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linda lewis

  • CHRONIQUES DE POURPRE 610 : KR'TNT 610 : LINDA LEWIS / REVEREND PEYTON / HOUND DOG TAYLOR / EHPAD / JEAN KNIGHT / CRASHBIRDS / ASHEN / EVIL'S DOGS / IN DER WELT / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 610

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    07 / 09 / 2023

     

    LINDA LEWIS / REVEREND PEYTON

    HOUND DOG TAYLOR / EHPAD / JEAN KNIGHT

    CRASHBIRDS / ASHEN

    EVIL’S DOGS / IN DER WELT

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Shakin’ with Linda

    - Part Two

     

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             On peut se contenter d’écouter Funky Bubbles, cette délicieuse box pleine à ras bord de Linda Lewis, ou, plus simplement, se contenter de caresser son souvenir, une attention qui se révèle idéale lorsqu’on est un peu pingre ou gêné aux entournures. Mais on peut aussi plonger dans le vaste lagon d’argent de sa discographie. Ce serait dommage de se priver d’un tel plaisir. Remember, my friend, life is short !

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             Au commencement était non pas le verbe, mais The Ferris Wheel, un mixed race group comme on savait si bien les fabriquer en Angleterre. Et contrairement à ce qu’on croit tous, ce n’est pas Linda Lewis qui chante sur le premier album de Ferris Wheel, mais Diane Ferraz. Can’t Break The Habit est un très bon Pye de 1967, lesté de deux belles énormités : «Something Good (Is Going To Happen To You)» et «Number One Guy». Avec Diane, tu peux jerker sans crainte, d’autant que le Something Good est un cut d’Isaac. Avec «Number One Guy», les Ferris font du Motown in London town. Côté covers, ça ne chôme pas : ils retentent le coup du Vanilla Fudge avec «You Keep Me Hanging On». Ils la jouent heavy, mais ce n’est pas aussi assommant. Par contre, la cover du «B-A-B-Y» de Carla est fantastique, ils n’ont pas vraiment de son, c’est Diane qui fait tout le boulot. Il faut aussi saluer le duo d’enfer qui illumine «It’s Been A Long Way Home», le mec pousse Diane au top de cette Soul pop d’entre deux mers. Ça sonne comme une tentative désespérée. On dirait qu’ils vont se noyer.

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             Diane Ferraz quitte les Ferris pour élever ses deux gosses. Marsha Hunt la remplace, mais pas longtemps, et c’est Linda Lewis qui entre en lice pour le deuxième album sans titre, un Polydot de 1970. Ce Ferris est nettement moins dense que le premier. Il est surtout un peu proggy, un peu folky folkah, on s’attend à un bel album de Soul anglaise et pouf, c’est raté. Les sauveurs d’album se planquent en B, à commencer par «I Know You Well», belle pop ponctuée par le chat perché de Linda. On a un peu de Soul rock avec «Sunday Times» - Sunday times is on my mind - mais c’est avec «The Ugly Duckings» qu’on se régale, Michael Snow l’attaque, des vents d’orgue magique hantent le cut, et Linda entre à la fin pour le porter aux nues, à la note perlée de lumière, c’est là qu’elle devient notre héroïne.

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             Elle démarre sa belle carrière solo avec Say No More, un Reprise de 1971. Linda fait partie des artistes qu’on suit, comme on dit, au même titre que Joni Mitchell ou Laura Nyro, parce qu’il se passe des choses extraordinaires sur chaque album. Et pas seulement au niveau de l’interprétation. Linda Lewis compose et gratte ses poux. C’est une artiste complète qu’on est ravi de fréquenter une vie entière. Il y a du beau monde sur cet album : Chris Spedding, et Louis Cenamo, un bassman qu’on retrouve dans Renaissance avec Keith Relf, dans Colosseum et Steamhammer. L’ingé son n’est autre que le fameux Ken Scott qui est derrière Ziggy et Hunky. Cenamo groove «Come Along People» en profondeur, et Linda chante «The Same Song» au fil d’or fin. Elle est éclatante de bonté divine, quasi-évangélique. Quant à Sped, il rentre dans l’eau douce d’«Hampstead Way» avec un gros riff agressif qui lui permet de jouer sur les contrastes. La perle noire de l’album se planque en B : «I Dunno», elle y fait le petit train d’all my love/ I’m gonna give you all my love. Elle s’y connaît en magie, la coquine. 

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             Bel album que ce Lark, un Reprise de 1972. On y trouve deux de ses hits, «It’s The Frame» et «Rock A Doodle Do». On s’effare de la pureté de son fil mélodique, elle chante son Frame à la nubilité absolue, accompagnée par un arpège de cristal. C’est avec son Doodle qu’elle attaque la B et tu vas la voir éclater le Doodle. Globalement, elle tape dans le groove exubérant. Cet album est enregistré chez Apple (celui des Beatles) et produit par Jim Cregan. Elle conduit son lard au feeling pur dans «Feeling Feeling» et redore le blason du groove avec «Old Smokey» - I was born east of Old Smokey - Sa voix est à l’image de ses intentions : pure. Elle s’en va gratter «Waterbaby» sous le boisseau, à l’aquatique, et elle termine avec l’excellent «Little Indians».            

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                  Elle attaque son Fathoms Deep au «Fathoms Deep», c’est-à-dire au filet de voix pop et ça bascule aussi sec dans le groove de jazz. Pure merveille ! Elle groove toujours merveilleusement, dans la joie et la bonne humeur. En B, elle tape un «Guffer» à la Nick Drake, avec une stand-up, et puis voilà encore un hit : «On The Stage», elle attaque en poussant un petit cri de plaisir et pouf, un bassmatic exubérant l’embarque pour Cythère. Ce cut respire une fois encore la joie de vivre, elle est si magnifique quand elle fait exploser de joie.      

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             Et voilà, les albums vont se succéder, année après année. En 1974, elle débarque sur Arista avec Not A Little Girl Anymore. Elle est très sexy sur la pochette, et comme le veut la loi de l’époque, elle fait un peu de diskö, mais sa diskö n’est pas vulgaire, au contraire, «It’s In His Kiss» sonne comme de la diskö lumineuse. D’ailleurs, elle attaque l’album en mode pop lumineuse avec «(Remember The Days Of) The Old Schoolyard», elle groove sa pop au funky breaking down. On ne se lasse plus de son petit chat perché, il est si pointu sur «Rock And Roller Coaster». Elle attaque sa B avec un joli coup de génie, «Love Where Are You Now», soft groove infectueux. Elle reste fabuleusement douce et douée, elle s’en va éclater son chat perché au Sénégal. Encore de la pop enchantée avec «I Do My Best To Impress». Cet Arista d’aristo nage dans le bonheur. Linda te transforme en ville conquise. Alors merci Linda.

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             Si tu veux la voir à poil, sors la pochette de Woman Overbooard. Elle a des seins magnifiques. Attention, l’album est en partie produit par Allen Toussaint, alors fini de rigoler. Le hit se planque au bout du balda : «Dreamer Of Dreams», l’élégance suprême d’Allen Toussaint. Linda tape aussi dans un cut de Van McCoy, «Come Back And Finish What You Started», le dancing cut des jours heureux, comme toujours avec Van the man. En B, Linda signe ce hit fabuleux, «My Love Is Here To Stay». Elle a un sens aigu de la beauté, elle est virtuose en la matière, elle flirte avec Broadway, avec une fantastique assise de fantastique artiste. Elle termine cet album impressionnant avec «So Many Mysteries To Find». Linda reste la reine du soft groove sucré. Ses cuts n’en finissent plus de capter l’attention. Elle va et elle vient entre les reins de l’or du Rhin.    

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             Diable comme elle est belle, et ce des deux côtés de la pochette d’Hacienda View, un Ariola de 1979. Musicalement, elle s’y montre superbe de petite fraîcheur. Bon, c’est vrai, ce n’est pas un album indispensable, mais on l’écoute parce que Linda se casse le cul à composer des cuts, alors on lui doit un minimum de respect. Et quand on respecte un artiste, on l’écoute. Elle fait un petit dancing strut d’I’m so alone/ oh mama/ I’m comin’ home dans «109 Jamaica Highway» et elle groove son jazz dans «My Aphrodisiac Is You». Elle revient à Broadway en B avec «It Seemed Like A Good Idea At The Time», elle en a les moyens et les épaules, et elle tape un hommage à Doc Pomus avec une version up-tempo de «Save The Last Dance For Me». Bien vu, Linda ! Elle garde tout le jus de Doc. Et puis voilà qu’elle illumine la nuit avec «Sleeping Like A Baby», mais elle l’illumine au sucre pur. Linda est une fantastique petite souris noire, fluide et fluette, espiègle et sexy.        

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            Tu vas tomber sur une belle cover de «Take Me For A Little While», si d’aventure tu t’aventures sur A Tear And A Smile, un bel Epic de 1983. Ce «Take Me For A Little While» de l’excellent Trade Martin fut un hit pour Jackie Ross en 1965, puis repris par Evie Sands, puis par le Vanilla Fudge. Linda le tape avec de faux accents de Supreme, c’est dire si ça sent bon le Motown Sound. Elle redevient une divertisseuse de choc avec «Why Can’t I Be The Other Woman» et finit cette belle B en mode slow groove avec «I Can’t Get Enough».     

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             Le Second Nature de 1995  pourrait bien être l’un de ses meilleurs albums. C’est là qu’on trouve «Do Ya Know Dino», elle entre dans le Dino darling au prix d’un sexy groove. Son «Love Inside» est une merveille d’exotica, elle se prend pour Astrud Gilberto, elle a quelque chose d’inexorable dans sa façon d’approcher le Brazil. Elle tape ensuite son «Sideway Shuffle» au r’n’b d’hey now now, elle l’éclate vite fait, elle monte chercher le Soul Sister Summit dans le groove, il fallait y penser. Elle fait du wild groove avec «What’s All That About», elle y revient par derrière, à la voix grave, se hausse sur la pointe des pieds et revient au sucre magique. Ah comme on se sent bien en compagnie de Linda. Elle pourrait être une petite fiancée. Ou la mère de  l’univers, ce qui revient au même. Elle enchaîne avec un «Soon Come» assez puissant, très innervé, très intériorisé, et le finit en bouquet explosif. Fabuleuse artiste ! Chaque cut sonne comme une délicieuse aventure. Elle chante encore «Born Performer» au rentre-dedans. Il faut aussi la voir gratter ses coups d’acou dans «For Love Sake», à moitié renversée dans le groove - For love sake/ He touches me - Elle irradie le bonheur, il faut la voir au dos gratter son acou. Quelle image ! Encore une petite merveille avec «Love Plateau» - Take me to the left/ Take me to the right/ Take me to love plateau - Real deal de Brazil.

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             Elle sort deux double-albums en 1996, Whatever et On The Stage - Live In Japan. C’est l’occasion pour elle comme pour nous de réviser les leçons. Surtout sur le Live In Japan, car elle tape dans tous ses vieux hits, «My Love Is Here To Stay» (un vrai festival), «Old Smokey» (un enchantement), «Do Ya Know Dino» (coup de génie, elle chante la perfection du sucre subliminal - Dino darling/ You’re so charming), «On The Stage» (son entrain est très contagieux, elle sucre son groove de calypso), «Love Inside» (elle va loin, aussi loin que Joni Mitchell) et «Funky Chicken», qu’elle gratte toute seule et qu’elle groove à la Bobbie Gentry.

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             Whatever est aussi un double qui grouille de puces, suivant le même mode opératoire : groove, sucre de chat perché et douce exotica. Linda propose une belle petite pop tropicale qu’elle saupoudre de swing. Elle remplit ses quatre faces de groove coconut et de vibes exotiques. En C, elle groove sa chique à l’exotica humide avec «Doin’ The Right Thing», et elle passe au funk léger avec «Mr. Respectable». Son «Reach For The Truth» est fabuleusement groovy, drivé par un bassmatic têtu comme une mule. Il faut la voir l’emmener au sommet, en mode gospel batch ! Elle orne sa D d’une version calypso d’«He’s A Diamond» et tient son rang jusqu’au bout avec «Don’t Come Cryin’». Superbe, attachante, magique, elle a toutes les qualités.

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             La meilleure façon de refermer la marche est certainement de rapatrier deux beaux albums panoramiques, Live In Old Smokey et Hampstead Days (The BBC Recordings). Les deux albums sont des espèces de must-be musters. Live, Linda semble plus pétillante. Elle entre dans «For Love’s Sake» et «I Don’t Do Don’t» au petit sucre de prédilection. Elle monte son lard au plus pointu du chat perché. Elle est superbe, resplendissante d’ahhh yeah. Elle ne dit jamais non dans «Don’t Do Don’t». Plus loin, elle attaque «I Keep A Wish» au fil magique. Elle semble sortir d’Alice Au Pays des Merveilles, elle est terrifiante de candeur candy, une vraie juvenile d’under the pillow. Elle passe au Brazil avec «Love Plateau», elle ramène l’exotica des îles - Take me to the love/ To the love plateau - Elle groove dans l’ass des îles et elle enchaîne avec une autre merveille, «Do Ya Know Dino», ce soft groove d’élégance suprême qu’elle chantait déjà au Japon. Linda est une virtuose de la glotte humide et rose. Elle a 55 balais quand elle enregistre cet album chez Ronnie Scott. Elle annonce «Rock A Doodle Do» - This is a song I wrote back in the seventies. That was a hit - Ça sonne toujours comme un hit. Puis elle gratte «Grandaddy’s Calypso», elle charge bien sa barque de sucre, et pour finir, elle s’en va rejoindre les reines de Broadway avec «Can’t Help Lovin’ That Man Of Mine». Elle le power de Lisa, elle pousse sa romance assez loin, elle finit par éclater sa noix à force de génie vocal et de man of mine

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             Hampstead Days (The BBC Recordings) est un album d’une rare intensité. On y retrouve ses super-hits, «It’s The Frame» et «Rock A Doodle Doo», avec un Doo qui cette fois prend deux o. Elle entre dans sa magie avec une réelle ingénuité. Elle incarne ce qui est indivisible, par exemple la beauté. «More Than A Fool» est une grosse compo, elle éclate la rondelle du Sénégal, elle monte dans l’upper-class. Avec «Red Light Ladies», elle t’éclaire la lanterne, elle te rafraîchit à coups de lay lay, elle est fantastique de chlorophylle, elle gratte ses poux à la dure, elle est dans le Love Supreme, comme Coltrane, et s’en va tortiller son chant là-haut sur les remparts de Varsovie. Linda est franchement irréelle de beauté. Elle peut faire le show toute seule, avec sa gratte. «What Are You Asking Me For» est l’une des raisons pour lesquelles il faut écouter Linda : l’artiste fraîche et géniale par excellence. Elle monte directement au chat perché. Elle dégage une énergie considérable, elle est clairvoyante et écœurante de spirit, elle est pire qu’Alexandre le Grand, elle te prend pour l’Anatolie et te conquiert sans te demander ton avis. Linda est l’une des artistes les plus fondamentales de son époque, elle couvre tous les territoires, rien que par sa virtuosité vocale. «Lark» illustre parfaitement ce postulat. Elle attaque son «Funky Chicken» à coups d’acou et passe au fast groove congénital avec «On The Stage». Elle le prend littéralement à la pointe fine. Elle revient au Brazil avec «Gladly Give My Hand», et se bat pied à pied avec «What Are You Asking Me For», comme elle l’a toujours fait. Tout est beau sur cet album. Elle développe son «Waterbaby» à coups de développements subliminaux. Elle traîne dans la voie lactée avec «Not A Little Girl Anymore», elle sonne comme une Soul Sister perdue dans le jazz, elle a le power du Love Supreme, elle honore le job de Soul Sister. Elle repart fraîche et rose avec «I Do My Best To Impress». Cut sophistiqué, mais sa fraîcheur de ton l’impose. Linda superstar annonce «Love Where Are You Now» au petit sucre. Ah il faut la voir gueuler son love. Elle est au-dessus des lois et des toits. Elle part en mode fast groove pour «The Cordon Blues» - It’s about you, eatin’, drinkin’ or mixin’up together - fast groove de jazz, mais à un point qui te dépasse, elle le pointe au chant comme le fait Ella Fitzgerald, elle a ces réflexes d’un autre temps, dans un environnement de surdoués du jazz, elle tient bien la rampe et te swingue le Cordon Blues à la Méricourt, c’est effarant de power. Elle présente ses musiciens. Les applaudissements te pètent les oreilles. Elle termine avec «It’s In His Kiss», un vieux diskö hit qui date de Not A Little Girl Anymore, mais cette fois, elle explose le dancing beat, elle te tape ça au fast r’n’b, elle court elle court la Méricourt, elle fait les Ronettes sous amphètes, si tu ne veux pas mourir idiot, écoute cette mouture du Kiss, Linda est possédée par les démons, elles pousse des cris d’orfraie, ça patauge dans la déréliction, dans une Berezina d’endives trop cuites, ça part en pointe d’apoplexie, tu ne verras jamais rien de plus explosif que Linda avec un pétard dans le cul.

    Signé : Cazengler, Linda Levice

    The Ferris Wheel. Can’t Break The Habit. Pye Records 1967 

    The Ferris Wheel. Ferris Wheel. Polydor 1970  

    Linda Lewis. Say No More. Reprise Records 1971  

    Linda Lewis. Lark. Reprise Records 1972                

    Linda Lewis. Fathoms Deep. Raft Records 1973    

    Linda Lewis. Not A Little Girl Anymore. Arista 1974 

    Linda Lewis. Woman Overboard. Arista 1977    

    Linda Lewis. Hacienda View. Ariola 1979                

    Linda Lewis. A Tear And A Smile. Epic 1983    

    Linda Lewis. Second Nature. Turpin Records 1995  

    Linda Lewis. Whatever. Sony 1996                                                  

    Linda Lewis. On The Stage. Live In Japan. Turpin Records 1996

    Linda Lewis. Live In Old Smokey. Market Square 2005

    Linda Lewis. Hampstead Days (The BBC Recordings). Troubadour 2014

     

    Peyton c’est du beyton - Part Two

     

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             On ne se lasse plus d’écouter le Reverend Peyton. Voilà encore quatre albums absolument déterminants, deux albums de hard punk-blues et deux superbes albums de pure Americana.

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             Attaquons si vous le voulez bien par les deux bombes atomiques, The Whole Fam Damnily et Between The Ditches. Pochette graphique pour le premier, pochette photo-symbole pour le deuxième. Alors boom et même badaboom dès «Can’t Pay The Bill». Ah t’as voulu voir The Whole Fam Damnily, alors tu vas voir Vesoul, dans l’Indiana, tu ne peux pas résister à ça, le Rev te déloge d’une seule rafale de hard punk blues, le Rev, c’est Victor le Nettoyeur dans Nikita, il te déblaye tout, il fait du so far-out à la voix de gras double et au stomp des forges. Il sait déclencher l’enfer sur la terre avec deux fois rien, un beat tribal et son prodigieux présentiel apocalyptique. Sa voix résonne comme un tremblement de terre. Écho terrible ! Dis-toi bien une chose : le Rev ne débande pas, tout l’album est sur le même ton, hot as hell. Il t’explose les frites de «Mama’s Fried Potatoes» vite fait. Le Rev est un acteur de la révolution. Il convole en justes noces avec l’apocalypse. Il n’existe pas de pire punk que le Rev. En plus, il te claque du bottleneck à tire-larigot. Et ça continue avec «Worn Out Shoes» qu’il allume à coups d’harp. Là tu as un héros. Un vrai. Quand tu entends «DT’s Or The Devil», tu comprends que le Rev est un punk dans l’âme, mais enraciné dans le real deal du hard blues. Tout est wild as fuck sur cet album, «Your Cousin’s On Cops» te tombe dessus à bras raccourcis, le Rev ponctue l’enfer, mesure après mesure, c’est un délire de rage permanent, il s’oublie et ça n’en finit plus de basculer dans le génie. Il s’oublie à volonté. Il fait de la fast Americanana avec «The Creeks Are All Bad», c’est battu à la diable. Le Rev est le Nabuchodonosor du punk-blues. «Them Old Days Are Gone» prouve encore son écrasante supériorité. Oh la puissance du démarrage et du gratté, il chante ça à pleine gueule. Son pouvoir est considérable. Il attaque tout de front, il ne craint ni la mort ni le diable. Nouveau coup de génie avec «What’s Mine Is Yours», il est encore pire que Bukka White. Cet album est un chef d’œuvre de wild Americana, l’un des plus beaux hommages à la culture primitive du peuple noir.

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             On reste dans le même esprit avec Between The Ditches. Il te sonne les cloches dès «Devils Look Like Angels», il est déjà grimpé au sommet du genre, il tape au cœur du heavy punk blues, au heavy stomp des bois, avec une voix qui te coupe la chique, il actionne son heavy trash tout seul, on entend vaguement Breezy gratter derrière, mais le Rev bouffe toute la devanture. Ici, il devient Gargantua. Même topo avec «Something For Nothing», il t’explose tout ça vite fait à coups de bottleneck. Le Rev est l’un des mecs les plus violents du punk-blues. Il sait couver sous la cendre, il sait faire le nègre qui va se révolter, il sait faire monter la pression, c’est son cœur de métier. Encore un coup de génie avec «Shake ‘Em Off Like Fleas», il amène ça à la Fred McDowwell, au wild craze de Como, pur genius, il reprend toute la Méricourt des blacks à son compte, il monte tout au pire niveau d’alerte rouge, mais pour comprendre ce qui se passe, il faut l’écouter, et certainement pas sur un téléphone. Ce mec a du son, alors il faut du son. Il tape encore «The Money Goes» au heavy punk-blues et aux coups d’harp. S’il est un mec qu’il faut croire sur parole, c’est bien le Rev. Il te combine là une bonne séance de transe. Il réussit à calmer le jeu histoire de mieux exploser. C’est un modèle du genre. Il ramène le pulsatif du fleuve dans «Broke Down Everywhere». C’est cavalé à outrance. Il fait carrément du wild as Rev, avec toute l’énergie de l’Americana. Avec «Big Blue Chevy», il sonne comme Creedence, c’est presque trop rock’n’roll. Il rend hommage à Fog le héros. Il a aussi ce pouvoir. C’est d’une hauteur de vue indescriptible. Il faut le voir gratter la cocote de Creedence ! Son «Shut The Screen» sonne comme l’Americana du diable. Te voilà renseigné. 

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             Avec Peyton On Patton, le Rev rend hommage à Charlie Patton. Donc, on se retrouve en pleine Americana, du côté de Dockery, dans les années vingt. Le rev a même glissé un 78 tours, en plus du LP, dans la pochette, c’est dire s’il fait bien les choses. Dès «Jesus Is A Dying Bed Maker», tu sais où tu te trouves : aux racines du blues, mais le Rev a du génie, il te modernise les roots avec le fantastique balancement du chant, il joue à deux notes avec des libellules de bottleneck. Et ça repart de plus belle avec «Some Of These Days I’ll Be Gone». En B, il fait une version banjo de «Some Of These Days I’ll Be Gone». Il claque ça d’une grosse voix d’Indiana. Tout est beau sur cet album, si on aime le blues primitif. Le Rev chante à la vraie voix, avec une gourmandise non feinte. On sent que chez lui le blues est quelque chose de purement spirituel. Avec «A Spoonful Blues», il opère une magnifique descente au barbu. Le Rev n’a pas son pareil.   

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             Avec The Gospel Album, le Rev tape au cœur de l’Americana, celle du grand peuple noir.  Il tape une version énorme d’«I Shall Not Be Moved», il invente pour l’occasion le gospel trash-punk, il te blaste littéralement le gospel batch. C’est à la fois spectaculaire et fait maison. L’autre coup de Jarnac est sa cover de «Rock Island Line». Il te l’explose. Ne lui confie jamais ton Rock Island Line. Il gratte «Amazin Grace» à l’hawaïenne sur sa National, et prend «Let Your Light Shine» au chat perché de gros barbu. Il fait encore une version demented de «Glory Glory Hallelujah». Pas de chœurs, rien que de l’huile de coude. C’est battu à la diable. Le mec au beurre est un bon. Il tagadate le beat, et le Rev te chante ça à la revoyure extravagante. Il faut aussi saluer le «Blow That Horn» d’ouverture de bal. Typical Rev des enfers, voix grave, beat tribal, ça sort du plus profond des Amériques. On croit entendre le beat du «Fast Line Rider» de Johnny Winter. Petite cerise sur le gâtö : le label a packagé l’album dans une jolie petite boîte en fer. Tu as donc au total un bel objet, avec un contenu en cohérence avec le contenant. 

    Signé : Cazengler, Révérend Péteux

    Reverend Peyton’s Big Damn Band. The Gospel Album. Family Owned Records 2006 

    Reverend Peyton’s Big Damn Band. The Whole Fam Damnily. SideOne Dummy Records 2007

    Reverend Peyton’s Big Damn Band. Peyton On Patton. SideOne Dummy Records 2011

    Reverend Pyeton’s Big Damn Band. Between The Ditches. SideOne Dummy Records 2012

     

    Wizards & True Stars –

    My Hound Dog Taylor is rich

     

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             Sans Hound Dog Taylor, pas de Gories, pas d’Oblivians, pas de Cheater Slicks, pas de JSBX, pas de rien. C’est lui, Hound Dog, qui invente la formule gratte/gratte/beurre, le raw du raunch, le punk-blues - ferocious blues rock played on cheap guitars - Avec Goodnight Boogie - A Tale Of Guns Wolves & The Blues Of Hound Dog Taylor, Matt Rogers rend hommage à ce blackos qui avant d’inventer le power-trio à deux grattes, réussit l’exploit d’échapper aux cagoulards du Ku Klux Klan. Ça s’est passé dans le Mississippi, l’état le plus raciste d’Amérique, avec l’Alabama.

             Quand il a vu le jour en 1915, à Natchez, Mississippi, Hound Dog Taylor avait six doigts à chaque main. Sa mère passait son temps à recompter. Six et six ! Shit ! Ce genre de malformation est répertoriée, comme le sont les double bites ou les double têtes. Forcément, ça attire la curiosité. Tout le monde allait voir Hound Dog Taylor sur scène à Chicago pour recompter ses doigts. Nous en France, on examinait les pochettes de ses albums parus sur Alligator pour recompter ses doigts et effectivement, sur la pochette du troisième album posthume, Beware The Dog, on voit un sixième doigt à sa main gauche, celle qui tient la clope. Hound Dog a fini par en avoir tellement marre qu’un soir de cuite, il s’est coupé le sixième doigt de la main droite avec une lame de rasoir.

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             Hound Dog n’a pas eu la vie facile. En 1924, il a neuf ans et son beau-père met ses affaires  dans un sac en papier brun, sort un flingue de sa poche, le braque sur lui et lui dit de se tirer vite fait. Le gosse se barre avec sa sœur. Devenu adulte, Hound Dog fait comme les autres nègres, il bosse aux champs et ferme sa gueule. Il apprend à jouer du piano, puis il commande une gratte chez Sears Roebuck pour 3,25 $, nous dit Rogers qui est bien renseigné. Hound Dog a 20 ans, il admire Lonnie Johnson et Blind Lemon Jefferson. Il est haut et maigre. Il rencontre Elmore James dans le juke circuit. Hound Dog lui montre un cut qui vient de Robert Johnson, «Dust My Broom». C’est Elmore James qui deviendra célèbre avec «Dust My Broom», pas Hound Dog, qui le joue au bottleneck - Wasn’t no silver thing, just a broken off bottleneck. I was playing «Dust My Broom» in 1935. That’s my song. He (James) got the idea from me and put his own words to it. Everybody will say that I play like Elmore, but I don’t play like no damn Elmore. I taught myself everything I know. Started off playin’ slide. Listened to Blind Lemon, Lonnie Johnson, a whole bunch of cats - Et il termine son évocation d’Elmore ainsi : «Elmore was a nice guy, but in his younger days he was mean - just like I was mean - fight, shoot, do anything.»

             Au Mississippi, Hound Dog réussit à faire son petit bonhomme de chemin et à se faire connaître. En 1941, il est invité à jouer au King Biscuit Time, une émission diffusée par une station de radio située à Helena, en Arkansas, juste de l’autre côté de la frontière. L’émission est réputée, grâce à Sonny Boy Williamson II et Robert Lockwood. C’est là que B.B. King fera ses débuts. Hound Dog vit à Tchula, dans une ferme qui appartient à des blancs. Il conduit un tracteur, puis les patrons blancs lui proposent un job de chauffeur. Il doit conduire les gosses des patrons blancs aux surboums locales et les attendre dans la bagnole pour les ramener à la maison. Et bien sûr arrive ce qui doit arriver : une jeune blanche a envie d’une belle bite noire. Comme chacun sait, les relations inter-raciales sont punies de mort dans le coin. Une nuit, les mecs du KKK viennent planter une croix devant la cabane branlante d’Hound Dog et y mettent le feu. Il a juste le temps de se barrer par derrière et de se planquer dans les bois. Hound Dog sait que s’ils le chopent, ils le pendront. Strange fruit. Alors il prend la fuite vers le Nord - He ran like wolves had caught his scent.  

             Il prend un bus et débarque en 1942 chez sa sœur à Chicago. Il doit tout recommencer à zéro. Il a perdu le peu qu’il avait. Il doit trouver un job pour vivre. C’est là, à Chicago, que démarre la grande aventure musicale des HouseRockers, l’un des trios les plus wild de l’histoire musicale des Amériques.

             Rogers réussit l’exploit de nous transmettre avec son petit book toute l’énergie d’Hound Dog. Si le book est tellement spectaculaire, c’est bien sûr parce qu’Hound Dog Taylor est un homme spectaculaire, un homme qui joue une musique spectaculaire, mais aussi un homme traumatisé par la violence des racistes blancs, et qui sut, comme tous les grands artistes noirs, transcender cette terreur du blanc pour en faire de l’art. C’est une leçon qui mérite d’être méditée. Hound Dog invente littéralement le punk blues, il dépouille le blues de tout ce qui ne sert à rien pour ne conserver que le groove, le swing et le grit, il fait, nous dit Rogers, ce que les punks ont fait avec le rock’n’roll - He found ferocity in simplicity - et donc, il fallait inventer un nouveau son et une nouvelle façon de jouer. Kaboom !

             Hound Dog commence par prendre sa gratte et aller faire la manche à Maxwell. Rogers nous dépeint le Chicago des années 40, où tous les blackos jouent du blues au coin des rues pour quelques pièces de monnaie. Hound Dog se fait plus de blé qu’il n’en avait jamais vu - You know, you used to get out here on a good Sunday morning and pick you up a good spot, babe. Damnit, we’d make more money than I ever looked at - Il ajoute que tous les autres étaient là, «Muddy Waters was down there. Wolf was down there. Little Walter was down there. I’m over here. Jimmy Rogers too... And I had the biggest crowd.» Eh oui, Hound Dog n’est pas n’importe qui. Il sait gratter un gritty blues. Il picole, il adore le Canadian Club Rye Whisky, et il drague Freddie qui va devenir sa poule, enfin l’une de ses poules. Il propose de la ramener chez elle un soir - Miraculeusement he didn’t crash the car - Puis il se paye une gratte électrique - A hollow-body Harmony qu’il appelle «Old Mike» - et il devient un bluesman de Chicago.

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             Il devient pote avec Kid Thomas qui vient lui aussi du Mississippi et qui enregistre sur Federal. Mais ça ne se vend pas. Il demande à Hound Dog de jouer de la basse pour lui. En 1956, le groupe part jouer à Wichita, Kansas. À la fin de set, Thomas disparaît avec le blé du groupe. Baisé. Hound Dog appelle sa sœur Lucy à l’aide. Elle lui envoie les sous pour prendre un bus et rentrer à Chicago. Rogers nous apprend qu’un peu plus tard, Kid Thomas, réinstallé à Los Angeles, allait renverser accidentellement un gosse et le tuer. Quelques mois plus tard, le père du gosse allait choper Kid Thomas dans le parking du tribunal et lui coller une balle dans le crâne.   

             Robert Christgau qualifiait les HouseRockers de «Ramones of Chicago blues». On peut même parler de phénomène unique dans l’histoire du rock américain. Hound Dog, okay, mais aussi Brewer Phillips et Ted Harvey. Pendant des années, Hound Dog cherche des gens pour jouer avec lui. On lui balance le nom de Brewer. Il bosse dans le bâtiment. Il est costaud. Il a des grosses mains. Il joue sur une Tele, avec un son mordant - Sharp metallic edge and crunch - C’est exactement ce que recherche Hound Dog, «the perfect contrepoint to his fuzzy boogie.» Maintenant, il lui faut un beurre-man. C’est à l’enterrement d’Elmore James en 1963 qu’il le rencontre : Ted Harvey qui justement était le beurre-man d’Elmore. Harvey a 45 ans, un an plus jeune qu’Hound Dog. Comme son boss a cassé sa pipe en bois, Harvey est au chômage. Il file son numéro à Hound Dog. Mais il sait que son style trop jazzy ne colle pas avec le rocking blues style d’Hound Dog. Alors il demande conseil à Fred Below, the big-name blues drummer in Chicago (et accessoirement idole de Charlie Watts) : «Man you got to teach me the backbeat.» Below taught him well, ajoute Rogers. Hound Dog est fier de son nouveau beurre-man - He is about the best now - Il a évolué du «fast beat», the jazz drumming, vers le backbeat. Ce genre de détail n’a l’air de rien, comme ça, vu d’avion, mais quand on entend jouer Ted Harvey sur les trois albums des HouseRockers, on comprend mieux.

             Les HouseRockers vont casser la baraque pendant 10 ans à Chicago et ailleurs - Hey! Let’s have some fun! I’m wit’cha baby!», lance Hound Dog pour lancer le set. Une gorgée de Canadian Club, puis un cocktail, et une bière pas dessus et c’est parti ! - À force de fréquenter des génies, Matt Rogers devient un génie : «Taylor and the HoueRockers were big drinkers. They’d get loose, they’d get high, they’d get drunk, and they’d play.» En 1965, ça fait 23 ans qu’Hound Dog est à Chicago et ça fait 8 ans qu’il survit comme musicien pour une poignée de dollars chaque soir. Mais avec les HouseRockers, il devient le roi du monde. 

             La violence est omniprésente dans la vie d’Hound Dog. Parce que le KKK, et parce que Chicago, la ville la plus violente d’Amérique à l’époque où il y vit. On y dégomme des gens tous les jours. Il a toujours un flingue ou un rasoir sur lui. Tom Waits : «Dans le South Side of Chicago, au Cherckerboard Lounge, Hound Dog Taylor jouait pour un public chahuteur. Au premier rang, un poivrot l’asticotait, alors Hound Dog sortit un calibre 38 de sa poche, lui tira une balle dans le pied, remit le calibre dans sa poche et finit la chanson.» Rogers ajoute, tous mots bien pesés : «He was a troubled man in a troubled world.» L’autre plan classique : le patron de bar qui refuse de payer les musiciens. Rogers cite l’exemple d’Old Duke qui sort un flingue et qui leur dit : «You’re not getting any money.» En plus, il tient un chien méchant en laisse. Alors il ne reste plus qu’à partir. Rogers évoque aussi les shootes entre Hound Dog et son premier batteur, Levi Warren. Ils jouent à Florence’s et commencent par s’engueuler. C’est l’escalade verbale. Hound Dog prend sa gratte, Old Mike, et frappe Warren sur le crâne. Il frappe si fort qu’il casse Old Mike. Warren est sonné mais il réagit et file une rouste à Hound Dog. Brewer Phillips intervient et les séparer. Hound Dog est tellement furieux qu’il téléphone à Freddie pour lui dire d’amener son flingue. Pendant ce temps, Warren va dans sa bagnole chercher le sien. Heureusement, quelqu’un a appelé les flics. Rogers nous explique que ce type de soirée qui tourne mal est courante. Levi Warren quitte ensuite la ville pour aller accompagner Willie Mabon à Kansas City. Matt Rogers fait un excellent travail avec son book, il nous fait entrer dans le bar pour assister aux shootes entre Hound Dog et ses musiciens.

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             Chaque fois qu’Hound Dog et Brewer s’engueulent sur scène, ils posent leurs grattes et vont se battre dans la rue. Ils se crient dessus et frappent. Pour Iglauer, «c’était un mélange d’amour fraternel, de rivalité infantile et de Canadian Club.» Ils ne pouvaient pas s’empêcher de se battre. C’était leur façon d’être. Jusqu’au jour où Brewer quitte le groupe et là c’est la catastrophe, car personne ne peut le remplacer. Il reviendra, bien sûr. Il existe aussi des tensions entre Hound Dog et Iglauer, qui lui non plus, n’a pas de patience. Des ennuis aussi avec Big Mama Thornton qui sort un cran d’arrêt lorsqu’elle croise Brewer Phillips dans un sound check. Elle le confond avec Hubert Sumlin. Et puis un soir, dans une petite fête, Brewer balance des vannes, du genre, «j’ai vu ta femme faire la pute sur la 43e rue», alors Hound Dog sort de la pièce et revient avec un flingue. Hey Brewer ! Bam ! Une première balle dans la jambe. Brewer gueule : «Hound Dog what you shoot me for?», bam, une deuxième balle dans l’épaule, bam, une troisième. Le flingue s’enraye. Il y a de la fumée, du sang par terre, des gens choqués. L’ambulance et les flics arrivent. Hound Dog va au trou, Phillips à l’hosto. Brewer raconte la scène : «Hound Dog m’a tiré dessus trois fois. On commence par s’engueuler. Ça dégénère. And we go to war. Il sait que je peux lui casser la gueule. Si le flingue ne s’était pas enrayé, il m’aurait tué. Le premier coup de feu devait me faire peur. Mais ça ne m’a pas fait peur. Il voyait que je n’avais pas peur. Il m’a tiré dans la jambe. Juste là. La deuxième fois dans l’épaule. Et la troisième fois, dans le doigt.» En fait personne n’est surpris de cet incident. Ça faisait longtemps qu’Hound Dog menaçait de buter Brewer. Tout le monde le savait.

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             De tous les blackos de Chicago, le plus violent est sans doute Little Walter. En 1967, Hound Dog est invité à se joindre au American Folk Blues Festival qui tourne en Europe. Il est sixième sur l’affiche et tout seul sur scène. Puis il doit accompagner Little Walter et Koko Taylor, avec Odie Payne on beurre et Dillard Crume on bass. Mais ça se passe mal avec Little Walter. Toujours la même chose : alcool, dope, Little Walter est en plus irascible and quick to fight. Il a le visage couvert de cicatrices. Il porte une bague dont le diamant a la taille d’un glaçon. Little Walter se plaint d’Hound Dog à un journaliste : «Them damn country coons. What’s he doing with me? He ain’t no use at all... damn southern coon!». Quatre mois après la tournée, en février 1968, Little Walter casse sa pipe en bois, suite à une grosse shoote. Internal injuries. Il avait 37 balais. 

             Hound Dog et Brewer Phillips ont pour habitude de se battre. Ça revient constamment dans le récit. Un soir, Hound Dog tente de coller un coup de pied de micro à Brewer qui parvient miraculeusement à l’éviter. C’est le gros pied de micro rond en fonte qui pèse une tonne. Le pied nous dit Rogers fit un énorme trou dans le mur. Ils se tapent dessus, ils sortent les rasoirs, mais ils ne peuvent pas se priver l’un de l’autre sur scène. Ils savent qu’ensemble ils font des étincelles. Mais le succès tarde à venir. Ça fait 18 ans qu’Hound Dog est à Chicago quand il enregistre enfin son premier single «My Baby Is Coming Home»/«Take Five» sorti sur Bea & Baby, Hound Dog a déjà plus de quarante balais.

             Son surnom lui est donné par des potes qui le chambrent gentiment. Comme Hound Dog est toujours en train de draguer, les autres lui disent «You’re always on the hunt, like a hound dog.» Une autre version dit que c’est Magic Sam qui l’a surnommé Hound Dog. Il s’appelle en réalité Theodore Roosevelt Taylor.

             Freddie King est tellement impressionné par son «Taylor’s Boogie» qu’il va pomper le riff pour le recycler dans son «Hide Away» paru en 1961, et sur lequel les guitaristes de blues anglais vont se faire les dents. Hound Dog est plus déterminé que jamais à réussir : si Freddie King peut décrocher un hit with a Taylor tune, alors Taylor peut aussi.

             Hound Dog ne prend pas les blancs du blues au sérieux, ni Mike Bloomcield ni Paul Butterfield qui eux aussi écument les clubs de Chicago : «Can’t no white man sing the blues, and can’t no Negro sing no love song. He can play it. Oh hell yeah. I know some white cats who play some blues. It’ll make you stand up and look... but he can’t sing shit. He just can’t sing it.» Hound Dog nous dit Rogers a fière allure. Il porte toujours des pantalons trop grands, un petit chapeau de jazzman qu’on appelle the pork pie hat, et une chaîne autour du cou. Il fume des Pall Mall à la chaîne. Il enregistre un single avec Marshall Chess, mais ça n’est jamais sorti, car c’est le moment où Leonard le renard casse sa pipe en bois et où Chess disparaît.

             Bon les HouseRockers, c’est bien gentil, mais ça ne suffit pas. Pour faire de l’alchimie, il faut d’autres clavicules, mon petit Salomon. Alors deux blancs vont entrer dans l’athanor : Wesley Race et Bruce Iglauer, deux fans inconditionnels de blues, et surtout des HouseRockers. Race va même réussir à devenir l’ami d’Hound Dog. Race et Iglauer bossent tous les deux chez Delmark, le gros label de blues de Chicago.

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             Iglauer vient du Michigan et débarque à Chicago en 1969. Il est obsédé par le blues. Pourquoi débarque-t-il à Chicago ? Parce que dans un canard nommé Hoot, un mec dit que pour voir du vrai blues, il faut aller chez Jazz Record Mart et demander Bob Koester. C’est exactement ce que fait Iglauer. Koester et lui deviennent amis. Koester l’emmène dans les clubs. Et comme Koester est aussi boss de Delmark, il fait bosser Iglauer.

             Tout va bien jusqu’au jour où Iglauer voit Hound Dog sur scène at Florence’s - The sounds were so raw and distorded - Il est fasciné - He played fast shuffles, slow shuffles, and medium-tempo Jimmy Reed-style shuffles (known as lump-de-lumps), alternating with driving boogies, grinding stomps and romping up-tempo songs - C’est la fête au village ! Pour Iglauer, c’est «the happiest music I ever heard in my life. It was so infectuous, so rhythmic, it was so much fun. People were dancing in the aisles in front of the band. I fell in love with that band.» Un autre blanc vient assister à TOUS les concerts de HouseRockers, c’est Wesley Race. Hound Dog l’a repéré. Ils deviennent ami, et avec Freddie, Lucy (la sœur d’Hound Dog), la femme de Race, ils créent the HouseRockers Social Club. Il y a de la magie dans cette histoire.

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             Race et Iglauer papotent. Ils commencent à se dire qu’il faudrait enregistrer les HouseRockers. Et pas pour faire un petit single à la mormoile : non, ils rêvent d’un album. Ils soumettent le projet à Bob Koester qui les envoie sur les roses - It’s not going to happen - Alors que fait-on dans ces cas-là ? On casse sa tirelire et on crée un label. C’est exactement ce que vont faire ces deux petits culs blancs. Ils vont se saigner aux quatre veines. Il reste encore une étape importante : demander à Hound Dog s’il est d’accord pour enregistrer un album. Iglauer pose la question et Hound Dog répond cette phrase magique : «I’m wit’ you, baby, I’m wit’ you.» Iglauer amène les HouseRockers chez Sound Studios, sur Michigan Avenue. Il faut aussi trouver des titres pour les instros qui n’en ont pas. Matt Rogers sort le Grand Jeu : il donne tous les détails : Hound Dog gratte une Kingston guitar branchée sur un Sears Roebuck Silvertone amplifier, le même ampli que celui du grand Reverend Peyton. Brewer gratte sa vieille Tele et Ted Harvey bat son beurre sur son Slingerland drum set. L’ingé-son est un vétéran de toutes les guerres, un crack nommé Stu Black qui a bossé pour Chess et Delmark - I’ve done it all, from Howlin’ Wolf to Steppenwolf - Il presse le bouton «record» et bam, c’est parti ! Comme Hound Dog a besoin d’un public pour jouer, Race sort de la cabine de contrôle et prend une chaise, pour s’asseoir près de lui. Alors les HouseRockers se sont mis à jouer «like it was a wild Sunday». Merci Matt Rogers de nous amener dans le studio. En deux sessions, ils enregistrent 25 cuts.

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             Premier album absolument dément. Il sort en 1971. Il n’a coûté que 970 $. En plus, Iglauer verse 480 $ à Hound Dog pour les sessions (à quoi vont s’ajouter les royalties à venir) et 240 $ chacun, à Ted Harvey et Brewer. Après avoir payé les HouseRockers, il crée Alligator Records. Pour lui, le son d’Hound Dog est unique - Personne ne peut jouer comme lui, tous ces mecs peuvent jouer ses licks, mais pas sa musique. Car ils n’ont pas conduit un tracteur dans le Mississippi ou vu une croix en feu dans leur jardin ou dormi dans un fossé de drainage. Et je suis prêt à parier qu’aucun autre musicien ne peut jouer en buvant du Canadian Club du matin au soir - Toujours dans l’émerveillement, Iglauer ajoute : «Hound Dog était incroyablement fier. Le projet l’enchantait : enregistrer un album entier, avoir sa photo sur la pochette, voir des gens venir le trouver pour signer des autographes. He was sitting on top of the world. Il n’en revenait pas quand je lui ai versé les royalties.» Pour une fois, un petit cul blanc bosse proprement et ne prend pas les nègres pour des vaches à lait. C’est important de le signaler. Et c’est toute la différence avec les frères Chess qui ont d’abord pensé à leur gueule.

             Hound Dog Taylor And The HouseRockers est l’un des grands albums magiques de l’histoire du rock. À cause du contexte décrit ci-dessus, mais aussi et surtout à cause des cuts. Quelle pétaudière ! Iglauer est très fier d’en vendre 9 000 exemplaires la première année. Hound Dog nous met aussitôt à l’aise avec «She’s Gone», un boogie saturé joué à deux guitares. Ils rockent leur chique hard. Du vrai trash. Hound Dog pouvait jouer trois heures d’affilée sans s’arrêter. Ils tapent plus loin un heavy blues pleurnichard, «Held My Baby Last Night» et le plongent dans une friture de sature immature. C’est joué sur la corde basse et slidé crade. Mais vraiment crade. Ça sent bon l’Elmore. Hound Dog adore jouer hard and loud, selon son expression. Il adore aussi le Canadian Club, les armes et les femmes. On n’entend que ça dans sa musique. Il arrose «It’s Alright» de grosses giclées de trash guitar. Ils gorgent leur dirty boogie de dirty disto. Les solos sont concassés dans la structure. Hound Dog invente tout. Les rockers blancs n’ont fait qu’essayer de l’imiter, sans jamais y parvenir. Retour à l’Elmore avec «Wild About Baby», mais avec encore plus de panache. Hound Dog tape «I Just Can’t Make It» à la sauvette, il chante à la volée et on a bien le son des deux grattes vérolées. Puis il nous refait le coup du Heartbreaking Blues avec «It Hurts Me Too». Véritable apanage des alpages du heavy blues vinaigré à la disto. Ils te swinguent ensuite «44 Blues» à la Méricourt. Ted Harvey le bat si sec ! Perle rare. S’ensuit le gros classique d’Hound Dog, «Give Me Back My Wig», emmené à train d’enfer. Quel ramshakle ! Jamais vu un tel bordel ! Phillips passe un solo demented en morse. Ces trois blackos sont les vrais punks. 

             Hound Dog respecte tellement Iglauer qu’un soir, il lui dit : «Don’t spend your whole life hanging around with peopel like us.» Hound Dog pensait qu’Iglauer méritait de meilleures fréquentations que ce trio de trashers black incultes et alcooliques. Iglauer dit que ça lui a brisé le cœur qu’Hound Dog lui fasse un tel aveu. Matt Rogers dit qu’Hound Dog continue de faire des cauchemars, poursuivi par des loups et des chiens, alors il dort avec la télé allumée.  Il n’est bien que sur scène, avec les HouseRockers et un public venu faire la fête.

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             En tournée, c’est souvent Brewer qui conduit, car Hound Dog ne sait pas trop lire les panneaux. Et puis il est tout le temps en train de siffler son Canadian Club. Il ne bouffe rien. Brewer sait lire une carte. Ils roulent dans la Cadillac de Ted Harvey - They were doing it in style - Tous les trois, avec Iglauer. Direction la côte Est. C’est magnifiquement raconté. Matt Rogers donne une foule de détails tragi-comiques. On se croirait dans l’On The Road de Jack Kerouac. Des détails du genre : Hound Dog rentre de tournée et un gros paquet l’attend chez lui. C’est sa guitare Teisco qui lui avait été barbotée à Gary, dans l’Indiana, le mois précédent. Il y avait un petit mot dans le paquet qui disait que la guitare était too hard do play, so they were returning it.

             Hound Dog s’est forgé une réputation de bad ass guy. Quand il arrive en ville, les gens disent «Hound Dog’s coming». Les gens avaient un peu peur de lui. Même Wolf disait ça : «Hound Dog’s coming». Matt Rogers note aussi qu’il existe une connexion entre Hound Dog et Wolf. Wesley Race a une explication : «Wolf était traumatisé à l’armée, et on l’a laissé partir pour des raisons psychiatriques. Alors il se voyait comme une sorte de misfit. Et comme il voyait les deux mains à six doigts d’Hound Dog, ça créait un lien.» Wolf voyait Hound Dog comme un misfit. George Thorogood note que sur scène, Hound Dog et Brewer vont parfois jouer derrière leurs amplis. Il ne comprend pas. Il n’a encore jamais vu ça. Alors il leur demande pourquoi ils font ça et Hound Dog lui répond : «You don’t want to sit in front of the amplifier. It’s too fucking loud.» Thorogood dit aussi qu’il ne connaît personne qui puisse jouer sur scène avec autant d’alcool dans le sang. Lors d’un concert à Boston, Brewer est tellement rôti qu’Hound Dog demande à Thorogood de le remplacer. Pour Thorogood, c’est le moment le plus important de sa vie : taper avec Hound Dog et Ted Harvey une cover de «Boogie Chillen». Sur scène, Hound Dog adore présenter son groupe : «I want to introduce you to our drummer, Ted Harvey. And my guitar player, lead and bass, Mister Brewer Phillips. And honey, eveybody know the Hound!». La classe. L’épouvantable classe !  

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             Le deuxième HouseRockers s’appelle Natural Boogie. Les choses sont claires. On sait où on va. Robert Christgau dit d’Hound Dog qu’il est «a spiritual and cultural miracle». Ça commence à chauffer avec «See Me In The Evening». Les HouseRockers rockent the house, pas de problème. C’est une violente démonstration de swing, avec un côté cabane branlante dans le son. Hound Dog attaque son solo violemment, très bas. Chapeau, chaussettes, tout est là. Comme chez Wolf et John Lee Hooker, on ne voit que les chaussettes. Et dire qu’ils n’en portaient pas quand ils étaient gosses. Hound Dog est un fabuleux boogie man. Nouvel Heartbreaking Blues avec «Sitting At Home Alone», son de rêve, incroyablement sale. Un vrai cœur de métier. Ils redeviennent les rois de la désaille avec «One More Time». Nouveau shoot d’hysper-fast boogie en B avec «Roll Your Moneymaker», wild at heart, puis boogie déjanté avec «Buster’s Boogie». Il sait aussi faire le rampant, avec «Sadie» - I don’t love no one but you/ Dog cry I cry all night long - Il rend encore hommage à Elmore avec «Talk To My Baby», un look-alike de «Dust My Blues», mais ils ont une façon d’entrer dans le son qui vaut tout l’or du Rhin. Structure classique mais attaque géniale.

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             Avec ses trois coups de feu, Hound Dog envoie donc Brewer à l’hosto. Hound Dog sort du trou sous caution et veut continuer à jouer. Il demande à Iglauer de trouver un remplaçant. Iglauer propose à Magic Sam de remplacer Brewer, mais Magic Sam décline l’offre. Il a déjà son groupe. Mais c’est là qu’Hound Dog tombe malade. Il s’est chopé un petit cancer du poumon. La picole et les clopes. Ça va lui permettre d’échapper au tribunal pour homicide. Tous ses amis viennent le voir à l’hosto, Iglauer, Race, Harvey, et puis aussi Freddie et Lucy. Tout le monde sauf Brewer. Hound Dog insiste pour le voir, mais quand il était lui-même à l’hosto plus tôt dans l’année, Hound Dog n’est pas venu le voir. Alors Brewer fait pareil. Puis il finit par avoir pitié d’Hound Dog et il va le voir pour lui accorder son pardon.  

             — Nous ne sommes pas des chiens !, lance Brewer

             — Moi si !, répond Hound Dog.

             En le voyant dans cet état, Brewer comprend qu’Hound Dog ne sortira pas vivant de l’hosto. Hound Dog lui dit qu’il a une idée pour le groupe et lui demande de revenir avec Ted. Brewer lui dit qu’il revient avec Ted jeudi. Ils se serrent la main. Brewer dit :

             — I’ll see you, Jack. Hang in there.

             — Don’t worry. I’ll be around.

             Hound Dog ouvre les bras pour une accolade. Brewer se penche et le serre dans ses bras. Fantastique. La scène te fout par terre. Tu n’es plus dans le rock, tu es dans l’humain, dans ce qu’il y a de plus important au monde. Hound Dog a encore assez d’énergie pour serrer Brewer très fort contre lui. Brewer sent les ongles d’Hound Dog s’enfoncer dans son dos. Instinctivement, il comprend que c’est la dernière fois - It was the hug of a dying man - Matt Rogers fait là des pages spectaculaires, il tente de décrire les derniers instants d’Hound Dog qui voit défiler tout le chaos de sa vie - les loups, la croix du KKK, la violence urbaine de Chicago, la pauvreté, l’alcoolisme, la colère, le chaos, toujours le chaos, et il sombre dans le coma - Le 17 décembre 1975, Hound Dog s’en alla retrouver Kid Thomas et Little Walter et Elmore James et Robert Johnson et Peetie Wheastraw et Charley Patton - Et Rogers ajoute à la suite un autre symbole, celui qu’on entend sur Natural Boogie à la fin de «Goodnight Boogie», c’est-à-dire le dernier cut qu’il enregistra : on l’entend dire effectivement «Goodnight baby». Last words, of a kind.

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              Hound Dog : «When I die, don’t make a funeral. Have a party.» Alors, pour se remonter le moral, on peut écouter Beware The Dog. Hound Dog a cassé sa pipe en bois quand paraît Beware The Dog en 1976. C’est un album live. Boom ! «Give Me Back My Wig» ! Il faut entendre ce démon de Ted Harvey battre le beurre ! Hound Dog passe ensuite au big bad blues avec «The Sun Is Shining» et laisse son empreinte digitale dans le gamut spatio-temporel. Il sort une telle bouillie de son ampli crevé ! Il joue à la solace du grand Elmore. Attention avec «Kitchen Sink Boogie» ! Brewer joue lead. Il va partout, il rajoute des notes dans sa fluidité. Il en rajoute encore et encore. Une vraie plaie. Un jour sans fin. Une véritable incontinence. Un pluvieux, un déréglé, un pied dans la porte, celui-là ! Ils passent au country boogie blues avec «Comin’ Around The Mountain». Personne ne savait que ce genre existait. On trouve encore deux énormités en B. «Let’s Get Funky», proto-punk de Chicago, retentissant masterstroke, fabuleux de tension hypnotique, du Dog des enfers, joué à l’emporte-pièce. Hound Dog connaît forcément le North Mississippi Hill Country Blues pour jouer un truc comme ça. Il est tellement en avance sur son temps, il se marre - you alright ? Yeah ! - L’«It’s Alright» qui suit est une leçon de swing suprême donnée par le power-trio des origines du monde. C’est le boogie raw to the bone à deux grattes. Ted Harvey te bat ça souple. Les HouseRockers sont faramineux. Ils ne se connaissent pas de frontières. Pour eux, seul compte le son. Punk blues and attitude. On comprend qu’Iglauer se soit englué dans les HouseRockers. Et puis tu as les pochettes. Ça fait donc trois places réservées sur l’île déserte.

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             Les jusqu’au-boutistes d’Hound Dog iront aussi écouter la Deluxe Edition du premier album parue en 1999, pour se régaler du son remasterisé. C’est l’un des plus beaux disks qu’on puisse s’offrir. Puisque tout l’art du trio repose sur le son, le remastering donne des ailes aux vieux cuts d’Alligator. Il suffit simplement d’écouter «Wild About You Baby» pour tomber de sa chaise. Le son est sali à l’extrême. On retrouve la splendeur frelatée de «The Sun Is Shining» et «Roll Your Your Moneymaker» prend une allure de monstruosité cavalante. On retrouve aussi le swing outrancier de «Give Me Back My Wig» et «See Me In The Evening» est encore plus sournoisement beau que dans la version de 1974. On y goûte l’exemplarité de l’insidieux, le blues à ras la motte, très inspiré, contrôlé, humide et vibrant de pulsions animales. Leur version du «What’d I Say» de Ray Charles est rockée jusqu’à l’oss de l’ass. Avec «Rock Me», Hound Dog embarque tout le monde au foutoir. C’est un primitif qui sait rouler un heavy blues dans sa farine, voilà tout. Abominables giclées de slide dans «Take Five», puis boogie blues à la Hooky avec «She’s Gone» et enfin clin d’œil à Elmore avec «Ain’t Got Nobody». Hound Dog Taylor nous aura fait les quatre cents coups.

    Signé : Cazengler, Hound Dog t’aï l’heure ou t’aï pas l’heure ?

    Hound Dog Taylor & the House Rockers. ST. Alligator Records 1973

    Hound Dog Taylor & the House Rockers. Natural Boogie. Alligator Records 1974

    Hound Dog Taylor & the House Rockers. Beware of The Dog. Alligator Records 1976

    Hound Dog Taylor & the House Rockers. De Luxe Edition. Alligator Records 1999

     

     

    L’avenir du rock –

    EHPAD problème

     

             De temps en temps, l’avenir du rock se rend dans l’EHPAD du rock pour passer un moment avec quelques vieux copains. Ce sont toujours des moments joyeux. Pas de pathos. Rien que de l’énergie et des puits de connaissance. S’il t’accorde sa confiance, l’avenir du rock te dira que ces visites lui remontent le moral. Chaque fois, il a nettement l’impression d’entrer dans la cambuse d’une frégate de flibuste, ah il faut les voir, ces accidentés de la route du rock, ils ont les pattes qui flageolent un peu, le petit filet de bave aux lèvres, les mains qui bloblotent, mais côté ciboulot, ça turbine comme un réacteur de centrale nucléaire. Eh oui, ce carré d’as concentre un sacré morceau de la légende du rock : Dave Brock, Ian Hunter, David Thomas et Paul Simon savent encore se tenir. Ils savent qu’ils sont entrés dans la zone rouge, mais pas de problème, ils attaquent l’apéro au rhum et trinquent à la santé du Capitaine Flint. L’avenir du rock adore trinquer avec eux. Ils rigolent de bon cœur et racontent des souvenirs d’aventures tous plus extraordinaires les uns que les autres. Ils ont fait la légende du rock et le plus étonnant, c’est qu’ils continuent de l’alimenter. Chacun à sa façon. En bon débonnaire, l’avenir du rock leur dit qu’ils ont encore tout l’avenir devant eux. Puis il leur demande s’ils avancent sur de nouveaux projets, ce qui les fait bien marrer, car ils ne savent faire que ça, lancer des projets, alors ils remplissent les verres et charrient l’avenir du rock :

             — Ah ce que tu peux être con, avenir du rock ! T’as de ces questions !

             — Pas facile d’être au niveau de vieux crabes comme vous...

             — Mais non, t’as rien compris. Regarde-nous ! Est-ce qu’on la ramène ?

             L’avenir du rock comprend qu’il a encore perdu une occasion de fermer sa gueule. Il ne faut jamais faire semblant de s’inquiéter pour des gens qui n’ont pas besoin de ça. C’est une insulte à leur intelligence. Alors les quatre vieux crabes lèvent leurs verres et lancent à l’unisson :

             — EHPAD problème !

     

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             L’avenir du rock quitte l’EHPAD du rock sacrément ragaillardi. D’autant plus ragaillardi que ses quatre amis lui ont filé leurs derniers albums respectifs. Donc fauteuil, casque, rasade, écoute.

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             Comme chacun sait (ou ne sait pas), Ubu n’est jamais loin de Dada. Il en est même le Daddy. Boby (Lapointe) se serait bien amusé avec le Daddy de Dada, lui qui clamait haut et fort qu’avanie et framboise étaient les mamelles du destin. Ubu ramène son gros cul frippé et ses yeux pochés avec Trouble On Big Beat Street, du Dada pur et dur. Ubu travaille à l’artistique élastique exacerbée, l’apanage du Dada strut. Il travaille son argile au vinaigre. Il se veut âcre, le vieil empoté. Si tu n’es pas convaincu de la pureté de son dadaïsme, alors écoute «Nyah Nyah Nyah», qui est beaucoup plus grotesque. Ça a la forme d’un chou-fleur, avec un chant atroce. Oh mais ce n’est rien à côté de «Let’s Pretend», il croone comme un Bryan Ferry qui aurait un balai dans le cul, alors ça dépasse vite les capacités de ta sagacité. Encore plus weird : «Nothing But A Pimp» joué aux accords brutalement rabotés et ça continue de se déliter avec «From Adam», real deal de tourne-pas-rond. C’est pour ça qu’on est là, alors on ne va pas aller se plaindre. Globalement, Ubu règne encore en despote sur sa cavalerie de vieux crabes. Michele Temple est toujours là. Et les autres aussi. Ubu est tellement con qu’il s’imagine que le post-punk exacerbé intéresse encore les gens. Alors ça s’arrête et ça repart, comme à la pire époque. Mais mine de rien, tu plonges avec ravissement dans sa littérature frelatée d’hanging around. C’est malheureux à dire, mais ce gros escogriffe est essentiellement littéraire, comme le montre «Movie In My Head» - You see me coming/ You see me walking down the street - C’est très américain. Il rend hommage à Robert Johnson avec «Worried Man Blues», il chante à la pure Méricourt. Ubu, c’est toujours très spécial. Quand il plonge dans le satanisme sonique avec «Satan’s Hamster», ça fume. C’est plein de bad vibes à la Polanski. Pure hell ! Tu entends la voix du diable dans le chaos des enfers d’Ubu. Avec «Crazy Horses», il passe en mode heavy tagada Ubu, il chante d’une voix de vieux bouc dégoûtant, mais avec la force tranquille de François Mitterrand. Ah tu peux lui faire confiance, il te coule un bronze fumant quand il veut. 

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             Rien qu’à le voir sucrer les fraises, on ne le soupçonnerait jamais d’enregistrer encore à son âge d’aussi bons albums : Ian Hunter aura passé sa longue vie à édifier les édifices et à horrifier les orifices. D’où le titre de son nouvel album : Defiance Part 1. Un Part 1 qui en annonce un suivant, miam miam, et, petite cerise sur le gâtö, ça sort sur un label Sun ressuscité d’entre les morts. Avant de commencer à l’écouter, pince-toi pour être bien certain de ne pas rêver. L’Hunter-minable attaque son morceau titre en mode brillant fast rock. Le seul défaut, c’est qu’on y entend Slosh. Slosh, c’est encore pire que Stong ou Bonobo. Après, ça va mieux. L’Hunter-continental trempe dans le Dylanex avec «Bed Of Roses», comme au temps béni de Guy Stevens. Le vieux est braqué sur le passé, tare classique chez les vieux schnoques. Il invite Johnny Depp et Jeff Beck à jouer sur «No Hard Feeling». Le Beck tape son coup, il passe un solo de roi des îles, il sort le grand jeu, coups de wah et descente au barbu. L’Hunter de Milan bascule dans la magie. Il revient à Mott et à sa chère vieille Stonesy avec «Pavlov’s Dog». Guy Stevens voulait un cross Dylan/Stones et l’Hunter-national l’a incarné on peut dire à merveille. Et puis voilà Todd Rundgren sur «Don’t Tread On Me». Incroyable que Todd soit de la partie ! L’Hunter-marché allume bien au chant et Todd amène le surplus. Franchement, l’Hunter-cité sait composer. Tout est énorme sur cet album. Il y va le vieux crabe. L’«I Hate Hate» flirte avec le pur genius. Il invite Waddy Watchel à jouer sur «Angel». L’Hunter-mittent sait caler sa chique. Watchel joue les arpèges du paradis, ça s’élève largement au-dessus de la moyenne, même si, mélodiquement, c’est cousu de fil blanc. Voilà le hit de l’album : «Kiss N’ Make Up» avec Billy Gibbons. C’est tout suite allumé du Zizi. Ils vont bien ensemble, les vieux pépères. On assiste à l’alliance incertaine du British punter et du Texas rambler. Et là tu as le vrai son. Le Zizi enfonce son clou râpeux. L’Hunter-ligne finit en mode heavy boogie avec «This Is What I’m Here For», c’est son cœur de métier, le sel de sa terre, la prunelle de ses yeux globuleux, ah comme il est bon, il a toujours su chauffer le cul d’un cut, Guy Stevens l’avait bien compris.  

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             Il a l’air lui aussi complètement gâteux, le vieux Brock, mais si tu écoutes le dernier album d’Hawkwind, tu vas dresser l’oreille. The Furure Never Waits compte parmi les merveilles révélatoires de l’an 2023. Quel album ! Ça grouille de poux et d’outer-space, l’Hawk continue de fourbir son vieux bizz de buzz et pouf, voilà «The End», pur jus de Brock, ça gratte sec, Brock te refait le coup du big Hawk et ça vire proto, poto, t’en reviens pas ! Back to Notting Hill Gate 69, back to the wild as fuck des dopes et des domes, des ducks et des dudes, du doom et du moon, il faut voir l’Hawk plonger ses racines dans le vieux proto, ils connaissent par cœur l’équation magique : proto + punk = trente-six chandelles. C’est inespéré de pur genius d’Hawk sur le tard, ils descendent au barbu du meilleur rock anglais. Ces mecs vont vite en besogne, malgré leur âge avancé. Si tu te fais du souci pour l’avenir du rock, laisse tomber, tu as là du grand art de vieux briscards. Voilà qu’ils tapent le jazz-funk avec «They’re So Easily Distracted». Aucun problème d’articulation ni de circulation. Hawkwind reste aussi un groupe extrêmement sophistiqué. Ces mecs-là ne rigolent pas. Retour au proto avec «Rama (The Prophecy)», mais du proto de space rock, leur cœur de métier. Le vieux Brock reste dans l’esthétique Notting Hill Gate. Il reste un adepte de la prescience, alors à 80 balais, il y va de bon cœur. Prends exemple, amigo. C’est vite emballé et flanqué de tout le son du monde libre, tu ne battras jamais l’Hawk à la course. Ils finissent encore une fois par sonner comme des punks, ils grattent sans fin le ramalama d’Angleterre. Te voilà plongé dans le real deal. L’«USB1» rejoint les grands cuts de l’Hawk au paradis du space-rock et «Outside Of Time» explose littéralement sous tes yeux. Ils font du lard total, ça devient énorme, sidéral, avec des descentes spectaculaires, tu peux même écouter ça à jeun, tu voyages, c’est vertigineux, une authentique échappée belle, l’Hawk reste un groupe passionnant, aussi passionnant qu’au premier jour. C’est stupéfiant de grandeur marmoréenne, et quand on a dit ça, on n’a rien dit. Tu entres à nouveau sur le territoire de l’Hawk avec «I’m Learning To Live Today», c’est taillé dans une haie de riffs énormes, ça vibre de génie sonique, ils te fondent ça au mou dans l’œuf du serpent, back to Notting Hill, baby, mais avec de la grandeur apoplectique, ils t’envoient directement dans l’espace en perpétuant le riff ad vitam. Le vieux Brock termine cet album ahurissant avec «Trapped In This Modern Age» qu’il te claque en direct. Il n’en a plus rien à foutre. Il est entré dans la légende.

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             Et puis voilà l’autre asticot, Paul Simon. L’un des canards anglais a collé un 10/10 à son dernier album Seven Psalms, alors on est allé voir. Toujours la même voix et les grattés de poux sophistiqués. Il trace sa trace. Il attaque avec «The Lord» - The Lord is a virgin forest - Rien de plus que ce qu’on sait déjà. Pour la magie, il faudra repasser un autre jour. Il fait son petit biz. Ça peut durer une éternité, avec des mecs comme lui. Il enchaîne avec «Love Is Like A Bread» qu’il chante à l’agonie. On le sent aux abois. Mais aucune magie à l’horizon. Ça commence à sentir l’arnaque avariée. Avec les vieux, il faut faire gaffe. Ils peuvent te claquer dans les pattes. Tu veux zapper. Impossible. Ça reste sur le 1 ! T’es baisé. T’es obligé de tout écouter, même si ça ne te plaît pas. Tu maudis le journaliste anglais qui a collé 10/10 à ce tas de mormoille. Du coup on est obligé d’écouter toutes les conneries de cette vieille moute, et ça devient vite insupportable. Plus rien à voir avec «The Sound Od Silence» et «Homeward Bound». Il entre dans la forgiveness avec «Your Forgiveness», mais on ne lui fait pas confiance. Vieux pépère pitoyable, ridicule, avec sa vieille guitare. Rien que de la pipe en bois en devenir. On s’ennuie comme un rat mort. Popaul est d’un ennui mortel. Quelle arnaque intolérable ! Mine de rien, le label qui a tout mis sur la piste 1 a réussi à couler un Popaul en panne d’inspiration. Coulé, comme à la bataille navale.

    Signé : Cazengler, bon pour la casse

    Pere Ubu. Trouble On Big Beat Street. Cherry Red 2023

    Ian Hunter. Defiance Part 1. Sun 2023

    Hawkwind. The Furure Never Waits. Cherry Red 2023

    Paul Simon. Seven Psalms. Owl Records 2023

     

     

    Inside the goldmine

    - Strangers in the Knight

     

             Rendez-vous avait été fixé par elle sur la place d’un village perdu au fond de l’Essonne, quelque part au diable Vauvert. Comme il venait du grand Ouest francilien, le périple représentait plus d’une centaine de kilomètres. Il faillit bien arriver en retard. Il fit son entrée dans le village à grande vitesse et à l’heure dite. Il trouva sans mal la place de la mairie et aperçut au loin cette très jolie blonde négligemment adossée à sa voiture de sport. Ses yeux clairs dardaient. Son front lisse quasiment dépourvu de sourcils accentuait jusqu’au délire le côté extrêmement perçant de son regard. Elle avait un petit côté slave à la Marina Vlady. Elle dégoulinait tellement de sensualité qu’elle frisait l’image d’Épinal. Leur premier échange de regards fut celui de bêtes fauves. Ils se toisèrent longuement, à courte distance. Il s’en fallut de peu qu’ils n’allassent se flairer. Se dressait là une belle louve dans la pertinence de sa quarantaine. Ses cheveux blonds étaient tirés vers l’arrière et le manteau sombre qu’elle portait enveloppait son corps de mystère. Sans transition, il exprima le désir de boire un verre, car disait-il, la traversée de la Sierra Das Mortes avait été un enfer - J’ai le gosier aussi sec que le cul du diable ! - ce qui la fit sourire. Elle indiqua qu’à cette heure, la seule taverne des alentours avait fermé ses portes et donc, elle proposa d’aller boire un verre chez elle - J’habite à deux pas ! - Alors d’accord ! Les deux voitures prirent la direction du soleil couchant et allèrent s’échouer mollement devant une maison isolée qui ressemblait à celle d’un garde-barrière. Ils entrèrent et furent accueillis par une belle odeur de moisi. Les murs de l’entrée étaient littéralement rongés par une lèpre d’humidité. Les pas y résonnaient. Le salon se fit plus accueillant, tout en longueur, douillet, bien chaud. De grosses poutres anciennes en ornaient le plafond, campagne oblige, et une banquette cossue tendait ses bras de chêne verni. Impossible de lui résister. Elle proposa l’habituelle collection d’apéritifs en tous genres. Il opta pour le scotch. Elle prit place en vis-à-vis et la conversation roula gaiement sur les collines rebondies de sujets variés. Elle se trémoussait en jupe de cuir assez courte. Au troisième verre de scotch, il lui proposa de changer de côté pour venir s’installer à côté de lui sur la banquette. Elle ne se fit pas prier. Dix secondes plus tard, il indiqua qu’il crevait d’envie de lui rouler une pelle. Il mit tant de sincérité dans sa requête qu’elle accepta sans discuter. Puis les langues s’en mêlèrent. Il perçut en elle l’imminence d’un orage. Pour corser l’affaire, elle offrait le spectacle d’un décolleté vertigineux. Elle bomba même le torse pour faciliter les initiatives. En matière de  préliminaires, elle pulvérisait tous les records. Les deux libidos rissolaient dans leur jus. Il s’octroya une reconnaissance sous le cuir de la jupe. Elle desserra les cuisses et il glissa un doigt sous la dentelle d’une culotte minimale. Il s’arrêta immédiatement - Tu es rasée ? - Elle plongea son regard perçant dans le sien - Ben oui. T’aime pas ? - Il se versa un verre de scotch et le remplit à ras bord, avant de s’élancer dans un couplet alchimique sur le thème de la Toison d’Or - Hermès Trismégiste insiste beaucoup sur ce point dans ses Tables d’Émeraude ! - Elle ne comprenait rien. Il vida son verre, se leva et avant de quitter la pièce, lui dit : «Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut, et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas. N’oublie jamais ça !»

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             Contrairement à ce qu’on pourrait croire, Jean Knight n’est pas un mec. Elle n’est pas non plus alchimiste, même si son nom la relie plus ou moins directement à la chevalerie et donc à l’âge d’or de la Toison d’Or.

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             La confusion vient de la pochette de Mr Big Stuff. Chaque fois qu’on croisait cet album dans un bac Soul/funk, on croyait que Jean Knight était le gros lard qui se pavane sur la pochette. Non, Jean Knight est une petite blackette originaire de la Nouvelle Orleans, découverte par Wardell Quezergue et lancée par les cocos de Malaco. «Mr Big Stuff» fut d’ailleurs l’un des premiers hits enregistrés chez Malaco, avec le «Groove Me» de King Floyd. La particularité de «Mr Big Stuff» est d’être monté sur les accords de «Walk On The Wild Side», même torpeur groovytale - Who do you think you are ? - La jeune Jean remet le gros lard en place. On trouve un petit coup de génie en fin de balda, «Take Him (You Can Have My Man)», heavy Soul de Malaco r’n’b claqué au riff vengeur. La jeune Jean flirte avec le génie du Black Power. On la voit aussi à l’œuvre sur «Don’t Talk About Jody». La jeune Jean est une bonne Soul Sister, une fière danseuse. On retrouve l’excellent Malaco r’n’b en B avec «Call Me Your Fool (If You Want To)», un r’n’b bien foutu et qui n’a pourtant rien à voir avec celui des voisins d’Hi ou de Stax. Il sonne différemment : la jeune Jean amène tout simplement une coloration New Orleans. On se régale aussi d’«One Way Ticket To Nowhere», ça reste de très haut niveau.

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              Malgré sa belle pochette, l’album de Jean Knight & Premium Keep It Comin’ est raté. Trop diskö pour les gueules à fuel. Il faut attendre «What Are We Waiting For» pour revenir au groove de la Nouvelle Orleans, mais ça vire atrocement diskö. Au vu de la pochette, on croit choper un bel album de Soul, mais pas du tout. On chope surtout une belle déconvenue. Le cut sauveur d’album se planque en B : «Anything You Can Do». C’est le funk qui sauvera le monde ! 

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             My Toot Toot paraît en 1985. Allen Toussaint est dans le coup, alors c’est du tout cuit. On a là un pur album New Orleans. Le morceau titre en est l’un des emblèmes - Dont mess with my toot toot - Fantastique beat cajun ! Elle retape son «Mr Big Stuff» au ah-ah yeah et les chœurs font ouuuh ! Ah il faut voir Jean rapper son fromage de who do you think you are. Puis elle rend hommage à Shirley & Lee avec une belle cover de «Let The Good Times Roll», d’autant plus somptueuse que jouée à l’accordéon. Si tu en pinces pour le beat Cajun, te voilà au paradis. 

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             Shaki De Boo-Tee ? On peut y aller les yeux fermés, même si avec «Bus Stop», ça démarre sur la diskö de la Nouvelle Orleans, mais c’est forcément bien foutu. Bien joué, Miss Jean ! Elle arrache son arrache au groove de heavy Bus Stop, elle est superbe, c’est même violemment bon. Elle tient la rampe de l’all nite long. Son «Bill» est un heavy slowah qui sent bon les origines de la racine. Mais c’est avec l’exotica du morceau titre qu’elle va rafler la mise. Schlooof ! Dans le genre, c’est assez puissant. Pur jus de New Orleans ! Elle passe au Cajun boogie avec «Rockin’ Good Way» et duette avec un sacré lascar. On ne sait pas comment il s’appelle, mais bon, c’est pas grave. Elle reste dans le Cajun avec «Lover Please», groove des enfers joué à l’accordéon, ça jerke chez les Cajuns, ne l’oublie jamais. Jean Knight ramène la fabuleuse persistance du groove Cajun. Nouveau temps fort de l’album avec «Who Is She (And What Is She To You)». Elle ramène du son à chaque cut, elle te groove ça à la Knight, tout l’album est bon, elle ne lâche rien, elle chante à la vie à la mort, elle gère sont «Don’t Break My Heart» au heavy groove de break my heart. On sent la black d’âge mur dans «Gonna Getcha Back», elle pèse ses mots - Out of my mind - et elle finit cette excellente virée avec deux enregistrements live, son vieux «Mr Big Stuff» qu’elle rappe, et «My Toot Toot» qu’elle tape en mode Cajun avec une énergie démesurée - Don’t mess with my Toot Toot !

    Signé : Cazengler, knight in white sauterne

    Jean Knight. Mr Big Stuff. Stax 1971   

    Jean Knight & Premium. Keep It Comin’. Cotillon 1981

    Jean Knight. My Toot Toot. Mairage 1985       

    Jean Knight. Shaki De Boo-Tee. Ichiban records 199

     

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    La première chronique de la rentrée ne sera ni longue ni joyeuse. L’annonce du concert du 27 juin dernier était le dernier des Crashbirds. Les cui-cui ne voleront plus ensemble. A la croisée des chemins Delphine Viane et Pierre Lehoulier ne suivent plus le même sentier. . Un coup au cœur, cela doit faire dix ans que nous les suivions, concerts, disques, vidéos, illustrations… Une image, un son, un concept : les trois clefs nécessaires à l’existence d’un grand groupe. Ils avaient tout, nous n’aurons plus rien. Certes un dernier album Unicorn devrait sortir… nous en avions déjà chroniqué les premiers morceaux… il nous reste un goût amer dans la bouche. Ce n’est pas la fin du monde, sûrement celle de la fin d’un monde, le nôtre puisque nous le partagions avec eux deux, leur talent, leurs sourires, leur ironie… Nous souhaitons à Delphine et à Pierre que leurs nouvelles vies soient douces.

    Damie Chad.

     

    *

    Deux formations françaises ont sorti en plein mois d’août une vidéo sur YT, deux sons différents, deux univers psychologiques divergents, deux groupes que nous aimons et suivons. Il est temps de regarder et d’écouter, Paul Claudel n’a-t-il pas décrété que l’œil écoute.

    ASHEN

    Reprenons le récit de l’histoire en train de se dérouler. Dans notre livraison 545 du 10 /03 / 2022 nous chroniquions quatre vidéos d’Ashen, : Sapiens, Hidden, Outler, le 18 / 05 / 2023 (in 595) c’était avec quelque retard au tour de Nowhere. Erreur fatale au mois de mai dernier nous avons fait l’impasse sur Angel.

    ANGEL

    ( Production : Ashen + Bastien Sablé )

    ( Official Music Video / 11 - 05 - 2023)

    Poully : bass / Tristan Broggeat : drums / Clem Richard : vocal : / Antoine Zimer : guitars / Niels Tozer : guitar, additional vocals / Thibaud.

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    Ne soyez pas déçus comme moi lorsque se profile les silhouettes noires du groupe après les quinze premières secondes cramoisies de l’intro, non ce n’était pas de la déception, mais de la peur, que ce cinquième opus d’Ashen ne soit pas au niveau des quatre précédents, après la foudre, après la chute de l’ange, après le foudroiement, un simple orchestre de rock, ils veulent rire, ce que l’on attend c’est du drame, de l’épopée, du grandiose. C’est exactement ce que nous offre Ashen. Attention, pas du pompier, pas du rutilant, pas du toc, non, du déchiré, du mythe, et pire que cela de l’amour. Donc un truc risible et cucul la praline, dans le texte anglais ils emploient un mot plus fort, non pas pour remplacer le mot love mais le mot armor qui signifie armure, désormais tout est dit. La vidéo peut se dérouler.

    Je ne crois pas que Bowie nous ait donné un clip aussi fort. La violence du rock’n’roll et la démesure humaine. L’ange n’est pas tombé bien loin, l’est enraciné dans la chair de Clem, avez-vous déjà entendu un mime hurler aussi fort. Superbe performance, l’ange est emmailloté dans le lange du corps de Clem, l’ange est folie, il est l’autre moitié de soi-même, celui qu’il faut tuer à moins que ce ne soit lui qui ne vous tue. Qui tient la flèche, qui tombe, n’est-ce pas vous qui forcez les portes du paradis dans lequel vous vous êtes enfermé ? Inversion des valeurs dirait Nietzsche. La métaphysique du désir psychique au tir à l’arc d’Apollon.

    Autrement dit dans le miroir où la démence furieuse se contemple vous n’apercevez que des éclats de beauté. Vous recevez la puissance du son et l’image, mouvante, d’une plénitude incertaine, des visions purpurales et des entailles d’engrammes… un montage d’une dextérité époustouflante, Bastien Sablé a su rendre l’impact sonore d’Ashen, chaque plan cisaille vos yeux et s’efface pour mieux s’incruster en vous comme une graine dont vous êtes incapable de prévoir à quels futurs excès elle vous conduira.

              Ashen est un groupe à part qui se distingue de tous les autres par une démarche créatrice originale d’une grande exigence formelle sans rien renier de l’essence libératoire du rock. Ashen témoigne d’une époque où les espaces de liberté collective s’amenuisent subrepticement, à tel point que l’individu surpris et désemparé se retrouve enfermé en une extrême solitude.  

    SMELLS LIKE TEEN SPIRIT

    ( Official Music Video / 04 - 08 – 2023 )

    ( Réalisation Alexis Fontaine)

    Dans la vie il faut s’attendre à tout, mais pas à ça. Sixième vidéo : Ashen se permet une reprise, pas un antique morceau de blues que seuls de par le monde douze ou quinze fanatiques connaissent et dont l’attribution est des plus incertaines.  Faut un culot certain pour s’attaquer au titre phare de Nirvana. C’est comme la porte du paradis vous pouvez cogner dessus de toutes vos forces sans qu’elle s’ouvre.  Aux âmes bien trempées dans le métal depuis leur plus tendre adolescence il n’est aucune formule d’orichalque qui ne soit interdite. Sur leur FB, dans un reels, Clem s’en explique en quelques mots vindicatifs : ‘’ Nirvana was the band that got me into rock music. So we decided to do a cover.’’ Rien à rajouter. Clair net et précis.

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             Une reprise ne saurait être une copie conforme. Une couve de Nirvana par Ashen doit d’abord avant tout ressembler au niveau sonore à du Ashen. Pas de déception le son est dans le droit fil des vidéos précédentes. Ashen ne singe pas et ne songe pas à se renier. Pour vous en convaincre regardez d’abord l’Official Music Video de Nirvana, celle avec les pom pom girls. Pour les images, Alexis Fontaine puise à la bonne source, celle de la dernière tournée d’Ashen avec While She Sleeps et Resolve, l’a réalisé l’irréalisable, une espèce de structure sonore dont l’arête des images s’estompe à peine apparues, un tourbillon tempétueux, il témoigne de sa présence par le fait même qu’elle s’absente         alors que la réalisation de Nirvana reste tributaire d’un art encore engoncé dans les représentations des tournages-télévisés. Ashen exhale un côté arty parfaitement assumé.

             Kurt crève l’écran, Clem le creuse. Question de personnalité, question d’époque. La rage désespérée de Kurt est encore un signe sinon d’espoir mais de rébellion, Clem est le reflet d’une génération qui n’y croit plus, les idéaux sont morts, il ne subsiste que des blessures, des trous béants dans lesquels l’individu se tapit et se réfugie dans une atonie de souffrance infinie. Les vers fourmillent généralement dans les cadavres, mais avant la mort l’on arrive à ce stade ultime où ils vous bouffent la tête du temps de votre vivant. Ce n’est pas que le futur n’existe plus, c’est que l’on traverse le vide de son absence. Et que l’on continue à vivre. Malgré tout. Malgré rien.

             Pas vraiment une adaptation. Une relecture éblouissante.

    Damie Chad.

     

    *

    Dans notre livraison 602, nous accueillions pour la première fois The Evil’s Dogs pour Havi destiné à être le titre d’ouverture de leur EP : Tales of the Ragnarock. Ils n’ont pas chômé cet été puisqu’ils présentent le deuxième titre :

    THUNDER

    THE EVIL’S DOGS

    ( Official Ia Music Video  / 13 - 08 – 2023)

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                 Des acharnés de la mythologie nordique – elle se prête à merveille aux grandes épopées sonore des groupes de hardrock - Havi était une ode de bruit et de fureur élevée à Odin le dieu des dieux, celui qui sacrifia un de ses yeux pour accéder à la connaissance, celle qui prédit la fin des Dieux lors du Ragnaröck, ultime combat qui opposera les Dieux, parmi tant d’autres monstres, à Fenrir le loup et aux ‘’chiens du mal’’…            

               Thunder est un chant élevé à la gloire de Thor, le dieu dont le marteau déclenche la foudre et le tonnerre dès qu’il le lance sur ses ennemis. Thor appelle tous les vikings morts à la guerre pour s’entraîner pour le dernier combat le Ragnaröck dont il annonce la venue. Au vu de la thématique l’on pressent que le morceau ne s’écoulera pas tel un long fleuve tranquille…

    Alex Lordwood : chant / Nico Petit : guitare / Agathe Bonford : basse / Michel Dutot : drums. Izo Diop : guest guitar ( From Trust ).

             Petite notification avant de commencer : peut-être aimez-vous le changement. Les douze premières secondes de la vidéo vous présentent la même image employée pour leur premier titre, patientez à la treizième fatidique vous changez d’univers. Peut-être pensez-vous que la mythologie scandinave c’est bien mais que depuis le monde a évolué. Vous ne pouvez trouver plus moderne. A la pointe de la technologie, utilisation de l’Intelligence artificielle pour illustrer le sujet. Trois sociétés ont apporté leur savoir-faire technologique. Les images produites me semblent procéder de deux sources différentes, des décors des premiers jeux-vidéo des années quatre-vingt-dix eux-mêmes issus des dessins pour livres documentaires historiques géographiques et animaliers destinés aux enfants in the seventies et de la peinture historique du dix-neuvième siècle que l’on qualifie hâtivement de pompière alors que son imagerie est aujourd’hui à la base de nos représentations imaginaires. L’influence filmique et de la BD ne sont pas non plus à dédaigner. Les tressautements infligés à ces images d’Epinal emmagasinés dans notre cerveau sont-ils à interpréter comme l’indication que nous avons affaire à des leurres qui ne reposent que sur des intuitions médiumniques ou d’hypothétiques réalisations humaines… Première vidéo rock de ce type que je visionne. Je suppose que ce ne sera pas la dernière.

             Par contre pour la musique il n’y a pas photo, trois coups de caisse claire et vous avez un nappé onctueux de guitare qui recouvre toute la plaine d’Asgard, le type d’intro dont vous rêvez, pour le coup vous ne faites plus gaffe aux images, une basse bourdonnante noyée dans un flot d’électricité, vous n’en demandez pas plus vous êtes comblé, vous avez simplement oublié qu’avec cette meute de chiennerie le mieux est toujours certain, trois nouveaux  petits coups de baguette magique, et hop vous réalisez qu’il manque un truc important, à la première syllabe prononcée Alex Lordwood vous envoûte, vous attendez un vocal enragé un tumulus de haine froide, une stridence sanguinaire, oui vous avez tout cela mais sans effusion de laryngite, sa voix détient tout cela comme la graine contient Yggdrasil, d’une amplitude extraordinaire elle se colle aux guitares comme l’écaille au serpent, mais cette chasse sauvage apporte en plus ce sentiment de la réversibilité des choses, cette nostalgie que ce qui est aujourd’hui, un jour, bientôt, ne sera plus, vous attendiez une brute sanguinaire, et c’est la sagesse d’un scalde qui s’impose,

    Encore trois petits tapotements du destin et la course frénétique reprend et flamboie, une guitare s’élève pointue comme la cime glacée d’un pic étincelant, que domine les derniers rayons d’un soleil déjà éteint de la voix lordwoodienne, surgit en final une apothéose de guitares  menée au triple galop sleipnirique d’une batterie qui depuis le début mène et scande la charge.

             Superbe. Si vous trouvez mieux passez moi un coup de fil. Electrique.

    Damie Chad.

     

    *

    Un mail de Lionel Beyet m’annonce la sortie d’un disque du groupe In Der Welt sur le label P.O.G.O. Records, In Der Welt, j’aurais certainement été au courant tout seul puisque je fais régulièrement un tour sur le site du label, le nom m’aurait interpellé, de l’allemand certes, ils sont français de Clermont Ferrand, mais pour les amateurs de philosophie, j’en suis un, la formule sonne aux oreilles, serait-ce un hasard, non puisque deux titres de l’album ne sont pas non plus sans résonnances heideggerriennes. 

    Heidegger n’est pas en odeur de sainteté parmi nos élites. Il est vrai qu’avant tout le monde il a clairement énoncé et annoncé l’arraisonnement de la pensée humaine et de la nature par la technologie. Il a aussi tracé une ligne de démarcation essentielle entre la pensée philosophique et la croyance (usez du terme ‘’pensée’’ si vous préférez) religieuse. C’est dans ce retour au fondement de la pensée philosophique dans l’originelle pensée grecque, comprenez une pensé a-chrétienne, qui lui a valu au début des années quatre-vingt une espèce de mise en accusation idéologique masquée sous des reproches politiques. J’ai pour ma part, en d’autres lieux, beaucoup écrit sur ce sujet. 

    Mais il est temps d’écouter In Der Welt.

    L’album est sorti en février 2023 sous forme d’une K7 (Les Disques Bleus). N’ayant pas laissé les amateurs indifférents la sortie en CD sur un label plus important s’est imposée.

    IN DER WELT

    ( Pogo 176 / Août 2023 )

    Thomas : guitare / Arno : voix / Aurélien : basse / Julien : batterie, artwork.

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    Persona : quel vocal, attendez-vous à être haché dans les mandibules d’un insecte géant, heureusement qu’à la fin une voix vous parle et vous réconforte en affirmant que vous êtes infini, de quoi vous redonner confiance  après ce déluge sonique qui vient  de s’abattre sur vous, post-metal hardcore si vous voulez, avec des instants de rémission, basse élastique, éboulements battériaux, lentes agonies, emphases atterrantes, ne portez aucun espoir en ces oasis, le sable du désert les a déjà ensevelies et la tempête reprend de plus belle, pas de panique votre avenir est certain, rien de bon ne peut vous arriver en ce monde. Ou dans le monde. Vous n’êtes personne, qu’un humain parmi des millions d’humains, vous portez tous le même masque, vous jouez tous le même rôle, interchangeables, le nihilisme serait donc l’essence de l’homme, la violence de ce premier morceau vous enjoint de répondre oui. Solace : ce n’est pas un morceau lent, disons qu’il se déplace lentement, une espèce de dinosaure freiné par son propre poids et qui se traîne en saccageant tout sur son passage, l’instrumentation s’en charge, pour vous aider à comprendre ils ont sorti une vidéo, non il n’y a pas de mastodonte antédiluvien, simplement un homme qui marche dans un désert sans fin, l’est étrangement accoudé sous son espèce de cape vampirique, ressemble au portrait caché du dernier des hommes nietzschéens revenu de tous ses accaparements, un peu comme vous quand la jeunesse s’effiloche, que tout fout le camp, que vous ne savez plus quoi devenir et que vous avancez vers vous ne savez quoi. Le morceau ne s’appelle pas Réconfort par hasard, notre dernier des survivant à lui-même trouve un cristal de roche, par réfraction il allumera un feu, qui le rassérènera, il s’incline vers la terre, il la salue, le monde lui insuffle son infinitude. Watchtower : il est devenu le gardien de la tour de guet, marche militaire quasi guillerette au début, vocal enragé, notre homme est prêt à bouffer le monde, à l’avaler d’un seul coup comme une pomme mal cuite, il semble qu’au bout de moment, il doute, la musique ralentit, mais il repart comme en quarante, l’est prêt à tous les combats, car vous ne vaincrez jamais si vous ne combattez pas, la musique devient assourdissante, elle froisse vos tympans, pourquoi tant de haine, d’appetite for the auto-destruction, une interview radiophonique vous apporte la solution, l’homme cède à sa propre pulsion de mort, il a besoin de mourir puisqu’il est une créature mortelle. Dans votre tour de guet le seul évènement notable qui apparaîtra sera la grande faucheuse qui se dirige vers vous… C’est-elle que vous attendiez. Dasein : terme ô combien Heideggerien, vous pourriez le traduire par existence, par votre manière d’être-là dans votre existence, en d’autres termes votre dasein est votre destin, In Der Welt n’a jamais joué aussi fort, aussi rapide, aussi percutant, voix et instruments pressés, atomisés, dans le mixer de la vie, tout passe trop vite, à la fin vous n’êtes plus là et la bobine biographique du film de votre vie tourne à vide. L’on n’échappe pas à ce que l’on est. Vous ne rajouterez rien de plus. Totem : un peu de répit dans ce monde de bruit et de fureur. Est-ce da la pluie revivifiante qui tombe, qui trombe, imaginez un théâtre d’ombre, un peu comme la caverne platonicienne, c’est vous qui agitez vos propres figurines, au début le jeu est plaisant, bientôt vous vous apercevez de l’inanité de votre occupation, même vos poupées totémiques deviennent harpies et se transforment en oiseaux de proie, qui vous attaquent, la musique fonce sur vous en piqué pour vous vous crever les yeux et vous défoncer la cabosse, n’oubliez pas ce qui vous tue est plus fort que vous, pas la peine de s’exciter. Certains jouets ne sont pas à mettre dans toutes les mains, non recommandés tant que vous n’êtes pas mort. Bye anxiety : cri libérateur, il est inutile de céder à l’angoisse heideggerienne qui étreint l’homme que la mort prive de son âme, hurlements orgasmiques, danse nietzschéenne, guitare, basse et batterie se détendent, elles atteignent à une plénitude encore jamais atteinte sur l’album, sûr une voix off nous prédit qu’après 2030 ce sera trop tard, et alors ? L’important n’est-il pas de vivre intensément tous les moments de notre vie, fussent-ils les derniers ou les avant-derniers. Well  done friends : feast of friends, acceptation nietzschéenne, amor fati, amour du destin qui nous est imparti, que nous nous sommes impartis, violence et grandiloquence, générique final de notre existence, une voix chuchote, que dit-elle, cela n’a pas d’importance, quelques bruits d’enfants de chiens peut-être… peut-être pas… il faut prendre ce qui est donné… Control : prendre le contrôle de sa vie, la voix ne hache plus, elle chante, joie et triomphe, intumescence backgroundale, ramdam total, le vent déferle, il emporte l’univers en une bourrasque vertigineuse, désormais vous êtes la guerre. Slow motion : changement de donne, et si tout cela n’était qu’illusion, n’est-il pas nécessaire de regarder le monde tel qu’il est, un désert de glace pétrifié, un antre obscur, aucune lumière dans la caverne de Platon, sursauts violents de vitalité, notes égrenées ambigües, tristes, nostalgiques, ironiques, la voix off est recouverte, engluée par le magma sonique, tout à la fin l’on n’entend qu’un seul mot. Vide. Le nihilisme n’aurait-t-il pas été surmonté. Serait-il insurmontable.

             De toute beauté, une musique noire, enfiévrée mais glaçante, un art qui se rapproche du dressage équin, qui exige maîtrise et dextérité, du post-metal hardcore philosophique. Une espèce rare, donc précieuse. Du grand art.

    Damie Chad.

     

    ROCKFLEXIONS ( 1 )

     

    Pour Madame Bellas,

    Les idées, quand elles ne sont pas platoniciennes, vont et viennent. Font trois petits tours dans notre cerveau, en règle générale, à part quelques unes qui nous sont chères, elles se tapissent dans un coin et se font oublier. Une pensée est le résultat d’un phénomène beaucoup plus élaboré. Elles naissent du télescopage de deux idées entre lesquelles nous n’avions jamais établi la moindre corrélation. Jusqu’au jour où se produit le déclic fatidique. La foudre qui surgit de l’entrechoc de deux gros nuages porteurs d’électricité statique n’agit pas autrement.

    Fin juillet dernier ( voir livraison 609 ) après la fin du concert de Juke Joints Blues nous discutions, quelle surprise,  de rock ‘n’roll avec Chris Papin… Une thématique connue : pourquoi notre génération avait-elle été à ce point traumatisée par cette musique. Vous connaissez la réponse : à l’époque il n’y avait rien d’autre. Et tous deux de raconter à preuve comment le soir dans notre lit, l’oreille sur le transistor nous attendions les fameuses séquences blues et rock de Pierre Lattès dans le Pop Club de José Arthur sur France Inter…

    Souvenirs, souvenirs. Oui, c’est quelques jours plus tard, alors que je ne pensais pas particulièrement à cette conversation qu’une évidence fulgurante s’est imposée à mon esprit. Alors que Chris et moi avions affirmé haut et fort qu’aucune autre génération avant nous n’avait faute de moyens technologiques appropriés pu expérimenter un tsunami musical aussi dévastateur, un démenti cinglant me fut infligé… par moi-même.

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    Comment depuis des lustres avais-je pu faire une telle impasse mentale alors que je n’ignorais rien d’un tel tohu-bohu intellectuel similaire qui s’était déroulé au dix-neuvième siècle notamment en France. La musique wagnérienne en fut la cause. Certes l’on ne pouvait écouter la musique de Richard Wagner à la radio ou acheter ses disques. Mais l’élite artistique européenne, peintres, musiciens, poëtes, comprirent que l’inouï venait de se produire. Je ne veux pas dire que l’on n’avait encore jamais entendu une musique si tonitruante, certes la rutilance des cuivres emplissait les oreilles, c’était autre chose qui était en jeu, de par sa magnificence l’écriture et le projet wagnériens imposaient un diktat existentiel aux auditeurs.

    Le monde n’en n’avait pas été changé, simplement désormais l’on ne pouvait plus continuer de vivre comme avant, votre vision du monde et votre attitude sous l’impulsion dévastatrice de cette entreprise musicale titanesque devenaient différentes, sur l’échiquier du vécu vous n’étiez plus un pion qui subissait votre destin, mais vous deveniez votre destin-même puisque vous vous imposiez l’obligeance de prendre en main la totalité des paramètres de votre existence. La vie devenait une suprême exigence.

    Ainsi le rock’n’roll.

    Damie Chad.

     

                                                                                                            

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 34 ( strombolif ) :

    192

    L’interphone de l’ascenseur grésille :

              _ Papa, sauve le petit chat, ne le laisse pas faire !

              _ Alice ne te mêle pas de ça, raccroche cet interphone et file au lit !

              _ Non Papa, je descends par les escaliers, je viens sauver le petit chat, essaie de te faire tuer avant le petit chat, je le récupèrerai !

               _ Ne vous donnez pas tant de mal, nous vous apportons tout de suite le chaton !

               _ Merci Monsieur, vous êtes trop gentil.

    193

    Quand nous entrons dans l’appartement, Alice arrache le chaton des mains de son père et s’enfuit dans sa chambre :

              _ Je m’occupe de lui, seuls Molossito et Molossa ont le droit de me suivre. Ce sont des héros ! Ce sont les copines qui vont être jalouses !

    La porte se referme vivement sur elle et les animaux.

    194

    Le père d’Alice assis sur un des canapés du salon a besoin de reprendre ses esprits. Tout sourire Carlos qui s’est adjugé le rôle de barman lui tend un grand verre de whisky empli à ras-bord :

              _ Buvez cela, vous avez besoin d’un petit remontant, excusez-moi pour la mise en scène mais sans cela vous n’auriez jamais voulu nous recevoir !

              _ J’avoue que les évènements se sont enchaînés si vite depuis que j’ai ramassé cette bestiole que je n’y comprends rien, si quelqu’un voulait bien m’expliquer !

             _ Avec plaisir Monsieur, le temps que j’allume un Coronado, je laisse l’agent Chad vous expliciter le coup du chat !

    195

    Je m’éclaircis la voix, je sens que ça va mal se passer, tant pis j’assume :

              _ C’est très simple, en début d’après-midi j’ai passé un coup de fil à votre fille ! Pour le numéro, celui de votre appartement est dans l’agenda interne du personnel de la Bibliothèque François Mitterrand, dont vous êtes le directeur, je me permets de vous le rappeler.

              _ Comment avez-vous osé, téléphoner à une enfant, c’est un scandale de quel droit, je me permets de préciser que si elle est en troisième, elle a deux ans d’avance, c’est une honte !

              _ Une enfant douée certes mais malheureuse, son rêve serait d’avoir un chat et vous ne vouliez pas, alors nous lui en avions procuré un !

              _ Je n’avais pas besoin de vous j’en ai trouvé un tout seul !

              _ Pas tout à fait Monsieur, j’ai chargé mes deux chiens de trouver un chaton abandonné et de le glisser derrière vous quand vous rentriez chez vous, ils ont magnifiquement rempli leur mission, vous pouvez les féliciter, sans eux votre fille serait malheureuse et pleurerait en cachette dans son lit comme tous les soirs comme elle me l’a confié au téléphone !

             _ Moi c’est la Brigade des Mineurs que je vais appeler, à l’instant !

    196

    Le Chef a manifestement terminé d’allumer son Coronado :

              _ Ne vous donnez pas cette peine, c’est inutile, le SSR, Service Secret du Rock ‘n’Roll, est hiérarchiquement au-dessus de tous les services de police et de gendarmerie du pays, seules les autorités suprêmes de l’Etat ont barre sur nous, laissons votre fillette en-dehors de cette affaire, peut-être voudrait-il mieux que vous parliez de sa mère !

    Le père d’Alice est devenu livide, il s’effondre sur son siège, Carlos se hâte de lui tendre une nouvelle médicamentation, il se tait un long moment, avant de se mettre à parler à voix basse :

              _ Quand je vous ai vu arriver en trombe dans la bibliothèque pour exiger le bouquin d’Oecila, j’ai compris que vous finiriez par tout savoir. J’ai essayé de me renseigner sur vous, c’est pour cela que nous avons fini par nous rencontrer sur le parking de Disney…

    Le chef emprunte une voix de psychanalyste éprouvé :

              _ Oui, oui, nous comprenons, mais votre épouse, parlez-nous d’elle, vous verrez, cela vous fera du bien !

              _ Quand je suis sorti premier de l’Ecole des Chartes, le ministère m’a proposé un stage à Moscou, j’ai accepté,  j’ai vite repéré dans le groupe d’étudiants à qui je donnais des cours de paléographie, une jolie étudiante, vive, intelligente, souriante, joyeuse… Ecila… j’en suis tombé amoureux, elle n’était pas insensible à mon charme, je le dis sans me vanter, mais au bout de deux ans si elle acceptait avec plaisir mes invitations, musées, spectacles, cinémas, promenades, nous étions toujours ensemble, mais je n’en étais pas plus avancé, pas le moindre baiser…

    Je sens que Carlos se prépare à intervenir, je lui fais signe de se taire, ce n’est pas le moment de nous expliquer que dans la Légion l’on tombe les filles comme l’on saute sur Kolwezy.

              _ Lors de mon départ elle m’a accompagné à l’aéroport, je m’apprêtais à lui faire la bise, elle n’a pas voulu, ses paroles m’ont suffoqué, figurez-vous qu’elle m’a dit : ‘’ j’espérais que vous m’auriez demandée en mariage et emmenée en France, je vois que c’est impossible, adieu Gabriel’’.

    Carlos lève les yeux au ciel, toutefois il s’abstient de tout commentaire. Après un moment répit Gabriel reprend son récit :

              _ Je ne suis pas parti, je l’ai demandé en mariage aussitôt, elle a souri puis elle a rajouté : j’accepte à condition que vous emmeniez ma sœur avec moi. C’est ce que j’ai fait. Nous avons été heureux, nous avons eu Alice, elle est morte voici deux ans. Voilà c’est tout.

    197

    Pour détendre l’atmosphère Carlos prépare une tournée apéritive. Le Chef fourrage dans sa poche pour en extirper un Coronado qu’il s’empresse d’allumer :

              _ Au nom du SSR Gabriel, je vous présente mes condoléances et celles de tout le service, je crois que vous avez besoin de repos, nous allons vous quitter au plus vite, mais avant une toute petite question, pas bien longue.

    Le Chef prend le temps d’exhaler un nuage de fumée :

              _ Et Oecila !

    Gabriel sursaute comme s’il avait été piqué par un serpent, ses yeux flamboient de colère, il se reprend :

    • Nous sommes allés la chercher… un voyage interminable… en train… nous avons traversé des forêts sans fin, si vous ne l’avez pas vue, il est impossible de se représenter l’immensité de la taïga russe. Nous avons débarqué dans un village perdu. Je pensai que le lendemain elle m’emmènerait visiter sa famille. Non, elle m’a emmené dans un cimetière, devant la tombe d’Oecila… Oui c’est étrange les deux sœurs avaient à peu près le même nom… Nous l’avons ramenée en France, un mal fou pour en avoir le droit, une chance le haut-fonctionnaire qui m’avait proposé le poste à Moscou était entre temps devenu conseiller du Président de la République…

    198

    Le Chef allume un cigare. Il est huit heures du matin et nous venons d’ouvrir le local. Tard dans la nuit, nous avons laissé Gabriel, manifestement brisé par sa confession. Il était inutile de continuer, il était incapable de rejouter le moindre mot. J’ai récupéré Molossa et Molossito pelotonnés contre Alice, le chaton endormi sur son épaule. Elle ne s’est pas réveillée quand les cabotos ont sauté du lit pour me rejoindre, nous sommes rentrés tous les trois chacun chez nous…  

              _ Agent Chad, je ne suis pas mécontent de notre dernière soirée. Les pièces du puzzle commencent à s’assembler.

             _ Un grand pas en avant Chef, je le concède, l’abîme de la perplexité reste toutefois grand ouvert devant nous. Prenons le cas de Gabriel par exemple.

             _ Agent Chad sans l’avoir consulté je suis sûr que Carlos classe ce type de bonhomme parmi les chifonnettes. Méfions-nous, il n’a pas tout dit, il serait bon que vous puissiez obtenir de sa fille quelques renseignements complémentaires.

             _ Oui, mais Carlos n’a pas tort, ce type n’est pas un rocker, nous sommes dans une drôle d’affaire, mais pas un seul mot de Gabriel ne laisse à penser en quoi cette histoire concerne le rock ‘n’ roll.

             _ Agent Chad je partage votre questionnement, je suis certain que nous allons bientôt finir par le savoir.

    A suivre…

     

     

     

     

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 609: KR'TNT 609 : SIXTO RODRIGUEZ / NICK KENT / HARLEM CULTURA FESTIVAL / GYASI / LINDA LEWIS / JUKE JOINTS BAND / JOHNNY HALLYDAY / ROCKERS / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 609

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    31 / 08 / 2023

      

    SIXTO RODRIGUEZ / NICK KENT

    HARLEM CULTURAL FESTIVAL / GYASI

    LINDA LEWIS / JUKE JOINTS BAND

    JOHNNY HALLYDAY / ROCKERS 

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 609

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Rodriguez as-tu du cœur ?

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             En cassant sa pipe en bois, Sixto Rodriguez devient enfin le personnage cornélien qu’il n’a jamais été. Cette disparition est le seul aspect tragique de son existence. Tout le reste est beau. Notamment ses deux albums, Cold Fact et Coming From Reality. Ils font complètement oublier le fait qu’il aurait dû devenir superstar. Même destin que celui de Nick Drake. Culte par la seule beauté des chansons.

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             À une époque, avec un peu de chance, on pouvait encore choper à un prix convenable un pressage original de Coming From Reality, sur Sussex, avec le gatefold découpé. Magnifique objet. Magnifique album. Aussi magnifique que Blonde On Blonde. Les deux faces s’entrechoquent de beauté, on est tout de suite frappé par la fabuleuse présence vocale de Rodriguez dans «Climb Up On My Music» - And from there jump off with me - Rien sur les musiciens, on sait juste que c’est enregistré à Londres, au studio Lansdowne, là où a débuté Joe Meek. Les cuts de Rodriguez sont très denses, aussi bien mélodiquement qu’au niveau des textes. Dans «A Most Disgusting Song», il balance ça : «While the Mafia provides you drugs/ Your Government will provide the shrugs/ And your National Guard will supply the slugs», c’est du protest à l’état le plus pur, et ça rime. Et puis tu tombes dans les bras du magicien avec «I Think Of You», un cut d’une pureté mélodique extrême emmené par un lead espagnolisant et un bassmatic rond et charnu. Et l’envoûtement se poursuit avec «Heikki’s Suburbia Bus Tour», un heavy groove dans la veine du «Season Of The Witch» de Stylish Stills. On a les mêmes retours de manivelle, c’est du génie sonique pur. Et ça continue en B avec «Sandrevan Lullaby Lifestyle» qu’il chante d’une voix aux textures riches, dont la suavité, l’éclat d’or pâle et la grâce sucrée auraient tant plu à des Esseintes. Tout est parfait sur cet album, la mélodie chant, le grain de voix, le bassmatic et les nappes de violons. Rodriguez te berce encore d’une langueur monotone avec «It Started Out So Nice» - Marble money tunes/ As pale earthly circles swooned - Il ne compose que des hits de rêve. Et il boucle avec «Cause», pur shoot de véracité dylanesque avec une Queen of Hearts who’s half a stone and likes to laugh alone, on  retrouve le balancement poétique de Bob Dylan, une espèce de grâce verlainienne, comme si la richesse de la mélodie rehaussait encore la richesse poétique des textes -So I set sail in a teardrop and escaped beneath the doorsill - et il termine avec une galipette de génie pur - Cause/ How many times can you wake up/ In this comic book and plant flowers?.

             C’est l’expat américain producteur Steve Rowland qui insiste pour que Rodriguez vienne enregistrer à Londres. Il monte le coup avec l’A&R de Buddah Records Neil Bogart qui est aussi fan de Rodriguez et qui est prêt à investir. Il faut savoir que Steve Rowland a produit les Pretty Things, P.J. Proby, The Herd et Dave Dee Dozy Beaky Mick and Tich, puis The Cure. Rowland est effaré par la qualité des nouvelles chansons de Rodriguez. C’est Kevin Howes qui donne tous les détails des sessions dans les liners de la red. C’est pour ça qu’il faut choper les reds des grands albums, on y trouve de la littérature, tout au moins des liners rédigées par des spécialistes. Dans le studio, tu as Chris Spedding et Tony Carr. Le prodigieux bassman s’appelle Gary Taylor.

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             En 2012, la parution du docu Searching For Sugarman provoqua un joli buzz. Le pauvre Rodriguez s’est même retrouvé dans Télérama. Forcément, on va voir le film quand on connaît les deux albums. Le film est tellement bien foutu qu’on le revoit ensuite sur DVD. Encore et encore. Malik Bendjelloul l’a semble-t-il réalisé avec peu de moyens et il a réussi un exploit assez rare : dire la grandeur d’un artiste sans jamais mordre le trait, c’est-à-dire en collant au plus près de la réalité. Bendjelloul a eu de la chance, car Rodriguez, qui artistiquement a la carrure d’une superstar, est un homme extrêmement simple. Sa modestie naturelle affecte même son élocution. 

             En gros, Rodriguez est un Chicano de Detroit qui ressemble à s’y méprendre à Question Mark. Il bosse dans des chantiers de démolition et de rénovation, et il écrit des chansons. Le week-end, il gratte ses poux dans un club enfumé de Detroit, The Sewer, et c’est là que le découvre Dennis Coffey. Coff le compare tout de suite à Dylan. Bien vu Coff ! Alors avec Coff dans les parages, ça tourne vite au conte de fées : Rodriguez rencontre Clarence Avant et enregistre Cold Fact sur le label d’Avant, Sussex. Sur Sussex, on trouve aussi Coffey, bien sûr, mais aussi Bill Withers. Et aussi curieux que cela puisse paraître, l’album ne se vend pas. Dans l’interview qu’il accorde à Malik Bendjelloul, Rodriguez sort cette explication fataliste : «It’s the music business. There is no garantee.» Il ira quand même enregistrer Coming From Reality à Londres l’année suivante et puis Sussex le laissera tomber. Alors Rodriguez retourne sur les chantiers, car il a quatre bouches à nourrir, sa femme, et aussi ses trois filles qu’on voit dans le docu.

             Malik Bendjelloul rend son docu passionnant car il le conçoit comme une intrigue. Contre toute attente, les petits culs blancs d’Afrique du Sud raffolent de Cold Fact. On est alors en plein Apartheid et ces blancs font partie de l’opposition blanche à l’Apartheid. Ils considèrent Rodriguez comme un chanteur engagé. Mais comme il n’y a aucune info sur lui, les mythes vont bon train. On raconte même qu’au terme d’un show qui se serait mal déroulé, Rodriguez se serait tiré une balle dans la tête sur scène. Donc pour les Afrikaners, Rodriguez est mort.

             Bendjelloul mène l’enquête. Il réussit à retrouver les deux producteurs de Rodriguez, l’américain Mike Theodore (associé de Coff) et l’anglais Steve Rowland. Ils se disent tous les deux sciés par le fait que Rodriguez n’ait pas percé. Rowland le qualifie même de sage (wise man) et de prophète, puis il passe «Cause» sur sa chaîne - Sad... Last song that Rodriguez ever recorded - C’est effectivement la dernière chanson de Coming From Reality - Nobody in America had ever heard it. Comment est-ce possible ? - C’est là où Zorro Bendjelloul sort de la nuit et court vers l’aventure au galop !

             Craig Bartholomew Strydom, journaliste sud-Africain, se demande s’il existe un «inspecteur en musicologie». Non ? Alors il se proclame inspecteur en musicologie. That’s me ! Il découvre que Cold Fact s’est vendu à 500 000 exemplaires en Afrique de Sud. Où va le blé ? Chez Sussex. C’est qui Sussex ? Clarence Avant ! Bendjelloul interviewe le vieux Clarence qui semble sortir d’un polar de Tarentino. Il est à peine aimable. Il dit que Rodriguez est dans le top five de ses artistes - It didn’t sell here - Il parle de six exemplaires. Mais il n’aime pas les questions de Bendjelloul. L’interview tourne en eau de boudin. Il faut savoir que Clarence Avant est un personnage politique considérable aux États-Unis. Il fait comprendre à Bendjelloul qu’il doit apprendre à faire son métier et commencer par poser les bonnes questions. Ironie du sort : Clarence Avant vient de casser sa pipe en bois, une semaine après Rodriguez. On apprend aussi en lisant les liners de Kevin Howes pour la red de Cold Fact que Rodriguez n’était pas disposé à jouer le fame game, c’est-à-dire la promo de l’album qui du coup n’est pas entré dans les charts. De son côté, l’inspecteur en musicologie appelle Mike Therodore et lui demande comment est mort Rodriguez - Rodriguez dead ? What do you mean ? He’s not dead. Sixto Rodriguez is alive and kicking and living in Detroit - Puis l’inspecteur entre en contact avec Eva, la fille de Rodriguez qui confirme que son père est vivant, qu’il bosse toujours sur les chantiers et qu’il a même fait un peu de politique pour l’élection à la mairie de Detroit. Et tout se termine par une tournée sud-africaine en 1998. Rodriguez joue dans un stade et la foule l’ovationne. Six concerts sold-out et, paraît-il, un troisième album inachevé.

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             On comprend que Cold Fact ait pu faire un carton en Afrique du Sud, car Rodriguez te subjugue dès «Sugar Man» - Silver magic ships/ You carry/ Jumpers coke sweet Mary Jane - Ça te cogne dans le coin du crâne, Rodriguez crée de la magie à coups de jumpers coke sweet Mary Jane, exactement de la même façon que le fit Dylan un peu avant lui. On croise à la suite deux chefs-d’œuvre purement dylanesques, «Crucify Your Mind» et «This Is Not A Song It’s An Outburst: Or The Establishment Blues». Il est poignant de véracité dylanesque - And you claim/ You got something going - même génie poético-mélodique d’as your tears go down your cheeks. Il enfonce ses clous d’or avec un talent stupéfiant - But all I heard was Establishment blues - Son protest est pur, car porté par un souffle. Cold Fact est un album émotionnel qui te saute à la gorge. Rodriguez tape son «Forget It» au big forever, il te cajole, il est trop doué, c’est à toi de t’adapter. Il chante pour toi alors montre-toi à la hauteur. Son Forget It te colle au mur. Et puis voilà le hit qui a fait basculer les Afrikaners : «I Wonder». C’est le real deal, avec la bassline de Bobby Babbit - How many times I had sex - Comme chez Dylan, les textes crèvent l’écran. Rodriguez est aussi bon que Dylan. Même power, même magie. On entend Coff faire des ravages dans «Gommorah (A Nursery Rhyme)» et Rodriguez termine cet album qu’il faut bien qualifier de faramineux avec «Jane S. Piddy» - And you think I’m curious - Il jette tout son Dylanex dans la balance, au feeling insecure, sa voix résonne dans l’écho du temps, Rodriguez aurait pu devenir l’une des plus belles stars de son temps - You’re a loser/ A rebel without/ A cause - Mon pauvre ami, ta voix dans le bois de Boulogne...

    Signé : Cazengler, Sixto Merguez

    Sixto Rodriguez. Disparu le 8 août 2023

    Sixto Rodriguez. Cold Fact. Sussex 1970

    Sixto Rodriguez. Coming From Reality. Sussex 1971

    Malik Bendjelloul. Searching For Sugarman. DVD 2013

     

     

    Wizards & True Stars

    Il n’y a que Nick qui Kent (Part One)

     

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             Vue d’avion, la culture rock pourrait se résumer à trois noms : Yves Adrien, John Peel et Nick Kent. On s’est déjà longuement penché sur Yves Adrien et John Peel. Il est temps de se pencher sur Nick Kent. Si on lisait le NME dans les années soixante-dix, c’était essentiellement pour y dévorer les articles de Nick Kent. Les plus brillants sont rassemblés dans The Dark Stuff qui fut ici pendant vingt ou trente ans le principal livre de chevet d’ici, avec les trois précieux opuscules d’Yves Adrien. En complément, on peut aussi se taper l’excellent Apathy For The Devil, super fat book dans lequel Nick Kent narre son âge d’or, les années 70. Il fréquente alors la crème de la crème du gratin dauphinois : Iggy, les Stones, Chrissie Hynde, les Pistols. Il commence sa vie de Rouletabille du rock avec un parcours sans faute : MC5, Captain Beefheart, le Dead, Iggy, Led Zep et Bowie. Chaque page te fait tourner la tête - mon manège à moi c’est toi - Nick Kent est au rock anglais ce qu’Yves Adrien est à la littérature : un parangon aux pieds ailés. Il commence par créer un style, à seule fin d’asseoir sa vision, et finit tout naturellement par devenir l’arbitre des élégances. En quelque sorte le George Brummel du rock. Pas de culture rock digne de ce nom sans le trio Yves Adrien/John Peel/Nick Kent.

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             Si Apathy For The Devil monte si bien au cerveau, c’est sans doute à cause de ce capiteux cocktail de drogues, de style et de fréquentations. On retrouve les mêmes excès dans l’autobio de Kris Needs, le style en moins. En beaucoup moins. Avant d’être le Rouletabille du rock anglais, Nick Kent est un prodigieux écrivain. Quand il évoque les Beatles de 1962 et la naissance de la rock culture, il le fait de manière sublimement Kentish : «Ce sont eux et Dylan qui ont kicked open la porte qui jusqu’alors tenait enfermée la bohemian culture du XXe siècle in suffocatingly smoky nightclubs on the outskirts of town.» Ça sonne comme un long vers de Dylan. Lorsqu’il évoque les Allman Brothers, il le fait avec une pointe d’humour anglais. Il commence par expliquer qu’on avait obligé les Allman Brothers à entrer en rehab clinic avant de partir en tournée - This intervention didn’t prevent their guitarist Duane Allman from dying in a motorbike crash just a few months later whislt stoned out of his gourd - L’humour est une constante chez Nick Kent qui se voit comme le «Zeitgeist-surfing dark prince of seventies rock journalism». Il est aussi le «Count Dracula’s Limey stepchild» qui traîne dans un pub de Maida Vale, et soudain, un poivrot s’exclame en le voyant : «Fuck me, it’s that cunt from the Sandeman’s Port advert!». Hilarant ! On entend même la voix rauque du poivrot. Ailleurs, Nick Kent se définit plus sérieusement : «The folks over there just didn’t understand kamikaze journalism.» Il comprend très vite que pour se mettre au niveau des gens qu’il admire et qu’il interviewe, il faut rentrer dans les mêmes excès et se jeter tout entier dans la balance. Première étape. 

             Encore plus hilarant. Il évoque Paul Rogers en 1975 : «Ex-Free singer Paul Rogers - qui deviendra plus tard a rising star avec Bad Company - était le roitelet de cette faune hirsute et sérieuse. La légende dit qu’il était tellement viril qu’en attaquant son set rasé de frais, il le finissait avec une barbe ! Elle avait littéralement poussé sous les yeux du public. Mais cette aptitude à se faire pousser une barbe en public ne compensait l’absence totale d’innovation musicale qui les caractérisait, lui et ses collègues, dans le rock landscape des mid-seventies.» Encore plus poilant : il a des ennuis en 1976 avec les Bee Gees et notamment big brother Barry. Comme Big brother Barry menace de lui casser la gueule, il va chez un disquaire voir sur une pochette d’album à quoi il ressemble : «Il avait plus de poils sur la poitrine qu’on en aurait vu derrière les médaillons en or at a New Jersey convention for mafia capos. If he and I ever crossed paths, I knew I was wheelchair-bound», oui Nick se serait fait niquer s’il avait croisé big brother Barry. Il était bon pour le fauteuil roulant. Au moins, il réussit à faire de cet épisode une histoire drôle.

             Il plante le décor des seventies ainsi : «Pour moi, all the seminal seventies stuff se tient sur une période de 6 ans entre la naissance de Ziggy Stardust et la mort des Sex Pistols. Ce qui advint après was really just a prelude to the eighties.»    

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             Comme Yves Adrien, Nick Kent plonge ses racines dans le XIXe, et notamment Thomas de Quincey, qu’il salue vers la fin d’Apathy : «De Quincey avait noué des relations avec les deux hommes qu’il admirait le plus, les poètes Wordsworth et Coleridge, à l’âge où je faisais la même chose avec Keith Richards et Iggy Pop. Comme moi, il avait cherché le salut dans la consommation d’hard drugs in his early twenties. Je fus un peu déçu de découvrir qu’il était plus petit que moi d’une bonne tête et que pendant la plus grande partie de sa carrière d’écrivain, il avait été une sorte de shameless hack (qu’on pourrait traduire par un écrivain à la petite semaine). Mais quand j’ai découvert ses combats acharnés avec ses débiteurs et la constipation chronique, j’ai senti qu’un  puissant lien mystique s’établissait entre lui et moi. À l’automne 1821, De Quincey écrivit pour The London Magazine un essai en deux parties, Confessions Of An English Opium Eater, basé sur sa vie et l’histoire de l’opium. L’essai eut un tel succès qu’on en fit un livre qui devint la seule contribution de l’auteur au monde de l’édition. En France, Baudelaire en fit la traduction, et de l’autre côté de l’Atlantique, le jeune Edgar Allan Poe tomba sous l’influence de cet auteur rebelle.» Joli clin d’œil à Damie Chad. Mais aussi à Jean-Yves qui me confiait quelques mois avant de quitter cette planète qu’il relisait Apathy For The Devil. Il arrive que certains livres prennent dans la vie une importance considérable.

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             Nick Kent maîtrise à merveille l’art de se situer : «Well-read, streetwise druggies with a vague work ethic were my kind of people, I was quicly discovering.» La phrase est parfaite, comme montée à l’envers, c’est-à-dire excentrique. Courte, elle dit tout un monde, le XIXe et les drogues, elle dit aussi cet élitisme qui flirte dangereusement avec l’élégance. Nick Kent pratique les drogues comme un exercice d’éveil - The drug had freed something in my cerebellum and offered me a more intense way of perceiving the world - Il fait de l’Henri Michaux, et dans un élan purement littéraire, il ajoute : «J’étais déterminé à essayer de nouveau à la première opportunité.» Il fait sa Connaissance Par Les Gouffres par le rock. En entrant chez Friendz, il creuse son tunnel vers ce qu’il appelle «the freak-flag-flying enclaves of the London underground». Toutes ces expressions qu’il forge à longueur de pages sont délicieusement musicales. Il écrit l’histoire du rock de London town dans une pure langue rock. Kentish tune. Rock swagger.

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             Il évoque le concert des Stooges au King’s Cross Cinema à l’été 72 pour mettre les points sur les zi et rappeler que tout le London punk vient de là : «Bon nombre de self-styled punk experts ont depuis rempli des tomes et des tomes, mais si vous ne faisiez pas partie des 200 personnes un brin nerveuses qui assistaient au seul concert européen des Stooges à l’été 72, vous n’assistiez pas au real beginning et donc, vous ne savez pas de quoi vous parlez. Fin du sermon.» Nick Kent indique que ce concert eut sur lui un impact majeur, il découvrait ce qu’il appelle «the new wild frontier of Western pop culture». Comme Yves Adrien, il définit une nouvelle cartographie, celle qui nous servira de référence. Il revient longuement sur le show du King’s Cross Cinema : les Stooges n’ont pas joué un seul cut des deux albums Elektra, et rien de ce qui va figurer sur Raw Power : rien qu’une «jolting succession of primitive works in progress» - Neanderthal jungle music that no one present had ever heard the likes of before this night - Nick Kent dit se souvenir de toutes les secondes de ce concert historique - His absolute fearlessness, his Nijinski-like body language and the mind-blogging way he seemed able to defy even the laws of gravity - John Lydon se disait présent et non impressionné par le show, ce que Nick Kent a du mal à croire, car dit-il, «ce qu’Iggy and co ont réussi a faire ce soir-là, c’est exactement que les Sex Pistols allaient essayer de faire trois ans et demi plus tard : short sharp shock rock that mesmerized tout en tétanisant le public.» Et Nick Kent assène son dernier coup de marteau sur le clou : «Iggy & the Stooges ont inventé le punk de la même façon que James Brown & the Famous Flames ont inventé le funk.»   

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             Iggy est l’un des personnages principaux de ce festin de roi qu’est Apathy. Nick Kent évoque son retour en 1977 avec Lust For Life, un coup de maître produit par Bowie, un album qui «pouvait transformer Iggy into a bona fide superstar». Bona fide Kentish Boy adore utiliser le bona fide. Manque de pot, nous dit Nick, Elvis casse sa pipe en bois au même moment - The curse of Osterberg was still in full effect. His career had been sidelined yet again, this time by a fat bloke dying on the toilet - Nick Kent rencontre Iggy pour la première fois en 1972, alors qu’il séjourne à Maida Vale. Mainman lui a refilé l’adresse. Alors il y va. Il imagine Iggy comme un «bull-in-a-china-shop kind of guy, a walking sea of turbulance», mais il tombe sur le contraire, c’est-à-dire  «the epitome of charm and well-mannered cordiality». Il ajoute que cette rencontre allait avoir «a cataclysmic effect on me personally.» Il revient longuement sur l’art d’Iggy, «a fervent purist intent on rechallenging the bedrock blues aesthetic - two or three chords and a hypnotic groove» et il balance plus loin ceci qui te sonne les cloches à la volée : «Put simply, Ziggy Stardust was ‘show business’ whilst the Stooges were ‘Soul business’.» Il développe en expliquant que Ziggy était glamourous et séduisant, alors que les Stooges étaient «moins attirants mais capables de te changer la vie.» Et c’est exactement ce qui s’est passé pour un tas de gens : Stooges & Velvet forever. Quand plus tard, Nick Kent revoit Iggy à Los Angeles, il est frappé par sa transformation : il est devenu «a snake-eyed, cold-hearted, abrasively arrogant trouble magnet.» Terminé l’«epitome of charm». Nick Kent note en outre qu’«he was back on the smack». Kent rapporte aussi un échange d’Iggy avec un journaliste de télé qui lui demande s’il est décadent, et Iggy lui répond que «la décadence, c’est la décomposition and I ain’t decomposing, I’m still here.» Le fucking journaliste insiste : «Are you morally degenarate?», et Iggy lui rétorque : «Oh I don’t have any morals». Prends ça dans la barbe, sucker ! Nick Kent remet Iggy encore plus haut sur son piédestal en le comparant avec Artaud, «comme étant le performer seulement capable d’atteindre la grandeur en mettant publiquement sa folie en scène.» C’est extrêmement bien vu, incroyablement juste. Artaud le Momo = Iggy le Popop.

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             Kentish Boy et Iggy se rendent à une party. Ils sont complètement défoncés. Un géant s’approche d’eux et s’exclame : «Old Kenty and Iggy fucking Pop. Look at that stare of you two cunts.» Et avant qu’Iggy ne lâche une répartie fatale du genre «who is this prick anyway?», Kentish Boy lui met la main sur la bouche pour le faire taire, car le géant, c’est Peter Grant. L’atrocement violent Peter Grant. Nick Kent évoque aussi la période berlinoise, lorsqu’Iggy vit et bosse avec Bowie. Iggy : «L’avoir comme producteur, it was a pain in the arse - megalomaniacal, loco! Mais il avait de bonnes idées. Le meilleur exemple est celui de ‘Funtime’ et il m’a dit : ‘Yeah the words are good. But don’t sing it like a rock guy. Sing it like Mae West.» Bien sûr, les fans des Stooges ne s’y retrouvaient pas, mais, nous explique Nick Kent, «Iggy and Bowie were just taking the whole dank vampiric vibe of the seventies to a further sonic and conceptual extremity.» Iggy reconnaît les qualités de Bowie : «Bowie’s a hell of fast guy. Very quick thinker, very quick action, very active person, very sharp.»

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             Bowie ! Nick Kent lui taille des costumes de mots sur mesure. Il qualifie ses mouvements de «studied poise (c’est-à-dire d’équilibre étudié) of a movie starlet from some bygone era just prior to the advent of Technicolor.» Il nous explique que Ziggy a permis à Bowie de devenir «an instant megastar et d’imposer sa personnalité dans les seventies, avec le même impact que celui des Beatles dans les sixties.» Avec Ziggy, Bowie est devenu «the era’s most adored teen idol, sex symbol, rock star and Dylanesque pop sage in one fell swoop.» Quand il le rencontre pour la première fois, Bowie dit à Nick : «So you’re Nick Kent. Aren’t you pretty!». Bowie, nous dit Nick, s’imaginait que tous les journalistes rock étaient laids. Nick dit aussi que la carrière de Bowie a duré longtemps parce qu’il était un «big thinker and a true professional.» Par contre, il n’a aucune pitié pour l’équipe du management américain de Bowie - They were some of the most sleaziest, most repugnant people I’ve ever had the misfortune to shake hands with - Il ne fallut pas longtemps nous dit Nick pour que Bowie fasse le même constat : il les a tous virés et a traîné Mainman en justice. Nick Kent avoue être fasciné par Bowie qui après avoir été «an alien transexual from the planet Outrageous» devint  «an emaciated hop-head straight out of a Damon Runyon novel set in the McCarthyite fifties.» Nick Kent danse en permanence avec les mots. Ses formules sont le light fandango du XXe siècle, l’arôme enivrant du Virginia Plain de heures blêmes, tu y greffes toute ta nostalgie des années de ta jeunesse enfuie, lorsque tu parcourais hagard des corridors interminables de cette bâtisse où se tenait une orgie et qu’au loin mouraient les vagues d’orgue de Matthew Fisher. La prose de Nick Kent cristallise à la folie l’essence de cette époque gorgée de drogues et de sexe.

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             Il raconte qu’il traîne dans Londres avec Brian Eno qui vient de se faire virer de Roxy, et de passage à New York, il assiste à une répète des Dolls qui bossent sur une nouvelle chanson, «Jet Boy». Il note au passage que certains Dolls ne savent pas accorder leur instrument, ce qui combiné à leur pente immodérée pour la dope, conduira à «leur undoing in the months to come». Dans le chapitre ‘1973’, il raconte sa romance avec Chrissie Hynde. Chez elle, les murs sont couverts de photos de Keith Richards et d’Iggy Pop - Right away, I could tell the woman was blessed with exquisite taste - Puis c’est le coup de Trafalgar - Elle me dit alors un truc qui m’a envoyé au tapis : l’une des raisons principales qui l’avait décidée à venir s’installer à Londres était un article sur Iggy Pop paru dans un canard anglais. Je lui ai alors demandé plus de détails et l’article en question était le mien - mon tout premier article dans le NME - Pas de meilleurs auspices pour démarrer une relation sentimentale. Puis la relation va commencer à se déliter - She wasn’t the easiest person to show emotional warmth to - Nick parle même d’une «authentically wild and abrasive side to her personality - a trash-talking biker-girl mindset.» Alors il y a des shootes. Puis Chrissie le trompe. Alors Nick veut la corriger à coups de ceinture. La scène qu’il décrit se passe dans la boutique de McLaren qui a tellement la trouille qu’il se planque sous une table. Un mec sort de l’arrière-boutique et met son poing dans la gueule du Nick qui vole à travers la boutique et qui se trouve sur le trottoir, avec la bouche qui pisse le sang - Pathetic and bleeding - Exit Chrissie. Rassurez-vous, ils se reverront en 2003. Nick la revoit dans le chapitre ‘Afterwards’. Ils redeviennent amis, mais il se demande si cette amitié résistera aux révélations que contient Apathy - Mind you, whether our friendship will be standing after she reads this book remains a matter of conjecture - La façon dont est montée cette phrase anodine relève du chef-d’œuvre d’équilibre. Il faudrait même parler de grâce syntaxique. Apathy For The Devil n’est que ça : un gros tas de grâce syntaxique. Il est des pages qui procurent tant de plaisir qu’on les relit plusieurs fois de suite. On vit les mêmes chocs esthétiques dans Les Souvenirs d’Egotisme de Stendhal, ou encore dans les deux tomes du Panégyrique de Guy Debord. Et bien sûr dans l’Heliogabale d’Artaud.

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             Par contre, ça se passe mal avec Lou Reed. Nick Kent l’interviewe et parle de «dead Peter Lorre eyes» et de «cold inhospitable manner». Il préfère nettement le MC5, «a truly phenomenal live act - the only white US band who could potentially upstage the Rolling Stones in a concert hall.» Il les voit jouer dans un «West End club called Bumpers». Il n’y a personne - quite litterally three men and a dog - mais mis à part l’absence de public, «the show was one of the most thrilling and memorable live showcases I’ve ever witnessed.» Nick Kent en pince aussi pour Captain Beefheart. Il résume le génie du bon Captain par cette formule d’anthologie : «Beefheart still did his Howlin’ Wolf-adbucted-by-aliens vocal routine and his band had somehow stuck out on a whole new musical hydrid: Delta blues in a surreal head-on collision with free jazz.» Personne ne peut battre Nick Kent à la course. Sa langue est si parfaite que ce serait l’abîmer que de vouloir la traduire. De la même façon qu’on ne traduit pas les paroles d’«I’m A King Bee» ou de «My Generation». S’ensuit l’interview et, nous dit Nick, dans les cinq premières minutes, Captain Beefheart lui dit «au moins deux fois qu’il est un génie». Nick le compare à Orson Welles, «part authentic creative visionnary, part outrageous bullshitter.» Ils s’entendent bien ensemble. Captain Beefheart apprécie les Anglais distingués : Nick Kent et John Peel, par exemple. Il emmène le jeune Nick en tournée. Le bon Captain se balade en Angleterre avec sa cape, les gens se retournent sur son passage. Sur scène, c’est chaque soir de la magie pure : «On n’avait encore jamais entendu ce genre de musique. Et depuis lors non plus. Le groupe jouait The Spotlight Kid et deux cuts tirés de The Trout Mask Replica, mais les cuts enregistrés en studio n’avaient rien à voir avec the mind-scrambling majesty of their live renditions.» Il compare Captain Beefheart à Thelonious Monk - He had a totally unique ‘out-there’ aesthetic sensibility - et il ajoute, en extase cérébrale : «None of us could believe we were hearing music this visceral and dementedly alive.» Si tu veux voir du «visceral and dementedly alive», alors chope le «Sure ‘Nuff Yes I Do» du Magic Band filmé au Modem, sur la plage de Cannes. Notre Kentish Boy extatique ajoute : «Vous pouviez littéralement voir l’électricité courir sur leurs instruments et savourer les glaires qui pétillaient dans le larynx de Beefheart. He wasn’t kidding when he called them the Magic Band.»

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             Kentish Boy voit les Stones sur scène pour la première fois quand il est ado. Il remarque que les jeunes femmes sont en état de «sexual psychosis», qu’elles «se touchent in appropriate places» et lâchent des «primeval howls». C’est là qu’il place l’une de ses formules définitives : «The Rolling Stones didn’t have forehead. Just hair, big lips and a collective aura of rampaging insolence.» Et puis il y a Brian Jones que les gens traitent de sadistic ou encore de pathetic. Kentish Boy l’a rencontré et Brian «was incredebly nice to me». «Soudain j’ai vu mon futur s’incarner devant moi. This was exactly the kind of person I was determined to grow up and become.» En 1967, il assiste au «Best bill I’ve ever witnessed, a special psychedelic package tour avec Jimi Hendrix Experience, Syd Barrett’s Pink Floyd, the mighty Move form the Black Country and prog-rock pioneers the Nice.» - Seeing Syd that night ignited something within me that I’ve been obsessed with all my adult life - Il parle du sens du mystère - His story - however it developped - was mine to tell - Il est aussi frappé par le «sexual bravado» de Jimi Hendrix. Qui ne le serait pas ?

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             Kentish Boy redit toute la grandeur du rock anglais des sixties et des early seventies. Après avoir chanté les louanges de Brian Jones, de Captain Beefheart, voilà qu’il chante celles de Rod The Mod, de «Maggie May» et de son «big-nosed cock-of-the walk charm and tight satin trousers». Dans son élan, il rappelle que Stewart, Bolan et Bowie avaient déjà tenté de devenir des superstars dans les sixties. Ils attendaient leur heure. Elle n’allait pas tarder. Rod The Mod va atteindre le «megasuperstardom» et il est le premier, nous dit Nick, à l’admettre : «the guy was one lucky son of a bitch». Et même quand il va se griller artistiquement avec ce qu’il appelle des «bland codswallop like ‘Sailing’ and ‘Do Ya Think I’m Sexy’», Nick Kent avoue qu’il garde toujours un faible pour le singer - To me, he’ll always remain a prince amongst men.

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             Le prestige du rock anglais passe aussi par Hawkwind et Dave Brock, que Kentish Boy évoque, rappelant que ses crises d’hémorroïdes faisaient bien marrer les autres membres du groupe. Dave Brock s’est vengé en virant tout le monde. Kentish Boy rend surtout hommage à Nik Turner dont le jeu de sax «n’allait pas priver Ornette Coleman de sommeil», il voit surtout en Nik du charisme, et lui rend l’hommage suprême en affirmant qu’il n’avait encore jamais vu un homme portant à la fois du mascara et une barbe «and still not look completely ridiculous». Nick qualifie aussi Robert Calvert de «bona fide nutcase», joli punch-up qu’il n’est nul besoin de traduire. Hommage enfin à la section rythmique Simon King/Lemmy Kilmister - hard, primitive, metronome-like - qui allait asseoir la réputation du groupe en Angleterre en tant que «purveyors of proto-stoner rock». Toutes les formules sont d’une justesse sidérante. Chaque mot semble à la fois étudié et spontané. Il faut avoir vécu toute une vie immergée dans la langue rock pour comprendre que celle de Nick Kent est l’absolu modèle du genre. La façon de formuler, c’est-à-dire le style, est la clé de tout. Il finit sur Hawkwind en affirmant qu’ils furent «more authentic ambassadors of Ladbroke Grove bohemian demographic than the Clash, qui, à la fin des seventies, utilisèrent le Westway comme un décor photo for their own further self-glorification.» Toujours la même histoire : choisis ton camp, camarade. Hawkwind ou les Clash ? Le choix est vire fait. Il passe naturellement d’Hawkwind à Can et trace un parallèle entre Miles Davis et Can - Can a su prendre the basic ingredients - a James Brown funk rhythm and plenty of spacey dissonance from the keyboards and electric guitar - and create something  gueninely awe-inspiring - Des Can qu’il situe loin des «paltry legacies», c’est à-dire des souvenirs dérisoires, «laissés par Jethro Tull et Yes, qui furent», ajoute-t-il «that era’s most popular paltinum-selling ‘cerebral-rock’ entities.» Pour Nick, Can «played a similar role in the early seventies to the one the Velvet Underground played in the late sixties.» Rien de plus vrai. Rien de plus exactly exact.

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             1972 est l’année du glam. Kentish Boy s’habille et se maquille - black eyeliner - en conséquence - I looked like a lanky girl - Puis il rencontre Roxy Music - a pretty haughty and self-posessed bunch, a sort of ex-art school Lord Snooty and his pals in lurex - Quand Nick Kent écrit ça, cette phrase si musicale, c’est comme s’il était Oscar Wilde accompagné par le Velvet. Il compare Brian Eno à Brian Jones, à cause de sa flamboyance et de son rôle limité dans le groupe - His arch hermaphrodic presence blended well with singer Bryan Ferry more conventional handsomeness in concert - Nick ne s’y trompe pas, la star de Roxy n’est pas celui qu’on croit. Il sait dire son faible pour Brian Eno, et à travers lui, son faible pour Brian Jones. Les deux vont se faire virer pour la même raison : trop Brian. Puis on envoie Kentish Boy interviewer Led Zep qui en 1972 est un groupe imbattable. Personne ne peut rivaliser avec eux, même pas les Who, nous dit Nick. En fin de concert, il les voit taper une cover de «Louie Louie» «that sounded like the four horsemen of the apocalypse inventing the concept of testosterone-driven punk rock.» On se souvient du «Communication Breakdown» filmé pour la télé française en noir et blanc, pur «testosterone-driven punk rock». Mais l’interview d’après concert de passe mal. Nick se fait traiter de wanker. Pas terrible. Le courant ne passe pas avec Jimmy Page. Kentish Boy évoque aussi la violence gratuite orchestrée par le duo Peter Grant/Richard Cole, un duo aussi nocif que «the entire Russian Mafia» - One evil look from either of them could provoke rank strangers to defecate on the spot - l’équivalent français serait «chier dans son froc», alors on garde l’Anglais, qui est plus élégant (defecate on the spot). Le seul qui n’approuve pas cette violence gratuite, c’est Robert Plant. Il faut aussi se souvenir de ce qu’en dit Bill Graham dans ses mémoires : Peter Grant, c’est l’horreur. 

             Nick Kent rappelle aussi qu’en 1973, Londres était la capitale du pub-rock, «the province of ugly blokes who dressed like roadies and played old Chuck Berry songs badly». Tout un monde encore une fois en une seule phrase.

             Bon, les superstars c’est bien gentil, mais il y a aussi et surtout le job. La clé du Kentish Boy. Le journalisme rock. Il y consacre les pages les plus passionnantes de son recueil de mémoires.

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             Kentish Boy explique que pour débuter, il a rédigé trois chroniques d’albums : Quicksilver (le premier album, pas très bon), Gonna Take A Miracle de Laura Nyro. Il dit avoir oublié quel était le troisième. Il apporte ses textes chez Friendz qui les publie. Baptême du feu - I was over the fucking moon - Il cherche à interviewer Bowie, mais à l’époque, c’est impossible. Puis le NME qui cherchait à se réinventer le recrute - They frantically began recruiting young music-driven writers from the London undergound - Il entre au NME juste après Charles Shaar Murray. C’est là qu’on l’envoie couvrir le Led Zep show. Puis il va rencontrer son idole Lester Bangs à Detroit - He looked like a rodeo clown without the make-up - Ces pages sur Lester Bangs sont une nouvelle divine aubaine - Lester ne ressemblait pas à la plupart des gens. He empathised with fuck-ups because he was often one himself - Bangs fait écouter au Kentish Boys l’acetate de Raw Power qu’il vient de recevoir. Ça se passe en 1973. Kentish Boy demande à Lester de l’aider à atteindre son «full writing potential». Lester répond : «Sure - OK then.» Nick Kent note aussi que Bangs est assez fier du rock américain, certainement pas du rock anglais, d’ailleurs il charrie Nick, «You goddam Limey fops!» et lui sort ça : «What’s so great about your fucked-up culture anyway? We produce great art like the Velvet Underground, the MC5 and the Stooges and you retaliate with David fucking Bowie and his Spiders from Mars. Whoopee! You’re just reselling us Herman Hermits for homos.» C’est vrai qu’au début, Ziggy n’était pas très bien perçu dans le Midwest. 

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             Nick Kent dit trouver sa «voice as a writer» en 1974. Avant ça, il s’inspirait de «Bangs, Capote, Wilde, Wolfe - Période d’apprentissage.» Il adopte une perspective complètement différente de celle de ses pairs, ses collègues du NME - My perspective was the polar opposite of theirs. I wasn’t wiritng about rock as an idea. I was writing about it as a full-blown flesh-and-blood reality - surreal people living surreal, action-packed lives. De tout ce que j’avais appris, l’écriture rock était fondamentalement un médium qui prenait vie quand l’auteur était au cœur de l’action et conservait en même temps assez de distance pour en comprendre les conséquences - Il invente l’action writing. Il vit les choses en direct pour les écrire. Il est à la fois le Cartier-Bersson et le Jackson Pollock du rock. Mais il ne s’arrête pas là : il pose un postulat qui est celui du style, un postulat qu’aurait pu édicter Yves Adrien : «La clé, cependant, est de savoir créer une prose fluide, avec sa propre musicalité. That’s what I finally hit on in ‘74: the right tone and the right groove.» Quand Nick Kent écrit, il groove. C’est pour ça qu’on lisait le NME en 1974. C’est aussi pour le groove d’Yves Adrien qu’on lisait R&F. Les autres journalistes de R&F ne groovaient pas. Quand il a perdu Adrien, ce canard a perdu son âme. D’autres ont tenté d’imiter Adrien. Ce fut une catastrophe.

             Lorsque Kentish Boy plonge dans l’hero, il a du mal à maintenir sa réputation de «NME’s resident hit man.» Il avoue que son «writing talent had been on the rise from ‘72 to mid ‘75 - It reached its peak with the Wilson investigation - After that it went into free fall.» Puis il sent qu’il va se faire broyer par la presse qui est surtout une grosse machine à faire du fric - Travailler pour les médias, c’est un peu la même chose que d’être employé comme charmeur de serpent. Un jour ou l’autre, le serpent va te mordre - Il va se faire virer et se retrouver à la rue. Il dresse un auto-bilan qui n’est pas terrible. Il ne peut que s’en prendre qu’à lui-même. Il faut lire ces pages qui sont d’une virulence introspective hallucinante. En 1987, Nick Logan qui a quitté le NME pour diriger The Face fait signe à Nick. Il lui demande s’il a un texte. Nick lui propose un hommage à Miles Davis, un texte sur lequel il a bossé pendant six mois.

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             Oh et puis la dope. Les pages d’Apathy en sont pleines. La première fois qu’il touche à l’hero, il dit être entré «into a world of hurt». Mais plus loin, il en fait une Kentish apologie - Total palpable bliss - Il cite Charlie Parker qui appelait ça ‘the cool world’. Il évoque plus loin Johnny Thunders - Mais étais-je meilleur que lui ? Junkies are junkies, after all. Sordid people leading sordid lives - Et là, il cite l’exemple d’une photo prise fin 1976 : «John Lydon ricane triomphalement next to a high-spirited Brian James, et je me tiens à leur gauche looking like I’ve just been liberated from Dachau concentration camp.» Encore une fois, la formulation est un chef-d’œuvre de fluidité imagée. Puis il rentre chez ses parents dans le Lancashire - Ma mère éclata en larmes lorsqu’elle ouvrit la porte et vit dans quel état j’étais.

             Il passe à la méthadone - I liked methadone. A lot - Il revit - I was now getting high daily on a drug that was both legal and free. That was my definition back then of heaven on earth - Il fait des économies et ne risque plus sa vie à traîner dans des endroits dangereux pour acheter sa dose. Il a ensuite l’idée saugrenue de mélanger le valium à la méthadone et du coup, il ne sort plus du lit. Alors il lui faut des uppers. Une ligne de coke, quand il en a les moyens, sinon le speed, qui ne coûte rien - And you’ll understand that I was now addicted not just to one vampire drug but to four separate extremely potent rogue chemicals - Puis il décrit son «typical day». Fabuleuse extension du domaine de la lutte finale. À lire impérativement. C’est vers la fin (page 353, pour être exact). Un chef d’œuvre de regardez-comment-ça-se-danse. C’est dans ces pages qu’il faut voir comme une apologie de la désaille qu’il groove le plus, et en même temps, c’est là qu’il est le plus vulnérable.

             Lorsque sa relation avec Chrissie Hynde tourne en eau de boudin, Nick Kent sort cette phrase extraordinaire, digne d’un aphorisme de Leon Bloy : «There’s ultimately not that much difference between being a hopeless romantic and a feckless sap», qu’on pourrait traduire, ouille ouille ouille, par «Il n’y a pas grande différence entre un indécrottable romantique et une andouille invétérée.»

             Un autre aphorisme Kentish, encore plus fascinant : il assiste à l’éclosion de la scène punk à Londres et balance ceci qui vaut son pesant de livres sterling : «Le mouvement séditieux qui avait commencé avec James Dean dans les années 50 s’était terminé en une tempête de crachats, d’épingles à nourrices et de speed-poudre à récurer : from Rebels Without a Cause to rebels without a clue.» Ça évoque le fameux cri d’alarme de Bourdieu : «Brûler des bagnoles, oui, mais avec un objectif !»

             Quand il fait référence à des autobios, Kentish Boy tape dans le haut du panier : Bill Graham et Ian McLagan.

             En 1974, Nick Kent entend de la musique qui ne lui plaît pas : «Il y avait soudain trop de white guys tentant de jouer du funk et se vautrant misérablement. Le glam thing was now dead on its legs. Et la nouvelle tendance à l’horizon, la diskö, semblait fade et inconséquente, si on la comparait au great black rhythm and blues des sixties. Je savais que je devenais blasé et ça ne me convenait pas. I was still only twenty-two for God’s sake.»

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             C’est dans The Dark Stuff qu’on trouve le plus beau texte jamais écrit sur Brian Wilson. Nick Kent y revient le temps d’une phrase délicieusement musicale : «Il n’est pas étonnant que Brian Wilson se soit retiré dans sa chambre et soit devenu obèse et improductif. He just wasn’t made for these times.» On croise encore une foule de gens fascinants dans cet épais bréviaire de la déréliction supérieure. Nick Kent défend Jagger, affirmant que sans lui, les Stones auraient capoté après Let It Bleed - Chaque fois qu’on nous raconte l’histoire des Stones, Jagger est le vilain de l’histoire, le control freak, l’animal à sang froid, le cupide rusé et sans cœur. It’s become one big fairy story - the Rolling Stones vus par les médias, avec Jagger dans le rôle du lutin maléfique - Selon Nick, le seul mec que Jagger craignait en tant que rival fut Bowie - Vous lui mentionnez les noms de Lou Reed et Marc Bolan et il se pâmait de rire (he’d dissolve in laughter) - Kentish Boy a aussi un formule tordante pour Dr. Feelgood : «The singer had all the physical grace of an homicidal plumber», il n’est pas non plus très charitable avec Wilko, «a bizarre black-suited blur», et il réserve le coup du lapin pour la section rythmique, qui «resembled a couple of small-time penny-arcade pimps.» Les formules de Nick Kent sont presque meilleures que les groupes qu’il épingle. Il rend hommage à Neil Young pour ses albums «Tonight’s The Night, Zuma, and a slew of brillant records culminating in 1979’s Rust Never Sleeps», il va même jusqu’à le comparer à Bowie pour son «insatiable need to push ahead». Et puis Syd Barrett, bien sûr - In 1967, the impis eyed Barrett had been the world’s most beautiful man - the golden boy of psychedelia. By 1974, he’d become a scary-eyed balding recluse whom former acquaintances couldn’t even recognise any more - L’any more de fin de phrase est ce qui permet de lester la formule, on entend presque le ton monocorde de ce fantastique story-teller aussi passionné par ses sujets que par l’alchimie du verbe. Il passe son temps à transformer le plomb de la langue anglais en or du Rhinck, exactement de la même façon que l’a fait Yves Adrien avec la langue française. Adrien a d’autant plus de mérite que la langue française n’a jamais été une langue rock, oh la la pas du tout, mais il a fait l’effort d’inventer une langue pour pouvoir formuler ses émotions et éventuellement en communiquer les saveurs. On a simplement eu la chance d’être là au bon moment : Nick Kent dans le NME et Yves Adrien dans R&F. Kentish Boy rend aussi hommage à Nico - She was a fascinating individual and a quintessential bohemian free spirit - Il la voit comme un mélange de gamine, «naïve et incrédule», et de créature «impitoyable et égocentrique, ce qui lui a permis de survivre» - She saw herself quite rightly as a guenine artist - Et la chute vaut le déplacement : «You don’t fall in love with Nico: it’s like trying to bottle a lightning bolt.» À bon entendeur, salut.

             Nick Kent cite aussi la source de son titre. Dylan voit les Stones sur scène dans les mid-seventies et quand Ian Hunter lui demande ce qu’il pense, le Bob qui n’est pas non plus avare d’aphorismes lui répond : «Apathy for the devil.»

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             Kentish Boy est bien sûr pote avec Mick Farren qui écrit lui aussi au NME, et qui se fait péter la gueule par Tony Parsons, le mec de Julie Burchill avec laquelle Farren a eu la mauvaise idée de se fritter. Kentish Boy n’aime pas les Slits qu’il traite de «bunch of talentless exhibitionists». Il dit même que de les voir sur scène équivalait à se rendre «chez un dentiste incompétent». L’humour rôde partout dans la langue du Kentish Boy, comme un requin dans le lagon.

             Il croise aussi Marc Bolan et Gloria Jones chez un dealer, un Bolan qui est en chute libre et qui grossit - In short, he was free-falling from grace at the speed of light and was unsure how to rectify the situation - Nick Kent découvre lors de la conversation que Bolan est obsédé par Syd Barrett et bien sûr, il a lu «The Cracked Ballad Of Syd Barrett» dans le NME.

             Parmi les missions que lui a confié le NME, l’une des pires fut d’assister à un concert de Jethro Tull aux États-Unis : «It was bad taste, pure and simple. On dit que le bon goût est éternel. Mais le mauvais goût a lui aussi toujours été là and is invariably more lucrative.» Il reste dans le mauvais goût avec l’évocation des Eagles : «Leurs disques ressemblaient à ces jeans délavés tellement en vogue à l’époque : fades, inauthentiques mais ultra-présents (impossible to escape). Ils proposaient ce que l’Amérique voulait entendre dans les mid-seventies.»

             Il rend un tout petit hommage à Marc Zermati, «the only punk-related person to have his own independant record label», eh oui, Kentish Boy ramène à Marc le fameux master-tape d’un gig in Michigan que lui a confié Williamson et dont Marc va faire Metallic KO.

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             Tiens, puisqu’on parle de Skydog : tu vas trouver deux cuts de Nick Kent sur une petite compile Skydog parue en 1990, Punks From The Underground : «Switch-Hitter Dub» et «Chinese Shadow». Comme l’indique son nom, le premier est un heavy dub. Nick nique ses accords et s’en va exploser les vapors du heavy dub. C’est un tour de force digne de Keith Hudson. Dans les Subterraneans qui l’accompagnent sur «Chinese Shadow», tu retrouves tous les Only Ones (Peter Perrett, Mike Kellie et John Perry) + Tony James. Tu as là le London groove extrême. Tu peux aussi écouter les autres titres, comme par exemple le «Too Much Junkie Business» des faux Heartbreakers (Billy Rath, Henri-Paul et Steve Nicol) ou encore le Speedball de Sean Tyla avec «Speedball Jive». Là tu as de la substance, comme toujours avec le vieux Sean.

             En marge de ses writing duties, Kentish Boy flirte avec des projets de groupes. En 1972, il propose ses services de guitariste à Iggy - Thankfully he rejected my offer pretty much on the spot - La même année, les Groovies lui proposent de jouer des keyboards avec eux, mais il décline l’offre, ne voulant pas aller s’installer à San Francisco. C’est Michael Karoli de Can qui lui vend sa première gratte - a flashy looking Plexiglas affair - et plus tard il fait l’acquisition d’une Fender volée par Steve Jones. Puis McLaren lui propose de monter un groupe, avec Chrissie au chant, lui, Kent à la gratte, Mick Jones - then only known as ‘Brady’ - à la basse, et un «kid from Croydon called Chris Miller would be the drummer.» McLaren voulait appeler le groupe The Masters of the Backside. Kentish Boy va passer aux choses plus sérieuses avec the Subterraneans, un nom qu’il tire d’un roman de Jack Kerouac. Sur scène, il est accompagné par les Damned encore en formation.

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             Il n’existe qu’un seul single des Subterraneans : My Flamingo, paru sur Demon Records en 1980. «My Flamingo» est un hit à la fois certain et incertain, ténébreux au sens underground du terme, et lumineux au sens de l’universalisme Kentish. On peut parler d’un gorgeous cut, doté d’un vrai son, Nick Kent chante à sa revoyure, il est puissant, mais à sa façon, il a des cœurs de lads derrière, ça sonne presque comme un hit, avec cet entrain quasi-américain. On sent bien le poids de la légende. Puissant et léger à la fois, c’est très curieux, avec un solo d’arpèges. Il peut aller chercher le raw, mais c’est un raw de dandy. On sent la présence d’un léger parfum d’Only Ones dans le son. Le «Veiled Woman» qui est en B-side est beaucoup plus sophistiqué. Nick Kent va chercher un chat perché encore plus incertain, mais il sait rester juste, comme un junkie perdu dans la nuit du côté de King’s Cross.

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             D’autres gens encore. Bel hommage à Richard Hell - Hell’s whole appearance was too radical to make an impact on torpid mid-seventies American culture - Trop en avance sur son temps, mais ça n’échappe pas à McLaren, «qui se contentait de voler les idées des autres, les considérations morales never seemed to invade McLaren’s devious mindset.» Et il ajoute : «Richard Hell voyait McLaren comme un petit escroc inoffensif. Personne à New York n’aurait pu imaginer que ce petit mec nerveux aux cheveux rouges qui avait convaincu les Dolls de se faire passer pour des sympatisants marxistes - une idée qui allait d’ailleurs torpiller leur carrière - allait en fait leur voler toutes leurs idées.» Prodigieux portraits encore de John Lydon à l’époque de PIL, des pages qu’il faut lire car elles couronnent des carrières - He and his cohorts were looking to invent a new musical hybrid post-punk art rock, do-it-yourself prog with reggae bass lines and krautrock in place of virtuoso noodling and ever-changing time signatures - Il se moque aussi de Strummer - Che Guevara with an electric guitar - et dit qu’il «suait autant sur scène que James Brown et Jackie Wilson». Il descend Sham 69 en flammes : «Pursey was a big noise in 1978 - a big, hectoring, double-ugly noise that drew punk’s dimmest adherents to him like flies to excrement.» Et il jette encore de l’huile sur le feu : «La vue du public de Sham 69 glaçait les sangs - des skinheads géants couverts de tatouages de prison avec aux pieds des Doc Martins couvertes de sang - et Pursey les galvanisait like T.S. Eliot’s ape-necked  Sweeney reinvented as a punk Mussolini.» Et pour conclure il assène ceci : «Il incarnait tout ce que je détestais à la fin des années 70, le véritable misérable opportunisme qui prétendait être la voix des opprimés.» Il se dit aussi très peu concerné par Joy Division, «car quand on a vu les Doors et les Stooges live», c’est compliqué de prendre Joy au sérieux. Il préfère nettement Mark E. Smith and the Fall - Because of his take-no-prisoners mega-truculent personality - Et il lui rend l’hommage suprême, celui qui te rend fier de lire un tel book : «He really was the closest thing England has ever spat out to compare with American hard-boiled rock’n’roll cranks like Jerry Lee Lewis, and I’ve spent quality time with both men.» Hommage encore plus spectaculaire à John Lennon qui, dit-il, «eut à se battre en justice contre des money-hungry vampires comme Allen Klein, eut à bosser avec des egomaniacal nutcases comme Phil Spector et dut vivre avec l’impression constante d’être surveillé par des agents du gouvernement américain à la solde de Richard Nixon. Tout ça combiné ensemble aurait envoyé n’importe qui d’autre au tapis.» Pour Nick Kent, la mort atroce de John Lennon fut la vraie fin des sixties, «or at least the final nail in the coffin of the spirit of that now long-gone era of marmalade skies and endless possibilities.»

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             Encore du haut de gamme avec Keef. Kentish Boy réussit le prodige de rencontrer quasiment tous les gens les plus intéressants de sa génération. Il commence par voir Keef porter «a pair of giant human bug’ op-art sunglasses», et le qualifie de «wastedly elegant». Quand on lui propose de suivre la tournée des Stones en 1973, son rêve devient réalité - my wildest teenage dream becoming reality - Keef est alors «the coolest-looking dude in the known hemisphere.» Et il balance cette phrase démente plus loin : «Lately he had reached the point where he’s begun to resemble a cross between a human blackened spoon and Count Dracula.» Ce book finit par devenir une véritable foire à la saucisse : chaque page réserve son choc esthétique. Kentish Boy est le roi incontestable de la rock formula, ces tournures dont on aime à se souvenir, comme certaines paroles de chansons. L’«a cross between a blackened spoon and Count Dracula» vaut bien «I’m a king Bee Baby/ I can buzz better when your man is gone». Kentish Boy raconte comment il partage des rails démesurés avec Keef - a six-inch line of heroin and cocaine mixed together - Il n’est que 7 h du mat et pour Kentish Boy c’est encore un peu tôt, mais il ne se fait pas prier et sniffe «the whole thing back without further thought. Hey when in Rome...» Puis il monte dans la Dino Ferrari à la place du mort - Keith drove like a man transfixed - C’est la manière élégante qu’a trouvée Kentish Boy pour dire que Keef roulait vite en ville - Heeding caution was strictly for sissies - Il découvre aussi que Keef ne peut pas schmoquer ni le glam ni Bowie. Il ne supporte pas les «soft lads trying to make their bones in the medium of rock’n’roll.» Des pages à lire en priorité, comme toutes les autres pages de ce fat book.

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             On garde le plus gros morceau pour la fin : McLaren et les Pistols. Kentish Boy commence par expliquer que les gourous de Malcolm étaient «the Tin Pan Alley chicken hawks qui contrôlaient the late fifties UK rock marketplace», en l’occurrence Larry Parnes qui, dit-il, écumait les chantiers de bâtiment à la recherche de beaux gosses pour les transformer en rock stars. Puis c’est «the likes of Don Arden» qui prennent le contrôle du marketplace dans les early sixties - Arden ne cherchait pas à baiser ses jeunes coqs, il était trop occupé à les plumer et à casser les jambes de ceux qui se mettaient en travers de son chemin - Kentish Boy fréquente la boutique de McLaren au bout de King’s Road. Ils ont des conversations musicales orageuses. Kentish Boy défend le bout de gras de Dylan et McLaren celui de Johnny Kidd. Son «ultimate musical reference point» est Gene Vincent - the sweet-voiced hillbilly psychopath - Gene incarnait pour McLaren sa vision du rock qui devait rester sauvage et séditieux. Kentish Boy se dit attiré par lui, «par sa passion, son intelligence et son audace» - He was always thinking outside the box - McLaren ne sait pas qui est Jimi Hendrix alors Kentish Boy le force à venir voir le docu de Joe Boyd sur Hendrix. McLaren en sort émerveillé. Puis c’est la rencontre avec Steve Jones et Paul Cook - a pair of eighteen years-old likely-lads law-breakers - McLaren est fasciné par leur délinquance. Steve Jones a déjà barboté «13 expansive electric guitars, une par une», chez des marchands de Denmark Street. Alors que Dr. Feelgood ramasse tous les suffrages, Jones and co restent de marbre, nous dit Nick - We could do better than those Southend cunts - Voilà, le mot est lâché. Et dans les faits, ils vont vraiment faire better, dix mille fois better. McLaren demande à Nick Kent son avis sur la première mouture des Pistols. Il assiste à une répète, c’est Jones qui chante. Pas terrible. Mais Kentish Boy pense que McLaren est sur un gros coup. Soudain McLaren vire Wally Nightingale parce qu’il porte des lunettes et bombarde Nick guitariste des Pistols, sans même lui demander son avis. Ça va tenir deux mois, juillet/août 1975. Comme il n’y a toujours pas de chanteur, Kentish Boy essaye d’appeler Iggy à Los Angeles pour lui proposer le job, mais Iggy vient d’entrer à l’HP. Durant la même période, Nick fait écouter à Matlock une cassette que lui a filé John Cale, celle d’un groupe de Boston qu’il vient d’enregistrer, les Modern Lovers. Matlock flashe sur «Pablo Picasso» et «Roadrunner». Décidément, on n’en sort pas, ce sont toujours les mêmes qu’on croise au coin du bois ! Kentish Boy insiste aussi pour que le groupe reprenne «No Fun» - That was my contribution to their musical development really : virer all the retro silliness et leur indiquer la voie du futur -  Kentish Boy commet l’erreur de considérer McLaren comme un ami - I’d been wrong. The guy was just another control-seeking snake in the grass - Il est vite viré du groupe, mais ça ne va pas s’arrêter là. McLaren devient brièvement le chanteur des Pistols et doit arrêter aussi sec lorsqu’il propose de reprendre une chanson de Syd Barrett.

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             John Lydon entre en lice. Jones, Cook et Matlock ne posaient pas de questions. Avec Lydon, c’est une autre histoire. Il tient tête à McLaren dès le début, from the get-go - Unlike the other three, Lydon - though still a teenager - had a mind of his own - et ce que Kentish Boy assène ici est fondamental : «Ce n’était pas un esprit forcément attractif et bien ordonné - the guy was often on acid - mais il en était certainement le seul occupant de son crâne et il n’allait pas laisser some King’s Road fashion ponce le squatter pour lui laver le cerveau et le plonger into a state of pop-star servility.» Kentish Boy rappelle que McLaren prenait comme modèle les Bay City Rollers, l’apanage de la «pop-star servility». Nick voit John Lydon comme un gosse fragile and strangely sexless. Il vomissait toutes les stars du rock anglais ou américain et prenait Neu! comme modèle. C’est lui qui va transformer les Pistols en «bona fide cultural phenomenon». Puis le jour où il voit sa bobine en première page d’un canard, il change - He was never the same again. His ego suddenly exploded to sky-rocket proportions, as did his sense of personal power -  Quand les Pistols commencent à devenir célèbres à Londres, McLaren invente une nouveau jeu : «Désigner des membres du public for a bloody beating.» Il envoie des psychopathes en mission. Kentish Boy est au 100 Club, en 1976, et Sid, piloté par McLaren, arrive avec une chaîne de moto «and immediately went to work» - Un mec des Hot Rods tenta de s’interposer et se fit lacérer la gueule. Pendant que tout ça se produisait, le complice de Vicious Jah Woble apparut devant moi. Il tenait un cran d’arrêt et en approchait la pointe à quelques centimètres de mes yeux. Il y avait du sang séché sur la lame et dans ses yeux de porc dansait une telle lueur de plaisir sadique qu’on aurait pu croire qu’il allait éjaculer sur le champ - Kentish Boy a raison de ne pas faire de cadeaux à ces ordures. On ne parle plus de rock, ici, on parle d’autre chose. Quand Bill Graham dénonça les violences commises par Peter Grant aux États-Unis, il le traita de «Nazi Germany». Avec le contorsium McLaren/Vicious/Wobble, on est dans le même cadre. L’horreur va continuer, lorsque McLaren vire Matlock pour le remplacer par celui que Kentish Boy qualifie d’«authentic sociopath», Vicious - Bringing Sid into their mix was like adding fire to a leaking pool of gasoline - Un communiqué parut disant que la principale raison pour laquelle Sid avait été recruté «was because he gave Nick Kent just what he deserved at the 100 Club». Et notre incorrigible mover shaker ajoute : «Lire ça dans le NME et partout ailleurs certainly jolted me out of my junkie stupor for at last five minutes.» Mais dans le book, Nick se fâche, car il ne supporte pas bien d’être traîné dans la boue par des gens qu’il considérait comme des amis, alors il les traite de «vampiric morally bankrupt preening scumsuckery backstabbers», ce qui est la pire insulte jamais imaginée par un esprit britannique hautement distingué.

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             Pour finir, Nick Kent scelle brillamment le destin des Pistols qui réussirent à conquérir l’Angleterre, comme l’avaient fait les Beatles avant eux - Take the nation completely by storm - Et il ajoute : «Iggy Pop was too old and the Ramones n’avaient pas vraiment la personnalité adéquate pour le job. The only logical candidates were the Sex Pislols.» Puis vient la fin, avec la tournée américaine. Kentish Boy n’a aucune pitié pour eux : «L’Amérique a pour habitude de décimer tous les groupes anglais venus visiter la colonie la première fois. Ce fut donc le cas pour the Shepherd’s Bush’s finest. In the end they had the bollocks but lacked the stamina. If the New York Dolls were too much too soon, the Pistols were too little too fast.» Sa façon sans doute de les traiter de petites bites. Mais bon, quel album que le Bollocks des Pistols ! Et quel book ! Tu en sors épuisé mais émerveillé.

             Et comme à tout gâtö il faut une cerise, tu trouves à la fin du fat book les vingt pages du ‘Soundtrack for the seventies’, une sélection de cuts et d’albums dûment commentée. Goûtons une bouchée de la cerise au hasard, tiens, 1970, avec dix choix : Kentish Boy s’enivre tout spécialement du «Chesnut Mare» des Byrds, d’If I Could Only Remember My Name de Croz et du Fun House des Stooges. Pages impératives, il n’oublie rien de ce qui est essentiel, tu peux te caler sur sa sélection et t’assurer que tu n’as pas raté le coche ici ou là. En 1977, il cible dix trucs dont Marquee Moon et le «Bodies» des Pistols, et il nous quitte en ciblant encore dix trucs pour 1978/1979, dont le «Tropical Hot Dog Night» de Captain Beefheart - very own King of Weird - le «Domino» des Cramps, et le «Kid» de sa «old flame Chrissie Hynde» qui dit-il, était devenue «a songwiter of consequence».

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             Dans un premier temps on peut lire ce chef-d’œuvre. Et le relire dans un deuxième temps, ce qu’on finit par faire. Car tout y est. Il paraît même que l’ouvrage est traduit de l’Anglais. Mais attention, on perd la langue. C’est comme d’écouter «Anarchy In The UK» traduit de l’Anglais. Il paraît que ça existe.

    Signé : Cazengler, niqué

    Nick Kent. Apathy For The Devil. Faber & Faber 2010

    The Subterraneans. My Flamingo. Demon Records 1980      

    Nick Kent. Punks From The Underground. Skydog 1990

     

     

    Black summer in the city

     

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             Personne ou presque ne connaissait l’existence du Woodstock noir. Un Woodstock noir ? Oui, l’Harlem Cultural Festival, étalé sur six semaines, en juillet-août 1969. Woodstock, qui n’est pas très loin d’Harlem, eut lieu du 15 au 18 août, le même été. Tout le monde connaît le Woodstock blanc, mais pas le Woodstock noir. Hal Tulchin, le mec qui l’a filmé en 1969, avait essayé de le vendre, à l’époque. En vain. 50 ans après la bataille, le Woodstock noir refait enfin surface sur DVD.

             Ce fabuleux docu d’Ahmir Questlove Thompson s’appelle Summer Of Soul et donne toutes les réponses aux questions qu’on peut se poser. Pourquoi un «Cultural Festival» à Harlem en 1969 ? Parce que le pouvoir craignait toujours des émeutes, un an après l’élimination de Martin Luther King. Rien de tel qu’un bon festival pour calmer les esprits. Pourquoi le docu ne dure que deux heures, alors que l’Harlem Cultural Festival a duré six semaines ? Écroulé de rire, Ahmir Questlove Thompson répond qu’il a dû faire court pour les besoins de la production. Il existe en réalité 40 heures de tournage. 40 heures ? Oui, 40 heures. Et ce ne sont pas des petites heures à la mormoille : Staple Singers, Sly & The Family Stone, Nina Simone et tous les autres qui vont arriver avec le fleuve qui suit. Pourquoi ce film tourné en 1969 ne sort que maintenant ? Pris d’une nouvelle crise de rire, Ahmir Questlove Thompson se roule par terre et répond que «ça n’intéressait PERSONNE». Les 47 bobines ont moisi dans une cave pendant 50 ans ! Alors pour Questlove, c’est devenu une quête : faire restaurer tout ça, image par image, monter le docu, bien le politiser pour re-situer le contexte social de l’époque et, petite cerise sur le gâtö, faire court. T’as compris, Questlove, faire court ! Oui missié, faire court. Oui missié, cueillir coton. Oui missié, écraser banane. Pauv’ nègre faire court.

             — Ferme ta gueule et fais court !

             Descendue du ciel, Nina Simone vole au secours de Questlove :

             — Are you ready to kill ?

             — Yeah ! fait la foule.

             — Are you ready to smash everything white ?

             — Yeah ! fait le peuple noir.

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             Et Nina danse pour la foule, reine africaine en robe jaune, elle danse l’appel à l’émeute symbolique, Nina prophétesse prépondérante, Nina conscience ondulante de l’ombilic noir, Nina colère noire, Nina nie l’oppression, Nina nique ta mère white, Nina no no no, Nina nec plus ultraïque, Nina ain’t got no home, Nina ain’t got no shoes, Nina ain’t got no money, Nina ain’t got no mother, Nina ain’t got no father, Nina ain’t got no brother, Nina ain’t got no life, Nina lâche le Backlash Blues - Mister Backlash sent my only son to Vietnam - Nina’s voice between hope and mourning, Nina sculpturale, Nina fight the power, Nina en guerre, Nina X comme Malcolm, Nina reine de toutes les lubies de Nubie et de tous les ébats de Saba, Nina sabbatique de sémantique émotive, et puis t’as Sly, Sly in the sky, Gonna Take You Higher, avec Sister Rose en perruque blanche qui jerke du cul et des seins, Sainte Marie mère de Rose pleine de sexe, et Cynthia Robinson qui sonne la charge d’un coup de clairon, encore plus wild qu’au Woodstock blanc, et tu as Brother Freddie qui gratte ses poux seigneuriaux tout de jaune vêtu, Higher !, clament les blacks, Higher clamait jadis le messie - mais si - Yves Sweet Punk Adrien, heaven black and white hell, prodigieuse inversion des critères, tu as tout ça dans le Woodstock noir, et bien plus encore. C’est un jaillissement contant d’émotion, de grandeur, de combat, d’intelligence et de légendarité. Ça n’arrête pas.

             Roger Gilbert Questlove sort le Grand Jeu : défilés de Black Panthers, courtes séquences, shoots de shootes, et puis toujours les mêmes images de chiens fous lâchés sur les manifestants noirs dans la rue, le même images des Strange Fruit qu’on voit aussi dans le docu sur Billie Holiday, nègres pendus devant un parterre de spectateurs blancs fiers de leur racisme homicide, et puis tu as cette scène mirifique tournée dans une école noire : la maîtresse brandit un très grand portrait et demande aux petits :

             — Who is this ?

             Les gosses braillent :

             — Huey Newton !

             — Where is he ?

             — In prison !

             — Who put him there ?

             — Pigs !

             La clameur des voix d’enfants transcende tout le discours sur le racisme. Pigs ! Les porcs. C’est toujours d’actualité. D’un côté la lutte (perdue d’avance), et de l’autre côté l’art (gagné d’avance). Sonny Sharrock en costard jaune vif, Max Roach et son beurre du diable, Max Roach et sa poule Abbey Lincoln, beautiful and dynamic - Black is beautiful - Mille fois gagné d’avance, Hugh Masekala qui a fui l’Apartheid, Grazing In The Grass, la trompette d’Hugh lutte contre l’Apartheid, mais c’est Nelson Mandela qui va remporter cette bataille perdue d’avance, rien ne pourra jamais vaincre le pire fléau de l’histoire de l’humanité, le racisme et ses trois mamelles, l’esclavage, le colonialisme et la solution finale. Hugh, Nina, Max, Sly ont l’art, les racistes ont le pouvoir, alors Questlove lutte à sa façon. Il utilise la dialectique de Trotsky face au despotisme blanc. Comme l’homme vient tout juste d’atterrir sur la lune et que l’Amérique blanche trouve ça génial, Questlove tend son micro à quelques super-blackos. Il leur demande ce qu’ils pensent de cette histoire d’homme qui a marché sur la lune. Un premier blackos en colère et plein de bon sens s’écrie : «What’s up on the moon? Nothing!». Il a raison, il n’y a que dalle sur la lune. Un autre surenchérit : «Blé gaspillé. Feed the poor black people». Ils ont raison tous ces super-blackos, l’expédition sur la lune coûte des millions de dollars et des gens crèvent de faim en Amérique. Un autre blackos dit les choses différemment : «C’est génial for certain people, but not for the black men in America.» Voilà, les choses sont dites. Rien à cirer de leur fucking premiers pas sur la lune. Un autre en rigole : «Black men want to go to Africa. White men want to go on the moon. I’ll stay in Harlem with the Portoricans and have me some fun.» Et il tire une grande bouffée sur son pétard. La classe ! Et puis tu as un mec très sérieux qui fait face à la caméra et qui déclare : «What the shoot on the moon proves is what America hasn’t got is Soul.»

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             Summer Of Soul est un film dédié au Black Power - 1969 was the year when the negro died and the Black man was born - Stevie Wonder bat le beurre du diable et down from Mississippi, les Chambers Brothers groovent le Mount Morris Park, c’est une infernale succession de superstars, B.B. King costard bleu et gimmicking de la bloblotte, ah il faut voir ce port altier, et ça jerke à la suite avec The 5th Dimension, les trois mecs au milieu encadrés par les deux blackettes, Let The Sunshine In, Marylin McCoo et Florence LaRue, les plus bandantes de toutes les blackettes du Summer, hipshake de taille basse, elles font monter des black teenagers pour jerker avec elles, c’est inespéré de voir des artistes de cette qualité dans leur contexte, et ça monte encore d’un cran avec les Edwin Hawkins Singers - When Jesus wash’d/ Oooh when Jesus wash’d - et boom ça explose en plein ciel, he wash’d all my sins away, tu ne battras jamais l’«Oh Happy Day» à la course, c’est l’emprise du Black Power sur la terre, la victoire totale de l’art, et tu vois la foule, des centaines de milliers de blacks taper des mains, alors tu comprends que l’art tue la mort, que l’art tue les racistes, mais tu n’es pas arrivé au bout de tes émotions, car les Staples Singers radinent leur fraise, les trois frangines groovent le big gospel batch de Pops ! Papa pride ! Mavis commente les images - Papa you play the blues on the guitah ! - On voit grimper sur scène d’autres groupes de gospel encore plus demented, Clara Walker & The Gospel Redeemers, la transe, la pure transe ancestrale, et puis voilà la reine du genre, Mahalia Jackson. Un blackos commente : «Quand on souffrait à cause de la tension, on n’allait pas voir de psy, mais on savait tous qui était Mahalia Jackson». Et là ça reprend une prodigieuse tournure politique, avec le Révérend Jesse Jackson et sa guerre perdue d’avance. Il demande à Mahalia Jackson de chanter «Precious Lord», la chanson préférée du Doctor King, exécuté un an avant. Jesse Jackson relate la scène qui s’est déroulée en avril 1968 à Memphis : «Le Dr King a demandé à Ben Branch de jouer Precious Lord, il s’est levé et bang !» Jesse entre dans les détails macabres : «Épine dorsale sectionnée et moitié du visage emportée». Alors Mahalia claque des dents et entre en transe, elle se coince la glotte sur l’I-I-I-I-I-I-I et Mavis vole à son secours à coups de guttural. Elles sont bestiales toutes les deux, divinement bestiales. Mavis commente les images pour Questlove et déclare : «That was the time of my life», c’est-à-dire le moment le plus important de sa vie. «Ce fut un honneur que de partager le micro avec Mahalia Jackson. She’s the greatest !». Voilà encore un greatest : Motown débarque à Harlem avec David Ruffin - He’s a tall dark superstar - Et David attaque au I’ve got sunshine on a cloudy day - Les blackos dans la foule se marrent de bonheur. Tu en vois même un grimpé très haut dans un arbre, David le voit danser là-haut, alors il se marre - It’s my girl - Et il yodelle un océan de classe. Arrivent à la suite Gladys Knight & The Pips. Pareil, il faut avoir vu ce plan si on ne veut pas mourir idiot : les Pips te jerkent Harlem à l’ancienne, dans leurs costards crème, c’est le jerk des princes de la rue, et la foule danse, tu ne verras ça qu’à Harlem, une foule danser le jerk. Gladys tape ça au raw, elle a des grosses cuisses, mais c’est Gladys superstar, after all, l’autre Queen of Soul. S’ensuivent Sly avec «Everyday People», Mongo Santamaria, un chouchou de Jean-Yves (hello Jean-Yves), et Ray Baretto qu’il faudrait écouter davantage.

    Signé : Cazengler, Summer of soulard

    Ahmir Questlove Thompson. Summer Of Soul. DVD 2022

     

     

    L’avenir du rock   

    Easy Gyasi

     

             Chaque année, l’avenir du rock et Pollux se retrouvent dans un petit restaurant cosy de la côte d’opale.

             — Nous célébrons aujourd’hui les cinquante ans de notre rencontre, mon cher Pollux.

             — Ainsi Va Va Va Voom, avenir chéri !

             — Ah Pollux, comme il était bon le temps où tu me servais des curaçaos bleus...

             Pollux était barman dans une boîte un peu spéciale, située elle aussi sur la côte d’opale. L’avenir du rock y traînait parfois le vendredi soir. L’endroit était essentiellement un cabaret où se produisaient des traves extrêmement brillants, et un disc-jockey assurait les intermittences avec un choix extrêmement pointu de disques glam, allant de Brett Smiley à Kevin Ayers, en passant par «Blockbuster», «Get It On» et «All The Madmen». Pollux était l’incarnation de la générosité. Quand l’avenir du rock lui demandait un verre, Pollux le lui offrait.

             — Wham bam thank you mam !

             Pollux était alors un homme d’âge mûr, au regard à la fois tendre et rieur, il émanait de lui un charme métaphysique, il portait le cheveu court et frisé, et son début d’embonpoint lui donnait un faux air napoléonien.

             — Diable comme ton parfum sentait bon.

             — Habanita de Molinard...

             — C’est drôle, tu acceptais rarement de danser.

             — Je veillais tout simplement à la salubrité de mon pauvre cœur déjà mille fois brisé, avenir chéri. C’est pourquoi je préfère les invitations à dîner, car la table permet de tenir ses distances.

             — Ce que j’apprécie le plus chez toi, Pollux, c’est ta légèreté. Tu ne prends jamais rien au sérieux.

             — Sauf le menu, avenir chéri. As-tu déjà fait ton choix ?

             — Oh oui... Salade de Gyasi !

     

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             Lui, il a tout compris. Gyasi, il ne vit que pour ça, c’est-à-dire le glam. Il est l’incarnation de l’éternel retour, il est le serpent qui se mord la queue, il s’auto-transmute et transmute en même temps le plomb de Binic en or glam. Il semble tomber du ciel dans cette prog australienne, il est la dernière tête d’affiche d’une vieille lignée, c’est même inespéré de voir arriver ce mec sur scène, au sound check, vêtu d’un déshabillé noir transparent et d’un pantalon pattes d’eph en satin noir. Il gratte une Les Paul, il est maquillé et, bien sûr, il porte du rouge à lèvres.

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    Il va revenir le soir serré dans un jumpsuit glitter, les paupières et les lèvres peintes en rouge, avec aux pieds des platform boots rouges dont les talons sont encore plus hauts que ceux de Pete Overend Watts. Comme si c’était possible ! Bim bam boom, wham bam thank you mam, c’est parti pour une heure de glam, une heure de fraîcheur dans cette prog de bourre-et-bourre et ratatam.

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    Quelques grammes de finesse dans un monde de brutes, disait une pub qu’on voyait à une époque au cinéma. Le glam fut un monde magique parce qu’éphémère, aussi éphémère que Brian Jones et les Pistols.

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             Alors Gyasi, dont personne ne sait prononcer correctement le nom, vient d’Amérique pour ressusciter le glam le temps d’un concert, et là, tu dis oui, car il le fait parfaitement bien. Easy Gyasi, il collectionne tous les clichés de ce genre éculé par tant d’abus. Il rend hommage à ses pairs, à Ziggy et à Marc Bolan, on le sent complètement investi, il a étudié le glam au microscope, c’est Mick Ronson qu’on a sous les yeux, alors pour tous les fans de Ronno et du temps des Spiders From Mars, c’est le paradis. C’est une sorte d’apothéose de l’apoplexie maniérée, c’est le full bloom du Blockbuster, on oublie le temps d’un set le cauchemar des mauvais groupes punk qu’il a fallu supporter la veille et l’avant-veille, pour renouer avec ce qui fut autrefois la tradition «du Binic», comme disent les gens, c’est-à-dire la tradition des vraies têtes d’affiche. Remember Kid Congo, les Sonics ou encore les Oblivians.

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    Gyasi porte cette responsabilité et il la porte bien. Il fait le show. Tu en as pour tes vingt zeuros, comme dit la Miche. T’es content d’être là, une fois de plus. L’air vibre. Ça grouille de vibes. Binic reprend enfin son allure de fête païenne. Retour au temps des communions. Gyasi n’a pas la voix de Bowie, il se contente juste de faire le Ronno. Rappelle-toi, Ronno grattait une Les Paul. Gyasi tente d’imposer sa vision du glam. Il ne manque pas grand-chose. Manque d’exubérance ? Non, il n’est pas assez anglais. Trop américain. Les seuls glamsters américains furent les Sparks d’A Woofer In Tweeter’s Clothing. La décadence reste le privilège des Britanniques. Ziggy Stardust est impossible en Amérique. Peter Perrett itou. Mais bon, Gyasi tente le coup. Il doit fournir deux fois plus d’efforts pour asseoir sa crédibilité et il le fait sans que ça apparaisse. Il impose une sorte de respect. Il joue le jeu artistique. Et ça marche, tout au moins pour un soir. Et quel beau soir. Avec Cash Savage, il sauve le festival. La seule reprise qu’il fait est une espèce de medley farci de «Waiting For The Man».  

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             Le deuxième album de Gyasi s’appelle Pronounced Jah-See. Au moins comme ça, on saura comment ça se prononce. À Binic, personne ne savait dire son nom.

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    L’album sort sur l’excellent label de Patrick Boissel, Alive Naturalsound. On y trouve un coup de génie, «Feed Your Face». Il plombe son power extrême à coups d’ohh ahh ahh. C’est monstrueux. Ce mec a tout compris, il rocke son ohh ahh ahh qui est l’essence même du glam et le torpille d’un coup de killer solo flash déflagrateur. Gyasi est un magnifique rock’n’roll animal qui cavale à la surface du glam, un mythe déjà ancien. Et s’il lui prenait l’envie de ressusciter Ziggy Stardust ? C’est à portée de main, même s’il n’a pas la voix de Ziggy. Mais il opte pour le parti-pris explosif. Il ramène tout le ramdam dans son glam, comme le montre le «Burn it Down» d’ouverture de bal. Il en pince pour les bombes atomiques. Il ressort le veux glam stomp pour honorer non pas Honorama, mais «Tongue Tied». Il fait du glam américain, qui n’a pas la flavour anglaise. Le stomp est là, mais c’est tout. «Androgyne» pourrait bien être le cut le plus intéressant de l’album. Car il dispose d’une réelle dimension artistique. Gyasi semble claquer sa pop sur la couverture des magazines, le solo de slide trouble la surface du glam. N’oublions pas que Gyasi vit à Nashville. Il ramène des cuivres dans «Blackstrap» et il repart en mode wild rockalama avec «All Messed Up». Il y va au full throttle, avec des accents glam, et c’est magnifique, tout au moins pour l’amateur de glam. Avec «Little Tramp», il se croit sur Hunky Dory et avec «Walk On», il fait du faux Velvet à coups d’acou. Ce magnifique artiste te claque ça encore une fois à la surface. Il fait un mix de «Lust For Life» et de «Get It On» dans «Fast Love». Superbe effet de Perlimpinpin. S’ensuit un retour stupéfiant au glamming glam avec «Kiss Kiss», the thundering stuttin’ glamin’ glamour, il le rocke sous la jupe de la légende, Gyasi est un artiste parfaitement au point, il a des réflexes glam flamboyants, et comme cerise sur le gâtö, il choisit cette fois le solo de sax. Il termine avec le fameux «Sword Fight» qu’il mimait sur scène dans l’espoir d’imiter Ziggy. Il sort le sabre du fourreau dorsal pour combattre la chimère. C’est du big buzz.

    Signé : Cazengler, jaseur

    Gyasi. Binic Folk Blues Festival (22). 30 juillet 2023

    Gyasi. Pronounced Jah-See. Alive Naturalsound Records 2002

     

     

    Inside the goldmine

     Shaking with Linda (Part One)

     

             Baby Lisette ne payait pas de mine. Un long nez en trompette semblait partager son maigre visage en deux parties qu’aplatissaient encore deux lourds paquets de cheveux longs d’une couleur incertaine. Elle coiffait ses cheveux plats comme toutes ces adolescentes incapables de se mettre en valeur. Elle parlait si peu qu’on pouvait la croire demeurée. Elle n’avait pas non plus de couleur d’yeux. Elle n’avait globalement aucune saveur. Mais elle était déjà formée. Elle était l’aînée des trois, suivie d’un frère et d’une petite sœur. La famille recomposée vivait dans une grande baraque. Après le dîner, tout le monde regardait la télé au salon, puis les plus petits allaient se coucher, suivis par le couple d’adultes qui allait forniquer. Et nous nous retrouvions tous les deux au salon avec Baby Lisette, ce qui ne l’effrayait nullement. On restait là jusqu’à la fin des programmes, car à cette époque, la télé s’arrêtait à une certaine heure. Il fallait bien sûr baisser le son pour laisser les autres dormir. Ces fins de soirées à deux devinrent une sorte d’habitude bizarre. Baby Lisette semblait fort bien s’en accommoder. Deux canapés occupaient l’angle du salon, et les premiers soirs, nous en occupions un chacun. Nous gardions nos distances. Puis nous rentrâmes progressivement dans l’ère des possibilités, et elle ne fit aucune objection à une demande en bonne et due forme de rapprochement : «Ça t’embête pas Baby Lisette si je m’assois à côté de toi ?». Elle fit «non non» d’une voix blanche. Il fallait comprendre à travers cette acceptation qu’elle n’attendait que ça. La première pelle ne se fit pas attendre. Elle semblait complètement inévitable. Elle dura une éternité. S’ensuivirent les inspections classiques, auxquelles elle n’opposa pas l’ombre d’une résistance, bien au contraire. On allait de surprise en surprise, Baby Lisette fut sans le moindre doute la plus offerte de toutes ces Asies Mineures de l’adolescence. Elle semblait en outre parfaitement bien connaître les attentes des mâles et savait manipuler un caoutchouc avec dextérité. Elle n’avait plus rien à apprendre. Alors, la curiosité fut la plus forte. Elle répondit aux questions en chuchotant. Oui elle connaissait les hommes. Enfin, un homme... Elle raconta que son père l’avait violée plusieurs fois, mais elle voulut se montrer rassurante en ajoutant qu’elle n’était pas traumatisée, ce qui mit fin aussitôt à votre mésaventure.

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             À l’époque où Baby Lisette se faisait limer par son père, Linda Lewis enregistrait à Londres. Ce n’est pas exactement le même destin. Mais bon, le fait que Baby Lisette ne soit pas traumatisée, c’est une bonne chose, par contre, Linda Lewis peut être traumatisante, au bon sens du terme.

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             Le petit label londonien Troubadour (filiale d’Easy Action) a pris en 2017 une curieuse initiative : consacrer une ravissante petite box à Linda Lewis, Funky Bubbles, pour célébrer 50 ans de carrière. Linda quitta l’école à l’été 1967 pour chanter, le jour où parut Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band. Comme son nom l’indique, Funky Bubbles est une box qui pétille de vie. Signalons au passage que Troubadour propose un catalogue hanté par des fantômes légendaires, de Dave Kusworth à Nikki Sudden, en passant par Judee Sill. Il n’est pas étonnant d’y retrouver Linda Lewis qui vient hélas de casser sa pipe en bois.

             Linda fait partie des artistes qui gagnent grandement à être connues. Comme elle s’appelle Linda Fredericks, on lui demande de prendre un pseudo, alors elle choisit Linda Lewis, en hommage à Barbara Lewis. En 1967, Don Arden la manage, donc elle n’est pas née de la dernière pluie. Elle commence par enregistrer des singles qui vont devenir des classiques de la Northern Soul («You Turned My Bitter Into Sweet»). Puis elle va rejoindre Ferris Wheel, en remplacement de Marsha Hunt. On y revient dans un Part Two.

             Elle va poursuivre son petit bonhomme de chemin solo. On la voit dans le Jackie Lomax Band, puis en studio pour des chœurs sur Aladdin Sane. Dans les années soixante-dix, elle tourne aux États-Unis, seule avec sa gratte et ses chansons.

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             Le disk 5 de la box s’intitule Little Diamonds et propose un concert enregistré au Pall Mall à Boston en 1973. Les cuts sont tirés de ses trois premiers albums, Say No More, Lark et Fathoms Deep. Elle travaille au filet de chat perché sans filet. C’est son apanage. Elle joue des accords de Brazil pur sur un «Spring Song» tiré de Lark, elle semble s’élever au-dessus de la ville. Elle attaque «It’s The Frame» tiré du même album au petit arpège intrinsèque. Linda est une fine guêpe, il ne faut pas la prendre pour une buse. Ce qu’elle propose est extrêmement beau. Elle gratte tout, elle devient attachante, sa pop Soul de sucre candy colle bien au papier. Et puis voilà «Funky Kitchen» tiré de son premier album, Say No More - It’s my contribution to rock’n’roll - Elle gratte les accords de «Proud Mary». Elle recrée l’événement avec «Little Indians», c’est très emblématique, elle semble faire du work in progress. Il faut attendre «Old Smokey» pour revoir ses naseaux frémir, car voilà un puissant groove de jazz liquide. Un mec l’accompagne, sans doute Jim Cregan. Elle termine avec «On The Stage» tiré de Fathoms Deep. Elle t’y éclate l’exotica au paradis du chat perché. Tout est dans la locution : paradis et chat perché. Ça te permet de comprendre que Linda a du génie.

             Dans l’interview qu’elle donne à la box, Linda rappelle qu’elle fut influencée très tôt par Laura Nyro et Joni Mitchell, et qu’elle fut la première black en Angleterre à monter seule sur scène avec une gratte, bien avant Joan Armatrading. Linda commence à écumer les gros festivals de l’époque, Glastonbury et Knebworth. Ça la fait marrer de côtoyer les gros mastodontes comme Sabbath et Deep Purple.

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             Le disk 4 s’intitule First And Last Borne et propose des rarities. On y trouve le fameux premier single, «You Turned My Bitter Into Sweet», pur jus de r’n’b lindaïque, quasi Motown, pur joyau de female are’n’beeee. Il faut aussi la voir tenir le groove à distance dans «When The Lights Go Down», à la seule force du chant. Quelle magnifique artiste, aw comme elle est bonne, bien chaude, là, juste sous le boisseau. Elle est encore en plein Motown avec «Do You Believe In Love». Quel incroyable swagger ! Elle est un tout petit peu plus molle que sur «You Turned My Bitter Into Sweet», mais son chat perché te fend le cœur. La voilà avec Ferris Wheel pour «I Know You Well», une petite bulle pop très curieuse qu’elle achève au chat perché supersonique. Sacrée Linda, elle doit se faire mal à la glotte ! «Don’t Stop Now» date aussi du temps de Ferris Wheel, elle se la coule douce dans l’exotica. Toujours Ferris Wheel pour «Little Indians», elle entre sur le sentier de la guerre à pas feutrés. Dans tous les cas de figure, Linda reste d’une fraîcheur à toute épreuve. Elle gratte ses poux sur «Wise Eye» et fait sa Richie Havens, et avec «It’s The Frame», elle  tape un frame d’arpèges à l’Anglaise. C’est très préraphaélite, elle se montre extrêmement bienveillante, comme si elle grattait les arpèges de la paix sur la terre. Son «What Are You Looking For» est tiré d’une session TV - And it goes like this - La voilà suspendue à un fil. Fantastique Linda ! Elle termine ce brillant disk 4 avec «Light Years Away». Quand elle gratte ses poux, elle devient passionnante. Elle chante au sucre supérieur avec des coups d’acou inflammatoires. Elle s’offre totalement. Alors tu la prends.

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             Le disk 1 s’appelle Latin Quarters et grouille de puces, notamment «Whatever», une merveille de wild exotica. La grande force de Linda, c’est l’élan. Tu vas encore te régaler avec «Our Day Will Come» et «Love Inside», elle s’y fait sa Demoiselle de Rochefort, mais en plus Brazil, c’est dire l’éclat de son génie. Quelle incroyable option ! Elle est pure et dure. Linda n’est pas du tout la Soul Sister qu’on croit, elle en pince pour l’exotica et s’y parfaitement à l’aise, elle propose un mélange ahurissant de Brazil, de jazz et de chat perché juvénile. Un accordéon l’accompagne sur «In The Heat», et «Love Plateau» sonne comme la Soul d’exotica des jours heureux. Tout aussi stupéfiant, voilà un «Born Performer» gorgé d’échos Brazil, elle s’appuie sur une tranquille assurance cornélienne et une incroyable fraîcheur de ton. Aucun pathos chez Linda, elle ne vise aucun sommet, ni Nina Simome ni Aretha, elle est libre comme l’air. Linda, c’est encore autre chose, une forme de génie féminin particulier, son Day Will Come sonne comme un bénédiction dotée d’aura divine, elle tape sa Soul de good time au la la la, c’est assez heartbreaking. Elle se montre aussi très ingénue avec «So Sixties», qu’elle tape au petite sucre impénitent. Elle drive son «Sweet To Do Nothing» au hoo hat !, et son «What’s All This About» est très aérien. Elle a de l’apanage dans les huniers.

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             Le disk 2 va plus sur le funk, et s’appelle donc Funk-eh. Dès «For Love Sake», elle ramène le sucre du paradis. Te voilà propulsé dans une vraie réalité. Tu la vois en équilibre sur un fil, et tu la suis des yeux. Tu ne la perds jamais de vue. Elle tape une pop plus banale, elle cherche sa voie. Elle tâte le terrain du reggae avec «Too Good To Be True», et son beat se charge de grâce. Elle se montre encore une fois infiniment crédible. Elle installe une sorte de real deal avec «He’s A Diamond». Le beat ponctue son génie artistique. Voilà le coup de génie tant attendu : «More Than Enough», elle rôde dans le lagon avec du sucre et des coups d’acou, alors ça reste raw et beau, ça sonne comme du jazz définitif. Puis elle s’en va groover son «Wearing Wings» au paradis. Il n’y a que le paradis qui l’intéresse. Linda a ça en commun avec Joni Mitchell et Laura Nyro. Elle chouchoute son cut à la voix chaude. Elle devient une artiste inexorable, ce mélange de sucre et de groove est assez rare. Elle reste la reine du groove avec «Darlin’ (Groove)». Fascinante blackette. Chaque fois, elle ramène son joli sucre candy. Elle passe enfin au funk avec «Last Call». Si tu mets le nez dans cette box du diable, tu ne pourras plus lui échapper. Ah il faut la voir groover sa chique !

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             Les mecs d’Easy Action ont eu bien raison de sortir cette box, c’est la meilleure des introductions à l’œuvre de Linda Lewis. On sort enchanté du disk 2 et on plonge de plus belle dans le disk 3 qui s’appelle Bubbles. Elle commence par un tour de passe-passe, avec «Sideway Shuffle», heu nah nah ! Elle y va au sucre pur et elle récupère le groove tout en haut, au chat super-perché. Quelle artiste ! Et tu as en prime un gros solo de gratte. Le coup de génie du disk 3 s’appelle «Doin’ The Right Thing». Elle y redevient africaine. Elle te décline carrément le groove avec des incidences vocales ahurissantes. Elle semble dominer le monde. On retrouve à la suite «He’s A Diamond», mais elle le prend plus calypso. L’autre gros shoot d’exotica est l’excellent «(You Are An) Angry Young Man», où elle renoue avec le Brazil. Elle te gratte ça sec. Elle te tape encore «Like I Dance» au petit sucre, elle y va au ouh ouh ouh, accompagnée par un bassmatic et les percus-à-Lulu. Elle dégage un violent parfum de génie exotique. Elle charge son chat perché de sucre et ça devient magique. Elle fais sa Princesse des Sables dans «Mr. Respectable», un gros groove de funk des années de braise, et elle embarque son monde avec «Don’t Come Crying». Elle te chauffe bien ses coups d’acou et ça devient tétanique. Elle t’envahit, et bien sûr, tu adores ça. Linda Lewis aura passé sa vie à taper un petit folk de black Lady au sucre préraphaélite. C’est très spécial, car elle crée de l’émotion en permanence, elle a vu des horizons et a su rester d’une modernité à toute épreuve. 

    Signé : Cazengler, Lindo Music

    Linda Lewis. Disparue le 3 mai 2023

    Linda Lewis. Funky Bubbles. Troubadour/Easy Action 2017

     

    *

    Cinquante ans que je n’ai mis les pieds en cet endroit. Eté 1968, précision pour ceux qui aimeraient poser une plaque pour commémorer cet évènement. Rien n’a changé. Toujours la même rangée de platanes aux larges troncs. Z’à l’époque les pouvoirs publics n’avaient pas encore pris la stupide directive d’émonder leurs vastes houppiers protecteurs, dégarnis de leur chef nos géant paraissent un tantinet ridicules, n’ont gardé que leurs branches maîtresses surmontées de maigres pompons de feuilles, ressemblent ainsi à des bonnets de marins, l’ombre des ramures imposantes n’existe plus… Par contre le kiosque rudimentaire destiné à recevoir les orchestres de balloche n’a pas bougé – oui lors de cette soixante-huittarde soirée oubliable de la fête du village je fus victime de nombreux râteaux, la gent féminine est parfois rétive aux propositions les plus désintéressées - aucun musicos ne l’occupe aujourd’hui, je suis pourtant venu là pour écouter toute la musique que j’aime.

    JUKE JOINTS BAND

    RIEUX DE PELLEPORT ( 09 )

    ( 23 / 07 / 2022 )

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    Pas du tout un hasard, cette rencontre inopinée de la veille avec Chris Papin qui nous informe qu’il joue le lendemain à 12 Heures 30 pour le Comité des Fêtes de Rieux De Pelleport. Les conjonctions astrales sont formelles je ne saurais villégiaturer en Ariège ne serait-ce que quelques jours sans assister à un concert du Juke Joints Band. Les fidèles Kr’tnt readers seront heureux de savoir que malgré le Covid et la vente de la maison familiale nous renouons avec cette heureuse tradition.

    Public choisi, pratiquement que les membres de l’Association,  ambiance familiale et sympathique, le repas sera généreusement offert à tous, la prestation de l’année précédente du  JJB ayant satisfait les amateurs, le groupe a été de nouveau choisi pour apporter sa touche musicale à cette festive après-midi. Le premier set, ne tarde pas à débuter. La chaleur est horrible,  sous le large barnum, protégé du soleil et rafraichi par un courant d’air nous sommes les rois.

    Pour cette fois-ci nous avons droit à la formation fondatrice du JJB, si mes souvenirs ne m’égarent lors du dernier concert que nous avons relaté, voici plus de deux c’était le JJB Quartet, donc ce coup-ci le duo, uniquement Ben  Jacobacci  et Chris Papin. Guitare et chant. L’essence du blues.

    Ben juché sur son perchoir, n’importe qui aurait du mal a garder son équilibre sur ce fragile et inconfortable quadrupède de bois, mais lui l’est aussi à l’aise que Jules César sur sa chaise curule, non il n’est pas engoncé dans une toge, se contente d’arborer un T-shirt Led Zeppelin, l’a posé son électro-acoustique sur le giron de son jean, et puis c’est tout. Ne bouge plus. L’on sent qu’il est capable de rester comme cela durant des mois. L’est dans son élément. L’a atteint son nirvana, n’a plus besoin de rien, très logiquement il ne fait rien. Enfin presque. L’est trahi par ses doigts. Sont atteints d’une terrible bougeotte. Très vite vous ne voyez qu’eux. S’activent salement. Non sur sa quenouille il ne file pas la note bleue, ne la tisse pas lentement durant des minutes, il ne la fait pas éclore au dernier moment pour vous l’exhiber fièrement alors que vous ne croyiez plus à sa venue et que vos oreilles la regardent avec l’étonnement d’une poule qui ne sait plus si elle n’est pas sortie de l’œuf qu’elle vient de pondre. Non, Ben a la note bleue luxuriante, vous en jette des centaines par poignées, mais d’où les sort-il, l’est infatigable, pire que Radio-Andorre,  quand il n’y en a plus il en a encore, elles se bousculent sous ses doigts, elles s’échappent, des rivières qui débordent et emportent toute votre adhésion sur leurs passages. Elles ne prennent pas la peine de ralentir lorsque sur certaines cascades virevoltantes, elles suscitent des applaudissements. Faut avoir une sacrée maîtrise mentale pour ne pas perdre le riff dans ce torrent impétueux.

    Avec un tel musicien à vos côtés pas besoin de tenir des maracas ou tout autre babiole sonore dans ses mains pour vous donner une contenance ou faire du bruit pour combler les interstices. Chris Papin ne semble pas atteint d’angoisses métaphysiques, genre le gars pénardos qui se trouve là parce qu’il a poussé la porte et qui ne semble pas du tout étonné de ce qui lui arrive. L’est vrai qu’il possède une arme secrète. Lui suffit d’ouvrir la bouche pour vaincre sans combattre. N’a pas terminé son premier couplet que des exclamations fusent pour saluer ce vocal qui vous passe les esgourdes à la toile émeri (  émérite aussi ). C’est une grande injustice, c’est quoi le blues ? C’est la voix de Chris. Le timbre de celui qui a beaucoup vécu, qui a tout connu, qui a tout surmonté, cinq pour cent de souffrance, cinq pour cent d’amertume et quatre-vingt-dix pour cent de courage de vivre, malgré tout, envers et contre tout. Le mec ne vous dit pas que la vie est belle, vous rappelle qu’elle vous cabosse sans pitié avec en prime ce fond de gorge goguenarde qui vous pousse à en redemander, car si rien n’est plus atroce que cette salope, rien n’est aussi bandant non plus.

    Vous ai montré le premier, vous avez vu le deuxième, reste à vous croquer le troisième. Oui un duo est composé de deux personnes, mais il ne s’agit pas d’oublier la troisième. La plus importante. Meilleure que Ben, supérieure à Chris. C’est l’ensemble, la complicité qui les unit et les réunit. Chacun sait où l’autre veut aller, échangent un coup d’œil et c’est parti, ou Ben se lance non pas dans un solo mais dans un multiplex de trilles éblouissantes ou Chris éructe la rouille de son larynx dans les synapses de votre cerveau et s’amuse à jouer au Monsieur Déloyal qui fait exprès de laisser échapper le serpent du blues de la corbeille de son histoire pour que sentiez les anneaux froids du reptile bleu enserrer votre corps. Une morsure dont vous porterez la cicatrice jusqu’à la fin de votre existence.

    JJB, la magie bleue, vous a encore joué un tour à sa façon.

    Damie Chad

     

    *

    J’ai l’habitude de partir tout nu en vacances et de me nourrir des occasions qui s’offrent à moi, jeunes filles ne rêvez pas, je veux simplement dire que je n’emporte aucun livre avec moi, me contentant de récupérer de-ci de-là dans les brocantes ou les librairies les ouvrages que le hasard facétieux glisse sous mes yeux avides.

    JOHNNY, LE REBELLE AMOUREUX

    BERNARD VIOLET

    ( J’ai Lu / 2003 )

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                Pas étonnant que je dégote un bouquin de Johnny, sa disparition a occasionné une montagne d’écrits divers. Premier livre qui me tombe sous la main au premier jour de mes pérégrinations, plus de cinq cents pages, de quoi étancher ma soif de lecture nocturne. Bernard Violet journaliste de profession a publié une vingtaine de biographies consacrées à des sommités nationales bien aimées du public, de L’abbé Pierre à Mylène Farmer… Une petite préférence pour Johnny puisqu’il a aussi signé un Johnny Hallyday, Pour les nuits en 2012 et Johnny et Sylvie en 2008.

             Première impression d’ensemble, l’on parle peu de Johnny dans toutes ces pages. Entendons-nous, le projecteur braqué sur l’idole ne le quitte pas d’une seconde, toutefois les amateurs de musique restent sur leur faim, si tous les enregistrements, tous les spectacles sont fidèlement répertoriés et évoqués le but de Bernard Violet n’est pas d’analyser l’évolution musicale de Johnny, il y aurait par exemple tant à dire ne serait-ce que sur le choix de ses adaptations, notre biographe tend plutôt à décrire la tornade existentielle hallydéenne, à entraîner le lecteur dans une course contre la montre et contre la mort.

             C’est Mao Tsé Toung qui disait que lorsque la révolution n’avance pas, elle recule. Ce parti-pris synergique qui emprunte beaucoup aux principes thermodynamiques de Carnot semble avoir été établi pour comprendre comment Hallyday s’est lancé à corps perdu dans une surenchère spectaculaire basée sur une idée simple : faire à chaque fois, plus fort, plus grand, plus étonnant.  Johnny ne sait pas faire dans le petit, même ses échecs devaient être magistraux, la critique l’a éreinté, souvent avec raison, notamment pour ses premiers films, il a survécu, l’est passé sous les pluies de balles assassines, l’en a acquis le titre de survivant, de phénix indestructible, de rafiot insubmersible. Il arrive un moment où l’image prime sur la réalité des choses et le mythe sur le monde.

             La première partie du livre est la plus passionnante, celle qui raconte l’enfance de Johnny, le père, la mère, Desta, Lee, tout cela est connu, mais Violet sait la conter avec minutie, Johnny revient… de loin. Enfant de la balle et vaches enragées, tournées incessantes, numéros de music-hall, comme ces années cinquante nous paraissent sombres et glauques… vies d’artistes sans paillettes.

             Johnny amoureux ? Johnny fut-il un grand amoureux ? Le succès venant les filles se succèdent à vitesse grand V, survient l’imbroglio Johnny-Sylvie, si subtilement analysé dans  SylvieJohnny LoveStory de Marie Desjardins ( Voir notre livraison 442 du 12 / 12 / 2019) sans doute ne faut-il pas confondre le mythe chrétien de l’Amour Absolu avec la Multiplicité du Désir païen… Sans conteste Johnny fut un grand désirant ! La deuxième moitié du livre se perd un peu trop dans le catalogue des nombreuses conquêtes de l’idole, serait-ce la jalousie qui me pousse à employer le terme de monotonie !

             Johnny rebelle ? Le vocable est séduisant. A l’origine le mot rebelle désignait celui qui entrait en guerre contre un pouvoir quelconque. Soyons plus précis : qui prenait les armes. Le rock’n’roll est une musique rebelle. Oui, mais ma guitare n’est pas un fusil. Le rebelle d’aujourd’hui se munit d’armes moins létales. Il critique, il adopte une attitude qui montre haut et fort que l’on est en total désaccord avec le système dans lequel on vit. Au mieux il retourne le fusil qu’il n’a pas contre lui-même, au pire il sert de soupape de sécurité au système coercitif… dans le premier cas l’on est victime de son propre nihilisme, dans le deuxième d’une manipulation dont on essaie, avec plus ou moins de réussite, de ne pas prendre conscience, oscillant ainsi entre cynisme et (fausse) naïveté.

             Si le succès fulgurant de Johnny au début des années soixante fut le révélateur des appétits vitaux d’une jeunesse écrasée sous le boisseau des convenances sociales, le temps venant (très vite) il fallut à notre idole rentrer dans le rang, porter un costume sur scène et faire son armée comme tout le monde. Puis s’adapter à l’évolution musicale d’outre-Manche et Atlantique… C’était cela ou disparaître. Le rebelle fit des compromissions. En tant que rocker il avait la caution morale d’Elvis… Ne jetons pas la pierre à Johnny, nous sommes tous des rebelles compromis. A des degrés divers peut-être, être un perdant magnifique n’est pas donné à tout un à chacun, justement parce que souvent l’on a rien à perdre. Rien à défendre.    

              Pour écrire son livre, qui n’est pas une biographie autorisée, Bernard Violet a à plusieurs reprises discuté avec Johnny, notamment sur ses prises de position politique. Qu’il ait été utilisé Johnny n’en est pas dupe, il le reconnaît sans détours, il fait la différence entre ce qu’il a fait par estime envers certains, notamment Chirac, et ce qui ressort de raisons davantage opportunistes…   

             Ce qui est étrange à la lecture de ce livre composé en 2002, c’est que nous le lisons avec cette impression de savoir la fin de l’histoire que Bernard Violet n’était pas en mesure évidemment de connaître, nous pouvons dire qu’elle s’inscrit dans le droit fil de la trajectoire racontée par Violet, ce qui prouve que l’auteur a tracé un portrait assez fidèle du personnage Hallyday. La morale de cette fable existentielle s’avère facile à comprendre : jusqu’à la fin Johnny a su rester fidèle à Hallyday.

             Essayez d’en faire autant jusqu’à votre mort. Après l’on en discutera.

    Damie Chad.

     

                                                     *     

               Pour le second ouvrage nous changeons de crèmerie. Ici pas d’étalage à même le trottoir, une véritable boutique, la seule librairie digne de ce nom de Pamiers, ma ville natale, ancienne capitale de la tribu gauloise des Tectosages, elle fut fondée voici une quarantaine d’années par Jean-Phi un de mes amis, elle porte un nom qui fleure bon les seventies, Le Bleu du Ciel en l’honneur de Georges Bataille. Preuve symbolique qu’il existe une guerre littéraire. Elle a changé plusieurs fois de mains, la population appaméenne, comme partout ailleurs, lit de moins en moins, signe et résultat de la grande occultarisation voulue depuis des lustres par nos dirigeants aux ordres des industriels de la diversification standardisée des produits de consommation dite culturelle…

              Nouveau propriétaire, nouvelle librairie. Certains la trouveront engagée, je lui attribuerais plutôt le titre d’orientée. Un choix de livres qui incite à réfléchir et à développer son esprit critique. Aucune complaisance envers l’idéologie libérale. Ce n’est donc pas un hasard si ma main s’est figée sur le titre suivant.

    ROCKERS

    MIRIANA MISLOVTHIERRY GUITARD

    ( Les Fondeurs de Briques / Mai 2023 )

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               C’est une chose de savoir qu’un livre existe, c’en est une autre que de le tenir entre ses mains. J’avais reçu sur la boîte postale l’avis de parution du book. Intéressant, tentant, mais il existe tellement de bons livres que je n’ai pas encore lus, l’est comme les filles qui enfilent leur plus belle robe pour vous séduire, de la belle ouvrage, comment résister au bleu céruléen de la couverture et à l’épaisseur de cette couvrante, au moins cinq millimètres qui appellent à la caresse et à la possession. Ou à la soumission.  

              Et ce titre, oriflamme rougeoyante, manifestement choisi pour me faire réagir, Rockers, un mot qui ne veut rien dire et qui exprime le tout de ce que l’on ne peut définir en sa totalité, tout comme le terme océan semble un écran jeté à la surface de la mer (toujours recommencée) pour nous faire oublier les gouffres abyssaux des profondeurs qu’il cèle et recèle.

               Se sont mis à deux. La première a tenu la plume, le second a peint selon les empennages réalisés. Un livre de compagnonnage, ne se quittent plus depuis des années, elle écrit, il dessine. Les amateurs de rock le connaissent il a illustré des dizaines de livres d’esprit ‘’ rock’’ au sens large du terme, de Philippe Manœuvre à Jack London, dessiné des pochettes de disques, Liminanas et Parabellum par exemple, publié dans Rock’n’Folk… il écrit aussi. Mon ordinateur, le grand surveillant Big Brother, m’indique que j’ai déjà voici plusieurs années cherché des renseignements sur Miriana, je suis incapable de me remémorer pourquoi. Peut-être sur le fanzine La Pieuvre qu’elle a fondée avec Thierry Guitard. D’origine yougoslave elle a dénoncé la guerre qui a démembré ce pays et semble s’être spécialisée dans l’écriture de scénarii pour bande-dessinées et cinéma.

               Il y a rockers et rockers, fans ou artistes, il faut choisir. Le livre est sans équivoque. Uniquement musiciens et chanteurs. Des deux sexes. Peut-être même du troisième et du quatrième. Voire le cinquième.  Bref cent soixante-dix pages de textes, beaucoup moins si l’on retranche les nombreuses illustrations sur lesquelles nous reviendrons.

               Cent cinquante pages pour raconter l’histoire du rock de ses débuts à aujourd’hui, le pari serait insensé, Miriana Mislov ne s’est pas aventurée dans une telle gageure, ce qu’elle raconte par l’entremise de titres paraboliques c’est une certaine histoire du rock ‘n’ roll, celle qui lui tient à cœur, sa vision idéale du rock ‘n’ roll en quelque sorte. Si vous voulez effacer ce qui vous déplaît il suffit de n’en point jacter. Ne jetez pas la pierre à Miriana, nous fonctionnons tous comme elle. Tout comme Saint John Perse, avec moins de talents, nous tressons en guise de couronnes de lauriers des Eloges, pas nécessairement funèbres, en hommage à ceux que nous élisons car ils nous décrivent en creux ou en ronde-cabossée bien mieux que les autoportraits maladroits que nous pourrions tracer de nous-mêmes. De nous-m’aime.

              Il faut un début à tout. Ce sera donc Ruth Brown. Désolé ce n’est pas Elvis. Non seulement Ruth apparaît en tête de file mais elle bénéficie du plus grand nombre de pages dévolues à n’importe quel autre artiste. Il est vrai que Miriana ne cache pas qu’elle s’appuie sur une large documentation, la biographie de la chanteuse rédigée par Lorie Silke. Le choix est aussi idéologique. Le rock ‘n’roll n’est pas une création de petits blancs, il a été inventé, initié serait plus juste, par les noirs. Muddy Waters expliquera plus tard que l’on a fait dans le dos un bâtard au rhythm and blues que l’on a appelé le rock ‘n’roll.  Féminisme ambiant oblige, c’est tout un symbole de mettre une femme en tête de l’ouvrage, d’autant plus que la pauvre Ruth a été victime du machisme de ses maris. Noirs ou blancs les hommes seraient-ils donc égaux ! En tout cas, question royalties les noirs mâles ou femelles ont été traitées à égalité.

               L’on n’attendait pas le deuxième de la liste. Lonnie Donegan, le roi du British Skiffle. L’est vrai que Rock Island Line est sorti en 1954, que Donegan est né quatre ans avant Elvis, qu’il inspira bien des apprentis musiciens boutonneux de Grande-Bretagne et que l’on peut lui décerner sans conteste le titre de Grand-père du British Blues et du British Rock, mais n’est-ce pas aussi l’arbre qui cache la forêt, d’abord parce que la moitié de la chronique est consacrée à Leadbelly qui enregistra ce morceau en premier et surtout l’impasse sur les grands groupes de rock anglais, des Beatles à Led Zeppelin, même s’il est certain qu’il est inutile de rajouter quelques feuillets à leur gloire. La suite le prouve, nous retournons au rock ‘n’ roll des pionniers américains. Little Richard et Esquerita, il est dommage que l’on n’ait pas rajouté Larry Williams, si le temps vous est compté qu’il ne vous reste plus que trois minutes à vivre lisez de préférence Esquerita, un des portraits les plus réussis du livre. Sont suivis par Leiber et Stoller, le Cat Zengler nous a déjà profilé ces deux zigotos-kings avec le brio que l’on connaît.

              Suit un oublié inoubliable Sanford Clark, l’on commence à comprendre comment fonctionne le bouquin, The fool de Sandford est aussi l’occasion d’évoquer le guitariste Al Casey et le producteur Lee Hazlewood, tout comme le duo Leiber et Stoller nous a fait entrevoir Big Mama Thorton, Elvis Presley, Martha and The Vandellas les Shangri-las. Destins croisés du rock’n’roll.

              Attention retour au rock blanc et pas des moindres, deux héros au destin brisé, Vince Taylor et Eddie Cochran. J’en profite pour ronchonner, s’il y a un grand absent dans ce book, c’est Gene Vincent, cité à plusieurs reprises mais pas honoré d’un chapitre entier. Le livre semble vouloir faire la part belle aux feux de paille du rock’n’roll, aux seconds voire troisième couteaux du rock’n’roll, s’il est un suprême canard boiteux du rock’n’roll, plus que tout autre Gene mérite la première place. Que les américains lui ont déniée. Que l’Europe lui a reconnue.

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              John Leyton fut acteur et chanteur, son Johnny Remember Me sonne davantage country que rock ‘n’roll il est surtout pour Miriana l’occasion de revenir sur le producteur Joe Meek et sa fin particulièrement sanglante. L’est précédé d’un titre légendaire et déjanté, le Love Me de The Phamton. Le véritable fantôme d’un opéra-rock qui n’alla pas plus loin que la scène 1 d’un premier acte inachevé.

             Un autre personnage de légende qui n’est pas encore morte, Jackie De Shannon elle fut amie avec Sharon Sheeley la copine d’Eddie Cochran, le rock ‘n’roll est un labyrinthe dont les galeries s’entrecroisent et s’entrecoupent sans fin, est-ce une surprise si nous trouvons à ses côtés le mirocktaure appelé les Beatles.

               Retour à la case de départ, les malheureuses amours de Ronnie Spector victime de la folie paranoïaque de son vilain mari, le génial producteur qui lui donna pas mal de Phil à retordre.

              Attention une page sur You Really Got me des Kinks, c’est un peu comme si l’on réduisait William Butler Yeats à son poème The Wild Swans at Coole… Voici les Who, une tendresse particulière pour Keith Moon u batteur fracassant néanmoins un être fragile et sensible… Suivent deux groupes qui à leur manière étaient trop : The Sonics et The Monks. Ils encadrent le plus fou des enrages, à moins que ce ne soit le plus enragé des plus fous, sa majesté Asil Hadkins. Le rock serait-il une musique déviante ?

              Deux jokers imbattables pour les deux chapitres suivants : MC5 et The Stooges. Rock politique et métaphysique. Les deux serpents de mer du rock ‘n’ roll qui ont vraiment existé. Que voulez-vous, si vous vous ne croyez pas aux malédictions ou aux fléaux de Dieu lancés sur la terre pour perturber les esprits des jeunes générations, nous ne pouvons rien pour vous.

              Nous arrivons dans les dernières pages de cette violente saga, un chapitre pour détricoter les rapports extrêmement fricotés de Dee Dee Ramone et Johnny Thunders. Thunders que l’on retrouve plus loin avec la foudroyance langoureuse de Patti Palladin.

              Comment terminer après de telles pointures, les Buzzcocks on veut bien, The Clash l’on n’en veut guère, heureusement que l’on en profite pour entrevoir les Pistols.

             Dans l’avant-dernière livraison, c’est un peu comme sur la fin des marchés quand on liquide un cageot de dix kilos d’abricots pour le prix de trois. Understones, Stiff Little Finger, The Outcasts, le deal est plus qu’intéressant.

             L’on termine avec un groupe apparu voici depuis plus de vingt ans, à croire que le rock n’aurait pas survécu à l’arrivée du troisième millénaire. A l’origine groupe familial, le père, la mère et les trois enfants, viennent de Londres, cette formation simili bluegrass qui se produit souvent en acoustique est un peu comme le serpent qui se mord la queue jamais nommée le long du livre, celle des roots, du country, du folk de tout ce que vous voulez, un retour aux sources, au commencement…

               Miriana vous tire la langue. Celle du serpent du rock ‘n’roll qui vous fascine, bien entendu. Il existe de grandes accointances entre le contenu de ce livre et le contenu de notre blogue. Son format nécessairement réduit ne saurait être comparé aux milliers de pages de nos 609 livraisons, mais tout comme chez nous dans Rockers s’exprime une certaine idée du rock’n’roll. Pas nécessairement la même mais un dessein.  Et aussi des dessins, Thierry Guitard et notre Cat Zengler ont des points communs, la ligne claire zenglerienne est davantage fidèle à la représentation des objets et des attitudes, pochettes de disques, photographies, celle guitardienne vise parfois à une plus grande stylisation expressive qui se transforme souvent grâce à un fond uniformisateur en une image qui aurait été retirée d’une bande dessinée. Il lui manque en quelque sorte la suite que l’on imagine dans une des cases proximales d’une bande-dessinée inachevée. Le lecteur se rapportera à la planche sur le célèbre Fever mi-docu-mi-BD pour mieux comprendre ce que j’essaie de signifier. Thierry Guitard use d’une palette plus sombre qui dramatise son sujet. Ses œuvres paraissent comme en un mouvement suspendu dont on attend la suite, et donc non terminées. Les couleurs vives et lumineuses de Patrick Cazengler fixent les personnages, les idéalisant en une posture hiératique. Aristote affirmait que la vitesse à laquelle se déplacent les Dieux est d’une extrême lenteur qui confine à une immobilité non-humaine. Pour ma part je pense qu’il en est de même des Dieux du rock.

              Que cette oiseuse divergence métaphysico-esthétique ne vous dissuade pas de lire et de regarder cet ouvrage. Un beau livre consacré au rock’n’roll. Merci à Miriana Mislov et à Thierry Guitard.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !                                             

    EPISODE 33 ( Locatif  ) :

    185

    Alice ou Ecila, Ecila ou Oecila, j’ai l’impression que les synapses de mon cerveau grésillent, court-circuit ou explosion, peut-être ai-je parlé tout haut sans m’en apercevoir car la voix du Chef résonne à mes oreilles :

              _ Agent Chad, à vous entendre cogiter tout fort depuis un quart d’heure je commence à me dire que vous êtes pire qu’Hamlet, lui ne possédait que deux options, être ou ne pas être, vous savez comment il a fini, je vous conseille d’essayer de saisir par les cornes, non pas du taureau mais de la vache folle, l’irréalité de la problématique qui vous obsède, votre esprit tourne comme l’aiguille d’une boussole qui ne sait sur quel azimut se fixer, si je puis vous donner un conseil ce serait d’aborder cette insupportable énigme par son côté le plus simple, soyez davantage pragmatique je vous en prie ! Prenez exemple sur nos deux cabots, parfois la sagesse animale dépasse la folie humaine.

    Avant d’allumer un Coronado, d’un geste ample le Chef désigne les deux chiens vautrés sur un canapé :

              _ Regardez, ils ont partagé avec nous l’ensemble des épisodes de cette terrible aventure depuis le début, ils en ont connu tous les dangers, et les voici endormis sans se prendre la tête, n’est-ce pas là le signe d’une sapience supérieure ?

    186

    Je ne sais si nos lecteurs auront pris le temps de méditer les doctes paroles du Chef, j’espère que cette profonde philosophie les aura marqués et que désormais dans toutes les actions de leur vie quotidienne ils se seront efforcés de les mettre en pratique. Pour ma part je n’y ai pas manqué. Les résultats ne se sont pas faits attendre. Il est vain de courir après une montagne, il suffit d’attendre qu’elle vienne à vous. Puisque les chiens avaient choisi de passer la journée couchés sur un canapé je résolus de les imiter et me glissai entre eux deux pour un somme réparateur.

    Ce fut Molissito qui s’en vint me lécher le bout du nez m’arrachant, à mon vif mécontentement, des bras de Morphée. La voix du Chef me réveilla illico :

             _ Agent Chad, arrêtez de dormir, je n’aime guère que vous utilisiez le numéro du service pour vos affaires personnelles, mais la voix féminine qui vous réclame à corps et à cris insiste tellement, j’ai raccroché sept fois, mais à la huitième j’ai fini par céder, il est d’ailleurs temps que je me préoccupe d’allumer un Coronado !

    187

    Encore ensommeillé, j’appliquai le combiné à mon oreille :

    • Molossa et Molossito vont bien ?
    • Euh… oui…
    • Ah ! c’est bien, je suis contente, Papa lui ne l’est pas du tout !
    • Euh… à cause de Molossa et Molossito !
    • Mais non, vous êtes bête, à cause du vol !
    • Mais Molossito et Molossa n’ont pas été volés, ils sont à côté de moi !
    • C’est la sœur de Maman qui a été volée !

    J’ai failli répondre que ma mère n’avait pas de sœur, je n’en ai pas eu le temps :

              _ Oecila, elle était enterrée au Père Lachaise et le corps n’est plus dans la tombe, c’est la police qui a appelé Papa ce matin, il a crié que c’était un scandale, il m’a dit de ne pas sortir de l’appartement, que je l’attende, qu’il revenait, et puis il a ajouté que c’était de votre faute à vous trois et à vos deux corniauds, que l’on allait s’occuper de vous, moi je ne veux pas qu’ils fassent du mal à Molossa et à Molossito, alors je vous avertis, j’entends du bruit, c’est peut-être Papa qui rentre, au revoir !

    188

    L’on est en planque depuis plusieurs heures dans une vieille estafette pourrave. Pour une fois Carlos est défaitiste :

              _ C’est insensé, il est impossible que ça marche, avec un enfant de trois ans peut-être, j’en doute quand même, il nous faudrait un truc beaucoup plus chiadé, là franchement on joue aux pieds nickelés !

    Le Chef allume un Coronado :

              _ Vous avez raison cher Carlos, c’est notre unique chance, si vous avez une idée meilleure je suis preneur !

    Carlos se contente de secouer la tête et de lever les yeux aux cieux. Le Chef me regarde :

              _ Agent Chad, lâchez les fauves !

    J’entrouvre très légèrement les portes arrière de la camionnette. Deux secondes suffisent à Molossa et Molossito pour sauter sur l’asphalte. Il se fait tard, dans la nuit qui tombe leurs silhouettes noires sont presque invisibles.

    189

    L’homme suit le trottoir, il marche rapidement, la rue est déserte, il sursaute, il a entendu un petit bruit. Trop faible pour provoquer la peur, assez particulier pour attirer l’attention. L’homme presse le pas, le bruit recommence. C’est illogique, il a déjà parcouru une dizaine de mètres et le bruit s’est répété avec la même intensité. L’homme s’est retourné, il ne remarque rien, il repart, maintenant il pense au miaulement d’un chat qui le suivrait depuis un petit moment, il s’arrête, regarde en arrière. Il n’a rien vu, trois pas rapides et une brusque volte-face, la bête se traîne vers lui, il se penche la caresse, et l’abandonne. Il ralentit, elle est là, il s’accroupit, il réfléchit, sa décision est prise, il s’empare de la petite bête qui geint encore, et se carre dans ses deux paumes, l’homme sourit, il vient de faire une bonne action. Il ne remarque même pas la camionnette pourrave garée le long du trottoir. Il s’éloigne. Tout heureux.

    190

              _ Agent Chad, ouvrez les portes, nos deux héros reviennent !

    Je m’exécute promptement d’un bond léger Molossa et Molossito se faufilent à l’intérieur. Carlos se saisit d’eux et les embrasse vivement :

              _ J’en ai vu des choses dans ma chienne de vie, des très moches et quelques unes très belles, et maintenant une scène extraordinaire, je n’en reviens pas je n’aurais jamais cru que des bêtes puissent être si intelligentes, Damie je m’excuse, ton plan me paraissait si farfelu ! Il a réussi pourtant, incroyable ! Jen pleurerais de joie ! Quel suspense ! Quelle émotion !

    Carlos aimerait s’épancher encore un bon moment, le Chef coupe court aux effusions sentimentales de l’ancien légionnaire :

              _Carlos, c’est à toi de jouer, attention de la finesse et du doigté !

    191

    L’homme marche d’un bond pas. Le chaton s’est endormi dans ses bras. Il le regarde avec tendresse. Encore deux ou trois rues et il arrivera chez lui. L’ombre géante du bâtiment l’avale. Il soupire d’aise, il ne lui reste plus qu’à sortir la clef de sa poche, la porte de l’ascenseur brille du vague reflet de la chiche lumière du hall plongée dans une demi-pénombre. Il appuie sur le bouton d’appel, il n’attendra pas longtemps, l’appareil est stationné au premier étage. La porte s’ouvre.

              _ Bonjour ! 

    L’homme sursaute. Le gars n’a pas l’air commode, un gros dur, une armoire à glace comme l’on n’en voit que dans les films.

              _ Je vous en prie Monsieur, passez, je vois que vous sortez !

              _ Pas du tout, je vous attendais !

              _ Moi, vous faites erreur je ne vous connais pas !         

              _ Ne racontez pas n’importe quoi, je désire simplement récupérer mon petit chat que vous venez de voler.

              _ N’importe quoi, voici un quart d’heure je l’ai trouvé, miaulant de détresse, transi de froid, j’ai eu pitié, j’ai décidé de l’adopter !

              _ Peut-être, mais il est à moi, rendez-le moi tout de suite, sinon je sens que je vais m’énerver et quand je m’énerve en règle générale ça saigne, je vous explique tout cela parce que vous n’avez pas l’air de comprendre que si dans trente secondes je ne rentre pas en possession de mon chat, vous et le chat je vous transforme en steak haché !

             _ Enfin c’est insensé, vous voulez votre chat et vous êtes prêt à le tuer dans la demi-minute qui suit !

              _ Et alors, ça vous dérange ?

             _ Sachez Monsieur que je le défendrais jusqu’à ma mort !

    Le malabar éclate d’un rire sinistre, il enfile des gants noirs :

             _ Juste pour ne pas me salir les mains en vous étranglant !

    A suivre…