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bettye lavette

  • CHRONIQUES DE POURPRE 624 : KR'TNT 624 : WILLIE DIXON / PROTOMARTYR / BETTYE LAVETTE / THE MIRETTES / TAJ MAHAL / HOWLIN' JAWS / POGO CAR CRASH CONTROL /BANDSHEE / MOLLY MIDNIGHT VILLAINS / SOG CITY

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 624

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    14 / 12 / 2023

     

    WILLIE DIXON / PROTOMARTYR

    BETTYE LAVETTE / THE MIRETTES

    TAJ MAHAL / HOWLIN’ JAWS

      POGO CAR CRASH CONTROL / BANDSHEE

    MOLLY’S MIDNIGHT VILLAINS / SOG CITY

      

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 624

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

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    Wizards & True Stars

    - Le président Dixon

     

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             D’une grosse voix de fausset à voyelles édentées, Willie Dixon rappelle que le blues, c’est les racines, et que tout le reste, c’est les fruits : « The blues is the roots. Everything else is the fruit. »

             Big Dix, c’est le boss. Big Dix bosse sa basse et les bat tous. Big Dix, c’est la bête, le boss du bon beat, le bull du blues. Il est le seul à pouvoir dire qu’il EST le blues.

             Willie a douze ans quand il se fait choper dans une maison abandonnée en train de récupérer des tuyaux de cuivre pour les revendre. Ça se passe du côté de Vicksburg, dans le Mississippi, où il est né. Pouf, au ballon direct, Ball Ground Country Farm, l’une de ces petites taules rurales dont les blancs racistes avaient le secret, et où tous les pauvres nègres ramassés dans le secteur étaient condamnés à travailler gratuitement dans les champs. Comme au temps de l’esclavage qui était pourtant aboli aux États-Unis, depuis le vote du 13e amendement en 1865.

             Puis il se fait ramasser une deuxième fois pour vagabondage près de Clarksdale, Mississippi. On lui inflige une peine de trente jours. Trente jours de prison parce que tu traînes dans la rue, pas mal, non ? Au bout de ses trente jours, le petit Willie a le cran de dire au gardien : « Hey man, my 30 days I know they’re up now ! » (Hey toi, mes trente jours, je sais qu’ils sont faits !) Le gardien ? Plié de rire. Arff Arff ! « Personne ne s’en va d’ici au bout de trente jours ! T’es là jusqu’à la fin de tes jours ! » La gueule à Willie !

             — Hein ? Quoi ? Non, non, non, c’est pas possible !

             — Mais si mon gars. Si tu veux partir, pars, mais tu dois courir plus vite que les chiens et les balles de fusil.

             Le type ne raconte pas d’histoires. Ici, à la Harvey Allen County Farm, ils tirent dans le dos des nègres qui cavalent dans les champs. C’est leur distraction favorite. Vas-y niggah, on te laisse trente secondes d’avance. Vas-y, sauve-toi niggah, n’aie pas peur ! Le niggah détale, comme aux Jeux Olympiques de Mexico, il fait à peine quelques mètres - bang ! - qu’il a déjà pris une balle de calibre 72 dans le dos. Ils font aussi le coup avec des chiens. Ils choisissent un jeune nègre qui court vite. Tu vois les bois, niggah ? Si tu arrives là-bas, t’es libre ! Le jeune nègre affolé se carapate mais ces ordures lâchent une vingtaine de chiens qui rattrapent le pauvre gars et qui lui sautent dessus. Il essaie de se défendre, il hurle, mais ça ne dure pas longtemps. Quelques secondes. Les chiens le dévorent, comme les loups dévorent l’élan isolé. Les chiens reviennent couverts de sang et ces ordures disent aux autres nègres d’aller laver les chiens. Quoi ? Willie et les autres emmènent les chiens à la pompe. T’as déjà essayé de laver un Beauceron couvert de sang ? Willie et les autres se font mordre. Les chiens ne se laissent pas faire. Du haut de ses douze ans, Willie voit tout le bordel des blancs. Il sait qu’il va risquer sa peau en s’enfuyant, mais il ne peut pas rester dans cet enfer. Au bout de deux mois, il réussit à se planquer et à voler une mule. Il fait confiance à la mule pour remonter au Nord. Faut pas traîner dans les parages, parce que les autres ordures le recherchent pour le donner à manger aux chiens. C’est un miracle s’il arrive sain et sauf chez sa frangine à Chicago. Exactement la même histoire que celle d’Hound Dog Taylor. Le rock revient de loin. Big Dix fera ensuite un voyage en train jusqu’à New York.

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             Il raconte tout ça dans son autobio, I Am The Blues. On ne peut pas écouter la musique des bluesmen noirs du delta sans connaître la réalité de leurs conditions de vie, dans ce maudit Deep South d’avant-guerre. Ces gens-là étaient en danger de mort parce qu’ils avaient la peau noire. Les Rednecks exerçaient exactement le même genre de barbarie que les nazis. Ils tuaient par simple haine et leur cruauté ne connaissait pas de limites. Si Willie Dixon ne s’était pas évadé de la Harvey Allen County Farm, il y serait resté toute sa vie. Tu vois un peu le plan ? Les fermiers du coin y trouvaient de la main d’œuvre gratuite. C’était du tout bénef, comme on dit à la campagne. Et Big Dix raconte que Captain Crush s’amusait à fouetter les nègres à mort. Les lanières de son fouet avaient des nœuds. En dix coups, il tuait un nègre en lui mettant les vertèbres à nu. Captain Crush les prenait un par un. Les nègres hurlaient : « Pitié monsieur ! » mais Captain Crush était un sadique et ces atroces bâtards pullulaient dans les plantations et les petites taules blanches du Sud.

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             Voilà en gros les souvenirs d’enfance de Willie Dixon. Pas de sapins de Noël ni de jeudis à la piscine. On comprend qu’après tout ça, il valait mieux éviter de l’importuner. D’autant qu’il a vite appris à se battre, au point de devenir champion de boxe poids lourd dans l’Illinois. Il s’entraînait avec Joe Louis. Et puis un jour, il a découvert un truc qui ne lui plaisait pas, alors il a tout cassé dans le bureau de l’organisateur du championnat et ça a mis fin à sa carrière de boxeur. Big Dix a connu le même destin qu’Arthur Cravan et Champion Jack Dupree. Comme Wolf, il était une force de la nature : « When I fought the Golden Gloves, I didn’t have any training. I just knocked out every damn body and that was it ! » (Quand j’ai combattu pour les Golden Gloves, je n’avais aucun entraînement. Je tapais dans le tas et voilà.) Big Dix grimpait sur le ring et envoyait au tapis tous ceux qu’on lui présentait. Quelle rigolade !

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             Heureusement, Big Dix va s’investir dans la contrebasse, mais à sa façon, « I was one of the most flashy bass players around. » Il ne voulait pas se retrouver au fond de la scène, dans le rôle de l’accompagnateur qu’on n’entend pas. Il voulait passer devant, « Give me a solo ! When it comes my time, I want to be seen and heard ! » Il veut qu’on le voie et qu’on l’entende. Alors Big Dix devient le stand-up man le plus heavy de Chicago. Il s’achète les fringues qui vont avec. « Back then, we started wearing real loud colors - red and green, yellow and purple suits and sharp, you know. » Big Dix porte des costards rouges et verts - comme celui de Muddy Waters - jaunes et mauves. On imagine le résultat : une armoire à glace black de 180 kilos en costume rouge dans les années quarante ! Le premier blanc qui marche sur mes pompes en daim, je lui démonte la gueule. Fini de rigoler. Les nègres renversent la vapeur. Ils marchent dans la rue et ce sont les blancs syphilitiques et dégénérés qui changent de trottoir. Avec le blues, les Blacks deviennent les rois de monde. Ils l’étaient déjà à New York avec le jazz. Mais ils s’emparent de Chicago et préparent la plus grande révolution des temps modernes : celle du rock, évidemment. Big Dix, Wolf et Muddy vont absolument tout inventer. Et on entre fatalement dans le chapitre Chess.

             Sans Chess, Big Dix n’est pas grand-chose. Sans Big Dix, Chess n’est rien. Voilà ce qu’il faut retenir.

             En 1940, Big Dix refusa l’incorporation, parce que dans son pays on traitait mal les gens de sa race (my people, comme il dit). Il s’est retrouvé en tant qu’objecteur de conscience devant des juges en 1942 et l’armée a fini par lui foutre la paix. Black and proud bien avant les Black Panthers et les poings levés de Tommie Smith et de John Carlos aux Jeux Olympiques de Mexico en 1968. Quand Cassius Clay devenu Muhammad Ali sera appelé sous les drapeaux, il suivra l’exemple de Big Dix. Pas question d’aller au Vietnam combattre des gens qui ne m’ont rien fait. Votre fucking guerre, vous pouvez vous la carrer dans le cul !

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    ( Leonard & Phill Chess)

             Leonard Chess fait de Big Dix son bras droit. Et comme Big Dix c’est le Gargantua du blues et qu’il connaît tout le monde, qu’il écrit des classiques et qu’il peut accompagner à la stand-up n’importe quelle pointure, il devient le héros Chess. Il gère tous les poulains de l’écurie la plus prestigieuse de l’époque, Muddy et Wolf, mais aussi Little Walter, Willie Mabon, Eddie Boyd, Jimmy Witherspoon et Lowell Fulson. Il accompagne Chuck et Bo sur scène. Il est dans tous les coups fumants de la grande époque. Mais les fucking frères Chess ont un problème assez grave avec l’argent. Big Dix fait tout, il fait le ménage, il fait les paquets quand il faut expédier des disques, il répond au téléphone, il cale des séances, mais il ne voit pas un rond. « They promised to give me so much against my royalties and then every week I’d have to damn near fight or beg for the money. » Et voilà, le cirque continue. Ces rats de Chess lui promettent de l’argent, mais l’argent ne vient pas, et toutes les semaines, Big Dix se dit qu’il va devoir gueuler ou quémander pour récupérer un peu de ce blé qui n’est qu’une « avance sur ses royalties ». C’est dingue, cette mentalité. Et après, on va tresser des couronnes aux frères Chess. Le seul qui se soit refusé à le faire, justement, c’est Willie Dixon. Parce qu’il s’est bien fait rouler la gueule. À cause de leur mentalité pourrie, les frères Chess méritaient mille fois de prendre son poing dans la gueule. Muddy a toujours su qu’il se faisait plumer par ces deux rats, mais il était d’un tempérament plus doux, et de toute façon, il avait reçu l’éducation de la plantation qui fait qu’on accepte tout, au nom de la survie. C’est Big Dix qui va déclencher les procès.

             Willie, Lafayette Leake et Harold Ashby sont le premier backing-band de Chuck en tournée. Willie raconte que Chuck conduisait vite et chaque fois qu’ils s’arrêtaient pour manger un morceau, Chuck commandait du chili. C’est tout ce qu’ils pouvaient se payer. Et Bo ! Alors Bo reprenait à son compte la tradition des tambours africains qui servaient à transmettre des nouvelles de village en village. « The drums are speaking and he’ll tell you what the drums are saying. »   

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             Willie observait le cirque de Leonard le renard. Il le voyait traiter avec de pauvres nègres qui n’y connaissaient rien, et il appelait ça de l’escroquerie. Évidemment, Big Dix ne savait rien du principe de copyright et quand il a découvert le pot aux roses, les frères Chess avaient déjà empoché des millions de dollars grâce à ses chansons. Regardez les crédits sur les rondelles des disques. Vous y retrouvez souvent le nom de Dixon. Comme ces disques des Rolling Stones et de tous les autres se sont vendus à des millions d’exemplaires, ça représente des paquets de millions de dollars.

             Big Dix a douze enfants, sept avec Elenora, puis cinq avec Marie Booker.

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             En 1959, il enregistre son premier album solo avec Memphis Slim, Willie’s Blues. On trouve quelques merveilles sur ce disque. Notamment « Nervous » où l’on entend Big Dix bégayer et slapper. On va retrouver dans tout l’album le jump blues de ses racines, avec des morceaux bourrés de swing comme « Good Understanding » et où l’on entend Al Ashby souffler dans son vieux saxophone en étain. On sent que l’enthousiasme des vieux blacks de Clarksdale est intact. Dans la voix de Big Dix, il y a du gras et de la gourmandise. Dans « That’s My Baby », on l’entend tirer le chewing-gum de ses syllabes. Big Dix se fait roi de la langueur et on l’entend faire un festival de slap dans « Youth To You », il fait ses petits ta ta ta et remonte, tong tong tong, il met son slap bien devant et devient le slapman sublime de Chicago. Il fait même un solo de slap dans « Built For Comfort ». Mais la perle rare se trouve en fin de balda. « I Got A Razor » est un classique vaudou superbe pourri de feeling. Now look, voilà Big Dix le voyou. « Man, you know I ain’t never/ Lost no fight/ I’m way too fast for that cat. » (Mec, je n’ai jamais perdu un seul combat. Je suis bien trop rapide pour ce mec.) C’est un peu le boxeur qui parle. Et il enfonce son clou avec l’histoire du grizzly. « Now look ! If me and a grizzly’s havin’ a fight/ No ! Don’t you think the fight ain’t fair/ You talkin’ ‘bout helpin’ me ?/ You better help that grizzly bear. » (Maintenant, regarde. Si je me bats avec un ours, tu vas croire que le combat est perdu d’avance et tu vas chercher comment m’aider, mais tu ferais mieux d’aider cet ours.) Ce qui fait la force du cut, c’est la crédibilité de Big Dix. « Man, you know I’ve got a razor/ And can’t nobody win over me/ When I got a razor. » Personne ne peut battre Big Dix quand il a un rasoir. Prodigieux.

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             Songs Of Memphis Slim & Willie Dixon sort beaucoup plus tard, en 1968. On y retrouve nos deux géants favoris dans une série de classiques du type « Joggie Boogie », animé par le piano western de Slim et les triplettes d’un Big Dix qui sonne comme un gamin atteint d’une crise d’allégresse. « Stewball » sent les chants des champs. Ils tirent cette prodigieuse énergie des vieux bagnes agricoles et en font de l’art moderne. Voilà comment deux nègres sortis de nulle part font éclater la modernité - All day round the race track all day long, all day long - S’ensuivent les trois parties de « Kansas City », occasion pour Slim de saluer Jim Jackson, guitar player from Memphis Tennessee. Leur « Roll And Tumble » n’est autre que l’ancêtre du « Rollin’ And Trumblin’ » popularisé par Cream. Et on tombe à la suite sur un fabuleux « Chicago House Rent Party » chanté à deux voix sous la forme du dialogue qu’affectionne particulièrement Big Dix. Ils se mettent au défi de jouer des parties sidérantes, et Big Dix sort un solo - You like it like that ? - I don’t know man try it again - Et Big Dix repart en solo de plus belle. L’effarant « 44 Blues » raconte l’histoire d’un mec qui se balade armé d’un 44, et « Unlucky » boucle la marche en racontant l’histoire d’un mec qui n’a vraiment pas de chance - I didn’t go to school, do you know/ The school burned down - Le KKK avait pris la fâcheuse habitude de brûler les églises et les écoles.   

              Big Dix flashe sur JB Lenoir : « He was a helluva showman’s cause he had this long tiger-striped coat with tails. We used to call it a two-tailed Peter. » Big Dix est fasciné par la queue de pie zébrée de JB Lenoir, qu’il appelait un Peter à deux queues.

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             Il existe un extraordinaire album intitulé One Of These Mornings. Big Dix et JB discutent dans le salon d’un appartement. On entend un baby pleurer. Big Dix demande à JeeBee de lui présenter ses morceaux et notamment « I Feel So Good ». Pas de problème lui répond JeeBee d’une voix fluette et enjouée, et paf, il attaque son boogie-blues des enfers, et tout seul, il swingue autant qu’un garage-band, et même mieux. Big Dix s’esclaffe - awite ! awite ! et il tape du pied - ils chantent ensemble - I’m so glad I know what’s on your mind/ I’m so glad I know what’s on your mind - pureté de l’instant, deux des plus grands artistes de blues à l’unisson. Puis JeeBee prend « One Of These Mornings » très haut - I will be gone/ I’ll get my suitcase made/ and up the road I’ll find my hone - yeah yeah fait Big Dix. Puis JeeBee va chercher son baryton pour chanter « Mumble Low ». En B, le cirque continue. JeeBee monte sur son falsetto pour aller chercher « Mama Talk To You Daughter » et Big Dix fait ses commentaires - No more - et ils reprennent à deux - you don’t talk to your daughter - et  JeeBee prend un solo à l’arrache - oh boy ! fait Big Dix. Et quand JeeBee annonce qu’il va jouer « My Mama Told Me », Big Dix répond : I tink that it’s gonna be awite. JeeBee le prend très haut, chat perché et Big Dix fait Good ! man ! Puis JeeBee tape dans le dur avec « Alabama Blues » - I’ll never go back to Alabama/ Alabama’s not a place for me - l’un des chefs-d’œuvre du blues moderne.

             Lors d’une tournée en Israël, Big Dix monte sur un chameau, comme le fit Gustave Flaubert lors de son voyage en Égypte avec Maxime Du Camp. « Slim was going to take my picture on the camel and when you’re sitting on it and they raise up behind you first, you almost fall forward and when they raise up in front, you almost fall backward. Slim was all set with his camera to take my picture and he ain’t got the picture yet. Some other guy took the picture of me on the camel because Slim was laying out, laughing. » (Slim devait me prendre en photo sur le chameau. Quand il se lève, le chameau se lève d’abord de l’arrière, et tu bascules vers l’avant et tu tombes presque, puis il se lève de l’avant et tu bascules vers l’arrière, et pareil, t’as vraiment intérêt à te cramponner. Slim n’a pas pris de photo. C’est un autre type qui l’a prise. Slim était écroulé de rire par terre).

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             Slim et Big Dix ont enregistré ensemble un album miraculeux, The Blues Every Which Way. Ils ouvrent le bal avec « Choo Choo », pur blues de train et Big Dix fait ses petits ponts pa pa pa papapa. On entend bien ses gros doigts boudinés claquer le caoutchouc des cordes de Chicago. Il adore voyager sur les entrelacs, il multiplie les incartades. Il va dans le slap et Slim chante avec une pureté de ton qui te réchauffe le cœur. Ce sont deux géants, au propre comme au figuré. Sur « 4 O’clock Boogie », Big Dix joue comme un dieu, c’est presque du slap drum, il pounde ses notes avec une incroyable déférence, et ajoute des effets de tagada de temps à autre. Il faut l’entendre emmener son boogie ventre à terre. C’est Big Dix qui chante « Rub My Root » en battant le beat sur le caoutchouc. Il a cette voix de portefeuille crapaud, grasse et tendue, cette voix de gentil géant avec des syllabes mouillées qu’il trempe dans le feeling de Vicksburg. Il fait ses séries de pivert sur les ponts. Sa chanson parle de la racine John The Conqueror capable de résoudre tous les problèmes. Dans « C-Rocker », il fait son numéro de virtuose de la triplette démultipliée et il envoie un solo de slap épatant. Il donne ensuite quelques leçons de maintien aux slappeurs blancs, en montrant comment le slap remplace la batterie et peut tirer comme une loco le train du boogie. C’est Big Dix qu’on voit foncer à travers la plaine. Slim ne fait que le suivre ventre à terre. Quelle superbe virée ! Big Dix revient au chant avec « Home To Mama ». Pour tous les nègres, Mama est le phare dans la nuit, car les familles ont été ravagées par la haine des blancs dégénérés. Le blues de Big Dix fend l’âme. Il met autant de Soul dans son blues que Marvin Gaye met de blues dans sa Soul. Big Dix voit Mama in the cold cold ground. La tuberculose faisait pas mal de ravages chez les nègres. Aller voir un médecin ? Tu rigoles ?

             En B, c’est la suite du festival, avec « Shaky » (Big Dix bégaye quand une gonzesse approche, fabuleuse intensité jazzy), « After Hours » (piano blues de rêve, intense qualité auditive), « One More Time » (jump-blues subtil coulé dans l’ambiance, encore une preuve de l’existence de Dieu - Willie conte les exploits d’une jeune négresse qui ne veut jamais s’arrêter de danser), « John Henry » (boogie blues chanté à deux voix - deux géants de Chicago), et « Now Howdy » (dialogue de génie entre Slim et Big Dix - Hello Slim, Hello Dix - If you don’t know how to do/You better ask somebody).

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             Un autre album solo de Willie Dixon vaut le détour : I Am The Blues, paru en 1970. Il y chante neuf de ses classiques, dont « Back Door Man », où il se montre moins convainquant que Wolf. Il est beaucoup plus décontracté, et cette version arrive vingt ans après l’âge d’or chez Chess. Big Dix recherchait une atmosphère plus conviviale, n’hésitant pas à latiniser son beat et à faire jouer un guitariste de manière sporadique, avec un glissé de manche ici et là. Pas trop souvent. Il reprend l’« I Can’t Quit You Baby » que lui a pompé Led Zep pour en faire autre chose. Pas question de jouer à chat perché comme Robert Plant. Big Dix préfère ses syllabes mouillées. Il est chez lui, il fait ce qu’il veut, c’est son blues, alors on peut lui faire confiance, non ? Il ne fera pas n’importe quoi. Quand on a vécu ce qu’il a vécu, on ne fait jamais n’importe quoi. On voit la vie d’un autre œil. On profite des instants, on vit la vie et on chante le blues avec un aplomb qui synthétise tout cet art de la survie. La perle de ce disque est la version vaudou de « Spoonful », montée sur un beat terrific. Big Dix prend ça à la manière de Wolf. Il se glisse dans la nuit des temps. En B, il tape dans d’autres classiques comme « I Ain’t Superstitious », « You Shook Me » (froti-frotah des nuits chaudes de Harlem, c’est Big Dix l’inventeur, il reprend à son compte toute la luxure développée par les nègres dans les ténèbres de l’esclavage - même enchaînés, ils baisaient), « I’m Your Hoochie Coochie Man » (Big Dix y va de toute l’ampleur de son registre, il sait faire traîner son everybody) et « The Little Rooster » (où il tient le blues par la barbichette).

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             Autre très bel album solo, Catalyst, enregistré en 1974. Big Dix va de plus en plus sur le funk, l’époque veut ça. Il va à l’essentiel, et fait comme tous les vieux crabes, il balance sa leçon de morale - I don’t trust nobody/ When it comes to my girl - Dans « God’s Gift To Man », il fait de la philo - l’amour est plus précieux que l’argent et l’or - Il frise le gospel. Big Dix sait de quoi il parle. Il a rendu ses femmes heureuses. Et puis on tombe sur une version faramineuse de « My Babe », swinguée jusqu’à l’os du swing. En B, il reprend son « Wang Dang Doodle » en mode bien primitif. Avec lui, c’est toujours all night long. Pas question de dormir, poulette. Quoi, t’es fatiguée ? Hopla babe, wang dang doodle, babe ! Et ça groove entre tes reins. Il a même un cut qui s’appelle « When I Make Love » où il explique tout - I don’t drink, I don’t smoke/ And I bring it up - Le roi Big Dix explique aux petits culs blancs comment on s’y prend pour rendre une femme heureuse tout la nuit - All I do is just satisfy... - Et ça continue dans le haut de gamme avec « I Think I Got The Blues ». Il sait comment entrer dans le lard du big fat Chicago blues - I tink I’got da blues - Fameux.

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             Deux ans plus tard, il enregistre l’excellent What happened To My Blues. Il chante « Moon Cat » à la pure puissance, comme Wolf. Même calibre, même férocité d’accent et même façon de mordre dans la gorge du cut. Il tape ensuite dans le heavy blues pour le morceau titre. Il sait driver la carriole, pas de problème, et Lafayette Leake pianote avec tout le poids de sa légende, et il ramène du limon en plus. Avec « Got To Love You Baby », on a une sacrée belle pièce de niaque à la Big Dix. Il est superbe. On sent qu’il se battra jusqu’à la fin. C’est un niaqueur de boogie sans pareil. Comme Wolf, il niaque au-delà de toute expectative. En B, on tombe sur une monstruosité de Chicago : « Oh Hugh Baby ». C’est gorgé de swing et Big Dix nous jive le booty du boogah, babe ! Encore un boogie de poids avec « Put It All In There ». Quel carnassier ! Big Dix bouffe son boogie tout cru. Il boucle avec « Hey Hey Pretty Mama », encore un cut écrasant de poids. Il est bel et bien le seigneur du boogie, le Capone du binaire de Pretty Mama, le trésorier du cul, l’excellence d’ambassade, l’oriflamme des troops, il éclate dans l’azur des légendes du rock et du blues.

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             Il revient dans l’actualité en 1988 avec Hidden Charms. Il chante comme un ogre las de vivre. « I Don’t Trust Myself » est incroyable de présence. Il affirme ne croire en rien - ni en lui, ni la police, ni le priest, ni le plane. Rien ni personne. Dans « Jungle Swing », il renoue avec son africanité - Oh Abyssinia my home ! - Big Dix se réclame de ses ancêtres - Listen to the rhythm swinging/ The drummer come rumbling down - Effectivement, c’est Earl Palmer qui tape le jungle beat ! Il donne des leçons de morale dans « Don’t Mess With The Messer » - I’m gonna bug the bugger/ I’m gonna trick the tricker - et il conclut - You can’t mess with the messer/ The messer gonna mess with you - On devrait l’appeler Willie Diction, car il chante à l’exquisite. En B, il passe au gospel avec « Study War No More ». Il renoue avec l’allant du prêche évangéliste d’église en bois. Et il nous redonne une fantastique leçon de swing avec « Good Advice » - You see you guys & girls in school/ You better study your books and don’t be no fool - Encore une fantastique leçon de diction - And if you keep on bettin’/ Then you’re bound to win - Il termine avec « I Do The Job », un heavy blues à la Big Dix, forcément monstrueux - You may be quick and slide/ You may be fast and greasy/ But I take my time/ And I’m slow and esay - Ça sent bon le sexe.

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             Paru en 1989, Ginger Ale Afternoon est la bande originale d’un film. On retrouve Big Dix au chant sur quelques morceaux comme « I Don’t Trust Anybody » (où il rappelle qu’il n’aime pas qu’on tourne autour de sa poule), « I Just Want To Make Love To You » (I don’t want you to be no slave/ I don’t want you to wait for days) et « That’s My Baby », blues jazzy de round midnite qu’il chante à la syllabe mouillée de vieil hippopotame, histoire de rappeler qu’il est une bonne pâte.

             L’essentiel du slap de Willie Dixon se trouve dans les disques de ses compagnons d’infortune, chez Chess. Comme sa discographie est devenue un marécage de compilations de toutes sortes, il faut rester prudent et se diriger vers des valeurs sûres comme la Chess Box ou le Blues Dictionary qui se complémentent assez bien.

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             Grâce à la Willie Dixon Chess Box, on peut réécouter le swing dément de Little Walter avec « My Babe »  (compo de Big Dix inspirée du vieux « This Train » de Sister Rosetta Tharpe). Ce morceau est l’archétype du gros swing des familles. Quand Big Dix  chante, il faut dresser l’oreille. Il chante « Pain In My Heart » d’un ton fêlé qui évoque Esther Phillips. Il a cette petite diction du nègre du delta héritée de ses ancêtres. La Chess Box est une merveille qui permet de réécouter à la suite Muddy Waters, Wolf et Willie Mabon. Mais le plus intéressant de tous, c’est probablement Little Walter, dont le « Mellow Down Easy » tire un peu sur le vaudou. Little Walter sait y faire pour déclencher les passions intestines. C’est l’un des artistes les plus sauvages de Chicago, et pas seulement à cause des cicatrices qu’il porte sur tout le corps. Il souffle dans son harmo comme un dingue. C’est lui le dieu de l’harmo. Autre retour de manivelle avec Bo Diddley dont le « Pretty Thing » a présidé à l’éclosion de bien des vocations. C’est tellement sauvage qu’on comprend que Phil May ait flashé dessus. Tout y est, le dépouillé de la classe, le jungle beat qui tue les mouches, le primitif de la forêt qui vaut largement tous les murs de briques de l’East End. Le fait que Big Dix  soit mêlé à ces purs moments de magie n’est pas un hasard. Mais la merveille du disk 1, c’est « Walkin’ The Blues », reprise de Champion Jack Dupree, que Willie traite à la manière laid-back des gros durs de Chicago - Slow down, man/ Don’t run so fast/ That’s the way to relax ! - C’est absolument somptueux de classe dixy.

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             Le disk 2 démarre avec le punk à la petite cuillère, l’infernal Wolf, une cuillère de café, une cuillère de thé, non, il veut juste une cuillère d’amour, et Bo Diddley revient avec le sidérant « You Can’t Judge A Book » monté sur une partie de basse démoniaque, mais apparemment, ce n’est pas Big Dix  qui joue sur la version originale. Dans le livret, on a indiqué « bass unknown ». Et pourtant, c’est la basse qui fait la classe du cut. Bo le dingue ! Pur génie. Et après ça s’enchaîne avec du Wolf et du Muddy haut de gamme, on retrouve tous les hits qui ont traumatisé les jeunes Anglais, « I Ain’t Superstitious », « You Need Love », « Little Red Rooster », « Back Door Man », « Hidden Charm » avec un solo fantastique d’Hubert Sumlin, « You Shook Me », avec le travail rampant d’Earl Hooker et soudain, on tombe nez à nez avec Sonny Boy Williamson, l’homme qui avale son harmo. C’est une version démente de « Bring It On Home », avec un strumming digne des géants du rokab et un swing furibard. L’excellence de la merveille ! Derrière, Matt Murphy gratte ses poux. Pur génie, une fois de plus. Et bien entendu, Big Dix est mêlé à tout ça. Le disk 2 se termine avec Koko Taylor, que Big Dix essayait de lancer. Mais Koko a trop de chien, elle frise même la vulgarité, mais il faut essayer de l’accepter comme elle est, puisqu’elle est la protégée de Big Dix. Il chante en duo avec elle dans « Insane Asylum ». Pure merveille. Big Dix sait planter un décor. Ce qu’il fait sur ce morceau est purement extravagant. Koko en rajoute. Ils sont fabuleux. Rien que pour « Insane Asylum », ça vaut le coup de choper la Box.

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             En fait, Big Dix  a eu la chance d’accompagner tous ces interprètes qui comptent parmi les plus grands de l’histoire du rock : Wolf, Muddy, Buddy Guy, Etta James et tous les autres. Dans le Blues Dixionary, on trouve un autre choix de morceaux. On retrouve les ouuuh-ouuuh de Wolf dans « Howlin’ For My Darling », la démence de Buddy Guy dans « Broken Hearted Blues », la fabuleuse pétaudière d’Elmore James dans « Talk To Me Baby », l’arrachage de glotte d’Etta James dans « I Just Want To Make Love To You » et encore une fois, le monstrueux « Back Door Man » de Wolf. Et puis Little Walter décroche la timbale une fois de plus avec « As Long As I Have You », il fait lui aussi le punk avant l’heure, il pousse des ah-ouh et défraie brillamment la chronique.  

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    (Scott Cameron)

             Mais Big Dix sent qu’un truc lui reste coincé en travers de la gorge : les magouilles des frères Chess. Alors il ne lâche plus le morceau, même après la mort de Leonard le renard : « You think of all the time Muddy spent with Chess, he got a few bucks but nothing like the amount of money you’d think he’d have. » C’est Scott Cameron qui met le nez là-dedans lorsqu’il devient le manager de Muddy. Il accepte de mener l’enquête. Il trouve la faille dans le système Chess : ces rats versaient à Big Dix un salaire hebdomadaire en guise d’avance sur les royalties. Donc ils employaient l’auteur et lui versaient une somme ridicule, par rapport à ce que rapportaient les droits d’auteur. Et c’est grâce à cette faille immonde qu’ils ont gagné le procès contre Arc, la société montée par les frères Chess pour encaisser les droits.

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             C’est Horst Lippmann - organisateur de l’American Folk Blues Festival en Europe - qui va secouer le cocotier pour de bon. Horst avait réussi à entrer en contact avec Big Dix et à devenir son ami. Quand il a compris ce qui se passait à Chicago, il a accusé les frères Chess de pratiquer une nouvelle forme d’esclavage. Même leur avocat noir était d’accord avec ce que disait Horst. Big Dix qui assistait à la shoote a blêmi car c’était la première fois qu’il voyait un mec attaquer les frères Chess de front. Leonard le renard était à la fois un père et un exploiteur. Il incarnait le patron blanc des plantations. C’est Horst qui fit basculer la situation. Il rappelait qu’il avait affronté la Gestapo pendant la guerre, alors, les frères Chess ça le faisait bien marrer. « I must say the Chess brothers did a lot for the blues, but they did even more for their own money. That’s okay in a way - only when they do tricky things, then it becomes problematic. » (Je dois dire que les frères Chess ont beaucoup fait pour le blues, mais ils ont encore mieux fait pour leur compte personnel. D’un côté, c’est OK - mais quand ils trafiquent les choses à leur profit, ça devient un problème. »

             Le livre de Willie Dixon est donc l’histoire d’un règlement de comptes, et heureusement qu’il s’en est mêlé, car les frères Chess seraient rentrés dans la légende sans avoir de comptes à rendre, alors qu’ils se sont enrichis sur le dos de pauvres nègres.

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             Et pour finir, on peut aller jeter un œil sur le film de Charles Burnett, Devil’s Fire, volume 4 de la série sur le Blues produite par Martin Scorsese : on y voit Big Dix taper un solo de slap en dansant du cul. Et comme il a un cul énorme, tu es comme marqué à vie par cette séquence. Alors laisse tomber les punks : Big Dix, Bo et Wolf étaient les vrais punks.

    Signé : Cazengler, Willie Picton

    Willie Dixon & Memphis Slim. Catalyst. Every Wich Way. Verve 1960

    Willie Dixon & Memphis Slim. Willie’s Blues. Prestige Records 1960

    Willie Dixon & Memphis Slim. Songs Of Memphis Slim & Willie Dixon. Folkway Records 1968

    Willie Dixon. I Am The Blues. Columbia 1970

    Willie Dixon. Catalyst. Ovation Records 1974

    Willie Dixon. What Happened To My Blues. Ovation Records 1976

    Willie Dixon & JB Lenoir. One Of These Mornings. JSP Records 1986

    Willie Dixon. Hidden Charms. Capitol Records 1988

    Willie Dixon. Ginger Ale Afternoon. Varese Sarabande 1989

    Willie Dixon. Blues Dixionary. Volume 2. Roots 1993.

    Willie Dixon. The Chess Box. MCA Records 1988

    Willie Dixon & Don Snowden. I Am The Blues. The Willie Dixon Story. Da Capo Press 1989.

    Charles Burnett. Devil’s Fire. The Blues, A Musical Journey Vol 4. DVD 2004

     

     

    Protomartyr de la résistance

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             We’re Protomartyr from Michigan. Laconique, le gros. Pas trop de contact avec le public. Il s’appelle Joe Casey. Comme ses collègues, il se fout du look. Casey porte un costard noir et une chemise noire. Zéro frime. Rien à foutre. Le pire, c’est les pompes.

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    Ils portent tous des pompes atroces, surtout celui qui gratte ses poux juste devant. Le bassman itou. On appelait ça autrefois le look MJC. Mais d’une certaine façon, ça repose de voir des mecs monter sur scène sans vouloir frimer. Les Proto sont des anti-rockstars et du coup, ça les rend éminemment sympathiques. Ils sont là pour jouer. Ils tapent un set d’une rare densité, ça joue à deux grattes, ils donnent une idée de ce que peut donner la modernité dans le Michigan, et ça passe par la violence, mais il s’agit bien sûr d’une violence expressionniste que canalise l’art.

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    Joe Casey chante une canette de bière à la main. Il la fout de temps en temps dans sa poche. Il a une dimension énigmatique, car il ressemble plus à un employé de bureau qu’à un chanteur de rock. Il s’impose à la force du poignet. Pour un gros, il ne transpire pas trop, il luit un peu sous les projecteurs, mais il ne dégouline pas. Il semble complètement en osmose avec son chaos, il déroule son écheveau mécaniquement et passe le plus clair de son temps à beugler dans son micro. Il a une dimension purement gargantuesque.

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    On a parfois l’impression qu’il va avaler le micro, tellement il ouvre sa gueule de shouter apoplectique. Pourtant, il n’en fait pas un spectacle, il ne cherche pas à impressionner avec des regards de fou, il reste dans son climax sonique et palpite comme un gros cœur. S’il avait une gratte, on pourrait le comparer à Frank Black. Ils se contenter de haranguer sans fin. Ils démarrent bien sûr avec un «Make Way» tiré de leur dernier album Formal Growth In The Desert, et dans la foulée, on retrouve d’autres cuts très tourmentés tirés du même album, «3800 Tigers», «For Tomorrow», «Elimination Dances» et plus loin l’excellent «Polacrilex Kid». Et tout va exploser vers la fin avec «Pontiac 87» et «I Forgive You» tirés  de The Agent Intellect.

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     Les Proto montent leur sonic trash à deux grattes au plus haut niveau, celui de l’exultation transcendantale, celle qui entre par tous les pores de la peau. Les deux grattes trament une cisaille intense qui se brûle les ailes, il tapent un rock fusion icarien qui chamboule tellement l’imaginaire que le set finit par prendre une dimension mythologique : il plonge l’auditoire dans la stupeur, comme si l’immense corps carbonisé d’Icare allait tomber lourdement et tous nous écraser.

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             Indéniablement, les Protomartyr de la résistance ont un truc, et plus particulièrement Joe Casey. Il suffit de l’écouter dans «Polacrilex Kid», l’un des hauts lieux de Formal Growth In The Desert, pour s’en convaincre définitivement.

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    Il a les deux mamelles qui font foi, la vraie voix et la big energy. Il chante tous ses cuts à la force du poignet, il établit une dominance spécifique. On l’imagine aisément en seigneur de l’An Mil, avec ses bijoux primitifs et ses fourrures. «Fulfilment Center» sonne comme un belle énormité, balayée par des vents de this is heartbreaking. Les Proto jouent tout à l’envers, à rebrousse-poil. Mais leur vrai fonds de commerce, c’est le Big Atmospherix, tu vois arriver «For Tomorrow» sous des violentes averses de son, même des dégelées royales. Joe Casey tient bien sa voix, elle ne flanche pas. Son Tomorrow résiste bien, car c’est un cut puissant et solide. Avec «We Know The Rats», ils replongent dans leur univers qui est un bel univers. On sent chez eux un goût de l’ostentation, regardez comme je suis balèze, leurs grattés de poux sont d’une rare démence, ils se payent de beaux passages à vide de petite pop à la mode, mais c’est pour mieux rebondir, comme par exemple avec «3800 Tigers», le Casey se hisse au sommet du son. Il lui faut des compos. Ils tapent «The Author» à la cisaille atroce. Ils bricolent leur petit univers de monstres à trois doigts. Vient qui veut. Ils se drapent dans la pourpre impériale de leurs climats sonores.

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             No Passion All Technique restera de toute évidence le meilleur album des Proto. Ça grouille de coups de génie, dans cette marmite. Leur son ne pardonne pas. Ils proposent la version moderne de la fournaise de Michigan, dès l’ouverture de bal, l’«In My Room» te saute au pif, avec un vrai rush de dégelée royale et un final explosif. Cette splendeur irradiée tombe du ciel. Les Proto développent autant de chevaux vapeur que les Pixies. Même sens inné de la démesure. La rafale des coups de génie commence avec «Machinist Man» : power pur, gratté aux entrailles, ça gratte avec des étincelles, il s’appelle Greg Ahee. Les Proto jouent à la relance méphistophélique. Tu n’en es qu’au deuxième blaster et te voilà sidéré pour de vrai. Ils varient les formats, chaque cut est différent du précédent, ils s’enfoncent comme un train fou dans des tunnels et tout explose à nouveau avec «3 Swallows». Joe Casey impose sa présence avec le même aplomb de Mark E. Smith. Format pop sublime, les Proto tapent dans le très haut de gamme. Tout explose en permanence. Encore plus demented, voilà «Free Supper». Greg Ahee cisaille ses poux, ça sent le cramé, et ça reste d’une violence suprême. Suite de la rafale des cuts intemporels avec «Ypsilanti» embarqué ventre à terre, cisaillé aussi sec, ces mecs-là ne s’accordent aucun répit, et voilà l’histoire de Lazare, «How He Lived After He Died», toutes les textures sont richissimes, cousues d’or du Rhin, Greg Ahee joue l’essaim définitif, il n’existe rien d’aussi tendu. Tout aussi passionnant, voilà un «Feral Cats» punchy, avec un riff raff claqué du beignet, c’est complètement explosé au sonic trash, ces mecs-là ne rigolent pas, tout est voué aux gémonies de l’hégémonie michiganne, et boom les voilà dans The Fall avec «Wine Of Ape», mais en plus virulent. Comment est-ce possible ? 

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             Un chien méchant orne la pochette d’Under Color Of Official Right. Toutes leurs pochettes sont très dépenaillées : un gros visuel moderniste, quasiment pas d’infos et le track-listing au dos dans une typo savamment bringuebalante. Inutile de dire que c’est encore un wild album. Avec «Tarpeian Rock», ils sonnent comme The Fall. Greed bastards ! Joe Casey dénonce, comme le fit Mark E. Smith en son temps, même niaque décapante. Tu as clairement l’impression que les Proto te jettent leurs albums en travers de la gueule, c’est en tous les cas l’impression que laisse une première écoute de «Maidenhaed». Tu restes ou tu te casses, c’est simple. Ça vaut le coup de rester. Rassure-toi, ça explose très vite, tu as les grattes de Méricourt, c’est-à-dire Greg Ahee. Et soudain tu réalises que tu te trouvais au pied d’un American guitar slinger de génie. C’est lui autant que Joe Casey qui est l’âme de ce brillant Detroit band. Le cut sur lequel il fait des miracles s’appelle «What The Wall Said». C’est noyé de poux. Greg Ahee persévère inlassablement. Il vole le show en permanence. On observe encore une grande variété d’approches dans un genre connu pour son austérité, la Post. Mais les Proto en font une fontaine DC de jouvence. «Trust Me Billy» sent l’habit noir et soudain, ça explose avec «Pagans», explosé par une dynamique de dynamite power-pop. Encore du Fall de Detroit avec «Bad Advice». Ils n’en finissent plus de tomber dans The Fall. Ces mecs-là vénèrent assez The Fall pour entrer en osmose avec leur esprit. L’album se réveille encore plus loin avec «I Stare At Floors», ils enfoncent le clou de la Post dans la paume du qu’en dira-t-on, bim bam, on entend d’ici les coups de marteau et ce démon de Greg Ahee arrose tout ça d’essaims dangereux. Énorme pression ! Comme le montre encore «Come & See», ils disposent de ressources inépuisables, ils n’en finissent de renaître comme des phénix du rock de Detroit, c’est lumineux et gratté à l’entre-deux. Les structures des cuts sont toutes riches et passionnées. Il terminent avec l’explosif «I’ll Take That Applause». Les Proto ont le power. Ils jettent tout leur dévolu dans la balance et te voilà conquis comme une cité antique.  

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             Orné d’un dieu grec, The Agent Intellect est un fantastique album. C’est un 12/12, ce qui est rarissime. Sur trois cuts, ils sonnent comme The Fall : «Cowards Starve», «I Forgive You» et «Boyce Or Boice». Belle tension, belle pression, c’est plein de vie et de mort, terrific d’übervalles et d’ultra spurge. Joe Casey pose ses mots comme le fait Mark E. Smith. Ils changent de structure à chaque nouveau cut, concassage différent pour «I Forgive You», chant plus pressant, c’est même la harangue de MES, et il entre encore à la MES dans «Boyce Or Boice». Décidément, c’est une obsession. Globalement, les Proto sont des Fall du Michigan. Chacun de leurs albums grouille de vie et d’invention. Voilà le «Pontiac 87» qu’ils tapent sur scène, vite embarqué par Greg Ahee. C’est lui le génie des Proto. Il injecte du fiel dans le cul du Pontiac. Quelle violence ! Et puis tu as le «The Devil In His Youth» d’ouvertured de bal, entrée en matière royale, ils entrent au palais en explosant la porte, tu as tout le power du Detroit punk servi sur un plateau d’argent nommé Greg Ahee. Pur genius, conquérant, voilà un cut gangrené de poux purulents, explosivement beau, monté à la clameur. Joe Casey chante son «Uncle Mother’s» au caoutchouc de la titube, c’est encore en plein dans The Fall. Ils sont effarants d’anglicisme. Même dévolu de va-pas-bien. Ils ramonent jusqu’à l’overdose, avec la puissance d’une marche militaire, sabrée au cristal d’Ahee. Wild world encore avec «Dope Cloud». Wild wild world ! Tout le poids du Michigan, beau et puissant, ils jouent à l’inclination définitive, les climax renvoient au génie sonique des Mary Chain. Assaut différent encore pour «The Hermit». Celui-là est d’une rare brutalité. Joe Casey relance sans fin - I don’t think so ! - Encore du climax purulent avec «Clandestine Time». Ils ne vivent que pour la démesure. Tout le monde sut le pont pour «Why Does It Shake», Ahee et Casey sont les premiers, avec juste derrière eux le big beurre d’Alex Leonard. Ahee ahane bien sur la fin, il répand son sonic trash à l’infini. Ils taillent encore «Ellen» à la serpe de cavalcade. Pur Detroit Sound, extraordinaire vélocité, Casey la veloute à la folie, on retrouve des échos d’Adorable dans cette fournaise. Qualifions ça de Big Atmospherix noyé de virulences. Fausse fin et explosion finale. Ils bouclent avec un «Feast Of Stephen» brisé de la mâchoire dès l’accord d’intro. Ça joue à coups rebondis, avec des dissonances qui te font rêver. C’est hallucinant, tellement ce Feast est drivé et beau, carrossé pour traverser les siècles. 

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             Tu retrouves une espèce d’Isabelle Eberhardt sur la pochette de Relatives In Descent. Le coup de génie de l’album s’appelle «Windsor Hum», qu’ils reprennent d’ailleurs sur scène. Greg Ahee le gratte à l’entêtement. Le cut est hanté par un gimmick tétanique - Everything’s fine - Et ils explosent comme seuls les Pixies savent exploser. C’est saturé d’Everything’s fine. Terrific ! Le beurreman Alex Leonard fait des étincelles sur «Here Is The Thing». Il bat son beurre à la vie à la mort. Il bat sec, très sec, il est encore plus sec qu’un olivier oublié au fond du champ. Il faut bien dire que les quatre Proto de base sont des surdoués. Le deuxième guitariste qu’on a vu sur scène est juste un renfort. «Here Is The Thing» est encore du pur Fall sound. Greg Ahee joue le plus souvent en tir de barrage. Il arrose sans discrimination. On entend presque des accords du Velvet sur «My Children». Greg Ahee y injecte du Fall power. En pur Post, c’est très tiré par les cheveux, vite cavalé sur l’haricot. My children ! Voilà encore un «Caitriona» bien martyrisé. Ils ne sont pas Proto pour rien. Joe Casey chante ça à la sauvette relentless, comme un vieux renard du désert. Bon, c’est vrai que cet album n’a pas le cachet de No Passion All Technique, mais ils cachent la misère avec de soudains accès de fièvre. Ça reste saugrenu de virulence, les tempêtes soniques virevoltent, et l’admirable Joe Casey déclame ses vers décomposés au milieu du chaos. Tu restes en arrêt devant «Don’t Go To Anacita» : grosse attaque, beurre, chant, sonic trash, tu as là un bel avant-goût de l’apocalypse, et plus loin, ils te cisaillent «Male Plague» à la base. Joe Casey sort sa meilleure harangue en hommage à Mark E. Smith. Et pour finir, «Half Sister» te tombe dessus, comme une apocalypse molle. Si tu veux qualifier l’art des Proto d’un seul mot, c’est ‘splash’. Ça te tombe sur la gueule.  

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             Un âne orne la pochette d’Ultimate Success Today. Encore un wild & crazy Proto-disk. Ils donnent le ton dès «Day Without End» : hommage à The Fall. Deux coups de génie se planquent plus loin : «Tranquilizer» et «Modern Business Hymns». Joe Casey chante le premier aux clameurs du carnage. Sonic trash d’hallali atomique, fusion de guerre nucléaire et de barbarie antique. «Modern Business Hymns» explose encore plus, attaqué à la marche forcée, broyé de la cervelle, le Killer Casey danse sa ronde de nuit, il plonge Rembrandt dans les carnages de Goya, il place un couplet mélodique au cœur d’une apocalypse saturée d’ad nauseam. À force de violence sonique, les Proto deviennent héroïques. S’ensuit un «Bridge & Town» insidieux. Cut malsain, qui semble ramper au fond de la pièce. Rock cancrelat. Berk. Osseux. Dissonant. Ils renouent ensuite avec les apocalypses verticales d’Adorable. Effet d’ascenseur. Encore de la Michigan craze avec «Possessed By The Boys». Greg Ahee forever ! Encore plus violent et sans pitié, voilà «I Am You Now», et «The Aphorist» marche sur des charbons ardents. Encore une fois, l’album est très varié. Joe Casey chante tout au punch pur. Les Proto produisent énormément, ce sont des industriels de l’anguleux claustrophobique, tout est fracassé et recollé au sonic trash, alors ça tient et c’est même tout terrain. «Michigan Hammers» ? Comme son nom l’indique. Greg Ahee te claque ça à la clairette du Michigan. Incroyable brutalité du son ! Leurs Michigan Hammers sonnent comme la Post de Mondrian. Ils terminent avec «Worm In Heaven» qu’ils amènent comme un balladif de rêve éveillé - So it’s time to say goodbye - Les voilà dans une ambiance à la Radiohead, on reconnaît la progression d’«I’m A Creep». Joe Casey entre dans ses cuts comme un vrai pro, et avec ses Proto-potes, ils travaillent la matière du rock avec acharnement.  

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             Mis à part le concert et les albums, la rubrique ‘My life in music’ offre un bel éclairage. On la trouve à la dernière page d’Uncut et c’est Joe Casey qui s’y colle. Quand on voit son choix de disques, on comprend tout : pas de post-punk, mais Stevie Wonder, les Pogues et Ghostface Killah. Il rappelle que si tu nais à Detroit, on t’offre un album de Stevie Wonder à ta naissance, mais il reconnaît avoir compris le génie de Stevie Wonder plus tard dans la vie. Il parle même d’une career of masterpieces - To me, Stevie is the quintessential Detroit artist making something great out of what he’s been given - Il dit des Pogues qu’ils sont sa «biggest lyrical inspiration». Il rappelle qu’au lycée, il avait à choisir entre Nirvana et le rap, alors il a choisi le rap - Wu-Tang forever - et c’est par le rap qu’il est arrivé à son «later love for The Fall». Il rend aussi hommage à Tyvek, un groupe de Detroit pas très connu. C’est grâce à eux qu’il est devenu chanteur dans un groupe. Il cite l’album On Triple Beams, sorti sur In The Red la même année que le premier Proto. Bel hommage aussi à Ted Leo & The Pharmacists qu’il voit comme un mélange de «Thin Lizzy, mod, punk, The Pogues, ska and more». Puis voilà les deux cerises sur le gâtö : Rocket From The Tombs (The Day The Earth Met The Rocket From The Tombs) et The Country Teasers (Destroy All Human Life). Il démarre son apologie de Rocket ainsi : «Proof that the Midwest is the best.» Il se dit même fier de ce qui vient d’Ohio. Le Rocket le connecte à «Pere Ubu, The Dead Boys, Peter Laughner, it was all there.» Il se dit chanceux d’avoir vu la reformation de Rocket sur scène à Detroit, avec Richard Lloyd, «and it remains my favourite concert experience.» L’hommage aux Country Teasers permet de comprendre la grandeur d’un album comme No Passion All Technique. Pour Joe Casey, les Teasers allaient plus loin que Wire et The Fall - The Teasers are the real deal - Deux des cuts de Destroy All Human Life («Golden Apples» et «David Hope You Don’t Mind») sont «two of the best songs ever». Voilà ENFIN un fan des Country Teasers.

    Signé : Cazengler, Protozoaire

    Protomartyr. Le 106. Rouen (76). 28 octobre 2023

    Protomartyr. No Passion All Technique. Urinal Cake Records 2012

    Protomartyr. Under Color Of Official Right. Hardly Art 2014

    Protomartyr. The Agent Intellect. Hardly Art 2015

    Protomartyr. Relatives In Descent. Domino 2017

    Protomartyr. Ultimate Success Today. Domino 2020

    Protomartyr. Formal Growth In The Desert. Domino 2023

    John Casey : My life in music. Unct # 316 - September 2023

     

     

    L’avenir du rock

    - Bettye n’est pas une lavette

    (Part Two)

             L’avenir du rock lance régulièrement des invitations à dîner. Lorsque ses amis arrivent, ils commencent par papillonner dans le salon. Oh bah dis donc ! Oh bah ça alors ! Ils n’en finissent plus de s’extasier. Ils poussent des oh et des ah d’admiration, ils rivalisent de surenchère, ils chantent des louanges et des louanges à n’en plus finir, oh ben ça alors, fait l’un, oh bah dis donc, fait l’autre, ils n’arrêtent pas ! L’avenir du rock les implore de revenir au calme. En vain. Leurs pépiements ne font que redoubler. Oh bah dis donc ! Oh bah ça alors ! Ils frisent tellement l’hystérie collective qu’ils ne voient même pas la mine fermée de leur hôte. Il ne cache plus son agacement. «C’est la dernière fois que je les invite», se dit-il en grinçant des dents. Il tente une manœuvre de diversion en servant l’apéro. Mais ça repart de plus belle !  Oh bah dis donc ! Oh bah ça alors ! Les voilà qui s’extasient à la contemplation des verres. Oh bah dis donc ! Oh bah ça alors ! «Quel éclat !», fait l’un. «Quelle mirifique transparence !», fait l’autre. C’est exaspérant. Ils ne complimentent pas l’avenir du rock sur ses choix musicaux ou sur la splendeur de son état de santé, non, ils le complimentent sur la tenue de sa maison, sur la propreté des verres et des carrelages, sur la translucidité des baies vitrées donnant sur les toits de Paris, ils s’extasient sur la netteté parfaite des surfaces qu’aucun grain de poussière ne vient contredire, ils s’ébahissent de l’imposante maturité du cuir de cet immense Chesterfield, ils disent renoncer à trouver le moindre défaut, ils vont même jusqu’à prétendre qu’aucune araignée n’est possible dans cette vaste pièce si magnifiquement entretenue. Et comme ils savent se montrer taquins, ils balancent une petite vanne :

             — Dommage que tu ne sois pas un trave, avenir du rock, on t’aurait appelé la fée du logis et on t’aurait pincé les fesses...

             — Gardez vos ambivalences pour vous, messieurs les pâmés.

             — Nous diras-tu le secret de ton immaculée conception domestique ?

             — Bettye LaVette !

     

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             Si Bettye LaVette savait quel usage on fait des lavettes en France, elle changerait de nom. Bettye est une très jolie femme. Elle ne supporterait pas qu’on l’assimile à une petite serpillière, ou pire encore, à une lavette, c’est-à-dire une couille molle, pour dire les choses crûment. 

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             On chantait ses louanges récemment tout au long d’un Part One bien dodu, et on va les rechanter de plus belle pour saluer la parution de son nouvel album, le sobrement nommé LaVette!. C’est d’autant plus un big album qu’il est produit par le remplaçant de Charlie Watts dans les Rolling Stones, l’éminent Steve Jordan, gage à deux pattes de bon goût et de gros son. C’est lui qui est derrière les X-Pensive Winos de Keef Keef bourricot. Bettye nous cueille dès l’arrivée avec «See Through Me». Elle traîne encore quelques vieux restes de Tina, mais elle tente quand même d’exister pour elle-même. Elle a des accents intéressants de vieille Soul Sister, elle chante toujours un peu au bord du précipice. Elle adore nous faire peur et tituber dans le vent tiède du groove. Des Esseintes dirait d’elle qu’elle chante d’une voix d’éclat éteint. C’est très spécial. Elle est beaucoup plus abîmée qu’il n’y paraît et ça la rend encore plus désirable. Bettye est beaucoup d’essence baudelairienne qu’huysmanienne. Elle enchaîne avec un vrai coup de génie en forme d’avertissement : «Don’t Get Me Started». Elle sait driver le wild r’n’b à merveille. Elle est experte en termes de manipulation du hard on. Fabuleuse Bettye ! Stevie Winwood l’accompagne au B3 sur ce coup-là. C’est un groove puissant et roboratif. L’autre standout track de l’album s’appelle «Mad About It». Tu y retrouves la Bettye en lunettes noires et tu as le groove de Steve Jordan entre les reins. On peut même dire que ça groove au son d’Hi. Elle manœuvre ça dans les moiteurs, sous le boisseau. Elle sait rester très directive. Tiens puisqu’on parlait du loup d’Hi, voici le Rev. Charles Hodges au B3 sur «Sooner Or Later». Bettye a du beau monde derrière elle. Son Sooner est un heavy stuff, elle s’en étrangle de plaisir, c’est une virtuose du râle, elle sait jouer de sa glotte experte, elle règne sans partage sur Saba, aucun doute là-dessus. Elle chante encore son «Plan B» comme une vieille locataire neurasthénique, elle a cette voix acariâtre qui fait la grandeur du has-beendom. Chaque cut est pour elle l’occasion de ramener sa voix de vieille revienzy. Elle en joue éperdument. Sur «Concrete Mind», elle sonne comme une vieille casserole. Elle n’a jamais perdu ni son bric, ni son broc. Bettye est une délicieuse survivante, une fantastique followeuse of the faction. C’est la raison pour laquelle il faut la suivre à la trace. Son authenticité ne fait pas le moindre doute. Avec «Hard To Be Human», Steve Jordan lui tape un hard funk dans le dos. Elle retourne la situation à son avantage. Elle va très vite en besogne. Elle se prête bien au jeu du big fat funk de wild-a-gogo. Mais elle refait sa Tina avec «Not Gonna Waste My Love». C’est plus fort qu’elle. LaVette fait sa tinette. Elle n’est plus à ça près. Elle va tout gâcher en ne voulant plus rien gâcher. Va-t-en comprendre.

    Signé : Cazengler, pauvre lavette

    Bettye LaVette. LaVette! Jay-Vee Records 2023

     

     

    Inside the goldmine

     - Plein les Mirettes

             Contrairement à ce que laisse entendre son nom, Lady Minette n’avait rien de câlin. Oh ce n’était pas son genre ! Forte femme, Lady Minette ne s’intéressait qu’à l’intelligence des gens. Elle n’avait aucune indulgence pour les cons et les m’as-tu-vu. Elle œuvrait au sein d’organisations diverses, souvent d’extrême-gauche, et possédait plusieurs domaines aux alentours de Paris, dont un moulin célèbre pour ses soirées littéraires. Lorsqu’elle se trouvait à Paris, elle recevait ses amis pour dîner dans un appartement labyrinthique du quartier de la Gare de Lyon, puis à une autre époque, elle s’éprit de Belleville et y élut domicile. Elle ne recevait plus chez elle, mais dans les restos chinois du quartier dont elle connaissait les propriétaires. Son expertise des réseaux facilitait grandement les choses. Elle se disait femme de ressources. Elle appréciait beaucoup les Chinois, car ils savaient comme les Corses régler n’importe quel type de problème, du plus simple au plus épineux. Sans vouloir en dire trop, elle m’expliqua un soir, dans un resto de karaoké, que tout fonctionnait par échange de services. Comme elle connaissait des hauts fonctionnaires, des académiciens, des dirigeants de grandes entreprises, elle disposait d’un éventail de solutions qui valait largement celui que proposaient ses amis chinois. Lady Minette semblait sortir tout droit d’un roman du XIXe siècle, elle était sans doute la dernière descendante d’une longue lignée d’intrigantes. La seule différence, c’est qu’elle ne couchait pas avec ses contacts. Personne ne savait rien de sa vie privée. Elle portait le cheveu coupé court, à la garçonne. Au milieu de son visage parfaitement rond trônait un nez en trompette. On ne pouvait détacher le regard de ses yeux clairs, d’un bleu presque transparent. Elle incarnait à la fois le père et la mère qu’on rêvait d’avoir, alors que par nature et par idéologie, elle restait définitivement hermétique à tout ce fatras d’imbécillités. Il ne serait jamais venue à l’idée de Lady Minette d’enfanter. Mentorer, oui, mais certainement pas enfanter !

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             Lady Minette aurait adoré les Mirettes, ça ne fait aucun doute. Elle adorait par-dessus tout les gens de caractère et les Mirettes sont des Soul Sisters de caractère. Si veux t’en mettre plein les Mirettes, tu as trois possibilités : soit tu rapatries leurs deux albums parus à la fin des sixties, soit tu tapes dans les compiles Northern Soul et tu les croiseras, notamment dans Cream Of 60’s Soul. Si tu t’en fous plein les Mirettes, c’est à cause de Venetta Fields, qui fit partie - avec Robbie Montgomery et Jessie Smith - de la première vague d’Ikettes qui, après s’être mutinée, fut remplacée par une deuxième vague dans laquelle tu avais P.P. Arnold, Gloria Scott et Maxine Smith. Venetta fit ensuite partie des Blackberries, les trios de backing singers d’Humble Pie. Venetta Fields est une star, mais très peu de gens le savent.

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             Tu en prends vraiment pour ton grade quand tu écoutes In The Midnight Hour, un beau cartonné US paru en 1968. Tu as tout de suite les voix et les chœurs Motown, aussitôt le «Take Me For A Little While» d’ouverture de bon balda. Tu sais tout de suite que tu entres sur un big album et les sexy girls que tu vois au dos de la pochette vont te jerker la paillasse. Elles sont de-men-ted ! Elles montent vite en pression. Il faut entendre Venetta exploser «The Real Thing». La qualité de leur Soul est effarante. Elles tapent encore dans le mille avec «I’m A Whole New Thing» et si tu vas traîner en B, tu vas tomber sur une cover magistrale de «Keep On Running». Pas de basse fuzz, mais des Mirettes. Elle passent pas en-dessous du boisseau, avec une basse bien ronde et elle te dégomment ça vite fait, ah les garces ! Elles compensent l’absence de fuzz par de la niaque. Elles terminent par une belle version d’«In The Midnight Hour» à la Mirette immaculée. Venetta tape dans le tas. 

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             L’année suivante paraît un nouvel album, le supra-excellentissime Whirlpool. Le coup de génie se trouve au bout de la B des cochons et s’appelle «O Miss You Babe (How I Miss You)», un fantastique jerky jerk de Mironton Mirontaine, tu en prends plein la barbe, elles développent un énorme jive de r’n’b, c’est ce qu’on appelle le pur genius de since you’ve been gone, on ne peut pas échapper à ça, elles le montent bien au sucre et c’est propulsé par l’énorme beat local. Et pour sandwicher tout ça, tu as en ouverture de balda l’effarant «Sister Watch Yourself», un heayv popotin motorisé à la Motown, Sister, watch yourself !, c’est bien dans la ligne du party. Elles y vont les copines, et ça continue avec le heavy groove de «Somethin’s Wrong», suivi du morceau titre attaqué au hard Soul Sistering, alors la Venetta y va, elle te groove sa chipolata sous le boisseau du meilleur popotin, tu peux lui faire confiance, elle a fait ses armes dans les Ikettes, alors elle sait de quoi elle parle. C’est excellent, au-delà de toute expectitude. Pas la peine d’aller chercher ailleurs, tu as toute la Soul de tes rêves sur cet album. Elles bouclent ce véhément balda avec «At Last (I Found A Love)», classique et bien vu, oh si bien vu. Clarence Paul te produit ça comme un cake, et on peut ajouter, pour faire bonne mesure, que Marvin Gaye co-signe cette petite merveille de fort tempérament. C’est dingue comme les Mirettes sont bonnes ! Mais dingue ! On ne comprend pas qu’elles soient passées à l’ass, comme d’ailleurs Honey Cone et les Velvelettes, qui étaient le temps d’un hit les reines du monde. Les Mirettes repartent de plus belle en B avec l’effarant «Heart Full Of Gladness», encore un heavy popotin de type Motown, elles dégagent autant d’air qu’Aretha, et c’est pas peu dire, elles te roulent leur r’n’b dans la farine de Motown et elles te montent ça en neige au aaaahhhh d’Aretha. S’ensuit «Ain’t You Tryin’ To Cross Over», une petite Soul plus sucrée mais fabuleusement embarquée pour Cythère. On ne les quitte plus d’une semelle, elles ont le même genre de punch que les Sweet Inspiration de Cissy l’impératrice. Aw my Gawd, il faut les voir régner sur la terre comme au ciel. Encore un coup de baume au cœur avec «Stand By Your Man», un slow groove tellement Southern, qu’on le croirait sorti de Muscle Shoals, et c’est en plus chanté avec des accents d’Aretha, au petit sucre des backwoods confédérés, là où se planquent encore les bataillons de fantômes rebelles.

    Signé : Cazengler, miraud

    The Mirettes. In The Midnight Hour. Revue 1968

    The Mirettes. Whirlpool. UNI Records 1969

     

     

    Taj à tous les étages

     - Part Two

     

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             Printemps 68. Le disquaire caennais te met Taj entre les pattes. «Tiens ! Écoute ça !». Au lycée, on commence à s’agiter. Le copain Yves vend des cartes d’adhésion au fameux CAL, le Comité d’Action Lycéen. Comité radical de lutte armée. Et le copain Pierrot roule en BSA. Et l’autre copain Yves prend des cours de guitare classique dans le but de monter un groupe. Tout semble bouger en même temps, surtout la musique de ce blackos inconnu qu’on voit, sur la pochette, assis dans une chaise avec sa gratte, devant une belle maison en bois peint. La musique grouille, à l’image des oiseaux et des papillons qui volent autour du mystérieux Taj Mahal.

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             Il s’agissait du premier album de Taj Mahal sur CBS. Au dos de la pochette on trouvait les noms d’autres inconnus, Jesse Ed Davis et Ry Cooder. Il y avait aussi trois reprises d’un autre inconnu, Sleepy John Estes. À l’époque, on ne faisait pas le cake, on ne savait pas grand chose. On se contentait de découvrir. Par miracle, le disquaire était un bon. Taj Mahal ouvrait le bal avec un fantastique « Leaving Trunk » porté par une bassline extrêmement dynamique. Avec ce premier cut, Taj Mahal devint un héros. Il chantait au guttural joyeux et donnait de bons coups d’harp. Il enchaînait avec « Statesboro Blues », un fabuleux groove de blues à la limite du rock-gospel-country-funk-screamin’ jive, si tu vois ce que je veux dire. Un vrai son, goulayé à la cantonade - You know I love that woman/ The better woman I’ve ever seen - Encore une fantastique reprise de Sleepy John Este, « Everybody Got To Change Sometimes », une véritable horreur évolutive montée sur une bassline cavaleuse. Il faut saluer l’omniprésent James Thomas derrière sa basse. C’est un voyageur aussi infatigable qu’impénitent. Il cavale sur l’haricot de son manche. En B, Taj claque son « Dust My Broom » et revient à Sleepy avec « Diving Duck Blues ». Il finit cet album magistral avec un hommage à Robert Johnson, « The Celebrated Walking Blues ». Ry Cooder y joue de la mandoline et c’est très beau car Taj va chercher l’esprit du blues dans l’essence même de la pulpe.

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             La suite de ce petit chef-d’œuvre s’appelle The Natch’l Blues. La pochette anglaise est sidérante, avec un Taj cadré en gros plan : il porte ses lunettes noires, son chapeau de caballero et il tire sur sa clope. Black dandy, un brin hendrixien. Dandy de la frontière. Le son est beaucoup plus traditionnel, on l’entend gratter son banjo et envoyer des coups d’harp. Il faut attendre « I Ain’t Gonna Let Nobody Steal My Jellyroll » pour renouer avec la classe du premier album. On retrouve le raunchy, le plein-comme-un-œuf qui en faisait la grandeur. Il renoue avec l’excellence de l’appartenance. Taj avance en vainqueur. Il passe ensuite au heavy blues avec « Going Up To The Country Painting My Mailbox Blue ». Il y ajoute cette véracité qui nourrit la vraie histoire du rock. Taj privilégie le velouté du groove, l’ampleur du meilleur et le suif du swing. S’ensuit une autre pièce de groove extraordinaire, « Done Changed My Way Of Living ». Il offre là tout le rudiment du blues d’antan, le vieux butt-shaking des juke joints. En B, se planque une pure merveille de blues psyché : « The Cuckoo ». Taj ramène toute sa science du blues dans cette intervention radicale.

             Très vite, Taj Mahal va se heurter à un problème : les gens de l’industrie du disque lui demandent de se positionner : « Mr Mahal will you please get in the box ? », à quoi Taj répond : « No, thank you, it doesn’t fit me ! ».

             Alors, quand on tombe sous le charme de ses deux premiers albums, on décide de le suivre à la trace. Ce sera parfois difficile, car Taj Mahal va en effet passer sa vie à explorer las racines profondes du blues et taper dans les connections avec le gospel, le latino, le r’n’b, l’Africana et nous emmener faire un tour dans ce qu’il existe de plus primitif. Il finira même par s’habiller comme ses ancêtres, en vêtements africains. C’est un voyage étonnant à travers l’histoire du blues, au moins aussi étonnant que peut l’être la belle série des sept films consacrés eux aussi à l’histoire du blues, que produisit Martin Scorsese.

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             On a évoqué l’épisode Rising Sons dans un Part One. Pour Columbia, le split des Rising Sons n’était pas grave. L’essentiel était de conserver Taj Mahal sous contrat. Alors Taj va enfiler les albums comme des perles.

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              En 1969 paraît Giant Step/De Ole Folks At Home. Taj se dresse sur la colline, toujours habillé en dandy de la frontière, chapeau, foulard rouge et énorme boucle de ceinturon. Il reprend le « Take A Giant Step » de Rising Sons et gratte son banjo. Il revient au blues avec « Give Your Woman What She Wants » et il a diantrement raison, car c’est une petite fournaise. Il chauffe ça à coups d’harp. Il prend une version de « Good Morning Little Schoolgirl » très rootsy. Sans doute la version la plus intéressante qu’on ait entendue depuis des lustres. Puis il donne une petite leçon de boogie blues éclairé avec « You’re Gonna Need Somebody On Your Bond », vrai swing californien, un modèle du genre, effrayant de direction et de maîtrise. On trouve en B un petit groove à la ramasse qui s’appelle « Farther On Down The Road » et qui révèle une petite tendance paradisiaque. Taj Mahal est une sorte de magicien, son groove coule tout seul et il chante ça avec le pire feeling qui soit. On se régalera aussi du « Bacon Fat » embarqué par une bassline de dingue, Taj rigole - hé hé - il sait pourquoi il rit. Comme l’indique son titre, le deuxième disque de ce double album se situe plus au bord du fleuve. Taj gratte son banjo et échappe à tous les formats. Il s’amuse bien. Il fait un « Stagger Lee » à la sèche des bois et il nous claque ça sec. Il tape aussi « Cajun Tune » à coups d’harp, et au fil des cuts, il devient de plus en plus primitif. Taj va aux roots avec une classe insolente.

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             The Real Thing est le dernier album où il apparaît sous une allure afro-américaine. C’est un album live. Il y gratte encore du banjo, et avec « Fishin’ Blues », il revient aux sources. Taj sifflote le groove dans « Ain’t Gwinen To Whistle Dixie ». Le Fillmore tape des mains car c’est un bon gospel, et derrière Taj, ça cuivre sec. Avec « Sweet Mama Janisse », il explose le contrat. C’est un boogie-blues infernal qu’on retrouvera tout au long de sa carrière. Il y balance un solo de banjo et derrière, ça pulse aux trombones des gémonies et à la basse funk. Démence pure ! Taj fait jerker le Fillmore ! Avec « Big Kneed Gal », il attaque le blues de charme. Taj est un fin renard. Il crée les conditions de la magie en feulant le blues. Il attaque « Tom And Sally Drake » au banjo des Appalaches et revient ensuite à son vieux « Diving Duck Blues ». Il en tire un jus de rumble de r’n’b effarant. Il chante aussi « John Ain’t It Hard » avec le feeling du diable et derrière lui, ça souffle dans des tubas. Sur ce live, tout est extraordinaire d’invention et de densité. Quel artiste !

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           Quand tu ouvres la pochette d’Happy Just To Be Like I Am, tu vois Taj jouer de la flûte dans un champs moissonné. Ambiance de sol jaune et de ciel bleu. Le morceau titre de l’album est chargé de toutes les dynamiques internes que l’on peut imaginer. Taj fouille l’innovation. Il secoue son cut comme un cocotier, il tend ses syllabes et ça devient vivant comme un vivier. Ça grouille de vie. Incroyable mais vrai ! « Stealin’ » est un blues qu’il attaque au banjo. Il adore ce vieux banjo qui remonte comme un saumon à contre-courant du blues. Son blues est prodigieusement dégingandé. En fait, Taj Mahal invente un style de blues, une sorte de blues de cabane tajique qui reste incroyablement persuasif. Puis il passe à la flûte pour jouer « Oh Suzanna », une vraie merveille de boogie original. Il réinvente tout. Son boogie grouille de vie. Il œuvre comme un visionnaire. Taj Mahal cultive le même genre de génie que celui cultivé jadis par Ronnie Lane. « Eighteen Hammers » ? Oh yeah ! Il va chercher l’incroyable profondeur du delta dans les dix-huit hammers. Voilà du primitif définitif. Derrière lui, les autres jouent sur des casseroles. En B, on tombe sur un gros boogie soufflé aux tubas, « Tomorrow May Not Be Your Day ». On sent qu’ils sont nombreux, au moins quatre à souffler comme des brutes. Taj Mahal est un artiste complet. On n’en finira plus d’explorer son œuvre. Il reprend l’« Hey Gyp » de Donovan pour en faire « Chevrolet » et ça rebascule dans le génie. Harp ! Taj s’approche avec un côté suave, mais en réalité, c’est un puissant démon noir. Comme tous ses hits, « West Indian Reservation » a une coloration particulière, effrayante d’énergie et de modernité. Il ne lâche rien. Sa musique lui appartient. Il reste intense de bout en bout. Il joue « Back Spirit Boogie » au bottleneck de la rivière et il y va de bon cœur. Il fait claquer ses coups de slide pendant une éternité. Avec ce cut, il marque l’affirmation maîtrisée du boogie d’instro de fin de parcours. 

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             Sur la pochette de Recycling The Blues & Other Related Stuff, il est photographié en compagnie du vieux crapaud Mississipi John Hurt. Fantastique image de filiation. Taj gratte son banjo dans « Ricochet » et refait « Délivrance » à lui tout seul. Il fait aussi du gospel avec « A Free Song ». Il claque des mains et le public claque des mains. S’ensuit une énorme version de « Corinna » qu’il tape dans le haut de gamme interprétatif. Les Pointer Sisters l’accompagnent sur « Sweet Home Chicago » et ensemble ils produisent un blues de la meilleure qualité johnsonienne. Les Pointer Sisters l’accompagnent aussi sur « Texas Woman Blues ». Elles jettent du swing dans l’extraordinaire crunch de Taj. Pur génie, et Taj monte ses syllabes au chat perché pourri de feeling, alors on atteint des sommets. C’est même Taj qui joue de la stand-up !

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             Pas mal de merveilles aussi dans Sounder, et notamment « Needed Time », un gospel sacré de Lightnin’ Hopkins. Il va piocher au plus profond de sa condition humaine pour recréer l’Americana. Sur « Sounder Chase A Coon », il joue de l’harp et se perd dans l’antiquité. Il reprend ensuite « Needed Time » au banjo et murmure au bord du chemin. C’est effroyablement inspiré. Au fil de l’album, on le voit s’enfoncer dans un mélange d’antiquité et d’Americana. Il claque même une version de « Motherless Children » au bâton. Absolument dément. Avec « Jailhouse Blues », on est dans le très ancien, le très lent et le très fatigué. Il revient aussi aux chants des champs avec « Just Workin’ » - Lord early in the morning - Des filles charrient le groove et ça claque des mains. Avec « Two Spirits Revisited », on se croirait dans une fable antique de Pasolini, car Taj joue de la flûte grecque ancienne, il sonne comme un pâtre macédonien. Et avec « David Runs Again », il banjote comme un démon. Mais on sent qu’il se perd dans des mondes parallèles. Avec « David’s Dream », il retourne dans l’antiquité et s’y perd pour la postérité.

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             Le voilà donc complètement africanisé pour Ooooh So Good ‘N Blues. Les Pointer Sisters sont toujours là et l’accompagnent sur « Little Red Hen », pur gospel batch qui vire au gospel des champs, et Taj gratte son banjo par-dessus tout ça. S’il en est un qui respecte l’esprit du blues agricole, c’est bien Taj ! Il va chercher « Oh Mama Don’t You Know » au feulé du primitif. Il claque ses notes dans le néant de l’éternité. Les Pointer Sisters volent de nouveau à son secours dans « Frankie & Albert ». On se retrouve une fois encore dans le blues supérieur claqué à l’ongle sec. L’incroyable de toute cette histoire, c’est qu’un black réussisse à réinventer l’Americana. Taj gratte son dobro pour « Railroad Bill » et il devient le maître des Appalaches en boubou nigérian. Il fait danser les ours et les castors. Il tape une version incroyablement primitive de « Dust My Broom ». Il fallait oser. Taj gratte avec des séquelles. On se retrouve dans le wagon avec les hobos. Taj crée de vraies atmosphères, ce n’est pas un baratineur. Il sort le vrai truc. Il gratte comme un con, avec une sorte de rage épouvantable. C’est effarant de son sec d’affluence de la prescience. Puis il rend un hommage assez spectaculaire à Big Dix en reprenant « Built For Comfort » en boogie de stand-up. C’est comme on s’en doute bien ravageur. Et il boucle cet album sidérant avec « Teacup’s Jazzy Blues Tune » qu’il slappe, accompagné par les Pointer Sisters. Encore une fois, c’est digne de Pasolini, d’autant qu’il siffle. C’est très directement lié à l’antiquité de Saint-Germain-des-Prés, avec des clochettes et du do-bee-ya-bam. Superbe de fantômisation. Doo-bee ban dam bond ! Pur génie des catacombes. Il ne manque plus que Juliette Greco et Miles Davis.

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             Plus on avance dans l’univers de Taj Mahal et plus on comprend qu’on ne sortira pas indemne de ce voyage. Car voilà Mo’ Roots paru l’année suivante, encore un album fantastique. Il nous emmène aux Caraïbes avec « Black Jack Davey » le pirate. Le travail qu’il fait sur ce cut est exceptionnel : il tire ses syllabes dans les effluves des cocotiers et c’est battu aux tambours des îles. Admirable. La fête continue avec « Big Mama » et là Taj se fâche ! Il joue les gros bras et se prend pour Deep Purple. Il nous sort un gros groove pulsatif noyé d’orgue et des can you can you terriblement agressifs. Il fait un r’n’b de premier niveau. Soudain, il se met à jerker la cambuse comme une Soul Sister ! Puis il attaque « Cajun Watte » au piano - My negresse voulez-vous danser avec moâ voulez-vous danser hé hé - fantastique pièce de rêve cajun. Plus loin, il revient au r’n’b avec « Why Did You Have To Desert Me », encore un groove extraordinaire des îles. Taj chante en espagnol sur un groove dément. Il chante comme l’espion des pirates de la mouzica. C’est le beat des pirates ! Énergie et envergures sont les deux mamelles de l’espion des pirates, et le groove explose littéralement.

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             Une toile représentant des danseuses africaines orne la pochette de Music Keeps Me Together. Quelle énormité que ce morceau-titre ! On a là une pièce de groove africain coloré de sax free, avec en prime le timbre blanc de Taj Mahal - blanc au sens de la voix blanche, évidemment - Avec ce groove de flûte, on retrouve le mélange de Guinée et de Grèce antique, avec en plus du sax en fusion. Taj sublime l’énormité. « Aristrocracy » libère une énergie considérable. Il gratte ça au banjo de saloon. Et avec « Roll Turn Spin », il revient aux Caraïbes. Il se lance dans un beau groove antillais qu’il gratte à la dévastatrice. L’énergie des îles peut tout balayer. Il fait pas mal de reggae sur cet album et il faut attendre « Why And We Repeat Why And We Repeat » pour renouer avec le groove soufflé au sax. Embarquement pour le cosmos. On se retrouve dans la chair à saucisse d’un groove énorme. Ça jazze dans le jive. On voit rarement des grooves d’une telle violence et d’une telle jazz class. Côté gratte, c’est de la folie pure, il faut écouter Taj Mahal, car ses disques réservent pas mal de surprises. « Why And We Repeat Why And We Repeat » relève encore une fois du génie à l’état pur.

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             On le retrouve un an plus tard avec Satisfied ‘N Tickeld Too. Il a maintenant une tête d’Antillais. Il fait du reggae carribéen de haut niveau. Il chante d’une voix douce et colorée. Il nous sort un groove d’exotica qui flirte avec l’enchantement. Taj Mahal a le sens des choses dépareillées. Il ramène le rooster, rooster, rooster, c’est le roi du désarroi - I love you sweet mama - Sa chanson est fabuleusement fraîche et fruitée. Pas étonnant, puisque ça vient d’un artiste qui s’est écarté des feux de la rampe pour cultiver les racines. Il est tellement relaxé qu’il siffle. Il attaque ensuite « New E-Z Rider Blues » en posant ses conditions. Il va chercher du groove dans les chœurs des sisters. Fantastique explosion. Wow ! Nous voilà au cœur de la Soul californienne. Tous les albums de Taj Mahal sont des aventures extraordinaires. Avec « It Ain’t Nobody Business », il titille l’Americana - Champagne don’t drive me crazy/ Cocaine don’t make me lazy - Il fait un boogie business de bastringue digne des blancs. On revient au grand air des Caraïbes avec « Misty Morning Ride » et ça décolle. Taj donne de la voile. On file au vent des îles. C’est merveilleux car gratté à la vie à la mort. Avec « Easy To Love », on croirait entendre Earth Wind & Fire ! C’est du funk flûté de première main. Sacré Taj, il tourne tout à son avantage. Puis il dégringole « Old Time Song » à la désaille du blues. Taj le magicien revient aux percus pour « We Tune » et tout redevient joyeux et vivant. On a même de la pompe manouche !  

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             Attention à ce double album intitulé The Hidden Treasures Of Taj Mahal 1969-1973, car il renferme de la dynamite, et notamment un « Sweet Mama Janisse » enregistré en 1970 à Miami avec les Dixie Flyers qui étaient alors salariés par Jerry Wexler pour accompagner les artistes signés sur Atlantic. Cette version est littéralement explosive. Les Dixie jouent le groove de la cabane de Memphis, monté sur un riff préhistorique. C’est hallucinant de vermoulu. Il y a là-dedans tout le cajun, tout le rock et tout le banjo du monde, y compris le beat du diable. Taj en fait une pièce d’antho à Toto. Dans la même session, ils ont aussi enregistré « Yan-Nah Mamo-Loo » et on reste au cœur du rythme, on reste dans le cut de cot cot, c’est tellement énorme qu’on finit par raconter n’importe quoi. Taj souffle dans son harmo et Tommy McClure sort un drive de basse infernal. Quelle déballonnade ! Les Dixie Flyers font exploser le langage. Ils nous plongent dans les conditions ultimes du groove. Charlie Freeman gratte ses poux. Cette session est tellement bonne qu’elle efface complètement les autres rassemblées sur le premier disque. Le second disque est enregistré live au Royal Albert Hall. Taj ramène le bord du fleuve à Londres et gratte « John Ain’t It Hard » au banjo. C’est du pur « Love In vain ». Puis il reprend son fabuleux « Sweet Mama Janisse ». Jesse Ed Davis et d’autres mecs l’accompagnent. On retrouve l’histoire de cette woman qui come from Louisiana. C’est allumé dès l’intro. Voilà le hit du Taj. Alors il y va. Ils font aussi une version du « Diving Duck Blues » qui est sur le premier album. C’est sacrément troussé. Pas le temps de discuter, ces gens-là vont très vite.

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             Et puis Taj Mahal va égrener au fil des décennies une série d’albums pour le moins fascinants, comme par exemple Music Fuh Ya, paru en 1976. Il tape dans le vieux mythe du blues de train avec « Freight train ». Il envoie ses coups d’ahrmo sonner dans la nuit des temps. On sent que c’est gratté aux arpèges du diable. Aucun être humain ne sait jouer comme ça et les coups d’harmo instillent une certaine frayeur. Il passe au jumpy jumpah avec « Baby You’re My Destiny ». Ce coquin de Taj nous ramène à la Nouvelle Orleans. Il sait lancer les dés et provoquer le destin - Sugar & spice, you’re so nice - C’est terrible car pulsé à la pompe jazzy. La voix de Taj se pose là-dessus comme une cerise sur un gâtö. Wow ! Il part en virée jazz, mais pas le petit jazz du coin de la rue, non le jazz de Bob le baobab shooba dibah doo. Il enchaîne avec « Sailin’ Into Walker’s Cay », un merveilleux swing de groove du paradis des îles. De toute évidence, le but de Taj est de nous emmener là où il fait bon vivre. Puis il chante un groove universel intitulé « Truck Driver’s Two Step ». Oui, il chante ça à la purée de voix géniale. Il revient avec ses ahhh yeahhh et nous rappelle au passage qu’il est un grand sorcier.

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             Alors que les punks déferlent dans les rues de Londres, Taj enregistre la BO de Brothers. Ouverture terrible avec « Love Theme In The Key Of D ». On sent le Taj un peu édenté à la remorque du meilleur blues fruité d’Amérique. Un sax vient poivrer le cut. Terrible, car il traîne et se veut fantastique de tajerie épuisée sur les chemins de traverse - oh yeah sugar sweet - Taj joue le blues à sa façon. Ça donne un blues hanté par l’inspiration. Les gens devraient comprendre. Il faut apprendre à aimer Taj Mahal. Quand il chante « Brother’s Doin’ Time », il s’implique pour ses brothers les taulards. Puis il revient au groove de rêve avec « Night Rider ». Il joue ça à la Taj, forcément. Il en fait un groove joyeux et gorgé de bon jus - ooooooohhh - et c’est gratté aux guitares. Il revendique l’impossible liberté dans « Free The Brothers ». La liberté pour les esclaves ? Foutu d’avance ! Même lui, grand sorcier Taj Mahal, n’y comprend rien. Comment les nègres d’Afrique ont-ils pu accepter l’esclavage ? C’est tellement incompréhensible. Mais oui, tout simplement parce que les noirs sont supérieurs en tout : en danse, en rythme, en musique. Sauf en business, hélas. Ou tant mieux. Son « Centidos Dulce (Sweet Feelings) » regorge de jus d’exotica fantastico. Il termine cet album superbe avec « David & Angela ». Au bout d’un moment, Taj laisse tomber. Alors ça continue en instro. Il a raison de quitter le studio. Inutile de continuer à engraisser les blancs.

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             Evolution paraît la même année. Il attaque avec « Sing A Happy Song », un petit cut sautillant. Taj excelle dans la constance. On sent qu’il va bien. Il porte un chapeau blanc et une chemise hawaïenne. Il pose au dos de la pochette accroupi sur un rocher de l’île. Il connaît les bons coins. Pour « Queen Bee », il va chercher un son à cheval entre l’îlien et l’africain. Il s’amuse à brouiller les pistes pour mieux illuminer son groove. On tombe plus loin sur un énorme instro de groove intitulé «  Salsa De Laventille ». Il revient à ses racines avec « The Big Blues » - Lawd she’s fine as she can be/ She must like cherries hanging on a cherry tree - Taj Mahal est l’un des plus grands bluesmen de tous les temps - I love my babe/ better than I love myself - Il reprend tous les vieux poncifs du blues et leur redonne vie. Stupéfiant.

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             Dix ans plus tard, Taj refait surface avec Taj. Belle pochette avec un portait signé Robert Mapplethorpe. Il attaque avec du bon groove antillais, et un peu plus loin, il tape dans le groove musculeux avec « Do I Love Her ». Taj joue même les gros bras et tire sur ses syllabes pour les malaxer. Il leur fait rendre du jus. Comme c’est beau ! Son harmo revient même hanter le cut. Il parle de Muddy Waters, du blues de Chicago et il fait le Wolf en hululant. Fantistico ! Il connaît toutes les ficelles, ce qui pour un musicologue paraît logique. Il revient au groove des Caraïbes avec « Pillow Talk ». Il évoque une belle journée de bonheur - Oooh sugar baby - Taj sait rendre une femme heureuse. On entend un beau son de basse et un guitariste virtuose des îles, mais surtout cette voix cassée qui ensorcelle, la voix de Taj, reconnaissable entre toutes. Pure merveille et final à l’harmo. Taj Mahal a du génie. Et quand on écoute « Kasuai Kalypso », on songe à l’eau verte de la baie et à la frégate du Capitaine Flint qui s’y trouve ancrée.

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             Un an plus tard paraît Shake Sugaree, sous une pochette bleue et joyeuse. Dès le premier cut, « Fishin’ Blues », on sent l’air frais. Taj annonce le blues du pêcheur. Il joue au bord du fleuve sur sa vieille gratte gondolée. Il tricote et fait le talkin’ blues - C’mon down - Il connaît toutes les vieilles histoires à dormir debout. Avec « Light Rain », on a du pur jus de gros Taj. Il prend son cut sous le vent et gratte sa gratte africaine. Il crée les conditions d’un son profond, donc terrible. Ça vire à l’hypnotisme. Seuls les Africains savent fabriquer de l’hypnotique aussi raffiné. Il enchaîne avec « Quavi Quavi » - a song from Senegal/ from the fruit men - Bananes ! Melons ! Nous voilà en Afrique enchantée. Sur le morceau titre de l’album, il est accompagné par des gosses. L’enchantement se poursuit. En vaillant vainqueur, il joue le jeu du funk avec « Funky Bluesy ABC » et fait le con avec l’alphabet. Voilà encore un groove de niveau supérieur. Si on veut tomber de sa chaise, alors il fait écouter « Railroad Bill » - He was a character - Taj gratte ça en picking des enfers. Le dernier cut de l’album vaut lui aussi largement le détour : « Little Brown Dog ». Taj ramène le blues au bercail. C’est une tenace, un vrai bluesman de légende. Il s’éloigne en sifflant dès qu’il sent qu’on va l’embêter.

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             On trouve un cut génial sur Mule Bone  : « The Intermission Blues ». Eh oui, il incarne le blues primitif mieux que personne. Il le laisse macérer dans sa gorge et le pousse au uh-uh-uh, puis il se lâche. Taj Mahal reste un merveilleux swinger de blues qualitatif. En prime, il laisse filer un solo de rêve. On ne trouve ce genre de chose que chez Taj Mahal. Il transforme ses blues en merveilles absolues. Il sait driver le mythe. Il chante jazz avec des onomatopées er repart en solo de rêve. Personne ne songerait à chanter le blues ainsi. Il crée une véritable ambiance de jazz-blues transparente. Un rêve. Mais il adore aussi faire le con au bal du 14 juillet et danser avec le facteur Tati, c’est en tous cas ce qu’on entend dans « Song For A Banjo Dance ». Son boogie blues « But I Rode Some » part au tripe galop, bien content d’avoir mangé tant d’avoine. Avec « Hey Hey Blues », il plonge  les mains et son banjo dans le limon. Tous ces cuts restent incroyablement inspirés, surtout quand il les gratte au banjo. Il a toujours su réveiller les ardeurs du blues dans la fournaise des jours d’été. Et son « Shake That Thong » vaut pour une belle prise de bec. Les chœurs lui renvoient la belle haleine de phoque du honky tonk. Le dernier gros cut de cet album n’est autre que « Bound No ‘Th Blues », encore plus primitif que les autres. Ses interjections remontent à la nuit des temps. Son blues sonne comme un blues antique, mélodiquement envoûtant. L’ombre du temple plane sur ce disque magnifique.

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             Like Never Before est un album rattrapé par la mauvaise prod. Il faut attendre « Squat Hat Rabbit » pour retrouve le grand Taj libre, le Taj swingué aux castagnettes. Il crée là une sorte d’événement qui dépasse les abrutis de la prod. Taj leur montre qu’on ne peut ni le formater ni le commercialiser. Il échappe à toutes les cages et à toutes les chaînes. Il nous donne à savourer un joli jive et sur le tard du cut, il fait son Beefheart. Il balance aussi un jumpy jumpah à la mode de Kansas City avec « Big Legged Mamas Are Bad In Style ». Il reprend l’art des anciens. Puis c’est « Take A Giant Step ». Ouf ! Taj revient à ses racines et retrouve le dépouillé de l’Africana. Il erre seul au long du chemin de traverse. Fantastique. Il renoue avec la véracité du chant. Il respire par les trous de nez et chante avec détachement. Il se dégage du cut un énorme sentiment de solitude émerveillée - Take a giant step outside your mind - C’est d’une beauté poignante.

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             Encore un album dément avec Dancing The Blues paru en 1993. Célèbre pour ses nombreuses biographies (dont celles d’Etta, de Marvin, de Jerry Wexler et de Smokey,) David Ritz rédige les notes de pochette. Taj reprend « Hard Way » de T-Bone Walker. Pour Taj, T-Bone est le cat qui a inventé le « modern urban blues ». Taj se souvient de T-Bone et Lowell Fulson qui entrèrent un soir de 1968 au Whisky A Go Go. Eh oui les amis, il fut un temps où ces gens-là régnaient sur la terre comme au ciel. Il reprend ensuite « Going To The River » de Fats - part of the Afro American genius - Pour lui, ça sonne comme du Leadbelly. Il rend un fantastique hommage et c’est long comme un jour sans pain et pesant comme la barbe chargée d’or de Crésus. Attention, il invite Etta James à duetter avec lui sur « Mockingbird », un vieux hit d’Inez & Charlie Foxx. Taj rappelle au passage qu’il était amoureux d’Etta à l’âge de 13 ans - Etta was the mainline with Ma Rainey and Bessie Smith - Évidemment, c’est une version énorme, pétrie de génie humain. Etta tient tête à Taj avec une niaque fulgurante. Le pauvre Taj s’accroche comme il peut. Puis il rend hommage à Louis Jourdan avec « Blue Light Boogie » - Louis is the great master of the jump band genre. Also on of the most important precursors of rock n’ roll - Fantastico ! Et pour couronner le tout, Ian McLagan joue de l’orgue sur ce cut. Taj reprend ensuite « The Hoochie Coocha Coo » d’Hank Ballard - When I was a kid I must have worn out copies of that sucker ! I mean if this ain’t dancing the blues, nothing is - Mac est toujours là. C’est pulsé au sax et joué à la sauce de la Nouvelle Orleans. Quelle fantastique énergie ! Il rend ensuite hommage à Otis avec « Tha’t How Strong My Love Is ». On trouve plus loin deux autres perles rares : « Stranger In My Own Town » de Percy Mayfield, que Taj embarque au paradis. Il semble parfois ses situer au-delà de ce qu’on appelle vulgairement le génie. Il crée sa propre dimension. Puis il dédie « Sitting On Top Of The World » aus conducteurs de mules - That’s cause those hard headed mule drivers got to hear the beat chonking - et Taj fait claquer ses coups de dobro. 

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             Énorme album que ce Phantom Blues paru en 1996 ! Tout est bon là-dessus, il n’y a rien à jeter. Avec « Lovin’ In My Baby’s Eyes », Taj reste dans le vieux blues d’harmo sacrément chauffé au soleil et rootsy comme pas deux. Un véritable enchantement pour l’amateur de blues. Puis il embarque son « Cheatin’ On You » d’une manière incroyablement tonique. C’est bourré de swing jusqu’à la gueule. Et les énormités se succèdent, comme par exemple ce « The Hustle Is On », un jumpy doté de l’énergie du diable. On n’avait encore jamais entendu ça. Taj drive son cut à l’énergie maximaliste. Avec son orchestre de dingos, il lève l’enfer sur la terre. Les solos de piano et de sax pleuvent comme des boulets. C’est du pur élastomère de boogie. Absolument terrifiant. Puis Taj replonge sans le pire Deep blues qui soit avec « Here In The Dark ». L’invité s’appelle Clapton et il joue gras, l’animal. Voilà encore un cut hallucinant de puissance bluesy. Taj fait encore feu de tous bois avec « I Need Your Loving », un vieux classique explosif de jump blues et ça tourne à la monstruosité. Les filles envoient des chœurs terribles. Taj fait le con avec les cœurs d’artiche - Oh wo wo wo wo - Puis il tape dans l’« Ooh Poo Pah Doo » des Rivingtons et l’explose ! Taj explose tout. Il chante à la raclette de glotte. Il tape aussi dans Doc Pomus avec « Lonely Avenue ». Il connaît tous les bons coup d’Amérique. Il en fait un heavy blues stompé. Il enchaîne avec « Don’t Tell Me » et plonge dans le groove avec une audace qui l’honore - Don’t tell me baby - Il plonge carrément ses crocs dans le lard du vieux beat. Quelle démence ! Taj rivalise de grandeur groovy avec le Graham Bond ORGANization. Il continue d’enregistrer des albums extraordinaires. Nouveau tour de magie avec la fanfare de « What Am I Living For ». Puis il fait son Sam Cooke pour « We’re Gonna Make It » qu’il chauffe à blanc. Tu aimes le cajun ? Alors tu vas te régaler avec « Little Four Wind Blows », un hit de Fats qu’il remet en perspective. Il injecte une nouvelle énergie dans le cajun du diable. Il reste terrifiant de véracité, en toutes occasions.

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             Il nous refait le coup de l’album énorme avec Señor Blues. Taj porte son chapeau de cowboy et tient une National. Il gratte ses blues et chante à l’édentée. Il sort un « Irresistible You » salement swingué au big band. Pure tajerie ! Désormais, Taj Mahal s’impose comme le protecteur des arts et des lettres du blues. Le morceau titre sonne comme le groove des alizés. On sent planer un son de cuivres inconnus. C’est éclatant de classe jouissive. Il embarque son cut au jazz de grande marée. Les frissons montent, son cut se vit comme une aventure. Taj entre dans le groove avec une classe effarante. Il roule ses r de señor blues. Puis il nous entraîne dans un bastringue des années 20 pour « Sophisticated Mama ». Terrible. Certainement le pire ragtime de l’histoire. Tiens, voilà qu’il nous sort de sa manche un gros r’n’b : «  Oh Lord Things Are Getting Crazy Up In Here ». C’est joué à fond de train. Taj bousille l’overdrive. Un mec joue un solo de sax à 200 à l’heure. Lee Allen ne pourrait pas jouer aussi vite. S’ensuit une autre monstruosité, « I Miss You Baby », un heavy blues slappé et traversé par un solo de Wes Montgomery. Taj nous jazze ça à outrance. Puis il revient au groove juteux avec « You Racsal You ». Il plonge à nouveau dans l’historiologie du jump blues et envoie les chocolats. Rien d’aussi jouissif sur cette terre que ce jumpy jumpah joué à la stand-up. Retour au primitivisme à la Robert Johnson avec « Mind Your Own Business ». Il relaye ça au dixieland, alors on se prosterne devant tant de génie. Encore une pièce de choix : « 21st Century Gypsy Singin’ Lover Man ». Le blues de charme est l’une des spécialités de Taj Mahal. Ce mec fait des miracles depuis 40 ans et il continue - I’m like a fish in the water - Il accroche sa mélodie au firmament et il gratte sa National. On goûte la saveur de sa voix unique au monde. Voilà une énormité, du type de celles que l’on ne croise que très rarement. Tout est là, baby, dans la voix, dans le timbre, dans l’Africanité. Il finit ce disque avec deux hits de r’n’b dont une reprise tétanique de « Mr Pitiful ». Eh oui, Taj peut aussi chanter comme Wilson Pickett.

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             Par miracle, l’album suivant est peu moins génial. Ouf ! paru en 1998, Sacred Island sent bon les Caraïbes. Il suffit de voir Taj sur la pochette avec son chapeau blanc. Il chante « The Calypsonians » d’une voix graveleuse et il gratte savamment son banjo des îles. Franchement, on croirait entendre un vieux pirate qui a navigué sur tous les océans. Attention, la bête du disque s’appelle « Betty & Dupree ». Taj joue le blues des îles - Put your arms around me baby/ Like a circle around the sun - Une fois encore, il transforme ce blues en merveille absolue - Kiss me baby/ Right on my ruby lips - Jamais on ne trouvera ça ailleurs. Taj recycle les clichés du blues à l’infini, mais avec une chaleur et une coloration surnaturelles. Il n’est rien de plus inspiré en ce monde qu’un blues chanté par Tal Mahal. Autre merveille : « The New Hula Blues ». Il replonge une fois encore dans le lagon - You can call me on my cell phone/ But I’ll be out of reach - Il s’amuse bien et nous aussi  - Sweet mama sweet daddy/ Get the new hula blues - Et il hoquette à coups de menton.

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             Il enregistre Kulanjan l’année suivante avec Toumani Diabaté. Encore un album énorme. Avec « Queen Bee », il tape dans la pure Africana. Ramalou chante en duo avec lui et Toumani gratte son kora. Pure démence des racines. On bascule dans l’ère florentine de la culture africaine. Aw my God, c’est le vrai truc, la beauté d’avant le blues des plantations et des bagnes, ça coule de source. Pure magie blanche jouée par des noirs. Taj ne pourrait pas remonter plus loin dans la pureté des origines du blues. Le bord du fleuve, c’est l’Afrique. Ramalou est une fantastique chanteuse, elle apporte sa part d’animalité à la chanson. On goûte là une fois de plus au pur génie. Taj revient au groove avec « Ol Georgie Buck ». Il envoie la troupe. Ça tourne au stormer africain. Ils jouent avec des instruments préhistoriques. Ça yeah-yeah-yeahète dans l’Afrique d’avant les blancs. On entend le solo du démon des forêts, des claquements de mains. Taj fait danser ses ancêtres. Nouvelle éclate de kora avec « Kulanjan », le morceau titre, un vrai blues africain. On bascule dans une sorte de virtuosité indécente. Encore pire : « Guede Man Na », gratté à l’arrache d’une virtuosité qui échappe à toutes les normes. On reste au Mali et on échappe aux clichés. Les filles chantent comme dans un rêve africain. On entend deux koras. Voilà des virtuoses magnifiques. Grâce à Taj, on les entend jouer. Il reprend « Catfish Blues » et fait subir au cut de Muddy le traitement koranique. Ça devient terrible. On appelle ça un retour aux sources. Oui, car Muddy vient de là en droite ligne. C’est gratté à la régalade maximaliste. C’est d’un jouissif dont on n’a pas idée. Et ça continue ainsi jusqu’au bout du bout avec des exercices de virtuosité périlleux. Seul un musicologue averti comme Taj Mahal pouvait entreprendre un tel périple à travers le temps.

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             On retrouve Taj sur la pochette d’Hanapepe Dream avec une barbe blanche. Il ressemble désormais à un vieux nègre, mais il a la stature d’un héros. Encore un album fantastique, eh oui... C’est une idée à laquelle il faut bien s’habituer. Il attaqua avec un groove d’une violence terrible, « Great Big Beat ». Ça cogne au groove des îles - Oh daddy yo yo - Quelle puissance incroyable ! On aimerait bien croire qu’il s’agit là du beat des pirates. Il entre plus loin dans un balladif intitulé « Moonlight Lady » avec une incroyable pureté d’intention. C’est d’ailleurs ce qui le caractérise depuis le début. Il chante « Baby You’re My Destiny » avec la malice d’un vieux sorcier du blues. Entrer dans un album de Taj, c’est entrer dans la caverne d’Ali-Baba. « Baby You’re My Destiny » est une merveille, un cooky cook orchestré à la mode des années vingt, mais il utilise les ficelles d’un sorcier vaudou. Il shoo-bah-doo bah-boo-dee da-boo-bah-doote. Il tournicote ensuite une version antillaise de « Stagger Lee ». Comme c’est un standard, il en fait une version spéciale, type mambo pressé. Il nous entraîne au cœur de l’exotica avec « My Creole Belle » - My creole belle I love her well/ My darling baby my creole belle - Taj transforme ce classique des îles en pur chef-d’œuvre. Il en fait un hit de stomp. Surprise de taille avec une reprise d’« All Along The Watchtower ». Il se lance sur les traces de Jimi Hendrix - No reason to get excited - Il le prend au beat des îles - Yeah all along the watchtower/ Princess kept the view - Évidemment, Taj Mahal ne peur pas en faire autre chose qu’une version démente - And the wind began to howl hey - Nous voilà au cœur de la mythologie. Taj Mahal se dresse parmi les géants de la terre.  

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             Maestro date de 2008. God, quel album ! Il démarre sur une reprise de Slim Harpo, « Scratch My Back ». Le son explose les tympans. Magnifique d’intentionnalité. Mais le baston du son nuit à l’entame de l’original. Il joue « Dust Me Down » avec Ben Harper et ça tourne au r’n’b enflammé. Voilà un blues rock digne des grands du genre. Retour au blues traînard avec « Further On Down The Road ». Taj le gratte au banjo et ça devient affolant de classe. C’est le Taj qu’on adore entendre, sous la pluie chaude d’un été de blues. On entend des coups d’harp et Taj chante de sa belle voix intermédiaire. Retour de Tounami Diabaté pour « Zanzibar ». Angélique Kidjo fait aussi partie de l’aventure. Son énorme. Ça ruisselle de jus africain. Los Lobos accompagnent Taj sur « TV Mama » et ça vire heavy blues. George Porter des Meters accompagne Taj sur « I Can Make You Happy » et là, on ne rigole plus. Si tu aimes les très grands disques, c’est là que ça se passe. Ivan Neville nappe ça d’orgue, et Taj chante avec une certaine mauvaiseté, quasiment comme un punk. Pas compliqué : il sonne exactement comme Captain Beefheart. On le croirait accompagné par les Downliners Sect. Pur génie punk. Taj Mahal est un démon. Il ne se calmera jamais. Plus loin, il reprend le fantastique « Hello Josephine » de Fats et en fait une version surnaturelle. Il fait son Wolf dans « Strong Man Holler ». Il termine ce disque épuisant avec un hommage à Bo Diddley et à Big Dix : « Diddy Wah Diddy ». Version terrible, mais on préfère nettement celle de Captain Beefheart.

             Infatigable, Taj Mahal continue d’explorer les rootsy roots. Comme il le dit si bien lui même : « Even at my age, I’m always fiding something new ! »

    Signé : Cazengler, Mahal embouché

    Taj Mahal. Taj Mahal. Columbia 1968

    Taj Mahal. The Natch’l Blues. Columbia 1968

    Taj Mahal. Giant Step/De Ole Folks At Home. Columbia 1969

    Taj Mahal. The Real Thing. Columbia 1971

    Taj Mahal. Happy Just To Be Like I Am. Columbia 1972

    Taj Mahal. Recycling The Blues & Other Related Stuff. Columbia 1972

    Taj Mahal. Sounder. Columbia 1972

    Taj Mahal. Ooooh So Good ‘N Blues. Columbia 1973

    Taj Mahal. Mo’ Roots. Columbia 1974

    Taj Mahal. Music Keeps Me Together. Columbia 1975

    Taj Mahal. Satisfied ‘N Tickeld Too. Columbia 1976

    Taj Mahal. The Hidden Treasures Of Taj Mahal 1969-1973. Sony Music 2012

    Taj Mahal. Music Fuh Ya. Warner Bros. 1976

    Taj Mahal. Brothers. Warner Bros. 1977

    Taj Mahal. Evolution. Warner Bros. 1977

    Taj Mahal. Taj. Gramavision 1987

    Taj Mahal. Shake Sugaree. Music For Little People 1988

    Taj Mahal / Lyrics Langston Hughes. Mule Bone. Gramavision 1991

    Taj Mahal. Like Never Before. Private Music 1991

    Taj Mahal. Dancing The Blues. Private Music 1993

    Taj Mahal. Phantom Blues. RCA Victor 1996

    Taj Mahal. Senor Blues. Private Music 1997

    Taj Mahal. Sacred Island. Private Music 1998

    Taj Mahal. Kulanjan. Hannibal 1999

    Taj Mahal. Hanapepe Dream. Tone Cool Records 2001

    Taj Mahal. Maestro. Heads Up International 2008

    Classic Rock #203. November 2014. Rising Son by Rob Hugues

     

    *

    Vous êtes gâtés, deux groupes que nous aimons bien dans la même chronique, l’on fait attention à ne pas vous emmêler la comprenette, on parlera de chacun des deux séparément. Pour la préséance l’on n’a pas choisi l’ordre alphabétique même si ça en a l’air.  D'abord le plaisir, ensuitte la nostalgie.

    HOWLIN’ JAWS

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             Regardez jusqu’où se love notre magnanimité, nous sommes obligés de parler d’un de nos concurrents pour évoquer les Howlin’, pas de n’importe lequel, ce mois de décembre 2023 z’en sont à leur numéro 675, nous dépassent un peu, mais on les rattrape, pourtant ils ont commencé presque un demi-siècle avant nous, nous en sommes au 624, dans deux ans on les aura dans le rétro !

             Si vous ne les reconnaissez pas c’est que vous êtes total miros, les Howlin’Jaws en première de couverture, très rare, un honneur pour un groupe français !

             Pour la petite histoire rappelons qu’au mois de novembre notre Cat Zengler nous chroniquait, livraison 621, leur dernier concert dans la bonne ville de Rouen, z’ont toujours été chaud dans ce bled depuis qu’ils ont brûlé la petite Jeanne de Domrémy, non je vous rassure le Cat n’y est pour rien, par contre ensuite il vous explique pourquoi vous avez intérêt à vous procurer leur premier et trois derniers opus.

             Les esprits chagrins renâcleront, chicaner entre Novembre et Décembre c’est mesquin. Certes mais alors reportez-vous à notre livraison 85 du 11 février 2012, oui je sais, voici plus de dix ans, les Howlin’ en concert avec les Spykers et Nelson Carrera, juste dix ans d’avance.

             Nos lecteurs assidus en connaissent un bout des Jaws, nous avons assisté à plusieurs de leurs prestations, oui même celle où ils arboraient fièrement une hélice sur leur casquette, nous avons écouté leurs 45 tours, nous avons commenté quelques uns de leurs clips, et nous vous avons emmenés à l’Olympia, sur France-Inter, au théâtre lorsqu’ils assuraient la partition musicale d’Electre des Bas-Fonds de Simon Abkarian… alors franchement nous nous jetons sur l’article.

             Chance sont tombés sur Isabelle Chelley. Nous avons aussi écrit une belle chronique d’amour sur Isabelle Chelley, mais ceci est une autre histoire.

    Consciencieuse l’Isabelle, les a suivis partout, une véritable groupie, en plus ils n’arrêtent pas de se déshabiller, l’a assisté au tournage du clip de ‘’ Lost song’’, elle cause en connaisseuse de leur parcours, sans oublier de leur laisser la parole, elle ne chipote pas sur leur dernier disque, tiens ils se sont servis de l’Intelligence Artificielle pour la pochette, mais ils y ont appliqué une bonne intelligence neuronale. L’écrit bien Isabelle, vous pouvez la suivre jusqu’au bout du monde, elle vous emmènera jusqu’aux Howlin’Jaws.

    POGO CAR CRASH CONTROL

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             Sont pas fous dans Rock & Folk, à la suite des Jaws ils mettent à l’affiche cinquante groupes français. J’avouons qu’il y en a beaucoup dont on ignore superbement jusqu’à leur existence, je fais un test, j’ouvre au hasard page 65, Komodrag and the Mounodor et Mad Foxes, inconnus au bataillon, mais Johnny Mafia et les Lulies pas de problème on les a déjà vus. Ouf ! L’honneur est sauf !

             Avant de refermer je vérifie l’impossible, voir s’ils les auraient oubliés. Non, par contre un trop court entrefilet. Méritent beaucoup plus, mais ils ne font que confirmer ce qu’ils ont déjà annoncé le 26 octobre dernier sur leur FaceBook.

             Encore un concert à Calonne le 16 décembre pour clôturer l’année. Puis un autre le 30 / 01 / 24 à La Mécanique Ondulatoire, un autre le 31 au Supersonic et un ultime à la Maroquinerie le 03 / 02 /24. Et après ?

             Font un break. Sept années de bons et loyaux services au rock’n’roll, Un Ep, trois albums, et 700 concerts, le besoin de reprendre souffle s’est fait sentir. Il ne suffit pas de dire que le Pogo est un des meilleurs groupes de rock de France, il n’y a qu’un seul mot qui puisse les définir : la folie. Nous les avons suivis, concerts, disques, vidéos et projets parallèles, nous n’avons jamais rien regretté.

             Nous espérons qu’ils reviendront. Vite. Très vite. Le rock ‘n’roll n’est pas un plat qui se mange froid. Quoi qu’ils fassent nous les remercions pour toute cette joie qu’ils ont apportées à des milliers de fans.

             Il est des matins gris qui s’illuminaient lorsque subitement surgissait l’idée salvatrice : ‘’ Pas grave si le monde ne tourne pas rond tant que les Pogo Car Crash Control existent ! ’’

    Damie Chad.

            

    *

             J’avoue que je garde 24 heures sur 24, un neurone spécial led en éveil dans mon cerveau. Pas d’erreur, ce n’est pas pour que ma réflexion soit tout le temps éclairée, je ne parle pas de ces nouvelles lampes économiques que l’on a achetées pour remplacer les ampoules traditionnelles très chères et propagatrices d’une lumière ombreuse, non juste un signal d’alerte qui m’avertit dès que quelque part il est fait une allusion quelconque à Led Zeppelin.

             J’ai violemment sursauté lorsque j’ai aperçu cette pochette : carambar mou, si ce n’est pas une réplique du Led Zeppe III, c’est que je suis devenu complètement gâteux. Jugez-en par vous-même !

    BANDSHEE III

    BANDSHEE

    (Numérique Bandcamp - 30 / 11 / 2023)

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            Ne pensez pas à Siouxsie and the Banshees, elle et ils n’y sont pour rien. The Bandshees se présentent comme un retro stoner band from Louisville située au nord du Kentucky.  Sont quatre : Romana Bereneth : lead vocal, guitare / Stephen K. Phillips : guitar / MacCammon : bass / Chris Miller : drums.

    Black cat : je ne sais pas si vous voyez exactement ce que c’est que du rétro stoner, je peux facilement éclairer votre lanterne, c’est du foutu rock’n’roll, vous allez aimer je vous le jure, grosse guitare, batterie endiablée, éclats cordiques et surtout Romana, z’avez tout de suite envie d’être un chat noir et de lui manifester votre admiration en se frottant à ses jambes,  question lyrics elle doit être manichéiste, vous rencontrez et Jésus et le Diable, en ces moments vous comprenez pourquoi le drummer bouscule et bascule le monde de ses baguettes magistrales, elle chante comme une maîtresse femme, elle maîtrise sec et se joue de vous. L’a été traversée par les radiations du chat noir, elle vous en fait profiter. Un hit. Bad day : moins sauvage que le précédent, lorsque Romana ouvre la bouche de son vocal poisseux elle vous indique que vous êtes au mauvais endroit au mauvais moment,  tout de suite elle hausse la voix, attention aux balles perdues, derrière ils vous miment un mélodrame glauque, le genre de morceau dans lequel il vaut mieux ne pas s’aventurer, dès que vous faites un pas le serpent noir du doute se faufile sous vos pieds, ça fonctionne comme un polar gris, ça sent le linceul et le motel abandonné au bord de la route, film à suspense suffocant, heureusement que de temps en temps Romana hausse la voix, vous avez au moins l’impression d’être encore vivant. Parties musicales rutilantes. Sex on a grave : là c’est vraiment grave, ni l’éros ni le thanatos, c’est ce blues qui tangue entre les deux, cette guitare qui s’insinue en vous, cette batterie qui culbute vers le néant, cette basse qui résonne et happe, Romana vous pousse à vos dernières extrémités, elle minaude, elle hurle, elle énonce, elle répand le chaud et le froid, elle tord et elle mord les désirs les plus inavouables.

    Play loud ! Tout simplement un EP rock. De taille et d’estoc. Pour la petite histoire le rapport avec la pochette du Dirigeable n’est pas évident, est-ce vraiment important ?

             Si bon que l’on court vers le premier EP du groupe :

    CURSE OF THE BANDSHEE

    (CD via Bandcamp / Décembre 2022)

    Surprise. Changement d’ambiance, est-ce le même groupe : Romana Bereneth : lead vocal, guitare / Stephen K. Phillips : guitar / Nick Beach : drums / Beverly Reed : flûte, saxophone, vocals / Jason Groves : bass.

             Artwork aux antipodes du précédent. D’Ashley Sego. Une toile, un tantinet médiévale par le sujet représenté, une sorcière, toute de blanc vêtue brûlée vive, deux moines habillés de noir devant le bûcher deux autres personnages de noir vêtus, sont-ce des femmes, seraient-elles victimes de convulsions hystériques, danseraient-elles une danse sabbatique… Une seule certitude, celle dont le bas de la robe est attaqué par les flammes possède une longue chevelure qui n’est pas sans rappeler celle de Romana Bereneth. Romana a écrit les textes de cette malédiction de la sorcière.

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    Black Magic : musicalement l’on est très loin de l’Ep qui a suivi. Intro acoustique, bientôt suivie d’un background plus appuyé, mais cette flûte incessante qui accompagne tout du long le morceau comme une sinueuse langue de feu nous oblige à penser à certains opus progressive-rock à la Jethro Tull, mais rupture drummique et voix vindicative de Romana  nous éloignent de cette piste, dynamisme et harmonie certes, mais aussi  violence gothique souterraine et exacerbée. Il existe aussi une official vidéo de ce morceau qui met en scène avec une très grande fidélité les lyrics. L’entrée, lent cheminement au travers d’une forêt sans savoir où l’on va, est très réussie. Les sorcières sont belles et inquiétantes. L’ensemble ressemble à un début de film. A petit budget mais à grosse impression. Curse of the bansshee : ça démarre comme le précédent, la flute encore, toute une ambiance, la voix de Romana batifole sur la rythmique, étrange différence entre la noirceur des lyrics et ce vocal souverain qui semble se jouer de la situation jusqu’à ce que sa colère éclate, l’on ne sait plus si c’est la sorcière qui est maudite ou si c’est elle qui lance sa malédiction depuis la mort. Guitare apocalyptique en final. Vous avez écouté, vous pouvez voir aussi l’Official Lyrics Vidéo, particulièrement réussie, basée sur le même principe que la précédente, belles images explicites qui assombrissent davantage le mystère qu’elles ne le dissipent.  Diamonds on your prime : toujours cette entrée primesautière et puis ce ramdam sonore et la voix de Romana qui articule et plane au-dessus de la mêlée. Elle essaie d’avertir cette femme du danger, mais d’où parle-telle, a-telle déjà connu cette situation, ou possède-t-elle, pourquoi et comment, une connaissance supérieure, à moins que ce soit elle-même qui parle à elle-même, lyrics terriblement ambigus, par sa rectitude la musique semble les démentir, oh ! ce long pont qui enjambe un ruisseau d’eau pure, la voix de Romana, froide, déterminée, un couteau tranchant de blizzard sans concession. Si vous ressentez un malaise, c’est normal. Une vidéo esthétiquement très différente des deux premières, montées à partir d’images un peu ringardes de vieux films, pour que l’on s’aperçoive que toute existence est par nature vintage car soumise à l’apocalypse mortelle que nous détenons en nous, telle une bombe nucléaire qui n’attend que son heure programmée pour exploser.  Forgotten daughter : entrée fracassante, Romana souveraine, tiens cette manière de poser la voix en début de morceau évoque Led Zeppelin mais je vous avertis : pas de rêverie romantique, même pas romanantique, elle n’est pas une jeune fille naïve qui croyait que tout ce brillait était de l’or, elle est la suzeraine, elle a traversé l’épreuve de la mort, elle est morte, elle a survécu, elle parle d’ailleurs, elle parle de désir impossible, est-ce son corps qui se balance sous l’arbre au pendu. Fort. Poignant. Emouvant. Une vidéo créée par Romana, d’animation, un dessin animé à moitié métaphysique, Une méditation ontologique sur la nature de la femme et de la mortalité humaine. Très beau, très réussi, très original.  Woman 4 sale : (Jake Reber : bass, backing vocal) : un morceau rentre-dedans qui se rapproche de l’Ep qui suivra. Lyrics trop directement féministes, les femmes sont à vendre, Romana joue le rôle d’un formidable commissaire-priseur. Lyrics cousus de fil blanc, dénonciation de l’exploitation sexuelle de la femme, en arrière-fond marché d’esclaves, les quatre premiers titres parce qu’ils sont davantage mystérieux, parce qu’ils jouent sur la peur victimisante que les hommes ressentent face à l’inquiétante puissance sorciérique de l’être féminin forment un tout… Bien sûr une lyric video. Une pub, qui dure cinq minutes, vous ne pouvez détacher les yeux de l’écran, tellement c’est excitant, tout ce qu’il faut jusqu’au symbole freudien du robinet à sperme écumeux qui n’en finit plus de couler, rockabilly pin up en pleine action, encore une idée de Romana, plaisante comme tout, oui mais elle en dit plus sur notre monde avec la rutilance joyeuse de ces images que bien des penseurs attitrés de nos réseaux médiatiques…

             Curse of the Bandshee était un tout autre projet initial que Bandshee lll, que s’est-il passé au juste entre ces deux enregistrements ? Ou alors est-ce que Romana et Stephens sont les deux têtes pensantes et agissantes de Bandshee  qui ont pris pour le deuxième opus le titre III du troisième album de Led Zeppe pour signifier qu’ils n’entendent point se répéter à chaque nouvelle création. Que nous offriront-ils pour leur troisième album ? A quelle surprise devrions-nous nous attendre…

             Pour être tout à fait franc, sur leur site vous pouvez écouter une longue interview de près d’une heure, Romana rieuse comme une mouette, Stephen au look intello, juste un problème, je dois être rétif à l’accent du Kentucky, je n’ai rien compris !

             Quelques explications tout de même : à l’origine Bandsheee était un projet folk-rock, jusqu’à ce que Stephens s’aperçoive que Romana, bien qu’âgée d’une trentaine d’années ignorait tout de l’existence de Black Sabbath… et de tout ce qui s’en suivit. Bref Romana se convertit au doom ! Ceci explique cela, disait Victor Hugo, par exemple que le dernier morceau de Curse of the Bandshee soit une reprise de Lunar Funeral ( voir Kr’TNT ! 517 du 30 / 06 / 2021.

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             Sur le site de Bandshee vous pouvez aussi voir plusieurs vidéos du groupe sur scène. Je ne vous offre qu’une photo de Romana et de sa chevelure, attention, n’y montez pas, ce n’est pas Rapunzel que vous rejoindrez mais la sorcière Bandshee !

    Damie Chad.

     

    *

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    Nous croyions en avoir fini avec notre chronique sur Bandshee, certes nous nous étions dit que nous y retournerions mais pas si vite. Il y avait encore ce dessin, la plupart du temps sur Bandcamp les groupes mettent leurs photos, certains se contentent de leur logo, mais là ce dessin qui n’est pas sans évoquer la pochette de Bandshee III, est crédité, piste instagrammique, à Mollyoakus, qui nous renvoie à Molly Broadhurst pour finalement parvenir à :

    MOLLY’S MIDNIGHT VILLAINS

            Seriez-vous surpris si je vous dis que nous avons affaire à un groupe basé à Louisville dans le Kentucky. Se définissent en toute simplicité comme un groupe de folk sorcièrement alernatif.

             Ne sont que deux. Si vous les croisez dans la rue vous les remarquerez. Z’ont un look étudié. Se ressemblent tous les deux. Parfois vous aurez du mal à discerner lequel est le garçon, laquelle est la fille.  Des mécheux qui n’ont pour coiffure qu’une seule grosse mèche de cheveux qu’ils inclinent et tordent dans tous les sens, un peu comme ces clignoteurs turgescents des anciennes 203 pour les amateurs de vieilles voitures françaises, un véritable effet (de langue de) bœuf. Parfois ils s’amusent à la teindre en couleur flashy. Par contre s’habillent le plus souvent en noir.

             Molly Broadhurst : vocal, rhythm guitar / Tom Crowley : lead guitar.

     Z’ont manifestement choisi leur nom de scène : Molly l’imprécatrice ( pas mal pour une sorcière ) quant au patronyme Crowley de Tom, il rappellera à nos lecteurs les nombreuses traductions effectuées par Philippe Pissier des ouvrages d’Aleister Crowley ( pas plus tard que dans notre livraison 621 du 23 / 11 / 2023 ) que nous chroniquons systématiquement.

    OUTLAWS WITCHCRAFT

    (Vinyl / CD / Juin 2021)

    Pour le deuxième anniversaire de cet album, Molly a préparé un livre d’artiste comportant collages, paroles des chansons et sigils. Nous renvoyons, en ce qui concerne les sigils nos lecteurs à nos chroniques des deux premiers livres d’Austin Osman Spare (Anima Editions) traduits par Philippe Pissier.

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    In througt the mirror : bruits suspects, une acoustique qui descend ses gammes, instrumental pour l’ambiance, qui s’épaissit, qui s’assombrit lorsque retentit les effets de voix de Molly, on ne peut pas dire qu’elle cherche à l’éclaircir, juste poser un point noir sur une page blanche qu’elle transformera en une ligne initiatrice dans les titres suivants.  En moins de deux minutes vous êtes dans une réalité légèrement décalée. Doin’ fine : l’acoustique tricote dur, toute la magie dans le timbre de Molly, elle chante peut-être, nous dirions plutôt qu’elle parle toute seule, à elle-même et au reste du monde. Tout va bien. Enfin presque. Toute remuée à l’intérieur. Elle ne veut plus se souiller au contact de qui que ce soit. Elle a besoin de cette espèce de virginité qu’il faut entendre comme un refus de pactiser non pas avec l’autre, mais chose plus subtile avec la notion d’autre. Quelle opérativité peut-on avoir sur le monde si c’est lui qui entre en vous. Pour les parties extravagantes de guitare de Tom, vous serez comblé. Two cards reading : deux cartes à lire. Elles ne sont pas routières. Même si celles-ci annoncent aussi le chemin proche. Guitare éclatante mais presque en sourdine, Molly décrit ce qu’elle voit, une tempête monocorde dans sa voix, les lyrics ont la force d’un drame shakespearien, restons français pensons à cette tour abolie de Gérard de Nerval, par quel feu a-t-elle été détruite, et pourquoi le roi n’a-t-il pas deux fois vainqueur traversé l’Achéron. Superbe. Crawl back to the light : un semblant de groove compressé de la part de Tom, la voix de Molly aussi tranchante que la lame de guillotine, Tom s’enfuit dans un pickin’ espagnol, alors Molly hausse le ton toujours implacable, elle semble nous raconter une histoire à la Lovecraft mais de fait elle aborde un sujet bien plus grave celui de la survie par le nom, pensez à une formule magique, et aussi à Victor Segalen dans Briques et Tuiles ou Stèles, à ce nom qui doit être à tout prix conservé mais caché pour ne pas courir le risque de mourir définitivement si quelqu’un mal approprié s’en emparait. Takin’you into the moon : la guitare roucoule bellement, Molly prend sa voix de tourterelle la plus douce même si de temps en temps elle ne peut s’empêcher de s’envoler vers la lune ou le paradis, une chanson d’amour, la joie d’être à deux protégée du monde dominé grâce à cette armure de dualité qui nous enserre, nos sorciers deviendraient-ils humains trop humains, heureusement qu’il y a ce serpent qui vient bénir leur union, peut-être sont-ils comme la queue et la bouche du reptile qui se suffit à lui-même. A little like me : encore plus rond, encore plus doux, l’espoir de ne pas être comme les autres et de trouver enfin l’âme frère, les doigts de Tom babillent et émettent de jolies broderies sonores, elle pétille, sifflements pas ceux du serpent, Molly toute molle de promesses et de prophéties, elle n’est pas ce qu’elle semble être, mais qui est-elle au juste… Over the rooftops we go : la guitare claironne à l’espagnole, le ton de Molly a changé, l’interlude amoureux s’achèvera-t-il en queue de poisson… elle veut et elle ne veut plus, elle doute de l’autre, Tom joue au picador et au torero pour la maintenir en de bonnes dispositions, mais sa voix s’envole vers les hauteurs, elle ne sait pas, elle ne sait plus, elle sait qu’elle ne sait pas. La traversée des miroirs n’est pas une sereine aventure nous a avertis Jean Cocteau. Why are you so far away : Tom discret, il se contente de tisser une couverture qu’elle foule des pieds, il n’est pas venu, ce n’est que partie remise, nous dit-elle, elle a autre chose à faire, une fois qu’elle aura vaincu le temps, Tom fait flamber sa guitare, les promesses rendent les fous joyeux, il est curieux d’entendre comment sur ces trois derniers morceaux Molly n’utilise plus son timbre métallique si tranchant, son chant s’apparente un peu aux chanteuses de bluegrass. Peace with the Devil : beaux arpèges, une sorcière sans imprécations aux esprits et au Devil c’est déroutant, Molly récite ses litanies, elle aimerait faire la paix avec le diable, mais ces mots veulent-ils, peuvent-ils dire quelque chose, timbre glaçant, elle marche pieds nus sur le fil de l’épée. Vous qui êtes tombés, nous qui sommes tombés, qui nous a poussés. L’Un ou la Dualité ? October : un bruit comme de l’eau qui coule, puis une guitare crépitante comme un feu dans la cheminée, une ballade froide, la voix qui n’arrive pas à se réchauffer, l’indécision de ne plus savoir, d’être ailleurs, et de désir de savoir, et d’être là-bas, Tom nous fait le coup de la rockstar qui fait gémir sa guitare, l’extase ne suffira pas, même si la voix s’adoucit un moment, elle retourne à cette atonalité ambigüe, marque d’une terrible déréliction. Tiraillements douloureux entre deux plans de réalités.     

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    Sur disque c’est toujours bien, donc voici un enregistrement live de Doin’ fine enregistré à la Saint Cat’s Sound House :  une quinzaine de personnes confortablement installées en de moelleux fauteuils, n’était-ce la batterie inoccupée derrière les artistes on se croirait chez soi, intérieur bourgeois-bohème soupçon fin de siècle (non pas le précédent, l’autre avant), tous les deux debout, habillés de noir ce qui éclaircit encore plus la blancheur gothique de leur épiderme. Sur les avant-bras de Molly, ce ne sont point d’énormes sangsues à queues multiples qui boivent son sang mais des tatouages mastoc, l’’on pourrait écrire une thèse sur l’art dont elle s’en sert sur certaines vidéos du groupe, avez-vous remarqué que 99, 99 % des tatoués n’usent jamais de leurs décalcomanies, je suis sûr que les japonais doivent avoir un mot pour désigner cet art, ne nous égarons point revenons à Molly, à ses yeux que le fard étire, à sa voix imperturbable que rien ne saurait arrêter. Vous cingle le visage avec le mot fuck comme vous ne l’avez jamais entendu. Je me demande comment Tom peut voir sa guitare avec sa mèche qui oblitère son œil gauche, de temps en temps il la chasse pour jeter un regard inquiet sur Molly qui ne s’en aperçoit même pas. Elle a raison, c’est aussi net, précis et sans bavure que sur disque.

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    Wolf : Music Vidéo : quand vous dites pierre précieuse vous ne tenez pas cet artefact dans votre main mais vous employez des mots qui la désignent mais qui ne sont en rien ni une pierre ni précieux, c’est idem pour cette vidéo : les lyrics nous content une scène de lycanthropie, profitons-en pour saluer Marie de France, pas la moindre queue de loup ( même empaillé) dans le clip  simplement Tom et sa nana ( je n’ai pas pu résister à ce mauvais jeu de mots intraduisible), images en blanc et noir,  sauf la mèche de Molly teint d’une jolie couleur renardière, sont dans un bois, Molly se glisse entre et contre des rochers, une merveilleuse symphonie de gris, donc pas de mutation génétique ni loup sauvage, vous n’en avez aucun besoin, toute la force de la scène invisible est transcrite par l’impact du vocal, quelle chanteuse, quelle interprète ( quelle autrice aussi ), elle chante l’innommable, la cruelle innocence de cette bestialité sauvage est si durement exprimée que vous fermez les yeux pour ne pas la voir.

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    Two cards reading : Music Video :  sépia rituel.  Tous deux dans les bois. Immobiles en pleine nature. Cette fois elle a teint sa mèche du rose de l’aurore. Ils chantent tranquillou. De temps en temps une main dessine des sigils. Puis calligraphie des paroles sur une feuille blanche. Plus tard les sigils seront découpés et brûlés sur un autel, sous un œil pyramidal insensible. Rien de bien spectaculaire. Ce n’est pas la théâtralité du geste qui compte mais l’effet qu’il produira. Sur vous. Si vous en êtes digne.

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    Strange, strange friends : Lyrics Video : économie de moyens, trois dessins qui se battent en duel, n’en faut pas plus pour entrer dans l’ambiance, un corbeau, un chat noir, un squelette, vous n’espérez pas tout de même que l’on va vous faire revenir Edgar Poe uniquement pour votre petit plaisir. Concentrez-vous sur cette guitare sèche, entre nous soit dit si vous décrétez qu’elle est country vous n’aurez pas tout à fait tort, une scène de beuverie dans un estaminet quelconque. Un peu inquiétant tout de même, malgré l’humour si blues des paroles, d’ailleurs le costume rayé si ça ne vous dit rien, marchez jusqu’au prochain carrefour. C’est tout de même fou le nombre de morts qui circulent incognito parmi les vivants.  Une pincée d’humour dans la voix si naturelle de Molly. Ne cherchez pas ce qui occasionne ces frissons le long de votre colonne vertébrale.

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    Taking you up  into the moon : live From the Midnight Lair : décontracté, ils sont chez eux, dans leur terrier, elle est en jeans et en chemisier bleu, y a un boa sur le canapé, à son air sympa et débonnaire il ne fait pas peur. J’oubliais le troisième homme (ou femme, cochez la case que vous voulez), une tête de mort, c’est leur côté Et in Arcadia ego, et moi aussi en Arcadie si vous avez séché vos cours de latin. De toutes les manières, il ou elle est toujours avec vous, vous accompagne partout, jusque dans le cercueil. Ne soyons pas triste, c’est une chanson d’amour, spécialement écrite pour une personne particulière expliquent-ils sous la vidéo sur YT, sont gentils tout le monde peut s’y reconnaître affirment-ils. Elle a le sourire aux lèvres quand elle chante, difficile d’apercevoir celui de Tom, surveille sa guitare comme le lait sur le feu, j’ai choisi cette vidéo car l’on voit bien l’agile gymnastique giratoire de ses doigts.

             Nous reviendrons les visiter. Z’ont un son, un look, un univers, des idées, un concept qui n’appartiennent qu’à eux. Un deuxième album et des morceaux isolés. Le seul truc qui m’étonne c’est qu’ils ne soient pas davantage célèbres. Signe d’authenticité.

    Damie Chad.

     

     

    *

    Chic un groupe de Tolède, ninitas desnudas, puros espuantosos y toros de sangre y carne (c’est ainsi que les espagnols traduisent sex, drugs and  rock’n’roll) enfin la fiesta païenne, merci Damie. Ne me remerciez pas, nous ne partons pas en Espagne, mais dans la grande Amérique, dans l’Ohio pour être géographiquement précis.  Pas grave Damie, les Ricains le rock’n’roll ils connaissent. Z’oui mais là s’agit d’un truc non identifié, un gribouillis sonore informe et infâme… Toutes les chances que vous ne soyez pas épanouis après avoir subi ce tintouin (sans Milou)  inouï dans votre ouïe.

    THOROUGHBREDS

    SOG CITY

    Qui sont-ils : deux gars difficiles à identifier : Jason et Nick. Quoi qu’ils jouent on ne sait pas. Un indice sur le troisième homme qui doit être une femme puisque qualifié(e)) de l’adjectif beautifull, un(e) certain(e)) J. C. Griffin, inexplicablement son nom est suivi d’un instagram qui renvoie à un dessin animé canadien, Lake Bottom pour ceux qui connaissent, enfin Pat Peltier s’occupe du saxophone.

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    Lollygagger : attention ça va commencer, juste un détail que j’ai omis par inadvertance, ce n’est pas la musique qui est étonnante, vous savez avec les groupes noise il est nécessaire de s’attendre à tout, ce sont les lyrics, donc un truc inaudible mais sans plus, perso je trouve cela plutôt agréable, très vite les trois coups du destin, qui se répètent à la cadence d’une marche militaire, l’on sent qu’un évènement grave se prépare, erreur, il s’est déjà déroulé, z’avez intérêt à vous munir d’un stéthoscope pour saisir la voix, trop tard tant pis, pour vous, nous font le coup du riff poussif interminable, genre métro fantôme qui refuse obstinément de s’arrêter à la station où vous l’attendez, par deux fois six secondes le gargouillis incompréhensible vous donne un dernier indice incompréhensible. Dans l’esprit ça ressemble un peu, beaucoup, à la folie, aux Mamelles de Tirésias d’Apollinaire, pour les faits incontestables il y a un cadavre, est-ce lui qui parle entre ses dents agoniques ou un enquêteur qui en privé morigène dans sa barbe (évidemment rien n’indique qu’il soit barbu) si vous réfléchissez un peu trop vous finirez par décréter que ce sont les deux. Aurais-je le droit de vous faire confiance ?  Fool’ s Errand : c’est  complexe vous êtes perplexe, concrètement nous abordons la diagonale du fou, jeu dangereux, souvenez-vous de Nabokov, poum-poum ça repart, très vite c’est un peu cacophonique et même cacaphonique, au loin il y a un gars qui présente un numéro de cirque, apparemment un lion qui ayant bouffé son dompteur et ne sachant pas quoi faire se met avec ses grosses pattes à jouer du piano, y’a un musicien sur l’estrade qui se dit qu’il vaut mieux que ça se termine au plus vite avant que ça ne dégénère alors il vous fait de ces roulements avec sa grosses caisse comme s’il était Keith Moon. Faut bien foutre le cadavre dans un cercueil avant qu’il ne se mette à grandir comme dans une pièce de Ionesco. We trailed off on the middle name : pour comprendre se rappeler que l’américain moyen possède comme tout sénateur romain trois noms : hésitons, un télégraphe qui ne marche pas, une scie à découper, bref un bruit, de toutes les manières ça n’a aucune importance, c’est le moment du monologue dans l’acte III d’une pièce de Racine, le gars ne sait pas déclamer, normal un amerloque peuple jeune et barbare encore mal dégrossi ne peut posséder  les arcanes de cette culture européenne qui repose sur plus de vingt siècles de haute civilisation, en plus c’est peut être un cadavre ou un flic qui parle, ce qui ne vaut guère mieux, y en a tout de même un qui comprend qu’ils sont à la peine alors il appuie sur le bouton de la batterie et ça redémarre sec ( question rock les ricains sont au top ), l’on est au moment crucial, Oreste en tripatouillant ses papiers va-t-il endosser l’identité de Pyrrhus qu’il vient de tuer à moins que ça ne soit le contraire, en tout cas il y en a un dans la pièce à côté qui hurle, est-ce le trépassé ou le vivant, quels sont ces bruits qui carabossent sur sa mathématique bosse, avalanche sonore, folie extraordinaire, bon après la mania-crise, le mec se calme, il ahane comme un âne à qui sa maîtresse suce la queue. Valet parking : dans les thrillers vous avez la scène clef (de voiture), le meurtre dans le parking, nous y sommes, excusez le tintamarre avec toutes ces autos, en plus dans un disque de noise… c’est le moment du doute, le mec il est bien mort, ou a-t-il simplement mal aux dents, doit être chez le dentiste on lui oblitère la molaire car il vocifère, ou alors c’est une métaphore la clef que vous introduisez dans la serrure de la portière, peut-être ressent-elle cette ouverture comme un viol inqualifiable. Je sens que vous êtes perdn… Comment je le sais, facile la musique imite le bruit de vos méninges en cessation d’activité preuve que l’huile de votre intelligence ne les lubrifie plus. Depuis longtemps. Rodeo’s closet : ça y’est on passe à la scène des aveux, la rythmique imite l’agencement du mécano intellectuel qui se met en place. Bien sûr c’est le cadavre qui se confesse, vous pensez la scène confuse pourtant s’il y a un macchabée c’est tout de même de sa faute. Au bruit on devine que pour le faire parler le flic lui passe dessus avec sa voiture, lecteurs amicaux entendez-vous dans cette pièce lointaine rugir le moteur à perdre haleine. Thoroughbreds : vous avez tout compris, il n’y a plus de mystère, n’en profitent pas pour se taire, vous manquent encore quelques détails que généralement l’on omet dans les romans policiers. La question que l’on ne pense même pas à poser. Mais une fois qu’il est arrêté que devient le cadavre ? On ne peut pas le juger. Non on ne le laisse pas seul. Ayons quelque humanité, on se préoccupe de sa survie cadavérique. Y a un service pour cela. Vous n’avez pas compris qu’avec toutes sonorités funèbres, il vaudrait mieux laisser tomber, puisque vous voulez tout savoir : vous saurez tout. Thoroughbreds vous en donne plus. C’est tout simple pourtant : ce sont les mouches qui s’occupent de lui. Est-ce le saxophone de Pat Peltier qui s’en vient jouer le bourdonnement de la mouche enfouisseuse de larves et asticots divers ? Tiens les trois coups du destin reviennent. Qui joue du triangle ? Hop un gros riff monstrueux qui éclate comme ces cadavres que l’on enveloppe dans un grand sachet poubelle en plastique hermétiquech sans penser à  laisser des trous pour que les exhalaisons puissent s’échapper. Putain il y a de la viande d’allongé sur tous les murs, pire que quand vous avez chié dans le ventilateur. Dernier glouglou de cadavre. Cette fois-ci je crois qu’il est vraiment mort. Derniers tintements cristallins, quelque larmes (pas trop, on a quand même bien rigolé) qui tombent sur sa pierre tombale.

              L’ont enregistré à peu près, ce devait être, en quelque sorte vers 2019. Ils ne s’en rappellent plus trop. Sog signifie en bonne santé. Vous voyez ce qui vous arrivera si vous n’êtes pas soges.

             Moi, j’ai beaucoup aimé.

    On y reviendra, ont à leur actif tout un tas de monstruosités. Un complément d’enquête s’impose.

    Damie Chad.

           

  • CHRONIQUES DE POURPRE 606: KR'TNT 606 : CHIPS MOMAN / BETTYE LAVETTE / DOC POMUS / LOS PEPES / SIMON STOKES / ROCKABILLY GENERATION NEWS / ORDER OF THE BLACK JACKET / HEX ENGINE / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 606

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    22 / 06 / 2023

     

    CHIPS MOMAN / BETTYE LAVETTE

    DOC POMUS / LOS PEPES / SIMON STOKES

    ROCKABILLY GENERATION NEWS

    ORDER OF THE BLACK JACKET

     HEX ENGINE / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 606

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

                                                                                                                                                                                                             

    Le Moman clé

    - Part Four

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    Chips aime bien Ronnie Milsap. D’ailleurs, il le reçoit chez American et Dan Penn produit son premier album sobrement titré Ronnie Milsap. Ça sort sur Warner Bros.

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    En 1971, sous une belle pochette. Ronnie y apparaît solarisé en gros plan. L’outstanding cut se trouve en B et s’appelle «Crying». Ronnie s’aventure sur les terres de Big O et rivalise d’excellence de chat perché avec lui. On note aussi l’excellence du «Sunday Rain» signé Mark James. Ronnie le prend en charge sans ciller. Ce mec chante comme un dieu et Dan orchestre à outrance. Vas-y Dan, tartine-nous ça ! Ronnie tape dans Dan et Spooner avec «Blue Skies Of Montana». Ça frise la carte postale, car Ronnie nous traite ça à l’épique du Tennessee. On note aussi la présence en B d’une belle compo de Jim Dickinson intitulée «Sanctified». Chez American, on ne mégote pas sur la marchandise.

             Dans le tas de grands artistes venus enregistrer chez Chips, on trouve aussi Petula Clark et Brenda Lee. Elles sont venues toutes les deux faire leur Memphis album. Le Memphis de Petula sort en 1970. En Europe, Petula traîne surtout une réputation d’artiste de variété, mais chez Chips, elle a tout de suite du son. Tous les copains sont là pour s’amuser avec elle, Reggie, Bobby et Gene.

             — Que fais-tu là Petula, si loin de l’Angleterre ?

             — Mais tu le chais Chips, j’enregistre my Memphis ellepie !

             — Ah oui, sorry j’étais dans la lune ! Que dirais-tu de reprendre «Neon Rainbow» ?

             — Chic idée, Chips !

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             Cette diablesse de Petula transforme la pop de Memphis en pop anglaise. Elle sait elle aussi gueuler par dessus les toits. Elle se montre aussi pétulante avec «Goodnight Sweet Dreams». Elle se jette admirablement bien dans la bataille. Il faut aussi entendre le délire psyché que bricole Reggie Young derrière elle dans «Right On». C’est d’ailleurs le seul intérêt du cut. Chips refourgue aussi à Petula une compo de Mark James, «When The World Was Round», on ne sait jamais, des fois que ça devienne un tube. Mais ce n’est quand même pas du Paddy McAloon. Elle termine avec un bel hommage à Curtis Mayfield en reprenant «People Get Ready», mais on peut en rester là.

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             Encore un coup dur pour Chips. L’album Blue Lady qu’il enregistre en 1975 avec Petula Clark ne sort pas. Le label ABC Records boude. Il finira par sortir vingt ans plus tard sous le titre Blue Lady - The Nashville Sessions. Bizarrement, Petula se vautre sur Burt («Don’t Make Me Over»), elle le chante au petit sucre d’Angleterre et pour Burt, elle est trop poppy, trop criarde. C’est avec «Pickin Berries» signé Toni Wine & Chips qu’elle explose les Nashville Sessions. Elle tape en plein cœur de l’excellence, elle amène ça au petit popping de cueillette et ça bascule dans la grosse énormité de pop américaine. C’est le nec plus ultra de la grande pop US et c’est l’occasion de rappeler que Chips avait du génie. C’est tartiné dans les grandes largeurs. L’autre coup de maître du producteur Chips, c’est le morceau titre. Il nous fait le coup de Bernard Hermann à Nashville, c’est-à-dire le coup du groove urbain, et Petula excelle dans la mélancolie bleue. Chips lui orchestre ça aux petits oignons. Elle chante magnifiquement «You’re The Last Love» et c’est la raison pour laquelle Chips la chouchoute. Elle se fond bien dans Chips avec «Charlie My Boy», elle truffe la compo de Chips de magic stuff, car elle chante d’une voix de rêve. Encore une panacée de Petula avec «If You Think You Know How To Love Me», elle en fait une petite énormité vite fait bien fait. Le reste n’est pas très bon, dommage.

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             L’album que Brenda Lee enregistre chez Chips l’année suivante est nettement plus passionnant. Il s’appelle Memphis Portrait. Elle démarre avec une reprise un peu ratée des frères Gibb, «Give A Hand Take A Hand» et s’en va ensuite musarder chez John Denver avec «Leaving On A Jet Plane». Elle très nasale. Chips lui propose le «Games People Play» de Joe South et on entre en terrain de connaissance. Oui, ce hit du vieux Joe est connu comme le loup blanc. Elle revient à Joe en B avec «Walk A Mile In My Shoes» qui vire très vite white Soul de qualité supérieure. Elle est extrêmement pugnace, comme Lulu, même genre de tempérament, vraiment far out. Avec «Too Heavy To Carry», elle tape dans l’extrême Memphis Soul, avec Mike Leech on bass. Quel son ! Les mecs d’American n’ont rien à envier aux MGs. Chips glisse à Brenda un balladif signé Reggie : «Hello Love». Bien vu, Chips ! Brenda fait aussi une cover irréprochable de «Proud Mary». Comme s’il n’y avait rien à en dire. Puis elle tape dans le saint des saints avec le fameux «Do Right Woman Do Right Man» que Chips et Dan Penn composèrent jadis pour Aretha. Cette fière shouteuse de Brenda finit bien sûr par l’exploser.  

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             Avec Bobby Womack, on entre dans la zone protégée des albums culte, à commencer par Fly Me To The Moon, paru sur Minit en 1968. C’est l’époque où Bobby vient traîner à Memphis et Chips l’adopte. Bobby intègre les Memphis Boys et profite des installations pour enregistrer deux albums. Le morceau titre de ce premier album est unE merveille tentaculaire. On a le big American Sound avec Bobby Emmons à l’orgue et Reggie sur sa gratte derrière Bobby. «Fly Me To The Moon» est un fantastique cut de Soul vertigineuse. Bobby screams his ass off et Reggie entre dans la Soul avec une patte de velours. C’est aussi sur cet album qu’on trouve l’imparable «I’m A Midnight Mover». Bobby y fait son wicked Pickett qui d’ailleurs est le co-auteur de ce hit de Deep Soul bien bassmatisqué par Mike Leech. Wow ! Bobby screams it off. Encore une combinaison gagnante : un Soul Brother avec le gratin dauphinois de Memphis. Ce dingue de Bobby chante aussi «What Is This» avec toute sa niaque et derrière les Memphis Boys chargent merveilleusement la barque du Memphis Sound. Les dynamiques sont superbes. Quel bel achèvement ! Cet album est si bon qu’il donne envie de se replonger dans tout Bobby. Il sait embarquer ses cuts dans les hautes sphères de l’exaction maximaliste. Tous les cuts flirtent avec l’énormité. En B, Bobby tape dans l’«I’m In Love» de wicked Pickett. Il chante ça à la pire arrache qui se puisse concevoir. Il monte tellement dans les tours de scream qu’il bat wicked Pickett à son propre jeu. Il groove ensuite de «California Dreamin’» de John Phillips. Quel beau numéro de Soul Brother ! Reggie brode de la dentelle de Calais dans la couenne du son et le groove progresse dans la chaleur de la nuit. Toute cette aventure se termine avec «Lillie Mae» et l’admirable rumble des Memphis Boys in full bloom. C’est heavily good, ils jouent ça à la merveilleuse évidence de la mouvance. C’est à la fois percutant et perfusant, perméable et perpétuel, plerclus de classe et pertinent, pervertisseur et perfecto.

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             Bobby enregistre My Prescription dans la foulée. L’album grouille de coups de génie, à commencer par «How I Missed You» qui sonne comme un hit de country Soul. Just perfect. Bobby chante avec la rigueur d’un Soul Brother débarqué à Memphis. Idéal pour les amateurs de mythes. C’est si bien nappé d’orgue qu’on en bave de plaisir. Et Gene Chrisman bat ça au nec plus ultra. Encore un coup de génie avec «I Left My Heart In San Francisco». Les Memphis Boys jouent ça au groove pressé de semi-acou paradisiaque. Voilà le genre de miracle dont sont capables Chips et ses chaps. Pur jus de Memphis Soul typecast, avec un Bobby qui part en goguette et qui screame sa crème. Encore un slow groove de Soul avec «More Than I Can Stand». Chips l’orchestre à gogo, il envoie des vagues de cuivres et de violons à l’assaut du ciel et Reggie Young brode sa dentelle de Calais dans un coin. En B, on retrouve l’inébranlable «Fly Me To The Moon». À la réécoute, ça sonne encore plus légendaire, faites l’expérience, vous verrez. Bobby a du génie, un sens aigu du hit qui fait mouche. Il screame à bon escient. On trouve deux autres merveilles productivistes en B, «Don’t Look Back» et «Tried And Convicted». Le premier vaut pour un beau brin de groove de Soul aérienne, bien vu, bien senti, ultra joué, orchestré avec goût, et doté de ces fantastiques descentes de bassmatic qui font la réputation d’American. On peut dire la même chose de «Tried And Convicted», violonné à la revoyure, c’est de la haute voltige. Chips voyait grand pour Bobby.

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             Elvis doit une sacrée fière chandelle à Chips, c’est en tous les cas ce que montre  Suspicious Minds The Memphis 1969 Anthology. Ce double CD est bourré de cuts miraculeux, à commencer le morceau titre. Pur Memphis Sound, big symbole, bien battu en brèche, avec le fantastique bassmatic d’American. Ici, Chips a tout bon, il fournit le beurre et l’argent du beurre à Elvis, le son et la compo. Il faut entendre ce redémarrage de bass/drums dément ! Autre coup de génie productiviste avec «Anyday Now», Chips envoie des chœurs superbes. Elvis entre dans le groove du fleuve avec «Stranger In My Own Town». On est au cœur du Memphis Beat. Puis avec «Without Love (There Is Nothin)», il vire gospel et donne libre cours à son génie vocal. Tout dans ces sessions est produit de main de maître. Elvis a tout ce qu’il peut désirer : l’orgue, les filles, Chips, il fait de la Soul avec «Only The Strong Survive». On assiste ici à un festin de son. Quand il tape un mélopif comme «I’ll Hold You In My Heart», il fait le show, qu’on aime ou qu’on n’aime pas. Retour à l’église en bois pour «Long Black Limousine». Il recrée le gospel power à la seule voix et ça devient énorme. Il n’a pas besoin des Edwin Hawkins Singers. Il chante même sa country comme un dieu, au vibré de glotte royale. Petit clin d’œil à Johnny Horton avec «I’m Moving On». Il chante ça au lowdown de Memphis et quand arrive «Gentle On My Mind», on tombe de sa chaise tellement c’est pur. Encore une équipe gagnante dans l’histoire des teams de rêve : Chips + Elvis. Quand on entend «After Loving You», on comprend que Reigning Sound soit allé chercher ce son-là. «In The Ghetto» sonne comme l’aboutissement de Chips. Encore un chef-d’œuvre absolu : «You’ll Think Of Me», balladif généreusement orchestré et les cuivres arrivent dans la folie des chœurs de gospel perchés dans le ciel. Sur le disk 2 se trouvent rassemblés les alternates. On n’apprendra rien de plus. Ça ne s’écoute que par pur plaisir. Elvis est le chanteur parfait et les mecs d’American le backing parfait. Les montées en température dans «I’m Moving On» sont des modèles du genre, surtout le bassmatic en folie. Pur merveille que ce «Power Of Love» joué au heavy Memphis groove. Elvis réussirait presque à nous faire oublier le Colonel. On trouve vers la fin une version d’«Hey Jude» extrêmement chantée, superbement orchestrée, cuivres, violons, chœurs, piano, il ne manque rien. Encore un coup de prod avec «Rubberneckin’» et des chœurs de rêve. On retrouve aussi un alternate de «Suspicious Minds» vers la fin - It’s the last take Chips ! - Magie pure, Reggie Young on fire, Gene Chrisman on the beat, Mike Leech on bass, ça s’écoute religieusement.

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             Donnie Fritts a longtemps écumé la frontière. Les bivouacs dans les montagnes ont éculé ses fringues. Une cartouchière lui barre la poitrine et ses bottes ont déjà vécu neuf vies. Assis sur un banc, il scrute l’horizon. C’est la pochette de Prone To Learn, paru en 1974. Très bel album, aussi solide que son poney apache. Il attaque avec un shoot d’’Alabama rock finement cuivré, «Three Hundred Pounds Of Hongry». Jimmy Johnson, Eddie Hinton, David Hood et Roger Hawkins font partie du gang, donc ca donne la fritte à Fritts. Tous les amigos sont là, y compris Rita Coolidge, Billy Swann, Dan Penn, Jerry Wexler, Kris Kristofferson. Grosse ambiance. S’ensuit un «Winner Take All» co-écrit avec Dan Penn. On sent la patte du Penn. «You’re Gonna Love Yourself» sonne comme le balladif idéal. Fritts joue la carte du soft Southern drawl, celui du petit matin. En B, Tony Joe White radine sa fraise sur «Sumpin’ Funky Going On». Tony Joe joue lead sur ce boogie funk vermoulu. Ils duettent à un certain moment, with a smile on my face. S’ensuit un heavy country funk d’Eddie Hinton, «Jesse Cawley Sings The Blues», bardé de steel guitar et de piano. Le morceau titre est un cut de Kris Kristofferson, un folk-rock typique de Muscle Shoals. Et toute cette belle aventure se termine évidemment avec «Rainbow Road», le hit de Dan & Donnie, the absolute beginners.

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             Album très impressionnant que ce Memphis Underground d’Herbie Mann paru sur Atlantic en 1969 et enregistré chez Chips. Au dos, on voit les musiciens enregistrer chez American : dans un coin, les deux guitaristes, Sonny Sharrock et Larry Coryel. On voit aussi Reggie Young et sa Tele avec la section rythmique, et dans un box, Herbie Mann torse nu avec sa flûte. C’est photographié de l’étage. Dès le morceau titre d’ouverture de bal d’A, on est en plein cœur du Memphis beat. Gene Chrisman bat le beurre de roule ma poule et Tommy Cogbill nous bassmatique tout ça au quart de poil. Ils tapent en fin de B une cover d’«Hold On I’m Coming». Miroslav Vitous prend la basse. Il sort un drive plus jazzy et c’est embarqué au shuffle d’American. Herbie Mann flotte à la surface du shuffle. Ces géants se payent une tranche sur le dos de Sam & Dave. Excellent ! Ils attaquent la B avec une cover de «Chain Of Fools». C’est encore un groove ventru, plein de son, avec Larry et Sonny qui croisent le fer avec le bassmatic demented de Tommy Cogbill. Et cette belle aventure se termine avec «Battle Hymn Of The Republic», fantastique numéro de shuffle de flûte, Herbie Mann n’est pas manchot, il joue très organique, il swingue le thème mélodique et ça ensorcelle les vermicelles.

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             Avec Neil Diamond, Chips applique les mêmes recettes qu’avec B.J. Thomas : a big handful of big covers. On en trouve quatre sur Touching You Touching Me paru en 1969, année érotique, à commencer par l’imparable «Everybody’s Talking» de Fred Neil, avec un petit coup d’up-tempo et un banjo. The Memphis way ! Neil Diamond le chante d’un ton ferme, sous l’horizon. Il enchaîne avec le fantastique «Mr Bojangles» de Jerry Jeff Walker, il le bouffe même tout cru, crouch crouch. Il est excellent dans ce rôle d’artiste American. Il déclenche de sacrées vagues de frissons. En B, il tape l’excellent «Both Sides Now» de Joni Mitchell, il descend dans la magie de Joni comme dans un lagon, il jette tout son poids de Diamond dans la balance de cristal pour honorer cette mélodie lumineuse. Il termine avec un superbe hommage à Buffy et cette reprise d’«Until It’s Time For You To Go», prodigieusement orchestrée, du pur jus d’American.

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             Grâce à Ace, on peut écouter les fameuses long lost 70 sessions de Carla Thomas enregistrées par Chips chez American : Sweet Sweetheart - The American Studio Sessions And More. Ce lost album devait s’appeler Sweet Sweetheart. C’est Al Bell qui a l’idée d’envoyer Carla chez Chips, en 1970. Ah c’est autre chose que ces albums Stax un peu soporifiques. Avec Chips, Carla fait de la country Soul et ça explose dès le «Country Road» de James Taylor. Quel répondant ! C’est une merveille. Merchi Chips ! Grâce à lui, Carla s’affirme. Elle fait aussi de la petite pop («I’m Getting Closer To You»), pas de problème, Carla fait tout ce qu’on lui demande. Elle est fabuleusement accompagnée. Elle ramène son sucre («Heaven Help The Non-Believer»). Elle adore plonger dans le sweet sweet («Sweet Sweetheart», signé Goffin & King), elle détache bien ses syllabes, elle se débat dans des cuts de romantica, mais sa voix est pure. Chips transforme ses cuts en œuvres d’art. Elle fait du gospel batch avec «Everything Is Beautiful». Mais l’album va rester coincé sur une étagère pendant quarante ans, jusqu’au moment où Roger Armstrong le découvrira. S’ensuit une série de cuts Stax enregistré entre 1964 et 1968, à commencer par l’imparable «B-A-B-Y» (take 1), bombardé au bassmatic. Tony Rounce qui fournit les liner notes se demande pourquoi Al Bell et Jim Stewart ont bloqué toutes ces merveilles. En voilà encore une avec «Love Sure Is Hard Sometimes», monté sur un groove de walking bass et un pianotis de prescience. Back to the Memphis beat avec «Don’t Feel Rained On», elle chante la main devant les yeux, yes I feel new. La fête se poursuit avec «He Picked Me», pur jus de Memphis r’n’b, sec et net.

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             Chips cède à son péché mignon, la country, en enregistrant le Cactus And A Rose de Gary Stewart. Attention, ce n’est pas de la gnognotte puisque ça sort sur RCA Victor en 1980. Mais l’album est trop country pour les gueules à fioul. Dommage, car Chips a ramené du beau monde en studio : Bonnie Bramlett et Gregg Allman. On entend aussi beaucoup Toni Wine, qui est alors la poule de Chips. «Staring Each Other Down» est un heavy balladif country lourdement orchestré, l’orgue ne faiblit pas et Toni chante dans l’écho du temps de Chips. Si on aime la heavy country de Nashville, alors on se régalera de «Ghost Train», ce démon de Gary Stewart chante ça au raw du guttural. Bonnie entre dans la danse en B sur «Roarin’». Ah ils savent enfoncer des clous, les Nashvillais. Ça se termine avec un «We Just Couldn’t Make It As Friends» signé Chips qui sonne comme un hit. Fantastique allure. En fait, Chips a ramené en studio ses copains de Memphis, mais le son n’est décidément pas le même. C’est un son cousin.

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             L’un des gros coups de Chips, c’est Highwayman, le super-groupe country, avec Kristofferson, Waylon Jennings, Willie Nelson et Cash. Un album sans titre paraît en 1984. C’est de la country classique et sans surprise. Chips adore ça. Les quatre vieux crabes se relayent au micro. On note une belle dominante de Cash, toujours plus profond que les autres. On sauvera «Big River», festival de Western swing, avec Reggie Young à la gratte et Gene Chrisman au tatapoum. Fantastique énergie ! Chips remet tout le paquet avec son house-band. Reggie régit tout. Les quatre vieux crabes tapent aussi une version de «Desperados Waiting For A Train», le chef-d’œuvre de Guy Clark, mais ça retombe comme un soufflé. La version de Jerry McGill est bien plus balèze. Et quand on écoute «Welfare Line», on s’effare de la qualité de la prod. On le sait, Chips ne mégote pas.

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             C’est lui qui monte l’opération Class Of ‘55, Memphis Rock & Roll Homecoming avec Carl Perkins, Jerry Lee, Roy Orbison et Cash. Il voyait ça comme un gros coup, mais ça n’a pas marché. Pourquoi ? Il suffit d’écouter l’album. Carl Perkins ouvre le bal avec «Birth Of Rock’n’Roll», il sait de quoi il parle, mais le solo country est parfait, trop parfait pour être honnête. Heureusement, Jerry Lee chope le mic pour chanter «Sixteen Candles» et il sauve les meubles. C’est lui le king du Memphis Beat. Il ne fait pas planer le doute, mais le génie. Dès qu’il arrive, tout reprend du sens. Ils tapent un peu plus loin une grosse claque de country groove intitulée «Waymore’s Blues» et chantent à tour de rôle : Cash, Orbison, Jerr et Carl. C’est assez hot. Avec «Coming Home», Roy Orbison taille sa petite bavette bien baveuse. Avec Roy, c’est toujours baveux, mais puissamment baveux. «Rock And Roll (Fais Do Do)» n’a strictement aucun intérêt, Chips s’égare et Jerr ramène le Class Of ‘55 dans le droit chemin avec «Keep My Motor Runnin’». Il est le sel de la terre. Memphis, c’est Jerry Lee. La ville de Memphis n’acceptera pas cet album en forme de pétard mouillé et cassera le contrat avec Chips.

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             L’un des derniers albums que Chips produit est le Womagic de son ami Bobby qui sort en 1986. Pas de hit sur cet album, mais de l’excellent slow groove de Memphis («When The Weekend Comes»). Bizarrement, l’album vire un peu diskö, comme le montrent «Can’ Cha Hear The Children Calling» ou encore cet «It Ain’t Me» embarqué à la basse funk et perturbé par des cassures rythmiques insolites. 

    Signé : Cazengler, chips à l’ancienne

    Ronnie Milsap. Ronnie Milsap. Warner Bros. Records 1971

    Petula Clark. Memphis. Warner Bros. Records 1970

    Petula Clark. Blue Lady. The Nashville Sessions. Varèse Sarabande 1996

    Brenda Lee. Memphis Portrait. Decca 1971

    Bobby Womack. Fly Me To The Moon. Minit 1968

    Bobby Womack. My Prescription. Minit 1970

    Elvis Presley. Suspicious Minds The Memphis 1969 Anthology. RCA 1999

    Donnie Fritts. Prone To Lean. Atlantic 1974

    Herbie Mann. Memphis Underground. Atlantic 1969

    Neil Diamond. Touching You Touching Me. UNI Records 1969

    Carla Thomas. Sweet Sweetheart. The American Studio Sessions And More. Ace Records 2013

    Gary Stewart. Cactus And A Rose. RCA Victor 1980

    Highwayman. Highwayman. Columbia 1984

    Carl Perkins/Jerry Lee Lewis/Roy Orbison/Johnny Cash. Class of ‘55. America Records 1986

    Bobby Womack. Womagic. MCA Records 1986

     

     

    Bettye n'est pas une lavette

     

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             Comme beaucoup d’énormes stars de la Soul (Martha Reeves, Little Willie John et sa sœur Mable, Sir Mack Rice, Joe et Levi Stubbs et combien d’autres !), Bettye LaVette est originaire de Detroit. Elle a aussi un point commun avec les Pretty Things : une poisse terrible. Bettye aura passé sa vie à attendre de pouvoir enregistrer un album.

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             Elle raconte son histoire (en collaboration avec David Ritz, le biographe de toutes les stars de la Soul) dans un petit livre passionnant : A Woman Like Me - A Memoir. Il s’agit là d’une contribution majeure à l’histoire de la Soul. Ce petit ouvrage se lit d’un trait, d’autant plus facilement que Bettye fréquente toutes les stars de l’âge d’or, à commencer par Jerry Wexler, Andre Williams, Otis, Aretha et sa sœur Erma, Esther Williams, Marvin, bien sûr, George Clinton, Jackie Wilson avec lequel elle passe une nuit, Dr John, Solomon Burke et combien d’autres ? C’est probablement l’un des meilleurs éclairages sur la scène de Detroit.

             Bettye a deux passions dans la vie : le sexe et chanter - We were essentially groupies who sang - Bettye baise avec des tas de mecs et principalement des macs - Those pimps loved to watch girls have sex - Ces macs aimaient bien voir des filles baiser ensemble. Elle affirme qu’elle a plus appris de ces gens-là que des prêtres - I’ve learned a helluva lot more from pimps than preachers - Bettye n’est pas avare de détails, elle a toujours aimé le cul et elle avoue qu’arrivée à la soixantaine, elle n’est plus aussi athlétique au lit.

             Son histoire démarre très fort, puisque ses parents sont alcooliques professionnels. Ils vendent de l’alcool et des sandwiches - I was born in a heavy-drinking family. Early on I became - and remain - a serious drinker - Et elle fréquente très jeune le Black Bottom, le quartier chaud de Detroit où les souteneurs en costards de soie vert pistache et en spit-polished alligator shoes la fascinent. Elle y croise Otis Williams et David Ruffin qui allaient former les Tempts, Smokey aux yeux verts et Mary Wells qui chantait les chansons de Smokey.

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             Bettye a seize ans lorsqu’elle enregistre « My Man ». Jerry Wexler repère le single et la veut sur Atlantic. Elle commence à tourner et baise avec Otis et Ben E King qui ont déjà pas mal de gonzesses dans leurs vies respectives. Bettye snobe Motown, fière d’être signée sur Atlantic, le label de Ray Charles, de Solomon Burke et des Drifters. Elle fréquente aussi Andre Williams qui a dix ans de plus qu’elle, et Ted White, le mari d’Aretha qui se dit pimp. Bettye affirme qu’Aretha est devenue une superstar grâce à Ted, et elle trace un parallèle avec Ike Turner - Without Ike, there would not be no Tina - Sans Ike, pas de Tina possible. Bettye raconte qu’elle passe l’après-midi à sniffer de la coke avec Ted et Aretha dans une suite d’hôtel - For years Aretha’s baby sister, Carolyn, and brother Cecil shared the same drug dealer with me - Elle et Carolyn s’approvisionnent chez le même dealer. Tout va bien pour Bettye jusqu’au jour où son manager Robert West se tire une balle dans la tête. Catastrophe ! La voilà obligée de tout reprendre à zéro.

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             C’est là qu’elle fait la connerie de sa vie : elle part s’installer à New York. Elle va trouver Wexler et pose ses conditions : elle veut travailler avec Leiber & Stoller, mais Wexler lui dit qu’ils ne sont plus chez Atlantic. En échange, il lui propose Burt Bacharach qui composait alors pour Dionne Warwick. Bettye fait la deuxième connerie de sa vie : elle refuse - I need gutsier writers like Leiber & Stoller - Elle voulait des gens plus dynamiques que Burt. Alors elle quitte Atlantic. Sans manager et sans label, t’es foutue, lui dit Wexler. Comme elle veut être libre, elle demande à Wexler de déchirer son contrat. Ce qu’il fait devant elle. Puis il lui file un chèque de 500 dollars - For what ? Demande-t-elle - Just because you’re going to need it - Wexler la prévient qu’elle va en baver.

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             Elle dit beaucoup de mal de James Brown qu’elle considère comme un être inculte - I saw him as an especially ignorant man - et de Doris Troy - She was bad - Et elle finit l’épisode new-yorkais à moitié à poil dans la rue, après qu’un mac ait menacé de la jeter du vingtième étage d’un immeuble. Retour à Detroit, où elle fréquente les gens de Motown. Bettye couche avec Clarence Paul, l’un des producteurs Motown qui n’est hélas pas dans les petits papiers de Berry Gordy. Elle raconte comment un soir sur scène, George Clinton commença à prendre de l’acide - If Jimi Hendrix could kiss the sky and burn up his guitar on stage, George wasn’t going to be left behind - Oui, il n’était pas question pour Clinton de prendre du retard sur Jimi Hendrix. Et elle fait bien sûr le parallèle avec ce qui se passait alors en Californie autour de Sly Stone. Et puis en 1972, Leland Roger, boss de Silver Fox Records, propose à Bettye d’aller enregistrer à Memphis - You heard of Jim Dickinson ? - C’est l’épisode du fameux album Child Of The Seventies jamais sorti. Bettye s’amuse bien avec Jim et les autres - These white boys liked popping the speed pills used by truck drivers. Weed was plentiful - Elle voit ces petits blancs prendre des amphètes de camionneurs et fumer de l’herbe à la pelle. Il fut ensuite question d’une tournée, Bettye reçut même ses billets d’avion et puis, sans aucune raison, un mec d’Atlantic l’appelle pour lui dire que tout est annulé, y compris l’album, et qu’elle doit renvoyer les billets. Elle fut tellement anéantie qu’elle passa des journées entières sous une table avec des bouteilles de vin - Muthafucka, comme dit Bettye en guise de chute à chaque chapitre.

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             On trouve sur cet album ressuscité un gospel rock d’envergure maximaliste, « All The Black And White Children ». Elle attaque ça au communautarisme ambivalent, bien soutenu par les violons du paradis. Mais le reste de l’album n’est pas très bon. Elle fait une reprise Soul d’« It Ain’t Easy » et fait de « Fortune Teller » un balladif invertébré. Sur « Soul Tambourine », elle sonne comme Mireille Mathieu. Elle finit par s’énerver sur « Ain’t Nothing Gonna Change Me », elle y arrache le shake du raunch. C’est Rhino qui a réédité ce disque raté en 2006. Par contre, on y trouve des bonus qui sont nettement meilleurs que les cuts de l’album original, à commencer par « Livin’ Life On A Shoestring », un vrai funk de fièvre mortelle des années soixante-dix. Bettye s’y fait reine du funk insidieux et elle chante au sucré d’allure. Elle vit bien sa vie sur le shoestring. Elle tape dans le « Heart Of Gold » de Neil Young puis dans « You’ll Wake Up Wiser », une belle pièce de groove raffiné qu’elle chante d’une voix de sucre aigu. Elle chante aussi « Here I Am » du haut de sa juvénilité cossue. Sacrée Bettye, elle sait chanter à pleine voix et se montrer attachante.

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             Comme Rhino, Sundazed fit en 2006 œuvre de charité en compilant les singles Silver Fox sur l’album Do Your Duty. Les Dixie Flyers accompagnent Bettye sur certains morceaux comme « Do Your Duty », un r’n’b de classe infernale, le r’n’b à l’état le plus pur, quasiment staxé. Normal, on est dans le Memphis sound. Bettye n’en finit plus de ruer dans les brancards. Elle tire son Soul train avec une belle opiniâtreté. C’est une battante. Elle ne lâche pas sa proie. Les Dixie sont aussi derrière elle pour « He Made A Woman Out Of Me ». Bettye sonne carrément comme Aretha. Même attaque, même classe. C’est encore une fois superbe de grandeur Soul et de maintien africain. Elle va plus sur la voix de nez mais elle bouillonne de feeling. Bettye est une féroce, une hot chick. Sur « My Train’s Coming In », elle feule, elle embarque son r’n’b avec une niaque des bas-fonds. On a là une véritable perle de juke. On découvre en elle une Soul Queen, au même titre qu’Aretha et Martha Reeves. Encore une bien belle énormité avec « At The Mercy Of A Man », pièce fumante de hot soul qu’elle travaille au corps. Rien que pour ces quatre hits, il faut se jeter sur l’album. Bettye s’y montre fabuleusement douée. 

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             Quand Motown se réinstalla à Los Angeles, Clarence Paul fit signe à Bettye. Elle vint y enregistrer au Bolic Sounds Studio d’Ike, et elle y fit la connaissance du real gangster of love, Johnny Guitar Watson - Like Ike, Johnny could snort more blow than a brand-new Hoover - Elle raconte qu’Ike et Johnny sniffaient la coke comme des aspirateurs. Elle tombe aussi dans les bras de Solomon Burke que Jerry Wexler considérait comme le plus grand chanteur de soul - with a borrowed rhythm section - Et quand la cousine Margaret demandait à Bettye comment on pouvait baiser avec un homme aussi énorme que Solomon, elle répondait - Simple. You sit on him - Tu t’assois dessus, répondait-elle. Elle se retrouve aussi au lit avec son idole Bobby Bland - We blow so much that we forgot about sex - Mis ils étaient trop défoncés pour penser à baiser. Et puis un beau jour de 1982, Lee Young de Motown passe un coup de fil à Bettye : « Motown needs a mature female vocalist and you’re it ! » Motown veut une chanteuse mûre.

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             On l’envoie enregistrer à Nashville. Tell Me A Lie est un disque étrange. On sent que Bettye résiste comme elle peut à la pression commerciale qui la pousse vers cette fucking disco qui se vend bien. « Right In The Middle » sonne comme une belle Soul de caractère. Bettye chante d’une voix d’accent tranchant, mais on sent la menace disco juste derrière. Ce son m’as-tu-vu a ruiné des quantités d’albums. On commence à écouter « You Seen One You Seen Em All » monté sur un petit beat pop de la Motown softy softah des clopinettes de la bézette des années 80 et on s’écroule en faisant Ach !, comme le fantassin de la Wermarth frappé en pleine poitrine par une roquette anti-char. Bettye sauve l’album avec une reprise magistrale d’« I Heard Throught The Grapevine ». Elle tape là dans l’immensité de l’immense classique de son copain Marvin, dans le cantique des cantiques de la Soul orthodoxe, dans le saint des saints du groove Tamla. Bettye tient bien la rampe d’un beat Soul qui soûle. Le seul morceau intéressant de la B, c’est « I Like It Like That », plus groovy et chanté à contre-courant d’un beau développé d’élégance de satin rouge. Elle s’y frotte avec une classe certaine. Mais quand l’album paraît et qu’elle voit la pochette, elle pousse un hurlement : ces connards de Tamla ont mis une blanche sur la pochette ! Et comme Motown ne fait aucune promotion, l’album fait un flop. C’est la deuxième fois que ses espoirs sont anéantis. Muthafuckas.

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             Puis un Anglais nommé Ian Levine vient s’installer à Detroit avec l’intention de redémarrer Motown. Il récupère tous les seconds couteaux que les Anglais amateurs de Northern Soul adorent, Bobby Taylor, Marv Johnson, Kim Weston, Dennis Edwards, Eddie Kendricks, Brenda Holloway, les Contours, les Marvelettes, les Four Tops, les Velvelettes et bien sûr Bettye, et il fonde le label Motorcity. Ian Levine avait du fric et il payait bien - He probably paid many of the old-time Motowners more than Berry Gordy ever had - mais l’album Not Gonna Happen Twice paru en 1991 sur Motorcity n’alla nulle part. Difficile à dénicher, mais on est bien récompensé quand on le chope. Elle attaque avec la diskö du morceau titre et la swingue avec un incroyable chat perché de Soul Sister qui a tout vécu. Elle frise l’Esther Phillips tellement elle est bonne. Elle fait jaillir cette énergie du diskö Soul de Detroit qui rend dingue. Elle chante avec des accents fêlés extravagants. Comme Rufus Thomas, elle sait tenir la rampe pendant huit minutes. Betty chante à la base du beat, elle suce le feeling du totemic, elle tripote sa diskö Soul jusqu’à l’aube. Puis avec « Have A Heart », elle laisse la diskö pour revenir au groove. Elle repart en maraude pour six minutes. Elle ramène tout son répondant. Elle règne sur la Nubie quand elle veut. Elle chante à la vie à la mort de la mortadelle. « Right Out Of Time » paraît plus plan-plan mais les filles ramènent de la chaleur. C’est une fois de plus bardé de génie diskö. Derrière Bettye, les filles sont folles, elles soulèvent leurs jupes pour évacuer la chaleur. Elle braillent comme des folles et elles basculent les jambes en l’air dans les descentes de groove. C’est hallucinant. Bettye revient à sa chère heavy Soul avec « Let Me Down Easy » et une niaque unique au monde. « Good Luck » est monté sur un violent diskö beat, Bettye saute au paf directement. Elle rivalise une fois de plus de classe avec Esther Phillips. Elle fait une version diskö de « Jimmy Mack ». Comment ose-t-elle ? Touche pas à ça malheureuse ! Mais Bettye chante comme Martha, elle respecte l’intégrité du son, elle retrouve le secret de la niaque des origines. Elle revient à la grande Soul de Detroit avec « Time Won’t Change This Love ». Elle l’explose avec tout le chien de sa chienne dont elle est capable. Pur génie Soul. Elle attaque « Danger Heartbreak Dead Ahead » à la manière d’Aretha. Attention, c’est très puissant, aussi capiteux qu’un grand hit d’Aretha. Fascinant ! C’est plein de jus inconnu. Bettye LaVette ramène toute la folie dans le Detoit Sound.

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             Grâce à un admirateur nommé Dennis Walker, elle parvient à enregistrer un nouvel album en 2003. Les LaVettistes voient A Woman Like Me comme l’album du redémarrage. Mais Bettye va donner libre cours à son gros défaut et compromettre sa crédibilité de Soul Sister : elle se prend un peu trop pour Tina, comme c’est le cas avec « Right Next Door ». Trop d’affectation et trop de maniérisme, trop d’accents de lionne blessée qui tournent au cliché et qui renvoient au cauchemar des années 80. Aux yeux de certains, ce côté Tina peut passer pour une force, mais aux yeux des autres, ça devient vite insupportable. Elle revient au blues avec « When The Blues Catch Up To You », une belle pièce de blues velouté et cousu de fil blanc. Mais elle retombe dans le maniérisme avec « Thinkin’ Bout You » et là elle tape carrément dans la surenchère de simagrées. Elle joue du fêlé de son timbre, mais Bettye n’est pas Tina et ça tourne vite au chichiteux. Elle se rattrape avec le morceau titre qu’elle embarque grâce à la science de la connaissance. C’est le hit de l’album et c’est sacrément joué à la guitare. Puis elle nous jazze « It Ain’t Worth It After A While » dans la fumée des clubs de Harlem. On se croirait dans un movie de Spike Lee. L’atmosphère se veut superbement languide et Bettye joue les jolies cavaleuses d’exaction morose du Comte de Lautréamont. Elle verse une larme d’opale qui roule dans la mystérieuse échancrure de la vallée du Nil. Elle revient ensuite au fier r’n’b avec « When A Woman’s Had Enough », doté de l’épine dorsale du beat de base et joué à la basse funk pouet-pouet. Quelle belle pièce sous le couvert ! C’est fin et audacieux, pulsé par le pouet-pouet empathique. C’est même captivant. On a là un cocktail explosif : Bettye, la basse et l’ambiance. Mais l’album ne marche pas - Another one of these triumphant debacles that characterize my career. The music was great but no one really heard it - Elle qualifie sa poisse de triomphante débâcle. Elle fait de bons disques que personne n’écoute.

             Puis elle finit par être repérée et lancée par un certain Mike Kappus, boss de l’agence de booking Rosebud. Elle tourne en Europe avec Etta James et Bobby Bland. La voilà sauvée, au plan matériel.

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             Mais elle ne parvient pas à corriger son gros défaut pour enregistrer l’album suivant, I’ve Got My Own Hell To Raise, un album de reprises de chansons écrites uniquement par des femmes. Dans « Do Not Wait What I Haven’t Got », elle se prend encore pour Tina et ça sent la dérive des vieilles blacks alcoolisées. Encore une fois, ça plaira à certains mais pour les autres, ce sera insupportable. Une reprise de Lucinda Williams, « Joy », passe aussi à la casserole, mais l’atmosphère du morceau sort vraiment de l’ordinaire. Elle tape dans Joan Armatrading avec « Down To Zero » puis dans Rosanna Cash avec « On The Surface » qu’elle transforme en heavy groove bien foutu - On the surface everything seems alright - Puis elle attaque une fantastique reprise de « Little Sparrow », signé Dolly Parton. C’est monté sur un énorme groove de basse. Elle fait sa Tina gospel et noie sa version dans la basse. Voilà ce qu’il faut bien appeler une monstrueuse approche du petit moineau. Le royaume de Bettye, c’est le groove, comme le prouve « How Am I Different ». On se retrouve là dans le son de la Nouvelle Orleans, dans ces grooves insidieux pleins de nuances expertes. Au fil des morceaux, cet album devient réellement extraordinaire et on monte encore d’un cran dans la stupéfaction avec « Only Time Will Tell Me » qu’elle tortille dans un groove paranormal, à la fois perverti et funky, et ça devient fabuleux. Bettye sait gérer l’éclat de l’excellence. Derrière, les autres jouent comme des diables. Elle termine avec une reprise de Fiona Apple, « Sleep To Dream », et elle bénéficie une fois de plus du climat de mystère entretenu par les bêtes de groove qui l’accompagnent. Ça devient énorme - I’ve got my own hell to raise - et Bettye redevient l’énorme Soul Sister de l’époque Silver Fox. 

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             The Scene Of The Crime pourrait bien être l’album mythique de Bettye, car les Drive-By Truckers l’accompagnent. Patterson Hood commence par lui proposer 60 chansons qu’elle rejette. Puis Bettye débarque à Muscle Shoals - I didn’t feel respected. Drive-By Truckers had written no arrangements. Nothing had been planned. They wanted to wing it. I wanted to kill them - Elle ne se sentait pas respectée, rien n’avait été préparé. Elle voulait les tuer. Elle ajoute qu’elle préfère enregistrer dans le Nord plutôt que dans le Sud. Cet album qui s’annonçait mal réserve d’énormes surprises. Il démarre en trombe avec « I Still Want To Be Your Baby ». Patterson Hood et ses copains veillent au grain, alors ça prend tout de suite très fière allure. Ils sortent un son extraordinaire d’extravagance et on se retrouve avec une sorte de morceau idéal : la voix frippée de Bettye et le son du meilleur groupe underground d’Amérique. Il faut voir comme ils savent faire monter la sauce. Le gimmick est joué dans l’écho des sous-bois de l’Alabama hantés par les fantômes des soldats confédérés. Mais Bettye revient faire son numéro de feuleuse et ruine le cut suivant. Mavis Staples ne serait jamais tombée dans un tel panneau. Ça recommence à chauffer avec « You Don’t Know Me At All », car les Drive balancent un groove énorme. Alors Bettye renaît de ses cendres. Derrière, ils jouent comme des vautours. Évidemment, avec Patterson dans les parages, ça prend une tournure énorme. Voilà donc un groove puissant et relancé au solo de guitare. Les Drive salent et poivrent à outrance. On reste dans la grosse ambiance avec « They Call It Love ». Bettye allume avec des effets de voix humide frappés par l’orage, mais elle frôle vite le ridicule. On croit que « The Last Time » est une reprise des Stones, mais non, c’est un groove à la Creedence. Pièce excellente, moite et digne du bayou. Patterson fait chauffer la lessiveuse. Il touille le brasier sous la cuve. Au moins, comme ça, le linge sera blanc.  

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             L’album suivant qui s’appelle Interpretations - The British Rock Songbook pose un sacré problème aux LaVettistes : comment une Soul Sister originaire de Detroit a-t-elle pu aller se fourrer dans un tel guêpier ? On sait que les Supremes et Aretha ont tapé dans les chansons de Lennon et McCartney, mais elles ont su s’en tirer avec les honneurs, car les mélodies tenaient la route. Bettye tape dans une chanson moins connue de Lennon/McCartney, « The Word », et ça ne marche pas. Elle refait sa Tina dans « No Time To Live » de Traffic et c’est horriblement prétentieux. « Don’t Let Me Be Misunderstood » lui va un peu mieux, mais elle refait sa Tina dans « Wish You Were Here » du Pink Floyd et elle réussit à massacrer le très beau « Baby I’m Amazed » de McCartney. Elle se prend cette fois pour Nina Simone, mais elle n’est pas Nina Simone. On ne retrouve même pas le fil mélodique de la chanson, pourtant si pur. Puis elle tape dans les Stones avec « Salt Of The Earth », mais ça ne marche pas non plus. Rien à faire. Il ne se passe rien dans sa version de « Nights In White Satin » et on retrouve enfin la Soul Sister dans « Why Does Love Got To Be So Bad » (Clapton) qui démarre comme le « Cannonball » des Breeders. Et là, elle swingue, et ça devient fabuleux, funky jusqu’à l’os du genou et transpercé par un solo fatal. La grande Bettye est enfin de retour. Ouf ! Il était temps.   

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             Tous les LaVettistes se sont prosternés devant Thankful N’ Thoughful paru en 2012. Pourtant, dans Soul Bag elle explique que c’est encore une idée des producteurs, pas la sienne - Je n’ai pas été associée à leur démarche - Et elle est directe : ce n’est pas son disque préféré ! En effet, l’album commençait mal, car dans « Everything Is Broken », elle refaisait sa Tina.

             — Bon dieu, Bettye, arrête de singer cette vieille mémère de Tina qui est devenue vraiment pénible !

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             Mais on lui a dit de singer Tina. Les mecs du business pensent que ça fait vendre. Alors la pauvre Bettye fait sa Tina en veillant à ne pas tomber dans la tinette, mais c’est tout juste. Elle redevient pénible de singerie. Dommage. Puis elle trafique « Dirty Old Town » et c’est atrocement mauvais. Les mecs du business ont réussi à faire de Bettye une vieille chanteuse à la mode. En plus, elle s’y croit. Elle traîne ses mots dans l’affectation et fait sa gospel queen de radiateur. Il faut attendre « I’m Tired » pour la voir enfin renaître. Elle se fâche pour de bon et elle accouche d’un vrai hit. Elle fait sa fêlée. Elle sort un pur jus de rock à Billy bop de cabane de bayou. Ça sonne comme un hit, elle emmène son truc à la voix chauffée, pulsée par un riff fatal. Wow Bettye ! Avec le morceau titre, elle tape dans le heartbeat du r’n’b et renoue avec la Soul magique. Bettye dégage le passage. Ne vous mettez pas en travers de son chemin - Thoughtful ! I’m thoughtful - C’est plombé à l’arpège dément. Elle mord dans son truc comme dans la pomme du diable - le son ! le son ! - Envoûtement garanti. Elle redevient la Bettye fascinante qu’on adore. Et elle y revient sans cesse, elle mord et remord au truc. Dans « Time Will Do The Talking », elle prend le taureau du groove par les cornes. Elle se libère enfin de ses chaînes. Elle attaque le groove dans la pente. Elle devient spectaculaire. Plus aucune affectation. Elle chante sous l’emprise du feeling et on retombe sur la réalité d’une star énorme. Elle plonge dans son cut avec gourmandise, elle en fait un truc puissant et inspiré. Elle chevauche son groove à l’ancienne, sans selle. Elle chante comme la reine de Nubie - Time ! Time ! - et elle finit par donner le vertige.

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             On trouve les deux premiers enregistrements de Bettye sur une compile intitulée The Original Sound Of Detroit, parue en 1967. Attention, c’est un très gros disque, puisqu’autour d’elle on trouve les noms des Corvells, des Falcons, de Mack Rice et de Joe Stubbs, qui était le frère de Levi Stubbs, l’un des quatre Four Tops. Sir Mack Rice fait un carton avec « My Baby » et son r’n’b popotin noyé de chœurs et de cuivres. Bettye a déjà une envergure de Soul Sister. Avec « Witchcraft In The Air », elle pulse comme une vétérante des guerres napoléoniennes. Mais le roi, c’est bien Sir Mack Rice qui revient à la charge avec « Baby I’m Coming Home ». Il sait trousser un hit et le rendre sympathique en le chargeant de clap-hands et de chœurs torrides. Le « Has It Happened To You Yet » des Falcons est une perle de juke d’un très haut niveau de groove de Soul, dentelé à la vocalise et chanté comme du Marvin, mais en plus élégiaque. Pure magie vocale.  

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             Worthy paraît en 2015 sur Cherry Red, un label anglais. Dans Soul Bag, Bettye se dit déçue par les Américains, et notamment par Don Was et Jack White - des gens de Detroit comme moi - qui ont des petits labels et qui ne s’intéressent pas à elle. Worthy est un bon disque. On y trouve une belle pièce de stonesy intitulée « Complicated ». Sa cover tient la route. Bettye sait jiver les Stones et elle fait de ce hit mineur des Stones un hit majeur - It’s kind of complicated aouuuhhh - Elle le groove sans pitié. Elle fait aussi une cover de Dylan, « Unbelievable ». Elle essaye d’y conserver son identité de vieille dame indigne, mais ce n’est pas facile car elle vire trop Tina. Elle fait tout à la glotte fêlée. Elle frime tellement qu’on finit par aller boire une bière au bar. Dommage que son chant soit si maniéré. Elle ne sait même plus de quelle école elle sort et sa reprise du « Bless Us All » de Mickey Newbury est un peu ratée. Elle reprend aussi un cut de Lucinda Williams, «Undamned», sa chouchoute - Quand nous nous voyons, nous nous asseyons pas terre pour boire du vin - Elle revient à ses chers Beatles avec une reprise de « Wait » et en fait une version sauveuse d’album.

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             Nouvelle apparition en 2018 avec un album de reprises de Dylan, Things Have Changed. Elle y cultive encore ce son de glotte fêlée à la Tina, comme si elle voulait revenir aux racines du mythe Ike & Tina. Elle tape dans les gros classiques de Bob comme « It Ain’t Me Babe » (traité au sweet heavy groove) et « The Times They Are A Changin’ », tapé au heavy sound. Elle sait travailler le Dylanex et emploie une curieuse méthode consistant à en transformer l’ambiance. Dylan sert de merveilleux prétexte, en fait. Elle le fait basculer dans la Soul et c’est admirable. Nouvel essai avec un « What Was It You Wanted » extrêmement groové. Elle fait autorité sur Dylan. Du coup, cette façon de groover en profondeur change tout. Elle en profite pour déballer tout son art de Soul Sister sur le retour. Quelle belle présence intensive ! Elle tape « Go Right To Me Baby (Go Unto Others) » au heavy romp et derrière, ça cocotte sec comme dans Led Zep. De grosses guitares volent à son secours, c’est édifiant. Quelle shouteuse ! Elle touille sa sauce de manière providentielle et occasionne une réelle délectation. Elle retraite « Going Going Gone » à sa sauce et ça finit par donner un grand disque de Soul très porteur, très stratosphérique. Elle remonte le courant de sa Soul comme un saumon d’Écosse, elle splashe des giclées argentées dans les rayons d’un soleil ardent, elle ramène des tonnes de pathos du fond de son ventre de Soul Sister. On entend Keef jouer un killer solo de gras anglais dans « Political World ». Il renoue avec l’éclair de génie du solo de « Sympathy For The Devil ». Avec ce cut, on perd une fois encore tout le Dylanex au profit d’un Bettysme très ambitieux. Elle tape un « Seeing The Real You At Last » plus musculeux. Un nommé Pino Palladino signe ce bassmatic qui roule bien sous la peau du groove. Elle transforme le Dylanex une fois de plus et le sublime en ramenant des tonnes de feeling dans son groove. En fait, elle annexe le Dylanex.

             À la fin de son livre, Bettye reçoit un trophée au Heroes and Legends Banquet de Berverly Hills. Elle monte sur scène et aperçoit les pontes de Motown dans l’assistance, dont Berry Gordy. L’occasion est trop belle de l’allumer : « And if I’m a legend at all, it’s because I know people in Detroit who Berry Gordy still owes fifty dollars to, from when they worked with him on the Chrysler line - Oui, Gordy doit encore du fric à des ouvriers de Chrysler, et elle ajoute, histoire de bien leur mettre le museau dans leur caca - I’d like to say that people in this room could help me to get me where I am, but they didn’t - Oui, aucune des personnes présentes dans cette salle ne l’a aidée. Et comme Lemmy, elle affirme qu’elle fumera de l’herbe et qu’elle picolera jusqu’à ce que le toubib lui dise qu’elle est foutue - And even then, I may well continue smoking marijuana and drinking champagne - Et même à l’article de la mort, elle continuera de fumer de l’herbe et de siffler du champagne.

    Signé : Cazengler, Lavette

    Bettye LaVette. Tell Me A Lie. Motown 1982

    Bettye LaVette. Not Gonna Happen Twice. Motorcity Records 1991

    Bettye LaVette. A Woman Like Me. Blues Express 2004

    Bettye LaVette. I’ve Got My Own Hell To Raise. Anti- 2005

    Bettye LaVette. Do Your Duty. Sundazed Music 2006

    Bettye LaVette. Child Of The Seventies. Rhino Handmade 2006

    Bettye LaVette. The Scene Of The Crime. Anti- 2007

    Bettye LaVette. Interpretations - The British Rock Songbook. Anti- 2010

    Bettye LaVette. Thankful N’ Thoughful. Anti- 2012

    The Original Sound Of Detroit. Speciality/Ember Records 1967

    Bettye LaVette. Worthy. Cherry Red Records 2015

    Bettye LaVette. Things Have Changed. Verve Records 2018

    Bettye LaVette. The 1972 Muscle Shoals Sessions. Run Out Groove 2018

    Bettye LaVette & David Ritz. A Woman Like Me - A Memoir. Plume Printing 2013

    Bettye LaVette. Reprise à Haute Tension. Soul Bag n°218. Avril-mai-juin 2015

     

     

    Wizards & True Stars

    - Le jeu de Pomus

     

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             La seule True Star en béquilles pourrait bien être Doc Pomus. Vieille école ? Autre époque ? Susurreur suranné ? Huberlu révolu ? Dévolu d’Honolulu ? Alibi d’hallali ? Non, Doc, c’est le Brill, au même titre que Totor et Ellie Greenwich, au même titre que Leiber & Stoller et Donnie Kirshner. Ce Brill qui fit briller la pop américaine au firmament, jusqu’au moment où sont arrivés les Beatles, en 1964.

             Petit, Doc s’est chopé la polio. Il a marché toute sa vie avec des béquilles, puis il est passé au fauteuil roulant quand il a pris trop de poids. Alors bien sûr, il reste associé à Mort Shuman, un mec qu’on n’aime pas trop, par ici, mais bon, faut faire avec. Ils constituaient un team, au même titre que Mann & Weil, Barry & Greenwich, Goffin & King, Boyce & Hart, Sedaka & Greenfield. Situé au 1619 Broadway, à Manhattan, le Brill était un immeuble transformé en usine à tubes. Kirshner et d’autres payaient les teams installés dans des bureaux pour pondre des hits chaque jour. Cot cot ! Ça pondait sec ! Des Anglais comme Don Arden, Mickie Most ou Andrew Loog Oldham venaient faire leurs courses au Brill. Combien la douzaine ? Cot cot ! Quand Elvis s’est lancé dans son aventure hollywoodienne, il a fallu augmenter la cadence, car à raison de quatre bandes originales de films par an, il fallait pondre à bras raccourcis et en continu. Cot cot cot cot ! Au début ça amusait Doc, car il s’en foutait plein les poches, mais au bout d’un moment, il a dit stop, car c’était n’importe quoi. Doc est un artiste, pas une poule en batterie.

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             On peut entrer dans sa vie par l’excellent book d’Alex Halberstadt, Lonely Avenue - The Unlikely Life And Times Of Doc Pomus, ou alors, par une compile Ace, The Pomus & Shuman Story (Double Trouble 1956-1967) parue en 2007. L’Ace est idéale car on a la musique. Le book est tout aussi idéal, car Halberstadt réussit l’exploit de nous faire entrer dans la mystérieuse chambre d’hôtel où il a vécu pratiquement toute sa vie et de restituer la dimension gargantuesque de cet infirme génial. Doc est un homme qu’on aurait adoré connaître. On y revient la semaine prochaine.

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             L’Ace réussit un autre exploit : présenter le parcours de Doc comme un fantastique résumé de la grande pop américaine, depuis Ray Charles jusqu’à Elvis, en passant par les Drifters de Ben E. King et LaVern Baker. Que cet homme soit associé à autant de très grands artistes est en soi une sorte de petit miracle. Doc est moins glamour que Mann & Weil, Goffin & King ou Barry & Greenwich, mais il occupe exactement le même rang. Il faut entendre Ray Charles chanter son «Lonely Avenue», qui d’ailleurs donne son titre au book d’Halberstadt. C’est du mythe à l’état pur, du mythe hanté d’oooh yes sir et Ray t’explose ça au feel so sad avec des chœurs de cathédrale. «Lonely Avenue» est d’autant plus mythique qu’il s’agit de la chanson autobiographique d’un infirme interprétée par un autre infirme. Ahmet Ertegun apprécie beaucoup Doc et lui demande de composer pour ses artistes, alors Doc y va : Clyde McPhatter, LaVern Baker, les Coasters, Bobby Darin, Mickey Baker, et Ruth Brown, rien que du gratin dauphinois. On croise plus loin l’«Hey Memphis» de LaVern Baker, adaptation de «Little Sister», fantastique rumble d’Hey Memphis won’t you, c’est même d’une rare violence. Il faut aussi saluer le «(Wake Up) Miss Rip Van Winkle» des Tibbs Brothers explosé au sax par King Curtis. Il est bon se rappeler que King Curtis et Mickey Baker font partie des session men favoris de Doc. Quand naît sa fille Sharon, Doc compose «I Ain’t Sharin’ Sharon» qu’on entend ici interprété par Bobby Darin.

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             Libéré de l’armée, Elvis enregistre «A Mess Of Blues» et Doc devient, nous dit Mick Patrick, l’un des compositeurs préférés du King. Eh oui, ses versions de «(Marie’s The Name) His Latest Flame» et «Little Sister» sont des hits demented. Sur l’Ace, Elvis nous chante «Double Trouble». On sent immédiatement la différence. Elvis a une façon unique de rentrer dans le chou du lard. Il va enregistrer 16 compos de Doc, et d’autres que Doc a pondues avec Leiber & Stoller. Mick Patrick indique qu’«His Lastest Flame» et «Little Sisters» étaient destinés à Bobby Vee qui n’en voulait pas ! Par contre, il chante un «All You Gotta Do Is Touch Me» au mieux de ses possibilités. Vee vit ça bien. Il sonne comme un lookalike de Buddy qui n’a jamais pu surmonter la catastrophe du plane crash. Sur l’Ace, c’est Del Shannon qui se tape «His Lastest Flame», mais Del n’a pas la voix, même si dans les early sixties, on le considère comme une star. Par contre, les deux qui ont des voix sont Marty Wilde et Fabian. Marty tape «It’s Been Nice» et ça bascule dans le génie interprétatif. Pareil pour Fabian avec «Turn Me Loose», fabuleux shake de pop US qu’il chante à l’exacerbée. Avec «Save The Last Dance For Me», les Drifters nous ramènent au cœur du New York City Sound. Dion & the Belmonts aussi, avec «A Teenager In Love», même si c’est plus sucré. On croise aussi Barrett Strong avec «Seven Sins», un petit bordel de juke parfaitement inutile. Doc est mêlé à pas mal d’horreurs, comme Ral Donner («So Close To Heaven») ou Andy Williams («Can’t Get Used To Losing You»). Par contre, Ben E. King tartine bien son «First Taste Of Love». Il bénéficie du traitement de choc orchestral. C’est Terry Stafford qui tape le «Suspicion» écarté par Elvis. Vraie voix. Admirable ! Gary US Bond tape le «Seven Day Weekend» que reprendront les Dolls. Ça permet tout de suite de situer le niveau. Rappelons aussi au passage que Doc était pote avec Lou Reed et Mac, c’est-à-dire Doctor John. On garde les meilleurs pour la fin ? Voilà Irma Thomas avec «I’m Gonna Cry Till My Tears Run Dry». Irma rentre dans la Soul de Doc au heavy groove de New Orleans. Elle va pleureur jusqu’à la dernière larme. Arrive aussitôt après elle l’immense Howard Tate avec «Stop». Il t’allume ça à n’en plus finir au stop it baby. Et pour refermer la marche, les McCoys embarquent «Say Those Magic Words» au mieux des possibilités de la pop explosive. Pur psyché de New York juke ! 

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             Avant de devenir auteur de renom, Doc chantait le blues dans les bars de New York. Son idole n’était autre que Big Joe Turner. En 2006, Rev-Ola eut l’extrême intelligence de faire paraître Blues In The Red. On y entend Doc chanter le blues dans les années 40 à Greenwich Village. Doc est un peu obligé de changer de nom, car il ne veut pas que ses parents sache qu’il chante le blues dans les clubs - White kids just didn’t sing blues with Negroes in the 1940s - Attention aux yeux, car le «Doc’s Boogie» d’ouverture de bal est du pur proto-punk. Doc devient une sorte de Mezz Mezzrow du out of it. Il nous ramène dans les racines du New York jive, les racines du blues urbain, qui est, à l’image de cette ville, bourré d’énergie. Tout sur cet album est joué à l’arrache. Doc arrive avec ses béquilles dans le jive de «Send For The Doctor» et l’explose. Le solo de sax fout le feu. On entend rarement un tel jive de jump. Son hit le plus connu est dans doute «Alley Alley Blues». Docky Doc est blanc, mais il reste dans la veine de Big Joe Turner. Il tape «My Good Pott» au big band brawl. On s’amuse bien avec Doc, il fonce dans le tas, comme Louis Jordan - I love my good pott/ All the time ! - Quelle énergie ! Il tape le heavy blues de «Traveling Doc» au come back no more et revient au heavy rumble de jump avec «Naggin’ Wife Blues». Doc est un dingue du r’n’b, il a récupéré tout le génie du genre : le power et la diction. Tout est cuivré de frais, cuit dans son jus, craquant comme un 78 tours. Il faut le voir se jeter avec ses béquilles dans le «Give It Up». Ça joue à Brooklyn ! Là, tu as les vrais mecs, il y va au give it up/ I’m real down. «Heartlessly» sonne comme un hit. Il adore le vieux groove de cœur brisé. On entend Mickey Baker dans «Bye Baby Bye» et Doc termine bien sûr avec un «Joe Turner Medley» en forme de heavy romp de fast rock’n’roll.

    Signé : Cazengler, Doc Paumé

    The Pomus & Shuman Story (Double Trouble 1956-1967). Ace Records 2007

    Doc Pomus. Blues In The Red. Rev-Ola 2006

     

     

    L’avenir du rock

    - Pas de pépètes pour Los Pepes

     

             Ce matin-là, l’avenir du rock promenait son cul non pas sur les remparts de Varsovie, mais plus prosaïquement sur le Pont des Arts. Il vit arriver à sa rencontre un homme qui pleurait.

             — Bouh-ouh ouh, bouh ouh-ouh...

             Il faut savoir que l’avenir du rock a un talon d’achille : le spectacle du chagrin lui broie généralement le cœur. Il s’arrêta à hauteur de l’homme et s’enquit des raisons de son malheur.

             — Que vous arrive-t-il, mon pauvre ami ? Comment puis-je vous aider ?

             — Bouh-ouh ouh, bouh ouh-ouh...

             L’homme sembla redoubler de chagrin.

             — Bouh-ouh ouh, bouh ouh-ouh... Bouh-ouh ouh, bouh ouh-ouh...

             — Eh bien, eh bien, calmons-nous... Venez donc prendre un petit café arrosé, je vous l’offre...

             — Bouh-ouh ouh, bouh ouh-ouh... Bouh-ouh ouh, bouh ouh-ouh...

             — Ah oui, je comprends, il vous faut quelque chose de plus corsé. Venez avec moi dans ce bar là-bas, nous irons ensemble aux toilettes et je vous ferai un petit rail de speed, vous allez retrouver le sourire, croyez-moi !

              — Bouh-ouh ouh, bouh ouh-ouh...

             — Bon, il semble que votre désespoir exige une thérapie plus radicale. Alors accompagnez-moi jusqu’au bas de la rue Saint-Denis, je connais une pute ravissante qui vous mettra du baume au cœur, je vous l’offre pour une heure, une nommée Pépète...

             L’homme s’arrêta de sangloter. Il fixa un instant l’avenir du rock et marmonna :

             — Pépète ?

             — Ben oui, Pépète ! Et alors ? C’est quoi le problème ?

             — Bouh-ouh ouh, bouh ouh-ouh... Pas de pépètes pour Los Pepes !   

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             Pas de première partie. Pas grand monde, allez, une bonne dizaine de personnes. En langage clair, ça veut dire que Los Pepes vont jouer pour des clopinettes. Mais comme ils sont pro, ils vont jouer quand même. Face à ce type de Bérézina, l’avenir du rock préfère coubertiner : l’essentiel est de participer dans Lactel.

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             Ultime réglage, monte la voix, up !, up !, et soudain boom, le ciel te tombe sur la tête : Los Pepes are on fire ! Depuis Motörhead, on n’avait plus entendu ce genre de blast. C’est même du double concentré de blast.

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    Deux guitares, deux Marshalls et boom kaboom badaboom, tu sais que tes oreilles vont siffler pendant trois jours. Quelle merveille que de voir ces quatre mecs jouer à la vie à la mort une espèce de hardcore gaga-punk complètement ancré dans le passé, mais cette musique reste vivante, ô combien ! Ils te font du pur wild as fuck de tight team, pulsé au beurre par une machine humaine, une vraie locomotive aux bras tatoués.

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    Dans Vive Le Rock, le seul canard à chroniquer Los Pepes, le mec disait qu’ils étaient the loudest band on earth. Rien de plus vrai. Louder, ça n’existe pas. Louder et beau, même si les rares instants mélodiques sont emportés par le déluge de feu.

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    Le mec qui bassmatique au centre de la scène est un Japonais à gueule de rock star, il joue en fluidité continue sur une basse en plexiglas et reste extrêmement concentré, il volerait presque le show. Il s’appelle Seisuke Nakagawa. Le mec au beurre derrière lui est un Polak, Kris Kowalski, il fait partie des batteurs inexorables, il monte sur tous les coups, il relance en permanence, son cœur balance entre la dynamique et la dynamite, rien qu’avec lui et son ami japonais, Los Pepes dispose de l’une des sections rythmiques les plus explosives dans le genre. On reste dans l’international avec le guitariste qui joue à droite. Il s’appelle Gui Rujao et vient du Brésil. Et puis voilà Ben Perrier, qui gratte ses poux sur une Mosrite et que les amateurs de gaga-punk britannique connaissent bien, car il fit des étincelles dans les années 2000 avec son duo gratte/beurre, Winnegabo Deal. Ben Perrier a lui aussi des allures de rock star, il joue un peu à l’ancienne, jambes écartées et voix perchée, mais quelle présence !

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             Deux albums de Los Pepes traînaient au merch, Positive Negative qui date de 2019, et The Happiness Program. Le premier est un strong album de tatapoum power-poppy, bourré à craquer de drives inflammatoires.

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    Ben Perrier reste fidèle à l’esthétique du blast des années 2000, une fournaise dans laquelle se fondent les influences de Fast Eddie Clarke, des Ramones et des groupes australiens de type New Christs. Notez bien qu’après le set, Ben Perrier portait un T-shirt Eternally Yours, l’un des plus beaux albums de blast seigneurial jamais enregistrés. On appelle ça une preuve de goût. Le morceau titre du Positive Negative est totalement dévoué à la cause, ils font du pas de pitié pour les canards boiteux, ils tapent dans l’esthétique d’Attila & the Huns, ça sent bon le roussi des vieilles équipes comme les Backyard Babies et les Hellacopters. Globalement le son est plein comme un œuf et le bassmatic rôde en permanence sous la surface. On ne s’ennuie pas un seul instant. Ils savent pousser à la roue, pas de problème. Ils ne rechignent pas à la dépense. Ces mecs savent jeter tout leur dévolu dans la balance. Leurs power-chords sont d’une générosité à toute épreuve. Ils savent caresser la clameur dans le sens du poil. Un seul hic, dans ce grandiose panégyrique : qui ira aller acheter les albums de Los Pepes ? Ceux qui les voient sur scène et quelques lecteurs de Vive Le Rock ? Los Pepes n’inventent rien. Ils se contentent d’exister, et c’est tout ce qui compte. En B, tu vas trouver des jolies choses : «Medication» et «Think Back», deux belles prouesses power-pop qu’on dirait illuminées de l’intérieur, et dignes de celles des géants du genre, Gigolo Aunts et Velvet Crush, pour n’en citer que deux. De cut en cut, le power se fait de plus en plus intact et compact.    

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             Leur dernier album qui s’appelle The Happiness Program est encore meilleur. Une vraie mine d’or pour l’amateur de power-pop. Ils jouent en formation serrée, il y a quelque chose de massif dans leur son, on retrouve aussitôt l’énergie de l’ouverture de set, cette espèce de bim bam boom immédiat qui met les sens en alerte. Ils sont massifs à l’ancienne, ils jouent vite et bien. Les coups de vrilles sont de purs hommages à Johnny Thunders. Et soudain, avec «Let Them Talk», ils se mettent à sonner comme les Buzzcocks. C’est extrêmement réussi. Ils semblent même avoir maîtrisé leur pétaudière, «Sick And Bored» sonne comme un hit power-poppy en diabolo. Ben Perrier emmène sa fière équipe à l’assaut du lard fumant. En B, tu tombes sur une autre merveille : «Anecdotes», une power-pop bien moulée dans sa gaine noire. Le bassmatic ramène des frissons sous la peau. Encore de l’énergie à gogo dans «I Remember You», superbe brouet d’éminente éloquence, ces mecs n’en finissent plus de battre la campagne, alors oui, on peut les suivre. Ils terminent en mode heavy classic rock avec «Born Into This». Ils tapent un rock franc du collier, un rock de meilleur ami. Avec eux, tu ne crains plus rien. Ils te grattent tout simplement le rock que tu as toujours aimé.

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             Les albums de Winnebago Deal sont excellents. Sur la pochette du deuxième Deal, tu vas trouver un tyrannosaure. Dead Gone est un fier album, un autel dressé au dieu Blast, et ça blaste dès «Breakdown», au drive de craze et de step aside. Ils bâtissent une fournaise à deux. Jack Endino veille au grain du son. Pendant que Ben Perrier turbine sa ramalama, l’autre Ben bat son beurre et n’arrête jamais. Avec «Cobra», ils se transforment en charge de Chevaliers Teutoniques sur le lac gelé. Aucun rempart ne peut résister à une telle charge. Ben Perrier allume ses racines, il exagère l’exercice de sa fonction. On a l’impression qu’il tente chaque fois le tout pour le tout, notamment dans «LS Fiction». Nouvel exercice de blast définitif avec «Did It Done It Doing It Again». Ils ne vivent que pour ça : allumer à la Méricourt. Encore du déballonné des enfers avec «Knife Chase». C’est même de l’hyper-bast. Ils battraient presque Motörhead à la course. Ben Perrier est fou, il joue comme Fast Eddie Clarke. Il va toujours plus loin dans l’extrémisme, comme le montre «Shank Fight». Il screame comme un dingue et gratte ses poux. La médecine ne peut rien pour lui. Pauvre Ben. Mais ça ne l’empêche pas d’exploser «Cargo Bull»  d’entrée de jeu. Pas de retour possible. Ce n’est pas le genre de mec à traîner en chemin. Il vise plutôt l’apoplexie. Tout chez lui se résume à une seule chose : renter dans le chou du gusto. Avec le morceau titre, Ben bombarde le front à coups d’orgues de Staline. C’est l’impression que laisse son riffing et l’ampleur du son, une vraie apocalypse sonique, un parti-pris de rougeoyance. Et tout s’écroule dans l’apocalypse du beurre des fous avec «NWO», le drive du Ben embarque l’autre Ben, ils bombardent Dresde à deux.

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             Attention à Flight Of The Raven : c’est du Jack Endino, donc du blast bien conditionné. Et boom badaboom dès «With Friends Like These». Ben Perrier est l’un des grands fous de l’histoire de la psychiatrie gaga-punk. On croit que c’est du blast, mais non, c’est du blast définitif. Ben & Ben te blastent dans le mur, ils te blastent over the rainbow, ils te dégagent du passage, ils sont incontrôlables, au-dessus de ce blast, il n’y a plus rien. Alors les voilà partis pour une série de 15 brûlots, dont le pire est dans doute le dernier, «Revenge», mais aussi «You Let Me Down», ils te plombent la soirée, ça te tombe sur la tête. C’est digne de Motörhead, mais en réalité, c’est du pur Ben Perrier. Ou encore «Target», les deux Ben se superposent dans le vent du blast, Ben & Ben sont les rois du pétrole, ils jouent aux charbons ardents et portent leur blast aux nues, c’est du très grand art, car ils ne sont que deux. Et puis tu as encore «Spider Bite», pur jus de no way out, Ben le cueille à la cocote sèche, ça t’explose en pleine poire, c’mon Ben ! Le coup de génie de l’album s’appelle «Going Home», ils créent l’événement, Ben & Ben n’arrêtent jamais, ils vont jusqu’au bout de leur délire, Ben délie son délire et Ben bat le beurre du diable. Avec «Fresco», ils plongent tous les deux dans l’insanité, c’est du hardcore punk anglais qui avance à marche forcée. Tout ce qui intéresse Ben & Ben, c’est l’enfer sur la terre. Ils jouent aussi avec l’incendiaire maximaliste dans «Venomized», le chant brille toujours dans la clameur des combats, il ramonent littéralement le no way out. Ils chargent la barque de l’ultimate.

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             Leur dernier album s’appelle Career Suicide. Il est du même niveau que le précédent, c’est du blast forever dès «Heart Attack In My Head», Ben & Ben y vont au débotté, ils font Motörhead à deux. Ben est dingue ! Enfermez-le ! Si tu aimes le blast, t’es servi comme un roi : «Nobody’s Fault But Mine» et «You Don’t Exist» te courent sur l’haricot, Ben Perrier te claque du JSBX des enfers, tu en prends plein la terrine, il est l’un des rois de la power pop inflammatoire. Il adore gratter ses poux dans la fournaise. C’est son vice et sa vertu. Diable comme ce mec est bon, il crée chaque fois les conditions du blast définitif. Ben & Ben abattent du chemin, énormément de chemin, comme le montre encore «I Want Your Blood». Tu entends rarement des mecs aussi énervés («Poison»). «Ain’t No Salvation» est trop punk’s not dead. Trop fast. Trop Deal. Trop Ben. Ce que les gens n’ont pas compris l’autre soir, c’est que Ben Perrier est une star du wild underground. Retour à l’insanité avec «Frost Biter», fast Méricourt, il devient fou devant toi. Et comme sur l’album précédent, le coup de génie se planque à la fin : «Can’t See Don’t Care Don’t Know». Terrific ! Il drive ça à la high energy, il hurle dans les nuages. Ben Perrier est un dieu inconnu.

    Signé : Cazengler, Los pépère

    Los Pepes. Le Trois Pièces. Rouen (76). 31 Mais 2023

    Los Pepes. Positive Negative. Wanda Records 2019

    Los Pepes. The Happiness Program. Snap!! Records 2022

    Winnebago Deal. Dead Gone. Double Dragon Music 2004

    Winnebago Deal. Flight Of The Raven. Fierce Panda 2006

    Winnebago Deal. Career Suicide. We Deliver The Guts 2010

     

     

    Inside the goldmine

    - Stokes option

     

             Stic ? Oh, il se voulait d’un abord facile, mais en réalité, il veillait à rester extrêmement impénétrable. On croise souvent ce type de comportement chez les enfants des familles recomposées, une façon passive de dire non à la nouvelle union. Il émanait de Stic ce curieux mélange de gentillesse et de froideur qui caractérise généralement les gosses extrêmement intelligents. Il savait plonger son regard dans celui des autres et personne n’aurait jamais pu dire ce qu’il pouvait ressentir. Dans une vie antérieure, il avait dû être empereur romain, ou peut-être éminence grise d’un parrain de la mafia. Par contre, sa sœur, férue d’au-delà et en contact avec les esprits, se savait la réincarnation d’un pilote de chasse allemand de la Première Guerre Mondiale. Stic veillait à ne pas créer de malaise, mais il jetait malgré tout un froid, lorsqu’il participait aux réunions de famille recomposée. Il fallut vite en tirer les conséquences, à savoir qu’il était inutile de vouloir tisser quelque lien que ce fût avec lui. Au moins les choses avaient le mérite d’être claires. On appelle ça un statu quo. Il fallait surtout veiller à rester sur le qui-vive et à bien réagir lorsque Stic envoyait une pique. Vous l’aurez sans doute remarqué, les piques des gens intelligents sont toujours bien acceptées. L’idéal est de pouvoir proposer une répartie, mais il faut en avoir le niveau. Stic en faisait un jeu. Ferraillait qui pouvait, mais ce qui pouvait passer pour une petite altercation était en fait pour lui un jeu d’esprit. À partir de là, on commençait à comprendre. Eh oui, on ne pouvait pas jauger Stic selon nos critères. Il fallait plutôt imaginer les siens. Alors ça devenait simple. Bien sûr, c’est une approche qui vaut pour tout type de relation, mais dans ce cas particulier, ce fut une révélation. Stic ne s’investissait pas vraiment dans les modes de relations traditionnelles, il s’intéressait surtout au théâtre d’avant-garde, il avait monté une petite troupe dans le but d’engager à la fois une pratique et une réflexion sur l’avant-garde. Barba ? Kantor ? Oui bien sûr, mais il aimait par-dessus tout tendre un filin très haut et y faire le funambule au péril de sa vie. Seul le plateau de départ était éclairé et le filin s’enfonçait dans les ténèbres. Ce soir-là, il s’est enfoncé dans l’inconnu les yeux bandés, et pendant un temps qui sembla durer une éternité, nous l’entendîmes clamer «L’homme avance !», jusqu’à ce que sa voix s’éteignît.

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             Stokes, c’est un peu la même chose que Stic : il avance en funambule dans les ténèbres et frappe les imaginations d’une manière extrêmement particulière. Pour Matthew Sweet, Simon Stokes est un phénomène. Sweet parle de Post-LSD Swamp Rock Vibrations et met Stokes au même niveau que Little Richard, le White Panther Party, Blue Cheer, les Groovies et Chuck Berry with a psychedelic lightshow. Sweet qualifie le style de Stokes de raving, screaming, funky, anti-social, il va même jusqu’à lâcher le mot-clé : rock’n’roll insanity. Stokes est un mec du Massachusets. Fan de Jack Kerouac, il s’est mis à drifter across the USA. C’est comme ça qu’il échoue fin des années 50 à Hollywood. Kim Fowley le rencontre entre 1959 et 1961 : «He was dressed in leather like Gene Vincent, half Jim Morrison, half John Fogerty, before the Doors or CCR existed. A wonderful guy. Smart, cynical, a forerunner of all that Louisiana swamp stuff. In the time of Bobby Vee, Simon Stokes was the most dangerous guy in Hollywood.» Pour Sweet, Stokes s’adresse aux fans de Captain Beefheart, de Kim Fowley, du Sensational Alex Harvey Band, des Deviants et de l’Edgar Broughton Band. Sweet cite aussi The Hampton Grease Band. Ride on brother !

             Un jour, Stokes et son copain guitariste Randall Keith vont trouver David Anderle, l’A&R d’Elektra à Hollywood. Anderle avait fait savoir qu’il était prêt à rencontrer tous ceux qui le souhaitaient. Stokes et Keith ressortent de son bureau avec un contrat de songwriters. Lonnie Mack tape l’une de leurs compos, «Too Much Trouble» sur Glad I’m In The Band.  

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             Stokes bricole pendant dix ans avant de pouvoir enregistrer en 1970 son premier album, l’extraordinaire Simon Stokes & The Nighthawks paru en 1970. Les guitaristes s’appellent Butch Senneville et Randall Keith, le beurreman Joe Yuele Jr. et le bassman Robert Ledger. Michael Lloyd produit, et Don Galluci qui enregistre Fun House au même moment fait les arrangements. Bienvenue au royaume du proto-punk. Deux classiques du genre : «Big City Blues» et «Sugar Ann». Absolute destroy oh boy, tu ne peux pas espérer mieux, Stokes va chercher l’ultra-gut d’undergut, il est extrême, il chante à la dégueulade d’envergure, tu as là toute la folie du monde, avec une guitare aigrelette jetée en pâture aux vautours. Il y a du Mac Rebennack, du Screamin’ Jay, du Bruce Joyner dans Stokes. Il s’en va screamer son swamp push à la lune. Il chante son «Sugar Ann» à la pure arrache de hot’n’greasy, il vise l’excès d’excellence, fantastique pulsatif, ce mec a le répondant de Stackwaddy, il y va au raunch de weahhhh, il est le screamer parfait. Coup de chapeau à Hank Williams avec une énorme version de «Jambalaya» et il tape «Which Way» au chant d’overdrive à la Screamin’ Jay. Il dispose du même pouvoir d’intensité dramatique. Il nous refait le coup du bayou en B avec «Voodoo Woman», real deal de swamp rock vibrations, story-telling de conte fantastique, puis il passe à la heavyness avec un «Rhode Island Red» joué dans les règles du lard fumant. C’est en gros l’ambiance de «Motor City’s Burning», avec le scream et le feu à la guitare. On le voit s’arc-bouter sur «Cajun Lil» et taper une terrible cover du «Down In Mexico» de Leiber & Stoller. C’est d’une rare violence, un véritable apanage du proto-punk. Il termine cet album faraminé de calamine avec un coup de génie intitulé «Ride On Angel», digne de Bo, mais en plus bas-fonds. Stokes a un don particulier pour rôder dans l’ombre. L’élan est très pur et la guitare plane au-dessus du son comme un vampire. Stokes groove en profondeur. Superbe walking bass ! 

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             Si tu en pinces pour le proto-punk, alors saute vite fait sur Simon Stokes & The Black Whip Thrill Band et plus particulièrement «Hot Simmer’s Night In The City». C’est l’histoire d’un baston entre les Thunderbirds et les Rebels, deux gangs ennemis - In the concrete jungle/ You live in fear/ Life is never certain/ Death always near - Il sait créer un climat de violence. Il fait aussi du pur Rebennack avec «She’s Got Voodoo». Il est bon pour le swamp rock hoodoo. Le morceau titre est aussi du gros boogaloo cousu de fil blanc - Did you hear the news girl ? - Il nous explique qu’il porte du black leather et il tape ça au heavy boogie de bastringue avec l’excellent Butch Senneville on guitar. On note aussi que Joe Petagno dessine le dos de la pochette. Stokes nous ressort l’excellent «Ride On Angel» de l’album précédent - Crank your bike/ Ride on/ Angel/ Ride on - Il nous raconte l’histoire d’une bagarre dans un bar et Angel finit sur la chaise électrique - The Bible says thou shall not kill - Il fait encore un heavy balladif tragique en B avec «Waltz For Jadded Lovers». il adore les ponts atmosphériques à la stood like a rock/ Tried not to talk/ Know life goes on.

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             Par contre, The Buzzard Of Love paru en 1977 n’est pas un très bon album. Stokes fait pas mal de story-telling. Il reste dans sa veine heavy boogaloo avec «I’ve Been Possessed» - Got that voodoo lovin’/ Got me cryin’ out for more - Le guitariste derrière Stokes s’appelle Peter Maunu. Stokes nous ressert son vieux «Big City Blues» en B et fait une belle cover d’«Endless Sleep», le vieux classique de Jody Reynolds. Stokes adore les climats lourds à la Screamin’ Jay, le voodoo de Mac et le Fire of Love de Jody. Hommage à Bolan avec «Chrome Rock» - Everybody’s doing the chrome rock baby - C’est excellent et Stokes refait son Screamin’ Jay avec «Air Conditioned Nightmare». Pur boogaloo - Death walked in the room/ And he wanted to dance with me.

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             Right To Fly et LSD sont le même album. Stokes y duette avec Timothy Leary, le pape de l’underground halluciné. C’est encore un very big album. Stokes l’attaque avec «No Regrets», un fantastique balladif d’élan suprême. Le coup de génie de l’album s’appelle «Drive-By Love», amené à l’urgence du heavy riffing. C’est même assez défenestrateur. Stokes aime bien le cocotage qui scie les tibias. Bienvenue dans les soubassements du heavy Stokes, drive it in/ drive it out, il sort ses meilleurs accents stoogiens et ça part en vrille de fuck out. Son «Seeing-Eye Man» est noyé de son, et du meilleur. Leary prend le premier couplet et cite Kerouac. Stokes hurle derrière. On patauge dans le wild genius. Stokes hurle tout ce qu’il peut, I’m the one that can ! «Slice It Dice It» se passe au ballon et Stokes renoue avec le génie sonique dans «Ripped Van Winkle», le gras double des guitares renvoie aux Stooges - There’s a killer loose outside my door - Pendant les ponts, Stokes rôde dans l’ombre, comme Iggy. Il harangue au heavy so I’m sittin’ here. Il ne vise qu’une chose avec «Rock’n’Roll Hollywood» : la pubescence de l’incendie - Old Happy doin’ the best he can/ He did two tours in Vietnam - Et on rebascule dans la génie Stokish avec une hallucinante drug-song, «100 Naked Kangaroos In Blue Canoes».

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    Stokes, c’est exactement la même chose que Third World War : une bombe à retardement. Il va chercher des noises au boogie avec son copain Timothy, un Timothy qui affirme qu’il a vu 100 naked kangaroos in blue canoes, too happy can’t sing these blues/ Much too happy can’t sing this blues. Encore du très écrit avec «Morality’s Ugly Head», le copain Timothy vient faire le refrain, il est marrant. Stokes arrache, mais Timothy chante à la diction du LSD. Quel album ! Ce démon de Stokes tape encore dans le rock tonite avec «Fugu Fish» et dans le rap avec «Psychorelic Rap». Il y fait du rap de blanc, il a des munitions et il bourre sa dinde de sitar. Il attaque «Global Village» à la Lou Reed. Ce mec a tous les pouvoirs. Il fait son grand méchant Lou au ditch the switch. Et tu as en prime le solo de rêve, c’est invraisemblable de rock quality, ces mecs sur-jouent jusqu’à la folie. S’il en est un sur cette terre qui sait enfoncer un clou, c’est bien Stokes.

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             Dans Ugly Things, Gray Newell nous rappelle qu’au moment de sa rencontre avec Stokes, Leary est dévoré par un cancer. L’album paraîtra quelques mois après sa mort. Newell ne s’arrête pas en si bon chemin : il évoque les super-fans de Stokes qui sont à l’époque Jello Biafra et Jeff Clayton d’Antiseen. Atteint par le virus Stokes, Clayton monte un Stokes tribute-band, Conquerer Worm. Bilan : deux albums. Un split avec Cocknoose et Ride On.

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             Le split date de 1993. On a un grand portrait de Stokes sur la pochette : barbe, lunettes noires et chapeau noir. Jeff Clayton s’arrache bien la glotte sur «Should Have Married Peggy Sue». Ils brûlent encore de fièvre sur «Ride On Angel», mais c’est avec «Good Times They Come» qu’ils montent en température et provoquent un gigantesque incendie. Ah quel hommage ! De l’autre côté, Cooknose fait du punk-rock solide et bien soutenu. Pas d’hommage à Stokes mais une reprise de G.G. Allin, «Dog Shit». Ils vont vite en besogne.

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             Ride On est plus sérieux. Quand tu ouvres la boiboîte, tu tombes sur la photo des trois Conquerers. Jeff Clayton ressemble à Dickie Peterson, le bassman Phil Irwin à un Hell’s Angel et Mike Schuppe à Mike Schuppe. C’est Clayton qui chante et ça démarre en trombe avec «Ride On Angel». Dans le petit texte d’accompagnement, Phil Irwin s’adresse à Stokes pour lui dire qu’ils n’ont pas réussi à le joindre pour l’informer de ce tribute. Ils ont pourtant contacté tout le monde : Cub Koda, Kim Fowley, Jello Biafra, Billy Miller, mais personne ne savait où se planquait Stokes. Avec le guttural de Clayton, les cuts de Stokes prennent une autre allure. Il chante «Hot Summet Night» à l’arrache maximale et Mike Schuppe ramène dans le son un solo liquide à la Blue Cheer. Ils sont merveilleux sur «Captain Howdy», Clayton éclate de rire, ah ah ah, et «Good Times They Come/Waltz For Jaded Lovers» titube au coin du bois. Ils savent rallumer le brasier de Stokes, pas de problème, ils déroulent même un sacré développement et ça devient du pur génie interprétatif, tout est dans les climats et les solos, alors chapeau bas ! Encore un bel hommage à Stokes avec «Voodoo Woman», ils en respectent merveilleusement l’esprit. Leur version d’«I Should Have Married Peggy Sue» est assez demented are go, et avec «Mama Tried», ils font du Motörhead, du fast punk de Worm. Avant d’aller coucher au panier, ils terminent avec un «Southern Girls» plein d’allant et de son, gras et heavy as hell. On ne saurait imaginer meilleur tribute à Simon Stokes. 

             Autre info de poids : Newell nous révèle que Stokes et Sky Saxon sont entrés ensemble en studio. Visiblement, les enregistrements moisissent dans un placard depuis que Sky a cassé sa pipe en bois en 2009. Il faudra sans doute poireauter un moment avant de voir l’album sortir.

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             Wayne Kramer joue sur quelques cuts d’Honky, paru en 2002, notamment sur «Jungle Music» - Oh oh let’s go to the Congo - Kramer joue dans la profondeur du mythe et Stokes chante à l’exaction définitive. Joli départ avec «Amazons & Coyotes», monté sur un heavy bassmatic. Stokes tombe sur son cut comme un gros vampire. Puissant et invulnérable. Encore du pur proto-punk et Kramer joue le lead. On retrouve Texas Terri et Lisa Kekaula dans les backings de «Laughter In The Sky». C’est incroyable que Stokes ait de si bons amis. Il passe à la country avec «Pissin’ In The Wind» et bien sûr Texas Terri chante faux. C’est même une insulte aux lois de l’harmonie. Stokes ressort son vieux «Ride On Angel» et tape dans le heavy slowah avec «Sleeping With The Enemy». Lisa Kekaula y fait des étincelles.

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             Stokes s’est écrit le mot Head sur le front pour la pochette de Head. Il attaque l’album avec le morceau titre, au fast barrelhouse cajun. Stokes pique des crises, il chante à la colérique et retombe dans le heavy trash de boogaloo avec «No One’s Goin’ Nowhere». Le cut s’enfonce dans le marécage, alors Stokes rampe. Il allume chaque cut avec son dirty raunch. Il rend hommage à Woody Guthrie avec une cover d’«Hard Travellin’». Il chante ça d’une voix de mineur silicosé. Ce mec est incapable de se calmer. Hello my name is Bob ! Il lance «Bob» à l’avanie, Bi-O-Bi, il tape cette fois dans le dada d’instro outrancier, Hellooooo ! Stokes demande : «Have you seen Bob ?» et les chœurs font «Bob !». Stokes revient à ses chères swamp vibrations avec «Long Black Veil». Un mec joue de l’accordéon dans le fond du studio, puis Stokes gratte son «Junior» à coups d’acou. Il est aussi âprement bon que Johnny Dowd. On retrouve la même profondeur de champ chez ces deux outsiders. Stokes gratte son «Apocalypse Girl» au wondering, il développe une sorte d’atroce démesure, il gratte dans l’underworld, dans un climat extrêmement tendu. Magnifique artiste, il éclate de round & round & round dans «Spin Your Wheels», puis il te souhaite le bonsoir avec «Goodnight Motherfuckers» et l’album s’achève sur un «Live Head», une belle flambée de Stokes qui file droit sous les étoiles en carton d’une cabane moisie du swamp. Sploush sploush.  

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             En 2012 est paru l’album de Simon Stokes & the Heathen Angels. Boom dès «Hey You», stomp d’hey you in the face. Absolute stormer ! Et surprise, il tape son vieux «Miniskirt Blues» repris par les Cramps, puis par El Cramped. Il en fait une version musclée, avec le gaga, le mojo et le riff de basse. Il fait pas mal de country avec le fiddle de barrelhouse («Infected») et du dark boogaloo avec «Down For Death». Il frise parfois le Tom Waits («Stranger Than Fiction»). Son wild country blues sonne parfois comme celui des Faces («The Boa Constrictor Ate My Wife Last Night») et «Hanging Out With Cretins» sonne comme un heavy balladif de raw Stokes option. Il sait aussi chanter le heavy blues à pleine gueule, comme le montre le «Moth And The Flame» des Seeds. Il peut égaler les géant du heavy oh so heavy. Mais son cœur penche pour la Nouvelle Orleans, comme le montre le heavy groove Bartholomien de «One Night Of Sin». Stokes sait aussi réchauffer une soupe, «Honky» tombe à pic pour nous le rappeler - Ready up man ! - Il chante sur des charbons ardents - You’re honky - et les chœurs font honk ! honk ! Stokes dévore le stax de rebop, il le bouffe à l’interne, you’re honky ! Honk ! Honk ! C’est la fête au village !

    Signé : Cazengler, Simmonde tout court

    Simon Stokes & The Nighthawks. MGM Records 1970

    Simon Stokes & The Black Whip Thrill Band. Spindizzy Records 1973

    Simon Stokes. The Buzzard Of Love. United Artists Records 1977

    Simon Stokes. Right To Fly. Psychedelic Records  1996

    Simon Stokes. Honky. Upper Cut Records 2002

    Simon Stokes. LSD. Leary Stokes Duets 2005

    Simon Stokes. Head. Simon Stokes 2008

    Simon Stokes & The Heathen Angels. Simon Stokes 2012

    Conquerer Worm/Cocknoose. Tear It Up Records 1993

    Conquerer Worm. Ride-On. Baloney Shrapnel 1996

    Gray Newell : Ride on ! The long strange trip of Simon Stokes. Ugly Things #46 - Winter 2017

     

     

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 26

    JUILLET – AOÛT – SEPTEMBRE ( 2023 )

     

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    Le mois de Juin n’est pas terminé que déjà le numéro d’été de Rockabilly Generation News squatte la boîte aux lettres. Nous n’appellerons pas à l’application de la nouvelle loi anti-squatteurs qui vient d’être votée. Cette revue est toujours bien reçue par chez nous.

             Surtout qu’elle débute par huit pages de Greg et Sandy Cattez sur Johnny Cash, essayez par vous-même de résumer la vie de Cash en si peu de folios, surtout que les photographies occupent les 50 %, il et elle s’en tirent de main de maître ( et de maîtresse ). Je ne ferai pas à nos lecteurs l’affront de leur rappeler la bio de Cash, pour une fois je m’attarderai sur les photographies. Y a un truc hormis ses enregistrements qui m’a toujours fasciné chez Cash, ce sont ses yeux. Ce sont toujours les mêmes, amusez-vous à parcourir l’éventail des clichés, du tout jeune gamin au vieux Cash que vous  présente RGN, un étrange regard, même lorsqu’il est dans une attitude la plus sympathique et qu’il sourit gentiment Johnny Cash vous a un air inquiétant, celui d’un serial killer qui ne voit le monde qu’au travers de son obsession criminelle. C’est peut-être celle-ci qu’il a transcendée dans l’interprétation de ses morceaux, et sa voix de croque-mort qui lit une dernière prière au bord de votre tombe. Je comprends que June Carter n’ait pas pu résister.

             Un autre pionnier en fin de magazine. Encore vivant, tout près de ses quatre-vingt piges, pas un français, un voisin du pays de Verhaeren, relisez sa trilogie noire c’est encore plus fort et plus fou que Jim Morrison, bref un Belge. Cet été encore, chez un broc, non je ne vous donnerai pas l’adresse, écumant le rayon rock ‘n’roll français je suis resté abasourdi du nombre pharamineux de ses Volumes 1,2, 3… il me semble avoir tenu en main, le 24, consacrés aux classiques du rock… l’a fait beaucoup pour la propagation du rock en notre pays, l’a joué au Golf Drouot, accompagné Vince Taylor et Gene Vincent, Burt nous raconte sa vie, l’a commencé par la lettre A comme accordéon, puis G comme guitare, S comme Saxophone, l’est devenu entre autre musiciens de studio, a été truandé par son impresario ( je vous laisse découvrir son nom ) l’a remonté la pente, continue encore…

             Encore un pionnier présenté par Julien Bollinger, pas n’importe lequel, le représentant par excellence du country blues, à la base de tout, un précurseur né en 1893, mort à 36 ans comme Gene Vincent. Blind Lemon Jefferson reste pour les rockers le créateur de Matchbox Blues

             Place aux jeunes ! Sergio Kazh réussit un véritable toure de force en présentant, le 2023 Wild Weekender ( 2 ) qui s’est déroulé en Hollande, Wild  n’est pas un adjectif, mais le nom du label américain spécialisé dans le rockabilly sauvage. Sergio nous présente, textes et photos, les prestations scéniques des vingt groupes qui participent à ces deux longues nuitées rock’n’roll. Vingt groupes et pas une seconde de lassitude, ceux que l’on connaît et ceux dont on ignore l’existence, à chaque fois il nous donne l’envie d’écouter et d’approfondir.

    Suit un long article de Sergio Kazh sur l’étoile montante du rockabilly Dylan Kirk et ses deux groupes les Killers et les Starlights. Si Killers évoque pour vous un certain Jerry Lee Lewis, vous avez raison, très tôt Dylan est devenu un fan de rock’n’roll, s’est mis à la guitare mais une fois qu’il a entendu Crazy Arms par Jerry Lou l’est devenu fou, l’est devenu feu de cet instrument diabolique. Les Starlights composés de Bryan, Danny et Nico ouvrent le festival Rock ‘n’Roll in Pleugeuneuc avec Dylan Kirk et son piano maléfique, une seule répétition, ils font un tabac… Une légende en train de s’écrire… Un mec bien, sur la couve il fume un Coronado !

    Encore un festival, Blue Jean Bop Party à la Chapelle Serval où l’on retrouve deux groupes phares du french rockabilly : The King Baker’s Combo et Jim & The Beans, High Stepers, Johnny Bach And The Moonshine Boozers (Angleterre) et au final Dylan Kirk With The Starligths.

    Au cas où vous auriez deux trois millions de dollars en trop sur votre compte bancaire aux Iles Caïmans, et que vous aimiez Jerry Lee Lewis (ce dont nous ne doutons pas), rejoignez l’Association The Lewis Ranch, la demeure du Killer pour le préserver en le transformant en attraction touristique digne de qu’est devenu le Graceland d’Elvis Presley.

    Encore un numéro gagnant !

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois),  6 Euros + 4,00 de frais de port soit 10 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 40 Euros (Port Compris), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de tous les magazines... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents !  

     

    *

    Si vous voulez me rendre heureux prononcez des mots qui me font rêver, par exemple au hasard Grèce ou Rock’n’roll. Ou du même acabit. Or mes yeux ne viennent-ils pas d’apercevoir deux groupes de mots appartenant au même champ sémantique réunis sur une pochette de disque, jugez-en par vous-mêmes, Order Of The Black Jacket et Hellenic Black Metal. Tout de suite je chronique !

    ORDER OF THE BLACK JACKET

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    Ordre de la veste noire, presque aussi beau que l’Ordre de la Toison d’Or, tout de suite l’on pense à Charles le Téméraire retrouvé mort après la bataille de Nancy le visage mangé par les loups…  Un destin très howlin’ wolf !

    Konstantinos Dedes : musique, lyrics, vocal / Lambis : guitare, production / Lerotheos Tampakos: drums, percussion / Panais Moustakas: basse.

    ICONOCLASM

     ( CD / Hellenic Black Metal / Bandcamp 2019 )

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    Très belle couve qui peut faire peur. La querelle des icones qui court du huitième au neuvième siècle durant l’Empire Byzantin risque de ne pas passionner les rockers.

    Historiquement il s’agit d’une querelle religieuse et politique qui consistait à bannir (interdire, détruire, abattre, brûler) les représentations imagées dans les églises et les chapelles de l’empire. Les raisons en sont multiples : n’était-ce pas une survivance larvée du paganisme dont les temples étaient ornés de statues et de fresques, vénérer une image ne serait-il pas un signe d’idolâtrie, n’est-ce pas une prétention démoniaque de vouloir représenter la nature de Dieu et des Saints par essence supérieure à notre simple humanité… C’était aussi un moyen pour les empereurs de détourner l’inquiétude et la colère du peuple apeuré du grignotage incessant des terres de l’empire par les conquêtes Arabes… Passionnant certes, avec davantage de corrélation avec notre époque qu’il n’y paraît.

    L’image est d’une violence inouïe, ce personnage auréolé, Empereur Saint, imaginons Dieu lui-même, voire l’Antechrist, qui tient dans sa main gauche un sabre crénelé et présente de sa dextre un livre dont les illustrations ont été effacées vous glace le sang… Toutefois l’icône est terriblement ambigüe, comment peut-on représenter par une image une figuration de l’’iconoclasme inspirée soi-disant par la vraie foi orthodoxale en pleine action alors que l’on dénonce le pouvoir malfaisant de toute représentation ayant trait au divin ? Quel nœud de contradictions ! L’Art se doit d’être plurivoque.

    Rockers dont les murs de vos chambres sont ornés de moult posters de vos idoles, ne craignez rien, cet album n’exige pas de vous que vous les déchiriez, il faut l’interpréter métaphoriquement, il s’agit pour Order of The Black Jacket, d’insuffler en votre esprit l’idée qu’il faut se battre contre toute ordonnance sociétale coercitive.

    L’artwok est de Gina Libe, voir son Instagram et son site au nom de Gina Liberiou. Peu d’œuvres exposées mais de styles très différents. Du dessin animalier à des effulgences abstraites, l’on aimerait en voir davantage, ce qui est sûr c’est que cette pochette est remarquable.

    Black Jacket Order :  l’on pourrait accroire à un hymne dévolu à un gang de bikers, peut-être serait-il plus facile de rester dans cette illusion, disons que c’est un Born to be wild, solitaire et intérieur, run, run, run, morrisonien,  le rocher catapulté suit sa trajectoire, violent et toutefois mélodique, avec des ruptures sonores presque beatlesiennes, malgré un rythme soutenu qui ne faiblit pas. Outtamanhead : batterie fragmenteuse, il s’agit de découper le puzzle des apparences, voix incisive et moqueuse, de désagréger à grands coups, de déchirer en confetti, jusqu’à ce que le voile de la réalité se dévoile et laisse surgir la noirceur universelle, se rendre compte que les morts sont les cariatides qui portent et soutiennent le monde sur leurs têtes. My way : toujours le même ramdam mélodique, avec cet hearbeat en sourdine percussif qui bientôt se déploie en un superbe volume guitarique, ces hauts et ces bas d’intensités sonores, une espèce de blues en le sens que dans le blues c’est le vocal qui mène l’attelage, les mêmes couplets interchangeables, c’est la violence phonique qui pulse le tout, se termine en une espèce de scalp sioux festif   qui se jette dans un delta acoustique mélodique. La mort n’est-elle pas un long fleuve tranquille. Rage to awake : rien de plus vivant et de plus tapageur qu’un mort, ne sommes pas nous tous morts à plusieurs reprises, guitares chamboule-tout, vocal de forcené qui soulève la terre des écorces mortes et des écailles anciennes dont il lui faut émerger pour renaître à sa vie, pour se mesurer une fois de plus à son destin, un trépan de guitare qui défore l’existence et rejette le cône excrémentiel de ses rêves dépassés. La vie est toujours devant. Il est nécessaire de savoir ouvrir les yeux.

    Du son et du sens. L’on a envie de dire : peu de moyens phoniques mais judicieusement et fougueusement utilisés. Un EP qui remue. Comme les vers dans le corps des morts.

    SPIRIT ROCK

     ( CD / Hellenic Black Metal / Bandcamp Janvier 2023 )

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    La couve interroge quand on la compare à la précédente. A l’oriflamme orangée succède une pochette grisâtre. Une silhouette stylisée de femme sans visage, est-ce pour cela que sur scène l’un des membres du groupe porte un masque blanc ? Reproduction d’une statue qui répond au nom de Morana de l’artiste serbe Jovan Petronijevic aussi Rod. Morana est la déesse slave de la mort. Petronijevic s’est beaucoup intéressé aux mythologies serbes. Je n’ai pas été capable de trouver sur le net des œuvres représentatives de cette partie de sa démarche. Ce qui m’a été accessible relève d’un travail lyrico-conceptuel qui ne m’agrée point mais de qualité. Je pense que le choix du public doit préférer cet aspect descriptif du chaos de notre modernité.

    Revenons à Morana puisqu’en fin de compte l’on revient toujours à la mort. Etrange, c’est-là qu’il convient de noter la continuité qui relie les deux pochettes, au premier abord, les seins et le ventre spiralés de Morana m’ont fait penser à la perpétuité de la vie engendrée au cours des générations par le corps des femmes, je ne savais pas alors ce que représentait Morana, l’ayant découvert j’en ai conclu que ces trois spirales étaient le symbole de l’infinitude de la mort, je me suis alors souvenu que le logo que Gina Liberiou a mis en tête de son Instagram et de son FB était… une spirale ! Quelle synchronicité ! Créativité de l’Art, créativité de la Femme et créativité de la Mort = même combat. Pour la Vie ou pour la Mort ?

    Affirmer que Spirit Rock est le nouvel opus d’ Qrder The Black Jacket ne me semble guère judicieux. De toute évidence c’est la suite du précédent. Pas le tome II d’un roman, même pas le deuxième chapitre d’un livre. Imaginez plutôt que vous avez arrêté la lecture d’un récit à la fin du deuxième paragraphe de la page quarante-quatre car interrompu par la visite impromptue d’un voisin, celui-ci parti vous reprenez la lecture au début du troisième paragraphe de la page quarante-quatre. Suite immédiate donc.

    Attention c’est un groupe grec. Ce n’est pas une indication géographique. Prenons un Grec au hasard, le fils de Laerte, Ulysse, il a beaucoup voyagé aux quatre coins de la Méditerranée, inutile de chercher un atlas, il est aussi descendu aux Enfers. C’est pour cela qu’à la fin de l’Odyssée Homère ne nous raconte pas sa mort. Ce serait redondant, une répétition oiseuse. La mort obsède les grecs, Dionysos et Perséphone sont des divinités fondatrices de la pensée grecque, relisez Virgile et Rilke pour vous en persuader. C’est dans ce sillon funéraire ( fun, fun, fun, sourions avec les Beach Boys ) que s’inscrit Order Of The Back Jacket.

    Digging deeper ( For Grace ) : sur You Tube la vidéo est agrémentée de l’effigie d’une mystérieuse jeune fille, morceau hommagial à une jeune morte. Une ballade enlevée qui met en valeur la voix de Constantinos, les instruments rassemblés comme un bouquet de fleurs mortuaires. Le texte est à creuser. Où sont les amants sur cette terre, une dessous et l’autre dessus, à moins que ce ne soit le contraire, ou peut-être tous les deux réunis dans la même tombe, à moins que tout ne se passe dans la tête de l’un ou de l’autre, ou dans les deux. Qui était mort à la fin du disque précédent. Est-ce vraiment si important. Un mort n’est-il pas toujours vivant tant que l’on pense à lui, à moins que ce soit nous qui sommes en vie tant qu’un mort pense encore à nous. Ce morceau est splendide. Blackgaze : regard noir sur le riff de de Sunshine of your love, c’est ce qui s’appelle avoir de de l’humour noir, basse et guitare s’en donnent à cœur-joie.  Nos amants continuent leur colloque sentimental. Ils se disputent aussi, celui ou celle qui est partie n’a-t-il pas n’a-t-elle pas trahi l’autre, à moins que ce ne soit quelque chose de plus charnel, car les vivants et les morts ne se désirent-ils et ne déchirent-ils pas autant que les vivants et les vivants et que les morts avec les morts. La réponse est aussi évidente que les questions. Wind : si le titre des Cream explose par un grand chambardement  c’est le vent qui souffle de toutes ses forces qui fait office du creamique  éclatement riffique terminal, autant en emporte le vent, et il souffle très fort dans ce troisième morceau, tout ne finira-t-il pas un jour, n’y aura-t-il pas un jour où les morts et les vivants ne seront plus différenciés, où tout sera égalisé, où rien n’aura plus d’importance, d’ailleurs où est la nuit et où est la lumière, la guitare claironne un nihilisme joyeux et la batterie accélère la ronde comme si elle voulait savoir la fin de l’histoire avant tous les autres. Skyblood : la ronde infernale continue, elle aimerait rompre le cercle répétitif, elle cherche à s’élever, lorsqu’il ne reste plus rien, reste encore le rien de la douleur qui retombe en pluie de sang mental sur celui qui devient le centre égotiste de l’univers, que tout le monde se réveille pour accéder à ce baptême sanglant, il est un point de l’univers où le haut et le bas s’égalisent où le rien devient tout. Danse endiablée. Même folie et raison ne sont qu’une seule et même chose. Never over : c’est un peu comme si depuis quatre titres c’était toujours le même morceau qu’ils rejoueraient, la différence ne résidant que dans les paroles, ici sans équivoque, ce ne sera jamais terminé, les contraires ne s’attirent que pour mieux se refouler, la basse vous trace de ces points de suspension qui en disent long sur ce never ending tour de danse macabre infinie. Au plus proche l’on est aussi au plus loin. Le savoir est le seul soulagement possible. Alone : une solution pour rompre le sortilège, couper la poire en deux et n’en garder qu’un, choisir la solitude du solipsisme, la voix se mélodramatise et l’instrumentation atteint une vitesse prodigieuse, la solitude de l’Unique métamorphose l’univers élémental l’eau devient pierre, étrange alchimie en quelque sorte négative, puisque l’un changeant de nature devient l’autre. Faithseeker : une voix forte mais mourante pour nous annoncer qu’il a perdu la foi, la musique s’épaissit, Constantinos crache les mots un par un comme l’on jette des fléchettes dans les yeux de ses proches, rupture, bourdonnements aumniques, déploiement musical étincelant, une montée certaine vers une fin grandiose, le guerrier est au faite de da décision. Tombé ou tombeau de rideau. Le chant tire la langue. Il a perdu la foi, d’accord, mais en quoi, en la mort ou en la vie, et que recherche-t-il la vie ou la mort. Ce dernier morceau d’une amplitude beaucoup plus orchestrale.

    Il s’agit d’une œuvre longuement méditée. Une espèce d’oratorio total en le sens wagnérien, la preuve nous en est apportée par une vidéo vieille de huit années intitulée Act qui regroupe trois morceaux : Rage to awake : Act I : Yamashiro ( sabre ) / Act II : Kisuke (personnage du manga bleach = eau de javel, allusion aux cheveux blonds du héros ?  / Faithseeker :  Act III : The burden = le fardeau. La musique est agrémentée de peintures et de dessins dus à Antonis Siganakis (voir son Instagram Antony Siganakis, style manga et portraits de filles). A découvrir. L’artwork effectué pour ces trois actes est remarquable. 

    De même nous invitons à regarder la mimic vidéo Never ever. Un personnage masqué, visage impossible, qui s’exprime par des gestes qu’il ne joint pas aux paroles qu’il ne prononce pas, la piste du morceau le fait pour lui. Surprenant mais pas convaincant. L’on se souvient que David Bowie a débuté par le mime.

    Cet essai nous conforte dans nos conclusions, idéologiquement parlant Order Of The Black Jacket n’a rien à voir avec un groupe comme Black Rebel Motorcycle Club, The Black Jacket s’inscrit dans une démarche diantrement plus artistique et métaphysique. Un projet longuement réfléchi et mûri. Le détour s’impose.

    Vous reste à méditer sur le titre de l’album : Esprit Rock !

    Damie Chad.

     

    *

    Beaucoup de groupes européens à balles doom-doom tirés au fond des déserts stonériens ces derniers temps sur le blogue, en voici un des USA, de la côte-est, plus exactement de Philadelphie, étymologiquement la cité fraternelle, bien que leur vue du monde contemporain semble s’écarter de l’idéal des fondateurs de cette vieille cité.

    OTHER PEOPLE

    HEX ENGINE

    Bob Malosky : drums / Drew Campbell : guitar, backing vocal / Christian johnson : bass / Ron Aton : lyrics, vocals.

    La couverture est explicite, des gens séparés les uns des autres par leur propre solitude, enfermés dans un désert de glace paranoïaque, ne cherchez pas les autres gens, vous les reconnaîtrez trop vite, ils vous ressemblent comme des gouttes gelées sur une vitre translucide, ce n’est pas qu’ils sont comme vous, c’est que vous êtes comme eux.

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    Monster : notes bousculées pressées les unes contre les autres, depuis Steppenwolf le monstre a changé de nature, ce n’est plus un système coercitif qui vous dépasse,  auquel vous participez à votre corps défendant, Aton hurle personne n’oserait l’accuser d’être atonique, vous crache les mots au visage pour être sûr que vous les entendez, un long pont de guitares glissantes et heavy, comme celui d’Avignon qui a précipité les beaux messieurs les belles dames interchangeables que nous étions dans les eaux glacées de l’individualisme atonal, vous êtes devenus des clones d’humanoïdes, des semblants d’humanité qui ne tiennent debout que par le miracle hypnotique d’un mensonge idéologique partagé. HEAVY les guitares, à croire qu’elles veulent acquérir la force persuasive du vieux cryptogramme du Dieu vengeur. Ce n’est plus une critique mais une malédiction sonore jetée à la face de la modernité. Mines de rien (mais à retardement direct) car les mots attendus ne sont pas employés et cet aspect de la problématique n’est jamais abordé, le propos est essentiellement politique. Parasites : Et religieux. Un petit côté antipathy for les

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    représentants sociétaux de Dieu sur cette terre, les guitares grondent, le drummin’ tabasse et Aton perche sa voix au-dessus de tous les clochers ecclésiaux. Message compris, on se concentre sur la musique, des guitares concassent cette manière très persuasive d’empiler des notes sur des notes comme des jeux de cubes, et arrive l’instant où la pile vacille, et le tout s’écroule en un grand bruit de haine assouvie, comme ils ne souviennent pas que Dieu est mort ils veulent l’ensevelir sous la tour de Babel de toutes ses hypocrisies, éboulements hendrixiens. Rat fink : ondées de basse menaçantes, un drummin éclatant et méthodique n’est pas là pour vous dire que tout va bien se passer, l’Aton passe à l’atomique, ne vous l’envoie pas dire, dit les choses comme il le pense, détache les syllabes pour vous décapsuler les tympans, les guitares balancent des ondées rythmiques, ah ! ces passages musicaux où le son prend le commandement, Aton reprend la parole comme l’on tire la nappe du banquet pour gâcher le repas des convives gorgés de l’hypocras des hypocrites. Arrêt brutal, heureusement qu’ils n’ont pas continué car on se demande ce qui aurait pu arriver. Excuses, excuses : générique de film de catastrophe, des pas de géants se rapprochent, attention le morceau dure près de dix minutes, l’on devine que la guerre ne fait que commencer, une voix dans le lointain, pour une fois Aton se laisse recouvrir par la marche militaire de l’accompagnement, de temps en temps des éclairs aigus brillent comme des lames de sabres qui dans la mêlée réfléchissent le soleil, pas besoin de hurler, l’emploie l’ironie, cette enclume cisaillante qui vous coupe en deux, c’est maintenant qu’il crie, profère des avertissements sans appel, les guitares en tremblent de peur, il n’y aura pas d’excuse, le châtiment se rapproche, ça cogne dru et ça tape dur, il existe une jouissance de la violence puisque l’on adore, pas de concession, pas de prisonnier, pas de pardon, tout doit disparaître même les rayons, la fin fabuleuse, l’impression d’une chose innommable qui rampe à terre, monte à hauteur de vos genoux et vous emporte dans un monde merveilleux. Meet your maker : vous croyiez qu’après la mort même les méchants iraient au paradis, c’était une blague, un faux et fol espoir, cette fois-ci c’est Dieu en personne qui se déplace, non il ne tonne ni ne crache, pas furieux pour un euro, l’avance doucement, un rythme appuyé et lent, une formule apaisante pour un batteur, attention ça se précise, un solo de six cordes grince un peu trop pour être honnête, vous Le pensiez juste, lamentable erreur, c’est un sadique, vient pour vous poignarder et enfiler le couteau avec lenteur pour que vous sentiez votre douleur, Aton vous imite à la perfection les cris de Dieu qui prend un plaisir à vous saigner comme un porc. Une véritable boucherie, les cymbales tintent comme l’heure du crime, ça se termine en apothéose, une catharsis dirait Aristote, l’orgasme du serial killer qui s’écoule en un flot de sperme tempétueux préciserait Damie Chad. Omens : reprenons nos esprits, est-ce Dieu qui parle ou un gars comme vous et moi dont les rêves ont pété plus haut que leur cul, à moins que ce ne soit la victime ou le couteau, un joyeux baltringue dans la tête du zigue, les instrus se bousculent au portillon, Aton leur monte dessus et sur cet escabeau volcanique il vitupère tout fort à ameuter l’univers. L’on ne sait pas s’il répond mais le groupe s’en donne à cœur joie, le sang excite les combattants c’est bien connu, d’ailleurs ce tranchant de guitare qui ressemble à un couperet de guillotine vous file les jetons, et pour terminer en beauté Aton vous crie à bâton rompu que quelque chose de terrible ne va pas tarder à nous tomber sur le coin du museau. Au moins la fin du monde. Something’s burning : je suis désolé mais ce vent mauvais qui souffle, cette guitare qui pue le mélodrame à plein nez, cette espèce de riff qui n’en finit pas, la situation est grave, Aton nous la joue à Ezéchiel, tous les malheurs du monde vont nous tomber dessus, courez, foutez-vous à l’abri, une espèce de rouleau compresseur vous confirme qu’il n’y a pas d’issue possible, quand je pense que certains répondent qu’ils feront crac-crac avec leur petite amie tranquillou chez eux quand l’apocalypse s’approchera, ils ne partagent pas la vision d’Hex Engine, un affolement général, la machine à axe hexagonal est en route et personne ne l’arrêtera, un bordel inimaginable, une folie envahissante, une catastrophe ambulante qui s’installe dans votre deux pièces cuisine et partout ailleurs, dans ce fatras d’immondices phoniques je me hâte de rassurer nos lecteurs, ce morceau est particulièrement beau, agréable et chatoyant pour des oreilles de rockers. Déjà’sku : Aton se tait, deux minutes d’interlude pour que vous puissiez prendre la mesure de ce qui vous attend. Pas la peine de pleurer sur vous-même et de regretter comme semble l’indiquer le début de court morceau car tout de suite ça s’accélère et ça devient ultra-violent, même Aton qui avait promis de se taire ne peut plus se retenir et vous pousse le même hurlement que lorsque l’armoire normande de Tante Noémie vous était tombée sur le pied. Fear the future : grondement lointain qui s’amplifie, ce coup-ci c’est sûr, ils arrivent, quelle cacophonie, qui sont-ils, vous craignez le pire, la musique n’imite-t-elle pas le bruit des anges de la destruction qui descendent sur terre, à moins que ce soit des extraterrestres pas du tout extra, n’oubliez jamais que si le pire est toujours certain, il ne ressemble pas à ce que l’on imaginait, les voici, on s’attendait à tout sauf à eux, Aton ne vous fait pas languir, il vous refile la solution, ces gros méchants qui viennent sont les… riches. L’a un peu pris son temps pour vous le dire, maintenant  vous savez qu’ils vont vous exterminer, qu’il n’ y aura pas de survivants parmi les pauvres et les esprits timorés qui ont toujours écouté et fait sagement tout ce que l’on leur disait, Bob Malowski qui n’a pas fini de vous malaxer depuis le début vous tire dessus à la kalachnikov, Drew Campbell embourbe un solo dantesque dans une échoïfication  démesurée, la basse de Christian Johnson bass-cule dans un trou de fond de fosse funéraire  et c’est parti pour la grande fête finale, l’apothéose de la bêtise et de la cruauté humaine, ça tourne comme le Boléro de Ravel et ça se transforme en locomotive asthmatique, gargouillement terminal. Tout est terminé. Ite.

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             Quel groupe ! Quels musiciens ! Question rock les ricains vous en bouchent toujours un coin.

    Damie Chad.

     

     

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    EPISODE 30 ( Naïf  ) :

    172

    Carlos s’est arrêté si vite que je n’ai pas eu le temps de visualiser la marque de son nouveau 4/4, l’avait l’air si pressé qu’il n’a même pas pris le temps de nous saluer, l’est resté rivé sur sa conduite comme si nous n’existions pas. Le Chef qui avait pris place à ses côtés en profita pour allumer un Coronado, au bout de quelques instants il entreprit d’engager la conversation :

              _ Seriez-vous fâché contre nous Carlos ?

              _ Non, contre ma nouvelle copine.

              _ Vous n’êtes donc plus avec Alice ?

              _ Terminé, de l’histoire ancienne, les filles c’est comme les cigarettes, ça se fume et ça se jette !

              _ Vous devriez-vous mettre au Coronado, vous connaîtrez l’extase et non les petites saveurs à date de péremption rapide, mais dites-moi, comment se prénomme la nouvelle venue ?

             _ Alice !

    Sur la banquette arrière Molossa et Molossito me regardent d’un air entendu. Je ne dis rien, je ne suis pas loin de penser comme eux, dans cette histoire il est tout de même étrange de voir que toutes les filles s’appellent Alice. J’aimerais bien méditer sur ces étranges coïncidences, l’explosion de la voix vindicative de Carlos ne m’en laisse pas le temps :

              _ Wow, l’est pas content cet abruti !!!

    Entre nous soit dit l’abruti en question n’a pas tout à fait tort, Carlos fonce comme un sauvage, il double une file de voitures stupidement arrêtées à un feu rouge, en roulant à toute blinde sur le trottoir. Le pauvre gars a juste le temps pour ne pas être écrasé de remonter dans sa camionnette stationnée les deux roues dans la rigole, s’il croit s’être tiré d’affaire, il se trompe, coup de frein brutal, le 4/4 recule jusqu’à ce que Carlos soit juste en face de la cabine. Le gars esquisse une bordée d’injures, il n’a pas le temps, une balle de Rafalos lui explose la tête.

              _ Quel crétin, en plus zieutez son panonceau, c’est un fleuriste, je hais les fleuristes !

               _ Cher ami je ne savais pas que la paisible race des fleuristes suscitait tant d’acrimonies de votre part, personnellement il m’est arrivé à plusieurs reprises d’abattre sans sommation quelques individus indésirables qui n’avaient manifestement jamais fumé un Coronado de toute leur vie. Juste pour leur apprendre à vivre dignement !

               _ Voyez-vous Chef, le gars n’y était pour rien, tout cela c’est à cause de ma nouvelle Alice.

    J’essayai de me glisser dans la conversation, les études à la Balzac sur la psychologie contemporaine m’ont toujours passionné :

              _ Votre Alice déteste les fleuristes, après tout il y a tant de gens qui détestent les araignées qu’une fille qui abhorre les fleuristes est sûrement un cas d’espèce intéressant.

              _ Damie tu fais fausse route, je pense qu’Alice tout comme moi n’éprouve aucune antipathie contre les fleuristes. Mais c’est tout de même un peu de leurs fautes.

    Le Chef nous fit signe de nous taire. Il profita du silence de l’habitacle pour procéder à l’allumage, geste d’une haute hiératie, d’un Coronado.

    _ Cher Carlos vous connaissant j’en ai tout de suite conclu que la mise à mort d’un fleuriste d’apparence innocent doit avoir quelque intérêt. Expliquez-vous, prenez votre temps, je vous en prie.

    _ Ben voilà, hier soir j’avais donné rendez-vous à vingt-et-une heures dans un restaurant à ma nouvelle Alice. En chemin, l’envie me vient d’entrer dans le resto avec une immense corbeille de roses que je déposerai sur la table devant elle, les filles aiment ce genre de simagrées, elles s’imaginent que nous sommes leurs chevaliers-servants, j’ai fait au moins dix fleuristes, tous étaient fermés. Bon ce n’était pas grave, les greluches aiment aussi les mauvais garçons, je me suis arrangé pour qu’elle aperçoive la crosse de mon rafalos, bref in the pocket comme disent les anglishes…

    Molossito pousse un ouaf interrogatif. Quelque chose lui échappe. A nous aussi. Mais Carlos a compris que Molossito n’a pas compris.

             _Ecoute-moi bien Molossito, quand on est un homme, c’est pareil pour un chien, il ne faut jamais renoncer à ses idées. Nous nous sommes séparés très tôt ce matin Alice et moi. Quand nous nous sommes quittés l’envie de lui offrir des roses pour l’entrevue de ce soir m’est revenue. Pas de chance, les fleuristes qui étaient fermés à neuf heures du soir, n’étaient pas plus ouverts à six heures du matin.

    Molossito vient de comprendre, il pousse un ouah ! exclamatif, Carlos se tait, il n’a pas besoin de poursuivre. La queue de Molossito frétille d’impatience. Le Chef allume un Coronado :

             _ Continuez Carlos, nous roulons comme des escargots depuis que nous sommes montés dans ce véhicule ! Plein gaz, nous allons arriver en retard.

    173

    Crissements de freins. Evidemment c’est encore trop tôt mais les camionnettes d’entreprise et les fourgons sont légion. Nous rentrons sans que personne ne nous jette un regard.

    _ Suivez-moi !

    Carlos nous guide, il avance à grandes enjambées dès que nous arrivons dans un coin paisible il démarre au sprint. Molossa et Molossito tout guillerets nous accompagnent. Ils se retiennent d’aboyer, ils savent que nous sommes en mission, sur le sentier de la guerre. Carlos lève la main, nous arrêtons et il désigne l’endroit. Le Chef prend la parole :

              _ Rendez-vous sur l’objectif, je le rallierai en venant du Sud, Carlos de l’Est, Agent Chad de l’Ouest, Molossa et Molossito du Nord. A la moindre présence ennemie, les chiens attaquent et nous, nous sortons les Rafalos.

    Nous nous sommes éloignés les uns des autres. Maintenant à chaque pas que nous faisons nous nous rapprochons. Encore une dizaine de mètres et nous parvenons à notre point de chute. Carlos passe le canon de son Rafalos dans sa ceinture :

              _ C’était déjà dans cet état quand je suis venu sur les six heures et demie, les fleuristes étaient fermés, j’ai réalisé que nous avions dormi dans un hôtel tout près du Père Lachaise, je m’étais dit que je trouverais des fleurs dans le cimetière, j’en ai récupéré une bonne brassée, avant de partir l’idée m’est venue de jeter un coup d’œil sur la tombe d’Ecila. En m’approchant j’ai entendu des bruits j’ai couru, je n’ai vu que l’arrière d’un gros fourgon bleu qui s’éloignait vers la sortie, il m’a vite semé, mais je suis prêt à parier que les grilles lui ont été ouvertes en grand car il n’a pas cessé d’accélérer.

    La dalle gisait sur le côté. Pas très loin du cercueil. Je soulevai le couvercle simplement posé par-dessus. Aucun corps n’y reposait. Ecila avait disparu. Il y eut un instant de silence. Le Chef alluma un Coronado

              _ Carlos, je suppose que le bleu du fourgon était un bleu soutenu ?

              _ Oui c’est bien cela, un bleu pas sombre mais voyant, comment dire un bleu, euh…

              _ Cobalt, ne cherchez plus, le bleu de la gendarmerie, la dimension nationale de notre aventure se confirme, nous ne savons pas à quoi notre président s’amuse ces derniers temps mais il fricote de drôles de manigances.

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    Molossa posa sa tête sur mon jarret. Je fermai les yeux. Le Chef et Carlos tenaient déjà leur rafalos en main. Des graviers crissaient sur ma gauche. Ils étaient là autour de nous. Nous leur tournions le dos. Le Chef donna des ordres à demi voix :

    • Attention il y aura plusieurs vagues d’assaut, ne pas se déconcentrer, chacun s’occupe de sa direction, moi le Sud, Carlos l’Est, Agent Chad l’Ouest, les moins à craindre seront ceux qui viendront du Nord, ils seront les moins dangereux, personne face à eux, ils ne se doutent pas que les chiens s’occuperont d’eux, à mon commandement, genou à terre feu !

    Pas très futés les malabars, croyaient nous surprendre. Ils furent courageux. Ils s’obstinèrent. Pas moins de quatre vagues d’assaut, au final je dénombrais seize cadavres. Les nordistes avaient rigolé quand ils avaient vu les deux chiens leur mordre les jambes. Une somptueuse rafale du Chef leur coupa définitivement l’envie de rire.

    L’algarade ne dura que quelques secondes. Vite fait, bien fait. Full metal jacket.

    Carlos désigna deux corps tombés sur une tombe :

    • Je les connais, je les ai déjà vu dans la Légion, quand ils ont été libérés ils ont trouvé du boulot dans la Maffia russe.

              _ Enchanté de l’apprendre, dit le Chef, Les pièces éparses du puzzle se mettent doucement en place, les unes à côté des autres.

    Et il alluma un Coronado.

    A suivre…