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alicia f !

  • CHRONIQUES DE POURPRE 692 : KR'TNT ! 692 : ANTON NEWCOMBE / EARLY JAMES / PERE UBU / DUKE GARWOOD / ALBERT WASHINGTON / ALICIA F ! / APHONIC THRENODIC / HOFFA / GENE VINCENT

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 692

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    29 / 05 / 2025

     

     

    ANTON NEWCOMBE / EARLY JAMES /

    PERE UBU / DUKE GARWOOD /

    ALBERT WASHINGTON

    ALICIA F !  / APHONIC THRENODIC

    HOFFA / GENE VINCENT

      

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 692

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

    - Massacre à la ronronneuse

    (Part Three)

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             Aux grandes histoires de chaos, de sex and drugs and rock’n’roll que sont celles des Stones, de Jerry Lee Lewis, des Stooges, des Pistols et des 13th Elevators, il faut désormais ajouter celle du Brian Jonestown Massacre, et plus précisément d’Anton Newcombe. Jesse Valencia (avec son livre Keep Musil Evil) et Ondi Timoner (avec son film Dig!) en témoignent de façon assez spectaculaire. Même trop spectaculaire dans le cas du film. Il n’en demeure pas moins que l’histoire du Brian Jonestown Massacre (qu’on va simplifier par BJM) est celle d’un joli bordel.

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             Au commencement était le verbe, celui de Brian Jones. Anton Newcombe ancre le groupe dans un esprit résolument sixties. D’ailleurs son tambourine man Joel Gion porte les superfly shades que porte Brian Jones dans le clip de «Jumping Jack Flash». Au commencement, tout le monde, y compris les Dandy Warhols, chante les louanges du BJM. À sa sortie en salle, Dig! fit sensation, même si on ne comprenait pas qu’Ondi Timoner ait pu tourner des kilomètres de rushes sur des groupes aussi peu excitants que les Dandy Warhols et le BJM, alors qu’elle disposait d’autres grosses poissecailles californiennes, du type early Lords Of Altamont ou Dwarves. Pendant une demi-heure on pataugeait dans une gadouille de bad movie, on croisait beaucoup trop de personnages aux identités incertaines. Avec Keep The Music Evil, Jesse Valencia passe un temps fou à réparer les dégâts en donnant des informations. D’ailleurs l’analyse descriptive du film occupe un bon tiers de son livre, c’est-à-dire une centaine de pages. Malgré tout cet amateurisme cinématographique, on reste en alerte, car non seulement les BJM ont du son, mais ils arborent les oripeaux qui firent la grandeur mythique de Brian Jones, énormes rouflaquettes, guitares Vox, tambourins, franges de cheveux, bug eye shades et sens aigu du psyché Satanic Majesties.

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             Très vite, Ondi Timoner centre son film sur Anton Newcombe, un brun aux cheveux raides qui écrit des centaines de chansons, qui joue de tous les instruments, qui ne pense qu’à la musique et qui frappe violemment ses musiciens quand ils font des fausses notes. Il est l’œil du cyclone. Grâce à la progression du film, on découvre peu à peu son envergure, ses drogues et ce chaos permanent qu’il s’ingénie à instaurer. Anton Newcombe n’a rien, pas d’argent, pas de maison. C’est un SDF. Le portrait est si bien fait qu’il chasse très vite les mauvais souvenirs qu’ont pu laisser ses albums. Il faut bien dire qu’on ne se relève pas la nuit pour écouter Strung Out In Heaven. On gardait le souvenir d’un rock sixties un peu mou du genou, alors qu’Alternative Press encensait le groupe. Dans le film, les extraits de concerts californiens sont extravagants. Anton Newcombe n’hésite pas à se présenter comme le next big thing. Sur scène, la ligne de front du BJM comprend trois guitaristes et Joel Gion au tambourin. Ils détiennent le pouvoir suprême. Leur son est raunchy. Attiré par le fromage, le business accourt au Viper Room de Los Angeles. Mais Anton opte pour cette forme de chaos ultime qu’on appelle le sabotage. Il vire ses guitaristes et Joel Gion qui avoue en rigolant avoir été déjà viré à 21 reprises. Pour Anton, c’est le chaos ou rien. Pas question de vendre son cul à ces majors qu’il hait profondément. No sell out. Il n’en finit plus de marteler «I’m not for sale !» Les gens d’Elektra étaient venus lui proposer un contrat d’un million de dollars. Il préfère saboter le show. C’est là où ce mec devient fascinant. 

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    Greg Shaw

             Par contre il s’entend bien avec Greg Shaw, le boss de Bomp!. Aux yeux de Shaw, Anton Newcombe est une sorte de prophète, pas un jerk. Anton accepte d’enregistrer son prochain disque sur Bomp!. En échange, Greg Shaw loue une maison à Los Angeles pour le groupe. C’est la fameuse Larga House qu’Ondi Timoner filme en long et en large. L’épisode Larga House renvoie aux grands mythes des maisons rock’n’roll : la villa des Stones à Villefranche-sur-Mer, la maison du MC5 à Ann Arbor, la ‘Woodland Hills house’ du Magic Band, sur Ensanada Drive. Ondi Timoner va rentrer dans cette maison avec sa caméra et ramener quelques-unes des plus grandes images de l’histoire du cinéma rock. Elle surprend Matt Hollywood au réveil : il s’empare immédiatement d’une guitare, avant même d’avoir bu un café. Pas de meubles. Pas d’hygiène. C’est une party-house. Des gens comme Harry Dean Stanton y traînent. C’est là que le BJM enregistre l’album Give It Back. Ces coqueluches de Capitol que sont les Dandy Warhols viennent même y faire une séance photo, histoire de s’encanailler. Voilà tout le paradoxe du film : les membres des deux groupes sont amis mais tout les sépare. Chaque fois qu’Anton Newcombe écrit une chanson, il écrase Courtney Taylor par son génie de songwriter. Les Dandy Warhols sont dans le carriérisme et le BJM dans le no sell out. Anton Newcombe a une classe que Courtney Taylor n’aura jamais. On l’entend clairement. On sait à quel point les albums des Dandy Warhols sont mauvais. Il faut voir Anton coiffé de sa toque en fourrure et les joues mangées par d’énormes rouflaquettes déambuler dans les rues de New York en patins à roulettes et se casser la gueule. Une vraie dégaine d’Elvis trash, vêtu de blanc et le visage dévoré par d’immenses lunettes à verres jaunes. Il veut entrer dans une fête où jouent les Dandy Warhols mais la grosse à la caisse le fait dégager. Bizarrement, Ondi Timoner insiste beaucoup sur les Dandy Warhols, et leur côté putassier, en montrant notamment des extraits des mauvais clips MTV. Leur musique frappe par son insignifiance. Ils tentent même de réinventer la Factory à Portland parce qu’ils ont le mot Warhol dans le nom de leur groupe. Ondi Timoner nous montrera aussi leurs mariages et on entendra même les membres du groupe dire qu’il vaut mieux avoir la tête sur les épaules pour pouvoir payer les factures. De toute évidence, le conformisme des Dandy Warhols sert à mettre en valeur le génie trash d’Anton Newcombe.

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             Le clou du film, c’est la tournée américaine du BJM, qu’Hector Valencia surnomme The Tragical Mystery Tour. Suivi par l’équipe de tournage, ils roulent à travers les USA à bord d’un van et donnent des concerts improbables. À Cleveland, ils jouent dans le local du parti communiste pour dix personnes. C’est le sommet du trash. Des mecs tapent sur les musiciens. Ils embarquent Joel Gion dans un coin pour le tabasser. Chaos total. Sur la route, Anton fume de l’herbe et de l’héro pour se maintenir éveillé et pouvoir continuer à conduire, sans permis, bien sûr. À Homer, en Georgie, ils tombent sur un contrôle. Permis ? Pas de permis et les  flics ventripotents trouvent de l’herbe dans le van. Ondi Timoner filme tout ça. Joel Gion se marre. Il ne fait que ça tout au long du film, se marrer. Anton Newcombe va au trou et Greg Shaw le fait sortir. Mais le groupe explose. Une fois de plus.

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             Quand TVT Records signe le groupe, on envoie Joel à la place d’Anton à New York. Le mec qui tente de manager le BJM a la trouille qu’Anton fasse tout foirer une fois de plus. Derrière ses grandes lunettes de Rolling Stone, Joel est plié de rire. Il signe les paperasses qu’on lui présente. Lors de la sortie du film en salle, tout le monde se marrait, comme s’il s’agissait d’un film comique. L’autre grande scène riveuse de clou du film est celle où Anton fait monter Courtney Taylor dans une bagnole pour lui faire écouter «Not If You Were The Last Dandy On Earth» sur l’auto-radio. Taylor est sidéré par le son du BJM. C’est Matt Hollywood qui chante ça. Comme Brian Wilson, Anton s’enferme dans son univers. Il passe à l’héro et plonge dans un maelström musical permanent, il compose et expérimente, enregistre des bandes et des bandes qu’il stocke dans des boîtes et qu’il oublie. C’est l’époque de Strung Out in Heaven, un album un peu ennuyeux qu’il faut cependant réécouter. Anton finit par virer tous les musiciens. Il repart en tournée avec sa sœur qui chante comme une casserole. Un mec du public l’insulte, alors Anton lui dit : «Approche, si t’es un homme !». Le mec approche et Anton shoote dans sa tête comme s’il shootait dans un ballon de foot. En pleine gueule ! C’est d’une rare violence. Les flics le coffrent pour agression. Chaos, suite et jamais fin. Enchaîné et enfermé dans une cage, Anton continue d’éructer. Il crache sur le music business et sur tous ces fucking assholes qui ruinent la musique.

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             De son côté, Jesse Valencia révèle dans son livre que les avis sur le film sont partagés. Tout n’est pas aussi automatique qu’on veut bien le croire. Ondi Timoner est persuadée d’avoir rendu un grand service au BJM : partout où passe le film, les gens achètent les disques du BJM - The record stores sell out - Mais Anton Newcombe ne partage pas du tout l’enthousiasme d’Ondi Timoner. Aussitôt après la sortie du film, Anton balançait ça sur le site du BJM : «Je m’investis beaucoup dans ma musique, je l’ai toujours fait et j’espère que le film est assez clair là-dessus. Mais quand j’ai vu le résultat final, c’est-à-dire le film tel qu’il est sorti, j’ai été choqué. Il résumait plusieurs années de travail acharné à une série de bagarres et d’incidents sortis de leur contexte, avec en plus des mensonges flagrants et des mauvaises interprétations des faits réels. J’espère que les gens qui verront ce film sauront quoi en penser.» Jeff Davies est du même avis. Il dit que ce fut très pénible les deux premières fois où il est allé voir le film en salle. Ça ne correspondait pas du tout à la réalité - It was so untrue - Davies dit qu’Ondi Timoner s’arrangeait pour filmer en cachette des plans de shooting up d’héro ou de baise - Elle te parlait et tu remarquais, à l’autre bout de la pièce, une caméra planquée sous un chapeau - Betsy Palmer qui faisait tout pour ramener le focus sur la musique et non sur les punch-up fut aussi déçue par le film : elle voulait que le film montre le processus créatif du BJM. Elle est furieuse, car le film s’achève avec la désintégration du groupe, alors qu’en réalité, le BJM continuait de tourner et de travailler. Ce dont se sont aperçus tous ceux qui continuaient d’acheter les albums. Les albums sonnaient plutôt bien.

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    Ondi Timoner

             Il n’empêche qu’en tant que cinéaste, Ondi Timoner s’en sort avec les honneurs. Quels que soient les avis, le film continue d’échauffer les cervelles, et c’est bon signe. Jesse Valencia avoue qu’il découvre de nouvelles choses à chaque fois qu’il revoit Dig! C’est parfaitement exact. On peut revoir ce film de loin en loin et on découvrira toujours de nouveaux détails, ou des choses mal interprétées auparavant. Aux yeux de Jesse Valencia, Dig! se situe au niveau des grands classiques du cinéma rock. Il cite comme exemples Don’t Look Back, Gimme Shelter et The Kids Are Alright. Il indique aussi qu’Ondi Timoner a dédié son film à Greg Shaw, rappelant au passage que le BJM fut le dernier groupe dont s’était occupé Shaw avant de casser sa pipe en bois - Shaw remained the BJM most faithful champion until his death in 2004 - C’est en 2005, lorsque le film est sorti sur DVD que le BJM est devenu culte. Les places de concerts s’arrachaient en deux heures. Voir le BJM à Paris était devenu impossible. Anton continuait pourtant de grogner : «Ce film raconte une histoire et cette histoire n’est pas vraie. J’ai été arnaqué. Je pense qu’elle aurait pu faire un grand film. Quel gâchis !» Furieuse, Ondi Timoner répond par interview interposée : «Il n’en finit plus de m’insulter. Je ne supporte plus d’entendre son faux accent anglais !»

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             Jesse Valencia indique qu’il est devenu fan du BJM en voyant le film, fasciné par la personnalité ‘abrasive et charismatique’ d’Anton. Alors il s’est mis à écouter les disques, à aller voir le groupe sur scène, puis il s’est lancé dans la rédaction d’un livre qui est en fait un pensum extraordinaire, une mine d’information sur le plus underground des groupes californiens. On peut considérer cet ouvrage comme l’œuvre d’un fan et la profondeur de sa perspicacité rejoint celle d’un Richie Unterberger. Tout est ruminé dans le moindre détail. Les notes de bas de pages ralentissent la lecture mais n’en finissent plus de ramener des détails à la surface d’un océan d’informations.

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    Joel Gion

             Joel Gion fait très vite son apparition dans le groupe en tant que God of Cool & party animal - I was really really into being fucked up back then - Joel affirme que personne ne pouvait l’égaler au petit jeu du fuck-it-up. À l’époque de la sortie du film en salle, nous étions nombreux à penser qu’il volait la vedette à Anton Newcombe. Le God of Cool se marrait quand Newcombe s’énervait.

             Valencia revient longuement sur l’héro qui selon lui a failli détruire le groupe. Un témoin raconte que the Larga House was a train wreck, c’est-à-dire le désastre d’un train qui a déraillé, avec un Anton qui ne se lave plus et qui ne change plus de vêtements. D’ailleurs, on le voit un peu allumé à un moment donné dans le film, avec des rouflaquettes qui ont doublé de volume. ‘Anton was pretty far gone’, ajoute Dawn Thomas. Valencia collecte aussi tous les récits d’incidents, allant un peu dans le même sens qu’Ondi Timoner : bon d’accord, il est bien gentil le rock psychédélique, mais les gens s’intéressent beaucoup plus aux scènes de violence. À lire le book de Valencia, on finit aussi par croire qu’Anton Newcombe passe son temps à se battre et à se fâcher avec les gens de son entourage. Des shootes éclatent quasiment à chaque page. Dans une scène que décrit minutieusement Valencia, on voit Anton pisser sur le blouson de Dave Deresinski, le premier manager du groupe.

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    Matt Hollywood

             Le livre ramène aussi quantité de détails sur le Tragical Mystery Tour. Les membres du BJM en ont tellement marre du despotisme d’Anton qu’ils profitent de son sommeil pour se tirer en douce avec le van et le matos. Mais un concert du BJM est booké à Austin, alors Anton monte seul sur scène et forcément le public gueule, ce qui le fout en pétard. Malgré tous ces revers de fortune, Anton réussit miraculeusement à maintenir le cap. Sa volonté dit un témoin lui permettait de surmonter tous les obstacles - It was the most superhuman feat I’ve ever seen - C’est là où il devient spectaculaire. Les gens le voient même comme une sorte de Raspoutine, charismatique, avec des zones d’ombre, presque un personnage de fiction. Il finit par ne plus porter que du blanc. Et dès qu’il signe un nouveau deal avec TVT, Anton achète des tas d’instruments : trois douze cordes, un Hammond B3, des guitares Vox, des sitars, un kit Pearl Ludwig et avec sa toque en fourrure, il se donne des airs de Charles Manson. Pendant qu’il dépense sans compter, Joel et Matt doivent se contenter de 20 $ par semaine. Pas de voiture. Ils sont coincés dans la maison d’Echo Park qu’Anton transforme en studio. Avec le temps, Joel est devenu fataliste : il a fini par comprendre qu’il ne gagnerait pas un rond dans le BJM. Anton récupère tout. Kate Fuqua qui séjourne un peu à Echo Park à l’époque raconte qu’Anton prenait tellement de drogues qu’il lui arrivait de perdre tout contrôle : il pouvait subitement bondir par-dessus la table pour sauter à la gorge d’un mec et tenter de l’étrangler. Mais Greg Shaw reste confiant : «Pourquoi auraient-ils réussi à tenir tant de temps pour finir par se détruire ? Impossible ! Ça voudrait dire qu’ils ressemblent à tous les autres groupes.»

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             Puis Anton s’installe dans une maison sur Lookout Mountain, à Laurel Canyon, une maison où avait vécu LeadBelly. On trouve aussi dans ce livre les petites frasques du record business, incarné ici par un nommé Dutcher qui pendant qu’Anton et Joel font la manche dans la rue pour gagner de quoi s’acheter à bouffer et des clopes, se paye un voyage de noces d’un mois en Europe avec sa femme Debbie. Dutcher dément, bien sûr. Il rétorque en accusant Anton d’avoir claqué tout le blé en dope. Parmi les gens qui gravitent autour d’Anton, on retrouve Bobby Hecksher et Peter Hayes. Bobby voudrait bien jouer avec le BJM, mais il arrive au moment où le groupe sombre dans la déprime, alors il va monter les Warlocks. Lors de cette même répète, Peter Hayes monte le Black Rebel Motorcycle Club. Quand un mec qui se croit malin demande à Anton s’il va aller voir le Black Rebel Motocycle Club sur scène, Anton lui répond que Peter Hayes a appris à jouer de la guitare avec lui - Know what I mean ?  I’m going to the pub to have a pint ! - Ces deux groupes doivent tout à Anton, notamment leur son et leur état d’esprit. Valencia dit aussi que Moon Duo s’inspire directement de ce son - That droning driving psychedelic rock sound.

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             Quand Anton perd tout, son groupe, son manager, son label, son père et son matériel, il redémarre à zéro avec l’EP Zero. On retrouve ces cuts sur l’album Bravery. Témoignage fascinant aussi que celui d’Ed Harcourt qui est accosté dans la rue par un maniaque aux yeux ronds comme des soucoupes : Anton lui demande de venir faire des voix sur un cut, il a besoin d’un British singer. La séance dure toute la nuit, Anton et Ed s’engueulent, et au matin Anton raccompagne Ed à son hôtel.

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             Valencia revient assez régulièrement sur le line-up du BJM, mais on a un peu de mal à suivre. Il semble tout de même qu’à une époque Anton ait réussi à stabiliser un line-up avec Don Allaire, Frankie Teardrop, Rob Campanella et Ricky Maymi. Mais les gens continuent de le voir comme un mec insupportable, jamais content, qui se plaint des éclairages et du son, qui engueule ses musiciens et qui insulte le public. Il annule encore des concerts, et se barre dès que les gens commencent à le huer. Il réalise à un moment qu’il tourne en rond aux États-Unis. Sick of America. Il s’est installé à New York et il sent que ça lui tire sur la couenne. Il ne veut plus non plus se voir rattaché à l’image que donne Dig! du BJM, l’image d’un groupe stupide, violent et drogué. Dès qu’un journaliste mentionne Dig! dans une interview, Anton se barre. C’est là qu’il décide de changer d’environnement. Direction l’Europe. En 2008, il s’installe à Berlin.

             Il commence par arrêter de boire. Pas facile - J’ai vite compris que j’allais crever si je continuais à boire, et ce n’était pas mon intention de finir comme ça. Pourtant j’adorais être pété du soir au matin, mais à la façon d’un cowboy, où comme le dit Sinatra, ‘La fête continue, let’s all drink Martinis forever.’ Ça n’avait pas grand-chose à voir avec le rock’n’roll - Mais même sobre, ses proches le perçoivent mal - Ce n’est pas qu’il ait changé, he was a sober dick, c’est-à-dire un con sobre. Pour son entourage, Anton est cinglé, qu’il soit à jeun, pété ou sous héro. C’est la même chose.

             Tout ceci n’en finit plus de jeter des éclairages sur l’œuvre d’Anton Newcombe, l’une des œuvres majeures du rock moderne. Un certain Alan Ranta déclare que le génie d’Anton Newcombe est palpable dans la période 93-03 du BJM. Pour lui, certains cuts figurent parmi ‘the finest experiences of rock’n’roll’.

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             Tiens on va faire un petit break et entrer dans le rond de l’actu : le BJM est à la Cigale, alors pas question de rater ça. Tu viens Jean-Yves ? Oui ! Anton Newcombe a pris du bide, et il planque ses cheveux blancs sous un grand chapeau. Il a deux guitaristes avec lui et le sosie de Brian Jones en bug eye shades à la basse. T’as toute la magie du BJM dès le «Maybe Make It Right» d’ouverture de set, mise en place impeccable, vitesse de croisière immédiate, et t’as ce «Vacuum Boots» qui suit et qui

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    sonne comme un hit des sixties. La bonne nouvelle est que Joel Gion est aussi là, et que, comme d’usage, il ne sert strictement à rien, il sourit et claque son tambourin sur les fantastiques heavy grooves californiens qui se succèdent. Il ne se passera rien de plus que tout ce que tu sais déjà du BJM, mais tu savoures chaque seconde de BJM, car tu sens vibrer les racines en toi, c’est un son qui te parle et que joue sous tes yeux l’une des dernières grandes rock stars. On lui passe très vite une Vox douze cordes. Quand il part en solo psychédélique, il se rapproche de son Brian Jones et ils font leur petit cirque au fond de la scène en tête à tête. Sacré Anton, même ventru, il

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    continue d’avoir de l’allure. Tous ces grooves se mettent merveilleusement en place. Il les chante un par un, il va en chercher des plus anciens comme le «Vacuum Boots» et des plus récents comme «Do Rainbows Have Ends». Il aménage des grandes zones de vague à l’âme entre chaque cut, et fait semblant de s’interroger sur la suite. Il semble être devenu extrêmement pacifique. Il ne distribue plus des coups de poing dans la gueule des gens comme avant. Dommage, ça avait du charme.

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    Ils font même monter sur scène le mec des Big Byrd qui jouait en première partie. Ce set est à la fois un événement et un non-événement. Diable comme la Cigale est belle, diable comme les parisiens aiment à surfer sur la tête des gens, diable comme la bière est bonne au bar après le set et diable comme les T-shirts à l’effigie de Brian Jones sont chers, mais comme ils sont beaux, diable comme la foule est dense et diable comme la scène est haute, diable comme les grooves te caressent la peau, et diable comme tu aimerais que le BJM joue jusqu’à la fin des temps, diable comme «When The Jokers Attack» a pu garder toute sa candeur virginale, diable comme tu te sens seul sur le trottoir à la sortie. Tu repars avec tes fantômes.

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    Signé : Cazengler, Newcon tout court

    Brian Jonestown Massacre. La Cigale. Paris XVIIIe. 20 mai 2025

    Jesse Valencia. Keep Music Evil. The Brian Jonestown Massacre Story. Jawbone Press 2019

    Ondi Timoner. Dig! DVD 2004

     

     

    L’avenir du rock

    - Early n’est pas en retard

             Histoire de rigoler un bon coup, l’avenir du rock va voir un psy.

             — Allongez-vous sur le divan, avenir du rock.

             Le psy s’assoit un peu en retrait. Il attend. Une longue minute passe. Puis deux...

             — Je vous écoute, avenir du rock...

             — Ah c’est à moi de parler ? Je croyais que vous alliez me poser des questions.

             — En vertu de mes principes éthologiques, je ne pose pas de questions. Ce serait prendre la place du père. Vous pourriez souffrir du complexe d’intrusion. Parlez-moi de vous...

             — J’ai tous les défauts. Je suis une vraie catastrophe...

             — Les défauts élaborent l’image spéculaire de vos qualités...

             L’avenir du rock ne pige rien à ce que raconte ce con, mais il poursuit:

             — Je suis égoïste, et même un gros porc d’égoïste, je suis malveillant, jaloux, tordu, raciste, avare, macho, envieux, pourri, colérique, paresseux, obsédé sexuel, libidineux, dépravé, frimeur, menteur, lâche, hypocrite, vous zavez pas idée, mytho et miso à un point qui me dépasse, et des fois je me demande si je suis pas homophobe, mais comme j’adore Ziggy Stardust, ça me rassure, vous voyez le truc ?    

             — Poursuivez, je vous prie...

             — Sais pas si l’orgueil est un défaut ou une qualité, mais on me l’a souvent reproché, notamment toutes mes ex. C’est pas fini ! Chuis un gros ringard, un bas du front têtu comme une bourrique, mais le plus grave, c’est le côté ténébreux, suis sournois comme une grosse araignée, superficiel comme un clerc de notaire...

             — Tout cela est assez banal. Quel est le pire défaut selon vous ? Celui que vous n’acceptez pas ?

             — Une ex m’a dit un jour, au moment du coït : « Tu pues de la gueule ! ».

             — Brossez-vous les dents. Pendant que votre ego peine à pousser son rocher sisyphien vers le sommet, votre alter ego couve les œufs d’or de vos qualités. Vous les connaissez certainement...

             — Une seule : la ponctualité ! Suis jamais en retard !

             — Comment vous représentez-vous cette représentation ?

             — Toujours early ! Early James, bien sûr !

     

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             Alors ça c’est une bonne surprise ! Un petit Alabama boy débarque en Normandie et vole le show. On peut dire qu’il a la main leste. Pouf, ni vu ni connu. Il joue en première partie et on se fait vraiment du souci pour les Lowland Brothers qui vont devoir jouer après lui. En une petite heure, il a mis le club dans sa poche.

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    On voit rarement des mecs aussi brillants. Artistiquement, il est complet. Voix et poux. Il gratte sa Tele comme un beau diable, il va chercher la craziness country, il tape des pointes de vitesse et peut rivaliser de fluidité avec James Burton et Larry Collins. Côté voix, il tape dans un baryton de type Nick Cave, mais en nettement plus fruité, plus élégiaque, plus technicolor. Early James est LE nouveau crack du boum-hue, il devrait faire des ravages chez les becs fins. Ses compos montent droit au cerveau, et quand il part en solo, il file droit sur l’horizon. Il gratte avec un onglet de pouce et tiguilite mille notes à la seconde, sans même jeter un œil sur son manche. Il tape dans tous les registres, le dirt boogie d’Alabama, l’heavy blues d’Alabama, le Southern Gothic d’Alabama, enfin tout ce qu’on peut bien imaginer. Il n’a pas l’air de connaître le mot limite. Par l’extrême beauté de ses compos, par la force de sa présence scénique et par sa technique de picking, il sort du lot. Sa dimension artistique est réelle. Early James est un géant.

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             Un géant sans doute timide, car il n’est pas d’un abord facile. Il enregistre sur le label de Dan Auerbach, mais il est d’accord sur le fait qu’Auerbach transforme le son des Blackos. S’il connaît Matt Patton ? Oui, bien sûr. Il évoque aussitôt les Drive-By-Truckers. Il vit dans ce monde-là, le nouveau monde des cracks du Deep South. Même s’ils sont blancs, ce n’est pas grave, l’essentiel est qu’ils perpétuent cette tradition issue de Muscle Shoals.

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             Sur scène, deux mecs des Lowland Brothers l’accompagnent : Max (basse) et Hugo (beurre). Pas de problèmes, ils jouent comme des vieux pros. L’Early tape surtout des cuts tirés du troisième album, Medium Raw, notamment «Steely Knives», enlevé en mode fast country, ou encore «Gravy Train» et «Tinfoil Hat» qu’il tape vers la fin du set et qu’il charge bien de la barcasse. Il articule tout ça avec les arpèges du diable. On se re-régale de ce «Gravy Train» qu’il emmène la gueule au vent. Encore des retrouvailles avec «Rag Doll» qu’il agrémente au gras de cabaret incertain, mais il arrondit les angles avec des variantes roundy. Il passe à l’heavy

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    country avec «I Could Just Die Right Now», il l’arrange à la traînasse du singing the blues, il reste à la fois intense et cool as fuck. Il passe à l’heavy doom d’Alabama avec «Dig To China», il peut descendre dans l’heavyness de la meilleure espèce, avec les vieux ressorts du seventies blasting. Il termine en mode heavy blues-rockalama avec «I Get This Problem», il claque son cloaque à la mode ancienne. Doté d’une présence vocale inexorable, il groove dans le dur d’Alabama, mama.

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             Ses albums sont là pour rappeler qu’Early james est un touche-à-tout de génie. Sur Strange Time To Be Alive, il peut faire le white nigger («Racing To A Red Light», heavy gloom d’Alabama qu’il place en cœur de set), il tape le Big Atmospherix au plus haut niveau («My Sweet Camelia», puissant dans les ténèbres), il fait aussi du cabaret d’Alabama («Pigsty», pur jus de round midnite), les Beautiful Songs n’ont aucun secret pour lui («Splenda Daddy» et «Wasted & Wanting», qu’il arrose de parfum des îles, avec un chant incroyablement raw to the bone). Il sait aussi taper un

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    duo d’enfer («Real Low Down Lonemome») avec Sierra Powell. Il profite d’ailleurs de l’occasion pour y claquer des espagnolades d’Alabama. Il regagne la sortie avec le captivant «Something For Nothing» - I just want something/ For nothing/ Some kind/ Of strange alchemy - Te voilà conquis.

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             On peut même remonter sa piste jusqu’au premier album, Singing For My Supper, un Nonesuch de 2020. Il se pourrait bien que ce soit son meilleur album. Il met une grosse machine en route dès «Blue Pill Blues». Il a tellement de son et tellement de gras dans le timbre. Il chante d’un timbre assez unique, gras et plat à la fois, un timbre colérique et puissant, très écrasé. Il se planque derrière son ombre. Il n’est ni Van The Man, ni Scott Walker, ni Tom Waits. C’est encore autre chose. Early James. Il craque bien le climat avec «Way Of The Dinosaur». Sa voix porte en profondeur. Il attaque toujours de bonne heure. Il crée des climats à la seule force de la voix. Il peut descendre dans des abysses jusque-là réservées à Lanegan. «Way Of The Dinosaur» sonne comme un sommet de la gloire. Il tape son «Easter Eggs» en mode country légère. C’est lumineux, bienvenu, accueilli à bras ouverts. Quel entrain et quelle ampleur ! Il en fait une valse à trois temps. Il passe à la grosse dramaturgie avec «It Doesn’t Matter Now». Il se jette à corps perdu dans la balance qui s’écroule. C’est toujours la même histoire : les balances ne sont pas faites pour ça. Il tient encore la dragée très haute avec une samba du diable, «Gone As A Ghost». Peu de gens sont capables d’aller chercher une telle puissance interprétative. Il crève le ciel !

    Signé : Cazengler, Early in the morning

    Early James. Le 106. Rouen (76). 16 mai 2025

    Early James. Singing For My Supper. Nonesuch 2020

    Early James. Strange Time To Be Alive. Easy Eye Sound 2022

    Early James. Medium Raw. Easy Eye Sound 2025

     

     

    Devil in the Garwood

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             Pas la peine de te raconter des histoires : tu vas voir jouer Duke Garwood uniquement parce qu’il a fréquenté Lanegan. Assister à son récital, c’est une façon de se rapprocher de Dieu, c’est-à-dire Lanegan. Mais si on l’aborde pour lui demander d’évoquer Dieu, Garwood botte en touche. Deux fois, une fois avant, et

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     une fois après le set. Garwood est comme Dieu, il n’en a rien à foutre. Rien à foutre de rien. Ni du temps, ni du public, ni des conventions. Il s’en fout comme de l’an 40. En une heure trente, il réussit à vider la salle. On n’avait pas vu ça depuis longtemps.

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    Pendant une heure trente, il s’accorde et se désaccorde, il enchaîne les cuts les plus désespérés qu’on ait pu entendre ici-bas depuis ceux du camp tsigane d’Auschwitz-Birkenau. Si tu veux te suicider, écoute Duke Garwood. Il cultive le désespoir extrême, celui des ceusses qui se paument dans le désert. Il s’égare dans l’immensité de son austérité. Il est le prince de la désolation. Il bat les Birthday Party à la course.

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    Il bat même le «Ballad Of The Dying Raven» de Dieu, c’est-à-dire Lanegan, à la course. Il bat aussi le «Dead In The Head» de Lydia Lunch à la course. Il bat Smog, Big Maybelle, tous les cracks du désespoir, et pourtant, tu ne t’en lasses pas. Quand croyant lui faire un compliment, tu lui dis qu’il sonne exactement comme Lanegan,

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    ça le bloque encore plus. Il se ferme comme une huître. Crack. T’en tireras rien. Que dalle. Pas un mot sur Dieu. Au fond qu’espérais-tu ? Allait-il te dire que Dieu était génial ? Allait-il te dire que Dieu avait créé le monde ? Allait-il te dire que Dieu n’était pas mort ?

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             Bon, à ce stade des opérations, il est important d’aller voir ce qui se passe dans les disks. On ramasse Rogues Gospel au merch de la désolation. Deux clébards sur la pochette. Ouaf ouaf ! Un batteur accompagne le Duke. C’est un big album. On croit tout simplement entendre Lanegan. Le Duke tape «Country Syrup» à la plaintive horizontale et retrouve les accents chauds de Lanegan. Même chose avec «Maharajah Blues», «Neon Rain Is Falling» et le morceau titre, qui sonnent comme des complaintes de nuit de pleine lune. Son hypno du désert est tellement riche qu’il en devient spongieux. On sent comme une résurgence des Screaming Trees dans «Neon Rain Is Falling». C’est exactement le même son. En B, il va chercher des infra-basses dans les ténèbres laneganiennes pour «Heavy Motor». Les enceintes vibrent  et menacent de rendre l’âme. Le Duke cultive la latence de la persévérance et ramène un sax oublieux dans «Whispering Truckers». Il regagne la sortie avec un «Lion On Ice» aussi paumé qu’un lion sur la banquise.

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             Comme on avait au temps de Lanegan ramassé tout ce qu’il avait enregistré, on retrouve Duke Garwood dans l’étagère. Pas grand-chose à dire de Black Pudding qu’il enregistrait voici 12 ans avec Dieu, c’est-à-dire Lanegan. On s’y ennuie un peu. La guitare de Garwood se perd dans le désert. La perdition est son fonds de commerce. On croirait entendre Ali Farka Touré en plus gris. Lanegan psalmodie. Il parle de Jésus, ce qui paraît logique vu qu’il s’agit de son fils. On tombe plus loin sur un «Mescalito» tapé en mode beat machine. Lanegan y évoque un autre fonds de commerce, le sien, qui est le sorrow. Les chansons, comme l’album, sonnent comme des causes perdues. Le désespoir qui y règne est d’une profondeur insondable. À force de dénuement, «Death Rides A White Horse» paraît beau. Avec «Cold Molly», Dieu se livre à un fantastique exercice de cold cold style. Il nous boppe son cold et avance en crabe sur une plage de sable noir. T’as l’image. 

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             Dieu & Duke remettent ça cinq ans plus tard avec With Animals. C’est bien planté du décor. Ils te font le désert sans eau. Dieu dans ses œuvres. Dieu quémande de l’amour dès «Save Me». Dieu fait du pur Lanegan avec «Feast To Famine», un heavy balladif de when you cut me/ I bleed. C’est bien épais et sans le moindre espoir. Au coin d’un couplet, Dieu te confie ceci : «You know I’m good for the damage.» On s’en serait douté. Cet album est gorgé d’une présence indicible. Dieu y va au I love you baby. Dieu fait le show, il psalmodie à la plaintive décharnée. Le Duke claque les notes d’«LA Blue» out of the blue. Tout est bien plombé sur cet album. Ça grince dans la tombe du rock et t’as même l’orgue de barbarie dans «Lonesome Infidel». C’est pire que tout, funèbre à l’extrême. Encore du classic Lanegan avec «One Way Glass». Ce fantastique chanteur de rock groove les profondeurs de son âme ténébreuse.

    Signé : Cazengler, Duke Gare du Nord

    Duke Garwood. Le Kalif. Rouen (76). 3 mai 2025

    Mark Lanegan & Duke Garwood. Black Pudding. Ipecac Recordings 2013

    Mark Lanegan & Duke Garwood. With Animals. Heavenly 2018

    Duke Garwood. Rogues Gospel. God Unknown Records 2022

     

     

    Wizards & True Stars

     - Ubu Roi

     (Part One)

     

             Le vieil Ubu David Thomas vient tout juste de casser sa pipe en bois, aussi allons-nous de ce pas lui dresser un autel funéraire et célébrer une messe païenne puisqu’il nous incombe d’honorer son honorifique mémoire. Pour ce faire, nous sortirons du formol un texte ubuesque paru dans les Cent Contes Rock. Ce texte fit d’une pierre deux coups, puisqu’il chantait les louanges du deuxième single de Pere Ubu («The Final Solution»), et celle du Grand Précurseur de tout devant l’éternel, le spécialiste des solutions imaginaires Alfred Jarry.

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    Principaux personnages :

    Crocus Behemoth : gros chanteur palotin

    Mère Ubu : protagoniste circonstanciée

    Tom Herman : premier guitariste

    Peter Laughner : second guitariste

    Tim Wright : bassiste court sur pattes

    Scott Krauss : tambour de guerre

    Dave Taylor : pilote de spoutnick

     

    Crocus Behemoth

    — Merdre !

    Mère Ubu

    — Oh ! En voilà du joli, Crocus Behemoth ! Qu’avez-vous donc à jurer comme un cocher anglais ?

    Crocus Behemoth

    — En tant que leader charismatique de Pere Ubu, je dois faire une déclaration universelle !

    Mère Ubu

    — Ici, à Cleveland ? Dans le trou du cul du monde moderne ?

    Crocus Behemoth

    — À Cleveland, à Varsovie ou à Pétaouchnock, cela reviendrait au même. De par ma chandelle verte, ce que j’ai à déclarer est de la plus haute importance ! Ôtez-vous de mon chemin car ma voix doit porter loin ! Qu’on fasse venir mes fidèles musiciens illico-presto !

    Tom Herman

    — Nous voici au grand complet, sire, prêts à vous servir jusqu’à notre dernière goutte de sueur.

    Crocus Behemoth

    — Accorde ta guitare et ferme ta boîte à camembert, vil guitariste ! Tu nous feras des commentaires lorsque je t’aurai sonné, est-ce bien compris, face de rat ? Il s’agit pour l’heure de s’adresser à la postérité et le monde attend que Crocus Behemoth fasse sa déclaration universelle.

    Mère Ubu

    — Et alors, gros sac à foutre, qu’as-tu donc à déclarer de si important, toi qui es plus con qu’une queue de curé ?

    Crocus Behemoth

    — Justement, Mère Ubu, j’y viens. Prenez garde qu’à coups de génie je ne vous fasse ravaler vos paroles. Orchestre, êtes-vous prêts à sonner l’hallali ?

    L’orchestre

    — Nous voilà fin prêts, sire. Nous épouserons les lignes harmonieuses du moindre de vos désirs et vous suivrons jusqu’aux cimes de votre génie, sans cordes ni piolets !

    Crocus Behemoth

    — Jetez plutôt vos métaphores à mes chiens, bande d’étraves. Je ne mange pas de ce pain-là ! Alors, hâtez-vous de vous mettre en ordre de bataille. Je veux un tempo lourd comme le pas d’un éléphant, et veillez à ce qu’il se charge des plus grandes menaces ! Que les peuples d’Aragon, de Pologne et du Michigan s’enfuient comme des volées de moineaux à notre arrivée...

     

    L’orchestre exécute les ordres du roi jean-foutre à la lettre. Tim Wright frappe sur ses cordes de basse, martelant un rythme digne des éléphants de Scipion l’Africain traversant les Alpes. Dom do-do dom... Dom do-do dom. Au bout de deux mesures, il est rejoint par la meute au grand complet. Ils entrent dans la danse et rudoient leurs instruments, les yeux fixés sur les pointes de leurs escarpins. Un spoutnick s’élève et traverse la salle du trône en zigouinant.

    Crocus Behemoth, d’une voix d’outre-tombe :

    — Les filles ne me touchent pas car je suis atteint d’une déviance...

    Crocus Behemoth lâche un pet atomique.

    Mère Ubu

    — C’est fort honnête à vous de bien vouloir reconnaître que vous êtes déviant, gros dégueulasse !

    Crocus Behemoth, sur le même registre :

    — Et vivre la nuit n’embellit pas mon teint...

    Crocus Behemoth lâche un second pet atomique.

    Mère Ubu

    — Ah quelle pestilence ! Plus je vous contemple et plus vous me faites l’effet d’un gigantesque navet puant !

    Crocus Behemoth, d’une voix hystérique :

    — D’après les symptômes, il s’agit d’une épidémie sociale...

    Mère Ubu

    — C’est vous, pachyderme au cul crotté, qui êtes une épidémie !

    Crocus Behemoth, d’une voix de bête traquée :

    — Le fait de s’amuser un peu n’a jamais été une insurrection !

    Mère Ubu

    — Vous allez nous faire pleurer avec vos jérémiades. Avez-vous d’autres couplets ?

    Crocus Behemoth, d’une voix mielleuse :

    — Ma mère m’a foutu à la porte jusqu’à ce que je trouve une culotte qui m’aille...

    Crocus Behemoth lâche un pet rachitique.

    Mère Ubu

    — Avec un cul pareil, vous avez dû en baver.

    Crocus Behemoth, sur le même registre :

    — Elle n’apprécie pas vraiment mon sens de l’humour...

    Mère Ubu

    — Vous êtes bien le seul que le grotesque n’effraie pas. Je vous plains amèrement.

    Crocus Behemoth, d’une voix de castrat à l’agonie :

    — Je suis tellement excité, je serai toujours perdant, on me jette de partout, je n’insiste pas...

    Mère Ubu

    — Bien fait pour vous. Vous mangez comme un porc. Regardez-vous dans un miroir !

    Crocus Behemoth, sentant la moutarde lui monter au nez :

    — J’ai pas besoin d’une cure d’amaigrissement ! Je veux une solution finale ! J’ai pas besoin d’une cure d’amaigrissement ! Je veux une solution finale !

     

    Une accalmie s’ensuit, embellie par des gazouillis d’oiseaux. Tim Herman joue un pont dada, grattant quelques subtiles variations destinées à tromper la vigilance de l’ennemi massé aux frontières.

    Crocus Behemoth, d’un ton guerrier :

    — Achetez-moi un ticket pour un voyage sonique...

    Crocus Behemoth lâche un pet embarrassé de tuberculeux.

    Mère Ubu

    — Alors bon voyage ! Nous allons de nouveau pouvoir respirer l’air pur !

    Crocus Behemoth, d’une voix de boucher :

    — Les guitares devraient sonner comme la destruction atomique...

    L’orchestre s’arrête. Une chape de plomb tombe sur la salle du trône.

    Crocus Behemoth, d’une voix nietzschéenne :

    — J’ai l’impression d’être victime de la sélection naturelle...

    Mère Ubu

    — Oh voilà qu’il recommence ! Mon cœur battait de joie à l’idée que ce numéro de cirque fût enfin terminé !

    Crocus Behemoth, d’une voix de paria épileptique :

    — Retrouvez-moi de l’autre côté, dans une autre direction !

    Mère Ubu

    — Bon débarras. Voilà enfin une bonne nouvelle pour le royaume !

    Crocus Behemoth, frisant l’apoplexie :

    — J’ai pas besoin d’une cure d’amaigrissement ! Je veux une solution finale ! J’ai pas besoin d’une cure d’amaigrissement ! I want a final solution !

     

    S’ensuit une nouvelle accalmie. Des gazouillis succèdent à l’épouvantable tintamarre de l’orchestre.

    L’orchestre

    — Ouuuh ouh-ouuuh !

    Crocus Behemoth

    — Solouchionne...

    L’orchestre

    — Ouuuh ouh-ouuuh !

    Crocus Behemoth

    — Solouchionne...

    L’orchestre

    — Ouuuh ouh-ouuuh !

    Crocus Behemoth

    — Solouchionne...

    L’orchestre

    — Ouuuh ouh-ouuuh !

    Crocus Behemoth

    — Solouchionne...

    Puis, mugissant comme un bœuf qu’on fait entrer de force à l’abattoir :

    — SOLOUCHIONNNNNNNNNE !

    Agité de spasmes, Crocus Behemoth lève le bras en l’air et fait le signe de la victoire.

     

    C’est le signal. Un officier sanglé dans un costume austro-hongrois présente à son roi une télécommande surmontée d’un gros bouton rouge. Crocus Behemoth assène un formidable coup de poing sur le bouton rouge. Une bombe à hydrogène explose quelque part au Japon. Le souffle de l’explosion fait trois fois le tour de la terre. Les cheveux des musiciens de l’orchestre s’envolent. Les radiations leur flétrissent la peau. Crocus Behemoth pointe son sceptre sur Tom Herman. Celui-ci s’incline respectueusement et attaque un solo de guitare qui s’envole majestueusement, wah-wahté avec raffinement. Le solo prend toujours plus de hauteur, atteignant les cimes de l’Olympe.

    Crocus Behemoth

    — Solouchionne !

    Tim Herman suit des chemins escarpés, repoussant toujours plus loin les limites de la splendeur, donnant à son solo des tournures proprement aventurières.

    Crocus Behemoth

    — Solouchionne !

     

    Tim Herman élève toujours sa mélodie dans les nues, menaçant à chaque instant d’échapper à l’entendement, et donc au roi. Les cimes de l’Olympe ne sont plus pour lui qu’un pâle souvenir.

    Crocus Behemoth

    — Solouchionne !

     

    Pourvu d’une nature céleste, Tim Herman maintient son solo en vie pendant d’interminables minutes, réinjectant sans cesse de la vie dans ses gammes éphémères.

    Crocus Behemoth

    — Solouchionne !

     

    Tim Herman déroule toujours son écheveau mirifique. Il devient une excroissance du royaume. Il étend sans cesse son empire. Il délie de fabuleuses lignes mélodiques qui montent au ciel et s’en viennent chatouiller les couilles de Dieu. Agréablement surpris, Dieu s’allonge sur son nuage et écarte les cuisses. Il retrousse sa jupe de coton immaculé. Oh ! Il croyait qu’il ne bandait plus. La musique s’arrête. Dieu débande. Il appelle un ange et ordonne qu’on lui amène ce terrien qui est l’égal de ses fils, les demi-dieux. L’ange qui est un peu con descend sur terre et remonte un an plus tard avec Peter Laughner.

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             Signé : Cazengler, Pere Abus

    David Thomas. Disparu le 23 avril 2025

    Pere Ubu. The Final Solution. Hearthan 1976

     

     

    Inside the goldmine

    - Washington d’ici

     

             Tous ceux qui le connaissaient le disaient érudit, mais Albite ne parlait jamais de rock. Il ne parlait que de ses mésaventures sentimentales. Enfin, sentimentales, c’est un bien grand mot. Albite était obsédé par le sexe. Il nous arrivait parfois de faire route ensemble, et c’était plus fort que lui : il monopolisait la conversation pour évoquer une à une ses conquêtes, ça n’en finissait pas, et il n’existait aucun moyen de l’interrompre pour le ramener dans le droit chemin. Il les décrivait une par une, les classait dans les chaudes et les pas chaudes, celles qui avaient du répondant et celles qui n’en avaient pas, il préférait celles «qui aimaient les hommes», comme la Toulousaine qui bien qu’étant chaude, lui donnait pas mal de fil à retordre.

             — Quel genre de fil ?

             — Elle veut pas que j’la sodomise !

             Avec ça, on était bien avancé, et il repartait de plus belle sur la Martiniquaise qui l’arrosait de sang de poulet avant la copulation, il passait ensuite directement à cette jeune femme juive qu’il avait traquée pendant des mois et qui avait fini par céder, mais il y eut un sacré problème.

             — Quel genre de problème ?

             — C’était une trans.

             Le pauvre Albite collectionnait les revers de fortune, mais ça ne l’empêchait pas de persévérer. Son appétit sexuel était tel qu’il n’existait aucune limite. Il lui fallait de la chair, fraîche ou pas fraîche, ça l’excitait rien que d’en parler :

             — Ah putain si tu voyais le cul qu’elle a !

             Il levait les bras au ciel, il clamait sa soif de toisons, son besoin maladif de palper des seins, il râlait son rut, il tanguait au cœur d’une violente tempête libidinale et atteignait une sorte d’extase organique. Lorsqu’il lâchait le volant, il fallait vite le rattraper, car la bagnole partait de travers. Il roulait à 160.  

     

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             Pendant qu’Albite collectionnait les conquêtes, Albert collectionnait les hits inconnus. On le sait grâce à une compile Ace qui s’appelle Blues & Soul Man.

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             Franchement, c’est un choc ! Albert Washington forever ! Cette compile est une bombe atomique ! Tu vois Albert sur la pochette avec sa veste de charlot et sa guitare et tu te dis : «No Way !». Hé bé, comme on dit à Toulouse, ton no way, tu peux te le carrer où tu penses, car Albert est une bête ! T’es hooké dès l’heavy blues de «Doggin’ Around». Avec «Tellin’ All Your Friends», il passe à l’heavy Soul noyée d’orgue. Albert insiste bien sur la qualité. Il gorge sa Soul de Soul. Il a le diable au corps, il est encore perçant et définitif avec «Rome CA»,  et affolant d’hot avec «You Get To Pay Your Dues». Albert est une diable, il groove la Soul du rock. Il sait chauffer le cul d’un cut, comme le montre encore «I’m The Man». Il a le power et l’argent du power. «Woman Love» sonne comme un heavy groove descendant, c’est d’une invraisemblable modernité, une vraie révélation, là t’as un groove incroyablement crépusculaire. On note encore l’incroyable qualité du solo de gras double de Lonnie Mack dans «Turn On The Bright Lights» - What a fool have I been - Albert est un surdoué, complètement inconnu au bataillon. Encore de la fantastique modernité avec «Hold Me Baby», tout est terrific, chez Albert et t’as en permanence ce que les Anglais appellent des killer guitars - Mack is at his manic best - Tu tombes plus loin sur «Crazy Legs Pt 1», fantastique dancing jive tapé au beat de syncope aventureux. Idem pour le Pt 2. Everybody ! Tu t’effares encore de l’incroyable audace du dancing beat de «Mischevious Ways». T’as toutes les mamelles que tu veux : la vélocité du beat et le gras du chant. Il réclame son heure de power dans «Hour Of Power». Il a tous les pouvoirs, surtout celui du power. Il sonne comme les Capitols et t’as Lonnie Mack dans la course. Retour à l’heavy blues avec «If You Need Me». Il chante ça d’une voix juvénile très pure, à la Sam Cooke. Ce fabuleux Soul Brother qu’est Albert Washington sait aussi faire du Sam Cooke ! 

             C’est un universitaire, le Dr Steven C Tracy, qui se tape les liners de la compile. Il raconte qu’il est allé voir Albert en 1996 à l’hosto universitaire de Cincinnati. Albert fait partie de la génération des années 30, et son éducation passe comme de bien entendu par le gospel. Puis il est attiré très jeune par le Deep South country blues - His main blues artist in them days wad Blind Boy Fuller, a performer of salacious blues to be sure - Et puis en 1949, nous dit l’universitaire, la famille Washington s’installe au Kentucky. Le père casse sa pipe en bois, écrasé sur un chantier, et Albert finit de grandir en se passionnant pour Sam Cooke et B.B. King. C’est là qu’il puise son inspiration pour gratter ses poux. Il flashe aussi sur Big Maybelle et Cab Calloway. Puis il va devenir the King of the Cincinnati blues scene. Il enregistre, mais ça ne marche pas. Il ne vit que grâce aux clubs. Les cuts rassemblés sur la compile Ace sont ceux enregistrés pour un petit label de Cincinnati, Fraternity Records d’Harry Carlson. L’un des artistes signés sur Fraternity n’est autre que Lonnie Mack, d’où la collusion.

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             On retrouve l’excellent Albert sur trois albums, à commencer par Sad And Lonely, un Eastbound de 1973 devenu culte. On comprend le comment du pourquoi dès «No Matter What The Cost May Be», un fast funk aventureux. C’est le funk le plus sauvage du coin. Ahurissante modernité ! C’est enregistré à Memphis, au studio TMI de Steve Cropper ! Il s’installe dans l’hard funk avec «You’re Messing Up My Mind», c’mon tell me, il veut savoir, listen yah ! C’est l’hard funk de rêve, sous-tendu à la vie à la mort. On retrouve l’hard funk dans «Mischievous». C’est là qu’il est bon. L’hard funk vipérin n’a aucun secret pour lui. Sinon, il fait un peu d’heavy blues («Wings Of A Dove»). Il perd un peu de hauteur, dommage mais il a des chœurs de rêve. Retour à l’heavy funk avec le morceau titre et ça bascule dans la pop de Soul. Il fait aussi du petit boogie de Memphis avec «I Can’t Stand It No More», mais il ne dégage rien de particulier. Il s’accroche une dernière fois avec «Do You Really Love Me» et ça se termine en giclée de belle Soul.

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             Il revient dans l’actu en 1992 avec Step it Up And Go. Bon c’est pas l’album du siècle, mais on sent la singularité d’Albert, notamment cette façon qu’il a de chanter d’une voix pincée. Il drive à merveille l’heavy boogie de «Things Are Getting Bad», et l’heavy blues d’«Hold On To A Good Woman» montre qu’il est très axé sur l’édentée. Il campe bien sur ses vieilles positions, il bêle plus qu’il ne chante, mais c’est pas mal. Ses cuts sont classiques mais beaux. Il swingue la good time music d’«Everything Seems Brand New», c’est une merveille de délicatesse. Quelle fantastique présence vocale ! Il chante d’une petite voix fine admirablement altérée, pas méchante pour deux sous. Il fait sa petite leçon de morale avec le slow boogie blues de «Leave Them Drugs Alone», if you wanna live a long time. Il chante son «You’re Too Late» au feeling pur et claque un coup de génie avec l’extraordinaire boogie down de «Keep On Walkin’». C’est le boogie archétypal d’Albert le crack. 

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             Sur A Brighter Day, t’as Harvey Brooks au bassmatic, alors attention ! Ça groove dès le morceau titre d’ouverture de bal. Albert chante aux dents de lapin. Il tape deux Heartbreaking Blues de choc, «You’re Gonna Lose The Best Man You’ve Ever Had» et «Standing There All Alone». Le premier est amené au riff d’I’m A Man et le deuxième sent bon la classe supérieure. Il revient à son cher boogie blues avec «I Walked A Long Way», c’est à la fois lourd de sens et lourd de conséquences, autrement dit heavy on the beat. Avec «Travelin’», il se glisse merveilleusement dans un shake de funk, puis il fait son ‘boire ou conduire’ avec «Don’t Drink & Drive». Globalement, il colle bien au terrain de l’heavy blues. Tout ce qu’il entreprend est assez fin. Albert est un orfèvre, un délicieux groover aux dents de lapin. Ah comme il affine ! 

    Signé : Cazengler, Washingtorve

    Albert Washington. Blues & Soul Man. Ace Records 1999

    Albert Washington. Sad And Lonely. Eastbound Records 1973.

    Albert Washington. Step it Up And Go. Iris Records 1992

    Albert Washington. A Brighter Day. Iris Records 1994

     

    *

             Laissez-moi rire avec la malédiction du deuxième opus. Le pauvre artefact incriminé n’y est pour rien. Par contre il existe deux sortes d’êtres humains, ceux qui se répètent, qui répépiègent à n’en plus finir, et ceux qui avancent sur leur chemin, tout droit, conscients que chaque pas les rapproche de leur propre fureur de vivre. Alicia Fiorucci fait partie de ceux-là. 

    SANS DETOUR

    ALICIA F !

    (La Face Cachée / Avril 2025)

             Super belle couve. Alicia s’offre à vous sans détour, telle une citadelle imprenable qui vous toise du haut de ses murailles. Une pose de guerrière aguerrie qui vous défie d’un regard sombre et compatissant, qui attend sans hâte que vous portiez le premier coup, sûre que vous ne vous y risquerez pas, que vous ferez comme si vous ne l’aviez pas vue. Une volonté inexpugnable chevillée à son corps et à son âme.

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             Alicia F (comme fulgurante) est au chant un peu le d’Artagnan des quatre mousquetaires avec qui elle ferraille sur les douze pistes noires et rouges du disque : Tony Marlow qui use de sa guitare comme d’une rapière meurtrière, Gérald Coulondre qui frappe fort à l’aide de sa masse d’arme ensanglantée, Amine Leroy qui propulse de sa contrebasse des carreaux mortels d’arbalète.

    Les assassins à ciel ouvert : avancent à pas couverts devrait-on avoir le temps d’écrire, mais la guitare froissée de Tony vous bouscule, Alicia lui emboîte le pas, avec un tel titre on augurait qu’elle prendrait un ton lugubre, ben non, l’est toute guillerette, pensez à ceux qui dansaient la Carmagnole durant la période révolutionnaire, l’insurrection n’est pas obligatoirement triste, dénoncer, remettre le cours des choses à l’endroit impulse un sentiment de libération et une vivacité débordante. Coulondre transforme sa batterie en feu d’artifice, Tony allume une chandelle romaine incandescente, le punk c’est comme Picasso, il a sa période bleu pétrole mais ici c’est la période rose délurée, qui domine, la joie de s’affranchir de ceux qui vous adressent des sourires cauteleux pour mieux vous asservir.  Abortion : le Marlou attaque à la hache d’abordage, les gars catapultent les chœurs et ça déboule grave, Alicia prend position pour la liberté d’avorter, pour le devoir de faire de son corps ce qu’elle veut, attention c’est une espèce d’éruption vésuvienne, un mini-opéra vénusien, contrechants wagnériens, imprécations gutturales, revendications en lettres de sang, Amine slappe à mort, Marlou et Gérald vous pondent à deux un solo comme vous n’en avez jamais entendu, Alicia vous a le dernier mot qu’elle dépose à la fin du morceau comme une couronne sur sa royauté de femme, Abortion ! La vie est une pute : un crachat punk, une intro de menuet, mais très vite ça remue un max, les gars vous dressent des guirlandes, car parfois il vaut mieux en rire qu’en pleurer, la vie n’est pas un conte de fées, faut prendre les choses comme elles viennent mal, les douces fraîcheurs mentholées se métamorphosent en senteurs mortifères, Alicia vous met le tréma sur le u de pute. Cielo drive love song : quand le présent n’est pas gai, que le futur ne promet pas une amélioration, une seule solution : se réfugier dans le passé, pourquoi croyez-vous que la guitare de Marlow sonne comme une cithare et que Gérald vous tamponne des rythmes festifs, même Amine rend sa contrebasse sautillante, et Alicia chante les jours heureux des sixties, en Californie, au temps des doux rêveurs, et des hippies inoffensifs… hélas ne gobez pas les mouches avec la chantilly du gâteau, Cielo Drive était l’adresse où Sharon Tate fut assassinée… Baltringue : ici pas de piège, franc et direct comme une décharge de chevrotines, un rock uppercut, Gérald frappe dur, le Marlou sonne le glas, l’Amine n’est pas réjoui, Alicia règle les comptes, pas de cadeau, l’emploie les mots qui tuent et le ton comminatoire qui chasse les nuisibles de son territoire. Teenager in grief : une rythmique country sympathique, Alicia vous prend sa voix de petite fille innocente, pourquoi les trois boys viennent tout gâcher en usant de leurs instruments comme d’une apocalypse, la forçant à casser sa voix et son rêve, parce que l’histoire qui commence bien, finit mal, ce n’est pas la peine de pleurnicher non plus, ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort, voilà pourquoi elle reprend son ton allègre. Méfiez-vous des apparences. Votre calvaire : intro surprenante, l’on ne sourit plus, l’on est dans une espèce de blues-noise qui vous écorche les oreilles, Alicia ne chante plus, elle parle, elle rappelle, elle accuse, elle crie, elle hurle, elle dénonce, elle condamne, les boys lui emboîtent le pas, maintenant elle chante et les instrus grincent et gémissent, Dieu jamais nommé puisqu’il n’existe pas - ce qui permet de circonscrire les coupables dans leur ignominie - est le paravent des bien-pensants à la morale étriquée. Le cache-sexe des grandes cruautés. Somptueux. Love is like a switchblade : elle s’en est pris à la vie, la voici qui s’occupe de l’amour. Elle décidé de crever les baudruches multicolores qui empêchent de voir la réalité. C’est sa manière à elle de verser de l’acide sur les caresses que l’on vous a prodiguées. La guitare du Marlou gronde comme un tigre, Alicia pousse des soupirs de jouissance, en plus elle vous chuchote tout fort ce qu’il faut savoir pour ne pas être dupe, ni des autres, ni de soi-même. Un bon rock prestement appuyé. Comme un coup de couteau. Charnelle détresse : encore un gars qui en prend pour son grade. Elle ne l’envoie pas dire. Mais elle prononce les mots qui blessent. Exploration de la misère sexuelle de nos contemporains. Les gars la suivent dans ses accusations. Lyrics assassins et musiciens qui tirent sans sommation. Joe Merrick : une trombe sonore dédiée à la souffrance de Joe Merrick surnommé Elephant Man, est-ce pour cela que les instruments cornaqués par le vocal de feu d’Alicia barrissent si fort, la colère contre l’humanité perpétuelle l’emporte sur la pitié aujourd’hui inopérante. Une vieille histoire, qui saigne encore. Trust no one : cette deuxième face se termine en feu d’artifice, rythmique punk renforcée par la fougue instrumentale. Un ballon de rugby entre les poteaux. Un single parfait. Non, je ne regrette rien : elle a gardé la reprise pour la fin, l’on aurait parié pour les Ramones, paf, c’est Piaf. Le genre de truc casse-gueule par excellence. L’a su s’y prendre. Pas d’emphase, pas de trémolo, juste l’énergie, une vague débordante qui emporte tout, et porte Alicia au pinacle.

             L’on sort de ce disque rincé. Dans chaque morceau gisent trois ou quatre trouvailles, ces petits trucs inattendus mais terriblement définitifs dès la première audition. L’on imagine mal ce qu’il y aurait pu avoir à leur place.

    Alicia n’a pas réalisé un bon disque de plus. Elle a édifié, avec ses trois acolytes  une pierre angulaire de la production rock actuelle. Un album magnifiquement structuré qui a toutes les chances d’être une référence pour les créateurs et les amateurs de demain.  Ses lyrics tantôt en anglais, tantôt en français, révèlent le monde intérieur d’Alicia, son implantation critique et combattante dans la vie.

    Damie Chad.

     

    *

             Il suffit de suivre les traces, elles parlent d’elles-mêmes, nul besoin d’embaucher une équipe de détectives, un soupçon de flair et c’est in the pocket, comme disent les anglais, d’ailleurs ils sont anglais, z’ont produit dix opus depuis 2013, les pochettes ne sont pas des indices mais de véritables preuves accablantes, inutile de vous les montrer les titres parlent d’eux-mêmes…When Death Comes Again / The Loneliest Walk / The All Consuming Void / Of Loss And Grief / Of poison and grief (Four Litanies For The Deceased) / When Death Comes / Of Graves, Of Worms and Epitaphs / Immortal in Death / First Funeral… bref avant que la grande faucheuse ne les emporte, nous nous pencherons sur le dernier album, tout frais sorti, peut-être d’un casier réfrigéré de la morgue…

    A SILENCE TOO OLD

    APHONIC THRENODIC

    ( Bandcamp / Mai 2025)

             A mon avis un groupe qui se déclare a-phonique mérite le détour. Quant à Thrénodic, les amateurs d’antiquité auront d’instinct reconnu la racine thrène qui désignait les chants composés en l’honneur des héros morts.

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             Quant à la couve d’apparence paisible, un vieux sage, endormi sur un épais et antique grimoire, serait-ce un ermite ou un druide, en tout cas maintenant il sait - il a reçu les réponses qu’il a cherchées en vain durant toute sa vie – qu’au bout de l’existence se trouve la mort. Sans doute s’en doutait-il, mais maintenant il ne doute plus. Que cet enseignement vous serve de leçon.

    Riccardo Veronese : guitars, bass, keys a appelé un vieux complice : JS Decline : drums, guitars solo. Tous d’eux ont l’habitude d’inviter un ou plusieurs artistes sur leurs réalisations : ce coup-ci ils ont choisi : Déhà : vocals.

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    Annabelle : ces notes répétées, sûr ce n’est pas du dodécaphonique, un conseil profitez-en car dès que Déhà pose sa voix, tout change, ce qui n’était qu’une douce musique d’ambiance se transforme en une confession malédictoire, d’autant plus que JS vous Decline le destin trompeur de toutes choses avec ces frappes battérialles qui vous emphatisent l’ambiance, désormais vous êtes obligés de suivre, un fleuve sonore, tout ce qu’il y a de moins aphonique, je vous rassure, vous emporte dans ses méandres majestueux, la voix se crispe, se charge d’angoisse, de peur, et de terribles résolutions, pourquoi cette note revient-elle toujours, le chagrin appelle-t-il l’amertume, débouche-t-il vers les plus farouches décisions, deuxième pose, une demi-seconde, le temps de lancer un regard vers le couteau que vous vous apprêtez à planter dans le dos de celle qui est partie, Déhà énonce des paroles terribles, il a repris sa voix douce et profonde, endormeuse, mais les mots roulent comme des cailloux de haine et des caillots de sang. Il ne sait plus ce qu’il dit mais il sait ce qu’il va faire. Il n’hésitera plus, toutes les divinités seront punies, désormais il sera le bras armé de l’enfer terrestre. Light the way : fracas de lumière noire, penser est une chose mais passer à l’acte est ce qui importe. Une fois le geste accompli, encore faut-il l’assumer, affronter sa folie, métamorphoser sa noirceur en sa propre lumière, c’est le chœur de Déhà qui résonne, il déclare la guerre à la terre entière, il s’élève au plus haut de l’horreur, mais ce n’est pas l’horreur qui compte mais ce surplus de plénitude que par son acte il a atteint, il grogne tel un ours furieux, les tambours de la suprématie scandent sa marche, il ne se presse pas, il écrase tout ce qui ne saurait résister, le rythme est lent mais intraitable, des accords de guitares sombrement doucereux, il marche au-delà du bien et du mal, les assassins et les innocents ne sont-ils pas le scotch à double-face de toute personnalité qui se mure en sa démesure, c’est en grandissant que l’on traverse les limites de la mort pour accéder à la vie. A silence too old : méditation funèbre, un synthé joue du cor, c’est beau comme de la musique classique, un requiem doom tout doux, la marche à l’intérieur de soi-même, le temps a passé, l’assassin a vieilli, son épée victorieuse pèse un peu, mais cela n’est rien, c’est l’esprit qui tourne en rond sur lui-même, un tour face au soleil, un tour face à la nuit, la folie n’est-elle pas une lumière aveuglante, le guerrier tournoie en lui-même, la liberté n’est-elle pas l’autre visage de la folie, tout tourne, la musique vous a une de ces ampleurs virevoltantes, encore cet arrêt méditatif et la reprise d’évidence, toutes ces pensées incapacitantes qui tournent depuis trop longtemps dans ma tête que la lame y mette terme, et si c’était Icare qui tuait le soleil et non le contraire. Further on : plus fort, plus loin, ne croire qu’en soi, ne serait-on qu’une illusion, montée éclatante, victorieuse, en bas, bien plus bas, le soleil agonise, juste croire en soi, avancer toujours plus loin, toujours plus haut, la voix clame et plane au-dessus des glaciers les plus altiers, maintenant le haut et le bas s’égalisent et je suis aussi un insecte rampant, pitoyable, agonisant, au plus bas du plus bas, la basse s’en donne à cœur joie, moment de contrition, instant de contraction, il me reste encore une arme à portée de ma main, ne pas s’avouer vaincu, rester son propre maître, celui qui a tranché ses dilemmes par un fer sanglant peut encore répéter son geste par un suicide froid et méthodique, échos féminins et emprise masculine sur soi-même. Apothéose. Oath of nothing : sombres cordes, dernier acte, ultime épreuve, la porte s’ouvre sur un sentier de glace, l’ennemi m’attend, c’est le dernier duel, celui qui risque de vous inoculer la mort, lourdeur des membres, du mal à soulever l’épée, il est plus fort que moi, je grogne comme un animal blessé qui ne s’avoue pas, qui ne s’avouera jamais vaincu, à quoi sert-il d’ailleurs de se battre, l’un gagnera, l’autre perdra, tous deux triompheront car l’on ne se bat que contre soi-même, ne suis-je pas mon pire ennemi, une plainte musicale pointue comme un dard de scorpion s’enfonce dans mon cœur, tout cela n’est qu’une fausse mort, qu’une fosse vie, désormais une paix funérale nous englobe, nous réunit, c’est pourquoi nous ne faisons plus qu’un avec nous-mêmes. Avec soi-même. C’est ainsi que l’on obtient une sorte d’accalmie, une espèce d’apaisement. Retentit comme un hymne à la joie musicale qui se termine par un cri venu de très loin, d’une scène fondatrice. Tne void of existence : chant de sirène, ou trémolo d’un ange qui viendrait me caresser, serait-ce Dante reçu sur les bords de l’Eden perdu par la Beatrix retrouvée, quelques notes de piano paradisiaque qui rêveraient d’une existence humaine, très humaine, ai-je donc tant vécu selon mon enfer, qu’il me reste encore la moitié de mon existence à revivre avec ce fantôme d’Annabelle désincarnée, enfermée telle une reine dans ma tête, je crie, je glapis comme le renard, je vomis comme le serpent, je siffle comme l’homme, honneur et repos à tous ceux qui sont morts, et si je criais, y aurait-il un ange rilkéen qui m’entendrait quelque part, tout en haut, tout en bas, tout en moi-même. Une spirale sonore qui repasserait toujours sur-elle-même mais toutefois à chaque fois en dehors d’elle-même. Comme une trace d’elle-même obligée de s’effacer pour réapparaître d’elle-même. L’on ne va jamais plus loin que soi-même.

             Poetic doom. Mais ne sommes-nous pas trop vieux pour entendre ce silence qui sourd de cette funèbre mélopée. Fin magistrale.

    Damie Chad.

     

    *

             Tout pour déplaire, une tronche d’intello sur la couve, pas belle avec ses lunettes, à la John Lennon qui lui refile un air idiot, oui mais le titre de l’album est un tantinet bizarre, toutefois un genre de phrase où il y a à boire et à manger. J’ai décrété que c’était des anglais, leur humour, leur nonsense, ben non des amerloques, du Michigan, capitale tout en haut des States, bordé par les Grands Lacs.

    WE KNOW WHERE THE BODY IS

    HOFFA

    (Bandcamp /Mai 2025)

             Retour sur la pochette. Elle mérite attention. Elle est de Jev et Alex Franks desquels j’ignore tout. Pas vraiment un beau gosse, on le devine mal dans sa peau. Impression que nous mettons en relation avec le titre : généralement l’on sent son corps quand il nous fait mal. D’ailleurs n’oublions pas le nom du groupe : le mal d’Hoffa est une inflammation du genou. Soyons franc, le gars a peut-être mal au genou, mais c’est surtout dans sa tête qu’il claudique. L’a des yeux jaunes, comme les chats, pourtant il n’est pas habité par la grâce féline, par contre si vous regardez les verres de ses besicles, vous apercevez ses obsessions. Au début je pensais à une fille, mais la silhouette pourrait aussi bien être celle d’un homme. En fait ce n’est pas une affaire de sexe, son problème numéro Un, c’est l’Autre. Au sens infernal de la misanthropie métaphysique sartrienne. L’on pourrait croire que le grand problème de l’Humanité soit la mort, perso j’opinerai plutôt pour la vie, la mort est un acte solitaire par lequel l’on se retrouve confronté avec soi-même, la vie vous force à vivre avec les autres, de près ou de loin, mais rarement seul. Or notre égo nous pousse à nous croire supérieurs aux autres…

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             Autre détail sur cette peinture : le titre de l’album qui suit la courbe des épaules de notre spécimen d’humanoïde patenté. A même la peau. Le tatouage est une habitude sociale amplement partagée ces dernières années, Paul Valéry ne disait-il pas que ce que l’homme avait de plus profond c’était sa peau.

    Andrew Martin : guitar, bass, vox / Hank Belcher : guitar, bass, vox / Pete Free : drums.

    Cockroaches : un titre qui n’est pas sans évoquer La Métamorphose de Franz Kafka, une certaine vision cafardeuse de notre espèce, si le ramage musical se rapporte à son état mental, notre hôte n’est pas revêtu de l’éclat du phénix de la bonne santé. Ne soyons pas surpris, Hoffa ne se présente-t-il pas par une phrase qui nous laisse une grande latitude d’interprétation : ‘’ Parfois nous faisons du punk, parfois du metal, parfois ni l’un ni l’autre’’. Pour les trente premières secondes ils ne mentent pas, un peu de bruit, une guitare toréador qui survole l’escarpolette balancée à toute vitesse et le gars qui s’égosille à crier toute sa haine, du punk de chez punk, l’on a envie de danser de tout casser, de se fracasser contre le mur du son, ( Saint Spector, priez pour nous), pour le metal qui normalement devrait suivre, ils font l’impasse, plongent tous habillés dans le ni l’un ni l’autre, direct le chaos, la folie, le gars déraille, l’instrumentation aussi, il craque, il pète la camisole de force du conditionnement social, l’envoie valdinguer sa petite vie bien proprette, il hurle comme King Kong quand il brise ses chaînes, il a envie de tuer, alors il tue, pousse des cris de serial killer, dommage que le disque ne soit pas en couleur, on le suivrait à la trace sanglante qu’il laisse derrière lui, mais que fait la police, elle arrive, elle vous conseille de vous mettre à l’abri, le killer peut tuer n’importe qui. Evidemment tous les rockers n’obéissent pas, ils ouvrent les fenêtres et descendent dans la rue, ne veulent pas perdre une miette de cette carbonisation intégrale. Le rock et la révolte ont toujours fait bon ménage. Nice carrot, but we already saw the stick : (la carotte et le bâton, pour une fois la langue française davantage concise et percussive que l’anglaise si pragmatique) : changement d’ambiance, fini la cavalcade, l’on se croirait à un concert des Pogues, l’amicale de la bonne franquette, bon dans sa tête ce n’est pas tout à fait pareil, l’est toujours habité par la haine, l’est dans un drôle d’endroit, les gentils flics ont dû l’emmener à l’asile, alors parfois il hurle dans une salle capitonnée, et les cinglés autour de lui chantent une chanson douce pour l’accueillir et lui faire comprendre qu’il est des leurs, qu’ils vont s’amuser comme des fous, sa mère vient le voir, les Beatles lui rendent visite, il habite au fond de l’océan, bien sûr il y a une guitare qui pond un solo comme un navire qui fait naufrage, et vous entendez la visserie de son cerveau qui grince et ne tourne plus rond… Homunculus : il fut un temps où dans l’asile, les fous se prenaient pour Napoléon, maintenant ce n’est plus tout à fait pareil, ils prophétisent, ils vous apportent la bonne nouvelle tout droit sortie de leur ciboulette détraquée, en plus il est modeste, il se décrit sans se prendre pour le bon Dieu, il pousse quelques hurlements à la Jim Morrison, l’orchestration essaie de calmer la bête musicale, faut tout de même comprendre ce qu’il annonce, lui qui modestement se présente comme un étron masturbatoire couvert de merde, il promet la société parfaite, elle s’occupe de vous, ne vous laisse même pas le temps de sortir du ventre de votre mère, l’enfançon grandira maladivement, son éducation fera de lui un esclave, l’a tout dit, il ne rajoute pas un mot, la musique essaie d’illustrer ce bonheur pressurisé et concentrationnaire, essayez d’imaginer les sons discordants qu’elle produit, pour vous mettre du baume au cœur, une voix d’infirmière sans âme vous rappelle les conditions optimales de votre bien-être. Pour bien goûter l’ironie du titre, l’Homonculus est une opération alchimique, ce petit homme symbolique désigne la matière déjà travaillée, en gestation d’elle-même qui finira par se transformer en pierre philosophale… Scylla : Scylla est le monstre marin et tentaculaire qui priva Ulysse de six de ses matelots… drôle d’idée de se prénommer Scylla, à moins que le groupe tienne à nous souffler dans l’oreille que les meilleures intentions débouchent parfois sur de terribles catastrophes, réduit à l’impuissance, la voix alentie par les cachets, la musique n'ose plus faire de bruit, juste quelques éclats lorsqu’il promet qu’une fois en possession de tous les pouvoirs, les gens heureux danseront dans les rues, le bonheur pour tous sera assuré, dans sa magnanimité il ira jusqu’à retirer le Christ de sa croix. Sacrilège ! Si la société n’a plus à offrir le rachat de l’âme humaine, pourquoi les hommes continueraient-ils à obéir… Est-ce pour cela que le directeur l’a affublé du nom de ce monstre hideux qu’est Scylla… Pink polo shirt neighbords : plus un mot, seulement sept minutes d’instrumentalité peu éclatante, un peu comme si des guitares souffraient d’asthme cordique qu’elles ne parvenaient plus à produire que des soubassements sonores incapables de la moindre vigueur, une espèce de sonorité taciturne, imaginons que les aliénés américains de haut niveau ou de grande profondeur abyssale ne puissent plus parler, ne plus émettre un son, la glotte bloquée, tétanisée, paralysée par des surdoses médicamenteuses, soient revêtus de camisole rose afin de souligner leur dangerosité… triste fin pour ceux qui avaient faim d’une autre vie…

             Hoffa nous livre un opus sur la réalité contemporaine. Un regard sans aménité mais d’une grande lucidité. Tout vous pousse à péter les plombs, mais l’on sait comment réparer les ampoules grillées. Il suffit de les mettre sur le mode opératoire ‘’ basse tension’’. Nous sommes tous des morts-vivants en attente. Réfléchissez avant qu’il ne soit trop tard.

             L’esprit en partance, le corps restera votre dernier refuge.

             Hoffa veut peut-être nous avertir  que c’est déjà trop tard. A écouter, même s’il n’y a plus d’urgence.

    Damie Chad.

     

    *

             Longtemps que je ne regarde plus mon DVD sur les prestations Town Hall Party de Gene Vincent. Le son est loin d’être parfait, par contre je vous encourage à la visionner si vous n’avez jamais vu des images flottantes, elles se baladent un peu à droite, beaucoup à gauche, montent vers le haut et descendent vers le bas, elles ressemblent à des poissons prisonniers dans un aquarium cherchant vainement une issue… J’étais très heureux le jour où j’ai déniché une vidéo au contenu similaire sur un autre label. Hélas les images étaient aussi flottantes que sur la précédente, elles ont continué leur danse de saint-Guy… J’ai accusé mon ordinateur. J’en ai acheté un tout neuf… qui m’a offert le même désolant spectacle…

    Or voici que depuis quelques mois paraissent sur You Tube de nouvelles vidéos sur Gene Vincent, j’ai pris mon courage à deux mains et me suis jeté sur les trois Town Hall Party présentées par la chaîne Beat Patrol, et à ma grande surprise les  images n’ont pas effectué leurs pérégrinations habituelles, elles sont restées sages comme des images !

    *

             Si Elvis Presley fut l’homme le plus photographié du vingtième siècle, ce ne fut pas le cas de Gene Vincent. De nos jours, si vous êtes au fond de la salle, vous ne voyez plus les artistes sur scène, vous les envisagez multipliés en petits formats autant de de fois qu’il y a de spectateurs (moins 1 = vous) en train de filmer le spectacle qu’ils ne regardent jamais plus, mais qu’ils gardent dans le cachot oublié de leurs insu-portables, lisez la chro du Cat Zengler, sur le Zénith des Viagra boys, livraison 690 du 15 / 05 / 2025… Les enregistrements des prestations scéniques de Gene Vincent sont rares… Elles sont le plus souvent confinées dans les archives des émissions télévisées.

    TOWN HALL PARTY STORY

             Nous sommes dans la préhistoire du rock’n’roll, William B Wagnon organise des concerts de country music, notamment de Bob Wills, dans la région de Sacramento. Il ne tarde pas à acquérir une salle de bal pouvant accueillir jusqu’à trois mille danseurs, in Compton proche de Los Angeles… La suite coule de source, posséder son propre orchestre capable aussi d’accompagner des chanteurs de passage, et danse la galère. Wagnon suit le modèle du Grand Ole Opry qui depuis 1925 offre une émission de radio hebdomadaire à tous  les amateurs de musique populaire… En 1951 Town Hall Party possède ainsi son émission radio. Et en 1953 son émission de télévision est diffusée par KTTV-TV sur Los Angeles. Town Hall Party à l’origine très Country et Western ne sera pas insensible au rockabilly, en 1957 elle programmera Gene Vincent, Eddie Cochran, The Collins Kids, Carl Perkins…

             La dernière session de Town Hall Party se déroula le 14 janvier 1951. Nous reviendrons à plusieurs reprises sur l’histoire, notamment sur le tout début de cette aventure aux nombreuses ramifications. Pour cette fois nous nous pencherons sur les trois apparitions de : Gene Vincent.

    *

    GENE VINCENT

    TOWN HALL PARTY (1)

    25 / 10 / 1958

            Si vous ne devez regarder une seule des trois sessions c’est celle-ci qu’il faut choisir, c’est elle qui possède le meilleur son - toutefois qualifié d’improbable – c’est la plus longue et surtout pour la présence de Johnny Meeks et Grady Owens, sans oublier Cliff Simmons au piano qui participa à certaines nuitées des premiers enregistrements Capitol. Clyde Pennington est à la batterie.

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             Quelques secondes sur le public sagement assis, la surprise vient de l’exiguïté de la scène, très étroite à tel point qu’il est difficile d’avoir tout le groupe dans le cadrage de la caméra. Pour l’instant elle est encombrée des membres de l’orchestre ‘’ officiel’’ du Town Hall. Tex Ritter au micro joue le Monsieur Loyal, il chante plus qu’il ne parle, ensuite il énumère le programme de la soirée, à ses côtés on reconnaît sous son chapeau de cowboy Joe Mathis le guitariste émérite. Ces deux premières minutes qui seront très écourtées sur les deux autres vidéos offrent une valeur documentaire sociologique inoubliable. Comme cela paraît daté !

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             Gene surgit et s’empare aussitôt du micro, à sa gauche Grady Owens et Johnny Meeks entament le ballet, il semble qu’ils tiennent en même temps les rôle de Clapper boys – il est vrai qu’a l’origine Grady maintenant à la basse a été embauché pour remplacer Tony Facenda – et celui de musiciens, se démènent, un ballet réglé au millimètre, bascules, déhanchements, pliures, et redressements se succèdent, ce qui n’empêche pas Johnny de mâcher placidement son chewing gum, au milieu de ce tourbillon Gene vêtu de noir mais la chemise sombre  engoncée dans un blouson clair, les yeux levés au ciel chante Be Bop A lula avec une étonnante ferveur décontractée, sur le pont mouvementé le piano de Simmons ricane méchamment pendant que Clyde semble chasser les mouches sur un capot de voiture à coups de marteaux. Tout de suite après un morceau de choix, le piano galope comme un dératé, Penning use de ses toms, mais l’intérêt d’High Blood Pressure réside en les vocalises, belle photo de famille, Grady, Gene, Johnny, leur trois têtes autour du

     

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     micro comme trois as de pique en folie, la voix de Gene rauque et sauvage à souhait, suit un Rip It Up dévastateur, les spectateurs les plus jeunes sont debout… déboule un  Dance to The Bop débité à grande vitesse, Gene et le piano  de Simmons font la course, tandis que Meeks vous pousse un solo cavalcade avec la même facilité avec laquelle vous tournez votre purée mousseline dans sa casserole sans vous en apercevoir. Gene annonce que la tournée s’arrêtera quelques jours pour subir une opération, sans s’attarder il annonce You Win Again, l’en profite pour citer une deuxième fois Jerry Lou, vous la joue un peu à la Platters, pas besoin de creuser profond pour trouver la palpitante veine noire  du rock’n’roll. Pour terminer le bouquet final, For Your Precious Love, une interprétation magique, quel chanteur, cette bluette sentimentale, toute douce, vous percute autant que les trois rocks endiablés du début.

    TOWN HALL PARTY (2)

    25 / 07/ 1959

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             Aïe ! Aïe ! Aïe ! un son déplorable ! Bye ! Bye ! les Blue Caps, Gene se produit avec le staff de service. Ce n’est pas qu’ils jouent comme des brêles, c’est qu’ils n’ont pas le feeling rock, heureusement qu’il y a Gene parce derrière ils jouent western swing, Jimmy Pruiitt active un piano peut-être pas civilisé mais pas assez sauvage, , le violon d’Harold Hersly reste inaudible, ce n’est pas de sa faute mais c’est dommage à l’origine Rocky Road Blues fleure bon le l’herbe bleue, quant à Rose Maphis, clapper girl d’office, elle applaudit poliment sans enthousiasme,  Hersly essaie de sauver Pretty Pearly avec son sax, mais le son calamiteux ruine ses efforts. Sur Be Bop A Lula la batterie de Pee Wee Adams est trop lourde, pour la première fois l’on a tout de même droit au jeu de jambe de Genes. Deuxième set : Gene revient en boîtant, il lance un  High School Confidential, boosté par l’exemple de Jerry Lou le piano se démène fort joliment, le guitariste sur Over The Rainbow serait-il Merle Travis, encore une fois Gene termine son set sur une douce mélodie. Sans nous décevoir.

    TOWN HALL PARTY (3)

    07 / 11 / 1959

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    Gene porte un tricot semblable à celui qu’il arbore sur la pochette du 45 tours français de Baby Blue, Jerry Merritt assure la lead, parfait pour nous découper les angles purs et cassants de Roll Over Beethoven, une nouvelle version d’Over the Rainbow,  la voix de Gene bien plus pure que sur la deuxième session, mais Jimmy appruiitt vraiment trop fort sur son piano il casse les ailes des oiseaux bleus qui volent au-dessus de l’arc-en-ciel… l’on se quittera sur un She She Little Sheila frétillant tel un poisson d’argent… Gene quitte la scène en boîtant.

    Damie Chad.

    (A suivre).

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 560 : KR'TNT 560 : FREDA PAYNE / ROCKABILLY GENERATION NEWS / MICHAEL DES BARRES / ROZETTA JOHNSON / FULL MOON CATS / T-BECKER TRIO / FUZZY DICE / BURNING SISTER / ALICIA F ! / PHILIPPE MANOEUVRE

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 560

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    20 / 06 / 2022

    FREDA PAYNE / ROCKABILLY GENERATION NEWS

    MICHAEL DES BARRES / ROZETTA JOHNSON

     FULL MOON CATS / T-BECKER TRIO  

    FUZZY DICE / BURNING SISTER

    ALICIA F ! / PHILIPPE MANOEUVRE

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 560

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

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    À chaque jour suffit sa Payne

     

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             Quand Freda Payne, bien aidée par Mark Bego, publie son autobio, que fait-on ? On la lit. Pourquoi ? Parce que Detroit. Parce qu’Invictus. Parce que mystérieuse. Parce que Soul Sister. Parce que très belle femme. L’image qui orne la couve est une chose, mais elle n’est rien en comparaison de celle qu’on trouve en quatrième de couverture. C’est l’une des très belles femmes de l’histoire de la Soul. Oh et puis ce corps extraordinairement bandant qu’elle met en scène sur la pochette de Reaching Out, paru sur Invictus en 1973, la voilà dans l’eau jusqu’à mi-cuisses, elle porte un bikini rose qui ne cache rien de ses formes, elle a un corps parfait, alors on comprend qu’un bon paquet de lascars soient partis à sa conquête, car se retrouver au fond d’un lit avec Freda, ça devait être quelque chose d’intéressant. Parmi ses chéris les plus connus, Freda cite Berry Gordy, Quincy Jones et Eddie Holland. Pas mal, non ?

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             On approche surtout ce book dans l’espoir d’y trouver tout ce qu’on ne sait pas encore sur Invictus, le label monté par le trio Holland/Dozier/Holland qui après s’être fâché avec Berry Gordy, s’est lancé dans l’aventure d’un label indépendant. L’autobio d’Eddie et Brian Holland saluée ici au mois de décembre 2021 (Come And Get These Memories) en disait long sur Invictus mais nous laissait quand même un peu sur notre faim. On n’apprenait pas grand-chose sur McKinley Jackson et les artistes signés par le label, comme General Jackson & The Chairmen Of The Board, c’est-à-dire Danny Woods et Harrison Kennedy, et puis aussi 100 Proof Aged In Soul, 8th Day, Glass House et Eloise Laws. Quand une autobio est bien foutue, on entre dans les endroits et on touche la réalité du doigt. Les frères Holland parlaient plus de Berry Gordy et de Motown que d’Invictus. On aura le même problème avec Freda qui fait partie des gens simples qui sont obnubilés par les fastes et la célébrité. Freda en pince pour ce que les gens appellent de nos jours les people, alors elle fait des petites brochettes de noms célèbres qui coupent un peu l’appétit, car ça flirte avec l’emputasserie conventionnelle. C’est un risque qu’on ne court pas lorsqu’on lit Lanegan.

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             Si Freda signe avec Invictus, c’est parce qu’elle vient de rater deux belles occasions : un contrat chez Motown et un autre comme chanteuse dans l’orchestre de Duke Elington, car Freda est avant toute chose une chanteuse de jazz. Eddie Holland va la signer parce qu’il savait que Berry Gordy la voulait absolument. Elle est très tôt dans les pattes de Gordy. Elle raconte notamment un voyage qu’ils font à cinq en bagnole pour aller voir chanter Little Willie John à l’Apollo de Harlem. Dans la bagnole, il y a Gordy et George Kelly devant, et derrière, Freda, sa sœur Scherrie et leur mère à toutes les deux. C’est d’ailleurs la mère qui supervise les contrats et qui les fait foirer. Gordy est proche de Little Willie John, car il est le frangin de Mable John, l’une des premières Soul Sisters que Gordy ait enregistré à Detroit et qui fait donc partie des pionnières.

             Alors c’est Mama Payne qui examine le contrat que leur présente Berry Gordy et elle commence à chipoter sur les pourcentages mentionnés, elle voit que Berry prend 20 % et l’agent 10 %. Elle demande qui paye les robes, les hôtels et les billets d’avion et quand Gordy répond que c’est sa fille, Mama Payne lui répond du tac au tac : «Alors, il ne lui reste pas grand-chose !». Gordy commence à s’énerver et indique que le Colonel Parker ramasse 50 % du blé d’Elvis. Mais Mama Payne ne bronche pas. Comme Gordy ne cède pas non plus, on arrête les frais. Gordy range son papelard. Il voulait une petite poule pour lancer Motown, alors il va voir ailleurs, et il va signer Mary Wells à la place de Freda. Côté mâle, Gordy vient de signer l’excellent Marv Johnson. À l’époque, Freda rencontre aussi Smokey Robinson et sa femme Claudette, ainsi que les trois autres membres des Miracles. Les frères Holland sont là aussi, dès le début.

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             Freda nous explique qu’en fait Berry Gordy avait une réputation de coureur de jupons et Mama Payne voulait protéger sa fille. Mais Gordy est un grand garçon, il va vite passer du stade de coureur de jupons à celui de starmaker et faire du gros business. Devenue amie avec Mary Wilson, Freda connaît bien les tenants et les aboutissants de l’histoire des Supremes. Elle sait que Florence Ballard avait du caractère et qu’elle ne pouvait pas s’entendre avec Berry Gordy, car il était trop autoritaire. Freda qualifie Gordy de control freak - It is either his way or the highway - Elle raconte un peu plus loin qu’elle vivait à Manchester au moment où The Motown Revue tournait en Angleterre avec Little Stevie Wonder, Smokey Robinson & The Miracles, Martha Reeves & The Vandella et Jr Walker. Quand Gordy apprend que Freda est aussi à Manchester, il lui demande s’il peut la voir, ils papotent dans sa chambre, puis Gordy se fait plus flirtarious et bien sûr Freda finit par se faire sauter - Berry kinda talked me into it - Il peut être très persuasif, dit-elle. Alors elle cède. Elle insiste bien pour dire qu’il ne l’a pas forcée. Elle se méfie des procès - And we made love at my hotel - Puis Gordy propose une nouvelle fois un contrat à Freda. Elle soumet le contrat à son avocat, qui veut faire une ou deux modifications. Quand Gordy la rappelle, il lui dit qu’il ne fait aucune modification - First of all: nobody changes my contracts - Alors Freda dit qu’elle sait qu’il l’a fait pour les Four Tops, et Gordy répond que c’est différent, car Levi Stubbs est un ami. Et donc il préfère en rester là avec Freda. Restons bons amis. Pas de biz. Freda pense aussi que ça aurait de toute façon posé des problèmes avec Diana Ross si elle avait accepté de signer. Elles auraient été en conflit direct. Plus tard, Freda apprend de la bouche de Mary Wilson que Gordy dit du mal d’elle. En fait, Gordy ne supporte pas les gens qui chipotent. Toujours le fameux «my way» or «no way». C’est comme ça et pas autrement. T’es pas content ? Dehors ! Beaucoup plus tard, à Las Vegas, on présente Gordy à Freda et Freda dit qu’elle le connaît déjà. Ah bon ?, font les gens. Elle répond : «I know him from Detroit.» Et Gordy se marre : «She knows me quite well.» Alors ça pique la curiosité des gens qui demandent ce que veut dire le quite well, et Berry explique : «Je connais Freda depuis qu’elle est adolescente. She was my first female protégée. I saw in her what I needed to do.» C’est un bel hommage.

             Quand Freda chante avec l’orchestre de Duke Elington, elle est encore mineure. Mama Payne veille sur ses intérêts et en lisant le contrat que finit par lui présenter Duke, elle demande qu’il réajuste le salaire de sa fille, puisqu’elle a déjà tourné partout aux États-Unis et qu’elle va devenir une star. Elle demande de monter à $3,000.00 ou $4,000.00 et Duke rompt les négociations : «Just forget about it.» Terminé. Avec Mama Payne, ça paye pas à tous les coups.

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             Freda devient aussi copine avec Miriam Makeba qui allait épouser le trompettiste Hugh Masekela et plus tard l’activiste Stokely Carmichael. Quand elle quitte Detroit pour venir s’installer à New York, elle rencontre Quincy Jones et vit une belle histoire d’amour avec lui - He was definitively one of the loves of my life. He was so young and handsome - Méchante veinarde ! Et bien sûr, Quincy fait chanter Freda à l’Apollo de Harlem. Là, elle nage en plein rêve.

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             Pendant sa période new-yorkaise, Freda vit en coloc à Central Park West avec une amie et un jour un copain l’appelle pour lui dire qu’on cherche à la joindre. Ah bon ? Il dit qu’il te connaît de Detroit. C’est qui ? Brian Holland ! Mais oui c’est vrai, on est allés au lycée ensemble. Elle le prend au téléphone et Brian lui explique qu’Eddie et lui ont quitté Motown pour monter Invictus. Il lui demande ce qu’elle fait et comme elle ne fait rien de particulier, il lui propose de venir à Detroit signer un contrat chez Invictus. Cette fois, elle n’hésite pas. Mama Payne n’est pas dans le coin. Elle signe sans avoir lu, pour être sûre de ne pas foirer son coup, comme avec Motown et Duke. Et pouf c’est parti ! Elle revient s’installer chez ses parents et Ron Dunbar vient la chercher chaque matin pour l’emmener au studio, sur Grand River Boulevard. C’est le fameux Holland/Dozier/Holland Sound Studio installé dans un théâtre. Comme ingés-son, Holland/Dozier/Holland ont récupéré Lawrence Horn et Barney Perkins, qui eux aussi ont bossé chez Motown. Freda enregistre «Band Of Gold» qui est crédité Dunbar et Wayne mais qui en réalité est du Holland/Dozier/Holland, mais ils ne peuvent pas signer de crédits tant qu’ils sont engagés dans une procédure judiciaire contre Motown. Freda évoque aussi le producteur Tony Camillo. Tony dit avoir composé la musique de «Band Of Gold», mais il n’apparaît pas non plus dans les crédits, parce qu’il avait refusé de signer avec Eddie Holland un contrat qui le liait pour sept ans, Avec «Band Of Gold», Freda décroche le jackpot et devient célèbre. Elle entame une relation amoureuse avec Eddie - Eddie Holland? What the heck? - Mais les choses vont vite se gâter. Freda est une star, mais elle ne voit pas de compensation financière. Pas d’avance à la signature, pas de royalties, alors elle comprend qu’elle doit se faire la cerise. Elle pensait qu’Holland/Dozier/Holland avaient tiré des enseignements de leur expérience chez Motown, mais dit-elle, ils répétaient exactement les mêmes erreurs.

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             Freda enregistre trois albums sur Invictus, à commencer par Band Of Gold en 1970. Avec le morceau titre, Holland/Dozier/Holland lui donnent un superbe hit Motown, lourd de conséquences et de gros popotin, gorgé d’aplomb et de rage contenue. Comme l’indique Freda, le cut est effectivement crédité Ron Dunbar. C’est du pur Motown Sound, et Freda chante d’une voix de rêve. Avec «Rock Me In The Craddle», elle règne sur la terre comme au ciel et «Unhooked Generation» vaut bien des early hits de Stevie Wonder, c’est pas loin d’«I Was Made To Love Her». Tous les cuts de l’album sont soignés, ce ne sont que des grosses compos. Elle monte bien en neige le «The World Don’t Give You A Thing» signé Holland/Dozier, et elle revient nous enchanter avec «Happy Heart», une merveille de Soul magique violonnée comme il se doit.

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             Paru l’année suivante, Contact est un peu moins dense. Il semble que cet album soit conçu comme une comédie musicale. C’est très orchestré avec du narratif intempestif. Ça bascule dans l’hollywoodien. Elle fait un tout petit peu de Motown avec «You Brought Me The Joy» et casse la baraque en fin d’A avec «You’ve Got To Love Somebody (Let It Be Me)», qui sonne comme du Motown de l’âge d’or. Elle monte en B au sommet de son chat perché pour «I Shall Not Be Moved», elle sait parfaitement pousser son Motown dans les orties. Freda est terriblement savoureuse. Et dans «Mama’s Gone», on retrouve le filet mélodique du «Patches» de General Johnson. 

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             Dernier shoot d’Invictus en 1973 avec Reaching Out. Elle attaque l’album avec une belle Soul de sexe chaud, à l’image de la pochette. Corps de rêve. Toute l’A est consacrée au sexe chaud. Les affaires reprennent en B avec «We’re Gotta Find A Way Back To Love», big Soul de prestige, tout est là, l’ambiance, le swing, la voix, la classe, c’est à se damner pour l’éternité. Elle reste dans la Soul de satin jaune avec «Rainy Days & Mondays» - Rainy days & mondays/ Always get me down - Avec Freda, le trio Holland/Dozier/Holland tenait une très grande artiste. Elle tape à la suite dans l’«If You Go Away» de Jacques Brel, elle en fait une version honorable mais pas aussi définitive que celle de Scott Walker. Elle le chante pourtant à pleine gorge. Elle finit en classic Motown Sound avec «Right Back Where I Started From», elle tape ça au gros popotin, à la suprêmo des Supremes, Freda fait sa Ross quand elle veut, avec tout le gros chien de sa petite chienne.

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             Quand Freda quitte Invictus en 1973, elle signe avec ABC/Dunhill Records à Los Angeles. Lamont Dozier débarque aussi chez ABC et y enregistre deux albums, Out Here On My Own et Black Bach. McKinley Jackson produit le premier album de Freda chez ABC, Payne & Pleasure et bien sûr, Lamont Dozier compose pour elle des hits magiques, comme l’«It’s Yours To Have» d’ouverture de balda. Une vraie merveille de Soul californienne et on peut faire confiance à Freda, elle sait monter au front. On la voit encore défendre sa Soul pied à pied dans «Didn’t I Tell You», elle reste systématiquement dans le haut de gamme. À voir la pochette, on pourrait penser que Freda est tombée dans le panneau des Diskö Queens, pas du tout, elle tape des fantastiques balladifs de Soul, comme cet «I Get Carried Away» dûment violonné par McKinley Jackson. Grosse présence effective, avec un son différent de celui de Motown. Lamont Dozier compose aussi «Don’t Wanna Be Left Out», une belle Soul de grande insistance, elle ne s’accorde aucun répit, la Freda - Don’t wanna be left out/ in the cold baby - Encore un fantastique balladif en B avec «I Won’t Last A Day», elle chante par dessus les toits de la Californie et elle termine cet album magnifique avec l’«A Song For You» de Tonton Leon, elle le jazze comme le ferait Sarah Vaughan, elle ruisselle de feeling, elle est hallucinante de virtuosité vocale. 

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             L’année suivante, elle enregistre Out Of Payne Comes Love. Le hit de l’album se trouve en B : «(See Me) One Last Time», un slowah d’inspiration divine, avec des accents de Jimmy Webb et des attaques qui renvoient à «Tell Me Like It Is». L’autre gros coup de l’album est un r’n’b signé Ashford & Simpson, «Keep It Coming». C’est quasi-Stax, pas de problème, elle est dessus, elle est au-devant du mix. «You» vaut aussi pour un joli You d’inspiration divine. On reste ici dans la Soul classique de Detroit, c’est très beau, très pur, à l’image de ce God bless you. Avec «Lost In Love», elle tape un groove de good time music. Freda est l’artiste parfaite, intense quand il le faut et apte à groover sur Coconut Beach. Elle termine avec une shoot de Soul pop très sophistiquée, «Million Dollar Horse», une Soul pop très ambitieuse, qui ne mégote pas sur les investissements qui ne recule devant aucun obstacle. C’est très Jimmy Webb comme projet, elle capte l’attention, et elle impressionne au plus haut point.

             Puis Freda se retrouve devant un sacré dilemme : on lui propose deux contrats, l’un chez Philadelphia International Records avec Gamble & Huff et l’autre chez Capitol. Le premier a les O’Jays, Harold Melvin & The Blue Notes, The Third Degrees, le deuxième a Nathalie Cole, le Steve Miller Band, Glen Campbell, Paul McCartney & Wings et Frank Sinatra. En plus Capitol propose plus de blé, alors Freda va chez Capitol. Sacrée Freda, elle a fini par apprendre à ne pas perdre le Nord.

    Signé : Cazengler, peigne-cul

    Marc Bego & Freda Payne. Band Of Gold. Yorkshire Publishing 2021

    Freda Payne. Band Of Gold. Invictus 1970

    Freda Payne. Contact. Invictus 1971

    Freda Payne. Reaching Out. Invictus 1973

    Freda Payne. Payne & Pleasure. Dunhill 1974

    Freda Payne. Out Of Payne Comes Love. ABC Records 1975

     

     

    Talking ‘Bout My Generation - Part Six

     

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             La Suissesse Lily Moe est en couve du n°20 de Rockabilly Generation. Très beaux tatouages. Comme toujours, l’icono qui fait la loi dans ce canard nous en met plein la vue. L’esthétique rockab est l’une des dernières grandes esthétiques du rock system et c’est bien qu’un petit canard puisse la célébrer en lui donnant autant de place. En plus des tatouages, Lily Moe a deux très beaux albums under the belt.

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             Ça swingue chez Lily Moe & The Barnyard Stompers ! On peut même parler de big swing action, elle chante à la revancharde, elle te tombe dessus au dancing show, elle peut faire sa gutturale et passer comme une lettre dans ta poste. Il faut la voir se mettre en pétard dans «Ripple The Tripple» ! C’est avec «Hey Little Boy» qu’elle trouve sa distance et les Barnyard Stompers swinguent comme des bêtes de bop, alors elle est en confiance, et encore plus en confiance dans «Ho Ho Ho», un vrai chaudron de swing. Les Stompers tapent un instro de swing faramineux avec «Baked Potatoes». Avec «Why Don’t You Hold Me Back», ils passent au swing de jazz, et cette fabuleuse poulette tatouée s’y colle, avec tout le chien de sa petite chienne, ouaf-ouaf-ouaf-ouaf ! Elle passe au wild drive de fifties sound avec «I’m A Wine Drinker», elle ne lâche rien, elle croque la vie à belles dents et plus loin, on la voit charger la barque du heavy jump avec «Mama He Treats Your Daughter Mean», elle s’y plaint, son mec se conduit mal avec elle - Mama he takes my money - elle a raison de se plaindre, des fois les mecs sont des vrais cons, alors elle perd la boule, he drives me crazy.

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             En 2018, Miss Lily Moe enregistre un deuxième album, Wine Is Fine. Joli titre. Mais attention au gros nez rouge. Dès «Daddy You Can’t Come Back», elle swingue son swing au boo boo ! Avec ses deux étoiles tatouées sur les épaules, Lily Moe est une grande dame du swing, elle y va au doux d’entre-deux, suivie par un solo de sax. Encore du pur jus de swing avec «Rockin’ On A Saturday Night». Elle règne sur son petit empire de groove de swing, rocking with my babe, grosse énergie ! Solo de jazz swing, et la pauvre Lily sonne comme une cerise perdue là-haut sur le gâtö. Tout sur cet album est à la fois ultra-joué et ultra-chanté. Elle revient à son cher swing avec «Sammy The Rabbit», elle est partout à l’intérieur du cut, elle chante au petit sucre candy. Encore une petite merveille avec le morceau titre, elle nage dans l’excellence du wine, elle te swingue tout ça au retour de manivelle. Elle termine avec un «Find Me A Baby Tonight» assez engagé, elle perd le raw mais tape ça aux fusées de baby tonight.

             On retrouve Marlow le marlou en couve du n°21 de Rockabilly Generation. Il y raconte à tombeau ouvert l’aventure de sa vie, une vie vouée au rock. On ne pourrait pas imaginer plus vouée que cette vie-là, d’autant qu’il la narre au présent, à la manière anglo-saxone, il est dans l’action et le temps de l’action, c’est le présent. Non seulement son voué de vie grouille d’action, mais elle grouille de gens, de projets, de groupes, de concerts, de tous les détails qui font le vrai du voué, un vrai qui ne s’invente pas, alors ça devient palpitant, car c’est extrêmement bien écrit. Tous les fans de rock rêvent d’avoir vécu un tel voué, avec une telle intensité, et le plus spectaculaire, c’est que le présent narratif couvre quasiment cinquante ans, puisque Marlow le marlou débarque à Paname en 1974 - Je quitte la Corse où j’ai grandi pour monter à Paris - Ça démarre presque comme un roman. Tu en as qui longtemps se couchent de bonne heure, et tu en as d’autres qui montent à Paname, ce n’est pas la même chose. Et hop ça part en trombe à coups de Victor Leed, de Golf Drouot, de Crazy Cavan & de Flying Saucers, de rockers de banlieue qui viennent pour la shoote, pif, paf, et pouf, il monte les Rocking Rebels avec Tintin et un copain corse, Jean-Marc Tomi, Marlow cite le noms par rafales, son récit swingue dans le temps et voilà qu’arrivent deux héros, d’abord Jean-Paul Johannes et puis Marc Zermati qui signe les Rebels sur Skydog en 1978.  

             Alors on ressort deux albums des Rockin’ Rebels de l’étagère. Le dommage du premier, paru en 1979, est que Jean-Paul Johannes joue de la basse électrique. Pas de slap. Pire encore, les Rebels ne jouent que du rock’n’roll plan-plan alors qu’ils sont parfaitement capables de swinguer le go cat go. Et bien pire encore : ils ratent l’«One Hand Loose» de Charlie Feathers. Et comme une série noire ne s’arrête jamais en chemin, ils ratent aussi le «Put Your Cat Clothes On» de Carl Perkins. Par contre, c’est avec les deux doigts dans le nez qu’ils swinguent le «Gonna Rock Tonight» des Groovies. Ça mérite un coup de chapeau.

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    Trois ans plus tard, les Rebels passent à autre chose avec 1, 2, 3... Jump ! paru sur Underdog, le label du duo Lamblin/Zermati. Jump est un album de swing phé-no-mé-nal. Et quand on a dit ça, on n’a encore rien dit. Dès «Loli Lola», Jean-Paul Johannes drive le bop sur sa stand-up. Les Rebels affichent un côté très Boris Vian, ils savent aussi jazzer leur java comme le montre l’excellent «Hoodoo». Même s’ils sortent un son très commercial, très early sixties, c’est en place et diablement bon. Il faut voir ce dingue de Joannes swinguer son bop ! S’ensuit un «Bleu Comme Jean» incroyablement groovy et mal chanté. Mais l’album est solide, les thèmes varient, tiens, voilà «A Kiss From New Orleans» et une nouvelle leçon de swing. Jean-Paul Joannes et JJ Bonnet constituent une section rythmique de rêve. On l’entend encore le Joannes faire des gammes dans «Gallupin’». Et ça repart de plus belle en B avec un «Hey Bon Temps» mal chanté mais swingué jusqu’à l’oss de l’ass. «Cinq Chats de Gouttière» sonne très Chaussettes Noires, mais Joannes nous slappe ça sec au saucisson sec. Ils shootent un gros fix de New Orleans barrelhouse dans «Bim Bam Ring A Leavio» et jivent «Preacher Ring The Bell» comme des bêtes de Gévaudan. Et ils swinguent à la vie à la mort jusqu’au bout de la B, avec «Dansez Dansez» et «Bop Jump And Run».

             Et vroom, ça repart de plus belle avec de nouvelles rafales de noms, Jerry Dixie, Victor Leeds, le Alligators et Vince Taylor, des affiches de vieux concerts qui font rêver. Ah le temps de l’abondance ! Et puis nouvelle rafale avec Matchbox, Shakin’ Stevens et les Stray Cats, 1981 et l’élection de François Mitterrand, Brian Setzer le virtuose que l’on sait, puis nouvelles rafales de dates, tournées à travers la France, avec Marlow le Marlou, ça ne s’arrête jamais, et ça reste passionnant. À travers son histoire, il raconte la vraie histoire de France, les pannes, les salles, les Olympias, les premières parties, les sonorisateurs, les ovations, il ne manque rien, on a même les 10 000 personnes du Palais d’Hiver de Lyon, on est content pour les Rebels et pour Marc qui avait cru en eux. Et ça repart de plus belle avec Jackie Lee Cochran, Best et Rock&Folk, vroom vroom, Serge Gainsbourg, Sonny Fisher, Big Beat, alors t’as qu’à voir ! Et puis les télés, toutes ces vieilles émission de télé, Marlow le marlou envoie de nouvelles rafales, puis d’autres encore avec des producteurs, des test pressings, du show biz à tire-larigot, du Blanc-Francard, et des radios, bien sûr en veux-tu en voilà, puis il nous embarque dans l’épisode Betty & The Bops, mélange knock-outant de Ted Benoît et de Betty Olson. C’est là qu’il devient Tony Marlow

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             Alors on ressort vite fait Hot Wheels On The Trail de l’étagère. L’album date de 2005. C’est Betty qui slappe et qui chante. On sent la réalité du son dès «Hound Dog On My Trail». Tony Sasia bat son bord de caisse. Ils passent aux choses sérieuses avec «You Better Run». C’est plutôt wild avec un petit côté banlieue bien ficelé. Marlow le marlou passe un killer solo flash, il en a la carrure, il sait jouer au dératé. Quand Betty reprend le lead au slap avec «Go Cat Go», le marlou joue en clair derrière. Le niveau va hélas baisser pendant une petite série de cuts, mais ils font un retour en force avec «The Memphis Train» et sa belle dégringolade de basse à la Bill Black. Comme Marcel, Betty chauffe, on peut lui faire confiance, et soudain, le marlou rentre dans le lard du Train avec un solo demented are go. On reste dans l’énormité avec un «All I Can Do Is Cry» claqué au big riffing de marloubard. C’est encore une fois slappé derrière les oreilles et saturé de big sound. Il faut voir le marlou swinguer la cabane ! Betty et ses amis ne font pas n’importe quoi, sur ce mighty label Sfax. Et paf, voilà la cover définitive : «Please Don’t Touch». Betty rentre dans le lard du Kidd avec une niaque héroïque. Côté son et esprit, c’est absolument parfait. Ils font aussi une reprise du «Tear It Up» de Johnny Burnette. Betty la prend comme il faut, à la bonne franquette et boucle l’affaire avec «Bop Little Baby». Elle y va sans se poser de questions et le marlou sonne bien le tocsin du riff raff. On peut dire que ça shake en blanc.

             Et ça repart de plus belle avec la reformation des Rockin’ Rebels et Skydog, Elvis, Graceland, voyage initiatique, puis Bandits Mancho, Marlow le marlou ne s’accorde aucun répit et c’est tant mieux pour nous. Tout s’emballe encore avec Rockers Kulture et les fameuses compiles, six en tout, concerts à la Boule Noire et au New Morning et comme il le dit si bien, du jamais vu en France ! C’est effectivement un épisode mythique car il est le seul depuis Big Beat à avoir su donner un cadre à la culture rockab en France, une culture si vivace, et ça embraye aussi sec sur Johnny Kidd et le tribute band K’Ptain Kidd, puis Marlow Rider et Alicia F, vroom vroom !  

    Signé : Cazengler, dégénéré.

    Rockabilly Generation. N°20 - Janvier Février Mars 2022

    Rockabilly Generation. N°21 - Avril Mai Juin 2022

    Miss Lily Moe. Wine Is Fine. Rhythm Bomb Records 2018

    Lily Moe & The Barnyard Stompers. Rhythm Bomb Records 2013

    Betty And The Bops. Hot Wheels On The Trail. Sfax CD 06. Sfax Records 2005

     

     

    L’avenir du rock

    - De l’or en Des Barres (Part One)

     

             Quand on lui demande s’il existe une limite d’âge en matière de rock, l’avenir du rock éclate de rire. Pour ne pas blesser son interlocuteur qui visiblement n’a jamais rien compris, il répond que c’est comme avec Tintin, ça concerne tout le monde, «de 7 à 77 ans», et s’il lui faut argumenter, alors il cite en vrac le Moulinsart total de Scriabine, les Dupontificaux de la causalité  terminologique, la Castafiore du Castle Face de John Dwyer, le Rastapopoulos Bitchos de la vie, le Capitaine (hello Damie) Haddrock me baby/ Rock me all nite long, Milou Reed on the wild side, and the colored girls go Doo do doo do doo do do doo, l’Alcazar du Back In The USSR, you don’t know how lucky you are boy, le Yeah Yeah Yéti, she loves you, yeah, yeah, yeah, le Tchang Guy de check it out, baby, le Tournesol-La de la montée d’accords sur «My Generation», why don’t you all f-f-f-f-f-fade away, la chute de Szut dans le stock de coke et son patch Keefy-Ziggy, Ziggy played guitar Jamming good with Weird and Gilly, oh et puis Rackhamala Fa Fa Fa aux frontières du free et de la flibuste, I’m the man/ for you, baby/ Yeah I am, Abdallah La La Means I Love You, all I know is/ La la la la la la la la la means I love you, le Nestor de Blaise que n’en déplaise à Suter, Muskar XII de baby you can drive my kar, le Lampion des lampistes aux étoiles de Starman waiting in the sky/ He’d like to come and meet us, le Figueira qui ne figure que dans les Cigares d’Edgar du Nord, and that’s just about the death of a/ Like I mean/ Electric citizen, et le Müller des symphonies inachevées, le Rascar Capac de Race with the Devil, move hot-rod move man,  le professeur Calys des Fleur de Lys, you say you love me but you don’t know why, le Chiquito jolie fleur de banlieue, le fakir de Kih-Oskh qui chante Phil Ochs sur sa planche à clous, et puis dans le même rayon d’action surnaturelle, le lama Foudre Bénie qui lévite à la moindre alerte sonique, l’encore plus allumé Grand Prêtre Huascarbonisateur d’offrandes humaines au dieu du Soleil, Sun Ra, Philippulus le Prophète aérolithe qui annonce au mégaphone l’apocalypse selon Jaz Coleman, les frères Loiseau qui Licornent la brocante de l’art total sur fond de Big Bird, open up the sky/ Cause I’m coming up to you, le boucher Sanzot qu’appelle l’Iggy-No-Fun de maybe call Sanzot on the telephone, le Colonel Sponsz qui éponge les dirty sponges de Misty White Satin, l’Allan vital du cargo cat go,  voyez-vous lance l’avenir du rock en guise de conclusion, il y a de la place pour tout le monde, surtout pour les vieux marquis de 74 ans ! 

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             Il fait bien sûr allusion à Michael Des Barres. Ce vieux marquis appartient à l’élite des survivants. D’où la quintessence de sa présence. Il a eu plus de chance que certains de ses collègues glamsters. Lou Reed et Bowie ont cassé leurs vieilles pipes en bois. Michael Des Barres continue de rocker la médina. Ça fait cinquante ans qu’il rocke. And what a rocker ! Peu de gens peuvent se prévaloir d’un pedigree qui repose à la fois sur le glam et Steve Jones. Qui se souvient de Silverhead, un groupe glam emmené sur la route de la gloire en 1972 par Michael Des Barres, fils unique du Marquis Philip Des Barres ?

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             Un nommé J. Elvis Weinstein vient de lui consacrer un bon vieux docu, Who Do You Want Me To Be. On peut même le choper sur DVD. C’est la façon idéale d’entrer dans l’histoire du petit marquis glam. Weisntein a choisi d’ancrer l’histoire dans l’Histoire, puisqu’il démarre sur la bataille de Bouvines en 1214 où le premier Marquis Des Barres affronte aux côtés de Philippe Auguste une coalition anglo-prussienne. Michael Des Barres est donc the 26th Marquis Des Barres. Son père Phillip tourne mal et va moisir au trou, la mère est partie en goguette, alors le jeune Michael est élevé chez des filles de joie, puis il va se retrouver à l’âge de 8 ans dans une English Public School. Dans l’aristocratie, dit-il, tout est prévu et financé à l’avance.

             Avant d’entrer dans la caste des survivants, il appartient déjà à une autre élite, celle des enfants prodiges qu’on envoyait tourner des petits rôles devant les caméras. Comme Steve Marriott en Angleterre et deux Standells (Larry Tamblyn et Dick Dodd) aux États-Unis, Michael devient ce que les Britanniques appellent un child actor et il va continuer de faire du cinéma toute sa vie. Il est l’un des rares veinards à pouvoir prétendre mener des carrières à succès à la fois dans le rock et dans le cinéma. Il connaîtra une forme de célébrité relative en jouant le rôle de Murdoc dans la série MacGyver, mais ce n’est pas notre propos.

             Quand il arrive à Londres dans les mid-sixties, il se fout du rock. Il veut juste baiser - I want to fuck ! - Puis il décide de devenir une rock star et on le voit bientôt dans les canards, torse nu avec un collier de chien. La parenté avec Iggy saute aux yeux. A lot of sex. D’ailleurs il tient le même discours qu’Iggy dans Vive Le Rock : «J’ai 74 ans, une taille de jeune homme, tous mes cheveux, une garde-robe fantastique, une très belle femme et une maison spectaculaire.» Gerry Ranson est ébloui par ce Brit aristocrat qui a «vécu the life of a Hollywood star for the best part of fifty years.»

             Comme le fait Ranson dans son article, le docu déroule la vie du petit marquis. C’est Andrew Lloyd Webber qui lui donne sa première chance en finançant Silverhead. Le futur Blondie Nigel Harrison y joue de la basse. Deux albums et un troisième inachevé.

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             En 2016, Cherry Red réédite le fameux Live At The Rainbow de Silverhead et ajoute à la suite un autre Live datant aussi de 1973. On sent un souffle dès «Hello New York». Le guitariste s’appelle Red Rock Davies. Le groupe se situe à la croisée des chemins, quelque part entre le gros son américain des seventies et les Faces, mais des Faces qui seraient américanisés. Le petit marquis va chercher des intonations de caïman. C’est un rock sans histoires, monté sur du big riff raff. «Rolling With My Baby» vaut largement le détour, c’est joué au sliding d’Amérique et drivé à l’énergie maximaliste, le tout étant saupoudré d’une pincée de démesure perverse et d’un soupçon de débauche. On retrouve les mêmes cuts dans le second live. Silverhead se veut glammy mais peine à l’être. De toute évidence, ils n’inventent pas le fil à couper le beurre. Mais ils font preuve d’une belle opiniâtreté, leur opiniâtreté est même un modèle du genre. Ils jouent «Bright Light» au heavy romp et ça accroche bien, on se croirait de retour dans la cour du lycée, dans les années soixante-dix, au temps où on vantait les mérites de groupes anglais à des mecs qui s’en foutaient. Ouuh yeah, Michael Des Barres introduit «16 And Savaged» avec un ton menaçant. Il lance sa cavalcade de heavy rock à l’assaut du ciel, mais la ruine en l’interrompant brutalement.

             C’est lors d’une tournée américaine que le petit marquis rencontre Miss Pamela. Coup de foudre. Mais il doit divorcer de son épouse anglaise qu’on voit d’ailleurs dans le docu. Silverhead splitte et le divin marquis lance un nouveau projet, Detective, avec l’ex-Steppenwolf Michael Monarch et l’ex-Yes Tony kaye. Ils sont sur Swan Song et Jimmy Page produit le premier album.

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             Par miracle, un petit label ressort en 2016 un live de Detective, occasion inespérée de goûter une fois de plus au fruit défendu que fut leur stomp. «Get Enough Love» est en effet un pur stomp à l’Anglaise, bien plus puissant que celui de Mick Ralph dans Bad Co. Michael Monarch le joue comme un dieu. Leur défaut consiste à jouer des cuts interminables qui durent parfois cinq ou six minutes. «Detective Man» sonne comme du gros rock anglais de type Faces, c’est chanté dans la force de l’âge avec une belle puissance de feu. Ce groupe savait se montrer flamboyant, récurrent et astringent, une vraie purge de nectar d’avatar. Ce mec Monarch se montrait encore irrésistible dans «Grim Reaper» et «Fever». Detective stompait un rock tragiquement classique.

             «Then I went in San Francisco and saw the Sex Pistols. It changed my life.» Il lance un nouveau projet, Chequered Past avec Clem Burke et Frank Infante de Blondie, son vieux sbire Niguel Harrison et Steve Jones. Tony Sales vient très vite remplacer Infante. Bon on reviendra sur tout ça dans un Part Two. Même chose pour les trois premiers albums solo du divin marquis. Cette fois, on va juste se focaliser sur son dernier album solo, The Key To The Universe, paru en 2015.

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             Joli en retour en force ! Il ne perd rien de sa superbe glammy et de sa niaque aristocratique, comme on le constate à l’écoute d’«I Can’t Get You Off My Mind». Il semble même plus enragé qu’avant. Il fulmine. Ça tourne à la grosse explosion d’encadrement. Quel son ! Le divin marquis se jette à fond dans l’expression d’un glam cockney. Avec «Room Full Of Angels», on goûte à l’ultra-puissance du descendu de guitares voraces et ça part en heavy-duty balladif. Le divin marquis a toujours eu un sens aigu du son, ne l’oublions pas. Il ressort sa grosse cocotte pour «I Want Love To Punch Me In The Face». Pas de quartier pour les canards boiteux. Le divin marquis hante son château avec une belle persuasion glam. C’est un bonheur que de l’entendre jouer. Tous les exégètes devraient se jeter aux pieds de cet homme. Il sait tout faire à la perfe : les solos, les envois, les envies et les envols. On reste dans le haut de gamme avec «Maybe Means Nothing». Il prend le claqué au supérieur et on note l’excellence de l’emprise du chant. C’est d’un classicisme extravagant. On tombe plus loin sur un «Yesterday’s Casanova» visité par des flots de lumière. Le divin marquis nous plonge dans une sorte de chaos d’épouvante. Excellent, d’autant que cette masse dégouline de fuites de guitare. Grosse attaque pour «Black Sheep Are Beautiful», certainement l’une des attaques du siècle. Le divin marquis percute comme un beau diable. Il groove comme un démon de bréviaire et chante comme Steve Marriott. 

    Signé : Cazengler, complètement barré

    Silverhead. Live At The Rainbow London. Cherry Red 2016

    Detective. Live From The Atlantic Studios. HNE recordings 2016

    Michael Des Barres. The Key To The Universe.  FOD Records 2015

    1. Elvis Weinstein. Michael Des Barres. Who Do You Want Me To Be. DVD 2020

    Gerry Ranson : Some like it hot. Vive Le Rock # 89 - 2022

     

     

    Inside the goldmine

    - La pierre de Rozetta

     

             La première chose qu’on t’apprend, c’est à te servir d’une machette : jamais tailler de front, taille de biais, tu vois comme ça, tchac, tchac ! Ta vie dépend de ta machette, donc graisse bien ta lame et prends soin du tranchant. Ensuite, si un serpent te mord, ouvre une plaie autour de la morsure et aspire le sang aussi vite que tu peux. Ta vie dépend de ta vitesse à réagir. Ensuite, si tu traverses un cours d’eau boueuse, fais passer le guide ou ta femme avant, car tu ne vois pas le caïman, mais lui il te voit. Équipement léger, nécessaire de survie, boussole, carte sommaire, et hop c’est parti ! Direction le cœur de la jungle, vers la mystérieuse cité du Haut-Xingu, plein Nord, tchac tchac ! Au début on est tout content, mais ça tourne vite à la galère. Putains d’insectes ! Tu passes ton temps à écraser ces putains de bestioles qui se faufilent par les manches et par l’encolure de la vareuse. C’est-y pas Dieu possible un pays pareil ! Une semaine, deux semaines, trois semaines passent avec le sentiment d’avancer à la vitesse d’un escargot, tchac tchac ! Ça n’en finit pas. Tout ça pour une soit-disant cité mystérieuse découverte au XVIIIe siècle par un soit-disant explorateur portugais ! Mon cul ! Quatrième semaine. Tchac tchac ! Effectivement, les caïmans sont énormes dans le coin. Celui qu’on a vu a chopé le guide, woaurffff, alors on fait demi-tour et on cherche un autre passage. Putain, ce monstre fait au moins cinq mètres de long, il faudrait un bazooka pour le dégommer. Bon, tout ça n’arrange pas nos affaires. On trouve un autre passage, mais au-dessus d’un petit ravin. Pas génial, surtout quand on a le vertige. Il faut tailler des arbustes pour fabriquer une sorte de passerelle. Tchac tchac ! On l’attache avec des lianes. C’est vraiment un coup à se casser la gueule. Mais bon, c’est ça ou le caïman de cinq mètres. Alors on ne se pose même pas la question. Évidemment, celui qui teste la passerelle fait les frais de l’opération, il se casse la gueule en poussant un cri, comme dans les films. C’est vraiment nul. Alors c’est pas compliqué, le choix est vite fait : soit le caïman de cinq mètres, soit demi-tour et retour au bercail. On vote à main levée. Qui veut continuer ? Le chef de l’expé lève la main. L’enfoiré ! Tchac tchac ! On lui coupe les deux mains, comme ça, il ne peut plus voter. Qui veut rentrer ? On lève tous la main. Donc on rentre. Fuck la cité mystérieuse ! Encore trois ou quatre semaines de galère pourrie et d’insectes et on pourra caler son cul dans un bon fauteuil au sec pour écouter Rozetta Johnson. Mmmmmmm...

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             Rozetta Johnson nous vient d’Alabama et si ses singles sont devenus légendaires, la raison en est bien simple : les compos sont signées Sam Dees. Dans le booklet qui accompagne la compile A Woman’s Way (The Complete Rozetta Johnson 1963-1975), Rozetta qui s’appelle en réalité Roszetta, raconte sa vie très simplement : un peu d’église, puis un peu de club au flanc à Birmingham, puis elle est repérée et pressentie pour les Supremes, puis Sam Dees, puis zéro royalties, puis elle jette l’éponge, reprend ses études, diplôme de sociologie, puis mariage, puis mari qui dit fini les clubs, alors fini les clubs, puis secrétariat pendant 23 ans, la durée du mariage, puis divorce, puis retour à la liberté.

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             Rozetta Johnson travaille sa Soul au corps, un peu comme Aretha, elle cultive le psychodrame de la Soul de manière plutôt intense. Dans «I’ve Come Too Far With You», elle pousse des pointes et derrière les mecs font des chœurs de rêve, believe me when I say. Cette Rozetta stone couine par-dessus les toits, elle chante du ventre, au pussy power. Elle travaille sa Soul au corps, elle semble redoubler de power lorsqu’elle est amoureuse. Il y a d’ailleurs deux versions d’«I’ve Come Too Far With You» une en ouverture de bal et l’autre en fermeture. Si on veut du sexe, alors il faut écouter «Willow Weep For Me», un heavy blues dégueulasse, elle se plonge de façon démente dans la bauge du génie, et lorsqu’elle gueule sa sexualité, on décolle. Les nappes d’orgue exacerbent le sexe. Le weep for me est un vrai jus de bite. Autre coup de génie avec «I Understand My Man», elle navigue au gré du pire heavy blues de l’univers, elle est tellement explosive qu’elle redore le blason du Soul Genius. Elle casse encore la baraque avec «Personal Woman». Elle se positionne au départ de tout, elle est en permanence dans la permanence, elle dans l’Aretha, elle est dans le foin, dans la cime, elle est partout, elle pousse des hey hey comme Aretha et d’ailleurs, dans «It’s Been So Nice», elle expecte du respect, comme Aretah - Respect together - On la voit aussi entrer dans un son plus profond, plus hip-hop avec «How Can You Lose Something You Never Had», mais elle reprend vite le contrôle, elle est urbaine et libre dans la ville des mecs à casquettes.

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             Avec Rozetta, tout est toujours nickel. Elle y va sans se poser de questions, elle connaît toutes les ficelles du hey hey hey et du c’mon baby. Elle refait sa Aretha avec «Can’t You Just See Me», elle est parfaitement à l’aise dans ce rôle, elle dispose du même genre de niaque, un truc qui n’appartient qu’aux petites Soul Sisters, cette façon qu’elles ont de gueuler en secouant les hanches. Encore de la fantastique allure avec «To Love Somebody». Elle est bonne dans toutes les positions, ce qui n’est pas peu dire. Comme si elle faisait tout mieux que personne. Retour au sexe pur avec «(I Love Making That) Early Morning Love». La petite coquine aime le cul à l’aube, elle y va via le via-groove reggae, c’est cousu mais comme c’est bon. Et si on aime bien le raw r’n’b, alors Rozetta nous gâte, elle fait son shoo shoo et son chain chain dans «Chained & Bound» et du raw primitif avec «Mama Was A Bad Seed» - She said loney honey - C’est tellement primitif que ça devient énorme. Elle chante son «You Better Keep What You Got» au sommet du dancing strut, dans une incroyable promiscuité, elle ne recule devant rien, c’est flamboyant ! On va de surprise en surprise, c’est une chose certaine. On trouve aussi deux versions d’«I Can Feel My Love Coming Down». Cette compile est un panier de crabes aux pinces d’or. Rozetta rentre dans le lard de chaque cut comme dans du beurre, elle doit être la première surprise d’être autant éclaboussée de lumière. Elle rôde sans fin dans les coulisses du génie. Elle se jette sans discuter dans toutes les fournaises. Elle ramène du power en permanence, avec «It’s Nice To Know You», elle devient la reine de la Soul Kent, elle pulse ça du ventre, sa Soul est un truc à part, il faut le savoir. Elle est dans l’omniscience de l’omnipotence, il suffit d’écouter «That Hurts» pour le comprendre. Elle va vite et repart de plus belle avec «Mine Was Real», elle se projette dans l’essor incomparable, elle est partout dans ses cuts, son r’n’b n’en finit plus d’éclater au firmament de la sharpitude, bienvenue au paradigme du peuple noir ! Elle illumine tout automatiquement. La Soul de «Who Are You Gonna Love» est tragique et sentimentale à la fois, c’est d’une pureté à peine croyable.

    Signé : Cazengler, Rozette de Lyon

    Rozetta Johnson. A Woman’s Way (The Complete Rozetta Johnson 1963-1975). Kent Soul 2016

     

    *

    La Teuf-teuf 2 roule allègrement vers le lac d’Orient, non elle n’ira pas tremper ses roues  dans l’onde réparatrice, l’a mieux à faire, elle veut voir l’exposition de voitures anciennes et les Harley du Bootleggers Club, quand Billy   concocte un concert de rockabilly, il n’oublie pas les ingrédients mécaniques qui vont avec, je suis aussi pressé que la Teuf-teuf, de revoir les copains du 3 B, deux longues années, depuis le confinement… Vous décris pas les retrouvailles l’on file direct aux trois concerts du soir.

     

    ROCK ‘N’ ROLL PARTY II

    18 / 06 / 2022

    LA GRANGE

    LUSIGNY-SUR-BARSE ( 10 )

     

    THE FUL MOON CATS

    Dans le triangle des Bermudes ce ne sont pas les trois sommets du triangle qui sont dangereux – encore que cela se discute, nous y reviendrons - mais c’est de se trouver au centre de la zone de grand péril. C’est exactement la même chose dans le rockabilly. Sommet du haut, Stéphane derrière sa batterie Gretsch, dans sa robe blanche elle semble aussi radieuse que la colombe de l’immaculée conception. Quand il s’y colle ça tourne au noir grabuge. Certains pensent qu’un bon batteur est là pour donner le rythme, ne vous inquiétez pas il sait le faire, mais il rajoute un paquet cadeau, le son, la tonitruance qui apporte l’ampleur du désastre.

    En bas à gauche Pascal, l’a le cœur aussi rouge et saignant que sa double-basse, slappe comme un madurle, un fou-furieux, un mec méthodique qui accomplit son devoir sans faillir, les âmes naïves demanderont pourquoi il assure avec tant de hargne le shclack-schlak-shclak typique de la rythmique rockabilly, alors qu’il y a déjà un batteur, justement braves gens parce que le Stéphane lui il bâtit le volume, alors Pascal il joue le rôle du pendule fatidique qui à chaque frappe sonne le tocsin du destin.

    En bas à droite la Gretsch de Sacha. Pas le genre de mec qui attend son heure pour sortir le solo qui tue et qui met tout le monde d’accord, sa guitare se colle à la contrebasse et ne la quitte pas, une course de formule 1 avec deux pilotes en tête, qui roulent côte à côte, se regardent de temps en temps et repartent encore plus rapidement. Pour pallier les caprices de l’acoustique je me permets de me déplacer dans la salle afin de discerner lequel des deux mord sur l’autre, aucun des deux, le résultat n’est pas probant, de véritables frères siamois.

    Bref trois cats sur le toit brûlant d’un soir de pleine lune. Comme les trois mousquetaires, survient le quatrième, Charly à la guitare rythmique et au chant. C’est cet aspect qui nous intéresse, comment un chat peut-il parvenir à se faire entendre avec le boucan qu’entretiennent ses trois acolytes, ses trois aérolithes. Très bien, très facilement. L’a sa technique à lui, il ne chante pas en anglais, il ne chante pas en français – mais oui il chante dans les deux langues, mais il chante surtout en idiome rock, l’a une manière bien à lui, de poser les mots, sa voix un peu haut perchée mais point trop, juste un tantinet acérée et pointue comme la lame d’un cran d’arrêt manié avec tant de dextérité qu’il taille dans la couenne du lard du rock ‘n’roll des morceaux saignants de barbaques délicieuses. Pour le répertoire, ne cherchent pas la rareté ultime, utilisent les classiques, et vous les ressortent en même temps totalement reconnaissables et si hardiment relookés que vous croyez les entendre pour la première fois. Un seul exemple, Twenty fligth rock interprété en français avec une telle fougue et une telle pertinence que vous ne voyez pas la différence avec par exemple le Mystery train entonné en sa langue originale. Le Charly est un grand Monsieur, s’est approprié le vocal rock ‘n’roll et vous le sert direct avec le costume trois pièces qu’il a redessiné à sa façon.

    Les trois spadassins derrière ferraillent sans désemparer, Pascal étreint de sa main gauche le manche de sa up-right bass comme s’il était en train d’étrangler un cobra, vous zèbre de sa seconde main le corps de la pauvre bête de coups tranchants. Sachez que Sacha n’est guère ému, de sa guitare il découpe le corps vivant du reptile en rondelles qu’il vous retourne sur la braise de son jeu, prêtes à être consommées par un public affamé. Derrière Stéphane vous emballe les parts et nous distribue sans relâche les hosties rockabillyennes imbibées du venin du rock ‘n’ roll. 

    Viennent du sud, les nordistes estabousiés de tant de savoir-faire et d’originalité, leur dressent une ovation enthousiaste.

    T BECKER TRIO

    freda payne,rockabilly generation 20 & 21,michael des barres,rozetta johnson,full moon cats,t-becker trio,fuzzy dice,burning sister,alicia f !,philippe manoeuvre

    Did, Tof – ne confondez pas avec Titeuf – et Axel sont alignés sur le devant de la scène, non leur batteur n’est pas en retard, ils n’en ont pas. Z’ont du culot, après la tempête force 10 que nous venons de subir, de se présenter sans force d’appoint, ou alors ils sont totalement crétins, il semble que cette dernière hypothèse soit la bonne, ce n’est pas moi qui le dis, c’est Tof au micro qui nous prévient, non ils ne sont pas un groupe de rockabilly, sont juste des amateurs de hillbilly, la musique des péquenots.

    Pas de panique, ils sont en pays de connaisseurs, qui ne préjugent pas et qui ne demandent qu’à entendre, même si le trio cherche la difficulté, ce qui est déjà un plus, en proposant une set-list principalement basée sur leurs compositions originales.

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    Sur notre droite, Axel ne slappe pas comme un dément, caresse sa big mama doucement, donne l’impression de jouer non pas de la musique mais du mime, suit les paroles que chante Tof, sans avoir trop l’air de croire à leur message, transcrit toutes les émotions par d’imperceptible changements d’attitude, ne peut pas rester trente secondes sans qu’un sourire s’épanouisse sur sa figure. De la musique populaire qui existait avant l’explosion du rock ‘n’roll, il incarne une certaine naïveté des classes les plus humbles, elles pensent que le cœur sur la main est la seule arme qui puisse s’opposer à la méchanceté du monde.

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    Tof est d’un autre calibre. L’est plus près non pas du western swing mais de ce que nous appellerons le western bop, le bop est une musique instable, l’est de la même nature que la nitroglycérine, celui qui se charge de manipuler un de ces deux produits, doit être sûr de lui, et Tof est doué, n’en fait pas trop, ne cherche point à atteindre le point de déséquilibre, son chant navigue à vue, fait attention à ne pas éperonner le rocher du rock et encore moins à se perdre dans les eaux paisibles de la facilité. Vous captive, vous séduit, l’est un funambule qui avance courageusement, et le fil ne manque jamais sous ses pieds.

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    Did est à la lead. C’est vrai et c’est faux. Un guitariste qui ne joue pas au matamore, pas de brillance, égrène les notes une par une, mais l’on se rend compte qu’il compose dans sa tête, développe une structure subtile, l’est un peu le cube de base dont l’assise impose la stabilité des autres que l’on empile sur son aire, ne court pas après le riff pimpant, recherche les harmoniques, procède un peu d’une esthétique jazz, à plusieurs reprises il m’a semblé entendre des échos, des saveurs, du jeu de Charlie Christian.

    Trois artistes de sensibilité différente, mais ils parviennent non pas à coexister pacifiquement, mais à s’interpénétrer, à s’épauler, à s’entraider, à produire un son captivant, unifié, neuf, qui a saisi l’assistance. Sont magnifiquement applaudis.

    Dans la livraison 562 nous chroniquerons leur premier CD.

    ( Photos : Gisèle Doudement )

    THE FUZZY DICE

    Dans la série l’on prend les mêmes et l’on ne recommence pas. Ne manque que Charlie. Ce coup-ci c’est le triangle des Bermudes sans personne dedans. Zone noire particulièrement dangereuse. Pascal nous fait la surprise, certes il maltraite toujours sa contrebasse, la slappe sans pitié. On n’en attendait pas moins de lui. Je ne vous refais pas le dessin. S’empare du vocal et ne le lâchera pas une seule fois. Quelle voix, dès qu’il aborde Please don’t leave me s’échappe de son larynx un orage de goudron gloomy aussi dur, aussi épais qu’une grêle de plaques d’égouts, son timbre traduit toutes les noirceurs et toute la hargne de l’âme humaine. 

    Sacha ne le suit plus comme son double, impulse son propre jeu, certes il doit rester à la hauteur du torrent dévastateur de Pascal, et il ne s’en prive pas, mais selon sa propre partition sonique, cette fois la guitare se distingue, elle hausse le ton, elle gronde, elle fait le  gros dos, ses notes se hérissent à la manière d’un tigre qui feule avant l’attaque, certes Pascal ne lui laisse pas le temps de faire son numéro, mais Sacha en rajoute, pas des tonnes, entre deux morceaux, pas plus de trois secondes, mais ce minuscule laps de temps lui suffit pour lâcher deux, trois notes vibratoires qui atteignent à une densité extraordinaire, ou alors quand un morceau est terminé, qu’il n’est plus que de l’histoire ancienne que l’on se prépare au suivant, il plaque sur ses cordes une intumescence sonore aussi destructrice qu’un missile. Vous transcende la forme pure et parfaite du rockab en lui conférant une force extraordinaire.

    Stéphane a changé le son de sa batterie, moins de tonitruance, des coups explosifs, plus secs, plus raides. L’est comme un cuisinier sur son piano qui boute le feu à deux plats différents, l’on dirait qu’il a partagé fûts et cymbales en deux, cette partie-ci pour Pascal, cette-là pour Sacha. Ça tonne de tous les côtés, toutes voiles dehors en pleine tempête.

    Pascal en appelle aux vieux hymnes des Teddies ( boys & girls ), ça claque, ça chamboule, ça remue méchant, une version de The Train kept a rollin s’avère être une interminable apothéose. Z’ont la rage, ce qui se passe devient monstrueux, un ouragan emporte tout son passage, on essaie de varier les morceaux s’exclame Pascal, si l’on veut, disons que si celui-ci ressemble à une tornade qui remonte une rue en détruisant les maisons du côté droit, le suivant est la même tornade qui fait demi-tour pour raser les immeubles du côté gauche, ce qui se passe ensuite n’est même pas un rappel, le groupe ne peut plus s’arrêter, Pascal pousse un hurlement ininterrompu de plus de deux minutes et Sacha ne joue plus du rockab, se transforme en guitariste de metal, respecte le séquençage habituel du rockab, mais ses doigts, sa position sur les cordes, cette manière de les remonter en les égrenant, sont et viennent d’ailleurs, l’on danse sur scène et l’on crie dans le public, le rock emporte tout, faudra encore cinq morceaux plus un tout dernier pour juguler la folie…

    Un dernier merci à Billy pour cette mémorable soirée. On eût aimé un peu plus de monde, les absents ont toujours tort.

    Damie Chad.

    Attention : une deuxième chronique sur Rock’n’roll Party II sera publiée au mois de septembre.

     

    BURNING SISTER

    MILE HIGH DOWNER RIGHT ROCK

    Mile High est le surnom de la ville de Denver, qui comme chacun sait est la capitale du Colorado et qui est située exactement à un mile d’altitude soit mille six cent neuf mètres. Ce n’est pas cette particularité qui m’a attiré vers Burning Sister de Denver. Mais un groupe qui se réclame de Blue Cheer, de Mountain, de West Bruce and Laing, d’Hawkind, des Stooges, du MC5 et de quelques autres du même acabit accapare d’un seul coup tout mon capital de sympathie avant même d’en avoir écouté une seule note.

    A la première vidéo, je n’ai pas été déçu, enfin si, pas par eux mais pour les voisins, répètent dans le salon d’un appartement avec le son qui pousse les murs. J’en ai conclu que les habitants de Denver doivent être de bonne composition ou sans exception des amateurs de rock bruyant.

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    Sont trois. Drake est aux guitares, Steve au chant, au synthé et à la basse. Quant à Alison il ne m’étonne pas qu’ils aient pris la précaution de la cacher derrière la batterie, trop belle avec ses longs cheveux blonds, un sourire radieux, sur la photo où elle porte son bébé sur le dos, le bambin est ravi d’avoir une si jolie maman.

    N'ont publié qu’un EP et deux singles.

    BURNING SISTER / BURNING SISTER

     (Décembre 2020)

    Couve d’Armon Barrows, Art teacher et graphiste à temps perdu, un tour sur son instagram et son site vous permettra de visualiser nombre de dessins et de peintures. La pochette est à l’image de sa fantaisie, proche de la bande dessinée, Burning Sister, sourire aux lèvres revolver (ô my pistol packing mama ) et poignard en mains s’attaque gaillardement à ce pauvre diable qui n’en demandait pas tant,

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    Path destroyer : bruissement assourdi, ondulations de basse, sautillements de cymbales, de très loin le vol du faucon d’un riff majestueux se pose sans douceur, les couches de guitares se superposent, va falloir appliquer la méthode stratigraphique des archéologues, la frappe lourde nous évite toutes ces minuties, la voix de Steve nous demande d’ouvrir notre esprit, à coups de caisse lourde Alison nous bouche toutes les issues de secours, ère nouvelle   la basse de Steve chantonne, Drake bouscule cette oasis d’un riff caterpillar, et l’on s’achemine doucement vers la fin sans se presser. Lord of nothing : guitare moelleuse, attention à ce qui se cache par-dessous et cette batterie qui roule comme si elle se promenait sur une route départementale alors qu’elle se dirige vers l’abîme du néant, le riff taille droit sa route, semble aller   directo mais l’est formé de mille rigoles qui nécessiteraient un plus grand nombre d’oreilles, encore une fois ces vaguelettes de basse alors que par-dessus volent des mouettes qui soudainement se transforment en un immense stégosaure qui continue son voyage au loin sans se soucier de nous. Maelstrom : entrée de riffs courts empilés comme les cubes d’un jeu de construction qui ne demande qu’à s’écrouler, Alison tape le pas d’un géant débonnaire qui avance imperturbablement, sait où il va et le riff qui l’accompagne nous avertit du danger, qu’importe monte-t-on ou descend-on, est-ce le cratère béant d’un volcan ou la bouche d’ombre tournoyante de l’enfer, pour le savoir il faut écouter ce que chuchotent les instruments, ne pas rester obnubilé par leur déploiement, révèlent bien des secrets mais s’arrangent pour que l’on ne s’en aperçoive pas. Instrumental qui joue pour lui, pour l’ouïe fine. Burning sister : morceau éponyme, la sister Alison trébuche le rythme sur ses tambours et Drake parle d’elle, pas besoin de nous faire un dessin, les cordes peuvent se démener tout ce qu’elles veulent, l’on n'entend qu’elle. Pour le riff quand il se déploie, pas de problème on le suivrait au milieu des flammes de l’enfer. Ils le savent, font durer le plaisir, lui coupent même les ailes pour qu’il ralentisse encore. Faux-semblant maintenant comme le paon il déploie sa roue ocellée et le morceau prend une couleur creamique surprenante. Oblivinot :  dans la même veine que la fin du précédent, l’on agite l’éventail du riff en douceur exaltée, Alison tape des œufs d’autruches si fort, que le silence retentit, nous avons vu le riff du côté face, on vous le refait côté pile, démarche riffique cubique, mettre à plat toutes les facettes, silence on reprend, vous avez cru tout voir, l’on peut vous en montrer encore, l’on s’enfonce dans les aîtres de la beauté, ce morceau est  un diamant brut, le plus terrible c’est que quand ils arrêtent l’on est sûr qu’ils en ont encore sous la pédale.

             Z’ont le doom tranquillou, on ne se prend pas la tête, de temps en temps l’on n’oublie pas de chanter un peu pour que ça paraisse plus sérieux, et leur pattern de base est très simple, ne jamais mettre les bœufs rapides devant la charrue travailleuse, tant pis pour les tempi, ils visent l’excellence, le papillon qui s’extrait de sa chrysalide et qui enfin déploie ses ailes flamboyantes.

    ACID NIGHT VISION

    ( Vidéo YT /Novembre 2021)

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    Sont pas fous, z’ont mis Alison sur la couve et si vous regardez  l’officiel vidéo elle se démultiplie en trois, alors que la basse court de tous les côtés comme la fourmilière sur laquelle vous avez marchée, ensuite ça tournoie, les images et la musique, un miroir d’eau coulissant, une flaque d’eau mutante, une drache rimbaldienne agitée, pareil pour le riff se transforme en gerbes d’étincelles qui partent dans tous les sens, surtout les interdits qui sont les plus tentants, les images se stabilisent, enfin vous apercevez des formes, celle d’un homme qui bouge les bras, qui ne sont pas les siens, des trucages du tout premier âge du cinéma, mais mal faits, la grâce surannée des choses passées dirait Verlaine, l’est sûr que les montées d’acide vous dévoilent le monde d’une autre manière, l’image tourbillonne et le riff se stroboscope à la manière d’un ectoplasme qui a mis les doigts dans la prise, l’herbe pousse à l’envers et la musique ondule comme des algues agitées par un courant souterrain, comment dire : il semblerait que la musique éprouve des décollements de rétines, maintenant vous la regardez et vous écoutez les images, la batterie gouttège, le reste nage sur le dos, la guitare rame, le clavier coule, la tapisserie se décolle du mur et ses motifs incompréhensibles se mélangent, peut-être sont-ce le songe des lames de plaquettes microscopiques de plasma sanguin atteint de la danse de saint Guy, Drake croit qu’il chante, le pauvre il ne sait pas qu’il miaule, qu’il est perdu pour l’humanité, mais pas pour nous, surtout que maintenant fini le cinéma gris, l’on passe aux couleurs lysergiques, des signes cabalistiques à vous faire tomber en catalepsie dansent dans votre conduit auditif, et le gars de tout à l’heure qui se démenait comme s’il veillait à l’atterrissage des aéronefs sur le pont d’un porte-avions a pris des couleurs, colle au riff de si près qu’à chaque fois qu’il devient plus violent  il se rapproche de vous, s’il continue va sauter hors de l’image et squatter votre figure, le riff vous avertit, il barrit comme un éléphant pris dans un incendie, au 14 juillet de votre enfance vous en voyiez de toutes les couleurs, le beau jaune d’or et le rose flamant, redescendrions-nous sur notre planète, ces découpages colorés ne serait-ce pas les pièces d’un puzzle qui assemblées devraient ressembler à un orchestre de rock, oui c’est sûr les silhouettes des deux guys, la batterie d’Alison, elle l’absente de tous bouquets, et cette guitare inouïe qui pousse vers les orties de la folie, un point final en suspension, le petit bonhomme qui fait semblant de jouer au tennis fonce vers vos pupilles. Retour de l’image de départ, Alison, peut-être pour nous dire que la beauté existe aussi sur terre.

             Plus psychédélique, tu meurs. Rock synesthésique.

    CLOVEN TONGUES

    ( Vidéo YT /  Février 2022 )

    Le monde est vraiment petit, ce titre est sur la compilation de Cave Dweller Music où la semaine dernière nous avons trouvé The Sun le deuxième titre de Thumos issu des chutes de The Republic. Même type de vidéo que la précédente.

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    Ecran noir et geyser d’eau bleue qui retombe, l’on se croirait dans un de ces innombrables poèmes symbolistes sur les jets d’eau des fontaines qui s’élèvent vers le ciel idéal pour hélas retourner à la lourdeur de la terre, notre interprétation pas si gratuite et hasardeuse qu’il y pourrai paraître, nous voici apparemment dans un parc, l’on distingue un escalier, des feuillages, une ombre mouvante, si c’en est une dans cette obscurité bleutée, la musique passe-partout sur ses premières notes se teinte de noir, l’atmosphère s’appesantit, vocal inquiétant, serait-ce un déluge, l’eau coule, les gouttelettes qui dessinent des cercles concentriques  dans les bassins de marbre échappés des poèmes de La cité des eaux  d’Henri de Régnier, sont-elles devenues des rivières, effet ou rêve d’optique, maintenant l’on aperçoit une blanche limousine stationnée dans le jardin de cette propriété que l’on imagine en vieux manoir mystérieux,  vite effacée par l’eau  qui coule de partout, peut-être simplement un gros plan sur ces vieilles tuyauteries des jardins d’antan terminées en cols de cygne, bec de bronze ouverts et moussus, changement subit d’esthétique, nous étions en plein dix-neuvième siècle, nous voici en plein art moderne, fond bleu ripolin, avec projection spectrographiques de quelques gouttes d’eau filmées pour les mettre en équation mathématiques, dans le but de ne rien perdre de l’expérience, le fond d’écran change de temps en temps de couleur, revoici l’escalier ruisselant surmonté de sa vasque et de son mini jet d’eau, pour que le décor soit plus romantique à la manière d’Anna de Noailles, l’on a rajouté un vase de fleurs coupées, l’on en oublie la musique, à peine sa souvenance est-elle venue à notre mémoire qu’elle s’efface accaparée par cette forme blanchâtre qui se déplace, l’on pense à la silhouette de la Dame Blanche tandis que son regard se perd sur quelque chose d’indistinct dans un fond d’eau, dans la noirceur quelque chose d’inidentifiable bouge, voici qu’apparaît un de ces masques grimaçants, ces gueules ouvertes d’aegipans barbus qui crachaient  l’eau des fontaines par leur bouche, yeux peints si expressifs que le visage paraît vivant, la caméra prend du large, quelque chose se déplace, l’on ne croit pas à un rayon lunaire, un autre visage apparaît, la vitre de la caméra s’écrase sur elle, retour de la séquence moderniste avec son coloriage moins criard que la première fois, la musique en profite pour revenir dans le champ du regard, nos sens sont pervertis, maintenant elle prend de l’importance, le riff gargouille, il grouille sur lui-même, il s’illumine, il reprend des couleurs, ne nous laissons pas distraire, dans le parc encore une fois, victime d’une hallucination, ce jaillissement d’eau qui prend l’apparence d’un petit homme, d’une espèce de pantin qui ne fait que passer, dernière gerbe d’eau jaillissante, le son se dégonfle la vidéo se termine comme elle commence, l’image triple puis unitaire de burning sister blanche sur fond noir, tandis que la musique agonise, des éclairs de lumière bleue s’amusent à simplifier la blancheur de sa silhouette, la voici réduite à une gerbe d’écume bleue, notre burning sister serait-elle une ondine que nos bras ne sauraient saisir…

    Une drôle d’expérience cette écoute qui se transforme en regard. Notre perception de la réalité ne serait-elle qu’un sentier possible parmi d’autres, comme si de temps en temps à la fourche d’un chemin une autre approche du monde nous serait proposée, que nous refuserions d’essayer par peur de changer nos habitudes. Déstabilisant.

    LEATHER MISTRESS

    ( FB / 2021 )

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    De nombreuses vidéos sur leur FB, des bouts d’essais, des extraits qui la plupart du temps ne durent que quelques secondes. Nous avons choisi celle-ci de presque sept minutes. Sont chez eux, à contre-jour, par la grande baie vitrée nous apercevons arbres et buissons, nous sommes vraisemblablement à la campagne. Est-ce un sampleur qui bruite ou des doigts qui s’amusent sur un keyboard, Drake est pratiquement invisible relégué sur le côté gauche de l’écran, jouent au jeu du homard, prenez un riff et portez-le à ébullition à feu doux, attention le jeu consiste à ce qu’il ne meure pas, le riff doit se perpétuer, aussi longtemps par exemple qu’une phrase de Marcel Proust, faut avoir l’esprit inventif et chacun se doit de participer hautement à l’action, très instructif sur l’état des recherches de Burning Sister, ne visent pas la rapidité, z’ont le doom paisible, mais ile le dorent à l’or brut ou à l’étain fondu de mille pyrotechniques, pire qu’un film d’actions dont les séquences s’entremêleraient lors de la projection, c’est un peu l’écoute bonneteau, vous avez trois timbales mais seulement deux oreilles pour écouter le bruit de la mer qu’elles recèlent quand vous appliquez vos conduits auditifs à suivre la musique. Je vous souhaite bien du plaisir. Vous êtes sûrs de perdre  à chaque coup.

    Damie Chad.

     

    HEY YOU !

    ALICIA F !

    ( Official Vidéo / 02 - 06 – 2022 YT )

    L’était toute fière Alicia de prévenir que sa première vidéo officielle allait voir le jour. Y avait de quoi, certes elle est courte, deux misérables minutes trente-deux minuscules secondes, mais l’effet j’y vais yatagan sans mettre les gants est garanti, sabre de samouraï aïe ! aïe ! aïe !

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    Fond noir, en rouge ce n’est pas le logo du sacré cœur de Jésus, mais le cœur d’Alicia transpercé du poignard du rock ‘n’ roll. Profitez des trois innocentes secondes qui suivent, une main introduit une cassette dans un lecteur. Si vous ne supportez pas les émotions violentes, vous arrêtez tout de suite et vous zieutez Les 101 dalmatiens de Disney… Vous refusez ce conseil damie, alors je vous le fais le plus cool possible.

    Pas grand-chose, Alicia qui chante devant un rideau de garage, entrecoupé de vues du concert au Quartier Général du 06 mai ( le mois où il est autorisé depuis 1968 de faire tout ce qui déplaît aux autres ) 2022. Voilà, c’est tout, vaquez à vos occupations favorites, allez en paix. Vous voulez davantage, tant pis pour vous.

    Donc une mise en scène minimaliste. La caméra commence par le bout des boots, d’Alicia évidemment, remonte très vite d’une caresse tout du long pour s’arrêter sur son visage. C’est le moment de méditer : comment l’Histoire se serait-elle déroulée si au lieu d’être piquée par un redoutable aspic ce fût Cléopâtre qui d’un coup de dent aurait tranché la tête du reptile répugnant, puis l’aurait recraché et écrasé sous son talon. Vous n’en savez rien, moi non plus. Mais c’est exactement l’effet venimeux que produit Alicia quand elle entonne son texte. One, two, three, four, contrairement à Cap Canaveral quand la fusée Titan remplie de carburant explosif décolle, elle le répète deux fois, question mise à feu, vous pouvez être tranquille avec Alicia ( F comme flamme ) elle n’oublie pas, respiration, sur scène avec ses trois spadassins, nouvelle séquence de non-repos, elle agite ses cheveux et vous perce de ses yeux verts de vipère, baissez les paupières pour ne pas voir ses lèvres rouges, chaque fois qu’elle ouvre sa bouche sanglante, vous avez l’impression que panthère Alicia ( F comme férocité )  vient de vous arracher un morceau de chair, refrain pour mettre un frein, l’on en profite pour admirer le profil étrusque de Tony Marlow et la guitare Pistol Packin’ Mama de Matthieu Drapeau Blanc Moreau, notre incendiaire préférée revient, cette fois elle affiche un ton sardonique et ses mains se meuvent tels les serpents de la chevelure de Méduse, sur le solo du Marlou qui file fort, elle se fait rare, perversité de fille qui sait que l’absence aiguise le désir, mais Alicia ( F comme furie ) surgit encore plus violente, elle vous repousse des mains et termine d’un coup mortel de savate porté sur vos maxillaires.

    Ouf, c’est terminé, vous comptez et recomptez vos dents sur le trottoir, c’est tellement bon que vous remettez le clip au début. Alicia ! ( F comme fatidique ).

    Damie Chad.

     

    *

    Denys n’était pas sur le marché la semaine dernière, camion en panne, pour se faire pardonner il m’accueille avec le sourire des bonnes occases, un truc pour toi Damie, rock’n’roll bien sûr, du bout de son étalage il agite un livre, trop loin pour reconnaître le type pris en gros plan sur la couve, l’a une grosse tête de vieux sage dont les yeux sont cachés par d’énormes lunettes noires, je ne le reconnaîtrai qu’en lisant le titre :

    FLASHBACK ACIDE

    PHILIPPE MANŒUVRE

    ( Robert Laffont / Octobre 2021 )

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    Waouah ! ( ainsi parlent mes zaratoutouextras ), la tronche ! l’a vieilli le mec, on ne peut pas lui en vouloir, ce style de facétie arrive à beaucoup de monde, voyons quel genre de message l’ancien directeur de Rock & Folk tient à délivrer au monde de la piétaille rock. Commence par raconter les reproches d’un lecteur déçu par son précédent bouquin, Rock… ( je n’ai pas lu ) qu’il n’a pas trouvé assez rock ‘n’ roll ! Un comble !  Cette fois, il promet de se lâcher, de la sainte trilogie il s’épanchera sur le deuxième terme le plus litigieux chez les pères-la-morale, drug, la drogue comme l’on disait dans les seventies pour ceux qui ne comprennaient pas l’anglais.

    Petit aparté : le sujet me fait peur. J’en ai lu des pages et des pages de rock stars qui racontent leur addiction, je vous résume le topo, un soir que j’étais un peu fatigué un copain m’a refilé du truc, c’était super, j’étais devenu un surhomme, tout me paraissait facile, j’étais en pleine forme, avant il me fallait huit heures pour achever la lecture d’une oiseuse chronic de Damie Chad, et là en dix minutes j’en lisais quatre, c’est après que c’est devenu plus difficile et plus cher car, j’avais besoin d’une tonne du truc pour comprendre les quatre premières lignes…

    Ben, Phillipe l’est comme les autres, Manoeuvre à la godille pour s’en sortir, car tonnerre de Thor il s’en sort, l’est maintenant plus clean qu’un kleenex encore emballé dans sa boîte. Vingt ans d’addiction et hop grâce à un champignon mexicain, il se soigne tout seul comme un grand, pourtant avec sa copine Virginie ils étaient sur la mauvaise Despentes.

    J’avoue qu’à la fin du troisième chapitre je suis en surdose, j’ai dépassé le coma éthylique de l’ennui profond, dans ma tête je cherche dans la liste de mes ennemis à qui je vais refiler le bouquin, oui je suis un être profondément vicieux, l’instinct du rocker me sauve, avant d’abandonner le book je tourne la page du quatrième chapitre, et le miracle du champignon du pays de Quetzalcoatl s’accomplit, un seul mot du titre me tire de ma léthargie, en une fraction de seconde mon esprit s’illumine, je suis aussi clean qu’une clinique aseptisée, je ne sais si tous les Kr’tntreaders le méritent, mais je refile, oui je suis aussi un mec intensément généreux, la formule magique, très simple, un mot de deux syllabes Lemmy !

    C’est le côté un tantinet énervant du Philman, faut qu’il se mette un peu ( beaucoup ) en avant, nous parle un max de lui et un peu de Lemmy : mais il en dresse un beau portrait, l’a rencontré à maintes reprises, l’on suit ainsi sa carrière, mais décrit surtout l’homme, tout d’une pièce, un mec entier, mais pas dupe, ni des autres, ni de son personnage, ni de lui-même…

    Je suis requinqué, comme à l’armée je rempile pour trois ans, n’exagérons rien, trois chapitres suffiront. L’on commence par la visite du Musée de la drogue en Suisse et se termine par la Convention du LSD dans le pays où les banques et les coffres-forts paissent en paix dans d’opulents pâturages. C’est bien raconté, avec humour, idéal pour ceux qui n’ont pas vécu les voyageuses sixties aux States, z’apprendront des tas de noms – names droppin’ is his job – je m’incline respectueusement devant l’édition de Moonchild d’Aleister Crowley dont nous chroniqué la traduction française de Philippe Pissier dans notre livraison 537 du 13 / 01 / 2022… Je fatigue un peu, notre auteur doit s’en douter alors entre les deux tranches du pain il glisse un beau morceau de jambon bon. David Bowie. Nous surfe le coup de toutes les fois où il l’a interviewé, certes c’est intéressant comme tout ce qui touche à Bowie, les fans aimeront mais au final le portrait de Bowie n’est pas aussi fin que celui de Lemmy. L’homme est métamorphose, changeant, Manœuvre ne détache pas les yeux de ses avatars successifs, mais le marionnettiste de ce théâtre d’ombres chatoyantes lui échappe.

    Le nouveau quatrième chapitre ( le huitième pour ceux qui ont des difficultés en math ) se profile à l’horizon, souhaitons qu’il soit aussi réussi que celui de Lemmy. C’est que des rockers aussi essentiels que Lemmy ça ne court pas les rues. Ne tremblez pas, le Philman en connaît un, pas n’importe lequel, un personnage essentiel du rock ‘n’ roll, classe internationale. En plus il est français. Vous l’avez deviné. Marc Zermati. Manœuvre lui dresse un bel hommage. Une statue chriséléphantine, de celles dont les anciens grecs honoraient les Dieux, Manœuvre  raconte sa vie comme une légende que les enfants écoutent bouche bée, il conte le héros, ses exploits mythiques et ses blessures humaines. Trop humaines. Les mêmes que les nôtres.

    Clean d’œil ! Evidemment Philman est clean depuis vingt ans, donc il fume du truc herbeux depuis deux décennies et se rend en Hollande le seul pays qui nourrit ses vaches et ses touristes avec de l’herbe, boulot oblige à la Cannabis Cup. Il s’en sort défoncé à mort…

    Avant-dernier chapitre, un conte qui se termine mal. Une épopée de trois ans, celle des baby rockers. Une de ces histoires dans lesquels l’on est toujours trahi par les siens. Le dernier mouvement d’ampleur rock de la jeunesse française sur laquelle tout le monde est tombé dessus à bras raccourcis. Philman qui fut un des principaux protagonistes la raconte de l’intérieur. Le milieu rock a fait la moue, a agité de faux prétextes de classe, ce sont les enfants de l’élite, c’est sûr qu’ils étaient moins bon que Led Zepe, mais là n’était pas la question. La réponse est donnée avec les conséquences de la fin de l’aventure, beaucoup de ces jeunes travaillent aujourd’hui dans la musique… à l’étranger… et le boulevard qui a été ouvert au rap national…

    Un dernier chapitre, l’arraisonnement du rocker par la technologie l’aurait titré Heidegger, Philman en générationnelle sonic fashion victim, un peu le même cancer qui mine certains courants du rockabilly, ceux qui recherchent le son de l’époque 55, ou 56, ou 58, sachez apprécier la différence, mais à l’envers, ceux qui ont écouté le rock ‘n’ roll le nez sur les vitrines des vendeurs de chaîne stéréo, Philman les a toutes essayées de la deutcholle pourave aux engins intergalactiques du dernier cri, jusqu’au jour où il s’est aperçu qu’il n’existait rien de mieux que le vinyle, n’ose pas dire que son ancien teppaz, mais il devrait, je pense que l’on peut écouter un disque de rock sur n’importe quel engin, de toutes les manières vous avez votre cerveau qui sert d’équaliseur, réceptionne le son qui entre  dans votre oreille et illico vous le reduplique à l’identique du son originel du rock, celui qui vous a commotionné la première fois  dans votre adolescence, ce que vous entendez c’est le son qu’ a emmagasiné  et que reproduit votre cortex reptilien, celui de votre jeunesse, celui qui vous empêche de vieillir. La seule drogue de jouvence disponible sur le marché intérieur.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 554 : KR'TNT 554 : JORDAN / SAINTS / JOHN PAUL KEITH / KEVIN JUNIOR + CHAMBER STRINGS / MARLOW RIDER / AIICIA F ! / KREATIONIST

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 554

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    12 / 05 / 2022

     

    JORDAN / SAINTS

    JOHN PAUL KEITH / KEVIN JUNIOR + CHAMBER STRINGS

    MARLOW RIDER / ALICIA F !

    KREATIONIST

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 554

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :  http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Jordan franchit le Jourdain

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             Aujourd’hui, on la vénère. Jadis, elle foutait les chocottes. Jordan fut la vendeuse d’une petite boutique de fringues située tout au bout de King’s Road, un coin qu’on appelle World’s end. En 1976, le NME nous expliquait que les Sex Pistols s’étaient formés dans cette boutique de fringues, alors on s’y rendait rituellement, mais on n’osait pas entrer, à cause de cette grosse blonde qui ne semblait pas aimable. Au-dessus de la vitrine minuscule était accroché le mot SEX en très grosses lettres de vinyle rose, hautes d’environ un mètre. Jordan se tenait adossée dans l’entrée, maquillée de noir, vêtue de noir, et portait un brassard nazi. Pour être tout à fait honnête, on se sentait un peu largué. On ne voyait pas la relation qui pouvait exister entre le punk-rock et les gadgets fétichistes que vendait Jordan dans cette échoppe perdue au milieu de nulle part. SEX se situait très exactement dans l’esthétique des boutiques spécialisées qu’on voit encore aujourd’hui à Pigalle.  

             Jordan vient tout juste de casser sa pipe en bois. Aussi allons-nous lui rendre hommage, car c’est elle la vraie punk, comme le dit si bien Derek Jarman : «As far as I was concerned, Jordan was the original. Du point de vue de la mode, tout vient d’elle, même Vivienne et la boutique. Sans Jordan, la boutique n’aurait pas marché. She was the original Sex Pistol. Tous ceux qui entraient voyaient comment elle était habillée, voyaient son allure, et tout venait de là. Elle était the Godfather, the Godmother, si vous préférez. She was the purest exemple of all.»

             Alors qu’ailleurs les mouvements naissaient dans des clubs (Greenwich Village puis le CBGB à New York, l’Avalon Ballroom et le Fillmore à San Francisco, le Troubadour et le Whisky A Go-Go à Los Angeles, The Cavern à Liverpool), le London punk trouve son épicentre dans une minuscule boutique de fringues, et c’est bien ce qui rend l’épisode à la fois déroutant et fascinant. Une fois qu’on arrivait devant cette vitrine, on comprenait qu’il ne s’y passait rien. Hormis Jordan adossée dans l’entrée, on ne distinguait pas grand monde à l’intérieur, à peine quelques clients, et un mec derrière le comptoir, Michael Collins. Le punk était à l’image de cette boutique, une bulle, une ephemera, et pourtant, le London punk allait secouer la vieille Angleterre encore plus violemment que ne l’avaient fait auparavant les Rolling Stones.

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             On connaît Jordan sous trois noms : Pamela Rooke (son nom de jeune fille), Jordan Mooney (son nom de Jordan mariée), et Jordan tout court. Deux ans avant sa malencontreuse disparition, elle avait publié son autobio, un gros book fortement recommandé, car comme on l’a souvent constaté, ce sont les seconds couteaux qui font la véritable histoire du rock. Jordan raconte l’histoire du London punk de l’intérieur, c’est-à-dire de derrière le comptoir de SEX, et c’est passionnant. Est-il bien utile de rappeler que le London punk (1976/1977) fut le dernier grand spasme de l’histoire du rock ? Le book a pour titre Defying Gravity: Jordan’s Story. Vu que la couverture s’orne d’un portrait de Jordan avec un sein à l’air, on croit que c’est ce sein qui défie les lois de la gravité. Pas du tout, Jordan explique vers la fin de son récit qu’adolescente, elle dansait pour défier les lois de la gravité. Oui, elle a commencé comme ballerine. Le book est gorgé de photos superbes et sexy, notamment celle que reprend l’illusse, où on la voit déambuler sur King’s Road vêtue d’un T-Shirt FUCK et d’une jupe transparente.

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             Dans son book, Jordan fout plus le paquet sur la mode que sur la musique. Pour elle, les fringues que fabriquait Vivienne Westwood marchaient de pair avec le son révolutionnaire des Pistols. Le premier concert qu’elle voit quand elle est ado, ce sont les Faces à Edmonton - dressed in satin and ostrich feathers - Elle ne s’étend pas trop sur le son, mais elle flashe sur le look de Rod The Mod - His look was kind of viable - Elle rappelle qu’on pouvait acheter ce genre de fringues chez Biba, à Londres.   

             Pour une poignée de lycéens français, le Londres des années 70 était la Mecque : les disques, les concerts, les gonzesses, les rues, tout y était parfait. Kensington Market (plus que Biba) pour les fringues, Rock On et Goldborne Road pour les disques, le Marquee pour les concerts, et pour draguer, les discothèques, où on dansait sur du glam et où les filles était faciles. Les séjours londoniens étaient d’une densité à peine croyable, surtout quand les groupes punk ont commencé à jouer partout en 1976.

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             Pamela se rebaptise Jordan en 1973. Elle s’inspire de Jordan Baker, l’un des personnages de Gatsby le Magnifique, roman culte de Francis Scott Fitzgerald.       

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             Dans ce gros book, les rois de la fête sont bien sûr Malcolm McLaren et sa compagne Vivienne Westwood. Jordan les qualifie d’unlikely couple, c’est-à-dire de couple pas comme les autres - L’une des grandes énigmes, à mes yeux et aux yeux de tous ceux avec qui j’ai parlé pendant la rédaction de ce livre, c’était ce couple : comment deux personnalités aussi opposées avaient-elles réussi à former un couple ? - Au début, la boutique s’appelait Paradise Garage et appartenait à Trevor Miles. McLaren y vendait quelques disques rachetés sur le Ted Carroll’s Rock On stall in Goldborne Road indoor market. Fin 1971, McLaren et Vivienne reprennent le pas de porte à leur compte. À cette époque, McLaren est obsédé par le rock’n’roll anglais des fifties et notamment Larry Parnes et son écurie de rockers, Billy Fury, Marty Wilde et tous les autres. Il rebaptise la boutique Let It Rock et vend des fringues de teds, jusqu’au moment où il change de cap et rebaptise l’endroit Too Fast To Live Too Young To Die et se met à vendre des cuirs de bikers, des vestes en peau de panthère, des pantalons fuseau et des American zoot suits. Il fait peindre un crâne et deux tibias sur l’enseigne pour que ça ressemble au dos d’un cuir de biker.

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             La boutique attire tous les gens intéressants. Jordan rappelle que Chrissie Hynde bossait at No 430 avant elle et un jour son boyfriend Nick Kent est arrivé dans la boutique pour la frapper à coups de ceinturon : il la soupçonnait de le tromper avec un client de la boutique. Steve Jones fait partie des clients et Jordan énumère ses frasques : vol d’un tuner dans le backstage d’un Roxy Music gig, vol de deux guitares chez Rod the Mod à Winsdor (ce que dément Jonesy dans son autobio, arguant que Windsor était un peu trop loin de Londres pour un petit voleur comme lui), et son plus gros coup nous dit Jordan, c’est le barbotage de toute la PA de Ziggy le soir du concert d’adieu à l’Hammersmith Odeon, en juillet 1973. Parmi les clients de la boutique, on trouve aussi les Dolls, de passage à Londres lors de leur première tournée en 1972. Sylvain Sylvain raconte que son copain d’enfance Billy Murcia avait les poches pleines de mandrax. Sylvain disait à Billy de faire gaffe avec les mandies, et Billy le rassurait en lui disant qu’il les cassait en deux pour n’en prendre qu’une moitié à chaque fois. Après s’être engueulé à l’hôtel avec Johansen, Billy est allé dans une party à Earl’s Court où il a fait un malaise et s’est évanoui. Les gens ont essayé de le ramener à lui mais n’y sont pas parvenus. Sylvain dit que c’est un tragique incident. Marty Thau remit les Dolls dans l’avion avant que les flics ne mettent leur nez dans cette histoire. Comme chacun sait, McLaren va proposer ensuite à Sylvain d’être le frontman des Sex Pistols. Après la fin des Dolls, McLaren et Sylvain passent quelques jours ensemble à la Nouvelle Orleans. Sylvain : «Malcolm était incroyable. Il appelle Allen Tousaint et lui dit que je vais être the next big thing in England,  il me vend à Toussaint et Toussaint croit que Malcolm est Brian Epstein, car il est persuadé que tout ce qu’il dit est vrai.»

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             Quand il revient à Londres en mai 1975, McLaren ramène des idées neuves - A new momentum to push his vision to the limits, nous dit Jordan. Désormais, la boutique s’appelle SEX. Sa réputation grandit. Jordan : «Un groupe de quatre jeunes gens commençait à fréquenter la boutique. Ils s’appelaient tous John. John Beverley, sometimes known as Sid, John Wardle, qui allait devenir Jah Wobble, John Grey et John Lydon qui se distinguait du lot avec ses cheveux teints en vert et son T-shirt Pink Floyd qu’il avait customisé en rajoutant le célèbre «I HATE» au feutre.» Vivienne est plus impressionnée par John Beverly qu’elle voit comme le chanteur des Pistols : «Sid était un type tellement adorable, mais il ne savait pas faire la différence entre le bien et le mal. Il était dangereux, mais si intelligent et drôle. Et manipulateur. Il s’arrangeait toujours pour qu’on l’aime. On ne pouvait pas faire autrement.» Mais McLaren est intrigué par John Lydon. C’est donc lui qu’il invite à venir rencontrer les autres Pistols dans un pub, après la fermeture de la boutique à 7 h. McLaren avait déjà proposé le job de chanteur à Midge Ure, nous dit Jordan, mais, thankfully, Ure n’était pas intéressé.

             Sid va commencer à bosser à la boutique, en remplacement - He was an expert at doing absolutely fuck all - Quand un client lui demandait quelle taille faisait la fringue, il répondait que c’était écrit dessus. Ou le prix ? Il répondait «I dunno. Don’t ask me.»  

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             Quand McLaren organise les premiers concerts des Pistols, c’est principalement l’occasion pour lui d’orchestrer le chaos. Il met en pratique les idées subversives du Situationnisme de Guy Debord, un théoricien du chaos qui le fascine. Jordan raconte le concert au 100 Club en mars 1976 - The gig was a fiasco - John et Glen Matlock s’engueulent, alors John sort de scène en plein milieu d’un cut et McLaren le rattrape à l’arrêt de bus et lui ordonne de remonter sur scène. McLaren évite le split de justesse et le groupe joue le set en entier. Il faut savoir que sur scène, ils répétaient, on les voyait donc essayer des trucs, ça leur venait du cœur, d’où cette colère - Marco Prioni qui assiste à ce concert est conquis : «Ils étaient mon groupe favori, parce que cette attitude n’existait pas auparavant, Rotten’s attitude.» Pour Bertie Marshall, le show des Pistols était un anti-show, tout s’écroulait sur scène. Pour les fins connaisseurs, les Pistols deviennent le real deal. Pas les Clash. Paul Cook : «Les Clash semblaient bien plus manufactured que nous, avec leurs slogans, leurs blousons de cuir, leurs cols relevés et tout ça.» Simon Barker : «Les gens pensaient que les Clash étaient des working-class heroes, mais Jasper Conran leur faisait leurs fringues et Sebastian Coran était leur roadie.» Pour Jordan, les Clash et les Pistols avaient deux styles très différents - J’avais un problème avec les Clash, ils semblaient si nostalgiques, les fringues avec les slogans peints, le chapeau melon de Bernie et les Jackson Pollocks, ils ressemblaient à des décorateurs - Jordan évoque aussi le fameux concert au Chalet du Lac en 1976, au Bois de Boulogne, avec les Damned, les Pink Fairies et Roogalator.

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             Juste avant le fameux festival punk du 100 Club en septembre 1976, McLaren fait signer un contrat aux quatre Pistols. McLaren ramasse 25 % de leurs cachets et 50 % du merch. Glen Matlock veut montrer le contrat à un avocat avant de signer, mais les trois autres signent, donc il signe. En octobre 1976, les Pistols entrent en studio pour enregistrer «Anarchy In The UK». Jonesy est ravi de bosser avec Chris Thomas qui a produit le premier album de Roxy Music. C’est Thomas qui va mettre au point le fameux wall of sound des Pistols.

             Et puis la presse s’empare du phénomène, et ça devient horrible. Paul Cook : «On était dans un restau, un bar d’hôtel et la presse était là. ‘Vas-y Steve, balance ce pot de fleurs !’ Alors Steve le balançait. ‘All right, here you are!’ Et ça faisait la une des journaux le lendemain. ‘Pistols destroy pot. Whooops ! There goes another !’ C’est là que l’histoire s’est transformée en dessin animé. Mais ce n’était plus drôle du tout. C’est même devenu sérieux. On nous tapait dessus. Les Teds et les punks voulaient s’entre-tuer.» 

             Dans le Jordan book, des témoins racontent que Vivienne déclenche les bagarres, elle est tellement bourrée qu’elle ne se rend plus compte de rien - Au Nashville she caused a fight that went on the front cover of Melody Maker, at Andrew Logan’s party, she got punched by John Rotten - She loved it, actually, nous dit Simon Barker - Et tout s’accélère. En janvier 1977, Matlock est viré, remplacé par Sid. Mais comme il ne sait pas jouer, c’est Matlock qui joue en mars pour une audition A&M. Jordan rigole et ajoute : «He was paid a £2,966.68 severance fee.» Paul Cook : «Sid voulait être as outrageous as possible, plus que n’importe qui d’autre. That’s what fucked it up. C’est John qui l’a amené dans les Pistols, il avait un copain dans le groupe and then Sid totally took over and the chaos took over. La tension est montée tout de suite entre Sid et John. Sid trouvait que John n’était pas assez outrageous, qu’il devait être le king punk rocker et semer la chaos partout. Et ce n’est pas ce qu’on voulait à l’époque. C’était même la dernière chose qu’on voulait.»

             McLaren tire bien les ficelles. Jordan : «Le groupe avait reçu £125,000 en six mois (de la part d’EMI et d’A&M), mais ils percevaient toujours un salaire de £40 par semaine.» En mai 1977 les Pistols signent avec Virgin qui verse une avance de £15,000 pour financer l’enregistrement de l’album, suivi de £50,000 un mois plus tard. C’est une pluie d’or.

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             Ce retentissement médiatique est unique dans les annales. Ce groupe parti d’une boutique de fringues de rien du tout génère des profits considérables. Le parallèle avec Elvis s’impose : lui aussi parti de rien, il se met à générer des profits astronomiques. Dans les deux cas, l’explication porte un nom, celui de manager. McLaren pour les Pistols d’un côté, le Colonel Parker pour Elvis de l’autre. Pareil pour Brian Eptein et les Beatles. Ou l’art de faire monter la mayonnaise. Le Colonel Parker choisit the soft way, il séduit l’Amérique des grosses épouses réactionnaires, pareil pour Epstein. McLaren préfère scandaliser la vieille Angleterre.

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             Mais la vieille Angleterre se rebiffe réagit brutalement. La presse anglaise lance une croisade anti-punk : «Punish the punks.» Jordan nous dit qu’un matin Jamie Reid est attaqué au coin de sa rue par des mecs qu’il ne connaît pas : nez et jambe cassés. Le samedi suivant, c’est au tour de John Rotten et de Chris Thomas d’être attaqués près du studio où ils enregistrent. Les mecs crient «We love the queen» et frappent Rotten à coups de machette. McLaren poursuit sa stratégie de sabotage en s’engueulant avec Virgin à propos du choix des titres pour l’album. Il profite de l’occasion pour sortir son bootleg, le fameux Spunk, avec les démos enregistrées par Dave Goodman en 1976. Quand Richard Branson entend parler du bootleg, il précipite la parution de l’album officiel qui sort en octobre 1977. Puis c’est la tournée américaine, et comme le dit si bien Paul Cook, «everything was so fucked-up», avec un Sid qui overdosait aussitôt après le dernier concert à San Francisco.

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             SEX ferme en décembre 1976 et devient Seditionaries en janvier 1977. Vivienne demande à tout le monde de donner un coup de main à coudre et pour Jordan, c’est l’enfer. Elle déteste ça. Alors elle arrive en retard et Vivienne la vire. Quoi ? Jordan n’accepte pas d’être virée et revient. Le principal reproche qu’on fait à Vivienne et à ses fringues, c’est le prix. Elle vend ses fringues extrêmement cher et pour ça, Jordan a un argument : c’est de l’art, donc ça vaut cher - You have to be a genius to make those clothes - En fait, c’est cette énergie de la reconnaissance qui sous-tend tout le book : Jordan est persuadée que Vivienne a du génie et elle se dit fière de bosser pour elle.

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             Et puis voilà l’épisode final de la saga Pistols : The Great Rock’n’Roll Swindle. Questionnée à ce propos, Jordan répond qu’elle ne voulait pas être impliquée dans ce projet - Early on I heard the rumblings of it when it was started to be filmed and it was obviously going to be really shit. There was no way I wanted to be in it - Même chose pour Paul Cook : «Julien Temple a fait The Filth And The Fury, je pense que c’est le meilleur film qu’on ait pu faire sur nous. Mais moins on parle de The Great Rock’n’Roll Swindle, mieux ça vaut. C’est une catastrophe pour le groupe, c’est horrible. John hait se film et il ne supporte pas l’idée d’y avoir été impliqué, ce que je comprends parfaitement.»

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             La deuxième fin de la saga Pistols, c’est celle de Nancy Spungen à New York. Quand elle apprend la nouvelle, Jordan éclate de rire. C’est Vivienne qui la lui donne au téléphone et elles piquent toutes les deux une méchante crise de rire - Nancy had caused so much trouble and bad feeling, it felt like a relief that she had gone - Vivienne fait aussitôt un T-shirt avec la mention : «She’s dead, I’m alive, I’m yours», qu’elle met en vente dans sa boutique. Elle dit aux gens qui lui achètent le T-shirt qu’elle se préoccupe plus de Sid que de Nancy. Quand on lui fait remarquer que ce T-shirt est de mauvais goût, elle répond que c’est logique, vu qu’il est fait pour choquer.

             Après que les cendres soient retombées, Paul Cook et Jonesy songent à redémarrer le groupe : «Quand on composait des chansons sans Glen, ça donnait ‘Bodies’, ‘EMI’, ‘Holidays In The Sun’, aussi on aurait pu faire un great album. Mais il aurait fallu le faire sans Malcolm. On aurait aussi pu le faire sans Sid, car de toute façon, Steve avait joué toutes les parties de basse sur Never Mind, ça n’aurait pas été un problème. On aurait pu le faire tous les trois, John, Steve et moi. Mais on a préféré Malcolm à John. On ne voulait pas revivre ce qu’on avait déjà vécu. John était déjà avec une autre équipe, il était déterminé. Il avait a good band around him.»

             La relation intense qu’entretiennent Jordan et Vivienne sous-tend tout le récit. Quand Jordan tourne dans Jubilee, le film de Derek Jarman, Vivienne le prend très mal. Elle fait un T-shirt qui porte la mention «The most boring and therefore most disgusting film». Un témoin de l’époque pense que Vivienne était assez possessive avec Jordan qui était sa star. Elle ne voulait pas qu’on la lui barbote. Autre illustration : quand Jordan se marie avec Kevin Mooney, Vivienne lui fait un beau cadeau de mariage : virée ! - I’ve got a wedding present for her - the sack ! - Vivienne était outragée par l’idée du mariage. Elle ne pouvait pas accepter l’idée qu’un être aussi singulier que Jordan pût se marier. Trente ans plus tard, Jordan demande à Vivienne pourquoi elle a aussi mal réagi. Vivienne répond qu’elle traversait alors une très mauvaise passe, car McLaren venait de la quitter pour se maquer avec une couturière/designer allemande. C’est là que Vivienne explique qu’elle a vécu un enfer avec McLaren, «a horrible relationship, just leave at that» - I was extremely loyal to him but he just had to hurt you every day - He was an awful, awful person to live with - Quant au mariage proprement dit, Vivienne est contre pour des raison éthiques : «Elle nous a trahi en se mariant. On fait partie des gens qui ne se marient pas. Question de principe. On ne veut pas alimenter le système en acceptant ce type de relation réglementaire. J’étais réellement en colère après toi», dit-elle à Jordan.

             Quand Jordan se marie avec Kevin Mooney qui fut le bassman d’Adam & the Ants, elle se marie aussi avec l’hero. Elle en parle très bien : «Il n’existe rien de plus dangereux. Aux plans  physique comme psychologique, pendant et après. Tu joues avec ta vie chaque fois que tu te shootes. Tu ne sais pas ce qu’il y a dedans. C’est potentiellement létal. L’hero n’est jamais une dope solitaire. Tu trouves toujours quelqu’un qui veut t’initier et qui ensuite te fournir. Il veut rester en ta compagnie quand tu en prends, et ça forme des petits groupes de gens qui meurent quand ils se retrouvent seuls. Leur truc c’est de dire : je vis en enfer, so I want you, you and you to join me. Ce dont je me souviens du junkie time, ce sont des gens terrorisés par la venue de l’aube, terrorisés par la moindre contrainte sur leur vie.» Jordan et Kevin montent un groupe et reçoivent une avance de 50.000 £ de la part du label, qu’ils craquent en dope en moins d’un an - Bought lots of drugs, lots of clothes, lots of things - Et quand ils se sont retrouvés à sec, Kevin a vendu les fringues et les bijoux de Jordan, mais sans le lui dire, prétextant qu’il les faisait mettre à l’abri. Elle découvre le pot aux roses par des gens qui ont vu ses fringues portées par d’autres gens et quand elle en parle à Kevin, il lui répond que ce qui est à elle est à lui. En entendant ça, Jordan comprend qu’elle doit se barrer vite fait pour sauver sa peau. Elle retourne s’installer chez ses parents et ne veut plus entendre parler de ce mec. La première chose qu’elle fait en arrivant, c’est de se désintoxiquer - C’est l’une des choses dont je suis la plus fière : je me suis débarrassée de Kevin et de l’hero en même temps - Dans son élan, elle repense à tous les gens qui lui étaient chers : «Dee Dee Ramone, Johnny Thunders, Jerry Nolan and of course Sid - All died because they could never get away from it. They were stuck

             Vivienne et McLaren apparaîtront une dernière fois ensemble, en tant qu’associés, en 1983, lors d’un défilé de mode. Et Vivienne se barre aussitôt après en Italie avec son nouveau mec, Carlo d’Amario, «au grand chagrin de Malcolm», nous dit Jordan. Après le départ de Vivienne, la boutique de King’s Road est restée fermée pendant un an.

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             Le dernier épisode de la saga McLaren/Vivienne, ce sont les funérailles de McLaren. Quand Vivienne commence à prononcer son discours, Bernie Rhodes l’interrompt brutalement : «Oh shut up Vivienne. It’s always about you.» Jordan se dit choquée par cette intervention. Vivienne répond à Rhodes qu’elle a du mal à mettre ses pensées en ordre et que c’est dur, alors Rhodes répond : «It’s Bernard actually», alors Jordan excédée se lève et lance : «Bernard. You’ve never been Bernard!». L’injure suprême, surtout venant de Jordan. L’anecdote comique des funérailles, c’est le message adressé par Steve Jones et que lit Joe Corré : «Dear Malcolm, as-tu emmené les sous avec toi ? Est-ce qu’ils sont dans le cercueil ? Est-ce que ça t’embête si je viens demain te déterrer pour les récupérer ?»

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             Pour conclure, nous dirons que le book est vraiment bon, Jordan porte un regard sans complaisance sur toute cette histoire extraordinaire. C’est l’un des meilleurs témoignages de cette époque, avec l’autobio de Jonesy (Lonely Boy) et la massive bio de McLaren (The Life & Times Of Malcolm McLaren: The Biography) dont on va reparler incessamment sous très peu.

             Ce texte est pour Jean-Yves. Il me disait l’autre jour qu’il avait eu le courage d’entrer chez SEX, mais qu’il avait peur de Jordan et de se ramasser «un coup de gros nichon». Il voulait juste voir le juke-box.

    Signé : Cazengler, Jordanse avec les loups

    Jordan. Disparue le 3 avril 2022

    Jordan Mooney. Defying Gravity: Jordan’s Story. Omnibus Press 2019

      

    Les Saints à l’air - Part Two

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             Dans la vague d’albums qui a submergé le monde entre 1976 et 1977, se trouvait l’(I’m) Stranded des Saints. Ces albums avaient pour particularité d’être à la fois des premiers albums et d’être des albums géniaux. Allez, tu les connais : Ramones, Heartbreakers, Damned, Sex Pistols, Richard Hell, Television, Clash et tu pouvais foutre tout le reste à la poubelle. Par leur classe et leur agressivité, les Saints étaient un peu les chouchous, avec un son qui s’enracinait dans les Them et les Shadows Of Knight et qui développait en prime une sauvagerie jusque-là inconnue.

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             En fait, le single «(I’m) Stranded» est arrivé un tout petit peu avant, en éclaireur. On en trouvait quelques-uns à Londres. Ho le poids du beat là-dessus ! Le son tombait du ciel. Les Saints jouaient au heavy sludge d’awite. Les awite de Chris Bailey sont restés les plus purs du marigot, avec ceux d’Iggy Stooge. Ce fut un hymne, au même titre que «New Rose», «Anarchy In The UK» et «London’s Burning». Tout ça marchait ensemble. Le rock renaissait de ses cendres. Depuis, on a jamais revécu un tel phénomène. Never ever. Et l’album est arrivé comme un rouleau compresseur, même power que le premier album des Stooges, avec la voix de Chris Bailey à la surface du chaos, un album saturé de wild sound. Même feu sacré, Ed Kuepper joue le wall of sound on fire dans «One Way Street» et puis à la suite il y a cette reprise des Missing Links, «Wild About You», l’emblème du gaga-punk, avec le chant à l’aise et derrière, la fournaise définitive, et des poussées de fièvres qui resteront aux yeux de tous des modèles du genre. Ils bouclaient l’enfer de ce balda avec «Erotic Neurotic», un cut wild and frantic complètement ratatiné par Ed Killer le solo flasheur. Et ça repartait de plus belle en B avec «No Time» et l’une des pires intros de l’histoire des intros, une intro signée Razor Sharp Ed K - Got no time/ For messin’ around - Kym Bradshaw hantait ce fleuve de lave avec un bassmatic innervé. S’ensuivait l’un des meilleurs blasts de l’époque, la reprise du «Kissin’ Cousins» d’Elvis, wild as fuck. Razor Sharp Ed K refaisait des siennes dans «Demolition Girl», encore un claqué de blast dévastateur. Elle portait bien son nom, la Girl, elle démolissait tout. Tout ça se terminait avec une cerise sur le gâtö, «Nights In Venice». Razor Sharp Ed K sonnait exactement comme Ron Asheton, même envie d’en découdre, même volonté de détruire la ville. C’était d’une violence sonique rarement égalée, avec un Razor Sharp Ed K qui grattait sa cocote et qui arrosait an même temps. Napalm fire, baby, comme chez les Stooges, c’mon ! L’ho no de Chris Bailey était une œuvre d’art et l’Ed K n’en finissait plus de nous plonger dans sa bassine de friture. Avec «Night In Venice», les Saints mettaient le chaos K.O.

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             L’idéal pour se faire une idée précise du power des Saints est d’écouter un live. Il en existe  un paru en 2009, le fameux Live At The Pig City Brisbane 2007. C’est un concert de reformation, avec Razor Sharp Ed K, Ivor Hay et Chris Bailey. Attention, ce live est une poudrière, alors éteins ton mégot avant de le lancer. On y retrouve tous les blasts qui ont fait la légende des Saints, à commencer par «No Time» que Chris Bailey présente ainsi : «The last time we played this song here, we got kicked out !». C’est du heavy Saints, fast as fuck. Il amène «Stranded» au one two three four, c’est une bombe, Chris Bailey se prête bien au jeu, il développe ça au c’mon. Ils tapent aussi «This Perfect Day» tiré du deuxième album, Eternally Yours. Pour l’ouverture de bal, ils ont opté pour «Swing For The Crime», tiré de Prehistoric Sounds, joué en mode overdrive de full blast, Chris Bailey tombe du ciel, comme l’aigle sur la belette. Il reste l’un des pères fondateurs du garagisme, avec Van The Man. Il calme un peu le jeu en grattant «The Prisoner» à coups d’acou sur son Ovation et refout le feu à l’Australie avec «Know Your Product». Et puis voilà l’apocalypse selon Saint-Chris, «Nights In Venice», pour commencer, on se croirait chez les Stooges, même démesure, même violence intrinsèque, ils tentent de rallumer les vieux brasiers, c’est Ivor Hay qui mène le bal ici, il bat comme mille diables et puis ils enchaînent avec «River Deep Mountain High», c’est un peu le real deal de Chris Bailey, on a tous flashé sur ce double 45 tours paru à l’époque, mais la version live est encore plus spectaculaire, c’est une véritable fournaise que Chris Bailey élève au rang de mythe, avec toute la folie de wild gaga dont il est capable, pas de pire cover dans l’univers yeah yeah yeah et soudain, il élève le niveau du River Deep comme s’il voulait rendre hommage aux dynamiques de Totor le titan. 

             On ne peut pas dire que la presse officielle se soit ruinée en couvertures pour les Saints. Elle préfère investir dans Pink Floyd et Led Zep. Le seul article consacré aux Saints paru ces dernières années se trouve comme d’habitude dans Vive Le Rock. Douze pages, mon gars, et la couve en prime, alors t’as qu’à voir ! Pour un groupe culte, c’est le moins qu’on puisse faire.

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             Duncan Seaman commence par citer un journaliste de Sounds qui écrivit à propos d’«(I’m) Stranded» : «Single of  this and every week». C’est vrai que ce single est resté pour beaucoup de fans le meilleur single de l’année depuis toutes ces années. Seaman s’empresse aussi de rappeler qu’Ed Razor Sharp Kuepper et Chris Bailey ne sont pas australiens, mais respectivement allemand et irlandais, leurs familles ayant émigré en Australie après leurs naissances respectives. Ils ont grandi à Brisbane et sont devenus proches car ils avaient en commun une passion pour la musique et les cheveux longs. Au commencement, ils forment un trio avec Ivor Hay et en 1975, il se rebaptisent The Saints en l’honneur de Leslie Charteris. Et puis tout se met en place rapidement, car Chris Bailey dispose de l’atout majeur : the good rounded and pretty powerful voice. Les influences déterminantes arrivent comme la cerise sur le gâtö : Stooges, MC5, Velvet et Dolls. Chris Bailey aime bien causer des influences. Pour lui les Ramones évoquent les Archies et les Ronettes, alors que les Saints renvoient directement sur Eddie Cochran et Little Richard : d’un côté, la grande pop américaine, de l’autre the wild & frantic rock&roll. Dans la foulée, il cite les Pretty Things et les groupes anglais that had the same twist on American R&B. On entend presque le son de sa voix. C’est la même chose quand on lit Lanegan : on l’entend.

             Chris Bailey rappelle aussi qu’il haïssait Brisbane - It was like the worst part of Texas, it was just a horrible, hot wasteland - Ivor Hay rappelle que croiser un flic dans la rue quand on avait les cheveux longs était systématiquement source de problèmes.

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             Puis arrive l’épisode déclencheur : l’enregistrement auto-financé du premier single, pressage à 500 exemplaires et révélation miraculeuse dans la presse anglaise. Avec le Spiral Scratch des Buzzcocks, «(I’m) Stranded» reste le sommet du DIY de 1976/77. Pas besoin de record company pour sortir un single révolutionnaire. «(I’m) Stranded» sort six mois avant «New Rose» et John Peel le passe encore et encore dans son radio show. EMI London alerte EMI Australia et les Saints se retrouvent en studio à Brisbane avec le Néo-Zélandais Rod Coe pour enregistrer leur premier album. C’est torché en deux jours, one or two takes, mixage compris. Wham bam thank you mam ! Les Saints n’ont pas l’expérience du studio, aussi jouent-ils à la revoyure. Chris Bailey : «So we basically stood up and played live.»

             Les louanges commencent à pleuvoir : Nick Cave qui voit les Saints sur scène en Australie en 1977 dit que c’est the best band I’ve ver seen. Quant à Robert Forster, il affirme avoir été «pulvérisé» quand il a entendu «(I’m) Stranded» pour la première fois. Brad Shepherd des Hoodoo Gurus traite les Saint d’«atomic bomb going off.»   

             C’est en juin 1977 que les Saints montent s’installer à Londres. Et là, les choses commencent à mal tourner. EMI veut les voir porter des costumes. Quand on voit la pochette du premier album, on comprend que l’idée ne peut pas plaire aux Saints. Fuck it ! Les Saints commencent à tourner en Angleterre et au début, ils adorent ça, mais ils s’aperçoivent très vite que le mouvement punk est devenu une mode et qu’ils n’en font pas partie - We weren’t part of that - Puis Kym Bradshaw quitte le groupe. Comme les Saints repartent tourner en Australie, Kym choisit de rester à Londres. Il va jouer dans les Lurkers. Quand les Saints rentrent à Londres, il parvient à rétablir le contact et à maintenir de bonnes relations avec ses anciens collègues.

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             Fin 1977, ils entrent en studio pour enregistrer leur deuxième album. Chris et Ed produisent. Eternally Yours constitue avec le premier album le sommet de l’art des Saints. «Know Your Product» t’embarque la bouche aussi sûrement que le ferait un boulet d’abordage. Pas de pire punk dans la stratosphère - Cheap advertising/ You’re lying/ It’s never gonna get me what I want/ All that smooth talking/ Brain washing/ It’s never gonna get me what I need - et c’est salué aux trompettes de la renommée. C’mon ! L’autre coup de génie de l’album c’est le «No Your Product» de bout d’A, un brin stoogy, qui monte terriblement en pression avant de retomber sur la barbarie du beat. Personne ne peut rivaliser avec les Saints en Angleterre. «Lost And Found» est vite embarqué en enfer et «Private Affair» vaut pour du pur jus de punk’s not dead, ah qu’elle arrogance dans la décadence - We got new thoughts/ New ideas it’s all so groovy/ It’s just a shame that we have/ Seen the same old movies - Encore du hard beat des Saints en B avec «This Perfect Day» - What more to say - Chris Bailey reste intraitable. C’est la section rythmique Algy Ward/Ivor Hay qui vole le show sur «(I’m) Misunderstood». Une fois n’est pas coutume.  

             Algy Ward est le nouveau bassman. L’enregistrement d’Eternally Yours dure trois semaines, mais le son est beaucoup plus ambitieux. On commence à prendre les Saints au sérieux. Bizarrement, l’album n’obtient pas le succès escompté. Ivor Hay pense qu’ils sont victimes de leur singularité. Le public punk les boude. Ils sont vraiment bizarres les gens : on leur colle un album génial dans les pattes et ils font la gueule, ça ne leur plaît pas. Les Saints ne sont pas politically correct comme les Clash qui sont alors considérés comme des superheroes en Angleterre. Les Saints sentent qu’on les méprise - The Saints were seen as kind of on the side line - ou pire encore, «colonial copysts of some sort». Alors les tensions apparaissant dans le groupe. Chris Bailey et Ed Kuepper ne voient plus les choses de la même façon. 

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             Paru en 1978, Prehistoric Sounds est le dernier album de Razor Sharp Ed K avec les Saints.  Les deux coups de génie de cet album sont les deux reprises de r’n’b, «Security» et «Save Me» - All I need babe is security yeah - Chris Bailey y va de bon cœur - So darling how can I forget - Il est le plus puissant raver shaker d’Angleterre, il fait du punk r’n’b, c’est un cas unique dans l’histoire du rock - I want security/ Without it I’m at a great loss/ I want security yeah/ I want it at any cost now/ I don’t want no money/ No no no no - Son no no no est criant de vérité. Personne ne ramone le raw r’n’b aussi bien que Chris Bailey. Il reste dans le punk de raw avec «Save Me», sa version prend feu, c’est du punk r’n’b de dévastation massive, rien d’équivalent en Angleterre - Love leaves you cold and hurt inside/ Those tears of mine/ They are justified - Et il lui demande de le sauver. Chris Bailey défonce les annales du raw. Le reste de l’album est plus Sainty, c’est-à-dire très chanté, seriné au deepy deep de glotte frontale. Chris Bailey se complaît dans le heavy balladif des relations tourmentées, il exploite massivement le filon de l’incommunicabilité des choses. On finirait bien par s’en lasser. Il devient très tranchant avec «Every Day’s A Holiday Every Night’s A Party». Il n’a jamais été aussi profond dans sa façon de chanter. Il chante à fond de cale. Personne ne chante comme lui. Il prend sa meilleure voix de crapaud pour croasser «Crazy Goldenheimer Blues» et il dégringole l’«Everything’s Fine» d’ouverture de bal de B. «The Prisoner» est encore un outstander - You’re the man in a cage/ I see you everyday - Ah quel fantastique refrain ! - You’re a prisoner/ Just like everybody else - Et il revient à sa chère incommunicabilité des choses avec «This Time» et l’I’m talking to you/ But you’re in a trance/ You’re talking to me/ But you ain’t got a chance. C’est ainsi, on n’y peut rien.

             C’est la fin des haricots pour les Saints : EMI ne renouvelle pas le contrat. Les Saints n’ont plus de manager, ni de label, ni de revenus. C’est le split. Chris Bailey reste à Londres, Ivor et Ed rentrent en Australie, pour ne pas crever de faim. 

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             Pour les fans des Saints, le mini-album Paralytic Tonight Dublin Tomorrow fait figure de relique. Parce qu’on y trouve «Simple Love - And your simple love/ Will always/ Sa-ave me - et «(Don’t Send Me) Roses», deux cuts qu’on reprenait lorsqu’on rendait hommage aux Saints sur scène. Pas mal de désespoir dans ces deux cuts, Chris Bailey semblait y jeter tout son poids - What I can’t understand/ Is why we all make plans - et ça coulait tellement de source - Don’t make no apologies - Quand on a joué ça pendant quinze ans, on en connaissait toutes les ficelles, mais franchement, il fallait être cinglé pour jouer ces deux cuts sur scène. Les gens n’y comprenaient rien et ça les ennuyait. Chris Bailey bouclait son balda avec l’excellent «Miss Wonderful» et attaquait la face obscure avec l’«On The Waterfront» cuivré à bras raccourcis. Il chantait à la force du poignet, il y mettait le paquet et ça pouvait devenir très spectaculaire. 

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             Après la tempête des trois premiers albums vient le calme de The Monkey Puzzle. On entre dans la longue période New Rose. Rescapée de Paralytic, «Mrs Wondeful» fait l’ouverture de balda. Mais il n’y a plus d’Ed, plus de Kym, plus d’Ivor, rien que des nouveaux dont un certain Barrington aux guitares. Chris Bailey s’oriente désormais sur les heavy balladifs, «Always» donne le ton, très ambitieux par la textures du contexte. «Let’s Pretend» est aussi un plaisant balladif d’if I could have been you. Chris Bailey joue ça aux arpèges sur son Ovation. Il a mis beaucoup d’eau dans son vin. Il voudrait bien s’énerver sur «Monkey (Let’s Go)» qui lance la B, mais ça joue à la petite cocote sous le boisseau, avec un très beau son de basse et le riff de «Summertime Blues» comme cerise sur le gâtö. On retrouve aussi le «Simple Love» de Paralytic et il finit en foutant le souk dans la médina avec «Dizzy Miss Lizzy».

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             Suite de l’ère New Rose avec Out In the Jungle, sans surprise et sans déconvenue. Ils restent cultes, malgré des albums moins denses. Hormis la pochette signée George Crosz, le coup de génie de l’album est le «Come On» qui ouvre le bal de la B, car nous voilà back to the roots, back to the push, the Sainty push, come on, Big Bailey le démolit comme un come-on man, inutile de vouloir lui résister, come on ! On se croirait sur Eternally Yours. Même panache, même sens aigu de la punkitude. On attendait aussi des miracle des deux cuts sur lesquels joue Brian James, à commencer par «Animal». Il y claque des petits riffs secs et nets dans la belle fournaise du New Roser et collègue d’écurie. Les deux font la paire. On entend Brian James jouer des queues de solos dans la souricière. On le retrouve sur «Beginning The Tomato Party», un cut plus long, monté sur un délire tribal qu’orchestre Iain Shedden. Ça joue dans l’écho du bon temps roulé, avec un Brian James qui se fond dans le moule du Bailey. Il joue de jolis petits riffs derrière le rideau, c’est un Stooge-addict qui sait se tenir en société. Big Bailey aimerait bien faire son «Sister Ray» avec Tomato, il ramène du sax free, mais Tomato refuse d’obtempérer. C’est à «Follow The Leader» que revient l’honneur d’ouvrir le bal des vampires à grands renforts de trompettes de Jéricho. Big Bailey semble toujours chevaucher en tête, foncièrement déterminé à l’emporter, chez lui, c’est inné. Follow the leader ! Mais le cut qui rafle véritablement la mise, c’est «Senile Dementia», une mélasse fabuleusement heavy qui sonne comme un atroce ressac d’hold on. Quelle puissance ! Un sax free monte dans la marée et finit par emporter la bouche du cut. 

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             On a longtemps accusé la pochette d’A Litlle Madness To Be Free d’être ratée. Après les fastes des deux premiers albums, c’est vrai qu’elle a quelque chose de choquant. Le problème c’est que le contenu de l’album est en osmose avec la pochette, avec des cuts comme «Walk Away» qui sonnent comme des vieux débris de balladifs inconsolables. Big Bailey cultive son goût pour la neurasthénie. Il est même parfois plus fatiguant que Nick Cave. Avec «The Hour», il repart sur les traces de «Simple Love», avec du telephone et du ciel plombé, à l’image des photos qui ornent le recto et le verso de la pochette. L’album devient glauque. Big Bailey durcit un peu le ton avec «Angels», mais ça reste du tout venant. Il ne parvient plus à s’arracher du sol. Il se contente de continuer de chanter au meilleur raw de Desolation Row. La B n’est guère plus brillante. Ils font avec «Imagination» une espèce de musique à la mode, bâtarde de reggae et de radio friendly. S’ensuit l’à peine plus joyeux «It’s Only Time». Cet album pue la panne d’inspiration. Chris Bailey s’enfonce dans un marécage de non-compos, il fait des efforts désespérés autant que désespérants pour garder la tête hors de l’eau. «Someone To Tell Me» se veut puissant, mais ça n’est puissant qu’en apparence. Pas de quoi casser trois pattes à un canard. Les trompettes de Jéricho font leur retour avec «Heavy Metal», il tente le tout pour le tout avec du simili-Eternally Yours et il boucle cet album pénible avec le grand «Ghost Ships». L’intro trompe énormément, car il s’amène en mode troubled troubadour d’arpèges d’ovation. Il faut attendre le deuxième couplet pour le voir hisser les voiles de son merveilleux Ghost Ship, c’est puissant, bien sonné des cloches de misaine, il renoue enfin avec cette ampleur qui fit jadis sa légende.

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             Live In A Mud Hut donne une idée très précise de ce que sont les Saints sur scène en 1985. Ils jouent essentiellement des cuts tirés de The Monkey Puzzle («Let’s Pretend», «Roses», Always») et le «Ghost Ship» qu’on trouve sur Out In The Jungle, certainement l’un des meilleurs balladifs de Chris Bailey. Il y va franchement, la heavy pop sent bon l’air du large. On dira la même chose de «Follow The Leader», c’est même à l’époque la pop la plus lourde d’Angleterre, avec des accords scintillants. Si on cherche une illustration sonore de l’élégance, c’est «Follow The Leader». Tout est monté sur le même modèle, comme le montre «Always» : mid-tempo puissant et bassline voyageuse, avec cette voix qui flotte à la surface. Chris Bailey réussit le tour de force de donner de la profondeur au refrain de «Roses». Comme chacun sait, la profondeur est l’apanage des grands interprètes. Il termine en faisant claquer l’étendard des Saints («Know Your Product»), mais sans les trompettes. Il ramonent ça comme ils peuvent.

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             Sur l’All Fools Day paru en 1986, on trouve trois Sainty hits, «Just Like Fire Would», «Hymn To Saint Jude» et «Temple Of The Lord». Par Sainty hit, il faut entendre grosse compo, gros battage d’accords et grosse présence vocale. De ce point de vue, «Just Like Fire Would» reste emblématique. Chris Bailey fait claquer son Fire au vent. Ivor Hay est de retour et comme il adore cogner, alors on l’entend bien. Et pour couronner le tout, des cuivres somptueux radinent leur fraise. Chris Bailey embarque son «Hymn To Saint Jude» au not coming back again et nous fait la grâce d’un superbe final. Le style de Chris Bailey reste un étonnant mélange de pathos et d’élégance, de gravité et d’éclat. Il s’inscrit d’office dans l’intemporalité des choses, il veille à ce que chaque syllabe soit bien grasse. En B, on tombe sur un étonnant «Big Hits (On The Underground)» salué aux trompette de la renommée. Ah quelle déboulade ! Chris Bailey reste dans son cher pré carré avec «How To Avoid Disaster», un balladif up-tempoïdal drivé par une bassline voyageuse. Il se promène lui aussi à l’intérieur de sa mélodie chant. Il revient au heavy Saint des Saints pour «Temple Of The Lord». Comme il veut en découdre, il ramène ses trompettes et ses hein hein, Ivor Hay propulse tout ça au beat des forges et ça bascule très vite dans l’énormité.

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             On trouve encore une version de «Ghost Ships» sur Prodigal Son. Ah il faut le voir allumer le deuxième couplet - Cold is the wind that blows in my mind - Et il chute sur I don’t know about tomorrow, ce qui est une belle fin de non-recevoir. L’autre stand-out track de Prodigal, c’est «Sold Out», car salué aux cuivres - Sold out/ Like a miner I’m digging for gold - Il n’en finit plus d’affirmer sa différence - I could never believe what I was told - Encore une belle dégelée avec «Grain Of Sand», battu sec et net dans l’écho du temps. Choix de son idéal pour un grain de sable. Chris Bailey s’est complètement débarrassé de sa punkitude. Le voici devenu troubled troubadour.

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             Paru en 1996, Howling pourrait bien être le plus bel album des Saints. Il repose sur quatre piliers : l’effarant morceau titre, le somptueux «Something Somewhere Sometime», l’infernal «You Know I Know» et l’imbattable «Second Coming». Dès le morceau titre, ce démon de Chris Bailey entre dans le Saint des Saints, c’est heavy à un point qu’on n’imagine pas. Ça y va au heavy bassmatic et ça chante au heavy Chris Bailey. C’est atrocement bon. Encore une fois, il n’existe aucun équivalent de ce son dans le monde. Aucun chanteur n’est allé aussi loin dans le marigot. «Something Somewhere Sometime» nous éberluait tellement à l’époque qu’on décida de le reprendre. Il n’existe pas beaucoup de cuts qui atteignent ce niveau de perfection à la fois mélodique et tempétueuse - Took some wine to turn my mind from you/ And it did do - Il faut voir comme il amène bien sa chute - C’est la vie ! - Alors on tombe dans le tourbillon des petits accords de mi-manche à la Chris Bailey, on s’explose la rate avec les descentes de guitare, c’est le cut de génie par excellence. On retrouve toute la clameur du riffing dans «You Know I Know» - Not have to say what’s on my mind - C’est le grand retour du punk Bailey - Confused by abuse of ecstasy - Ça joue au gras double de sixties boomers - You’ve gone and bought another face - Comme toujours, les lyrics sont tirés au cordeau. Big Bailey ! Et l’apothéose arrive avec «Second Coming», où il règle ses comptes. Encore une fantastique descente du barbu, on a un riffing de rêve, salué aux arpèges de disto. Te voilà de nouveau plongé dans le Saint des Saints, tu as même en prime le fin du fin, l’une des meilleurs chansons de Big Bailey avec un son définitif, ça prend feu au coin du couplet - Everyone was waiting for the salvation singers/ No one was waiting for me - Big Bailey en a gros sur la patate, c’est bien qu’il l’écrive et qu’il le clame - At the wheel of the hearse/ Sat my sole recollection - Cette façon superbe qu’il a de broder sur le thème de l’incommunicabilité des choses de la vie - We talked it over/ And I thought we’d reached an understanding/ But really all we had/ Was a lack of expectations - Cette voix et surtout cette diction, et par dessus tout cette phraséologie aristocratique - And time still flying by/ And I don’t mind - Les seuls en Angleterre qui soient habilités à lâcher un I don’t mind sont Big Bailey et John Lydon. ‘Cause they mean it. L’album propose deux autres énormités, «Only Stone» et «Good Friday». L’«Only Stone» dégorge de son, Big Bailey y fracasse encore une fois le ciel des Saints. Et ça continue avec «Good Friday» - And I can feel it/ I can feel it in the air/ I can move it/ Between my fingers - Comme celle de Lanegan, c’est l’une des voix qui marquent les cervelles au fer rouge. Chaque fois, Big Bailey jette tout son poids dans la balance, «All my words get blown away», clame-t-il dans «Blown Away». 

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             Encore un album cher au cœur des fans : Everybody Knows The Monkey, grâce ou à cause de «Fall Of An Empire», qui fait partie des plus gros coups de l’immense compositeur que fut Chris Bailey. On disait même à l’époque que «Fall Of An Empire» était avec «River Deep Mountain High» l’un des plus grands hits de tous les temps, victime lui aussi de l’incompréhension du public - It’s in the air/ It’s the mood of the moment - Le power des Saints, c’est un peu comme un phénomène naturel, une réalité indiscutable. Chris Bailey lance des vagues de pur génie à l’assaut de son Empire - I’m talking down - Et il remonte - Close your eyes/ Consider yourself in the scheme of thing/ Yeahhhhh - Il amène ça sur le terrain de l’innocence, mais what a sludge ! - And I don’t care - Boom. On voulait reprendre «Fall Of An Empire» à l’époque, mais c’est impossible sans organiste. L’autre monstruosité de l’album s’appelle «Everything Turns Sour». Sainty en diable - When you’re standing in the shadow/ With no way to get across - Ça cisaille dans la mortadelle, Chris Bailey retrouve tout le power de l’Empire, il ramène des éclairs aussi bien dans le son que dans les lyrics. Mais l’ensemble de l’album souffre de la présence d’Empire. On ne peut pas  surmonter un chef-d’œuvre comme Empire, humainement, c’est impossible. Chris Bailey revient avec «Vaguely Jesus» sur son vieux balancement de Saint homme - Lying on the floor/ Being vaguely Jesus - La plupart des autres cuts sont compliqués. Chris Bailey le sait. Il tente de reprendre le contrôle du Saint Empire avec «Working Overtime». C’est un combat de tous les instants. Oui il s’agit bien d’un Saint Empire. En Angleterre, à part les Pistols, nobody did it that way, c’est-à-dire des compos qui fondent une religiosité. Punk Bailey est de retour avec le «What Do You Want» d’ouverture de bal des vampires - What do you want from me - Il te pose la question. Ça joue au heavy sludge. Le cut entre en osmose avec la plus disturbing des pochettes, tout y est mal gaulé, la typo et puis cette bouille de godmichet qui regarde en coin. What do you want ? 

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             Comme l’indique son titre, Spit The Blues Out est un album de blues. Chris Bailey opte pour du classic boogie blues, mais le chante à sa façon. Quand on entend «Who’s Been Talking», on croit entendre le vieux shuffle de Ten Years After : c’est exactement le même son - My baby bought a ticket - On peut faire confiance à Chris Bailey pour le baby et le bought. Ils sont bien lestés. Il ne se passe pas grand chose dans le balda. Rien de nouveau sous le soleil de Bernanos. Le morceau titre ouvre le bal de B et fait la différence avec son joli départ de be my demolition demon/ Come and rob me off my reason. C’est une grosse compo, avec une mélodie chant.

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             En 2005, un nouvelle bombe atomique tombe sur l’Europe : Nothing Is Straight In My House. Chris Bailey retourne au sources du Sainty punk, et ce dès «Porno Movies». Il est entouré d’une équipe de démolisseurs. Il veut rétablir le Saint Empire des Saints et lègue à la postérité un bien beau blast. Le fan n’aura guère le temps de souffler sur cet album, tout est dégringolé de prime abord et en particulier le morceau titre. Le seul au monde à pouvoir faire du heavy Saints, c’est Chris Bailey. Sa heavyness confine au génie pur - I ain’t coming back - Même lorsqu’il creuse sa tombe, ça l’amuse - I’m digging a hole/ Do you want to join me in ? - C’est sa façon d’annoncer qu’il want to rise again («Digging A Hole»). Il amène «Paint The Town Electric» au beat glam. Sa voix continue de résonner dans les profondeurs du rock. Il chante jusqu’à l’overdose. Nouvelle énormité avec «Taking Tea With Aphrodite», sans doute le meilleur gaga d’Europe, gratté aux meilleurs accords de l’époque, avec un chanteur qui ne peut pas s’empêcher de ramener sa sensibilité de troubled troubadour. Il trimballe encore son aristocratie dans «Garden Dark», jusqu’aux early hours, yeah ! C’est un hommage déguisé à l’«All Along The Watchtower» repris par Jimi Hendrix, des échos de guitare tirés de cette version mythique sonnent dans le creux de l’oreille. Il termine avec «Nothing Straight (Slight return)», amené au heavy sludge, c’est le sludge définitif des Saints, monté en épingle, sans doute en hommage à Ron Asheton, car voilà une dégelée fondamentale qu’emporte le courant.

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             Fort bel album que cet Imperious Delirium daté de 2006. Les photos de pochette sentent la misère, mais diable que de punch, et ce dès «Drunk Babylon», ce dragged-out wild punk blast. Pas de meilleure description de cette attaque frontale - One shot/ You get - avec un solo de gras double encapsulé dans le couplet chant ! Fucking blast de punk out. Ils ne sont que trois. Caspar Wijnberg bassmatique et Peter Wilkinson bat le beurre. Big Bailey calme le jeu avec «Declare War» - I you declare war on me/ Where shall I stand ? - Il nous épuise avec ses problèmes matrimoniaux. Il nous ramène à Paris avec «Trocadero», il chante à fleur de peau - Truckin’ down the Trocadero - C’est une absolue merveille, suivie d’une autre merveille, «Je Fuckin’ T’aime», même s’il joue avec les clichés de motor bike et d’all night long, il rafle la mise, et en plus il s’amuse avec la langue - Je fucking t’aime/ Plus belle chanson/ On y va mes enfants/ I think I kown what you want/ Alright ! - En se moquant du rock, Chris Bailey fait du génie pur. Il reste dans le Big Bailey avec «Other Side Of The World» et reprend le fil de son autobiographie avec «So Close» - So close to breaking down/ So low/ I was living underground/ Stepping out/ Out into the town/ With nowhere left to go - Encore une vraie déboulade des Saints avec «Drowning» - Me and Alex Harvey are feeling good/ But we are drowning - Il envoie tout balader à coups de wah - With Keith Moon in a motor boat/ Driving through the Hilton Hotel/ Still drowning - Puis il revient au heavy punk des Saints avec «Enough Is Never Enough», il l’allume, enough is never enough, c’est gratté dans l’épaisseur du gras double, with music ringing in my ears. Il semble avoir laissé tomber les balladifs cacochymes. Il embarque son «Learning To Crawl» au Bailey drive - C’mon plant my flag in the burning sands/ And wait for it to come to me - C’est vite balayé par du solo d’outer Saints. Il termine avec «War Of Independance» en mood heavy Saints - See you theer/ Who knows - Ce sont quasiment ses adieux.

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             Le dernier album qu’enregistre Chris Bailey en 2012 s’appelle King Of The Sun. Au dos de la pochette, on le voit assis. Il porte un petit bouc. L’écoute est spéciale, car il s’agit apparemment des derniers enregistrements de cet homme qu’on a depuis le début admiré et même adulé. Bon alors autant le dire tout de suite, ce n’est pas un grand album. Le morceau titre et «A Millions Miles Away» restent du Bailey classique, avec les trompettes à la sortie et toujours cette grosse présence vocale. Il reste égal à lui-même. Les deux cuts qu’on sauve sont «All That’s On My Mind» et «Mini Mantra Pt1». Il lance le premier au hey now - Hey now/ Don’t think that this is over - Il lance un pont sur la rivière Kwai - Hey now/ I knew you would never believe me - Avec le Mini Mantra, il perd encore la tête - Where is my mind - Retour à la heavyness, c’est joliment tourné et un killer solo s’étale dans la durée. Voilà un cut digne des early Saints. Dommage que le reste de l’album de soit pas de ce niveau. Adios Chris Bailey, tanks for the ride !

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             Allez, une dernière tournée pour la route, avec cette grosse compile parue en 1999, 7799 Big Hits On The Underground. On la ramasse surtout pour les deux portraits de Chris Bailey qui apparaît maquillé, fard vert sur les paupières et rouge à lèvres. Il rédige aussi un petit texte à l’intérieur. Cette compile permet de revisiter tout l’art sacré des Saints. Le seul défaut est l’absence de leur version de «River Deep Mountain High», parue sur le fameux double 45 t, One Two Three Four. Ça commence avec l’incontournable «(I’m) Stranded», puis «No Time» et on saute dans l’explosion thermonucléaire de «Know Your Product». On connaît tout ça par cœur, mais chaque fois qu’on l’écoute, le cœur bat la chamade comme au premier jour. Rien de plus punk que ce Product. Peu de groupes ont su développer un tel power. «No Your Product» est aussi de la dynamite, comme chacun sait. Chris Bailey y est emporté par la vitesse du long long time. Et puis tiens, voilà cette version démente de «Save Me», tirée de Prehistoric Sounds. Quelle violence ! Il fond comme une tablette de chocolat blanc entre les cuisses d’Aretha - Save me/ I want you to save/ Me - C’est l’apanage des Saints, la Soul-punk de save me right now. On retrouve plus loin l’intro légendaire de «Ghost Ships». Comme c’est un double CD, tu as quarante cuts, alors t’as qu’à voir. On tombe à la fin du disk 1 sur une version absolument démente de «Simple Love». Le disk 2 repart de plus belle avec tous ces standards que sont «Temple Of The Lord», «Grain Of Sand», où il chevauche un dragon en tête de la brigade légère, puis revient la grosse prestance de «Before Hollywood» et plus loin, on retombe nez à nez avec l’effarant «Howlin», un cut alarmant d’excelsior pathologique. Ça fait du bien d’entendre ça une dernière fois, get the fuck out, Chris Bailey s’y montre assez définitif. On redécouvre aussi cette merveille qui s’appelle «Only Dreaming», c’est vite fait bien fait, good day/ ay/ ay - And Christ I was only dreaming - Explosif ! Son yeah est encore une preuve de génie, il tape encore une fois dans le twilight. S’ensuit l’implacable «Fall Of An Empire», dont on a déjà dit si grand bien. Il atteint là le sommet de son art, le sommet du smart, de l’I don’t care et du close your eyes. Boom ! Redécouverte encore de «Good Friday», tout repose sur le cataplasme de la voix, il a une façon de retomber sur l’accord qui est unique au monde, tu peux tâter le flesh du Good Friday. Ah il faut le voir articuler tout ça. S’ensuit l’abominable «What Do You Want» claqué au early power des Saints. Chris Bailey entre dans la danse avec une sorte de bienveillance. Il s’inscrit dans la mythologie des Saints, c’est-à-dire la sienne, et soudain le chant prend feu, yeah ! Encore une compile qui va toute seule sur l’île déserte. 

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             En marge de Saints, Chris Bailey a enregistré quelques albums solo, qui à l’époque firent bien fantasmer les fans, à commencer par Casablanca. En réalité, il ne s’y passe pas grand-chose. Chris Bailey continue d’y explorer le labyrinthe des aléas relationnels avec «Rescue» - I want you/ To rescue me - Il fait un peu de heavy blues avec «Insurance On Me» - You know I love you baby/ You know I love you true - et l’album décolle en fin de balda avec «Curtains». Il ramène une guitare électrique dans le heavy battage de curtains et ça prend tout de suite une certaine ampleur. En B, il tape une version acou de «Follow The Leader» qu’il sature de guitares. 

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             Paru en 1984, What We Did On Our Holidays est un album live enregistré lors d’une tournée australienne. On y trouve des covers superbes, comme par exemple le «Bring It On Home To Me» de Sam Cooke. Chris Bailey jette tout son poids dans la balance. Il enchaîne avec un autre classique de la Soul, «I Heard It Through The Grapevine». Il adore les grands hits black, cette fois il attaque à l’insalubrité délinquante du garagiste, c’est très gonflé de sa part, il faut le voir malaxer les syllabes de la Soul - Oh I’m just about to lose my mind - Il y a un solo de trompette sur le tard du cut. Il fait aussi une belle version d’«In The Midnight Hour» et pique une crise de fast rock’n’roll avec un «All Night Long» digne de figurer sur Eternally Yours. Il se prend au jeu, frise l’égosillement et lance de fabuleuses nappes de cuivres. C’est aussi sur cet album qu’on trouve sa belle version d’«Amsterdam». Le voilà sur les traces de Bowie et de Scott Walker !

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             Très beau portrait du Big Bailey sur la pochette de Demons, paru en 1990. Il a des faux airs de Russell Crowe. Le stand-out track de l’album s’appelle «Bridges», gratté aux heavy chords de walking down the boulevard. Il pose bien les éléments du pathos, c’est le roi du genre, le prince des pâtés de pathos - There are no more bridges/ To burn/ No more lessons/ To learn - C’est heavy, brillant et mélodiquement parfait. Avec le morceau titre qui ouvre le bal des vampires, il déblaye la place. Il arrive comme un roi dans un palais qui est sa musique. Il étale ses lyrics à la face du monde. Il le fait avec un aplomb assez rare dans l’histoire du rock anglais. Et toujours les fucking trompettes ! Il adore ça ! S’ensuivent des cuts assez problématiques, le pauvre Bailey se fourvoie dans le radio friendly («Return To Zero») et avec «Fade Away», il continue de jouer sa carte d’aristocrate perdu dans les montagnes. Retour au heavy power balladif avec «Running Away From Home», c’est bardé de son et d’intentions. Il rend deux hommages sur set album : «Edgar Allan Poe» et «Marie Antoinette».

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             Toujours dans sa période New Rose, Chris Bailey enregistre Savage Entertainment en 1992. Deux raisons essentielles d’écouter cet album : le morceau titre qui relève du coup de génie et «Do They Come From You» qui relève du big atmospherix. Oh ces climats ! Big Bailey est très impliqué dans l’expression de sa grandeur, il flirte en permanence avec le génie, il maintient la pression par derrière avec des trompettes. Oh il adore les trompettes, surtout les trompettes de la renommée. Quant au morceau titre, c’est un hit - We all need some savage entertainment - Il pousse bien le bouchon, ça vire à l’énormité - I’m not satisfied with my electric whore - Encore une fois, il opte pour le décervellement - To take my brain away - «What Am I Doing There» sonne comme un ressac, il plonge dans ses incertitudes et reste mélodique - Don’t make me disappear/ I could get lost - La perdition est son thème de prédilection. Tout est très littéraire chez Big Bailey, c’est sa nature profonde. Il ramène de l’accordéon dans «Road To Oblivion» et redevient le troubled troubadour le temps d’un «Key To Babylon». Son «Hotel De La Gare» est purement autobiographique, ça se sent au sipping brandy/ on the balcony et à l’early morning madness. Il joue tous ses cuts au heavy gratté de poux. Il façonne une esthétique de l’underground parisien des années 90. Il va toujours chercher l’utter et il pose sa voix comme un cataplasme sur son gratté de poux. Il l’étale bien, sa voix, comme s’il utilisait une spatule, il tartine jusqu’au bout de la nuit.

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             On sent une petite baisse de tension sur 54 Days At Sea paru deux ans plus tard. Rien ne change sous le soleil de Bailey, il ramène son vieux pâté de pathos. Il s’en va se noyer au large avec sa belle voix profonde, il reste dans son sempiternel système de désespérance. Il fait un peu de heavy pop avec «On The Avenue», il chante d’une voix claironnante et dans «Unfamiliar Circles», son it’s alrite est toujours égal à lui-même - I’m only wandering round/ In unfamiliar circles - Avec «Drowned In Sound» il passe au heavy mid-tempo et propose avec «She Says» une belle dégelée de fin de non-recevoir. On est difficilement admis à entrer dans cet album. Il termine avec «In The Desert». Le voilà paumé dans le désert, comme l’avenir du rock. Il va son chemin, c’est tout ce qu’il lui reste à faire. Why the music is so loud ? Il s’en sort toujours avec son grain de voix. Il imprime l’imprimatur du rock underground, mais au fond, il doit être furieux d’être resté underground, sans un rond.

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             En 2011, on vit apparaître dans les bacs une étrange pochette blanche sur laquelle figurait le dessin d’un homme portant un masque de tête de cheval, et au dessus, dans une étiquette noire était portée la mention «Chris Bailey & H. Burns. Stranger.» En fait, il s’agit d’un album collaboratif, chacun chante ses cuts, les coquins alternent, Chris Bailey d’un côté et un certain Renaud Brustlein de l’autre. Bon d’accord, ce mec chante bien, mais on n’est pas là pour ça. On est là pour Chris Bailey, qui, fidèle à sa vocation de poule aux œufs d’or, nous en pond quelques uns, cot cot, à commencer par un «Visions Of Madonna» qui n’a rien à voir avec Johanna. C’est du classic Sainty sound, avec le beau swagger d’accords princiers. Il boit encore du vin - I took a drink/ The wine tasted like water - Il revient plus loin avec l’excellent «Muse» - I got a bitter sweet companion/ That girl is everything I need - Puissant coup de Bailey ! Il nous en pond encore deux en B, cot cot, dont un amusant «Hey You» où il bâtit un couplet entier avec ses vieux clichés Sainty : ghost ship, a perfect day, don’t send me roses, I could be stranded et il plonge vers la fin dans le big atmospherix d’it’s all too crazy now. Il termine avec «Stranger». On note une certaine majesté. C’est le mot clé de Chris Bailey.

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             Pour aller vite, on peut se contenter d’une bonne compile de Chris Bailey : Encore, car on y retrouve «Savage Entertainment» (quasi-Dada, il se marre et fait jouer un accordéon), «Just Like Fire Would» (swamp de la rue Sarrazin), «The Prisonner» (Avec Ed), et les vieilles reprises de What We Did On Our Holidays, «In The Midnight Hour» et «Amsterdam». Comme souvent dans ce type de compile, on trouve des inédits et là attention, ce sont des petites bombes, à commencer par une version de «Can’t Help Falling In Love With You», fantastique hommage à Elvis, un véritable objet d’art. On en trouve même un autre : «Suspicious Minds», hommage d’un géant à un autre géant - Oh what can you see/ What you’re doing to me - C’est du mythe à l’état pur, Big Bailey navigue à la même hauteur qu’Elvis, avec des moyens plus modestes. Il tape aussi une version mirifique d’«I Hear You Knocking», c’est le ballsy Bailey qui revient - I hear you knocking/ But you can’t come in !    

             En mémoire de Jean-Jean, brillant émule de Chris Bailey. Repose enfin en paix, mon pauvre vieux.

     

    Signé : Cazengler, Chris Balai

    Saints. (I’m) Stranded. EMI 1977

    Saints. Prehistoric Sounds. Harvest 1978

    Saints. Eternally Yours. Harvest 1978

    Saints. Paralytic Tonight Dublin Tomorrow. New Rose Records 1980

    Saints. The Monkey Puzzle. New Rose Records 1981

    Saints. Out In the Jungle. New Rose Records 1982

    Saints. A Litlle Madness To Be Free. New Rose Records 1984

    Saints. Live In A Mud Hut. New Rose Records 1985

    Saints. All Fools Day. Polydor 1986

    Saints. Prodigal Son. Mushroom 1988

    Saints. Howling. Blue Rose Records 1996

    Saints. Everybody Knows The Monkey. Amsterdamned Records 1998

    Saints. Spit The Blues Out. Last Call Records 2000

    Saints. Nothing Is Straight In My House. Liberation Music 2005

    Saints. Imperious Delirium. Wildflower Records 2006

    Saints. Live At The Pig City Brisbane 2007. Shock 2009

    Saints. King Of The Sun. Highway125 2012

    Saints. 7799 Big Hits On The Underground. Last Call Records 1999

    Chris Bailey. Casablanca. New Rose Records 1983

    Chris Bailey. What We Did On Our Holidays. New Rose Records 1984

    Chris Bailey. Demons. New Rose Records 1990

    Chris Bailey. Savage Entertainment. New Rose Records 1992

    Chris Bailey. 54 Days At Sea. Mushroom 1994

    Chris Bailey & H. Burns. Stranger. Vicious Circle 2011

    Chris Bailey. Encore. Last Call Records 1995

    Duncan Seaman : Wild about you. Vive Le Rock # 89 - 2022

     

    L’avenir du rock

     - John Paul Keith et les autres (Part Two)

     

             Bien malgré lui, l’avenir du rock se retrouve coincé pour le week-end dans une maison de campagne avec des amis de longue date. Il savait bien au fond de lui qu’il valait mieux décliner cette invitation. Mais dans la vie on ne fait pas toujours ce qu’on veut. Comme l’un de ces fameux amis insistait lourdement, prétextant que les autres pourraient lui en vouloir de faire faux bond, il a fini par céder. Alors vous connaissez bien ce type de situation : ça commence en général par l’«apéro dînatoire» du vendredi soir censé établir les fondations d’une convivialité à toute épreuve, puisqu’elle va devoir durer 48 heures. C’est atrocement long 48 heures quand il faut écouter des gens qui n’ont rien à dire et qui bavachent à longueur de temps. Ne parlons pas des grosses épouses réactionnaires ! On boit, on mange, on entend vaguement de la musique sans jamais savoir ce que c’est, un chat amputé du cerveau n’en finit plus de miauler pour réclamer des bouts de viande alors qu’on est à table, ça parle bien sûr de choses vues, oh pas celles de Victor Hugo, non, celles de la télé, ce poison moderne qui ramollit les cervelles au point qu’on les entend faire flic floc dès que ça bouge un peu pour servir le pinard, et puis François coupe le gigot, alors pour alimenter la conversation, Paul demande à Juliette si elle n’a pas un autre couteau, puis chacun ramène son petit grain de sel sociologique, à commencer par Paul qui prend sa meilleure voix de maître à penser du Quartier Latin pour déclarer : «Ceux qui n’ont pas d’argent ils n’ont qu’à s’arranger, ou pour en avoir ou pour s’en passer», ce qui ne plait pas à ce vieux militant d’extrême gauche qu’est Vincent qui lui jette son verre à la figure, alors Paul arrache l’os du gigot des mains de François et frappe Vincent à la volée, faisant gicler des dents jaunies qui vont rouler sur le chêne massif de la table de ferme en faisant cling clong, et l’avenir du rock observe la scène avec une compassion mêlée de dégoût, se répétant à longueur de temps qu’il n’est pas bon de vieillir, que ça rend les gens décidément très cons, et que de toute façon la vie est ainsi faite, et qu’il va falloir trouver un prétexte pour mettre les bouts, quitter cette assemblée pathétique, tout juste bonne à servir de prétexte à l’une des divagations scénaristiques d’un réalisateur des années soixante-dix. Une fois calmés et dessoulés, Vincent, François, Paul et les autres se rabibocheront, mais sans l’avenir du rock qui leur préfère définitivement John Paul Keith et les autres.

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             John Paul Keith ? Pas de problème. Cet excellent Memphis cat fit une première apparition en Normandie en mars 2019. Le voilà de retour pour une deuxième apparition.

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    Il joue en trio, accompagné par un jeune bassman new-yorkais et un jeune beurreman bostonien. Ils jouent la carte du tight triumvirat. Pendant 90 minutes, ils règnent sans partage sur l’empire des sens. Ils sont pro jusqu’au bout des ongles et se payent le luxe de passer par toutes les fourches caudines, celles du rock, de la pop, du jazz, du groove, du heavy groove, de la southern Soul, du Texas swing, du Memphis beat, du jumpy jumpah. Ils jouent tout ça les doigts dans le nez, avec une aisance confondante qui nous laisse comme deux ronds de flan, c’est même parfois trop beau !

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    Énorme boulot pour le public que de se montrer digne d’un tel ramshakle. On appelle ça l’inversement des rôles. Ça se produit de temps en temps : on croit assister au spectacle d’un petit mec tombé là par le hasard des tournicotages et on se retrouve à deux mètres d’un très grand artiste qui en plus ne la ramène pas. C’est peut-être ça qui perturbe le plus la compréhension du Français moyen : zéro frime chez John Paul Keith. Il donne une espèce de leçon de maintien sur scène, il montre comment on peut être virtuose et rester normal dans son comportement, jamais de grimaces, jamais de posture, pas la moindre faute de goût, ce mec est à sa façon un dandy du Memphis beat et en matière de rebondissements mirifiques, il est prolifique.

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    Comprenez qu’avec John Paul Keith on est à l’exact opposé des Clapton et des autres rois du m’as-tu-vu. Il tape en plus dans un répertoire riche et varié, il rend des hommages spectaculaires à des gens aussi divers que Dutronc, Don Bryant et surtout Buddy Holly dont il restitue avec une délectation non feinte le crazy power. Par souci d’identité, les groupes et les artistes s’enferment généralement dans un style musical. John Paul Keith fait exactement le contraire, il va dans tous les styles, mais avec une unité de ton : le son extrêmement incisif d’une Tele pailletée. Ses solos sont tous vivaces et classiques à la fois, il fait honneur aux géants du jump avec des progressions d’accords qu’on croyait réservées aux big bands des années 50, il recrée ces fantastiques climats avec une section rythmique qui joue la carte du minimalisme, et, n’ayons pas peur des grands mots, ça devient littéralement fascinant. Ils se payent même le luxe du big atmospherix par le seul jeu des dynamiques internes.

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             Il tourne en Europe pour la promo de deux nouveaux albums, The Rhythm Of The City et un album live, A World Like That. Live At B-Side. L’album studio est enregistré et mixé par Scott Bomar qui a repris le flambeau du Memphis Sound (Electraphonic) avec Boo Mitchell (Royal Studios). Dans sa passionnante autobio, Howard Grimes rendait hommage à Bomar : «Je ne suis pas en colère après Hi, ni après Stax, but Scott Bomar at Electraphonic est la seule personne qui m’ait payé rubis sur l’ongle. Ça m’a choqué qu’il me paye pour la session de Cyndi Lauper. Il a juste dit que je le méritais. Bosser avec Scott, c’est un peu comme bosser avec Willie Mitchell. Electraphonic is the only place left that feels like the glory days.» On est donc entre gens sérieux. Écouter le dernier album de John Paul Keith c’est exactement la même chose que d’ouvrir le dernier livre de Robert Gordon - Robert Gordon ? Oh he’s a friend of mine, lâche John Paul Keith avec un grand éclat de rire - Il démarre The Rhythm Of The City avec un vieux groove de round midnite in Memphis, «How Can You Walk Away». John Paul Keith chante au petit sucre candy, soutenu par des chœurs de filles fabuleuses et il passe son solo dans l’écho du temps, mais pas n’importe quel écho du temps, mon gars, celui de Memphis, cet écho mythique qui résonne encore dans les disques Sun. «The Sun’s Gonna Shine Again» sonne comme un coup de génie. John Paul Keith s’en va groover sur le côté ensoleillé de la rue (hello Gildas), et comme Jimmy Webb, il est on his way. On a là une pop incroyablement lumineuse, oui John Paul Keith a du génie, il dégouline de facilité, il retombe sur le shine again avec la souplesse d’un chat, logique pour un Memphis cat, c’est une merveille, well I know, il s’explose littéralement dans la clameur d’un summer day in Memphis. S’ensuit le morceau titre, un heavy groove de qualité supérieure, si infiniment supérieure. Même si on connaît ce son par cœur, on sent bien qu’il existe une différence de niveau. C’est un peu comme quand on écoute Lazy Lester ou Ted Taylor, ce n’est jamais tout à fait la même chose. Quand il part en mode rock’n’roll avec «Love Love Love», John Paul Keith se paye le luxe d’un gros virage jazzy. Quand il tape un power-groove («Keep On Keep On»), il s’infiltre dans le drive par tous les trous. Son «I Don’t Wanna Know» est une pop de Southern Soul à la Dan Penn et son «Ain’t Done Loving You Yet» rend à la fois hommage à Big Star et à Buddy Holly. Il en restaure le double éclat, c’est très étrange, il a une façon très personnelle d’exploser la pop. Puis il rend hommage aux géants du jump avec «If I Had Money». Il est rompu à toutes les disciplines, il sonne exactement comme Pee Wee Crayton ou Amos Garrett, il vaut bien tous les cracks du jack, il se veut clean dans le clear, il joue dans les règles du meilleur lard avec du shuffle d’orgue et des coups d’horn claqués derrière les oreilles du beignet, ces mecs jouent avec tes nerfs, méfie-toi, ils sont beaucoup trop bons pour être honnêtes. Et pour boucler cet album qui te cale dans ton fauteuil pour mieux t’emporter la tête, il envoie «How Do I Say No», un heavy mix de real deal, de groove et de tell me tell me save me girl, John Paul Keith est un seigneur des annales du groove, un binoclard de génie comme le fut Buddy avant lui, il a du son, il a Bomar, il a sa stature et il finit en mode Dan Penn.

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             Et voilà A World Like That. Live At B-Side, un bien bel album live qui sert d’écrin à cette absolue merveille qu’est l’«How Can You Walk Away» tiré de The Rhythm Of The City. John Paul Keith y groove le chant de l’intérieur du menton. Il tape le «Something So Wrong» d’ouverture de bal au heavy groove, vite fait bien fait, avec toute la mécanique des relances de la prescience, il chante comme Buddy et c’est extrêmement excitant. Il tire aussi l’excellent «The Sun’s Gonna Shine Again» de The Rhythm Of The City et laisse son groove partir en balade. Ça devient assez magique, comme exposé au soleil de Jimmy Webb. Les cuivres recuisent cette merveille. Ah il faut le voir plonger à la voix de Memphis cat dans le lagon d’argent du Memphis Beat ! Sur «The Rhythm Of The City», il fait pas mal d’étincelles. Les éclats d’accords qui brisent le rythme sont ceux des Beatles. C’est là que John Paul Keith pique sa crise hendrixienne et il pousse le bouchon si loin qu’on le perd de vue. L’autre stand-out track est le final cut «How Did I Say No» qu’il prend en mode big band - What I was supposed to do ? - Il a raison de se poser la question. C’est à ce genre d’éclat qu’on mesure le génie de ce petit mec. Un détail qui vaut son poids d’or du Rhin : John Paul Keith dédie l’album à Howard Grimes : «In loving memory of Howard Grimes. 1941-2022. THE REAL RHYTHM OF THE CITY.»

             Merci à la Nouvelle Machine qui nous aide à enterrer le souvenir de Pandemic.

    Signé : Cazengler, Jean Pauv Kon

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    John Paul Keith. Le Trois Pièces. Rouen (76). Le 2 mai 2022

    John Paul Keith. The Rhythm Of The City. Wild Honey Records 2021

    John Paul Keith. A World Like That. Live At B-Side. Wild Honey Records 2022

     

     

    Inside the goldmine

    - Quand le Kevin est tiré, il faut le boire

           En France, on transforme aisément un Jean en Johnny, mais attention, ce n’est pas forcément le Johnny qu’on croit. Non, ce Johnny-là se réclamait de Johnny Thunders, pas du Johnny national. Il tenait à le préciser pour éviter les incidents diplomatiques. Et comme il était d’un naturel batailleur, il valait mieux les éviter. Johnny commit à l’époque de ses 18 ans une fatale erreur : il s’engagea dans l’armée, persuadé qu’il allait pouvoir partir à Tahiti, mais il fut envoyé dans un camp d’entraînement de parachutistes, quelque part dans le Sud-Ouest. Il voulut bien sûr démissionner mais on le roua de coups ce qui le convainquit de rester dans le rang. Garde à vous ! Six mois plus tard, la cervelle bien lavée, il débarquait au Tchad et participait aux missions de nettoyage des villages qui soi-disant alimentaient la guérilla. L’armée utilisait toujours les anciennes méthodes, celles des guerres d’Algérie et du Vietnam : éradication des populations soupçonnées de soutenir l’ennemi. Alors Johnny obéissait aux ordres. Pour ne pas devenir complètement fou, il écoutait chaque nuit la seule cassette qu’il avait emportée dans son paquetage, celle du premier album des New York Dolls. Lorsqu’il fut démobilisé, il n’était bien sûr plus le même. Il se remit à porter son vieux perfecto et nous découvrîmes qu’il planquait dans sa botte un couteau de combat. Dès qu’il croisait un noir dans la rue, il sortait son arme et nous n’étions pas trop de quatre pour le ceinturer et le ramener au calme. Certaines nuits de beuverie, il cherchait une épaule compatissante pour y pleurer à chaudes larmes. «Quand le vin est tiré, il faut le boire», disait-il, à quoi il ajoutait : «Jusqu’à la lie», pour que la métaphore soit bien compréhensible. Il ne s’est bien sûr jamais remis de cet épisode méprisable et il passa le restant de sa vie à tenter de concilier l’inconciliable, c’est-à-dire le quotidien et ses souvenirs. Il fondit une famille, vit de nombreux psychiatres, reprit du service dans un groupe de rock et finit enfin par perdre la boule pour de bon.

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             Le destin de Kevin Junior n’est pas beaucoup plus joyeux. Luke la main froide nous rappelle dans sa column que cet Américain basé à Chicago rencontra à une époque Nikki Sudden et Epic Soundtracks, qu’Epic et lui devinrent inséparables et qu’il cassa sa pipe en bois relativement tôt, à 47 ans, non pas à cause du Tchad mais de l’hero. La main froide situe donc le petit Kevin comme the final part of the Nikki Sudden-Epic Soundtracks axis of burning talent and horrible early death. Avant d’aller s’installer à Londres pour bosser avec son pote Epic, le petit Kevin avait enregistré deux albums avec son groupe, the Chamber Strings. La main froide se montre élogieux avec ces deux albums - The culmination of his influences (Carole King, Alex Chilton, Brian Wilson, power pop, country, gospel, blue-eyed soul, the Go-Betweens) - et donc, on se fait un devoir de les écouter, car ce sont des influences qui font baver.

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             Le premier date de 1997 et s’appelle Gospel Morning. Big, big, very big album, c’est enregistré à Chicago mais dès «Telegram» on se croit en Angleterre. Le petit Kevin et ses amis proposent une pop brillante, ils sont les rois de l’anglicisme, on se croirait dans la roulotte de Ronnie Lane. Le petit Kevin joue la carte des renversements mélodiques avec «Everyday Is Christmas», bam bam bam, ça regorge d’excellence, les descentes de chant sont superbes, la main froide a raison de s’émouvoir. Le petit Kevin dispose de pouvoirs surnaturels, comme le montre encore «Dead Man’s Poise», il tire son Dead man dans la psychedelia à coups de retours de manivelles et ça devient vite énorme. Globalement, c’est trop anglais pour être honnête, ces mecs louvoient au pied des falaises de marbre, power absolu & pureté mélodique, voilà les deux mamelles du petit Kevin. Il abat «The Race Is On» aux power chords. Quel allant et quelle allure ! Il fait son Nikki avec «All Of Your Life», c’est tellement Nikké que ça casse la baraque. Il passe directement au coup de génie avec «Cold Cold Meltdown», encore très Nikké dans l’esprit, c’est un balladif jacobite bien embarqué aux guitares, avec des échos de Sway dans le son, d’où l’intensité de la Stonesy. Quand on écoute «Thank My Lucky Stars», on pense immédiatement aux pleins pouvoirs. Le petit Kevin se les octroie tous, il a le répondant d’un magicien, il est exactement dans la même veine que Nikki : la romantica dans ce qu’elle peut offrir de plus jouissif. Ses balladifs sont visités par les esprits, tout est traité dans la dignité du big sound. Dans les bonus se trouvent une reprise du «Baby It’s You» des Shirelles repris par les Beatles et Johnny Thunders, puis d’«I Pray For Rain» de Dan Penn dont le petit Kevin est un fan transi.

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             Le deuxième album date de 2001 et s’appelle Months Of Sundays. Le petit Kevin apparaît à la fenêtre, sous un parapluie. Il rend deux hommages pour le moins spectaculaires à Brian Wilson : «The Fool Sings Without Any Song» et «Beautiful You». Il va vite au sucre avec le premier,  il connaît tous les secrets du swagger des Beach Boys. Il est d’un niveau qui se situe au-delà des niveaux. Il tape dans l’exergue d’excelsior. Ce que confirme «Beautiful You». Direction Pet Sounds, il avoisine la pire excellence instrumentale, celle de Pet Sounds. Il tape encore dans une pop de rêve avec «Last Lovers». C’est tout de suite parfait. Il semble plonger dans la pop avec une obsession superbe, sa pop jaillit comme une fontaine, une pop qui rivalise en qualité et en pureté avec celles de Brian Wilson et de Todd Rundgren. Il rôde bien, trop bien. Cette pop est tellement parfaite qu’on dresse l’oreille. Il drive le groove d’«It’s No Wonder» à la Junior pour en faire une merveille absolue, il sait groover à l’infini et se faire orchestrer. Ah qui dira la violence de son excellence ? Il est partout et il est bon, il est plein de son et plein d’esprit. Il attaque la pop de «The Road Below» comme le ferait Nikki, même poids jeté dans la balance, même élégance du gratté de poux. Il taille encore bien sa route avec «Our Dead Friends» - Our passing friends - et termine avec une version acou de «Last Lovers», histoire de montrer un peu mieux à quel point cette chanson est parfaite. Le petit Kevin navigue dans son rêve d’excellence, il faut s’abandonner à lui.

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             Il existe aussi une petite compile parue sur Sunthunder, le petit label espagnol qui hébergea Kuss en fin de parcours. Comme les deux albums des Chamber Strings, Ruins (A Collection Of Rareties B-sides & Outtakes) vaut à la fois le détour et le rapatriement. On y trouve un hommage superbe à Johnny Thunders, «It’s Not Enough», c’est en plein dedans, les guitares croisent au large comme des requins. D’ailleurs l’hommage à Johnny Thunders n’est pas innocent : ils ont un petit côté lookalike. Autre belle cover : «Whiskey In The Jar», clin d’œil à Phil Lynott, avec du solo à la coule de moule. Fantastique énergie. On croise aussi sa reprise du «Baby It’s You» des Shirelles, son «I Pray For Rain» de Dan Penn et on retrouve des cuts qui datent du temps de Chicago, comme «Thank My Lucky Star», «Dead Man’s Poise» gratté au raw to the bone, «Last Lovers» et un «Telegram» bardé de barda, absolument génial, car il tartine de la Soul dans sa pop. Le «Common At Noon» d’ouverture de bal date de l’époque de son premier groupe, The Rosehips. Le petit Kevin y chante au doux du chant sur des glissés de cordes à la Small Faces et des arpèges lumineux. Il prend son «Kevin Junior» par dessus la jambe et son «Ragdoll» qui date aussi des Rosehips est visité par des guitares extraordinaires. Tiens, voilà «Contact High» qui date de l’époque d’un autre groupe, Mystery Girls. C’est du Junior débouling, il arrive dans le chant comme un chien dans un jeu de quilles. Ce mec est une véritable aventure. Il monte sur tous les coups.

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             La main froide recommande aussi l’écoute de l’album posthume d’Epic Soundtracks, Good Things, enregistré chez Epic à West Hampstead en 1996, sur un quatre pistes, avec le petit Kevin - There are still a few copies out there. Seek one and you will never be without - C’est le petit Kevin qui écrit les liners en 2004. Il raconte que le projet est resté shelved, c’est-à-dire dans un placard pendant 8 ans. Il raconte aussi la tournée européenne qu’ils ont faite à deux et puis la mort d’Epic. No hard drugs, broken heart. Un mystère. Puis le petit Kevin se décide enfin à faire profiter le monde des démos enregistrées en 1996, il transfère les bandes sur Pro Tools et c’est ça qu’on entend sur le CD. Epic et lui font sur cet album du pur Nikki Sudden, c’est le petit Kevin qui gratte les notes fantômes d’«I Do Declare» et avec «Dedications», ils passent tous les deux à la wild psychedelia de West Hamspead, le petit Kevin gratte à l’ongle sec des solos qui vont se perdre dans l’air du temps. Avec «I Got To Be Free», ils créent une fabuleuse ambiance, avec des chœurs latents. Puis Epic craque «Maybe You’re Right» à la voix d’introspection tranchante et derrière lui le petit Kevin fournit les chœurs d’artichauts. Comme Fred Neil, Epic fait du lard puissant, il va chercher des valeurs avec «Good Things Come To Those Who Wait», il cherche l’envol. Encore de la pureté à gogo avec «House On The Hill», il retape dans le mille à l’accent tranchant, Epic est assez épique, c’est encore un privilège que d’entrer dans le groove d’Epic, dans cet excellent «A Lot To Learn». Il y développe un groove à la petite perfe de West Hampstead. Il termine avec «You Better Run», une vraie petite pop de better run, une pop anglaise qui ne mène nulle part mais qui a pour particularité d’être infectueuse.

    Signé : Cazengler, Kevin Geignard

    Chamber Strings. Gospel Morning. Bobsled Records 1997

    Chamber Strings. Months Of Sundays. Bobsled Records 2001

    Kevin Junior. Ruins (A Collection Of Rareties B-sides & Outtakes). Sunthunder Records 2009

    Epic Soundtracks. Good Things. DBK Works 2005

    Signé : Cazengler, Kevin Geignard

    Chamber Strings. Gospel Morning. Bobsled Records 1997

     

     

    MARLOW RIDER / ALICIA F !

    QUARTIER GENERAL

    ( Paris / 06 – 05 – 2022 )

     

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    Longtemps que je n’avais mis les pieds à Paris. Beaucoup de monde sur les terrasses des cafés, l’on sent que toute une jeunesse rattrape le temps perdu, cette joie de vivre est la meilleure introduction possible à un concert de rock’n’roll.

     MARLOW RIDER

    Heureusement que l’on était debout sinon c’était tout droit la chaise électrique. D’ailleurs Tony débute le set par Debout. Fred Kolinski est assis lui, royal derrière ses fûts, en grand ordonnateur du désastre, étrangement calme, imperturbable, manie le tonnerre avec flegme, vous déclenche l’apocalypse sans même feindre de s’intéresser à la conséquence de ses coups, sûr de lui, l’onde sonore qui embrase la scène témoigne pour lui.

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    ( Photo : Peter Dumber )

    Pas de panique, les deux autres oiseaux devant lui ont de la répartie. Chemise festive et regard sombre Amine Leroy slappe sans remord. Vous rentre dans la cathédrale sonique érigée par Kolinski comme s’il était chez lui, normalement il devrait être écrasé par l’ampleur de l’architecture, point du tout, Amine s’emploie à la consolider, à l’étayer méthodiquement par des rangées de piliers que ses slaps sèment comme des champignons géants à pousse rapide. Consolide l’armature.

    Elle en a besoin. Tony Marlow a sorti sa Fender blanche. Je dis blanc pour réunir en seul mot toutes les teintes que le balayage luminescent des spots lui prête Ne la ménage pas. C’est sur le troisième morceau, une attaque creaminelle de Sunshine of your love que l’on comprend que ce soir le marlou est dans une forme éblouissante. Va nous tisser toute la soirée des dentelles de pierres qui finissent par s’épanouir en vapeur mauve. Tous les yeux de l’assistance sont fixés sur ses mains. En pure perte d’ailleurs, à peine s’il bouge un doigt par-ci par-là, vous triture des riffs stalactites, vous tombent dessus comme des coups de massues préhistoriques sur des crânes de mammouths, ou alors vous verse dans les oreilles une friture de stalagmites qui s’évadent de vos tympans pour ricocher aux quatre coins de la pièce. La guitare de Tony a décidé d’habiter le monde. Vous y englobe dedans, crée l’atmosphère nécessaire à votre survie, vous emmène sur une autre planète où tout est plus beau, elle colorise vos rêves, élargit et allège vos pensées, vous emporte dans un ailleurs psychédélique. Les échos de la voix veloutée de Tony dansent devant vos yeux, des mots vous traversent comme des vols d’hirondelles venues de mystérieuses et lointaines contrées, elle nous envoûte, notre âme devient un paysage choisi.

    Marlow s’enfuit, à plusieurs reprises il descend de scène et d’une démarche chaloupée disparaît au fond de la salle, même pas besoin de le suivre des yeux, il suffit de les fermer pour voyager et voler dans l’astral des sonorités, quand il revient de ses escapades les riffs sont encore plus acérés, trempés dans l’acier des joies explosives.

    Ce qui est sûr c’est que le trio prend un plaisir fou à jouer. S’installent dans une sorte de démesure créatrice étonnante. Sont au taquet, nous offrent les morceaux du prochain album, les séances sont prévues dès le lendemain, ces nouveaux titres leur brûlent les doigts, sont partis, le set irradie une incroyable puissance, sont habités par une grâce titanesque.

    Z’ont dû jouer une heure et demie, Chris Theps ordonnateur des lieux fait un signe discret, ce sera le dernier morceau, Among the zombies, prémonitoire car lorsque la pluie de soufre et de feu se terminera, il ne nous restera plus qu’à retourner nous enterrer dans la tombe de l’existence quotidienne.

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    ( Cette photo appartient au set d'Alicia, elle est comme les trois ci-dessous de Franck Bonilawski )

    ALICIA F !

    Alicia F ! nous a refait le coup de la fusée d’Einstein, tant que vous êtes dedans tout est parfait, lorsque vous en sortez, vous vous rendez-compte que le monde a vieilli.

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    Au début de l’expérience, vous ne vous en doutez pas, tout semble normal, un groupe de rock comme on les aime, batterie, basse, guitare, le kit maximal de survie en zone urbaine. Fred Kolinski immobile, figé en une attitude papale, prêt à déchaîner la foudre de sa malédiction urbi et orbi sur l’assistance, Tony Marlow a échangé sa tunique contre un T-shirt et s’est muni en guise de trident neptunien de sa Flying V Gibson, arme redoutable pour les petits poissons que nous sommes, quant à Matthieu il arbore outre son T-shirt météorite en grosses lettres noires sur le corps de sa basse la meurtrière inscription, telle une revendication oriflammique originelle, la rune magique prête à ravir le cœur des adorateurs de Gene Vincent, Pistol Packin Mama…

    Elle se glisse à la manière furtive d’un mamba noir sur la scène, si ce n’est le rouge vipérin de ses lèvres, elle paraît inoffensive, profitez de ces quelques secondes de rémission, le temps de jeter un coup d’œil sur la setlist et de s’emparer du micro.

    Décollage immédiat. Le triangle bermudien qui l’entoure, les trois boosters de poudre noire, lancent tout de go l’impulsion sonique, mais l’ogive nucléaire c’est la voix d’Alicia.  Tout est donné d’emblée, l’attitude, le chant, l’accompagnement, cette extraordinaire coalescence du signifié et du signifiant, n’en déplaise aux grammairiens académiques, est au fondement du mystère du rock ‘n’roll. Ou vous y atteignez, ou vous restez définitivement hors-champ. Pas de juste milieu, le signe et le sens ne doivent former qu’un à la manière dont le poing et la frappe, le geste et l’intention, s’amalgament pour activer un uppercut.

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    Blitzkrieg Bop pour ramoner les consciences. Avertissement sans frais le set sera bop et point pop. Mais déjà nos yeux ne quittent plus Alicia. Elle n’occupe que l’espace de son corps. La main sur la pliure intime du pantalon de cuir, négligente et souveraine désignation du lieu métaphysique du rock ‘n’ roll, Alicia bouge selon l’immobilité rayonnante circonscriptionnelle de son corps, jamais un pas en-dehors de son aura de chair. Ramassée en elle-même, insaisissable, elle saute sur-elle-même, tressaute et sautille, la reine ne danse avec personne d’autre qu’elle-même. Auto-suffisante. S’adresse à nous par l’entremise de ses gestes vindicatifs, ses Hey oh !  Let’s go ! sont autant des appels que des mises en garde. Désirs et menaces. Alicia impose sa règle. Et ses règles, Montly Visitors, morceau saignant et bannière sanglante de sa féminité revendiquée, le rock appartient aux filles. Dans le dernier tiers du set, elle reprendra Cherry Bomb de Joan Jett, la garce qui aimait le rock’n’roll. Sur I wanna be your dog, elle sera louve lascive, allongée à terre, les jambes secouées de frissons-pâmoisons, la main tel un croc inquisiteur sur l’entrejambe de Tony, couchée à ses pieds, quémandeuse, exigeante, maîtresse de cérémonie.

    Les boys ne chôment pas. Assurent un accompagnement métronimique, les titres s’enchaînent, racés jusqu’à l’os, en offrent une épure quasi-idéelle, qui frôle la perfection, verbiage inutile, tout et tout de suite, pas d’oiseuses discutailleries, Matthieu allonge des notes noires, brèves et incisives, vous font une boutonnière au cœur chaque fois qu’elles vous percutent, Fred y va d’une percussion serrée, filigranique pourrait-on dire, une véritable machine à coudre, cogne des pointillés pour suivre le vocal d’Alicia qui ne laisse aucun répit, les mots se suivent, comme une file d’ours noirs sur la banquise mazoutée, surviennent en langue de serpent, à peine sortie que déjà rentrée dans l’oubli du gosier, l’auditeur attentif à la prochaine piqûre venimeuse d’un nouveau vocable knock outé, le Marlou se débrouille pour fourrer des soli étincelles, entre deux syllabes, économie de moyens et maximum de rendement auditif.  

    Une reprise pyramidale de Paranoid, car le rock côtoie la folie, I’m eigtheen – Alicia rencontre Alice au temps du lapin pressé de sa jeunesse – des originaux, un Kill ! Kill ! Kill ! assassin ou Skydog Forever en hommage vibrant à Marc Zermati.

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    Svelte et menue, Alicia, elle a tout compris, la simplicité et la subtilité, les racines et l’outrance, une enfant montée en graine de violence, une adolescente à la poursuite de ses rêves, une grande dame du rock ‘n’roll qui nous est née, et que nous attendions depuis longtemps.

    Damie Chad.

     

      

    WELCOME IN MY F… WORLD !

    ALICIA F !

    ( Damnation Records )

     

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    Alicia Fiorucci : lead vocals / Tony Marlow : guitar + Backing vocals / Fredo Lherm : bass + Backing vocals / Fred Kolinski : drums, percussions + Backing vocals

    Hey you ! : pas pour rien le poing d’exclamation, un, deux, trois, c’est parti, Alicia pose les limites, joyeusement en fille qui n’entend pas que l’on étende la marmelade sur ses tartines à sa place, elle y va gaiement, Kolinski se fait un plaisir de métamorphoser sa batterie en hachoir mécanique, et le morceau déboule à la vitesse d’un boulet de canon. Marlow se paye un court solo en fil de fer de barbelé, et vous n’avez pas fini d’apprécier que c’est déjà terminé. Beau bonbon acidulé, entre sucre et piment de Cayenne. Cherry bomb : deuxième affirmation féministe empruntée à Joan Jett, plus musclée que la première qui n’était pas spécialement un modèle de coolitude, ici nous avons droit à la perfidie hargneuse, ah ! ces tse ! tse ! tse ! de la langue aussi dangereux que le cliquètement d’une queue de crotale, Alicia chante avec le plaisir de celui qui pousse un rocher pour qu’il écrase son ennemi au bas de la falaise, pas sadique, sadien. Sachez entrevoir la différence. Freedom’s running : une chasse à courre, le renard s’appelle liberté, là n’est pas le problème,  au lieu d’alerter la SPA profitez de la galopade, Alicia en tête, vous conduit le vocal comme un traineau tiré par deux cents malamutes, et les boys n'y vont pas avec le dos de l’instrument, jouent comme si leur vie en dépendait, remarquez comment Fredo fronce les sourcils de la basse, l’occasionne ainsi de sacrées bousculades, le Marlou a chaussé sa guitare de sept lieues, et le Kolinski descend la pente sur ses skis, Alicia termine en tête. Même pas essoufflée. Du grand art.  N’empêche que ses trois premiers titres sont des empêcheurs de tourner le disque en rond. A peine en avez-vous écouté un qu’il vous faut retourner en arrière pour le réécouter. City of broken dreams : un peu de douceur dans ce monde de brutes, rien que le titre donne envie de pleurer, Alicia se sert de sa voix comme d’un archet qu’elle passe sur les fibres émotionnelles de votre coeur, de la guitare de Marlow tombent des larmes et les deux Fred se retiennent pour ne pas exploser. Une façon très américaine de poser la voix sur le refrain. Monthly visitors : c’est reparti pour une partie de quilles tirées au canon, Anita hisse sans pudeur et sans honte le drapeau rouge de sa féminité, femme jusqu’à son rouge à lèvres, Marlow en profite pour un solo écorché qui saigne, c’est tellement bon que l’on regrette que ces fameux visiteurs ne passent pas toutes les semaines. Speedrock ! : tiens une tonalité country, attention les cats, presque du rockatbilly, normal c’est un morceau à la gloire de Speedrock son chat qu’Alicia a recueilli tout petit et affamé aux abords d’un concert (de rock, est-il besoin de préciser), chant félin, et les boys lui concoctent un arrangement aussi glissant et ondoyant que les tuiles d’un toit sous un ciel pluvieux. Promenade idéale pour les matous. Because I’m your ennemy : Alicia sort ses griffes. Elle a raison, mais à la manière dont elle mord les mots l’on comprend qu’elle cherche la bagarre, d’ailleurs derrière les boys pressent d’un peu trop près l’assistance, l’est descendue dans la rue avec son gang et ça cagnarde sec, l’écoute de ce morceau est fortement déconseillée aux enfants pourraient avoir envie de devenir des blousons noirs une fois grands, surtout que la voix insidieuse d’Alicia et les bousculades tomiques de Kolinski sont très impressionantes. Silver fox : jusqu’à présent Alicia donnaient l’impression d’être contre tous, la voici tout contre un seul, un conseil n’y touchez pas, il pourrait vous en cuire parce que ce titre déménage sec, met autant de force à vouloir ce qu’elle veut qu’à ne pas vouloir ce qu’elle ne veut pas. Kill, kill, kill : un peu de politique n’a jamais fait de mal à personne, cette vision éruptive de notre monde se termine toutefois par un mot d’ordre sans appel, ne vous étonnez pas que ce morceau soit rentre-dedans, sur une rythmique bulldozer. Les killers ne sont pas toujours où l’on croit. Une conviction dans le chant qui emporte tour. Aileen : une balade en l’honneur d’Aileen ( Wuormos ), tueuse en série, une vie cabossée, dérangeante, prostituée, exécutée en 2002, dans l’esprit de certains morceaux de Bob Dylan, parce que parfois le rock sait être intelligent. Et courageuse. Gimme a break : profitons de ce titre pour souligner l’importance de l’utilisation des backing vocals dans ce disque. Ici Alicia s’amuse : une voix davantage de gorge sur certains passages afin de mieux faire remarquer la clarté de ses montées vers des aigus modérés. Un bon rock des familles disruptives, une véritable piste d’envol pour les musiciens qui bourrent très dur le mou. Skydog forever : une autre ballade, hommagiale adressée au maître de Skydog, Marc Zermati, une présence chère pour Alicia, sur la fin du morceau l’on entend la voix tutélaire du rock et du punk national et international. Osmose parfaite entre les jeux de voix et le tapis volant de soie pure que tissent les boys.

             Le premier album d’Alicia F est une petite merveille. Qui fera date. Une balade entre punk et country, mais quel que soit le genre abordé, toujours très rock ‘n’ roll.  Si Tony a composé les musiques, Alicia a écrit les lyrics, pas étonnant que le disque lui ressemble tant. Alicia trimballe et expose ses propres mythologies, c’est sans doute cela qui fait que cet album tranche par son authenticité comparé aux parutions du moment.  Alicia F, une foutue sensibilité rock ‘n’ roll !

    Damie Chad.

    P. S. : si vous avez lu la chronique il aurait été plus malin de commencer par ce post-scriptum qui reprend le très court de texte de présentation qu’elle a écrit : ‘’ Ca cause de pisse , de merde, de crevards, de sang de règles, d’une tueuse en série. Mais aussi de liberté, de l’amour à mon "Cat ", de monsieur Skydog et d’un chat mignon. En passant par les incontournables sentiments propres à la comédie humaine comme la jalousie, l'hypocrisie, la "faux cusserie. Welcome To My F... World" un album riche en émotions! " .

    C’est comme la couve, elle se passe de commentaire.

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    *

    Kreationist est un one man band, l’artiste qui le compose – notez la double polysémie de ce verbe - se présente sous le nom de Vidi. N’est pas seul sur les deux disques que nous chroniquons. L’a fait appel à un couple de jumeaux stellaires et tutélaires. Rimbaud et Verlaine, les Castor et Pollux de la grande lyrique françoise, indissociablement associés dans leur mort.

    Attention nous sommes ici dans les franges du metal, dans une de ces marches vers l’extrême qui semblent se fuir elles-mêmes pour mieux se retrouver dans le point d’ancrage de leur propre perte.

    INDULGENCE

    KREATIONIST

    ( Artic Ritual Records / 13 décembre 2019 )

    La couve pose problème. Certes l’identification du personnage est facile : Arthur Rimbaud, une de ses représentations les plus célèbres. Extraite de la toile de Fantin-Latour intitulée Coin de table parfois surnommée ( à tort ) Le dîner des vilains bonhommes. Sur les sept hommes représentés sur le tableau la gloire littéraire ne s’est attachée qu’aux deux premiers, le jeune Arthur ( le seul qui soit opportunément situé au coin de la table ) et son ami-amant Paul Verlaine. L’iconographie n’est guère mystérieuse. Le titre de l’album davantage. Disons que la notion d’indulgence semble de prime abord mal-appropriée pour évoquer de près ou de loin la personnalité de Rimbaud. Sans doute est-il emprunté à un article de Verlaine ( Arthur Rimbaud / Chronique ) dans lequel il récuse les accusations d’indulgence dont il aurait fait preuve envers Rimbaud dans un précédent papier, comme si ce Rimbaud qui a écrit des vers si extraordinaires avait besoin d’indulgence !

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    Les amis : le morceau finit comme il commence, des coups de batterie, ces coups de bâton qui ouvrent les pièces de théâtre et qui ici aussi indiquent la closure. Lever et baisser de rideau d’une fantasmagorie rimbaldienne. Ensuite la musique déroule ses anneaux tel l’anaconda originel des mythologies amazoniennes dont les violents coloriages des tatouages de la peau sont censés représenter le spectacle du monde, la voix de Vidi n’est pas divine, elle se fond dans la pâte sonore, les trois strophes du poème sont dites mais point énoncées, quel secret murmure-t-il entre les strophes, l’on ne perçoit bien que les phonèmes ‘’sa-ge’’ comme s’il s’agissait de détenir sans le divulguer le secret de toute sagesse poétique. Ce poème fait partie de l’ensemble de ces vers de Rimbaud écrits en l’année 1872, soit après Le Bateau Ivre qui date de 1871, faut-il les entendre après ses premières poésies comme une nouvelle tentative poétique de Rimbaud pour fixer tous les vertiges de ses sensations par le vers qu’il ne poursuivra pas et qu’il abandonnera au profit de la prose d’Une Saison en Enfer et des Illuminations… Faut-il expliquer le silence ultérieur de Rimbaud par justement ce constat qu’il fit de ne pas réussir à forger un vers à sa démesure et qu’il ait perçu l’adoption de la prose comme un échec encore plus mortifiant. Tête de faune : ces trois quatrains, un thème rebattu de la poésie française, n’ont rien de poétiquement révolutionnaire, à première vue, car sous la tête du satyre se cache la figure de Verlaine, cette apparition faunesque Vidi l’entrevoit selon une orchestration similaire au premier morceau, mais il est des notes qui klaxonnent et qui percent les tympans comme de joyeuses sonneries de cor enjouées, la voix légèrement moins basse, davantage audible même si dans le blanc qui sépare les strophes elle revient noyée sous un désordre orchestral, qui se déploie de plus en plus pour terminer en une espèce d’exultation finale. Pièce heureuse, l’on sent l’exaltation quasi érotique de l’adolescent Rimbaud. Vidi ne dit pas, il profère. L’esprit : fait partie de cette même et deuxième tentative poétique que Les amis. Cette fois c’est le vocal accentué et presque crié qui conduit la musique. Un chant de désespoir, Rimbaud clame l’inanité de ses anciennes visions de ces folies déréglées, n’en est pas moins brûlé de l’intérieur par une soif d’absolu qu’il lui est impossible d’étancher. Les mêmes coups violents de batterie que dans Les amis terminent le morceau. Jouent le même rôle que les coups du destin beethovenien dans la cinquième symphonie. Exultation romantique fracassée. La première soirée ( Part 1 ) : double changement d’atmosphère, tam-tam-bourinade quasi africaine, agrémentée d’un groove électrique induisant l’intrusion par rapport aux trois premiers poèmes d’une modernité musicale actuelle peu révolutionnaire, pour le texte on ne dira jamais assez combien le jeune Rimbaud est redevable aux odelettes de Théodore de Banville, l’on peut dire que le génie de Rimbaud a consisté à essayer de donner un sens métaphysique à la gratuité, donc insatisfaisante, du concept funambulesque mis en œuvre par cet ‘’aîné’’ prestigieux pour le jeune lycéen. Qu’est-ce que cette première soirée que le récit d’une idylle érotique entre une jeune demoiselle qui n’a pas peur du loup et un adolescent tout fier de jeter sa gourme… afin d’enlever à ce texte tout ce qui tient de l’exercice imitatif de style, Vidi mélodramatise le vocal, lui confère une dimension burlesque correspondant assez bien aux vantardises d’un jeune mâle qui de fait doit son triomphe davantage au bon vouloir de la jeune femelle qu’au rut présupposé sauvage de notre jouvenceau. Ne pas oublier que malgré   ses proclamations victorieuses Rimbaud est un maître de l’auto-dérision. La première soirée ( Part 2 ) : cette deuxième partie n’est que la suite du poème dont la première partie n’était consacrée qu’aux quatre premières strophes, voici donc les quatre dernières,  suite acoustique qui prend non plus le pied de la belle mais le contre-pied de la première interprétation, le même thème mais ici la bravache du garçon prend le dessus, presque un Casanova désargenté, mais la musique acquiert une densité lyrique bien plus forte, les arbres qui se penchent malinement à la fenêtre, tout près, tout près, semble ne plus faire qu’un avec l’action copulatoire, comme si l’acte sexuel du Don Juan en herbe mettait en branle une osmose souveraine avec la nature et l’univers, mais après l’instant extatique de la décharge, la simple et sempiternelle œuvre de chair accomplie l’acoustique revient, tel le sifflotement victorieux de l’amant satisfait.  Le faim : retour aux poèmes de 1872, il existe une autre version de Faim intitulée Fêtes de la Faim dans laquelle Rimbaud s’essaie à une version qui tend à rapprocher le poème d’une chanson notamment par l’introduction des onomatopées dim ! dim : dim ! dim ! qui ne sont pas sans évoquer les cloches des églises - ne pas y voir une critique de prélats dodus mais plutôt la recherche d’une écriture illuminante empruntant sa puissance à la naïveté brutale des arts populaires, si je fais allusion à cette version c’est que dans l’introduction musicale du morceau le lecteur ne manquera d’entendre dans la noirceur instrumentale s’élever le clairon dim-dimesque de ces trilles sonnantes, que l’on peut rapprocher de leitmotivs wagnériens du pauvre, repris par la suite en sous-main au piano,  une manière pour Vidi d’exposer  au travers de l’infatuation lyrique le déchaînement de cette soif d’absolu qui le dévore. Et dont la faim le tenaille. Faute de poésie céleste, mange de la terre.

    Quatre poèmes suffisent à Vidi pour silhouetter une image intérieure de la démarche de Rimbaud. L’œuvre est à écouter dans sa continuité. Elle risque de désorienter les auditeurs français nourris aux interprétations des poèmes de Rimbaud et Verlaine qui prennent un sacré coup de vieux. Nous excluons toutefois la version d’Une saison en Enfer du même Ferré mais s’accompagnant en solitaire au piano.

     

    DANS L’INTERMINABLE

    KREATIONIST

    ( I, Voidhanger Records / Novembre 2021 ) 

    Après Rimbaud, Verlaine ! Mme principe pour la couve, un tableau emprunté à un peintre du dix-neuvième siècle. Verlaine n’y figure pas. La toile offre cependant un contraste parfait avec L’Indulgence. Les fresques allégoriques de Puvis de Chavanne ne sont guère en odeur de sainteté artistique de nos jours. Elles empruntent trop, pour nos goûts de modernes chasseurs tohu-bohuques à un discours symbolique trop explicite. Intitulée Le rêve, le tableau nous montre en même temps un dormeur et son rêve. Notre modernité aurait effacé le dormeur et nous aurait dessiné les éclats  d’un cauchemar labyrinthique peuplé de monstruosités freudiennes… Or Puvis de Chavannes le représente sous le blanc virginal de leur céleste apparence trois jeunes femmes apportant au bienheureux endormi les symboles de l’amour, de la gloire et de la richesse. Quelle fadeur !

    Encore faut-il apercevoir sous la grâce diaphane de cette triple apparition, la mise en abyme de la scène mythologique de Pâris sommé d’élire la plus belle de trois déesses, lorsque l’on se souvient des dix années de guerre de Troie engendrées par le choix de Pâris, l’on comprend la fadeur mortuaire des teintes qui représentent le Rêveur couché à même le sol.

    Le titre de l’album est propice à la rêverie. Nous y reviendrons. C’est quoi qui est interminable, la vie, la mort, le rêve, la poésie, cochez la case qui vous convient le mieux.

    jordan,saunts,marlow rider,alicia f !,kreationist,kevin junior + chamber strings

    Mandoline : le titre est prometteur en plus extrait des Fêtes galantes, les premières notes nous détrompent vite, certes le rythme est relativement   tourbillonnant mais comme brouillé, ouaté, séparé de nous, un piano trop nostalgique l’interrompt de temps en temps, mais la musique ne s’arrête pas et tourne infiniment, Vidi chante à mi-voix, il susurre, il expire, l’on ne tarde pas à comprendre tout cela est du passé depuis longtemps, Vidi nous en rapproche autant qu’il nous en éloigne, des échos d’un temps oublié qui ne saurait s’effacer ni perdurer non plus, ombres bleues de la mort figées dans le temps. Il pleure dans mon cœur : intro emphatique, précipitations, ce doux murmure de la plus douce des Romances sans paroles, Vidi la dit avec rage, un piano se pose sur sa souffrance, comme des éclats de mitraillette, la rancœur prend le dessus, la haine affleure sous les mots, maintenant presque une musique de film qui ronronne, tout cela importe-t-il vraiment. Kreationist nous mouline Verlaine au nihilisme. Colloque sentimental : ( + Flika ) retour aux Fêtes Galantes, la même rage qu’au précédent, cette fois-ci pas de tergiversation pas, nous sommes au royaume de la mort, deux ombres parlent, un dialogue qui sonne faux, Flicka a l’air d’une débutante qui passe une audition pour un rôle mineur dans un théâtre de province de douzième catégorie, à la douceur de Verlaine Vidi a substitué sa violence, le temps emporte et décharne toutes les illusions de l’élan vital. Walcourt : rythmique binaire, musique forte et presque joyeuse si ce n’est ce leitmotiv en catimini qui n’a l’air de rien, et ce paysage charmant décrit avec ce doublement psalmodié de nombreux mots, Vidi chante comme on dégueule, comme on gerbe, un piano ouvert sur l’apparente beauté du monde, exaltation rythmique épanouissante, trop beau pour être gai, la musique s’arc-boute sur elle-même et s’arrête brusquement. Nous ne faisions que passer. Interlude : titre verlainien en diable, de la musique avant toute chose, morceau musical, reprend l’atmosphère des titres précédents, Vidi veut-il nous laisser retrouver souffle, pas très longtemps en tout cas. Extase langoureuse : encore une de ces Romances sans paroles qui disent toute la tristesse du monde, ce qui est passé depuis moins d’une seconde est définitivement perdu, la musique fonce en avant comme si elle voulait rattraper le bonheur en allé, ce vide qui nous constitue. Le morceau le plus rock du disque. La bonne chanson ( XI ) : même vitesse, même empressement, ce n’est plus le passé qui n’est plus, c’est le futur qui n’est pas encore, n’est-ce pas la même chose, la même absence, des ondées d’inquiétude parfument le background musical, le vocal essaie de forer le mur du temps qui nous enserre. Soleil couchant :   encore un extrait de Romance sans paroles, débute par un long prélude pianistique, doucement la musique prend de l’ampleur, à croire que c’est un poème sans mots, d’ailleurs qu’attendre de beau et de bon d’un poème saturnien, est-il vraiment utile d’en chanter les paroles, tout soleil couchant n’est-il pas comme une prémonition de notre déclin, la musique se fait douce, de l’ouate, un pansement pour nous consoler, et puis cette évocation encolérée au soleil. Couché. Dans l’Interminable : ainsi écourté le titre prend une dimension métaphysique, si vous rajoutez le vers suivant Ennui de la plaine, cette romance sans parole semble toucher terre. Hélas une terre vide. Est-ce pour cela que la musique semble prise d’une frénésie d’urgence, d’une pamoison d’espoir infini, hélas si brutalement achevée !

             Pour cet opus consacré à Verlaine, Kreationist n’a choisi que des textes provenant de ces quatre premiers recueils, ce qui est obligatoirement réducteur quant à la totale préhension de son cheminement poétique. Vidi nous offre toutefois une lecture toute personnelle des premiers textes de Verlaine embués d’une sourde nostalgie qu’il a magnifiquement transcrit par son metal doom atmospheric empruntant à bien d’autres styles musicaux tout en gardant une grande unité de ton.

    Ma préférence se porte toutefois sur L’Indulgence de Rimbaud, ce personnage arborant une bien plus grande dimension êtrale.

    Damie Chad.