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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 23

  • CHRONIQUES DE POURPRE 631: KR'TNT 631 : WAYNE KRAMER / ROBERT FINLEY / LARRY COLLINS / MARK LANEGAN / JOHNNY ADAMS / BILL CRANE / OAK / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 631

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    08 / 02 / 2024

     

    WAYNE KRAMER / ROBERT FINLEY

    LARRY COLLINS / MARK LANEGAN

    JOHNNY ADAMS / BILL CRANE

    OAK / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 631

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Kramer tune

    (Part Three)

     

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             Stupéfiante nouvelle : Wayne Kramer vient tout juste de casser sa pipe en bois. Stupéfiant, parce que dans Mojo, il annonçait le grand retour du MC5 avec un album et une tournée. Il venait de composer 15 cuts et de monter un nouveau MC5 avec le chanteur Brad Brooks, le bassman Vicki Randle, le guitariste Stevie Salas et le beurreman Winston Watson Jr. - We’re gonna go everywhere. The MC5 is a show band, always was. We’re playing with matches - I want to go out there and burn some stages down - Le pauvre Wayne ne va rien cramer du tout.

             Pour honorer sa mémoire, nous allons désarchiver un texte jadis confié à Gildas pour Dig It!. Ce prétentieux panorama couvrait un vaste territoire : une autobio, la dernière apparition de Wayne Kramer sur scène à Paris en 2018 et quelques films lumineux.

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             À l’âge canonique de soixante-dix balais, Wayne Kramer opère un grand retour dans l’actualité : tournée mondiale d’un MC50 cm3 constitué pour célébrer le cinquantenaire de l’enregistrement du premier album du MC5, parution d’une pulpeuse autobio et tapis rouge dans Mojo avec ce fameux Mojo Interview habituellement réservé aux têtes de gondoles. Certains objecteront que le MC5 est aussi une tête de gondole, oui, mais une tête gondole underground, c’est-à-dire à la cave, avec tous les autres seigneurs des ténèbres. Ceux qu’on préfère. Et de loin.

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             Au temps jadis, personne ne pouvait rivaliser de ramalama fafafa avec le MC5. Wayne Kramer était en outre l’idole de Johnny Thunders et de pas mal de kids à travers le monde. Leur premier album avait pour double particularité de n’être pas double (comme l’étaient quasiment tous les albums live de l’époque, Doors, Cream, Steppenwolf and co) et de ne pas nous pomper l’air avec un solo de batterie. Il reste en outre, avec le Live At The Star-Club de Jerry Lee et No Sleep Till Hammersmith de Motörhead, l’un des plus grands disques live de tous les temps. Par grand, il faut entendre explosif. Le seul mec capable de réinventer une telle pétaudière aujourd’hui s’appelle Pat, l’inénarrable zébulon des Schizophonics. Tous les admirateurs de champignons atomiques connaissent Kick Out The Jams par cœur et se prosternent jusqu’à terre devant le zozo des Schizos, parce qu’il a su reprendre le flambeau avec brio. 

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             On piaffe tous d’impatience de revoir Wayne Kramer sur scène. C’est un peu comme de voir Ron Asheton en chair et en os, l’air de rien, ça redonne un peu de sens à la vie. Pour tromper l’attente, on peut lire le Mojo Interview. La double s’ouvre sur un fantastique portrait de Wayne Kramer : souriant, quasi-iconique, le regard pointé vers le ciel, le cheveu court, la barbe taillée, il offre l’image d’un homme bien dans sa peau, pas trop esquinté. Si on s’écoutait, on lui donnerait une petite cinquantaine. Une autre image le montre assis, tenant dans ses bras la fameuse Strato stars & stripes. Il semble rayonner. Ce mec n’a pas fini de nous surprendre. Il rayonne d’autant plus qu’il vient de se faire retaper : «On m’a installé un corset en uranium sur la colonne vertébrale, des implants dentaires et une prothèse auditive.» Refait à neuf - I’m like the bionic man over here - Brother Wayne vit à Hollywood, ça aide. Il nous explique tranquillement que l’absence du père créa dans sa vie un tel manque affectif qu’il ne réussit à le combler que d’une seule façon : en travaillant dur pour monter sur scène et faire en sorte que les mille personnes présentes dans la salle l’aiment. Il revient rapidement sur son adolescence de fauche et de fight, sur son goût prononcé pour la petite délinquance et sur sa colère qu’il ne contrôlait qu’avec de la dope - It was easier to get loaded than let my anger out - Et tout ça le conduit naturellement à Little Richard. Si Lee Allen fascinait tant Lou Reed, Brother Wayne en pinçait pour le beat d’Earl Palmer et pour la sheer exuberance de Little Richard. Il en pinçait aussi pour la vélocité guitaristique de chikah Chuck. Il enchaîne avec le TAMI show - James Brown and the Rolling Stones were something else - Il savait qu’il ne pourrait jamais devenir un James Brown, mais les Stones, oh yeah, c’était largement à sa portée. Tout cela le conduit naturellement aux rencontres : Rob & Fred. Brother Wayne explique là un truc capital : Rob & Fred étaient les seuls mecs qu’il pouvait fréquenter. On a tous connu ça dans la cour du lycée, l’époque des chapelles de Clochemerle, quand tout le monde se pointait avec des albums de Deep Purple et du Pink Floyd sous le bras. Jamais ceux des Stooges ou du MC5. Communication breakdown. En plus, Rob Tyner est un gosse intelligent et cultivé. Il dessine ses fringues et il sait chanter - Always a step ahead - Il n’y a pas de hasard, Balthazard. Pouf, c’est parti ! Brother Wayne forme Fred à la guitare. Tu joues la rythmique et moi la mélodie, rrright ? Ils bossent sur chickah Chuck comme tous les guitaristes le faisaient à l’époque, les fameux accords rock’n’roll qu’on joue en barré avec le petit doigt alternatif. Pas de guerre d’egos entre Wayne et Fred. Ils bossent leur Detroit Sound en toute impunité. Et comme la clairvoyance leur fait comprendre qu’ils ne sont pas des grands musiciens, ils en arrivent à la conclusion suivante : nous devons inventer quelque chose - That’s where the showmanship of the MC5 came from - Ils inventent le ramalama, c’est-à-dire une bombe atomique, mais une bombe atomique de rêve, celle qui ne ferait pas de mal à une mouche. Et quand cette bombe nous est tombée sur la gueule, on a vraiment a-do-ré ça.

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             D’ailleurs Brother Wayne se montre un peu chatouilleux sur la question de la reconnaissance. Quand un mec qui se croit malin le félicite pour son three-chords rock, ça ne passe pas. Le blast du MC5 va bien plus loin que ce qu’en disent les rois de l’étiquette : il suffit d’écouter la fin de «Starship» pour entendre l’importance du côté expérimental, voire insurrectionnel, the boundary-pushing side, comme l’appelle Wayne, la possibilité d’une île, oui, c’est exactement ce qu’on pouvait ressentir à l’époque, ce groupe ne souffrait pas d’être trop serré dans son jean, il savait s’exploser la braguette à coups de rafales de free. Kick Out The Jams sonnait comme une immense clameur de liberté, de la même façon que Fun House sonnait comme l’endroit qu’on rêvait d’habiter. 

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             Les Beatles et les Stones ? Okay, mais Brother Wayne n’y trouve pas son compte. Le coup du hit pop band ne le branche pas. Grâce à tous ces groupes anglais, il découvre qu’on peut écrire ses propres chansons et donner des concerts, plutôt que de jouer dans des clubs, comme c’est l’usage aux États-Unis. Mais à ses yeux, il manque dans ce phénomène de mode deux dimensions fondamentales : l’artistique et la politique. Il se sentait dans une impasse, à jouer les solos de chickah Chuck et à pousser son ampli dans les orties. C’est là qu’il découvre Sun Ra, Trane et Albert Ayler. Soudain tout s’éclaire. Brother Wayne entre alors dans un kinetic cosmic trip, il donne une forme sonique à ses pulsions politico-artistiques. Merci Brother John ! John Sinclair vient d’entrer dans la danse. Un Sinclair plus âgé et plus cultivé qui, comme Captain Beefheart le fit avec son Magic Band, entreprend de rééduquer ses ouailles, aux plans justement artistique et politique. Tout est dans son livre, le fameux Guitar Army. On peut d’ailleurs définir le Detroit Sound comme un rock d’avant-garde doté d’une conscience politique. Alors que la plupart des groupes étaient managés par des affairistes le plus souvent dénués de tout scrupule, le MC5 eut la chance d’être piloté par John Sinclair. Dans l’interview, Brother Wayne se dit fier d’avoir appartenu à cette génération qui s’est battue contre la guerre du Vietnam et pour les droits civiques du grand peuple noir. Par contre, il se dit inquiet pour l’avenir de son pays, car l’expression ‘conscience politique’ semble avoir disparu du dictionnaire, au profit d’on sait quoi. On ne va pas vous faire un dessin.

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             Mais quand on remet le nez dans les sermons politiques de John Sinclair, on bâille vite aux corneilles. S’il est une chose qui vieillit mal, c’est bien le discours politique enragé des années soixante-dix. Par contre, les actes restent, notamment ceux des branches armées des mouvements d’extrême gauche. Sinclair prônait justement la lutte armée, en fondant le White Panther Party, et il voulait que le MC5 soit la voix de cette révolution urbaine qu’il appelait de tous ses vœux. D’où sa vision d’une guitar army - a raggedy horde of holy barbarians marching into the future, pushed forward by a powerful blast of sound (une horde de barbares célestes entrant dans le futur, propulsée par un gros son) - Si le FBI n’était pas intervenu, nul doute que Sinclair aurait terminé sa carrière à la Maison Blanche. Dans le chapitre Roots qui introduit Guitar Army, Sinclair raconte comment ado il découvrit sa vocation via «Maybelline» et «Tutti Frutti» - There had never been any music like that on earth before - Tous ceux qui ont vécu ça à l’époque le savent : du jour au lendemain, ne comptait plus que le rock’n’roll. Excité comme un pou, Sinclair poursuit : «Tout à coup, on avait Screamin’ Jay Hawkins, Fidel Castro, Billy Riley and his Little Green men spreading the spectrum of possibilities all the way over», des gens qui ouvraient un nouveau champ du possible, un peu comme si Moïse était revenu ouvrir la Mer Rouge pour que tous les kids du monde échappent au joug des pharaons, c’est-à-dire les beaufs - Rock’n’roll was just that, a possibility, a whole new way to go and we jumped into it like there was nothing else for us to do - Oui, ça traçait bien la route - Daddio ! You dig ? We got Bill Haley & the Comets kickin’ out the jams and that’s all we need ! - Sinclair ajoute en outre qu’il ne pouvait y avoir aucun problème avec tous ces blackos de génie - Chuck, Fatsy, Bo Diddley et tous les autres - contrairement à ce que laissait entendre la société blanche bien-pensante qui puait la médisance et l’eau de Cologne - These black singers and magic music-makers were the real freedom riders of Amerika - Il y a de l’ironie dans le propos de Sinclair qui transforme les fils d’esclaves en chevaliers de la liberté. Grâce à John Sinclair, le MC5 entre alors dans la vraie mythologie du black power qui est celle de Trane et des géants du free.

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             Le MC5 devient vite intouchable. Aucun groupe américain ne peut rivaliser avec eux - There was no one that could touch us - Aucun groupe, qu’il soit de Frisco ou de New York, ne veut partager l’affiche avec le MC5 - ‘Cos we would kill them - Brother Wayne rappelle que les Stooges se sont développés dans l’ombre du MC5. Les deux groupes partageaient tout, les disques, les copines, les spliffs, les repas, les jams, absolument tout. Les Stooges sont le baby brother band. Wayne rappelle qu’Iggy avait alors une vision très claire de ce qu’il voulait faire, et les Stooges veillaient à rester strictement anti-intello. Chacun son territoire. Space is the Place pour le MC5, I’ve been dirt but I don’t care pour les Stooges.

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             Et puis tout s’écroule après les trois albums. Brother Wayne perd ce qu’il a de plus cher au monde : son groupe, c’est-à-dire la prunelle de ses yeux. Alors pour survivre, il se plonge corps et âme dans la dope - Just get loaded - Réflexe terriblement classique. Mais plutôt que de devenir un pauvre camé à la ramasse, Brother Wayne décide de devenir une star dans le milieu, un mix d’Arsène Lupin et de big dealer. Il en veut à la terre entière, au music-business, il voit le monde interlope des voyous comme le vrai monde. Il crache sur l’ancien, celui des gens normaux - What was good was for suckers - Il leur laisse leur fucking normalité et entre en clandestinité. Il développe même un cynisme à toute épreuve et trouve toutes les raisons de se féliciter quand il vide un appart ou un magasin. Kick out the jams motherfuckers ! Il ne croyait pas si bien dire, à l’époque où il gueulait ça sur scène, en chœur avec Brother Rob. Et petite cerise sur le gâteau, il se sent mille fois mieux depuis qu’il est passé à l’héro. Moins fatiguant que de monter un groupe et de répéter ! C’est d’ailleurs le problème de cette fucking dope - You can feel better automatically - Et quand il se fait poirer pour trafic de coke, on lui annonce le tarif : quinze piges. Fin de la rigolade. Mais comme il a oublié d’être con, il prend ça avec philosophie. Il sait qu’il a tout fait pour que ça finisse mal. Tu joues tu perds. C’est la règle. 

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             Rassurez-vous, il ne va tirer que deux piges. Au ballon, il feuillette des canards et voit des photos des Ramones. Ça le fait marrer, car les Ramones ressemblent tous les quatre à Fred Sonic Smith. Il retrouve la liberté en 1978 et décide de ne plus toucher aux drogues. Une bonne résolution qui ne tient pas longtemps, car la première chose qu’il fait est de monter Gang War avec Johnny Thunders. Il vient aussi jouer à Londres, invité par ses frères de la côte Mick Farren et Boss Goodman.

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             Après dix ans d’errance et de petits boulots, la mort de Brother Rob en 1991 le réveille brutalement. Brother Wayne se dit qu’il lui reste encore 20 ou 30 piges à vivre et qu’il vaut mieux essayer d’en faire quelque chose. Des disques, par exemple. Et en 1995, il démarre grâce à Brett Gurrewitz d’Epitaph l’enregistrement d’une série d’albums exceptionnels. Brother Wayne se sent en forme et il pense qu’il doit l’excellence de sa condition au fait d’être resté pauvre pendant vingt ans - Imagine que le MC5 ait continué et soit devenu le premier groupe de rock américain : il est certain qu’aujourd’hui je serais mort - Dans ce monde-là, le blé veut dire la dope. Mais quand Bob Mehr lui demande pourquoi il n’a pas choisi un mode de vie plus calme, Brother Wayne lui répond qu’il ne peut pas raisonner ainsi - That’s speculating on a level I can’t get to - C’est comme de demander à l’âne Aliboron ce qu’il pense du bleu de Prusse. Ou à Jésus ce qu’il pense des clous. Vous obtiendrez la réponse que vous méritez.

             Brother Wayne indique aussi que la reformation du DTK/MC5 avec Michael Davis et Dennis Machine Gun Thompson ne s’est pas bien passée, car de vieilles tensions sont remontées à la surface. Brother Wayne ajoute que grâce au web, le MC5 n’a jamais été aussi populaire. Incroyable ! Il est le premier à s’en émerveiller. Qui aurait pu penser ça en 1973, quand le groupe a explosé en plein vol ? Brother Wayne se réjouit de penser que les gens dans le monde entier vont venir le voir rejouer sur scène un album de cinquante ans d’âge.

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             L’autobio de Brother Wayne parue cet été ressemble à un passage obligé, un de plus. Comme dans le cas du Nolan book de Curt Weiss, on pourrait penser que la messe est dite depuis un bon bail, mais non, rien n’est jamais aussi déterminant que la parole des principaux intéressés. Ceux qui ont lu Total Chaos ont pu le remarquer : ce big fat book n’a de sens que parce qu’Iggy raconte lui-même son histoire. Les histoires des mecs fascinants sont comme chacun sait forcément fascinantes.

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             La première chose qu’on remarque, c’est le titre : The Hard Stuff - Dope, Crime, The MC5, And My Life Of Impossibililites. Pas mal, non ? Dans le Mojo Interview, Brother Wayne explique qu’avec son livre, il veut étendre le propos, sortir du rock, revenir à l’humain - a more human path - pour fuir les clichés et surtout transmettre quelque chose qui soit utile. Il laisse les clichés à ceux qui manquent tragiquement de moyens - I wanted to write a book that was broader than rock music - Mais rien n’est plus difficile que de revenir à l’humain. Pour ça, il faut s’appeler Houellebecq ou Cioran, et non Kramer. Le pauvre Brother Wayne confond l’humain avec son nombril. C’est dramatique, et tellement américain, en même temps. Il consacre deux bons tiers de son récit à raconter ses démêlés avec l’addiction. On se croirait dans le cabinet d’un psy. La detox ? J’y arrive ! Oh zut j’y arrive pas ! Mais pourquoi ? Pas de père ? Ah ça c’est embêtant ! Brother Wayne nous raconte dans le détail sa conso d’héro, de vodka, de coke, de malabars et de carambars. Un tout petit peu de sexe, mais pas trop, allons allons, nous ne sommes pas chez Steve Jones. Avec cette marée tourbillonnaire de regrets éternels, Brother Wayne nous emmène aux antipodes de la révolution et de John Coltrane. On espérait une sorte de grandeur, un souffle révolutionnaire et on tombe sur de l’humain, oui, mais pas n’importe lequel : du trop humain. Le PMU de la rue Saint-Hilaire grouille de Brothers Wayne. Et curieusement, c’est peut-être ce qui nous rapproche d’un brave mec comme lui. Le fait qu’il ne sache rien faire d’autre que de parler de lui. Et comme toujours, c’est lorsqu’il évoque les autres qu’il devient intéressant et qu’on commence à l’écouter attentivement. Le cœur de l’autobio, et probablement de sa vie, est sa rencontre avec un certain Red Rodney, derrière les barreaux du Club Med de Lexington, dans le Kentucky.

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             Brother Wayne prend soin de préciser qu’on enfermait essentiellement à Lexington les gens qui trempaient dans la dope, utilisateurs comme dealers. Il sait que de nombreux géants du jazz ont séjourné à Lexington, car il a vu des partitions écrites sur les murs de la petite pièce qui jouxte la scène, dans la salle de spectacle. Ses collègues lui annoncent un jour qu’un certain Red Rodney va arriver - The legendary jazz trumpeter Red Rodney - Qui ? Mickey Rooney ? Non Red Rodney, you dumb fuck ! Brother Wayne apprend que le Red en question a joué avec Benny Goodman, Gene Krupa, Woody Herman et des tas d’autres gens qu’on ne connaît pas. Red remplaça même Miles Davis dans le Charlie Parker Quintet. Brother Wayne s’attend donc à voir arriver un grand black charismatique aux bras couverts de trous de seringues, mais non, Red est un petit cul blanc, la cinquantaine, assez corpulent, presque rose, surmonté d’une touffe de cheveux rouges - Danish jew, he told me later - Brother Wayne a du mal à gagner sa confiance, même s’il se présente à lui comme guitariste. Red garde ses distances, en vieux renard du ballon. Alors Brother Wayne le prend pour un snob. Et puis un jour Red vient le trouver avec sa trompette sous le bras et un cahier à la main. Il lui demande :

             — Tu sais lire la musique ?

             — Euh oui...

             Red ouvre son cahier. Ce sont des partitions.

             — Okay then, let’s play this one. A one ! A two ! A three !

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    ( Charlie Parker _ Red Rodney )

             Brother Wayne accompagne Red en grattant les accords de la partoche. Il en bave des ronds de chapeau - The changes came fast and furious - Quatre accords dans la mesure, tempo enlevé, et Red joue la mélodie. Quand c’est fini, Red dit : «Good, you can play.» Brother Wayne est fier d’avoir réussi son examen. C’est là que débute leur amitié. Ils deviennent copains comme cochons. Alors Red commence à se confier et à raconter ses aventures de trompettiste de jazz à New York dans les années quarante et cinquante, les tournées avec Charlie Parker sur le fameux Chitlin’ Circuit. Bird le surnommait alors Chood et l’obligeait à chanter un blues chaque soir - And I ain’t no singer - Clint Eastwood demanda conseil à Red lors du tournage de Bird et lui demanda même de participer à l’enregistrement de la bande originale du film. Brother Wayne découvre que Red est une sorte de mémoire vivante de l’histoire culturelle et musicale américaine - He was hipper than hip, cooler than cool - Brother Wayne se met à l’admirer intensément, au point de lui consacrer un chapitre entier de son autobio. C’est le cœur battant du livre. Red refait l’éducation musicale de Brother Wayne, lui inculque des notions d’harmonie et de composition. Retour à l’école, mais cette fois avec un vrai maître. Ils montent un jazzband et jouent chaque dimanche à Lexington. Ils sont même autorisés à jouer à l’extérieur. Évidemment, la dope coule à flots à Lexington, comme dans toutes les taules du monde et un jour Red demande à Brother Wayne de l’aider à se shooter, car il n’a plus de veines - Red had no veins left - Comme la grande majorité des jazzmen, Red has a lifetime of shooting up. Eh oui, il a fait ça toute sa vie. Et quand Brother Wayne lui demande pourquoi il est revenu à Lexington, alors Red doit remonter dans le temps...

             Il vivait peinard au Danemark, marié à la responsable du Danish library system. Il recevait sa méthadone chez lui par courrier. La belle vie. Au début des années 70, George Wein les engagea lui et Dexter Gordon pour une tournée américaine. Pour être à l’aise et ne pas être obligé de se ravitailler en tournée, Red acheta deux kilos de raw morphine base à un copain qui était à la fois fan de jazz et gros dealer de la mafia. Red mit le paquet dans sa valise et en arrivant à JFK, les chiens le reniflèrent. Red était repéré. Filature. La brigade des stup défonça la porte de sa chambre d’hôtel au moment où il prenait son premier shoot new-yorkais. Son avocat plaida l’usage et non le deal, alors le juge compatit et colla trois piges dans la barbe de Red, alors qu’il risquait beaucoup plus gros. Mais pour Red, retourner au trou était au-dessus de ses forces. Comme il était libre sous caution, il prit l’avion et se tira vite fait au Danemark. Pendant quelques années, le gouvernement américain demanda son extradition, mais comme Red était danois, pas question. En plus il faut savoir que dans ce pays merveilleux qu’est le Danemark, on ne considère pas l’usage de dope comme un délit. Un jour que Red se trouvait tout seul chez lui, on sonna à la porte. Deux gorilles de l’ambassade américaine lui expliquèrent qu’une nouvelle loi venait de passer, qu’il n’était plus poursuivi et qu’il devait signer un document. Red flaira l’embrouille et demanda à aller chercher ses lunettes. En voulant s’enfuir par la porte de derrière, il tomba sur un troisième gorille qui le braquait avec un 9 mm.

             — Alors, mon gros, tu voulais te faire la belle ?

             Cette ordure tira deux fois, bahm, bahm, une balle dans chaque cuisse. Ils jetèrent Red dans un van et l’emmenèrent à l’American Air Force base. Puis un avion le transporta directement à New York. Ça s’appelle un enlèvement. Red baisse son pantalon et montre à Brother Wayne les deux grosses marques rouges sur ses cuisses : les trous de balles. Arrivé au Bellevue Hospital, Red dut attendre neuf heures avant de voir un médecin. Dans l’aile du Bellevue où il était enfermé, il vit des gens salement amochés, tous kidnappés par les agents du DEA partout dans le monde. Quand il repassa devant le juge, il prit six mois de plus pour délit de fuite. Mais son avocat Edward Bennett Williams se leva lentement et prit soin d’informer le juge que le gouvernement américain avait blessé et kidnappé un citoyen danois vivant au Danemark, en violation de toutes les lois internationales. Juridiquement, il s’agissait d’un cas indéfendable. Maître Edward Bennett Williams demanda donc au nom de son client Red dix millions de dollars de dommages et intérêts. Voilà toute l’histoire du retour à Lexington. Le procès intenté par Red et son avocat contre le gouvernement suivait alors son cours.

             Un an plus tard, alors qu’ils se promènent dans la cour, Red annonce à Brother Wayne qu’on lui propose la liberté immédiate s’il renonce à ses poursuites.

             — Qu’en penses-tu, Wayne ?

             — Appelle ton avocat.

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             Évidemment, l’avocat conseille la fermeté : tiens bon Red ! Six mois plus tard, Brother Wayne sort du trou. Puis il apprend que Red a été libéré un peu après lui. Installé à Manhattan, Brother Wayne appelle son vieux poto pour prendre de ses nouvelles - He was doin’ pretty well ! - En effet, Red s’était acheté un bateau, une maison en Floride et une autre dans le New Jersey. Il avait obtenu trois millions de dollars cash du gouvernement pour boucler le dossier et fermer sa gueule. Red pouvait donc rejouer du jazz, quand il voulait et avec qui il voulait. Red va mourir en 1994, d’un cancer du poumon, à l’âge de 66 ans - He was my mentor and a father figure for me. Le père que Brother Wayne n’a jamais eu. Il rend aussi hommage à Red dans «The Red Arrow», un fantastique blaster qu’on trouve sur l’album Adult World paru en 2002. Écoutez-le et vous verrez trente-six chandelles.

             Ce qui est extraordinaire, dans ce chapitre, comme d’ailleurs dans le reste du récit, c’est qu’on croit entendre cette voix qui nous est familière, si on connaît ses excellents albums solo : débit oral très longiligne, avec un timbre assez doux, presque le ton de la confidence. Des grandes chansons autobiographiques comme «Snatched Deafeat (From The Jaws Of Victory)» ou politiques comme «Something Broken In The Promised Land» font de Brother Wayne un conteur né, mais il semble plus doué à l’oral qu’à l’écrit. Il semble nettement plus à l’aise dans le format sec et net d’un couplet que dans l’enfilade au long cours d’un livre de 300 pages. La distance du livre lui permet toutefois de rappeler ses grandes passions, high-powered drag racing machines (les dragsters) and loud music, le nom du MC5 choisi parce qu’il sonnait comme le nom d’une pièce détachée (Gimme a 4-56 rear end, four shock absorbers and an MC5), le fameux TAMI Show qu’il va revoir plusieurs soirs de suite dans un drive-in et où il découvre les Stones et James Brown, Bobby Babbit, l’un des grands guitaristes de Motown auquel il achète sa première vraie guitare (une sunburst Gibson ES-335), Michael Davis qui l’initie aux drogues (He had lived in New York for a couple of years and knew all about drugs), l’Hendrix d’Are You Experienced, John Sinclair, bien sûr, avant la brouille, Danny Fields, qui soutient le MC5 au moment de la shoote avec Elektra et qui se fait virer comme un chien pour ça, et puis bien sûr les drogues dont il raffole et qu’on croise à toutes les pages, jusqu’au methadon maintenance program qui lui permet de quitter ce parcours du combattant qu’est la vie de junkie - Sick of needles, sick of being broke, sick of lying and hustling - Il ne supportait plus les seringues, la dèche permanente, le mensonge et l’arnaque. Il préfère les opiates du bon docteur. Brother Wayne revient aussi le temps d’un chapitre sur le second désastre de sa carrière (après celui du MC5), Gang War, pour rappeler que cet épisode n’avait pas de sens et que la musique was not much of a consideration. Il aime bien Johnny, mais bon, ce n’est pas si simple - Johnny was not an evil guy but he was also just not the kind of guy who was going to get clean and join a gym (oui, Johnny n’était pas le mauvais bougre, mais il n’était pas non plus du genre à se remettre en état pour aller faire du sport) - Un soir, Johnny choure la caisse d’un club où doit jouer Gang War. Comme le convict Kambes/Kramer sort du ballon et qu’il est encore sous contrôle judiciaire, il ne veut pas y retourner à cause des conneries de Johnny. Il ordonne donc à Johnny de rendre le blé avant que le patron n’appelle les flics. Fin de l’épisode Gang War. Brother Wayne arrête les frais. Dommage, on aurait pu avoir de très beaux albums dans nos étagères. Il faut se contenter de l’existant, qui est sorti sur Skydog. Ce n’est déjà pas si mal.

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             Ce livre grouille d’infos intéressantes sur le MC5, bien sûr, comme l’épisode du renommage. À l’instar de Captain Beefheart, Ricky Derminer rebaptisa tout le groupe, à commencer par lui : il devint Rob Tyner, en l’honneur de McCoy Tyner. Wayne Kambes devint Wayne Kramer, Fred Smith devint Fred Bartholomew Smith (Fred se rebaptisera Sonic plus tard), Dennis Toumich devint Dennis Machine Gun Thompson et Michael Davis Mick Davies, mais pour une minute.

             Entre sa sortie de Lexington et son retour aux affaires, Brother Wayne va rester une bonne dizaine d’années sans jouer. Il s’installe en Floride, puis à Nashville et devient charpentier. Il se marie avec une nommée Gloria et Mick Farren assiste à la cérémonie. Mais au fond, il n’est pas très heureux à construire des maisons pour ceux qu’il appelle des rich motherfuckers. Alors il boit comme un trou. En plus, il voit sur MTV tous ces groupes incroyablement inférieurs au MC5 et qui se goinfrent comme des porcs - The MC5 could have eaten them for breakfast - Et puis le jour où il apprend la mort de Rob Tyner, c’est le déclic. La mort de Rob, c’est la mort de son rêve de jeunesse, auquel il avait consacré la meilleure partie de sa vie. Il le croyait encore possible - Someday it will all turn right - Un jour viendra... Voilà enfin le grand Wayne Kramer, le kid de Detroit à vocation prophétique : «The MC5 would all be great friends again, and we’d rock this MTV generation into a new sonic dimension with the most advanced, hardest-rocking, most soulful music ever heard. We’d usher in a new movement of high-energy music, art, and politics that would break all the old restrictions and power us into the future. (Alors on serait à nouveaux des vrais potes dans le MC5 et on enverrait la génération MTV valser dans une nouvelle dimension avec le rock le plus inspiré et le plus insurrectionnel jamais imaginé, une nouvelle dimension faite de rock, d’art et de politique high-energy qui défoncerait tous les barrages moraux et qui nous projetterait tous dans le futur).» La vision de Brother Wayne fait bien sûr écho à celle de John Sinclair, mais on sent nettement la force de son désespoir : rien n’est pire que la mort d’un rêve. Alors Brother Wayne se reprend, et dans un éclair de lucidité, il comprend qu’on meurt deux fois : la seconde mort est la vraie, celle qui nous attend tous à un moment donné. La première mort est celle de sa jeunesse. Il accepte d’enterrer ses rêves et monte un plan : quitter Nashville pour s’installer à Los Angeles et redémarrer sa vie de rocker. Pourquoi Los Angeles ? C’est là que se fait le business. Brother Wayne veut faire ce pourquoi il est né : kicker les jams. Les albums Epitaph, tous sans exception, sont chaudement recommandés. C’est donc le retour du fils prodigue, qui comme Johnny Thunders et Iggy se voit régulièrement traiter de godfather of punk. Aujourd’hui, on devrait plutôt l’appeler the papy of punk, histoire de le charrier gentiment. Oh, il le prendra bien. Brother Wayne est un homme qui connaît la vie.

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             Pour cette gigantesque tournée mondiale (70 dates), Brother Wayne s’entoure de vétérans et pour ça, il tape dans le dur, c’est-à-dire le batteur de Fugazi, le guitariste de Soundgarden, le bassman de Faith No More et le chanteur de Zen Guerilla. Il nous rassure en affirmant que les musiciens qu’il sollicite pour cette tournée ont des accointances sérieuses avec le MC5. Arrive le grand soir. Il surgit pile à l’heure sur la scène d’un Élysée Montmartre pas très plein, sa guitare stars & stripes en main, sobrement vêtu d’une chemise bleu marine, d’un jean et de petites bottines noires. On sent surtout chez lui une grosse envie de jouer et c’est parti ! Son enthousiasme est non seulement resté intact, mais il se révèle contagieux. Les roadies lui ont aménagé un passage au long de la scène entre la fosse et les retours et il vient y cavaler de temps en temps. Un vrai gosse ! Il ramone son vieux «Ramblin’ Rose» à la glotte rauque et enchaîne avec un Kick Out qui ne fait pas un pli. Quelle vitalité pour un homme de 70 balais ! Il saute dans tous les coins. Mais le mec qui force encore plus l’admiration, c’est Marcus Durant. Cet extraordinaire chanteur de blues se jette à terre pour l’immense burning down de «Motor City’s Burning». Il frappe les planches du plat de la main pour en accentuer le pathos. Lui et Brother Wayne font bien la paire. La vieille énergie du MC5 réchauffe les cœurs flétris. Dans les premiers rangs, la moyenne d’âge est élevée, ce qui paraît logique. Et comme au concert de Martha Reeves, on voit des gens céder à l’émotion. Brother Wayne et ses amis jouent tout le premier album et complètent avec des choses tirées des deux autres albums, du style «Shaking Street» et «Call Me Animal». Évidemment, «Tonight» fait basculer le vieil Élysée dans le chaos et avant de souhaiter bonne nuit aux vieux pépères parisiens, ils leur balancent en pleine gueule la huitième merveille du monde, «Looking At You».

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             Pour les ceusses qui souhaiteraient pousser le bouchon, il existe une documentation très bien foutue sur le Grande Ballroom qui est le berceau du MC5 et du Detroit Sound : un petit livre de Leo Early intitulé The Grande Ballroom - Detroit’s Rock’n’Roll Palace et son pendant filmique, Louder Than Love : The Grande Ballroom Story. Richement illustré, le petit livre de Leo Early fourmille aussi d’énergie informative. L’Early est allé loin chercher ses infos, jusque dans l’histoire du grand-banditisme juif du Detroit des années vingt. Le mec qui est à l’origine du Grande s’appelle Weitzman. L’Early affirme qu’en comparaison de Weitzman et de son Purple Gang, Capone et son organisation n’étaient que des branleurs. Weitzman possédait déjà le Grande Riviera, d’où le nom du Grande Ballroom. Il aurait approché les architectes à succès d’alors, Agree, Strata et Davis pour la construction d’un ballroom qu’il voulait le plus grand du midwest. À cette époque, le business du divertissement était extrêmement juteux. Le Fox Theater de Detroit proposait 5.000 places assises. Faites le compte : 5.000 places à 1 euro tous les soirs. On parle même de building frenzy dans les années vingt. En 1929, la ville de Detroit ne comptait pas moins de 2.000 salles de cinéma, soit 200.000 places. La famille Weitzman lâcha le Grande en 1964 et un certain Gabriel Glantz le reprit. Mais c’est Russ Gibbs qui va en faire le berceau du Detroit Sound. Comme Sam Phillips, Gibbs commence par travailler à la radio, puis il s’intéresse à l’organisation des concerts. C’est sa came. Quand en 1966 il rencontre Bill Graham à San Francisco, il est fasciné par le savoir-faire du Californien et décide de reproduire le modèle du Fillmore à Detroit - I want to bring music to Detroit in the San Francisco style - Gibbs a surtout flashé sur le stroboscope qu’il ne connaissait pas. Il loue le Grande pour 700 $ par mois à Glantz et commence par recruter les groupes locaux, dont bien sûr le MC5. Mais comme il n’a pas un rond, Gibbs demande au MC5 de jouer à l’œil dans un premier temps. Le groupe installe donc son matériel au Grande et en fait sa salle de répète. Et c’est là que naît la fameuse scène de Detroit qui va révolutionner le monde. Eh oui, les groupes se forment pour venir jouer au Grande : les Chosen Few (avec Scott Richardson, James Williamson et Ron Asheton - après le split, ça donnera SRC et les Stooges), les Prime Movers (avec Ron Asheton à la basse et Iggy on drums), les Bossmen (avec Dick Wagner et Mark Farner - après le split, ça donnera Frost et Grand Funk), mais aussi SRC, les mighty Rationals de Scott Morgan et les Up des frères Rasmussen, trois groupes qui ont bien failli devenir énormes. N’oublions pas les plus connus, les Amboy Dukes, Frost et bien sûr les Psychedelic Stooges. C’est au Grande qu’Iggy invente le stage dive et le stage invasion. Oui, tout ça grâce à Russ Gibbs. L’Early revient aussi sur les fameuses émeutes de 1967 - Motor City’s burning baby - et raconte que Tim Buckley programmé au Grande était coincé à Detroit. La ville était tombée aux mains des émeutiers. En revenant dans le quartier, Gibbs fut épaté de voir qu’on avait épargné le Grande. Il vit passer un gang de kids et leur demanda pourquoi ils n’avaient pas fait cramer le Grande. Ils répondirent : «You got the music here man !» Même histoire que le studio Stax qui sera lui aussi épargné en 68 par les émeutiers après l’attentat qui va coûter la vie à Martin Luther King. Puis Gibbs monte d’un cran et vise les pointures anglaises de l’époque, du style Cream, Jeff Beck Group, Who et Bluesbreakers. Il passe un contrat avec un agent new-yorkais indépendant nommé Frank Barsalona. C’est lui qui organise les tournées des têtes de gondoles anglaises, Beatles, Stones, Who, Yardbirds. Barsalona travaille avec Bill Graham à Frisco et Don Law à Boston. Comme il ne dépend pas des maisons de disques, les profits générés par les tournées vont directement aux groupes. Barsalona ne prend que 10%. Russ Gibbs vient donc le rencontrer à New York et en entrant dans son bureau, il croit se retrouver dans une scène du Goodfellas de Scorsese - Barsalona was a heavy Italian dude - Il appartenait en effet au milieu mafieux new-yorkais qu’on appelle the mob. Russ Gibbs : «Oh yeah, that was the mob !» C’est à Don Was que revient le mot de la fin. Il parle du MC5 et des Stooges - Raw as it was, it always had a groove - Rien à voir avec les autres groupes de l’époque, ajoute-t-il - This stuff was always funky, always had an R&B undertone, number one, and number two, it was, it was always about the feel and not about the technique - Not about the perfection of the delivery - Don Was rappelle que les Stooges et le MC5 ne recherchaient pas la perfection, mais le feeling - It was always, always raw, but it always felt good - Et, conclut-il, «si tu avais ces deux choses, le groove et le feeling, tu étais sûr de ne pas te faire jeter. Si tu entends tellement de mauvais rock aujourd’hui, c’est parce qu’il manque soit le feeling, soit le groove.» 

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             Dans son docu consacré au Grande, Tony D’Annunzio raconte sensiblement la même histoire, mais comme toujours, les témoignages réactualisent le passé plus facilement. Russ Gibbs qui est devenu un vieux monsieur redit sa fascination pour l’endroit - The greatest hard-wood dancefloor in the country - et Brother Wayne rappelle qu’à Detroit, la musique était à l’image de la ville, a rough industrial city in the midwest - What you get is very honest - Et crac, on voit le MC5 sur scène et tout le monde se dit fasciné, Lemmy, Mark Farner. On voit aussi témoigner les autres géants, Dick Wagner, Ted Nugent, Alice Cooper, tout le gratin de la Detroit scene. Il y avait tellement de bons groupes que la barre était placée très haut, rappelle Dick Wagner. Les groupes qui perçaient à Detroit pouvaient partir à la conquête du monde sans aucun problème. Dans l’un des bouts d’interviews, Brother Wayne se souvient d’avoir flashé sur les Who - They had it ! - et il évoque la fantastique débauche qui régnait au Grande - An unbelievable amount of sex at the Grande - Brother Wayne et ses copains avaient installé deux matelas, un sous la scène, et un autre dans un grenier, au-dessus de la scène. Ils baisaient comme des lapins. Ce docu attachant se termine avec un dernier hommage au héros du Grande, Russ Gibbs, free spirit, generous guy.

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             Pas de MC5 non plus sans Danny Fields, évidemment. Tout aussi recommandable, le film de Brendan Toller, Danny Says, raconte l’histoire d’un mec fasciné par les crazy people. Danny a la chance de fréquenter la Factory à la grande époque et d’assister aux débuts du Velvet. Quand on commence comme ça, en général, on est foutu - Nico, Edie Sedgwick, Warhol, le Cafe Bizarre - Jac Holzman crée the publicity department chez Elektra pour Danny et le charge de s’occuper de Jim Morrison. Les fans des Doors trouveront des détails croustillants dans ce docu. Puis Danny découvre David Peel et réussit à convaincre Holzman de sortir l’album. Quand on s’intéresse au Velvet, on finit forcément par s’intéresser au MC5. Danny les voit à Detroit et les veut aussitôt. Brother Wayne lui dit qu’il existe un baby brother band, les Stooges. Danny les voit et les veut aussi. Alors il passe un coup de fil à son boss Jac.

             — Jac, j’ai deux groupes déments ! Le MC5, assez connu et les Stooges, pas encore connus ! Que dis-tu de ça ?

             — Okay, propose 20.000 $ au MC5 et 5.000 $ aux Stooges.

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             Tout est bouclé en 24 heures, les sous et les contrats. John Sinclair se retrouve avec 25.000 $, de quoi payer les dettes et acheter du matériel. On connaît la fin de l’histoire : le MC5 viré d’Elektra, puis les Stooges un peu plus tard. Danny se fait aussi virer d’Elektra. Il devient alors l’assistant de Steve Paul. C’est l’époque de Johnny & Edgar Winter. Comme on le considère comme un découvreur, on le branche aussi sur un groupe de Boston, Aerosmith, oui, bof, ben euh, pfffff... Il laisse ça à d’autres. Danny préfère - et de très très loin - les Modern Lovers.

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    Un peu plus tard, Lisa Robinson lui dit d’aller voir un groupe marrant au CBGB. Ils s’appellent les Ramones. Danny les voit et les veut aussitôt. C’est le coup de foudre. Il leur saute dessus dès qu’ils sortent de scène :

             — Je suis Danny Fields ! Voulez-vous de moi comme manager ?

             — One two three four, okay ! Mais tu nous files 3.000 $, okay ?

             Comme il n’a pas de blé, Danny descend voir sa mère en Floride pour lui emprunter les 3.000 $ et tout le monde connaît la suite de l’histoire - Danny says we gotta go/ Gotta go to Idaho.

    Signé : Cazengler, Wayne Kramerde

    Wayne Kramer. Disparu le 2 février 2024

    MC50. Élysée Montmartre. Paris XVIIIe. 14 novembre 2018

    John Sinclair. Guitar Army. Process 2007

    Wayne Kramer. The Hard Stuff - Dope, Crime, The MC5, And My Life Of Impossibilities. Faber & Faber 2018

    Leo Early. The Grande Ballroom - Detroit’s Rock’n’Roll Palace. History Press 2016

    Tony D’Annunzio. Louder Than Love : The Grande Ballroom Story. DVD 2015

    Brendan Toller. Danny Says. DVD 2017

    Bob Mehr : The Mojo Interview. Mojo #297 - August 2018

    Ian Harrison : Brother Wayne reconvenes the MC5. Mojo # 363 - February 2024

     

     

    L’avenir du rock

     - Finley le finaud

     (Part Two)

     

             Cette semaine, l’avenir du rock se penche sur un étrange paradoxe en forme de fleuve : le fleuve des connaissances. Ce fleuve traverse sa vie. Paradoxal, car comme tous les fleuves, celui-ci le nourrit et emporte tout. Conscience paradoxale d’autant plus aiguë que l’avenir du rock se sait conceptuel, donc surexposé. Autant l’avouer tout de suite : il se réserve la métaphore du fleuve pour les bons jours. Les mauvais jours, il se sent moins à l’aise avec l’idée d’être traversé, et se voit plutôt comme un tube digestif, avec toutes les séquelles habituelles : la brioche, l’anus en chou-fleur, la goutte au nez, le double menton et les poches sous les yeux. Comme il se sait conçu pour être traversé, il engloutit inconsidérément et passe du statut de chroniqueur à celui de coliqueur, du statut de concept à celui de conchieur, du statut de prout-prout cadet à celui d’à Dada-sur-le bidet. Le fleuve des connaissances charrie tellement de charivari que le traversé finit par en perdre la moitié de vue. Un exemple parmi tant d’autres : il visionne un docu sur Little Richard, une certaine Valerie June vient claquer sur scène le sublime standard de Sister Rosetta Tharpe, «Strange Things Happening Every Day» et interloqué, l’avenir du rock se demande d’où sort cette black prodigieuse, alors qu’il chantait ses louages dix ans auparavant sur tous les toits. Il s’oblitère à force d’engloutir, il s’annihile à force de pomper, sa boulimie détache le con du cept, il se raccroche désespérément au cept d’Ottokar, ce croyant raffiné, mais le con l’emporte jusqu’au fond des intestins et il va y stagner en compagnie des connaissances putréfiées qui s’accumulent avant l’expulsion bruyante et odorante. Car tout finit par s’expulser, surtout les fleuves de connaissances. Alors grisé par l’auto-défécation subliminale, l’avenir du rock quitte la position accroupie pour s’envoler comme Nosfératu par-dessus les rivages et jurer par tous les dieux qu’il chantera cent fois les louanges de Robert Finley pour enfin endiguer le fleuve de connaissances.

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             Robert Finley est de retour en ville. Dépêche-toi d’en profiter, car tu ne reverras pas un tel géant de sitôt. C’est même une sorte de responsabilité que d’entreprendre un petit bricolo sur un géant de cet acabit. Le soir du concert, tu vis tellement ça en direct que tu ne sais pas comment tu vas pouvoir t’en montrer digne.

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    Tu as devant toi un vieux black qui frise les 70 balais et qui te donne tout ce qu’il a, sans rien demander en échange. Il te le redit, comme il l’avait fait en 2020, I can feel your pain, et il y a un tel accent de sincérité dans le ton de sa voix que tu le crois sur parole. Mais il y a pire. Tu le vois groover sur scène avec une telle indécence qu’il sort non seulement du cadre de ton petit objectif, mais aussi du cadre de tes conceptions. Il y a du Gargantua en Robert Finley, il y a du Saturne et du Golem en lui... Mais non, c’est trop facile ! Les descendants d’esclaves n’ont même pas ces références, puisqu’on leur a tout pris, alors ils ont dû inventer leurs géants, leur culture et leur grandeur. C’est ainsi que Robert Finley prend la suite de Wolf, de Sly, de Miles, de Muddy, d’Hound Dog et d’Hooky, de Bo et de Chucky Chuckah, il est l’un des géants de cette terre et il crève littéralement l’écran.

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    À soixante-dix balais, il dégouline encore de sexe voodoo, il ondule des hanches et baise les déesses africaines de la fertilité, il collectionne les girlfriends et te régale d’histoires de gators dans les étangs, il te ramène toute la grandeur de la Louisiane dans ton époque numérique appauvrie et facebookée en peau-de-chagrin, my Gawd, si tu n’as pas vu Robert Finley sur scène, ça peut vouloir dire que t’as pas vu grand_chose. Mais tu le verras certainement, car comme les géants, il est invulnérable. Il nous survivra tous.

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             Il tourne son dernier album, Black Bayou. La grosse caisse est d’ailleurs décorée d’un visuel Black Bayou. Il y a un tel buzz autour de lui qu’il se retrouve sur la grande scène. Voilà qu’il rameute les foules ! Comme en 2022, sa fille Christy le guide sur scène et chante deux cuts, pas de problème, comme en 2022, l’«I’d Rather Go Blind» d’Etta James et le «Clean Up Woman» de Betty Wright, elle est fabuleusement douée. Comme on dit par ici, les quins font pas des quas. Robert Finley attaque au «Sharecropper’s Son» et embraye aussi sec sur l’infernal «Miss Kitty», pur jus de black power. Tu le vois s’approcher de toi et boucher tout ton champ de vision, il te remplit l’imaginaire à ras bord, tu as sous les yeux ce que le rock, la Soul et le blues combinés peuvent te proposer de mieux.

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    Il y a du Screamin’ Jay Hawkins en Robert Finley, du raw gut d’undergut, de l’Attila black, du griot aux yeux rouges et du sorcier voodoo aux dents branlantes, de l’Hooky et du look out, il rivalise de raunch pyromaniaque avec The Family Stone, il fout le feu au Black Bayou de la même façon que le MC5 foutait le feu à Motor City, Robert Finley ne descend jamais de cheval, car il n’y a pas de cheval chez les esclaves, juste de l’instinct de survie et la peur du patron blanc, il ne faut jamais perdre de vue ce truc-là : avant d’être la patrie du blues et des riches demeures de Gone With The Wind, le Deep South était pour le peuple noir l’enfer sur la terre. Ils ont réussi à transformer cet enfer en paradis pour les amateurs de musique. Mais à quel prix ! Et le vieux Robert enfile ses hits comme des perles en bois, «What Goes Around (Comes Around)», «Nobody Wants To Be Lonely» où il évoque les nursing homes et le commencement de ses problèmes d’old man, «Sneaking Around», et c’est là qu’il te broie le cœur avec «I Can Feel Your Pain». Il va finir avec le pur sexe d’«You Got It (And I Need It)» et «Get It While You Can» avant de revenir en rappel avec «Alligator Bait» et «Make Me Feel Alright». Prodigieux ! Robert Finley atteint le sommet du lard.

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             Cinq étoiles dans Mojo ! Les Anglais qui ont bon goût ne se sont pas trompés : le Black Bayou de Robert Finley est l’un des grands albums de l’an de grâce 2023.

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    Produit par l’Auerbach, mais on s’en fout, Robert Finley n’a jamais été aussi bon, aussi réel. C’est Kenny Brown, le fils (blanc) adoptif de R.L. Burnside qui joue sur l’album. Et il joue dans tous les coins. On se retrouve en plein cœur du Black Power avec un «Sneakin’ Around» explosif de Staxitude. Le vieux Robert chante son raw r’n’b à l’arrache. Encore énormément de son sur «Miss Kitty». Il chauffe tous ses cuts un par un. Robert Finley est un killah ! Encore du power all over avec «Waste of Time» - Standing on the corner/ Trying to lose my mind - Ça joue heavy derrière lui. Et on passe au demented avec «Nobody Wants To Be Lonely». Il chante ça à l’heavy arrache louisianaise, et ça fond dans les chœurs. Il monte encore d’un cran avec un «What Goes Around (Comes Around)» complètement génial de wait a minute, il faut le voir monter son goes around, il travaille sa Soul-rock au corps. Te voilà de nouveau confronté à l’impact d’une météorite légendaire. Robert Finley est un prodigieux artiste, un pur crack du Goes Around, il y va au what goes up, il est partout dans le son. Tu croises très peu d’albums de ce niveau, très peu de Soul Brothers de cet acabit. Encore un coup de génie avec «You Got It (And I Need It)», heavy groove de choc - And you need what I got - Il faut le voir poser son baby et monter au chat perché. Quel festival ! Tous ces mecs se baladent. Down in the bayou avec «Alligator Bait», il y va au we go for a ride, il sort sa meilleure voix d’alligator, il enfonce tous les vieux crabes, il chante au raw des marécages. 

             Oui, 5 étoiles dans Mojo, c’est rarissime. David Hutcheon emmène son lecteur down the 1-20 jusqu’à Monroe. Il dit qu’on peut y pêcher et y canoter, mais attention aux alligators - A lotta kids got ate that way - Hutcheon sort cette phrase macabre d’«Alligator Bait». Puis il s’en va se vautrer en citant les noms de Tom Waits et de Flannery O’Connor. Il tombe encore dans le panneau avec le fameux Southern Gothic. Robert Finley n’a strictement rien à voir avec le Southern Gothic qui est un truc de blancs tourmentés par la culpabilité et la frustration sexuelle, ravagés par les maladies mentales et vénériennes. Hutcheon essaye de nous faire croire que Black Bayou est du «Southern Gothic expressed through soul music.» Alors après s’être vautré dans son analyse, il ramène l’Auerbach. C’est devenu inévitable. Aussi inévitable que les terrines de Bono et de Costello dans les docus musicaux. Ces mecs-là ne se rendent plus compte qu’à force de citer les mauvais noms, ils gomment celui du principal intéressé. Entendu hier soir au moins vingt fois le nom d’Auerbach dans les conversations. Avant on parlait vaguement du mec des Black Keys. Maintenant, tout le monde connaît son nom. Il finira en couverture de Telerama, ça ne saurait tarder. Lorsqu’on cite trop son nom, le diable finit par paraître. Même chose en politique. Tout le monde cite les noms qui devraient être tus, ça rend les mauvais noms très populaires, et ça devient dangereux. Voilà que se pose un gros problème : on finirait par vouloir nous faire croire que sans l’Auerbach, pas de Robert Finley. Si tu crois ça, tu te fous le doigt dans l’œil jusqu’au coude ! Robert est sur scène et il n’a besoin de personne, surtout pas d’Auerbach, en Harley Davidson. Le géant, c’est-à-dire la superstar, c’est Robert Finley, pas l’autre asticot. Mais l’autre asticot a tellement d’ego qu’il ramène sa fraise partout. En 2022, en papotant au bar avec Robert, il fut bien sûr question de l’Auerbach. Lui disant qu’il y avait trop de guitares électriques dans le yellow album Sharecropper’s Son, il hocha la tête - son premier album Age Don’t Mean A Thing était beaucoup plus intéressant, plus Soul, plus Legal Mess. Cette Soul si particulière qui est celle de la Louisiane. Hutcheon cite aussi Tony Joe White, Booker T & The MGs, et Creedence, connu pour son Born On The Bayou. Dans le petit interview qui suit, Robert dit encore que «Nobody Wants To Be Lonely» est dédié aux vieux qu’on oublie dans les nursery homes, qu’on appelle ici les EHPAD.

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             Dans Soul Bag, le vieux Robert est à l’honneur. Images superbes, avec un portrait d’ouverture en noir et blanc qu’on dirait fait au Leica, ou mieux encore, signé Avedon. Quand on lui demande comment il voit choses quand il chante pour un public qui ne comprend pas les paroles, Robert Finley  dit que c’est une question d’énergie. Ça passe. En plus, il danse, il passe un bon moment, c’est l’essence de son message. Puis il finit par confier qu’il est fier de mettre le même chapeau chaque matin et de constater que malgré le succès, sa tête n’a pas grossi. Il essaye de rester aussi normal que possible. En ville, les gens l’appellent Slim - C’est juste ce bon vieux Slim - Il dit aussi construire un studio chez lui pour offrir aux gens du Nord de la Louisiane une chance de percer. Tim Duffy rappelle dans un petit encart comment il a découvert Robert Finley en 2015, alors qu’il jouait dans les rues d’Helena, en Arkansas. Mine de rien, c’est l’encart qui fait mouche, car Duffy a présenté Robert à Bruce Watson, le patron de Big Legal Mess et de Fat Possum, deux labels ultra-légendaires, et bien sûr Watson a tout de suite mis Jimbo Mathus sur le coup, et là, tu as le real deal : le premier album de Robert, Age Don’t Mean A Thing. La différence avec l’Auerbach, c’est que ni Jimbo Mathus ni Bruce Waltson ne la ramènent. Dans un autre encart, le fils adoptif de RL Burnside Kenny Brown avoue être à peu près du même âge que Robert et que comme lui, il était charpentier. Le mot de la fin revient à Christy Johnson, la fille de Robert, celle qui veille sur lui en tournée et qui n’aime pas trop le voir s’approcher du bord de la scène. Quand on lui demande si elle compte enregistrer un album, elle dit oui, bien sûr, mais pour l’instant, c’est impossible car elle veille sur son père qui vit son rêve, et c’est «beaucoup de travail». Oui, Robert Finley superstar.

    Signé : Cazengler, Robert Filasse

    Robert Finley. Nuits de l’Alligator. Le 106. Rouen (76). 27 janvier 2024

    Robert Finley. Black Bayou. Easy Eye Sound 2023

    Frederic Adrian. Bayou de jouvence. Soul Bag N°252 - Octobre Novembre Décembre 2023

    David Hutcheon : Later Alligator. Mojo # 361 - December 2023

     

     

     Rockabilly boogie

     - La raie de Larry

    (Part Two)

     

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             L’ancien marsupilami Larry Collins vient tout juste de casser sa pipe en bois. Il y a tout juste dix ans de cela, KRTNT lui rendait hommage en décrivant, autant que faire se peut, ses bonds sur scène au Town Hall Party. Il en existe trois volumes sur DVD, et certainement autant sur YouTube. Ça vaut vraiment le coup d’aller jeter un œil. Sous ses faux airs de Rusty (celui de Rintintin), ce petit délinquant en herbe passait des solos punk bien avant les punks. Larry Collins était à dix ans une superstar, il grattait comme un con et sautait partout. Un vrai modèle de jeu de jambe et il doublait son mad duck walk d’une ding-a-ling digne de Chucky Chuckah. Il ne fallait pas faire l’erreur de prendre son set pour un numéro de cirque. Larry Collins y croyait dur comme fer et déployait l’une des plus belles énergies rock de l’histoire du rock. À l’époque, on n’avait encore jamais vu ça. En l’examinant, on s’apercevait qu’il avait deux raies, une de chaque côté. Il n’arrêtait JAMAIS de sauter. Il était l’haricot mexicain du rock’n’roll. Il enfilait les duck walks et wild killer solos flash comme des perles. Quand il grattait sa double, il était le roi de la délinquance juvénile.   

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             On ne perd pas non plus son temps à écouter les albums des Collins Kids. Tiens, par exemple ce Town Hall Party paru en 1977. L’album vaut tous les Pistols et tous les Damned d’Angleterre, rien qu’avec l’«Hey Hey» d’ouverture de balda, wild as young fuck ! Ils y vont au til the day I die. Et ils enchaînent avec l’imparable «Whistle Bait», du pur proto-punk juvénile. Rien de plus sauvage en dessous de la ceinture. Avec «Beetle-Bug-Bop», ils font un duo d’enfer, au sens le plus noble de l’expression. Ils boppent comme des diables, avec la classe de Shirley & Lee. Plus loin, tu tombes sur «(Let’s Have A) Party» monté sur un beat rockab. Ils sont merveilleusement frais, ça dégouline de candeur juvénile, puis ils passent à la rockab madness avec «Hop Skip & Jump». Personne ne bat Larry Collins à la course. On aurait tendance à vouloir prendre les Collins Kids pour un gadget. C’est au contraire une affaire très sérieuse.

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             Bear Family fit paraître dans les années 80 deux volumes de Collins Craze, Rockin’ Rollin’ Collins Kids et Vol. 2. Ils devraient trôner dans toute discothèque digne de ce nom, car c’est là qu’éclate au grand jour le génie du teenage Larrry Collins. Tu veux du mad rockab juvénile ? Alors écoute «The Cuckoo Rock» et le «Beetle-Bug-Bop» pré-cité. Ça pulse, c’est frais comme un gardon rockab. Avec «Go Away Don’t Bother Me», ils tapent une grosse ambiance country, et le marsupilami allume sur sa double. Il allume autant que James Burton ! La viande est en B, dès «Shortin’ Bread Rock», un rock’n’roll tapé en mode rockab, c’est assez fulgurant, avec une fantastique pulsion du beat, et un slap qui règne sans partage. Encore du wild cat strut avec «Just Because», propulsé par le slap du diable, c’est même une vraie tourmente de delirium, le slap cavale ventre à terre et Larry te finger-pick tout ça vite fait. On t’aura prévenu : c’est un démon. Suite du festival de wild cat strut avec «Holy Hoy» et «Hot Rod». Ils n’en finissent plus de casser la baraque. Larry te gratte ça au heavy mood, à la Cochran. Pur genius.

             Au dos de la pochette, Larry indique que sa sœur Lorrie et lui sont originaires de Tulsa, Oklahoma - I played a double-necked guitar and they called it «rock-a-billy» - Il ajoute qu’Elvis  l’appelait «his little cat» et qu’Eddie Cochran était son ami - Joe Maphis was «king of the strings» and back-stage, I learned to finger-pick watching Merle Travis. Tex Ritter taught me about life and «Rye-whiskey». Johnny Bond inspired us to be real on stage and off - Il dit qu’à l’époque il avait 8 ans et Lorrie 10. Ça s’appelle une vie de rêve.

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             On retrouve le «Whistle Bait» en ouverture de balda du Vol. 2, cet incroyable chef-d’œuvre de protozozo juvénile. Larry fait sa petite bête de Gévaudan. En B, on retrouve aussi l’excellent «Hop Skip & Jump» slappé de frais et transpercé en plein cœur par un solo dément du démon. Il renoue avec deep rockab beat dans «Move A Little Closer». On l’a remarqué, Larry adore la country et sa version de «Walking The Floor Over You» laisse pantois. C’est gorgé de fraîcheur et de joie de vivre.

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             Pour compléter ce petit panorama, on peut aller écouter sans risque le Television Party paru en 1989. Au dos de la pochette, on voit Larry gratter la double de Joe Maphis. On l’entend faire un festival dans «Chicken Reel». C’est un virtuose, il gratte au hard picking. Il éclate le bluegrass au Sénégal avec «I Was Looking Back To See» et on retrouve à la suite l’infernal «Hot Rod» d’attaque frontale, toujours aussi wild as fuck. Larry fait tout ce qu’il veut, on l’entend gratter comme un démon derrière Lorrie dans «The Wildcat». En B, il s’en va swinguer le vieux «Shake Rattle & Roll». Son toucher de note est exceptionnel. Il drive «Kokomo» au wild guitar slinging et il allume la gueule du «Catfish Boogie» de Tennessee Ernie Ford au heavy rockab strut, une fois de plus. Larry monte sur tous les coups.

    Signé : Cazengler, Larry pot de collins

    Larry Collins. Disparu le 5 janvier 2024

    Collins Kids. Town Hall Party. Country Classics Library 1977

    Collins Kids. Rockin’ Rollin’ Collins Kids. Bear Family 1981

    Collins Kids. Vol. 2. Bear Family 1983

    Collins Kids. Television Party. TV Records 1989

     

     

    Lanegan à tous les coups

     - Part Seven

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             On avait cru pouvoir faire l’impasse sur les deux albums que Lanegan enregistra jadis avec les Soulsavers, un petit duo britannique traficoteur d’electro-gospel-rock, comme disent les étiqueteurs en mal d’étiquettes. Au fond, on se fout de ce que ces deux petits mecs traficotent. C’est Lanegan qui nous intéresse et voilà pourquoi.

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             Parce qu’il reste, même après son cassage de pipe en bois, le plus grand chanteur de rock américain. Tu en as 8 preuves irréfutables dans Broken, un Soulsavers de 2009. T’es sonné aussitôt «Death Bells». Lanegan fait battre le cœur du beat. On appelle ça du génie pulsatif. Lanegan y sonne le tocsin des enfers, il fout le feu et n’en finit plus de le rallumer. Il pleut du plomb sur l’or du Rhin. Lanegan passe au heavy groove de cimetière avec «Unbalanced Pieces», il chante avec l’éclat de la mort, avec l’impondérable. Il est déjà mort, semble-t-il, quand il chante ça, car c’est criant de véracité funèbre. C’est un éclat que tu ne peux comprendre que si tu es déjà mort. Avec «You Will Miss Me When I Burn», il arrive sur toi comme un suaire. La couverture de la mort, tu connais ? Il vibre dans les fibres de ton corps défait. Depuis Baudelaire, nul artiste n’est allé aussi loin dans l’art de la décomposition. Lanegan rend l’hommage suprême à Geno avec une cover de «Some Misunderstanding». Te voilà rendu au maximum de ce que peut t’offrir le rock, une star qui rend hommage à une autre star, et ça splasche all over, et ça repart dans la Méricourt avec la gratte de Rick Warren, cette combinaison des génies te fait suffoquer de bonheur, Lanegan sait ce qu’il fait en choisissant Geno parmi tant d’autres. Cette fois, au lieu de t’emmener au cimetière, il t’emmène dans la stratosphère. Et puis voilà «All The Way Down» qui restera certainement l’un des plus gros hits de Lanegan. Alors qu’il brûle en enfer, il chante la rédemption. Il grave encore un hit dans le marbre, il chante avec les dents dehors, il avance dans la nuit comme le loup des steppes, et ce n’est pas fini, car voilà «Shadows Fall», une nouvelle oraison, il travaille sa maille au corps, Lanegan est un homme du tonneau, il pèse son poids et chante à la voix de poitrine, il reste un fabuleux implicateur d’imprécations, il fond sur le cut comme l’aigle sur Tsi-Na-Pah, il screame son shadow moribond, il s’agit de Lanegan, after all, un homme capable de miracles sépulcraux. Cet album sonne comme une alarme, et pendant que tu te diriges vers la sortie, Lanegan rassemble ses shadows comme des stalactites, my love. Il se fond ensuite sous le boisseau ferroviaire de «Can’t Catch The Train». Il se plie à une évidence laneganienne : can’t catch the train, alors il envenime le groove. Lanegan est un atroce sorcier, il plonge ses mains dans les entrailles du groove, sa victime, et te lit les oracles. Aucun chanteur n’est allé aussi loin dans l’exploitation de la beauté formelle. «Rolling Sky» sonne comme le dernier souffle, aérien et moderne, le cut avance à pas d’éléphant, plus free, une chanteuse s’élance dans le grand foutoir carbonisé, c’est heavy as hell, Hell je ne veux qu’Hell, alors évidemment, Lanegan ramène sa morgue de corps bleu et sa voix vibre dans la mort.     

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             Il a enregistré un autre album avec les petits mecs de Soulsavers, l’inestimable It’s Not How Far You Fall It’s The Way You Land. Inestimable parce que «Ghosts Of You And Me». C’est lui qui fait danser le squelette, dans une ambiance glacée de vents technoïdes. Ah il faut le voir descendre au barbu du cut, en poussant de sourds ouhm ouhm ouhm. Il groove ensuite la messe de «Paper Momey» dans la cathédrale de la mort. Encore un cut épais et sans espoir. Ça explose en gerbes de sang impur, comme dans la chanson de Rouget de Lisle. Lanegan fait de la littérature, alors qu’on le croit chanteur de rock. Il crée encore l’événement littéraire de la rentrée avec «Spititual». Les deux petits mecs de l’electro-gospel machin lui fournissent tous les effets. La voix règne en maître sur cette terre désolée - Jesus Oh Jesus/ I don’t wanna die anymore - Puis il attaque «Kindom Of Rain» au croack de crocodile, il vibre jusque dans les profondeurs de tes chairs. Et il revient au suprême sommet du lard avec «Through My Sails». Il vient même te le chanter au creux du cou. Sa voix dans le bois de Boulogne... On sent encore son odeur dans «Jesus Of Nothing», il rôde dans l’ombre expressionniste d’entre chien et loup, il miaule d’une voix de génie poitrinaire. Il ne demandera jamais pardon pour ses péchés, ce qui fait sa grandeur. C’est tout ce qu’on aime dans le rock, le poids de la mort qui rôde, comme une évidence, alors autant en faire de l’art. Lanegan swingue le beat des squelettes, avec les faux airs malsains de Rosemary’s Baby, il chante d’une voix de Prince des Ténèbres, il est plus vrai que vrai dans ce rôle tant convoité, il reste l’homme au teint blafard qu’on admire encore plus depuis qu’il s’est vidé de son sang, depuis qu’il est enfin un vrai cadavre. Il termine cet album en forme de convoi funéraire avec «No Expectations», take me to the station, Lanegan répand sa magie comme un poison dans tes veines.

    Signé : Cazengler, Lanegland

    Soulsavers. It’s Not How Far You Fall It’s The Way You Land. V2 2007

    Soulsavers. Broken. V2 2009

     

     

    Inside the goldmine –

    Pomme d’Adams

    (Part One)

             Au début, on ne comprenait pas bien ce qu’il cherchait. Il disait s’appeler Adam et se disait originaire du Mali, issu d’une grande famille. Cet homme haut et sec au regard très noir et aux cheveux blancs dégageait une réelle prestance. Le seul hic, c’est qu’il portait la tenue de travail des balayeurs des rues, ce qu’il était effectivement, comme la plupart des Maliens établis à Paris. Il bossait du côté de Belleville et de Ménilmontant. Il disait apprécier notre revue d’art et proposait d’y contribuer. Nous lui offrîmes une bière qu’il refusa. Il voulait juste un accord. Il revint le lendemain avec un dossier de photos. Il étala quelques images sur la grande table. Adam ne disait rien. Les images montraient des fresques peintes sur d’immenses façades et des statues africaines monumentales. Un ensemble stupéfiant. Nous lui demandâmes s’il était l’auteur de toutes ces œuvres et il hocha la tête en signe d’approbation. Mais où se trouvent ces œuvres ? Il retournait les images. Il avait inscrit au dos quelques informations sommaires, un lieu, une date. Là où n’importe quel artiste aurait assommé son auditoire avec des commentaires à n’en plus finir, Adam ne disait absolument rien. On commençait à voir en lui une sorte de griot, ou d’être extrêmement exotique doté de pouvoirs surnaturels. Il gardait ses distances. Il voulait juste savoir si on acceptait de publier ses photos.

             — Mais Adam, il faut qu’on fasse une interview, on ne peut pas passer les photos telles quelles !

             Il fit non de la tête. Il pointa du doigt les légendes sommaires au dos.

             — Ça suffira.

             Il demanda ensuite une feuille de papier et y écrivit laborieusement une adresse au Mali. Il voulait juste qu’on envoie un numéro de la revue à cette adresse pour que sa famille soit informée de son art. Et quand on lui demanda comment titrer les pages qu’on lui consacrait, il répondit :

             — Adam, premier homme.

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             Il y a du Adam chez Johnny Adams : même stature, même mystère, même classe. On pourrait même ajouter ‘même voix’. La meilleure introduction à l’œuvre de Johnny Adams est une belle compile Ace parue en 2015, I Won’t Cry The Complete Ric & Ron Singles 1959-1964.

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             Tony Rounce n’est pas avare de compliments sur Johnny Adams. Il parle d’une carrière de 40 ans, ce qui n’est pas rien, et d’un «vocal range that spanned several octaves», ce qui n’est pas rien non plus. Johnny Adams est un petit black né à la Nouvelle Orleans au début des années trente, et l’aîné de dix enfants, ce qui n’est pas rien non plus. Et puis un jour, Dorothy La Bostrie sonne à sa porte. Elle passait dans la rue et a entendu le petit Johnny chanter. Comme elle cherche quelqu’un pour chanter les démos qu’elle doit présenter à Joe Ruffino, le boss et Ric & Ron Records, elle demande au petit Johnny s’il veut bien lui faire l’honneur de les chanter, ce qui n’est vraiment pas rien du tout. Le petit Johnny hésite, car il s’est voué à God et n’approche pas la secular music, alors Dorothy use de ses charmes pour le convaincre, et il enregistre la démo d’«I Won’t Cry». Quand il entend ça, Joe Ruffino craque et cale une session d’enregistrement chez devinez qui ? Cosimo, bien entendu. L’A&R Edgard Blanchard supervise la session. C’est l’«I Won’t Cry» qui ouvre le bal de la compile Ric & Ron et «the near 40-year solo carreer of the ‘Tan Canary’». Quand on écoute «I Won’t Cry», on est aussitôt frappé par la présence vocale de l’early Johnny, il chante du drain, il est surnaturel de volonté. Avec chaque cut, il veille à peser de tout son poids. Il propose un early r’n’b, mais avec une réelle ampleur.

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             Les singles sont bons, mais ne sont pas des hits nationaux. Peu importe, Ruffino y croit dur comme fer. Il envoie Johnny en studio tous les trois mois pour enregistrer un nouveau single. Go Johnny go ! Mac Rebennack entre dans la danse en tant qu’A&R pour Ruffino et co-écrit «Come On», le deuxième single de Johnny, un early r’n’b d’une réelle ampleur. C’est aussi le premier single de Johnny qui paraît en Angleterre, en 1959. Mac Rebennack compose «The Bells Are Ringing», le troisième single de Johnny, qui cette fois est supervisé par Harold Battiste. Nous voilà au cœur du mythe de la Nouvelle Orleans.   

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              Il faut attendre «Someone For Me» pour voir Johnny grimper des échelons. Il chante à outrance et tape un magnifique heavy groove. Il joue de sa voix comme d’un instrument. «You Can Make It If You Try» sonne comme un slowah océanique. Gene Vincent et Sly Stone l’ont tapé, y compris les Stones sur leur premier LP. Johnny y va au make it et accompagne tout ça au awww. Il renoue enfin avec le swing de la Nouvelle Orleans dans «Life Is Just A Struggle», un hit signé Chris Kenner, brièvement signé sur Ric & Ron, mais surtout connu comme compositeur de choc («I Like It Like That» et «Land Of 1000 Dances»). Superbe, rond et concassé, gras et jouissif. Johnny passe au heavy blues avec «Losing Battle», signé Mac Rebennack, un vrai heavy blues d’you know it’s hard, the most adventured record, nous dit Rounce.  Johnny est un scorcher hors compétition. Ruffino investit dans la promo du Losing Battle qui devient enfin un hit national. Mais le conte de fées s’arrête brutalement : en 1962, Joe Ruffino casse sa pipe en bois. Son cœur lâche. Ses fils Ric et Ron tentent de prendre la relève, mais ils n’ont pas le pâté de foi de leur père. Les deux labels vont vite couler à pic. Johnny se retrouve le bec dans l’eau : plus de label.

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             «Tra-La-La» est donc un single posthume. Johnny a des filles qui font tra-la-la, alors ça devient un petit chef d’œuvre de good time music. En 1963, un nommé Joe Assunto tente de ressusciter Ric & Ron, avec la série Ric 900. Johnny enregistre chez Cosimo, et Wardell Quezergue supervise. Alors voilà le coup de Jarnac : «Lonely Drifter» ! Il attaque ça au I’m drifting dans un climat d’excelsior demented, il explose dans la chaleur du four, il s’en va te screamer ça au plafond, le voilà englué dans une énorme purée de son et il n’en finit plus de screamer dans l’allégresse, c’est un hit supersonique, il creuse sa différence. Cette excellente brochette de hits inconnus s’achève avec «Walking The Floor Over You», une belle version primitive, très sauvage - Tell me one thing - ponctuée par un gratté de plonk plonk plonk.

             Après tout ça, Johnny partira à l’aventure, d’abord à Houston, enregistrer pour Huey P. Meaux. Puis il va vivre d’autres aventures palpitantes, en signant chez Atlantic, qui l’envoie enregistrer chez Malaco sous la direction d’un vieux copain, Wardell Quezergue, puis direction Miami où il enregistre au Criteria avec devinez qui ? Les Dixie Flyers. Et ce démon de Tony Rounce balance l’info fatale : «50% of the masters remain inissued.»

     

    Signé : Cazengler, Johnny Œdème

    Johnny Adams. I Won’t Cry The Complete Ric & Ron Singles 1959-1964. Ace Records 2015

     

    *

    L’éloignement fait-il du bien aux créateurs ? Pensons à Victor Hugo exilé sur l’île de Guernesey qui écrivit sur ce rocher (pas si lointain) quelques-uns des recueils les plus vertigineux de la grande lyrique française. Aucun gouvernement n’a envoyé Bill Crane en résidence surveillée en Thaïlande. Je ne sais si comme l’auteur de Solitudines Coeli il s’adonne aux tables tournantes et si la nuit noire par la fenêtre de son appartement il aperçoit la dame blanche se promener dans son jardin. Je m’en tiendrai aux faits : dans notre livraison 627 du 11 / 01 / 2024 je chroniquais : son album : Baby call my name. La semaine suivante le 18 / 01 / 2024 dans notre livraison 628, Love in vain un EP trois titres. Bill Crane s’est sans doute souvenu des anciens 45 tours français aux mirifiques pochettes colorées qui offraient quatre titres, je viens de m’apercevoir qu’il en a donc rajouté un quatrième à son brelan d’as le transformant ainsi en ce que je m’amuse à surnommer, non pas un four of a kind, mais un four of a king :

    GIMME BACK MY LOVE

    (Extrait de l’EP : LOVE IN VAIN)

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    Nostalgie du son et nostalgie de l’amour, l’on ne sait laquelle des deux l’emporte sur l’autre, longues lampées de guitare sixties, juste une vague lentement suivie par une autre, un mouvement qui nous semble infini tant notre désir aimerait que cela ne se termine jamais, en contrepartie le raffut de la machine rythmique qui marque le temps imperturbable qui s’écoule emportant tout sur son passage, et puis la voix d’une singulière pureté, d’autant plus étrange qu’elle s’adresse à un homme, sans beaucoup d’imagination l’on se croit dans un morceau de gospel, une prière qui s’élèverait vers un Dieu charnel. N’oublions pas, le gospel est une des racines du rock’n’roll. Lorsque l’on vise l’essence d’une chose on touche à ses origines car rien ne vient de rien. Ce morceau ajoute une touche abstraite à cet EP, qui agit sur nous comme une épine empoisonnée qui s’enfoncerait dans les existentielles représentations culturelles de la construction mentale de nos souvenances. 

    *

    L’enfer est décidément pavé de bonnes réalisations puisque, ce prolifique mois de janvier billcranien n’était pas terminé que déjà paraissait un deuxième album :

    HELL IS HERE

    (YT / Janvier 2024)

             Le rock’n’roll est une pâte molle, il se modèle à volonté. L’auditeur n’en est pas obligatoirement conscient, car on ne lui montre l’objet qu’une fois terminé, cuit, émaillé, sorti du four électrique et revêtu des riches couleurs dont on l’a doté. En jouant sur le titre de cet album l’on pourrait réunir les deux opus précédents sous l’appellation : Hell was here, même si le passé est si fortement implanté en nous qu’il résonne toujours. Un peu à la manière de ces moulins à prière tibétains qu’un mélancolique vent mauvais et verlainien met en mouvement.

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    You got it : si par maladresse vous avez enlevé le son et que vous ayez laissé défiler les paroles, vous êtes dans la continuité de ce qui précède, selon un aspect du rock’n’roll jusqu’ à lors occulté, celui de la joie du corps, de la dépense physique, de la danse très around the clock, shake it baby. Vous serrez les meubles du salon et vous poussez le son. Changement de ton. Première surprise, le rythme ne boppe pas, un peu pesant, même si le vocal vous donne l’illusion d’un certain entrain, faut dire que la musique vous englobe si bien que vous vous laissez porter par elle, les yeux fermés dans une boîte vous dansez dans la pénombre. Êtes-vous encore vous-même, qui êtes-vous, vous-même, votre propre ectoplasme, votre fantôme et où êtes-vous, il y a tant de morceaux de rock hot rails to hell, peut-être que cette fois-ci, vous êtes vraiment arrivés à destination… Vous aurez du mal à quitter les sombres tonalités de ce titre. Sans doute parce qu’elles émanent de vous. Monstrueux.

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    Do U love me : l’image qui accompagnait le titre précédent était rassurante, une fille qui danse, elle me rappelle un peu la pochette de Rock’n’roll animal de Lou Reed, celle-ci est des plus simples, un cercle, une ronde, around the clock, ou le schéma d’une tête dans laquelle les pensées tournent en rond, notes sombres qui résonnent, et la voix qui interroge, celle de l’adolescent éternel qui n’est jamais sûr d’être aimé pour lui-même ou pour son perfecto. Ce qui est sûr : dès que l’on tente de s’accrocher au monde extérieur l’on prend pied dans le monde des incertitudes. A peine plus de deux minutes, malgré la force maléfique de ce morceau ensorcelant vous êtes soulagés quand il s’arrête. Vous y revenez bien sûr. Comment s’évade-t-on d’un cercle ? 

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    Up & down : vous donne la réponse. Une rythmique, vous savez la même qu’utilisent les combos en concert pour faire durer le titre sur lequel le public a accroché, faisons l’impasse sur ses sonorités venues de nulle part et envoûtantes, ce coup-ci, suffit de suivre le mouvement, vous êtes sûr de votre coup, elle ne pourra pas vous échapper, la poiscaille est ferrée, sifflements d’admiration quand vous sortez pour votre petite affaire, dans la vie il y a des hauts et des bas, aujourd’hui c’est vous qui êtes sur le point culminant.

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    So funky : tout va bien, nous avons fait le tour du cercle, nous repartons donc pour un tour, elle sur la photo, les taches de couleur sur son corps ne sont que les projections de notre désir, la guitare résonne dur, elle imite le danseur perroquet qui prononce sans arrêt so funky, dans la série enfonce-toi bien ça dans la tête, vous ne pourrez faire mieux, le rythme est lancinant, obsédant, angoissant si l’on veut être franc.

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    Go dancing : paysage suggestif, l’a ce qu’il veut, tout dépend de la danse à laquelle on pense, tourner sans fin autour de la pendule ne suffit plus, les résonances explorent le terrain vierge, si vous vous voulez, durant l’orgasme il pousse des cris maniérés à la David Bowie, bientôt la musique prend toute la place, z’ont mieux à faire. 

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    Cool death : l’a pris une image noire pour illustrer cette musique clinquante qui fuse d’un peu partout, dont les points d’entrée délimitent un espace noir, mort fraîche, mort froide, mort molle, mort dure, dans ces résonances abstruses et funèbres, l’on ne danse plus, le rythme est trop lent, épars, des bruits de nulle part, la mort n’est-elle pas le dernier rendez-vous, celui que l’on ne peut éviter, une guitare mugit, une vache que l’on mène à l’abattoir. Long est le chemin. Avec soi-même.

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    Dark street blues : instrumental : ce n’est plus un titre, un totem que les légions romaines promenaient durant batailles et pérégrinations, derrière lequel le rock aime à se protéger, un blues plus profond que la mort, à la hauteur érigée de l’image impudique, l’alliance sans cesse renouvelée d’Eros et Thanatos, au fond de la rue tu n’iras jamais plus loin que la mort de ta chair ou de la chair de ta mort. 

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    My sweet machine : la demoiselle a l’aspect d’un lémure, shake, shake, shake, autant de fois que vous voulez, mais le tempo n’y incite guère, trop lent, peuplé de grincements peu affriolants, douce est la machine, puisqu’il le dit, nous ne le croyons pas, une mécanique qui n’en finit pas de tourner sur elle-même, peu avenante, inquiétante, don’t save for me the last dance baby !

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    The hell : enfin on y arrive, il y a longtemps que l’on y était, ce n’est pas grave, l’on nous distribue une image abstraite et écarlate comme ticket d’entrée, la guitare ne se retient plus, elle fuse, elle metallise à mort, Bill crâne à mort avec sa voix de profundis, danse funèbre, brrre !!! La barbaque est froide, l’on connaît déjà.

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    Waht’s that ? !!! : un peu couronne mortuaire, c’est un peu comme si vous bouffez les fleurs par la racine depuis dessous votre pierre tombale, tiens il y a du monde, y en a même un qui tousse, le cat Bill s’amuse à imiter les agonies et le cri des âmes torturées dans les feux de l’enfer. Les rockers ne peuvent jamais prendre les choses au sérieux. Rock parodie !

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    Rock-cola Cafe : dans les morceaux de blues l’on se réveille généralement le matin, dans les morceaux de rock aussi ( un tantinet plus tard) l’est temps d’enfiler son jean, l’est comme neuf, oublions cette meurtrissure, dans le dos, juste à la place du cœur, est-ce vraiment si important depuis qu’elle est morte comme une poupée gonflable, comme toutes les autres, ça résonne comme si l’on entendait la réverbe occasionnée par une voûte, tiens au niveau paroles c’est un peu comme un remake de The End, attention, il pousse la porte.

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    The walking dead : instrumental : dehors, on respire, la main aux ongles rouges est encore crispée mais la musique est alerte, que cela fait du bien de trouver de l’air frais. Sur la fin la guitare sonne sixties, ah ces jours heureux du rock, ce temps de l’innocence qui ne reviendra jamais. Puisqu’il est toujours là. Serial killer en quelque sorte.

             L’on ne s’y attendait pas. Bill Crane nous a offert un opéra rock, moins optimiste que le Tommy des Who, plus inquiétant que le Berlin de Lou Reed. Ecoutez-le et modelez le scénario à votre guise. Bill Crane a laissé des interstices. Exactement les mêmes qui séparent la vie de la mort.

             Une curiosité. Morbide ajouteront ceux qui n’aiment rien. Surtout pas le rock’n’roll.

    Damie Chad.

     

    *

             L’opus est sorti depuis un an, je n’ai tilté ni sur la pochette, elle n’est pas mal du tout, ni sur le sound pour la raison nécessaire et suffisante que je ne l’avais pas encore écouté, simplement sur le temps. Pas le soleil, ni la pluie, ni la neige, non les 44 minutes 38 secondes du morceau. Bonjour le cachalot ! L’on n’en pêche pas un de cet acabit tous les matins dans sa baignoire.

    DISINTEGRATE

    OAK

    (LP, CD via Bandcamp / Février 2023)

    Avant d’écouter o monstro, ces deux derniers mots ne sont pas victimes d’une malencontreuse faute de frappe ils sont issus de la langue portugaise, oui ils sont du pays de Camoens l’immortel auteur des Lusiades, livrons-nous à quelques travaux d’approche.

    Ne sont que deux à avoir commis cette abomination temporelle : Guilherme Henriques : vocals, guitars / Pedro Soares : drums.  Pas de frais metalleux du matin, présentent un pedigree groupique long comme le bras, sont membre du groupe Gaerea, c’est d’ailleurs Lucas Ferrand de Gaerea qui est venu tenir la basse.

    La couve est de Belial NecroArts, de Lisbonne, une visite de son FB s’impose pour tous les amateurs de Back Art, pour les autres aussi. J’ai failli ne pas écrire cette chronique, tant j’ai passé de temps à regarder ses œuvres. Beaucoup de noir (et de blanc) mais je me suis surtout attardé sur ses œuvres moins nombreuses qui usent aussi de la couleur. Disintegrate est peut-être la plus colorée. En le sens où la couleur engendre la forme et non pas la forme qui exige telle couleur. Que représente-t-elle, un trou noir, d’autant plus noir qu’il est une effulgence de feu orange, le gouffre que nous portons en nous, le bout du tunnel que l’on est censé traverser lors de la mort, le feu élémental héraclitéen, une revisitation du mythe de Phaéton, que chacun l’interprète à sa guise. Contrairement à ce j’ai dit, les artworks de Belial NecroArts ne sont pas à regarder, fonctionnent un peu à la façon d’arcanes du tarot ou de sigils, ces sceaux qui agissent sur vous, et de par vous sur le monde, dans la mesure ou la démesure, que vous sachiez y lire les chapitres de votre destin que vous y inscrivez.

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    Disintegrate : entendre une œuvre musicale demande peu d’efforts, savoir écouter avant même de tourner le bouton ou de libérer le bras de votre chaîne exige une tout autre préparation mentale. L’on n’écoute pas un opus musical comme l’on promène son chien, d’ailleurs le plus souvent c’est le chien qui commande son maître, preuve que l’on est davantage agi que nous n’ agissions. Le motif de Disintegrate, est bien le récit d’une désintégration, non pas l’effarante surprise d’un missile qui en quelques secondes disloque et détruit l’objet de sa cible, mais une lente dissolution consciente, car le phénomène qui n’est pas pensé ne saurait avoir été vécu. Disintegrate se situe davantage du côté de Platon que d’Aristote, plus près de la contemplation que de l’énergie. Un frais amateur de Metal pourra être surpris, il s’attend à des périodes d’accalmie espacées de-ci de-là, dans le seul but de rendre les grandes bourrasques phoniques encore plus tumultueuses, il n’en est rien. Juste un cheminement, une fonte solaire de l’être, l’esprit qui survit avant de s’atomiser encore quelques temps, des souvenirs épars comme ces épaves sans but qui flottent sur la mer, soumises aux caprices des courants, alors que la coque gît déjà au fond de l’abysse. Un cycle s’achève. Un autre commence, mais ceci est une autre histoire. Une note qui se répète, qui se prolonge selon ses harmoniques, la batterie qui a l’air de se noyer dans chacun de ses battements, l’on attend, l’on ne sait quoi, mais l’on attend, jusqu’au hurlement du loup, non pas le hululement de la bête vers la lune, la musique atteint le plus haut pied de son étiage, voici la voix humaine  déployée d’octaves, qui ploie sous le poids de son passé et de sa présence au monde, une gorge abyssale, peut-être ce larynx en flamme qu’illustre la pochette de Belial, une profondeur sans fin, le monde se dissout, survit le mirage de cette voix grandiose qui recouvre le monde, le background se met à sa hauteur, le feu tombe sur vous, il ne cause aucune souffrance, c’est l’âme intérieure qui brûle et se recroqueville tel un parchemin dont on veut se débarrasser.

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    L’escargot n'habite plus sa coquille, la batterie s’acharne sur ce mollusque visqueux qui refuse de mourir avant d’avoir transmis oralement au néant qui s’approche son ultime message, bouteille au feu que les flammes fondent et foudroient dans le cristal de son impuissance, cri primal de la fin, de la terminaison, de la clôture, ne subsistent plus que des fragments translucides que l’air brûlant disperse… juste quelques notes, ce n’est pas la fin, disparêtre n’est pas facile, n’être plus que des bouts de soi, sur lesquels la batterie tombe à bras raccourcis, ferraillent contre eux aussi les cymbales, tout doit disparaître, il est impossible que quelques brins d’un passé révolu survolent, notes agonisantes d’un requiem éternel, serait-ce l’apaisement, non l’on ne saurait se satisfaire de l’œuvre que l’on a à accomplir, le repos, le recueillement en soi-même ne saurait être une solution, déchaînement total, l’on ergotait sur la possibilité, toute la meute tournoie, babines retroussées, elle passe et repasse sur le disque usé de votre mémoire, elle piétine, elle mord à pleines gueules, la passion de la destruction n’est pas une création, seulement une autodestruction, sans passé, sans présent, sans futur, sans rien, que la brutale et cruelle évanescence de ce que l’on a été de ce  que l’on n’est déjà plus, mais une rythmique entame une folie mortifère, rafales battériales, il ne crie plus, il parle, il dicte l’ultime prophétie qui est en train de se réaliser au fur et à mesure qu’il l’énonce. Tout se précipite, l’on arrive à la dernière scène du dernier acte, le rideau est prêt à s’affaler et à emporter le théâtre de l’existence avec lui, résonances de gong, la matière musicale se plisse comme la croûte terrestre lors des tremblements de terre, fêtes et fastes, je rugis comme un lion, moi qui ai participé au festin des quatre empereurs, moi qui ai été Dieu, ô le souvenir de cette puissance infinie, de cette force qui ébranlait aussi bien les racines du ciel que de la terre, je dois abdiquer, me résoudre à délaisser ce sceptre que j’ai abandonné depuis si longtemps, final grandiose, l’on ne se surpasse jamais, l’on atteint jamais la dernière marche de l’escalier absent, qui apparaîtra une fois que l’on ne sera plus, ma dernière vision sera celle de ma pierre tombale, désespoir total, drame métaphysique, je ne suis plus que mon propre non-être. Superbement éprouvant. La musique se calme, il semblerait qu’elle ricane. Terrible.

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    Disintegrate I : (Official Music Video) : vidéo promotionnelle parue en 2022, extrait de 4 minutes : Enrique au chant et à la guitare, Pedro au beurre, pour reprendre une expression cazanglerienne, peu d’intérêt si ce n’est de les voir jouer alors que tombe la neige… / Disintegrate II : (Official Music Video) : vidéo promotionnelle parue en 2022, extrait de sept minutes et demie :  regardez celle-ci, ambiance beaucoup plus metal, ils ont remplacé la neige par des bougies, et un faisceau de torches. Les photos qui illustrent notre chronique en sont extraites.

    LONE

    OAK

    (LP, CD via Bandcamp / Février 2019)

             Grande envie m’a donné Disintegrate d’aller fouiner du côté de leur premier album.

    Pour la couve je me suis fait avoir comme un bleu, me suis demandé quel peintre romantique, voire symboliste aurait pu peindre cette toile, non un contemporain, Paolo Girardi, né en 1974, une vie dure, l’a commencé par la pratique de la lutte libre, athlète professionnel, puis l’est passé à la peinture. L’a appliqué la même méthode que pour la lutte : s’entraîner sans fin. Toile et huile de térébenthine. Je ne sais d’où il tire son inspiration, je ne le connais pas mais je l’entends me dire : ‘’ De moi-même. Je suis un lutteur et un rêveur.’’ Allez voir sur son FB, section photos, entre autres, les 286 Music Covers, un résumé de l’imagerie metal, par un grand peintre. Colossal !

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    Sculptures : le disque met en scène un géant, vous le découvrez sur la couve, qui est-il, on ne le saura pas, écoutez, l’on entend ses pas, ils n’ébranlent pas le monde, il le fracasse mais son empreinte sur la terre reste superficielle, peut-être n’est-il qu’une image de notre infatuation de nous-mêmes, certes il piétine les forêts qu’il traverse comme des fétus de paille, elles sont à l’intérieur de lui, il hurle comme King Kong, mais ce sont ces pensées que vous entendez, il s’apprête à descendre l’interminable escalier qui mène au tréfonds de lui-même, chacun de ses pas intérieurs est comme une chiquenaude qu’un sculpteur infligerait à la masse informe d’une glaise à qui il doit donner forme. La musique s’adoucit, sans doute caresse-t-il quelque rondeur qu’il a décelé au fond de son âme. Au tréfonds de lui une eau froide dans laquelle il se laisse glisser. Il flotte, il descend jusqu’au fond, l’empreinte de ses pas sur la silice vaseuse sculpte châteaux de sable et de rêve. La guitare chante et lisse, la batterie tapote, la voix triomphe, aucune victoire, seulement le contentement d’avoir donné la forme qu’il voulait à son âme. Il se tait, face à lui-même dans le silence il contemple sa réalisation, son œuvre qu’il a façonnée à partir de lui-même. Recueillement. L’artiste n’est-il pas l’œil limpide d’un univers qui ne le mérite pas. L’existe une vidéo Live at Stone Studio de l’interprétation de ce morceau. Idéale pour voir comment avec un minimum de moyen l’on peut produire un maximum d’effets. Mirror : même douceur, regarder le monde n’est-ce pas se regarder soi-même, méditation sans fin qui renvoie sans cesse de l’un à l’autre, notes égrenées, il suffit de traverser le miroir pour sortir de soi, tombe la pluie, sur moi, ou à l’intérieur de moi, les pas du géant s’alourdissent sous le faix des cymbales, introspection ou extrospection, où suis-je dans la nature ou dans les souvenirs qui inondent ma tête, perdu en soi, perdu dans le monde, gosier glaireux, il trimballe tant de débris, ne se trouve-t-il pas juste à la jointure de l’intérieur et de l’extérieur qui façonne l’autre, qui construit l’un, la batterie coupe des branches d’arbres celles qui dépassent, qui entrent dans ma tête, celles qui sortent et s’épanouissent dans le monde, moments de grandes incertitudes, le monde décline, mes forces aussi, mes démarches, la physique et la psychique deviennent moins affirmées, maintenant je me tiens aux arbres pour avancer, est-ce la fin, déjà s’élève le générique que j’ai préparé pour cet instant suprême et décisif, au sortir de ma tanière je veux hurler comme l’ours qui jaillit de sa grotte et pousse un grognement de soudard en guise de salutation au soleil, les rayons de l’astre se figent et le monde devient grisâtre, même couleur ma matière grise, voilé de brume comme s’il s’estompait de lui-même, les évènements se précipitent, c’est le moment de la séparation, mon cadavre d’un côté, mes rêves de l’autre. Fêlure séparative à la surface du miroir. 

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    Abomination : le mot est fort, l’intro fracassante, la bête est là, debout, elle hurle, elle n’y peut rien l’abomination monte comme l’eau au fond du puits. De plus en plus vite, rien ne l’arrêtera, elle noiera bientôt la terre émergée des années heureuses, de l’Arcadie première, d’où vient-elle, est-elle issue de la noirceur de mes cauchemars de ces processus d’affaiblissement insidieux, de ce désir de mort rampant qui grignote mes forces vives, suis-je programmé pour mourir et peut-être pire pour anéantir le monde après moi. Maze : je cours de tous les côtés, sans fin je me heurte au parois des galeries, je suis au-dedans de moi-même, enfermé depuis toujours, pour toujours, autant dire éternellement, mort ou vivant c’est la même chose, j’ai beau piquer des crises de folie, me démener, hurler, rien n’y fait, je suis une capsule éternelle de pensée, le dehors n’existe pas, je me projette le solipsisme de ma présence, en couleurs, sur grand écran, j’y crois, je n’y crois pas, j’invente tous les scénarios que je veux, il n’y a pas de dehors juste un cauchemar que j’entretiens pour ne pas me morfondre au-dedans de moi-même, je suis mon propre être et mon propre non-être, les deux à la fois, le monde est une projection et le projectionniste n’est pas dupe de cette fausse réalité. Pourquoi y a-t-il une chose qui pense et pas rien ? La musique s’autodévore.

             Splendeur métaphysique.

    Damie Chad.

    Nous reviendrons sur OAK, ils viennent de mettre en ligne un troisième album.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll ! 

    22

             Lorsque je poussai la porte du local, Molossa ferma ostensiblement les yeux et se coucha en rond comme un chat, je sentis comme un reproche dans son attitude réprobatrice.  Malebranche, mort en 1715, aurait-il donc tort en théorisant que les animaux, cartésiennes machines vivantes dépourvues d’âme, sont sans l’intervention directe de Dieu dans l’incapacité totale de faire semblant de simuler des sentiments. Nous devrions paisiblement discuter de cette proposition malebranchienne, hélas le temps nous manque ! Je me contenterai de spécifier que le Chef pourvu d’une âme et d’un Coronado m’adressa un franc sourire :

             _ Agent Chad, je sens que vous avez passé une bonne nuit, à votre mine détendue je subodore que vous avez lâchement abusé d’une veuve et de ses orphelins.

             _ Hélas non, Jean Thorieux a tenté de nous attendrir en évoquant sa femme et ses mioches…

             _ Agent Chad, n’oubliez jamais que la pitié est l’arme des faibles !

             _ C’est sa sœur Gisèle qui m’a reçu, elle m’a décrit son frère comme un individu un peu paumé qui depuis quelques semaines lui racontait des balivernes : à savoir qu’il était possible de traverser les murs.

             _ Or, cadavre en main si je peux employer cette métaphore, nous savons qu’il avait acquis cette curieuse faculté !

             _ Nous possédons même mieux Chef. Ce matin alors que Gisèle très éprouvée par les élucubrations de son frère a enfin trouvé le sommeil. J’en ai profité pour visiter l’appartement voisin de son frère. Pas grand-chose à voir. Une table, un lit, une télé, pas mal de bouteilles de bière et une collection complète du numéro 1 au numéro 297 de la revue Science et Paranormal. C’est tout.

             _ Parfait agent Chad, vous savez ce que vous avez à faire. Pour moi, je reste ici, fumer quelques Coronados m’aidera à réfléchir à cette affaire. Emmenez vos chiens avec vous, vous ne serez pas trop de trois, fiez-vous à mon intuition, nous sommes sur une sale embrouille !

    23

             Lunettes, blouson de daim, pantalons de tergal, et serviettes bourrées de documents, j’avais pris mon air de professeur d’université. La bibliothèque du quartier était déserte, à son bureau, l’hôtesse d’accueil m’accueillit avec empressement :

             _ Que puis-je pour vous Monsieur ?

             _ Est-ce que je pourrais consulter, si vous l’avez, la revue Science et Paranormal ?

             _ Bien sûr Monsieur, quel numéro voudriez-vous, vous trouverez le dernier le 297 sur le présentoir.

             _ J’aurais besoin de la collection entière depuis le numéro 1 ?

             _ La collection entière ?

             _ Oui, j’ai besoin de vérifier un point de détail, j’ai oublié de noter le numéro dans mes notes, c’est urgent, je pars dans trois jours pour un symposium à Chicago, je m’excuse de vous donner un tel travail mais…

             _ Asseyez-vous Monsieur, prenez place je m’occupe de vous.

    Je me suis retrouvé avec d’impressionnantes piles de magazines que Josiane, nous avions eu le temps de faire connaissance, m’apportait par paquets de vingt. Dans un premier temps je décidai d’éplucher le sommaire de chacun d’entre eux. Ce n’était pas aussi rapide que je le souhaitais, parfois il était vers le début, parfois vers la fin, toujours perdu au milieu de pages publicitaires. Un détail me troubla, contrairement aux us et coutumes, les sommaires étaient composés en lettres minuscules. Je m’efforçais donc de les éplucher avec attention. La salle se remplissait sans que j’y prenne vraiment garde.

             _ Pardon Monsieur, est-ce que par hasard vous auriez déjà regardé le dernier numéro, le 297 qui est sorti ce lundi matin ?

    Je relevai la tête, le gars avait une allure sympathique, aux nombreuses rides qui sillonnaient son visage il devait avoir autour de quatre-vingt ans. Je le lui tendis et n’eus aucun besoin d’engager la conversation :

    • C’est que voyez-vous j’adore lire ces élucubrations, bien entendu je n’en crois pas un mot, entre les extra-terrestres qui vivent parmi nous et les gens qui sont capables de mettre en mouvement par la pensée un train de quarante wagons, pensez-donc plus de trois mille tonnes ! En plus ces derniers mois, ils ont engagé un nouveau journaliste, un certain Jean Thorieux, le gars doit être frappé de la cafetière il vous propose des expériences de traversée des murs, il vous propose même de vous inscrire au Club des Briseurs de Murailles. Cela m’a semblé si stupide que j’ai rempli la semaine dernière le bon d’inscription, le pire ce matin en partant pour la bibliothèque, j’ai vérifié le courrier dans ma boîte à lettres, ils m’ont répondu, je n’ai pas ouvert, encore un truc pour vous soutirer de l’argent ! Mais j’arrête de radoter des balivernes ! Vous avez du travail à ce que je vois.

    Je m’apprêtais à me plonger dans la lecture des articles de ce Jean Thorieux, je n’en eus pas le temps, Josiane se dressa devant moi :

    • C’est marrant Damie, vous êtes le premier lecteur qui enlève ses lunettes pour lire !
    • Je les mets juste pour attirer l’attention des jolies filles Josiane, elles sont magiques, ce sont seulement les plus belles qui le remarquent !
    • En tout cas ce que je trouve magique, c’est votre serviette qui bouge toute seule !

    Je n’eus même pas le temps d'improvider une explication, la tête toute ébouriffée de Molissito qui avait réussi à bouger la fermeture éclair apparut !

             _ Oh ! mais il est ravissant, oh, un deuxième ! ils sont beaux tous les deux, vous les transportez tout le temps dans votre cartable, vous possédez une étrange personnalité Damie, j’adore les garçons drôles comme vous, si j’osais je vous inviterais au déjeuner, j’ai deux heures de pose !

    24

    C’était une excellente suggestion. Josiane me guida vers un petit restaurant qui se révéla excellent. Comme il y avait un petit hôtel tout près, et tout prêt à nous accueillir nous y fîmes une petite halte, après quoi nous revînmes à la bibliothèque. Josiane me photocopia les dix-sept articles que Jean Thorrieux avait rédigés ce qui prit pas mal de temps.

    C’est avec fierté que je poussai la porte du local. Le chef fumait un Coronado. Le cendrier était plein, le Chef avait dû longuement méditer.

             _ Agent Chad, enfin vous voici, j’e vous attendais avec impatience, j’espère que vous rapportez un début de piste prometteur !

             _ Plus qu’un début de piste Chef, un dossier, regardez il est assez épais une centaine de pages, j’ajoute pour les finances du service que grâce à mon entregent je n’ai eu aucun centime à verser.

             _ Votre souci économique vous honore agent Chad, si vous saviez ce que nous coûte un seul Coronado, vous seriez effaré, figurez-vous, vous n’en croirez pas vos oreilles, le ministère, il vient de me téléphoner, envisage de mettre une taxe carbone sur chacun des cigares que je fume ! Permettez-moi d’étudier ces documents, nous en reparlons dès ma lecture achevée.

    25

    Le Chef alluma un Coronada :

    • Agent Chad, à part le fait que ce fatras d’imbécillités soit signé de Jean Thorieux, le même nom que le zigue pâteux que nous avons retiré de sa gangue de béton dans le mur de notre appartement, ces documents ne présentent qu’un très modeste intérêt. Non n’intervenez pas, je sais bien que le Club des Briseurs de Murailles dont ces articles sont censés rendre compte des progrès de ses activités, ce Jean Thorieux journaliste ne nous renseigne en rien sur le Jean Thorieux que nous avons expédié ad patres. Par contre savez-vous la différence entre un ours blanc, un ours brun, un ours noir ?
    • Euh ! ce sont tous des plantigrades …
    • C’est bien cela, vous vous plantez magnifiquement, et votre fierté d’enquêteur va en prendre pour son grade ! En toute occasion il ne faut jamais se précipiter. Un cas particulier, le mien : après avoir fumé sept ou huit Coronados, j’ai effectué une rapide recherche sur le Net. En trois clics j’ai débouché sur le nom du propriétaire de Science et Paranormal, je me corrige aussitôt, de sa propriétaire, elle possède un nom charmant qui risque de vous dire quelque chose : Jeanne Thorieux.

    Je n’écoutais pas un mot de plus. Déjà je dévalais les escaliers mes chiens sur les talons, mon Rafalos en main.

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 630: KR'TNT 630 : SHANGRI-LAS / MARC BOLAN / NUDE PARTY / WHITEOUT / GIÖBIA / JEAN-FRANCOIS JACQ / KIVA / PIRATE HYMN / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 630

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    01 / 02 / 2024

     

    SHANGRI-LAS / MARC BOLAN

    NUDE PARTY / WHITEOUT / GIÖBIA

      JEAN-FRANCOIS JACQ / KIVA

    PIRATE HYMN / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 630

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

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    Le chant gris des Shangri-Las

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             Curieuse histoire que celle des Shangri-Las, quatre petites gonzesses du Queens réunies dans un studio par un producteur fantôme. On surnommait George Morton « Shadow » parce qu’il lui arrivait de disparaître comme un fantôme. Il est là, et soudain, il n’est plus là. George ? Good Lord, George ! Arrête ton cirque ! Ça nous fait pas rire ! Mais où est-il passé ? C’est incroyable ! Ho George ! Tu pourrais au moins nous répondre, espèce d’abruti ! 

             Les Shangri-Las étaient ce qu’on appelait à l’époque un quatuor vocal, comme il en existait des milliers à New York. Mais celui-ci était particulier, car constitué de deux paires de sisters, Betty et Mary Weiss d’un côté, Mary Ann et Marge Ganser de l’autre, deux jumelles. L’autre élément qui les distinguait des autres girl-groups, c’était leur réputation de bad girls. Mary Weiss trimballait un calibre avec elle. Quand les flics du FBI lui demandaient pourquoi elle était armée, elle répondait que c’était réservé au premier bâtard qui allait essayer d’entrer dans sa chambre d’hôtel. Tu veux un dessin, flicard ?

             Et puisque Mary Weiss vient de casser sa pipe en bois, nous allons procéder à une modeste oraison funèbre, comme il est d’usage sur ce bloggy-bloggah béni des dieux du web. Ici nous célébrons la mémoire de nos idoles et leur sacrifions non pas des agneaux mais nos ferveurs.

             La légende des Shangri-Las repose sur deux mamelles déterminantes : la production géniale de Shadow Morton et la voix de Mary Weiss. Mais cette légende doit aussi énormément aux clins d’yeux de fans célèbres comme les Dolls qui reprenaient « Give Him A Great Big Kiss », ou encore les Damned qui démarraient « New Rose » - leur single historique - avec la première phrase de « Leader Of The Pack » : « Is she really goin’ out with him ? » Beaucoup de gens en 1977 ne savaient pas trop qui étaient les Shangri-Las, et puisque Dave Vanian les citait, alors les Shangri-Las sont apparues dans les bacs des disquaires cupides qui n’avaient plus qu’un seul mot à la bouche : mythique !

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             La discographie des Shangri-Las n’est pas très dodue : seulement deux albums et une poignée de singles. Leader Of The Pack est sorti en 1964, et encore, ce n’est qu’une moitié d’album, car les deux paires de sisters n’avaient alors enregistré que quelques singles. Le label a rempli la B avec des cuts live de mauvaise qualité. Cet album a donc souffert d’une réputation pour le moins surfaite. De là à dire que c’est une fabuleuse arnaque, c’est un pas qu’on franchit avec allégresse. Jackie DeShannon n’aurait jamais toléré une telle arnaque.

             Mais c’est vrai, souviens-toi, les Shangri-Las sont des bad girls. Pour aggraver les choses, elles sont tombées dans les pattes de gens peu scrupuleux qui ont fait du blé sur leur dos. La pratique était courante à l’époque. Ça foutait les deux paires de sisters en rogne de voir que leurs singles se vendaient à des millions d’exemplaires et qu’elles ne palpaient pas un seul bifton.

             Tous les hits des Shangri-Las se trouvent sur le balda de Leader Of The Pack. À commencer par un « Give Him A Great Big Kiss » sévèrement claqué aux clap-hands. Quand il entendait ça à la radio en 1965, le jeune Johnny Thunders tombait en pâmoison. Pour composer le morceau titre de l’album, Shadow Morton s’était acoquiné avec Ellie Greenwich. Et pour corser l’affaire, il a fait entrer des gros bikers tatoués - avec leurs motos - dans le studio. Il voulait le vrai son. Alors OK. Tu veux le gros son ? Écoute ça ! Les mecs débrayaient et mettaient les gaz, vroaaaaar, en direct, et les filles chantaient sans tousser, malgré toute la fumée. Mary Weiss miaulait ça très perché. On sentait dans la rythmique un groove gigantesque à la Sonny & Cher. Le génie d’Ellie Greenwich avait encore frappé. Vroarrrrr ! On comprend que Dave Vanian soit tombé dingue de ce morceau qui sortait de son petit transistor alors qu’il creusait une tombe sous la pluie. « Leader Of The Pack » est à la fois une pièce fabuleuse de profondeur et une chanson affreusement triste. C’est avec ça que Shadow Morton s’est taillé une réputation de producteur légendaire. Plus tard, les Dolls le voudront comme producteur et il acceptera de produire leur second album, Too Much Too Soon.

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             Son autre coup de maître fut de faire entrer des mouettes dans le studio pour « Remember (Waiting In The Sand) » une mélopée bien sirupeuse, comme on les aimait à l’époque. T’as déjà essayé de faire rentrer des mouettes chez toi ? Pas facile. Ces bestioles sont particulièrement bêtes, au moins autant que les poules, il faut presque les assommer pour en tirer quelque chose. Shadow Morton a réussi un véritable coup de maître. Malgré le son pourri, on trouve des reprises prometteuses en B et notamment une version live de « Twist And Shout » chantée très perché. Mary et les jumelles arrivaient à sortir des trucs incroyablement sexy et sucrés.

             Quand elles ont démarré, elles étaient encore adolescentes. Mary n’avait que 15 ans et les jumelles 16. Pour partir en tournée avec les Beatles, elles durent quitter l’école et renoncer à l’éducation, ce qui les arrangeait bien, car en bonnes bad girls qui se respectent, elles ne pouvaient pas encadrer leurs profs. Elles ont donc passé les plus belles années de leur vie à sillonner les États-Unis avec des blanc-becs comme les Rolling Stones, les Animals, Vanilla Fudge et les Sonics, puis elles ont débarqué en Angleterre pour tourner avec des branleurs encore plus boutonneux, du style Herman’s Hermits.

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             Leur deuxième album, Shangri-Las 65, est sorti dans la foulée. Il est beaucoup plus solide que le premier. Avec « Right Now And Not Later », on a un son de rêve, un shuffle exceptionnel, soutenu aux tambourins, chanté à fond de train. C’est d’une puissance infernale. On trouve sur cet album pas mal de compos d’Ellie Greenwich et notamment « Give Us Your Blessings », une belle pièce de pop élancée qui plonge ses racines dans le gospel et que Mary Weiss chante à la mode californienne. Stupéfiant ! Shadow Morton signe « Sophisticated Boom Boom » que reprend aujourd’hui Kid Congo sur scène. « I’m Blue » est carrément une reprise des fabuleuses Ikettes. C’est groovy en diable et monté sur une big bassline. L’un de leurs plus gros hits restera sans doute « The Train From Kansas City », une grosse compo signée Ellie Greenwich, une vraie merveille taillée dans l’harmonique. On sent le drive d’Ellie, the beast of the Brill. Ellie avait du génie. Il faut voir comme elle tortille son couplet pour le faire sonner comme un hit planétaire, en plein cœur des sixties qui sont déjà congestionnées par des milliers de hits planétaires. On reste dans la magie sixties avec « What’s A Girl Supposed To Do », chanté aux voix perchées. Mary Weiss y va de bon cœur - woo oh woo oh yeah - c’est l’époque qui veut ça.

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             Puis leur étoile s’éteint et elles replongent dans l’anonymat. Les deux jumelles vont casser leur pipe. Mary et Betty essaieront de revenir en 1977, aidées par Andy Paley, mais le projet d’album restera à l’état de projet. Il faudra attendre 2007 et l’aide de Billy Miller (Norton) pour qu’un album de Mary Weiss apparaisse chez les disquaires. Ce sera le fameux Dangerous Games. Fameux car salué par Shadow Morton qui était alors encore vivant, mastérisé chez Sundazed et doté d’une pochette signée Roberta Bayley - la photographe qui a fait la pochette du premier album des Ramones, et les portraits officiels de Richard Hell, des Dolls (devant Gem Spa) et des Heartbreakers, entre autres. Ce sont les Reigning Sound qui accompagnent Mary Weiss sur Dangerous Games. Ce gros coquin de Greg Cartwright est remonté au Nord pour se rapprocher des femmes fatales. On l’a vu sur scène avec Rachel Nagy et ce qui reste des Detroit Cobras. Voilà maintenant qu’il fricote avec Mary Weiss et qu’il lui compose des chansons, souvent très bien foutues. Et dans les chœurs on retrouve Miriam Linna, elle aussi bien pourvue, côté légende. Très vite, on tombe sous le charme de « Nobody Knows (But I Do) » une belle power-pop signée Greg Cartwright. Voilà une grosse pop à la mode new-yorkaise superbement travaillée et lumineuse, dynamique et entêtante. Mary Weiss chante désormais d’une voix de tête très mûre. On tombe ensuite sur une énormité qui s’appelle « Stop And Think It Over », une power-pop d’allure royale, embarquée au bassmatic aérodynamique et dotée d’une grâce presque typique des Oblivians. Mary Weiss montre qu’elle peut encore monter très haut, over the rainbow, si elle veut. Les compos des autres copains sont un peu plus faibles. Les seules qui tiennent la route sont celles de Greg Cartwright. On sent que l’animal veut s’inscrire dans la légende. Elle fait aussi une reprise des Real Kids, « Tell Me What You Want Me To Do », traitée en tressauté avec des nappes d’orgue à la Blondie. C’est un audacieux mélange de pop new-yorkaise monté sur le riff du « Venus » des Shocking Blue. D’autant plus surprenant que le solo est quasiment le même, note pour note. Sans doute un clin d’œil. Retour en force d’Ellie Greenwich avec « Heaven Only Knows », la vraie pop du Brill avec des chœurs agonisants. Lorsqu’Ellie traîne dans les parages, on ne craint pas l’ennui. S’ensuit un « I Don’t Care » qui reste dans la haute volée. Compo soignée, agitée aux tambourins, inspirée et dotée d’une jolie mélodie, comme dirait Robert Charlebois.

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             Et Shadow ? Mais où est-il passé ? Les gens d’Ace se sont occupés de lui en publiant en 2013 une rétrospective : Sophisticated Boom Boom! The Shadow Morton Story. On y entend les artistes que découvrit ou produisit Shadow Morton : les Shangri-Las, Janis Ian, Blues Project, Vanilla Fudge, Iron Butterfly, Mott The Hoople et les Dolls. Si on ne connaît pas Janis Ian, c’est l’occasion de la découvrir avec « Too Old To Go ‘Way Little Girl », grosse pièce de folk-rock psyché chantée à fond de train, complètement extravagante.

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             La vraie merveille qui se niche sur cette antho à Toto, ce sont les deux titres enregistrés par Ellie Greenwich. Et là, on entre dans la légende, comme si deux esprits supérieurs, Ellie et Shadow, nous conviaient à partager un moment de leur intimité artistique. « Baby » est un hit planétaire. Ellie, c’est la reine de New York, elle embarque son baby-baby et rentre dans le lard du retour de manivelle. Elle a le sens parfait du jerk - So close to my heart ! - C’est une merveille. Elle fait un autre titre moins spectaculaire, « You Don’t Know » qu’elle taille dans la mélodie.

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    Une fois qu’on a bien épluché l’antho, on peut se plonger dans le booklet de 40 pages qui l’accompagne et là, on trouve tout ce qu’on a besoin d’apprendre sur Shadow Morton. Mick Patrick avait entrepris une correspondance par mail avec Shadow et là attention, attachez vos ceintures, car on fonce droit dans la mythologie, la vraie. Shadow raconte ses souvenirs de gamin dans le gang des Red Devils, au sud de Flatbush Avenue, puis il raconte comment il a voulu entrer dans le show-biz en montant au neuvième étage du Brill Building pour proposer une chanson qu’il n’avait pas encore à Ellie Greenwich qui le reçoit bien, mais il y a ce con de Jeff Barry qui le snobbe. Ça ne plaît pas du tout à Morton qui vient de Brooklyn, qui est irlandais et alcoolique. Il ne faut pas trop lui courir sur l’haricot - You don’t take that attitude with me very long ! - Barry lui demande de quoi il vit, alors Shadow prend ça comme une insulte et lui répond avec morgue : 

             — La même chose que vous, j’écris des chansons !

             — Quel genre de chansons ? 

             — Des hits ! 

             — Alors ramenez-en un ! 

             Shadow sort du bureau aussi sec, il attend quelques secondes et il revient dans le bureau avec un grand sourire :

             — On a oublié de préciser une chose. Un hit rapide ou un hit lent ?

             Barry se marre et lui dit :

             — Kid, bring me a slow hit !

             Fantastique démarrage en trombe, complètement à l’esbrouffe. Shadow a rendez-vous le mardi suivant. Il connaît un nommé George Sterner qui connaît des musiciens. Il connaît aussi quatre filles du Queens, qui accepteraient d’enregistrer une démo dans un studio de bricolo. Il lui manque encore le plus important : la chanson. Il compose « Remember (Walkin In The Sand) » dans sa tête et pouf, c’est parti ! Ce qu’il fait plait beaucoup à Jerry Leiber qui l’engage comme compositeur et producteur. Quand il touche son premier chèque de royalties, Shadow s’achète une Harley. Et il replonge dans la mythologie de son adolescence, il se souvient de l’énorme gang de bikers au soda shop, et il compose « Leader Of The Pack » ! Petite cerise sur le gâteau, il fait mourir son héros biker. On lui dit que ça ne passera jamais à la radio. Les histoires de voyous en motocyclettes n’intéressent pas les gens. Shadow croit que sa dernière heure est arrivée et qu’il va se faire virer du Brill. Mais « Leader Of The Pack » devient un hit interplanétaire qui dégomme le « Baby Love » des Supremes de la tête des charts. Et pour les Shangri-Las, c’est la consécration.

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             C’est l’une des grandes histoires de rêve du rock américain. Ce petit mec de Brooklyn et ces trois filles du Queens ont réussi à monter une belle cabale à partir de rien. Jeff Barry admet que les Shangri-las étaient avant tout la vision de Shadow Morton - He was such a dramatic guy - Et comme « Leader Of The Pack » devient un hit énorme, Shadow offre une Harley à Jeff Barry. C’est certainement cette machine que Barry va piloter pour accompagner son pote Bert Berns en virée dans les Catskills Mountains, au Nord de New York. En fait, Shadow fabrique des petits opéras de quat’ sous avec des effets sonores, et ça plaira beaucoup au public, car les effets favorisent le travail de l’imagination. Fermez les yeux et vous verrez le biker foncer dans un mur.

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             C’est George Goldner, patron de Leiber & Stoller, qui surnomme George Morton ‘Shadow’, à cause de sa manie de la disparition - I did the bars on Long Island, shot some pool, made some bets, played some liar’s poker - Shadow disparaît dans les bars de Long Island, il joue au billard, fait des paris et joue au poker menteur. Ellie Greenwich trouvait les Shangri-Las à la fois dures et vulnérables. Elle trouve que Mary Weiss n’était pas une grande chanteuse, mais elle avait exactement ce qu’il fallait pour faire des disques intéressants - Her whole thing was her look and her sound - Et elle avait cette voix de nez et cette attitude de fille de la rue - The best of both worlds - Puis Shadow découvre Janis Ian, une petite prodige de 15 ans originaire de Manhattan. C’est un nommé Vigola qui ramène Janis un matin dans le bureau de Shadow. Vas-y chante un coup. Elle gratte sa guitare Ovation et chante son truc. Shadow lit un journal, le pieds croisés sur son bureau et marmonne des injures destinées à Vigola, du genre je vais te balancer par la fenêtre. Janis remet sa guitare dans l’étui, sort un briquet de sa poche, fout le feu à un papier qui dépasse du bureau et s’en va en claquant la porte. Jeff Barry la rattrape dans l’ascenseur et la ramène chez Shadow qui lui demande de rejouer sa chanson. Puis il appelle Ahmet Ertegun pour lui dire qu’il a une nouvelle artiste et qu’il veut l’enregistrer. Ahmet demande s’il peut l’entendre. Shadow lui dit non. Mais aucun label ne veut d’elle, pas même Atlantic qui fait la fine bouche. C’est MGM qui sort le premier disque de Janis Ian, en même temps qu’une autre énormité de l’époque, « Wedding Bell Blues » de Laura Nyro. Puis un jour, Shadow reçoit un coup de fil de Leonard Bernstein. Sa secrétaire croit que c’est un gag. Mais non, c’est bien le grand Leonard. Il veut rencontrer Janis. Et pouf, un nouveau mythe prend forme.

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             Atlantic se plaint à un moment de n’avoir que des noirs dans son cheptel. Ahmet demande à Shadow de lui trouver un white soul group. Atlantic perd de l’argent chez les blancs et il veut un groupe blanc pour reconquérir le marché. Pas de problème, Shadow a repéré les Young Rascals. Puis on lui présente les Pigeons. Shadow n’aime pas le nom du groupe. Mais quand il les voit jouer su scène, il est complètement fasciné par les quatre compères, Tim Bogert, Vinnie Martell, Mark Stein et Carmine Appice. Il fait une démo avec eux et la balance à Atlantic qui demande à les voir. Shadow dit non. Les Vanilla Fudge sont dans les pattes du producteur idéal. C’est lui qui lance ce groupe monstrueusement doué. Shadow balaie aussi les réticences d’Atlantic qui ne voyait pas de hit single dans le premier album. En 1968, Shadow participe aux sessions d’enregistrement d’Eli And The Testament Confession de Laura Nyro et d’Electric Ladyland de Jimi Hendrix  - I happened to be one of the two who ended up three days in the studio recording with him. We cut about seven or eight sides - Puis Ahmet Ertegun insiste pour que Shadow produise l’« In-A-Gadda-Da-Vida » d’Iron Butterfly. Ils voulaient le Long Island sound.

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             Dernier grand épisode de la saga Shadow : les New York Dolls. Ils voulaient Jerry Leiber et Mike Stoller comme producteurs, mais ceux-ci se désistèrent. Alors ce fut Shadow. À l’époque, Shadow est fatigué du business et la musique l’ennuie. Il accepte cependant de relever le défi des Dolls - The Dolls can certainly snap you out of boredom - Ils travaillent 24 heures sur 24 - They had an incredible amount of energy. God, I remember the scenes in the studio. The word intense is not intense enough - Il les laisse faire ce qu’ils font habituellement et se contente de les enregistrer - I try to capture what they, the artists, do - Le booklet est en plus bardé d’images fantastiques de Shadow. Sans les gens d’Ace, que serions-nous devenus ?   

    Signé : Cazengler, Shangri-gros lard

    Mary Weiss. Disparue le 19 janvier 2024

    Shangri-Las. Leader Of The Pack. Red Bird Records 1964

    Shangri-Las. Shangri-Las 65. Red Bird Records 1965

    Mary Weiss. Dangerous Game. Norton Records 2007

    Sophisticated Boom Boom! The Shadow Morton Story. Ace Records 2013

    De gauche à droite sur l’illustration : Marge Ganser, Mary Weiss et Mary Ann Ganser, ou Mary Ann Ganser, Mary Weiss et Marge Ganser, c’est comme on veut.

     

     

    Wizards & True Stars

     - Bolan mal an (Part One)

     

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             Marc Bolan revient dans l’actu via un beau tribute : Elemental Child - The Words And Music Of Marc Bolan. Cet Easy Action sort tout juste du four. Une façon comme une autre de nous rappeler que Marc Bolan fut une star aussi énorme qu’éphémère, principalement en Angleterre. Quelques souvenirs d’aventures romantiques restent imprégnés de «Get It On». À Londres, dans les early seventies, il fallait traîner dans certaines discothèques pour rencontrer des filles, et le glam faisait rage, surtout celui de Marc Bolan. Dans les boutiques de fringues, on entendait T. Rex et Slade. Plus tard, ce sera le «Star Sign» des Fannies. Et encore plus tard «Rock’n’Roll Star» d’Oasis. Tout cela est si terriblement anglais. Voilà comment dans la vie on se fait façonner.

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             Pour goûter aux délices de cette époque révolue, rien de tel qu’un bon tribute. Elemental Child est en soi un événement, même si les contributeurs ne sont pas les plus connus, exceptés Andy Ellison, Swervedriver et Rachel Stamp. Comme chacun sait, Andy Ellison et Marc Bolan ont à une époque navigué ensemble dans John’s Children, un groupe culte rival des Who.

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    Jet et les Radio Stars naîtront des cendres de John’s Children. Puis Boz Boorer, le mec des Polecats, remontera John’s Chidren dans les années 90. Il n’est donc pas surprenant de retrouver Andy Ellison et Boz Boorer sur deux des cuts du tribute, «The Third Degree» et «Menthol Dan». Belle tension Mod pop, bien contrebalancée, avec du big bass drum d’Andy, Oh Andy, l’une des rock stars britanniques les moins connues. Quel swagger ! Il ramène toute la vieille niaque de John’s Children. Quel bonheur encore que de retrouver Swervedriver. Ces mecs ont toujours navigué au-dessus de tout soupçon. Ils tapent «Chateau In Virginia Waters» avec tout le velouté de leur classe et leur génie liquide. Ils ont toujours su se répandre en douceur. Rachel Stamp se planque sur le disk 2 et tape une cover stoogienne de «Calling All Destroyers» - They change the key & add a few extra chords, nous dit le liner-man - Belle vison du monde magique de Marc Bolan. Les Polecats de Boz Boorer tapent une belle cover rockab de «Jeepster» : double wild craze, celle de Boz, et celle de la stand-up. C’est ce que Jack Rabbit Slim n’a pas compris : on peut claquer les sixties en mode rockab, et même y conserver l’esprit du glam. Et puis voilà le bataillon des inconnus qui nous offrent un festin de belles covers : Witchwood avec «Child Star» (ces mecs connaissent tous les secrets des vagues, ils reviennent inlassablement lécher la rive, et comme ils sont persuadés d’être des élus, ils visent le sommet de la Mad Psychedelia, avec de gros moyens, dont une flûte), Chris Connelly & The Liquid Gang avec «Cat Black (The Wizard Hat)» (Gorgé d’écho, inspiré, puissant et plongé), The Charms avec «Elemental Child» (produit par Jim Diamond, c’est le glam de Detroit, même veine que Timmy’s Organism, touillé dans le brasier au tison-solo). Et sur le disk 2, les Black Bombers avec «Raw Ramp» (tapé à la vie à la mort du petit cheval, puissant parfum glam dans le feu de l’action), Kelly Relly avec «Ballroom Of Stars» (elle découvre le glam à 11 ans, la voilà avec le top hat et c’est elle qui passe le solo), Mexican Dogs avec «Life’s A Gas» (tout le glam est dans le chant, ils tapent d’ailleurs leur glam à coups d’acou), et Burn It To The Ground avec l’imparable «Children Of The Revolution» : version hardcore, mais dans le feu de l’action, ils fourbissent bien le glam, c’mon ! Dans le mix du diable, ils parviennent à maintenir le refrain magique.

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             Tant qu’on y est, on peut feuilleter l’excellente bio de Mark Paytress, Bolan: The Rise And Fall Of A 20th Century Superstar. Comme le font la plupart des grands biographes, Paytress parvient à arracher son sujet au passé pour le recaler dans le présent, et accessoirement lui redonner vie, le temps d’une lecture. Et pour chasser toute ambiguïté, il propose dès les premières pages un rééchelonnage, affirmant que Bolan était une pop idol au même titre que Jimi Hendrix et Elvis - He was simply one of those characters that was a star almost by nature - Il ajoute que la gloire ne vint que plus tard, sous forme d’un by-product - Superstardom was his destiny - Son destin prend forme lorsqu’à 9 ans il découvre «the singing dancing demigod Elvis». Choc terrible en 1956 avec «Hound Dog». Il abandonne aussitôt ses héros d’enfance, Davy Crockett et Geronimo. Hail! Hail! Rock’n’roll

             Il s’appelle encore Mark Feld et devient Mod, l’un de ces obsessive stylists qui hantaient les London modern jazz clubs. Paytress entre alors dans le lagon d’argent de la culture Mod. Bolan devient Mod à 11 ans, il cultive ce style incarné par Frankie Laine, un mélange de modernité et de sophistication, de soin du détail et d’originalité. Il devient la «star of three streets in Hackney», il porte la cravate et collectionne les costards. Comme il est pauvre, il doit se débrouiller pour trouver des fringues pas chères et les faire retaper à la maison. Il possède 40 costards. Marc the Mod change de fringues quatre fois par jour. Il salue d’un hochement de tête les gens hip dans la rue. Mais il n’a pas d’amis. Et il a la trouille des scooters. Il déteste aller au bord de la mer. Pas à cause des crabes. Il ne veut pas que l’eau le décoiffe.

             Il se passionne pour Woodie Guthrie, puis pour Dylan, un solitaire, comme lui - the archetypal romantic rock artist - L’ex-Mod Bolan se conçoit désormais comme un mystère et devient poète. Le Mod devient un hippie, c’est-à-dire une extension du romantic rebel dont l’archétype est Bob Dylan. Bolan veille à rester cohérent. Il cultive un «Beatnick-inspired poverty chic» et reste obsédé par son image. Il flirte nous dit Paytress avec a kind of cerebral striptease. Il devient le fruit de son imagination et découvre grâce à Dylan que la musique peut aller sur un terrain jusque-là réservé à la littérature. Il apprend à gratter ses poux et à souffler des coups d’harp. Sous son romantisme couvent ses aspirations au superstardom. Paytress établit vite un autre parallèle fondamental avec Syd Barrett. Ils sont tous les deux bruns, bouclés, «and incredibly cute Aquarian pin-ups with suggestions of androginy who radiated airs of unblemished innocence.» Syd et Marc vont aussi avoir la même poule, June Child. Mais comme le dit si joliment Paytress, en quelques mois, les abus d’acides et de mandrax allaient «libérer Barrett de ses responsabilités de pop star.» Bolan ne l’oubliera pas : «One of the few people I’d actually call a genius. He inspired me beyond belief.» Pete Brown précise toutefois que Syd Barrett était beaucoup plus convainquan «car il était beaucoup moins préoccupé de son talent poétique.» Brown ajoute que Barrett avait fréquenté l’art school, ce qui le rendait beaucoup plus sophistiqué. Il dit aussi que la comparaison de Bolan avec Dylan est un peu exagérée : «Quand Dylan faisait du mysticisme, il tapait dans l’imagerie de la Bible, il était beaucoup plus pointu que le fut jamais Bolan.» Il ne supporte pas non plus le côté féerique, the Tolkien stuff, qu’ont exploité les hippies. Bullshit ! Combiné aux acides, ça a bousillé les gens - It sent people off to a kind of numbskull cloud cuckooland.

             Le producteur indépendant Jim Economides prend Bolan sous son aile et l’emmène pousser la chansonnette chez le Decca boss Dick Rowe qui lui offre un one-single record deal. Comme il s’appelle encore Mark Feld, il sent venir le moment de changer de nom. Il fréquente un acteur nommé James Bolam et il aime bien son nom - Mark liked the sound of it - Puis Mark devient Marc. Comme il a besoin d’un svengali, il va trouver en 1966 Simon Napier-Bell. Il sonne à sa porte, Napier ouvre - He liked what he saw - Napier voit Bolan comme un «Charles Dickens urchin». Bolan rentre avec sa gratte, s’assoit et gratte ses cuts - His guitar playing was appalling, but I just loved the voice - Bolan s’inspire de ses idoles, Dylan, Cliff Richard et même Sonny Bono et trouve un style vocal unique à l’époque. On a aussi comparé sa voix à celles de Bessie Smith et de Buffy Sainte-Marie, dont il s’était épris. Napier est aux anges. Il voit Bolan développer un style complètement innovant. Petite cerise sur le gâtö : il compose. Et ses compos impressionnent Napier qui est encore le manager des Yardbirds. Mais Napier en a marre du bordel interne des Yardbirds, il trouve Bolan plus reposant et «plus intéressant», «a nobody with a great face, a distinctive voice, a handful of good songs and bags of enthusiasm.» En plus Napier trouve les Yardbirds ringards - The boring old Yardbirds were the straightest, dullest bunch ever - Il explique qu’il est hédoniste, il cite l’exemple de Brian Epstein qui louchait sue les Beatles, alors il louche sur Bolan et John’s Children.

             À l’époque, Bolan couche avec tout le monde, y compris Napier. Lequel Napier rappelle que durant les sixties, «c’était impossible d’avoir des relations normales avec les gens. Elles ne pouvaient être que sexuelles. Mais les relations restaient ponctuelles. Pas d’engagement. Rien de plus que de fumer un joint ensemble. Je pense que Marc avait des relations avec des tas de gens qui n’étaient pas intimes, mais des nice, easy relationships.»   

             Paytresss qualifie John’s Children de «ramshackle bunch from Leatherhead». Napier ne jure que par eux. Il vire le guitariste Geoff McClelland et le remplace par Bolan. Le groupe rivalise de chaos avec les Who. Bolan frappe son ampli à coups de chaîne. Ils tournent en Allemagne avec les Who et finissent par se faire virer de la tournée. Irrité par leur «almost immature appetite for destruction», Townshend s’en débarrasse. Napier et les John’s vont rentrer à Londres la queue entre les jambes, avec 25 000 £ de dettes - and I’d wrecked my car, ajoute Napier - C’est la fin du groupe. Bolan ne jouera plus avec eux. Dommage, car en 1967, les John’s Children ont enregistré une douzaine de compos de Bolan. Paytress indique que si «Desdemona» avait décollé, les John’s Children seraient devenus «a very Bristish response to the Velvet Underground.» Il ajoute plus loin qu’avec «Hot Rod Mama», «John’s Children were Britain’s premier garageland rockers.» Quand paraît le single «Midsummer Night’s Scene», Bolan a quitté le groupe.

             Après l’épisode John’s Children, Bolan se réinvente. Il abandonne le pop world capricieux pour se repositionner dans l’underground. Il va travailler son image obsessivement, l’ex-Mod crée sa légende vestimentaire avec des jackets en patchwork, des «green girl shoes and a cascading crown of Pre-Raphaelite hair.» C’est l’avènement de Tyrannosaurus Rex, un nom trouvé dans une nouvelle de Ray Bradbury, A Sound Of Thunder. Baptême du feu avec le «Debora» de sinistre mémoire. Ah comme on a pu détester ce mauvais single et ces bêlements de chèvre.

             Bolan monte le duo avec Steve Peregrin Took, salué ici même en 2017, lorsque Luke la main froide lui rendit hommage dans sa column de Record Collector. C’est aussi le début d’une belle romance avec John Peel qui flashe sur la voix de Bolan. Ils partagent en outre une passion immodérée pour les «old Gene Vincent and Eddie Cochran 45s.» Joe Boyd voit Tyrannosaurus Rex sur scène. Bien qu’ils sonnent acoustiques, il trouve que les cuts de Marc sont toujours «rock oriented». C’est là que Tony Visconti entre en scène. Comme Peely, il flashe sur Bolan - Alors que Steve avait l’air d’un hippie, Marc ressemblait à un exotic gypsy with his curly hair - Comme Tony Visconti bosse pour Denny Cordell, il insiste pour les signer. Mais Cordell dit qu’il ne comprend rien à leur son. Mais il fait confiance à Visconti et les signe.

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             Il est indispensable de remettre le nez dans les albums qui précédent la T-Rexamania, à commencer par My People Were Fair And Had Sky In Their Hair... But Now They’re Content To Wear Stars On Their Brows paru en 1968. Bolan y ramène «Hot Rod Mama» et «Mustang Ford» qu’il jouait déjà dans John’s Chidren, le Mod-band mythique qui l’avait accueilli en 1967. À la fin du groupe, Marc dut restituer la Gibson SG et l’ampli. Pas grave ! Il ressortit aussi sec sa vieille acou Suzuki, se convertit au hippisme et engagea Took pour jouer des congas. Ils jouaient à deux, assis par terre sur des tapis. Avec «Hot Rod Mama», Bolan invente le rockab hippie et il se met à bêler comme la chèvre de Monsieur Seguin. C’est d’une extraordinaire vitalité hippie. Mais ça marche uniquement parce que Took y croit.

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    Ils se placent tous les deux sous le patronage de William Blake et John Peel les prend vraiment au sérieux. La version de «Mustang Ford» qui ouvre le bal de la B vaut largement le détour. Le parallèle avec le monde magique de Syd Barrett saute aux yeux, gentil monde d’étrangeté et d’innocence. Bolan devient le prince des poètes du paranormal. Paytress fait aussi un parallèle avec Donovan - un Donovan que Peely surnomme the prince of loveliness - Avec The Piper At The Gates Of Dawn et A Gift From A Flower To A Garden, le premier album de Tyrannosaurus Rex complète la trilogie du summer of love londonien. «Child Star» continuera de fasciner jusqu’à la fin des temps, car Bolan chante ça à la savate traînée, avec du child star craché dans l’écume des jours. C’est stupéfiant de présence et complètement licornique. On sent l’ombre de Took planer sur un «Strange Orchestras» gorgé de cette volonté de transe londonienne. On les sent tous les deux déterminés à vaincre. Ils se spécialisent dans les beaux mantras, comme on le constate à l’écoute de «Chateau In Virginia Waters». C’est fou ce qu’à l’époque leur truc pouvait accrocher. Avec Chateau, on comprend les raisons pour lesquelles un bon gars comme Peely a pu craquer. Bolan invente le «neo-pyschedelic pastoral» avec «Dwarfish Trumpet Blues», un fabuleux groove de drone hippie. En B, on tombe sur le fantastique «Knight», une transe épique et translucide. Voilà l’un des sons les plus intéressants du Londres d’alors, gorgé d’une énergie de bongos et de Took attitude. Ils étaient ce qu’on appelait alors des beautiful freaks, des créatures qu’on ne croisait que dans les rues de Londres, certainement pas à Paris. On tombe plus loin sur le joli freakout de «Weilder Of Words» et ils terminent avec un pur mantra, «Frowning Atahualpa», chargé de ces effluves orientales dont Londres raffolait à l’époque. On respirait tout ça chez Biba et au Kensington Market.  

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             Avec Prophets, Seers & Sages: The Angels Of The Ages, Bolan et Took s’affirment, Tony Visconti les produit, et dès «Stacey Grove», ils sortent un son plus sourd et ineffablement judicieux. On sent nettement que Bolan prend son envol, il chante à la corde sensible et bêle à l’occasion. L’amusant de cette histoire, c’est que ce hippie invétéré va devenir une glam-rock idol et même the Godfather Of Punk. Captain Sensible le vénère et les Damned partiront en tournée avec T. Rex. On tombe en B sur «Salamanda Palaganda», un parfait délire hippie que Paytress taxe de mesmerizing frenzy. C’est vrai qu’à deux ils parviennent à créer les conditions d’une espèce de transe. Quelque chose d’assez fascinant se dégage en permanence de ce concept sonore imaginé par Bolan. En même temps, on ne sait plus si on écoute ces vieux albums pour Bolan ou pour Took. Encore un coup de Jarnac hypno avec «Juniper Suction». Took y prend le contre-chant. Et c’est avec «Scenesof Dinasty» que se joue véritablement le destin de cet album. Ce long poème fleuve joué aux clap-hands est un authentique coup de génie. Bolan le chante si bien qu’on croirait presque entendre Dylan chez les hippies. Pur génie de la diction et du travail de souffle. S’il faut emmener un cut de Bolan sur l’île déserte, c’est forcément «Scenesof Dinasty». C’est là que Marc Bolan entre dans la légende.

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             Nouveau bond en avant avec Unicorn, paru en 1969. Il faut dire que les pochettes des trois albums sont particulièrement réussies : la première est une illustration féerique, la seconde nous montre Bolan et Took photographiés en noir et blanc dans un parc et la troisième nous les montre tous les deux cadrés en gros plan. Ce troisième album du duo est une véritable pépinière de hits, à commencer par l’excellent «Chariots Of Silk», solide, envoûtant, gorgé d’adrénaline hippie et déjà T. Rexy jusqu’à l’oss de l’ass. Ce cut sonne vraiment comme un hit, avec sa descente mélodique et ses tchoo-tchoo-tchoo à la Mary Chain. Bolan se paye une belle tranche de décadence dans «The Threat Of Winter», une pop-song d’une effarante élégance, pleine de légèreté et de mystery bliss. On monte encore d’un cran dans l’extase avec «Cat Black (The Wizard’s Hat)». Paytress rappelle que Bolan est une fervent admirateur de Dion’s Runaround Sue sort of songs. Bolan emmène sa mélodie au firmament, voilà un hit visité par la grâce préraphaélite et qui éclôt dans l’azur immaculé des sixties. Le génie de Marc Bolan s’y entend à l’infini. Par contre, la B est complètement ratée. On se consolera en rapatriant la réédition de l’album parue sur A&M en 2014. Il s’agit en effet d’un double album proposant sur le deuxième disque des choses qui ne figurent pas sur les albums officiels, comme par exemple le dernier single du duo Bolan/Took. N’ayons pas peur des mots : «King Of The Rumbling Spires» est pour le fan de base du duo un passage obligé : Bolan et Took s’électrifient. C’est du T. Rex avant la lettre, a riffy, mesmerizing gothic folly, avec Took on bass et Marc qui joue de la fuzzed-up reverberated guitar. C’est énorme et à l’époque, ça passa à l’as ! Voilà un hit qui sonne comme ceux des Move. Le Tyrannosaurus fait de l’œil au Brontosaurus à venir des mighty Move. Pure merveille ! La B-side du single s’appelle «Do You Remember», claustrophobique en diable. On trouve aussi sur ce disk de bonus l’une des ultimes démos du duo : «Once Upon The Seas Of Abyssinia». Mais attention, ce n’est pas fini. Il reste à écouter l’excellent «Ill Starred Man» qui sonne littéralement comme du Ray Davies. Stupéfiant ! Bolan se rapproche de la raie de Ray et préfigure Bowie. Il est le maillon manquant du décadentisme dont on se fera les gorges chaudes un peu plus tard. Le dernier cut de la B s’appelle «Blossom Wild Apple Girl», une fois encore absolument brillant et sevré de décadence. La voix de Bolan se pose comme une plume dans une lumière de printemps imaginée par Edward Burne-Jones. Ce hit solide, précieux et anglais jusqu’au bout des ongles corrobore les corridors. 

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             Keith Altham est surpris par l’évolution de l’ex-Mod, de l’ex-Beatnik et de l’ex-John’s Children dynamo : «I saw Tyrannosaurus Rex at the Albert Hall and they bored me to death.» Puis au retour d’une tournée américaine chaotique, Bolan se débarrasse de Took et le remplace par Mickey Finn, un gentil toutou qui dit oui à tout. Visconti : «Mickey was a breath of fresh air after Steve who was very heavy.» La relation avec Peely va aussi tourner court. Peely avoue qu’il n’était pas dupe, Bolan se servait de lui pour passer à la radio. Peely dit aussi que Bolan a quelque chose de dur en lui, et que généralement, le succès ne fait qu’empirer les choses. Quand plus tard, Peely refuse de passer «Get It On» dans son émission, car il estime que Bolan devenu superstar n’a plus besoin de son aide, Bolan le prend mal et lui tourne le dos. Peely : «Marc didn’t become a monster but he didn’t have to be Mr. Nice Guy any more.» Peely pense que Bolan l’associait avec le souvenir des jours difficiles et qu’il voulait fréquenter d’autres gens. Napier pense que c’est Mungo Jerry qui a aidé Bolan à décoller, à le sortir de l’ornière du circuit des universités. Quand il arrive sur Fly Records, un petit label monté par Kit Lambert, Bolan largue le Tyrannosaurus et passe à T. Rex. Il va décoller avec un 12-bar record, «Hot Love», en 1971, en même temps que deux autres 12-bars, «I Hear You Knocking» de Dave Edmunds et «Baby Jump» de Mungo Jerry. Bolan passe du statut de «cross-legged hippie troubadour» à celui de «swaggering pop idol».

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             Bon, pas la peine de tourner autour du pot : le premier album sans titre de T. Rex ne casse pas des briques. Dommage, car la pochette inspire confiance : Bolan et Mickey Finn ressemblent à des superstars. Par contre, quand on lit les notes de pochette, le nom de Finn n’apparaît nulle part. Il sert de faire-valoir. Bolan voulait juste un good-looking kid près de lui. Globalement, ce premier T. Rex sonne très Tyrannosaurus Rex, avec les tablas et la position de lotus. Bolan fait sa chèvre comme au temps de «Debora» dans «It Is Love», c’est encore très tablas sur «Summer Deep» mais avec un gratté de poux électrique. Avec «Root Of Star», Bolan impose un style vocal unique, très fruité. On sauve cependant deux cuts : «Jewel», joli de shoot de boogie, real deal de British Underground doté d’un fantastique développé. Bolan grimpe au sommet de son lard en devenir. L’autre cut s’appelle «Seagull Woman», très T-Rextasy, traversé par un fantastique filet de solo fin.

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             Bolan sent qu’il faut sortir les crocs et durcir le son. Il engage Steve Currie et Bill Legend. Visconti est aux manettes pour capter ce nouveau son raw and primitive. Ils enregistrent l’Electric Warrior live au Media Sound Studio de New York. Bolan : «We recorded like the early Sun records.» Avec sa pochette en forme de «first iconic image of the Seventies», Electric Warrior frappe les imaginations. Paytress dit qu’Electric Warrior est l’héritier du Plastic Ono Band de John Lennon paru juste avant : même simplicité, même immédiateté. no-frills rock’n’roll sound. On y trouve des perles rares du genre «Monolith», un fantastique balladif de charme que Bolan chante au tremblé de glotte. Quel enchanteur ! C’est aussi sur cet album que se trouve l’un des plus grands hits de l’ère glam, «Get It On», l’archétype de l’apanage des alpages. On peut dire la même chose de «Jeepster», monté sur un riff de boogie. Glam joyeux et digne de cette grande époque que fut l’adolescence, temps béni du libre arbitre et des métabolismes changeants. On comprend rapidement que Bolan crée son monde, comme va le faire Bowie. Autre hit glam : «Mambo Sun», doté d’une belle tension sexuelle. Avec «Girl», Bolan retrouve ses vieux accents charmants, Bolan mal an. C’est ici qu’il swingue la décadence, comme va le faire Bowie. Dans «The Motivator», Bolan laisse remonter des relents de «Deborah», à base de tablas et de groove intimiste. Il préfigure encore Bowie avec «Life’s A Gas», dans le chaud du ton. Bolan est aussi à l’aise sur les balladifs que sur les hits glam. Cet album attachant est bourré de son et de proximité. Album emblématique d’une rockstar anglaise.

    T-Rex explose en Angleterre. Electric Warrior déclenche la T-Rextasy, suite de la Beatlemania. C’est aussi l’avènement du glam. Tout repart à zéro, comme en 1956 et en 1964. Bolan devient le «20th century schizoid rock man», et Paytress indique que dans la presse il est victime d’une «overdose of hype». Devenu riche, Bolan se paye une AC sports car et une Rolls. En studio, il peaufine avec Visconti un T. Rex Sound à l’image du personnage - extravagant, magnificent, unmistakeable - Iggy qui est alors à Londres voit T. Rex sur scène et trouve le show «kinda Chipmunky». Il ne succombe pas au charme de Bolan. Mais pour tous les autres, «T. Rex are the new Beatles, the biggest pop sensation in years.» Avec «Telegram Sam», Bolan et Visconti veulent se démarquer du hit factory de Totor et du Motown Sound. Ils basent tout sur le fuzzed-up guitar riff, ils créent le concept de «pocket symphony». Bolan ne sortira plus de ce concept.

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    ( Marc Bolan + Mickey Finn)

             Visconti raconte un épisode étrange : «On est en route, dans la limo, je suis assis à l’arrière avec Marc, Mickey, Steve et Bill. Marc est bourré. Il boit du cognac au goulot. C’est le matin. Soudain, il attaque une chanson. ‘I’m an old boon dog from the boon docks.’ Il essaye de nous faire chanter avec lui. On a tous un peu la trouille. The leader is out of control. Je n’ai jamais eu peur de me confronter à lui, mais je savais que ce n’était pas le bon moment pour le faire. Il insiste : ‘C’mon everybody sing! C’mon Mickey you cunt!’. Il aboie comme un chien, il est complètement soûl. Pour faire baisser la tension, Mickey se met à chanter, et Marc passe son bras autour de son épaule. That’s how the Slider began.»   

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             Bolan se tape encore une pochette iconique pour The Slider. Tous les fans de glam chérissent cet album pour au moins deux raisons : «Metal Guru» et «Telegram Sam». C’est le glam dans toute sa splendeur conquérante. Bolan chante à la fantastique allure. Il préfigure tout le Ziggy à venir. Le «Telegram Sam» qui ouvre le bal de la B est l’autre mamelle du glam, un Telegram mené au allonzy d’alley hop. Superbe et ravageur - Purple pie Pete/ Your lips are like lightening girls melt in the heat - Imbattable. Mais le reste des cuts est moins flamboyant, même s’il chante «Mystic Lady» magnifiquement. Autre hit glam : le morceau titre qu’il chante à la coulée douce - And when I’m sad/ I slide - Et puis avec «Baby Strange», on voit bien qu’il tourne autour du pot de miel.

             Quand T. Rex repart en tournée américaine, ils prennent l’avion sans B.P. Fallon qui était l’attaché de presse de Bolan depuis deux ans. Alors B.P. paraphrase Dylan pour donner sa démission : «It’s Alright Marc, I’m only leaving.» Alors que Bolan devient millionnaire, Steve Currie et Bill Legend sont toujours payé 40 £ par semaine, plus 26,50 £ par session d’enregistrement, sur des albums qui rapportent quand même plusieurs millions de £. Dans la presse, Bolan se vante : «Today I’m not making £40 a week but £40 every second.» En Angleterre, des gens comme Vincent Crane d’Atomic Rooster le détestent : «I feel Marc Bolan is totally mediocre in every respect.» Dave Hill de Slade dit bien aimer ses chansons, mais il trouve que le groupe n’apporte rien. Don Powell qui bat le beurre de Slade raconte que Bolan leur a proposé d’alterner les parutions de singles, afin que chacun puisse accéder au sommet des charts à tour de rôle - Chas Chandler (Slade’s Manager)  told him to fuck off - Slade aura 6 number ones et Bolan 4. Bolan s’acoquine avec Tony Secunda. Ils montent ensemble The T. Rex Wax Co label et une publishing company qui vend les cuts sous licence à EMI. Bolan garde ainsi le contrôle de tout ce qu’il fait. En six mois, ils ramassent six millions de dollars «on worldwhile records deals alone», se vante Secunda qui est un négociateur hors pair. Puis Bolan se débarrasse d’un Secunda qui s’en sort pas si mal - Still I made a lot of money and I got a Ferrari out of it.

             Bolan tourne à la coke et au champagne - It was Marc and June’s poison - Les bouchons sautent pour la sortie en salle du film Born To Boogie, qui sera le dernier spasme de la T-Rextasy.

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             Ringo a filmé Bolan en 1972, à l’Empire Pool de Wembley. Merci Ringo, car plus qu’aucun autre docu tourné à l’époque, celui-ci montre à quel point Bolan était bon sur scène. Mais vraiment bon. Il avait fini par laisser tomber le côté gnangnan de Tyrannosaurus Rex pour aller sur un son plus rock. Il est bien sûr très bien accompagné (Mickey Finn, qui ne sert pas à grand-chose, Steve Currie au bassmatic, et surtout l’excellent Bill Legend au beurre), mais c’est Bolan qui vole son propre show. Il est la parfaite rockstar anglaise. Il a toutes les mamelles du destin : la voix, le look, le son et les poux, car il n’en finit plus de les gratter et d’épater la galerie. Si on veut prendre la mesure de Bolan, après avoir digéré une bonne bio, il faut voir et revoir Born To Boogie.

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             Petit, il est déjà fan d’Eddie Cochran, ça veut dire qu’il a déjà tout bon. Pas étonnant de le retrouver sur scène dix ans plus tard avec une Les Paul dans les pattes. The Les Paul power ! Bolan a fini par devenir le roi du gimmick, clack clack, yes you are, tel que le montre «Jeepster». Temps béni de l’Angleterre bénie des dieux, veste de satin blanc, You’re so sweet/ You’re so fine, aw my Gawd, il tape en plein dans le mille à coups d’I’m just a Jeepster for you love. Qui pouvait résister à ça ? Personne ! Et Ringo l’avait bien compris, puisqu’il était là avec ses caméras. Sur scène, tout est centré sur Bolan, les autres ne comptent que pour beurre. Le pauvre Mickey Finn bat ses bongos, et c’est pas le mec de Santana. Il n’est pas très bon. Bolan joue pas mal en La, il a son public, tout le monde saute en l’air dans les premiers rangs. Ringo filme les gamines maquillées. Big hard fan-base. Il alterne aussi les séquences de Wembley avec des plans filmés dans le studio d’Apple à Saville Road. Bolan tape un «Blue Suede Shoes» accompagné par Ringo au beurre et Elton John au piano. Puis il tape un «Chidren Of The Revolution» avec sa grosse gratte rouge et du rouge à lèvres.

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             Hélas, le côté Tyrannosaurus reprend le dessus à Wembley puisqu’on retrouve Bolan assis en lotus avec une acou. Il tape un «Cosmic Dancer» passé de mode. Disons que ça fait partie du jeu, mais on perd le rockalama qui a fait de lui une superstar. Tout revient dans l’ordre lorsqu’il annonce : «This song is called Telegram Sam !». Power chords all over the glam era ! C’est l’apanage de l’archétype, il cale des incursions intestines entre deux gimmicks de monster stroke, il maîtrise l’art des petits incendies, il peut même hendrixer dans le feu du glam, il est unique en Angleterre. Il joue clair et net, cartes sur table, il va et il vient entre les reins de l’or du Rhin, il va claquer ses beignets et revient au micro télégrammer Sam. Fantastique artiste ! Avec Bolan, le glam est beaucoup plus que le glam. C’est le gloom du glare.

             Ringo l’a aussi filmé dans le jardin de John Lennon, assis dans l’herbe, il y gratte ses hits glam à coups d’acou, «Jeepster», «Get It On». On est frappé par la simplicité de ses hits. Tout repose en fait sur son maniérisme vocal qui est vraiment du grand art. La richesse de sa voix et de ses intonations contrebalance l’apparente simplicité des carcasses. Ringo le filme coiffé de ce haut de forme en cuir brun qui d’une certaine façon est devenu son logo, un logo que reprendra le fan number one de Bolan, Nikki Sudden. Encore un cut fondateur du glam : «Hot Love» et «Get It On» qui va plus sur le raw glam, bien tenu en laisse, Bolan le module au petit chat perché perverti. Il gratte aussi une Strato blanche. Il est partout dans le son, il n’a vraiment besoin de personne en Harley Davidson. Bolan does it right, même le killer solo flash en bas du manche. Pour les kids, Bolan est la star parfaite : du son et si good-looking ! On le voit soloter pendant des plombes sur «Cadillac», il sort du glam pour rocker la bête, et puis voilà qu’il rend hommage à son point de départ : Eddie Cochran avec «Summertime Blues».

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             Comme Rolan Bolan est le fil de Bolan et de Gloria Jones, il est métis. Alors on le voit dans les bonus conduire quelques belles interviews de prestige. Il rappelle quand même qu’il n’avait que deux ans quand son dad a cassé sa pipe en bois, dans l’Austin que conduisait sa mère. Au micro de Rolan, Tony Visconti est égal à lui-même : il explique qu’il a tout fait. Il dit aussi : «Your dad was one of the icons.» On profite des bonus pour relever quelques petits détails qui ont leur importance. Ringo filme avec cinq caméras syncro - Crazy but under control, rappelle le technicien en chef - On voit aussi Rosco qui a pris un violent coup de vieux. C’est lui qui annonce Bolan sur scène à Wembley. Et Ringo qui a tant filmé le public rappelle un truc essentiel : «The audience is part of the show.» La morale de cette histoire selon Ringo est que la T-Rextasy est la suite logique de la Beatlemania.  

             Nick Kent ne trouve pas le film très bon. Il pense que Bolan s’est tiré une balle dans le pied en incluant une scène d’acou «where he strums the most blatantly out-of-tune guitar I’ve posibly ever heard and whines obnoxiously for over five minutes.» Paytress ajoute que Kent avait pour héros des gens comme Syd Barrett, Brian Wilson, Keith Richards et Iggy Pop, et, pour lui, Marc Bolan était loin de leur arriver à la cheville.

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             Encore deux hits glam sur Tanx : «Shock Rock» et «Born To Boogie». On ne va pas s’en plaindre, on est là pour ça. Bolan maîtrise l’art du glam et passe un petit solo à l’excédée. «Born To Boogie» est l’endroit exact où le glam sucre les fraises du boogie. Bolan couronne le tout d’un chant outrancier. On pourrait lui reprocher de se répéter, mais il s’arrange toujours pour que ça sonne comme du big Bolan. Avec «Tenement Lady», il shoote une jolie dose de glam dans le champ des possibles. On assiste aussi au retour de la chèvre dans le chant. On le voit un peu plus loin trousser les jupes du rock anglais avec «Country Honey». Belles guitares. On retrouve Bolan au sommet de son art pétillant avec un «Mad Donna» bien sonné des cloches, bardé d’accords, de chant, de piano, et de glam. Encore une belle opération de charme avec «Highway Knees». Il sait émoustiller les muqueuses. N’oublions jamais que Bolan est avant toute chose un fantastique chanteur de charme. Il boucle cet album superbe avec «Left Hand Luke», un heavy balladif joliment soutenu par des chœurs de filles, des violons et un solo au long cours. C’est excellent, gorgé de bonne énergie londonienne. On sent chez Bolan le pur plaisir de faire du rock, et il le fait à son idée, avec un style qu’il faut bien qualifier d’unique.

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             Paytress se fend d’un étrange parallèle entre Zinc Alloy et Exile In Main Street, parus en même temps et qui ont pour points commun le «rock’n’roll abandon with an urgency and directness mistaken at the time for vulgarity.» Et il ajoute ceci qui est déterminant : «The musical directors on both (Keith Richards and Marc) are out of control, the producers reduced to vitual bystanders.» Bolan se fait colorier les yeux en bleu pour la pochette de Zinc Alloy & The Hidden Riders Of Tomorrow. C’est de bonne guerre, on ne va pas le lui reprocher. Ceci dit, il continue d’honorer les dieux du glam avec «Interstellar Soul». Ça reste du grand art, du glam d’usage courant joué avec doigté et délicatesse. Le hit de l’album s’appelle «Teenage Dream», sans doute le plus décadent de ses hits. Sa magie opère, à base de violons et de guitare électrique. Le voici au sommet de la T-Rexmania - Silver surfer and the ragged kid/ Are all sad and rusted boy - Encore un superbe bouquet de glam avec «Venus Loon» et des paroles à l’avenant - Going to see my baby in the afternoon/ Going to take my baby on a Venus loon - Bolan est l’artiste idéal pour les ados affamés de glamour rock. Il fait aussi du slow glam avec «Explosive Mouth». Il revisite l’art rock anglais à sa façon, sans forcer. Il termine avec «The Leopards Featuring Gardenia & The Mighty Slug» et les filles font we’re the leopards. On l’a dit, Bolan est brillant sur les morceaux lents. Il peut même se montrer envoûtant.

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             L’album suivant s’appelle Light Of Love aux États-Unis et Bolan’s Zip Gun en Angleterre. Paytress ne jure que par «Think Zinc» - A mutant metal-techno refashioning of the vintage T. Rex sound, it opened on the footstomping manner of the Supremes’ «Where Did Our Love Go», then hit he manic button with a demonic, fuzzed up guitar riff, filth-honking horns and a pulsating backing track overlaid with vocals that sweated and swelled as Bolan repeated the title like an out of control monomaniac - On entend Gloria Jones dans «Think Zinc», c’est très bien foutu. Bolan maintient bien son cap. L’un dans l’autre, Zip Gun est un excellent album et même un classique du rock anglais des seventies. Nouveau hit glam avec «Zip Gun Boogie». Il sucre les fraises du glam. Mélange détonnant de boogie et de chant juvénile. C’est une véritable bénédiction glammaire. Mais c’est avec «Till Down» qu’il emporte la partie. Bolan est un chanteur de charme fou. Il se veut fin et décadent, au moins autant qu’Oscar Wilde. Nouvelle merveille constituante avec «Girl In The Thunderbolt Surf». Il chante à l’accent d’elfe, un rôle qui lui va à ravir. Il fait aussi du glam frileux avec «Light Of Love». Il passe en mode heavy blues pour «Token Of My Love», mais avec le charme de sa voix, ça passe très bien.

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             Fin 1974, Bolan se sépare de Mickey Finn, qui était une sorte de talisman - Now Bolan ne pouvait plus se permettre d’être sentimental - Il semble encore monter d’un cran avec Futuristic Dragon. Véritable coup de génie que ce «Casual Agent», avec sa copine de cheval Gloria Jones aux chœurs. Fantastique exercice de diction - Dejected like Delilah/ She sucked upon my peach - Il revient à sa chère décadence avec «Dawn Storm» et chante son times they are strange/ And I won’t rearrange à la dégoulinade. Back to the glam avec «Jupiter Liar». Bolan est un petit Merlin, il enchante son monde. Son would you lie to me se pose comme une pétale de fleur sur les lèvres de l’ange Gabriel. Nouveau shoot de décadence avec «All Alone». Il sait bêler à bon escient - Zeus never loose with his Grecian kiss/ His Grecian kiss - «New York City» sonne comme un petit boogie glammy bien documenté du cagibi : Bolan demande si on a vu une femme arriver de New York City avec une grenouille dans la main. En B, il veut qu’on l’emmène sur «Sensation Boulevard». Il veut absolument y aller, ahh tak me down to Sensation Boulevard. Joli solo de guitare et fantastique maestria. Il peut même se montrer assez coquin car dans «Ride My Wheels», il veut lubrifier sa poule toute la nuit - But lady I want to oil your engines all night - Futuristic Dragon est certainement son album le plus décadent. 

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             L’album du chant du cygne s’appelle Dandy In the Underworld et paraît l’année de tous les dangers, en 1977. Décadence et glam à tous les étages en montant chez Marc, à commencer par l’heavy glam du morceau titre d’ouverture de balda. Il chante ça au mieux des possibilités bolanesques. Quelle fantastique présence ! Glam toujours avec «Teen Riot Structure» en B, plus pop mais servi bien frais. Il est à la fin de son parcours mais au sommet de son petit art. Le Teen Riot lui va si bien. Il ne sait pas encore qu’il va mourir dans un accident de voiture. Il chante suprêmement «The Soul Of My Suit». Son vibré de glotte finit par faire merveille, I love you yeah yeah, un parfum de glam flatte les mannes de la vieille Angleterre. Il ramène sa cocote glam dans «Crimson Moon» - I wanna feel your heat/ Under the crimson moon - Joli coup de boogie glam, son de rêve, présence extrême - Hey little girl you move so fine/ I want to make you mine/ Under the moon - Mais il tourne un peu en rond avec son boogie, comme le montrent «Groove A Litle» ou «I Love To Boogie». C’est très Bolan dans l’esprit, ça n’a aucun intérêt, mais c’est ultra-chanté.

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             La même année, il se proclame «Godfather Of Punk». D’ailleurs Captain Sensible porte un T-shirt T. Rex, alors Bolan emmène les Damned en tournée, des Damned qui lui demandent d’enregistrer an album of really raw stuff. Captain raconte que Bolan et les Damned voyageaient à bord du même bus. Bolan ne fumait plus, ne buvait plus et ne touchait plus à la dope. L’épisode punk est fondamental pour bien comprendre Bolan : il pige l’air du temps. Pour lui, le Punk c’est «the early Sixties American girl group The Angels, maverik film director Federico Fellini, pop falsetto Frankie Valli and Hollywood outsider Orson Welles.» Il sait qu’il faut rejeter «the conventional icons» pour aller dans les marges. Dans la presse, Bolan pontifie : «I consider myself to be the elder statesman of punk. The Godfather Of Punk, if you like.» Il flashe aussi sur Siouxie & The Banshees et caresse le projet de les produire. Trois raisons à ce flash : «Siouxie’s ‘Dreamy Lady’ make-up, the band’s Bolan-like sense of drama and the inclusion of ‘20th Century Boy’ in their set.» Il a aussi une émission de télé, Marc, et pour présenter Generation X, il déclare face à la caméra : «They have a new singer called Billy Idol , who’s supposed to be as (takes a pink tose to his nose and sniffs it) pretty as me.»

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             Mais pas que le punk. Il tapait déjà dans la Soul avant Bowie et Lennon. Il produit l’album de Pat Hall, avec des reprises de «Keep On Truckin’» (Eddie Kendricks) et «Clean Up Woman» (Betty Wright) qui font partie de ses cuts favoris. Il adore aussi le «Money Honey» de Clyde McPhatters et l’«Ain’t That A Shame» de Fatsy. Il compose «High» et «Cry Baby» avec Gloria Jones, des cuts qu’on retrouve sur l’album solo de Gloria paru en 1976. Bolan s’entend bien avec le frère de Gloria, Richard Jones, qui est une sorte de Barry White. Il admire aussi Kenny Gamble, Leon Huff et Thom Bell, les architectes de la Philly Soul d’Harold Melvin & The Blue Notes et des O’Jays. La Soul règne sans partage dans la limo qui emmène Pat, Gloria et Marc à travers les rues américaines. C’est la facette qu’on connaît moins chez Bolan : le précurseur.

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             En 1974, Bolan s’est séparé de June et il tombe amoureux de Gloria Jones. Il l’a déjà rencontrée en 1969, lors de la première tournée américaine de Tyrannosaurus Rex. Bolan fut invité  à la party de Miss Mercy, l’une des GTO’s, et Gloria était là. Puis en 1972, Gloria faisait les chœurs sur scène à San Francisco pour T. Rex. Elle était aussi devenue «an in-house Tamla Motown songwriter». À ses débuts, dans les early sixties, il y avait déjà trop de stars chez Motown. Berry Gordy venait de signer Brenda Holloway. Les Supremes et Martha Reeves commençaient à décoller, il n’y avait donc pas de place pour Gloria, alors Hal Davis qui l’avait repérée l’a présentée à Ed Cobb, oui, l’Ed Cobb des Standells. Cobb a une petite compo pour Gloria : «Tainted Love». Puis on va entendre Gloria la backing-singer sur pas mal de gros coups, comme le Christmas Album de Totor, et sur le «Salt Of The Earth» des Stones - That was Merry Clayton, Brenda and Patrice Holloway and myself - Elle a aussi fait des baking-vocals pour Delaney & Bonnie, les Supremes et Ike & Tina Turner, avant de rejoindre Bolan. Gloria Jones est déjà une artiste complète lorsqu’elle entre dans la vie de Bolan.

             Oh et puis le glam ! Les gens qui sont arrivés à la suite de Bolan ont pompé ce qu’ils pouvaient pomper, nous dit Dave Thompson dans sa bible Gam Rock : «Gary Glitter took the primeval stomp, Slade took the terrace simplicity, The Sweet took the pre-pubescent awareness and David Bowie took the sex.» «And some of Marc’s audience», ajoute Paytress, goguenard. En 1973, le Melody Maker titrait : «Glam Rock is dead says Marc», mais c’était faux, car Roxy Music, Lou Reed, les Carpenters et Suzi Quatro déboulaient. Puis une nouvelle vague va heurter les rivages d’Angleterre en 1974 avec Showaddywaddy, les Rubettes, Alvin Stardust et les Bay City Rollers. On verra encore bien d’autres vagues par la suite, avec les Sirens, les 1990s à Glasgow, et, cette année, Gyasi en Amérique.

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             Paytress passe aussi pas mal de temps sur la relation Bowie/Bolan, qui fait par ailleurs l’objet d’un ouvrage complet sur lequel nous reviendrons (Mark Burrows : The London Boys: David Bowie, Marc Bolan and the 60s Teenage Dream). Visconti qui connaît les deux loustics depuis le début parle d’une rivalité et d’une admiration réciproque. Bowie et Bolan se croisent souvent sur Denmark Street alors qu’ils grenouillent à la recherche d’un contrat. Ils jamment pas mal ensemble, et leur principale préoccupation était «to get high and listen to Beach Boys and Phil Spector albums.» Ils préféraient Smiley Smile et Wild Honey à Pet Sounds. Ils jouaient «Vegetables» ensemble et se délectaient d’«Heroes & Villains». Ils sont ensemble en studio pour «The Prettiest Star», mais Bolan est jaloux du succès de Bowie avec «Space Oddity». Visconti précise un truc fondamental : Bowie admirait Marc. Il adorait sa compagnie - Bowie l’admirait ouvertement, il le respectait et le qualifiait de cosmic punk. Il a tout fait pour devenir l’ami de Marc qui, réciproquement l’admirait en secret - Bolan assiste au concert de The Hype, le pre-Glam infamy monté par Bowie avec Visconti à la basse : du glam avant le glam.

             Puis Bowie va prendre la place de Bolan à la une des canards. Il s’attire aussi les louanges des critiques et reçoit un accueil favorable aux États-Unis lors de sa première tournée, ce qui ne fut pas le cas pour Bolan - Lillan Boxon : a star is born - Mick Gray ajoute : «Marc was pissed off when David started to take off both at home and in the elusive USA. They had a love/hate relantionship, they were similar people, both control freaks out of control.» Puis en 1974, Bowie récupère Visconti pour Diamond Dogs - futuristic space-age soul epic - qui va cartonner, alors que le Zinc Alloy de Bolan patauge dans la marmelade. C’est l’époque où Bolan grossit. Paytress se marre : «Marc got fat. David got thin. Marc got soul. David got America.» Gloria Jones ajoute que Marc adorait la Soul, mais David est allé beaucoup plus loin, ce fut la clé de son succès aux États-Unis. La conversion de Bowie au R&B était totale. Bowie avait l’avantage sur Marc de savoir changer rapidement. Mickey Finn : «Marc had this hit formula but he never moved on.» Le parallèle est extrêmement intéressant : on en voit un qui avance et l’autre qui stagne. Bolan qui n’est pas dupe s’amuse de ce parallèle avec son vieux rival : «Bowie called his child Zowie so I thought I‘d call mine Rolan Bolan.» L’ironie de l’histoire, c’est que Bolan va entrer dans la légende en disparaissant brutalement, alors que Bowie va se griller auprès de ses fans de la première heure avec son délire de Thin White Duke. Les choses sont toujours beaucoup plus complexes qu’elles ne paraissent.

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    Marc and June

             Paytress finit par amorcer le chapitre du déclin de Bolan le magnifique. En 1972, Bolan se noie déjà dans un océan de coke et de champagne. Fortifié par the ego-swilling stimulants, il n’écoute plus les conseils de ses amis. Petit à petit, il va virer tous les gens qui l’ont aidé : B.P. Fallon, John Peel, Tony Secunda, Mickey Finn, June Bolan, Bill Legend & Steve Currie, la liste est longue. Il va même réussir à s’aliéner son public en Angleterre. En tournée américaine, il joue des solos trop longs, les gens s’ennuient. Même Visconti se lasse de ses excès d’égotisme et de substances. Bolan devient tout ce qu’il détestait chez Took. Le succès a transformé le «softly spoken child starlet with ascetic tendancies en V.I.P. ayant signé un pacte faustien le menaçant de perdre toute dignité.» Puis Marc qui sait tout engage le bras de fer avec Visconti. Ça chauffe dans la cabine. Bolan met l’autorité technique de Visconti à rude épreuve. Visconti finit par jeter l’éponge en 1973. June Bolan est persuadée que l’Amérique a détruit Bolan. Bolan va commencer à enfler, comme Elvis - Bolan was slipping into a Presley-like netherwold - La presse le traite de «Porky Pixie», et de «Glittering Chipolata Sausage». Bolan est devenu une sorte de Gary Glitter croisé avec Leslie West, and he didn’t give a damn. Rien à foutre. Alors que Bowie maigrit grâce à la coke, Bolan enfle comme une patate - Marc simply expanded.

             Il enregistre sur son magnéto, complètement défoncé, et le lendemain matin, il a toutes les peines du monde à se rappeler ce qu’il a foutu la veille. Il séjourne énormément sur la Côte d’Azur, mais Paytress rigole, car il ajoute que Marc ne voyait pas beaucoup la plage. Pas son truc, after all. Bolan boit comme un trou. Ted Dicks le voit descendre 16 bouteilles de rosé dans la journée. Le lendemain, il n’avait aucun souvenir de ce qu’il avait fait en studio. Ah comme les gens sont moqueurs. Puis EMI rechigne à sortir un nouvel album de T. Rex. Ça tombe bien, car Bolan rechigne, lui aussi. Sans doute usé par la routine du star-system, il était peut-être parvenu à se convaincre, de la même façon que Syd Barrett, qu’un exil volontaire pouvait favoriser l’éclosion de sa légende.

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             Et puis en septembre 1977, Gloria et Marc sortent au petit jour d’une fête bien arrosée. Gloria prend le volant de la purple Mini 1275 GT pour ramener Marc au bercail. Personne dans les rues, à cette heure, alors on peut foncer. Vroom vroom ! Rhhhaaa Vroom vroom ! Boom ! La gueule dans un platane. Aux obsèques, tu as Bowie, Rod The Mod, Steve Harley, Linda Lewis, les Damned, Alvin Stardust, et Visconti. Bolan mal an, ça s’est bien terminé : il est entré brutalement dans la légende. C’est tout ce qu’on attend du rock.  

    Signé : Cazengler, Bo-l’âne

    Tyrannosaurus Rex. My People Were Fair And Had Sky In Their Hair... But Now They’re Content To Wear Stars On Their Brows. Regal Zonophone 1968

    Tyrannosaurus Rex. Prophets, Seers & Sages: The Angels Of The Ages. Regal Zonophone 1968

    Tyrannosaurus Rex. Unicorn. Regal Zonophone 1969Rex. T. Rex. Fly Records 1970

    T-Rex. Electric Warrior. Fly records 1971

    T-Rex. The Slider. EMI 1972

    T-Rex. Tanx. EMI 1973

    T-Rex. Zinc Alloy & The Hidden Riders Of Tomorrow. EMI 1974

    T-Rex. Bolan’s Zip Gun. EMI 1975

    T-Rex. Futuristic Dragon. EMI 1976

    T-Rex. Dandy In the Underworld. EMI 1977

    Elemental Child. The Words And Music Of Marc Bolan. Easy Action 2023

    Mark Paytress. Bolan: The Rise And Fall Of A 20th Century Superstar. Omnibus Press 2006

    T-Rex : Born To Boogie. DVD 2005

     

     

    L’avenir du rock

    - Hey Nude

             L’avenir du rock ne porte pas les jeux de société en très haute estime. Il en est un qui trouve cependant grâce à ses yeux : le poker déshabillant. Il fut un temps où il adorait le pratiquer dans un petit cercle d’amis on va dire évolués, surtout les amies, car ce genre de divertissement demande des dispositions particulières. On ne s’effeuille pas devant n’importe qui, ni n’importe comment. À l’usage, l’avenir du rock découvrit que le fin du fin n’était pas de voir les amies à poil, mais de se retrouver soi-même à poil. La pratique de ce jeu requiert donc des aptitudes stratégiques. Bien sûr, il n’était pas le seul à se découvrir une passion pour l’exhibitionnisme. Il la détecta chez les autres, notamment chez ces fameuses amies qui étaient tellement fières de montrer leur cul qu’elles redoublaient de malignité pour perdre la main, osant même parfois tricher. «Oh zut, j’ai encore perdu... J’enlève le haut ?». Les règles de ce jeu infiniment social sont simples : chacun des participants, six idéalement, doit porter le même nombre de vêtements, abandonner tout a-priori, et bien sûr, savoir mesurer ses émotions. On peut s’arrêter au premier corps nu, ou continuer, les règles restent assez flexibles. Généralement l’ambiance est bonne, on ne plaint jamais le perdant ou la perdante, au contraire, on le ou on la félicite :

             — Ah quels jolis seins tu as, ma puce, on peut toucher ?

             — Bien sûr

             — Ah comme ils sont fermes, Pierre a bien de la chance !

             L’avenir du rock doit cependant rester prudent pour ne pas choquer la copine du moment. Elle participe bien sûr au jeu et rêve d’avoir des seins aussi fermes, mais comme le précise aimablement l’avenir du rock, «Elle n’a pas d’aussi jolis seins, mais elle a d’autres qualités.» Toutes ces raisons mêlées à de délicieux souvenirs font que l’avenir du rock adore The Nude Party. 

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             Il a raison l’avenir du rock. Comment ne pas en pincer pour The Nude Party, ce groupe basé en Caroline du Nord ? Six membres, un goût immodéré pour la débauche et déjà trois albums imbattables. C’est un peu comme si tout recommençait. Les Stones, le Velvet, les Kinks, tout ! Une façon comme une autre de dire que le rock est un éternel recommencement.

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             Une chronique extrêmement élogieuse dans Shindig! de leur troisième album nous mit récemment sur la piste de The Nude Party. Le mec disait en gros qu’on ne pouvait pas résister à la joie et à la bonne humeur qui règnent sur Rides On. On trouve rarement un tel enthousiasme dans une chronique. Alors on est allé voir et le mec a raison : les Nude Party réinventent la Stonesy, dès les deux premiers cuts, «Word Gets Around» et «Hard Times (All Around)». Oui, c’est de la Stonesy, hey hey, mais avec un entrain démesuré. Une Stonesy inespérée de power, une Stonesy encore meilleure que la Stonesy, plus royaliste que le roi. «Hard Times (All Around)» pourrait sortir de Let It Bleed, c’est claqué à la «Live With Me», ils descendent au barbu avec délectation.  Et puis il se met à pleuvoir des coups de génie : «Cherry Red Books» et «Somebody Tryin’ To Hoodoo Me». Avec le premier, ils tapent dans le big Californian Hook avec de l’écho, voilà un cut excellent, déviant et bien balancé, quasi Stonesy early 65, pur génie de genèse, la basse pouette et la gratte couine dans l’écho du temps, on croit entendre Brian Jones sur sa Gretsch vert pâle. Ils amènent le Hoodoo Me au heavy groove de Stylish Stills, ils sont dessus, sérieux et graves, ils sont infiniment crédibles, Patton Magee chante au tranchant, dans un hoodoo de rêve. Il attaque encore «Tell Em» au sévère et chante «Sold Out Of Love» comme un crack. Il sait chanter à l’accent cassé. Album fabuleux : tu as du son et de vrais riders on the storm. Les grattés de poux et l’énergie sont extraordinaires. Ils terminent Rides On avec «Red Rocket Ride», en se payant le luxe d’un balladif aussi immense que l’horizon. Ils y flirtent avec le Dylanex et ça groove à coups d’harp.

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             Leur premier album sans titre date de 2018. Esthétique sixties pour la pochette et nouveau shoot de Stonessy avec «Chevrolet Man». On entend la slide d’Exile et Patton Magee chante exactement comme le Jag. Il fait encore des siennes sur «Gringo Che». Cette fois, il opte pour l’exotica punk. Ce mec est vraiment bon - Viva el Gringo ! - Ça se termine en belle apocalypse et ça continue avec «Wild Coyote», dans un esprit western spaghetti. Patton Magee chante vraiment à la surface des choses. C’est un punk indubitable. On se régale aussi du «Water On Mars» d’ouverture, bien emmené au gratté de poux et aux nappes d’orgue. Vibe énorme ! Ils naviguent à très haut niveau. Avec «Feels Alright», ils vont plus sur le Lou Reed de Transformer, c’est heavy et beau, ils dégagent leur rock des convenances, ils tapent dans l’arrière-boutique de bon ton. «War Is Coming» sonne plus gaga sixties. Ils se permettent toutes les audaces. Ils drivent «Live Like Me» dans le heavy Nude. Il faut un talent fou pour réussir un coup pareil. Le coup de génie de l’album se trouve juste avant la fin : «Astral Man». Thème toxique, alors tu plonges. Ils réussissent chaque fois cet étonnant mélange d’élévation sonique et de chant punk. Ils développent d’extraordinaires rebondissements, ils te claquent le thème toxique à l’accord de réverb, alors t’es baisé.

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             Midnight Manor date de 2020. Attention, c’est une bête. Elle grouille de puces. Quatre coups de génie, pour commencer. «Lonely Heather» te met tout de suite au parfum : voilà un cut effroyable de wild rockalama. Ils te défoncent vite fait la rondelle des annales. On entend rarement des cuts aussi sauvages. «Pardon Me Satan» est encore plus terrific. C’est un balladif avec les castagnettes de Totor. Les Nude te swiguent le bas des reins. Fantastique allure, pleurésie de Stonesy, fabuleusement chantée à l’interne de punkster. Avec «Cure On You», ils te font une Stonesy de trash out so far out. Les Nude sont l’un des groupes les plus importants de cette époque. Chaque cut est noyé de son et chanté au sommet du lard. Sur «Easier Said Than Done», Patton Magee chante comme Peter Perrett. Il chante à l’under my skin. Ils adressent un gros clin d’œil aux Stones avec «Shine Your Light» et «What’s The Deal» sonne comme la Stonesy du paradis. Oh le Deal ! Ils font éclater les notes de clear guitar dans l’azur subterranean. Encore de la Stonesy à la Nude avec «Thirsty Drinking Blues». Nous voilà donc une fois de plus sur un album faramineux. Ils amènent «Times Moves On» à la désaille extrême, avec des castagnettes. Leur rock s’accroche comme la moule à son rocher. Et puis avec «Judith» ils reshootent tout le Nude power dans la Stonesy. Ces mecs savent dégringoler de très haut. Le son des Nude ? Un fracas permanent de good times Nudies.

    Signé : Cazengler, Nude Pâteux

    Nude Party. The Nude Party.  New West Records 2018

    Nude Party. Midnight Manor. New West Records 2020

    Nude Party. Rides On. New West Records 2023

     

     

    Inside the goldmine

     - Whiteout of my mind

             Dans cet hôtel pouilleux des bas-fonds, Wetoo occupait la chambre voisine. On se croisait parfois, tard le soir, et on échangeait quelques mots. Il disait venir du Zaïre. Il parlait dans un français très sommaire. La pauvre Wetoo ne payait pas de mine : ce black malingre ne devait pas manger souvent. Il avait des allures de chat pelé, il ne se coiffait jamais. Ses mèches de cheveux qui tire-bouchonnaient à la verticale semblaient électrisées. La peau de son visage étroit était comme grêlée de petites cicatrices et piquée de poils de barbe épars. Wetoo portait toujours la même veste à carreaux et le même pantalon feu de plancher, sans doute récupérés à l’Armée du Salut. Par contre, il portait des boots blanches à hauts talons de bois clair, ces talons qu’on appelle à Londres the Cuban heels.

             — Wetoo, je flashe sur tes boots. Tu les vendrais pas ? Combien t’en veux ?

             — Non. Pas possible.

             Plus tard, en pleine nuit, Wetoo était tellement affamé qu’il frappa à la porte :

             — Moi très faim. Toi donne à manger.

             — Non. Pas possible.

             Il retourna se coucher. À travers le mur trop fin, je l’entendis pleurer. Il était à bout. On se revit le lendemain, il avait les yeux gonflés et semblait avoir d’immenses difficultés à respirer. Pour cesser ce jeu stupide, je lui pris la main pour y fourrer un billet :

             — Paye-toi un casse-dalle !

             Il revint frapper à la porte de la chambre dix minutes plus tard. Il brandissait un énorme jambon-beurre.

             — Viens. Nous parler.

             Il me fit entrer dans sa chambre qui était l’exacte illustration du dénuement : à part le lit, la chaise et le lavabo, il n’y avait rien. Wetoo prit la chaise et me fit asseoir sur le lit. Et en grignotant à toutes petites bouchées son énorme casse-dalle, il commença le récit de sa vie de petit Zaïrois né dans un camp de mineurs réduits en esclavage par Mobutu. Ils sont des milliers à exploiter les mines de diamants pour le compte du tyran et peu ont réussi à s’évader. Wetoo fait partie de ces miraculés. Il a fait tout le chemin depuis l’Afrique jusqu’ici par les moyens habituels : sous des camions, dans des barcasses de fortune, il n’a pas de papiers. Puis, avec un drôle de sourire, il fit glisser la fermeture éclair de sa boot droite, la retourna et fit pivoter le talon : il transportait des diamants qu’il avait réussi à voler avant de s’enfuir. Il n’était bien sûr pas question de les vendre. Trophée ! 

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             De la même manière que Wetoo, Whiteout bat tous les records de la poisse. Paul Ritchie leur accorde six pages dans Shindig! et conclut son chapô ainsi : «Why Weren’t Whiteout huge?». Ils auraient pu et n’ont pas pu. Vu la qualité des chansons, c’est incompréhensible. Ces Écossais de Glasgow ne sont devenus énormes qu’au Japon. Pour le reste du monde, et notamment l’Angleterre : tintin. On les qualifiait pourtant de next big thing in the Face magazine. Ritchie les qualifie d’«as diminutive as the Small Faces, with the good times vibes of Rod Stewart and the Faces.»

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             Le chanteur s’appelle Andrew Caldwell et le guitariste Eric Lindsay. Whiteout démarre à peu près à la même époque que les Stone Roses et c’est en voyant les Stone Roses sur scène qu’Eric Lindsey pige tout : «I got a real sense of ‘anyone can do it’.» Il bosse pour 65 £ par semaine chez un comptable, et jouer le samedi soir sur scène rapporte 500 £, alors le choix est vite fait. Andrew Caldwell compose avec le bassman, Paul Carroll. Les Whiteout débarquent à Londres et découvrent avec ravissement la scène de Camden - This was pre-Britpop and Camden was fucking great - Puis on leur propose une première tournée avec Oasis. Le manager Andrew McDermid (McD) rappelle qu’Oasis et Whiteout étaient deux groupes très différents, Oasis, «quite conservative», alors que Whiteout développait des influences «soul, country and folk». Ils vont vivre leur pic de carrière au Japon, puis sortir Bite It.

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             On considère généralement Bite It comme un classique. L’album porte bien son nom : t’es mordu à la gorge dès «Thirty Eight». Eh oui, ils te tapent ça à la heavy psychedelia. C’est littéralement noyé de son. Psyché boom de Glasgow ! Ils rivalisent de power surge avec les Creation. Ça splouche par tous les pores. Ils ont le power des Fannies et des Beatles. Le «No Time» qui suit est tout aussi gorgé d’esprit et de son. Imparable. Ils incarnaient alors l’avenir du rock, avec un glamour de clameur excédentaire, ils proposaient sans doute l’une des meilleurs heavy pop d’Angleterre. Ils peuvent se montrer plus pubères («Jackie’s Racing»), mais ils restent bénis des dieux. C’est tout de même incroyable que ce groupe n’ait pas explosé à la face du monde ! Nouvelle merveille extraordinaire : «Shine On You», ça tombe du ciel une fois de plus, et là tu n’as plus que tes yeux pour pleurer, car oui, quelle pluie de lumière, c’est hallucinant de qualité, bardé de retours de manivelle, ils jouent aux guitares de cristal et ça explose sur le tard, mais de façon si maîtrisée ! Sur l’heavy pop de «U Drag Me», Andrew Caldwell sonne comme John Lennon. On sent clairement l’influence. Ils auraient sans doute pu devenir aussi énormes que les Beatles. S’ensuit un «Baby Don’t Give Up On Me Yet» encore plus bealtlemaniaque, même aplomb, même power, Eric Lindsay joue comme le roi George, il se fond dans le chant. Ils montrent aussi un goût prononcé pour les balladifs intensifs, comme le montre «You Left Me Seeing Stars», ils sont parfaitement capables de panavision en technicolor. «Everyday» révèle encore un répondant extraordinaire. Ils valent cent fois les autres prétendants au trône. Ils disposent de la meilleure des aubaines : le gros son fouillé aux grattes vengeresses, ils sont les rois de l’efficacité confondante. Franchement, Whiteout aurait dû régner sans partage.

             Ils commencent à enregistrer les démos du deuxième album quand Andrew Caldwell lâche sa bombe : il quitte le groupe. Ils auditionnent des chanteurs pour le remplacer, mais ne trouvent personne. Alors Eric Lindsay prend le chant. Pour aggraver encore les choses, leur label Silvertone les vire. En désespoir de cause, McD va sortir Big Wow sur son label YoYo ! Well done, McD !  

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             Paru en 1998, Big Wow s’ouvre sur un sacré coup de génie : «Kickout», le bien nommé. Voilà un cut bardé de poux, «Kickout» tombe du ciel ! Wow, comme ces mecs sont doués ! Ils te balayent tout le Brit rock d’un revers de main, ils t’explosent le subterranean à coups de sunshine et arrosent tout de coulées de lave, c’est d’un absolutisme total. Ils ont le power chevillé au corps. On ne peut pas faire autrement que de les comparer à Nazz. Ces surdoués montrent la voie. On peut qualifier leur son d’agent fabuleusement actif. Ils touillent le lard fumant avec une rare dextérité. Cet album est gorgé de son et de vie, à tous les niveaux de l’échelle boréale. Ils tapent un merveilleux shoot de power-pop avec «I Don’t Wanna Hear About It» et leur «Out On The Town» est bien déculotté, c’est même une vraie dégelée de printemps, ils tapent ça aux gros accords de surge, ces surdoués sont beaucoup trop doués, ils jouent une pop épaisse et revendicatrice. Encore de l’extrême ampleur avec «Take It With Ease», ils sont les harmonies vocales et l’élan vital, plus des riffs acides, ça sonne presque comme un hit. Fantastique énergie des oh-oh ! Tout est tellement enrichi sur cet album, tellement serti de pierreries, tout est si joyeusement envoyé, ces mecs ont toute la vie devant eux. Et ça se termine avec le big heavy sound de «Back Where I Used To Be». Là tu te prosternes, mon frère, c’est d’une classe infernale, ils sont même insolents, c’est bercé de notes languides, chanté au léché, on assiste au fantastique développement du Whiteout System. Un enchantement !

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             Il existe aussi une compile de Whiteout. Elle s’appelle Young Tribe Rule et date de 1995. Ils perpétuent leur tradition de heavy pop bien sous-tendue. Avec «Get Me Through (Outta Here)», ils sonnent même comme un groupe de rock psychédélique californien, c’est heavy et assez pulpeux. On s’en pourlèche les babines. Le «Cousin Jane» qui referme le balda n’est pas celui de Larry Page composé pour les Troggs. Celui de Whitout est un cut psyché axé sur «Norvegian Wood» et grouillant de tortillettes, extrêmement puissant et raffiné. Le coup de Jarnac de l’album, c’est leur cover du «Rocks Off» des Stones. Alors bravo à tous les repreneurs de Stonesy car chacun sait qu’on ne battra jamais les Stones à la course. Whiteout leur rend un bel hommage. Quel panache de bravado !

    Signé : Cazengler, white outre

    Whiteout. Bite It. Silvertone Records 1995 

    Whiteout. Young Tribe Rule. Silvertone Records 1995

    Whiteout. Big Wow. YOYO 1998

    Paul Ritchie : Whaterver happened to the likely lads. Shindig! # 135 - January 2023

     

     

    Jobi Giöbia

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             Ce soir-là, les Italiens de Giöbia devaient relever un sacré défi : monter sur scène après Fomies.

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    Les Italiens n’ont que deux atouts : leur réputation de groupe psyché avec une palanquée d’albums sur Heavy Psych Sounds, l’un des labels de pointe du genre, et un look de rock stars. Ils sont quatre, trois mecs et une petite gonzesse. Elle claviote, et les trois autres se répartissent les rôles habituels, poux, beurre et bassmatic. On apprendra plus tard que le bassman s’appelle Paolo et le blond qui gratte ses poux Stefano. C’est lui qui nous intéresse, car il a un charisme épouvantable. Cheveux longs, chemise à fleurs, taille basse noir et ceinturon clouté. Il est just perfect. Tu peux lui confier les clés.

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    Tu vois ces mecs sur scène et ça te remonte bien le moral, car ils y croient encore dur comme fer, le rock et sa légende ne disparaîtront pas tant que des petits mecs comme eux monteront sur scène pour vendre les albums qu’ils enregistrent. Ils jouent leur psyché pour de vrai, ils n’inventent pas la poudre, Sun Dial, Moon Duo/ Wooden Shjips, Vibravoid, The Heads, Loop, Doctors Of Space, Tame Impala et des tas d’autres sont déjà passés par là avec le brio que l’on sait, alors Giöbia se contente d’incarner cette essence souveraine et de lui donner du volume, le temps d’un concert sans prétention. Tu es là et tu es content d’être là. Ils jouent bien sûr dans les fumées, ce qui fait qu’on ne distingue pas grand-chose. Ils plantent leur décor et font décoller leur hydravion, pas de la même façon que Fomies, ils le font de façon plus classique, et ça marche, même si parfois, ça semble laborieux. Encore une fois, le bon psyché n’est pas une musique qui s’écoute à jeun. Elle est conçue pour les voyages, et non pour la simple observation. C’est une musique qui s’adresse directement à ta cervelle, elle ne flatte pas les bas instincts.

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    Stefano gratte principalement une belle bête à cornes, mais il a aussi un bouzouki et un sitar, histoire de décorer son hydravion d’effluves orientales. Ce qu’ils tentent de faire est héroïque : emmener un maigre public en voyage cosmique, car c’est ainsi qu’ils se situent, cosmic psychedelia, mais ils n’ont pas les reins d’Hawkwind, leur Space Ritual est différent, moins brutal, moins païen. Ils tentent le so far out, cut après cut, et ça finit par marcher, au point qu’on s’attriste de voir arriver la fin du set. Stefano est une authentique rockstar, comme tant d’autres, condamné à l’underground.  

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             Encore une fois, c’est important de voir ces mecs jouer, car ils perpétuent à leur façon une tradition vieille de cinquante ans. Ils sont les héritiers directs du Floyd de Syd Barrett et des grandes heures de la psychedelia californienne qu’incarnèrent brièvement les Byrds au temps de Geno.

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    On ramasse vite fait l’Acid Disorder au merch histoire de voir s’ils décollent plus facilement en studio. Belle pochette et bel album, c’est un pur album de Mad Psychedelia. Belle ambiance, presque familière, avec un synthé cosmique. Stefano reprend la main sur le tard de «Queens Of Wands» avec des plans nerveux de speed freak. Il ramène son sitar dans «The Sweetest Nightmare», et passe à l’heavyness à coups de bête à cornes. Les Italiens visent clairement l’horizon embrumé de la Mad Psychedelia, ils savent enquiller un cut jusqu’à l’oss de l’ass, et Stefano chante depuis le fond du maelström. Il attaque son «Conciousness Equals Energy» au triple galop. Ça rue bien dans les brancards, ils adorent raser la smala d’Abdelkader, ils chargent à l’Italienne, au tagada milano, c’est d’une efficacité souveraine, ils bourrent le mou du so far out, et comme si tout cela ne suffisait pas, ils envoient leur Conciousness glisser sur la peau de banane du real deal, alors on adhère au parti. Encore une belle explosion nucléaire avec «Screaming Souls». Ça vaut largement Kadavar. C’est excellent, bien tapé dans le mille, secoué à la tempête sonique, et même explosif. C’est avec ce «Screaming Souls» qu’ils prennent leur vitesse de croisière. Autre cut de premier choix : «Blood Is Gone», un brouillard sonique que Stefano traverse à la note fluorescente. Il joue comme une superstar du rock psychédélique, il faut voir la crise qu’il pique ! Il tire sa note jusqu’à plus soif. On voit cette note fusée mauve traverser l’univers orange en fusion. Pas besoin de sortir ta pipe à herbe. Ils tapent ensuite leur «In Line» au big time de réverb, une réverb qui chante dans le cosmos, avec ses notes en suspension, et cette fière équipée milanaise s’achève avec le morceau titre, qui s’inscrit naturellement dans la belle tradition planante. C’est même un cut extraordinaire d’aisance planétaire. Ils se prélassent chez Nabuchodonosor, dans leurs robes de pourpre, c’est très acclimaté, très fluvial, bien orné de grelots, épaissi de soupirs orientalisants, belle séance d’élévation, ils savent courtiser une muse. L’Acid Disorder porte bien son nom.

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             Bizarrement, on s’ennuie un peu sur Plasmatic Idol. Ils proposent des cuts très sculpturaux, tellement sidéraux qu’ils se paument. Aucune trace de mad psychedelia dans les premiers cuts. Ils embarquent à bord du vaisseau spatial «Hardwar» et se barrent très loin. Mais tu ne frémis pas vraiment. Ils planent, c’est sûr, mais ça ne plane que pour eux, comme dirait l’autre. Le power arrive enfin avec «The Escape», ils entrent dans le forum d’Herculanum, ça wahte bien sous les semelles d’Hermes, ils battent la chamade vite fait, puis ils reprennent leur routine. C’est un son trop synthé. Ça demande à voyager dans l’outrospace, mais il ne se passe pas grand chose. Beaucoup de bruit pour rien. Stefano chante comme il peu dans l’écho du temps qui passe.

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             En 2021, Giöbia sort un split avec The Cosmic Dead : The Intergalactic Connection Exploring The Sideral Remote Hyperspace. Bon, c’est pas l’album du siècle. On ne se régale que du «Canyon Moon» d’ouverture de bal. Comme c’est une invitation à voyager dans l’espace, tu y vas, c’est certain. Grand retour du big power de Space Ritual avec une basse voyageuse qui traverse tout le fourbi avec une élégance extrême. Stephano joue à mille années-lumière du rock, il est complètement barré ailleurs. Ses camarades et lui détiennent tous les tenants et les aboutissants de la mad psychedelia et ça repart inlassablement en voyage. C’est le genre de cut qui ne devrait jamais s’arrêter.

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             Gardons le meilleur pour la fin : Magnifier. Là oui, tu y vas les yeux fermés. Le joyau intersidéral de l’album s’appelle «Devil’s Howl», ils l’attaquent à la défiance de l’effarance, au beat pantelant, ils repoussent les limites du genre et atteignent enfin l’outrospace, avec un son d’écho terrible et distendu, ils pénètrent la vulve du son et enfantent un Howl puissant et vivifiant, d’une rare violence. Magnifier est un pur album de Mad Psychedelia, avec une mise en bouche superbe : «This World Was Being Watched Closely», les poux de Stefan tournoient au plafond, on sent un gigantesque appel d’air, une profondeur inconnue, c’est tellement bien claqué du beignet qu’on sent venir l’explosion, mais ils se contiennent, ils n’extrapolent pas encore, ils cultivent un son plein comme un œuf et sur le tard, se livrent à une fabuleuse envolée. Stefano ramone bien «The Stain» à coups d’SG. Il allume son sentier de la guerre à la main lourde et lente. Il connaît tous les secrets de l’ampleur, il joue sur tous les niveaux et vise clairement l’échappée belle. «The Stain» est un cut puissant visité par des lames de fond, chanté au plafond de verre et qui monte bien en température. S’ensuit un cut italien heavy as hell, «Lantamenta La Luce Svanirà». Cette fois, ils sortent les gros arguments, ils s’inscrivent dans le haut du panier, ils tapent à la bonne porte, ils tablent sur les émeraudes de Salomon, ils fouillent à l’italienne et se coulent comme des fluides luminescents dans l’écho du temps. Quelle superbe allure ! Pas de doute, Magnifier est leur plus bel album. Avec «Sun Spectre», ils se livrent à un nouveau voyage de flash intersidéral merveilleusement orchestré et aligné sur les planètes. C’est à la fois somptueux et so far out, quasi hypno, bien enfoncé du clou, tapé au big heartbeat. Ah quel beurre et quelles semelles de plomb !   

    Signé : Cazengler, Jobi Giobard

    Giöbia. Le Trois Pièces. Rouen (76). 13 décembre 2023

    Giöbia. Magnifier. Sulatron Records 2015

    Giöbia. Plasmatic Idol. Heavy Psych Sounds 2020

    Giöbia & The Cosmic Dead. The Intergalactic Connection Exploring The Sideral Remote Hyperspace. Heavy Psych Sounds 2021

    Giöbia. Acid Disorder. Heavy Psych Sounds 2023

     

    *

    Jean-François Jacq n’est pas un inconnu chez Kr’tnt, nous avons déjà chroniqué son Bijou. Vie et mort d’un groupe français et son Ian Dury & Sex & Drugs & Rock’n’roll. Normal ce sont des livres qui causent de rock’n’roll. And we like it.

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    Oui mais il y a un autre Jean-François Jacq (c’est exactement le même) qui écrit d’autres livres d’un autre registre. Dans notre livraison 252 du 12 / 10 / 2015, nous lisions Hémorragie à l’errance (Genèse) et Heurt-Limite (récit incantatoire), nous recensions Fragments d’un amour suprême dans notre livraison 273 du 17 /03 / 2016.

    Trois récits biographiques bouleversants, d’une qualité d’écriture sans égale, Jean-François n’est pas né avec une sugar spoonful dans le gosier, la vie lui a plutôt coulé du vinaigre cyanurisé dans la gorge. Il s’en est bien sorti, c’est notre version optimiste pour nos lecteurs sensibles qui confondraient monde-bleu et monde-blues. Ce dernier vous colle à la peau chaque matin quand vous vous awokez…

    Vient de paraître ce que l’on pourrait appeler le quatrième tome des Mémoires d’Outre-Tombe de Jean-François Jacq, non pas parce qu’elles auraient été destinées, comme celles de Chateaubriand, à paraître après sa mort, mais parce que parfois il faut d’abord s’extirper de la tombe dans laquelle on vous a enfermé pour commencer à vivre… Serez-vous surpris du titre de ce nouveau livre :

    IL FERA BON MOURIR UN JOUR

    JEAN-FRANCOIS JACQ

    (Ardavena Editions / 2023

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             Au cas où vous n’auriez pas compris, la couverture vous offre la reproduction d’une Vanité de N. L. Peschier, peintre franco-néernlandais mort en 1661. Le sujet n’est pas gai, je vous l’accorde, mais pour assurer une parfaite coalescence entre la couve et la teneur du récit, l’éditeur a occulté les parties les plus frivoles du tableau, ne restent que le crâne, le livre et une carte. Le sort qui vous incombe, l’illusoire immortalité de la littérature et la mort.

             Si vous aimez les raids de la mort, il n’y a que deux manières de placer la caméra. Sur le devant de la moto. Elle enregistre le paysage, les péripéties, les dangers, le sel de la vie en accéléré. Jean-François Jacq n’est pas un frimeur. Il place la caméra au plus près de son visage, son écriture est un véritable face à face avec la mort. Une course éperdue, sans pitié, sans tricherie, juste la peur, les angoisses, la détermination. Pour le spectacle, les rodomontades, les effets de manche, c’est raté. Par contre pour la véracité évènementielle réduite à son essencialité survenante et l’authenticité réactionnelle vous êtes aux premières loges. Vous n’assistez pas au spectacle du monde, vous voyez sa cruauté.

             Les premières années sont fondatrices, les psychologues nous l’assurent. Chacun fait comme il peut avec le paquet-cadeau familial que lui a décerné le sort. Jean-François Jacq n’a pas été gâté. Je vous rassure. Aucune jérémiade. Ne cherche pas à apitoyer le lecteur sur son enfance malheureuse. Ni sur sa jeunesse calamiteuse. Gardez vos larmes, il s’occupe du crocodile. L’a vite compris la première leçon de la vie. Tout est en vous, votre faiblesse et votre force. Le bureau des larmes est fermé. Ou alors le guichetier vous veut du mal.

             Ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort. Il a survécu. Il a étonné les médecins. Il n’a jamais hésité à s’affronter au taureau des circonstances les mains nues. S’est retrouvé à plusieurs reprises sur le sable des banderilles psychiques. Saignant de toute son âme. N’évoquons point son corps roué de souffrances. L’a été trahi. L’a été aidé. Un peu. Pas trop. Surtout par lui-même. De toutes les façons quand le monde entier se retire de vous, seule la solitude de votre hargne à vouloir vivre vous tendra la main. Il n’en tire aucune gloriole, il ne s’en cache pas il aurait préféré un chemin plus facile. Que voulez-vous, faute de grive vous êtes obligé de manger la merde existentielle qui vous colle à la peau.

             Je n’écris pas cette chronique pour vous énumérer une par une toutes les épreuves qu’il a traversées. Il les raconte bien mieux que moi. Mais ne lisez pas ce livre pour savoir ce que je ne vous détaille pas. Pour sûr vous trouverez difficilement pire, mais ne vous faites aucune illusion. En cherchant bien vous dénicherez autour de vous ce que vous cherchez.  Les voyageurs du bout de la nuit sont plus nombreux que vous ne le supposiez. Jean-François Jacq braque un projecteur cru sur cette déshérence sociale, affective, physique et psychique.

             Les trois récits évoqués dans notre chapeau introductifs nous avaient prévenus. Ils sont comme des épisodes détachés de la tourmentique saga de la vie de Jean-François Jacq. Mais cette fois-ci il a décidé de remonter à l’origine. De redescendre le torrent écumeux depuis sa source. Afin d’établir une perspective au plus près. Non pas de la vérité, mais de l’écriture. Voici quelques semaines de cela je lisais sur son Face Book une courte notule de notre auteur, faisant part de sa difficulté à mettre la dernière main à son récit. Je n’y ai pas cru, nous fait le coup de la vanité d’auteur, ai-je pensé, genre je n’y arriverai jamais et puis il va nous servir un book aussi bien écrit que les trois précédents.

             Ne mentait pas le bougre. De fait, aucune allusion à son écriture. L’était en train de passer à la dimension supérieure : celle du style. Cet instant ou la manière de dire s’identifie de si près à ce qui est dit qu’il s’établit un équilibre mystérieux entre le fond et la forme, ce moment où les morceaux de bois que l’on a longtemps frottés l’un contre l’autre donnent naissance au feu. Temps de fulgurance alchimique et rimbaldiennne où le témoignage devient littérature. Des livres de prisonniers qui racontent leurs années d’enfermement ne manquent pas, mais lorsque Jean Genet écrit Miracle de la Rose, c’est une rose littéraire qui s’épanouit. Attention, je ne dis pas que Jean-François Jacq imite Jean Genet, pas du tout, au contraire il est parvenu à écrire comme seul Jean-François Jacq sait et peut  le faire,  à ce niveau d’incandescence où l’on reconnaît la patte particulière d’un grand écrivain, dès les premières lignes, qui vous emportent, dans la grande confluence des mots qui charrient d’autant plus la beauté de la langue qu’ils sont inséminés par le sens personnel que leur impose l’auteur, ils sont venus à lui, barques vides portées par le courant du langage, et il nous les renvoie  ployant sur le faix de toutes les expériences existentielles et ruminations méditatives par lesquelles  il a construit sa vision de la réalité du monde vécu.

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             Dans un ouvrage tout élément doit concourir à sa fin. Nous l’avons déjà dit : dans ce livre Jean-François Jacq remonte à l’origine de son existence. Biographiquement il raconte chronologiquement sa vie depuis ses premières années jusqu’à sa rencontre avec Frida. Ne rêvez pas, ce n’est pas sa petite amie. L’a déroulé un bon morceau du serpent de sa vie. Maintenant les serpents ont tous une mauvaise habitude. Oui ils piquent. Mais ce n’est pas le plus grave, avec tout ce qu’il a déjà supporté… Non, ces maudits reptiles ont la mauvaise habitude de se mordre la queue. L’a voulu raconter l’histoire depuis le début, et maintenant qu’il a terminé, l’histoire le rattrape et le ramène au début. Retour. L’on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. C’est donc le début sans être le début. Vous êtes au-delà du bien et du mal. C’est pire. C’est la même chose. Peut-être même la chose-même.

             Sans concession. Glaçant. Brûlant.

             Un grand livre. Magnifique.

    Damie Chad.

     

    *

    Pour une fois, c’est la longueur du titre qui a attiré mon attention, surtout ce premier mot si rilkéen, j’ai voulu en savoir plus, tiens comme par hasard des grecs, redoublement de moins en moins hasardeux : je m’aperçois sur leur Instagram qu’ils sont suivis par Thumos. Décidément tos les chemins mènent à Athènes…

    AN ELEGY OF SCARS AND PAST REFLECTIONS

    KIVA

    (Album numérique / Bandcamp / Janvier 2024)

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    La couve interroge. Qu’est-ce : un miroir noir ? Une stèle ? Une fosse ? Ce qui est sûr c’est la bordure de pierres rugueuses. Pourquoi pas la porte des Enfers, ou une représentation du néant. N’oublions pas qu’en grec le mot ‘’élégie’’ selon l’étymologie signifiait avant tout : chant de deuil. L’on assure que l’animal sacrifié était un bouc, mais dans les tout premiers temps c’était un homme qui était sacrifié. Plus tard on se contenta de le chasser du territoire de la cité. Dans les deux cas il était retranché de la communauté humaine.

    Kiva désigne une pièce ronde souterraine et fermée dans lesquelles les indiens Pueblos s’adonnaient à leurs rituels. On y accédait par une étroite ouverture supérieure fermée par une trappe… Dans leur courte présentation Kivas se présente comme s’immergeant dans des rituels musicaux étonnants, destinés à se transformer en paysages musicaux dans l’esprit de celui qui les écoute en silence. Autrement dit le groupe essaie de susciter des visions intérieures…

    Le géométrique logo du groupe avec son octogone, dans lequel s’inscrivent deux carrés, tranché du K initial, symbolise-t-il le fer du sacrifice qui entaille la victime…

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    Dimitris : vocals / Antonis : guitar / George : bass / Stefanos : drums.

    In silence : question silence c’est un peu raté, beaucoup plus une impression de vide rempli par les hurlements sludgisés de Dimitris, il rugit comme un pauvre diable qui n’a aucune envie de se laisser maltraiter, ce n’est pas que la musique soit lente, même qu’à un moment il ne chante plus, il récite les lyrics comme un poème, c’est qu’elle ne se presse pas, elle se déploie à sa propre vitesse, elle prend son temps, elle est dans une autre direction, elle plonge, est-ce dans l’eau mémorielle ou dans le léthé infernal, revit-on sa propre mort qui n’a pas encore eu lieu, est-ce bêtement une histoire d’amour qui se termine mal au fond du canal le plus proche, l’on dit que la noyade est la plus douce des morts, que l’on revoit toute sa vie comme un film, que l’on emporte ses regrets avec soi, une manière comme une autre de rester en présence avec l’idée de son bonheur, c’est sans doute pour cela que cette musique est si consolante. Woe, is me : basse sombre, tapotements vitaux et guitare presque joyeuse, malheur c’est toujours moi, que je sois encore vivant, que je sois enfin moi, impossible de m’extraire de moi-même, énormément d’emphase dans le chant de Dimitris, il doit embrasser les tourments de la vie et la quiétude de la mort, à moins que ce ne soit le contraire, car peut-être que les morts vivent-ils, ils dansent dans leur immobilité, ils espèrent le retour, à la maison, ils ne sont jamais seuls puisqu’ils ont emporté avec eux les affres de leurs souffrances et la présence de ce qu’ils ont été, la musique est un nœud de contradictions, elle tire à hue et à dia, elle s’agite, on espère, pourtant jamais elle desserrera le nœud coulant de la vie et de la morts étroitement imbriquées. Explosion orchestrale finale. Dans les deux cas, ça se passera mal. Delusion : vocals : Victor Kaas : ce coup-ci les instrus frappent fort à la porte de votre âme, voix grave de Kaas, celui qui parle n’est plus d’ici, il est de l’autre côté déjà mort, encore être vivant pensant dans sa mort, il est ailleurs et en même temps à l’intérieur de lui-même, son corps existe toujours mais son esprit n’est plus que cendres, grand désarroi, la musique se précipite, elle concasse le néant, et il hurle beaucoup plus fortement qu’il n’a jamais eu l’occasion de le faire du temps de son vivant, il parle à toi qui es au-dessus dans le règne de l’existence, tu l’entends si fort parce que c’est lui que tu recherches, pourquoi ne lui réponds-tu pas, se pourrait-il qu’il se parle uniquement à lui-même. From the ego of our ancestors : notes translucides et perforantes, et si elles imitaient les pas lourds de ceux qui reviennent, car les morts reviennent puisque depuis toujours ils hantent les esprits des vivants, amplifications sonores, traverser la boule de feu et de lumière, chuchotements indistincts, désormais tout est inversé, les morts revivent et les vivants aspirent à la mort, la musique ébranle la terre des certitudes intellectuelles, la bouche d’ombre s’est collée à ton oreille, tu ne sais si les pensées qui t’agitent sont les tiennes ou celles de l’infra-monde, une statue de pierre chemine lourdement, les pas d’Orphée remontant vers la lumière avaient-ils cette force, il est trop tard pour prier, mais l’on ne peut s’empêcher de prier, des coups ébranlent la porte qui sépare la vie de la mort, qui frappe, de quel côté se trouve le cogneur fou, veut-il entrer, veut-il sortir, n’appartiennent-ils pas tous deux à la même famille. Est-ce vraiment important de savoir qui a engendré l’autre. Pourquoi voudriez-vous une réponse.

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    Voracious soul : la noirceur du monde s’estompe, l’on est sorti de la caverne platonicienne, l’on marche vers le soleil, on ne l’atteindra pas, l’on ne s’y brûlerait pas puisque nos cœurs ne sont que cendres froides, ce n’est pas nous qui mourons c’est le monde que nous habitons, que nous croyons habiter, car nous ne sommes que présence de notre présence, ne sommes-nous pas depuis le début présents au monde des vivants et au monde des morts, et ce sont ces deux mondes qui meurent à chaque instant pour pouvoir vivre de leur propre mort et de leur propre vie. Arrêt brutal. Tout a été. Comprenne qui pourra. Orphée monte vers le soleil mais son âme s’enfuit dans les corridors obscurs.

             Tout ceci n’est qu’une interprétation. Ce qui est certain c’est que Kiva s’adonne à un rituel musical. Ecoutez bien, vous comprendrez, que l’on appelle quelque chose, une forme, que l’on lui demande de venir. Elle ne se matérialise pas mais vous sentez sa présence. C’est déjà trop.

             Ce disque peut mette mal à l’aise. Phoniquement parlant il n’est en rien novateur. Kiva use de moyens éprouvés. Musicalement vous êtes en terrain connu. Le malaise est d’autant plus fort qu’il n’est jamais fait appel à des conjurations sonores extraordinaires, seulement la vie et la mort. Rien de plus. Rien de moins. Vous connaissez. Toutefois attention, Kiva vous emmène sur un drôle de chemin. Il se peut que vous n’en reveniez point. Mais vous ne le regretterez pas.

    Damie Chad.

     

    *

    Parfois l’envie vous prend de tout plaquer et d’aller voir si l’herbe des sargasses est plus verte que par ici. Quand j’ai vu la silhouette du brick se profiler sur le fond de l’image, mon cœur a fait un bond, mais lorsque s’est inscrit au premier plan la figure de ce capitaine pirate abordant le rivage d’une île maudite ou au trésor, j’ai tout de suite embarqué sans même savoir ce que c’était. Faut dire que c’était alléchant : independant pirate metal band. En plus un groupe polonais.

    EXPLORER

    PIRATE HYMN

    ( Album Numérique : Bandcamp / Janvier 2024)

    Le groupe a déjà trois albums et un EP a son actif.  Des instrumentaux, ce dernier est le seul à comporter des parties vocales. Tassos Lazaris est crédité aux parties vocales et Damian Gzajkowski : aux solos de guitare. N’empêche que le projet est l’œuvre d’un solitaire, un certain Jean-Michel – prénom à consonnance peu polonaise – qui revendique la composition des morceaux.  Non pas un one-man-band, plutôt un one-man-dream. J’adore ces individus, un peu monomaniaques, qui s’obstinent dans leurs passions.

    Jean-Michel a fait partie sous le nom de Jan Pawel jusqu’en 2019 de Blazon Stone groupe allemand dans lequel il tenait les claviers. Blazon Stone n’a jamais caché son admiration pour le groupe allemand Runnin’ Wild dont le titre du premier album : Under Jolly Roger est assez évocateur et se passe de tout commentaire. Pour ceux qui adorent les généalogies, n’oublions pas que la pensée généalogique fut par excellence une des méthodes d’analyse du réel de Nietzsche, Runnin’ Wild a pris pour oriflamme nominatif le titre d’un morceau de Judas Priest.

    Petit hors-d’œuvre : mon film de pirate préféré : L’île sanglante de Michael Ritchie. Ce n’est pas un bon film, mais c’est le plus bel hommage qui ait été rendu à la piraterie. Le film se déroule à notre époque (années 70). Vous n’y verrez pas de vrais pirates d’antan, mais le rêve de la piraterie incarnée. Parfois le rêve s’empare de la réalité et triomphe d’elle. Un film moral (très cucul la praline) puisque la réalité reprend en la dernière minute ses droits. Mais si vous y réfléchissez, ce film démontre que le désordre de l’impossible est inscrit dans les cadres du possible. Aux rêveurs, aux railleurs comme disait Villiers de L’isle ( sanglante) Adam.

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    Captain’s diary : instrumental : belle intro, des chœurs masculins s’élèvent, vous êtes propulsé en quelques secondes sur un rivage inconnu, une guitare chantonne les notes de l’avenir, le danger vous guette, tout peut survenir, et brutalement une guitare endiablée déboule sur vous, bonjour le metal, le solo charge sur vous à la baïonnette, les chœurs essaient de le surpasser, il leur tient la dragée haute et passe à côté de vous par miracle, et c’est fini. Vous n’auriez jamais dû entamer la lecture de ce journal de bord, vos passerez toute la nuit à le lire et le relire. Explorer : certes la rythmique folle est des plus metalliques, mais l’intro vous a scié, on se croirait en Irlande, va falloir s’y faire, moitié folk celtique, moitié metal, et le mélange est super bien fait, entre la guitare de Damian, mérite son prénom démoniaque, qui mange ses cordes tels ces requins affamés qui s’ouvrent le ventre pour dévorer leurs propres entrailles, la voix de Tassos qu’il est obligé de hausser jusqu’au nid de pie pour suivre le rythme, et les chœurs de l’équipage qui scandent et augmentent  la vitesse, vous ne savez plus où donner de la  tête, c’est le portrait de l’aventurier à la lunette, le Capitaine sur la dunette, seul face à l’océan et à  l’inconnu, homme libre toujours tu chériras la mer.  Dance of death : un peu d’accordéon pour le chant de l’équipage, ce n’est pas un menuet de salon, plutôt un remué d’os sauvages, la guitare fonce au travers des embruns sur une mer en colère, elle file droit quinze nœuds, un vaisseau fantôme, tiens les chœurs reviennent et vous enveloppent de leurs clameurs, l’on se demande comment Tassos respire, le romantisme possède deux visages, avec le morceau précédent c’était la face claire du Héros, seul contre le monde, maintenant c’est la face sombre, les squelettes, la mort, la damnation, une ronde infernale,  à chacun son lot, égalité des chances devant la camarde, une cloche sonne, la vision horrible s’évanouit.

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    Hoist the sails : Hissez les voiles, l’injonction suprême, plus fort, plus vite, l’équipage prend la mer, le Capitaine Rolf – hommage au captain singer De Running Wild – la batterie bat le rappel, elle a la cadence de ces lames infatigables qui cognent contre la coque. La course est le seul remède contre les ennuis terrestres. Le morceau vous secoue comme un ouragan, vont-ils survivre à sa force, tout autre que Tassos en ressortirait la voix brisée, mais non ils passent le cap des tempêtes comme si c’était une partie de plaisir. Pour ceux qui veulent en voir plus, une Lyric Video pour préparer la sortie de l’album est visible sur YT, pas exceptionnelle, les couleurs sont trop pâles, extraits de film de pirate et drapeau noir. Suffisant toutefois pour regretter de ne pas être né à cette époque. Volta do mar : retour de mer, instrumental, la guitare éclate comme une corne de brume, le soleil éclaire les chœurs, l’on pressent l’alcool des tavernes enfumées et l’on sent le corps des filles qui se pressent contre vous, des pièces d’or roulent sur la table. Jour de fête. Drunken Whales : ce serait le moment de se poser, l’on a bien bu, la nuit est tombée depuis longtemps, c’est l’heure de se taire et d’écouter la parole du vieux marin qui raconte la merveilleuse légende de la baleine ivre, eh bien non c’est une bacchanale sans fin, à croire qu’ils ont décidé que chaque morceau serait plus rapide et plus fou que le précédent. Les pirates ne connaissent pas le blues tout est prétexte, les chiens de mer chassent en meute que ce soit l’or ou les filles. Réjouissances faustiennes. Storm wind riders : tiens le bruit de la mer, une guitare acoustique, les plaisirs de la plage sont vite terminés, le drapeau noir est hissé, metal et celtic musics se tirent la bourre, l’on chevauche la tempête, un solo de guitare qui imite le cri des pétrels dans les nuées, le vent les porte vers de futurs combats, tout s’apaise, va-t-on terminer comme au début, le charivari reprend de plus belle, monstrueuse apothéose. L’on entend plus que les vagues et les mouettes.

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    Fancy : l’on finit par une fantaisie, la Fancy était un navire de guerre de 46 canons dont s’empara Every Long Ben, un des plus célèbres pirates anglais qui sévit dans l’Océan Indien et les Caraïbes, il s’empara notamment d’un navire transportant la fille du Grand Moghol (souverain de l’Inde) et l’équivalent de quatre-vingt millions d’euros de pierreries et de pièces d’or. Il ne fut jamais pris par la couronne d’Angleterre, l’on ne sait trop ce qu’il devenu, est-il mort pauvre comme le prétendent certains où a-t-il survécu rangé des affaires quelque part en Amérique du Sud. L’on pense au pirate français Jean Lafitte, paisible retraité de la New Orleans, qui devenu vieux voyagea en Europe et discuta avec Karl Marx… L’existe aussi une Lyric Video supérieure à celle de Hoist the sails, composée elle aussi à partir d’extraits de film. Ce dernier morceau est l’hymne définitif de la piraterie, brutal comme une bordée de canon, enlevé comme un abordage, rutilant comme une balafre de sabre sur un visage de vieux loup de mer. Tout ce que vous n’avez pas eu le courage de vivre, Pirate Hymn le chante.

             Toux ceux qui aiment les pirates aimeront cet album. Les autres ne le méritent pas.

    Damie Chad.

                       Un Ennui désolé par les cruels espoirs

                       Croit encore à l’adieu suprême des mouchoirs !

                       Et, peut-être, les mâts, invitant les orages,

                                  Sont-ils de ceux qu'un vent penche sur les naufrages

                       Perdus, sans mâts, sans mâts, ni fertiles îlots

                       Mais, ô mon coeur, entends le chant des matelots !

                                                                                        Stéphane Mallarmé.

     

     ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll ! 

    18

    Le Chel était d’une humeur exécrable :

             _ Agent Chad, filez au premier bureau de tabac venu et ramenez-moi douze boîtes de Coronados, au plus vite.

    Quand je suis revenu à ma grande surprise le Chef était tout sourire, planté devant le mur d’où suintaient les gouttes de sang que Molossa et Molossito continuaient à lécher en remuant la queue de contentement. Le Chef se saisit sans se presser du paquet que je lui ramenai.

             _ Merci Agent Chad, vous me sauvez la vie !

    Mais à la lenteur avec laquelle il ouvrit précautionneusement une première boîte, et entreprit de dévisser avec un soin extrême le capuchon du tube du métal, le temps qu’il prit à soupeser avec une scrupuleuse attention le cigare essayant de le maintenir en équilibre sur son index, et cette insistance à chercher une boîte d’allumettes dans tous les endroits où il ne les rangeait jamais, j’en conclus qu’il n’était pas mourant.

             _ Agent Chad, vous souvenez-vous de ces affiches de la Résistance : Les murs ont des oreilles ?

             _ Bien sûr Chef !

             _ En effet Agent Chad, d’une esthétique expressive particulièrement réussi, mais évitons de nous lancer dans une discussion artistique, j’ai une nouvelle surprenante à vous apprendre : non seulement les murs ont des oreilles mais en plus ils parlent. Collez votre esgourde gauche sur ce mur et écoutez.

    Ce n’était pas une plaisanterie. A peine eus-je posé mon appendice ouïstique que j’entendis :

             _ Par pitié, sortez-moi de là, je suis blessé, je n’ai plus assez de force pour m’extraire moi-même de ce béton, faites vite, je vous en prie !

    Le Chef n’était pas de cet avis :

             _ Cet individu est totalement fou, il déchiquète ma provision de Coronados et il s’imagine que l’on va le tirer du pétrin dans lequel il s’est mis au plus vite. Je pense qu’il doit encore souffrir un peu. Au minimum le temps de terminer les quatorze autres Coronados de la boîte que je viens d’entamer. Comme le temps passe vite, je suis déjà en train d’allumer mon deuxième ! Peut-être ouvrirais-je ensuite une nouvelle boîte !

    19

    Ce ne fut pas facile d’extraire notre quidam de sa gangue de métal. Je dus aller voler un marteau-piqueur et un compresseur sur un chantier. Après plusieurs heures d’efforts entrecoupées de poses coronadiques, il s’affala enfin sur le plancher, il ne tenait plus debout ayant reçu une balle de Rafalos dans chacune de ces deux cuisses. Le Chef se chargea de mener l’interrogatoire :

             _ Quel est ton nom ?

             _ Je ne sais pas !

             _ Je te préviens que l’Agent Chad est insensible à l’humour !

    Le gars put aussitôt vérifier que le Chef ne mentait pas. D’une balle de Rafalos je m’amusai à lui arracher le pouce de son pied gauche. Le gars poussa un rugissement de douleur.

             _ Arrête de crier comme une fillette, je te préviens que l’Agent Chad possède encore neuf balles dans son chargeur. Une pour chacun de tes orteils.

    Sur l’instant, afin de corroborer les dires du Chef je lui décanillai les quatre orteils qui lui restaient sur son pied gauche.

             _ Arrête de jouer au courageux, avec nous ça ne marche pas, ton pied n’est pas beau, veux-tu vraiment avoir un deuxième pied-bot ? Si oui l’Agent Chad avec sa gentillesse coutumière se chargera de te satisfaire.

    Le gars devait être un pied tendre. N’arrêta plus de parler. Pour le faire taire je dus lui envoyer un bastos dans le crâne puis me débarrasser de son cadavre dans le vide-ordure.

    20

             Le Chef alluma un Coronado.

             _ Agent Chad, pendant que je savoure ce cigare pourriez-vous résumer tout ce que ce gaillard nous a appris.

             _ Il s’appelait Jean Thorieux. L’était au chômage lorsque les Assédics lui ont proposé de faire un stage pour se remettre au niveau. Le premier jour il n’a rien remarqué de particulier. Avec une dizaine d’autres gars on lui a demandé de monter un mur de parpaings. C’était dans leurs cordes, z’étaient tous des travailleurs du bâtiment, et c’était un stage bâtiment.

             _ Agent Chad, attendez une minute dix-sept secondes que j’allume un Coronado, la suite est palpitante !

             _ Oui Chef, le deuxième jour ce n’était plus le même instructeur. Un grand mec avec une drôle de voix. Leur a dit, que niveau construction ils assuraient, que ce qui leur faisait défaut ce n’était pas les qualités professionnelles mais la force mentale. Le gus leur a dit de se poster devant le mur, et de penser qu’ils étaient capables de traverser le mur qu’ils avaient construit. Z’ont cru à une blague. Mais non ils ont dû rester sept heures devant le mur les yeux fermés. Sans pause-déjeuner et interdiction d’aller aux toilettes. Pire que du travail d’usine sur la chaîne.

             _ Remarquez agent Chad que ce genre d’exercice n’est pas nouveau. L’est directement inspiré des stages d’entreprise des années quatre-vingt, pour souder les équipes et leur inculquer l’idée de se surpasser on leur proposait de sauter à l’élastique depuis le haut d’un pont ou de marcher pieds nus sur un tapis de braises brûlantes. Au moins pendant ce temps le personnel ne pensait pas à demander des augmentations de salaires. Mais continuez Agent Chad, je vous en prie.

             _ Au soir du troisième jour, l’on a dit à l’un d’entre eux, qu’il ne faisait pas assez d’effort, qu’il était radié du stage et que puisqu’il y mettait de la mauvaise volonté, on allait lui sucrer ses allocations chômage. Ensuite chaque soir, un d’entre eux a été systématiquement licencié. Jean Thorieux s’est accroché, l’avait une femme et des enfants. Il ne voulait pas perdre ses indemnités. Ala fin il est resté tout seul. Il pensait être renvoyé le soir même, mais à sa grande surprise il s’est retrouvé de l’autre côté du mur sans trop y penser.

             _ Vous voyez Agent Chad, quand on veut un peu. Tenez, prenons un exemple au hasard : je veux allumer un Coronado, regardez j’allume un Coronado !

    21

    J’ai arrêté la bagnole devant le HLM d’une cité d’Aulnay-sous-bois. Suis directement monté au quatrième étage à la porte 401. J’ai sonné. J’ai entendu des pas à l’intérieur se dirigeant vers la porte d’entrée. Qui s’est ouverte. Une jeune femme avenante posa sur moi ses beaux yeux bleus.

             _ Monsieur, que puis-je pour vous ?

             _ Excusez-moi madame de vous déranger si tard, vous et vos enfants, il est huit heures et demie, je peux repasser dans une demi-heure, voire une heure si vous le désirez, il est important que les bambins puissent entendre une histoire avant de s’endormir.

             _ Je n’ai pas d’enfants Monsieur, que voulez-vous au juste, je ne vous connais pas.

             _ Je voulais parler à votre mari Jean Thorieux !

             _ Je ne suis pas mariée, Jean Thorieux est mon frère, je suis sa sœur Gisèle Thorieux, mais que lui voulez-vous au juste, j’espère qu’il ne lui est rien arrivé. Mais ne restez pas devant la porte, puisque vous connaissez Jean, entrez, vous prendrez bien un café ?

    Gisèle apporta deux tasses de café et prit place à mes côtés sur le canapé.  

             _ Non je n’attendais pas Jean ce soir, il n’habite pas avec moi, il loge au 402, sur l’appartement en face sur le palier. Je le vois peu, un gentil garçon, un instable, il ne dégage pas du tout l’air sérieux et posé qui émane de vous, à peine a-t-il trouvé un boulot qu’il se fait mettre à la porte pour en cherche un autre. Un insatisfait. Un exalté. Depuis trois semaines il s’est entiché de paranormal, il est sûr que nous possédons tous des pouvoirs, que nous les laissons dormir au fond de nous. Pas plus tard que la semaine dernière, il m’a bien fait rire, il m’affirmait   que si l’on voulait l’on serait capable de traverser les murs, qu’il était sûr que de par le monde il devait déjà exister une SBM, une Société des Briseurs de Murs. Il m’a bien fait rire, hi ! hi ! hi ! ne trouvez pas cela idiot vous aussi !

             _ Totalement Gisèle, je ne pense pas que l’Homme sera capable de passer les murs avant plusieurs siècles, avec l’aide de la Science bien sûr, aujourd’hui cela relève de la folie pure. Par contre je suis d’accord avec ses prolégomènes, il est sûr que nous possédons tous des pouvoirs d’une force considérable au fond de nous qui ne demandent qu’à être éveillés. Tenez prenons votre propre exemple Gisèle, quand je vous vois assise sur ce canapé tout près de moi, je dois avouer que quelque chose, une force inconnue m’attire contre vous, si je me retenais Gisèle, aussi vrai que je m’appelle Damie je vous assure que je me jetterais sur vous, et peut-être même dans quelques instants serais-je incapable de me contrôler, ah Gisèle !

             _ Damie je vous en prie, succombez à cet instinct qui vous jette vers moi, je consens à tout ce que voulez, et même à ce que je ne veux pas !

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 629: KR'TNT 629 : RONNIE BIRD / LORD ROCHESTER / JIMI HENDRIX / KILLING JOKE / ERNIE JOHNSON / THE BANDIT QUEEN OF SORROWS / A-ORATOS / 6Exhance

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 629

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    25 / 01 / 2024

     

    RONNIE BIRD / LORD ROCHESTER

    JIMI HENDRIX / KILLING JOKE / ERNIE JOHNSON

    THE BANDIT QUEEN OF SORROWS

    A-ORATOS // 6Exhance

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 629

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Red Bird

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             Inespéré ! Six pages sur Ronnie Bird dans Shindig! C’est une forme de reconnaissance. Gareth Jones le traite même de «one-man Rolling Stone» qui avait tout bon - Ronnie Bird had it all: cool, hip cachet, impeccable musical taste, top-class musicians and a perfect feel for the progressive R&B sounds pouring across the channel - C’est non seulement un gros chapô, mais aussi un sacré coup de chapô. Jones dit aussi que Ronnie fut le premier et le meilleur French performer à se frotter au Bristish beat et donc, il aurait dû devenir une superstar. Tous les kids qui l’écoutaient en 1965 le savaient, mais il n’est pas devenu une superstar. Après cinq ans de «stellar releases», il a disparu, pour entrer dans la légende. Il est arrivé exactement la même chose à Brian Jones : 5 ans.

             Alors Gareth Jones fait son boulot de journaliste, il plonge dans l’histoire et découvre «a remarkable catalogue». Ben oui, a-t-on envie de lui dire d’un ton exaspéré.

             L’idéal, quand on admire Ronnie Bird, c’est d’avoir grandi avec lui. On peut retourner cet idéal comme une peau de lapin : l’idéal pour Ronnie Bird, c’est d’avoir grandi avec toi. Le fin du fin du saint des saints est d’avoir pu jerker à la bonne époque. Tu rentrais en courant du collège pour écouter la radio, et retrouver ton idole Ronnie Bird, mais aussi les Who, les Kinks, les Easybeats, Donavan, Dutronc, les Stones, les Beatles, les Yardbirds, les Troggs, les Animals, les Pretty Things, Dylan, les Moody Blues, et comme si tout cela ne suffisait pas, tu filais chaque jeudi au Monoprix du quartier barboter tous ces EPs magiques, car oui, à tes yeux, il s’agissait bien de magie. Pire encore : cette magie devenait nécessaire à ta vie.

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             Comme les lecteurs anglais de Shindig! ne savent pas qui est Ronnie Bird, Jones est obligé de raconter son histoire, sa naissance à Paris en 1946, non pas en tant que petit Bird mais en tant que Ronald Mehu. Ce sont bien sûr les voyages en Angleterre qui le rendent anglophile, et il commence par se passionner pour Jerry Lee et especially Little Richard, puis en 1964, boom, les Stones, et boom, Carnaby Street. Jones n’y va pas par quatre chemins pour rappeler que Johnny Halliday adaptait déjà du R&B en 1964, «but his sartorial style looked old compared with the sharply-attired newcomer.» Jones ajoute qu’à la ville, Ronnie était timide et réservé, mais à la scène, «he blew up a storm» à coups de «non-stop sonic assault». Il est vite repéré par Decca et hop, direction le studio.

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             Les 9 EPs de Ronnie Bird sont encore là, dans l’une des petites caisses. Ils n’ont pas pris une seule ride. En 1964, Ronnie porte une casquette sur la pochette de son premier EP, qui est le fameux hommage à Buddy Holly, Adieu À Un Ami, cover du «Tribute To Buddy Holly» de Mike Berry. Le son est digne de Joe Meek - Whoo-oh oh/ Non jamais je n’oublierai mon vieux copain - C’est Mickey Baker qui gratte ses poux derrière Ronnie. On l’entend encore sur «Tu Ferais Mieux De Filer», c’est gratté sec, crois-moi ! Encore une douche écossaise de l’autre côté sur «On S’Aime En Secret». Pour un premier jet, c’est un joli coup. Ronnie a du pot d’avoir derrière lui ce black killah de Mickey Baker.

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             Un Mickey Baker qui fait encore pas mal de ravages sur le deuxième EP, L’Amour Nous Rend Fou. Le morceau titre est une cover de Buddy Holly et Bob Montgomery, «Love’s Made A Fool Of You», tapée au «Not Fade Away» façon Stones, «with maracas underpinning the driving rhythm, bass, guitar, and organ pounding the central riff.» En B-side, Ronnie tape une cover du «Black Night» d’Arthur Alexander qui s’appelle «Tout Seul» - Je n’ai plus un ami/ Pour me consoler - et derrière Mickey Baker fait de la haute voltige. Ça devient carrément wild avec «Je Ne Mens Pas», Mickey Baker devient killer punk de pur genius et là, ça vaut tout le rock anglais, tout le Beck des Yardbirds. Tu sautes partout ! C’est ce wild killer solo flash qu’il faut écouter !

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             Avec Elle M’Attend, le troisième EP, Ronnie monte brutalement en température. Il affiche une petite mine de délinquant et porte le genre de gilet rouge qui te faisait baver à l’époque. «Elle M’Attend» ! Violemment bon ! Cover de «The Last Time» riffée dans l’écho du temps, tapée au tambourin, ça se passe en 1965, en plein dans l’œil du cyclone, le beat est bath, tu te lèves et tu jerkes au Palladium - Ronnie’s vocal overflowing with confidence - Ce démon de Ronnie enchaîne avec une cover encore plus sauvage, celle du «Don’t Bring Me Down» des Pretties qui devient «Tu Perds Ton Temps» - Ya rien à faire - Fuzz à gogo - Elle prend des airs à vous faire fuir - Avec ces deux merveilles, Ronnie invente l’art de la cover sacrée, celle qui ne surpasse pas l’original, mais qui navigue exactement au même niveau. Ronnie ne se contente pas de rendre hommage, il place son style. Pour l’époque c’est assez révolutionnaire. Comment ce jeune coq a-t-il pu réussir un coup pareil ? Parce qu’il s’appelle Ronnie Bird. On va se contenter de cette réponse qui n’en est pas une. Mais une chose est bien certaine : à la réécoute, c’est toujours aussi balèze. En B-side, tu as encore un coup de Jarnac : «Fais Attention», cover du «Find My Way Back Home» des Easybeats, et des Nashville Teens, pur génie proto-punk, mené par le bout du nez d’un jour viendra - Bird took the original version and kicked its arse all the way home - Ronnie est aussi protozozo que Jessie Hector. Il aurait dû s’appeler Wild Ronnie Bird, comme l’ont fait Wild Jimmy Spruill et Wild Billy Childish. Jones dit aussi que cet EP fut sa meilleure vente. Le groupe qui accompagne Ronnie s’appelle les Tarés.

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             Wild Ronnie Bird atteint son sommet avec son quatrième EP, Où Va-t-elle ?. Pochette classique en hommage à Brian Jones. On est en 1965, au cœur battant du mythe. Boom dès «Où Va-t-elle ?» - Me voilà devenu jaloux - Beurre du diable, coups d’harp, son d’Antoine Rubio, power du beat. Voilà le vrai rock de Paris. Wild Ronnie t’embarque ça au je n’ose/ je n’ose/ je n’ose pas le croire. C’est une reprise du «Come Back Home» des Hollies, mais on s’en fout des Hollies, Wild Ronnie claque son beignet avec des allures intersidérales de superstar du protozozo. C’est à l’époque le seul rock électrique digne de ce nom en France. Jones parle ici de «demolition job» et de «driving slice of primal rock». Oui, Ronnie explose complètement les originaux. Il amène à la suite «Ma Vie S’Enfuit» et c’est vrai, on a tellement adoré la détresse sentimentale de Ronnie - Car ma vie entre mes doigts/ S’enfuit si vite - Ça tellement rococo ! Attention à la B-side, elle est explosive ! Boom dès «Je Voudrais Dire», il retrouve la dynamique des Pretties pour cette cover d’«I’ll Go Crazy» de James Brown, reprise par les Moody Blues. Pur genius interprétatoire, une fois encore, il n’a pas besoin de shouter comme James Brown, il fait du Ronnie et ça passe comme une lettre à la poste. Puis il allume en pleine gueule un vieux hit des Turtles et en fait «Ce Maudit Journal», bing bang !, à coups de Bravo tu soignes ta publicité, ah il faut entendre cette riffalama, et ce vous avez l’air heureux si vindicatif et si proto-punk, Wild Ronnie s’arrache la rate à coups d’après tout ça m’est bien égal, il y va au power de Zeus, je vais le déchirer, et le mec riff derrière comme une brute. Il n’y a pas eu beaucoup de superstars en France dans les sixties, mais on en dénombre trois : Vince Taylor, Wild Ronnie et Dutronc. C’est après cet EP du diable que les Tarés quittent Ronnie pour devenir les Problèmes et accompagner un autre newcomer, Antoine.

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             La fête continue avec Chante, le cinquième EP de la voie sacrée. Wild Ronnie rend hommage aux Them (et taille Antoine) avec ce «Chante» qui est une cover d’«I Can Only Give You Everything». Une fois de plus, les paroles sont un must - L’autoroute à présent devient remplie de gens - Ça dégouline de fuzz - On paye très mal ingénieur atomique/ La musique a du bon lorsqu’on pense au fric - C’est encore une fois complètement demented et battu à la diable. Son d’Antoine Rubio. On entend encore un killer solo sur «T’En Fais Pas Pour Ronnie», une reprise d’«A Legal Matter» des Who. En B-side, il prend des risques en tapant une cover du «Lies» des Knickerbockers. Il en fait «Chesse». Incroyable qu’il aille chercher cet obscur gaga-cut américain qu’on découvrira en 1972, sur Nuggets. Ce n’est pas le meilleur choix, mais derrière, ça joue à la vie à la mort.   

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             Wild Ronnie amorce son déclin avec son sixième EP, N’Écoute Pas Ton Cœur. Belle pochette, mais le son change avec l’arrivée de Tommy Brown et Micky Jones. Trop pop. Ça ne marche pas. C’est même un peu putassier. On perd tout le protozozo et le Maudit Journal. L’époque veut ça. On lime les dents du rock. Cover du «Sloop John B» des Beach Boys, «Seul Dans La Nuit» est encore plus poppy. L’arrivée du duo Tommy Brown/Micky Jones est une malédiction pour Wild Ronnie. Ces mecs-là traînent d’ailleurs avec Johnny Halliday et vont finir par monter Foreigner. Berk. En B-side, le pauvre Ronnie tente de sauver sa voie sacrée avec une cover de l’«Hey Girl» des Small Faces. Retour du style anglais. Big time ! Ça swingue à Paris. Il fait son Marriott - Ferme les yeux/ C’est bien mieux - Il le fait bien sûr en français, c’est le wild style birdy - Hey hey embrasse-moi/ Hey hey plusieurs fois.

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             Avec Tu En Dis Trop, son septième EP, Wild Ronnie passe au r’n’b. Il y va franco de port avec «Tu En Dis Trop», une cover d’«You Don’t Know Like I Know», le vieux hit qu’Isaac le prophète pondit pour Sam & Dave. Cover bien tapée - Des ennuis pourraient bien t’arriver - Wild Ronnie réussit l’exploit de balancer un vrai shout de wild r’n’b parisien. Il est le seul à avoir réussi un coup pareil avec Noel Deschamps et Nino Ferrer. De l’autre côté, il tape une cover de «See See Rider» qui devient «Tu Ne Sais Pas» - Bien des choses en toi pourraient changer - C’est balèze, bien chargé de la barcasse avec le killer solo flash et les trompettes de la renommée. 

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             Son huitième EP s’appelle La Surprise. Toujours l’époque Tommy Brown/Micky Jones. C’est pas bon. Ronnie qui n’est plus Wild tente le coup d’une cover sensible avec «New York Mining Disaster 1941». Les Bee Gees étaient alors à la mode. Ronnie en fait «Si Quelque Chose M’Arrivait» et lui donne tout le tremblement. De l’autre côté, il fait encore de la petite pop insalubre («Les Petites Filles En Sucre D’Orge») et tape dans Tim Hardin avec «Ne Me Promets Rien». Ronnie est passé à autre chose. Fini les Pretties. On lui a limé les dents. Comme on l’a fait pour Elvis. Gentil toutou, y veut un susucre ?  

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             Neuvième et dernier EP : Le Pivert. Grosse surprise ! Big pop sound, c’est violonné et produit à outrance. Ronnie chante son chant du cygne. On se demande si le petit oiseau vert dont il chante si goulûment les charmes n’est pas sa bite. De l’autre côté, nouvelle surprise de taille avec un «SOS Mesdemoiselles» quasi-hendrixien. Il se retrouve en plein dans «Purple Haze» ! Il a du son, c’est évident. Bizarre que cet EP n’ait pas marché. Même l’«Aimez-Moi» qui vient à la suite est bon.

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             On termine avec un single, «Sad Soul/Rain In The City». Intéressant, car il chante en anglais. Il se glisse dans la heavy psyché anglaise, avec sa petite magie vocale un peu sucrée. «Rain In The City» sonne comme un hit, encore une fois hyper-joué. Excellent.

             Sur scène, c’est un groupe nommé Cruciferius qui l’accompagne, pas Tommy Brown et Micky Jones, avec lesquels Ronnie va essayer de monter un groupe, proposant même de prendre le bassmatic à sa charge. L’idée est de monter un power-trio, avec Ronnie the ideal frontman. Il va à New York en 1968 essayer de négocier un contrat avec Mercury qui dit non. Il rentre à Paris et décide d’enregistrer un opéra rock avec son trio, mais des problèmes de fric l’acculent et il jette l’éponge. Il entre alors dans la troupe d’Hair pour trois ans, puis dans celle de Jesus Christ Superstar. Ronnie ira ensuite s’installer à New York et bosser dans la télévision.

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             Pour les ceusses qui n’ont pas eu la chance de barboter les EPs à leur parution, il existe au moins trois bonnes solutions : des LP compilatoires, dont le premier - et le meilleur - parut en 1976, à l’aube de l’ère punk. Il s’appelle 63-66. Même si tu possédais tous les EPs, tu te jetais là-dessus, histoire de réécouter tous ces proto-hits sur un autre format. Ils sont tous là, tu peux y aller les yeux fermés : «Elle M’Attend» (Après d’elle/ Conduisez-moi, pure Stonesy), «Tu Perds Ton Temps» (Comment lui plaire - Pretties on fire, swingin’ Paris), «Je Ne Mens Pas» (harsh and raw, c’est dingue comme Ronnie a pu taper dans le mille), «Adieu À Un Ami» (just perfect), et ça déroule encore en B avec «Où Va-t-elle ?» (Il swingue comme un démon), «Fais Attention» (Pur protozozo de Yeah Yeah, voix tranchante er riffalama de la pire espèce), «Ce Maudit Journal» (rien de plus protozozo que cette débinade de raw punk) et «Je Voudrais Dire» (incroyable comme le bassmatic swingue l’I’ll Go Crazy).

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             Le Style Anglais est un coup de Libé qui date de 1984. Tu y retrouves «Chante» et sa fuzz, le Legal Matter des Who («Ne T’En Fais Pas Pour Ronnie»), l’«Hey Girl» des Small Faces, le «Tu En Dis Trop» de Sam & Dave et la cover du «New York Mining Disaster 1941» des Bee Gees («Si Quelque Chose M’Arrivait»). Ça se termine avec «Le Pivert» et l’«SOS Mesdemoiselles» complètement hendrixien. Le Style Anglais complémente parfaitement le 63-66. Avec ces deux compiles, tu fais bien le tour du propriétaire.

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             Il existe encore une bonne compile, 1965, parue sur Big Beat Records et qui tape dans les deux époques, la première (Mickey Baker) avec «Adieu À Un Ami» et «On S’Aime En Secret», la deuxième (Antoine Rubio) avec «Où Va-t-elle ?», «Tu perds Ton Temps», «Ce Maudit Journal» et «Fais Attention».

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             L’idéal serait aussi d’écouter son premier album sans titre, Ronnie Bird, paru en 1965, car on y trouve des cuts qui ne figurent pas sur les EPs. C’est surtout un album de Mickey Baker qui casse bien la baraque dans «Je Ne Mens Pas», virulence maximaliste. Mickey Baker = Wild Jimmy Spruill. On le retrouve sur «On S’Aime En Secret», il ramène tout le ruckus new-yorkais derrière le petit Ronnie. Toujours lui sur «Tout Seul». Fabuleuse attaque. L’album mixe aussi les deux époques, car tu as tu du Rubio Sound avec «Fais Atention» (Les filles pourraient se venger et te faire pleurer), «Elle M’Attend» (Wouah vous là-bas/ n’attendez pas !) et «Tu perds Ton Temps» (Ya rien à faire !). Tous ça est gravé au fer rouge dans ta mémoire.

             Jones termine son brillant dithyrambe en suggérant que Ronnie était trop classe pour aller se compromettre dans des mauvaises émissions de variétés - Il était ce qu’il était, pour le pire et pour le meilleur, et c’est cette authenticité, couplée avec sa peerless recording legacy, qui font que sa légende dure encore - Peerless, c’est le mot exact. Inégalable.

    Signé : Ronnie Beurre

    Ronnie Bird. Adieu À Un Ami. Decca 1964

    Ronnie Bird. L’Amour Nous Rend Fou. Decca 1964

    Ronnie Bird. Elle M’Attend. Decca 1965

    Ronnie Bird. Où Va-t-elle ? Decca 1965

    Ronnie Bird. Chante. Philips 1966

    Ronnie Bird. N’Écoute Pas Ton Cœur. Philips 1966

    Ronnie Bird. Tu En Dis Trop. Philips 1967

    Ronnie Bird. La Surprise. Philips 1967

    Ronnie Bird. Le Pivert. Philips 1968

    Ronnie Bird. Sad Soul/Rain In The City. Philips 1969

    Ronnie Bird. Ronnie Bird. Decca 1965

    Ronnie Bird. 63-66. Decca 1976

    Ronnie Bird. Le Style Anglais. Philips 1984

    Ronnie Bird. 1965. Big Beat Records

    Gareth Jones : The Bird is the word. Shindig! # 143 - September 2023

     

     

    L’avenir du rock

     - My sweet Lord

     

             Comme Gainsbarre, l’avenir du rock adore groover la beauté du Bo/du Bo, qui se boit sans délai/délai, mais sous boisseau/boisson, il pense bien sûr à Dubonnet, boisson/poison apéritive/itérative hâtive/rétive. L’avenir du rut/du rite raffole tellement du Bo/du Bon qu’il ne sait plus trop si c’est du boisseau ou du biseau, il louvoie péniblement entre du Bo et Dubonnet/bonnet, et va même jusqu’à se prendre pour Gainsbarre qui, lui, louvoie littérairement/rarement entre Arthur et Henry, pendant qu’au lit/Holly, il tient l’orifice/office de Marylin en ligne de mire. Mais comme l’abus du Bo/du Bo rend miraud, il mélange tout, la line et la ligne, la mire et la mare, le Miller et le mille, l’accord et l’hardcore, un hardcore qui, soit dit en passant, aurait pu rimer avec encore. Encore quoi ? Mais encore du Bo/du Bo. Il en est là, l’avenir du ric/du rac, comme le pauv’ toutou qui ne buvait pas du Bo/du Bo, mais les paroles du maître/du mec, et qu’est mort d’une cirrhose que Gainsbarre/à la barre rime avec l’osmose, comme s’il rimait la beauté des laids/des laids avec le delay/delay de Big Russ, un fervent/fer blanc admirateur/mateur du Bo/du Bo. Depuis cinquante ans, chacun sait/say que la beauté du Bo/du Bo se voit sans délai/delay. La beauté du Bo/du Bo est un cas unique dans l’histoire du groove/du grave. Personne n’a jamais pu rimer un autre nom avec délai/delay. La beauté du Bo/du Bo échappe à toutes les catégories/Gories, à toutes les expectitudes/études, à toutes les combinaisons/liaisons, et après Gainsbarre, un nouveau chantre chante/hante la beauté du Bo/du Bo : l’inestimable/aimable Big Russ/big rush, un vétéran/torrent écossais/cossu. 

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             Il ne raconte pas que des conneries, l’avenir du rock. Il a raison, une fois de plus : Big Russ Wilkins fait partie des légendes vivantes de la scène anglaise, enfin, la petite scène anglaise, celle qu’on appelle l’underground et qui n’intéresse plus grand monde : Milkshakes, Delmonas, Len Bright Combo, Wildebeests. Plus underground, ça n’existe pas. Si tu veux voir jouer Big Russ en France, tu devras te contenter d’un petit théâtre municipal de banlieue et encore, il te faudra un sacré coup de pot : si un copain ne te montre pas le flyer qu’il vient de récupérer à la sortie d’un récent concert, t’es baisé, tu passes à côté, tu ne sais même pas que le concert de Big Russ a lieu. Mais quand tu chopes l’info, branle-bas de combat ! Tu t’organises immédiatement pour ne pas rater ça.

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             Et hop, te voilà à Montreuil par une belle journée de novembre. Quartier populaire et théâtre municipal, faune d’aficionados et ambiance des grands concerts d’antan. La première chose que tu vois en arrivant dans la salle, c’est la gratte rouge de Bo Diddley. Bon, ce n’est pas la Gretsch, mais on s’en fout. C’est vraiment pas le moment de commencer à chipoter. Et boom, le voilà le Russ, l’extraordinaire Russell Wilkins, sur scène depuis 1979, au temps des Pop Rivets de Wild Billy Childish. Super bien conservé, une vraie rock star, mais de celles qui ne se prennent pas au sérieux, l’anti-Bono and co par excellence. On renoue enfin avec cette authenticité qui fut pendant cinquante ans le cœur battant du rock anglais.

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    Big Russ va nous faire pendant une heure du pur et dur, superbement accompagné par une délicieuse bassmatiqueuse, Saskia et un beurre man qui n’hésite pas à sortir les maracas pour rocker le Diddley Beat. Le set de Lord Rochester est sans doute le plus bel hommage à Bo Diddley qu’on puisse voir ici-bas. Big Russ porte la veste en tartan rouge et gratte ses poux avec une énergie surnaturelle, il a tout pigé, il rend un hommage direct au génie révolutionnaire de Bo Diddley.

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    Il fait pour Bo ce que Guitar Wolf fait pour Link Wray, il restitue la grandeur de l’Originator avec une vigueur qui t’en bouche un coin. Tout repose sur son gratté de poux, cette façon qu’il a de plaquer un barré de l’index et de jouer le gimmick des trois autres doigts en même temps. Bon d’accord, il a du métier, mais quand même, il faut savoir jouer ça tout seul, sans le confort d’une deuxième gratte. En plus, il chante, et en plus il fait quelques pas de danse. Il claque même trois ou quatre conneries avec la gratte derrière la tête. Wild as fuck ! L’un des mariages les plus réussis entre l’Amérique des early giants, et l’Angleterre des dedicated followers of the function at the junction. Tout ça sonne incroyablement juste. Ça percute de plein fouet l’or du temps.

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    Si tu vénères Bo Diddley, alors tu vénères Big Russ. Rien à voir avec un trip passéiste : Big Russ se contente de faire éclater au grand jour l’une des grandes vérités de l’histoire du rock : l’incroyable modernité de Bo Diddley. Dommage que Big Russ ne tape pas une cover de «Bring It To Jerome». Mais il termine en apothéose avec l’insubmersible «Hey Bo Diddley», que toute la salle reprend en cœur. Ça sonne comme un hymne national. À cet instant précis, on pense à Phil May et à Dick Taylor qui étaient tellement fascinés par Bo qu’ils ont choisi d’appeler leur groupe The Pretty Things. On reste en famille : Bo, Big Russ et les Pretties. Et un set qui se situe bien au-delà de toutes les espérances du Cap de Bonne Espérance. So far out.

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             L’Hey de Lord Rochester est un album génial. Big Russ commence par rendre hommage à Bo avec «Hey Little Jermyn», mais avec une niaque gaga pure, un souffle d’aéroport.

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    Big Russ fait du Bo par-dessus les toits. Avec «Deathbed», il va plus sur le rockab, mais bizarrement, il tape dans le mille à chaque fois. Il est en plein dans l’exaspération du wild cat tamer. Incroyable pureté de l’intention ! Il repart en mode heavy rockab avec «Godzilla». Big Russ culmine dans les arts appliqués, il claque des shouts de disto du diable, avec encore plus de jus qu’en ont Wild Billy Childish ou Graham Day. Le heavy cat dans toute cette histoire, c’est Big Russ Wilkins. Il retape un heavy romp avec «All Night Long» et bascule dans le wild as fuck avec «Mr Pineapple». Les Rochester ont tellement de son ! Big Russ travaille au Diddley beat avec des chœurs d’orfraies, whaaah wap wap ! Il fait encore son Big Russ Man avec «Monkey Monkey», il est monstrueusement impliqué et déborde encore d’énergie avec «I Tried To Send A Monkey By UPS». C’est un peu comme s’il enveloppait son rock’n’roll dans son giron, le Monkey est une fois encore apocalyptique de weird rockab. Russ the Boss rend un dernier hommage à Bo avec «Seasick». L’Hey vaut vraiment le détour.

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             Pas facile à choper le Twistin’ With Lord Rochester, un Off The Hip de l’an passé. En fait c’est une compile qui reprend 7 cuts d’Hey, et 7 cuts tirés des EPs dont on va parler à la suite. Mais comme on dit à l’école, c’est une excellente occasion de réviser ses leçons, d’autant que Big Russ attaque avec l’imbattable «Hey Little Jermyn», Bo-ish en diable, magnifique de maracas et d’hey ! Ça grouille forcément de coups de génie là-dessus : «Deadly Daddy» (vieux romp de type Memphis tiré du single «Hey Little Jermyn», devenu introuvable, alors merci la comp), «I Tried To Send A Monkey By UPS» (belle dégelée de clairette éclairée), «Lady Luck» (la beauté du Bo du Bo, se voit sans délai/delay), et «Monkey Monkey» (Big Russ le gratte aux poux primitifs, il a tout l’héritage du British Beat). Et puis tu as «Monkey’s Fist», tiré du Shetland Sessions EP, un instro pas du tout tempéré, et à la suite, «Liza Jane», tiré du Mods & Rockers EP, belle descente au barbu du rock’n’roll, du pain béni pour un crack comme Russ. Il y va franco de port. Tout est fabuleusement inspiré sur cette compile, tiens, voilà encore «Seven Steps To Heaven», tiré de l’Oben Road EP, un wild rockab qui avale les distances, suivi de «Christine», tiré du single Ears Of A Prince, lui aussi disparu des radars, alors merci encore la comp. On lui serre la main avec effusion.  

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             L’idéal, quand tu craques pour Lord Rochester, c’est d’aller farfouiller dans les EPs. C’est du régal assuré et ça ne fait pas double emploi avec les deux albums, même avec le Twistin’ With Lord Rochester. Sur l’Asturian Sessions EP, tu retrouves le wild «Lady Luck» qui tape en plein dans le mille du Bo. Big Russ zèbre ça de Bo zéclairs ! Et en B-side, tu tombes sur l’incroyable «Round My Finger», un shoot de rockab d’une densité impressionnante. Ils réussissent à aller chercher cet éclat de véracité, ce foin de bop extraordinaire. Au dos, tu les vois tous les trois photographiés à la plage en maillots rayés 1900, et bien sûr, Big Russ porte sa gratte rectangulaire en bandoulière. Il reste Bo jusqu’au bout des ongles. C’est enregistré chez Jorge Explosion, en Asturie.  

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             Sur le Mods And Rockers EP, tu retrouves le fabuleux «Deadly Daddy» salué plus haut, chef d’œuvre de British Beat, et en B-side, Big Russ te gratte au quart de poil «My Baby (Won’t Ride Beside Me)». Au dos, on les voit tous les trois chez le coiffeur. Big Russ se fait faire la barbe comme Al Capone, et en dessous, on peut lire la légende suivante : «Hairdresser: Joe Meek.»    

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             Pour la pochette de l’Oban Road EP, Bug Russ et Mike Tim Matthew chevauchent une vieille moto qui ressemble à un mono-cylindre, ce qui paraît logique pour un EP en mono. Ils portent tous les deux leurs vestes à carreaux, et Lady Muck se tient tout près, appuyée sur une simili basse Hofner blanche. On peut dire que le décor est planté ! Bon tu te régales du morceau titre, c’est sûr, mais quand tu retournes l’oiseau, tu tombes sur «Don’t Understand» et tu crois entendre les Stones du premier album. Big Russ te tape là le pire des heavy grooves vénéneux. Tu n’es jamais au bout de tes surprises avec un mec comme lui. Et sur «Sweating Out The Spirits», on entend Tim Matthew battre le beurre du diable.    

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             Pour le Shetland Sessions EP, (The Viking Adventures of Lord Rochester) Big Russ, Lady Muck et Tim Matthew sortent tout droit d’un album de Tintin. Lady Muck est la Castafiore, Matthew Tintin et Big Russ saute en l’air avec la gratte rectangulaire. La titraille est celle des albums de Tintin et le rock sonne comme du Bo, dès «Up Helly AA», hey hey ! Et ça rocke encore plus en B-side avec l’effarant «Monkey’s Fist». 

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             Pas question de faire l’impasse sur le single Driving My Car/Tiger Feet, car on y voit Big Russ conduire, avec à côté de lui Lady Muck et derrière, Matthew embouche une trompette. Big Russ gratte «Driving My Car» à la Bo, avec une once de génie. Tu ne peux pas te lasser de ce son. 

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             L’Australian Sessions EP est donc le dernier en date. Coup d’envoi avec «Teenage Mosquito», fantastique groove rochestérien allumé par les chœurs pointus de Lady Muck. Et en B-side, ils basculent à nouveau dans le rockab avec l’effarant «Chicken Salt». Wild as fuck !

    Signé : Cazengler, Lord Terre-à-terre

    Lord Rochester. Théâtre Municipal Berthelot. Montreuil (93). Le 17 novembre 2023

    Lord Rochester. Hey. Twenty Stone Blatt Records 2009

    Lord Rochester. Twistin’ With. Off The Hip 2022

    Lord Rochester. Asturian Sessions. Saturno Records 2011

    Lord Rochester. Mods And Rockers. Saturno Records 2012     

    Lord Rochester. Oban Road. Saturno Records 2014    

    Lord Rochester. Shetland Sessions. Saturno Records 2016  

    Lord Rochester. Driving My Car/Tiger Feet. Folc Records 2021

    Lord Rochester. Australian Sessions. Folc Records 2023

     

    HendriX file

    - Part two 

    ronnie bird, lord rochester, jimi hendrix, killing joke, ernie johnson, the bandit queen of sorrows, a/orato, 6exhance,

             Tu vois passer l’info dans Shindig! ou ailleurs : parution d’un fat Hendrix book, Jimi: The official 80th Birthday Anniversary Edition, avec des tonnes de photos et toute la memorabilia du monde. Tu commences par te dire : «Arf ! À quoi bon ?». Tu connais l’histoire par cœur, et puis de toute façon, la messe est dite et redite depuis l’excellent Two Riders Were Approaching: The Life & Death of Jimi Hendrix, signé Mick Wall. Puis tu y réfléchis. L’idée revient. Arf ! Tu la repousses. Mais elle insiste. Elle est tenace. Elle tape l’incruste, la garce. Elle fait du charme. Elle fait sa grosse pute. Tu lui dis non d’un ton ferme. Elle te dit si d’une voix mielleuse. Non ! Si ! Non ! Si ! Au bout de trois jours, tu cèdes, comme toujours, en vertu du premier commandement d’Oscar Wilde - Le meilleur moyen de résister à une tentation est d’y céder.

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             Quand tu l’as en main, ce book qui pèse une tonne, tu te dis bien sûr que tu viens de faire une connerie. «Arf, une de plus.» Puis tu le feuillettes, puisqu’il est là. Objet plaisant. C’est ce qu’on appelle ‘un livre d’art’, un grand format, 300 pages, beau choix de papier, un couché satiné qui flirte avec le 170 g, c’est remarquablement imprimé, bien sûr en Chine, comme tous les très beaux livres d’art depuis vingt ans. Les printers chinois ont fini par détrôner les Anglais.

             Et puis tu re-rentres dans cette histoire dont tu connais le moindre recoin, mais comme c’est une histoire magique, tu y replonges avec délectation. La courte vie de Jimi Hendrix est un conte de fées. On relit les contes d’Andersen jusqu’à un certain âge, puis plus tard, lorsqu’on devient adulte, on lit et on relit les contes et nouvelles des auteurs qu’on vénère, par exemple Marcel Schwob ou Apollinaire. On relit pour le simple plaisir de relire.

             Ce fat Hendrix book est un coup de biz, bien sûr, mais c’est aussi un livre d’images extraordinaires, car il faut bien dire que l’ami Jimi était, avec Elvis, Brian Jones et Syd Barrett, la plus parfaite des rockstars, l’icône définitive. Bon, tout ça, on le sait déjà. 

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             On croise aussi dans le book ces photos qu’on voyait partout à une époque, jusqu’à l’overdose, les images faites à l’île de Wight en 1970. Le torchon qui s’appelait Best en faisait même des posters, mais ce ne sont pas les images les plus intéressantes. Par contre, la première époque est fascinante. Tu as une photo de l’early Jimi avec Billy Cox et tu vois comment Billy Cox tient sa basse, très bas sur les cuisses, c’est un modèle d’attitude. Black Power.

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             Tu tombes plus loin sur une image datée de 1965, de l’early Jimi avec Curtis Knight, et tu comprends aussitôt à voir sa bobine que Jimi est un petit mec extrêmement intelligent. Ça se voit comme le nez au milieu de la figure. Puis c’est l’avalanche des premières images de l’early Experience et le début du conte de fées, ils sont tous les trois incroyablement jeunes, de vrais branleurs, et ils vont révolutionner le rock, tu vois Noel Redding, tu crois qu’il a 12 ans, coiffé comme l’as de pic, Mitch Mitchell, c’est encore pire, avec sa gueule d’enfant de chœur et sa petite bouche en cul de poule, et l’autre, là, le Jimi, en chemise de satin blanc et en pantalon orange, l’air mal réveillé, pas coiffé, mais c’est lui, ce petit blackos gaulé comme un asticot, qui va te claquer «Purple Haze» et «Crosstown Traffic» - Arf you’re just like/ Crosstown traffic ! - La BO de tes années de braise.

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             C’est avec cette image de l’early Experience que commence le conte de fées : Chas Chandler vient tout juste de ramener Jimi à Londres. Il ne reste plus qu’à monter un groupe. Chas cherche un beurrier et un bassman. Il profite d’une séance d’audition qu’organise Eric Burdon pour monter ses New Animals. Les mecs font la queue. Un branleur du Kent nommé Noel Redding se pointe pour la place de guitariste, mais il arrive trop tard. Le poste est pourvu - Arf, me chuis fait baiser la gueule ! - Alors Chas branche le dépité - Dis voir, min ch’tio quinquin, tu saurais-ty jouer d’la basse ? - Redding flaire l’occase - Arf ! Ben j’peux ben essayer ! - Chas lui file sa basse - Vens donc par là, min ch’tio quinquin, tu vas jammer avec Jimi et l’Aynsley Dunbar - Chas présente le candidat et Jimi l’accueille avec un grand sourire - Arf, tiens, look at the chords, Papa Noel, Eiii, Diii, Aiiii, got it ? - Redding ajuste ses binocles - Arf Arf ! - Après avoir jammé trois cuts à sec, Jimi l’invite - Arf, come on, let the good time roll, Papa Noel, on va siffler une pinte au pub d’en face - Ils trinquent et soudain, Jimi prend un air sérieux - Arf ! Dis-voir Papa Noel, tu veux bien  jouer dans mon groupe ? - Redding ajuste ses binocles - Arf Arf ! - Voilà comment se montent les groupes qui font l’histoire du rock.

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             Il faut encore trouver un mec au beurre. C’est plus épineux. Jimi et Papa Noel jamment avec Dunbar, puis avec John Banks des Merseybeats, et enfin avec Mitch Mitchell qui a joué avec Georgie Fame et qui est plus jazz. Jimi hésite - Arf, mon cœur balance entre Dunbar et Mitchell - Alors Chas lève les bras en l’air - T’inquéquète don’ pas, min ch’tio quinquin, on va s’faire un coup d’pile ou face - Il sort une grosse pièce de monnaie de sa poche. Mitch choisit pile et Dunbar face. Pouf ! Pile ! Chas rigole de bon cœur - Te v’là-ti pas embauché, min ch’tio quinquin ? J’vous baptise tous les trois The Jimi Hendrix Experience ! - On sera pas mal de gens à être Experienced avant l’heure.  

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             L’instigateur de ce conte de fées est donc Chas Chandler, l’ancien bassman des Animals. Il est allé vite en besogne. Grâce à Linda Keith, il a flashé sur Jimi au Cafe Wah?, à Greenwich Village. Il était temps, car Jimi en avait bavé durant les années précédentes, de 1961 à 1966. Il avait monté les King Kasuals avec Billy Cox, un pote de l’armée, et tourné comme tant d’autres sur le Chitlin’ Circuit, puis il avait débarqué à Harlem sans une thune, hébergé un temps par Fayne Pridgeon, qui grâce à ses contacts, l’avait branché sur les Isley Brothers. Il avait intégré leur backing band et l’avait quitté en 1964. Il était ensuite entré au service de Little Richard qui gérait ses musiciens à l’ancienne, avec le dress code et les prunes, Jimi avait tenu le coup pendant 5 ou 6 mois avant d’arrêter les frais - Arf l’autorité me court sur l’haricot, c’est pour ça que j’ai quitté l’armée - En 1965, Jimi était entré au service de Curtis Knight, il s’était cassé et avait fini par monter son groupe, Jimmy James & The Blue Flames, avec Randy Wolfe, qu’il avait rebaptisé Randy California. Le groupe jouait au Cafe Wah?, et c’est là que se joua son destin. Jimi tapait sur scène des classiques du blues, plus «Hey Joe», «Like A Rolling Stone» et «Wild Thing». La poule de Keith Richards, Linda Keith, avait flashé sur lui. Elle avait amené Andrew Loog Oldham et Seymour Stein au Cafe Wah?, mais Jimi ne les intéressait pas. Tant mieux pour Chas - Quoâ ? Personne n’a encore fait main basse sur c’t’asticot ? Ça m’dépasse ! - Après le set, Chas était allé trouver Jimi - J’vas t’emmener à Londres vite fait, tu vas vouère, min ch’tio quinquin ! J’vas t’faire faire un passeport vit’ fait ! - Jimi accepta de bon cœur - Arf, j’me fais que trois dollars par soir et j’crève la dalle ! Alors banco ! Nothing to lose !

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             On vient de voir le côté féérique des choses. Avec l’arrivée de Michael Jeffery, ça s’assombrit très vite. Chas n’a pas les reins assez solides pour financer le lancement d’un groupe, alors il s’associe avec Jeffery qui est l’ancien manager des Animals. Et là, c’est pas terrible. Car Jeffery va voir Jimi comme une vache à lait et lui mettre une pression terrible. Meuuuhhhh ! Album/tournée, album/tournée, et plus le succès arrive et plus la pression est forte. Meuuuhhhh ! C’est cette pression qui va tuer Jimi, Kurt Kobain, mais aussi Brian Jones, et abîmer Syd Barrett.

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             Tant que Chas est encore aux commandes, ça va à peu près. Première tournée de l’Experience en Europe avec Johnny Halliday. Le répertoire de l’Experience se limite toujours à «Hey Joe», «Wild Thing» et quelques covers de r’n’b comme «Have Mercy» et «Land Of 1000 Dances». Le premier single du groupe sera «Hey Joe», mais il faut une B-side. Jimi propose «Land Of 1000 Dances», mais Chas renâcle - Non min ch’tio quinquin, pas question ! Tu vas nous composer une ‘tite chanson vite fait - Jimi est un gentil mec - Arf, bon d’accord. Tiens ‘coute ça. Everyday in the week/ I’m in a different city. Ça te va ? - Chas est éberlué - Allez hop, prends ton paletot, on file au studio ! - Ils enregistrent «Stone Free» le jour même. Puis Jeffery va commencer à dealer avec les gros labels anglais. Il va trouver Dick Rowe, chez Decca, l’homme qui a rejeté les Beatles. Rowe écoute la cassette - Grumble grumble, beeeeh non, ça m’plait pas - Jeffery remet la cassette dans son attaché case et file chez Kit Lambert et Chris Stamp. Bingo ! «Hey Joe» sort sur Track Records. Des rockstars en devenir sur le label rock par excellence, que peut-on imaginer de mieux ?

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             Jimi est SDF à Londres. Chas l’héberge - Viens loger à la maison, min ch’tio quinquin, Lottie te f’ra cuire des bons p’tits plats et elle te f’ra ton linge - Jimi est ravi - Arf ! T’es chic Chas - Comme il se sent bien chez Chas, il compose et se met à pondre des hits. Chas est scié. Jimi lui gratte le riff de «Purple Haze». Chas en tombe de sa chaise - T’as des paroles ? - Jimi opine du chef - Arf, of course, Purple haze all in my brain/ Lately things just don’t seem the same - Chas devient hystérique - Wow wow woooo min ch’tio quinquin, c’est le prochain tube national ! Allez Hop ! Mets ton paletot on file au studio ! - Avec Chas, ça ne traîne pas. Les Animals allaient vite. Jimi fait confiance à Chas, car c’est le seul mec qui l’a vraiment pris au sérieux. Cette relation entre Jimi et Chas est un modèle du genre. On pourrait même aller jusqu’à dire que sans Chas, pas de Jimi.

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             Tout explose en 1967. C’est un peu grâce à McCartney que Jimi va jouer à Monterey. McCartney fait partie du comité de sélection et il recommande Jimi à John Phillips et Lou Adler qui sont les décisionnaires. Qui va présenter l’Experience sur scène ? Brian Jones, bien sûr. Applaudissements polis. Jimi passe après les Who, donc il doit les surpasser. Pas facile. Il va profiter de l’occasion pour entrer dans l’histoire du rock. Les Who ont basé leur set sur le chaos, Jimi choisit le sexe, il va et vient entre les reins du rock, sa gratte est un prolongement de son corps, il gratte entre ses cuisses, puis il va foutre le feu à sa gratte, une belle Strato peinte à la main. Public choqué. Jimi Superstar. Il sort de l’obscurité de Greenwich Village et devient une magnifique rockstar, un chef-d’œuvre d’animalité et de sonic trash - Sexuality & raw power.

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             Puis ça commence à déconner. Jeffery fout l’Experience sur une tournée américaine des Monkees. Les teenagers américains ne veulent pas de Jimi, ils veulent les Monkees. La tournée recrache l’Experience comme un noyau. En 1967, l’Experience fait sa dernière tournée anglaise. Jeffery n’en finit plus de loucher sur l’Amérique, dont le marché est beaucoup plus lucratif. En 1968, le groupe s’installe à New York. Entre deux concerts, Jimi enregistre. Are You Experienced est un smash, Axis Bold As Love un peu moins un smash, et Jimi continue d’enregistrer des cuts à l’Olympic de Barnes pour le troisième album, Electric Ladyland. C’est là, à Barnes, qu’il enregistre «All Along The Watchtower», avec Dave Mason, Mitch Mitchell et Brian Jones au piano. Puis Jimi va reprendre le Watchtower et virer le piano. C’est à cette époque que la relation entre Jimi et Chas commence à se détériorer. Jimi devient perfectionniste. Et ses nouvelles idées musicales ne plaisent pas à Chas. 

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             En 1968, les tournées américaines s’enchaînent, toutes plus épuisantes les unes que les autre - Arf ! J’en peux plus ! - Ce rat de Jeffery ne finance rien, ni avion, ni bus, l’Experience est obligée de voyager en bagnole avec Gerry Stickells : soixante concerts en soixante jours à travers les USA. Quand il peut souffler un peu, Jimi va enregistrer au Record Plant, à New York. Il fait venir son vieux complice de Barnes, l’ingé-son Eddie Kramer. Le premier cut qu’il enregistre au Record Plant et l’excellent «Long Hot Summer Night», et les jours suivants, il met en boîte «Gypsy Eyes» et le renversant «1983 (A Merman I Should Turn To Be)». Mais les 41 prises de «Gypsy Eyes» courent sur l’haricot de Chas. Et pas que Chas. Papa Noel commence à renâcler - Arf, Jimi, t’amène trop de monde en studio, qu’est-ce que c’est qu’ce cirque ! Faudra qu’t’arrête tout ce bordel ! - Jimi se marre - Relax Papa Noel ! - Mais Papa Noel le prend complètement de traviole et se barre en claquant la porte. Bammmm !

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             Une nuit, près avoir traîné dans le fameux club de Steve Paul, Jimi ramène Jack Casady, Stevie Winwood, Mitch Mitchell et Eddie Kramer au Record Plant - Arf, on va jammer l’ass du Voodoo les gars - La joyeuse bande tape «Voodoo Chile». C’est la troisième prise qu’on trouve sur Electric Ladyland, l’un des plus beaux albums de l’histoire du rock. Mais comme d’habitude, les labels foutent le souk dans la médina. À la grande surprise de Jimi, les Américain de Reprise ont bidouillé la pochette et viré les photos que Jimi voulait à l’intérieur, et Track a foutu 19 gonzesses à poil sur la pochette anglaise. Jimi est scié - Arf, c’est quoi ce wang dang doodle ? - Bon, les choses ne vont pas aller en s’arrangeant. Jimi grosse vache à lait, viens par ici qu’on te traie. Meuuhhh ! Chas se retire. C’est Jeffery qui va traire la vache tout seul avec ses gros doigts. Pour Jimi, c’est raide : il a perdu son meilleur fan, son cher Chas.

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             La pression monte encore. Trois ans que ça dure - Arf j’en peux plus. Chuis complètement over yonder - Fatigue et frustration sont devenues les deux mamelles de Jimi. Il réussit encore un exploit avec le concert de l’Albert Hall, qu’on dit être le plus beau. Il commence aussi à fricoter avec Buddy Miles. L’Experience joue maintenant dans des stades américains pour 20 000 personnes. En 1969, Jimi monte une nouvelle équipe pour jouer à  Woodstock avec Larry Lee, Billy Velez, Billy Cox, Juma Sultan et Mitch Mitchell, et comme on approche de la fin du fat book, ça sent la fin des haricots.

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             Construction à New York de l’Electric Ladyland studio. Jimi commence à bosser sur son quatrième album, avec Billy Cox et Mitch Mitchell, The First Rays Of The New Rising Sun, mais comme on sait, il n’ira pas au bout, et ce sont les charognards qui vont finir le boulot et accessoirement s’en foutre plein les poches. Meuhhhh ! Merci la vache à lait. Mais comment font les gens pour acheter du Dead Hendrix ? C’est un mystère encore plus épais que celui de Toutânkhamon. Bien sûr, à l’époque, on a voulu écouter Cry Of Love, mais franchement, ça n’avait aucun sens.   

    Signé : Cazengler, Jimi Harpic

    John McDermott & Janie Hendrix. Jimi: The official 80th Birthday Anniversary Edition. Chronicle Chroma 2022

     

     

    Killing Joke ne plaisante pas

    - Part Two

     

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             Il avait raison, le mec, l’autre soir, quand il affirmait que Geordie Walker ne jouait pas sur Gretsch mais sur Gibson.

             — T’es sûr ?

             — Oui. J’ai étudié son matos en détail.

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             Quelques jours plus tard arrivait le nouveau numéro de Vive Le Rock, avec Geordie Walker en couve. À l’intérieur, quatre pages sur ce prodigieux guitar slinger, et que propose la deuxième double ? Une immense photo de Geordie grattant une Gibson. Toujours la même histoire : on croit tout savoir et on ne sait rien. Plus on apprend et plus il faut se méfier de la vanité.

             Si Geordie Walker se retrouve en couverture du canard, ce n’est pas pour ses beaux yeux : il vient de casser sa pipe en bois, alors nul canard n’est mieux placé que Vive Le Rock pour lui rendre hommage. Car Geordie Walker fut avec Roland S Howard et Keith Levene le guitar slinger le plus insolite de la scène anglaise - Geordie took Keith Levene’s guitar sound to another almost inhuman and extreme level - Même dans les années 80, au temps où Killing Joke faisait encore de la petite new wave de la post à la mormoille, Georgie sonnait insolite. Il créait des ambiances et avec le temps, ses ambiances sont devenues des apocalypses.

             Bruce Turnbull n’y va pas de main morte dans l’hommage. Il jongle avec les formules délétères du genre «cold and metallic style», «crancking up the amp», «metallic and unconventional sound», «dissonant, discordant melodies», et rappelle que Killing Joke a joué pour la première fois en 1979. Geordie raconte qu’à 12 ans, il avait une acou avec deux cordes - But I could play along on Gary Glitter. Mes parents m’ont dit que si je voulais apprendre, je devais prendre des cours, et comme le cours de folk était complet, je me suis retrouvé en cours de fucking classical guitar. Puis j’ai eu une electric guitar. I was real lucky. Je suis allé dans une boutique à Northampton et je louchais sur les copies de Les Paul. Ma mère m’a dit : «Why don’t you try this one?». C’était un samedi matin,  et tous les local kids étaient dans la boutique. And that was that fucking guitar: it was a 1969 Les Paul Deluxe. The fucking thing played itself. My old man est devenu pâle. Ma mère l’a baratiné. Elle avait vu Jimi Hendrix en 1967, lors d’un package tour en Angleterre. Elle y allait pour voir Engelbert Humperdinck et Jimi Hendrix était à l’affiche. C’est comme ça que j’ai eu ma guitare - Quand il parle de son son, il reste d’une effarante modestie : «I think I was lucky to be honest. Je me branchais, made this noise and by hook or crook, I’ve managed to survive on it. It’s actually an honour. It’s just a fabulous instrument. If you get it right, it’s an orchestra in a fucking box, the guitar. It really is.»

             Alors pour rendre hommage à cet immense guitar slinger que fut Geordie Walker, nous allons extraire un texte jadis paru dans les Cent Contes Rock.

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             Jaz Coleman lève un gobelet d’étain serti de pierreries. Il est vautré dans un amas de fourrures.

             — À la santé du diable, Ha-ha ! Ha-ha-ha !

             Son groupe s’appelle Killing Joke. Ce n’est pas par hasard. Ses trilles de rire roulent sous les voûtes de pierre et s’écrasent contre les colonnes d’étai. Un feu aux flammes gigantesques gronde dans l’âtre de la salle principale du château de Tiffauges. Une incessante noria de valets encapuchonnés et pourvus des plus horribles disgrâces osseuses arrive des cuisines. Ils trottent en se déhanchant et s’en viennent entasser sur les tables les mets les plus fins et les vins les plus capiteux. Jaz Coleman est baron. Pour le récompenser de ses exploits guerriers, le roi son cousin l’a fait Pair de France. Il ripaille, comme chaque nuit, avant d’aller se jeter sur ses cornues, ses pélicans et ses alambics. Il dansera comme un ours, jusqu’à l’aube, autour du four des alchimistes qu’on appelle aussi l’athanor.

             Affalés près de lui, Geordie et Raven avalent de grandes rasades de vin et rient bruyamment, singeant leur maître. Geordie a le teint pâle des créatures hermaphrodites. Son petit crâne s’orne d’une toison de fins cheveux coupés court et subtilement délavés. Il a les manières de ces prélats qu’on voit rôder dans les caves de l’Inquisition, chargés par le Pape d’administrer les tourments les plus raffinés. Geordie porte une chasuble de brocart sombre sur lequel est brodée à l’or fin une longue tête de mort. De ses doigts frêles, il peut jouer sur une guitare des airs sataniques issus des époques les plus reculées. Il passe pour un envoûteur.

             Avec ses yeux bridés de cavalier mongol, son bustier d’acier digne d’un conquistador et sa casquette américaine, Raven s’inscrit dans un registre beaucoup plus rustique. On détecte en lui le soudard saturé d’abus barbares. Dans l’incendie de lumière qui lèche les murailles du château, sa barbiche semble dégoutter du sang de ses victimes. Il lâche des quintes de rire qui révèlent un caractère d’une extrême cruauté.

             Geordie et Raven sont les plus fidèles compagnons d’aventures de Jaz Coleman, dernier grand baron du rock de l’apocalypse. Jaz se lève brusquement, jette son gobelet contre la muraille et beugle :

              — Il est temps d’aller taquiner le lion vert !

             Il porte une ample combinaison brune de mécanicien, fermée jusqu’au cou. Elle est censée dissimuler la naissance d’un embonpoint. Un col de clergyman menace sa gorge comme une lame. Ses joues sont abondamment plâtrées de fard, ses lèvres peintes et ses yeux soutenus par de larges traces noires hâtivement dessinées. Il ramasse son épaisse crinière de cheveux noirs vers l’arrière du crâne et allume un cigare cubain. Geordie et Raven se lèvent pour le suivre vers l’aile éloignée du château où est installé le laboratoire. Après avoir parcouru des corridors si étroits que l’on n’y peut cheminer à deux, ils arrivent devant une porte basse bardée de ferrures.

             — À nous deux, Belzébut !

             Ils pénètrent tous les trois dans une belle salle circulaire à voûte gothique. Des calorifères crachent des trombes de fumée âcre, répandant une abominable odeur de pourriture, de moisi, de cuve à fuel, encore exaspérée par des senteurs irritées d’ammoniac, de résine synthétique et de pneu brûlé. Au centre de la pièce ronfle le four des alchimistes. Prodigieusement cultivé, Jaz Coleman connaît parfaitement tous les volumes ésotériques, notamment les écrits de Raymond Lulle et d’Arnaud de Villeneuve. Les manuscrits de Nicolas Flamel, traduits et commentés par Eliphas Lévi, n’ont plus de secrets pour lui. Il y a de cela quelques années, Jaz alla étudier les sciences arabes de l’harmonie au Caire. Il talonna les secrets des vieux arcanes jusqu’à Aukland en Nouvelle-Zélande, et jusqu’à Prague, où il crut bien aboutir. Têtu comme un âne, il poursuit inlassablement ses recherches. Cette nuit encore, il va psalmodier des allégories, des métaphores cocasses et obscures, des paraboles embrouillées, des énigmes bourrées de chiffres, il va mêler à ses imprécations des croissants de lune, des colombes, des grenouilles et des étoiles. Il cherche le secret de la pierre philosophale du rock, le grand élixir de quintessence et de teinture qui permet de transmuer le métal vil en rock intemporel, un élixir qui guérit aussi toutes les maladies et prolonge, sans infirmités, la vie jusqu’aux limites jadis assignées aux patriarches. Il va de nouveau tenter le coït chimique pour enfin tenir dans la paume de sa main cette pierre des Sages qu’on dit flexible, cassante, rouge, et sentant le sel marin calciné.

             Geordie a étudié les sciences occultes à Rome. C’est là qu’il apprit de source sûre qu’on ne perce pas le secret du grand magistère sans faire appel aux démons de l’enfer. Aussi essaye-t-il chaque nuit de convaincre Jaz d’entreprendre les rites maléfiques. Jaz y rechigne, alors Geordie se moque. Vexé, Jaz s’enflamme :

             — Que te moques-tu là, ribaud, les flammes de l’enfer ne m’effraient point !

             Réjoui de cet assentiment, Geordie, qui fut évocateur et noueur d’aiguillettes pour les princes italiens, trace un grand cercle magique au sol et commande à Jaz d’entrer dedans. Il entame le long processus des incantations de la magie noire, adjurant le grand Entremetteur de se manifester :

             — Ô Très-Bas ! Manifeste-toi !

             Les voûtes du laboratoire se mettent soudain à vibrer. La gueule tordue par un rire ignoble, Jaz Coleman somme le diable de se présenter à lui. Il est soudain saisi à la nuque par une poigne terrible et jeté hors du cercle magique comme un chiffon. Des forces invisibles s’abattent alors sur Geordie et le rouent de coups. Jaz et Raven voient le pauvre Geordie hurler de douleur et crier grâce alors que roule autour de lui un fracas de coups métalliques portés contre la pierre du sol. Lorsque la colère du Diable s’apaise enfin, Jaz et Raven ramassent le pauvre Geordie et l’emportent tout sanguinolent jusqu’à sa chambre, ne sachant s’il survivra à cette infernale correction. La coction du grand œuvre a une nouvelle fois échoué.

             Pendant les jours suivants, le baron replonge de plus belle dans la consultation de ses grimoires. Il fait venir de toutes les cours d’Europe des sorciers et des adeptes, des manieurs de métaux et des prêtres sacrilèges, des détenteurs des vieux secrets et des évocateurs de démons. Mais aucun d’eux ne lui apporte les réponses qu’il attend. Malade de dépit, Jaz les confie alors à Raven qui les fait disparaître. Il faut attendre le rétablissement de Geordie. Celui-ci revient lentement à la vie. Louée soit la commotion, car la lumière jaillit soudain sous son crâne :

             — Ô Maître ! J’entrevois enfin le moyen de percer le secret du mercure des philosophes !

             Geordie demande qu’on fasse apporter au château un matériel très précis. Jaz lui en accorde la faveur. Aussitôt sur ses jambes, il prend le chemin du laboratoire. Jaz et Raven lui emboîtent le pas. Le matériel est installé. Tout est prêt. Geordie trace de nouveau au sol le grand cercle magique. Mais cette fois, ils y entrent tous les trois. Geordie est armé d’une Gretsch et Raven d’une basse. Les instruments sont reliés par des cordons à un amoncellement d’amplificateurs adossés à la muraille. Raven n’est pas très rassuré. Le surnaturel lui inspire une frayeur instinctive. Il veut se signer mais Geordie lui assène un terrible coup de guitare en plein visage.

             — Ne refais jamais ça, maudit niais, tu nous tuerais !

             En guise d’amorce incantatoire, Geordie gratte les accords les plus hachés qu’on ait entendu ici-bas. Un vent glacial se lève et ramène sur eux les puanteurs vomies par les calorifères. Les yeux exorbités, Jaz avance d’un pas et commence à psalmodier un texte improvisé :

             — Quand l’été s’en va, et qu’il se met à pleuvoir, ooooh...

             Sa voix caverneuse déroule de mystérieux arcanes :

             — Quand la rivière déborde, et que la crue engloutit Prague...

             Il bat l’air de ses mains crispées, il halète :

             — Ils empoisonnent l’eau, seules les OGM poussent, oooh...

             Et soudain il se met à hurler comme une bête qu’on égorge :

             — Cinq corporations gagnent plus que quarante-six nations !

             Pour une raison inexplicable, il s’en prend aux multinationales.

             — You’ve got blood on your hands !

             Penché sur le tablier de sa guitare, comme l’Inquisiteur sur la plaie béante d’un hérétique, Geordie tisse d’infinies complexités qui doivent plus au satanisme qu’à l’harmonie. Le chaos des apocalypses roule dans les veines de Jaz Coleman. Sa voix devient si rauque et si grandiose qu’elle force les limites de l’horreur. Il hurle à s’en décrocher la mâchoire :

             — You’ve got blood on your hands ! You’ve got blood on your hands !

             De violents soubresauts agitent le trio. Le baron transfiguré hurle de plus belle :

             — L’homme a fabriqué l’enfer, l’homme a fabriqué le diable !

             Possédé, Jaz entre dans une transe froide et mécanique, ses pas le guident à l’intérieur du cercle, il avance au rythme désordonné d’un automate conçu pour détruire l’humanité, poussant un pied après l’autre, toujours le nez en l’air, le regard fixe et injecté de sang. La sueur creuse de grandes rigoles dans le fard qui plâtre son visage. Il hurle à s’en déchirer les muscles du cou :

             — You’ve got blood on your hands ! You’ve got blood on your hands !

             Ses doigts crochus griffent l’air. Il est secoué de spasmes violents. Il pousse le chant toujours plus haut. Il atteint le registre du pachyderme rendu fou par les flèches des pygmées. Des écailles apparaissent sur ses doigts crispés et des cornes lui poussent sur les tempes. Ses lèvres crachent de la fumée. Il hurle de plus en plus fort, réussissant à couvrir le fracas des instruments. Ivre de démonisme et comme atteint de langueurs malveillantes, Geordie commence à danser sur place, imitant ces créatures dépravées qu’on voit rouler des hanches dans les bouges du Caire. Les tourbillons de fumée noire des calorifères enveloppent les trois candidats au désastre.

             — You’ve got blood on your hands ! You’ve got blood on your hands !

             Possédé par des forces qui le dépassent, Jaz saisit soudain Raven à la gorge et plonge ses doigts crochus dans les chairs boucanées du vieux bassiste qui se met à hurler de terreur et à se défendre à coups de basse. Il frappe à coups redoublés, espérant faire lâcher prise à son agresseur devenu fou. D’un coup de basse que lui envierait le champion de monde de golf, Raven envoie Jaz voler à travers le laboratoire.

             — You’ve got blood on your hands ! You’ve got blood on your...

             Il heurte de plein fouet l’athanor qui s’écroule dans un fracas épouvantable. Une mer de feu se répand dans la pièce, comme si une bombe au napalm y était tombée. Le son se noie dans des gargouillis infâmes et bientôt une âcre odeur de chair brûlée emplit la pièce. Killing Joke finit toujours ses chansons par inadvertance.

    Signé : Cazengler, Silly Joke

    Geordie Walker. Disparu le 26 novembre 2023

    Bruce  Turnbull : Brighter than a tousand suns. Vive Le Rock # 108 – 2023

     

     

    Inside the goldmine

    - La bataille d’Erninie

     

             Des quatre de la bande des quatre, Ernus était le plus enjoué, le plus exubérant. Il riait comme une chanteuse d’opéra, à grands jets de trilles suraiguës. Il avait en lui cette fraîcheur et cette légèreté de l’être que tout le monde lui enviait. Il était fil unique, né sur le tard d’un couple d’ouvriers qui évidemment l’idolâtrait. À cause de ses cheveux blancs, son père passait pour son grand-père. Il voulait que son fils suive le même chemin que le sien dans l’industrie automobile et donc il inscrivit Ernus dans un lycée technique. C’est là que se constitua la bande des quatre. Inscrits contre leur gré dans ce lycée technique, ils s’étaient tous les quatre très vite marginalisés, refusant de toutes leurs forces le modèle qu’on leur proposait : une formation bien carrée, un emploi assuré grâce au Bac Technique et le meilleur niveau de salaire de la région. Un jour qu’on emmenait la classe de Terminale visiter la fonderie de l’usine, les quatre de la bande des quatre s’insurgèrent en découvrant le spectacle de ce qui s’apparentait, selon eux, à l’enfer sur la terre. Ils sortirent en trombe du gigantesque atelier de fonderie et allèrent s’asseoir dans le bus, en attendant les autres. Hors de question d’aller rôtir en enfer après le Bac ! D’autant plus qu’ils connaissaient déjà le paradis, une petite discothèque nommée Les Galéjades où ils passaient chaque week-end, invités par l’oncle d’Ernus qui en était le propriétaire. L’oncle avait installé un restaurant à l’étage, nous pouvions boire et manger à notre guise. Voir son neveu heureux rendait l’oncle heureux. Le barman Yoyo servait tout ce qu’on lui demandait. L’endroit avait pour particularité d’être une boîte de traves. Vers deux heures du matin, les stars d’un célèbre cabaret parisien de la rue Lepic arrivaient pour faire la fête et chanter Piaf. La bande des quatre n’eut jamais à se plaindre de quoi que ce fût. Jamais aucun geste déplacé ni d’avances. Tous ces gens montraient un savoir-vivre exemplaire. Il régnait dans cet endroit une ambiance surréaliste de fête perpétuelle. Nous repartions au petit matin pour regagner nos pénates et il nous arrivait fréquemment de nous retrouver en cours au lycée avec du vernis sur les ongles, ce qui nous faisait beaucoup rire. Ernus ne parvint pas à échapper au destin que lui avait tracé son père : pour ne pas lui causer de chagrin, il accepta d’entrer au bureau d’études de l’usine de construction automobile. Lorsque nous nous croisâmes en ville un an plus tard, il accompagnait une jeune femme et poussait un landau. Plutôt que de s’éclairer en me voyant, son visage s’assombrit. Il hocha la tête et poursuivit sa route. Ernus était mort avant d’avoir commencé à vivre.     

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             Espérons qu’Ernie ait connu un destin moins sombre que celui d’Ernus. Certains pourront dire qu’il y a pire, comme destin, mais si on y réfléchit, bien, il ne faut souhaiter à personne de passer sa vie dans une usine. Bon, c’est vrai, la question n’est pas là. A-t-on vraiment le choix ?

             L’Ernie en question n’est pas celle qu’on croit. Pas l’hernie discale que tout le monde redoute au moins autant que la peste. Il s’agit d’un Ernie, le grand Ernie Johnson, le Louisianais qu’il ne faut pas confondre avec l’autre Ernie Johnson, un Texan qui chantait dans Eddie & Ernie.

             Comme Ted Taylor et Artie White, Ernie Johnson est un ancien Ronn qu’on retrouve dix ans plus tard sur Waldoxy, label héritier de Malaco.

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             Sur la pochette de Just In Time, un album Ronn paru en 1984, l’Ernie pose déguisé en funkster. L’amateur de hot sex va se régaler de «Mouth To Mouth Rescucitation» en ouverture de bal de B. L’Ernie nous tape là un heavy groove érotique et la blackette qui duette avec lui atteint l’orgasme. Aucun doute là-dessus. Le morceau titre d’ouverture de balda sonne un brin diskoïdal, mais avec une solide souche de Soul, donc pas d’inquiétude. Avec «Party All Night», il propose un heavy groove de baby what’s your name et il annonce la couleur : tonite is the nite. L’Ernie a du son, c’est du Ronn. Il est crédible quand il annonce qu’elle en baver when I’m gone dans «You’re Gonna Miss Me» - qui n’est pas celui qu’on croit - Il sait aussi gérer l’heavy blues, comme le montre «Cold Woman», mais avec un faux air de Bobby Blue Bland. Il est incroyablement crédible. Il finit en mode big boogie blues avec «Give Me A Little Bit Of Your Loving». Ernie a plusieurs cordes à son arc, il maîtrise toutes les vieilles disciplines. Inventer le fil à couper le beurre ? Ça ne l’intéresse pas, oh la la pas du tout ! 

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             L’Ernie gagne encore la Bataille d’Erninie avec It’s Party Time, un big Paula de 1993. Il attaque au big boogie party d’«It’s Party Time», monté sur le plus revanchard des bassmatics. Wow, ça joue derrière le crack boom hue ! Il a un sens inné de l’inner boogie blues, il va droit au but. Il passe à l’heavy popotin avec «That Thang», l’Ernie lui tombe sur le râble et frise l’heavy Soul. Il sonne un peu comme Bobby Blue Bland sur «Broke Man Can’t Win», même tremblé dans l’attaque, il faut savoir le faire. Il injecte encore du Bobby Blue Bland dans «Hard Times» et il colle bien au terrain avec «Am I Losing You». C’est du frotti parfait. Il termine avec un super heavy blues, «I’m Doing Alright» et un big gospel batch, «Jesus Is A Way Maker» - I love you Jesus/ Eve-ry day ! - Il a derrière lui les chœurs de l’église en bois et là, mon gars, ça swingue !

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             Il enregistre In The Mood en 1995 à Muscle Shoals. Si Muscle Shoals veut encore dire quelque chose à cette époque. Il attaque en mode heavy blues avec «I’m In The Mood For The Blues», l’Erninie te jive le blues vite fait. Il y va au raw. David Hood est au bassmatic. Comme George Jackson signe «Cold This Winter», ça décolle, même si ça reste très classique. Le cut dégage un vieux parfum de Sam Cooke, aw babe, freeze it. L’Erninie refait son Bobby Blue Bland dans «Don’t Waste My Time», il dispose des deux atouts principaux : le gut et l’undergut. Il tape «Bouncin’ Back» au heavy groove et revient à George Jackson avec «Share You With Someone Else». Nouvelle combinaison de rêve : compo + singer. Il chante comme un cake. Il reste chez George Jackson avec «Move Away», un cut plus convivial qu’il amène à l’aw yeah. L’Erninie rend hommage au génie de George Jackson, il chante sa heavy power-Soul de toute son âme, c’est classique mais beau, bien contrebalancé par les cuivres. À Muscle Shoals, ils ne sont pas avares de cuivres. 

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             L’Ernie adore porter du rouge, comme on le voit encore une fois sur la pochette d’Hot & Steamy. Il attaque avec un «Kiss It» hautement suggestif, un heavy romp de coming up. Il y va au honey bunch de you’re so hot. Sexe pur. On se doute bien qu’il ne demande pas à sa poule de lui embrasser la joue. Avec «Can’t Keep A Good Woman Down», il tape un heavy slowah dévastateur, un frotti-frottah de compétition, le pire de tous. L’Ernie est fabuleux, car il s’y tient, il se coule dans la braise, il chante au perçant, à la vie à la mort. Plus loin, il rallume sa Soul avec «Made Your Bed Hard». Il entre dans la Soul par la grande porte. L’Ernie est un Soul Brother de mess around extraordinaire, il tortille du cul en vainqueur. Puis il entame une série de cuts prévisibles. Ce sont les limites de l’Ernie System. On s’ennuie, c’est pas bon signe. Il piétine les plates-bandes de Percy Sledge avec «My Lover’s Prayer» et termine avec l’excellent «EJ Story», du big Ernie de c’mon now. Here we go ! C’est énorme. L’Ernie stompe sa Soul !

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             Mine de rien, avec sa pochette rococo, Squeeze It est un fantastique album. Ça grouille de puces, là-dedans, «It’s Getting Hard» te laisse comme deux ronds de flan, l’Ernie effare par son ampleur, il tape une Soul de haut rang, il flirte en permanence avec l’Upper Black, ce que vient confirmer l’étincelant «It’s Party Time Again 2000», il groove et colore sa voix, il est fabuleux d’Hey babe, c’mon down with me, c’est l’implacabilité du Black Power, le beat parfait. Il explose l’«I’ve Been Loving You Too Long», il explose l’Otis au Sénégal, ce démon d’Ernie brûle la Soul par les deux bouts. D’ailleurs tu comprends tout dès le «Who Is The Man» d’ouverture de bal. Ernie est un pro, un vrai boogie man, il tortille son swing à la pointe du beat. Ce fabuleux Soul Brother chante d’une voix d’aptitude au chat perché. Le morceau titre est un heavy r’n’b à tendance funk. Il y va franco de port au when you’re dancing with your woman. C’est extrêmement balèze - C’mon now ! Squeeze it ! - Avec «Who Told You», il tâte encore du heavy r’n’b, il s’éclate au tell me lies, il ne supporte pas les bobards, baby, do you understand. Il rivalise d’ardeur avec Wilson Pickett - Who told you you could use my car ? - Il chauffe «The Entertainer» à la bravado de chat perché. L’Ernie exubère. Il fait les grands albums que n’a pas réussi à faire Little Richard sur le tard. Et puis voilà la cerise sur le gâtö. : «I Remember JT», un hommage à Johnnie Taylor. Lawd ! N’ayons pas peur des grands mots : c’est l’un des hommages du siècle. He was the wailer, lawd ! Et il en rajoute - Yeah everybody knew he was the star on the show/ His real name was Johnnie Taylor, Lawd ! - Dans les pattes d’Ernie, c’est une aubaine, il évoque Marvin Gaye et les Temptations - Sing on my choir ! - Et il termine ce fantastique album avec «Sexy», un groove de Soul. Tu crois rêver. Ce mec t’embarque. Il est l’un des Soul Brothers les plus vindicatifs du XXIe siècle. Son Hey babe en dérapage contrôlé est une merveille.

    Signé : Cazengler, Ernie disquale

    Ernie Johnson. Just In Time. Ronn Records 1984

    Ernie Johnson. It’s Party Time. Paula Records 1993

    Ernie Johnson. In The Mood. Waldoxy Records 1995 

    Ernie Johnson. Hot & Steamy. Waldoxy Records 1998 

    Ernie Johnson. Squeeze It. Phat Sound Records

     

    *

    Tiens, Two Runner a sorti une nouvelle vidéo sur Sweet Harmonies Sessions, Tie your dog, Sally Gall un instrumental dans lequel le fiddle d’Emilie Rose se croit sur les montagnes russes, vous grimpe et vous descend les pentes vertigineuses à vous rendre malade, il court, il court le chien de Sally, il n’est déjà plus ici, il n’est déjà plus là-bas, quant au banjo d’Anderson Paige il galope à la vitesse des pattes du bâtard fou… un morceau oublié du violoniste Will Adams, enregistré en 1953, à cette époque notre africano-américain frisait la soixantaine…

    Sweet Harmonies Sessions vous propose des vidéos enregistrées en pleine nature, dans les grandioses paysages de la Sierra Nevada. Une des activités préférées de Two Runner, mais elles ne sont pas les seules. C’est ainsi que j’ai découvert :

    THE BANDIT QUEEN OF SORROWS

    Bandcamp, You Tube, Instagram, en dehors de ces vaches laitières je n’ai pas trouvé grand-chose sur elle, notamment aucun article dans la presse folk-blues-(alternative)country-blue-grass américaine. Des annonces de concerts oui, question textes : deux  ou trois lignes qui s’entrecroisent et s’entre-copient.

    N'en voulons pas à la terre entière, c’est un peu de sa faute. L’anarchie vissée au corps et à l’âme. Un indice qui ne trompe pas, ces  Roses at my table morceau hommagial à Emma Goldman doivent dégager des senteurs peu appréciées dans l’Amérique trumpiste… Comme par hasard la couve de ce morceau représente le document (face et profil) de l’Identité Judiciaire, prise le 10 septembre 1901 à Chicago… Ne demandez-pas pourquoi notre reine se qualifie de ‘’Bandit’’, un petit côté hors-la-loi (des riches contre les pauvres) sympathique.

    En vrai, mais qu’est-ce la vérité si ce n’est une chose aussi factice que n’importe quelle représentation humaine, elle se nomme : Leslie Fox-Humphreys, ce renard qui pointe si ardemment son museau me paraît suspect. N’emploie-t-elle pas le terme de foxy-blues pour qualifier son style musical. Souvenons-nous que dans les paysages de notre douce France le Renard est inscrit sur la liste des nuisible…

    Elle vient de Bozeman grande ville (50 000 habitants) du Montana, à proximité du Parc de Yellowstone… Un état digne de notre enfance peuplé quasi exclusivement de descendants de cowboys et d’indiens, évidemment l’on préfère les Sioux et les Cheyennes, car ils paraissent davantage habités par l’esprit du renard qu’investis de la manie accaparatrice des civilisateurs.

    Pour ceux qui veulent voir notre renarde d’un peu plus près, il existe une chaîne YT Leslie Fox-Humphreys qui présente quatre vidéo, trois reprises, Spoonfull, Everybody loves my baby, Gloomy Sunday, à la guitare, vieilles de six ou sept ans, rien de bien personnel, il faut bien commencer… et une autre, qui date de quatre ans, déjà beaucoup plus originale, dans laquelle le Renard Bleu se métamorphose en Bandit Queen, harmonica, banjo, percu, et très symptomatique derrière elle un dépôt de vieux wagons… Une compo, sa voix a gagné en maturité. Elle ne s’inspire plus, elle devient elle-même.

    Elle n’a besoin de personne même si elle n’a pas une Harley, elle voyage en van. Elle se suffit à elle-même. Elle est une one-woman-band, elle joue un peu de tout de l’accordéon au violoncelle en passant par le cor…

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    Elle a déjà sorti trois albums, en 2018 : Bobby’s Super Shack (un titre qui plaira à Hervé Loison), en 2019 : Godless Sleep (inspiré par la série Twiglight Zone), en 2021 : The Bandit Queen. Ce n’est pas l’écoute de ces trois opus qui m’a attiré vers elle, mais l’affirmation maintes fois réitérée de se définir comme un deadbeat railroad rambling poet : poëte, vous ne saurez lui accorder le moindre crédit, errant le long des rails. Le train s’inscrit dans la mythologie américaine du blues et du rock ‘n’ roll, à la locomotive et à ses wagons Bandit Queen semble préférer la tristesse des rails qui courent vers l’infini sans jamais se rejoindre. Ce qui importe ce n’est ni le voyage, ni l’aventure, mais les pensées que l’on balade en sa tête en cheminant en solitaire sur ces chemins de traverses que plus personne ne suit. Son dernier album :

    WHERE THE BRAVE RUN FREE

    (CD Bandcamp /Janvier 2023)

    L’artwork de James Clark est assez éloquent pour se passer de commentaire. Il est inutile d’attendre autre chose que la mort. Noir de chez noir. L’on ne va jamais plus loin que sa propre carcasse. Le titre de cet album est un pied de nez à la patriotique devise américaine We run free because the brave qui rappelle le souvenir des braves qui se sont sacrifiés pour que nous puissions être libres… Le disque est dédié aux enfances écorchées, à ceux qui ne font que passer, aux déchirures des crises existentielles, à ces bords de falaises qui vous rendent invulnérables à toutes les balles. L’on ne court librement que vers son propre destin.

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    Hobo yearning : l’on s’attend à tout sauf cela. Elle nous a pourtant prévenus. Elle ne se déclare pas musicienne, ou chanteuse. Non, poëte. Elle récite donc un poème. Est-ce pour elle une façon d’indiquer qu’il faut prêter une plus grande attention au sens des mots qu’à la sonorité des notes. La voix nue, à peine ce cliquètement de criquet perdu dans les herbes, monotonement répétés, afin que l’on entende encore plus le silence. Elle lit, et l’on écoute, juste une voix juste, sans trémolo, sans ostentation, sans effets de glottes. Le hobo, personnage aussi mythique que Bilbo the Hobbit, se remémore - l’on a envie d’écrire se remémort - sa jeunesse, l’a choisi d’être hobo, une vie dure, de bons moments, la jeunesse est passée mais elle n’est pas morte. C’est pour cela qu’elle est encore dangereuse. Boxcar blues : enfin l’harmonica et la guitare, la couleur locale est assurée, rien à redire sur l’orgue à bouche, question guitare c’est assez simple, la loco ne fonce pas, elle se balade tranquillou, non c’est la voix de la Reine des chagrins qui mène le bal, claire et rauque un moment elle caresse l’herbe, de temps en temps elle arrache les cailloux, puis elle hoquette comme un cowboy qui a un whisky étrangleur de trop  dans le gosier, la chanson de l’éternel joueur, de l’éternel perdant, celui qui mise à mort et ne récolte jamais sa mise, ça ne l’empêche pas de croire que la vie est belle. Tant qu’on est envie. Talkin’ I won’t Marry ya blues : attention l’harmo est pointu et grinçant, la guitare roule et gronde, elle chante les deux mains sur les hanches, elle met les points sur les i, elle parle, invective et se moque plus qu’elle ne chante. Elle a déclaré tout ce qu’elle avait à dire, de sa voix vibrante, sur la fin elle laisse la six-cordes jacter pour elle. Ce qu’elle veut, c’est juste sa liberté. Ce n’est pas une revendication féministe, seulement le rappel des règles du jeu. Surtout quand elle ne joue plus. 

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    The rising sun : oui c’est bien la maison du soleil levant, des accords de guitare assez proches de la version originelle, mais l’on s’en fout, l’important c’est cette voix qui mord, qui vous agresse, qui se débat avec elle-même, ne nous la fait pas à la grandiose, à la dramatique, à l’emphatique, à la pathétique, elle cloue les mots dans son propre cercueil,  elle nous donne sa version à elle, avec ses mots à l’emporte-pièce, à l’arrache viscères, sa voix brûle et prend feu, vous n’avez jamais entendu une version si forte, ô quand ses piaulets vous trouent la tête, le pire c’est que vous n’êtes pas près d’en écouter une autre qui l’approcherait. Le blues dans ce qu’il a de plus primal, le country dans ce qu’il a de plus terminal. That’s all folks. Baby’s on the borderline : changement d’ambiance, une espèce de ragtime concassé au ralenti, un kazoo qui se fout de vous et vous tire-bouchonne les amygdales comme une langue de belle-mère, quant à notre Reine, elle joue à la Diva Jazz, elle se prend pour Odessa Harris, sa baby est peut-être cinglée mais elle n’est pas tout à fait square comme disent les ricains, l’est même totalement déjantée. Caroline : après la folie pure, un moment d’accomplissement serein, y a les cordes graves qui ronronnent comme le chat au coin du feu, et les cordes hautes qui n’arrêtent pas de klaxonner et de s’exalter, c’est l’heure du bonheur et du slow qui tue. Et celui-ci il est mortel. La Reine miaule comme une chatte en chaleur. On the hot tin  roof. Imaginez notre Françoise Hardy qui ne saurait plus chanter, et qui se laisserait aller à ses penchants les plus vils en public. Le problème c’est qu’elle n’arriverait jamais aux chevilles de notre reine des sept bonheurs. Feels like sin : ça y va tout doux, six secondes, jusqu’à ce qu’elle ouvre la bouche, si vous avez lu L’Amour fou de Breton dites-vous que c’est de la roupie de sansonnet, ici c’est de l’impudique, déjà sa manière de frapper sa guitare avec cette force, Dylan n’a jamais osé le faire, bien sûr il crache ses quatre vérités, mais il reste dans le domaine du politique, ici pas de filtre, l’intime dans sa plus abjecte nudité, ici rêve, phantasme et réalité se télescopent avec une telle violence que vous n’en ressortirez pas indemnes. Poëte, elle a dit. Même qu’il y a des anges qui passent. Aux ailes cassées.  The loss of my fight : revenons à des sentiments simples, c’est peut-être pour cela que l’on a droit à un simili solo de banjo qui se désagrège un peu trop vite. La jalousie, nous voici en territoire connu, elle griffe, elle mord, elle fait sa comediante et sa tragediante, se retient tout de même, elle tape du marteau sur son banjo et vous prend un de ces tons péremptoires qui vous fait peur, heureusement qu’elle s’adresse à elle-même, sinon on s’enfuirait. Que voulez-vous, l’on ne saurait gagner à tous les coups. Au cœur. That perfect storm : tiens elle sait être douce, elle tire sur son harmonica à la Dylan, bien sûr elle parle un peu trop haut, un peu trop fort, sans quoi on ne l’aurait jamais crue, elle reconnaît ses erreurs, elle essaie de ne pas être injuste, elle se parle surtout à elle-même, il y a longtemps qu’elle a compris que nous sommes la seule personne qui pouvons prêter une oreille à peu près compatissante à ce que nous disons, de temps en temps lorsqu’elle a accumulé trop de déchets elle pousse le bulldozer de son harmonica pour faire place nette. Ce n’est pas un nettoyage idéal, mais ça cautérise un max. A vif. Where the brave run free : non elle ne parle pas, elle joue du violoncelle, après tout ce détour en soi-même, après s’être enivré si longtemps de l’alcool frelaté de sa propre lymphe, il vaut mieux ne pas s’endormir sur ses lauriers fanés, introspection sans concession, ne jamais être dupe, reprendre la métaphore du train et reprendre la route de sa propre existence. C’est que pour arriver à sa mort il faut traverser des kilomètres et des kilomètres de vie.

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    J’ai envie de dire de The bandit Queen of sorrows, de cette fille sortie de nulle part, ce que l’on disait de Dylan à ses débuts, qu’elle joue de travers, qu’elle ne sait pas poser sa voix, z’oui, mais une force, une persuasion, une originalité, une cruauté, une authenticité sans faille. Surtout qu’elle ne change rien. Elle a tout ce dont nous n’avons pas besoin pour continuer à faire semblant de vivre.

    Que nos contemporains s’en aperçoivent assez vite.

    Admirable.

    Damie Chad.

     

    *

    Comme l’assassin qui revient toujours sur les lieux de ses (ce pluriel trahit mon côté serial killer) crimes je cherchais du nouveau, du côté de chez Thumos et de Telesterion, et plouf, le net me signale une vidéo Le Hiérophante, toute allusion à la Grèce Antique étant pour moi sacrée, plof je tombe sur un groupe français. Pourquoi aller chercher si loin, ce que l’on a déjà chez soi, je cours, je vole, je découvre :

    A / ORATOS

    Grec ou latin, j’hésite, certes ce n’est pas du linéaire B, que comprendre : aratos me renvoie aux aratoires travaux des Georgiques de Virgile, et oratos à l’art oratoire cher à Cicéron.  Voire à la prière. Fausses pistes. C’est un jeu de mots, issu du grec, par bonheur il se traduit facilement en notre douce langue françoise, c’est un peu comme si vous écriviez : IN / VISIBLE pour signifier que Visible et Invisible entretiennent d’étroites relations dont il est nécessaire de tenir compte lorsque nous braquons notre regard sur le monde.

    Nous sommes le 18 janvier, or A-ORATOS sort son album le 19 ! Je m’apprête à les maudire jusqu’à la douzième génération, lorsque Bandcamp me propose leur premier ouvrage :

    EPIGNOSIS

    (CD / Mai 2019)

    Aharon : vocals / Wilhehm : lead & rhythm guitars / Tancrède : rhythm guitar / Yoann : bass / Malkut : drums.

    Essayons de faire simple, mais le sujet est complexe. Epignosis signifie Connaissance, mais l’on peut connaître bien des choses, l’on a pris donc l’habitude de le traduire par ‘’ Connaissance totale’’. Entendez cette totalité non pas comme la somme de toutes les choses qui existent et de toutes celles qui n’existent pas, ce serait là un chemin philosophique qui nous mènerait de Protagoras à Hegel, mais pour rester au plus près d’A / ORATOS de toutes les choses visibles que l’on voit et de toutes les choses invisibles que l’on ne voit pas et qui n’en existent pas moins.

    Etymologiquement parlant ‘’epi’’ signifie : autour et ‘’gnosis’’ : connaissance. La lecture d’Aristote nous aide à mieux comprendre : physis signifie les choses que l’on voit, que l’on touche, et metaphysis ces choses qui sont au-delà des choses physiques, on ne peut pas les voir ni les toucher mais on peut les connaître. Comment ? : en étudiant la philosophie. 

    Au troisième siècle de notre ère, alors que déjà les esprits les plus subtils pressentent la disparition prochaine de l’Imperium Romanum, le philosophe Plotin théorise (et pratique) une nouvelle sagesse (sophia), celle pour l’être humain d’un accès direct à la sphère du divin, cet ascenseur qui vous permet d’accéder de plain-pied avec la divinité, cette nouvelle connaissance sera vite surnommée gnose. Le mot ascenseur est employé ici pour que les fans distraits de Led Zeppelin écoutent Stairway to Heaven d’une manière plus élaborée.

    Jusque-là tout est simple. L’Histoire s’en mêle. La montée du christianisme parmi une minorité de la population ( beaucoup d’esclaves, de pauvres, d’intellectuels et une partie des élites dirigeantes) va provoquer de grands affrontements théoriques. Les chrétiens s’emparent du mot gnose et argumentent que la véritable gnose est donc chrétienne puisque la connaissance du Christ vous offre l’accès direct à Dieu que vous rencontrerez après votre mort au paradis… Il existe donc une gnose chrétienne que l’Eglise théorisera.

    Attendre de mourir pour connaître Dieu c’est bien, mais l’homme est un animal pétri d’impatience. Se regrouperont des espèces de confréries qui vont accepter le Christ en tant que figure de la divinité et qui vont un peu barjoter au sujet de la messe. Pas besoin d’un prêtre pour communier, l’on peut communier tous ensemble, l’individu se charge de son propre salut. Boire une bonne rasade de vin de messe ne peut pas faire de mal, pour le pain c’est moins appétissant, symboliquement si le vin remplace le sang pourquoi la chair ne jouerait-elle pas le rôle du pain, que l’on partagera en toute fraternité avec son voisin ou sa voisine. On a beaucoup jasé des orgies de spermes pratiquées par les sectes gnostiques…

    Ces sectes gnostiques firent une sacrée concurrence aux pieuses confréries strictement chrétienne… L’Eglise les combattit. Âprement… Elle gagna le combat. Ce ne fut pas simple. Les gnostiques sentirent très bien où l’Eglise voulait en venir : un seul Dieu, un seul peuple, un seul pouvoir spirituel, un seul pouvoir politique… Au Dieu Unique ils en substituèrent deux, un mauvais qui avait créé les choses que l’on peut voir et toucher, comme le corps de sa voisine, et un bon qui avait créé les choses que l’on ne pouvait ni voir, ni toucher comme l’âme immatérielle prisonnière dans la gangue charnelle de votre corps. Evidemment vous essayez d’aider votre âme à rejoindre le dieu gentil hors de ce bas-monde, mais le dieu mauvais qui commandait votre corps ignominieux il n’était pas facile de s’en abstraire, nul ne saurait vous reprocher vos incessantes et visqueuses retombées dans le stupre… 

    Lorsque Constantin institua le christianisme catholique comme religion d’état, les gnostiques connurent répressions et interdictions. Mais l’Eglise ne s’en tint pas là : durant des siècles elle fit la chasse à tous les textes théoriques gnostiques. Comprendre qu’elle les détruisit. Pendant des siècles l’on ne parla plus des gnostiques…

    La chappe de plomb dura jusqu’en 1945. En Egypte, près de Louxor, tout proche de la localité de Nag Hammadi furent retrouvés plusieurs manuscrits d’anciens textes, apparemment des textes chrétiens, mais lorsqu’on les traduisit il fallut reconnaître que c’étaient surtout des écrits gnostiques qui révélaient des ‘’choses pas très catholiques’’ de la vie du Christ. On se hâta de les parer du mot un peu compliqué de ‘’gnosticisme’’ pour bien les différencier de la vraie gnose chrétienne… Ces textes se retrouvent de nos jours dans toutes les bonnes librairies. Par un curieux hasard nous les évoquerons dans la chronique suivante dans la chronique d’un groupe qui n’a rien à voir avec A / Oratos.

    En 1973 Raymond Abellio, l’auteur de La structure absolue, théorisa en Le dévoilement de l’ésotérisme l’idée que notre époque moderne entamait un nouveau cycle, que le plus grand nombre pouvait désormais entrer en connaissance avec des doctrines ou des savoirs longtemps interdits, longtemps cachés, longtemps véhiculés par des organisations secrètes, occultes, ésotériques… La démarche d’une formation de rock comme A / Oratos qui se revendique en toutes lettres comme un groupe de black metal gnostique participe de cette vision abellienne…

    Enfonçons le clou : dans une ancienne livraison nous présentions Cabala Led Zeppelin Occulte ouvrage de Pacôme Thiellement (pour la petite histoire synchronique rappelons que les Codex de Nag Hammadi ont été retrouvés dans ce qui doit être l’emplacement d’un monastère copte disparu dédié à Saint Pacôme), or actuellement vous pouvez retrouver sur des sites que nous définirions hâtivement plutôt d’extrême-gauche que d’extrême-droite de longs exposés christo-gnostiques sur le personnage du Christ sous la doctrinale houlette de Pacôme Thiellement. Comprendre le concept de dévoilement de l’ésotérisme comme un fait culturel ne suffit pas si on ne l’associe pas à une dimension politico-historiale.

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    The sin offering : belles harmoniques, ici tout n’est que calme luxe et volupté a-t-on envie de réciter, méfions-nous les apparences sont trompeuses, le déluge sonore qui fond sur nous remet les pendules à l’heure originelle. Egyptienne comme il se doit. Nous sommes aux confins du désert biblique et néolithique. Trois mythes se superposent et s’imbriquent les uns dans les autres. Nous semblons très loin de la gnose mais les séquences de plénitude harmoniques sont là pour nous rappeler les belles prairies immortelles de l’âme pacifiée et les typhons phoniques destructeurs nous dévoilent les images mythiques. A l’arrière-plan, le dieu Apis, et sa contrefaçon, le veau d’or hébraïque, souvenons-nous que l’or est la merde l’Eternel, Aaron (frère de Moïse) qui a laissé proliférer cette adoration de la matérialité la plus abjecte, devra offrir en sacrifice le Taureau, la seule offrande qui lavera l’affront du péché originel qui consiste à rejeter l’Eternel pour idolâtrer un autre dieu représentant de notre animalité corporelle. Mais la mise à mort d’Apis – historialement il était-là avant l’Eternel – ne suffit pas, il faut encore délivrer les esprits de leurs souillures, cette azazélie consiste à envoyer au loin dans le désert un bouc symboliquement porteur des souillures pêcheresses du peuple Hébreux… Le morceau est musicalement construit à l’image de la couve du CD, si le serpent du Bien et du Mal sont dissemblables ils sont si entrelacés qu’en quelque sorte ils ne forment plus qu’un. Si au début les parties sereines réduites à une seule guitare sont nettement séparées du tsunami instrumental et vocal qui survient, bientôt vous avez comme des espaces de sérénités qui s’insinuent dans les parties phoniques oragiques, un peu comme les clairières ensoleillées de l’être heideggerien sont disséminées dans la sombre profondeur des forêts de l’absence de l’être. Toutefois la dernière séquence laisse présager que le reptile de l’immatérialité s’est séparé du reptile des gluances matérielles. L’enstase, les harmoniques de l’âme :  Plotin parlait d’extase, cet instant où l’âme humaine accède, monte vers, se hisse, jusqu’à l’état divin. Il existe un autre moyen de connaître cet état : l’enstase, parfois nommée instase, selon laquelle il est inutile de sortir de soi pour accéder au divin, puisqu’une parcelle du divin est déjà au-dedans de nous, il suffit de descendre au plus profond de soi pour entrer en communication avec ce que vulgairement l’on appelle l’âme. Ces moments privilégiés sont très courts, ce deuxième morceau dépasse à peine les deux minutes, l’on y retrouve ces rondeurs rutilantes de guitare emplie de luxe intérieur, de calme ou plutôt d’absence de bruits organiques, et d’une volupté non sexuelle. Faites un effort, non de dieu, pour imaginer cette dernière chose qui vous étonne tant ! Hymne au firmament : sonorités effilées qui se métamorphosent en une cavalcade échevelée, il ne s’agit plus de lésiner, il est nécessaire d’expliciter ce que l’on a présenté si brièvement en le morceau précédent, le chant se transforme en exhortation vocale, mais l’on ne peut se contenter d’un seul aspect de ce qui est innommable, tout est dit, mais selon des registres contrastés, car la tranquillité n’est que la négation de la fureur et le silence la négation du bruit, ce que vous n’entendez pas existe autant que ce que vous entendez. Grandiose vocation du firmament céleste, reflet de la transparence de notre âme, mais si semblable que l’on ne sait plus qui reflète l’autre, puisque les deux sont d’une seule et même nature. Car nous sommes semblables au divin.

             Même si vous êtes imperméables à la pensée gnostique cet EP est un diamant noir qui luit dans la nuit du black metal.

             Nous voici le 19, il est temps d’écouter :

    ECCLESIA GNOSTICA

    (CD / Les Acteurs de l’Ombre / Janvier 2024)

    Aharon et Wilhehm, têtes pensantes du groupe, ont peaufiné durant plus de quatre ans leur deuxième opus, signe d’une démarche intellectuelle et spirituelle des plus authentiques. Ils ont encore fait confiance à Vincent Fouquet pour la couve de l’album. Un artiste qui puise son inspiration en lui-même. Ses œuvres sont à l’image du nom de son site :  Above Chaos. Des visions issues des cauchemars les plus noirs pétries d’une beauté fascinante. Yeux immondes de Gorgone qui vous regardent sans vous voir mais vous entraînent en des abîmes sans fond. Parmi ses inspirations il cite aussi bien Gustave Doré que Philippe Druillet.

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    Cette deuxième couve est différente de la première. Beaucoup plus symbolique. Il convient de la déchiffrer pour la regarder. La première s’offre à vous, par la monumentalité des deux colonnes du Temple et ce gros plan serpentique, si expressif que chacun se sent investi d’un pouvoir d’interprétation hermétiste.

    Les titres des deux albums nous font passer de la notion de Connaissance à celle d’Eglise. Une tendance hégémonique dont il faut se méfier.  Dans une interview donnée à Metal Obs’ Magazine, Wilhelm indique que ‘’la pointe de lance au-dessus l’ossement humain symbolise (…) le rejet de la chair humaine’’. Nous sommes ici loin de la gnose grecque entachée de paganisme, et bien proche d’une vision kabbalistique entée sur le monothéisme élitiste égyptien.

    Aharon : vocals / Wilhehm : lead & rhythm guitars / Léo Dieleman : bass  / Kampen Turbokot : batterie.

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    Le hiérophante : il existe une Official Lyric Video postée en avant-première sur YT que nous vous invitons à regarder : originale, une belle mise en scène de la parole rituellique sacrée, une musique qui du début à la fin fonce droit devant comme si elle tenait à exprimer la grandeur démesurée de l’univers, une espèce de tourbillon, de vent de sable du désert, qui emporte tout sur son passage, l’immuabilité du monde résidant dans la parole sacrée de l’hiérophante qui conte la sagesse du Dieu Eternel, au-dessus de tout. Il ne suffit pas d’écouter, il faut lire aussi les symboles, ne serait-ce que le premier stylisé qui représente le soleil, lui-même présent sous forme de poudre d’or sur le visage du récitant, il récite une généalogie sacrée, celle qui serpente de l’Eternel à Hermès Trismégiste, au pharaon, au prêtre récitant qui n’est que celui qui transmet la parole du premier prêtre hiérophantique. Hormis l’or du soleil beaucoup de noir sur cette vidéo, comprenons que le Dieu Soleil se voit le jour, mais disparaît la nuit. Où est-il ? Est-il mort ? Existe-t-il encore alors que l’on ne le voit plus, et quel est cet espace, ce pays, qu’il traverse durant la nuit. ? Qu’est-ce que ce mystérieux Douât dont il s’extrait chaque matin ? Nous aussi ne devons-nous pas à notre mort explorer cette lande que l’on pressent terrible, dangereuse et infertile.

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    Daath : il existe aussi une Official Lyric Video postée en avant-première sur YT qui reprend avant tout les symboles de la couve du CD : toujours le même entrain musical, la batterie davantage marquée, le sludge du chant est rehaussé de paroles prononcées d’une voix un peu trop blanche à notre goût, est-ce pour marquer la peur de l’impétrant appelé par lui-même à faire le choix ou le non-choix du daath, irrémédiable séphiroth de la connaissance absolue qui équivaut à la mort. Si vous refusez vous mourez tout de même, mais il n’y aura plus d’après, si vous acceptez vous voici projeté dans cette zone noire du Douât qui invisibilise le Soleil et maintenant vous accédez à la connaissance des choses visibles et invisibles, vous voyez le char du Soleil resplendissant glisser dans le Douât et vous comprenez que maintenant vous ne mourrez plus puisque vous êtes vivant. Puisque vous avez atteint le Dieu éternel et que vous partagez son illimitation. Pour votre édification digitale il existe une Official Guitar Playthrough Vidéo où l’on zieute Wilhelm jouer sa partie de guitare du morceau, on ne le voit pas en entier, il joue assis, l’instrument posé sur son giron, l’on jauge surtout son habit blanc d’allure sacerdotale, bordé d’un liseret d’or. Please play very loud.  Deuteros : permettons-nous une pointe de gémellité satanique, peut-être parce que ce troisième morceau encore plus beau et plus fort de les précédents, une structure d’une grande complexité, imaginons une partie d’échecs dont les coups se suivent si rapidement que l’on ne sait plus lequel des deux challengers poussent telle ou telle pièce…Est-ce-un dityrambe ou une mise en garde, Deuter désigne le Démiurge, le deuxième Dieu, celui qui a emprisonné votre âme éthérée dans le cloaque charnel de votre corps. Disciplina arcani : intro foudroyante qui tombe sur vous comme l’aigle sur sa proie, même si bientôt l’instrumentation se désagrège, si la terre se dérobe sous vos pieds, vous entrez en une longue marche difficile, le Dieu suprême l’émanation première n’a pas l’air de faire la moitié du chemin pour venir à votre encontre, c’est à vous de vous coltiner par vos propres moyens la montée de la colline la plus haute. Musicalement parlant l’architecture phonique est sensationnelle, idéologiquement je ne suis pas prêt à souffrir pour manger la part du gâteau que le Dieu Numéro 1 me garde en son frigo, qu’il me l’apporte tout de suite sur un plateau, ou qu’il aille ailleurs, me suis très bien passé de lui jusqu’à présent. Ô roi des éons : quelle introduction grandiloquente, l’est sûr que l’on s’adresse au Roi de Eons, autant dire au fin du fin, à la sommité du sommet, celui qui siège tout en haut des trente dalles d’éternité éonique qui sont comme autant de marches constitutives de sa royauté, qui vous rapprochent de lui, hymne hommagial mais le disciple qui s’approche comprend bientôt que la plénitude du roi est quelque part totalement étrangère à sa nature humaine, que l’on ne touche pas à la flamme de la lumière sans s’y brûler, que l’instant pur est aussi long que l’éternité et qu’il n’est pas encore prêt à franchir le dernier cercle qui semble reculer chaque fois que son incomplétude risque un pas en avant. De la gnose éternelle : la Connaissance ne peut que nous délivrer de nos manquements, il existe une guérison, une panacée qui nous guérit de notre mort éternelle, musique violente, le dernier effort, l’on dit que le mourant connaît quelques heures avant son trépas une espèce de sursaut de vie, mais cette rémission ne serait-elle pas un piège, une dernière succion de la matière pour nous faire accroire que nous sommes de ce côté-ci, pour nous retenir dans notre mort  alors que la gnose éternelle nous apprend que notre partie immortelle se doit de passer, de retourner dans la part éternelle qui nous constitue. Le septième sceau : aux premières notes nous avons l’impression que la musique tonitruante tient avant tout à manifester le Silence qui suit l’ouverture du septième sceau de l’Apocalypse, la musique se change en un super générique de film rempli d’angoisse, avec des instants de solitude où le feu rampe sur l’autel du Seigneur, jusqu’à ce que l’Ange lance le feu exterminateur sur la terre, destinée à la destruction. Le feu n’est-il pas le signe, l’autre face de la glorieuse lumière de l‘Un.

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             Musicalement cet opus de A / Oratos, ravira les âmes (s’ils en ont encore une) des amateurs de Black Metal Mélodique. Sombre, violent, lyrique. De la très belle ouvrage inspirée. Pour ma part je trouve cette gnose éternelle un peu trop proche d’une gnose christique.

    Damie Chad.

     

    *

    Lionel Beyet me signale la parution du numéro 180 de P.O.G.O Records, des disques pour les Pour les Oreilles Grandes Ouvertes. Je jette un coup d’œil sur la pochette, what is it ?. Peut-être que le nom de l’album écrit tout en bas dans le coin droit de la pochette me renseignera, un peu difficile à déchiffre cette espèce de police-graffiti. Je n’en crois pas mes yeux, oh que oui que ça me parle :

    ET IN CACOPHONIA EGO

    6Exhance

    ( Pogo Records / Décembre 2023)

    J’ignore tout de ces gars, mais z’ont un sens de l’humour développé, z’ont calqué le titre de l’album sur l'inscription Ei in Arcadia Ego que déchiffrent les trois bergers du du célèbre tableau de Poussin : Les bergers d'Arcadie.

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    Pour ceux qui ne connaissent pas ce tableau et qui poussés par une stérile curiosité voudraient ne serait-ce que le regarder de plus près sur le net, je les conjure de n’en rien faire. Si vous comptez ne pas suivre mes conseils, enfermez-vous seul à clef dans votre logis, coupez votre téléphone, prévoyez un minimum de trois jours de vivre, et tentez votre chance. Vous vous apprêtez à tirer le fil d’une étrange énigme qui risque de vous emmener loin très loin de vos préoccupations les plus immédiates. Pour vous donner un exemple précis tiré de cette livraison 629, dites-vous qu’il existe des liens très étroits entre le sujet du disque d’A / Oratos chroniqué juste ci-dessus et ce chef-d’œuvre de Poussin. Je n’en dis pas plus, qui cherche trouve. Attention aux implications politiques…

    Passons à des choses plus simples :

    David Jean’s Nokerman : guitar, bass effects / Peter Verdonck : vocal, saxophone / Kjell De Raes : drums.

             Nos trois héros ne sont pas eux-aussi en Arcadie mais en Cacophonie, une indication des plus précises quant à leur genre de musique. Vous le disent par deux fois d’une manière plus détaillée sur l’en-tête de leur FB : Very_math metal versus free jazz et Very math-metal avec influences free jazz.

             Certains blêmissent en lisant le mot math. Inutile d’être un crack en résolutions d’équations pour les écouter. L’expression math  metal a été créée pour signifier que certains groupes de metal utilisent des changements de rythme incessants, bref ne se complaisent pas dans les lignes mélodiques qui coulent comme un long fleuve tranquille, un coup vous êtes sur l’Everest, et cinq secondes après dans la fosse des Philippines. La relation fractionnaire entre mathématique et musique ne date pas d’hier, voici plus de vingt-cinq siècles Pythagore théorisa cette promiscuité entre les deux arts… Durant toute l’Antiquité l’on enseigna la musique en relation avec la mathématique… Je ne me suis jamais autant ennuyé qu’en écoutant Les Variations Goldberg de Bach, composées selon une logique mathématique à toute épreuve.

             Ne cherchez pas une contradiction fondamentale entre ‘’contre’’ et ‘’avec’’, parfois l’on a l’impression de se battre contre un bête, ou avec un ange, dans les deux cas l’on a affaire au même ennemi, qui épouse successivement votre double nature.

    Est-ce du Metal ? Est-ce du Jazz ?  Est-ce du Math ? Est-ce du Free ? Si vous voulez apprendre à voler comme un oiseau, commencez par bazarder votre parachute. Les deux. Le dorsal. Et le ventral. C’est tout simplement de la musique. Essentielle. Non pas parce qu’elle vous procure une grande joie et que vous pensez que vous ne pourrez jamais vivre sans elle. Ce qui est faux. La preuve vous mourrez sans elle. Ce n’est pas moi qui ai décrété qu’elle est essentielle. Ce sont nos trois lascars. L’ont écrit en toutes lettres. Pas de titre ronflant. Juste des verbes. Le minimum vital. Ne désignent pas des choses, désignent juste les actions. Qui permettent d’être. De vivre. De survivre. Dans le moment où l’on est.

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    Nourrir : si vous ne mangez pas, vous crèverez. Il y a une Official Music Vidéo qui vous le prouve. Pas de couleur. Du noir et du blanc. L’essentiel. De la musique. Non. Des musiciens qui jouent. Si personne ne joue vous n’aurez pas de musique. La caméra ne les met pas en scène. Elle filme davantage leurs instruments que ceux qui en jouent. Si, de temps en temps vous les voyez. Pas très longtemps. Jute la position de leurs corps adonnés à leurs instruments. Comme des signes noirs dessinés sur une portée blanche. Ne sont pas ici pour la gloriole. Faut qu’ils nourrissent leurs instruments. Peter file la becquée à son sax. Kjell tape sur ses peaux pour que ça rentre mieux. David gratouille le ventre de sa guitare pour lui chauffer l’estomac. Vital pour eux. Ce qu’ils donnent les instrus le leur rendent, le vomissent au centuple même. Une espèce de 69 – ne s’appellent pas 6Exance par hasard – nutritif. Je sais bien que nous sommes dans la civilisation de l’image, mais il est temps d’écouter. Ce n’est pas du bruit. Une lave bouillonnante. Un magma terrifiant. Non pas parce que ça vous prend les oreilles mais parce que vous percevez chaque instrument en lui-même. Tous ensemble, chacun apporte sa pierre, mais dans le mur édifié vous savez à qui appartient tel ou tel caillou. Ça ressemble à quoi ? A des déchirures constructives. Un peu comme la dérive des continents, ils s’écartent les uns des autres pour mieux former la pangée. Feuler : l’être humain pleure, le tigre feule. Il faut choisir son camp. Celui de la puissance. Avec des hauts et des bas. Des bouleversements. Et des à rebrousse-poil. La guerre est l’art majeur. Le sax sonne la trompette, la batterie massacre, la guitare est moteur d’avion, plaintes, bombardements, agonies, cris, l’homme est un prédateur, un destructeur, Peter hurle comme un barbare, il grogne, il hargne, la musique n’a jamais été faite pour vous rendre heureux mais pour vous pousser dans vos derniers retranchements, elle pousse, elle catapulte, elle détruit vos certitudes, elle est son propre mode opératoire qui s’empare de votre planète égotique et colonise vos sens et votre cerveau. La musique culbute et subjugue. Vous devez vous avouer vaincu. Le tigre qui est en vous a soumis la misérable bébête humaine. Ahaner : après la guerre, le rut. J’ahane comme un âne. Le sax braie, la batterie tape du pied, la guitare remue la queue. Violent et croustillant. Enfourne ta gourme. Vous avez des descentes de gamme comme des descentes d’organe ou de lit. Alarme, la Sirène vagit. Un véritable charivari pousse la charrue, le sax hennit, joue le rôle de l’étalon fou qui galope dans ses tripes. L’amour la guerre c’est du pareil au même. Du pareil à l’autre. Terrible décharge.

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    Sourdre : un verbe rare. Si je vous demandais : vous sourdez souvent ? Une lueur d’égarement flotterait dans votre regard. Mais que vais-je pouvoir lui sortir comme réponse, vous demanderiez-vous ? Preuve que quand on croit ne pas savoir, l’on sait déjà. Chez 6Exance ils sont gentils. Vous ont concocté une Official Music Video pour vous aider à comprendre. Avec même une musique d’accompagnement qui suit et souligne l’action. Pour une fois l’on a l’impression que leur musique peut aussi vouloir dire quelque chose. Je vous recommande le passage où le sax vous prend des airs de trompette de Miles Davis dans Ascenseur pour l’échafaud. Entre nous ce serait plutôt ascenseur vers la folie. Ressemble à quoi ?  Imaginez dans les années cinquante les mises en scènes des Frères Jacques pour présenter leurs chansons, assurez-vous toutefois qu’ils aient auparavant sniffé un rail de quatre kilomètres de cocaïne et ingurgité une trentaine de comprimés lysergiques… pour ceux qui n’aiment guère la chanson française, soyons un chouïa davantage américanpphiles, pensons à l’esthétique débridée des vaudevilles, du blackface et des films muets comiques de Buster Keaton.  Peut-être même à certaines interventions de Bretch dans les usines en grève d’Allemagne. Raconte quoi ? Que chacun se fabrique sa petite histoire : une histoire de cœur, une histoire de vampire, une satire anti-fachiste ? Ce qui est sûr, c’est que ce qui sourd de notre monde, ne sera pas obligatoirement joli-joli. Le free-jazz a toujours porté un regard critique sur les conditions sociétales du monde dans et par lequel il a été et il s’est auto-engendré. Enfin vaut mieux être sourdre et entendre cela.

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    Nosographier : par l’emploi de ce verbe, nos trois jeunes gens veulent-ils insinuer que notre monde serait malade. L’existe aussi une Official Music Video. L’on va finir par croire qu’ils ne font pas de la musique noisique juste pour le plaisir du bruit. Certes vous les voyez jouer. Mais ce n’est pas du tout genre regardez comment on est beau sur scène et comme on joue bien ! D’ailleurs parfois ils n’ont rien dans les mains. Bye-bye l’instru s’est barré. Preuve que ce qui compte ce sont les regards qu’ils portent sur-mêmes. Ne veulent pas être dupes, ni de leur rôle de stars, ni des tortillements de leur public, ni d’eux-mêmes et surtout même pas de leur musique. Non seulement ils font de la musique mais en plus ils se demandent ce que cela veut dire. De quelle maladie de notre monde ils seraient le symptôme. Minauder : quel verbe gentillet mais quelle musique angoissante, une chappe de plomb liquide qui tombe sur vous comme un linceul. Un sax qui glapit, une guitare tronçonneuse, un batterie tonnerre, z’avons oublié qu’ils se prévalaient de la cacophonie, un ouragan d’apocalypse s’en vient trouer vos oreilles. Quelle noire vision de notre monde ! Et des postures que nous adoptons pour tenter d’y survivre. Peroraisonner : à la fin d’une traversée, il faut ne pas oublier  son mot-valise. Demandons à la musique ce qu’elle veut dire. Premièrement que nos trois compagnons ont réussi leur pari, qu’ils ont parfaitement réussi l’accouplement alchimique du math metal et du free jazz. Une masse sonore qui écrase mâtinée d’une échappée indissoluble, d’un débordement intransitif vers on ne sait quoi. Bref, nous pouvons boire le champage. Non ce n’est pas tout à fait la fin. Reste encore à sabrer. Non pas le champagne. A s’auto-sabrer, Ils ont le son. Indubitable. Mais qu’en est-il du sens ? Auraient-ils joué pour ne rien dire ?

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             Nous reste une image, celle de la couve. Elle est de David. Avec un nom de groupe comme 6Exhance et cette paire de ciseaux, vont-ils se mutiler, considèrent-ils leur musique comme une castration. Non ils ne se sont pas privés des bijoux de famille. Se sont juste coupé la tête. A moins que ce ne soit notre monde qui ait perdu la tête et qu’ils considèrent que les efforts des artistes comme eux sont dérisoires. Mais absolument nécessaires puisqu’ils le font.

             Si certains recherchent l’Arcadie d’autres, ils viennent de Belgique, construisent des forteresses sonores de résistance en cacophonia…

    Dans quel monde vivons-nous maintenant si le rock‘n’roll nous demande de réfléchir…

    Damie Chad.