne manque que Charlie. Ce coup-ci c’est le triangle des Bermudes sans personne dedans. Zone noire particulièrement dangereuse. Pascal nous fait la surprise, certes il maltraite toujours sa contrebasse, la slappe sans pitié. On n’en attendait pas moins de lui. Je ne vous refais pas le dessin. S’empare du vocal et ne le lâchera pas une seule fois. Quelle voix, dès qu’il aborde Please don’t leave me s’échappe de son larynx un orage de goudron gloomy aussi dur, aussi épais qu’une grêle de plaques d’égouts, son timbre traduit toutes les noirceurs et toute la hargne de l’âme humaine. 

    Sacha ne le suit plus comme son double, impulse son propre jeu, certes il doit rester à la hauteur du torrent dévastateur de Pascal, et il ne s’en prive pas, mais selon sa propre partition sonique, cette fois la guitare se distingue, elle hausse le ton, elle gronde, elle fait le  gros dos, ses notes se hérissent à la manière d’un tigre qui feule avant l’attaque, certes Pascal ne lui laisse pas le temps de faire son numéro, mais Sacha en rajoute, pas des tonnes, entre deux morceaux, pas plus de trois secondes, mais ce minuscule laps de temps lui suffit pour lâcher deux, trois notes vibratoires qui atteignent à une densité extraordinaire, ou alors quand un morceau est terminé, qu’il n’est plus que de l’histoire ancienne que l’on se prépare au suivant, il plaque sur ses cordes une intumescence sonore aussi destructrice qu’un missile. Vous transcende la forme pure et parfaite du rockab en lui conférant une force extraordinaire.

    Stéphane a changé le son de sa batterie, moins de tonitruance, des coups explosifs, plus secs, plus raides. L’est comme un cuisinier sur son piano qui boute le feu à deux plats différents, l’on dirait qu’il a partagé fûts et cymbales en deux, cette partie-ci pour Pascal, cette-là pour Sacha. Ça tonne de tous les côtés, toutes voiles dehors en pleine tempête.

    Pascal en appelle aux vieux hymnes des Teddies ( boys & girls ), ça claque, ça chamboule, ça remue méchant, une version de The Train kept a rollin s’avère être une interminable apothéose. Z’ont la rage, ce qui se passe devient monstrueux, un ouragan emporte tout son passage, on essaie de varier les morceaux s’exclame Pascal, si l’on veut, disons que si celui-ci ressemble à une tornade qui remonte une rue en détruisant les maisons du côté droit, le suivant est la même tornade qui fait demi-tour pour raser les immeubles du côté gauche, ce qui se passe ensuite n’est même pas un rappel, le groupe ne peut plus s’arrêter, Pascal pousse un hurlement ininterrompu de plus de deux minutes et Sacha ne joue plus du rockab, se transforme en guitariste de metal, respecte le séquençage habituel du rockab, mais ses doigts, sa position sur les cordes, cette manière de les remonter en les égrenant, sont et viennent d’ailleurs, l’on danse sur scène et l’on crie dans le public, le rock emporte tout, faudra encore cinq morceaux plus un tout dernier pour juguler la folie…

    Un dernier merci à Billy pour cette mémorable soirée. On eût aimé un peu plus de monde, les absents ont toujours tort.

    Damie Chad.

    Attention : une deuxième chronique sur Rock’n’roll Party II sera publiée au mois de septembre.

     

    BURNING SISTER

    MILE HIGH DOWNER RIGHT ROCK

    Mile High est le surnom de la ville de Denver, qui comme chacun sait est la capitale du Colorado et qui est située exactement à un mile d’altitude soit mille six cent neuf mètres. Ce n’est pas cette particularité qui m’a attiré vers Burning Sister de Denver. Mais un groupe qui se réclame de Blue Cheer, de Mountain, de West Bruce and Laing, d’Hawkind, des Stooges, du MC5 et de quelques autres du même acabit accapare d’un seul coup tout mon capital de sympathie avant même d’en avoir écouté une seule note.

    A la première vidéo, je n’ai pas été déçu, enfin si, pas par eux mais pour les voisins, répètent dans le salon d’un appartement avec le son qui pousse les murs. J’en ai conclu que les habitants de Denver doivent être de bonne composition ou sans exception des amateurs de rock bruyant.

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    Sont trois. Drake est aux guitares, Steve au chant, au synthé et à la basse. Quant à Alison il ne m’étonne pas qu’ils aient pris la précaution de la cacher derrière la batterie, trop belle avec ses longs cheveux blonds, un sourire radieux, sur la photo où elle porte son bébé sur le dos, le bambin est ravi d’avoir une si jolie maman.

    N'ont publié qu’un EP et deux singles.

    BURNING SISTER / BURNING SISTER

     (Décembre 2020)

    Couve d’Armon Barrows, Art teacher et graphiste à temps perdu, un tour sur son instagram et son site vous permettra de visualiser nombre de dessins et de peintures. La pochette est à l’image de sa fantaisie, proche de la bande dessinée, Burning Sister, sourire aux lèvres revolver (ô my pistol packing mama ) et poignard en mains s’attaque gaillardement à ce pauvre diable qui n’en demandait pas tant,

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    Path destroyer : bruissement assourdi, ondulations de basse, sautillements de cymbales, de très loin le vol du faucon d’un riff majestueux se pose sans douceur, les couches de guitares se superposent, va falloir appliquer la méthode stratigraphique des archéologues, la frappe lourde nous évite toutes ces minuties, la voix de Steve nous demande d’ouvrir notre esprit, à coups de caisse lourde Alison nous bouche toutes les issues de secours, ère nouvelle   la basse de Steve chantonne, Drake bouscule cette oasis d’un riff caterpillar, et l’on s’achemine doucement vers la fin sans se presser. Lord of nothing : guitare moelleuse, attention à ce qui se cache par-dessous et cette batterie qui roule comme si elle se promenait sur une route départementale alors qu’elle se dirige vers l’abîme du néant, le riff taille droit sa route, semble aller   directo mais l’est formé de mille rigoles qui nécessiteraient un plus grand nombre d’oreilles, encore une fois ces vaguelettes de basse alors que par-dessus volent des mouettes qui soudainement se transforment en un immense stégosaure qui continue son voyage au loin sans se soucier de nous. Maelstrom : entrée de riffs courts empilés comme les cubes d’un jeu de construction qui ne demande qu’à s’écrouler, Alison tape le pas d’un géant débonnaire qui avance imperturbablement, sait où il va et le riff qui l’accompagne nous avertit du danger, qu’importe monte-t-on ou descend-on, est-ce le cratère béant d’un volcan ou la bouche d’ombre tournoyante de l’enfer, pour le savoir il faut écouter ce que chuchotent les instruments, ne pas rester obnubilé par leur déploiement, révèlent bien des secrets mais s’arrangent pour que l’on ne s’en aperçoive pas. Instrumental qui joue pour lui, pour l’ouïe fine. Burning sister : morceau éponyme, la sister Alison trébuche le rythme sur ses tambours et Drake parle d’elle, pas besoin de nous faire un dessin, les cordes peuvent se démener tout ce qu’elles veulent, l’on n'entend qu’elle. Pour le riff quand il se déploie, pas de problème on le suivrait au milieu des flammes de l’enfer. Ils le savent, font durer le plaisir, lui coupent même les ailes pour qu’il ralentisse encore. Faux-semblant maintenant comme le paon il déploie sa roue ocellée et le morceau prend une couleur creamique surprenante. Oblivinot :  dans la même veine que la fin du précédent, l’on agite l’éventail du riff en douceur exaltée, Alison tape des œufs d’autruches si fort, que le silence retentit, nous avons vu le riff du côté face, on vous le refait côté pile, démarche riffique cubique, mettre à plat toutes les facettes, silence on reprend, vous avez cru tout voir, l’on peut vous en montrer encore, l’on s’enfonce dans les aîtres de la beauté, ce morceau est  un diamant brut, le plus terrible c’est que quand ils arrêtent l’on est sûr qu’ils en ont encore sous la pédale.

             Z’ont le doom tranquillou, on ne se prend pas la tête, de temps en temps l’on n’oublie pas de chanter un peu pour que ça paraisse plus sérieux, et leur pattern de base est très simple, ne jamais mettre les bœufs rapides devant la charrue travailleuse, tant pis pour les tempi, ils visent l’excellence, le papillon qui s’extrait de sa chrysalide et qui enfin déploie ses ailes flamboyantes.

    ACID NIGHT VISION

    ( Vidéo YT /Novembre 2021)

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    Sont pas fous, z’ont mis Alison sur la couve et si vous regardez  l’officiel vidéo elle se démultiplie en trois, alors que la basse court de tous les côtés comme la fourmilière sur laquelle vous avez marchée, ensuite ça tournoie, les images et la musique, un miroir d’eau coulissant, une flaque d’eau mutante, une drache rimbaldienne agitée, pareil pour le riff se transforme en gerbes d’étincelles qui partent dans tous les sens, surtout les interdits qui sont les plus tentants, les images se stabilisent, enfin vous apercevez des formes, celle d’un homme qui bouge les bras, qui ne sont pas les siens, des trucages du tout premier âge du cinéma, mais mal faits, la grâce surannée des choses passées dirait Verlaine, l’est sûr que les montées d’acide vous dévoilent le monde d’une autre manière, l’image tourbillonne et le riff se stroboscope à la manière d’un ectoplasme qui a mis les doigts dans la prise, l’herbe pousse à l’envers et la musique ondule comme des algues agitées par un courant souterrain, comment dire : il semblerait que la musique éprouve des décollements de rétines, maintenant vous la regardez et vous écoutez les images, la batterie gouttège, le reste nage sur le dos, la guitare rame, le clavier coule, la tapisserie se décolle du mur et ses motifs incompréhensibles se mélangent, peut-être sont-ce le songe des lames de plaquettes microscopiques de plasma sanguin atteint de la danse de saint Guy, Drake croit qu’il chante, le pauvre il ne sait pas qu’il miaule, qu’il est perdu pour l’humanité, mais pas pour nous, surtout que maintenant fini le cinéma gris, l’on passe aux couleurs lysergiques, des signes cabalistiques à vous faire tomber en catalepsie dansent dans votre conduit auditif, et le gars de tout à l’heure qui se démenait comme s’il veillait à l’atterrissage des aéronefs sur le pont d’un porte-avions a pris des couleurs, colle au riff de si près qu’à chaque fois qu’il devient plus violent  il se rapproche de vous, s’il continue va sauter hors de l’image et squatter votre figure, le riff vous avertit, il barrit comme un éléphant pris dans un incendie, au 14 juillet de votre enfance vous en voyiez de toutes les couleurs, le beau jaune d’or et le rose flamant, redescendrions-nous sur notre planète, ces découpages colorés ne serait-ce pas les pièces d’un puzzle qui assemblées devraient ressembler à un orchestre de rock, oui c’est sûr les silhouettes des deux guys, la batterie d’Alison, elle l’absente de tous bouquets, et cette guitare inouïe qui pousse vers les orties de la folie, un point final en suspension, le petit bonhomme qui fait semblant de jouer au tennis fonce vers vos pupilles. Retour de l’image de départ, Alison, peut-être pour nous dire que la beauté existe aussi sur terre.

             Plus psychédélique, tu meurs. Rock synesthésique.

    CLOVEN TONGUES

    ( Vidéo YT /  Février 2022 )

    Le monde est vraiment petit, ce titre est sur la compilation de Cave Dweller Music où la semaine dernière nous avons trouvé The Sun le deuxième titre de Thumos issu des chutes de The Republic. Même type de vidéo que la précédente.

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    Ecran noir et geyser d’eau bleue qui retombe, l’on se croirait dans un de ces innombrables poèmes symbolistes sur les jets d’eau des fontaines qui s’élèvent vers le ciel idéal pour hélas retourner à la lourdeur de la terre, notre interprétation pas si gratuite et hasardeuse qu’il y pourrai paraître, nous voici apparemment dans un parc, l’on distingue un escalier, des feuillages, une ombre mouvante, si c’en est une dans cette obscurité bleutée, la musique passe-partout sur ses premières notes se teinte de noir, l’atmosphère s’appesantit, vocal inquiétant, serait-ce un déluge, l’eau coule, les gouttelettes qui dessinent des cercles concentriques  dans les bassins de marbre échappés des poèmes de La cité des eaux  d’Henri de Régnier, sont-elles devenues des rivières, effet ou rêve d’optique, maintenant l’on aperçoit une blanche limousine stationnée dans le jardin de cette propriété que l’on imagine en vieux manoir mystérieux,  vite effacée par l’eau  qui coule de partout, peut-être simplement un gros plan sur ces vieilles tuyauteries des jardins d’antan terminées en cols de cygne, bec de bronze ouverts et moussus, changement subit d’esthétique, nous étions en plein dix-neuvième siècle, nous voici en plein art moderne, fond bleu ripolin, avec projection spectrographiques de quelques gouttes d’eau filmées pour les mettre en équation mathématiques, dans le but de ne rien perdre de l’expérience, le fond d’écran change de temps en temps de couleur, revoici l’escalier ruisselant surmonté de sa vasque et de son mini jet d’eau, pour que le décor soit plus romantique à la manière d’Anna de Noailles, l’on a rajouté un vase de fleurs coupées, l’on en oublie la musique, à peine sa souvenance est-elle venue à notre mémoire qu’elle s’efface accaparée par cette forme blanchâtre qui se déplace, l’on pense à la silhouette de la Dame Blanche tandis que son regard se perd sur quelque chose d’indistinct dans un fond d’eau, dans la noirceur quelque chose d’inidentifiable bouge, voici qu’apparaît un de ces masques grimaçants, ces gueules ouvertes d’aegipans barbus qui crachaient  l’eau des fontaines par leur bouche, yeux peints si expressifs que le visage paraît vivant, la caméra prend du large, quelque chose se déplace, l’on ne croit pas à un rayon lunaire, un autre visage apparaît, la vitre de la caméra s’écrase sur elle, retour de la séquence moderniste avec son coloriage moins criard que la première fois, la musique en profite pour revenir dans le champ du regard, nos sens sont pervertis, maintenant elle prend de l’importance, le riff gargouille, il grouille sur lui-même, il s’illumine, il reprend des couleurs, ne nous laissons pas distraire, dans le parc encore une fois, victime d’une hallucination, ce jaillissement d’eau qui prend l’apparence d’un petit homme, d’une espèce de pantin qui ne fait que passer, dernière gerbe d’eau jaillissante, le son se dégonfle la vidéo se termine comme elle commence, l’image triple puis unitaire de burning sister blanche sur fond noir, tandis que la musique agonise, des éclairs de lumière bleue s’amusent à simplifier la blancheur de sa silhouette, la voici réduite à une gerbe d’écume bleue, notre burning sister serait-elle une ondine que nos bras ne sauraient saisir…

    Une drôle d’expérience cette écoute qui se transforme en regard. Notre perception de la réalité ne serait-elle qu’un sentier possible parmi d’autres, comme si de temps en temps à la fourche d’un chemin une autre approche du monde nous serait proposée, que nous refuserions d’essayer par peur de changer nos habitudes. Déstabilisant.

    LEATHER MISTRESS

    ( FB / 2021 )

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    De nombreuses vidéos sur leur FB, des bouts d’essais, des extraits qui la plupart du temps ne durent que quelques secondes. Nous avons choisi celle-ci de presque sept minutes. Sont chez eux, à contre-jour, par la grande baie vitrée nous apercevons arbres et buissons, nous sommes vraisemblablement à la campagne. Est-ce un sampleur qui bruite ou des doigts qui s’amusent sur un keyboard, Drake est pratiquement invisible relégué sur le côté gauche de l’écran, jouent au jeu du homard, prenez un riff et portez-le à ébullition à feu doux, attention le jeu consiste à ce qu’il ne meure pas, le riff doit se perpétuer, aussi longtemps par exemple qu’une phrase de Marcel Proust, faut avoir l’esprit inventif et chacun se doit de participer hautement à l’action, très instructif sur l’état des recherches de Burning Sister, ne visent pas la rapidité, z’ont le doom paisible, mais ile le dorent à l’or brut ou à l’étain fondu de mille pyrotechniques, pire qu’un film d’actions dont les séquences s’entremêleraient lors de la projection, c’est un peu l’écoute bonneteau, vous avez trois timbales mais seulement deux oreilles pour écouter le bruit de la mer qu’elles recèlent quand vous appliquez vos conduits auditifs à suivre la musique. Je vous souhaite bien du plaisir. Vous êtes sûrs de perdre  à chaque coup.

    Damie Chad.

     

    HEY YOU !

    ALICIA F !

    ( Official Vidéo / 02 - 06 – 2022 YT )

    L’était toute fière Alicia de prévenir que sa première vidéo officielle allait voir le jour. Y avait de quoi, certes elle est courte, deux misérables minutes trente-deux minuscules secondes, mais l’effet j’y vais yatagan sans mettre les gants est garanti, sabre de samouraï aïe ! aïe ! aïe !

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    Fond noir, en rouge ce n’est pas le logo du sacré cœur de Jésus, mais le cœur d’Alicia transpercé du poignard du rock ‘n’ roll. Profitez des trois innocentes secondes qui suivent, une main introduit une cassette dans un lecteur. Si vous ne supportez pas les émotions violentes, vous arrêtez tout de suite et vous zieutez Les 101 dalmatiens de Disney… Vous refusez ce conseil damie, alors je vous le fais le plus cool possible.

    Pas grand-chose, Alicia qui chante devant un rideau de garage, entrecoupé de vues du concert au Quartier Général du 06 mai ( le mois où il est autorisé depuis 1968 de faire tout ce qui déplaît aux autres ) 2022. Voilà, c’est tout, vaquez à vos occupations favorites, allez en paix. Vous voulez davantage, tant pis pour vous.

    Donc une mise en scène minimaliste. La caméra commence par le bout des boots, d’Alicia évidemment, remonte très vite d’une caresse tout du long pour s’arrêter sur son visage. C’est le moment de méditer : comment l’Histoire se serait-elle déroulée si au lieu d’être piquée par un redoutable aspic ce fût Cléopâtre qui d’un coup de dent aurait tranché la tête du reptile répugnant, puis l’aurait recraché et écrasé sous son talon. Vous n’en savez rien, moi non plus. Mais c’est exactement l’effet venimeux que produit Alicia quand elle entonne son texte. One, two, three, four, contrairement à Cap Canaveral quand la fusée Titan remplie de carburant explosif décolle, elle le répète deux fois, question mise à feu, vous pouvez être tranquille avec Alicia ( F comme flamme ) elle n’oublie pas, respiration, sur scène avec ses trois spadassins, nouvelle séquence de non-repos, elle agite ses cheveux et vous perce de ses yeux verts de vipère, baissez les paupières pour ne pas voir ses lèvres rouges, chaque fois qu’elle ouvre sa bouche sanglante, vous avez l’impression que panthère Alicia ( F comme férocité )  vient de vous arracher un morceau de chair, refrain pour mettre un frein, l’on en profite pour admirer le profil étrusque de Tony Marlow et la guitare Pistol Packin’ Mama de Matthieu Drapeau Blanc Moreau, notre incendiaire préférée revient, cette fois elle affiche un ton sardonique et ses mains se meuvent tels les serpents de la chevelure de Méduse, sur le solo du Marlou qui file fort, elle se fait rare, perversité de fille qui sait que l’absence aiguise le désir, mais Alicia ( F comme furie ) surgit encore plus violente, elle vous repousse des mains et termine d’un coup mortel de savate porté sur vos maxillaires.

    Ouf, c’est terminé, vous comptez et recomptez vos dents sur le trottoir, c’est tellement bon que vous remettez le clip au début. Alicia ! ( F comme fatidique ).

    Damie Chad.

     

    *

    Denys n’était pas sur le marché la semaine dernière, camion en panne, pour se faire pardonner il m’accueille avec le sourire des bonnes occases, un truc pour toi Damie, rock’n’roll bien sûr, du bout de son étalage il agite un livre, trop loin pour reconnaître le type pris en gros plan sur la couve, l’a une grosse tête de vieux sage dont les yeux sont cachés par d’énormes lunettes noires, je ne le reconnaîtrai qu’en lisant le titre :

    FLASHBACK ACIDE

    PHILIPPE MANŒUVRE

    ( Robert Laffont / Octobre 2021 )

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    Waouah ! ( ainsi parlent mes zaratoutouextras ), la tronche ! l’a vieilli le mec, on ne peut pas lui en vouloir, ce style de facétie arrive à beaucoup de monde, voyons quel genre de message l’ancien directeur de Rock & Folk tient à délivrer au monde de la piétaille rock. Commence par raconter les reproches d’un lecteur déçu par son précédent bouquin, Rock… ( je n’ai pas lu ) qu’il n’a pas trouvé assez rock ‘n’ roll ! Un comble !  Cette fois, il promet de se lâcher, de la sainte trilogie il s’épanchera sur le deuxième terme le plus litigieux chez les pères-la-morale, drug, la drogue comme l’on disait dans les seventies pour ceux qui ne comprennaient pas l’anglais.

    Petit aparté : le sujet me fait peur. J’en ai lu des pages et des pages de rock stars qui racontent leur addiction, je vous résume le topo, un soir que j’étais un peu fatigué un copain m’a refilé du truc, c’était super, j’étais devenu un surhomme, tout me paraissait facile, j’étais en pleine forme, avant il me fallait huit heures pour achever la lecture d’une oiseuse chronic de Damie Chad, et là en dix minutes j’en lisais quatre, c’est après que c’est devenu plus difficile et plus cher car, j’avais besoin d’une tonne du truc pour comprendre les quatre premières lignes…

    Ben, Phillipe l’est comme les autres, Manoeuvre à la godille pour s’en sortir, car tonnerre de Thor il s’en sort, l’est maintenant plus clean qu’un kleenex encore emballé dans sa boîte. Vingt ans d’addiction et hop grâce à un champignon mexicain, il se soigne tout seul comme un grand, pourtant avec sa copine Virginie ils étaient sur la mauvaise Despentes.

    J’avoue qu’à la fin du troisième chapitre je suis en surdose, j’ai dépassé le coma éthylique de l’ennui profond, dans ma tête je cherche dans la liste de mes ennemis à qui je vais refiler le bouquin, oui je suis un être profondément vicieux, l’instinct du rocker me sauve, avant d’abandonner le book je tourne la page du quatrième chapitre, et le miracle du champignon du pays de Quetzalcoatl s’accomplit, un seul mot du titre me tire de ma léthargie, en une fraction de seconde mon esprit s’illumine, je suis aussi clean qu’une clinique aseptisée, je ne sais si tous les Kr’tntreaders le méritent, mais je refile, oui je suis aussi un mec intensément généreux, la formule magique, très simple, un mot de deux syllabes Lemmy !

    C’est le côté un tantinet énervant du Philman, faut qu’il se mette un peu ( beaucoup ) en avant, nous parle un max de lui et un peu de Lemmy : mais il en dresse un beau portrait, l’a rencontré à maintes reprises, l’on suit ainsi sa carrière, mais décrit surtout l’homme, tout d’une pièce, un mec entier, mais pas dupe, ni des autres, ni de son personnage, ni de lui-même…

    Je suis requinqué, comme à l’armée je rempile pour trois ans, n’exagérons rien, trois chapitres suffiront. L’on commence par la visite du Musée de la drogue en Suisse et se termine par la Convention du LSD dans le pays où les banques et les coffres-forts paissent en paix dans d’opulents pâturages. C’est bien raconté, avec humour, idéal pour ceux qui n’ont pas vécu les voyageuses sixties aux States, z’apprendront des tas de noms – names droppin’ is his job – je m’incline respectueusement devant l’édition de Moonchild d’Aleister Crowley dont nous chroniqué la traduction française de Philippe Pissier dans notre livraison 537 du 13 / 01 / 2022… Je fatigue un peu, notre auteur doit s’en douter alors entre les deux tranches du pain il glisse un beau morceau de jambon bon. David Bowie. Nous surfe le coup de toutes les fois où il l’a interviewé, certes c’est intéressant comme tout ce qui touche à Bowie, les fans aimeront mais au final le portrait de Bowie n’est pas aussi fin que celui de Lemmy. L’homme est métamorphose, changeant, Manœuvre ne détache pas les yeux de ses avatars successifs, mais le marionnettiste de ce théâtre d’ombres chatoyantes lui échappe.

    Le nouveau quatrième chapitre ( le huitième pour ceux qui ont des difficultés en math ) se profile à l’horizon, souhaitons qu’il soit aussi réussi que celui de Lemmy. C’est que des rockers aussi essentiels que Lemmy ça ne court pas les rues. Ne tremblez pas, le Philman en connaît un, pas n’importe lequel, un personnage essentiel du rock ‘n’ roll, classe internationale. En plus il est français. Vous l’avez deviné. Marc Zermati. Manœuvre lui dresse un bel hommage. Une statue chriséléphantine, de celles dont les anciens grecs honoraient les Dieux, Manœuvre  raconte sa vie comme une légende que les enfants écoutent bouche bée, il conte le héros, ses exploits mythiques et ses blessures humaines. Trop humaines. Les mêmes que les nôtres.

    Clean d’œil ! Evidemment Philman est clean depuis vingt ans, donc il fume du truc herbeux depuis deux décennies et se rend en Hollande le seul pays qui nourrit ses vaches et ses touristes avec de l’herbe, boulot oblige à la Cannabis Cup. Il s’en sort défoncé à mort…

    Avant-dernier chapitre, un conte qui se termine mal. Une épopée de trois ans, celle des baby rockers. Une de ces histoires dans lesquels l’on est toujours trahi par les siens. Le dernier mouvement d’ampleur rock de la jeunesse française sur laquelle tout le monde est tombé dessus à bras raccourcis. Philman qui fut un des principaux protagonistes la raconte de l’intérieur. Le milieu rock a fait la moue, a agité de faux prétextes de classe, ce sont les enfants de l’élite, c’est sûr qu’ils étaient moins bon que Led Zepe, mais là n’était pas la question. La réponse est donnée avec les conséquences de la fin de l’aventure, beaucoup de ces jeunes travaillent aujourd’hui dans la musique… à l’étranger… et le boulevard qui a été ouvert au rap national…

    Un dernier chapitre, l’arraisonnement du rocker par la technologie l’aurait titré Heidegger, Philman en générationnelle sonic fashion victim, un peu le même cancer qui mine certains courants du rockabilly, ceux qui recherchent le son de l’époque 55, ou 56, ou 58, sachez apprécier la différence, mais à l’envers, ceux qui ont écouté le rock ‘n’ roll le nez sur les vitrines des vendeurs de chaîne stéréo, Philman les a toutes essayées de la deutcholle pourave aux engins intergalactiques du dernier cri, jusqu’au jour où il s’est aperçu qu’il n’existait rien de mieux que le vinyle, n’ose pas dire que son ancien teppaz, mais il devrait, je pense que l’on peut écouter un disque de rock sur n’importe quel engin, de toutes les manières vous avez votre cerveau qui sert d’équaliseur, réceptionne le son qui entre  dans votre oreille et illico vous le reduplique à l’identique du son originel du rock, celui qui vous a commotionné la première fois  dans votre adolescence, ce que vous entendez c’est le son qu’ a emmagasiné  et que reproduit votre cortex reptilien, celui de votre jeunesse, celui qui vous empêche de vieillir. La seule drogue de jouvence disponible sur le marché intérieur.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 554 : KR'TNT 554 : JORDAN / SAINTS / JOHN PAUL KEITH / KEVIN JUNIOR + CHAMBER STRINGS / MARLOW RIDER / AIICIA F ! / KREATIONIST

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 554

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    12 / 05 / 2022

     

    JORDAN / SAINTS

    JOHN PAUL KEITH / KEVIN JUNIOR + CHAMBER STRINGS

    MARLOW RIDER / ALICIA F !

    KREATIONIST

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 554

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :  http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Jordan franchit le Jourdain

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             Aujourd’hui, on la vénère. Jadis, elle foutait les chocottes. Jordan fut la vendeuse d’une petite boutique de fringues située tout au bout de King’s Road, un coin qu’on appelle World’s end. En 1976, le NME nous expliquait que les Sex Pistols s’étaient formés dans cette boutique de fringues, alors on s’y rendait rituellement, mais on n’osait pas entrer, à cause de cette grosse blonde qui ne semblait pas aimable. Au-dessus de la vitrine minuscule était accroché le mot SEX en très grosses lettres de vinyle rose, hautes d’environ un mètre. Jordan se tenait adossée dans l’entrée, maquillée de noir, vêtue de noir, et portait un brassard nazi. Pour être tout à fait honnête, on se sentait un peu largué. On ne voyait pas la relation qui pouvait exister entre le punk-rock et les gadgets fétichistes que vendait Jordan dans cette échoppe perdue au milieu de nulle part. SEX se situait très exactement dans l’esthétique des boutiques spécialisées qu’on voit encore aujourd’hui à Pigalle.  

             Jordan vient tout juste de casser sa pipe en bois. Aussi allons-nous lui rendre hommage, car c’est elle la vraie punk, comme le dit si bien Derek Jarman : «As far as I was concerned, Jordan was the original. Du point de vue de la mode, tout vient d’elle, même Vivienne et la boutique. Sans Jordan, la boutique n’aurait pas marché. She was the original Sex Pistol. Tous ceux qui entraient voyaient comment elle était habillée, voyaient son allure, et tout venait de là. Elle était the Godfather, the Godmother, si vous préférez. She was the purest exemple of all.»

             Alors qu’ailleurs les mouvements naissaient dans des clubs (Greenwich Village puis le CBGB à New York, l’Avalon Ballroom et le Fillmore à San Francisco, le Troubadour et le Whisky A Go-Go à Los Angeles, The Cavern à Liverpool), le London punk trouve son épicentre dans une minuscule boutique de fringues, et c’est bien ce qui rend l’épisode à la fois déroutant et fascinant. Une fois qu’on arrivait devant cette vitrine, on comprenait qu’il ne s’y passait rien. Hormis Jordan adossée dans l’entrée, on ne distinguait pas grand monde à l’intérieur, à peine quelques clients, et un mec derrière le comptoir, Michael Collins. Le punk était à l’image de cette boutique, une bulle, une ephemera, et pourtant, le London punk allait secouer la vieille Angleterre encore plus violemment que ne l’avaient fait auparavant les Rolling Stones.

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             On connaît Jordan sous trois noms : Pamela Rooke (son nom de jeune fille), Jordan Mooney (son nom de Jordan mariée), et Jordan tout court. Deux ans avant sa malencontreuse disparition, elle avait publié son autobio, un gros book fortement recommandé, car comme on l’a souvent constaté, ce sont les seconds couteaux qui font la véritable histoire du rock. Jordan raconte l’histoire du London punk de l’intérieur, c’est-à-dire de derrière le comptoir de SEX, et c’est passionnant. Est-il bien utile de rappeler que le London punk (1976/1977) fut le dernier grand spasme de l’histoire du rock ? Le book a pour titre Defying Gravity: Jordan’s Story. Vu que la couverture s’orne d’un portrait de Jordan avec un sein à l’air, on croit que c’est ce sein qui défie les lois de la gravité. Pas du tout, Jordan explique vers la fin de son récit qu’adolescente, elle dansait pour défier les lois de la gravité. Oui, elle a commencé comme ballerine. Le book est gorgé de photos superbes et sexy, notamment celle que reprend l’illusse, où on la voit déambuler sur King’s Road vêtue d’un T-Shirt FUCK et d’une jupe transparente.

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             Dans son book, Jordan fout plus le paquet sur la mode que sur la musique. Pour elle, les fringues que fabriquait Vivienne Westwood marchaient de pair avec le son révolutionnaire des Pistols. Le premier concert qu’elle voit quand elle est ado, ce sont les Faces à Edmonton - dressed in satin and ostrich feathers - Elle ne s’étend pas trop sur le son, mais elle flashe sur le look de Rod The Mod - His look was kind of viable - Elle rappelle qu’on pouvait acheter ce genre de fringues chez Biba, à Londres.   

             Pour une poignée de lycéens français, le Londres des années 70 était la Mecque : les disques, les concerts, les gonzesses, les rues, tout y était parfait. Kensington Market (plus que Biba) pour les fringues, Rock On et Goldborne Road pour les disques, le Marquee pour les concerts, et pour draguer, les discothèques, où on dansait sur du glam et où les filles était faciles. Les séjours londoniens étaient d’une densité à peine croyable, surtout quand les groupes punk ont commencé à jouer partout en 1976.

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             Pamela se rebaptise Jordan en 1973. Elle s’inspire de Jordan Baker, l’un des personnages de Gatsby le Magnifique, roman culte de Francis Scott Fitzgerald.       

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             Dans ce gros book, les rois de la fête sont bien sûr Malcolm McLaren et sa compagne Vivienne Westwood. Jordan les qualifie d’unlikely couple, c’est-à-dire de couple pas comme les autres - L’une des grandes énigmes, à mes yeux et aux yeux de tous ceux avec qui j’ai parlé pendant la rédaction de ce livre, c’était ce couple : comment deux personnalités aussi opposées avaient-elles réussi à former un couple ? - Au début, la boutique s’appelait Paradise Garage et appartenait à Trevor Miles. McLaren y vendait quelques disques rachetés sur le Ted Carroll’s Rock On stall in Goldborne Road indoor market. Fin 1971, McLaren et Vivienne reprennent le pas de porte à leur compte. À cette époque, McLaren est obsédé par le rock’n’roll anglais des fifties et notamment Larry Parnes et son écurie de rockers, Billy Fury, Marty Wilde et tous les autres. Il rebaptise la boutique Let It Rock et vend des fringues de teds, jusqu’au moment où il change de cap et rebaptise l’endroit Too Fast To Live Too Young To Die et se met à vendre des cuirs de bikers, des vestes en peau de panthère, des pantalons fuseau et des American zoot suits. Il fait peindre un crâne et deux tibias sur l’enseigne pour que ça ressemble au dos d’un cuir de biker.

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             La boutique attire tous les gens intéressants. Jordan rappelle que Chrissie Hynde bossait at No 430 avant elle et un jour son boyfriend Nick Kent est arrivé dans la boutique pour la frapper à coups de ceinturon : il la soupçonnait de le tromper avec un client de la boutique. Steve Jones fait partie des clients et Jordan énumère ses frasques : vol d’un tuner dans le backstage d’un Roxy Music gig, vol de deux guitares chez Rod the Mod à Winsdor (ce que dément Jonesy dans son autobio, arguant que Windsor était un peu trop loin de Londres pour un petit voleur comme lui), et son plus gros coup nous dit Jordan, c’est le barbotage de toute la PA de Ziggy le soir du concert d’adieu à l’Hammersmith Odeon, en juillet 1973. Parmi les clients de la boutique, on trouve aussi les Dolls, de passage à Londres lors de leur première tournée en 1972. Sylvain Sylvain raconte que son copain d’enfance Billy Murcia avait les poches pleines de mandrax. Sylvain disait à Billy de faire gaffe avec les mandies, et Billy le rassurait en lui disant qu’il les cassait en deux pour n’en prendre qu’une moitié à chaque fois. Après s’être engueulé à l’hôtel avec Johansen, Billy est allé dans une party à Earl’s Court où il a fait un malaise et s’est évanoui. Les gens ont essayé de le ramener à lui mais n’y sont pas parvenus. Sylvain dit que c’est un tragique incident. Marty Thau remit les Dolls dans l’avion avant que les flics ne mettent leur nez dans cette histoire. Comme chacun sait, McLaren va proposer ensuite à Sylvain d’être le frontman des Sex Pistols. Après la fin des Dolls, McLaren et Sylvain passent quelques jours ensemble à la Nouvelle Orleans. Sylvain : «Malcolm était incroyable. Il appelle Allen Tousaint et lui dit que je vais être the next big thing in England,  il me vend à Toussaint et Toussaint croit que Malcolm est Brian Epstein, car il est persuadé que tout ce qu’il dit est vrai.»

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             Quand il revient à Londres en mai 1975, McLaren ramène des idées neuves - A new momentum to push his vision to the limits, nous dit Jordan. Désormais, la boutique s’appelle SEX. Sa réputation grandit. Jordan : «Un groupe de quatre jeunes gens commençait à fréquenter la boutique. Ils s’appelaient tous John. John Beverley, sometimes known as Sid, John Wardle, qui allait devenir Jah Wobble, John Grey et John Lydon qui se distinguait du lot avec ses cheveux teints en vert et son T-shirt Pink Floyd qu’il avait customisé en rajoutant le célèbre «I HATE» au feutre.» Vivienne est plus impressionnée par John Beverly qu’elle voit comme le chanteur des Pistols : «Sid était un type tellement adorable, mais il ne savait pas faire la différence entre le bien et le mal. Il était dangereux, mais si intelligent et drôle. Et manipulateur. Il s’arrangeait toujours pour qu’on l’aime. On ne pouvait pas faire autrement.» Mais McLaren est intrigué par John Lydon. C’est donc lui qu’il invite à venir rencontrer les autres Pistols dans un pub, après la fermeture de la boutique à 7 h. McLaren avait déjà proposé le job de chanteur à Midge Ure, nous dit Jordan, mais, thankfully, Ure n’était pas intéressé.

             Sid va commencer à bosser à la boutique, en remplacement - He was an expert at doing absolutely fuck all - Quand un client lui demandait quelle taille faisait la fringue, il répondait que c’était écrit dessus. Ou le prix ? Il répondait «I dunno. Don’t ask me.»  

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             Quand McLaren organise les premiers concerts des Pistols, c’est principalement l’occasion pour lui d’orchestrer le chaos. Il met en pratique les idées subversives du Situationnisme de Guy Debord, un théoricien du chaos qui le fascine. Jordan raconte le concert au 100 Club en mars 1976 - The gig was a fiasco - John et Glen Matlock s’engueulent, alors John sort de scène en plein milieu d’un cut et McLaren le rattrape à l’arrêt de bus et lui ordonne de remonter sur scène. McLaren évite le split de justesse et le groupe joue le set en entier. Il faut savoir que sur scène, ils répétaient, on les voyait donc essayer des trucs, ça leur venait du cœur, d’où cette colère - Marco Prioni qui assiste à ce concert est conquis : «Ils étaient mon groupe favori, parce que cette attitude n’existait pas auparavant, Rotten’s attitude.» Pour Bertie Marshall, le show des Pistols était un anti-show, tout s’écroulait sur scène. Pour les fins connaisseurs, les Pistols deviennent le real deal. Pas les Clash. Paul Cook : «Les Clash semblaient bien plus manufactured que nous, avec leurs slogans, leurs blousons de cuir, leurs cols relevés et tout ça.» Simon Barker : «Les gens pensaient que les Clash étaient des working-class heroes, mais Jasper Conran leur faisait leurs fringues et Sebastian Coran était leur roadie.» Pour Jordan, les Clash et les Pistols avaient deux styles très différents - J’avais un problème avec les Clash, ils semblaient si nostalgiques, les fringues avec les slogans peints, le chapeau melon de Bernie et les Jackson Pollocks, ils ressemblaient à des décorateurs - Jordan évoque aussi le fameux concert au Chalet du Lac en 1976, au Bois de Boulogne, avec les Damned, les Pink Fairies et Roogalator.

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             Juste avant le fameux festival punk du 100 Club en septembre 1976, McLaren fait signer un contrat aux quatre Pistols. McLaren ramasse 25 % de leurs cachets et 50 % du merch. Glen Matlock veut montrer le contrat à un avocat avant de signer, mais les trois autres signent, donc il signe. En octobre 1976, les Pistols entrent en studio pour enregistrer «Anarchy In The UK». Jonesy est ravi de bosser avec Chris Thomas qui a produit le premier album de Roxy Music. C’est Thomas qui va mettre au point le fameux wall of sound des Pistols.

             Et puis la presse s’empare du phénomène, et ça devient horrible. Paul Cook : «On était dans un restau, un bar d’hôtel et la presse était là. ‘Vas-y Steve, balance ce pot de fleurs !’ Alors Steve le balançait. ‘All right, here you are!’ Et ça faisait la une des journaux le lendemain. ‘Pistols destroy pot. Whooops ! There goes another !’ C’est là que l’histoire s’est transformée en dessin animé. Mais ce n’était plus drôle du tout. C’est même devenu sérieux. On nous tapait dessus. Les Teds et les punks voulaient s’entre-tuer.» 

             Dans le Jordan book, des témoins racontent que Vivienne déclenche les bagarres, elle est tellement bourrée qu’elle ne se rend plus compte de rien - Au Nashville she caused a fight that went on the front cover of Melody Maker, at Andrew Logan’s party, she got punched by John Rotten - She loved it, actually, nous dit Simon Barker - Et tout s’accélère. En janvier 1977, Matlock est viré, remplacé par Sid. Mais comme il ne sait pas jouer, c’est Matlock qui joue en mars pour une audition A&M. Jordan rigole et ajoute : «He was paid a £2,966.68 severance fee.» Paul Cook : «Sid voulait être as outrageous as possible, plus que n’importe qui d’autre. That’s what fucked it up. C’est John qui l’a amené dans les Pistols, il avait un copain dans le groupe and then Sid totally took over and the chaos took over. La tension est montée tout de suite entre Sid et John. Sid trouvait que John n’était pas assez outrageous, qu’il devait être le king punk rocker et semer la chaos partout. Et ce n’est pas ce qu’on voulait à l’époque. C’était même la dernière chose qu’on voulait.»

             McLaren tire bien les ficelles. Jordan : «Le groupe avait reçu £125,000 en six mois (de la part d’EMI et d’A&M), mais ils percevaient toujours un salaire de £40 par semaine.» En mai 1977 les Pistols signent avec Virgin qui verse une avance de £15,000 pour financer l’enregistrement de l’album, suivi de £50,000 un mois plus tard. C’est une pluie d’or.

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             Ce retentissement médiatique est unique dans les annales. Ce groupe parti d’une boutique de fringues de rien du tout génère des profits considérables. Le parallèle avec Elvis s’impose : lui aussi parti de rien, il se met à générer des profits astronomiques. Dans les deux cas, l’explication porte un nom, celui de manager. McLaren pour les Pistols d’un côté, le Colonel Parker pour Elvis de l’autre. Pareil pour Brian Eptein et les Beatles. Ou l’art de faire monter la mayonnaise. Le Colonel Parker choisit the soft way, il séduit l’Amérique des grosses épouses réactionnaires, pareil pour Epstein. McLaren préfère scandaliser la vieille Angleterre.

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             Mais la vieille Angleterre se rebiffe réagit brutalement. La presse anglaise lance une croisade anti-punk : «Punish the punks.» Jordan nous dit qu’un matin Jamie Reid est attaqué au coin de sa rue par des mecs qu’il ne connaît pas : nez et jambe cassés. Le samedi suivant, c’est au tour de John Rotten et de Chris Thomas d’être attaqués près du studio où ils enregistrent. Les mecs crient «We love the queen» et frappent Rotten à coups de machette. McLaren poursuit sa stratégie de sabotage en s’engueulant avec Virgin à propos du choix des titres pour l’album. Il profite de l’occasion pour sortir son bootleg, le fameux Spunk, avec les démos enregistrées par Dave Goodman en 1976. Quand Richard Branson entend parler du bootleg, il précipite la parution de l’album officiel qui sort en octobre 1977. Puis c’est la tournée américaine, et comme le dit si bien Paul Cook, «everything was so fucked-up», avec un Sid qui overdosait aussitôt après le dernier concert à San Francisco.

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             SEX ferme en décembre 1976 et devient Seditionaries en janvier 1977. Vivienne demande à tout le monde de donner un coup de main à coudre et pour Jordan, c’est l’enfer. Elle déteste ça. Alors elle arrive en retard et Vivienne la vire. Quoi ? Jordan n’accepte pas d’être virée et revient. Le principal reproche qu’on fait à Vivienne et à ses fringues, c’est le prix. Elle vend ses fringues extrêmement cher et pour ça, Jordan a un argument : c’est de l’art, donc ça vaut cher - You have to be a genius to make those clothes - En fait, c’est cette énergie de la reconnaissance qui sous-tend tout le book : Jordan est persuadée que Vivienne a du génie et elle se dit fière de bosser pour elle.

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             Et puis voilà l’épisode final de la saga Pistols : The Great Rock’n’Roll Swindle. Questionnée à ce propos, Jordan répond qu’elle ne voulait pas être impliquée dans ce projet - Early on I heard the rumblings of it when it was started to be filmed and it was obviously going to be really shit. There was no way I wanted to be in it - Même chose pour Paul Cook : «Julien Temple a fait The Filth And The Fury, je pense que c’est le meilleur film qu’on ait pu faire sur nous. Mais moins on parle de The Great Rock’n’Roll Swindle, mieux ça vaut. C’est une catastrophe pour le groupe, c’est horrible. John hait se film et il ne supporte pas l’idée d’y avoir été impliqué, ce que je comprends parfaitement.»

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             La deuxième fin de la saga Pistols, c’est celle de Nancy Spungen à New York. Quand elle apprend la nouvelle, Jordan éclate de rire. C’est Vivienne qui la lui donne au téléphone et elles piquent toutes les deux une méchante crise de rire - Nancy had caused so much trouble and bad feeling, it felt like a relief that she had gone - Vivienne fait aussitôt un T-shirt avec la mention : «She’s dead, I’m alive, I’m yours», qu’elle met en vente dans sa boutique. Elle dit aux gens qui lui achètent le T-shirt qu’elle se préoccupe plus de Sid que de Nancy. Quand on lui fait remarquer que ce T-shirt est de mauvais goût, elle répond que c’est logique, vu qu’il est fait pour choquer.

             Après que les cendres soient retombées, Paul Cook et Jonesy songent à redémarrer le groupe : «Quand on composait des chansons sans Glen, ça donnait ‘Bodies’, ‘EMI’, ‘Holidays In The Sun’, aussi on aurait pu faire un great album. Mais il aurait fallu le faire sans Malcolm. On aurait aussi pu le faire sans Sid, car de toute façon, Steve avait joué toutes les parties de basse sur Never Mind, ça n’aurait pas été un problème. On aurait pu le faire tous les trois, John, Steve et moi. Mais on a préféré Malcolm à John. On ne voulait pas revivre ce qu’on avait déjà vécu. John était déjà avec une autre équipe, il était déterminé. Il avait a good band around him.»

             La relation intense qu’entretiennent Jordan et Vivienne sous-tend tout le récit. Quand Jordan tourne dans Jubilee, le film de Derek Jarman, Vivienne le prend très mal. Elle fait un T-shirt qui porte la mention «The most boring and therefore most disgusting film». Un témoin de l’époque pense que Vivienne était assez possessive avec Jordan qui était sa star. Elle ne voulait pas qu’on la lui barbote. Autre illustration : quand Jordan se marie avec Kevin Mooney, Vivienne lui fait un beau cadeau de mariage : virée ! - I’ve got a wedding present for her - the sack ! - Vivienne était outragée par l’idée du mariage. Elle ne pouvait pas accepter l’idée qu’un être aussi singulier que Jordan pût se marier. Trente ans plus tard, Jordan demande à Vivienne pourquoi elle a aussi mal réagi. Vivienne répond qu’elle traversait alors une très mauvaise passe, car McLaren venait de la quitter pour se maquer avec une couturière/designer allemande. C’est là que Vivienne explique qu’elle a vécu un enfer avec McLaren, «a horrible relationship, just leave at that» - I was extremely loyal to him but he just had to hurt you every day - He was an awful, awful person to live with - Quant au mariage proprement dit, Vivienne est contre pour des raison éthiques : «Elle nous a trahi en se mariant. On fait partie des gens qui ne se marient pas. Question de principe. On ne veut pas alimenter le système en acceptant ce type de relation réglementaire. J’étais réellement en colère après toi», dit-elle à Jordan.

             Quand Jordan se marie avec Kevin Mooney qui fut le bassman d’Adam & the Ants, elle se marie aussi avec l’hero. Elle en parle très bien : «Il n’existe rien de plus dangereux. Aux plans  physique comme psychologique, pendant et après. Tu joues avec ta vie chaque fois que tu te shootes. Tu ne sais pas ce qu’il y a dedans. C’est potentiellement létal. L’hero n’est jamais une dope solitaire. Tu trouves toujours quelqu’un qui veut t’initier et qui ensuite te fournir. Il veut rester en ta compagnie quand tu en prends, et ça forme des petits groupes de gens qui meurent quand ils se retrouvent seuls. Leur truc c’est de dire : je vis en enfer, so I want you, you and you to join me. Ce dont je me souviens du junkie time, ce sont des gens terrorisés par la venue de l’aube, terrorisés par la moindre contrainte sur leur vie.» Jordan et Kevin montent un groupe et reçoivent une avance de 50.000 £ de la part du label, qu’ils craquent en dope en moins d’un an - Bought lots of drugs, lots of clothes, lots of things - Et quand ils se sont retrouvés à sec, Kevin a vendu les fringues et les bijoux de Jordan, mais sans le lui dire, prétextant qu’il les faisait mettre à l’abri. Elle découvre le pot aux roses par des gens qui ont vu ses fringues portées par d’autres gens et quand elle en parle à Kevin, il lui répond que ce qui est à elle est à lui. En entendant ça, Jordan comprend qu’elle doit se barrer vite fait pour sauver sa peau. Elle retourne s’installer chez ses parents et ne veut plus entendre parler de ce mec. La première chose qu’elle fait en arrivant, c’est de se désintoxiquer - C’est l’une des choses dont je suis la plus fière : je me suis débarrassée de Kevin et de l’hero en même temps - Dans son élan, elle repense à tous les gens qui lui étaient chers : «Dee Dee Ramone, Johnny Thunders, Jerry Nolan and of course Sid - All died because they could never get away from it. They were stuck

             Vivienne et McLaren apparaîtront une dernière fois ensemble, en tant qu’associés, en 1983, lors d’un défilé de mode. Et Vivienne se barre aussitôt après en Italie avec son nouveau mec, Carlo d’Amario, «au grand chagrin de Malcolm», nous dit Jordan. Après le départ de Vivienne, la boutique de King’s Road est restée fermée pendant un an.

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             Le dernier épisode de la saga McLaren/Vivienne, ce sont les funérailles de McLaren. Quand Vivienne commence à prononcer son discours, Bernie Rhodes l’interrompt brutalement : «Oh shut up Vivienne. It’s always about you.» Jordan se dit choquée par cette intervention. Vivienne répond à Rhodes qu’elle a du mal à mettre ses pensées en ordre et que c’est dur, alors Rhodes répond : «It’s Bernard actually», alors Jordan excédée se lève et lance : «Bernard. You’ve never been Bernard!». L’injure suprême, surtout venant de Jordan. L’anecdote comique des funérailles, c’est le message adressé par Steve Jones et que lit Joe Corré : «Dear Malcolm, as-tu emmené les sous avec toi ? Est-ce qu’ils sont dans le cercueil ? Est-ce que ça t’embête si je viens demain te déterrer pour les récupérer ?»

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             Pour conclure, nous dirons que le book est vraiment bon, Jordan porte un regard sans complaisance sur toute cette histoire extraordinaire. C’est l’un des meilleurs témoignages de cette époque, avec l’autobio de Jonesy (Lonely Boy) et la massive bio de McLaren (The Life & Times Of Malcolm McLaren: The Biography) dont on va reparler incessamment sous très peu.

             Ce texte est pour Jean-Yves. Il me disait l’autre jour qu’il avait eu le courage d’entrer chez SEX, mais qu’il avait peur de Jordan et de se ramasser «un coup de gros nichon». Il voulait juste voir le juke-box.

    Signé : Cazengler, Jordanse avec les loups

    Jordan. Disparue le 3 avril 2022

    Jordan Mooney. Defying Gravity: Jordan’s Story. Omnibus Press 2019

      

    Les Saints à l’air - Part Two

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             Dans la vague d’albums qui a submergé le monde entre 1976 et 1977, se trouvait l’(I’m) Stranded des Saints. Ces albums avaient pour particularité d’être à la fois des premiers albums et d’être des albums géniaux. Allez, tu les connais : Ramones, Heartbreakers, Damned, Sex Pistols, Richard Hell, Television, Clash et tu pouvais foutre tout le reste à la poubelle. Par leur classe et leur agressivité, les Saints étaient un peu les chouchous, avec un son qui s’enracinait dans les Them et les Shadows Of Knight et qui développait en prime une sauvagerie jusque-là inconnue.

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             En fait, le single «(I’m) Stranded» est arrivé un tout petit peu avant, en éclaireur. On en trouvait quelques-uns à Londres. Ho le poids du beat là-dessus ! Le son tombait du ciel. Les Saints jouaient au heavy sludge d’awite. Les awite de Chris Bailey sont restés les plus purs du marigot, avec ceux d’Iggy Stooge. Ce fut un hymne, au même titre que «New Rose», «Anarchy In The UK» et «London’s Burning». Tout ça marchait ensemble. Le rock renaissait de ses cendres. Depuis, on a jamais revécu un tel phénomène. Never ever. Et l’album est arrivé comme un rouleau compresseur, même power que le premier album des Stooges, avec la voix de Chris Bailey à la surface du chaos, un album saturé de wild sound. Même feu sacré, Ed Kuepper joue le wall of sound on fire dans «One Way Street» et puis à la suite il y a cette reprise des Missing Links, «Wild About You», l’emblème du gaga-punk, avec le chant à l’aise et derrière, la fournaise définitive, et des poussées de fièvres qui resteront aux yeux de tous des modèles du genre. Ils bouclaient l’enfer de ce balda avec «Erotic Neurotic», un cut wild and frantic complètement ratatiné par Ed Killer le solo flasheur. Et ça repartait de plus belle en B avec «No Time» et l’une des pires intros de l’histoire des intros, une intro signée Razor Sharp Ed K - Got no time/ For messin’ around - Kym Bradshaw hantait ce fleuve de lave avec un bassmatic innervé. S’ensuivait l’un des meilleurs blasts de l’époque, la reprise du «Kissin’ Cousins» d’Elvis, wild as fuck. Razor Sharp Ed K refaisait des siennes dans «Demolition Girl», encore un claqué de blast dévastateur. Elle portait bien son nom, la Girl, elle démolissait tout. Tout ça se terminait avec une cerise sur le gâtö, «Nights In Venice». Razor Sharp Ed K sonnait exactement comme Ron Asheton, même envie d’en découdre, même volonté de détruire la ville. C’était d’une violence sonique rarement égalée, avec un Razor Sharp Ed K qui grattait sa cocote et qui arrosait an même temps. Napalm fire, baby, comme chez les Stooges, c’mon ! L’ho no de Chris Bailey était une œuvre d’art et l’Ed K n’en finissait plus de nous plonger dans sa bassine de friture. Avec «Night In Venice», les Saints mettaient le chaos K.O.

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             L’idéal pour se faire une idée précise du power des Saints est d’écouter un live. Il en existe  un paru en 2009, le fameux Live At The Pig City Brisbane 2007. C’est un concert de reformation, avec Razor Sharp Ed K, Ivor Hay et Chris Bailey. Attention, ce live est une poudrière, alors éteins ton mégot avant de le lancer. On y retrouve tous les blasts qui ont fait la légende des Saints, à commencer par «No Time» que Chris Bailey présente ainsi : «The last time we played this song here, we got kicked out !». C’est du heavy Saints, fast as fuck. Il amène «Stranded» au one two three four, c’est une bombe, Chris Bailey se prête bien au jeu, il développe ça au c’mon. Ils tapent aussi «This Perfect Day» tiré du deuxième album, Eternally Yours. Pour l’ouverture de bal, ils ont opté pour «Swing For The Crime», tiré de Prehistoric Sounds, joué en mode overdrive de full blast, Chris Bailey tombe du ciel, comme l’aigle sur la belette. Il reste l’un des pères fondateurs du garagisme, avec Van The Man. Il calme un peu le jeu en grattant «The Prisoner» à coups d’acou sur son Ovation et refout le feu à l’Australie avec «Know Your Product». Et puis voilà l’apocalypse selon Saint-Chris, «Nights In Venice», pour commencer, on se croirait chez les Stooges, même démesure, même violence intrinsèque, ils tentent de rallumer les vieux brasiers, c’est Ivor Hay qui mène le bal ici, il bat comme mille diables et puis ils enchaînent avec «River Deep Mountain High», c’est un peu le real deal de Chris Bailey, on a tous flashé sur ce double 45 tours paru à l’époque, mais la version live est encore plus spectaculaire, c’est une véritable fournaise que Chris Bailey élève au rang de mythe, avec toute la folie de wild gaga dont il est capable, pas de pire cover dans l’univers yeah yeah yeah et soudain, il élève le niveau du River Deep comme s’il voulait rendre hommage aux dynamiques de Totor le titan. 

             On ne peut pas dire que la presse officielle se soit ruinée en couvertures pour les Saints. Elle préfère investir dans Pink Floyd et Led Zep. Le seul article consacré aux Saints paru ces dernières années se trouve comme d’habitude dans Vive Le Rock. Douze pages, mon gars, et la couve en prime, alors t’as qu’à voir ! Pour un groupe culte, c’est le moins qu’on puisse faire.

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             Duncan Seaman commence par citer un journaliste de Sounds qui écrivit à propos d’«(I’m) Stranded» : «Single of  this and every week». C’est vrai que ce single est resté pour beaucoup de fans le meilleur single de l’année depuis toutes ces années. Seaman s’empresse aussi de rappeler qu’Ed Razor Sharp Kuepper et Chris Bailey ne sont pas australiens, mais respectivement allemand et irlandais, leurs familles ayant émigré en Australie après leurs naissances respectives. Ils ont grandi à Brisbane et sont devenus proches car ils avaient en commun une passion pour la musique et les cheveux longs. Au commencement, ils forment un trio avec Ivor Hay et en 1975, il se rebaptisent The Saints en l’honneur de Leslie Charteris. Et puis tout se met en place rapidement, car Chris Bailey dispose de l’atout majeur : the good rounded and pretty powerful voice. Les influences déterminantes arrivent comme la cerise sur le gâtö : Stooges, MC5, Velvet et Dolls. Chris Bailey aime bien causer des influences. Pour lui les Ramones évoquent les Archies et les Ronettes, alors que les Saints renvoient directement sur Eddie Cochran et Little Richard : d’un côté, la grande pop américaine, de l’autre the wild & frantic rock&roll. Dans la foulée, il cite les Pretty Things et les groupes anglais that had the same twist on American R&B. On entend presque le son de sa voix. C’est la même chose quand on lit Lanegan : on l’entend.

             Chris Bailey rappelle aussi qu’il haïssait Brisbane - It was like the worst part of Texas, it was just a horrible, hot wasteland - Ivor Hay rappelle que croiser un flic dans la rue quand on avait les cheveux longs était systématiquement source de problèmes.

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             Puis arrive l’épisode déclencheur : l’enregistrement auto-financé du premier single, pressage à 500 exemplaires et révélation miraculeuse dans la presse anglaise. Avec le Spiral Scratch des Buzzcocks, «(I’m) Stranded» reste le sommet du DIY de 1976/77. Pas besoin de record company pour sortir un single révolutionnaire. «(I’m) Stranded» sort six mois avant «New Rose» et John Peel le passe encore et encore dans son radio show. EMI London alerte EMI Australia et les Saints se retrouvent en studio à Brisbane avec le Néo-Zélandais Rod Coe pour enregistrer leur premier album. C’est torché en deux jours, one or two takes, mixage compris. Wham bam thank you mam ! Les Saints n’ont pas l’expérience du studio, aussi jouent-ils à la revoyure. Chris Bailey : «So we basically stood up and played live.»

             Les louanges commencent à pleuvoir : Nick Cave qui voit les Saints sur scène en Australie en 1977 dit que c’est the best band I’ve ver seen. Quant à Robert Forster, il affirme avoir été «pulvérisé» quand il a entendu «(I’m) Stranded» pour la première fois. Brad Shepherd des Hoodoo Gurus traite les Saint d’«atomic bomb going off.»   

             C’est en juin 1977 que les Saints montent s’installer à Londres. Et là, les choses commencent à mal tourner. EMI veut les voir porter des costumes. Quand on voit la pochette du premier album, on comprend que l’idée ne peut pas plaire aux Saints. Fuck it ! Les Saints commencent à tourner en Angleterre et au début, ils adorent ça, mais ils s’aperçoivent très vite que le mouvement punk est devenu une mode et qu’ils n’en font pas partie - We weren’t part of that - Puis Kym Bradshaw quitte le groupe. Comme les Saints repartent tourner en Australie, Kym choisit de rester à Londres. Il va jouer dans les Lurkers. Quand les Saints rentrent à Londres, il parvient à rétablir le contact et à maintenir de bonnes relations avec ses anciens collègues.

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             Fin 1977, ils entrent en studio pour enregistrer leur deuxième album. Chris et Ed produisent. Eternally Yours constitue avec le premier album le sommet de l’art des Saints. «Know Your Product» t’embarque la bouche aussi sûrement que le ferait un boulet d’abordage. Pas de pire punk dans la stratosphère - Cheap advertising/ You’re lying/ It’s never gonna get me what I want/ All that smooth talking/ Brain washing/ It’s never gonna get me what I need - et c’est salué aux trompettes de la renommée. C’mon ! L’autre coup de génie de l’album c’est le «No Your Product» de bout d’A, un brin stoogy, qui monte terriblement en pression avant de retomber sur la barbarie du beat. Personne ne peut rivaliser avec les Saints en Angleterre. «Lost And Found» est vite embarqué en enfer et «Private Affair» vaut pour du pur jus de punk’s not dead, ah qu’elle arrogance dans la décadence - We got new thoughts/ New ideas it’s all so groovy/ It’s just a shame that we have/ Seen the same old movies - Encore du hard beat des Saints en B avec «This Perfect Day» - What more to say - Chris Bailey reste intraitable. C’est la section rythmique Algy Ward/Ivor Hay qui vole le show sur «(I’m) Misunderstood». Une fois n’est pas coutume.  

             Algy Ward est le nouveau bassman. L’enregistrement d’Eternally Yours dure trois semaines, mais le son est beaucoup plus ambitieux. On commence à prendre les Saints au sérieux. Bizarrement, l’album n’obtient pas le succès escompté. Ivor Hay pense qu’ils sont victimes de leur singularité. Le public punk les boude. Ils sont vraiment bizarres les gens : on leur colle un album génial dans les pattes et ils font la gueule, ça ne leur plaît pas. Les Saints ne sont pas politically correct comme les Clash qui sont alors considérés comme des superheroes en Angleterre. Les Saints sentent qu’on les méprise - The Saints were seen as kind of on the side line - ou pire encore, «colonial copysts of some sort». Alors les tensions apparaissant dans le groupe. Chris Bailey et Ed Kuepper ne voient plus les choses de la même façon. 

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             Paru en 1978, Prehistoric Sounds est le dernier album de Razor Sharp Ed K avec les Saints.  Les deux coups de génie de cet album sont les deux reprises de r’n’b, «Security» et «Save Me» - All I need babe is security yeah - Chris Bailey y va de bon cœur - So darling how can I forget - Il est le plus puissant raver shaker d’Angleterre, il fait du punk r’n’b, c’est un cas unique dans l’histoire du rock - I want security/ Without it I’m at a great loss/ I want security yeah/ I want it at any cost now/ I don’t want no money/ No no no no - Son no no no est criant de vérité. Personne ne ramone le raw r’n’b aussi bien que Chris Bailey. Il reste dans le punk de raw avec «Save Me», sa version prend feu, c’est du punk r’n’b de dévastation massive, rien d’équivalent en Angleterre - Love leaves you cold and hurt inside/ Those tears of mine/ They are justified - Et il lui demande de le sauver. Chris Bailey défonce les annales du raw. Le reste de l’album est plus Sainty, c’est-à-dire très chanté, seriné au deepy deep de glotte frontale. Chris Bailey se complaît dans le heavy balladif des relations tourmentées, il exploite massivement le filon de l’incommunicabilité des choses. On finirait bien par s’en lasser. Il devient très tranchant avec «Every Day’s A Holiday Every Night’s A Party». Il n’a jamais été aussi profond dans sa façon de chanter. Il chante à fond de cale. Personne ne chante comme lui. Il prend sa meilleure voix de crapaud pour croasser «Crazy Goldenheimer Blues» et il dégringole l’«Everything’s Fine» d’ouverture de bal de B. «The Prisoner» est encore un outstander - You’re the man in a cage/ I see you everyday - Ah quel fantastique refrain ! - You’re a prisoner/ Just like everybody else - Et il revient à sa chère incommunicabilité des choses avec «This Time» et l’I’m talking to you/ But you’re in a trance/ You’re talking to me/ But you ain’t got a chance. C’est ainsi, on n’y peut rien.

             C’est la fin des haricots pour les Saints : EMI ne renouvelle pas le contrat. Les Saints n’ont plus de manager, ni de label, ni de revenus. C’est le split. Chris Bailey reste à Londres, Ivor et Ed rentrent en Australie, pour ne pas crever de faim. 

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             Pour les fans des Saints, le mini-album Paralytic Tonight Dublin Tomorrow fait figure de relique. Parce qu’on y trouve «Simple Love - And your simple love/ Will always/ Sa-ave me - et «(Don’t Send Me) Roses», deux cuts qu’on reprenait lorsqu’on rendait hommage aux Saints sur scène. Pas mal de désespoir dans ces deux cuts, Chris Bailey semblait y jeter tout son poids - What I can’t understand/ Is why we all make plans - et ça coulait tellement de source - Don’t make no apologies - Quand on a joué ça pendant quinze ans, on en connaissait toutes les ficelles, mais franchement, il fallait être cinglé pour jouer ces deux cuts sur scène. Les gens n’y comprenaient rien et ça les ennuyait. Chris Bailey bouclait son balda avec l’excellent «Miss Wonderful» et attaquait la face obscure avec l’«On The Waterfront» cuivré à bras raccourcis. Il chantait à la force du poignet, il y mettait le paquet et ça pouvait devenir très spectaculaire. 

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             Après la tempête des trois premiers albums vient le calme de The Monkey Puzzle. On entre dans la longue période New Rose. Rescapée de Paralytic, «Mrs Wondeful» fait l’ouverture de balda. Mais il n’y a plus d’Ed, plus de Kym, plus d’Ivor, rien que des nouveaux dont un certain Barrington aux guitares. Chris Bailey s’oriente désormais sur les heavy balladifs, «Always» donne le ton, très ambitieux par la textures du contexte. «Let’s Pretend» est aussi un plaisant balladif d’if I could have been you. Chris Bailey joue ça aux arpèges sur son Ovation. Il a mis beaucoup d’eau dans son vin. Il voudrait bien s’énerver sur «Monkey (Let’s Go)» qui lance la B, mais ça joue à la petite cocote sous le boisseau, avec un très beau son de basse et le riff de «Summertime Blues» comme cerise sur le gâtö. On retrouve aussi le «Simple Love» de Paralytic et il finit en foutant le souk dans la médina avec «Dizzy Miss Lizzy».

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             Suite de l’ère New Rose avec Out In the Jungle, sans surprise et sans déconvenue. Ils restent cultes, malgré des albums moins denses. Hormis la pochette signée George Crosz, le coup de génie de l’album est le «Come On» qui ouvre le bal de la B, car nous voilà back to the roots, back to the push, the Sainty push, come on, Big Bailey le démolit comme un come-on man, inutile de vouloir lui résister, come on ! On se croirait sur Eternally Yours. Même panache, même sens aigu de la punkitude. On attendait aussi des miracle des deux cuts sur lesquels joue Brian James, à commencer par «Animal». Il y claque des petits riffs secs et nets dans la belle fournaise du New Roser et collègue d’écurie. Les deux font la paire. On entend Brian James jouer des queues de solos dans la souricière. On le retrouve sur «Beginning The Tomato Party», un cut plus long, monté sur un délire tribal qu’orchestre Iain Shedden. Ça joue dans l’écho du bon temps roulé, avec un Brian James qui se fond dans le moule du Bailey. Il joue de jolis petits riffs derrière le rideau, c’est un Stooge-addict qui sait se tenir en société. Big Bailey aimerait bien faire son «Sister Ray» avec Tomato, il ramène du sax free, mais Tomato refuse d’obtempérer. C’est à «Follow The Leader» que revient l’honneur d’ouvrir le bal des vampires à grands renforts de trompettes de Jéricho. Big Bailey semble toujours chevaucher en tête, foncièrement déterminé à l’emporter, chez lui, c’est inné. Follow the leader ! Mais le cut qui rafle véritablement la mise, c’est «Senile Dementia», une mélasse fabuleusement heavy qui sonne comme un atroce ressac d’hold on. Quelle puissance ! Un sax free monte dans la marée et finit par emporter la bouche du cut. 

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             On a longtemps accusé la pochette d’A Litlle Madness To Be Free d’être ratée. Après les fastes des deux premiers albums, c’est vrai qu’elle a quelque chose de choquant. Le problème c’est que le contenu de l’album est en osmose avec la pochette, avec des cuts comme «Walk Away» qui sonnent comme des vieux débris de balladifs inconsolables. Big Bailey cultive son goût pour la neurasthénie. Il est même parfois plus fatiguant que Nick Cave. Avec «The Hour», il repart sur les traces de «Simple Love», avec du telephone et du ciel plombé, à l’image des photos qui ornent le recto et le verso de la pochette. L’album devient glauque. Big Bailey durcit un peu le ton avec «Angels», mais ça reste du tout venant. Il ne parvient plus à s’arracher du sol. Il se contente de continuer de chanter au meilleur raw de Desolation Row. La B n’est guère plus brillante. Ils font avec «Imagination» une espèce de musique à la mode, bâtarde de reggae et de radio friendly. S’ensuit l’à peine plus joyeux «It’s Only Time». Cet album pue la panne d’inspiration. Chris Bailey s’enfonce dans un marécage de non-compos, il fait des efforts désespérés autant que désespérants pour garder la tête hors de l’eau. «Someone To Tell Me» se veut puissant, mais ça n’est puissant qu’en apparence. Pas de quoi casser trois pattes à un canard. Les trompettes de Jéricho font leur retour avec «Heavy Metal», il tente le tout pour le tout avec du simili-Eternally Yours et il boucle cet album pénible avec le grand «Ghost Ships». L’intro trompe énormément, car il s’amène en mode troubled troubadour d’arpèges d’ovation. Il faut attendre le deuxième couplet pour le voir hisser les voiles de son merveilleux Ghost Ship, c’est puissant, bien sonné des cloches de misaine, il renoue enfin avec cette ampleur qui fit jadis sa légende.

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             Live In A Mud Hut donne une idée très précise de ce que sont les Saints sur scène en 1985. Ils jouent essentiellement des cuts tirés de The Monkey Puzzle («Let’s Pretend», «Roses», Always») et le «Ghost Ship» qu’on trouve sur Out In The Jungle, certainement l’un des meilleurs balladifs de Chris Bailey. Il y va franchement, la heavy pop sent bon l’air du large. On dira la même chose de «Follow The Leader», c’est même à l’époque la pop la plus lourde d’Angleterre, avec des accords scintillants. Si on cherche une illustration sonore de l’élégance, c’est «Follow The Leader». Tout est monté sur le même modèle, comme le montre «Always» : mid-tempo puissant et bassline voyageuse, avec cette voix qui flotte à la surface. Chris Bailey réussit le tour de force de donner de la profondeur au refrain de «Roses». Comme chacun sait, la profondeur est l’apanage des grands interprètes. Il termine en faisant claquer l’étendard des Saints («Know Your Product»), mais sans les trompettes. Il ramonent ça comme ils peuvent.

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             Sur l’All Fools Day paru en 1986, on trouve trois Sainty hits, «Just Like Fire Would», «Hymn To Saint Jude» et «Temple Of The Lord». Par Sainty hit, il faut entendre grosse compo, gros battage d’accords et grosse présence vocale. De ce point de vue, «Just Like Fire Would» reste emblématique. Chris Bailey fait claquer son Fire au vent. Ivor Hay est de retour et comme il adore cogner, alors on l’entend bien. Et pour couronner le tout, des cuivres somptueux radinent leur fraise. Chris Bailey embarque son «Hymn To Saint Jude» au not coming back again et nous fait la grâce d’un superbe final. Le style de Chris Bailey reste un étonnant mélange de pathos et d’élégance, de gravité et d’éclat. Il s’inscrit d’office dans l’intemporalité des choses, il veille à ce que chaque syllabe soit bien grasse. En B, on tombe sur un étonnant «Big Hits (On The Underground)» salué aux trompette de la renommée. Ah quelle déboulade ! Chris Bailey reste dans son cher pré carré avec «How To Avoid Disaster», un balladif up-tempoïdal drivé par une bassline voyageuse. Il se promène lui aussi à l’intérieur de sa mélodie chant. Il revient au heavy Saint des Saints pour «Temple Of The Lord». Comme il veut en découdre, il ramène ses trompettes et ses hein hein, Ivor Hay propulse tout ça au beat des forges et ça bascule très vite dans l’énormité.

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             On trouve encore une version de «Ghost Ships» sur Prodigal Son. Ah il faut le voir allumer le deuxième couplet - Cold is the wind that blows in my mind - Et il chute sur I don’t know about tomorrow, ce qui est une belle fin de non-recevoir. L’autre stand-out track de Prodigal, c’est «Sold Out», car salué aux cuivres - Sold out/ Like a miner I’m digging for gold - Il n’en finit plus d’affirmer sa différence - I could never believe what I was told - Encore une belle dégelée avec «Grain Of Sand», battu sec et net dans l’écho du temps. Choix de son idéal pour un grain de sable. Chris Bailey s’est complètement débarrassé de sa punkitude. Le voici devenu troubled troubadour.

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             Paru en 1996, Howling pourrait bien être le plus bel album des Saints. Il repose sur quatre piliers : l’effarant morceau titre, le somptueux «Something Somewhere Sometime», l’infernal «You Know I Know» et l’imbattable «Second Coming». Dès le morceau titre, ce démon de Chris Bailey entre dans le Saint des Saints, c’est heavy à un point qu’on n’imagine pas. Ça y va au heavy bassmatic et ça chante au heavy Chris Bailey. C’est atrocement bon. Encore une fois, il n’existe aucun équivalent de ce son dans le monde. Aucun chanteur n’est allé aussi loin dans le marigot. «Something Somewhere Sometime» nous éberluait tellement à l’époque qu’on décida de le reprendre. Il n’existe pas beaucoup de cuts qui atteignent ce niveau de perfection à la fois mélodique et tempétueuse - Took some wine to turn my mind from you/ And it did do - Il faut voir comme il amène bien sa chute - C’est la vie ! - Alors on tombe dans le tourbillon des petits accords de mi-manche à la Chris Bailey, on s’explose la rate avec les descentes de guitare, c’est le cut de génie par excellence. On retrouve toute la clameur du riffing dans «You Know I Know» - Not have to say what’s on my mind - C’est le grand retour du punk Bailey - Confused by abuse of ecstasy - Ça joue au gras double de sixties boomers - You’ve gone and bought another face - Comme toujours, les lyrics sont tirés au cordeau. Big Bailey ! Et l’apothéose arrive avec «Second Coming», où il règle ses comptes. Encore une fantastique descente du barbu, on a un riffing de rêve, salué aux arpèges de disto. Te voilà de nouveau plongé dans le Saint des Saints, tu as même en prime le fin du fin, l’une des meilleurs chansons de Big Bailey avec un son définitif, ça prend feu au coin du couplet - Everyone was waiting for the salvation singers/ No one was waiting for me - Big Bailey en a gros sur la patate, c’est bien qu’il l’écrive et qu’il le clame - At the wheel of the hearse/ Sat my sole recollection - Cette façon superbe qu’il a de broder sur le thème de l’incommunicabilité des choses de la vie - We talked it over/ And I thought we’d reached an understanding/ But really all we had/ Was a lack of expectations - Cette voix et surtout cette diction, et par dessus tout cette phraséologie aristocratique - And time still flying by/ And I don’t mind - Les seuls en Angleterre qui soient habilités à lâcher un I don’t mind sont Big Bailey et John Lydon. ‘Cause they mean it. L’album propose deux autres énormités, «Only Stone» et «Good Friday». L’«Only Stone» dégorge de son, Big Bailey y fracasse encore une fois le ciel des Saints. Et ça continue avec «Good Friday» - And I can feel it/ I can feel it in the air/ I can move it/ Between my fingers - Comme celle de Lanegan, c’est l’une des voix qui marquent les cervelles au fer rouge. Chaque fois, Big Bailey jette tout son poids dans la balance, «All my words get blown away», clame-t-il dans «Blown Away». 

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             Encore un album cher au cœur des fans : Everybody Knows The Monkey, grâce ou à cause de «Fall Of An Empire», qui fait partie des plus gros coups de l’immense compositeur que fut Chris Bailey. On disait même à l’époque que «Fall Of An Empire» était avec «River Deep Mountain High» l’un des plus grands hits de tous les temps, victime lui aussi de l’incompréhension du public - It’s in the air/ It’s the mood of the moment - Le power des Saints, c’est un peu comme un phénomène naturel, une réalité indiscutable. Chris Bailey lance des vagues de pur génie à l’assaut de son Empire - I’m talking down - Et il remonte - Close your eyes/ Consider yourself in the scheme of thing/ Yeahhhhh - Il amène ça sur le terrain de l’innocence, mais what a sludge ! - And I don’t care - Boom. On voulait reprendre «Fall Of An Empire» à l’époque, mais c’est impossible sans organiste. L’autre monstruosité de l’album s’appelle «Everything Turns Sour». Sainty en diable - When you’re standing in the shadow/ With no way to get across - Ça cisaille dans la mortadelle, Chris Bailey retrouve tout le power de l’Empire, il ramène des éclairs aussi bien dans le son que dans les lyrics. Mais l’ensemble de l’album souffre de la présence d’Empire. On ne peut pas  surmonter un chef-d’œuvre comme Empire, humainement, c’est impossible. Chris Bailey revient avec «Vaguely Jesus» sur son vieux balancement de Saint homme - Lying on the floor/ Being vaguely Jesus - La plupart des autres cuts sont compliqués. Chris Bailey le sait. Il tente de reprendre le contrôle du Saint Empire avec «Working Overtime». C’est un combat de tous les instants. Oui il s’agit bien d’un Saint Empire. En Angleterre, à part les Pistols, nobody did it that way, c’est-à-dire des compos qui fondent une religiosité. Punk Bailey est de retour avec le «What Do You Want» d’ouverture de bal des vampires - What do you want from me - Il te pose la question. Ça joue au heavy sludge. Le cut entre en osmose avec la plus disturbing des pochettes, tout y est mal gaulé, la typo et puis cette bouille de godmichet qui regarde en coin. What do you want ? 

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             Comme l’indique son titre, Spit The Blues Out est un album de blues. Chris Bailey opte pour du classic boogie blues, mais le chante à sa façon. Quand on entend «Who’s Been Talking», on croit entendre le vieux shuffle de Ten Years After : c’est exactement le même son - My baby bought a ticket - On peut faire confiance à Chris Bailey pour le baby et le bought. Ils sont bien lestés. Il ne se passe pas grand chose dans le balda. Rien de nouveau sous le soleil de Bernanos. Le morceau titre ouvre le bal de B et fait la différence avec son joli départ de be my demolition demon/ Come and rob me off my reason. C’est une grosse compo, avec une mélodie chant.

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             En 2005, un nouvelle bombe atomique tombe sur l’Europe : Nothing Is Straight In My House. Chris Bailey retourne au sources du Sainty punk, et ce dès «Porno Movies». Il est entouré d’une équipe de démolisseurs. Il veut rétablir le Saint Empire des Saints et lègue à la postérité un bien beau blast. Le fan n’aura guère le temps de souffler sur cet album, tout est dégringolé de prime abord et en particulier le morceau titre. Le seul au monde à pouvoir faire du heavy Saints, c’est Chris Bailey. Sa heavyness confine au génie pur - I ain’t coming back - Même lorsqu’il creuse sa tombe, ça l’amuse - I’m digging a hole/ Do you want to join me in ? - C’est sa façon d’annoncer qu’il want to rise again («Digging A Hole»). Il amène «Paint The Town Electric» au beat glam. Sa voix continue de résonner dans les profondeurs du rock. Il chante jusqu’à l’overdose. Nouvelle énormité avec «Taking Tea With Aphrodite», sans doute le meilleur gaga d’Europe, gratté aux meilleurs accords de l’époque, avec un chanteur qui ne peut pas s’empêcher de ramener sa sensibilité de troubled troubadour. Il trimballe encore son aristocratie dans «Garden Dark», jusqu’aux early hours, yeah ! C’est un hommage déguisé à l’«All Along The Watchtower» repris par Jimi Hendrix, des échos de guitare tirés de cette version mythique sonnent dans le creux de l’oreille. Il termine avec «Nothing Straight (Slight return)», amené au heavy sludge, c’est le sludge définitif des Saints, monté en épingle, sans doute en hommage à Ron Asheton, car voilà une dégelée fondamentale qu’emporte le courant.

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             Fort bel album que cet Imperious Delirium daté de 2006. Les photos de pochette sentent la misère, mais diable que de punch, et ce dès «Drunk Babylon», ce dragged-out wild punk blast. Pas de meilleure description de cette attaque frontale - One shot/ You get - avec un solo de gras double encapsulé dans le couplet chant ! Fucking blast de punk out. Ils ne sont que trois. Caspar Wijnberg bassmatique et Peter Wilkinson bat le beurre. Big Bailey calme le jeu avec «Declare War» - I you declare war on me/ Where shall I stand ? - Il nous épuise avec ses problèmes matrimoniaux. Il nous ramène à Paris avec «Trocadero», il chante à fleur de peau - Truckin’ down the Trocadero - C’est une absolue merveille, suivie d’une autre merveille, «Je Fuckin’ T’aime», même s’il joue avec les clichés de motor bike et d’all night long, il rafle la mise, et en plus il s’amuse avec la langue - Je fucking t’aime/ Plus belle chanson/ On y va mes enfants/ I think I kown what you want/ Alright ! - En se moquant du rock, Chris Bailey fait du génie pur. Il reste dans le Big Bailey avec «Other Side Of The World» et reprend le fil de son autobiographie avec «So Close» - So close to breaking down/ So low/ I was living underground/ Stepping out/ Out into the town/ With nowhere left to go - Encore une vraie déboulade des Saints avec «Drowning» - Me and Alex Harvey are feeling good/ But we are drowning - Il envoie tout balader à coups de wah - With Keith Moon in a motor boat/ Driving through the Hilton Hotel/ Still drowning - Puis il revient au heavy punk des Saints avec «Enough Is Never Enough», il l’allume, enough is never enough, c’est gratté dans l’épaisseur du gras double, with music ringing in my ears. Il semble avoir laissé tomber les balladifs cacochymes. Il embarque son «Learning To Crawl» au Bailey drive - C’mon plant my flag in the burning sands/ And wait for it to come to me - C’est vite balayé par du solo d’outer Saints. Il termine avec «War Of Independance» en mood heavy Saints - See you theer/ Who knows - Ce sont quasiment ses adieux.

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             Le dernier album qu’enregistre Chris Bailey en 2012 s’appelle King Of The Sun. Au dos de la pochette, on le voit assis. Il porte un petit bouc. L’écoute est spéciale, car il s’agit apparemment des derniers enregistrements de cet homme qu’on a depuis le début admiré et même adulé. Bon alors autant le dire tout de suite, ce n’est pas un grand album. Le morceau titre et «A Millions Miles Away» restent du Bailey classique, avec les trompettes à la sortie et toujours cette grosse présence vocale. Il reste égal à lui-même. Les deux cuts qu’on sauve sont «All That’s On My Mind» et «Mini Mantra Pt1». Il lance le premier au hey now - Hey now/ Don’t think that this is over - Il lance un pont sur la rivière Kwai - Hey now/ I knew you would never believe me - Avec le Mini Mantra, il perd encore la tête - Where is my mind - Retour à la heavyness, c’est joliment tourné et un killer solo s’étale dans la durée. Voilà un cut digne des early Saints. Dommage que le reste de l’album de soit pas de ce niveau. Adios Chris Bailey, tanks for the ride !

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             Allez, une dernière tournée pour la route, avec cette grosse compile parue en 1999, 7799 Big Hits On The Underground. On la ramasse surtout pour les deux portraits de Chris Bailey qui apparaît maquillé, fard vert sur les paupières et rouge à lèvres. Il rédige aussi un petit texte à l’intérieur. Cette compile permet de revisiter tout l’art sacré des Saints. Le seul défaut est l’absence de leur version de «River Deep Mountain High», parue sur le fameux double 45 t, One Two Three Four. Ça commence avec l’incontournable «(I’m) Stranded», puis «No Time» et on saute dans l’explosion thermonucléaire de «Know Your Product». On connaît tout ça par cœur, mais chaque fois qu’on l’écoute, le cœur bat la chamade comme au premier jour. Rien de plus punk que ce Product. Peu de groupes ont su développer un tel power. «No Your Product» est aussi de la dynamite, comme chacun sait. Chris Bailey y est emporté par la vitesse du long long time. Et puis tiens, voilà cette version démente de «Save Me», tirée de Prehistoric Sounds. Quelle violence ! Il fond comme une tablette de chocolat blanc entre les cuisses d’Aretha - Save me/ I want you to save/ Me - C’est l’apanage des Saints, la Soul-punk de save me right now. On retrouve plus loin l’intro légendaire de «Ghost Ships». Comme c’est un double CD, tu as quarante cuts, alors t’as qu’à voir. On tombe à la fin du disk 1 sur une version absolument démente de «Simple Love». Le disk 2 repart de plus belle avec tous ces standards que sont «Temple Of The Lord», «Grain Of Sand», où il chevauche un dragon en tête de la brigade légère, puis revient la grosse prestance de «Before Hollywood» et plus loin, on retombe nez à nez avec l’effarant «Howlin», un cut alarmant d’excelsior pathologique. Ça fait du bien d’entendre ça une dernière fois, get the fuck out, Chris Bailey s’y montre assez définitif. On redécouvre aussi cette merveille qui s’appelle «Only Dreaming», c’est vite fait bien fait, good day/ ay/ ay - And Christ I was only dreaming - Explosif ! Son yeah est encore une preuve de génie, il tape encore une fois dans le twilight. S’ensuit l’implacable «Fall Of An Empire», dont on a déjà dit si grand bien. Il atteint là le sommet de son art, le sommet du smart, de l’I don’t care et du close your eyes. Boom ! Redécouverte encore de «Good Friday», tout repose sur le cataplasme de la voix, il a une façon de retomber sur l’accord qui est unique au monde, tu peux tâter le flesh du Good Friday. Ah il faut le voir articuler tout ça. S’ensuit l’abominable «What Do You Want» claqué au early power des Saints. Chris Bailey entre dans la danse avec une sorte de bienveillance. Il s’inscrit dans la mythologie des Saints, c’est-à-dire la sienne, et soudain le chant prend feu, yeah ! Encore une compile qui va toute seule sur l’île déserte. 

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             En marge de Saints, Chris Bailey a enregistré quelques albums solo, qui à l’époque firent bien fantasmer les fans, à commencer par Casablanca. En réalité, il ne s’y passe pas grand-chose. Chris Bailey continue d’y explorer le labyrinthe des aléas relationnels avec «Rescue» - I want you/ To rescue me - Il fait un peu de heavy blues avec «Insurance On Me» - You know I love you baby/ You know I love you true - et l’album décolle en fin de balda avec «Curtains». Il ramène une guitare électrique dans le heavy battage de curtains et ça prend tout de suite une certaine ampleur. En B, il tape une version acou de «Follow The Leader» qu’il sature de guitares. 

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             Paru en 1984, What We Did On Our Holidays est un album live enregistré lors d’une tournée australienne. On y trouve des covers superbes, comme par exemple le «Bring It On Home To Me» de Sam Cooke. Chris Bailey jette tout son poids dans la balance. Il enchaîne avec un autre classique de la Soul, «I Heard It Through The Grapevine». Il adore les grands hits black, cette fois il attaque à l’insalubrité délinquante du garagiste, c’est très gonflé de sa part, il faut le voir malaxer les syllabes de la Soul - Oh I’m just about to lose my mind - Il y a un solo de trompette sur le tard du cut. Il fait aussi une belle version d’«In The Midnight Hour» et pique une crise de fast rock’n’roll avec un «All Night Long» digne de figurer sur Eternally Yours. Il se prend au jeu, frise l’égosillement et lance de fabuleuses nappes de cuivres. C’est aussi sur cet album qu’on trouve sa belle version d’«Amsterdam». Le voilà sur les traces de Bowie et de Scott Walker !

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             Très beau portrait du Big Bailey sur la pochette de Demons, paru en 1990. Il a des faux airs de Russell Crowe. Le stand-out track de l’album s’appelle «Bridges», gratté aux heavy chords de walking down the boulevard. Il pose bien les éléments du pathos, c’est le roi du genre, le prince des pâtés de pathos - There are no more bridges/ To burn/ No more lessons/ To learn - C’est heavy, brillant et mélodiquement parfait. Avec le morceau titre qui ouvre le bal des vampires, il déblaye la place. Il arrive comme un roi dans un palais qui est sa musique. Il étale ses lyrics à la face du monde. Il le fait avec un aplomb assez rare dans l’histoire du rock anglais. Et toujours les fucking trompettes ! Il adore ça ! S’ensuivent des cuts assez problématiques, le pauvre Bailey se fourvoie dans le radio friendly («Return To Zero») et avec «Fade Away», il continue de jouer sa carte d’aristocrate perdu dans les montagnes. Retour au heavy power balladif avec «Running Away From Home», c’est bardé de son et d’intentions. Il rend deux hommages sur set album : «Edgar Allan Poe» et «Marie Antoinette».

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             Toujours dans sa période New Rose, Chris Bailey enregistre Savage Entertainment en 1992. Deux raisons essentielles d’écouter cet album : le morceau titre qui relève du coup de génie et «Do They Come From You» qui relève du big atmospherix. Oh ces climats ! Big Bailey est très impliqué dans l’expression de sa grandeur, il flirte en permanence avec le génie, il maintient la pression par derrière avec des trompettes. Oh il adore les trompettes, surtout les trompettes de la renommée. Quant au morceau titre, c’est un hit - We all need some savage entertainment - Il pousse bien le bouchon, ça vire à l’énormité - I’m not satisfied with my electric whore - Encore une fois, il opte pour le décervellement - To take my brain away - «What Am I Doing There» sonne comme un ressac, il plonge dans ses incertitudes et reste mélodique - Don’t make me disappear/ I could get lost - La perdition est son thème de prédilection. Tout est très littéraire chez Big Bailey, c’est sa nature profonde. Il ramène de l’accordéon dans «Road To Oblivion» et redevient le troubled troubadour le temps d’un «Key To Babylon». Son «Hotel De La Gare» est purement autobiographique, ça se sent au sipping brandy/ on the balcony et à l’early morning madness. Il joue tous ses cuts au heavy gratté de poux. Il façonne une esthétique de l’underground parisien des années 90. Il va toujours chercher l’utter et il pose sa voix comme un cataplasme sur son gratté de poux. Il l’étale bien, sa voix, comme s’il utilisait une spatule, il tartine jusqu’au bout de la nuit.

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             On sent une petite baisse de tension sur 54 Days At Sea paru deux ans plus tard. Rien ne change sous le soleil de Bailey, il ramène son vieux pâté de pathos. Il s’en va se noyer au large avec sa belle voix profonde, il reste dans son sempiternel système de désespérance. Il fait un peu de heavy pop avec «On The Avenue», il chante d’une voix claironnante et dans «Unfamiliar Circles», son it’s alrite est toujours égal à lui-même - I’m only wandering round/ In unfamiliar circles - Avec «Drowned In Sound» il passe au heavy mid-tempo et propose avec «She Says» une belle dégelée de fin de non-recevoir. On est difficilement admis à entrer dans cet album. Il termine avec «In The Desert». Le voilà paumé dans le désert, comme l’avenir du rock. Il va son chemin, c’est tout ce qu’il lui reste à faire. Why the music is so loud ? Il s’en sort toujours avec son grain de voix. Il imprime l’imprimatur du rock underground, mais au fond, il doit être furieux d’être resté underground, sans un rond.

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             En 2011, on vit apparaître dans les bacs une étrange pochette blanche sur laquelle figurait le dessin d’un homme portant un masque de tête de cheval, et au dessus, dans une étiquette noire était portée la mention «Chris Bailey & H. Burns. Stranger.» En fait, il s’agit d’un album collaboratif, chacun chante ses cuts, les coquins alternent, Chris Bailey d’un côté et un certain Renaud Brustlein de l’autre. Bon d’accord, ce mec chante bien, mais on n’est pas là pour ça. On est là pour Chris Bailey, qui, fidèle à sa vocation de poule aux œufs d’or, nous en pond quelques uns, cot cot, à commencer par un «Visions Of Madonna» qui n’a rien à voir avec Johanna. C’est du classic Sainty sound, avec le beau swagger d’accords princiers. Il boit encore du vin - I took a drink/ The wine tasted like water - Il revient plus loin avec l’excellent «Muse» - I got a bitter sweet companion/ That girl is everything I need - Puissant coup de Bailey ! Il nous en pond encore deux en B, cot cot, dont un amusant «Hey You» où il bâtit un couplet entier avec ses vieux clichés Sainty : ghost ship, a perfect day, don’t send me roses, I could be stranded et il plonge vers la fin dans le big atmospherix d’it’s all too crazy now. Il termine avec «Stranger». On note une certaine majesté. C’est le mot clé de Chris Bailey.

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             Pour aller vite, on peut se contenter d’une bonne compile de Chris Bailey : Encore, car on y retrouve «Savage Entertainment» (quasi-Dada, il se marre et fait jouer un accordéon), «Just Like Fire Would» (swamp de la rue Sarrazin), «The Prisonner» (Avec Ed), et les vieilles reprises de What We Did On Our Holidays, «In The Midnight Hour» et «Amsterdam». Comme souvent dans ce type de compile, on trouve des inédits et là attention, ce sont des petites bombes, à commencer par une version de «Can’t Help Falling In Love With You», fantastique hommage à Elvis, un véritable objet d’art. On en trouve même un autre : «Suspicious Minds», hommage d’un géant à un autre géant - Oh what can you see/ What you’re doing to me - C’est du mythe à l’état pur, Big Bailey navigue à la même hauteur qu’Elvis, avec des moyens plus modestes. Il tape aussi une version mirifique d’«I Hear You Knocking», c’est le ballsy Bailey qui revient - I hear you knocking/ But you can’t come in !    

             En mémoire de Jean-Jean, brillant émule de Chris Bailey. Repose enfin en paix, mon pauvre vieux.

     

    Signé : Cazengler, Chris Balai

    Saints. (I’m) Stranded. EMI 1977

    Saints. Prehistoric Sounds. Harvest 1978

    Saints. Eternally Yours. Harvest 1978

    Saints. Paralytic Tonight Dublin Tomorrow. New Rose Records 1980

    Saints. The Monkey Puzzle. New Rose Records 1981

    Saints. Out In the Jungle. New Rose Records 1982

    Saints. A Litlle Madness To Be Free. New Rose Records 1984

    Saints. Live In A Mud Hut. New Rose Records 1985

    Saints. All Fools Day. Polydor 1986

    Saints. Prodigal Son. Mushroom 1988

    Saints. Howling. Blue Rose Records 1996

    Saints. Everybody Knows The Monkey. Amsterdamned Records 1998

    Saints. Spit The Blues Out. Last Call Records 2000

    Saints. Nothing Is Straight In My House. Liberation Music 2005

    Saints. Imperious Delirium. Wildflower Records 2006

    Saints. Live At The Pig City Brisbane 2007. Shock 2009

    Saints. King Of The Sun. Highway125 2012

    Saints. 7799 Big Hits On The Underground. Last Call Records 1999

    Chris Bailey. Casablanca. New Rose Records 1983

    Chris Bailey. What We Did On Our Holidays. New Rose Records 1984

    Chris Bailey. Demons. New Rose Records 1990

    Chris Bailey. Savage Entertainment. New Rose Records 1992

    Chris Bailey. 54 Days At Sea. Mushroom 1994

    Chris Bailey & H. Burns. Stranger. Vicious Circle 2011

    Chris Bailey. Encore. Last Call Records 1995

    Duncan Seaman : Wild about you. Vive Le Rock # 89 - 2022

     

    L’avenir du rock

     - John Paul Keith et les autres (Part Two)

     

             Bien malgré lui, l’avenir du rock se retrouve coincé pour le week-end dans une maison de campagne avec des amis de longue date. Il savait bien au fond de lui qu’il valait mieux décliner cette invitation. Mais dans la vie on ne fait pas toujours ce qu’on veut. Comme l’un de ces fameux amis insistait lourdement, prétextant que les autres pourraient lui en vouloir de faire faux bond, il a fini par céder. Alors vous connaissez bien ce type de situation : ça commence en général par l’«apéro dînatoire» du vendredi soir censé établir les fondations d’une convivialité à toute épreuve, puisqu’elle va devoir durer 48 heures. C’est atrocement long 48 heures quand il faut écouter des gens qui n’ont rien à dire et qui bavachent à longueur de temps. Ne parlons pas des grosses épouses réactionnaires ! On boit, on mange, on entend vaguement de la musique sans jamais savoir ce que c’est, un chat amputé du cerveau n’en finit plus de miauler pour réclamer des bouts de viande alors qu’on est à table, ça parle bien sûr de choses vues, oh pas celles de Victor Hugo, non, celles de la télé, ce poison moderne qui ramollit les cervelles au point qu’on les entend faire flic floc dès que ça bouge un peu pour servir le pinard, et puis François coupe le gigot, alors pour alimenter la conversation, Paul demande à Juliette si elle n’a pas un autre couteau, puis chacun ramène son petit grain de sel sociologique, à commencer par Paul qui prend sa meilleure voix de maître à penser du Quartier Latin pour déclarer : «Ceux qui n’ont pas d’argent ils n’ont qu’à s’arranger, ou pour en avoir ou pour s’en passer», ce qui ne plait pas à ce vieux militant d’extrême gauche qu’est Vincent qui lui jette son verre à la figure, alors Paul arrache l’os du gigot des mains de François et frappe Vincent à la volée, faisant gicler des dents jaunies qui vont rouler sur le chêne massif de la table de ferme en faisant cling clong, et l’avenir du rock observe la scène avec une compassion mêlée de dégoût, se répétant à longueur de temps qu’il n’est pas bon de vieillir, que ça rend les gens décidément très cons, et que de toute façon la vie est ainsi faite, et qu’il va falloir trouver un prétexte pour mettre les bouts, quitter cette assemblée pathétique, tout juste bonne à servir de prétexte à l’une des divagations scénaristiques d’un réalisateur des années soixante-dix. Une fois calmés et dessoulés, Vincent, François, Paul et les autres se rabibocheront, mais sans l’avenir du rock qui leur préfère définitivement John Paul Keith et les autres.

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             John Paul Keith ? Pas de problème. Cet excellent Memphis cat fit une première apparition en Normandie en mars 2019. Le voilà de retour pour une deuxième apparition.

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    Il joue en trio, accompagné par un jeune bassman new-yorkais et un jeune beurreman bostonien. Ils jouent la carte du tight triumvirat. Pendant 90 minutes, ils règnent sans partage sur l’empire des sens. Ils sont pro jusqu’au bout des ongles et se payent le luxe de passer par toutes les fourches caudines, celles du rock, de la pop, du jazz, du groove, du heavy groove, de la southern Soul, du Texas swing, du Memphis beat, du jumpy jumpah. Ils jouent tout ça les doigts dans le nez, avec une aisance confondante qui nous laisse comme deux ronds de flan, c’est même parfois trop beau !

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    Énorme boulot pour le public que de se montrer digne d’un tel ramshakle. On appelle ça l’inversement des rôles. Ça se produit de temps en temps : on croit assister au spectacle d’un petit mec tombé là par le hasard des tournicotages et on se retrouve à deux mètres d’un très grand artiste qui en plus ne la ramène pas. C’est peut-être ça qui perturbe le plus la compréhension du Français moyen : zéro frime chez John Paul Keith. Il donne une espèce de leçon de maintien sur scène, il montre comment on peut être virtuose et rester normal dans son comportement, jamais de grimaces, jamais de posture, pas la moindre faute de goût, ce mec est à sa façon un dandy du Memphis beat et en matière de rebondissements mirifiques, il est prolifique.

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    Comprenez qu’avec John Paul Keith on est à l’exact opposé des Clapton et des autres rois du m’as-tu-vu. Il tape en plus dans un répertoire riche et varié, il rend des hommages spectaculaires à des gens aussi divers que Dutronc, Don Bryant et surtout Buddy Holly dont il restitue avec une délectation non feinte le crazy power. Par souci d’identité, les groupes et les artistes s’enferment généralement dans un style musical. John Paul Keith fait exactement le contraire, il va dans tous les styles, mais avec une unité de ton : le son extrêmement incisif d’une Tele pailletée. Ses solos sont tous vivaces et classiques à la fois, il fait honneur aux géants du jump avec des progressions d’accords qu’on croyait réservées aux big bands des années 50, il recrée ces fantastiques climats avec une section rythmique qui joue la carte du minimalisme, et, n’ayons pas peur des grands mots, ça devient littéralement fascinant. Ils se payent même le luxe du big atmospherix par le seul jeu des dynamiques internes.

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             Il tourne en Europe pour la promo de deux nouveaux albums, The Rhythm Of The City et un album live, A World Like That. Live At B-Side. L’album studio est enregistré et mixé par Scott Bomar qui a repris le flambeau du Memphis Sound (Electraphonic) avec Boo Mitchell (Royal Studios). Dans sa passionnante autobio, Howard Grimes rendait hommage à Bomar : «Je ne suis pas en colère après Hi, ni après Stax, but Scott Bomar at Electraphonic est la seule personne qui m’ait payé rubis sur l’ongle. Ça m’a choqué qu’il me paye pour la session de Cyndi Lauper. Il a juste dit que je le méritais. Bosser avec Scott, c’est un peu comme bosser avec Willie Mitchell. Electraphonic is the only place left that feels like the glory days.» On est donc entre gens sérieux. Écouter le dernier album de John Paul Keith c’est exactement la même chose que d’ouvrir le dernier livre de Robert Gordon - Robert Gordon ? Oh he’s a friend of mine, lâche John Paul Keith avec un grand éclat de rire - Il démarre The Rhythm Of The City avec un vieux groove de round midnite in Memphis, «How Can You Walk Away». John Paul Keith chante au petit sucre candy, soutenu par des chœurs de filles fabuleuses et il passe son solo dans l’écho du temps, mais pas n’importe quel écho du temps, mon gars, celui de Memphis, cet écho mythique qui résonne encore dans les disques Sun. «The Sun’s Gonna Shine Again» sonne comme un coup de génie. John Paul Keith s’en va groover sur le côté ensoleillé de la rue (hello Gildas), et comme Jimmy Webb, il est on his way. On a là une pop incroyablement lumineuse, oui John Paul Keith a du génie, il dégouline de facilité, il retombe sur le shine again avec la souplesse d’un chat, logique pour un Memphis cat, c’est une merveille, well I know, il s’explose littéralement dans la clameur d’un summer day in Memphis. S’ensuit le morceau titre, un heavy groove de qualité supérieure, si infiniment supérieure. Même si on connaît ce son par cœur, on sent bien qu’il existe une différence de niveau. C’est un peu comme quand on écoute Lazy Lester ou Ted Taylor, ce n’est jamais tout à fait la même chose. Quand il part en mode rock’n’roll avec «Love Love Love», John Paul Keith se paye le luxe d’un gros virage jazzy. Quand il tape un power-groove («Keep On Keep On»), il s’infiltre dans le drive par tous les trous. Son «I Don’t Wanna Know» est une pop de Southern Soul à la Dan Penn et son «Ain’t Done Loving You Yet» rend à la fois hommage à Big Star et à Buddy Holly. Il en restaure le double éclat, c’est très étrange, il a une façon très personnelle d’exploser la pop. Puis il rend hommage aux géants du jump avec «If I Had Money». Il est rompu à toutes les disciplines, il sonne exactement comme Pee Wee Crayton ou Amos Garrett, il vaut bien tous les cracks du jack, il se veut clean dans le clear, il joue dans les règles du meilleur lard avec du shuffle d’orgue et des coups d’horn claqués derrière les oreilles du beignet, ces mecs jouent avec tes nerfs, méfie-toi, ils sont beaucoup trop bons pour être honnêtes. Et pour boucler cet album qui te cale dans ton fauteuil pour mieux t’emporter la tête, il envoie «How Do I Say No», un heavy mix de real deal, de groove et de tell me tell me save me girl, John Paul Keith est un seigneur des annales du groove, un binoclard de génie comme le fut Buddy avant lui, il a du son, il a Bomar, il a sa stature et il finit en mode Dan Penn.

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             Et voilà A World Like That. Live At B-Side, un bien bel album live qui sert d’écrin à cette absolue merveille qu’est l’«How Can You Walk Away» tiré de The Rhythm Of The City. John Paul Keith y groove le chant de l’intérieur du menton. Il tape le «Something So Wrong» d’ouverture de bal au heavy groove, vite fait bien fait, avec toute la mécanique des relances de la prescience, il chante comme Buddy et c’est extrêmement excitant. Il tire aussi l’excellent «The Sun’s Gonna Shine Again» de The Rhythm Of The City et laisse son groove partir en balade. Ça devient assez magique, comme exposé au soleil de Jimmy Webb. Les cuivres recuisent cette merveille. Ah il faut le voir plonger à la voix de Memphis cat dans le lagon d’argent du Memphis Beat ! Sur «The Rhythm Of The City», il fait pas mal d’étincelles. Les éclats d’accords qui brisent le rythme sont ceux des Beatles. C’est là que John Paul Keith pique sa crise hendrixienne et il pousse le bouchon si loin qu’on le perd de vue. L’autre stand-out track est le final cut «How Did I Say No» qu’il prend en mode big band - What I was supposed to do ? - Il a raison de se poser la question. C’est à ce genre d’éclat qu’on mesure le génie de ce petit mec. Un détail qui vaut son poids d’or du Rhin : John Paul Keith dédie l’album à Howard Grimes : «In loving memory of Howard Grimes. 1941-2022. THE REAL RHYTHM OF THE CITY.»

             Merci à la Nouvelle Machine qui nous aide à enterrer le souvenir de Pandemic.

    Signé : Cazengler, Jean Pauv Kon

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    John Paul Keith. Le Trois Pièces. Rouen (76). Le 2 mai 2022

    John Paul Keith. The Rhythm Of The City. Wild Honey Records 2021

    John Paul Keith. A World Like That. Live At B-Side. Wild Honey Records 2022

     

     

    Inside the goldmine

    - Quand le Kevin est tiré, il faut le boire

           En France, on transforme aisément un Jean en Johnny, mais attention, ce n’est pas forcément le Johnny qu’on croit. Non, ce Johnny-là se réclamait de Johnny Thunders, pas du Johnny national. Il tenait à le préciser pour éviter les incidents diplomatiques. Et comme il était d’un naturel batailleur, il valait mieux les éviter. Johnny commit à l’époque de ses 18 ans une fatale erreur : il s’engagea dans l’armée, persuadé qu’il allait pouvoir partir à Tahiti, mais il fut envoyé dans un camp d’entraînement de parachutistes, quelque part dans le Sud-Ouest. Il voulut bien sûr démissionner mais on le roua de coups ce qui le convainquit de rester dans le rang. Garde à vous ! Six mois plus tard, la cervelle bien lavée, il débarquait au Tchad et participait aux missions de nettoyage des villages qui soi-disant alimentaient la guérilla. L’armée utilisait toujours les anciennes méthodes, celles des guerres d’Algérie et du Vietnam : éradication des populations soupçonnées de soutenir l’ennemi. Alors Johnny obéissait aux ordres. Pour ne pas devenir complètement fou, il écoutait chaque nuit la seule cassette qu’il avait emportée dans son paquetage, celle du premier album des New York Dolls. Lorsqu’il fut démobilisé, il n’était bien sûr plus le même. Il se remit à porter son vieux perfecto et nous découvrîmes qu’il planquait dans sa botte un couteau de combat. Dès qu’il croisait un noir dans la rue, il sortait son arme et nous n’étions pas trop de quatre pour le ceinturer et le ramener au calme. Certaines nuits de beuverie, il cherchait une épaule compatissante pour y pleurer à chaudes larmes. «Quand le vin est tiré, il faut le boire», disait-il, à quoi il ajoutait : «Jusqu’à la lie», pour que la métaphore soit bien compréhensible. Il ne s’est bien sûr jamais remis de cet épisode méprisable et il passa le restant de sa vie à tenter de concilier l’inconciliable, c’est-à-dire le quotidien et ses souvenirs. Il fondit une famille, vit de nombreux psychiatres, reprit du service dans un groupe de rock et finit enfin par perdre la boule pour de bon.

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             Le destin de Kevin Junior n’est pas beaucoup plus joyeux. Luke la main froide nous rappelle dans sa column que cet Américain basé à Chicago rencontra à une époque Nikki Sudden et Epic Soundtracks, qu’Epic et lui devinrent inséparables et qu’il cassa sa pipe en bois relativement tôt, à 47 ans, non pas à cause du Tchad mais de l’hero. La main froide situe donc le petit Kevin comme the final part of the Nikki Sudden-Epic Soundtracks axis of burning talent and horrible early death. Avant d’aller s’installer à Londres pour bosser avec son pote Epic, le petit Kevin avait enregistré deux albums avec son groupe, the Chamber Strings. La main froide se montre élogieux avec ces deux albums - The culmination of his influences (Carole King, Alex Chilton, Brian Wilson, power pop, country, gospel, blue-eyed soul, the Go-Betweens) - et donc, on se fait un devoir de les écouter, car ce sont des influences qui font baver.

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             Le premier date de 1997 et s’appelle Gospel Morning. Big, big, very big album, c’est enregistré à Chicago mais dès «Telegram» on se croit en Angleterre. Le petit Kevin et ses amis proposent une pop brillante, ils sont les rois de l’anglicisme, on se croirait dans la roulotte de Ronnie Lane. Le petit Kevin joue la carte des renversements mélodiques avec «Everyday Is Christmas», bam bam bam, ça regorge d’excellence, les descentes de chant sont superbes, la main froide a raison de s’émouvoir. Le petit Kevin dispose de pouvoirs surnaturels, comme le montre encore «Dead Man’s Poise», il tire son Dead man dans la psychedelia à coups de retours de manivelles et ça devient vite énorme. Globalement, c’est trop anglais pour être honnête, ces mecs louvoient au pied des falaises de marbre, power absolu & pureté mélodique, voilà les deux mamelles du petit Kevin. Il abat «The Race Is On» aux power chords. Quel allant et quelle allure ! Il fait son Nikki avec «All Of Your Life», c’est tellement Nikké que ça casse la baraque. Il passe directement au coup de génie avec «Cold Cold Meltdown», encore très Nikké dans l’esprit, c’est un balladif jacobite bien embarqué aux guitares, avec des échos de Sway dans le son, d’où l’intensité de la Stonesy. Quand on écoute «Thank My Lucky Stars», on pense immédiatement aux pleins pouvoirs. Le petit Kevin se les octroie tous, il a le répondant d’un magicien, il est exactement dans la même veine que Nikki : la romantica dans ce qu’elle peut offrir de plus jouissif. Ses balladifs sont visités par les esprits, tout est traité dans la dignité du big sound. Dans les bonus se trouvent une reprise du «Baby It’s You» des Shirelles repris par les Beatles et Johnny Thunders, puis d’«I Pray For Rain» de Dan Penn dont le petit Kevin est un fan transi.

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             Le deuxième album date de 2001 et s’appelle Months Of Sundays. Le petit Kevin apparaît à la fenêtre, sous un parapluie. Il rend deux hommages pour le moins spectaculaires à Brian Wilson : «The Fool Sings Without Any Song» et «Beautiful You». Il va vite au sucre avec le premier,  il connaît tous les secrets du swagger des Beach Boys. Il est d’un niveau qui se situe au-delà des niveaux. Il tape dans l’exergue d’excelsior. Ce que confirme «Beautiful You». Direction Pet Sounds, il avoisine la pire excellence instrumentale, celle de Pet Sounds. Il tape encore dans une pop de rêve avec «Last Lovers». C’est tout de suite parfait. Il semble plonger dans la pop avec une obsession superbe, sa pop jaillit comme une fontaine, une pop qui rivalise en qualité et en pureté avec celles de Brian Wilson et de Todd Rundgren. Il rôde bien, trop bien. Cette pop est tellement parfaite qu’on dresse l’oreille. Il drive le groove d’«It’s No Wonder» à la Junior pour en faire une merveille absolue, il sait groover à l’infini et se faire orchestrer. Ah qui dira la violence de son excellence ? Il est partout et il est bon, il est plein de son et plein d’esprit. Il attaque la pop de «The Road Below» comme le ferait Nikki, même poids jeté dans la balance, même élégance du gratté de poux. Il taille encore bien sa route avec «Our Dead Friends» - Our passing friends - et termine avec une version acou de «Last Lovers», histoire de montrer un peu mieux à quel point cette chanson est parfaite. Le petit Kevin navigue dans son rêve d’excellence, il faut s’abandonner à lui.

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             Il existe aussi une petite compile parue sur Sunthunder, le petit label espagnol qui hébergea Kuss en fin de parcours. Comme les deux albums des Chamber Strings, Ruins (A Collection Of Rareties B-sides & Outtakes) vaut à la fois le détour et le rapatriement. On y trouve un hommage superbe à Johnny Thunders, «It’s Not Enough», c’est en plein dedans, les guitares croisent au large comme des requins. D’ailleurs l’hommage à Johnny Thunders n’est pas innocent : ils ont un petit côté lookalike. Autre belle cover : «Whiskey In The Jar», clin d’œil à Phil Lynott, avec du solo à la coule de moule. Fantastique énergie. On croise aussi sa reprise du «Baby It’s You» des Shirelles, son «I Pray For Rain» de Dan Penn et on retrouve des cuts qui datent du temps de Chicago, comme «Thank My Lucky Star», «Dead Man’s Poise» gratté au raw to the bone, «Last Lovers» et un «Telegram» bardé de barda, absolument génial, car il tartine de la Soul dans sa pop. Le «Common At Noon» d’ouverture de bal date de l’époque de son premier groupe, The Rosehips. Le petit Kevin y chante au doux du chant sur des glissés de cordes à la Small Faces et des arpèges lumineux. Il prend son «Kevin Junior» par dessus la jambe et son «Ragdoll» qui date aussi des Rosehips est visité par des guitares extraordinaires. Tiens, voilà «Contact High» qui date de l’époque d’un autre groupe, Mystery Girls. C’est du Junior débouling, il arrive dans le chant comme un chien dans un jeu de quilles. Ce mec est une véritable aventure. Il monte sur tous les coups.

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             La main froide recommande aussi l’écoute de l’album posthume d’Epic Soundtracks, Good Things, enregistré chez Epic à West Hampstead en 1996, sur un quatre pistes, avec le petit Kevin - There are still a few copies out there. Seek one and you will never be without - C’est le petit Kevin qui écrit les liners en 2004. Il raconte que le projet est resté shelved, c’est-à-dire dans un placard pendant 8 ans. Il raconte aussi la tournée européenne qu’ils ont faite à deux et puis la mort d’Epic. No hard drugs, broken heart. Un mystère. Puis le petit Kevin se décide enfin à faire profiter le monde des démos enregistrées en 1996, il transfère les bandes sur Pro Tools et c’est ça qu’on entend sur le CD. Epic et lui font sur cet album du pur Nikki Sudden, c’est le petit Kevin qui gratte les notes fantômes d’«I Do Declare» et avec «Dedications», ils passent tous les deux à la wild psychedelia de West Hamspead, le petit Kevin gratte à l’ongle sec des solos qui vont se perdre dans l’air du temps. Avec «I Got To Be Free», ils créent une fabuleuse ambiance, avec des chœurs latents. Puis Epic craque «Maybe You’re Right» à la voix d’introspection tranchante et derrière lui le petit Kevin fournit les chœurs d’artichauts. Comme Fred Neil, Epic fait du lard puissant, il va chercher des valeurs avec «Good Things Come To Those Who Wait», il cherche l’envol. Encore de la pureté à gogo avec «House On The Hill», il retape dans le mille à l’accent tranchant, Epic est assez épique, c’est encore un privilège que d’entrer dans le groove d’Epic, dans cet excellent «A Lot To Learn». Il y développe un groove à la petite perfe de West Hampstead. Il termine avec «You Better Run», une vraie petite pop de better run, une pop anglaise qui ne mène nulle part mais qui a pour particularité d’être infectueuse.

    Signé : Cazengler, Kevin Geignard

    Chamber Strings. Gospel Morning. Bobsled Records 1997

    Chamber Strings. Months Of Sundays. Bobsled Records 2001

    Kevin Junior. Ruins (A Collection Of Rareties B-sides & Outtakes). Sunthunder Records 2009

    Epic Soundtracks. Good Things. DBK Works 2005

    Signé : Cazengler, Kevin Geignard

    Chamber Strings. Gospel Morning. Bobsled Records 1997

     

     

    MARLOW RIDER / ALICIA F !

    QUARTIER GENERAL

    ( Paris / 06 – 05 – 2022 )

     

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    Longtemps que je n’avais mis les pieds à Paris. Beaucoup de monde sur les terrasses des cafés, l’on sent que toute une jeunesse rattrape le temps perdu, cette joie de vivre est la meilleure introduction possible à un concert de rock’n’roll.

     MARLOW RIDER

    Heureusement que l’on était debout sinon c’était tout droit la chaise électrique. D’ailleurs Tony débute le set par Debout. Fred Kolinski est assis lui, royal derrière ses fûts, en grand ordonnateur du désastre, étrangement calme, imperturbable, manie le tonnerre avec flegme, vous déclenche l’apocalypse sans même feindre de s’intéresser à la conséquence de ses coups, sûr de lui, l’onde sonore qui embrase la scène témoigne pour lui.

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    ( Photo : Peter Dumber )

    Pas de panique, les deux autres oiseaux devant lui ont de la répartie. Chemise festive et regard sombre Amine Leroy slappe sans remord. Vous rentre dans la cathédrale sonique érigée par Kolinski comme s’il était chez lui, normalement il devrait être écrasé par l’ampleur de l’architecture, point du tout, Amine s’emploie à la consolider, à l’étayer méthodiquement par des rangées de piliers que ses slaps sèment comme des champignons géants à pousse rapide. Consolide l’armature.

    Elle en a besoin. Tony Marlow a sorti sa Fender blanche. Je dis blanc pour réunir en seul mot toutes les teintes que le balayage luminescent des spots lui prête Ne la ménage pas. C’est sur le troisième morceau, une attaque creaminelle de Sunshine of your love que l’on comprend que ce soir le marlou est dans une forme éblouissante. Va nous tisser toute la soirée des dentelles de pierres qui finissent par s’épanouir en vapeur mauve. Tous les yeux de l’assistance sont fixés sur ses mains. En pure perte d’ailleurs, à peine s’il bouge un doigt par-ci par-là, vous triture des riffs stalactites, vous tombent dessus comme des coups de massues préhistoriques sur des crânes de mammouths, ou alors vous verse dans les oreilles une friture de stalagmites qui s’évadent de vos tympans pour ricocher aux quatre coins de la pièce. La guitare de Tony a décidé d’habiter le monde. Vous y englobe dedans, crée l’atmosphère nécessaire à votre survie, vous emmène sur une autre planète où tout est plus beau, elle colorise vos rêves, élargit et allège vos pensées, vous emporte dans un ailleurs psychédélique. Les échos de la voix veloutée de Tony dansent devant vos yeux, des mots vous traversent comme des vols d’hirondelles venues de mystérieuses et lointaines contrées, elle nous envoûte, notre âme devient un paysage choisi.

    Marlow s’enfuit, à plusieurs reprises il descend de scène et d’une démarche chaloupée disparaît au fond de la salle, même pas besoin de le suivre des yeux, il suffit de les fermer pour voyager et voler dans l’astral des sonorités, quand il revient de ses escapades les riffs sont encore plus acérés, trempés dans l’acier des joies explosives.

    Ce qui est sûr c’est que le trio prend un plaisir fou à jouer. S’installent dans une sorte de démesure créatrice étonnante. Sont au taquet, nous offrent les morceaux du prochain album, les séances sont prévues dès le lendemain, ces nouveaux titres leur brûlent les doigts, sont partis, le set irradie une incroyable puissance, sont habités par une grâce titanesque.

    Z’ont dû jouer une heure et demie, Chris Theps ordonnateur des lieux fait un signe discret, ce sera le dernier morceau, Among the zombies, prémonitoire car lorsque la pluie de soufre et de feu se terminera, il ne nous restera plus qu’à retourner nous enterrer dans la tombe de l’existence quotidienne.

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    ( Cette photo appartient au set d'Alicia, elle est comme les trois ci-dessous de Franck Bonilawski )

    ALICIA F !

    Alicia F ! nous a refait le coup de la fusée d’Einstein, tant que vous êtes dedans tout est parfait, lorsque vous en sortez, vous vous rendez-compte que le monde a vieilli.

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    Au début de l’expérience, vous ne vous en doutez pas, tout semble normal, un groupe de rock comme on les aime, batterie, basse, guitare, le kit maximal de survie en zone urbaine. Fred Kolinski immobile, figé en une attitude papale, prêt à déchaîner la foudre de sa malédiction urbi et orbi sur l’assistance, Tony Marlow a échangé sa tunique contre un T-shirt et s’est muni en guise de trident neptunien de sa Flying V Gibson, arme redoutable pour les petits poissons que nous sommes, quant à Matthieu il arbore outre son T-shirt météorite en grosses lettres noires sur le corps de sa basse la meurtrière inscription, telle une revendication oriflammique originelle, la rune magique prête à ravir le cœur des adorateurs de Gene Vincent, Pistol Packin Mama…

    Elle se glisse à la manière furtive d’un mamba noir sur la scène, si ce n’est le rouge vipérin de ses lèvres, elle paraît inoffensive, profitez de ces quelques secondes de rémission, le temps de jeter un coup d’œil sur la setlist et de s’emparer du micro.

    Décollage immédiat. Le triangle bermudien qui l’entoure, les trois boosters de poudre noire, lancent tout de go l’impulsion sonique, mais l’ogive nucléaire c’est la voix d’Alicia.  Tout est donné d’emblée, l’attitude, le chant, l’accompagnement, cette extraordinaire coalescence du signifié et du signifiant, n’en déplaise aux grammairiens académiques, est au fondement du mystère du rock ‘n’roll. Ou vous y atteignez, ou vous restez définitivement hors-champ. Pas de juste milieu, le signe et le sens ne doivent former qu’un à la manière dont le poing et la frappe, le geste et l’intention, s’amalgament pour activer un uppercut.

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    Blitzkrieg Bop pour ramoner les consciences. Avertissement sans frais le set sera bop et point pop. Mais déjà nos yeux ne quittent plus Alicia. Elle n’occupe que l’espace de son corps. La main sur la pliure intime du pantalon de cuir, négligente et souveraine désignation du lieu métaphysique du rock ‘n’ roll, Alicia bouge selon l’immobilité rayonnante circonscriptionnelle de son corps, jamais un pas en-dehors de son aura de chair. Ramassée en elle-même, insaisissable, elle saute sur-elle-même, tressaute et sautille, la reine ne danse avec personne d’autre qu’elle-même. Auto-suffisante. S’adresse à nous par l’entremise de ses gestes vindicatifs, ses Hey oh !  Let’s go ! sont autant des appels que des mises en garde. Désirs et menaces. Alicia impose sa règle. Et ses règles, Montly Visitors, morceau saignant et bannière sanglante de sa féminité revendiquée, le rock appartient aux filles. Dans le dernier tiers du set, elle reprendra Cherry Bomb de Joan Jett, la garce qui aimait le rock’n’roll. Sur I wanna be your dog, elle sera louve lascive, allongée à terre, les jambes secouées de frissons-pâmoisons, la main tel un croc inquisiteur sur l’entrejambe de Tony, couchée à ses pieds, quémandeuse, exigeante, maîtresse de cérémonie.

    Les boys ne chôment pas. Assurent un accompagnement métronimique, les titres s’enchaînent, racés jusqu’à l’os, en offrent une épure quasi-idéelle, qui frôle la perfection, verbiage inutile, tout et tout de suite, pas d’oiseuses discutailleries, Matthieu allonge des notes noires, brèves et incisives, vous font une boutonnière au cœur chaque fois qu’elles vous percutent, Fred y va d’une percussion serrée, filigranique pourrait-on dire, une véritable machine à coudre, cogne des pointillés pour suivre le vocal d’Alicia qui ne laisse aucun répit, les mots se suivent, comme une file d’ours noirs sur la banquise mazoutée, surviennent en langue de serpent, à peine sortie que déjà rentrée dans l’oubli du gosier, l’auditeur attentif à la prochaine piqûre venimeuse d’un nouveau vocable knock outé, le Marlou se débrouille pour fourrer des soli étincelles, entre deux syllabes, économie de moyens et maximum de rendement auditif.  

    Une reprise pyramidale de Paranoid, car le rock côtoie la folie, I’m eigtheen – Alicia rencontre Alice au temps du lapin pressé de sa jeunesse – des originaux, un Kill ! Kill ! Kill ! assassin ou Skydog Forever en hommage vibrant à Marc Zermati.

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    Svelte et menue, Alicia, elle a tout compris, la simplicité et la subtilité, les racines et l’outrance, une enfant montée en graine de violence, une adolescente à la poursuite de ses rêves, une grande dame du rock ‘n’roll qui nous est née, et que nous attendions depuis longtemps.

    Damie Chad.

     

      

    WELCOME IN MY F… WORLD !

    ALICIA F !

    ( Damnation Records )

     

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    Alicia Fiorucci : lead vocals / Tony Marlow : guitar + Backing vocals / Fredo Lherm : bass + Backing vocals / Fred Kolinski : drums, percussions + Backing vocals

    Hey you ! : pas pour rien le poing d’exclamation, un, deux, trois, c’est parti, Alicia pose les limites, joyeusement en fille qui n’entend pas que l’on étende la marmelade sur ses tartines à sa place, elle y va gaiement, Kolinski se fait un plaisir de métamorphoser sa batterie en hachoir mécanique, et le morceau déboule à la vitesse d’un boulet de canon. Marlow se paye un court solo en fil de fer de barbelé, et vous n’avez pas fini d’apprécier que c’est déjà terminé. Beau bonbon acidulé, entre sucre et piment de Cayenne. Cherry bomb : deuxième affirmation féministe empruntée à Joan Jett, plus musclée que la première qui n’était pas spécialement un modèle de coolitude, ici nous avons droit à la perfidie hargneuse, ah ! ces tse ! tse ! tse ! de la langue aussi dangereux que le cliquètement d’une queue de crotale, Alicia chante avec le plaisir de celui qui pousse un rocher pour qu’il écrase son ennemi au bas de la falaise, pas sadique, sadien. Sachez entrevoir la différence. Freedom’s running : une chasse à courre, le renard s’appelle liberté, là n’est pas le problème,  au lieu d’alerter la SPA profitez de la galopade, Alicia en tête, vous conduit le vocal comme un traineau tiré par deux cents malamutes, et les boys n'y vont pas avec le dos de l’instrument, jouent comme si leur vie en dépendait, remarquez comment Fredo fronce les sourcils de la basse, l’occasionne ainsi de sacrées bousculades, le Marlou a chaussé sa guitare de sept lieues, et le Kolinski descend la pente sur ses skis, Alicia termine en tête. Même pas essoufflée. Du grand art.  N’empêche que ses trois premiers titres sont des empêcheurs de tourner le disque en rond. A peine en avez-vous écouté un qu’il vous faut retourner en arrière pour le réécouter. City of broken dreams : un peu de douceur dans ce monde de brutes, rien que le titre donne envie de pleurer, Alicia se sert de sa voix comme d’un archet qu’elle passe sur les fibres émotionnelles de votre coeur, de la guitare de Marlow tombent des larmes et les deux Fred se retiennent pour ne pas exploser. Une façon très américaine de poser la voix sur le refrain. Monthly visitors : c’est reparti pour une partie de quilles tirées au canon, Anita hisse sans pudeur et sans honte le drapeau rouge de sa féminité, femme jusqu’à son rouge à lèvres, Marlow en profite pour un solo écorché qui saigne, c’est tellement bon que l’on regrette que ces fameux visiteurs ne passent pas toutes les semaines. Speedrock ! : tiens une tonalité country, attention les cats, presque du rockatbilly, normal c’est un morceau à la gloire de Speedrock son chat qu’Alicia a recueilli tout petit et affamé aux abords d’un concert (de rock, est-il besoin de préciser), chant félin, et les boys lui concoctent un arrangement aussi glissant et ondoyant que les tuiles d’un toit sous un ciel pluvieux. Promenade idéale pour les matous. Because I’m your ennemy : Alicia sort ses griffes. Elle a raison, mais à la manière dont elle mord les mots l’on comprend qu’elle cherche la bagarre, d’ailleurs derrière les boys pressent d’un peu trop près l’assistance, l’est descendue dans la rue avec son gang et ça cagnarde sec, l’écoute de ce morceau est fortement déconseillée aux enfants pourraient avoir envie de devenir des blousons noirs une fois grands, surtout que la voix insidieuse d’Alicia et les bousculades tomiques de Kolinski sont très impressionantes. Silver fox : jusqu’à présent Alicia donnaient l’impression d’être contre tous, la voici tout contre un seul, un conseil n’y touchez pas, il pourrait vous en cuire parce que ce titre déménage sec, met autant de force à vouloir ce qu’elle veut qu’à ne pas vouloir ce qu’elle ne veut pas. Kill, kill, kill : un peu de politique n’a jamais fait de mal à personne, cette vision éruptive de notre monde se termine toutefois par un mot d’ordre sans appel, ne vous étonnez pas que ce morceau soit rentre-dedans, sur une rythmique bulldozer. Les killers ne sont pas toujours où l’on croit. Une conviction dans le chant qui emporte tour. Aileen : une balade en l’honneur d’Aileen ( Wuormos ), tueuse en série, une vie cabossée, dérangeante, prostituée, exécutée en 2002, dans l’esprit de certains morceaux de Bob Dylan, parce que parfois le rock sait être intelligent. Et courageuse. Gimme a break : profitons de ce titre pour souligner l’importance de l’utilisation des backing vocals dans ce disque. Ici Alicia s’amuse : une voix davantage de gorge sur certains passages afin de mieux faire remarquer la clarté de ses montées vers des aigus modérés. Un bon rock des familles disruptives, une véritable piste d’envol pour les musiciens qui bourrent très dur le mou. Skydog forever : une autre ballade, hommagiale adressée au maître de Skydog, Marc Zermati, une présence chère pour Alicia, sur la fin du morceau l’on entend la voix tutélaire du rock et du punk national et international. Osmose parfaite entre les jeux de voix et le tapis volant de soie pure que tissent les boys.

             Le premier album d’Alicia F est une petite merveille. Qui fera date. Une balade entre punk et country, mais quel que soit le genre abordé, toujours très rock ‘n’ roll.  Si Tony a composé les musiques, Alicia a écrit les lyrics, pas étonnant que le disque lui ressemble tant. Alicia trimballe et expose ses propres mythologies, c’est sans doute cela qui fait que cet album tranche par son authenticité comparé aux parutions du moment.  Alicia F, une foutue sensibilité rock ‘n’ roll !

    Damie Chad.

    P. S. : si vous avez lu la chronique il aurait été plus malin de commencer par ce post-scriptum qui reprend le très court de texte de présentation qu’elle a écrit : ‘’ Ca cause de pisse , de merde, de crevards, de sang de règles, d’une tueuse en série. Mais aussi de liberté, de l’amour à mon "Cat ", de monsieur Skydog et d’un chat mignon. En passant par les incontournables sentiments propres à la comédie humaine comme la jalousie, l'hypocrisie, la "faux cusserie. Welcome To My F... World" un album riche en émotions! " .

    C’est comme la couve, elle se passe de commentaire.

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    *

    Kreationist est un one man band, l’artiste qui le compose – notez la double polysémie de ce verbe - se présente sous le nom de Vidi. N’est pas seul sur les deux disques que nous chroniquons. L’a fait appel à un couple de jumeaux stellaires et tutélaires. Rimbaud et Verlaine, les Castor et Pollux de la grande lyrique françoise, indissociablement associés dans leur mort.

    Attention nous sommes ici dans les franges du metal, dans une de ces marches vers l’extrême qui semblent se fuir elles-mêmes pour mieux se retrouver dans le point d’ancrage de leur propre perte.

    INDULGENCE

    KREATIONIST

    ( Artic Ritual Records / 13 décembre 2019 )

    La couve pose problème. Certes l’identification du personnage est facile : Arthur Rimbaud, une de ses représentations les plus célèbres. Extraite de la toile de Fantin-Latour intitulée Coin de table parfois surnommée ( à tort ) Le dîner des vilains bonhommes. Sur les sept hommes représentés sur le tableau la gloire littéraire ne s’est attachée qu’aux deux premiers, le jeune Arthur ( le seul qui soit opportunément situé au coin de la table ) et son ami-amant Paul Verlaine. L’iconographie n’est guère mystérieuse. Le titre de l’album davantage. Disons que la notion d’indulgence semble de prime abord mal-appropriée pour évoquer de près ou de loin la personnalité de Rimbaud. Sans doute est-il emprunté à un article de Verlaine ( Arthur Rimbaud / Chronique ) dans lequel il récuse les accusations d’indulgence dont il aurait fait preuve envers Rimbaud dans un précédent papier, comme si ce Rimbaud qui a écrit des vers si extraordinaires avait besoin d’indulgence !

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    Les amis : le morceau finit comme il commence, des coups de batterie, ces coups de bâton qui ouvrent les pièces de théâtre et qui ici aussi indiquent la closure. Lever et baisser de rideau d’une fantasmagorie rimbaldienne. Ensuite la musique déroule ses anneaux tel l’anaconda originel des mythologies amazoniennes dont les violents coloriages des tatouages de la peau sont censés représenter le spectacle du monde, la voix de Vidi n’est pas divine, elle se fond dans la pâte sonore, les trois strophes du poème sont dites mais point énoncées, quel secret murmure-t-il entre les strophes, l’on ne perçoit bien que les phonèmes ‘’sa-ge’’ comme s’il s’agissait de détenir sans le divulguer le secret de toute sagesse poétique. Ce poème fait partie de l’ensemble de ces vers de Rimbaud écrits en l’année 1872, soit après Le Bateau Ivre qui date de 1871, faut-il les entendre après ses premières poésies comme une nouvelle tentative poétique de Rimbaud pour fixer tous les vertiges de ses sensations par le vers qu’il ne poursuivra pas et qu’il abandonnera au profit de la prose d’Une Saison en Enfer et des Illuminations… Faut-il expliquer le silence ultérieur de Rimbaud par justement ce constat qu’il fit de ne pas réussir à forger un vers à sa démesure et qu’il ait perçu l’adoption de la prose comme un échec encore plus mortifiant. Tête de faune : ces trois quatrains, un thème rebattu de la poésie française, n’ont rien de poétiquement révolutionnaire, à première vue, car sous la tête du satyre se cache la figure de Verlaine, cette apparition faunesque Vidi l’entrevoit selon une orchestration similaire au premier morceau, mais il est des notes qui klaxonnent et qui percent les tympans comme de joyeuses sonneries de cor enjouées, la voix légèrement moins basse, davantage audible même si dans le blanc qui sépare les strophes elle revient noyée sous un désordre orchestral, qui se déploie de plus en plus pour terminer en une espèce d’exultation finale. Pièce heureuse, l’on sent l’exaltation quasi érotique de l’adolescent Rimbaud. Vidi ne dit pas, il profère. L’esprit : fait partie de cette même et deuxième tentative poétique que Les amis. Cette fois c’est le vocal accentué et presque crié qui conduit la musique. Un chant de désespoir, Rimbaud clame l’inanité de ses anciennes visions de ces folies déréglées, n’en est pas moins brûlé de l’intérieur par une soif d’absolu qu’il lui est impossible d’étancher. Les mêmes coups violents de batterie que dans Les amis terminent le morceau. Jouent le même rôle que les coups du destin beethovenien dans la cinquième symphonie. Exultation romantique fracassée. La première soirée ( Part 1 ) : double changement d’atmosphère, tam-tam-bourinade quasi africaine, agrémentée d’un groove électrique induisant l’intrusion par rapport aux trois premiers poèmes d’une modernité musicale actuelle peu révolutionnaire, pour le texte on ne dira jamais assez combien le jeune Rimbaud est redevable aux odelettes de Théodore de Banville, l’on peut dire que le génie de Rimbaud a consisté à essayer de donner un sens métaphysique à la gratuité, donc insatisfaisante, du concept funambulesque mis en œuvre par cet ‘’aîné’’ prestigieux pour le jeune lycéen. Qu’est-ce que cette première soirée que le récit d’une idylle érotique entre une jeune demoiselle qui n’a pas peur du loup et un adolescent tout fier de jeter sa gourme… afin d’enlever à ce texte tout ce qui tient de l’exercice imitatif de style, Vidi mélodramatise le vocal, lui confère une dimension burlesque correspondant assez bien aux vantardises d’un jeune mâle qui de fait doit son triomphe davantage au bon vouloir de la jeune femelle qu’au rut présupposé sauvage de notre jouvenceau. Ne pas oublier que malgré   ses proclamations victorieuses Rimbaud est un maître de l’auto-dérision. La première soirée ( Part 2 ) : cette deuxième partie n’est que la suite du poème dont la première partie n’était consacrée qu’aux quatre premières strophes, voici donc les quatre dernières,  suite acoustique qui prend non plus le pied de la belle mais le contre-pied de la première interprétation, le même thème mais ici la bravache du garçon prend le dessus, presque un Casanova désargenté, mais la musique acquiert une densité lyrique bien plus forte, les arbres qui se penchent malinement à la fenêtre, tout près, tout près, semble ne plus faire qu’un avec l’action copulatoire, comme si l’acte sexuel du Don Juan en herbe mettait en branle une osmose souveraine avec la nature et l’univers, mais après l’instant extatique de la décharge, la simple et sempiternelle œuvre de chair accomplie l’acoustique revient, tel le sifflotement victorieux de l’amant satisfait.  Le faim : retour aux poèmes de 1872, il existe une autre version de Faim intitulée Fêtes de la Faim dans laquelle Rimbaud s’essaie à une version qui tend à rapprocher le poème d’une chanson notamment par l’introduction des onomatopées dim ! dim : dim ! dim ! qui ne sont pas sans évoquer les cloches des églises - ne pas y voir une critique de prélats dodus mais plutôt la recherche d’une écriture illuminante empruntant sa puissance à la naïveté brutale des arts populaires, si je fais allusion à cette version c’est que dans l’introduction musicale du morceau le lecteur ne manquera d’entendre dans la noirceur instrumentale s’élever le clairon dim-dimesque de ces trilles sonnantes, que l’on peut rapprocher de leitmotivs wagnériens du pauvre, repris par la suite en sous-main au piano,  une manière pour Vidi d’exposer  au travers de l’infatuation lyrique le déchaînement de cette soif d’absolu qui le dévore. Et dont la faim le tenaille. Faute de poésie céleste, mange de la terre.

    Quatre poèmes suffisent à Vidi pour silhouetter une image intérieure de la démarche de Rimbaud. L’œuvre est à écouter dans sa continuité. Elle risque de désorienter les auditeurs français nourris aux interprétations des poèmes de Rimbaud et Verlaine qui prennent un sacré coup de vieux. Nous excluons toutefois la version d’Une saison en Enfer du même Ferré mais s’accompagnant en solitaire au piano.

     

    DANS L’INTERMINABLE

    KREATIONIST

    ( I, Voidhanger Records / Novembre 2021 ) 

    Après Rimbaud, Verlaine ! Mme principe pour la couve, un tableau emprunté à un peintre du dix-neuvième siècle. Verlaine n’y figure pas. La toile offre cependant un contraste parfait avec L’Indulgence. Les fresques allégoriques de Puvis de Chavanne ne sont guère en odeur de sainteté artistique de nos jours. Elles empruntent trop, pour nos goûts de modernes chasseurs tohu-bohuques à un discours symbolique trop explicite. Intitulée Le rêve, le tableau nous montre en même temps un dormeur et son rêve. Notre modernité aurait effacé le dormeur et nous aurait dessiné les éclats  d’un cauchemar labyrinthique peuplé de monstruosités freudiennes… Or Puvis de Chavannes le représente sous le blanc virginal de leur céleste apparence trois jeunes femmes apportant au bienheureux endormi les symboles de l’amour, de la gloire et de la richesse. Quelle fadeur !

    Encore faut-il apercevoir sous la grâce diaphane de cette triple apparition, la mise en abyme de la scène mythologique de Pâris sommé d’élire la plus belle de trois déesses, lorsque l’on se souvient des dix années de guerre de Troie engendrées par le choix de Pâris, l’on comprend la fadeur mortuaire des teintes qui représentent le Rêveur couché à même le sol.

    Le titre de l’album est propice à la rêverie. Nous y reviendrons. C’est quoi qui est interminable, la vie, la mort, le rêve, la poésie, cochez la case qui vous convient le mieux.

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    Mandoline : le titre est prometteur en plus extrait des Fêtes galantes, les premières notes nous détrompent vite, certes le rythme est relativement   tourbillonnant mais comme brouillé, ouaté, séparé de nous, un piano trop nostalgique l’interrompt de temps en temps, mais la musique ne s’arrête pas et tourne infiniment, Vidi chante à mi-voix, il susurre, il expire, l’on ne tarde pas à comprendre tout cela est du passé depuis longtemps, Vidi nous en rapproche autant qu’il nous en éloigne, des échos d’un temps oublié qui ne saurait s’effacer ni perdurer non plus, ombres bleues de la mort figées dans le temps. Il pleure dans mon cœur : intro emphatique, précipitations, ce doux murmure de la plus douce des Romances sans paroles, Vidi la dit avec rage, un piano se pose sur sa souffrance, comme des éclats de mitraillette, la rancœur prend le dessus, la haine affleure sous les mots, maintenant presque une musique de film qui ronronne, tout cela importe-t-il vraiment. Kreationist nous mouline Verlaine au nihilisme. Colloque sentimental : ( + Flika ) retour aux Fêtes Galantes, la même rage qu’au précédent, cette fois-ci pas de tergiversation pas, nous sommes au royaume de la mort, deux ombres parlent, un dialogue qui sonne faux, Flicka a l’air d’une débutante qui passe une audition pour un rôle mineur dans un théâtre de province de douzième catégorie, à la douceur de Verlaine Vidi a substitué sa violence, le temps emporte et décharne toutes les illusions de l’élan vital. Walcourt : rythmique binaire, musique forte et presque joyeuse si ce n’est ce leitmotiv en catimini qui n’a l’air de rien, et ce paysage charmant décrit avec ce doublement psalmodié de nombreux mots, Vidi chante comme on dégueule, comme on gerbe, un piano ouvert sur l’apparente beauté du monde, exaltation rythmique épanouissante, trop beau pour être gai, la musique s’arc-boute sur elle-même et s’arrête brusquement. Nous ne faisions que passer. Interlude : titre verlainien en diable, de la musique avant toute chose, morceau musical, reprend l’atmosphère des titres précédents, Vidi veut-il nous laisser retrouver souffle, pas très longtemps en tout cas. Extase langoureuse : encore une de ces Romances sans paroles qui disent toute la tristesse du monde, ce qui est passé depuis moins d’une seconde est définitivement perdu, la musique fonce en avant comme si elle voulait rattraper le bonheur en allé, ce vide qui nous constitue. Le morceau le plus rock du disque. La bonne chanson ( XI ) : même vitesse, même empressement, ce n’est plus le passé qui n’est plus, c’est le futur qui n’est pas encore, n’est-ce pas la même chose, la même absence, des ondées d’inquiétude parfument le background musical, le vocal essaie de forer le mur du temps qui nous enserre. Soleil couchant :   encore un extrait de Romance sans paroles, débute par un long prélude pianistique, doucement la musique prend de l’ampleur, à croire que c’est un poème sans mots, d’ailleurs qu’attendre de beau et de bon d’un poème saturnien, est-il vraiment utile d’en chanter les paroles, tout soleil couchant n’est-il pas comme une prémonition de notre déclin, la musique se fait douce, de l’ouate, un pansement pour nous consoler, et puis cette évocation encolérée au soleil. Couché. Dans l’Interminable : ainsi écourté le titre prend une dimension métaphysique, si vous rajoutez le vers suivant Ennui de la plaine, cette romance sans parole semble toucher terre. Hélas une terre vide. Est-ce pour cela que la musique semble prise d’une frénésie d’urgence, d’une pamoison d’espoir infini, hélas si brutalement achevée !

             Pour cet opus consacré à Verlaine, Kreationist n’a choisi que des textes provenant de ces quatre premiers recueils, ce qui est obligatoirement réducteur quant à la totale préhension de son cheminement poétique. Vidi nous offre toutefois une lecture toute personnelle des premiers textes de Verlaine embués d’une sourde nostalgie qu’il a magnifiquement transcrit par son metal doom atmospheric empruntant à bien d’autres styles musicaux tout en gardant une grande unité de ton.

    Ma préférence se porte toutefois sur L’Indulgence de Rimbaud, ce personnage arborant une bien plus grande dimension êtrale.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUE DE POURPRE 455 : KR'TNT ! 455 : ROWLAND S. HOWARD + FRIENDS / GORILLAS / THE UNCLE BIKERS / THE PESTICIDES / CHRIS THEPS / GAST / ALICIA F ! / LAIBACH

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 455

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    12 / 03 / 2020

     

    ROWLAND S. HOWARD + FRIENDS / GORILLAS

    THE UNCLES BIKERS / THE PESTICIDES

    CHRIS THEPS / GAST / ALICIA F ! / LAIBACH

     

    La chanson de Rowland

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    Alors c’est à J.P. Shilo qu’échoit le job de l’ersatz. Et pas n’importe quel ersatz : celui de Rowland S. Howard, certainement l’un des guitaristes les plus originaux de son temps, comme le fut Robert Quine à New York. Pour s’en convaincre définitivement, il suffit de sortir de l’étagère n’importe quel Row disk, qu’il s’agisse de the Birthday Party, These Immortal Souls, Crime & The City Solution, ou bien des albums enregistrés en duo avec Lydia Lunch ou Nikki Sudden, ou encore ses deux albums solo : il s’y passe chaque fois des événements soniques assez uniques dans l’histoire de l’événementiel incriminé. Row fut un sculpteur de son exceptionnel, un authentique tisseur de soies, un Jaguar-man féérique, une espèce de force motrice qui sut, comme le fit Robert Quine avec Richard Hell, porter aux nues un rock ambitieux qui rompait les amarres avec le commun des mortels. Oh bien sûr, on ira pas jusqu’à dire que ce rock est à la portée de tous, mais il comblera d’aise les esprits curieux et enchantera les âmes aventureuses. Car c’est bien de cela dont il s’agit, d’une aventure sonique sans concession. Il ne s’agit plus de pop, ni de rock, il s’agit d’une course folle vers le néant, d’une soif d’inconnu, d’un aller simple pour les limbes. Cette musique sent parfois la mort, mais paradoxalement, son énergie la rend terriblement vivante. Les vampires incarnent eux aussi ce merveilleux paradoxe. Et Row l’incarnait mieux que personne : physiquement, artistiquement. Et J.P. Shilo ? Il fait de son mieux. On sent qu’il est fan, il était déjà là au temps de Pop Crimes, mais sa condition ne lui permet pas d’accéder à l’aristocratie.

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    C’est plus facile pour des invités comme Lydia Lunch ou Bobby Gillespie. Ils sont devenus légendaires et ils entrent dans le show comme s’ils étaient chez eux. Pas de problème, ça marche à tous les coups. Lydia Lunch est certainement la plus attendue. C’est aujourd’hui une vieille dame mais elle a suffisamment de métier pour ramener le focus sur les chansons. Elle sait encore shaker son shit, on l’a vue l’été dernier rendre un hommage spectaculaire à Alan Vega.

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    Cette fois, elle salue la mémoire de Row dont elle fut la compagne avec un «Endless Fall» rocké jusqu’à l’os de l’ass, accompagnée par Mick Harvey à la guitare acide et Harry Howard au chant. Rien de tel qu’une New-yorkaise issue du sérail de la no-wave pour rocker Paname.

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    Elle fait ensuite entrer Bobby Gillespie pour une somptueuse reprise du «Some Velvet Morning» de Lee Hazlewood. On ne sautait espérer meilleur cocktail de légendarité. C’est aussi un hit que Gillespie reprit en duo avec Kate Moss et dont on recommande l’écoute, chaque fois que l’occasion se présente. Lydia Lunch va ensuite reprendre «Still Burning», l’un de ses all times faves, dit-elle.

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    Mais c’est Bobby Gillespie qui va exploser le set un peu plus tard, avec une version demented de «Sleep Alone». Il fait son Jagger, danse le rock comme un dieu, le coule dans le groove infectueux que triture Shilo dans son coin. On croirait entendre Primal Scream, Gillespie shake le set en vieux pro du rock anglais, il ramène tout le saint-frusquin auquel on s’attache depuis cinquante ans. Gillespie fait son asperge, il en a les moyens physiques et spirituels. Encore un beautiful freak. Le tribute tourne à la féerie. C’est un peu comme si tous ces gens-là nous conviaient à un festin de mets délicieusement avariés.

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    L’autre totem de la soirée, c’est bien sûr Harry Howard, le frère de Row, le même genre de beautiful freak, même classe, même présence. Au début su set, il dédie «Marry Me (Lie Lie)» à Epic Soundtracks et le joue sur une basse Ricken rouge. Ce rock extrêmement désespéré ouvre le bal du premier album de These Immortal Souls, dont justement Epic était le batteur. Vers la fin du set, Harry Howard reviendra chanter «The Golden Age Of Bloodshed», l’une de ces chansons désespérantes qui finissent par donner le mal de mer. C’est un son dont il ne faut tout de même pas trop abuser. Ce tribute interminable va quand même durer plus de deux heures. On est content quand ça s’arrête.

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    L’instigateur de cet événement n’est autre que Mick Harvey qu’on voit jouer de tous les instrument, principalement de la batterie. Le voilà devenu entrepreneur conceptuel. C’est aussi lui qui drive le tribute à Gainsbourg et qui s’entoure pour ce faire d’un aréopage de chanteuses nubiles, perpétuant ainsi la légende d’un Gainsbarre qui avait le bec fin en matière de chair fraîche. Mick Harvey gère le tribute à Row de la même manière, en invitant sur scène des petites gonzesses toutes plus roses les unes que les autres, notamment l’excellente Jonnine Standish qui chantait déjà en duo avec Row sur Pop Crimes, en 2009.

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    The Birthday Party ? Si on y revient, c’est à cause de Row. Un album comme Prayers On Fire ne s’écoute pas de la même façon si on l’écoute pour Row. Cave met le paquet mais Row veille au grain de l’ivresse. Il sort un son très particulier, comme s’il imaginait la grande finesse d’un chaos barbare. Il semble se faufiler dans les couches en jouant un funk androïde rusé comme un renard du désert. C’est en tous les cas l’impression que donne «Zoo Music Girl». On le voit ensuite jouer de la scie sur sa gratte pour créer le climax de «Cry», un cut tapé à l’excédée tétanique. Ces mecs n’en finissent plus d’allumer autour du feu et Cave fait le fou. Mais pour une raison qui nous échappe, aucune parenté ne s’établit avec les rois du scuzz-fuzz, les Chrome Cranks. Et pourtant, le Birthday Party vise le même genre de chaos sonique. On tombe plus loin sur un «Nick The Stripper» assez rampant. Ils créent une espèce de mousse de déstructuration. Seul le drive de basse ressemble à quelque chose. Row se promène dans la pampa. Il faut l’entendre gratter à l’intentionnelle ses tiguilis de gratté de poux. C’est un son gorgé de nuances d’inceste, plein d’horribles sous-entendus, un son qui se pervertit en permanence. Row joue en parallèle une suite de chorus des catacombes. Il a comme on dit le physique de l’emploi. On les voit tourner autour du pot avec «Figure Of Fun» et derrière, Row abat un travail considérable, comme s’il décorait la voûte d’une cathédrale. Ils passent à la heavyness avec «King Ink». Heavyness, chez eux, ça veut dire Max la Menace avec un Row en strapontin de résonance. Il ne joue qu’une matière de son et quand Cave arrête de déconner, Row est là. Ils tapent «A Dead Song» en mode rockab de catacombes. Au fond du boyau, fidèle au poste, Row sonne comme un écho moisi. Well this is the end, chaos supérieur stoppé net. Cave en fait trop dans «Yard». Ils reviennent à la grosse matière avec «Dull». C’est un album dont on ne sort pas indemne. Il faut le dire aux autres. Faites gaffe les gars, n’approchez pas trop près de ce truc. Il a peut être des maladies. Bon, Row fait son travail d’habillage habituel et quand ça s’emballe, alors attention aux yeux. En rééditant l’album, 4AD a rajouté deux cuts, «Blundertown» et «Kathy’s Kisses». Row fait des miracles dans «Blundertown». Il s’installe au fond du son et gratte comme un misérable à deux niveaux. Ses petits accords inoffensifs sonnent comme de la paille, et il double avec du ciselé florentin de bloblotte. Il tisse ses trames maladives dans l’air putride d’un mauvais squat. Terminus ! Tout le monde descend avec «Kathy’s Kisses». Il faut voir ce taré de Cave rentrer dans le lard de ce mauvais funk indus. Il fait le show avec une belle hargne. On comprend qu’il ait survécu à toutes ces horreurs.

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    Leur deuxième album s’appelle Junkyard. La pochette illustrée renvoie au garage des années de braise. Ce qui frappe le plus dans le bordel de «Blast Off», ce n’est pas la voix de Cave, mais le son de Row. Il est aussi nécessaire au son qu’un squelette l’est à une tombe. Il shake it hard. Il invente un genre nouveau, le catabeat des catacombes. C’est encore Row qui ramène de la crème dans la culotte de «She’s Hit». Il travaille aussi «Dead Joe» au corps de la matière. Pas vraiment de vision, Row semble lancer des attaques. Il sait qu’il faut surprendre l’ennemi, alors il en rajoute. Il amène des choses terribles. Dans «Hamlet», Cave pousse les cris du diable confronté à un bréviaire, mais «Big Jesus Trash Can» est trop exacerbé pour être honnête. Ils se lancent dans une extraordinaire aventure d’anti-rock. À l’époque, il fallait oser. De cut en cut, Cave continue de faire pas mal de ravages et Row reste derrière, toujours en embuscade. Il fait un excellent travail de couverture. «Kewpie Doll» sonne comme une entreprise de démolition, ils sont beaucoup plus secs et austères que les Chrome Cranks. Ils vont sur quelque chose de plus funéraire.

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    Quand le Birthday Party implose en 1983, Cave et Mick Harvey montent les Bad Seeds, mais sans Row. Probablement à cause de l’hérow. Alors en 1987, Row monte These Immortal Souls avec son frère Harry, Genevieve McGuckin et Epic Soundtracks. Leur premier album s’appelle Get Lost (Don’t Lie). Ils restent dans les big atmospherix avec des cuts comme «Hey Little Child» et «Once In Shadow Once In Sun». Row y va même de bon cœur, il monte vite son swagger de heavy hey en mayo howardienne, avec le festin de notes lunatiques habituelles. L’Once in shadow est même plutôt heavy, tapé dans l’excès, c’est rampé dans un absolu de gutter groove que Row chante à l’écœurette insensible maximaliste. C’est assez puissant. On se repaît de son Once. Ce mec sait de quoi il parle. C’est tentaculaire et impitoyablement drivé dans la tourmente. Quant au reste, ça demeure assez obscur. Si t’es paumé, tu te débrouilles. Tu as voulu faire le con avec ton trip d’acide, alors ne viens pas pleurer si tu n’as plus de repères. Avec Row, telle est la règle. Il envoie ses gerbes de beautiful dégueulis éclabousser le cul du culte. Il a raison de vouloir sanctifier la glorification de l’externalisation. Il sait roamer comme un vieux crocodile épuisé dans la vase, à bout de coke et de daze, ahhh, c’mon. Ce mec te plombe la soirée facilement. Extraordinaire. Disons qu’il poursuit la mission divine de Birthday Party. Il perpétue l’ornière du mec qui ne va pas bien. Il traîne son son comme une serpillière glacée et se prend pour un languide, c’est-à-dire une grosse langue de bœuf à deux pattes.

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    Le deuxième album de These Immortal Souls s’appelle I’m Never Gonna Die Again, et c’est là dessus qu’on trouve l’un des hauts lieux de Row, «The King Of Kalifornia». Tu as tout de suite le son du mec qui ne va pas bien. Ce génie ravagé de Row ravale la façade de son heavy rock déstructuré. On peut même dire qu’il joue à la folie. C’est jeté dans le mur. Ce dégueulis sonique ressemble à s’y méprendre à une œuvre d’art. The space guitar de Row hante ce cauchemar. Mais tout cela n’est rien en comparaison d’«Insomnicide». Row y sonne la charge des éléphants de Salâmbo Bovary, c’est monstrueux, aussi monstrueux qu’un shoot de Weird Omen. Il joue à l’embolie de dégoulinure fatale. On suivrait Row jusqu’en enfer. Il est capable d’exactions extraordinaires, il gonfle ses notes comme des crapauds. Il n’existe rien de comparable sur cette terre, non, rien de comparable à cette pulsion des mille et une nuits. C’est même monté sur un riff des Stooges. Row repeint le génie, avec ce côté anglican qui lui va si bien. C’est un cut fait pour être visité. Il tartine sa pop qui va mal à longueur d’album. En fait Row est influencé par un Cave qui va mal et qui ne veut pas aller bien. Row triture son son à n’en plus finir, il triture comme un maître tourmenteur de l’Inquisition, il pousse le rock dans ses retranchements, pour le forcer à avouer des péchés qu’il n’a pas commis. «Black Milk» ? Impossible ! Le lait ne peut être noir. Mais Row en décide autrement. Il t’empale et te prévient qu’il va t’empaler le crâne si tu le fais chier, alors fais-le pas chier. Ce monde ne nous correspond plus, c’est un monde biaisé. Laisse tomber, tu ne comprendras rien. Avec «Hyperspace», Row navigue à vue. Il laboure aussi à vue. C’est un laboureur suprême, digne des grands laboureurs du Soviet Suprême. Il peut exploser n’importe quel concept quand il veut. C’est titubé et bardé d’accords malencontreux. Tu as peu de cuts qui sonnent ainsi. Row ne s’intéresse qu’au nowhere land. Row claque son cut jusqu’au bout de l’Hyperspace. Quand il chante «All The Money’s Gone», tout s’assombrit. Pas facile d’être le pape de la Tombe Issoire. Et puis voilà, il termine avec «Crowned». Merci Row pour cette partie de plaisir coupable, thank you wonderful freak. Derrière, l’Epic bat ça sec.

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    Row participe aussi à l’aventure de Crime & The City Solution, avec son frère Harry, Epic Soundtracks, Mick Harvey et Simon Bonney. Un premier mini-album, Just South Of Heaven, parait en 1985. On les voit tous les cinq au dos de la pochette, frais émoulus du moulin à café. C’est Browyn Adams qui peint le ciel tourmenté de la pochette, une sorte de Boudin qui ne va pas bien. Boudin ? Eugène, bien sûr, l’empereur des ciels. Alors dès «Rose Blue», on voit que ça ne va pas. Ils sortent un son très caviste, extrêmement pesant. Ça va mal, oh la la. Voilà un disque dont on ne fera pas ses choux gras. Rien n’est au format chanson, Row et ses amis se complaisent dans le dark atmospherix, un monde opaque, sans port d’attache. En B, c’est Harry Rowland qui mène le bal avec son stomp de basse dans «Five Stone Walls» - Going to hate those walls/ Till the day I die - Puis Row fait la pluie et le beau temps dans «Trouble Come This Morning» avec un thème spatio-temporel assez admirable.

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    On retrouve Row sur le deuxième album de Crime & The City Solution, Room Of Lights, paru l’année suivante. On peut parler ici d’un album assez dense. Simon Bonney chante à la vraie voix et «No Money No Honey» renoue avec l’esprit howardien des cauchemars gériatriques. Soudain, Row fout le souk dans la médina avec «Hey Sinkiller». Epic bat le beurre. On retrouve chez Crime la passion du big atmopsherix, et quand Row mène le bal, ça tourne au puissant délire comateux. Simon Bonney ultra-chante son «Six Bells Chime». Ce mec est une force de la nature et les arpèges surnaturels de Row l’excitent au plus haut point. Row sculpte l’espace sonore en permanence et joue des arpèges qui ressemblent à des spectres. Chez eux, tout est chargé de nuages noirs. Simon Bonney plombe d’entrée de jeu «Untouchable» et Row décore le cut de notes rondes comme des boules de sapin de Noël. Il joue ses trucs avec un sens aigu de l’apesanteur et vise de toute évidence l’apocalypse. C’est un spécialiste de la descente aux enfers, ses notes stridentes sentent bon la folie douce. On le voit aussi allumer «Her Room Of Lights», hey hey, il gratte la java des catacombes, avec un son unique au monde, si dense et si proche du rrrrring d’une roulette de dentiste, ce mec rayonne comme un soleil noir, c’est battu à la Bo Diddley et d’une rare densité maladive. Sur la version CD, on trouve des bonus dont l’excellent «Five Stone Walls» monté sur un big bassmatic impérieux. Row revient teinter le clair de la lune dans «The Wailing Wall», il gratte dans l’espace temps, il navigue au niveau qui l’intéresse et ce n’est pas forcément le tien, d’où l’intérêt de la démarche. C’est Row qui décide, comme dans «Trouble Come This Morning». Il peut jouer dans sa résonance et trouver le moyen de sortir un son terrible. Il est partout dans le son, c’est un voyageur, il rôde en permanence, il joue tout ce qu’il peut jouer avec la parcimonie d’un vampire récalcitrant.

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    Nikki Suden et Rowland S. Howard ont enregistré pas mal de choses ensemble, notamment Kiss You Kidnapped Charabanc. C’est un album assez sombre que hante le fantôme Row. Il ne faut rien attendre de ces deux là, ils ne feront aucun effort pour se rendre aimables. Leur «Don’t Explain» est assez désespérant. Ils ne sortent pas de leur routine de coups d’acou. Tout est très plombé, comme privé d’avenir. «Better Blood» est presque une chanson de vampire. Nikki Sudden ne peut pas s’empêcher de faire du Sudden avec son «Debutante Blues». Il semble toujours gratter la même rengaine, avec des faux semblants de Stonesy. Par sa finesse, la partie de slide de Row rappelle celles de Brian Jones. D’ailleurs, Row tâte de tous les instruments, sur cet album, dulcimer, bouzouki, comme le fit jadis Brian Jones. Le cut captivant de l’album s’appelle «Sob Story», du pur jus de Row joué au sonic groove des catacombes.

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    I Knew Buffalo Bill fut longtemps considéré comme un album culte, car on y retrouve un sacré conglomérat : Jeremy Gluck, Nikki Sudden, Rowland S. Howard, Epic Soundtracks et Jeffey Lee Pierce. C’est le weird sound qui domine sur les quatre faces. «Looking For A Place To Fall» file sur un big easy drive de workout Rowlandish. On le sent rôder dans le son, il le gorge de stridences. Avec «Too Long», ils quittent le chemin de Damas et vont plus sur la pop. Tout au long de l’album, Row joue son petit rôle d’efflanqué du son dans les ténèbres, là-bas au fond du studio. Nikki Sudden domine largement l’ensemble avec ces délicatesses d’acou auxquelles il nous a tellement habitués. «Four Seasons Of Trouble» sonne comme du Sudden d’essor mesuré et prend enfin tournure dans un torrent de relentless. Nikki Sudden reste bel et bien le roi des mélancoliques, il n’en finit plus de tartiner sa plainte à la surface du rock anglais, c’est bardé d’ambiances superbes, de basses, de drums et de chœurs fêlés. Puis on voit Row venir hanter «All My Secrets» à la slide du cheval mort. Il est spectral, et certains relents de son renvoient aux Stones de «You Got The Silver». Row hante les corridors du son, il se passe des choses extraordinaires dans les couches du cut, il gratte à double dose. Le thème remonte à la surface après un blanc en forme de suspense. En rééditant l’album, Munster a rajouté un disque entier de démos et d’outtakes. Le «Burning Skulls Rise» rappelle le Brian Jonestown Massacre. Row et Lydia Lunch le reprendront ensuite sur scène. «The Proving Trail» est certainement le hit de l’album. On trouve aussi un «Threw This Away» monté sur la progression d’accords de «Like A Rolling Stone». Il se pourrait que Jeffrey Lee Pierce chante «Prayer Of A Gunman», tellement c’est désespéré. Tout cet album est bardé de son et d’allant.

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    Lydia Lunch & Rowland S. Howard enregistrent Honeymoon In Red en 1987. On y trouve une excellente version de «Some Velvet Morning». Elle duette avec un Row qui chante à la petite dégueulée. Aw my God, il se prend pour un Lee Hazlewood en difficulté et Lydia fait sa Nancy avec un ton atrocement faux de lullabye bye. Ils sont immondes. Ils enterrent vivant l’un des plus baux classiques de la pop américaine. Il ne faut pas s’aventurer trop loin dans les parages de cette femme. Elle cultive une sorte de goût pour la dérive mal intentionnée et l’ancolie sadiste. Avec «Three Kings», elle vient se couler dans un dirty groove de funk punkoïde orchestré par son ami Row. Ah comme ce mec est vénéneux ! Il fait aboyer sa guitare dans la nuit. Il joue le groove des squelettes dans une scène de George A. Romero, il vise le dénaturé implacable, il distille le malencontreux jerk des catacombes. On a encore du Row pur et dur avec «Still Burning». Il chante encore plus mal qu’elle. C’est à la fois mauvais et comique. Quasi-caricatural. Aussi inutile qu’une brebis périmée. Lydia Lunch fait encore des siennes sur «Fields Of Fire». Diable, comme elle chante mal, parfois. Elle tartine plus qu’elle ne chante. On serait presque tenté de plaindre cette pauvre fille. Mais on se régale de «Dead In The Head», balayé par les infernales pluies acides du grand Rowland S. Howard. Il chante derrière elle et gratte sa gratte avec une singulière appétence. C’est mortifère en diable. Il ne vit que pour la ferraille de son. Il frise régulièrement le génie.

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    Paru en 1991, Shotgun Wedding est le grand album classique de Lydia Lunch & Rowland S. Howard. C’est du Kill Bill avant la lettre. Quel album ! «Burning Skulls» fait partie des cuts qui ne devraient jamais s’arrêter. Sur un tempo bien heavy, Lydia écrase ses syllabes comme des mégots, avec l’insistance d’une prédatrice. Et ce diable de Row joue à la clameur délétère. C’est à la fois superbe, gothique et plombé, embrasé aux alentours et monté sur un beat qu’il faut bien qualifier de royal. Row vole le show. Il lancine atrocement et arrose le cut du meilleur jus d’acide disponible sur le marché. Ils font un duo historique avec «Endless Fall». C’est vrai, ils sonnent comme une bénédiction, Row crée des dynamiques à coups de renvois, people die, et ils relancent à deux. L’autre énormité de l’album s’appelle «Pigeon Town», riffé d’entrée de jeu. Row ne rigole pas avec la marchandise et cette garce de Lydia Lunch chante comme la plus vulgaire des putes. Ah ils sont jolis ! Row n’en finit plus de jouer à l’alerte rouge et se montre d’une incroyable théâtralité. Le son fait foi. Row joue ça jusqu’au trognon. Des mecs comme lui ne courent pas les rues. Tiens, voilà «Cisco Sunset», monté sur un heavy groove de basse. Lydia Lunch s’y glisse humidement. C’est du grand Lunch. Elle chante à la racine du beat, Row concasse ses septièmes d’accords de jazz pendant qu’elle part à la dérive dans le moonshine. Elle chante avec toute la maturité de chipie mal dégrossie dont elle est capable. En guise de clin d’œil à Alice Cooper, Row joue «Black Juju» à la pire clameur de l’univers connu. Cette diablesse de Lydia Lunch tente de calmer le jeu, mais à quoi bon ? Les bites lui échappent des mains, c’est foutu d’avance. Elle profite d’«In My Time Of Dying» pour rivaliser de nullité avec la Wendy O Williams des Plasmatics. Elle n’a aucune présence vocale. Elle bâtit sa réputation sur autre chose. Ils chauffent «Solar Hex» à blanc et tapent «What Is Money» au mood berlinois, avec tout l’undergut d’une femme qui a du vécu à revendre. Row gratte ses puces, il joue au circus géométrique de l’after-punk et Lydia Lunch se vautre dans la mélasse avec sa voix aigre et grasse d’une vétérante de la campagne de Russie. C’est encore du big heavy sound. On peut faire confiance à Row pour ça.

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    On retrouve la plupart de toutes ces merveilles sur un live paru chez Bang et intitulé Siberia. Row et Lydia Lunch jouaient au Paradiso en 1993 et foutaient le souk dans la médina avec «Pigeon Town». Row y multiplie les coups fourrés. Cette femme et cette guitare constituent sans doute l’une des meilleures associations de l’époque : junk new-yorkais + gothique howardien. On y entend un Row jouer dans les dernières convulsions du spasme ultime. Il ne fait que passer des tourmentes solotiques exceptionnelles. Ce mec sort du son à n’en plus finir. Il le monte en chantilly gothique. Encore des fantastiques climats soniques dans «What Is Memory». Lydia Lunch vient touiller ce brasier impérieux, en bonne touilleuse de braise qui se respecte. Elle élève le niveau de l’Atmopsherix à n’en plus finir. On voit bien que Row est lui aussi au sommet de son art tempestueux. Il joue des rafales extraordinaires. Ils bouclent leur bal d’A avec «Still Burning» qu’ils chantent à deux. Row hante le son, et plus la bassline est grasse, plus il est virulent. La B vaut elle aussi le détour, avec cet «Incubator» emmené à la grosse lancinance. Le gang de Row avance à pas d’éléphants et il tisse dans ce bordel d’infernales toiles de venin sonique. Tiens, voilà «Burning Skulls» et son riff de cathédrale. Plombé et magnifique à la fois. C’est leur hit le plus convaincu, il semble luire dans la nuit. Row tisse sa dentelle flamboyante dans le background du cut. Il est étincelant de présence, il irradie son son comme le ferait le soleil noir des légendes barbituriques. Ils terminent avec l’excellent «Black Juju» d’Alice Cooper. C’est visité par des vents terribles. Row est le prince du vent mauvais. Avec sa tête de piaf, il foutrait presque la trouille aux épouvantails. Beau final apocalyptique gratté à l’essaim bourdonnant par un Row en pleine crise mystique. Ah comme c’est puissant !

    Dans Mojo, Andrew Perry décrit bien le style de Row : «He chanelled rock’n’roll through a cyclone of avant-noise.» Oui, c’est exactement ça, un cyclone d’avant-noise, un son unique. Mick Harvey raconte que Row l’appela en 1999 pour lui demander de venir en Australie l’aider à enregistrer son premier album solo. Row suivait un ‘weird’ traitement de détox et pendant deux semaines, dit Harvey, ils enregistrèrent intensively - It was like all the stars were aligned and he made his best record - Brian Hooper des Beasts Of Bourbon vint faire des overdubs de basse sur l’album, mais après. Harvey et Row enregistrèrent donc tous les deux, playing wild and free. Harvey ajoute que Row n’était pas un prolific guy. Il ne composait qu’une ou deux chansons dans l’année. Il soignait particulièrement ses textes et chaque vers tapait en plein dans le mille. Sur son premier album solo, les chansons représentent six ans de travail.

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    Ce premier album solo s’appelle Teenage Stuff Film. Il démarre sur un «Dead Radio» violonné à la grinçante malencontreuse - You’re there for me like cigarettes/ But I havn’t sucked enough on you yet - Voilà, le ton est donné. Il vise comme d’habitude le climatique tourmenté. Il chante son «Breakdown» d’une voix pâteuse très peu zélée - Sweet Jesus/ Ask for Christ - Joli breakdown, en vérité. En fait, Row tartine son miel. Il ne cherche pas à plaire. On est pas chez Stong. Il fait son job de loser patenté, avec des guitares latentes qui renvoient bien sûr au Velvet. On sent qu’«I Burnt Your Clothes» est déterminé à ne pas s’en sortir. C’est monté sur un bassmatic infâme. Row fait du pur Row, il erre comme un Fantôme du Bengale perdu dans la Nuit des Longs Couteaux, sur fond d’heartbeat orloffien. S’ensuit un «Exit Everything» arpenté au kilomètre et peu suivi d’effets. On trouve deux reprises sur l’album, «She Cried» de Jay & The Americans et «White Wedding» de Billy Idol, que Row admirait pour son funny side of rock-star posturing nonsense. Le groove de «Silver Chain» refuse lui aussi d’aller bien, porté par un orgue en point d’orgue. Parfois on écoute Row errer, parfois on passe au cut suivant. Le génie lugubre de Row peut fatiguer l’ouvrier, surtout au soir d’une rude journée de labeur. Il faut imaginer le pauvre ouvrier qui rame pour se payer un disk comme celui-là et qui dégueule de fatigue en écoutant son achat. Row ne se préoccupe pas du confort de la classe ouvrière, mais il n’est pas le seul. On sait que les intellos de gauche ne s’en préoccupent pas non plus. Ils pensent surtout à savonner leur savonnette. Alors que Row, c’est un peu moins pire, il ne songe qu’à rower dans les brancards. Il sort parfois des accords effervescents. «Undone» vaut pour un tour de Row long de 7 minutes. Big Row on the run. Mick Harvey : «Rowland was one of those rare guitar players with a completely distinctive sound and style, and he really cultivated that.» (Row était l’un de ces guitaristes capables de sortir un son très distinctif et il cultivait cette singularité). Et il ajoute : «Mostly he was working inside the song on what his guitar was adding to the atmosphere and how it was playing around the vocals.» (Row travaillait essentiellement à l’intérieur de la chanson, il enrichissait l’atmosphère et rôdait autour du chant).

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    En fait, le tribute à Rowland S. Howard programmé à la Maroquiqui porte le nom de son deuxième et dernier album solo, Pop Crimes, paru en 2009, l’année de sa disparition. Non seulement on y retrouve la plupart des cuts joués sur scène, mais aussi trois des principaux acteurs de la soirée : Mick Harvey, J.P. Shilo et Jonnine Standish qui, justement, se tape la part du lion dans l’album en duettant avec Row sur l’excellent «(I Know) A Girl Called Jonny». Elle chante à la langueur monotone, d’un ton qui colle au palais comme le bonbon colle au papier - I’m a Joan of Arc/ Of teenage lust - C’est excellent. La configuration du tribute est celle de l’album, puisque Mick Harvey bat le beurre et Shilo joue de la basse (et de la strangeness - sic). Row chante son «Shut Me Down» d’une voix incroyablement tentaculaire. Il va chercher les meilleurs effets dévastatoires. Il paraît jouer un son en constant glissement, c’est en tous les cas l’impression que donne «Life’s What You Make It», ces glissements de matières glacées qu’on filme dans les zones du globe inhabitables. Ça va même encore plus loin, puisque le son paraît enveloppé de son. Row ne cherche pas midi à quatorze heures, la clé des Pop Crimes, c’est l’absolu du son, c’est-à-dire le son pour le son. Autrement dit, une ambiance à l’arrêt, mais un arrêt un peu spécial, l’arrêt de mort, avec ses stridences de terminalité afférentes. Ça ne va pas au-delà. Row se montre pourtant assez héroïque. Il tente des virées spectaculaires, mais il faut que le groove s’installe pour qu’il puisse virer. Il y a du Artaud en Row, de toute évidence. Au bassmatic, Shilo fait bien son job de maître groover, il charge même ses lignes d’arrière-pensées, alors Row peut piquer sa crise. Il entre dans le morceau titre avec une étrange ferveur. Ce démon de Row arrose son groove des fièvres habituelles - Nothing good can comme out of this/ But the open hole of the zero/ And the open heart surgery kiss - Tout est moufté dans le son de Row et personne ne moufte. Il faudrait presque être initié pour écouter «Wayward Man» - And when I kiss you darling/ Does it stick in your craw ? - Fantastique shake de gutter shit - Was there a poverty of care/ When I cared for you - C’est explosif. Il faut en profiter tant qu’il est encore temps, car après ça, Row c’est fini. Comme le fit son frère Harry l’autre soir, Row boucle le set avec le lugubre «The Golden Age Of Bloodshed». Big heavy Row de fin de non-recevoir.

    C’est à Mick Harvey que revient le mot de la fin : «Rowland was a very gentle person, and a gentleman, but he was carrying some things with him which were pretty negative as well.» (Row était un homme charmant et même un gentleman, mais il avait aussi des côtés extrêmement négatifs). Harvey rappelle que Row était furieux de voir Harvey et Cave continuer sans lui après Birthday Party, mais comme le précise perfidement Harvey, il n’a jamais compris pourquoi c’était nécessaire.

    Signé : Cazengler, Roland Coward

    Tribute to Rowland S. Howard. La Maroquinerie. Paris XXe. 8 février 2020

    The Birthday Party. Prayers On Fire. Missing Link 1981

    The Birthday Party. Junkyard. Missing Link 1982

    These Immortal Souls. Get Lost (Don’t Lie). Mute 1987

    These Immortal Souls. I’m Never Gonna Die Again. Mute 1992

    Crime & The City Solution. Just South Of Heaven. Mute 1985

    Crime & The City Solution. Room Of Lights. Mute 1986

    Nikki Suden & Rowland S. Howard. Kiss You Kidnapped Charabanc. Creation Records 1987

    Jeremy Gluck, Nikki Sudden & Rowland S. Howard. I Knew Buffalo Bill. Flicknife Records 1987

    Lydia Lunch & Rowland S. Howard. Honeymoon In Red. Widowspeak 1987

    Lydia Lunch & Rowland S. Howard. Shotgun Wedding. Triple X Records 1991

    Rowland S. Howard. Teenage Stuff Film. Relient Records 1999

    Rowland S. Howard. Pop Crimes. Liberation Music 2009

    Lydia Lunch & Rowland S. Howard. Siberia. Bang Records 2017

     

    Gare aux Gorilles - Part Two

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    En 1977, Giovani Damono déclarait dans Sounds : «The Gorillas are unashamesly out to make good-time rock’n’roll pure and simple. They’re the nearest in spirit to early Small Faces, Slade and The Who.» (Les Gorillas ne sont là que pour jouer du rock pur et dur, dans l’esprit des Small Faces, de Slade et des Who). Phillip King ressort cette coupure de presse pour célébrer la parution de Why Wait ‘Till Tomorrow 1974-1981, un double album compilatoire des Hammersmith Gorillas paru sur Just Add Water, ce petit label de San Francisco spécialisé dans la réédition de glam des seventies. Ils rééditent aussi Terry Stamp, Trevor White et les Coloured Balls. Go see their site.

    En 1976, les Hammersmith Gorillas étaient en route pour la gloire. Rien ne pouvait les freiner. Ceux qui les connaissaient n’avaient aucun doute là-dessus. Le plus convaincu était bien sûr Jesse Hector qui décida un jour de se réinventer : «Un jour je me suis mis devant le miroir et j’ai coupé mes cheveux. Je voulais trouver un look that would kill. J’ai coupé court sur le sommet et gardé mes rouflaquettes. J’avais une coupe de skinhead par derrière, mod sur le sommet du crâne, avec des rouflaquettes de rockab et une raie au milieu. J’étais le seul à être coiffé comme ça. J’avais le plus beau look du monde. Mais je ne pouvais pas sortir. Dans la rue, les gens devenaient dingues en me voyant, les bagnoles se rentraient dedans, les chauffeurs livreurs me lorgnaient d’un sale œil. C’était génial. Ça marchait. C’était le commencement du mouvement punk.» Tout le monde trouve les Gorillas superbes, sauf Mickie Most : Jesse Hector et ses deux amis viennent le trouver chez lui à Maida Vale et Most les envoie sur les roses. En bande son de cet épisode tragi-comique, on entend ce fantastique hit mod digne des Small Faces, «I Live In Style In Maida Vale», terrific de délicatesse arty (qui figure d’ailleurs sur le double album compilatoire). Tout ce qui touche à Jesse Hector est d’une classe absolue, le moindre détail, la moindre anecdote tape en plein dans ce mille qu’on adore, qui fut aussi le mille des New York Dolls, des early Stones et tous les groupes qui y croyaient dur comme fer et qui savaient s’en donner les moyens. Dans ces cas qu’on peut qualifier d’extrêmes, il faut comprendre que le rock est une religion. Où comme le dirait Diderot, une vocation religieuse. C’est ça ou rien. Le rien n’est pas possible et dans le ça, tout est possible.

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    Sur scène, Jesse Hector en donne aux gens pour leur argent. Il leur fait du concentré de windmill, une sorte de résumé de Keith Richards et de Pete Townshend, il dynamite les dynamiteurs, c’est-à-dire les Kinks de Really Got Me, heavy bash in the face, dégelée d’Excalibur de barroom de bonne bourre, avec son look-out, son k-k-k-killer solo flash et son plombé de référence. Il redonne aussi au stomp ses lettres de noblesse avec «She’s My Gal». Jesse Hector annonce à Chris Welsh qu’il vont ravager l’Angleterre - We’re going to take the country by storm - et annonce fièrement qu’après l’Angleterre, ce sera le tour de l’Amérique. Et pouf, il préfigure les terribles provocations des frères Reid et des frères Gallagher dans la presse anglaise : «C’est simple. Je suis un mec très spécial. Bientôt les kids m’admireront autant qu’ils ont admiré Jagger, Townshend et Hendrix. Chacun son tour. C’est maintenant le mien !»

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    Dans ses liners d’une extraordinaire densité, Phillip King évoque la filiation Gorillas/Third World War («Hammersmith Guerilla») et les étapes qui ont précédé l’avènement des Gorillas : Crushed Butler (avec Darryl Read et Alan Butler) puis Helter Skelter dont le mini-album est régulièrement réédité. Comme Mickie Most a jeté les Gorillas, Jesse Hector se tourne alors vers Larry Page qui lui conseille de reprendre «You Really Got Me», le mesmerizer définitif qu’on trouve aussi sur le double album compilatoire. Lors de cette session historique avec Larry Page, les Gorillas enregistrèrent en plus «I Live In Style In Maida Vale» et une cover du «Luxury» des Stones - Working so hard/ I’m working for the company/Working so hard/ To keep you in the luxury - et le plus choquant de cette histoire, c’est que ces merveilles vont rester inédites jusqu’en 1999, quand paraît Gorilla Got Me sur Big beat. Histoire incompréhensible !

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    Pour vivre, les Gorillas doivent abandonner leurs rêves de gloire et bosser comme tout le monde. La batteur Gary Anderson travaille chez un imprimeur, alors que Jesse Hector et Alan Butler bossent early in the morning pour des boîtes qui font le ménage dans les bureaux. Jesse prend les choses du bon côté et dit que ça laisse du temps pour répéter dans la journée. Ils tentent plusieurs fois de redémarrer et enregistrent de nouvelles merveilles épouvantables, «Moonshine» et «Shame Shame Shame» qui, une fois de plus, restent inexplicablement lettres mortes. On entend pourtant de vieux relents de cocotage glam dans Shame. Pareil, ces trucs n’apparaîtront que beaucoup plus tard, sur Gorilla Got Me et bien sûr, Just Add Water n’oublie pas de les caser dans son trip compilatoire. C’est drôle, car on connaît tous ces cuts par cœur, mais chaque fois qu’on les recroise, ils produisent un effet particulier, un sorte d’émotion non feinte, comme si ces cuts d’apparence ordinaire frétillaient d’excitation. On retrouve aussi l’excellent «Miss Dynamite» en B, heavy boogie hectorien hanté par des chœurs dignes de ceux des Stones dans «Sympathy For The Devil». C’est un son très anglais, très pur, très proche de celui des Stones de l’âge d’or. Rien qu’avec sa «Miss Dynamite», Jesse Hector avait largement de quoi foutre le souk dans la médina.

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    Foutre le souk ? Nous y voilà. Le souvenir le plus spectaculaire des Gorillas est sans doute celui que Phillip King pointe dans Ugly Things. Comme vous le savez, Cyril Jordan publie dans chaque numéro d’Ugly Things un feuilleton de ses souvenirs intitulé The San Francisco Beat. Dans le numéro de l’été 2016, Cyril Jordan évoque une tournée des Groovies en France avec les Gorillas en première partie. Miam miam. Les voilà au Mans et à 9 h les Gorillas démarrent en trombe de blitz avec «Purple Haze». Cyril Jordan dit qu’ils jouent fort, encore plus fort que the Frost from Ann Arbor Michigan. Et pouf, le courant saute. Plus rien. Plus de lumières dans la salle. Panique générale. Plus de lumières non plus dans la rue, ni dans la ville, ni dans le département. Alerte rouge ! Holy shit ! fait Cyril ! Havoc ! Les gens fuient dans les ténèbres en poussant des hurlements, on entend des sirènes de police comme à Detroit en 1967. Les chars arrivent. Les Gorillas entrent dans la légende : kings of blackout !

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    Pour les ceusses qui ne disposent ni du Gorilla Got Me ni des singles, le double compilatoire que vient de pondre Just Add Water est une véritable aubaine, car tout y est, à commencer par le heavy glam de «Leavin’ ‘Ome» bien cocoté à l’undergut d’Hammersmith, mais aussi ces merveilles héroïques que sont «Gatecrasher», «Gorilla Got Me» et sa belle frenzy, avec un Alan Butler qui mène le bal du bassmatic, et puis cette incroyable dégelée tirée de l’album Message To The World (paru en 1978), «Outta My Brain». C’est joué dans l’urgence des Small Faces, hanté par le bas de manche d’Alan Butler et embarqué dans une sorte de spectaculaire précipitation. Power & style. On trouve aussi ces puissants coups d’épée dans l’eau que sont «I’m Seventeen», modèle absolu de claquemure hectorienne, comme si Jesse Hector donnait rendez-vous à tout ce qui fait la grandeur du rock anglais, et «Move It», dernier single des Gorillas, modèle de stomping ground véracitaire. La seule nouveauté se trouve sur la D : six cuts enregistrés live au Nashville Room en janvier 1997. Bon, le son n’est pas fameux et les Gorillas jouent extrêmement heavy, comme si les piles du magnétophone étaient usées. On sent qu’ils ont du mal à casser la baraque. Ils taillent la route à coupes de «Leavin’ ‘Ome» et de «Gatecrasher». Le «Come On Over» vaut pour une belle incitation à l’émeute des sens.

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    Apparemment, Jesse a plus de chance aujourd’hui qu’avant, car les canards anglais lui déroulent le tapis rouge. Le dernier en date, c’est Vive Le Rock, avec trois pages bien remplies, illustrées par la photo de pochette de l’album Message To The World. En guise de hors-d’œuvre, Jesse réaffirme sa foi inextinguible - I’m gonna die that way - Soixante-douze balais et toujours aussi incapable de se calmer - Rock’n’roll will always be there - Ça fait du bien de lire de telles déclarations. Le bon rock n’a-t-il pas toujours été l’affaire des esprits éclairés ? C’est un point sur lequel on vous laisse méditer. Mais l’embellie ne dure pas longtemps, car Hugh Gulland pose des questions à la con, du genre : «N’êtes-vous pas un pub rock band ?». Jesse est obligé de tout reprendre à zéro. Il rappelle qu’on les a considérés tour à tour comme un pub-rock band, un punk band, un glam band, un mod band ou un heavy metal band. Il est bien obligé de se marrer avec toutes ces conneries. Il se débarrasse du problème en disant que les Gorillas étaient un punk rock’n’roll Soul mod heavy band. What more do you want ? À ce moment là, Guilland comprend qu’il a raté belle une occasion de fermer sa gueule. Jesse affirme que les Gorillas étaient surtout un sixties band féru de Beatles, de Small Faces, de Who et de Jimi Hendrix, git it ? Il ajoute qu’il leur doit tout. Absolument tout. Il a observé leur façon de bouger sur scène, their unique way of moving, il s’en est inspiré en poussant le bouchon un tout petit peu plus loin. Du coup, Guilland s’étonne :

    — Alors ça aurait dû marcher ?

    — Non !

    — Pourquoi ?

    — Parce qu’on a fait les cons en quittant Chiswick et Ted Carroll pour aller chez Raw. Fatale erreur.

    — Pourquoi ?

    — Parce que c’est Ted Carroll qui organisait les tournées en Angleterre.

    Jesse rappelle aussi qu’il a adoré les punks, car il revivait avec eux l’explosion du British Beat et de tous ces groupes ultra-énervés comme les Small Faces et les Who. Jesse n’en finit plus de dire que les punks méritent le respect, rien que pour ça et pour les accents politiques. En 1977, les Gorillas étaient ancrés dans les sixties et jouaient avec les punks, ce qui était assez inconfortable. On appelle ça le cul entre deux chaises.

    — Les Dolls chez Biba ? Oui je les ai vus, mais je ne les ai pas approchés de trop près.

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    Il dit adorer leurs deux albums comme il adore le premier album des Stooges - It was fucking crazy wasn’t it ! Yeah we were with that, all the way through ! - Puis le voilà parti dans les hommages à ses pairs, Third World War et Jook - Look at Jook, their singles are all hits ! They should have gone to number one, all bloody five of them ! (Regarde Jook, tous leurs singles étaient des hits, ils auraient dû être des number one, tous les cinq).

    — Alors pourquoi ça n’a pas marché ?

    — La BBC voit des photos et dit : «Oh they’re hard, we don’t want ‘em». Et pouf terminé, à dégager.

    On en vient enfin au point le plus important : la bonne santé de Jesse et son allure de rock star incroyablement bien préservée. Son secret ? Pas l’alcool ni de clopes ni de dope. Il fait un boulot très physique qui lui permet de s’entretenir et, pour finir, il fait gaffe à ce qu’il avale. Pas de junk food. Que de la bonne came : des crevettes et des coques. Coques en stock, as would say Captain Ad Hoc.

    Signé : Cazengler, Vessie Hectare

    Hammersmith Gorillas. Why Wait ‘Till Tomorrow 1974-1981. Just Add Water 2019

    Hugh Gullang : Gorillas and the myth. Vive Le Rock # 69

     

    BAGNOLET / 06 – 03 – 2020

    ESPACE DENNIS HOPPER

    UNCLES BIKERS / THE PESTICIDES

    CHRIS THEPS / GAST / ALICIA. F !

    rowland s. howard + friends,gorillas,the uncles bikers,the pesticides,chris theps,alicia f !,laibach

    Question épineuse. Rue de L'épine Prolongée. Ma vaste mémoire flanche, moi qui ai durant plusieurs années travaillé à Montreuil, où est-ce au juste ? Mais la Teuf-Teuf rigole et me console, ne fais pas la moue Damie c'est à la Noue, un jeu pour nous, t'inquiète, toutes les bagnoles connaissent Bagnolet, un coup de guignolet dans le réservoir, et hop mon fidèle destrier à quatre roues me dépose sans coup férir et sans GPS devant l'Espace Dennis Hopper. Lieu dédié à toutes les contre-cultures assure son FB. Toutes je ne sais pas, mais ce soir, indéniablement c'est bikers et rock'n'roll. Accueil sympathique et vaste local. Food-truck garé dans un hall immense rempli de véhicules, paddock à motos au fond de la salle à concert, sol cimenté, murs revêtus d'un noir fuligineux, endroit parfait pour des concerts de rock garage !

    Entrée en haut d'un escalier extérieur, sur votre gauche le bar dans une pièce dans laquelle une cinquantaine de personnes tiendraient à l'aise, pour les amateurs de vieux films américains un billard trône dans une espèce d'antichambre, immédiatement suivie d'un incongru salon de vieux fauteuils rococo dépenaillés, décor idéal pour une de ces glauques nouvelles de fantômes dont Jean Lorrain possédait le génie angoissant. En tout cas le lieu oscille entre loft délabré d'artiste new-yorkais et local de MJC des années 70.

    UNCLES BIKERS

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    Rien à dire une galure, ça file de l'allure, ça vous pose un homme. Demandez à Sonny Boy Williamson, le deuxième, pas le premier qui fut assassiné dans une rue de Chicago, mais celui qui venu à l'American Folk Blues Festival refusait de se départir de son chapeau melon. Est-ce pour cela pour que sur la balance le chanteur chapeauté des Uncles Bikers sortit son harmonica pour illustrer de longues trilles le Suzie Q de Dale Hawkins. En tout cas les Uncles Bikers sont plutôt sixties-seventies-road que Delta. Pas de surprise, groupe à reprises. Sixties-seventies. Z'aiment les Stones, cela tombe bien, nous aussi. Nous font un appel du pied avec ce vieux morceau ultra-macho, Under my thumb maintes fois cité dès sa sortie pour mettre en évidence l'irrespectueuse et cynique attitude des Rolling envers la gent féminine. Se débrouillent bien, même si Pascal à la batterie, nous semble marquer les temps forts avec trop de netteté. C'est que la frappe de Charlie Watts est des plus difficiles à imiter, à première oreille rien de plus carré, hélas avec des angles pas très droits, elle est marquée par un déséquilibre perpétuel, une instabilité chronique qui infuse à chaque morceau ce roulement d'avalanche qui reste la marque la plus prononcée du style stonien. Mais le Pascal va vite nous en mettre plein la vue pour quelques ronds de zinc. Au début l'on n'y croit, non ce n'est pas possible, ils n'oseraient jamais, comment peuvent-ils se permettre cette hérésie, certes ce tremblement de guitare, et ces avancées à pas de loups de la basse, indiscutable, c'est Riders on the storm, et l'orgue, ils ont oublié qu'il se taille la part du lion et la peau de la panthère sur ce titre culte des Doors, et c'est là que Pascal, nous azimute, pas besoin d'orgue puisqu'il a des cymbales et il vous trousse la mayonnaise au manganèse, vous installe l'ambiance, un incoercible bruissement de pluie sur la chaussée mouillée, qui aurait pu imaginer que l'on puisse rendre l'ambiance ouatée si particulière de ce chef-d'oeuvre sur une simple batterie. L'est sûr que sur sa basse Hervé ne chôme pas, vous dépose la noirceur du monde sur le bitume de l'âme. Rebel Rebel, ne dites pas bof oui, mais Bowie, un riff un tantinet bébête quand on y pense, un véritable casse-gueule, paraît facile, deux funambules, guitare et vocal, obligés de se croiser sur un fil unique, ne s'agit pas de s'emmêler les pinceaux, chacun à sa place, et que personne ne fasse un pas de trop sur les plates-bandes de l'autre. N'ont pas sorti toute la marchandise en une seule fois. Notamment Jean-Michel qui au début est resté discret, on le prenait presque pour un accompagnateur, et puis il faut réviser son jugement, ne s'est guère étendu dans les premières interventions de pyromane patenté, bien fait, toutefois le minimum syndical, mais à chaque fois il la ramène un peu plus, et bientôt vous vous espérez l'instant où il plante sa guitare dans un rayon de projecteur, et qu'il vous égrène ses soli solides à la lead, oui qu'il prenne son temps, qu'il vous envoûte, que vous puissiez vous délecter, et lui crier chapeau ! On l'avait oublié celui-là, il y a longtemps que maître corbeau s'en est débarrassé, nous apprend que c'est la deuxième fois qu'il joue en public avec le groupe, l'est à l'aise, le gaillard prend du plaisir à se pavaner sur le devant de la scène.

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    L'est comme le Monsieur Loyal du cirque qui annonce le numéro du trapèze de la mort, ou du tigre mangeur d'hommes, mais c'est lui qui s'y colle sans souci, et il chante avec cette certitude courageuse du dompteur qui plonge sa tête entre les crocs sanguinolents du sauvage félin rayé, et c'est parti pour un Brown Sugar tumultueux qui ravit son monde. De temps en temps il sort son harmo pour glisser deux ou trois maux de plus au malheur bleu -ombre du monde, mais ce qu'il préfère c'est jouer avec la hampe du micro qu'il manipule avec l'adresse diabolique d'un spadassin arrêtant de son hallebarde une charge de cavalerie. Sont vivement applaudis. Pour deux raisons. D'abord ils ont mis le feu, ensuite avec avec leur interprétation, beaucoup plus incisive qu'au sound-check, de Suzie Q ils nous ont convaincu que la donzelle devait avoir un joli petit cul.

    THE PESTICIDES

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    L'est seul. A la guitare. Vissé dans sa vareuse blanche, un look entre Brian Jones et Cyril Jordan. Mais un visage plus ravagé. En lame de couteau, sous des épanchements de cheveux blonds. Les affres de l'artiste maudit. Le génie incompris. Toute la légende dispersée du romantisme rameutée dans cette position de corps cassé en deux, comme penché au-dessus de l'abîme d'un naufrage. A ses pieds, delays et boîte à rythmes. Pas une accumulation. Le strict minimum. La beauté et la pose de l'ange déchu solitaire. Byronien.

    Sont là toutes les deux. Trois pas en arrière. Sur sa gauche. Vous ne voyez qu'elles. Depuis un moment elles attirent tous les regards. Leurs pantalons rouges à carreaux écossais dardent toutes les brûlures. Talons-boots boostent leur silhouette. Le bas est d'amarante, le haut est de sable. Vous aimeriez monter plus haut, mais la blancheur pallide de la coupole de leurs seins qui dépassent un peu de l'échancrure de leur justaucorps noirs vous retient malgré vous. Blancs aussi les bras sous les rémiges alanguies de leur tunique noire, leur lèvres saignent telles les entailles d'une plaie mortelle, les ailes noires de leur longue chevelure encadrent leur visage. Noir, blanc, rouge. Couleurs du grand-œuvre alchimique. Filles charnelles, oui. Âme sœurs, oui. Mais l'une est l'autre. Et l'autre est l'une. Pour le moment immobiles. Sont-elles la vie qui s'offre ou la mort qui se refuse, toute deux en chacune indiciblement mêlées, cygnes blancs qui font signe et cormorans noirs de leurs corps mourant d'opalescence.

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    Le maître de cérémonie allume sur son cordier les zébrures électriques. Alors derrière les ballerines s'animent. Doucement. Elles chantent aussi. Mais pour l'instant vous ne voyez que leurs mouvements à l'unisson, presque saccadés, une pantomime qui se peu à peu se complexifie. Elles sont face à vous mais l'effet de miroir se déroule entre elles côte à côte. Si au début elles ont fait les mêmes gestes ensemble, bientôt ce haussement de la main gauche jusqu'au visage, l'autre l'exécute de la main droite et tout un enchaînement gesticulatif de jeux de psychés dissociés se suivent comme si le geste de l'une était le négatif photographique de l'autre. Vous êtes perdu dans un labyrinthe infini. Est-ce un hasard si ce premier morceau s'intitule Death Circle.

    Mais le jeu se dédouble. Le même principe sera appliqué au chant. Elles alternent, chacune étant tour à tour l'écho de l'autre. Et puis elles se dissocient, chacune dans sa partie. Au début, les voix sont comme étouffées, mais elles prennent force et intensité. Une fission s'opère. Elles se séparent, chacune jouant sa partie, bizarre comme si elles chantaient a capella sur les stridences de la guitare. le sang afflue et gonfle les veines du désir. Elles étaient vestales et les voici lubriques vénustés. Sex Share.

    Elles ont allumé le feu. Et lui qui ne les regarde pas subit cette pression dévorante du désir. Se munit d'un archet pour infliger une fessée à ses cordes, et le doigt ganté d'un bottleneck, pointé droit debout, symbole phallique prêt à appuyer sur le bouton atomique, elles viennent à lui, se collent à lui, l'une l'excite, l'autre l'incite, la guitare mugit comme le taureau de Pasiphaé, Take Me.

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    Il s'éloigne du devant de la scène, la musique hurle toute seule, elles chantent et lui revient, ouvre un cahier et nous restitue la signification des paroles anglaises. Prends moi, Attache-moi, Sois brutal, vous leur auriez donné le bon dieu sans confession et maintenant ce sont elles qui vous offrent leurs confessions de jeunes femelles désirantes, et si vous restez, le bon dieu lui s'est enfui pour ne pas entendre.

    Le musicien de ces damoiselles appariée est revenu, il était vêtu de blanc candide mais il jouait la musique du diable, la musique vrombit, la guitare vous cisaille les oreilles, toutes deux sont déchaînées. Trashy twin girls. Elles engoulent l'appel des goules affamées le soir dans les cimetières, elles vous hélent pour que vous veniez vous joindre à cette nuit walpurgienne, le public s'est dangereusement rapproché, sex and rock'n'roll. Elles quittent la scène sur une dernière sarabande infernale C'mon let's go !

    C'était leur première apparition publique. Un grand pas écologique vient d'être franchi dans votre vie. Vous n'avez plus peur des pesticides.

    CHRIS THEPS

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    L'a une dégaine incroyable Chris Theps, vous donne l'impression que le grand Keith est un de vos potes. Mais ce soir il a encore mieux, un orchestre. Pas symphonique avec violons pleurnichards et harpe doucereuse. Un rock band. Un vrai. Avec des zicos qui savent jouer. Et qui ne s'en privent pas. Si par hasard vous n'aimez pas le rock, décampez avant qu'ils commencent, car sinon le piège se referme sur vous. Imaginez que vous êtes entré par hasard sans le faire exprès dans le Colisée juste à l'heure où l'Empereur Néron avait décidé d'octroyer leur nourriture à cinq ou six fauves affamés, je ne donne pas cher de votre peau. C'est exactement ce qui s'est passé lorsqu'ils ont lancé les hostilités. A la différence près que nous on adore les grandes tourmentes qui fondent sur vous et vous ratiboisent le cerveau en moins de deux.

    Faut répartir les dommages. Au fond vous avez le batteur. Un fou furieux. Doivent le sortir de sa cellule capitonnée de Charenton juste pour les concerts. Un gars qui manque cruellement de vocabulaire, ne sait pas ce que veut dire des verbes tout simples comme s'arrêter ou respirer. N'est pas comme le Vésuve endormi depuis deux mille ans. Lui il vous détruit une Pompéi et un Herculanum systématiquement à chaque morceau. Attention pas une brute, un artiste. L'on se demande pourquoi il a deux mains, tape avec l'une et avec la seconde il s'amuse à imiter les majorettes avec sa baguette. Une frappe infernale, vous passe les breaks à une cadence folle, avec lui les peaux tendues de ses tambours ne chôment pas, ça résonne de partout, vous donne l'impression qu'ils les frappent toutes en même temps, c'est un peu comme les coups de fusil, l'est si rapide que le son claque après que la balle vous a déjà traversé le corps.

    Le guitariste est peut-être encore pire. N'a pas joué un seul solo de toute l'heure. Non il n'était pas en grève. Chris Theps a dû lui dire tu pourrais me faire un petit solo, et le guy il est entré en solo perpétuel. L'a la guitare qui agonise sans arrêt. Nous fait le coup du chant du cygne immortel qui ne parvient pas à mourir. Vous déverse des ribambelles de notes à n'en plus finir. Des traînées de poudre infinies. Guitar super-héros. Un maniaque de la six cordes, avec lui, ce n'est jamais trop. De temps en temps lorsque Chris l'appelle il s'avance et vous vous apercevez qu'il peut jouer encore plus vite, qu'il vous torpille les oreilles avec de notes encore plus aigües et vous avez l'impression que votre tête explose, touchée-coulée.

    Les ennuis volent en escadrille. Vous pensiez que le pire était dans les deux paragraphes précédents. Erreur sur toute la ligne de basse. Il reste encore un criminel. L'a dû lire Il ne fait pas assez noir de Joë Bousquet, si vous comparez les deux artistes à un feu d'artifice, celui-ci est un générateur de nuit. A hautes fréquences. Des ondes scorbutiques qui vous déchaussent les dents. Un pervers. Apparemment il ne fait rien. Mais c'est un exponanteur. La tonitruance fracassante et le flamboiement de ses deux camarades, il a décidé de les rendre encore plus percutantes, plus perçantes. L'a compris que ce sont les obscurités indélébiles de la voûte céleste qui rendent les étoiles filantes encore plus visibles, alors il bouche tous les blancs sonores, vous noircit tout l'espace auditif, ce qui était avalanches d'éboulements il vous le compactise, vous le transforme en aérolithe monstrueux d'une extraordinaire densité qui fonce sur votre planète. Vous comprenez enfin ce qu'ont dû ressentir les dinosaures dans les instants qui ont précédé leur extinction.

    Chris devrait être en crise. Comment voudriez-vous qu'il place un seul mot dans ce magma. Comme si de rien n'était. En plus il se met à votre portée, chante en français, pourquoi choisir la facilité du volapük d'outre-manche quand on sait faire plus compliqué en le vieil idiome des terres françoises. Ce qui est inquiétant avec Chris c'est son aisance. L'est aussi à l'aise parmi cet équipage de pirates que s'il faisait des entrechats pour présenter le gala de charité des petits rats de l'Opéra. L'a une grâce féline instinctive. Le rugissement du tigre aussi. Dès qu'il ouvre la bouche il couvre le vacarme de ses camarades. Attention l'a une science consommée du chant, sait quand il faut porter la voix, en ces moments de kérosène kairosique où il faut glisser la coque de son bateau entre les redoutables masses des icebergs qui s'entrechoquent.

    Une loi innée du rock'n'roll. Si vous avez de bons musiciens c'est bien. Si vous y adjoignez un bon vocaliste c'est mieux. C'est-là que se fait la différence. Les deux parties se transcendent. Avec Chris c'est un régal. Vous invective de toute sa raucité. Vous prend à partie, vous menace. Elle n'est pas Belle la vie ? Commente comment il a écrit Paris en réaction à Charlie ( l'hebdo qui rencontra plus bête et plus méchant que lui ). Des paroles violentes Flinguez mais teintées d'optimisme. Le jour se lève.

    Non je n'ai pas oublié. Sur certains morceaux, il y avait un sax et en plus sur la fin du concert Pascal à l'harmonica. Pas facile pour eux d'intervenir sur cette boule noire de forte compacticité, surtout avec un seul micro pour deux, mais ils ont réussi à dégoupiller quelques grenades dans les tranchées.

    Un set uppercut, un grand moment de rock'n'roll, la force des Faces pour ceux qui connaissent.

    GAST

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    Il aurait mieux valu suivre la programmation prévue. Mais Gast s'est précipité pour squatter la scène et passer avant Alicia F ! Un manque évident de courtoisie, une attitude pas vraiment rock'n'roll d'autant plus que les enjeux étaient minimes... En furent mal récompensés, le public qui déserta et des ennuis systématiques pour lancer les morceaux. Se définissent comme un groupe de Love Rock Metal. Une formule un peu curieuse. D'autant plus qu'ils n'ont guère manifesté d'amour...

    Mi-figue, mi raisin. Pas résolument rock, pas résolument metal. Il semblerait que Gast mise avant tout sur les lyrics. Les titres ne sont pas sans une certaine grandiloquence : Le calme m'emporte, Odyssée, Le sacre de l'homme, d'où cette impression qu'ils veulent installer un certain climat poétique pour les accompagner. Une musique comme immobile, un océan au repos, mais qui couvre les paroles ce qui contrevient quelque peu au projet initial. D'autant plus dommage que les voix trafiquées doivent participer d'un projet dont on a du mal à envisager l'ampleur. Un parti-pris difficile par nature. Soit vous privilégiez le sens des vocables et toute la partie musicale se réduit en musique d'accompagnement – cela est patent sur leur soundcloud – soit vous favorisez l'aspect musical ce qu'ils ont fait sur scène mais alors il faut y aller franco de port. On a envie de leur dire d'écouter comment des groupes comme Yes ( celui des débuts ) ont agi pour réaliser l'équilibre voix /musique.

    Gast possède les ingrédients, notamment Julio un batteur à la frappe très personnelle, un bon guitariste Jeco, mais ils n'ont pas encore la recette. Et puis, bien se rappeler une chose élémentaire : aucun groupe de rock n'est parvenu à sauver le monde.

    ALICIA F !

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    Chez Kr'tnt ! on ne vous fait pas le coup des Vingt ans après à la Alexandre Dumas chez nous c'est carrément la semaine suivante. Vous avez aimé Alicia F ! dans la livraison 454, ce sera bis repetita, Farenheit 455 ! Mais attention ce n'est pas le retour à l'identique. Les circonstances ne sont pas les mêmes, comparée au timbre-poste de l'Holy Holster, la scène de L'Espace Denis Hopper c'est un terrain de foot. Vous savez les garnements plus on leur en donne, plus ils en prennent. Et puis quand ils montent sur scène sont encore un peu remontés, un reste de zeste de mauvaise humeur, personne n'aime qu'on lui subtilise sa place dans la file d'attente du cinéma, sont comme le boa constrictor contrarié.

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    Sont à leur poste en trente secondes. N'y a qu'à regarder Fred Kolinski, d'habitude il ne départit jamais d'une certaine attitude Olympienne au-dessus de la mêlée bassement humaine, mais ce coup-ci il a le visage marqué de la même expression déterminée que Ramsès II, quand lors de la bataille de Qadesh, il s'est saisi des rênes de son char de guerre pour mener la charge sur la cavalerie Hittite, et un et deux, l'a adopté la frappe cataphractaire, celle par laquelle il vous rapproche de votre catafalque mortuaire. Tony Marlow lui a emboîté le pas séance tenante. Pour les fioritures psychédéliques l'on verra la prochaine fois, cette fois il plonge direct dans l'ergonomie rock'n'roll, au plus près du riff, vous plante directement le harpon de la guitare dans le ventre de la baleine blanche, elle se démène comme une tornade, mais Tony la tient ferme, et l'on sait d'avance qui va gagner la partie. Même Fred Lherm en a oublié de sourire, l'en a la basse qui grimace de rage, d'habitude elle est plus coulante, plus détendue, cette fois-ci elle a les sourcils froncés et sur ses lèvres se dessine l'ombre d'un rictus vindicatif... Ce soir le plat de la vengeance sera servie brûlant. Comme par hasard l'assistance qui s'était éclipsée au set précédent rapplique en nombre.

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    Tout ça pour une fille ! C'est que vous n'avez jamais croisé ses yeux verts. Quand elle les pose sur vous vous ressentez les vipères de Cléopâtre qui rampent sur votre torse. Se tient sagement devant vous, une collégienne qui attend le feu vert du professeur pour réciter la leçon d'histoire. Toutefois une tenue un peu provocante d'élève rock'n'roll, sa mini-jupe, sa manière de la porter telle une corolle vénéneuse de pétales noirs, ses bras de nacre nue, ses jambes résillées, ses cheveux de flamme, ses tatous de ceux que l'on retrouve dessinés dans les marges des cahiers j'écris-ton-nom : désir ! Celui fiévreux des drames de Tennessee Williams.

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    Alicia chante rock'n'roll, c'est-à-dire qu'elle utilise aussi bien sa voix que son corps. Sa chair autant que son cœur. En un seul mot, cette quadrature se nomme l'esprit. Elle a une manière d'entrer dans un morceau, que ce soit un vieux classique mille fois repris ou ses propres compositions ( musique : Tony Marlow ), et de s'y impliquer avec une telle force que son interprétation vaut certificat d'authenticité. Elle restitue un héritage, d'instinct elle s'inscrit dans une lignée qui vient de loin, elle projette les mots comme des crachats de cobra du Mozambique, atteignent tous leurs cibles, à l'intérieur de vous, transpercent les nodosités de vos rêves, et pour qu'ils fassent encore plus mal, pour que la plaie purule davantage, elle pousse de temps en temps des cris qui s'enfoncent en vous comme des doigts de chirurgien dans une fracture ouverte.

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    Mais peut-être que ses prestations s'apparentent davantage à de la danse qu'à un tour de chant. Une espèce de ballet solitaire, tel que Mallarmé en a rêvé pour le finale des Noces d'Hérodiade. Juste le corps et le désir. Une espèce d'abstraction mise en scène aux yeux de tous pour exprimer, par les ulcérations du mime, les pulsions animales qui nous construisent et nous détruisent. Juste quelques pas sur Speedrock, l'hymne à son chat, mais cette manière de miauler et de déplacer que vous ne savez plus si c'est la peluche d'une petite fille qui s'anime à la manière d'un dessin animé ou le Seigneur Immémorial des Toits qui rôde à la recherche d'une proie pour sa cruauté de félin en chasse.

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    Vous avez eu le chat. Vous aurez l'autre face. La chienne vicieuse de I wanna be your dog, la voici à terre, sur le ventre, jambes écartées, elle lèche le micro-pénis qu'elle se tend à elle-même, et puis elle s'expose, s'assoit, ramène ses jambes devant vous, les écarte afin de vous montrer les rousseurs de ses dessous, elle vous aveugle de sa féminité, de sa liberté à vous lancer des miettes d'envie comme l'on nourrit les pigeons dans les squares municipaux. Et tout cela dans une vertigineuse retenue, elle ouvre l'abîme pour mieux le refermer. Elle a tout donné en vous empêchant de rien prendre. Alicia ou l'ambiguïté du rock'n'roll.

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    Un set torride. De bout en bout. A bout portant. Ils ont aussi joué I fought the law, et ils ont gagné.

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Armando Carvalho )

    P. S. : il restait encore deux groupes à passer, mais très tôt, le matin même, j'avais à faire. Sorry.

     

    LAIBACH

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    Le livre n'arbore aucun titre. Il n'est pas facile à lire. Ce n'est pas que le texte soit d'une complexité inouïe, mais quand vous le tenez il vous brûle les mains. Pas du tout au sens métaphorique. C'est que sa couverture vous ébrèche les doigts, elle est réalisée en papier de verre. Particulièrement épais. D'un noir peu engageant. Celui que vous utilisez lorsque vous grattez la grille de votre portail que vous désirez ( est-ce vraiment un désir ? ) repeindre. En plus elle est agrémentée d'une croix en acier, pas un dessin, un objet, qui évoque quelque peu la croix nazie. Son titre relégué en bas de page de garde – teinte gris souris - intérieure risque de vous sembler énigmatique.

    NSK

    Neue Slowenishe Kunst

    RENDEZ-VOUS GRENOBLE

    ( Editions Kasemate )

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    Les Editions Kasemate n'existent plus depuis décembre 2019. Elles ont été sabordées par leur éditeur-animateur Alexandre Thévenot. Dégoûté du milieu littéraire. Nous ne pouvons que le comprendre. Ce qui nous empêche pas de le regretter. Deux années d'existence auront suffi à faire d'elle un objet littéraire non identifié. Ses tirages minuscules, confectionnés à la main, encres, papiers, matières, formats, finement appariés sont appelés à devenir des objets de collection. Ce qui leur permettra de ne pas se perdre dans la mémoire humaines mais les inscrit d'office dans ces convulsions accapareuses qui motivent trop souvent les adeptes de la bibliophilie davantage intéressés par la valeur marchande d'un produit que par le contenu des idées manifestées dans ces brûlots idéens... Nous avions particulièrement apprécié ces plaquettes dédiées à la littérature symboliste et fin de siècle, par exemple cette réédition de poésies de Georges Rodenbach.

    Ce NSK Rendez-vous Grenoble avait été préparé pour accompagner la semaine du 11 au 14 octobre 2018 consacrée en la cité grenobloise aux activités ( conférences, expositions, films, éditions ), de la NSK.

    IL ETAIT UNE FOIS EN YOUGOSLAVIE

    AURELIE DOS SANTOS

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    Qui se cache derrière les initiales NSK ? Un regroupement d'artistes slovènes. Notamment à partir du groupe Irwin ( voir plus loin ). Les membres du NSK, dont Laibach est un organe des plus importants, entendent promouvoir un art total. Cette volonté fait sans doute référence à l'idée d'art total initiée par Wagner qui entendait allier musique, chant, théâtre, danse, poésie, peinture, sculpture – pensez aux décors pour ces deux derniers ingrédients - dans ses opéras. L'idée de collectif artistique réside en le principe participatif que chacun des membres apporte selon ses moyens d'expression ses créations à l'émergence d'une vision commune. Mais il vaudrait mieux envisager cette notion d'art total en art totalitaire et même en art de dénonciation du totalitarisme politique. L'on aborde vite des terrains mouvants. Il ne s'agit en rien de dénoncer les totalitarismes en opposition aux vertus démocratiques. Ce genre de discours très en vogue de par chez nous sur les médias de masse n'était pas de mise dans la pratique du NSK, né en Tchécoslovaquie au début des années 80, sous le communisme.

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    Cet Art Total joue sur les symboles, ceux des iconographies communistes et fascistes, le but est de montrer que des régimes politiques qui se sont en leurs temps farouchement opposés et qui se sont livrés une guerre sans merci, relèvent d'une même pratique totalitaire. L'idée n'est pas neuve. A tel point que va naître le concept d'art-rétro-futuriste. Le NSK joue avec les représentations graphiques des régimes communistes et fascistes pour en dénoncer l'inanité pornographique représentative. Lorsque la Tchécoslovaquie sera démembrée et que ses différentes parties pourront goûter aux délices du capitalisme démocratique financier, celui-ci sera aussi considéré sous ses aspects totalitaires et aura droit aux mêmes dénonciations.

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    Le NSK se revendique autant du suprématisme que du constructivisme russe, autant de Dada que de l'Internationale Situationniste, autant de Marcel Duchamp que de Guy Débord, le tout en une espèce de dé-constructionisme déleuzienne... qui politiquement se manifestera dans les faits par l'éclatement de la Tchécoslovaquie en plusieurs états nations. L'on touche ici à une certaine contradiction, la dénonciation initiale de l'existence d'un état totalitaire qui se traduit par la création de plusieurs mini-états tout aussi totalitaires. L'on peut ainsi se dire que la partition de la Tchécoslovaquie n'a guère engendré sur le plan politique quelque chose de bien nouveau, et peut-être même en déduire que si la NSK a emprunté les vieilles formes des avant-gardes du début du vingtième siècle c'est qu'elle a été autant incapable de créer de nouvelles formes artistiques que la société tchécoslovaque - dont elle n'était qu'un surgeon et qu'elle voulait transformer - n'a réussi à fomenter de nouvelles esquisses associatives politiques. A tel point que la NSK en est venue à créer un Etat trans-national virtuel, une espèce d'utopie fantôme – si vous voulez rester optimiste vous le qualifierez d'organisme non gouvernemental - qui pour ma part évoque quelque peu la démarche de Robert Musil qui dans son roman L'Homme sans qualité transforme l'Autriche-Hongrie en Cacanie afin de dénoncer d'autant plus librement et vivement la folie des nations européennes en train de se précipiter tête baissée dans la guerre de 14-18, conflit dont l'inanité aura, entre autres, pour conséquences la germination des avant-gardes politiques du vingtième siècle et la naissance des totalitarismes fasciste et communiste... Le serpent se mord la queue mais a du mal à n'en faire qu'une bouchée...

    '' WE COME IN PEACE '' : LAIBACH

    OU L'ART DE LA FUGUE

    FREDERIC CLAISSE

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    La NSK n'est pas sans rappeler l'éclosion du mouvement futuriste en Italie et en URSS. Deux pays comme par hasard dévorés par le fascisme et le communisme. Le futurisme fut un mouvement artistique multiforme dont les tentatives les plus significatives s'exercèrent en peinture et en musique. Question peinture nous renvoyons le lecteur à la troisième partie de cet ouvrage. S'il est une figure oubliée du futurisme, c'est celle du compositeur Luigi Russolo, il est l'auteur d'un manifeste intitulé L'Art des Bruits qui est au fondement de la musique bruitiste, électro-acoustique et industrielle. Il construisit ses propres instruments qu'il cacha dans un grenier parisien – il était réfugié anti-fasciste – mais qu'il ne retrouva pas après la guerre... Les esprits curieux peuvent aller sur You Tube écouter les rares documents sonores ( Serenata per intonarumori e strumenti, par exemple ) qui nous restent.

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    Laibach – ce nom n'a rien à voir avec l'expression américaine laid-back qui désigne une musique facile à écouter, il est le nom de la ville slovène Trbovlje lors de la présence allemande dans la région, ce qui équivalait à une provocation pour le régime communiste de Tchécoslovaque - est vraisemblablement le groupe constitutif du NSK le plus célèbre, il est même une des premières formations industrielles européennes à obtenir une aura internationale.

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    Musicalement Laibach ne me semble pas une réussite. Je ne veux pas dire qu'il joue de la mauvaise musique mais que celle-ci est tellement fidèle à l'idéologie du NSK qu'elle tourne à la parodie. Laibach s'en défend en affirmant que cet aspect est à entrevoir comme une ironie critique au deuxième degré. N'empêche que sa fausse musique pseudo-classique est peu évolutive, écouter un morceau de Laibach c'est un peu les entendre tous. Regarder une vidéo du groupe nous plonge dans la peinture pompière dans le plus mauvais sens de cette expression. Une question vient vite à l'esprit, se moque-ton du nazisme ou du spectateur ? Question stupide car elle en cache une autre ; celle des engrammes encéphalodiens, que veut-on au juste insuffler avec cette mimétique militaro-romanticico-nazie particulièrement cheap ? D'autre part la répétition de cette imagerie ne trahit-elle pas un essoufflement créateur ? Pour ne pas employer le terme d'infertilité incapacitante, celle-ci d'autant plus marquée que le groupe s'est vite adonné aux reprises, que ce soit l'album Let It Be des Beatles ou les hymnes patriotiques européens. Une démarche en quelque sorte idéologique, qui correspond à l'impossibilité actée ou théorisée de toute tentative d'élaboration de formes musicales nouvelles. Remarquons que si l'on compare l'enthousiasme créatrice des années 1920 à l'encéphalogramme artistique du début de nos années 2020, le fléau de la balance ne penche guère en notre faveur. Le rétro-futurisme nous semble beaucoup plus rétro que futuriste. La raison annonciatrice la plus prophétique reste la geste punk : No future !

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    IRWIN

    LE PROGRAMME DU GROUPE IRWIN

    Traduction : MARYLENE DI STEPHANO

    Vous l'avez compris, je suis plus que circonspect quant à la teneur créatrice tant iconographique que musicale, et cela même en dehors de toute position politicienne, de Laibach. J'avoue par contre avoir été atterré par les cinq textes qui forment comme le manifeste du collectif de peintres Irwin. Que lit-on : un succédané de formules empruntées à Hegel. L'idée de Totalité certes, mais une totalité ajoutée pour emprunter une formule à la mode ces temps-ci. Que peut-on ajouter à la Totalité. Rien répondront les esprits simplistes. Que si, se hâtent de répondre nos théoriciens, ce qui est en dehors de la Totalité ! Vous ne voyez rien ? Mais Dieu voyons ! Philosophiquement parlant l'on pourrait arguer qu'ils ont mal lu la Phénoménologie d'Hegel qui au-dernier moment, en un tour de passe-passe tout-à-fait ironique, substitue l'Esprit à Dieu. Chacun fait le ménage a sa manière, multiples sont les coups de balai sur le vain plumage de Dieu dirait Mallarmé. Mais que reste-t-il à l'Homme si Dieu persiste à ne pas être tué. Et plounck ! La solution irwinesque retombe dans le vieux christianisme des familles : la souffrance ! Grand bien nous fasse !

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    L'on me répondra que c'est pour me plonger le nez dans le caca, que dans n'importe quel état terrestre national, nous ne connaîtrons qu'oppression. Que le seul refuge consiste en le NSK State in Time. L'état transnational par excellence qui n'existe pas en tant que Etat car ne reposant sous un aucune surface ou délimitation terrestre. Ce qui entre parenthèses n'abolit pas les Etats existants mais qui se révèle tout autant étatique que tous les autres Etats, certes il est trans-frontalier, une espèce de phalanstère emblématique d'artistes réunis au travers du monde, mais cet Etat in Time est porteur d'une esthétique aussi dirigiste que les élites de nos pays, et qui dit esthétique dit idéologie et qui dit idéologie dit absence de pensée puisque celle-ci est corsetée par des principes manifestes.

    LAIBACH

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    D'autres lectures beaucoup plus libertaires de ce mouvement artistiques peuvent être établies. Nous ne les ignorons pas, mais nous nous en tenons à nos propres vues qui portent davantage sur l'implication philosophique de la démarche que sur ses réalisations objectivales. Cette chronique est à mettre en relation avec celle du livre de Max Ribaric, Blood Axis. Day of Blood. ( in Livraison 452 du 20 / 02 / 2020 ), groupe de Michael Moynihan dont la démarche paraît beaucoup plus authentique et moins artificielle. Tout ce qui sépare la dangerosité du loup solitaire d'une intelligentsia artistique qui joue sur la facticité miroitante de la société du spectacle.

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    Peut-être que Tomaz Hostnik chanteur du premier Laiback – plus proche d'un bruitisme exacerbé que du pompiérisme pseudo-classique que le groupe adopta par la suite - et qui en 1982 se pendit en une sorte de rituel sacrificatoire était-il plus près d'une démarche nationaliste plus radicale similaire à celle entreprise par le jeune adolescent Mickael Moynihan. Hostnik pose par son suicide une question essentielle : la copie à l'identique de l'idéologie fasciste est-elle une dénonciation ou une prise de position pro-nationaliste sincère ? Il semble qu'après la mort de Tomaz Hostnik, Laibach laisse à dessein planer l'ambiguïté laissant à chacun le soin de se positionner. Le groupe agissant comme un révélateur des affects politiques des spectateurs qui assistent à ses concerts soit en reconnaissant en son fort intérieur qu'il est partisan de cette forme d'autoritarisme soit en prenant conscience des dangers d'une société qui s'organiserait sur de telles modalités.

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    Le rock a souvent été décrit comme l'expression d'une révolte anti-sociale. Contre quoi au juste ? Comme tout art, il peut être la proie de manipulations idéologiques de toutes sortes. Il est bon de le savoir. Tout comme de se rendre compte qu'il s'inscrit aussi dans une filiation et des enjeux culturels, pas uniquement musicaux, qui remontent et s'inscrivent en des déploiements politiques dont il convient de ne pas être dupes.

    Damie Chad.