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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 22

  • CHRONIQUES DE POURPRE 623 : KR'TNT 623 : TAJ MAHAL / JIM JONES / BOBBY MARCHAND / WOVEN HAND / SUPERGRASS / DANIEL GIRAUD / STAIN / SLUGPHLEGM

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 623

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    07 / 11 /023

     

    TAJ MAHAL / JIM JONES

    BOBBY MARCHAND / WOVEN HAND

    SUPERGRASS / DANIEL GIRAUD

     STAIN / SLUGPHLEGM 

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 623

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

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    Wizards & True Stars

    - Taj à tous les étages (Part One)

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             Le coup de cœur pour Taj Mahal est un vieux coup de cœur, car il remonte au printemps 68. Dans cette petite ville de province, tu avais un disquaire qui t’accueillait avec un grand sourire et qui te balançait sa formule magique : «Tiens écoute ça !». Chaque fois, il te ferrait comme une poissecaille. Il n’avait que des bons disques, le Shake Down de Savoy Brown, le Mr. Wonderful de Fleetwood Mac, le Forty Blue Fingers Freshly Packed And Ready To Serve de Chicken Shack, le Led Zep 1, Traffic, Buddy Guy et tous les autres ! Il en pleuvait de partout. Le premier album solo de Taj Mahal en faisait partie. C’était le genre d’album qui te formatait à vie.

             Pendant plus de 50 ans, Taj Mahal est resté une présence un peu mystérieuse, pas trop d’articles dans la presse rock anglaise, une apparition dans le Rock’n’Roll Circus des Stones, et environ une trentaine d’albums à son actif, dans des genres parfois exotiques. Solidement enraciné dans le blues, Taj Mahal est allé explorer le son des îles, ce qu’il appelle the West Indies, c’est-à-dire les Caraïbes, et le son des îles du Pacifique. Un jour, un imbécile qui se prend pour une sommité crut bon de dire qu’il trouvait Taj Mahal «trop reggae». Il n’avait pas compris que Taj Mahal échappait aux genres en bâtissant une œuvre riche et variée. Il est l’un des derniers grands musicologues modernes. Son dernier album, Savoy, est un hommage aux géants d’avant, Louis Jordan, Gershwin et Duke Ellington, et son avant-dernier album, un hommage à Sonny Terry & Brownie McGhee : avec Ry Cooder, ils ont ré-enregistré l’intégralité de Get On Board, un album de country blues paru en 1952, et dont on a fait grand cas ici, dans l’Avenir du rock.

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             Pour explorer le mystère de Taj Mahal, rien de tel qu’une bonne autobio. Ça tombe bien, il en existe une, parue en 2001 : Autobiography Of A Bluesman. Taj y parle bien sûr beaucoup de blues, mais aussi et surtout de ses nombreuses compagnes successives et de son énorme progéniture. Dans son introduction, Stephen Foehr rappelle que Taj est considéré comme le lien le plus authentique avec «the old feeling of the blues, alors qu’il continue de faire évoluer le langage du blues.» Foehr rappelle aussi que Taj est arrivé dans les sixties, un temps où tout était possible, et il conclut ainsi : «Taj est si légendaire que beaucoup de gens le croient mort, mais il n’a que 58 ans.» C’est-à-dire à la parution du book, voici 22 ans. Aujourd’hui, il a 81 ans.

             Fascinante autobio. Dès les premières pages, le musicologue entre en scène. Il y a le blues et le contexte sociologique du blues. C’est l’étude de ce contexte qui donne sa valeur au blues, alors Taj transmet ses connaissances. Il raconte par exemple que Mississippi John Hurt pouvait s’entraîner sur sa gratte, car son job consistait à surveiller chaque jour un troupeau de vaches. Il rappelle un peu plus loin que le Mexique avait donné des vaches au roi Kahmehamaha d’Hawaï, mais les vaches devenaient sauvages et détruisaient les récoltes. Alors des cowboys mexicains sont arrivés à Hawaï pour former des cowboys hawaïens. Les Mexicains ont amené leurs grattes et les Hawaïens qui ne connaissaient pas les instruments à cordes ont flashé dessus. Mais comme ils ne savaient pas accorder une gratte, ils ont inventé l’open tuning. Taj se passionne aussi pour l’histoire du blues train : «Charley Patton, Robert Johnson, Son House et d’autres early blues singers came up on the blues train. Memphis Minnie, Jimmy Yancey, Big Mama Thornton, Big Joe Turner, T-Bone Walker, Muddy Waters, Big Bill Broonzy et d’autres blues legends made the trip in the 1940s, and along the way, rural blues evolved into urban blues. But it’s all the blues.»

             Petit, Taj Mahal s’intéressait à l’histoire de l’Afrique et de l’Empire Britannique. Ça lui permettait de décoder le blues. Sa famille vivait sur la côte Est et son père était un pianiste arrangeur de renom. À l’état civil, Taj s’appelle Henry St Clair Fredericks Jr. Le nom de Taj Mahal lui est venu dans un rêve, en 1961, alors qu’il était inscrit à l’université du Massachusetts. Pour lui, le nom de Taj Mahal symbolise les forces positives du monde, auxquelles il choisit alors de s’identifier. Taj a beaucoup de chance, car ses parents lui disent qu’il pourra faire tout ce qu’il voudra dans la vie. Le contraire exact de ce que disent alors les parents blacks à leurs gosses : t’es black et tu vas en baver. Taj avoue qu’il n’a jamais douté de lui, pas une seule fois - Not even for one minute - Quand des gens essayaient de le freiner dans son avance, Taj les trouvait kinda stupid.

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             Alors qu’il est au lycée, il découvre grâce à «The Twist» d’Hank Ballard que la black music a quatre ans d’avance sur la musique populaire - To me, that song sounded like it was as loud as the sky - Il écoute Furry Lewis, Gus Cannon, Memphis Willie B, Big Joe Williams, Roosevelt Sykes - a transitional figure, connecting rural and urban blues traditions - Puis à Greenwich Village, il rencontre Maria Muldaur, Phil Ochs, John Sebastian, Barry Cornfield, Jack Elliott et Dylan - J’aimais bien les chansons de Dylan, sa poésie, mais je n’aimais pas sa façon de chanter - Taj dit qu’il veut jouer comme Mississippi John Hurt, ou comme le Reverend Gary Davis, ou Elizabeth Cotton et Etta Baker - As soon as I heard that stumbling sort of rumble-rumbe-rumble sound, I went like, ‘Oh, that’s it’ - Il se dit aussi fasciné par Jessie Fuller - Once I heard a little of it, like when I heard Jessie Fuller, then I always heard it - Il ajoute qu’il a entendu d’autres mecs faire du finger-picking, mais ils sortent un son fade - It needs to be more lopey (course à grandes enjambées, qu’on peut traduire par plus fluide), like animals running. It has to have that feeling. That’s what I was after - Il voit le blues comme une chute d’eau - The blues is like that. Water is coming down - Alors des gens lui demandent pourquoi il joue cette old-form music qui n’a pas d’avenir. «Pourquoi ne pas jouer du jazz ou de la musique contemporaine ? Parce que la musique est en connexion avec l’histoire et la culture d’un peuple. It’s legitimate music. C’est la raison pour laquelle je la joue.» Peter Coyote décrit à sa façon l’authenticité du blues : «Le blues est issu d’une réalité particulière. Beaucoup de white kids peuvent jouer les notes mais ils n’ont pas le jus. Puis tu vois jouer un mec comme John Lee Hooker, c’est un griot, il n’a pas de technique, mais il a tellement de juju qu’il fait trembler toute la salle. Il y a des gens comme Taj et Alvin Youngblood Hart et Keb’ Mo’ qui honorent leur tradition. They got the notes and the juju.» Plus loin, Taj revient sur Hooky : «Il a appris à jouer avec son beau-père, originaire d’une région de la Louisiane où étaient installés les descendants des Mande speakers, amenés là comme esclaves - A certain kind of sound comes out of those folks. An ancient sound.»

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             Pendant un temps, Taj joue en duo avec Jesse Lee Kincaid sur la côte Est. En janvier, ils grelottent de froid et Jesse propose à Taj d’aller se réchauffer en Europe. Puis, comme il est originaire de Los Angeles, il lui propose la Californie - It’s warm in L.A - et Taj dit : «Yeah.» Jesse connaît les clubs, notamment l’Ash Grove et le Troubadour. Il connaît aussi un jeune prodige nommé Ryland Peter Cooder - he had a definite style at an early age, and was definitely into the old blues - Jesse est fier de jouer avec Taj. Il explique que «les white boys were emulating the blues sound. They didn’t sound like the sound. Taj sounded like the real thing. He was the real thing.»

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             Et tout démarre à l’Ash Grove. Taj y voit Mississippi John Hurt et Bill Monroe and everything in between, avec une connexion to authentic music, Canned Heat, Kaleidoscope, The Firesign Theater. Il voit aussi les Chambers Brothers, Ligthnin’ Hopkins - La première fois que j’ai vu Johnny Guitar Watson, c’était à l’Ash Grove, il jouait du piano. He played the hell out of the piano. Big Mama Thornton was a regular there - Il dit aussi qu’Howlin’ Wolf et Lightnin’ Hopkins apprécient son picking - They would watch, not saying anything. That’s how they told me I was doing all right - Taj les rencontre tous à l’Ash Grove, Wolf, Muddy, Junior Wells, Buddy Guy, Sleepy John Estes et d’autres que nous ne connaissons pas, Louis & Dave Meyers, Yank Rachel et Hammy Nixon. Taj apprend en les voyant jouer. Il apprend plus de ces gens-là que des gens de la music industry. Il est effaré par le power d’Albert King - Going to see Albert King for the first time - whew! - La fréquentation de tous ces géants le conforte dans l’idée de préserver the authentic music alive, et pour lui, c’est d’autant plus vital qu’il sait que le blues n’intéresse pas the music industry. Pourquoi ? Parce que le blues ne génère pas de gros profits. On vire même les artistes de blues des labels parce qu’ils ne sont pas rentables. Le rock rapporte plus.

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             Et puis un soir, Ry Cooder vient voir jouer Taj et Jesse Lee Kincaid à l’Ash Grove. Il demande s’il peut jouer avec eux. Sure. Il a 17 ans et on le considère déjà comme un prodige. Il sait tout jouer : le blues, le ragtime, la country, le r’n’b. Il a aussi une bonne perception des music-business politics : il a grandi dans the L.A music business. Comme Taj, Ry est fasciné par la culture du blues et les possibilités qu’elle offre.

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             Ils montent un groupe pour continuer de jouer à l’Ash Grove : Ry, Taj, Jesse, Gary Marker, et Ed Cass Cassidy au beurre. Ils montent un répertoire d’old-time music avec des arrangements et un son modernes. Jesse baptise le groupe The Rising Sons. Quand Cass Cassidy s’en va monter Spirit avec Randy California, ils recrutent Kevin Kelly qui est le cousin de Chris Hillman - The Rising Sons quickly got to be a hot sensation - Le groupe est salué dans la presse, notamment par Rolling Stone, comme un mélange de Delta grind et de Beatles-esque pop vigor. Ils font la première partie d’Otis Redding au Whisly A Go Go et Taj dit la même chose que Bill Graham : c’est le meilleur concert qu’il ait jamais vu. Les Rising Sons enregistrent une démo, et quand Ry passe un solo de slide, l’A&R du label gueule dans l’intercom : «What’s that weird, eerie, sliding, distording guitar.?». Les Rising Sons sont consternés : cet abruti n’a jamais entendu de slide.

             Columbia les signe et demande à Terry Melcher de produire l’album. Taj se demande si Melcher va comprendre ce que font les Rising Sons. Oui, car Melcher  produit Bruce Johnston, les Beach Boys, les Byrds, Paul Revere & The Raiders, mais pas de blues. Taj raconte qu’ils sont convoqués chez Melcher qui pose ses conditions : 100% du publishing et le management du groupe. À prendre ou à laisser, pour rester chez Columbia - You have to do it our way. If you don’t, you’re history, baby - Bien sûr, Taj ne veut pas de ça. Il l’envoie sur les roses et lui dit dans le blanc des yeux - I looked at Melcher and said : ‘You know, that’s extorsion. Qu’est-ce que tu t’imagines, que tu vas ramasser 100% de mon publishing ? -  Ils enregistrent quand même, mais ça ne marche pas. Melcher se plaint d’avoir deux groupes dans le studio, Un groupe pop conduit par Jesse Lee Kincaid et un groupe folk-blues conduit par Taj et Ry Cooder - Melcher was inexperienced in the blues.

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             Melcher met donc sa menace à exécution : l’album des Rising Sons est enterré et le groupe viré. Cet album faramineux ne paraîtra que 26 ans plus tard sur Sundazed. Taj y fait ses débuts discographiques en compagnie de Ry Cooder et de Gary Marker qui étaient aussi des proches de Captain Beefheart. On y retrouve une version allégée de « Statesboro Blues » qui frise la pétaudière à roulettes. Ces mecs jouent léger, comme on jouait alors, à l’aube du West Coast sound. Tendu et gracile, « Take A Giant Step » nous renvoie à Moby Grape, normal puisque cette belle pop est signée Goffin & King. Taj emmène cette fantastique pièce d’exaction au sommet du folk-rock occidental. Jolie pièce byzantine que ce « 2.10 Train ». La section rythmique du groupe est un miracle de discrétion. On entend vaguement la basse de Gary Marker. Sous le couvert, ça reste fabuleux de feeling. « If The River Was Whiskey » est embarqué au banjo. Taj voit couler ça et il fait Aaah yeahhh. Quelle musicalité ! Cet album lumineux est à l’image de la photo de pochette qui est baignée de lumière californienne. Les cuts sont pour la plupart hantés par la mandoline de Ry Cooder. « 11th Street Overcrossing » sonne comme du grand Moby Grape. En B, on tombe sur une version du « 44 Blues » de Big Dix jouée à l’arrache des deux extrêmes : guttural et mandoline. Mélange surprenant. Avec « By And Bye (Poor Me) », on constate que Ry Cooder fait de la dentelle. Pour Taj, c’est du gâtö car Ry tisse des nappes de blues ultra-florentines qui feraient pâlir un maître préraphaélite. Ils envoient aussi une fantastique reprise de Dylan, « Walking Down The Line », digne de celles que firent les Byrds. Ils cascadent l’emportement à l’harmo.

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             Une compile Rising Sons sortie sur Columbia en 1992 propose d’autres morceaux en complément et quels morceaux ! « The Girl With Green Eyes » est une véritable énormité garage attaquée à rebrousse-poil. Même chose pour « Spanish Lace Blues », superbe pièce de folk-rock qui sent bon la veste à franges. Leur « Flyin’ So High » est à tomber, et Taj tape un « Dust My Broom » au lard fumant. Ils ont aussi une reprise absolument somptueuse de « Baby What You Want Me To Do » de Jimmy Reed. 

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             Puis Taj rencontre Jessie Ed Davis, fils d’une full-blood Kiowa et d’un père half Commanche, one-quarter Seminole and one-quarter Scottish, né en Oklahoma. Taj surnomme Jessie the Agent (as in Indian Agent) et Jessie surnomme Taj The Captain. Taj monte un groupe avec Jessie, Chuck Blackwell et Gary Gilmore, the Taj Mahal Band - a powerful mix - Taj est fier de son groupe - We were slamming it. You couldn’t have hit harder - C’est l’époque de l’album magique aux papillons - The whole Taj Mahal Band was some of the most real music I’ve played. We had a good time, more than I can say - Dommage qu’il n’en parle pas davantage.

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             Il rend plus loin hommage à Sleepy John Estes qui fut célèbre dans les années 20. Il fut nous dit Taj redécouvert dans les années 60. Yank Rachel grattait une mandoline et Sleepy John une guitare - Both of these guys are important in the development of the blues, and that’s why I listened to them - Taj reprend sur l’album aux papillons l’excellent «Diving Duck Blues». 

             Sur scène, il est capable de changer d’accord sans prévenir, comme le fait Miles Davis, pour sortir les musiciens de leur routine et les pousser à improviser. Le blues pour Taj est un élément essentiel - It’s a tone that puts me in contact with a lot of things, culturally, spiritually, cosmically - Vers la fin du book, il fait référence au warrior power, le pouvoir du guerrier. Il l’utilise dans ses rapports avec les record companies - I’m probably one of the most hostile people they know, because I’m smart. They tried to nigger me, mais avec moi, ça ne marche pas. I’m in their face. My grandfathers didn’t take this shit. My father didn’t take this shit - et il développe : «Je puise dans l’énergie du guerrier pour le blues, en me référant à l’ancien job of the griot class. Ce n’était pas un job qu’on faisait parce que quelqu’un te disait de le faire, you did it because that’s what you did. C’était ton droit en tant que personne. En tant que guerrier, tu devais te lever et faire ce que tu devais faire. George Clinton l’a fait avec sa chanson ‘America Eats Its Young’. Il a dit : ‘On en a assez et vous devriez aussi en avoir assez.’» Et Taj se proclame cultural warrior. So be it.

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             Très tôt, Taj a fière allure. On parle beaucoup d’Arthur Lee, mais le précurseur est en réalité Taj Mahal. Son frère Richard se souvient de l’avoir vu tiré à quatre épingles, il s’habillait différemment, «get into his individual style», «always sunday clean», il expérimentait un style vestimentaire. Linda Ronstadt flashe sur Taj - Taj was the guy everybody wanted to be. We all wanted to be Taj. On ne pouvait pas s’en empêcher. Quand tu faisais sa connaissance, tu avais l’impression qu’il te connaissait bien. It was vey cool. He was the highlight of the scene, the shining zenith - Elle met le doigt sur l’une des principales facettes du personnage : à côté du musicologue, tu as le sage. Taj est un sage. Taj incarne l’authenticité aux yeux de ceux qui le fréquentent. Il avoue lui-même être un peu particulier : «J’essaye de voir ce qui se passe autour de moi. Ma vision des choses est particulière, je capte le visuel et les vibrations derrière le visuel. Il m’arrive aussi de voir beaucoup d’aigles dans le ciel, même dans les villes. Je ne sais pas ce que ça veut dire. I guess I’m not afraid to be out there.» Sa chute est tellement superbe qu’elle reste intraduisible. Taj se sait différent, mais c’est l’out there qui fait tout le charme de son propos.

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             Plus loin, il tente encore de s’expliquer : «Je prends le chemin le plus long, ce qui veut dire chercher en moi pour voir ce que je dois faire, ce que je dois ressentir, pour rester connecté. J’ai toujours voulu garder mon indépendance, j’ai toujours refusé qu’on me dise ce que je dois faire. Plus tu restes indépendant et plus ton art est authentique. Tu te fixes cette règle et tu avances.» Taj est aussi un contemplatif. Il dit adorer aller à la pêche - J’allais pêcher presque chaque jour, au bout de la jetée, pour ramener à manger. Mais pour moi, la pêche, c’était beaucoup plus que de ramener à manger à la maison. C’était un moment de méditation. Je suis à un endroit précis et si rien ne se produit, that’s okay, or if music happens, that’s okay too. Une chanson peut apparaître dans ma tête alors que je regarde le ciel, loin des bruits de la terre, I hear music, lots of music, all around me. Parfois Anna venait à la jetée et restait jusqu’à 11 h du soir. Je pêchais jusqu’à 1 ou 2 h du matin et rentrais à la maison avec mes prises. Elle se levait, faisait frire les poissons et nous dînions aux chandelles. Si j’avais un concert le soir, je pêchais  l’après-midi de 16 h à 20 h. Anna venait me chercher, car il m’arrivait d’oublier le concert. Elle insistait pour que je me change pour monter sur scène - Taj insiste beaucoup pour dire qu’il ne vivait pas ce qu’il appelle the rock’n’roll lifestyle. Il ne recevait chez lui que «the older, traditional blues players», «like Mance Liscomb, Sleepy John Estes and Yank Rachel, when they played in town. Mance was a farmer, a singer, an exceptional guitar player. That man could pick. He had a real light, soft touch, and I learned from him.» Taj ajoute que Mance ne fut connu qu’à l’âge de 64 ans, alors qu’il travaillait encore à la ferme. Il jouait surtout chez lui à Navasota, au Texas, jusqu’au jour où un couple d’ethno-musicologues l’a découvert - He was a real human being with lots of warmth. Il n’y avait rien de faux en lui. Il préférait rester fermier plutôt que de devenir célèbre. Il est mort un an avant Sleepy John - Taj évoque son univers et le cercle de ses amis avec une simplicité confondante. On boit ses paroles. En plus de la pêche, il raconte qu’il monte des maquettes d’avions en balsa - Building model airplanes and flying them calmed me down, ça me permettait de rester dans mon espace. It was like meditation, like fishing, playing the guitar, having a garden. It settled me, got me in my own trip - Sa femme d’alors, Anna, est pote avec Charles Bukowski. Anna est peintre et Buck lui a demandé de faire une couve pour lui. Taj ajoute qu’elle a aussi peint deux de ses pochettes d’albums : The Natch’l Blues et The Real Thing. Dans le book, Anna évoque cette période de sa vie avec Taj tellement heureuse - kind of an organic whole : la musique, la pêche, le jardin, les chiens et avoir un enfant ensemble. I loved the life we were living. It was so terrific - Mais Taj part en tournée et le couple se sépare en 1969. Ils se remettent ensemble en 1970, puis se séparent encore en 1972, nous dit-elle. Taj aime les femmes, toutes les femmes. Anna et Taj vont rester amis, Anna fait beaucoup d’efforts pour se montrer digne de cette amitié - The connection between us is very, very deep - Mais elle a du mal à surmonter cette rupture : «En vérité, la fin de cette vie qui mêlait l’amour, la famille et la musique a été pour moi un coup très dur (very devastating).» Si le témoignage figure dans le book, c’est que Taj désire l’entendre.

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             Taj revient aussi longuement sur l’intégrité artistique. Il n’a jamais fait aucune concession au showbiz - Si tu entres dans le moule corporate, tu cours le risque d’avoir du succès et de courir d’hit en hit. Ta popularité n’est alors basée que là-dessus et non sur les valeurs que tu défends. Il y a les chanteurs et il y a les artistes. Les artistes ont une responsabilité. Mingus, c’était ça - Comme CBS ne le suit pas, Taj tourne sans support. On ne trouve pas ses disques dans les concerts - Pour la plupart les musiciens, les tournées sont associées à la promotion. Mes tournées étaient associées with my being an artist. My music was a re-affirmation of the individual - Pour lui, le pire exemple de music biz est celui de Morris Levy qui avait sur son bureau une plaque disant : «Send me a talented, ignorant bastard.» Et Taj ajoute : «Le music biz est un coupe-gorge. Si pour faire du blé, les managers ou les executives devaient trancher la gorge de leur mère, ils le feraient. This is what their business is about.» Il vit un temps à Ibiza, et quand il rentre aux États-Unis, il réalise qu’il ne supporte plus the corporate music-business people I was working with. Il voulait travailler avec des gens en qui il pouvait avoir confiance, et il demande à son frère Samuel de devenir son manager. De toute façon, Taj n’est pas assez commercial pour CBS. C’est là qu’il décide d’aller sur un son plus africain - I’m not going to compromise myself with what you guys got going. I’m just not going to compromise like that anymore - Déclaration d’indépendance. Les blancs du showbiz n’ont rien compris à Taj Mahal. Strictement rien. Leur seule préoccupation était de savoir comment vendre Taj - He’s black. This is how we market black music, but he is totally different - C’est justement cette singularité qui faisait la force de son premier album, l’album aux papillons. Taj ne vient ni du r’n’b, ni du Chitlin’ Circuit. Il jouait en première partie des Rolling Stones et il fut le seul blackos invité au Rock’n’Roll Circus. Ses disques ne passaient pas sur les stations de r’n’b, les DJs ne savaient pas qui il était - Who is he? What kind of music is this? Can I dance to it? - Connie, la grande sœur de Taj, dit qu’il n’est pas un grand chanteur : sur une échelle de 1 à 10, elle lui donne 5/10, «mais avec lui, tu écoutes la vraie note, tu entends l’émotion derrière la note. That’s the key to black singing.»

             Taj revient aussi sur l’esclavage et le passé - Il n’existe aucun moyen de surmonter ça. Mais il existe un moyen de calmer la douleur : nous avons connu le pire et nous évoluons tous ensemble vers autre chose. Mais on surmonte pas ce passé en devenant riche, en s’achetant le respect et la dignité. Si tu deviens un rich black man, tes ancêtres ne seront pas forcément fiers de toi - Plus on avance dans ce book et plus le ton se fait profond. Il y a de l’humanisme dans les propos de Taj Mahal, on gagne à le connaître. Comme si chaque page nous rapprochait de lui.

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             En 2001, Taj avait eu 15 enfants, dont trois sont morts peu après leur naissance. Foehr les énumère : Cybelle, puis Aya, fille d’Anna de Leon, puis Ghamela et Taj Jr., les jumeaux de Siena, puis les 7 enfants d’Inshirah : Kali et Fatimah, disparues, puis Ahmen, Deva, Nani et Zoe, la jumelle de Sachi, elle aussi disparue très tôt. Puis Yasmeen, le fille de Victoria Montgomery, Joseph Binch, le fils de Caroline, Corrina, la fille de Theresa, et le plus jeune, Micah Martin, fils de Valerie (nommé Martin en hommage à Martin Luther King). Comme Todd Rundgren, Taj s’installe avec sa famille à Kauai, dans l’archipel d’Hawaï et y reste 12 ans. Son album Sacred Island est un tribute à Hawaï.

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             Les témoignages de ses épouses successives constituent la fin du book. Inshirah se plaint des infidélités de Taj - Il me disait : ‘J’ai arrêté, je ne recommencerai plus. C’est fini.’ Mais ce n’était jamais fini. Il ne supporte pas d’être coincé, même par lui-même - Il propose de ramener une deuxième épouse à la maison. Pour lui, c’est une question de franchise. Il propose à Inshirah de vivre avec la vérité. La nouvelle s’appelle Dawn. Elle s’installe à Hawaï. Enceinte des jumelles, Inshirah ne la reçoit pas très bien. Elle demande à Taj de choisir entre elle et Dawn. Il choisit Inshirah, mais il mène une double vie. Alors elle pose ses conditions : six mois sans baiser et un test du sida.

             Victoria Montgomory propose une vision différente de la vie avec Taj, à Berkeley : ils hébergent des Jamaïcains and they had quite a bit of spliffs - We smoked a lot of weed and snorted a lot of coke in those days, dancing and partying and having fun - Victoria fait un beau portrait de Taj : «Taj is Taj. He’s one of a kind. C’est difficile de communiquer avec lui pour plein de raisons, mais je pense qu’il a bon cœur. He’s a real unusual person.» Valerie Celine, mère de Micah Martin, a rencontré Taj lors d’une interview, alors qu’elle bossait pour une radio locale, avant de devenir «psychic consultant» : «Taj a été le plus puisant professeur de ma vie, il m’a donné accès à des domaines que je n’imaginais pas. Grâce à lui, j’ai appris que la vie n’est pas toujours celle qu’on croit, surtout en matière d’amour et de rencontres.» C’est vrai que Taj devait pas mal baratiner. Elle dit aussi que Taj est en partie réalité, en partie fiction. Mais elle lui en veut, car quand Micah Martin est né, Taj a disparu pendant deux ans. «Adios amiga.» Elle ne l’a pas encaissé. Pareil pour Dawn, elle n’accepte pas que Taj baise avec une autre - I wanted a monogamous relationship - Pas facile de coincer le Taj. Après tous ces témoignages, il reprend la parole : «Je n’ai pas quitté Inshirah pour Dawn. Je l’ai quittée parce qu’au bout de 7 ou 8 ans, notre relation n’était plus bonne, ni pour elle ni pour moi. Je ne voulais pas la quitter. Ce fut une décision difficile à prendre, parce qu’il y avait les enfants.»

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             L’un des héritiers de Taj n’est autre que Keb’ Mo’, un nom dérivé de son vrai nom, Kevin Moore. Il flashe sur The Natch’l Blues et devient bluesman. Bonnie Raitt est aussi une vieille fan de Taj - Je l’ai vu pour la première fois au Club 47 à Cambridge en 1968 - Et en 1970, elle joue en première partie de Taj - Il a co-produit mon troisième album en 1973.

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             On reviendra dans un Part Two sur tous les grands albums de Taj the cultural warrior. En attendant, on peut écouter son nouvel album, Savoy.  On est frappé dès «Stomping At The Savoy» par le génie vocal du vieux Taj. Il chante d’une voix de vieux griot, ils te groove la nuit des temps. Il enchaîne avec un autre heavy groove, «I’m Just A Lucky So And So». À travers lui, on comprend que le groove est un métier. Il tape dans Nat King Cole et dans Gershwin, il rétablit avec sa cover de «Summertime» la relation primordiale entre Gil Evans et Miles Davis. Terrific ! Il tape le «Mood Indigo» de Duke Ellington avec des chœurs de rêve. Puis il va droit sur Louis Jordan avec «Is You is Or Is You Ain’t My Baby», monté sur le riff d’«Hit The Road Jack», Taj y va au wild biz. Il est sûrement le dernier représentant de ce grand art. Il duette avec Maria Muldaur sur «Baby It’s Cold Outside». Dans les liners, Maria se souvient d’avoir rencontré Taj pour la première fois en 1962 «at Gerde’s Folk City in Greenwich Village» - Elle était en bas en train de bosser une partie de violon avec Bob Dylan qui voulait essayer une nouvelle chanson. Taj est arrivé avec un banjo et a dit : ‘On m’a dit que je pouvais venir ici me préparer à jouer. I’m nervous’. Après avoir vu Taj se préparer à jouer, Dylan et Maria lui ont dit qu’il n’avait aucune raison d’être nerveux - Cette version de Cold Outside est chargée d’histoire de Greenwich Village, une histoire qu’on adore. Vieux shoot de jump avec «Lady Be Good». On se demande bien qui, à part les vieux fans de Taj, va aller écouter cet album aujourd’hui - Ooooh sweet and lovely lady/ Be goog to me - Il tape bien sûr le vieux «Caldonia» de Louis Jordan, il chante à la silicose, et ça groove à coups de trompettes. Il finit cet album magistral avec «One For My Baby (And One More For The Road)», un heavy groove de fin de soirée. Ils se fond dans le groove de Miles Davis comme d’autres se fondent dans l’ombre. Cette pure magie est sans doute le chant du cygne d’un géant. 

    Signé : Cazengler, Mahal embouché

    Taj Mahal. Autobiography Of A Bluesman. Sanctuary Publishing 2001

    Rising Sons. Rising Sons. Sundazed 2001

    Rising Sons. Featuring Taj Mahal & Ry Cooder. Columbia 1992

    Taj Mahal. Savoy. Stony Plain Records 2023

     

     

    L’avenir du rock

    - Le péril Jones (Part Four)

             Certains font collection de porte-clés. D’autres collection de timbres. D’autres encore collection de capsules ou de voitures miniatures. D’autres vont faire collection de maillots de foot, ou de pinces de crabes. Tu as ceux qui collectionnent les papillons, ceux qui collectionnent les fossiles et ceux qui collectionnent les pièces de monnaie. Les plus lunatiques sont ceux, dit-on, qui collectionnent les pingouins. Tu en as même qui font collection de disques ! Ceux qui font collection de livres sont un peu à part, on les appelle les bibliophiles, à condition bien sûr qu’il s’agisse de bons auteurs, le bibliophile n’a que mépris pour la mormoille des romans de gare et les prix littéraires contemporains qu’on croise dans les super-marchés. La vraie démesure consiste à collectionner les collections. Ceux-là flirtent avec la pathologie. Contrairement aux apparences, l’avenir du rock couve lui aussi une jolie petite pathologie. Tu sais ce qu’il collectionne ? Oh c’est pas compliqué à deviner... Tu donnes ta langue au chat ? Les Jones ! Il en a plein ses étagères, il prétend posséder tous les Jones ! Il en sort un au hasard, Tom Jones, «Bamalama Bamaloo» - Hello Gildas - et puis celui-là, un autre chouchou, Booker T. Jones avec «Green Onions», le summum du Memphis Beat, oh et puis voilà Quincy Jones, le producteur/protecteur de la petite Lesley Gore et ce fabuleux My Town My Guy & Me. Alors après, tu as les deux Jones anglais, le Steve, celui de «God Save The Queen», l’inénarrable, le Jonesy, le fier slinger, et l’autre, le Mick, le Clash, mais seulement pour le premier album, pour «London’s Burning» et puis aussi le No Elvis Beatles or The Rolling Stones dans «1977», ce fier single totalitaire qui tomba sur London town comme une bombe atomique. Pris d’une soudaine poussée de fièvre, l’avenir du rock va aussi te sortir de l’étagère le premier Led Zep où rôde John Paul Jones, histoire de se taper vite fait un petit shoot de «Communication Breakdown», et puis alors voilà le top-chouchou, Brian Jones, pour une bonne rasade d’«I’m A King Bee», l’hit fondateur de la Stonesy. Bon allez, il passe directement aux Small Faces avec «Hey Girl», histoire d’entendre la bravado de Kenney Jones, un petit tour par Gloria Jones histoire d’entendre l’excellent «Tainted Love», pas question d’oublier Linda Jones, ni l’Edgar Jones de Liverpool, ni le Paul Jones de Manfred Mann, ni Durand Jones, ni le protégé de Tonton Leon, Wornell Jones, ni George Jones ou encore Spencer P. Jones, c’est ça les collections, c’est tellement convulsif que ça finit par devenir indécent, mais comme il se fout du qu’en dira-t-on, l’avenir du rock en sort encore, Rich Jones, oh et puis voilà l’un de ses fleurons, Jim Jones !

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             Et si Jim Jones était l’artiste rock parfait ? Tu peux le photographier sous toutes les coutures, il sera toujours le parfait rocker, le parfait roller, le parfait screamer, le parfait shouter, le parfait performer, le parfait va-et-vient entre tes reins, il arpente des tonnes d’arpents, il saute, il court, il génuflexe, il claque ses chords, il roule sa bosse dans sa farine, il méprise les complexes, il prend ses grands airs, il fait son débonnaire, il promène son regard sur la foule française, mais on sent bien qu’il n’est pas commode, il sort le Grand Jeu, il remplit tous les instants, il rocke the boat, il shake le booty, il est sur scène, il devient roi du monde pour une bonne heure, tu en as pour ton billet, amigo, alors oui, Jim Jones for ever, pas de problème, on reviendra, il ne prend pas les gens pour des cons, tu veux du rock, tiens, mon gars, voilà du rock, du vrai, de l’à gogo, du vieux rock d’Angleterre, le cinquante ans d’âge, truffé de Little Richard, de Beatles, de Stooges et tout ce que tu aimes bien. Jim Jones et sa chemise à pois, Jim Jones super-shouter, Jim Jones l’increvable, Jim Jones le Bénédictin du wildo-wild, son étoile brille encore au firmament après tant d’aventures et tant de grands concerts. Alors l’avenir du rock peut dormir sur ses deux oreilles et ronfler comme une brute avinée.

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             Et boum, les All Stars attaquent avec «Cement Mixer», tiré du premier album de The Jim Jones Revue, pianoté comme à l’aube des temps, et hanté par un thème fantôme tiré d’une BO de western crépusculaire, le genre de cut parfait, shouté à volonté, Lord Jim le télescope de plein fouet, il le prend à pleine gueule, ses screams restent d’une pureté inexorable, il éructe son here we go au pire guttural négroïde, il est capable de ce genre de tour de passe-passe. Ils tapent plus loin le «Burning Your House Down» tiré de l’album du même nom. Quoi de plus heavy, de plus greasy que «Burning Your House Down» dans les pattes du Jim Jones All Stars ? C’est une bonne question. Lord Jim a du monde derrière lui, à commencer par Carlton Mounsher, un fantastique guitar slinger aux allures de croque-mort, chapeau melon, Jaguar et chemise à fleur, et puis tu as aussi un pianiste et deux sax, plus le beurre du diable, et le vétéran Gavin Jay au bassmatic. Tout le monde danse sur scène, selon le principe de la Revue. Rien n’est laissé au hasard.

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             Ils enchaînent deux covers tonitruantes : le «Parchman Farm» bien connu des fans de Cactus et de Georgie Fame, et le «Cant Believe You Wanna Leave» de Little Richard, qui reste avec les Stooges le chouchou de Lord Jim. Oui, on peut l’appeler Lord Jim, il n’y verra aucun inconvénient. Sa prestation scénique relève d’une certaine aristocratie. Et pour corser l’affaire, voilà qu’il tape une cover de «Run Run Run», il fait son Velvet, mais délie trop la sauce et tente le coup du participatif. C’est de bonne guerre. Il tente de rouler la merguez du Velvet dans une farine de r’n’b. Ah ces Anglais !

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             Et voilà «Satan’s Got His Heart Set On You», vieux boogie blues de bon aloi, monté sur un riffalama combiné de Gavin Jay et du fabuleux croque-mort. Sur scène Lord Jim reste le fantastique mover shaker que l’on sait, sans doute l’un des derniers de sa catégorie. Il sait tout faire : onduler des hanches comme Oum Kalthoum, claquer le raw comme Wilson Pickett, friser l’embolie cabalistique, invoquer le diable, céder aux sirènes et courir après son ombre. Lord Jim est réellement l’artiste complet par excellence. On n’en perd pas une seule miette. Il va encore taper dans des covers de luxe : «Everybody’s Got Something To Hide Except Me And My Monkey» des Beatles, que reprenait aussi Tim Kerrr au temps béni des Lord High Fixers. Imparable ! À se damner pour l’éternité ! Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, voilà qu’il tape dans le «Troglodyte» du Jimmy Castor Bunch. Quoi de plus dansant que ce «Troglodyte» ? Non, il n’existe pas de dancing beat plus engageant, tout le monde claque des mains et Lord Jim fait move !, il essaye de chanter comme Screamin’ Jay Hawkins, il va chercher une équivalence de baryton métaphysique pour créer un dialogue entre le profane et le sacré, il fait monter une extraordinaire température, tout en réussissant à maintenir son groove sous un certain boisseau, à coups de sock it to me. Il sait faire exploser sa carlingue, c’est savamment amené, le cut exulte, bien ramoné par le bassmatic binaire de l’excellent Gavin Jay.

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             Comme son nom l’indique, «Rock’n’Roll Psychosis» ne traîne pas en chemin. Wild as fuck. Lord Jim nous replonge dans l’époque de la Revue et revient au temps du premier album avec «Princess & The Frog» avant de plonger délibérément dans l’âge d’or des Hypnotics avec une version chauffée à blanc et cuivrée de frais de «Shakedown». Les hits sont là, pas de problème, Lord Jim peut monter au front, il a tout le matos pour ça, les nappes de cuivres foutent le souk dans la médina du Shakedown, gros boulot pour Carlton Mounsher qui doit entrer dans les godasses de Ray Hanson. Pour le rappel, Lord Jim va encore taper dans le nec plus ultra, le «Big Bird» d’Eddie Floyd, qui fit jadis les choux gras de Tav Falco. À la fin du set, tu t’ébroues comme un poney apache qui vient de courser la diligence.

             Comme c’est pas ton jour de chance, tu arrives au merch et une petite gonzesse te souffle sous le nez le dernier exemplaire d’Ain’t No Peril. Le marchand te dit : «Y’n na plus !». Te voilà chocolat, et même sacrément chocolat, car l’album est sold-out partout, même sur le bandcamp. Que fait-on dans ces cas-là ? On se gratte l’os du genou et on reste sur les bons souvenirs.

     Signé : Cazengler, Jim Jaune

    Jim Jones All Stars. Le Petit Bain. Paris XIIIe. Le 25 novembre 2023

     

     

    Inside the goldmine

    - Marchandising

             Robert Marché parlait d’une voix extrêmement grave. Sa voix nous mystifiait tous. Au point d’aller croire qu’elle forgeait son autorité, alors qu’en réalité, cette autorité s’appuyait sur une vive intelligence. De le voir réagir dans des situations extrêmement dangereuses était un spectacle fascinant. Il donnait ses instructions au cœur du sinistre, et s’il en avait le temps, il précisait le pourquoi du comment. Donc tu savais pour quelle raison exacte tu agissais. Non seulement tu apprenais à régler les problèmes, mais tu avais eu le privilège de voir un homme t’apprendre à apprendre. Mythologiquement, il avait autant d’impact que Gregory Peck, perché à la proue du Pequod, le baleinier lancé par Herman Melville à la poursuite de la baleine blanche, mais sans le côté démoniaque du personnage. Sous ses allures de chef de meute, Robert Marché abritait une bienveillance remarquable, qui est souvent caractéristique des gens très intelligents. Pourtant jeune, il avait déjà les cheveux blancs comme neige, taillés comme des blés en un fort boisseau qui allongeait son visage vers le haut. On le comparait volontiers à Jean Marais. C’est dire s’il était bel homme. Il préparait toujours les interventions de la même façon. Il demandait des volontaires pour entrer avec lui dans les entrailles de l’enfer. Il préférait les célibataires, pour des raisons évidentes. Il donnait tout le détail des risques, tout le détail du process et des incidences du process, ce qui permettait d’anticiper les risques, et concluait chaque fois en nous remerciant de risquer notre peau pour «des salaires de misère». Telle était son expression. À l’heure dite, nous fumes en position. L’équipe des clés de frappe fit tomber les derniers boulons et la plaque du trou d’homme fut enlevée par la grue. Il se jeta le premier dans l’ouverture, au milieu des fumées et des vapeurs infernales. Nous nous engouffrâmes à la suite. Éclairés par nos lampes frontales, nous avancions à l’intérieur de cet énorme cylindre d’acier en direction de l’autre extrémité lorsque soudain jaillit d’une poche d’ombre une immonde tête de dragon. La créature se jeta sur Robert Marché et l’éventra d’un seul coup de dents. Dans un dernier spasme, il nous ordonna de rebrousser chemin, mais il n’en était pas question. Nous le tirâmes par le pied pour l’arracher aux crocs du dragon. Sa jambe se détacha avec un ploc épouvantable. Par quel miracle en sommes-nous sortis indemnes ? Le diable seul le sait. Dans le grand hall d’accueil de l’usine, là où sont décernées les médailles du travail et où l’on dresse chaque année le sapin de Noël pour les familles des travailleurs, se trouve une vitrine : on peut y admirer, plongée dans un grand bocal de formol, la jambe de Robert Marché. Le directeur de l’usine en fait dans chacun de ses discours un symbole d’héroïsme professionnel.

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             Alors qu’un dragon dévorait vivant Robert Marché, Bobby Marchan dévorait vivante la légende de la Nouvelle Orleans, mentoré par un autre dragon, mais un gentil dragon, Huey Piano Smith. Si on aime bien Bobby Marchan, alors il faut écouter les albums de Huey Piano Smith & His Clowns. Mais on peut aussi pousser le vice jusqu’à écouter une belle compile Kent parue en 2011, Get Down With It: The Soul Sides 1963-1967.

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    C’est Tony Rounce qui fait les présentations. Il nous rappelle que Bobby a grandi dans l’Ohio, et fasciné par les chanteuses, il a rejoint une troupe itinérante. En arrivant au Dew Drop Inn à la Nouvelle Orleans, ce fut le coup de foudre. Sur scène, Bobby is in full drag, c’est-à-dire qu’il se déguise en trave. C’est Huey Piano Smith qui le découvre. Comme il bosse pour l’Ace Records de Jackson, Mississippi, il fait venir son boss Johnny Vincent au Dew Drop. Vincent signe Bobby immédiatement. Plié de rire, Rounce dit que Vincent croit signer une chanteuse. On trouve pas mal d’images de Bobby en robe avec une perruque blonde. En 1954, Bobby enregistre pour Ace sous le nom de Bobby Fields. Fatigué des petites arnaques de Johnny Vincent, Bobby va quitter Ace en 1959, après que Vincent ait refilé son «Loberta» à Frankie Ford. Au passage, «Loberta» change de sexe et devient «Roberta». Le «Loberta» de Bobby ne verra le jour qu’en 1971, nous dit Rounce chagriné. Après un passage par le label Fire du new-yorkais Bobby Robinson, Bobby se retrouve chez Stax à Memphis en 1963 et c’est là que Rounce démarre sa compile. Bobby y enregistre deux singles, «What Can I Do Pt 1 & 2» qu’il tape au chat perché, et «You Won’t Do Right», un heavy groove de blues. Selon Rounce, Bobby aurait dû exploser sur Volt/Stax, mais Jim Stewart préféra donner la priorité à Otis Redding. Alors Bobby s’en va chez Dial à Nashville. Les grosses pointures de Dial sont Joe Tex et Clarence Reid. Bobby enregistre «Hello Happiness» et le «Funny Style» de Clarence Reid à Muscle Shoals. «Funny Style» est un fantastique rumble, Bobby does it right, sur un big shuffle d’orgue, une merveille de jerking blast. Énorme ! Il faut le voir allumer «Hello Happiness» aux clameurs de gospel. C’est du génie pur. Il y ramène tous les jardins de Nabuchodonosor. Bobby Marchan est l’un des plus beaux chanteurs de son temps.

             Puis il se retrouve sur Cameo, le label de Philadephie qui est alors en plein déclin. L’hot as hell «Shake Your Tambourine» et l’excellentissime «Meet Me In Church» sont aussi enregistrés chez FAME, avec Spoon et toute la bande habituelle. Même chose pour «Help Yourself» et la cover de «Rocking Pneumonia». Cameo se casse la gueule en 1967. Alors Bobby va enregistrer l’«I Just Want What Belongs To Me» de Joe Tex et «Sad Sack» chez Chips à Memphis. «I Just Want What Belongs To Me» est un heavy r’n’b que Bobby laboure en profondeur. Il chante «Too Late For Our Love» d’une voix de gonzesse, il épouse le caramel de la Soul, il est fabuleusement gluant. Il devient un artiste fondamental. Puis il te chauffe «I’ve Got A Thing Going On» aux tisons ardents pour en faire un coup de génie. Et ça continue avec «Gimme Your Love», Bobby shakes it hard, il a autant de power que Wilson Pickett, il screame sa route à travers la jungle, il tisonne ça au gimme gimme. Il reste dans la fantastique allure jusqu’au bout des ongles avec «Don’t Worry About Tomorrow» et puis voilà le pot aux rose, le fameux «Get Down With It» dont Little Richard et Slade feront leurs choux gras. Mais c’est lui, le Bobby, qui est l’origine de cette craze, Il le screame au stomp your feet/ Yeah that feet/ Everybody clap your hands - And a little bit of twist, il sait driver son stop/start ! Encore un jerk fantastique avec «Everything A Poor Man Needs», il y break a fight à la Stax motion, il rivalise d’ardeur avec Sam & Dave. Encore un coup de génie avec «There’s Something About My Baby», un heavy blues de Soul superbe et raffiné à la fois - I’m going home/ Gonna kiss my baby - il épouse les courbes et là, tu touches au génie de l’interprétation - There’s something about my baby/ That satisfies - On reste dans le jerking genius avec «Hooked», monté au gros popotin Staxy. Ah il faut encore le voir jerker «That’s The Way It Goes» dans le gras du lard ! Tous ces cuts sont parfaits : le «Sad Sack» chez Chips et puis «Help Yourself», explosif mais maîtrisé à la main tendue. Même «Just A Little Bit» est d’un niveau atrocement supérieur. 

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             Pour faire bonne mesure, tu peux aussi mettre le grappin sur une autre compile de Bobby, The Very Best Of Bobby Marchan, ne serait-ce que pour ces deux coups de génie que sont «I Miss You So» et «This Is The Life». Bobby tape le heavy boogie du premier au chat perché, et derrière lui, ça overwhelme aux grattes de Bristish Blues. On peut qualifier «This Is The Life» de pop de rêve, cette clameur épouvantable est écœurante de génie kitsch. On retrouve aussi le gros popotin de la Nouvelle Orleans dans «What You Don’t Know Won’t Hurt You», Bobby y va au don’t care what people say. Avec «You’re Still My Baby Pt 1», il propose un heavy groove de classe infiniment supérieure, bye bye baby, c’est le frotti le plus gluant de l’histoire des frottis, Lawd have mercy, et il enchaîne avec un Pt 2 rappé. C’est du grand art, il chante à pleine gueule son bye bye baby good luck darling/ You’re still my baby. Bobby peut se montrer encore plus gluant qu’Elvis, même s’il chante à l’accent tranchant, avec des pointes de falsetto. Cette compile chevauche la suivante, Booty Green.

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             Oui, Booty Green fait partie des passages obligés. On y retrouve tous les légendaires singles enregistrés sur Fire Records enregistrés entre 1960 et 1962, à commencer par «The Things I Used To Do Pt 1» et Pt2, avec le heavy Guitar Slim Sound de la Nouvelle Orleans. Il tape aussi «Hurts Me To My Heart» au heavy blues - I hurts me to my heart/ To say that I’m in love with someone - Raw power ! On retrouve aussi le «This Is The Life» de la compile précédente, il te tartine ça avec une voix de géant. Bobby t’embarque chaque fois dans on monde interlope, il est le roi du doo-wop de la Nouvelle Orleans, c’est la niaque suprême, la niaque du doo-wop de street corner. Pur jus de New Orleans encore avec «Snoopin And Accusin», ça chante au coin de la rue. Il impose encore sa street magic avec «The Booty Green», you shake to the East, you shake to the West/ Oooh Booty Green ! Il plonge ensuite dans le heavy shuffle de gospel avec «I Need Someone». Avec Bobby, ça n’en finit pas. Dans ses liners, Don Fileti rappelle que Bobby a démarré sa carrière en drag queen avec The Powder Box Revue, en 1954, à la Nouvelle Orleans. Puis comme déjà dit, Huey l’a découvert au Dew Drop Inn et Bobby est devenu lead singer des Clowns.

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             Ça tombe bien, car il existe aussi une superbe compile consacrée aux Clowns, Clown Jewels. Même si on connaît tout ça par cœur, via Huey Piano Smith, on y retourne sans discuter, car c’est de la dy-na-mite ! Non seulement c’est de la dynamite, mais ça grouille d’inédits. Bobby s’appelle encore Bobby Fields quand il enregistre «Helping Hands». Il reflirte avec le génie dans «Don’t Take Your Love From Me», c’est magnifique, plein de glamour ! Et voilà le fameux «Chicken Wah Wah» sur lequel a flashé Don Fileti : fantastique rintintin de cha cha wah wah wah ! Il faut voir comment Bobby fracasse le heavy groove de «Can’t Stop Loving You». Il a vraiment un truc en plume. On peut même dire que la fournaise de la Nouvelle Orleans est le beat définitif. Et ça continue avec «You Can’t Stop Her», tu as tout de suite le son des Clowns, c’est battu à la diable, tu as même le shoot de baryton dans les chœurs. Coup de génie encore avec «Loberta», Huey l’embarque au piano, welcome in hell, Bobby genius ! Chœurs de mecs ! Loberta ! Même énergie que celle des Beach Boys. Avec les Clows, Bobby est invincible. «Loberta» est l’un des plus beaux hits de tous les temps. Magie encore avec «Dearest Darling» et Bobby fait le crocodile dans «Hush Your Mouth». Saura-t-on un jour dire la grandeur du power des Clowns ? Encore de l’heavy r’n’b avec «We’ll Be John Brown», big Clown brawl, c’est là où Huey et Bobby épousent les Coasters. La compile s’achève avec quatre titres de Bobby solo, dont un «What Can I Do» monté au gras double de chat perché, et un «Push The Button» en mode heavy groove de funk à la James Brown. Bobby peut allumer la gueule du funk. Ce mec est effarant !

    Signé : Cazengler, Bobby Marchiant

    Bobby Marchan. Get Down With It: The Soul Sides 1963-1967. Kent Soul 2011

    Bobby Marchan. Something On Your Mind. Relic 1994   

    Bobby Marchan. Clown Jewels: The Ace Masters 1956-75. Westside 1998

    Bobby Marchan. The Very Best Of Bobby Marchan. Collectables 1999

     

     

    Be careful with that axe Eugene

    - Part Two  

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             Aussitôt après sa phase Sixteen Horsepower, David Eugene Edwards s’est lancé à corps perdu dans une nouvelle aventure, qu’on va qualifier d’inexorablement passionnante, l’aventure Woven Hand. Au début il sépare le Woven du Hand, puis il les rattache. Il est comme ça, l’Eugene, il avance, il change, il évolue, il rattache, il transforme, il n’a pas les deux pieds dans le même sabot, il ne perd pas son temps à couper les cheveux en quatre.  

             En 20 ans, il va pondre 11 albums et faire la joie des amateurs de rock indé, une frange particulière du rock qui ne sait pas vraiment se situer, une espèce de gros sac dans lequel les médias ont fourré tout ce qui n’était pas du rockab, du metal, du punk, du folk ou du hardcore, et tout ce qui n’était pas les Stones, les Stooges, les Cramps, le Gun Club et les Mary Chain. Comme beaucoup d’autres groupes, l’Eugene et son Woven Hand n’avaient pas une identité artistique assez affirmée pour échapper au fourre-tout de l’indie rock. Chez les disquaires spécialisés dans les nouveautés (comme Gibert), tu trouvais les Woven Hand au rayon «Rock Indépendant», qui dans ces années-là rivalisait d’importance avec le rayon «Rock International». Le côté pratique, c’est que tu trouvais les disques que tu recherchais. Le problème du rock indé, c’est qu’il était globalement intéressant, mais rarement excitant. Tu écoutais tous ces groupes pour combler des lacunes. Des articles dans la presse anglaise piquaient ta curiosité, alors tu partais à la chasse pour  choper les albums. Il y eut de bonnes surprises, bien sûr, comme les Butthole Surfers, Grand Mal ou les Soup Dragons. Mais il fallait rester sur ses gardes et se méfier de tous ces esthètes à la mormoille qui infestaient à l’époque les bacs des disquaires. 

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             Si on faisait confiance à l’Eugene, c’était bien sûr parce qu’il prêtait allégeance au Gun Club. On l’avait vu à l’œuvre au temps de Sixteen Horsepower avec sa brillante cover de «Fire Spirit». Alors on écoutait Woven Hand en espérant retrouver cette allégeance. Mais les deux premiers albums, Woven Hand et Blush Music, furent décevants, même si l’Eugene maîtrisait bien les finesses de l’American Gothic. Avec «Glass Eye», il proposait une espèce de petite Americana foutraque grattée au banjo, par contre, son «Wooden Brother» se voulait plus pompeux, avec ses allures de menuet à la cour du roi. On croyait entendre Lulli claquer sa canne au sol. On vit l’espoir renaître avec «Ain’t No Sunshine», car l’Eugene sonnait comme Jeffrey Lee Pierce. Bizarrement, la plupart des cuts manifestaient une volonté réelle de décollage, comme cet «Arrowhead» amené au menuet rowdy, et l’heavy groove de «Your Russia», cosmic trip traîné dans la boue.

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             On retrouve d’ailleurs «Your Russia (Without Hands)» sur Blush Music : l’heavyness devient intéressante, l’Eugene bombarde sa Russie au stomp, c’est un bon retour sur investissement. Mais le reste de l’album peine à jouir. Ça reste tendu, sombre, gratté au banjo. L’Eugene n’est pas heureux, et tu finis par perdre patience. Avec «White Bird», il presse le pas, il faut aller vite pour sauver cet album en péril, il doit éviter de prendre les gens trop longtemps pour des cons, alors il refait son Jeffrey Lee Pierce et chevauche en tête de sa horde. C’est un album expérimental, il enregistre des bêtes et des respirations («Aeolian Harp (Under The World)»), ça chuchote, et tu passes outre. Il achève son périple avec un «Story & Pictures» visité par des vents très anciens. L’Eugene connecte les fantômes de Russie avec ceux des Carthaginois, il revient au chant pour une prière, et c’est assez somptueux. Il invente le son du moyen-âge à la glotte vibrante. On sort de cet album déçu mais tout de même intrigué. 

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             C’est en 2004 que Woven Hand devient Wovenhand, avec Consider The Birds. Big album ! Enfin ! Après deux cuts calamiteux, l’Eugene trouve enfin la délivrance avec «To Make A Ring», un Big Atmospherix joué à l’ancienne, au boisseau de miséricorde, on entend des cornes de brume et le son des fêtes antiques, il réveille de vieux démons, ça joue aux tambours et aux flûtes carthaginoises, et ça devient vertigineux. Tout à coup ça s’anime ! Power ! Glory ! Horror ! Te voilà conquis, comme une citadelle. «Off The Cut» ? Ça chevauche sous un ciel bas. Superbe, dark & dense. L’écheveau se déroule encore avec «Chest Of Drawers», joli balladif intense et crépu, auréolé de pustules crépusculaires. Il s’amuse bien l’Eugene. Chaque cut revêt une dimension historique et soudain, tu sors du fucking indie rock et tu prends l’Eugene très au sérieux, car voilà «Oil On The Panel», Roma Roma where is my country, œuvre très sculpturale, il roule même ses R pour lancer son Roma. Cet album est d’une rare intensité, l’Eugene se coltine tout pied à pied comme s’il traversait les Alpes avec des éléphants, il se confronte à ses démons et s’acharne. Il passe au glorieux heavy folk avec «Down In Yon Forest», il te tarpouine ça comme un punk troubadour, c’est puissant, bien écrasé du champignon, il sait amener un power considérable dans sa vision du folk US, là, oui, tu adhères au parti. Nouveau choc thermique avec «Tin Finger», il te gratte ça au banjo et te bat le beat des frontières, c’est intense et éblouissant comme une révélation.     

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             Le fortune de l’Eugene connaît des hauts et des bas. Après les grisants sommets de Consider The Birds, Mosaic impose une sorte de retour au calme. On est frappé par la désolation musicale de «Winter Shaker» : rien à l’horizon. C’est un Big Atmopsherix de plaine désolée, digne de Dino Buzzati. Avec «Swedish Purse», l’Eugene rappelle qu’il est amateur d’art baroque. Il joue au pincé de banjo presbytérien. Ça pue l’habit noir et l’austérité. Et puis avec «Twig», il reste très liturgique. Il chante dans l’église. Il prêche pour sa paroisse. Coincé dans son format austère, il ne crée plus de surprise et on s’ennuie comme un rat mort. Alors il se fâche avec «Elktooth», il charge sa barcasse de tout le poids du monde, c’est lourd de conséquences, antique et démoniaque. Et soudain, le cœur de l’album se met à battre avec ce «Dirty Blue» gorgé d’un étrange moyen-âge, le cut te parle à travers les siècles. Et tout explose avec «Slota Prow Full Armour», un cut chargé de bad vibes, articulé au violon du diable, l’Eugene chante même comme un diable, il agite les eaux troubles, on entend la BO de Rosemary’s Baby, une horreur fantastique, et ça devient un stomp du Moyen-âge. Stupéfiant ! Il reste dans cette ambiance d’une autre époque pour «Deerskin Doll», il sonne comme un vieux troubadour perdu dans la nuit des temps. Et si l’Eugene était le Don Quichotte du rock ? On finit bien sûr par s’attacher à lui. S’il n’a que deux gros cuts par album, ça suffit. C’est tout ce qui compte.     

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             On en trouve pas deux, mais trois sur Ten Stones. Trois véritables coups de génie eugéniques constituent le cœur battant de l’album : «White Knuckle Grip», «Quiet Nights Of Quiet Stars» et «Kicking Bird». Rien qu’avec ça, t’es gavé comme une oie du Périgord. Heavy boogie d’Eugene avec «White Knuckle Grip», il peut t’exploser la rate d’un cut, c’est violent, massif et surnaturel, il relance l’abattage à coups d’hey white knuckle grip on my/ Saturday night, il allume comme un démon - I’m taking the heavy way/ Get a grip and make it tight - Il enchaîne ça avec une cover de Carlos Jobim, «Quiet Nights Of Quiet Stars», le voilà dans la matière de l’antimatière, c’est une cover miraculeuse, et puis voilà qu’arrive dans la foulée le puissant «Kicking Bird», fantastique clameur d’Hey hey de char de combat, le voilà de retour dans l’Antiquité, c’est un vertige balsamique, une everglade d’evertrue, avec l’Orient barbaresque en fond de toile, hey hey hey ! On trouve aussi des choses très anciennes dans «Horse Tail», le power d’un autre temps, comme si l’Eugene s’évertuait à échapper à toutes les modes. «Not One Stone» est solide, c’est sûr, mais perdu dans la pampa. Il y va au behold the lamb, par contre «Cohawkin Road» et «Iron Feather» glissent doucement à la tombe.

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             Et puis voilà The Treshinglfoor qu’il faut considérer comme son plus bel album. C’est un véritable chef-d’œuvre de modernité ancrée dans l’Antiquité. On le sent dès le «Sinking Hand» d’ouverture de bal, c’est un son issu d’un passé lointain, mais puissant, gonflé comme une voile. Et tout explose avec le morceau titre qui arrive à la suite. On retrouve l’Orient dans le son, ce fabuleux power des tribus du désert. L’Eugene conquiert son empire, il roule des R dans une fournaise démente. Il chante comme un démon, un vrai démon qui parle les langues. Tout sur cet album est puissant et admirable. «A Holy Measure» sonne comme une fantastique clameur flaubertienne, puis avec «Raise Her Hands», l’Eugene sonne très indien, au sens de la tribu, il fait sonner les tambours de guerre, sa musique semble contempler plusieurs siècles d’histoire. «His Rest» est tout de suite chargé de son, avec une fantastique présence de la pression, il flirte en permanence avec le génie atmosphérique, c’est très beau, solaire et radieux à la fois. Il charge encore sa barcasse avec «Behind Your Breath» et ses ambiances d’une grande ancienneté, et «Truth», où il provoque les éléments, où il lève des tempêtes, il recrée la démesure de l’Antiquité, voilà encore un cut babylonien, chargé de pierreries, païen et somptueux, un vrai Gustave Moreau. Il ramène des flûtes arabes dans «Terre Haute», il frise le Rachid Taha avec cette merveilleuse exotica, il fait le bim bam boum du désert. Magistral ! C’est digne de Diwan, l’un des meilleurs albums de tous les temps. Dans «Orchard Gate», l’Eugene sonne comme Saladin qui va prendre Jérusalem. Encore une fois, tu te fonds dans cette fabuleuse clameur. Il revient au pur rock’n’roll avec «Denver City», awite yeah ! Il te claque mine de rien le meilleur rock d’ici bas. C’est même bien claqué du beignet. Il sait renverser les tendances. Il te déglingue un boisseau vite fait. C’est du pur wild as fuck.      

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             Plus on avance dans la discographie d’Eugene superstar et plus on se sent entrer dans une espèce de mythologie. S’il en est un qui crée son monde, c’est bien lui. Encore une pochette ésotérique pour The Laughing Stalk. Ça rue dans les brancards dès «Long Horns». Violente entrée en matière s’il en fut. Heavy Woven rock chargé de menace - Long horn trigger happy gun shy/ I hear the laughing stalk - suivi du refrain de come on come on inner man, et ça finit en apocalypse d’in the tall corn now. L’Eugene te bluffe pour de bon. Adios Indie rock, welcome Woven rock. L’Eugene sature son son à l’extrême, il salue Abraham dans le morceau titre, un cut épique, très ancien, dans l’esprit du biblical tale. Puis il chante «In The Temple» à l’excédée fondamentale, il vise la densité du vibré de son extrême, pur power sidéral, pur genius d’excavation, ça balaye devant toutes les portes, y compris la tienne, ce mec ne vit que pour les ciels - This is done is done is done/ In this temple now - et là tu as l’Orient qui jaillit dans le Wall of Sound - That confess thy name - Il impose encore son sens aigu de l’Antiquité avec «King O King» et passe aux Stooges avec «Closer», car oui, c’est le riff de «No Fun». Et ce n’est pas fini. L’Eugene te réserve encore des surprises, comme «Maize» qu’il semble chanter du fond des âges, du fond d’un désert de Nubie à la Marcel Schwob, comme s’il pratiquait une religion préhistorique d’êtres tatoués et parfumés d’ambre. Il s’enracine encore dans les profondeurs de «Coup Stick», dans un deepy deep intraitable, dans des clameurs de voix et le beat des éléphants de combat. Eugene, c’est Hannibal ! Encore de l’eugénisme cathartique avec «Glistering Black». Tu sors de cet album émerveillé, comme au sortir d’une première lecture de Salammbô.

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             Par contre, l’album live ne fonctionne pas. Live At Roepaen ne tient que par la force de certaines compos comme «Speaking Hands» qui tournoie dans l’ombilic des limbes, ou «Raise Her Hands», où il conduit une grosse diligence, heya heya. Sinon, le reste est trop contemplatif. L’Eugene s’enferme dans sa mélopée. Il plonge chaque fois dans la même friture avariée, ça tourne joliment en rond. On retrouve «His Rest», joliment mélodique, et les gens applaudissent. Ils n’en finissent plus d’applaudir. Sur «Flutter», il sonne comme le troubadour du diable qui répand la mort et la destruction, et live, «Orchard Gate» sonne très indien shamanique. On ne comprend pas pourquoi les gens applaudissent alors qu’il ne se passe rien. Sur scène, l’Eugene ne mégote pas sur la tourmente. C’est son fonds de commerce. On perd tout ce qui fait sa force : les trompettes d’Orient et les éléphants de combat. Même pas envie de voir le DVD.

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             Tu vas trouver un sacré coup de génie sur Refractory Obdurate : «Good Shepherd». Ancré encore une fois dans l’Antiquité, from the house of Bread and Battle, ça joue dur, au big time - My good shepherd/ From the house of Bread and Battle - Quelle allure, l’Eugene peut rocker comme un démon. L’autre énormité s’appelle «Field Of Hedon», vite embarqué au Master say on ! C’est l’assaut ! - Who is this who come from Hedon/ Dressed in death’s red robe ? - Tu seras mort avant d’obtenir la réponse. L’Eugene se retrouve vaillant troubadour lancé au triple galop sur «Corsicana Clip». Rien n’arrête un si beau sire - High above the praises of the people - Tu t’enivres de la littérature sacrée d’Eugene le troubadour du diable. Il te rentre sous la peau. Il invente la heavyness antique pour «Masonic Youth». On sent bien qu’il porte une armure, notre heavy troubadour. Il n’en finit plus de prêcher dans le désert, comme le montre encore «The Refractory», il prêche the son of the foaming sea et il t’emmène plus loin faire un tour dans le palais de «Salome». Il crée de la mythologie en permanence, comme le montre encore ce «King David» très oppressant, et puis avec «Hiss», il rocke la bataille des Thermophyles. Grandiose ! Il chante les trônes et les bones.

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             Sur la pochette de Star Treatment, il est photographié de dos et porte le fameux blouson de jean décoré d’un teepee qu’il portait l’autre soir sur scène. On s’en doute, l’album grouille d’énormités, c’est l’un de ses albums les plus lourds de conséquences, à l’image du «Come Brave» d’ouverture de bal, heavy as hell, frappé au beurre des démons de l’enfer. L’Eugene prêche en sa chaire d’apocalypse, il rivalise avec Jaz Coleman et le Pandemonium de Killing Joke. Beurre d’Ordy Garrison, un fou, et Sir Charles French gratte ses poux. L’Eugene lance «The Hired Hand» au big beat de Woven. Il se transforme en wild rocker et ça lui va plutôt bien. Il monte un mur du son pour «The Quiver» et monte un énorme boisseau pour couvrir «All Your Waves», il vise l’atteinte sous-cutanée et le beat bat comme un gros cœur cosmique. Le hit de cet album flashy s’appelle «Go Ye Light», un psyché so far out fouillé par des poux complexes. Sir Charles French se prend pour les Byrds.

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             Dernier album en date de Wovenhand : Silver Sash, paru l’an dernier. L’Eugene est bon, jusqu’au bon des ongles, jusqu’au bout de la nuit, jusqu’au bout du bout, et tu te prosternes devant ce «Dead Dead Beat» amené aux machines et qui tourne mal, fast & furious, comme il sait l’être lorsque la situation l’impose - The dead dead beat - Il peut rocker une transe de type Gun Club et pousser des ouh! d’uppercut. S’ensuit un «Omaha» encore plus furibard. Pure folie sonique ! La Méricourt des enfers, il développe son petit Wall of Sound et chante à l’encontre de la bienséance. Et soudain, il arrose tout de vitriol. Il trempe son Omaha dans la pure violence sonique, un Wall of sonic trash s’élève jusqu’au ciel, alors oui, tu cries au loup, l’Eugene redevient l’héritier direct de Jeffrey Lee Pierce, wild & heavy as fuck. Il reprend encore de la hauteur avec «Sicagnu». Il devient le temps d’un cut une imposante figure du rock, un terrifiant seigneur des annales. Et puis voilà «8 Of 9», battu au beat tribal, retour du rock dans l’Antiquité, l’Eugene renoue avec cette notion de puissante armée et de puissants parfums.

    Signé : Cazengler, Eugène sue (à grosses gouttes)

    Woven Hand. Woven Hand. Glitterhouse Records 2002

    Woven Hand. Blush Music. Glitterhouse Records 2003 

    Woven Hand. Consider The Birds. Glitterhouse Records 2004     

    Woven Hand. Mosaic. Glitterhouse Records 2006     

    Woven Hand. Ten Stones. Glitterhouse Records 2008       

    Woven Hand. The Treshinglfoor. Glitterhouse Records 2010       

    Woven Hand. The Laughing Stalk. Glitterhouse Records 2012

    Woven Hand. Live At Roepaen. Glitterhouse Records 2012  

    Woven Hand. Refractory Obdurate. Glitterhouse Records 2014

    Woven Hand. Star Treatment. Glitterhouse Records 2016

    Woven Hand. Silver Sash. Glitterhouse Records 2022

     

     

    I can hear the Supergrass grow

    - Part Two 

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             Dans le numéro 100 de Shindig, le Bronco Bullfrog Andy Morten traite Supergrass de masters of the three-minute pop single. Autant les traiter de branleurs géniaux, ce qu’il fait d’ailleurs dans le chapô d’intro en les qualifiant d’erberts from Oxfordshire. Et pouf, huit pages pour Supergrass, ce qui est une première pour ce trio sans prétention. En plus de l’excellence de leurs singles, c’est leur look qui les rendait populaires auprès des kids anglais. Eh oui, les trois Supergrass s’habillaient et se coiffaient comme tous les kids qui venaient les voir sur scène. Morten insiste beaucoup sur cette notion d’identification. Les trois cocos de Should Coco avaient à leurs débuts un joli choix de reprises : «Stone Free» de Jimi Hendrix, «Where Have All The Good Times Gone» des Kinks et «Just Dropped In» de Kenny Rogers & the First Edition, des reprises qu’on ne peut d’ailleurs même pas entendre, sauf le Stone Free, mais il faut acheter le bullshit remastérisé du premier album. Morten n’en finit plus d’encenser Supergrass, il démultiplie le roaring du rock language, à coups d’amphetamine-paced et de stomping ground. Et plus loin il résume Supergrass avec cette formule magique : pop classicism, punk attitude and gang camaraderie. Retour à la big lad culture du temps des Small Faces. Côté influences, Supergrass se réclame des Kinks, des Beatles, d’XTC et des Smiths. En 1995, ils signent sur Parlophone et font une première tournée anglaise avec les Bluetones. Morten s’ébahit très vite du sense of playfulness and fun qui se dégage de leur premier album.

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             Morten a raison de dire que Supergrass est un groupe bien énervé. Il suffit d’écouter le bien nommé I Should Coco. C’est cavalé ventre à terre dès «I’d Like To Know», cavalé oui, mais à l’anglaise. Ces mecs n’ont qu’une seule ambition dans la vie : exploser au coin de la rue. On a du Gaz à tous les étages, tight unit, power trio, garage-punk snarl, ils jouent leur va-tout dans l’œil du cyclone. C’est imbattable et même trop joué. Le son arrive par giclées, comme des paquets de mer dans la tempête. Et ça continue avec un «Caught By The Fuzz» au souffle court. Ils explosent bien leur budget au wooh-wah-oooh. À l’époque, ce fut un hit. Ils passent au glam avec «Nansize Rooster», un stomp cousu de fil blanc. Comme ils ont brûlé leurs cartouches, ils passent à la petite pop bon enfant et c’est là que le bât blesse car ils peuvent se montrer horriblement putassiers. Heureusement, ils redressent la barre avec un «Lose It» joué au guitar power. Le cut l’emporte, même s’ils chargent leur mule de pop. Ils attaquent «Lenny» au riff de barrage. On sent les bonnes racines, c’est excellent, bien balancé. Ils sont le groupe de Britpop anglaise idéal, comme on le dit du gendre. Gaz sait envenimer les choses avec des départs en pointe. Pour «Sitting Up Straight», ils vont chercher du petit background de Shaft et ça explose comme une éjaculation, mais on sent bien à travers cette frénésie ridicule qu’ils cherchent à plaire. On atteint là les limites de la Britpop. Ils jouent leur «Time» au heavy Supergrass. Visiblement, ces mecs écoutent des bons disques. Puisque leur «Time» flirte avec la heavyness, il prend des faux airs de glam. Et comme les Beatles du White Album, ils finissent en beauté avec «Time To Go». Wow, ces mecs ont du fucking répondant.

             Comme ça marche bien, Gaz peut quitter son job de cuisinier. Lui et des deux amis adorent monter sur scène.

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             Oh les gars, avec le morceau titre d’In It For The Money, on se croirait dans «Needles In Camel’s Eyes» de Brian Eno ! C’est vraiment bien vu, on a tout de suite du son. Bon petit chant glam, bel éclat du bec de Gaz. Et en plus, la pochette de l’album est marrante : on dirait trois clodos devant un hangar de l’armée du salut. L’autre point fort de l’album s’appelle «Cheapstake», un cut plus fort que le roquefort, Gaz allume tous ses becs de gaz. Il faut saluer leur énergie, ces trois petits mecs ne lâchent jamais leur rampe. Ils sont dans le son, personne ne peut leur enlever ça. Et comme «Going Out» le prouve, cet album est chargé de mille trésors. On a là un cut productiviste qui sonne comme un modèle du genre. Et on voit aussi qu’avec «Richard III», ils ne relâchent pas la pression. Bien vu, les gars, on est avec vous. Ils gorgent leur prod de son et redoublent de power cavaleur. Ils taillent leur haillon dans la jungle du rock anglais et il faut les encourager. «Tonight» sonne aussi un brin glammy. Ils jouent leur carte d’impending, c’est extrêmement vif, bien convaincu d’avance, conforme à ce qu’on attend d’un bon slut de cut de pop-rock nerveux et indomptable, un cut à l’échine exacerbée, un cut de peau chatouilleuse qui fume dans la nuit des combats de Gaz. Il rallume son bec avec «Sun Hits The Sky». On peut lui faire confiance, il essaiera toujours de complaire au complaisants qui conspirent dans la continuité du continuum confiné des con finis. Excellent bash boom de pop anglaise, on y va les yeux fermés. Gaz sort des effets pour le moins demented. 

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             Ne jamais perdre de vue le fait suivant : Supergrass, c’est juste trois kids, rien de plus. C’est en gros ce que nous dit l’album Supergrass paru en 1999. Gaz devient bon avec «EDN». Il se prend pour les Beatles de l’ère psychédélique et se glisse dans le move avec une belle grâce gazeuse. Il renoue avec son cher glam dans «Pumping Our Stereo». Ils poivrent leur glam de chœurs de train fantôme. On se croirait chez les Spiders Form Mars. C’est un véritable chef-d’œuvre d’underbelly psychedelia. Tout aussi aguicheur, voici «Jesus Came From Outta Space». On dirait du faux Bowie. Avec tout ce backlash de heavy beat, Gaz se sent investi de sa mission. Il a des ressources inépuisables, comme le montre encore «Beautiful People». Mais ça n’en fait pas une star pour autant. On les voit aussi sonner comme Mansun avec «Moving» et chercher leur Graal avec «Faraway». Ils vont loin, bien au-delà du son. 

             Le batteur Danny Goffey apporte un bel éclairage : «Le premier album était joliment ball-out - qu’on traduirait ici par couillu - On allait au pub, on buvait comme des trous, on entrait en studio et on enregistrait vite fait. Puis certains ont eu des gosses, des femmes, ont acheté des maisons et ça a commencé à changer.»         

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             Une bien belle énormité se niche sur Life On Other Planets : «LA Song». Gaz s’y prend pour un Américain. Comme il sait capitaliser sur son enthousiasme, ça le sauvera. C’est un winner, il sait convaincre. Il faut le saluer pour cette performance extravagante. L’écoute d’un album de Supergrass est toujours une expérience intéressante. Que penser d’un cut comme «Evening Of The Day» ? Rien de particulier. On voit bien qu’ils cherchent des idées, pendant ce temps, on les écoute chercher des idées. Allez-y les gars, cherchez des idées, prenez votre temps. Ce sont des gens intelligents, alors pas d’inquiétude. Il ne vous en coûtera que vingt euros. Qu’est-ce qu’un billet de vingt euros, comparé à l’univers ? «Rush Hour Soul» pourrait sonner comme un hit de rock anglais, car monté sur un solid daily basis de big whooping drive, mais ce n’est rien de plus qu’un cut de plus. Gaz chante «See The Light» avec la voix de Marc Bolan, puis on les voit faire les punks avec «Never Done Nothing Like That Before». Ils sont à géométrie variable, comme le montre encore «Funniest Thing». Ils alternent pointes de vitesse et montées en température. Et puis on l’a déjà remarqué, les Grass deviennent fascinants dans les derniers tours de leurs albums, ce que montre encore «Grace». C’en est la preuve vivante, une vraie démo de vérité vraie, pulsée au mieux de la Brit pop. Gaz se fait heavy avec «Run». Il est parfaitement capable de driver un heavy groove de fin de soirée, mais l’essai n’est pas convaincu d’avance. Il y a cependant quelque chose de profondément attachant dans leurs albums. Bon d’accord, ce ne sont pas les albums du siècle, mais ils ont de la tenue. Gaz et ses amis tentent de surnager dans la tempête Britpop.    

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             Road To Rouen est certainement leur album le plus faible. C’est l’époque où Gaz traverse une sale période avec la mort de sa mère. Ils enregistrent l’album dans la ferme que Gaz possède en Normandie. Ils ne se sentent pas très inspirés et éclusent du pinard. On ne trouve rien de spécial sur cet album. Ils jouent leurs petits trucs. Mon pauvre Gaz, il ne suffit pas de mettre les gaz pour pondre des œufs d’or. On note aussi que le titre de l’album est un clin d’œil aux Ramones de Road To Ruin. L’écoute d’un cut comme «St Pertersburg» permet de réfléchir : on se demande parfois à quoi sert d’écouter un album de Supergrass. Se croient-ils assez dédouanés pour pouvoir chanter ce qui leur passe par la tête ? «Roxy» n’a rien dans le citron et «Coffee In The Pot» est joué aux percus de manque d’idées. En réalité, Road To Rouen est un album de funk, comme le montre le morceau titre monté sur un big bassmatic et décoré de petits tiguilis de guitare funk. C’est de bonne guerre. On les voit encore tenter de créer la surprise avec «Kick In The Teeth», mais pas de surprise. Voilà enfin un «Low C» assez bien balancé. Gaz et ses deux amis tiennent bien la distance. Ça ne mange pas de pain d’écouter leurs albums jusqu’au bout. Gaz est un mec attachant et il finit en beauté avec le fin du fin de «Fin».    

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             En 2008, ils remontaient dans les sondages avec Diamond Hoo Ha, enregistré au Hansa studio de Berlin où Bowie avait lui aussi enregistré. Trois belles merveilles palpitantes s’y nichent, à commencer par un hit glam, «Rebel In You». Gaz y fait son Bowie. Bel exercice de mimétisme. En plein dans le mille ! Dommage que tout ne soit pas aussi mimétique sur l’album. Gaz bouffe l’écran. Sa voix dégouline d’accents de vérité. Autre pusher : «Whiskey & Green Tea». Gaz y fait du early Bowie, celui de la heavy psychedelia, il travaille son cut au corps et shake son refrain au whiskey and some green tea à la pure élégance. Fabuleuse élévation d’heavy psychout ! Gaz is the king of the green tea. Ce chef-d’œuvre sauve l’album. S’ensuit une autre énormité : «Butterfly». Belle attaque. Encore un cut soldat inconnu sauveur de la nation. Gaz le chante à l’éperdue exacerbée. Sacré Gaz, il se réveille toujours à la dernière minute. Il faut aussi le voir chanter le morceau titre à la voix de conquérant. Mais le milieu de l’album est bien plus laborieux. C’est un gros boulot que de remplir un album, une tâche à laquelle sont confrontés tous les groupes qui manquent d’imagination. Avec «345», ils ne sont pas loin d’Oasis, mais avec le son des guitares en moins. Et avec «The Return Of», ils sonnent littéralement comme Pulp. Eau & Gaz à tous les étals. Monsieur Gaz bouffe à tous les râteliers. Vas-y mon Gaz, bouffe ! Ils passent au post-punk avec «Rough Kuckles». Gaz devient parfois tellement protéiforme qu’il en devient écœurant.

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             S’ensuit une belle catastrophe : Mick Quinn, qui est somnambule, tombe du premier étage et s’en sort mieux que Robert Wyatt : seulement deux vertèbres cassées et un talon. Pendant qu’il se rétablit, Gaz et Goffey se produisent en duo. Quand Quinn revient, le groupe tente de redémarrer en enregistrant un nouvel album, Release The Drones, mais comme le dit Morten, la magie n’est y pas. Ils commencent à s’engueuler. Plan classique. Gaz veut arrêter les frais. Fuck it. Pas facile de splitter. Gaz dit que c’est comme dans un couple. C’est pire.

             Alors ils démarrent tous les trois des carrières solo. Quinn fricote avec Bruce Brand dans The Beat Seeking Missiles et avec ses copains d’enfance Swervedriver. Goffey fricote avec Vangoffey et Gaz enregistre trois albums solo. Et bien sûr, attiré par l’appât du gain, Supergrass se reforme en 2019 pour des bons concerts sold-out et la parution d’une box qui coûte la peau des fesses.

    Signé : Cazengler, supergras-double

    Supergrass. I Should Coco. Parlophone 1995

    Supergrass. In It For The Money. Parlophone 1997  

    Supergrass. Supergrass. Parlophone 1999                 

    Supergrass. Life On Other Planets. Parlophone 2002    

    Supergrass. Road To Rouen. Parlophone 2005     

    Supergrass. Diamond Hoo Ha. Parlophone 2008

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    Andy Morten : Keep on the grass. Shindig # 100 - February 2020

     

     

    DE DAN, DEHORS

     

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    1/ PREMIERE APPROCHE

            Librairie Privat, Toulouse, coin (je n’ose pas faire précéder ce mot de l’adjectif ‘’petit’’ par respect pour son contenu) poésie, à ne pas confondre avec le Rayon Poésie, réservé aux ouvrages des ‘’grands’’ éditeurs, non une table minuscule sur laquelle était jetée la profuse production poétique underground, revues mal agrafées, tirages parcimonieux, encrages Gestetner défectueux, toute la poésie vivante se retrouvait-là, un amoncellement sans cesse renouvelé, un peu comme ces coquillages que la mer rejette sur le rivage, ils semblent attendre qu’une main distraite se saisisse de l’un d’entre eux et le transforme posé sur un bureau, loin de l’écume et des vagues, en cendrier…

             Cette fois-ci le rouge carminé d’une mince et élégante plaquette attirait le regard. Je l’ai lue illico, pas mal du tout, je l’ai reposée, le mantra aum mani padme hum… maintes fois répété me gênait quelque peu, moi qui ne vois le monde qu’au prisme de la Grèce Antique cet orientalisme ne me semblait présenter que peu d’intérêt, pire en tant que rocker pur et dur je trouvais que ça fleurait un peu trop le patchouli et les hippies, je l’ai reposée, et m’en suis allé.

             Je suis revenu le matin suivant. J’y avais pensé toute la nuit… La tentation tentaculaire m’a saisi, le nom de l’auteur et son adresse appelaient une lettre. Il m’a répondu, j’avais dû dire mon adoration immodéré du rock ‘n’ roll, ne voilà-t-il pas qu’il me proposait de monter avec lui à Paris pour voir Jerry Lee Lewis à la fête de l’Humanité. Mon flair légendaire de rocker ne m’avait pas trahi !

    2 / PLANTONS LE DECOR

    Je ne vais pas encore parler de Daniel Giraud mais de mon chien. Zeus. Il nous a sauvé la vie, ma compagne et moi. Nous nous rendions chez Dan au Ruère au-dessus de Saint-Girons. La voiture s’arrêta, faute de route. Oui c’est par ici, au haut du versant, sur la crête de la colline. On a coupé à travers bois. Maintenant il ne restait plus qu’à traverser un immense pré. Squatté tout en bas par une centaine de chèvres qui paissaient en paix. Elles devaient se méfier des êtres humains. Elles avaient raison, nous sommes l’espèce prédatrice par excellence. Nous ne leur voulions aucun mal. Au début c’était marrant, ce long corridor de chèvres qui nous suivaient, lorsque tous les jeunes mâles se mirent à nous pousser en avant de légers coups de cornes dans nos postérieurs, ce l’était moins. Fais quelque chose, me dit-elle. Cherchant l’inspiration je levai les yeux au ciel, une forme blanche batifolait au loin dans les herbes. Ce n’était pas un ange qui se portait à notre secours, mais Zeus notre Coton de Tuléar, notoire assoiffé de canapés, il faut le reconnaître sur l’instant totalement insouciant de l’extrême péril qui menaçait ses maîtres. Je ne sais pas pourquoi j’ai tendu le bras vers lui et désignant le troupeau à nos basques je lui ai intimé l’ordre salvateur : Vas-y Zeus ! L’est parti en aboyant, en moins de deux minutes il a ramené les ovins opiniâtres tout en bas de la pente où ils se sont regroupés sagement en rond… Ainsi grâce à Zeus nous atteignîmes en toute sérénité la maison de Daniel Giraud.

    3 / NAISSANCE D’UN REBELLE

    Lorsque j’ai averti Daniel Giraud que je commençais ce blogue rock, il m’envoya pour le numéro 03 du 05 / 11 / 2009 le texte que voici :

    SOUVENIRS, SOUVENIRS

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    JOHNNY EN 58

    C'est en 1956 que j'ai découvert le rock'n'roll grâce au Tutti Frutti de Little Richard, Rock around the clock de Bill Haley et les cinq premiers 45 tours d'Elvis Presley. J'avais dix ans.

    Je préférais les américains aux européens et dans les années suivantes j'aimais bien mieux les noirs aux visages pâles, plus ou moins bons imitateurs. C'est plus tard, à quinze piges, que je découvrais le blues à l'origine du rock comme du jazz.

    Nez en moins, comme écrivait San Antonio dont je dévorais les bouquins, deux ans après, en 1958, j'ai apprécié ce blanc-bec de Johnny qui débarquait face au pantouflard Richard Anthony... J'avais donc douze ans et avec un ami du même âge, Pierre Alleaume, nous sortions pour la première fois sans nos parents... Nos mères respectives étant amies et voisines, au square Groze-Magnan où je jouais au foot dans la rue avec les enfants de Ben Barek, un grand joueur de l'O. M.

    Je ne sais si ce concert à l'Alcazar de Marseille était le tout premier de Johnny mais c'était sûrement un des premiers ( Souvenirs, Souvenirs   n'était même pas sorti ). C'était un vieux théâtre en bois (hélas aujourd'hui rasé pour construire la Bibliothèque de Marseille) où mon marseillais de père allait régulièrement à l'entre-deux guerres pour des cafés-concerts à une époque où les chanteurs chantaient sans micro, comme il aimait me le rappeler...

    En première partie, donnait de la voix une chanteuse de négro-spirituals (comme l'on disait avant que l'on confonde racisme et sens des mots, tout comme le doigt avec la lune qu'il désigne...) C'était June Richmond dont je n'ai jamais trouvé de disques alors même que je connaissais déjà bien le Gospel grâce aux émissions dominicales de radio (à l'ORTF) de Sim Copans.

    Quand le rideau s'est levé et que Johnny est entré en chantant un inédit ( Je cherche une fille ) on s'est aperçu qu'un grand voile séparait le chanteur de son orchestre dont on ne distinguait que des silhouettes... Il était vêtu de noir, pantalon de cuir et chemise à trous. Puis il chanta son premier tube : T'aimer follement, version française édulcorée de Making Love...

    On a tous cru que le vieux théâtre allait s'effondrer sous le martèlement des pieds des jeunes gens entassés de l'orchestre aux balcons. Encore pire qu'en Mai 68 au théâtre de l'Odéon à Paris...

    Bien sûr, c'était une époque où les français ne savaient pas taper dans leurs mains en mesure (dans les temps faibles ce qui entraîne un rythme déhanché et syncopé ce qui m'énervait beaucoup puisque pour moi la musique c'était le rythme ( pour les paroles il y a les livres... ). Ainsi je m'évertuais à frapper des mains le plus fort possible en cadence. J'étais particulièrement excité en écoutant le morceau que je préférais :

    « J'suis mordu pour un p'tit oiseau bleu,

    tellement mordu que j'en deviens gâteux ! »

    Quand nous sommes sortis, avec mon copain abasourdi, nos paumes de mains rougies chauffaient un max ! Et nos coeurs battaient à rompre grâce à cette musique de révolte, celle des blousons noirs et des rebelles de l'époque.

    Daniel Giraud.

    4 / LE BLUES

    Nous nous sommes souvent retrouvés au festival Blues in Sem en haute Ariège, après Sem la route s’arrête (vous allez finir par croire que si tous les chemins mènent à Rome toutes les routes s’arrêtent en Ariège), dans la foule vous ne pouviez pas manquer ce grand gaillard à la dégaine incroyable, entouré d’un groupe de copains, déjà âgé, nous sommes dans les années 2010, Dan venait en connaisseur et mieux que cela en chanteur de blues.

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    Dan a enregistré trois disques de blues. Voici la chronique que nous avions écrite pour l’un d’entre eux pour le mensuel de Littérature Polycontemporaine ALEXANDRE. Sauf mention contraire, tous les textes qui suivront nos paragraphes d’introduction seront tirés de cette revue. Ces textes ne sont pas exhaustifs. Par exemple, nous ne parlons pas des ouvrages de Dan sur le Tao, sur l’Alchimie, de ses traductions des poëtes chinois... Son œuvre est immense et demande à être explorée.

    Cet hommage pour évoquer une silhouette qui n’a fait que passer dans le monde, mais sans doute le monde aussi est-il passé dans Daniel Giraud.

    LA PALPITE SANS GARDE-FOU

    DANIEL GIRAUD

    ( Editions Révoltion Intérieure / 1999)

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             L’on savait que Daniel Giraud arpentait les montagnes ariégeoises avec son ampli sur le dos et sa guitare à la main mais on ne l’avait jamais entendu jouer, riche idée donc d’avoir enregistré ce CD qui permet aux non-autochtones du Saint-Gironnais d’entendre la bête comme s’ils étaient présents à une nuitée de La Note Bleue (le café anar-blues du coin) ou à une longue veillée entres potes dans une ferme perdue.

               Les amateurs du clean et du 4 fois quatre-vingt-seize pistes seront déçus : le son n’est pas bon, ça râpe et ça bouffe les vibratos à plein tube. Mais là n’est pas l’important. Ça n’a pas été enregistré dans le mobil-home de chez Sony mais avec le magnéto posé sur le buffet de la cuisine. La même callosité que ces vieux 78 tours de blues enregistrés dans les chambres d’hôtel de Clarksdale. L’on y entend les oiseaux qui piaillent à toute turbine au travers de la fenêtre ouverte et aussi une sacrée dose d’authenticité qui vous tombe sur le coin de la gueule sans prévenir.

             Daniel Giraud tel qu’en ses textes, métaphysiques du vide et vide de la métaphysique à (club-a-) gogo, plus la rage de l’impro mêlé à l’esprit de dérision et de rébellion. Une guitare qui sniffe le blues par les deux bouts, un harmonica qui déraille, et toujours la syncope obsédante des blue-notes qui se barrent en couille et pied de biche sur le velours des mots et le tergal de la voix.

             Ça s’écoute bien, l’engin terminé on le remet encore pour l’avoir dans l’oreille et le garder près de soi. Ça sonne good et surtout originalement. Différent de ce que l’on peut entendre dans la production rock habituelle. Achetez-le si vous tenez à vous faire votre idée : m’étonnerait que vous puissiez le repiquer sur France Inter ou France Culture.

    Alexandre N° 60 ( Février 2000).

    FEELING

    DAN GIRAUD

    Préface de BOBBY MICHOT

    (Editions Révolution Intérieure / 2007)

    Vous êtes peut-être comme moi, toutes les Acadiennes, vous ne connaissez pas. A part King Creole et la Jambalaya de Hank Williams... J'exagère un peu, Bobby Michot est un musicien de la Nouvelle-Orléans – genre de gars aussi à l'aise sur un accordéon que sur un violon – un nom pour les amateurs de cajun et de zydéco. L'est souvent venu en Europe et en France, notamment au Festival des Baroudeurs, c'est par là en Creuse que je subodore qu'il a dû rencontrer Daniel Giraud. Vous êtes ici en terrain de connaissance, le Giraud nous a donné un texte ( in  KR'TNT ! N° 3 du 05 / 11 / 2009 ).  Dan Giraud a écrit une quarantaine de livres et enregistré deux CD de blues...

    Ne confondez pas Dan et Dan. Se ressemblent beaucoup. Le premier, Giraud, a écrit le bouquin, le deuxième a donné son prénom pour le titre. Dan Evans pour ceux qui veulent vérifier ses papiers d'identité. N'existe pas en vrai. Un clone de l'auteur qui s'imagine une vie parallèle. Un héros de roman. Vécu, spécifiera-t-il sur la page de garde. N'imaginez ni une longue introspection, ni La Recherche du temps perdu. Quarante-deux pages, pas une de plus. Mais bien remplies. Z'attention dès les premières lignes, la sonnerie est inhabituelle. N’ayez crainte on s’y fait assez vite. Ce n'est pas écrit en français. Nous l'avons toutefois échappé belle. Daniel Giraud est aussi célèbre chez les sinologues de gros calibre pour ses superbes traductions de poëtes de l'Empire du Milieu. Ne connaît pas plus le chinois que vous et moi, mais il se débrouille comme il peut. Dictionnaires et une certaine appétence préférentielle pour les philosophies orientales du rien. Restez zen, ne nous a pas fait le coup du texte en idéogrammes. C'est presque du français, c'est du cajun. Les constructions de phrase de guingois, et le vocabulaire un peu à côté de nos acceptions nationales.

    Ce n'est pas une lubie. Mais son héros – le fameux Dan Evans – est né là-bas, c'est donc un déraciné de partout. N'est pas à la recherche de son identité non plus. Pas le genre de gars qui mettrait un drapeau tricolore sur son profil de facebook. D'abord parce que la France a retiré ses billes de la Louisiane depuis plus de deux siècles, ensuite parce qu'il a plutôt l'impression de faire partie de la grande famille internationale des oubliés, des pourchassés, des laissés pour compte. Ces prolétaires de tous pays qui n'ont pas encore réussi à s'unir contre les forces astringentes du Capital et des prisons coercitives des Etats... Mais le prêche politique, ce n'est pas son genre. Vit sa vie, en toute simplicité, washboard dans les mains pour courir de bal en bal, alcools, rires et jolies filles... Ces dernières plus rares maintenant que le cap de la cinquantaine est dépassé. La tête bien faite, aussi à l'aise dans le tourbillon frénétique de ces corps juteux et de toutes les couleurs qu'un alligator local dans le bocal du marais.

             La tête bien pleine aussi, les poètes de la Beat Generation et les écrivains cajuns inconnus dans nos campagnes sont ses références. Pas celle du journaliste de France-Culture qui l'interviewe, ce qui nous vaut une scène finale hilarante... Pas un roman comique, même si la Gaya Scienza est à l'honneur en ces pages truculentes. Sont aussi pleins de hargne, les deux Dan. Pas tant contre Kaltrina. Que peut-on faire contre un ouragan ? Sinon rien. Mais pour les hommes beaucoup. Surtout pour les pauvres. Surtout pour les noirs pauvres. L'est par exemple inutile de les tirer à coups de fusil comme des poules d'eau pendant que l'autre moitié des escadrons de police est en train de piller les magasins. Quarante-deux pages mais aussi débordantes de joies et de colères que les eaux du Mississippi qui emportent les digues.

    Un livre de blues dézingué, pour tous les amateurs de zydéco.

    In Kr’tnt 257 du 26 / 11 / 2015.

    5 / BLUES DEPRESSION

    Il existe deux sortes de blues, celui natif qui vous teinte l’âme, puis l’autre que je nommerai en l’honneur de la déesse Vénus : le Shocking Blue. 

    QUELQUE PART

    DANIEL GIRAUD

    (Journal)

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            Every day I have the blues. L’on n’y peut rien. Journal. D’une longue dérive. Intérieure. Remontée en fin de bouquin. Mais rien ne sera plus comme avant. Ah ! Giraud ! le vieux babos de la mort ! Ainsi parlent les jeunes générations. La beat generation goes out. Pas plus que la suivante, she can’t get no satisfaction. Sortie de route pour les rois de la déjante. Tout commence par une virée au Sénégal en méga-loup solitaire. On the road again. L’Afrique en moins touristique que le guide du Routard. Pas de triche. Au ras de l’autochtone. Pas vraiment beau à regarder. L’argent a tout pourri. Rapports humains pervertis. Chez nous aussi. Mais ça se voit moins. Blue Boy Guitar Hero ne s’en sort pas trop mal. Sait louvoyer entre bourges-blancs-arnaqueurs et pauvres-noirs-ripoux. Y perd ses illusions mais pas ses plumes. De toutes les manières ce n’était qu’une introduction. Le plus dur reste à venir.

            I wanna be home. L’aurait dû continuer sans danger là-bas. Il n’a plus de cannibales depuis longtemps en Afrique. Les dernières tribus squattent les huttes européennes. Pendant que le mâle court après ses rêves les femelles astiquent le rouleau à pâtisserie. Va s’en prendre quelques gadins sur la gueule au retour Giraud. Savait pas qu’on lui préparait une marmite d’eau bouillante. Ça lui est tombé sur le museau dès qu’il a poussé la porte. Bien sûr il ne s’en est pas aperçu sur l’instant. L’aurait dû se méfier pourtant. Le feu couvait sous la cendre depuis longtemps. Lui, Dan, il avait toujours pensé que l’amour c’était avant tout métaphysique. Elle, Dominique, elle dansait un tango très physique dans les bras de son amant argentin.

             Il n’a pas fait comme Nerval, Giraud. Il n’a pas deux fois vainqueur traversé l’Achéron. Lui, le cocu magnifique il s’est contenté d’une mesquine dépression avec manque cardiaco-respiratoire somatique. Deux ans à jouer le coucou pleurnicheur. De quoi faire rigoler le lecteur et ricaner les copains.

             S’il fallait écrire un livre de deux cents pages chaque fois qu’une nana lâche son mec, la terre entière serait transformée en une immense bibliothèque. L’on ne pourrait plus allonger la jambe sans trébucher sur de sombres jérémiades. Oui.  Pas sûr qu’à chaque fois l’on tombe sur un Giraud. Un qui a la grâce. D’écriture. La savante petite musique. Celle dont jactait si fort Céline. Qui vous pousse de l’avant. A dévorer page après page. Alors même qu’on n’en a rien à foutre du roman feuilleton à l’eau de rose souffrance du grand Dam !

             Sûr qu’il ne faudrait jamais vieillir. La beat molle génération c’est un peu dur à vivre. Quarante ans de pratique de sagesse indienne pour en arriver à ce dérisoire constat. Que le cœur, l’esprit et le corps ne peuvent rien contre la première gourgandine de princesse qui fout le camp. De quoi désespérer des impératifs poétiques ! Mais non de Zeus, quel style !

             Tout compte fait il peut remercier sa Dom chérie, le grand Dam. Si elle n’était pas partie. L’aurait sûrement pas trempé sa queue dans de nouvelles cerises tout aussi appétissantes que sa guigne enfuie. Et surtout ne se serait peut-être pas poussé dans les derniers retranchements de l’écriture, Giraud. Car ce putain de livre (lecteurs antiféministes, ne lisez pas ce ‘’livre de putain’’) est peut-être le meilleur qu’il ait sorti. De sa chair.

    In Louve 1 / Février 2002.

    6 / DAN REDRESSE LA BARRE

    Ne croyez pas que Dan se soit fait moine… 

    L’AMOUR NUIT GRAVEMENT A LA SANTE

    (Virée 98)

    DANIEL GIRAUD

    (Editions Clapas)

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             On the road again. Tu parles. La galère plutôt. Sacrée virée. Putain de virage oui. La voiture dans le décor, les dents de Dan ne sont plus dedans, elles courent déjà prendre le train à La Franquie. Ça fait mal oui, mais moins que le mal d’amour. Quinze jours qu’il barjotait sur la plage dans sa tente et les embruns, campement de survie et hutte de sudation. Le blues, le bleu sombre, le vrai, celui qui poisse et dépoisse, à l’envie. Le refrain est connu, since my baby left me i found a new place to dwell, très bien lorsque l’on est minot, mais à cinquante balais y-a-de-quoi avoir le cafard, she is gone, gone, gone, (conne aussi peut-être) mais pas de mauvaises pensées, ne pas se laisser distraire, la vie est vide mais le vide est plein de vide. Restons zen. Sur un dernier signe de la main. Daniel Giraud. Ermite tantrique.

    In Alexandre.

    LE JOURNAL DES SECRETS.

     NIAGARA LA DETREMPEE

    ( Editions Révolution Intérieure / 1997)

             Correspondance érotique entre Niagara et Dan. La joie du corps et le plaisir de cette joie. L’écriture est ici vécue comme le dévoilement des caresses les plus intimes. Le poids des corps et le choc de l’éros. Le mâle et la femelle, le mâle et le bien, le mâle et le feu qui se mêlent. Au diable le tantra et le kama-sutra ! simplement le désir de tenir l’autre au plus près de soi, d’en être palpé ou éclaboussé, de revenir à la charge, de donner et d’offrir, n’être plus qu’un phantasme réalisé, l’envie accomplie, le désir tendu, l’arc et la cible, la bouche et le bouton, la rose sans les épines.

             Evidemment le lecteur risque de se sentir de trop. Nos deux tourtereaux sont trop occupés d’eux-mêmes pour s’intéresser au triomino. Il vous faudra jouer tout seul, dans votre coin et vous n’aurez même pas la possibilité de vous déguiser en voyeur. Au vu et au su de tout le monde littéraire qu’ils s’esbaudissent sans attente nos amants de foutre et de foudre. Et ma foi le jeu semble si plaisant que j’en connais plusieurs qui n’auront de cesse de tenir la chandelle de la lecture tant que le livre n’aura pas été consommé jusqu’au bout. Révolution extérieure.

    Alexandre 35 / Janvier 98.

    7 / UNGRUND

    Recherche de la base sans sommet 

    LE RIEN DU TOUT

    DANIEL GIRAUD

    (Editions Révolution Intérieure / 1999)

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             Il n’y a rien. Aucun fondement pour poser une quelconque valeur. L’être n’est même pas un fluide en devenir. L’être est une immédiateté a-métaphysique. Le solipsisme ne fonde pas plus l’ego que l’ego ne fonde le solipsisme. Nous sommes des filtres qui ne filtrent qu’eux-mêmes.

             J’ai toujours pensé que Parménide contient davantage la voie du vide que Gorgias. Les accointances de Nietzsche avec la pensée orientale ont été maintes fois remarquées. Selon moi elles s’articulent plus sur le fait que la pensée de Nietzche est une destruction de la pensée de Parménide.

             Mais je me demande pourquoi je parle de Nietzsche ? Daniel Giraud n’en cause point dans son traité de philosophie. A vrai dire il ne cause pas de grand-chose, si ce n’est du rien.  Mais écrire soixante pages sur rien n’est pas facile. Pourtant le précis de métaphysique de Daniel Giraud se lit d’un trait.

             La démarche giraudienne est évidemment plus tordue qu’il n’y paraîtrait au premier abord. Il ne s’agit pas de décréter la vacuité de toute chose et de s’en laver les mains par la suite. Bouddha (et d’autres) l’ont fait avant lui, mais en sus d’expliciter en quoi cette déclaration de néantisation de toute phénoménalisation n’induit ni l’absurde ni la vérité.

             La constatation du rien ne saurait être assimilée à un bien ou à un mal. Il faut que la déclaration d’état des non-lieux fasse sens. Non pas en l’érection optimiste ou pessimiste de leur négativité mais en l’affirmation incessante de leur non-êtralité. Nous ne sommes pas loin de l’energeia aristotélicienne ou de la danse nietzschéenne.

             Daniel Giraud est bien le fils de l’occident. La théorisation contemplative du rien ne le vide nie ne le comble parfaitement. Il a toujours besoin de cette redite incessante. Pour l’occidental il y a, inhérente au rien, toujours l’action. Ce dernier livre de Daniel Giraud est donc essentiellement politique. Le rien n’admet pas tout, et encore moins n’importe quoi !

    In Alexandre 53 / Juillet 1999

    LE FOND DE L’AIR ET L’ÂME DE FOND

    DANIEL GIRAUD

    (Editions Blochaus 1996)

             24 pages/ 14 / 19 cm. Couverture rouge pompéïen. Les éditions Under-Black-Bockhaus-Résistance continuent leurs rafales livresques. Après le noir somptuaire des premières plaquettes, l’écarlate de celle-ci vous claque à la gueule comme un jolly roger à la grande vergue du mât de misaine.

             A l’intérieur huit collages noir et blanc : psychedelic-blues-archétypal-éros-karma. Et le texte : errance d’existence, comme un long fleuve tranquille aux eaux de vieillesse limoneuse. Longue méditation qui cherche à donner un sens, à signifier quelque chose de ces atermoiements géographiques sur les routes sans fin de la campagne française et de l’underground poético-littéraire des seventies. ‘’Animal de hondo’’ disait Juan Ramon Jimenez. Ce n’est pas le fond qui manque mais la forme, cette eidos platonicienne à laquelle notre fondement occidental nous a habitués en tant que Destin.

             Réflexions sur la misère, la marge, la récupération, la route, la poésie. Rimbaud et Dada-blues, le texte de Daniel Giraud avance à pieds de fourmi, ou alors à grands pas de casserole comme dans les cours de récréation – un, deux, trois, Soleil, mais l’astre horoscopal est absent de toute maison, le Sol Invictus de toute affirmation ouranienne jamais tenté.

             Ce livre comme une croisée de chemin : le Vide Céleste ou l’Ungrund Originel peuvent mener au pire : la théologie négative de l’affirmation monothéiste d’une unique vérité, ou son corollaire, la mise en adéquation de toute parcelle du vécu qui se donne à voir. Trente ans de route et encore à demander son chemin. Daniel Giraud serait-il enfin mûr pour l’angoisse métaphysique ? Quel étrange cheminement que le sien : partir d’une contemplation orientalisante pour en arriver à ce questionnement des plus philosophiquement grec surprendra le lecteur fidèle. Il est vrai que même les lacets ariégeois se détournent de leur première direction. Aussi attendrons nous avec impatience le prochain livre de Daniel Giraud même si celui-ci nous séduit fortement. (Suite au prochain épisode.).

    In Alexandre 16 / Juin 1996

    7 / CHINOISERIES

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    On ne l’attendait pas là. Dan Giraud qui ne connaissait pas un mot de chinois se mit à traduire les poëtes chinois. La chose peut paraître invraisemblable. L’appliqua la méthode de Nabokov qui exilé de sa Russie natale ne connaissant pas l’anglais décida que désormais il rédigerait ses romans en langue anglaise. Dan acheta tous les dictionnaires français / chinois et chinois / français et ensuite travail de haute patience et sapience, mot à mot, faut un sacré caractère… 

    FLANANT SOUS LE CIEL

    (Editions Blockhaus 1994)

            Quatre saisons. Printemps. Eté. Automne. Hiver. Le temps d’une mise en quarantaine métaphysique. Quelques quarante poèmes chinois du Tao et de Ch’an traduits par Daniel Giraud, chinoisement calligraphiés par Patrick Carré, longuement commentés par Daniel Giraud. Certains crieront au faire-valoir : ils auront tort. Ce serait oublier qu’avant toute chose la poésie est commentaire du monde et du vécu.

             Poésies entremêlées donc : celles plusieurs fois séculaires de l’Empire du Milieu, celle erratique d’un baladin européen, buveur de bière, joueur de guitare électrique, solitaire sur les pentes enneigées des montagnes d’Ariège. Mais un même chemin. La voie qui se détourne des ambitions humaines, trop humaines, avec en bout de sente ce retournement vers ce que l’on n’est plus. Seulement les uns sont des orientaux : leurs poèmes monosyllabiques se perdent dans une théorie d’in-connaissance, une pratique du non-agir, un effondrement du reflet de l’existant dans l’inexistant. Daniel Giraud lui reste un occidental. Sa prose réflexive charrie trop de rébellion pour ne pas être revendication d’une autre manière de considérer le non-être.

             Car Diogène n’est pas Bouddha. Le premier est un empêcheur de tourner en rond, le deuxième un simple je-m’en-foutiste. Et si la balade d’écriture de Daniel Giraud se charge de l’essentiel poétique des poèmes présentés, rejetés dans l’anecdote de leur présence, c’est que celui qui fait signe donne sens à l’aventure humaine.

             Beaucoup d’humour aussi dans ce beau livre… (à lire)

    Alexandre 1 / Février 95.

    TANKER

    SPECIAL GIRAUD

    (Editions Blockhaus)

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             Ce Tanker s’intéresse plus à l’anecdotique qu’à l’essentiel. Peut-être faut-il ajouter que la philosophie de Giraud se plaît à équaliser les différents aspects du monde pour tempérer notre première impression de lecture.

             En pleine tourmente soixante-huitarde Daniel Giraud osait crier que la révolution serait intérieure ou ne serait pas. A l’époque personne n’y croyait. Aujourd’hui aussi d’ailleurs, à une différence près : en 1968 on se méfiait de l’esprit ; en 1995 on ne veut plus de révolution. Avec sa gueule de patriarche Daniel Giraud est le premier sage qui refuse de donner des leçons de conduite et de morale. Il y a longtemps qu’il a compris que sagesse et folie ne sont que deux mots différents pour nommer une certaine aptitude de l’homme à se regarder vivre sans pouvoir s’empêcher de commenter son propre vécu.

             Savoir que notre pensée est aussi inopérante que la parole du journaliste qui couvre un exploit sportif ouvre de larges possibilités intellectuelles. Ainsi si les ‘’traductions’’ de Daniel Giraud rendent les spécialistes de l’idéogramme jaloux, on le pressent davantage virtuose du baby-foot que sinologue averti. L’on n’a pas toujours besoin de respecter les rites du Yi-king : quelques capsules de bière négligemment jetées sur le sol peuvent aussi bien configurer un itinéraire des plus authentiques.

    In Alexandre 5 / Juillet 1995

    DANS LES MONTAGNES CHAUDES

    DANIEL GIRAUD

    ( Les carnets de la montagne froide)

             Une plaquette reliée à la chinoise. Il ne faut pas s’attendre à moins avec le grand Dan, surtout lorsqu’il nous livre six petites proses méditatives relatant un voyage au pays jaune et dans le monde subliminal du poëte Han Shan.

    La brièveté de Dans les montagnes chaudes ne doit pas nous tromper. En moins d’une trentaine de lignes Daniel Giraud redonne vie à toute une culture trop souvent éloignée de nos certitudes, mais ses réflexions sur la voie du milieu qui se peut aussi s’approprier par la martingale de la joie, du plaisir, du rire, voire de la plaisanterie, sont un grand coup de balai décerné à de multiples ratiocinations tant orientales qu’occidentales. Quant aux aperçus troublants sur la permanence du geste vécu dans l’espace même qui le vit naître (ce que l’on peut interpréter soit comme la néantisation sociale, soit au contraire comme l’absolutisation, de tout acte dans le monde) ils aident à comprendre et entrevoir l’éternel retour nietzschéen d’une manière moins héraclitéenne que celle fixée par la tradition christo-stoïcienne qui hante les cervelles philo-universitaires de notre douce France.

    Alexandre 42 / Août 1998

    L'ART D'APPRIVOISER LE BUFFLE

    DANIEL GIRAUD

    ( Arqa Editions)

    A la seule lecture de ce titre le lectorat de KR'TNT ! se partage en deux clans. Une première moitié qui dit : « Ah ! Je vois ! Des chansons sur les bisons et les teepees, Damie va nous causer de la contribution des peaux-rouges aux rock'n'roll, genre Link Wray, Jimi Hendrix, Redbones et tout le reste de la tribu ! » et une seconde qui répond « Pas du tout, c'est un trip country, sur le rodéo, long corns sauvages, vaches folles, pom-pom girls, et chevaux.  Je parie une monographie sur Alan Jackson !  ».

    Illustration parfaite du vieil antagonisme séculaire qui oppose indiens et cowboys ! Inutile de sortir les Winchesters et les coutelas à scalper.  Amis rockers, le buffle dont il est question ici est un véritable buffle, pas un lointain cousin dégénéré made in USA, il s'agit de l'original buffle chinois. Du made in China, tout ce qu'il y a de plus authentique. Comme vous pouvez le voir sur la couverture du livre.

    Réponse générale : « Un livre ! Nous croyions que c'était le dernier CD du chanteur de blues ariégeois Daniel Giraud ! Tu sais, nous la lecture... et puis franchement sans vouloir te vexer nous n'avons pas particulièrement envisagé d'acheter un buffle, du moins dans l'immédiat, alors un bouquin sur l'élevage du buffle... tu n'aurais pas plutôt un book sur les rockabillies pin-up par hasard ! »

    Amis rockers, je vous rassure, le bouquin est minuscule, 15 centimètres sur dix, et seulement huit pages. Dont deux d'illustrations. Une véritable bande dessinée en dix vignettes, rondes, de petites bulles, sans phylactère. Même pas besoin de lire les notules explicatives de Daniel Giraud pour comprendre. En plus je vous explique. Ecoutez moi bien, je commente les images :

    1° ) Je cherche le buffle que j'ai perdu. 2° ) Chouette, les empreintes du buffle  ! 3° ) D'ailleurs le voici en muscle et en cornes ! 4° ) Il n'aime pas trop que je lui passe une corde autour du cou. 5° ) Un bon coup de fouet sur les fesses pour lui apprendre à se tenir tranquille ! 6° ) Hop, je monte sur son dos et le ramène à l'étable. 7° ) Désormais le buffle se le tient pour dit et ne songe plus à s'enfuir. 8° ) Plus de problème, je ne pense  même plus au buffle. 9° ) Mon buffle m'indiffère totalement. 10° ) A tel point que quand je vais au marché pour le vendre j'oublie de l'emmener. Voilà, c'est fini !

    Heu ! Vachement intéressant Damie, l'est sûr que les histoires les plus courtes sont les meilleures. Mais enfin Damie, l'aurait tout de même été moins fatigant de laisser le buffle là où il était au début de l'histoire !

    Amis rockers vous me décevez, la membrane imperméable qui comprime le pois chiche de votre cerveau est aussi épaisse que le cuir de votre perfecto. Vous n'avez rien compris ! Le buffle n'est qu'une image !

    Tu nous avais dit qu'il y en avait dix !

    Le buffle représente le corps que votre esprit doit savoir dompter, puis oublier, pour finir par en être totalement séparé, c'est ainsi que vous obtiendrez le nirvana !

    Nirvana, ne t'inquiète pas, on a déjà tous les disques ! Par contre on veut bien oublier notre corps mais pas celui de la petite Suzie ! Tu vois Damie, ton book, il est trop intellectuel ! Comme disait Buffalo Bill, faut un minimum de chair autour de l'os ! Fût-il de buffle chinois ! Tant pis si tu riz jaune !

    Allo Daniel, tu sais les illustrations de Tensho Shodun le moine zen du quinzième siècle et les gravures contemporaines de Tomikichiro To Kusari n'ont pas provoqué un raz-de-marée spirituel chez les kr'tnt readers ! Tu devrais songer à écrire L'Art d'Apprivoiser le Rocker !

    in Kr’tnt 353 du 21 / 12 / 2017.

    8 : LA VOIE DE L’ENTRE-MILIEU 

    OUAILLE !

    DANIEL GIRAUD

    (Clapas / 2012)

    De Daniel Giraud nous avons déjà chroniqué disques et différents recueils de poèmes. En voici un autre édité aux Editions Clapas. Même pas un petit éditeur, un groupe d'activistes fous qui ont durant plus de dix ans donné la parole à plus de deux cents poëtes, faites un tour sur leur site, semblent en sommeil depuis quelques années, mais si les ours parviennent à sortir de leur hibernation...

    Joli petit format qui s'étire et se pelotonne entre vos mains, couverture chromo, et même un dos carré pour un ensemble de 24 pages. C'est dedans que ça se gâte. Un seul poème aussi long et mince qu'une queue de marsupilami bleu. De cette couleur vous n'en trouvez pas chez Franquin. Ailleurs non plus. Foutre le Ouaï ! Attardez-vous sur le titre. Parce qu'après c'est toute la misère humaine qui se colle à vous. Pas la noire. Non celle-là, c'est facile de la chasser, ouvrez les infos et un spécialiste viendra vous expliquez que tout va bien, qu'il faut se méfier de vos ressentis. Non la bleue, la bleu-blême, celle qui se colle à votre âme et vous la teint jusqu'au jour de votre enterrement. Daniel Giraud vous raconte sa vie. Je vous rassure, aussi moche que la vôtre. Quelques pépites, mais des tonnes de scories. En plus le Giraud l'habite dans la cambrousse, à 15 kilomètres non carrossables, porte le ravitaillement dans le sac-à-dos, surtout que des fois il revient de loin, des States ou du Maroc, alors les souvenirs déboulent et s'entremêlent. L'esprit on the road again et l'âge qui encroûte les artères. Derrière la porte, c'est quitte ou double, la copine qui s'est tirée ou les copains qui attendent avec les guitares pour taper le blues, fumer et boire. Et puis les chats qui viennent vous aider à vivre et qui s'en vont à la mort. Version inaccoutumée de la théorie du ruissellement. Le malheur du monde tombe sur le poëte, super-chouette, l'occasion rêvée de se transformer en samouraï-philosophe. Vous sépare l'être du néant, la pelure de la réalité de l'orange creuse du vide, vous envoie valser dans le nirvana pour mieux vous catapulter dans les emmerdements du quotidien. '' Sans avoir de présent / comment avoir un avenir'' demande-t-il comme il vient de nous affirmer que le passé n'est plus ce qu'il était, vous voyez ce qu'il vous reste à vivre. Philosophie hippie et nihilisme punk se rejoignent en un étonnant optimisme désespéré. Mélange détonnant. Ça pète et vous éclatez. De rire. Ni humour noir, ni humour jaune. Humour-blues. Parfois à la terrasse d'un café, Daniel Giraud sort sa guitare de son étui et un recueil de sa poche et vogue la galère c'est parti pour une heure de blues-métaphysique, et les passants s'attroupent autour de lui, comme les mouches sur la merde – plus poli Cendrars employait l'expression la moitié de la face de Dieu pour désigner cette matière si fécale - comme les avares sur leur or. Les deux postulations humaines, ceux qui aiment ce qui leur ressemble et ceux qui s'accroupissent devant leur propre petitesse. Le blues, ça vous décape jusqu'à l'os.

    In Kr’tnt 361 du 15 / 02 /1998.

    PAR VOIE ET CHEMINS

    DANIEL GIRAUD

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               Récidiviste. A double titre. Daniel Giraud publie deux livres en même temps. L’on retrouve dans Par voie et chemins quelques textes éparpillés en différentes revues.

               La quatrième de couverture nous avertit que l’essentiel ‘’n’ est pas le sens des mots mais la source d’où les mots surgissent’’. Mais pour le lecteur de ce recueil les mots surgissent du poème et le poème pousse racine à ce vide absolu du mental que les errances du poëte essaient de préserver. Ame, esprit, souffle : qu’importe. Cette caisse de résonnance, ce creux du vivant, il faut la distraire des spectacles du monde en investissant le monde, du dérisoire de toute présence au monde. Sourire sardonique de l’existant à l’existence. Mais Mistigri meurt et la voix du vide s’altère du plein de la souffrance. Daniel Giraud ne sera jamais un parnassien. C’est cette blessure suintante que le lecteur appréciera.

    In Alexandre 1 / Février 1995

    9 / LE BOUT DE LA PISTE 

      LE PASSAGER DES BANCS PUBLICS

    DANIEL GIRAUD

    (Les Editions Libertalia / 2021) 

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             Lecteurs, ne vous interrogez pas Lecteurs, ne vous demandez pas qui c'est ce mec-là. L'était-là bien avant vous.  Présent dès la troisième livraison de votre blogue favori, ayant appris que je fondais un blogue-rock, l'a tout de suite envoyé le récit de sa première expérience rock, sa participation à un concert de concert Johnny Hallyday à la fin des années cinquante... Depuis j'avons chroniqué quelques uns de ses livres et deux de ses disques de blues... Daniel Giraud est né en 1946, l'a bourlingué sur toutes les routes du monde, l'a publié des dizaines de plaquettes, l'a fondé la revue-culte Révolution Intérieure, l'a traduit les plus grands poëtes chinois, l'a même écrit un poème sur Éric Cantona, l'a tout fait. Je l'entends me reprendre, erreur cher Chad, je n'ai rien fait.

             Si vous vous demandez lequel de Dam ou de Dan ment, vous êtes prêt à vous lancer dans la lecture de ce livre. Pas très long, cent trente pages, mais qui risque de vous laisser de cul. Sur le banc. Bien sûr. Si vous pensez que vous êtes assis à la bonne place et que vous allez bécoter à bouche-que-veux-tu sur un de ces bancs publics chantés par Brassens vous vous trompez. Essayez plutôt de vous poser une question intelligente, par exemple : Qu'est-ce que la métaphysique du blues ? Cela vous mettra en condition. Remarquez que le blues n'est pas vraiment le sujet du bouquin.

             L'évoque un peu sans s'attarder, une dizaine de lignes. Puis il passe à autre chose. Normal, c'est un passager. Le Dan a beaucoup roulé sa bosse. En stop, en train, en voiture, à pattes. Oui mais maintenant il est légèrement moins jeune. Alors quand il marche, l'aime bien de temps en temps poser son popotin sur un strapontin public. Question de reprendre souffle. Vous comprenez. Hélas, ce n'est pas tout à fait cela. C'est plus complexe. Pensez-vous que les actes de votre vie ont un sens ? Celui que vous leur donnez, certes. Mais existe-t-il une congruence quelconque entre ce que vous vivez et ce que vous êtes. Question gênante. Qui instille un doute. N'est-ce point être trop présomptueux de répondre oui, et de faire preuve d'une fausse humilité en affirmant :  non. Dans les deux cas vous êtes piégé.

             Le Dan pose le problème d'une autre manière, je suis ce que j'ai vécu, et ma vie présente n'est que la résultante de tout ce que j'ai vécu. Vous suivez. C'est maintenant qu'il porte son coup de Jarnac. De toutes les manières, tout ce que j'ai fait n'a aucune importance, car si je ne l'avais pas fait, cela n'aurait pas plus d'importance. Agir = Non-Agir. D'où cette habitude de poursuivre la route de son existence, tout en se ménageant des instants de repos (par exemple sur un banc public), vivre et ne pas oublier de se regarder vivre alors que l'on ne fait rien, si ce n'est regarder le monde : les arbres, les passants, ceux qui passent et ceux qui viennent taper un brin de causette. 

             Le Dan, l'a son litron et son sandwich, avec ces deux éléments indispensables il peut aller de banc en banc jusqu'au bout du monde. Mais il n'y va pas. Vous intuitez : il s'assoit pour draguer ! Que nenni, ce sont souvent des octogénaires qui s'assoient à ses côtés, pour se reposer. Rien de bien folichon. Non le Dan, il a autre chose à faire, un autre endroit où aller. Ne s'aventure pas au bout du monde, il va juste au bout de lui-même. Sa propre existence, remonte dans ses souvenirs. Vous aussi. C'est bien, mais Dan il y rajoute un zeste de méditation nietzschéenne, retourner sur ses pas, n'est-ce pas se plier au mythe de l'éternel retour du monde, n'est-ce pas affirmer sa présence passagère en ce monde pour toute l'éternité. Vous pensez qu'il a la grosse tête, qu'il finira fou comme l'auteur de Par-delà le bien et le mal, c'est là que le Dan vous prend à contre-pied, le monde notre présence au monde n'est-elle pas une illusion, le monde n'est-il pas égal au néant, ne sommes-nous pas toute notre existence le cul entre deux chaises et non plus sur un banc. Ne vaut-il pas mieux ne point trop se mêler au monde, plutôt se mettre sur un banc pour le regarder...

             C'est ainsi qu'a vécu et que vit Dan Giraud. Sans jamais être dupe de sa propre présence au monde. Neruda a donné pour titre à sa biographie J'avoue que j'ai vécu, l'aurait pu tout aussi bien la nommer : J'avoue que je n'ai pas vécu.

             Mais comment s'y prend-on pour vivre sa vie sans la vivre. Avant d'aborder cette vision strictement existentielle, résumons en quelques mots : si la position métaphysique de Daniel Giraud paraissait déroutante à certains lecteurs c'est que ceux-ci se trouvent plus ou moins à leur insu et à leur corps défendant pris dans le réseau inconscient de la pensée occidentale qui, au contraire de la pensée orientale exprimée par Lao Tseu pose l'équivalence de la présence à celle de la non-présence, différencie l'être du non-être, ce dernier pouvant s'inscrire dans le registre de l'être, ou y échapper.

             Assis sur son banc, Giraud vagabonde, du moins sa pensée, le moindre fragment de la réalité hasardeuse qui accroche son œil ouvre en lui des pistes de réflexions, s'aventure sous les sentes obscures des remembrances. Offre tout en vrac serait-on tenté de dire. Il n'en est rien, le kaos apparent de l'intérieur, se révèle à la longue une cosmographie unifiée. Au début vous avez l'impression d'être parachuté dans un labyrinthe sans queue ni tête mais à tourner les pages vous êtes obligé de reconnaître qu'il s'agit d'une construction mentale, une weltanschauung qui répond à sa propre logique idiosyncratique.

             Daniel Giraud porte un regard sur le monde profondément libertaire. Pas pour rien le livre soit édité chez Libertalia. S'asseoir sur un banc est un acte d'une haute portée symbolique. C'est se mettre en retrait du monde, pire que cela se désinvestir de la comédie humaine du pouvoir, des liens de domination et des hiérarchies sociétales. Des plus dangereuses, armée, école, usine, oppression pour reprendre un slogan du joli mois de mai à celles plus insidieuses des regards que la société et les individus des masses anonymes portent sur ces êtres vivants que leurs attitudes dénoncent et trahissent. Des marginaux qui refusent de rejoindre la morale communautaire et de pactiser avec l'hypocrisie du contrat social censé garantir protection et sécurité alors qu'il n'est qu'asservissement et amoindrissement des moindres libertés. Pour être heureux, vivons quelque peu détaché. De la société. Des autres. Et de soi.

             Ce troisième point est le plus difficile. Malgré les préceptes et la pensée de Lao Tseu il est difficile de s'arracher de soi. Giraud ne s'assoit pas sur n'importe quel banc. L'a ses préférences. Certains sont mieux situés, un peu d'ombre un jour de soleil n'a jamais tué quelqu'un, une certaine tranquillité n'est pas à dédaigner... mais les bancs de Giraud sont souvent inclus dans un itinéraire. L'assassin revient sur les lieux de ses crimes. Point de terribles turpitudes, les lieux de l'enfance, de l'adolescence, de plus tard. Plus masochiste, de ceux qui ont marqué des étapes difficiles de l'existence. Il n'y a pas d'amour heureux a dit Aragon, l'on aime à revenir lécher ses plaies même quand elles ne suintent plus, ne nous ont-elles pas appris que nos affects si constitutifs soient-ils eux aussi transitoires.

             Reste à aborder l'aspect politique d'une telle démarche métaphysique. Giraud ne s'inscrit pas dans le carcan de la militance, l'idée d'agir pour changer (en mieux) le monde ne le séduit pas. Ce genre de volonté lui paraît totalement inopératoire. Il ne croit pas en l'efficacité des regroupements idéologiques ou identitaires. Ce ne sont que des hochets inutiles dont il ne peut naître que des perversions. Que chacun soit ce qu'il veut être. A sa guise. Selon son choix qui lui appartient. Sous-entendu, que l'on me laisse libre d'être ce que moi je désire être.

             Comportement égotiste dénué de toute volonté de dominance. Être soi n'est pas facile dans notre monde. Une existence de retirement n'est pas un long fleuve tranquille. Sur la fin de son livre Giraud se lance dans une longue diatribe au vitriol – fortement jouissive pour le lecteur - de tous ceux qui par leur comportement et par les représentations qu'ils se font de leurs petites personnes sont des obstacles à l'épanouissement de toute simple vie humaine. Même la leur !

             Encore faut-il réussir la dernière opérativité de l'indivis, être soi est impossible. Encore est-il nécessaire de comprendre que l'on ne peut pas être soi autant que l'on peut être. Le Soi est à détacher de l'être égoïste qui croit en être le propriétaire. Il faut tuer le Moi pour atteindre le Soi qui se tient à la jonction de l'être et du non-être. Position extra-êtrale. Il est permis de sourire du mot extra à qui l'on peut prêter deux sens totalement antithétiques (extrêmement le plus près possible de/ hors de). Si vous parvenez à rire de cette ambiguïté, vous êtes sur la bonne voie. N'hésitez pas à vous assoir de temps en temps sur le premier banc qui vous tendrait les bras, afin de vous reposer et de laisser vaquer votre esprit librement...

             Si malgré tout vous ressentez un léger ennui, sortez Le passager des bancs publics de Daniel Giraud de votre poche, cette lecture vous aidera.  Vous en avez grande nécessité.

     In Kr’tnt 535 du 23 / 12 /2021.

    LA CROISEE DES CHEMINS

    Virées 1992 – 2000

    (Editions Associatives Clapas)

            Vite refilez-moi un attaché-case avec costume trois-pièces incorporé. Maman je ne veux pas mourir, ni hippie blues, ni beatnik. C’est trop dur, trop triste. Ah ! Giraud ! la couverture est verte mais l’intérieur est tout blues. L’ensemble est fortement recommandé à ceux qui ont des envies de se suicider, mais qui n’osent pas. Ça va les guérir de cette terrible maladie que l’on appelle l’existence. Invasion de cafard à toutes les étapes. Quoi qu’il fasse, où qu’il aille il se traîne une sacrée déprime l’ami Dan ! Il porte son chagrin d’amour comme une valise trop lourde et aussi un certain sentiment d’insatisfaction chronique qui ne le quitte jamais, sans parler de cette idée absurdement absorbante selon laquelle partout ailleurs ce n’est guère mieux qu’ici mais qu’en allant y voir ce ne sera pas pire non plus. L’adage est connu : la vie ne vaut rien, rien ne vaut la vie. Jusqu’à en crever. Ainsi passe Daniel Giraud. Silhouette aussi pathétique que celle de Glatigny (mais qui lit encore Les flèches d’or), plus métaphysique que celle de Rimbaud (passant considérable trop vénéré à notre goût), en route vers cette croisée des chemins à laquelle le destin n’offre aucune bifurcation que de continuer tout droit. Un très beau livre. Pas spécialement joyeux.

    In Louve 1 / Juillet 2002

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    DANIEL GIRAUD S’EST DONNE LA MORT

    LE 06 OCTOBRE 2023

     

    Damie Chad.

     

    *

            Sans trop savoir pourquoi l’on est indiciblement attiré par certains groupes, j’ignorais leur existence, je n’avais même pas écouté six secondes de leur musique, le survol de leur instagram m’a suffi, à peine une quarantaine de spots en plusieurs années, se dégage de l’ensemble assez disparate un je ne sais quoi esthétique qui incite à en savoir plus. Apparemment si l’on en croit une photo sur scène, ils sont trois, batterie, basse, guitare, formation minimale qui fait le maximum, manifestement un groupe underground finlandais, d’Helsinki, sortent leurs opus en cassettes, sont sludge, alliage métallique qui combine selon des proportions orichalquiques variables : grunge, noise, hardcore, doom, stoner… en quelque sorte de l’inécoutable ravissant. Pas parce que c’est joli, mais parce que ça vous ronge l’âme à la manière du vautour qui s’acharnait sur le foie de Prométhée enchaîné sur son roc(k).

    ONLY BLACK

    STAIN

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    Pochette noire représentant une tête, peut-être d’enfant, ou d’un être féminin ou masculin, cela n’a pas d’importance, juste pour signifier que le rock se passe avant tout dans le trou noir de votre tête qui absorbe tout ce qui passe à sa portée par le réseau de vos sens. Certains esprits primesautiers croiront entendre un infâme vacarme, alors qu’il s’agit d’une musique avant tout purement intellectuelle.

    Only black : bourdonnement électrifié coupé d’une stridence guitarique rehaussé d’une chute de batterie, l’on avance lentement, rythme pesant d’une bête de somme qui tire un charriot pour elle, larsens, l’on presse le pas, une basse funèbre transmet le tempo, voix glaciale de serpent dont vous enserrez le cou dans le seul but de le tuer. Pas de chance c’est lui qui est train de vous insérer dans ses puissants anneaux et un par un tous vos sens ne vous transmettent que du noir. Vous êtes en train d’agoniser, le serpent aussi, les instruments imitent le battement spasmodique de sa queue, ce sont vos derniers instants à tous les deux, tout ce que vous avez tué vous tue aussi.  Deformed : larsen agonique, pas de blanc entre les morceaux, normal c’est simplement noir, un background musical davantage normalisé, dommage qu’il y ait ce vocal qui vous laisse si peu d’espoir, d’ailleurs pourquoi en auriez-vous sur cette planète abîmée, elle vous inocule la mort par le simple fait de respirer, d’être vivant, au point où l’on en est, tuez et violez qui vous voulez tout cela ne veut plus rien dire, un riff résonnateur se moque de vous, subit changement catastrophique de climat, le chant devient presque humain, hurlements de désolation angoissée, une montagneuse avalanche riffique  vous emporte au bas de la pente, au fond du trou, la trombe sonique s’amenuis en un interminable larsen primal… Rage overall : sombre, des portes que l’on ferme avec fracs, des escadrilles porteurs de mort foncent vers vous, la batterie transformée en entreprise de démolition, une voix ulcérée qui se mord la langue, des camions bennes qui déchargent des poubelles, extrême confusion dans notre tête, que l’on cogne sur les murs de notre prison existentielles, toutes ces actions répétitives qui sont notre lot quotidien, un semblant de calme qui ne laisse présager rien de bon, une seule réponse possible à notre misère morale, la rage, une rage incoercible, l’envie de tuer, d’être un fauve, un prédateur, un oiseau de proie, un riff tangue à la manière d’un bateau pris dans une tempête, sifflements, larsens, œil de l’ouragan, nous avons la solution, il nous reste à la mettre en pratique. N’ayez aucune honte, c’est un bien pour un mal, des coups de pied dans la porte, l’on veut sortir de soi et courir dans le monde la bave aux lèvres.

             Il existe sur You Tube : Stain – Only Black [Music Video] : l’on entrevoit les musiciens interpréter en studio ce premier morceau de l’EP, très bien faite, beaucoup d’images qui s’entrecroisent, filmées en noir et blanc, belles à voir mais qui peuvent produire un certain malaise… chacun l’interprètera à partir de lui-même.

             Le même morceau en public Only Black [Live  @ Kenneli D. I. Y] : une interprétation que je qualifierais de davantage noise, décomposent non pas le son mais les sons, batteur monumental, basse écrasante, guitare lamentine abandonnée sur la grève, vocal époustouflant, différent du disque et vraisemblablement meilleur. Un aspect de sauvagerie hiératique indéniable.  Mixé, masterisé et enregistré par Ismo Vuori.

    SAVAGE

    ( CD Misprint  /Mars 2022)

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             Belle couve. Rien à voir avec la cabane au Canada de Line Renaud. Ce n’est pas un home douillet, une bicoque en mauvais état, même pas une habitation abandonnée peuplée de fantômes, juste une métaphore, de votre âme, de votre état intérieur, de la ruine que vous êtes devenue…

             Vous vous attendiez à quoi, ce deuxième opus est la suite du précédent, dans un livre le chapitre qui suit le premier doit être encore plus fort que le premier, sans quoi le lecteur déçu prend un autre bouquin, non ils ne vous décevront pas !

    Ashes : encore plus violent, ils vous conseillent de dormir, dehors l’orage gronde, oubliez votre douleur, votre malaise dans le soleil, avez-vous déjà entendu une basse aussi lourde, attention de l’intérieur vous passez à l’extérieur, vous brûlez de rage, frappez, frappez, évitez les couteaux du larsen, les vomissures du vocal, le de profundis de la batterie et ces cordes assourdissantes qui vous prennent au lasso et vous enserrent, vous avez tout détruit, cendres dehors, cendres dedans. Ce morceau est somptueux. Lurk prowl : hurlements de terreurs, cris de cochons saigné, vocal sludge caverneux, la bête dans son antre, chaos sonore, tout doit périr au-dedans de soi, au-dehors de soi, larsen, la basse imite le croque-mort qui rôde autour de votre tombe, sans doute n’êtes-vous pas assez mort en vous-même et il va falloir qu’il vous trépasse à coups de barre de fer. Prodigieux. Desolate : ne cherchez pas d’excuse, vous voici face à votre cadavre, pas beau à voir, des vers larseniques s’échappent de vos yeux, des mouches cymbales se posent sur vos os, votre voix d’outre-tombe parle à vous-même puisque vous ne faites qu’un avec le croquemort. Batterie latifundiaire, éructations himalayennes, le son se désagrège, il siffle dans vos oreilles sourdes, la basse ahane et la batterie détruit tout ce qui existe, tire à coups de canon sur tout ce qui bouge et ne bouge plus. Désolé de vous causer tant de dérangement. Monstrueux.

             Vous n’entendrez jamais pire.

    Deuxième extrait du concert : Ashes  [Live  @ Kenneli D. I. Y] : davantage d’attaque, sauvage, batterie tribale, basse machette, guitare guirlande de feu, un train qui gronde et qui écrase tout sur son passage, vocal dégueulis, inexorablement barbare, larsens anguilles, oui ils sont meilleurs sur scène car ils atteignent à une dimension rituellique incroyable.

    SPLIT / FACE A

    STAIN

    (Bandcamp / YT /Sept 2023)

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    Couve peu engageante. Cage thoracique ou masque de fer. En transparence un pantin qui joue à ressembler à l’homme de Léonard de Vinci.

    Penetrates tne head : guitare grillée, bruits blizzards, comme un chapitre de crime et châtiments, énumérations des déjections corporelles et mentales, liste des éléments terrestres, la batterie fait entrer la matière  du monde dans le pot à confiture du cerveau, vocal amphigourique telle une chenille qui ne parvient pas se transformer en papillon, étonnez-vous si le tambour tape si fort à coups de cuillère à pots pour tout faire rentrer, ça tremblote de tous les côtés, pour sûr le verre va se fissurer et le cerveau va se répandre dans le monde. Le contenu et le contenant sont réversibles. Morceau métaphysique.

    *

    Ce dernier opus de Stain est un split partagé avec autre groupe finlandais. Des amis qui eux aussi font partie de la scène sludge finlandaise. Ecoutons notre Limace Flegmatique.

    SPLIT / FACE B

    SLUGPHLEGM

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    (Piste digitale / Bandcamp/ Sept 2023)

    Une belle couve, tête expressive, en accord avec le style de leur musique qu’ils qualifient de Mental Doom.

    Summerwawes : égrenages de notes transperçant les tympans, bourdonnement par-dessous, ricochets de cymbales, l’impression d’un monstre qui fait trembler la terre à chaque pas, cataracte sonore impressionnante, déroulé de catastrophe, clameur de ruminant asthmatique, normal ce que le groupe raconte n’est pas gai, comment l’on quitte notre immortalité native et devenons par étapes incessantes malade de cette maladie que l’on nomme la mort. Nous rassurent à la fin. Non ce n’est pas de la paranoïa. Juste un phénomène naturel. Effarant. Un groupe à suivre.

    Damie Chad.

             

  • CHRONIQUES DE POURPRE 622 : KR'TNT 622 : RAHSAAN ROLAND KIRK / GAZ COOMBES / JAMES DICKERSON / GLORIA SCOTT / BOBBY BYRD / CONIFER BEARD / DOZETHRONE / HIGH ON VIGERS / JOHNNY HALLYDAY

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 622

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    30 / 11 / 2023

     

    RAHSAAN ROLAND KIRK / GAZ COOMBES

    JAMES DICKERSON / GLORIA SCOTT

    BOBBY BYRD / CONIFER BEARD

     DOZETHRONE / HIGH ON VIGERS

    JOHNNY HALLYDAY

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 622

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Kirk out the jams

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     On aurait tort de vouloir enfermer Rahsaan Roland Kirk dans le bocal du jazz. C’est pourtant au rayon jazz qu’on le trouve chez les disquaires. Mais Kirk déteste le mot jazz. Il préfère employer l’expression «black classical music». Il explore les roots de l’African /American music et invente même un mot - That’s what we call BLACKNUSS - Grâce au film d’Adam Kahan - Rahsaan Roland Kirk - The Case Of The Three Sided Dream - on découvre que Kirk est un prodigieux militant. Pas de la CGT, mais de la liberté et du Black Power, ce qui veut dire la même chose : un combat sans fin pour la liberté, un combat qui dure depuis des siècles et qui va continuer. La musique de Rahsaan Roland Kirk charrie toutes ces images : révoltes dans les plantations, Black Panthers, ghettos urbains, Tommie Smith et John Carlos poings levés sur le podium à Mexico, Martin Luther King qui reçoit une balle dans le cou au  Lorraine Motel, les émeutes de Watts, la victoire de Barak Obama, le martyre de Steve Biko et la résurrection de Nelson Mandela, les flammes dans le regard de l’esclave qui massacre le béké martiniquais à coups de machette, les bruits des chaînes dans la forteresse de Gorée, la croix en flammes devant la cabane d’Hound Dog Taylor, les bombes dans les églises noires, Muddy Waters sur son tracteur à Stovall Plantation, le cadavre d’Albert Ayler dans les eaux troubles du port de New York, oui tu as tout ça dans le son de Kirk et beaucoup d’autres choses encore, on n’en finirait pas, avec ce son qui est un mélange unique de beauté et de colère. Comme Miles Davis, Monk, Coltrane et quelques autres, Rahsaan Roland Kirk est un homme précieux pour les fans de rock. Oui, car c’est un punk, il suffit de voir la fameuse séquence de l’Ed Sullivan Show : on invite Kirk pour qu’il joue un air de jazz bon chic bon genre et paf, il fait danser les caméras avec «The Inflated Tears & Haitian Fight Song», accompagné de Charlie Mingus sur sa stand-up et d’une grosse bande de copains blacks fabuleux, et puis tu vois Archie Shepp avec sa casquette en laine qui se met à danser de tout son corps en soufflant dans son sax, et là tu as les vrais punks, tu comprends, c’est pas les Stranglers, ce sont les blacks du ghetto et le shaman Kirk, vêtu de vinyle noir et couvert de breloques, se met à onduler avec ses trois sax en bouche, c’est wild as fuck, aussi wild que l’est The Graham Bond Organisation jouant «Harmonica Man» dans la jungle, un clip qu’on peut choper sur Dailymotion. Toutes ces merveilles sont en ligne, mais attention au son, car dans les deux cas, il faut du son.

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             À l’époque du passage à l’Ed Sullivan Show, Kirk milite dans un mouvement nommé The Jazz People’s Movement et publie un manifeste inspiré de la désobéissance civile et du mouvement de lutte pour les droits civiques. Ils estiment que le jazz a disparu des émissions de télé. Ils commencent par venir foutre le souk au Dick Cavett Show en soufflant dans des sifflets. Ils inspirent la trouille aux médias new-yorkais, d’où l’invitation à l’Ed Sullivan Show.

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             Kahan fait témoigner pas mal de gens dans son docu, notamment la femme et le fils de Rah, comme elle l’appelle, et puis des tas de musiciens qui l’ont accompagné sur scène. Tous nous font le portrait poignant d’un petit homme rendu aveugle après sa naissance par une super-conne d’infirmière qui lui a accidentellement brûlé la cornée des yeux avec un produit. Alors le son est devenu sa seule réalité - Sound is his life - Il se passionne pour tous les sons, il découvre des sons inconnus, puis il apprend à emboucher trois instruments d’un coup, il n’a que deux mains, il rajoute une flûte, il joue tout ce qu’il peut jouer. Un premier clip nous le montre en 1964, avec ses lunettes noires à la Ray Charles et sa barbichette. Il est déjà iconique. Il est évident que William Bell va s’inspirer de lui pour la pochette de Bound To Happen.

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             Kirk pousse le bouchon - He took everything to extrem - Tout lui vient de ses rêves, les trois instruments, il les voit en rêve. Il voit Rahsaan en rêve. On lui demande quelle est sa religion - My religion is dreams - D’où le titre du docu. En 1970, il porte un turban et des bagues. Il devient shamanique. Il joue en solo sur un sax et en rythmique sur l’autre. Il a développé une expertise du circular breathing, c’est-à-dire qu’il inspire par le nez et expire par la bouche, une technique séculaire, Kirk peut jouer longtemps sans avoir à reprendre son souffle, il inspire et expire en même temps. Il peut passer des solos demented, il peut pulser indéfiniment, on voit son corps onduler, comme s’il baisait. À la différence des autres géants du jazz qui sur scène ne disent rien, Kirk parle beaucoup avec le public.

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             Bill Graham est l’un de ses plus fervents admirateurs - He destroyed me. La première fois, ce fut au Fillmore Auditorium en 1967. Comme j’avais aussi l’Airplane qui remplissait systématiquement, je pouvais programmer qui je voulais - Alors il programme the Afro-Haitian Ballet et en ouverture, Roland Kirk - Il arriva dans l’après-midi. Forte personnalité. Aveugle de naissance, je crois. Il portait des lunettes noires très bizarres, une robe africaine et une casquette tribale. Il parlait énormément, à propos des injustices, du racisme, de la fraternité et de l’égalité. Mais il était en colère. Comme Nina Simone.

             Rah fait une attaque à 39 balais et fait modifier son sax pour continuer à jouer. Il ne joue plus que de la main droite. Sa femme nous raconte qu’il casse sa pipe en bois à l’arrière d’une bagnole, comme Alex Chilton. Il venait de jouer son dernier concert. Rah le punk casse sa pipe en bois en plein dans l’année punk, en 1977.

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             C’est à Rhino qu’on doit cette magnifique petite box, The Rahsaan Roland Kirk Anthology. Does Your House Have Lions. Le titre sort d’une anecdote relatée par Joel Dorn, qui fut le producteur de Rah. Dorn expliquait à Rah au téléphone qu’il venait tout juste d’acheter une maison. Alors Rah lui a demandé si sa maison avait des lions - You know concrete lions. My house has lions. Get a house with lions - Dans le booklet bien dodu, Hal Willner rend un sacré hommage à Rah : «The energy was heavier then anything I was seing in the punk rock world.» C’est exactement ce qu’on ressent à l’écoute de «Black Root», sur le disk 2 : on croirait entendre le Magic Band. C’est bourré de wild afro-beat. Globalement, Rah joue un heavy jazz groove qu’il ponctue de yeah. Sur «Wham Bam Thank You Ma’am», on entend Charlie Mingus on wild bass, yeah !, ça jazze dans le Rah, yeah !, ces mecs y vont au wild as fuck, yeah !, c’est explosif, une bite entre dans le printemps du jazz, yeah !, et féconde la vie par-dessus bord. Rah amène «Horses (Monogram Republic)» au grand melodica, il sature sa mélodie d’huile pour la faire entrer sous ta peau, mais il reste en même temps prodigieusement abrasif - That was me ! That was me ! - Il attaque «Old Rugged Cross» au bad heavy Kirking, mais il abrase son cœur de mélodie et attaque sa transition au heavy ramshakle de r’n’b, ça vire Jr Walker ! Il fout vite le feu aux immeubles. Genius pic ! Après une intro chant, ce démon de Rah souffle dans les bronches de «Volunteered Slavery», il l’amène au balancement du ventre d’avant/arrière, au vrai pulsatif de wild cat, il souffle dans tous ses cornets, il fusionne tous les sons pour faire de l’art, et tu te grises littéralement de son exubérance. Pour son «Medley», il souffle en continu des thèmes classiques avec une insistance de sale punk, ah la brute !, il déroule son déroulé à la déroulade de bouledogue boulimique. Il rend hommage à la Nouvelle Orleans avec «The Black & Crazy Blues», une heavy traînasserie funéraire fabuleusement façonnée, il écrase du talon le champignon du blues dans la mud de mad dog pendant qu’un pianiste égrène ses perles de lumière. On voit Rah taper une cover d’«I Say A Little Prayer» au fast swing, il lui troue le cul avec un solo schtroumphé, seuls les cats de jazz peuvent te défoncer une rondelle sans crier gare. Ces mecs développent sans fin, et t’es baisé. Rah reprend le thème au sax demented et ça repart en mode jazz craze. Quelle aventure !

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             Sur le disk 2, il te souffle «The Inflated Tear» à la concorde et part en mode Bird de mélodie pure. Un vrai baume au cœur. Il mixe ses deux vents. Genius pic ! C’est le sommet du lard de l’absolue pureté des vents. Dans «Blacknuss», il ressort son couplet sur les touches noires du piano, tel qu’on l’a vu faire dans le docu. Cissy Houston est dans les parages, c’est comme on s’en doute wild as fuck, et le courant emporte Rah. Il revient à la mélodie pure avec «I Love You Yes I Do», c’est même une mélodie fellinienne, bien écrasée dans le mortier. Rah plonge profondément dans l’excellence du jazz, comme le montre encore «Portrait Of Those Beautiful Ladies». Le thème rôde toujours dans le demi-jour de sa cécité. Rah est un héros, il te prélasse le thème, le berce aux alizés, il te propose sa version de la perfection, l’absolu mélodique au sax d’embouchure, il se fait saumon pour mieux remonter le courant. «The Enternainer (Done In The Style Of The Blues)» sonne comme une dernière tentative de réconciliation. Rah le prend à la bonne, il t’offre tout le jazz du monde en cadeau. Tiens, prends, c’est pour toi. Alors tu prends. Il passe au groove de Soul jazz avec «Anysha», la stand-up derrière sonne comme une apoplexie dans ce climat de séduction maximale et Rah joue l’amour suprême. Il termine avec «Thee For The Festival» en mode vite embarqué au fast jazz, Rah fait son Faster Pussycat Kill Kill. Tu te sens vraiment fier d’avoir croisé la route d’un cat comme Rah.

    Signé : Cazengler, Roland Quiche (lorraine)

    The Rahsaan Roland Kirk Anthology. Does Your House Have Lions. Rhino Records 1993

    Adam Kahan. Rahsaan Roland Kirk - The Case Of The Three Sided Dream. DVD 2014

     

                       

                                   I can hear the Supergrass grow

    - Part One

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             Trente ans après la bataille, Gaz Coombes déboule sur scène.

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    Il reste encore un vieux fond de Supergrass dans le Gaz, oh pas grand-chose, juste deux cuts, mais Gawd, quels cuts ! Le fast ride de «Deep Pockets», vite embarqué, ils jouent à trois avec une boîte à rythme. Derrière, un bon copain gratte les graves sur une gratte et une bonne copine claviote un mini-clavier.

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    C’est monté sur un programming, mais l’effet sur scène est imparable. D’autant que Gaz sort sa belle gratte électrique et revient aux sources : le fast British rock. Il n’a rien perdu de ses anciennes dispositions à rocker the boat. Il passe un solo de pure Méricourt. L’autre big bang s’appelle «Feel Loop (Lizard Dream)», tiré de son dernier album, Turn The Car Around. Pareil, il sort sa meilleure électricité pour l’occasion et ça groove comme au temps béni de Supergrass.

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    Pour un peu, on regretterait presque que tout le set ne soit pas aussi électrique. Pour le reste, il gratte pas mal de coups d’acou, mais les compos sont bienvenues, surtout «Detroit», tiré de Matador, même chose pour «The Girl Who Fell To Earth». Le copain Garo qui gratte les basses derrière finit par impressionner, car rien n’est plus difficile que de driver une bassline en suspension, sans batterie. Tout repose sur le feeling, et un sens aigu du tempo. Visiblement, le mec est doué. Il n’a pas de basse, juste deux grattes.

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    Gaz porte un petit costard noir et un chapeau appareillé, et lorsqu’il s’assoit au clavier pour clavioter, on voit qu’il transpire abondamment. Il fait une belle version de «Detroit», une autre sucrerie tirée de Matador, et la plupart du temps, il introduit ses cuts en racontant une petite histoire. Comme sa diction est bonne, on pige à peu près tout, ce qui nous arrange bien. En plus, ses histoires sont souvent intéressantes. Notamment celle de «Detroit», qui remonte au temps des never-ending American tours, et voilà que dans un bar, deux flics américains le fixent pendant 20 minutes, ce qui le fait flipper. Tous ces mecs ont des tas de souvenirs de tournées à raconter, c’est en quelque sorte une mine d’or, et Gaz l’exploite pour ses chansons. Il fait aussi une fantastique version du «White Noise» tiré d’Here Come The Bombs, on sent l’envergure, pas de problème, Gaz peut tenir une scène.

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    Et comme il fait la promo de Turn The Car Around, alors il en bombarde deux ou trois, comme le morceau titre ou encore le «Sonny The Strong», en hommage à Sonny Liston. Il tente aussi de faire du participatif avec «Long Live The Strange», mais ça ne prend pas.

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             Son premier album solo Here Come The Bombs date de 2012. On le sent déterminé à vaincre dès «Hot Fruit». Il fait un peu la révolution industrielle à lui tout seul. Il s’est trouvé un bon beat. Il a toujours sa voix de rêve. Il garde l’essentiel. «Hot Fruit» devient vite sérieux. Comme il adore exploser, alors il explose. C’est son truc. Il s’en sort encore très bien avec «Sub Divider». Il vise la belle apothéose, avec une gratte en fond de ciel et un beurre qui double. Cet album se présente en fait comme une aventure évolutive. Il met du temps à s’envoler, mais il s’envole. Il est plein d’élan et grand amateur de climaxing. Il fait de la fast techno avec «Simulator», il est pressé, comme au premier jour. Fantastic Gaz boy ! Il a un sens inné de la grandeur. Sur «White Noise», il gratte des arpèges à la hussarde et ça éclate dans le matin d’une pop radieuse. Gaz est un mec qui gagne à être connu. Il a le goût des grands espaces. S’ensuit un «Fanfare» noyé de son et assez babylonien, et il se montre encore plus déterminé avec «Break The Silence». Pas de problème, notre Gaz naturel trouve la voie de ses ouh ouh ouh et débroussaille à coups de c’mon d’assaut.

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             Une vraie merveille se niche sur Matador : «Buffalo». Il y vise clairement le Big Atmospherix saturé de génie sonique. Gaz est un géant, un Coombes de haut vol, il sature son ciel, il crie merveilleusement, il crée un monde éclatant, il navigue au même niveau que Greg Dulli et c’est d’autant plus spectaculaire qu’il fait le one-man band. L’autre bombe de Matador s’appelle «Detroit», qu’il finit en apothéose de can’t hide from it all oh and all the times. Quel prodigieux finisseur ! On se régalera aussi de «The English Ruse», fantastique cavalcade d’I’m cutting loose/ To some other place, c’mon, il file fabuleusement, il donne du volume à son take my suitcase/ I’m cutting loose. Il fait aussi «The Girl Who Fell To Earth» en hommage à sa fille qui est autiste, comme il le précise sur scène. Gaz a un talent fou. Il sait sourcer un hit. Il cherche en permanence le hit, comme le montre encore «Needle’s Eye», il chante au chat perché, à la hollywoodienne. Il sait se hausser. On sent aussi qu’il creuse son tunnel. Comme Edmond Dantes, il cherche à s’évader du Château d’If. On sent parfois qu’il s’enterre dans une pop à effets et qu’il perd son goût pour la splendeur. Il termine avec le morceau titre, cut étonnant qu’il charge de tambourins et d’I’ll face the beast & fight like a matador.

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             Pas mal de jolies choses sur World’s Strongest Man qui date de 2018, et qu’on pourrait appeler l’album à la piscine. Le graphiste a réussi à éliminer toute la perspective, si bien que Gaz est allongé au bord d’une très longue piscine merveilleusement horizontale. Le paysage qu’on voit en background semble lui aussi délicieusement factice. Voilà un bon usage de PSD au service d’une idée. Les coups de génie de l’album se planquent vers la fin. Le premier s’appelle «Wounded Egos», une fast pop dans laquelle il se jette à corps perdu. Il chante avec la gourmandise d’un cannibale qui observe attentivement le cul d’une grosse retraitée abrutie de télévision. C’est bien envoyé, tendu et frais comme un gardon, avec un chant glammy. Gaz est un petit dieu de la pop. Il n’en finit plus de faire la différence. Et puis tu vas tomber un peu avant la fin sur «Vanishing Act». Il parvient à surmonter l’absence d’un vrai batteur avec des prouesses vocales extraordinaires. Dans ce domaine, il pourrait bien devenir champion du monde. Il crée les conditions d’une apothéose biblique. Il passe son temps à chercher des noises à la noise. Gaz a l’envergure de Todd Rundgren, il peut exploser sa pop avec le tonnerre de Zeus. On en pince aussi pour le morceau titre d’ouverture de bal qu’il chante à la renverse, il est magnifique de dévolu, il fait sa mijaurée, il ramène des machines et du doom, ça tangue, comme lorsque tu en as un gros coup dans la gueule, il exploite bien la titube, c’est beau et weird à la fois. Et puis voilà le «Deep Pockets» qu’il tape sur scène. Il tape ça au fast beat de boîte à rythme et s’en sort avec des breaks de gratte vérolés. C’est fast and furious. Il refait sa mijaurée. Ses inter-saisons sont brillantes, il claque des chœurs d’interface superbes, il emmène son Pockets en enfer. Il charge encore sa petite barcasse de Gazier avec «Shit (I’ve Done It Again)». Il se prend pour la chute du Niagara et il a raison. Il se prend ensuite pour Mercury Rev avec «Slow Motion Life». Même attaque, il emprunte exactement le même chemin et il chante comme Jonathan Donahue. Il passe encore en finesse avec «Oxygen Mask», gratté à coups d’acou, il y ramène ses finasseries de Gazier impérial. On sent le pro. Même la pop contrebalancée et inconfortable d’«In Waves» passe comme une lettre à la poste. 

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             Son dernier album en date s’appelle Turn The Car Around. Il est nettement moins dense que le précédent. Il renoue avec sa vieille passion pour le glam dans «Long Live The Strange», qu’il reprend aussi sur scène en mode participatif. Le glam se trouve dans les descentes. L’idée est brillante : démarrer sur le refrain, c’est une idée glam. Dans la version studio, il a des accents bolanesques. En plein tourbillon, il éclate sa voix au candy glam. Tiens voilà le «Feel Loop (Lizard Dream)» qu’il tape aussi sur scène, mais cette fois, la version studio est trop synthétique. Dommage. Il ressort ses vieux licks exacerbés, mais c’est beaucoup plus percutant sur scène. La version studio fait chou blanc. Il cherche à créer du monumental avec «Don’t Say It’s Over», mais ça ne marche pas non plus. Il a du potentiel, c’est sûr et certain, il sait grimper dans ses harmonies, mais il se cogne au plafond, car ça pue trop la boîte à rythme. On entend des échos de Beatlemania dans le morceau titre. Des échos de Dwight Twilley aussi, avec des états d’âme à la renverse. Il est important de savoir que Gaz joue tous les instruments. Garo donne juste un coup de main. Vouloir tout gérer en one-band explique sans doute le fait qu’il tourne un peu en rond. Il termine avec «Dance On» et tape enfin dans le très haut de gamme. Un Gulf Stream mélodique l’emporte. C’est beau et puissant. On se rappellera de cet album pour «Dance On». Il renoue avec une tradition très anglaise du heavy balladif à la Lennon. Il est dans cette magie, son Dance On est très pointu. Un sommet du lard fumant.

    Signé : Cazengler, gazé

    Gaz Coombes. Le 106. Rouen (76). 25 octobre 2023

    Gaz Coombes. Here Come The Bombs. Hot Fruit Recordings 2012

    Gaz Coombes. Matador. Hot Fruit Recordings 2014

    Gaz Coombes. World’s Strongest Man. Hot Fruit Recordings 2018

    Gaz Coombes. Turn The Car Around. Hot Fruit Recordings 2023

     

     

    The Memphis Beat

     - Bienvenue au paraDickerson

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             James Dickerson, qu’il ne faut pas confondre avec Jim Dickinson, pose sur Memphis le même regard que Robert Gordon, le regard d’un homme passionné par les artistes qui ont fait de cette ville le berceau d’un phénomène mondial qu’on appelle le rock’n’roll. Il utilise les mêmes méthodes que Gordon : il s’amourache des disques et s’en va rencontrer, quand ils sont encore en vie, ceux qui les ont enregistrés. Puis il rassemble tous ces portraits et nous donne à lire l’excellent Goin’ Back To Memphis, une somme qu’il faut ranger sur l’étagère à côté d’It Came From Memphis et de Memphis Rent Party (Robert Gordon), des trois tomes de Peter Guralnick (les deux Elvis et l’Uncle Sam), du Hellfire de Nick Tosches et bien sûr du I’m Just Dead I’m Not Gone de Jim Dickinson. Le héros de Dickerson n’est autre que Chips Moman et ça tombe bien, car c’est un vrai héros, l’un de ceux dont on ne se lasse pas. La dernière image du livre nous montre Chips, sa femme Toni Wine et l’auteur assis tous les trois sur une balancelle, sous le porche de la Moman farm in Nashville, 1985. Cette image illustre bien la force du lien qui unit Chips et l’auteur. Ces pages consacrées à Chips complémentent plutôt bien l’ouvrage que Ruben Jones a consacré au studio American et aux Memphis Boys. Ces deux livres constituent une source d’informations extrêmement précieuses sur notre cher Moman clé, un homme qui gagne à être connu.

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             Le saviez-vous ? Chips portait une arme sur lui, un petit calibre 25 automatique fourré dans la poche arrière de son pantalon. Il l’expliquait ainsi : «Je sais me battre et prendre une râclée, mais je ne laisserai personne me buter. Si je tire, c’est pour buter celui qui voudra me buter.» Dickerson nous rappelle que Chips a collectionné les hits de 1968 à 1971 : 26 disques d’or pour des singles et 11 pour des albums. Avec American et les Memphis Boys, il a réussi à loger 83 singles et 25 albums dans les national charts. Joli palmarès pour un petit studio de Memphis. Il faut aussi savoir que Chips indiqua l’adresse d’une vieille salle de cinéma du 924 East McLemore à Jim Stewart et Estelle Axton quand il les entendit dire qu’ils cherchaient un local pour monter un studio. Il s’agit bien sûr de Stax. Ils formaient tous les trois une drôle d’équipe : Chips avec ses mauvais tatouages et ses réflexes de zonard (teenage vagabond), joueur invétéré (cartes et billard), guitariste de rockab, et Jim Stewart, le banquier aux manières bien lisses. C’est après leur brouille que Chips monte American et qu’il enregistre et produit une hallucinante kyrielle d’artistes, dont bien sûr Elvis. Chips dit d’Elvis qu’il n’était pas le plus grand chanteur du monde, mais il avait un son - J’ai travaillé avec des gens plus doués que lui, mais aucun d’eux n’était plus célèbre - C’est du Chips. D’aucuns disent qu’avec Chips, Elvis enregistra ce qu’il avait fait de mieux depuis l’âge d’or des Sun Sessions.

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             Quand Chips apprend qu’Elvis ne veut pas revenir chez lui à American et qu’il va enregistrer chez Stax avec les Memphis Boys, il décide de lâcher l’affaire, se sentant trahi, à la fois par ses musiciens et par la ville de Memphis. Cette nuit-là, il fait ses bagages. Le dernier client d’American fut Billy Lee Riley, avec «I Got A Thing About You Baby».

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             S’ensuit un épisode que Ruben Jones ne détaille pas trop dans sa bible : le retour de Chips à Memphis. Dickerson peut entrer dans les détails car il est l’artisan de ce retour. L’aventure commence par une interview. Dickerson est journaliste. Il demande à Chips s’il regrette sa décision d’avoir quitté Memphis. Chips lui répond que c’était une grosse connerie. Depuis, il a enregistré à Nashville, mais dit-il, my music is in Memphis. That’s where I learned it, that’s where I felt it -  Puis Dickerson monte un projet fou : faire revenir Chips à Memphis en tant qu’héros de la scène locale, alors il mouille le maire Dick Hackett dans le projet. Hackett est intéressé et propose un bâtiment. Moman accepte de rentrer à Memphis et s’installe au Peabody, en attendant que son studio soit prêt. Il veut redémarrer avec un gros coup : la réunion des surviving stars of Sun Records. Et voilà que Jerry Lee, Cash, Roy Orbison et Carl Perkins radinent leurs fraises. Uncle Sam radine également la sienne - Memphis was ready to roll the dice - Chips met en boîte le Class Of ‘55 des Four Horsemen, et à sa grande surprise, les gros labels font la moue. Ça n’intéresse personne ! Effaré, Chips voit revenir les réponses négatives. Le projet sort trop de l’ordinaire. Ils ne savent pas comment le commercialiser. Le plus drôle de cette histoire est que les gros labels avaient dit la même chose à Uncle Sam en 1954 : invendable ! Alors Chips monte America Records avec des partenaires financiers et sort son Class Of ‘55 dont personne ne veut. Il décide à la suite d’enregistrer un nouvel album avec Bobby Womack pour MCA Records. Il tente aussi de proposer à des gros labels Reba And The Portables qu’il vient de signer, mais ça ne marche pas non plus. Le Womagic de Bobby sort en 1986. C’est le troisième album que Chips produit pour Bobby Womack : il le considère comme l’un des géants de l’époque.

             Et puis un soir, Gary Belz, qui fait partie des partenaires d’America, appelle Chips. La conversation tourne au vinaigre et Selz traite Chips de mortherfucker. Chips raccroche calmement, monte dans sa bagnole et va trouver Selz au studio Ardent. Il entre et lui colle son poing en pleine gueule. Puis il lui dit : «Quand tu veux m’insulter, fais-le devant moi - You call me a name, you do it in my face.» La scène de Memphis allait ensuite retomber dans les ténèbres. Chips finit par refaire ses bagages et par retourner à Nashville. Son dernier round à Memphis fut un échec cuisant et Dickerson avoue en porter la responsabilité, en ayant été l’instigateur. 

             Dickerson livre aussi de très beaux aperçus sur Memphis. Selon lui, Memphis est la seule ville d’Amérique où un country boy timide peut devenir un King, où des blancs et des noirs peuvent non seulement passer ensemble à la radio, mais aussi jouer ensemble dans des groupes. Elvis n’est pas le seul country boy devenu célèbre : Carl Perkins sortait de sa cambrousse de Jackson, Tennessee, Cash de sa cambrousse d’Arkansas, Jerry Lee de la Louisiane et Roy Orbison du Texas. Pour Dickerson, Memphis a redéfini le blues, puis l’a transformé en rythm’n’blues et a inventé le rock’n’roll, puis l’a retransformé en pop via une bâtardisation du jazz, grâce aux orchestrations. Et Dickerson en arrive à la même conclusion que Dickinson : Memphis n’est pas la ville des groupes, mais des individus - The individual was always supreme.

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             Mais cette région du Deep South n’est pas non plus du tout repos. Dickerson indique qu’à l’annonce de l’exécution du Président Kennedy à Dallas, le Campus de l’Université du Mississippi, plus connu sous le nom de Ole Miss, a explosé de joie et a sorti pour l’occasion les drapeaux confédérés. Dickerson rappelle aussi que «Wolly Bully», enregistré par Stan Kesler chez Uncle Sam en 1965 pour MGM, devint l’un des plus gros hits américains de l’époque. Memphis fut aussi la ville de la peur bleue pour les Beatles qui, en 1966, vinrent jouer au Memphis Coliseum. Comme John Lennon avait déclaré que les Beatles étaient plus populaires que Jésus-Christ, le Ku Klux Klan avait annoncé des représailles. Quand un mec fit sauter un pétard en plein milieu du set, le roi George faillit tomber dans les pommes.

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             Le côté chronologique de l’historique artistique fait sans doute la force de cet ouvrage, Dickerson explore méthodiquement chaque époque et commence par exhumer les légendes des origines pour aller dans les derniers chapitres saluer les nouvelles générations de groupes qui ont réussi à prendre le relais. Il démarre en force avec WC Handy, rappelant qu’il n’avait pas inventé le blues mais qu’il fut sans doute le premier à mêler le black folk blues avec l’instrumentation européenne, combinant le raw energy de son héritage africain avec la discipline d’une éducation à l’Européenne. Il passe directement à Memphis Minnnie qu’il qualifie de most accomplished female guitarist who ever lived. Elle  complétait ses revenus d’artiste avec des passes de pute. Pour baiser Memphis Minnie, il fallait sortir deux dollars. Les temps étaient durs, nous dit Dickerson, Minnie se contentait de survivre. Bonnie Raitt dit qu’elle devenue chanteuse à cause de Memphis Minnie. Johnny Shines dit que Memphis Minnie pouvait devenir très violente. Elle aurait coupé les bras d’un mec dans le Mississippi. Comme le fait si bien Tav Falco dans Ghosts Behind The Sun, Dickerson rappelle que dans les années 20, Memphis était devenue la capitale américaine du crime. Les commerçants vendaient de la coke dans des boîtes de dix sous. 70% de la population black de la ville était accro à la coke. Quand Coca-Cola monta son usine en 1902, la coke était l’ingrédient de base dans la fabrication du tonic, jusqu’en 1905.

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             Dickerson consacre aussi des chapitres croustillants à Furry Lewis et à Sleepy John Estes, qui apprit à jouer de la guitare en jammant avec ses voisins et un beau jour, il prit la route et joua pour vivre. Mais il ne s’éloigna jamais de Memphis. Puis voici Booker T Washington White, surnommé Bukka White, qui renonça un temps à sa carrière de bluesman pour ouvrir un magasin de meubles, jusqu’au moment où le succès de sa chanson «Fixin’ To Die» repris par Dylan l’incita à sortir de son magasin de meubles pour aller jouer un peu partout aux États-Unis et en Europe. L’un des plus importants personnages de la légende des siècles est sans doute Rice Miller, le vrai Sonny Boy Williamson - The most enterprising bluesman of the early 1940s - C’était un sorcier de l’harmo et Dickerson qualifie les textes de ses chansons d’earthy and passionate. Il fut l’un des premiers à utiliser l’harmo comme lead instrument. Rice mit un place un gang infernal : Robert Junior Lockwood, Houston Stackhouse et Joe Willie Wilkens se succédaient aux guitares, James Perk Curtis battait le beurre, et Joe Pinetop Perkins jouait du piano. C’est à Helena en Arkansas que Rice Miller démarra sa prodigieuse carrière, dans un radio show intitulé King Biscuit Time, diffusé chaque jour à midi. Chaque jour, Rice arrivait quelques minutes avant l’heure, les musiciens s’asseyaient et le présentateur Sunshine Sonny Paye leur demandait ce qu’ils allaient jouer, alors Rice lui disait qu’il n’en savait rien. Mais le show démarrait à l’heure, alors il se mettait à chanter et le groupe suivait. Made up on the spot. Rice enregistra «Dust My Broom» avec Elmore James, puis signa chez Chess en 1955. Il aligna trois hits monumentaux : «Bring It On Home», «Don’t Start Me Talking» et «Help Me» dont Alvin Lee allait faire ses choux gras sur le premier album de Ten Years After. Rice Miller débarqua en Europe et fit des concerts légendaires avec les Yardbirds et les Animals. Dickerson évoque bien sûr Riley Ben King qui écoute le King Biscuit Time en 1941 et qui décide de devenir Blues Boy King. L’émission ne faisait pas que lui donner du bon temps. Elle lui faisait envisager une vie meilleure. En 1946, il vient à Memphis voir son cousin Bukka White et il découvre Beale Street.

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             Et puis tiens, voilà Wolf ! Il lui arrive souvent d’oublier de se changer et de monter sur scène en salopette. Eh oui, Wolf travaille encore à la ferme. Chess engage à l’époque Ike Turner comme découvreur de talents. En 1948, Ike tombe sur Wolf et l’enregistre pour Chess sur un petit magnéto. Au même moment, Uncle Sam s’installe à Memphis à la recherche de nouvelles opportunités. Il écoute les radios : la blanche l’ennuie avec sa pop trop orchestrée et sa country soporifique. Par contre la noire l’intéresse, on y entend Wolf, B.B. King et Rice Miller, c’est-à-dire Sonny Boy - Sexual bravado of liberated black manhood ! - Les gens de Memphis le sentaient : il y avait quelque chose dans l’air. Comme si la moitié de la ville bandait pendant que l’autre moitié roupillait. Tous les blacks voulaient faire de la radio, c’mon man let’s do it ! Beale was the place for action. Now talk was king et la mode aussi, high fashion, Lansky vendait des fringues démentes, Elvis deviendra l’un des meilleurs clients. En 1950, B.B. King devient un héros dans la communauté noire, Wolf aussi. À Nutbush les gens saluaient Ike et sa future femme, Annie Mae Bullock. Et d’autres arrivaient : Little Milton, Junior Parker, James Cotton et Bobby Blue Bland. Un Bobby Blue Bland qui est toujours revenu à Memphis, une ville qui le boudait un peu, sans doute parce qu’il enregistrait à Nashville pour un label texan. Quand Dickerson lui demande comment il explique ce manque de reconnaissance, Bobby répond : «Memphis is sorta swishy-swatchy», qu’on pourrait traduire par soupe au lait. 

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             Dickerson rencontre aussi Uncle Sam, the Wild man from Memphis. Il le résume assez bien en la qualifiant de dreamer : il voulait faire des disques comparables à ceux qu’il entendait à la radio (noire) - Pop music was out of the question - De toute façon, les musiciens de Memphis n’étaient pas assez sophistiqués pour faire de la pop. Il y avait bien la country dans la région, mais ça se passait à Nashville. Les musiciens de Memphis n’étaient pas non plus assez bons pour la country. Il restait le r’n’b. Alors Uncle Sam décida de se concentrer sur le r’n’b. S’ensuivit «Rocket 88», le premier chart-topper de Chesss et le seul chart-topper qu’Ike aura avec ou sans Tina. Et comme il venait de pondre un chart-topper, Uncle Sam se sentit pousser des ailes. Il méprisait la ségrégation qui était encore la règle à Memphis, ce qui était de sa part très courageux. Socialiser avec les nègres était tout simplement hors la loi. To hell with the law, que la loi aille au diable, Uncle Sam se savait en mission. Il avait grandi avec Uncle Silas et avait compris bien des choses. Alors il ouvrit la porte de son studio à tous ces nègres : Walter Horton, Doctor Ross, Joe Hill Louis, Willie Johnson et Wolf. Un Wolf qui bouffait à tous les râteliers, chez Uncle Sam et chez les Bihari, par l’entremise d’Ike. Chess offrit 4.000 dollars et une bagnole à Wolf s’il acceptait de venir à Chicago. Uncle Sam n’avait pas les moyens de rivaliser avec Chess. Alors Wolf céda sa ferme à son beau-frère, chargea son pick-up et prit la route de Chicago, où il allait rester pour y mourir en 1976.

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             Uncle Sam voit Rufus Thomas comme un winner. Alors il lui confie la réplique à «Hound Dog», «Bear Cat». Mais au fond, Sam se lasse des artistes noirs qui ne sont pas bien carrés avec lui, comme par exemple Ike et Wolf qui jouent double jeu en allant enregistrer ailleurs. Aux yeux d’Uncle Sam, le manque de loyauté est impardonnable. Alors il laisse tomber Rufus et les autres blacks pour se concentrer sur les petits blancs : Elvis, Scotty Moore et Bill Black. C’est là que Dickerson ramène sa théorie fumeuse du Hoodoo Cartel qui fait la loi à Memphis : selon lui, Uncle Sam aurait vendu le contrat d’Elvis pour arracher Elvis des griffes du Hoodoo Cartel. Dickerson dit aussi que c’est le Hoodoo Cartel qui a eu la peau de Chips et tant qu’on y est, la peau de Stax. Selon Dickerson, Uncle Sam a vendu Elvis à RCA pour sauver sa carrière - In my eyes, Sam Phillips is a hero - Après Elvis, voici Roy Orbison. Quand Uncle Sam le rencontre pour la première fois, ça ne se passe pas très bien. Roy lui dit : «C’est Cash qui m’a recommandé d’aller chez Sun !», et Sam lui rétorque sèchement que Cash n’est pas le boss de Sun. Ils font néanmoins «Ooby Dooby» qui n’est pas un hit. Sam met Roy dans les pattes de Jack Clement et lui demande de chanter plus de rock’n’roll, mais Roy ne veut chanter que des balades sentimentales. Frustré, il quitte Sun en 1957 et va à Nashville où il compose toutes les balades sentimentales qui vont le rendre célèbre. 

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             Et puis voilà Stax, l’occasion pour Dickerson de revenir sur le trio infernal Estelle/Jim/Chips. Mariée à un mec nerveux, Estelle est la mère de deux enfants, dont Packy. Leur ménage s’est lourdement endetté pour acheter une baraque. Estelle parle à cœur ouvert, elle dit tout ce qu’elle pense, Chips la contredit par principe, s’appuyant sur son expérience de zonard, et Jim qui n’est d’accord avec ni l’un ni l’autre ne dit rien. Estelle s’occupe du magasin de disques qui se trouve à côté de l’entrée du studio. Dickerson indique que sans les revenus du magasin, le studio aurait coulé dès la première année. C’est là que Steve Cropper monte les Mar-Kays et Packy lui demande s’il peut venir jouer dans le groupe. Steve lui répond qu’ils n’ont pas besoin d’un sax. Alors Packy lui rétorque : «Ma mère est la boss de Satellite Productions, tu sais le studio où travaille Chips Moman !» Steve l’embauche immédiatement. C’est Estelle qui réussit à convaincre Jim de sortir le truc que les Mar-Keys répètent dans le studio, «Last Night». Elle est persuadée que c’est un hit. Jim et Chips leur organisent une tournée pour la promo de «Last Night». Le groupe se compose de Steve (guitar), Duck Dunn (bass), Packy (tenor sax), Smoothie Smith (keys), Terry Johnson (drums), Wayne Jackson (trumpet) et Don Nix (baritone sax). C’est le commencement de ce que Dickerson appelle the Memphis music’s second revolution. Alors Stax met le turbo. Dans son magasin, Estelle prédit les hits. Tous les blacks du quartier adorent Miz Estelle. Chips joue dans les clubs de Memphis et les gens l’idolâtrent. Il fait le même boulot qu’Ike, il repère les jeunes talents dans les clubs et un beau jour il ramène William Bell chez Stax. Époque magique : Jim, Estelle et Chips créent un soulful sound qui va bouleverser l’évolution de l’American music. Puis Booker T & the MGs cassent la baraque avec «Green Onions» et soudain une shoote éclate entre Jim et Chips. Estelle apporte un éclairage en révélant que Chips voulait prendre le contrôle de Stax. Elle dit aussi que Chips voulait la moitié de Stax, «ce qui m’excluait, alors que c’est moi qui ait mis les fonds dans l’affaire pour démarrer.» Jim proposa à Chips une trêve de deux semaines, au terme de laquelle il se disait prêt à le revoir. Mais Chips ne mange pas de ce pain-là. 

             Steve Cropper voit arriver de nouvelles têtes chez Stax : Homer Banks qui travaillait comme vendeur dans le magasin d’Estelle, et puis aussi deux habitués du magasin, Isaac Hayes et David Porter. Après l’âge d’or d’une histoire de rêve vient le déclin et l’exclusion d’Estelle. Dickerson : «The music business, as Jim learned, was no place for nice guys.»

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             Moins connu que Stax, Hi connut un destin moins violent. Willie Mitchell privilégiait la discrétion et Al Green fut le chanteur parfait pour illustrer sa vision d’un son : the smooth that oozed sweet Soul, le doux du doux de la sweet Soul music. Willie admire Al car il voit en lui un homme qui veut réussir coûte que coûte. Alors il le pousse à composer ses hits et pouf, voilà que commence la sarabande des disques d’or. En plus d’Al, Ann Peebles toppe les charts avec «I Can’t Stand The Rain», Syl Johnson avec «Take Me To The River» et Otis Clay avec «I Die A Little Each Day». Une belle poulette blanche traîne chez Hi : Rita Coolidge. À l’époque, ça fait scandale. Puis sa sœur Priscilla épouse Booker T, alors le scandale grossit encore. C’est en effet le premier mariage inter-racial dans le monde des musiciens. Quand une gonzesse se suicide après lui avoir ébouillanté le dos, Al Green se met à changer. Il commence par se séparer de Willie qui avait tout misé sur lui. Puis il cesse d’enregistrer des disques pour prêcher dans son église - Willie was devastated - D’autant plus devastated que les hits d’Al n’ont pas enrichi Hi. C’est London Records qui s’est enrichi. Willie se contentait de leur licencier les masters d’Al - We got a little bit of money but the record companies got most of it - Al et Willie se retrouveront en 1985 pour enregistrer He Is The Light. Willie was ecstatic, nous dit Dickerson.

             Dionne Warwick avait tellement adoré Memphis et l’ambiance d’American qu’elle voulut y démarrer un label avec l’un des associés de Chips, Marty Lacker. Le label fut baptisé Sonday, en l’honneur du fils de Dionne la lionne. Mais le label floppa et Dionne ne revint jamais à Memphis.

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              Oh voilà enfin Dickinson, qui avait un peu bossé chez Stax et chez American, mais Chips ne voulait pas lui confier la console. S’ensuit l’épisode Dixie Flyers à Miami et le retour précipité à Memphis au bout de six mois (Homesick, le mal du pays). Pour Dickerson, Dickinson est un shaman : «Je pense qu’il a absorbé chaque image, chaque son, tout ce qu’il a croisé.» C’est lui Dickinson qui explora en compagnie d’Alex Chilton the most creative aspects of musical madness. Dickerson va encore plus loin en affirmant que ZZ Top et Big Star avaient beaucoup de points communs, notamment le respect des critiques. Pour l’auteur, il y a une part de mystère dans le succès de ZZ Top : It’s all part of the Memphis thang. Il faut se souvenir que ZZ Top vint enregistrer chez Ardent.

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             Autre épisode considérable : Elvis débarque chez Stax pour une session d’enregistrement. Isaac Hayes est là lui aussi, entouré de ses gardes du corps blacks. Elvis a les siens, des blancs. Jim a mis en plus des gardes dans la rue pour la sécurité. L’équipe de télé n’est pas là pour Elvis mais pour Isaac et Elvis le prend mal, car n’est-il pas le King ? N’est-il pas the big movie star ? Mais ses films sont des gags et il le sait, alors qu’Isaac vient de décrocher un Award pour Shaft, avec son crâne rasé et sa forte odeur de Sex God. Elvis n’a jamais eu aucun Award et il ne pourra jamais en avoir, avec ses films pourris. C’est aussi Isaac qui raffle tous les Grammys, alors qu’Elvis n’en récupère que deux.

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             Vers la fin de cette galerie de portraits époustouflante, Dickerson rend hommage à Jerry Lee : «Grâce à tous ses excès, ses problèmes et ses tendances auto-destructrices, sa bravado, son arrogance et son regard démoniaque, le Killer est resté le plus grand rock’n’roll piano player the world has ever seen.»

    Signé : Cazengler, Dickerson of a bitch

    James L. Dickerson. Goin’ Back To Memphis. Schirmer Books 1996

     

     

    L’avenir du rock

     - Gloire à Gloria !

             L’avenir du rock en a ras-le-bol des poncifs. Ça doit bien faire soixante ans qu’on lui rabat les oreilles avec les mêmes âneries. Dès qu’il a le malheur d’engager une conversation au bar après un concert, ça repart de plus belle. En voiture Simone ! Tiens voilà ce mec ventripotent qui arrive pour le brancher sur Keith Richards :

             — Y s’est fait changer tout l’sang en Suisse, tu vois un peu l’travail ?

             L’avenir du rock prend son air le plus éberlué, et fait :

             — Ah bon ?

             En voilà un autre qui se pointe, et du haut de sa hargne de nabot, il lance :

             — Clash, c’était le seul groupe de gauche en Angleterre !

             L’avenir du rock prend son air le plus ahuri, et fait :

             — Savais pas !

             Comme un bonheur n’arrive jamais seul, en voilà un autre qui vient trinquer pour dire :

             — Ah ! Johnny Thunders, quel désastre, c’est la romance de la piquouze !

             Celui-là bat tous les records, l’avenir du rock s’en émerveille. Attendons la suite, se dit-il... Elle arrive :

             — Dès qu’y touchent à la piquouze, c’est foutu. Y meurent tous...

             L’avenir du rock peine à dissimuler sa fascination face à cet Ararat de bêtise fondamentaliste. Ne sachant pas trop quoi dire, il opte pour une espèce de moyen terme piteux :

             — Oh y meurent pas tous...

             L’autre se cabre et lance d’une voix bourrue d’érudit à la mormoille :

             — Ah mais si, y meurent tous !

             Fantastique ! L’avenir du rock décide de l’asticoter :

             — Sauf ceux qui sont de gauche et ceux qui se font changer le sang en Suisse...

             Un autre candidat au désastre intellectuel arrive et décrète d’un ton impérieux :

             — Sans «Gloria», t’as pas d’garage !

             L’avenir du rock se régale de la prestation de cet imbécile, alors il fait l’âne :

             — Tu veux dire Gloria Scott ?

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             Gloria Scott n’est pas née de la dernière pluie. Elle a démarré en tant qu’Ikette pour Ike & Tina Turner, et elle vient tout juste de refaire surface sur Acid Jazz, alors pour l’avenir du rock, c’est du gâtö.

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             Si tu feuillettes Mojo et que tu vas jusqu’à la dernière page, tu vas tomber sur une rubrique intitulée ‘Hello Goodbye’. L’invité y narre son hello lorsqu’il rejoint un groupe, puis son goodbye lorsqu’il le quitte. Alors évidemment, quand Gloria Scott raconte son ‘Hello Goodbye’ dans the Ike & Tina Revue, on se jette dessus, d’autant que la page s’orne d’une belle photo de scène : on voit Gloria Scott, P.P. Arnold, Tina Turner et Maxine Smith faire la danse du canard. L’image vaut son pesant d’or. En 1965, nous dit Gloria, elle avait rencontré Sly Stone et elle savait que son destin se trouvait dans the music business. Puis le propriétaire du Fillmore, Charles Sullivan (l’un des héros de Bill Graham) la convoque. Elle doit passer une audition. Pour qui ? Elle ne sait pas. Quand elle arrive au Fillmore, elle découvre qu’elle doit auditionner pour Ike & Tina Turner - So I auditioned right there on the spot, in front of the Fillmore audience - Elle avait 18 ans and it seemed like a big night. Le soir même, Ike & Tina embarquent Gloria à Los Angeles et ils passent par Santa Cruz, le temps pour Gloria de dire bye bye à mom and dad. Au début, Gloria ne chante pas, Ike lui dit d’observer le groupe sur scène. Elle découvre ensuite qu’Ike fait tourner plusieurs équipes d’Ikettes et certaines ramassent plus de blé que d’autres, alors des Ikettes revendiquent et Ike les vire. C’est là que Gloria devient Ikette. Et elle attaque la ronde infernale des tournées - On that bus every night - where were we? - That was our home - Le ‘goodbye’ se produit un an plus tard, en 1966. Elle n’aura été Ikette que pendant neuf mois. Elle n’entre pas trop dans les détails, mais elle dit qu’Ike était dur avec les filles. Il leur collait des amendes si les perruques étaient de traviole. Comme les amendes étaient de 25 $ et qu’elles gagnaient 25 $ par soirée, elles s’endettaient. Ike appliquait la technique du patron blanc avec les sharecroppers, c’est-à-dire les métayers, il les endettait à vie et donc elles bossaient quasiment à l’œil. Gloria n’est pas du genre à se laisser marcher sur les pieds. Un jour, les Ikettes ratent leur bus pour Houston, Texas, a long drive, alors elles doivent prendre l’avion pour arriver à l’heure au concert. Non seulement Ike leur dit que le billet d’avion est à leur charge, mais il leur colle en plus une amende. Tina prévient Ike que s’il colle une amende à Gloria, elle va se barrer. Qu’elle parte ! Et Gloria se barre - I quit.  

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             La petite Gloria refait surface cette année avec So Wonderful, sur Acid Jazz. C’est plutôt inespéré. D’autant plus inespéré que l’album est excellent, on va même devoir parler de coups de génie, tellement ça grouille de vie, là-dedans. Tiens, on va en prendre un au hasard : «I’ve Got To Have All Of You». Elle y développe une énorme Soul d’I doooo, elle est suprême, elle fait une Soul Mod très moderniste, elle se fond dans l’extrême qualité du groove. Autre coup de Jarnac : «Show Me», elle te groove ça dans l’excellence du lard, sans fournir aucun effort - You got to/ Show me the way - C’est d’une qualité irréprochable, tu n’as pas idée. Elle reste fantastiquement présente avec «There’s No Cure For Me». La petite Gloria règne sur l’Acid Jazz, elle groove le smooth et développe une extraordinaire énergie de la classe. Dans «All Of The Time You’re On My Mind», elle nage à la surface d’une incroyable profusion de son, avec les violons loin, là-bas, et une rythmique haut de gamme, et elle te groove tout ça avec magnificence. Gloria Scott forever ! Elle passe au groove des jours heureux avec le morceau titre, une merveille de good time music. Elle est imbattable, pas de grosse voix, juste une très forte présence de black lady. «I Found Love» redore aussi le blason de la good time music d’Acid jazz. Elle incarne ce son à merveille. Elle termine cet album enchanteur avec «Promised Land», fast one amené au heavy beat. Elle y louvoie élégamment, elle vibre et nous aussi, elle a derrière elle des chœurs de volontaires. Gloria est fière de son grand retour : «Après 48 ans, je suis tellement fière d’enregistrer mon deuxième album. En particulier, les démos que j’avais enregistrées avec Barry White et qui ne sont jamais sorties.» Le grand architecte de ce retour en grâce s’appelle Andrew McGuinness, who conducts the Baltic Soul Orchestra.

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             La discographie de Gloria Scott est assez maigrichonne. Deux albums en tout, le deuxième date de 1974, What Am I Gonna Do, sorti sur Casablanca et produit par Barry White, gage de qualité. Gloria : «Je suis surprise que cet album soit still active out there, parce qu’il remonte à loin.» Quand Garth Cartwright lui dit que cet album est considéré comme un Soul/dance classic, ça la fait bien marrer : «C’est merveilleux, but - you know what? - J’ai dû signer un contrat stupide because I never saw any money from that.» Tu as deux cuts qui sonnent comme des Beautiful Songs : «I Think Of You» et «Love Me Love Me Love Me Or Leave Me Leave Me Leave Me». Avec le premier, elle tombe dans les bras du satin jaune et développe une puissante beauté océanique. Elle s’étend à l’infini. Avec le deuxième, elle rejoint le génie productiviste de Barry White. C’est puissant, un vrai shoot de forever à la bella vista, please don’t tease me. C’est d’une candeur à peine croyable. Le hit de l’album s’appelle «(A Case Of) Too Much Lovemakin’» et là t’es embarqué au heavy Barry White. Elle se fond dans la graisse du gros, elle y va franchement - There’s something I’ve got to say - Fabuleux ! C’est plein d’énergie, elle y va au débotté, avec des congas dans le feel à la patte du caméléon, c’est tout simplement énorme, elle y va la petite Gloria, c’mon !, elle jive au sommet du big Barry lard, à travers elle passe l’énergie de l’éclair Soul. Si tu la vois en photo, tu vas dire : «Aw my Gawd !», car elle est fantastiquement belle. La photo Casablanca te crève le cœur. Et avec «I Just Couldn’t Take A Goodbye», elle rampe dans le satin jaune du goodbye. Elle passe au hard funk avec «That’s What You Say ( Everytime You’re Near Me )», elle devient reine de la nuit, elle te swingue ton truc vite fait, ça prend vite des allures héroïques, elle y va au that’s what you say, alors t’as qu’à voir !

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             Un deuxième album sur Casablanca produit par HP Barnum n’est jamais sorti. Pour Gloria, ça voulait dire la fin des haricots. Il se pourrait bien que Barry White, qui l’avait signée pour sept ans, ait bloqué sa carrière. Alors elle est allée faire des backing vocals chez Motown. Elle impressionne Mary Wilson qui vient de relancer les Supremes après le départ la Ross. Mary la sort du contrat avec Barry White et en échange, elle lui demande de tourner dans les Supremes avec elle. Ce sont les Supremes of the late 70s and early 80s. Mais ça ne satisfait pas pleinement Gloria qui avait quand même enregistré sur premier hit «Taught Him» en 1964 avec Sylvester Stewart, c’est-à-dire le Sly Stone en devenir, un hit qu’on retrouve sur l’excellent compile Ace, Precious Stone: In the Studio With Sly Stone 1963-65. C’est à la suite de cet épisode qu’elle auditionne pour Ike & Tina Turner.

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             Alors pourquoi une discographie si maigrichonne, alors que Gloria a fréquenté les géants de la terre, c’est-à-dire Sly Stone, Ike Turner et Barry White ? Il faudra attendre qu’elle se décide à écrire ses mémoires pour le savoir.

    Signé : Cazengler, Glorien du tout

    Gloria Scott. What Am I Gonna Do. Casablanca 1974

    Gloria Scott. So Wonderful. Acid Jazz 2022

    Gloria Scott : Hello Goodbye. Mojo # 347 - October 2022

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    Garth Cartwright : Under the radar. This month : Gloria Scott. Record Collector # 539 - Christmas 2022

     

                                    

                                           Inside the goldmine

    - Byrd doggin’

             Il venait chaque matin avant l’ouverture pour faire le ménage dans l’atelier et dans les bureaux du premier étage. Bobo appartenait à la grande vague d’immigration portugaise des années cinquante. Il avait trouvé un bon job dans une grosse administration, mais pour arrondir ses fins de mois, il prenait des petits boulots complémentaires, comme celui-ci : homme de ménage. Existe-t-il un job plus fastidieux que celui-ci ? Passer chaque matin l’aspirateur au même endroit, faire les poussières des mêmes bureaux et entretenir les mêmes sanitaires, chaque matin, de six à huit. On le croisait en arrivant le matin pour l’ouverture. Il coiffait son casque et démarrait un gros scooter pour partir à son autre boulot. Il venait en plus le samedi matin jusqu’à midi pour faire ce qu’il n’avait pas eu le temps de faire dans la semaine, les carreaux par exemple. C’est là qu’on pouvait papoter un moment autour d’un café. Le samedi matin, nous n’étions que tous les deux. Il apportait un paquet de biscuits et se livrait à un petit rituel consistant à tremper un biscuit dans son café pour le sucer goulûment. Alors Bobo, on trempe son biscuit ? Il n’y avait aucun mal à le taquiner, d’autant plus qu’il ignorait le sens de l’expression. Bobo était un homme très gentil. Ses cheveux commençaient à grisonner. Il avait le visage d’un bel homme et parlait avec un très fort accent portugais. Il acceptait aussi tous les petits boulots d’entretien courant, comme la remise en état d’un portail en fer forgé ou des travaux de maçonnerie. Au fil du temps, une sorte de complicité affective colora cette relation patron/employé, et il n’était plus question de manquer, pour quelque raison que ce fût, le café du samedi matin. Jusqu’à ce samedi de juin fatidique. À 8 heures, Bobo n’était pas arrivé. Fallait-il mettre ça sur le compte d’une panne d’oreiller ? Ça ne lui ressemblait pas. Il arriva vers 10 h, au moment où recoulait le café. Il tenait à la main un paquet de biscuits, mais la peau de son visage était grise.

             — Voulez-vous un café ?

             Il hocha la tête et prit place sur le tabouret de bar en vis-à-vis, comme à son habitude. Il trempa son biscuit puis se mit à parler d’une voix sourde :

             — Yé vené d’achété oune belle moto à mon fils. Cette nouit, les poulice y sont venous à la méson poul nous dile à mon épouse et à moi que notle fils s’était toué avé la moto.

             Et il se mit à chialer toutes les larmes de son corps.

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             Comme Bobo, Bobby Byrd a vécu des sales moments. Peut-être pas aussi tragiques, c’est vrai, mais sales tout de même. Il vient d’un temps où ça grenouillait sec dans le showbiz et il n’a peut-être pas su saisir sa chance, en tous les cas, un certain James Brown l’a saisie à sa place.

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             Dans le booklet d’Help For My Brother (The Pre-Funk Singles 1963-68), Dean Rudland nous rappelle que sans Bobby Byrd, il n’y aurait pas eu de James Brown, et que sans James Brown, il n’y aurait pas eu de Bobby Byrd. Dans les années 50, le groupe de Bobby s’appelait déjà The Famous Flames et James Brown en était le chanteur. Puis quand ils enregistrèrent «Please Please Please» pour King/Federal, James Brown devint une star, et les Famous Flames le quittèrent pour devenir Byrd’s Drop Of Joy. James Brown conserva le nom des Famous Flames et Bobby finit par venir le rejoindre. Il fut le bras droit de James Brown pendant toutes les années 50 jusqu’au début des années 70. Bobby fut l’un des premiers artistes de la James Brown Revue à être autorisé à enregistrer des propres disks. Bobby finira par quitter les Famous Flames en 1973, pour se marier avec Vicki Anderson. Carleen Anderson, fille de Vicki, eut donc pour beau-papa Bobby et pour parrain, the Godfather himself, Jaaaaaaames Brown !   

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             Paru en 1970, l’I Need Help (Live On Stage) de Bobby Byrd est un gros album de funk. Bobby donne le ton dès le morceau titre. Hard funk ! Fantastique pulsion à la James Brown, ça gratte à la clairette de funk, au pur Black Power. Hard funk toujours en B avec «You Got To Have A Job (If You Don’t Work You Can’t Eat)», fabuleuse clameur de magick funk gratté à la Tighten Up, on salue la bravado du bassmatic, apanage définitif du funk des alpages. Encore un cut signé James Brown : «Hang Ups We Don’t Need (The Hungry We Need To Feed)», ça s’entend, tension énorme, chef-d’œuvre de Black Power. Il fait aussi de la heavy Soul de bonne augure avec «I Found Out» et revient au doo-wop avec des basses saturées et «You’ve Got To Change Your Mind».  

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             Le Finally Getting Paid de Bobby Byrd & The JB All Stars est un album collectif. Bobby attaque au hard funk de «I Need Help», puis Lyn Collins tape dans le mille avec «Think». Arrive à la suite Marva Whitney avec «It’s My Thing», elle est la plus wild des trois, elle arrache son It’s my thing du sol, elle est la plus rougeoyante, la plus rentre-dedans, la plus extrême. Bobby est un gentil mec, il file ensuite le micro à sa belle-fille Carleen Anderson qui tape un «Free» d’une grande finesse, elle fait des vocalises extravagantes, au filet de chat perché et là-haut, elle place encore un set me free vertigineux. Fascinante Soul Sister ! En B, Vicki Anderson impose le «Respect» et Fred Wesley nous embarque dans l’«House Party», un cool groove de funk, c’est du haut niveau de très haut vol, le funk de James Brown travaillé aux cuivres. On entend encore Fred Wesley, Maceo Parker dans l’«In The Middle» des JB’s, avec Pee Wee Ellis on tenor sax. Bobby Byrd finit cet album exceptionnel en apothéose de hard funk avec «I Know You Got Soul», il enrage, il swingue son hard funk et derrière, ces démons de JB’s font encore grimper les enchères.

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             Et pouf, ça repart de plus belle au hard funk avec On The Move (I Can’t Get Enough), paru en 1993, et «Try It Again». C’est forcément en place avec Bobby, là tu as le real deal de Bobby Byrd, tu vas d’avant en arrière, try it again, get on up ! Il connaît bien les ficelles du get on up. Et ça continue avec «I’m On The Move», pur jus de JB’s funk, Bobby fait son funk de hard-funkster, il devient the master of reality, il se noie dans l’excellence, keep on turning left, get on the move ! Il danse son funk à l’excès, wait a minute, il est dessus. Il passe à la Soul avec «The Way To Get Down», il tapa ça à la big voice, il perfore la Soul par le centre, sa voix fonce comme une torpille. Bobby appelle à lui toutes les métaphores. Il sait aussi se cabrer comme un étalon sauvage et hennir dans la plaine du funk en feu. Il peut aussi sonner comme un vieil esclave qui rompt ses chaînes, même s’il a les reins brisés par les coups du maître blanc, il ne lâche rien de sa dignité. Et voilà qu’il nous flanque un instro, «Never Get Enough». Ces gens ont le geste lourd et l’élégance chevillée au corps. Ça prend une allure demented avec un shoot de sax digne de Jr Walker. Bien sûr, Bobby revient au chant avec «I Got It». Il chante tout à l’énergie de la dernière heure, il rame à la dure, Bobby est un battant, on sent au grain âpre de sa voix qu’il en a bavé. Il reprend sa voix de cadavre d’esclave pour chanter «Sunshine», accompagné par le Tower of Power Horn Section, c’est plein d’énergie post-mortem, il chante à l’extrême difficulté des asticots. On voit bien qu’il pourrit en enfer, il est atrocement recouvert d’asticots, can’t help myself, il rôde dans les catacombes, il pue la mort, il continue d’avancer et derrière une fille pousse des cris, you’re so good ! Mais attention, Bobby revient, il repose sa couronne de roi du funk sur son auguste crâne cabossé pour attaquer «Back From The Dead»

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             Ce serait bête de rater l’occasion d’écouter cette belle compile du jeune Bobby, Help For My Brother (The Pre-Funk Singles 1963-68). Bête de rater un coup de génie de black wild rockalama comme «Write Me A Letter» ou encore ce fabuleux shoot de hard funk, «Funky Soul #1 Pt 1», suivi bien sûr du Pt 2, pur jus de raw r’n’b, ah quelle débinade, il y va le Bobby, down in New Orleans where the funky Soul was really born ! Il faut aussi l’entendre taper «I Found Out» au early cha cha cha de Dada funk et derrière lui, ça pouette sec. Il fait du heavy pré-funk de downtown underground. Il passe au weird avec «I’m Just Nobody Pts 1&2» et un son étrange, il a un accordéon dans les pattes et ça donne une incroyable dégelée de wild slowah. On n’a jamais entendu ça ailleurs. Le son est quasi incongru. Ah il faut aussi entendre ce chef-d’œuvre qu’est «I’ve Got A Girl», slow groove frétillant de guitares. Avec «We Are In Love», il passe au heavy groove de jazz boy, yeah yeah yeah. On ne se lasse pas de Bobby. Il te danse «Time Will Make A Change» à distance, so baby c’mon, c’est gagné d’avance, belle Soul de mambo de classe supérieure. Encore une merveilleuse opération avec «You’re Gonna Need My Lovin’», Bobby y va de bon cœur, you’re gonna need my lovin’, someday. Il fait aussi du simili-Motown avec «Lost In The Mood Of Changes» et avec «Ain’t No Use», il groove dans l’excellence au balancement d’hip d’ain’t no use.

    Signé : Cazengler, Bobby beuh

    Bobby Byrd. I Need Help (Live On Stage). King Records 1970   

    Bobby Byrd & The JB All Stars. Finally Getting Paid. Rhythm Attack Productions 1988

    Bobby Byrd. On The Move (I Can’t Get Enough). Soulcity Records 1993

    Bobby Byrd. Help For My Brother (The Pre-Funk Singles 1963-68). BGP Records 2017

     

     

    *

    Je suppose que vous ne savez pas où se trouve Yelabuga, heureusement que vous lisez ce blogue pour améliorer votre culture générale ! C’est pourtant simple, la ville moyenne de Yelabuga est située à neuf cent kilomètres à l’est de Moscou, c’est dans son cimetière que fut enterrée la poëtesse Marina Tsevetaïeva, une vie somme toute rock’n’roll... c’est là où aussi l’on trouve Conifer Beard.

             Regardez la photo, ils sont tous les trois barbus, pas comme des sapeurs, quant à Yelabuga nul n’ignore que l’agglomération a été bâtie dans une région peuplée de conifères. Dans cette cité russe support your local group s’avère être aussi une action écologique !

    CRUISER

    CONIFER BEARD

    ( Piste Numérique / Bancamp / Novembrel 2023)

             En ce mois des morts, ils viennent de sortir leur nouveau simple. En voyant la couve j’ai cru que c’était un groupe américain de surf guitar, non c’est du stoner russe.

    Artem Kornilov : guitar / Arsenil Kornilov : bass / Robert Nurunov : drums. Se partagent tous les trois le vocal.

     

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    Cruiser : ce n’est pas le sous-marin jaune des Beatles, celui-ci est d’une couleur plus inquiétante, rouge sang, cela n’augure rien de bon, au début se faufile, non ce n’est pas la truite de Schubert dans les joyeuses eaux d’un torrent, une ombre noire qui avance sans bruit tout au fond, relativement vite, mais pas trop, léger arrêt, le temps de repérer la proie, la vitesse augmente, pression battériale, les guitares torpilles n’attendent que d’être libérées, exaltation chorique de l’équipage, maintenant tout le monde retient son souffle, le morceau s’allonge démesurément, cymbales frissonnantes, le loup des mers s’apprête à mordre, en plein dans l’action, le moment fatal se rapproche, tous ensemble ils hululent entre leurs dents, l’on ne sait si la cible sera atteinte, si le croiseur sera coulé, l’on n’entend plus que le moteur des torpilles qui se dirigent vers leur cible.

             Les paroles sont mystérieuses, sont-elles métaphoriques ou font-elles allusion au conflit entre l’Ukraine et la Russie, aux combats qui se déroulent pour la maîtrise de la mer Noire…

             Essayons d’en savoir davantage en écoutant leur opus précédent.

    ACTION HERO

    ( Piste Numérique / Bancamp / Avril 2022)

    La couve est un dessin de Robert Nurinov, c’est un peu leur manière autarcique de faire, enregistrent chez eux dans leur propre studio, réalisent leurs propres vidéos, semblent compter sur leurs propres forces. Nos fans, nos amis, nos parents. Sont comme un poing fermé. Est-ce pour se protéger à l’intérieur d’une carapace ou pour donner des coups… Un tracé en dessin naïf et ligne claire. En bas le groupe, affublé de cornes chamaniques, en haut la Russie, symbolisés par les rochers et les sapins, au-dessus dans l’échancrure montagneuse un personnage symbolique, Gandalf, est-ce pour faire une allusion à l’idée de la Communauté de l’Anneau, n’oublions pas l’ambiguïté du personnage, sage vieillard d’apparence inoffensive, intraitable combattante contre Sauron… Ce dernier aspect n’est-il pas évoqué et privilégié dans le titre de l’album….

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    My revolution : à fond les ballons, l’instrumentation comme un mur de fer qui s’allonge sans fin, révolution, on a droit à des slogans chantés en chœur pour appuyer le vocal, la moindre des choses quand on appelle à la révolution ! Elle est nécessaire mais elle est mal partie, rouspètent contre le fait qu’ils ne sont pas maîtres de leur vie. Au niveau des paroles le constat est amer mais question musique ils déglinguent, z’ont le son qui tue, ramassé comme le cobra qui s’apprête à frapper. Before you die : martelage de Nuronov, les guitares ne s’en laissent pas compter, elles grognent comme un sanglier prêt à charger sur votre voiture, la voix ricoche comme une rafale de kalachnikov, c’est eux qui tiennent le fusil et ils sont heureux. Nous aussi, z’ont le stoner jubilatoire, sur qui vont-ils tirer on ne sait pas trop, ils font durer le plaisir. Godzilla : un détail à ne pas oublier, c’est ainsi qu’ils avaient baptiser leur groupe à leurs débuts, ils ont dû changer, question de droit ou de prééminence je l’ignore, à l’origine Godzilla était un monstre peu sympathique que les japonais avaient inventé pour stigmatiser la bombe atomique, eux l’on sent qu’ils aiment bien la grosse bébête, se prennent pour elle et j’ai le regret de vous avertir qu’elle vient de commencer à saccager le monde dans lequel vous habitez, grosse voix de méchant loup, la musique est à l’image des mouvements du gros lézard dont la queue balaie comme fétus de pailles les immeubles, à la fin ils imitent les chœurs des matelots de la scène 1 de l’acte I du Vaisseau Fantôme de Wagner. Sacrée tempête sur la dunette.

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    Sleep : le rythme se traîne, interminable tic-tac de l’horloge, ne sont pas pressés, lâchent un peu les gaz de la moto, mais la moto n’avance pas vite pour autant, ce morceau peut être avec une précision démoniaque qualifié de rock garage, une vidéo sur You Tube, les montre portant à pas lents leur matos dans un… garage, quand le rythme s’accélère vous les voyez jouer, à la fin ils remballent le matos et filent un coup de balai, plaisant vous avez envie de rigoler, erreur ils ne plaisantent pas, ils ont leur arme à portée de la main et ils s’en sont servis. Dissonance glaçante entre les paroles et les images. Snatch : commencent toujours par un tire-bouchon battérial, maintenant c’est une espèce de blues enlevé, le texte est un peu surréaliste, mais si l’on écoute entre les lignes, c’est l’expression d’une grande menace. L’est récité à la manière de Jim Morrison, d’ailleurs dans le groupe il y en a un qui physiquement ressemble au King Lizard. On voit bien que ces gars peuvent faire n’importe quoi. Le morceau s’arrête brutalement. La peur d’en dire trop ? Disons que c’est un spectacle de fin d’année sur une scène. L’important ce n’est pas l’année, c’est la fin. We are your sorrow : justement, glougloutements de guitares sinistres et massacre à la batterie, susurrements vocaux qui se traînent comme une dague effilée que l’on tire doucement de son fourreau, respirez le rythme devient plus léger, presque guilleret, plus sombre et plus fort, moment emphatique où l’on porte l’estocade. Enfin ! Royal cheese : burger royal, c’est parti pour dix minutes la guitare clapote, la batterie surenchérit, le vocal déclame, encore une fois l’on pense aux théâtralités morrisoniennes, cette manière de traîner les syllabes tout en s’appuyant sur les plans de la batterie, un véritable scénario de cinéma, et l’on y tombe en plein dedans après un grand silence et quelques picorements de coqs étranglés, étrange où sommes-nous, dans quelle cérémonie sacrificielle, la musique devient noise, la guitare imite la poule qui vient de pondre un œuf et qui ne sait plus si l’œuf vient de sortir d’elle ou si c’est elle qui vient de sortir de l’œuf, dur et brouillé, la fin devient inquiétante, des pneus de voitures qui crissent…

             Etonnant. Apparemment des pans de la psyché russe nous échappent. Question musique, rien de foutrement nouveau, mais ils ont l’art d’agencer des éléments connus en leur donnant des aspects si inusités que ce groupe crée du nouveau. Il nous est difficile de déchiffrer ce qu’ils veulent dire avec exactitude, mais il y a tant de groupes qui ne disent pas grand-chose que nous serons obligés de revenir sur eux.

    Damie Chad.

     

    *

             J’avoue avoir flashé sur la pochette, elle n’est pas gaie, elle ressemble tellement à notre monde actuel ! Remarquez, elle n’a aucun mérite. Elle en fait partie. Pire elle le sécrète. Elle est dans la lignée des dix-neuf autres couves d’opus de Dozethrone, jusqu’à ses trois dernières Dozethrone récupérait des œuvres issues du domaine public, maintenant il utilise Nightcafe générateur d’images artificielles, bref un programme d’IA en chargement libre sur le Net.

             Oui c’est bien le vingtième album de Dozethrone. L’accumulation nombrique et peut-être nombrilique est un des piliers de l’esthétique de Dozethrone. Ils aiment la répétition. Ils aiment la répétition. Ils aiment la répétition. Ils ont un peu pataugé pour trouver la formule qui leur agréait, noir et blanc ou rouge, mais systématiquement trois titres d’une dizaine de minutes chacun, c’est ce qu’on appelle un projet, cette façon de faire se retrouve beaucoup chez les plasticiens. Certains jugeront cela un tantinet monomaniaque. Ils auront tort, ici le terme duomaniaque convient mieux. Sont deux : Izhar Ashburn : basse / Azmi Czar : guitare. Parfois ils ont quelqu’un avec eux, mais c’est rare.

             Ils sont de Singapour, attention ce n’est pas une bourgade perdue, pas plus grande que Lyon elle détient une puissance financière égale à celle d’un pays comme le Qatar. Un paradis de l’économie libérale avec ses inégalités sociales. Quels liens équivoques et subtils existent-ils entre le dragon économico-politique et le microckosme…

             Leur programme tient en peu de mots : Dozethrone produit des riffs répétitifs, ennuyeux et monotones. Ce n’est pas une blague : leurs riffs sont répétitifs, ennuyeux et monotones. Dozethrone s’en tient à son propre cahier de charges. Vous ne pouvez les accuser de publicité mensongère. Répétitifs, ennuyeux et monotones ils disent, répétitifs, ennuyeux et monotones ils font !

             C’est ici que se cache la paille dans le fût du canon. Est-il vraiment certain que l’auditeur jugera le résultat répétitif, ennuyeux et monotone ? Inutile de nous perdre dans des méandres de ratiocinations infinies. Dans cette problématique le pire ou le mieux ne s’équivalent-ils pas ? Tentons l’expérience !

    DOOMED BY THE LIVING

    DOZETHRONE

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    Doomed with the living : première réaction à froid, il y a bien un riff, en tire-bouchon puisqu’il revient sans cesse sur lui-même tout en s’échappant dans sa propre continuité, pas du tout ennuyeux, plutôt agréable même, j’ai parlé trop vite, trop vite, trop vite, ce beat de boîte à rythme devient inopportun, heureusement que la guitare se distorse et l’écrase un peu, mais ça devient comme le serpent qui emprisonne l’aigle dans ses incessants enlacements, lutte à égalité, devient même insistant, ne triomphe pas mais s’avère embêtant, un nouveau riff davantage entraînant, la mariée apeurée se met à courir, elle a peur du molosse qui a saisi la traîne gazeuse de sa robe, qui n’entend pas la lâcher et cavale à son rythme. Peut-être ma métaphore est-elle un peu trop légère si j’en crois le dessin de la couve et le titre du morceau (celui des suivants idem ) suis-je hors sujet, pas à la hauteur de la catastrophe annoncée pour maintenant et tout de suite. Je devrais pleurer et crier de désespoir, mais ce beat accompagnateur me pousse à m’intéresser à un détail anodin face à l’irrémédiable situation de notre monde, mais non, je ne peux pas, Dozethrone détourne mon attention, je suis celui qui regarde la main de celui qui tient le bâton de dynamite, tiens il vient de la fourrer dans ma poche, la flamme grignote la mèche, je n’en ai cure. J’ai eu raison le morceau s’arrête avant l’explosion, je me retrouve gros jean comme devant. Devant je ne sais quoi. The world has abandonned us : l’on a monté un étage sonique, l’est sûr que le titre est inquiétant, ce n’est plus nous qui saccageons la nature, c’est elle qui dérègle le climat pour que notre malfaisante espèce débarrasse le plancher, une explication à laquelle les écolos rigolos n’ont jamais songé, le riff plus fort s’arrête une microseconde, serait-ce le signe que même le concept de répétition ne survivra pas, d’ailleurs trente secondes plus tard survient un riff totalement différent de tous les précédents, même le beat omniprésent (on s’habitue à tout) ralentit la cadence, pas de panique la guitare en profite pour prendre le dessus, les cymbales lui font une scène de ménage, elles cassent des soupières pleines de soupes à la queue-leu-leu, retour de la microcoupure, si même la coupure devient répétitive nous entrons dans un incroyable micmac, l’incroyable est désormais quotidien, le principe de contradiction se transforme en principe de non-contradiction, Dozethrone nous fait perdre la boule, la folie nous guette, ce qui n’est pas du tout ennuyeux, tout s’accélère, l’on tourne sur nous-mêmes comme une toupie qui ne sait plus s’arrêter, l’on aime bien, on a la tête qui nous tourneboule, l’on en profite pour se regarder le derrière, une espèce de délirium tremens s’empare de nous, ah ! ah ! le monde nous quitte, et si c’était nous qui le quittions, l’idée n’a pas l’air de lui plaire, nous refait le coup de ses douces sonorités afin de nous amadouer, notre colère éclate, nous lui ferons rendre gorge, le riff devient aussi fort que notre ire, nous décrétons l’ère de l’ire, le beat écrase le son, on s’en moque, il nous fait les sensations théâtrales des trois coups lyriques de l’ouverture de l’apocalypse, l’on est déjà dans notre fusée interplanétaire en train de voguer vers une autre planète plus accueillante, de rage sans préavis ils arrêtent les frais. On ne s’est pas ennuyé une seule seconde. And justice for none : veulent nous faire sortir de nos gonds, mettent toute la gomme, sortent leur arme secrète, une espèce de riff binaire, auquel bientôt ils ajoutent un troisième étage, bien sûr qu’il n’y a pas de justice, si elle existait à l’heure qu’il est notre bloque devrait être encore plus célèbre que les Rolling Stones, maintenant z’ont le riff qui claironne, voudraient nous mettre en prison mais les anarchistes comme nous ignorent toutes les lois, au mieux nous les bafouons, au pire nous en fabriquons de nouvelles pour interdire les anciennes, car pourquoi y aurait-il une justice pour les lois s’il n’y a pas de justice, nous prennent pour qui ces Dozethrone, voulaient nous faire périr d’ennui, eh bien on se marre, on se gondole, on rigole, on ondule, rajoutent un denier riff genre poussée écrasante de bulldozer pour aplanir nos velléités de révolte, peine perdue, ils accélèrent, notre imagination court encore plus vite, ils trichent un peu, ils emmènent en douce toutes sortes de bricoles à leurs riff, nous on n’aime pas les brocolis, alors faute de mieux, ils arrêtent.

             Si vous décapsulez la folle du logis, Dozethrone ne réussira jamais à vous précipiter dans le spleen baudelairien. Vous en redemanderez.

    Damie Chad.

     

    *

             Un titre à la Bukowski, permettons-nous de le traduire ce calepin de beuveries par Journal d’un soulographe. Viennent de Grèce, d’Athènes. Si l’on s’en tient au titre de l’album, seraient-ils des adeptes de Dionysos ? Pour compléter nos connaissances botaniques ils précisent que les vigers, autrement dit les chardons, sont une plante que l’on trouve un peu partout en Grèce. Veulent-ils insinuer qu’ils font partie de ces mauvaises herbes hautement urticantes dont on n’arrive point à se débarrasser. Nous offrent un truc bizarroïde à base de doom, de grunge, de hard et de stoner.

    DRUNKEN DIARIES

    HIGH ON VIGERS

    ( Bandcamp / Novembre 2023 )

    La pochette peut surprendre, elle est d’Elias Kasselas un artiste qui travaille à partir du vide, comprendre qu’il essaie de faire correspondre le vide mental au vide du papier (que sa blancheur défend, ajouterait Mallarmé). Est-ce pour cela que son site sur Behance ne présente que très peu d’œuvres. Le dessin a été en quelque sorte formalisé par Daphne Keskinidou, graphiste et designer, visiter ses deux instagram s’impose, il semble que les plus belles créations de notre artiste soit celle de la mise en apparence de sa propre beauté. Il est des individus privilégiés qui semblent se suffire à eux-mêmes.

    Le groupe s’est formé en 2017. Ils ont sorti un premier album en février 2020. Plusieurs line up depuis le début. Actuelle formation : : Christos Fakiolas : chant / Giannis Samolis : guitares / Elias Koulouzis : Basse / Giotis Petrelis : drums, percussions / Manolis Papantoniou : guitare, piano, synthé.

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    Day 01 : Another day in paradise : une voix nue ouvre ce journal d’un alcoolique, une guitare se glisse par-dessous puis par-dessus, basse profonde en renfort, la voix du Christ, pardon de Kristos, énonce sa confession, pour le paradis ça commence mal, vient de se faire virer par sa copine, pas d’inquiétude il a un substitut, car non seulement il boit mais en plus il fume, il se drogue, ( on frémit, jeunes têtes blondes fermez vos chastes paupières ) pas de panique, lorsque vous êtes chassé du paradis, il en existe un autre artificiel, bien sûr il n’est pas éternel, l’autre non plus, en doses fractionnées ce n’est pas mal du tout. Un morceau d’heavy metal, bien charpenté qui n’oblitère en rien les lyrics, au contraire il les souligne et les met en valeur. Leur donne cet air de tranquillité si naturelle qu’elles acquièrent une troublante évidence. Day 02 : Let me know : speed guitar et vocal surcompressé, bonjour le rock’n’roll, si dans le premier nous avons eu Stairway to Heaven, pour ce deuxième nous avons Black Dog, notre héros persiste dans son erreur, il crie bien fort, il hurle, il crache ses poumons, il veut boire et fumer, tant pis si vous le condamnez, comment le pourrait-on avec cette guitare folle et cette batterie échevelée ! Dans la série je m’accroche à mon cauchemar préféré vous ne ferez pas mieux. Day 03 : pour ceux qui n’aiment pas la musique bruyante il résume en une courte phrase parlée sa philosophie : si vous n’êtes pas content, allez vous faire foutre. L’est très sympa il articule soigneusement toutes les syllabes pour que vous saisissiez bien son message. Day 04 : Letter to noone : guitare harmonieuse, voix en avant, basse profonde, pour ceux qui détestent ou abhorrent la musique violente, il vous le répète sous forme d’une ballade sensitive, la voix un peu angoissée et pathétique, il désire tellement que vous compreniez qu’il préfère être seul que mal accompagné, qu’il espère que dorénavant vous vous consacrerez à vos propres affaires sans venir l’importuner, sinon il va exploser. Je traduis pour les sensibilités compatissantes qui se sentent investies de la mission de sauver les âmes perdues : faites pas chier ! Day 05 : faudra vous y habituer, pratiquement un jour sur deux ne propose pas de musique, quelques mots c’est tout. Ce coup-ci c’est lui qui traduit mon interprétation, n’use pas de gros mots comme moi, l’est davantage poli : oubliez-le ! Day 06 :  je dois vous avouer que le motif qui m’a poussé à chroniquer cet album se trouve à l’avant-dernière ligne de leur bandcamp, une inhabituelle mention pour un groupe de doom : choir at Day in the park by Sharks Rugby Club :  si vous n’aimez pas les ambiances supporters de foot anglais sautez promptement ce morceau et ouvrez votre Télérama. Ce sera une erreur car ça emballe à tout berzingue, drôlement bien fait et bien foutu, vous avez tous les ingrédients nécessaires pour vous défouler, de la bière, des cris, de l’exaltation et par-dessus le marché le rock coule à flots. Day 07 : l’est fatigué, très fatigué, avec toute l’énergie qu’il a dépensée au stade on le serait à moins, mais il trouvera le remède à son mal-être !  Day 08 : Can’t stand : guitare en sourdine, le héros est fatigué, il fait le point sur lui-même, il traverse des moments de solitude plus durs que d’autres, l’est prêt à craquer, vous avez envie de l’aider mais la batterie percute allègrement, la solution est à portée de la main, alcool ou produit, le chemin est ouvert, il suffit de le suivre. Jusqu’au bout. Quel qu’en soit le prix. L’ivraie n’est-elle pas l’ivresse… Day 09 : encore un jour de merde, c’est de la folie. Je ne l’ai pas encore mentionné, si vous dressez l’oreille sous les paroles prononcées vous entendrez comme un bruit de cris lointains, l’inoubliable horreur du monde qui frappe à la porte cadenassée de votre esprit.  !Day 10 : Curse of the tree : background mélodramatique, Christos vous conte une triste histoire, l’appuie sur les mots comme s’il récitait un poème en alexandrins, ceux qui pensent que notre héros est victime et responsable de ses propres addictions se trompent, s’enfoncent le doigt dans l’œil jusqu’à la clavicule, le monde est aussi fautif, soyons précis, la race humaine a détruit la nature, la batterie cogne dur, des coups de battes distribuées à profusion, distribution gratuite et immodérée, ceux qui ont saccagé la planète doivent mourir et les survivants danseront sur leurs tombes. Comment voulez-vous être bien dans votre tête quand vous vivez dans un environnement dévasté ! Rage écologique ! Day 11 :l’a besoin d’un satané voyage hors de ce monde Day 12 : Star trip : l’on y va tout doux, à la Baudelaire l’on essaie tous les excitants comme dans Les fleurs du Mal, le vin, le haschich et puisque depuis l’on a inventé les pilules multicolores pourquoi s’en priver, une petite souris déglinguée et l’on part en voyage dans le cosmos, musique de toutes les couleurs, lente mais lourde, l’on se croirait au bon vieux temps des hippies sur une plage californienne, grande excitation, la voix explose, elle s’envole vers la luminescence du soleil, ne sont pas grecs rien pour rien, ils touchent au divin, l’on quitte la sphère de la commune addiction, on la troque pour une vision philosophique de la vie, la plus grande des sagesses n’est-elle pas celle des Dieux, le son vous englobe en lui-même, vous pénétrez dans le cinquième élément, zone éthérienne  interdite au commun des mortels. La descente s’effectue vers le haut. Day 13 : Escape : les grandes décisions, se retrouver face à soi-même, et prendre la décision de s’arracher d’ici et de maintenant, ça tourne dans sa tête, vous ne pouvez suivre, la musique de plus en plus forte, la voix qui s’étire vers l’infini, l’on ne comprend pas, veut-il briser le plafond de verre ou le plancher de cristal, veut-il revenir à lui-même ou s’envoler vers le soleil, phénix qui se brûlera les ailes, qui se consumera mais qui renaîtra de ses cendres en un cercle vicieux, la musique fore l’espace, il hurle, tout s’engouffre dans une spirale vertigineuse, elle disparaît au loin, pendant quelques instants l’on perçoit un écho lointain qui s’amenuise…

              Je ne sais pourquoi, en fait je le sais parfaitement, je pense au  Starchip du MC 5, la différence saute aux yeux ( et aux oreilles, pour soulever une évidence ), plus  d’un demi-siècle s’est écoulé, tout ce qui sépare la furie collective d’une époque révolutionnaire de poudre et de rêve du désespoir solipsiste de notre époque, de cet anéantissement personnel de chacun dans ses propres gouffres.

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             Une thématique que l’on retrouve dans de nombreux opus de groupes de metal ou stoner qui essaient de mettre en forme l’épopée de nos temps présents, High On Vigers y réussit hautement.

    Damie Chad.

     

                                                     *     

             Ça s’est affiché sur You Tube, je n’y ai pas prêté une grande attention, tiens un titre qui ne me dit rien mais il y en a tellement de lui… Je n’ai pas tardé à savoir, dès le lendemain matin au petit déjeuner à la radio, un inédit de Johnny Hallyday, z’en ont passé un court extrait en avant-première, très intelligemment ils ont parlé sur les quinze secondes de la future révélation, tu parles Charles c’était sur le net en fin d’après-midi la veille, je me suis précipité dès que j’ai eu un instant de libre afin de visionner :

    UN CRI

    JOHNNY HALLYDAY

    (Vidéo YT)

             Comme par hasard je suis tombé sur une vidéo mise en ligne par yangerdu26, c’est toujours ses posts que je privilégie quand je cherche un renseignement sur Johnny, derrière ce pseudonyme (faussement) mystérieux se cache Yannick Pezon, un amateur, au sens noble de ce terme, de Johnny. Un gars généreux et partageur, la preuve au moment où j’écris il en est à sa mille et treizième vidéos sur Johnny, attention une vidéo peut contenir plusieurs titres voire un concert en entier, une somme de documents de toutes natures inépuisable. Un travail de titan.

             D’où sort-il ? A quelle époque précise ce cri fut-il poussé ? Avant de répondre je ne pense pas qu’il s’agit comme il est annoncé du dernier des inédits de Johnny, j’en mettrais ma main au feu, tôt ou tard ressortiront des titres ‘’ retrouvés’’ selon de soi-disant hasards… Il s’agit d’une démo qui n’avait pas été retenue pour l’album de Mon pays c’est l’amour produit par Yodelice. Avant sa sortie il se murmurait que cet opus serait un album rockabilly / rock’n’roll. Ce ne fut pas le cas. L’idée devait trotter dans la tête de Johnny car en conférence de presse l’idole révéla que le prochain album serait rockabilly enregistré avec Brian Setzer. Il n’en fut rien.

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             Mon pays c’est l’amour fut le dernier disque, le cinquante et unième album studio enregistré par Johnny, il sortit quelques mois après sa disparition, en 2018. Comme le précédent il fut produit par Yodelice lequel s’est assez bien tiré de l’épreuve car terrassé par la maladie Johnny n’avait pu terminer les titres prévus. Un instrumental fut rajouté pour donner davantage de consistance au dernier effort inachevé de l’idole…

             Sur cet ultime album de Johnny se trouvait l’adaptation de  Let the goodtimes roll immortalisé par Fats Domino, sous le titre ‘’ français ’’ Made in Rock’n’Roll.

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             Or voici que vient de paraître ce 16 novembre 2023 un nouvel album de Johnny nommé Made in Rock ‘n’ Roll. Il s’agit de reprises, extraites de ses derniers opus, de Johnny, les orchestrations ont été refaites, mais cerise à l’eau-de-vie au parfum de crotale sur le gâteau a été glissé, incomparable argument en ces temps d’inflation galopante pour les fans fauchés, ce fameux et mystérieux inédit : Un Cri.

             Un inédit, quel qu’il soit c’est déjà beaucoup mieux que les deux albums classiques parus entre temps. Classique ne signifie pas ici collection des grands succès de notre chanteur, mais des morceaux de Johnny dépouillés de leur accompagnement originel auquel on a substitué une orchestration philharmonique. Johnny y gagne certainement une caution culturelle de bon aloi auprès du public des bobos qui ont depuis deux décennies systématiquement méprisé cette vedette populaire : ils peuvent désormais écouter du Johnny sans honte.

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             Retournons à notre Made in Rock ‘n’ Roll. Ne poussez pas un cri d’horreur en voyant la rusticité spartiate de la pochette. Ne dites pas que question packaging ils ne se sont pas fatigués, l’on pourrait vous entendre, et vous deviendrez la risée de tous les rockers de la planète. Citation hommagiale d’une couve du CD Early Recordings de Link Wray paru en 1978 chez Chiswick.

             Ne reste plus qu’à écouter. Pas mauvais du tout. Une belle intro, dès les premières notes Yodelice n’a pas trahi Johnny. Le texte reste dans la continuité du dernier Johnny, le gars qui a beaucoup vécu, beaucoup souffert mais qui reste debout envers et contre tout. Survivor à jamais. Mélodrame et orgueil. La démo était beaucoup plus roots, Yodelice l’a orchestré avec doigté, n’en rajoute pas, pas de pompeuse orchestration, un rythme de basse soutenu la voix de Johnny qui court comme un loup des steppes. Velours des pattes et encoche des griffes. Si vous écoutez bien, vous entendez quasiment en sourdine le hurlement du loup solitaire qui hurle à la lune dans les solitudes glaciales. Trois minutes mais il paraît beaucoup plus court. Aux premières écoutes l’on déplore l’absence d’un deuxième couplet.

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             Une vidéo se regarde aussi. Yannick Pezon a choisi la sobriété. Un fond noir, je ne sais comment il s’est débrouillé pour produire un noir si sombre, qui dévore l’écran, Johnny seul, futal de cuir noir, chemise rouge, un rouge éclaboussang, les images se suivent lentement et se ressemblent, pages d’un calepin que l’on tourne sans se presser car le regard s’attarde, visage du dernier Johnny, marqué par la fatigue, sur les ultimes quarante secondes, Johnny tout de noir vêtu en concert, un peu croque-mort mais qui sur la dernière photo sourit, car Johnny a croqué la vie jusqu’au bout.

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             L’existe aussi le clip officiel produit par Johnny Hallyday Officiel. Très décevant. L’impression que l’on confond la métaphore avec la réalité qu’elle décrit sans la nommer. Pour dire ‘’marteau’’, nul besoin de filer un coup de marteau sur la tête de votre interlocuteur. Evidemment vous avez un loup le museau levé vers la lune, entre des vues sur la guitare vous le voyez courir, très belles images, l’on se croirait dans un livre de Jack London, c’est après que ça se gâte, nous voici dans un magasin, tons crus et réalistes, serait-ce une pub inopportune pour une grande surface qui se serait glissée dans la vidéo, pas du tout les clients à l’air bizarre se révèlent être des danseurs, des hip-hopeurs qui rejoignent leurs copains dans une voiture, nous voici aux States avec les panneaux lumineux qui font la réclame pour la sortie de l’album Made in Rock ‘n’ Roll, tiens les Stones ont eu la même idée pour illustrer le clip de leur dernier morceau, encore plus dommageable les vues sur le loup qui ressemble à un chien perdu qui essaie de suivre la trace de ses maîtres, longue séquence de danse cette fois-ci le hip-hop se teinte de tecktonik, le loup ressemble de plus en plus à un chien-loup… quelques vues de Yodelice avec guitare, dernière image, le loup, Yodelice et sa guitare s’éloigne dans l’illuminescence orangée d’un soleil couchant. Outre le fait que les danseurs rappellent le clip de De l’amour ( 2015), ce que l’on reprochera à ce clip c’est sa fausse poésie.

             Un cri. Instrumental par yanjerdu26 : le lecteur comparera les deux versions. Yanjerdu26 pour sa version instrumentale s’est contenté de reprendre des images du clip officiel. Suit le déroulé du film, un véritable résumé. Au résultat c’est beaucoup plus fort. Le propos est nettement moins appuyé. Ne vous résume pas au stabilo rouge ce que ça veut dire. A vous de faire les liens. Moins on en dit plus on aiguise le mystère.

             Un cri. Karaoké par yanjerdu26 : Yannick Pezon propose aussi pour les amateurs de karaoké, une seule image, Johnny en blouson de cuit noir, main droite gantée de noir (bonjour Gene Vincent), instrumental uniquement, les paroles s’affichent quand vous devez chanter.

             Il existe d’autres vidéos reprenant avec d’autres illustrations ce même morceau. Je vous laisse les découvrir.

    Damie Chad.

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 621 : KR'TNT 621 : MICK FARREN / ALGY WARD / HOWLIN' JAWS / GUS DUDGEON / DWIGHT TWILLEY / SHANNA WATERSTOWN / CORAL FUZZ / THE CASTELLOWS / ALEISTER CROWLEY

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 621

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    23 / 11 / 2023

     

    MICK FARREN / ALGY WARD

    HOWLIN’ JAWS / GUS DUDGEON

    DWIGHT TWILLEY / SHANNA WATERSTOWN

      CORAL FUZZ / THE CASTELLOWS

      ALEISTER CROWLEY

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 621

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Farren d’Angleterre

    (Part Two)

     

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             Difficile de trouver Star plus True que Mick Farren. L’admiration qu’on éprouve pour lui se mesure à l’échelle d’une vie. Voici les grandes étapes : 1970, séjour à Londres pendant les vacances de Pâques et ramassage pour une bouchée de pain - budget lycéen oblige - des trois albums des Deviants - Disposable, Ptooff enveloppé dans son poster, et celui qu’on appelle la bonne sœur - dans un secondhand record shop de Goldborne Road, au bout de Portobello. 1977, flash sur ‘The Titanic Sails At Dawn’, texte fondateur de Mick Farren paru dans le NME. 1977, killer flash sur «Screwed Up», le meilleur single punk de London town. 2001, flash sur Give The Anarchist A Cigarette, l’une des plus fastueuses autobios de l’histoire des rocking autobios. 2004, flash sur Gene Vincent: There’s One In Every Town, véritable chef-d’œuvre de littérature rock qu’on s’empressera de traduire en français en 2012 (Merci Dom). Ce fut bien sûr l’occasion d’entrer un contact avec Mick Farren et de lui demander un «épilogue explosif» sur «Bird Doggin’», mais il n’était déjà plus en condition et ne disposait pas du «Challenge material», pour reprendre son expression - Quand un mec comme lui t’écrit, tu as l’impression que Dieu t’écrit, il y a du son dans ses mots - Et lorsqu’il a cassé sa pipe en bois en 2013, un bel hommage lui fut rendu ici-même, sur KRTNT. L’autre grand prêtre du culte de Gene Vincent, Damie Chad, avait lui aussi préalablement salué la parution de Gene Vincent: There’s One In Every Town. Ce qui est important avec ce blog, c’est qu’on reste en permanence dans les choses sérieuses. Encore une fois, le rock est un art trop sacré pour être confié à des betteraviers.

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             Bon on ne va pas revenir sur Give The Anarchist A Cigarette, ni sur Gene Vincent: There’s One In Every Town, il faut simplement rappeler que ces deux books se doivent de trôner sur l’étagère d’une bibliothèque rock digne de ce nom. On va se pencher cette fois sur un recueil d’articles rassemblés par Mick Farren et paru l’année de son cassage de pipe en bois, en 2013, Elvis Died For Somebody’s Sins But Not Mine: A Lifetime’s Collected Writing. Couve avenante, avec Elvis et une belle poule, pagination aussi dodue qu’une retraitée réactionnaire qui se gave de foie gras, et, petite cerise sur le gâtö, mise en page originale, puisque les textes sont justifiés au tiers de page et agrémentés de colonnes annexes dans lesquelles Mick Farren fait coulisser des commentaires. Comme les textes sont anciens et parus dans divers supports de presse, l’idée était d’en éclairer le contexte pour les rendre plus comestibles. Car s’il est une chose qui vieillit très mal, avec le corps humain, c’est l’article de presse.

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             Bien sûr, on se régale, mais en même temps, on sort déçu de ce fat book. Mick Farren est un spécialiste de la science-fiction et il faut être fan de ce sous-genre littéraire pour entrer dans ses délires. Si tu n’es pas fan, tu n’entres pas, c’est aussi simple que ça, même si la langue est joliment rock. Si l’imaginaire sci-fi ne correspond pas au tien, t’es baisé. Va savoir pourquoi tu accordes du crédit à Céline et à Stendhal, et zéro crédit à Philip K. Dick. Il s’agit simplement d’une question d’affinités électives, ou plus bêtement de structure mentale. Si un book te tombe des mains, tu n’insistes pas. La lecture doit rester source de plaisir. Dans son recueil, Mick Farren consacre un chapitre entier à la sci-fi : «Two Thousand Light Years From Home». Malgré le titre qui fleure bon la Stonesy, c’est de la pure sci-fi. L’autre gros problème avec ses anciens articles de presse, c’est le regard politique qu’il porte sur son époque. Certains écrivains commettent l’erreur de dater leurs propos en ciblant des personnages politiques, et ça vieillit très mal. Aujourd’hui, personne n’a plus rien à foutre ni de Nixon, ni de Reagan, ni de la CIA. L’actualité politique naît et meurt aussi sec. Tu ne peux pas faire de littérature avec tous ces guignols politiques. Encore moins avec Tony Blair. Le traitement de l’actualité politique participe d’une dérive journalistique. Les journalistes écrivent dans des quotidiens, ce qui veut bien dire ce que ça veut dire. Le quotidien ne mène nulle part. On le jette. Autrefois, on se torchait le cul avec. Par contre, tu peux faire de la littérature avec Elvis, Gene Vincent, John Lennon et Dylan. Et c’est là où Mick Farren retombe sur ses pattes. Et c’est aussi pour ça qu’on lisait et qu’on relisait les textes qu’il publiait jadis dans le NME.

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             Dans une courte intro, Charles Shaar Murray salue son ancien collègue de travail, «as his Own Cosy Leather-Jacket Gin Joint, 24-Hour Global House Party And Medecine Show, offering sharp conversation, bad ideas, cheap stimulation, dirty concepts and links to revolution...» C’est un résumé de 4 lignes qui dit tout. Le Shaar conclut ainsi : «The greasy ‘oodlums are at your door.» C’est le book qui entre chez toi, avec son odeur, le son de sa voix et son univers. Un deuxième préfaceur nommé Felix Denis décrit Mick Farren en six mots : «talent, style, idiot savant, outlaw, friend.» C’est l’outlaw qui frappe le plus. On sent comme une sorte de parenté intrinsèque. Felix illustre plus loin l’extraordinaire polyvalence de Mick Farren : «doorman, editor, journalist, rock star, rabble rouser, critic and commentator, charlatan, jester, c’est-à-dire bouffon, impresario, gunslinging cross-dresser, icon, author, songwriter, poet and - perhaps strangest of all - the Godfather of Punk.» Bien vu Felix ! Pas de punk-rock en Angleterre dans les Social Deviants.        

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             On retrouve bien sûr au cœur de ce recueil le fameux ‘Titanic Sails At Dawn’. Dans son commentaire annexe, Mick Farren rappelle que des tas de gens ont considéré son Titanic comme le texte fondateur du mouvement punk - I disagree - Pour lui, le mouvement était encore trop underground et ne touchait pas grand monde. Il utilise le Titanic comme une métaphore du rock d’alors, «the big time, rock-pop, tax exile, jet-set showbusiness». Il considère que le rock mainstream est dégénéré - For Zsa Zsa Gabor read Mick Jagger, for Lew Grade read Harvey Goldsmith. Only the names have been changed, blah blah - Il parle de turgid mainstream, c’est-à-dire un mainstream en décomposition. Il s’en prend au rock jet-set, il est même en colère quand il voit «les kids qui ont fait son energy and roots faire la queue sous la pluie». Mais les Stones, les Who et Bowie sont bien au chaud - It’s okay if some stars want to make the switch from punk to Liberace as long as they don’t take rock’n’roll with them - Mick Farren considère que le rock doit rester un partage, au sens marxiste du terme. Le rock comme les richesses, sont faits pour être partagés. Le rock appartient à tous ceux qui l’ont fait, et aux kids en premier lieu. Il développe : «Si le rock devient safe, c’est foutu. Cette musique vitale et vibrante est depuis son apparition une explosion de couleurs et d’excitation, une lutte contre la platitude et la frustration sociales.» Pour que tu comprennes mieux, il développe encore : «Si on retire cette vigueur et ce côté calleux du rock, il ne reste plus que la muzak. Même si elle est artistement interprétée et élaborée avec raffinement, elle n’a plus d’âme et ça devient de la muzak.» Mick Farren prêche pour sa paroisse, le proto-punk, mais aussi pour Syd Barrett, Dylan, Elvis et Gene Vincent. Il conclut son Titanic ainsi : «Remettre les Beatles ensemble ne sauvera pas le rock’n’roll. Par contre, quatre kids jouant pour leurs contemporains dans un dirty cellar club pourraient le sauver. And that, gentle reader, is where you come in.» En juin 1977, Mick Farren prêchait la révolution du rock. Il est donc logique que les lecteurs y aient vu un texte fondateur du mouvement punk. Les Sex Pistols allaient faire exactement ce que prônait Mick Farren : sauver le rock. Mais le Titanic du mainstream n’allait pas couler. Les Stones et les Who sont encore là, et ce ne sont pas les pires. Tous les autres atroces vieux crabes sont encore là. La prédiction a donc fait chou blanc. C’est pourquoi Mick Farren a voulu que figure sur la couve de son book cette déclaration de John Lydon : «You cannot believe a word Mick Farren tells you.»  

             À travers tout ça, Mick Farren te demandait simplement de choisir ton camp. C’est sa vraie dimension politique. Et c’est ce qu’il fallait comprendre à l’époque. Alors tu as choisi ton camp. Avec Nick Kent et Yves Adrien, Mick Farren est devenu une sorte de maître à penser, l’équivalent rock de ce que furent pour la génération précédente Sartre et Raymond Aron. Bien sûr, tu devais faire l’effort de lire l’Anglais, et ça venait naturellement, semaine après semaine, à la lecture du NME et du Melody Maker. Puis de Sounds.  

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             Il consacre un chapitre entier à Elvis, qui, comme l’indique le titre du recueil, est mort pour racheter nos péchés, «mais pas les miens», s’empresse d’ajouter l’outlaw Mick Farren - Elvis, de toute évidence l’homme le plus célèbre du monde, apparut so fucked-up par la célébrité qu’il entreprit de se suicider à petit feu en overdosant à coups de Percodan, de graisses animales, et de sucre. Quand il est mort en 1977, et avec tout ce que sa mort a révélé, il apparut que la célébrité n’était pas une forme d’immortalité. Elle prouvait au contraire qu’elle pouvait être a stone killer - C’est le style de Mick Farren : abrasif, il racle la langue, il leste ses mots de plomb, comme le ferait un scaphandrier pour mieux descendre en eaux troubles, pour faire éclater la vérité. C’est sombre, lourd de conséquences. Il rend un hommage faramineux à cette incroyable superstar que fut Elvis : «Elvis Presley était beaucoup plus qu’un entertainer. Il était différent de Frank Sinatra ou Bing Crosby. Il avait repris l’étendard teen lâché par James Dean. Non seulement il l’a repris, mais il a couru avec. Rien qu’en se donnant un coup de peigne, en arborant son rictus et en secouant les genoux, il déclencha la rébellion.» Tout le monde voulait être Elvis. Et le temps a passé, simplement Mick Farren et tous les fans de la première heure sont restés fidèles : «N’importe qui d’autre saurait été oublié, mais pas Elvis. He was just too big for that. En écoutant les vieux disques au milieu de la nuit, je sentais que le magnétisme restait intact, ainsi que the first careless rush. C’était un havre de paix dans un monde de ‘Visions of Johanna’ et d’Have Seen Your Mother Baby’.» Il monte encore d’un cran avec cette formule en forme d’hommage suprême : «Sans Elvis, le monde aurait été sûrement différent, Jagger serait devenu agent immobilier, Dylan un rabbin, Lennon un maçon et Johnny Rotten un juge.» Il a aussi une façon purement farrenienne, c’est-à-dire brutale, de démystifier : «La légende nous dit que le truck driving boy s’est arrêté chez Sun Records pour enregistrer un cadeau d’annive pour sa maman. Sam Phillips le rappela un plus tard et Elvis se révéla être un mauvais crooner. C’est pendant le coffee break que le rock’n’roll fut découvert accidentellement.» Et il grossit le trait : «La légende veut qu’Elvis soit un mec simple qui avait les manières de James Dean, mais il avait aussi sans qu’il s’en doute le pouvoir de réveiller the teenage America qui la porta aux nues dans une mouvement d’hystérie collective.» Attentif au moindre détail, Mick Farren revient sur le style vestimentaire, affirmant qu’Elvis was probably a little weird, son goût pour les costards roses et les chemises noires - the entire hoodlum drag - l’a rendu célèbre. «Ce dont personne ne parle, c’est de la source de son style vestimentaire. En fait, il s’est inspiré des maquereaux black des années 50 qu’il voyait dans les quartiers noirs. Ils étaient les seuls à porter des costards roses comme celui dont se souvient Scotty Moore à la première répète.» Mais pas seulement les black pimps : il s’intéressait aussi au black R&B, avec comme cerises sur le gâtö James Dean et Marlon Brando - His mannerisms are straight from Dean and Brando - Et de là, on passe aux filles assises au premier rang, dans les concerts, qui basculent into screaming hysteria - They fought to get at the larger than life stud in the gaudy suits and longer sideburns than any hot rod punk - Oui, c’est cela qu’il faut retenir, Elvis, the definitive hot rod punk. Encore une fois, tout vient de là. Le rock anglais lui doit tout. Et nous aussi. Plus loin Mick Farren revient sur l’aspect «religieux» des choses. Il commence par affirmer que les religions sont basées sur très peu de choses - Est-ce que ça pourrait être le secret d’Elvis ? Est-ce ça explique le fait qu’il ait été plus qu’un entertainer, ou encore le fait qu’il ait réveillé dans la conscience collective quelque chose d’atavique et très ancien ? Ou sommes-nous simplement victimes de notre délirante imagination ? (out to the ludicrious edge of fantaisy) - The Elvis Universe is one tricky cosmic neighbourhood.

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             En 1975, Mick Farren rendait un bel hommage à Jimbo dans le NME : «La première fois que je l’ai vu, ce fut at the Roudhouse. C’était un Middle Earth all-night spectacular avec les Doors et le Jefferson Airplane - le projet le plus ambitieux mené par les flower punks and psychedelic wheeler-dealers qui géraient what was laughingly called London’s underground rock business.» Mick Farren jette toute son ironie grinçante dans la balance, puis il revient à Jimbo : «Sur scène, pendant les rares moments où Morrison avait le contrôle total, on perdait toute notion d’objectivité. Son théâtralisme, ses longues pauses insolentes, sa façon de se jeter sur le micro, et ses bonds spasmodiques cessaient d’être absurdes. Il emmenait son public au firmament et lui révélait des territoires inexplorés.» Chacun sait que si Jimbo n’avait cassé sa pipe en bois aussi tôt, il aurait été aussi célèbre qu’Elvis, John Lennon et Dylan. Il n’était pas Lizard King pour rien.

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             Par contre, Mick Farren garde un souvenir cuisant de Chucky Chuckah. Il le rencontre pour une interview et l’interviewé ne fait preuve d’aucune commisération pour l’intervieweur. Farren est choqué, car Chucky Chuckah ne se comporte pas en greatest black folk poet of the twentieth century - He doesn’t act that way - Quand l’intervieweur pose son magnéto sur la table, Chucky «tapote dessus de son très long doigt, affiche un sourire espiègle et secoue la tête : ‘Uh-uh. Use the pencil and paper.’» Mick Farren lui demande s’il n’aime pas les magnétos et Chucky secoue de nouveau la tête. Farren est contrarié. Mais ce n’est que le début de ses déconvenues. Chucky répond à côté ou ne répond pas aux questions. Chaque fois que Farren lui pose une question, Chucky répond par un mot de la question. Feel What ? Material ? Problems ? En fait, il ne veut pas entrer dans les détails. Quand Farren lui demande quel effet ça lui fait - what do you feel - d’apprendre que Jimi Hendrix reprenne «Johnny B. Goode», Chucky répond : «I don’t feel nothing». Farren conclut qu’interviewer Chucky est une perte de temps. Excédé, il tente une dernière fois de le faire sortir de ses gonds :

             — Vous avez fait de la taule...

             — No.

             — No ?

             — No.

             Mick Farren sort de l’interview dépité : «J’avais été face à face avec l’un des early giants of rock’n’roll et je m’étais conduit comme un flic qui interroge un petit délinquant.»

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             Dans un bel article paru dans le NME en 1977, il fait un petit retour sur le proto-punk : «Les Dolls tentèrent de s’imposer, échouèrent et essayèrent encore. Brian Eno avait rejoint les Warm Jets et en bavait pour devenir a permanent fixture in the night gallery. Même les Pink Fairies ont essayé de laisser leur marque, mais la seule marque qu’ils ont laissée était celle du sang de Russell Hunter sur le plafond des chambres d’hôtel. Lemmy s’est conformé, comme des millions d’autres anonymes. A band that went by the name of Third World War even preached the philosophy of machine guns in Knightsbridge a good four years before it was at all cool.» Tu as là la meilleure évocation du proto-punk.

             Et puis il y a le fameux ‘Don’t’ qui nous servit de pense-bête pendant un temps. Il s’agit d’une série de commandements, il y en a 3 pages pleines, on ne les a pas comptés, et ça commence bien :

             — Don’t trust anyone who is always on TV.

             Ça s’est vérifié. On ne peut pas faire confiance à ces gens-là. Ils sont pourris de l’intérieur, comme empoisonnés par l’insidieuse mormoille médiatique. Mick Farren dit aussi qu’il ne faut pas faire confiance aux gens qui écoutent Neil Diamond ou Billy Joel. 

             — Don’t trust anyone who thinks Paul McCartney is art.

             Et ça, qui est encore plus farrenien :

             — Don’t trust anyone who thinks Elvis Presley is irrelevant.

             — Don’t trust anyone who’s never heard of Arthur Lee.

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             Deux de ses grands sujets sont les Who et John Lennon. Il rappelle qu’au début, les Who «were badder than any bad-ass teen I ever witnessed.» Ils sont arrivé au bon moment «in both rock technology and the drug culture» - There was a shimmer of juvenile angst and metamphetamine on the band, particulièrement chez Townshend et Keith Moon - et Mick Farren sort l’une de ses bottes de Nevers, la désinvolture fatale du Godfather of Punk : «They were a part of the dark, angry, sometimes psychotic side of swinging London that the tourist brochures always neglected to mention.» Son hommage aux Who est sidérant : «Ce qui fait la force et la malédiction des Who, c’est qu’ils sont trop complexes pour rester seulement un bad-ass teen band avec le même volume sonore et la même violence. Ils ont absorbé toutes les influences à mesure qu’elles se présentaient. Pendant un instant, ils étaient psychédéliques, puis ils sont allés dans ce qui fut Townshend’s inflated idea of big art.» De Tommy, ils sont allés à Woodstock et de là, «on to the ballparks and stadia of the American heartland». À ses yeux, «c’est dans ce teenage wasteland qu’ils ont commencé à pourrir.» Il conclut ainsi cet article daté de 1982 : «Comme je l’ai dit au début, The Who are so damned lovable. Mais il y a une chose que je tiens à dire : s’ils se reforment dans les deux ans à venir, I shall be extremely upset.» Pauvre Mick, s’il savait ! Les Who n’en finissent plus de se reformer. I wanna die before I get old.

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             En 1980, Mick Farren rendait hommage à John Lennon de façon comme toujours impériale - Pour des millions d’entre-nous, les moments les plus importants de notre vie se sont déroulés sur fond sonore de «She Loves You», «Paperback Writer» ou «All You Need is Love». Tout ça sortait d’un poste de radio. John Lennon se trouve dans toutes nos histoires. On s’est tous approprié une partie de lui. Malheureusement, un particular maniac a cru bon de prendre plus que sa part - Il fait bien sûr référence à la balle dans la tête, au pied du Dakota. Et là il se lance dans un parallèle terrifiant : «Il y avait une certaine logique dans le fait qu’Elvis soit mort dans ses gogues avec l’estomac rempli de Quaaludes. Au pire, il était victime de sa faillite spirituelle. Mais il n’y a aucune logique in John Lennon being gunned down outside the Dakota. La faillite spirituelle est celle du fan vampirique qui n’avait d’autre solution que d’abattre l’homme dont la musique le hantait. Et c’était John Lennon. John the cynic, John the lout, John the iconoclast, John the genius, John the working class hero. John Lennon who gave us ‘I feel Fine’, ‘Good Dog Nigel’, ‘Cold Turkey’. Personne n’irait jamais trouver Paul McCartney avec un flingue.» Et Farren, fidèle à lui-même, en rajoute une couche démente : «L’ironie suprême est que parmi les so-called superstars of rock’n’roll, Lennon semblait avoir surmonté les pressions et les peurs qui ont eu la peau d’Hendrix, de Morrison, Joplin et Presley.» Il conclut cet hommage farrenien ainsi : «Christ, I loved the man, and I only met him once», et ajoute un peu plus loin : «The evil that killed Lennon has killed part of all our memories and all our fantasies. Thet self-serving little son-of-a-bitch has killed a part of all of us.» Mick Farren forever. 

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             Tu as d’autres gros textes déterminants sur Bowie, Cash et Dylan - Le problème que j’ai avec Bowie : chaque fois qu’il arrive dans une conversation et que les mecs qui sont au bar se montrent enthousiastes, il y a une petite voix qui chante au fond de ma cervelle : This is the man who recorded «The Laughing Gnome» - Il admet que Bowie a fait pas mal d’erreurs dans sa carrière, comme tout le monde. «Mais chez Bowie, c’est la qualité de ses erreurs qui donne à réfléchir.» Cash, il se fout un peu de sa gueule, dans ‘The Gospel According To J.C.’, publié dans le NME, en 1975 : «Il défend ouvertement les valeurs conservatrices du mariage, du foyer et de la famille. Il chante en duo avec sa femme tout en lui tenant la main. Il est selon ses propres termes, un ancien speedfreak alcoolique qui a laissé Jésus entrer dans son cœur et qui a tourné le dos à la vie sauvage. So far, so tacky - Farren dit que c’est vraiment moche - Et, mon cher lecteur adoré, c’est bien là le problème.» Il le traite en plus d’«arrogant bigored redneck turned holier than thou with diamond rings and a smooth line of Jesus partner.»  C’est le côté américain des riches délinquants convertis au Catholicisme qu’épingle Mick Farren. Il a raison de cibler sur la bigoterie, la deuxième moitié de l’autobio de Cash est en infestée. Une horreur.

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             Son texte sur Dylan paru en 1976 dans le NME s’appelle ‘B-O-B’. C’est un hommage sur-mesure, taillé dans la marbre farrenien. Il évoque la grande époque et «One Of Us Must Know» : «The ponderous ascending cathedral chords do, at times, grab me by the gut in non-verbal uplift.» Et il rend plus loin hommage à Bonde On Blonde - In a way, Blonde On Blonde was in the pits. It was the deepest shaft rock’n’roll had ever sunk in its journey to the center of the psyche - Les pages qu’il consacre dans son autobio au légendaire concert de Dylan à l’Albert Hall comptent parmi les plus belles pages de la rock littérature. Il termine son ‘B-O-B’ ainsi : «Was Dylan the therapist, Machiavelli messing with our heads or just an unwilling caralyst? As I said earlier, That’s the one we don’t get an answer to. Rosebud. Blonde On Blonde is a mnemonic for Bob.»

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             Comme dans tant d’autres grands rock books, le personnage principal pourrait bien être la dope. Elle est partout, surtout dans les histoires des gens qu’il vénère : «La vérité, c’est que Jerry Lee jouait avec une mitraillette dans sa chambre d’hôtel, que Gene Vincent et les Blue Caps entraient dans un patelin redneck dont ils ne se souvenaient pas du nom et avalaient des pillules qu’ils rinçaient avec du Wild Turkey ou du Rebel Yell Confederate bourbon, et tentaient de convaincre une serveuse ou une high school girl de venir avec eux au motel pour voir si the South could rise again.» L’article s’appelle ‘Sex Drugs & Rock’N’Roll’, évidemment. Farren voit son style exploser littéralement : «A thousand Brian Joneses picked up the Futurama guitars and a thousand Johnnies started mixing up the medecine. Once again, rock’n’roll had to move back onto high octane fuel. Yes, you guessed it. A new speed cycle had started up.» Et il embraye sur les mohair suits et les purple hearts. Vroom vroom ! Il rend plus loin hommage aux Blue Cheer - A new wave of suitably demented music. Favorites among the San Francisco speedfreaks were an outfit called the Blue Cheer - Selon lui, la légende veut qu’un chien qui se trouvait sur la scène est tombé raide mort d’une hémorragie cérébrale - 2.000 watts of guitar amplification - Pour Mick Farren, the speedfreaks’ favorite recording reste «Sister Ray» - Partout à travers le monde, dans des grungy basements, with four amps of meth, and an auto-charger set to repeat, ‘Sister Ray» played again and again. On sort un peu sonné de certains articles, tellement sa langue est heavy. On pourrait même qualifier son style de stoner style. Mick Farren a la main lourde. Dans l’intro de son premier chapitre, ‘A Rock’nRoll Insurrection’, il se présente ainsi : «Depuis que j’étais en âge d’acheter mes cigarettes, j’affichais une mine d’adolescent en colère - a snarl of teenage resentment - comme on porte a philosophic motorcycle jacket.» Cette définition qu’il fait de lui-même contient deux clés : «Teenage resentment» et «Motorcycle jacket», dont il va bien sûr faire des livres, Speed-Speed-Speedfreak - A Fast History Of Amphetamine et Black Leather Jacket. Mick Farren est certainement l’auteur britannique qui a su le mieux explorer les mythes de la culture rock. Tout passe par le cuir et la dope. Et les stars - Choqués par ce qui venait de se passer à Altamont, les Stones s’étaient réfugiés dans la chambre 1009, où ils se plaignaient qu’ils n’arrivaient pas à s’envoyer en l’air. Elvis avait revêtu du cuir noir pour essayer de prouver une dernière fois qu’il était un être humain, et comme je l’ai déjà dit, Dylan faisait tout ce qui était en son pouvoir pour se faire passer pour the very first all-jewish country cousin.

             Côté son, des petits labels underground entretiennent la légende de Mick Farren & the Deviants et ont fait paraître quelques albums intéressants.

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             Pas mal d’énormités sur le vaillant Dr Crow qui date de 2004, et notamment le «When Dr Crow Turns On The Radio» d’ouverture. Mick Farren a toujours su s’entourer du meilleur son d’Angleterre. En voilà encore la preuve. C’est un son plein de beat et de guitares, un son qui transcende les morts pour les rendre éternels. Andy Colquhoun veille au grain de la tempête sonique - No direction home/ A complete unknown/ Like a rolling stone - Mick reprend les choses qui l’ont traumatisé à vie. Pure monstruosité aussi que sa reprise de «Strawberry Fields Forever» avec le let me take you down qui nous donne envie d’y retourner encore et encore, et Mick charge ça avec la voix pâteuse d’un pilier de bar, et c’est complètement ravagé par Andy le pyromane. Mick en fait une déconstruction à la Zappa. On sait qu’il a toujours adoré Frank le rital. Nouveau festival d’Andy sur «Bela Lugosi 2002». Extraordinaire partie de purée sonique, terrible épopée. Tout est dense, tout est chapeauté de folie sonique, Andy a tout compris, il rampe dans les limbes de l’ombilic avec une ardeur arachnoïde. Quelle ambiance extravagante ! On trouve une bassline de rêve dans «Diabolo’s Cadillac», le boogaloo farrenien par excellence. On voit Mick Farren traîner un groove dans son terrier pour le bouffer tout cru. C’est de la jute du démon. Farren ne plaisante pas. Il a le discours qui va avec. C’est définitif, énorme et supérieur en tout. Ils terminent avec un hallucinant «What Do You Want» amené aux dégoulinures d’Andy, si bien vu qu’on en reste désarmé. Quel beau heavy blues, bien caverneux, bien infernal, plein de son et Jack Lancaster part en vrille de sax. On se soûle de toutes ces effluves.

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             Paru en 2013, Black Vinyl Dress est l’album posthume de Mick Farren. On y trouve un coup de génie : «If I Was A Hun On My Pony». L’écrivain Farren s’exprime dans son micro - Me serais-je aperçu que j’étais au service de l’apocalypse ? - Il raconte comment il va détruire cette vieille civilisation - A system of supposed civilization/ And ushering in dark ages/ And centuries of war pestilence disease and ignorence - Il se dit que finalement, c’est un jour de boulot en plus - As just another day on the job - Il fait aussi une terrible reprise de «Tomorrow Never Knows». Comme Lemmy, Mick vénère les Beatles. C’est extrêmement significatif de leurs toquades de mad psychedelia. On sent les vétérans de tous les trips et Andy en fait un psychout de rêve. C’est une pure merveille d’exaction écarlate, le summum d’Herculanum. On trouve d’autres goodies sur cet album comme «Cocaïne + Gunpowder», joué aux tambours de guerre - We survived on cocaine & gunpowder - C’est presque une histoire de pirates. Comme Lemmy, il sait décrire les ambiances des cambuses mal famées. Fantastique cut aussi que le morceau titre car c’est chanté par un pur écrivain - And the twisting vortex of fury & dead flowers/ is there significance that it comes 18 hours/ Before I have agreed to the recital? - On sent la puissance du verbe. Mick chante comme un dieu, c’est-à-dire à l’édentée.

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             L’année suivante paraît The Deviants Have Left The Planet. En plus d’Andy Colquhoun, on y retrouve deux vieux compères, Larry Wallis et Paul Rudolph. Ça démarre sur «Aztec Calendar», brûlé à l’énergie des réacteurs, terrific sound, Andy joue dans l’interstellaire, il lâche dans la modernité farrenienne un vent brûlant. Mais c’est la version de l’«It’s Alright Ma» de Dylan qui t’envoie au tapis. Heavy Andy l’attaque de front. C’est électrifié à outrance. Andy arrose tous les alentours. Ils profitent de Dylan pour sortir la pire mad psyché d’Angleterre. Andy est aussi dévoué pour Mick que Phil Campbell l’était pour Lemmy. Andy revient toujours avec la niaque d’une bête de Gévaudan. Saura-t-on dire un jour la grandeur de cette énergie, et la grandeur d’un Farren d’Angleterre ? «God’s Worst Nightmare» est un cut co-écrit avec Wayne Kramer. Mick fait son guttural et Adrian Shaw, l’expat d’Hawkwind, ramène son bassmatic. Retour au groove des enfers avec «People Don’t Like Reality». Andy adore jouer comme un démon - Turn & look at me - On se noie dans l’essence de la décadence. Puis ils retapent dans le vieux classique des Deviants, «Let’s Loot The Supermarket», en compagnie de Paul Rudolph et de Larry Wallis. Andy joue de la basse. Là, on tape dans la légende. Ils font du punk de proto-punk et brûlent d’une énergie d’exaction fondamentale. L’autre merveille de ce disque est bien sûr «Twilight Of The Gods», avec son extraordinaire ouverture de fireworks. Ça sonne comme du Monster Magnet, avec un sens de l’extrapolation du néant cher à Mick Farren. Il bâtit une dérive mirifique au fil d’une poésie crépusculaire chargée d’orient et de pourpre anglaise. Il rime les mass contraction et la satisfaction. On sent le poids d’un génie qui ne s’invente pas. C’est somptueux, digne des funérailles d’un pharaon au soleil couchant, c’est le disque d’or de toutes les mythologies antiques, et brille au cœur de cet univers sacré le firmament d’une guitare, celle d’Andy Colquhoun.

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             La même année paraît un live des Deviants, Barbarian Princes - Live In Japan 1999. Dans ce live, on retrouve tous les gros hits des Deviants, notamment «Aztec Calendar». Mick y déclame son texte et ses mothafukah, et la chose prend une tournure fantastique avec l’«It’s Alright Ma» de Dylan, gorgé de grattes et d’un bassmatic excessifs. Sur «Disgruntled Employee», Andy joue quasiment en solo continu. C’est l’histoire du mec qui va au boulot - And I’m going to the plant tomorrow morning - Mick Farren raconte une vraie histoire, comme s’il avait bossé à l’usine toute sa vie. Belle pièce aussi que ce «God’s Worst Nightmare» - Shebazz is raging and Ophelia wheeps/ Desemona’s going down on the kid who nerver sleeps - Et dans «Leader Hotel», il raconte l’histoire d’une fille qui enfonce des nine inch nails pour couvrir les cris. Belle pièce de poésie trash. Tout est excitant chez Mick le cadavre. C’est le meilleur groove de psyché qu’on puisse trouver sur le marché. Avec «Thunder On The Mountain», Andy vole le show. On se demande soudain qui, à part les derniers fans de Mick Farren, va aller écouter ça. «Lurid Night» est trop textué. Mick Farren adore les poèmes fleuves. Ils finissent avec un extraordinaire «Dogpoet». Mick est au bar et il dit à un mec de laisser son billet de vingt sur le comptoir. C’est bien pire que «Sympathy For The Devil», c’est un vrai texte de zonard, bourré de visions terribles. Défoncé au bar, Mick Farren raconte. 

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             Bel album que ce Human Garbage des Deviants, car Wayne Kramer et Larry Wallis accompagnent Mick Farren qui à cette époque porte le cheveu court. Et pouf, les voilà partis en mode mid-tempo pour «Outrageous Contagious». Wayne Kramer y joue un solo perceur de coffre. Mick Farren n’a pas de voix, on le sait, mais c’est l’esprit qui compte. On retrouve l’énorme bassman Duncan Sanderson dans «Broken Statue». En fait, c’est lui qui fait le show, hyper actif et lancinant à la fois. On tombe plus loin sur une excellente version de «Screwed Up», le hit de Mick, certainement le plus punk des singles punk d’alors, et là c’est visité en profondeur par un solo admirable et porté par la bassline de Sandy le héros. Ils attaquent la B avec «Taking LSD», un vieux boogie de Larry, et ils enchaînent avec le grand hit wallissien, «Police Car» sorti aussi en pleine vague punk, avec un son qui reste d’actualité. C’est joué à l’admirabilité des choses, dans tout l’éclat d’un rock anglais datant d’une autre époque, avec tout le punch des grattes et le brouté de basse. On a là une version un peu étendue, puisque Larry la joue cosmique, avec son sens inné du lointain. Ils terminent avec cet incroyable garage-cut de Zappa, «Trouble Coming Every Day». N’oublions pas que Mick Farren admirait Zappa, ce qui nous valut quelques mauvaises surprises sur les trois premiers albums des Deviants.

    Signé : Cazengler, Mick Farine

    Mick Farren. Elvis Died For Somebody’s Sins But Not Mine: A Lifetime’s Collected Writing. Headpress 2013

    The Deviants. Dr. Crow. Captain Trip Records 2004

    Mick Farren And Andy Colquhoun. Black Vinyl Dress. Gonzo Multimedia 2013

    Deviants. The Deviants Have Left The Planet. Gonzo Multimedia 2014

    The Deviants. Barbarian Princes. Live In Japan 1999. Gonzo Multimedia 2014

     

     

    Third World Ward

     

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             Quand Algy Ward a cassé sa pipe en bois, Vive Le Rock fut le seul canard à lui dérouler le tapis rouge en lui consacrant quatre pages. S’il n’avait pas joué sur deux des grands albums classiques du rock anglais, Eternally Yours et Machine Gun Etiquette, Algy Ward serait passé complètement inaperçu. Mais à l’époque, les fans des Saints et des Damned l’ont repéré.

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             Il eut en effet le privilège de jouer sur cet album qu’il faut bien qualifier de révolutionnaire, Eternally Yours. Eh oui, «Know Your Product» semble conçu pour réveiller les morts du Chemin des Dames. Difficile de réécouter cette dégelée via Algy, on tente le coup, même si Chris Bailey domine le mayhem. Algy bassmatique comme un damned, c’est puissant de what I want. Algy buzze bien dans la fournaise. Il refait des siennes en fin de balda, dans «No Your Product», ça joue au pounding délibéré et au big bass buzz. Idéal pour un bombardier comme Algy Ward. C’est lui qui propulse le cut dans l’avenir. On l’entend aussi se balader dans le fast punk de «Lost & Found». Il multiplie les échappées belles. Il est encore comme un poisson dans l’eau avec «Private Affair» - We got new thoughts new ideas/ It’s all so groovy - et puis il fait son grand retour en B avec «This Perfect Day», il sature littéralement les couplets de basse et le Bailey tombe à bras raccourcis sur le cut à coups de perfect/ Day. Tout le reste est bombardé d’Algy vertes, tout est chargé de la barcasse.

             Algy s’appelle en réalité Alasdair Mackie Ward. C’est un kid de Croydon, et comme le Captain et Rat Scabies, il bosse tout jeune au Fairfield Halls.

             Débarqués en Angleterre en février 1977, les Saints font le carton que l’on sait, mais durant l’été 1977, leur bassman Kym Bradshaw se fait la cerise. Les Saints ont besoin d’un remplaçant vite fait et ça tombe bien, leur roadie Iain Kipper Ward en connaît un : son petit frère Algy, qui n’a que 18 ans. Coup de pot, Algy connaît bien les cuts des Saints et il passe l’audition les deux doigts dans le nez. Les Saints le rebaptisent Algernon et ça se termine en Algy. Ed Kuepper : «We didn’t audition anyone else, he was that good.» Algy joue aussi sur Prehistoric Sounds, mais quand les Saints se séparent, Algy se retrouve tout seul, le bec dans l’eau.

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             Pas pour longtemps. Les Croydon punks ont repéré Algy. «C’est qui ce local bloke que personne ne connaît et qui joue avec les Saints ?», se demande le Captain. Comme Algy aime boire un coup, le Captain devient pote avec lui - We bonded instantly - Après leur deuxième album, les Damned ont implosé, et au moment où ils décident de redémarrer sans Brian James, ils cherchent un bassman permanent - Croydonian Algy was the obvious choice - Il colle parfaitement avec «the merciless dog-eat-dog philosophy» des Damned. En fait ils louchent sur son «Norton Commando bass sound». C’est Algy qui gratte l’intro demented de basse sur «Love Song», l’un des outstanding tracks de l’outstanding Machine Gun Etiquette. Captain Sensible dit qu’Algy grattait ça with a coin. Oui, on l’entend cogner ses cordes à la pièce de monnaie, just for you/ It’s a love song, et le Captain passe un solo à la Wayne Kramer. It’s okay ! Te voilà calé d’entrée en jeu. Nouveau coup de génie avec «Melody Lee», fast Damned trash-punk, ça joue au pire du pire, au beat de London town. Ils font pas mal de pop sur cet album mais tout explose en B avec une cover magistrale de «Looking At You», l’un des smashers intemporels du MC5, les Damned l’avalent tout cru au doin’ alrite et le Captain Moïse grimpe à l’assaut de l’Ararat Kramer avec toute la tension dont il est capable. On entend Algy bombarder dans «Liar», il bombarde partout -  his thunderous bass is all over Machine Gun Etiquette - et ce fantastique album s’achève avec «Smash It Up» plus poppy et pointé à l’orgue. Algy bourdonne dans le son comme un gros bouzin affamé. Il joue gras. C’est un Bomber, comme Lemmy. Vieille école anglaise.

             Et puis crack, le management des Damned vire Algy au jour de l’an 1980. Aucune explication - I wasn’t happy, it was a surprise - Le Captain dit que Rat et Algy picolaient trop et qu’ils se battaient à coups de bouteilles vides pendant le tournage d’un vidéo pour «Smash It Up», ce qui fait bien marrer le Captain. Algy lèche ses plaies et monte Tank avec les frères Brabbs de Croydon. Algy s’inspire de Motörhead et le manager de Motörhead, Doug Smith, prend groupe Tank sous son aile. L’ironie de l’histoire, c’est que Doug Smith a viré Algy des Damned. Alors attention, ce n’est plus tout à fait le même son. On a testé deux albums de Tank. Power Of The Hunter et Filth Hounds Of Hades, parus tous les deux en 1982.

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             C’est Fast Eddie Clarke qui produit leur premier album, Filth Hounds Of Hades. Algy et les frères Brabbs sonnent comme les Damned sur le «Shellshock» d’ouverture de balda. Ils amènent ça au ouhma de la tribu et boom patatrac, ça bascule dans l’enfer des Damned, revu et corrigé par Motörhead. Peter Brabbs sonne exactement comme Fast Eddie Clarke. D’ailleurs, le «Turn Your Head Around» qu’on croise plus loin semble sortir tout droit de No Sleep Till Hammersmith. Brabbs a le diable au corps, il gratte fast and hard, et son frangin Mark bat le beurre du diable. Belle fournaise ! Algy tape là un rock solide et rougeoyant. Tout l’album est monté sur ce modèle. On peut voir des photos d’eux en clones de Motörhead, avec les ceintures de cartouches. Mais on perd complètement les Damned. Au bout de trois cuts, ça commence à tourner en rond. C’est le problème des groupes de power rock anglais, à l’époque. Et dès qu’il sort des Saints et des Damned, Algy est foutu. Il retombe dans l’anonymat. Il bombarde du gros bassmatic, c’est sûr, mais il n’a pas les compos. Ils amènent «That’s What Your Dreams Are Made Of» au riff délétère et ça tient bien la route. On commence à baver à l’approche de «Who Needs Love Songs», mais il faut déchanter : rien à voir avec le Love Song des Damned. Et puis la surprise vient du dernier cut, «(He Fell In Love With A) Stormtrooper» : c’est l’hit de Tank. Ça s’écoute et ça se réécoute sans modération.

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             Avec Power Of The Hunter, Algy va droit sur Motörhead. «Walking Barefoot Over Glass» est du pur jus de Fast Eddie Clarke, c’est exactement le même son, avec l’Algy qui claque son bassmatic au coin par derrière. Ah quelle équipe ! Au plan commercial, ils n’avaient alors aucune chance, ce qui les rend d’autant plus sympathiques. Et puis voilà qu’ils enchaînent les cuts comme des rafales, tu n’apprendras rien de plus que ce que tu sais déjà, ils proposent un son bien ramoné de la virgule, bien crade, avec un Algy qui s’encanaille et qui chante comme un malfrat. Les Tank campent sur leur position, ils roulent sur des chenilles, avec un son cousu de fil blanc, on commence à s’ennuyer et ce n’est pas bon signe. Privé des Saints et des Damned, l’Algy est paumé. Et soudain, un bel instro dévastateur nommé «T.A.N.K» leur sauve la mise et du coup l’album renaît, ce que vient confirmer l’excellent «Used Leather (Hanging Loose)» gratté à la Fast Eddie, tapé au beat rebondi et gratté à la grosse cocotte, on reste dans le Mondo Bizarro de Motörhead, avec les cartouchières. Ils tapent ensuite une reprise étrange, le «Crazy Horses» des Osmonds. Ça gratte dans la couenne et ça donne une belle envolée poppy poppah. On entend l’Algy bananer son bassmatic dans la plaine en feu de «Red Skull Rock» et ce brave album s’achève en beauté avec «Filth Bitch Boogie», bien gratté au coin. Algy adore mettre son bassmatic en évidence, c’est du meilleur effet. C’est lui qu’on entend et Brabbs se balade derrière le son. Crade, oh si crade !

             Algy enregistre ses deux derniers albums tout seul : Breath Of The Pit en 2013, et Sturmpanzer en 2018. Poussé par la curiosité, on s’est amusé à les écouter. Alors bravo Algy, car c’est du bon boulot de one-band band.

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             Dur à dire, mais avec le morceau titre de Breath Of The Pit, il surpasse Motörhead. Il jette tout son Tank dans la bataille, il est complètement fou, il pulvérise tous les records de Motörhead, la cavalcade infernale et tout le reste, le strumming de la marche forcée, il joue tous les tenants et les aboutissants de la fournaise. Algy est héroïque. Puis il avale «T34» tout cru. Après tu peux chipoter sur la qualité des cuts, mais Algy réussit son coup : full power post-Motörhead. Il est écrasant de power et de T34. Avec sa Tele noire, il est virtuosic. Et ça continue avec «Kill Or Be Killed», il bombarde comme un fou, il joue tous les gros accords de la concasse et passe des breaks de bassmatic, tout est chauffé à blanc, y compris le killer solo. Sur «Healing The Wounds Of War», il lèche ses plaies dans sa tanière. Il joue d’incroyables parties de gratté de poux. Il fait encore des étincelles sur «Stalingrad (Time Is Bood)». Sa gratte sonne comme les orgues de Staline, il mitraille toute la plaine gelée. L’épouvantable Algy s’amuse bien dans son studio, il explose la rate de tous ses cuts. Il adore prendre feu en chantant. Algy est un fakir. Ce qu’il adore par dessus tout, c’est arroser la tranchée : rien n’en sortira vivant («Crawl Back Into Your Hole»). Algy est un vieux fou à l’anglaise. Il crée les conditions de l’enfer dans son trou à rats. Toute la frénésie de Motörhead est là, sans la voix, bien sûr. Plus les cuts défilent et plus il s’enflamme. Il peut faire du Fast Eddie Clarke à la puissance dix. Pure hell ! Wow, quelle évanescence comminatoire ! Sur cet album, tout est calé sur le volume 12. «Conflict Primeval» est un cut explosé du chou-fleur, la peau pantelante, les organes diversifiés, Algy ne respecte rien, ni les harmonies de l’univers ni les règles de politesse. On finit par tirer la langue, avec un mec comme lui. Il termine avec «Circle Of Willis», un vieux balladif bien gras, une vraie barquette de frites. Il s’en donne à cœur joie. Il vit dans son lard et lui donne corps. Admirable Algy ! N’aura-t-il tant vécu que pour cette infamie ?

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             Sturmpanzer est donc son dernier album. On le voit à l’intérieur du digi, assis dans son salon, avec des longs cheveux blancs et des lunettes noires. On ne s’habitue pas à l’idée qu’Algy ait les cheveux blancs. Dans l’imaginaire, il reste le jeune Algy de la grande époque, avec ses petits cheveux en épis. Sturmpanzer grouille de cuts intéressants, à commencer par le «2000 Miles Away» d’ouverture de bal. Il bombarde ça tout seul dans son salon et se noie dans sa heavy storm. L’autre poids lourd de l’album s’appelle «Little Darlin’», il y passe un wild killer solo flash qui épouvante la populace. Ce mec est vraiment passionnant. Il a un sens inné de la profondeur de champ, comme le montre encore «Sturmpanzer Pt 1 & 2», sa cocotte sourd des profondeurs du heavy rock anglais, il sonne comme une suite à Motörhead, avec ses éclairs à la Fast Eddie Clarke. Il charge bien sa barcasse. Il dépote comme un Panzer, il est héroïque, il faut le voir écraser ses pâquerettes et arroser les alentours au lance-flammes. On se demande comment il parvient à développer un tel ramdam tout seul. On pense bien sûr à Nick Salomon, l’one-man operation de Bevis Frond. Algy tape ses heavy shuffles de grosse cocotte tout seul et ça se tient («Lianne’s Crying»). Il retombe en plein Motörhead avec «First They Killed The Father». Il parvient à reproduire la pétaudière de Lemmy avec le beurre de Mikkey Dee. Avec «Living In Fear Of», il montre qu’il connaît toutes les ficelles de la débinade, il est capable de fouiller les entrailles d’un killer solo flash. Nouvelle surprise de taille avec «Which Part Of FO Don’t U Understand». Le FO, c’est Fuck Off, il te demande si t’as bien compris. Il passe encore un beau solo à la Fast Eddie et son gratté de poux explose. Il n’en finit plus de faire ses miracles avec ses imitations de Fat Eddie. Il termine avec un superbe instro, «Revenge Of The Filth Hounds Pt 1 & 2». Il attaque ça au Oumbah Oumbah tribal, il ramène du son, un vrai Niagara. Il crée son monde, alors on l’admire.

    Signé : Cazengler, Algue verte

    Algy Ward. Disparu le 17 mai 2023

    Saints. Eternally Yours. Harvest 1978

    Damned. Machine Gun Etiquette. Chiswick Records 1979

    Tank. Power Of The Hunter. Kamaflage Records 1982 

    Tank. Fiith Hounds Of Hades. Kamaflage Records 1982

    Tank. Breath Of The Pit. Southworld Recordings 2013

    Tank. Sturmpanzer. Dissonance Productions 2018

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    Gerry Ronson : Hold on your toupées. Vive Le Rock # 104 – 2023

     

     

    L’avenir du rock

    - Hey Jaws

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             Comme tous les amateurs d’émotions fortes, l’avenir du rock aime bien voir des vampires et des zombies radiner leur fraise sur grand écran. Cette façon qu’ont des mecs comme George A. Romero et Murnau de jouer avec la mort flatte durablement l’intellect chatouilleux de l’avenir du rock. Il s’autorise même à claquer des dents quand glisse sur un mur l’ombre longue de Nosferatu. L’un des jeux favoris de l’avenir du rock consiste à aller acheter une dizaine de grandes tresses d’ail au marché et annoncer d’une voix grave à la marchande qu’il va les accrocher à ses fenêtres pour éloigner les vampires. Comme la marchande ne sait pas si c’est du lard ou de cochon, elle se force généralement à sourire. Quel cabotin, cet avenir du rock ! Il raffole aussi du White Zombie de Jacques Tourneur, mais il ne va pas trop sur les zombie movies plus contemporains, la surenchère d’effets spéciaux l’ennuie profondément. Par contre, il applaudit bien fort l’Only Lovers Left Awake de Jim Jarmush, car c’est un exercice de style des plus réussis. Jarmush établit un lien évident entre deux mythes contemporains : le rock et le vampirisme. Et bien sûr, Adam le vampire vit à Detroit et s’en va reconstituer ses réserves de sang à Tanger, autre ville rock par excellence.  Ce petit chef-d’œuvre d’ironie vampirique entre en concurrence directe avec l’excellent Dracula de Coppola, que l’avenir du rock ovationne. Gary Oldman y fait de délicieux ravages, sous sa perruque de Casanova fellinien. L’avenir du rock apprécie aussi beaucoup Hitchcock pour ses fins de non-recevoir, celles qui laissent l’Hichtcocké bouche bée à la fin des Oiseaux ou de Psychose. Personne ne saurait dire comment vont réagir les milliers oiseaux rassemblés devant la maison au moment où Mitch Brenner fait monter les trois femmes dans la bagnole. Personne ne s’attend à voir Anthony Hopkins parler d’une voix de vieille femme. Hitchcock te laisse imaginer la fin de l’histoire. Pas besoin de coups de tronçonneuse pour te mettre sous pression. L’avenir du rock déteste cet esprit gore américain, les fucking requins blancs et quand on le branche sur Jaws, il hausse les épaules. Il préfère mille fois les Howlin’ Jaws.

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             Contrairement à ce qu’indique le titre de cette rubriquette, les Howlin’ Jaws ne reprennent pas «Hey Joe», mais «Down Down» des Status Quo. Comme déjà dit ailleurs, on a les titres qu’on peut. Même si on ne garde pas un souvenir impérissable des Status Quo, la cover que font les Jaws de «Down Down» est une belle bombe atomique. Ils te lâchent ça en plein cœur de set, et boom, tu te retrouves à Nagasaki, mais un gentil Nagasaki, pas celui qui te brûle la peau, celui qui te brûle la cervelle pendant trois ou quatre minutes. Les Jaws te jouent ça à la pure fusion nucléaire, ils disposent des dynamiques qui font le panache des très grands groupes de rock sur scène, ils fonctionnent en mode tight power trio, avec tous les ingrédients nécessaires, alors tu n’en perds pas une seule miette.

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             On les voit chaque fois jouer en première partie, mais cette fois, ils volent le show pour de bon. Malheur au groupe qui monte sur scène après eux. Il fut un temps où les Jaws sonnaient plus rockab, d’ailleurs Djivan Abkarian slappait jadis une stand-up. Il gratte maintenant une Fender bass et, coiffé comme l’early McCartney, il fait illusion. Ce petit mec est absolument brillant. Il sait placer sa voix, il swingue sa pop comme un vétéran du Mersey Beat, il saute en l’air, il tire le trio dans l’énergie des early Beatles et des Hollies, et c’est vraiment très impressionnant.

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    De l’autre côté de la scène, tu as Lucas Humbert, wild as fuck sur sa Ricken, il entre en transe aussitôt arrivé sur scène, il prend des pauses just for the fun of it et t’éclate le Mersey Beat au Sénégal. Il gratte ses poux à n’en plus finir et ramone son rock comme Johnny Ramone, mais en plus British, en mille fois plus catchy, comme si c’était possible. Et puis au milieu, Baptiste Léon bat le beurre du diable. Il propulse la bombe atomique.

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    Avec les Howlin’ Jaws, le rock ne traîne pas en chemin. Ils tapent le morceau titre de leur quatrième album, «Half Asleep Half Awake». La version live est nettement plus balèze que la version studio, et ils font bien sûr mouche avec «Healer», un big timer glam tiré lui aussi d’Half Asleep Half Awake. Ils montent glam power en épingle. Sur scène c’est imparable. T’en as la jaw qui se décroche et qui te pend sur la poitrine comme une lanterne (l’une des expressions favorites de Jean-Yves, empruntée à Lux Interior).

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             L’autre gros coup d’Half Asleep Half Awake s’appelle «It’s You», un heavy rumble noyé de son. Comme le précédent, cet album est produit par Liam Watson, le Toe Rag Boss. Les Jaws n’ont jamais sonné aussi British.

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    Le «Mirror Mirror» d’ouverture de bal s’orne d’un superbe solo de psychout so far out, avec un chant complètement extraverti. Au moins, on sait où on est : au paradis. S’ensuit un «Bewitched Me» encore plus poppy poppah. Quelle régalade, quand on aime ce genre de débinade. On se croirait à London town en 1966. Ils ont définitivement abandonné leurs racines rockab. Pas facile de s’imposer en France avec une pop anglaise aussi pure. Avec «Blue Day», ils se prennent pour Nick Waterhouse, c’est de bonne guerre, et ils bouclent l’album avec un «See You There» amené au petit psyché de réverb et lesté d’un wanna see you there bien appuyé. Djivan Abkarian chante au petit sucre intentionnel - Won’t you come on down - et Lucas la main froide place un gros shoot de vrille à la Yardbirds, ils s’enfoncent tous les trois dans les bois de la vape, c’est assez spectaculaire, ils cherchent leur voie avec l’énergie du désespoir, c’est une voie qui passe par le freakout. Dommage qu’ils n’explosent pas. Les Who et les Creation n’auraient pas raté une telle occasion. 

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             L’album précédent s’appelle Strange Effect et date de 2021. Encore enregistré et produit par Liam Watson. Bingo, dès «Safety Pack», un cut qui tourne à l’énergie des early Beatles, mais revue et corrigée par les Jaws. Fantastique réinvention du genre, avec un superbe pounding de bassmatic et bien sûr le wild killer solo flash. Cut solide, accueilli à bras ouverts et convaincu d’avance. Châpö les Jaws ! Deux coups de génie se nichent sur ce Stange Effect : «Heartbreaker» et «Love Makes The World Go Round». Le premier est poppy as hell, gorgé d’énergie, celle du British Beat. Ça sonne tout simplement comme un hit planétaire, avec un brin de tension rockab dans le background. On retrouve le sucre candy du chant et les départs en trombe de Lucas la main froide. Plus stupéfiant encore, Djivan Abkarian attaque «Love Makes The World Go Round» à la Lennon. Son incroyable swagger te fout des frissons partout. Il chante vraiment comme un dieu beatlemaniaque. Cet album est une révélation. Ces trois petits mecs échappent à tous les clichés, par la seule force de leur talent. «The Seed» sonne comme un petit boogie vite fait, mais ils le plient à leur volonté - Seed of love ! - Encore du British flavor avec «Long Gone The Time». Son de basse à la Watson, c’est quasiment un hit beatlemaniaque, avec des chœurs Whoish de la la la et un solo à la George Harrison. Ils vont plus sur les Byrds avec «My Jealousy». C’est dire l’ampleur de leur Howlingness.

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             Leur premier album sans titre date de 2012. C’est un pur album de rockab, c’est même du Rockers Culture, avec le nom de Tony Marlow dans les remerciements. L’amateur de rockab s’y retrouve, Howlin’ Jaws est un pur album de wild cats. Avec «Get The Thrill», ils sonnent exactement comme les early Stray Cats. Même énergie. Leur «Babylon Baby» renvoie directement au Stray Cat Strut, et Djivan te bombarde ça à la stand-up. Il chante comme un cake. Les Jaws restent dans la veine Stray Cats avec «Dollar Bill» et une belle descente au barbu. Les Jaws ne traînent pas en chemin. Wild & fast. Et puis voilà le coup de génie de l’album : une cover du «Shake Your Hips» de Slim Harpo. Ils te tapent ça au heavy slap - C’mon move your hands/ C’mon move your lips - Ils jouent à la sourde. On tombe plus loin sur une autre cover de choc, le «Sixteen Tons» de Merle Travis, tapé à coups d’acou, joli swing de deeple and dat - I lost my soul to the company soul - Encore un fantastique shoot de wild as fuck avec «Walk By My Side». Le gratté de poux rôde dans le son comme un fantôme, et avec «What’s The Thing», ils déferlent littéralement en ville. Sur «Danger», Djivan fait le blblblblblb de Screamin’ Jay, il connaît toutes les ficelles, et dans «Why Are You Being So Cruel», Lucas la main froide gratouille du Mick Green par derrière. Ils sont admirables. Fin de party avec le classic jive de «Lovin’ Man». Dans leurs pattes, c’est excellent, plein de jus. Avec les Jaws, c’est la fête au village Rockab, tout le monde saute en l’air.

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             Paru en 2018, le mini-album Burning House est un peu moins dense. Dommage. Le hit rockab se planque en B et s’appelle «Three Days», bien slappé derrière les oreilles. Ils tapent leur morceau titre à la Jody Reynolds et vont plus sur le rockn’roll avec «You Got It All Wrong», comme s’ils prenaient leurs distances avec le rockab. Ils vont sur quelque chose de plus allègre, presque anglais, très Mersey dans l’esprit. Djivan drive bien son «She’s Gone» au walking double-bass. Et son aisance vocale est confondante.

             Pourvu que le mainstream ne les détruise pas.    

     Signé : Cazengler, Howlin’ jawbard

    Howlin’ Jaws. Le 106. Rouen (76). 3 novembre 2023

    Howlin’ Jaws. Howlin’ Jaws. Rock Paradise 2012

    Howlin’ Jaws. Burning House. Badstone 2018

    Howlin’ Jaws. Strange Effect. Bellevue Music 2021      

    Howlin’ Jaws. Half Asleep Half Awake. Bellevue Music 2023

     

     

    Inside the goldmine

    - Magic Gus

     

             Il avait du charisme et il savait. La première rencontre fut un entretien d’embauche. Il était impossible de ne pas être frappé par l’extrême décontraction de Gusto. Rien à voir avec les autres responsables, ces gens qui aiment jouer au chat et à la souris avec les candidats. Gusto semblait au contraire s’inquiéter pour eux, avec des questions du genre : «Ne craignez-vous pas de vous ennuyer avec nous ?», auxquelles il fallait s’empresser de répondre : «Oh non non non, pas du tout !», ce qui avait le don de le faire sourire. Ça devenait troublant, car il souriait comme une movie star. Il avait un charme fou, ce qu’on appelle le charme italien, qu’il rehaussait par une moustache bien fournie. Rencontrer un tel décideur dans ce circuit, ça ressemble à un conte de fées. On finit par avoir une vision détestable du marché de l’emploi, à force de tomber sur des cons. Surtout dans ce domaine d’activité qui est celui de la com, censé être un domaine réservé en partie aux artistes, mais qui en réalité ne l’est pas du tout. Ce marché, comme le sont probablement les autres, est devenu un marché aux bestiaux, avec des procédés d’une violence inouïe. Alors forcément, quand on tombe sur un Gusto, on se demande si c’est un gag. Ce type de rencontre relève du surnaturel. Le plus troublant est qu’il ne jouait pas un rôle, le rôle du mec bienveillant qui accueille les candidats. On sentait au ton de sa voix qu’il était authentique, et ce fut d’autant plus probant qu’il donna son accord très vite, évitant de faire durer le suspense. Dans les jours qui suivirent, ce fut un régal que de le fréquenter. Il traça les grandes lignes du job, fit l’inventaire des quelques clients, montra ce qu’il fallait montrer sur les ordis, accompagnant toutes les consignes de remarques assez hilarantes. Il resta en doublon pendant quelques jours, puis un soir, juste avant la fermeture, il me demanda de venir dans son bureau pour annoncer qu’il quittait Paris : «Je vais vivre à la campagne. Tiens voilà les clés. Je te confie la boutique. Je fais les devis, tu les recevras par fax et c’est toi qui feras les factures. Tu les donnes ensuite à la secrétaire. Voilà tu sais tout. Fais gaffe de ne pas bouffer la grenouille ! La France compte sur toi ! Tu m’as pas l’air trop con, je crois que t’as tout compris». Et il éclata de rire au spectacle de ma consternation.

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             Alors que Gusto inventait le concept du job surréaliste, Gus Dudgeon inventait celui du producteur-enchanteur. Il paraissait donc normal qu’Ace lui rende hommage avec l’une de ces délicieuses compiles qui font depuis disons quarante ans sa réputation. Cette compile s’appelle Gus Dudgeon Production Gems et date de l’an passé. C’est l’une des manières les plus élégantes de revisiter l’histoire glorieuse de la pop anglaise, d’autant que ça démarre avec le «She’s Not There» des Zombies qui n’en finit plus de fasciner la populace. Gus signe la prod de ce chef-d’œuvre tapi sous le boisseau, de belle basslines traversières remontent le courant du couplet, Gus image le son, il soigne la voix de Colin Blunstone, on assiste à une fantastique foison d’excelsior, couronnée par un solo de piano faramineux.

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             John Kaufman attaque le booklet. Il commence par saluer le lecteur - Dear music lover - puis il rappelle que cette compile était prévue pour le soixantième anniversaire de Gus qui hélas cassa sa pipe en bois trop tôt, donc le projet est allé au placard. C’est lui Kaufman qui avait eu l’idée de cette compile pour en faire la surprise à Gus, mais il dut quand même lui en parler, car Gus savait mieux que quiconque ce qu’il fallait choisir. Gus donna donc son accord. Le projet avançait, et au petit matin du 21 juillet 2002, Kaufman reçut un coup de fil lui apprenant et Gus et sa femme Sheila s’étaient tués en bagnole au retour d’une party.

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             Le projet refait surface 15 ans plus tard. Richie Unterberger prend la suite. Il raconte l’histoire de Gus, un gosse qui a commencé comme tea-boy et tape operator au studio Olympic de Barnes. Puis un jour, on demande à Gus de remplacer l’ingé-son Terry Johnson qui enregistre les Zombies, car il est complètement bourré. Pour Gus, c’est le baptême du feu. Il verra par la suite arriver dans le studio des luminaries comme Lulu et Tom Jones (Hello Gildas). Il assistera aussi à l’audition du Spencer Davis Group qui n’est pas encore signé, et Gus les trouvera tremendous. En 1968, il va quittee Decca pour monter sa boîte de prod, et va démarrer avec le Bonzo Dog Band et «Urban Spaceman». Pas mal, non ? 

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             Gus donne aussi de l’écho à Mayall pour «All Your Love», et quel écho, mon coco ! On ne savait pas à l’époque que cet enchanteur de Gus emmenait Mayall sous son boisseau d’argent. On a là l’un des plus beaux échos du British Blues, personne ne bat Gus à la course à l’échalote. Alors forcément, Clapton a du son, plus que dans Cream. C’est aussi Gus qui produit l’A Hard Road des Bluesbreakers de Peter Green, puis Crusade avec Mick Taylor. Il co-produit aussi le premier Ten Years After avec Mike Vernon. L’«Oh How She Changed» des Strawbs sonne comme la sinécure d’Épicure et Gus nous fait avaler une couleuvre avec la prog de The Locomotive, «Mr Armageddon». C’est pourtant excellent, plein de trompettes, on se demande même d’où ça sort. Retour aux choses sérieuses avec le «Space Oddity» de Bowie, le grand control to Major Tom, c’est Gus, il a compris le génie de Bowie, alors il lui donne du champ, tout est soigné, le solo s’écoule dans l’espace, une génie + un génie, ça donne de la grande pop anglaise. On avait encore jamais vu l’espace s’ouvrir ainsi. Unterberger nous apprend que Tony Visconti qui devait le produire n’aimait pas «Space Oddity» et qu’il a demandé à Gus de s’en occuper. Gus n’en revient pas de bosser avec un génie pareil. Mais ce sera le dernier cut qu’il produira pour Bowie, qui préférera travailler par la suite avec Visconti, mais nous dit Unterberger, Bowie s’en excuse auprès de Gus, pensant l’avoir blessé en choisissant de continuer avec Visconti. Gus va donc se consoler dans les bras d’Elton John, toujours aussi insupportable.

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             Gus produit aussi des gens comme Ralph McTell, Ola & The Janglers, Elkie Brooks, Wynder K. Frog et Menswear. Bizarrement, le grand absent de cette compile est Michael Chapman pour lequel Gus fit des miracles. Il fait aussi des miracles avec le «Tokoloshe Man» de John Kongos, typique de l’époque, mais c’est la prod qui fait tout, comme sur les hits de Dave Edmunds. Gus fait entrer les guitares dans «Tokoloshe Man» comme des entourloupes révélatoires. Quant à Joan Armatrading, elle se situe au niveau de Nina Simone, avec «My Family». L’un des cuts les plus faramineux est le «Whatever Gets You Through The Night» enregistré par John Lennon avec l’Elton John Band et les Muscle Shoals Horns. Quel power ! Quel solo de sax ! Et un bassmatic dévore le cut de l’intérieur. On retrouve aussi l’excellente Kiki Dee avec «How Glad I Am», une belle Soul de pop, elle y met tout le chien de sa petite chienne, c’est encore une fois bardé de son. Gus = Totor. Voilà, c’est pas compliqué. Avec «Run For Home», Lindisfarne somme comme un groupe pop incroyablement sophistiqué. Plus rien à voir avec le folk anglais. C’est beaucoup plus ambitieux. Encore une prod de rêve pour Chris Rea et «Fool (If You Think It’s Over)». Tout aussi révélatoire, voici Voyage avec «Halfway Hotel», chanté à la larmoyante de lonely way, ce mec est né pour émouvoir, il y a du Bowie en lui, mais avec un autre timbre. C’est assez énorme, grâce à Gus.

    Signé : Cazengler, Gugusse

    Gus Dudgeon Production Gems. Ace Records 2021

     

     

    Le Dwight dans l’œil

    - Part Two

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             C’est en 1976 que Dwight Twilley nous a tapé dans l’œil pour la première fois avec Sincerelly. Non seulement les chansons de l’album battaient tous les records de magnificence - même ceux de Big Star et d’Arthur Lee - mais le Dwight Twilley qu’on voyait poser en compagnie de son collègue au dos de la pochette était beau comme un dieu. Il ajoutait l’insult à l’injury, comme on dit en Angleterre. Comment pouvait-on être à la fois aussi beau et aussi doué ? Oh bien sûr, Elvis et Bowie étaient déjà passés par là, et ça n’en devenait que plus indécent, car ce petit mec sorti de nulle part, c’est-à-dire d’Oklahoma, s’installait automatiquement au firmament.

             Le rock servait à ça, autrefois, à alimenter la pompe à coups de Jarnac. Les kids du monde entier ne se nourrissaient que de légendes dorées, et donc le destin avait du pain sur la planche, car il fallait alimenter ces millions d’oisillons affamés. Alors le destin n’y est pas allé de main morte :  Elvis, Brian Jones, Vince Taylor, Ray Davies, Iggy, Bowie et Dwight Twilley, pour n’en citer que  sept.

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             La provenance du buzz est depuis longtemps oubliée - probablement Creem - toujours est-il qu’un jour on s’est retrouvé avec Sincerelly dans les pattes, le pressage anglais fabriqué par Island pour le compte de Shelter, en 1976, l’année de tous les dangers. Pif paf, dès «I’m On Fire», Twilley the twilight nous transforme en terre conquise, d’un seul coup de pop lumineuse. C’est encore autre chose que Big Star ou les Beatles, Twilley the twilight propose une pop rayonnante, électrique et radieuse à la fois. L’amateur d’essences légendaires s’y retrouve immédiatement. Le romantique encore plus, avec notamment «You Were So Warm», une pop si belle et si pure qu’elle paraît élevée. On pourrait même dire visitée par la grâce. Mais c’est en B que se niche la merveille définitive : «Baby Let’s Cruise», d’une réelle splendeur mélodique, un crève-cœur pour tous les romantiques, Twilley the twilight chante ça au développé suspensif. L’artisan du son s’appelle Bill Pitcock IV. Il éclaire chaque cut de son lead, just like the sun. En B, on croise aussi l’excellent «TV» et son beat rockab - A pretty good company - Twilley the twilight et Phil Seymour illustrent ainsi le pendant rockab de cette incroyable odyssée qui les a jetés dans les bras de Ray Smith, un vétéran de la scène Sun de Memphis.

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             L’année suivante paraissait l’encore plus spectaculaire Twilley Don’t Mind. On en prenait plein la vue dès la pochette. Comment ces deux mecs pouvaient-ils être aussi beaux ? Et comment pouvait-on résister à «Looking For The Magic» ? Évidemment, ça entrait en résonance avec les sentiments amoureux de l’époque, qu’ils soient de nature excitants ou douloureux. Twilley the twilight prenait cette merveille au tremblé de voix et nous couvrait de frissons. Avec ses gros accords de boogie, Bill Pitcock IV faisait des ravages d’entrée de jeu avec «Here She Comes». Mais la magie était encore à venir, notamment via «That I Remember». Twilley the twilight montait son chant en épingle mélodique et Pitcock tissait un prodigieux réseau d’arpèges. Du coup, ce Remember devenait le hit caché de l’album, emporté par de fabuleux moteurs. On voyait ensuite le chant du Dwight dans l’œil se fondre dans la crème de «Rock & Roll 47» et cette A historique s’achevait sur un autre moment de magie blanche, «Tryin’ To Find My Baby». Une fois de plus, Twilley the twilight nous transperçait le cœur et c’est avec cet air en tête qu’on promenait son spleen dans les rues de la ville. Et bizarrement, la B restait lettre morte. Twilley the twilight avait vidé son sac en A. Donc, inutile de perdre ton temps à écouter la B.  

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             En 1979, Dwight Twilley continuait d’exploiter son mythe. Comment ? En couvrant Twilley d’une myriade de portraits qui le rendaient chaque fois plus irrésistible. Il cultivait à outrance l’arcane du beau ténébreux et bien sûr, ça influençait l’écoute. D’autant qu’il attaquait avec le mélodiquement parfait «Out Of My Hands», revenant à ses vieilles amours et laissant flotter autour de lui la poussière d’étoiles dans la brise tiède des orchestrations. Toutes ses compos restaient soignées, mais ça finissait par tourner un peu en rond. Heureusement, Bill Pitcock volait à son secours dans «Alone In My Room» et la pop se remettait enfin à scintiller. Pitcock n’en restait pas là, car dès le «Betsy Sue» d’ouverture de bal de B, il revenait casser la baraque en ultra-jouant. On voyait bien que Twilley the twilight peinait à rallumer son vieux brasier, et il fallait attendre «It Takes A Lot Of Love» pour frémir enfin. En clamant ses clameurs, il livrait là l’une de ses plus belles œuvres.

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             Trois ans plus tard, il revenait dans le rond de l’actu avec Scuba Divers. Il amenait la power pop à son apogée dès «I’m Back Again». Bill Pitcock s’y illustrait avec un solo très condensé, comme ceux de Todd Rundgren. Il se livrait ensuite au petit jeu des rafales, et cette pop éclatait au grand jour. En fait, Pitcock allait continuer de voler le show de l’A avec «10.000 American Scuba Divers Dancin’», même si Twilley the twilight s’entêtait à chanter à la revoyure. On comprenait confusément que sa principale qualité était l’entêtement. Sa power pop plaisait par petites touches, son «Touchin’ The Wind» devenait une merveille touchy. En B, il chargeait «I Think It’s That Girl» de tout le poids du monde, avec ce démon de Pitcock en contrefort. Il lui arrivait aussi de se fâcher, comme le montrait «Cryin’ Over Me», nettement plus musclé, quasiment rock, gorgé de basse et de cocote sourde. Et puis après l’avoir cherchée - «Looking For The Magic» - il la trouvait enfin avec «I Found The Magic», et malgré tous les éclats pop et l’habituelle ténacité, on comprenant que Twilley the twilight n’avait plus rien à dire.   

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             Paru en 1984, Jungle pourrait bien être son album le plus faible. L’impression de tourner en rond persiste et signe. Il retrouve ses marques avec «Why You Wanna Break My Heart» : belle tension pop et jardins suspendus de Babylone. Il se remet aussi à ahaner avec «Cry Baby», il a toujours adoré ça, ahaner. Mais la B se perd dans les méandres de la carence compositale.

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             Paru en 1986, Wild Dogs n’aura aucune incidence sur l’avenir de l’humanité. Bon, comme d’habitude, c’est bien joué, bien enregistré, mais ça reste un brin passe-partout. «You Don’t Care» ne sort pas de l’ordinaire du twilight. If you’re looking for the magic : tintin. Malgré de beaux efforts, «Hold On» ne veut pas démarrer. Difficile de surpasser la perfection des deux premiers albums. La B tente de sauver l’A avec un «Baby Girl» assez bien foutu, fougueux comme un étalon sauvage. Ça pulse et ça hennit le beat à l’air. Twiley the twilight tente de retrouver le chemin du magic cut et «Ticket To My Dream» pourrait bien être celui qui s’en approche le plus. Ce mec est un vrai cœur d’artichaut, un romantique incurable. Il ne veut pas lâcher la grappe de la romance. Son «Secret Place» est néanmoins excellent. 

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             Daté de 1993, The Great Lost Twilley Album sonne comme un passage obligé. L’amateur de coups de génie s’y régalera de deux cuts : «Somebody To Love» et «Dancer». Le son est là tout de suite, avec des éclairs dans le gratté de some place in the sun et des oh oh au sommet du refrain, la magie est intacte, le développé d’accords d’une douceur incomparable. «Dancer» trône donc au sommet de l’art pop, c’est un tenant de l’aboutissant explosif. D’autres merveilles encore, telles ce «Burning Sand» bourdonnant et gorgé de soleil, doté de tous les charmes de l’embellie, ils restent pourtant dans leur vieux son, mais «Sky Blue» tape dans l’excellence. Ils emmènent «Chance To Get Away» à vive allure. Dwight dans le nez chante parfois à ras des pâquerettes, mais le spectacle continue sans fin, de courts éclairs de pop traversent «I Love You So Much». La pop magique reste l’apanage du Dwight dans l’œil et avec «I Don’t Know My name», il crée de l’enchantement, il taille ça dans un cristal d’arpèges. Il règne sur l’empire de la pop lumineuse, certaines chansons semblent suspendues à ses lèvres. Intrinsèque et littéral, «The Two Of Us» tisse une toile d’ersatz Pound et la voix du Dwight dans le nez s’enroule autour d’un soleil d’arpèges lumineux. «I Can’t Get No» sonne comme un hit de Brill. Peu de choses planent aussi haut. Ce mec-là ne s’arrête jamais.

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             La première chose qu’on remarque en fouinant dans les infos de Tulsa, c’est la présence de Bill Pitcock IV. Il faut donc s’attendre à du powerfull power-poppisme. Et comme prévu, on a tout de suite du son, du bien amené, du Dwight dans le nez. Il mène son biz prodigieusement orchestré à la pogne. Du haut de sa légende, il domine la ville, les mains sur les hanches. Il fait la pluie et le beau temps avec «It’s Hard To Be A Rebel», une authentique merveille étoilée, dotée de toute la persistance dont est capable la prestance. Son «Baby Got The Blues Again» est une magnifique romance, une Beautiful Song dirigée vers l’avenir. On se voit contraint de dire la même chose de «Way Of The World». Dwight dans l’œil a le compas dans l’œil. Il renoue avec son vieux génie romantico, celui qui irriguait ses deux premiers albums. Terrific ! Le morceau titre nous sonne bien les cloches, lui aussi - You’ve always been there - Dwight dans le nez rend hommage à sa city, ça prend vie avec de l’eau, Dwight & Bill forever ! Le Dwight bourre bien le mou de «Miranda» et au passage, il nous en bouche un coin, une fois de plus. Tout est solide sur cet album, vraiment très solide. Il faut voir le Dwight embarquer son «Miracle» au doigt et à l’œil. Bill veille au grain et les chœurs font «miracle !». En prime, c’est battu sec et net. Ce démon se dirige vers la fin avec «Goodbye», un balladif dwighty doté d’une énergie fantastique et nous fait ses adieux provisoires avec «Baby Girl». Un truc qui n’a rien à voir avec le Dwight : la gonzesse qui vendait cet album a mis son parfum dans le booklet et du coup, ça devient très capiteux. Les parfums de femmes sont parfois très capiteux. Alors Dwight Twilley peut claquer son Baby Girl, un hit violent et sexuel à la fois.  

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             Paru en l’an 2000, Between The Cracks Volume One est comme son nom l’indique une collection de fonds de tiroirs. Comme tous les grands compositeurs, Twilley the twilight collectionne les fonds de tiroirs, et comme le font tous ceux qui veulent soigner sa postérité, il se retrousse les manches et fouille. Dans l’insert, il commente chacun des 16 cuts de la compile et salue bien bas ses principaux collaborateurs, le scorching Bill Pitcock IV et la cool Susan Cowsill aux backing vocals. Pas de surprise, les 16 cuts restent bien dans la ligne du parti, c’est-à-dire la power pop à laquelle il nous habitue depuis 1976. On retiendra le «Living In The City» qui se planque en B, car Twilley the twilight indique qu’il l’écrivit pour son collègue Phil Seymour au temps de Twilley Don’t Mind, et ajoute-t-il, Bill Pitcock on devil guitar. En fin de B, on tombe aussi sur l’excellent «No Place Like Home», un heavy boogie d’Oklahoma qu’il joue les Dwight dans le nez.

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             Paru en 2001, The Luck est un solide album de power pop, donc rien de surprenant. Il attaque avec une sacrée triplette de Belleville, «Music», «Holdin’ On» et «Forget About It». On voit même Dwight se fâcher dans «Music». On le croit gentil, mais au fond, ce mec ne rigole pas. Il se livre aux joies tatapoumesques du heavy stomp. Son «Holdin’ On» est une merveille de holdin’ on. Le heavy beat de la power pop prédomine, il crée son monde depuis vingt ans et il est devenu imparable. On reste dans la heavy power pop avec «Forget About It», son énergie poppy descend sur la ville - The way I love you/ I’ll find a new way to forget about you - Il chante ça mais n’en croit pas un mot. Il se pourrait bien ce que Luck soit l’un de ses meilleurs albums. Il claque son «No Place Like Love» à la folie. Il vire même glam avec «I Worry About You». Pour un cador comme Dwight, c’est plutôt heavy. Puis il revient à son fonds de commerce, la petite pop bien foutue à laquelle il nous habitue depuis Sincerelly. Il y va toujours de bon cœur. Son «Suzyanne» est assez balèze, force est de l’admettre. C’est exactement le son de Sincerelly. Il vit sur ses réserves et pardon de l’avouer, on bâille un peu aux corneilles, car ça sent le réchauffé. Il oscille toujours entre le puissant («Leave Me Alone») et le plan-plan («Gave It All Up For Rock’n’Roll»). Ah ces Okies !

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             Comme Totor et d’autres fans du Père Noël, Dwight Twilley s’est fendu en 2004 d’un beau Have A Twilley Christmas, un mini-album qu’il faut bien qualifier d’enchanté. Dwight dans le nez ramène le soft du Christmas time dans son soft rock étoilé. Il fait aussi le show avec «Rockabilly Christmas Ball» - The rock/ The rock/ A Billy/ Christmas - Bien vu, Dwight dans l’œil. Il profite de «Christmas Night» pour renouer avec le power du Dwight, c’est-à-dire les power chords, et ça continue avec l’énorme «Christmas Love» - Oooh baby I want you - Il finit toujours par ramener du power dans son Christmas stomp. Et bien sûr Bill Pitcock IV veille au grain.

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             On est très content de rapatrier Green Blimp, car on voit sur la pochette que Twilley the twilight va bien. Il a un certain âge, mais il conserve son look de jeune premier. De là à penser qu’il est lui aussi un vampire, c’est un pas qu’on franchit avec allégresse. Globalement l’album est bon, et ce dès le coup d’envoi et la fantastique allure de «Get Up» - Get up/ I’m tired of being down - Il incite ses fans à se lever. La bonne nouvelle, c’est que Bill Pitcock IV est de retour. Twilley the twilight sonne comme les Beatles avec «Me And Melanie» et il se fend d’une Beautiful Song avec «Let It Rain». Plus que jamais, Twilley the twilight est dans la chanson, il n’y a que ça qui l’intéresse. Il cherche chaque fois à renouer avec «Looking For My Baby». Mais on sent chez lui une tendance plus pop, comme le montre le «You Were Always Here» d’ouverture de bal de B. Il chante toujours au sommet de son lard, c’est un indéfectible, un arpenteur, un passeur d’ordres, un émetteur de missions, et Bill Pitcock IV vient envenimer les choses, comme au bon vieux temps. Avec «Ten Times», on se croirait sur Sincerelly. Même son d’accords impavides. Son «Witches In The Sky» reste lui aussi fidèle au passé : pop alerte de gorgée de son, avec un Pitcock en contrefort, l’inestimable roi des cocotes et des subterfuges. Et puis pour finir, Twilley the twilight nous fait non pas le coup du lapin, mais le coup du coup de génie avec «It Ends». Twilley don’t mind, avec ses méchants relents de psychedelia, et Pitcock s’en donne à cœur joie.    

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             En vieillissant, Twilley the twilight se bonifie, comme certains pinards. Il suffit d’écouter ce Soundtrack paru en 2011 pour en avoir le cœur net. L’album est comme pris en sandwich entre deux grosses tranches de pop géniales, «You Close Your Eyes» et «The Last Time Around». Il est là et même plus que là, au coin du déroulé de guitares, comme au temps de Sincerelly - So you you close your eyes - Bill Pitcock IV rafle encore la mise. Il va chercher le power dans l’essence même de cette vieille power pop qu’il cultive depuis 1976, depuis la nuit des temps du rock. Ça reste très fascinant, très dense, d’une rare ampleur et bien sûr, Pitcock transperce le cœur de «The Last Time Around» d’un solo dément. Tout au long de l’album, Pitcock descend dans la bedaine des cuts et taille dans le vif. «Tulsa Town» surprend par sa puissance. S’il est un puissant sur cette terre, c’est bien Twilley the twilight. Il drive ses chansons d’Okie à l’extrême onction. Les coups d’harmo de Tulsa valent bien ceux de Charles Bronson. Twilley the twilight enfonce encore son clou avec «Skeleton Man» et refait battre le poumon d’acier de Sincerelly avec «My Life». Ce mec étend son empire en permanence, chez lui c’est une manie. Il crache du power jusqu’à la dernière seconde. «Out In The Rain» pourrait aussi figurer sur Sincerelly, la vieille magie est intacte, c’est encore une fois une merveille d’équilibre entre la pop et l’harmonie. De toute évidence, Twilley the twilight a du génie. Il te voit dans le noir et il chante pour toi. Il te balade dans un monde parfait, le sien. On tombe sur un autre cut monumental, «The Lonely One». Il chante ça au power pur de la grande pop instrumentale. Il est grimpé au sommet de son art, un art qu’il faut bien qualifier d’unique en Amérique. Tous les cuts de cet album sont remarquables.  

    Signé : Cazengler, Dwight Eiso-nowhere

    Dwight Twilley Band. Sincerelly. Sheter Records 1976

    Dwight Twilley Band. Twilley Don’t Mind. Arista 1977

    Dwight Twilley. Twilley. Arista 1979

    Dwight Twilley. Scuba Divers. EMI America 1982

    Dwight Twilley. Jungle. EMI America 1984

    Dwight Twilley. Wild Dogs. CBS Associated Records 1986 

    Dwight Twilley Band. The Great Lost Twilley Album. Shelter Records 1993

    Dwight Twilley. Tulsa. Copper Records 1999  

    Dwight Twilley. Between The Cracks Volume One. No Lame Recordings 2000

    Dwight Twilley. The Luck. Big Oak Recording Group 2001

    Dwight Twilley. Have A Twilley Christmas. Digital Musicworks International 2004

    Dwight Twilley. Green Blimp. Big Oak Records 2010

    Dwight Twilley. Soundtrack. Varèse Sarabande 2011

     

    *

    Chouah ! chouah ! chouah ! ce n’est pas un chien asthmatique qui nous accueille lorsque nous poussons la porte du 3 B, mais le bruit caractéristique de la charleston jazz qui ruisselle de partout, juste le temps de reprendre nos esprits, nous arrivons deux minutes après le début du concert, impossible de comprendre pourquoi la route a été si lente ce soir, une nuit foncièrement noire mais the road n’était pas chargée, ce n’est pas mon habitude je déteste rater le début d’une prestation, par respect pour les artistes.

    TROYES / 17 – 11 – 2023

    3 B

    SHANNA WATERSTOWN

                    Désolé pour les amateurs de rockabilly mais ce soir Béatrice la patronne innove, elle a saisi l’opportunité d’une tournée entre Suisse, France et Belgique pour accueillir une chanteuse de blues. L’occasion de se remémorer les ariégeoises et estivales heures bleues du Festival de Blues de Sem entre Patricia Grand et Daniel Giraud, coup de blues dans mon âme ces deux amis chers ne sont plus depuis quelques mois de notre monde.  Everyday I have the blues, fredonne comme par hasard Shanna Waterstown.

             Pas un petit calibre elle a joué en première partie de James Brown… Bien sûr elle est accompagnée par trois supers musicos issus du fin fond du Sud. Devinez d’où : de Memphis ? de Clarksdale ? de Chicago ?  Erreur sur toute la ligne, ce trio infernal vient de tout en bas, de Floride ? Presque, c’est Shanna qui est née là-bas, eux sont des natifs du sud… de l’ Italie, Naples par exemple.

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             Sont trois. A droite le bassiste. Coiffé d’un bonnet et assis de profil, ne quittera pas sa chaise de tout le set. Le mec qui ne fait rien pour attirer le regard des gens. On ne l’entend pas. Comprenez ce que je veux dire, vous vous promenez sur la plage, les cris des mouettes vous percent les oreilles, les enfants se chamaillent en hurlant, les ploufs des baigneurs résonnent comme des coups de canon. Pour une promenade au calme, c’est raté. Pas de crainte, au contraire votre subconscient lui a totalement conscience du bruit de fond, l’écroulement insistant des vagues qui se brisent sur le rivage. Un extraordinaire vacarme tellement habituel que l’on n’y prête pas attention, faudrait que les êtres vivants s’immobilisent et se taisent d’un seul coup pour que l’on puisse se rendre compte de cette sourde rumeur inapaisée. Ces instants de silence les trois autres membres le lui accordent de temps en temps, le temps d’un solo, alors une pulsation profonde se colle à vos tympans et vous fait entendre le bruit primordial de la vie.

             Sont encore trois. A gauche le guitariste.  C’est pas le boss, donc il bosse. Le mec multi-fonctionnel. Il joue de la guitare ce qui n’est en rien significafif pour un guitariste. Mais il joue après. Après tout le monde. Particulièrement après Shanna, nous en reparlerons plus tard. S’appelle Massino, parce qu’il fait le maximo. L’est comme les paléologues, vous leur portez un informe fragment d’os que vous venez de dénicher dans la glaise du champ de fouilles et tout de suite il vous explique que cette esquille osseuse de trois centimètres de long provient de la patte arrière gauche d’un dinosaure, exactement d’un brachiosaure qui vivait à l’époque bénie du Jurassique supérieur. Ces collègues ont fait ce qu’ils ont voulu, lui il rajoute un truc, un lick drôlement bien foutu, ou étrangement biscornu, l’est comme ces maîtres de la Renaissance qui soulignait d’un coup de pinceau l’œil du portrait que venait de terminer un de ses élèves, et tout de suite le tableau acquerrait une force qui vous aurait échappé sans son intervention.

             Sont toujours trois. L’est au centre. Lui il rayonne comme le Roi Soleil. Depuis son trône il illumine la galaxie. Grand, costaud, solide. Il ne joue pas de la batterie. Il frappe, il cogne. Vous fait des démonstration sonores. N’insiste jamais. Tape uniquement les coups strictement nécessaires. Avec une telle conviction que vous entendez le superflu. L’est comme ces génies de la mathématique qui donnent en trois secondes le résultat d’une multiplication à dix-huit chiffres, sans jamais se tromper. Un ordinateur. Qui n’en fait qu’à sa tête, qui n’obéit à aucune préprogrammation, qui ne suit aucune logique, dont la justesse de ses improvisations s’impose par l’évidence de leur présence.

             Quand on y pense ces trois énergumènes sont des larrons en foire taillés sur le même type. Fonctionnent sur le même modèle, dans telle situation, la meilleure solution que pourrait proposer un algorithme génial serait celle-ci, et ils vous la sortent d’instinct. Avec un petit sourire satisfait qui semble dire, si par un hasard extraordinaire la solution idoine ne marchait pas, pas de panique j’ai encre mieux en magasin. Voici. Imaginez que vous avez cette équipe de cadors et que vous seriez chanteuse. N’imaginez plus rien, par chance nous avons Shanna Waterstown !

             Tout devant, au premier rang. Shanna, vous ne voyez qu’elle. Belle, grande, charismatique, micro en main, elle bouge un peu, on ne peut pas  dire qu’elle danse. Quand on a une voix comme la sienne, il est inutile de se contorsionner pour attirer l’attention.  

             Elle commence piano, un peu cabaret jazz, vous avez un peu ce genre de blues middle-class huppée parfois chez BB King, Shanna nous la fait en grande dame, un peu entraîneuse sur les bords, un Dock of the bay si bien modulé qu’on aimerait un coup de vent, un Stay with me sans l’angoisse du timbre de Bene King et un Summertime au soleil pas vraiment estival. En tout cas la voix est chauffée. Il est temps de passer aux choses sérieuses.

             Elle annonce un blues, une de ses compositions. La voix est montée d’un cran, mais elle n’accapare pas le devant de la scène, elle chante pour permettre à ses musiciens se s’exprimer. Ils ne s’en privent pas. Vous font la totale. Un peu de blues, un peu de shuffle, un peu de ryhthm ‘n’blues, un peu de groove, un peu de funk, par pincées, n’exagèrent pas non plus, vous démontrent la différence entre une bicyclette électrique et une grosse cylindrée, vous en déduisez qu’il ne faut pas les classer dans la première catégorie, n’en bombent pas pour autant le torse… Tous les quatre préparent le piège dans lequel on va tomber. Le premier set s’arrête sous les applaudissements.

             Second set. Changement de décor. Nous étions sous un vent fore 7, nous allons connaître la catastrophe planétaire. Par la faute de Shanna Waterstown, elle sort les gros calibres, propres compositions en compagnie de Buddy Guy, Freddy King, Koko Taylor, Big Mama Thornton pour qui elle a manifestement un faible. Avez-vous déjà entendu chanter une chanteuse de blues. Non, au début ce n’est pas grave, elle chante comme vous et moi, enfin presque, ensuite il suffit de chanter comme Shanna. Plus de voix, une tonitruance, sans préavis, on ne s’y attend pas, elle est déjà au sommet de la montagne, la suite est ravageuse, elle pose les mots les uns sur les autres comme les Titans empilaient les blocs cyclopéens pour grimper jusqu’aux demeures divines de l’Olympe. Vous imaginez qu’un lanceur de foudre jupitérien va la calmer à coups d’éclairs, mauvais scénarios, c’est elle qui lance la foudre et le tonnerre. Cataclysmique, elle a le blues-Stromboli éruptif, il déferle sur vous, et vous succombez sous le poids des mots et le choc du vocal.

             Vous n’avez pas vu le temps passer. Shanna sonne la fin des jouissances. Béatrice la patronne, qu’elle soit remerciée pour tout ce qu’elle fait pour la musique que l’on aime, se précipite pour un petit supplément. Nous n’aurons droit qu’à un unique et dernier morceau. De quoi nous refiler le blues !

    RETOUR

    Ouah ! Ouah ! Ouah ! cette fois-ci ce sont des chiens, les miens, tout heureux de m’accueillir après cette nuit bleue !

    Damie Chad.

    *

    Mes chiens me regardent avec reproche, je n’y suis pour rien, l’heure de la promenade est passée depuis longtemps, il pleut à verse, je ne peux rien faire pour eux, sinon appuyer sur cette image d’une plage ensoleillée :

    FATA MORGANA

    CORAL FUZZ

    ( AlbumNumérique / Novembre 1923)

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    Entre nous, le genre de couve, un peu trop brésilienne à mon goût, que je n’aime guère, un bon point les chiens se sont recouchés et prennent leur mal en patience, je regarde de plus près, tiens des grecs, vu le dessin ils n’ont pas l’air d’être portés vers la mythologie, enfin faisons confiance un peuple qui engendré des zigues de la taille d’un Aristote ou d’un Cavafy ne peut pas être entièrement mauvais. J’ai donc cliqué, et je ne le regrette pas.

    J’ai remonté tout l’Instagram de Mariano Piccinetti, l’est argentin, aurais-je été distrait je n’y ai pas trouvé la couve du disque, ce n’est pas le meilleur de ses artworks, vous le comprendrez mieux lorsque vous aurez compris qu’il oppose la bestiole humaine, avec ses us et coutumes modernes, à l’immensité cosmique, et que nous apparaissons en ses œuvres comme un animalcule épisodique… Je m’aperçois qu’il est suivi sur son Instagram par Paige Anderson de Two Runner, que nous suivons depuis plusieurs années, la vie est pleine de connexions surprenantes.

    George Papakwastas : vocals, guitar, Farsifa / Manos K : bass / Argyris Aliprantis : drums, percussions.

    Shiny days : le titre est sorti au mois de juillet 23, la couve n’est pas créditée, elle pourrait être de Mariano Piccinetti, ces personnages en suspension sur les aiguilles de hautes montagnes sont bien dans son style, avec peut-être un petit clin d’œil avec Le voyageur de Gaspar David Friedrich : je ne connais pas les débuts du rock grec, ceux qui auront un peu planché sur la couverture auront reconnu un album de surf, mais il ne me semble pas inspiré par Dick Dale et consorts made in USA, semble plutôt avoir pris pour modèle les premiers groupes de rock instrumental français, voir nos chronics sur les Vautours, les Fantômes et les Fingers, leurs disques seraient-ils parvenus en Grèce ou fait des émules, en tout cas c’est le même son, pas très épais, un peu aigre mais porteur d’une terrible nostalgie… laissez-vous emporter par les premières notes, ricochets d’une belle guitare, une rythmique qui ose pointer à plusieurs reprises le bout de son nez par la portière, cerise sur le gâteau un vocal qui ne dépare en rien l’ensemble, alors que chez les groupes français… Oui mais George chante en anglais. Certes il triche mais il sort gagnant, personne ne lui en veut. Andalucia : quand vous avez une arène en Espagne vous y poussez un taureau, dans les instrumentaux on ne peut pas faire le coup de la vache folle à tous les coups mais une belle espagnolade aux relents de fandango emporte toujours les faveurs du public. Guitare banderille et batterie estocadante, le taureau est envoyé ad patres en deux minutes. Trop vite fait, mais extrêmement bien fait. Run n’ hide : groovy groovy, la basse se régale, la batterie bat de l’amble et la guitare se fait légère comme une brise d’été, le chanteur chante, on n’écoute pas ce qu’il dit, on s’en fout, sa voix nous accompagnera jusqu’au coucher du soleil. Saw you in my dream : cette guitare en chevauchée western nous emporterait jusqu’au bout de la nuit, devrait se taire, il la voit dans ses rêves, l’en fait tout un fromage, m’étonnerait qu’elle cède, en plus il n’arrête pas, enfin si, mais il tient à terminer. Entre nous soit dit le morceau aurait été meilleur en instrumental. My babe’s gone : évidemment elle est partie, la déception a du bon, z’attaquent plus fort, et nous font de ces floutés soniques dont on se souviendra toute la semaine. Pour un peu il se prendrait pour Robert Plant, heureusement que la musique vous balaie le chagrin comme le vent l’écume sur la mer.  Scorching sun : soleil brûlant et combo vent en poupe, pas de problème, personne ne pousse la roucoulante, l’on bondit au sommet des vagues et l’on chevauche les abîmes. Que voudriez-vous de plus. Les chevaux de Neptune sont nos amis. Fata Morgana : le morceau le plus long, ils s’appliquent, tiennent la cadence, cette fille est une fée, sont sages mais ils tiennent à se faire remarquer, la guitare tire la langue d’une façon impertinente, le batteur tient le bon bout, en fait ils veulent s’en débarrasser alors ils s’éloignent sur la pointe des pieds. Bien joué ! Not your type : basse grondante, tout ce que l’on peut faire avec des cordes ils vous l’offrent, du coup George y va mezzo voce, l’a raison mais les autres ne l’entendent pas ainsi joignent leurs organes au sien, ouf ils n’insistent pas, ils ont un si beau son quand ils se taisent. Ils ont compris, sur la fin ils montrent tout ce qu’ils savent faire. Guitar radiation : avec un tel titre vous avez intérêt à assurer. Comme des bêtes. Ce qu’ils font.  Rien à redire, si ce n’est que l’ensemble les dix titres auraient dû être des instrumentaux. Connaissent beaucoup plus de plans qu’ils ne croient eux-mêmes. Techniquement le titre le plus au top. Un régal. Back again : ne lâchent pas le morceau, un petit côté Apache mais pour que l’on ne confonde pas, George se met à chanter et vous change la physionomie de l’objet, vous le fait un peu à l’anglaise, se débrouille même bien, un peu pop, mais brillant.

             Extrêmement agréable à écouter. A réécouter aussi. Le disque n’a pas plus d’une semaine et déjà l’on attend le suivant.

     

    *

    Dans notre livraison 615 du 12 / 10 / 2023 nous nous penchions sur les premières vidéos de trois jeunes filles présentées comme des figures montantes du country, The Castellows, nous les avons suivies depuis leur enfance et les avons quittées sur leur départ pour Nashville nous doutant bien qu’elles ne laisseraient pas insensible le monde musical de cette cité reine de la country.

    Ce 10 novembre l’officialisation de la signature des Castellows avec le label Warner Music Nashville / Warner Records n’a surpris personne. Dans les heures qui ont suivi deux premiers clips officiels n’ont pas tardé à être mis en ligne sur toutes les chaînes de streaming.

    Cette première vidéo étonnera ceux qui ont regardé et écouté les Silo Sessions. Certes l’on retrouve Eleanor Balkcom à la guitare, Lilian au chant et Powell au banjo. Elles ne sont plus seules : Andy Leftwich, fiddle and mandolin, les accompagne. Jerry Mc Pherson est à la guitare électrique, Jimmy Roe aux drums, Steve Macky tient la basse.

    Le morceau est co-signé par les trois sœurs mais le nom d’une quatrième personne apparaît : Hillary Lindsay. Pas tout à fait n’importe qui, depuis vingt ans ses compositions se retrouvent systématiquement en tête des hit-parades country. 

    Les Silo Sessions étaient un peu spartiates, trois jeunes filles assises jouant et chantant en acoustique. Certains reprocheront la monotonie de cette mise en scène, seront-ils pour autant ravis par ce clip qui rappelle un peu trop l’esthétique tik-tokienne…

    N0. 7 ROAD

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             Certes l’on reconnaît les Caslellows, le vocal si particulier de Lily et le fredonnement de leur chant, l’accompagnement entraînant sait se faire discret quand elles chantent pour revenir au galop dans les passages musicaux. Visuellement on se croirait devant un décor peint de théâtre poético-réaliste tel que l’on en présentait au dix-neuvième siècle, une route agreste bordée d’arbres, c’est beau vous avez envie de vous y promener, nos trois adorables princesses s’amusent comme des petites folles, elles courent, elles bondissent, elles dansent, elles rient, une fois par-ci, une fois par-là, si l’on suit les lyrics, l’on peut affirmer qu’elles ont la nostalgie joyeuse…

             Quand l’on regarde le nombre de vues, l’on se dit que le produit Castellows manufacturé par l’industrie de l’entertainement nashvillien est des plus efficaces. 

             Oui, mais voilà il y a la deuxième vidéo, dix fois moins prisées que la précédente puisqu’elle ne bénéficie que de 21 000 vues. L’on y retrouve la même distribution mais ce coup-ci Andy Leftwich est au banjo, Steve Mackey au fiddle, Jerry Mc Pherson a laissé sa guitare électrique à Eleanor et se charge de la basse, en plus de la batterie Jimmy Roe rejoint Eleanor et Powel aux backin vocals. Changements typiques de la dextérité instrumentale des musiciens country.

    Il ne s’agit pas d’une reprise de l’Hurricane de Dylan mais d’une composition de Tom Shuyler + Keith Stegal, + Stewart Harris qui fut créée en 1980 par le chanteur Leon Everret et repris par beaucoup d’autres. You Tube en propose toute une gamme d’interprétations, associées à des images chocs accompagnés de phrasés mélodramatiques… qui portent un peu à rire. Même si l’on a encore le souvenir de l’ouragan Katrina de 2005 qui dévasta la Nouvelle Orleans.

    HURRICANE

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             D’une esthétique totalement différente de NO. 7 Road. Un fond rouge froissé uniforme sur lequel viennent s’incruster en blanc les vues mouvantes des Castellows en train de chanter. On a envie d’écrire qu’elles ne chantent pas qu’elles susurrent, ce qui est faux, mais la rythmique lenteur de l’accompagnement infuse cette impression d’inéluctabilité menaçante, d’une catastrophe imminente, on reste suspendu aux paroles qui s’inscrivent sur l’arrière-fond du rideau cramoisi, les gouttes de pluie du banjo, les plaintes du violon, le suintement percussif créent une ambiance délétère angoissante. La voix de Lily vous entraîne jusqu’au bout de la nuit de l’intranquillité  humaine assumée.

             Une réussite exceptionnelle. Agit sur vous comme l’inoculation d’un poison mortel dont vous ne pouvez vous passer.  Une espèce de tragédie antique dans lesquelles trois sybilles d’Apollon, aux lèvres de de pierre froide et ardente dévoilent ce que nous ne devrions pas savoir.

    ATHENS GA ENTERTAIMENT MUSIC

    6 / 10 / 2023

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             Non, les Castellows n’ont pas encore atteint une renommée internationale qui leur permettrait une tournée européenne. Nous ne sommes pas au bas des pentes de l’Acropole, seulement en Georgie, séparée de la Russie, mais en l’Etat américain de Georgie dont elles sont originaires. Les voici toutes trois sur le devant de la scène, au centre Lily arbore un chapeau de cowboy et une tunique aux couleurs du drapeau américain, leurs longues et fines jambes enserrées en le bleu soutenu d’un jeans.  Derrière les gars sont habillés d’un similaire grimpant, c’est le moment de mesurer si la voix somme toute fluette de Lily peut surmonter la puissance sonore d’un combo, violon, guitare, basse, batterie. Vous trouverez facilement l’ensemble du concert filmé et édité par Gregory Frederik, nous commentons seulement, la vidéo finale, notamment parce que l’on y retrouve Hurricane, c’est exactement la même voix mais les guys derrière devraient jouer un bémol au-dessous, il est nécessaire de se focaliser sur le chant si l’on ne veut pas perdre la magie qui vous saisit à l’écoute de la vidéo précédente… Terminent par une reprise sur un tempo rapide de House of the rising sun, à la fin de laquelle elles offrent aux garçons l’occasion de démontrer leur virtuosité. Sur l’ensemble du concert, elles s’en tirent assez bien, il est indéniable qu’il y a encore des détails à revoir, mais l’on sent qu’elles sont à l’aise et qu’elles apprennent vite.

             La chro était terminée depuis deux jours que viennent d’être annoncées les premières dates d’une première tournée : vingt dates entre février et avril 2024, la machine se met en route.

    Damie Chad.

     

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    Nous avons déjà présenté à plusieurs reprises des traductions françaises de textes théoriques et magickes d’Aleister Crowley opérées par Philippe Pissier. Par exemple dans notre livraison 592 du 16 / 03 / 2023 une Anthologie Introductive à l’œuvre d’Aleister Crowley qui parmi différents types d’œuvres en prose, proposait quelques Poèmes érotiques de la Grande et sommitale bête britannique.     

    En sa jeunesse Crowley a débuté par l’écriture de plusieurs recueils de poésie. Phillipe Pissier vient de traduire en notre langue l’un d’entre eux en intégralité. Qu’il en soi remercié.

             Ceux qui ne comprendraient pas pourquoi en notre blogue rock nous nous obstinons à chroniquer les livres de Crowley au dos de la couverture sont cités pas moins de treize (serait-ce l’arcane tarotique majeur) groupes et personnalités irrémédiablement constitutifs de la culture rock.

    NUEES SANS EAU

    ALEISTER CROWLEY

    Traduction de Philippe Pissier

    Préface de Tobias Churton

    Illustrations d’Anja Bajuk

    HEXEN PRESS / 2023

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             Magnifique couverture, reproduction du peintre Howard Pyle ( 1853 – 1911), illustrateur de livres pour la jeunesse, cette période de l’existence où tous les potentialités de la vie sont ouvertes, mais aussi créateur d’une série de toiles ultra-romantiques entachées d’un absolu pessimisme dont cette Sirène qui nous conte et exalte l’impossibilité néantifère de la réalisation amoureuse entre deux êtres. Notons que Nuées sans eau est paru en 1909. Le choix de cette couverture n’est pas uniquement guidé par des appréciations strictement esthétiques, il témoigne aussi, que l’éditeur en soit remercié, de la recherche d’une concomitance de sensibilité imaginative et réflexive entre des artistes ayant vécu dans de mêmes latitudes temporelles.

             Crowley ne revendique pas son livre, il s’agirait d’un manuscrit anonyme présenté par le Révérend C. Verey pour mettre en garde les âmes pieuses qui abandonneraient la foi transmise par leurs aïeux. Le moindre écart de conduite les mènerait à la mort et à la damnation éternelle… Crowley s’amuse et se moque, il n’en oublie pas pour autant les mésaventures survenues à Oscar Wilde. 

             Le manuscrit est dédié par son auteur présumé inconnu à Marguerite Porete (1215 -1310) béguine mystique qui finit par être brûlée vive (quelques jours après les templiers) pour son livre : Le Miroir des Âmes Simples, qui demeurent en vouloir et en désir de Dieu, il sentait d’après moi un peu trop le gnosticisme, est-ce un hasard si le dédicataire ‘’ inconnu’’ dédie non pas son ouvrage mais son contenu défini comme le ‘’ compte-rendu de nos amours’’ …

             Le livre est divisé en huit chants composés de quatorze quatorzains, à l’exception d’un seul qui en offre quinze, précédés d’un Treizain qui vient après un ensemble de cinq quintils. Ce n’est pas un texte facile – à intensité égale la poésie de langue anglaise est davantage close sur elle-même que la nôtre. La savante préface de Tobias Churton tente de l’éclairer en braquant sur lui les projecteurs de l’existence Crowleyienne et les influences littéraires. Notamment celle d’Axel magnifique pièce de théâtre de Villiers de l’Isle Adam, dans laquelle entrés en possession d’un immense trésor deux amants préfèrent se donner la mort que de survivre au rêve de l’absolu de leur rencontre zénithale destinée à être jour après jour grignotée par l’usure du temps. Notre préfacier ne l’évoque pas mais en plus de la lecture d’Axel que j’ai si ignoblement résumé, le lecteur aura intérêt à se pencher sur le poème Le phénix et la colombe de Shakespeare que Crowley ne pouvait ignorer.

             Les quintils jouent aux quatre coins, les dieux, le rire, l’amour, la mort. Autrement dit l’étrange quadrilatère du rapport de l’expérience de la vie avec l’idée de l’immortalité. Suit une espèce de sixième quintil de quelques mots, un semblant de formule rituellique magique et phonétique, dont la visée n’est autre pour le poëte que d’entamer sous des auspices favorables son voyage de poésie. Le treizain rebat en quelque sorte les dés. Averti par la préface, le lecteur remarquera l’acrostiche de Katlheen Bruce qui désigne une des maîtresses de Crowley, lors de leurs ébats érotiques elle lui infligea le cruel refus de se donner entièrement à lui. Faut-il, maintenant que les choses se sont déroulées ainsi, en rire ou n’en pas pleurer…

             Chaque chant possède sa propre figure. Le premier porte le masque de L’Augure : la prédiction est nette et sans bavure. La chose la plus heureuse qui pourra arriver à nos amants sera la mort. Les Dieux et les Puissances ne sauraient proposer meilleure solution. Attention, se donner la mort est une insulte à l’immortalité des Dieux, l’apparition ici de l’arrière-fond chrétien de l’éducation puritaine reçue par Crowley refait surface, nous touchons à la la psyché métabolique de Crowley qui sans cesse invoque les Dieux pour retrouver une présence unitaire. L’Alchimiste : ici, même lorsque les Dieux nous rappellent notre honteuse et prochaine fin, les contraires s’annulent la vierge peut se donner à son amant, le chant deux est celui de l’ivresse physique de la donation et de la possession, à leurs lèvres les amants boivent le vin de la volupté, mais cette ivresse charnelle n’est-elle pas semblable à celle de la poésie. Le processus alchimique est une chose, mais l’alchimiste est tout aussi important, malgré toutes les pâmoisons s’il y a poésie et poëte, reste-t-il une place pour l’amante… L’Ermite : d’ailleurs elle n’est plus là, us et coutumes sociales les voici séparés, ils ne sont pas morts ensemble et la vie les a disjoints, toute cette absence, toute cette incomplétude, comme par hasard évocation blasphématoire des fêtes chrétiennes… la voix du poëte s’élève jusqu’au rire des Dieux. Le Thaumaturge : le miracle du retour, faut-il pour cela en appeler au Seigneur de la Bible, il est vrai que l’amour vient et s’en va comme Dieu se rapproche et s’écarte, de quoi perdre confiance et de ne plus croire en lui, le concile d’amour se mue en monologue sarcastique, l’incroyant se retrouve seul, ne lui reste que le souvenir de la foi des ardences perdues, les retrouvailles seront désormais intermittentes, miracle de la sagesse de l’acceptation. La messe noire : l’œuvre au noir de l’amour, l’instant où la femme se révèle succube, le désir atteint son paroxysme de dévoration, de destruction de l’un par l’autre, de l’autre selon l’un, une grande violence, viol consenti de l’intégrité de soi-même à l’autre-même, se déposséder de la possession par la possessivité de l’autre, l’amour entre masochisme et sadisme pour sa plus grande exultation, l’impie est impitoyable, l’impie est im-pitoyable, après la monstruosité de l’exaltation, viennent les brises du repos des chairs alanguies et brisées. De l’esprit reposé. L’Adepte : tout se passe dans la tête, autant dire dans la solitude du solipsisme, je suis l’unique, j’englobe le tout et le rien, l’être et le néant, l’immortalité et la mort, je suis Dieu et faiblesse humaine de toi, si je te veux égale à moi tu es déesse, mais peut-être te préfèrerais-je prêtresse de mon culte, nous serions alors  séparés, dans tous les cas l’union de nos solitudes se résoudra dans la mort. Est-ce parce que ce chant pourrait être qualifié d’Egyptien qu’il possède une strophe de plus que les autres ou seulement parce que nous sommes au sommet de l’acmé solitaire de l’amant et du poëte. Tout n’est-il pas déjà écrit, le dernier vers n’est-il pas ‘’ Donne-mou ta bouche, ta bouche, et mourons !’  Ce n’est plus une prophétie mais un ordre en quel sens est-il inclus dans l’ordre du monde. Qui n’est que l’autre face du désastre du monde. Le Vampire : si je suis le seul Dieu quel but donner à ma flèche, tu n’es plus, tu n’es rien, mais comme je suis aussi le rien  tu es le vampire qui vient sucer le sang de mon désir, si Dieu est tout, vers quoi, vers qui étendra-t-il son amour, sur qui pourrais-je tirer sinon sur moi-même, le Dieu de la Bible n’a-t-il pas eu besoin d’un peuple pour lui manifester son amour, le poëte a besoin de lecteurs, lorsque le mirage du théâtre se termine, Shakespeare ne s’en remet-il pas au  public pour être ce qu’il est. Désillusion cosmique est aussi désillusion comique. L’initiation : il faut savoir être logique, les dieux comme les hommes sont mortels, il ne nous reste plus qu’à parfaire notre nature, qu’elle soit divine ou humaine en la mort, du même coup nous nous séparerons de cette commune humanité qui pleurniche devant l’inévitable, qui préfère décliner que regarder le soleil noir de la mort, face à face, afin d’accomplir par ce geste la seule survivance qui nous soit accessible. Les amants qui sont morts ne peuvent plus mourir. L’acte est significatif, non pas pour les autres, mais en lui-même. Endormons-nous pour ne plus jamais nous réveiller. Mais les Dieux dorment-ils du même sommeil que les hommes…

             J’ai juste résumé l’architecture conceptuelle de recueil. Nous ne sommes pas ici dans un blogue consacré à la littérature, toutefois nous attirons l’attention sur ce fait étrange : chaque chant - nous ne dénions pas à ce recueil l’adjectivation d’épique même si le héros ne combat que ses propres faiblesses, que lui-même – peut être lu en tant que récit avec un début et une fin, plus le rejet d’une suite au chant suivant… Il est une autre manière de le lire : chacune des strophes qui forme à elle seule un poème hermétiquement refermé sur lui-même peut aussi être considérée comme la répétition de la strophe précédente. Nous en tirerons deux conclusions : oui elles sont dissemblables,, mais le retour du même n’est pas le même. Mais retour.

             Deuxième conclusion, il reste donc les entailles des huit chants qui correspondent à huit moments différents. Huit points de vue d’un rituel magique en train de se dérouler point par point. Le lecteur aura intérêt à se pencher sur la structure de L’anneau et le Livre de Robert Browning.  Il y est bien question de mort, celle de l’infortunée Pompilia et celle d’Elizabeth Barret Browning. A l’époque où Aleister Crowley rédige et compose Nuées sans eau, Marcel Proust se débat avec la mise en place de la structure de La Recherche du Temps Perdu… Proust, grand admirateur de L’Anneau et le Livre de Browning.

             Croiriez-vous en avoir fini ? Non une seconde lecture s’avère nécessaire. Quinze collages d’Anja Bajuk parsèment le volume, ils n’ont pas été réalisés pour illustrer le recueil Nuées sans eau, pensez-vous que les couleurs qu’employa Gustave Moreau pour ses tableaux aient été créées à l’origine pour ses toiles !

             A l’origine ces collages ont été conçus pour rendre hommage à la figure de Diana Orlow ( 1971 – 1997 ) qui traduisit pour la première fois Le Livre de la Loi de Crowley en langue polonaise. Lilith von Sirius nom de guerre charnelle et spirituelle de Diana Orlow

             Ce sont des images, des lames à s’enfoncer dans le dos. L’art du collage est un art de grande précision, au travers de débris l’on se représente soi-même ou plutôt la vision que nous avons de tel ou tel concept. De concept agissant. Rien à voir avec une idée morte ou une nature morte. Il s’agit de recomposer à partir de mor(t)ceaux éparpillés, tel le cadavre de Dionysos, le vivant afin de le modeler, nous irons jusqu’à dire modeler le regard de celui qui regarde. De là surgissent les archétypes originels que l’on veut potentialiser ou détruire. Ces collages d’Anja Bajuk sont à regarder comme les scènes d’un opéra statique et silencieux – ce n’est pas pour rien qu’Anja Bajuck est une spécialiste des musiques extrêmes, le silence ne contient-il pas l’ensemble des bruits de l’univers portés à leurs paroxysmes, un peu à l’image des papiers déchirés d’Anja Bajuk qui ouvrent une porte sur l’effroyable beauté souveraine et souterraine du monde. Autrement dit de la femme sphinge et de l’homme singe.

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             Ces images sont comme le levain qui fait lever la pâte. Attention, prenez garde, ce livre est opératoire.

    Damie Chad.

             Ce livre est dédié à Olivier Cabière, éditeur du recueil d’Aleister Crowley Rodin in Rime (2018) traduit par Philippe Pissier.