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mourning dawn

  • CHRONIQUES DE POURPRE : KR'TNT ! 661 : GIORGIO GOMELSKY / GRAHAM DAY / WRECKLESS ERIC / RICHARD HAWLEY /DEIMONAS / BLEAK SHORE / MOURNING DAWN / C. I. A. HIPPIE MIND CONTROL /

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 661

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    17 / 10 / 2024

     

     

       GIORGIO GOMELSKY / GRAHAM DAY

    WRECKLESS ERIC / RICHARD HAWLEY /

       DELMONAS / BLEAK SHORE / MOURNING DAWN

    C.I.A. HIPPIE MIND CONTROL

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 661

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Gomelsky fout la gomme

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             Oh pas grand-chose. Juste un mini-book pour l’un de ces movers du shaker dont l’Angleterre eut le secret à l’aube des sixties : Giorgio Gomelsky. On parle de lui depuis soixante ans, sans jamais bien prononcer son nom, et sans jamais savoir exactement ce qu’il fricotait dans toute cette histoire de Rolling Stones et de Crawdaddy. Le book de Francis Dumaurier fait enfin la lumière sur une histoire qu’il faut bien qualifier d’extraordinaire. On commence par découvrir que le book a d’abord été écrit en français, et on sent, à la lecture de cette version, le côté laborieux du travail de traduction du français vers l’anglais, qui n’est jamais recommandé. Pourquoi ? Parce que ça n’est pas la même énergie de la langue. Le français qui s’adresse à l’anglais est trop poli, trop soucieux de se faire comprendre, alors il doit sécuriser ses formulations. Viser le sens avant le swing. Renier la musique de la langue pour favoriser l’efficacité. C’est ce qu’on appelle l’anglais universitaire, l’anglais des interprètes. Il n’empêche que ce book s’avale d’un trait, car c’est avant toute chose l’histoire d’une fabuleuse amitié entre l’auteur et Giorgio Gomelsky.

              Dans les prémices, Dumaurier salue les gens du Camion Blanc chez qui son book est d’abord paru. L’aurait-on lu en français si on l’avait su ? Comme toujours, la réponse est dans la question.

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             Comme son nom l’indique, Dumaurier est un globe-trotter français qui après avoir vu les gros concerts parisiens des early sixties, est allé voir les gros concerts londoniens de la même époque, puis les gros concerts américains un tout petit peu plus tard, y compris Altamont et Woodstock. Puis il a globe-trotté dans les forêts d’Amazonie avant de revenir s’installer à New York et d’y nouer une amitié longue de plusieurs décennies avec devinez qui ? Giorgio Gomelsky, lui aussi globe-trotter d’origine géorgienne (ex-URSS), qui, après avoir crapahuté à Londres et à Paris, a fini par jeter l’ancre à New York.

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    ( RONNIE !)

            Qui présente Dumaurier à Giorgio Gomelsky en 1981 ? Certainement pas Jagger ni cette pomme de terre de Bonobo qui fourre son nez partout. Non, il s’agit de Ronnie Bird, qui, redevenu Ronald Mehu, vit à New York. Dumaurier et Ronnie bossent tous les deux dans la télé d’alors, et comme Ronnie est pote avec Giorgio Gomelsky, alors il fait les présentations. Bien sûr, Dumaurier a été fan du Ronnie Bird de l’âge d’or, un Ronnie Bird qui a fait la première partie des Stones en 1966. On trouve vers la fin du book une petite photo de Ronnie et Giorgio. Ils sont tous les deux extraordinairement bien conservés. Deux superstars. Dumaurier évoque aussi un coffret 5 DVD consacré aux Stones, Just For The Record, dans lequel tout le monde témoigne sur les Stones. Invité à témoigner, Dumaurier se trouve donc sur de DVD 1, entre Ronnie Bird et Anita Pallenberg. Effectivement, Ronnie s’exclame «The news was spreading», et Dumaurier surgit à l’écran, en tant que «fan». Ce DVD 1 est l’occasion de replonger dans l’early Stonesy d’Elmo Williams et de the Ancient Art of Weaving at Edith Grove, dans le Crawdaddy de Richmond et l’arrivée du Loog - Music, image, fashion, sexuality, politics, all on the same level - Eddie Kramer qui traite le Loog de visionnaire, un Loog qui commence par virer Stu du groupe pour le recycler en road manager, et pouf «Come On» de Chucky Chuckah en 1963, puis «I Wanna Be Your Man», puis l’«It’s All Over Now» des Valentinos de Sam Cooke at Chess, puis la mass hysteria & the Stones craze, puis le Teen Age Music International, c’est-à-dire le T.A.M.I. show où les Stones OSENT passer après James Brown, puis Monsieur Klein en 1965 et Eddie Kramer qui remet les pendules à l’heure : «Brian was the real heart & Soul of the Stones», because at the beginning t’avais Brian & Keef, mais le Loog a imposé Mick & Keef, et tout ça monte en neige avec Jimmy Miller et «Jumping Jack Flash», puis le dernier petit tour de Brian dans le Rock’n’Roll Circus et puis la fin des haricots avec la fucking piscine. D’où l’haine des piscines. L’haine mortelle des piscines.

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             Deux périodes très chaudes dans ce mini-book : la période des débuts à Londres, et la période de fin à New York, deux tranches de vie qu’il faut bien qualifier d’explosives. De la même façon que Chris Stamp et Kit Lambert, Giorgio Gomelsky commence par vouloir faire du cinéma à Londres. En 1955, il filme les musiciens de jazz. Puis lui vient l’idée d’importer une machine à café italienne et d’ouvrir une cafétéria dans un pays où on ne boit que du thé : the Olympic Coffee Bar on the King’s Road (celle de Max Décharné), pas très loin de Sloane Square, nous dit Dumaurier. Parmi les clientes de L’Olympic Coffee Bar se trouve naturellement Mary Quant. Puis Giorgio sent venir le vent, comme on dit, et comme il est passionné de blues et de jazz, il organise des concerts. En janvier 1963, il fait jouer le Dave Hunt Rhythm & Blues Band, dont fait partie une petite oie blanche nommée Ray Davies. Puis harcelé par Brian Jones, il fait jouer les early Rolling Stones un mois plus tard au Station Hotel à Richmond. Il n’y a que 3 personnes dans la salle, mais Giorgio demande au early Stones de jouer quand même. Et hop, c’est parti ! Grâce à qui ? Au kiki Gomelsky. Il baptise l’endroit Crawdaddy Club, inspiré par le «Doing The Crawdaddy» de Bo Diddley que reprennent les early Stones sur scène. Il passe des petits encarts dans la presse, avec des formules du genre : «The craziest new Rhythm & Blues sound of the unparralleled Rollin’ Stones.» En plus des Rolling Stones, Giorgio programme les Paramounts (futurs Procol), les Moody Blues, les Muleskinners dont fait partie le futur Small Faces Ian McLagan, les Animals et Steampacket, avec Rod the Mod ET Long John Baldry. Grâce à leurs deux concerts par semaine au Crawdaddy et ceux du weekend à Eel Pie Island, Twinkenham, les early Stones décollent comme l’hydravion géant d’Howard Hughes. Puis Giorgio lance le national Jazz Festival à Richmond et commence à programmer des cracks comme Mose Allison, Jimmy Witherspoon et Memphis Slim, et puis tous ces artistes anglais inimaginables du calibre de Georgie Fame & The Blue Flames, the Graham Bond ORGANization, Manfred Mann et Long John Baldry. N’en jetez plus !

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             Giorgio est donc de facto manager des Rolling Stones : il les a lancés, il les soutient et les booke. Mais le ciel va s’assombrir pour le pauvre Giorgio. Pendant qu’il se rend aux funérailles de son père en Suisse, Brian Jones confie le destin des Stones au jeune Andrew Loog Oldham, un Loog qui a les dents longues et qui a déjà du métier, car il a bossé comme agent de Presse pour Brian Epstein et les Beatles, et comme arpète pour Mary Quant. À son retour, Giorgio est choqué. Il faisait confiance à Brian Jones. Il est possible que sans Giorgio, les Stones n’auraient jamais décollé. C’est en tous les cas ce qu’on est tous tentés de penser.

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             Giorgio repart de plus belle au Crawdaddy avec les Yardbirds. Dumaurier qui est prodigieusement documenté rappelle qu’avant d’intégrer les Yardbirds, Clapton avait joué en duo avec Dave Brock. Giorgio prend le destin des Yardbirds en main et les produit. Il chante même sur «Still I’m Sad». Jeff Beck qui a remplacé Clapton ramène toute la modernité du monde dans le groupe. C’est Giorgio qui leur invente le terme ‘rave-up’. En 1965, il emmène le groupe en tournée aux États-Unis et il conduit la bagnole comme un dingue à travers les plaines. Jeff Beck le traite de «mad Russian». Comme ils sont de passage à Memphis, Giorgio a l’idée d’enregistrer chez Uncle Sam. L’anecdote vaut le détour. Même si tout le monde la connaît, Francis Dumaurier nous la ressert sur un plateau d’argent : quand ils se garent devant le Sun studio, c’est fermé. Uncle Sam est parti à la pêche. Giorgio et son gang de Yardbirds décident d’attendre son retour. Quand il arrive vers minuit avec ses cannes à pêche, Uncle Sam n’a pas trop envie de bosser avec ces Anglais, alors Giorgio lui propose 600  $. Okay. Ils enregistrent «You’re A Better Man Than I» et «Train Kept A Rollin». Fin de session à 7  h du mat. Voilà l’un des beaux épisodes de la légende du rock. La lune de miel avec les Yardbirds ne va pas durer très longtemps. Jeff Beck quitte le groupe, remplacé par Jimmy Page, et leur manager Simon Napier-Bell suggère que Giorgio dégage pour être remplacé par Peter Grant. Tout le monde connaît la suite de l’histoire, Led Zep et tout le bataclan. Giorgio se retrouve une fois de plus le bec dans l’eau.

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             C’est en 1966 qu’il monte Marmalade Records. Dumaurier raconte qu’ils sont 8 à bosser à plein temps chez Marmalade et qu’ils font la fête toute la nuit. Au roster du label et de Paragon, l’agence de relations publiques attenante, on trouve des gens comme John McLaughin, Julie Driscoll, Brian Auger & The Trinity, les Blossom Toes, Graham Gouldman, les futurs 10cc et les Danois de Savage Rose. L’un des singles magiques de Marmalade est «This Wheel’s On Fire» de Julie Driscoll. Bizarrement, Dumaurier oublie de citer Gary Farr et son album cultissime, Take Something With You. Marmalade va se casser la gueule en 1969, ce qui n’empêchera pas Giorgio de remonter Utopia Records à New York dans les mid-seventies.

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             Puis il reprend tout à zéro lorsqu’il s’installe à Paris. Dumaurier rappelle que Daevid Allen faisait partie de Soft Machine et qu’au retour d’une tournée en France, Allen se vit interdire l’entrée sur le territoire britannique. Alors il est resté en France et a monté Gong, que manage Giorgio, dès 1969. Il leur négocie un contrat sur BYG et c’est parti. Giorgio recrée de la légende, un autre genre de légende, mais de la légende quand même. Puis il manage Magma. Il dit même que Magma est son groupe préféré. Il bosse aussi avec Henry Cow, et des groupes kraut comme Can et Amon Düül. Il file aussi nous dit Dumaurier un coup de main sur la prod du cultissime 666 d’Aphrodite’s Child. Giorgio aime bien les gros cultes. 

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    (Photo : Bob Gruen)

             Quand il s’installe à New York en 1977, RCA finance son nouveau projet, Utopia Records : il voit ça comme le «quartier général d’un underground culturel international». Il s’installe au 21 West 16th Street et vit de la rente que lui verse RCA. Il traîne dans les clubs, notamment le CBGB et Max’s Kansas City. Puis il s’installe au 140 West 24th Street et y ouvre The Zu Club.

             — Zêtes zutiste, Giorgio ?

             — Voui, Zazie !

             Dumaurier corrige le tir en précisant que le Zu vient de l’Égypte ancienne et non de l’un des fameux dîners des ‘vilains bonhommes’ du Quartier Latin. Giorgio fait venir Gong à New York et les rebaptise New York Gong, mais ça ne marche pas. En 1979, il fait monter une vingtaine de freaks à bord d’un vieux school bus pour une tournée de trois mois, mais ça plante. Le public du Midwest ne veut pas de Gong.

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             Et voilà l’essentiel : l’éthique de Giorgio Gomelsky - Je hais le music business et le film business. Je hais toute forme de business qui touche à l’art. Pour moi, c’est du mauvais business. Ces gens-là ne font pas les choses comme il faut. J’ai toujours poussé les artistes à créer leur propre business. Ils sont ainsi propriétaires de leur œuvre, et vous partagez les profits avec eux. C’est une façon de préserver l’authenticité de l’art - Giorgio qui est un homme étonnamment moderne pour son temps se passionne pour les personal computers qui en sont à leurs balbutiements. C’est pour ça qu’on tombe sur la photo d’un Commodore Amiga 1000 de 1985. C’est aussi juste avant Internet. En plus de tout ça, il filme pas mal de gens et rassemble des archives pour une éventuelle encyclopédie du rock, mais quand il casse sa pipe en bois, les archives disparaissent. Dumaurier parle ici de «best-kept secret of his generation.»

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             Et vers la fin du book, Dumaurier donne la parole à des amis de Giorgio, et là ça devient  carrément explosif. Bob Gruen raconte qu’il a rencontré Giorgio au bar du Tramps, le fameux club de la 15e rue. David Johansen et Bob deviennent potes avec lui. Un Giorgio qui ne parle jamais de son passé, mais plutôt de l’avenir. Gruen finit par découvrir que Giorgio a été pote avec Gainsbarre et c’est Gainsbarre qui l’a connecté sur Londres. Gruen évoque surtout le loft que Giorgio habitait au 140 West 24th Street, baptisé The Red Door, et dont les deuxième et troisième étages étaient aménagés en studios. Il vivait au quatrième. Il avait transformé le rez-de-chaussée en salle de spectacle, pour toutes sortes de manifestations, aussi bien des meetings politiques que des pièces de théâtre d’avant-garde, des lectures de poésie, des concerts et des fêtes.

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             Puis Jesse Malin prend la suite. Il raconte qu’il fut invité à une fête chez Giorgio. Parmi les autres invités se trouvaient David Johansen et Richard Hell, que Giorgio surnommait ‘Ricardo Inferno’. La fête s’appelait Bastille Day party et Giorgio fit une énorme soupe pour tout le monde. Il proposa aussi à Jesse Malin de répéter chez lui, et a encouragé le groupe à bosser. Ils vont devenir D Generation. Jesse termine en déclarant que sans la générosité et les conseils de Giorgio, il ne serait pas l’homme qu’il est devenu. Et il ajoute, que Giorgio était «a rare gem of a human being whose spirit will always remain with me.» Plus loin, Amy Madden dit que le cassage de pipe de Giorgio a eu pour elle le même retentissement que celui de John Lennon. Et elle balance un extraordinaire paragraphe laudateur qu’on ne peut pas s’empêcher de citer - He was a musical activist, Giorgio. A catalyst. And yet he was solid. He was history; he bridged musical generations and genres. He had vision. He changed me. De penser à lui maintenant me donne envie d’attraper ma guitare et de créer, parce que c’est le seul moyen d’honorer sa mémoire.

             Puis Raul Gonzalez raconte que Giorgio avait flashé sur son groupe Barra Libre. Alors il a invité Raul et ses amis au quatrième étage pour papoter. Il les a pris en charge et leur a conseillé par exemple de porter des costumes aztèques sur scène, conseil qu’ils n’ont évidemment pas suivi. Il leur conseillait aussi d’écouter Captain Beefheart.  

             Giorgio finit donc sa vie en organisant des fêtes au Red Door. Mais le toit est crevé et l’eau rentre au quatrième, là où il vit. On lui demande d’évacuer les lieux et il résiste tant qu’il peut. Des tas de groupes viennent répéter dans son studio, qu’il loue pour une bouchée de pain. Quand il quitte les lieux, c’est pour aller casser sa pipe en bois dans un mouroir. Le Red Door au 140 West 24th Street est aussitôt rasé par la municipalité. On ne reconstruit pas un temple sur les ruines du temple, comme ce fut l’usage dans l’Antiquité, mais un hôtel. 

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             Ah il faut lire l’interview de Giorgio par le Chesterfield King Greg Prevost dans un Ugly Things de 2017, franchement, ça vaut le détour. Prevost finit à l’époque son Rolling Stones Gear book et il entre en contact avec Giorgio par téléphone. Il lui demande juste des infos sur le Crawdaddy - My club was a room I rented at the back of a pub - Comme il n’avait pas de licence, on ne pouvait pas y boire. Deux sets de 45 minutes et tout le monde au bar du pub entre les deux sets, et à 10 h 30, tout le monde dehors, public et matos. Puis il part directement sur Brian - Brian, yeah, it was his band - Côté gear, Giorgio ne se souvient que du Vox AC-30 et il baratine sur Vox et les amplis qui doivent monter en puissance à cause des gros concerts. Il revient aussi sur l’anecdote des trois personnes au premier concerts des Stones au Crawdaddy, il se souvient des noms : Mike Jeffery (futur manager de Jimi Hendrix), Paul Williams (futur chanteur de Juicy Lucy) et un mec qui allait devenir agent. Puis il revient sur les funérailles de son père en Suisse. Il devait y rester une semaine et il y est resté un mois. Qui va à la chasse perd sa place et le Loog est entré dans la bergerie - Brian pensait qu’Andy allait être idéal pour eux, ce qui d’une certaine façon le fut, mais ne le fut pas vraiment, en tous les cas, pas pour Brian. Ça a permis à Mick de manager les Stones. Mick Jagger est bon manager, dirons-nous - Il ajoute «qu’il a perdu un peu de son enthousiasme pour eux, via cette façon de le laisser tomber, mais c’était le business.» Et il reconnaît que c’était un peu de sa faute. Il aurait dû rentrer plus tôt. Alors il est passé aux Yardbirds.    

    Signé : Cazengler, gommeux

    François Dumaurier. Giorgio Gomelsky For Your Love. Supernova Books 2023

    Rolling Stones - Just For The Record. DVD 2003

    Greg Prevost : Key Crawdaddy!. Ugly Things # 45 - Summer/Fall 2017

     

     

    L’avenir du rock

    - Le jour de Graham Day viendra

    (Part Four)

     

             Ça doit bien faire la quatrième fois que l’avenir du rock retourne sur la plage du D-Day pour tenter d’expliquer au Général Mitchoum qu’un nouveau D-Day a remplacé le vieux D-Day. Depuis le 6 juin 1944, Mitchoum est planqué derrière son bloc en béton à attendre les renforts. Ça ne s’arrange pas avec le temps. Il s’est fait un collier avec ses dents, des étoiles de mer se sont incrustées dans la rouille de son casque, des filets pendent de sa vieille trogne, on ne sait pas si c’est de la morve ou de la bave, et il grouille de puces de mer. Au moins, l’avantage, c’est qu’il ne se gratte pas. De temps en temps, il en croque une en pestant contre les fooking boches. Soudain, il sort son colt, passe prudemment la tête par-dessus le bloc de béton et tire vers le blockhaus juste au-dessus. Clic ! Clic ! Clic !

             — Vous n’avez plus de munitions, Général... Et les Allemands sont partis depuis longtemps....

             Comme frappé de commotion, Mitchoum se retourne vers l’avenir du rock, le plaque au sol, s’assoit sur lui et commence à l’étrangler.

             — Fooking traître ! 

             — Argghhhhhhhhhhhhhhh !

             — Fooking nazi !

             Il lui serre le kiki de plus en plus fort. L’avenir du rock se débat comme une pucelle, mais l’autre fou est assis sur lui. C’est foutu. Mitchoum hurle comme un démon :

             — Fooking piece of shiiiiiiiiiiit !

             Bong !

             Un ballon de plage vient de frapper de casque de Mitchoum. Il se lève, hagard, voit les mômes et leur court après.

             — Fooking nazis !

     

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             Pas toujours facile de célébrer le D-Day. C’est parfois risqué. Mais l’avenir du rock y tient beaucoup. Et s’il ne célèbre pas le D-Day, qui le fera ?

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             Le nouvel album de Graham Day & The Gaolers (qu’il ne faut pas confondre avec les Goalers) s’appelle Reflections In The Glass. Sans doute l’un des meilleurs albums gaga de l’histoire du garage britannique. Six coups de génie sur douze cuts, c’est d’une densité très rare. Ça démarre en trombe de big tatapoum avec «Mystery Man». Graham Day ne mégote pas sur le beat à l’air. Il est l’un des derniers avec Len Price 3 à savoir réinjecter dans ses cuts le power Whoish. Puisqu’on en parlait, le voilà : «Narrow Mind», pur power Whoish, Dan Electro bat comme Keith Moon, ça pétarade dans la pétaudière, et Graham Day n’en finit plus de bourrer sa dinde. Il ne sait faire que ça. Il n’a fait que ça toute sa vie, depuis les Prisoners. Et ça repart de plus belle avec «A Rose Thorn» (Sticking In Your Mind’s Eye)», c’est encore du full up, de l’all over, Graham Day chante par-dessus les toits de Medway, c’est puissant, bardé d’orgue et d’harmonies vocales. Il boucle cet effarant balda avec «I Will Let You Down», du big bang ptooff d’excelsior catégorique. Difficile de qualifier ça autrement. Pure clameur de revienzy. Tu crois qu’il vont se calmer ? C’est dans tes rêves. Ils bombardent la B dès «My Body Tells Me The Truth». C’est d’une puissance tout de même assez rare. Graham Day charge sa barcasse au max du mix. Il bourre le mou de ses rules dans «Different Rules» et y claque comme par hasard un wild killer solo flash. Il a gardé tous ses réflexes intacts. Power ! Tout est là. «Don’t Hide Away» est plein comme un œuf. Il termine avec «Filtered Face» et bascule en plein dans l’âge d’or des Creation. Il grimpe au sommet du lard, il tape son Face au grand battage, c’est du rock d’air pur, un sommet du genre.

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             En octobre dernier, Andy Morten lâchait un scoop dans Shindig! : les Prisoners s’étaient reformés pour enregistrer un nouvel album. Morten attaque son scoop en indiquant que les mots «The Prisoners» et «In the studio» n’avaient aucune chance d’apparaître dans la même phrase. Mais après trois concerts de reformation à Rochester, ils ont décidé de mettre tous ces mots dans la même phrase. Morten nous montre même des photos de Graham Day, Allan Crockford, James Taylor et Johnny Symons en studio. Graham Day n’y va pas de main morte : «For the last 35 years I’ve seen the Prisoners as a millstone around my neck, but that night it felt like the old days. It was fun, fresh and emotional». Il parle bien sûr des reunion gigs. Pour enregistrer, les Prisoners sont allés à Abbey Road. Allan dit que ce fut intense : «14 live backing tracks in eight hours».  

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             Le résultat s’appelle Morning Star. Allez, on va dire 8 hits sur 14 cuts. Wham bam dès «This Road Is Too Long», un stomp à l’ancienne. Puis ils renouent avec cet universalisme pop qui constituait leur fonds de commerce et wham bam à nouveau avec «My Wife». C’est une pop de portée interstellaire, ils abandonnent le gaga pour aller sur la pop d’ambition parégorique. Ils saturent de son leur «Something Better» et ils reprennent leur courage à deux mains pour «Break This Chain». Ils profitent de l’occasion pour se couronner rois du British Beat, «Break This Chain» sonne comme un classique sixties et le bassmatic du démon Crockford rôde derrière les harmonies vocales. Ils terminent cet album superbe avec une quadruplette de Belleville, «Winter In June», «Go To Him», «Beauty Hides The Truth» et «Hold Tight». Le «Winter In June» sonne comme de la grosse pop d’attaque frontale, la vieille spécialité de Graham Day, le roi du Hey hey hey. Pure folie pop encore avec «Go To Him», et le Beauty explose en solace d’excelsior, Graham Day chante au vibré de glotte, emporté par le flux du flow. Avec «Hold Tight» ils tapent dans l’hard groove à la Spencer Davis Group. James Taylor is on fire. Il fait du Jimmy Smith. Les dynamiques des Prisoners restent infernales, ça bat sec, c’est sûr, mais c’est Allan the Crock qui pulse la dynamite dans le cul du culte. Les Prisoners malaxent d’énormes pâtés de pâté de foi, ils jouent le rock anglais le plus soulful, le plus noyé d’orgue, le plus chanté, avec un Graham Day ivre de génie vocal et composital. Les Prisoners sont la suite des Small Faces.

    Signé : Cazengler, Graham Dette

    Prisoners. Morning Star. Own-Up 2024

    Graham Day & The Gaolers. Reflections In The Glass. Damaged Goods Recors 2023

    Andy Morten : A dream has come. Shindig! # 144 - October 2023

     

     

    Eric et rac

     (Part Two)

     

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             Dans un vieil Ugly Things, Phil Milstein et Frank Van Der Elzen repassent au peigne fin toute la discographie à roulettes de l’Eric et rac, le Tintin de la pop anglaise. Ils commencent par éplucher les trois premiers albums Stiff. Ils se mettent d’accord pour dire que sa force principale est d’être un songwriter. L’allégation est à prendre au sérieux, car c’est très vrai.

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             Malgré sa pochette dynamique et sa Rickenbacker, le premier album sans titre de l’Eric et rac ne vole pas haut, c’est-à-dire que ça reste du Stiff sound, du petit pub-rock sans aucune incidence sur l’avenir du genre humain. Dommage qu’il force sa voix sur ce «Telephoning Home» qui flirte un peu avec la Stonesy. Dès qu’il ne cherche plus à plaire, ça devient intéressant («Grown Ups»), mais globalement, tu ne comprends pas pourquoi on a fait tout un plat de cet album à l’époque. Il est grand temps de le revendre.

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             Puis les deux Uglys tombent à bras raccourcis sur le deuxième album, The Wonderful World Of Wreckless Eric, «massacré», disent-ils, par Pete Solley, qui tente de commercialiser l’Eric et rac. Peine perdue, car l’Eric et rac renoue avec son petit travers : il force un peu trop cette voix qu’il n’a pas, et puis on retrouve ce Stiff sound qui vieillit atrocement mal («Roll Over Rock-Ola»). C’est comme si t’essayais de réécouter Nick Lowe aujourd’hui : impossible. L’Eric et rac force encore sa voix sur «I Wish It Would Rain» et trousse son «Let’s Go To The Pictures» à la hussarde de la new wave. On sauve juste un cut : la cover du «Crying Waiting Hoping» de Buddy Holly. Là oui. Mille fois oui.

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             Et puis, l’Eric et rac fait ses adieux à Stiff avec Big Smash. Le compte est bon. La coupe est pleine. Il n’aime pas la pochette. Ni la promo. Par contre, tu y trouves de la viande. Notamment  «Broken Doll» (enfin une compo solide, ce qu’on appelle une chanson), et «Hit + Miss Judy» (très Buddy Holly, l’Eric et rac t’emmène à la fête foraine, avec des échos d’Augie Meyers dans le son, l’effet est ravissant). Finalement, ce double album est très tonique. Dommage qu’il force sa voix sur «Veronica» et «Semaphore Signals». Il raconte qu’il n’arrive pas à dormir dans «Strange Towns» et on s’en fout. Pete Gosling fait des étincelles de poux dans «Break My Mind», il faut dire que l’Etic et rac est extrêmement bien accompagné. Son très anglais, très soigné. On retrouve des échos d’Augie Meyers dans «Can I See Your Hero» et «Back In My Hometown» sonne très Dave Edmunds.

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             Les trois albums clés de l’Eric et rac sont épluchés dans le Part One (Captains Of Industry et les deux Len Bright Combo). Les Uglys en font une page entière. L’Ugly Elzen dit qu’à la réécoute, le Captains Of  Industry est bien meilleur qu’il n’y paraît. Il dit qu’il y a de belles tentatives, mais pas de quoi appeler les pompiers, ce qui veut bien dire ce que ça veut dire. Par contre, l’Ugly Elzen bascule dans le dithyrambe échevelé avec le premier Len Bright Combo - Seeing the Len Bright Combo in novembre 1986 made me an Eric fan for life - Méchant veinard ! Le Combo était de tous les combos le Combo à voir sur scène. Il les a vus à Nijmegen, en Hollande - The band proceeded to deliver a set that was on fire - On veut bien le croire, l’Elzen. Et il ajoute que l’album sonne comme ce show. Milstein salue ensuite le Combo Time et son «heartening esprit de corps».   

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             Le Beat Group Électrique sort sur New Rose Records en 1989. Petit conseil d’ami : laisse tomber le New Rose et chope la red sur Fire. Pourquoi ? Parce que Fire fait merveilleusement bien les choses, indépendamment du remastering. Tu vas trouver un petit booklet dans lequel l’Eric raconte ses souvenirs. Ce petit mec est un fabuleux désinvolte. Il écrit tellement bien qu’à la limite, le booklet a plus d’intérêt que l’album. Il faut bien admettre que Le Beat Group Électrique n’est pas l’album du siècle, même si «Tell Me I’m Not The Only One» sent bon la Beatlemania. L’Eric donne tous les détails de l’enregistrement in a one-bedroom flat in Shepherds Bush - 165B Uxbridge Road, London W12 - avec André Barreau on bass et l’Américain Catfish Truton au beurre. Après la fin du Len Bright Combo, l’Eric s’est tapé une petite déprime d’un an - I was sober, but I was losing my mind - Il fréquente le même asylum que Vivian Stanshall, et comme des tas de médecins viennent le voir, il réalise qu’il est célèbre. Il rencontre André Barreau et ça clique aussi sec car André connaît lui aussi la B-side du «Somewhere» de PJ Proby. Comme il va le faire avec tous ses autres disks, l’Eric vante les mérites de l’artisanat. Il donne tous les détails et c’est passionnant. Ils enregistrent dans sa piaule mais ne jouent pas trop fort pour ne pas ennuyer les voisins. L’Eric se branche sur un 15 watts et Catfish bat sur une caisse en carton avec un tambourin à l’intérieur. À force d’artisanat, l’Eirc invente un nouveau genre, an electric skiffle beat music hybrid, ils font du lo-fi avant l’heure - I’d always wanted to make homemade records - Ils boivent du thé et enregistrent live, 3 ou 4 cuts a day, two or three versions, and keep the best one. Tout sur un quatre pistes : bass on track one, guitar et cardboard on track two, voix on track three et les overdubs on track four. L’Eric est fier du résultat - up-close, eccentric and deeply personal - Puis il est viré du flat et part s’installer en France, chez sa girlfriend qui a une dilapited farmhouse à la campagne, près de Chartres - I moved in there with two guitars, a fifteen-watt amp, a suitcase of clothes, and a Penguin phrasebook - Il propose l’album à New Rose qui ne l’écoute même pas. L’Eric repart avec un chèque - I don’t think the people who ran New Rose liked music. They should have been stamp collectors - Puis il achète une 404 pour partir en tournée, mais les ingés-son des salles ne pigent rien au trio. Sur l’album, on se régale de «Your Sweet Big Thing» gratté au boogie d’acou. Très Dave Edmunds dans l’esprit. «Depression» sonne comme une bossa nova dépressive. Joli son foutraque. C’est dans l’esprit d’Alex Chilton. Il est bien gentil l’Eric, mais il n’a pas de hits. Il essaye de forcer le passage de «Sarah» à coups d’exubérance, c’est à la fois laborieux et enjoué, mais surtout complètement foutraque. Il ressort tout le barda de la bohème dans «Sun Is Pouring Down» et en fait exploser la fin. On comprend que les voisins se soient énervés.    

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             The Donovan Of Trash est une toute autre histoire. Wow, quel album ! Pareil, chope la red sur Fire. L’Eric vit alors dans une ferme, à la sortie d’un village de 150 habitants. Comme c’est un étranger, il est mal vu par les culs terreux. Il est très isolé, alors il écrit des chansons. L’hiver ça caille trop. Il enregistre «It Makes You Happy» avec des mecs pas très bons, dit-il, un bassman mexicain et un batteur rouennais. Grosse attaque à la casserole de fer blanc et chant à la Ziggy. Tout est soûlé jusqu’à la nausée, il te noie ça de folie pure, comme s’il se croyait seul au monde. Puis son pote et ex-Len Bright Combo Bruce Brand vient lui rendre visite, en compagnie de sa girlfriend Holly Golightly. Elle reste assise et s’emmerde comme un rat mort pendant que l’Eric et son pote Bruce enregistrent «Paris In June». C’est tout de suite d’équerre et ça swingue ! Ils parviennent à swinguer cette pop âcre et provinciale. Puis l’Eric va s’installer dans un autre village, à Laons, dans une baraque pourrie - No heating, no isolation, no hot water, dangerous wiring - Il s’achète deux poêles à bois et y reste 7 ans. André Barreau et Catfish Truton arrivent d’Angleterre et ils enregistrent ensemble des sacrés cuts, à commencer par «Joe Meek», hommage suprême, puis «The Nerd/Turkey Song», heavy stomp de rêve. André Barreau joue le lead guitar sur «The Consolation Prize», le cut de la misère noire. Puis le pote Martin Stone qui vit à Paris déboule avec son groupe Almost Presley. Ils enregistrent «Harry’s Flat» et ça swingue ! Puis Martin ajoute de la fuzz sur «The Nerd/Turkey Son». C’est Wild Billy Childish qui propose de sortir l’album sur son label Hangman. Ça sort aussi aux États-Unis sur Sympathy For The Record Industry. Si les musiciens américains figurant sur la pochette ont des seaux sur la tête, c’est parce qu’ils sont célèbres et sous contrat. Donc ils doivent rester anonymes. Et bien sûr, l’album ne se vend pas - The album came out and took an awfully long time to sell not a lot of copies - L’Eric commence à se décourager pour de bon, mais il rencontre Greg Cartwright de Reigning Sound qui lui dit que The Donovan Of Trash is one of his favourite albums of all time. Ah il faut écouter le final explosif de «Semi-Porno Statuette» ! 

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             L’Elzen salue bien bas le Karaoke paru en 1997, notamment «Sign Of The Chicken», «that is equal parts ‘Sister Ray’ and ? Mark & The Mysterians. The modulated vocals and silly bridge could have been master-minded by Joe Meek.» Il a raison, l’Elzen, l’Eric et rac s’amuse avec son Sister Ray campagnard, il sait créer de l’attente, ça ne manque pas de démesure. Avec «The Laurel Tree», il fait son Syd. Enfin ! Il y va au petit cockney devenu vieux. Le ton de cette moitié d’album est plutôt libre, il raconte des histoires de Medway Towns dans «Denim In Face», et dans «Bunnyhungers», tu as des sons incongrus qui flirtent divinement avec Dada. Saluons aussi «Big Wheels Don’t Wear Cheap Suits Shirt And Golfing Jacket» : ah on peut dire qu’il sait farfouiller dans ses machines et claquer le beignet des idées. Toujours avec du son et avec du style. Et il te couronne tout ça d’un final éblouissant. Il termine cette moitié d’album attachant avec «Gasoline», en mode big pop, avec des machines. Il est marrant l’Eric et rac, car complètement dépassé par ses machines.

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             Sur Almost A Jubilee (25 years At The BBC With Caps), on entend le groupe qui a accompagna l’Eric et rac à une époque : Ian Dury au beurre, sa poule Denise Roulette on bass et Davey Brown from the Blockheads on sax. Ils attaquent bien sûr avec le Whole Wide Word. C’est rudement bien en pace. Denise Roulette roule bien sa pool sur «Semaphore Signals» et on voit que «Reconnez Cherie» est bien pompé sur «Save The Last Dance For Me». Le problème, c’est que l’Eric et rac fait son Max la menace, et le pire, c’est qu’à l’époque t’as des gens qu’ont trouvé ça bien. Il faut attendre The Len Bright Combo sur Radio 1 pour enfin sauter en l’air. L’Eric rédige les liners, et ça vaut le déplacement - We were arrogant, dysfunctional, often hilarious and we didn’t really give a damn - Ça prend tout à coup du volume, énormément de volume, avec «You’re Gonna Screw My Head Off» - The eighties were the first decade of rock carreerism - we didn’t fit in - Ils ont la rage au ventre et le diable au corps avec «The House Burned Down» et «Comedy Time». Ils défoncent encore la rondelle des annales avec «Selina Throught The Windshield» : apocalyptique de power ! Forcément, les sessions suivantes sont moins parlantes. On recroise le fameux «Sign Of The Chicken», bien foutu, bien hypno, bien crédible, et il boucle avec «Joe Meek». Ah cette façon qu’il a de prononcer «Joe Meek». Il le roule dans sa bouche. Il mythifie le mythe.

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             Pas de booklet pour Bungalow Hi, un Southern Domestic de 2004. Dommage. On a juste le casting, avec notamment André Barreau, fidèle au poste. Trois coups de génie sur l’album, à commencer par «33s + 45s», qu’il gratte au plus profond du groove de Southern Domestic. Il ramène des accords de Marc Bolan dans son petit délire, c’est assez crapuleux et ça monte bien au cerveau. Il jongle avec Chess et Stax, this is my life, il te traîne ça en longueur et c’est balèze - Oh thirty threes and forty fives ! - Et ça vire hypno. L’Elzen qualifie «Same» et «33s + 45s» de Goulden classics. L’Eric et rac passe au heavy dub avec «The Sound Of Your Living Room (Part 1)» et ramène une trompette dans sa soupe au chou. C’est très free dans l’esprit et ça devient spectaculairement bon. Pur délire de wild genius. Il enchaîne aussi sec sur le Pt 2, c’est brillant, toujours monté à la basse avec un développement d’inespérette d’espolette. Puis il fait son Bowie sur «Local» - I don’t want to be big fish - Il est fabuleusement ziggyesque, on accroche pour de vrai, pas pour de faux - I don’t want to be part of anything - Il reste dans Bowie pour cette dérive abdominale qu’est «Housewives». Il joue superbement de sa voix cassée.    

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             Il monte en 2014 au nouveau projet, The Hitsville House Band, et enregistre 12 O’ Clock Stereo. Comme c’est un Fire, on a de la littérature. Il en a marre de tourner seul, alors il lui faut un groupe - Really I wanted another Len Bright Combo - Il rappelle son vieux bassman mexicain qui est à paris, Eduardo Leal de la Gala qui avait joué sur The Donovan Of Trash. Ils enregistrent ensemble «Can’t See The Woods (For The Trees)», une jolie percée dans les lignes ennemies qui ne fait pas un pli. Il adore jouer avec Eduardo et sa home-made fretless bass. Il trouve ensuite un batteur parisien, Denis Baudrillart. L’Eric dit aussi vivre de rien, ses seuls revenus étant deux chèques de royalties par an, et les tournées. Il arrive toutefois à se payer un 8 pistes de la BBC qu’il va récupérer en minibus à Londres. Puis l’Eric remplace Eduardo par Fabrice Lombardi, le stand-up man d’Almost Presley, et ils enregistrent cette belle énormité de boogie rock qu’est «You Can’t Be A Man( Without A Beer In Your Hand)». C’est brillant et très présent. Ils tapent aussi un «Murder In My Mind» assez sixties d’esprit. Ça groove bien sous le boisseau. Tout aussi bardé de barda, voilà «The Madrigal», bien encorné par l’orgue Hammond et battu au fouet. Il dit voir son «12 O’Clock Stereo as my town and country album, a strange and at times uneasy mix of garage, pop, country and old time rhythm’n’ blues.» Bizarrement, les compos de l’album sont solides mais jamais déterminantes. Il a toujours cette petite voix d’accent tranchant et cette volonté d’exister dans le monde du rock. C’est l’un des artistes les plus complets de sa génération : il compose, chante ses compos et bidouille tout ça à la maison. Avec «The Twilight Zone», il fait de la Stonesy. Sacré Wreck, il ne rate aucune occasion de se distinguer. Tout est travaillé dans la cour de ferme, les cuts, les pochettes, pas de moyens, et étrangement, ça colle. Dans les bonus, on tombe sur un «Lawrence Of Arabia» très Ziggy. Il évoque le monkey on his back - You better watch your back - C’est un underground de cour de ferme de très grande qualité. L’Elzen : «This one is packed to the brim with mighty fine compositions that need only a few listens to nestle themselves in your system for life.»

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             AmERICa pourrait bien être son album le moins abordable. Dommage, car ça démarre sur la grosse attaque de «Several Shadows Of Green». Il est privé de moyens mais complètement ivre de liberté dématérialisée. Il chante comme Donald Duck. Il a du power, c’est sûr. Avec «White Bread», il se planque dans l’épaisseur du son, et bourre la dinde de «Days Of My Life» de Big Beatlemania bowiesque. Il passe au quasi-glam avec «Boy Band» et s’en va stomper «Up The Fuselage». Étrange, de la part d’un vieux bonhomme. Le son ferraille, on sent bien l’habitude des petits moyens. Dans le booklet Fire, l’Eric donne encore tous les détails de l’enregistrement. Amy joue du piano, du banjo et fait des harmonies vocales. Il est installé aux États-Unis. C’est son premier album américain - It’s about me and it’s about America - Il dit avoir vécu partout, en Angleterre, en France, en Allemagne, mais c’est l’America qu’il préfère - This place suits me - Il vit à Catskill depuis quatre ans. Son texte est à la fois très beau et très désenchanté.         

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             Il revient à Bowie dans Construction Time And Demolition, avec «They Don’t Mean No Harm» et «Unnatural Act». Il retrouve le secret des maniérismes de l’early Bowie, il chante à l’accent délirant, c’est assez fulgurant de c’mon c’mon. Il brasse encore assez large avec «Unnatural Act» et réincarne l’early Bowie. Il n’a peur de rien. Mieux encore : «The Two Of Us». Il pompe directement les accords de «Waiting For The Man», il ramène exactement le même genre d’enfer sur la terre. Il prend les mêmes et il recommence. Avec «Wow And flutter», il repart en mode Mad Psyché comme au temps béni du Len Bright Combo. On sent qu’il n’est pas près de se calmer. Il chante son «Gateway To Europe» en cockney, et c’est superbement orchestré. Il ramène même des trompettes dans sa soupe aux choux. Puis il chante «The World Revolver Around Me» d’une voix de Mimi Petite Souris. Il est marrant. On écoute ses albums par acquis de conscience et bien sûr on ne s’ennuie pas. Au contraire, on s’instruit. Il ramène du son d’artefact dans «Flash» et il assoit bien son autorité avec «Forget Who You Are».

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             Et voilà encore un album extrêmement intéressant : Transcience. Pour au moins cinq raisons fondamentales dont la première s’appelle «Indelebile Stain». Voilà un cut noyé de psyché et de jingle jangle, il charge bien sa barcasse. L’Eric te prend pour une frite et te plonge dans sa friture de félicité. C’est un sacré farceur. Il tape aussi une belle cover de Kevin Coyne, «Strange Locomotion». C’est le boogie rock anglais passé de mode depuis une éternité. À part l’Eric, qui va aller écouter ça aujourd’hui ? En attendant, l’Eric y va à l’outch ! Il tape ensuite «The Half Of It», un petit balladif insidieux et presque Beautiful. Mais ça se corse avec «Creepy People (In The Middle Of The Night)». Il remonte bien le courant. Un vrai saumon, l’Eric. Avec les écailles et les bulles. Un vrai Wreckless saumon ! Cut plaisant, bien foutu, fruité. L’Eric est le roi du petit répondant de cour de ferme. Il mérite une médaille. «Tiny House» éclate d’entrée de jeu. Il ressort sa voix de Mimi Petite Souris, celle qu’on préfère. Cut vaillant. Sans peur et sans reproche. Un vrai Bayard.      

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             Son dernier album en date s’appelle Leisureland. Pareil, c’est une vraie pochette surprise. Oh un coup de génie !  Oui, «Drag Time» sonne comme un hit intercontinental. C’est important de le signaler. Il ramène dans cette pop psyché la grandeur des chœurs d’«Oh Happy Days». Oh une grosse énormité ! Oui, «Zoom (Glittering In The Sun)» se noie dans la réverb et Donald Duck chante au fond du son. On le sent heureux, bien à l’aise sans sa culotte, ah il y va notre vieux pépère underground, il wrecke sa pop écarlate pour de bon et renoue avec le Len Bright Combo. Oh encore une énormité ! Oui, «Standing Water» te fait du gringue et tu as du mal à résister. Oh encore une autre grosse énormité ! Oui, «The Old Versailles» est un petit chef-d’œuvre productiviste. Tu sors de cet album un peu ahuri. Il est en fin de parcours et il n’a jamais été aussi bon. D’habitude, il se passe exactement le contraire.     

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            En 2008, Wreckless Eric & Amy Rigby enregistrent leur premier album sans titre, et là attention, on ne rigole plus. On a tout de suite du son et la résonance de l’excellence. L’Eric est vieux, et Amy bien conservée, ils duettent ensemble une pop de rêve qui éclate en bouquet glammy dès «Another Drive-In Saturday», très British dans l’esprit, chanté aux voix mouillées. Des accents de l’early Bowie remontent à la surface et l’Eric ramène de beaux accords glam. «First Mate Rigby» est assez puissant, il n’y a pas à discuter. Ils font tellement les cons avec le son qu’ils ne maîtrisent plus le spectre, et avec «The Downside Of Being A Fuck-Up», ils passent directement au Velvet. C’est en plein dans le mille, l’Eric est très fort. Encore une merveille avec «A Taste Of The Keys». Elle chante divinement cette pop de Brill lumineuse. C’est encore elle qui tire vers le Brill avec «Please Be Nice To Her». C’est là que son génie pop explose. Elle ramène tout le sucre qu’elle peut, c’est d’un très haut niveau mélodique. Ils créent encore la surprise avec «Round», nouveau coup de génie pop.    

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             Comme Two-Way Family Favorites est un album de covers, on saute dessus. Ils tapent dans un large éventail qui va de Jackie DeShannon («Put A Little Love In Your Heart», pas son meilleur cut, dommage) à Tom Petty (pas le meilleur choix d’artiste, dommage), de Pete Townshend («Endless Wire», ça s’endort sur des lauriers, mais il y a des gens qui vont trouver ça bien, dommage qu’il n’ait pas opté pour «My Generation», au moins on pourrait jerker comme dans Quadrophenia) à Abba («Fernando», où l’Eric fait son petit effet de voix de fouine et ça finit par porter sur les nerfs, dommage. L’Elzer dit qu’il s’en serait bien passé). Ils plongent aussi dans McGuinn avec «Ballad Of Easy Rider», mais ça ne marche pas, dommage. Il plante tout ce qu’il chante sur cet album. Même son clin d’œil aux Groovies («You Tore Me Down»). Dommage. Il faut attendre la cover d’«In My Room», l’hit intemporel signé Gary Usher et Brian Wilson, pour renouer avec la perfection. L’Eric se prend vraiment pour Brian Wilson, il en a vraiment la carrure. Il y ramène tout le son qu’il peut. Mieux encore : l’«I Get Out Of Breath» de P.F. Sloan. C’est du génie pur ! L’Eric te porte ça au pinacle, les montées de lait sont magiques. Il passe au heavy glam avec le «Living Next Door To Alice» de Chinn & Chap, mais il n’arrive pas à recréer le wall of glam que nécessite un Chinn & Chap. Dommage. 

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             L’A Working Museum d’Eric & Amy va tout seul sur l’île déserte. Sans doute le meilleur album de l’Eric et rac. L’hit de l’album, c’est bien sûr «Genovese Bag». Voix de superstar underground. Il chante en mode petit glamster de suburb. T’en reviens pas d’avoir un tel disk dans les pattes et t’as Amy qui entre dans le couplet chant, alors l’Eric et rac te monte ça à la gratte, il y va à l’Home sweet home away from home, il part en vrille extraordinaire de carillon argentin et s’en va éclairer la voie lactée, oui, l’Eric et rac a ce pouvoir, il gratte encore, il te ramène du Jackie DeShannon, des Byrds et de l’éclat surnaturel dans son carillon d’ad libitum, et ça explose en bouquet de stridences apoplectiques. T’as aussi la Mad Psyche du «Darker Shade Of Brown» d’ouverture de bal. Tu te croirais sur le Madcap Laughs. Puis Amy attaque «Rebel Girl Rebel Girl», et c’est franchement bon. Tu te régales, et c’est rien de le dire. Elle sait claquer l’heavy pop, c’est ultra balancé, digne de «Like A Rolling Stone» ! Amy devient une géante, te voilà coi comme deux ronds de flan. Attends, t’en vas pas, c’est pas fini ! Elle navigue encore très haut avec «Sombreros In The Airport», et elle croise le chant de l’Eric et rac. Voilà un album complètement extravagant de qualité et tellement underground. Pour le choper, t’a intérêt à te lever de bonne heure. La copie qui est ici est celle d’un CD dédicacé par Amy & Eric à Jacques (‘Hey Jacques’). Aucun souvenir de sa provenance. Avec «The Doubt», la pop d’Amy & Eric explose de bonheur conjugal. Amy dispose d’un petit sucre du meilleur goût. L’Eric et rac refait son coup de Syd avec «Days Of Jack & Jill», il chauffe sa cocote pysché, il y ramène toute sa culture infectueuse, c’est littéralement flamboyant et monté en neige de chœurs. Il fait son glamster avec «1983», il chante à la petite décadence de don’t believe. Ce mec crée son monde dans les ténèbres de l’underground. Et puis t’as encore «Tropical Fish», une petite pop fraîche comme un gardon, avec Amy dans le son. C’est franchement digne de Curt Boettcher !

    Signé : Cazengler, Wrecked Ethic

    Wreckless Eric. Wreckless Eric. Stiff Records 1978   

    Wreckless Eric. The Wonderful World Of Wreckless Eric. Stiff Records 1978 

    Wreckless Eric. Big Smash. Stiff Records 1980

    Wreckless Eric. Le Beat Group Électrique. New Rose Records 1989

    Wreckless Eric. The Donovan Of Trash. Hangman Records 1993

    Wreckless Eric. Almost A Jubilee (25 years At The BBC With Caps). Hut 2003

    Wreckless Eric. Bungalow Hi. Southern Domestic 2004   

    Wreckless Eric Presents The Hitsville House Band. 12 O’ Clock Stereo. Fire Records 2014

    Wreckless Eric. AmERICa. Fire Records 2015           

    Wreckless Eric. Construction Time And Demolition. Southern Domestic 2018 

    Wreckless Eric. Transcience. Southern Domestic 2019        

    Wreckless Eric. Leisureland. Tapete Records 2023           

    Wreckless Eric & Amy Rigby. Stiff Records 2008    

    Wreckless Eric & Amy Rigby. Two-Way Family Favorites. Southern Domestic 2010 

    Wreckless Eric & Amy Rigby. A Working Museum. Southern Domestic 2012

    Eric Goulden. Karaoke. Silo 1997

    A Listener’s Guide To Wreckless Eric. Ugly Things # 31 - Spring 2011

     

     

    Hawley les mains !

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             Ça fait vingt ans que Richard Hawley cultive un romantisme douceâtre à l’anglaise, vingt ans qu’il laboure les âmes sensibles et qu’il raconte sur un ton chaleureux des histoires de pluie et de ruptures sentimentales. Vingt ans et dix albums traversés par ce qu’il faut bien appeler des éclairs de génie composital. L’Hawl creuse au même endroit que Nick Drake et Fred Neil, dans la même mine d’or. Sur chacun de ses dix albums brillent des pépites d’une rare beauté. «The Ocean» va te fasciner autant qu’«Everybody’s Talking», «Something Is» va t’émouvoir aussi sûrement que «River Man» ou «Pink Moon».

             On gardait un souvenir évasif de sa presta au Grand Rex, en première partie de Nancy Sinatra (qu’il va ensuite accompagner en deuxième partie de spectacle). Voilà qu’il débarque en Normandie avec un set acoustique, alors autant dire qu’on l’attend au virage. Faut faire gaffe aux sets acoustiques, le risque est de s’y endormir, ou pire encore, de s’y ennuyer. Ça ne tient généralement que par la seule qualité des compos.

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             Il débarque sur scène avec un vieux copain à lui, et pendant une heure, ils vont gratter leurs poux. Pas d’«Ocean», hélas. Privées de leurs orchestrations, les cuts retombent pour la plupart à plat. L’Hawl entrecoupe la planitude par des petites sorties destinées à faire rire, elles font rire, c’est sûr, mais peut-on appeler ça de l’humour ? Non. Ses textes ont-ils une dimension poétique ? Non plus. Il cultive la mélancolie, raconte d’une voix chaude et profonde des histoires de pluie et de ruptures sentimentales. Et puis la magie arrive enfin avec «Something Is» et «Baby You’re My Light» tirés tous les deux de Late Night Final. Sa façon de travailler l’arc mélodique te tamponne le passeport, il taille des marches dans une descente harmonique, comme s’il voulait enrayer le courant du frisson, et ça, c’est de la magie. Lanegan a lui aussi pratiqué cet art de creuser des marches dans une descente harmonique. Tu accueilles cette merveille à bras ouverts. Tu vis la magie de l’instant. Te voilà face à l’un de ces moments uniques que tu collectionnes comme des papillons depuis l’adolescence.   

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             Comme le beau Richard vient de sortir un nouvel album, on l’écoute. C’est la moindre des politesses. In This City They Call You Love grouille de Beautiful Songs. Tu vas en trouver partout, ça commence avec «Prism In Leans» - Here’s the story of Prism in Leans - Bossa groove de rêve. Il ramène de la magie. Il n’est pas loin de Fred Neil. Il nage en plein rêve d’I don’t belong. Suite de la magie avec «Heavy Rain». Là oui, tu prends ta carte au parti Hawley. Ça coule comme du Fred Neil un peu sourd. Magie mélancolique. Il sonne comme Elvis sur «Hear That Lonesome Whistle Blow» et te gratte ça aux accords d’heavy blues, un peu comme Elvis dans son ‘68 Comeback. «Deep Space» est une belle énormité. Hawley t’explose bien le Sénégal. Il envoie même valdinguer ta copine de cheval. Il chante tous ses cuts d’une voix bourrée de feeling. Richard Hawley est un artiste complet. Mais ça on le savait depuis vingt ans, car oui, amigo, ça fait vingt ans qu’il enregistre des albums, et même de très beaux albums, après avoir été le guitariste d’un groupe assez culte, les Longpigs. Voilà encore un soft groove de rêve : «Do I Really Need To Know». Son groove duveteux te fout des frissons. Ce fabuleux charmeur boucle avec «This Night». Son truc, c’est la suspension d’entre deux mers, avec un sens mélodique suraigu.

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             Son premier album s’appelle Late Night Final. Il y a des vieux sur la pochette. Richard t’embarque aussitôt «Something Is», il te prend par les sentiments, avec sa chaude romantica. T’es conquis comme une ville et t’es content d’être de la conquête. Richard fait du Fred Neil en plus grave. Il tient la dragée haute à la pop. Avec «Baby You’re My Light», il rend hommage à sa baby. C’est assez pur et même magique. «The Nights Are Cool» se montre plus décidé à en découdre. C’est joliment balancé des hanches. Il cherche la Bossa. Il continue dans la même ambiance de ciel lourd et de faible lumière avec «Can You Hear The Rain, Love?». Poids mélodique et intensité du climax sont ses deux mamelles. Il cultive la mélancolie. C’est très Verlainien, comme démarche, mais avec du pathos anglais. Il faut aussi l’entendre chanter à la surface du grondement dans «Precious Night». Quel bel artiste !

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             Deux merveilles congénitales se planquent sur Richard Hawley, un mini-album de 2001 : «Sunlight» et «Naked In Pitsmoor». Le Sunlight est puissamment beau, avec des notes de réverb qui se détachent dans le crépuscule des dieux. Mais c’est avec Pitsmoor qu’il s’enfonce dans la beauté comme d’autres s’enfoncent dans la forêt. C’est tout simplement stupéfiant de pénétration. Ce cut sonne comme un miracle. C’est du pur génie mélodique. Il plonge dans la félicité à coups de don’t run for me baby.

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             Et si Lowedges était le meilleur album de l’Hawl ? Il y pleut des hits comme vache qui pisse, et ce dès le «Run For Me» d’ouverture de bal. C’est écrasant de romantisme, de big atmospherix génial. L’Hawl atteint là les cimes productivistes de Totor - Go and run for me/ Cause I can’t take it back - Puis il va enquiller la bagatelle de cinq Beautiful Songs, pas moins, à commencer par «Darlin’». Il t’emballe aussi sec. Fabuleux Darlin’ boy. T’as tout : la mélodie, la voix, la profondeur, la classe. L’Hawl est un Hazle à l’anglaise. Fantastique ode à l’amour avec «Oh My Love» - You’re the one I love/ And no mistake - Sur «The Only Road», c’est Fred Neil en baryton. Même magie. Infiniment beau. Véritable merveille de douceur caressante et d’élégance arpeggiée. Il montre encore qu’il sait poser les conditions d’une Beautiful Song avec «On The Ledge». Lowedges est un album magique. Il t’emmène danser la valse sur «You Don’t Miss Your Water», voilà une incroyable invitation au voyage baudelairien. Pas compliqué : t’as Brian Wilson, P.F. Sloan, Curt Boettcher, Burt Bacharach, Jimmy Webb, Lee Hazlewood et Richard Hawley. 

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             Sur Coles Corner, t’as ce qui est sans doute sa chanson la plus océanique, «The Ocean» - You leave me/ Down/ To the ocean - Hit inter-galactique de now it’s been a long time, il développe son extraordinaire clameur d’Ocean à coups de the world is fine/ By the ocean. Et t’as d’autres Beautiful Songs mirifiques comme le morceau titre qu’il attaque aux violons, t’as pas le temps de te débattre, il t’embarque aussi sec, il fond sur toi à la voix chaude, quel fabuleux pourvoyeur de goin’ dowtown with his mission. Sur la pochette, il attend devant Coles Corner avec un bouquet de fleurs dans les bras. Au dos, tu vois le bouquet dans une poubelle et t’en déduis qu’elle n’est pas venue. Richard est un homme qui démultiplie sa musicalité, il gratte des milliers de poux magiques dans la précipitation de sa pop («Just Like The Rain»). Il tourne bien autour du pot d’«Hotel Room». Il farcit sa room de guitares hawaïennes et d’here in my arms. Tout l’album navigue sous un boisseau sentimental. Il nourrit son romantisme de chaudes mélopées délectables. Encore une merveille qui t’émeut bien la meule : «Born Under A Bad Sign». Tu entends aussi le thème d’«Alabama Bound» (Charlatans) dans «Sleep Alone». Sa heavy romantica marche à tous les coups. Il boucle son Coles Corner avec un instru spatial, «Lost Orders», pianoté quelque part dans le cosmos. Il s’y perd, ce qui est logique, vu qu’il a tout donné.

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             Lady’s Bridge est encore un Mute qui grouille de puces. Écroulé dans un fauteuil, l’Hawl y porte le costard lamé or d’Elvis. Sur «Serious», il sonne comme Fred Neil, et c’est drivé au slap. T’en reviens pas d’un si beau paradis. S’ensuit un coup de génie nommé «Tonight The Streets Are Ours», qu’il attaque au power pur, c’est gratté aux mandolines de la démence hawlique. Il sait mettre la pop en feu. Encore une fantastique entourloupe avec «The Sea Calls». Te voilà ensorcelé par cette merveille océanique. «Our Darkness» est intense, mais sans surprise. L’Hawl chante comme une superstar, ses chansons sonnent comme des classiques. Il développe encore une fabuleuse ampleur mélancolique dans «Valentine» et «Roll River Roll». Il transporte le même poids mélancolique que Fred Neil. Ce River Roll est encore une merveille de délicatesse mélodique. Saluons aussi l’incroyable santé des attaques de gratte vintage dans «Dark Road», il évolue ici dans un esprit féerique quasi-forain. Richard Hawley est une superstar, qu’on se le dise.

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             T’as encore largement de quoi te régaler sur Truelove’s Gutter. «Soldier On» va t’emmener très loin. L’ami Hawley tape dans quelque chose de si profondément mélancolique que ça finit par réveiller tes vieilles blessures. Alors tu souffres. Et soudain, ça explose. Il fait tout simplement exploser la marée montante de douleur. Alors tu t’enfonces dans un atroce mélange de douleur et de beauté. L’ami Hawley atteint à la démesure d’un Chateaubriand du rock, il atteint la cime d’une pureté nietzschéenne du Gai Savoir rock - Never say goodbye/ Your’re the apple of my life - Et puis dans «Remorse Code», il vise l’infini et claque deux ou trois solos éthérés d’une rare beauté. Il revient à Chateaubriand avec «Open Up Your Door», il s’installe dans le contemplatif élégiaque, il ouvre des horizons, il a des violons et du ciel, et il monte encore par-dessus son chant pour la seule beauté du geste. Il prend la suite des très grands mélodistes britanniques, Nick Drake et John Lennon. Avec «Don’t You Cry», il te rassure. Il est le genre de mec à te prendre dans ses bras et à te laisser chialer sur ses épaules. C’est de cet ordre-là. Merveilleuse proximité de l’être, merveilleuse chaleur de l’homme, merveilleuse présence de l’artiste.

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             Further grouille de bonnes surprises. Avec «Off My Mind», l’Hawl sonne comme Steppenwolf. C’est quasi Born-To-Be-Wildien, avec un incroyable coulé de gras double. L’Hawl serait-il un hard rocker, un adepte du get my motor running ? Non, car plus loin, il sonne comme Fred Neil dans «Midnight Train», un big balladif paradisiaque. Le paradis est son fonds de commerce - I have to head away - Alors, il prend le train de minuit avec de faux accents de Fred Neil. Il a aussi des espagnolades en magasin, et ça devient prodigieux. Encore de la belle pop profilée avec le morceau titre, vraiment fait pour t’émouvoir. L’Hawl cultive la tendresse suburbaine. «Is There A Pill?» sonne comme un coup de génie. Belle disto de réverb, c’est un hit qu’il faut bien qualifier d’universel. Impossible de faire autrement. Il sait étendre son empire. Il sait aussi groover sous la surface su groove comme le montre «Not Lonely». Il gratte encore des poux extraordinaires dans «Time Is» - Time/ Is on your side/ Fight now - Et un mec te blow des coups d’harp derrière. Tu sors ravi de cet album. L’Hawl serait là, tu lui serrerais la pogne.  

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             Paru en 2012, Standing At The Sky’s Edge est un album d’une rare puissance. Cette fois l’Hawl tape dans la Marychiennerie et la Stoogerie. Qui l’eût cru ? «She Brings The Sunlight» développe l’heavy mood des Mary Chain, avec en prime, le killer solo de démarrage en côte. L’autre Marychiennerie s’appelle «Seek It», mais cette fois, plus par le côté mélodique, qui renvoie à Stoned & Dethroned. «Down In The Woods» est monté sur les accords de «Down In The Street». C’est le beat exact, le balancement du riff primal, l’Hawl part même à l’assaut : yeah ! Sur tout l’album, l’Hawl gratte les poux du diable et fait un festival de gras double. Il joue encore sa carte avec «Time Will Bring You Winter», c’est landscapien, avec des fantastiques atermoiements du bassmatic, l’Hawk y va à l’heavy psychedelia, il est fantastique et tentaculaire à la fois, puissant, et complètement hallucinant. Il lui arrive hélas de redescendre d’un étage pour redevenir banal («Don’t Stare At The Sun»), mais c’est pour mieux te préparer à ce coup du lapin qu’est «Leave Your Body Behind You» et à cette stupéfiante descente aux enfers du rock anglais. Il chauffe ses accords au feu gimmickal, c’est explosif et on voit l’Hawl arroser encore et encore. Tout se noie au crépuscule dans une mer de chœurs en feu. 

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             Voilà donc l’avant-petit dernier : Hollow Meadows. L’Hawl reste le genre de mec qui a tous les atouts en main, le beurre et l’argent du beurre, c’est-à-dire la voix, le son ET les compos, avec en plus le poids des ans. Chez un mec comme lui, ça pèse, le poids des ans. Il s’amuse aussi à foutre le feu avec la disto dévorante sur «Which Way». T’en reviens pas d’entendre un cat aussi brillant. Le dandy baryton refait surface avec «Long Time Down», il y va au groove de timbre profond, il se situe toujours à la croisée des meilleurs, c’est-à-dire Fred Neil et Lee Hazlewood. Il titille bien la mélodie du sentiment avec «Nothing Like A Friend». Ce puriste tape chaque fois dans le mille. La plupart de ses cuts se lèvent comme l’aube d’un jour nouveau. Il cultive l’ampleur catégorielle. Il se paye même une marychiennerie avec «Heart Of Oak». Il sort l’heavy beat, et ça te flatte bien le chinois. Cet Hawl est un puissant seigneur. Ce cat sait profiler un cut sous l’horizon.

    Signé : Cazengler, Howlagueule !

    Richard Hawley. Le 106. Rouen (76). 14 septembre 2024

    Richard Hawley. Late Night Final. Setenta 2001

    Richard Hawley. Richard Hawley. Setenta 2001

    Richard Hawley. Lowedges. Setenta 2003

    Richard Hawley. Coles Corner. Mute 2005

    Richard Hawley. Lady’s Bridge. Mute 2007

    Richard Hawley. Truelove’s Gutter. Mute 2009  

    Richard Hawley. Further. BMG 2019  

    Richard Hawley. Standing At The Sky’s Edge. Parlophone 2012 

    Richard Hawley. Hollow Meadows. Parlophone 2015

    Richard Hawley. In This City They Call You Love. BMG 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - Delmonas Lisas

             Aucune des personnes qu’on fréquentait à l’époque n’avait une très haute opinion de Baby Delmonette. Elle parlait d’une voix atrocement vulgaire, se maquillait outrageusement et jouait la punk en portant des collants résille déchirés. Elle était petite et brune, mais elle se péroxydait les cheveux. Et pour couronner le tout, elle sifflait du rosé du matin au soir. En plus, elle fumait à la chaîne. On devait supporter sa présence parce que Flavio l’avait à la bonne. On se demandait tous comment il parvenait à la supporter au quotidien. Certains osaient même lui poser la question :

             — Mais comment fais-tu pour lui grimper dessus ?

             Bien sûr, Flavio ne répondait pas. Il se contentait d’esquiver la question en esquissant un léger sourire, puis on passait à autre chose, en attendant que Baby Delmonette revienne des gogues où elle était allée dégueuler. Ça la prenait souvent à l’heure de l’apéro, lorsqu’elle commençait à descendre des Ricards. Ça ne faisait pas bon ménage avec les litres de rosé qui gonflaient son petit bedon. Une fois qu’elle avait fait de la place, elle repartait de plus belle et buvait de grands Ricards secs et sans glaçons. Valait mieux avoir au moins deux bouteilles d’avance, car elle buvait sec. Quelle descente ! On avait même tendance à encourager sa conso, car elle finissait par nous faire marrer, dans le genre marionnette punk désarticulée. Si elle écartait les jambes, on voyait le désastre sous sa mini-jupe en cuir et on plaignait sincèrement Flavio qui lui, n’avait pas l’air perturbé par le spectacle. Comme on ne lui laissait jamais la parole, on ne savait rien d’elle. Et bien sûr, il ne serait jamais venu à l’idée de Flavio de nous raconter son histoire. C’est elle qui le fit un soir où quelqu’un lui demanda si la cicatrice qu’elle avait en travers du visage, et qui descendait de la tempe jusqu’au menton, était due à un accident de bagnole.

             — Bah non ! M’chuis pas pétée un axident ! L’axident, c’est mon pèèèèère, c’t’enculé d’sa race qui s’pochetronait, qui m’violait et qui m’pétait ses bôtelles sur la djeule ! Tu vois ça ? C’est lui, c’te bâtard, et j’en ai plein d’autres sur l’ventre et dans l’dos, sur l’cul, t’as qu’à d’mander à Flavio, y t’dira qu’c’est pas des conneries !

             Et elle avala son Ricard cul sec. Dans la pièce, tout le monde fermait sa gueule.

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             Les Delmonas savent très bien qu’elles ne seront jamais aussi punk que Baby Delmonette. Mais ça n’enlève rien à leur talent. Et de la même façon qu’on gagne à connaître Baby Delmonette, on ne perd pas son temps à mettre son nez dans l’histoire moins dramatique mais passionnante des Delmonas. 

             Pourquoi les albums des Delmonas sont-ils si excitants ? Parce qu’on y entend deux trios de choc, celui des filles et celui des garçons. Ida Red, Ludella Black (qui s’appelle dans le civil Sarah J. Crouch, la croqueuse, qu’on retrouve aussi dans Thee Headcoatees, bien sûr) et Louise Baker (madame Bruce Brand) constituent le trio de filles. Wild Billy Childish, Russell Wilkins et John Gawen, c’est-à-dire Thee Milshakes, constituent le trio de garçons.

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             Boom dès 1985 avec Dangerous Charms. Belle pochette à la Ronettes sur fond blanc. Elles attaquent au wild boogaloo avec «Peter Gunn Locomotion». Milkshakes time, honey, avec un solo wild as fuck de Wild Billy. Boom encore plus loin avec une cover d’«Hello I Love You». Bien sûr, ce n’est pas le final de Jimbo, mais elles te tartinent les Doors autrement, sans le scream. Encore une belle cover : «Lies», cette fast pop des Knickerbockers devenue culte. Ce démon de Wild Billy te claque un solo aux joues creuses, un vrai slashing. Elles terminent leur balda avec le morceau titre, une belle clameur pop des Milkshakes. Nouvelle cover en B, celle de «Twist & Shout», jetée par-dessus les toits de Medway. Admirable, avec des chœurs de rêve. Et voilà le hit de l’album : «Please Don’t Tell Me Baby», attaqué à l’heavy disto. Wild Billy te bouffe le Don’t Tell tout cru, il l’arrose au napalm de Medway. Mélange unique de Medway napalm killer et d’ingénues libertines.

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             Delmonas 5! s’appelle Delmonas 5! parce qu’ils ne sont plus que 5, trois Milkshakes et deux Delmonas, Ida Red et Ludella Black. C’est encore un big boom d’album bourré de coups de génie, tiens comme cette reprise en B du «Keep Your Big Mouth Shut» des Pretties, mais au féminin. Avec «Why Don’t You Smile Now», elles passent au wild gaga de Wild Billy, gratté aux accords de Dave Davies. Wild as smile now ! Elles chantent à la desperate. Nouveau shout de wild as fuck avec «Black Ludella». Ces gens-là s’y connaissent en matière de claqué de beignet. Dynamiques superbes, chant humide et bien sûr wild killer solo flash de Wild Billy. Te voilà au paradis du wild. Ils montent «Your Love» sur les accords de «You Really Got Me» - I want to kiss you baby - Elles y vont au The more I have/ The more I want, c’est pur comme une esquisse. Pur éclair de génie Childish.  

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             L’album sans titre des Delmonas sort sur Hangman, le label de Wild Billy. Boom dès «Jealousy», en l’honneur de leurs amis français, et gratté au ramshakle des squelettes. Full Headcoating and girl group thang ! Retour dans le giron du génie gaga avec «I’ve Got Everything Indeed» et sa petite remontée gastrique de rockab. Wild Billy te ramène le Memphis Beat, au stomp de Medway. Ida et Ludella font encore des étincelles sur «Uncle Willy», elles y vont au all along et Wild Billy passe son wild killer solo flash de circonstance. Elles chantent «I Feel Like Giving Up» en français - Et je sens que je dois céder/ Chéri je souis complètement à booo - Magnifique ! Les Delmonas enchaînent avec une cover magistrale de «Farmer John», elles le font pour de vrai, avec the one with champagne eyes. La grosse cerise sur le gâtö est une cover des Stooges, «I Feel Alrite». Énorme shoot d’énergie, awite awite, c’est encore un vrai coup de génie Childish. Wild Billy te télescope ça de plein fouet, il gratte son solo au train wreck, Ida et Ludella chantent à deux voix, complètement désespérées.

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             Do The Uncle Willy est une solide compile qui permet de réviser les leçons, à commencer par l’épouvantable hommage aux Stooges, «Feel Alrite», l’encore plus épouvantable cover de «Farmer John», elles tapent à la porte à coups de the one with champagne eyes, avec un killer solo flash du Wild Billy on fire, l’aussi énorme «Black Ludella», claqué aux bons soins d’un Wild Billy incontrôlable, et ça bascule une fois de plus dans la Méricourt totale, c’est stupéfiant d’oh oh oh, avec les retours de manivelle et les tatapoums de Gawen. Elles y vont les garces, avec «Hard About Him», une pop lubrique qui sent bon la culotte. Souvent tu te demandes pourquoi tu écoutes du rock. Pour ça. Pour «Hard About Him». Ça peut suffire à ton bonheur, si tant est que tu le cherches. Comme c’est une compile, elles ressortent les «kitchen demos» et voilà «Ca’rnt (sic) Sit Down», vite fait bien fait dans la cuisine. Et tout explose avec la triplette de Belleville «Jealousy», «Lie Detector» et «I’ve Got Everything Indeed». Wild Billy fait du Billy sec sur «Jealousy», mais il est le seul à savoir gratter des poux aussi secs en Angleterre. «Lie Detector» est une kitchen demo grattée au drive de proto-punk. Pur genius de raw. Il gratte en conséquence. C’est encore pire avec «I’ve Got Everything Indeed», puissant et bardé, Wild Billy et ses amis grattent dans l’esprit du pur British beat avec de superbes voix de filles, et ce démon de Billy part en maraude avec l’un des pires killer solos flash de l’histoire du killering. Tu as là la modèle du genre, avec en prime le boogie de Liverpool et les filles offertes. Compile terrifique.

    Signé : Cazengler, delmonunuche

    Delmonas. Dangerous Charms. Big Beat Records 1985

    Delmonas. Delmonas 5!. Empire Records 1986 

    Delmonas. The Delmonas. Hangman Records 1989

    Delmonas. Do The Uncle Willy. Skyclad Records 1989

     

    *

             Ce groupe possède un avantage sur tous les autres combos chroniqués sur ce blogue depuis quatorze ans. Il provient de Baltimore. Vous ne comprenez pas, j’écris Baltimore et vous lisez Baltimore, les adeptes de la géographie préciseront que cette ville qui compte plus de cinq cent mille habitants est un port maritime du Maryland situé sur côte est des Etats-Unis. Pas très loin de Washington DC. Oui mais moi quand je prononce Baltimore, l’aile d’un corbeau prophétique obscurcit la lucarne embrumée de mon esprit et dans ma tête résonne  le mot fatidique : Nevermore ! C’est à Baltimore qu’est mort Edgar Allan Poe en de mystérieuses circonstances…

             Quel que soit ce groupe, je ne pouvais pas ne pas le chroniquer :

    BLEAK SHORE

    BLEAK SHORE

    (EP / YT – BC / Septembre 2024)

             Quelle couve, mes aïeux jusqu’à la trois cent dix-septième génération, digne d’une  couverture d’un american zine à haute fréquence pulpeuse, elle ne fait pas peur, elle vous fout les chocottes, sachez faire la différence, une véritable biscote recouverte de trois centimètres de beurre de cacahuotte, elle attend que vous y mordez dedans à pleines dents, quelle envie incoercible d’y aller, d’aborder ce rivage malsain, de vous confronter à ces immondes créatures qui hantent le phare maudit, vous savez que vous avez toutes les chances d’y  perdre votre vie, il est vrai qu’elle ne vaut pas grand-chose, tant pis, une force inconnue vous y pousse, dans le coin en bas à gauche deux prédécesseurs sont venus vous souhaiter la bienvenue. Ils vous sourient de toutes leurs dents. Qu’ils ont perdues. Un chromo irrésistible. Non ce n’est pas le Grand Verre de Marcel Duchamp, moins transparent, mais beaucoup plus glauque.

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             Question ambiance, ils joignent deus petites phrases en guise d’introduction :’’Nous avons enregistré notre premier EP en live dans la salle (dans un bateau coulé, quelque part au fond de l'océan). Debout sur le rivage désolé, la dévastation est à portée de main...’’

    Jerrod : vocal / Aaron : lead guitars / Jason : guitar / Fred : basse / Travis : drums.

    Take notice : pas de demi-mesure, ces mecs ils cueillent les petits pois de leur jardin à la bombe atomique, après leurs riffs, ce n’est pas l’herbe qui ne pousse plus c’est la terre qui n’existe pas, le Travis il ne frappe pas de traviole, il assène, il assomme, il assassine, le Fred vous fait main basse sur le son, vous vous l’englue façon goudron, pas besoin de plumes pour finir le travail, la guitare d’Aaron ne tourne pas rond, vous met les riffs au carré, quant à celle de Jason elle jase d’une belle manière, le genre de gars qui vous coupe la haie du voisin à la tronçonneuse, et comme le gars vient rouspéter vicieusement il lui tranche la tête en douce, vers la fin ils se permettent une petite détérioration planétaire, just for fun sur le funiculaie, un capharnaüm idéal pour ratiboiser chez vous les cafards dont depuis dix longues années vous n’êtes jamais parvenu à vous en débarrasser. J’en vois des malins la bouche en cul de poule qui la ramènent, pourquoi ils ont pris un chanteur, le mec peut pointer au chômage si nous en croyons le raffut que tu nous décris ! Bonsoir les narvalos, ça se voit que vous n’avez jamais joué à la bataille navale, Jerrod il est là pour mettre les points sur les ‘’ i’’, il ne crie pas, il annonce, il énonce, sans se presser, dans les meutes de loups il est un mâle alpha, vous dépose sa voix aussi soigneusement que votre grand-mère dispose ses napperons sur les meubles que les domestiques ont encaustiqués et astiqués toute la semaine. En plus vous croyez qu’il va vous raconter une horrible histoire de pirates, pleines de tempêtes, d’abordages, de bateaux envoyés par le fond avec des requins qui cisaillent les jambes des marins des qui s’accrochent désespérément aux espars épars sur les eaux tumultueuses. Non c’est un subtil, il manie la métaphore, il ne faut pas croire aux images, elles sont menteuses, elles vous induisent en erreur, un simple problème de couple, règle ses comptes avec sa copine, ils ont dérivé, si vous voulez savoir qui hantent le phare de la couve, ce sont les fantômes de leur passé tumultueux qui ne cesseront de revenir… Vous avez le bruit des vagues qui vous mélodisent la chanson dure. Bleak shore : le ressac sur la rive, avez-vous déjà imaginé qu’un groupe de rock serait capable d’interpréter le claquement et les frottements des orteils de naufragés de la vie qui prennent pied sur l’îlot maudit de leur destin, les autres font tout le ramdam possible et inimaginable, le Jarrod s’en moque, l’a perdu son trésor mais il lui reste le coffre, alors il surplombe tel l’aigle dans les nuées qui se laisse tomber sur sa proie, le Travis vous imite le battement des ailes à grands coups sourds de gourdins, les guitares volent en escadrille, elles vous filent une espèce de mauvais coton de solo démembrulatoire qui fonce en piqué sur vous, une question subsiste, nous n’avons de psychanalyste pour nous aider à y répondre, notre couple rescapé de son propre naufrage est-il plus près de la mort que de la dévastation. Les vagues nous dispensent de répondre. Black tongue : ce n’est pas Barbe Noire c’est Black Tongue, un peu de ressac, c’est si grave qu’ils ont baissé le volume dans l’intro, c’est la grande explication, avec les guitares mélodramatiques et la batterie qui enfonce les clous des explications, Jarrod n’en profite pas pour baisser d’un ton, l’est le genre de voisin d’école qui vous hurle dans l’oreille que le prof est un imbécile, Fred fait le maximum pour minimiser la punition, il tape comme un sourd et le trio guitarique se lance dans une course effrénée, pas de quoi réfréner notre mégaphoneur, cette fois-ci il met les points sur toutes les lettres de l’alphabet, si j’étais la copine je commencerais par avoir peur, veut qu’ils s’en aillent main dans la main marcher sur la mer, il ne ment pas, il est totalement dévasté. Nous aussi.

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    Waking nightmare : soyons juste, je ne voudrais pas que vous les preniez pour de sombres brutes, z’ont de la finesse dans leur mégalophonie, même Jarrod est capable de chanter à peu près comme tout le monde, de temps en temps il monte dans le gratte-ciel des octaves, il essaie toutefois de ne pas en faire trop, par contre les musicos décident de démontrer qu’ils peuvent taper et vriller les guitares, encore plus fort que lui, le pire c’est qu’ils réussissent, Jarrod se surpasse, maintenant vous avez l’impression de l’entendre sur votre interphone. La fin du morceau est un véritable cauchemar vivant. De quoi nous plaignons-nous, nous n’avons aucune envie de nous réveiller.

             Non, ils ne passeront pas au festival de jazz de Montreux. Ils sont trop monstrueux !

    Damie Chad.

     

    *

             A considérer la pochette m’est venu à l’esprit le titre d’un des recueils de Fouad El-Etr, poëte et directeur de la revue et des Editions La Délirante, un des vecteurs essentiels de la publication de textes rares issus, entre autres, de la plus grande lyrique européenne. Comme une pieuvre que son encre efface, nous parle de la noirceur des subtils rapports entre la noirceur de l’esprit et la présence rayonnante des choses, chacune d’elles essayant de phagocyter l’autre pour la celer dans la bouche d’ombre ou de lumière des moments de poésie.

    THE LOST EUPHORIA

    MOURNING DAWN

    (YT / BC – Octobre 2024)

             Pas moins de quinze opus depuis la formation du groupe réduit à une seule personne entre 2002 et 2005. Aujourd’hui la formation est composée de Laurent ‘’Pokemonsterlaughter’’ Chaulet : fondateur, guitars, vocals / Vincent ‘’Toxine’’ Buisson : bass / Nicolas Joyeux : drums / Fabien Longeot : guitars.

             Patronymes français, le groupe est de Paris.

             Ces morceaux datent de 2018, ont-ils été remaniés ou réenregistrés, dans ce cas-là le guitariste serait Frédéric-Batte-Brasseur. En une très courte notule Laurent nous apprend qu’il les avait complètement oubliés, que cet EP deux titres marque la fin de quelque chose en lui. Le titre est significatif : l’innocence du monde s’est enfuie pour toujours. Pour noircir le tableau, si l’on interprète le nom du groupe, le jour de notre naissance n’est-il pas le premier de notre mort…

             Donc la couve, comme une béance, une entrée, une descente, l’aven  aventureux d’un souterrain, non pas une possibilité, un engagement, un parti-pris. L’obligation d’une approche.

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    Gosth of a dying sun : funèbre, funéraire, pas fun du tout, une machine sombre et grondante qui avance vers vous, pas à pas, ce n’est pas le Soleil Rouge de Raymond Abellio, qui vous éclabousse de sa permutation alchimique, l’astre se meurt et s’abaisse lentement, le chant growlé vous interdit de penser à une apocalypse cosmologique, l’astre est en toi, comme il est dans tous ceux qui avant toi sont déjà morts, ce soleil appartient à tous, il décline sur l’horizon individuel de chacun, nous portons notre propre soleil, car nous sommes les parturientes de notre mort, toutefois une présence fantomatique égrégorienne puisque l’astre solaire appartient à tous, voici un bien collectif, nos os sont pétris de la terre des morts, nous marchons sans fin entouré de ces êtres qui nous ont accompagnés, nous vidons le monde d’éclairs de tranquillité que nous avons partagés, il est temps de pénétrer en soi-même, de se retrouver, de vivre son propre rêve, ne plus s’accrocher, larguer les amarres, souffler le soleil de l’être faire le noir, connaître enfin la transparence de soi-même. Une espèce de chant grégorien qui refuse de s’élever jusqu’aux voûtes des monuments, symboles des profondeurs célestes, une marche processionnaire, qui brûle du feu d’une prière qui exige son propre anéantissement. Day zero : notes frêles, indistinctes, le jour zéro c’est le coup de dés qui ne désigne aucun nombre, qui abolit le hasard en abolissant les circonstances de l’être, musique liturgique, chœur monacal, qui traîne sa bure dans la poussière du néant, le growl est un gros loup qui a tiré le grelot du gros lot, le dernier cadeau dont l’emballage ne contient rien, les voix se taisent afin que l’auditeur puisse se rendre compte de l’évidence du néant… prendre la décision, non pas de tout quitter, cette conséquence n’est qu’un dommage collatéral, non s’éloigner, plus exactement décider du chemin, s’éloigner, transformer notre existence en le charroi de notre propre cercueil, ne plus faire semblant de vivre, la guitare se transforme en feu follet, redondance vocale entrecoupées de ces notes glauques qui résonnent sur le sol bitumeux de notre passé, la basse épouse la trace de nos pas, il faut bien laisser quelque chose de notre éloignement, de notre disparition, de notre passage, hurlements les officiants de notre office nous crient dessus, tant pis pour eux, nous sommes en lévitation de nous-même, en reptation intrinsèque, ce qui revient au même, musique en cristal de roche que l’eau de l’existence dissout avec une obstination souveraine. Ne sommes-nous pas ce que nous sommes autant que ce que nous ne sommes pas. Volonté abîmale. Final grandiose.

             C’est si beau que l’on veut en savoir plus. Alors on cherche, l’on se met en quête de la piste noire, l’on comprend assez vite que ces deux morceaux sont issus des séances de l’enregistrement d’un précédent album au titre évocateur.

    DEAD END EUPHORIA

    (Aesthetic Death / Mars 2021)

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             Difficile de décrire une telle pochette. Je serais tenté de détailler un trou, mais je possède une description plus appropriée, qui demandera quelques recherches sur le net à ceux qui veulent comprendre, je dirai donc que cette couve ressemble à un poème de José Galdo, pour situer l’auteur de donnons par exemple le titre d’un de ses recueils : La Nouvelle Danse des Morts, pas à un texte spécial, je ferais plutôt référence à la boursouflure exsudée des brûlures de la chair humaine décompositoire. 

    Dawn of doom : aux premières sonorités fuyantes vous êtes sûr que l’aube en question sera noire, peut-être en désaccord avec Gérard de Nerval qui prophétisait que sa dernière nuit serait blanche et noire, ici il s’agit de la même chose , mais Nerval parlait pour ainsi dire depuis l’autre côté alors que Mourning Dawn n’a pas encore franchi le Rubicon, devant l’obstacle qu’il faut s’approprier fort justement par l’Acte d’appropriation, lyrics explicites comme il est écrit sur une recension du disque, juste une décision dirigée par le constat de la faillite du simple fait de vivre, musique englobante, imaginez-vous hurlant dans une meute de chiens grondante lancée dans la poursuite d’un six-corps - parfois la musique et aboiements s’alentissent parce que l’instant de la curée approche, mais ici vous êtes, les chiens, le cerf et le chasseur. Votre vie ne tient qu’à un fil. Celui du couteau. Que vous tenez dans votre main. En filigrane cette idée que vous serez le père de celui qui a passé le cap avant vous. Mais la paix la plus profonde vous attend.

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    Never to old to die : un titre parodique à destination des rockers sardoniques, too young to  die, too old to rock’n’roll, ils ne jouent pas au loto, ou alors ce sont les numéros de la mort, 18, 27, 33 ! Attention à ne pas sortir les numéros gagnants, faites gaffe, le morceau est long mais si la rythmique marque une cadence ponctuante les guitares fusent à toute vitesse, à croire qu’ils ont divisé le son sur deux bandes, l’une normale et l’autre ultra rapide, pas le temps de perdre son temps, même pas de le prendre, vous avez des coupures faut bien marquer les séquences, un coup ils se précipitent vers la mort en voiture, z’ont de l’humour noir, à dix-huit ans tu peux avoir le permis mais pas la voiture, si tu t’encastres appelle le 18, les pompiers te sortiront de ce mauvais pas, une autre solution prendre sa carte au club des 27, très sélect, que des rock’n’roll stars, tu ne peux pas trouver mieux, correspond parfaitement à ton style de vie, qui est en même temps ton style de mort, faut tout de même avoir un fusil chez toi pour t’éclater la tête et rejoindre le nirvana, vocal acerbe, comme Kurt Cobain, troisième solution, l’âge du Christ, pas besoin de porter sa croix jusqu’au bout, une petite overdose et tu bascules sans t’en rendre compte, non il n’est jamais trop tard pour mourir, tu peux dépasser les trois numéros fatidique, tu gardes toujours ta chance avec toi, à portée de main. Un groupe de death metal qui se permet l’auto-dérision de l’humour c’est plutôt rare, ils en profitent pour s’éclater, musicalement parlant, batterie d’estoc, guitares de taille et vocal déchaîné. Prennent leurs pieds, n’en finissent pas de continuer sur leur lancée, le morceau fonctionne comme un unique riff géant, un riff de dinosaure auquel ils rajoutent sans arrêt une vertèbre articulatoire. Dead end euphoria : une guitare vous fait la nique, les chœurs de moines paillards  clament que si l’euphorie de vivre est sans issue, autant en profiter jusqu’au bout, c’est après que le ton change qu’ils atteignent aux réflexions métaphysiques pascaliennes sur l’inanité du  divertissement, l’on n’oublie jamais même si on fait semblant, même si on ne veut pas le voir, ce que l’on trouvera au bout du chemin, guitare narquoise et cordes illusoires, batterie te deumique… Conclusion : escadrille guitarique en position d’attaque, fini de rire, ni noir, ni jaune, le vocal comme un scalpel qui vous dépèce l’âme, hurlements, le chant monte en puissance, il serait parfait pour illustrer La Divine Comédie de Dante, la première partie L’Enfer évidemment, mais chez Mourning Dawn l’on ne rôtit pas éternellement en enfer ce qui serait une manière peu agréable de survivre, non chez eux la mort est glaciale comme une chambre froide de boucher, sans même les carcasses animales à l’intérieur, le morceau reprend plus lourdement, ne vous permettent pas le moindre rêve, derniers gargouillements atrophiques, les tentures phoniques du drame descendent lentement du plafond, ne vous reste plus qu’à vous y enrouler dedans comme dans un suaire. Hurlements de terreurs, la batterie casse du bois, celui de votre cercueil que l’on prépare pour vous.

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    The five steps to death :non ce n’est pas le Three steps to heaven d’Eddie Cochran, sorti après sa mort, qui disait l’éternité c’est long surtout vers la fin, je vous promets qu’à la fin du morceau vous serez encore vivant mais que vous en avez non pour vingt-six siècles mais pour vingt-six minutes, ne vous enterrent pas vivant, ils vous permettent d’assister à la répétition de votre enterrement, une entrée cérémonieuse, plein-chant, grandes orgues, au moins trois chœurs, mille cierges allumés, ce sont les chandelles de votre vie que vous avez ou que vous n’avez pas eu le temps d’enflammer, je ne peux pas décider pour vous, le courage de brûler par les deux bouts. C’était trop beau, n’avaient pas lésiné, et plouf toue s’arrête, plus rien une guitare acoustique, ô la pauvrette, elle joue bien, mais c’est un peu maigrelet, pas de choeur, juste une voix solitaire qui récite un texte peu engageant, pas vraiment joyeux, pas l’enthousiasme nietzschéen, nihiliste, presque le regret de Dieu et sitôt ce mot prononcé c’est le déchaînement, le vide à combler, mais peut-on combler le vide avec la mort, avec des entassements de morts, maintenant le morceau se transforme en un magnifique oratorio, galopade drummique, murs de guitares, voix jaillissantes, elles grognent et feulent comme des tigres en cage, une foule  scande les slogans de l’ineffable, rupture ronflements de basse, des orques solennels se prennent pour le requin de Mozart, requiem pour un survivant, pour quelqu’un qui a sublimé sa mort et qui n’en est pas mort pour autant, au temps qui passe, qui scandaleusement ne veut pas s’arrêter, se figer en son propre espace, alors cette montée en puissance qui vous emporte,  je suppose que beaucoup d’auditeurs affirmeront que ce morceau est trop long, il n’est pourtant pas plus long que lui-même et il atteint au sublime, avec ces coups de gongs et cette chevauchée walkyriennes de guitares qui surgissent pour tout emporter avec elles, les chœurs comme un mur de feu qui se consume et brûle en même temps le monde, en signe d’exaltation et de finitude, des sirènes qui retentissent pour donner l’alerte, pour que vous aperceviez que quelque chose est en train de se dérouler là, dans ce morceau même,  ces voix qui semblent s vouloir se dévorer, qui se jettent l’une sur l’autre pour qu’il ne reste rien de ce qui aura eu lieu. Prodigieux. Adieu : encore une fois ce frémissement comme un vol d’anges aux ailes cassées, généralement on les appelle des humains, l’adieu aux armes et l’adieu aux hommes, qui ne savent ni mourir ni vivre. Coincés entre leurs finitudes et leurs infinitudes. Une dernière fuite en avant car ils aussi difficile de  vivre que de mourir. Les serpents ne se mordent que rarement la queue.

    Damie Chad.

     

    *

             Il est des hasards extraordinaires. La précédente chronique se termine par l’évocation de serpents, or ce matin à la recherche d’un nouveau groupe à chroniquer mes yeux s’arrêtent sur ce qui a première vue ressemble à poème anglais qui débute par les trois mots suivants : ‘’ If the serpents…’’ se mordent la queue ai-je envie d’ajouter, je regarde et j’en ressors effaré, la mystérieuse voie du serpent ne saurait mentir.

    THE ORESTEIA

    C.I. A. Hippie Mind Control

    ( / 2023)

    J’avoue que d’abord  j’ai bêtement focalisé sur le nom du groupe, What ist it ? Un groupe politique ? En plus ils sont catalogués de ‘’ band from the american PNW, j’essaie de traduire Party National de… non, l’adjectif serait devant le nom, en tapant PNW je m’aperçois de mon ignorance crasse, ces trois initiales désignent une région transnationale américaine et canadienne du Nord-Ouest du Pacifique, qui regroupe les états de l’Oregon, de l’Idaho, de Washington et de la province de la Colombie Britannique.  Tout colle puisque le combo est domicilié dans l’Oregon. De la cité d’Eugene, grande ville enchâssée dans un écrin de verdure qui lui vaut son surnom de Cité d’Emeraude

    Ne sont que deux, se définissent comme un combo psychedelic death doom. Je me demande si le premier d’entre eux ne serait pas un admirateur, un chadmirateur, de ma modeste personne dont la renommée aurait atteint à mon insu les rivages du Pacifique : Chad Rausshenberger : guitar, bass, synts, samples, clean vocals / Greg Kholer : drums, percussions, vocals.

    Le titre me fait sursauter : l’Orestie, d’Eschyle pas possible, vous connaissez mon amour immodéré pour la Grèce Antique : ce n’est pas un devoir de chroniquer, c’est un impératif catégorique comme dirait Kant !

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    Uniquement trois morceaux pour l’Orestie, n’est-ce pas trop peu, les amerloques ont l’esprit pragmatique, l’Orestie étant une trilogie, ils ont prévu un morceau pour chacune des trois pièces qui composent l’œuvre d’Eschyle, à l’origine il y en avait quatre, ce n’est pas un hasard si Wagner a composé une tétralogie, mais elle a été perdue, soyons gratuitement méchant : brûlée par les chrétiens, dommage car les trois drames qui composaient une trilogie devaient normalement être suivie d’une comédie sur la même thématique.

    Dans une petite phrase ils nous apprennent que deux premiers morceaux se trouvaient sur un vieil opus, et le troisième égaré sur la face B d’un 45… Ils ont remixé le tout, pour leur constituer une suite phonique. Ce n’est pas tout à fait la règle des trois unités dont notre théâtre classique est si fier, mais cela s’en rapproche, du moins de la fameuse unité de ton que plus tard mettront à mal nos Romantiques…

    le principe structurel d’un drame antique est un capharnaüm sans nom, les renseignements suivants sont très schématiques, d’abord deux entrées, un prologue réservé à un ou plusieurs acteurs, et un parodos, première apparition du Chœur, ensuite les scènes nommées épisodes, qui sont systématiquement suivies d’un Stasimon, le commentaire du Chœur qui peut résumer les évènements qui ont précédé le sujet de la pièce, ou manifester ses peurs, ses craintes, voire prophétiser la suite, voire la fin, des évènements… parfois le Chœur entre en nombre, c’est ce que l’on appelle un kommos, et se transforme en cortège plus ou moins bachique, le dernier épisode porte le nom d’exodos. Si vous désirez en savoir davantage, une seule solution relire la Poétique d’Aristote.

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    Nous sommes habitués aux murs de pierres ou aux colonnes blanches des monuments antiques, un monde pur en quelque sorte, beaucoup plus bariolés en leurs époques, les manifestations théâtrales dépendaient beaucoup des ‘’sponsors’’, citoyens riches plus ou moins chiches, les costumes, les masques, pouvaient être plus ou moins sophistiqués, les Chœurs composés étaient parfois maigrelets, ou pléthoriques, les acteurs et les chanteurs les plus célèbres recevaient un cachet supérieur…

    Certains lecteurs se demanderont si l’écoute des quarante minutes de l’opus de notre groupe sera  capables de traduire un tel foisonnement, peut-être ajouteront-ils qu’il feraient mieux d’assister à une véritable représentation de la pièce. Sans doute n’ont-ils pas tort, question costumes, décors, déplacement, mise en scène  C.I.A. Hippie Mind Control ne saurait rivaliser. Le problème c’est que le spectacle visionné sera aussi inconséquent que le disque. A l’origine les tragédies grecques étaient pourvues d’une partition. Bref l’ensemble était plus proche d’une comédie musicale, d’un opéra, que d’une simple pièce de théâtre. Si l’on y réfléchit bien, l’idée d’une interprétation musicale d’Eschyle n’est pas à dédaigner.

    Il ne nous reste que quelques rares et ultra-brefs fragments de ces partitions antiques, la tentative de C.I.A. Hippie Mind Control n’en est que plus intéressante et intrigante. La gageure semble impossible à relever.

    Agamemnon : n ’ont pas fait preuve d’une imagination débordante pour les titres, ils ont repris ceux d’Eschyle :  surprise auditive, presse purée phonique, votre ouïe a intérêt à retrouver son équilibre, ni cadeau, ni concession, l’étiquette post-metal est utile, tout et n’importe quoi peut être qualifié de post metal, mais c’est que là : vous avez le post, le metal, le tout et le n’importe quoi réunis, et puis les acteurs, vous ne les voyez pas certes, mais vous les entendez, ils causent sans fin, vous ne comprenez rien, disons que les spectateurs font du bruit, ils parlent en même temps, le pire c’est que la musique en sourdine reste présente mais que c’est le traitement vocal qui paraît plus metal, que les grincements, les colères et les coliques battériales, ce truc informe et infâme qui grogne, c’est au moins un Dieu, ou la voix du Destin, couverts par des hurlements de soudards, vous avez une guitare qui miaule mieux qu’un chat, disons une chatte qui ne retrouve pas ses petits,  des samples qui ne sont pas simples, des intonations dignes d’acteur, des sonneries crispantes, ce n’est pas tout et cerise aigre sur le gâteau, une tragédie résumée en onze minutes. C’est tragique. Scandaleux. Une attaque sans nom contre la culture, la grande, celle avec un C majuscule, le même que vous mettez en tête de Connerie effroyable. Oui, mais quelle réussite ! Est-ce que la CIA a pris le contrôle du cerveau de nos hippies, ne répondez pas par oui, car vous serez moralement obligé d’écrire une lettre de remerciement à la Centrale de l’Intelligence Américaine. Pour la première fois de votre vie vous venez d’assister à un prodige. Rappelez-vous de celui qui vaticinait que la beauté se devait d’être convulsive. Sans quoi elle ne serait pas.  Dans le tohu-bohu convulsif vous n’avez rien compris au film. Agamemnon rentre chez lui. Dix ans que sa femme ne l’attend pas. Elle a pris un amant Eghiste. Pour se venger. Elle lui en veut. Agamemnon n’a pas hésité à sacrifier sa propre fille Iphigénie pour que les Dieux lui envoient le vent nécessaire au départ de la flotte grecque pour la guerre de Troie. Agamemnon périra par où il a été aidé. Par les Dieux. Sa femme l’accueille dignement, elle lui fait le coup de l’ordalie, il ne devrait pas marcher sur le tapis de pourpre réservé aux Dieux qu’elle a déroulé en son honneur. Dans les minutes qui suivent il sera tué par Eghiste qui l’attendait dans la salle de bain. Peut-être que dans ce morceau vous n’avez entendu qu’un charivari extrême, c’est parce que vous êtes bête, parce que vous croyez que lorsque le Destin se rend à votre rencontre, il marche sans faire de bruit, l’oreille subtile de votre intelligence aurai dû comprendre que lorsque la force colossale du Destin se dirige vers vous, il fout un sacré bazar tout autour de lui. Prenez-en de la graine. The libations bearers : je ne voudrais pas que l’on m’accuse de vilipender la langue de Shakespeare, mais reconnaissez que la traduction en l’idiome rabelaisien, plus proche du grec originel, est supérieure à la malheureuse version anglaise, Les Choéphores a singulièrement plus de gueule et de classe que ces malheureux porteurs de libation qui évoquent les soirées avinées des saturnales romaines : les voix bien sûr, les instrus se la jouent tragique, c’est ici que le nœud se noue, cris de haines, est-ce que le drummer se prend pour les pas du destin, c’est la purée phonique, normalement il devrait y avoir des trémolos de violons, ils n’en n’ont pas, y a comme des tintements de vaisselles sales, une guitare qui joue au chat vivant  à qui l’on arrache ses tripes, s’il vous plaît n’écoutez pas les paroles, contentez-vous des hurlements de haine, une espèce de glissement de terrain instable, une bête hideuse c’est Kobler qui se prend pour un loup-garou, quel tintamarre, j’espère que vous avez déjà perdu votre tête car vous ne sauriez pas où la mettre en sécurité dans cette espèce d’avalanche stagnante, silence, non nous sommes au cœur d’une action sans cœur, en désespoir de cause quelqu’un tape sur une cymbale pour faire croire que vous entendez les battements, just an illusion,  que de bruit ! que de larmes, c’est normal c’est la nuit qui tombe dans l’âme du héros. N’écoutez pas ce qu’il décjame. Vous ne dormiriez pas ce soir. Comparé à ce morceau le souvenir du précédent vous fera verser des larmes de nostalgie, vous aurez envie de chantonner quelle était verte ma vallée. Donc je résume : voici Oreste devant la tombe d’Agamemnon, c’est Apollon, celui-ci n’est pas un plaisantin, qui l’a envoyé venger son père. Ce qu’il ne manquera pas de faire. Oreste : 1 / Eghiste : 0. Mais Oreste a vu sa mère, la méchante hypocrite accompagnée par un cortège porteur de coupes de libation, afin de verser du vin sur le tombeau  dans le but de calmer la fureur des mânes d’Agamemnon… Oreste aiguillonné par sa sœur Electre, s’en prend maintenant à sa mère, il commet le crime le plus énorme, le matricide Oreste 2 / Eghiste+Clytemnestre 0. Pas de chance les méchantes Erinyes se lancent à sa poursuite, elles bourdonnent autour de sa tête, elles lui reprochent son crime, elles sont le regret, le remords, la vengeance et bien plus encore. Maintenant vous comprenez l’atmosphère lugubre et chaotique de de ce deuxième morceau.  Voici le moment idéal pour  nous pencher sur la couve de ce trauma sonique : la scène est facile à décrypter Oreste attaqué par les Erinyes. Pourquoi sont-elles représentées par des serpents ? Elles sont symbolisées par des serpents parce que leurs chevelures étaient entremêlées de reptiles. Pourquoi ? Parce que ces serpents étaient censés sortir des tombes des assassinés.  Pourquoi ? Je vous en pose moi des questions, tiens en voici une : quelle était la bébête qui logeait dans une fissure du temple d’Apollon à Delphes ?  

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    The Eumenides : c’est le summum, cris sans chuchotements, que faire, à tout hasard Kholer tape sur sa cymbale et tant bien que mal essaie d’imiter le vol des Erinyes, une escadrille aux hélices bruyantes, une guitare n’en finit pas de grincer, une espèce de grognement perpétuel couvre le tout, ambiance noisique, peu de paroles, quand tout est réalisé rien à rajouter, seules les Erinyes font entendre des bruits épouvantables, délabrement auditif, la fin est proche, si vous ne connaissez pas votre mythologie vous vous demandez ce qui se trame dans ce générique final de fin du monde. Les Dieux s’en mêlent, Oreste s’en remet à Apollon pour le tirer de ce mauvais pas. Le Dieu commence par exiger des Erinyes qu’elles se calment, puis il refile le bébé à Athéna. N’oubliez pas que c’est à Athènes qu’avaient lieu les représentations les plus munificentes. Donc Athéna va  la jouer finaude. Faut-il laver Oreste de son crime ou doit-elle l’abandonner à la vengeance des Erinyes, elle sort la carte ultime, le mot magique que nos politiciens sortent à tout bout de champ. Athéna est pour la démocratie. Douze citoyens serviront de jury. Enfin onze, parce que la Déesse s’octroie une place de choix. Celle de présidente du jury. Les Erinyes exposent leurs griefs, leur rôle n’est-il pas de châtier les criminels, elles ont raison, un seul hic à leur raisonnement légitime, c’est Apollon qui, surprise du chef, se déclare l’avocat d’Oreste. Allez donner tort à un Dieu. Le jury déclare Oreste lavé de son crime. Les Erinyes se plaignent à Athéna. La fine mouche leur assure que personne ne les aime, elles n’ont qu’à se métamorphoser en bienveillantes, en consolatrices, en Euménides pour employer le mot grec. Ce qu’elles se hâtent de faire. Ouf nous l’avons échappé belle.

             Si vous voulez la morale de cette histoire : d’après moi la musique de C.I.A. Hippie Mind Control est davantage érinyque qu’euménidienne. C’est pour cela que vous l’apprécierez.

             Une superbe réussite. Total Kaos !

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 625 : KR'TNT 625 : GENE VINCENT / ROCKABILLY GENERATION NEWS / BILLIE HOLYDAY / KIM GORDON / HOLLY GOLIGHTLY / ALABAMA SHAKES / BEVERLY GUITAR WATKINS / THE SIXTH CHAMBER / MOURNING DAWN / ROCKAMBOLESQUES

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    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 625

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    21 / 12 / 2023

     

    GENE VINCENT / ROCKABILLY GENERATION NEWS

    BILLIE HOLIDAY / KIM GORDON

    HOLLY GOLIGTHLY / ALABAMA SHAKES

    BEVERLY GUITAR WATKINS / THE SIXTH CHAMBER  

    MOURNING DAWN / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 625

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    AVIS AUX KR’TNTREADERS

    L’ANNEE FINIT MAL POUR VOUS !

    LA PROCHAINE LIVRAISON 626

    AURA LIEU SEULEMENT

    LE JEUDI 04 JANVIER 2024

    JOYEUSES SATURNALES !

     

     

    GENE VINCENT

    ROCKABILLY GENERATION NEWS

    HORS-SERIE # 4 / JANVIER 2024

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             Ne dites pas ‘’ je l’ai déjà’’, l’est vrai que de (très) loin les deux couleurs de fond à quelques nuances près sont identiques surtout si vous les comparez non pas à la lumière naturelle mais électrique, presque quatre années se sont écoulées entre la parution du Hors-série # 1 Gene Vincent La légende du rock et ce Hors-série # 4 Gene Vincent La légende du Rock. Ajustez vos lorgnons si vous ne me croyez pas, sur le premier vous n’avez que le chef de Gene Vincent, sur ce quatrième il ne lui manque que les jambes.

             Ne dites pas, bon une réédition, z’ont juste changé la couverture. Pas du tout. L’équipe de Rockabilly Generation News a voulu réparer une injustice. Le premier H.S. du mensuel avait été une aventure, un pari sur l’avenir. Pari réussi, à plusieurs reprises il a dû être réimprimé pour satisfaire la demande. Dans son sillage nous avons eu à droit à un H.S.  # 2 Crazy Cavan et un H.S. # Vince Taylor. Deux H. S. qui ont profité des enseignements de l’élaboration du # 1 : pagination passée de 32 pages à 48, photos mieux travaillées (quand on connaît la qualité habituelle des photos de RGN l’on entrevoit le niveau d’exigence de Sergio Kazh), des articles davantage pointus… A l’aune de ces paramètres la réédition du H. S. # 1 s’imposait.

             Que voulez-vous, nous petits froggies, on n’est pas comme les ricains du Rock’n’roll Hall Fame fondé en 1983 qui ont attendu 1998 pour introniser la figure de Gene Vincent en son panthéon…

    *

             Enfin retiré dans sa gangue de plastique, l’est dans notre main, l’on hésite avant de l’ouvrir, pour commencer on se contentera de feuilleter uniquement pour les documents photographiques, nombreux mais si habilement distribués que la mise en page est des plus aérées, l’on soupire deux ou trois fois avant de se lancer dans la merveilleuse et triste histoire de Gene Vincent.

             Pourquoi une telle ferveur autour du personnage de Gene Vincent, n’existe-t-il pas des milliers d’autres chanteurs de rock. Une voix exceptionnelle, d’une finesse absolue, un jeu de scène d’autant plus incomparable que basé sur son infirmité, une discographie qui comporte nombre de chef-d ’œuvres… Une carrière qui commence comme un conte de fées, une poignée d’amateurs au sens noble de ce terme qui se trouvent propulsés au-devant de la scène en quelques semaines.

    Certes il y a mal donne. Dès le début. N’ont pas suivi le premier précepte du savoir-faire américain : The right man at the right place. Ce petit noyau de musiciens qui l’entourent ce sont bien les right men. Mais ils ne sont pas à la bonne place. Tony Marlow nous parle de Cliff Gallup. Un guitariste incomparable. Cliff n’est pas un rocker dans l’âme, il n’est pas un révolté,   mais il a su se mettre à la hauteur des aspirations de Gene, comment a-t-il eu l’intuition de savoir ce que Gene désirait, personne n’a su l’expliquer. Tony nous l’explique historialement, musicalement, techniquement,  moins doué que Tony je dirai que Cliff à la guitare si clivante est l’explorateur de la brisure, l’est comme un funambule qui court à toute vitesse sur son fil et brutalement le voici qui marche bien au-dessus de son cordon, n’en finit point d’escalader le ciel jusqu’au point de rupture d’équilibre, il dégringole comme une pierre qui rebondit d’escarpements en escarpements pour dévaler la montagne, il plonge dans l’abîme et… par un inouï redressement incompréhensible il revient galluper sur le fil avec l’élégance et la précision d’un hélicoptère qui se pose sur votre pelouse. En plus vous avez le bruit syncopant des pales tournoyantes et du rotor pétaradant qui vous bouscule les tympans.

    Avec un tel talent, Cliff aurait pu amasser des dizaines de milliers de dollars en tant que guitariste de studio. Préfèrera retourner chez lui et animer bals et spectacles des patelins du coin… Poussera l’abnégation jusqu’à presque mourir sur scène. Le père tranquillou qui se paie un destin à la Molière…

    Mais il n’est pas le seul. Un à un, le numéro vous les présente, tous les musiciens de Gene durant ses premières années américaines le quitteront pour voguer en des eaux plus calmes. Pas pour rien que son groupe se nomme les Blue Caps.

    Le pire c’est que Gene s’habitue à tous ses changements. Le vent souffle, il reste le rock dans la tempête. Il se débrouille, il improvise, il ne comprend pas, et Capitol ne lui en donne pas les moyens, qu’il aurait besoin d’un staff stabilisé pour servir d’interface entre sa carrière et sa maison de disques…

    En 1959 la carrière américaine de Gene est mal partie, elle renaît en Europe. L’Angleterre et la France l’accueillent. La revue s’attarde davantage sur ses différentes venues en notre pays, triomphales au début des années soixante, mais sa popularité s’étiole au fur et à mesure que la décennie s’écoule jusqu’à la dernière tournée portée à bout de bras par des fans qui ne disposent pas des moyens financiers suffisants…

    Gene est un homme blessé, l’alcool sera pour lui un moyen de combattre la douleur de sa jambe brisée, cette souffrance physique sera confortée par un sentiment de déclassement et d’abandon, voire de trahison. Tous ses efforts pour revenir au premier plan se heurteront à un plafond de verre d’indifférence de la part des médias et du showbiz, la deuxième moitié des années 60 se transformera en un long purgatoire pour la plupart des pionniers. Mais l’homme se battra jusqu’au bout.

    Jusqu’à l’effondrement. Si pathétique que ce soit, un aigle blessé restera toujours un aigle. Qui sait voler plus haut que la plupart.

    Gene aura eu une influence capitale sur le rock français, une empreinte morale affirmeront certains, je n’aime point ce mot, l’attitude exemplaire de son existence vouée au rock‘n’roll ont marqué bien des esprits. Un demi-siècle après sa disparition, ce Hors-Série # 4 intitulé Gene Vincent la légende du rock est la preuve de la ferveur persistante autour de son nom et de son œuvre.

    Remercions Pascale Clech, Yolande Gueret, Gilles Vignal, Maryse Lecoultre, Tony Marlow, Brayan Kahz, Serge Poulet et Sergio Kazh qui ont œuvré à la réalisation de cet ouvrage indispensable autant pour les fans que les néophytes es rock’n’roll.

    A regarder, à lire, à méditer.

    Action Rock‘n’roll !

    Damie Chad.

    Pour un numéro : 12 € + 4, 30 € = 16, 30 €

    Pour deux numéros : 24 € + 6, 30 € = 30, 30€                                               

    Paiement chèque bancaire : à l'ordre de Rockabilly Generation News, à Rockabilly / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois /

    Paiement Paypal : (cochez : Envoyer de l'argent à des proches) maryse.lecoutre@gmail.com.

    FB : Rockabilly Generation News.

     

    *

    Une bonne nouvelle emmène une autre bonne nouvelle. A peine l’enveloppe enfermant le H. S. 4 Gene Vincent récupérée dans la boîte à lettres qu’une deuxième arrive deux jours après, elle aussi porteuse d’une nouvelle revue :

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 28

    JANVIER – FEVRIER – MARS ( 2024 )

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            Mais qu’est-ce donc que le rockabilly ? Sergio Kazh et sa démoniaque équipe ont décidé de répondre à cette question. Que le lecteur ne s’angoisse pas, ne se sont pas réunis durant trois mois en conclave pour rédiger un texte de quarante-huit pages en lettres minuscules afin de nous livrer tout ce que l’on voulait savoir et même tout ce que l’on ne voulait pas savoir sur le rockabilly. N’ont même pas pris la peine de synthétiser leur savoir en une courte phrase. Ont préféré adopter la méthode des plus grands maîtres Zen. Ce qui nous semble un étrange car le rockabilly ne nous est jamais apparue comme une musique particulièrement zen.

             Résumé de la méthode zen :

    1° : La question : Maître qu’est-ce que violence ?

    2 ° : La réponse : le Maître ne dit rien, il se contente d’envoyer un grand coup de pied sur la figure du disciple qui crache ses dents sur le tatami méditatif.

    3 ° : La conclusion : le Maître dit : Voilà c’est ça.

             Sont sympa chez Rockabilly Generation News : ils vous épargnent les phases 1 & 2. Passent directement à la troisième phase. En plus je vous aide à comprendre la phase 3 : Voilà le rockabilly c’est de la visite vivante.

             Et hop, et bop, dès la première séquence ils vous emmènent en tournée avec les Ghost Highway, vous les suivez partout : sur la route, à table, dans les coulisses, vous assistez aux répètes et aux concerts, et même, ils ne devraient pas, nous disent tout sur le prochain disque en préparation pour 2024.

             L’on a beaucoup suivi les Ghost avec Kr’tnt ! le blogue et le groupe sont nés à peu près en même temps. On les a accompagnés jusqu’à leur séparation en 2016. Ce qu’il y avait de fabuleux avec les Ghost c’est qu’ils avaient un nombre de followers qui les suivaient dans leurs déplacements. Une espèce de confrérie festive ambulante. Les heures chaudes du deuxième revival rockabilly. Une épopée comme peu de groupes français ont su en susciter… Quel plaisir de retrouver Phil, Jull et Arno en photo, sans oublier Brayan le petit nouveau au grand talent à la contrebasse, bref ils sont de retour ! Enfin !

              Musique vivante le rockabilly, pour vous en convaincre le deuxième chapitre nous parle de la renaissance du Festival Viva Pouligue’n’roll ! Trois longues années de dormition et les revoici, et ce n’est pas facile avec l’augmentation du prix des billets d’avion des musicos. Swamp Cats, Hudson Maker, Strike Band, The Jets. Oui ça en jette.

             Neuf pages (+ la couve) sur les T-Becker Trio, ce n’est pas un groupe qui monte, en deux ans sont déjà au sommet, Kr’tnt les a présentés deux fois en concert et ont chroniqué leurs deux CD’s. Racontent leurs parcours, Did, yes indeed, qui a joué avec le Blue Tears Trio, même que c’est le Cat Zengler de chez nous qui a dessiné une de leurs pochettes, l’a commencé par écouter les Chaussettes Noires puis l’a flashé sur les Stray Cats, l’est tombé dans la marmite du Rockabilly, n’en est plus jamais sorti. Tof, c’est pas du toc, l’est parti du néo-rockab vers les racines Hillbilly, Jump, ces vieilleries d’éternelle jeunesse, bourrées de dynamite. Je ne présente pas Axel, very well, un excellent contrebassiste mais quel exemple déplorable pour notre jeunesse, ne faisait pas ses devoirs à l’école, préférait   écouter ses disques de Jerry Lou et de Gene Vincent. Vous voyez où cela l’a mené... dans un des groupes les plus originaux et créatifs du pays…

             Musique ultra vivante le rockabilly, Notre Cat Zengler nous a déjà chroniqué plusieurs éditions de Béthune Rétro, ce coup-ci c’est l’appareil de Sergio qui vous le présente, l’on y retrouve entre autres :  Ghost Highway, Back Prints, Nelson Carrera… découvrez tous les autres par vous-même.

    La tête commence à vous tourner, trop de bruits, de rires, de danses de folie, je ne peux rien pour vous, Parmain, Kustom Festival & Tattoo vous accueille, T-Becker Trio, on se les arrache, groupes anglais, suédois, hongrois, parlent tous la même langue : l’idiome rockabilly !

    Rock’n’Roll in Pleugueneuc et Rocking Rhythm Party # 10, vous commencez à vous lasser, vous avez tort, vous commencez à penser que le rockabilly c’est de la mauvaise herbe, que ça pousse partout en folle France, vous avez raison, je ne citerai qu’un seul exemple Ervin Travis & His Band, le grand retour, au meilleur de sa forme, quel plaisir de retrouver Ervin, Nietzsche avait raison, ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort. 

    Heu, Damie tu n’as pas oublié quelqu’un. Pas du tout bande de brêles, j’ai gardé la meilleure pour la fin pour que vous voyiez au moins une fois dans votre vie la vie en rose. Dans sa précieuse rubrique Les Racines, Julien Bollinger présente The Maddox Brothers and Rose. Drôle de viandox survitaminé les Maddox, on en parle peu par chez nous, une espèce de Carter Family sous acide, rien ne leur a fait peur, même pas Elvis qui leur a rendu hommage, l’article est sous-titré ''Les raisins de la colère'', "les zinzins de la colère'' n’aurait pas été une erreur non plus. Certains ont créé le rock’n’roll. Cette tribu de déjantés avait déjà auparavant inventé la parodie du rock’n’roll.

    Imitons-les en parodiant Gene Vincent. Ce numéro 28 is A Rockin’ Date with Rockabilly Generation News.   Incontournable !

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois),  6 Euros + 4,30 de frais de port soit 10,30 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 38 Euros (Port Compris), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( Rajouter 1,10 € ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de tous les magazines... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents ! 

     

     

    Wizards & True Stars

    - Holiday in the sun

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             Croisons donc les regards que portent Lee Daniels et James Erskine sur Billie Holiday, akaka Lady Day. Avec Billie Holiday Une Affaire d’État, le premier opte pour la tragédie. Il passe le plus clair de son temps, c’est-à-dire deux heures, à noircir considérablement le tableau. Victime de ses choix scénaristiques, Daniels conduit son biopic dans l’impasse : la tragédie tue l’art. On est là pour entendre chanter Billie Holiday, pas pour tremper dans l’eau sale des destins tragiques revus et corrigés par l’industrie hollywoodienne. Avec Billie, James Erskine opte pour le docu, mais un docu très particulier. Il repart de l’enquête menée par une certaine Linda Lipnack Kuehl dans les années 70. Elle comptait bien écrire une vraie bio de Billie, et elle interviewait des tas de gens qui l’avaient connue. Linda n’a pas réussi à mener son projet à terme, car elle a cassé sa pipe en bois dans des circonstances mystérieuses : officiellement, elle s’est jetée par la fenêtre de sa chambre d’hôtel. Aux yeux de sa frangine, il est nettement plus probable qu’un mec l’ait balancée par la fenêtre. Erskine a miraculeusement réussi à retrouver les enregistrements de Linda et il base tout son docu dessus. On ne peut pas faire plus véracitaire. En plus, le docu fait la part belle à Billie qu’on entend chanter énormément, et chaque fois, le swing de sa voix te serre le cœur.

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            Les mecs qui font des biopics ont un gros défaut : ils en rajoutent. Ils mordent le trait. Ils chargent la barque. Ils n’ont qu’une seule obsession : faire pleurer dans les chaumières. Et pour faire pleurer dans les chaumières, il faut commencer par tuer l’art. Alors pour tuer l’art, il y va à la pelle, le Daniels, il charge la chaudière, il bombarde, il noircit, il aggrave, il envenime, il ne laisse aucune chance à la véracité, allez hop, la mère qui est pute et la Billie violée à onze ans, allez hop, les maris gigolpinces qui lui tapent dans la gueule et qui la finissent à coups de pompe, allez hop les racistes du FBI obsédés par une seule chanson, «Strange Fruit» et qui l’accusent d’anti-américanisme, d’où l’affaire d’État, le biopic va même filmer les fucking sénateurs, ils ne la lâchent, en plus, ils lui foutent des fioles d’héro dans sa poche et l’envoient au ballon, allez hop, on réduit toute l’histoire, il ne reste plus que la persécution, et le bouquet final, c’est le lit de mort à l’hosto, avec un dernier interrogatoire de la gestapo américaine et c’est là que le biopiqueur vient poser sa pauvre petite cerise sur le gâtö : le pied de la Billie clamsée menotté au barreau du petit lit blanc. Il ne manque plus que la chanson de Berthe Sylva, «Les Roses Blanches». Avec ça, les chaumiers qui habitent des chaumières sont baisés : tout le monde chiale devant la téloche. Daniels a gagné la partie.

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             C’est Lester Young qui baptise Billie ‘Lady Day’. Alors Billie baptise Lester ‘Prez’, c’est-à-dire Président. Dans son biopic, Daniels montre Prez, bien sûr, coiffé d’un petit chapeau noir à la Mo’ Better Blues, mais il ne précise pas qu’il s’agit du grand Lester Young. Heureusement, Erskine rattrape le coup. Il nous montre Lester Young en vrai. La légende de Billie, c’est aussi et surtout Lester Young. Quand elle swingue son sucre, Lester entre avec elle dans le cercle magique. Ils sont comme frère et sœur. Ils sont indissociables - Baby make up your mind - Et les voix enregistrées par la pauvre Linda défenestrée commencent à sortir du passé : «Billie ne chantait que la vérité. Elle ne connaissait que ça.» Alors les entorses à la réalité n’en deviennent que plus insupportables. C’est pour ça que Linda se battait : pour rétablir la vérité, et Erskine lui emboîte le pas. Oui, Billie adorait les jurons : «Suck my ass motherfucker !». C’est aussi ce qu’elle dit dans le biopic au fucking agent du FBI qui lui demande une dernière fois de renoncer à chanter «Strange Fruit» : «Suck my black ass». Une belle façon de l’envoyer se faire foutre. Erskine revient aussi sur une autre réalité : l’œil au beurre noir. Pour les blackettes de cette époque, c’était une preuve d’amour - My man loves me - Une façon comme une autre de tourner la réalité en dérision. On retrouve ça aussi dans l’autobio de Bettye LaVette qui explique que toutes les chanteuses black étaient maquées à des proxos. On retrouve ça aussi dans les histoires d’Aretha et de Nina Simone. À chaque fois, tu as le mari black qui ramasse tout le blé et qui leur tape sur la gueule. He’s my man.

             Le biopic fait bien sûr la part belle à l’héro. Le flicard du FBI veut coincer the bitch on the drugs. Alors on a droit à tout le cirque : la bougie, la cuillère, le garrot, le shoot, le kick, un vrai mode d’emploi. On voit souvent l’actrice à poil. Quand elle baise, elle se fait prendre par le cul. Un cliché de plus. L’actrice est extrêmement belle et s’appelle Andra Day. Mais elle n’a rien de l’animalité de Billie. On a eu le même problème avec le biopic consacré à la Môme Piaf. Le mec qui a tourné ça ne devait pas savoir que Piaf était kabyle. Dans le cas de Billie comme dans celui de Piaf, l’animalité est l’élément déterminant.

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             Erskine remonte aux sources : Harlem années 30, Billie fume de l’herbe, elle écoute Bessie Smith, Louis Armstrong et Billy Eckstine, John Hammond la découvre. On la voit chanter «The Blues Are Brewing» à la télé avec Louis Armstrong, elle chante dans l’orchestre de Count Basie, un Basie que la pauvre Linda a réussi à interviewer - Call me Bill - sans doute le passage le plus étrange du docu. Puis un jazzman blanc nommé Artie Shaw la prend comme chanteuse. Ça ne s’invente pas. Billie tourne dans le Deep South et un jour, alors qu’elle allait pisser dans un champ de maïs, elle tombe sur une scène pas terrible : une ferme brûlée, le black pendu et ses gamines terrorisées qui chialent toutes les larmes de leurs corps. Le biopic ose mettre en scène cette abomination. Hollywood n’est plus à ça près. On se souvient tous de la version hollywoodienne de Shoah, cette grosse arnaque intellectuelle intitulée La Liste de Schindler. Claude Lanzman avait démontré avec Shoah qu’on ne pouvait pas aller plus loin, que son film était à la fois l’aboutissement et la raison d’être du cinéma. Pour se faire un gros billet, les biopiqueurs hollywoodiens sont passés outre et ont «exploité» le filon des camps. La scène de la ferme brûlée tape dans le même genre de registre : on émeut à bon compte, sans trop se poser les questions de base, notamment celles qui touchent à la moralité. L’horreur, comme dirait le Colonel Kurtz.

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             Alors Erskine laisse Bille nous dire les choses à sa façon : elle chante «Strange Fruit». Son visage est pur, la scène colorisée. Elle a presque les larmes aux yeux. Elle est d’une beauté sidérante. Elle attaque très bas au «Southern trees/ Bear a strange fruit» et module son sucre pour faire vibrer le «Blood on the leaves/ And blood at the root», tu n’as même pas besoin de comprendre l’anglais pour savoir que c’est d’une extrême gravité, mais portée par des vers, donc te voilà au sommet du lard le plus intense qui se puisse imaginer ici- bas - Black bodies swinging/ In the southern breeze - Ce sont les mêmes pendus que décrit François Villon - De ci de là selon que le vent tourne/ Il ne cesse de nous ballotter à son gré - Et d’un profond accord avec Léo Ferré et Billie, Villon s’exclame : «Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !». Remplis de toute la miséricorde du monde, Billie et Villon saluent toutes les victimes de la barbarie. C’est le chant des sirènes que ne pouvait entendre le FBI - Strange fruit hanging/ from the poplar trees - Quand Bille chante ça dans les clubs, les blancs quittent la salle. À la fin du biopic, on nous dit que Time Magazine a sacré «Strange Fruit» chanson du siècle. Au moins le biopic aura servi à ça. On dit aussi que personne à part Billie n’a eu le cran de chanter ça. Si Billie ne chante pas «Strange Fruit», personne ne le fera. Eh oui. Car c’est une chanson d’une rare violence véracitaire, et cette violence véracitaire est l’essence même de Billie - Pastoral scene/ Of the gallant south/ The bulging eyes/ And the twisted mouth - elle tord bien la bouche pour imiter le twisted mouth du pendu. Fascinante artiste ! Villon décrit lui aussi la scène pastorale - Pies, corbeaux nous ont crevé les yeux/ Et arraché la barbe et les sourcils - Billie et Villon t’obligent à regarder et à sentir - Scent of magnolias/ Sweet and fresh - l’atroce réalité de l’enfer au paradis - Then the sudden smell/ Of burning flesh - KKK & nazis même combat. Dommage qu’elle n’ait pas ajouté un couplet pour dire ça. Ces gens-là utilisent les mêmes méthodes, the sudden smell/ Of burning flesh. Bon il y a encore un couplet après ça, mais le mieux, c’est encore d’écouter Billie le chanter. 

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             Billie aime la vie, elle aime les hommes et elle aime le swing - Billie she’s a sex machine. She just wanted to get high. Simple as that ! - Elle fait son année de placard et se tient à carreau. Quand elle sort en 1948, elle remplit le Carnegie Hall. Mais elle n’a pas de pot avec les bonshommes : son manager John Levy est un indic du FBI, et son dernier mari dont on a oublié le nom lui a pompé tout son blé, et pire encore, il hérite de ses biens après sa mort. Et pour couronner le tout, un médecin lui annonce qu’elle s’est chopé une belle cirrhose. Donc pour elle, c’est cuit aux patates. Direction l’hosto. Miam miam pour les biopiqueurs de malheur.

             Et puis après le pot aux roses de «Strange Fruit», tu tombes dans le docu sur un autre pot aux roses : l’hallucinant témoignage de Jo Jones, qui battait le beurre pour Billie : «Elle est morte à l’hosto un dimanche. Elle sait qu’elle va mourir. Ils sont venus l’arrêter sur son lit de mort. Arrêtée à l’hôpital pour détention d’héroïne ! Dieu aide les États-Unis d’Amérique. Personne n’avait autant innové qu’elle. Nobody ! Tout ce qu’elle voulait, c’était chanter. Elle n’emmerdait personne. Elle roulait en Cadillac, et portait un vison, so what ? What’s wrong with that ? Pas le droit d’avoir une Cadillac et un vison ? Elle n’avait pas le droit d’avoir des diamants ? Non tout ça, c’est pas pour toi. You’re a negro. Stay in your place. Un bol de fayots et du riz, t’as besoin de rien d’autre. Faut voir tout ce qu’on a dû traverser ! - et là Erskine ramène les images en noir & blanc des lynchages, et Jo Jones enfonce son clou - Aucune chanteuse n’a enduré ce qu’elle a enduré. Le plus grand pays du monde ? The most stupid, the most racist people - Erskine ramène des images du KKK et Jo Jones poursuit son accusation - Even to this day ! I’ll leave as soon as I can. Je ne veux pas me prêter à cette mascarade. Le 17 juillet, jour de sa mort. J’ai refermé le cercueil de Miss Holiday et posé deux fleurs dessus.» Jo Jones a dit tout ce qu’il y avait à dire.

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             Avec son docu, Erskine ramène l’art. Il termine avec le dernier album, Lady In Satin et on voit des images spectaculaires de Billie émaciée. Billie forever.

    Signé : Cazengler, Holiday on ice

    Lee Daniels. Billie Holiday Une Affaire d’État. DVD 2021

    James Erskine. Billie. DVD 2021

     

     

    Pour Kim sonne le glas

     - Part One

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             Les Sonic Youth ont bien fasciné les foules, à l’époque des grands concerts à l’Élysée Montmartre. On s’est tous goinfrés comme des porcs de Goo et de Dirty, ces deux grands albums de wild gaga new-yorkais devant l’Éternel. On s’est aussi prosternés jusqu’à terre devant The Year Punk Broke, ce movie rock qui était censé encenser Sonic Youth, mais l’impétueux J. Mascis leur vola la vedette d’un coup de Wagon. Bref tout ça nous ramène au passif des années antérieures qu’on a tous vécu à la va-comme-je-te-pousse, bon an mal an, et cahin-caha. Des années qu’on aimerait pas trop revivre. Pourquoi ? On ne sait pas trop. Il y planait un soupçon de malaise généralisé, mais aussi personnel. Trop de blé, trop de gonzesses, trop de n’importe quoi. Le retour à la pauvreté et à la vie monastique fut une espèce de répit inespéré.

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             Sans doute était-ce la faute d’un album trop expérimental, toujours est-il qu’à une époque on a décroché brutalement de Sonic Youth, qu’on avait suivi depuis le début. Oui, on les tenait en haute estime, sans doute grâce à Spin, qui faisait alors référence en matière d’alt-rock US. Mais avec un album dont on a oublié le nom, Sonic Youth commit l’irréparable : prendre les gens pour des cons. On apprit dans la foulée que Thurston Moore trompait Kim, laquelle Kim le prit très mal et le groupe splitta. Sonic Cuckold, ça ne sonnait pas très bien.

             Revenons à l’essentiel : on savait pour les avoir vus sur scène, et pour avoir écouté les albums, que l’âme du groupe était en réalité Kim Gordon. On ne trompe pas sa femme quand celle-ci est un parfait rock’n’roll animal comme Kim. Mauvaise pioche, mon pauvre Moore. Au passage, il a perdu tout ce qui lui restait de crédibilité. Bien sûr, nous ne sommes pas là pour porter des jugements, mais casser un groupe pour une histoire de cul, c’est un peu n’importe quoi. C’est encore pire que de casser un groupe pour une piscine. Encore une fois, le rock est un art trop sacré pour être confié à des betteraviers.

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             Puisqu’elle souhaitait éclairer nos lanternes, Kim a publié ses mémoires, un petit book sans prétention titré Girl In A Band. Le ‘sans prétention’ est important, car ce n’est pas le rock book du siècle, loin de là. Kim n’a ni la niaque de Miki Berenyi (Fingers Crossed: How Music Saved Me from Success), ni celle de Viv Albertine (Clothes Clothes Clothes Music Music Music Boys Boys Boys). Plutôt que de chercher à atteindre le sommet d’un Ararat littéraire, Kim tourne autour d’un gros pot-aux-roses : la trahison de Thurston Moore. Elle donne tout le détail de son traumatisme. Moore la trompe en cachette. Il ment comme un arracheur de dents. Elle fouille dans son ordi et dans son smartphone. Elle trouve des messages coquins. C’est d’une banalité atroce. Pas de quoi en faire un plat. Et pourtant, ça la fout en l’air. Au moins, elle a appris un truc essentiel pour une gonzesse : ne jamais faire confiance à un mec.  

             À la lumière de cette lecture qui n’a rien d’insolite, on peut se fendre de deux brillants constats. Un, ce qui arrive à Kim, c’est ce qui arrive généralement à tous les couples qui forment un team créatif. Tu bosses et tu baises avec ton ou ta partenaire, c’est du 24/24 pendant des années et au bout d’un moment, ça coince, car la baise devient mécanique et le job roule trop bien, ce qui n’est pas bon signe. Le team s’endort sur ses lauriers et la flamme s’éteint. Phénomène quasi automatique. On appelle ça la routine. C’est généralement dans cette zone de faux calme que retentit l’appel des sirènes, et de là à changer de crémerie, il n’y a qu’un pas qui se franchit sans état d’âme. Seuls les couples aux nerfs d’acier peuvent survivre à ce genre de mésaventure. Kim n’a pas supporté de voir son mec aller tremper son biscuit ailleurs. Elle n’avait pas la force de caractère ni peut être l’intelligence de Geneva Morganfield qui savait pertinemment que Muddy faisait des gosses à droite et à gauche. Geneva eut la grandeur d’âme de l’encaisser pour ne pas perdre son Muddy. Son exploit fut surtout de réussir à l’accepter tel qu’il était - C’est la clé de tout - Kim a préféré virer Moore. Pas question d’un ménage à trois.

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             Dans les premières pages du book, Kim nous dit que le groupe tourne encore dans le monde entier, mais elle et Moore ne s’adressent plus la parole. Leur mariage aura duré 27 ans. Dernier concert de Sonic Youth à São Paulo, en 2011, le groupe boucle le set avec «Teen Age Riot» que chante Kim - Un mariage est une longue conversation, a dit quelqu’un, et la vie d’un groupe l’est aussi. Quelques minutes plus tard, les deux étaient terminés - Elle décrit le vide qui s’ouvre sous les pieds lorsque tout s’arrête. Ceux qui l’ont vécu savent ce que ça veut dire. La mort, sans vraiment mourir. Vers la fin du book, elle rebouche le vide : «J’éprouvais de la compassion pour Thurston et j’en éprouve encore. Ça me désolait de le voir perdre son mariage, son groupe, sa fille, sa famille et notre vie conjugale - et lui-même. Mais éprouver de la compassion n’est pas la même chose que de pardonner.» Elle est dure en affaires. On le voit très bien sur les photos. C’est le genre à dire : «Me prends pas pour une conne.»

             Constat numéro deux, il apparaît que Sonic Youth doit sa grandeur tutélaire à Kim Gordon. Pour comprendre la réalité de ce constat, il faut peut-être commencer par la fin, c’est-à-dire la période solo de Kim, et foncer droit sur Free Kitten et Body/Head, car Kim s’y révèle extraordinairement bonne. Débarrassée de son mec et des turpitudes de la vie conjugale, elle éclate le Sénégal avec sa copine pas de cheval mais de Pussy Galore, Julie Cafritz. C’est là, à cet endroit précis de l’alignement des planètes que tu comprends tout. Kim Gordon superstar !   

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             Le Nice Ass de Free Kitten est un Wiija de 1994. Et même un sacré Wiija ! C’est un album qui s’enracine dans la cacophonie, qui monte doucement, qui ramone le Raincoat («Proper Band»), qui cherche des noises à la noise, qui bascule dans le weird ahuri et complètement arty («Kissing Well»), qui rentre dans le chou du lard («Call Back»), ah, elles s’y connaissent en Grosse Bertha, un album qui bat tous les records de weirdy weird avec une pop infestée de sax («Revlon Liberation Orchestra»), et qui finit par atteindre au génie trash avec «The Boasta», un shoot de weirdy weird merveilleusement exécuté, tout ici est gratté à la revoyure de la déglingue, en vertu des sacro-saints principes de l’underground new-yorkais, et puis elles culminent avec un «Royal Flush» qui s’inscrit dans la lignée de Pussy Galore. Brillantissime ! 

             Kim rappelle dans son book qu’elle et Julie étaient inspirées par the American alt-rock band Royal Trux, c’est-à-dire Neil Hagerty et Jennifer Herrema - Royal Trux was rock swagger perfected, with minimum effort, et même s’ils étaient completely on drugs the whole time, the effect was both amazing and mysterious.

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             Avec Inherit, Kim et Julie s’installent dans le weirdy weird. Elle grattent leurs poux toutes les deux, et raffolent d’atonalités. Te voilà au parfum. J. Mascis vient faire un petit tour dans «Surf’s Up» et il ramène du jus dans cette soupe du diable. Elles vont continuer d’exploiter le filon du Sonic Weird. Leur «Free Kitten On The Mountain» est comme on dit bien balancé. «Roughshod» renoue avec la légendaire énergie new-yorkaise du Galore et de Sonic Youth, et elles enchaînent avec un «Help Me» complètement détraqué. Elles font leurs punkettes de MJC new-yorkaise et c’est noyé dans l’agit-prop d’avant-garde. Tout ce que tu peux dire, c’est : Wow !  Et comme le montre «The Poet», on voit bien que Kim amène l’énergie dans Sonic Youth. Ça se confirme ici, dans cette dépravation quantique, dans ce bel exemple de sauvagerie urbaine. Kim est rock jusqu’au bout des ongles. Et puis on tombe comme par hasard sur un «Bananas» bien banané. Elles sont marrantes, car elles font gicler un pur jus de New York City sound, elles sortent la grosse disto et font n’importe quoi. Et ça vire encore plus experiment avec un «Monster Eye» noyé d’envergure pétrifiée, ça gratte dans les remugles, ça flattes les bas instincts, ça caracole dans les dérives abdominales.

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             Par contre, le Straight Up de 1992 est un peu plus compliqué à gérer, même si Don Flemming est dans le coup. Kim et Julie optent pour la modernité décousue de no way out. Ça donne des cuts irrités et irritants, elles grattent des poux très sourds dans «Smacx», et derrière, ça gueule dans une sorte de dodécaphonisme. Arnold Schönberg y perdrait son latin. Mis à part les followers, qui pouvait être assez cinglé à l’époque, non seulement pour acheter ça, mais aussi pour l’écouter ? Elles battent tous les records d’impertinence, plus c’est incongru et plus c’est Kitten. Elles dépassent les bornes. Elles attaquent «Oneness» au riff de stoner malingre. On voit bien qu’elles s’entendent comme larrons en foire. L’«Oneness» est monté sur un sacré drive de disto malovelante et ça donne une belle giclée de purée grasse. On sent la patte de Don Flemming. Elles délirent complètement dans «Dick» - His name is/ His name issss ? - et Julie demande : «What’s his name Kim ?», Kim dit que c’est Richard, alors elles délirent sur Little Richard, Richard Lloyd et Keef Richards. You dick !

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             En 2019, Kim enregistre No Home Record, un petit album qu’il faut bien qualifier d’extraordinaire. Elle expérimente dès «Air BnB», elle gratte des poux bien trash et expédie tout ça très vite en enfer. Kim Gordon superstar ! Superbe explosion d’Air BnB ! Elle récidive avec «Murdered Out» qu’elle attaque aux cornes de brume, elle attaque le rock dans la nuit, avec une fabuleuse violence new-yorkaise imprégnée d’hip-hop. Il n’existe pas de son plus urbain. Elle gratte des poux demented, c’est éclatant de tell me out. Et puis voilà le coup de génie, l’imparable «Hungry Baby», elle tape ça au big trash out de so far out. Kim a le power, elle est capable de merveilleuses dégelées, elle fait du wild gaga sixties noyé de trash, Sonic Youth, c’est elle, plus de doute possible, son «Hungry Baby» est un véritable modèle du genre, il y va au yeah yeah, c’est stupéfiant d’excelsior, elle n’en finit plus de grandir, elle a le génie du trash rock absolu 

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             Kim rappelle qu’à l’époque où Julie cherchait un beurreman pour Pussy Galore, elle lui a présenté Bob Bert qui avait fait un bref séjour dans Sonic Youth. Kim se dit d’ailleurs très impressionnée par le Pussy Galore d’alors - Julie and her bandmate Jon Spencer were slightly scary, I remember, all black clothes with tons of ‘tude - Dommage qu’elle n’évoque pas davantage tous ces groupes qui ont fait la grandeur de l’underground new-yorkais. Elle évoque vaguement Lydia Lunch, mais elle s’en méfiait comme de la peste, car elle était toujours, dit-elle, «en train d’essayer de séduire Thurston». Elle se dit fan de Teenage Jesus & The Jerks, mais pas pote avec Lydia, car elle n’a pas confiance en elle. Elle flashe aussi sur Black Flag - One of the best gigs I’d seen before or since - elle se gave de l’hardcore punk d’Henry Rollins - scary, surreal, intimate - L’un de ses meilleurs amis n’est autre que J. Mascis, à qui Kurt avait proposé de rejoindre Nirvana. Elle est aussi fascinée par Iggy - I give Iggy credit for deconstructing the very idea of entertainment. What is a star? Is stardom a kind of suspended adulthood? Est-ce que ça se situe par-delà le bien et le mal ? Est-ce qu’une star est une personne en laquelle on doit croire, ou un démon, un preneur de risques qui va au bord de la falaise sans jamais tomber ?

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             Grâce à Mike Watt, elle rencontre le fameux Raymond Pettibon qui va dessiner la pochette de Goo, et des pochettes pour SST. Elle flashe aussi sur Karen Carpenter et lui consacre une bonne page. Bon d’accord, elle admet que les Carpenters flirtent avec l’easy listening, mais c’est dit-elle le film de Todd Hayes qu’ils faut voir, Superstar. Kim est fascinée par Karen - Karen n’est-elle pas le personnage quintessentiel de notre culture, cherchant à satisfaire les autres de manière compulsive, pour atteindre ce degré ultime de perfection qui restera toujours hors de portée ? Pour elle, c’était plus simple de disparaître, de s’évader de son corps et de trouver la perfection dans la mort - Karen Carpenter a cassé sa pipe en bois à coups d’anémie.

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    ( Artwork : Mike Kelley )

             Kim évoque aussi son ami de longue date Mike Kelley qui dit avoir démarré Destroy All Monsters après avoir vu Kim sur scène au Ann Arbor Festival, lors du deuxième gig de Sonic Youth. Elle porte aussi sur New York un regard critique. Le New York qu’elle voit aujourd’hui est une ville de consommation et de fric - Wall Street drives the whole country, with the fashion industry as the icing -  et plus loin, elle enfonce son clou - New York City today is a city on steroids. Cette ville ressemble à un dessin animé. La ville a perdu son authenticité - Ses pages sur la No-Wave sont les plus belles du book - L’un des plus gros attraits des No Wave bands était le fait que leur musique semblait abandonnée et abstraite. C’était ce que j’avais entendu de plus pur, de plus libre, très différent du punk-rock des seventies et du jazz des sixties, c’était plus expressionniste et ça allait plus loin que tout le reste. En contraste, le punk-rock semblait ironique, avec des slogans du genre : «On va détruire le rock corporate». Les No Wavers y allaient plus franchement : «On détruit vraiment le rock». Cette liberté de ton m’impressionnait. Je me disais : «Je peux faire ça.» -  Kim rappelle que la No Wave brassait large, depuis le cinéma, l’art vidéo, jusqu’au rock underground, mais tout restait inclassable, hors de portée des classifications des médias - Basically it was anti-Wave, which is why strictly speaking No Wave can’t even properly be called a movement at all et ne devrait même pas porter de nom. C’est aussi une réponse directe à la New Wave, plus commerciale, mélodique, danceable punk - Blondie, The Police, Talking Heads - qui était vue par des tas de gens comme a lame sellout, c’est-à-dire une atroce putasserie - Bien vu Kim, car c’est exactement de cela dont il s’agit : a lame sellout : Oh je voudrais m’acheter une maison à la campagne, alors on va enregistrer un peu de diskö ! Pour illustrer son éloge de la No Wave, Kim cite quelques noms : «Glenn Branca of Theatrical Girls qui venait du théâtre, et le théoricien de la guitare Rhys Chatham qui avait étudié avec La Monte Young et Philip Glass.» Elle ajoute qu’on qualifiait Sonic Youth de No Wave, mais c’est selon elle une erreur - We didn’t sound No Wave. We just built something out of it.

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             Justement, Sonic Youth, parlons-en. Kim dit qu’à leurs débuts, Lee, Thurston, Bob Bert qui battait alors leur beurre, et elle se repassaient un book sur le Velvet - Pour un raison X, c’est ce book qui a fédéré le groupe. On était donc branchés sur la même longueur d’onde. On était branchés sur le Velvet, mais on a titré notre album Bad Moon Rising, d’après le cut de Creedence Clearwater Revival, c’était notre mode de fonctionnement : emprunter un truc à la culture pop et lui donner un autre sens. Creedence était un faux-Southern country band de la même façon que nous étions un faux-Velvet Undeground band. Plus, the title was badass - Elle redit plus loin que Sonic Youth a toujours cherché à tromper les attentes des gens. Puis elle rentre dans l’intimité du groupe : elle explique que Lee et Thurtson chantonnaient leurs idées de riffs, «et je chantais les trucs les plus barrés et les plus abstraits.» Elle et Moore s’entendaient bien sur les aspects esthétiques, et se mettaient toujours d’accord sur les pochettes. Kim rappelle aussi qu’ils sont arrivés avec Evol sur SST, qui était alors le label phare de la scène underground américaine. Black Flag, les Meat Puppets, Hüsker Dü et les Minutemen étaient sur SST.

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             Lors de sa première tournée anglaise avec Sonic Youth, les journalistes harcelaient Kim avec la même question : «What’s it like to be a girl in a band?». Kim va recycler cette question stupide et en faire le titre de son book. Elle n’a d’ailleurs pas une très bonne opinion des journalistes anglais (cowardly and nonconfrontational). Chaque fois que Sonic Youth enregistre un nouvel album, le groupe choisit un nouvel endroit pour répéter. Kim dit que le meilleur était un local appartenant à Michael Gira on Sixth Dtreet and Avenue B. C’est là qu’ils enregistrent en 1988 Daydream Nation, ce double album, qui à la grande surprise du groupe, remporte un succès d’estime. En 1990, le groupe a déjà dix ans d’âge. C’est là qu’ils cherchent un gros label, et ce sera Geffen. Avec l’avance qu’ils reçoivent, Thurston et Kim se payent un appart sur Lafayette Street. Puis ils choisissent le crobard de Pettibon pour la pochette de Goo, ce qui ne plait pas à l’A&R de Geffen qui aurait préféré une glamourous picture of the band

             Elle évoque aussi le public de Sonic Youth : «Même quand vous êtes dans le rond du projecteur, vous ne comprenez pas vraiment de quelle façon vous inter-agissez avec les gens. D’une certaine façon, Thurston et moi semblions inter-agir avec des late baby boomer urbains, qui voulaient que leurs enfants soient des rock’n’roll babies, et qui ne voulaient pas vieillir de la même façon que leurs parents. Avec leurs enfants, ils avaient la musique en commun. Même s’ils avaient 40 ou 50 ans, ils avaient encore la flamme en eux, le rictus et le doigt. Avec le temps, il m’a semblé que Thurston et moi incarnions cette tendance.» Elle décrit avec une précision remarquable la faune du rock indé, et c’est vrai que Sonic Youth en fut en quelque sorte l’emblème.

             Dans un nouvel élan de franchise, Kim rappelle qu’au démarrage de Sonic Youth, «I really made an effort to punk myself out, pour perdre tout lien avec mes origines middle-class West LA.» Elle revient plus loin sur son look, comme si elle avait besoin de se justifier - I was going for a punky look, sans jamais croire que j’en étais digne. Plus tard, j’ai évolué vers un look garçon manqué with a sexy François Hardy cool.

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             Kim flashe surtout sur Kurt. C’est la grande rencontre de sa vie. Elle est aux premières loges quand Nirvana sort de l’anonymat - Nirvana seemed part-hardcore, part-Stooges but with a cheesy chorus-pedal effect that was more New Wave than punk - Là elle se vautre, Kurt n’a rien à voir avec la New Wave - Kurt Cobain was both incredibly charismatic and extremely conflicted. Il jouait une belle mélodie et soudain, il bousillait tout le matos. Personnellement, j’aime bien voir les choses s’écrouler. That’s real entertainment, deconstructed - Un soir, Kurt coince Kim dans le backstage pour lui parler : «Je ne sais pas quoi faire. Courtney pense que Frances m’aime plus qu’elle.» Pour Kim c’est un grand moment de vérité : Kurt qui a besoin d’aide s’adresse à elle ! - J’y repense et je n’ose même pas imaginer ce que fut leur vie dans le chaos des drogues, et j’ai du mal à croire qu’ils ont pu rester deux ans ensemble - Quand on lui apprend que Kurt vient de se tirer une balle dans la tête, Kim se dit choquée, «mais pas surprise». Elle ajoute qu’il s’était produit un incident pas très clair à Rome, une petite overdose. En se maquant avec Courtney, il avait dit-elle «pris une voie plus sombre, et ce n’était plus qu’une question de temps avant la complète auto-destruction.» Pour Kim, Kurt reste un mec gentil, très vulnérable - L’élément principal de son auto-destruction fut de choisir Courtney, dans le but de faire le vide autour de lui, et ça a détruit la petite communauté à laquelle il appartenait - Bon tout ça c’est bien gentil, mais Kim veut que les choses soient claires : «Je n’ai jamais voulu exploiter l’amitié qui me liait à Kurt, et même dans sa mort, je voulais le protéger, c’est pourquoi je culpabilise à écrire ces quelques lignes. Mais comme je l’ai déjà dit, je pense souvent à Kurt. Avec les gens qui cassent leur pipe violemment et trop jeunes, il n’y a jamais de fin. Kurt still move along inside of me, and outside too, with his music.». Merveilleux paragraphe, merveilleux hommage et merveilleux témoignage d’amitié.

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             Mais c’est lorsqu’elle parle d’elle que Kim devient passionnante - Après avoir joué pendant trente ans dans un groupe, c’est assez stupide de dire : «Je ne suis pas musicienne.» Pourtant, je ne me suis jamais considérée comme une musicienne et je n’ai jamais pris de cours. Je me considère comme une rock-star de bas étage (a lowercase rock star). Oui, je crois que j’ai une bonne oreille et j’adore le frisson qu’on éprouve à être sur scène. Et même en tant qu’artiste conceptuelle, il y a toujours eu un côté performance dans ce que je faisais.» Voilà comment Kim se situe, avec toute la modestie dont elle est capable. Du coup, on la réécoute beaucoup plus attentivement.

             Elle revient sur elle-même pour cette fantastique confession : «Dans ma vie, je n’ai jamais choisi de faire ce qui était facile ou prévisible. Je n’avais aucune idée de l’image que je donnais de moi sur scène et dans le privé, je souhaitais simplement rester anonyme. Être consciente de soi, c’est la mort de la créativité. Je me sentais bien quand j’avais enregistré un truc qui m’avait plu, ou quand j’étais sur scène et que le son était tellement puissant que le temps s’arrêtait, et je sentais le public respirer dans le noir comme un seul être.» 

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             Elle approche dangereusement de la fin du book et se fend d’un brillant constat de plus : «L’autre jour, je réfléchissais à la façon dont la musique avait évolué. Les années soixante étaient tellement merveilleuses. Plus qu’aucune autre décennie, elles incarnaient le temps où l’individu pouvait trouver une identité dans le mouvement musical. Ce n’est pas la même chose que l’identité sexuelle qui relève plus des années cinquante, il s’agit plus d’un éveil collectif, qu’illustrent parfaitement les filles hystériques pleurant ensemble dans les concerts, quelque chose de contagieux et de spontané. Puis à la fin des sixties, la tendance hippie a commencé à se mélanger avec le goût de l’argent et c’est là que le rêve s’est évanoui.»

    Signé : Cazengler, Kim Gourdin

    Kim Gordon. Girl In A Band. Faber & Faber 2016

    Kim Gordon. No Home Record. Matador 2019  

    Free Kitten. Straight Up. Pearl Necklace 1992

    Free Kitten. Nice Ass. Wiija Records 1994  

    Free Kitten. Inherit. Ecstatic Peace 2008

     

     

    Holly ne met pas le hola

     - Part One

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             Mine de rien, on assiste au grand retour d’une légende vivante. En mai 2004, elle débarquait au Café de la Danse avec une fière équipe : un London greaser à la stand-up, et un grand zouave tout décharné qui portait, bien vissée sur son crâne de piaf, une casquette de marin-pêcheur : Bruce Brand ! Il devait bien friser la soixantaine, avec un visage taillé à la serpe. Il brancha rapidement une demi-caisse Guild sur un petit ampli Fender à lampes, sortit d’une valisette bordélique une pédale fuzz en forme de méduse et la raccorda sur la Guild avec un câble de fer à repasser gainé de tissu blanc et noir. Holly est arrivée à la suite, auréolée de la légende des Headcoatees - notamment leur version de «Come See Me» rebaptisée «I’m Your Man» - Holly n’était plus la brune incendiaire qui avait envoûté Wild Billy Childish. Après pas mal de problèmes techniques, Holly mit finalement le groupe en route. Ils jouaient avec un son minimaliste terriblement sixties. Elle emmenait son public dans une sorte d’hillbilly londonien, très belle ambiance, faite de chaude intimité et de joyeuse simplicité. Le greaser se cabrait sur sa contrebasse et couvait Holly du regard. Elle alternait les balladifs country et les rengaines douce-amères. Puis elle mit le feu aux poudres en démarrant un rock sixties caoutchouté au slap, et vrillé bien sûr par un vaillant solo de fuzz. Bruce Brand écrasait sa méduse avec un air gourmand. Son corps bougeait avec élégance, il était d’une certaine façon le Monsieur Hulot du rock anglais, et pour finir les cuts, Holly dansait d’un pied sur l’autre. Avec sa musique sans prétention et ses musiciens de bric et de broc, Holly ramenait une incroyable fraîcheur.

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             En vingt ans, rien n’a changé : Holly installe sur scène la même ambiance : Bruce Brand est toujours là, sous sa casquette de marin-pêcheur, mais il bat le beurre. Et quel beurre ! On le considère comme l’un des meilleurs batteurs anglais.

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    Un jeune coq nommé Bradley a pris sa place à la gratte et d’une certaine façon, il va contribuer à l’excellence des ambiances, avec un jeu très funky, cette parcimonie du jeu black qu’on retrouve chez des géants comme Mabon Teenie Hodges ou encore Freddie Stone.

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    Et de l’autre côté, le greaser est toujours là sur la stand-up, avec un petit coup de vieux. Holly a aussi pris un petit coup de vieux, bien sûr, mais son charme reste intact. Elle est toujours aussi ravie d’être sur scène. C’est vrai qu’il règne dans le petit théâtre une bonne ambiance. Elle attaque avec le vieux «Crow Jane Blues» de Sonny Terry et Brownie McGhee, et elle va enfiler d’autres vieux classiques comme le «Mule Skinner Blues» de Jimmie Rodgers, et le «Sally Go Round The Roses» des Jaynetts qui tapa si bien dans l’œil de Leiber & Stoller et de Tim Buckley. Elle cultive toujours sa nonchalance et ses grooves cha-cha, elle balance au gré des vagues, elle enfile ses perles avec une aisance assez magistrale, avec une fluidité de ton qui n’en finit plus d’alimenter sa légende, oh bien sûr, pas de hits, pas de coups de génie, simplement de la good time music, celle qu’elle propose depuis trente ans, depuis le temps des Headcoatees.

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    Ah comme le temps passe. Elle ne cherche plus trop à rocker le boat, elle se contente de nous bercer de langueurs monotones et visiblement, les gens aiment ça. On ne gardera pas le souvenir de cuts en particulier, seulement le souvenir d’une heure de set extrêmement agréable, une sorte de petite leçon de groove à l’anglaise. Pour finir en beauté, elle fait revenir sur scène Big Russ Wilkins pour une version catchy du «Mellow Down Easy» de Little Walter.

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             Holly Golightly fait partie des artistes qu’on suit au fil des décennies, album après album, comme on suit Al Green ou Johnnie Taylor, car on sait par expérience que ce sont toujours de bons albums, même au bout de trente ans. Rien n’est plus fascinant que de voir un artiste évoluer dans le temps. Il est essentiel de savoir que les grands artistes mettent un point d’honneur à ne pas se répéter, simplement par respect du public. Et c’est toute la difficulté : continuer à exister artistiquement aussi longtemps devient une gageure, et il faut voir avec quel brio les grands artistes relèvent ce défi. Holly ? Allez, environ 25 albums, mais aucun qui ne soit inintéressant.

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             Son dernier album solo en date s’appelle Do The Get Along. On y retrouve l’équipe scénique : Bradley Burgess, Bruce Brand et le greaser Matt Radford. Il faut l’entendre slapper le bout de gras dans «Hypnotized» et elle y va au one kiss from/ Your lips/ I’ll be satisfied. C’est slappé à ras des pâquerettes de London town. Do The Get Along est d’abord un album de groove, «Pretty Clean» est un classic Holly jive, ça Golighte in the tight, et Bradley s’en donne à cœur joie, fantastique shake d’hipper all the time. Pus jus de r’n’b avec «The Get Along». Elle y va à la douce et derrière, le Brad joue à la parcimonie. Belle ouverture de bal avec «Obstacles», ça groove mais avec des pointes de Méricourt, et le Brad passe un solo de vif argent. On retrouve cette grande jiveuse qu’est Holly dans «I Don’t Know», un soft groove de sucre pur, elle tape dans la white black de légende, avec une prestance qui n’en finit plus de se conforter dans l’éclat des lips. Le slap contribue à la grandeur du sucre. C’est un round midnite d’excelsior. Sur «I’m Your Loss», Bruce met le conga beat au carré, ça joue énormément et le Brad passe un solo dépenaillé. Ça groove encore très sec sur «Quicksand», Holly chante au sucre pur et Bruce te percute ça au jazz beat.

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             Le dernier album en date d’Holly Golightly & The Brokeoffs s’appelle Clippety Clop. À part les vieux fans, qui va aller rapatrier ça aujourd’hui ? Holly fut à la mode, comme on dit. L’est-elle encore ? Le Clippety Clop porte bien son nom, car c’est un album consacré aux chevaux. Douze cuts sur le thème du cheval, à commencer par «Mule Skinner», un vieux groove primitif qu’elle tape au beat tribal d’heartbeat, avec des intrications de banjo. Pur jus de modern Americana au petit sucre. Elle y reste avec «Two White Horses», elle fait même de la brocante d’Americana, Just in time. In the face ! Il règne sur cet album une belle ambiance d’enveloppe collégiale, elle rassemble autour d’elle comme le ferait un messie. Mais si. Elle passe à la rengaine de ragtime pour «Pinto Pony», elle a du son, du poids dans la légende, elle sait taper un shoot et caresser l’Americana dans le sens du poil. Elle fait du classic blues primitif au sucre avec «Black Horse Blues», elle est marrante, très juvénile. Elle passe au sucre de trad avec «Kill Grey Mule», un classic boogie blues. Chaque album d’Holly sonne comme un événement. Elle racle les fonds de tiroir de l’Americana et c’est très intéressant. Elle revient au primitif avec l’excellent «Stewball», ça duette dans la kitchen, elle a ce talent fou de savoir créer du primitif au débotté.

    Signé : Cazengler, Holy shit !

    Holly Golightly. Théâtre Municipal Berthelot. Montreuil (93). Le 17 novembre 2023

    Holly Golightly. Do The Get Along. Damaged Goods 2018

    Holly Golightly & The Brokeoffs. Clippety Clop. Transdreamers Records 2018

     

     

    L’avenir du rock

    - Shaking with the Shakes

             L’avenir du rock erre toujours dans le désert. Au début, c’était une manie, c’est devenu au fil des mois un art de vivre. Dommage qu’il ne soit pas filmé pour la télévision, car il pourrait servir d’exemple. Il passe ses journées à trotter d’un point à un autre. Il se dit «allons par là», alors il va par là. Il s’est forgé une détermination à toute épreuve. Un esprit défaitiste dirait en le voyant errer qu’il n’a pas le choix. Ça ferait bien marrer l’avenir du rock que d’entendre ça. D’ailleurs il en est arrivé au point où il rit d’un rien. S’il trouve un coquillage dans le désert, il explose de rire. S’il croise Lawrence d’Arabie, il doit se mordre les lèvres, même craquelées de sécheresse, pour garder son sérieux et sauver les apparences. Il ne se passe pas un jour sans qu’il ne fasse de rencontre inopportune. Il a vu passer Rimbaud transporté par quatre coureurs de fond éthiopiens, mais comme le poète se disait pressé, il ne s’est pas arrêté pour contrepéter. Il a aussi croisé Jeremiah Johnson qui cherchait la route du Colorado. Toujours les mêmes embrouilles, avec ce mec-là. Agacé, l’avenir du rock a fini par perdre patience :

             — Tu me fatigues avec tes jérémiades, Jeremiah. T’as qu’à te payer un GPS !

             Le lendemain, sur qui qu’il tombe ? Dersou Ouzala !

             — Chuis paumé, avenil du lock. Ché pal où la Taïga ?

             — Tu vas Ouzala-bas et tu tournes à droite après la dune. Dersouboujou pi des gommes !

             Les seuls gens sérieux dans le désert, ce sont encore les conducteurs de caravanes. Rien n’a changé depuis des millénaires, depuis le temps des Mille et Une Nuits. L’avenir du rock adore voir onduler les caravanes sous la lune. Il s’approche pour les saluer, le buste bombé comme le serait celui d’un Chevalier du Temple, et lance d’une voix qu’il veut noble, claire et chargée de tout le prestige de l’Occident chrétien :

             — Akbar Allahbama !

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             C’est pour l’avenir du rock une façon déguisée de rendre hommage aux Alabama Shakes et à leur grosse chanteuse géniale, Brittany Howard. On cherche aussitôt la connection avec la scène légendaire d’Alabama, mais le seul nom qui apparaît est celui de Patterson Hood, un Patterson qui alerte très tôt ses managers. C’est la raison pour laquelle les Alabama Shakes atterrissent sur ATO Records, le label des Drive-By Truckers et de St Paul & The Broken Bones. Sinon, pas de liaison particulière avec Muscle Shoals ni les autres cracks locaux. 

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             Patterson Hood a eu raison d’alerter ses managers. Alerte à bord dès l’«Hold On» qui ouvre le bal de Boys & Girls. Quel shoot de wild groove ! C’est gorgé de son et Brittany couine dans le feu de l’action. Elle chante à l’insistance patentée. Elle enchaîne les coups de génie comme des perles, elle te shoute toute la Soul du monde dans «I Found You», ça devient vite insupportable de grandeur tutélaire, elle te sert sur un plateau d’argent un balladif immense explosé par des chœurs d’artichauts. Avec «Hang Loose», elle procède au relookage d’Ike & Tina Turner, c’est plus poppy mais chanté à outrance. La grosse Brittany est la reine des outrances de Saba. Boom encore avec «Rise To The Sun». Elle s’y fond avec délice, elle est superbe, groovy, pulpeuse, fantastique, c’est explosé en tête-à-queue. Ça spurge à l’extrême, elle arrose le plafond, elle s’assoit sur le son pour le compresser. Elle profite d’«Heartbreaker» pour aller s’écrouler dans les braises d’une heavy waltz, elle gueule à bon entendeur salut, et boom, ça repart de plus belle avec «Be Mine», une heavy Soul de grattes électriques, avec une Brittany on the run, encore un cut superbe, fin et puissant à la fois, une rare combinaison de chant et de gratté de poux vite montée en neige. Elle explose ses fins de cut sans foi ni loi. 

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             Petit conseil d’ami : rapatrie la red «10 Year Anniversary Edition», car ATO a rajouté un live des Shakes et toutes les bombes de l’album sont rallumées sur scène. Re-boom badaboom d’«Hang Loose» - C’mon Los Angeles - Heavy process, c’est plein comme un œuf. Re-boom d’«I Found You» qu’elle tape au big atmospherix. Elle a les mêmes poumons d’acier que Carla Bozulich, la diablesse de Geraldine Fibbers. Remember «Dragon Lady» ? Re-boom de «Be Mine». La grosse Brittany est l’une des facettes les plus dodues de l’avenir du rock. Elle sonne comme un juke-box à roulettes. Elle aligne une succession phénoménale de hits. Tu peux y aller les yeux fermés. Elle impose sa classe épouvantable avec «Going To The Party». Elle swingue sa Soul à la pire Méricourt qui soit ici-bas. Ça monte brutalement en température avec «Hold On». Elle le prend d’en haut, histoire de lui tomber dessus à bras raccourcis. Elle est complètement folle, encore plus folle que la Carla. Tu as là la plus extrême Soul pop d’Alabama. L’«Always Alright» qui suit est noyé d’orgue princier, celui de Dylan 1965. Re-boom de «Rise To The Sun», elle fait cramer sa fin de cut au ah-oh-ah-oh - Los Angeles, we have a last song for you - Boom ! «Heavy Chevy» ! Brittany est une superstar. 

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             Le deuxième album des Shakes est un tout petit peu moins dense que le premier, on entend même des machines, mais ce n’est pas une raison pour aller cracher dans la soupe. Il faut attendre «Dunes» pour voir Sound & Color prendre des couleurs. Brittany plonge dans le son à coups de losing it. Direction Big Atmospherix encore avec «Future People» et «Gimme All Your Love». Pas facile, car on entend des machines, elle tisse sa toile à la surface de l’electro. Elle a perdu ses poux. Elle rentre dans le chou de «Gimme All Your Love» avec un sacré punch, elle s’en va s’éclater la rate sur l’Ararat qui s’dilate, elle a ce genre de power. Elle est aussi capable de finesse comme le montre «This Feeling», et pourtant, quand on la voit en photo, on n’imaginerait pas autant de finesse en elle. Elle est capable de finasser autant que Linda Lewis. Elle revient au vat-en-guerre  avec «The Greatest» - and the five six seven eight - elle explose de trash punk, c’est du shaking d’alabamed du ciboulot, fabuleuse élévation du domaine de la turlutte. Elle reste merveilleuse de wild rockalama avec «Shoegaze», plus de machines, ça redevient clair comme de l’eau de roche. Puis elle plonge comme un gros aigle sur «Miss You». Brittany a du génie, il faut bien le reconnaître, elle y va à bras raccourcis, elle fait du froti de confrontation, elle est explosive, fais gaffe à toi, fais gaffe où tu mets les doigts. Pour finir, elle plonge dans son lagon avec «Over My Head». La grosse est une pro du plongeon. Elle plouffe dans son lagon d’argent et c’est magnifique. Tout est extraverti sur cet album, c’est chanté/chauffé à blanc et noyé de machines, mais ça abat des tas de barrières.

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             En 2019, Brittany Howard enregistre un premier album solo, Jaime. Elle l’attaque en mode heavy funk. «History Repeats» t’explose à la gueule. Comme tu as l’habitude des bas-fonds, tu n’es plus à deux dents près - Push me push me - Mais elle noie son power dans un hip-hop saturé. Dommage. S’ensuit un «He Loves Me» télescopé par du hard raw. En fait, c’est un album d’hip hop et d’electro, très éloigné de l’univers des Alabama Shakes. Elle retrouve ses marques avec «Stay High», mais dans un climat sonore trop saturé. Dommage. Elle chante son «Short & Sweet» au Love Supreme de charme chaud, mais au final, ce n’est pas l’album qu’on espérait.

    Signé : Cazengler, Alababa-cool

    Alabama Shakes. Boys & Girls. ATO Records 2012

    Alabama Shakes. Sound & Color. ATO Records 2015

    Brittany Howard. Jaime. ATO Records 2019

     

     

    Inside the goldmine

    - Watkins the dog

     

             Difficile de se garer du côté de la place des Ternes. Baby Bav attend paisiblement devant l’entrée du restaurant. On ne se voit que pour manger ensemble. Bonne nature, au propre comme au figuré, elle adore manger au restaurant, surtout celui-ci, qui est décoré de grappes de casseroles en cuivre. Elle s’installe sur la banquette. Elle doit peser cent kilos et mesurer un bon mètre quatre-vingt. Elle a un physique de rugbyman. Elle porte les cheveux coupés courts et teintés par mèches, des lunettes aux montures fines. Et puis bien sûr, une énorme poitrine, celle d’une idole de l’Antiquité, la déesse de la fécondité. Le garçon ramène sa fraise : «Madame désire une entrée ?». «Certainement !». Sa bonne nature lui permet de ne reculer devant aucun excès. Ce qu’elle confirme en insinuant qu’il n’est pas de domaine où sa prodigalité n’enfreigne les lois de la mesure. «Un foie gras de canard poêlé aux coings et vin de noix». «Et monsieur ?». «Des ravioles !». Ensuite ? «Madame prendra les médaillons de veau français farcis de morilles sur une tombée de pousses d’épinards, mousse légère de châtaigne et jus de veau.» « Et monsieur ?». «Le pavé de loup ! Wooooouuhhh !». «Merci monsieur. Désirez-vous boire quelque chose ?». «Mettez-nous un Bourgogne !». «Le Chassagne Montrachet Ab.de Morgeot 1er cru Fleurot Larose est très bien. Je vous le recommande vivement». Ouf ! nous voilà enfin débarrassés de l’obséquieux larbin. Baby Bav installe son regard un peu torve dans le mien. Une sorte de familiarité s’installe. Elle ne dit pas non à la solide rasade de vin de Bourgogne. Dommage qu’elle ne porte pas sa blouse d’infirmière. Impossible de quitter des yeux les lèvres de Baby Bav dont l’éclat brillant est en mouvement perpétuel. Elle lit parfaitement dans mes pensées. Quel bonheur que de la voir se repaître de ses médaillons de veau, de la voir saucer son assiette et aspirer bruyamment le pain goutteux. Avec un aplomb sans pareil, elle accepte la promesse câline d’un dessert. Ce sera un moelleux chocolat accompagné de glace vanille bourbon gratiné. Ah il faut la voir fondre comme un aigle sur l’immense assiette que lui dépose l’obséquieux ! Elle pousse la vénalité jusqu’à se faire une petite moustache de gourmandise. Elle raffole de la crème. Avec tout ce qu’elle a avalé, choisir une occupation pour passer le reste de l’après-midi risque d’être compliqué. «Nous devons hélas redescendre au parking.» «Emmène-moi où tu voudras», répond-elle. Dans la voiture, elle adopte à nouveau cette position primitive, avec les jambes très écartées. C’est un véritable appel aux mains baladeuses. Nous filons vers la Porte Maillot à la recherche d’un lieu de promenade. «Connais-tu les jardins de Bagatelle ?». Elle les connaît par cœur, elle commente les parterres fleuris. Elle approche tout avec une sensualité sidérante. On est en plein Fragonard. Elle finit par dénicher un chemin qui se perd dans un petit labyrinthe. Le chemin monte doucement vers une sorte de kiosque minuscule. Elle propose de s’asseoir pour admirer tranquillement le panorama. L’endroit est désert. Le silence s’installe. Quelqu’un dirait «un ange passe !», et Cocteau ajouterait «qui l’encule ?». Les minutes s’écoulent. Rien ne vient troubler cette paix étrange. Elle marmonne quelques vérités en fouillant l’horizon du regard. «Il ne faut jamais résister à ses envies», fait-elle d’un ton grave.

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             Pour une fois, on ne trouvera aucun point commun entre Baby Bav et Bev, c’est-à-dire Beverly Guitar Watkins, une black géniale qu’on découvrit jadis grâce à Mike Vernon et son label Blue Horizon. Bizarrement, Beverly Guitar Watkins est restée complètement inconnue. Tim Duffy dit d’elle qu’elle a joué avec Piano Red, qu’elle a monté en groupe avec lui en 1958, The Meter Tones, qui est devenu par la suite Dr Feelgood & The Interns. Quand le groupe splitte en 1966, elle accompagne l’ex Ink Spot Eddie Tigner - She plays low-dow, hard stompin’, railroad-smokin’ blues - Duffy dit aussi qu’elle joue comme un homme. Une photo nous la montre sur scène : elle ressemble à s’y méprendre à l’early Jimi Hendrix, wild as fuck. Quand on lui demande si elle a le trac, Beverly répond : «Scared of what? I’m not scared at all. When I hit the stage, I’m action. It’s just a natural thing.» Elle ajoute que pour jouer le blues, il faut le vivre, ce qu’elle a fait toute sa vie, qu’elle soit montée sur scène, ou qu’elle ait joué dans le métro d’Atlanta. Pour vivre, elle bosse dans les car wash - I believe I worked at every car wash in Atlanta - Quand on lui demande si elle va se calmer, Bev se marre : «Mon baby a grandi et a maintenant des enfants. Je préfère être sur la route. On the road again. Jumpin’ with my goodtime friends. This is what it’s all about. Rock on. Keep on. Look good, play good, get paid good.»

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             Sur la pochette de Back In Business, Beverly Guitar Watkins joue dans le désert, au milieu des cactus. Tu ouvres le BOOKLET et tu tombes sur une photo de Bev avec la guitare derrière la tête, image purement hendrixienne. L’album est produit par Mike Vernon et ça démarre avec le fabuleux «Miz Dr Feelgood» - They call me Miz Dr Feelgood hey hey hey - Elle tape bien son hey hey hey, on sent immédiatement la prestance d’une légende vivante, ça ne trompe pas, c’est du pur génius de Miz Guitar Legend, elle drive son boogie au hey hey hey de guttural extrême, et en prime, elle part en vrille, et ça te donne au final le boogie de tes rêves. L’autre coup de génie s’appelle «Impeach Me Baby», elle s’implique à fond dans l’Impeach et ramène son fabuleux guttural. Elle gratte sa gratte sur «Red Mama Blues», c’est elle la boss, elle allume, elle a fait ça toute sa vie, elle joue à bonne arrache, elle gratte des notes terribles. On s’effare encore de la classe d’un blues comme «Two Many Times» qu’elle joue à la clairette sensible. Elle est tout simplement parfaite. On est heureux de pouvoir l’écouter jouer «Tell Me Daddy» - C’mon daddy/ We could have some fun - Son boogie est du pain béni. Elle a du métier, ça s’entend. Elle termine avec le morceau titre, elle descend encore une fois à la cave, elle ramène l’arrache du boogie de Business et quand elle part en vrille de solo, tu tombes amoureux d’elle. Elle est si pure et dure.

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             On voit bien qu’elle ne rigole pas, sur la pochette de Don’t Mess With Miss Watkins. On y retrouve quasiment tous les hits de son premier album, à commencer par l’excellentissime «Miz Dr Feelgood», tu retrouves le power de la légende : raw du chant + solo de rêve, let’s rock ! Elle enchaîne avec «Impeach Me Baby» qu’elle prend aussi au raw, elle pose ses conditions, c’est une superstar. On croise aussi son vieux «Back In Business», elle est bien enragée, I’m on the road again. «Too Many Times» et «Red Mama Blues» sont aussi tirés du premier album, elle groove dans le son avec des licks in tow, oh yes I will, et elle part en clairette de yes I will avec une incroyable fluidité. Elle joue tout ce qu’elle peut. Mais il y a aussi des nouveaux cuts comme cette excellente cover de «The Right String But The Wrong Yoyo», dont la version la plus connue est celle de Carl Perkins, mais c’est aussi un cut de Piano Red. Bev en fait une petite merveille de jump. Elle prend encore le heavy groove de «Get Out On The Floor» à l’arrache. Elle est vraiment la reine de l’arrache. Là tu as tout : la légende inconnue, la voix et la guitare. Elle rentre dans le lard de son «Late Bus Blues» à la heavyness de don’t care about nobody, elle devient magique, oh yeah, elle drive son Late Bus à la coule, elle réinvente le slow groove de blues. Elle tape son «Sugar Baby Swing» au slap. Fantastique allure. Ça ne pardonne pas. Elle vise le swing suprême, ça vire jazz et là tu obtiens le maximum des possibilités. Puis elle amène «Baghdad Blues» à la traînasse de Baghdad. Elle rentre si bien dans le lard du heavy groove et en prime, elle te passe un solo de punk. Elle finit cet album miraculeux avec un big shoot de gospel, «Jesus Walked The Water» - he’s alright with me !

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             Ça vaut vraiment le coup d’aller voir ce qui se passe sous les jupes de Dr. Feelgood & The Interns. Il existe une petite compile Edsel parue en 1983 : What’s Up Doc? On s’y régale au moins de deux cuts : le jumpy jumpah de «Blang Dong», solide et brillant, et le «Don’t Let Me Catch You Wrong» au bout du balda, joliment gratté dans les virages. C’est pour l’époque d’une incroyable modernité. Le morceau titre est un solide rumble et on savoure la fantastique énergie de «Let’s Have A Good Time Tonight». Le Dr Feelgood William Lee Perryman est un seigneur des annales.

    Signé : Cazengler, Berverly de la société

    Beverly Guitar Watkins. Back In Business. Music Maker Relief Foundation 1999

    Beverly Guitar Watkins. Don’t Mess With Miss Watkins. DixieFrog 2007

    Dr. Feelgood & The Interns. What’s Up Doc ? Edsel 1983

     

    *

    Amis rockers ne phantasmez pas, rien qu’au titre vous salivez, désolé de vous décevoir, vous ne connaîtrez pas les délices de Capoue en pénétrant dans cette sixième chambre. Interdite, ai-je besoin de le préciser. Cette pièce célèbre, bien connue des initiés, est une bibliothèque. Spéciale. Vous la trouverez facilement. Par contre la porte est fermée à clef. Elle gîte tout au fond de l’Enfer. Elle ne contient que des livres. Secrets. Leur lecture interdite vous rendra fous. Le problème c’est que si vous n’allez pas à la sixième pièce, la sixième vient à vous. Elle est là, tout près. Deux lignes après celle-ci…

    BEYOND THE NIGHT VEIL

    THE SIXTH CHAMBER

    ( / 15- 11 – 2023)

    Rahne Pistor : Vocals, Pistor / Bobby Parker : bass / Erik Peterson : drums / Allan St Jon : keyboards

             Travaillent titre par titre. Puis ils les assemblent en un opus récapitulatif quand ils ont le nombre désiré. Ainsi Mythos et Crippled Souls réunissent chacun douze morceaux. Le groupe existe depuis 2001. Sont de Los Angeles.

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    Penny dreadful : vous croyiez quoi, être admis à compulser des vieux grimoires centenaires détenteurs de terribles secrets, non la sixième chambre risque de vous décevoir, les étagères sont remplies de pulps ces magazines à un penny que les gamins d’Amérique s’arrachaient, s’échangeaient et lisaient en cachette la nuit dans leur lit avec une lampe de poche, les Cramps les adoraient, mais The Sixth Chamber ils ne lisaient qu’exclusivement des trucs d’horreur à base d’ésotérisme frelaté. Avouons que l’illustration de la couverture est réussie. Tellement toc qu’elle semble vraie. Pour la zique, sortent le grand jeu, des hurlements de loups des Carpathes sortis tout droit du chenil de Dracula, un riff grandiloquent qui vous tombe dessus comme une lame de guillotine qui ne parvient à vous trancher la tête qu’à la neuvième tentative, et des chœurs qu’au petit déjeuner rien que d’y penser en beurrant vos biscottes vous avez les chocottes. Soyez courageux, répétez tout haut le cri de ralliement des chevaliers teutoniques dans les bacs à sable : Même pas peur ! Vous n’aurez pas davantage la frousse mais la version enregistrée live at The Universal Bar at North Hollywood le 29 / 11 / 2022, malgré les capes noires dont ils sont affublés et les samplers, est davantage crédible. Red-death masquerade : ce coup-ci vous irez tout droit à l’official vidéo : quoi de plus horrible que le baiser au lépreux ? Le baiser au vampire ! Gore, very gore. Du beau monde, Dani Divine, star ombreuse, outrage burlesque, Rahne Pistor vous raconte tout cela en dansant dans un cimetière, pas n’importe lequel, celui du Quartier français de la Nouvelle Orléans, bien connu des adorateurs du vaudou et des lecteurs d’Anne Rice…

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    Entre parenthèses les paroles de la chanson évoquent davantage Ane Rice qu’Edgar Poe. Soyons impartial le morceau n’a pas besoin des images, se suffit amplement à lui-même. Rien de novateur, mais l’on sent qu’ils ont du métier et qu’ils connaissent toutes les ficelles les plus grosses comme celles aussi fines que des cheveux d’anges. Déchus, pour sûr. Ceux que vous préférez. Wallpurgis night : l’on pense à Faust et à Goethe, erreur l’héroïne sort tout droit du Dracula de Bram Stoker. De beaux lyrics, pas tout à fait des ciselures symbolistes, mais terriblement efficaces. L’on voit la scène et l’on pénètre dans l’âme du vampire. Musicalement c’est idem. L’orgue nous emporte en un galop fou le long de la piste sanglante. L’Official Lyric Vidéo n’a pas bénéficié des mêmes moyens financiers que la précédente, l’on se prend à guetter les rares et belles images qui viennent de temps en temps se substituer au fond rouge sang sur lequel s’inscrivent les paroles. Necropolis : kitch ferait mieux ? le Led Zeppelin du pauvre, le violon en arabesque et en grotesque. Superbe vocal, lyrics à double sens le véritable maître de l’Egypte n’est-il pas le gardien de la nécropole dans lequel sont enterrés les dieux morts. La New Music Vidéo, est aussi kitsch, mais n’oubliez pas que Flaubert lui-même use dans ses romans de l’esthétique kitch, vous avez tout ce qu’il vous faut, de belles images sur les pyramides, couchers de soleil éblouissant garantis, chevaux arabes, beau profil d’aventurier, hiéroglyphes mystérieux, sourire du sphinx. La panoplie photographique du parfait touriste. Sarcophagus : plouf, l’on tombe dans les catacombes, attention une mise garde, ne vous perdez pas dans les galeries, une prière débitée à toute allure, guitares glissantes, certainement il est déjà trop tard.

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    L’Official Lyrics Vidéo est à regarder. Toute simple, ton ocre, le visage peint en blanc, quel acteur ce Rahne Pistor, se contente de se balancer sur place, vous regarde dans les yeux, et c’est tout. Un petit frisson insidieux, reprenez-vous, songez que ce n’est qu’une vidéo. Mais qui se cache dans ces couloirs mortuaires… Hades : vous tiquez, vous tiltez : c’est de moins en moins rigolo, vous voyez ce que c’est que de mettre les pieds là où on vous a dit de ne pas vous rendre, carrément malsain cette acoustique et cette voix qui supplie, les fantasmagories qu’il chantait étaient des projections magiques, maintenant vous êtes au plus près, à l’intérieur de sa tête, ce n’est point que ce n’est pas beau à voir, c’est que c’est carrément inquiétant. L’existe une vidéo, une seule image, tous les trois, debout immobiles, rapprochés, ne semblent pas très rassurés. Fermez les yeux et focalisez-vous sur le son du luth que joue Rahne Pistor, fil d’Ariane qui vous permettra de ressortir vivant se vous-mêmes. Blood of the prophet : grandes orgues, rien de grandiloquent ici, l’on s’attendrait à des cris, des hurlements, des bruits, non juste cette mélodie qui assombrit le monde, cette voix légèrement doublée, ces chœurs effondrés, ces touffeurs de backing vocal, l’écho du malheur se répand sur le monde. L’on a versé le sang du prophète. Murmures indistincts. La Music Lyric Video est superbe, d’une force extraordinaire, elle traduit le tragique des lyrics et du chant du morceau. Avec très peu de moyens elle rend sensible cette impression émerveillante de toucher à une dimension sacrée.  Hollow autumn : un camelot qui baratine, un monsieur loyal qui se vante, ne serait-ce cette musique noire l’on aurait envie de rire, mais cette fois-ci nous sommes définitivement à l’intérieur, solo chaise électrique, au-dedans de soi confrontés à nos aspirations les plus folles, celle de renaître de notre présence morte au monde, celle de revenir de notre immortalité. La dernière enceinte. La tour qui s’effondre, le phénix qui vit de ses brûlures les plus intimes. Remettez-vous, regardez la vidéo (Flashback 2009) le groupe joue Hollow Atumn en public, c’est rassurant, un groupe d’heavy rock qui se donne à fond sur scène. Au Key Club, in West Hollywood, Sunset strip, au moins vous avez la confirmation que quelque part dans le monde il existe encore des espaces ensoleillés. Soyons superficiels. Jump into the flammes : constat amer et invitation à passer le pas. Quitter ce monde cruel, ne pas hésiter à pénétrer dans l’anneau de feu, toute ordalie est une geste intime. Musique lourde et lente, la voix est une prière qui vous pousse dans le dos, la batterie ne desserre pas ses dents de vos mollets, certes la décision vous appartient. Croyez-vous que ce soit un plaisir pour le phénix que de plonger dans son propre feu. L’existe une Belly Dance Video de ce morceau. Une jeune femme Arriahda Lopez, danse, vraisemblablement inspirée par la Loïe Fuller, dans les montagnes colombiennes, près des ruines d’un temple souterrain, longs cheveux noir, présence presque trop charnelle, elle agite des voiles rouge et noir, cendres et feu, mort et vie, sur les dernières secondes une forme se tord dans des flammes. Les vidéos de La sixième chambre sont toujours surprenantes. /   

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    Existe une autre vidéo d’une ancienne version de ce morceau, une seule image très belle. Fond rose sur laquelle se dessine le long corps d’une femme nue. L’anti poupée Barbie, je dis cela pour que vous ne vous mépreniez pas. Vous la retrouvez encore plus belle pour accompagner le morceau Divine vous le retrouverez sur l’album Mythos. C’est cette dernière que nous vous offrons. Oui nous sommes trop bons. Portail to the realm of abyss : directement à la vidéo : ce n’est pas une chanson mais un fragment de l’apocalypse de St Jean récité par Rahne Pistor, joue le rôle du prédicateur des temps derniers, chapeau rond et canne à la main, la musique gronde, derrière lui un cheval de désolation dont les naseaux laissent échapper une fumée blanche, l’image est mouvante comme si elle était filmée au travers des flammes de flambeaux funèbres. Ces vidéos reposent sur un équilibre précaire, elles oscillent sans cesse entre parodie et réalité se gardant bien de tomber d’un côté ou de l’autre. Entrance to the waste land : l’on n’est jamais là où l’on croit être, cette gaste contrée, on l’imaginait à la suite du morceau précédent être l’enfer chrétien, il n’en est rien, nous sommes au cœur du monde lovecraftien, à l’entrée de la cité inconnue de Kadath, nous longeons l’orée de la cité dans le monde des morts où croît l’herbe miraculeuse qu’il faudrait escalader à la manière de Jack et son haricot magique pour parvenir au monde des rêves. La voix puissante et la musique forte et furtive nous y conduisent… Pour une fois l’Official Music Vidéo n’est pas à la hauteur des lyrics, Arriadha Lopez semble de trop, les différents personnages le guerrier, le ‘’ moine fou’’, tous les autres et même la prêtresse font trop images d’Epinal, il aurait suffi de la prestation de Rahne  Pistor seul, masque blanc et bâton de berger sans ouailles à la main, s’inclinant à terre et vaticinant en lui-même. The hallowed chamber : musique pratiquement symphonique, résonnances d’une guitare étrangement sixties, une image fixe, nous sommes dans la chambre sacrée, un autel vide, derrière en trois grandes absides trois immenses statues de Dieux assyriens. Un semblant de rayon de lumière translucide se pose sur l’autel, apparition fantomatique d’une espèce de coffre en bois, l’arche aux livres secrets que vous ne lirez jamais.

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             J’avoue avoir été surpris, je m’attendais à feuilleter un amerloc comics  et j’ai déboulé dans un étrange recueil de poèmes, page de gauche le texte et le chant, page de droite le dessin-vidéo. Une version moderne et parallèle aux poétiques expériences et innocences des chants de William Blake.

             Il est évident que Rahne Pistor est à la tête d’un projet esthétique qui essaie de joindre la boursouflure américaine à la culture gothique européenne. Travaille le son et l’image dans le but de produire une œuvre totale  à la manière de Wagner. Il est regrettable qu’il n’ait pas trouvé son Louis II de Bavière ou un mirifique producteur hollywoodien pour permettre une éclosion épanouissante à grande échelle de cette démarche souveraine.

             Je me plais à délirer sur son nom : Rahne est le nom d’une de ces New Mutants créés par Marvel, sous le pelage du loup vous trouvez la licorne, à moins que sous la peau de la princesse ne gîte la bête obscure, dans les deux cas, il ne faut point se fier à l’apparence des choses.

    Exemple sous l’art pompier du dix-neuvième siècle se cachent quelques uns de nos grands peintres, il suffit de savoir regarder. Sous les tombes se trouvent les morts. Sur les tombes exulte la vie. Sachez inverser, ne serait-ce que par un salvateur réflexe de survie nietzschéenne, non pas vos valeurs, mais votre regard.

    Pistor se traduit par Pistolet. De pistolet à Sex Pistol le lien s’établit de lui-même. Je ne suppose en rien une dévotion particulière de notre héros avec la musique des Pistols. Peut-être oui. Peut-être non. Je n’en sais rien.  Mais je ne peux m’empêcher de penser à la manière dont l’apparition du groupe de Johnny Rotten et du mouvement punk a fracturé les représentations que l’idéologie dominante occidentale se faisait d’elle-même. Elle se croyait translucide comme la plus belle et la plus précieuse des perles. Les iroquoises pointues de la punkitude   lui ont rappelé qu’elle avait malheureusement la consistance rocailleuse de la coquille de l’huître. Quant à l’animal qui l’avait sécrétée leur divine merveille, tout comme la classe ouvrière produit les richesses dont elle ne profite guère, était-ce un hasard si elle offrait la même molle gluance  vitreuse et expectorale qu’un crachat…

    Le Bandcamp de The Sixth Chamber offrira au lecteur qui le désirerait de plus amples informations, ils y trouveront de roboratives nourritures. De nombreuses vidéos sur You Tube attendent les esprits curieux, sans doute serait-il préférable de les visionner dans l’ordre chronologique de leurs apparitions. Tâche peu aisée, j’en conviens. Ne pas dédaigner leur instagram non plus.

    Damie Chad.

     

    *

    Une couve entraperçue un millionième de seconde, j’ai marné pour la retrouver, la honte pour moi, un groupe français que je ne connais pas, moi qui vous chronique des formations de toute l’Europe de la Russie aux Etats-Unis, sur bandcamp je m’aperçois qu’ils ont déjà pas mal d’enregistrements à leur actif. En plus ils ont changé plusieurs fois d’équipages, ça tombe mal pour moi, avec cette semaine surchargée d’activités extra-rock’n’roll débilitantes et obligatoires, en écoutant par-ci par-là, je m’aperçois que c’est méchamment intéressant, musicalement parlant. Alors faites comme moi, sur French Metal Webzine les trois chroniques que Murderworks a consacrées à ce groupe vous aideront à y voir plus clair, pardoom plus sombre.

    Les Dieux s’acharnent contre moi, le disque que j’avais dans le collimateur… ne paraîtra que le 12 janvier 2024. Pas de panique, le deuxième morceau du vinyl blanc à venir est sorti depuis plusieurs semaines.

    BLUE PAIN

    MOURNING DAWN

    (Bandcamp ( piste numérique) -_15 / 11 / 2023)

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             Super artwork. Statue de sel surgie de l’écume de la mer. Rien à voir avec Vénus anadyomène ! Une espèce de figure de proue fossilisée juchée au tout devant de l’étrave d’une épave déjà engloutie par la mer. Figure du remords et du regret des jours qu’une main lasse égrène pour l’éternité.  

    Laurent Chaulet : guitar, vocals / Frédéric Pathé-Brassur ; guitars / Vincent Buisson : bass / Nicolas Joyeux : drums / Featuring : Déhà.

             Musique somptueuse, le morceau n’atteint pas les six minutes mais il semble durer une éternité comme s’ils avaient réussi à capturer le temps et à l’enfermer dans une bouteille… à la mer, une fois que vous vous y êtes entré vous n’en ressortirez plus. L’est bizarrement bâti comme une symphonie qui aurait pris pour parti de recycler le même thème sous trois mouvements. Vous entendez mais surtout vous voyez se former en vous l’impassible mouvement de vagues monstrueuses qui surviennent et se renouvellent sans cesse à tel point que la lenteur de la répétition vous plonge dans le lent tourbillon d’une immense violence. Il existe des ruptures dans ce titre qui agissent comme des courants contraires qui se conjuguent pour créer l’illusion d’un perpétuel renouvellement. Le vocal joue le rôle du vent dont chaque bourrasque alimente une tempête infinie qui ne semble s’apaiser que pour gagner en intensité. Une pure merveille.

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             Z’ont sorti une Official Vidéo, à l’image du morceau. N’ont pas fait le choix de la clinquance exceptionnelle. Filmé et mixé à bout portant. N’ont fait confiance qu’en eux-mêmes, qu’à la force de leur musique. Pas de prise d’ensemble. On serait tenté de dire qu’ils ont privilégié les instruments au dépend des musiciens, les mouvements des corps serrés au plus près aux brillances des attitudes, les doigts des musiciens et les bouches des vocalistes et surtout pas les personnes. Vous êtes dans la musique et non dans le groupe, vous voyez le morceau prendre forme sous vos yeux, se construire pour ainsi dire de lui-même. L’ensemble crée un effet hypnotique qui met en valeur la composition d’auto-engendrement de ce morceau qui renaît sans cesse de lui-même.

             Ne reste plus qu’à entendre la sortie de l’album The foam of despair  sur Aesthetic Death.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

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    Death, Sex and Rock’n’roll !

    1

             Le Chef allumait un Coronado lorsque je déboulai dans le local. Il me regarda avec surprise, j’étais incapable de parler, j’avais monté les quatorze étages en courant, je m’affalai sur une chaise devant le bureau :

              _ Agent Chad, vous devriez arrêter de fumer, c’est mauvais pour la santé, vous rendez-vous compte qu’au doux temps de Sparte, le Sénat vous aurait admonesté en public, un guerrier du SSR se doit à chaque seconde de sa vie être en pleine forme pour combattre les ennemis du rock‘n’roll, j’espère que cette entrée éhontée ne se renouvellera pas de sitôt.

             _ Chef, c’est terrible !

             _ Remettez-vous, agent Chad, je fume un Coronado, le monde peut s’écrouler, tant que je tiens un Coronado au bout de mes lèvres toute situation ne saurait être jugée de critique ou d’inquiétante !

             _ Chef, le service est attaqué, nous venons de perdre nos deux meilleurs agents et…

             _ Du calme Agent Chad, vous me semblez affolé ce matin, laissez-moi le temps d’allumer un Coronado et je vous écoute de mes deux oreilles…

    2

             Le Chef soupira profondément :

             _ Agent Chad Je me permettrai de qualifier ce que vous venez de me raconter de bizarre. Je pense que nous devons agir méthodiquement, commençons par déblayer le terrain. Laissez-moi faire, pendant ce temps, reprenez votre sang-froid.

             Le Chef alluma un Coronado. Sa main hésita entre les deux téléphones, il se décida pour le rouge :

             _ Allo l’Elysée, mais non espèce de jean-foutre, passez-moi le Président au plus vite, ah c’est vous, est-ce que vous ne seriez pas en train de nous jouer un sale tour de votre façon, tout cela pour ne pas nous renouveler notre subvention, pour 2024.

             _ Ce serait avec plaisir, nous le regrettons mais avec toutes ces rock-stars qui en juillet prochain décideront de parader aux Jeux Olympique, nous avons hélas trop besoin de vous pour les recevoir.

             Le Chef reposa le combiné tout en saisissant dans son tiroir un nouvel Coronado :

             _ Voyez-vous Agent Chad j’aurais tendance à le croire, faudra que je me tienne à ses côtés, non Monsieur le Président ce n’est pas Keith Richards qui vient vous saluer, c’est Mick Jagger, maintenant Agent Chad soyez fort, le prochain appel risque de rendre inutile la poursuite de notre affaire.

             Mon cœur se serra, d’une main ferme le Chef s’empara du téléphone noir :

             _ Allo douce amie, comment allez-vous… arrêtez de minauder je suis sûr que vous êtes en pleine forme, je ne voudrais pas vous faire perdre votre temps si précieux, deux de nos agents les plus importants ont disparu, est-ce que vous ne les auriez pas occis par hasard.

             _ Je crains de vous décevoir, pardonnez mon humour noir, non je ne me suis nullement intéressé à vos agents depuis la fin de notre aventure précédente, excusez-moi en tant que bienfaitrice de l’Humanité j’ai encore à abréger les souffrances de sept ou huit agonisants, à l’Hôpital Américain. Je vous embrasse.

             Le Chef me regarda d’un air sombre.

             _ Agent Chad, nous ouvrons notre enquête, pourriez-vous répéter tout ce que m’aviez confié tout à l’heure, prenez votre temps, le moindre détail anodin peut se révéler important, je vous écoute le temps d’allumer un Coronado.

    3

             L’histoire était incroyable. J’avais quitté le service à dix-neuf heures mes deux chiens sur les talons. A vingt-heures trente, nous arrivions à Provins. Molossa et Molossito aboyèrent lorsque je passais devant Le chat qui pêche un os à moelle. Un nom étrange pour un restaurant. J’avais compris. Une demi-heure plus tard nous étions en train de dévorer une superbe côte de bœuf accompagnée de frites pour moi et d’une garniture de tripes à la mode de Caen pour mes deux animals, comme j’aime à les appeler.

             La journée à cavaler chez les derniers disquaires parisiens avait été rude. Nous ne nous attardâmes pas, notre troisième dessert avalé nous filâmes droit à la maison. Les chiens bondirent sur le lit. Je vérifiai la fermeture de toutes les ouvertures de la villa et tirai avec soin les trois verrous de la porte blindée de ma chambre. Un agent du SSR n’a pas le droit d’être surpris durant son sommeil. Avec mes deux cabotos je ne craignais aucune surprise intempestive. Un quart d’heure plus tard nous dormions tous les trois comme des bienheureux.

             Lorsque je m’éveillai, les chiens n’étaient plus à mes côtés. Je n’en fus pas surpris, quand ils avaient trop chaud ils avaient l’habitude de se prélasser sur la descente de lit. Un lion sauvage que j’avais tué en Afrique dans un grand magasin d’une seule balle entre les deux yeux. Ils n’y étaient pas ! Sous le lit non plus, et les verrous de la porte étaient encore tirés. Malgré tout j’ai fouillé toutes les autres pièces de la maison, puis en désespoir de cause le jardinet dont le portait était encore fermé à clef. J’ai crié leurs noms aux quatre vents, j’ai tourné en voiture dans Provins, sui revenu à la maison vérifier une nouvelle fois toutes les cachettes possibles et impossibles…

    4

             _ Voilà Chef vous connaissez la suite…

    Le Chef se taisait. Son Coronado se consumait entre ses doigts, il hésitait à parler :

             _ Agent Chad, ne le prenez pas mal, est-ce que vous n’auriez pas un peu exagéré sur le white spirit dans votre resto, vous savez ce whisky un peu raide dont de temps en temps vous êtes friand, peut-être avez-vous oublié vos chiens là-bas…

             _ J’y suis passé par acquis de conscience avant de prendre la route de Paris, j’ai même vérifié la malle arrière de la voiture, non Chef hier soir j’ai été aussi sobre que le chameau du désert.

             _ Si je me hasarde, juste une hypothèse d’école comme disent les Jésuites, à évoquer une quatrième présence dans votre chambre, féminine, qui se serait levée de grand-matin et qui serait repartie en emmenant les chiens, qui tout compte fait dans son esprit seraient plus intéressants que vous…

             _ Non Chef, jamais Molossa ne l’aurait suivie, trop contente d’en être débarrassée si vite…

             Le Chef paraissait soucieux. Il alluma un Coronado. Puis un autre, puis un autre. Pour ma part je gambergeais Mes pauvres toutous, que devenaient-ils, que personne ne leur fasse de mal. Je serrai les poings dans mes poches sur mes Rafalos. Le contact du métal froid, me rassénéra. D’abord agir ! D’abord tuer ! Réfléchir ensuite !

             La figure du Chef s’illumina, il alluma un Coronado :

             _ Agent Chad, je suis heureux de vous voir reprendre du poil de la bête. Je n’ai que deux mots à prononcer : Action immédiate !

    5

             Nous descendîmes les escaliers à toute vitesse. Je me précipitai au milieu de la route pour arrêter une voiture. Le pékin freina et m’abreuva d’injures par sa vitre ouverte, le Chef était déjà assis à ses côtés :

             _ Agent Chad, débarrassez-moi de ce paltoquet, dépêchez-vous, nous sommes pressés.

    J’attrapai le gars par le colbac, lui collai un pruneau (sans armagnac) dans la boîte crânienne, le rejetais sur le trottoir tout en prenant sa place au volant. Nous roulâmes comme des fous, vers la bonne ville de Provins, j’empruntai la voie de gauche, ainsi vous n’avez pas à perdre de temps à dépasser les lambins de service, ceux qui vous voient débouler face à eux s’écartent instinctivement d’eux-mêmes.

    Coronado à la main, le Chef philosophait :

    _ Voyez-vous Agent Chad à ma grande surprise je sens poindre en moi une âme d’animaliste, tout cela par la faute de Molossa et Molossito, s’il le faut je suis prêt pour les sauver à supprimer la moitié de l’humanité dont le changement climatique n’a pas encore réussi à nous débarrasser.

    J’eus du mal à trouver une place de stationnement devant Le chat qui pêche un os à moelle, la rue était encombrée de camions de pompiers et de fourgons de police.

    A suivre…