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  • CHRONIQUES DE POURPRE 634: KR'TNT 634 : NEW YORK DOLLS / COURETTES / SUN RECORDS / McKINLEY MITCHELL / SLY STONE / MESSE / EIHWAR / JOHNNY HALLYDAY / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 634

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    29 / 02 / 2024

     

     NEW YORK DOLLS / COURETTES

    SUN RECORDS / McKINLEY MITCHELL

    SLY STONE / MESSE / EIHWAR

    JOHNNY HALLYDAY / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 634

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Dollse Vita

    (Part Two) 

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             Franchement, si tu es fan des New York Dolls, ou plus simplement du rock dans ce qu’il peut présenter de plus outrageous, vois et revois le docu de Bob Gruen & Nadya Beck, All Dolled Up - A New York Dolls Story. Gruen qui venait de se payer une caméra a filmé 40 heures de Dolls, et son docu montre à quel point les Dolls étaient à la fois bien ancrés dans leur temps et terriblement en avance sur tous les autres, notamment les Stones et les laborieux Aerosmith. En fait, ils reprenaient les éléments qui firent la grandeur des Stones pour les pousser à l’extrême, et ça passe à la fois par des bonnes chansons, la dope, un son et surtout un look. Et sur les quatre plans, les Dolls étaient imparables. Ils étaient même devenus les meilleurs. Aux États-Unis, les Dolls, les Groovies, le Velvet et les Stooges ont repoussé les frontières de l’empire du rock, un empire créé dix ans plus tôt par Elvis, Little Richard, Jerry Lee, Bo, Chucky Chuckah, Charlie Feathers, Gene Vincent et quelques autres. De tous ces candidats au désastre, les Dolls furent de toute évidence les plus exposés. Ils ne pouvaient pas faire autrement que de vivre la dollse vita, c’est-à-dire la version new-yorkaise du sex & drugs & rock’n’roll, une dollse vita qui a décimé le groupe, puisqu’aujourd’hui, seul David Johansen a survécu, comme chacun sait.

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             Le Gruen movie est un festin d’images, du double concentré de trash visuel en noir et blanc, un brouet gargantuesque de chevelures ébouriffées, de guitares électriques, de street slang, de platform boots, de lunettes noires extravagantes, de groupies défoncées, de backstages improbables, de torses post-adolescents, de lèvres peintes, de Mystery Girls, toute cette énergie et toute cette débauche qu’on a découvrit en 1973, via le premier album des Dolls, et qu’on adopta aussitôt adoptée pour la vénérer, une vénération qui a donc 50 ans d’âge. Et qui n’a jamais pâli.

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             Les gens n’ont pas bien percuté à l’époque : les Dolls, leur look, leur son, leur provoc, c’est exactement le même esprit que celui d’Evis en 1954, quand il twiste des rotules sur scène en pantalon rose. Même esprit que celui d’Eddie Cochran qui se farde les yeux au mascara et qui fume sa pipe à herbe. C’est le même langage visuel destiné à porter un message qui s’appelle le rock. «Mystery Train» et «Mystery Girls» même combat ! Pour Elvis et les Dolls, il ne s’agit pas tant de choquer le bourgeois que de rassembler les kindred spirits, comme on dit en Angleterre, c’est-à-dire les âmes sœurs. Dans l’histoire de l’humanité, et dans une histoire qui ne soit pas politique, peu de gens ont réussi cet exploit, c’est là où d’une certaine façon le rock flirte avec la spiritualité, en rassemblant les brebis égarées. John Lennon a eu raison d’affirmer que les Beatles étaient plus célèbres que le Christ. Les Dolls ont rassemblé beaucoup moins de gens qu’Elvis et les Beatles, mais les ceusses qui ont adhéré au parti du Trash won’t pick it up n’ont JAMAIS déchiré leur carte. 

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             Alors qu’Elvis allait être contraint de rentrer dans le rang, les Dolls ont explosé en plein vol, ce qui est à la fois une fin logique et ce qu’on appelle une tragédie des temps modernes. On pressentait déjà à l’époque qu’ils n’allaient pas tenir longtemps. Too Much Too Soon avait quelque chose de prémonitoire. En se sacrifiant sur l’autel des dieux du rock, les Dolls obéissaient à une pratique qui remontait à la nuit des temps, celle du sacrifice humain. Une pratique qui anticipait l’ère de la tragédie grecque, qui elle-même anticipait une époque qui est la nôtre, elle aussi tragique, mais pour d’autres raisons, disons plus condamnables.

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             Dans l’histoire du rock, peu de groupes ont «échoué» si près du but. Comprenez par-là que les Dolls auraient dû devenir aussi énormes que les Stones, Aerosmith et Kiss confondus, c’est exactement ce que montre le docu de Bob Gruen. On le savait à l’époque, leurs deux albums rivalisaient de classicisme avec les triplettes majeures que sont celles du Velvet, des Stooges, de l’Expérience et du MC5. Il faudra attendre 40 ans pour qu’un docu vienne conforter cette vieille conviction. Gruen fait éclater la génie des Dolls au grand jour. Heureusement qu’il est allé les filmer au Max’s Kansas City et à Kenny’s Castaway, on les voit taper «Jet Boy» sur scène avec un Johnny T torse nu, puis on se tape une petite lampée de «Personality Crisis» et là, on ajuste son propos : il est certain que les Dolls sont le groupe le plus outrageous de l’histoire du rock. Ils poussent l’extravagance des mises et des chevelures à l’extrême onction de la ponction, tu ne peux pas avoir plus de cheveux que les Dolls, et ils se bombent à coups de spray pour maintenir les geysers capillaires en l’air. Et là, sur scène, pas de cadeaux : big voice et deux guitares. «Subway Train» au Max’s, l’un des cuts des Dolls les plus difficiles à reprendre. Il n’y a qu’eux pour savoir jouer un cut aussi bringuebalant. Et boom voilà le trash won’t pick it up qui te faisait valser les neurones, à l’époque. Coup de génie de Gruen : il accompagne les Dolls en tournée ! C’est le fameux voyage en Californie. Tu vois Sylvain Sylvain en short et en bottes, délicieusement provoquant, et Johansen en costard noir avec un petit haut blanc et un chapeau de chochote. Les gens les matent dans le hall de l’aéroport. Ils jouent au Whisky A Go-Go, Gruen filme le sound-check, puis il nous emmène à l’English Disco de Rodney Bigenheimer et là on voit des gens improbables danser sur «I’m Waiting For The Man», les gonzesses font n’importe quoi, c’est l’époque où jerker devient difficile, car les cuts ne sont pas faits pour la danse, surtout pas ceux des Dolls. Ils vont ensuite jouer au Matrix, à San Francisco, Johnny T traîne avec une petite blondasse qui pourrait bien être Sable Starr. Sur scène, ils tapent une version demented de «Mystery Girls». Killer Kane est sur scène, mais il ne joue pas, sa main droite est dans un plâtre, cadeau de sa poule qui a essayé de lui scier le pouce pendant qu’il cuvait sa picole. Tony Machine le remplace au bassmatic. On voit aussi Jerry Nolan jouer la loco sur scène et Syl Sylvain gratter ses poux sur une Flying V. Johansen rend hommage à Willie Dixon - Willie got it. It’s called Hoochie Coochie Man - et ça embraye plus loin sur «The Great Big Kiss». Bob Gruen réussit aussi à filmer l’Hollywood TV Show et on assiste à la séance de maquillage. Spectaculaire ! Ces gens-là savent poser. Ils adoraient poser. Personality Crisis TV show, c’est d’ailleurs de ce show mythique que sort la photo de pochette de Too Much Too Soon. Encore un coup de génie documentariste : Gruen se pointe avec sa caméra à l’Halloween Party au Grand Ballroom du Waldorf Astoria. Rien de pouvait plus freiner l’ascension des Dolls, ils brûlaient toutes les étapes, ils incarnaient le mythe du rock mieux que tous les autres groupes, ils étaient flamboyants. De vraies superstars, avec un set qui tournait comme une grosse horloge. Puis sur la scène du Little Hippodrome, Johnny T chante «Pirate Love» qu’il reprendra avec les Heartbreakers. Il est torse nu, très carré d’épaules, Johansen lui cède le micro. 

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             Il existe un deuxième film de Bob Gruen : New York Dolls - Lookin’ Fine On Television. La matière filmique est la même, mais le film est monté différemment : Gruen part d’une liste de cuts et monte un millefeuille de séquences différentes sur chacun d’eux. Pour le fan des Dolls, c’est une nouvelle foire à la saucisse. Ça démarre en trombe avec «Looking For A Kiss» : Johnny Thunders bien campé sur ses jambes et riff brutal pointé un gros hochement de tête. S’il fallait résumer les Dolls en seul mot, ce serait ‘flamboyant’. David Jo annonce : «And it’s called Babylon/ C’mon boys !». Tout ce que filme Gruen, c’est les Dolls MK2 avec Jerry Nolan. Ah les chœurs de Babylon, c’est quelque chose ! Les Dolls ne le savent pas encore à l’époque, mais leur «Babylon» est devenu un classique, au même titre de «Wanna Be Your Dog» et «Venus In Furs». Encore de la fantastique énergie avec «Trash» et «Bad Detective», big atmo avec «Vietnamese Babies» et grosse ambiance révolutionnaire avec «Bad Girl». Quand Johnny Thunders chante «Chatterbox», il est déjà violemment dans les Heartbreakers. Power maximal. Encore un sonic assault au Waldorf avec «Human Being», Johnny T sur Flying V et chœurs d’artiche avec David Jo. Encore plus heavy, voici «Private World», suivi du fantastique emballement de «Subway Train» et ses cassures de rythme intrinsèques. L’apogée des Dolls : «Personality Crisis» qu’ils montent en chantilly. On s’effare de l’extraordinaire nombre de bons cuts. Pas un seul déchet. Voici donc l’épitome de chèvre du rock, «Who’s The Mystery Girl», et tout se termine avec un «Jet Boy» fondamental et un Johnny T qui mène le bal au riff.   

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             De tous, Martin Scorsese est sans doute le plus habilité à rendre hommage aux Dolls. Il le fait donc via un film paru l’an passé, Personality Crisis One Night Only, et qu’on peut choper sur DVD américain. Il faut donc le lire sur un ordi. Il n’existe pas d’artiste plus new-yorkais que David Johansen, c’est ce que Scorsese entend démontrer avec ce film extraordinaire. Scorsese et son équipe ont filmé un concert unique de David Jo au Café Carlyle en 2020. Il a 70 balais et pour son âge, il est extraordinairement bien conservé : pompadour assez haute, moustache taillée, taille de guêpe, rubis à la main droite, émeraude à la main gauche, funky but chic, verres teintés. Il est la rockstar par excellence. Scorsese n’en finit plus de cadrer en gros plan ce crooner faramineux. L’ambiance est celle d’un cabaret, public assis à des tables, petites lampes, comme dans les films, David Jo est souvent filmé de dos et d’en haut, ce qui donne une vision globale de l’ambiance, comme dans New York New York. Entre chaque cut, il raconte des anecdotes qui sont à son image, extraordinaires et souvent drôles. Il joue son personnage de Buster Poindexter et tape un répertoire élargi, qui va des ballades de crooner jusqu’au «Personality Crisis» des Dolls. Il attaque d’ailleurs avec «Funky But Chic», awite awite, il swingue à gogo. Puis il enchaîne avec I hear a melody in the street, il te groove ça à la new-yorkaise de round midnite, et comme le public est aussi là pour ça, il sort des vieux souvenirs des Dolls : c’est l’anecdote de la Newcastle Brown Ale, les Anglais leur disent drink it ! drink it, big cans, des super pintes, et puis on stage, the drummer throws up, il dégueule et joue dans son vomi, une éclaboussure arrive dans la bouche de David Jo qui dégueule à son tour, blaaaaarhggghhh, comme dirait Nick Kent, throw up, bass throws up, guitar throws up and that was the beginning of punk, the Dolls throwing up. Melody yeah yeah. Puis Scorsese commence à injecter des images d’archives des Dolls, et là ça devient vertigineux, «Stranded In The Jungle» - Meanwhile back in the States - Johnny Thunders torse nu en pantalon à franges, grandeur des Dolls sur scène. Puis paf, voilà la grande tronche de Morrisey - They were very violent, very witty, very intelligent - Il parle même de danger in pop - That was the turning point for me. Every single song is really a hit single. They look like male prostitutes - Moz n’en peut plus - The absolute answer to everything - À l’époque, David Jo explique la stratégie des Dolls : «Bring these walls down and have a party kinda thing.». Il se moque un peu de Morrisey - Have you heard of a fellow named Morrisey ? He was the teenage president of the New York Dolls fan club in England - Et ça embraye aussi sec sur le fameux Meltdown Festival de 2004, «Jet Boy», entrelardé avec du Johnny Thunders cuir noir/Teardrop blanche - Lucky was my baby - Le Jet Boy te hante encore, cinquante ans après.

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             Et pouf, il attaque l’un des hits planétaires du grand retour des Dolls (One Day It Will Please Us To Remember Even This), «Plenty Of Music» - There in a world gone mad/ Feelin’ sad/ I guess I’m sorry - et soudain, il s’élance sans s’élancer - I hear plenty of music/ I see superfluous beauty everywhere/ Why should I care/ What does it matter - Il chante ça au pâteux de vieux Doll, mais avec une classe qui subjugue. Scorsese continue d’entrelarder son film avec virtuosité : il ramène un plan des Harry Smith, on stage, David Jo avec Hubert Sumlin et Charlie Musselwhite, et le «Smokestack Lightning» de Wolf. Oui, David Jo a rencontré Harry Smith au Chelsea, l’Harry Smith qui a collecté les archives de l’American Folk Music.

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             David Jo enfile les hits comme des perles - It’s always raining here - présente Penny Arcade, une vieille de la vieille, puis il raconte comment un jour Killer Kane et Billy Murcia sont venus taper à sa porte, alors il imite la voix d’eunuque de Killer Kane - I understand you’re a singer - et boom, il embraye aussi sec sur «Lonely Planet Boy». Rien de plus Dollsy que cet épisode. Scorsese nous montre aussi le jeune Buster Poindexter, coiffé exactement comme le vieux David Jo - I can sing anything. Any inexpected kind of song - Voilà ce qui fait venir le public. Scorsese ne laisse rien au hasard. Il ratisse tout ce qui fait la grandeur de David Jo, à commencer par sa présence. Dans une interview, un mec dit à David Jo qu’Aerosmith et Kiss ont connu la gloire, mais pas les Dolls, auxquels ils ont tout pompé. David Jo répond à côté - The Dolls were a band’s band - Il cite l’exemple des Ramones qui eux aussi disaient : «We can do that.» Et boom, nouveau hit faramineux avec «Maimed Happiness», tiré aussi d’One Day It Will Please Us To Remember Even This. Maimed veut dire ‘estropié’, et David Jo ajoute : «Life is just maimed happiness.» Ils finissent avec «Personality Crisis» et Scorsese cadre Brian Koonin sur sa Tele, mais aussi Keith Cotton au piano, Richard Hammond au bassmatic et Ray Grappone au beurre. Méchante équipe !   

    Signé : Cazengler, New York Dumb

    Martin Scorsese. Personality Crisis One Night Only. DVD 2023

    Bob Gruen & Nadya Beck. All Dolled Up. A New York Dolls Story. DVD 2005

    Bob Gruen & Nadya Beck. New York Dolls. Lookin’ Fine On Television. DVD 2011

     

     

    L’avenir du rock

     - Elle court elle court la Courette

             L’avenir du rock marche dans le désert depuis des années. Il a fini par se lasser de la marche, comme on se lasse de tout. Alors pour se divertir, il s’est mis à courir. Disons qu’il galope, car n’étant pas un sportif, sa foulée n’a vraiment rien d’élégant. Et depuis qu’il court, il voit tout le monde courir. Un jour il croise à nouveau Rimbaud et ses quatre porteurs éthiopiens. L’avenir du rock interpelle Rimbaud. Tout le monde s’arrête.

             — Mais vous zêtes pas Rimbaud !

             — Ben non, vous voyez bien !

             — Alors qui vous zêtes ?

             — Sylvain Tintin !

             — Vous m’en direz tant ! Je vous croyais au Tibet à la recherche du Yéti des neiges. 

             — Non, je voyage sur les traces de Rimbaud pour célébrer sa mémoire dans mon prochain livre. J’écris sur ma civière, voyez-vous. Permettez-moi de vous présenter mes porteurs : Abebe Bikila qui s’entraîne pour le marathon olympique, son frère Abobo Bikila qui vient d’acheter un duplex dans le Marais, son autre frère Abubu Bikila qui est en sevrage après tant d’abus, et lui, c’est Abibi Bikila qu’on surnomme Fricotin, ne me demandez pas pourquoi. Vous pouvez profiter du voyage, si vous le désirez, c’est une civière à deux places...

             — Non merci, zêtes sympa, Sylvain Tintin, je dois affronter mon destin.

             L’avenir du rock reprend sa course. Quelques heures plus tard, il croise un couple exotique, un mec habillé en noir et coiffé d’une casquette court devant, suivi à vingt mètres de Ronnie Spector. Intrigué, l’avenir du rock les interpelle. Tout le monde s’arrête.

             — Mais vous zêtes pas Ronnie Spector !

             — Ben non, vous voyez bien !

             — Alors qui vous zêtes ?

             — Flavia Couri !

             — Vous m’en direz tant ! Pourquoi courez-vous ainsi ? 

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             — Parce que nous sommes les Courettes !

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             Franchement, on ne pouvait rêver meilleure introduction. Le désert a tout de même meilleure réputation que la banlieue d’elle-court-elle-court. Et d’ailleurs, elle court elle court aussi sur scène, la Courette, dans sa petite robe rouge et ses bottines en vinyle blanc. Set énergique d’un duo rompu à toutes les disciplines du power-gaga. Elle s’appelle Flavia et on peut dire qu’elle tient bien la rampe, elle remplit bien le spectre du chant et gratte des jolis poux de fuzz entre deux eaux. Leur petite machine tourne comme une horloge.

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    Côté beurre, le gros Martin ne chôme pas, sous sa casquette de Liverpool, il bat pour dix, se prend pour Pantagruel, il boom-boom-boom et badaboumme, c’est un vrai marteau pilon échappé des forges du Creusot. Il a pour sale manie de se remplir la bouche d’eau et de faire son Moby Dick, avec des jets de dix mètres de haut dans le ciel, et si tu te trouves au pied de sa batterie, tu en prends plein la gueule. Bon, une fois c’est marrant. Mais au bout de dix fois, ça ne l’est plus. Pour te consoler, tu peux te contenter de penser que c’est moins pire que la bière. On a tous été dans des concerts punk à la mormoille où il pleuvait de la bière comme vache qui pisse.

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    Donc Moby Dick fait la loco des forges, et pour Flavia c’est du gâtö, elle peut foncer dans la nuit. Elle est d’une fraîcheur incomparable, impressionnante de professionnalisme gaga. La plupart des cuts font boom, surtout «Boom Dynamite», et le magnifique «Trashcan Honey» hanté par des chœurs de rêve - Trashcan Honey ouuuh ouuuh - Ça explose comme une comète au printemps.

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    Ils démarrent le set avec un «Hoodoo Hop» gavé de fuzz comme oie, si gavé qu’il en devient classique. On a déjà tellement entendu ce son qu’on ne cille plus, et pourtant, ça reste d’une redoutable efficacité. Les deux Courettes ont le diable au corps. Flavia trépigne sur son «Shake», pourtant tellement classique, mais dans ce contexte, ça passe comme une lettre à la poste. Ils terminent avec l’«Hop The Twig» tiré de Back To Mono, et tenu par la barbichette d’un riff qu’on dirait sorti tout droit de la SG de Link Wray. Un son lourd de menace. Pas de meilleure façon de célébrer la magie enfuie des sixties.

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    Elle chante à l’accent fêlé et amplifie le sortilège. En rappel, ils tirent aussi le «Misfits & Freaks» de Back To Mono, c’est héroïque car la prod est tellement spectorienne qu’on n’imagine pas les voir jouer ça sur scène, mais elle y va de bon cœur, et Moby Dick continue de cracher des jets d’eau à gogo. Ils restent sur le Back To Mono pour conclure avec «Won’t Let You Go», belle power pop sixties tellement spectorienne qu’elle remplit le cœur d’aise. Moby Dick fait des jolis chœurs. Les Courettes ont découvert le secret des dynamiques infernales.

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             Avec Here Are The Courettes, pas de surprise : on reste dans le classic gaga sauvage avec ses solos de fuzz et ses wouahh juvéniles. Ils s’amusent même à monter «Money Blind» sur le beat de «Lust For Life», alors t’as qu’à voir. Ils y vont la fleur au fusil, à l’here we go ! Pas de problème. Admirable Flavia ! Elle dispense des flaveurs. Les deux bombes de l’album sont en B : «Shiver» et «We Are Gonna Die». Elle gratte son Shiver à l’ongle sec et Moby Dick le bat comme plâtre. Voilà l’hit ! Sec comme un olivier. Bien décharné. Une olive tous les huit ans. On se régale encore plus de la belle intro du Gonne Die. Big disto de bim badaboom, elle te riffe ça comme la reine des cakes.

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             We Are The Courettes est un album bien plus dodu que le précédent : 7 bombes sur 12 cuts. Pas mal pour un groupe de zone B. Flavia commence par noyer son «Time Is Ticking» de fuzz. Elle connaît toutes les ficelles du caleçon. C’est excellent, bourré d’écho et de climax tic tic.  En bout de B, elle tape le «Boom Dynamite» du set. Elle le pulse au riff surexcité. L’autre coup de génie est le «Voodoo Doll» traversé par un hallucinant solo de corne de brume. Voilà un cut d’une brutalité indescriptible. Même topo avec «All About You». Une pluie de silver sixties s’abat sur la terre des Courettes. Avec sa belle énergie d’absolute beginner, ses blasts opérationnels et ses jives définitifs, cet album bat tous les records de densité. Derrière Flavia, Moby Dick tape comme un sourd. Elle attaque «Nobody But You» aux accords de Dave Davies. C’est exactement le même freakout de wild gaga strut, et ça continue avec la Méricourt absolue de «TCHAU», c’est du sans pitié pour les canards boiteux. Si tu aimes la viande, te voilà bien servi. On les retrouve beaucoup trop énervés sur «The Teens Are Square». Elle monte sur tous les coups, et son talent finit par nous faire oublier les clichés.

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             Le Back In Mono paru en 2021 compte parmi les plus somptueux hommages à Totor. On se croirait au Gold Star en 1965. Flavia n’y va pas de main morte, elle est en plein dans Ronnie, et ce dès «Want You Like A Cigarette», porté par une prod démente saturée de Back in Mono, ça grince dans les poches, ça shake all over. Et ça continue avec «I Can Hardly Wait», c’est même du Totor à la puissance 10, l’«Hey Boy» qui suit est un copy-cat des Ronettes, «Night Time (The Boy Of Mine)» semble sortir tout droit d’un juke de 1964, c’est inespéré de Wall Of Sound, confus et puissant de yeah yeah yeah. Ils enfilent les pop blasters comme des perles, Flavia Spector a tous les réflexes du Brill. Ils explosent encore la rondelle des annales de Totor avec «Until You’re Mine» et «Trash Can Honey» déborde littéralement de niaque, ils forcent un peu la main du destin, et on voit «My One & Only Baby» se noyer dans la prod, elle se prend vraiment pour les Ronettes, même élan et même magie de juke. Et ça bombarde encore jusqu’à la fin, avec l’«Edge Of My Nerves» tapé à l’énergie de fast pop chantilly, ils sont les héritiers directs du génie pop de Totor.

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             Ce serait bête de faire l’impasse sur Back In Mono (B-Sides & Outtakes), car ce mini-album grouille de puces. Tu te grattes dès «Daydream» qui sent bon l’«Eve Of Destruction», mais plongé dans l’enfer de Totor. Trop beau pour être vrai ! Explosif ! Ils rassemblent toutes les conditions du stomp et de la fuzz pour allumer «Tough Like That», pur jus de petite pop trash produite dans l’esprit de non-retour. Flavia Spector gueule sa rage dans le chaos sonique et colle son cut au plafond. Nouvelle descente aux enfers du paradis avec «Talking About My Baby». Franchement, tu n’en reviens pas d’entendre un tel brouet d’excelsior, ils collectionnent les coups de génie, toutes les voiles sont bien gonflées, Totor aurait adoré Flavia, cette petite reine de la ritournelle du Brill. Avec «Only Happy When You’re Gone», elle passe au classic jive de Brill. Ils se jettent tous les deux à fond dans ce vieux mythe et bien sûr, ils n’oublient pas les castagnettes. Ils finissent en beauté avec «The Boy I Love», straight pop de right away, elle ramène son meilleur sucre, avec un petit côté France Gall, puis «So What», en plein cœur du gaga-punk et tapé avec une incroyable ferveur.

    Signé : Cazengler, court toujours

    The Courettes. Le 106. Rouen (76). 9 février 2024

    Courettes. Here Are The Courettes. Sounds Of Subterrania 2015

    Courettes. We Are The Courettes. Sounds Of Subterrania 2018

    Courettes. Back In Mono. Damaged Goods 2021

    Courettes. Back In Mono (B-Sides & Outtakes). Damaged Goods 2022

     

     

    The Memphis Beat

     - Flip Floyd and Fly

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             L’air de rien, John Floyd abat un sacré boulot dans son petit livrotin, Sun Records An Oral History : il donne la parole à un tas de monstres sacrés, Rosco Gordon, Roland Janes, Jack Clement, Billy Lee Riley, Little Milton Campbell, Jim Dickinson et des tas d’autres, mais c’est dans le spasme final d’un choix discographique qu’il s’affirme en tant que fan de tous les diables. Il fait l’une des meilleures apologies du rockabilly qu’on ait vue ici-bas et il choisit son camp : Jerry Lee et Carl Perkins, oui, la box de Gene Vincent chez Capitol, non. Et il dit pourquoi : «You could make an argument for Gene Vincent, I guess but I’ve heard the Capitol box and I’m not buying it - The box or the argument. (Tu peux essayer de me vendre Gene Vincent, mais j’ai écouté le coffret Capitol et je n’en veux pas. Ni de ton argument ni du coffret)» Il préfère la box de Carl Perkins, Classic, parue chez Bear : «Classic restitue l’homme tel qu’il fut, l’artiste de rockabilly le plus sauvagement doué, un mix de chanteur/compositeur/guitariste/leader qui ne fut jamais égalé.» Et il reprend juste après Gene Vincent : «Pendant quelques années dans le milieu des fifties, Carl Perkins incarna le rockabilly comme nul autre, de ce côté-ci d’Elvis. Il était aussi barré que le plus barré des rockabs («Her Love Rubbed Off») et il chantait avec la niaque d’un shouter de jump et un twang dans la voix aussi country qu’une bombonne d’alcool de maïs du Tennessee.» Voilà comment en quelques lignes, John Floyd brosse le portrait d’un géant et il a raison d’insister sur Carl Perkins, car il règne encore sur la terre comme au ciel. John Floyd sort à peu près le même genre de dithyrambe sur Jerry Lee. La box Bear Classic Jerry Lee est pour lui le summum du boxing : «Dire que ce coffret est le plus parfait coffret de Jerry Lee n’est pas exact. Il faudrait plutôt dire que c’est le meilleur coffret existant sur cette planète.» Et dans un dernier spasme d’exaltation, il clame : «But trust me, you need the box.»

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             Bien sûr, l’auteur aménage un bel espace pour Elvis dans sa discographie. Il recommande tout de suite The Complete 50’s Masters qui rassemble tout ce qui fut enregistré chez Sun, c’est-à-dire cinq singles. Il recommande aussi l’amazing docu Elvis  ‘56. Et il redit son admiration pour ce qu’Elvis, Bill, Scotty et Sam ont inventé dans cette petite pièce carrée du 706 : «Chaque fois que je réécoute ces singles, je m’émerveille de l’adresse, de la grâce et de la détermination avec lesquelles Elvis, Scotty et Bill ont approché le «Good Rocking Tonight» de Roy Brown et le «That’s Allright» d’Arthur Crudup, et de la façon dont ils ont transformé le médiocre «Baby Let’s Play House» d’Arthur Gunter en thundering culmination de tout ce qu’ils avaient réussi à faire lors de la première séance d’enregistrement.» Et il conclut son chapitre Elvis avec la plus rockab des chutes : «Rien de ce qui a pu être écrit à propos d’Elvis et des singles Sun ne peut dire la grandeur de cette musique et à quel point elle est bonne. Il faut juste l’écouter.» Alors évidemment, après le trio de tête Carl/Jerry Lee/Elvis, il est difficile de chauffer le brasier des recommandations. John Floyd regrette qu’il n’existe pas de box consacrée à Billy Lee Riley, le seul artiste Sun qui selon lui aurait pu continuer à porter le flambeau après le départ d’Elvis et avec, précise-t-il «more gusto, relish and determination than the killer.» C’est ce qu’il ressent en écoutant les manic rockers qui ont fait la légende de Billy Lee chez les fans de rockab. Il va loin car il affirme que Billy Lee est resté culte car il n’a jamais connu le succès et donc n’a jamais terni sa glorieuse obscurité. Il cite aussi la classe de Charlie Rich et recommande son dernier album, Pictures And Paintings («triomphant retour sur Sire en 1992»).

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             En aval, John Floyd remonte jusqu’au Box Sun Blues Years 1950-1956 qu’il tient non pas pour la plus belle collection de blues de Sam Phillips, mais pour le plus beau coffret de postwar blues. On y retrouve Wolf, Joe Hill Louis, Sleepy John Estes et tous les autres, BB King, Little Milton et Rufus Thomas. Et quand il pointe les volumes des Memphis Days de Wolf, il parle de «musique la plus abrasive, la plus poignante, la plus suffocante du panthéon de la musique américaine.» Floyd évoque une voix chargée de pathos et de terreur, et les schrapnels de la guitare de Willie Johnson. Sam Phillips disait de Wolf qu’il était le plus grand artiste qu’il ait jamais enregistré, plus grand qu’Elvis. Puisqu’on est dans Wolf, voilà Pat Hare que recommande Floyd. Il recommande aussi l’Hey Boss Man de Frank Frost, dernier bluesman enregistré par Sam Phillips. Et puis comme pour Billy Lee Riley, Floyd regrette qu’on n’ait pas de box pour Charlie Feathers. Il parle d’une vaste et fascinante carrière, mais dit-il en guise de consolation, il suffit d’amasser les disques existants pour comprendre la portée de son considerable cult following. Ce qu’ont fait tous les dedicated followers of the fashion.

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             Ce petit livre qui ne paye pas de mine dit tout ce qu’il faut dire du rockab, né en juillet 54 au 706 Union Avenue, Memphis Tennessee. Dans une petite pièce, quatre mecs, Scotty, Bill, Elvis et Sam surent brasser le blues, la country, le bluegrass et la pop pour en faire quelque chose d’autre. Le rockabilly, simple mélange de raw country sound, popping guitar, slapback bass, blues-soaked swing et d’echo pioneering allait devenir une spécialité régionale. Floyd rappelle que Johnny Burnette a raté son audition chez Sun et qu’il dut aller à Nashville enregistrer chez Coral, où enregistrait déjà Buddy Holly. Mais le meilleur rockabilly fut enregistré à Memphis. Floyd rappelle que Billy Lee Riley aurait dû devenir une star. Il dit aussi que la grandeur de Jerry Lee dépassait largement le rockab, et même le rock’n’roll et la country et que Carl Perkins reste le rockab quintessentiel, car il sut en maîtriser les thèmes et le concept. Il termine ces quelques pages enflammées en citant les héritiers du rockab : Ronnie Hawkins et son hoodoo boogie, Billy Swan et sa country-pop, et puis les Cramps.

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             Autant les pages consacrées à Charlie Feathers sont émouvantes, autant celles consacrées à Billy Lee Riley sont enflammées. Floyd voit Charlie Feathers comme un excentrique hot-tempered doté d’une voix qui va du chat perché au baryton, un homme qui affirme avoir inventé le rockab - et non Sam ou Elvis. Quinton Claunch qui fut chargé par Sam d’enregistrer Charlie aimait bien sa voix, mais il le trouvait un peu trop auto-centré, «to say the least», «il était son pire ennemi et ne faisait confiance à personne.» Charlie prétendait avoir appris à Elvis à chanter, mais Claunch pense qu’au fond Charlie en voulait à Elvis de le voir réussir en utilisant la même vision du son, et il ne pouvait tout simplement pas le supporter.

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             Et pour Floyd, Billy Lee Riley avait une voix de rêve, qui mêlait Elvis et Little Richard. Il avait aussi un style de guitare qui allait devenir un modèle du genre. Mais il ne s’entendait pas bien avec Sam - Sam and I didn’t really get along per se - Ils se respectaient mais s’engueulaient. Billy voulait faire un truc et Sam voulait qu’il en fasse en autre. Pour Billy, le vraie génie chez Sun n’est pas Sam, mais Jack Clement. C’est Jack qui a tout enregistré pour Billy chez Sun. Et comme à l’époque, Billy et Sam picolent pas mal, ça n’arrange pas les choses. Quand Billy découvre que Sam met Jerry Lee en avant chez Alan Freed, alors il explose et casse tout chez Sun - That was enough to make me mad - Il faut se rappeler que l’alcool coulait à flots chez Sun. Comme le rappelle Billy un peu plus loin, ils n’enregistraient jamais sans en avoir un coup dans la gueule. Pas du dope, juste de l’alcool - And by the time the session was over everybody was stoned - Billy est le seul qui ne soit pas condescendant avec Sam que tout le monde prend pour Dieu. «Tout le monde l’appelle Mr Phillips, except me.» Billy et Sam avaient des rapports plus directs, ils ne s’aimaient pas, mais comme le dit si bien Billy, «he knew what I had to offer and I knew that he was talented.» Billy Lee Riley et Charlies Feathers sont certainement deux des artistes les plus attachants de l’âge d’or. Et leurs disques ne déçoivent jamais.

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             On s’en doute, les coups de projecteur sur Sam grouillent dans cet opuscule boppy. C’est Malcom Yelvington qui raconte sa première rencontre au 706. Il dit à Sam : « I understand you’re putting records out !» et que lui répond Sam ? «Yeah, a few !» Puis il lui demande ce qu’il peut proposer et Yelvington annonce a real good country band. «Ça vous intéresse ?» Et Sam répond : «Je ne sais pas ce que je cherche. Je le sais quand je l’entends.» Voilà qui définit bien Sam Phillips. Il cherche autre chose. Something different. Quand plus tard Malcolm revient faire un tour chez Sun, Sam le chope et lui dit : «Vous vous rappelez de ce que je vous ait dit l’autre fois, à propos de ce que je cherchais ? Eh bien j’ai enfin entendu ce que je cherchais.» Elvis, bien sûr, le premier single sur Sun. Et Jack Clement ajoute : «Il y avait quelque chose en lui qui poussait les gens à jouer pour lui, parce que quand il appréciait un truc qu’il entendait, il entrait en adoration.» Roland Janes va beaucoup plus loin quand il dit que Sam savait dénicher les gens qui avaient quelque chose d’original pour en faire des stars. «Si Jerry Lee avait enregistré à Nashville, on lui aurait dit d’arrêter le piano et de gratter une guitare. Et personne n’aurait jamais enregistré Johnny Cash.» Pour Roland Janes, Cash est devenu l’artiste le plus distinctif, le plus unique de Sun. Rosco Gordon pense lui aussi beaucoup de bien d’uncle Sam qui lui disait, alors qu’il entrait en studio : «Ne cherchez pas à faire un tube, faites une bonne chanson.» Rosco n’en revenait pas de voir Sam faire tant de miracles avec une seule piste, all that rinky-dink recording stuff. Et quand toute cette magie se produisait, les gens avaient une moyenne d’âge de 20 ans et Sam que tout le monde appelait Mr Phillips, n’avait que 30 ans !

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             C’est Jack Clement qui appelle Roland Janes pour lui dire qu’il a en studio un petit mec originaire de Louisiane et qu’il est pretty good. Oui, il s’agit bien de Jerry Lee. Mais Billy Lee Riley le voit trop se vanter. Jerry Lee se dit le meilleur et personne ne pourrait lui dire le contraire. Billy n’est pas un vantard. Il n’a pas besoin de ça. «Jerry Lee non plus», ajoute-t-il, «il suffit de le voir jouer  pour savoir à quel point il est bon.» Roland Janes dit aussi qu’on croyait Jerry Lee jaloux d’Elvis. Oh pas du tout. Pourquoi ? Parce que Jerry Lee se savait bien meilleur qu’Elvis, et qui encore une fois allait pouvoir prétendre le contraire ? Mais Roland Janes a raison, au fond, comment pouvait-on les comparer ? Elvis était un romantique et Jerry Lee un knock-down drag-out, qu’on peut traduire par démolisseur. Le jour de l’enregistrement de «Great Balls Of Fire», Sam et Jerry Lee ont un échange explosif en studio. Ils s’accrochent sur le thème de la foi et Jerry Lee explose : «No no  no how can the devil save souls ? What are you talking about ? Man, I got the devil in me ! If I didn’t have, I’d be a Christian !» Tout Jerry Lee est là. Floyd en pince aussi pour Charlie Rich qui pendant sa période chez Hi Records en 1966-67, enregistra «some of the greatest blue-eyed Soul ever recorder - in Memphis, Muscle Shoals, anywhere.» 

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             Encore plus en aval, John Floyd donne la parole aux pionniers, Rufus Tomas, Little Milton et Rosco Gordon. Rufus dit son attachement à Memphis. Il ne voulut ni s’installer à New York ni à Chicago. Jeune, il commence par faire le tap dancer et apprend à capter l’attention du public. Rufus ne se vante pas quand il dit que personne ne sait aussi bien capter l’attention du public que lui. En 1930, il rejoint les fameux Rabbit Foot Minstrels dont parle aussi Charles Neville dans ses mémoires. Quand Rufus débarque chez Sun et plus tard chez Stax, il a déjà du métier. Il rappelle aussi que BB King venait jouer au concours amateur du mercredi soir sur Beale Street. Le gagnant remportait un dollar et BB avait besoin de ce dollar pour vivre - BB King was there to get that dollar - Et très vite, Rufus s’aperçoit qu’il a du gravier dans la voix et qu’il ne peut plus chanter de pop songs. Il ne sait pas encore que ce gravier va faire des miracles chez Stax. Rufus n’aime pas Sam. Problème de blé, encore une fois. Rufus le voit rouler en Bentley et lui demande avec quel blé il a pu se payer cette bagnole étrangère. Il ne récupère que 500 $ pour «Bear Cat» qui se vend énormément - He was an arrogant bastard. He is today - Little Milton rappelle que c’est Ike Turner qui le repère et qui l’emmène chez Sun. Sur «Beggin’ My Baby», son premier single Sun, Ike joue du piano.

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             Rosco Gordon explique qu’il ne chante que pour gagner de quoi s’acheter du pinard (wine money). Il n’est même pas nerveux en entrant en studio. Il enregistre «Booted» et à l’époque son chauffeur s’appelle Bobby Bland.

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             Tous ces gens donnent le tournis, mais celui qui bat tous les records de présence, c’est bien sûr Jim Dickinson. John Floyd a l’intelligence de lui tendre le micro. Pour Dickinson, Elvis était tout simplement superman. «Il y avait quelque chose dans sa façon d’entrer sur scène qui dépassait tout ce qu’on pouvait imaginer.» Et il ajoute : «J’ai vu les Beatles lors de leur première tournée, j’ai vu les Stones à toutes les époques, j’ai vu Dylan, mais je n’ai jamais rien vu d’aussi fort qu’Elvis. Juste le voir entrer sur scène. Il n’avait même pas besoin de chanter. On perd un peu ça de vue aujourd’hui, mais ce qu’il fit à cette époque était révolutionnaire, juste en secouant une jambe, il déclenchait une révolution sexuelle et il transformait la façon dont chaque homme se coiffait, marchait ou parlait. Encore aujourd’hui, il est le visage le plus connu dans toute l’histoire du genre humain.» John Floyd dit que Dickinson est parfaitement à sa place dans cette ville de brillants marginaux et de visionnaires excentriques qu’est Memphis. Floyd tient Dickinson pour un pur produit de la Memphis dementia, pire encore, comme l’héritier de Sam Phillips et de Dewey Phillips. Il pense aussi qu’il a largement contribué à façonner la légende de Memphis et à assurer à son avenir. Dickinson : «Dans ma famille, on est musiciens depuis cinq ou six générations, mais sans être professionnels. Ma mère avait reçu une solide éducation. Elle a joué du piano à l’église pendant toute sa vie.» Quand on tente de lui inculquer des connaissances de musique classique, le petit Dickinson se cabre. C’est le jardinier black Alec qui lui amène un jour Butterfly, un pianiste black. Butterfly explique au gamin que la musique est faite de codes. Alors ça plait au jeune Dickinson qui traduit ça dans son imagination en codes secrets. Bien sûr, Butterfly voulait dire chords, c’est-à-dire accords, mais le gosse comprend codes et ça l’intéresse. Tu prends un code avec la main droite et une octave avec la main gauche, tu joues ça en rythme et ça donne le rock’n’roll. Mais à l’époque où Dickinson veut jouer du rock’n’roll, au début des années soixante, c’est encore très mal vu. «La musique teenage n’était pas reconnue alors. Il a fallu attendre l’arrivée des Beatles et des Rolling Stones pour qu’elle soit acceptée. Les groupies n’existaient pas non plus. Le rock’n’roll n’était même pas cool. On nous considérait comme des délinquants (deviant behavior of some kind).» Et dans un paragraphe poignant, Dickinson rappelle qu’il doit tout, absolument tout, à Dewey Phillips. «My whole musical taste, what I do for a living came from listening to Phillips on the radio.» Car ce qu’il proposait était totalement différent, c’était l’idée clé, une idée qu’on va retrouver chez Sam Phillips, lui aussi en quête de something totally different. Dewey Phillips ne s’adressait ni aux black people, ni aux white people, il s’adressait aux good people. La couleur ne l’intéressait pas, pour lui «the colour was good and he was playing good music. It was Sister Rosetta Tharpe and then Hank Williams.» Dickinson écoute tellement Dewey Phillips qu’il le croit sur parole quand il dit que Billy Lee Riley est une star. Jusqu’au moment où il va faire ses études au Texas et découvre que personne ne connaît «Red Hot» au Texas. Red quoi ? Même chose pour Sonny Burgess. Sonny qui ? En dehors de Memphis, personne ne connaît Sonny Burgess. Mais Dickinson croit Dewey sur parole quand il dit que Sonny est une star. «Dewey said he was, you know ?»

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             Dickinson revient sur la grande spécificité de Memphis qui est de favoriser l’individu, et pas seulement la musique. Les réussites à Memphis sont toutes des réussites individuelles. C’est aussi lui qui va faire l’un des derniers singles Sun avec les Jesters, un groupe quasi-mythique dans lequel on trouve le fils cadet de Sam, Jerry Phillips à la guitare, et Teddy Paige. Dickinson chante et Knox, le fils aîné de Sam, enregistre. C’est le fameux «Cadillac Man». Il rappelle aussi que durant les années 70, Knox et lui ont tenté de monter un coup avec BB King. Ça paraissait évident que Sam allait accepter, car c’était un projet extrêmement significatif. Tout est prêt. Knox en parle à Sam qui dit non. Pourquoi ? Dickinson n’en revient pas. A-t-il donné une raison ? Et Knox dit oui. Sam lui aurait rétorqué : «On ne peut pas aller demander à Picasso de peindre une petite toile comme ça vite fait.» Selon Dickinson, Sam Phillips voyait les choses à sa façon, c’est-à-dire en grand.

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             «Il y a des gens qui me disent que la période de génie de Sam a duré dix ans, comme son alcoolisme qui a duré dix ans, et sa thérapie à base d’électrochocs a aussi duré dix ans.» Et ce fin renard rigolard ajoute : «Je sais qu’il était fasciné par le courant électrique.» Dickinson raconte qu’il a vu Sam mette un tournevis sur un contact et créer un éclair. C’était du 110 V ! Sam : «A little one-ten (110) doesn’t hurt you. You need two-twenty (220) every now and then to know you’re alive.» Dickinson conclut en affirmant que Sam n’est pas un être humain ordinaire.

    Signé : Cazengler, John Flop

    John Floyd. Sun Records : An Oral History. Devault-Graves Digital Editions 1998

     

     

    Inside the goldmine

     - McKinley dans la poche

             Comme il pouvait nous agacer ce Kiki avec sa petite moustache pré-pubère, ses grosses lèvres, son acné virulente et sa façon de se placer sous la protection d’un gros dur, avec cet air provocateur qu’ont les chats siamois. Et pour aggraver les choses, il était en plus le chouchou de sa mère. Il y avait certainement un vieux fond de jalousie parmi nous, les autres membres du groupe. Nous n’avions pas de famille ni personne pour nous protéger. L’idée était de lui apprendre à vivre. On ne supportait plus de le voir prendre ses poses alanguies en suçant les bonbons que lui faisait porter chaque jour sa mère. Nous guettâmes longtemps l’occasion, et le jour où son protecteur fut appelé par le directeur de la colo pour une raison x, nous passâmes à l’action. Viens par ici mon Kiki. Il sentit tout de suite que les choses allaient mal tourner et il se mit à chialer comme une gonzesse et à appeler sa mère. On s’empara de lui à quatre, chacun tenait une jambe et un bras et nous le transportâmes dans la salle de bain. Il tentait de se débattre. Nous approchâmes des chiottes immondes qui n’étaient jamais nettoyées. Kiki se mit à hurler, non ! non ! pas ça ! Et nous lui plongeâmes la tête dans l’eau, enfin si on pouvait encore appeler ça de l’eau. Il perdit connaissance. On l’installa assis au sol contre le mur et il revint à lui. Il nous regarda tous les quatre avec une tristesse infinie. Il y avait dans ce regard un tel désespoir que nous éprouvâmes tous de la honte. Nous fûmes alors traversés par un violent désir de réparer. «T’inquéquète donpas mon Kiki, on va te nettoyer.» On le lava, on le peignit, on lui fit même des bisous sur le front. On le ramena dans le réfectoire et on lui réchauffa un bol de chocolat chaud. Nous devînmes tous les quatre ses meilleurs amis de colo, mais jamais la tristesse ne s’effaça de son regard. Bien des années plus tard, je tombai par hasard sur Kiki dans la rue. «Savati mon Kiki ?». Il répondit que oui, «savabin», mais son regard disait exactement le contraire.

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             Le souvenir du pauvre Kiki nous ramène à un autre kiki, McKinley Mitchell, découvert dans une box et pas n’importe quelle box, la box Malaco, coco. Comme McKiki est un mec de Jackson, Mississippi, il paraît donc logique de le retrouver sur Malaco, le label local.

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             Il enregistre son premier album sans titre sur Chimneyville, l’ancêtre de Malaco, en 1978. Dès «Open House At My House», on réalise qu’il sonne exactement comme Bobby Blue Bland, et donc on devient potes, car ici, Bobby Blue Bland est un dieu. McKiki est un fabuleux groover, on se régale de sa fantastique allure. Il tape ensuite une cover de «You’re So Fine», ce vieux hit mondial des Falcons repris par Ike & Tina Turner. Il clôt son balda avec «You Know I’ve Tried», une belle Soul de power Soul Brother. Il secoue bien les colonnes du temple de Chimneyville. En B, il tape dans Bobby Darin avec «Dream Lover» et finit avec «Follow The Wind», une chanson de cowboy lancée au petit trot, c’est plein d’élan et bien ouvert sur l’horizon. McKiki adore chanter dans le vent de la plaine. On est vraiment content pour lui.

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             Il apparaît en gros plan avec ses baguouses sur la pochette d’I Won’t Be Back For More. Au dos, le mec du label Retta’s Records a écrit en gros : «This is a hit record !» On veut bien le croire, car McKiki est un sacré Soul Brother, il te groove son morceau titre au doux du velouté, il te groove ça au quart de poil, c’est un mec précis. Fantastique artiste ! L’album est enregistré dans un studio de Memphis avec une équipe de surdoués inconnus. On a là une sorte de petit son d’une grande qualité. Le bassman s’appelle Ray Griffin, c’est un bon. Il faut entendre son walking bass dans «I’ve Been Wrong». «I Got A Couple Of Years On You» est plus pop. On appelle ça la country Soul. Belles racines, en attendant. Bien dans l’esprit des chops de Chips. McKiki sait balancer sa plâtrée, comme le montre le «Watch Over Me» d’ouverture de bal de B. Puissant shouter. Il fait encore de la Soul pop avec une «Mariah» extrêmement bien apprêtée. McKiki opte pour le haut du panier. Il termine ce bel album avec «I Don’t Know Which Way To Turn». Il charge sa barcasse au when you look at me

    Signé : Cazengler, Mitchell ma belle

    McKinley Mitchell. McKinley Mitchell. Chimneyville Records 1978

    McKinley Mitchell. I Won’t Be Back For More. Retta’s Records 1984

     

     

    The Sly is the limit

    - Part Three

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             Au même titre que Phil Spector, Ike Turner et Brian Wilson, Sly Stone entre dans la caste des génies du son. The Family Stone n’est que le couronnement d’une carrière qui débute au début des années soixante, lorsqu’il travaille pour le compte du label californien Autumn Records. Ce sont deux blancs qui le dirigent, Tom Donahue et Bob Mitchell, mais ils ont pour particularité de priser la musique noire. Attention, n’allez pas croire que Sly est californien : comme la plupart des grands artistes blacks installés en Californie (Arthur Lee, les Chambers Brothers, Lowell Fulsom) Sly vient du Deep South et plus précisément de Dallas, au Texas. Sly montre très vite un penchant pour les fringues flashy : on le voit porter un costard Pierre Cardin en peau de serpent et peigner soigneusement sa pompadour. Parmi les groupes qu’il produit pour le compte de Big Daddy Donahue, il y a les Beau Brummels. Sly admire le style et les chansons de Sal Valentino - I like the way Sal sings ‘I’m a man’ on Underdog. Go on Sal ! - Il admire aussi Ray Charles et Dylan. Sly est un homme passionnant, il faut l’écouter rendre hommage à ses pairs - The intelligence in my music comes from Mr Froelich. I tried the stuff that he taught me and it worked, and will work forever. The basic physics of music, that’s all it is. Little things, like play an intro, not too long. If it’s got a lot of energy, don’t do it so fast, do it slower - Sly explique qu’il a travaillé à partir de ce que Monsieur Froelich lui a appris et ça a marché. Commence par jouer une intro, pas trop longue, et s’il y a trop d’énergie, ralentis un peu.

             C’est le flamboyant David Kapralik, A&R chez Columbia, qui signe Sly & The Family Stone en 1967. Il devient en même temps le manager du groupe. Va sortir sur le subsidiary Epic une belle ribambelle d’albums qu’il faut bien qualifier d’historiques.

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             Dès A Whole New Thing, on sent monter le souffle. Sly introduit «Underdog» à la bluette de Frère Jacques et il relaie ça au heavy groove de Soul et aux yeah yeahhh. La Family Stone qui joue sur ce premier album restera intacte jusqu’à la fin, car c’est une vraie family : Freddie est son frère, Rose sa sœur, Larry Graham son cousin, Jerry Martini est un vieux pote et il se trouve que Greg Errico est le cousin de Jerry. Avec «Turn Me Loose», Sly passe au wild r’n’b. Sly sait tourner les choses à son avantage. Voilà les prémisses du Sly sound, cette fabuleuse énergie qui explosera à Woodstock. Sly grimpe au sommet de l’Ararat pour jeter un slowah à la face de Dieu : «Let Me Hear It From You». En B, on tombe immédiatement sur un heavy groove écœurant de classe, «I Cannot Make It». Voilà encore du Sly qui fait dresser l’oreille du lapin blanc. Ploc ! «Trip To Your Heart» sonne comme une espèce de groove intermédiaire terriblement ancré dans la modernité. C’est l’autre caractéristique du génie de Sly Stone : il semble toujours en avance sur son époque. «Bad Risk» sonne comme un fabuleux coup de Soul rampante. Sly amène ça avec le finesse du renard et des mains de cordonnier. En 1967, la messe est dite.

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             Premier hit planétaire en 1968 avec «Dance To The Music» qu’on retrouve sur l’album du même nom. Ouch ! C’est l’un des plus grands hits du siècle passé. Le pulsif profond de Sly Stone semble monter des entrailles de la terre. Les breaks à vide sont tellement libres qu’ils semblent déréglés. On retrouve le thème de Dance dans «Dance To The Medley», bardé de départs de basse signés Larry, la bête de Gévaudan. Rose chante avec son frère et Larry fait tous les coups de ra-da-da-dam. Quelle pétaudière ! Rose sait elle aussi envoyer la purée. Le son de la Family Stone est unique au monde. L’autre énormité se niche en B : «Ride The Rhythm». Sly prend ça au chat perché et swingue le jazz du funk. On ressent l’admirable pulsation du feeling sauvage. Sly groove le boogaloo et derrière lui, Larry la bête fait rouler ses notes sous ses gros doigts boudinés. Quelle rigolade ! Ah il faut aussi écouter le beurre infernal que bat Greg Errico dans «Are You Ready». Larry vole à son secours. Ces mecs-là n’en finissent plus de groover la modernité. C’est leur apanage. Larry revient jouer une belle ligne de basse fougueuse dans «Don’t Burn Baby». Quand on l’entend, on pense à un étalon sauvage. Ses notes courent derrière le chant du Sly. Mine de rien, Sly et sa family déroulaient le tapis rouge à la modernité.

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             On reste dans l’âge d’or avec l’album Life, paru aussi en 1968. Dès «Dynamite», Larry remet ses vieux ra-da-da-dam en route. C’est infernal. D’ailleurs l’ensemble du groupe s’apparente plus à une machine infernale qu’à un orchestre de groove. On trouve deux merveilles sur cet album, à commencer par «Chicken», cot-cot-coté et swingué au meilleur funk de Sly. On se croirait dans la basse-cour du ghetto funky - Have you heard about me - L’autre merveille se niche en B : «I’m An Animal». Il s’agit là d’une pièce de ce groove intermédiaire dans lequel Sly va finir par se spécialiser. C’est orchestré à la trompette et joliment maintenu sous pression. Puis Sly attaque «M’Lady» au pom pom pom de prédilection. On s’en doute, Larry ramène sa fraise avec le ra-da-da-dam de Dance. C’est bien sûr une variante de leur vieux hit, mais quelle variante ! On retrouve d’ailleurs le thème de Dance dans «Love City», avec les coups de baryton de Brother Freddie et les relances de Sister Rose. Ils bouclent cet album solide avec «Jane Is A Groupee», un joli de coup de groove à la décontracte monté sur une bassline de rêve. Sacré Larry ! Il n’en finit plus de régaler la compagnie. Le hit de l’album est certainement «Plastic Jim», l’adaptation funky d’Eleanor Rigby - All the plastic people/ Where do they all come from - Voilà qu’éclate une fois de plus au grand jour la modernité de Sly Stone. On ne résiste pas non plus au charme d’«Harmony», petit chef-d’œuvre de good time music.

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             Le deuxième hit planétaire de Sly se trouve sur l’album Stand ! paru l’année suivante : «I Want To Take You Higher», cette monstruosité qui a révélé Sly au public rock, via le film tourné lors du festival de Woodstock. C’est le son de la fournaise, le vrai, celui que vomissent les entrailles de la terre. Larry Graham roule son riff et Cynthia souffle dans sa trompette. On ne se lasse pas de revoir Sly & The Family Stone sur scène à Woodstock. Avec «Don’t Call Me Nigger Whitey», Sly se paye un fier adressage aux blancs qui insultent la grandeur du peuple noir. Autre hit planétaire en B : «Everyday People», un fantastique appel à la tolérance - Oh sha sha we got to to live together - Fabuleux groove de la paix sur la terre - And so on and so on and scooby dody doo bee/ I am everyday people - Eh oui, Sly navigue exactement au même niveau que John Lennon et Bob Dylan. Il peut aussi fait de la hot soul à la James Brown, comme on le constate à l’écoute de «You Can Make It If You Try», mais c’est sly-stoné de frais.

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             Comme on l’a épluché dans le Part One, on ne va pas revenir sur ce chef-d’œuvre qu’est  There’s A Riot Goin’ On. On passe directement à Fresh, paru en 1973.

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    C’est un album qui porte bien son nom. Sly semble revitaliser l’univers musical. Il suffit d’écouter «If You Want Me To Stay» pour en avoir le cœur net. Comme toujours chez Sly, le cut est monté sur une bassline rêve, une basse carrément pouet-pouet de gros popotin. C’est softy à souhait et d’une classe épouvantable. On passe au concassage de funk avec «Frisky». Sly se situe encore à la pointe du progrès. On sent une immédiate modernité de ton, une incroyable énergie de progression latérale, une subtilité du funk qui n’existe pas ailleurs. Sly est aussi avant-gardiste que Miles Davis. On se régalera aussi de «Thankful N’ Thoughtful», un groove de funk zébré d’éclairs de scream. Pur coup de génie en B avec «Que Sera Sera», l’apogée du groove laid-back en cuir clouté, un summum d’excelsior. Il faut aussi écouter «I Don’t Know (Satisfaction)» si on apprécie le slow-groove, car il s’étend à l’infini, comme une mer étale, immense et visitée par des notes de basse-mouettes et des whawahtis impénitents. Les chœurs de filles relèvent de la pire sorcellerie qu’on ait vu ici bas depuis le XIIIe siècle. L’autre hit de l’album pourrait bien être le fantastique «Keep On Dancin’», une extraordinaire fiesta de good time music, un festin de roi, habilement rythmé et orchestré au groove coconut.

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             Avec Small Talk paru l’année suivante, Sly fusionne le r’n’b et la psychedelia, comme le font Black Merda et Rotary Connection à la même époque. On trouve en B «Loose Booty», un fabuleux groove de Soul moderne chanté par tous les membres de la famille - Get into some dancin’/ Do what it’s all about - Puis Sister Rose prend «Wishful Thinking» au chant avec Sly et ils tapent ensemble dans une belle démesure de groove stonien. On a là du lo-fi en suspension, une pure merveille perdue dans la nuit des temps. C’est indécent de classe. Le dernier cut de l’album est un autre pur chef d’œuvre : «This Is Love». Sly rend un hommage vibrant au doo-wop avec les chevap doo wap des Flamingos. On note au passage que Rusty Allen a remplacé Larry Graham à la basse. Rusty fait des siennes dans «Time For Livin’», joli cut d’heavy popotin saturé de basses. S’ensuit un admirable groove mélodique intitulé «Can’t Strain My Brain». Sly le travaille au corps avec une maestria de la déconstruction et des faux airs de dérive excessive.

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             Sur la pochette de Heard Ya Missed Me Well I’m Back, Sly se déguise en homme orchestre. Et au dos, il pose avec la Family au grand complet. On trouve pas mal de cuts très pertinents sur cet album passé un peu à l’as, à commencer par «What Was I Thinkin’ In My Head», un solide strut de Stone Funk aménagé avec des plages enjouées et chanté à la bonne franquette. Sly adore créer ces atmosphères festives qui renvoient aux Village People. Il passe au slow groove de charme avec «Nothing Less Than Happiness», en duo avec une certaine M’Lady Bianca. Quel fabuleux duo ! Il boucle l’A avec «Blessing In Disguise», une belle pop de Soul élégiaque extrêmement orchestrée et noyée de backing vocals féminins. L’empereur Sly règne sans partage sur l’univers. En B, on trouve «Let’s Be Together», un funk stonien de bonne constitution. Ces gens-là n’ont plus rien à prouver. Ils savent groover le funk en douceur et en profondeur. Quelle délectation ! Tout est amplement orchestré et bien lubrifié aux jointures.

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             Sly fait le playboy des deux côtés de la pochette de Back On The Right Track paru en 1979. Trois cuts sortent du rang, «Remember Who You Are», le morceau titre, et «If It’s Not Adding Up», qui sont en fait les trois premiers cuts de l’A. Pour Remember, Sly tape dans son vieux groove de funk à la Stone. Il joue ça sous le boisseau d’un groove de basse sourde. Franchement, ce mec a le génie du son. Avec Back, il renoue avec le pur funk d’énormité de la Family Stone, c’est-à-dire le beat des origines de la terre, tout cela dans une explosion de chœurs féminins et de cuivres. Il reste dans la funky motion pour Addin’ Up. En B, il va rester dans le funk pour emmener «Shine It On» au paradis et passe au funk désarticulé à la Stevie Wonder pour «It Takes All Kinds». Sacré Sly, il slamme le slum avec du pur sledge, et une basse pouet-pouet mène tout ça par le bout du nez. Quel album ! Il boucle avec «Sheer Energy», encore du groove de rang princier, joué jusqu’à l’os du genou et contrebalancé par des Soul Sisters infernales.

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             Voilà encore un album quasiment passé inaperçu en 1982 : Ain’t But One Way. On y trouve un coup de génie intitulé «Who In The Funk Do You Think You Are». Sly monte ça au stomp d’heavy funk. Il n’y a que lui qui puisse monter des coups pareils. Il ne fonctionne qu’à l’énergie pure. Il fait une cover extravagante du «You Really Got Me» des Kinks. Encore plus épouvantable, «We Can Do It», groove de Soul-jazz visité par la grâce. Il boucle cet album impeccable avec «High Y’All», une resucée de Wanna Take You Higher. Il ressort exactement la même énergie. On trouve aussi deux ou trois choses intéressantes en A comme par exemple «L.O.V.I.N.U», rappé au meilleur beat. C’est tellement dansant qu’on croit parfois entendre du diskö-funk. Joli coup de good time music avec «Ha Ha Hee Hee». Du son, rien que du son. Chez Sly, c’est le son qui compte. Il faut entendre ces fabuleuses nappes de cuivres derrière le doux du beat. Voilà un nouveau hit planétaire, complètement envoûtant. Tout l’album est bon, de toute façon.

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             En 1975, il attaque une carrière solo. Plus de Family sur les pochettes. Il saute en l’air pour High On You, comme il le faisait pour Fresh. Voilà encore un album qui grouille d’énormités, à commencer par «I Get High On You», où on retrouve la profondeur grondante du cosmic funk d’«I Want To Take You Higher». Sly stone son stomp. Quand on entre en terre de stone, on entre en terre sacrée. Tout y est hors du temps, hors des hommes et des dieux. The Sly is the limit, ne l’oublions pas. Retour au hard funk avec «Who Do You Love», spécialité stonienne, son des profondeurs et tourbillon de gargouillis, groove épais que rien ne presse. En B, Sly tape dans la Soul funk des profondeurs avec «Organize». Pur Sly System. On a là le meilleur son de basse de tous les temps, bien rebondi, gras et gros, presque infra. Il passe au joli softy softah avec «Le Lo Li», joué sous le boisseau d’une chape orchestrale psycho-funkoïdale, mais avec des angles arrondis. Il prend plus loin «So Good To Me» à la finesse tamisée pour mieux créer l’enchantement.   

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             L’album Ten Years Too Soon est un album de remix. On y retrouve les gros hits de Sly remixés par des New-Yorkais. C’est un peu absurde, surtout quand on a un cut comme «Dance To The Music» qui est déjà calibré pour le dance-floor. Ces gens-là se sont aussi amusés à remixer  «Sing A Simple Song» et «Everyday People». C’est comme si on shootait des produits dans un corps parfait. 

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             I’m Back ! Family And Friends sonne comme l’album du grand retour. Sly reprend son destin en main et redonne un coup de jeune à ses vieux hits, comme «Dance To The Music» qui devient de la pure folie. Ça dégouline littéralement de génie pur. Ray Manzarek joue de l’orgue là-dessus. Ann Wilson vient duetter avec Sly sur «Everyday People». Et paf, il tape dans «Family Affair». Classe suprême, voix de Soul chargée d’histoire. Hit de rêve. Sly se situe au même niveau qu’Aretha et Marvin. Ce sont des artistes hors du temps et des modes. Ils relèvent de l’inéluctabilité des choses, Nathaniel. Johnny Winter vient jouer sur «Thank You». Johnny joue avec le feu du funk, et il part en solo flash ! Wow ! Sly et lui s’entendent à merveille - Falletin Me Be Mice Elf Agin - On entend même Johnny doubler au guttural. Quelle fournaise, les amis ! En B, c’est Jeff Beck qui radine sa fraise pour jouer «(I Want To Take You) Higher». Sly remet en route la machine infernale de Woodstock. Jeff Beck l’épouse à la note grasse. Il cocote et part en petite vrille de wah casuistique. Encore du son, rien que du son dans «Plain Jane», funky motion glougloutée jusqu’à la moelle, et Sly revient au gospel mélodique avec «His Eye Is On The Sparrow», jadis repris par Sister Rosetta Tharpe et Mahalia Jackson, cut envoûtant qui s’étend jusqu’à l’horizon.

    Signé : Cazengler, Family Stome de chèvre

    Sly & the Family Stone. A Whole New Thing. Epic 1967

    Sly & the Family Stone. Dance To The Music. Epic 1968

    Sly & the Family Stone. Life. Epic 1968

    Sly & the Family Stone. Stand ! Epic 1969

    Sly & the Family Stone. There’s A Riot Goin’ On. Epic 1971

    Sly & the Family Stone. Fresh. Epic 1973

    Sly & the Family Stone. Small Talk. Epic 1974

    Sly & the Family Stone. Heard Ya Missed Me Well I’m Back. Epic 1976

    Sly & the Family Stone. Back On The Right Track. Warner Bros Records 1979

    Sly & the Family Stone. Ain’t But One Way. Warner Bros Records 1982

    Sly  Stone. High On You. Epic 1975 

    Sly  Stone. Ten Years Too Soon. Epic 1979 

    Sly  Stone. I’m Back ! Family And Friends. Cleopatra 2011

     

     

    *

    Tiens un groupe français. Qui chante en français. Etrange pour un groupe qui vient d’Allemagne. Erreur sous la ligne de flottaison. Si la bonne ville de Brunswick se situe en Germanie le New Brunswick est une province du Canada, côte atlantique, accolée à la Nouvelle-Ecosse dont dépend Oak Island, l’île au légendaire trésor introuvable depuis trois siècles… Viennent de Bathurst, la bourgade qui n’atteint pas les quinze mille habitants possèderait un des plus beaux sites touristiques du Canada. Nous demanderons à Marie Desjardins, notre canadienne préférée, de corroborer les dires de Wikipédia.

    J’ METTRAI LE FEU

    MESSE

    (Local pick up only  / Février 2024)

                    Drôle de nom pour un groupe. Seraient-ils chrétiens ? Ou ont-ils choisi ce mot pour exprimer l’idée de réunion festive que l’on peut associer à ce genre de cérémonie religieuse ? Cela demande réflexion, surtout si vous êtes comme moi et que vous pensez que par les temps qui courent le retour du religieux est une malédiction renaissante.

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             Comment interpréter cette couve. Un briquet, généralement on s’en sert pour mettre le feu au cordon d’un bâton de dynamites, ou ont-ils voulu moderniser le cierge ?

    Maxime Boudreau : vocal, guitare / Sam Newman : basse / Jacob Savoie : batterie.

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    Révolution : le morceau est sorti en avant-première au mois de janvier, agrémentée d’une image à peu près semblable à celle de la couve de l’EP, à cette différence près que le briquet ne brûle plus tout seul en solitaire dans son coin, une main d’activiste décidé se prépare-telle à mettre le feu au monde entier… : musicalement ce n’est pas très révolutionnaire, du heavy metal ni très lourd ni très métallique mais de l’allant et de la vivacité, beaucoup plus problématique la douce langue françoise, est-ce pour cela que les couplets sont si courts, un peu trop chantée, un peu trop allongée, trop mélodieuse, manque le hachis méchant des englishes qui vous mordent au visage chaque fois qu’ils ouvrent la bouche. Lyrics ambigus, lancer une révolution par la fenêtre, pour mettre le feu à toute la plaine ou pour s’en débarrasser, bon ils y mettent du cœur, du sang et de l’espoir, donnons-leur quitus. Les derniers poètes : attention influence blues, balancement rythmique sans histoire et de rigueur et la voix bien devant, normal puisque l’on donne la parole pour la dernière fois aux poètes. L’on est proche de la fin du monde, vision critique et acerbe de notre marasme actuel, on approuve, un seul truc qui nous fait dresser l’oreille, ces damnés poètes, ne pourrait-on pas les fusiller comme tout le monde, pourquoi les crucifier. Automne : bon l’on croyait que les poëtes étaient morts, ils ont décidé de les remplacer, musicalement nous sommes borderline avec la variété, cette voix blanche parlée n’est pas très, comment dire poétique, s’en sont rendus compte, la fin du morceau ne se prend plus pour une chanson d’automne verlainienne, alors ils asticotent leurs instruments, et là c’est vraiment bien. T. O. M. I. : z’ont compris, un bel instrumental qui tient debout, hélas trop court !

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    Gaz : sorti aussi en avant-première au mois de janvier, image parlante, selon la mythographie française l’on pense aux pétroleuses de la Commune qui mirent le feu à Paris pour retarder l’avancée des troupes versaillaises, genre de feu de joie qui vous met le cœur en fête : la musique à fond, enfin nos incendiaires s’apprêtent à passer à l’action directe, ben non, le chat ne retombe pas sur ses pattes, feront la révolution lorsque le gaz sera moins cher. Niveau activisme c’est un peu affligeant. L’est vrai que Dieu ne leur a envoyé aucun message de réconfort. Remarquez, dans la Bible il est dit que Dieu vomit les tièdes. Il a raison.

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             Vous avez plusieurs vidéos de Messe sur scène. Jouent leur musique avec fidélité, mais leurs accoutrements, leur tenue soignée, leurs cheveux peignés, tout indique qu’ils visent un public de jeunes adolescents qui ne sont jamais tombés tout seul dans la marmite du rock ‘n’ roll, doivent vivre cela comme une initiation. Voilà, la messe est dite.

    Damie Chad.

     

    *

    Les anciens Dieux ne sont pas rancuniers, ne m’en ont pas voulu d’avoir chroniqué Messe, Apollon Lyncée, l’Apollon-loup, l’Apollon Hyperboréen, m’a envoyé ses nordiques copains en renfort, je ne pensais nullement à eux quand mon œil a été attiré par une trace d’ours sur le net, une méchante, bien griffue, avec des taches de sang, alors j’ai suivi la piste sanglante, je n’ai pas été déçu :

    BERSERKR

    EIHWAR

    Suffit d’un mot entrevu un quart de seconde sur You Tube pour que je visionne une vidéo, lorsque les vikings voguaient sur les mers lointaines, parfois l’un des membres de l’équipage harassé de ramer durant des heures contre une mer mauvaise pétait les plombs, ainsi s’exprimerait avec la grossièreté ignorante qui le caractérise un homme moderne, nos hardis navigateurs proposaient une autre lecture du phénomène, s’agissait de ce qu’aujourd’hui nous attribuons aux pouvoirs de ce que nous appelons chamanisme. Etait-ce le guerrier qui appelait en renfort son animal totémique ou l’esprit de l’Ours qui entrait en lui ? Toujours est-il que pris d’une fureur sacrée il se saisissait de son épée, mordait à pleines dents son bouclier, et commençait à s’en prendre au drakkar, voire à se jeter sur ses camarades qui essayaient, avec plus ou moins de réussite, à le désarmer… J’ai cliqué et j’ai été si étonné par les images que je n’ai pas pensé une seconde à accorder ne serait-ce que la moitié du quart d’une oreille pour prêter une quelconque attention à la musique.

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    D’abord c’est beau, images esthétiques d’un gris bleuté qui tout de suite vous mettent dans l’ambiance, ce guerrier vêtu de noir, homme de fer, habits de cuir, assis par terre dégage une idée de puissance tranquille rehaussée par le hurlement de loups que l’on ne voit pas. Le deuxième personnage qui apparaît et qui semble se porter à la rencontre du chevalier noir n’est pas moins inquiétant, d’ailleurs tout de blanc vêtu, qui est-ce, une prêtresse, un homme, une femme ? J’ai hésité, certes les longs cheveux blonds dans son dos et ses espèces de fourrures au niveau des seins, tout indique une fille, mais le crâne d’ursidé qui cache son visage teinté de noir, ne serait-ce pas ce que les Grecs on appelait un bel éphèbe, mais la voici munie d’un grand tambour qui danse, au sommet d’un énorme rocher, son ventre ondule, l’on envie d’arracher sa ceintures d’où pendent des linges mouvants qui cachent son sexe, belle et bestiale en même temps, attirante et dangereuse,  accroupie, elle dessine un cercle de runes mystérieuses avec des bouts de branches, l’épée à l’épaule, au travers des bois sombres, il arrive, elle marche, elle mord son épée à pleines dents, elle l’appelle, il la voit, il s’avance, derrière lui se dresse un énorme Yggdrasil, elle s’élance, et leurs épées s’entrechoquent sous la sombre et splendide ramure de l’arbre du monde, qui va triompher, la scène du combat est entrecoupée d’images d’elle tambourinant tout en haut de son immense rocher, qui va gagner, qui va vaincre, déjà les féministes proclament leur championne, elles n’ont rien compris, le vainqueur, la vainqueuse, cela importe peu, les images s’arrêtent, sur le noir de l’écran s’inscrivent quelques vers,  Etreins la fureur sauvage au fond de toi, aucune limite, aucune peur, le sentier d’Odin que nous vénérons est cinglant comme l’éclair. Dernières images consacrées à la splendeur naturelle du lieu qui a eu l’honneur d’accueilli le combat.

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    Evidemment question musique vous supposez une espèce de choc de titans sonores. Des murs d’airains et des entrechoquements de bronze. Vous avez juste quarante ans de retard. Une part importante de groupes metal ou d’origine industrielle qui se sont entichés de mythologies scandinaves ont dès les années quatre-vingt emprunté le chemin de cet âge de fer, mais les clinquances mythologiques brinquebalantes ont peu à peu laissé place à une certaine lassitude, l’on a cherché à comprendre le sens de ces scénarios de plaies et de bosses, sous la chair sonnante et trébuchante l’on a essayé de retrouver une subtilité spirituelle, une spiritualité païenne.  Bref du heavy metal, un peu trop carton-pâte l’on en est arrivé à s’inscrire dans un mouvement néo-folk.

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    La première apparition d’Eihwar a ainsi eu lieu à Nantes, le 23 mai 2023, dans la salle de concert Les Ferrailleurs, lors de la Pagan Folk Night La Nuit des Sorcières. Nous invitons les lecteurs à visionner sur You Tube Eihwar Ragnarök Live, sous-titrée Wiking War Trance, qui nous montre un public subjugué par l’apparition de nos deux précédents héros dans leur accoutrement filmique, elle martelant sans cesse son tambour de guerre, l’entrecoupant toutefois de mélodiques mélopées tandis que notre chevalier noir s’escrimant sur son équipement électro laisse échapper de son gosier des gutturalités de mauvais augures. L’ensemble un tantinet monotone n’est pas pour autant ennuyeux.

    Ne gobez pas la première ligne de présentation de notre duo sur Bandcamp, non ils ne sortent pas de la forêt hercynienne, proviennent d’une contrée davantage civilisée, de Toulouse. Ayant longuement fréquenté durant ma jeunesse estudiantine cette capitale du Midi, je peux vous affirmer qu’elle n’est pas peuplée de tribus sauvages, certes les vikings ont bien assiégé la ville rose en 864, z’ont dû se comporter d’une manière fort peu courtoise avec les jeunes filles et femmes de nos campagnes garonnaises, ces antécédents historiaux sont-ils la cause de cette fièvre nordique qui s’est emparée de nos deux jeunes gens, une résurgence atavique de quelques gouttes de sang nordiques léguées à leurs corps défendants ( voire consentants ) par de lointaines ancêtres ont-elles humecté le filigrane de leurs consciences, de leurs rêves, de leurs désirs, et de leurs volontés. Peut-être. Nous aimerions souscrire à cette vision romantique des transmissions héréditaires… peut-être s’inscrivent-ils simplement dans cette mouvance pagano-scaldique dont se réclament au-travers de toute l’Europe de nombreux groupes de rock.

    Sont deux. Asrunn : chant, percussion traditionnelle / Mark : voix, drum pad, samples. Soupçonnons autour d’eux un clan amical qui les aura aidés dans la mise en place de leur projet. C’est en février 2023 qu’ils ont posté leur première vidéo sur You Tube. Le bouche à oreille a fonctionné à merveille. Z’ont atteint jusqu’à un million de vues. Sont programmés pour cette année 2024 dans de nombreux festival notamment au Hellfest. Viennent de sortir leur premier album, compilation de leurs vidéos sur Season of Mist.

    RAGNARÖK

    (Viking War Music)

    EIHWAR

    (Season Of Mist / Digital / Février 2024)

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    Eihwar est le nom de la rune qui représente la lettre E. Elle désigne la Mort. Notons que cette lettre E se retrouvait au fronton du temple de Delphes, le sanctuaire sacré de la Grèce antique. Qui se peut traduire par Être… Il n’existe pas de plus grand écart entre deux notions.

    Asrunn = Ours (origine finoise) / Mark = consacré à Mars dieu de la guerre (origine latine).

    Berserk : nous n’en dirons pas plus qu’au début de cette chronique. Nous ne nous répèterons pas. Ne montons-nous pas dans le train de l’existence alors qu’il déjà en marche depuis longtemps…

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    Fenrir : image fixe, Fenrir le loup vous regarde, ses yeux vous supplient-ils, il reste immobile, seuls bougent les flocons de neige qui tombent, point d’anthropomorphisme, Fenrir est la bête sauvage, porteuse de mort, il attend, et la musique n’est qu’un piétinement de pattes de loups sur une piste de glace interminable qu’il déroule interminablement à l’intérieur de son attente, la musique semble attendre, elle se fait douce, elle caresse, elle ne précipite pas le temps, car l’on attend l’accomplissement de la terrible prophétie de la fin du monde, Fenrir n’est plus que la longue patience des bêtes qui attendent la délivrance non pas de l’emprise des hommes, mais de ceux que Fenrir, seuls quelque uns de ces grognement le laissent entendre,  l’instant où ses chaînes tomberont, vers lesquels il se précipitera, non pas sur les hommes mais sur les Dieux pour les tuer, et hâter la venue d’un autre monde, la voix d’Asrunn qui chantonne comme une berceuse d’éveil, un relent de vengeance, l’on est au cœur de l’attente, la bête ne meurt jamais, comme la Mort. Très beau morceau qui rappelle la phrase d’Henri Bosco : ‘’ Que fait la neige lorsqu’elle est tombée. Elle attend.’’ Ragnar’s last Raid : vidéo de mer mouvante, l’on ne sait si Ragnar de Lodbrok fut le chef aux bras velus à qui la ville de Paris dut verser rançon pour ne pas être prise, on lui prête tellement d’exploits, que peut-être est-il plus qu’un héros valeureux, un personnage poétique qui serait la transcription de l’âme indomptable et pratiquement inhumaine (comprenez proche des Dieux) des peuples de la mer farouche. Eihwar nous étonne et entonne un poème, il ne conte ni le bruit ni la fureur, exprime seulement la nostalgie de cette existence dont il ne reste qu’un souvenir lointain, une espèce d’invocation, une lamentation à la brièveté de la vie si orgueilleuse fut-elle, la voix d’Asrunn splendide, telle l’écume légère qui flotte au-dessus des vagues et que la moindre brise disperse… Ragnarök : la fin du monde, les Dieux et les âmes des guerriers morts au combat vont s’affronter aux forces du mal représentées par les Géants. Nous ne sommes pas dans Le Seigneur des Anneaux, le dernier combat est perdu d’avance… Perdu et gagné, c’est ce que raconte la musique d’Eihmar, quelques cliquetis d’épées, une cadence qui s’accélère un moment, une sonorité de cornemuse vive comme une flûte, mais la musique dronique revient sur elle-même, une ronde tantôt funèbre, tantôt presque heureuse, c’est que l’essentiel a été sauvé, Odin a tué Fenrir, Fenrir a tué Odin, mais le monde est préservé, un cycle qui s’achève annonce le retour d’un nouveau cycle qui commence. Eternel Retour. Trompes mortuaires. Skajldmö : en français nous utilisons le mot Walkyrie pour désigner ces guerrières armées de boucliers et d’une épée qui combattaient à l’égal des hommes, un morceau pour Asrunn, c’est pourtant la voix sourde et marmonnante de Mark que l’on entend surtout, son grondement, ses grognements, en contrechant Asrunn manie l’épée de son chant et de son souffle, elle est au cœur de la mêlée, contre ou avec les hommes et les Dieux, c’est elle qui ranime la flamme lorsque l’intensité du combat baisse d’un cran, elle ouvre le bal de la mort. The feast of Thor : qu’est-ce que cette fête de Thor, ce ne peut être que la joie du combat, de la lutte, un loup hurle dans la nuit, est-ce Fenrir qui glapit sur ce qui ressemble à un tapis de vieille à roue, assez pour tirer Thor de son sommeil, Mark joue à merveille ce rôle de l’éveillé qui titube encore engoncé dans son somme, la voix d’Asrunn  résonne comme un appel, une incitation incessante à la guerre, Le marteau de Thor tapote gentiment, vindicative la voix d’Arsunn exiget qu’il écrase des crânes, c’est l’ombre de la mort qu’elle a réveillée, qui marche maintenant aux côtés du Dieu, le monde chuchote et retient son souffle, maintenant la peur le précède, mais il avance, grognements, ébrouements, ce coup-ci c’est parti, Asrunn appelle de plus belle, elle incite, elle instille l’idée du carnage, personne n’arrêtera le malheur qui fond, l’on entent le tonnerre tonner… The forge : il s’agit du premier morceau réalisé par Eihwar, le titre renvoie immédiatement à la légende de Siegfried de Wagner, elle-même formée à partir de la saga de Sigurd, un descendant d’Odin, l’on entend les bruits de la forge, le marteau qui cliquette sur l’enclume, afin de renouer l’épée qu’Odin a brisée, mais plus que cela par trop anecdotique c’est à la démarche du destin que nous assistons, elle n’est pas rapide, elle prend son temps, la voix d’Asrunn s’élève, comme des tentures de sang séché que l’on dresserait à chaque point focal et oblique d’une existence qui vous entraîne inéluctablement vers votre fin, n’oubliez pas qu’il n'y a que deux façons de mourir, par la ruse d’un Dieu, et plus ignominieuse par la traître main d’un proche. The new vikings : cornes de brume, tambourinades nettement plus directes, les anciens Dieux, les antiques héros, de la vieille histoire, même si les nouveaux vikings ont le même chat à fouetter à savoir la mort de notre monde, tout ce qui a précédé n’est qu’un rappel, les mêmes causes produisent les mêmes effets, la musique décroit pour laisser Asrunn approcher ses lèvres de votre oreille et doucement vous révéler le terrible secret, tout dépend de vous, réveillez-vous maintenant, Mark grogne plus fort, est-ce vraiment utile. Silence. A chacun de jouer. Valhalla : encore le hurlement de Fenrir, le Valhala, cette forteresse du domaine des Dieux dans laquelle les Walkyries ont ramené les corps et les âmes des guerriers les plus valeureux morts sur les champs de bataille, ils attendent là, buvant, chantant, s’entraînant au maniement des âmes le Ragnarök, vous n’entrez en ce glorieux lieu mirifique que   par la porte de Mort, vous n’en sortez que pour mourir. Le morceau alterne brûlures de joie, élans vitaux, et passages plus sombres, chaos se diluant dans le néant.

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    Yggdrasil’s Reneval : paysage verdoyant, racines moussues de l’arbre du monde, un voyage est achevé, un autre commence, Vita Nova dirait Dante, renaissance, musique printanière, la voix toute pure d’Asrunn s’élève, son tambourin magique scande la joie de vivre, Mark marque le rythme de la ronde nouvelle qui se forme, farandole, tarentelle, ô mon âme n’aspire pas à la vie immortelle, épuise les champs du possible. Epigraphe de Pindare mise en exergue par Paul Valéry à son Cimetière marin.

             Ce disque est une superbe réussite. Nous avons déposé le crottin sleipnirique de nos rêveries au bas de chacun de ces dix morceaux, mais il est préférable de l’écouter d’une seule traite, comme un oratorio ontique qui nous affirmerait que la Mort n’est qu’un aspect de l’Être. Transe infinie.

    Damie Chad.

     

    *

             Dans notre livraison 622 du 30 / 11 / 2023, rendant compte de la vidéo ‘’ Le Cri ’’ dernier présenté comme l’unique inédit de Johnny Hallyday je ricanais prophétisant que de nouveaux inédits ne tarderaient pas à apparaître. Evidemment la vie m’a donné raison.

             Philippe Labro est rentré dans ma vie grâce à Johnny. Un 45 tours deux titres, deux textes écrits par Philippe Labro. Le premier fit scandale. Mettait en cause un personnage qui quelques années auparavant avait fait vaciller la carrière des Beatles aux States. Jésus Christ. Faut avouer que pour l’époque, nous sommes pourtant après mai 1968, Labro avait fait fort. Un texte qu’il avait ramené des Etats-Unis, en plein dans la période hippie, bref on y racontait que Jésus fumait de la marie jeanne et qu’il aimait les filles aux seins nus. Les cathos coincés du soutien-gorge s’étaient émus, en avait appelé au Vatican, les radios avaient renâclé pour le passer, certains disquaires refusèrent de le vendre...

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             Comme toujours l’on s’était trompé de cible, suffisait d’ôter ses yeux de ces seins que l’on ne saurait voir, pour réaliser la virulence du deuxième titre. L’antithèse du premier. Labro n’y parlait plus de douceur, de paix et d’amour. On me recherche, écrit à la première personne, vous jetait dans la peau d’un mauvais garçon, d’un malfrat, d’un voyou en fuite et décidé à ne pas se laisser prendre et prêt à en découdre jusqu’au bout… Un texte violemment anarchiste, certains moralistes s’autoriseront à dire dans le mauvais sens du terme, sans concession, qui n’attira pas les foudres des censeurs… Aujourd’hui il serait taxé d’incitation au terrorisme !

             Labro écrivit pas moins de cinq textes pour Vie le treizième album de Johnny sorti en novembre 1970, dont le surprenant Poème sur la Septième.

    Pour le quatorzième album Flagrant Délit paru en juin 1971, Labro écrivit l’ensemble des dix textes.

             Ce 16 février 2024 est parue la réédition de Flagrant Délit augmenté de deux inédits. Ces bandes ont été retrouvées à l’Olympic Sound Studio de Londres référencées sous le nom de Lee Halliday.

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    Reste : pas vraiment un chef-d’œuvre, une démo, un texte gentillet, pas de quoi pavoiser. N’apporte pas grand-chose à notre rocker national.

    Waterloo : si Reste est le genre de chansonnette que n’importe qui pourrait écrire, Labro était conscient qu’un texte doit choquer, surprendre, fasciner son auditeur. Déjà rien que le titre vous interpelle. Toutefois si l’on pense que le Poème sur la 7 ième, était un texte lu sur un extrait de la Septième Symphonie de Beethoven, et si l’on se souvient que Beethoven avait dans un premier temps dédié sa Symphonie N° 3, L’Héroïque, à Napoléon Bonaparte, l’on comprend la logique mentale qui a présidé à la naissance de Waterloo. Le projet a été abandonné. Nous n’avons droit qu’à une démo. La prépondérance du piano nous assure que nous sommes aux tout premiers tâtonnements de la mise en place. Manque l’essentiel : un orchestre symphonique. C’était le Grand Orchestre de Jean-Claude Vannier qui présidait au Poème sur la Septième. Et puis, avouons-le le texte un peu trop pathos de Labro n’est pas la hauteur de l’épopée napoléonienne, prend le sujet par le petit bout de la lorgnette. Celui des soldats qui vont mourir pour une idée qui ne leur appartient pas. Et qui les dépasse. Dommage que Labro n’ait pas repris son projet. Peut-être aurait-il dû envisager Austerlitz ou Eylau.

             Napoléon est un sujet qui sent la poudre. De canon.

    Damie Chad.

            

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

     

    31

    Le Chef doit être en train d’allumer un Coronado. Nous cavalons. Josiane est à la traîne, je la tire par la main, je lui impose un rythme soutenu. Elle aurait envie de se plaindre, son souffle coupé lui interdit d’émettre le moindre mot. C’est le troisième hôtel dont nous sortons en courant. Sans aucune explication. La chambre à trois cent euros lui aurait parfaitement convenu, sans un mot, j’ai gagné la rue. Le sixième s’avèrera le bon. Au neuvième étage, tout en haut, ascenseur en panne. Je n’ai pas hésité une seconde, ai refilé sans rechigner au directeur les mille trois cent trente euros quarante-six centimes qu’il demandait. Affalée sur le lit Josiane ne m’adresse la parole qu’au bout de trente-cinq minutes.

             _ Damie c’est loin et c’est un peu cher !

             _ Ne t’inquiète pas, un agent du SSR se doit d’assurer un certain standing, c’est le Chef qui l’a dit.

             _ Et les chiens ils ne sont plus là !

             _ Je les ai renvoyés au local d’un signe de la main, ils sont intelligents, ils ont compris, j’avais envie de rester cette nuit avec toi seule.

             _ Je ne comprends pas pourquoi tu préfères cette chambre, c’est la plus chère et la moins intime. Elle est si grande que le lit paraît tout petit !

             _ Tu verras quand tu seras toute nue tout contre moi, question intimité tu ne trouveras pas mieux.

    Un argument décisif si j’en crois la hâte avec laquelle elle se déshabille. J’ai bien calculé mon coup. Je ne doute pas que les Briseurs de Murailles soient à nos trousses. Justement cette chambre ne possède pas de murs.  En guise de parois uniquement de larges baies vitrées. Même la porte est en verre blindé épais, insensible aux balles de kalachnikov, s’est vanté le Directeur.

             _ La chambre des amoureux, pour la Saint-Valentin je la loue à dix mille euros. Vous voyez tout Paris et personne ne peut vous voir, même si vous laissez la lumière allumée. Une merveille architecturale ! De par le monde, vous n’en trouverez qu’une comme elle, tout en haut de l’Empire State Building

    J’ai réfléchi, les briseurs de murailles traversent les murs, mais le verre peut-être pas ! Un matériau coupant ! Avec un peu de chance nous passerons une nuit tranquille, s’ils parviennent à entrer, mon Rafalos sous l’oreiller à portée de mains, je les attends de pied ferme…

    32

    Il est temps de s’occuper de Josiane, chérie j’ai eu très peur, j’ai besoin de beaucoup de câlins m’a-telle averti. Je la comprends. Elle n’a pas menti. Sept ou huit fois de suite, je n’ai pas compté, j’ai dû l’honorer de toute ma virilité pénétrante, maintenant rassérénée elle dort paisiblement entre mes bras. Un agent du SSR en mission ne dort jamais, vous le savez, la main refermée sur la crosse de mon Rafalos je reste aux aguets, l’oreille tendue, guettant le moindre frémissement…

    33

    Je n’ai rien entendu. Si ce n’est le coup de feu tiré à bout portant dans la tête de Josiane. Avant que j’aie eu le temps de réagir, une main ferme a tiré le cadavre de Josiane hors de mes bras et un corps de femme nue a pris sa place. Gisèle ! Je l’ai reconnue à la douceur inimitable de sa peau.

             _ Je déteste que l’homme que j’aime me fasse des cachoteries dès que j’ai le dos tourné, me souffle-telle à l’oreille, ce n’est rien, ajoute-t-elle, je te pardonne.

    Cette nuit-là du neuvième étage je suis passé au septième ciel…

    34

    Le Chef allume un Coronado. Dans le wagon du métro des voix s’élèvent :

             _ Monsieur il est interdit de fumer dans le métro !

    Le Chef tire son Rafalos de sa poche :

             _ Le dernier qui osé me dire cela est mort, si vous ne me croyez pas, allez vérifier, cimetière de Pantin, Allée G, tombe 647, un certain Jean Fenocle, tué par balle dans une rame du métro, mardi dernier.

    Une voix étranglée par l’émotion accapare l’attention :

             _ C’est vrai, j’en ai entendu parler à la radio !

             _ Nous vivons dans un monde d’assassin, vous avez vu ce matin dans le bulletin d’infos c’est inimaginable !

             _ Mon dieu ! que s’est-il encore passé, je pressens une horreur !

    Le Chef n’a pas le temps d’entendre. Le métro vient de s’arrêter dans la station où il descend.

             _Messieurs-dames, au revoir, tenez-vous le pour dit !

    Avant de descendre il lâche un gros nuage de son Coronados, un Espuantoso Somptuoso dont la fragrance provoque des vomissements intempestifs chez les deux femmes enceintes du wagon.

    35

    Le Chef n’est pas étonné de retrouver Molossa et Molossito qui l’attendent derrière la porte du local dans laquelle il les a enfermés la veille. L’Agent Chad n’est pas venu les chercher. Il pressent que la situation est grave. Très grave, confirme-t-il aux deux chiens qui le regardent d’un air interrogatif. Il prend le temps d’allumer un Coronado. Il donne les dernières consignes :

             _ Attention, Molossa et Molossito, faut y aller mollo !

    Les deux chiens ont compris. Le monde est peuplé de périls, la tâche s’avère difficile, pire que de marcher sur des œufs de crocodiles sur le point d’éclore. Comme un seul homme ils emboîtent le pas du Chef.

    36

    Les abords du Palais de Justice grouillent de monde. La fièvre des grands jours. Journalistes télé et radio se pressent vers la grande salle. Elle est remplie comme un œuf. Molossito se demande si c’est un œuf de crocodile. Un brouhaha indescriptible monte de la foule amassée. Un huissier survient. Il monte à la tribune et annonce d’une voix forte :

             _ Mesdames, Messieurs, silence, le procureur de la République vient vous parler.

    Le procureur s’est levé de bonne heure, l’a été arraché de son lit par un coup de téléphone intempestif du ministre de la police, il n’a pas eu le temps de se coiffer, le nœud de sa cravate est défait. Il prend son air sévère N° 4 et s’empare du micro.

             _ Je n’irai pas par quatre chemins, l’affaire qui nous préoccupe est un des féminicides les plus épouvantables du siècle. Non seulement l’assassin a lâchement tué son amie d’un coup de Rafalos dans la tête – des exclamations d’horreur fusent – un peu de silence s’il vous plaît, ceci n’est que le début du drame, je ne m’offusquerai pas si certaines âmes sensibles désireraient ne pas entendre la suite – personne ne sort – après quoi il a simplement jeté cette compagne hors de son lit – des oh ! de stupéfaction et de dégoût s’élèvent – excusez-moi de ce qui va suivre qui risque si j’utilise une expression tant soit peu populaire, vous couper l’appétit, il a refait l’amour dans les draps ensanglantés avec une deuxième femme. Qui n’était pas là lorsque la femme de chambre a ouvert pour apporter le déjeuner. Elle n’a trouvé que le cadavre de la première sur la descente de lit et l’assassin qui dormait comme un ange pour reprendre ses propres termes.

    Plusieurs doigts se lèvent dans l’assistance, le Procureur en désigne un au hasard au premier rang :

             _ Comment savez-vous qu’il y a eu une deuxième femme que personne n’a vue si nous avons bien compris ?

             _ Personne ne l’a vue, nous ignorons son identité mais les analyses biologiques sont formelles : le lit a été fréquenté par trois personnes : l’assassin, la jeune femme morte et une deuxième femme mystérieusement disparue… Voilà vous savez tout, nous vous reconvoquerons si nous avons du nouveau. Je vous remercie.

    Dans la salle c’est la bronca. Des groupes de féministes lèvent des pancartes, elles exigent la démission du Procureur et du Ministre. On leur cache quelque chose, elles veulent savoir le nom de l’assassin qui a tué au moins deux femmes. C’est le chahut, la chienlit. Personne ne s’aperçoit que le Chef a allumé un Coronado ! Le Procureur reprend la parole :

             _ Nous ne pouvons vous révéler le nom de l’assassin, la loi nous l’interdit.

    La phrase du procureur provoque la stupeur, une clameur s’élève de l’assistance :

             _ Tous complices, tous coupables, tous pourris, police partout, justice nulle part !

    Le Procureur fait signe qu’il veut parler :

             _ L’affaire est beaucoup plus grave que vous ne l’imaginez, nous ne pouvons révéler le nom de l’assassin car quelques heures auparavant on a remorqué sa présence sur les lieux de la Bibliothèque Municipale dans laquelle hier ont été dénombrés plus de quatre-vingt morts. Peut-être tenons-nous là le serial killer le plus prolifique que le monde ait connu jusqu’à aujourd’hui, oui chez nous, en France !

    La foule subjuguée et flattée par la dernière déclaration du Procureur crie trois fois Vive La France ! et entonne une vibrante Marseillaise…

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 622 : KR'TNT 622 : RAHSAAN ROLAND KIRK / GAZ COOMBES / JAMES DICKERSON / GLORIA SCOTT / BOBBY BYRD / CONIFER BEARD / DOZETHRONE / HIGH ON VIGERS / JOHNNY HALLYDAY

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 622

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    30 / 11 / 2023

     

    RAHSAAN ROLAND KIRK / GAZ COOMBES

    JAMES DICKERSON / GLORIA SCOTT

    BOBBY BYRD / CONIFER BEARD

     DOZETHRONE / HIGH ON VIGERS

    JOHNNY HALLYDAY

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 622

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Kirk out the jams

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     On aurait tort de vouloir enfermer Rahsaan Roland Kirk dans le bocal du jazz. C’est pourtant au rayon jazz qu’on le trouve chez les disquaires. Mais Kirk déteste le mot jazz. Il préfère employer l’expression «black classical music». Il explore les roots de l’African /American music et invente même un mot - That’s what we call BLACKNUSS - Grâce au film d’Adam Kahan - Rahsaan Roland Kirk - The Case Of The Three Sided Dream - on découvre que Kirk est un prodigieux militant. Pas de la CGT, mais de la liberté et du Black Power, ce qui veut dire la même chose : un combat sans fin pour la liberté, un combat qui dure depuis des siècles et qui va continuer. La musique de Rahsaan Roland Kirk charrie toutes ces images : révoltes dans les plantations, Black Panthers, ghettos urbains, Tommie Smith et John Carlos poings levés sur le podium à Mexico, Martin Luther King qui reçoit une balle dans le cou au  Lorraine Motel, les émeutes de Watts, la victoire de Barak Obama, le martyre de Steve Biko et la résurrection de Nelson Mandela, les flammes dans le regard de l’esclave qui massacre le béké martiniquais à coups de machette, les bruits des chaînes dans la forteresse de Gorée, la croix en flammes devant la cabane d’Hound Dog Taylor, les bombes dans les églises noires, Muddy Waters sur son tracteur à Stovall Plantation, le cadavre d’Albert Ayler dans les eaux troubles du port de New York, oui tu as tout ça dans le son de Kirk et beaucoup d’autres choses encore, on n’en finirait pas, avec ce son qui est un mélange unique de beauté et de colère. Comme Miles Davis, Monk, Coltrane et quelques autres, Rahsaan Roland Kirk est un homme précieux pour les fans de rock. Oui, car c’est un punk, il suffit de voir la fameuse séquence de l’Ed Sullivan Show : on invite Kirk pour qu’il joue un air de jazz bon chic bon genre et paf, il fait danser les caméras avec «The Inflated Tears & Haitian Fight Song», accompagné de Charlie Mingus sur sa stand-up et d’une grosse bande de copains blacks fabuleux, et puis tu vois Archie Shepp avec sa casquette en laine qui se met à danser de tout son corps en soufflant dans son sax, et là tu as les vrais punks, tu comprends, c’est pas les Stranglers, ce sont les blacks du ghetto et le shaman Kirk, vêtu de vinyle noir et couvert de breloques, se met à onduler avec ses trois sax en bouche, c’est wild as fuck, aussi wild que l’est The Graham Bond Organisation jouant «Harmonica Man» dans la jungle, un clip qu’on peut choper sur Dailymotion. Toutes ces merveilles sont en ligne, mais attention au son, car dans les deux cas, il faut du son.

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             À l’époque du passage à l’Ed Sullivan Show, Kirk milite dans un mouvement nommé The Jazz People’s Movement et publie un manifeste inspiré de la désobéissance civile et du mouvement de lutte pour les droits civiques. Ils estiment que le jazz a disparu des émissions de télé. Ils commencent par venir foutre le souk au Dick Cavett Show en soufflant dans des sifflets. Ils inspirent la trouille aux médias new-yorkais, d’où l’invitation à l’Ed Sullivan Show.

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             Kahan fait témoigner pas mal de gens dans son docu, notamment la femme et le fils de Rah, comme elle l’appelle, et puis des tas de musiciens qui l’ont accompagné sur scène. Tous nous font le portrait poignant d’un petit homme rendu aveugle après sa naissance par une super-conne d’infirmière qui lui a accidentellement brûlé la cornée des yeux avec un produit. Alors le son est devenu sa seule réalité - Sound is his life - Il se passionne pour tous les sons, il découvre des sons inconnus, puis il apprend à emboucher trois instruments d’un coup, il n’a que deux mains, il rajoute une flûte, il joue tout ce qu’il peut jouer. Un premier clip nous le montre en 1964, avec ses lunettes noires à la Ray Charles et sa barbichette. Il est déjà iconique. Il est évident que William Bell va s’inspirer de lui pour la pochette de Bound To Happen.

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             Kirk pousse le bouchon - He took everything to extrem - Tout lui vient de ses rêves, les trois instruments, il les voit en rêve. Il voit Rahsaan en rêve. On lui demande quelle est sa religion - My religion is dreams - D’où le titre du docu. En 1970, il porte un turban et des bagues. Il devient shamanique. Il joue en solo sur un sax et en rythmique sur l’autre. Il a développé une expertise du circular breathing, c’est-à-dire qu’il inspire par le nez et expire par la bouche, une technique séculaire, Kirk peut jouer longtemps sans avoir à reprendre son souffle, il inspire et expire en même temps. Il peut passer des solos demented, il peut pulser indéfiniment, on voit son corps onduler, comme s’il baisait. À la différence des autres géants du jazz qui sur scène ne disent rien, Kirk parle beaucoup avec le public.

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             Bill Graham est l’un de ses plus fervents admirateurs - He destroyed me. La première fois, ce fut au Fillmore Auditorium en 1967. Comme j’avais aussi l’Airplane qui remplissait systématiquement, je pouvais programmer qui je voulais - Alors il programme the Afro-Haitian Ballet et en ouverture, Roland Kirk - Il arriva dans l’après-midi. Forte personnalité. Aveugle de naissance, je crois. Il portait des lunettes noires très bizarres, une robe africaine et une casquette tribale. Il parlait énormément, à propos des injustices, du racisme, de la fraternité et de l’égalité. Mais il était en colère. Comme Nina Simone.

             Rah fait une attaque à 39 balais et fait modifier son sax pour continuer à jouer. Il ne joue plus que de la main droite. Sa femme nous raconte qu’il casse sa pipe en bois à l’arrière d’une bagnole, comme Alex Chilton. Il venait de jouer son dernier concert. Rah le punk casse sa pipe en bois en plein dans l’année punk, en 1977.

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             C’est à Rhino qu’on doit cette magnifique petite box, The Rahsaan Roland Kirk Anthology. Does Your House Have Lions. Le titre sort d’une anecdote relatée par Joel Dorn, qui fut le producteur de Rah. Dorn expliquait à Rah au téléphone qu’il venait tout juste d’acheter une maison. Alors Rah lui a demandé si sa maison avait des lions - You know concrete lions. My house has lions. Get a house with lions - Dans le booklet bien dodu, Hal Willner rend un sacré hommage à Rah : «The energy was heavier then anything I was seing in the punk rock world.» C’est exactement ce qu’on ressent à l’écoute de «Black Root», sur le disk 2 : on croirait entendre le Magic Band. C’est bourré de wild afro-beat. Globalement, Rah joue un heavy jazz groove qu’il ponctue de yeah. Sur «Wham Bam Thank You Ma’am», on entend Charlie Mingus on wild bass, yeah !, ça jazze dans le Rah, yeah !, ces mecs y vont au wild as fuck, yeah !, c’est explosif, une bite entre dans le printemps du jazz, yeah !, et féconde la vie par-dessus bord. Rah amène «Horses (Monogram Republic)» au grand melodica, il sature sa mélodie d’huile pour la faire entrer sous ta peau, mais il reste en même temps prodigieusement abrasif - That was me ! That was me ! - Il attaque «Old Rugged Cross» au bad heavy Kirking, mais il abrase son cœur de mélodie et attaque sa transition au heavy ramshakle de r’n’b, ça vire Jr Walker ! Il fout vite le feu aux immeubles. Genius pic ! Après une intro chant, ce démon de Rah souffle dans les bronches de «Volunteered Slavery», il l’amène au balancement du ventre d’avant/arrière, au vrai pulsatif de wild cat, il souffle dans tous ses cornets, il fusionne tous les sons pour faire de l’art, et tu te grises littéralement de son exubérance. Pour son «Medley», il souffle en continu des thèmes classiques avec une insistance de sale punk, ah la brute !, il déroule son déroulé à la déroulade de bouledogue boulimique. Il rend hommage à la Nouvelle Orleans avec «The Black & Crazy Blues», une heavy traînasserie funéraire fabuleusement façonnée, il écrase du talon le champignon du blues dans la mud de mad dog pendant qu’un pianiste égrène ses perles de lumière. On voit Rah taper une cover d’«I Say A Little Prayer» au fast swing, il lui troue le cul avec un solo schtroumphé, seuls les cats de jazz peuvent te défoncer une rondelle sans crier gare. Ces mecs développent sans fin, et t’es baisé. Rah reprend le thème au sax demented et ça repart en mode jazz craze. Quelle aventure !

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             Sur le disk 2, il te souffle «The Inflated Tear» à la concorde et part en mode Bird de mélodie pure. Un vrai baume au cœur. Il mixe ses deux vents. Genius pic ! C’est le sommet du lard de l’absolue pureté des vents. Dans «Blacknuss», il ressort son couplet sur les touches noires du piano, tel qu’on l’a vu faire dans le docu. Cissy Houston est dans les parages, c’est comme on s’en doute wild as fuck, et le courant emporte Rah. Il revient à la mélodie pure avec «I Love You Yes I Do», c’est même une mélodie fellinienne, bien écrasée dans le mortier. Rah plonge profondément dans l’excellence du jazz, comme le montre encore «Portrait Of Those Beautiful Ladies». Le thème rôde toujours dans le demi-jour de sa cécité. Rah est un héros, il te prélasse le thème, le berce aux alizés, il te propose sa version de la perfection, l’absolu mélodique au sax d’embouchure, il se fait saumon pour mieux remonter le courant. «The Enternainer (Done In The Style Of The Blues)» sonne comme une dernière tentative de réconciliation. Rah le prend à la bonne, il t’offre tout le jazz du monde en cadeau. Tiens, prends, c’est pour toi. Alors tu prends. Il passe au groove de Soul jazz avec «Anysha», la stand-up derrière sonne comme une apoplexie dans ce climat de séduction maximale et Rah joue l’amour suprême. Il termine avec «Thee For The Festival» en mode vite embarqué au fast jazz, Rah fait son Faster Pussycat Kill Kill. Tu te sens vraiment fier d’avoir croisé la route d’un cat comme Rah.

    Signé : Cazengler, Roland Quiche (lorraine)

    The Rahsaan Roland Kirk Anthology. Does Your House Have Lions. Rhino Records 1993

    Adam Kahan. Rahsaan Roland Kirk - The Case Of The Three Sided Dream. DVD 2014

     

                       

                                   I can hear the Supergrass grow

    - Part One

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             Trente ans après la bataille, Gaz Coombes déboule sur scène.

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    Il reste encore un vieux fond de Supergrass dans le Gaz, oh pas grand-chose, juste deux cuts, mais Gawd, quels cuts ! Le fast ride de «Deep Pockets», vite embarqué, ils jouent à trois avec une boîte à rythme. Derrière, un bon copain gratte les graves sur une gratte et une bonne copine claviote un mini-clavier.

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    C’est monté sur un programming, mais l’effet sur scène est imparable. D’autant que Gaz sort sa belle gratte électrique et revient aux sources : le fast British rock. Il n’a rien perdu de ses anciennes dispositions à rocker the boat. Il passe un solo de pure Méricourt. L’autre big bang s’appelle «Feel Loop (Lizard Dream)», tiré de son dernier album, Turn The Car Around. Pareil, il sort sa meilleure électricité pour l’occasion et ça groove comme au temps béni de Supergrass.

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    Pour un peu, on regretterait presque que tout le set ne soit pas aussi électrique. Pour le reste, il gratte pas mal de coups d’acou, mais les compos sont bienvenues, surtout «Detroit», tiré de Matador, même chose pour «The Girl Who Fell To Earth». Le copain Garo qui gratte les basses derrière finit par impressionner, car rien n’est plus difficile que de driver une bassline en suspension, sans batterie. Tout repose sur le feeling, et un sens aigu du tempo. Visiblement, le mec est doué. Il n’a pas de basse, juste deux grattes.

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    Gaz porte un petit costard noir et un chapeau appareillé, et lorsqu’il s’assoit au clavier pour clavioter, on voit qu’il transpire abondamment. Il fait une belle version de «Detroit», une autre sucrerie tirée de Matador, et la plupart du temps, il introduit ses cuts en racontant une petite histoire. Comme sa diction est bonne, on pige à peu près tout, ce qui nous arrange bien. En plus, ses histoires sont souvent intéressantes. Notamment celle de «Detroit», qui remonte au temps des never-ending American tours, et voilà que dans un bar, deux flics américains le fixent pendant 20 minutes, ce qui le fait flipper. Tous ces mecs ont des tas de souvenirs de tournées à raconter, c’est en quelque sorte une mine d’or, et Gaz l’exploite pour ses chansons. Il fait aussi une fantastique version du «White Noise» tiré d’Here Come The Bombs, on sent l’envergure, pas de problème, Gaz peut tenir une scène.

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    Et comme il fait la promo de Turn The Car Around, alors il en bombarde deux ou trois, comme le morceau titre ou encore le «Sonny The Strong», en hommage à Sonny Liston. Il tente aussi de faire du participatif avec «Long Live The Strange», mais ça ne prend pas.

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             Son premier album solo Here Come The Bombs date de 2012. On le sent déterminé à vaincre dès «Hot Fruit». Il fait un peu la révolution industrielle à lui tout seul. Il s’est trouvé un bon beat. Il a toujours sa voix de rêve. Il garde l’essentiel. «Hot Fruit» devient vite sérieux. Comme il adore exploser, alors il explose. C’est son truc. Il s’en sort encore très bien avec «Sub Divider». Il vise la belle apothéose, avec une gratte en fond de ciel et un beurre qui double. Cet album se présente en fait comme une aventure évolutive. Il met du temps à s’envoler, mais il s’envole. Il est plein d’élan et grand amateur de climaxing. Il fait de la fast techno avec «Simulator», il est pressé, comme au premier jour. Fantastic Gaz boy ! Il a un sens inné de la grandeur. Sur «White Noise», il gratte des arpèges à la hussarde et ça éclate dans le matin d’une pop radieuse. Gaz est un mec qui gagne à être connu. Il a le goût des grands espaces. S’ensuit un «Fanfare» noyé de son et assez babylonien, et il se montre encore plus déterminé avec «Break The Silence». Pas de problème, notre Gaz naturel trouve la voie de ses ouh ouh ouh et débroussaille à coups de c’mon d’assaut.

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             Une vraie merveille se niche sur Matador : «Buffalo». Il y vise clairement le Big Atmospherix saturé de génie sonique. Gaz est un géant, un Coombes de haut vol, il sature son ciel, il crie merveilleusement, il crée un monde éclatant, il navigue au même niveau que Greg Dulli et c’est d’autant plus spectaculaire qu’il fait le one-man band. L’autre bombe de Matador s’appelle «Detroit», qu’il finit en apothéose de can’t hide from it all oh and all the times. Quel prodigieux finisseur ! On se régalera aussi de «The English Ruse», fantastique cavalcade d’I’m cutting loose/ To some other place, c’mon, il file fabuleusement, il donne du volume à son take my suitcase/ I’m cutting loose. Il fait aussi «The Girl Who Fell To Earth» en hommage à sa fille qui est autiste, comme il le précise sur scène. Gaz a un talent fou. Il sait sourcer un hit. Il cherche en permanence le hit, comme le montre encore «Needle’s Eye», il chante au chat perché, à la hollywoodienne. Il sait se hausser. On sent aussi qu’il creuse son tunnel. Comme Edmond Dantes, il cherche à s’évader du Château d’If. On sent parfois qu’il s’enterre dans une pop à effets et qu’il perd son goût pour la splendeur. Il termine avec le morceau titre, cut étonnant qu’il charge de tambourins et d’I’ll face the beast & fight like a matador.

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             Pas mal de jolies choses sur World’s Strongest Man qui date de 2018, et qu’on pourrait appeler l’album à la piscine. Le graphiste a réussi à éliminer toute la perspective, si bien que Gaz est allongé au bord d’une très longue piscine merveilleusement horizontale. Le paysage qu’on voit en background semble lui aussi délicieusement factice. Voilà un bon usage de PSD au service d’une idée. Les coups de génie de l’album se planquent vers la fin. Le premier s’appelle «Wounded Egos», une fast pop dans laquelle il se jette à corps perdu. Il chante avec la gourmandise d’un cannibale qui observe attentivement le cul d’une grosse retraitée abrutie de télévision. C’est bien envoyé, tendu et frais comme un gardon, avec un chant glammy. Gaz est un petit dieu de la pop. Il n’en finit plus de faire la différence. Et puis tu vas tomber un peu avant la fin sur «Vanishing Act». Il parvient à surmonter l’absence d’un vrai batteur avec des prouesses vocales extraordinaires. Dans ce domaine, il pourrait bien devenir champion du monde. Il crée les conditions d’une apothéose biblique. Il passe son temps à chercher des noises à la noise. Gaz a l’envergure de Todd Rundgren, il peut exploser sa pop avec le tonnerre de Zeus. On en pince aussi pour le morceau titre d’ouverture de bal qu’il chante à la renverse, il est magnifique de dévolu, il fait sa mijaurée, il ramène des machines et du doom, ça tangue, comme lorsque tu en as un gros coup dans la gueule, il exploite bien la titube, c’est beau et weird à la fois. Et puis voilà le «Deep Pockets» qu’il tape sur scène. Il tape ça au fast beat de boîte à rythme et s’en sort avec des breaks de gratte vérolés. C’est fast and furious. Il refait sa mijaurée. Ses inter-saisons sont brillantes, il claque des chœurs d’interface superbes, il emmène son Pockets en enfer. Il charge encore sa petite barcasse de Gazier avec «Shit (I’ve Done It Again)». Il se prend pour la chute du Niagara et il a raison. Il se prend ensuite pour Mercury Rev avec «Slow Motion Life». Même attaque, il emprunte exactement le même chemin et il chante comme Jonathan Donahue. Il passe encore en finesse avec «Oxygen Mask», gratté à coups d’acou, il y ramène ses finasseries de Gazier impérial. On sent le pro. Même la pop contrebalancée et inconfortable d’«In Waves» passe comme une lettre à la poste. 

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             Son dernier album en date s’appelle Turn The Car Around. Il est nettement moins dense que le précédent. Il renoue avec sa vieille passion pour le glam dans «Long Live The Strange», qu’il reprend aussi sur scène en mode participatif. Le glam se trouve dans les descentes. L’idée est brillante : démarrer sur le refrain, c’est une idée glam. Dans la version studio, il a des accents bolanesques. En plein tourbillon, il éclate sa voix au candy glam. Tiens voilà le «Feel Loop (Lizard Dream)» qu’il tape aussi sur scène, mais cette fois, la version studio est trop synthétique. Dommage. Il ressort ses vieux licks exacerbés, mais c’est beaucoup plus percutant sur scène. La version studio fait chou blanc. Il cherche à créer du monumental avec «Don’t Say It’s Over», mais ça ne marche pas non plus. Il a du potentiel, c’est sûr et certain, il sait grimper dans ses harmonies, mais il se cogne au plafond, car ça pue trop la boîte à rythme. On entend des échos de Beatlemania dans le morceau titre. Des échos de Dwight Twilley aussi, avec des états d’âme à la renverse. Il est important de savoir que Gaz joue tous les instruments. Garo donne juste un coup de main. Vouloir tout gérer en one-band explique sans doute le fait qu’il tourne un peu en rond. Il termine avec «Dance On» et tape enfin dans le très haut de gamme. Un Gulf Stream mélodique l’emporte. C’est beau et puissant. On se rappellera de cet album pour «Dance On». Il renoue avec une tradition très anglaise du heavy balladif à la Lennon. Il est dans cette magie, son Dance On est très pointu. Un sommet du lard fumant.

    Signé : Cazengler, gazé

    Gaz Coombes. Le 106. Rouen (76). 25 octobre 2023

    Gaz Coombes. Here Come The Bombs. Hot Fruit Recordings 2012

    Gaz Coombes. Matador. Hot Fruit Recordings 2014

    Gaz Coombes. World’s Strongest Man. Hot Fruit Recordings 2018

    Gaz Coombes. Turn The Car Around. Hot Fruit Recordings 2023

     

     

    The Memphis Beat

     - Bienvenue au paraDickerson

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             James Dickerson, qu’il ne faut pas confondre avec Jim Dickinson, pose sur Memphis le même regard que Robert Gordon, le regard d’un homme passionné par les artistes qui ont fait de cette ville le berceau d’un phénomène mondial qu’on appelle le rock’n’roll. Il utilise les mêmes méthodes que Gordon : il s’amourache des disques et s’en va rencontrer, quand ils sont encore en vie, ceux qui les ont enregistrés. Puis il rassemble tous ces portraits et nous donne à lire l’excellent Goin’ Back To Memphis, une somme qu’il faut ranger sur l’étagère à côté d’It Came From Memphis et de Memphis Rent Party (Robert Gordon), des trois tomes de Peter Guralnick (les deux Elvis et l’Uncle Sam), du Hellfire de Nick Tosches et bien sûr du I’m Just Dead I’m Not Gone de Jim Dickinson. Le héros de Dickerson n’est autre que Chips Moman et ça tombe bien, car c’est un vrai héros, l’un de ceux dont on ne se lasse pas. La dernière image du livre nous montre Chips, sa femme Toni Wine et l’auteur assis tous les trois sur une balancelle, sous le porche de la Moman farm in Nashville, 1985. Cette image illustre bien la force du lien qui unit Chips et l’auteur. Ces pages consacrées à Chips complémentent plutôt bien l’ouvrage que Ruben Jones a consacré au studio American et aux Memphis Boys. Ces deux livres constituent une source d’informations extrêmement précieuses sur notre cher Moman clé, un homme qui gagne à être connu.

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             Le saviez-vous ? Chips portait une arme sur lui, un petit calibre 25 automatique fourré dans la poche arrière de son pantalon. Il l’expliquait ainsi : «Je sais me battre et prendre une râclée, mais je ne laisserai personne me buter. Si je tire, c’est pour buter celui qui voudra me buter.» Dickerson nous rappelle que Chips a collectionné les hits de 1968 à 1971 : 26 disques d’or pour des singles et 11 pour des albums. Avec American et les Memphis Boys, il a réussi à loger 83 singles et 25 albums dans les national charts. Joli palmarès pour un petit studio de Memphis. Il faut aussi savoir que Chips indiqua l’adresse d’une vieille salle de cinéma du 924 East McLemore à Jim Stewart et Estelle Axton quand il les entendit dire qu’ils cherchaient un local pour monter un studio. Il s’agit bien sûr de Stax. Ils formaient tous les trois une drôle d’équipe : Chips avec ses mauvais tatouages et ses réflexes de zonard (teenage vagabond), joueur invétéré (cartes et billard), guitariste de rockab, et Jim Stewart, le banquier aux manières bien lisses. C’est après leur brouille que Chips monte American et qu’il enregistre et produit une hallucinante kyrielle d’artistes, dont bien sûr Elvis. Chips dit d’Elvis qu’il n’était pas le plus grand chanteur du monde, mais il avait un son - J’ai travaillé avec des gens plus doués que lui, mais aucun d’eux n’était plus célèbre - C’est du Chips. D’aucuns disent qu’avec Chips, Elvis enregistra ce qu’il avait fait de mieux depuis l’âge d’or des Sun Sessions.

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             Quand Chips apprend qu’Elvis ne veut pas revenir chez lui à American et qu’il va enregistrer chez Stax avec les Memphis Boys, il décide de lâcher l’affaire, se sentant trahi, à la fois par ses musiciens et par la ville de Memphis. Cette nuit-là, il fait ses bagages. Le dernier client d’American fut Billy Lee Riley, avec «I Got A Thing About You Baby».

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             S’ensuit un épisode que Ruben Jones ne détaille pas trop dans sa bible : le retour de Chips à Memphis. Dickerson peut entrer dans les détails car il est l’artisan de ce retour. L’aventure commence par une interview. Dickerson est journaliste. Il demande à Chips s’il regrette sa décision d’avoir quitté Memphis. Chips lui répond que c’était une grosse connerie. Depuis, il a enregistré à Nashville, mais dit-il, my music is in Memphis. That’s where I learned it, that’s where I felt it -  Puis Dickerson monte un projet fou : faire revenir Chips à Memphis en tant qu’héros de la scène locale, alors il mouille le maire Dick Hackett dans le projet. Hackett est intéressé et propose un bâtiment. Moman accepte de rentrer à Memphis et s’installe au Peabody, en attendant que son studio soit prêt. Il veut redémarrer avec un gros coup : la réunion des surviving stars of Sun Records. Et voilà que Jerry Lee, Cash, Roy Orbison et Carl Perkins radinent leurs fraises. Uncle Sam radine également la sienne - Memphis was ready to roll the dice - Chips met en boîte le Class Of ‘55 des Four Horsemen, et à sa grande surprise, les gros labels font la moue. Ça n’intéresse personne ! Effaré, Chips voit revenir les réponses négatives. Le projet sort trop de l’ordinaire. Ils ne savent pas comment le commercialiser. Le plus drôle de cette histoire est que les gros labels avaient dit la même chose à Uncle Sam en 1954 : invendable ! Alors Chips monte America Records avec des partenaires financiers et sort son Class Of ‘55 dont personne ne veut. Il décide à la suite d’enregistrer un nouvel album avec Bobby Womack pour MCA Records. Il tente aussi de proposer à des gros labels Reba And The Portables qu’il vient de signer, mais ça ne marche pas non plus. Le Womagic de Bobby sort en 1986. C’est le troisième album que Chips produit pour Bobby Womack : il le considère comme l’un des géants de l’époque.

             Et puis un soir, Gary Belz, qui fait partie des partenaires d’America, appelle Chips. La conversation tourne au vinaigre et Selz traite Chips de mortherfucker. Chips raccroche calmement, monte dans sa bagnole et va trouver Selz au studio Ardent. Il entre et lui colle son poing en pleine gueule. Puis il lui dit : «Quand tu veux m’insulter, fais-le devant moi - You call me a name, you do it in my face.» La scène de Memphis allait ensuite retomber dans les ténèbres. Chips finit par refaire ses bagages et par retourner à Nashville. Son dernier round à Memphis fut un échec cuisant et Dickerson avoue en porter la responsabilité, en ayant été l’instigateur. 

             Dickerson livre aussi de très beaux aperçus sur Memphis. Selon lui, Memphis est la seule ville d’Amérique où un country boy timide peut devenir un King, où des blancs et des noirs peuvent non seulement passer ensemble à la radio, mais aussi jouer ensemble dans des groupes. Elvis n’est pas le seul country boy devenu célèbre : Carl Perkins sortait de sa cambrousse de Jackson, Tennessee, Cash de sa cambrousse d’Arkansas, Jerry Lee de la Louisiane et Roy Orbison du Texas. Pour Dickerson, Memphis a redéfini le blues, puis l’a transformé en rythm’n’blues et a inventé le rock’n’roll, puis l’a retransformé en pop via une bâtardisation du jazz, grâce aux orchestrations. Et Dickerson en arrive à la même conclusion que Dickinson : Memphis n’est pas la ville des groupes, mais des individus - The individual was always supreme.

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             Mais cette région du Deep South n’est pas non plus du tout repos. Dickerson indique qu’à l’annonce de l’exécution du Président Kennedy à Dallas, le Campus de l’Université du Mississippi, plus connu sous le nom de Ole Miss, a explosé de joie et a sorti pour l’occasion les drapeaux confédérés. Dickerson rappelle aussi que «Wolly Bully», enregistré par Stan Kesler chez Uncle Sam en 1965 pour MGM, devint l’un des plus gros hits américains de l’époque. Memphis fut aussi la ville de la peur bleue pour les Beatles qui, en 1966, vinrent jouer au Memphis Coliseum. Comme John Lennon avait déclaré que les Beatles étaient plus populaires que Jésus-Christ, le Ku Klux Klan avait annoncé des représailles. Quand un mec fit sauter un pétard en plein milieu du set, le roi George faillit tomber dans les pommes.

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             Le côté chronologique de l’historique artistique fait sans doute la force de cet ouvrage, Dickerson explore méthodiquement chaque époque et commence par exhumer les légendes des origines pour aller dans les derniers chapitres saluer les nouvelles générations de groupes qui ont réussi à prendre le relais. Il démarre en force avec WC Handy, rappelant qu’il n’avait pas inventé le blues mais qu’il fut sans doute le premier à mêler le black folk blues avec l’instrumentation européenne, combinant le raw energy de son héritage africain avec la discipline d’une éducation à l’Européenne. Il passe directement à Memphis Minnnie qu’il qualifie de most accomplished female guitarist who ever lived. Elle  complétait ses revenus d’artiste avec des passes de pute. Pour baiser Memphis Minnie, il fallait sortir deux dollars. Les temps étaient durs, nous dit Dickerson, Minnie se contentait de survivre. Bonnie Raitt dit qu’elle devenue chanteuse à cause de Memphis Minnie. Johnny Shines dit que Memphis Minnie pouvait devenir très violente. Elle aurait coupé les bras d’un mec dans le Mississippi. Comme le fait si bien Tav Falco dans Ghosts Behind The Sun, Dickerson rappelle que dans les années 20, Memphis était devenue la capitale américaine du crime. Les commerçants vendaient de la coke dans des boîtes de dix sous. 70% de la population black de la ville était accro à la coke. Quand Coca-Cola monta son usine en 1902, la coke était l’ingrédient de base dans la fabrication du tonic, jusqu’en 1905.

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             Dickerson consacre aussi des chapitres croustillants à Furry Lewis et à Sleepy John Estes, qui apprit à jouer de la guitare en jammant avec ses voisins et un beau jour, il prit la route et joua pour vivre. Mais il ne s’éloigna jamais de Memphis. Puis voici Booker T Washington White, surnommé Bukka White, qui renonça un temps à sa carrière de bluesman pour ouvrir un magasin de meubles, jusqu’au moment où le succès de sa chanson «Fixin’ To Die» repris par Dylan l’incita à sortir de son magasin de meubles pour aller jouer un peu partout aux États-Unis et en Europe. L’un des plus importants personnages de la légende des siècles est sans doute Rice Miller, le vrai Sonny Boy Williamson - The most enterprising bluesman of the early 1940s - C’était un sorcier de l’harmo et Dickerson qualifie les textes de ses chansons d’earthy and passionate. Il fut l’un des premiers à utiliser l’harmo comme lead instrument. Rice mit un place un gang infernal : Robert Junior Lockwood, Houston Stackhouse et Joe Willie Wilkens se succédaient aux guitares, James Perk Curtis battait le beurre, et Joe Pinetop Perkins jouait du piano. C’est à Helena en Arkansas que Rice Miller démarra sa prodigieuse carrière, dans un radio show intitulé King Biscuit Time, diffusé chaque jour à midi. Chaque jour, Rice arrivait quelques minutes avant l’heure, les musiciens s’asseyaient et le présentateur Sunshine Sonny Paye leur demandait ce qu’ils allaient jouer, alors Rice lui disait qu’il n’en savait rien. Mais le show démarrait à l’heure, alors il se mettait à chanter et le groupe suivait. Made up on the spot. Rice enregistra «Dust My Broom» avec Elmore James, puis signa chez Chess en 1955. Il aligna trois hits monumentaux : «Bring It On Home», «Don’t Start Me Talking» et «Help Me» dont Alvin Lee allait faire ses choux gras sur le premier album de Ten Years After. Rice Miller débarqua en Europe et fit des concerts légendaires avec les Yardbirds et les Animals. Dickerson évoque bien sûr Riley Ben King qui écoute le King Biscuit Time en 1941 et qui décide de devenir Blues Boy King. L’émission ne faisait pas que lui donner du bon temps. Elle lui faisait envisager une vie meilleure. En 1946, il vient à Memphis voir son cousin Bukka White et il découvre Beale Street.

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             Et puis tiens, voilà Wolf ! Il lui arrive souvent d’oublier de se changer et de monter sur scène en salopette. Eh oui, Wolf travaille encore à la ferme. Chess engage à l’époque Ike Turner comme découvreur de talents. En 1948, Ike tombe sur Wolf et l’enregistre pour Chess sur un petit magnéto. Au même moment, Uncle Sam s’installe à Memphis à la recherche de nouvelles opportunités. Il écoute les radios : la blanche l’ennuie avec sa pop trop orchestrée et sa country soporifique. Par contre la noire l’intéresse, on y entend Wolf, B.B. King et Rice Miller, c’est-à-dire Sonny Boy - Sexual bravado of liberated black manhood ! - Les gens de Memphis le sentaient : il y avait quelque chose dans l’air. Comme si la moitié de la ville bandait pendant que l’autre moitié roupillait. Tous les blacks voulaient faire de la radio, c’mon man let’s do it ! Beale was the place for action. Now talk was king et la mode aussi, high fashion, Lansky vendait des fringues démentes, Elvis deviendra l’un des meilleurs clients. En 1950, B.B. King devient un héros dans la communauté noire, Wolf aussi. À Nutbush les gens saluaient Ike et sa future femme, Annie Mae Bullock. Et d’autres arrivaient : Little Milton, Junior Parker, James Cotton et Bobby Blue Bland. Un Bobby Blue Bland qui est toujours revenu à Memphis, une ville qui le boudait un peu, sans doute parce qu’il enregistrait à Nashville pour un label texan. Quand Dickerson lui demande comment il explique ce manque de reconnaissance, Bobby répond : «Memphis is sorta swishy-swatchy», qu’on pourrait traduire par soupe au lait. 

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             Dickerson rencontre aussi Uncle Sam, the Wild man from Memphis. Il le résume assez bien en la qualifiant de dreamer : il voulait faire des disques comparables à ceux qu’il entendait à la radio (noire) - Pop music was out of the question - De toute façon, les musiciens de Memphis n’étaient pas assez sophistiqués pour faire de la pop. Il y avait bien la country dans la région, mais ça se passait à Nashville. Les musiciens de Memphis n’étaient pas non plus assez bons pour la country. Il restait le r’n’b. Alors Uncle Sam décida de se concentrer sur le r’n’b. S’ensuivit «Rocket 88», le premier chart-topper de Chesss et le seul chart-topper qu’Ike aura avec ou sans Tina. Et comme il venait de pondre un chart-topper, Uncle Sam se sentit pousser des ailes. Il méprisait la ségrégation qui était encore la règle à Memphis, ce qui était de sa part très courageux. Socialiser avec les nègres était tout simplement hors la loi. To hell with the law, que la loi aille au diable, Uncle Sam se savait en mission. Il avait grandi avec Uncle Silas et avait compris bien des choses. Alors il ouvrit la porte de son studio à tous ces nègres : Walter Horton, Doctor Ross, Joe Hill Louis, Willie Johnson et Wolf. Un Wolf qui bouffait à tous les râteliers, chez Uncle Sam et chez les Bihari, par l’entremise d’Ike. Chess offrit 4.000 dollars et une bagnole à Wolf s’il acceptait de venir à Chicago. Uncle Sam n’avait pas les moyens de rivaliser avec Chess. Alors Wolf céda sa ferme à son beau-frère, chargea son pick-up et prit la route de Chicago, où il allait rester pour y mourir en 1976.

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             Uncle Sam voit Rufus Thomas comme un winner. Alors il lui confie la réplique à «Hound Dog», «Bear Cat». Mais au fond, Sam se lasse des artistes noirs qui ne sont pas bien carrés avec lui, comme par exemple Ike et Wolf qui jouent double jeu en allant enregistrer ailleurs. Aux yeux d’Uncle Sam, le manque de loyauté est impardonnable. Alors il laisse tomber Rufus et les autres blacks pour se concentrer sur les petits blancs : Elvis, Scotty Moore et Bill Black. C’est là que Dickerson ramène sa théorie fumeuse du Hoodoo Cartel qui fait la loi à Memphis : selon lui, Uncle Sam aurait vendu le contrat d’Elvis pour arracher Elvis des griffes du Hoodoo Cartel. Dickerson dit aussi que c’est le Hoodoo Cartel qui a eu la peau de Chips et tant qu’on y est, la peau de Stax. Selon Dickerson, Uncle Sam a vendu Elvis à RCA pour sauver sa carrière - In my eyes, Sam Phillips is a hero - Après Elvis, voici Roy Orbison. Quand Uncle Sam le rencontre pour la première fois, ça ne se passe pas très bien. Roy lui dit : «C’est Cash qui m’a recommandé d’aller chez Sun !», et Sam lui rétorque sèchement que Cash n’est pas le boss de Sun. Ils font néanmoins «Ooby Dooby» qui n’est pas un hit. Sam met Roy dans les pattes de Jack Clement et lui demande de chanter plus de rock’n’roll, mais Roy ne veut chanter que des balades sentimentales. Frustré, il quitte Sun en 1957 et va à Nashville où il compose toutes les balades sentimentales qui vont le rendre célèbre. 

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             Et puis voilà Stax, l’occasion pour Dickerson de revenir sur le trio infernal Estelle/Jim/Chips. Mariée à un mec nerveux, Estelle est la mère de deux enfants, dont Packy. Leur ménage s’est lourdement endetté pour acheter une baraque. Estelle parle à cœur ouvert, elle dit tout ce qu’elle pense, Chips la contredit par principe, s’appuyant sur son expérience de zonard, et Jim qui n’est d’accord avec ni l’un ni l’autre ne dit rien. Estelle s’occupe du magasin de disques qui se trouve à côté de l’entrée du studio. Dickerson indique que sans les revenus du magasin, le studio aurait coulé dès la première année. C’est là que Steve Cropper monte les Mar-Kays et Packy lui demande s’il peut venir jouer dans le groupe. Steve lui répond qu’ils n’ont pas besoin d’un sax. Alors Packy lui rétorque : «Ma mère est la boss de Satellite Productions, tu sais le studio où travaille Chips Moman !» Steve l’embauche immédiatement. C’est Estelle qui réussit à convaincre Jim de sortir le truc que les Mar-Keys répètent dans le studio, «Last Night». Elle est persuadée que c’est un hit. Jim et Chips leur organisent une tournée pour la promo de «Last Night». Le groupe se compose de Steve (guitar), Duck Dunn (bass), Packy (tenor sax), Smoothie Smith (keys), Terry Johnson (drums), Wayne Jackson (trumpet) et Don Nix (baritone sax). C’est le commencement de ce que Dickerson appelle the Memphis music’s second revolution. Alors Stax met le turbo. Dans son magasin, Estelle prédit les hits. Tous les blacks du quartier adorent Miz Estelle. Chips joue dans les clubs de Memphis et les gens l’idolâtrent. Il fait le même boulot qu’Ike, il repère les jeunes talents dans les clubs et un beau jour il ramène William Bell chez Stax. Époque magique : Jim, Estelle et Chips créent un soulful sound qui va bouleverser l’évolution de l’American music. Puis Booker T & the MGs cassent la baraque avec «Green Onions» et soudain une shoote éclate entre Jim et Chips. Estelle apporte un éclairage en révélant que Chips voulait prendre le contrôle de Stax. Elle dit aussi que Chips voulait la moitié de Stax, «ce qui m’excluait, alors que c’est moi qui ait mis les fonds dans l’affaire pour démarrer.» Jim proposa à Chips une trêve de deux semaines, au terme de laquelle il se disait prêt à le revoir. Mais Chips ne mange pas de ce pain-là. 

             Steve Cropper voit arriver de nouvelles têtes chez Stax : Homer Banks qui travaillait comme vendeur dans le magasin d’Estelle, et puis aussi deux habitués du magasin, Isaac Hayes et David Porter. Après l’âge d’or d’une histoire de rêve vient le déclin et l’exclusion d’Estelle. Dickerson : «The music business, as Jim learned, was no place for nice guys.»

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             Moins connu que Stax, Hi connut un destin moins violent. Willie Mitchell privilégiait la discrétion et Al Green fut le chanteur parfait pour illustrer sa vision d’un son : the smooth that oozed sweet Soul, le doux du doux de la sweet Soul music. Willie admire Al car il voit en lui un homme qui veut réussir coûte que coûte. Alors il le pousse à composer ses hits et pouf, voilà que commence la sarabande des disques d’or. En plus d’Al, Ann Peebles toppe les charts avec «I Can’t Stand The Rain», Syl Johnson avec «Take Me To The River» et Otis Clay avec «I Die A Little Each Day». Une belle poulette blanche traîne chez Hi : Rita Coolidge. À l’époque, ça fait scandale. Puis sa sœur Priscilla épouse Booker T, alors le scandale grossit encore. C’est en effet le premier mariage inter-racial dans le monde des musiciens. Quand une gonzesse se suicide après lui avoir ébouillanté le dos, Al Green se met à changer. Il commence par se séparer de Willie qui avait tout misé sur lui. Puis il cesse d’enregistrer des disques pour prêcher dans son église - Willie was devastated - D’autant plus devastated que les hits d’Al n’ont pas enrichi Hi. C’est London Records qui s’est enrichi. Willie se contentait de leur licencier les masters d’Al - We got a little bit of money but the record companies got most of it - Al et Willie se retrouveront en 1985 pour enregistrer He Is The Light. Willie was ecstatic, nous dit Dickerson.

             Dionne Warwick avait tellement adoré Memphis et l’ambiance d’American qu’elle voulut y démarrer un label avec l’un des associés de Chips, Marty Lacker. Le label fut baptisé Sonday, en l’honneur du fils de Dionne la lionne. Mais le label floppa et Dionne ne revint jamais à Memphis.

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              Oh voilà enfin Dickinson, qui avait un peu bossé chez Stax et chez American, mais Chips ne voulait pas lui confier la console. S’ensuit l’épisode Dixie Flyers à Miami et le retour précipité à Memphis au bout de six mois (Homesick, le mal du pays). Pour Dickerson, Dickinson est un shaman : «Je pense qu’il a absorbé chaque image, chaque son, tout ce qu’il a croisé.» C’est lui Dickinson qui explora en compagnie d’Alex Chilton the most creative aspects of musical madness. Dickerson va encore plus loin en affirmant que ZZ Top et Big Star avaient beaucoup de points communs, notamment le respect des critiques. Pour l’auteur, il y a une part de mystère dans le succès de ZZ Top : It’s all part of the Memphis thang. Il faut se souvenir que ZZ Top vint enregistrer chez Ardent.

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             Autre épisode considérable : Elvis débarque chez Stax pour une session d’enregistrement. Isaac Hayes est là lui aussi, entouré de ses gardes du corps blacks. Elvis a les siens, des blancs. Jim a mis en plus des gardes dans la rue pour la sécurité. L’équipe de télé n’est pas là pour Elvis mais pour Isaac et Elvis le prend mal, car n’est-il pas le King ? N’est-il pas the big movie star ? Mais ses films sont des gags et il le sait, alors qu’Isaac vient de décrocher un Award pour Shaft, avec son crâne rasé et sa forte odeur de Sex God. Elvis n’a jamais eu aucun Award et il ne pourra jamais en avoir, avec ses films pourris. C’est aussi Isaac qui raffle tous les Grammys, alors qu’Elvis n’en récupère que deux.

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             Vers la fin de cette galerie de portraits époustouflante, Dickerson rend hommage à Jerry Lee : «Grâce à tous ses excès, ses problèmes et ses tendances auto-destructrices, sa bravado, son arrogance et son regard démoniaque, le Killer est resté le plus grand rock’n’roll piano player the world has ever seen.»

    Signé : Cazengler, Dickerson of a bitch

    James L. Dickerson. Goin’ Back To Memphis. Schirmer Books 1996

     

     

    L’avenir du rock

     - Gloire à Gloria !

             L’avenir du rock en a ras-le-bol des poncifs. Ça doit bien faire soixante ans qu’on lui rabat les oreilles avec les mêmes âneries. Dès qu’il a le malheur d’engager une conversation au bar après un concert, ça repart de plus belle. En voiture Simone ! Tiens voilà ce mec ventripotent qui arrive pour le brancher sur Keith Richards :

             — Y s’est fait changer tout l’sang en Suisse, tu vois un peu l’travail ?

             L’avenir du rock prend son air le plus éberlué, et fait :

             — Ah bon ?

             En voilà un autre qui se pointe, et du haut de sa hargne de nabot, il lance :

             — Clash, c’était le seul groupe de gauche en Angleterre !

             L’avenir du rock prend son air le plus ahuri, et fait :

             — Savais pas !

             Comme un bonheur n’arrive jamais seul, en voilà un autre qui vient trinquer pour dire :

             — Ah ! Johnny Thunders, quel désastre, c’est la romance de la piquouze !

             Celui-là bat tous les records, l’avenir du rock s’en émerveille. Attendons la suite, se dit-il... Elle arrive :

             — Dès qu’y touchent à la piquouze, c’est foutu. Y meurent tous...

             L’avenir du rock peine à dissimuler sa fascination face à cet Ararat de bêtise fondamentaliste. Ne sachant pas trop quoi dire, il opte pour une espèce de moyen terme piteux :

             — Oh y meurent pas tous...

             L’autre se cabre et lance d’une voix bourrue d’érudit à la mormoille :

             — Ah mais si, y meurent tous !

             Fantastique ! L’avenir du rock décide de l’asticoter :

             — Sauf ceux qui sont de gauche et ceux qui se font changer le sang en Suisse...

             Un autre candidat au désastre intellectuel arrive et décrète d’un ton impérieux :

             — Sans «Gloria», t’as pas d’garage !

             L’avenir du rock se régale de la prestation de cet imbécile, alors il fait l’âne :

             — Tu veux dire Gloria Scott ?

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             Gloria Scott n’est pas née de la dernière pluie. Elle a démarré en tant qu’Ikette pour Ike & Tina Turner, et elle vient tout juste de refaire surface sur Acid Jazz, alors pour l’avenir du rock, c’est du gâtö.

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             Si tu feuillettes Mojo et que tu vas jusqu’à la dernière page, tu vas tomber sur une rubrique intitulée ‘Hello Goodbye’. L’invité y narre son hello lorsqu’il rejoint un groupe, puis son goodbye lorsqu’il le quitte. Alors évidemment, quand Gloria Scott raconte son ‘Hello Goodbye’ dans the Ike & Tina Revue, on se jette dessus, d’autant que la page s’orne d’une belle photo de scène : on voit Gloria Scott, P.P. Arnold, Tina Turner et Maxine Smith faire la danse du canard. L’image vaut son pesant d’or. En 1965, nous dit Gloria, elle avait rencontré Sly Stone et elle savait que son destin se trouvait dans the music business. Puis le propriétaire du Fillmore, Charles Sullivan (l’un des héros de Bill Graham) la convoque. Elle doit passer une audition. Pour qui ? Elle ne sait pas. Quand elle arrive au Fillmore, elle découvre qu’elle doit auditionner pour Ike & Tina Turner - So I auditioned right there on the spot, in front of the Fillmore audience - Elle avait 18 ans and it seemed like a big night. Le soir même, Ike & Tina embarquent Gloria à Los Angeles et ils passent par Santa Cruz, le temps pour Gloria de dire bye bye à mom and dad. Au début, Gloria ne chante pas, Ike lui dit d’observer le groupe sur scène. Elle découvre ensuite qu’Ike fait tourner plusieurs équipes d’Ikettes et certaines ramassent plus de blé que d’autres, alors des Ikettes revendiquent et Ike les vire. C’est là que Gloria devient Ikette. Et elle attaque la ronde infernale des tournées - On that bus every night - where were we? - That was our home - Le ‘goodbye’ se produit un an plus tard, en 1966. Elle n’aura été Ikette que pendant neuf mois. Elle n’entre pas trop dans les détails, mais elle dit qu’Ike était dur avec les filles. Il leur collait des amendes si les perruques étaient de traviole. Comme les amendes étaient de 25 $ et qu’elles gagnaient 25 $ par soirée, elles s’endettaient. Ike appliquait la technique du patron blanc avec les sharecroppers, c’est-à-dire les métayers, il les endettait à vie et donc elles bossaient quasiment à l’œil. Gloria n’est pas du genre à se laisser marcher sur les pieds. Un jour, les Ikettes ratent leur bus pour Houston, Texas, a long drive, alors elles doivent prendre l’avion pour arriver à l’heure au concert. Non seulement Ike leur dit que le billet d’avion est à leur charge, mais il leur colle en plus une amende. Tina prévient Ike que s’il colle une amende à Gloria, elle va se barrer. Qu’elle parte ! Et Gloria se barre - I quit.  

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             La petite Gloria refait surface cette année avec So Wonderful, sur Acid Jazz. C’est plutôt inespéré. D’autant plus inespéré que l’album est excellent, on va même devoir parler de coups de génie, tellement ça grouille de vie, là-dedans. Tiens, on va en prendre un au hasard : «I’ve Got To Have All Of You». Elle y développe une énorme Soul d’I doooo, elle est suprême, elle fait une Soul Mod très moderniste, elle se fond dans l’extrême qualité du groove. Autre coup de Jarnac : «Show Me», elle te groove ça dans l’excellence du lard, sans fournir aucun effort - You got to/ Show me the way - C’est d’une qualité irréprochable, tu n’as pas idée. Elle reste fantastiquement présente avec «There’s No Cure For Me». La petite Gloria règne sur l’Acid Jazz, elle groove le smooth et développe une extraordinaire énergie de la classe. Dans «All Of The Time You’re On My Mind», elle nage à la surface d’une incroyable profusion de son, avec les violons loin, là-bas, et une rythmique haut de gamme, et elle te groove tout ça avec magnificence. Gloria Scott forever ! Elle passe au groove des jours heureux avec le morceau titre, une merveille de good time music. Elle est imbattable, pas de grosse voix, juste une très forte présence de black lady. «I Found Love» redore aussi le blason de la good time music d’Acid jazz. Elle incarne ce son à merveille. Elle termine cet album enchanteur avec «Promised Land», fast one amené au heavy beat. Elle y louvoie élégamment, elle vibre et nous aussi, elle a derrière elle des chœurs de volontaires. Gloria est fière de son grand retour : «Après 48 ans, je suis tellement fière d’enregistrer mon deuxième album. En particulier, les démos que j’avais enregistrées avec Barry White et qui ne sont jamais sorties.» Le grand architecte de ce retour en grâce s’appelle Andrew McGuinness, who conducts the Baltic Soul Orchestra.

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             La discographie de Gloria Scott est assez maigrichonne. Deux albums en tout, le deuxième date de 1974, What Am I Gonna Do, sorti sur Casablanca et produit par Barry White, gage de qualité. Gloria : «Je suis surprise que cet album soit still active out there, parce qu’il remonte à loin.» Quand Garth Cartwright lui dit que cet album est considéré comme un Soul/dance classic, ça la fait bien marrer : «C’est merveilleux, but - you know what? - J’ai dû signer un contrat stupide because I never saw any money from that.» Tu as deux cuts qui sonnent comme des Beautiful Songs : «I Think Of You» et «Love Me Love Me Love Me Or Leave Me Leave Me Leave Me». Avec le premier, elle tombe dans les bras du satin jaune et développe une puissante beauté océanique. Elle s’étend à l’infini. Avec le deuxième, elle rejoint le génie productiviste de Barry White. C’est puissant, un vrai shoot de forever à la bella vista, please don’t tease me. C’est d’une candeur à peine croyable. Le hit de l’album s’appelle «(A Case Of) Too Much Lovemakin’» et là t’es embarqué au heavy Barry White. Elle se fond dans la graisse du gros, elle y va franchement - There’s something I’ve got to say - Fabuleux ! C’est plein d’énergie, elle y va au débotté, avec des congas dans le feel à la patte du caméléon, c’est tout simplement énorme, elle y va la petite Gloria, c’mon !, elle jive au sommet du big Barry lard, à travers elle passe l’énergie de l’éclair Soul. Si tu la vois en photo, tu vas dire : «Aw my Gawd !», car elle est fantastiquement belle. La photo Casablanca te crève le cœur. Et avec «I Just Couldn’t Take A Goodbye», elle rampe dans le satin jaune du goodbye. Elle passe au hard funk avec «That’s What You Say ( Everytime You’re Near Me )», elle devient reine de la nuit, elle te swingue ton truc vite fait, ça prend vite des allures héroïques, elle y va au that’s what you say, alors t’as qu’à voir !

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             Un deuxième album sur Casablanca produit par HP Barnum n’est jamais sorti. Pour Gloria, ça voulait dire la fin des haricots. Il se pourrait bien que Barry White, qui l’avait signée pour sept ans, ait bloqué sa carrière. Alors elle est allée faire des backing vocals chez Motown. Elle impressionne Mary Wilson qui vient de relancer les Supremes après le départ la Ross. Mary la sort du contrat avec Barry White et en échange, elle lui demande de tourner dans les Supremes avec elle. Ce sont les Supremes of the late 70s and early 80s. Mais ça ne satisfait pas pleinement Gloria qui avait quand même enregistré sur premier hit «Taught Him» en 1964 avec Sylvester Stewart, c’est-à-dire le Sly Stone en devenir, un hit qu’on retrouve sur l’excellent compile Ace, Precious Stone: In the Studio With Sly Stone 1963-65. C’est à la suite de cet épisode qu’elle auditionne pour Ike & Tina Turner.

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             Alors pourquoi une discographie si maigrichonne, alors que Gloria a fréquenté les géants de la terre, c’est-à-dire Sly Stone, Ike Turner et Barry White ? Il faudra attendre qu’elle se décide à écrire ses mémoires pour le savoir.

    Signé : Cazengler, Glorien du tout

    Gloria Scott. What Am I Gonna Do. Casablanca 1974

    Gloria Scott. So Wonderful. Acid Jazz 2022

    Gloria Scott : Hello Goodbye. Mojo # 347 - October 2022

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    Garth Cartwright : Under the radar. This month : Gloria Scott. Record Collector # 539 - Christmas 2022

     

                                    

                                           Inside the goldmine

    - Byrd doggin’

             Il venait chaque matin avant l’ouverture pour faire le ménage dans l’atelier et dans les bureaux du premier étage. Bobo appartenait à la grande vague d’immigration portugaise des années cinquante. Il avait trouvé un bon job dans une grosse administration, mais pour arrondir ses fins de mois, il prenait des petits boulots complémentaires, comme celui-ci : homme de ménage. Existe-t-il un job plus fastidieux que celui-ci ? Passer chaque matin l’aspirateur au même endroit, faire les poussières des mêmes bureaux et entretenir les mêmes sanitaires, chaque matin, de six à huit. On le croisait en arrivant le matin pour l’ouverture. Il coiffait son casque et démarrait un gros scooter pour partir à son autre boulot. Il venait en plus le samedi matin jusqu’à midi pour faire ce qu’il n’avait pas eu le temps de faire dans la semaine, les carreaux par exemple. C’est là qu’on pouvait papoter un moment autour d’un café. Le samedi matin, nous n’étions que tous les deux. Il apportait un paquet de biscuits et se livrait à un petit rituel consistant à tremper un biscuit dans son café pour le sucer goulûment. Alors Bobo, on trempe son biscuit ? Il n’y avait aucun mal à le taquiner, d’autant plus qu’il ignorait le sens de l’expression. Bobo était un homme très gentil. Ses cheveux commençaient à grisonner. Il avait le visage d’un bel homme et parlait avec un très fort accent portugais. Il acceptait aussi tous les petits boulots d’entretien courant, comme la remise en état d’un portail en fer forgé ou des travaux de maçonnerie. Au fil du temps, une sorte de complicité affective colora cette relation patron/employé, et il n’était plus question de manquer, pour quelque raison que ce fût, le café du samedi matin. Jusqu’à ce samedi de juin fatidique. À 8 heures, Bobo n’était pas arrivé. Fallait-il mettre ça sur le compte d’une panne d’oreiller ? Ça ne lui ressemblait pas. Il arriva vers 10 h, au moment où recoulait le café. Il tenait à la main un paquet de biscuits, mais la peau de son visage était grise.

             — Voulez-vous un café ?

             Il hocha la tête et prit place sur le tabouret de bar en vis-à-vis, comme à son habitude. Il trempa son biscuit puis se mit à parler d’une voix sourde :

             — Yé vené d’achété oune belle moto à mon fils. Cette nouit, les poulice y sont venous à la méson poul nous dile à mon épouse et à moi que notle fils s’était toué avé la moto.

             Et il se mit à chialer toutes les larmes de son corps.

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             Comme Bobo, Bobby Byrd a vécu des sales moments. Peut-être pas aussi tragiques, c’est vrai, mais sales tout de même. Il vient d’un temps où ça grenouillait sec dans le showbiz et il n’a peut-être pas su saisir sa chance, en tous les cas, un certain James Brown l’a saisie à sa place.

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             Dans le booklet d’Help For My Brother (The Pre-Funk Singles 1963-68), Dean Rudland nous rappelle que sans Bobby Byrd, il n’y aurait pas eu de James Brown, et que sans James Brown, il n’y aurait pas eu de Bobby Byrd. Dans les années 50, le groupe de Bobby s’appelait déjà The Famous Flames et James Brown en était le chanteur. Puis quand ils enregistrèrent «Please Please Please» pour King/Federal, James Brown devint une star, et les Famous Flames le quittèrent pour devenir Byrd’s Drop Of Joy. James Brown conserva le nom des Famous Flames et Bobby finit par venir le rejoindre. Il fut le bras droit de James Brown pendant toutes les années 50 jusqu’au début des années 70. Bobby fut l’un des premiers artistes de la James Brown Revue à être autorisé à enregistrer des propres disks. Bobby finira par quitter les Famous Flames en 1973, pour se marier avec Vicki Anderson. Carleen Anderson, fille de Vicki, eut donc pour beau-papa Bobby et pour parrain, the Godfather himself, Jaaaaaaames Brown !   

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             Paru en 1970, l’I Need Help (Live On Stage) de Bobby Byrd est un gros album de funk. Bobby donne le ton dès le morceau titre. Hard funk ! Fantastique pulsion à la James Brown, ça gratte à la clairette de funk, au pur Black Power. Hard funk toujours en B avec «You Got To Have A Job (If You Don’t Work You Can’t Eat)», fabuleuse clameur de magick funk gratté à la Tighten Up, on salue la bravado du bassmatic, apanage définitif du funk des alpages. Encore un cut signé James Brown : «Hang Ups We Don’t Need (The Hungry We Need To Feed)», ça s’entend, tension énorme, chef-d’œuvre de Black Power. Il fait aussi de la heavy Soul de bonne augure avec «I Found Out» et revient au doo-wop avec des basses saturées et «You’ve Got To Change Your Mind».  

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             Le Finally Getting Paid de Bobby Byrd & The JB All Stars est un album collectif. Bobby attaque au hard funk de «I Need Help», puis Lyn Collins tape dans le mille avec «Think». Arrive à la suite Marva Whitney avec «It’s My Thing», elle est la plus wild des trois, elle arrache son It’s my thing du sol, elle est la plus rougeoyante, la plus rentre-dedans, la plus extrême. Bobby est un gentil mec, il file ensuite le micro à sa belle-fille Carleen Anderson qui tape un «Free» d’une grande finesse, elle fait des vocalises extravagantes, au filet de chat perché et là-haut, elle place encore un set me free vertigineux. Fascinante Soul Sister ! En B, Vicki Anderson impose le «Respect» et Fred Wesley nous embarque dans l’«House Party», un cool groove de funk, c’est du haut niveau de très haut vol, le funk de James Brown travaillé aux cuivres. On entend encore Fred Wesley, Maceo Parker dans l’«In The Middle» des JB’s, avec Pee Wee Ellis on tenor sax. Bobby Byrd finit cet album exceptionnel en apothéose de hard funk avec «I Know You Got Soul», il enrage, il swingue son hard funk et derrière, ces démons de JB’s font encore grimper les enchères.

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             Et pouf, ça repart de plus belle au hard funk avec On The Move (I Can’t Get Enough), paru en 1993, et «Try It Again». C’est forcément en place avec Bobby, là tu as le real deal de Bobby Byrd, tu vas d’avant en arrière, try it again, get on up ! Il connaît bien les ficelles du get on up. Et ça continue avec «I’m On The Move», pur jus de JB’s funk, Bobby fait son funk de hard-funkster, il devient the master of reality, il se noie dans l’excellence, keep on turning left, get on the move ! Il danse son funk à l’excès, wait a minute, il est dessus. Il passe à la Soul avec «The Way To Get Down», il tapa ça à la big voice, il perfore la Soul par le centre, sa voix fonce comme une torpille. Bobby appelle à lui toutes les métaphores. Il sait aussi se cabrer comme un étalon sauvage et hennir dans la plaine du funk en feu. Il peut aussi sonner comme un vieil esclave qui rompt ses chaînes, même s’il a les reins brisés par les coups du maître blanc, il ne lâche rien de sa dignité. Et voilà qu’il nous flanque un instro, «Never Get Enough». Ces gens ont le geste lourd et l’élégance chevillée au corps. Ça prend une allure demented avec un shoot de sax digne de Jr Walker. Bien sûr, Bobby revient au chant avec «I Got It». Il chante tout à l’énergie de la dernière heure, il rame à la dure, Bobby est un battant, on sent au grain âpre de sa voix qu’il en a bavé. Il reprend sa voix de cadavre d’esclave pour chanter «Sunshine», accompagné par le Tower of Power Horn Section, c’est plein d’énergie post-mortem, il chante à l’extrême difficulté des asticots. On voit bien qu’il pourrit en enfer, il est atrocement recouvert d’asticots, can’t help myself, il rôde dans les catacombes, il pue la mort, il continue d’avancer et derrière une fille pousse des cris, you’re so good ! Mais attention, Bobby revient, il repose sa couronne de roi du funk sur son auguste crâne cabossé pour attaquer «Back From The Dead»

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             Ce serait bête de rater l’occasion d’écouter cette belle compile du jeune Bobby, Help For My Brother (The Pre-Funk Singles 1963-68). Bête de rater un coup de génie de black wild rockalama comme «Write Me A Letter» ou encore ce fabuleux shoot de hard funk, «Funky Soul #1 Pt 1», suivi bien sûr du Pt 2, pur jus de raw r’n’b, ah quelle débinade, il y va le Bobby, down in New Orleans where the funky Soul was really born ! Il faut aussi l’entendre taper «I Found Out» au early cha cha cha de Dada funk et derrière lui, ça pouette sec. Il fait du heavy pré-funk de downtown underground. Il passe au weird avec «I’m Just Nobody Pts 1&2» et un son étrange, il a un accordéon dans les pattes et ça donne une incroyable dégelée de wild slowah. On n’a jamais entendu ça ailleurs. Le son est quasi incongru. Ah il faut aussi entendre ce chef-d’œuvre qu’est «I’ve Got A Girl», slow groove frétillant de guitares. Avec «We Are In Love», il passe au heavy groove de jazz boy, yeah yeah yeah. On ne se lasse pas de Bobby. Il te danse «Time Will Make A Change» à distance, so baby c’mon, c’est gagné d’avance, belle Soul de mambo de classe supérieure. Encore une merveilleuse opération avec «You’re Gonna Need My Lovin’», Bobby y va de bon cœur, you’re gonna need my lovin’, someday. Il fait aussi du simili-Motown avec «Lost In The Mood Of Changes» et avec «Ain’t No Use», il groove dans l’excellence au balancement d’hip d’ain’t no use.

    Signé : Cazengler, Bobby beuh

    Bobby Byrd. I Need Help (Live On Stage). King Records 1970   

    Bobby Byrd & The JB All Stars. Finally Getting Paid. Rhythm Attack Productions 1988

    Bobby Byrd. On The Move (I Can’t Get Enough). Soulcity Records 1993

    Bobby Byrd. Help For My Brother (The Pre-Funk Singles 1963-68). BGP Records 2017

     

     

    *

    Je suppose que vous ne savez pas où se trouve Yelabuga, heureusement que vous lisez ce blogue pour améliorer votre culture générale ! C’est pourtant simple, la ville moyenne de Yelabuga est située à neuf cent kilomètres à l’est de Moscou, c’est dans son cimetière que fut enterrée la poëtesse Marina Tsevetaïeva, une vie somme toute rock’n’roll... c’est là où aussi l’on trouve Conifer Beard.

             Regardez la photo, ils sont tous les trois barbus, pas comme des sapeurs, quant à Yelabuga nul n’ignore que l’agglomération a été bâtie dans une région peuplée de conifères. Dans cette cité russe support your local group s’avère être aussi une action écologique !

    CRUISER

    CONIFER BEARD

    ( Piste Numérique / Bancamp / Novembrel 2023)

             En ce mois des morts, ils viennent de sortir leur nouveau simple. En voyant la couve j’ai cru que c’était un groupe américain de surf guitar, non c’est du stoner russe.

    Artem Kornilov : guitar / Arsenil Kornilov : bass / Robert Nurunov : drums. Se partagent tous les trois le vocal.

     

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    Cruiser : ce n’est pas le sous-marin jaune des Beatles, celui-ci est d’une couleur plus inquiétante, rouge sang, cela n’augure rien de bon, au début se faufile, non ce n’est pas la truite de Schubert dans les joyeuses eaux d’un torrent, une ombre noire qui avance sans bruit tout au fond, relativement vite, mais pas trop, léger arrêt, le temps de repérer la proie, la vitesse augmente, pression battériale, les guitares torpilles n’attendent que d’être libérées, exaltation chorique de l’équipage, maintenant tout le monde retient son souffle, le morceau s’allonge démesurément, cymbales frissonnantes, le loup des mers s’apprête à mordre, en plein dans l’action, le moment fatal se rapproche, tous ensemble ils hululent entre leurs dents, l’on ne sait si la cible sera atteinte, si le croiseur sera coulé, l’on n’entend plus que le moteur des torpilles qui se dirigent vers leur cible.

             Les paroles sont mystérieuses, sont-elles métaphoriques ou font-elles allusion au conflit entre l’Ukraine et la Russie, aux combats qui se déroulent pour la maîtrise de la mer Noire…

             Essayons d’en savoir davantage en écoutant leur opus précédent.

    ACTION HERO

    ( Piste Numérique / Bancamp / Avril 2022)

    La couve est un dessin de Robert Nurinov, c’est un peu leur manière autarcique de faire, enregistrent chez eux dans leur propre studio, réalisent leurs propres vidéos, semblent compter sur leurs propres forces. Nos fans, nos amis, nos parents. Sont comme un poing fermé. Est-ce pour se protéger à l’intérieur d’une carapace ou pour donner des coups… Un tracé en dessin naïf et ligne claire. En bas le groupe, affublé de cornes chamaniques, en haut la Russie, symbolisés par les rochers et les sapins, au-dessus dans l’échancrure montagneuse un personnage symbolique, Gandalf, est-ce pour faire une allusion à l’idée de la Communauté de l’Anneau, n’oublions pas l’ambiguïté du personnage, sage vieillard d’apparence inoffensive, intraitable combattante contre Sauron… Ce dernier aspect n’est-il pas évoqué et privilégié dans le titre de l’album….

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    My revolution : à fond les ballons, l’instrumentation comme un mur de fer qui s’allonge sans fin, révolution, on a droit à des slogans chantés en chœur pour appuyer le vocal, la moindre des choses quand on appelle à la révolution ! Elle est nécessaire mais elle est mal partie, rouspètent contre le fait qu’ils ne sont pas maîtres de leur vie. Au niveau des paroles le constat est amer mais question musique ils déglinguent, z’ont le son qui tue, ramassé comme le cobra qui s’apprête à frapper. Before you die : martelage de Nuronov, les guitares ne s’en laissent pas compter, elles grognent comme un sanglier prêt à charger sur votre voiture, la voix ricoche comme une rafale de kalachnikov, c’est eux qui tiennent le fusil et ils sont heureux. Nous aussi, z’ont le stoner jubilatoire, sur qui vont-ils tirer on ne sait pas trop, ils font durer le plaisir. Godzilla : un détail à ne pas oublier, c’est ainsi qu’ils avaient baptiser leur groupe à leurs débuts, ils ont dû changer, question de droit ou de prééminence je l’ignore, à l’origine Godzilla était un monstre peu sympathique que les japonais avaient inventé pour stigmatiser la bombe atomique, eux l’on sent qu’ils aiment bien la grosse bébête, se prennent pour elle et j’ai le regret de vous avertir qu’elle vient de commencer à saccager le monde dans lequel vous habitez, grosse voix de méchant loup, la musique est à l’image des mouvements du gros lézard dont la queue balaie comme fétus de pailles les immeubles, à la fin ils imitent les chœurs des matelots de la scène 1 de l’acte I du Vaisseau Fantôme de Wagner. Sacrée tempête sur la dunette.

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    Sleep : le rythme se traîne, interminable tic-tac de l’horloge, ne sont pas pressés, lâchent un peu les gaz de la moto, mais la moto n’avance pas vite pour autant, ce morceau peut être avec une précision démoniaque qualifié de rock garage, une vidéo sur You Tube, les montre portant à pas lents leur matos dans un… garage, quand le rythme s’accélère vous les voyez jouer, à la fin ils remballent le matos et filent un coup de balai, plaisant vous avez envie de rigoler, erreur ils ne plaisantent pas, ils ont leur arme à portée de la main et ils s’en sont servis. Dissonance glaçante entre les paroles et les images. Snatch : commencent toujours par un tire-bouchon battérial, maintenant c’est une espèce de blues enlevé, le texte est un peu surréaliste, mais si l’on écoute entre les lignes, c’est l’expression d’une grande menace. L’est récité à la manière de Jim Morrison, d’ailleurs dans le groupe il y en a un qui physiquement ressemble au King Lizard. On voit bien que ces gars peuvent faire n’importe quoi. Le morceau s’arrête brutalement. La peur d’en dire trop ? Disons que c’est un spectacle de fin d’année sur une scène. L’important ce n’est pas l’année, c’est la fin. We are your sorrow : justement, glougloutements de guitares sinistres et massacre à la batterie, susurrements vocaux qui se traînent comme une dague effilée que l’on tire doucement de son fourreau, respirez le rythme devient plus léger, presque guilleret, plus sombre et plus fort, moment emphatique où l’on porte l’estocade. Enfin ! Royal cheese : burger royal, c’est parti pour dix minutes la guitare clapote, la batterie surenchérit, le vocal déclame, encore une fois l’on pense aux théâtralités morrisoniennes, cette manière de traîner les syllabes tout en s’appuyant sur les plans de la batterie, un véritable scénario de cinéma, et l’on y tombe en plein dedans après un grand silence et quelques picorements de coqs étranglés, étrange où sommes-nous, dans quelle cérémonie sacrificielle, la musique devient noise, la guitare imite la poule qui vient de pondre un œuf et qui ne sait plus si l’œuf vient de sortir d’elle ou si c’est elle qui vient de sortir de l’œuf, dur et brouillé, la fin devient inquiétante, des pneus de voitures qui crissent…

             Etonnant. Apparemment des pans de la psyché russe nous échappent. Question musique, rien de foutrement nouveau, mais ils ont l’art d’agencer des éléments connus en leur donnant des aspects si inusités que ce groupe crée du nouveau. Il nous est difficile de déchiffrer ce qu’ils veulent dire avec exactitude, mais il y a tant de groupes qui ne disent pas grand-chose que nous serons obligés de revenir sur eux.

    Damie Chad.

     

    *

             J’avoue avoir flashé sur la pochette, elle n’est pas gaie, elle ressemble tellement à notre monde actuel ! Remarquez, elle n’a aucun mérite. Elle en fait partie. Pire elle le sécrète. Elle est dans la lignée des dix-neuf autres couves d’opus de Dozethrone, jusqu’à ses trois dernières Dozethrone récupérait des œuvres issues du domaine public, maintenant il utilise Nightcafe générateur d’images artificielles, bref un programme d’IA en chargement libre sur le Net.

             Oui c’est bien le vingtième album de Dozethrone. L’accumulation nombrique et peut-être nombrilique est un des piliers de l’esthétique de Dozethrone. Ils aiment la répétition. Ils aiment la répétition. Ils aiment la répétition. Ils ont un peu pataugé pour trouver la formule qui leur agréait, noir et blanc ou rouge, mais systématiquement trois titres d’une dizaine de minutes chacun, c’est ce qu’on appelle un projet, cette façon de faire se retrouve beaucoup chez les plasticiens. Certains jugeront cela un tantinet monomaniaque. Ils auront tort, ici le terme duomaniaque convient mieux. Sont deux : Izhar Ashburn : basse / Azmi Czar : guitare. Parfois ils ont quelqu’un avec eux, mais c’est rare.

             Ils sont de Singapour, attention ce n’est pas une bourgade perdue, pas plus grande que Lyon elle détient une puissance financière égale à celle d’un pays comme le Qatar. Un paradis de l’économie libérale avec ses inégalités sociales. Quels liens équivoques et subtils existent-ils entre le dragon économico-politique et le microckosme…

             Leur programme tient en peu de mots : Dozethrone produit des riffs répétitifs, ennuyeux et monotones. Ce n’est pas une blague : leurs riffs sont répétitifs, ennuyeux et monotones. Dozethrone s’en tient à son propre cahier de charges. Vous ne pouvez les accuser de publicité mensongère. Répétitifs, ennuyeux et monotones ils disent, répétitifs, ennuyeux et monotones ils font !

             C’est ici que se cache la paille dans le fût du canon. Est-il vraiment certain que l’auditeur jugera le résultat répétitif, ennuyeux et monotone ? Inutile de nous perdre dans des méandres de ratiocinations infinies. Dans cette problématique le pire ou le mieux ne s’équivalent-ils pas ? Tentons l’expérience !

    DOOMED BY THE LIVING

    DOZETHRONE

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    Doomed with the living : première réaction à froid, il y a bien un riff, en tire-bouchon puisqu’il revient sans cesse sur lui-même tout en s’échappant dans sa propre continuité, pas du tout ennuyeux, plutôt agréable même, j’ai parlé trop vite, trop vite, trop vite, ce beat de boîte à rythme devient inopportun, heureusement que la guitare se distorse et l’écrase un peu, mais ça devient comme le serpent qui emprisonne l’aigle dans ses incessants enlacements, lutte à égalité, devient même insistant, ne triomphe pas mais s’avère embêtant, un nouveau riff davantage entraînant, la mariée apeurée se met à courir, elle a peur du molosse qui a saisi la traîne gazeuse de sa robe, qui n’entend pas la lâcher et cavale à son rythme. Peut-être ma métaphore est-elle un peu trop légère si j’en crois le dessin de la couve et le titre du morceau (celui des suivants idem ) suis-je hors sujet, pas à la hauteur de la catastrophe annoncée pour maintenant et tout de suite. Je devrais pleurer et crier de désespoir, mais ce beat accompagnateur me pousse à m’intéresser à un détail anodin face à l’irrémédiable situation de notre monde, mais non, je ne peux pas, Dozethrone détourne mon attention, je suis celui qui regarde la main de celui qui tient le bâton de dynamite, tiens il vient de la fourrer dans ma poche, la flamme grignote la mèche, je n’en ai cure. J’ai eu raison le morceau s’arrête avant l’explosion, je me retrouve gros jean comme devant. Devant je ne sais quoi. The world has abandonned us : l’on a monté un étage sonique, l’est sûr que le titre est inquiétant, ce n’est plus nous qui saccageons la nature, c’est elle qui dérègle le climat pour que notre malfaisante espèce débarrasse le plancher, une explication à laquelle les écolos rigolos n’ont jamais songé, le riff plus fort s’arrête une microseconde, serait-ce le signe que même le concept de répétition ne survivra pas, d’ailleurs trente secondes plus tard survient un riff totalement différent de tous les précédents, même le beat omniprésent (on s’habitue à tout) ralentit la cadence, pas de panique la guitare en profite pour prendre le dessus, les cymbales lui font une scène de ménage, elles cassent des soupières pleines de soupes à la queue-leu-leu, retour de la microcoupure, si même la coupure devient répétitive nous entrons dans un incroyable micmac, l’incroyable est désormais quotidien, le principe de contradiction se transforme en principe de non-contradiction, Dozethrone nous fait perdre la boule, la folie nous guette, ce qui n’est pas du tout ennuyeux, tout s’accélère, l’on tourne sur nous-mêmes comme une toupie qui ne sait plus s’arrêter, l’on aime bien, on a la tête qui nous tourneboule, l’on en profite pour se regarder le derrière, une espèce de délirium tremens s’empare de nous, ah ! ah ! le monde nous quitte, et si c’était nous qui le quittions, l’idée n’a pas l’air de lui plaire, nous refait le coup de ses douces sonorités afin de nous amadouer, notre colère éclate, nous lui ferons rendre gorge, le riff devient aussi fort que notre ire, nous décrétons l’ère de l’ire, le beat écrase le son, on s’en moque, il nous fait les sensations théâtrales des trois coups lyriques de l’ouverture de l’apocalypse, l’on est déjà dans notre fusée interplanétaire en train de voguer vers une autre planète plus accueillante, de rage sans préavis ils arrêtent les frais. On ne s’est pas ennuyé une seule seconde. And justice for none : veulent nous faire sortir de nos gonds, mettent toute la gomme, sortent leur arme secrète, une espèce de riff binaire, auquel bientôt ils ajoutent un troisième étage, bien sûr qu’il n’y a pas de justice, si elle existait à l’heure qu’il est notre bloque devrait être encore plus célèbre que les Rolling Stones, maintenant z’ont le riff qui claironne, voudraient nous mettre en prison mais les anarchistes comme nous ignorent toutes les lois, au mieux nous les bafouons, au pire nous en fabriquons de nouvelles pour interdire les anciennes, car pourquoi y aurait-il une justice pour les lois s’il n’y a pas de justice, nous prennent pour qui ces Dozethrone, voulaient nous faire périr d’ennui, eh bien on se marre, on se gondole, on rigole, on ondule, rajoutent un denier riff genre poussée écrasante de bulldozer pour aplanir nos velléités de révolte, peine perdue, ils accélèrent, notre imagination court encore plus vite, ils trichent un peu, ils emmènent en douce toutes sortes de bricoles à leurs riff, nous on n’aime pas les brocolis, alors faute de mieux, ils arrêtent.

             Si vous décapsulez la folle du logis, Dozethrone ne réussira jamais à vous précipiter dans le spleen baudelairien. Vous en redemanderez.

    Damie Chad.

     

    *

             Un titre à la Bukowski, permettons-nous de le traduire ce calepin de beuveries par Journal d’un soulographe. Viennent de Grèce, d’Athènes. Si l’on s’en tient au titre de l’album, seraient-ils des adeptes de Dionysos ? Pour compléter nos connaissances botaniques ils précisent que les vigers, autrement dit les chardons, sont une plante que l’on trouve un peu partout en Grèce. Veulent-ils insinuer qu’ils font partie de ces mauvaises herbes hautement urticantes dont on n’arrive point à se débarrasser. Nous offrent un truc bizarroïde à base de doom, de grunge, de hard et de stoner.

    DRUNKEN DIARIES

    HIGH ON VIGERS

    ( Bandcamp / Novembre 2023 )

    La pochette peut surprendre, elle est d’Elias Kasselas un artiste qui travaille à partir du vide, comprendre qu’il essaie de faire correspondre le vide mental au vide du papier (que sa blancheur défend, ajouterait Mallarmé). Est-ce pour cela que son site sur Behance ne présente que très peu d’œuvres. Le dessin a été en quelque sorte formalisé par Daphne Keskinidou, graphiste et designer, visiter ses deux instagram s’impose, il semble que les plus belles créations de notre artiste soit celle de la mise en apparence de sa propre beauté. Il est des individus privilégiés qui semblent se suffire à eux-mêmes.

    Le groupe s’est formé en 2017. Ils ont sorti un premier album en février 2020. Plusieurs line up depuis le début. Actuelle formation : : Christos Fakiolas : chant / Giannis Samolis : guitares / Elias Koulouzis : Basse / Giotis Petrelis : drums, percussions / Manolis Papantoniou : guitare, piano, synthé.

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    Day 01 : Another day in paradise : une voix nue ouvre ce journal d’un alcoolique, une guitare se glisse par-dessous puis par-dessus, basse profonde en renfort, la voix du Christ, pardon de Kristos, énonce sa confession, pour le paradis ça commence mal, vient de se faire virer par sa copine, pas d’inquiétude il a un substitut, car non seulement il boit mais en plus il fume, il se drogue, ( on frémit, jeunes têtes blondes fermez vos chastes paupières ) pas de panique, lorsque vous êtes chassé du paradis, il en existe un autre artificiel, bien sûr il n’est pas éternel, l’autre non plus, en doses fractionnées ce n’est pas mal du tout. Un morceau d’heavy metal, bien charpenté qui n’oblitère en rien les lyrics, au contraire il les souligne et les met en valeur. Leur donne cet air de tranquillité si naturelle qu’elles acquièrent une troublante évidence. Day 02 : Let me know : speed guitar et vocal surcompressé, bonjour le rock’n’roll, si dans le premier nous avons eu Stairway to Heaven, pour ce deuxième nous avons Black Dog, notre héros persiste dans son erreur, il crie bien fort, il hurle, il crache ses poumons, il veut boire et fumer, tant pis si vous le condamnez, comment le pourrait-on avec cette guitare folle et cette batterie échevelée ! Dans la série je m’accroche à mon cauchemar préféré vous ne ferez pas mieux. Day 03 : pour ceux qui n’aiment pas la musique bruyante il résume en une courte phrase parlée sa philosophie : si vous n’êtes pas content, allez vous faire foutre. L’est très sympa il articule soigneusement toutes les syllabes pour que vous saisissiez bien son message. Day 04 : Letter to noone : guitare harmonieuse, voix en avant, basse profonde, pour ceux qui détestent ou abhorrent la musique violente, il vous le répète sous forme d’une ballade sensitive, la voix un peu angoissée et pathétique, il désire tellement que vous compreniez qu’il préfère être seul que mal accompagné, qu’il espère que dorénavant vous vous consacrerez à vos propres affaires sans venir l’importuner, sinon il va exploser. Je traduis pour les sensibilités compatissantes qui se sentent investies de la mission de sauver les âmes perdues : faites pas chier ! Day 05 : faudra vous y habituer, pratiquement un jour sur deux ne propose pas de musique, quelques mots c’est tout. Ce coup-ci c’est lui qui traduit mon interprétation, n’use pas de gros mots comme moi, l’est davantage poli : oubliez-le ! Day 06 :  je dois vous avouer que le motif qui m’a poussé à chroniquer cet album se trouve à l’avant-dernière ligne de leur bandcamp, une inhabituelle mention pour un groupe de doom : choir at Day in the park by Sharks Rugby Club :  si vous n’aimez pas les ambiances supporters de foot anglais sautez promptement ce morceau et ouvrez votre Télérama. Ce sera une erreur car ça emballe à tout berzingue, drôlement bien fait et bien foutu, vous avez tous les ingrédients nécessaires pour vous défouler, de la bière, des cris, de l’exaltation et par-dessus le marché le rock coule à flots. Day 07 : l’est fatigué, très fatigué, avec toute l’énergie qu’il a dépensée au stade on le serait à moins, mais il trouvera le remède à son mal-être !  Day 08 : Can’t stand : guitare en sourdine, le héros est fatigué, il fait le point sur lui-même, il traverse des moments de solitude plus durs que d’autres, l’est prêt à craquer, vous avez envie de l’aider mais la batterie percute allègrement, la solution est à portée de la main, alcool ou produit, le chemin est ouvert, il suffit de le suivre. Jusqu’au bout. Quel qu’en soit le prix. L’ivraie n’est-elle pas l’ivresse… Day 09 : encore un jour de merde, c’est de la folie. Je ne l’ai pas encore mentionné, si vous dressez l’oreille sous les paroles prononcées vous entendrez comme un bruit de cris lointains, l’inoubliable horreur du monde qui frappe à la porte cadenassée de votre esprit.  !Day 10 : Curse of the tree : background mélodramatique, Christos vous conte une triste histoire, l’appuie sur les mots comme s’il récitait un poème en alexandrins, ceux qui pensent que notre héros est victime et responsable de ses propres addictions se trompent, s’enfoncent le doigt dans l’œil jusqu’à la clavicule, le monde est aussi fautif, soyons précis, la race humaine a détruit la nature, la batterie cogne dur, des coups de battes distribuées à profusion, distribution gratuite et immodérée, ceux qui ont saccagé la planète doivent mourir et les survivants danseront sur leurs tombes. Comment voulez-vous être bien dans votre tête quand vous vivez dans un environnement dévasté ! Rage écologique ! Day 11 :l’a besoin d’un satané voyage hors de ce monde Day 12 : Star trip : l’on y va tout doux, à la Baudelaire l’on essaie tous les excitants comme dans Les fleurs du Mal, le vin, le haschich et puisque depuis l’on a inventé les pilules multicolores pourquoi s’en priver, une petite souris déglinguée et l’on part en voyage dans le cosmos, musique de toutes les couleurs, lente mais lourde, l’on se croirait au bon vieux temps des hippies sur une plage californienne, grande excitation, la voix explose, elle s’envole vers la luminescence du soleil, ne sont pas grecs rien pour rien, ils touchent au divin, l’on quitte la sphère de la commune addiction, on la troque pour une vision philosophique de la vie, la plus grande des sagesses n’est-elle pas celle des Dieux, le son vous englobe en lui-même, vous pénétrez dans le cinquième élément, zone éthérienne  interdite au commun des mortels. La descente s’effectue vers le haut. Day 13 : Escape : les grandes décisions, se retrouver face à soi-même, et prendre la décision de s’arracher d’ici et de maintenant, ça tourne dans sa tête, vous ne pouvez suivre, la musique de plus en plus forte, la voix qui s’étire vers l’infini, l’on ne comprend pas, veut-il briser le plafond de verre ou le plancher de cristal, veut-il revenir à lui-même ou s’envoler vers le soleil, phénix qui se brûlera les ailes, qui se consumera mais qui renaîtra de ses cendres en un cercle vicieux, la musique fore l’espace, il hurle, tout s’engouffre dans une spirale vertigineuse, elle disparaît au loin, pendant quelques instants l’on perçoit un écho lointain qui s’amenuise…

              Je ne sais pourquoi, en fait je le sais parfaitement, je pense au  Starchip du MC 5, la différence saute aux yeux ( et aux oreilles, pour soulever une évidence ), plus  d’un demi-siècle s’est écoulé, tout ce qui sépare la furie collective d’une époque révolutionnaire de poudre et de rêve du désespoir solipsiste de notre époque, de cet anéantissement personnel de chacun dans ses propres gouffres.

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             Une thématique que l’on retrouve dans de nombreux opus de groupes de metal ou stoner qui essaient de mettre en forme l’épopée de nos temps présents, High On Vigers y réussit hautement.

    Damie Chad.

     

                                                     *     

             Ça s’est affiché sur You Tube, je n’y ai pas prêté une grande attention, tiens un titre qui ne me dit rien mais il y en a tellement de lui… Je n’ai pas tardé à savoir, dès le lendemain matin au petit déjeuner à la radio, un inédit de Johnny Hallyday, z’en ont passé un court extrait en avant-première, très intelligemment ils ont parlé sur les quinze secondes de la future révélation, tu parles Charles c’était sur le net en fin d’après-midi la veille, je me suis précipité dès que j’ai eu un instant de libre afin de visionner :

    UN CRI

    JOHNNY HALLYDAY

    (Vidéo YT)

             Comme par hasard je suis tombé sur une vidéo mise en ligne par yangerdu26, c’est toujours ses posts que je privilégie quand je cherche un renseignement sur Johnny, derrière ce pseudonyme (faussement) mystérieux se cache Yannick Pezon, un amateur, au sens noble de ce terme, de Johnny. Un gars généreux et partageur, la preuve au moment où j’écris il en est à sa mille et treizième vidéos sur Johnny, attention une vidéo peut contenir plusieurs titres voire un concert en entier, une somme de documents de toutes natures inépuisable. Un travail de titan.

             D’où sort-il ? A quelle époque précise ce cri fut-il poussé ? Avant de répondre je ne pense pas qu’il s’agit comme il est annoncé du dernier des inédits de Johnny, j’en mettrais ma main au feu, tôt ou tard ressortiront des titres ‘’ retrouvés’’ selon de soi-disant hasards… Il s’agit d’une démo qui n’avait pas été retenue pour l’album de Mon pays c’est l’amour produit par Yodelice. Avant sa sortie il se murmurait que cet opus serait un album rockabilly / rock’n’roll. Ce ne fut pas le cas. L’idée devait trotter dans la tête de Johnny car en conférence de presse l’idole révéla que le prochain album serait rockabilly enregistré avec Brian Setzer. Il n’en fut rien.

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             Mon pays c’est l’amour fut le dernier disque, le cinquante et unième album studio enregistré par Johnny, il sortit quelques mois après sa disparition, en 2018. Comme le précédent il fut produit par Yodelice lequel s’est assez bien tiré de l’épreuve car terrassé par la maladie Johnny n’avait pu terminer les titres prévus. Un instrumental fut rajouté pour donner davantage de consistance au dernier effort inachevé de l’idole…

             Sur cet ultime album de Johnny se trouvait l’adaptation de  Let the goodtimes roll immortalisé par Fats Domino, sous le titre ‘’ français ’’ Made in Rock’n’Roll.

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             Or voici que vient de paraître ce 16 novembre 2023 un nouvel album de Johnny nommé Made in Rock ‘n’ Roll. Il s’agit de reprises, extraites de ses derniers opus, de Johnny, les orchestrations ont été refaites, mais cerise à l’eau-de-vie au parfum de crotale sur le gâteau a été glissé, incomparable argument en ces temps d’inflation galopante pour les fans fauchés, ce fameux et mystérieux inédit : Un Cri.

             Un inédit, quel qu’il soit c’est déjà beaucoup mieux que les deux albums classiques parus entre temps. Classique ne signifie pas ici collection des grands succès de notre chanteur, mais des morceaux de Johnny dépouillés de leur accompagnement originel auquel on a substitué une orchestration philharmonique. Johnny y gagne certainement une caution culturelle de bon aloi auprès du public des bobos qui ont depuis deux décennies systématiquement méprisé cette vedette populaire : ils peuvent désormais écouter du Johnny sans honte.

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             Retournons à notre Made in Rock ‘n’ Roll. Ne poussez pas un cri d’horreur en voyant la rusticité spartiate de la pochette. Ne dites pas que question packaging ils ne se sont pas fatigués, l’on pourrait vous entendre, et vous deviendrez la risée de tous les rockers de la planète. Citation hommagiale d’une couve du CD Early Recordings de Link Wray paru en 1978 chez Chiswick.

             Ne reste plus qu’à écouter. Pas mauvais du tout. Une belle intro, dès les premières notes Yodelice n’a pas trahi Johnny. Le texte reste dans la continuité du dernier Johnny, le gars qui a beaucoup vécu, beaucoup souffert mais qui reste debout envers et contre tout. Survivor à jamais. Mélodrame et orgueil. La démo était beaucoup plus roots, Yodelice l’a orchestré avec doigté, n’en rajoute pas, pas de pompeuse orchestration, un rythme de basse soutenu la voix de Johnny qui court comme un loup des steppes. Velours des pattes et encoche des griffes. Si vous écoutez bien, vous entendez quasiment en sourdine le hurlement du loup solitaire qui hurle à la lune dans les solitudes glaciales. Trois minutes mais il paraît beaucoup plus court. Aux premières écoutes l’on déplore l’absence d’un deuxième couplet.

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             Une vidéo se regarde aussi. Yannick Pezon a choisi la sobriété. Un fond noir, je ne sais comment il s’est débrouillé pour produire un noir si sombre, qui dévore l’écran, Johnny seul, futal de cuir noir, chemise rouge, un rouge éclaboussang, les images se suivent lentement et se ressemblent, pages d’un calepin que l’on tourne sans se presser car le regard s’attarde, visage du dernier Johnny, marqué par la fatigue, sur les ultimes quarante secondes, Johnny tout de noir vêtu en concert, un peu croque-mort mais qui sur la dernière photo sourit, car Johnny a croqué la vie jusqu’au bout.

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             L’existe aussi le clip officiel produit par Johnny Hallyday Officiel. Très décevant. L’impression que l’on confond la métaphore avec la réalité qu’elle décrit sans la nommer. Pour dire ‘’marteau’’, nul besoin de filer un coup de marteau sur la tête de votre interlocuteur. Evidemment vous avez un loup le museau levé vers la lune, entre des vues sur la guitare vous le voyez courir, très belles images, l’on se croirait dans un livre de Jack London, c’est après que ça se gâte, nous voici dans un magasin, tons crus et réalistes, serait-ce une pub inopportune pour une grande surface qui se serait glissée dans la vidéo, pas du tout les clients à l’air bizarre se révèlent être des danseurs, des hip-hopeurs qui rejoignent leurs copains dans une voiture, nous voici aux States avec les panneaux lumineux qui font la réclame pour la sortie de l’album Made in Rock ‘n’ Roll, tiens les Stones ont eu la même idée pour illustrer le clip de leur dernier morceau, encore plus dommageable les vues sur le loup qui ressemble à un chien perdu qui essaie de suivre la trace de ses maîtres, longue séquence de danse cette fois-ci le hip-hop se teinte de tecktonik, le loup ressemble de plus en plus à un chien-loup… quelques vues de Yodelice avec guitare, dernière image, le loup, Yodelice et sa guitare s’éloigne dans l’illuminescence orangée d’un soleil couchant. Outre le fait que les danseurs rappellent le clip de De l’amour ( 2015), ce que l’on reprochera à ce clip c’est sa fausse poésie.

             Un cri. Instrumental par yanjerdu26 : le lecteur comparera les deux versions. Yanjerdu26 pour sa version instrumentale s’est contenté de reprendre des images du clip officiel. Suit le déroulé du film, un véritable résumé. Au résultat c’est beaucoup plus fort. Le propos est nettement moins appuyé. Ne vous résume pas au stabilo rouge ce que ça veut dire. A vous de faire les liens. Moins on en dit plus on aiguise le mystère.

             Un cri. Karaoké par yanjerdu26 : Yannick Pezon propose aussi pour les amateurs de karaoké, une seule image, Johnny en blouson de cuit noir, main droite gantée de noir (bonjour Gene Vincent), instrumental uniquement, les paroles s’affichent quand vous devez chanter.

             Il existe d’autres vidéos reprenant avec d’autres illustrations ce même morceau. Je vous laisse les découvrir.

    Damie Chad.

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 609: KR'TNT 609 : SIXTO RODRIGUEZ / NICK KENT / HARLEM CULTURA FESTIVAL / GYASI / LINDA LEWIS / JUKE JOINTS BAND / JOHNNY HALLYDAY / ROCKERS / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 609

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    31 / 08 / 2023

      

    SIXTO RODRIGUEZ / NICK KENT

    HARLEM CULTURAL FESTIVAL / GYASI

    LINDA LEWIS / JUKE JOINTS BAND

    JOHNNY HALLYDAY / ROCKERS 

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

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    Rodriguez as-tu du cœur ?

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             En cassant sa pipe en bois, Sixto Rodriguez devient enfin le personnage cornélien qu’il n’a jamais été. Cette disparition est le seul aspect tragique de son existence. Tout le reste est beau. Notamment ses deux albums, Cold Fact et Coming From Reality. Ils font complètement oublier le fait qu’il aurait dû devenir superstar. Même destin que celui de Nick Drake. Culte par la seule beauté des chansons.

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             À une époque, avec un peu de chance, on pouvait encore choper à un prix convenable un pressage original de Coming From Reality, sur Sussex, avec le gatefold découpé. Magnifique objet. Magnifique album. Aussi magnifique que Blonde On Blonde. Les deux faces s’entrechoquent de beauté, on est tout de suite frappé par la fabuleuse présence vocale de Rodriguez dans «Climb Up On My Music» - And from there jump off with me - Rien sur les musiciens, on sait juste que c’est enregistré à Londres, au studio Lansdowne, là où a débuté Joe Meek. Les cuts de Rodriguez sont très denses, aussi bien mélodiquement qu’au niveau des textes. Dans «A Most Disgusting Song», il balance ça : «While the Mafia provides you drugs/ Your Government will provide the shrugs/ And your National Guard will supply the slugs», c’est du protest à l’état le plus pur, et ça rime. Et puis tu tombes dans les bras du magicien avec «I Think Of You», un cut d’une pureté mélodique extrême emmené par un lead espagnolisant et un bassmatic rond et charnu. Et l’envoûtement se poursuit avec «Heikki’s Suburbia Bus Tour», un heavy groove dans la veine du «Season Of The Witch» de Stylish Stills. On a les mêmes retours de manivelle, c’est du génie sonique pur. Et ça continue en B avec «Sandrevan Lullaby Lifestyle» qu’il chante d’une voix aux textures riches, dont la suavité, l’éclat d’or pâle et la grâce sucrée auraient tant plu à des Esseintes. Tout est parfait sur cet album, la mélodie chant, le grain de voix, le bassmatic et les nappes de violons. Rodriguez te berce encore d’une langueur monotone avec «It Started Out So Nice» - Marble money tunes/ As pale earthly circles swooned - Il ne compose que des hits de rêve. Et il boucle avec «Cause», pur shoot de véracité dylanesque avec une Queen of Hearts who’s half a stone and likes to laugh alone, on  retrouve le balancement poétique de Bob Dylan, une espèce de grâce verlainienne, comme si la richesse de la mélodie rehaussait encore la richesse poétique des textes -So I set sail in a teardrop and escaped beneath the doorsill - et il termine avec une galipette de génie pur - Cause/ How many times can you wake up/ In this comic book and plant flowers?.

             C’est l’expat américain producteur Steve Rowland qui insiste pour que Rodriguez vienne enregistrer à Londres. Il monte le coup avec l’A&R de Buddah Records Neil Bogart qui est aussi fan de Rodriguez et qui est prêt à investir. Il faut savoir que Steve Rowland a produit les Pretty Things, P.J. Proby, The Herd et Dave Dee Dozy Beaky Mick and Tich, puis The Cure. Rowland est effaré par la qualité des nouvelles chansons de Rodriguez. C’est Kevin Howes qui donne tous les détails des sessions dans les liners de la red. C’est pour ça qu’il faut choper les reds des grands albums, on y trouve de la littérature, tout au moins des liners rédigées par des spécialistes. Dans le studio, tu as Chris Spedding et Tony Carr. Le prodigieux bassman s’appelle Gary Taylor.

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             En 2012, la parution du docu Searching For Sugarman provoqua un joli buzz. Le pauvre Rodriguez s’est même retrouvé dans Télérama. Forcément, on va voir le film quand on connaît les deux albums. Le film est tellement bien foutu qu’on le revoit ensuite sur DVD. Encore et encore. Malik Bendjelloul l’a semble-t-il réalisé avec peu de moyens et il a réussi un exploit assez rare : dire la grandeur d’un artiste sans jamais mordre le trait, c’est-à-dire en collant au plus près de la réalité. Bendjelloul a eu de la chance, car Rodriguez, qui artistiquement a la carrure d’une superstar, est un homme extrêmement simple. Sa modestie naturelle affecte même son élocution. 

             En gros, Rodriguez est un Chicano de Detroit qui ressemble à s’y méprendre à Question Mark. Il bosse dans des chantiers de démolition et de rénovation, et il écrit des chansons. Le week-end, il gratte ses poux dans un club enfumé de Detroit, The Sewer, et c’est là que le découvre Dennis Coffey. Coff le compare tout de suite à Dylan. Bien vu Coff ! Alors avec Coff dans les parages, ça tourne vite au conte de fées : Rodriguez rencontre Clarence Avant et enregistre Cold Fact sur le label d’Avant, Sussex. Sur Sussex, on trouve aussi Coffey, bien sûr, mais aussi Bill Withers. Et aussi curieux que cela puisse paraître, l’album ne se vend pas. Dans l’interview qu’il accorde à Malik Bendjelloul, Rodriguez sort cette explication fataliste : «It’s the music business. There is no garantee.» Il ira quand même enregistrer Coming From Reality à Londres l’année suivante et puis Sussex le laissera tomber. Alors Rodriguez retourne sur les chantiers, car il a quatre bouches à nourrir, sa femme, et aussi ses trois filles qu’on voit dans le docu.

             Malik Bendjelloul rend son docu passionnant car il le conçoit comme une intrigue. Contre toute attente, les petits culs blancs d’Afrique du Sud raffolent de Cold Fact. On est alors en plein Apartheid et ces blancs font partie de l’opposition blanche à l’Apartheid. Ils considèrent Rodriguez comme un chanteur engagé. Mais comme il n’y a aucune info sur lui, les mythes vont bon train. On raconte même qu’au terme d’un show qui se serait mal déroulé, Rodriguez se serait tiré une balle dans la tête sur scène. Donc pour les Afrikaners, Rodriguez est mort.

             Bendjelloul mène l’enquête. Il réussit à retrouver les deux producteurs de Rodriguez, l’américain Mike Theodore (associé de Coff) et l’anglais Steve Rowland. Ils se disent tous les deux sciés par le fait que Rodriguez n’ait pas percé. Rowland le qualifie même de sage (wise man) et de prophète, puis il passe «Cause» sur sa chaîne - Sad... Last song that Rodriguez ever recorded - C’est effectivement la dernière chanson de Coming From Reality - Nobody in America had ever heard it. Comment est-ce possible ? - C’est là où Zorro Bendjelloul sort de la nuit et court vers l’aventure au galop !

             Craig Bartholomew Strydom, journaliste sud-Africain, se demande s’il existe un «inspecteur en musicologie». Non ? Alors il se proclame inspecteur en musicologie. That’s me ! Il découvre que Cold Fact s’est vendu à 500 000 exemplaires en Afrique de Sud. Où va le blé ? Chez Sussex. C’est qui Sussex ? Clarence Avant ! Bendjelloul interviewe le vieux Clarence qui semble sortir d’un polar de Tarentino. Il est à peine aimable. Il dit que Rodriguez est dans le top five de ses artistes - It didn’t sell here - Il parle de six exemplaires. Mais il n’aime pas les questions de Bendjelloul. L’interview tourne en eau de boudin. Il faut savoir que Clarence Avant est un personnage politique considérable aux États-Unis. Il fait comprendre à Bendjelloul qu’il doit apprendre à faire son métier et commencer par poser les bonnes questions. Ironie du sort : Clarence Avant vient de casser sa pipe en bois, une semaine après Rodriguez. On apprend aussi en lisant les liners de Kevin Howes pour la red de Cold Fact que Rodriguez n’était pas disposé à jouer le fame game, c’est-à-dire la promo de l’album qui du coup n’est pas entré dans les charts. De son côté, l’inspecteur en musicologie appelle Mike Therodore et lui demande comment est mort Rodriguez - Rodriguez dead ? What do you mean ? He’s not dead. Sixto Rodriguez is alive and kicking and living in Detroit - Puis l’inspecteur entre en contact avec Eva, la fille de Rodriguez qui confirme que son père est vivant, qu’il bosse toujours sur les chantiers et qu’il a même fait un peu de politique pour l’élection à la mairie de Detroit. Et tout se termine par une tournée sud-africaine en 1998. Rodriguez joue dans un stade et la foule l’ovationne. Six concerts sold-out et, paraît-il, un troisième album inachevé.

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             On comprend que Cold Fact ait pu faire un carton en Afrique du Sud, car Rodriguez te subjugue dès «Sugar Man» - Silver magic ships/ You carry/ Jumpers coke sweet Mary Jane - Ça te cogne dans le coin du crâne, Rodriguez crée de la magie à coups de jumpers coke sweet Mary Jane, exactement de la même façon que le fit Dylan un peu avant lui. On croise à la suite deux chefs-d’œuvre purement dylanesques, «Crucify Your Mind» et «This Is Not A Song It’s An Outburst: Or The Establishment Blues». Il est poignant de véracité dylanesque - And you claim/ You got something going - même génie poético-mélodique d’as your tears go down your cheeks. Il enfonce ses clous d’or avec un talent stupéfiant - But all I heard was Establishment blues - Son protest est pur, car porté par un souffle. Cold Fact est un album émotionnel qui te saute à la gorge. Rodriguez tape son «Forget It» au big forever, il te cajole, il est trop doué, c’est à toi de t’adapter. Il chante pour toi alors montre-toi à la hauteur. Son Forget It te colle au mur. Et puis voilà le hit qui a fait basculer les Afrikaners : «I Wonder». C’est le real deal, avec la bassline de Bobby Babbit - How many times I had sex - Comme chez Dylan, les textes crèvent l’écran. Rodriguez est aussi bon que Dylan. Même power, même magie. On entend Coff faire des ravages dans «Gommorah (A Nursery Rhyme)» et Rodriguez termine cet album qu’il faut bien qualifier de faramineux avec «Jane S. Piddy» - And you think I’m curious - Il jette tout son Dylanex dans la balance, au feeling insecure, sa voix résonne dans l’écho du temps, Rodriguez aurait pu devenir l’une des plus belles stars de son temps - You’re a loser/ A rebel without/ A cause - Mon pauvre ami, ta voix dans le bois de Boulogne...

    Signé : Cazengler, Sixto Merguez

    Sixto Rodriguez. Disparu le 8 août 2023

    Sixto Rodriguez. Cold Fact. Sussex 1970

    Sixto Rodriguez. Coming From Reality. Sussex 1971

    Malik Bendjelloul. Searching For Sugarman. DVD 2013

     

     

    Wizards & True Stars

    Il n’y a que Nick qui Kent (Part One)

     

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             Vue d’avion, la culture rock pourrait se résumer à trois noms : Yves Adrien, John Peel et Nick Kent. On s’est déjà longuement penché sur Yves Adrien et John Peel. Il est temps de se pencher sur Nick Kent. Si on lisait le NME dans les années soixante-dix, c’était essentiellement pour y dévorer les articles de Nick Kent. Les plus brillants sont rassemblés dans The Dark Stuff qui fut ici pendant vingt ou trente ans le principal livre de chevet d’ici, avec les trois précieux opuscules d’Yves Adrien. En complément, on peut aussi se taper l’excellent Apathy For The Devil, super fat book dans lequel Nick Kent narre son âge d’or, les années 70. Il fréquente alors la crème de la crème du gratin dauphinois : Iggy, les Stones, Chrissie Hynde, les Pistols. Il commence sa vie de Rouletabille du rock avec un parcours sans faute : MC5, Captain Beefheart, le Dead, Iggy, Led Zep et Bowie. Chaque page te fait tourner la tête - mon manège à moi c’est toi - Nick Kent est au rock anglais ce qu’Yves Adrien est à la littérature : un parangon aux pieds ailés. Il commence par créer un style, à seule fin d’asseoir sa vision, et finit tout naturellement par devenir l’arbitre des élégances. En quelque sorte le George Brummel du rock. Pas de culture rock digne de ce nom sans le trio Yves Adrien/John Peel/Nick Kent.

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             Si Apathy For The Devil monte si bien au cerveau, c’est sans doute à cause de ce capiteux cocktail de drogues, de style et de fréquentations. On retrouve les mêmes excès dans l’autobio de Kris Needs, le style en moins. En beaucoup moins. Avant d’être le Rouletabille du rock anglais, Nick Kent est un prodigieux écrivain. Quand il évoque les Beatles de 1962 et la naissance de la rock culture, il le fait de manière sublimement Kentish : «Ce sont eux et Dylan qui ont kicked open la porte qui jusqu’alors tenait enfermée la bohemian culture du XXe siècle in suffocatingly smoky nightclubs on the outskirts of town.» Ça sonne comme un long vers de Dylan. Lorsqu’il évoque les Allman Brothers, il le fait avec une pointe d’humour anglais. Il commence par expliquer qu’on avait obligé les Allman Brothers à entrer en rehab clinic avant de partir en tournée - This intervention didn’t prevent their guitarist Duane Allman from dying in a motorbike crash just a few months later whislt stoned out of his gourd - L’humour est une constante chez Nick Kent qui se voit comme le «Zeitgeist-surfing dark prince of seventies rock journalism». Il est aussi le «Count Dracula’s Limey stepchild» qui traîne dans un pub de Maida Vale, et soudain, un poivrot s’exclame en le voyant : «Fuck me, it’s that cunt from the Sandeman’s Port advert!». Hilarant ! On entend même la voix rauque du poivrot. Ailleurs, Nick Kent se définit plus sérieusement : «The folks over there just didn’t understand kamikaze journalism.» Il comprend très vite que pour se mettre au niveau des gens qu’il admire et qu’il interviewe, il faut rentrer dans les mêmes excès et se jeter tout entier dans la balance. Première étape. 

             Encore plus hilarant. Il évoque Paul Rogers en 1975 : «Ex-Free singer Paul Rogers - qui deviendra plus tard a rising star avec Bad Company - était le roitelet de cette faune hirsute et sérieuse. La légende dit qu’il était tellement viril qu’en attaquant son set rasé de frais, il le finissait avec une barbe ! Elle avait littéralement poussé sous les yeux du public. Mais cette aptitude à se faire pousser une barbe en public ne compensait l’absence totale d’innovation musicale qui les caractérisait, lui et ses collègues, dans le rock landscape des mid-seventies.» Encore plus poilant : il a des ennuis en 1976 avec les Bee Gees et notamment big brother Barry. Comme Big brother Barry menace de lui casser la gueule, il va chez un disquaire voir sur une pochette d’album à quoi il ressemble : «Il avait plus de poils sur la poitrine qu’on en aurait vu derrière les médaillons en or at a New Jersey convention for mafia capos. If he and I ever crossed paths, I knew I was wheelchair-bound», oui Nick se serait fait niquer s’il avait croisé big brother Barry. Il était bon pour le fauteuil roulant. Au moins, il réussit à faire de cet épisode une histoire drôle.

             Il plante le décor des seventies ainsi : «Pour moi, all the seminal seventies stuff se tient sur une période de 6 ans entre la naissance de Ziggy Stardust et la mort des Sex Pistols. Ce qui advint après was really just a prelude to the eighties.»    

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             Comme Yves Adrien, Nick Kent plonge ses racines dans le XIXe, et notamment Thomas de Quincey, qu’il salue vers la fin d’Apathy : «De Quincey avait noué des relations avec les deux hommes qu’il admirait le plus, les poètes Wordsworth et Coleridge, à l’âge où je faisais la même chose avec Keith Richards et Iggy Pop. Comme moi, il avait cherché le salut dans la consommation d’hard drugs in his early twenties. Je fus un peu déçu de découvrir qu’il était plus petit que moi d’une bonne tête et que pendant la plus grande partie de sa carrière d’écrivain, il avait été une sorte de shameless hack (qu’on pourrait traduire par un écrivain à la petite semaine). Mais quand j’ai découvert ses combats acharnés avec ses débiteurs et la constipation chronique, j’ai senti qu’un  puissant lien mystique s’établissait entre lui et moi. À l’automne 1821, De Quincey écrivit pour The London Magazine un essai en deux parties, Confessions Of An English Opium Eater, basé sur sa vie et l’histoire de l’opium. L’essai eut un tel succès qu’on en fit un livre qui devint la seule contribution de l’auteur au monde de l’édition. En France, Baudelaire en fit la traduction, et de l’autre côté de l’Atlantique, le jeune Edgar Allan Poe tomba sous l’influence de cet auteur rebelle.» Joli clin d’œil à Damie Chad. Mais aussi à Jean-Yves qui me confiait quelques mois avant de quitter cette planète qu’il relisait Apathy For The Devil. Il arrive que certains livres prennent dans la vie une importance considérable.

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             Nick Kent maîtrise à merveille l’art de se situer : «Well-read, streetwise druggies with a vague work ethic were my kind of people, I was quicly discovering.» La phrase est parfaite, comme montée à l’envers, c’est-à-dire excentrique. Courte, elle dit tout un monde, le XIXe et les drogues, elle dit aussi cet élitisme qui flirte dangereusement avec l’élégance. Nick Kent pratique les drogues comme un exercice d’éveil - The drug had freed something in my cerebellum and offered me a more intense way of perceiving the world - Il fait de l’Henri Michaux, et dans un élan purement littéraire, il ajoute : «J’étais déterminé à essayer de nouveau à la première opportunité.» Il fait sa Connaissance Par Les Gouffres par le rock. En entrant chez Friendz, il creuse son tunnel vers ce qu’il appelle «the freak-flag-flying enclaves of the London underground». Toutes ces expressions qu’il forge à longueur de pages sont délicieusement musicales. Il écrit l’histoire du rock de London town dans une pure langue rock. Kentish tune. Rock swagger.

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             Il évoque le concert des Stooges au King’s Cross Cinema à l’été 72 pour mettre les points sur les zi et rappeler que tout le London punk vient de là : «Bon nombre de self-styled punk experts ont depuis rempli des tomes et des tomes, mais si vous ne faisiez pas partie des 200 personnes un brin nerveuses qui assistaient au seul concert européen des Stooges à l’été 72, vous n’assistiez pas au real beginning et donc, vous ne savez pas de quoi vous parlez. Fin du sermon.» Nick Kent indique que ce concert eut sur lui un impact majeur, il découvrait ce qu’il appelle «the new wild frontier of Western pop culture». Comme Yves Adrien, il définit une nouvelle cartographie, celle qui nous servira de référence. Il revient longuement sur le show du King’s Cross Cinema : les Stooges n’ont pas joué un seul cut des deux albums Elektra, et rien de ce qui va figurer sur Raw Power : rien qu’une «jolting succession of primitive works in progress» - Neanderthal jungle music that no one present had ever heard the likes of before this night - Nick Kent dit se souvenir de toutes les secondes de ce concert historique - His absolute fearlessness, his Nijinski-like body language and the mind-blogging way he seemed able to defy even the laws of gravity - John Lydon se disait présent et non impressionné par le show, ce que Nick Kent a du mal à croire, car dit-il, «ce qu’Iggy and co ont réussi a faire ce soir-là, c’est exactement que les Sex Pistols allaient essayer de faire trois ans et demi plus tard : short sharp shock rock that mesmerized tout en tétanisant le public.» Et Nick Kent assène son dernier coup de marteau sur le clou : «Iggy & the Stooges ont inventé le punk de la même façon que James Brown & the Famous Flames ont inventé le funk.»   

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             Iggy est l’un des personnages principaux de ce festin de roi qu’est Apathy. Nick Kent évoque son retour en 1977 avec Lust For Life, un coup de maître produit par Bowie, un album qui «pouvait transformer Iggy into a bona fide superstar». Bona fide Kentish Boy adore utiliser le bona fide. Manque de pot, nous dit Nick, Elvis casse sa pipe en bois au même moment - The curse of Osterberg was still in full effect. His career had been sidelined yet again, this time by a fat bloke dying on the toilet - Nick Kent rencontre Iggy pour la première fois en 1972, alors qu’il séjourne à Maida Vale. Mainman lui a refilé l’adresse. Alors il y va. Il imagine Iggy comme un «bull-in-a-china-shop kind of guy, a walking sea of turbulance», mais il tombe sur le contraire, c’est-à-dire  «the epitome of charm and well-mannered cordiality». Il ajoute que cette rencontre allait avoir «a cataclysmic effect on me personally.» Il revient longuement sur l’art d’Iggy, «a fervent purist intent on rechallenging the bedrock blues aesthetic - two or three chords and a hypnotic groove» et il balance plus loin ceci qui te sonne les cloches à la volée : «Put simply, Ziggy Stardust was ‘show business’ whilst the Stooges were ‘Soul business’.» Il développe en expliquant que Ziggy était glamourous et séduisant, alors que les Stooges étaient «moins attirants mais capables de te changer la vie.» Et c’est exactement ce qui s’est passé pour un tas de gens : Stooges & Velvet forever. Quand plus tard, Nick Kent revoit Iggy à Los Angeles, il est frappé par sa transformation : il est devenu «a snake-eyed, cold-hearted, abrasively arrogant trouble magnet.» Terminé l’«epitome of charm». Nick Kent note en outre qu’«he was back on the smack». Kent rapporte aussi un échange d’Iggy avec un journaliste de télé qui lui demande s’il est décadent, et Iggy lui répond que «la décadence, c’est la décomposition and I ain’t decomposing, I’m still here.» Le fucking journaliste insiste : «Are you morally degenarate?», et Iggy lui rétorque : «Oh I don’t have any morals». Prends ça dans la barbe, sucker ! Nick Kent remet Iggy encore plus haut sur son piédestal en le comparant avec Artaud, «comme étant le performer seulement capable d’atteindre la grandeur en mettant publiquement sa folie en scène.» C’est extrêmement bien vu, incroyablement juste. Artaud le Momo = Iggy le Popop.

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             Kentish Boy et Iggy se rendent à une party. Ils sont complètement défoncés. Un géant s’approche d’eux et s’exclame : «Old Kenty and Iggy fucking Pop. Look at that stare of you two cunts.» Et avant qu’Iggy ne lâche une répartie fatale du genre «who is this prick anyway?», Kentish Boy lui met la main sur la bouche pour le faire taire, car le géant, c’est Peter Grant. L’atrocement violent Peter Grant. Nick Kent évoque aussi la période berlinoise, lorsqu’Iggy vit et bosse avec Bowie. Iggy : «L’avoir comme producteur, it was a pain in the arse - megalomaniacal, loco! Mais il avait de bonnes idées. Le meilleur exemple est celui de ‘Funtime’ et il m’a dit : ‘Yeah the words are good. But don’t sing it like a rock guy. Sing it like Mae West.» Bien sûr, les fans des Stooges ne s’y retrouvaient pas, mais, nous explique Nick Kent, «Iggy and Bowie were just taking the whole dank vampiric vibe of the seventies to a further sonic and conceptual extremity.» Iggy reconnaît les qualités de Bowie : «Bowie’s a hell of fast guy. Very quick thinker, very quick action, very active person, very sharp.»

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             Bowie ! Nick Kent lui taille des costumes de mots sur mesure. Il qualifie ses mouvements de «studied poise (c’est-à-dire d’équilibre étudié) of a movie starlet from some bygone era just prior to the advent of Technicolor.» Il nous explique que Ziggy a permis à Bowie de devenir «an instant megastar et d’imposer sa personnalité dans les seventies, avec le même impact que celui des Beatles dans les sixties.» Avec Ziggy, Bowie est devenu «the era’s most adored teen idol, sex symbol, rock star and Dylanesque pop sage in one fell swoop.» Quand il le rencontre pour la première fois, Bowie dit à Nick : «So you’re Nick Kent. Aren’t you pretty!». Bowie, nous dit Nick, s’imaginait que tous les journalistes rock étaient laids. Nick dit aussi que la carrière de Bowie a duré longtemps parce qu’il était un «big thinker and a true professional.» Par contre, il n’a aucune pitié pour l’équipe du management américain de Bowie - They were some of the most sleaziest, most repugnant people I’ve ever had the misfortune to shake hands with - Il ne fallut pas longtemps nous dit Nick pour que Bowie fasse le même constat : il les a tous virés et a traîné Mainman en justice. Nick Kent avoue être fasciné par Bowie qui après avoir été «an alien transexual from the planet Outrageous» devint  «an emaciated hop-head straight out of a Damon Runyon novel set in the McCarthyite fifties.» Nick Kent danse en permanence avec les mots. Ses formules sont le light fandango du XXe siècle, l’arôme enivrant du Virginia Plain de heures blêmes, tu y greffes toute ta nostalgie des années de ta jeunesse enfuie, lorsque tu parcourais hagard des corridors interminables de cette bâtisse où se tenait une orgie et qu’au loin mouraient les vagues d’orgue de Matthew Fisher. La prose de Nick Kent cristallise à la folie l’essence de cette époque gorgée de drogues et de sexe.

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             Il raconte qu’il traîne dans Londres avec Brian Eno qui vient de se faire virer de Roxy, et de passage à New York, il assiste à une répète des Dolls qui bossent sur une nouvelle chanson, «Jet Boy». Il note au passage que certains Dolls ne savent pas accorder leur instrument, ce qui combiné à leur pente immodérée pour la dope, conduira à «leur undoing in the months to come». Dans le chapitre ‘1973’, il raconte sa romance avec Chrissie Hynde. Chez elle, les murs sont couverts de photos de Keith Richards et d’Iggy Pop - Right away, I could tell the woman was blessed with exquisite taste - Puis c’est le coup de Trafalgar - Elle me dit alors un truc qui m’a envoyé au tapis : l’une des raisons principales qui l’avait décidée à venir s’installer à Londres était un article sur Iggy Pop paru dans un canard anglais. Je lui ai alors demandé plus de détails et l’article en question était le mien - mon tout premier article dans le NME - Pas de meilleurs auspices pour démarrer une relation sentimentale. Puis la relation va commencer à se déliter - She wasn’t the easiest person to show emotional warmth to - Nick parle même d’une «authentically wild and abrasive side to her personality - a trash-talking biker-girl mindset.» Alors il y a des shootes. Puis Chrissie le trompe. Alors Nick veut la corriger à coups de ceinture. La scène qu’il décrit se passe dans la boutique de McLaren qui a tellement la trouille qu’il se planque sous une table. Un mec sort de l’arrière-boutique et met son poing dans la gueule du Nick qui vole à travers la boutique et qui se trouve sur le trottoir, avec la bouche qui pisse le sang - Pathetic and bleeding - Exit Chrissie. Rassurez-vous, ils se reverront en 2003. Nick la revoit dans le chapitre ‘Afterwards’. Ils redeviennent amis, mais il se demande si cette amitié résistera aux révélations que contient Apathy - Mind you, whether our friendship will be standing after she reads this book remains a matter of conjecture - La façon dont est montée cette phrase anodine relève du chef-d’œuvre d’équilibre. Il faudrait même parler de grâce syntaxique. Apathy For The Devil n’est que ça : un gros tas de grâce syntaxique. Il est des pages qui procurent tant de plaisir qu’on les relit plusieurs fois de suite. On vit les mêmes chocs esthétiques dans Les Souvenirs d’Egotisme de Stendhal, ou encore dans les deux tomes du Panégyrique de Guy Debord. Et bien sûr dans l’Heliogabale d’Artaud.

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             Par contre, ça se passe mal avec Lou Reed. Nick Kent l’interviewe et parle de «dead Peter Lorre eyes» et de «cold inhospitable manner». Il préfère nettement le MC5, «a truly phenomenal live act - the only white US band who could potentially upstage the Rolling Stones in a concert hall.» Il les voit jouer dans un «West End club called Bumpers». Il n’y a personne - quite litterally three men and a dog - mais mis à part l’absence de public, «the show was one of the most thrilling and memorable live showcases I’ve ever witnessed.» Nick Kent en pince aussi pour Captain Beefheart. Il résume le génie du bon Captain par cette formule d’anthologie : «Beefheart still did his Howlin’ Wolf-adbucted-by-aliens vocal routine and his band had somehow stuck out on a whole new musical hydrid: Delta blues in a surreal head-on collision with free jazz.» Personne ne peut battre Nick Kent à la course. Sa langue est si parfaite que ce serait l’abîmer que de vouloir la traduire. De la même façon qu’on ne traduit pas les paroles d’«I’m A King Bee» ou de «My Generation». S’ensuit l’interview et, nous dit Nick, dans les cinq premières minutes, Captain Beefheart lui dit «au moins deux fois qu’il est un génie». Nick le compare à Orson Welles, «part authentic creative visionnary, part outrageous bullshitter.» Ils s’entendent bien ensemble. Captain Beefheart apprécie les Anglais distingués : Nick Kent et John Peel, par exemple. Il emmène le jeune Nick en tournée. Le bon Captain se balade en Angleterre avec sa cape, les gens se retournent sur son passage. Sur scène, c’est chaque soir de la magie pure : «On n’avait encore jamais entendu ce genre de musique. Et depuis lors non plus. Le groupe jouait The Spotlight Kid et deux cuts tirés de The Trout Mask Replica, mais les cuts enregistrés en studio n’avaient rien à voir avec the mind-scrambling majesty of their live renditions.» Il compare Captain Beefheart à Thelonious Monk - He had a totally unique ‘out-there’ aesthetic sensibility - et il ajoute, en extase cérébrale : «None of us could believe we were hearing music this visceral and dementedly alive.» Si tu veux voir du «visceral and dementedly alive», alors chope le «Sure ‘Nuff Yes I Do» du Magic Band filmé au Modem, sur la plage de Cannes. Notre Kentish Boy extatique ajoute : «Vous pouviez littéralement voir l’électricité courir sur leurs instruments et savourer les glaires qui pétillaient dans le larynx de Beefheart. He wasn’t kidding when he called them the Magic Band.»

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             Kentish Boy voit les Stones sur scène pour la première fois quand il est ado. Il remarque que les jeunes femmes sont en état de «sexual psychosis», qu’elles «se touchent in appropriate places» et lâchent des «primeval howls». C’est là qu’il place l’une de ses formules définitives : «The Rolling Stones didn’t have forehead. Just hair, big lips and a collective aura of rampaging insolence.» Et puis il y a Brian Jones que les gens traitent de sadistic ou encore de pathetic. Kentish Boy l’a rencontré et Brian «was incredebly nice to me». «Soudain j’ai vu mon futur s’incarner devant moi. This was exactly the kind of person I was determined to grow up and become.» En 1967, il assiste au «Best bill I’ve ever witnessed, a special psychedelic package tour avec Jimi Hendrix Experience, Syd Barrett’s Pink Floyd, the mighty Move form the Black Country and prog-rock pioneers the Nice.» - Seeing Syd that night ignited something within me that I’ve been obsessed with all my adult life - Il parle du sens du mystère - His story - however it developped - was mine to tell - Il est aussi frappé par le «sexual bravado» de Jimi Hendrix. Qui ne le serait pas ?

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             Kentish Boy redit toute la grandeur du rock anglais des sixties et des early seventies. Après avoir chanté les louanges de Brian Jones, de Captain Beefheart, voilà qu’il chante celles de Rod The Mod, de «Maggie May» et de son «big-nosed cock-of-the walk charm and tight satin trousers». Dans son élan, il rappelle que Stewart, Bolan et Bowie avaient déjà tenté de devenir des superstars dans les sixties. Ils attendaient leur heure. Elle n’allait pas tarder. Rod The Mod va atteindre le «megasuperstardom» et il est le premier, nous dit Nick, à l’admettre : «the guy was one lucky son of a bitch». Et même quand il va se griller artistiquement avec ce qu’il appelle des «bland codswallop like ‘Sailing’ and ‘Do Ya Think I’m Sexy’», Nick Kent avoue qu’il garde toujours un faible pour le singer - To me, he’ll always remain a prince amongst men.

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             Le prestige du rock anglais passe aussi par Hawkwind et Dave Brock, que Kentish Boy évoque, rappelant que ses crises d’hémorroïdes faisaient bien marrer les autres membres du groupe. Dave Brock s’est vengé en virant tout le monde. Kentish Boy rend surtout hommage à Nik Turner dont le jeu de sax «n’allait pas priver Ornette Coleman de sommeil», il voit surtout en Nik du charisme, et lui rend l’hommage suprême en affirmant qu’il n’avait encore jamais vu un homme portant à la fois du mascara et une barbe «and still not look completely ridiculous». Nick qualifie aussi Robert Calvert de «bona fide nutcase», joli punch-up qu’il n’est nul besoin de traduire. Hommage enfin à la section rythmique Simon King/Lemmy Kilmister - hard, primitive, metronome-like - qui allait asseoir la réputation du groupe en Angleterre en tant que «purveyors of proto-stoner rock». Toutes les formules sont d’une justesse sidérante. Chaque mot semble à la fois étudié et spontané. Il faut avoir vécu toute une vie immergée dans la langue rock pour comprendre que celle de Nick Kent est l’absolu modèle du genre. La façon de formuler, c’est-à-dire le style, est la clé de tout. Il finit sur Hawkwind en affirmant qu’ils furent «more authentic ambassadors of Ladbroke Grove bohemian demographic than the Clash, qui, à la fin des seventies, utilisèrent le Westway comme un décor photo for their own further self-glorification.» Toujours la même histoire : choisis ton camp, camarade. Hawkwind ou les Clash ? Le choix est vire fait. Il passe naturellement d’Hawkwind à Can et trace un parallèle entre Miles Davis et Can - Can a su prendre the basic ingredients - a James Brown funk rhythm and plenty of spacey dissonance from the keyboards and electric guitar - and create something  gueninely awe-inspiring - Des Can qu’il situe loin des «paltry legacies», c’est à-dire des souvenirs dérisoires, «laissés par Jethro Tull et Yes, qui furent», ajoute-t-il «that era’s most popular paltinum-selling ‘cerebral-rock’ entities.» Pour Nick, Can «played a similar role in the early seventies to the one the Velvet Underground played in the late sixties.» Rien de plus vrai. Rien de plus exactly exact.

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             1972 est l’année du glam. Kentish Boy s’habille et se maquille - black eyeliner - en conséquence - I looked like a lanky girl - Puis il rencontre Roxy Music - a pretty haughty and self-posessed bunch, a sort of ex-art school Lord Snooty and his pals in lurex - Quand Nick Kent écrit ça, cette phrase si musicale, c’est comme s’il était Oscar Wilde accompagné par le Velvet. Il compare Brian Eno à Brian Jones, à cause de sa flamboyance et de son rôle limité dans le groupe - His arch hermaphrodic presence blended well with singer Bryan Ferry more conventional handsomeness in concert - Nick ne s’y trompe pas, la star de Roxy n’est pas celui qu’on croit. Il sait dire son faible pour Brian Eno, et à travers lui, son faible pour Brian Jones. Les deux vont se faire virer pour la même raison : trop Brian. Puis on envoie Kentish Boy interviewer Led Zep qui en 1972 est un groupe imbattable. Personne ne peut rivaliser avec eux, même pas les Who, nous dit Nick. En fin de concert, il les voit taper une cover de «Louie Louie» «that sounded like the four horsemen of the apocalypse inventing the concept of testosterone-driven punk rock.» On se souvient du «Communication Breakdown» filmé pour la télé française en noir et blanc, pur «testosterone-driven punk rock». Mais l’interview d’après concert de passe mal. Nick se fait traiter de wanker. Pas terrible. Le courant ne passe pas avec Jimmy Page. Kentish Boy évoque aussi la violence gratuite orchestrée par le duo Peter Grant/Richard Cole, un duo aussi nocif que «the entire Russian Mafia» - One evil look from either of them could provoke rank strangers to defecate on the spot - l’équivalent français serait «chier dans son froc», alors on garde l’Anglais, qui est plus élégant (defecate on the spot). Le seul qui n’approuve pas cette violence gratuite, c’est Robert Plant. Il faut aussi se souvenir de ce qu’en dit Bill Graham dans ses mémoires : Peter Grant, c’est l’horreur. 

             Nick Kent rappelle aussi qu’en 1973, Londres était la capitale du pub-rock, «the province of ugly blokes who dressed like roadies and played old Chuck Berry songs badly». Tout un monde encore une fois en une seule phrase.

             Bon, les superstars c’est bien gentil, mais il y a aussi et surtout le job. La clé du Kentish Boy. Le journalisme rock. Il y consacre les pages les plus passionnantes de son recueil de mémoires.

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             Kentish Boy explique que pour débuter, il a rédigé trois chroniques d’albums : Quicksilver (le premier album, pas très bon), Gonna Take A Miracle de Laura Nyro. Il dit avoir oublié quel était le troisième. Il apporte ses textes chez Friendz qui les publie. Baptême du feu - I was over the fucking moon - Il cherche à interviewer Bowie, mais à l’époque, c’est impossible. Puis le NME qui cherchait à se réinventer le recrute - They frantically began recruiting young music-driven writers from the London undergound - Il entre au NME juste après Charles Shaar Murray. C’est là qu’on l’envoie couvrir le Led Zep show. Puis il va rencontrer son idole Lester Bangs à Detroit - He looked like a rodeo clown without the make-up - Ces pages sur Lester Bangs sont une nouvelle divine aubaine - Lester ne ressemblait pas à la plupart des gens. He empathised with fuck-ups because he was often one himself - Bangs fait écouter au Kentish Boys l’acetate de Raw Power qu’il vient de recevoir. Ça se passe en 1973. Kentish Boy demande à Lester de l’aider à atteindre son «full writing potential». Lester répond : «Sure - OK then.» Nick Kent note aussi que Bangs est assez fier du rock américain, certainement pas du rock anglais, d’ailleurs il charrie Nick, «You goddam Limey fops!» et lui sort ça : «What’s so great about your fucked-up culture anyway? We produce great art like the Velvet Underground, the MC5 and the Stooges and you retaliate with David fucking Bowie and his Spiders from Mars. Whoopee! You’re just reselling us Herman Hermits for homos.» C’est vrai qu’au début, Ziggy n’était pas très bien perçu dans le Midwest. 

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             Nick Kent dit trouver sa «voice as a writer» en 1974. Avant ça, il s’inspirait de «Bangs, Capote, Wilde, Wolfe - Période d’apprentissage.» Il adopte une perspective complètement différente de celle de ses pairs, ses collègues du NME - My perspective was the polar opposite of theirs. I wasn’t wiritng about rock as an idea. I was writing about it as a full-blown flesh-and-blood reality - surreal people living surreal, action-packed lives. De tout ce que j’avais appris, l’écriture rock était fondamentalement un médium qui prenait vie quand l’auteur était au cœur de l’action et conservait en même temps assez de distance pour en comprendre les conséquences - Il invente l’action writing. Il vit les choses en direct pour les écrire. Il est à la fois le Cartier-Bersson et le Jackson Pollock du rock. Mais il ne s’arrête pas là : il pose un postulat qui est celui du style, un postulat qu’aurait pu édicter Yves Adrien : «La clé, cependant, est de savoir créer une prose fluide, avec sa propre musicalité. That’s what I finally hit on in ‘74: the right tone and the right groove.» Quand Nick Kent écrit, il groove. C’est pour ça qu’on lisait le NME en 1974. C’est aussi pour le groove d’Yves Adrien qu’on lisait R&F. Les autres journalistes de R&F ne groovaient pas. Quand il a perdu Adrien, ce canard a perdu son âme. D’autres ont tenté d’imiter Adrien. Ce fut une catastrophe.

             Lorsque Kentish Boy plonge dans l’hero, il a du mal à maintenir sa réputation de «NME’s resident hit man.» Il avoue que son «writing talent had been on the rise from ‘72 to mid ‘75 - It reached its peak with the Wilson investigation - After that it went into free fall.» Puis il sent qu’il va se faire broyer par la presse qui est surtout une grosse machine à faire du fric - Travailler pour les médias, c’est un peu la même chose que d’être employé comme charmeur de serpent. Un jour ou l’autre, le serpent va te mordre - Il va se faire virer et se retrouver à la rue. Il dresse un auto-bilan qui n’est pas terrible. Il ne peut que s’en prendre qu’à lui-même. Il faut lire ces pages qui sont d’une virulence introspective hallucinante. En 1987, Nick Logan qui a quitté le NME pour diriger The Face fait signe à Nick. Il lui demande s’il a un texte. Nick lui propose un hommage à Miles Davis, un texte sur lequel il a bossé pendant six mois.

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             Oh et puis la dope. Les pages d’Apathy en sont pleines. La première fois qu’il touche à l’hero, il dit être entré «into a world of hurt». Mais plus loin, il en fait une Kentish apologie - Total palpable bliss - Il cite Charlie Parker qui appelait ça ‘the cool world’. Il évoque plus loin Johnny Thunders - Mais étais-je meilleur que lui ? Junkies are junkies, after all. Sordid people leading sordid lives - Et là, il cite l’exemple d’une photo prise fin 1976 : «John Lydon ricane triomphalement next to a high-spirited Brian James, et je me tiens à leur gauche looking like I’ve just been liberated from Dachau concentration camp.» Encore une fois, la formulation est un chef-d’œuvre de fluidité imagée. Puis il rentre chez ses parents dans le Lancashire - Ma mère éclata en larmes lorsqu’elle ouvrit la porte et vit dans quel état j’étais.

             Il passe à la méthadone - I liked methadone. A lot - Il revit - I was now getting high daily on a drug that was both legal and free. That was my definition back then of heaven on earth - Il fait des économies et ne risque plus sa vie à traîner dans des endroits dangereux pour acheter sa dose. Il a ensuite l’idée saugrenue de mélanger le valium à la méthadone et du coup, il ne sort plus du lit. Alors il lui faut des uppers. Une ligne de coke, quand il en a les moyens, sinon le speed, qui ne coûte rien - And you’ll understand that I was now addicted not just to one vampire drug but to four separate extremely potent rogue chemicals - Puis il décrit son «typical day». Fabuleuse extension du domaine de la lutte finale. À lire impérativement. C’est vers la fin (page 353, pour être exact). Un chef d’œuvre de regardez-comment-ça-se-danse. C’est dans ces pages qu’il faut voir comme une apologie de la désaille qu’il groove le plus, et en même temps, c’est là qu’il est le plus vulnérable.

             Lorsque sa relation avec Chrissie Hynde tourne en eau de boudin, Nick Kent sort cette phrase extraordinaire, digne d’un aphorisme de Leon Bloy : «There’s ultimately not that much difference between being a hopeless romantic and a feckless sap», qu’on pourrait traduire, ouille ouille ouille, par «Il n’y a pas grande différence entre un indécrottable romantique et une andouille invétérée.»

             Un autre aphorisme Kentish, encore plus fascinant : il assiste à l’éclosion de la scène punk à Londres et balance ceci qui vaut son pesant de livres sterling : «Le mouvement séditieux qui avait commencé avec James Dean dans les années 50 s’était terminé en une tempête de crachats, d’épingles à nourrices et de speed-poudre à récurer : from Rebels Without a Cause to rebels without a clue.» Ça évoque le fameux cri d’alarme de Bourdieu : «Brûler des bagnoles, oui, mais avec un objectif !»

             Quand il fait référence à des autobios, Kentish Boy tape dans le haut du panier : Bill Graham et Ian McLagan.

             En 1974, Nick Kent entend de la musique qui ne lui plaît pas : «Il y avait soudain trop de white guys tentant de jouer du funk et se vautrant misérablement. Le glam thing was now dead on its legs. Et la nouvelle tendance à l’horizon, la diskö, semblait fade et inconséquente, si on la comparait au great black rhythm and blues des sixties. Je savais que je devenais blasé et ça ne me convenait pas. I was still only twenty-two for God’s sake.»

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             C’est dans The Dark Stuff qu’on trouve le plus beau texte jamais écrit sur Brian Wilson. Nick Kent y revient le temps d’une phrase délicieusement musicale : «Il n’est pas étonnant que Brian Wilson se soit retiré dans sa chambre et soit devenu obèse et improductif. He just wasn’t made for these times.» On croise encore une foule de gens fascinants dans cet épais bréviaire de la déréliction supérieure. Nick Kent défend Jagger, affirmant que sans lui, les Stones auraient capoté après Let It Bleed - Chaque fois qu’on nous raconte l’histoire des Stones, Jagger est le vilain de l’histoire, le control freak, l’animal à sang froid, le cupide rusé et sans cœur. It’s become one big fairy story - the Rolling Stones vus par les médias, avec Jagger dans le rôle du lutin maléfique - Selon Nick, le seul mec que Jagger craignait en tant que rival fut Bowie - Vous lui mentionnez les noms de Lou Reed et Marc Bolan et il se pâmait de rire (he’d dissolve in laughter) - Kentish Boy a aussi un formule tordante pour Dr. Feelgood : «The singer had all the physical grace of an homicidal plumber», il n’est pas non plus très charitable avec Wilko, «a bizarre black-suited blur», et il réserve le coup du lapin pour la section rythmique, qui «resembled a couple of small-time penny-arcade pimps.» Les formules de Nick Kent sont presque meilleures que les groupes qu’il épingle. Il rend hommage à Neil Young pour ses albums «Tonight’s The Night, Zuma, and a slew of brillant records culminating in 1979’s Rust Never Sleeps», il va même jusqu’à le comparer à Bowie pour son «insatiable need to push ahead». Et puis Syd Barrett, bien sûr - In 1967, the impis eyed Barrett had been the world’s most beautiful man - the golden boy of psychedelia. By 1974, he’d become a scary-eyed balding recluse whom former acquaintances couldn’t even recognise any more - L’any more de fin de phrase est ce qui permet de lester la formule, on entend presque le ton monocorde de ce fantastique story-teller aussi passionné par ses sujets que par l’alchimie du verbe. Il passe son temps à transformer le plomb de la langue anglais en or du Rhinck, exactement de la même façon que l’a fait Yves Adrien avec la langue française. Adrien a d’autant plus de mérite que la langue française n’a jamais été une langue rock, oh la la pas du tout, mais il a fait l’effort d’inventer une langue pour pouvoir formuler ses émotions et éventuellement en communiquer les saveurs. On a simplement eu la chance d’être là au bon moment : Nick Kent dans le NME et Yves Adrien dans R&F. Kentish Boy rend aussi hommage à Nico - She was a fascinating individual and a quintessential bohemian free spirit - Il la voit comme un mélange de gamine, «naïve et incrédule», et de créature «impitoyable et égocentrique, ce qui lui a permis de survivre» - She saw herself quite rightly as a guenine artist - Et la chute vaut le déplacement : «You don’t fall in love with Nico: it’s like trying to bottle a lightning bolt.» À bon entendeur, salut.

             Nick Kent cite aussi la source de son titre. Dylan voit les Stones sur scène dans les mid-seventies et quand Ian Hunter lui demande ce qu’il pense, le Bob qui n’est pas non plus avare d’aphorismes lui répond : «Apathy for the devil.»

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             Kentish Boy est bien sûr pote avec Mick Farren qui écrit lui aussi au NME, et qui se fait péter la gueule par Tony Parsons, le mec de Julie Burchill avec laquelle Farren a eu la mauvaise idée de se fritter. Kentish Boy n’aime pas les Slits qu’il traite de «bunch of talentless exhibitionists». Il dit même que de les voir sur scène équivalait à se rendre «chez un dentiste incompétent». L’humour rôde partout dans la langue du Kentish Boy, comme un requin dans le lagon.

             Il croise aussi Marc Bolan et Gloria Jones chez un dealer, un Bolan qui est en chute libre et qui grossit - In short, he was free-falling from grace at the speed of light and was unsure how to rectify the situation - Nick Kent découvre lors de la conversation que Bolan est obsédé par Syd Barrett et bien sûr, il a lu «The Cracked Ballad Of Syd Barrett» dans le NME.

             Parmi les missions que lui a confié le NME, l’une des pires fut d’assister à un concert de Jethro Tull aux États-Unis : «It was bad taste, pure and simple. On dit que le bon goût est éternel. Mais le mauvais goût a lui aussi toujours été là and is invariably more lucrative.» Il reste dans le mauvais goût avec l’évocation des Eagles : «Leurs disques ressemblaient à ces jeans délavés tellement en vogue à l’époque : fades, inauthentiques mais ultra-présents (impossible to escape). Ils proposaient ce que l’Amérique voulait entendre dans les mid-seventies.»

             Il rend un tout petit hommage à Marc Zermati, «the only punk-related person to have his own independant record label», eh oui, Kentish Boy ramène à Marc le fameux master-tape d’un gig in Michigan que lui a confié Williamson et dont Marc va faire Metallic KO.

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             Tiens, puisqu’on parle de Skydog : tu vas trouver deux cuts de Nick Kent sur une petite compile Skydog parue en 1990, Punks From The Underground : «Switch-Hitter Dub» et «Chinese Shadow». Comme l’indique son nom, le premier est un heavy dub. Nick nique ses accords et s’en va exploser les vapors du heavy dub. C’est un tour de force digne de Keith Hudson. Dans les Subterraneans qui l’accompagnent sur «Chinese Shadow», tu retrouves tous les Only Ones (Peter Perrett, Mike Kellie et John Perry) + Tony James. Tu as là le London groove extrême. Tu peux aussi écouter les autres titres, comme par exemple le «Too Much Junkie Business» des faux Heartbreakers (Billy Rath, Henri-Paul et Steve Nicol) ou encore le Speedball de Sean Tyla avec «Speedball Jive». Là tu as de la substance, comme toujours avec le vieux Sean.

             En marge de ses writing duties, Kentish Boy flirte avec des projets de groupes. En 1972, il propose ses services de guitariste à Iggy - Thankfully he rejected my offer pretty much on the spot - La même année, les Groovies lui proposent de jouer des keyboards avec eux, mais il décline l’offre, ne voulant pas aller s’installer à San Francisco. C’est Michael Karoli de Can qui lui vend sa première gratte - a flashy looking Plexiglas affair - et plus tard il fait l’acquisition d’une Fender volée par Steve Jones. Puis McLaren lui propose de monter un groupe, avec Chrissie au chant, lui, Kent à la gratte, Mick Jones - then only known as ‘Brady’ - à la basse, et un «kid from Croydon called Chris Miller would be the drummer.» McLaren voulait appeler le groupe The Masters of the Backside. Kentish Boy va passer aux choses plus sérieuses avec the Subterraneans, un nom qu’il tire d’un roman de Jack Kerouac. Sur scène, il est accompagné par les Damned encore en formation.

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             Il n’existe qu’un seul single des Subterraneans : My Flamingo, paru sur Demon Records en 1980. «My Flamingo» est un hit à la fois certain et incertain, ténébreux au sens underground du terme, et lumineux au sens de l’universalisme Kentish. On peut parler d’un gorgeous cut, doté d’un vrai son, Nick Kent chante à sa revoyure, il est puissant, mais à sa façon, il a des cœurs de lads derrière, ça sonne presque comme un hit, avec cet entrain quasi-américain. On sent bien le poids de la légende. Puissant et léger à la fois, c’est très curieux, avec un solo d’arpèges. Il peut aller chercher le raw, mais c’est un raw de dandy. On sent la présence d’un léger parfum d’Only Ones dans le son. Le «Veiled Woman» qui est en B-side est beaucoup plus sophistiqué. Nick Kent va chercher un chat perché encore plus incertain, mais il sait rester juste, comme un junkie perdu dans la nuit du côté de King’s Cross.

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             D’autres gens encore. Bel hommage à Richard Hell - Hell’s whole appearance was too radical to make an impact on torpid mid-seventies American culture - Trop en avance sur son temps, mais ça n’échappe pas à McLaren, «qui se contentait de voler les idées des autres, les considérations morales never seemed to invade McLaren’s devious mindset.» Et il ajoute : «Richard Hell voyait McLaren comme un petit escroc inoffensif. Personne à New York n’aurait pu imaginer que ce petit mec nerveux aux cheveux rouges qui avait convaincu les Dolls de se faire passer pour des sympatisants marxistes - une idée qui allait d’ailleurs torpiller leur carrière - allait en fait leur voler toutes leurs idées.» Prodigieux portraits encore de John Lydon à l’époque de PIL, des pages qu’il faut lire car elles couronnent des carrières - He and his cohorts were looking to invent a new musical hybrid post-punk art rock, do-it-yourself prog with reggae bass lines and krautrock in place of virtuoso noodling and ever-changing time signatures - Il se moque aussi de Strummer - Che Guevara with an electric guitar - et dit qu’il «suait autant sur scène que James Brown et Jackie Wilson». Il descend Sham 69 en flammes : «Pursey was a big noise in 1978 - a big, hectoring, double-ugly noise that drew punk’s dimmest adherents to him like flies to excrement.» Et il jette encore de l’huile sur le feu : «La vue du public de Sham 69 glaçait les sangs - des skinheads géants couverts de tatouages de prison avec aux pieds des Doc Martins couvertes de sang - et Pursey les galvanisait like T.S. Eliot’s ape-necked  Sweeney reinvented as a punk Mussolini.» Et pour conclure il assène ceci : «Il incarnait tout ce que je détestais à la fin des années 70, le véritable misérable opportunisme qui prétendait être la voix des opprimés.» Il se dit aussi très peu concerné par Joy Division, «car quand on a vu les Doors et les Stooges live», c’est compliqué de prendre Joy au sérieux. Il préfère nettement Mark E. Smith and the Fall - Because of his take-no-prisoners mega-truculent personality - Et il lui rend l’hommage suprême, celui qui te rend fier de lire un tel book : «He really was the closest thing England has ever spat out to compare with American hard-boiled rock’n’roll cranks like Jerry Lee Lewis, and I’ve spent quality time with both men.» Hommage encore plus spectaculaire à John Lennon qui, dit-il, «eut à se battre en justice contre des money-hungry vampires comme Allen Klein, eut à bosser avec des egomaniacal nutcases comme Phil Spector et dut vivre avec l’impression constante d’être surveillé par des agents du gouvernement américain à la solde de Richard Nixon. Tout ça combiné ensemble aurait envoyé n’importe qui d’autre au tapis.» Pour Nick Kent, la mort atroce de John Lennon fut la vraie fin des sixties, «or at least the final nail in the coffin of the spirit of that now long-gone era of marmalade skies and endless possibilities.»

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             Encore du haut de gamme avec Keef. Kentish Boy réussit le prodige de rencontrer quasiment tous les gens les plus intéressants de sa génération. Il commence par voir Keef porter «a pair of giant human bug’ op-art sunglasses», et le qualifie de «wastedly elegant». Quand on lui propose de suivre la tournée des Stones en 1973, son rêve devient réalité - my wildest teenage dream becoming reality - Keef est alors «the coolest-looking dude in the known hemisphere.» Et il balance cette phrase démente plus loin : «Lately he had reached the point where he’s begun to resemble a cross between a human blackened spoon and Count Dracula.» Ce book finit par devenir une véritable foire à la saucisse : chaque page réserve son choc esthétique. Kentish Boy est le roi incontestable de la rock formula, ces tournures dont on aime à se souvenir, comme certaines paroles de chansons. L’«a cross between a blackened spoon and Count Dracula» vaut bien «I’m a king Bee Baby/ I can buzz better when your man is gone». Kentish Boy raconte comment il partage des rails démesurés avec Keef - a six-inch line of heroin and cocaine mixed together - Il n’est que 7 h du mat et pour Kentish Boy c’est encore un peu tôt, mais il ne se fait pas prier et sniffe «the whole thing back without further thought. Hey when in Rome...» Puis il monte dans la Dino Ferrari à la place du mort - Keith drove like a man transfixed - C’est la manière élégante qu’a trouvée Kentish Boy pour dire que Keef roulait vite en ville - Heeding caution was strictly for sissies - Il découvre aussi que Keef ne peut pas schmoquer ni le glam ni Bowie. Il ne supporte pas les «soft lads trying to make their bones in the medium of rock’n’roll.» Des pages à lire en priorité, comme toutes les autres pages de ce fat book.

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             On garde le plus gros morceau pour la fin : McLaren et les Pistols. Kentish Boy commence par expliquer que les gourous de Malcolm étaient «the Tin Pan Alley chicken hawks qui contrôlaient the late fifties UK rock marketplace», en l’occurrence Larry Parnes qui, dit-il, écumait les chantiers de bâtiment à la recherche de beaux gosses pour les transformer en rock stars. Puis c’est «the likes of Don Arden» qui prennent le contrôle du marketplace dans les early sixties - Arden ne cherchait pas à baiser ses jeunes coqs, il était trop occupé à les plumer et à casser les jambes de ceux qui se mettaient en travers de son chemin - Kentish Boy fréquente la boutique de McLaren au bout de King’s Road. Ils ont des conversations musicales orageuses. Kentish Boy défend le bout de gras de Dylan et McLaren celui de Johnny Kidd. Son «ultimate musical reference point» est Gene Vincent - the sweet-voiced hillbilly psychopath - Gene incarnait pour McLaren sa vision du rock qui devait rester sauvage et séditieux. Kentish Boy se dit attiré par lui, «par sa passion, son intelligence et son audace» - He was always thinking outside the box - McLaren ne sait pas qui est Jimi Hendrix alors Kentish Boy le force à venir voir le docu de Joe Boyd sur Hendrix. McLaren en sort émerveillé. Puis c’est la rencontre avec Steve Jones et Paul Cook - a pair of eighteen years-old likely-lads law-breakers - McLaren est fasciné par leur délinquance. Steve Jones a déjà barboté «13 expansive electric guitars, une par une», chez des marchands de Denmark Street. Alors que Dr. Feelgood ramasse tous les suffrages, Jones and co restent de marbre, nous dit Nick - We could do better than those Southend cunts - Voilà, le mot est lâché. Et dans les faits, ils vont vraiment faire better, dix mille fois better. McLaren demande à Nick Kent son avis sur la première mouture des Pistols. Il assiste à une répète, c’est Jones qui chante. Pas terrible. Mais Kentish Boy pense que McLaren est sur un gros coup. Soudain McLaren vire Wally Nightingale parce qu’il porte des lunettes et bombarde Nick guitariste des Pistols, sans même lui demander son avis. Ça va tenir deux mois, juillet/août 1975. Comme il n’y a toujours pas de chanteur, Kentish Boy essaye d’appeler Iggy à Los Angeles pour lui proposer le job, mais Iggy vient d’entrer à l’HP. Durant la même période, Nick fait écouter à Matlock une cassette que lui a filé John Cale, celle d’un groupe de Boston qu’il vient d’enregistrer, les Modern Lovers. Matlock flashe sur «Pablo Picasso» et «Roadrunner». Décidément, on n’en sort pas, ce sont toujours les mêmes qu’on croise au coin du bois ! Kentish Boy insiste aussi pour que le groupe reprenne «No Fun» - That was my contribution to their musical development really : virer all the retro silliness et leur indiquer la voie du futur -  Kentish Boy commet l’erreur de considérer McLaren comme un ami - I’d been wrong. The guy was just another control-seeking snake in the grass - Il est vite viré du groupe, mais ça ne va pas s’arrêter là. McLaren devient brièvement le chanteur des Pistols et doit arrêter aussi sec lorsqu’il propose de reprendre une chanson de Syd Barrett.

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             John Lydon entre en lice. Jones, Cook et Matlock ne posaient pas de questions. Avec Lydon, c’est une autre histoire. Il tient tête à McLaren dès le début, from the get-go - Unlike the other three, Lydon - though still a teenager - had a mind of his own - et ce que Kentish Boy assène ici est fondamental : «Ce n’était pas un esprit forcément attractif et bien ordonné - the guy was often on acid - mais il en était certainement le seul occupant de son crâne et il n’allait pas laisser some King’s Road fashion ponce le squatter pour lui laver le cerveau et le plonger into a state of pop-star servility.» Kentish Boy rappelle que McLaren prenait comme modèle les Bay City Rollers, l’apanage de la «pop-star servility». Nick voit John Lydon comme un gosse fragile and strangely sexless. Il vomissait toutes les stars du rock anglais ou américain et prenait Neu! comme modèle. C’est lui qui va transformer les Pistols en «bona fide cultural phenomenon». Puis le jour où il voit sa bobine en première page d’un canard, il change - He was never the same again. His ego suddenly exploded to sky-rocket proportions, as did his sense of personal power -  Quand les Pistols commencent à devenir célèbres à Londres, McLaren invente une nouveau jeu : «Désigner des membres du public for a bloody beating.» Il envoie des psychopathes en mission. Kentish Boy est au 100 Club, en 1976, et Sid, piloté par McLaren, arrive avec une chaîne de moto «and immediately went to work» - Un mec des Hot Rods tenta de s’interposer et se fit lacérer la gueule. Pendant que tout ça se produisait, le complice de Vicious Jah Woble apparut devant moi. Il tenait un cran d’arrêt et en approchait la pointe à quelques centimètres de mes yeux. Il y avait du sang séché sur la lame et dans ses yeux de porc dansait une telle lueur de plaisir sadique qu’on aurait pu croire qu’il allait éjaculer sur le champ - Kentish Boy a raison de ne pas faire de cadeaux à ces ordures. On ne parle plus de rock, ici, on parle d’autre chose. Quand Bill Graham dénonça les violences commises par Peter Grant aux États-Unis, il le traita de «Nazi Germany». Avec le contorsium McLaren/Vicious/Wobble, on est dans le même cadre. L’horreur va continuer, lorsque McLaren vire Matlock pour le remplacer par celui que Kentish Boy qualifie d’«authentic sociopath», Vicious - Bringing Sid into their mix was like adding fire to a leaking pool of gasoline - Un communiqué parut disant que la principale raison pour laquelle Sid avait été recruté «was because he gave Nick Kent just what he deserved at the 100 Club». Et notre incorrigible mover shaker ajoute : «Lire ça dans le NME et partout ailleurs certainly jolted me out of my junkie stupor for at last five minutes.» Mais dans le book, Nick se fâche, car il ne supporte pas bien d’être traîné dans la boue par des gens qu’il considérait comme des amis, alors il les traite de «vampiric morally bankrupt preening scumsuckery backstabbers», ce qui est la pire insulte jamais imaginée par un esprit britannique hautement distingué.

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             Pour finir, Nick Kent scelle brillamment le destin des Pistols qui réussirent à conquérir l’Angleterre, comme l’avaient fait les Beatles avant eux - Take the nation completely by storm - Et il ajoute : «Iggy Pop was too old and the Ramones n’avaient pas vraiment la personnalité adéquate pour le job. The only logical candidates were the Sex Pislols.» Puis vient la fin, avec la tournée américaine. Kentish Boy n’a aucune pitié pour eux : «L’Amérique a pour habitude de décimer tous les groupes anglais venus visiter la colonie la première fois. Ce fut donc le cas pour the Shepherd’s Bush’s finest. In the end they had the bollocks but lacked the stamina. If the New York Dolls were too much too soon, the Pistols were too little too fast.» Sa façon sans doute de les traiter de petites bites. Mais bon, quel album que le Bollocks des Pistols ! Et quel book ! Tu en sors épuisé mais émerveillé.

             Et comme à tout gâtö il faut une cerise, tu trouves à la fin du fat book les vingt pages du ‘Soundtrack for the seventies’, une sélection de cuts et d’albums dûment commentée. Goûtons une bouchée de la cerise au hasard, tiens, 1970, avec dix choix : Kentish Boy s’enivre tout spécialement du «Chesnut Mare» des Byrds, d’If I Could Only Remember My Name de Croz et du Fun House des Stooges. Pages impératives, il n’oublie rien de ce qui est essentiel, tu peux te caler sur sa sélection et t’assurer que tu n’as pas raté le coche ici ou là. En 1977, il cible dix trucs dont Marquee Moon et le «Bodies» des Pistols, et il nous quitte en ciblant encore dix trucs pour 1978/1979, dont le «Tropical Hot Dog Night» de Captain Beefheart - very own King of Weird - le «Domino» des Cramps, et le «Kid» de sa «old flame Chrissie Hynde» qui dit-il, était devenue «a songwiter of consequence».

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             Dans un premier temps on peut lire ce chef-d’œuvre. Et le relire dans un deuxième temps, ce qu’on finit par faire. Car tout y est. Il paraît même que l’ouvrage est traduit de l’Anglais. Mais attention, on perd la langue. C’est comme d’écouter «Anarchy In The UK» traduit de l’Anglais. Il paraît que ça existe.

    Signé : Cazengler, niqué

    Nick Kent. Apathy For The Devil. Faber & Faber 2010

    The Subterraneans. My Flamingo. Demon Records 1980      

    Nick Kent. Punks From The Underground. Skydog 1990

     

     

    Black summer in the city

     

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             Personne ou presque ne connaissait l’existence du Woodstock noir. Un Woodstock noir ? Oui, l’Harlem Cultural Festival, étalé sur six semaines, en juillet-août 1969. Woodstock, qui n’est pas très loin d’Harlem, eut lieu du 15 au 18 août, le même été. Tout le monde connaît le Woodstock blanc, mais pas le Woodstock noir. Hal Tulchin, le mec qui l’a filmé en 1969, avait essayé de le vendre, à l’époque. En vain. 50 ans après la bataille, le Woodstock noir refait enfin surface sur DVD.

             Ce fabuleux docu d’Ahmir Questlove Thompson s’appelle Summer Of Soul et donne toutes les réponses aux questions qu’on peut se poser. Pourquoi un «Cultural Festival» à Harlem en 1969 ? Parce que le pouvoir craignait toujours des émeutes, un an après l’élimination de Martin Luther King. Rien de tel qu’un bon festival pour calmer les esprits. Pourquoi le docu ne dure que deux heures, alors que l’Harlem Cultural Festival a duré six semaines ? Écroulé de rire, Ahmir Questlove Thompson répond qu’il a dû faire court pour les besoins de la production. Il existe en réalité 40 heures de tournage. 40 heures ? Oui, 40 heures. Et ce ne sont pas des petites heures à la mormoille : Staple Singers, Sly & The Family Stone, Nina Simone et tous les autres qui vont arriver avec le fleuve qui suit. Pourquoi ce film tourné en 1969 ne sort que maintenant ? Pris d’une nouvelle crise de rire, Ahmir Questlove Thompson se roule par terre et répond que «ça n’intéressait PERSONNE». Les 47 bobines ont moisi dans une cave pendant 50 ans ! Alors pour Questlove, c’est devenu une quête : faire restaurer tout ça, image par image, monter le docu, bien le politiser pour re-situer le contexte social de l’époque et, petite cerise sur le gâtö, faire court. T’as compris, Questlove, faire court ! Oui missié, faire court. Oui missié, cueillir coton. Oui missié, écraser banane. Pauv’ nègre faire court.

             — Ferme ta gueule et fais court !

             Descendue du ciel, Nina Simone vole au secours de Questlove :

             — Are you ready to kill ?

             — Yeah ! fait la foule.

             — Are you ready to smash everything white ?

             — Yeah ! fait le peuple noir.

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             Et Nina danse pour la foule, reine africaine en robe jaune, elle danse l’appel à l’émeute symbolique, Nina prophétesse prépondérante, Nina conscience ondulante de l’ombilic noir, Nina colère noire, Nina nie l’oppression, Nina nique ta mère white, Nina no no no, Nina nec plus ultraïque, Nina ain’t got no home, Nina ain’t got no shoes, Nina ain’t got no money, Nina ain’t got no mother, Nina ain’t got no father, Nina ain’t got no brother, Nina ain’t got no life, Nina lâche le Backlash Blues - Mister Backlash sent my only son to Vietnam - Nina’s voice between hope and mourning, Nina sculpturale, Nina fight the power, Nina en guerre, Nina X comme Malcolm, Nina reine de toutes les lubies de Nubie et de tous les ébats de Saba, Nina sabbatique de sémantique émotive, et puis t’as Sly, Sly in the sky, Gonna Take You Higher, avec Sister Rose en perruque blanche qui jerke du cul et des seins, Sainte Marie mère de Rose pleine de sexe, et Cynthia Robinson qui sonne la charge d’un coup de clairon, encore plus wild qu’au Woodstock blanc, et tu as Brother Freddie qui gratte ses poux seigneuriaux tout de jaune vêtu, Higher !, clament les blacks, Higher clamait jadis le messie - mais si - Yves Sweet Punk Adrien, heaven black and white hell, prodigieuse inversion des critères, tu as tout ça dans le Woodstock noir, et bien plus encore. C’est un jaillissement contant d’émotion, de grandeur, de combat, d’intelligence et de légendarité. Ça n’arrête pas.

             Roger Gilbert Questlove sort le Grand Jeu : défilés de Black Panthers, courtes séquences, shoots de shootes, et puis toujours les mêmes images de chiens fous lâchés sur les manifestants noirs dans la rue, le même images des Strange Fruit qu’on voit aussi dans le docu sur Billie Holiday, nègres pendus devant un parterre de spectateurs blancs fiers de leur racisme homicide, et puis tu as cette scène mirifique tournée dans une école noire : la maîtresse brandit un très grand portrait et demande aux petits :

             — Who is this ?

             Les gosses braillent :

             — Huey Newton !

             — Where is he ?

             — In prison !

             — Who put him there ?

             — Pigs !

             La clameur des voix d’enfants transcende tout le discours sur le racisme. Pigs ! Les porcs. C’est toujours d’actualité. D’un côté la lutte (perdue d’avance), et de l’autre côté l’art (gagné d’avance). Sonny Sharrock en costard jaune vif, Max Roach et son beurre du diable, Max Roach et sa poule Abbey Lincoln, beautiful and dynamic - Black is beautiful - Mille fois gagné d’avance, Hugh Masekala qui a fui l’Apartheid, Grazing In The Grass, la trompette d’Hugh lutte contre l’Apartheid, mais c’est Nelson Mandela qui va remporter cette bataille perdue d’avance, rien ne pourra jamais vaincre le pire fléau de l’histoire de l’humanité, le racisme et ses trois mamelles, l’esclavage, le colonialisme et la solution finale. Hugh, Nina, Max, Sly ont l’art, les racistes ont le pouvoir, alors Questlove lutte à sa façon. Il utilise la dialectique de Trotsky face au despotisme blanc. Comme l’homme vient tout juste d’atterrir sur la lune et que l’Amérique blanche trouve ça génial, Questlove tend son micro à quelques super-blackos. Il leur demande ce qu’ils pensent de cette histoire d’homme qui a marché sur la lune. Un premier blackos en colère et plein de bon sens s’écrie : «What’s up on the moon? Nothing!». Il a raison, il n’y a que dalle sur la lune. Un autre surenchérit : «Blé gaspillé. Feed the poor black people». Ils ont raison tous ces super-blackos, l’expédition sur la lune coûte des millions de dollars et des gens crèvent de faim en Amérique. Un autre blackos dit les choses différemment : «C’est génial for certain people, but not for the black men in America.» Voilà, les choses sont dites. Rien à cirer de leur fucking premiers pas sur la lune. Un autre en rigole : «Black men want to go to Africa. White men want to go on the moon. I’ll stay in Harlem with the Portoricans and have me some fun.» Et il tire une grande bouffée sur son pétard. La classe ! Et puis tu as un mec très sérieux qui fait face à la caméra et qui déclare : «What the shoot on the moon proves is what America hasn’t got is Soul.»

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             Summer Of Soul est un film dédié au Black Power - 1969 was the year when the negro died and the Black man was born - Stevie Wonder bat le beurre du diable et down from Mississippi, les Chambers Brothers groovent le Mount Morris Park, c’est une infernale succession de superstars, B.B. King costard bleu et gimmicking de la bloblotte, ah il faut voir ce port altier, et ça jerke à la suite avec The 5th Dimension, les trois mecs au milieu encadrés par les deux blackettes, Let The Sunshine In, Marylin McCoo et Florence LaRue, les plus bandantes de toutes les blackettes du Summer, hipshake de taille basse, elles font monter des black teenagers pour jerker avec elles, c’est inespéré de voir des artistes de cette qualité dans leur contexte, et ça monte encore d’un cran avec les Edwin Hawkins Singers - When Jesus wash’d/ Oooh when Jesus wash’d - et boom ça explose en plein ciel, he wash’d all my sins away, tu ne battras jamais l’«Oh Happy Day» à la course, c’est l’emprise du Black Power sur la terre, la victoire totale de l’art, et tu vois la foule, des centaines de milliers de blacks taper des mains, alors tu comprends que l’art tue la mort, que l’art tue les racistes, mais tu n’es pas arrivé au bout de tes émotions, car les Staples Singers radinent leur fraise, les trois frangines groovent le big gospel batch de Pops ! Papa pride ! Mavis commente les images - Papa you play the blues on the guitah ! - On voit grimper sur scène d’autres groupes de gospel encore plus demented, Clara Walker & The Gospel Redeemers, la transe, la pure transe ancestrale, et puis voilà la reine du genre, Mahalia Jackson. Un blackos commente : «Quand on souffrait à cause de la tension, on n’allait pas voir de psy, mais on savait tous qui était Mahalia Jackson». Et là ça reprend une prodigieuse tournure politique, avec le Révérend Jesse Jackson et sa guerre perdue d’avance. Il demande à Mahalia Jackson de chanter «Precious Lord», la chanson préférée du Doctor King, exécuté un an avant. Jesse Jackson relate la scène qui s’est déroulée en avril 1968 à Memphis : «Le Dr King a demandé à Ben Branch de jouer Precious Lord, il s’est levé et bang !» Jesse entre dans les détails macabres : «Épine dorsale sectionnée et moitié du visage emportée». Alors Mahalia claque des dents et entre en transe, elle se coince la glotte sur l’I-I-I-I-I-I-I et Mavis vole à son secours à coups de guttural. Elles sont bestiales toutes les deux, divinement bestiales. Mavis commente les images pour Questlove et déclare : «That was the time of my life», c’est-à-dire le moment le plus important de sa vie. «Ce fut un honneur que de partager le micro avec Mahalia Jackson. She’s the greatest !». Voilà encore un greatest : Motown débarque à Harlem avec David Ruffin - He’s a tall dark superstar - Et David attaque au I’ve got sunshine on a cloudy day - Les blackos dans la foule se marrent de bonheur. Tu en vois même un grimpé très haut dans un arbre, David le voit danser là-haut, alors il se marre - It’s my girl - Et il yodelle un océan de classe. Arrivent à la suite Gladys Knight & The Pips. Pareil, il faut avoir vu ce plan si on ne veut pas mourir idiot : les Pips te jerkent Harlem à l’ancienne, dans leurs costards crème, c’est le jerk des princes de la rue, et la foule danse, tu ne verras ça qu’à Harlem, une foule danser le jerk. Gladys tape ça au raw, elle a des grosses cuisses, mais c’est Gladys superstar, after all, l’autre Queen of Soul. S’ensuivent Sly avec «Everyday People», Mongo Santamaria, un chouchou de Jean-Yves (hello Jean-Yves), et Ray Baretto qu’il faudrait écouter davantage.

    Signé : Cazengler, Summer of soulard

    Ahmir Questlove Thompson. Summer Of Soul. DVD 2022

     

     

    L’avenir du rock   

    Easy Gyasi

     

             Chaque année, l’avenir du rock et Pollux se retrouvent dans un petit restaurant cosy de la côte d’opale.

             — Nous célébrons aujourd’hui les cinquante ans de notre rencontre, mon cher Pollux.

             — Ainsi Va Va Va Voom, avenir chéri !

             — Ah Pollux, comme il était bon le temps où tu me servais des curaçaos bleus...

             Pollux était barman dans une boîte un peu spéciale, située elle aussi sur la côte d’opale. L’avenir du rock y traînait parfois le vendredi soir. L’endroit était essentiellement un cabaret où se produisaient des traves extrêmement brillants, et un disc-jockey assurait les intermittences avec un choix extrêmement pointu de disques glam, allant de Brett Smiley à Kevin Ayers, en passant par «Blockbuster», «Get It On» et «All The Madmen». Pollux était l’incarnation de la générosité. Quand l’avenir du rock lui demandait un verre, Pollux le lui offrait.

             — Wham bam thank you mam !

             Pollux était alors un homme d’âge mûr, au regard à la fois tendre et rieur, il émanait de lui un charme métaphysique, il portait le cheveu court et frisé, et son début d’embonpoint lui donnait un faux air napoléonien.

             — Diable comme ton parfum sentait bon.

             — Habanita de Molinard...

             — C’est drôle, tu acceptais rarement de danser.

             — Je veillais tout simplement à la salubrité de mon pauvre cœur déjà mille fois brisé, avenir chéri. C’est pourquoi je préfère les invitations à dîner, car la table permet de tenir ses distances.

             — Ce que j’apprécie le plus chez toi, Pollux, c’est ta légèreté. Tu ne prends jamais rien au sérieux.

             — Sauf le menu, avenir chéri. As-tu déjà fait ton choix ?

             — Oh oui... Salade de Gyasi !

     

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             Lui, il a tout compris. Gyasi, il ne vit que pour ça, c’est-à-dire le glam. Il est l’incarnation de l’éternel retour, il est le serpent qui se mord la queue, il s’auto-transmute et transmute en même temps le plomb de Binic en or glam. Il semble tomber du ciel dans cette prog australienne, il est la dernière tête d’affiche d’une vieille lignée, c’est même inespéré de voir arriver ce mec sur scène, au sound check, vêtu d’un déshabillé noir transparent et d’un pantalon pattes d’eph en satin noir. Il gratte une Les Paul, il est maquillé et, bien sûr, il porte du rouge à lèvres.

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    Il va revenir le soir serré dans un jumpsuit glitter, les paupières et les lèvres peintes en rouge, avec aux pieds des platform boots rouges dont les talons sont encore plus hauts que ceux de Pete Overend Watts. Comme si c’était possible ! Bim bam boom, wham bam thank you mam, c’est parti pour une heure de glam, une heure de fraîcheur dans cette prog de bourre-et-bourre et ratatam.

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    Quelques grammes de finesse dans un monde de brutes, disait une pub qu’on voyait à une époque au cinéma. Le glam fut un monde magique parce qu’éphémère, aussi éphémère que Brian Jones et les Pistols.

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             Alors Gyasi, dont personne ne sait prononcer correctement le nom, vient d’Amérique pour ressusciter le glam le temps d’un concert, et là, tu dis oui, car il le fait parfaitement bien. Easy Gyasi, il collectionne tous les clichés de ce genre éculé par tant d’abus. Il rend hommage à ses pairs, à Ziggy et à Marc Bolan, on le sent complètement investi, il a étudié le glam au microscope, c’est Mick Ronson qu’on a sous les yeux, alors pour tous les fans de Ronno et du temps des Spiders From Mars, c’est le paradis. C’est une sorte d’apothéose de l’apoplexie maniérée, c’est le full bloom du Blockbuster, on oublie le temps d’un set le cauchemar des mauvais groupes punk qu’il a fallu supporter la veille et l’avant-veille, pour renouer avec ce qui fut autrefois la tradition «du Binic», comme disent les gens, c’est-à-dire la tradition des vraies têtes d’affiche. Remember Kid Congo, les Sonics ou encore les Oblivians.

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    Gyasi porte cette responsabilité et il la porte bien. Il fait le show. Tu en as pour tes vingt zeuros, comme dit la Miche. T’es content d’être là, une fois de plus. L’air vibre. Ça grouille de vibes. Binic reprend enfin son allure de fête païenne. Retour au temps des communions. Gyasi n’a pas la voix de Bowie, il se contente juste de faire le Ronno. Rappelle-toi, Ronno grattait une Les Paul. Gyasi tente d’imposer sa vision du glam. Il ne manque pas grand-chose. Manque d’exubérance ? Non, il n’est pas assez anglais. Trop américain. Les seuls glamsters américains furent les Sparks d’A Woofer In Tweeter’s Clothing. La décadence reste le privilège des Britanniques. Ziggy Stardust est impossible en Amérique. Peter Perrett itou. Mais bon, Gyasi tente le coup. Il doit fournir deux fois plus d’efforts pour asseoir sa crédibilité et il le fait sans que ça apparaisse. Il impose une sorte de respect. Il joue le jeu artistique. Et ça marche, tout au moins pour un soir. Et quel beau soir. Avec Cash Savage, il sauve le festival. La seule reprise qu’il fait est une espèce de medley farci de «Waiting For The Man».  

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             Le deuxième album de Gyasi s’appelle Pronounced Jah-See. Au moins comme ça, on saura comment ça se prononce. À Binic, personne ne savait dire son nom.

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    L’album sort sur l’excellent label de Patrick Boissel, Alive Naturalsound. On y trouve un coup de génie, «Feed Your Face». Il plombe son power extrême à coups d’ohh ahh ahh. C’est monstrueux. Ce mec a tout compris, il rocke son ohh ahh ahh qui est l’essence même du glam et le torpille d’un coup de killer solo flash déflagrateur. Gyasi est un magnifique rock’n’roll animal qui cavale à la surface du glam, un mythe déjà ancien. Et s’il lui prenait l’envie de ressusciter Ziggy Stardust ? C’est à portée de main, même s’il n’a pas la voix de Ziggy. Mais il opte pour le parti-pris explosif. Il ramène tout le ramdam dans son glam, comme le montre le «Burn it Down» d’ouverture de bal. Il en pince pour les bombes atomiques. Il ressort le veux glam stomp pour honorer non pas Honorama, mais «Tongue Tied». Il fait du glam américain, qui n’a pas la flavour anglaise. Le stomp est là, mais c’est tout. «Androgyne» pourrait bien être le cut le plus intéressant de l’album. Car il dispose d’une réelle dimension artistique. Gyasi semble claquer sa pop sur la couverture des magazines, le solo de slide trouble la surface du glam. N’oublions pas que Gyasi vit à Nashville. Il ramène des cuivres dans «Blackstrap» et il repart en mode wild rockalama avec «All Messed Up». Il y va au full throttle, avec des accents glam, et c’est magnifique, tout au moins pour l’amateur de glam. Avec «Little Tramp», il se croit sur Hunky Dory et avec «Walk On», il fait du faux Velvet à coups d’acou. Ce magnifique artiste te claque ça encore une fois à la surface. Il fait un mix de «Lust For Life» et de «Get It On» dans «Fast Love». Superbe effet de Perlimpinpin. S’ensuit un retour stupéfiant au glamming glam avec «Kiss Kiss», the thundering stuttin’ glamin’ glamour, il le rocke sous la jupe de la légende, Gyasi est un artiste parfaitement au point, il a des réflexes glam flamboyants, et comme cerise sur le gâtö, il choisit cette fois le solo de sax. Il termine avec le fameux «Sword Fight» qu’il mimait sur scène dans l’espoir d’imiter Ziggy. Il sort le sabre du fourreau dorsal pour combattre la chimère. C’est du big buzz.

    Signé : Cazengler, jaseur

    Gyasi. Binic Folk Blues Festival (22). 30 juillet 2023

    Gyasi. Pronounced Jah-See. Alive Naturalsound Records 2002

     

     

    Inside the goldmine

     Shaking with Linda (Part One)

     

             Baby Lisette ne payait pas de mine. Un long nez en trompette semblait partager son maigre visage en deux parties qu’aplatissaient encore deux lourds paquets de cheveux longs d’une couleur incertaine. Elle coiffait ses cheveux plats comme toutes ces adolescentes incapables de se mettre en valeur. Elle parlait si peu qu’on pouvait la croire demeurée. Elle n’avait pas non plus de couleur d’yeux. Elle n’avait globalement aucune saveur. Mais elle était déjà formée. Elle était l’aînée des trois, suivie d’un frère et d’une petite sœur. La famille recomposée vivait dans une grande baraque. Après le dîner, tout le monde regardait la télé au salon, puis les plus petits allaient se coucher, suivis par le couple d’adultes qui allait forniquer. Et nous nous retrouvions tous les deux au salon avec Baby Lisette, ce qui ne l’effrayait nullement. On restait là jusqu’à la fin des programmes, car à cette époque, la télé s’arrêtait à une certaine heure. Il fallait bien sûr baisser le son pour laisser les autres dormir. Ces fins de soirées à deux devinrent une sorte d’habitude bizarre. Baby Lisette semblait fort bien s’en accommoder. Deux canapés occupaient l’angle du salon, et les premiers soirs, nous en occupions un chacun. Nous gardions nos distances. Puis nous rentrâmes progressivement dans l’ère des possibilités, et elle ne fit aucune objection à une demande en bonne et due forme de rapprochement : «Ça t’embête pas Baby Lisette si je m’assois à côté de toi ?». Elle fit «non non» d’une voix blanche. Il fallait comprendre à travers cette acceptation qu’elle n’attendait que ça. La première pelle ne se fit pas attendre. Elle semblait complètement inévitable. Elle dura une éternité. S’ensuivirent les inspections classiques, auxquelles elle n’opposa pas l’ombre d’une résistance, bien au contraire. On allait de surprise en surprise, Baby Lisette fut sans le moindre doute la plus offerte de toutes ces Asies Mineures de l’adolescence. Elle semblait en outre parfaitement bien connaître les attentes des mâles et savait manipuler un caoutchouc avec dextérité. Elle n’avait plus rien à apprendre. Alors, la curiosité fut la plus forte. Elle répondit aux questions en chuchotant. Oui elle connaissait les hommes. Enfin, un homme... Elle raconta que son père l’avait violée plusieurs fois, mais elle voulut se montrer rassurante en ajoutant qu’elle n’était pas traumatisée, ce qui mit fin aussitôt à votre mésaventure.

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             À l’époque où Baby Lisette se faisait limer par son père, Linda Lewis enregistrait à Londres. Ce n’est pas exactement le même destin. Mais bon, le fait que Baby Lisette ne soit pas traumatisée, c’est une bonne chose, par contre, Linda Lewis peut être traumatisante, au bon sens du terme.

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             Le petit label londonien Troubadour (filiale d’Easy Action) a pris en 2017 une curieuse initiative : consacrer une ravissante petite box à Linda Lewis, Funky Bubbles, pour célébrer 50 ans de carrière. Linda quitta l’école à l’été 1967 pour chanter, le jour où parut Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band. Comme son nom l’indique, Funky Bubbles est une box qui pétille de vie. Signalons au passage que Troubadour propose un catalogue hanté par des fantômes légendaires, de Dave Kusworth à Nikki Sudden, en passant par Judee Sill. Il n’est pas étonnant d’y retrouver Linda Lewis qui vient hélas de casser sa pipe en bois.

             Linda fait partie des artistes qui gagnent grandement à être connues. Comme elle s’appelle Linda Fredericks, on lui demande de prendre un pseudo, alors elle choisit Linda Lewis, en hommage à Barbara Lewis. En 1967, Don Arden la manage, donc elle n’est pas née de la dernière pluie. Elle commence par enregistrer des singles qui vont devenir des classiques de la Northern Soul («You Turned My Bitter Into Sweet»). Puis elle va rejoindre Ferris Wheel, en remplacement de Marsha Hunt. On y revient dans un Part Two.

             Elle va poursuivre son petit bonhomme de chemin solo. On la voit dans le Jackie Lomax Band, puis en studio pour des chœurs sur Aladdin Sane. Dans les années soixante-dix, elle tourne aux États-Unis, seule avec sa gratte et ses chansons.

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             Le disk 5 de la box s’intitule Little Diamonds et propose un concert enregistré au Pall Mall à Boston en 1973. Les cuts sont tirés de ses trois premiers albums, Say No More, Lark et Fathoms Deep. Elle travaille au filet de chat perché sans filet. C’est son apanage. Elle joue des accords de Brazil pur sur un «Spring Song» tiré de Lark, elle semble s’élever au-dessus de la ville. Elle attaque «It’s The Frame» tiré du même album au petit arpège intrinsèque. Linda est une fine guêpe, il ne faut pas la prendre pour une buse. Ce qu’elle propose est extrêmement beau. Elle gratte tout, elle devient attachante, sa pop Soul de sucre candy colle bien au papier. Et puis voilà «Funky Kitchen» tiré de son premier album, Say No More - It’s my contribution to rock’n’roll - Elle gratte les accords de «Proud Mary». Elle recrée l’événement avec «Little Indians», c’est très emblématique, elle semble faire du work in progress. Il faut attendre «Old Smokey» pour revoir ses naseaux frémir, car voilà un puissant groove de jazz liquide. Un mec l’accompagne, sans doute Jim Cregan. Elle termine avec «On The Stage» tiré de Fathoms Deep. Elle t’y éclate l’exotica au paradis du chat perché. Tout est dans la locution : paradis et chat perché. Ça te permet de comprendre que Linda a du génie.

             Dans l’interview qu’elle donne à la box, Linda rappelle qu’elle fut influencée très tôt par Laura Nyro et Joni Mitchell, et qu’elle fut la première black en Angleterre à monter seule sur scène avec une gratte, bien avant Joan Armatrading. Linda commence à écumer les gros festivals de l’époque, Glastonbury et Knebworth. Ça la fait marrer de côtoyer les gros mastodontes comme Sabbath et Deep Purple.

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             Le disk 4 s’intitule First And Last Borne et propose des rarities. On y trouve le fameux premier single, «You Turned My Bitter Into Sweet», pur jus de r’n’b lindaïque, quasi Motown, pur joyau de female are’n’beeee. Il faut aussi la voir tenir le groove à distance dans «When The Lights Go Down», à la seule force du chant. Quelle magnifique artiste, aw comme elle est bonne, bien chaude, là, juste sous le boisseau. Elle est encore en plein Motown avec «Do You Believe In Love». Quel incroyable swagger ! Elle est un tout petit peu plus molle que sur «You Turned My Bitter Into Sweet», mais son chat perché te fend le cœur. La voilà avec Ferris Wheel pour «I Know You Well», une petite bulle pop très curieuse qu’elle achève au chat perché supersonique. Sacrée Linda, elle doit se faire mal à la glotte ! «Don’t Stop Now» date aussi du temps de Ferris Wheel, elle se la coule douce dans l’exotica. Toujours Ferris Wheel pour «Little Indians», elle entre sur le sentier de la guerre à pas feutrés. Dans tous les cas de figure, Linda reste d’une fraîcheur à toute épreuve. Elle gratte ses poux sur «Wise Eye» et fait sa Richie Havens, et avec «It’s The Frame», elle  tape un frame d’arpèges à l’Anglaise. C’est très préraphaélite, elle se montre extrêmement bienveillante, comme si elle grattait les arpèges de la paix sur la terre. Son «What Are You Looking For» est tiré d’une session TV - And it goes like this - La voilà suspendue à un fil. Fantastique Linda ! Elle termine ce brillant disk 4 avec «Light Years Away». Quand elle gratte ses poux, elle devient passionnante. Elle chante au sucre supérieur avec des coups d’acou inflammatoires. Elle s’offre totalement. Alors tu la prends.

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             Le disk 1 s’appelle Latin Quarters et grouille de puces, notamment «Whatever», une merveille de wild exotica. La grande force de Linda, c’est l’élan. Tu vas encore te régaler avec «Our Day Will Come» et «Love Inside», elle s’y fait sa Demoiselle de Rochefort, mais en plus Brazil, c’est dire l’éclat de son génie. Quelle incroyable option ! Elle est pure et dure. Linda n’est pas du tout la Soul Sister qu’on croit, elle en pince pour l’exotica et s’y parfaitement à l’aise, elle propose un mélange ahurissant de Brazil, de jazz et de chat perché juvénile. Un accordéon l’accompagne sur «In The Heat», et «Love Plateau» sonne comme la Soul d’exotica des jours heureux. Tout aussi stupéfiant, voilà un «Born Performer» gorgé d’échos Brazil, elle s’appuie sur une tranquille assurance cornélienne et une incroyable fraîcheur de ton. Aucun pathos chez Linda, elle ne vise aucun sommet, ni Nina Simome ni Aretha, elle est libre comme l’air. Linda, c’est encore autre chose, une forme de génie féminin particulier, son Day Will Come sonne comme un bénédiction dotée d’aura divine, elle tape sa Soul de good time au la la la, c’est assez heartbreaking. Elle se montre aussi très ingénue avec «So Sixties», qu’elle tape au petite sucre impénitent. Elle drive son «Sweet To Do Nothing» au hoo hat !, et son «What’s All This About» est très aérien. Elle a de l’apanage dans les huniers.

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             Le disk 2 va plus sur le funk, et s’appelle donc Funk-eh. Dès «For Love Sake», elle ramène le sucre du paradis. Te voilà propulsé dans une vraie réalité. Tu la vois en équilibre sur un fil, et tu la suis des yeux. Tu ne la perds jamais de vue. Elle tape une pop plus banale, elle cherche sa voie. Elle tâte le terrain du reggae avec «Too Good To Be True», et son beat se charge de grâce. Elle se montre encore une fois infiniment crédible. Elle installe une sorte de real deal avec «He’s A Diamond». Le beat ponctue son génie artistique. Voilà le coup de génie tant attendu : «More Than Enough», elle rôde dans le lagon avec du sucre et des coups d’acou, alors ça reste raw et beau, ça sonne comme du jazz définitif. Puis elle s’en va groover son «Wearing Wings» au paradis. Il n’y a que le paradis qui l’intéresse. Linda a ça en commun avec Joni Mitchell et Laura Nyro. Elle chouchoute son cut à la voix chaude. Elle devient une artiste inexorable, ce mélange de sucre et de groove est assez rare. Elle reste la reine du groove avec «Darlin’ (Groove)». Fascinante blackette. Chaque fois, elle ramène son joli sucre candy. Elle passe enfin au funk avec «Last Call». Si tu mets le nez dans cette box du diable, tu ne pourras plus lui échapper. Ah il faut la voir groover sa chique !

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             Les mecs d’Easy Action ont eu bien raison de sortir cette box, c’est la meilleure des introductions à l’œuvre de Linda Lewis. On sort enchanté du disk 2 et on plonge de plus belle dans le disk 3 qui s’appelle Bubbles. Elle commence par un tour de passe-passe, avec «Sideway Shuffle», heu nah nah ! Elle y va au sucre pur et elle récupère le groove tout en haut, au chat super-perché. Quelle artiste ! Et tu as en prime un gros solo de gratte. Le coup de génie du disk 3 s’appelle «Doin’ The Right Thing». Elle y redevient africaine. Elle te décline carrément le groove avec des incidences vocales ahurissantes. Elle semble dominer le monde. On retrouve à la suite «He’s A Diamond», mais elle le prend plus calypso. L’autre gros shoot d’exotica est l’excellent «(You Are An) Angry Young Man», où elle renoue avec le Brazil. Elle te gratte ça sec. Elle te tape encore «Like I Dance» au petit sucre, elle y va au ouh ouh ouh, accompagnée par un bassmatic et les percus-à-Lulu. Elle dégage un violent parfum de génie exotique. Elle charge son chat perché de sucre et ça devient magique. Elle fais sa Princesse des Sables dans «Mr. Respectable», un gros groove de funk des années de braise, et elle embarque son monde avec «Don’t Come Crying». Elle te chauffe bien ses coups d’acou et ça devient tétanique. Elle t’envahit, et bien sûr, tu adores ça. Linda Lewis aura passé sa vie à taper un petit folk de black Lady au sucre préraphaélite. C’est très spécial, car elle crée de l’émotion en permanence, elle a vu des horizons et a su rester d’une modernité à toute épreuve. 

    Signé : Cazengler, Lindo Music

    Linda Lewis. Disparue le 3 mai 2023

    Linda Lewis. Funky Bubbles. Troubadour/Easy Action 2017

     

    *

    Cinquante ans que je n’ai mis les pieds en cet endroit. Eté 1968, précision pour ceux qui aimeraient poser une plaque pour commémorer cet évènement. Rien n’a changé. Toujours la même rangée de platanes aux larges troncs. Z’à l’époque les pouvoirs publics n’avaient pas encore pris la stupide directive d’émonder leurs vastes houppiers protecteurs, dégarnis de leur chef nos géant paraissent un tantinet ridicules, n’ont gardé que leurs branches maîtresses surmontées de maigres pompons de feuilles, ressemblent ainsi à des bonnets de marins, l’ombre des ramures imposantes n’existe plus… Par contre le kiosque rudimentaire destiné à recevoir les orchestres de balloche n’a pas bougé – oui lors de cette soixante-huittarde soirée oubliable de la fête du village je fus victime de nombreux râteaux, la gent féminine est parfois rétive aux propositions les plus désintéressées - aucun musicos ne l’occupe aujourd’hui, je suis pourtant venu là pour écouter toute la musique que j’aime.

    JUKE JOINTS BAND

    RIEUX DE PELLEPORT ( 09 )

    ( 23 / 07 / 2022 )

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    Pas du tout un hasard, cette rencontre inopinée de la veille avec Chris Papin qui nous informe qu’il joue le lendemain à 12 Heures 30 pour le Comité des Fêtes de Rieux De Pelleport. Les conjonctions astrales sont formelles je ne saurais villégiaturer en Ariège ne serait-ce que quelques jours sans assister à un concert du Juke Joints Band. Les fidèles Kr’tnt readers seront heureux de savoir que malgré le Covid et la vente de la maison familiale nous renouons avec cette heureuse tradition.

    Public choisi, pratiquement que les membres de l’Association,  ambiance familiale et sympathique, le repas sera généreusement offert à tous, la prestation de l’année précédente du  JJB ayant satisfait les amateurs, le groupe a été de nouveau choisi pour apporter sa touche musicale à cette festive après-midi. Le premier set, ne tarde pas à débuter. La chaleur est horrible,  sous le large barnum, protégé du soleil et rafraichi par un courant d’air nous sommes les rois.

    Pour cette fois-ci nous avons droit à la formation fondatrice du JJB, si mes souvenirs ne m’égarent lors du dernier concert que nous avons relaté, voici plus de deux c’était le JJB Quartet, donc ce coup-ci le duo, uniquement Ben  Jacobacci  et Chris Papin. Guitare et chant. L’essence du blues.

    Ben juché sur son perchoir, n’importe qui aurait du mal a garder son équilibre sur ce fragile et inconfortable quadrupède de bois, mais lui l’est aussi à l’aise que Jules César sur sa chaise curule, non il n’est pas engoncé dans une toge, se contente d’arborer un T-shirt Led Zeppelin, l’a posé son électro-acoustique sur le giron de son jean, et puis c’est tout. Ne bouge plus. L’on sent qu’il est capable de rester comme cela durant des mois. L’est dans son élément. L’a atteint son nirvana, n’a plus besoin de rien, très logiquement il ne fait rien. Enfin presque. L’est trahi par ses doigts. Sont atteints d’une terrible bougeotte. Très vite vous ne voyez qu’eux. S’activent salement. Non sur sa quenouille il ne file pas la note bleue, ne la tisse pas lentement durant des minutes, il ne la fait pas éclore au dernier moment pour vous l’exhiber fièrement alors que vous ne croyiez plus à sa venue et que vos oreilles la regardent avec l’étonnement d’une poule qui ne sait plus si elle n’est pas sortie de l’œuf qu’elle vient de pondre. Non, Ben a la note bleue luxuriante, vous en jette des centaines par poignées, mais d’où les sort-il, l’est infatigable, pire que Radio-Andorre,  quand il n’y en a plus il en a encore, elles se bousculent sous ses doigts, elles s’échappent, des rivières qui débordent et emportent toute votre adhésion sur leurs passages. Elles ne prennent pas la peine de ralentir lorsque sur certaines cascades virevoltantes, elles suscitent des applaudissements. Faut avoir une sacrée maîtrise mentale pour ne pas perdre le riff dans ce torrent impétueux.

    Avec un tel musicien à vos côtés pas besoin de tenir des maracas ou tout autre babiole sonore dans ses mains pour vous donner une contenance ou faire du bruit pour combler les interstices. Chris Papin ne semble pas atteint d’angoisses métaphysiques, genre le gars pénardos qui se trouve là parce qu’il a poussé la porte et qui ne semble pas du tout étonné de ce qui lui arrive. L’est vrai qu’il possède une arme secrète. Lui suffit d’ouvrir la bouche pour vaincre sans combattre. N’a pas terminé son premier couplet que des exclamations fusent pour saluer ce vocal qui vous passe les esgourdes à la toile émeri (  émérite aussi ). C’est une grande injustice, c’est quoi le blues ? C’est la voix de Chris. Le timbre de celui qui a beaucoup vécu, qui a tout connu, qui a tout surmonté, cinq pour cent de souffrance, cinq pour cent d’amertume et quatre-vingt-dix pour cent de courage de vivre, malgré tout, envers et contre tout. Le mec ne vous dit pas que la vie est belle, vous rappelle qu’elle vous cabosse sans pitié avec en prime ce fond de gorge goguenarde qui vous pousse à en redemander, car si rien n’est plus atroce que cette salope, rien n’est aussi bandant non plus.

    Vous ai montré le premier, vous avez vu le deuxième, reste à vous croquer le troisième. Oui un duo est composé de deux personnes, mais il ne s’agit pas d’oublier la troisième. La plus importante. Meilleure que Ben, supérieure à Chris. C’est l’ensemble, la complicité qui les unit et les réunit. Chacun sait où l’autre veut aller, échangent un coup d’œil et c’est parti, ou Ben se lance non pas dans un solo mais dans un multiplex de trilles éblouissantes ou Chris éructe la rouille de son larynx dans les synapses de votre cerveau et s’amuse à jouer au Monsieur Déloyal qui fait exprès de laisser échapper le serpent du blues de la corbeille de son histoire pour que sentiez les anneaux froids du reptile bleu enserrer votre corps. Une morsure dont vous porterez la cicatrice jusqu’à la fin de votre existence.

    JJB, la magie bleue, vous a encore joué un tour à sa façon.

    Damie Chad

     

    *

    J’ai l’habitude de partir tout nu en vacances et de me nourrir des occasions qui s’offrent à moi, jeunes filles ne rêvez pas, je veux simplement dire que je n’emporte aucun livre avec moi, me contentant de récupérer de-ci de-là dans les brocantes ou les librairies les ouvrages que le hasard facétieux glisse sous mes yeux avides.

    JOHNNY, LE REBELLE AMOUREUX

    BERNARD VIOLET

    ( J’ai Lu / 2003 )

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                Pas étonnant que je dégote un bouquin de Johnny, sa disparition a occasionné une montagne d’écrits divers. Premier livre qui me tombe sous la main au premier jour de mes pérégrinations, plus de cinq cents pages, de quoi étancher ma soif de lecture nocturne. Bernard Violet journaliste de profession a publié une vingtaine de biographies consacrées à des sommités nationales bien aimées du public, de L’abbé Pierre à Mylène Farmer… Une petite préférence pour Johnny puisqu’il a aussi signé un Johnny Hallyday, Pour les nuits en 2012 et Johnny et Sylvie en 2008.

             Première impression d’ensemble, l’on parle peu de Johnny dans toutes ces pages. Entendons-nous, le projecteur braqué sur l’idole ne le quitte pas d’une seconde, toutefois les amateurs de musique restent sur leur faim, si tous les enregistrements, tous les spectacles sont fidèlement répertoriés et évoqués le but de Bernard Violet n’est pas d’analyser l’évolution musicale de Johnny, il y aurait par exemple tant à dire ne serait-ce que sur le choix de ses adaptations, notre biographe tend plutôt à décrire la tornade existentielle hallydéenne, à entraîner le lecteur dans une course contre la montre et contre la mort.

             C’est Mao Tsé Toung qui disait que lorsque la révolution n’avance pas, elle recule. Ce parti-pris synergique qui emprunte beaucoup aux principes thermodynamiques de Carnot semble avoir été établi pour comprendre comment Hallyday s’est lancé à corps perdu dans une surenchère spectaculaire basée sur une idée simple : faire à chaque fois, plus fort, plus grand, plus étonnant.  Johnny ne sait pas faire dans le petit, même ses échecs devaient être magistraux, la critique l’a éreinté, souvent avec raison, notamment pour ses premiers films, il a survécu, l’est passé sous les pluies de balles assassines, l’en a acquis le titre de survivant, de phénix indestructible, de rafiot insubmersible. Il arrive un moment où l’image prime sur la réalité des choses et le mythe sur le monde.

             La première partie du livre est la plus passionnante, celle qui raconte l’enfance de Johnny, le père, la mère, Desta, Lee, tout cela est connu, mais Violet sait la conter avec minutie, Johnny revient… de loin. Enfant de la balle et vaches enragées, tournées incessantes, numéros de music-hall, comme ces années cinquante nous paraissent sombres et glauques… vies d’artistes sans paillettes.

             Johnny amoureux ? Johnny fut-il un grand amoureux ? Le succès venant les filles se succèdent à vitesse grand V, survient l’imbroglio Johnny-Sylvie, si subtilement analysé dans  SylvieJohnny LoveStory de Marie Desjardins ( Voir notre livraison 442 du 12 / 12 / 2019) sans doute ne faut-il pas confondre le mythe chrétien de l’Amour Absolu avec la Multiplicité du Désir païen… Sans conteste Johnny fut un grand désirant ! La deuxième moitié du livre se perd un peu trop dans le catalogue des nombreuses conquêtes de l’idole, serait-ce la jalousie qui me pousse à employer le terme de monotonie !

             Johnny rebelle ? Le vocable est séduisant. A l’origine le mot rebelle désignait celui qui entrait en guerre contre un pouvoir quelconque. Soyons plus précis : qui prenait les armes. Le rock’n’roll est une musique rebelle. Oui, mais ma guitare n’est pas un fusil. Le rebelle d’aujourd’hui se munit d’armes moins létales. Il critique, il adopte une attitude qui montre haut et fort que l’on est en total désaccord avec le système dans lequel on vit. Au mieux il retourne le fusil qu’il n’a pas contre lui-même, au pire il sert de soupape de sécurité au système coercitif… dans le premier cas l’on est victime de son propre nihilisme, dans le deuxième d’une manipulation dont on essaie, avec plus ou moins de réussite, de ne pas prendre conscience, oscillant ainsi entre cynisme et (fausse) naïveté.

             Si le succès fulgurant de Johnny au début des années soixante fut le révélateur des appétits vitaux d’une jeunesse écrasée sous le boisseau des convenances sociales, le temps venant (très vite) il fallut à notre idole rentrer dans le rang, porter un costume sur scène et faire son armée comme tout le monde. Puis s’adapter à l’évolution musicale d’outre-Manche et Atlantique… C’était cela ou disparaître. Le rebelle fit des compromissions. En tant que rocker il avait la caution morale d’Elvis… Ne jetons pas la pierre à Johnny, nous sommes tous des rebelles compromis. A des degrés divers peut-être, être un perdant magnifique n’est pas donné à tout un à chacun, justement parce que souvent l’on a rien à perdre. Rien à défendre.    

              Pour écrire son livre, qui n’est pas une biographie autorisée, Bernard Violet a à plusieurs reprises discuté avec Johnny, notamment sur ses prises de position politique. Qu’il ait été utilisé Johnny n’en est pas dupe, il le reconnaît sans détours, il fait la différence entre ce qu’il a fait par estime envers certains, notamment Chirac, et ce qui ressort de raisons davantage opportunistes…   

             Ce qui est étrange à la lecture de ce livre composé en 2002, c’est que nous le lisons avec cette impression de savoir la fin de l’histoire que Bernard Violet n’était pas en mesure évidemment de connaître, nous pouvons dire qu’elle s’inscrit dans le droit fil de la trajectoire racontée par Violet, ce qui prouve que l’auteur a tracé un portrait assez fidèle du personnage Hallyday. La morale de cette fable existentielle s’avère facile à comprendre : jusqu’à la fin Johnny a su rester fidèle à Hallyday.

             Essayez d’en faire autant jusqu’à votre mort. Après l’on en discutera.

    Damie Chad.

     

                                                     *     

               Pour le second ouvrage nous changeons de crèmerie. Ici pas d’étalage à même le trottoir, une véritable boutique, la seule librairie digne de ce nom de Pamiers, ma ville natale, ancienne capitale de la tribu gauloise des Tectosages, elle fut fondée voici une quarantaine d’années par Jean-Phi un de mes amis, elle porte un nom qui fleure bon les seventies, Le Bleu du Ciel en l’honneur de Georges Bataille. Preuve symbolique qu’il existe une guerre littéraire. Elle a changé plusieurs fois de mains, la population appaméenne, comme partout ailleurs, lit de moins en moins, signe et résultat de la grande occultarisation voulue depuis des lustres par nos dirigeants aux ordres des industriels de la diversification standardisée des produits de consommation dite culturelle…

              Nouveau propriétaire, nouvelle librairie. Certains la trouveront engagée, je lui attribuerais plutôt le titre d’orientée. Un choix de livres qui incite à réfléchir et à développer son esprit critique. Aucune complaisance envers l’idéologie libérale. Ce n’est donc pas un hasard si ma main s’est figée sur le titre suivant.

    ROCKERS

    MIRIANA MISLOVTHIERRY GUITARD

    ( Les Fondeurs de Briques / Mai 2023 )

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               C’est une chose de savoir qu’un livre existe, c’en est une autre que de le tenir entre ses mains. J’avais reçu sur la boîte postale l’avis de parution du book. Intéressant, tentant, mais il existe tellement de bons livres que je n’ai pas encore lus, l’est comme les filles qui enfilent leur plus belle robe pour vous séduire, de la belle ouvrage, comment résister au bleu céruléen de la couverture et à l’épaisseur de cette couvrante, au moins cinq millimètres qui appellent à la caresse et à la possession. Ou à la soumission.  

              Et ce titre, oriflamme rougeoyante, manifestement choisi pour me faire réagir, Rockers, un mot qui ne veut rien dire et qui exprime le tout de ce que l’on ne peut définir en sa totalité, tout comme le terme océan semble un écran jeté à la surface de la mer (toujours recommencée) pour nous faire oublier les gouffres abyssaux des profondeurs qu’il cèle et recèle.

               Se sont mis à deux. La première a tenu la plume, le second a peint selon les empennages réalisés. Un livre de compagnonnage, ne se quittent plus depuis des années, elle écrit, il dessine. Les amateurs de rock le connaissent il a illustré des dizaines de livres d’esprit ‘’ rock’’ au sens large du terme, de Philippe Manœuvre à Jack London, dessiné des pochettes de disques, Liminanas et Parabellum par exemple, publié dans Rock’n’Folk… il écrit aussi. Mon ordinateur, le grand surveillant Big Brother, m’indique que j’ai déjà voici plusieurs années cherché des renseignements sur Miriana, je suis incapable de me remémorer pourquoi. Peut-être sur le fanzine La Pieuvre qu’elle a fondée avec Thierry Guitard. D’origine yougoslave elle a dénoncé la guerre qui a démembré ce pays et semble s’être spécialisée dans l’écriture de scénarii pour bande-dessinées et cinéma.

               Il y a rockers et rockers, fans ou artistes, il faut choisir. Le livre est sans équivoque. Uniquement musiciens et chanteurs. Des deux sexes. Peut-être même du troisième et du quatrième. Voire le cinquième.  Bref cent soixante-dix pages de textes, beaucoup moins si l’on retranche les nombreuses illustrations sur lesquelles nous reviendrons.

               Cent cinquante pages pour raconter l’histoire du rock de ses débuts à aujourd’hui, le pari serait insensé, Miriana Mislov ne s’est pas aventurée dans une telle gageure, ce qu’elle raconte par l’entremise de titres paraboliques c’est une certaine histoire du rock ‘n’ roll, celle qui lui tient à cœur, sa vision idéale du rock ‘n’ roll en quelque sorte. Si vous voulez effacer ce qui vous déplaît il suffit de n’en point jacter. Ne jetez pas la pierre à Miriana, nous fonctionnons tous comme elle. Tout comme Saint John Perse, avec moins de talents, nous tressons en guise de couronnes de lauriers des Eloges, pas nécessairement funèbres, en hommage à ceux que nous élisons car ils nous décrivent en creux ou en ronde-cabossée bien mieux que les autoportraits maladroits que nous pourrions tracer de nous-mêmes. De nous-m’aime.

              Il faut un début à tout. Ce sera donc Ruth Brown. Désolé ce n’est pas Elvis. Non seulement Ruth apparaît en tête de file mais elle bénéficie du plus grand nombre de pages dévolues à n’importe quel autre artiste. Il est vrai que Miriana ne cache pas qu’elle s’appuie sur une large documentation, la biographie de la chanteuse rédigée par Lorie Silke. Le choix est aussi idéologique. Le rock ‘n’roll n’est pas une création de petits blancs, il a été inventé, initié serait plus juste, par les noirs. Muddy Waters expliquera plus tard que l’on a fait dans le dos un bâtard au rhythm and blues que l’on a appelé le rock ‘n’roll.  Féminisme ambiant oblige, c’est tout un symbole de mettre une femme en tête de l’ouvrage, d’autant plus que la pauvre Ruth a été victime du machisme de ses maris. Noirs ou blancs les hommes seraient-ils donc égaux ! En tout cas, question royalties les noirs mâles ou femelles ont été traitées à égalité.

               L’on n’attendait pas le deuxième de la liste. Lonnie Donegan, le roi du British Skiffle. L’est vrai que Rock Island Line est sorti en 1954, que Donegan est né quatre ans avant Elvis, qu’il inspira bien des apprentis musiciens boutonneux de Grande-Bretagne et que l’on peut lui décerner sans conteste le titre de Grand-père du British Blues et du British Rock, mais n’est-ce pas aussi l’arbre qui cache la forêt, d’abord parce que la moitié de la chronique est consacrée à Leadbelly qui enregistra ce morceau en premier et surtout l’impasse sur les grands groupes de rock anglais, des Beatles à Led Zeppelin, même s’il est certain qu’il est inutile de rajouter quelques feuillets à leur gloire. La suite le prouve, nous retournons au rock ‘n’ roll des pionniers américains. Little Richard et Esquerita, il est dommage que l’on n’ait pas rajouté Larry Williams, si le temps vous est compté qu’il ne vous reste plus que trois minutes à vivre lisez de préférence Esquerita, un des portraits les plus réussis du livre. Sont suivis par Leiber et Stoller, le Cat Zengler nous a déjà profilé ces deux zigotos-kings avec le brio que l’on connaît.

              Suit un oublié inoubliable Sanford Clark, l’on commence à comprendre comment fonctionne le bouquin, The fool de Sandford est aussi l’occasion d’évoquer le guitariste Al Casey et le producteur Lee Hazlewood, tout comme le duo Leiber et Stoller nous a fait entrevoir Big Mama Thorton, Elvis Presley, Martha and The Vandellas les Shangri-las. Destins croisés du rock’n’roll.

              Attention retour au rock blanc et pas des moindres, deux héros au destin brisé, Vince Taylor et Eddie Cochran. J’en profite pour ronchonner, s’il y a un grand absent dans ce book, c’est Gene Vincent, cité à plusieurs reprises mais pas honoré d’un chapitre entier. Le livre semble vouloir faire la part belle aux feux de paille du rock’n’roll, aux seconds voire troisième couteaux du rock’n’roll, s’il est un suprême canard boiteux du rock’n’roll, plus que tout autre Gene mérite la première place. Que les américains lui ont déniée. Que l’Europe lui a reconnue.

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              John Leyton fut acteur et chanteur, son Johnny Remember Me sonne davantage country que rock ‘n’roll il est surtout pour Miriana l’occasion de revenir sur le producteur Joe Meek et sa fin particulièrement sanglante. L’est précédé d’un titre légendaire et déjanté, le Love Me de The Phamton. Le véritable fantôme d’un opéra-rock qui n’alla pas plus loin que la scène 1 d’un premier acte inachevé.

             Un autre personnage de légende qui n’est pas encore morte, Jackie De Shannon elle fut amie avec Sharon Sheeley la copine d’Eddie Cochran, le rock ‘n’roll est un labyrinthe dont les galeries s’entrecroisent et s’entrecoupent sans fin, est-ce une surprise si nous trouvons à ses côtés le mirocktaure appelé les Beatles.

               Retour à la case de départ, les malheureuses amours de Ronnie Spector victime de la folie paranoïaque de son vilain mari, le génial producteur qui lui donna pas mal de Phil à retordre.

              Attention une page sur You Really Got me des Kinks, c’est un peu comme si l’on réduisait William Butler Yeats à son poème The Wild Swans at Coole… Voici les Who, une tendresse particulière pour Keith Moon u batteur fracassant néanmoins un être fragile et sensible… Suivent deux groupes qui à leur manière étaient trop : The Sonics et The Monks. Ils encadrent le plus fou des enrages, à moins que ce ne soit le plus enragé des plus fous, sa majesté Asil Hadkins. Le rock serait-il une musique déviante ?

              Deux jokers imbattables pour les deux chapitres suivants : MC5 et The Stooges. Rock politique et métaphysique. Les deux serpents de mer du rock ‘n’ roll qui ont vraiment existé. Que voulez-vous, si vous vous ne croyez pas aux malédictions ou aux fléaux de Dieu lancés sur la terre pour perturber les esprits des jeunes générations, nous ne pouvons rien pour vous.

              Nous arrivons dans les dernières pages de cette violente saga, un chapitre pour détricoter les rapports extrêmement fricotés de Dee Dee Ramone et Johnny Thunders. Thunders que l’on retrouve plus loin avec la foudroyance langoureuse de Patti Palladin.

              Comment terminer après de telles pointures, les Buzzcocks on veut bien, The Clash l’on n’en veut guère, heureusement que l’on en profite pour entrevoir les Pistols.

             Dans l’avant-dernière livraison, c’est un peu comme sur la fin des marchés quand on liquide un cageot de dix kilos d’abricots pour le prix de trois. Understones, Stiff Little Finger, The Outcasts, le deal est plus qu’intéressant.

             L’on termine avec un groupe apparu voici depuis plus de vingt ans, à croire que le rock n’aurait pas survécu à l’arrivée du troisième millénaire. A l’origine groupe familial, le père, la mère et les trois enfants, viennent de Londres, cette formation simili bluegrass qui se produit souvent en acoustique est un peu comme le serpent qui se mord la queue jamais nommée le long du livre, celle des roots, du country, du folk de tout ce que vous voulez, un retour aux sources, au commencement…

               Miriana vous tire la langue. Celle du serpent du rock ‘n’roll qui vous fascine, bien entendu. Il existe de grandes accointances entre le contenu de ce livre et le contenu de notre blogue. Son format nécessairement réduit ne saurait être comparé aux milliers de pages de nos 609 livraisons, mais tout comme chez nous dans Rockers s’exprime une certaine idée du rock’n’roll. Pas nécessairement la même mais un dessein.  Et aussi des dessins, Thierry Guitard et notre Cat Zengler ont des points communs, la ligne claire zenglerienne est davantage fidèle à la représentation des objets et des attitudes, pochettes de disques, photographies, celle guitardienne vise parfois à une plus grande stylisation expressive qui se transforme souvent grâce à un fond uniformisateur en une image qui aurait été retirée d’une bande dessinée. Il lui manque en quelque sorte la suite que l’on imagine dans une des cases proximales d’une bande-dessinée inachevée. Le lecteur se rapportera à la planche sur le célèbre Fever mi-docu-mi-BD pour mieux comprendre ce que j’essaie de signifier. Thierry Guitard use d’une palette plus sombre qui dramatise son sujet. Ses œuvres paraissent comme en un mouvement suspendu dont on attend la suite, et donc non terminées. Les couleurs vives et lumineuses de Patrick Cazengler fixent les personnages, les idéalisant en une posture hiératique. Aristote affirmait que la vitesse à laquelle se déplacent les Dieux est d’une extrême lenteur qui confine à une immobilité non-humaine. Pour ma part je pense qu’il en est de même des Dieux du rock.

              Que cette oiseuse divergence métaphysico-esthétique ne vous dissuade pas de lire et de regarder cet ouvrage. Un beau livre consacré au rock’n’roll. Merci à Miriana Mislov et à Thierry Guitard.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !                                             

    EPISODE 33 ( Locatif  ) :

    185

    Alice ou Ecila, Ecila ou Oecila, j’ai l’impression que les synapses de mon cerveau grésillent, court-circuit ou explosion, peut-être ai-je parlé tout haut sans m’en apercevoir car la voix du Chef résonne à mes oreilles :

              _ Agent Chad, à vous entendre cogiter tout fort depuis un quart d’heure je commence à me dire que vous êtes pire qu’Hamlet, lui ne possédait que deux options, être ou ne pas être, vous savez comment il a fini, je vous conseille d’essayer de saisir par les cornes, non pas du taureau mais de la vache folle, l’irréalité de la problématique qui vous obsède, votre esprit tourne comme l’aiguille d’une boussole qui ne sait sur quel azimut se fixer, si je puis vous donner un conseil ce serait d’aborder cette insupportable énigme par son côté le plus simple, soyez davantage pragmatique je vous en prie ! Prenez exemple sur nos deux cabots, parfois la sagesse animale dépasse la folie humaine.

    Avant d’allumer un Coronado, d’un geste ample le Chef désigne les deux chiens vautrés sur un canapé :

              _ Regardez, ils ont partagé avec nous l’ensemble des épisodes de cette terrible aventure depuis le début, ils en ont connu tous les dangers, et les voici endormis sans se prendre la tête, n’est-ce pas là le signe d’une sapience supérieure ?

    186

    Je ne sais si nos lecteurs auront pris le temps de méditer les doctes paroles du Chef, j’espère que cette profonde philosophie les aura marqués et que désormais dans toutes les actions de leur vie quotidienne ils se seront efforcés de les mettre en pratique. Pour ma part je n’y ai pas manqué. Les résultats ne se sont pas faits attendre. Il est vain de courir après une montagne, il suffit d’attendre qu’elle vienne à vous. Puisque les chiens avaient choisi de passer la journée couchés sur un canapé je résolus de les imiter et me glissai entre eux deux pour un somme réparateur.

    Ce fut Molissito qui s’en vint me lécher le bout du nez m’arrachant, à mon vif mécontentement, des bras de Morphée. La voix du Chef me réveilla illico :

             _ Agent Chad, arrêtez de dormir, je n’aime guère que vous utilisiez le numéro du service pour vos affaires personnelles, mais la voix féminine qui vous réclame à corps et à cris insiste tellement, j’ai raccroché sept fois, mais à la huitième j’ai fini par céder, il est d’ailleurs temps que je me préoccupe d’allumer un Coronado !

    187

    Encore ensommeillé, j’appliquai le combiné à mon oreille :

    • Molossa et Molossito vont bien ?
    • Euh… oui…
    • Ah ! c’est bien, je suis contente, Papa lui ne l’est pas du tout !
    • Euh… à cause de Molossa et Molossito !
    • Mais non, vous êtes bête, à cause du vol !
    • Mais Molossito et Molossa n’ont pas été volés, ils sont à côté de moi !
    • C’est la sœur de Maman qui a été volée !

    J’ai failli répondre que ma mère n’avait pas de sœur, je n’en ai pas eu le temps :

              _ Oecila, elle était enterrée au Père Lachaise et le corps n’est plus dans la tombe, c’est la police qui a appelé Papa ce matin, il a crié que c’était un scandale, il m’a dit de ne pas sortir de l’appartement, que je l’attende, qu’il revenait, et puis il a ajouté que c’était de votre faute à vous trois et à vos deux corniauds, que l’on allait s’occuper de vous, moi je ne veux pas qu’ils fassent du mal à Molossa et à Molossito, alors je vous avertis, j’entends du bruit, c’est peut-être Papa qui rentre, au revoir !

    188

    L’on est en planque depuis plusieurs heures dans une vieille estafette pourrave. Pour une fois Carlos est défaitiste :

              _ C’est insensé, il est impossible que ça marche, avec un enfant de trois ans peut-être, j’en doute quand même, il nous faudrait un truc beaucoup plus chiadé, là franchement on joue aux pieds nickelés !

    Le Chef allume un Coronado :

              _ Vous avez raison cher Carlos, c’est notre unique chance, si vous avez une idée meilleure je suis preneur !

    Carlos se contente de secouer la tête et de lever les yeux aux cieux. Le Chef me regarde :

              _ Agent Chad, lâchez les fauves !

    J’entrouvre très légèrement les portes arrière de la camionnette. Deux secondes suffisent à Molossa et Molossito pour sauter sur l’asphalte. Il se fait tard, dans la nuit qui tombe leurs silhouettes noires sont presque invisibles.

    189

    L’homme suit le trottoir, il marche rapidement, la rue est déserte, il sursaute, il a entendu un petit bruit. Trop faible pour provoquer la peur, assez particulier pour attirer l’attention. L’homme presse le pas, le bruit recommence. C’est illogique, il a déjà parcouru une dizaine de mètres et le bruit s’est répété avec la même intensité. L’homme s’est retourné, il ne remarque rien, il repart, maintenant il pense au miaulement d’un chat qui le suivrait depuis un petit moment, il s’arrête, regarde en arrière. Il n’a rien vu, trois pas rapides et une brusque volte-face, la bête se traîne vers lui, il se penche la caresse, et l’abandonne. Il ralentit, elle est là, il s’accroupit, il réfléchit, sa décision est prise, il s’empare de la petite bête qui geint encore, et se carre dans ses deux paumes, l’homme sourit, il vient de faire une bonne action. Il ne remarque même pas la camionnette pourrave garée le long du trottoir. Il s’éloigne. Tout heureux.

    190

              _ Agent Chad, ouvrez les portes, nos deux héros reviennent !

    Je m’exécute promptement d’un bond léger Molossa et Molossito se faufilent à l’intérieur. Carlos se saisit d’eux et les embrasse vivement :

              _ J’en ai vu des choses dans ma chienne de vie, des très moches et quelques unes très belles, et maintenant une scène extraordinaire, je n’en reviens pas je n’aurais jamais cru que des bêtes puissent être si intelligentes, Damie je m’excuse, ton plan me paraissait si farfelu ! Il a réussi pourtant, incroyable ! Jen pleurerais de joie ! Quel suspense ! Quelle émotion !

    Carlos aimerait s’épancher encore un bon moment, le Chef coupe court aux effusions sentimentales de l’ancien légionnaire :

              _Carlos, c’est à toi de jouer, attention de la finesse et du doigté !

    191

    L’homme marche d’un bond pas. Le chaton s’est endormi dans ses bras. Il le regarde avec tendresse. Encore deux ou trois rues et il arrivera chez lui. L’ombre géante du bâtiment l’avale. Il soupire d’aise, il ne lui reste plus qu’à sortir la clef de sa poche, la porte de l’ascenseur brille du vague reflet de la chiche lumière du hall plongée dans une demi-pénombre. Il appuie sur le bouton d’appel, il n’attendra pas longtemps, l’appareil est stationné au premier étage. La porte s’ouvre.

              _ Bonjour ! 

    L’homme sursaute. Le gars n’a pas l’air commode, un gros dur, une armoire à glace comme l’on n’en voit que dans les films.

              _ Je vous en prie Monsieur, passez, je vois que vous sortez !

              _ Pas du tout, je vous attendais !

              _ Moi, vous faites erreur je ne vous connais pas !         

              _ Ne racontez pas n’importe quoi, je désire simplement récupérer mon petit chat que vous venez de voler.

              _ N’importe quoi, voici un quart d’heure je l’ai trouvé, miaulant de détresse, transi de froid, j’ai eu pitié, j’ai décidé de l’adopter !

              _ Peut-être, mais il est à moi, rendez-le moi tout de suite, sinon je sens que je vais m’énerver et quand je m’énerve en règle générale ça saigne, je vous explique tout cela parce que vous n’avez pas l’air de comprendre que si dans trente secondes je ne rentre pas en possession de mon chat, vous et le chat je vous transforme en steak haché !

             _ Enfin c’est insensé, vous voulez votre chat et vous êtes prêt à le tuer dans la demi-minute qui suit !

              _ Et alors, ça vous dérange ?

             _ Sachez Monsieur que je le défendrais jusqu’à ma mort !

    Le malabar éclate d’un rire sinistre, il enfile des gants noirs :

             _ Juste pour ne pas me salir les mains en vous étranglant !

    A suivre…