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CHRONIQUES DE POURPRE 624 : KR'TNT 624 : WILLIE DIXON / PROTOMARTYR / BETTYE LAVETTE / THE MIRETTES / TAJ MAHAL / HOWLIN' JAWS / POGO CAR CRASH CONTROL /BANDSHEE / MOLLY MIDNIGHT VILLAINS / SOG CITY

KR’TNT !

KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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LIVRAISON 624

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR’TNT KR’TNT

14 / 12 / 2023

 

WILLIE DIXON / PROTOMARTYR

BETTYE LAVETTE / THE MIRETTES

TAJ MAHAL / HOWLIN’ JAWS

  POGO CAR CRASH CONTROL / BANDSHEE

MOLLY’S MIDNIGHT VILLAINS / SOG CITY

  

 

Sur ce site : livraisons 318 – 624

Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

http ://krtnt.hautetfort.com/

 

 

Wizards & True Stars

- Le président Dixon

 

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         D’une grosse voix de fausset à voyelles édentées, Willie Dixon rappelle que le blues, c’est les racines, et que tout le reste, c’est les fruits : « The blues is the roots. Everything else is the fruit. »

         Big Dix, c’est le boss. Big Dix bosse sa basse et les bat tous. Big Dix, c’est la bête, le boss du bon beat, le bull du blues. Il est le seul à pouvoir dire qu’il EST le blues.

         Willie a douze ans quand il se fait choper dans une maison abandonnée en train de récupérer des tuyaux de cuivre pour les revendre. Ça se passe du côté de Vicksburg, dans le Mississippi, où il est né. Pouf, au ballon direct, Ball Ground Country Farm, l’une de ces petites taules rurales dont les blancs racistes avaient le secret, et où tous les pauvres nègres ramassés dans le secteur étaient condamnés à travailler gratuitement dans les champs. Comme au temps de l’esclavage qui était pourtant aboli aux États-Unis, depuis le vote du 13e amendement en 1865.

         Puis il se fait ramasser une deuxième fois pour vagabondage près de Clarksdale, Mississippi. On lui inflige une peine de trente jours. Trente jours de prison parce que tu traînes dans la rue, pas mal, non ? Au bout de ses trente jours, le petit Willie a le cran de dire au gardien : « Hey man, my 30 days I know they’re up now ! » (Hey toi, mes trente jours, je sais qu’ils sont faits !) Le gardien ? Plié de rire. Arff Arff ! « Personne ne s’en va d’ici au bout de trente jours ! T’es là jusqu’à la fin de tes jours ! » La gueule à Willie !

         — Hein ? Quoi ? Non, non, non, c’est pas possible !

         — Mais si mon gars. Si tu veux partir, pars, mais tu dois courir plus vite que les chiens et les balles de fusil.

         Le type ne raconte pas d’histoires. Ici, à la Harvey Allen County Farm, ils tirent dans le dos des nègres qui cavalent dans les champs. C’est leur distraction favorite. Vas-y niggah, on te laisse trente secondes d’avance. Vas-y, sauve-toi niggah, n’aie pas peur ! Le niggah détale, comme aux Jeux Olympiques de Mexico, il fait à peine quelques mètres - bang ! - qu’il a déjà pris une balle de calibre 72 dans le dos. Ils font aussi le coup avec des chiens. Ils choisissent un jeune nègre qui court vite. Tu vois les bois, niggah ? Si tu arrives là-bas, t’es libre ! Le jeune nègre affolé se carapate mais ces ordures lâchent une vingtaine de chiens qui rattrapent le pauvre gars et qui lui sautent dessus. Il essaie de se défendre, il hurle, mais ça ne dure pas longtemps. Quelques secondes. Les chiens le dévorent, comme les loups dévorent l’élan isolé. Les chiens reviennent couverts de sang et ces ordures disent aux autres nègres d’aller laver les chiens. Quoi ? Willie et les autres emmènent les chiens à la pompe. T’as déjà essayé de laver un Beauceron couvert de sang ? Willie et les autres se font mordre. Les chiens ne se laissent pas faire. Du haut de ses douze ans, Willie voit tout le bordel des blancs. Il sait qu’il va risquer sa peau en s’enfuyant, mais il ne peut pas rester dans cet enfer. Au bout de deux mois, il réussit à se planquer et à voler une mule. Il fait confiance à la mule pour remonter au Nord. Faut pas traîner dans les parages, parce que les autres ordures le recherchent pour le donner à manger aux chiens. C’est un miracle s’il arrive sain et sauf chez sa frangine à Chicago. Exactement la même histoire que celle d’Hound Dog Taylor. Le rock revient de loin. Big Dix fera ensuite un voyage en train jusqu’à New York.

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         Il raconte tout ça dans son autobio, I Am The Blues. On ne peut pas écouter la musique des bluesmen noirs du delta sans connaître la réalité de leurs conditions de vie, dans ce maudit Deep South d’avant-guerre. Ces gens-là étaient en danger de mort parce qu’ils avaient la peau noire. Les Rednecks exerçaient exactement le même genre de barbarie que les nazis. Ils tuaient par simple haine et leur cruauté ne connaissait pas de limites. Si Willie Dixon ne s’était pas évadé de la Harvey Allen County Farm, il y serait resté toute sa vie. Tu vois un peu le plan ? Les fermiers du coin y trouvaient de la main d’œuvre gratuite. C’était du tout bénef, comme on dit à la campagne. Et Big Dix raconte que Captain Crush s’amusait à fouetter les nègres à mort. Les lanières de son fouet avaient des nœuds. En dix coups, il tuait un nègre en lui mettant les vertèbres à nu. Captain Crush les prenait un par un. Les nègres hurlaient : « Pitié monsieur ! » mais Captain Crush était un sadique et ces atroces bâtards pullulaient dans les plantations et les petites taules blanches du Sud.

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         Voilà en gros les souvenirs d’enfance de Willie Dixon. Pas de sapins de Noël ni de jeudis à la piscine. On comprend qu’après tout ça, il valait mieux éviter de l’importuner. D’autant qu’il a vite appris à se battre, au point de devenir champion de boxe poids lourd dans l’Illinois. Il s’entraînait avec Joe Louis. Et puis un jour, il a découvert un truc qui ne lui plaisait pas, alors il a tout cassé dans le bureau de l’organisateur du championnat et ça a mis fin à sa carrière de boxeur. Big Dix a connu le même destin qu’Arthur Cravan et Champion Jack Dupree. Comme Wolf, il était une force de la nature : « When I fought the Golden Gloves, I didn’t have any training. I just knocked out every damn body and that was it ! » (Quand j’ai combattu pour les Golden Gloves, je n’avais aucun entraînement. Je tapais dans le tas et voilà.) Big Dix grimpait sur le ring et envoyait au tapis tous ceux qu’on lui présentait. Quelle rigolade !

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         Heureusement, Big Dix va s’investir dans la contrebasse, mais à sa façon, « I was one of the most flashy bass players around. » Il ne voulait pas se retrouver au fond de la scène, dans le rôle de l’accompagnateur qu’on n’entend pas. Il voulait passer devant, « Give me a solo ! When it comes my time, I want to be seen and heard ! » Il veut qu’on le voie et qu’on l’entende. Alors Big Dix devient le stand-up man le plus heavy de Chicago. Il s’achète les fringues qui vont avec. « Back then, we started wearing real loud colors - red and green, yellow and purple suits and sharp, you know. » Big Dix porte des costards rouges et verts - comme celui de Muddy Waters - jaunes et mauves. On imagine le résultat : une armoire à glace black de 180 kilos en costume rouge dans les années quarante ! Le premier blanc qui marche sur mes pompes en daim, je lui démonte la gueule. Fini de rigoler. Les nègres renversent la vapeur. Ils marchent dans la rue et ce sont les blancs syphilitiques et dégénérés qui changent de trottoir. Avec le blues, les Blacks deviennent les rois de monde. Ils l’étaient déjà à New York avec le jazz. Mais ils s’emparent de Chicago et préparent la plus grande révolution des temps modernes : celle du rock, évidemment. Big Dix, Wolf et Muddy vont absolument tout inventer. Et on entre fatalement dans le chapitre Chess.

         Sans Chess, Big Dix n’est pas grand-chose. Sans Big Dix, Chess n’est rien. Voilà ce qu’il faut retenir.

         En 1940, Big Dix refusa l’incorporation, parce que dans son pays on traitait mal les gens de sa race (my people, comme il dit). Il s’est retrouvé en tant qu’objecteur de conscience devant des juges en 1942 et l’armée a fini par lui foutre la paix. Black and proud bien avant les Black Panthers et les poings levés de Tommie Smith et de John Carlos aux Jeux Olympiques de Mexico en 1968. Quand Cassius Clay devenu Muhammad Ali sera appelé sous les drapeaux, il suivra l’exemple de Big Dix. Pas question d’aller au Vietnam combattre des gens qui ne m’ont rien fait. Votre fucking guerre, vous pouvez vous la carrer dans le cul !

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( Leonard & Phill Chess)

         Leonard Chess fait de Big Dix son bras droit. Et comme Big Dix c’est le Gargantua du blues et qu’il connaît tout le monde, qu’il écrit des classiques et qu’il peut accompagner à la stand-up n’importe quelle pointure, il devient le héros Chess. Il gère tous les poulains de l’écurie la plus prestigieuse de l’époque, Muddy et Wolf, mais aussi Little Walter, Willie Mabon, Eddie Boyd, Jimmy Witherspoon et Lowell Fulson. Il accompagne Chuck et Bo sur scène. Il est dans tous les coups fumants de la grande époque. Mais les fucking frères Chess ont un problème assez grave avec l’argent. Big Dix fait tout, il fait le ménage, il fait les paquets quand il faut expédier des disques, il répond au téléphone, il cale des séances, mais il ne voit pas un rond. « They promised to give me so much against my royalties and then every week I’d have to damn near fight or beg for the money. » Et voilà, le cirque continue. Ces rats de Chess lui promettent de l’argent, mais l’argent ne vient pas, et toutes les semaines, Big Dix se dit qu’il va devoir gueuler ou quémander pour récupérer un peu de ce blé qui n’est qu’une « avance sur ses royalties ». C’est dingue, cette mentalité. Et après, on va tresser des couronnes aux frères Chess. Le seul qui se soit refusé à le faire, justement, c’est Willie Dixon. Parce qu’il s’est bien fait rouler la gueule. À cause de leur mentalité pourrie, les frères Chess méritaient mille fois de prendre son poing dans la gueule. Muddy a toujours su qu’il se faisait plumer par ces deux rats, mais il était d’un tempérament plus doux, et de toute façon, il avait reçu l’éducation de la plantation qui fait qu’on accepte tout, au nom de la survie. C’est Big Dix qui va déclencher les procès.

         Willie, Lafayette Leake et Harold Ashby sont le premier backing-band de Chuck en tournée. Willie raconte que Chuck conduisait vite et chaque fois qu’ils s’arrêtaient pour manger un morceau, Chuck commandait du chili. C’est tout ce qu’ils pouvaient se payer. Et Bo ! Alors Bo reprenait à son compte la tradition des tambours africains qui servaient à transmettre des nouvelles de village en village. « The drums are speaking and he’ll tell you what the drums are saying. »   

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         Willie observait le cirque de Leonard le renard. Il le voyait traiter avec de pauvres nègres qui n’y connaissaient rien, et il appelait ça de l’escroquerie. Évidemment, Big Dix ne savait rien du principe de copyright et quand il a découvert le pot aux roses, les frères Chess avaient déjà empoché des millions de dollars grâce à ses chansons. Regardez les crédits sur les rondelles des disques. Vous y retrouvez souvent le nom de Dixon. Comme ces disques des Rolling Stones et de tous les autres se sont vendus à des millions d’exemplaires, ça représente des paquets de millions de dollars.

         Big Dix a douze enfants, sept avec Elenora, puis cinq avec Marie Booker.

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         En 1959, il enregistre son premier album solo avec Memphis Slim, Willie’s Blues. On trouve quelques merveilles sur ce disque. Notamment « Nervous » où l’on entend Big Dix bégayer et slapper. On va retrouver dans tout l’album le jump blues de ses racines, avec des morceaux bourrés de swing comme « Good Understanding » et où l’on entend Al Ashby souffler dans son vieux saxophone en étain. On sent que l’enthousiasme des vieux blacks de Clarksdale est intact. Dans la voix de Big Dix, il y a du gras et de la gourmandise. Dans « That’s My Baby », on l’entend tirer le chewing-gum de ses syllabes. Big Dix se fait roi de la langueur et on l’entend faire un festival de slap dans « Youth To You », il fait ses petits ta ta ta et remonte, tong tong tong, il met son slap bien devant et devient le slapman sublime de Chicago. Il fait même un solo de slap dans « Built For Comfort ». Mais la perle rare se trouve en fin de balda. « I Got A Razor » est un classique vaudou superbe pourri de feeling. Now look, voilà Big Dix le voyou. « Man, you know I ain’t never/ Lost no fight/ I’m way too fast for that cat. » (Mec, je n’ai jamais perdu un seul combat. Je suis bien trop rapide pour ce mec.) C’est un peu le boxeur qui parle. Et il enfonce son clou avec l’histoire du grizzly. « Now look ! If me and a grizzly’s havin’ a fight/ No ! Don’t you think the fight ain’t fair/ You talkin’ ‘bout helpin’ me ?/ You better help that grizzly bear. » (Maintenant, regarde. Si je me bats avec un ours, tu vas croire que le combat est perdu d’avance et tu vas chercher comment m’aider, mais tu ferais mieux d’aider cet ours.) Ce qui fait la force du cut, c’est la crédibilité de Big Dix. « Man, you know I’ve got a razor/ And can’t nobody win over me/ When I got a razor. » Personne ne peut battre Big Dix quand il a un rasoir. Prodigieux.

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         Songs Of Memphis Slim & Willie Dixon sort beaucoup plus tard, en 1968. On y retrouve nos deux géants favoris dans une série de classiques du type « Joggie Boogie », animé par le piano western de Slim et les triplettes d’un Big Dix qui sonne comme un gamin atteint d’une crise d’allégresse. « Stewball » sent les chants des champs. Ils tirent cette prodigieuse énergie des vieux bagnes agricoles et en font de l’art moderne. Voilà comment deux nègres sortis de nulle part font éclater la modernité - All day round the race track all day long, all day long - S’ensuivent les trois parties de « Kansas City », occasion pour Slim de saluer Jim Jackson, guitar player from Memphis Tennessee. Leur « Roll And Tumble » n’est autre que l’ancêtre du « Rollin’ And Trumblin’ » popularisé par Cream. Et on tombe à la suite sur un fabuleux « Chicago House Rent Party » chanté à deux voix sous la forme du dialogue qu’affectionne particulièrement Big Dix. Ils se mettent au défi de jouer des parties sidérantes, et Big Dix sort un solo - You like it like that ? - I don’t know man try it again - Et Big Dix repart en solo de plus belle. L’effarant « 44 Blues » raconte l’histoire d’un mec qui se balade armé d’un 44, et « Unlucky » boucle la marche en racontant l’histoire d’un mec qui n’a vraiment pas de chance - I didn’t go to school, do you know/ The school burned down - Le KKK avait pris la fâcheuse habitude de brûler les églises et les écoles.   

          Big Dix flashe sur JB Lenoir : « He was a helluva showman’s cause he had this long tiger-striped coat with tails. We used to call it a two-tailed Peter. » Big Dix est fasciné par la queue de pie zébrée de JB Lenoir, qu’il appelait un Peter à deux queues.

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         Il existe un extraordinaire album intitulé One Of These Mornings. Big Dix et JB discutent dans le salon d’un appartement. On entend un baby pleurer. Big Dix demande à JeeBee de lui présenter ses morceaux et notamment « I Feel So Good ». Pas de problème lui répond JeeBee d’une voix fluette et enjouée, et paf, il attaque son boogie-blues des enfers, et tout seul, il swingue autant qu’un garage-band, et même mieux. Big Dix s’esclaffe - awite ! awite ! et il tape du pied - ils chantent ensemble - I’m so glad I know what’s on your mind/ I’m so glad I know what’s on your mind - pureté de l’instant, deux des plus grands artistes de blues à l’unisson. Puis JeeBee prend « One Of These Mornings » très haut - I will be gone/ I’ll get my suitcase made/ and up the road I’ll find my hone - yeah yeah fait Big Dix. Puis JeeBee va chercher son baryton pour chanter « Mumble Low ». En B, le cirque continue. JeeBee monte sur son falsetto pour aller chercher « Mama Talk To You Daughter » et Big Dix fait ses commentaires - No more - et ils reprennent à deux - you don’t talk to your daughter - et  JeeBee prend un solo à l’arrache - oh boy ! fait Big Dix. Et quand JeeBee annonce qu’il va jouer « My Mama Told Me », Big Dix répond : I tink that it’s gonna be awite. JeeBee le prend très haut, chat perché et Big Dix fait Good ! man ! Puis JeeBee tape dans le dur avec « Alabama Blues » - I’ll never go back to Alabama/ Alabama’s not a place for me - l’un des chefs-d’œuvre du blues moderne.

         Lors d’une tournée en Israël, Big Dix monte sur un chameau, comme le fit Gustave Flaubert lors de son voyage en Égypte avec Maxime Du Camp. « Slim was going to take my picture on the camel and when you’re sitting on it and they raise up behind you first, you almost fall forward and when they raise up in front, you almost fall backward. Slim was all set with his camera to take my picture and he ain’t got the picture yet. Some other guy took the picture of me on the camel because Slim was laying out, laughing. » (Slim devait me prendre en photo sur le chameau. Quand il se lève, le chameau se lève d’abord de l’arrière, et tu bascules vers l’avant et tu tombes presque, puis il se lève de l’avant et tu bascules vers l’arrière, et pareil, t’as vraiment intérêt à te cramponner. Slim n’a pas pris de photo. C’est un autre type qui l’a prise. Slim était écroulé de rire par terre).

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         Slim et Big Dix ont enregistré ensemble un album miraculeux, The Blues Every Which Way. Ils ouvrent le bal avec « Choo Choo », pur blues de train et Big Dix fait ses petits ponts pa pa pa papapa. On entend bien ses gros doigts boudinés claquer le caoutchouc des cordes de Chicago. Il adore voyager sur les entrelacs, il multiplie les incartades. Il va dans le slap et Slim chante avec une pureté de ton qui te réchauffe le cœur. Ce sont deux géants, au propre comme au figuré. Sur « 4 O’clock Boogie », Big Dix joue comme un dieu, c’est presque du slap drum, il pounde ses notes avec une incroyable déférence, et ajoute des effets de tagada de temps à autre. Il faut l’entendre emmener son boogie ventre à terre. C’est Big Dix qui chante « Rub My Root » en battant le beat sur le caoutchouc. Il a cette voix de portefeuille crapaud, grasse et tendue, cette voix de gentil géant avec des syllabes mouillées qu’il trempe dans le feeling de Vicksburg. Il fait ses séries de pivert sur les ponts. Sa chanson parle de la racine John The Conqueror capable de résoudre tous les problèmes. Dans « C-Rocker », il fait son numéro de virtuose de la triplette démultipliée et il envoie un solo de slap épatant. Il donne ensuite quelques leçons de maintien aux slappeurs blancs, en montrant comment le slap remplace la batterie et peut tirer comme une loco le train du boogie. C’est Big Dix qu’on voit foncer à travers la plaine. Slim ne fait que le suivre ventre à terre. Quelle superbe virée ! Big Dix revient au chant avec « Home To Mama ». Pour tous les nègres, Mama est le phare dans la nuit, car les familles ont été ravagées par la haine des blancs dégénérés. Le blues de Big Dix fend l’âme. Il met autant de Soul dans son blues que Marvin Gaye met de blues dans sa Soul. Big Dix voit Mama in the cold cold ground. La tuberculose faisait pas mal de ravages chez les nègres. Aller voir un médecin ? Tu rigoles ?

         En B, c’est la suite du festival, avec « Shaky » (Big Dix bégaye quand une gonzesse approche, fabuleuse intensité jazzy), « After Hours » (piano blues de rêve, intense qualité auditive), « One More Time » (jump-blues subtil coulé dans l’ambiance, encore une preuve de l’existence de Dieu - Willie conte les exploits d’une jeune négresse qui ne veut jamais s’arrêter de danser), « John Henry » (boogie blues chanté à deux voix - deux géants de Chicago), et « Now Howdy » (dialogue de génie entre Slim et Big Dix - Hello Slim, Hello Dix - If you don’t know how to do/You better ask somebody).

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         Un autre album solo de Willie Dixon vaut le détour : I Am The Blues, paru en 1970. Il y chante neuf de ses classiques, dont « Back Door Man », où il se montre moins convainquant que Wolf. Il est beaucoup plus décontracté, et cette version arrive vingt ans après l’âge d’or chez Chess. Big Dix recherchait une atmosphère plus conviviale, n’hésitant pas à latiniser son beat et à faire jouer un guitariste de manière sporadique, avec un glissé de manche ici et là. Pas trop souvent. Il reprend l’« I Can’t Quit You Baby » que lui a pompé Led Zep pour en faire autre chose. Pas question de jouer à chat perché comme Robert Plant. Big Dix préfère ses syllabes mouillées. Il est chez lui, il fait ce qu’il veut, c’est son blues, alors on peut lui faire confiance, non ? Il ne fera pas n’importe quoi. Quand on a vécu ce qu’il a vécu, on ne fait jamais n’importe quoi. On voit la vie d’un autre œil. On profite des instants, on vit la vie et on chante le blues avec un aplomb qui synthétise tout cet art de la survie. La perle de ce disque est la version vaudou de « Spoonful », montée sur un beat terrific. Big Dix prend ça à la manière de Wolf. Il se glisse dans la nuit des temps. En B, il tape dans d’autres classiques comme « I Ain’t Superstitious », « You Shook Me » (froti-frotah des nuits chaudes de Harlem, c’est Big Dix l’inventeur, il reprend à son compte toute la luxure développée par les nègres dans les ténèbres de l’esclavage - même enchaînés, ils baisaient), « I’m Your Hoochie Coochie Man » (Big Dix y va de toute l’ampleur de son registre, il sait faire traîner son everybody) et « The Little Rooster » (où il tient le blues par la barbichette).

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         Autre très bel album solo, Catalyst, enregistré en 1974. Big Dix va de plus en plus sur le funk, l’époque veut ça. Il va à l’essentiel, et fait comme tous les vieux crabes, il balance sa leçon de morale - I don’t trust nobody/ When it comes to my girl - Dans « God’s Gift To Man », il fait de la philo - l’amour est plus précieux que l’argent et l’or - Il frise le gospel. Big Dix sait de quoi il parle. Il a rendu ses femmes heureuses. Et puis on tombe sur une version faramineuse de « My Babe », swinguée jusqu’à l’os du swing. En B, il reprend son « Wang Dang Doodle » en mode bien primitif. Avec lui, c’est toujours all night long. Pas question de dormir, poulette. Quoi, t’es fatiguée ? Hopla babe, wang dang doodle, babe ! Et ça groove entre tes reins. Il a même un cut qui s’appelle « When I Make Love » où il explique tout - I don’t drink, I don’t smoke/ And I bring it up - Le roi Big Dix explique aux petits culs blancs comment on s’y prend pour rendre une femme heureuse tout la nuit - All I do is just satisfy... - Et ça continue dans le haut de gamme avec « I Think I Got The Blues ». Il sait comment entrer dans le lard du big fat Chicago blues - I tink I’got da blues - Fameux.

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         Deux ans plus tard, il enregistre l’excellent What happened To My Blues. Il chante « Moon Cat » à la pure puissance, comme Wolf. Même calibre, même férocité d’accent et même façon de mordre dans la gorge du cut. Il tape ensuite dans le heavy blues pour le morceau titre. Il sait driver la carriole, pas de problème, et Lafayette Leake pianote avec tout le poids de sa légende, et il ramène du limon en plus. Avec « Got To Love You Baby », on a une sacrée belle pièce de niaque à la Big Dix. Il est superbe. On sent qu’il se battra jusqu’à la fin. C’est un niaqueur de boogie sans pareil. Comme Wolf, il niaque au-delà de toute expectative. En B, on tombe sur une monstruosité de Chicago : « Oh Hugh Baby ». C’est gorgé de swing et Big Dix nous jive le booty du boogah, babe ! Encore un boogie de poids avec « Put It All In There ». Quel carnassier ! Big Dix bouffe son boogie tout cru. Il boucle avec « Hey Hey Pretty Mama », encore un cut écrasant de poids. Il est bel et bien le seigneur du boogie, le Capone du binaire de Pretty Mama, le trésorier du cul, l’excellence d’ambassade, l’oriflamme des troops, il éclate dans l’azur des légendes du rock et du blues.

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         Il revient dans l’actualité en 1988 avec Hidden Charms. Il chante comme un ogre las de vivre. « I Don’t Trust Myself » est incroyable de présence. Il affirme ne croire en rien - ni en lui, ni la police, ni le priest, ni le plane. Rien ni personne. Dans « Jungle Swing », il renoue avec son africanité - Oh Abyssinia my home ! - Big Dix se réclame de ses ancêtres - Listen to the rhythm swinging/ The drummer come rumbling down - Effectivement, c’est Earl Palmer qui tape le jungle beat ! Il donne des leçons de morale dans « Don’t Mess With The Messer » - I’m gonna bug the bugger/ I’m gonna trick the tricker - et il conclut - You can’t mess with the messer/ The messer gonna mess with you - On devrait l’appeler Willie Diction, car il chante à l’exquisite. En B, il passe au gospel avec « Study War No More ». Il renoue avec l’allant du prêche évangéliste d’église en bois. Et il nous redonne une fantastique leçon de swing avec « Good Advice » - You see you guys & girls in school/ You better study your books and don’t be no fool - Encore une fantastique leçon de diction - And if you keep on bettin’/ Then you’re bound to win - Il termine avec « I Do The Job », un heavy blues à la Big Dix, forcément monstrueux - You may be quick and slide/ You may be fast and greasy/ But I take my time/ And I’m slow and esay - Ça sent bon le sexe.

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         Paru en 1989, Ginger Ale Afternoon est la bande originale d’un film. On retrouve Big Dix au chant sur quelques morceaux comme « I Don’t Trust Anybody » (où il rappelle qu’il n’aime pas qu’on tourne autour de sa poule), « I Just Want To Make Love To You » (I don’t want you to be no slave/ I don’t want you to wait for days) et « That’s My Baby », blues jazzy de round midnite qu’il chante à la syllabe mouillée de vieil hippopotame, histoire de rappeler qu’il est une bonne pâte.

         L’essentiel du slap de Willie Dixon se trouve dans les disques de ses compagnons d’infortune, chez Chess. Comme sa discographie est devenue un marécage de compilations de toutes sortes, il faut rester prudent et se diriger vers des valeurs sûres comme la Chess Box ou le Blues Dictionary qui se complémentent assez bien.

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         Grâce à la Willie Dixon Chess Box, on peut réécouter le swing dément de Little Walter avec « My Babe »  (compo de Big Dix inspirée du vieux « This Train » de Sister Rosetta Tharpe). Ce morceau est l’archétype du gros swing des familles. Quand Big Dix  chante, il faut dresser l’oreille. Il chante « Pain In My Heart » d’un ton fêlé qui évoque Esther Phillips. Il a cette petite diction du nègre du delta héritée de ses ancêtres. La Chess Box est une merveille qui permet de réécouter à la suite Muddy Waters, Wolf et Willie Mabon. Mais le plus intéressant de tous, c’est probablement Little Walter, dont le « Mellow Down Easy » tire un peu sur le vaudou. Little Walter sait y faire pour déclencher les passions intestines. C’est l’un des artistes les plus sauvages de Chicago, et pas seulement à cause des cicatrices qu’il porte sur tout le corps. Il souffle dans son harmo comme un dingue. C’est lui le dieu de l’harmo. Autre retour de manivelle avec Bo Diddley dont le « Pretty Thing » a présidé à l’éclosion de bien des vocations. C’est tellement sauvage qu’on comprend que Phil May ait flashé dessus. Tout y est, le dépouillé de la classe, le jungle beat qui tue les mouches, le primitif de la forêt qui vaut largement tous les murs de briques de l’East End. Le fait que Big Dix  soit mêlé à ces purs moments de magie n’est pas un hasard. Mais la merveille du disk 1, c’est « Walkin’ The Blues », reprise de Champion Jack Dupree, que Willie traite à la manière laid-back des gros durs de Chicago - Slow down, man/ Don’t run so fast/ That’s the way to relax ! - C’est absolument somptueux de classe dixy.

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         Le disk 2 démarre avec le punk à la petite cuillère, l’infernal Wolf, une cuillère de café, une cuillère de thé, non, il veut juste une cuillère d’amour, et Bo Diddley revient avec le sidérant « You Can’t Judge A Book » monté sur une partie de basse démoniaque, mais apparemment, ce n’est pas Big Dix  qui joue sur la version originale. Dans le livret, on a indiqué « bass unknown ». Et pourtant, c’est la basse qui fait la classe du cut. Bo le dingue ! Pur génie. Et après ça s’enchaîne avec du Wolf et du Muddy haut de gamme, on retrouve tous les hits qui ont traumatisé les jeunes Anglais, « I Ain’t Superstitious », « You Need Love », « Little Red Rooster », « Back Door Man », « Hidden Charm » avec un solo fantastique d’Hubert Sumlin, « You Shook Me », avec le travail rampant d’Earl Hooker et soudain, on tombe nez à nez avec Sonny Boy Williamson, l’homme qui avale son harmo. C’est une version démente de « Bring It On Home », avec un strumming digne des géants du rokab et un swing furibard. L’excellence de la merveille ! Derrière, Matt Murphy gratte ses poux. Pur génie, une fois de plus. Et bien entendu, Big Dix est mêlé à tout ça. Le disk 2 se termine avec Koko Taylor, que Big Dix essayait de lancer. Mais Koko a trop de chien, elle frise même la vulgarité, mais il faut essayer de l’accepter comme elle est, puisqu’elle est la protégée de Big Dix. Il chante en duo avec elle dans « Insane Asylum ». Pure merveille. Big Dix sait planter un décor. Ce qu’il fait sur ce morceau est purement extravagant. Koko en rajoute. Ils sont fabuleux. Rien que pour « Insane Asylum », ça vaut le coup de choper la Box.

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         En fait, Big Dix  a eu la chance d’accompagner tous ces interprètes qui comptent parmi les plus grands de l’histoire du rock : Wolf, Muddy, Buddy Guy, Etta James et tous les autres. Dans le Blues Dixionary, on trouve un autre choix de morceaux. On retrouve les ouuuh-ouuuh de Wolf dans « Howlin’ For My Darling », la démence de Buddy Guy dans « Broken Hearted Blues », la fabuleuse pétaudière d’Elmore James dans « Talk To Me Baby », l’arrachage de glotte d’Etta James dans « I Just Want To Make Love To You » et encore une fois, le monstrueux « Back Door Man » de Wolf. Et puis Little Walter décroche la timbale une fois de plus avec « As Long As I Have You », il fait lui aussi le punk avant l’heure, il pousse des ah-ouh et défraie brillamment la chronique.  

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(Scott Cameron)

         Mais Big Dix sent qu’un truc lui reste coincé en travers de la gorge : les magouilles des frères Chess. Alors il ne lâche plus le morceau, même après la mort de Leonard le renard : « You think of all the time Muddy spent with Chess, he got a few bucks but nothing like the amount of money you’d think he’d have. » C’est Scott Cameron qui met le nez là-dedans lorsqu’il devient le manager de Muddy. Il accepte de mener l’enquête. Il trouve la faille dans le système Chess : ces rats versaient à Big Dix un salaire hebdomadaire en guise d’avance sur les royalties. Donc ils employaient l’auteur et lui versaient une somme ridicule, par rapport à ce que rapportaient les droits d’auteur. Et c’est grâce à cette faille immonde qu’ils ont gagné le procès contre Arc, la société montée par les frères Chess pour encaisser les droits.

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         C’est Horst Lippmann - organisateur de l’American Folk Blues Festival en Europe - qui va secouer le cocotier pour de bon. Horst avait réussi à entrer en contact avec Big Dix et à devenir son ami. Quand il a compris ce qui se passait à Chicago, il a accusé les frères Chess de pratiquer une nouvelle forme d’esclavage. Même leur avocat noir était d’accord avec ce que disait Horst. Big Dix qui assistait à la shoote a blêmi car c’était la première fois qu’il voyait un mec attaquer les frères Chess de front. Leonard le renard était à la fois un père et un exploiteur. Il incarnait le patron blanc des plantations. C’est Horst qui fit basculer la situation. Il rappelait qu’il avait affronté la Gestapo pendant la guerre, alors, les frères Chess ça le faisait bien marrer. « I must say the Chess brothers did a lot for the blues, but they did even more for their own money. That’s okay in a way - only when they do tricky things, then it becomes problematic. » (Je dois dire que les frères Chess ont beaucoup fait pour le blues, mais ils ont encore mieux fait pour leur compte personnel. D’un côté, c’est OK - mais quand ils trafiquent les choses à leur profit, ça devient un problème. »

         Le livre de Willie Dixon est donc l’histoire d’un règlement de comptes, et heureusement qu’il s’en est mêlé, car les frères Chess seraient rentrés dans la légende sans avoir de comptes à rendre, alors qu’ils se sont enrichis sur le dos de pauvres nègres.

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         Et pour finir, on peut aller jeter un œil sur le film de Charles Burnett, Devil’s Fire, volume 4 de la série sur le Blues produite par Martin Scorsese : on y voit Big Dix taper un solo de slap en dansant du cul. Et comme il a un cul énorme, tu es comme marqué à vie par cette séquence. Alors laisse tomber les punks : Big Dix, Bo et Wolf étaient les vrais punks.

Signé : Cazengler, Willie Picton

Willie Dixon & Memphis Slim. Catalyst. Every Wich Way. Verve 1960

Willie Dixon & Memphis Slim. Willie’s Blues. Prestige Records 1960

Willie Dixon & Memphis Slim. Songs Of Memphis Slim & Willie Dixon. Folkway Records 1968

Willie Dixon. I Am The Blues. Columbia 1970

Willie Dixon. Catalyst. Ovation Records 1974

Willie Dixon. What Happened To My Blues. Ovation Records 1976

Willie Dixon & JB Lenoir. One Of These Mornings. JSP Records 1986

Willie Dixon. Hidden Charms. Capitol Records 1988

Willie Dixon. Ginger Ale Afternoon. Varese Sarabande 1989

Willie Dixon. Blues Dixionary. Volume 2. Roots 1993.

Willie Dixon. The Chess Box. MCA Records 1988

Willie Dixon & Don Snowden. I Am The Blues. The Willie Dixon Story. Da Capo Press 1989.

Charles Burnett. Devil’s Fire. The Blues, A Musical Journey Vol 4. DVD 2004

 

 

Protomartyr de la résistance

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         We’re Protomartyr from Michigan. Laconique, le gros. Pas trop de contact avec le public. Il s’appelle Joe Casey. Comme ses collègues, il se fout du look. Casey porte un costard noir et une chemise noire. Zéro frime. Rien à foutre. Le pire, c’est les pompes.

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Ils portent tous des pompes atroces, surtout celui qui gratte ses poux juste devant. Le bassman itou. On appelait ça autrefois le look MJC. Mais d’une certaine façon, ça repose de voir des mecs monter sur scène sans vouloir frimer. Les Proto sont des anti-rockstars et du coup, ça les rend éminemment sympathiques. Ils sont là pour jouer. Ils tapent un set d’une rare densité, ça joue à deux grattes, ils donnent une idée de ce que peut donner la modernité dans le Michigan, et ça passe par la violence, mais il s’agit bien sûr d’une violence expressionniste que canalise l’art.

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Joe Casey chante une canette de bière à la main. Il la fout de temps en temps dans sa poche. Il a une dimension énigmatique, car il ressemble plus à un employé de bureau qu’à un chanteur de rock. Il s’impose à la force du poignet. Pour un gros, il ne transpire pas trop, il luit un peu sous les projecteurs, mais il ne dégouline pas. Il semble complètement en osmose avec son chaos, il déroule son écheveau mécaniquement et passe le plus clair de son temps à beugler dans son micro. Il a une dimension purement gargantuesque.

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On a parfois l’impression qu’il va avaler le micro, tellement il ouvre sa gueule de shouter apoplectique. Pourtant, il n’en fait pas un spectacle, il ne cherche pas à impressionner avec des regards de fou, il reste dans son climax sonique et palpite comme un gros cœur. S’il avait une gratte, on pourrait le comparer à Frank Black. Ils se contenter de haranguer sans fin. Ils démarrent bien sûr avec un «Make Way» tiré de leur dernier album Formal Growth In The Desert, et dans la foulée, on retrouve d’autres cuts très tourmentés tirés du même album, «3800 Tigers», «For Tomorrow», «Elimination Dances» et plus loin l’excellent «Polacrilex Kid». Et tout va exploser vers la fin avec «Pontiac 87» et «I Forgive You» tirés  de The Agent Intellect.

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 Les Proto montent leur sonic trash à deux grattes au plus haut niveau, celui de l’exultation transcendantale, celle qui entre par tous les pores de la peau. Les deux grattes trament une cisaille intense qui se brûle les ailes, il tapent un rock fusion icarien qui chamboule tellement l’imaginaire que le set finit par prendre une dimension mythologique : il plonge l’auditoire dans la stupeur, comme si l’immense corps carbonisé d’Icare allait tomber lourdement et tous nous écraser.

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         Indéniablement, les Protomartyr de la résistance ont un truc, et plus particulièrement Joe Casey. Il suffit de l’écouter dans «Polacrilex Kid», l’un des hauts lieux de Formal Growth In The Desert, pour s’en convaincre définitivement.

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Il a les deux mamelles qui font foi, la vraie voix et la big energy. Il chante tous ses cuts à la force du poignet, il établit une dominance spécifique. On l’imagine aisément en seigneur de l’An Mil, avec ses bijoux primitifs et ses fourrures. «Fulfilment Center» sonne comme un belle énormité, balayée par des vents de this is heartbreaking. Les Proto jouent tout à l’envers, à rebrousse-poil. Mais leur vrai fonds de commerce, c’est le Big Atmospherix, tu vois arriver «For Tomorrow» sous des violentes averses de son, même des dégelées royales. Joe Casey tient bien sa voix, elle ne flanche pas. Son Tomorrow résiste bien, car c’est un cut puissant et solide. Avec «We Know The Rats», ils replongent dans leur univers qui est un bel univers. On sent chez eux un goût de l’ostentation, regardez comme je suis balèze, leurs grattés de poux sont d’une rare démence, ils se payent de beaux passages à vide de petite pop à la mode, mais c’est pour mieux rebondir, comme par exemple avec «3800 Tigers», le Casey se hisse au sommet du son. Il lui faut des compos. Ils tapent «The Author» à la cisaille atroce. Ils bricolent leur petit univers de monstres à trois doigts. Vient qui veut. Ils se drapent dans la pourpre impériale de leurs climats sonores.

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         No Passion All Technique restera de toute évidence le meilleur album des Proto. Ça grouille de coups de génie, dans cette marmite. Leur son ne pardonne pas. Ils proposent la version moderne de la fournaise de Michigan, dès l’ouverture de bal, l’«In My Room» te saute au pif, avec un vrai rush de dégelée royale et un final explosif. Cette splendeur irradiée tombe du ciel. Les Proto développent autant de chevaux vapeur que les Pixies. Même sens inné de la démesure. La rafale des coups de génie commence avec «Machinist Man» : power pur, gratté aux entrailles, ça gratte avec des étincelles, il s’appelle Greg Ahee. Les Proto jouent à la relance méphistophélique. Tu n’en es qu’au deuxième blaster et te voilà sidéré pour de vrai. Ils varient les formats, chaque cut est différent du précédent, ils s’enfoncent comme un train fou dans des tunnels et tout explose à nouveau avec «3 Swallows». Joe Casey impose sa présence avec le même aplomb de Mark E. Smith. Format pop sublime, les Proto tapent dans le très haut de gamme. Tout explose en permanence. Encore plus demented, voilà «Free Supper». Greg Ahee cisaille ses poux, ça sent le cramé, et ça reste d’une violence suprême. Suite de la rafale des cuts intemporels avec «Ypsilanti» embarqué ventre à terre, cisaillé aussi sec, ces mecs-là ne s’accordent aucun répit, et voilà l’histoire de Lazare, «How He Lived After He Died», toutes les textures sont richissimes, cousues d’or du Rhin, Greg Ahee joue l’essaim définitif, il n’existe rien d’aussi tendu. Tout aussi passionnant, voilà un «Feral Cats» punchy, avec un riff raff claqué du beignet, c’est complètement explosé au sonic trash, ces mecs-là ne rigolent pas, tout est voué aux gémonies de l’hégémonie michiganne, et boom les voilà dans The Fall avec «Wine Of Ape», mais en plus virulent. Comment est-ce possible ? 

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         Un chien méchant orne la pochette d’Under Color Of Official Right. Toutes leurs pochettes sont très dépenaillées : un gros visuel moderniste, quasiment pas d’infos et le track-listing au dos dans une typo savamment bringuebalante. Inutile de dire que c’est encore un wild album. Avec «Tarpeian Rock», ils sonnent comme The Fall. Greed bastards ! Joe Casey dénonce, comme le fit Mark E. Smith en son temps, même niaque décapante. Tu as clairement l’impression que les Proto te jettent leurs albums en travers de la gueule, c’est en tous les cas l’impression que laisse une première écoute de «Maidenhaed». Tu restes ou tu te casses, c’est simple. Ça vaut le coup de rester. Rassure-toi, ça explose très vite, tu as les grattes de Méricourt, c’est-à-dire Greg Ahee. Et soudain tu réalises que tu te trouvais au pied d’un American guitar slinger de génie. C’est lui autant que Joe Casey qui est l’âme de ce brillant Detroit band. Le cut sur lequel il fait des miracles s’appelle «What The Wall Said». C’est noyé de poux. Greg Ahee persévère inlassablement. Il vole le show en permanence. On observe encore une grande variété d’approches dans un genre connu pour son austérité, la Post. Mais les Proto en font une fontaine DC de jouvence. «Trust Me Billy» sent l’habit noir et soudain, ça explose avec «Pagans», explosé par une dynamique de dynamite power-pop. Encore du Fall de Detroit avec «Bad Advice». Ils n’en finissent plus de tomber dans The Fall. Ces mecs-là vénèrent assez The Fall pour entrer en osmose avec leur esprit. L’album se réveille encore plus loin avec «I Stare At Floors», ils enfoncent le clou de la Post dans la paume du qu’en dira-t-on, bim bam, on entend d’ici les coups de marteau et ce démon de Greg Ahee arrose tout ça d’essaims dangereux. Énorme pression ! Comme le montre encore «Come & See», ils disposent de ressources inépuisables, ils n’en finissent de renaître comme des phénix du rock de Detroit, c’est lumineux et gratté à l’entre-deux. Les structures des cuts sont toutes riches et passionnées. Il terminent avec l’explosif «I’ll Take That Applause». Les Proto ont le power. Ils jettent tout leur dévolu dans la balance et te voilà conquis comme une cité antique.  

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         Orné d’un dieu grec, The Agent Intellect est un fantastique album. C’est un 12/12, ce qui est rarissime. Sur trois cuts, ils sonnent comme The Fall : «Cowards Starve», «I Forgive You» et «Boyce Or Boice». Belle tension, belle pression, c’est plein de vie et de mort, terrific d’übervalles et d’ultra spurge. Joe Casey pose ses mots comme le fait Mark E. Smith. Ils changent de structure à chaque nouveau cut, concassage différent pour «I Forgive You», chant plus pressant, c’est même la harangue de MES, et il entre encore à la MES dans «Boyce Or Boice». Décidément, c’est une obsession. Globalement, les Proto sont des Fall du Michigan. Chacun de leurs albums grouille de vie et d’invention. Voilà le «Pontiac 87» qu’ils tapent sur scène, vite embarqué par Greg Ahee. C’est lui le génie des Proto. Il injecte du fiel dans le cul du Pontiac. Quelle violence ! Et puis tu as le «The Devil In His Youth» d’ouvertured de bal, entrée en matière royale, ils entrent au palais en explosant la porte, tu as tout le power du Detroit punk servi sur un plateau d’argent nommé Greg Ahee. Pur genius, conquérant, voilà un cut gangrené de poux purulents, explosivement beau, monté à la clameur. Joe Casey chante son «Uncle Mother’s» au caoutchouc de la titube, c’est encore en plein dans The Fall. Ils sont effarants d’anglicisme. Même dévolu de va-pas-bien. Ils ramonent jusqu’à l’overdose, avec la puissance d’une marche militaire, sabrée au cristal d’Ahee. Wild world encore avec «Dope Cloud». Wild wild world ! Tout le poids du Michigan, beau et puissant, ils jouent à l’inclination définitive, les climax renvoient au génie sonique des Mary Chain. Assaut différent encore pour «The Hermit». Celui-là est d’une rare brutalité. Joe Casey relance sans fin - I don’t think so ! - Encore du climax purulent avec «Clandestine Time». Ils ne vivent que pour la démesure. Tout le monde sut le pont pour «Why Does It Shake», Ahee et Casey sont les premiers, avec juste derrière eux le big beurre d’Alex Leonard. Ahee ahane bien sur la fin, il répand son sonic trash à l’infini. Ils taillent encore «Ellen» à la serpe de cavalcade. Pur Detroit Sound, extraordinaire vélocité, Casey la veloute à la folie, on retrouve des échos d’Adorable dans cette fournaise. Qualifions ça de Big Atmospherix noyé de virulences. Fausse fin et explosion finale. Ils bouclent avec un «Feast Of Stephen» brisé de la mâchoire dès l’accord d’intro. Ça joue à coups rebondis, avec des dissonances qui te font rêver. C’est hallucinant, tellement ce Feast est drivé et beau, carrossé pour traverser les siècles. 

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         Tu retrouves une espèce d’Isabelle Eberhardt sur la pochette de Relatives In Descent. Le coup de génie de l’album s’appelle «Windsor Hum», qu’ils reprennent d’ailleurs sur scène. Greg Ahee le gratte à l’entêtement. Le cut est hanté par un gimmick tétanique - Everything’s fine - Et ils explosent comme seuls les Pixies savent exploser. C’est saturé d’Everything’s fine. Terrific ! Le beurreman Alex Leonard fait des étincelles sur «Here Is The Thing». Il bat son beurre à la vie à la mort. Il bat sec, très sec, il est encore plus sec qu’un olivier oublié au fond du champ. Il faut bien dire que les quatre Proto de base sont des surdoués. Le deuxième guitariste qu’on a vu sur scène est juste un renfort. «Here Is The Thing» est encore du pur Fall sound. Greg Ahee joue le plus souvent en tir de barrage. Il arrose sans discrimination. On entend presque des accords du Velvet sur «My Children». Greg Ahee y injecte du Fall power. En pur Post, c’est très tiré par les cheveux, vite cavalé sur l’haricot. My children ! Voilà encore un «Caitriona» bien martyrisé. Ils ne sont pas Proto pour rien. Joe Casey chante ça à la sauvette relentless, comme un vieux renard du désert. Bon, c’est vrai que cet album n’a pas le cachet de No Passion All Technique, mais ils cachent la misère avec de soudains accès de fièvre. Ça reste saugrenu de virulence, les tempêtes soniques virevoltent, et l’admirable Joe Casey déclame ses vers décomposés au milieu du chaos. Tu restes en arrêt devant «Don’t Go To Anacita» : grosse attaque, beurre, chant, sonic trash, tu as là un bel avant-goût de l’apocalypse, et plus loin, ils te cisaillent «Male Plague» à la base. Joe Casey sort sa meilleure harangue en hommage à Mark E. Smith. Et pour finir, «Half Sister» te tombe dessus, comme une apocalypse molle. Si tu veux qualifier l’art des Proto d’un seul mot, c’est ‘splash’. Ça te tombe sur la gueule.  

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         Un âne orne la pochette d’Ultimate Success Today. Encore un wild & crazy Proto-disk. Ils donnent le ton dès «Day Without End» : hommage à The Fall. Deux coups de génie se planquent plus loin : «Tranquilizer» et «Modern Business Hymns». Joe Casey chante le premier aux clameurs du carnage. Sonic trash d’hallali atomique, fusion de guerre nucléaire et de barbarie antique. «Modern Business Hymns» explose encore plus, attaqué à la marche forcée, broyé de la cervelle, le Killer Casey danse sa ronde de nuit, il plonge Rembrandt dans les carnages de Goya, il place un couplet mélodique au cœur d’une apocalypse saturée d’ad nauseam. À force de violence sonique, les Proto deviennent héroïques. S’ensuit un «Bridge & Town» insidieux. Cut malsain, qui semble ramper au fond de la pièce. Rock cancrelat. Berk. Osseux. Dissonant. Ils renouent ensuite avec les apocalypses verticales d’Adorable. Effet d’ascenseur. Encore de la Michigan craze avec «Possessed By The Boys». Greg Ahee forever ! Encore plus violent et sans pitié, voilà «I Am You Now», et «The Aphorist» marche sur des charbons ardents. Encore une fois, l’album est très varié. Joe Casey chante tout au punch pur. Les Proto produisent énormément, ce sont des industriels de l’anguleux claustrophobique, tout est fracassé et recollé au sonic trash, alors ça tient et c’est même tout terrain. «Michigan Hammers» ? Comme son nom l’indique. Greg Ahee te claque ça à la clairette du Michigan. Incroyable brutalité du son ! Leurs Michigan Hammers sonnent comme la Post de Mondrian. Ils terminent avec «Worm In Heaven» qu’ils amènent comme un balladif de rêve éveillé - So it’s time to say goodbye - Les voilà dans une ambiance à la Radiohead, on reconnaît la progression d’«I’m A Creep». Joe Casey entre dans ses cuts comme un vrai pro, et avec ses Proto-potes, ils travaillent la matière du rock avec acharnement.  

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         Mis à part le concert et les albums, la rubrique ‘My life in music’ offre un bel éclairage. On la trouve à la dernière page d’Uncut et c’est Joe Casey qui s’y colle. Quand on voit son choix de disques, on comprend tout : pas de post-punk, mais Stevie Wonder, les Pogues et Ghostface Killah. Il rappelle que si tu nais à Detroit, on t’offre un album de Stevie Wonder à ta naissance, mais il reconnaît avoir compris le génie de Stevie Wonder plus tard dans la vie. Il parle même d’une career of masterpieces - To me, Stevie is the quintessential Detroit artist making something great out of what he’s been given - Il dit des Pogues qu’ils sont sa «biggest lyrical inspiration». Il rappelle qu’au lycée, il avait à choisir entre Nirvana et le rap, alors il a choisi le rap - Wu-Tang forever - et c’est par le rap qu’il est arrivé à son «later love for The Fall». Il rend aussi hommage à Tyvek, un groupe de Detroit pas très connu. C’est grâce à eux qu’il est devenu chanteur dans un groupe. Il cite l’album On Triple Beams, sorti sur In The Red la même année que le premier Proto. Bel hommage aussi à Ted Leo & The Pharmacists qu’il voit comme un mélange de «Thin Lizzy, mod, punk, The Pogues, ska and more». Puis voilà les deux cerises sur le gâtö : Rocket From The Tombs (The Day The Earth Met The Rocket From The Tombs) et The Country Teasers (Destroy All Human Life). Il démarre son apologie de Rocket ainsi : «Proof that the Midwest is the best.» Il se dit même fier de ce qui vient d’Ohio. Le Rocket le connecte à «Pere Ubu, The Dead Boys, Peter Laughner, it was all there.» Il se dit chanceux d’avoir vu la reformation de Rocket sur scène à Detroit, avec Richard Lloyd, «and it remains my favourite concert experience.» L’hommage aux Country Teasers permet de comprendre la grandeur d’un album comme No Passion All Technique. Pour Joe Casey, les Teasers allaient plus loin que Wire et The Fall - The Teasers are the real deal - Deux des cuts de Destroy All Human Life («Golden Apples» et «David Hope You Don’t Mind») sont «two of the best songs ever». Voilà ENFIN un fan des Country Teasers.

Signé : Cazengler, Protozoaire

Protomartyr. Le 106. Rouen (76). 28 octobre 2023

Protomartyr. No Passion All Technique. Urinal Cake Records 2012

Protomartyr. Under Color Of Official Right. Hardly Art 2014

Protomartyr. The Agent Intellect. Hardly Art 2015

Protomartyr. Relatives In Descent. Domino 2017

Protomartyr. Ultimate Success Today. Domino 2020

Protomartyr. Formal Growth In The Desert. Domino 2023

John Casey : My life in music. Unct # 316 - September 2023

 

 

L’avenir du rock

- Bettye n’est pas une lavette

(Part Two)

         L’avenir du rock lance régulièrement des invitations à dîner. Lorsque ses amis arrivent, ils commencent par papillonner dans le salon. Oh bah dis donc ! Oh bah ça alors ! Ils n’en finissent plus de s’extasier. Ils poussent des oh et des ah d’admiration, ils rivalisent de surenchère, ils chantent des louanges et des louanges à n’en plus finir, oh ben ça alors, fait l’un, oh bah dis donc, fait l’autre, ils n’arrêtent pas ! L’avenir du rock les implore de revenir au calme. En vain. Leurs pépiements ne font que redoubler. Oh bah dis donc ! Oh bah ça alors ! Ils frisent tellement l’hystérie collective qu’ils ne voient même pas la mine fermée de leur hôte. Il ne cache plus son agacement. «C’est la dernière fois que je les invite», se dit-il en grinçant des dents. Il tente une manœuvre de diversion en servant l’apéro. Mais ça repart de plus belle !  Oh bah dis donc ! Oh bah ça alors ! Les voilà qui s’extasient à la contemplation des verres. Oh bah dis donc ! Oh bah ça alors ! «Quel éclat !», fait l’un. «Quelle mirifique transparence !», fait l’autre. C’est exaspérant. Ils ne complimentent pas l’avenir du rock sur ses choix musicaux ou sur la splendeur de son état de santé, non, ils le complimentent sur la tenue de sa maison, sur la propreté des verres et des carrelages, sur la translucidité des baies vitrées donnant sur les toits de Paris, ils s’extasient sur la netteté parfaite des surfaces qu’aucun grain de poussière ne vient contredire, ils s’ébahissent de l’imposante maturité du cuir de cet immense Chesterfield, ils disent renoncer à trouver le moindre défaut, ils vont même jusqu’à prétendre qu’aucune araignée n’est possible dans cette vaste pièce si magnifiquement entretenue. Et comme ils savent se montrer taquins, ils balancent une petite vanne :

         — Dommage que tu ne sois pas un trave, avenir du rock, on t’aurait appelé la fée du logis et on t’aurait pincé les fesses...

         — Gardez vos ambivalences pour vous, messieurs les pâmés.

         — Nous diras-tu le secret de ton immaculée conception domestique ?

         — Bettye LaVette !

 

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         Si Bettye LaVette savait quel usage on fait des lavettes en France, elle changerait de nom. Bettye est une très jolie femme. Elle ne supporterait pas qu’on l’assimile à une petite serpillière, ou pire encore, à une lavette, c’est-à-dire une couille molle, pour dire les choses crûment. 

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         On chantait ses louanges récemment tout au long d’un Part One bien dodu, et on va les rechanter de plus belle pour saluer la parution de son nouvel album, le sobrement nommé LaVette!. C’est d’autant plus un big album qu’il est produit par le remplaçant de Charlie Watts dans les Rolling Stones, l’éminent Steve Jordan, gage à deux pattes de bon goût et de gros son. C’est lui qui est derrière les X-Pensive Winos de Keef Keef bourricot. Bettye nous cueille dès l’arrivée avec «See Through Me». Elle traîne encore quelques vieux restes de Tina, mais elle tente quand même d’exister pour elle-même. Elle a des accents intéressants de vieille Soul Sister, elle chante toujours un peu au bord du précipice. Elle adore nous faire peur et tituber dans le vent tiède du groove. Des Esseintes dirait d’elle qu’elle chante d’une voix d’éclat éteint. C’est très spécial. Elle est beaucoup plus abîmée qu’il n’y paraît et ça la rend encore plus désirable. Bettye est beaucoup d’essence baudelairienne qu’huysmanienne. Elle enchaîne avec un vrai coup de génie en forme d’avertissement : «Don’t Get Me Started». Elle sait driver le wild r’n’b à merveille. Elle est experte en termes de manipulation du hard on. Fabuleuse Bettye ! Stevie Winwood l’accompagne au B3 sur ce coup-là. C’est un groove puissant et roboratif. L’autre standout track de l’album s’appelle «Mad About It». Tu y retrouves la Bettye en lunettes noires et tu as le groove de Steve Jordan entre les reins. On peut même dire que ça groove au son d’Hi. Elle manœuvre ça dans les moiteurs, sous le boisseau. Elle sait rester très directive. Tiens puisqu’on parlait du loup d’Hi, voici le Rev. Charles Hodges au B3 sur «Sooner Or Later». Bettye a du beau monde derrière elle. Son Sooner est un heavy stuff, elle s’en étrangle de plaisir, c’est une virtuose du râle, elle sait jouer de sa glotte experte, elle règne sans partage sur Saba, aucun doute là-dessus. Elle chante encore son «Plan B» comme une vieille locataire neurasthénique, elle a cette voix acariâtre qui fait la grandeur du has-beendom. Chaque cut est pour elle l’occasion de ramener sa voix de vieille revienzy. Elle en joue éperdument. Sur «Concrete Mind», elle sonne comme une vieille casserole. Elle n’a jamais perdu ni son bric, ni son broc. Bettye est une délicieuse survivante, une fantastique followeuse of the faction. C’est la raison pour laquelle il faut la suivre à la trace. Son authenticité ne fait pas le moindre doute. Avec «Hard To Be Human», Steve Jordan lui tape un hard funk dans le dos. Elle retourne la situation à son avantage. Elle va très vite en besogne. Elle se prête bien au jeu du big fat funk de wild-a-gogo. Mais elle refait sa Tina avec «Not Gonna Waste My Love». C’est plus fort qu’elle. LaVette fait sa tinette. Elle n’est plus à ça près. Elle va tout gâcher en ne voulant plus rien gâcher. Va-t-en comprendre.

Signé : Cazengler, pauvre lavette

Bettye LaVette. LaVette! Jay-Vee Records 2023

 

 

Inside the goldmine

 - Plein les Mirettes

         Contrairement à ce que laisse entendre son nom, Lady Minette n’avait rien de câlin. Oh ce n’était pas son genre ! Forte femme, Lady Minette ne s’intéressait qu’à l’intelligence des gens. Elle n’avait aucune indulgence pour les cons et les m’as-tu-vu. Elle œuvrait au sein d’organisations diverses, souvent d’extrême-gauche, et possédait plusieurs domaines aux alentours de Paris, dont un moulin célèbre pour ses soirées littéraires. Lorsqu’elle se trouvait à Paris, elle recevait ses amis pour dîner dans un appartement labyrinthique du quartier de la Gare de Lyon, puis à une autre époque, elle s’éprit de Belleville et y élut domicile. Elle ne recevait plus chez elle, mais dans les restos chinois du quartier dont elle connaissait les propriétaires. Son expertise des réseaux facilitait grandement les choses. Elle se disait femme de ressources. Elle appréciait beaucoup les Chinois, car ils savaient comme les Corses régler n’importe quel type de problème, du plus simple au plus épineux. Sans vouloir en dire trop, elle m’expliqua un soir, dans un resto de karaoké, que tout fonctionnait par échange de services. Comme elle connaissait des hauts fonctionnaires, des académiciens, des dirigeants de grandes entreprises, elle disposait d’un éventail de solutions qui valait largement celui que proposaient ses amis chinois. Lady Minette semblait sortir tout droit d’un roman du XIXe siècle, elle était sans doute la dernière descendante d’une longue lignée d’intrigantes. La seule différence, c’est qu’elle ne couchait pas avec ses contacts. Personne ne savait rien de sa vie privée. Elle portait le cheveu coupé court, à la garçonne. Au milieu de son visage parfaitement rond trônait un nez en trompette. On ne pouvait détacher le regard de ses yeux clairs, d’un bleu presque transparent. Elle incarnait à la fois le père et la mère qu’on rêvait d’avoir, alors que par nature et par idéologie, elle restait définitivement hermétique à tout ce fatras d’imbécillités. Il ne serait jamais venue à l’idée de Lady Minette d’enfanter. Mentorer, oui, mais certainement pas enfanter !

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         Lady Minette aurait adoré les Mirettes, ça ne fait aucun doute. Elle adorait par-dessus tout les gens de caractère et les Mirettes sont des Soul Sisters de caractère. Si veux t’en mettre plein les Mirettes, tu as trois possibilités : soit tu rapatries leurs deux albums parus à la fin des sixties, soit tu tapes dans les compiles Northern Soul et tu les croiseras, notamment dans Cream Of 60’s Soul. Si tu t’en fous plein les Mirettes, c’est à cause de Venetta Fields, qui fit partie - avec Robbie Montgomery et Jessie Smith - de la première vague d’Ikettes qui, après s’être mutinée, fut remplacée par une deuxième vague dans laquelle tu avais P.P. Arnold, Gloria Scott et Maxine Smith. Venetta fit ensuite partie des Blackberries, les trios de backing singers d’Humble Pie. Venetta Fields est une star, mais très peu de gens le savent.

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         Tu en prends vraiment pour ton grade quand tu écoutes In The Midnight Hour, un beau cartonné US paru en 1968. Tu as tout de suite les voix et les chœurs Motown, aussitôt le «Take Me For A Little While» d’ouverture de bon balda. Tu sais tout de suite que tu entres sur un big album et les sexy girls que tu vois au dos de la pochette vont te jerker la paillasse. Elles sont de-men-ted ! Elles montent vite en pression. Il faut entendre Venetta exploser «The Real Thing». La qualité de leur Soul est effarante. Elles tapent encore dans le mille avec «I’m A Whole New Thing» et si tu vas traîner en B, tu vas tomber sur une cover magistrale de «Keep On Running». Pas de basse fuzz, mais des Mirettes. Elle passent pas en-dessous du boisseau, avec une basse bien ronde et elle te dégomment ça vite fait, ah les garces ! Elles compensent l’absence de fuzz par de la niaque. Elles terminent par une belle version d’«In The Midnight Hour» à la Mirette immaculée. Venetta tape dans le tas. 

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         L’année suivante paraît un nouvel album, le supra-excellentissime Whirlpool. Le coup de génie se trouve au bout de la B des cochons et s’appelle «O Miss You Babe (How I Miss You)», un fantastique jerky jerk de Mironton Mirontaine, tu en prends plein la barbe, elles développent un énorme jive de r’n’b, c’est ce qu’on appelle le pur genius de since you’ve been gone, on ne peut pas échapper à ça, elles le montent bien au sucre et c’est propulsé par l’énorme beat local. Et pour sandwicher tout ça, tu as en ouverture de balda l’effarant «Sister Watch Yourself», un heayv popotin motorisé à la Motown, Sister, watch yourself !, c’est bien dans la ligne du party. Elles y vont les copines, et ça continue avec le heavy groove de «Somethin’s Wrong», suivi du morceau titre attaqué au hard Soul Sistering, alors la Venetta y va, elle te groove sa chipolata sous le boisseau du meilleur popotin, tu peux lui faire confiance, elle a fait ses armes dans les Ikettes, alors elle sait de quoi elle parle. C’est excellent, au-delà de toute expectitude. Pas la peine d’aller chercher ailleurs, tu as toute la Soul de tes rêves sur cet album. Elles bouclent ce véhément balda avec «At Last (I Found A Love)», classique et bien vu, oh si bien vu. Clarence Paul te produit ça comme un cake, et on peut ajouter, pour faire bonne mesure, que Marvin Gaye co-signe cette petite merveille de fort tempérament. C’est dingue comme les Mirettes sont bonnes ! Mais dingue ! On ne comprend pas qu’elles soient passées à l’ass, comme d’ailleurs Honey Cone et les Velvelettes, qui étaient le temps d’un hit les reines du monde. Les Mirettes repartent de plus belle en B avec l’effarant «Heart Full Of Gladness», encore un heavy popotin de type Motown, elles dégagent autant d’air qu’Aretha, et c’est pas peu dire, elles te roulent leur r’n’b dans la farine de Motown et elles te montent ça en neige au aaaahhhh d’Aretha. S’ensuit «Ain’t You Tryin’ To Cross Over», une petite Soul plus sucrée mais fabuleusement embarquée pour Cythère. On ne les quitte plus d’une semelle, elles ont le même genre de punch que les Sweet Inspiration de Cissy l’impératrice. Aw my Gawd, il faut les voir régner sur la terre comme au ciel. Encore un coup de baume au cœur avec «Stand By Your Man», un slow groove tellement Southern, qu’on le croirait sorti de Muscle Shoals, et c’est en plus chanté avec des accents d’Aretha, au petit sucre des backwoods confédérés, là où se planquent encore les bataillons de fantômes rebelles.

Signé : Cazengler, miraud

The Mirettes. In The Midnight Hour. Revue 1968

The Mirettes. Whirlpool. UNI Records 1969

 

 

Taj à tous les étages

 - Part Two

 

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         Printemps 68. Le disquaire caennais te met Taj entre les pattes. «Tiens ! Écoute ça !». Au lycée, on commence à s’agiter. Le copain Yves vend des cartes d’adhésion au fameux CAL, le Comité d’Action Lycéen. Comité radical de lutte armée. Et le copain Pierrot roule en BSA. Et l’autre copain Yves prend des cours de guitare classique dans le but de monter un groupe. Tout semble bouger en même temps, surtout la musique de ce blackos inconnu qu’on voit, sur la pochette, assis dans une chaise avec sa gratte, devant une belle maison en bois peint. La musique grouille, à l’image des oiseaux et des papillons qui volent autour du mystérieux Taj Mahal.

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         Il s’agissait du premier album de Taj Mahal sur CBS. Au dos de la pochette on trouvait les noms d’autres inconnus, Jesse Ed Davis et Ry Cooder. Il y avait aussi trois reprises d’un autre inconnu, Sleepy John Estes. À l’époque, on ne faisait pas le cake, on ne savait pas grand chose. On se contentait de découvrir. Par miracle, le disquaire était un bon. Taj Mahal ouvrait le bal avec un fantastique « Leaving Trunk » porté par une bassline extrêmement dynamique. Avec ce premier cut, Taj Mahal devint un héros. Il chantait au guttural joyeux et donnait de bons coups d’harp. Il enchaînait avec « Statesboro Blues », un fabuleux groove de blues à la limite du rock-gospel-country-funk-screamin’ jive, si tu vois ce que je veux dire. Un vrai son, goulayé à la cantonade - You know I love that woman/ The better woman I’ve ever seen - Encore une fantastique reprise de Sleepy John Este, « Everybody Got To Change Sometimes », une véritable horreur évolutive montée sur une bassline cavaleuse. Il faut saluer l’omniprésent James Thomas derrière sa basse. C’est un voyageur aussi infatigable qu’impénitent. Il cavale sur l’haricot de son manche. En B, Taj claque son « Dust My Broom » et revient à Sleepy avec « Diving Duck Blues ». Il finit cet album magistral avec un hommage à Robert Johnson, « The Celebrated Walking Blues ». Ry Cooder y joue de la mandoline et c’est très beau car Taj va chercher l’esprit du blues dans l’essence même de la pulpe.

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         La suite de ce petit chef-d’œuvre s’appelle The Natch’l Blues. La pochette anglaise est sidérante, avec un Taj cadré en gros plan : il porte ses lunettes noires, son chapeau de caballero et il tire sur sa clope. Black dandy, un brin hendrixien. Dandy de la frontière. Le son est beaucoup plus traditionnel, on l’entend gratter son banjo et envoyer des coups d’harp. Il faut attendre « I Ain’t Gonna Let Nobody Steal My Jellyroll » pour renouer avec la classe du premier album. On retrouve le raunchy, le plein-comme-un-œuf qui en faisait la grandeur. Il renoue avec l’excellence de l’appartenance. Taj avance en vainqueur. Il passe ensuite au heavy blues avec « Going Up To The Country Painting My Mailbox Blue ». Il y ajoute cette véracité qui nourrit la vraie histoire du rock. Taj privilégie le velouté du groove, l’ampleur du meilleur et le suif du swing. S’ensuit une autre pièce de groove extraordinaire, « Done Changed My Way Of Living ». Il offre là tout le rudiment du blues d’antan, le vieux butt-shaking des juke joints. En B, se planque une pure merveille de blues psyché : « The Cuckoo ». Taj ramène toute sa science du blues dans cette intervention radicale.

         Très vite, Taj Mahal va se heurter à un problème : les gens de l’industrie du disque lui demandent de se positionner : « Mr Mahal will you please get in the box ? », à quoi Taj répond : « No, thank you, it doesn’t fit me ! ».

         Alors, quand on tombe sous le charme de ses deux premiers albums, on décide de le suivre à la trace. Ce sera parfois difficile, car Taj Mahal va en effet passer sa vie à explorer las racines profondes du blues et taper dans les connections avec le gospel, le latino, le r’n’b, l’Africana et nous emmener faire un tour dans ce qu’il existe de plus primitif. Il finira même par s’habiller comme ses ancêtres, en vêtements africains. C’est un voyage étonnant à travers l’histoire du blues, au moins aussi étonnant que peut l’être la belle série des sept films consacrés eux aussi à l’histoire du blues, que produisit Martin Scorsese.

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         On a évoqué l’épisode Rising Sons dans un Part One. Pour Columbia, le split des Rising Sons n’était pas grave. L’essentiel était de conserver Taj Mahal sous contrat. Alors Taj va enfiler les albums comme des perles.

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          En 1969 paraît Giant Step/De Ole Folks At Home. Taj se dresse sur la colline, toujours habillé en dandy de la frontière, chapeau, foulard rouge et énorme boucle de ceinturon. Il reprend le « Take A Giant Step » de Rising Sons et gratte son banjo. Il revient au blues avec « Give Your Woman What She Wants » et il a diantrement raison, car c’est une petite fournaise. Il chauffe ça à coups d’harp. Il prend une version de « Good Morning Little Schoolgirl » très rootsy. Sans doute la version la plus intéressante qu’on ait entendue depuis des lustres. Puis il donne une petite leçon de boogie blues éclairé avec « You’re Gonna Need Somebody On Your Bond », vrai swing californien, un modèle du genre, effrayant de direction et de maîtrise. On trouve en B un petit groove à la ramasse qui s’appelle « Farther On Down The Road » et qui révèle une petite tendance paradisiaque. Taj Mahal est une sorte de magicien, son groove coule tout seul et il chante ça avec le pire feeling qui soit. On se régalera aussi du « Bacon Fat » embarqué par une bassline de dingue, Taj rigole - hé hé - il sait pourquoi il rit. Comme l’indique son titre, le deuxième disque de ce double album se situe plus au bord du fleuve. Taj gratte son banjo et échappe à tous les formats. Il s’amuse bien. Il fait un « Stagger Lee » à la sèche des bois et il nous claque ça sec. Il tape aussi « Cajun Tune » à coups d’harp, et au fil des cuts, il devient de plus en plus primitif. Taj va aux roots avec une classe insolente.

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         The Real Thing est le dernier album où il apparaît sous une allure afro-américaine. C’est un album live. Il y gratte encore du banjo, et avec « Fishin’ Blues », il revient aux sources. Taj sifflote le groove dans « Ain’t Gwinen To Whistle Dixie ». Le Fillmore tape des mains car c’est un bon gospel, et derrière Taj, ça cuivre sec. Avec « Sweet Mama Janisse », il explose le contrat. C’est un boogie-blues infernal qu’on retrouvera tout au long de sa carrière. Il y balance un solo de banjo et derrière, ça pulse aux trombones des gémonies et à la basse funk. Démence pure ! Taj fait jerker le Fillmore ! Avec « Big Kneed Gal », il attaque le blues de charme. Taj est un fin renard. Il crée les conditions de la magie en feulant le blues. Il attaque « Tom And Sally Drake » au banjo des Appalaches et revient ensuite à son vieux « Diving Duck Blues ». Il en tire un jus de rumble de r’n’b effarant. Il chante aussi « John Ain’t It Hard » avec le feeling du diable et derrière lui, ça souffle dans des tubas. Sur ce live, tout est extraordinaire d’invention et de densité. Quel artiste !

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       Quand tu ouvres la pochette d’Happy Just To Be Like I Am, tu vois Taj jouer de la flûte dans un champs moissonné. Ambiance de sol jaune et de ciel bleu. Le morceau titre de l’album est chargé de toutes les dynamiques internes que l’on peut imaginer. Taj fouille l’innovation. Il secoue son cut comme un cocotier, il tend ses syllabes et ça devient vivant comme un vivier. Ça grouille de vie. Incroyable mais vrai ! « Stealin’ » est un blues qu’il attaque au banjo. Il adore ce vieux banjo qui remonte comme un saumon à contre-courant du blues. Son blues est prodigieusement dégingandé. En fait, Taj Mahal invente un style de blues, une sorte de blues de cabane tajique qui reste incroyablement persuasif. Puis il passe à la flûte pour jouer « Oh Suzanna », une vraie merveille de boogie original. Il réinvente tout. Son boogie grouille de vie. Il œuvre comme un visionnaire. Taj Mahal cultive le même genre de génie que celui cultivé jadis par Ronnie Lane. « Eighteen Hammers » ? Oh yeah ! Il va chercher l’incroyable profondeur du delta dans les dix-huit hammers. Voilà du primitif définitif. Derrière lui, les autres jouent sur des casseroles. En B, on tombe sur un gros boogie soufflé aux tubas, « Tomorrow May Not Be Your Day ». On sent qu’ils sont nombreux, au moins quatre à souffler comme des brutes. Taj Mahal est un artiste complet. On n’en finira plus d’explorer son œuvre. Il reprend l’« Hey Gyp » de Donovan pour en faire « Chevrolet » et ça rebascule dans le génie. Harp ! Taj s’approche avec un côté suave, mais en réalité, c’est un puissant démon noir. Comme tous ses hits, « West Indian Reservation » a une coloration particulière, effrayante d’énergie et de modernité. Il ne lâche rien. Sa musique lui appartient. Il reste intense de bout en bout. Il joue « Back Spirit Boogie » au bottleneck de la rivière et il y va de bon cœur. Il fait claquer ses coups de slide pendant une éternité. Avec ce cut, il marque l’affirmation maîtrisée du boogie d’instro de fin de parcours. 

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         Sur la pochette de Recycling The Blues & Other Related Stuff, il est photographié en compagnie du vieux crapaud Mississipi John Hurt. Fantastique image de filiation. Taj gratte son banjo dans « Ricochet » et refait « Délivrance » à lui tout seul. Il fait aussi du gospel avec « A Free Song ». Il claque des mains et le public claque des mains. S’ensuit une énorme version de « Corinna » qu’il tape dans le haut de gamme interprétatif. Les Pointer Sisters l’accompagnent sur « Sweet Home Chicago » et ensemble ils produisent un blues de la meilleure qualité johnsonienne. Les Pointer Sisters l’accompagnent aussi sur « Texas Woman Blues ». Elles jettent du swing dans l’extraordinaire crunch de Taj. Pur génie, et Taj monte ses syllabes au chat perché pourri de feeling, alors on atteint des sommets. C’est même Taj qui joue de la stand-up !

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         Pas mal de merveilles aussi dans Sounder, et notamment « Needed Time », un gospel sacré de Lightnin’ Hopkins. Il va piocher au plus profond de sa condition humaine pour recréer l’Americana. Sur « Sounder Chase A Coon », il joue de l’harp et se perd dans l’antiquité. Il reprend ensuite « Needed Time » au banjo et murmure au bord du chemin. C’est effroyablement inspiré. Au fil de l’album, on le voit s’enfoncer dans un mélange d’antiquité et d’Americana. Il claque même une version de « Motherless Children » au bâton. Absolument dément. Avec « Jailhouse Blues », on est dans le très ancien, le très lent et le très fatigué. Il revient aussi aux chants des champs avec « Just Workin’ » - Lord early in the morning - Des filles charrient le groove et ça claque des mains. Avec « Two Spirits Revisited », on se croirait dans une fable antique de Pasolini, car Taj joue de la flûte grecque ancienne, il sonne comme un pâtre macédonien. Et avec « David Runs Again », il banjote comme un démon. Mais on sent qu’il se perd dans des mondes parallèles. Avec « David’s Dream », il retourne dans l’antiquité et s’y perd pour la postérité.

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         Le voilà donc complètement africanisé pour Ooooh So Good ‘N Blues. Les Pointer Sisters sont toujours là et l’accompagnent sur « Little Red Hen », pur gospel batch qui vire au gospel des champs, et Taj gratte son banjo par-dessus tout ça. S’il en est un qui respecte l’esprit du blues agricole, c’est bien Taj ! Il va chercher « Oh Mama Don’t You Know » au feulé du primitif. Il claque ses notes dans le néant de l’éternité. Les Pointer Sisters volent de nouveau à son secours dans « Frankie & Albert ». On se retrouve une fois encore dans le blues supérieur claqué à l’ongle sec. L’incroyable de toute cette histoire, c’est qu’un black réussisse à réinventer l’Americana. Taj gratte son dobro pour « Railroad Bill » et il devient le maître des Appalaches en boubou nigérian. Il fait danser les ours et les castors. Il tape une version incroyablement primitive de « Dust My Broom ». Il fallait oser. Taj gratte avec des séquelles. On se retrouve dans le wagon avec les hobos. Taj crée de vraies atmosphères, ce n’est pas un baratineur. Il sort le vrai truc. Il gratte comme un con, avec une sorte de rage épouvantable. C’est effarant de son sec d’affluence de la prescience. Puis il rend un hommage assez spectaculaire à Big Dix en reprenant « Built For Comfort » en boogie de stand-up. C’est comme on s’en doute bien ravageur. Et il boucle cet album sidérant avec « Teacup’s Jazzy Blues Tune » qu’il slappe, accompagné par les Pointer Sisters. Encore une fois, c’est digne de Pasolini, d’autant qu’il siffle. C’est très directement lié à l’antiquité de Saint-Germain-des-Prés, avec des clochettes et du do-bee-ya-bam. Superbe de fantômisation. Doo-bee ban dam bond ! Pur génie des catacombes. Il ne manque plus que Juliette Greco et Miles Davis.

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         Plus on avance dans l’univers de Taj Mahal et plus on comprend qu’on ne sortira pas indemne de ce voyage. Car voilà Mo’ Roots paru l’année suivante, encore un album fantastique. Il nous emmène aux Caraïbes avec « Black Jack Davey » le pirate. Le travail qu’il fait sur ce cut est exceptionnel : il tire ses syllabes dans les effluves des cocotiers et c’est battu aux tambours des îles. Admirable. La fête continue avec « Big Mama » et là Taj se fâche ! Il joue les gros bras et se prend pour Deep Purple. Il nous sort un gros groove pulsatif noyé d’orgue et des can you can you terriblement agressifs. Il fait un r’n’b de premier niveau. Soudain, il se met à jerker la cambuse comme une Soul Sister ! Puis il attaque « Cajun Watte » au piano - My negresse voulez-vous danser avec moâ voulez-vous danser hé hé - fantastique pièce de rêve cajun. Plus loin, il revient au r’n’b avec « Why Did You Have To Desert Me », encore un groove extraordinaire des îles. Taj chante en espagnol sur un groove dément. Il chante comme l’espion des pirates de la mouzica. C’est le beat des pirates ! Énergie et envergures sont les deux mamelles de l’espion des pirates, et le groove explose littéralement.

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         Une toile représentant des danseuses africaines orne la pochette de Music Keeps Me Together. Quelle énormité que ce morceau-titre ! On a là une pièce de groove africain coloré de sax free, avec en prime le timbre blanc de Taj Mahal - blanc au sens de la voix blanche, évidemment - Avec ce groove de flûte, on retrouve le mélange de Guinée et de Grèce antique, avec en plus du sax en fusion. Taj sublime l’énormité. « Aristrocracy » libère une énergie considérable. Il gratte ça au banjo de saloon. Et avec « Roll Turn Spin », il revient aux Caraïbes. Il se lance dans un beau groove antillais qu’il gratte à la dévastatrice. L’énergie des îles peut tout balayer. Il fait pas mal de reggae sur cet album et il faut attendre « Why And We Repeat Why And We Repeat » pour renouer avec le groove soufflé au sax. Embarquement pour le cosmos. On se retrouve dans la chair à saucisse d’un groove énorme. Ça jazze dans le jive. On voit rarement des grooves d’une telle violence et d’une telle jazz class. Côté gratte, c’est de la folie pure, il faut écouter Taj Mahal, car ses disques réservent pas mal de surprises. « Why And We Repeat Why And We Repeat » relève encore une fois du génie à l’état pur.

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         On le retrouve un an plus tard avec Satisfied ‘N Tickeld Too. Il a maintenant une tête d’Antillais. Il fait du reggae carribéen de haut niveau. Il chante d’une voix douce et colorée. Il nous sort un groove d’exotica qui flirte avec l’enchantement. Taj Mahal a le sens des choses dépareillées. Il ramène le rooster, rooster, rooster, c’est le roi du désarroi - I love you sweet mama - Sa chanson est fabuleusement fraîche et fruitée. Pas étonnant, puisque ça vient d’un artiste qui s’est écarté des feux de la rampe pour cultiver les racines. Il est tellement relaxé qu’il siffle. Il attaque ensuite « New E-Z Rider Blues » en posant ses conditions. Il va chercher du groove dans les chœurs des sisters. Fantastique explosion. Wow ! Nous voilà au cœur de la Soul californienne. Tous les albums de Taj Mahal sont des aventures extraordinaires. Avec « It Ain’t Nobody Business », il titille l’Americana - Champagne don’t drive me crazy/ Cocaine don’t make me lazy - Il fait un boogie business de bastringue digne des blancs. On revient au grand air des Caraïbes avec « Misty Morning Ride » et ça décolle. Taj donne de la voile. On file au vent des îles. C’est merveilleux car gratté à la vie à la mort. Avec « Easy To Love », on croirait entendre Earth Wind & Fire ! C’est du funk flûté de première main. Sacré Taj, il tourne tout à son avantage. Puis il dégringole « Old Time Song » à la désaille du blues. Taj le magicien revient aux percus pour « We Tune » et tout redevient joyeux et vivant. On a même de la pompe manouche !  

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         Attention à ce double album intitulé The Hidden Treasures Of Taj Mahal 1969-1973, car il renferme de la dynamite, et notamment un « Sweet Mama Janisse » enregistré en 1970 à Miami avec les Dixie Flyers qui étaient alors salariés par Jerry Wexler pour accompagner les artistes signés sur Atlantic. Cette version est littéralement explosive. Les Dixie jouent le groove de la cabane de Memphis, monté sur un riff préhistorique. C’est hallucinant de vermoulu. Il y a là-dedans tout le cajun, tout le rock et tout le banjo du monde, y compris le beat du diable. Taj en fait une pièce d’antho à Toto. Dans la même session, ils ont aussi enregistré « Yan-Nah Mamo-Loo » et on reste au cœur du rythme, on reste dans le cut de cot cot, c’est tellement énorme qu’on finit par raconter n’importe quoi. Taj souffle dans son harmo et Tommy McClure sort un drive de basse infernal. Quelle déballonnade ! Les Dixie Flyers font exploser le langage. Ils nous plongent dans les conditions ultimes du groove. Charlie Freeman gratte ses poux. Cette session est tellement bonne qu’elle efface complètement les autres rassemblées sur le premier disque. Le second disque est enregistré live au Royal Albert Hall. Taj ramène le bord du fleuve à Londres et gratte « John Ain’t It Hard » au banjo. C’est du pur « Love In vain ». Puis il reprend son fabuleux « Sweet Mama Janisse ». Jesse Ed Davis et d’autres mecs l’accompagnent. On retrouve l’histoire de cette woman qui come from Louisiana. C’est allumé dès l’intro. Voilà le hit du Taj. Alors il y va. Ils font aussi une version du « Diving Duck Blues » qui est sur le premier album. C’est sacrément troussé. Pas le temps de discuter, ces gens-là vont très vite.

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         Et puis Taj Mahal va égrener au fil des décennies une série d’albums pour le moins fascinants, comme par exemple Music Fuh Ya, paru en 1976. Il tape dans le vieux mythe du blues de train avec « Freight train ». Il envoie ses coups d’ahrmo sonner dans la nuit des temps. On sent que c’est gratté aux arpèges du diable. Aucun être humain ne sait jouer comme ça et les coups d’harmo instillent une certaine frayeur. Il passe au jumpy jumpah avec « Baby You’re My Destiny ». Ce coquin de Taj nous ramène à la Nouvelle Orleans. Il sait lancer les dés et provoquer le destin - Sugar & spice, you’re so nice - C’est terrible car pulsé à la pompe jazzy. La voix de Taj se pose là-dessus comme une cerise sur un gâtö. Wow ! Il part en virée jazz, mais pas le petit jazz du coin de la rue, non le jazz de Bob le baobab shooba dibah doo. Il enchaîne avec « Sailin’ Into Walker’s Cay », un merveilleux swing de groove du paradis des îles. De toute évidence, le but de Taj est de nous emmener là où il fait bon vivre. Puis il chante un groove universel intitulé « Truck Driver’s Two Step ». Oui, il chante ça à la purée de voix géniale. Il revient avec ses ahhh yeahhh et nous rappelle au passage qu’il est un grand sorcier.

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         Alors que les punks déferlent dans les rues de Londres, Taj enregistre la BO de Brothers. Ouverture terrible avec « Love Theme In The Key Of D ». On sent le Taj un peu édenté à la remorque du meilleur blues fruité d’Amérique. Un sax vient poivrer le cut. Terrible, car il traîne et se veut fantastique de tajerie épuisée sur les chemins de traverse - oh yeah sugar sweet - Taj joue le blues à sa façon. Ça donne un blues hanté par l’inspiration. Les gens devraient comprendre. Il faut apprendre à aimer Taj Mahal. Quand il chante « Brother’s Doin’ Time », il s’implique pour ses brothers les taulards. Puis il revient au groove de rêve avec « Night Rider ». Il joue ça à la Taj, forcément. Il en fait un groove joyeux et gorgé de bon jus - ooooooohhh - et c’est gratté aux guitares. Il revendique l’impossible liberté dans « Free The Brothers ». La liberté pour les esclaves ? Foutu d’avance ! Même lui, grand sorcier Taj Mahal, n’y comprend rien. Comment les nègres d’Afrique ont-ils pu accepter l’esclavage ? C’est tellement incompréhensible. Mais oui, tout simplement parce que les noirs sont supérieurs en tout : en danse, en rythme, en musique. Sauf en business, hélas. Ou tant mieux. Son « Centidos Dulce (Sweet Feelings) » regorge de jus d’exotica fantastico. Il termine cet album superbe avec « David & Angela ». Au bout d’un moment, Taj laisse tomber. Alors ça continue en instro. Il a raison de quitter le studio. Inutile de continuer à engraisser les blancs.

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         Evolution paraît la même année. Il attaque avec « Sing A Happy Song », un petit cut sautillant. Taj excelle dans la constance. On sent qu’il va bien. Il porte un chapeau blanc et une chemise hawaïenne. Il pose au dos de la pochette accroupi sur un rocher de l’île. Il connaît les bons coins. Pour « Queen Bee », il va chercher un son à cheval entre l’îlien et l’africain. Il s’amuse à brouiller les pistes pour mieux illuminer son groove. On tombe plus loin sur un énorme instro de groove intitulé «  Salsa De Laventille ». Il revient à ses racines avec « The Big Blues » - Lawd she’s fine as she can be/ She must like cherries hanging on a cherry tree - Taj Mahal est l’un des plus grands bluesmen de tous les temps - I love my babe/ better than I love myself - Il reprend tous les vieux poncifs du blues et leur redonne vie. Stupéfiant.

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         Dix ans plus tard, Taj refait surface avec Taj. Belle pochette avec un portait signé Robert Mapplethorpe. Il attaque avec du bon groove antillais, et un peu plus loin, il tape dans le groove musculeux avec « Do I Love Her ». Taj joue même les gros bras et tire sur ses syllabes pour les malaxer. Il leur fait rendre du jus. Comme c’est beau ! Son harmo revient même hanter le cut. Il parle de Muddy Waters, du blues de Chicago et il fait le Wolf en hululant. Fantistico ! Il connaît toutes les ficelles, ce qui pour un musicologue paraît logique. Il revient au groove des Caraïbes avec « Pillow Talk ». Il évoque une belle journée de bonheur - Oooh sugar baby - Taj sait rendre une femme heureuse. On entend un beau son de basse et un guitariste virtuose des îles, mais surtout cette voix cassée qui ensorcelle, la voix de Taj, reconnaissable entre toutes. Pure merveille et final à l’harmo. Taj Mahal a du génie. Et quand on écoute « Kasuai Kalypso », on songe à l’eau verte de la baie et à la frégate du Capitaine Flint qui s’y trouve ancrée.

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         Un an plus tard paraît Shake Sugaree, sous une pochette bleue et joyeuse. Dès le premier cut, « Fishin’ Blues », on sent l’air frais. Taj annonce le blues du pêcheur. Il joue au bord du fleuve sur sa vieille gratte gondolée. Il tricote et fait le talkin’ blues - C’mon down - Il connaît toutes les vieilles histoires à dormir debout. Avec « Light Rain », on a du pur jus de gros Taj. Il prend son cut sous le vent et gratte sa gratte africaine. Il crée les conditions d’un son profond, donc terrible. Ça vire à l’hypnotisme. Seuls les Africains savent fabriquer de l’hypnotique aussi raffiné. Il enchaîne avec « Quavi Quavi » - a song from Senegal/ from the fruit men - Bananes ! Melons ! Nous voilà en Afrique enchantée. Sur le morceau titre de l’album, il est accompagné par des gosses. L’enchantement se poursuit. En vaillant vainqueur, il joue le jeu du funk avec « Funky Bluesy ABC » et fait le con avec l’alphabet. Voilà encore un groove de niveau supérieur. Si on veut tomber de sa chaise, alors il fait écouter « Railroad Bill » - He was a character - Taj gratte ça en picking des enfers. Le dernier cut de l’album vaut lui aussi largement le détour : « Little Brown Dog ». Taj ramène le blues au bercail. C’est une tenace, un vrai bluesman de légende. Il s’éloigne en sifflant dès qu’il sent qu’on va l’embêter.

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         On trouve un cut génial sur Mule Bone  : « The Intermission Blues ». Eh oui, il incarne le blues primitif mieux que personne. Il le laisse macérer dans sa gorge et le pousse au uh-uh-uh, puis il se lâche. Taj Mahal reste un merveilleux swinger de blues qualitatif. En prime, il laisse filer un solo de rêve. On ne trouve ce genre de chose que chez Taj Mahal. Il transforme ses blues en merveilles absolues. Il sait driver le mythe. Il chante jazz avec des onomatopées er repart en solo de rêve. Personne ne songerait à chanter le blues ainsi. Il crée une véritable ambiance de jazz-blues transparente. Un rêve. Mais il adore aussi faire le con au bal du 14 juillet et danser avec le facteur Tati, c’est en tous cas ce qu’on entend dans « Song For A Banjo Dance ». Son boogie blues « But I Rode Some » part au tripe galop, bien content d’avoir mangé tant d’avoine. Avec « Hey Hey Blues », il plonge  les mains et son banjo dans le limon. Tous ces cuts restent incroyablement inspirés, surtout quand il les gratte au banjo. Il a toujours su réveiller les ardeurs du blues dans la fournaise des jours d’été. Et son « Shake That Thong » vaut pour une belle prise de bec. Les chœurs lui renvoient la belle haleine de phoque du honky tonk. Le dernier gros cut de cet album n’est autre que « Bound No ‘Th Blues », encore plus primitif que les autres. Ses interjections remontent à la nuit des temps. Son blues sonne comme un blues antique, mélodiquement envoûtant. L’ombre du temple plane sur ce disque magnifique.

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         Like Never Before est un album rattrapé par la mauvaise prod. Il faut attendre « Squat Hat Rabbit » pour retrouve le grand Taj libre, le Taj swingué aux castagnettes. Il crée là une sorte d’événement qui dépasse les abrutis de la prod. Taj leur montre qu’on ne peut ni le formater ni le commercialiser. Il échappe à toutes les cages et à toutes les chaînes. Il nous donne à savourer un joli jive et sur le tard du cut, il fait son Beefheart. Il balance aussi un jumpy jumpah à la mode de Kansas City avec « Big Legged Mamas Are Bad In Style ». Il reprend l’art des anciens. Puis c’est « Take A Giant Step ». Ouf ! Taj revient à ses racines et retrouve le dépouillé de l’Africana. Il erre seul au long du chemin de traverse. Fantastique. Il renoue avec la véracité du chant. Il respire par les trous de nez et chante avec détachement. Il se dégage du cut un énorme sentiment de solitude émerveillée - Take a giant step outside your mind - C’est d’une beauté poignante.

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         Encore un album dément avec Dancing The Blues paru en 1993. Célèbre pour ses nombreuses biographies (dont celles d’Etta, de Marvin, de Jerry Wexler et de Smokey,) David Ritz rédige les notes de pochette. Taj reprend « Hard Way » de T-Bone Walker. Pour Taj, T-Bone est le cat qui a inventé le « modern urban blues ». Taj se souvient de T-Bone et Lowell Fulson qui entrèrent un soir de 1968 au Whisky A Go Go. Eh oui les amis, il fut un temps où ces gens-là régnaient sur la terre comme au ciel. Il reprend ensuite « Going To The River » de Fats - part of the Afro American genius - Pour lui, ça sonne comme du Leadbelly. Il rend un fantastique hommage et c’est long comme un jour sans pain et pesant comme la barbe chargée d’or de Crésus. Attention, il invite Etta James à duetter avec lui sur « Mockingbird », un vieux hit d’Inez & Charlie Foxx. Taj rappelle au passage qu’il était amoureux d’Etta à l’âge de 13 ans - Etta was the mainline with Ma Rainey and Bessie Smith - Évidemment, c’est une version énorme, pétrie de génie humain. Etta tient tête à Taj avec une niaque fulgurante. Le pauvre Taj s’accroche comme il peut. Puis il rend hommage à Louis Jourdan avec « Blue Light Boogie » - Louis is the great master of the jump band genre. Also on of the most important precursors of rock n’ roll - Fantastico ! Et pour couronner le tout, Ian McLagan joue de l’orgue sur ce cut. Taj reprend ensuite « The Hoochie Coocha Coo » d’Hank Ballard - When I was a kid I must have worn out copies of that sucker ! I mean if this ain’t dancing the blues, nothing is - Mac est toujours là. C’est pulsé au sax et joué à la sauce de la Nouvelle Orleans. Quelle fantastique énergie ! Il rend ensuite hommage à Otis avec « Tha’t How Strong My Love Is ». On trouve plus loin deux autres perles rares : « Stranger In My Own Town » de Percy Mayfield, que Taj embarque au paradis. Il semble parfois ses situer au-delà de ce qu’on appelle vulgairement le génie. Il crée sa propre dimension. Puis il dédie « Sitting On Top Of The World » aus conducteurs de mules - That’s cause those hard headed mule drivers got to hear the beat chonking - et Taj fait claquer ses coups de dobro. 

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         Énorme album que ce Phantom Blues paru en 1996 ! Tout est bon là-dessus, il n’y a rien à jeter. Avec « Lovin’ In My Baby’s Eyes », Taj reste dans le vieux blues d’harmo sacrément chauffé au soleil et rootsy comme pas deux. Un véritable enchantement pour l’amateur de blues. Puis il embarque son « Cheatin’ On You » d’une manière incroyablement tonique. C’est bourré de swing jusqu’à la gueule. Et les énormités se succèdent, comme par exemple ce « The Hustle Is On », un jumpy doté de l’énergie du diable. On n’avait encore jamais entendu ça. Taj drive son cut à l’énergie maximaliste. Avec son orchestre de dingos, il lève l’enfer sur la terre. Les solos de piano et de sax pleuvent comme des boulets. C’est du pur élastomère de boogie. Absolument terrifiant. Puis Taj replonge sans le pire Deep blues qui soit avec « Here In The Dark ». L’invité s’appelle Clapton et il joue gras, l’animal. Voilà encore un cut hallucinant de puissance bluesy. Taj fait encore feu de tous bois avec « I Need Your Loving », un vieux classique explosif de jump blues et ça tourne à la monstruosité. Les filles envoient des chœurs terribles. Taj fait le con avec les cœurs d’artiche - Oh wo wo wo wo - Puis il tape dans l’« Ooh Poo Pah Doo » des Rivingtons et l’explose ! Taj explose tout. Il chante à la raclette de glotte. Il tape aussi dans Doc Pomus avec « Lonely Avenue ». Il connaît tous les bons coup d’Amérique. Il en fait un heavy blues stompé. Il enchaîne avec « Don’t Tell Me » et plonge dans le groove avec une audace qui l’honore - Don’t tell me baby - Il plonge carrément ses crocs dans le lard du vieux beat. Quelle démence ! Taj rivalise de grandeur groovy avec le Graham Bond ORGANization. Il continue d’enregistrer des albums extraordinaires. Nouveau tour de magie avec la fanfare de « What Am I Living For ». Puis il fait son Sam Cooke pour « We’re Gonna Make It » qu’il chauffe à blanc. Tu aimes le cajun ? Alors tu vas te régaler avec « Little Four Wind Blows », un hit de Fats qu’il remet en perspective. Il injecte une nouvelle énergie dans le cajun du diable. Il reste terrifiant de véracité, en toutes occasions.

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         Il nous refait le coup de l’album énorme avec Señor Blues. Taj porte son chapeau de cowboy et tient une National. Il gratte ses blues et chante à l’édentée. Il sort un « Irresistible You » salement swingué au big band. Pure tajerie ! Désormais, Taj Mahal s’impose comme le protecteur des arts et des lettres du blues. Le morceau titre sonne comme le groove des alizés. On sent planer un son de cuivres inconnus. C’est éclatant de classe jouissive. Il embarque son cut au jazz de grande marée. Les frissons montent, son cut se vit comme une aventure. Taj entre dans le groove avec une classe effarante. Il roule ses r de señor blues. Puis il nous entraîne dans un bastringue des années 20 pour « Sophisticated Mama ». Terrible. Certainement le pire ragtime de l’histoire. Tiens, voilà qu’il nous sort de sa manche un gros r’n’b : «  Oh Lord Things Are Getting Crazy Up In Here ». C’est joué à fond de train. Taj bousille l’overdrive. Un mec joue un solo de sax à 200 à l’heure. Lee Allen ne pourrait pas jouer aussi vite. S’ensuit une autre monstruosité, « I Miss You Baby », un heavy blues slappé et traversé par un solo de Wes Montgomery. Taj nous jazze ça à outrance. Puis il revient au groove juteux avec « You Racsal You ». Il plonge à nouveau dans l’historiologie du jump blues et envoie les chocolats. Rien d’aussi jouissif sur cette terre que ce jumpy jumpah joué à la stand-up. Retour au primitivisme à la Robert Johnson avec « Mind Your Own Business ». Il relaye ça au dixieland, alors on se prosterne devant tant de génie. Encore une pièce de choix : « 21st Century Gypsy Singin’ Lover Man ». Le blues de charme est l’une des spécialités de Taj Mahal. Ce mec fait des miracles depuis 40 ans et il continue - I’m like a fish in the water - Il accroche sa mélodie au firmament et il gratte sa National. On goûte la saveur de sa voix unique au monde. Voilà une énormité, du type de celles que l’on ne croise que très rarement. Tout est là, baby, dans la voix, dans le timbre, dans l’Africanité. Il finit ce disque avec deux hits de r’n’b dont une reprise tétanique de « Mr Pitiful ». Eh oui, Taj peut aussi chanter comme Wilson Pickett.

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         Par miracle, l’album suivant est peu moins génial. Ouf ! paru en 1998, Sacred Island sent bon les Caraïbes. Il suffit de voir Taj sur la pochette avec son chapeau blanc. Il chante « The Calypsonians » d’une voix graveleuse et il gratte savamment son banjo des îles. Franchement, on croirait entendre un vieux pirate qui a navigué sur tous les océans. Attention, la bête du disque s’appelle « Betty & Dupree ». Taj joue le blues des îles - Put your arms around me baby/ Like a circle around the sun - Une fois encore, il transforme ce blues en merveille absolue - Kiss me baby/ Right on my ruby lips - Jamais on ne trouvera ça ailleurs. Taj recycle les clichés du blues à l’infini, mais avec une chaleur et une coloration surnaturelles. Il n’est rien de plus inspiré en ce monde qu’un blues chanté par Tal Mahal. Autre merveille : « The New Hula Blues ». Il replonge une fois encore dans le lagon - You can call me on my cell phone/ But I’ll be out of reach - Il s’amuse bien et nous aussi  - Sweet mama sweet daddy/ Get the new hula blues - Et il hoquette à coups de menton.

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         Il enregistre Kulanjan l’année suivante avec Toumani Diabaté. Encore un album énorme. Avec « Queen Bee », il tape dans la pure Africana. Ramalou chante en duo avec lui et Toumani gratte son kora. Pure démence des racines. On bascule dans l’ère florentine de la culture africaine. Aw my God, c’est le vrai truc, la beauté d’avant le blues des plantations et des bagnes, ça coule de source. Pure magie blanche jouée par des noirs. Taj ne pourrait pas remonter plus loin dans la pureté des origines du blues. Le bord du fleuve, c’est l’Afrique. Ramalou est une fantastique chanteuse, elle apporte sa part d’animalité à la chanson. On goûte là une fois de plus au pur génie. Taj revient au groove avec « Ol Georgie Buck ». Il envoie la troupe. Ça tourne au stormer africain. Ils jouent avec des instruments préhistoriques. Ça yeah-yeah-yeahète dans l’Afrique d’avant les blancs. On entend le solo du démon des forêts, des claquements de mains. Taj fait danser ses ancêtres. Nouvelle éclate de kora avec « Kulanjan », le morceau titre, un vrai blues africain. On bascule dans une sorte de virtuosité indécente. Encore pire : « Guede Man Na », gratté à l’arrache d’une virtuosité qui échappe à toutes les normes. On reste au Mali et on échappe aux clichés. Les filles chantent comme dans un rêve africain. On entend deux koras. Voilà des virtuoses magnifiques. Grâce à Taj, on les entend jouer. Il reprend « Catfish Blues » et fait subir au cut de Muddy le traitement koranique. Ça devient terrible. On appelle ça un retour aux sources. Oui, car Muddy vient de là en droite ligne. C’est gratté à la régalade maximaliste. C’est d’un jouissif dont on n’a pas idée. Et ça continue ainsi jusqu’au bout du bout avec des exercices de virtuosité périlleux. Seul un musicologue averti comme Taj Mahal pouvait entreprendre un tel périple à travers le temps.

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         On retrouve Taj sur la pochette d’Hanapepe Dream avec une barbe blanche. Il ressemble désormais à un vieux nègre, mais il a la stature d’un héros. Encore un album fantastique, eh oui... C’est une idée à laquelle il faut bien s’habituer. Il attaqua avec un groove d’une violence terrible, « Great Big Beat ». Ça cogne au groove des îles - Oh daddy yo yo - Quelle puissance incroyable ! On aimerait bien croire qu’il s’agit là du beat des pirates. Il entre plus loin dans un balladif intitulé « Moonlight Lady » avec une incroyable pureté d’intention. C’est d’ailleurs ce qui le caractérise depuis le début. Il chante « Baby You’re My Destiny » avec la malice d’un vieux sorcier du blues. Entrer dans un album de Taj, c’est entrer dans la caverne d’Ali-Baba. « Baby You’re My Destiny » est une merveille, un cooky cook orchestré à la mode des années vingt, mais il utilise les ficelles d’un sorcier vaudou. Il shoo-bah-doo bah-boo-dee da-boo-bah-doote. Il tournicote ensuite une version antillaise de « Stagger Lee ». Comme c’est un standard, il en fait une version spéciale, type mambo pressé. Il nous entraîne au cœur de l’exotica avec « My Creole Belle » - My creole belle I love her well/ My darling baby my creole belle - Taj transforme ce classique des îles en pur chef-d’œuvre. Il en fait un hit de stomp. Surprise de taille avec une reprise d’« All Along The Watchtower ». Il se lance sur les traces de Jimi Hendrix - No reason to get excited - Il le prend au beat des îles - Yeah all along the watchtower/ Princess kept the view - Évidemment, Taj Mahal ne peur pas en faire autre chose qu’une version démente - And the wind began to howl hey - Nous voilà au cœur de la mythologie. Taj Mahal se dresse parmi les géants de la terre.  

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         Maestro date de 2008. God, quel album ! Il démarre sur une reprise de Slim Harpo, « Scratch My Back ». Le son explose les tympans. Magnifique d’intentionnalité. Mais le baston du son nuit à l’entame de l’original. Il joue « Dust Me Down » avec Ben Harper et ça tourne au r’n’b enflammé. Voilà un blues rock digne des grands du genre. Retour au blues traînard avec « Further On Down The Road ». Taj le gratte au banjo et ça devient affolant de classe. C’est le Taj qu’on adore entendre, sous la pluie chaude d’un été de blues. On entend des coups d’harp et Taj chante de sa belle voix intermédiaire. Retour de Tounami Diabaté pour « Zanzibar ». Angélique Kidjo fait aussi partie de l’aventure. Son énorme. Ça ruisselle de jus africain. Los Lobos accompagnent Taj sur « TV Mama » et ça vire heavy blues. George Porter des Meters accompagne Taj sur « I Can Make You Happy » et là, on ne rigole plus. Si tu aimes les très grands disques, c’est là que ça se passe. Ivan Neville nappe ça d’orgue, et Taj chante avec une certaine mauvaiseté, quasiment comme un punk. Pas compliqué : il sonne exactement comme Captain Beefheart. On le croirait accompagné par les Downliners Sect. Pur génie punk. Taj Mahal est un démon. Il ne se calmera jamais. Plus loin, il reprend le fantastique « Hello Josephine » de Fats et en fait une version surnaturelle. Il fait son Wolf dans « Strong Man Holler ». Il termine ce disque épuisant avec un hommage à Bo Diddley et à Big Dix : « Diddy Wah Diddy ». Version terrible, mais on préfère nettement celle de Captain Beefheart.

         Infatigable, Taj Mahal continue d’explorer les rootsy roots. Comme il le dit si bien lui même : « Even at my age, I’m always fiding something new ! »

Signé : Cazengler, Mahal embouché

Taj Mahal. Taj Mahal. Columbia 1968

Taj Mahal. The Natch’l Blues. Columbia 1968

Taj Mahal. Giant Step/De Ole Folks At Home. Columbia 1969

Taj Mahal. The Real Thing. Columbia 1971

Taj Mahal. Happy Just To Be Like I Am. Columbia 1972

Taj Mahal. Recycling The Blues & Other Related Stuff. Columbia 1972

Taj Mahal. Sounder. Columbia 1972

Taj Mahal. Ooooh So Good ‘N Blues. Columbia 1973

Taj Mahal. Mo’ Roots. Columbia 1974

Taj Mahal. Music Keeps Me Together. Columbia 1975

Taj Mahal. Satisfied ‘N Tickeld Too. Columbia 1976

Taj Mahal. The Hidden Treasures Of Taj Mahal 1969-1973. Sony Music 2012

Taj Mahal. Music Fuh Ya. Warner Bros. 1976

Taj Mahal. Brothers. Warner Bros. 1977

Taj Mahal. Evolution. Warner Bros. 1977

Taj Mahal. Taj. Gramavision 1987

Taj Mahal. Shake Sugaree. Music For Little People 1988

Taj Mahal / Lyrics Langston Hughes. Mule Bone. Gramavision 1991

Taj Mahal. Like Never Before. Private Music 1991

Taj Mahal. Dancing The Blues. Private Music 1993

Taj Mahal. Phantom Blues. RCA Victor 1996

Taj Mahal. Senor Blues. Private Music 1997

Taj Mahal. Sacred Island. Private Music 1998

Taj Mahal. Kulanjan. Hannibal 1999

Taj Mahal. Hanapepe Dream. Tone Cool Records 2001

Taj Mahal. Maestro. Heads Up International 2008

Classic Rock #203. November 2014. Rising Son by Rob Hugues

 

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Vous êtes gâtés, deux groupes que nous aimons bien dans la même chronique, l’on fait attention à ne pas vous emmêler la comprenette, on parlera de chacun des deux séparément. Pour la préséance l’on n’a pas choisi l’ordre alphabétique même si ça en a l’air.  D'abord le plaisir, ensuitte la nostalgie.

HOWLIN’ JAWS

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         Regardez jusqu’où se love notre magnanimité, nous sommes obligés de parler d’un de nos concurrents pour évoquer les Howlin’, pas de n’importe lequel, ce mois de décembre 2023 z’en sont à leur numéro 675, nous dépassent un peu, mais on les rattrape, pourtant ils ont commencé presque un demi-siècle avant nous, nous en sommes au 624, dans deux ans on les aura dans le rétro !

         Si vous ne les reconnaissez pas c’est que vous êtes total miros, les Howlin’Jaws en première de couverture, très rare, un honneur pour un groupe français !

         Pour la petite histoire rappelons qu’au mois de novembre notre Cat Zengler nous chroniquait, livraison 621, leur dernier concert dans la bonne ville de Rouen, z’ont toujours été chaud dans ce bled depuis qu’ils ont brûlé la petite Jeanne de Domrémy, non je vous rassure le Cat n’y est pour rien, par contre ensuite il vous explique pourquoi vous avez intérêt à vous procurer leur premier et trois derniers opus.

         Les esprits chagrins renâcleront, chicaner entre Novembre et Décembre c’est mesquin. Certes mais alors reportez-vous à notre livraison 85 du 11 février 2012, oui je sais, voici plus de dix ans, les Howlin’ en concert avec les Spykers et Nelson Carrera, juste dix ans d’avance.

         Nos lecteurs assidus en connaissent un bout des Jaws, nous avons assisté à plusieurs de leurs prestations, oui même celle où ils arboraient fièrement une hélice sur leur casquette, nous avons écouté leurs 45 tours, nous avons commenté quelques uns de leurs clips, et nous vous avons emmenés à l’Olympia, sur France-Inter, au théâtre lorsqu’ils assuraient la partition musicale d’Electre des Bas-Fonds de Simon Abkarian… alors franchement nous nous jetons sur l’article.

         Chance sont tombés sur Isabelle Chelley. Nous avons aussi écrit une belle chronique d’amour sur Isabelle Chelley, mais ceci est une autre histoire.

Consciencieuse l’Isabelle, les a suivis partout, une véritable groupie, en plus ils n’arrêtent pas de se déshabiller, l’a assisté au tournage du clip de ‘’ Lost song’’, elle cause en connaisseuse de leur parcours, sans oublier de leur laisser la parole, elle ne chipote pas sur leur dernier disque, tiens ils se sont servis de l’Intelligence Artificielle pour la pochette, mais ils y ont appliqué une bonne intelligence neuronale. L’écrit bien Isabelle, vous pouvez la suivre jusqu’au bout du monde, elle vous emmènera jusqu’aux Howlin’Jaws.

POGO CAR CRASH CONTROL

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         Sont pas fous dans Rock & Folk, à la suite des Jaws ils mettent à l’affiche cinquante groupes français. J’avouons qu’il y en a beaucoup dont on ignore superbement jusqu’à leur existence, je fais un test, j’ouvre au hasard page 65, Komodrag and the Mounodor et Mad Foxes, inconnus au bataillon, mais Johnny Mafia et les Lulies pas de problème on les a déjà vus. Ouf ! L’honneur est sauf !

         Avant de refermer je vérifie l’impossible, voir s’ils les auraient oubliés. Non, par contre un trop court entrefilet. Méritent beaucoup plus, mais ils ne font que confirmer ce qu’ils ont déjà annoncé le 26 octobre dernier sur leur FaceBook.

         Encore un concert à Calonne le 16 décembre pour clôturer l’année. Puis un autre le 30 / 01 / 24 à La Mécanique Ondulatoire, un autre le 31 au Supersonic et un ultime à la Maroquinerie le 03 / 02 /24. Et après ?

         Font un break. Sept années de bons et loyaux services au rock’n’roll, Un Ep, trois albums, et 700 concerts, le besoin de reprendre souffle s’est fait sentir. Il ne suffit pas de dire que le Pogo est un des meilleurs groupes de rock de France, il n’y a qu’un seul mot qui puisse les définir : la folie. Nous les avons suivis, concerts, disques, vidéos et projets parallèles, nous n’avons jamais rien regretté.

         Nous espérons qu’ils reviendront. Vite. Très vite. Le rock ‘n’roll n’est pas un plat qui se mange froid. Quoi qu’ils fassent nous les remercions pour toute cette joie qu’ils ont apportées à des milliers de fans.

         Il est des matins gris qui s’illuminaient lorsque subitement surgissait l’idée salvatrice : ‘’ Pas grave si le monde ne tourne pas rond tant que les Pogo Car Crash Control existent ! ’’

Damie Chad.

        

*

         J’avoue que je garde 24 heures sur 24, un neurone spécial led en éveil dans mon cerveau. Pas d’erreur, ce n’est pas pour que ma réflexion soit tout le temps éclairée, je ne parle pas de ces nouvelles lampes économiques que l’on a achetées pour remplacer les ampoules traditionnelles très chères et propagatrices d’une lumière ombreuse, non juste un signal d’alerte qui m’avertit dès que quelque part il est fait une allusion quelconque à Led Zeppelin.

         J’ai violemment sursauté lorsque j’ai aperçu cette pochette : carambar mou, si ce n’est pas une réplique du Led Zeppe III, c’est que je suis devenu complètement gâteux. Jugez-en par vous-même !

BANDSHEE III

BANDSHEE

(Numérique Bandcamp - 30 / 11 / 2023)

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        Ne pensez pas à Siouxsie and the Banshees, elle et ils n’y sont pour rien. The Bandshees se présentent comme un retro stoner band from Louisville située au nord du Kentucky.  Sont quatre : Romana Bereneth : lead vocal, guitare / Stephen K. Phillips : guitar / MacCammon : bass / Chris Miller : drums.

Black cat : je ne sais pas si vous voyez exactement ce que c’est que du rétro stoner, je peux facilement éclairer votre lanterne, c’est du foutu rock’n’roll, vous allez aimer je vous le jure, grosse guitare, batterie endiablée, éclats cordiques et surtout Romana, z’avez tout de suite envie d’être un chat noir et de lui manifester votre admiration en se frottant à ses jambes,  question lyrics elle doit être manichéiste, vous rencontrez et Jésus et le Diable, en ces moments vous comprenez pourquoi le drummer bouscule et bascule le monde de ses baguettes magistrales, elle chante comme une maîtresse femme, elle maîtrise sec et se joue de vous. L’a été traversée par les radiations du chat noir, elle vous en fait profiter. Un hit. Bad day : moins sauvage que le précédent, lorsque Romana ouvre la bouche de son vocal poisseux elle vous indique que vous êtes au mauvais endroit au mauvais moment,  tout de suite elle hausse la voix, attention aux balles perdues, derrière ils vous miment un mélodrame glauque, le genre de morceau dans lequel il vaut mieux ne pas s’aventurer, dès que vous faites un pas le serpent noir du doute se faufile sous vos pieds, ça fonctionne comme un polar gris, ça sent le linceul et le motel abandonné au bord de la route, film à suspense suffocant, heureusement que de temps en temps Romana hausse la voix, vous avez au moins l’impression d’être encore vivant. Parties musicales rutilantes. Sex on a grave : là c’est vraiment grave, ni l’éros ni le thanatos, c’est ce blues qui tangue entre les deux, cette guitare qui s’insinue en vous, cette batterie qui culbute vers le néant, cette basse qui résonne et happe, Romana vous pousse à vos dernières extrémités, elle minaude, elle hurle, elle énonce, elle répand le chaud et le froid, elle tord et elle mord les désirs les plus inavouables.

Play loud ! Tout simplement un EP rock. De taille et d’estoc. Pour la petite histoire le rapport avec la pochette du Dirigeable n’est pas évident, est-ce vraiment important ?

         Si bon que l’on court vers le premier EP du groupe :

CURSE OF THE BANDSHEE

(CD via Bandcamp / Décembre 2022)

Surprise. Changement d’ambiance, est-ce le même groupe : Romana Bereneth : lead vocal, guitare / Stephen K. Phillips : guitar / Nick Beach : drums / Beverly Reed : flûte, saxophone, vocals / Jason Groves : bass.

         Artwork aux antipodes du précédent. D’Ashley Sego. Une toile, un tantinet médiévale par le sujet représenté, une sorcière, toute de blanc vêtue brûlée vive, deux moines habillés de noir devant le bûcher deux autres personnages de noir vêtus, sont-ce des femmes, seraient-elles victimes de convulsions hystériques, danseraient-elles une danse sabbatique… Une seule certitude, celle dont le bas de la robe est attaqué par les flammes possède une longue chevelure qui n’est pas sans rappeler celle de Romana Bereneth. Romana a écrit les textes de cette malédiction de la sorcière.

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Black Magic : musicalement l’on est très loin de l’Ep qui a suivi. Intro acoustique, bientôt suivie d’un background plus appuyé, mais cette flûte incessante qui accompagne tout du long le morceau comme une sinueuse langue de feu nous oblige à penser à certains opus progressive-rock à la Jethro Tull, mais rupture drummique et voix vindicative de Romana  nous éloignent de cette piste, dynamisme et harmonie certes, mais aussi  violence gothique souterraine et exacerbée. Il existe aussi une official vidéo de ce morceau qui met en scène avec une très grande fidélité les lyrics. L’entrée, lent cheminement au travers d’une forêt sans savoir où l’on va, est très réussie. Les sorcières sont belles et inquiétantes. L’ensemble ressemble à un début de film. A petit budget mais à grosse impression. Curse of the bansshee : ça démarre comme le précédent, la flute encore, toute une ambiance, la voix de Romana batifole sur la rythmique, étrange différence entre la noirceur des lyrics et ce vocal souverain qui semble se jouer de la situation jusqu’à ce que sa colère éclate, l’on ne sait plus si c’est la sorcière qui est maudite ou si c’est elle qui lance sa malédiction depuis la mort. Guitare apocalyptique en final. Vous avez écouté, vous pouvez voir aussi l’Official Lyrics Vidéo, particulièrement réussie, basée sur le même principe que la précédente, belles images explicites qui assombrissent davantage le mystère qu’elles ne le dissipent.  Diamonds on your prime : toujours cette entrée primesautière et puis ce ramdam sonore et la voix de Romana qui articule et plane au-dessus de la mêlée. Elle essaie d’avertir cette femme du danger, mais d’où parle-telle, a-telle déjà connu cette situation, ou possède-t-elle, pourquoi et comment, une connaissance supérieure, à moins que ce soit elle-même qui parle à elle-même, lyrics terriblement ambigus, par sa rectitude la musique semble les démentir, oh ! ce long pont qui enjambe un ruisseau d’eau pure, la voix de Romana, froide, déterminée, un couteau tranchant de blizzard sans concession. Si vous ressentez un malaise, c’est normal. Une vidéo esthétiquement très différente des deux premières, montées à partir d’images un peu ringardes de vieux films, pour que l’on s’aperçoive que toute existence est par nature vintage car soumise à l’apocalypse mortelle que nous détenons en nous, telle une bombe nucléaire qui n’attend que son heure programmée pour exploser.  Forgotten daughter : entrée fracassante, Romana souveraine, tiens cette manière de poser la voix en début de morceau évoque Led Zeppelin mais je vous avertis : pas de rêverie romantique, même pas romanantique, elle n’est pas une jeune fille naïve qui croyait que tout ce brillait était de l’or, elle est la suzeraine, elle a traversé l’épreuve de la mort, elle est morte, elle a survécu, elle parle d’ailleurs, elle parle de désir impossible, est-ce son corps qui se balance sous l’arbre au pendu. Fort. Poignant. Emouvant. Une vidéo créée par Romana, d’animation, un dessin animé à moitié métaphysique, Une méditation ontologique sur la nature de la femme et de la mortalité humaine. Très beau, très réussi, très original.  Woman 4 sale : (Jake Reber : bass, backing vocal) : un morceau rentre-dedans qui se rapproche de l’Ep qui suivra. Lyrics trop directement féministes, les femmes sont à vendre, Romana joue le rôle d’un formidable commissaire-priseur. Lyrics cousus de fil blanc, dénonciation de l’exploitation sexuelle de la femme, en arrière-fond marché d’esclaves, les quatre premiers titres parce qu’ils sont davantage mystérieux, parce qu’ils jouent sur la peur victimisante que les hommes ressentent face à l’inquiétante puissance sorciérique de l’être féminin forment un tout… Bien sûr une lyric video. Une pub, qui dure cinq minutes, vous ne pouvez détacher les yeux de l’écran, tellement c’est excitant, tout ce qu’il faut jusqu’au symbole freudien du robinet à sperme écumeux qui n’en finit plus de couler, rockabilly pin up en pleine action, encore une idée de Romana, plaisante comme tout, oui mais elle en dit plus sur notre monde avec la rutilance joyeuse de ces images que bien des penseurs attitrés de nos réseaux médiatiques…

         Curse of the Bandshee était un tout autre projet initial que Bandshee lll, que s’est-il passé au juste entre ces deux enregistrements ? Ou alors est-ce que Romana et Stephens sont les deux têtes pensantes et agissantes de Bandshee  qui ont pris pour le deuxième opus le titre III du troisième album de Led Zeppe pour signifier qu’ils n’entendent point se répéter à chaque nouvelle création. Que nous offriront-ils pour leur troisième album ? A quelle surprise devrions-nous nous attendre…

         Pour être tout à fait franc, sur leur site vous pouvez écouter une longue interview de près d’une heure, Romana rieuse comme une mouette, Stephen au look intello, juste un problème, je dois être rétif à l’accent du Kentucky, je n’ai rien compris !

         Quelques explications tout de même : à l’origine Bandsheee était un projet folk-rock, jusqu’à ce que Stephens s’aperçoive que Romana, bien qu’âgée d’une trentaine d’années ignorait tout de l’existence de Black Sabbath… et de tout ce qui s’en suivit. Bref Romana se convertit au doom ! Ceci explique cela, disait Victor Hugo, par exemple que le dernier morceau de Curse of the Bandshee soit une reprise de Lunar Funeral ( voir Kr’TNT ! 517 du 30 / 06 / 2021.

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         Sur le site de Bandshee vous pouvez aussi voir plusieurs vidéos du groupe sur scène. Je ne vous offre qu’une photo de Romana et de sa chevelure, attention, n’y montez pas, ce n’est pas Rapunzel que vous rejoindrez mais la sorcière Bandshee !

Damie Chad.

 

*

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Nous croyions en avoir fini avec notre chronique sur Bandshee, certes nous nous étions dit que nous y retournerions mais pas si vite. Il y avait encore ce dessin, la plupart du temps sur Bandcamp les groupes mettent leurs photos, certains se contentent de leur logo, mais là ce dessin qui n’est pas sans évoquer la pochette de Bandshee III, est crédité, piste instagrammique, à Mollyoakus, qui nous renvoie à Molly Broadhurst pour finalement parvenir à :

MOLLY’S MIDNIGHT VILLAINS

        Seriez-vous surpris si je vous dis que nous avons affaire à un groupe basé à Louisville dans le Kentucky. Se définissent en toute simplicité comme un groupe de folk sorcièrement alernatif.

         Ne sont que deux. Si vous les croisez dans la rue vous les remarquerez. Z’ont un look étudié. Se ressemblent tous les deux. Parfois vous aurez du mal à discerner lequel est le garçon, laquelle est la fille.  Des mécheux qui n’ont pour coiffure qu’une seule grosse mèche de cheveux qu’ils inclinent et tordent dans tous les sens, un peu comme ces clignoteurs turgescents des anciennes 203 pour les amateurs de vieilles voitures françaises, un véritable effet (de langue de) bœuf. Parfois ils s’amusent à la teindre en couleur flashy. Par contre s’habillent le plus souvent en noir.

         Molly Broadhurst : vocal, rhythm guitar / Tom Crowley : lead guitar.

 Z’ont manifestement choisi leur nom de scène : Molly l’imprécatrice ( pas mal pour une sorcière ) quant au patronyme Crowley de Tom, il rappellera à nos lecteurs les nombreuses traductions effectuées par Philippe Pissier des ouvrages d’Aleister Crowley ( pas plus tard que dans notre livraison 621 du 23 / 11 / 2023 ) que nous chroniquons systématiquement.

OUTLAWS WITCHCRAFT

(Vinyl / CD / Juin 2021)

Pour le deuxième anniversaire de cet album, Molly a préparé un livre d’artiste comportant collages, paroles des chansons et sigils. Nous renvoyons, en ce qui concerne les sigils nos lecteurs à nos chroniques des deux premiers livres d’Austin Osman Spare (Anima Editions) traduits par Philippe Pissier.

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In througt the mirror : bruits suspects, une acoustique qui descend ses gammes, instrumental pour l’ambiance, qui s’épaissit, qui s’assombrit lorsque retentit les effets de voix de Molly, on ne peut pas dire qu’elle cherche à l’éclaircir, juste poser un point noir sur une page blanche qu’elle transformera en une ligne initiatrice dans les titres suivants.  En moins de deux minutes vous êtes dans une réalité légèrement décalée. Doin’ fine : l’acoustique tricote dur, toute la magie dans le timbre de Molly, elle chante peut-être, nous dirions plutôt qu’elle parle toute seule, à elle-même et au reste du monde. Tout va bien. Enfin presque. Toute remuée à l’intérieur. Elle ne veut plus se souiller au contact de qui que ce soit. Elle a besoin de cette espèce de virginité qu’il faut entendre comme un refus de pactiser non pas avec l’autre, mais chose plus subtile avec la notion d’autre. Quelle opérativité peut-on avoir sur le monde si c’est lui qui entre en vous. Pour les parties extravagantes de guitare de Tom, vous serez comblé. Two cards reading : deux cartes à lire. Elles ne sont pas routières. Même si celles-ci annoncent aussi le chemin proche. Guitare éclatante mais presque en sourdine, Molly décrit ce qu’elle voit, une tempête monocorde dans sa voix, les lyrics ont la force d’un drame shakespearien, restons français pensons à cette tour abolie de Gérard de Nerval, par quel feu a-t-elle été détruite, et pourquoi le roi n’a-t-il pas deux fois vainqueur traversé l’Achéron. Superbe. Crawl back to the light : un semblant de groove compressé de la part de Tom, la voix de Molly aussi tranchante que la lame de guillotine, Tom s’enfuit dans un pickin’ espagnol, alors Molly hausse le ton toujours implacable, elle semble nous raconter une histoire à la Lovecraft mais de fait elle aborde un sujet bien plus grave celui de la survie par le nom, pensez à une formule magique, et aussi à Victor Segalen dans Briques et Tuiles ou Stèles, à ce nom qui doit être à tout prix conservé mais caché pour ne pas courir le risque de mourir définitivement si quelqu’un mal approprié s’en emparait. Takin’you into the moon : la guitare roucoule bellement, Molly prend sa voix de tourterelle la plus douce même si de temps en temps elle ne peut s’empêcher de s’envoler vers la lune ou le paradis, une chanson d’amour, la joie d’être à deux protégée du monde dominé grâce à cette armure de dualité qui nous enserre, nos sorciers deviendraient-ils humains trop humains, heureusement qu’il y a ce serpent qui vient bénir leur union, peut-être sont-ils comme la queue et la bouche du reptile qui se suffit à lui-même. A little like me : encore plus rond, encore plus doux, l’espoir de ne pas être comme les autres et de trouver enfin l’âme frère, les doigts de Tom babillent et émettent de jolies broderies sonores, elle pétille, sifflements pas ceux du serpent, Molly toute molle de promesses et de prophéties, elle n’est pas ce qu’elle semble être, mais qui est-elle au juste… Over the rooftops we go : la guitare claironne à l’espagnole, le ton de Molly a changé, l’interlude amoureux s’achèvera-t-il en queue de poisson… elle veut et elle ne veut plus, elle doute de l’autre, Tom joue au picador et au torero pour la maintenir en de bonnes dispositions, mais sa voix s’envole vers les hauteurs, elle ne sait pas, elle ne sait plus, elle sait qu’elle ne sait pas. La traversée des miroirs n’est pas une sereine aventure nous a avertis Jean Cocteau. Why are you so far away : Tom discret, il se contente de tisser une couverture qu’elle foule des pieds, il n’est pas venu, ce n’est que partie remise, nous dit-elle, elle a autre chose à faire, une fois qu’elle aura vaincu le temps, Tom fait flamber sa guitare, les promesses rendent les fous joyeux, il est curieux d’entendre comment sur ces trois derniers morceaux Molly n’utilise plus son timbre métallique si tranchant, son chant s’apparente un peu aux chanteuses de bluegrass. Peace with the Devil : beaux arpèges, une sorcière sans imprécations aux esprits et au Devil c’est déroutant, Molly récite ses litanies, elle aimerait faire la paix avec le diable, mais ces mots veulent-ils, peuvent-ils dire quelque chose, timbre glaçant, elle marche pieds nus sur le fil de l’épée. Vous qui êtes tombés, nous qui sommes tombés, qui nous a poussés. L’Un ou la Dualité ? October : un bruit comme de l’eau qui coule, puis une guitare crépitante comme un feu dans la cheminée, une ballade froide, la voix qui n’arrive pas à se réchauffer, l’indécision de ne plus savoir, d’être ailleurs, et de désir de savoir, et d’être là-bas, Tom nous fait le coup de la rockstar qui fait gémir sa guitare, l’extase ne suffira pas, même si la voix s’adoucit un moment, elle retourne à cette atonalité ambigüe, marque d’une terrible déréliction. Tiraillements douloureux entre deux plans de réalités.     

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Sur disque c’est toujours bien, donc voici un enregistrement live de Doin’ fine enregistré à la Saint Cat’s Sound House :  une quinzaine de personnes confortablement installées en de moelleux fauteuils, n’était-ce la batterie inoccupée derrière les artistes on se croirait chez soi, intérieur bourgeois-bohème soupçon fin de siècle (non pas le précédent, l’autre avant), tous les deux debout, habillés de noir ce qui éclaircit encore plus la blancheur gothique de leur épiderme. Sur les avant-bras de Molly, ce ne sont point d’énormes sangsues à queues multiples qui boivent son sang mais des tatouages mastoc, l’’on pourrait écrire une thèse sur l’art dont elle s’en sert sur certaines vidéos du groupe, avez-vous remarqué que 99, 99 % des tatoués n’usent jamais de leurs décalcomanies, je suis sûr que les japonais doivent avoir un mot pour désigner cet art, ne nous égarons point revenons à Molly, à ses yeux que le fard étire, à sa voix imperturbable que rien ne saurait arrêter. Vous cingle le visage avec le mot fuck comme vous ne l’avez jamais entendu. Je me demande comment Tom peut voir sa guitare avec sa mèche qui oblitère son œil gauche, de temps en temps il la chasse pour jeter un regard inquiet sur Molly qui ne s’en aperçoit même pas. Elle a raison, c’est aussi net, précis et sans bavure que sur disque.

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Wolf : Music Vidéo : quand vous dites pierre précieuse vous ne tenez pas cet artefact dans votre main mais vous employez des mots qui la désignent mais qui ne sont en rien ni une pierre ni précieux, c’est idem pour cette vidéo : les lyrics nous content une scène de lycanthropie, profitons-en pour saluer Marie de France, pas la moindre queue de loup ( même empaillé) dans le clip  simplement Tom et sa nana ( je n’ai pas pu résister à ce mauvais jeu de mots intraduisible), images en blanc et noir,  sauf la mèche de Molly teint d’une jolie couleur renardière, sont dans un bois, Molly se glisse entre et contre des rochers, une merveilleuse symphonie de gris, donc pas de mutation génétique ni loup sauvage, vous n’en avez aucun besoin, toute la force de la scène invisible est transcrite par l’impact du vocal, quelle chanteuse, quelle interprète ( quelle autrice aussi ), elle chante l’innommable, la cruelle innocence de cette bestialité sauvage est si durement exprimée que vous fermez les yeux pour ne pas la voir.

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Two cards reading : Music Video :  sépia rituel.  Tous deux dans les bois. Immobiles en pleine nature. Cette fois elle a teint sa mèche du rose de l’aurore. Ils chantent tranquillou. De temps en temps une main dessine des sigils. Puis calligraphie des paroles sur une feuille blanche. Plus tard les sigils seront découpés et brûlés sur un autel, sous un œil pyramidal insensible. Rien de bien spectaculaire. Ce n’est pas la théâtralité du geste qui compte mais l’effet qu’il produira. Sur vous. Si vous en êtes digne.

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Strange, strange friends : Lyrics Video : économie de moyens, trois dessins qui se battent en duel, n’en faut pas plus pour entrer dans l’ambiance, un corbeau, un chat noir, un squelette, vous n’espérez pas tout de même que l’on va vous faire revenir Edgar Poe uniquement pour votre petit plaisir. Concentrez-vous sur cette guitare sèche, entre nous soit dit si vous décrétez qu’elle est country vous n’aurez pas tout à fait tort, une scène de beuverie dans un estaminet quelconque. Un peu inquiétant tout de même, malgré l’humour si blues des paroles, d’ailleurs le costume rayé si ça ne vous dit rien, marchez jusqu’au prochain carrefour. C’est tout de même fou le nombre de morts qui circulent incognito parmi les vivants.  Une pincée d’humour dans la voix si naturelle de Molly. Ne cherchez pas ce qui occasionne ces frissons le long de votre colonne vertébrale.

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Taking you up  into the moon : live From the Midnight Lair : décontracté, ils sont chez eux, dans leur terrier, elle est en jeans et en chemisier bleu, y a un boa sur le canapé, à son air sympa et débonnaire il ne fait pas peur. J’oubliais le troisième homme (ou femme, cochez la case que vous voulez), une tête de mort, c’est leur côté Et in Arcadia ego, et moi aussi en Arcadie si vous avez séché vos cours de latin. De toutes les manières, il ou elle est toujours avec vous, vous accompagne partout, jusque dans le cercueil. Ne soyons pas triste, c’est une chanson d’amour, spécialement écrite pour une personne particulière expliquent-ils sous la vidéo sur YT, sont gentils tout le monde peut s’y reconnaître affirment-ils. Elle a le sourire aux lèvres quand elle chante, difficile d’apercevoir celui de Tom, surveille sa guitare comme le lait sur le feu, j’ai choisi cette vidéo car l’on voit bien l’agile gymnastique giratoire de ses doigts.

         Nous reviendrons les visiter. Z’ont un son, un look, un univers, des idées, un concept qui n’appartiennent qu’à eux. Un deuxième album et des morceaux isolés. Le seul truc qui m’étonne c’est qu’ils ne soient pas davantage célèbres. Signe d’authenticité.

Damie Chad.

 

 

*

Chic un groupe de Tolède, ninitas desnudas, puros espuantosos y toros de sangre y carne (c’est ainsi que les espagnols traduisent sex, drugs and  rock’n’roll) enfin la fiesta païenne, merci Damie. Ne me remerciez pas, nous ne partons pas en Espagne, mais dans la grande Amérique, dans l’Ohio pour être géographiquement précis.  Pas grave Damie, les Ricains le rock’n’roll ils connaissent. Z’oui mais là s’agit d’un truc non identifié, un gribouillis sonore informe et infâme… Toutes les chances que vous ne soyez pas épanouis après avoir subi ce tintouin (sans Milou)  inouï dans votre ouïe.

THOROUGHBREDS

SOG CITY

Qui sont-ils : deux gars difficiles à identifier : Jason et Nick. Quoi qu’ils jouent on ne sait pas. Un indice sur le troisième homme qui doit être une femme puisque qualifié(e)) de l’adjectif beautifull, un(e) certain(e)) J. C. Griffin, inexplicablement son nom est suivi d’un instagram qui renvoie à un dessin animé canadien, Lake Bottom pour ceux qui connaissent, enfin Pat Peltier s’occupe du saxophone.

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Lollygagger : attention ça va commencer, juste un détail que j’ai omis par inadvertance, ce n’est pas la musique qui est étonnante, vous savez avec les groupes noise il est nécessaire de s’attendre à tout, ce sont les lyrics, donc un truc inaudible mais sans plus, perso je trouve cela plutôt agréable, très vite les trois coups du destin, qui se répètent à la cadence d’une marche militaire, l’on sent qu’un évènement grave se prépare, erreur, il s’est déjà déroulé, z’avez intérêt à vous munir d’un stéthoscope pour saisir la voix, trop tard tant pis, pour vous, nous font le coup du riff poussif interminable, genre métro fantôme qui refuse obstinément de s’arrêter à la station où vous l’attendez, par deux fois six secondes le gargouillis incompréhensible vous donne un dernier indice incompréhensible. Dans l’esprit ça ressemble un peu, beaucoup, à la folie, aux Mamelles de Tirésias d’Apollinaire, pour les faits incontestables il y a un cadavre, est-ce lui qui parle entre ses dents agoniques ou un enquêteur qui en privé morigène dans sa barbe (évidemment rien n’indique qu’il soit barbu) si vous réfléchissez un peu trop vous finirez par décréter que ce sont les deux. Aurais-je le droit de vous faire confiance ?  Fool’ s Errand : c’est  complexe vous êtes perplexe, concrètement nous abordons la diagonale du fou, jeu dangereux, souvenez-vous de Nabokov, poum-poum ça repart, très vite c’est un peu cacophonique et même cacaphonique, au loin il y a un gars qui présente un numéro de cirque, apparemment un lion qui ayant bouffé son dompteur et ne sachant pas quoi faire se met avec ses grosses pattes à jouer du piano, y’a un musicien sur l’estrade qui se dit qu’il vaut mieux que ça se termine au plus vite avant que ça ne dégénère alors il vous fait de ces roulements avec sa grosses caisse comme s’il était Keith Moon. Faut bien foutre le cadavre dans un cercueil avant qu’il ne se mette à grandir comme dans une pièce de Ionesco. We trailed off on the middle name : pour comprendre se rappeler que l’américain moyen possède comme tout sénateur romain trois noms : hésitons, un télégraphe qui ne marche pas, une scie à découper, bref un bruit, de toutes les manières ça n’a aucune importance, c’est le moment du monologue dans l’acte III d’une pièce de Racine, le gars ne sait pas déclamer, normal un amerloque peuple jeune et barbare encore mal dégrossi ne peut posséder  les arcanes de cette culture européenne qui repose sur plus de vingt siècles de haute civilisation, en plus c’est peut être un cadavre ou un flic qui parle, ce qui ne vaut guère mieux, y en a tout de même un qui comprend qu’ils sont à la peine alors il appuie sur le bouton de la batterie et ça redémarre sec ( question rock les ricains sont au top ), l’on est au moment crucial, Oreste en tripatouillant ses papiers va-t-il endosser l’identité de Pyrrhus qu’il vient de tuer à moins que ça ne soit le contraire, en tout cas il y en a un dans la pièce à côté qui hurle, est-ce le trépassé ou le vivant, quels sont ces bruits qui carabossent sur sa mathématique bosse, avalanche sonore, folie extraordinaire, bon après la mania-crise, le mec se calme, il ahane comme un âne à qui sa maîtresse suce la queue. Valet parking : dans les thrillers vous avez la scène clef (de voiture), le meurtre dans le parking, nous y sommes, excusez le tintamarre avec toutes ces autos, en plus dans un disque de noise… c’est le moment du doute, le mec il est bien mort, ou a-t-il simplement mal aux dents, doit être chez le dentiste on lui oblitère la molaire car il vocifère, ou alors c’est une métaphore la clef que vous introduisez dans la serrure de la portière, peut-être ressent-elle cette ouverture comme un viol inqualifiable. Je sens que vous êtes perdn… Comment je le sais, facile la musique imite le bruit de vos méninges en cessation d’activité preuve que l’huile de votre intelligence ne les lubrifie plus. Depuis longtemps. Rodeo’s closet : ça y’est on passe à la scène des aveux, la rythmique imite l’agencement du mécano intellectuel qui se met en place. Bien sûr c’est le cadavre qui se confesse, vous pensez la scène confuse pourtant s’il y a un macchabée c’est tout de même de sa faute. Au bruit on devine que pour le faire parler le flic lui passe dessus avec sa voiture, lecteurs amicaux entendez-vous dans cette pièce lointaine rugir le moteur à perdre haleine. Thoroughbreds : vous avez tout compris, il n’y a plus de mystère, n’en profitent pas pour se taire, vous manquent encore quelques détails que généralement l’on omet dans les romans policiers. La question que l’on ne pense même pas à poser. Mais une fois qu’il est arrêté que devient le cadavre ? On ne peut pas le juger. Non on ne le laisse pas seul. Ayons quelque humanité, on se préoccupe de sa survie cadavérique. Y a un service pour cela. Vous n’avez pas compris qu’avec toutes sonorités funèbres, il vaudrait mieux laisser tomber, puisque vous voulez tout savoir : vous saurez tout. Thoroughbreds vous en donne plus. C’est tout simple pourtant : ce sont les mouches qui s’occupent de lui. Est-ce le saxophone de Pat Peltier qui s’en vient jouer le bourdonnement de la mouche enfouisseuse de larves et asticots divers ? Tiens les trois coups du destin reviennent. Qui joue du triangle ? Hop un gros riff monstrueux qui éclate comme ces cadavres que l’on enveloppe dans un grand sachet poubelle en plastique hermétiquech sans penser à  laisser des trous pour que les exhalaisons puissent s’échapper. Putain il y a de la viande d’allongé sur tous les murs, pire que quand vous avez chié dans le ventilateur. Dernier glouglou de cadavre. Cette fois-ci je crois qu’il est vraiment mort. Derniers tintements cristallins, quelque larmes (pas trop, on a quand même bien rigolé) qui tombent sur sa pierre tombale.

          L’ont enregistré à peu près, ce devait être, en quelque sorte vers 2019. Ils ne s’en rappellent plus trop. Sog signifie en bonne santé. Vous voyez ce qui vous arrivera si vous n’êtes pas soges.

         Moi, j’ai beaucoup aimé.

On y reviendra, ont à leur actif tout un tas de monstruosités. Un complément d’enquête s’impose.

Damie Chad.

       

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