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  • CHRONIQUES DE POURPRE 708 : KR'TNT ! 708 : GYASI / SHANGRY-LAS / BRITTANY DAVIS / ROCKABILLY GENERATION NEW / BOB MOSLEY / ALEISTER CROWLEY / OIL BARONS / SPACE CADET

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 708

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    30 / 10 / 2025

     

     

    GYASI / SHANGRI-LAS / BRITTANY DAVIS

    ROCKABILLY GENERATION NEWS

    BOB MOSLEY / ALEISTER CROWLEY

        OIL BARONS / SPACE CADET

      

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 708

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    L’avenir du rock

     - Easy Gyasi

     (Part Three)

             Malgré son air con et sa vue basse, l’avenir du rock adore briller dans les conversations mondaines. Un soir, alors qu’il dîne avec ses amis chez Bofinger, la sorcière Crapulax lui fait cette remarque délicieusement acerbe.

             — Avenir du rock chéri, d’où te vient cette manière ascétique de découper ta dorade avec le petit doigt levé ?

             — Oh, sans doute est-ce dû à l’influx superfétatoire du paradigme de l’esthète, dont l’incarnation reste, à mon sens, Michel Gyasi, l’efflanqué coruscant des Jeux de Tokyo.

             Caressant son bouc, Bill Abitbol reprend la balle au bond :

             — On ne t’imaginait pas installé devant un récepteur de télévision, cher avenir du rock...

             — Je vendrais mon âme au diable pour voir un homme courir dans tous les Gyasimuts !

             — Et toi, cours-tu ?, ricocha l’Abitbol...

             — Non, mon bon Bill, mais Gyasi toujours selon ma conscience...

             Fascinée par l’éclat de ses réparties, Marie-Paule Lépaulette interpelle l’avenir du rock :

             — Imagine qu’un matin, tu te réveilles et tu décides de bâtir un empire, avenir du rock chéri... Quel continent choisis-tu d’envahir ?

             — Gyasi mineure, sans la moindre hésitation ! Et comme Alexandre, je repousserai les frontières jusqu’au Gyasimbabwe et bien sûr je réduirai en esclavage tous les Gyasigotos et tous les Gyasigomars et tous les Gyasigouigouis !

             — Et s’ils fomentent des révoltes, très cher avenir du rock ?

             — Je les Gyasigouillerai ! C’est pas des Gyasigounettes qui me feront Gyasigzaguer !

     

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             Maintenant, Gyasi n’a plus qu’à se montrer digne des réparties cinglantes de l’avenir du rock. Il arrive sur scène moulé dans un juste-au-corps bleu clair assorti au fard bleu de ses paupières. Il est magnifique de glitter. Il y a du Ronno et du Ziggy

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     en lui. Il s’empare de sa Les Paul orange pour rocker le boat, et dame, le boat n’en demandait pas tant. Gyasi te le rocke au-delà de toutes tes expectitudes. Il est devenu en peu de temps le maître des Orlok, l’Ansphératu des Amphitryons, l’Abyssal des Abyssino no no, le glimmer twin du Twist & Shout, la réinvention des conventions, le redémarrage en côte du Ziggysme, le Spider from Marche ou crève, le Stardust du lust, il est frais comme un gardon, sexué comme l’enfer de ta bibliothèque, glam dans l’âme, mais on voit bien qu’il pourrait faire du Led Zep ou de l’Humble Pie aussi

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    bien que le Ziggy Bolan-malan dans lequel il s’est jeté tout entier. Gyasi est l’artiste clé de son temps, le hero for one day, il est là pour un soir et dépêche-toi d’en profiter, car comme tout, cette classe est éphémère, il passe d’un genre à l’autre sans crier gare, il stompe son «Cheap High» et plonge son public dans la dramaturgie d’«American Dream», il te bluffe complètement car il réincarne le temps d’un cut ce qui fut en son temps un sommet, le «Rock’n’Roll Suicide» de Ziggy Stardust. Tu

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     frémis autant qu’à l’époque du Suicide, car Gyasi est d’une véracité à toute épreuve. Mélodiquement, le cut se tient et flashe bien dans la nuit. Gyasi a maintenant une belle collection d’hits under the belt, il peut aller conquérir les scènes du monde entier et engranger des dizaines de millions de nouveaux fans, son glam-rock colle bien au papier, ça jerke dans les tibias et derrière il a le guitar slinger idoine, rien ne peut donc plus l’arrêter, oh no no no baby ! Encore du joli stomp de glam avec «Tongue Tied», on a déjà entendu ça à l’époque, mais ça passe comme une lettre à la

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    poste, car cette superstar campe merveilleusement bien son camp. Tu lui fais aveuglément confiance. Ces quelques gouttes de glam dans un monde de brutes sont une bénédiction. T’as les accords du «Jean Genie» sur «Sweet Thing» et ceux de Marc Bolan sur ce «Baby Blue» qui te replonge en plein dans Electric Warrior. Quel magnifique hommage ! Tu ne peux pas réinventer le glam, tu ne peux que le célébrer, comme on célébrait autrefois les dieux de l’Antiquité. Gyasi est le fils de Dionysos.  Et puis, en fin de set, il rend hommage à l’Ozz avec les premières mesures de «War Pigs».

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             On peut se replonger dans ce bel album live, Rock N Roll Sword Fight, paru l’an passé, mais on ne retrouvera pas la ferveur du concert. Gyasi y fait son Ziggy

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    («Godhead»), puis son T. Rex («Baby Blue»). Dans les deux cas, il est confondant de mimétisme. Il sait aller chercher la dramaturgie de Ziggy, et il sait aussi flatter le glam turgescent de Bolan. Il profite même de l’occasion pour transpercer son power glam d’un killer solo flash. Il n’est pas non plus avare de power pur, comme le montre le «Cheap High» d’ouverture de bal. Il te charcute ça à la cocote sévère. Ricky Dover Jr gratte de sacrés poux derrière. S’ensuit un «Tongue Tied» qui bascule bien dans le stomp de glam, ça s’emboîte parfaitement dans la vulve du mythe, et ça joue au gras double d’excelsior. Mais après, on perd un peu le glam. «Fast Love» est monté sur le drive de basse de «Lust For Life». Gyasi a toujours un peu le cul entre deux chaises, celle du glam et celle du rock seventies, dont «Sugar Mama» est l’archétype. 

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             Sorti la même année que le Sword Fight, voici Here Comes The Good Part, un album qui démarre du bon pied avec «Sweet Thing», un fantastique jive de stomp. Gyasi réinvente le stomp des seventies. Il a ça dans la peau. Tout l’album va se révéler bardé de barda. On le voit aussi taper dans ses deux mamelles, Ziggy et T. Rex. Ziggy avec «Snake City» (même esprit que «Rebel Rebel»), puis «American Dream» (il renoue là avec l’extrême dramaturgie du Ziggy au bord de la crise de nerfs, il atteint le stade du power absolu), et plus loin «Star», où il réincarne Ziggy le temps d’un cut, il tape en plein cœur du mythe véracitaire, ça fait plaisir à voir, et en prime, ça Ronnotte dans les brancards. Il va droit sur T. Rex avec «Baby Blue». Encore deux belles énormités avec «Bang Bang (Runaway)» (wild raunch qu’il attaque au Arrrrhhhh et qu’il module en heavy stomp de rêve) et «Cheap High», amené au tape dur, Gyasi adore le killer flash, il raffole de cette belle violence riffique.

    Signé : Cazengler, jaseur

    Gyasi. Le 106. Rouen (76). 18 octobre 2025

    Gyasi. Rock N Roll Sword Fight. Alive Naturalsound Records 2024

    Gyasi. Here Comes The Good Part. Alive Naturalsound Records 2024

     

     

    Wizards & True Stars

     - Le chant gris des Shangri-Las

     

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             Curieuse histoire que celle des Shangri-Las, quatre petites gonzesses du Queens réunies dans un studio par un producteur fantôme. On surnommait George Morton « Shadow » parce qu’il lui arrivait de disparaître comme un fantôme. Il est là, et soudain, il n’est plus là. George ? Good Lord, George ! Arrête ton cirque ! Ça ne nous fait pas rire. Mais où est-il passé ? C’est incroyable ! Ho George ! Tu pourrais nous répondre, espèce de malpoli ! 

             Les Shangri-Las étaient ce qu’on appelait à l’époque un quatuor vocal, comme il en existait des milliers à New York. Mais celui-ci était particulier, car constitué de deux paires de sœurs, Betty et Mary Weiss d’un côté, Mary Ann et Marge Ganser de l’autre, deux jumelles. L’autre élément qui les distinguait des autres girl-groups, c’était leur réputation de bad girls. Mary Weiss trimballait un calibre avec elle. Quand les flics du FBI lui demandaient pourquoi elle était armée, elle répondait que c’était réservé au premier bâtard qui allait essayer d’entrer dans sa chambre d’hôtel. Tu veux un dessin, flicard ?

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             La légende des Shangri-Las repose sur deux atouts déterminants : la production géniale de Shadow Morton, et la voix de Mary Weiss. Mais elle doit aussi énormément aux clins d’yeux de fans célèbres comme les Dolls qui reprenaient « Give Him A Great Big Kiss », ou encore les Damned qui démarraient « New Rose » - leur single historique - avec la première phrase de « Leader Of The Pack » : « Is she really goin’ out with him ? ». Beaucoup de gens en 1977 ne savaient pas trop qui étaient les Shangri-Las et puisque Dave Vanian les citait, alors les disques de Shangri-Las sont apparus dans les bacs des disquaires qui n’avaient qu’un seul mot à la bouche : mythique !

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             La discographie des Shangri-Las n’est pas bien épaisse : seulement deux albums et une poignée de singles. Leader Of The Pack est sorti en 1964, et encore, ce n’est qu’une moitié d’album, car les deux paires de sœurs n’avaient alors enregistré qu’une poignée de singles. La B est remplie de morceaux live de mauvaise qualité, ce qui fait que cet album a souffert d’une réputation pour le moins surfaite. De là à dire que c’est une fabuleuse arnaque, c’est un pas qu’on franchit avec allégresse. Jackie DeShannon ne nous aurait jamais fait un coup pareil.

             Mais c’est vrai, rappelons-nous, les Shangri-Las sont des bad girls. Bien pire, elles sont tombées dans les pattes de gens peu scrupuleux qui ont fait du blé sur leur dos. La pratique était courante à l’époque. Évidemment, les filles, ça les foutait en rogne de voir que leurs disques se vendaient à des millions d’exemplaires et qu’elles ne ramassaient pas un rond.

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             Tous les hits des Shangri-Las se trouvent sur l’A de ce premier album. « Give Him A Great Big Kiss » est de la grande pop shakée aux clap-hands, admirable à tous les égards et on comprend que le jeune Johnny Thunders soit tombé en pâmoison quand il entendait ça à la radio en 1965. Pour composer « Leader Of The Pack », Shadow Morton s’était acoquiné avec Ellie Greenwich, alors évidemment ça ne pouvait que faire des étincelles. Et pour corser l’affaire, Shadow a fait entrer des gros bikers tatoués - avec leurs motos - dans le studio. Il voulait le vrai son. Alors OK. Tu veux le vrai son, amigo ? ‘Coute ça ! Les mecs ont débrayé et mis les gaz, vroaaaaar,  et les filles ont chanté sans tousser, malgré toute la fumée. Mary Weiss miaulait ça très haut perché. La rythmique groovait comme celle de Sonny & Cher. Le génie d’Ellie Greenwich avait encore frappé. Vroarrrrr ! On comprend que Dave Vanian soit tombé dingue de ce morceau qui sortait de son petit transistor alors qu’il creusait une tombe sous la pluie. « Leader Of The Pack » est à la fois un cut d’une profondeur fabuleuse et une chanson affreusement triste. C’est avec ça que Shadow Morton s’est taillé une réputation de producteur légendaire. Plus tard, les Dolls le solliciteront pour produire leur second album, Too Much Too Soon.

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             Son autre coup de maître fut de faire entrer des mouettes dans le studio pour « Remember (Waiting In The Sand) » une mélopée bien sirupeuse, comme les aimaient les gens à l’époque. Vous avez déjà essayé de faire rentrer des mouettes quelque part ? Pas facile. Ces bestioles sont particulièrement bêtes, au moins autant que les poules.

             Malgré le son pourri, on trouve des reprises prometteuses sur la B de Leader Of The Pack, et notamment une version live de « Twist & Shout » chantée très haut perché. Mary et les jumelles arrivaient à sortir des trucs incroyablement sexy et sucrés.

             Quand elles ont démarré, elles étaient encore adolescentes. Mary n’avait que 15 ans et les jumelles 16. Pour partir en tournée avec les Beatles, elles durent quitter l’école et renoncer à l’éducation, ce qui les arrangeait bien, car en bonnes bad girls qui se respectent, elles ne pouvaient pas schmoquer leurs profs. Elles ont donc passé les plus belles années de leur vie à sillonner les États-Unis avec des blanc-becs comme les Rolling Stones, les Animals, Vanilla Fudge et les Sonics, puis elles ont débarqué en Angleterre pour tourner avec des branleurs encore plus boutonneux, du style Herman’s Hermits.

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             Leur deuxième album, Shangri-Las 65, est sorti dans la foulée. Il est beaucoup plus solide que le premier. Avec « Right Now And Not Later », on a ce qu’il faut bien appeler un son de rêve. On se retrouve au cœur d’un shuffle exceptionnel, soutenu aux tambourins, chanté à fond de train. Elles effarent et révèlent une puissance infernale. On trouve sur cet album pas mal de compos d’Ellie Greenwich et notamment « Give Us Your Blessings », une belle pièce de pop élancée qui plonge ses racines dans le gospel et que Mary Weiss chante à la mode californienne. Stupéfiant ! Shadow Morton signe « Sophisticated Boom Boom » que reprend aujourd’hui Kid Congo sur scène. « I’m Blue » est carrément une reprise des fabuleuses Ikettes. C’est groovy en diable et monté sur une belle bassline. L’un de leurs plus gros hits restera sans doute « The Train From Kansas City », une grosse compo signée Ellie Greenwich, une vraie merveille taillée dans l’harmonique. On sent le drive d’Ellie, the beast of the Brill. On comprend que Phil Spector ait voulu travailler avec elle pour River Deep. Ellie avait du génie. Il faut voir comme elle tortille son couplet pour le faire sonner comme un hit planétaire, en plein cœur des sixties qui sont déjà congestionnées par des milliers d’hits planétaires. On reste dans la magie sixties avec « What’s A Girl Supposed To Do », chanté aux voix perchées. Mary Weiss y va de bon cœur - woo oh woo oh yeah - c’est l’époque qui veut ça. Pur jus sixties de chœurs juvéniles. 

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             Puis leur étoile s’éteint et elles replongent dans l’anonymat. Les deux jumelles vont casser leur pipe en bois. Mary et Betty essaieront de revenir en 1977, aidées par Andy Paley, mais le projet d’album restera à l’état de projet. Il faudra attendre 2007 et l’aide de Billy Miller (Norton) pour qu’un album de Mary Weiss apparaisse chez les disquaires. Ce sera le fameux Dangerous Games. Fameux car salué par Shadow Morton qui était alors encore vivant, mastérisé chez Sundazed et doté d’une pochette signée Roberta Bayley - la photographe qui a fait la pochette du premier album des Ramones, et les portraits officiels de Richard Hell, des Dolls (devant Gem Spa) et des Heartbreakers, entre autres. Ce sont les Reigning Sound qui accompagnent Mary Weiss sur cet album. On voit que ce gros coquin de Greg Cartwright est remonté au Nord pour se rapprocher des femmes fatales. On l’a vu sur scène avec Rachel Nagy et ce qui reste des Detroit Cobras. Voilà maintenant qu’il fricote avec Mary Weiss et qu’il lui compose des chansons, souvent très bien foutues. Et dans les chœurs on retrouve Miriam Linna, elle aussi bien pourvue, côté légende. Très vite, on tombe sous le charme de « Nobody Knows (But I Do) » une belle power-pop signée Greg Cartwright. Voilà une grosse pop à la mode new-yorkaise superbement travaillée et lumineuse, dynamique et entêtante. Mary Weiss chante désormais d’une voix de tête très mûre, presqu’ingrate. On tombe ensuite sur une énormité qui s’appelle « Stop And Think It Over », une power-pop d’allure royale signée Greg Cartwright, embarquée à la bassline aérodynamique et dotée d’une grâce presque typique des Oblivians. La chose se veut incroyablement élégante et digne d’une légende comme celle des Shangri-Las. Mary Weiss montre qu’elle peut encore monter très haut, over the rainbow, si elle veut. Les compos des autres copains sont un peu plus faibles. Les seules qui tiennent la route sont celles de Greg Cartwright. On sent que l’animal veut s’inscrire dans la légende. Il récidive en B avec un « Stitch In Time » mélodiquement pur et infernalement bon. Elle fait aussi une reprise des Real Kids, « Tell Me What You Want Me To Do », traitée en tressauté avec des nappes d’orgue à la Blondie. Pur jus de wild pop d’attaque frontale. C’est un audacieux mélange de pop new-yorkaise montée sur le riff de « Venus » des Shocking Blue. D’autant plus surprenant que le solo est quasiment le même, note pour note. Sans doute un clin d’œil. Retour en force d’Ellie Greenwich avec « Heaven Only Knows », la vraie pop du Brill avec des chœurs agonisants. Lorsque Ellie traîne dans les parages, on ne craint pas l’ennui. S’ensuit un « I Don’t Care » qui reste dans la haute volée. Compo soignée de Greg Cartwright, agitée aux tambourins, inspirée et dotée d’une jolie mélodie, comme dirait Charlebois.

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             Et Shadow ? Mais où est-il passé ? Chez Ace on s’est occupé de lui en publiant en 2013 une rétrospective : Sophisticated Boom Boom! The Shadow Morton Story. On y entend les artistes que découvrit ou produisit Shadow Morton : les Shangri-Las, Janis Ian, Blues Project, Vanilla Fudge, Iron Butterfly, Mott The Hoople et les Dolls. Si on ne connaît pas Janis Ian, c’est l’occasion de la découvrir avec « Too Old To Go ‘Way Little Girl », grosse pièce de folk-rock psyché chantée à fond de train, complètement extravagante.

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             La vraie merveille qui se niche sur cette antho à Toto, ce sont les deux titres enregistrés par Ellie Greenwich. Et là, on entre dans la légende, comme si deux esprits supérieurs, Ellie et Shadow, nous conviaient à partager un moment de leur intimité artistique. « Baby » est un hit planétaire. Ellie, c’est la reine de New York, elle embarque son baby-baby et rentre dans le lard du retour de manivelle. Elle a le sens parfait du jerk - So close to my heart ! - C’est une merveille. Elle fait un autre titre moins spectaculaire, « You Don’t Know » qu’elle taille dans la mélodie.

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             Une fois qu’on a bien épluché l’antho, on peut se plonger dans le booklet de 40 pages qui l’accompagne et là, on trouve tout ce qu’on a besoin d’apprendre sur Shadow Morton. Mick Patrick avait entrepris une correspondance par mail avec Shadow et là attention, attachez vos ceintures, car on fonce droit dans la mythologie, la vraie. Shadow raconte ses souvenirs de gamin dans le gang des Red Devils, au sud de Flatbush Avenue, puis il raconte comment il a voulu entrer dans le show-biz en montant au neuvième étage du Brill Building pour proposer une chanson qu’il n’avait pas encore à Ellie Greenwich qui le reçoit bien, mais il y a ce con de Jeff Barry qui le snobbe. Ça ne plaît pas du tout à Morton qui vient de Brooklyn, qui est irlandais et alcoolique. Il ne faut pas trop lui courir sur l’haricot - « You don’t take that attitude with me very long ! » - Et Barry lui demande de quoi il vit, alors Shadow prend ça comme une insulte et lui répond avec morgue - « La même chose que vous, j’écris des chansons » - « Quel genre de chansons ? » - « Des hits ! » - « Alors ramenez-en un ! » - Shadow sort du bureau aussi sec, il attend quelques secondes et il revient dans le bureau avec un grand sourire - « On a oublié de préciser une chose. Un hit rapide ou un hit lent ? » - Barry se marre et lui dit - « Kid, bring me a slow hit ! » - Fantastique démarrage en trombe, complètement à l’esbrouffe. Il a rendez-vous le mardi suivant. Il connaît un nommé George Sterner qui connaît des musiciens. Il connaît aussi quatre filles du Queens, qui accepteraient d’enregistrer une démo dans un studio de bricolo. Il lui manque encore le plus important : la chanson. Il compose « Remember (Walkin In The Sand) » dans sa tête et pouf, c’est parti ! Ce qu’il fait plaît beaucoup à Jerry Leiber qui l’engage comme compositeur et producteur. Quand il touche son premier chèque de royalties, Shadow s’achète une Harley. Et il replonge dans la mythologie de son adolescence, il se souvient de l’énorme gang de bikers au soda shop, et il compose « Leader Of The Pack » ! Petite cerise sur le gâteau, il fait mourir son héros biker. On lui dit que ça ne passera jamais à la radio. Les histoires de voyous en motocyclettes n’intéressent pas les gens. Shadow croit que sa dernière heure est arrivée et qu’il va se faire virer du Brill. Mais « Leader Of The Pack » devient un hit interplanétaire qui dégomme « Baby Love » des Supremes de la tête des charts. Et pour les Shangri-Las, c’est la consécration.

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             C’est l’une des grandes histoires de rêve du rock américain. Ce petit mec de Brooklyn et ces trois filles du Queens ont réussi à monter une belle cabale à partir de rien. Jeff Barry admet que les Shangri-Las étaient avant tout la vision de Shadow Morton - « He was such a dramatic guy » - Et comme « Leader Of The Pack » devient un hit énorme, Shadow offre une Harley à Jeff Barry. C’est certainement cette machine que Barry va piloter pour accompagner son pote Bert Berns en virée dans les Catskills Mountains, au Nord de New York. En fait, Shadow fabrique des petits opéras de quat’ sous avec des effets sonores, et ça plaira beaucoup au public, car les effets favorisent le travail de l’imagination. Fermez les yeux et vous verrez le biker foncer dans un mur.

             C’est George Goldner, patron de Leiber & Stoller, qui surnomme George Morton Shadow, à cause de sa manie de la disparition - « I did the bars on Long Island, shot some pool, made some bets, played some liar’s poker » - Shadow disparaît dans les bars de Long Island, il joue au billard, fait des paris et joue au poker.

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             Ellie Greenwich trouvait les Shangri-Las à la fois dures et vulnérables. Pour elle, Mary Weiss n’était pas une grande chanteuse, mais elle avait exactement ce qu’il fallait pour faire des disques intéressants - « Her whole thing was her look and her sound » - Et elle avait cette voix de nez et cette attitude de fille de la rue - « The best of both worlds » - Puis Shadow découvre Janis Ian, un petit prodige de 15 ans originaire de Manhattan. C’est un nommé Vigola qui ramène Janis un matin dans le bureau de Shadow. Vas-y chante un coup. Elle gratte sa guitare Ovation et chante son truc. Shadow lit un journal, le pieds croisés sur son bureau et marmonne des injures destinées à Vigola, du genre je vais te balancer par la fenêtre. Janis remet sa guitare dans l’étui, sort un briquet de sa poche, met le feu à un papier qui dépasse du bureau et s’en va en claquant la porte. Jeff Barry la rattrape dans l’ascenseur et la ramène chez Shadow qui lui demande de rejouer sa chanson. Puis il appelle Ahmet Ertegun pour lui dire qu’il a une nouvelle artiste et qu’il veut l’enregistrer. Ahmet demande s’il peut l’entendre. Shadow lui dit non. Mais aucun label ne veut d’elle, pas même Atlantic qui fait la fine bouche. C’est MGM qui sort le premier disque de Janis Ian, en même temps qu’une autre énormité de l’époque, Wedding Bell Blues de Laura Nyro. Puis un jour, Shadow reçoit un coup de fil de Leonard Bernstein. Sa secrétaire croit que c’est un gag. Mais non, c’est bien le grand Leonard. Il veut rencontrer Janis. Et pouf, un nouveau mythe prend forme.

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             Atlantic se plaint à un moment de n’avoir que des noirs dans son cheptel. Ahmet demande à Shadow de lui trouver un white soul group. Atlantic perd de l’argent chez les blancs et veut donc un groupe blanc pour reconquérir le marché. Pas de problème, Shadow a repéré les Young Rascals. Puis on lui présente les Pigeons. Shadow n’aime pas le nom du groupe. Mais quand il les voit jouer sur scène, il est complètement fasciné par les quatre compères, Tim Bogert, Vinnie Martell, Mark Stein et Carmine Appice. Il fait une démo avec eux et la balance à Atlantic qui demande à les voir. Shadow dit non. Les Vanilla Fudge sont dans les pattes du producteur idéal. C’est lui qui lance ce groupe monstrueusement doué. Shadow balaie aussi les réticences d’Atlantic qui ne voyait pas de hit single dans le premier album.

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             En 1968, Shadow participe aux sessions d’enregistrement d’Eli And The Testament Confession de Laura Nyro et d’Electric Ladyland de Jimi Hendrix - « I happened to be one of the two who ended up three days in the studio recording with him. We cut about seven or eight sides. » - Puis c’est Ahmet Ertegun qui insiste pour que Shadow produise In-A-Gadda-Da-Vida d’Iron Butterfly. Ils voulaient le Long Island sound.

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             On en arrive au dernier grand épisode de la saga Shadow Morton : les New York Dolls voulaient Jerry Leiber et Mike Stoller comme producteurs, mais Leiber & Stoller se désistèrent. Alors ce fut Shadow. À l’époque, Shadow est fatigué du business et la musique l’ennuie. Il accepte cependant de relever le défi des Dolls - « The Dolls can certainly snap you out of boredom » - Ils travaillent 24 heures sur 24 - « They had an incredible amount of energy. God, I remember the scenes in the studio. The word intense is not intense enough » - Il les laisse faire ce qu’ils font habituellement et se contente de les enregistrer - « I try to capture what they, the artists, do. » 

             Le booklet est en plus bardé d’images fantastiques de Shadow. Sans Ace, que deviendrions-nous ? 

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              On garde le meilleur pour la fin : un book consacré aux Shangri-Las. On se frotte les mains ! Wouahhh, la bête ! 400 pages mythiques ! Le book vert de tes rêves ! L’autrice s’appelle Lisa MacKinney et son book mythique affiche le doux titre de Dressed In Black: The Shangri-Las And Their Recorded Legacy. Wouahhh, la legacy ! Le book sort tout juste des rotatives. Il fume encore. Wouahhh, la classe ! Tu cales ton cul dans ton fauteuil et tu essayes de prendre ton air le moins con pour lire cette somme tombée du ciel. Wouahhh, la chance ! Tu vas lui faire honneur !

             C’est toi qui vas tomber des nues. Car quelle arnaque ! La mère machin est une spécialiste du Moyen-Age. T’as 100 pages de notes à la fin du book ! Ça te met la puce à l’oreille. 100 pages en corps 5 ou 6 ! Illisible ! En général, c’est pas bon signe. Avec ce délire de documentariste, t’as dans les pattes l’anti-rock book par excellence. La mère machin n’en finit plus de noyer le poisson et de taper à côté. Dans son chapitre bidon sur le romantisme, elle arrive même à délirer sur Beethoven ! Tu lis ça et tu fumes de colère noire ! Fuck it ! Elle te fait perdre ton temps. T’entends tes dents grincer. Les seules infos intéressantes sont bien sûr celles qu’on connaît déjà, notamment le lien avec les Dolls via «Looking For A Kiss» et la prod de Shadow Morton sur Too Much Too Soon. On savait aussi qu’Andy Paley accompagnait les Shangri-Las reformées au CBGB en 1977.

             T’arrives tout de même à te mettre sous la dent des bouts d’interview de Mary Weiss. Elle raconte qu’au début, le groupe n’avait pas de nom, et en roulant dans Long Island, elles ont vu un restau qui s’appelait the Shangri-La - That’s where we got the name.

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             Tu chopes aussi un bel hommage de Lenny Kaye : «If the Ronettes were the royalty of sixties girl groups, the Crystals their unwilling ladies-in-waiting, the Shangri-Las were the hand-maidens that made good, rising from virtual kitchen scullions to the rank of pop cincerellas.» Comme Johansen et Thunders, Kaye en croquait. Tiens voilà une anecdote pour te remonter la moral. C’est Mary Weiss qui la raconte : James Brown a entendu les Shangri-Las à la radio et il les voulait en première partie d’un show au Texas. Okay. Il arrive au sound-check et n’en revient pas de voir des blanches sur scène ! Il croyait qu’elles étaient black.      

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    (George Goldner)

             La mère machin pioche pas mal dans le booklet de Sophisticated Boom Boom! The Shadow Morton Story pour évoquer le souvenir de Shadow. Richie Unterberger rappelle lui aussi que le succès de Shadow en tant que producteur était d’autant plus spectaculaire qu’il n’avait quasiment pas d’expérience, et qu’il ne savait jouer d’aucun instrument. C’est lui Shadow qui avait repéré les Shangri-Las, dans le Queens et qui les avait embauchées pour enregistrer une démo. Jeff Barry l’avait mis au défi d’écrire un hit - Kid, bring me a slow hit - Alors Shadow est allé dans un studio du Queens avec les filles pour enregistrer sa démo. Billy Joel est le pianiste de session et il voit Shadow comme une sorte de Totor du Queens, avec des lunettes noires et une cape. C’est la démo de «Remember (Walking In The Sand)». Shadow la ramène au Brill dans le bureau de Jeff Barry et Ellie Greenwich. Ellie raconte qu’elle a écouté  ce «weird little record», elle trouvait la voix de Mary très strange et la chanson intéressante - So we played it for Leiber & Stoller and they said, ‘Go cut it’ - Et voilà, c’est parti. Ça se passe au 1619 Broadway, dans les locaux de Red Bird Records, à l’âge d’or de George Goldner, «the best salesman ever». Leiber & Stoller vont prendre Shadow en charge, comme ils ont pris Totor en charge un peu plus tôt. «Remember (Walking In The Sand)» sera le premier single des Shangri-Las sur Red Bird. Tu ne peux pas faire plus mythique. C’est bien sûr Shadow qui signe ce hit. Il dit l’avoir composé en dix minutes, pour relever le défi de Jeff Barry. Le slow hit.

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             Le problème, c’est que les Shangri-Las avaient déjà fricoté avec Artie Ripp, le boss de Kama Sutra, qui, comme Morris Levy, a des liens avec la mafia new-yorkaise. Donc Ripp veut sa part du gâtö. La mère machin profite de l’occasion pour rappeler que le slang «ripp off» vient d’Artie Ripp. Si tu veux te faire plumer, vas voir Artie Ripp. Évidemment, Morris Levy voulait aussi sa part du gâtö. Il serait un jour entré chez Kama Sutra pour déclarer : «The Shangri-Las, nice kids! Great group! Great songs! They’re mine and I want my cut.»

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    Shadow Morton

             Shadow, Leiber & Stoller, Ellie Greenwich : les Shangri-Las sont tout de même bien entourées. Ellie voit les Shangri-Las comme des «very nice street urchins, street classy... and... tough yet very vulnerable.» Au début, explique-t-elle, elle ne s’entendait pas très bien avec elles, «they were kind of crude», par leur attitude, leur langage, «and chewing the gum, and the stockings ripped up their legs». Ellie leur dit qu’elles ne peuvent pas se balader avec des bas filés et en mâchant du chewing-gum, qu’elles doivent être des ladies, et les Shangri-Las l’envoient promener, «we don’t want to be ladies», alors une grosse engueulade éclate dans le ladies room du Brill, Ellie en pleure de colère, et après, dit-elle, elles sont devenues wonderful. Elles mâchaient moins leur chewing-gum et contrôlaient leur langage. Mary ajoute qu’elle s’achetait ses fringues chez un Men’s Store - I like low rise pants

             Quand elles tournent en Angleterre, les Shangri-Las se retrouvent mêlées à une bataille de bouffe chez Dusty chérie. Quand après la bataille Mary Ann Ganser remet ses boots, elle y trouve du poisson. Alors pour se venger, elle va profiter d’une tournée de Dusty chérie à New York pour aller mettre du poisson dans ses boots. 

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             Et puis t’as les affiches de rêve. Elles montent sur scène au Brooklyn Fox avec les Temptations, les Supremes, puis Jay & The Americans, puis les Contours, puis les Ronettes, puis les Searchers - direct from England - puis Martha & The Vandellas, puis Little Anthony & The Imperials, puis Dusty chérie, puis The Miracles et comme tête d’affiche, Marvin Gaye, «the epitome of cool Soul». Ce sont, nous dit Ronnie Spector, les fameuses Murray the K’s rock and roll revues at the Brooklyn Fox, qui étaient «the highlight of any New York kid’s week in the sixties. Pour deux dollars cinquante, tu pouvais voir at least a dozen acts and these were the top names in rock and roll - from Little Stevie Wonder to Bobby Vee to The Temptations, everybody played these shows.» Mary Weiss qualifiait ces shows de «brutaux». Il fallait descendre plusieurs étages pour aller chanter deux cuts et remonter ensuite dans les loges. Sept fois par jour. Elles font aussi une première partie pour les Beatles en 1964, avec les Tokens, Bobby Goldsboro, The Brothers Four, Jackie DeShannon et Nancy Ames. Le journaliste du New York Times évoque les «3,600 hysterical teenagers» du Paramount Theater. Autre affiche de rêve : en mai 1965, les Shangri-las prennent part à la Dick Clark Caravan of Stars pour un concert à Anaheim, en Californie, avec Del Shannon, les Zombies, Jewel Aken, Tommy Roe, Dee Dee Sharp, Mel Carter, The Ad Libs, The Velvelettes (et pas les Velvettes, comme elle l’écrit), Jimmy Sole, Mike Clifford, The Ikettes, The Executives et Don Wayne. T’en avais pour ton billet. 

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             Ce sont les embrouilles contractuelles qui vont dégommer les Shangri-Las : elles sont sous contrat avec Kama-Sutra, Red Bird puis Mercury. Ça déclenche une guerre juridique. Ils se traînent tous en justice. Mary dit que c’est dur d’entrer dans la record industry et encore plus dur d’en sortir. L’aventure des Shangri-Las n’aura duré que deux ans, de l’été 1964 à l’été 1966. Après la fin des Shangri-Las, on leur interdit d’enregistrer pendant dix ans. Elles se reforment pour un show à Manhattan dans les early seventies, puis en 1977. Elles jouent au CBGB et enregistrent quatre cuts pour Sire avec Andy Paley. Pour une raison qu’Andy ne connaît pas, les quatre cuts ne sortent pas. Apparemment, Mary Weiss trouve qu’ils n’étaient pas assez bons - It just wasn’t right - I welcomed the opportunity from Seymour Stein, but it just didn’t work out.

    Signé : Cazengler, Shangri Laid

    Shangri-Las. Leader Of The Pack. Red Bird Records 1964

    Shangri-Las. Shangri-Las 65. Red Bird Records 1965

    Mary Weiss. Dangerous Game. Norton Records 2007

    Sophisticated Boom Boom! The Shadow Morton Story. Ace Records 2013

    Lisa MacKinney. Dressed In Black: The Shangri-Las And Their Recorded Legacy. Verse Chorus Press 2025

     

     

    L’avenir du rock

     - Grande Brittany

             Tiens voilà encore Stanley ! L’avenir du rock n’en revient pas.

             — Ça fait au moins trois fois qu’on se croise en dix-huit ans ! Je parie cent balles que vous cherchez toujours Livingstone...

             — Ah c’est trop facile de parier comme ça ! Que voulez-vous que je fasse d’autre, à part chercher Livingstone ?

             — Vous pourriez faire un effort et chercher quelque chose de plus original...

             — Vous êtes marrant, vous ! Vous croyez qu’on peut trouver quelque chose à chercher comme ça, en plein désert ?

             — Vous me décevez Stanley. Je vous prenais un homme plein d’esprit, à l’imagination fertile...

             — Vous foutez pas d’ma gueule !

             — Vous devenez irritable... Vous devriez enlever votre casque colonial, il emmagasine la chaleur.

             — Gardez vos conseils et fourrez-vous les dans l’cul !

             — Quel sale caractère !

             — Ah mais j’en ai marre de vos rodomontades ! Oh et puis j’en ai marre de chercher Livingstone ! Vous êtes tous complètement cinglés dans ce désert ! Je veux rentrer chez moi !

             — Ah vous craquez ?

             — Oui, Livingstone peut aller s’faire enculer et vous avec !

             — Vous habitez où, grossier personnage ?

             — Îles Britanniques ! Vous savez par où c’est ?

             — Non, par contre, je connais très bien Brittany Davis.

             — Mon pauvre avenir du rock, la facilité ne vous fait pas peur !

     

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             Formule gagnante et choix gonflé : c’est une façon comme une autre de qualifier la presta de Brittany Davis, une black aveugle assise derrière son piano électrique et accompagnée par un gang de gays particulièrement brillants. Association heureuse et foire au brio. Magnifique mélange de groove et de glitter.

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     C’est l’héritière de Ray Charles accompagnée par Funkadelic. Bon, Brittany a choisi de monter sur scène sans lunettes noires, et lorsqu’elle te «regarde» ça te fout très mal à l’aise car tu vois ce que tu ne dois jamais voir, un regard mort. Mais autour d’elle, ça grouille de vie et quelle vie ! Te voilà aux pieds du plus ambigu des guitar

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    slingers d’Amérique, il s’appelle Vivienne DeMarco, il porte un porte un joli nom, Saturne, mais c’est un dieu fort inquiétant, dirait George Brassens. En plus de son nom, Vivienne porte aussi de fort jolis tatouages, un petit haut noir à l’effigie d’Ace Frehley qui vient tout juste de casser sa pipe en bois, un short en cuir noir qu’on appelle chez les initiés un «moule-burnes», des bas-résille sans jarretelles et des platform boots en vinyle noir qui montent jusqu’aux genoux. Quand il sourit, on voit briller ses deux dents d’acier, il porte ses cheveux blonds assez longs et gratte sa Les Paul comme un dieu, chantant parfois ses longs solos. Il fait du pur Funkadelic !

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    C’est Eddie Hazel en blanc. Car sur scène, Bitanny Davis et son gang de Funka-boys mixent le funk avec le rock pour le meilleur et pour le meilleur, le pire n’ayant pas droit de cité ici, c’est un mariage heureux, comme déjà dit. La formule t’interloque copieusement, même si parfois ça traîne en longueur. Et puis de l’autre côté, t’as un deuxième surdoué sorti lui aussi d’un bar gay de Seattle, il s’appelle Jesse Stern, il porte un beau galure de Rudolph Valentino, un juste-au-corps panthère et joue comme un dieu Booty sur une basse six cordes, alors Brittany peut groover peinarde sur la grand-mare des canards. Le spectacle qu’offre ce groupe de freakout te fascine, et la cerise sur cet immense gâtö-kâdö, c’est Superman derrière sa batterie,

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    un black au crâne rasé qui s’appelle Conrad Real et qui n’en finit plus de battre tous les records du monde de présence scénique, de shuffle de jazz, de booty funky, de comedy act, de jongleries, de grimaces comiques, il multiplie les facéties, never missing a beat dirait un Anglais, il est à la fois Elvin Jones et Tiki Fulwood, il est à la fois Tony Williams et Benny Benjamin, et son solo de batterie est le seul qu’on ait réussi à admirer jusqu’au bout, car c’est un mirobolant chef-d’œuvre d’inventivité. Retiens bien ce nom : Conrad Real. Prions Dieu que tous nous veuille absoudre, et surtout qu’on puisse revoir Conrad Real un jour sur scène. Car là t’as tout : le beurre et l’argent du beurre. Le plus grand batteur du monde ? Sans le moindre doute. T’es content, car tu rentres au bercail avec ta petite révélation. Tu vas même passer des jours et des jours à te demander comment un batteur aussi doué peut rester aussi inconnu. Du même coup, ça te conforte dans l’idée qu’il faut continuer à fureter dans les concerts, car contrairement aux apparences et au sentiment d’un écroulement généralisé des valeurs, l’idée de l’art a la peau dure. Conrad Real en est la preuve. Pur Black Power.

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             Par contre, ce sont d’autres musiciens qui accompagnent Brittany Davis sur Black Thunder, un très beau double album de groove jazzy. On voit de très belles photos du studio où elle enregistre avec deux blacks, Evan Flory-Barnes à la stand-up et D’Vonne Lewis au beurre. Avec «Amid The Blackout Of The Night», elle s’enfonce dans l’intégrité du groove de jazz, c’est une ambiance à la Miles Davis, mais sans trompette. Son magnifique, rien à voir avec le concert. En B, elle profite du morceau titre pour invoquer la deep forest et le black thunder. Elle crée son monde loin des feux de la rampe, elle va deep in the groove avec «Change Me» - Change me quick/ C’mon ! - Encore un groove de jazz bien senti en C avec «Girl Now We Are The Same» - You’re white/ And I’m black/ Is it black?/ No it is brown - Elle roule sur un son de stand-up bien rond. Puis elle s’en va groover son «Mirrors» au chant magnifique. Elle devient assez magique. Elle semble encore monter en puissance avec «Sarah’s Song» en D et vire quasi hypno. Elle regagne ensuite la sortie avec «Sun & Moon» - Dance in the moonlight - Elle jive dans le lard, c’est un groove très tonique, bien soutenu au chant, battu fouillé et rondement slappé dans l’âme. T’as des fabuleuses dynamiques internes et tu sors ravi de l’heure que tu viens de passer à écouter cet album.

    Signé : Cazengler, Abrutinny Avide

    Brittany Davis. Le 106. Rouen (76). 17 octobre 2025

    Brittany Davis. Black Thunder. Loosegroove 2025

     

     

    Talking ‘Bout My Generation

     - Part Thirteen

     

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             On jette un coup d’œil à la couve du numéro de Rockabilly Generation qui vient d’arriver et le premier nom qui te saute au paf - pardon, au pif - est celui de Vigon. L’interview de Rancurel est intéressante. Ce gros veinard a fréquenté et photographié Vigon a la grande époque. C’est un peu comme s’il avait fréquenté et photographié Elvis à ses débuts. Vigon est du même acabit que l’early Elvis : beau et légendaire. 

             À une époque, on pouvait encore voir Vigon sur scène au Méridien de la Porte Maillot. Au rez-de-chaussée de l’hôtel se trouve le club Lionel Hampton, un endroit chicos dans lequel se produisaient alors pas mal de grosses pointures, du genre Screamin’ Jay Hawkins ou Ike Turner.       

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             Vigon est depuis 1965 l’un des deux géants du rock français (l’autre étant bien sûr Ronnie Bird). Quand on voit Vigon chanter sur scène, on comprend tout. C’est un pur, un type hanté par ses héros. Quand on le voit remuer la tête indépendamment des épaules, on sent la présence de Ray Charles en lui. Il porte les mêmes lunettes noires. La façon dont il bouge le buste et dont il ramène le micro à portée de voix nous renvoie directement à Jaaaaaames Brown. Il fait une version démente d’«I Feel Good». C’est Mister Dynamite. Oui, Vigon est un bon. Oui Vigon sort de ses gonds. Il y a aussi de l’Otis en lui, de l’Ike Turner - il fait le baryton ikien sur une fiévreuse reprise de «Proud Mary» - Il fait aussi du Little Richard, quand il screame Bamalama Bamaloo baby !, l’un de ses vieux chevaux de bataille. Ils sont douze sur scène : section de cuivres complète, deux claviers, un fabuleux batteur, un guitariste qui joue le funk de Stax, et en prime, un soubassophone, qui est une basse à vent. Pouet pouet ! Vigon pilote cette énorme machine, comme s’il pilotait une formule 1, et il donne de violentes impulsions en dansant entre les couplets. Il a complètement intériorisé la magie du r’n’b. Son corps la contient toute entière. Il libère les vieilles énergies qui ont révolutionné les sixties. Il fait ça pour de vrai. Il n’est pas dans la représentation. Il puise dans la perception qu’il a de Mister Dynamite depuis cinquante ans pour trouver le ton exact - ‘nd I feel nice/ lik’ sugar ‘d spice - Il invoque les esprits. Tout le reste n’est qu’intendance. Avec «Knock On Wood» et «Hold On I’m Coming», il rivalise d’authenticité avec les originaux. Sa cover de «My Girl» donne le vertige - I’ve got sunshine/ On a cloudy day - Celle d’«I’ll Go Crazy» tient du miracle, pulsée par un shuffle de soubassophone. C’est gorgé de pulsions primitives. Vigon rappelle qu’«Harlem Shuffle» fut le morceau fétiche qui lui permit de remporter le tremplin du Golf Drouot. Et hop, il nous balance une version de rêve, montée sur le groove du diable. Par contre, aucune trace de Wilson Pickett dans son set. Plus de Mustang ni de Sally, comme au bon vieux temps.

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             En juillet 2004, Vigon participait à une sorte de festival historique. L’Olympia présentait le retour des pionniers du rock français avec une affiche des plus alléchantes : les Pirates, Billy Bridge et les Mustangs, Joey et les Showmen, Vigon et des tas d’autres qui, quarante ans après leur petite heure de gloire, paraissaient toujours prêts à en découdre. Nous n’étions là que pour Vigon, dont on avait un peu perdu la trace. Son impresario croisé dans la file d’attente éclaira nos lanternes en nous expliquant que Vigon s’était replié pendant vingt ans chez lui, à Casablanca, qu’il avait chanté tous les soirs dans un cabaret et mené la grande vie. Mais il était de retour à Paris et on pouvait le voir jouer tous les soirs dans un club situé à deux pas de l’endroit où nous faisions la queue : l’American Dream. Et pouf, il nous refila un flyer.

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             Ce soir-là, l’Olympia était plein comme un œuf. Moyenne d’âge : soixante-dix ans. Il nous fallut du temps pour nous acclimater à ce bal des vampires. On se retrouvait mêlé à une stupéfiante concentration de ventripoteurs à cheveux blancs et de vieillardes agrippées au souvenir de leur jeunesse enfuie. Après une série interminable de sets pathétiques, Vigon arriva sur scène tout de cuir noir vêtu. Il était plus que jamais ce diable marocain qui nous avait embrasé l’imagination au temps jadis. Il balança trois énormes classiques du rhythm’n’ blues coup sur coup : «Midnight Hour», «Hold On I’m Coming» et «Knock On Wood». Vigon était trop bon, presque miraculeux. Le jour et la nuit avec le reste du spectacle. Il incarna ce soir-là Wilson Pickett, Sam & Dave et Eddie Floyd, puis James Brown avec une version complètement allumée d’«I Feel Good». Vigon vitupérait. Vigon virait au vert. Vigon voyait rouge. Avec seulement quatre morceaux, il défonça la rondelle des annales et sauva la soirée du désastre.

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             Sortait en 2008 une curieuse compile intitulée «The End Of Vigon», avec une face lente et une face rapide, selon le modèle des Formidable Rhythm’n’Blues d’Atlantic. La pochette était celle d’un EP de Vigon : on le voit de profil, assis au sol, au sommet d’un escalier public, sur fond de ciel bleu. Il porte un pull orange et un pantalon noir. Dans son interview, Rancurel nous révèle que c’est l’une de ses images, faite au Canal de L’Ourcq. God, comme Vigon est jeune ! Même si on n’aime pas les morceaux lents, il faut faire l’effort d’écouter la face lente. Vigon y est vertigineux de Soul genius. Son animalité ressort mieux dans les slows super-frotteurs que dans les jerks torrides, comme chez Otis, d’ailleurs. Son timbre est d’une justesse remarquable et il prend toute son ampleur dans les morceaux lents comme «It’s All Over» et «Dreams». Les montées en puissance sont absolument fabuleuses, des coulures de kitsch scintillent comme des diamants. Tous les amateurs de Soul devraient écouter ce disque extraordinaire. Il faut entendre Vigon hurler les dernières phrases de «Dreams» dans la plus pure tradition des grands Soul Brothers de Detroit ou de Memphis. Il pousse des petits cris suspects et finit en hurlant comme un singe de Bali. Il est l’égal absolu de Wilson Pickett, de Percy Sledge, de James Brown et d’Eddie Flyod. Il dispose exactement du même registre, de la même classe, de la même énergie et du même génie interprétatif. Sur la B, il entre en éruption. Il déboule dans la cour des grands avec «Pollution», un funk infectieux monté sur un beat toxico. Avec ce funk tendu, Vigon se montre l’égal de George Clinton. Il y a quelque chose de terriblement organique là-dedans. A-t-on déjà entendu funk plus jouissif ? Non. Il embraye sur «Harlem Shuffle». Il est dessus. Aucun doute. Il fait grimper la température, puis il calme le jeu - yeah yeah. Pure magie noire. Vigon crie dans la nuit d’Harlem - Aaaah Aaaah - Prodigieuse fournaise de juke-box ! Franchement, on ne comprend pas que ce demi-dieu marocain soit resté dans l’ombre. Il est beaucoup trop bon. C’est Bou Jeloud ! Il dépasse les normes. Vigon paye le prix fort, enfermé dans sa légende. Il tape ensuite dans Sam & Dave avec «You Don’t Know Like I Know» qu’il mène au pas, sans forcer le destin, et qu’il chauffe à blanc, juste pour rigoler. My Gawd, comme ce mec est doué. Vigon ne craint pas la mort, car il tape dans des cuts déjà parfaits, et il réussit à leur redonner vie. C’est un miracle ! «Baby Your Time Is My Time» sonne comme un hit de Soul urbaine. «Ma chère Épiphanie, ce morceau te percera le cœur», disait le Comte de Lautréamont à sa carafe en cristal. Vigon fait partie de ceux qui ne prennent pas les gens pour des cons en leur faisant croire qu’ils ont du talent. Lui en a pour dix. Il reprend ensuite «The Spoiler» l’unique morceau d’Eddie Purrell enregistré chez Stax et composé par Duck Dunn (après la parution du single, Eddie disparut. Personne n’entendit plus jamais parler de lui). Sur Stax, c’était déjà une vraie bombe. Vigon prend cette monstruosité noyée d’orgue à bras le corps, et la balance dans la stratosphère. C’est un jerk mortel. Comme Eddie Purrell, Vigon y va - I’m a spoiler, ouuh - Monstrueux ! Do the spoil ! Vigon joue son va-tout. C’mon C’mon !

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             On est allé revoir Vigon en 2015 au Méridien. Trois fois une heure de set. Conditions idéales. Il chante à quelques mètres de ta table. Quand on le voit taper «Papa’s Got A Brand New Bag», on comprend qu’il ne fait pas semblant. Il incarne la Soul. Chanter Papa à la perfe, ce doit être à peu près tout ce qu’il sait faire dans la vie. Il n’existe qu’un seul chanteur de Soul en France et c’est lui. Shout, mon vieux Bamalama ! Il connaît tous les hits, de Stax à Atlantic, en passant par Motown, Vee-Jay, Specialty, Imperial, Chess, Duke ou King. Il les chante depuis cinquante ans. Il

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    reste exceptionnel sur scène. Chacun de ses gestes est inspiré. Il swingue la Soul, il sait chauffer un couplet au bon endroit et faire dérailler sa voix le temps d’une syllabe. Et puis il a ce franc sourire de crooner de choc. Lors des ponts musicaux, il danse les poings fermés. Il est, avec Vince Taylor et Ronnie Bird, celui qu’on a le plus admiré à l’aube des temps parisiens. Il fait le «Soul Man» de Sam & Dave à lui tout seul. Il le bouffe tout cru. Cette fois, il tape «Mustang Sally» et le «Twist & Shout» des Isley Brothers. On le voit aussi duetter sur «My Girl» avec Muriel, l’épouse du maître de cérémonie.   

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             On se souvient de vieilles photos de Vigon qui chantait torse nu sur la scène du Golf, dans les pages jaunes des premiers numéros de Rock&Folk. Encore mieux : pour son audition devant Henri Leproux, Ronnie Bird lui avait prêté son backing-band.

             Bon, tu continues de feuilleter ce nouveau numéro de Rockabilly Generation et soudain, tu tombes sur une double en forme de carnet mondain des cracks du boom-hue : Tony Marlow, Didier et son T-Becker Trio, Barny & The Rhythm All Stars, Hot Slap avec un Dédé on fire. Mais il manque le plus important ! Tu tournes la pages et, ouf, il est là : Jake Calypso avec ses Hot Chickens ! Ça remonte bien le moral de voir qu’ils sont tous là.

    Signé : Cazengler, Vicon

    Vigon & the Dominoes. Le Méridien. Paris XVIIe. 19 octobre 2013

    Vigon. Le Méridien. Paris XVIIe. 30 octobre 2015

    Vigon. The End Of Vigon. Barclay 2008

    Rockabilly Generation # 35 - Octobre Novembre Décembre 2025

     

     

    Inside the goldmine

    - Pierre qui roule n’amasse pas Mosley

             Bernard Masley ne payait pas de mine. Franchement, on se demandait comment une femme aussi belle et aussi sensuelle qu’Irène Masley avait pu tomber amoureuse d’un tel épouvantail et lui faire trois enfants. Il est des mystères qui nous dépassent, et plus on s’y penche pour tenter d’y voir clair, plus ils s’épaississent. En plus d’être moche, Bernard Masley était pauvre. Il bossait pourtant dans une grosse boîte, le sous-traitant d’un constructeur automobile, mais il plafonnait dans son parcours professionnel et gagnait à peine de quoi subvenir aux besoins de sa famille. Comment cette reine qu’était Irène Masley pouvait-elle supporter ça ? On la soupçonnait de se fringuer aux Emmaüs. Quand une amie voulait lui offrir des fringues, elle les refusait. Le samedi, Bernard Masley emmenait toute la famille faire les courses au centre commercial. Ils se limitaient au supermarché. Ils entassaient dans le caddy l’alimentaire de la semaine, les fournitures scolaires, les produits d’entretien et deux ou trois bricoles indispensables. Bernard Masley avait une liste et il comptabilisait les achats de tête au fur et à mesure. Lorsqu’il atteignait le montant du budget fixé, il indiquait la direction de la caisse. Irène Masley rêvait de lingerie et d’outils de jardin, mais elle se taisait. On ne pouvait pas dépasser le budget fixé. Ce niveau d’acceptation finissait par inspirer une sorte de respect. Les amis du couple ne leur demandaient jamais s’ils avaient besoin d’aide, c’eût été leur faire injure. Par contre, Bernard Masley pouvait rendre des services considérables. En tant que Référent Qualité, il était en contact avec des décisionnaires de l’industrie automobile, et ces contacts valaient de l’or. Il en fit don à des amis-aventuriers de la com interne qui vendirent au constructeur un plan Zéro Défaut. Autrement dit un budget mirobolant. Bernard Masley ne demanda jamais rien en retour. Moche, pauvre et généreux. 

     

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             Pendant que Masley ramait dans sa banlieue, Mosley ramait dans l’underground. Ils furent tous les deux de fiers rameurs qu’on était content de fréquenter. Pour les ceusses qui ne le sauraient pas, Bob Mosley fut bassiste/chanteur/compositeur dans Moby Grape. Moby Grape fait l’objet d’un chapitre à part. Penchons-nous sur la carrière solo que Bob Mosley entame après avoir quitté Moby Grape en 1969 (et qu’il ré-intégrera en 1971, puis par intermittences, comme le feront Jerry Miller et Peter Lewis).

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             L’album sans titre de Bob Mosley paru en 1972 est un immense classique. Pour au moins sept raisons, la première étant le fulgurant «Squaw Valley Nils (Hocked Soul)», un solide mid-tempo de fière allure. Bob est un bon, il y va au stranger at my table et ça se barre en vrille avec un solo de coyote. Te voilà une fois de plus avec un album culte dans les pattes. Culte encore pour le killer solo qui fusille «Hand In Hand», une sorte de rock Soul à la pointe du progrès, drivé à l’énergie de l’Airplane, et derrière t’as ce mec qui gratte comme un dingue. Frank Smith ou Woodie Berry ? Va-t-en savoir. Le killer solo est d’une rare virulence. Culte encore pour ce «Jocker» d’ouverture de balda, qui tape en plein dans le vif argent de Moby Grape. Bob a les Memphis Horns derrière, c’est ultra-joué, avec une gratte qui envoie d’incroyables giclées de jus. Sur «Gyspsy Wedding», Bob fait son white nigger. Il est infiniment crédible. Il récidive en B avec l’hot «Nothing To Do». Encore une belle énormité avec «Let The Music Play», Bob et son Mill Valley Rhythm Section & Choir te groovent le Moby rock de main de maître, et t’as encore un killer solo de coyote in the flesh. Power pur encore avec «Where Do The Birds Go». Bob mixe le rock avec la Soul. Tu te régales encore de «Gone Fishin’» qu’il chante d’une voix ferme, et de «So Many Troubles» qui se répand dans une brume de chœurs. 

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             Si Never Dreamed est un bon album, c’est sans doute dû à la présence de James Burton. Il faut le voir amener «Dead or Alive» ! Ça sonne comme un hit, et Bob charge bien sa barcasse. Voilà une pop visitée par la grâce et par James Burton. Puis avec le morceau titre, Bob s’impose durablement en chantant à l’accent perçant. Il passe à l’heavy country blues avec «Put It Off Until Tomorrow». Magnifico ! Illuminé par James Burton. Encore de l’heavy country power avec «Louisiana Mama». Bob est un mec très convainquant. Il se montre décidé à se barrer dans «Leavin’ Through The Back Door» - Don’t try to stop me babe !

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             C’est Freddie Steady qui réédite cette petite merveille qu’est le True Blue de Bob Mosley. Petite merveille car «Lazy Me», balladif à la Gene Clark de qualité supérieure. Suprême dérive abdominale. Et puis t’as ce coup de génie, «Rainbows End (Used To Be My Fiend)», un autre balladif de rang princier. T’es frappé par la stupéfiante qualité du cut. Bob adore le boogie, comme le montrent «Come Back Woman» et «Sad & Blue». C’est le boogie de San Pedro, celui qu’on appelle l’heavy boogie down bien sanglé. Tout aussi impressionnant, voici «Never» un heavy balladif circonstanciel. Bob tape ça au pur power vocal. Bob est un bon. L’intensité n’a décidément aucun secret pour lui.

    Signé : Cazengler, bien Amosley

    Bob Mosley. Bob Mosley. Reprise Records 1972

    Bob Mosley. Never Dreamed. Taxim Records 1999

    Bob Mosley. True Blue. SteadyBoy Records 2024

     

    *

    Existe-t-il une harmonie universelle. Au lieu de définir ce que j’entends par ces deux mots je me contenterai de rapporter deux faits. Chacun peut vérifier l’existence du premier. Dans notre dernière livraison 707 de la semaine dernière, celle du 30 / 10 / 2025, dans son article  hommagial à Nico, notre Cat Zengler citait les noms de deux des musiciens, Brian Jones et Jimmy Page qui ont accompagné Nico durant l’enregistrement de I’m not saving. Puis pratiquement incidemment, si l’on en juge par le contenu du paragraphe qui suit son cours, il ajoutait : ‘’ Brian et Jimmy ont un autre point commun : une passion pour Aleister Crowley’’. Nous avons déjà à plusieurs reprises consacré plusieurs chroniques à Aleister Crowley, personnage scandaleusement énigmatique que les Beatles n’ont pas oublié sur la pochette de Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band, l’est même en position numéro deux. Perso je le trouve méconnaissable sur la photo.

    Existe-t-il des clins d’œil du hasard. Au lieu de me lancer dans un interminable commentaire sur cette question je me contenterai de rapporter le deuxième fait. A peine en avais-je fini de choisir les illustrations pour illustrer l’article en question, m’octroyant quelques instants de repos, je décide de m’enquérir de ma boîte à lettres. Qu’y avait-il dedans : je vous le donne en mille :

    ALEISTER CROWLEY

    HUIT CONFERENCES SUR LE YOGA

    ET AUTRES TEXTES

    UNE ANTHOLOGIE INTRODUCTIVE

    A L’ŒUVRE

    D’ALEISTER CROWLEY

    VOLUME III

    Traductions de

    PHILIPPE PISSIER & AUDREY MULLER

    (Editions Anima / Octobre 2025)

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    Nous allons suivre la même méthode employée pour les deux volumes précédents, commentant avec plus ou moins de pertinence les différentes parie de l’ouvrage.

    HUIT CONFERENCES SUR LE YOGA

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    Le Yoga pour les yahous : ces quatre premières conférences s’adressent à ceux qui n’y croient pas, à ceux qui restent sceptiques quant à l’utilité de l’idée de se lancer dans le yoga. Crowley y va très cool, un véritable camelot. Le yoga n’est pas difficile. Il signifie, en langue sanscrit, lien, se lier à, (quoi ?). Ce qui est étrange c’est qu’il enchaîne en affirmant qu’il faut d’abord se dé-lier de tout ce  qui n’est pas nous, de toutes ces assertions, ces croyances, ces diktats de la société qui nous intiment de ne pas faire ceci ou cela. La leçon est claire : faites à votre guise. Les philosophes diront : évacuez la Doxa. Premier tour de vis : il faut aussi se délier de soi. Ce qui ne signifie pas qu’il faille tomber sous la coupe des Maîtres. Des charlatans qui restent trois ans sans bouger ni boire ni manger. N’imitez pas, ne vous obstinez pas à tenir la posture du chien, du chat, de l’aigle, de la souris, de l’éléphant, de l’arche de Noé. Trouvez celle qui vous convient le mieux. Inventez-la sans honte ni regret. Attention ça se corse. Un truc qui personnellement me file l’urticaire. Le coup de l’arbre des Séphiroths un emprunt à la qabal. Crowley a dû savoir que j’allais lire ce texte car il se sert de symboles grecs pour expliciter. Tel Dieu grec symbolise telle chose par rapport à lui-même et aux autres Dieux. Cette façon de faire ne me paraît pas du tout grecque mais passons. En fait je suis sur la bonne voie puisque je commence à m’ennuyer. Crowley est d’accord avec moi, on a beau s’être coupé de tout, ce n’est pas le nirvana pour autant, oui vous vous ennuyez, des pensées viennent vous turlupiner et même si vous parvenez à tordre le cou à ces visiteuses impromptues, c’est votre corps qui se réveille, une crampe à la jambe, des picotements sur le coude… continuez sans défaillir, concentrez-vous sur votre respiration, un tiers j’inspire, deux-tiers j’expire, quatrième tiers, ni expiration, ni inspiration, attention c’est une concentration qui doit après des séries et des séries de séances systématiques se métamorphoser, bref un jour vous parvenez à suivre le rythme sans être obligé d’y penser. C’est alors que votre corps auquel vous ne pensez plus, se met à bouger indépendamment de votre volonté. Il s’agite même beaucoup. Vous ressemblez à une grenouille dans une mare qui s’amuse à sauter de feuille de nénuphar en feuille de nénuphar. Continuer sans faillir, bientôt votre corps va se soulever et vous entrez en lévitation. Très honnêtement Crowley avoue qu’il n’est jamais parvenu à ce stade. N’empêche qu’il reste encore quatre conférences.

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    (Tirage de tête)

    Le yoga pour les froussards : le titre de ce cycle de conférences n’est guère engageant, c’est que la donne devient sérieuse, dehors les dilettantes, le yoga exige beaucoup de vous, arrêter de vaquer à vos affaires, il vaudrait mieux que votre vie ne soit pas accaparée par le travail… C’est que nous attaquons au gros morceau, la forteresse qui n’entend pas se rendre : le mental. Nous revenons à la Bible, les mystères du Tétragrammaton, chaque lettre à sa signification : le père, la mère, le fils, et la fille. D’où sort-elle celle-ci, on attendait l’Esprit, cela serait trop chrétien, la  fille représente l’extase, celle qu’ont connu le père et la mère en engendrant le fils, silence dans les rangs, ne pas confondre le yoga avec le kama sutra, tout engendrement se doit d’être conçu comme une séparation, pas un ensemencement, plutôt une éjection. Un peu comme les poubelles que vous sortez le soir. C’est en se défaisant de ce qui nous est inutile que l’on se concentre sur soi-même. Il convient de vider son mental en lui confiant ces tâches précises de désintéressement déjectifs de ces mêmes taches. C’est ainsi que se purifie l’eau de votre mental. Ceci n’est qu’une image. Le mental ne contient pas d’eau, le mental  est un espace vide. Mais cette notion de vide nous emmène à la notion de volume. Volume d’autant plus abstrait qu’il n’occupe pas plus d’espace qu’une idée qui vous traverse la tête. La pratique du yoga vous conduirait-elle à devenir un songe-creux. Attention prenez conscience du plaisir à acquérir cette connaissance qui permet d’être sicut deis. De fait ce n’est pas que vous n’ayez rien trouvé, c’est que vous avez trouvé le rien, or si le rien est tout, le tout existe et si le rien n’est rien, il n’est que le vide dans lequel sont dispersés les points structurant du tout. Nous sommes ici face aux atomes batifolant dans le vide, à part que ce vide plein est en quelque sorte un cinquième élément, un éther qui n’est autre  chose que la pensée du mental en son point d’activité zénithal qui n’est que le repos de votre mental. Tout serait-il du charabia. Crowley s’en réfère à Kant, l’on aurait préféré Nietzsche, Einstein, Riemann, Berkeley, évidemment depuis la science a continuité, n’y a que notre évêque du dix-huitième siècle qui reste stable, nous remarquons que dans les dernières pages de la sixième conférence Crowley revient à partir de la théorie de la relativité, l’idée d’une connaissance circulaire. Qui ressemble à s’y méprendre à un serpent qui se mord la queue. D’où cette question : comment se doit-on d’envisager la matière. Comme une chose, comme un néant, comme une hypothèse, comme un mythe…

             La septième conférence  s’avère déceptive, retour au christianisme, pas tout à fait la version pour les faibles, mais celui des exercices spirituels qui correspondent assez bien au travail intellectuel du yogiman. Nous remarquons que la pensée régresse, nous parlions du mental, nous voici dans notre intellect. Il est évident que l’on ne peut désigner une chose (même conceptuelle) que par des mots qui ne sont pas le vocable qui désigne très précisément la chose, qu’elle soit conceptuelle ou pas. Le mental serait-il un acte de foi ? Il est vrai que son exercice qui permet d’obtenir une vision de l’univers, provoque en l’individu qui parvient à ce stade connaît ce que Crowley exprime par le mot transe, Nietzsche par le mot danse, et plus trivialement Paul Valéry une fête de l’esprit.

             Dans la huitième conférence Crowley passe à la concrétude non pas des choses mais de l’action que l’on peut exercer sur elles. Nous avons évoqué l’Ether, cette totalité élémentale Crowley la fragmente en trente. Le Yoga vous apporte la connaissance mais le système Magick de Crowley vous permet d’entrer en relation avec ces trente éthers. Il donne un exemple qui n’est rien d’autre que l’exercice rituellique que l’on pourrait comparer à la messe catholique. L’enchaîne sur la poésie conçue en tant que chant orphique influant sur les éléments terrestres et intersidéraux.

             Ces huit conférences sont agréables à lire, mais à les regarder objectivement l’exercice du Yoga ne nous semble pas très différent d’un habituel chemin de pensée voluptueusement escarpé, que je vous conseille de mener depuis votre canapé, devant votre cheminée, un cigare à la bouche et un verre empli d’un bourbon mordoré à portée de votre main. Crowley n’est pas très loin de Descartes. Ou d’Husserl.

    UN ARTICLE SUR LA QABALE (Liber 58)

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    Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ! La réponse est facile : parce que parfois les textes sacrés se contredisent. L’a donc fallu trouver un processus qui explicitât ces contradictions. Sans quoi il serait raisonnable de rejeter tous ces incohérences verbiagiques. Ce serait du même coup l’arrêt de mort du Dieu. Autant ôter le plancher imaginaire ou mental (adoptez le mot que vous préférez) sur lequel la race humaine repose ses pieds.

    Le principe est simple : il s’agit de prouver que tel mot connote avec un autre (voire plusieurs). Ne pas se fier au sens ce serait trop facile. Il faut une règle qui soit en même temps arbitraire et mathématique. Il suffit de doter chaque mot d’un chiffre obtenu en faisant le total de la valeur de ses lettres ( A=1, B=2, C=3 et ainsi de suite…) Nous avons pris l’alphabet français, évidemment Crowley use de l’alphabet hébreux… La qabale est à l’origine une science d’origine biblique.  Les mots présentant le même total numérique ne sont point bêtement interchangeables disons que comme dans le poème de Baudelaire ces correspondances numérologiques entretiennent des rapports symboliques significatifs.

    Le système  peut être complexifié, l’on peut numéroter des phrases entières, donner une certaine importance aux lettres initiales ou/et finales, voire centrales… Si en notre langue ronsardienne le nom propre Mars avait la même valeur numérique que le mot guerre vous pouvez ainsi sous-entendre que ce n’est pas un hasard si Mars est le Dieu de la guerre. Si vous pensez que cette manière numérologique tient un peu trop de la loterie, mettez-la en relation avec le squash métaphysicio-linguistique par lequel le lecteur français d'Heidegger se doit d'établir des équivalences interprétatives entre les termes grecs-allemand-français afin de parvenir à une compréhension aigüe de la subtilité transmissive de l'herméneutique de vocables héraclitéennement obscurs de par leur nature fondatrice.

    Ainsi en s’attardant longuement sur les premiers mots de la Bible, Crowley démontre à l’excès qu’il n’y a pas de hasard entre ces premiers vocables qui se répondent entre eux comme dans le jeu de cartes des sept familles, sous-entendu une certaine intelligence supérieure préside à ce texte… Soit, nous voulons bien, mais nous aurions aimé de plus amples explications de l’emploi du féminin-pluriel d’Elohim, qui d’après nous correspond davantage à l’historiale fabrication de Yavhé qui à l’origine était une déesse femelle représentée sous forme de colombe…

    En s’attardant sur certains passages de la Bible ou d’autres textes l’on peut leur faire dire ce que l’on veut, ou du moins ce que l’on pense : la qabale ne nous semble qu’un cas particulier du commentaire doxographique et de l’herméneutique littéraire…

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    Le dogme qabalistique : qu’importe la médecine pourvu qu’elle guérisse, encore faut-il savoir l’utiliser. La qabale est complexe mais Crowley tient à nous faire remarquer qu’elle permet à résoudre des problèmes ultra-complexes, en quelque sorte c’est une méthode simplificatrice. N’oublions que les symboles sont réversibles, que ce qui apparaît comme l’expression de la difficulté peut se résorber en celle de la facilité. Il suffit de savoir jongler avec la grille de déchiffrement conçu pour déchiffrer des textes (ou des situations) qui ont été conçus, ou du moins interprétés pour être déchiffrés par une telle grille. Voici un rituel, qu’en pensez-vous ? Rien !  Ce n’est pas qu’il vous échappe, c’est que votre esprit est ainsi constitué de telle manière que vous ne pourrez l’appréhender. Et plouf nous retombons sur les deux jambes de la philosophie classique idéaliste (aucun mépris envers ce dernier mot). Saint Berkeley serait-il le sauveur des athées. En tout cas, en fin de compte, au bout de ces longues et savantes interprétations Crowley met un bouchon d’étoupe  sur le puits sans fond de son érudition en le bouchant avec des mots que tout le monde comprend comme : nature.

    Un essai sur le nombre : Crowley reprend tout depuis le début. Depuis Pythagore, passons sur la deuxième stase, la troisième stase est consacrée au catalogue basique du néoplatonisme. N’oublions pas que celui-ci fut historialement concomitant avec la montée du christianisme. C’est donc le moment de retourner à la deuxième stase, commence par l’œuf cosmique d’Hésiode qui engendre l’éros. Les grecs furent de grands désirants. Mais très vite, la grécité inaugurale de cette deuxième stase se trouva mâtinée par l’influence biblique, l’éros se métamorphose en amour et celui-ci est exprimée selon l’idée freudienne du désir conçu en tant que chose douteuse puisque résultat d’une séparation.  Freud, Crowley, Einstein voici le tiercé gagnant de la modernité. Crowley est au milieu, il est le représentant d’une culture judéo-chrétienne qui ne veut pas mourir dont il est la suprême quintessence de son ultime efflorescence. Crowley est situé entre deux serpents, celui qu’avec raison il ne veut pas voir car Freud est un mécaniste qui rabougrit le monde et celui qui le fascine car Einstein l’illimite en  désemcombrant l’univers de sa partition macro et microscopique.

             Suivent quelques pages durant lesquelles Crowley, s’amuse, un galop littéraire du meilleur effet, la Grande Bête sort le grand jeu, vous en met plein la vue, étale son érudition à pleines couches de confitures rituelliques, toutes les deux lignes une révélation, vous avez droit au moindre détail, évidemment tout cela sort non pas de son imagination mais de son imaginalisation, sans avoir besoin de relire Corbin disons qu’il parle de lui-même pour lui-même. Evidemment il se connaît mieux que personne. Le titre de la Partie II de cet essai sur le nombre est des plus révélateur : L’univers tel que nous cherchons à le faire.  

             Sans doute faut-il méditer sur le titre de cette dernière partie du texte. Un essai sur le nombre est-il une étude sur l’essence du Nombre quel qu’il soit, ou est-il un questionnement sur le nombre qui contiendrait tous les autres nombres, qui vaudrait à lui tout seul tous les autres, qui serait l’essence du nombre en lui-même, qui serait de fait le nombre unique. Pas la peine de se mentir : l’éventail énumératif des nombres n’est-il pas procédé à partir du nombre Un, d’ailleurs n’est-ce pas le monde qui est nommé univers, ou autrement (refermons l’éventail dans son unicité :  retour vers le Un. C’est à cet instant que les ennuis commencent, car le Un ne saurait être le Tout, car le Tout n’est que l’addition de tous les nombres que contient le Un. Les grecs énoncent cela très doctement avec leur formule : l’Un et le Multiple. Platon ajoute que dans ce cas le Multiple est l’Autre ce qui équivaut à la négation du Un. Dès que vous avez Un vous avez sa propre négativité : le moins Un. Hegel dira que moins Un est égal au zéro.

             Déduction de tout cela / comment surmonter, non pas le nihilisme, mais l’athéisme. Crowley définit exotériquement l’athéisme non comme la négation de Dieu mais comme un passage. Vers quoi ? Il ne le dit pas expressément, revient en arrière, tous les calculs qui vous mènent à l’athéisme il est nécessaire de les refaire pour tomber juste, il passe en revue un maximum de numérations qui permettraient d’assumer l’athéisme, car l’assumer c’est ajouter une présence au zéro absolu de l’athéisme, peut-être pas une présence supérieure mais au moins la présence de l’impétrant qui assume cette tâche. Qu’on le veuille ou non : il reste de l’être.

             Petite remarque adjacente : après le mot être, passez aux deux prochains mots écrits en rouge. Dans le long développement que nous venons de commenter Crowley fait référence à la Rose-Croix, c’est un peu le lapin rose sorti du chapeau de magicien car Crowley oublie de noter la dimension littéraire de la vision rosicrucienne que nous considérons comme un surgeon de la grande lyrique française dont le poème Le roman de la Rose serait à considérer comme le point de bouture essentiel.

    L’ontologie : Un essai d’ontologie avec quelques remarques au sujet de magie cérémonielle : cette anthologie est diaboliquement construite, sur la cohérence de la pensée de Crowley, dont le plan de cette troisième anthologie aide à prendre conscience de l’implacable logique d’Aleister. Lorsqu’il reste ne serait qu’un minimum d’être, une réflexion ontologique s’impose. Les grecs considéraient la finitude d’une chose comme parfaite et son infinitude comme imparfaite. Or  les religions définissent le Dieu comme infini. Heidegger a tracé une ligne rouge entre philosophie et religion, notre modernité lui a beaucoup reproché ce crime impardonnable mais ceci est une autre histoire. Arracher la mauvaise herbe de la croyance religieuse du travail de pensée ne saurait être avalisé par Crowley qui frise l’athéisme tout en affirmant en dernier ressort l’apport originel d’une puissance émanatrice. Après examen de trois grandes religions : boudhisme, hindouisme, christianisme, il en arrive à une étrange conclusion : il existe bien une puissance émananatrice originelle mais à plus moins longue échéance celle-ci cessera de vivre.  C’est-là accorder un sursis à Dieu.

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    La louange mariale : le dernier texte de cette anthologie ravira certainement les zélateurs de Péguy et de Claudel. Certes avec Crowley il faut se méfier. Il sait faire l’âne, animal christique par excellence. Il a le sens de l’humour et emploie volontiers le double langage. Si l’on vous donnait à lire ce texte signé par la main d’un Franciscain  vous le recevriez sans hésiter comme une espèce de Rosaire de Marie des plus fidèles, même pas une goutte d’hérésie dogmatique. Tout au plus pourrait-on l’appréhender comme l’annonciation de ces mouvements catholiques qui donne autant d’importance au personnage de Marie-Madeleine qu’au Christ… Ce texte est un recueil de poèmes, de psaumes ou de prières si vous préférez, disons d’invocations pour notifier que Crowley est aussi à sa manière un païen. Notons qu’une lecture toute parvulesquienne de ce texte, particulièrement le livre IV, risque de vous entraîner sur les ombreuses sentes d’un christianisme alchimiquement et politiquement activiste. Mais là n’est pas le problème. Restons dans la problématique heideggerienne selon laquelle, la pensée philosophique ayant été menée à son terme doit céder sa place à une nouvelle pensée qui s’apparenterait à la poésie…

    La joute chymique de FRERE PERARDUA et les sept lances qu’il brisa : texte résolument alchimique, sans doute faut-il le lire ou plutôt l’interpréter, en tant que ligne de fuite heideggerienne. Par-delà la poésie, la mise en œuvre d’un activisme que faute de mieux nous qualifierons de parvulesquien ou mallarméen. Grand écart.

    L’approche graphique : ne pas y voir un carnet d’illustrations diverses. Le lire dans la lignée du texte précédent. Alchimique certes. Liber Mutus, restons bouche cousue.

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    (Editions Anima / La visite du site s'impose)

    Appendice IDeux textes d’Allan Bennett qui fut membre de L’Aube Dorée, peut-être dans le seul but de s’en éloigner. Ces textes Un commentaire sur la Genèse et Le dressage du Mental  sont à lire ne serait-ce que pour comprendre que la pensée de Crowley n’est pas sortie du cerveau d’un illuminé. Crowley est un travailleur et aussi un héritier. Crowley et Bennett se sont croisés, le terme de percutés ne serait-il pas davantage évocateur... Rien qu’aux titres des deux écrits de Bennett les lecteurs de cette trop longue chronique  auront remarqué bien des similarités entre  nos deux démarcheurs, non pas de l’invisible mais du non-visible.

    Appendice II : un court poème de Crowley : Le chant d’amour du Chimiste : qu’intuitivement je mets en relation avec les deux derniers textes de cette Anthologie mais surtout avec Le chant de l’amour et de la mort du cornette Christophe Rilke, de Rilke évidemment, dans les deux cas pour employer une terminologie empruntée à Poe, grotesque Crowleyen et arabesque rilkéenne, deux modalités non sans rapport avec le romantisme et la métaphysique, élémental mon cher Watson !

    Appendice III : un texte exhumé du mensuel Alexandre consacré à une recension de Bereshiht d’Aleister Crowley, note secrète d’un des agents les plus brillants du SSR (Service Secret du Rock’n’roll).

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    ( Sgnature : Audrey Muller et Philippe Pissier )

    Appendice IV : Quatre illustration d’Audrey Muller pour sa traduction de Hail Mary : quatre collages, le liber motus des stances à Marie. La troisième est éloquente pour une image  qui est censée se taire. Je lui donnerais pour titre La Rose sans la Croix.

    Appendice V : Diana Orlow : cinq des derniers poèmes : lire et se taire.

    Avant les parties bibliographiques : une image pieuse d’Anja Bajuk. Cherchez l’Ange. Surtout ne le trouvez pas.

             Si vous n’avez jamais compris la pensée polymorphe d’Alesteir Crowley ce troisième volume de l’Anthologie Introductive à l’Oeuvre d’Aleister Crowley vous mènera tout droit à la base de la Montagne Magicke. Vous avez même le plan des premiers lacets qui ouvrent l’escalade. Vous n’êtes pas obligé de les suivre.

    Merci à Philippe Pissier pour son inépuisable effort à faire connaître Aleisteir Crowley au lectorat français.

    Damie Chad.

            

     

    *

             La semaine dernière nous étions en Chine, encore plus loin que n’est jamais allé Ulysse, puisque vous avez été sages, pas besoin de quitter votre fauteuil, je vous offre une séquence de cinéma, gratuite, et pas n’importe quoi un western, un vrai, grands espaces à vous rendre gaga et cadavres à gogo, en cinémascope, en dolby-stéréo et quadrephonia, tourné aux USA ! Sponsorisé par une grande multinationale pétrolifère californienne. Silence, la séance commence !

    GRANDIOSE

    OIL BARONS

    (Bandcamp / Sept 2025)

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    La couve est de Filippo Masi, doit y avoir une dizaine de Filippo Masi dans chaque ville d’Italie, mais j’ai eu de la chance, à la première image que j’ai aperçue sur un site j’ai reconnu, sa palette, son dessin, son style très psychedelic, il ne se cache pas dans sa très courte biographie de ses  expériences lysergiques. En tout cas c’est bien sa peinture qui m’a donné envie de m’attarder sur le groupe.  Ne la regardez pas longtemps. Juste un coup d’œil. Pas davantage. Surtout ne la fixez pas, elle bouge.  Non je n’ai pas bu. Un exemple comptez le chevaux ou les cheval comme vous voulez. Et puis ce brouillard rose, qui englobe ce tableau, êtes-vous sûr qu’il soit naturel, si vous n’avez pas encore aperçu le caïman et ce sentier qui se transforme en serpent, il est encore temps pour vous de téléphoner à votre percepteur pour vous raccrocher aux réalités sensibles et ennuyantes de la vie réelle. Il revendique un frère jumeau, un double cosmique.

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    Andrew Huber : bass, lead vocals, acoustic, guitar (8) / Lou Aquiler : electric guitar, acoustic guitar (1, 2, 3, 6, 9, 11), flute (1,11), spoken word (2, 9), lead vocals( 4) / Jake Hart : drums, lead vocals (10), backing vocals / Matt Harting : ogan, acoustic guitar (3, 5, 10), lead vocals (5).

    The surrenders : (le western est américain certes, mais comment commencer un western sans un générique d’Ennio Morricone, nos barons sans foi ni loi se sont emparés de d’un titre de la bande sonore du film de Sergio Solima : La Resa Di Conti, mot à mot en notre langue L’épreuve de force, mais un distributeur peu inspiré lui a préféré l’insipide Colorado !  Les américains ont opté pour The Big Gundown. Simple mais au moins l’on sait où l’on met les pieds.  Avis aux amateurs : Lee Van Cliff est au générique). Malgré toute l’admiration que j’éprouve pour la musique composée par Ennio Morricone pour ses westerns je n’hésite pas à la traiter de pompière, selon moi ce terme n’est guère péjoratif, j’apprécie autant les peintres dits pompiers que les impressionnistes, tout dépend de l’angle d’attaque et du but recherché. On peut aimer ou ne pas aimer mais ce genre de point de vue est totalement doxique et même toxique. L’est certain que comparé à un grand orchestre, ses chœurs tapageurs et ses éclats de trompettes aussi grandiloquentes que celles de l’Apocalypse, la flûte et le maigre appareillage  de nos quatre hors-la-loi ne combattent pas armes égales, mais là n’est pas le but, dans cette ouverture, au sens propre du mot, puisque nous sommes tout de suite plongés dans un magnifique paysage plus western que cela tu mérites une balle dans la peau, ce qu’ils nous préparent ce n’est pas l’attente d’une scène choc, ou l’apparition du héros solitaire  campé sur son cheval dans le lointain, non c’est simplement l’introduction de l’instrumentation rock-doom, elle arrive à pas feutrés, façon crotale qui s’approche de vous sans s’annoncer en agitant sa sonnette tel un lépreux figure déliquescente de la Mort qui vous attend en ricanant, et quand elle éclate vous êtes déjà dans le morceau suivant… Wizard : le morceau est

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    accompagnée d’une Official Lyric Vidéo. Un truc à l’économie, pas du tout inoubliable. L’on ne peut même pas parler d’un plan fixe, doit y avoir un ventilo à fond les pales qui  boursouffle la chemise de l’acteur, un sorcier, disons que ce sont les quatre vents de l’esprit qui l’agitent, ne rigolez pas, quelque part l’on n’est pas loin de la scène finale de La Montagne Sacrée d’Alejandro Jodorowsky, en plus elle correspond parfaitement aux quatre mots par lequel le groupe se définit sur son bandcamp : psychedelic western doom rock – tiens-tiens me disais-je si je devais résumer cette formule en deux mots je dirais ; hippie-doom, et dans mon cerveau s’inscrit en lettres d’or (attention ces trois derniers mots ont leur importance) le titre d’un vieux film El Topo. Par acquis de conscience j’opère une rapide vérif et me tombe sous les yeux le nom du réalisateur que j’avais totalement oublié : Alejandro Jodorowsky qui en a aussi écrit la musique – bref sur la vidéo si vous êtes attentif devant le sorcier qui vaticine en agitant les mains vous avez un livre dont dans les lyrics il est dit qu’il est écrit en lettres d’or. Autre détail, le rebord de plateau composés de dalles de roches superposées auquel notre wizard fait face renvoie à la couve de Filippo Masi, il existe donc une espèce d’interdépendances sysnesthésiques entre les différents éléments de cet opus. L’aspect doomique de la musique n’apparaît fortement que dans la dernière partie du morceau, tout le début sonnant indiscutablement westcoast comme l’on disait dans les années 70 pour qualifier la musique californienne. Les paroles ne sont pas sans résonner avec le scénario d’El topo. Gloria : dans tous les crimes il faut chercher la femme. Pas n’importe laquelle.

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    L’égérie du rock’n’roll. La Gloria des Them. Apparemment rien à voir, n’y a pas qu’une ânesse qui s’appelle Martine, il y a une lyric vidéo, encore moins stylisée que la précédente, un gars de dos qui fait la vaisselle. Encore un plan fixe mouvementé car il n’arrête de remuer les mains dans l’évier et son popotin devant votre nez. L’est content parce que Gloria est le soleil de sa vie… ce n’est ni doom ni hippie, encore moins western, vous avez déjà vu un cowboy faire la vaisselle, l’on est plutôt dans une comédie musicale, une parodie puisque le gars s’amuse à épeler les lettres G.L.O.R.I.A, évidemment ce n’est ni l’urgence de Van Morrison, ni l’air, ni la musique. Disons que c’est le repos d’un guerrier de notre modernité. John Brown’s body : passons aux choses sérieuses, y’a un cadavre dans sa tombe. Pas celui de n’importe qui, celui de John Brown, reprennent un traditionnel, profitez-en pour écouter l’interprétation de Pete Seeger, il s’agit d’un hymne anti-esclavagiste en l’honneur de John Brown ( un blanc) qui décida de se battre armes à la main contre la ségrégation aux USA, il fut pendu haut et court, vite fait mal fait… début morbidoom mais très vite le morceau se transforme en une espèce de gospel un peu tragico-foutraque, on a l’impression d’assister au deuxième tableau de la comédie musicale précédente, Shinola : retour au western pur et dur, la ballade du gars qui va se faire buter, la basse à tire-larigot, un vocal tragique à vous infliger des frissons dans la moelle épinière, une belle scène à la Sergio Leone, guitares ferrugineuses, ce coup-ci ce n’est plus de la comédie, du véritable western-doom, vous voyez déjà les ailes noires des vautours tournoyer sur votre cadavre, un plan séquence parfaitement réussi, tout se passe dans la tête du gars, c’est ce qu’on appelle filmer

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    en intérieur. Goddam Horror Show : doom à mort, ça se passe à cheval, mais les guitares pétaradent comme des motos qui se mangent la main dans une course de côte, une sombre histoire d’amour et de fric, avec un tueur impitoyable qui fait crisser les pneus de sa voiture, le son gargouille un maximum et cacophonise au maximum, le mec est un tueur aussi impitoyable que Lee Van Cliff dans Pour Quelques dollars de plus, sur la fin n’y a plus que le vent qui siffle sur un cadavre abandonné dans les sables du désert. . Vivienne : country-slow, encore un drame, vu par le petit côté de la lorgnette du perdant magnifique qui sait que le bonheur n’est pas pour lui, qui ne fait que passer, que la vie est mortelle et ne peut être vécue que de l’autre côté, voix éteinte et musique clapotante. Death hangs : de pire en pire, après le regret, voici l’agonie, juste aux portes de la mort, grandes ouvertes, le vocal se traîne, s’y mettent à deux pour se donner du courage, le constat amer de l’échec, la drumerie bouscule un peu les adieux, plus de temps à perdre, faut assumer, quand on a perdu, on a perdu. Rien à dire. Rien à vivre.  Quetzalacatenango : quezaco, une véritable symphonie rock, un peu comme au temps du mort reconnaissant, les guitares qui farandolent et se tirent la bourre des cartouches soloïques, la galerie galope, attention, nous entrons dans une autre dimension, c’est un peu comme dans Blue Berry, non pas celui de la bande dessinée de Giraud, l’autre celui de Jan Couen, le film psychedelic qui ne montre rien que l’on puisse raccorder à l’aspect rockambolesque des westerns, tout se passe dans la tête du héros à tel point que vous ne voyez plus que les circuits de parallèles entremêlées d’un cerveau sous acide, z’ont pas l’image pour dessiner les circonvolutions géométriques des réseaux inorganisationnels des circuits neuronaux, ce sont les guitares qui se chargent de les figurer, lorsqu’elles éclatent ça dégouline pas mal de tintouin dans cos tympans, nous voici au cœur de la tourmente schizophrénique, zut les temps de repos sont un peu longs, vous savez ces marécages westcoast, vous sortiez sur le pas de la porte pour discuter avec le facteur, venait-il vous livrer un cercueil ou un aspirateur à rêves, normal vous aviez l’impression que les groupes posaient des rallonges à la table du temps, mais l’on préférait John Wayne dans Le dernier des géants lorsqu’il renversait la table pour que ça canarde un max, bien sûr en bout de compte l’on sait très bien que l’on ne fera pas de vieux os, ou du moins qu’ils seront vite éparpillés et disjoints, balayés par les vents du désert. Morning doom : c’est le titre, mais de fait les paroles sont celles de Morning Dew écrites par Bonnie Dobson, après l’explosion nucléaire le dernier homme essaie de convaincre la dernière femme que tout est fini, comme par hasard le morceau a été repris par Grateful Dead, ce n’est pas joyeux, Jake Hart chante tout doux, c’est l’orchestration qui se charge de l’amplification mélodramatique, d’ailleurs elle entraîne la voix à monter haut pour mieux retomber, l’on a un peu peur que l’ensemble ne devienne Waterloo morne plaine, mais non ils y mettent du cœur, ne vont pas laisser passer le dernier coup de bluff artistique, puisque tout est fini autant négliger de pleurer et finir en beauté, hélas ils n’ont plus la force de faire semblant, l’on n’entend presque plus rien, un tambour  tapoté, une voix un tantinet inaudible, une guitare qui fait du goutte à goutte, pourvu qu’elle ouvre le robinet à fond qu’elle se transforme en cataracte crépitante, qu’elle se métamorphose en déluge électrique, elle nous fait attendre mais enfin c’est parti, ça gronde, ça mord, ça morfle, ça griffe, ça se contorsionne un max, si elle continue elle va enfler comme la grenouille qui veut se faire plus grosse qu’un éléphant… et finir en explosion nucléaire, non ils n’osent pas, ils terminent en infâme gargouillement post-nucléaire.  Grandiose : ils enchaînent sur le final, la guitare sonne un peu comme Ajanjuez mon amour, auquel se mêlent des accoups très acouphèniques du   très Ennio Morricone – peut-être parce que la mort y corne, nous refont au milieu du morceau le coup du silence presque imperceptible, heureusement ils se reprennent, ce coup-ci c’est à la violence tapageuse embrumée de ces rafales de sprays ravageurs de  mélancolie dont le  maître de la musique western vous asperge l’âme qu’ils rendent un ultime hommage. Une dernière image spaghetti.

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             Un disque composite, entre reconstitution historique et parodie, entre doom-doux et influences californiennes évidentes, un difficile équilibre à maintenir, toutefois nos Barons de l’Ouest ne nous servent pas de l’huile de foie de morue indigeste, se tirent plutôt bien de leur mikado stylistique. Si parfois  nous sommes entraînés du côté des théâtres de Broadway, l’ensemble résonne comme un le kaléidoscope soundtrackique d’un film jamais tourné ou dont   il ne resterait hélas que la bande-son, un cliché, deux rushes, peut-être retrouvés par des extraterrestres venus visiter notre planète ravagée par un cataclysme irréversible. Sans doute seront-ils surpris et décideront-ils, après une profonde étude des rares vestiges collectés, qu’il y avait dû autrefois exister et se développer sur ces rochers arides une civilisation incompréhensible mais fort tapageuse. Peu recommandable car trop rock’n’roll, ajouteront-ils.

    Damie Chad.

     

    *

    Franchement je n’ai pas aimé, ni la pochette, ni le nom du groupe, mais comme disait Claude l’habit ne fait pas le Mitchell, par acquis de conscience, peut-être sont-ils grecs ou polonais, mais non même pas, bref ils avaient tout pour que je m’en aille, la vie est trop courte pour s’intéresser à n’importe quoi, un scrupule m’a saisi, j’ai ne sais pourquoi, j’ai daigné, un reste de philanthropie peu habituelle chez moi, écouter trente secondes pour me conforter dans mon peu d’appétence pour cette chose musicale. J’ai coupé le son à la trente et unième seconde, indubitablement ce gente de mixture ne réveillait aucune curiosité  en moi. C’était vrai, la vérité pure. M’en suis allé vaquer à d’autres affaires. A tout hasard je suivais une jolie fille dans la rue lorsque mon cerveau reptilien s’en est venu cogner sa tête contre mon cortex : - Damie tu es sur une mauvaise piste, rebrousse chemin ! J’ai essayé de parlementer, l’infâme reptile  n’en a pas démordu : - Damie, un conseil d’ami, laisse cette fille c’est une déconstruite, écoute-moi je te connais tu tireras une plus grande jouissance de cette viande froide sonore dont tu t’es stupidement détourné, fie-toi à mon jugement, ne suis-je pas un sage conseiller ! J’ai hésité, ce n’est pas que je lui fasse énormément confiance, mais cette satanée bestiole habite depuis si longtemps dans ma boîte crânienne que je suis revenu sur mes pas. Le pire c’est qu’elle avait raison !

    QUITE FRANKLY

    SPACE CADET

    (Bandcamp / Sept. 2025 )

             Si je commençais ma chronique par : très franchement je vais vous causer d’un super-groupe me croiriez-vous ? Ne répondez par : ni oui, ni non. Ne jamais croire, toujours penser ! Surtout qu’entre nous je ne connais même pas un minimum vital de survie sur ce groupe. Mes informations sont maigres : sont des Hongrois de Budapest. Z’ont sorti une démo trois titres en 2018. Ensuite un grand trou, et cet album sept titres. Les indices sont maigres, l’enquête sera longue. La couve de cette démo est assez simple : un cosmonaute. Enfin presque : juste le casque, l’on ne voit pas son visage mais sa pensée, ce qui n’est déjà pas mal. Un petit dessin de cosmonaute debout, sans doute à l’intérieur de lui-même perdu sous la voûte étoilée du cosmos. L’on comprend mieux le titre du premier des trois morceaux ‘’ Mother’’ et l’on pige d’autant mieux qu’ils nous refilent l’intégralité des paroles : Oh Mother Take me home to the black City’’, le deuxième n’est guère significatif : Deux Jeudis. Le troisième est beaucoup plus explicatif  332 années dans l’espace.

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             Je n’étais pas plus avancé, alors j’ai cherché, pas eu besoin d’un tiers de millénaire, en 2024 un film Space Cadet, j’ai regardé le synopsis. Inutile de perdre votre temps un film pour pré-ados pré-idiots. Une jeune fille pas très douée qui passe un concours à la Nasa pour une sortie dans l’espace. Un concours d’heureuses circonstances l’aident à être choisie… je vous rassure malgré un quotient intellectuel pas très élevé elle sera l’héroïne de la mission… Entre parenthèse le début de cette comédie-romance me semble sortir tout droit d’une aventure particulièrement désopilante d’un épisode des aventures de Fantômette de George Chaulet.

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             Une piste plus sérieuse, un roman de Robert A Heinlein sorti en 1948, avec en couverture une superbe fusée interplanétaire Hergé a dû s’en inspirer pour On a marché sur la lune, paru en 1953… Je dis ça, mais ne dites pas que c’est moi qui l’ai dit. Bref une histoire de gamin qui rêve depuis tout petit de faire partie de la patrouille de l’espace. Les enfants ont adoré, l’auteur a composé de nombreuses suites…

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             Certes tout cela est bien beau et se perd un peu partout, au moins savons-nous d’où vient l’expression Space Planet. Me reste plus qu’à entrer dans mon scaphandre céleste et à satisfaire ma curiosité en explorant cet espace planétique inconnu. Je vous préviens on n’est pas là pour rigoler.

             La couve. Nos astronautes sont très fiers de leur couve puisque dans leur court paragraphe d’auto-définition ils déclarent fièrement que tous leurs artworks sont signés par Peter Simor. Me suis rendu sur son site. Premier regard : il se moque du monde. Deuxième coup d’œil : un minimaliste. Troisième vision : pas tout à fait un charlatan ce gazier, en fait chacune de ses illustrations – elles sont comme la matière ponctuée de quelques atomes séparés par de mirobolantes immensités vides – lui c’est le fond de la feuille qu’il laisse vide et parsème de quelques traits, voire de quelques taches, le plus surprenant c’est qu’entre sa réalisation et le thème traité la congruence est parfaite. Nous le définirons comme un minimaliste maximaliste.

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             Revenons à la couve : l’exemple parfait de ce que Peter Simor ne réalise pas d’habitude. Pas un millimètre carré de libre. L’a poussé le vice jusqu’à peindre la pochette du disque d’un marron uniforme de papier d’emballage. La rondelle centrale est pleine comme un œuf. Il n’a même pas pensé à laisser un trou  pour que vous puissiez placer la galette sur votre tourne-disque. Nous retrouvons notre spationaute en train d’explorer une nouvelle planète, ce n’est ni la planète bleue, ni la planète rouge, c’est l’orangée, quelques cactus sur le devant et à l’arrière des ruines que nous qualifierons de médiévales. A moins que ce ne soit notre terre bienaimée après la vitrification nucléaire.

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    Silenus : titre piégeux. Apparemment nous sommes dans l’Antiquité Romaine auprès de Silène, ce Dieu à l’estomac aussi rond qu’un tonneau de vin, joyeux drille ivre du matin au soir, entouré d’un cortège bacchique des plus alcoolisés… oui mais la musique ne correspond en rien à ce tableau de pochards pétris d’ébriété. D’abord est-ce de la musique. Batterie, basse guitare, tout ce qu’il faut pour faire  du rock’n’roll, d’ailleurs c’est bien du rock, même si ça n’y ressemble pas. Tassé et compressé, élagué au maximum, un arbre dont il ne reste que le tronc, une poutre massive sur laquelle rien n’accroche, un pilier qui se suffit à lui-même. Le genre d’objet auquel vous ne pouvez rien retrancher ni ajouter. Etrange ça sonne rock mais ça ressemble à de la musique concrète ou alors à la structure de certains morceaux de Miles Davis, oui mais il aurait laissé sa trompette au vestiaire. L’un d’entre eux chante, il vaudrait mieux qu’il se taise, ce n’est pas que c’est mal chanté, ce sont les paroles, pas de n’importe qui : de Heine, Gérard de Nerval l’a traduit, Heine avait la sagesse caustique : ‘’ Il est préférable pour toi de ne pas naître, de ne pas être, de ne rien être, ou de mourir, le plus tôt possible.’’ Mais ça suffit, encore un adage auquel on ne peut rien enlever ou ôter. A l’image de cette musique. Table : ce deuxième morceau paraît plus lyrique, plus emphatique, le chant sans discontinuer, l’ensemble plus violent. Tout compte fait Heine n’est-il pas un révolté, un romantique, le titre ne reste mystérieux que si vous ne la renversez pas, c’est le démon du nihilisme qui s’exprime ici, un kick out the jam définitif, sans passion, sans  haine ni amour. Un truc qui vous remet au niveau de votre caca, n’est-ce pas Artaud qui disait là où il y a de l’être, il y a de la merde, oui mais là où il y a de la musique qu’y a-t-il ? Altalàban : ce mot signifie ‘’en général’’ en langue hongroise. Se moquent un peu de nous car après les deux premiers morceaux qui sont comme des tables de la loi programmatrice d’une destruction nietzschéenne, des partitions théoriques en quelque sorte, l’on aborde les cas particuliers. Dans celui-ci on aborde les méandres du Moi. Que certains haïssent, mais que Space Cadet ne tient pas en grande estime. Résonnances, étrange un petit côté rock sixties, l’on a l’air de s’amuser, non l’on se moque de soi. Ne pas croire en soi. Ne pas penser en soi non plus, ni à soi encore moins. Morceau méchamment endiablé, que voulez-vous là où il y a du moi c’est comme là où il n’y en pas, il y a de l’émoi. C’est pour cela qu’à la fin du morceau ils cassent à coups de batterie et à grands cris le cœur de ce moi insupportable You say : deuxième cas particulier : après le moi : le moi et le toi. Z’y

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    vont tout  doux, c’est ça l’amour, l’aspect sentimental, en la ferblanterie des réciprocités, tu dis quoi, la même chose que moi parce que je ne vaux pas plus que toi, la mort est au bout du chemin, le chant essaie d’être convaincant et le background s’affole, la mort n’est-elle pas le grand soleil des pleurs, les instruments deviennent ingérables, ils se montent dessus, ils s’engueulent, ils creusent leurs trous, l’on ne devrait jamais se rapprocher, deux trains qui se télescopent, danger de mort souhaité et repoussé car une fois qu’on est mort on ne peut plus désirer mourir. La musique s’emmêle les pieds. Sa manière à elle de ne pas danser. Le train s’enfuit à l’horizon. Banquette vides. Néma Gyakorlat : (Exercices périlleux) : pour brider l’exaltation des moines Ignace De Loyola a composé Les Exercices Spirituels. Hélas notre époque se refuse à ses contritions chrétiennes donc Space Cadet se transforme en coach sportif. Attention inutile de lever dix fois la jambe droite, s’agit avant tout d’une gymnastique mentale. Le Yoga du mécréant si vous préférez. Rythme lent, assouplissements bassiques, S’agit de pénétrer au plus profond de soi pour retrouver la sensation de l’extérieur, communiquer avec le monde avec l’œil du dedans, cela est-il en relation avec nos capacités mémorielles, laissez le vocal méandreux s’insinuer en vous comme le serpent dans la genèse de votre personnalité, la guitare vous partage toute son âme, mais avez-vous encore la vôtre pour lui en offrir la moitié. Interrogation insoutenable. Qui mourra à sa propre solitude verra. Suzie : ce n’est pas tout à fait un slow sixties car la  petite Suzie palpite dans votre cœur, la fois précédente ça n’avait pas marché, mais ce coup-ci le garçon sort les grands mots il y met du cœur, la batterie lui file des coups de pied au cul pour qu’il avance plus vite, la musique se fait caressante, plus besoin de parler, laisse-toi porter par la vague.

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    Ocean : la morale de l’histoire, disons le fin mot de l’histoire, ce coup-ci c’est la musique qui réfléchit, elle dresse le bilan, ne pas se faire d’illusion non plus, le nihilisme même vaincu renaît toujours de ses cendres, les mots sont des puits sans fond, les pensées se défont aussi vite qu’elles se forment, la musique joue au tortillard, elle se moque de toi, elle emprunte son train de sénateur, elle s’attarde, elle se désagrège, elle repart à cloche-pied, style rien ne m’arrêtera jamais, car subsiste au fond de toi ton égo, il est plus fort que ton désespoir, méfie-toi les wagons s’emboutissent l’un dans l’autre, crois-tu que cela suffira pour que je m’arrête, non, eh bien regarde je m’arrête et je repars, encore plus vite et je ralentis, n’aie pas peur je te soufflerai dans l’oreille ce que j’ai à te dire, le grand secret, la guitare serpentine se lance dans des arabesques orientalisantes, faut bien s’amuser si l’on ne veut pas mourir, écoute-moi bien : l’égo n’est que l’autre nom du nihilisme. Multitude de points finaux, puisque le mouvement ne s’arrêtera jamais. Ploum, Ploum, Ploum, Ploum, Ploum, Ploum, Ploum, Ploum, Ploum ! Ouf, soufflez, respirez !

    De sacrés musicos ! Savent jouer et penser !

    Ça ressemble à un concerto rock’n’roll. Le premier de son espèce.

    Des novateurs !

    Damie Chad.

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 632: KR'TNT 632 : GYASI / STEVE WYNN + DREAM SYNDICATE / ALVIN ROBINSON / MEMPHIS BEAT / HIGH COMPILS / DARK QUARTERER / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 632

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    15 / 02 / 2024

     

    GYASI / STEVE WYNN + DREAM SYNDICATE

    ALVIN ROBINSON / MEMPHIS BEAT

     HIGH COMPILS / DARK QUARTERER

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 632

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Easy Gyasi

    - Part Two

     

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             On aurait pu intituler ce nouvel épisode des aventures de Gyasi : ‘Le glam au pays du camembert’, ou encore ‘Le glam aux pinces d’or’, en hommage à Hergé, ou bien encore, ‘Les Glammeurs’ en souvenir de notre chère Agnès Varda de la rue Daguerre. C’est vrai qu’on ne sait pas s’il faut prendre Gyasi très au sérieux, tellement domine en lui une dimension cartoonesque, comme on dit en Angleterre. Mais si tu y réfléchis bien, le cartoon est inhérent au glam, c’est le m’as-tu-vu poussé à l’extrême, le mon-truc-en-plume de Zizi Jeanmaire avec des GROSSES guitares électriques, une révolution de palais des glaces, un petit Krakatoa sonique qui entra en éruption en 1972, une vague sucrée qui nous replongea aussitôt dans l’adolescence, ce furent quelques années magiques, un petit tourbillon de poudre de perlimpinpin, Ziggy the Zig, Bolan mal an, Slade, Hector, Wizzard, Mud, Sweet ô my Sweet, une vague extraordinairement éphémère, qui ne pouvait être qu’anglaise, et voilà que cinquante après la bataille, un kid américain redonne vie au glam. Et il incarne magnifiquement cet art perdu, il croise des looks extrêmement seventies, celui de Ziggy pour la maigreur anorexique et celui de Jimmy Page pour le costard ouvert sur une poitrine glabre, les cheveux dans les yeux et un coup d’archet sur la Les Paul, histoire de donner à manger aux glaneurs d’images qui grouillent à ses pieds.

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    Gyasi a décidé qu’il serait rock star, et le voilà sur scène, en rockstar parfaite, immaculée, indiscutable, haut et fin, costard black d’épaules saillantes, haut minimal fermé par deux pattes galonnées d’or, d’une rare élégance, maquillé, lèvres peintes, grosses pattes d’eph sur platform boots en peau de panthère, il ramène aussi un peu de Dolls, et un peu de Ronson, via la Les Paul et la couleur de cheveux, dans sa fabuleuse expertise du mic-mac, il ramène tout ce qu’on aime dans le rock, le regardez-comme-je-suis-beau, qu’on appelle aussi le sex-appeal, l’essence même du rock, l’anti-ventripotage, l’anti-ragnagna-vais-pas-bien, tu vois ce corps parfait à l’œuvre sur une scène et tu te frottes les mains, car le rock a encore de beaux jours devant lui, même si ça se passe dans la petite salle.

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    Celles qui ne s’y trompent pas sont les admiratrices, Gyasi fait surtout craquer les gonzesses, quoi, comment est-ce possible, un mec aussi beau, elles rêvent bien sûr de le toucher, de la même façon que les gamines anglaises des seventies rêvaient de toucher Ziggy, juste toucher, tu ne peux pas espérer plus, Ziggy est un fantasme incarné, et Gyasi n’est pas loin du compte, il faudrait juste qu’il pousse vraiment le bouchon de glam.

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             Mais il est peut-être trop américain pour ça. Quand on l’a vu à Binic, un guitariste relativement glam l’accompagnait sur scène. Une petite gonzesse au look punk américain, c’est-à-dire en monokini de cuir noir, bas résille et tattoos en pagaille, le remplace. Elle est plutôt belle, mais trop punk. Elle met le paquet sur sa Gretsch solid body, mais elle sonne trop mainstream rock US, celui qu’on aime pas trop, elle fait parfois un peu trop son Slosh, et là on perd le glam. Dommage, car de sacrés relents de «Jean Genie» remontent dans «Snake City», et des sacrés relents de Bolan remontent aussi dans «Fast Love», une sorte d’évanescente resucée d’«Hot Love». Il est même en plein dedans, tu crois rêver, les accents sont exactement ceux de Bolan. Il aurait dû foncer dans cette direction, plutôt que de faire ce «Blues» qui n’apporte rien, et ce clin d’œil à Cabaret qui n’apporte rien non plus. Il reprend le mythe du Mime Marceau tel que le concevait Ziggy dans «Sword Fight», mais son Sword Fight passait mieux sur la grande scène de Binic, dans cette ambiance surréaliste et cette tempête de poussière jaune que lèvent chaque année les hordes de pogoteurs.

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             Gyasi essaye d’offrir un spectacle complet à son public et ce n’est pas si simple, car bon nombre de gens n’étaient pas nés au moment du glam, et s’il est un domaine pour lequel il faut des points de repère, c’est bien le glam. Sinon, c’est indécodable. Ça peut passer pour du rock maniéré, alors que c’est un rock spécifique et extrêmement sophistiqué qui a révolutionné l’Angleterre, et uniquement l’Angleterre. Les Européens ont suivi le mouvement on va dire à l’oreille, mais ils ne l’ont pas vécu comme l’ont vécu les kids anglais. Le décadentisme est inhérent à la culture anglaise. Un phénomène comme Ziggy Stardust n’est compréhensible qu’en Angleterre, un pays dont la vertu principale est la tolérance. Tu ne peux pas avoir ça ni en France ni en Allemagne. Et encore moins aux États-Unis. Excepté des Dolls et Andy Warhol, le décadentisme américain a pris une autre forme, celle de la disco et des bars gay. Mais un mec comme Jobriath n’a jamais marché, même s’il était sur Elektra. Le public américain n’en voulait pas et Jaz Holzman dit même avoir regretté son investissement. Ça ne pouvait pas marcher dans un pays qui est encore plus un pays de beaufs que la France. Pour «conquérir» l’Amérique, Bowie a dû laisser tomber le glam pour passer au discö-funk, perdant au passage une bonne partie de ses fans de la première heure, ceux qui vénéraient «Changes» et Hunky Dory, et qui exécraient la daube commerciale du Thin White Duke.

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             Espérons que Gyasi ne passera pas au discö-funk. On sent chez lui des dispositions au caméléonisme, et s’il tombe sur un manager qui a des dollars à la place des rétines, il est probable qu’un jour il opte pour la voie royale du big biz. Des gens disaient hier soir qu’on risquait de ne plus voir Gyasi sur une petite scène et qu’il jouerait bientôt au Zénith. Pas évident. Il doit de toute évidence réfléchir au destin de Bowie, un destin riche d’enseignements. Si tu veux rester fidèle à tes pulsions rock, tu rempliras des salles de 200 personnes. Si tu passes au gros son commercial, comme l’a fait Bowie, tu accéderas aux stades et tu t’achèteras des maisons à Tokyo, à Londres et en Suisse. Tu deviendras riche et célèbre. Et puis se rouler par terre avec sa guitare, ça ne dure qu’un temps. Viendra ensuite le jour où les fans qui ont vécu le glam dans les années 70 auront disparu, alors ce sera plus compliqué. Ou moins compliqué. Ça dépend. Le glam deviendrait alors un genre sorti de nulle part. Mon-truc-en-plume so far out. Tu l’as dit, bouffi. 

    Signé : Cazengler, jaseur

    Gyasi. Le 106. Rouen (76). 9 février 2024

     

     

    Wizards & True Stars

    - Syndicate d’initiatives

    (Part Six)

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             Si aujourd’hui encore on se prosterne jusqu’à terre devant Steve Wynn et son Dream Syndicate, ce n’est pas un hasard, mon petit Balthazar. Dans le début des années 80, Steve Wynn, Jeffrey Lee Pierce et John Doe ont sauvé le rock californien de la médiocrité qui le menaçait, et depuis, ils ont enregistré à eux trois près d’une centaine d’albums dont ils peuvent être fiers, et sur lesquels on s’est longuement étalé ici. Aux États-Unis, Steve Wynn, Jeffery Lee Pierce et John Doe ont joué à peu près le même rôle que Lou Reed, Frank Black, Robert Pollard et Todd Rundgren : en bâtissant une œuvre à l’échelle d’une vie, ils ont veillé scrupuleusement à maintenir un très haut niveau qualitatif. C’est d’ailleurs ce savant brouet à base de grosses compos, de modernité et d’énergie visionnaire qui fait les très grands disques. Et The Days Of Wine & Roses, paru en 1982, en fait partie. Alors comme on raffole des très grands disques, ça tombe bien : pour fêter le quarantième anniversaire de sa parution, Fire nous pond une belle box, The Days Of Wine And Roses/40th Anniversary Edition.  

             Les boxes, parlons-en. Il en pleut de partout. Les labels s’imaginent que tout le monde il est riche, il est gentil, alors c’est un vrai déluge. Des fois, tu t’en sors avec un billet de 50, comme c’est le cas avec le Syndicate, des fois il sortir un billet de 120 pour les boxes de Stax ou des Beach Boys, et là, on ne rigole plus. Le problème, ce n’est pas de les payer - tu peux finir le mois en bouffant des pâtes - mais de trouver le temps de les écouter. Tu as par exemple une box Del Shannon avec 12 disks. 12 ! Les bras t’en tombent et les oreilles aussi. Les 2 boxes de Stax c’est pareil, ty va ou ty vas pas ? Si ty vas pas, tu vas culpabiliser, tu vas te dire que tu passes à côté d’une montagne de coups de génie, de révélations extra-sensorielles, tu te racontes des tas d’histoires pour t’encourager à te jeter à l’eau, et tu parviens héroïquement à te calmer en reportant l’opération au lendemain. Mais si par malheur tu attends trop et que tu y reviens deux mois plus tard, tu vas voir le prix de ta box flamber : les revendeurs n’hésitent plus à doubler les prix, car ils savent que des gros malades crèvent d’envie de les avoir. Tout est là. Les avoir. Si on pouvait créer une internationale des gros malades et bloquer les commandes pendant un an, on ferait chuter les prix. C’est un peu le même plan que l’internationale des petits voyous : si tous les petits voyous du monde se tenaient la main pendant un an et cessaient de braquer des banques ou de voler des bagnoles, ils mettraient toute la faune de la répression au chômage, les flicards, les juges, les avocats et les matons. Allez hop ! Tout le monde chez Pôle Emploi ! Mais comme le temps des utopies s’est achevé au XVIIIe siècle avec la fin de la flibuste, il n’est plus permis de rêver, et l’internationale des gros malades n’existera jamais, alors les prix vont continuer de flamber et tu verras tes boxes de Stax dépasser les 200 euros avant la fin de l’année. Franchement le jeu n’en vaut pas la chandelle verte.

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             Par contre, la box du Syndicate vaut la chandelle. Et même doublement la chandelle. Non seulement tu ne perds pas ton temps à écouter les quatre disks qu’elle te propose, mais tu vas traverser de jolies phases d’excitation. Tu vas comprendre à quel point Steve Wynn et Karl Precoda s’enracinaient dans le Velvet. Sur le disk 1, tu as bien sûr l’album avec un son boosté qui te fend le crâne si tu l’écoutes au casque, mais tu as aussi le Down There EP sur lequel se trouve «Sure Thing», du pur jus de Velvet. Tu crois entendre «White Light White Heat», exactement le même power, le Wynner chante comme le Lou, exactement la même ambiance, avec le beat hypno imparable. Encore pire : «Some Kinda Itch», avec des chœurs qui battent la bretelle, c’est balayé à la wild craze du Velvet. Tu retrouves cette brûlante merveille sur le disk 3, une version live grattée à la Méricourt, et cette fois, le Wynner et son équipe s’embarquent dans le train fou du 13th Floor, fast and furious, et ça redevient vite Velvetien. Comme dans X, c’est le beurre qui tient tout. Le Wynner fait son Jean Gabin et conduit sa loco folle au firmament du rock le plus éblouissant. Apoplexie garantie. Le Wynner hurle comme un malade. On l’avait encore jamais vu dans cet état. Tu en retrouves une autre mouture live sur le disk 4. Ce qui est effarant, c’est que chaque version est différente, et c’est la raison pour laquelle elles sont toutes là. Le «Some Kinda Itch» enregistré à Tucson en 1982 est complètement 13th Floor. Même vitesse, même orgie de son, le Wynner et ses Syndicalistes n’en finissent plus d’outrepasser les conventions patronales. Le Preco devient fou, un vrai CGTiste, Some Kinda Itch sonne comme Son-of-a-bitch. Wild as fuck. Les versions live permettent de voir ce que le Syndicate a dans la culotte. C’est très instructif. Le Wynner : «‘Some Kind Itch’ was Roxy’s ‘Editions Of You’ kind of rewritten.» Le disk 3 propose une version live de «Sure Thing», et cette fois, ils renouent avec le chaos de «Sister Ray». C’est vraiment pas loin, bien dans l’angle, et live, le Sure Thing est encore plus vénéneux. Franchement, on est ravi de pouvoir entendre le Syndicate casser la baraque. Tiens, encore un «Sure Thing» live sur le disk 4, enregistré à Resada, Californie, en 1982. Le Wynner l’annonce ainsi : «This is San Francisco psychedelia, Quicksilver, Blue Cheer.» Faux ! C’est du pur Sister Ray. Boom badaboom !

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             Retour à l’album proprement dit. Il se met en branle avec «That’s What You Always Say». Le Wynner a déjà du power, il sonne comme un artiste complet, il est bien en place et le Preco vient envenimer les choses. Leur son n’a pas pris une seule ride en 40 ans. «That’s What You Always Say» est toujours aussi balancé et fondamentalement rock. Disons que c’est leur cut le plus classique. Live, il passe toujours comme une lettre à la poste. Comme sur tous les grands albums, on a ses chouchous. «When You Smile» en est un. Bizarrement, la version de l’EP est plus dense, comme noyée de disto. On en trouve une version live sur le disk 4 : Preco la noie de feedback, ah la brute ! C’est lui qui mène la sarabande, il rôde dans le son comme un fantôme. Et si Karl Precoda était l’un des plus grands guitaristes de rock américain ? On est vraiment tenté de le croire. L’autre chouchou, c’est bien sûr «Then She Remembers», fast and wild, pur jus de no way out. Le son est d’un raw qui dépasse les normes ! Les poux ont des dents. Preco dévore le rock, les dynamiques sont demented, ça splurge de partout, et le beurre fait foi, comme dans X. Fais gaffe, la version live qui se trouve sur le disk 3 va t’envoyer au tapis. Ils ont décidé de renverser le gouvernement, le Wynner te cisaille les colonnes du tempe vite fait et le Preco se contente de hanter les ruines, avec la malveillance d’un fantôme d’Écosse. Ambiance Sister Ray, une fois de plus. La version live du disk 4 est encore plus Punk’s not dead. Le Syndicate sait défiler ventre à terre et ne pas garder la tête froide.

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             Le grand chef-d’œuvre Syndicaliste, c’est «Halloween», écrasé par le poids terrible des accords, et le Wynner conduit sa manif vers la victoire à coups de descentes d’accords géniales. Elles sont même historiques. Tous ceux qui ont écouté «Halloween» à la parution de l’album ont henni de plaisir charnel. Cette descente au barbu est devenue l’emblème du Syndicate. Ils t’équarrissent le rock au grand jour. Sur le disk 4, tu as une version live d’«Halloween» complètement demented, car dévorée vivante par Precoda le prédateur, il crache le feu de Dieu, il plonge dans les abysses inconnues, il joue ce qu’il faut bien appeler un solo miribolant de pharaonisme et le Wynner chante à la Lou. Le temps d’un «Halloween», le Syndicate devient le maître du monde. Et puis bien sûr, le morceau titre, «The Days Of Wine & Roses», wild as fuck. Cette fois, ils sonnent comme les Saints, c’est explosif, faussement maîtrisé, visité par des vents de poux investigateurs et battu si sec ! Saluons Dennis Duck, le frère de Donald.

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             Un cut comme «Definitely Clean» se noie un peu dans la masse de l’album. Le Wynner le joue juste au dessus de la surface, à l’apanage des alpages, c’est monté au tapapoum et aux grattes cinglantes et tu les vois s’emballer dans la course, mais c’est la version live du disk 4 qui révèle la vraie nature de ce cut : pur power Syndicaliste. Le Wynner tape l’«Until Lately» au just show how wrong you can be et au bo bo bop bop, et derrière l’affreux Preco gratte sa slide. Ça se termine en pétarade de modernité arrosée d’harp et d’excelsior. La petite bassmatiqueuse Kendra Smith chante «Too Little Too Late». Dommage qu’elle ne soit pas à son avantage sur les photos.  

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             Le disk 2 propose des démos et des répètes. On voit qu’en répète, ils sont extrêmement précis. Kendra Smith chante son «Too Little Too Late» d’une voix grasse et humide. Ils ont énormément de son, comme le montre «Is It Rolling Bob?». Ils en abusent, pour le bien de nos oreilles. On a vraiment l’impression d’être dans la pièce avec eux. On croise bien sûr quelques inédits, comme «A Reason». Precoda est all over the sound et ils amènent ensuite «Like Mary» à un niveau immédiatement supérieur, ils savent créer du climax, c’est très impressionnant. Très Velvet dans l’esprit. Leur «Unknown Song With Lyrics» est encore du pur Velvet. Ce sont les accords de «Sweet Jane». Ils sont en plein dedans. Ils font aussi une version de «Some Kinda Itch» et Precoda explose un «Open Hour» demented, complètement saturé de poux, il joue dans tous les coins. L’«Open Hour» va devenir «John Coltrane Stereo Blues». Franchement, on va de surprise en surprise !

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             Et pour finir, quelques covers, dont un beau «Road Runner» live sur le disk 3 - Bip Bip ! - Bel hommage à Bo. Dennis Duck le bat sec et net. Sur le disk 4, ils tapent un «Folsom Prison Blues» cavalée ventre à terre, et ils terminent le disk 4 avec une version affreusement heavy de «Piece of My Heart», le hit de Jerry Ragovoy et Bert Berns, rendu célèbre par Janis, mais la version définitive est celle d’Ema Franklin. Le Wynner remonte sa pendule au c’mon c’mon.  

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             Dans ses liners, Pat Thomas indique que les Pixies et Nirvana sont nés des cendres du Syndicate. Il indique aussi qu’il en est à sa 39e année de love affair avec le Syndicate. Chris D. qui a produit The Days Of Wine & Roses indique qu’ils ont torché l’album vite fait en deux jours. Pat Thomas ajoute que cette prod est une non-prod à la Tom Wilson, qui avait enregistré Dylan et le Velvet - A very classic non-production style que vous enregistrez live dans le studio, which is kind of a lost art these days - Chris D. indique aussi que Pat Burnette, le fils de Dorsey, lui a donné un sacré coup de main. Chris D. et Pat Burnette ont aussi enregistré le Gravity Talks de Green On Red. Quand Green On Red, le Gun Club et les Syndicate ont quitté Slash, le label pour lequel bossait Chris D., ils ont perdu leur son. Qui va à la chasse perd sa place.

             This one is for my friend Jacques.

    Signé : Cazengler, Steve wine (cubi)

    Dream Syndicate. The Days Of Wine And Roses/40th Anniversary Edition. Fire Records 2023

     

     

    Inside the goldmine

     - Robinson Crusoé

             Alvo était plutôt beau gosse. Comme tous les beaux gosses, il avait tendance à en profiter. Ça se traduisait par un réel ascendant sur les gens. Et si tu veux profiter des gens, rien n’est plus indiqué que le business. Comme en plus d’être beau gosse, il était rusé comme un renard. Alvo aurait pu vendre un lave-linge à un dromadaire, si l’occasion s’en était présentée. Pas de spectacle plus réjouissant que de voir Alvo à l’œuvre. On le voyait approcher sa proie avec un grand sourire communicatif, s’ensuivaient une franche poignée de main, des formules significatives, puis il sortait un album de son sac, annonçait le prix et attendait la réaction de son «client». Si le «client» toussait, Alvo concédait un petit rabais symbolique. Mais dans la grande majorité des cas, son offre de prix passait comme une lettre à la poste, parce qu’il avait le cran de la soutenir avec un franc sourire. Comment un mec aussi sympa pouvait-il t’arnaquer ? Ça dépassait ton pauvre petit entendement. On a bien sûr entendu par la suite des «clients» se plaindre de «s’être fait rouler». «Mais ce n’est pas si grave», leur répondait-on, pour dédramatiser, «qu’est-ce qu’un billet de vingt comparé à l’univers ?». Ce qui avait le don d’aggraver les choses, car les gens qui se plaignaient d’Alvo n’avaient bien sûr aucun humour. Rares furent ceux qui voyaient comme un honneur le fait d’avoir alimenté le business d’Alvo. Indépendamment des questions d’amour-propre (personne n’aime se faire rouler), c’était une sorte de privilège que d’évoluer dans l’orbite de ce virtuose de la vente. Il fallait juste essayer de dépasser les a priori. C’est comme lorsqu’on franchit un col de montagne, on découvre ensuite une vallée. Et Alvo, c’était ça, une vallée. Chez beaucoup de gens, notamment chez les beaufs, la vallée n’existe pas. Chez Alvo, la vallée était luxuriante, elle s’étendait à l’infini, il suffisait juste de comprendre que son rapport aux gens passait par le biz, et puis une fois que tu avais compris ça, tu accédais à la vallée. Alvo a disparu, mais le souvenir de la vallée reste extrêmement présent.

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             Pendant qu’Alvo t’ouvrait le chemin de sa vallée, Alvin créait sa légende avec une poignée de singles. C’est exactement la même image. Le seul album d’Alvin Shine Robinson qu’on puisse se mettre sous la dent est une compile Charly qui s’appelle Shine On. C’est un album recherché, et pour cause : il est excellent, et au dos de la pochette, John Broven signe les liners. Broven nous rappelle qu’à la différence des autres stars de la Nouvelle Orleans, Robinson est allé faire carrière à New York et sur la West Coast. Ses premières amours sont le «hard, hard blues», Ray Charles et Jimmy Griffin, des Griffin Brothers. Quand il apprend à jouer de la guitare, il joue dans les orchestres de Joe Jones et Lee Dorsey.

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             C’est l’époque où deux grands producteurs de la Nouvelle Orleans se partagent le marché : d’un côté Allen Toussaint pour Minit, et de l’autre Dave Bartholomew pour Imperial. Bartholomew produit des hits à la chaîne pour Fatsy, Snook Eaglin, Frankie Ford, Earl King, Robert Parker, Huey Piano Smith, Shirley & Lee et Alvin Shine Robinson. 

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             Mais ça ne marche pas pour Robinson à la Nouvelle Orleans, alors il part avec Joe Jones à New York et enregistre des singles pour les trois labels de Leiber & Stoller, Tiger, Red Bird et Blue Cat. Joe Jones a passé un accord avec Leiber & Stoller et leur a amené les Dixie Cups et «Chapel Of Love». Robinson va décrocher un hit, avec une cover du «Something You Got» de Chris Kenner. Pour Leiber & Stoller, «Downhome Girl» est le meilleur single paru sur Red Bird. C’est en effet un heavy groove cuivré de frais. Le cut phare de la compile Charly est sans le moindre doute «Dedicated To Domino», un fantastique hommage, chanté d’un ton bonhomme et bienveillant - The fat man from the very first song - Alvin Shine Robinson est un universaliste : il couvre tout. Encore de la fantastique présence dans «How Can I Get Over You», un super slow groove que chante Robison au far out, so far out. Il ramène tout le power du heavy groove dans «Bottom Of My Soul». Alvin Shine blows it right ! Et voilà l’excellent «Let The Good Times Roll» d’Earl King. Il en fait une version mythique, bien heavy, à l’upper-cutting, quasi hendrixienne. Sur une petite photo au dos de la pochette, on le voit gratter une Strato. Mine de rien, cette compile est un gigantesque album de Soul. On l’entend sonner comme Ray Charles dans «Wake Up (And Face Reality)», puis il sonne comme Fatsy avec «They Said It Couldn’t Be Done». Tiens, voilà encore du pur jus de New Orleans avec «Baby Don’t Blame Me», c’est très black, chanté avec toute la générosité du grand peuple noir. Tout est bien sur cette compile. On voit avec «Pain In My Heart» qu’il aime le «hard, hard blues»

    Signé : Cazengler, pour qui robinsonne le glas

    Alvin Robinson. Shine On. Charly R&B 1988

     

    The Memphis Beat –

     Le mur d’Andria

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             Autre petit book hautement recommandable : Waking Up In Memphis, d’Andria Lisle et Mike Evans. Ils proposent, sous forme de chassé-croisé, un panorama de la Memphis scene, en partant des légendes du blues pour remonter jusqu’aux tenants et aboutissants de la scène garage contemporaine. Mike Evans nous rappelle que Rufus Thomas vient d’une autre époque, celle du fameux Rabbit Foot Minstrel Show itinérant qu’il rejoignit en 1927. Il était forcément vieux lors du fameux Wattstax qui eut lieu en août 1972 à Los Angeles. Puis Rufus commença à bâtir sa légende au weekly Amateur Night sur Beale Street au début des années 40. C’est là que des gens comme Rosco Gordon, Johnny Ace, Bobby Blue Bland et B.B. King firent leurs débuts. On payait Rufus 5 dollars pour faire le présentateur et il le fit pendant 11 ans. On l’a peut-être oublié, mais Charlie Musselwhite vient lui aussi de Memphis. Charlie rappelle qu’il est né dans un coin paumé - a smack dab - du Mississippi, à Kosciusko et qu’il a grandi à Memphis, avant d’aller à Chicago bosser comme les autres dans les usines. Dans son quartier, le jeunes blanc-becs bossaient pour percer, notamment Johnny et Dorsey Burnette qui vivaient sur Manhattan Avenue, et Cash qui vivait sur Tutwiler, a block north. Andria Lisle nous rappelle que la révolution se fit grâce aux radios qui échappaient à la ségrégation. Et l’un des pionniers fut bien sûr Dewey Phillips avec son Red Hot And Blue Radio Show. Et comme le dit si bien Dickinson dans ses mémoires, tous les blancs pauvres (Carl Perkins, Cash, Charlie Feathers et Jerry Lee) ont appris à jouer avec des nègres. Appelons ça la victoire de l’art sur les préjugés racistes.

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             Evans et Lisle reviennent bien sûr sur l’épouvantable fin de Stax, mis en banqueroute en 1975 par des petits fournisseurs. La même année, Al Jackson est abattu chez lui. Et quelques mois plus tard, l’Union Planters Bank fout Stax en l’air pour défaut de paiement et vend le studio 10 $ à une organisation religieuse qui va laisser pourrir le bâtiment. Quand Jim Jarmush tourne Mystery Train dans les années 80, on reconnaît le bâtiment à l’abandon. Et quand en 1989, le film sort sur les écrans, le bâtiment est rasé. C’est dire la haine de cette communauté de rednecks pour les blacks qui réussissent. Ils ne leur ont pas laissé la moindre chance. Al Bell craignait même pour sa vie, et Jim Stewart, coupable d’avoir pactisé avec le diable, c’est-à-dire les nègres, va finir sa vie complètement ruiné. On se croirait dans un roman de William Faulkner. La pathos est toujours plus tragique dans le Deep South.

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             Et puis voilà Hi, just down the street from Stax, au 1320 South Lauderdale. Avant de s’appeler Hi, le label s’appelait the House Of Instrumentals et Willie Mitchell y jouait de la trompette, accompagnant le Bill Black Combo, dont font partie Reggie Young et ‘Yaketty Sax’ Ace Cannon. Puis c’est l’époque des pionniers du Plantation Inn, un club de West Memphis, de l’autre côté du fleuve, et tous les jeunes blanc-becs de Memphis viennent s’y encanailler : Steve Cropper, Duck Dunn, Jim Dickinson et Packy Axton. Toujours les mêmes. Le groupe de Willie Mitchell est à leurs yeux the pinnacle of cool. Puis Willie bosse pour un label nommé House Of Blues avec les 5 Royales et Roy Brown. Il va ensuite bosser pour Ray Harris chez Hi et il monte son house-band, the Hi Rhythm Section, avec les frères Hodges. Il commence à développer un son et met la batterie au cœur des backing tracks. Et c’est parti : OV Wright, Bobby Blue Bland, et ça explose avec Ann Peebles, puis Al Green que Willie a découvert dans un club du Texas, épisode magique que relate minutieusement Al dans son autobio, Take Me To The River. Quand arrive l’incident du dos brûlé, Al Green passe plusieurs mois à l’hosto et se plonge dans la bible où il découvre qu’un homme ne peut pas servir deux maîtres, autrement dit, il doit choisir entre servir Dieu et servir Willie Mitchell. C’est là qu’il décide de se séparer de popa Willie. Un jour qu’il se balade sur l’Elvis Presley Boulevard, Dieu lui indique la direction de Whitehaven, une banlieue populaire. Il roule sur Hale Street et tombe sur une vieille église en bois abandonnée. C’est là, lui dit Dieu, que tu vas devoir fonder The Full Gospel Tabernacle et y prêcher la parole sacrée. Le Révérend Green y chante et y danse depuis des années. Quand la messe est dite et qu’il a salué les fans venus y assister, il remonte dans sa silver Rolls garée devant l’église. Le gospel est comme le blues, à l’origine de tout. Mike Evans rappelle que Sister Rosetta Tharpe et Aretha sont originaires de Memphis.

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             Tout aussi religieux, voici Uncle Sam, âgé de 79 ans, qui semble lui aussi prêcher la parole sacrée, parlant les bras en l’air : «I liked all the gutbucket stuff, the deep Mississippi hollers and hymns. Then Elvis came into the studio. I was looking for the common denominator, and he was it. I couldn’t classify him as black, or country, or pop and that fascinated me.» Puis le lève le poing au ciel : «The spirit of Elvis Presley will never go away.»

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             Billy Lee Riley se souvient d’avoir grandi avec ce qu’il appelle the old gutbucked blues. On n’entendait pas de blues à la radio, mais des vieux nègres le jouaient ici et là, au coin des rues. Billy Boy rencontre ensuite Slim Wallace et Jack Clement, deux bidouilleurs qui ont monté un studio dans le garage de Slim, sur Fernwood Street. Ils l’ont tout naturellement baptisé Fernwood studio. Comme ils montent un label (Fernwood Records), ils demandent à Billy Boy d’être leur premier client. Ils enregistrent deux cuts et Jack Clement amène les bandes chez Sun pour demander à Uncle Sam de lui fabriquer un acetate. Quand Uncle Sam entend «Trouble Bound», il propose un deal à Jack pour le sortir sur Sun. Mais il faut un cut rockab en B-side. Alors Billy Boy compose «Rock With Me Baby» et l’enregistre avec Roland Janes (guitare), JM Van Eaton (drums) et JB Bruner (slap). Ces gens-là vont ensuite devenir les Little Green Men, un nom qui sort du «Flyin’ Saucer Rock’n’Roll» que Billy Boy va composer et enregistrer avec eux. Accessoirement, ils vont devenir le house-band de Sun. Ils vont accompagner Roy Orbison, Cash, Charlie Rich, Bill Justis et d’autres gens moins connus.

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             C’est Alan Lomax qui découvre les traces de l’Afrique au bord du Mississippi. Dans The Land Where The Blues Began il dit avoir entendu a tune such as the African Pygmees have played from time immemorial. Eh oui, Otha Turner remonte aux temps immémoriaux. Alan Lomax et George Mitchell ont flashé sur ce bluesman de la première génération qui apprit à jouer du fifre dans les années 20. Otha dit que son père Ollie Evans avait les yeux bleus comme lui. Ollie était un sang mêlé, mi-Chickasaw ou Choctaw, il ne sait pas exactement. Puis il affirme qu’il était à moitié bouc, ce que confirme Jim Dickinson qui le voit en Dionysos.  

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             Mike Evans fait un grand bond en avant avec Big Star et le studio Ardent. Pour lui, Big Star est la Memphis’s answer aux Young Rascals de New York. C’est bien vu, car les deux niveaux culminent sec. Evans dit aussi que Big Star n’a pas vendu beaucoup d’albums, mais ce groupe a eu au moins autant d’influence que le Velvet qui n’en vendait pas beaucoup non plus. Pas de Big Star sans John Fry et son studio Ardent qui va devenir, comme Sun, Stax et Hi, une institution. Fry commence par enregistrer un teenage band nommé Lawson And Four More, assisté de Jim Dickinson. Terry Manning qui joue dans Lawson restera vingt ans durant l’un des fidèles assistants de John Fry.

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             L’autre institution locale, c’est bien sûr American. Chips Moman, qui a roulé sa bosse avec Gene Vincent et Johnny Burnette, finit par jeter l’ancre à Memphis. La grande force de Chips fut d’avoir tissé des liens commerciaux avec des gros labels comme Atlantic, Scepter ou MGM. En 1967, Jerry Wexler lui proposa d’enregistrer le nouvel album de Wilson Pickett. Puis Wexler lui envoie Dusty chérie. Dans leurs books respectifs, Ruben Jones et James Dickerson donnent tous les détails.

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             En remontant encore un peu dans le temps, on finit par tomber sur Tav Falco et les Panther Burns. Tav commença par partager ses concerts avec ses idoles : RL Burnside, Charlie Feathers, Cordell Jackson et Sonny Burgess, qui du coup reprirent tous du poil de la bête, commercialement parlant. Tav n’est pas avare de déclarations : «The Panther Burns are the missing link between the earlier forms of swamp blues’ unbridled howl and the psychological onslaught of the new millemnium. We are essentially the ditch diggers in American Music.» Et il ajoute après avoir salué la comedia del’arte : «The Panther Burns are the last steam engine train on the track that don’t do nothing but run and blow.» Luther Dickinson ajoute : «Si vous dessinez l’arbre généalogique du blues, du garage et du punk, vous revenez forcément aux Panther Burns, et si vous continuez, à Mud Boy & the Neutrons.» C’est selon lui la spécificité du Memphis beat, when you mix crazy hillbillies and crazy black guys together. On ne pourrait rêver d’une meilleure définition du Memhis beat. Luther : «Quand Bobby Ray Watson ramena RL Burnside au studio de Roland Janes, il avait un gros sac d’herbe locale - homegrown Mississippi reefer - et RL avait de l’alcool de maïs, it’s just a crazy combination !» Luther salue ensuite le label Fat Possum et le journaliste Robert Palmer qui surent remettre RL Burnside et Junior Kimbrough d’actualité. Luther Dickinson est un membre actif du Memphis beat contemporain avec les North Mississippi Allstars. Son frère Cody a appris à jouer de la batterie sur un kit que son père avait ramené de chez Stax. Le Zebra Ranch de Jim Dickinson est aujourd’hui devenu un endroit mythique. Luther dit aussi que ses parents lui ont épargné l’école quand il était petit. Sa mère leur apprenait l’orthographe et le calcul. Des artistes locaux comme Tom Foster et Jim Blake venaient leur donner des cours de dessin. Mike Evans salue ensuite la nouvelle vague de garagistes : Monsieur Jeffrey Evans, godfather of Memphis punk, puis Jack Yarber, membre des Oblivians, des Compulsive Gamblers, de Soul Filthy, des Cool Jerks, des Tearjerkers et producteur du premier et seul album des Porch Ghouls, un groupe que composaient Eldorado Del Ray (guitar/vocals), Slim Electro (guitar, ex-Grifters) et Duke Baltimore (drums, ex-68 Comeback). Ils qualifient leur son de ruckus, un terme de slang datant des années 20 qu’on utilisait pour qualifier la musique des Memphis jug bands. Mike Evans salue l’autre tête pensante des Oblivians, Greg Cartwright et son brillant Reigning Sound, dont l’explosive line-up mélange the spirit of Memphis Soul with a 60s pop dynamic and country-boogie edge.  Avec the Reigning Sound, Cartwright dit avoir cherché à évoluer sans perdre ses racines. Pas facile.

    Signé : Cazengler, le con le Lisle

    Andria Lisle & Mike Evans. Waking Up In Memphis. Sanctuary Publishing 2003

     

    L’avenir du rock

    - Deux compiles qui tombent pile

             L’autre jour, l’avenir du rock déambulait dans des halls. Il captait ça et là les bris de conversations qu’émettaient des grappes d’affairés chamarrés. Il s’émerveillait de ce qu’il entendait, ces ribambelles de surenchères et ces défis que certains lançaient à la salubrité mentale, ça affirmait et ça infirmait, ça corroborait et ça ravinait, ça amputait et ça ravaudait, ça pétaradait et ça palabrait, ça pérorait et ça paradait, alors, mu par l’envie d’en découdre, l’avenir du rock intervint pour glisser une strophe sibylline :

             — Non certes elle n’est pas bâtie sur le sable sa dynastie, une strophe à laquelle bien sûr les autres ne pigèrent que couic.

             — De quelle dynastie parlez-vous, avenir du rock ?

             — Mais du Shah d’Iran et ran et ran petit patacon...

             À quoi il ajouta :

             — Car il est possible au demeurant qu’on déloge le Shah d’Iran...

             Alors Raymond la science s’interposa, et, pointant vers la voûte du hall un index vibrillonnant, il s’exclama :

             — Au demeurant il est déjà délogé le Shah d’Iran !

             À quoi l’avenir du rock rétorqua sans délai :

             — Sans vouloir vous offenser, Raymond, votre répartie compte deux pieds de trop !

             Et voyant l’assistance interloquée, il ajouta aussi sec :

             — Qu’un jour on dise c’est fini au petit roi de Jordanie...

             Cette toutânkhamonnerie létale eut pour effet de sidérer les dernière lanternes au point de les éteindre, comme on mouchait autrefois les chandelles. Sentant que le moment était venu de les rallumer, il livra la clé de l’énigme :

             — Que sur un air de fandango on détrône le vieux Franco... Mais il y a peu de chance qu’on détrône le roi des cons !

             L’avenir du rock s’émerveilla. Cette vieille ritournelle de Georges Brassens restait d’une actualité brûlante. Pour rasséréner la troupe déconfite et meurtrie, il ajouta, goguenard, qu’auprès du roi des cons trônait son cousin le roi des compiles.

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             Comme les lecteurs de Vive Le Rock ont été sages, le Père Noël leur a offert une belle compile, Vive Le X-Mess 2023. Cette compile est capitale, car elle montre que la scène anglaise is alive and well, une formule qu’il est difficile de traduire sans la dénaturer, alors ne la dénaturons pas, elle saura se montrer assez explicite. Six coups de génie sur 14 titres, c’est un bon indicateur de tendance. Ce n’est pas qu’on ait besoin de se rassurer, mais de savoir que ça rocke encore à Londres remonte sacrément bien le moral. La révélation s’appelle Voodo Radio avec «Dog». Là tu y es ! I’m a bitch ! C’est le cœur battant du hard trash contemporain. Authentique du ciboulot, archi harsh - You’re a dog/ I’m a bitch - Dommage que les mini-albums soient inaccessibles. Retrouvailles de choc avec Cockney Rejects et «My Heart Ain’t In It», noyé dans le gratté de gras double de Mick Geggus, il a tout le son de London Town, c’est du power pur, il développe incroyablement et passe des solos de power pur. Geggus joue en fondu de génie. Grosse révélation encore avec Eryx London et «Blagger», une vraie voix dans ton cou, le mec chante doucement, il crée une  atmosphère palpable, et ça se développe avec fermeté, ça te rappelle le «Rose Giganta» de Chicano. À la suite, tu as les Smalltown Tigers et «Girl Can’t Help It», des Italiens, apparemment, avec un classic high energy rockalama. Le Tiger chante comme Gary Holton. Cette scène existe encore, ils tentent le coup de vrai truc avec un chanteur fou. Excellent et tellement d’actualité. Vive Le X-Mess est un modèle de résurgence. Les Priscillas font du sucre avarié avec «One Christmas Wish». Janus Stark est amené par Vive Le Rock comme The Next Big Thing, mais il faudra attendre encore un peu, solide c’est sûr, mais rien de plus que ce qu’on sait déjà. Alors voilà le heavy stuff : Larry Wallis et «Meatman (2023 Mix)». On tape ici dans l’extrême onction, le Meatman est le heavy rumble de Notting Hill Gate. Pur genius ! Tu as peu de mecs du calibre de feu Larry Wallis en Angleterre. C’est de l’expurgé, du vindicatif, de l’inénarrable. Ah tiens, voilà les Black Bombers et «The Price». Eux, on y va les yeux fermés. Pas la peine de discuter. Ils cultivent cette vieille énergie de London town, celle des incendies. Les Bombers sont grandioses. Plus power-poppy, voilà Reaction et «Closer Than Most». Power-poppy, oui, mais avec du punch. Extraordinaire démêlé !

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             Et si on parlait d’une compile trop wild ? Elle existe, aussi fou que cela puisse paraître. On la trouve chez Crypt, à Hambourg. Elle s’appelle Searching In The Wilderness, un Op Art de 1986, donc catalogué Mod craze. Mais comme toujours, les bonnes compiles Mod flirtent dangereusement avec le freakout le plus abject, ce que vient confirmer le «But I’m So Blue» des Namelosers. Ces Suédois étaient en 1965 au bord de l’apoplexie gaga-punk, celle dont s’entichaient les Pretties. Les Namelosers sont dans le même trip de dirty blasting, avec en prime un solo crade à souhait. Allez hop, on passe directement au Mod craze avec les Red Squares et «You Can Be My Baby», un hit de 1967, wild British beat chauffé à blanc avec un brin de Mod Craze - One of the most powerful Mod ravers of the sixties - Et pas qu’un brin ! Ils ont récupéré toute l’explosivité des Who et déclenchent des développements inespérés. Tout aussi brillant, voici Sean Buckley & The Breadcrumbs et «Everybody Knows». Une aubaine que d’entendre cette pulpeuse merveille ! On monte encore d’un cran avec The Boys Blue et «You Got What You Want» battu au tribal et wild as super-fuck, c’est littéralement effarant de power ! Jeff Elroy superstar ! Un seul single et puis basta. Terminé. An early incarnation of the Sorrows, nous dit le mec des liners. Encore du wild freakout d’aw aw avec The In Crowd et «The Things She Says», sabré à coups d’harp, c’est somptueux de classe délinquante, pur sonic trash. Pareil, une poignée de singles et à dégager - Roll over The In Crowd and tell Crawdaddy Simone the news ! - Les Outsiders de Willy Tax attaquent «Won’t You Listen» à la fuzz bien sourde. Arrghhh, quelle aventure, c’est sabré à coups d’harp et fuzzillé à ras la motte, avec un solo de génie délinquant. Nouveau coup de Jarnac avec A Passing Fancy et «I’m Losing Tonight», c’est claqué au définitif, à l’adventiste du beignet, c’est pulsé à la boutonnière, ça va chercher la prise de bec, ces mecs-là sont pires qu’Attila. Ce sont des garagistes canadiens. Le mec des liners les compare au MC5 de «Looking At You». On se régale aussi du hard groove fuzzy d’«It Came To Me» des Q-65. Ils s’enlacent comme des serpents autour de l’I’m in love. Et on assiste éberlué au superbe élan de wah-ahah des Golden Earrings dans «Chuck Of Steel». Leur wah-ahah n’est pas facile à expliquer, disons qu’ils traînent les syllabes dans la cavalcade. C’est brillant. Quant aux Snobs, ils shakent l’«Heartbreak Hotel» à la Méricourt, c’est un exploit qu’il faut saluer. Ces mecs portaient des perruques poudrées du XVIIIe siècle, et c’est probablement le guitariste qu’on voit sur une pochette de l’Annie Get Your Gnu de Wildebeests. L’«You’re Holding Your Own» de The Buzz est hallucinant de power ultraïque - logique car enregistré par Joe Meek - et le «Searching In The Wilderness» d’Alan Pounds Get Rich te coupe la chique. 

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             Il existe un album d’A Passing Fancy paru en 1968, qu’on peut aller écouter sur la foi d’«I’m Losing Tonight». On y retrouve bien sûr ce gratté à la menace sourde. Mais le reste du balda n’est pas aussi lourd de sens. Ils font une belle tentative d’envol avec «You’re Going Out Of My Mind» et c’est en B que se planque le reste de la viande : on se régale d’«Island», programmé pour l’obsolescence, suivi d’un «Your Trip» plus heavy, offensif et chaleureusement conseillé, monté sur des heavy chords de carcasses creuses. Ils restent dans la belle heavy pop avec «Little Boys For Little Girls», on s’en pourlèche, la confiance règne, ces Canadiens ont du poids. Ils sont encore terriblement à l’aise avec «Under The Bridge» et restent très polymorphes avec «Spread Out». Ils adhèrent à toutes les surfaces. Ils terminent cet album qu’il faut bien qualifier d’attachant avec «People In Me» et sa petite attaque de revienzy. Tiguili sixties pur et chant gros sabots. Ils auront tenté le coup. 

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             On retrouve aussi le «But I’m So Blue» des Namelosers sur une belle compile parue en 1989, Fabulous Sounds From Southern Sweden. Alors attention, la première série de cuts n’est pas terrible, ils font un choix de covers assez discutable («What’d I Say», «Money») et leur «Around & Around» sent trop l’entente cordiale. On les sent appliqués. La compile se réveille avec «But I’m So Blue», bien saqué du protozozo, battu au beat punk à casquette de Liverpool. Ils font un «Land Of 1000 Dances» bien dirty, ça rue dans les brancards de la fuzz, ils sont enfin réveillés, la fuzz te cisaille les guiboles, la fuzz buzze comme un essaim mortifère. Encore du son avec une cover de «Suzie Q», heavy dumb fuzz de dirt proto. Ils sont encore plus stoned que les Stones sur «Walking The Dog», ils lestent leur Dog de tout le plomb du monde. «Hoochie Coochie Man» est idéal pour des heavy proto-punkers comme les Losers. Ils sont dessus, comme l’aigle sur la musaraigne. Ils finissent en mode downhome protozazou avec un «That’s Alright» complètement fuzzé du ciboulot.

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             Comme les Red Squares nous intriguaient avec leur «You Can Be My Baby», on est allé voir sous les jupes des deux albums parus en 1966, l’album sans titre, et It’s Happening. Comme le succès les boudait, ces Anglais ont émigré au Danemark, et du coup, ils sont devenus des teenage idols en Scandinavie. Ils ont une grosse particularité : une passion immodérée pour les Four Seasons et les Beach Boys. Sur leur premier album, ils tapent une cover d’«I Get Around», mais aussi du «Rag Doll» des Four Seasons. Ces mecs chantent à deux voix, ils sont extrêmement pointus. Ils font une fantastique cover du «Stay» de Maurice Williams, et en B, ils tapent dans Burt avec «Wishing And Hoping». D’autres covers de prestige encore avec «Dancing In The Street» et le People Get Ready» de Curtis. Ce mec Geordie Garriock adore chanter là-haut sur la montagne. Ils terminent avec une superbe compo de Bob Crewe et Bob Gaudio, «Big Girls Don’t Cry», ils tapent en plein dans le mille des Four Seasons, les Red Squares sont des inconditionnels.

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             L’It’s Happening est nettement plus dense. Ils retapent dans le cru Crewe/Gaudio avec «Walk Like A Man», ils tapent dans le haut perché Four Seasons/Beach Boys/Association. D’ailleurs, ils bouclent la B des cochons avec une cover d’«Along Comes Mary», le hit le plus connu de The Association. Ils la tapent au slight return, avec un joli son de basse bien claqué à l’ongle sec. Ils tapent encore dans le cru Crewe/Gaudio avec «Silence Is Golden», ils vont chercher l’éclat de la jeunesse insouciante. Ils tapent aussi dans le «Mr Lonely» de Bobby Vinton qui deviendra «Quand Revient La Nuit» en France. Autre cover de prestige : le «Monday Monday» des Mamas & The Papas : tout l’esprit est là, fidèle au poste et exact au rendez-vous. En B, ils tapent dans le «When I Grow Up» de Brian Wilson, en plein dans l’énergie des Beach Boys. Mêmes démêlés avec la justesse. Ils sont encore plus irrésistibles avec «Kiss Her Good Bye», une compo à eux, et replongent dans le spirit du Smile des Beach Boys avec «Warmth Of The Sun». Tout amateur de grande pop peut y aller les yeux fermés. D’où l’intérêt des compiles qui tombent pile.

    Signé : Cazengler, compilou-pilou

    Vive Le X-Mess 2023. Compile Vive Le Rock 2023

    Searching In The Wilderness. Musiek Express 1986

    Namelosers. Fabulous Sounds From Southern Sweden. Got To Hurry 1989

    Red Squares. Red Squares. Columbia 1966 

    Red Squares. It’s Happening. Columbia 1966  

    A Passing Fancy. A Passing Fancy. Boo 1968

     

    *

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    Un verre c’est bien, trois ne suffisent pas, c’est comme pour les pochettes de disques, vous en regardez une qu’une autre se présente à vous. Cette fois je n’y suis pour rien, je peux nommer le coupable, Paolo Girardi, celui qui a peint la couverture de l’album Lone d’OAK, m’en suis allé illico presto subito expresso bongo admirer ses tableaux. Je vous en ai parlé dans la livraison 631, pas plus qu’Eve devant la pomme je n’ai pu céder à la tentation, j’ai même bouffé le serpent, animal very rock’n’roll, une vidéo de rien du tout, trente-cinq secondes, pas le temps de voir grand-chose surtout que Paolo vous bouche la vue car il se rapproche avec son pinceau pour une dernière petite touche, l’a la zique à fond et un super tatouage sur le dos, à part cela sur la toile c’est une pagaille incroyable, le fond est rouge sur l’extrême gauche un mec sur un navire, je le reconnais aussitôt, Pline l’Ancien, un vieil ami, plus jeune j’ai traduit quelques-uns des textes de son Histoire Naturelle, ses écrits sur la Peinture sont indispensables pour tout amateur d’art, bref nous sommes à Pompéi, et gâteau sous la cerise confite,  dessous il est mentionné : ‘’En train de peindre l’artwork destiné à l’album Pompéi de Dark Quarterer’’. Vous connaissez ma prédilection pour l’Antiquité…

    POMPEI

    DARK QUARTERER

    (Cruz del Sur Music / 2020)

              Des vieux de la vieille, ont commencé en 1974 sous le nom d’Omega R, changent leur dénomination en Dark Quarterer en 1980, enregistrent leur premier album éponyme en 1987 (réédité en 2012), en 1988 sort The Etruscan Prophecy (réédité en 2022), faudra attendre 1993 pour War Tears et 2002 pour Violence. Symbols verra le jour en 2008, Ithaca en 2015, Pompei voici trois ans. Groupe de Heavy-rock à leur début ils évoluent vers un metal progressif. Vous l’avez compris ils aiment les grandes fresques mythologiques… Je ne m’attarde pas, je pense que dans un futur proche si une éruption volcanique n’arrase pas la cité médiévale de Provins, j’en chroniquerais quelques-uns.

             Nous avons déjà évoqué Pompei dans notre livraison 561 du 30 / 06 / 2022 en chroniquant l’album An ear of grain in silence reaped du groupe grec Telesterion, nous interrogeant sur la signification des fresques de la Villa des Mystères de Pompéi. Le fait que la ville ait été ensevelie sous les cendres fut une véritable aubaine pour tous les amateurs de la civilisation romaine. Vision très égoïste qui relègue les trois mille victimes de la catastrophe dans la colonne des dommages collatéraux.

             Pompéi et sa voisine Herculanum furent détruites en trois jours automnaux de 79 au tout début du règne de l’empereur Titus qui succédait à son père Vespasien.  Certes au fil des siècles les pillards n’ont cessé de creuser des galeries pour récupérer quelques objets précieux, mais c’est sur la fin du dix-huitième siècle que commença à se former dans ce que l’on pourrait appeler l’imaginaire européen une vision romantique de la disparition de Pompéi. La nouvelle Arria Marcella (1852) de l’incomparable styliste que fut Théophile Gautier et le roman Les derniers jours de Pompéi (1834) de l’écrivain, passionné d’occultisme, Edward Bulwer-Lyton témoignent de cet engouement littéraire qui perdure encore de nos jours. Peinture, cinéma et musique se sont à leur tour emparés de Pompéi, pour revenir au rock nous ne citerons que le Live in Pompei (1971) de Pink Floyd…  L’album de Dark Quarterer s’inscrit dans une tout autre démarche, celle de nous plonger in vivo dans l’ardente fournaise…

    Gianni Nepi : chant, basse / Paolo Ninci : batterie / Francisco Sozzi : guitare /

    Francesco Longhi : claviers.

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    Vesuvio : d’entrée un coup de génie, Dark Quarterer donne la parole au principal protagoniste de la catastrophe, le Vésuve, un remarquable remake de when I awoke this morning, à part que ce n’est pas un pauvre diable qui parle mais un colosse élémental, une puissance dévastatrice, qui s’apprête à se libérer de son long endormissement en expectorant sous forme de lave brûlante, de nuées ardentes, de gaz délétères, l’excessive accumulation de sa force déchaînée. Avertissement sans frais à la fragile humanité. Une intro magnifique, Dark Quarterer, l’on est quelque part entre le rock’n’roll et la musique concrète, un bruit qui sourd telle une source maudite qui surgirait d’on ne sait où, qui grandit qui explose lorsque la voix de Gianni Nepi se fond avec cette espèce de grondement indescriptible d’un tonnerre souterrain qui maintenant se répand et envahit l’espace extérieur, c’est la colère d’un Dieu tellurien qui explose, le volcan parle, l’on entend dans sa voix la terreur des êtres humains soumis à cette intumescence sonore envahissante. Un capharnaüm sonore dont aucun groupe metal se soit à ma connaissance rendu capable, l’on est trimballé, balayé par des blocs cyclopéens, soumis à un effroyable maelström terrestre qui ne ramène rien à lui mais qui vous repousse, semble vouloir vous exiler hors des limites du cosmos. Prodigieux. Welcome to the day of death : il est des choses plus terribles qu’une éruption volcanique, ne pensez pas à une météorite géante qui viendrait percuter notre planète et procéder à notre l’extinction définitive des fragiles dinosaures humains que nous sommes, ce serait l’horreur absolue certes, mais encore rien comparé au tourbillon de la pensée humaine ployant sous la pensée de son propre destin, par ce morceau nous changeons de cercle, nous passons de la concrétude d’un cataclysme à ses abstraites répercussions idéennes par lesquelles nous l’appréhendons, certes nous sommes directement concernés, mais ne nous méprenons pas, ce n’est pas nous qui dominons le monde, c’est lui qui se manifeste à nous. Il se joue de nous, nous sommes descendus d’un cran, sur un cercle inférieur. Cataracte sonore. Ne croyez pas que ce soit grave. Exceptons vos oreilles passées dans un hachoir géant. Non c’est sardonique. Comme ces bandits sardes qui vous regardaient en souriant d’une façon un peu perverse en supputant le plaisir ou le désagrément des cris de porc égorgé que vous pousseriez s’il leur prenait envie de vous occire proprement. Voire salement. Dark Quarterer est gentil, vous laisse exactement huit minutes trente-six secondes pour vous confronter à vous-même.  C’est le Vésuve, cette brute volcanique, qui pose les questions essentielles, il y est pour quelque chose, cinquante pour cent, il l’admet, vous aussi, vous êtes obligés, ce n’est pas lui qui vous a demandé de passer une journée ou toute une vie près de lui, ne vous en prenez qu’à vous-même, le son imite ces bobines de film qui s’enroulent trop précipitamment et si vous ne prenez pas la bonne décision, la pellicule se rompra, c’est ce qui arrive, le gloubi-bulga sonore s’arrête, un couperet de guillotine. Vous sortez de cette écoute concassante, peu fier de vous, la conclusion est simple : ce n’est pas vous qui décidez. L’immortalité n’est pas une option. Panic : vous êtes allé jusqu’au bout de l’horreur de vous-même en vous-même, dans le monde infrangible de la pensée, vous étiez en un espace somme toute protégé, Dark Quarterer vous dévoile l’autre face de l’animal humain, espèce raisonnable et raisonnante, le voici plongé dans la vie, le récit in vivo, vous lance dans la situation, avec tous vos congénères. Le texte parfaitement documenté s’appuie sur les découvertes in situ analysées et reconstitués par les vulcanologues et les archéologues. Cris et hurlements, un immense bulldozer sonore vous court après, à toute vitesse, personne n’y échappera, remue-ménage infernal, un caterpillar monstrueux pousse vivants et cadavres dans les portes de l’enfer, nul n’y échappera, ni les riches, ni les pauvres, ni les avares, ni les malotrus, ni les vieux, ni les enfants, ni les femmes, nul ne sera épargné, le chant de Gianni Pepi se transforme en plaintes d’horreur infinie, il se tait les pierres tombent et s’entassent partout, quelques survivants ont encore la force de clamer leurs douleurs, pas d’échappatoire possible, l’horreur culmine dans un silence lourd et apaisé, un piano vous joue un adagio pour votre repos éternel. Le combat pour la vie a cessé faute de combattants.

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    Plinius the elder : jamais un 33 tours face A / face B n’a été aussi bien partagé. Les trois premiers morceaux vous ont peint la catastrophe du début au final, du réveil à la fin de la destruction totale de la ville et de ses habitants. Les trois derniers titres se penchent sur les destins individuels de trois personnes. Le nom de la première a traversé l’Histoire, Pline l’Ancien, écrivain renommé, mais il occupa de hautes fonctions militaires notamment en Gaule et en Germanie, au moment des faits il est le préfet (commandant) de la flotte de Misène située près de Naples, averti par des messages optiques, l’important panache de ‘’ fumée’’ et un message de secours de Rectina, une amie chère, qui habite près de la catastrophe, il se précipite avec un navire. Ne pouvant aller plus loin il se réfugie chez un ami aux abords d’Herculanum. Il mourra asphyxié par les nuées ardentes. Tous ses détails sont rapportés par son fils (adoptif) Pline le jeune. (Ne le cherchez pas sur la couve, il a été coupé, la faute au format trop large). Intro fracassante. Pline doit prendre des décisions. Tempo haletant, Dark Quarterer romantise à outrance la relation de Pline et Rectina, notre commandant vole à son secours, tumulte dans une conscience, risquer sa vie, lui le Chef de la flotte, ses proches le retiennent en vain. Arrêt brutal, Chopin l’amant de George Sand est au piano, les sentiments qui unissent les deux amants sont ainsi révélés, ce court espace de tendresse est vite dévoré par la pression instrumentale de l’orchestre et des évènements, Pline court à sa perte, musique martiale, mais se bat-on contre le destin, un dialogue d’âme à âme se crée entre les deux amants portés par la voix suraigüe de Gianni Nepi. Arrêt brutal. Roméo mort ne rejoindra pas sa Juliette. Pour la petite histoire Retina survivra à la catastrophe. Gladiator : n’y avait pas que des empereurs, des sénateurs, de célèbres généraux et de riches familles chez les romains. La foule des anonymes était nombreuse. Après Pline, Dark Quarter se penche sur une profession pour le moins ingrate, sur laquelle notre modernité a beaucoup phantasmé. A preuve Gladiator le film de Riddley Scott. Cliquetis d’épées et de tridents, brouhaha de foule déchaînée, pare les coups, en porte quelques autres, n’en pense pas moins dans sa tête, ça tourne et ça vacarme encore plus que dans l’arène, l’a la rage, non pas contre ses adversaires, contre lui-même, contre sa vie sans but, contre cette existence solitaire qui le mord tel un chien enragé envers lui, qui s’accroche, dont il ne peut se défaire, coups dans les combats, bleus dans son âme meurtrie. Malgré la tonitruance de son monde il rêve d’une vie simple et tranquille avec femmes et enfants, le bruit devient encore plus fort, plus violent, à croire qu’il ne vient pas de lui, il est en plein combat, des clameurs s’élèvent, l’on souhaite sa mort, il n’est plus là, son âme est un oiseau blanc qui monte au-dessus de la mêlée. L’œuf du monde ne délivre son prisonnier qu’une fois que de lui-même il ne se soit entrouvert et cassé. Forever : cette fois ils sont deux, le couple primordial et anonyme, cent millions de fois répliqués, ce que Pline et Retina n’ont pas réussi, le réussiront-ils ? : un monde de douceur, pianos et cordes vibrantes, la voix de Gianni Pepi se fait féminine, ils sont réunis, l’un contre l’autre, ils ne sont pas inconscients, ils ne sont pas dupes de la situation, ils en ont la prescience, la musique devient tonnerre, parfois elle s’alanguit pour aussitôt se métamorphoser en un torrent tsunamique auquel personne n’échappera, ils ont beau semblant de faire comme s’ils étaient sur un île magique hors du temps, ils savent qu’ils n’échapperont pas à leur sort, ce n’est pas qu’ils se  mentent, des chœurs s’élèvent, comme de géants pétales de fleurs protectrices qui se referment sur eux, et se taisent, quelques notes de piano cristallines et puis plus rien, malgré leurs cadavres ont-ils réussi à gagner l’Olympe des Dieux éthériens, Silence. Ont-ils vaincu ? Ont-ils été vaincus ?

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             Je n’ai cité que Gianni Nepi, mais sachez que tous, du début à la fin, n’ont cessé de produire ce bruit sourd et tumultueux de plaques tectoniques qui sous la fragile écorce terrestre de l’orange bleue sur laquelle nous vivons s’entrechoquent et qui un jour finiront par nous détruire. Prodigieux.

             Du coup je m’attaque à Ithaque :

    *

    ITHAQUE 

    Lorsque tu te mettras en route pour Ithaque

    Forme le vœu que se prolonge le voyage

    Fertile en aventure et riches en découvertes.

    Ne redoute ni les Lestrygons où les Cyclopes

    Et ni Poseidon le farouche.

                                                             Jamais

    Tu ne verras rien de pareil sur ton chemin

    Et tes pensées demeureront nobles, si ton corps

    Et ton esprit sont abimés de purs émois.

    Les Lestrygons et les Cyclopes, l’irascible

    Poseidon, tu ne les rencontreras point,

    Si dans ton cœur tu ne les as portés

    Et si ton cœur ne les suscite devant toi.

    Souhaite que la course soit lointaine

    Et que nombreux soient les matins d’été

    Où tu verras – avec joie et délices ! –

    Des ports de mer connus pour la première fois.

    Fais escale dans les comptoirs phéniciens

    Pour t’y fournir de marchandises précieuses :

    La nacre, le corail, l’ambre, l’ébène,

    Les arômes voluptueux de toute sorte,

    Le plus possible d’arômes voluptueux.

    Parcours maintes cités égyptiennes,

    Et va t’instruire, va t’instruire chez les sages.

    Garde toujours Ithaque en ta pensée :

    C’est là qu’est ton ultime rendez-vous.

    Mais surtout ne te hâte point dans ton voyage.

    Mieux vaut qu’il se prolonge des années

    Et que tu rentres en ton île en ton vieil âge

    Riche de ce que tu gagnes en chemin

    Sans espérer qu’Ithaque t’offre des richesses.

    Ithaque t’a fait don du beau voyage.

    Et tu ne te serais point mis en route sans elle.

    Ithaque n’a plus rien à te donner.

    Bien que pauvre jamais elle ne t’a déçu.

    Devenu plein d’expérience et de sagesse

    Tu sais enfin ce qu’une Ithaque signifie.

                                                             Constantin Cavafy

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    Constantin Cavafy (Cavafis selon une transcription plus moderne). Né en 1863 an Alexandrie, mort en 1933 en Alexandrie. Ce petit fonctionnaire sans histoire, est l’un des plus grands poëtes grecs. Lui qui n’a eu de cesse d’évoquer le présent au regard de l’historialité de la Grèce est le fondateur de la poésie moderne grecque et de sa langue poétique. Il n’a écrit qu’un seul recueil de poésie sobrement intitulé Poèmes. De son vivant il ne fit circuler que quelques rares feuillets de cette œuvre à laquelle il consacra toute son existence, elle fut seulement publiée après sa mort. Une centaine de pièces magnétiques, elles attirent et elles éblouissent, elles sont comme des diamants dont les cassures étincellent d’autant plus fort qu’elles éclairent le théâtre d’ombres de la grandeur perdue de la Grèce antique, de l’accommodation humaine à ses désirs et à ses faiblesses, du retrait des Dieux. Cette œuvre, si fascinée de sa propre beauté intérieure et par celle de la chair extérieure, n’en a pas moins une haute portée métapolitique que nos contemporains préfèrent ignorer. Il est sûr que son implication s’avère brûlante.

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    Pour moi, il est plus qu’un frère, une pierre angulaire, un compagnon de combat poétique.

    Ce poème de Cavafy, suivi de cette très courte présentation, n’est pas par hasard puisque Dark Qarterer revendique s’être inspiré de ce poème de Cavafy pour :

    ITHACA

    DARK QUARTERER

    (CD Metal On Metal Records / 2015)

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    The path of life : ce premier titre ne traite pas directement de la chaotique existence d’Ulysse à laquelle il n’est fait allusion à la fin du texte que par une métaphore marine. Profitons-en pour vanter la qualité des lyrics, le Sombre Equarisseur sait écrire, très peu d’approximation dans leurs couplets. Ce sentier de vie évoque la vie de chacun de nous, il est construit comme une œuvre à part entière, un véritable poème symphonique qui se suffit à lui-seul. L’on sent que par cette œuvre que le groupe atteint à une maturité dont peu de formations de black metal mélodique à vocation épique peuvent se vanter. Ici pas d’emballements de grosses caisses ni de cisaillements électriques, le morceau se présente comme un de ces tableaux qui s’imposent à la vue, il est nécessaire de le contempler longuement pour en détacher les détails et comprendre comment chacun s’inscrit et participe de l’affirmation de l’ensemble. Imaginez une toile monumentale qui représenterait la mer, rien que la mer, pas une île, pas un rocher, pas un navire, pas un être humain, seulement une cavalcade de vagues monstrueuses et de creux abyssaux, une image de fureur poseidonique qui court sur vous, qui vous obligerait presque à reculer tellement cette immobilité mouvante s’apprête à déferler sur vous et à vous emporter vous ne savez où. Amusez-vous à comparer avec Le poème de l’amour et de la mer d’Ernest Chausson, il évoquera une mer vue du rivage, ici vous comprenez ce que signifie cette expression grecque de mer amère, même si chacun empli d’une joyeuse impatience se hâte de porter à sa bouche ce liquide sacré au goût de crottin des chevaux de Neptune. La performance vocale de Gianni Nepi est à souligner. Night song : Pénélope endort son garçon, l’eau des rivages d’Ithaque clapote, le bébé pleure, elle déroule le destin de celui qui s’appelle Ulysse, tout en douceur, Nepi est prodigieux de tendresse maternelle, peu à peu c’est la fureur du monde qui s’invite dans cette berceuse qui se mue en une grandiose symphonie avec chœur, l’on assiste au miracle, non pas celui d’un enfant qui grandit et qui se jouera des éléments et des Dieux, mais d’un simple combo de rock dont on ne sait par quelle subtile alchimie il parvient à transformer son vil plomb en l’éclat d’un or orchestral. Mind torture : grognements cyclopéens, tu deviendras ce que tu auras tué, les Dieux te punissent d’être toi-même, la magie de Circé enveloppe Ulysse, elle le retient prisonnier par ses mirages charnels et son emprise mentale, l’orchestration se partage entre les lourdeurs des actes passés ou présents et la violence avec laquelle tu déchires les lourdes tentures  empesées qui emprisonnent ta pensée, tout se passe dans la tête, le vécu n’est qu’une projection, on le nomme réalité, mais il n’est que l’image de la caméra intérieure de tes désirs. Morceau lourd, emporté, torturé. Ne t’en prends qu’à toi-même. Tempête sous un crâne a dit Victor Hugo. Escape : fuir, là-bas fuir, une course folle, le combo à fond, Nepi qui s’arrache les cordes vocales, l’on ne s’évade que lorsque l’on est devenu soi-même évasion, s’arracher à soi-même, il faut d’abord s’extrader de soi-même pour revenir à soi, l’on est le seul qui puisse forger son destin, énergie nietzschéenne, se surpasser, se dépasser pour être soi explosion mentale, tourments infernaux, s’extraire de sa propre mort, se rendre compte que ce qui nous retient n’est que présence fantomatique sans consistance. Au déchaînement intérieur correspond  une explosion orchestrale libératoire. L’angoisse exprimée est si forte que l’on se demande si notre héros ne court pas à sa perte.

     

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    Nostalgie : n’est pas allé bien loin, est tombé de Charybde en Scylla, de Circé en Calypso, elle n’a pas eu besoin de magie, sa beauté a suffi, Ulysse toujours seul en lui-même, il pense, il médite, il combat contre lui-même et cette autre chose bien plus forte, bien plus immense, bien plus dangereuse que lui, tornade orchestrale, voyage au bout de la nuit intérieure, au loin se profile une éclaircie, celui qui dialogue avec lui-même parle aussi avec cette puissance incommensurable que sont les Dieux. Après les errements mentaux se profilent les sanglants combats avec l’au-dehors de la caverne platonicienne. Rage od Gods : combien lourd paraît le martellement des chevaux de Poseidon, l’Ebranleur de la Terre est en colère, son ire tourne au délire, un petit côté pompier dans ces vocaux, le Dieu de la mer sera vaincu, Ulysse ne peut s’en remettre qu’à sa protectrice Athéna, n’est-il pas crédité d’un esprit subtil, le morceau prend à cet instant une dimension épique phénoménale, ce n’est plus Ulysse qui lutte contre l’élément liquide mais les Dieux qui s’affrontent, le morceau s’achève par une longue suite instrumentale échevelée qui vous emporte loin très loin aux frontières proximales de la sphère éthéréenne où l’être humain ne saurait pénétrer. (Félicitations aux musicos). Last fight : l’on entre dans le corridor de ruses et de sang par lequel débute le retour d’Ulysse en Ithaque. Atmosphère sombre et violente, Ulysse le solitaire, Ulysse le démuni, Ulysse tel qu’en lui-même la colère le change, la rage des hommes égale celle des Dieux, l’orgue torturé de Francesco Longhi exprime à merveille ce désir de mort et de vengeance. Le dernier combat n’est pas celui que l’on croit, par-delà ses ennemis c’est à soi-même que l’on s’attaque. Silence. Piano touches enfoncées très fort, guitare toucher léger. Gianni Nepi récite les quatre derniers vers de Cavafy.

             Une œuvre monumentale. Très différente de Pompéi mais d’une beauté égale. Un des plus beaux hommages qui ait été rendu à Cavafy.

    Damie Chad.

    Nota Bene : Il existe sur FB une vidéo : Dark Quarterer Rising for the silence (Pompei : live at Metropolitan) concert enregistré durant la période Covid au bénéfice des Théâtres grecs fermés pour la satisfaction financière des laboratoires pharmaceutiques. Le groupe est sur scène, mais le théâtre est vide… ce qui est un peu frustrant… Se regarde toutefois avec intérêt.

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    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll ! 

    26

    J’arrête la voiture devant l’immeuble de Gisèle, d’un coup de Rafalos je fais sauter la serrure. Je m’y attendais, aucune trace d’occupation humaine. Une rapide enquête dans les étages m’apprend que tous les appartements sont vides, suprême ironie, les portes ne sont pas fermées à clef !

    Alors que je remonte dans ma voiture (volée) un homme se précipite vers moi :

             _ Vous êtes un employé de l’entreprise de démolition ?

    La conversation s’avère intéressante. Le bâtiment est inoccupé depuis trois ans. La police vire systématiquement tous les squatteurs, elle a raison : les gens qui s’approprient des biens qui ne leur appartiennent pas me révulsent. Je promets que les bulldozers ne vont pas tarder à arriver.

    27

    Le Chef fume paisiblement un Coronado, il m’accueille avec un sourire :

             _ Agent Chad je présume à votre air dépité que la belle donzelle Gisèle a pris ses ailes à ses aisselles, méfiez-vous des femmes cher Damie, ce sont de sacrées simulatrices, gare aux garces ! Essayons toutefois de résumer la situation. Plus j’y pense, moins il m’apparaît que le service en son entier soit visé. Vous allez au restaurant, le lendemain vous êtes accusé d’avoir assassiné le personnel, vous dormez chez vous paisiblement, vos chiens sont kidnappés, on vous les rend, preuve qu’on ne leur en veut pas, vous liquidez froidement Jean Thorieux et vous tombez dans les bras merveilleusement galbés mais perfides que sa ‘’sœur’’ Gisèle vous a ouverts. Piège fort agréable j’en conviens, méfiez-vous Damie cette façon d’agir est très pernicieuse. Ces gens-là ne veulent pas vous tuer directement, il est évident qu’ils visent à une déstabilisation psychologique de votre personne.  

    Le Chef s’arrête quelques instants pour allumer un nouvel Coronado :

             _ Oui c’est votre personne qui est visée. Pourquoi, nous n’en savons rien, mais vous devez bien le savoir au fond de vous, prenez le temps de réfléchir, toutefois n’oubliez pas que nous n’avons pas de temps à perdre, cette affaire ne me plaît guère, dessous se cache quelque chose d’une nature que je n’arrive pas à discerner, prenez cette après-midi pour méditer sur tout cela. Je vous attends demain matin à la première heure.

    J’avoue que les déductions du Chef m’ont plongé dans la stupeur. Sur le moment je n’ai rien à répondre à une telle analyse.  Je suis sonné. Je me lève en titubant, j’enfile mon perfecto, ce simple geste me ragaillardit, je siffle mes chiens, ils se rangent à mes côtés en aboyant de joie.

             _ Chef, je pars en balade pour réfléchir !

             _ Très bonne initiative, agent Chad, j’espère que vous emmenez votre Rafalos, j’ai bien peur que ce ne soit pas une promenade de santé. Vous êtes dans la ligne de mire !

    28

    Sur la ligne de mire ! Je dois me méfier. Le Chef n’a pas l’habitude de parler pour ne rien dire. Surtout quand il fume un Coronado. Les chiens ont compris, à peine suis-je dans la rue qu’ils disparaissent. Molossito est parti en trottinant devant moi. Au fur et à mesure que je marche Molossa s’est laissé couler derrière moi. Une vieille tactique militaire, protéger ses avants et surveiller ses arrières. Pour le moment je ne sais pas trop où aller, je me fie à mon intuition et au hasard. Et à Molossito qui folâtre à une cinquantaine devant moi. Pourquoi ne pas le suivre, lui au moins il connaît nos ennemis. Je m’aperçois qu’il se dirige vers le centre de Paris.

    Maintenant je m’adresse aux lecteurs qui s’imaginent que je suis totalement perdu. Vous ne connaissez pas les rockers, si vous croyez que ce sont des êtres démunis, déboussolés, au cerveau aussi creux que le gouffre de Padirac, vous oubliez que Rocker rime avec Joker. Toujours un as de pique pointu et acéré comme ces lances des spadassins qui arrêtaient les charges de cavalerie. Bien sûr j’en ai un dans ma manche. Un rocker ne s’en remet pas aux aléas des rencontres. Il va droit vers celui qui lui fournira l’indice dont il a besoin. Molossito a compris, les chiens sont des animaux pourvus d’une intelligence supérieure à la plupart de nos contemporains, il sait très bien qu’il vaut mieux s’en remettre à Dieu qu’à ses saints, au bout d’une heure de marche je comprends qu’il me mène tout droit vers lui.

    Cette fois-ci je m’adresse à mes lectrices qui croient avec émerveillement que Dieu s’apprête à descendre du ciel pour me donner en personne une audience privée, je ne voudrais pas abuser de leur naïve crédulité, certes je suis un super héros, non Dieu n’apparaîtra dans cet épisode de leur série préférée. Toutefois avec cette espèce de zèbre, sait-on jamais !

    De loin je reconnais sa silhouette, pas celle de Dieu celle de l’Eglise Notre-Dame. A peine ai-je posé un pied sur le chantier que trois gendarmes s’interposent. Devant ma carte d’agent secret ils me saluent, tiquent un peu quand mes chiens m’emboîtent le pas :

    _ Laissez, ils sont avec moi conduisez-moi à l’architecte en chef, faîtes vite je suis pressé.

    Les gendarmes m’ont emmené jusqu’ à l’algéco du bureau idoine, m’ont resalué avec déférence et ont tourné les talons.  Monsieur l’Architecte en Chef, n’a pas l’air d’apprécier ma venue. S’il croit m’intimider avec son air excédé et son ton rogue, moi les chefs qui ne sont pas en train de fumer un Coronado, s’il savait ce que j’en pense. Je lui plante ma carte sous les yeux, il blêmit, manifestement mal à l’aise.

             _ Sachez Monsieur l’Architecte en Chef, que hier soir je me promenais à Aulnay-sous-Bois. Je me dois de préciser pour la vérité historique que je n’avais pas emmené mes chiens avec moi.

    Le gars me jette un regard meurtrier.

    _ De braves bêtes, attentives et attachantes, vous pouvez les caresser et même prendre un selfie avec eux, si vous avez des enfants ils adoreront.

    _ Monsieur, je suis très occupé, si vous en veniez au but, s’il vous plaît je ne voudrais pas vous faire perdre votre temps.

    _ Donc je me promenais sans mes adorables toutous, lorsque j’ai rencontré un employé de la mairie qui m’a pris pour un responsable de l’entreprise Les Briseurs de Murailles, c’est lui qui m’a donné le nom, une grosse boîte a-t-il ajouté fièrement, il a même précisé qu’elle participait à la rénovation de Notre-Dame. Je me demandais si vous auriez quelques renseignements relatifs à cette entreprise.

    _ Ah, ce n’est que ça, excusez-moi je croyais que vous étiez un représentant, des Beaux-Arts, ne sont jamais contents. Vous peignez un mur en bleu-gris, il est trop gris, vous le refaites il est trop bleu ! Mais je m’égare, revenons à nos moutons, vous savez plus de trois cents entreprises sont passées sur le chantier, parfois uniquement deux ou trois artisans spécialisés dans des travaux ultra-pointus. Les Briseurs de Murailles, oui ils ont aidé à enlever les échafaudages, ah, oui aussi, trois aussi sont venus pour rafistoler le cadre de La Vierge Marie, que voulez-vous savoir au juste ?

    _ Je n’ai pas trouvé ni le site de leur entreprise, ni leur numéro de téléphone sur le net, si vous pouviez…

    _ Oui, c’est normal, Les Briseurs de Murailles c’est un slogan publicitaire qui leur colle à la peau, il faut chercher à Entreprise Thorieux. Attendez, toutes les boîtes me filent un lot de cartes, au cas où, je les ai dans ce tiroir.

    Le gars ouvre le tiroir de son bureau, j’aperçois un fouillis de bristols de toutes les couleurs, le gars touille durant deux minutes, son visage s’illumine !

             _ Le voilà !

    Et hop, il braque sur moi un revolver. Dans mon dos la porte s’ouvre, ce sont les trois gendarmes’ ils ont beaucoup moins amènes que tout à l’heure.

    • Qu’est-ce qu’on fait Chef ?
    • Un qui garde la porte, deux qui tuent les deux chiens, je me charge de ce fouille-merde !

    J’ai envie de lui demander de me présenter des excuses pour cette qualification infâmante. Je n’en ai pas le temps. Quatre coups de feu retentissent. Je dois être mort. Une voix connue me tire de ma sidération.

             _ Agent Chad, remettez-vous ! A votre air faraud que vous avez tenté de cacher ce matin quand vous êtes rentré au bureau, j’ai compris, vous pouvez faire des cachotteries à vos lecteurs et les promener à travers tout Paris, mais pas à moi. Je vous connais trop. J’ai tenté de vous mettre en garde, vous n’avez rien compris. Je me doutais que vous vous précipitiez dans un piège. Je vous ai suivi. Molossa a été soulagée de m’apercevoir de loin derrière elle. Bon, nous voici avec quatre cadavres sur le dos, dont trois déguisés en gendarmes et un en architecte, entassons-les derrière le bureau. Vite, après cet intermède sanglant jouissif je prendrai le temps d’allumer un Coronado et nous filerons.

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 609: KR'TNT 609 : SIXTO RODRIGUEZ / NICK KENT / HARLEM CULTURA FESTIVAL / GYASI / LINDA LEWIS / JUKE JOINTS BAND / JOHNNY HALLYDAY / ROCKERS / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 609

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    31 / 08 / 2023

      

    SIXTO RODRIGUEZ / NICK KENT

    HARLEM CULTURAL FESTIVAL / GYASI

    LINDA LEWIS / JUKE JOINTS BAND

    JOHNNY HALLYDAY / ROCKERS 

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 609

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Rodriguez as-tu du cœur ?

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             En cassant sa pipe en bois, Sixto Rodriguez devient enfin le personnage cornélien qu’il n’a jamais été. Cette disparition est le seul aspect tragique de son existence. Tout le reste est beau. Notamment ses deux albums, Cold Fact et Coming From Reality. Ils font complètement oublier le fait qu’il aurait dû devenir superstar. Même destin que celui de Nick Drake. Culte par la seule beauté des chansons.

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             À une époque, avec un peu de chance, on pouvait encore choper à un prix convenable un pressage original de Coming From Reality, sur Sussex, avec le gatefold découpé. Magnifique objet. Magnifique album. Aussi magnifique que Blonde On Blonde. Les deux faces s’entrechoquent de beauté, on est tout de suite frappé par la fabuleuse présence vocale de Rodriguez dans «Climb Up On My Music» - And from there jump off with me - Rien sur les musiciens, on sait juste que c’est enregistré à Londres, au studio Lansdowne, là où a débuté Joe Meek. Les cuts de Rodriguez sont très denses, aussi bien mélodiquement qu’au niveau des textes. Dans «A Most Disgusting Song», il balance ça : «While the Mafia provides you drugs/ Your Government will provide the shrugs/ And your National Guard will supply the slugs», c’est du protest à l’état le plus pur, et ça rime. Et puis tu tombes dans les bras du magicien avec «I Think Of You», un cut d’une pureté mélodique extrême emmené par un lead espagnolisant et un bassmatic rond et charnu. Et l’envoûtement se poursuit avec «Heikki’s Suburbia Bus Tour», un heavy groove dans la veine du «Season Of The Witch» de Stylish Stills. On a les mêmes retours de manivelle, c’est du génie sonique pur. Et ça continue en B avec «Sandrevan Lullaby Lifestyle» qu’il chante d’une voix aux textures riches, dont la suavité, l’éclat d’or pâle et la grâce sucrée auraient tant plu à des Esseintes. Tout est parfait sur cet album, la mélodie chant, le grain de voix, le bassmatic et les nappes de violons. Rodriguez te berce encore d’une langueur monotone avec «It Started Out So Nice» - Marble money tunes/ As pale earthly circles swooned - Il ne compose que des hits de rêve. Et il boucle avec «Cause», pur shoot de véracité dylanesque avec une Queen of Hearts who’s half a stone and likes to laugh alone, on  retrouve le balancement poétique de Bob Dylan, une espèce de grâce verlainienne, comme si la richesse de la mélodie rehaussait encore la richesse poétique des textes -So I set sail in a teardrop and escaped beneath the doorsill - et il termine avec une galipette de génie pur - Cause/ How many times can you wake up/ In this comic book and plant flowers?.

             C’est l’expat américain producteur Steve Rowland qui insiste pour que Rodriguez vienne enregistrer à Londres. Il monte le coup avec l’A&R de Buddah Records Neil Bogart qui est aussi fan de Rodriguez et qui est prêt à investir. Il faut savoir que Steve Rowland a produit les Pretty Things, P.J. Proby, The Herd et Dave Dee Dozy Beaky Mick and Tich, puis The Cure. Rowland est effaré par la qualité des nouvelles chansons de Rodriguez. C’est Kevin Howes qui donne tous les détails des sessions dans les liners de la red. C’est pour ça qu’il faut choper les reds des grands albums, on y trouve de la littérature, tout au moins des liners rédigées par des spécialistes. Dans le studio, tu as Chris Spedding et Tony Carr. Le prodigieux bassman s’appelle Gary Taylor.

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             En 2012, la parution du docu Searching For Sugarman provoqua un joli buzz. Le pauvre Rodriguez s’est même retrouvé dans Télérama. Forcément, on va voir le film quand on connaît les deux albums. Le film est tellement bien foutu qu’on le revoit ensuite sur DVD. Encore et encore. Malik Bendjelloul l’a semble-t-il réalisé avec peu de moyens et il a réussi un exploit assez rare : dire la grandeur d’un artiste sans jamais mordre le trait, c’est-à-dire en collant au plus près de la réalité. Bendjelloul a eu de la chance, car Rodriguez, qui artistiquement a la carrure d’une superstar, est un homme extrêmement simple. Sa modestie naturelle affecte même son élocution. 

             En gros, Rodriguez est un Chicano de Detroit qui ressemble à s’y méprendre à Question Mark. Il bosse dans des chantiers de démolition et de rénovation, et il écrit des chansons. Le week-end, il gratte ses poux dans un club enfumé de Detroit, The Sewer, et c’est là que le découvre Dennis Coffey. Coff le compare tout de suite à Dylan. Bien vu Coff ! Alors avec Coff dans les parages, ça tourne vite au conte de fées : Rodriguez rencontre Clarence Avant et enregistre Cold Fact sur le label d’Avant, Sussex. Sur Sussex, on trouve aussi Coffey, bien sûr, mais aussi Bill Withers. Et aussi curieux que cela puisse paraître, l’album ne se vend pas. Dans l’interview qu’il accorde à Malik Bendjelloul, Rodriguez sort cette explication fataliste : «It’s the music business. There is no garantee.» Il ira quand même enregistrer Coming From Reality à Londres l’année suivante et puis Sussex le laissera tomber. Alors Rodriguez retourne sur les chantiers, car il a quatre bouches à nourrir, sa femme, et aussi ses trois filles qu’on voit dans le docu.

             Malik Bendjelloul rend son docu passionnant car il le conçoit comme une intrigue. Contre toute attente, les petits culs blancs d’Afrique du Sud raffolent de Cold Fact. On est alors en plein Apartheid et ces blancs font partie de l’opposition blanche à l’Apartheid. Ils considèrent Rodriguez comme un chanteur engagé. Mais comme il n’y a aucune info sur lui, les mythes vont bon train. On raconte même qu’au terme d’un show qui se serait mal déroulé, Rodriguez se serait tiré une balle dans la tête sur scène. Donc pour les Afrikaners, Rodriguez est mort.

             Bendjelloul mène l’enquête. Il réussit à retrouver les deux producteurs de Rodriguez, l’américain Mike Theodore (associé de Coff) et l’anglais Steve Rowland. Ils se disent tous les deux sciés par le fait que Rodriguez n’ait pas percé. Rowland le qualifie même de sage (wise man) et de prophète, puis il passe «Cause» sur sa chaîne - Sad... Last song that Rodriguez ever recorded - C’est effectivement la dernière chanson de Coming From Reality - Nobody in America had ever heard it. Comment est-ce possible ? - C’est là où Zorro Bendjelloul sort de la nuit et court vers l’aventure au galop !

             Craig Bartholomew Strydom, journaliste sud-Africain, se demande s’il existe un «inspecteur en musicologie». Non ? Alors il se proclame inspecteur en musicologie. That’s me ! Il découvre que Cold Fact s’est vendu à 500 000 exemplaires en Afrique de Sud. Où va le blé ? Chez Sussex. C’est qui Sussex ? Clarence Avant ! Bendjelloul interviewe le vieux Clarence qui semble sortir d’un polar de Tarentino. Il est à peine aimable. Il dit que Rodriguez est dans le top five de ses artistes - It didn’t sell here - Il parle de six exemplaires. Mais il n’aime pas les questions de Bendjelloul. L’interview tourne en eau de boudin. Il faut savoir que Clarence Avant est un personnage politique considérable aux États-Unis. Il fait comprendre à Bendjelloul qu’il doit apprendre à faire son métier et commencer par poser les bonnes questions. Ironie du sort : Clarence Avant vient de casser sa pipe en bois, une semaine après Rodriguez. On apprend aussi en lisant les liners de Kevin Howes pour la red de Cold Fact que Rodriguez n’était pas disposé à jouer le fame game, c’est-à-dire la promo de l’album qui du coup n’est pas entré dans les charts. De son côté, l’inspecteur en musicologie appelle Mike Therodore et lui demande comment est mort Rodriguez - Rodriguez dead ? What do you mean ? He’s not dead. Sixto Rodriguez is alive and kicking and living in Detroit - Puis l’inspecteur entre en contact avec Eva, la fille de Rodriguez qui confirme que son père est vivant, qu’il bosse toujours sur les chantiers et qu’il a même fait un peu de politique pour l’élection à la mairie de Detroit. Et tout se termine par une tournée sud-africaine en 1998. Rodriguez joue dans un stade et la foule l’ovationne. Six concerts sold-out et, paraît-il, un troisième album inachevé.

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             On comprend que Cold Fact ait pu faire un carton en Afrique du Sud, car Rodriguez te subjugue dès «Sugar Man» - Silver magic ships/ You carry/ Jumpers coke sweet Mary Jane - Ça te cogne dans le coin du crâne, Rodriguez crée de la magie à coups de jumpers coke sweet Mary Jane, exactement de la même façon que le fit Dylan un peu avant lui. On croise à la suite deux chefs-d’œuvre purement dylanesques, «Crucify Your Mind» et «This Is Not A Song It’s An Outburst: Or The Establishment Blues». Il est poignant de véracité dylanesque - And you claim/ You got something going - même génie poético-mélodique d’as your tears go down your cheeks. Il enfonce ses clous d’or avec un talent stupéfiant - But all I heard was Establishment blues - Son protest est pur, car porté par un souffle. Cold Fact est un album émotionnel qui te saute à la gorge. Rodriguez tape son «Forget It» au big forever, il te cajole, il est trop doué, c’est à toi de t’adapter. Il chante pour toi alors montre-toi à la hauteur. Son Forget It te colle au mur. Et puis voilà le hit qui a fait basculer les Afrikaners : «I Wonder». C’est le real deal, avec la bassline de Bobby Babbit - How many times I had sex - Comme chez Dylan, les textes crèvent l’écran. Rodriguez est aussi bon que Dylan. Même power, même magie. On entend Coff faire des ravages dans «Gommorah (A Nursery Rhyme)» et Rodriguez termine cet album qu’il faut bien qualifier de faramineux avec «Jane S. Piddy» - And you think I’m curious - Il jette tout son Dylanex dans la balance, au feeling insecure, sa voix résonne dans l’écho du temps, Rodriguez aurait pu devenir l’une des plus belles stars de son temps - You’re a loser/ A rebel without/ A cause - Mon pauvre ami, ta voix dans le bois de Boulogne...

    Signé : Cazengler, Sixto Merguez

    Sixto Rodriguez. Disparu le 8 août 2023

    Sixto Rodriguez. Cold Fact. Sussex 1970

    Sixto Rodriguez. Coming From Reality. Sussex 1971

    Malik Bendjelloul. Searching For Sugarman. DVD 2013

     

     

    Wizards & True Stars

    Il n’y a que Nick qui Kent (Part One)

     

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             Vue d’avion, la culture rock pourrait se résumer à trois noms : Yves Adrien, John Peel et Nick Kent. On s’est déjà longuement penché sur Yves Adrien et John Peel. Il est temps de se pencher sur Nick Kent. Si on lisait le NME dans les années soixante-dix, c’était essentiellement pour y dévorer les articles de Nick Kent. Les plus brillants sont rassemblés dans The Dark Stuff qui fut ici pendant vingt ou trente ans le principal livre de chevet d’ici, avec les trois précieux opuscules d’Yves Adrien. En complément, on peut aussi se taper l’excellent Apathy For The Devil, super fat book dans lequel Nick Kent narre son âge d’or, les années 70. Il fréquente alors la crème de la crème du gratin dauphinois : Iggy, les Stones, Chrissie Hynde, les Pistols. Il commence sa vie de Rouletabille du rock avec un parcours sans faute : MC5, Captain Beefheart, le Dead, Iggy, Led Zep et Bowie. Chaque page te fait tourner la tête - mon manège à moi c’est toi - Nick Kent est au rock anglais ce qu’Yves Adrien est à la littérature : un parangon aux pieds ailés. Il commence par créer un style, à seule fin d’asseoir sa vision, et finit tout naturellement par devenir l’arbitre des élégances. En quelque sorte le George Brummel du rock. Pas de culture rock digne de ce nom sans le trio Yves Adrien/John Peel/Nick Kent.

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             Si Apathy For The Devil monte si bien au cerveau, c’est sans doute à cause de ce capiteux cocktail de drogues, de style et de fréquentations. On retrouve les mêmes excès dans l’autobio de Kris Needs, le style en moins. En beaucoup moins. Avant d’être le Rouletabille du rock anglais, Nick Kent est un prodigieux écrivain. Quand il évoque les Beatles de 1962 et la naissance de la rock culture, il le fait de manière sublimement Kentish : «Ce sont eux et Dylan qui ont kicked open la porte qui jusqu’alors tenait enfermée la bohemian culture du XXe siècle in suffocatingly smoky nightclubs on the outskirts of town.» Ça sonne comme un long vers de Dylan. Lorsqu’il évoque les Allman Brothers, il le fait avec une pointe d’humour anglais. Il commence par expliquer qu’on avait obligé les Allman Brothers à entrer en rehab clinic avant de partir en tournée - This intervention didn’t prevent their guitarist Duane Allman from dying in a motorbike crash just a few months later whislt stoned out of his gourd - L’humour est une constante chez Nick Kent qui se voit comme le «Zeitgeist-surfing dark prince of seventies rock journalism». Il est aussi le «Count Dracula’s Limey stepchild» qui traîne dans un pub de Maida Vale, et soudain, un poivrot s’exclame en le voyant : «Fuck me, it’s that cunt from the Sandeman’s Port advert!». Hilarant ! On entend même la voix rauque du poivrot. Ailleurs, Nick Kent se définit plus sérieusement : «The folks over there just didn’t understand kamikaze journalism.» Il comprend très vite que pour se mettre au niveau des gens qu’il admire et qu’il interviewe, il faut rentrer dans les mêmes excès et se jeter tout entier dans la balance. Première étape. 

             Encore plus hilarant. Il évoque Paul Rogers en 1975 : «Ex-Free singer Paul Rogers - qui deviendra plus tard a rising star avec Bad Company - était le roitelet de cette faune hirsute et sérieuse. La légende dit qu’il était tellement viril qu’en attaquant son set rasé de frais, il le finissait avec une barbe ! Elle avait littéralement poussé sous les yeux du public. Mais cette aptitude à se faire pousser une barbe en public ne compensait l’absence totale d’innovation musicale qui les caractérisait, lui et ses collègues, dans le rock landscape des mid-seventies.» Encore plus poilant : il a des ennuis en 1976 avec les Bee Gees et notamment big brother Barry. Comme Big brother Barry menace de lui casser la gueule, il va chez un disquaire voir sur une pochette d’album à quoi il ressemble : «Il avait plus de poils sur la poitrine qu’on en aurait vu derrière les médaillons en or at a New Jersey convention for mafia capos. If he and I ever crossed paths, I knew I was wheelchair-bound», oui Nick se serait fait niquer s’il avait croisé big brother Barry. Il était bon pour le fauteuil roulant. Au moins, il réussit à faire de cet épisode une histoire drôle.

             Il plante le décor des seventies ainsi : «Pour moi, all the seminal seventies stuff se tient sur une période de 6 ans entre la naissance de Ziggy Stardust et la mort des Sex Pistols. Ce qui advint après was really just a prelude to the eighties.»    

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             Comme Yves Adrien, Nick Kent plonge ses racines dans le XIXe, et notamment Thomas de Quincey, qu’il salue vers la fin d’Apathy : «De Quincey avait noué des relations avec les deux hommes qu’il admirait le plus, les poètes Wordsworth et Coleridge, à l’âge où je faisais la même chose avec Keith Richards et Iggy Pop. Comme moi, il avait cherché le salut dans la consommation d’hard drugs in his early twenties. Je fus un peu déçu de découvrir qu’il était plus petit que moi d’une bonne tête et que pendant la plus grande partie de sa carrière d’écrivain, il avait été une sorte de shameless hack (qu’on pourrait traduire par un écrivain à la petite semaine). Mais quand j’ai découvert ses combats acharnés avec ses débiteurs et la constipation chronique, j’ai senti qu’un  puissant lien mystique s’établissait entre lui et moi. À l’automne 1821, De Quincey écrivit pour The London Magazine un essai en deux parties, Confessions Of An English Opium Eater, basé sur sa vie et l’histoire de l’opium. L’essai eut un tel succès qu’on en fit un livre qui devint la seule contribution de l’auteur au monde de l’édition. En France, Baudelaire en fit la traduction, et de l’autre côté de l’Atlantique, le jeune Edgar Allan Poe tomba sous l’influence de cet auteur rebelle.» Joli clin d’œil à Damie Chad. Mais aussi à Jean-Yves qui me confiait quelques mois avant de quitter cette planète qu’il relisait Apathy For The Devil. Il arrive que certains livres prennent dans la vie une importance considérable.

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             Nick Kent maîtrise à merveille l’art de se situer : «Well-read, streetwise druggies with a vague work ethic were my kind of people, I was quicly discovering.» La phrase est parfaite, comme montée à l’envers, c’est-à-dire excentrique. Courte, elle dit tout un monde, le XIXe et les drogues, elle dit aussi cet élitisme qui flirte dangereusement avec l’élégance. Nick Kent pratique les drogues comme un exercice d’éveil - The drug had freed something in my cerebellum and offered me a more intense way of perceiving the world - Il fait de l’Henri Michaux, et dans un élan purement littéraire, il ajoute : «J’étais déterminé à essayer de nouveau à la première opportunité.» Il fait sa Connaissance Par Les Gouffres par le rock. En entrant chez Friendz, il creuse son tunnel vers ce qu’il appelle «the freak-flag-flying enclaves of the London underground». Toutes ces expressions qu’il forge à longueur de pages sont délicieusement musicales. Il écrit l’histoire du rock de London town dans une pure langue rock. Kentish tune. Rock swagger.

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             Il évoque le concert des Stooges au King’s Cross Cinema à l’été 72 pour mettre les points sur les zi et rappeler que tout le London punk vient de là : «Bon nombre de self-styled punk experts ont depuis rempli des tomes et des tomes, mais si vous ne faisiez pas partie des 200 personnes un brin nerveuses qui assistaient au seul concert européen des Stooges à l’été 72, vous n’assistiez pas au real beginning et donc, vous ne savez pas de quoi vous parlez. Fin du sermon.» Nick Kent indique que ce concert eut sur lui un impact majeur, il découvrait ce qu’il appelle «the new wild frontier of Western pop culture». Comme Yves Adrien, il définit une nouvelle cartographie, celle qui nous servira de référence. Il revient longuement sur le show du King’s Cross Cinema : les Stooges n’ont pas joué un seul cut des deux albums Elektra, et rien de ce qui va figurer sur Raw Power : rien qu’une «jolting succession of primitive works in progress» - Neanderthal jungle music that no one present had ever heard the likes of before this night - Nick Kent dit se souvenir de toutes les secondes de ce concert historique - His absolute fearlessness, his Nijinski-like body language and the mind-blogging way he seemed able to defy even the laws of gravity - John Lydon se disait présent et non impressionné par le show, ce que Nick Kent a du mal à croire, car dit-il, «ce qu’Iggy and co ont réussi a faire ce soir-là, c’est exactement que les Sex Pistols allaient essayer de faire trois ans et demi plus tard : short sharp shock rock that mesmerized tout en tétanisant le public.» Et Nick Kent assène son dernier coup de marteau sur le clou : «Iggy & the Stooges ont inventé le punk de la même façon que James Brown & the Famous Flames ont inventé le funk.»   

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             Iggy est l’un des personnages principaux de ce festin de roi qu’est Apathy. Nick Kent évoque son retour en 1977 avec Lust For Life, un coup de maître produit par Bowie, un album qui «pouvait transformer Iggy into a bona fide superstar». Bona fide Kentish Boy adore utiliser le bona fide. Manque de pot, nous dit Nick, Elvis casse sa pipe en bois au même moment - The curse of Osterberg was still in full effect. His career had been sidelined yet again, this time by a fat bloke dying on the toilet - Nick Kent rencontre Iggy pour la première fois en 1972, alors qu’il séjourne à Maida Vale. Mainman lui a refilé l’adresse. Alors il y va. Il imagine Iggy comme un «bull-in-a-china-shop kind of guy, a walking sea of turbulance», mais il tombe sur le contraire, c’est-à-dire  «the epitome of charm and well-mannered cordiality». Il ajoute que cette rencontre allait avoir «a cataclysmic effect on me personally.» Il revient longuement sur l’art d’Iggy, «a fervent purist intent on rechallenging the bedrock blues aesthetic - two or three chords and a hypnotic groove» et il balance plus loin ceci qui te sonne les cloches à la volée : «Put simply, Ziggy Stardust was ‘show business’ whilst the Stooges were ‘Soul business’.» Il développe en expliquant que Ziggy était glamourous et séduisant, alors que les Stooges étaient «moins attirants mais capables de te changer la vie.» Et c’est exactement ce qui s’est passé pour un tas de gens : Stooges & Velvet forever. Quand plus tard, Nick Kent revoit Iggy à Los Angeles, il est frappé par sa transformation : il est devenu «a snake-eyed, cold-hearted, abrasively arrogant trouble magnet.» Terminé l’«epitome of charm». Nick Kent note en outre qu’«he was back on the smack». Kent rapporte aussi un échange d’Iggy avec un journaliste de télé qui lui demande s’il est décadent, et Iggy lui répond que «la décadence, c’est la décomposition and I ain’t decomposing, I’m still here.» Le fucking journaliste insiste : «Are you morally degenarate?», et Iggy lui rétorque : «Oh I don’t have any morals». Prends ça dans la barbe, sucker ! Nick Kent remet Iggy encore plus haut sur son piédestal en le comparant avec Artaud, «comme étant le performer seulement capable d’atteindre la grandeur en mettant publiquement sa folie en scène.» C’est extrêmement bien vu, incroyablement juste. Artaud le Momo = Iggy le Popop.

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             Kentish Boy et Iggy se rendent à une party. Ils sont complètement défoncés. Un géant s’approche d’eux et s’exclame : «Old Kenty and Iggy fucking Pop. Look at that stare of you two cunts.» Et avant qu’Iggy ne lâche une répartie fatale du genre «who is this prick anyway?», Kentish Boy lui met la main sur la bouche pour le faire taire, car le géant, c’est Peter Grant. L’atrocement violent Peter Grant. Nick Kent évoque aussi la période berlinoise, lorsqu’Iggy vit et bosse avec Bowie. Iggy : «L’avoir comme producteur, it was a pain in the arse - megalomaniacal, loco! Mais il avait de bonnes idées. Le meilleur exemple est celui de ‘Funtime’ et il m’a dit : ‘Yeah the words are good. But don’t sing it like a rock guy. Sing it like Mae West.» Bien sûr, les fans des Stooges ne s’y retrouvaient pas, mais, nous explique Nick Kent, «Iggy and Bowie were just taking the whole dank vampiric vibe of the seventies to a further sonic and conceptual extremity.» Iggy reconnaît les qualités de Bowie : «Bowie’s a hell of fast guy. Very quick thinker, very quick action, very active person, very sharp.»

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             Bowie ! Nick Kent lui taille des costumes de mots sur mesure. Il qualifie ses mouvements de «studied poise (c’est-à-dire d’équilibre étudié) of a movie starlet from some bygone era just prior to the advent of Technicolor.» Il nous explique que Ziggy a permis à Bowie de devenir «an instant megastar et d’imposer sa personnalité dans les seventies, avec le même impact que celui des Beatles dans les sixties.» Avec Ziggy, Bowie est devenu «the era’s most adored teen idol, sex symbol, rock star and Dylanesque pop sage in one fell swoop.» Quand il le rencontre pour la première fois, Bowie dit à Nick : «So you’re Nick Kent. Aren’t you pretty!». Bowie, nous dit Nick, s’imaginait que tous les journalistes rock étaient laids. Nick dit aussi que la carrière de Bowie a duré longtemps parce qu’il était un «big thinker and a true professional.» Par contre, il n’a aucune pitié pour l’équipe du management américain de Bowie - They were some of the most sleaziest, most repugnant people I’ve ever had the misfortune to shake hands with - Il ne fallut pas longtemps nous dit Nick pour que Bowie fasse le même constat : il les a tous virés et a traîné Mainman en justice. Nick Kent avoue être fasciné par Bowie qui après avoir été «an alien transexual from the planet Outrageous» devint  «an emaciated hop-head straight out of a Damon Runyon novel set in the McCarthyite fifties.» Nick Kent danse en permanence avec les mots. Ses formules sont le light fandango du XXe siècle, l’arôme enivrant du Virginia Plain de heures blêmes, tu y greffes toute ta nostalgie des années de ta jeunesse enfuie, lorsque tu parcourais hagard des corridors interminables de cette bâtisse où se tenait une orgie et qu’au loin mouraient les vagues d’orgue de Matthew Fisher. La prose de Nick Kent cristallise à la folie l’essence de cette époque gorgée de drogues et de sexe.

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             Il raconte qu’il traîne dans Londres avec Brian Eno qui vient de se faire virer de Roxy, et de passage à New York, il assiste à une répète des Dolls qui bossent sur une nouvelle chanson, «Jet Boy». Il note au passage que certains Dolls ne savent pas accorder leur instrument, ce qui combiné à leur pente immodérée pour la dope, conduira à «leur undoing in the months to come». Dans le chapitre ‘1973’, il raconte sa romance avec Chrissie Hynde. Chez elle, les murs sont couverts de photos de Keith Richards et d’Iggy Pop - Right away, I could tell the woman was blessed with exquisite taste - Puis c’est le coup de Trafalgar - Elle me dit alors un truc qui m’a envoyé au tapis : l’une des raisons principales qui l’avait décidée à venir s’installer à Londres était un article sur Iggy Pop paru dans un canard anglais. Je lui ai alors demandé plus de détails et l’article en question était le mien - mon tout premier article dans le NME - Pas de meilleurs auspices pour démarrer une relation sentimentale. Puis la relation va commencer à se déliter - She wasn’t the easiest person to show emotional warmth to - Nick parle même d’une «authentically wild and abrasive side to her personality - a trash-talking biker-girl mindset.» Alors il y a des shootes. Puis Chrissie le trompe. Alors Nick veut la corriger à coups de ceinture. La scène qu’il décrit se passe dans la boutique de McLaren qui a tellement la trouille qu’il se planque sous une table. Un mec sort de l’arrière-boutique et met son poing dans la gueule du Nick qui vole à travers la boutique et qui se trouve sur le trottoir, avec la bouche qui pisse le sang - Pathetic and bleeding - Exit Chrissie. Rassurez-vous, ils se reverront en 2003. Nick la revoit dans le chapitre ‘Afterwards’. Ils redeviennent amis, mais il se demande si cette amitié résistera aux révélations que contient Apathy - Mind you, whether our friendship will be standing after she reads this book remains a matter of conjecture - La façon dont est montée cette phrase anodine relève du chef-d’œuvre d’équilibre. Il faudrait même parler de grâce syntaxique. Apathy For The Devil n’est que ça : un gros tas de grâce syntaxique. Il est des pages qui procurent tant de plaisir qu’on les relit plusieurs fois de suite. On vit les mêmes chocs esthétiques dans Les Souvenirs d’Egotisme de Stendhal, ou encore dans les deux tomes du Panégyrique de Guy Debord. Et bien sûr dans l’Heliogabale d’Artaud.

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             Par contre, ça se passe mal avec Lou Reed. Nick Kent l’interviewe et parle de «dead Peter Lorre eyes» et de «cold inhospitable manner». Il préfère nettement le MC5, «a truly phenomenal live act - the only white US band who could potentially upstage the Rolling Stones in a concert hall.» Il les voit jouer dans un «West End club called Bumpers». Il n’y a personne - quite litterally three men and a dog - mais mis à part l’absence de public, «the show was one of the most thrilling and memorable live showcases I’ve ever witnessed.» Nick Kent en pince aussi pour Captain Beefheart. Il résume le génie du bon Captain par cette formule d’anthologie : «Beefheart still did his Howlin’ Wolf-adbucted-by-aliens vocal routine and his band had somehow stuck out on a whole new musical hydrid: Delta blues in a surreal head-on collision with free jazz.» Personne ne peut battre Nick Kent à la course. Sa langue est si parfaite que ce serait l’abîmer que de vouloir la traduire. De la même façon qu’on ne traduit pas les paroles d’«I’m A King Bee» ou de «My Generation». S’ensuit l’interview et, nous dit Nick, dans les cinq premières minutes, Captain Beefheart lui dit «au moins deux fois qu’il est un génie». Nick le compare à Orson Welles, «part authentic creative visionnary, part outrageous bullshitter.» Ils s’entendent bien ensemble. Captain Beefheart apprécie les Anglais distingués : Nick Kent et John Peel, par exemple. Il emmène le jeune Nick en tournée. Le bon Captain se balade en Angleterre avec sa cape, les gens se retournent sur son passage. Sur scène, c’est chaque soir de la magie pure : «On n’avait encore jamais entendu ce genre de musique. Et depuis lors non plus. Le groupe jouait The Spotlight Kid et deux cuts tirés de The Trout Mask Replica, mais les cuts enregistrés en studio n’avaient rien à voir avec the mind-scrambling majesty of their live renditions.» Il compare Captain Beefheart à Thelonious Monk - He had a totally unique ‘out-there’ aesthetic sensibility - et il ajoute, en extase cérébrale : «None of us could believe we were hearing music this visceral and dementedly alive.» Si tu veux voir du «visceral and dementedly alive», alors chope le «Sure ‘Nuff Yes I Do» du Magic Band filmé au Modem, sur la plage de Cannes. Notre Kentish Boy extatique ajoute : «Vous pouviez littéralement voir l’électricité courir sur leurs instruments et savourer les glaires qui pétillaient dans le larynx de Beefheart. He wasn’t kidding when he called them the Magic Band.»

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             Kentish Boy voit les Stones sur scène pour la première fois quand il est ado. Il remarque que les jeunes femmes sont en état de «sexual psychosis», qu’elles «se touchent in appropriate places» et lâchent des «primeval howls». C’est là qu’il place l’une de ses formules définitives : «The Rolling Stones didn’t have forehead. Just hair, big lips and a collective aura of rampaging insolence.» Et puis il y a Brian Jones que les gens traitent de sadistic ou encore de pathetic. Kentish Boy l’a rencontré et Brian «was incredebly nice to me». «Soudain j’ai vu mon futur s’incarner devant moi. This was exactly the kind of person I was determined to grow up and become.» En 1967, il assiste au «Best bill I’ve ever witnessed, a special psychedelic package tour avec Jimi Hendrix Experience, Syd Barrett’s Pink Floyd, the mighty Move form the Black Country and prog-rock pioneers the Nice.» - Seeing Syd that night ignited something within me that I’ve been obsessed with all my adult life - Il parle du sens du mystère - His story - however it developped - was mine to tell - Il est aussi frappé par le «sexual bravado» de Jimi Hendrix. Qui ne le serait pas ?

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             Kentish Boy redit toute la grandeur du rock anglais des sixties et des early seventies. Après avoir chanté les louanges de Brian Jones, de Captain Beefheart, voilà qu’il chante celles de Rod The Mod, de «Maggie May» et de son «big-nosed cock-of-the walk charm and tight satin trousers». Dans son élan, il rappelle que Stewart, Bolan et Bowie avaient déjà tenté de devenir des superstars dans les sixties. Ils attendaient leur heure. Elle n’allait pas tarder. Rod The Mod va atteindre le «megasuperstardom» et il est le premier, nous dit Nick, à l’admettre : «the guy was one lucky son of a bitch». Et même quand il va se griller artistiquement avec ce qu’il appelle des «bland codswallop like ‘Sailing’ and ‘Do Ya Think I’m Sexy’», Nick Kent avoue qu’il garde toujours un faible pour le singer - To me, he’ll always remain a prince amongst men.

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             Le prestige du rock anglais passe aussi par Hawkwind et Dave Brock, que Kentish Boy évoque, rappelant que ses crises d’hémorroïdes faisaient bien marrer les autres membres du groupe. Dave Brock s’est vengé en virant tout le monde. Kentish Boy rend surtout hommage à Nik Turner dont le jeu de sax «n’allait pas priver Ornette Coleman de sommeil», il voit surtout en Nik du charisme, et lui rend l’hommage suprême en affirmant qu’il n’avait encore jamais vu un homme portant à la fois du mascara et une barbe «and still not look completely ridiculous». Nick qualifie aussi Robert Calvert de «bona fide nutcase», joli punch-up qu’il n’est nul besoin de traduire. Hommage enfin à la section rythmique Simon King/Lemmy Kilmister - hard, primitive, metronome-like - qui allait asseoir la réputation du groupe en Angleterre en tant que «purveyors of proto-stoner rock». Toutes les formules sont d’une justesse sidérante. Chaque mot semble à la fois étudié et spontané. Il faut avoir vécu toute une vie immergée dans la langue rock pour comprendre que celle de Nick Kent est l’absolu modèle du genre. La façon de formuler, c’est-à-dire le style, est la clé de tout. Il finit sur Hawkwind en affirmant qu’ils furent «more authentic ambassadors of Ladbroke Grove bohemian demographic than the Clash, qui, à la fin des seventies, utilisèrent le Westway comme un décor photo for their own further self-glorification.» Toujours la même histoire : choisis ton camp, camarade. Hawkwind ou les Clash ? Le choix est vire fait. Il passe naturellement d’Hawkwind à Can et trace un parallèle entre Miles Davis et Can - Can a su prendre the basic ingredients - a James Brown funk rhythm and plenty of spacey dissonance from the keyboards and electric guitar - and create something  gueninely awe-inspiring - Des Can qu’il situe loin des «paltry legacies», c’est à-dire des souvenirs dérisoires, «laissés par Jethro Tull et Yes, qui furent», ajoute-t-il «that era’s most popular paltinum-selling ‘cerebral-rock’ entities.» Pour Nick, Can «played a similar role in the early seventies to the one the Velvet Underground played in the late sixties.» Rien de plus vrai. Rien de plus exactly exact.

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             1972 est l’année du glam. Kentish Boy s’habille et se maquille - black eyeliner - en conséquence - I looked like a lanky girl - Puis il rencontre Roxy Music - a pretty haughty and self-posessed bunch, a sort of ex-art school Lord Snooty and his pals in lurex - Quand Nick Kent écrit ça, cette phrase si musicale, c’est comme s’il était Oscar Wilde accompagné par le Velvet. Il compare Brian Eno à Brian Jones, à cause de sa flamboyance et de son rôle limité dans le groupe - His arch hermaphrodic presence blended well with singer Bryan Ferry more conventional handsomeness in concert - Nick ne s’y trompe pas, la star de Roxy n’est pas celui qu’on croit. Il sait dire son faible pour Brian Eno, et à travers lui, son faible pour Brian Jones. Les deux vont se faire virer pour la même raison : trop Brian. Puis on envoie Kentish Boy interviewer Led Zep qui en 1972 est un groupe imbattable. Personne ne peut rivaliser avec eux, même pas les Who, nous dit Nick. En fin de concert, il les voit taper une cover de «Louie Louie» «that sounded like the four horsemen of the apocalypse inventing the concept of testosterone-driven punk rock.» On se souvient du «Communication Breakdown» filmé pour la télé française en noir et blanc, pur «testosterone-driven punk rock». Mais l’interview d’après concert de passe mal. Nick se fait traiter de wanker. Pas terrible. Le courant ne passe pas avec Jimmy Page. Kentish Boy évoque aussi la violence gratuite orchestrée par le duo Peter Grant/Richard Cole, un duo aussi nocif que «the entire Russian Mafia» - One evil look from either of them could provoke rank strangers to defecate on the spot - l’équivalent français serait «chier dans son froc», alors on garde l’Anglais, qui est plus élégant (defecate on the spot). Le seul qui n’approuve pas cette violence gratuite, c’est Robert Plant. Il faut aussi se souvenir de ce qu’en dit Bill Graham dans ses mémoires : Peter Grant, c’est l’horreur. 

             Nick Kent rappelle aussi qu’en 1973, Londres était la capitale du pub-rock, «the province of ugly blokes who dressed like roadies and played old Chuck Berry songs badly». Tout un monde encore une fois en une seule phrase.

             Bon, les superstars c’est bien gentil, mais il y a aussi et surtout le job. La clé du Kentish Boy. Le journalisme rock. Il y consacre les pages les plus passionnantes de son recueil de mémoires.

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             Kentish Boy explique que pour débuter, il a rédigé trois chroniques d’albums : Quicksilver (le premier album, pas très bon), Gonna Take A Miracle de Laura Nyro. Il dit avoir oublié quel était le troisième. Il apporte ses textes chez Friendz qui les publie. Baptême du feu - I was over the fucking moon - Il cherche à interviewer Bowie, mais à l’époque, c’est impossible. Puis le NME qui cherchait à se réinventer le recrute - They frantically began recruiting young music-driven writers from the London undergound - Il entre au NME juste après Charles Shaar Murray. C’est là qu’on l’envoie couvrir le Led Zep show. Puis il va rencontrer son idole Lester Bangs à Detroit - He looked like a rodeo clown without the make-up - Ces pages sur Lester Bangs sont une nouvelle divine aubaine - Lester ne ressemblait pas à la plupart des gens. He empathised with fuck-ups because he was often one himself - Bangs fait écouter au Kentish Boys l’acetate de Raw Power qu’il vient de recevoir. Ça se passe en 1973. Kentish Boy demande à Lester de l’aider à atteindre son «full writing potential». Lester répond : «Sure - OK then.» Nick Kent note aussi que Bangs est assez fier du rock américain, certainement pas du rock anglais, d’ailleurs il charrie Nick, «You goddam Limey fops!» et lui sort ça : «What’s so great about your fucked-up culture anyway? We produce great art like the Velvet Underground, the MC5 and the Stooges and you retaliate with David fucking Bowie and his Spiders from Mars. Whoopee! You’re just reselling us Herman Hermits for homos.» C’est vrai qu’au début, Ziggy n’était pas très bien perçu dans le Midwest. 

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             Nick Kent dit trouver sa «voice as a writer» en 1974. Avant ça, il s’inspirait de «Bangs, Capote, Wilde, Wolfe - Période d’apprentissage.» Il adopte une perspective complètement différente de celle de ses pairs, ses collègues du NME - My perspective was the polar opposite of theirs. I wasn’t wiritng about rock as an idea. I was writing about it as a full-blown flesh-and-blood reality - surreal people living surreal, action-packed lives. De tout ce que j’avais appris, l’écriture rock était fondamentalement un médium qui prenait vie quand l’auteur était au cœur de l’action et conservait en même temps assez de distance pour en comprendre les conséquences - Il invente l’action writing. Il vit les choses en direct pour les écrire. Il est à la fois le Cartier-Bersson et le Jackson Pollock du rock. Mais il ne s’arrête pas là : il pose un postulat qui est celui du style, un postulat qu’aurait pu édicter Yves Adrien : «La clé, cependant, est de savoir créer une prose fluide, avec sa propre musicalité. That’s what I finally hit on in ‘74: the right tone and the right groove.» Quand Nick Kent écrit, il groove. C’est pour ça qu’on lisait le NME en 1974. C’est aussi pour le groove d’Yves Adrien qu’on lisait R&F. Les autres journalistes de R&F ne groovaient pas. Quand il a perdu Adrien, ce canard a perdu son âme. D’autres ont tenté d’imiter Adrien. Ce fut une catastrophe.

             Lorsque Kentish Boy plonge dans l’hero, il a du mal à maintenir sa réputation de «NME’s resident hit man.» Il avoue que son «writing talent had been on the rise from ‘72 to mid ‘75 - It reached its peak with the Wilson investigation - After that it went into free fall.» Puis il sent qu’il va se faire broyer par la presse qui est surtout une grosse machine à faire du fric - Travailler pour les médias, c’est un peu la même chose que d’être employé comme charmeur de serpent. Un jour ou l’autre, le serpent va te mordre - Il va se faire virer et se retrouver à la rue. Il dresse un auto-bilan qui n’est pas terrible. Il ne peut que s’en prendre qu’à lui-même. Il faut lire ces pages qui sont d’une virulence introspective hallucinante. En 1987, Nick Logan qui a quitté le NME pour diriger The Face fait signe à Nick. Il lui demande s’il a un texte. Nick lui propose un hommage à Miles Davis, un texte sur lequel il a bossé pendant six mois.

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             Oh et puis la dope. Les pages d’Apathy en sont pleines. La première fois qu’il touche à l’hero, il dit être entré «into a world of hurt». Mais plus loin, il en fait une Kentish apologie - Total palpable bliss - Il cite Charlie Parker qui appelait ça ‘the cool world’. Il évoque plus loin Johnny Thunders - Mais étais-je meilleur que lui ? Junkies are junkies, after all. Sordid people leading sordid lives - Et là, il cite l’exemple d’une photo prise fin 1976 : «John Lydon ricane triomphalement next to a high-spirited Brian James, et je me tiens à leur gauche looking like I’ve just been liberated from Dachau concentration camp.» Encore une fois, la formulation est un chef-d’œuvre de fluidité imagée. Puis il rentre chez ses parents dans le Lancashire - Ma mère éclata en larmes lorsqu’elle ouvrit la porte et vit dans quel état j’étais.

             Il passe à la méthadone - I liked methadone. A lot - Il revit - I was now getting high daily on a drug that was both legal and free. That was my definition back then of heaven on earth - Il fait des économies et ne risque plus sa vie à traîner dans des endroits dangereux pour acheter sa dose. Il a ensuite l’idée saugrenue de mélanger le valium à la méthadone et du coup, il ne sort plus du lit. Alors il lui faut des uppers. Une ligne de coke, quand il en a les moyens, sinon le speed, qui ne coûte rien - And you’ll understand that I was now addicted not just to one vampire drug but to four separate extremely potent rogue chemicals - Puis il décrit son «typical day». Fabuleuse extension du domaine de la lutte finale. À lire impérativement. C’est vers la fin (page 353, pour être exact). Un chef d’œuvre de regardez-comment-ça-se-danse. C’est dans ces pages qu’il faut voir comme une apologie de la désaille qu’il groove le plus, et en même temps, c’est là qu’il est le plus vulnérable.

             Lorsque sa relation avec Chrissie Hynde tourne en eau de boudin, Nick Kent sort cette phrase extraordinaire, digne d’un aphorisme de Leon Bloy : «There’s ultimately not that much difference between being a hopeless romantic and a feckless sap», qu’on pourrait traduire, ouille ouille ouille, par «Il n’y a pas grande différence entre un indécrottable romantique et une andouille invétérée.»

             Un autre aphorisme Kentish, encore plus fascinant : il assiste à l’éclosion de la scène punk à Londres et balance ceci qui vaut son pesant de livres sterling : «Le mouvement séditieux qui avait commencé avec James Dean dans les années 50 s’était terminé en une tempête de crachats, d’épingles à nourrices et de speed-poudre à récurer : from Rebels Without a Cause to rebels without a clue.» Ça évoque le fameux cri d’alarme de Bourdieu : «Brûler des bagnoles, oui, mais avec un objectif !»

             Quand il fait référence à des autobios, Kentish Boy tape dans le haut du panier : Bill Graham et Ian McLagan.

             En 1974, Nick Kent entend de la musique qui ne lui plaît pas : «Il y avait soudain trop de white guys tentant de jouer du funk et se vautrant misérablement. Le glam thing was now dead on its legs. Et la nouvelle tendance à l’horizon, la diskö, semblait fade et inconséquente, si on la comparait au great black rhythm and blues des sixties. Je savais que je devenais blasé et ça ne me convenait pas. I was still only twenty-two for God’s sake.»

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             C’est dans The Dark Stuff qu’on trouve le plus beau texte jamais écrit sur Brian Wilson. Nick Kent y revient le temps d’une phrase délicieusement musicale : «Il n’est pas étonnant que Brian Wilson se soit retiré dans sa chambre et soit devenu obèse et improductif. He just wasn’t made for these times.» On croise encore une foule de gens fascinants dans cet épais bréviaire de la déréliction supérieure. Nick Kent défend Jagger, affirmant que sans lui, les Stones auraient capoté après Let It Bleed - Chaque fois qu’on nous raconte l’histoire des Stones, Jagger est le vilain de l’histoire, le control freak, l’animal à sang froid, le cupide rusé et sans cœur. It’s become one big fairy story - the Rolling Stones vus par les médias, avec Jagger dans le rôle du lutin maléfique - Selon Nick, le seul mec que Jagger craignait en tant que rival fut Bowie - Vous lui mentionnez les noms de Lou Reed et Marc Bolan et il se pâmait de rire (he’d dissolve in laughter) - Kentish Boy a aussi un formule tordante pour Dr. Feelgood : «The singer had all the physical grace of an homicidal plumber», il n’est pas non plus très charitable avec Wilko, «a bizarre black-suited blur», et il réserve le coup du lapin pour la section rythmique, qui «resembled a couple of small-time penny-arcade pimps.» Les formules de Nick Kent sont presque meilleures que les groupes qu’il épingle. Il rend hommage à Neil Young pour ses albums «Tonight’s The Night, Zuma, and a slew of brillant records culminating in 1979’s Rust Never Sleeps», il va même jusqu’à le comparer à Bowie pour son «insatiable need to push ahead». Et puis Syd Barrett, bien sûr - In 1967, the impis eyed Barrett had been the world’s most beautiful man - the golden boy of psychedelia. By 1974, he’d become a scary-eyed balding recluse whom former acquaintances couldn’t even recognise any more - L’any more de fin de phrase est ce qui permet de lester la formule, on entend presque le ton monocorde de ce fantastique story-teller aussi passionné par ses sujets que par l’alchimie du verbe. Il passe son temps à transformer le plomb de la langue anglais en or du Rhinck, exactement de la même façon que l’a fait Yves Adrien avec la langue française. Adrien a d’autant plus de mérite que la langue française n’a jamais été une langue rock, oh la la pas du tout, mais il a fait l’effort d’inventer une langue pour pouvoir formuler ses émotions et éventuellement en communiquer les saveurs. On a simplement eu la chance d’être là au bon moment : Nick Kent dans le NME et Yves Adrien dans R&F. Kentish Boy rend aussi hommage à Nico - She was a fascinating individual and a quintessential bohemian free spirit - Il la voit comme un mélange de gamine, «naïve et incrédule», et de créature «impitoyable et égocentrique, ce qui lui a permis de survivre» - She saw herself quite rightly as a guenine artist - Et la chute vaut le déplacement : «You don’t fall in love with Nico: it’s like trying to bottle a lightning bolt.» À bon entendeur, salut.

             Nick Kent cite aussi la source de son titre. Dylan voit les Stones sur scène dans les mid-seventies et quand Ian Hunter lui demande ce qu’il pense, le Bob qui n’est pas non plus avare d’aphorismes lui répond : «Apathy for the devil.»

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             Kentish Boy est bien sûr pote avec Mick Farren qui écrit lui aussi au NME, et qui se fait péter la gueule par Tony Parsons, le mec de Julie Burchill avec laquelle Farren a eu la mauvaise idée de se fritter. Kentish Boy n’aime pas les Slits qu’il traite de «bunch of talentless exhibitionists». Il dit même que de les voir sur scène équivalait à se rendre «chez un dentiste incompétent». L’humour rôde partout dans la langue du Kentish Boy, comme un requin dans le lagon.

             Il croise aussi Marc Bolan et Gloria Jones chez un dealer, un Bolan qui est en chute libre et qui grossit - In short, he was free-falling from grace at the speed of light and was unsure how to rectify the situation - Nick Kent découvre lors de la conversation que Bolan est obsédé par Syd Barrett et bien sûr, il a lu «The Cracked Ballad Of Syd Barrett» dans le NME.

             Parmi les missions que lui a confié le NME, l’une des pires fut d’assister à un concert de Jethro Tull aux États-Unis : «It was bad taste, pure and simple. On dit que le bon goût est éternel. Mais le mauvais goût a lui aussi toujours été là and is invariably more lucrative.» Il reste dans le mauvais goût avec l’évocation des Eagles : «Leurs disques ressemblaient à ces jeans délavés tellement en vogue à l’époque : fades, inauthentiques mais ultra-présents (impossible to escape). Ils proposaient ce que l’Amérique voulait entendre dans les mid-seventies.»

             Il rend un tout petit hommage à Marc Zermati, «the only punk-related person to have his own independant record label», eh oui, Kentish Boy ramène à Marc le fameux master-tape d’un gig in Michigan que lui a confié Williamson et dont Marc va faire Metallic KO.

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             Tiens, puisqu’on parle de Skydog : tu vas trouver deux cuts de Nick Kent sur une petite compile Skydog parue en 1990, Punks From The Underground : «Switch-Hitter Dub» et «Chinese Shadow». Comme l’indique son nom, le premier est un heavy dub. Nick nique ses accords et s’en va exploser les vapors du heavy dub. C’est un tour de force digne de Keith Hudson. Dans les Subterraneans qui l’accompagnent sur «Chinese Shadow», tu retrouves tous les Only Ones (Peter Perrett, Mike Kellie et John Perry) + Tony James. Tu as là le London groove extrême. Tu peux aussi écouter les autres titres, comme par exemple le «Too Much Junkie Business» des faux Heartbreakers (Billy Rath, Henri-Paul et Steve Nicol) ou encore le Speedball de Sean Tyla avec «Speedball Jive». Là tu as de la substance, comme toujours avec le vieux Sean.

             En marge de ses writing duties, Kentish Boy flirte avec des projets de groupes. En 1972, il propose ses services de guitariste à Iggy - Thankfully he rejected my offer pretty much on the spot - La même année, les Groovies lui proposent de jouer des keyboards avec eux, mais il décline l’offre, ne voulant pas aller s’installer à San Francisco. C’est Michael Karoli de Can qui lui vend sa première gratte - a flashy looking Plexiglas affair - et plus tard il fait l’acquisition d’une Fender volée par Steve Jones. Puis McLaren lui propose de monter un groupe, avec Chrissie au chant, lui, Kent à la gratte, Mick Jones - then only known as ‘Brady’ - à la basse, et un «kid from Croydon called Chris Miller would be the drummer.» McLaren voulait appeler le groupe The Masters of the Backside. Kentish Boy va passer aux choses plus sérieuses avec the Subterraneans, un nom qu’il tire d’un roman de Jack Kerouac. Sur scène, il est accompagné par les Damned encore en formation.

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             Il n’existe qu’un seul single des Subterraneans : My Flamingo, paru sur Demon Records en 1980. «My Flamingo» est un hit à la fois certain et incertain, ténébreux au sens underground du terme, et lumineux au sens de l’universalisme Kentish. On peut parler d’un gorgeous cut, doté d’un vrai son, Nick Kent chante à sa revoyure, il est puissant, mais à sa façon, il a des cœurs de lads derrière, ça sonne presque comme un hit, avec cet entrain quasi-américain. On sent bien le poids de la légende. Puissant et léger à la fois, c’est très curieux, avec un solo d’arpèges. Il peut aller chercher le raw, mais c’est un raw de dandy. On sent la présence d’un léger parfum d’Only Ones dans le son. Le «Veiled Woman» qui est en B-side est beaucoup plus sophistiqué. Nick Kent va chercher un chat perché encore plus incertain, mais il sait rester juste, comme un junkie perdu dans la nuit du côté de King’s Cross.

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             D’autres gens encore. Bel hommage à Richard Hell - Hell’s whole appearance was too radical to make an impact on torpid mid-seventies American culture - Trop en avance sur son temps, mais ça n’échappe pas à McLaren, «qui se contentait de voler les idées des autres, les considérations morales never seemed to invade McLaren’s devious mindset.» Et il ajoute : «Richard Hell voyait McLaren comme un petit escroc inoffensif. Personne à New York n’aurait pu imaginer que ce petit mec nerveux aux cheveux rouges qui avait convaincu les Dolls de se faire passer pour des sympatisants marxistes - une idée qui allait d’ailleurs torpiller leur carrière - allait en fait leur voler toutes leurs idées.» Prodigieux portraits encore de John Lydon à l’époque de PIL, des pages qu’il faut lire car elles couronnent des carrières - He and his cohorts were looking to invent a new musical hybrid post-punk art rock, do-it-yourself prog with reggae bass lines and krautrock in place of virtuoso noodling and ever-changing time signatures - Il se moque aussi de Strummer - Che Guevara with an electric guitar - et dit qu’il «suait autant sur scène que James Brown et Jackie Wilson». Il descend Sham 69 en flammes : «Pursey was a big noise in 1978 - a big, hectoring, double-ugly noise that drew punk’s dimmest adherents to him like flies to excrement.» Et il jette encore de l’huile sur le feu : «La vue du public de Sham 69 glaçait les sangs - des skinheads géants couverts de tatouages de prison avec aux pieds des Doc Martins couvertes de sang - et Pursey les galvanisait like T.S. Eliot’s ape-necked  Sweeney reinvented as a punk Mussolini.» Et pour conclure il assène ceci : «Il incarnait tout ce que je détestais à la fin des années 70, le véritable misérable opportunisme qui prétendait être la voix des opprimés.» Il se dit aussi très peu concerné par Joy Division, «car quand on a vu les Doors et les Stooges live», c’est compliqué de prendre Joy au sérieux. Il préfère nettement Mark E. Smith and the Fall - Because of his take-no-prisoners mega-truculent personality - Et il lui rend l’hommage suprême, celui qui te rend fier de lire un tel book : «He really was the closest thing England has ever spat out to compare with American hard-boiled rock’n’roll cranks like Jerry Lee Lewis, and I’ve spent quality time with both men.» Hommage encore plus spectaculaire à John Lennon qui, dit-il, «eut à se battre en justice contre des money-hungry vampires comme Allen Klein, eut à bosser avec des egomaniacal nutcases comme Phil Spector et dut vivre avec l’impression constante d’être surveillé par des agents du gouvernement américain à la solde de Richard Nixon. Tout ça combiné ensemble aurait envoyé n’importe qui d’autre au tapis.» Pour Nick Kent, la mort atroce de John Lennon fut la vraie fin des sixties, «or at least the final nail in the coffin of the spirit of that now long-gone era of marmalade skies and endless possibilities.»

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             Encore du haut de gamme avec Keef. Kentish Boy réussit le prodige de rencontrer quasiment tous les gens les plus intéressants de sa génération. Il commence par voir Keef porter «a pair of giant human bug’ op-art sunglasses», et le qualifie de «wastedly elegant». Quand on lui propose de suivre la tournée des Stones en 1973, son rêve devient réalité - my wildest teenage dream becoming reality - Keef est alors «the coolest-looking dude in the known hemisphere.» Et il balance cette phrase démente plus loin : «Lately he had reached the point where he’s begun to resemble a cross between a human blackened spoon and Count Dracula.» Ce book finit par devenir une véritable foire à la saucisse : chaque page réserve son choc esthétique. Kentish Boy est le roi incontestable de la rock formula, ces tournures dont on aime à se souvenir, comme certaines paroles de chansons. L’«a cross between a blackened spoon and Count Dracula» vaut bien «I’m a king Bee Baby/ I can buzz better when your man is gone». Kentish Boy raconte comment il partage des rails démesurés avec Keef - a six-inch line of heroin and cocaine mixed together - Il n’est que 7 h du mat et pour Kentish Boy c’est encore un peu tôt, mais il ne se fait pas prier et sniffe «the whole thing back without further thought. Hey when in Rome...» Puis il monte dans la Dino Ferrari à la place du mort - Keith drove like a man transfixed - C’est la manière élégante qu’a trouvée Kentish Boy pour dire que Keef roulait vite en ville - Heeding caution was strictly for sissies - Il découvre aussi que Keef ne peut pas schmoquer ni le glam ni Bowie. Il ne supporte pas les «soft lads trying to make their bones in the medium of rock’n’roll.» Des pages à lire en priorité, comme toutes les autres pages de ce fat book.

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             On garde le plus gros morceau pour la fin : McLaren et les Pistols. Kentish Boy commence par expliquer que les gourous de Malcolm étaient «the Tin Pan Alley chicken hawks qui contrôlaient the late fifties UK rock marketplace», en l’occurrence Larry Parnes qui, dit-il, écumait les chantiers de bâtiment à la recherche de beaux gosses pour les transformer en rock stars. Puis c’est «the likes of Don Arden» qui prennent le contrôle du marketplace dans les early sixties - Arden ne cherchait pas à baiser ses jeunes coqs, il était trop occupé à les plumer et à casser les jambes de ceux qui se mettaient en travers de son chemin - Kentish Boy fréquente la boutique de McLaren au bout de King’s Road. Ils ont des conversations musicales orageuses. Kentish Boy défend le bout de gras de Dylan et McLaren celui de Johnny Kidd. Son «ultimate musical reference point» est Gene Vincent - the sweet-voiced hillbilly psychopath - Gene incarnait pour McLaren sa vision du rock qui devait rester sauvage et séditieux. Kentish Boy se dit attiré par lui, «par sa passion, son intelligence et son audace» - He was always thinking outside the box - McLaren ne sait pas qui est Jimi Hendrix alors Kentish Boy le force à venir voir le docu de Joe Boyd sur Hendrix. McLaren en sort émerveillé. Puis c’est la rencontre avec Steve Jones et Paul Cook - a pair of eighteen years-old likely-lads law-breakers - McLaren est fasciné par leur délinquance. Steve Jones a déjà barboté «13 expansive electric guitars, une par une», chez des marchands de Denmark Street. Alors que Dr. Feelgood ramasse tous les suffrages, Jones and co restent de marbre, nous dit Nick - We could do better than those Southend cunts - Voilà, le mot est lâché. Et dans les faits, ils vont vraiment faire better, dix mille fois better. McLaren demande à Nick Kent son avis sur la première mouture des Pistols. Il assiste à une répète, c’est Jones qui chante. Pas terrible. Mais Kentish Boy pense que McLaren est sur un gros coup. Soudain McLaren vire Wally Nightingale parce qu’il porte des lunettes et bombarde Nick guitariste des Pistols, sans même lui demander son avis. Ça va tenir deux mois, juillet/août 1975. Comme il n’y a toujours pas de chanteur, Kentish Boy essaye d’appeler Iggy à Los Angeles pour lui proposer le job, mais Iggy vient d’entrer à l’HP. Durant la même période, Nick fait écouter à Matlock une cassette que lui a filé John Cale, celle d’un groupe de Boston qu’il vient d’enregistrer, les Modern Lovers. Matlock flashe sur «Pablo Picasso» et «Roadrunner». Décidément, on n’en sort pas, ce sont toujours les mêmes qu’on croise au coin du bois ! Kentish Boy insiste aussi pour que le groupe reprenne «No Fun» - That was my contribution to their musical development really : virer all the retro silliness et leur indiquer la voie du futur -  Kentish Boy commet l’erreur de considérer McLaren comme un ami - I’d been wrong. The guy was just another control-seeking snake in the grass - Il est vite viré du groupe, mais ça ne va pas s’arrêter là. McLaren devient brièvement le chanteur des Pistols et doit arrêter aussi sec lorsqu’il propose de reprendre une chanson de Syd Barrett.

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             John Lydon entre en lice. Jones, Cook et Matlock ne posaient pas de questions. Avec Lydon, c’est une autre histoire. Il tient tête à McLaren dès le début, from the get-go - Unlike the other three, Lydon - though still a teenager - had a mind of his own - et ce que Kentish Boy assène ici est fondamental : «Ce n’était pas un esprit forcément attractif et bien ordonné - the guy was often on acid - mais il en était certainement le seul occupant de son crâne et il n’allait pas laisser some King’s Road fashion ponce le squatter pour lui laver le cerveau et le plonger into a state of pop-star servility.» Kentish Boy rappelle que McLaren prenait comme modèle les Bay City Rollers, l’apanage de la «pop-star servility». Nick voit John Lydon comme un gosse fragile and strangely sexless. Il vomissait toutes les stars du rock anglais ou américain et prenait Neu! comme modèle. C’est lui qui va transformer les Pistols en «bona fide cultural phenomenon». Puis le jour où il voit sa bobine en première page d’un canard, il change - He was never the same again. His ego suddenly exploded to sky-rocket proportions, as did his sense of personal power -  Quand les Pistols commencent à devenir célèbres à Londres, McLaren invente une nouveau jeu : «Désigner des membres du public for a bloody beating.» Il envoie des psychopathes en mission. Kentish Boy est au 100 Club, en 1976, et Sid, piloté par McLaren, arrive avec une chaîne de moto «and immediately went to work» - Un mec des Hot Rods tenta de s’interposer et se fit lacérer la gueule. Pendant que tout ça se produisait, le complice de Vicious Jah Woble apparut devant moi. Il tenait un cran d’arrêt et en approchait la pointe à quelques centimètres de mes yeux. Il y avait du sang séché sur la lame et dans ses yeux de porc dansait une telle lueur de plaisir sadique qu’on aurait pu croire qu’il allait éjaculer sur le champ - Kentish Boy a raison de ne pas faire de cadeaux à ces ordures. On ne parle plus de rock, ici, on parle d’autre chose. Quand Bill Graham dénonça les violences commises par Peter Grant aux États-Unis, il le traita de «Nazi Germany». Avec le contorsium McLaren/Vicious/Wobble, on est dans le même cadre. L’horreur va continuer, lorsque McLaren vire Matlock pour le remplacer par celui que Kentish Boy qualifie d’«authentic sociopath», Vicious - Bringing Sid into their mix was like adding fire to a leaking pool of gasoline - Un communiqué parut disant que la principale raison pour laquelle Sid avait été recruté «was because he gave Nick Kent just what he deserved at the 100 Club». Et notre incorrigible mover shaker ajoute : «Lire ça dans le NME et partout ailleurs certainly jolted me out of my junkie stupor for at last five minutes.» Mais dans le book, Nick se fâche, car il ne supporte pas bien d’être traîné dans la boue par des gens qu’il considérait comme des amis, alors il les traite de «vampiric morally bankrupt preening scumsuckery backstabbers», ce qui est la pire insulte jamais imaginée par un esprit britannique hautement distingué.

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             Pour finir, Nick Kent scelle brillamment le destin des Pistols qui réussirent à conquérir l’Angleterre, comme l’avaient fait les Beatles avant eux - Take the nation completely by storm - Et il ajoute : «Iggy Pop was too old and the Ramones n’avaient pas vraiment la personnalité adéquate pour le job. The only logical candidates were the Sex Pislols.» Puis vient la fin, avec la tournée américaine. Kentish Boy n’a aucune pitié pour eux : «L’Amérique a pour habitude de décimer tous les groupes anglais venus visiter la colonie la première fois. Ce fut donc le cas pour the Shepherd’s Bush’s finest. In the end they had the bollocks but lacked the stamina. If the New York Dolls were too much too soon, the Pistols were too little too fast.» Sa façon sans doute de les traiter de petites bites. Mais bon, quel album que le Bollocks des Pistols ! Et quel book ! Tu en sors épuisé mais émerveillé.

             Et comme à tout gâtö il faut une cerise, tu trouves à la fin du fat book les vingt pages du ‘Soundtrack for the seventies’, une sélection de cuts et d’albums dûment commentée. Goûtons une bouchée de la cerise au hasard, tiens, 1970, avec dix choix : Kentish Boy s’enivre tout spécialement du «Chesnut Mare» des Byrds, d’If I Could Only Remember My Name de Croz et du Fun House des Stooges. Pages impératives, il n’oublie rien de ce qui est essentiel, tu peux te caler sur sa sélection et t’assurer que tu n’as pas raté le coche ici ou là. En 1977, il cible dix trucs dont Marquee Moon et le «Bodies» des Pistols, et il nous quitte en ciblant encore dix trucs pour 1978/1979, dont le «Tropical Hot Dog Night» de Captain Beefheart - very own King of Weird - le «Domino» des Cramps, et le «Kid» de sa «old flame Chrissie Hynde» qui dit-il, était devenue «a songwiter of consequence».

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             Dans un premier temps on peut lire ce chef-d’œuvre. Et le relire dans un deuxième temps, ce qu’on finit par faire. Car tout y est. Il paraît même que l’ouvrage est traduit de l’Anglais. Mais attention, on perd la langue. C’est comme d’écouter «Anarchy In The UK» traduit de l’Anglais. Il paraît que ça existe.

    Signé : Cazengler, niqué

    Nick Kent. Apathy For The Devil. Faber & Faber 2010

    The Subterraneans. My Flamingo. Demon Records 1980      

    Nick Kent. Punks From The Underground. Skydog 1990

     

     

    Black summer in the city

     

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             Personne ou presque ne connaissait l’existence du Woodstock noir. Un Woodstock noir ? Oui, l’Harlem Cultural Festival, étalé sur six semaines, en juillet-août 1969. Woodstock, qui n’est pas très loin d’Harlem, eut lieu du 15 au 18 août, le même été. Tout le monde connaît le Woodstock blanc, mais pas le Woodstock noir. Hal Tulchin, le mec qui l’a filmé en 1969, avait essayé de le vendre, à l’époque. En vain. 50 ans après la bataille, le Woodstock noir refait enfin surface sur DVD.

             Ce fabuleux docu d’Ahmir Questlove Thompson s’appelle Summer Of Soul et donne toutes les réponses aux questions qu’on peut se poser. Pourquoi un «Cultural Festival» à Harlem en 1969 ? Parce que le pouvoir craignait toujours des émeutes, un an après l’élimination de Martin Luther King. Rien de tel qu’un bon festival pour calmer les esprits. Pourquoi le docu ne dure que deux heures, alors que l’Harlem Cultural Festival a duré six semaines ? Écroulé de rire, Ahmir Questlove Thompson répond qu’il a dû faire court pour les besoins de la production. Il existe en réalité 40 heures de tournage. 40 heures ? Oui, 40 heures. Et ce ne sont pas des petites heures à la mormoille : Staple Singers, Sly & The Family Stone, Nina Simone et tous les autres qui vont arriver avec le fleuve qui suit. Pourquoi ce film tourné en 1969 ne sort que maintenant ? Pris d’une nouvelle crise de rire, Ahmir Questlove Thompson se roule par terre et répond que «ça n’intéressait PERSONNE». Les 47 bobines ont moisi dans une cave pendant 50 ans ! Alors pour Questlove, c’est devenu une quête : faire restaurer tout ça, image par image, monter le docu, bien le politiser pour re-situer le contexte social de l’époque et, petite cerise sur le gâtö, faire court. T’as compris, Questlove, faire court ! Oui missié, faire court. Oui missié, cueillir coton. Oui missié, écraser banane. Pauv’ nègre faire court.

             — Ferme ta gueule et fais court !

             Descendue du ciel, Nina Simone vole au secours de Questlove :

             — Are you ready to kill ?

             — Yeah ! fait la foule.

             — Are you ready to smash everything white ?

             — Yeah ! fait le peuple noir.

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             Et Nina danse pour la foule, reine africaine en robe jaune, elle danse l’appel à l’émeute symbolique, Nina prophétesse prépondérante, Nina conscience ondulante de l’ombilic noir, Nina colère noire, Nina nie l’oppression, Nina nique ta mère white, Nina no no no, Nina nec plus ultraïque, Nina ain’t got no home, Nina ain’t got no shoes, Nina ain’t got no money, Nina ain’t got no mother, Nina ain’t got no father, Nina ain’t got no brother, Nina ain’t got no life, Nina lâche le Backlash Blues - Mister Backlash sent my only son to Vietnam - Nina’s voice between hope and mourning, Nina sculpturale, Nina fight the power, Nina en guerre, Nina X comme Malcolm, Nina reine de toutes les lubies de Nubie et de tous les ébats de Saba, Nina sabbatique de sémantique émotive, et puis t’as Sly, Sly in the sky, Gonna Take You Higher, avec Sister Rose en perruque blanche qui jerke du cul et des seins, Sainte Marie mère de Rose pleine de sexe, et Cynthia Robinson qui sonne la charge d’un coup de clairon, encore plus wild qu’au Woodstock blanc, et tu as Brother Freddie qui gratte ses poux seigneuriaux tout de jaune vêtu, Higher !, clament les blacks, Higher clamait jadis le messie - mais si - Yves Sweet Punk Adrien, heaven black and white hell, prodigieuse inversion des critères, tu as tout ça dans le Woodstock noir, et bien plus encore. C’est un jaillissement contant d’émotion, de grandeur, de combat, d’intelligence et de légendarité. Ça n’arrête pas.

             Roger Gilbert Questlove sort le Grand Jeu : défilés de Black Panthers, courtes séquences, shoots de shootes, et puis toujours les mêmes images de chiens fous lâchés sur les manifestants noirs dans la rue, le même images des Strange Fruit qu’on voit aussi dans le docu sur Billie Holiday, nègres pendus devant un parterre de spectateurs blancs fiers de leur racisme homicide, et puis tu as cette scène mirifique tournée dans une école noire : la maîtresse brandit un très grand portrait et demande aux petits :

             — Who is this ?

             Les gosses braillent :

             — Huey Newton !

             — Where is he ?

             — In prison !

             — Who put him there ?

             — Pigs !

             La clameur des voix d’enfants transcende tout le discours sur le racisme. Pigs ! Les porcs. C’est toujours d’actualité. D’un côté la lutte (perdue d’avance), et de l’autre côté l’art (gagné d’avance). Sonny Sharrock en costard jaune vif, Max Roach et son beurre du diable, Max Roach et sa poule Abbey Lincoln, beautiful and dynamic - Black is beautiful - Mille fois gagné d’avance, Hugh Masekala qui a fui l’Apartheid, Grazing In The Grass, la trompette d’Hugh lutte contre l’Apartheid, mais c’est Nelson Mandela qui va remporter cette bataille perdue d’avance, rien ne pourra jamais vaincre le pire fléau de l’histoire de l’humanité, le racisme et ses trois mamelles, l’esclavage, le colonialisme et la solution finale. Hugh, Nina, Max, Sly ont l’art, les racistes ont le pouvoir, alors Questlove lutte à sa façon. Il utilise la dialectique de Trotsky face au despotisme blanc. Comme l’homme vient tout juste d’atterrir sur la lune et que l’Amérique blanche trouve ça génial, Questlove tend son micro à quelques super-blackos. Il leur demande ce qu’ils pensent de cette histoire d’homme qui a marché sur la lune. Un premier blackos en colère et plein de bon sens s’écrie : «What’s up on the moon? Nothing!». Il a raison, il n’y a que dalle sur la lune. Un autre surenchérit : «Blé gaspillé. Feed the poor black people». Ils ont raison tous ces super-blackos, l’expédition sur la lune coûte des millions de dollars et des gens crèvent de faim en Amérique. Un autre blackos dit les choses différemment : «C’est génial for certain people, but not for the black men in America.» Voilà, les choses sont dites. Rien à cirer de leur fucking premiers pas sur la lune. Un autre en rigole : «Black men want to go to Africa. White men want to go on the moon. I’ll stay in Harlem with the Portoricans and have me some fun.» Et il tire une grande bouffée sur son pétard. La classe ! Et puis tu as un mec très sérieux qui fait face à la caméra et qui déclare : «What the shoot on the moon proves is what America hasn’t got is Soul.»

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             Summer Of Soul est un film dédié au Black Power - 1969 was the year when the negro died and the Black man was born - Stevie Wonder bat le beurre du diable et down from Mississippi, les Chambers Brothers groovent le Mount Morris Park, c’est une infernale succession de superstars, B.B. King costard bleu et gimmicking de la bloblotte, ah il faut voir ce port altier, et ça jerke à la suite avec The 5th Dimension, les trois mecs au milieu encadrés par les deux blackettes, Let The Sunshine In, Marylin McCoo et Florence LaRue, les plus bandantes de toutes les blackettes du Summer, hipshake de taille basse, elles font monter des black teenagers pour jerker avec elles, c’est inespéré de voir des artistes de cette qualité dans leur contexte, et ça monte encore d’un cran avec les Edwin Hawkins Singers - When Jesus wash’d/ Oooh when Jesus wash’d - et boom ça explose en plein ciel, he wash’d all my sins away, tu ne battras jamais l’«Oh Happy Day» à la course, c’est l’emprise du Black Power sur la terre, la victoire totale de l’art, et tu vois la foule, des centaines de milliers de blacks taper des mains, alors tu comprends que l’art tue la mort, que l’art tue les racistes, mais tu n’es pas arrivé au bout de tes émotions, car les Staples Singers radinent leur fraise, les trois frangines groovent le big gospel batch de Pops ! Papa pride ! Mavis commente les images - Papa you play the blues on the guitah ! - On voit grimper sur scène d’autres groupes de gospel encore plus demented, Clara Walker & The Gospel Redeemers, la transe, la pure transe ancestrale, et puis voilà la reine du genre, Mahalia Jackson. Un blackos commente : «Quand on souffrait à cause de la tension, on n’allait pas voir de psy, mais on savait tous qui était Mahalia Jackson». Et là ça reprend une prodigieuse tournure politique, avec le Révérend Jesse Jackson et sa guerre perdue d’avance. Il demande à Mahalia Jackson de chanter «Precious Lord», la chanson préférée du Doctor King, exécuté un an avant. Jesse Jackson relate la scène qui s’est déroulée en avril 1968 à Memphis : «Le Dr King a demandé à Ben Branch de jouer Precious Lord, il s’est levé et bang !» Jesse entre dans les détails macabres : «Épine dorsale sectionnée et moitié du visage emportée». Alors Mahalia claque des dents et entre en transe, elle se coince la glotte sur l’I-I-I-I-I-I-I et Mavis vole à son secours à coups de guttural. Elles sont bestiales toutes les deux, divinement bestiales. Mavis commente les images pour Questlove et déclare : «That was the time of my life», c’est-à-dire le moment le plus important de sa vie. «Ce fut un honneur que de partager le micro avec Mahalia Jackson. She’s the greatest !». Voilà encore un greatest : Motown débarque à Harlem avec David Ruffin - He’s a tall dark superstar - Et David attaque au I’ve got sunshine on a cloudy day - Les blackos dans la foule se marrent de bonheur. Tu en vois même un grimpé très haut dans un arbre, David le voit danser là-haut, alors il se marre - It’s my girl - Et il yodelle un océan de classe. Arrivent à la suite Gladys Knight & The Pips. Pareil, il faut avoir vu ce plan si on ne veut pas mourir idiot : les Pips te jerkent Harlem à l’ancienne, dans leurs costards crème, c’est le jerk des princes de la rue, et la foule danse, tu ne verras ça qu’à Harlem, une foule danser le jerk. Gladys tape ça au raw, elle a des grosses cuisses, mais c’est Gladys superstar, after all, l’autre Queen of Soul. S’ensuivent Sly avec «Everyday People», Mongo Santamaria, un chouchou de Jean-Yves (hello Jean-Yves), et Ray Baretto qu’il faudrait écouter davantage.

    Signé : Cazengler, Summer of soulard

    Ahmir Questlove Thompson. Summer Of Soul. DVD 2022

     

     

    L’avenir du rock   

    Easy Gyasi

     

             Chaque année, l’avenir du rock et Pollux se retrouvent dans un petit restaurant cosy de la côte d’opale.

             — Nous célébrons aujourd’hui les cinquante ans de notre rencontre, mon cher Pollux.

             — Ainsi Va Va Va Voom, avenir chéri !

             — Ah Pollux, comme il était bon le temps où tu me servais des curaçaos bleus...

             Pollux était barman dans une boîte un peu spéciale, située elle aussi sur la côte d’opale. L’avenir du rock y traînait parfois le vendredi soir. L’endroit était essentiellement un cabaret où se produisaient des traves extrêmement brillants, et un disc-jockey assurait les intermittences avec un choix extrêmement pointu de disques glam, allant de Brett Smiley à Kevin Ayers, en passant par «Blockbuster», «Get It On» et «All The Madmen». Pollux était l’incarnation de la générosité. Quand l’avenir du rock lui demandait un verre, Pollux le lui offrait.

             — Wham bam thank you mam !

             Pollux était alors un homme d’âge mûr, au regard à la fois tendre et rieur, il émanait de lui un charme métaphysique, il portait le cheveu court et frisé, et son début d’embonpoint lui donnait un faux air napoléonien.

             — Diable comme ton parfum sentait bon.

             — Habanita de Molinard...

             — C’est drôle, tu acceptais rarement de danser.

             — Je veillais tout simplement à la salubrité de mon pauvre cœur déjà mille fois brisé, avenir chéri. C’est pourquoi je préfère les invitations à dîner, car la table permet de tenir ses distances.

             — Ce que j’apprécie le plus chez toi, Pollux, c’est ta légèreté. Tu ne prends jamais rien au sérieux.

             — Sauf le menu, avenir chéri. As-tu déjà fait ton choix ?

             — Oh oui... Salade de Gyasi !

     

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             Lui, il a tout compris. Gyasi, il ne vit que pour ça, c’est-à-dire le glam. Il est l’incarnation de l’éternel retour, il est le serpent qui se mord la queue, il s’auto-transmute et transmute en même temps le plomb de Binic en or glam. Il semble tomber du ciel dans cette prog australienne, il est la dernière tête d’affiche d’une vieille lignée, c’est même inespéré de voir arriver ce mec sur scène, au sound check, vêtu d’un déshabillé noir transparent et d’un pantalon pattes d’eph en satin noir. Il gratte une Les Paul, il est maquillé et, bien sûr, il porte du rouge à lèvres.

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    Il va revenir le soir serré dans un jumpsuit glitter, les paupières et les lèvres peintes en rouge, avec aux pieds des platform boots rouges dont les talons sont encore plus hauts que ceux de Pete Overend Watts. Comme si c’était possible ! Bim bam boom, wham bam thank you mam, c’est parti pour une heure de glam, une heure de fraîcheur dans cette prog de bourre-et-bourre et ratatam.

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    Quelques grammes de finesse dans un monde de brutes, disait une pub qu’on voyait à une époque au cinéma. Le glam fut un monde magique parce qu’éphémère, aussi éphémère que Brian Jones et les Pistols.

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             Alors Gyasi, dont personne ne sait prononcer correctement le nom, vient d’Amérique pour ressusciter le glam le temps d’un concert, et là, tu dis oui, car il le fait parfaitement bien. Easy Gyasi, il collectionne tous les clichés de ce genre éculé par tant d’abus. Il rend hommage à ses pairs, à Ziggy et à Marc Bolan, on le sent complètement investi, il a étudié le glam au microscope, c’est Mick Ronson qu’on a sous les yeux, alors pour tous les fans de Ronno et du temps des Spiders From Mars, c’est le paradis. C’est une sorte d’apothéose de l’apoplexie maniérée, c’est le full bloom du Blockbuster, on oublie le temps d’un set le cauchemar des mauvais groupes punk qu’il a fallu supporter la veille et l’avant-veille, pour renouer avec ce qui fut autrefois la tradition «du Binic», comme disent les gens, c’est-à-dire la tradition des vraies têtes d’affiche. Remember Kid Congo, les Sonics ou encore les Oblivians.

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    Gyasi porte cette responsabilité et il la porte bien. Il fait le show. Tu en as pour tes vingt zeuros, comme dit la Miche. T’es content d’être là, une fois de plus. L’air vibre. Ça grouille de vibes. Binic reprend enfin son allure de fête païenne. Retour au temps des communions. Gyasi n’a pas la voix de Bowie, il se contente juste de faire le Ronno. Rappelle-toi, Ronno grattait une Les Paul. Gyasi tente d’imposer sa vision du glam. Il ne manque pas grand-chose. Manque d’exubérance ? Non, il n’est pas assez anglais. Trop américain. Les seuls glamsters américains furent les Sparks d’A Woofer In Tweeter’s Clothing. La décadence reste le privilège des Britanniques. Ziggy Stardust est impossible en Amérique. Peter Perrett itou. Mais bon, Gyasi tente le coup. Il doit fournir deux fois plus d’efforts pour asseoir sa crédibilité et il le fait sans que ça apparaisse. Il impose une sorte de respect. Il joue le jeu artistique. Et ça marche, tout au moins pour un soir. Et quel beau soir. Avec Cash Savage, il sauve le festival. La seule reprise qu’il fait est une espèce de medley farci de «Waiting For The Man».  

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             Le deuxième album de Gyasi s’appelle Pronounced Jah-See. Au moins comme ça, on saura comment ça se prononce. À Binic, personne ne savait dire son nom.

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    L’album sort sur l’excellent label de Patrick Boissel, Alive Naturalsound. On y trouve un coup de génie, «Feed Your Face». Il plombe son power extrême à coups d’ohh ahh ahh. C’est monstrueux. Ce mec a tout compris, il rocke son ohh ahh ahh qui est l’essence même du glam et le torpille d’un coup de killer solo flash déflagrateur. Gyasi est un magnifique rock’n’roll animal qui cavale à la surface du glam, un mythe déjà ancien. Et s’il lui prenait l’envie de ressusciter Ziggy Stardust ? C’est à portée de main, même s’il n’a pas la voix de Ziggy. Mais il opte pour le parti-pris explosif. Il ramène tout le ramdam dans son glam, comme le montre le «Burn it Down» d’ouverture de bal. Il en pince pour les bombes atomiques. Il ressort le veux glam stomp pour honorer non pas Honorama, mais «Tongue Tied». Il fait du glam américain, qui n’a pas la flavour anglaise. Le stomp est là, mais c’est tout. «Androgyne» pourrait bien être le cut le plus intéressant de l’album. Car il dispose d’une réelle dimension artistique. Gyasi semble claquer sa pop sur la couverture des magazines, le solo de slide trouble la surface du glam. N’oublions pas que Gyasi vit à Nashville. Il ramène des cuivres dans «Blackstrap» et il repart en mode wild rockalama avec «All Messed Up». Il y va au full throttle, avec des accents glam, et c’est magnifique, tout au moins pour l’amateur de glam. Avec «Little Tramp», il se croit sur Hunky Dory et avec «Walk On», il fait du faux Velvet à coups d’acou. Ce magnifique artiste te claque ça encore une fois à la surface. Il fait un mix de «Lust For Life» et de «Get It On» dans «Fast Love». Superbe effet de Perlimpinpin. S’ensuit un retour stupéfiant au glamming glam avec «Kiss Kiss», the thundering stuttin’ glamin’ glamour, il le rocke sous la jupe de la légende, Gyasi est un artiste parfaitement au point, il a des réflexes glam flamboyants, et comme cerise sur le gâtö, il choisit cette fois le solo de sax. Il termine avec le fameux «Sword Fight» qu’il mimait sur scène dans l’espoir d’imiter Ziggy. Il sort le sabre du fourreau dorsal pour combattre la chimère. C’est du big buzz.

    Signé : Cazengler, jaseur

    Gyasi. Binic Folk Blues Festival (22). 30 juillet 2023

    Gyasi. Pronounced Jah-See. Alive Naturalsound Records 2002

     

     

    Inside the goldmine

     Shaking with Linda (Part One)

     

             Baby Lisette ne payait pas de mine. Un long nez en trompette semblait partager son maigre visage en deux parties qu’aplatissaient encore deux lourds paquets de cheveux longs d’une couleur incertaine. Elle coiffait ses cheveux plats comme toutes ces adolescentes incapables de se mettre en valeur. Elle parlait si peu qu’on pouvait la croire demeurée. Elle n’avait pas non plus de couleur d’yeux. Elle n’avait globalement aucune saveur. Mais elle était déjà formée. Elle était l’aînée des trois, suivie d’un frère et d’une petite sœur. La famille recomposée vivait dans une grande baraque. Après le dîner, tout le monde regardait la télé au salon, puis les plus petits allaient se coucher, suivis par le couple d’adultes qui allait forniquer. Et nous nous retrouvions tous les deux au salon avec Baby Lisette, ce qui ne l’effrayait nullement. On restait là jusqu’à la fin des programmes, car à cette époque, la télé s’arrêtait à une certaine heure. Il fallait bien sûr baisser le son pour laisser les autres dormir. Ces fins de soirées à deux devinrent une sorte d’habitude bizarre. Baby Lisette semblait fort bien s’en accommoder. Deux canapés occupaient l’angle du salon, et les premiers soirs, nous en occupions un chacun. Nous gardions nos distances. Puis nous rentrâmes progressivement dans l’ère des possibilités, et elle ne fit aucune objection à une demande en bonne et due forme de rapprochement : «Ça t’embête pas Baby Lisette si je m’assois à côté de toi ?». Elle fit «non non» d’une voix blanche. Il fallait comprendre à travers cette acceptation qu’elle n’attendait que ça. La première pelle ne se fit pas attendre. Elle semblait complètement inévitable. Elle dura une éternité. S’ensuivirent les inspections classiques, auxquelles elle n’opposa pas l’ombre d’une résistance, bien au contraire. On allait de surprise en surprise, Baby Lisette fut sans le moindre doute la plus offerte de toutes ces Asies Mineures de l’adolescence. Elle semblait en outre parfaitement bien connaître les attentes des mâles et savait manipuler un caoutchouc avec dextérité. Elle n’avait plus rien à apprendre. Alors, la curiosité fut la plus forte. Elle répondit aux questions en chuchotant. Oui elle connaissait les hommes. Enfin, un homme... Elle raconta que son père l’avait violée plusieurs fois, mais elle voulut se montrer rassurante en ajoutant qu’elle n’était pas traumatisée, ce qui mit fin aussitôt à votre mésaventure.

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             À l’époque où Baby Lisette se faisait limer par son père, Linda Lewis enregistrait à Londres. Ce n’est pas exactement le même destin. Mais bon, le fait que Baby Lisette ne soit pas traumatisée, c’est une bonne chose, par contre, Linda Lewis peut être traumatisante, au bon sens du terme.

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             Le petit label londonien Troubadour (filiale d’Easy Action) a pris en 2017 une curieuse initiative : consacrer une ravissante petite box à Linda Lewis, Funky Bubbles, pour célébrer 50 ans de carrière. Linda quitta l’école à l’été 1967 pour chanter, le jour où parut Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band. Comme son nom l’indique, Funky Bubbles est une box qui pétille de vie. Signalons au passage que Troubadour propose un catalogue hanté par des fantômes légendaires, de Dave Kusworth à Nikki Sudden, en passant par Judee Sill. Il n’est pas étonnant d’y retrouver Linda Lewis qui vient hélas de casser sa pipe en bois.

             Linda fait partie des artistes qui gagnent grandement à être connues. Comme elle s’appelle Linda Fredericks, on lui demande de prendre un pseudo, alors elle choisit Linda Lewis, en hommage à Barbara Lewis. En 1967, Don Arden la manage, donc elle n’est pas née de la dernière pluie. Elle commence par enregistrer des singles qui vont devenir des classiques de la Northern Soul («You Turned My Bitter Into Sweet»). Puis elle va rejoindre Ferris Wheel, en remplacement de Marsha Hunt. On y revient dans un Part Two.

             Elle va poursuivre son petit bonhomme de chemin solo. On la voit dans le Jackie Lomax Band, puis en studio pour des chœurs sur Aladdin Sane. Dans les années soixante-dix, elle tourne aux États-Unis, seule avec sa gratte et ses chansons.

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             Le disk 5 de la box s’intitule Little Diamonds et propose un concert enregistré au Pall Mall à Boston en 1973. Les cuts sont tirés de ses trois premiers albums, Say No More, Lark et Fathoms Deep. Elle travaille au filet de chat perché sans filet. C’est son apanage. Elle joue des accords de Brazil pur sur un «Spring Song» tiré de Lark, elle semble s’élever au-dessus de la ville. Elle attaque «It’s The Frame» tiré du même album au petit arpège intrinsèque. Linda est une fine guêpe, il ne faut pas la prendre pour une buse. Ce qu’elle propose est extrêmement beau. Elle gratte tout, elle devient attachante, sa pop Soul de sucre candy colle bien au papier. Et puis voilà «Funky Kitchen» tiré de son premier album, Say No More - It’s my contribution to rock’n’roll - Elle gratte les accords de «Proud Mary». Elle recrée l’événement avec «Little Indians», c’est très emblématique, elle semble faire du work in progress. Il faut attendre «Old Smokey» pour revoir ses naseaux frémir, car voilà un puissant groove de jazz liquide. Un mec l’accompagne, sans doute Jim Cregan. Elle termine avec «On The Stage» tiré de Fathoms Deep. Elle t’y éclate l’exotica au paradis du chat perché. Tout est dans la locution : paradis et chat perché. Ça te permet de comprendre que Linda a du génie.

             Dans l’interview qu’elle donne à la box, Linda rappelle qu’elle fut influencée très tôt par Laura Nyro et Joni Mitchell, et qu’elle fut la première black en Angleterre à monter seule sur scène avec une gratte, bien avant Joan Armatrading. Linda commence à écumer les gros festivals de l’époque, Glastonbury et Knebworth. Ça la fait marrer de côtoyer les gros mastodontes comme Sabbath et Deep Purple.

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             Le disk 4 s’intitule First And Last Borne et propose des rarities. On y trouve le fameux premier single, «You Turned My Bitter Into Sweet», pur jus de r’n’b lindaïque, quasi Motown, pur joyau de female are’n’beeee. Il faut aussi la voir tenir le groove à distance dans «When The Lights Go Down», à la seule force du chant. Quelle magnifique artiste, aw comme elle est bonne, bien chaude, là, juste sous le boisseau. Elle est encore en plein Motown avec «Do You Believe In Love». Quel incroyable swagger ! Elle est un tout petit peu plus molle que sur «You Turned My Bitter Into Sweet», mais son chat perché te fend le cœur. La voilà avec Ferris Wheel pour «I Know You Well», une petite bulle pop très curieuse qu’elle achève au chat perché supersonique. Sacrée Linda, elle doit se faire mal à la glotte ! «Don’t Stop Now» date aussi du temps de Ferris Wheel, elle se la coule douce dans l’exotica. Toujours Ferris Wheel pour «Little Indians», elle entre sur le sentier de la guerre à pas feutrés. Dans tous les cas de figure, Linda reste d’une fraîcheur à toute épreuve. Elle gratte ses poux sur «Wise Eye» et fait sa Richie Havens, et avec «It’s The Frame», elle  tape un frame d’arpèges à l’Anglaise. C’est très préraphaélite, elle se montre extrêmement bienveillante, comme si elle grattait les arpèges de la paix sur la terre. Son «What Are You Looking For» est tiré d’une session TV - And it goes like this - La voilà suspendue à un fil. Fantastique Linda ! Elle termine ce brillant disk 4 avec «Light Years Away». Quand elle gratte ses poux, elle devient passionnante. Elle chante au sucre supérieur avec des coups d’acou inflammatoires. Elle s’offre totalement. Alors tu la prends.

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             Le disk 1 s’appelle Latin Quarters et grouille de puces, notamment «Whatever», une merveille de wild exotica. La grande force de Linda, c’est l’élan. Tu vas encore te régaler avec «Our Day Will Come» et «Love Inside», elle s’y fait sa Demoiselle de Rochefort, mais en plus Brazil, c’est dire l’éclat de son génie. Quelle incroyable option ! Elle est pure et dure. Linda n’est pas du tout la Soul Sister qu’on croit, elle en pince pour l’exotica et s’y parfaitement à l’aise, elle propose un mélange ahurissant de Brazil, de jazz et de chat perché juvénile. Un accordéon l’accompagne sur «In The Heat», et «Love Plateau» sonne comme la Soul d’exotica des jours heureux. Tout aussi stupéfiant, voilà un «Born Performer» gorgé d’échos Brazil, elle s’appuie sur une tranquille assurance cornélienne et une incroyable fraîcheur de ton. Aucun pathos chez Linda, elle ne vise aucun sommet, ni Nina Simome ni Aretha, elle est libre comme l’air. Linda, c’est encore autre chose, une forme de génie féminin particulier, son Day Will Come sonne comme un bénédiction dotée d’aura divine, elle tape sa Soul de good time au la la la, c’est assez heartbreaking. Elle se montre aussi très ingénue avec «So Sixties», qu’elle tape au petite sucre impénitent. Elle drive son «Sweet To Do Nothing» au hoo hat !, et son «What’s All This About» est très aérien. Elle a de l’apanage dans les huniers.

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             Le disk 2 va plus sur le funk, et s’appelle donc Funk-eh. Dès «For Love Sake», elle ramène le sucre du paradis. Te voilà propulsé dans une vraie réalité. Tu la vois en équilibre sur un fil, et tu la suis des yeux. Tu ne la perds jamais de vue. Elle tape une pop plus banale, elle cherche sa voie. Elle tâte le terrain du reggae avec «Too Good To Be True», et son beat se charge de grâce. Elle se montre encore une fois infiniment crédible. Elle installe une sorte de real deal avec «He’s A Diamond». Le beat ponctue son génie artistique. Voilà le coup de génie tant attendu : «More Than Enough», elle rôde dans le lagon avec du sucre et des coups d’acou, alors ça reste raw et beau, ça sonne comme du jazz définitif. Puis elle s’en va groover son «Wearing Wings» au paradis. Il n’y a que le paradis qui l’intéresse. Linda a ça en commun avec Joni Mitchell et Laura Nyro. Elle chouchoute son cut à la voix chaude. Elle devient une artiste inexorable, ce mélange de sucre et de groove est assez rare. Elle reste la reine du groove avec «Darlin’ (Groove)». Fascinante blackette. Chaque fois, elle ramène son joli sucre candy. Elle passe enfin au funk avec «Last Call». Si tu mets le nez dans cette box du diable, tu ne pourras plus lui échapper. Ah il faut la voir groover sa chique !

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             Les mecs d’Easy Action ont eu bien raison de sortir cette box, c’est la meilleure des introductions à l’œuvre de Linda Lewis. On sort enchanté du disk 2 et on plonge de plus belle dans le disk 3 qui s’appelle Bubbles. Elle commence par un tour de passe-passe, avec «Sideway Shuffle», heu nah nah ! Elle y va au sucre pur et elle récupère le groove tout en haut, au chat super-perché. Quelle artiste ! Et tu as en prime un gros solo de gratte. Le coup de génie du disk 3 s’appelle «Doin’ The Right Thing». Elle y redevient africaine. Elle te décline carrément le groove avec des incidences vocales ahurissantes. Elle semble dominer le monde. On retrouve à la suite «He’s A Diamond», mais elle le prend plus calypso. L’autre gros shoot d’exotica est l’excellent «(You Are An) Angry Young Man», où elle renoue avec le Brazil. Elle te gratte ça sec. Elle te tape encore «Like I Dance» au petit sucre, elle y va au ouh ouh ouh, accompagnée par un bassmatic et les percus-à-Lulu. Elle dégage un violent parfum de génie exotique. Elle charge son chat perché de sucre et ça devient magique. Elle fais sa Princesse des Sables dans «Mr. Respectable», un gros groove de funk des années de braise, et elle embarque son monde avec «Don’t Come Crying». Elle te chauffe bien ses coups d’acou et ça devient tétanique. Elle t’envahit, et bien sûr, tu adores ça. Linda Lewis aura passé sa vie à taper un petit folk de black Lady au sucre préraphaélite. C’est très spécial, car elle crée de l’émotion en permanence, elle a vu des horizons et a su rester d’une modernité à toute épreuve. 

    Signé : Cazengler, Lindo Music

    Linda Lewis. Disparue le 3 mai 2023

    Linda Lewis. Funky Bubbles. Troubadour/Easy Action 2017

     

    *

    Cinquante ans que je n’ai mis les pieds en cet endroit. Eté 1968, précision pour ceux qui aimeraient poser une plaque pour commémorer cet évènement. Rien n’a changé. Toujours la même rangée de platanes aux larges troncs. Z’à l’époque les pouvoirs publics n’avaient pas encore pris la stupide directive d’émonder leurs vastes houppiers protecteurs, dégarnis de leur chef nos géant paraissent un tantinet ridicules, n’ont gardé que leurs branches maîtresses surmontées de maigres pompons de feuilles, ressemblent ainsi à des bonnets de marins, l’ombre des ramures imposantes n’existe plus… Par contre le kiosque rudimentaire destiné à recevoir les orchestres de balloche n’a pas bougé – oui lors de cette soixante-huittarde soirée oubliable de la fête du village je fus victime de nombreux râteaux, la gent féminine est parfois rétive aux propositions les plus désintéressées - aucun musicos ne l’occupe aujourd’hui, je suis pourtant venu là pour écouter toute la musique que j’aime.

    JUKE JOINTS BAND

    RIEUX DE PELLEPORT ( 09 )

    ( 23 / 07 / 2022 )

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    Pas du tout un hasard, cette rencontre inopinée de la veille avec Chris Papin qui nous informe qu’il joue le lendemain à 12 Heures 30 pour le Comité des Fêtes de Rieux De Pelleport. Les conjonctions astrales sont formelles je ne saurais villégiaturer en Ariège ne serait-ce que quelques jours sans assister à un concert du Juke Joints Band. Les fidèles Kr’tnt readers seront heureux de savoir que malgré le Covid et la vente de la maison familiale nous renouons avec cette heureuse tradition.

    Public choisi, pratiquement que les membres de l’Association,  ambiance familiale et sympathique, le repas sera généreusement offert à tous, la prestation de l’année précédente du  JJB ayant satisfait les amateurs, le groupe a été de nouveau choisi pour apporter sa touche musicale à cette festive après-midi. Le premier set, ne tarde pas à débuter. La chaleur est horrible,  sous le large barnum, protégé du soleil et rafraichi par un courant d’air nous sommes les rois.

    Pour cette fois-ci nous avons droit à la formation fondatrice du JJB, si mes souvenirs ne m’égarent lors du dernier concert que nous avons relaté, voici plus de deux c’était le JJB Quartet, donc ce coup-ci le duo, uniquement Ben  Jacobacci  et Chris Papin. Guitare et chant. L’essence du blues.

    Ben juché sur son perchoir, n’importe qui aurait du mal a garder son équilibre sur ce fragile et inconfortable quadrupède de bois, mais lui l’est aussi à l’aise que Jules César sur sa chaise curule, non il n’est pas engoncé dans une toge, se contente d’arborer un T-shirt Led Zeppelin, l’a posé son électro-acoustique sur le giron de son jean, et puis c’est tout. Ne bouge plus. L’on sent qu’il est capable de rester comme cela durant des mois. L’est dans son élément. L’a atteint son nirvana, n’a plus besoin de rien, très logiquement il ne fait rien. Enfin presque. L’est trahi par ses doigts. Sont atteints d’une terrible bougeotte. Très vite vous ne voyez qu’eux. S’activent salement. Non sur sa quenouille il ne file pas la note bleue, ne la tisse pas lentement durant des minutes, il ne la fait pas éclore au dernier moment pour vous l’exhiber fièrement alors que vous ne croyiez plus à sa venue et que vos oreilles la regardent avec l’étonnement d’une poule qui ne sait plus si elle n’est pas sortie de l’œuf qu’elle vient de pondre. Non, Ben a la note bleue luxuriante, vous en jette des centaines par poignées, mais d’où les sort-il, l’est infatigable, pire que Radio-Andorre,  quand il n’y en a plus il en a encore, elles se bousculent sous ses doigts, elles s’échappent, des rivières qui débordent et emportent toute votre adhésion sur leurs passages. Elles ne prennent pas la peine de ralentir lorsque sur certaines cascades virevoltantes, elles suscitent des applaudissements. Faut avoir une sacrée maîtrise mentale pour ne pas perdre le riff dans ce torrent impétueux.

    Avec un tel musicien à vos côtés pas besoin de tenir des maracas ou tout autre babiole sonore dans ses mains pour vous donner une contenance ou faire du bruit pour combler les interstices. Chris Papin ne semble pas atteint d’angoisses métaphysiques, genre le gars pénardos qui se trouve là parce qu’il a poussé la porte et qui ne semble pas du tout étonné de ce qui lui arrive. L’est vrai qu’il possède une arme secrète. Lui suffit d’ouvrir la bouche pour vaincre sans combattre. N’a pas terminé son premier couplet que des exclamations fusent pour saluer ce vocal qui vous passe les esgourdes à la toile émeri (  émérite aussi ). C’est une grande injustice, c’est quoi le blues ? C’est la voix de Chris. Le timbre de celui qui a beaucoup vécu, qui a tout connu, qui a tout surmonté, cinq pour cent de souffrance, cinq pour cent d’amertume et quatre-vingt-dix pour cent de courage de vivre, malgré tout, envers et contre tout. Le mec ne vous dit pas que la vie est belle, vous rappelle qu’elle vous cabosse sans pitié avec en prime ce fond de gorge goguenarde qui vous pousse à en redemander, car si rien n’est plus atroce que cette salope, rien n’est aussi bandant non plus.

    Vous ai montré le premier, vous avez vu le deuxième, reste à vous croquer le troisième. Oui un duo est composé de deux personnes, mais il ne s’agit pas d’oublier la troisième. La plus importante. Meilleure que Ben, supérieure à Chris. C’est l’ensemble, la complicité qui les unit et les réunit. Chacun sait où l’autre veut aller, échangent un coup d’œil et c’est parti, ou Ben se lance non pas dans un solo mais dans un multiplex de trilles éblouissantes ou Chris éructe la rouille de son larynx dans les synapses de votre cerveau et s’amuse à jouer au Monsieur Déloyal qui fait exprès de laisser échapper le serpent du blues de la corbeille de son histoire pour que sentiez les anneaux froids du reptile bleu enserrer votre corps. Une morsure dont vous porterez la cicatrice jusqu’à la fin de votre existence.

    JJB, la magie bleue, vous a encore joué un tour à sa façon.

    Damie Chad

     

    *

    J’ai l’habitude de partir tout nu en vacances et de me nourrir des occasions qui s’offrent à moi, jeunes filles ne rêvez pas, je veux simplement dire que je n’emporte aucun livre avec moi, me contentant de récupérer de-ci de-là dans les brocantes ou les librairies les ouvrages que le hasard facétieux glisse sous mes yeux avides.

    JOHNNY, LE REBELLE AMOUREUX

    BERNARD VIOLET

    ( J’ai Lu / 2003 )

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                Pas étonnant que je dégote un bouquin de Johnny, sa disparition a occasionné une montagne d’écrits divers. Premier livre qui me tombe sous la main au premier jour de mes pérégrinations, plus de cinq cents pages, de quoi étancher ma soif de lecture nocturne. Bernard Violet journaliste de profession a publié une vingtaine de biographies consacrées à des sommités nationales bien aimées du public, de L’abbé Pierre à Mylène Farmer… Une petite préférence pour Johnny puisqu’il a aussi signé un Johnny Hallyday, Pour les nuits en 2012 et Johnny et Sylvie en 2008.

             Première impression d’ensemble, l’on parle peu de Johnny dans toutes ces pages. Entendons-nous, le projecteur braqué sur l’idole ne le quitte pas d’une seconde, toutefois les amateurs de musique restent sur leur faim, si tous les enregistrements, tous les spectacles sont fidèlement répertoriés et évoqués le but de Bernard Violet n’est pas d’analyser l’évolution musicale de Johnny, il y aurait par exemple tant à dire ne serait-ce que sur le choix de ses adaptations, notre biographe tend plutôt à décrire la tornade existentielle hallydéenne, à entraîner le lecteur dans une course contre la montre et contre la mort.

             C’est Mao Tsé Toung qui disait que lorsque la révolution n’avance pas, elle recule. Ce parti-pris synergique qui emprunte beaucoup aux principes thermodynamiques de Carnot semble avoir été établi pour comprendre comment Hallyday s’est lancé à corps perdu dans une surenchère spectaculaire basée sur une idée simple : faire à chaque fois, plus fort, plus grand, plus étonnant.  Johnny ne sait pas faire dans le petit, même ses échecs devaient être magistraux, la critique l’a éreinté, souvent avec raison, notamment pour ses premiers films, il a survécu, l’est passé sous les pluies de balles assassines, l’en a acquis le titre de survivant, de phénix indestructible, de rafiot insubmersible. Il arrive un moment où l’image prime sur la réalité des choses et le mythe sur le monde.

             La première partie du livre est la plus passionnante, celle qui raconte l’enfance de Johnny, le père, la mère, Desta, Lee, tout cela est connu, mais Violet sait la conter avec minutie, Johnny revient… de loin. Enfant de la balle et vaches enragées, tournées incessantes, numéros de music-hall, comme ces années cinquante nous paraissent sombres et glauques… vies d’artistes sans paillettes.

             Johnny amoureux ? Johnny fut-il un grand amoureux ? Le succès venant les filles se succèdent à vitesse grand V, survient l’imbroglio Johnny-Sylvie, si subtilement analysé dans  SylvieJohnny LoveStory de Marie Desjardins ( Voir notre livraison 442 du 12 / 12 / 2019) sans doute ne faut-il pas confondre le mythe chrétien de l’Amour Absolu avec la Multiplicité du Désir païen… Sans conteste Johnny fut un grand désirant ! La deuxième moitié du livre se perd un peu trop dans le catalogue des nombreuses conquêtes de l’idole, serait-ce la jalousie qui me pousse à employer le terme de monotonie !

             Johnny rebelle ? Le vocable est séduisant. A l’origine le mot rebelle désignait celui qui entrait en guerre contre un pouvoir quelconque. Soyons plus précis : qui prenait les armes. Le rock’n’roll est une musique rebelle. Oui, mais ma guitare n’est pas un fusil. Le rebelle d’aujourd’hui se munit d’armes moins létales. Il critique, il adopte une attitude qui montre haut et fort que l’on est en total désaccord avec le système dans lequel on vit. Au mieux il retourne le fusil qu’il n’a pas contre lui-même, au pire il sert de soupape de sécurité au système coercitif… dans le premier cas l’on est victime de son propre nihilisme, dans le deuxième d’une manipulation dont on essaie, avec plus ou moins de réussite, de ne pas prendre conscience, oscillant ainsi entre cynisme et (fausse) naïveté.

             Si le succès fulgurant de Johnny au début des années soixante fut le révélateur des appétits vitaux d’une jeunesse écrasée sous le boisseau des convenances sociales, le temps venant (très vite) il fallut à notre idole rentrer dans le rang, porter un costume sur scène et faire son armée comme tout le monde. Puis s’adapter à l’évolution musicale d’outre-Manche et Atlantique… C’était cela ou disparaître. Le rebelle fit des compromissions. En tant que rocker il avait la caution morale d’Elvis… Ne jetons pas la pierre à Johnny, nous sommes tous des rebelles compromis. A des degrés divers peut-être, être un perdant magnifique n’est pas donné à tout un à chacun, justement parce que souvent l’on a rien à perdre. Rien à défendre.    

              Pour écrire son livre, qui n’est pas une biographie autorisée, Bernard Violet a à plusieurs reprises discuté avec Johnny, notamment sur ses prises de position politique. Qu’il ait été utilisé Johnny n’en est pas dupe, il le reconnaît sans détours, il fait la différence entre ce qu’il a fait par estime envers certains, notamment Chirac, et ce qui ressort de raisons davantage opportunistes…   

             Ce qui est étrange à la lecture de ce livre composé en 2002, c’est que nous le lisons avec cette impression de savoir la fin de l’histoire que Bernard Violet n’était pas en mesure évidemment de connaître, nous pouvons dire qu’elle s’inscrit dans le droit fil de la trajectoire racontée par Violet, ce qui prouve que l’auteur a tracé un portrait assez fidèle du personnage Hallyday. La morale de cette fable existentielle s’avère facile à comprendre : jusqu’à la fin Johnny a su rester fidèle à Hallyday.

             Essayez d’en faire autant jusqu’à votre mort. Après l’on en discutera.

    Damie Chad.

     

                                                     *     

               Pour le second ouvrage nous changeons de crèmerie. Ici pas d’étalage à même le trottoir, une véritable boutique, la seule librairie digne de ce nom de Pamiers, ma ville natale, ancienne capitale de la tribu gauloise des Tectosages, elle fut fondée voici une quarantaine d’années par Jean-Phi un de mes amis, elle porte un nom qui fleure bon les seventies, Le Bleu du Ciel en l’honneur de Georges Bataille. Preuve symbolique qu’il existe une guerre littéraire. Elle a changé plusieurs fois de mains, la population appaméenne, comme partout ailleurs, lit de moins en moins, signe et résultat de la grande occultarisation voulue depuis des lustres par nos dirigeants aux ordres des industriels de la diversification standardisée des produits de consommation dite culturelle…

              Nouveau propriétaire, nouvelle librairie. Certains la trouveront engagée, je lui attribuerais plutôt le titre d’orientée. Un choix de livres qui incite à réfléchir et à développer son esprit critique. Aucune complaisance envers l’idéologie libérale. Ce n’est donc pas un hasard si ma main s’est figée sur le titre suivant.

    ROCKERS

    MIRIANA MISLOVTHIERRY GUITARD

    ( Les Fondeurs de Briques / Mai 2023 )

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               C’est une chose de savoir qu’un livre existe, c’en est une autre que de le tenir entre ses mains. J’avais reçu sur la boîte postale l’avis de parution du book. Intéressant, tentant, mais il existe tellement de bons livres que je n’ai pas encore lus, l’est comme les filles qui enfilent leur plus belle robe pour vous séduire, de la belle ouvrage, comment résister au bleu céruléen de la couverture et à l’épaisseur de cette couvrante, au moins cinq millimètres qui appellent à la caresse et à la possession. Ou à la soumission.  

              Et ce titre, oriflamme rougeoyante, manifestement choisi pour me faire réagir, Rockers, un mot qui ne veut rien dire et qui exprime le tout de ce que l’on ne peut définir en sa totalité, tout comme le terme océan semble un écran jeté à la surface de la mer (toujours recommencée) pour nous faire oublier les gouffres abyssaux des profondeurs qu’il cèle et recèle.

               Se sont mis à deux. La première a tenu la plume, le second a peint selon les empennages réalisés. Un livre de compagnonnage, ne se quittent plus depuis des années, elle écrit, il dessine. Les amateurs de rock le connaissent il a illustré des dizaines de livres d’esprit ‘’ rock’’ au sens large du terme, de Philippe Manœuvre à Jack London, dessiné des pochettes de disques, Liminanas et Parabellum par exemple, publié dans Rock’n’Folk… il écrit aussi. Mon ordinateur, le grand surveillant Big Brother, m’indique que j’ai déjà voici plusieurs années cherché des renseignements sur Miriana, je suis incapable de me remémorer pourquoi. Peut-être sur le fanzine La Pieuvre qu’elle a fondée avec Thierry Guitard. D’origine yougoslave elle a dénoncé la guerre qui a démembré ce pays et semble s’être spécialisée dans l’écriture de scénarii pour bande-dessinées et cinéma.

               Il y a rockers et rockers, fans ou artistes, il faut choisir. Le livre est sans équivoque. Uniquement musiciens et chanteurs. Des deux sexes. Peut-être même du troisième et du quatrième. Voire le cinquième.  Bref cent soixante-dix pages de textes, beaucoup moins si l’on retranche les nombreuses illustrations sur lesquelles nous reviendrons.

               Cent cinquante pages pour raconter l’histoire du rock de ses débuts à aujourd’hui, le pari serait insensé, Miriana Mislov ne s’est pas aventurée dans une telle gageure, ce qu’elle raconte par l’entremise de titres paraboliques c’est une certaine histoire du rock ‘n’ roll, celle qui lui tient à cœur, sa vision idéale du rock ‘n’ roll en quelque sorte. Si vous voulez effacer ce qui vous déplaît il suffit de n’en point jacter. Ne jetez pas la pierre à Miriana, nous fonctionnons tous comme elle. Tout comme Saint John Perse, avec moins de talents, nous tressons en guise de couronnes de lauriers des Eloges, pas nécessairement funèbres, en hommage à ceux que nous élisons car ils nous décrivent en creux ou en ronde-cabossée bien mieux que les autoportraits maladroits que nous pourrions tracer de nous-mêmes. De nous-m’aime.

              Il faut un début à tout. Ce sera donc Ruth Brown. Désolé ce n’est pas Elvis. Non seulement Ruth apparaît en tête de file mais elle bénéficie du plus grand nombre de pages dévolues à n’importe quel autre artiste. Il est vrai que Miriana ne cache pas qu’elle s’appuie sur une large documentation, la biographie de la chanteuse rédigée par Lorie Silke. Le choix est aussi idéologique. Le rock ‘n’roll n’est pas une création de petits blancs, il a été inventé, initié serait plus juste, par les noirs. Muddy Waters expliquera plus tard que l’on a fait dans le dos un bâtard au rhythm and blues que l’on a appelé le rock ‘n’roll.  Féminisme ambiant oblige, c’est tout un symbole de mettre une femme en tête de l’ouvrage, d’autant plus que la pauvre Ruth a été victime du machisme de ses maris. Noirs ou blancs les hommes seraient-ils donc égaux ! En tout cas, question royalties les noirs mâles ou femelles ont été traitées à égalité.

               L’on n’attendait pas le deuxième de la liste. Lonnie Donegan, le roi du British Skiffle. L’est vrai que Rock Island Line est sorti en 1954, que Donegan est né quatre ans avant Elvis, qu’il inspira bien des apprentis musiciens boutonneux de Grande-Bretagne et que l’on peut lui décerner sans conteste le titre de Grand-père du British Blues et du British Rock, mais n’est-ce pas aussi l’arbre qui cache la forêt, d’abord parce que la moitié de la chronique est consacrée à Leadbelly qui enregistra ce morceau en premier et surtout l’impasse sur les grands groupes de rock anglais, des Beatles à Led Zeppelin, même s’il est certain qu’il est inutile de rajouter quelques feuillets à leur gloire. La suite le prouve, nous retournons au rock ‘n’ roll des pionniers américains. Little Richard et Esquerita, il est dommage que l’on n’ait pas rajouté Larry Williams, si le temps vous est compté qu’il ne vous reste plus que trois minutes à vivre lisez de préférence Esquerita, un des portraits les plus réussis du livre. Sont suivis par Leiber et Stoller, le Cat Zengler nous a déjà profilé ces deux zigotos-kings avec le brio que l’on connaît.

              Suit un oublié inoubliable Sanford Clark, l’on commence à comprendre comment fonctionne le bouquin, The fool de Sandford est aussi l’occasion d’évoquer le guitariste Al Casey et le producteur Lee Hazlewood, tout comme le duo Leiber et Stoller nous a fait entrevoir Big Mama Thorton, Elvis Presley, Martha and The Vandellas les Shangri-las. Destins croisés du rock’n’roll.

              Attention retour au rock blanc et pas des moindres, deux héros au destin brisé, Vince Taylor et Eddie Cochran. J’en profite pour ronchonner, s’il y a un grand absent dans ce book, c’est Gene Vincent, cité à plusieurs reprises mais pas honoré d’un chapitre entier. Le livre semble vouloir faire la part belle aux feux de paille du rock’n’roll, aux seconds voire troisième couteaux du rock’n’roll, s’il est un suprême canard boiteux du rock’n’roll, plus que tout autre Gene mérite la première place. Que les américains lui ont déniée. Que l’Europe lui a reconnue.

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              John Leyton fut acteur et chanteur, son Johnny Remember Me sonne davantage country que rock ‘n’roll il est surtout pour Miriana l’occasion de revenir sur le producteur Joe Meek et sa fin particulièrement sanglante. L’est précédé d’un titre légendaire et déjanté, le Love Me de The Phamton. Le véritable fantôme d’un opéra-rock qui n’alla pas plus loin que la scène 1 d’un premier acte inachevé.

             Un autre personnage de légende qui n’est pas encore morte, Jackie De Shannon elle fut amie avec Sharon Sheeley la copine d’Eddie Cochran, le rock ‘n’roll est un labyrinthe dont les galeries s’entrecroisent et s’entrecoupent sans fin, est-ce une surprise si nous trouvons à ses côtés le mirocktaure appelé les Beatles.

               Retour à la case de départ, les malheureuses amours de Ronnie Spector victime de la folie paranoïaque de son vilain mari, le génial producteur qui lui donna pas mal de Phil à retordre.

              Attention une page sur You Really Got me des Kinks, c’est un peu comme si l’on réduisait William Butler Yeats à son poème The Wild Swans at Coole… Voici les Who, une tendresse particulière pour Keith Moon u batteur fracassant néanmoins un être fragile et sensible… Suivent deux groupes qui à leur manière étaient trop : The Sonics et The Monks. Ils encadrent le plus fou des enrages, à moins que ce ne soit le plus enragé des plus fous, sa majesté Asil Hadkins. Le rock serait-il une musique déviante ?

              Deux jokers imbattables pour les deux chapitres suivants : MC5 et The Stooges. Rock politique et métaphysique. Les deux serpents de mer du rock ‘n’ roll qui ont vraiment existé. Que voulez-vous, si vous vous ne croyez pas aux malédictions ou aux fléaux de Dieu lancés sur la terre pour perturber les esprits des jeunes générations, nous ne pouvons rien pour vous.

              Nous arrivons dans les dernières pages de cette violente saga, un chapitre pour détricoter les rapports extrêmement fricotés de Dee Dee Ramone et Johnny Thunders. Thunders que l’on retrouve plus loin avec la foudroyance langoureuse de Patti Palladin.

              Comment terminer après de telles pointures, les Buzzcocks on veut bien, The Clash l’on n’en veut guère, heureusement que l’on en profite pour entrevoir les Pistols.

             Dans l’avant-dernière livraison, c’est un peu comme sur la fin des marchés quand on liquide un cageot de dix kilos d’abricots pour le prix de trois. Understones, Stiff Little Finger, The Outcasts, le deal est plus qu’intéressant.

             L’on termine avec un groupe apparu voici depuis plus de vingt ans, à croire que le rock n’aurait pas survécu à l’arrivée du troisième millénaire. A l’origine groupe familial, le père, la mère et les trois enfants, viennent de Londres, cette formation simili bluegrass qui se produit souvent en acoustique est un peu comme le serpent qui se mord la queue jamais nommée le long du livre, celle des roots, du country, du folk de tout ce que vous voulez, un retour aux sources, au commencement…

               Miriana vous tire la langue. Celle du serpent du rock ‘n’roll qui vous fascine, bien entendu. Il existe de grandes accointances entre le contenu de ce livre et le contenu de notre blogue. Son format nécessairement réduit ne saurait être comparé aux milliers de pages de nos 609 livraisons, mais tout comme chez nous dans Rockers s’exprime une certaine idée du rock’n’roll. Pas nécessairement la même mais un dessein.  Et aussi des dessins, Thierry Guitard et notre Cat Zengler ont des points communs, la ligne claire zenglerienne est davantage fidèle à la représentation des objets et des attitudes, pochettes de disques, photographies, celle guitardienne vise parfois à une plus grande stylisation expressive qui se transforme souvent grâce à un fond uniformisateur en une image qui aurait été retirée d’une bande dessinée. Il lui manque en quelque sorte la suite que l’on imagine dans une des cases proximales d’une bande-dessinée inachevée. Le lecteur se rapportera à la planche sur le célèbre Fever mi-docu-mi-BD pour mieux comprendre ce que j’essaie de signifier. Thierry Guitard use d’une palette plus sombre qui dramatise son sujet. Ses œuvres paraissent comme en un mouvement suspendu dont on attend la suite, et donc non terminées. Les couleurs vives et lumineuses de Patrick Cazengler fixent les personnages, les idéalisant en une posture hiératique. Aristote affirmait que la vitesse à laquelle se déplacent les Dieux est d’une extrême lenteur qui confine à une immobilité non-humaine. Pour ma part je pense qu’il en est de même des Dieux du rock.

              Que cette oiseuse divergence métaphysico-esthétique ne vous dissuade pas de lire et de regarder cet ouvrage. Un beau livre consacré au rock’n’roll. Merci à Miriana Mislov et à Thierry Guitard.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !                                             

    EPISODE 33 ( Locatif  ) :

    185

    Alice ou Ecila, Ecila ou Oecila, j’ai l’impression que les synapses de mon cerveau grésillent, court-circuit ou explosion, peut-être ai-je parlé tout haut sans m’en apercevoir car la voix du Chef résonne à mes oreilles :

              _ Agent Chad, à vous entendre cogiter tout fort depuis un quart d’heure je commence à me dire que vous êtes pire qu’Hamlet, lui ne possédait que deux options, être ou ne pas être, vous savez comment il a fini, je vous conseille d’essayer de saisir par les cornes, non pas du taureau mais de la vache folle, l’irréalité de la problématique qui vous obsède, votre esprit tourne comme l’aiguille d’une boussole qui ne sait sur quel azimut se fixer, si je puis vous donner un conseil ce serait d’aborder cette insupportable énigme par son côté le plus simple, soyez davantage pragmatique je vous en prie ! Prenez exemple sur nos deux cabots, parfois la sagesse animale dépasse la folie humaine.

    Avant d’allumer un Coronado, d’un geste ample le Chef désigne les deux chiens vautrés sur un canapé :

              _ Regardez, ils ont partagé avec nous l’ensemble des épisodes de cette terrible aventure depuis le début, ils en ont connu tous les dangers, et les voici endormis sans se prendre la tête, n’est-ce pas là le signe d’une sapience supérieure ?

    186

    Je ne sais si nos lecteurs auront pris le temps de méditer les doctes paroles du Chef, j’espère que cette profonde philosophie les aura marqués et que désormais dans toutes les actions de leur vie quotidienne ils se seront efforcés de les mettre en pratique. Pour ma part je n’y ai pas manqué. Les résultats ne se sont pas faits attendre. Il est vain de courir après une montagne, il suffit d’attendre qu’elle vienne à vous. Puisque les chiens avaient choisi de passer la journée couchés sur un canapé je résolus de les imiter et me glissai entre eux deux pour un somme réparateur.

    Ce fut Molissito qui s’en vint me lécher le bout du nez m’arrachant, à mon vif mécontentement, des bras de Morphée. La voix du Chef me réveilla illico :

             _ Agent Chad, arrêtez de dormir, je n’aime guère que vous utilisiez le numéro du service pour vos affaires personnelles, mais la voix féminine qui vous réclame à corps et à cris insiste tellement, j’ai raccroché sept fois, mais à la huitième j’ai fini par céder, il est d’ailleurs temps que je me préoccupe d’allumer un Coronado !

    187

    Encore ensommeillé, j’appliquai le combiné à mon oreille :

    • Molossa et Molossito vont bien ?
    • Euh… oui…
    • Ah ! c’est bien, je suis contente, Papa lui ne l’est pas du tout !
    • Euh… à cause de Molossa et Molossito !
    • Mais non, vous êtes bête, à cause du vol !
    • Mais Molossito et Molossa n’ont pas été volés, ils sont à côté de moi !
    • C’est la sœur de Maman qui a été volée !

    J’ai failli répondre que ma mère n’avait pas de sœur, je n’en ai pas eu le temps :

              _ Oecila, elle était enterrée au Père Lachaise et le corps n’est plus dans la tombe, c’est la police qui a appelé Papa ce matin, il a crié que c’était un scandale, il m’a dit de ne pas sortir de l’appartement, que je l’attende, qu’il revenait, et puis il a ajouté que c’était de votre faute à vous trois et à vos deux corniauds, que l’on allait s’occuper de vous, moi je ne veux pas qu’ils fassent du mal à Molossa et à Molossito, alors je vous avertis, j’entends du bruit, c’est peut-être Papa qui rentre, au revoir !

    188

    L’on est en planque depuis plusieurs heures dans une vieille estafette pourrave. Pour une fois Carlos est défaitiste :

              _ C’est insensé, il est impossible que ça marche, avec un enfant de trois ans peut-être, j’en doute quand même, il nous faudrait un truc beaucoup plus chiadé, là franchement on joue aux pieds nickelés !

    Le Chef allume un Coronado :

              _ Vous avez raison cher Carlos, c’est notre unique chance, si vous avez une idée meilleure je suis preneur !

    Carlos se contente de secouer la tête et de lever les yeux aux cieux. Le Chef me regarde :

              _ Agent Chad, lâchez les fauves !

    J’entrouvre très légèrement les portes arrière de la camionnette. Deux secondes suffisent à Molossa et Molossito pour sauter sur l’asphalte. Il se fait tard, dans la nuit qui tombe leurs silhouettes noires sont presque invisibles.

    189

    L’homme suit le trottoir, il marche rapidement, la rue est déserte, il sursaute, il a entendu un petit bruit. Trop faible pour provoquer la peur, assez particulier pour attirer l’attention. L’homme presse le pas, le bruit recommence. C’est illogique, il a déjà parcouru une dizaine de mètres et le bruit s’est répété avec la même intensité. L’homme s’est retourné, il ne remarque rien, il repart, maintenant il pense au miaulement d’un chat qui le suivrait depuis un petit moment, il s’arrête, regarde en arrière. Il n’a rien vu, trois pas rapides et une brusque volte-face, la bête se traîne vers lui, il se penche la caresse, et l’abandonne. Il ralentit, elle est là, il s’accroupit, il réfléchit, sa décision est prise, il s’empare de la petite bête qui geint encore, et se carre dans ses deux paumes, l’homme sourit, il vient de faire une bonne action. Il ne remarque même pas la camionnette pourrave garée le long du trottoir. Il s’éloigne. Tout heureux.

    190

              _ Agent Chad, ouvrez les portes, nos deux héros reviennent !

    Je m’exécute promptement d’un bond léger Molossa et Molossito se faufilent à l’intérieur. Carlos se saisit d’eux et les embrasse vivement :

              _ J’en ai vu des choses dans ma chienne de vie, des très moches et quelques unes très belles, et maintenant une scène extraordinaire, je n’en reviens pas je n’aurais jamais cru que des bêtes puissent être si intelligentes, Damie je m’excuse, ton plan me paraissait si farfelu ! Il a réussi pourtant, incroyable ! Jen pleurerais de joie ! Quel suspense ! Quelle émotion !

    Carlos aimerait s’épancher encore un bon moment, le Chef coupe court aux effusions sentimentales de l’ancien légionnaire :

              _Carlos, c’est à toi de jouer, attention de la finesse et du doigté !

    191

    L’homme marche d’un bond pas. Le chaton s’est endormi dans ses bras. Il le regarde avec tendresse. Encore deux ou trois rues et il arrivera chez lui. L’ombre géante du bâtiment l’avale. Il soupire d’aise, il ne lui reste plus qu’à sortir la clef de sa poche, la porte de l’ascenseur brille du vague reflet de la chiche lumière du hall plongée dans une demi-pénombre. Il appuie sur le bouton d’appel, il n’attendra pas longtemps, l’appareil est stationné au premier étage. La porte s’ouvre.

              _ Bonjour ! 

    L’homme sursaute. Le gars n’a pas l’air commode, un gros dur, une armoire à glace comme l’on n’en voit que dans les films.

              _ Je vous en prie Monsieur, passez, je vois que vous sortez !

              _ Pas du tout, je vous attendais !

              _ Moi, vous faites erreur je ne vous connais pas !         

              _ Ne racontez pas n’importe quoi, je désire simplement récupérer mon petit chat que vous venez de voler.

              _ N’importe quoi, voici un quart d’heure je l’ai trouvé, miaulant de détresse, transi de froid, j’ai eu pitié, j’ai décidé de l’adopter !

              _ Peut-être, mais il est à moi, rendez-le moi tout de suite, sinon je sens que je vais m’énerver et quand je m’énerve en règle générale ça saigne, je vous explique tout cela parce que vous n’avez pas l’air de comprendre que si dans trente secondes je ne rentre pas en possession de mon chat, vous et le chat je vous transforme en steak haché !

             _ Enfin c’est insensé, vous voulez votre chat et vous êtes prêt à le tuer dans la demi-minute qui suit !

              _ Et alors, ça vous dérange ?

             _ Sachez Monsieur que je le défendrais jusqu’à ma mort !

    Le malabar éclate d’un rire sinistre, il enfile des gants noirs :

             _ Juste pour ne pas me salir les mains en vous étranglant !

    A suivre…