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kim gordon

  • CHRONIQUES DE POURPRE 682 : KR'TNT ! 682 : JOHN CALE / BRIAN JAMES / PETER MEADEN / SWEET INSPIRATIONS / KIM GORDON / BUDDY RED BOW / THE FENDERS / KEN POMEROY

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 682

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    20 / 03 / 2025

     

    JOHN CALE / BRIAN JAMES

    PETER MEADEN / SWEET INSPIRATIONS

    KIM GORDON / BUDDY RED BOW

    THE FENDERS / KEN POMEROY

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 682

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Cale aurifère

     (Part Five)

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                C’était presque rassurant de voir qu’on avait installé une batterie et des amplis au fond de la grande scène. Comme le programme annonçait un «concert tout assis», on s’attendait à un récital de piano bien pépère. Fausse alerte. Restait à savoir si John Cale allait rocker le boat normand comme au bon vieux temps du Sabotage.

             Il fait bien sûr partie de ceux qu’on attend comme on attendait le messie, autrefois, sur les chemins de Palestine. Calimero se paye le luxe de monter sur scène auréolé d’une légende qui s’étale sur soixante ans. Ils ne sont plus très nombreux à pouvoir se payer un tel luxe : Keef, Colin Blunstone, Iggy et lui. Après, t’as la seconde vague : Peter Perrett, Billy Childish, Frank Black, Anton Newcombe. Ils ont encore un peu plus de marge, car ils sont arrivés dix ans après. Calimero n’a plus trop de marge : 82 ans, pour un rocker d’avant-garde, ça ressemble un peu au dernier carat.

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             Et pourtant, il est là. Toujours aussi petit. La voix est intacte. Il est remarquablement bien accompagné, notamment pas cet incroyable guitar singer nommé Dustin Boyer qui là-bas au fond fait la pluie et le beau temps avec la pire des aisances, celle qui t’écœure. Il enrichit considérablement les structures sophistiquées des cuts de Cale, et des mecs comme Boyer, t’en croises pas tous les jours.

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             T’es donc là, assis comme un con à quelques mètres de Calimero. Tu n’as d’yeux que pour lui. Sa tête dépasse du clavier derrière lequel il est assis. Il lit ses textes sur un écran et regarde rarement le public. Tu sais que t’assistes à un concert hors normes, mais tu sombres assez rapidement dans une sorte de confusion. Le plaisir cède très vite au sentiment d’une fin des haricots. Une semaine après Peter Perrett, Calimero sonne le glas d’une époque. Fin de la rigolade. Dépêche-toi de bien les regarder tous les deux, car tu ne les reverras sans doute jamais. T’as même l’impression que toute ta vie va partir avec eux. Bon, tu te rattrapes aux branches, tu vis les secondes de set une par une, tu tends bien l’oreille pour attraper les mots que Calimero prononce encore d’une voix d’Empereur romain, tu l’observes pour fixer son image dans la psyché du temps, mais tu ne perds rien des signes d’affaiblissement de son corps, lorsque par exemple il quitte son clavier pour aller au micro voisin et passer la bandoulière d’une guitare. Il a du mal, c’est compliqué, il doit se faire aider, et tu ne peux pas l’accepter. John Cale n’est pas un pépère : c’est un héros, le bassiste du Velvet. 

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             La fin d’une époque est l’idée contre laquelle on se bat chaque jour de toutes nos forces. Le rock t’a servi de fil rouge toute ta vie, et tu continues de conformer tes pensées et tes actes sur ce modèle. Ça veut dire quoi le rock ? Liberté, pour commencer. Et donc refus catégorique de toute forme d’autorité. Puis plaisir sans entrave. Tous tes héros t’ont servi le rock sur un plateau d’argent. On a connu six décennies de bonheur parfait grâce à ces gens-là. Le rock a même réussi à balayer le souvenir de tes naufrages. Liberté, refus de l’autorité, mais aussi invincibilité. Il ne peut rien t’arriver, puisque tu écoutes du rock. Il ne peut rien arriver non plus à tes amis, puisqu’ils sont rock. Et si par malheur un de tes héros casse sa pipe en bois, tu fais quoi ? Tu pleures ? Non, tu lui dresses un autel de fortune pour célébrer sa mémoire et tu t’aperçois qu’il n’a jamais été aussi vivant. Elvis et Syd Barrett sont toujours parmi nous. On ira même jusqu’à dire qu’ils font partie de nous. Le rock pourrait bien être devenu la seule religion des temps modernes.

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             À leur façon, Peter Perrett et John Cale repoussent eux aussi les frontières. Ils donnent l’exemple. Ils taillent la route. C’est aussi ça le rock, tailler la route. Ils kickent the jams, motherfucker ! Il faut voir John Cale kicker les jams de «Ship Of Fools» ! Il faut voir Peter Perrett rocker «The Beast» ad vitam aeternam ! Ces vieux crabes rockent encore comme des démons ! Avec son weird «Ship Of Fools», Calimero avoisine dangereusement le «Sister Ray», ça riffe dans les brancards, ça flirte avec le wild as fuck - The Ship of Fools is coming in - Calimero gratte ses deux accords et derrière lui, t’as Dustin Boyer qui fait son Sterling Morrison, et qui gratte des riffs en travers, alors là tu bascules dans l’extase, car c’est en plein dans l’esprit du Velvet, mais sans feedback. Cette version de «Ship Of Fool» n’a strictement rien à voir avec la version originale qui se trouve sur Fear.

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             D’ailleurs, pour revenir à des aspects plus techniques, Calimero tape pas mal dans Fear pour ce set. Il claque une version bien sentie du morceau titre, «Fear Is A Man’s Best Friend» et jute avant la fin du set, il ressort aussi le vieux «Barracuda» qu’on aimait pas trop à l’époque, à cause de son côté balloche, mais là, sur scène, ça prend une autre allure, avec un léger côté heavy in tow. Le deuxième cut qu’il gratte sur sa Strato blanche est le «Cable Hogue» tiré d’un autre album Island, Helen Of Troy. Dommage qu’il n’ait pas préféré reprendre «Pablo Picasso». Le seul cut qu’il tire de Mercy est «Moonstruck (Nico’s Song)». Il met aussi son vieux Sabotage à contribution, avec trois cuts : «Captain Hook», fantastique entrée en matière, il en fait de l’avant-rock qui te laisse littéralement sur le cul, rien à voir avec la version originale. Version longue, fabuleusement intrigante, pas de meilleure entrée en matière. Puis il fait une version bien rampante d’un cut pas très connu, «Rosegarden Funeral Of Sores», qu’on trouve en bonus sur la red de Sabotage, et là, crois-le bien, ça rampe sec. Et bien sûr, il tape en rappel la vieille cover ratée d’«Heartbreak Hotel» qui ouvrait le bal de la B sur Slow Dazzle et qui sonnait comme un pétard mouillé. L’idée était bonne, mais ça ne fonctionnait pas. Il est aussi allé piocher «Villa Alabani» dans un album des années 80, Caribbean Sunset. Pas la meilleure époque. Dommage qu’il n’ait pas opté pour ce «Model Beirut Recital» complètement sonné des cloches d’all fall down. On espérait aussi un petit coup d’«Hanky Panky Nowhow» ou d’«Andalucia». Tintin. Zéro Paris 1919

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             Contrairement à ce que font la plupart des artistes, il ne tournait pas pour la promo de son dernier album, Poptical Illusion (il n’en a joué qu’un seul cut, «Davies & Wales»). Il a préféré servir sur son vieux plateau d’argent un panaché rétrospectif d’une carrière extraordinairement riche, l’une des plus riches qui soient, car il a couvert tous les registres avec un souci permanent de qualité avant-gardiste, que ce soit dans l’expérimentation (Mercy) ou dans la pop mélodique (Paris 1919). John Cale n’a jamais vendu son cul. Il a toute sa vie navigué à la pointe de l’intellect, il a toute sa vie veillé à rassurer ses fidèles, cet homme extraordinairement pur n’a jamais trahi sa parole. What’s Welsh for genius ?     

    Signé : Cazengler, John Cave

    John Cale. Le 106. Rouen (76). 25 février 2025

     

     

    Wizards & True Stars

    - Au bonheur des Damned

    (Part Four)

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             La dernière fois que Brian James est monté sur scène avec son groupe, les Damned, c’était à l’Apollo de Manchester en 2022, pour deux concerts, les 3 et 5 novembre. On peut voir celui du 3 sur le DVD d’une petite box : AD 2022. Bien pratique pour les ceusses qui n’y étaient pas.

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             Le DVD sur un grand écran, ça passe encore à peu près, c’est moins pire que cette catastrophe de YouTube, mais ça ne vaut quand même pas le groupe en chair et en os. Disons qu’avec un DVD, on se documente, on ne vibre pas. Et avec YouTube, on débande. 

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             Bon, c’est vrai, on n’est pas là pour parler de nos pannes de secteur. On est là pour rendre hommage à Brian James qui vient tout juste de casser sa pipe en bois et qui fut jusqu’au bout de sa vie le fils spirituel de Wayne Kramer. Sans lui, pas de Damned. Sans «New Rose», pas de punk.

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             La petite box AD 2022 est parue l’an passé. Inutile de préciser qu’elle est indispensable à tout fan des Damned. Brian James a dû donner des consignes à la caméra, car elle ne s’approche jamais de lui. Il joue dans son coin, sous son vieux chapeau. On ne voit jamais son visage qui reste dans l’ombre. Il porte une barbe blanche, un gilet, un grand jean flottant et des baskets. Pas question de faire un effort vestimentaire. Il gratte sa vieille SG rouge. Tranquille. Pas de gestes particuliers. Pendant une heure trente, il reste en mode wall of sound/statue de sel. Il doit se demander ce qu’il fout là, cinquante ans après la bataille, à gratter les mêmes vieux poux. Il doit avoir besoin de blé, c’est la seule explication valable. Car refaire les Damned à l’âge de 70 balais, c’est un peu compliqué. Mais ça passe, parce que ce sont les Damned. Ils ont un truc que les autres groupes anglais n’ont pas : l’énergie de Detroit et une petite brochette de hits.

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             Pour ces deux concerts à Manchester, ils ne jouent que les cuts des deux premiers albums, ceux de Brian James, et quelques reprises. D’ailleurs, ils démarrent sur un cut de fin, «I Feel Alright». Brian James ressort toute la vieille riffalama des Stooges. Captain porte une marinière et bombarde sur une Hofner. Assis derrière, le vieux Rat bat son beurre, mais on sent comme un léger ralentissement. Il a l’air tout crouni. Quant à Dave Vanian, il s’est peint les lèvres en noir. Brian James reste planté sur son tapis d’Orient. Seules ses mains bougent. Ils tapent une version d’«Help» que Brian James surjoue comme si c’était un cut du MC5. Il reste fidèle à ses racines. Il lance «Born To Kill» au riffing des enfers, mais on voit bien que le Rat n’a plus de punch.

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             Brian James reste le boss des Damned, son guitar-slinging ressemble à un déluge de feu. Les early Damned sont vraiment un cas unique en Angleterre. Mais leur set-list comporte quand même pas mal de déchets : «Stretcher Case», «I Fall», «Alone», «Fish», «Sick Of Being Sick», «See Her Tonight» ne sont pas beaux. Brian James gratte ses milliards de tiguilis à la Kramer. «Fan Club» sort du lot, avec son riff magique, et t’as cette grosse machine qui se met en route : sans doute l’un des plus beaux cuts des Damned, avec cette fuite sous le vent. Même quand les cuts ne sont pas bons («One Of The Two», «Problem Child»), il y a une dynamique. Et soudain Captain annonce le pot aux roses : «This one is a Lemmy favourite!» Dear ole Lem...» Boum ! «Neat Neat Neat», Captain fonce au dah dah dah dah-dah-doum, train fou dans la nuit, et t’as le solo déluge de feu - I can’t afford a gun at all - Et ça continue avec la démolition de «Stab Your Back». Captain indique qu’ils jouaient déjà ça en 1977 à Manchester avec Marc (Bolan pas l’autre). Ils font un «New Rose» approximatif, pas en place, c’est dur, ils ont perdu la félicité de la fluidité, la véracité de la vélocité. C’est le vieux Rat qui n’est plus bon à rien. Le cut se termine en eau de boudin. Puis ils tapent dans le «Pills» des Dolls, avec un sax qui fait les coups d’harp de David Jo. Brian James fait son Johnny T. Pas de problème. Puis il fait son Brian Jones sur «The Last Time». Sans doute est-ce la dernière fois que Brian James fait son Brian Jones. Ils terminent leur set avec un pur Damned hit, «So Messed Up» - Face is a mess - et le vieux Rat fout le feu à ses cymbales - She hadn’t even got a grain - Alors Dave Vanian détruit la basse Hoffner à coups de pied de micro. Sacré Dave ! Le seul qui ne soit pas pathétique est bien sûr Brian James qui a quitté la scène vite fait.

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             Pour retrouver Brian James, il existe un autre passage obligé : Final Damnation, le concert de reformation des Damned au Town & Country Club en 1988. Il vient tout juste d’être réédité. Ouf ! On avait ça sur VHS, mais pas de lecteur.

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             Pourquoi il faut impérativement voir ce DVD ? Parce qu’on y trouve une interview de Brian James. Il re-raconte toute l’histoire du groupe et ramène une foule de détails. Son narratif est le bon, celui qu’il faut écouter. Puis il en vient aux raisons du split des Damned après le départ du Rat : le groupe est retombé à plat - flat - et ça ne l’intéressait plus. Il ajoute qu’il est arrivé la même chose aux Who après la mort de Moonie : flat ! Comme il n’y avait pas d’animosité entre eux, Brian James et des Damned se voyaient et se parlaient. Quand l’idée d’une reformation est arrivée, Brian James a dit oui - A reunion gig? Sure! Why not? - Et les voilà sur scène tous les quatre comme aux plus beaux jours. Le Rat dit que pour lui c’était like in the old days. Intégrés dans le film du concert, on voit aussi pas mal de bouts d’interviews, notamment Roger Armstong qui affirme que les Damned  «were better musicians than Pistols or Clash.» Pour Carol Clerk, le Rat ne peut pas être autre chose que le drummer des Damned. Et les voilà qui arrivent sur scène : Captain en short, avec un masque de femme de harem sur la gueule et une basse sans mécaniques. Brian James porte un chapeau et un T-shirt Alamo, et Dave Vanian frime un peu avec sa banane, sa mèche blanche et cette longue queue de cheval décorée d’un nœud pap.

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             Brian James gratte sur une Tele et aussitôt après «See Her Tonite», ils lancent l’assaut de «Neat Neat Neat». C’est du pur MC5. Brian James se barre en vrille de Kramer. Ils enchaînent avec «Born To Kill» et ça reste dans le Detroit Sound : incroyable moisson de gimmicks, de chords et d’échappées belles, il vise la permanence de la fournaise, il est le maître à bord et donne aux Damned ses lettres de noblesse. «Fan Club» ! Captain allume sa clope. Il n’existe sur cette terre que deux rois de la fournaise : Brian James et Wayne Kramer. Ron Asheton, c’est autre chose, disons le cran au-dessus. Brian James fournit l’extrême fournaise aux Damned. Il mouline sa purée en continu, avec une gestuelle appropriée. Ils tapent une belle cover d’«Help» et enchaînent avec «New Rose». Ils basculent dans la stoogerie avec «I Feel Alright». On voit bien que Brian James est au paradis. Il fait du Ron à la Kramer. 

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             Fin de la première partie. Brian James sort de scène, il est remplacé par deux petits mecs et les Damned MK II tapent dans Machine Gun Etiquette. On mesure à quel point les Damned MK II ne sont plus du tout le même groupe. Le seul cut qui reste dans l’esprit originel, c’est «Love Song». En fin de deuxième partie, Brian James revient pour «Looking At You». Captain prend le premier solo et Brian James le deuxième. Le Rat fout le feu à ses cymbales. Ils terminent avec la cover du diable : «The Last Time».

             34 ans séparent ces deux concerts. Brian James aura tenu son rang jusqu’au bout. Magnifique incarnation du rock.

    Signé : Cazengler, damné du pion

    Damned. Final Damnation. DVD Fabulous Films Limited 2024

    Damned. AD 2022. DVD EarMusic 2024

     

     

    In Mod We Trust

     - King Meaden touch

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    En remerciement d’un service rendu, Dionysos accorda jadis au roi Midas la pouvoir de transformer tout ce qu’il touchait en or. The Midas Touch. Il se pourrait fort bien que Peter Meaden soit la réincarnation de King Midas. Steve Turner ne s’y est pas trompé, en titrant le book qu’il consacre à Peter Meaden King Mod.

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             Très beau book : King Mod. The Story Of Peter Meaden, The Who, And The Birth Of A British Subculture tient bien en main, belle reliure à l’anglaise, choix typo imparables, richement illustré, toute la paraphernalia des Mods est là, depuis les Who jusqu’aux scoots en passant par Major Lance, Guy Stevens, Jimmy James & The Vagabonds et Phil The Greek. Mise en page exemplaire, avec à la coupe de généreuses cheminées dans lesquelles glissent les textes des légendes. Tout s’aère fantastiquement. L’éditeur est un crack. Petite cerise sur le gâtö : t’as un avant-propos d’Andrew Loog Oldham.

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             Le Loog et King Meaden se connaissaient, puisqu’ils ont bossé un peu ensemble, avant de se lancer tous les deux dans les carrières que l’on sait : le Loog va lancer les Rolling Stones et King Meaden va lancer les Who. Pour le Loog, King Meaden connut d’une certaine façon le même destin que Brian Jones. Rise and fall. Brian Jones casse sa pipe en bois à l’âge de 27 ans et King Meaden à l’âge de 37 ans. Le Loog reconnaît qu’à l’époque il y avait dans l’empire naissant des Rolling Stones un petit côté Sa Majesté des Mouches, avec un côté «no mercy», dont Brian Jones fit les frais. C’est Peter Meaden qui a initié le Loog à l’«American Clobber» de The Scene Club.

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             King Meaden n’est pas n’importe qui. Il tente de bosser pour Brian Epstein, mais, se marre Turner, «Epstein qui était gay trouva Peter trop flamboyant à son goût.» Il y aura une petite brouille entre le Loog et King Meaden. Ils s’habillaient de la même manière - trying to outsmart each other - King Meaden tente d’imiter le Loog, nous dit Philip Townshend, «but one was a genius and the other wasn’t.» Et chacun part de son côté. Norman Jopling compare le Loog - Andrew was cool, sharp, very bright, very aware - à King Meaden, son aîné de deux ans - more artistic, a bit mad, a bit brillant, always flailing around - Et quand Meaden «was on», ajoute-t-il, «no-one could touch him.»

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             King Mod est essentiellement un Mod book. Un book de référence sur la Mod culture. Turner fouille dans les racines et exhume un article du Daily Mirror daté de 1958, titrant : ‘Are you a Trad or a Mod?’. Ça cause déjà de cheveux courts et de mohair suits. Puis un article du Guardian daté de 1960 évoque l’émergence des modernists, des jeunes gens qui dansent et qui s’habillent chez des tailleurs. Bowie - que cite King Meaden - indique que le look Mod «came out of the French fashions.» Les autres points clés de la Mod culture sont The Scene Club de Ronan O’Rahily, au 41 Great Windmill Street, Soho, et les amphètes, essentiellement le Drinamyl, qui permet de tenir du vendredi soir au dimanche sans dormir.

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             Première DJ du Scene Club : Sandra Blackstone, puis ce sera Guy Stevens, qui est alors un collectionneur de 45 tours américains. C’est King Meaden qui va transformer The Scene Club en Mod club. Il va créer la Mod craze originelle. Et voilà qu’arrivent les Mod words : la majorité des Mods sont des ‘tickets’, les purs et durs sont des ‘numbers’ et les cracks sont les ‘faces’. D’où les High Numbers, le nom que choisit King Meaden pour les Detours qui vont devenir ensuite les Who. Dans l’esprit de King Meaden, Townshend, Moonie, The Ox et Daltrey sont des «numbers who liked to be high», high on drugs, high on Drinamyl, bien sûr. Mine de rien, c’est toute la dynamique d’une culture que King Meaden met en route à travers les Who. Il n’en finit plus de faire l’apologie de ce mode de vie Mod, tout au long de l’interview qui est le cœur battant du book - The most amazing sort of life you could imagine ! - Pour lui, c’est la plus belle des vies, the finest, les trois jours sans dormir, the Scene Club. King Meaden évoque les années 1964 à 1967, il évoque les 250 000 Mods d’Angleterre, puis Jimmy James & The Vagabonds, «a purist mod band», et les Who qui sont devenus «the focus of mods». Il compare les 250 000 revolutionary kids aux combattants du Vietcong, et là, ça devient très fort.

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             King Meaden explique encore qu’il a sapé les Who, «boxing boots and fashionable  things», t’as des photos des Who qui prouvent qu’ils sont le plus anglais des groupes anglais. Il rappelle aussi que Moonie était un fan des Beach Boys, Daltrey «a straightforward rocker», The Ox «a serious musical student» et Townshend «an art student» parfaitement au courant des tendances de l’époque. King Meaden les emmène chez Guy Stevens qui leur fait découvrir Link Wray, James Brown et des tas de singles Motown, Stax & Sue. Il leur fait même un compile de deux heures sur une K7. King Meaden s’intéresse au moindre détail des futurs Who : leurs coupes de cheveux, leurs pompes, les paroles de leurs chansons. Turner a raison de dire que King Meaden voit les choses exactement de la même façon que les verra dix ans plus tard McLaren : il ne voit pas seulement un groupe, mais un mouvement. Il y a un parallèle évident entre les histoires des Who et des Pistols : sortis de nulle part, gros son, grands cuts et grands looks. Modernité, originalité et immédiateté. En 1964, les High Numbers jouent au Scene Club devant leur public Mod. Ils tapent des covers de Tommy Tucker («Long Tall Shorty»), des Miracles («I Gotta Dance To Keep From Crying») et le «Pretty Thing» de Bo Diddley. Turner livre là de fabuleuses informations - The groups that you loved when you were a mod were the Who - Boom «My Generation» ! - That’s how the song «My Generation» happened, because of the mods - Eh oui, on les voit danser les Mods sur «My Generation» dans Quadrophenia. Ça ne fait pas un pli. T’as l’impression de vivre un moment historique.

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    ( Keith Moon - Kit Lambert )

             Puis King Meaden va se faire évincer. Kit Lambert et Chris Stamp vont reprendre le management des Who et dédommager symboliquement King Meaden qui les a lancés. Lambert propose aux Who un «lucrative deal», alors c’est dans la poche. King Meaden ne fait pas le poids face à ces deux forces de la nature que sont Lambert & Stamp. C’est Daltrey qui annonce la couleur à King Meaden, lui disant qu’ils vont être payés 20 £ par semaine, «plus our cars». Il n’y a rien d’autre à ajouter : King Meaden n’a pas les moyens de suivre. Lambert l’invite au resto et lui propose 500 £ pour le dédommager. King Meaden qui est un gentil mec accepte et dit merci. Il va compenser avec Jimmy James. De toute façon, The Scene Club ferme en 1966, et en 1967, King Meaden passe à Captain Beefheart et à l’acide. Vers la fin du book, King Meaden conclut ainsi le tragique chapitre des Who : «I think Pete is the greatest mod of all time. And myself.»

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             King Meaden va ensuite perdre Jimmy James & The Vagabonds. Plusieurs raisons sont évoquées. Il semble que la plus plausible soit celle du comptable qui a récupéré le management du groupe. En 1967, King Meaden flashe sur la pochette de Safe As Milk qui trône dans la vitrine d’un disquaire de South Moulton Street. Il écoute ça et découvre un «brother in madness». C’est la période où il essaye de «développer des talents», notamment le duo Dave Brock/Mick Slattery qui vont devenir Hawkwind. King Meaden leur fait écouter Captain Beefheart et fout de l’acide dans leurs tasses de thé. Brock dira à Carol Clerck qu’il fut enchanté de ce trip. Puis King Meaden emmène Brock et Slattery en studio enregistrer une cover de l’«Electricity» de Captain Beefheart. Il va aussi tenter de lancer la carrière de l’immense Donnie Elbert en Angleterre. Mais rien ne sort de tout ça.

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             King Meaden cite à la volée des hits de Northern Soul, l’«Ain’t Love Good Ain’t Love Proud» de Tony Clarke, le «Daddy Rolling Stone» de Derek Martin, Major Lance, Curtis Mayfield & The Impressions. Turner ajoute à cette liste le «Let’s Go Baby (Where The Action Is)» de Robert Parker et «The In Crowd» de Dobie Gray.

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             King Meaden fait aussi l’apologie de la volition, c’est-à-dire la volonté, ou le drive - This is what speed gives you and this is what the mods are all about - C’est presque intraduisible. Le mot français le plus appropriée est sans doute ‘énergie’. D’où l’image de la Mod craze. C’est intimement lié au speed, le fameux Drinamyl prescrit par les médecins pour soigner la dépression, ces cachets triangulaires qu’on appelle aussi Purple Hearts ou Frenchies. «A functional drug», qu’il découvre en 1962. Il n’en est pas à son coup d’essai : il teste la Benzedrine après avoir lu Kerouac. Il reste infiniment littéraire, comme l’est Robert Palmer dans sa relation à l’hero, via William Burroughs. Quand on testait le laudanum, c’était bien sûr en référence à Artaud. Et ainsi de suite. King Meaden ajoute que le Drinamyl a disparu et que son toubib lui prescrit de la Dexidrine. Il revient inlassablement sur le kick du speed, qu’il image - It’s like the kick-start on a motorcycle - et revient encore au «move forward», au «keep moving forward, and that’s what the mod thing is.» Avoir ces cachets dans la poche de son Tonik : «You have paradise on hand». C’est King Meaden qui branche Townshend sur le Drynamil et en échange, Townshend le branche sur l’acide en 1967. King Meaden entre fabuleusement bien dans les détails, et on sait que le soin du détail est le cœur de la Mod culture. 

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             T’es Mod, alors tu danses. Tu ne dragues pas. King Meaden insiste beaucoup là-dessus - Free from libido, from sexual drives - T’es là juste pour avoir du bon temps. Pas de compétition. Il débouche sur la notion de liberté. Ne dépendre de personne. Mod pour lui c’est la liberté, «real free living».

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             Il descend au Scene Club avec son ami Brian Jones. Il insiste encore sur le purisme des Mods, «very private» et paf, il te sort la formule magique : «As I say, modism, mod living, is an aphorism for clean living under difficult circumstances.» Pour lui, tout ce qui comptait était de passer du bon temps, «just having a good time with your own drug which would keep you up.» Et paf, au détour d’une page, il t’apprend qu’il a vécu un temps avec Mick & Keef «in Mapesbury Road, in South West Hampstead».

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             Vers la fin du book, David Bowie dit un truc fondamental, qui éclaire bien tout le propos de King Meaden : «Non seulement j’ai été le premier dans le monde à reprendre une chanson du Velvet, mais je l’ai fait aussi avant que l’album du Velvet ne sorte. Now that’s the essence of Mod.» Jean-Yves qui était fasciné par la Mod culture expliquait que les Mods anglais étaient précurseurs en tout. Turner dit qu’un Mod est «at the cutting edge of the youth fashion», mais connaît aussi «all the hottest records, clubs, coffee bars, boutiques, trends and parties.» C’est génialement bien résumé.

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             King Meaden revient dans le cercle des Who en 1978 lorsqu’il bosse pour leur manager Bill Curbishley. Et paf, il tombe en plein dans la préparation du tournage de Quadrophenia, et bien sûr, il s’identifie pleinement au personnage de Jimmy qu’incarne Phil Daniels. Il va filer un sacré coup de main au réalisateur Franc Roddam. S’il en est un qui peut documenter la Mod culture, c’est bien King Meaden ! 

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             Le dernier gros coup de King Meaden sera le Steve Gibbons Band. Pour l’aider à se remettre du choc d’avoir été dépossédé des Who, les Who lui filent un coup de main, via leur structure Trinifold, pour manager financièrement le Steve Gibbons Band. Comme Gibbons est encore sous contrat avec Tony Secunda, Bill Curbishley rachète le contrat de Gibbons pour l’offrir à King Meaden. Musicalement, Gibbons va plus sur Chucky Chuckah que sur la Mod craze, mais c’est pas grave, puisque King Meaden a flashé sur lui. En 1977, Gibbons aura un hit avec une cover de «Tulane». King Meaden fait intervenir son ami Kenny Laguna (futur manager de Joan Jett) sur l’album Rollin’ On.

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             Comme on le craignait, le Rollin’ On du Steve Gibbons Band n’est pas l’album du siècle, même produit pas Kenny Laguna. C’est donc un son très américain, mais d’une banalité sans nom. Aucun espoir. Gibbons tape un country rock affreusement toc. Il se prend pour les Eagles. Au bout du balda tu croises le fameux «Tulane», mais t’en feras pas tes choux gras. En B, il tape une power pop à la mode californienne avec «Please Don’t Say Goodbye», bien éclairée par un big soloing à la mode US. Comme il y a deux lead guitaristes, Dave Carrol et Bob Wilson, tu ne sais pas lequel joue. Te voilà bien avancé.

             Puis King Meaden se fout en l’air. Six mois plus tard, Moonie casse sa pipe en bois suite à une overdose. 

    Signé : Cazengler, Peter Mitaine

    Steve Turner. King Mod. The Story Of Peter Meaden, The Who, And The Birth Of A British Subculture. Red Planet Book 2024

    Steve Gibbons Band. Rollin’ On. Polydor 1977

     

    Inside the goldmine

     - Sweet au prochain numéro

             Pour trouver Baby Sweet, il fallait aller jusqu’à Stalingrad et enfourner la rue du Chaudron, se glisser furtivement sous un porche avachi et grimper deux étages de marches vaincues par le temps. Tout dans cet endroit indiquait le plus absolu des renoncements : marches, murs, odeur, lumière. Drrring ! Elle ouvrit sa porte dès le premier coup de sonnette.

             — Bonjour cher ami !, lâcha-t-elle d’un ton enjoué.

             — Dear Baby Sweet, la gaieté de votre accueil me console des peines infligées par vos deux étages !

             Elle avait le physique très guilleret des petites femmes de Paris, telles qu’on se les représentait dans les années cinquante : corpulence plutôt fluette, taille de guêpe, visage poupon et bien rond, coiffure artificiellement frisée de cheveux châtain coupés courts, lunettes classiques à fines montures métalliques, tout cela enrobé d’une gouaille de type Arletty. Elle portait un chemisier noir négligemment passé dans un pantalon de flanelle noire. Nous prîmes place dans la banquette un peu défoncée du salon. L’appartement paraissait lui aussi avoir renoncé à tout, surtout au ménage. Il se trouvait dans un état de délabrement peu banal : la moquette élimée fourmillait de miettes. Cette nonchalance ménagère cachait peut-être quelque chose d’intéressant. L’explication ne tarda pas à se manifester en la personne d’un chat. Monsieur Mistigri sortit de la pièce voisine et vint renifler les jambes du visiteur. Baby Sweet semblait passionnée par son chat. Elle en décrivit dans le détail le tempérament et les manies, les sautes d’humeur et l’antériorité, les coupures d’appétit et les tentatives de fugue. Monsieur Mistigri ne se nourrissait que de biscuits et de friandises. D’où les miettes. Profitant d’une faille dans le soliloque, il glissa une requête :

             — Que pourrait-on boire pour agrémenter cette charmante conversation ?

             Prise au dépourvu, Baby Sweet s’excusa platement d’avoir manqué à ses devoirs d’hôtesse et proposa au choix de l’eau minérale ou du thé. Alors qu’elle préparait le thé dans la cuisine, il dut se résoudre à mettre les bouts. Pas question pour lui d’explorer les voies impénétrables de Baby Sweet, c’est-à-dire ses métiers, ses ex, ses goûts culturels et, pire encore, ses goûts sexuels, et d’y mélanger les siens, qui ne lui inspiraient que de la honte. 

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             On peut espérer que les Sweet Inspirations faisaient le ménage chez elles. Et qu’elles ont rencontré des mecs plus intéressants que celui cité plus haut. Elles furent longtemps les protégées de Jerry Wexler, puis d’Elvis, à Las Vegas. Elvis avait même réussi à les imposer au Colonel qui ne voulait que des blancs sur scène. Ah ce fucking Colonel !

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             Le premier album des Sweet Inspirations est un bel Atlantic sans titre de 1967. Belle pochette, les chicks te foutent bien l’eau à la bouche. Oh les cuisses, oh les cuisses, elles me rendront marteau ! T’as Cissy impératrice, Myrna Smith, Sylvia Shemwell et Estelle Brown. Tu veux jerker, baby alors tiens, voilà leur vision de «Knock On Wood», elles te gospellisent le Knock au softy du smooth, avec un fabuleux angle d’attaque. Le Kock te fond dans la main. Elles tapent aussi le «Don’t Fight It» de Wilson Pickett, elles sont magnifiques de get up, et d’here you sit yeah !, elles en font un real deal. Cissy remonte encore les bretelles du cut à coups d’I like the way you move et les chœurs de feel it t’explosent littéralement sous le nez. Elles tapent aussi dans Burt en B avec «Reach Out For Me», ce n’est pas le meilleur Burt mais elles te le groovent à merveille. Ça fait boom car la puissance interprétative s’ajoute à la puissance compositale et elles envoient Burt valdinguer par-dessus les toits. Pur Black Power de pouliches offertes ! Elles tapent aussi le «Don’t Let Me Lose This Dream» d’Aretha, elles n’ont aucun problème pour aller gueuler au sommet de l’Ararat d’Aretha. En B, elles tapent le «Sweet Inspiration» de Dan Penn à la clameur de gospel. Il faut les voir monter le Penn en neige. C’est quelque chose, d’autant que c’est produit par Tom Dowd et Tommy Cogbill. Elles tapent aussi l’«I’m Blue» d’Ike au choobeedoo beedoobeedoo, c’est fin et farci de feel à la patte du caméléon. Elles terminent avec «Why (Am I Treated So Bad)», un slow groove de Pops Staple. C’est une plongée dans le deepy deep de la Soul, la pire de toutes, celle des champs de coton. La Soul n’a jamais aussi bien porté son nom. Elles en font leur terrain d’excellence. Bravo les filles !

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             Cissy impératrice reprend son vrai nom (Drinkard) pour Songs Of Faith & Inspiration. C’est le bon gros gospel d’Atlantic. Dès «What A Friend», Cissy t’explose vite fait le gospel, le ciel, l’église en bois, boom ! Elle est la plus puissante du monde. «I Shall Know Him» est encore du pur gospel batch. Cissy impératrice s’échappe dans le ciel. C’est Myrna Smith qui prend «Swing Low», elle n’a pas du tout la même voix, elle est beaucoup plus veloutée. Les quatre Sweet sont d’extraordinaires solistes, comme on le voit ensuite avec Sylvia Shemwell et «Guide Me». Accent plus mûr, un peu fêlé. En B, c’est au tour d’Estelle Brown de charger la barcasse sur «He’ll Fight». Cissy revient avec «Without A Doubt», elle est beaucoup plus directive, elle pèse de tout son poids, elle expurge le gospel de tous ses péchés. On la voit ensuite chauffer son «23rd Psalm» à la folie. Ah, il faut l’entendre screamer dans le round final ! Et puis t’as Estelle Brown qui revient swinguer «Down By The River Side» avec un tambourin. Wild as gospel fuck !      

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                  Elles attaquent What The World Needs Now Is Love avec deux covers de Burt, «Alfie» et le morceau titre. Mais ça ne marche pas, elles chantent trop à la force du poignet, Burt est trop fin pour une femme à poigne comme Cissy. Dommage. Elles prennent le morceau titre à la voix perchée et ça foire lamentablement. Cissy n’est pas assez sexy pour Burt. Elles s’en tirent mieux avec le «Watch The One Who Brings You The News» de Don Covay. Il faut dire de Tom Dowd veille au grain. Elles font un numéro de haute voltige avec «Am I Ever Gonna See My Baby Again», monté sur un bassmatic en escalier et des nappes de violons au fond du son. On ne sait hélas pas qui joue le bassmatic. C’est en B que tu trouves leur fantastique version de «Walk In My Shoes». Pur Black Power ! Le wild r’n’b est leur vrai fonds de commerce. Ce que vient confirmer «I Could Leave You Alone», un r’n’b fabuleusement chaloupé, quasi gospel. Soul éternelle encore avec «You really Don’t Mean It». Ah comme elles sont bonnes pour le rumble ! Voilà un album qu’il faut bien qualifier de passionnant.    

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              Deux petites merveilles sur Sweet For My Sweet : «Get A Little Order» que Cissy mène au poumon d’acier, et «Crying In The Rain», un hit signé Carole King. David Hood se retrouve au devant du mix avec son bassmatic. Bien joué, Hoody boy ! Sa basse pouette savamment. Encore de la fantastique allure avec l’«Always David» d’Eddie Hinton, my yoyo hero/ I love you ! Elles sont irréprochables, de toute façon. Elles font aussi de la petite pop de Brill avec l’«It’s Not Easy» de Barry Mann & Cynthia Weil, et en B, tu vas retrouver le morceau titre signé Doc Pomus/Mort Shuman qui a donné «Biche O Ma Biche» en français. Là il faut remonter au temps de Salut Les Copains et de Frank Alamo. Disons qu’il s’agit d’un album classique, à l’image du «Don’t Go» d’Ashford & Simpson : Soul très chantée, très composée, très orchestrée, très Atlantic. 

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             En dépit de sa belle pochette Soul, Sweet Sweet Soul n’est pas le meilleur album des Sweet. Elles ont quitté Muscle Shoals pour aller enregistrer chez Gamble & Huff. On devra se contenter de «Shut Up». Elles s’y montrent explosives. Elles y font de l’Aretha avec la même niaque fondamentale, mais en mode Philly Soul. On se régale bien sûr du «Give My Love To Somebody» qui suit, car c’est un groove fabuleux de délicatesse, bien coulé dans le moove du Somebody. Là on est au cœur de la Philly Soul, une Soul beaucoup plus racée. Encore de la Soul sophistiquée avec «Two Can Play The Game», Cissy chante ça dans le haut du panier, à l’écarlate. Comme «(Gotta Fiind) A Brand New Lover» est signé Gamble & Huff, on s’incline devant cette incroyable sophistication, tout est joué au délié prémonitoire. Et puis en B, Gamble & Huff récidivent avec «Them Boys» une belle tranche de Soul secouée aux percus, encore du très grand art de look out for them boys. Elles sont magnifiques de docilité.  

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             Plus de Cissy impératrice sur Estelle, Myrna & Sylvia, un bon vieux Stax de 1973. Mais attention, toutes les compos sont signées David Porter/Ronnie Williams, gage de qualité et de sophistication. C’est une Soul très ambitieuse, solidement orchestrée, presque jazzée. «Wishes & Dishes» est un slowah superbe et sculptural. On entend de la belle harangue de Black Power dans «Slipped & Tripped», bien axée sur l’Aretha, et du joli swing de Stax dans «Pity Yourself». Robert Thomas gratte ça à la clairette. Cette Soul vise résolument l’aventure intellectuelle. Ray Griffin signe le bassmatic bien rond d’«All It Takes Is You & Me». En B, «Emergency» s’en va groover sous le boisseau de Porter, un boisseau d’or fin. Elles vont chercher des harmonies vocales troublantes. Porter sait travailler l’esprit d’une Soul audacieuse et d’une éclatante modernité. Il fait aussi de «Call Me When When All Else Fails» une merveille contemplative, montée sur le dos rond de Ray Griffin. Et puis avec «The Whole World Is Out», t’as encore une mélodie chant qui ne tient qu’à un fil, mais quel fil ! Les Sweet sont les crackettes de la haute voltige. C’est noyé d’orgue et chanté à la pointe d’une belle petite glotte rose et humide, avec la meilleure bonne volonté du monde. Et quelle prod !       

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             Sur le dernier album des Sweet, Hot Butterfly, ne restent plus que Myrna Smith et Sylvia Shemwell. Estelle est partie. Elles proposent un diskö-funk urbain et maintiennent un bon niveau de blackitude. Le morceau titre est assez beau, tenu par le chant impeccable de Sylvia. On retrouve Sylvia en B, avec «Love Is On The Way», très beau cut de diskö des jours heureux, et plus loin, Myrna tape dans la good time d’«It’s The Simple Things You Do» et ça lui va comme un gant. C’est un bonheur que de les écouter chanter.

    Signé : Cazengler, Sweet aspirateur

    Sweet Inspirations. Sweet Inspirations. Atlantic 1967   

    Cissy Drinkard & The Sweet Inspirations. Songs Of Faith & Inspiration. Atlantic 1968         

    Sweet Inspirations. What The World Needs Now Is Love. Atlantic 1968     

    Sweet Inspirations. Sweet For My Sweet. Atlantic 1969  

    Sweet Inspirations. Sweet Sweet Soul. Atlantic 1970  

    Sweet Inspirations. Estelle, Myrna & Sylvia. Stax 1973       

    Sweet Inspirations. Hot Butterfly. RSO 1979

     

     

    L’avenir du rock

     - Pour Kim sonne le glas

    (Part Two)

             Si tu souhaites rencontrer des gens intéressants, fais comme l’avenir du rock, va errer dans le désert. Ceux qui croient que le désert est désertique se fourrent le doigt dans l’œil. «Jusqu’au coude», ajouterait l’avenir du rock s’il lui restait un peu d’humour, mais comme il puise dans ses réserves pour continuer d’errer, il se contente du minimum, c’est-à-dire penser avec ses pieds. Un jour, alors qu’il marche vers ce qu’il imagine être l’Est, il voit s’élever devant lui un gigantesque nuage de sable. «Oh une tempête de sable, comme dans Un Taxi Pour Tobrouk !», s’exclame-t-il émerveillé. Hélas, c’est pas ça du tout ! Il s’agit d’une marée humaine. Des millions de guerriers armés de lances, de sabres, de mousquets et de boucliers ! L’avenir du rock se met sur le côté pour les laisser passer et en chope un pour lui demander :

             — Zallez où comme ça ?

             — Zallons faire un cartoon à Khartoum !

             — C’est qui le zig sur la mule avec le turban ?

             — M le Mahdi ! M le Mahdi a dit : «Pas de quartier à Khartoum !»

             Bon. L’avenir du rock ne sait pas quoi répondre, alors il repart vers ce qu’il imagine être l’Est. Quelques semaines plus tard, il revoit s’élever un gigantesque nuage de sable. C’est l’armée d’M le Mahdi qui rentre au bercail. L’avenir du rock se met sur le côté et chope l’un des guerriers pour lui demander :

             — Alors, c’était comment Karthoum ?

             — Karthoum kapout ! Couic les kékés !

             — C’est à qui la tête fichée sur la pique, là-bas ?

             — C’est celle de fucking Gordon Pasha !

             — Pffff, on s’en branle de Gordon Pasha. C’est Kim Gordon qu’y vous faut, les gars.

     

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             En mai dernier, Kim Gordon se produisait au Koko de London town. Elle tournait pour la promo de son No Home Record et Uncut se prosternait jusqu’à terre - Yet such is her allure as art-rock royalty, any appointment with Gordon is well worth keeping - Alors ça, c’est de la formule ! Le mec ajoute qu’elle n’a pas de temps pour le passé - no time for the past - Allez hop, le mec enchaîne aussi sec en passant en revue tous les coups d’éclat de l’art-rock royalty, Glitterbust, Body/Head et bien sûr le book Girl In A Band. À quoi il faut ajouter ses «paintings, video, installation exhibited around the world». Alors maintenant elle challenge l’indie-rock de plus belle et sur scène, les cuts de No Home Record sonnent comme du heavy no-wave grind

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             Et tout ceci s’actualise avec la parution de The Collective, son nouvel album solo. Il ne faut pas perdre de vue que l’art-rock royalty est aujourd’hui une mémère de 70 balais. Tu rapatries l’album vite fait, tu te frottes les mains, et dès «Bye Bye», tu ravales ta bave et tu commences à déchanter. Ah la gueule de l’art-rock royalty ! C’est de l’electro-shit de machine à laver. On perd toute la belle niaque de No Home Record, on perd la gratte et on perd la Kim. Au fil des cuts, elle se traîne dans son electro-shit, ça ne marche pas. Mais alors pas du tout ! Son «I’m A Man» n’est pas celui de Muddy Waters. Elle se noie dans une foutaise d’electro-shit de la pire espèce. On entend enfin une gratte dans «It’s Dark Inside». A-t-elle perdu la raison ? On l’entend un peu chanter, d’une voix de mémère qui s’énerve. On arrive vers la fin de cette merveilleuse arnaque de brouillage électro. Pas de grattes, rien que des machines à coudre de mémère infortunée. Cet album est une injure à sa carrière et à toute sa modernité. C’est foutu. On ne peut plus rien faire pour elle. Même pas l’écouter. Elle finit à la hâte avec «Dream Dollar», le seul écho de New York City sludge.

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             C’est d’autant plus dramatique qu’April Long lui consacre six pages dans Mojo et titre en mode bim bam boom ‘Music Art Revolution’, avec un gros ART en cap blanches d’Helvetica extra-bold. Ah tu parles ! La gueule de la Music Art Revolution ! On dirait que l’April n’a pas écouté The Collective, car elle ose dire qu’avec ça, la Kim «repousse ses frontières créatives to the limit.» Ah la gueule des limits ! C’est pas tous les jours qu’on a l’occasion de s’offusquer, alors on en profite. Car avec The Collective, elle revient exactement à l’endroit où Sonic Youth a commencé à se foutre de la gueule des gens. Si tu veux faire de l’expérimental, cocote, commence par t’appeler Yannis Xenakis. Après on verra. Mais comme la mémère nous a bluffé avec No Home Record, alors on lit les six pages.

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             Mémère Kim emmène la Mojote en pélerinage dans les rues de New York. C’est un bon angle d’attaque. Ça commence par le 84 Eldridge Street, in downtown Manhattan, où le couple Moore/Gordon a vécu de 1980 à 1990. À deux pas du CBGB, comme par hasard. Alors elle commence à papoter, évoque les smartphones et le son qu’elle recherche, «making things as fucked-up as possible», elle revient au dirty distorded sound dans lequel elle a évolué avec Sonic Youth pour tenter d’en repousser encore les limites, elle dit aimer pousser le bouchon, «she loves to be pushed, challenged, questioned.» C’est là où ça devient intéressant : ça a marché avec No Home Record, pas avec The Collective. Cette pomme de terre d’April Long ose dire que les cuts on The Collective «are three dimensional soundscapes», avec des bruits qui se grattent les uns les autres, et la chute n’en est que plus lamentable : «En clair, c’est une façon de dire à ceux qui croient qu’on ne peut pas faire un album incendiaire à l’âge de 70 ans qu’ils se foutent le doigt dans l’œil.» Ça confirme ce qu’on soupçonnait : l’April n’a pas écouté l’album. Sinon, elle aurait écrit : «En clair, c’est une façon de dire qu’il vaut mieux éviter de faire un album incendiaire à l’âge de 70 ans.» Finalement, on s’amuse bien à lire cet article. Et puis tu as une autre pomme de terre qui déclare que The Collective pourrait bien être «the next Nirvana or something». Là tu commences à te marrer pour de vrai. La lecture devient palpitante. Tu lis rarement des âneries pareilles. 

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             Puis mémère Kim embraye sur Body/Head. C’est une autre histoire. Cette fois, elle fait équipe avec un certain Bill Nace, qu’elle a rencontré quand elle vivait dans le Massachussetts, après le split de Sonic Youth. Mémère Kim n’avait plus rien à perdre, «just go down in a basement with Bill and just start playing music for music’s sake.» Nace fait de la noise. Nace bat le nave. Trois albums dont le premier s’appelle Coming Apart. Digi underground avec photo bien floue à l’intérieur. La pauvre Kim s’y épuise à vouloir faire de la modernité de carton-pâte. Comme son nom l’indique, «Abstract» est très abstrait. Elle y gratte des poux indignes. C’est le genre d’album qui te met en colère. De cut en cut, tu la vois se complaire dans la cacaphonie. On la sent déterminée à ruiner tous ses efforts. Elle est trop barrée. «Everything Left» se barre tout seul. «Can’t Help You» te réveille en sursaut avec ses belles giclées de poux liquides, délétères et imberbes. Une vraie infection. Puis avec «Aint», elle se prend pour Nico. C’est assez liturgique - I got my boots/ I got arms/ I got my sex/ I got my legs - elle est encore plus barrée qu’on ne l’imagine. Ailleurs sa guitare dissone. C’est à qui va craquer le premier : toi ou elle ? Elle s’amuse avec sa gratte et ça finit par devenir pénible. «Free-form waves of shuddering feedback.» Tu parles ! Kim est ravie de cet experiment qu’elle qualifie de «the most pure thing I do.» Elle dit aussi vouloir secouer la poussière de trente ans de Sonic Youth. En soi, c’est admirable. Mais Coming Apart n’est pas bon. Trop complaisant. Rien à voir avec le supremo No Home Record.

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             Mais la curiosité reprend le dessus et bien sûr, on en écoute un autre, No Waves, un Matador de 2016, avec une titraille écrite à la main. Toujours deux grattes. Et toujours expérimental. Et toujours aussi déprimant. Le troisième s’appelle The

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    Switch, orné d’une belle photo de scène. On voit Kim grattant sa gratte dans le dos et accroupie, comme si elle faisait caca, elle fait son G.G. Allin. Au dos, t’as encore une photo de scène avec Bill Nace au premier plan. On retrouve la volonté affichée d’experiment. Franchement, qui va aller écouter ça ? Ils exagèrent. Ils se croient cultes, alors ils font n’importe quoi. Leur «Dark Room» n’est hélas pas celui des Chrome Cranks. C’est autre chose, du genre grosse arnaque. C’est atrocement inutile.

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             Tu ne vas pas le croire : c’est encore pire avec Glitterbust, un autre side project qu’elle mène avec Alex Knost. On ne sait pas d’où sort ce Knost et on ne veut pas le savoir. Le Glitterbust se présente sous la forme d’un double LP, avec en moyenne un cut par face qui se joue en 45 tours. Pour résumer la chose, disons que c’est l’ambiancier de l’inutile. Encore une arnaque. La mémère est en baisse, et ça rabat bien le caquet de l’avenir du rock. Le seul cut écoutable est l’«Erotic Resume» en B, un brave cut. On lui tape dans le dos, merci mon pote ! Mais en C, ça repart en eau de boudin avec un plaintif mordoré. On se croirait chez Sonic Youth. La pauvre mémère, elle ne sait faire rien d’autre dans la vie. Et tu vas voir la gueule de «Nude Economy» en D, sait-on jamais ? Là, t’attige, Tata. Le rock ? Tintin, Titine ! Belle arnaque d’antho à Toto. Tu l’as dans le baba, Bobo. Tu l’as dans le cherry, Bibi. C’est pas jojo sous le tutu. Tu t’es fait enfler, Floflo.

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             On a déjà épluché trois Free Kitten dans un Part One. Voilà le quatrième, Sentimental Education. Pour mémoire, Free Kitten est le duo que Kim a monté avec Julie Cafritz, l’ex-Pussy Galore. Ça vaut le coup d’écouter cet album flaubertien pour trois raisons, dont la principale s’appelle «Never Gonna Sleep». Elles y drivent bien leur biz de pur jus d’inventivité underground, avec un bassmatic au devant du mix, et un gratté de poux fantômes. Elles exploitent leur mine d’or. La deuxième raison est ce fantastique hommage à Gainsbarre en ouverture de bal : «Teenie Weenie Boppie». C’est d’une délicatesse infinie. J. Mascis y bat un beurre bizarre. S’ensuit une pure énormité new-yorkaise, «Top 40». What a rockalama ! «Bouwerie Boy» est une belle pop-punk de type Sonic Youth qui vaut le déplacement. Avec l’instro long et hypno du morceau titre, elles restent dans l’esprit Sonic Youth, et font du girlish goulish. Puis du weirdy weird avec «Eat Cake». Mais tu croises aussi des cuts complètement paumés, bien largués des amarres. Ça fait partie du jeu d’art-rock royalty. Elles donnent du temps au temps et elles font même du jazz de round midnite avec «Daddy Long Legs»

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             Si tu veux compléter le tour du propriétaire, tu peux aussi aller écouter Naked In Garden Hills d’Harry Crews, un groupe qu’elle a monté en 1990 avec Lydia Lunch (gratte) et Sadie Mae (beurre). Il n’est pas facile à choper mais t’es content de pouvoir l’écouter, surtout pour «Man Hates A Man», jolie slab de trash punk, ça dégringole dans les escaliers de l’hardcore punk, c’est une musicalité du chaos vite avalée par le bassmatic glouton de Kim. Mais diable, comme Lydia chante mal ! Nouveau choc esthétique avec «Gospel Singer» qui n’a rien à voir avec le gospel, puisqu’il s’agit d’un heavy groove allumé par derrière. C’est l’hypno du fracas des armes. On sent chez elles un goût pour le chaos total, comme le montre encore «Knock-Out Artist», un slab de wild New York City shuffle, mais quand Lydia chante, elle fait mal aux oreilles. Dans «Car», elle parle d’une Chevrolet Convertible et le rock reprend la main sur l’experiment. Quel envoi et quel punch ! Modèle absolu d’excelsior parégorique, ça y va au deep into my vein. Elles bouclent leur bouclard avec un «Orphans» stompé dans les règles. Mix d’hard nut rock et de pur chaos.

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             C’est à April Long que reviendra le mot de la fin (provisoire), car elle dit en deux phrases tout ce qu’il faut retenir de Kim Gordon. Un, qu’elle fut the most punk-rock in Sonic Youth, puisque, comme elle le dit si bien elle-même, «I was the only one who knew nothing about music.» Et deux : «She is at heart an explorer. Et sa capacité à faire de la musique d’avant-garde abstraite et expressionniste est aussi flagrante sur The Collective qu’elle le fut sur Bad Moon Rising en 1985.» C’est à Nace que revient l’autre mot de la fin (provisoire) : «She never has given a fuck what people think. She never will.» Alors, tu t’inclines respectueusement, même si The Collective te reste coincé en travers de la gorge.

    Signé : Cazengler, Kim Gourdin

    Free Kitten. Sentimental Education. Wiija Records 1997

    Body/Head. Coming Apart. Matador 2013

    Body/Head. No Waves. Matador 2016

    Body/Head. The Switch. Matador 2018

    Glitterbust. Glitterbust. Burger Records 2016

    Harry Crews. Naked In Garden Hills. Widowspeak Productions 1990

    Kim Gordon. The Collective. Matador 2024

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    Piers Martin : Kim Gordon. Koko London May 2023. Uncut # 303 - August 2023

     

    *

             La piste indienne je l’ai souvent empruntée. C’est facile, il suffit de suivre la moindre des sentes qui s’offre à vous. Whathéca Records. Pas à se tromper, cela sonne indien.  Une chaîne You Tube, pas beaucoup de vidéos présentées.  A peine 68. Uniquement des vieux disques ou des cassettes enregistrés sous forme de vidéos fixes dont les musiciens sont d’origine indienne. De toutes les tribus. Pourtant vous avez l’impression d’être tombé sur un site de country and western, sur les photos davantage de cowboys que d’indiens. Phénomène d’acculturation. Si vous écoutez, déception, ce ne sont pas des chants d’origine tribale ne relevant pas d’enregistrements ethnographiques. Ces artefacts ne se sont pas vendus à des milliers d’exemplaire. Si l’on en croit les commentaires sous les vidéos, certains se souviennent d’avoir enfants entendu tel ou tel disque et manifestent leur joie à le réécouter. Le coup de la madeleine de Proust fonctionne donc chez ces sauvages rouges indiens, l’Homme serait-il une race universelle !

             J’ai hésité les Fenders m’ont séduit, remarquez avec leur galopade d’Apache les Shadows ont dû avoir la cote dans les réserves. Peut-être leur consacrerais-je de ma plus belle plume une kronik d’ici peu. Je ne sais pas pourquoi j’ai flashé sur cette pochette, pas particulièrement originale, très country, mais je savais qu’il fallait se focaliser d’abord sur celui-ci. A première écoute je n’ai pas accroché. Mais si tu ne vas  pas chercher l’aigle, l’aigle ne viendra pas à toi.

    BRB

    BUDDY RED BOW

    (First American / 1980)

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             Surpris par la pochette. Me suis demandé trente secondes et demie ce que pouvaient signifier ces trois lettres, simplement les initiales de Buddy Red Bow ! Sans doute un signe de fierté indienne, revendiquer son nom c’est déjà imprimer son efficience sur le monde.

    Né en 1948, mort en 1993. Il est des dates qui ne trompent personne, même pas la mort. Ce n’est pas qu’un bon indien soit un indien mort. L’est mort jeune. A 44 ans. Hélas l’âge moyen de décès dans les réserves indiennes se situe autour de 52 ans. L’alcoolisme ne les aide guère… Or Buddy Red Bow est décédé d’une cirrhose du foie… Les statistiques sont parfois troublantes…

    Warfield Richard, adopté  par Maize et Stephen Red Bow, Buddy Red Bow a vécu dans la réserve lakota dans le Dakota du Sud. C’est devant la porte de la prison de Pline Ridge que sa mère avait abandonné ce bébé de douze mois… Buddy quitte le lycée à dix-sept ans pour devenir acteur. Tous ceux qui ont vu La Conquête de l’Ouest sorti en 1962 - les fans de Led Zeppelin seront heureux d’apprendre que How the West Wass Won était son titre original – ont donc pu apercevoir BRB dans son premier rôle. Il apparaît aussi dans  Young Blood II en 1990, l’est crédité sous le nom de Chef Buddy Redbow suite au film  Powhow Highway (1989)  dont un des personnages qui lutte pour empêcher la délocalisation de sa tribu et se bat pour tirer sa fille de la drogue se nomme Buddy Red Bow…  Thunderheart (1992) est tourné dans la réserve de Pline Ridge et met en scène l’occupation en 1973 par l’American Indian Movement  de Wounded Knee, lieu d’un terrible massacre en 1890. Il est normal que BRB ait trouvé un rôle à sa mesure dans ce film.

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     Les informations sur BRB, sont rares et peu précises. Il se maria avec Hamilton Barb, ils eurent une fille nommée Stardust. Hamilton quittera Buddy, trop de bruit, trop de monde dans la maison, on boit et on chante toute la nuit… Le couple resta en bon terme, aujourd’hui Stardust travaille aux Veterans Affairs le fait qu’elle s’occupe du Black Hills Health Care System n’est sans doute pas dû au hasard, son père est  revenu du Vietnam souffrant de troubles post-traumatiques mais il a toujours refusé de se faire soigner…

    Stardust raconte son père dont elle est fière. Il a connu de grands noms parmi les Outlaws, Willie Nelson et Waylon Jenning par exemple, mais ses disques n’ont pratiquement été diffusés que sur les radios locales des réserves indiennes… Il n’était jamais invité dans les conventions de disques, y entrait en tant que client et se débrouillait pour exposer ses albums sur  un coin de table… L’a dû batailler fort pour recevoir les aides afin de monter son propre label. Stardust avance une autre explication pour expliquer pourquoi sa carrière n’a jamais décollé, au dernier moment Buddy trouvait le moyen de saboter les routes qui s’ouvraient à lui. D’après elle il avait peur de réussir, de se retrouver pris dans un tourbillon qui l’aurait dépassé, qui l’aurait coupé de ses racines indiennes, il ne désirait pas devenir une star ayant crainte d’avoir à renoncer à ses convictions, à édulcorer son combat pour la défense de son peuple. L’était un artiste considéré comme un activiste indien, aujourd’hui par les temps qui courent, n’en doutons pas, il serait catalogué de terroriste.

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    Indian Reservation : (cette chanson écrite par John D Loudermick a été interprété par Marvin Rainwater en 1959, l’anglais Don Fardon et Paul Revere & The Raiders la rendront célèbre. Tout comme Elvis Presley Marvin Rainwater avait du sang cherokee dans ses veines…)   l’original, tout de même intéressant à écouter,  de Marvin Rainwater a des allures un peu indien de pacotille, pour cette reprise, symboliquement quasi-obligatoire,  BRB a gommé tout arrangement pseudo-folklorique, n’en a pas pour autant recherché une authenticité ethnographique, le timbre de sa voix est très différent, tout en s’en rapprochant, de Presley mais son orchestration mélodramatique n’est pas loin des titres grandiloquents d’Elvis style An American Trilogy, BRB  fait avant tout passer le message, le morceau commence par une sombre évocation de la longue marche des Cherokees et de ce qui s’en suivit, la perte de leur identité et de leur culture, mais DRB étend le sort cruel réservé aux Cherokees à celui de toutes les tribus Lakota, Mohawk, Navajo, à l’ensemble du peuple indien. Sur la fin, la flèche de feu du violon est de toute magnificence. Baby’s gone : les   paroles ne sont pas les mêmes mais le thème et le lent tempo sont identiques au morceau de Conway Twitty. Rappelons que Twitty débuta chez Sun, rockabilly boy à ses débuts, dès les années soixante il se tourne vers le country, sa voix rappelle un peu celle d’ElvisBRB reprochait à son premier opus d’être trop conutry and western, les paroles du gars qui se retrouve seul évoque les scénarios de Mickey Newburry.  Myrna : tout ce qu’il faut pour être heureux, premier amour de dix-sept années une pedal steell angélique, des chœurs dignes du paradis, vous ne trouverez pas mieux, évidemment si vous préférez l’enfer vous n’aurez peut-être pas tout à fait tort. … You’re not tne Only One : la voix de l’homme qui a beaucoup vécu, qui sait qu’il n’est ni meilleur ni pire qu’un autre, la sagesse ne consiste-t-elle pas à se satisfaire de ce qui s’offre trop rarement à vous, de ces instants  trop brefs miraculeusement gagnés sur la tristesse de l’existence   des vaincus de la vie, une belle voix grave pour affirmer que ce n’est pas grave de se contenter de peu.  Une mélodie à faire verser de vraies larmes à un crocodile. Indian Love Song : d’apparence une douce, tendre et paisible chanson d’amour, sur un tempo lent une voix chargée d’émotion, il promet, il assure qu’il reviendra, suffit de comprendre, un guerrier qui part à la guerre pour défendre son peuple… qui attendra verra… Standing Alone : à ne pas écouter, l’intro est un véritable générique de film, mais le héros est seul, certes il tient encore debout mais l’intérieur est effondré, coulent les larmes du violon, enfonce la batterie des pieux dans son cœur, à bout de ressource, n’a même plus une joue à offrir pour recevoir une gifle… qui éprouverait le besoin de lui en donner une d’ailleurs ! Si vous êtes cafardeux avant d’écouter achetez la corde au bout de laquelle vous vous pendrez. Pistolero : j’étais content, j’ai cru que

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     c’était la reprise de Pistolero de Dean Reed, le Red Elvis comme on le surnommait. Rouge non pas parce que dans ses veines circulait du sang indien, pas vraiment un activiste rouge, du moins pas à la manière de Buddy, natif du Colorado, Reed s’installa en Argentine où il était davantage célèbre qu’Elvis. Confronté à la misère des  peuples sud-américains il devint un marxiste convaincu et ne tarda pas à passer de la théorie à la pratique, fit une tournée en URSS, c’est comme cela vers 1965-1966 que j’appris son existence par un article paru dans L’Humanité, journal du Parti Communiste Français, il finit par se fixer en RDA (Allemagne de l’Est) et travailla pour les services secrets de la Stasi… on retrouva son corps en 1986 dans un étang, s’est-il suicidé, serait-ce une vengeance de la CIA ou de la Stasi qui jugeait que sa foi en le Socialisme avait plus que vacillé… bref un artiste de country and western que l’on ne porte aux nues aux USA… Dernier clin d’œil Reed tourna comme BRB  à plusieurs reprises dans des westerns…Me faut maintenant évoquer un autre chanteur, qui correspond davantage aux valeurs traditionnelles américaines, Johnny Cash et son Ring of Fire. Le ‘’ Pistolero’’ de Buddy est orchestré de la même manière, mariachi et trompette. Cash and Bow possèdent tous les deux une voix forte et grave, le timbre  de Cash s’avère plus sombre, normal ce n’est pas le man in red mais le man in black ! L’on sent l’ironie et la désillusion de Buddy, la fatigue de vivre et de poursuivre sa route jusqu’au bout de la piste, pour toute arme il ne possède que ses chansons, à chacun son flingue, à chacun sa solitude. Fifth dream : le cinquième rêve c’est un peu comme le cinquième élément, inatteignable, aux grandes questions la grande musique, les grandes orgues du lyrisme, voix ample et majestueuse assez puissante pour aller tutoyer les anges, l’on flirte un tantinet avec le gospel, n’y a plus qu’à se laisser porter, qu’à se laisser emporter. Grandiose. Just can’t take anymore : retour à la vie profane, la prison de la solitude, l’enfermement dans la privation charnelle, le thème mille fois ressassé du chanteur abandonné à lui-même, confronté à ses propres désirs fantomatiques, qui voudrait rentrer à la maison, bien sûr l’on connaît cette thématique jusque par-dessus les oreilles, mais quand il y a la voix qui vous saisit aux tripes, toute cette tristesse du monde vous tombe dessus et ne vous lâche plus.

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    South Dakota Lady ( Tina’s song) : des chants indiens lointains vite noyés par la sempiternelle orchestration country and western,  mais après la pompeuse amplitude du morceau précédent et le sentiment de tristesse déployée par l’ensemble de l’album l’on est surpris par  l’heureuse vélocité rythmique sur laquelle trotte le chant, l’a beau faire la-la-la Buddy donne l’impression qu’il raconte une histoire, l’on peut se laisser chatouiller agréablement les oreilles si l’on ne suit pas, mais si l’on prête un peu attention on est vite perdu, le texte court si rapidement que l’on ne comprend pas trop le sens du récit débité à toute vitesse, faut comprendre que sous une apparente facilité, n’entend-on pas l’harmonie imitative du galop du cheval au moment exact Buddy vous le dit, nous ne sommes pas  dans une simple histoire d’amour, avec le mari qui se hâte de rentrer chez lui pour retrouver son épouse, nous sommes pris dans le sortilège de l’imaginaire amérindien, qui revient, serait-ce l’Oiseau-Tonnerre, lors de l’essor de la Ghost Dance en 1889 - 1890, les Lakotas  répétaient que l’Oiseau-Tonnerre reviendrait rapportant avec lui les âmes mortes des anciens, que les blancs seraient chassés, que les envahisseurs s’enfuiraient, et que les âmes des anciens entraîneraient les tribus survivantes en un repli de la terre, où la civilisation des bisons renaîtrait pour toujours.  Est-ce pour cela que sur le chemin du retour, dans la chambre du motel où il a fait étape le mari se détourne de la Bible posée sur la table de nuit, il a compris que ce livre ne lui sera d’aucun secours, quant à cette femme qui dans le premier couplet semble attendre son mari, qui est-elle, la Mort, ou une ancienne squaw déjà morte en route pour rejoindre le peuple des vivants, est-ce vraiment une histoire d’amour ou un récit métaphorique pour inciter le peuple indien survivant d’aujourd’hui à retourner à ses racines, à sa culture originelle, ne représente-t-elle pas la terre sacrée des Black Hills qui doit être préservée, pour l’obtention de laquelle les Indiens  d’aujourd’hui doivent retrouver leur fierté, recouvrer leur dignité, enseigner les enfants, refonder le Dakota, terre des Lakotas… Est-ce un rêve, une volonté, un projet, une mauvaise période à passer au plus vite, déjà retentissent les chants indiens, présents dès le début, ils reviennent à la fin, comme pour mettre entre parenthèses un cauchemar qui a trop duré.

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             Certes dans ce premier  album de Buddy Red Bow, l’esprit cowboy et sa culture country and western occupent la plus grande partie du territoire, mais les Indiens étaient là dès le premier morceau et ils sont là encore pour clore l’histoire. Qui ne fait que commencer.

    Damie Chad.

     

    *

    Nous reviendrons sur Buddy Red Bow mais je n’ai pas pu résister à en savoir plus sur les Fenders. Nous étions chez les Lakotas, nous voici chez les Navajos. Mais avant de parler des Fenders nous attarderons quelques instants sur un autre groupe :

    LUCINDA

    THE MERLETTES

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    Une vidéo sur You Tube, batterie, contrebasse, guitare, violons, derrière une un truc, pardon un truck  jaune, enregistrée en plein-air, la caméra s’attarde de temps en temps dans le ciel… Une petite notule nous apprend que le groupe basé à Albuquerque est inspiré par le Honky Tonk de Merle Haggard.  Quatre filles : Dair Obenshain : fiddle, Laura Leach-Delvin : upright bass, Sharon Eldridge : drums. Je ne m’attarde pas sur l’interprétation : sachez seulement que cette Lucinda qui manque terriblement n’est pas une tendre amie perdue mais un camion si l’on en croit la chanteuse. C’est elle qui nous intéresse, Kristina Jacobsen. Elle mérite le détour. D’abord parce qu’elle est chanteuse et un de ces jours nous écouterons ses disques, mais aussi parce qu’elle a ajouté une corde particulière à sa guitare : elle est anthropologue musicale, bardée des diplômes les plus prestigieux. Le titre de son

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    premier livre paru en 2017 nous fascine : The Sound of Navajo Country Music. Langage and Diné Belonging. Le terme Diné est le mot qui signifie navajo en langue navajo ! Le book a remporté le prix Woody Guthrie. Je me permets de citer les lignes suivantes : ‘’Ses recherches fusionnent les domaines de l'anthropologie culturelle, de l'anthropologie linguistique et de l'ethnomusicologie, avec des spécialisations en musique et langue, anthropologie de la voix, politiques de l'authenticité, indigénéité et appartenance, musique vernaculaire des autochtones d'Amérique du Nord, de Sardaigne et des Appalaches, race et genre musical, récupération de la langue et cultures expressives de la classe ouvrière.’’  Sujet passionnant, sa lecture doit permettre de mieux comprendre l’appropriation, plus ou moins forcée et rendue nécessaire, effectuée par les peuples dominés de la langue et de la culture du peuple dominateur.  Elle a publié plusieurs articles sur les Navajos notamment sur les Chants de la Réserve.

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    Américaine mais pas de sang navajo Kristina Jacobsen d’origine scandinave a été surprise de cette scène country and western Navajo. Comment se fait-il que cette tribu réputée pour avoir au mieux préservé sa culture originelle goûte particulièrement cette musique. Encore plus stupéfaite de la renommée de Wailon Jennings, il n’est pas rare de trouver des navajos prénommés Wailon !  Elle a enquêté, d’abord elle s’est aperçue que dès les années soixante les navajos appréciaient ce genre de musique, c’est ainsi qu’elle cite les Fenders comme l’un des meilleurs groupes country des années soixante. Reste à savoir pourquoi ! Certes la musique country véhicule des valeurs traditionnelles partagée par toute la culture indienne : l’amour et son corollaire la solitude, la famille, la nature… mais les navajos se sentent aussi un peu cowboys, non pas parce qu’ils auraient adoré les westerns mais pour une raison ethnographique culturelle : le peuple navajo qui a été forcé de se rendre dans sa réserve de l’Arizona, encore une longue marche, vivait dans les plaines du sud-ouest de l’Amérique, il pratiquait la chasse et l’élevage… Dans leur nouvelle ‘’patrie’’ ils ont certes préservé du mieux possible leur identité mais en gardant une nostalgie plus ou moins consciente de leurs jours heureux… Ainsi s’explique cette étrange ferveur envers la musique country… Même si ces dernières années toute une partie de la jeunesse Navajo s’en détache. Musicalement, le rap, le hip hop et le metal exercent une forte influence, les conditions de vie changent, les Navajos ont toujours su s’adapter, notamment en étant très vigilant sur le quantum, la quantité de sang (un quart) que vous devez posséder pour être admis dans la Nation Navajo, d’où des contradictions : avoir du sang navajo ne signifie pas que vous êtes un adepte convaincu de la culture navajo… Ce quantum qui à l’origine était un droit et un devoir d’entraide finit ainsi par être considéré comme un privilège. Qui ne peut que favoriser les sentiments d’exclusion chez les couches les plus précaires, notamment les jeunes, qu’elles accèdent ou pas au quantum… Les sociétés ne restent jamais stables. Elles évoluent, vers le mieux ou vers le pire, les améliorations et les reculs sont aussi ressenties différemment par les individus mais aussi par les classes sociales… les contradictions politiques, culturelles et économiques se chevauchent et se télescopent, avec plus ou moins de violence…

    THE FENDERS

    SECOND TIME ROUND

    (QQ Records / Années Soixante)

    QQ Records fut un petit label basé à Albuquerque dans les années soixante, Si l’on en croit Discogs ne seraient sortis que douze simples et trois 33 Tours parmi lesquels se trouve ce Second Time Round. Le premier simple de QQ r est sorti en 1966, seul un autre single est crédité d’une date de parution (1966). Notre album a dû sortir cette même année. Le terme Second semble indiquer qu’il y eut un premier album. Discogs nous renseigne sur la parution d’un album douze titres The Fenders on Steel. Volume 3 crédité Not on Label  avec date indéterminée. Il y aurait eu un premier album : nommé Introducing The Fenders.

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    Proviennent de la réserve navajo de Window Rock située à plus de deux milles mètres d’altitude et nommée ainsi grâce à un phénomène naturel propre à attirer les touristes, un énorme trou rond dessinée dans une montagne. La localité de trois mille habitants est la capitale de la Nation Navajo.

    Ervin Becenti et Johnny Emerson furent membres des Fenders. Je ne suis  pas sûr de l’identification des autres membres du groupe.

             Lorsque j’ai vu la couve la première fois, trompé par la photo j’ai cru à un groupe instrumental… Erreur de ma part. J’ai repéré sur le Net deux autres titres qui ne sont pas sur  cet album, je poste plus loin la photo en gros plan de la vidéo qui permet de mieux les admirer.

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    Your cheatin heart : difficile de trouver davantage symboliquement country pour un premier titre. Par cotre le son est terriblement sixties, ceux des premiers groupes instrumentaux français par exemple, poussons un cocorico, ils étaient meilleurs, le son de nos Fenders est un tantinet maigrelet. L’est sûr que l’original de Hank Williams n’est pas non plus supersonique toutefois il dégage un tel parfum de bouse rurale que vous ne pouvez que succomber au charme. Les Fenders suivent la ligne sans jamais sortir des rails. Seul le chanteur se permet quelques variations.  It is like more the heaven : une reprise   de Hank Locklin un des piliers durant presque un demi-siècle du Grand Hole Opry. Ont-ils été paralysés par l’ombre impressionnante de Hank Williams toujours est-il que cette reprise leur va comme un ghankt avec cette guitare qui rentre dedans et fait le gros dos, le vocal qui ne lui cède pas un pouce de terrain. Kristina Jacobsen nous avertit les premiers disques de country dimé n’étaient pas mastérisés. Pas pasteurisés non plus, ce son rêche et rustre n’est pas déplaisant. She knows why : prennent de l’assurance à chaque titre, la guitare ronfle et la voix ressemble à un brise-glace qui s’amuse à bousculer les icebergs. Le premier pont musical ressemble davantage à une passerelle branlante, mais on l’oublie dès que l’on pose le pied sur l’autre rive. Wildwood flowers : est-ce qu’ils n’ont pas osé s’attaquer au chant de Maybelle  Carter, doit-on cette version instrumentale à la difficulté de la transcription des paroles, serait-ce de la pudeur indienne, à l’origine c’est une jeune fille qui se donne par dépit à un autre après avoir été séduite par son premier amant. Agréable à écouter, toutefois l’on regrette la version qu’en donnera Johnny Cash. Honky tonk hardwood floor : ne reculent devant rien, après Hank Williams voici Johnny Horton, ce n’est pas la Bérézina mais pas la traversée du Granique par Alexandre non plus, font tout ce qu’ils peuvent, toutefois leur manque le sel hortonien, cet avant-goût prononcé du rock’n’roll. C’est un vieux rocker qui parle, reconnaissons que ce n’est pas mal du tout. All for the love of a girl : encore une reprise d’Horton, une bluette insignifiante, quand le country danse avec la guimauve, nos Fenders suivent le mauvais exemple, mais comme ils n’ont pas de violon à leur disposition, ils ne donnent pas l’impression de pleurnicher dans rideaux de la salle à manger. Font le job, mais l’on devine qu’ils ne vont pas se suicider pour une fille. Un peu de tenue ! Ce sont des guerriers ! I’m walkink the dog : l’on s’en doute ne sont pas inspirés de la version originale de Rufus Thomas que vous préfèrerez si vous êtes un homme de goût ou une lady distinguée, ont écouté la version country de Webb Pierce, mais ils ont dû manger du chien enragé car leur interprétation est nettement moins geignarde que celle de Pierce. Ne s’apitoient pas sur eux-mêmes c’est bien eux qui sont les maître et le chien n’a qu’à obéir.

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    Mule train : original du cowboy en chef numéro : un Frankie Laine, l’immortel auteur de la fantastique chevauchée Rawhide que ce train de mules ne parvient pas à dépasser, sont malins les Fenders s’inspirent de Rawhide, sans l’égaler bien sûr, mais leur interprétation dépasse celle de Frankie. Lui broutent la laine sur le dos. Counterfeit love : décidément ils aiment Johnny Horton, bon il y a Grady Martins à l’accompagnement ça aide à faire passer la pilule surtout que ça prend l’allure d’un slow sixties frétillant, mais ce n’est pas l’Horton que l’on préfère… à la limite cette version des Fenders nous agrée un tantinet, deux voix alternées, une qui nasillarde, l’autre qui entonne à plein poumons, ce n’est pas le Pérou mais l’on s’ennuie moindrement. Don’t let it go : un bel instrumental aux guitares retentissantes, serait-ce le meilleur morceau du disque. Qui dure. Font monter la chantilly jusqu’au plafond. Folsom prison blues : s’enhardissent n’hésite pas à marcher sur les brisées de Johnny Cash, ils s’en tirent bien, très caschien donc ça a du chien, l’on adore. Tout est en place, le vocal et les guitares. Love’s gona live here : crashing test, tiens un morceau de Buck Owens, je me disais c’est étrange l’on n’a pas encore rencontré Waylon Jennings, le voici, pas tout seul, en compagnie de Willie Nelson, vous l’avez aussi avec Johnny Cash, certes l’original est de Buck Owens sorti en 63 ce qui aide à dater ce Second Time Round. Dwight Yoakam, nous l’avons dernièrement rencontré dans notre kronic  de Rock en vrac de Michel Embareck a aussi repris ce morceau, l’était tout comme Buck originaire de Bakersfield, le vocal des Fenders est assez proche de l’original mais les guitares davantage proximales de Johnny Cash. Je vais être franc, ce n’est pas mon morceau de country préféré.

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    One woman man : encore un morceau de Johnny Horton, fut aussi repris par  George Jones (on ne résume pas la vie de George Jones, pour un country boy, il a eu une vie de rocker), ces derniers titres du disque sont les plus réussis, une guitare vraiment country rentre-dedans et un vocal plus que satisfaisant. Take me like I am : quand on a un maître, il faut le tuer, z’ont attendu la dernière piste pour commettre le meurtre du père Horton, une guitare qui fracasse tout, un vocal de guerre par-dessus, peuvent être fiers d’eux. Que voulez-vous de temps en temps les indiens gagnent la bataille !

    Damie Chad.

     

    *

    Impossible de ne pas terminer les deux précédentes kronics sur des artistes indiens par un autre artiste indien, mais actuel celui-ci. J’étais sûr que Western AF m’offrirait une piste à suivre. Le légendaire flair du rocker ne m’a pas trahi, j’avoue cependant que je ne m’attendais pas à tant d’émotion.

    COYOTE

    KEN POMEROY

    (YT / Western AF / 22 Octobre 2024)

             Comment ai-je pu faire l’impasse sur une telle merveille ! Rien que le titre, l’animal mythique des Indiens, un latranide malicieux aux mille ruses certes, toutefois n’oubliez pas que malicieux débute mal.

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            Toute seule, ses longs cheveux, sa guitare. Derrière la futaie sombre, troncs noirs, branches hautes d’un vert sans espérance. La voix, pas du tout mélodieuse, point charmeuse, chaque fois qu’elle l’accentue vous avez l’impression qu’elle vous arrache des lambeaux de chair. Elle vous cloue sur place, vous écoutez. Sans rien comprendre vous sentez qu’elle ne vous dit pas tout, qu’elle garde le plus amer par devers elle, qu’elle ne vous livre que de l’indicible, alors vous vous accrochez aux mots, vous essayez d‘entrer en résonance, de percer le mystère de ce dire qui ne dit pas son nom, quelque chose qui vient de loin, de plus profond. Cette lèvre qui tressaille à peine trahit une plaie ouverte et refermée, résurgente chaque fois qu’elle y pense. Elle y pense toujours. Vous n’avez jamais été aussi près de la solitude d’un être humain. Elle vous enveloppe. C’est sa manière à elle de communiquer. Ne rien donner, tout offrir.

             Illico, c’est la trentième fois que vous écoutez le morceau, vous voulez en savoir plus. Vous cherchez. Sur Bandcamp vous apprenez que son prochain album, sortira au mois de mai. En avance une vidéo du même titre :

    COYOTE

    KEN POMEROY

    (Official Visualizer  /  Ocobre 2024)

             L’est toute gentillette la bébête, restez sur cette image toute mignonnette. Ne cliquez pas dessus. Vous insistez. Tant pis pour vous. Non, il ne se passe rien, oui le coyote à la bougeotte, il remue tout le temps, toujours les deux mêmes mouvements. Un peu monotone, vous dites, alors activez le son, je vous aurais prévenu.

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    Ken Pomeroy : vocals, acoustic guitar / John Moreland :  vocals / Dakota McDaniel ; bass, electric guitar, banjo /Chris Scruggs : pedal steel / Colton Jean : Drums.

             Certes c’est plus doux, plus nuancé, moins roots que la version AF. Miracle de l’orchestration, vous ne perdez rien pour attendre. Un dernier renseignement : Cruel Joke est le titre de l’album.

             Oui la pedal steel guitar allonge le beurre sur la tartine, John Moreland pose le murmure de sa voix, une ballade d’enfant, sur l’image le coyote cligne de l’œil, quand il baisse la tête, il devient irrésistible, vous avez envie de le prendre au creux de vos bras, comme une peluche, ne serait-ce pas une ballade pour endormir les enfants sages, hélas, ils grandissent, vous, moi, nous tous, le Coyote viendra, soyons-en certains, dans la culture Cherokee l’on dit que lorsque vous apercevez le coyote, ce n’est pas bon signe, peut-être pas très grave, pas inoffensif non plus, d’ailleurs la vie n’est-elle pas une suite d’embêtements, n’osons même pas articuler le mot désagrément, sur l’image le Coyote tourne la tête, de quel côté regarde-t-il, vers le passé ou vers le futur, pourquoi reste-t-il assis dans le présent, est-ce pour être auprès de nous, ne pas nous quitter de l’œil, la voix de Ken Pomeroy s’insinue toute douce, toute nue, dans votre chair, comme le couteau ébréché de la vie s’enfonce en vous pour vous retrancher du monde. Dans lequel vous aurez vécu sous la sempiternelle garde du coyote. Ne croyez pas que quelqu’un peut l’écarter de vous. Nous sommes tous le coyote de l’autre.

             Nous nous quitterons sur une dernière vidéo. Un peu bizarre. Pour ne pas gâcher l’ambiance nous ferons semblant de croire qu’elle est surréaliste. C’est juste pour que vous n’ayez pas peur. Peut-être n’est-elle que le reflet exact de ce que nous trouverions dans votre tête si nous l’ouvrions avec un ouvre-boîte.

     PAREIDOLIA

    KEN POMEROY

    (Official Vidéo / Octobre 2023)

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    Le monde selon Ken Pomeroy. Extrospection. Elle chante comme une petite fée, avec un tel allant vous la suivriez en enféer. Que voyons-nous du  monde. La réalité n’est-elle pas paréidolique, en termes moins compliqués n’est-elle pas ce que voudrions ou ce qu’elle n’est pas. Une maison de poupée remplie d’êtres étranges. Furtive apparition, le coyote pousse son museau. Le mieux serait de croire que nous sommes dans un conte de marionnettes à la Alice au pays des merveilles. Depuis Lovecraft nous savons que les merveilles ne sont jamais loin des démons. Pour vous aider à comprendre, le texte vous énumère les figurines que Ken sort de la boîte à jouets de sa cervelle. Vos enfants adoreront, heureusement qu’ils ne comprennent pas l’anglais. Une espèce de nursery rimes, une de ces comptines loufoques dont les anglais raffolent, folle elle ne l’est pas, mais elle chante tout haut ce que d’habitude l’on cache, nos envies de meurtres par exemple, mais  les couleurs sont si belles et si surprenantes que l’on oublie que la vie est une cruelle plaisanterie. Si sordide que parfois l’on aimerait s’extraire du tableau. Ô Cruella !

    C’était juste une entrée dans le monde poétique de Ken Pomeroy. Cherokee girl.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 625 : KR'TNT 625 : GENE VINCENT / ROCKABILLY GENERATION NEWS / BILLIE HOLYDAY / KIM GORDON / HOLLY GOLIGHTLY / ALABAMA SHAKES / BEVERLY GUITAR WATKINS / THE SIXTH CHAMBER / MOURNING DAWN / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 625

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    21 / 12 / 2023

     

    GENE VINCENT / ROCKABILLY GENERATION NEWS

    BILLIE HOLIDAY / KIM GORDON

    HOLLY GOLIGTHLY / ALABAMA SHAKES

    BEVERLY GUITAR WATKINS / THE SIXTH CHAMBER  

    MOURNING DAWN / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 625

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    AVIS AUX KR’TNTREADERS

    L’ANNEE FINIT MAL POUR VOUS !

    LA PROCHAINE LIVRAISON 626

    AURA LIEU SEULEMENT

    LE JEUDI 04 JANVIER 2024

    JOYEUSES SATURNALES !

     

     

    GENE VINCENT

    ROCKABILLY GENERATION NEWS

    HORS-SERIE # 4 / JANVIER 2024

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             Ne dites pas ‘’ je l’ai déjà’’, l’est vrai que de (très) loin les deux couleurs de fond à quelques nuances près sont identiques surtout si vous les comparez non pas à la lumière naturelle mais électrique, presque quatre années se sont écoulées entre la parution du Hors-série # 1 Gene Vincent La légende du rock et ce Hors-série # 4 Gene Vincent La légende du Rock. Ajustez vos lorgnons si vous ne me croyez pas, sur le premier vous n’avez que le chef de Gene Vincent, sur ce quatrième il ne lui manque que les jambes.

             Ne dites pas, bon une réédition, z’ont juste changé la couverture. Pas du tout. L’équipe de Rockabilly Generation News a voulu réparer une injustice. Le premier H.S. du mensuel avait été une aventure, un pari sur l’avenir. Pari réussi, à plusieurs reprises il a dû être réimprimé pour satisfaire la demande. Dans son sillage nous avons eu à droit à un H.S.  # 2 Crazy Cavan et un H.S. # Vince Taylor. Deux H. S. qui ont profité des enseignements de l’élaboration du # 1 : pagination passée de 32 pages à 48, photos mieux travaillées (quand on connaît la qualité habituelle des photos de RGN l’on entrevoit le niveau d’exigence de Sergio Kazh), des articles davantage pointus… A l’aune de ces paramètres la réédition du H. S. # 1 s’imposait.

             Que voulez-vous, nous petits froggies, on n’est pas comme les ricains du Rock’n’roll Hall Fame fondé en 1983 qui ont attendu 1998 pour introniser la figure de Gene Vincent en son panthéon…

    *

             Enfin retiré dans sa gangue de plastique, l’est dans notre main, l’on hésite avant de l’ouvrir, pour commencer on se contentera de feuilleter uniquement pour les documents photographiques, nombreux mais si habilement distribués que la mise en page est des plus aérées, l’on soupire deux ou trois fois avant de se lancer dans la merveilleuse et triste histoire de Gene Vincent.

             Pourquoi une telle ferveur autour du personnage de Gene Vincent, n’existe-t-il pas des milliers d’autres chanteurs de rock. Une voix exceptionnelle, d’une finesse absolue, un jeu de scène d’autant plus incomparable que basé sur son infirmité, une discographie qui comporte nombre de chef-d ’œuvres… Une carrière qui commence comme un conte de fées, une poignée d’amateurs au sens noble de ce terme qui se trouvent propulsés au-devant de la scène en quelques semaines.

    Certes il y a mal donne. Dès le début. N’ont pas suivi le premier précepte du savoir-faire américain : The right man at the right place. Ce petit noyau de musiciens qui l’entourent ce sont bien les right men. Mais ils ne sont pas à la bonne place. Tony Marlow nous parle de Cliff Gallup. Un guitariste incomparable. Cliff n’est pas un rocker dans l’âme, il n’est pas un révolté,   mais il a su se mettre à la hauteur des aspirations de Gene, comment a-t-il eu l’intuition de savoir ce que Gene désirait, personne n’a su l’expliquer. Tony nous l’explique historialement, musicalement, techniquement,  moins doué que Tony je dirai que Cliff à la guitare si clivante est l’explorateur de la brisure, l’est comme un funambule qui court à toute vitesse sur son fil et brutalement le voici qui marche bien au-dessus de son cordon, n’en finit point d’escalader le ciel jusqu’au point de rupture d’équilibre, il dégringole comme une pierre qui rebondit d’escarpements en escarpements pour dévaler la montagne, il plonge dans l’abîme et… par un inouï redressement incompréhensible il revient galluper sur le fil avec l’élégance et la précision d’un hélicoptère qui se pose sur votre pelouse. En plus vous avez le bruit syncopant des pales tournoyantes et du rotor pétaradant qui vous bouscule les tympans.

    Avec un tel talent, Cliff aurait pu amasser des dizaines de milliers de dollars en tant que guitariste de studio. Préfèrera retourner chez lui et animer bals et spectacles des patelins du coin… Poussera l’abnégation jusqu’à presque mourir sur scène. Le père tranquillou qui se paie un destin à la Molière…

    Mais il n’est pas le seul. Un à un, le numéro vous les présente, tous les musiciens de Gene durant ses premières années américaines le quitteront pour voguer en des eaux plus calmes. Pas pour rien que son groupe se nomme les Blue Caps.

    Le pire c’est que Gene s’habitue à tous ses changements. Le vent souffle, il reste le rock dans la tempête. Il se débrouille, il improvise, il ne comprend pas, et Capitol ne lui en donne pas les moyens, qu’il aurait besoin d’un staff stabilisé pour servir d’interface entre sa carrière et sa maison de disques…

    En 1959 la carrière américaine de Gene est mal partie, elle renaît en Europe. L’Angleterre et la France l’accueillent. La revue s’attarde davantage sur ses différentes venues en notre pays, triomphales au début des années soixante, mais sa popularité s’étiole au fur et à mesure que la décennie s’écoule jusqu’à la dernière tournée portée à bout de bras par des fans qui ne disposent pas des moyens financiers suffisants…

    Gene est un homme blessé, l’alcool sera pour lui un moyen de combattre la douleur de sa jambe brisée, cette souffrance physique sera confortée par un sentiment de déclassement et d’abandon, voire de trahison. Tous ses efforts pour revenir au premier plan se heurteront à un plafond de verre d’indifférence de la part des médias et du showbiz, la deuxième moitié des années 60 se transformera en un long purgatoire pour la plupart des pionniers. Mais l’homme se battra jusqu’au bout.

    Jusqu’à l’effondrement. Si pathétique que ce soit, un aigle blessé restera toujours un aigle. Qui sait voler plus haut que la plupart.

    Gene aura eu une influence capitale sur le rock français, une empreinte morale affirmeront certains, je n’aime point ce mot, l’attitude exemplaire de son existence vouée au rock‘n’roll ont marqué bien des esprits. Un demi-siècle après sa disparition, ce Hors-Série # 4 intitulé Gene Vincent la légende du rock est la preuve de la ferveur persistante autour de son nom et de son œuvre.

    Remercions Pascale Clech, Yolande Gueret, Gilles Vignal, Maryse Lecoultre, Tony Marlow, Brayan Kahz, Serge Poulet et Sergio Kazh qui ont œuvré à la réalisation de cet ouvrage indispensable autant pour les fans que les néophytes es rock’n’roll.

    A regarder, à lire, à méditer.

    Action Rock‘n’roll !

    Damie Chad.

    Pour un numéro : 12 € + 4, 30 € = 16, 30 €

    Pour deux numéros : 24 € + 6, 30 € = 30, 30€                                               

    Paiement chèque bancaire : à l'ordre de Rockabilly Generation News, à Rockabilly / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois /

    Paiement Paypal : (cochez : Envoyer de l'argent à des proches) maryse.lecoutre@gmail.com.

    FB : Rockabilly Generation News.

     

    *

    Une bonne nouvelle emmène une autre bonne nouvelle. A peine l’enveloppe enfermant le H. S. 4 Gene Vincent récupérée dans la boîte à lettres qu’une deuxième arrive deux jours après, elle aussi porteuse d’une nouvelle revue :

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 28

    JANVIER – FEVRIER – MARS ( 2024 )

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            Mais qu’est-ce donc que le rockabilly ? Sergio Kazh et sa démoniaque équipe ont décidé de répondre à cette question. Que le lecteur ne s’angoisse pas, ne se sont pas réunis durant trois mois en conclave pour rédiger un texte de quarante-huit pages en lettres minuscules afin de nous livrer tout ce que l’on voulait savoir et même tout ce que l’on ne voulait pas savoir sur le rockabilly. N’ont même pas pris la peine de synthétiser leur savoir en une courte phrase. Ont préféré adopter la méthode des plus grands maîtres Zen. Ce qui nous semble un étrange car le rockabilly ne nous est jamais apparue comme une musique particulièrement zen.

             Résumé de la méthode zen :

    1° : La question : Maître qu’est-ce que violence ?

    2 ° : La réponse : le Maître ne dit rien, il se contente d’envoyer un grand coup de pied sur la figure du disciple qui crache ses dents sur le tatami méditatif.

    3 ° : La conclusion : le Maître dit : Voilà c’est ça.

             Sont sympa chez Rockabilly Generation News : ils vous épargnent les phases 1 & 2. Passent directement à la troisième phase. En plus je vous aide à comprendre la phase 3 : Voilà le rockabilly c’est de la visite vivante.

             Et hop, et bop, dès la première séquence ils vous emmènent en tournée avec les Ghost Highway, vous les suivez partout : sur la route, à table, dans les coulisses, vous assistez aux répètes et aux concerts, et même, ils ne devraient pas, nous disent tout sur le prochain disque en préparation pour 2024.

             L’on a beaucoup suivi les Ghost avec Kr’tnt ! le blogue et le groupe sont nés à peu près en même temps. On les a accompagnés jusqu’à leur séparation en 2016. Ce qu’il y avait de fabuleux avec les Ghost c’est qu’ils avaient un nombre de followers qui les suivaient dans leurs déplacements. Une espèce de confrérie festive ambulante. Les heures chaudes du deuxième revival rockabilly. Une épopée comme peu de groupes français ont su en susciter… Quel plaisir de retrouver Phil, Jull et Arno en photo, sans oublier Brayan le petit nouveau au grand talent à la contrebasse, bref ils sont de retour ! Enfin !

              Musique vivante le rockabilly, pour vous en convaincre le deuxième chapitre nous parle de la renaissance du Festival Viva Pouligue’n’roll ! Trois longues années de dormition et les revoici, et ce n’est pas facile avec l’augmentation du prix des billets d’avion des musicos. Swamp Cats, Hudson Maker, Strike Band, The Jets. Oui ça en jette.

             Neuf pages (+ la couve) sur les T-Becker Trio, ce n’est pas un groupe qui monte, en deux ans sont déjà au sommet, Kr’tnt les a présentés deux fois en concert et ont chroniqué leurs deux CD’s. Racontent leurs parcours, Did, yes indeed, qui a joué avec le Blue Tears Trio, même que c’est le Cat Zengler de chez nous qui a dessiné une de leurs pochettes, l’a commencé par écouter les Chaussettes Noires puis l’a flashé sur les Stray Cats, l’est tombé dans la marmite du Rockabilly, n’en est plus jamais sorti. Tof, c’est pas du toc, l’est parti du néo-rockab vers les racines Hillbilly, Jump, ces vieilleries d’éternelle jeunesse, bourrées de dynamite. Je ne présente pas Axel, very well, un excellent contrebassiste mais quel exemple déplorable pour notre jeunesse, ne faisait pas ses devoirs à l’école, préférait   écouter ses disques de Jerry Lou et de Gene Vincent. Vous voyez où cela l’a mené... dans un des groupes les plus originaux et créatifs du pays…

             Musique ultra vivante le rockabilly, Notre Cat Zengler nous a déjà chroniqué plusieurs éditions de Béthune Rétro, ce coup-ci c’est l’appareil de Sergio qui vous le présente, l’on y retrouve entre autres :  Ghost Highway, Back Prints, Nelson Carrera… découvrez tous les autres par vous-même.

    La tête commence à vous tourner, trop de bruits, de rires, de danses de folie, je ne peux rien pour vous, Parmain, Kustom Festival & Tattoo vous accueille, T-Becker Trio, on se les arrache, groupes anglais, suédois, hongrois, parlent tous la même langue : l’idiome rockabilly !

    Rock’n’Roll in Pleugueneuc et Rocking Rhythm Party # 10, vous commencez à vous lasser, vous avez tort, vous commencez à penser que le rockabilly c’est de la mauvaise herbe, que ça pousse partout en folle France, vous avez raison, je ne citerai qu’un seul exemple Ervin Travis & His Band, le grand retour, au meilleur de sa forme, quel plaisir de retrouver Ervin, Nietzsche avait raison, ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort. 

    Heu, Damie tu n’as pas oublié quelqu’un. Pas du tout bande de brêles, j’ai gardé la meilleure pour la fin pour que vous voyiez au moins une fois dans votre vie la vie en rose. Dans sa précieuse rubrique Les Racines, Julien Bollinger présente The Maddox Brothers and Rose. Drôle de viandox survitaminé les Maddox, on en parle peu par chez nous, une espèce de Carter Family sous acide, rien ne leur a fait peur, même pas Elvis qui leur a rendu hommage, l’article est sous-titré ''Les raisins de la colère'', "les zinzins de la colère'' n’aurait pas été une erreur non plus. Certains ont créé le rock’n’roll. Cette tribu de déjantés avait déjà auparavant inventé la parodie du rock’n’roll.

    Imitons-les en parodiant Gene Vincent. Ce numéro 28 is A Rockin’ Date with Rockabilly Generation News.   Incontournable !

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois),  6 Euros + 4,30 de frais de port soit 10,30 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 38 Euros (Port Compris), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( Rajouter 1,10 € ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de tous les magazines... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents ! 

     

     

    Wizards & True Stars

    - Holiday in the sun

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             Croisons donc les regards que portent Lee Daniels et James Erskine sur Billie Holiday, akaka Lady Day. Avec Billie Holiday Une Affaire d’État, le premier opte pour la tragédie. Il passe le plus clair de son temps, c’est-à-dire deux heures, à noircir considérablement le tableau. Victime de ses choix scénaristiques, Daniels conduit son biopic dans l’impasse : la tragédie tue l’art. On est là pour entendre chanter Billie Holiday, pas pour tremper dans l’eau sale des destins tragiques revus et corrigés par l’industrie hollywoodienne. Avec Billie, James Erskine opte pour le docu, mais un docu très particulier. Il repart de l’enquête menée par une certaine Linda Lipnack Kuehl dans les années 70. Elle comptait bien écrire une vraie bio de Billie, et elle interviewait des tas de gens qui l’avaient connue. Linda n’a pas réussi à mener son projet à terme, car elle a cassé sa pipe en bois dans des circonstances mystérieuses : officiellement, elle s’est jetée par la fenêtre de sa chambre d’hôtel. Aux yeux de sa frangine, il est nettement plus probable qu’un mec l’ait balancée par la fenêtre. Erskine a miraculeusement réussi à retrouver les enregistrements de Linda et il base tout son docu dessus. On ne peut pas faire plus véracitaire. En plus, le docu fait la part belle à Billie qu’on entend chanter énormément, et chaque fois, le swing de sa voix te serre le cœur.

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            Les mecs qui font des biopics ont un gros défaut : ils en rajoutent. Ils mordent le trait. Ils chargent la barque. Ils n’ont qu’une seule obsession : faire pleurer dans les chaumières. Et pour faire pleurer dans les chaumières, il faut commencer par tuer l’art. Alors pour tuer l’art, il y va à la pelle, le Daniels, il charge la chaudière, il bombarde, il noircit, il aggrave, il envenime, il ne laisse aucune chance à la véracité, allez hop, la mère qui est pute et la Billie violée à onze ans, allez hop, les maris gigolpinces qui lui tapent dans la gueule et qui la finissent à coups de pompe, allez hop les racistes du FBI obsédés par une seule chanson, «Strange Fruit» et qui l’accusent d’anti-américanisme, d’où l’affaire d’État, le biopic va même filmer les fucking sénateurs, ils ne la lâchent, en plus, ils lui foutent des fioles d’héro dans sa poche et l’envoient au ballon, allez hop, on réduit toute l’histoire, il ne reste plus que la persécution, et le bouquet final, c’est le lit de mort à l’hosto, avec un dernier interrogatoire de la gestapo américaine et c’est là que le biopiqueur vient poser sa pauvre petite cerise sur le gâtö : le pied de la Billie clamsée menotté au barreau du petit lit blanc. Il ne manque plus que la chanson de Berthe Sylva, «Les Roses Blanches». Avec ça, les chaumiers qui habitent des chaumières sont baisés : tout le monde chiale devant la téloche. Daniels a gagné la partie.

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             C’est Lester Young qui baptise Billie ‘Lady Day’. Alors Billie baptise Lester ‘Prez’, c’est-à-dire Président. Dans son biopic, Daniels montre Prez, bien sûr, coiffé d’un petit chapeau noir à la Mo’ Better Blues, mais il ne précise pas qu’il s’agit du grand Lester Young. Heureusement, Erskine rattrape le coup. Il nous montre Lester Young en vrai. La légende de Billie, c’est aussi et surtout Lester Young. Quand elle swingue son sucre, Lester entre avec elle dans le cercle magique. Ils sont comme frère et sœur. Ils sont indissociables - Baby make up your mind - Et les voix enregistrées par la pauvre Linda défenestrée commencent à sortir du passé : «Billie ne chantait que la vérité. Elle ne connaissait que ça.» Alors les entorses à la réalité n’en deviennent que plus insupportables. C’est pour ça que Linda se battait : pour rétablir la vérité, et Erskine lui emboîte le pas. Oui, Billie adorait les jurons : «Suck my ass motherfucker !». C’est aussi ce qu’elle dit dans le biopic au fucking agent du FBI qui lui demande une dernière fois de renoncer à chanter «Strange Fruit» : «Suck my black ass». Une belle façon de l’envoyer se faire foutre. Erskine revient aussi sur une autre réalité : l’œil au beurre noir. Pour les blackettes de cette époque, c’était une preuve d’amour - My man loves me - Une façon comme une autre de tourner la réalité en dérision. On retrouve ça aussi dans l’autobio de Bettye LaVette qui explique que toutes les chanteuses black étaient maquées à des proxos. On retrouve ça aussi dans les histoires d’Aretha et de Nina Simone. À chaque fois, tu as le mari black qui ramasse tout le blé et qui leur tape sur la gueule. He’s my man.

             Le biopic fait bien sûr la part belle à l’héro. Le flicard du FBI veut coincer the bitch on the drugs. Alors on a droit à tout le cirque : la bougie, la cuillère, le garrot, le shoot, le kick, un vrai mode d’emploi. On voit souvent l’actrice à poil. Quand elle baise, elle se fait prendre par le cul. Un cliché de plus. L’actrice est extrêmement belle et s’appelle Andra Day. Mais elle n’a rien de l’animalité de Billie. On a eu le même problème avec le biopic consacré à la Môme Piaf. Le mec qui a tourné ça ne devait pas savoir que Piaf était kabyle. Dans le cas de Billie comme dans celui de Piaf, l’animalité est l’élément déterminant.

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             Erskine remonte aux sources : Harlem années 30, Billie fume de l’herbe, elle écoute Bessie Smith, Louis Armstrong et Billy Eckstine, John Hammond la découvre. On la voit chanter «The Blues Are Brewing» à la télé avec Louis Armstrong, elle chante dans l’orchestre de Count Basie, un Basie que la pauvre Linda a réussi à interviewer - Call me Bill - sans doute le passage le plus étrange du docu. Puis un jazzman blanc nommé Artie Shaw la prend comme chanteuse. Ça ne s’invente pas. Billie tourne dans le Deep South et un jour, alors qu’elle allait pisser dans un champ de maïs, elle tombe sur une scène pas terrible : une ferme brûlée, le black pendu et ses gamines terrorisées qui chialent toutes les larmes de leurs corps. Le biopic ose mettre en scène cette abomination. Hollywood n’est plus à ça près. On se souvient tous de la version hollywoodienne de Shoah, cette grosse arnaque intellectuelle intitulée La Liste de Schindler. Claude Lanzman avait démontré avec Shoah qu’on ne pouvait pas aller plus loin, que son film était à la fois l’aboutissement et la raison d’être du cinéma. Pour se faire un gros billet, les biopiqueurs hollywoodiens sont passés outre et ont «exploité» le filon des camps. La scène de la ferme brûlée tape dans le même genre de registre : on émeut à bon compte, sans trop se poser les questions de base, notamment celles qui touchent à la moralité. L’horreur, comme dirait le Colonel Kurtz.

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             Alors Erskine laisse Bille nous dire les choses à sa façon : elle chante «Strange Fruit». Son visage est pur, la scène colorisée. Elle a presque les larmes aux yeux. Elle est d’une beauté sidérante. Elle attaque très bas au «Southern trees/ Bear a strange fruit» et module son sucre pour faire vibrer le «Blood on the leaves/ And blood at the root», tu n’as même pas besoin de comprendre l’anglais pour savoir que c’est d’une extrême gravité, mais portée par des vers, donc te voilà au sommet du lard le plus intense qui se puisse imaginer ici- bas - Black bodies swinging/ In the southern breeze - Ce sont les mêmes pendus que décrit François Villon - De ci de là selon que le vent tourne/ Il ne cesse de nous ballotter à son gré - Et d’un profond accord avec Léo Ferré et Billie, Villon s’exclame : «Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !». Remplis de toute la miséricorde du monde, Billie et Villon saluent toutes les victimes de la barbarie. C’est le chant des sirènes que ne pouvait entendre le FBI - Strange fruit hanging/ from the poplar trees - Quand Bille chante ça dans les clubs, les blancs quittent la salle. À la fin du biopic, on nous dit que Time Magazine a sacré «Strange Fruit» chanson du siècle. Au moins le biopic aura servi à ça. On dit aussi que personne à part Billie n’a eu le cran de chanter ça. Si Billie ne chante pas «Strange Fruit», personne ne le fera. Eh oui. Car c’est une chanson d’une rare violence véracitaire, et cette violence véracitaire est l’essence même de Billie - Pastoral scene/ Of the gallant south/ The bulging eyes/ And the twisted mouth - elle tord bien la bouche pour imiter le twisted mouth du pendu. Fascinante artiste ! Villon décrit lui aussi la scène pastorale - Pies, corbeaux nous ont crevé les yeux/ Et arraché la barbe et les sourcils - Billie et Villon t’obligent à regarder et à sentir - Scent of magnolias/ Sweet and fresh - l’atroce réalité de l’enfer au paradis - Then the sudden smell/ Of burning flesh - KKK & nazis même combat. Dommage qu’elle n’ait pas ajouté un couplet pour dire ça. Ces gens-là utilisent les mêmes méthodes, the sudden smell/ Of burning flesh. Bon il y a encore un couplet après ça, mais le mieux, c’est encore d’écouter Billie le chanter. 

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             Billie aime la vie, elle aime les hommes et elle aime le swing - Billie she’s a sex machine. She just wanted to get high. Simple as that ! - Elle fait son année de placard et se tient à carreau. Quand elle sort en 1948, elle remplit le Carnegie Hall. Mais elle n’a pas de pot avec les bonshommes : son manager John Levy est un indic du FBI, et son dernier mari dont on a oublié le nom lui a pompé tout son blé, et pire encore, il hérite de ses biens après sa mort. Et pour couronner le tout, un médecin lui annonce qu’elle s’est chopé une belle cirrhose. Donc pour elle, c’est cuit aux patates. Direction l’hosto. Miam miam pour les biopiqueurs de malheur.

             Et puis après le pot aux roses de «Strange Fruit», tu tombes dans le docu sur un autre pot aux roses : l’hallucinant témoignage de Jo Jones, qui battait le beurre pour Billie : «Elle est morte à l’hosto un dimanche. Elle sait qu’elle va mourir. Ils sont venus l’arrêter sur son lit de mort. Arrêtée à l’hôpital pour détention d’héroïne ! Dieu aide les États-Unis d’Amérique. Personne n’avait autant innové qu’elle. Nobody ! Tout ce qu’elle voulait, c’était chanter. Elle n’emmerdait personne. Elle roulait en Cadillac, et portait un vison, so what ? What’s wrong with that ? Pas le droit d’avoir une Cadillac et un vison ? Elle n’avait pas le droit d’avoir des diamants ? Non tout ça, c’est pas pour toi. You’re a negro. Stay in your place. Un bol de fayots et du riz, t’as besoin de rien d’autre. Faut voir tout ce qu’on a dû traverser ! - et là Erskine ramène les images en noir & blanc des lynchages, et Jo Jones enfonce son clou - Aucune chanteuse n’a enduré ce qu’elle a enduré. Le plus grand pays du monde ? The most stupid, the most racist people - Erskine ramène des images du KKK et Jo Jones poursuit son accusation - Even to this day ! I’ll leave as soon as I can. Je ne veux pas me prêter à cette mascarade. Le 17 juillet, jour de sa mort. J’ai refermé le cercueil de Miss Holiday et posé deux fleurs dessus.» Jo Jones a dit tout ce qu’il y avait à dire.

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             Avec son docu, Erskine ramène l’art. Il termine avec le dernier album, Lady In Satin et on voit des images spectaculaires de Billie émaciée. Billie forever.

    Signé : Cazengler, Holiday on ice

    Lee Daniels. Billie Holiday Une Affaire d’État. DVD 2021

    James Erskine. Billie. DVD 2021

     

     

    Pour Kim sonne le glas

     - Part One

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             Les Sonic Youth ont bien fasciné les foules, à l’époque des grands concerts à l’Élysée Montmartre. On s’est tous goinfrés comme des porcs de Goo et de Dirty, ces deux grands albums de wild gaga new-yorkais devant l’Éternel. On s’est aussi prosternés jusqu’à terre devant The Year Punk Broke, ce movie rock qui était censé encenser Sonic Youth, mais l’impétueux J. Mascis leur vola la vedette d’un coup de Wagon. Bref tout ça nous ramène au passif des années antérieures qu’on a tous vécu à la va-comme-je-te-pousse, bon an mal an, et cahin-caha. Des années qu’on aimerait pas trop revivre. Pourquoi ? On ne sait pas trop. Il y planait un soupçon de malaise généralisé, mais aussi personnel. Trop de blé, trop de gonzesses, trop de n’importe quoi. Le retour à la pauvreté et à la vie monastique fut une espèce de répit inespéré.

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             Sans doute était-ce la faute d’un album trop expérimental, toujours est-il qu’à une époque on a décroché brutalement de Sonic Youth, qu’on avait suivi depuis le début. Oui, on les tenait en haute estime, sans doute grâce à Spin, qui faisait alors référence en matière d’alt-rock US. Mais avec un album dont on a oublié le nom, Sonic Youth commit l’irréparable : prendre les gens pour des cons. On apprit dans la foulée que Thurston Moore trompait Kim, laquelle Kim le prit très mal et le groupe splitta. Sonic Cuckold, ça ne sonnait pas très bien.

             Revenons à l’essentiel : on savait pour les avoir vus sur scène, et pour avoir écouté les albums, que l’âme du groupe était en réalité Kim Gordon. On ne trompe pas sa femme quand celle-ci est un parfait rock’n’roll animal comme Kim. Mauvaise pioche, mon pauvre Moore. Au passage, il a perdu tout ce qui lui restait de crédibilité. Bien sûr, nous ne sommes pas là pour porter des jugements, mais casser un groupe pour une histoire de cul, c’est un peu n’importe quoi. C’est encore pire que de casser un groupe pour une piscine. Encore une fois, le rock est un art trop sacré pour être confié à des betteraviers.

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             Puisqu’elle souhaitait éclairer nos lanternes, Kim a publié ses mémoires, un petit book sans prétention titré Girl In A Band. Le ‘sans prétention’ est important, car ce n’est pas le rock book du siècle, loin de là. Kim n’a ni la niaque de Miki Berenyi (Fingers Crossed: How Music Saved Me from Success), ni celle de Viv Albertine (Clothes Clothes Clothes Music Music Music Boys Boys Boys). Plutôt que de chercher à atteindre le sommet d’un Ararat littéraire, Kim tourne autour d’un gros pot-aux-roses : la trahison de Thurston Moore. Elle donne tout le détail de son traumatisme. Moore la trompe en cachette. Il ment comme un arracheur de dents. Elle fouille dans son ordi et dans son smartphone. Elle trouve des messages coquins. C’est d’une banalité atroce. Pas de quoi en faire un plat. Et pourtant, ça la fout en l’air. Au moins, elle a appris un truc essentiel pour une gonzesse : ne jamais faire confiance à un mec.  

             À la lumière de cette lecture qui n’a rien d’insolite, on peut se fendre de deux brillants constats. Un, ce qui arrive à Kim, c’est ce qui arrive généralement à tous les couples qui forment un team créatif. Tu bosses et tu baises avec ton ou ta partenaire, c’est du 24/24 pendant des années et au bout d’un moment, ça coince, car la baise devient mécanique et le job roule trop bien, ce qui n’est pas bon signe. Le team s’endort sur ses lauriers et la flamme s’éteint. Phénomène quasi automatique. On appelle ça la routine. C’est généralement dans cette zone de faux calme que retentit l’appel des sirènes, et de là à changer de crémerie, il n’y a qu’un pas qui se franchit sans état d’âme. Seuls les couples aux nerfs d’acier peuvent survivre à ce genre de mésaventure. Kim n’a pas supporté de voir son mec aller tremper son biscuit ailleurs. Elle n’avait pas la force de caractère ni peut être l’intelligence de Geneva Morganfield qui savait pertinemment que Muddy faisait des gosses à droite et à gauche. Geneva eut la grandeur d’âme de l’encaisser pour ne pas perdre son Muddy. Son exploit fut surtout de réussir à l’accepter tel qu’il était - C’est la clé de tout - Kim a préféré virer Moore. Pas question d’un ménage à trois.

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             Dans les premières pages du book, Kim nous dit que le groupe tourne encore dans le monde entier, mais elle et Moore ne s’adressent plus la parole. Leur mariage aura duré 27 ans. Dernier concert de Sonic Youth à São Paulo, en 2011, le groupe boucle le set avec «Teen Age Riot» que chante Kim - Un mariage est une longue conversation, a dit quelqu’un, et la vie d’un groupe l’est aussi. Quelques minutes plus tard, les deux étaient terminés - Elle décrit le vide qui s’ouvre sous les pieds lorsque tout s’arrête. Ceux qui l’ont vécu savent ce que ça veut dire. La mort, sans vraiment mourir. Vers la fin du book, elle rebouche le vide : «J’éprouvais de la compassion pour Thurston et j’en éprouve encore. Ça me désolait de le voir perdre son mariage, son groupe, sa fille, sa famille et notre vie conjugale - et lui-même. Mais éprouver de la compassion n’est pas la même chose que de pardonner.» Elle est dure en affaires. On le voit très bien sur les photos. C’est le genre à dire : «Me prends pas pour une conne.»

             Constat numéro deux, il apparaît que Sonic Youth doit sa grandeur tutélaire à Kim Gordon. Pour comprendre la réalité de ce constat, il faut peut-être commencer par la fin, c’est-à-dire la période solo de Kim, et foncer droit sur Free Kitten et Body/Head, car Kim s’y révèle extraordinairement bonne. Débarrassée de son mec et des turpitudes de la vie conjugale, elle éclate le Sénégal avec sa copine pas de cheval mais de Pussy Galore, Julie Cafritz. C’est là, à cet endroit précis de l’alignement des planètes que tu comprends tout. Kim Gordon superstar !   

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             Le Nice Ass de Free Kitten est un Wiija de 1994. Et même un sacré Wiija ! C’est un album qui s’enracine dans la cacophonie, qui monte doucement, qui ramone le Raincoat («Proper Band»), qui cherche des noises à la noise, qui bascule dans le weird ahuri et complètement arty («Kissing Well»), qui rentre dans le chou du lard («Call Back»), ah, elles s’y connaissent en Grosse Bertha, un album qui bat tous les records de weirdy weird avec une pop infestée de sax («Revlon Liberation Orchestra»), et qui finit par atteindre au génie trash avec «The Boasta», un shoot de weirdy weird merveilleusement exécuté, tout ici est gratté à la revoyure de la déglingue, en vertu des sacro-saints principes de l’underground new-yorkais, et puis elles culminent avec un «Royal Flush» qui s’inscrit dans la lignée de Pussy Galore. Brillantissime ! 

             Kim rappelle dans son book qu’elle et Julie étaient inspirées par the American alt-rock band Royal Trux, c’est-à-dire Neil Hagerty et Jennifer Herrema - Royal Trux was rock swagger perfected, with minimum effort, et même s’ils étaient completely on drugs the whole time, the effect was both amazing and mysterious.

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             Avec Inherit, Kim et Julie s’installent dans le weirdy weird. Elle grattent leurs poux toutes les deux, et raffolent d’atonalités. Te voilà au parfum. J. Mascis vient faire un petit tour dans «Surf’s Up» et il ramène du jus dans cette soupe du diable. Elles vont continuer d’exploiter le filon du Sonic Weird. Leur «Free Kitten On The Mountain» est comme on dit bien balancé. «Roughshod» renoue avec la légendaire énergie new-yorkaise du Galore et de Sonic Youth, et elles enchaînent avec un «Help Me» complètement détraqué. Elles font leurs punkettes de MJC new-yorkaise et c’est noyé dans l’agit-prop d’avant-garde. Tout ce que tu peux dire, c’est : Wow !  Et comme le montre «The Poet», on voit bien que Kim amène l’énergie dans Sonic Youth. Ça se confirme ici, dans cette dépravation quantique, dans ce bel exemple de sauvagerie urbaine. Kim est rock jusqu’au bout des ongles. Et puis on tombe comme par hasard sur un «Bananas» bien banané. Elles sont marrantes, car elles font gicler un pur jus de New York City sound, elles sortent la grosse disto et font n’importe quoi. Et ça vire encore plus experiment avec un «Monster Eye» noyé d’envergure pétrifiée, ça gratte dans les remugles, ça flattes les bas instincts, ça caracole dans les dérives abdominales.

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             Par contre, le Straight Up de 1992 est un peu plus compliqué à gérer, même si Don Flemming est dans le coup. Kim et Julie optent pour la modernité décousue de no way out. Ça donne des cuts irrités et irritants, elles grattent des poux très sourds dans «Smacx», et derrière, ça gueule dans une sorte de dodécaphonisme. Arnold Schönberg y perdrait son latin. Mis à part les followers, qui pouvait être assez cinglé à l’époque, non seulement pour acheter ça, mais aussi pour l’écouter ? Elles battent tous les records d’impertinence, plus c’est incongru et plus c’est Kitten. Elles dépassent les bornes. Elles attaquent «Oneness» au riff de stoner malingre. On voit bien qu’elles s’entendent comme larrons en foire. L’«Oneness» est monté sur un sacré drive de disto malovelante et ça donne une belle giclée de purée grasse. On sent la patte de Don Flemming. Elles délirent complètement dans «Dick» - His name is/ His name issss ? - et Julie demande : «What’s his name Kim ?», Kim dit que c’est Richard, alors elles délirent sur Little Richard, Richard Lloyd et Keef Richards. You dick !

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             En 2019, Kim enregistre No Home Record, un petit album qu’il faut bien qualifier d’extraordinaire. Elle expérimente dès «Air BnB», elle gratte des poux bien trash et expédie tout ça très vite en enfer. Kim Gordon superstar ! Superbe explosion d’Air BnB ! Elle récidive avec «Murdered Out» qu’elle attaque aux cornes de brume, elle attaque le rock dans la nuit, avec une fabuleuse violence new-yorkaise imprégnée d’hip-hop. Il n’existe pas de son plus urbain. Elle gratte des poux demented, c’est éclatant de tell me out. Et puis voilà le coup de génie, l’imparable «Hungry Baby», elle tape ça au big trash out de so far out. Kim a le power, elle est capable de merveilleuses dégelées, elle fait du wild gaga sixties noyé de trash, Sonic Youth, c’est elle, plus de doute possible, son «Hungry Baby» est un véritable modèle du genre, il y va au yeah yeah, c’est stupéfiant d’excelsior, elle n’en finit plus de grandir, elle a le génie du trash rock absolu 

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             Kim rappelle qu’à l’époque où Julie cherchait un beurreman pour Pussy Galore, elle lui a présenté Bob Bert qui avait fait un bref séjour dans Sonic Youth. Kim se dit d’ailleurs très impressionnée par le Pussy Galore d’alors - Julie and her bandmate Jon Spencer were slightly scary, I remember, all black clothes with tons of ‘tude - Dommage qu’elle n’évoque pas davantage tous ces groupes qui ont fait la grandeur de l’underground new-yorkais. Elle évoque vaguement Lydia Lunch, mais elle s’en méfiait comme de la peste, car elle était toujours, dit-elle, «en train d’essayer de séduire Thurston». Elle se dit fan de Teenage Jesus & The Jerks, mais pas pote avec Lydia, car elle n’a pas confiance en elle. Elle flashe aussi sur Black Flag - One of the best gigs I’d seen before or since - elle se gave de l’hardcore punk d’Henry Rollins - scary, surreal, intimate - L’un de ses meilleurs amis n’est autre que J. Mascis, à qui Kurt avait proposé de rejoindre Nirvana. Elle est aussi fascinée par Iggy - I give Iggy credit for deconstructing the very idea of entertainment. What is a star? Is stardom a kind of suspended adulthood? Est-ce que ça se situe par-delà le bien et le mal ? Est-ce qu’une star est une personne en laquelle on doit croire, ou un démon, un preneur de risques qui va au bord de la falaise sans jamais tomber ?

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             Grâce à Mike Watt, elle rencontre le fameux Raymond Pettibon qui va dessiner la pochette de Goo, et des pochettes pour SST. Elle flashe aussi sur Karen Carpenter et lui consacre une bonne page. Bon d’accord, elle admet que les Carpenters flirtent avec l’easy listening, mais c’est dit-elle le film de Todd Hayes qu’ils faut voir, Superstar. Kim est fascinée par Karen - Karen n’est-elle pas le personnage quintessentiel de notre culture, cherchant à satisfaire les autres de manière compulsive, pour atteindre ce degré ultime de perfection qui restera toujours hors de portée ? Pour elle, c’était plus simple de disparaître, de s’évader de son corps et de trouver la perfection dans la mort - Karen Carpenter a cassé sa pipe en bois à coups d’anémie.

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    ( Artwork : Mike Kelley )

             Kim évoque aussi son ami de longue date Mike Kelley qui dit avoir démarré Destroy All Monsters après avoir vu Kim sur scène au Ann Arbor Festival, lors du deuxième gig de Sonic Youth. Elle porte aussi sur New York un regard critique. Le New York qu’elle voit aujourd’hui est une ville de consommation et de fric - Wall Street drives the whole country, with the fashion industry as the icing -  et plus loin, elle enfonce son clou - New York City today is a city on steroids. Cette ville ressemble à un dessin animé. La ville a perdu son authenticité - Ses pages sur la No-Wave sont les plus belles du book - L’un des plus gros attraits des No Wave bands était le fait que leur musique semblait abandonnée et abstraite. C’était ce que j’avais entendu de plus pur, de plus libre, très différent du punk-rock des seventies et du jazz des sixties, c’était plus expressionniste et ça allait plus loin que tout le reste. En contraste, le punk-rock semblait ironique, avec des slogans du genre : «On va détruire le rock corporate». Les No Wavers y allaient plus franchement : «On détruit vraiment le rock». Cette liberté de ton m’impressionnait. Je me disais : «Je peux faire ça.» -  Kim rappelle que la No Wave brassait large, depuis le cinéma, l’art vidéo, jusqu’au rock underground, mais tout restait inclassable, hors de portée des classifications des médias - Basically it was anti-Wave, which is why strictly speaking No Wave can’t even properly be called a movement at all et ne devrait même pas porter de nom. C’est aussi une réponse directe à la New Wave, plus commerciale, mélodique, danceable punk - Blondie, The Police, Talking Heads - qui était vue par des tas de gens comme a lame sellout, c’est-à-dire une atroce putasserie - Bien vu Kim, car c’est exactement de cela dont il s’agit : a lame sellout : Oh je voudrais m’acheter une maison à la campagne, alors on va enregistrer un peu de diskö ! Pour illustrer son éloge de la No Wave, Kim cite quelques noms : «Glenn Branca of Theatrical Girls qui venait du théâtre, et le théoricien de la guitare Rhys Chatham qui avait étudié avec La Monte Young et Philip Glass.» Elle ajoute qu’on qualifiait Sonic Youth de No Wave, mais c’est selon elle une erreur - We didn’t sound No Wave. We just built something out of it.

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             Justement, Sonic Youth, parlons-en. Kim dit qu’à leurs débuts, Lee, Thurston, Bob Bert qui battait alors leur beurre, et elle se repassaient un book sur le Velvet - Pour un raison X, c’est ce book qui a fédéré le groupe. On était donc branchés sur la même longueur d’onde. On était branchés sur le Velvet, mais on a titré notre album Bad Moon Rising, d’après le cut de Creedence Clearwater Revival, c’était notre mode de fonctionnement : emprunter un truc à la culture pop et lui donner un autre sens. Creedence était un faux-Southern country band de la même façon que nous étions un faux-Velvet Undeground band. Plus, the title was badass - Elle redit plus loin que Sonic Youth a toujours cherché à tromper les attentes des gens. Puis elle rentre dans l’intimité du groupe : elle explique que Lee et Thurtson chantonnaient leurs idées de riffs, «et je chantais les trucs les plus barrés et les plus abstraits.» Elle et Moore s’entendaient bien sur les aspects esthétiques, et se mettaient toujours d’accord sur les pochettes. Kim rappelle aussi qu’ils sont arrivés avec Evol sur SST, qui était alors le label phare de la scène underground américaine. Black Flag, les Meat Puppets, Hüsker Dü et les Minutemen étaient sur SST.

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             Lors de sa première tournée anglaise avec Sonic Youth, les journalistes harcelaient Kim avec la même question : «What’s it like to be a girl in a band?». Kim va recycler cette question stupide et en faire le titre de son book. Elle n’a d’ailleurs pas une très bonne opinion des journalistes anglais (cowardly and nonconfrontational). Chaque fois que Sonic Youth enregistre un nouvel album, le groupe choisit un nouvel endroit pour répéter. Kim dit que le meilleur était un local appartenant à Michael Gira on Sixth Dtreet and Avenue B. C’est là qu’ils enregistrent en 1988 Daydream Nation, ce double album, qui à la grande surprise du groupe, remporte un succès d’estime. En 1990, le groupe a déjà dix ans d’âge. C’est là qu’ils cherchent un gros label, et ce sera Geffen. Avec l’avance qu’ils reçoivent, Thurston et Kim se payent un appart sur Lafayette Street. Puis ils choisissent le crobard de Pettibon pour la pochette de Goo, ce qui ne plait pas à l’A&R de Geffen qui aurait préféré une glamourous picture of the band

             Elle évoque aussi le public de Sonic Youth : «Même quand vous êtes dans le rond du projecteur, vous ne comprenez pas vraiment de quelle façon vous inter-agissez avec les gens. D’une certaine façon, Thurston et moi semblions inter-agir avec des late baby boomer urbains, qui voulaient que leurs enfants soient des rock’n’roll babies, et qui ne voulaient pas vieillir de la même façon que leurs parents. Avec leurs enfants, ils avaient la musique en commun. Même s’ils avaient 40 ou 50 ans, ils avaient encore la flamme en eux, le rictus et le doigt. Avec le temps, il m’a semblé que Thurston et moi incarnions cette tendance.» Elle décrit avec une précision remarquable la faune du rock indé, et c’est vrai que Sonic Youth en fut en quelque sorte l’emblème.

             Dans un nouvel élan de franchise, Kim rappelle qu’au démarrage de Sonic Youth, «I really made an effort to punk myself out, pour perdre tout lien avec mes origines middle-class West LA.» Elle revient plus loin sur son look, comme si elle avait besoin de se justifier - I was going for a punky look, sans jamais croire que j’en étais digne. Plus tard, j’ai évolué vers un look garçon manqué with a sexy François Hardy cool.

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             Kim flashe surtout sur Kurt. C’est la grande rencontre de sa vie. Elle est aux premières loges quand Nirvana sort de l’anonymat - Nirvana seemed part-hardcore, part-Stooges but with a cheesy chorus-pedal effect that was more New Wave than punk - Là elle se vautre, Kurt n’a rien à voir avec la New Wave - Kurt Cobain was both incredibly charismatic and extremely conflicted. Il jouait une belle mélodie et soudain, il bousillait tout le matos. Personnellement, j’aime bien voir les choses s’écrouler. That’s real entertainment, deconstructed - Un soir, Kurt coince Kim dans le backstage pour lui parler : «Je ne sais pas quoi faire. Courtney pense que Frances m’aime plus qu’elle.» Pour Kim c’est un grand moment de vérité : Kurt qui a besoin d’aide s’adresse à elle ! - J’y repense et je n’ose même pas imaginer ce que fut leur vie dans le chaos des drogues, et j’ai du mal à croire qu’ils ont pu rester deux ans ensemble - Quand on lui apprend que Kurt vient de se tirer une balle dans la tête, Kim se dit choquée, «mais pas surprise». Elle ajoute qu’il s’était produit un incident pas très clair à Rome, une petite overdose. En se maquant avec Courtney, il avait dit-elle «pris une voie plus sombre, et ce n’était plus qu’une question de temps avant la complète auto-destruction.» Pour Kim, Kurt reste un mec gentil, très vulnérable - L’élément principal de son auto-destruction fut de choisir Courtney, dans le but de faire le vide autour de lui, et ça a détruit la petite communauté à laquelle il appartenait - Bon tout ça c’est bien gentil, mais Kim veut que les choses soient claires : «Je n’ai jamais voulu exploiter l’amitié qui me liait à Kurt, et même dans sa mort, je voulais le protéger, c’est pourquoi je culpabilise à écrire ces quelques lignes. Mais comme je l’ai déjà dit, je pense souvent à Kurt. Avec les gens qui cassent leur pipe violemment et trop jeunes, il n’y a jamais de fin. Kurt still move along inside of me, and outside too, with his music.». Merveilleux paragraphe, merveilleux hommage et merveilleux témoignage d’amitié.

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             Mais c’est lorsqu’elle parle d’elle que Kim devient passionnante - Après avoir joué pendant trente ans dans un groupe, c’est assez stupide de dire : «Je ne suis pas musicienne.» Pourtant, je ne me suis jamais considérée comme une musicienne et je n’ai jamais pris de cours. Je me considère comme une rock-star de bas étage (a lowercase rock star). Oui, je crois que j’ai une bonne oreille et j’adore le frisson qu’on éprouve à être sur scène. Et même en tant qu’artiste conceptuelle, il y a toujours eu un côté performance dans ce que je faisais.» Voilà comment Kim se situe, avec toute la modestie dont elle est capable. Du coup, on la réécoute beaucoup plus attentivement.

             Elle revient sur elle-même pour cette fantastique confession : «Dans ma vie, je n’ai jamais choisi de faire ce qui était facile ou prévisible. Je n’avais aucune idée de l’image que je donnais de moi sur scène et dans le privé, je souhaitais simplement rester anonyme. Être consciente de soi, c’est la mort de la créativité. Je me sentais bien quand j’avais enregistré un truc qui m’avait plu, ou quand j’étais sur scène et que le son était tellement puissant que le temps s’arrêtait, et je sentais le public respirer dans le noir comme un seul être.» 

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             Elle approche dangereusement de la fin du book et se fend d’un brillant constat de plus : «L’autre jour, je réfléchissais à la façon dont la musique avait évolué. Les années soixante étaient tellement merveilleuses. Plus qu’aucune autre décennie, elles incarnaient le temps où l’individu pouvait trouver une identité dans le mouvement musical. Ce n’est pas la même chose que l’identité sexuelle qui relève plus des années cinquante, il s’agit plus d’un éveil collectif, qu’illustrent parfaitement les filles hystériques pleurant ensemble dans les concerts, quelque chose de contagieux et de spontané. Puis à la fin des sixties, la tendance hippie a commencé à se mélanger avec le goût de l’argent et c’est là que le rêve s’est évanoui.»

    Signé : Cazengler, Kim Gourdin

    Kim Gordon. Girl In A Band. Faber & Faber 2016

    Kim Gordon. No Home Record. Matador 2019  

    Free Kitten. Straight Up. Pearl Necklace 1992

    Free Kitten. Nice Ass. Wiija Records 1994  

    Free Kitten. Inherit. Ecstatic Peace 2008

     

     

    Holly ne met pas le hola

     - Part One

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             Mine de rien, on assiste au grand retour d’une légende vivante. En mai 2004, elle débarquait au Café de la Danse avec une fière équipe : un London greaser à la stand-up, et un grand zouave tout décharné qui portait, bien vissée sur son crâne de piaf, une casquette de marin-pêcheur : Bruce Brand ! Il devait bien friser la soixantaine, avec un visage taillé à la serpe. Il brancha rapidement une demi-caisse Guild sur un petit ampli Fender à lampes, sortit d’une valisette bordélique une pédale fuzz en forme de méduse et la raccorda sur la Guild avec un câble de fer à repasser gainé de tissu blanc et noir. Holly est arrivée à la suite, auréolée de la légende des Headcoatees - notamment leur version de «Come See Me» rebaptisée «I’m Your Man» - Holly n’était plus la brune incendiaire qui avait envoûté Wild Billy Childish. Après pas mal de problèmes techniques, Holly mit finalement le groupe en route. Ils jouaient avec un son minimaliste terriblement sixties. Elle emmenait son public dans une sorte d’hillbilly londonien, très belle ambiance, faite de chaude intimité et de joyeuse simplicité. Le greaser se cabrait sur sa contrebasse et couvait Holly du regard. Elle alternait les balladifs country et les rengaines douce-amères. Puis elle mit le feu aux poudres en démarrant un rock sixties caoutchouté au slap, et vrillé bien sûr par un vaillant solo de fuzz. Bruce Brand écrasait sa méduse avec un air gourmand. Son corps bougeait avec élégance, il était d’une certaine façon le Monsieur Hulot du rock anglais, et pour finir les cuts, Holly dansait d’un pied sur l’autre. Avec sa musique sans prétention et ses musiciens de bric et de broc, Holly ramenait une incroyable fraîcheur.

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             En vingt ans, rien n’a changé : Holly installe sur scène la même ambiance : Bruce Brand est toujours là, sous sa casquette de marin-pêcheur, mais il bat le beurre. Et quel beurre ! On le considère comme l’un des meilleurs batteurs anglais.

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    Un jeune coq nommé Bradley a pris sa place à la gratte et d’une certaine façon, il va contribuer à l’excellence des ambiances, avec un jeu très funky, cette parcimonie du jeu black qu’on retrouve chez des géants comme Mabon Teenie Hodges ou encore Freddie Stone.

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    Et de l’autre côté, le greaser est toujours là sur la stand-up, avec un petit coup de vieux. Holly a aussi pris un petit coup de vieux, bien sûr, mais son charme reste intact. Elle est toujours aussi ravie d’être sur scène. C’est vrai qu’il règne dans le petit théâtre une bonne ambiance. Elle attaque avec le vieux «Crow Jane Blues» de Sonny Terry et Brownie McGhee, et elle va enfiler d’autres vieux classiques comme le «Mule Skinner Blues» de Jimmie Rodgers, et le «Sally Go Round The Roses» des Jaynetts qui tapa si bien dans l’œil de Leiber & Stoller et de Tim Buckley. Elle cultive toujours sa nonchalance et ses grooves cha-cha, elle balance au gré des vagues, elle enfile ses perles avec une aisance assez magistrale, avec une fluidité de ton qui n’en finit plus d’alimenter sa légende, oh bien sûr, pas de hits, pas de coups de génie, simplement de la good time music, celle qu’elle propose depuis trente ans, depuis le temps des Headcoatees.

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    Ah comme le temps passe. Elle ne cherche plus trop à rocker le boat, elle se contente de nous bercer de langueurs monotones et visiblement, les gens aiment ça. On ne gardera pas le souvenir de cuts en particulier, seulement le souvenir d’une heure de set extrêmement agréable, une sorte de petite leçon de groove à l’anglaise. Pour finir en beauté, elle fait revenir sur scène Big Russ Wilkins pour une version catchy du «Mellow Down Easy» de Little Walter.

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             Holly Golightly fait partie des artistes qu’on suit au fil des décennies, album après album, comme on suit Al Green ou Johnnie Taylor, car on sait par expérience que ce sont toujours de bons albums, même au bout de trente ans. Rien n’est plus fascinant que de voir un artiste évoluer dans le temps. Il est essentiel de savoir que les grands artistes mettent un point d’honneur à ne pas se répéter, simplement par respect du public. Et c’est toute la difficulté : continuer à exister artistiquement aussi longtemps devient une gageure, et il faut voir avec quel brio les grands artistes relèvent ce défi. Holly ? Allez, environ 25 albums, mais aucun qui ne soit inintéressant.

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             Son dernier album solo en date s’appelle Do The Get Along. On y retrouve l’équipe scénique : Bradley Burgess, Bruce Brand et le greaser Matt Radford. Il faut l’entendre slapper le bout de gras dans «Hypnotized» et elle y va au one kiss from/ Your lips/ I’ll be satisfied. C’est slappé à ras des pâquerettes de London town. Do The Get Along est d’abord un album de groove, «Pretty Clean» est un classic Holly jive, ça Golighte in the tight, et Bradley s’en donne à cœur joie, fantastique shake d’hipper all the time. Pus jus de r’n’b avec «The Get Along». Elle y va à la douce et derrière, le Brad joue à la parcimonie. Belle ouverture de bal avec «Obstacles», ça groove mais avec des pointes de Méricourt, et le Brad passe un solo de vif argent. On retrouve cette grande jiveuse qu’est Holly dans «I Don’t Know», un soft groove de sucre pur, elle tape dans la white black de légende, avec une prestance qui n’en finit plus de se conforter dans l’éclat des lips. Le slap contribue à la grandeur du sucre. C’est un round midnite d’excelsior. Sur «I’m Your Loss», Bruce met le conga beat au carré, ça joue énormément et le Brad passe un solo dépenaillé. Ça groove encore très sec sur «Quicksand», Holly chante au sucre pur et Bruce te percute ça au jazz beat.

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             Le dernier album en date d’Holly Golightly & The Brokeoffs s’appelle Clippety Clop. À part les vieux fans, qui va aller rapatrier ça aujourd’hui ? Holly fut à la mode, comme on dit. L’est-elle encore ? Le Clippety Clop porte bien son nom, car c’est un album consacré aux chevaux. Douze cuts sur le thème du cheval, à commencer par «Mule Skinner», un vieux groove primitif qu’elle tape au beat tribal d’heartbeat, avec des intrications de banjo. Pur jus de modern Americana au petit sucre. Elle y reste avec «Two White Horses», elle fait même de la brocante d’Americana, Just in time. In the face ! Il règne sur cet album une belle ambiance d’enveloppe collégiale, elle rassemble autour d’elle comme le ferait un messie. Mais si. Elle passe à la rengaine de ragtime pour «Pinto Pony», elle a du son, du poids dans la légende, elle sait taper un shoot et caresser l’Americana dans le sens du poil. Elle fait du classic blues primitif au sucre avec «Black Horse Blues», elle est marrante, très juvénile. Elle passe au sucre de trad avec «Kill Grey Mule», un classic boogie blues. Chaque album d’Holly sonne comme un événement. Elle racle les fonds de tiroir de l’Americana et c’est très intéressant. Elle revient au primitif avec l’excellent «Stewball», ça duette dans la kitchen, elle a ce talent fou de savoir créer du primitif au débotté.

    Signé : Cazengler, Holy shit !

    Holly Golightly. Théâtre Municipal Berthelot. Montreuil (93). Le 17 novembre 2023

    Holly Golightly. Do The Get Along. Damaged Goods 2018

    Holly Golightly & The Brokeoffs. Clippety Clop. Transdreamers Records 2018

     

     

    L’avenir du rock

    - Shaking with the Shakes

             L’avenir du rock erre toujours dans le désert. Au début, c’était une manie, c’est devenu au fil des mois un art de vivre. Dommage qu’il ne soit pas filmé pour la télévision, car il pourrait servir d’exemple. Il passe ses journées à trotter d’un point à un autre. Il se dit «allons par là», alors il va par là. Il s’est forgé une détermination à toute épreuve. Un esprit défaitiste dirait en le voyant errer qu’il n’a pas le choix. Ça ferait bien marrer l’avenir du rock que d’entendre ça. D’ailleurs il en est arrivé au point où il rit d’un rien. S’il trouve un coquillage dans le désert, il explose de rire. S’il croise Lawrence d’Arabie, il doit se mordre les lèvres, même craquelées de sécheresse, pour garder son sérieux et sauver les apparences. Il ne se passe pas un jour sans qu’il ne fasse de rencontre inopportune. Il a vu passer Rimbaud transporté par quatre coureurs de fond éthiopiens, mais comme le poète se disait pressé, il ne s’est pas arrêté pour contrepéter. Il a aussi croisé Jeremiah Johnson qui cherchait la route du Colorado. Toujours les mêmes embrouilles, avec ce mec-là. Agacé, l’avenir du rock a fini par perdre patience :

             — Tu me fatigues avec tes jérémiades, Jeremiah. T’as qu’à te payer un GPS !

             Le lendemain, sur qui qu’il tombe ? Dersou Ouzala !

             — Chuis paumé, avenil du lock. Ché pal où la Taïga ?

             — Tu vas Ouzala-bas et tu tournes à droite après la dune. Dersouboujou pi des gommes !

             Les seuls gens sérieux dans le désert, ce sont encore les conducteurs de caravanes. Rien n’a changé depuis des millénaires, depuis le temps des Mille et Une Nuits. L’avenir du rock adore voir onduler les caravanes sous la lune. Il s’approche pour les saluer, le buste bombé comme le serait celui d’un Chevalier du Temple, et lance d’une voix qu’il veut noble, claire et chargée de tout le prestige de l’Occident chrétien :

             — Akbar Allahbama !

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             C’est pour l’avenir du rock une façon déguisée de rendre hommage aux Alabama Shakes et à leur grosse chanteuse géniale, Brittany Howard. On cherche aussitôt la connection avec la scène légendaire d’Alabama, mais le seul nom qui apparaît est celui de Patterson Hood, un Patterson qui alerte très tôt ses managers. C’est la raison pour laquelle les Alabama Shakes atterrissent sur ATO Records, le label des Drive-By Truckers et de St Paul & The Broken Bones. Sinon, pas de liaison particulière avec Muscle Shoals ni les autres cracks locaux. 

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             Patterson Hood a eu raison d’alerter ses managers. Alerte à bord dès l’«Hold On» qui ouvre le bal de Boys & Girls. Quel shoot de wild groove ! C’est gorgé de son et Brittany couine dans le feu de l’action. Elle chante à l’insistance patentée. Elle enchaîne les coups de génie comme des perles, elle te shoute toute la Soul du monde dans «I Found You», ça devient vite insupportable de grandeur tutélaire, elle te sert sur un plateau d’argent un balladif immense explosé par des chœurs d’artichauts. Avec «Hang Loose», elle procède au relookage d’Ike & Tina Turner, c’est plus poppy mais chanté à outrance. La grosse Brittany est la reine des outrances de Saba. Boom encore avec «Rise To The Sun». Elle s’y fond avec délice, elle est superbe, groovy, pulpeuse, fantastique, c’est explosé en tête-à-queue. Ça spurge à l’extrême, elle arrose le plafond, elle s’assoit sur le son pour le compresser. Elle profite d’«Heartbreaker» pour aller s’écrouler dans les braises d’une heavy waltz, elle gueule à bon entendeur salut, et boom, ça repart de plus belle avec «Be Mine», une heavy Soul de grattes électriques, avec une Brittany on the run, encore un cut superbe, fin et puissant à la fois, une rare combinaison de chant et de gratté de poux vite montée en neige. Elle explose ses fins de cut sans foi ni loi. 

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             Petit conseil d’ami : rapatrie la red «10 Year Anniversary Edition», car ATO a rajouté un live des Shakes et toutes les bombes de l’album sont rallumées sur scène. Re-boom badaboom d’«Hang Loose» - C’mon Los Angeles - Heavy process, c’est plein comme un œuf. Re-boom d’«I Found You» qu’elle tape au big atmospherix. Elle a les mêmes poumons d’acier que Carla Bozulich, la diablesse de Geraldine Fibbers. Remember «Dragon Lady» ? Re-boom de «Be Mine». La grosse Brittany est l’une des facettes les plus dodues de l’avenir du rock. Elle sonne comme un juke-box à roulettes. Elle aligne une succession phénoménale de hits. Tu peux y aller les yeux fermés. Elle impose sa classe épouvantable avec «Going To The Party». Elle swingue sa Soul à la pire Méricourt qui soit ici-bas. Ça monte brutalement en température avec «Hold On». Elle le prend d’en haut, histoire de lui tomber dessus à bras raccourcis. Elle est complètement folle, encore plus folle que la Carla. Tu as là la plus extrême Soul pop d’Alabama. L’«Always Alright» qui suit est noyé d’orgue princier, celui de Dylan 1965. Re-boom de «Rise To The Sun», elle fait cramer sa fin de cut au ah-oh-ah-oh - Los Angeles, we have a last song for you - Boom ! «Heavy Chevy» ! Brittany est une superstar. 

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             Le deuxième album des Shakes est un tout petit peu moins dense que le premier, on entend même des machines, mais ce n’est pas une raison pour aller cracher dans la soupe. Il faut attendre «Dunes» pour voir Sound & Color prendre des couleurs. Brittany plonge dans le son à coups de losing it. Direction Big Atmospherix encore avec «Future People» et «Gimme All Your Love». Pas facile, car on entend des machines, elle tisse sa toile à la surface de l’electro. Elle a perdu ses poux. Elle rentre dans le chou de «Gimme All Your Love» avec un sacré punch, elle s’en va s’éclater la rate sur l’Ararat qui s’dilate, elle a ce genre de power. Elle est aussi capable de finesse comme le montre «This Feeling», et pourtant, quand on la voit en photo, on n’imaginerait pas autant de finesse en elle. Elle est capable de finasser autant que Linda Lewis. Elle revient au vat-en-guerre  avec «The Greatest» - and the five six seven eight - elle explose de trash punk, c’est du shaking d’alabamed du ciboulot, fabuleuse élévation du domaine de la turlutte. Elle reste merveilleuse de wild rockalama avec «Shoegaze», plus de machines, ça redevient clair comme de l’eau de roche. Puis elle plonge comme un gros aigle sur «Miss You». Brittany a du génie, il faut bien le reconnaître, elle y va à bras raccourcis, elle fait du froti de confrontation, elle est explosive, fais gaffe à toi, fais gaffe où tu mets les doigts. Pour finir, elle plonge dans son lagon avec «Over My Head». La grosse est une pro du plongeon. Elle plouffe dans son lagon d’argent et c’est magnifique. Tout est extraverti sur cet album, c’est chanté/chauffé à blanc et noyé de machines, mais ça abat des tas de barrières.

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             En 2019, Brittany Howard enregistre un premier album solo, Jaime. Elle l’attaque en mode heavy funk. «History Repeats» t’explose à la gueule. Comme tu as l’habitude des bas-fonds, tu n’es plus à deux dents près - Push me push me - Mais elle noie son power dans un hip-hop saturé. Dommage. S’ensuit un «He Loves Me» télescopé par du hard raw. En fait, c’est un album d’hip hop et d’electro, très éloigné de l’univers des Alabama Shakes. Elle retrouve ses marques avec «Stay High», mais dans un climat sonore trop saturé. Dommage. Elle chante son «Short & Sweet» au Love Supreme de charme chaud, mais au final, ce n’est pas l’album qu’on espérait.

    Signé : Cazengler, Alababa-cool

    Alabama Shakes. Boys & Girls. ATO Records 2012

    Alabama Shakes. Sound & Color. ATO Records 2015

    Brittany Howard. Jaime. ATO Records 2019

     

     

    Inside the goldmine

    - Watkins the dog

     

             Difficile de se garer du côté de la place des Ternes. Baby Bav attend paisiblement devant l’entrée du restaurant. On ne se voit que pour manger ensemble. Bonne nature, au propre comme au figuré, elle adore manger au restaurant, surtout celui-ci, qui est décoré de grappes de casseroles en cuivre. Elle s’installe sur la banquette. Elle doit peser cent kilos et mesurer un bon mètre quatre-vingt. Elle a un physique de rugbyman. Elle porte les cheveux coupés courts et teintés par mèches, des lunettes aux montures fines. Et puis bien sûr, une énorme poitrine, celle d’une idole de l’Antiquité, la déesse de la fécondité. Le garçon ramène sa fraise : «Madame désire une entrée ?». «Certainement !». Sa bonne nature lui permet de ne reculer devant aucun excès. Ce qu’elle confirme en insinuant qu’il n’est pas de domaine où sa prodigalité n’enfreigne les lois de la mesure. «Un foie gras de canard poêlé aux coings et vin de noix». «Et monsieur ?». «Des ravioles !». Ensuite ? «Madame prendra les médaillons de veau français farcis de morilles sur une tombée de pousses d’épinards, mousse légère de châtaigne et jus de veau.» « Et monsieur ?». «Le pavé de loup ! Wooooouuhhh !». «Merci monsieur. Désirez-vous boire quelque chose ?». «Mettez-nous un Bourgogne !». «Le Chassagne Montrachet Ab.de Morgeot 1er cru Fleurot Larose est très bien. Je vous le recommande vivement». Ouf ! nous voilà enfin débarrassés de l’obséquieux larbin. Baby Bav installe son regard un peu torve dans le mien. Une sorte de familiarité s’installe. Elle ne dit pas non à la solide rasade de vin de Bourgogne. Dommage qu’elle ne porte pas sa blouse d’infirmière. Impossible de quitter des yeux les lèvres de Baby Bav dont l’éclat brillant est en mouvement perpétuel. Elle lit parfaitement dans mes pensées. Quel bonheur que de la voir se repaître de ses médaillons de veau, de la voir saucer son assiette et aspirer bruyamment le pain goutteux. Avec un aplomb sans pareil, elle accepte la promesse câline d’un dessert. Ce sera un moelleux chocolat accompagné de glace vanille bourbon gratiné. Ah il faut la voir fondre comme un aigle sur l’immense assiette que lui dépose l’obséquieux ! Elle pousse la vénalité jusqu’à se faire une petite moustache de gourmandise. Elle raffole de la crème. Avec tout ce qu’elle a avalé, choisir une occupation pour passer le reste de l’après-midi risque d’être compliqué. «Nous devons hélas redescendre au parking.» «Emmène-moi où tu voudras», répond-elle. Dans la voiture, elle adopte à nouveau cette position primitive, avec les jambes très écartées. C’est un véritable appel aux mains baladeuses. Nous filons vers la Porte Maillot à la recherche d’un lieu de promenade. «Connais-tu les jardins de Bagatelle ?». Elle les connaît par cœur, elle commente les parterres fleuris. Elle approche tout avec une sensualité sidérante. On est en plein Fragonard. Elle finit par dénicher un chemin qui se perd dans un petit labyrinthe. Le chemin monte doucement vers une sorte de kiosque minuscule. Elle propose de s’asseoir pour admirer tranquillement le panorama. L’endroit est désert. Le silence s’installe. Quelqu’un dirait «un ange passe !», et Cocteau ajouterait «qui l’encule ?». Les minutes s’écoulent. Rien ne vient troubler cette paix étrange. Elle marmonne quelques vérités en fouillant l’horizon du regard. «Il ne faut jamais résister à ses envies», fait-elle d’un ton grave.

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             Pour une fois, on ne trouvera aucun point commun entre Baby Bav et Bev, c’est-à-dire Beverly Guitar Watkins, une black géniale qu’on découvrit jadis grâce à Mike Vernon et son label Blue Horizon. Bizarrement, Beverly Guitar Watkins est restée complètement inconnue. Tim Duffy dit d’elle qu’elle a joué avec Piano Red, qu’elle a monté en groupe avec lui en 1958, The Meter Tones, qui est devenu par la suite Dr Feelgood & The Interns. Quand le groupe splitte en 1966, elle accompagne l’ex Ink Spot Eddie Tigner - She plays low-dow, hard stompin’, railroad-smokin’ blues - Duffy dit aussi qu’elle joue comme un homme. Une photo nous la montre sur scène : elle ressemble à s’y méprendre à l’early Jimi Hendrix, wild as fuck. Quand on lui demande si elle a le trac, Beverly répond : «Scared of what? I’m not scared at all. When I hit the stage, I’m action. It’s just a natural thing.» Elle ajoute que pour jouer le blues, il faut le vivre, ce qu’elle a fait toute sa vie, qu’elle soit montée sur scène, ou qu’elle ait joué dans le métro d’Atlanta. Pour vivre, elle bosse dans les car wash - I believe I worked at every car wash in Atlanta - Quand on lui demande si elle va se calmer, Bev se marre : «Mon baby a grandi et a maintenant des enfants. Je préfère être sur la route. On the road again. Jumpin’ with my goodtime friends. This is what it’s all about. Rock on. Keep on. Look good, play good, get paid good.»

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             Sur la pochette de Back In Business, Beverly Guitar Watkins joue dans le désert, au milieu des cactus. Tu ouvres le BOOKLET et tu tombes sur une photo de Bev avec la guitare derrière la tête, image purement hendrixienne. L’album est produit par Mike Vernon et ça démarre avec le fabuleux «Miz Dr Feelgood» - They call me Miz Dr Feelgood hey hey hey - Elle tape bien son hey hey hey, on sent immédiatement la prestance d’une légende vivante, ça ne trompe pas, c’est du pur génius de Miz Guitar Legend, elle drive son boogie au hey hey hey de guttural extrême, et en prime, elle part en vrille, et ça te donne au final le boogie de tes rêves. L’autre coup de génie s’appelle «Impeach Me Baby», elle s’implique à fond dans l’Impeach et ramène son fabuleux guttural. Elle gratte sa gratte sur «Red Mama Blues», c’est elle la boss, elle allume, elle a fait ça toute sa vie, elle joue à bonne arrache, elle gratte des notes terribles. On s’effare encore de la classe d’un blues comme «Two Many Times» qu’elle joue à la clairette sensible. Elle est tout simplement parfaite. On est heureux de pouvoir l’écouter jouer «Tell Me Daddy» - C’mon daddy/ We could have some fun - Son boogie est du pain béni. Elle a du métier, ça s’entend. Elle termine avec le morceau titre, elle descend encore une fois à la cave, elle ramène l’arrache du boogie de Business et quand elle part en vrille de solo, tu tombes amoureux d’elle. Elle est si pure et dure.

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             On voit bien qu’elle ne rigole pas, sur la pochette de Don’t Mess With Miss Watkins. On y retrouve quasiment tous les hits de son premier album, à commencer par l’excellentissime «Miz Dr Feelgood», tu retrouves le power de la légende : raw du chant + solo de rêve, let’s rock ! Elle enchaîne avec «Impeach Me Baby» qu’elle prend aussi au raw, elle pose ses conditions, c’est une superstar. On croise aussi son vieux «Back In Business», elle est bien enragée, I’m on the road again. «Too Many Times» et «Red Mama Blues» sont aussi tirés du premier album, elle groove dans le son avec des licks in tow, oh yes I will, et elle part en clairette de yes I will avec une incroyable fluidité. Elle joue tout ce qu’elle peut. Mais il y a aussi des nouveaux cuts comme cette excellente cover de «The Right String But The Wrong Yoyo», dont la version la plus connue est celle de Carl Perkins, mais c’est aussi un cut de Piano Red. Bev en fait une petite merveille de jump. Elle prend encore le heavy groove de «Get Out On The Floor» à l’arrache. Elle est vraiment la reine de l’arrache. Là tu as tout : la légende inconnue, la voix et la guitare. Elle rentre dans le lard de son «Late Bus Blues» à la heavyness de don’t care about nobody, elle devient magique, oh yeah, elle drive son Late Bus à la coule, elle réinvente le slow groove de blues. Elle tape son «Sugar Baby Swing» au slap. Fantastique allure. Ça ne pardonne pas. Elle vise le swing suprême, ça vire jazz et là tu obtiens le maximum des possibilités. Puis elle amène «Baghdad Blues» à la traînasse de Baghdad. Elle rentre si bien dans le lard du heavy groove et en prime, elle te passe un solo de punk. Elle finit cet album miraculeux avec un big shoot de gospel, «Jesus Walked The Water» - he’s alright with me !

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             Ça vaut vraiment le coup d’aller voir ce qui se passe sous les jupes de Dr. Feelgood & The Interns. Il existe une petite compile Edsel parue en 1983 : What’s Up Doc? On s’y régale au moins de deux cuts : le jumpy jumpah de «Blang Dong», solide et brillant, et le «Don’t Let Me Catch You Wrong» au bout du balda, joliment gratté dans les virages. C’est pour l’époque d’une incroyable modernité. Le morceau titre est un solide rumble et on savoure la fantastique énergie de «Let’s Have A Good Time Tonight». Le Dr Feelgood William Lee Perryman est un seigneur des annales.

    Signé : Cazengler, Berverly de la société

    Beverly Guitar Watkins. Back In Business. Music Maker Relief Foundation 1999

    Beverly Guitar Watkins. Don’t Mess With Miss Watkins. DixieFrog 2007

    Dr. Feelgood & The Interns. What’s Up Doc ? Edsel 1983

     

    *

    Amis rockers ne phantasmez pas, rien qu’au titre vous salivez, désolé de vous décevoir, vous ne connaîtrez pas les délices de Capoue en pénétrant dans cette sixième chambre. Interdite, ai-je besoin de le préciser. Cette pièce célèbre, bien connue des initiés, est une bibliothèque. Spéciale. Vous la trouverez facilement. Par contre la porte est fermée à clef. Elle gîte tout au fond de l’Enfer. Elle ne contient que des livres. Secrets. Leur lecture interdite vous rendra fous. Le problème c’est que si vous n’allez pas à la sixième pièce, la sixième vient à vous. Elle est là, tout près. Deux lignes après celle-ci…

    BEYOND THE NIGHT VEIL

    THE SIXTH CHAMBER

    ( / 15- 11 – 2023)

    Rahne Pistor : Vocals, Pistor / Bobby Parker : bass / Erik Peterson : drums / Allan St Jon : keyboards

             Travaillent titre par titre. Puis ils les assemblent en un opus récapitulatif quand ils ont le nombre désiré. Ainsi Mythos et Crippled Souls réunissent chacun douze morceaux. Le groupe existe depuis 2001. Sont de Los Angeles.

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    Penny dreadful : vous croyiez quoi, être admis à compulser des vieux grimoires centenaires détenteurs de terribles secrets, non la sixième chambre risque de vous décevoir, les étagères sont remplies de pulps ces magazines à un penny que les gamins d’Amérique s’arrachaient, s’échangeaient et lisaient en cachette la nuit dans leur lit avec une lampe de poche, les Cramps les adoraient, mais The Sixth Chamber ils ne lisaient qu’exclusivement des trucs d’horreur à base d’ésotérisme frelaté. Avouons que l’illustration de la couverture est réussie. Tellement toc qu’elle semble vraie. Pour la zique, sortent le grand jeu, des hurlements de loups des Carpathes sortis tout droit du chenil de Dracula, un riff grandiloquent qui vous tombe dessus comme une lame de guillotine qui ne parvient à vous trancher la tête qu’à la neuvième tentative, et des chœurs qu’au petit déjeuner rien que d’y penser en beurrant vos biscottes vous avez les chocottes. Soyez courageux, répétez tout haut le cri de ralliement des chevaliers teutoniques dans les bacs à sable : Même pas peur ! Vous n’aurez pas davantage la frousse mais la version enregistrée live at The Universal Bar at North Hollywood le 29 / 11 / 2022, malgré les capes noires dont ils sont affublés et les samplers, est davantage crédible. Red-death masquerade : ce coup-ci vous irez tout droit à l’official vidéo : quoi de plus horrible que le baiser au lépreux ? Le baiser au vampire ! Gore, very gore. Du beau monde, Dani Divine, star ombreuse, outrage burlesque, Rahne Pistor vous raconte tout cela en dansant dans un cimetière, pas n’importe lequel, celui du Quartier français de la Nouvelle Orléans, bien connu des adorateurs du vaudou et des lecteurs d’Anne Rice…

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    Entre parenthèses les paroles de la chanson évoquent davantage Ane Rice qu’Edgar Poe. Soyons impartial le morceau n’a pas besoin des images, se suffit amplement à lui-même. Rien de novateur, mais l’on sent qu’ils ont du métier et qu’ils connaissent toutes les ficelles les plus grosses comme celles aussi fines que des cheveux d’anges. Déchus, pour sûr. Ceux que vous préférez. Wallpurgis night : l’on pense à Faust et à Goethe, erreur l’héroïne sort tout droit du Dracula de Bram Stoker. De beaux lyrics, pas tout à fait des ciselures symbolistes, mais terriblement efficaces. L’on voit la scène et l’on pénètre dans l’âme du vampire. Musicalement c’est idem. L’orgue nous emporte en un galop fou le long de la piste sanglante. L’Official Lyric Vidéo n’a pas bénéficié des mêmes moyens financiers que la précédente, l’on se prend à guetter les rares et belles images qui viennent de temps en temps se substituer au fond rouge sang sur lequel s’inscrivent les paroles. Necropolis : kitch ferait mieux ? le Led Zeppelin du pauvre, le violon en arabesque et en grotesque. Superbe vocal, lyrics à double sens le véritable maître de l’Egypte n’est-il pas le gardien de la nécropole dans lequel sont enterrés les dieux morts. La New Music Vidéo, est aussi kitsch, mais n’oubliez pas que Flaubert lui-même use dans ses romans de l’esthétique kitch, vous avez tout ce qu’il vous faut, de belles images sur les pyramides, couchers de soleil éblouissant garantis, chevaux arabes, beau profil d’aventurier, hiéroglyphes mystérieux, sourire du sphinx. La panoplie photographique du parfait touriste. Sarcophagus : plouf, l’on tombe dans les catacombes, attention une mise garde, ne vous perdez pas dans les galeries, une prière débitée à toute allure, guitares glissantes, certainement il est déjà trop tard.

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    L’Official Lyrics Vidéo est à regarder. Toute simple, ton ocre, le visage peint en blanc, quel acteur ce Rahne Pistor, se contente de se balancer sur place, vous regarde dans les yeux, et c’est tout. Un petit frisson insidieux, reprenez-vous, songez que ce n’est qu’une vidéo. Mais qui se cache dans ces couloirs mortuaires… Hades : vous tiquez, vous tiltez : c’est de moins en moins rigolo, vous voyez ce que c’est que de mettre les pieds là où on vous a dit de ne pas vous rendre, carrément malsain cette acoustique et cette voix qui supplie, les fantasmagories qu’il chantait étaient des projections magiques, maintenant vous êtes au plus près, à l’intérieur de sa tête, ce n’est point que ce n’est pas beau à voir, c’est que c’est carrément inquiétant. L’existe une vidéo, une seule image, tous les trois, debout immobiles, rapprochés, ne semblent pas très rassurés. Fermez les yeux et focalisez-vous sur le son du luth que joue Rahne Pistor, fil d’Ariane qui vous permettra de ressortir vivant se vous-mêmes. Blood of the prophet : grandes orgues, rien de grandiloquent ici, l’on s’attendrait à des cris, des hurlements, des bruits, non juste cette mélodie qui assombrit le monde, cette voix légèrement doublée, ces chœurs effondrés, ces touffeurs de backing vocal, l’écho du malheur se répand sur le monde. L’on a versé le sang du prophète. Murmures indistincts. La Music Lyric Video est superbe, d’une force extraordinaire, elle traduit le tragique des lyrics et du chant du morceau. Avec très peu de moyens elle rend sensible cette impression émerveillante de toucher à une dimension sacrée.  Hollow autumn : un camelot qui baratine, un monsieur loyal qui se vante, ne serait-ce cette musique noire l’on aurait envie de rire, mais cette fois-ci nous sommes définitivement à l’intérieur, solo chaise électrique, au-dedans de soi confrontés à nos aspirations les plus folles, celle de renaître de notre présence morte au monde, celle de revenir de notre immortalité. La dernière enceinte. La tour qui s’effondre, le phénix qui vit de ses brûlures les plus intimes. Remettez-vous, regardez la vidéo (Flashback 2009) le groupe joue Hollow Atumn en public, c’est rassurant, un groupe d’heavy rock qui se donne à fond sur scène. Au Key Club, in West Hollywood, Sunset strip, au moins vous avez la confirmation que quelque part dans le monde il existe encore des espaces ensoleillés. Soyons superficiels. Jump into the flammes : constat amer et invitation à passer le pas. Quitter ce monde cruel, ne pas hésiter à pénétrer dans l’anneau de feu, toute ordalie est une geste intime. Musique lourde et lente, la voix est une prière qui vous pousse dans le dos, la batterie ne desserre pas ses dents de vos mollets, certes la décision vous appartient. Croyez-vous que ce soit un plaisir pour le phénix que de plonger dans son propre feu. L’existe une Belly Dance Video de ce morceau. Une jeune femme Arriahda Lopez, danse, vraisemblablement inspirée par la Loïe Fuller, dans les montagnes colombiennes, près des ruines d’un temple souterrain, longs cheveux noir, présence presque trop charnelle, elle agite des voiles rouge et noir, cendres et feu, mort et vie, sur les dernières secondes une forme se tord dans des flammes. Les vidéos de La sixième chambre sont toujours surprenantes. /   

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    Existe une autre vidéo d’une ancienne version de ce morceau, une seule image très belle. Fond rose sur laquelle se dessine le long corps d’une femme nue. L’anti poupée Barbie, je dis cela pour que vous ne vous mépreniez pas. Vous la retrouvez encore plus belle pour accompagner le morceau Divine vous le retrouverez sur l’album Mythos. C’est cette dernière que nous vous offrons. Oui nous sommes trop bons. Portail to the realm of abyss : directement à la vidéo : ce n’est pas une chanson mais un fragment de l’apocalypse de St Jean récité par Rahne Pistor, joue le rôle du prédicateur des temps derniers, chapeau rond et canne à la main, la musique gronde, derrière lui un cheval de désolation dont les naseaux laissent échapper une fumée blanche, l’image est mouvante comme si elle était filmée au travers des flammes de flambeaux funèbres. Ces vidéos reposent sur un équilibre précaire, elles oscillent sans cesse entre parodie et réalité se gardant bien de tomber d’un côté ou de l’autre. Entrance to the waste land : l’on n’est jamais là où l’on croit être, cette gaste contrée, on l’imaginait à la suite du morceau précédent être l’enfer chrétien, il n’en est rien, nous sommes au cœur du monde lovecraftien, à l’entrée de la cité inconnue de Kadath, nous longeons l’orée de la cité dans le monde des morts où croît l’herbe miraculeuse qu’il faudrait escalader à la manière de Jack et son haricot magique pour parvenir au monde des rêves. La voix puissante et la musique forte et furtive nous y conduisent… Pour une fois l’Official Music Vidéo n’est pas à la hauteur des lyrics, Arriadha Lopez semble de trop, les différents personnages le guerrier, le ‘’ moine fou’’, tous les autres et même la prêtresse font trop images d’Epinal, il aurait suffi de la prestation de Rahne  Pistor seul, masque blanc et bâton de berger sans ouailles à la main, s’inclinant à terre et vaticinant en lui-même. The hallowed chamber : musique pratiquement symphonique, résonnances d’une guitare étrangement sixties, une image fixe, nous sommes dans la chambre sacrée, un autel vide, derrière en trois grandes absides trois immenses statues de Dieux assyriens. Un semblant de rayon de lumière translucide se pose sur l’autel, apparition fantomatique d’une espèce de coffre en bois, l’arche aux livres secrets que vous ne lirez jamais.

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             J’avoue avoir été surpris, je m’attendais à feuilleter un amerloc comics  et j’ai déboulé dans un étrange recueil de poèmes, page de gauche le texte et le chant, page de droite le dessin-vidéo. Une version moderne et parallèle aux poétiques expériences et innocences des chants de William Blake.

             Il est évident que Rahne Pistor est à la tête d’un projet esthétique qui essaie de joindre la boursouflure américaine à la culture gothique européenne. Travaille le son et l’image dans le but de produire une œuvre totale  à la manière de Wagner. Il est regrettable qu’il n’ait pas trouvé son Louis II de Bavière ou un mirifique producteur hollywoodien pour permettre une éclosion épanouissante à grande échelle de cette démarche souveraine.

             Je me plais à délirer sur son nom : Rahne est le nom d’une de ces New Mutants créés par Marvel, sous le pelage du loup vous trouvez la licorne, à moins que sous la peau de la princesse ne gîte la bête obscure, dans les deux cas, il ne faut point se fier à l’apparence des choses.

    Exemple sous l’art pompier du dix-neuvième siècle se cachent quelques uns de nos grands peintres, il suffit de savoir regarder. Sous les tombes se trouvent les morts. Sur les tombes exulte la vie. Sachez inverser, ne serait-ce que par un salvateur réflexe de survie nietzschéenne, non pas vos valeurs, mais votre regard.

    Pistor se traduit par Pistolet. De pistolet à Sex Pistol le lien s’établit de lui-même. Je ne suppose en rien une dévotion particulière de notre héros avec la musique des Pistols. Peut-être oui. Peut-être non. Je n’en sais rien.  Mais je ne peux m’empêcher de penser à la manière dont l’apparition du groupe de Johnny Rotten et du mouvement punk a fracturé les représentations que l’idéologie dominante occidentale se faisait d’elle-même. Elle se croyait translucide comme la plus belle et la plus précieuse des perles. Les iroquoises pointues de la punkitude   lui ont rappelé qu’elle avait malheureusement la consistance rocailleuse de la coquille de l’huître. Quant à l’animal qui l’avait sécrétée leur divine merveille, tout comme la classe ouvrière produit les richesses dont elle ne profite guère, était-ce un hasard si elle offrait la même molle gluance  vitreuse et expectorale qu’un crachat…

    Le Bandcamp de The Sixth Chamber offrira au lecteur qui le désirerait de plus amples informations, ils y trouveront de roboratives nourritures. De nombreuses vidéos sur You Tube attendent les esprits curieux, sans doute serait-il préférable de les visionner dans l’ordre chronologique de leurs apparitions. Tâche peu aisée, j’en conviens. Ne pas dédaigner leur instagram non plus.

    Damie Chad.

     

    *

    Une couve entraperçue un millionième de seconde, j’ai marné pour la retrouver, la honte pour moi, un groupe français que je ne connais pas, moi qui vous chronique des formations de toute l’Europe de la Russie aux Etats-Unis, sur bandcamp je m’aperçois qu’ils ont déjà pas mal d’enregistrements à leur actif. En plus ils ont changé plusieurs fois d’équipages, ça tombe mal pour moi, avec cette semaine surchargée d’activités extra-rock’n’roll débilitantes et obligatoires, en écoutant par-ci par-là, je m’aperçois que c’est méchamment intéressant, musicalement parlant. Alors faites comme moi, sur French Metal Webzine les trois chroniques que Murderworks a consacrées à ce groupe vous aideront à y voir plus clair, pardoom plus sombre.

    Les Dieux s’acharnent contre moi, le disque que j’avais dans le collimateur… ne paraîtra que le 12 janvier 2024. Pas de panique, le deuxième morceau du vinyl blanc à venir est sorti depuis plusieurs semaines.

    BLUE PAIN

    MOURNING DAWN

    (Bandcamp ( piste numérique) -_15 / 11 / 2023)

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             Super artwork. Statue de sel surgie de l’écume de la mer. Rien à voir avec Vénus anadyomène ! Une espèce de figure de proue fossilisée juchée au tout devant de l’étrave d’une épave déjà engloutie par la mer. Figure du remords et du regret des jours qu’une main lasse égrène pour l’éternité.  

    Laurent Chaulet : guitar, vocals / Frédéric Pathé-Brassur ; guitars / Vincent Buisson : bass / Nicolas Joyeux : drums / Featuring : Déhà.

             Musique somptueuse, le morceau n’atteint pas les six minutes mais il semble durer une éternité comme s’ils avaient réussi à capturer le temps et à l’enfermer dans une bouteille… à la mer, une fois que vous vous y êtes entré vous n’en ressortirez plus. L’est bizarrement bâti comme une symphonie qui aurait pris pour parti de recycler le même thème sous trois mouvements. Vous entendez mais surtout vous voyez se former en vous l’impassible mouvement de vagues monstrueuses qui surviennent et se renouvellent sans cesse à tel point que la lenteur de la répétition vous plonge dans le lent tourbillon d’une immense violence. Il existe des ruptures dans ce titre qui agissent comme des courants contraires qui se conjuguent pour créer l’illusion d’un perpétuel renouvellement. Le vocal joue le rôle du vent dont chaque bourrasque alimente une tempête infinie qui ne semble s’apaiser que pour gagner en intensité. Une pure merveille.

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             Z’ont sorti une Official Vidéo, à l’image du morceau. N’ont pas fait le choix de la clinquance exceptionnelle. Filmé et mixé à bout portant. N’ont fait confiance qu’en eux-mêmes, qu’à la force de leur musique. Pas de prise d’ensemble. On serait tenté de dire qu’ils ont privilégié les instruments au dépend des musiciens, les mouvements des corps serrés au plus près aux brillances des attitudes, les doigts des musiciens et les bouches des vocalistes et surtout pas les personnes. Vous êtes dans la musique et non dans le groupe, vous voyez le morceau prendre forme sous vos yeux, se construire pour ainsi dire de lui-même. L’ensemble crée un effet hypnotique qui met en valeur la composition d’auto-engendrement de ce morceau qui renaît sans cesse de lui-même.

             Ne reste plus qu’à entendre la sortie de l’album The foam of despair  sur Aesthetic Death.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

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    Death, Sex and Rock’n’roll !

    1

             Le Chef allumait un Coronado lorsque je déboulai dans le local. Il me regarda avec surprise, j’étais incapable de parler, j’avais monté les quatorze étages en courant, je m’affalai sur une chaise devant le bureau :

              _ Agent Chad, vous devriez arrêter de fumer, c’est mauvais pour la santé, vous rendez-vous compte qu’au doux temps de Sparte, le Sénat vous aurait admonesté en public, un guerrier du SSR se doit à chaque seconde de sa vie être en pleine forme pour combattre les ennemis du rock‘n’roll, j’espère que cette entrée éhontée ne se renouvellera pas de sitôt.

             _ Chef, c’est terrible !

             _ Remettez-vous, agent Chad, je fume un Coronado, le monde peut s’écrouler, tant que je tiens un Coronado au bout de mes lèvres toute situation ne saurait être jugée de critique ou d’inquiétante !

             _ Chef, le service est attaqué, nous venons de perdre nos deux meilleurs agents et…

             _ Du calme Agent Chad, vous me semblez affolé ce matin, laissez-moi le temps d’allumer un Coronado et je vous écoute de mes deux oreilles…

    2

             Le Chef soupira profondément :

             _ Agent Chad Je me permettrai de qualifier ce que vous venez de me raconter de bizarre. Je pense que nous devons agir méthodiquement, commençons par déblayer le terrain. Laissez-moi faire, pendant ce temps, reprenez votre sang-froid.

             Le Chef alluma un Coronado. Sa main hésita entre les deux téléphones, il se décida pour le rouge :

             _ Allo l’Elysée, mais non espèce de jean-foutre, passez-moi le Président au plus vite, ah c’est vous, est-ce que vous ne seriez pas en train de nous jouer un sale tour de votre façon, tout cela pour ne pas nous renouveler notre subvention, pour 2024.

             _ Ce serait avec plaisir, nous le regrettons mais avec toutes ces rock-stars qui en juillet prochain décideront de parader aux Jeux Olympique, nous avons hélas trop besoin de vous pour les recevoir.

             Le Chef reposa le combiné tout en saisissant dans son tiroir un nouvel Coronado :

             _ Voyez-vous Agent Chad j’aurais tendance à le croire, faudra que je me tienne à ses côtés, non Monsieur le Président ce n’est pas Keith Richards qui vient vous saluer, c’est Mick Jagger, maintenant Agent Chad soyez fort, le prochain appel risque de rendre inutile la poursuite de notre affaire.

             Mon cœur se serra, d’une main ferme le Chef s’empara du téléphone noir :

             _ Allo douce amie, comment allez-vous… arrêtez de minauder je suis sûr que vous êtes en pleine forme, je ne voudrais pas vous faire perdre votre temps si précieux, deux de nos agents les plus importants ont disparu, est-ce que vous ne les auriez pas occis par hasard.

             _ Je crains de vous décevoir, pardonnez mon humour noir, non je ne me suis nullement intéressé à vos agents depuis la fin de notre aventure précédente, excusez-moi en tant que bienfaitrice de l’Humanité j’ai encore à abréger les souffrances de sept ou huit agonisants, à l’Hôpital Américain. Je vous embrasse.

             Le Chef me regarda d’un air sombre.

             _ Agent Chad, nous ouvrons notre enquête, pourriez-vous répéter tout ce que m’aviez confié tout à l’heure, prenez votre temps, le moindre détail anodin peut se révéler important, je vous écoute le temps d’allumer un Coronado.

    3

             L’histoire était incroyable. J’avais quitté le service à dix-neuf heures mes deux chiens sur les talons. A vingt-heures trente, nous arrivions à Provins. Molossa et Molossito aboyèrent lorsque je passais devant Le chat qui pêche un os à moelle. Un nom étrange pour un restaurant. J’avais compris. Une demi-heure plus tard nous étions en train de dévorer une superbe côte de bœuf accompagnée de frites pour moi et d’une garniture de tripes à la mode de Caen pour mes deux animals, comme j’aime à les appeler.

             La journée à cavaler chez les derniers disquaires parisiens avait été rude. Nous ne nous attardâmes pas, notre troisième dessert avalé nous filâmes droit à la maison. Les chiens bondirent sur le lit. Je vérifiai la fermeture de toutes les ouvertures de la villa et tirai avec soin les trois verrous de la porte blindée de ma chambre. Un agent du SSR n’a pas le droit d’être surpris durant son sommeil. Avec mes deux cabotos je ne craignais aucune surprise intempestive. Un quart d’heure plus tard nous dormions tous les trois comme des bienheureux.

             Lorsque je m’éveillai, les chiens n’étaient plus à mes côtés. Je n’en fus pas surpris, quand ils avaient trop chaud ils avaient l’habitude de se prélasser sur la descente de lit. Un lion sauvage que j’avais tué en Afrique dans un grand magasin d’une seule balle entre les deux yeux. Ils n’y étaient pas ! Sous le lit non plus, et les verrous de la porte étaient encore tirés. Malgré tout j’ai fouillé toutes les autres pièces de la maison, puis en désespoir de cause le jardinet dont le portait était encore fermé à clef. J’ai crié leurs noms aux quatre vents, j’ai tourné en voiture dans Provins, sui revenu à la maison vérifier une nouvelle fois toutes les cachettes possibles et impossibles…

    4

             _ Voilà Chef vous connaissez la suite…

    Le Chef se taisait. Son Coronado se consumait entre ses doigts, il hésitait à parler :

             _ Agent Chad, ne le prenez pas mal, est-ce que vous n’auriez pas un peu exagéré sur le white spirit dans votre resto, vous savez ce whisky un peu raide dont de temps en temps vous êtes friand, peut-être avez-vous oublié vos chiens là-bas…

             _ J’y suis passé par acquis de conscience avant de prendre la route de Paris, j’ai même vérifié la malle arrière de la voiture, non Chef hier soir j’ai été aussi sobre que le chameau du désert.

             _ Si je me hasarde, juste une hypothèse d’école comme disent les Jésuites, à évoquer une quatrième présence dans votre chambre, féminine, qui se serait levée de grand-matin et qui serait repartie en emmenant les chiens, qui tout compte fait dans son esprit seraient plus intéressants que vous…

             _ Non Chef, jamais Molossa ne l’aurait suivie, trop contente d’en être débarrassée si vite…

             Le Chef paraissait soucieux. Il alluma un Coronado. Puis un autre, puis un autre. Pour ma part je gambergeais Mes pauvres toutous, que devenaient-ils, que personne ne leur fasse de mal. Je serrai les poings dans mes poches sur mes Rafalos. Le contact du métal froid, me rassénéra. D’abord agir ! D’abord tuer ! Réfléchir ensuite !

             La figure du Chef s’illumina, il alluma un Coronado :

             _ Agent Chad, je suis heureux de vous voir reprendre du poil de la bête. Je n’ai que deux mots à prononcer : Action immédiate !

    5

             Nous descendîmes les escaliers à toute vitesse. Je me précipitai au milieu de la route pour arrêter une voiture. Le pékin freina et m’abreuva d’injures par sa vitre ouverte, le Chef était déjà assis à ses côtés :

             _ Agent Chad, débarrassez-moi de ce paltoquet, dépêchez-vous, nous sommes pressés.

    J’attrapai le gars par le colbac, lui collai un pruneau (sans armagnac) dans la boîte crânienne, le rejetais sur le trottoir tout en prenant sa place au volant. Nous roulâmes comme des fous, vers la bonne ville de Provins, j’empruntai la voie de gauche, ainsi vous n’avez pas à perdre de temps à dépasser les lambins de service, ceux qui vous voient débouler face à eux s’écartent instinctivement d’eux-mêmes.

    Coronado à la main, le Chef philosophait :

    _ Voyez-vous Agent Chad à ma grande surprise je sens poindre en moi une âme d’animaliste, tout cela par la faute de Molossa et Molossito, s’il le faut je suis prêt pour les sauver à supprimer la moitié de l’humanité dont le changement climatique n’a pas encore réussi à nous débarrasser.

    J’eus du mal à trouver une place de stationnement devant Le chat qui pêche un os à moelle, la rue était encombrée de camions de pompiers et de fourgons de police.

    A suivre…