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billy butler

  • CHRONIQUES DE POURPRE 626 : KR'TNT 626 : KEITH MOON / NICK WATERHOUSE / SAM COOMES / BILLY BUTLER / HOLLY GOLIGHTLY / ASHEN / ERIC HOBSBAWM / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 626

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    04 / 01 / 2024

     

    KEITH MOON / NICK WATERHOUSE

    SAM COOMES / BILLY BUTLER

    HOLLY GOLIGHTLY / ASHEN / ERIC HOBSBAWM

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 626

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    Wizards & True Stars

    - Fly me to the Moon

     

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             Le Moon The Loon qui traîne ici est une petite édition de poche fatiguée. Elle date de 1981. Elle a bien vécu sa vie de book et a sans doute fait rigoler sa palanquée de lecteurs. Keith Moon est généralement qualifié de lunatic dans la presse anglaise, mais le portrait qu’en fait Dougal Butler dans Moon the Loon: The Amazing Rock And Roll Life Of Keith Moon va bien au-delà du lunatic.

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    C’est l’équivalent littéraire de Las Vegas Parano, le trash-movie de Terry Gilliams : l’ouvrage nage en permanence dans les inondations de suites royales et des raz de marée d’outrages aux bonnes mœurs, dans des amas pharaoniques de giggles et dans du Monthy Pyton exponentiel. Contaminé par Moonie, Dougal devient un écrivain extrêmement drôle : il maîtrise l’art insensé de préparer le lecteur à l’imminence d’une catastrophe, celle qui germe dans le cerveau en surchauffe du prince des lunatics. Keith Moon et les Who ont incarné mieux que quiconque le mythe du rock’n’roll mayhem. S’ils ont su porter au pinacle l’esprit du sex and drugs and rock’n’roll mieux que tous les autres candidats au désastre, c’est parce qu’ils disposent d’un moteur que n’ont pas forcément les autres : l’humour. Mais un humour spécial, cet humour anglais dévastateur qui ne fait pas de quartier.

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             L’idéal pour accompagner cette lecture est de voir en parallèle le film de Jeff Stein, The Kids Are Alright. C’est une manière de combiner les plaisirs des sens, de joindre l’utile à l’agréable, de réunir le yin et le yang des Who, une manière de relancer le cœur battant du rock anglais, car les Who ne sont que ça. On redevient aussi dingue des Who qu’on l’était en 1965, quand passait à la radio «My Generation». Ça tombe bien, le film de Jeff Stein démarre sur «My Generation», bing bang ptoooff t’es baisé, Moonie tape au poignet cassé le haut du hit-hat, The ‘Hooo !, les rois du monde en jabots blancs, c’est ce que montre Stein dans son film, break de basse, roll over de Moonie, double grosse caisse, il bat déjà tout le freakout de London town et les ‘Hoooo cassent tout, bing bang ptooff ! Au bout de trois minutes, la messe du rock est dite. Les ‘Hoooo allaient déjà plus loin que tous les autres, et en matière de destroy, Townshend est un pionnier étincelant. Il était donc logique que Moonie développe sa propre succursale de destroy oh-boy. C’est ce que Dougal raconte.

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             À travers le bruit et la fureur du chaos prémédité, Dougal réussit à brosser un portrait de Moonie d’un réalisme sidérant. C’est tellement bien maîtrisé qu’on s’en effare au fil des pages. Pourquoi ? Bonne question ! Pourquoi accorderait-on le moindre crédit à ce mec qui détruit systématiquement ses chambres d’hôtels, ses vies de couple et ses voitures de luxe ? Dougal nous donne la réponse petit à petit : il fait remonter à la surface du tas de débris et de fumées un personnage incroyablement pur et drôle, juvénile et attachant, incapable de la moindre méchanceté, ni de la moindre vulgarité. Son camp, c’est Père Ubu et pas Hitler, son camp c’est Dada à la puissance 1000, c’est-à-dire Dada rock, il est le seul et unique fer de lance du Dada rock, avec Vivian Stanshall, qui, comme par hasard, sur le Pont des Arts, devient son copain et participe à quelques raids destroy, le plus connu étant l’épisode où, sanglés tous les deux dans des uniformes noirs de SS nazis, ils sont allés provoquer des vieux dans un asile. C’est la suite de Charlot, Moonie exploite exactement les mêmes travers, il fonce exactement dans le même tas. Il va mettre dix ans à se détruire et à casser sa pipe en bois, mais ces dix années comptent parmi les plus festives de l’histoire du rock. Ce sont ces dix années que raconte Dougal. Accroche ta ceinture.

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             Dougal est embauché par Moonie comme «chauffeur». Mais bien sûr, c’est du 24/24, il participe aux tournées, aux orgies et aux abus d’alcool et de dope. Et bien sûr à ce qu’il appelle les «jolly-ups». Il utilise tellement de slang dans son book qu’il donne à la fin trois pages de lexique. On est chez les ‘Hooo, et on parle le Shepherd Bush slang, dear boy. Et on joue le Shepherd Bush rock, comme l’indique Townshend dans le Stein movie : «Just musical sensationalism. We do something big on the stage. It’s just basic Shepherd Bush enjoyment.» Voilà sa définition des ‘Hooo sur scène. Et boom, «Can’t Explain», early ‘Hooo en noir et blanc, Moonie en cocarde, l’air ahuri, frappe sèche, wild rolls, il est précis et dingue à la fois, il décuple en permanence. L’art moderne, c’est Moonie. Tous les Dadaïstes savent ce que signifie précisément la notion d’art moderne. Tu réalises soudain que l’art moderne des ‘Hooo ne vieillira jamais.

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             Tiens, pour s’amuser un peu, on peut prendre un épisode au hasard : la tournée des Who avec The Herd en 1967. Le batteur des Herd est un vieux batteur qui joue avec un gong : «Le gong est là pour un effet dramatique, mais cet effet devient comique quand Moonie et Entwistle tirent sur les fils qu’ils ont attaché au gong au moment où le batteur gériatrique doit frapper dessus.» Dougal ajoute que lui, Moonie et Entwistle sont tellement pliés de rire qu’ils manquent de se casser la gueule du perchoir où ils sont postés pour tirer les fils. Ils n’en restent pas là. Pour le dernier concert de la tournée, ils installent des pétards avec des détonateurs électroniques sur l’orgue d’Andy Bown et son set ressemble, nous dit Dougal hilare, «plus à Pearl Harbour qu’à un Ava Gardner rock number.» C’est pas compliqué : tout le book est de ce niveau, avec une légère tendance à l’aggravation des dégâts. Dougal dit en gros que de 1967 à 1977, il a passé son temps à se fendre la gueule. Bien sûr, il parle aussi des autres ‘Hooo : «Quand il n’est pas en tournée, John Entwhistle se montre apte au calme, mais en tournée, stimulé par the magic ingredients, il peut sauter partout. Pete Townshend est plus enclin à la philosophie et peut communiquer avec des présences divines qui me restent invisibles, mais il est aussi capable de rivaliser avec Moonie pour le trône de King of Hotel Wreckers.»

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             Moonie fait tellement la fête qu’il est toujours en retard le matin quand il faut prendre l’avion pour le prochain concert. Le job de Dougal est de le rapatrier à temps. Il trouve Moonie à poil sur son lit - Je lui crie dessus, je le secoue, je le frappe, je le fais rouler, il finit par émerger. «Ah dear boy, what is the matter? What’s the time? Get me a brandy, there’s a good chap» - Moonie démarre le matin au cognac. Puis il réclame sa mallette à dope, exactement comme dans Las Vegas Parano. Il s’envoie une grosse poignée de pills dans le cornet puis il coiffe la toque avec les cornes de bison qu’il vient d’acheter chez Nudie’s, the western shop. Pas question d’aller nulle part sans les fucking buffalo horns - Las Vegas Parano suite - Aujourd’hui, Moonie démarre la journée ensommeillé et complètement à côté de ses pompes. Puis il se réveille et se conduit d’une façon étrange et même incohérente à ses propres yeux. Il parle par à-coups, il chante, il grogne. Il accélère soudain. Puis il retombe dans la stupeur. Finalement, le voilà plus ou moins habillé, coiffé de ses cornes de bison, on monte dans la limo et on fonce à l’aéroport - Bien sûr Moonie ne tient pas debout. Dougal le met dans un fauteuil roulant. Moonie pendouille d’un côté avec ses cornes de bison. Un mec lui lance  :

             — Hey Mr. Moon! How you’re doing man?

             — Ooooooooooarrrrrrhggggghhhh, replied Moonie.

             Dougal reproduit bien les répliques comateuses de Moonie. L’entrée dans cette salle de concert à San Francisco est extraordinairement drôle et destroy. Bien sûr, Moonie n’est pas en état de jouer. Sur scène, il ne joue pas à la bonne vitesse. Townshend se rapproche de lui et lance : «Play faster, you cunt. Faster!». Dougal sait qu’il doit trouver un toubib. Un mec accepte d’intervenir sur scène et de lui injecter une potion miracle dans les deux chevilles pendant qu’il joue. Okay, mais pendant l’injection, Moonie doit lâcher ses pédales de grosses caisses - Stop playing the fucking bass drums, lui crie Dougal qui s’est glissé à 4 pattes derrière la batterie. Le toubib et Dougal arrivent à faire les deux injections en même temps, et du coup Moonie repart de plus belle - He’s drumming such a storm that Townshend turns round and screams to him : ‘PLAY SLOWER, YOU CUNT, SLOWER! - À travers cette scène hilarante, on observe un détail qui n’est pas neutre : Dougal n’aime pas trop Townshend, d’ailleurs, il ajoute : «There’s no pleasing some people», ce qui peut vouloir dire : il y a des gens qui ne seront jamais contents.

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             Moonie est un fabuleux clown tragique, l’ultime clown tragique du rock. Il paye son art de sa vie. Son mode de fonctionnement est ce que les Anglais appellent the oblivion, une façon d’ignorer le réel en vivant à cent à l’heure. Alors Moonie vit l’oblivion à cent à l’heure.

             Dougal décrit une autre scène : Moonie réclame du liquide à une vieille dame qui tient un kiosque. Elle commence par lui lancer : «Êtes-vous le hooligan qui fait tout ce bruit dans les parages, jeune homme ?», et Moonie lui répond :

             — C’est moi, misérable vieille moutte ! Donne-moi some fucking money !» Et il sort son pistolet en plastique et le colle au nez de la vieille.

             — Arrrrrrgggggghhhhhh !, et elle tombe dans les pommes.

             Moonie, c’est ça en permanence, du délire au kilo-tonne, une pression de tous les instants dans un nuage d’alcool, de dope et d’inventivité à tout prix. Pour bien comprendre ce que ça signifie, le plus simple est de lire ce book. Moonie, c’est Dada rock à la puissance 1000.

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             Quand il veut un truc, il le lui faut tout de suite. On the spot, dit Dougal. Une Mercedes, une Rolls Corniche, une Lincoln Continental, un camion pour livrer le lait, et maintenant une Excalibur. Amusé, Dougal reconnaît à Moonie un réel manque de talent pour la conduite automobile. En plus, il a rarement son permis sur lui. Il collectionne bien sûr les crash, mais il s’en sort toujours sans dégâts corporels - But of couse, this is all part of Moonie’s practically miraculous ability to survive - Mais pour se payer l’Excalibur SS - une réplique of 1930’s Mercedes sports tourer, the kind of car, ajoute Dougal, that even Herman Goering would find a bit flash - Moonie doit sortir du cash, 40 000 $, chez un agent de change américain, Greenback & Schtum. Dougal accompagne Moonie dans l’immeuble de Greenback & Schtum. Une secrétaire dit que Greenback est en voyage, alors, Moonie cherche Schtum. Il cherche à sa façon, il ouvre toutes les portes des bureaux et aboie : «Schtum ?», jusqu’au moment où un mec lui répond «Yes ?». Et là, Moonie hurle : «Give me my fucking money !». Le mec essaye de lui expliquer qu’on ne peut pas sortir autant de cash sur le champ, alors Moonie monte en température : «Now, listen to me, you cunt. Je sais que toi et tes larbins en costards rayés avez 40 000 $ qui m’appartiennent, alors je suis venu les récupérer, va au coffre et file-moi mon blé, de préférence en billets bien neufs. Puis je partirai avant que tu aies pu dire : profits et pertes.» Ça tourne à l’apocalypse parce que le Schtum résiste encore, mais Moonie emploie les grands moyens, c’est du cirque dans la vie réelle et on se marre comme un bossu en lisant ces pages.

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             Bon, il achète l’Excalibur cash, mais elle ne dure pas longtemps, car il repère la légendaire Liberace Excalibur, encore plus flashy. Il se paye aussi l’AC Frua 428, une bombe dotée d’un moteur V8, mais comme Moonie roule dans les petites rues à 150 à l’heure, l’AC retourne vite au garage. Le plus souvent, c’est Dougal qui conduit, mais certains soirs, Moonie demande les clés, un moment que Dougal appréhende, car c’est un présage de «mechanised disaster». Et puis voilà l’épisode avec Ted et sa jambe de bois dans un local pub. Tout le monde picole au pub et Moonie propose à Ted de le ramener chez lui. Bien sûr, Ted refuse. Il préfère marcher. Mais on ne dit pas non à Moonie. Un Moonie, précise Dougal qui assiste à la scène, drunker than a skunk. Le véhicule cette fois est un Bucket T Street Rod, dont le moteur est encore plus gros que celui de l’AC 428. Tout est drôle dans ce book, même la démesure est drôle. Elle fait tellement partie du jeu. Alors Moonie met le contact. Vrooom vrroaaaaammm. Dougal dit que ça fait autant de bruit que le Concorde. Le moteur est en échappement libre. Ted est en alerte rouge. Dougal croit qu’il va sauter de la voiture, mais avant qu’il n’ait pu faire le moindre geste, Moonie enclenche le clutch - Le moteur est si puisant que la caisse se lève sur les roues arrière et vroaaaaaaarr, c’est parti à fond dans Chertsey High Street - Les hurlements du moteur sont à peine couverts par ceux de Ted - Dougal parle de banshee wailing, pour décrire les hurlements, ce qui n’est pas rien. Si Ted pousse des cris de banshee, c’est parce que sa jambe de bois s’est décrochée. Il la récupère au moment où Dougal s’aperçoit que Moonie roule du mauvais côté de la rue et qu’un camion arrive en face. On entend les crissements des freins du camion - Moonie of course is pissing himself with laughter et ne montre aucune intention de tourner le volant pour éviter la collision - Alors Ted frappe Moonie sur le crâne à coups de jambe de bois et Dougal décrit le bruit que ça fait : BOFF ! L’épisode est à hurler de rire. On ne se croirait pas dans un rock book, et pourtant si. Keith Moon, batteur des ‘Hooo.

             Retour au film. «Baba O’Riley», heavy beat, Townshend en mode power chords et l’extravagant rolling power de Moonie et ses coups de gong ! Et puis tu as les early ‘Hooo de «Shout & Shimmy», avec the Ox sur une Dan Electro, Moonie sur un drumkit simple - logo avec la flèche - et bien sûr, il bat le beurre de tous les diables.  

             Quand il est à Londres, Moonie traîne dans des clubs comme Tramp. Bien sûr, il se fout à poil juste avant d’entrer, et comme il s’appelle Keith Moon, on le laisse entrer à condition d’enfiler un calbut. Il l’enlève aussitôt entré, il repère Jagger à Bianca et file droit sur eux - «Hello my dears» - et comme la bite de Moonie traîne près des steaks, Jagger et Bianca se lèvent aussitôt et quittent la table. Dougal ajoute que la Bianca abreuve Moonie d’insultes. Il pense que Bianca is a very snotty lady, une morveuse, dirait-on par ici. En même temps, il reconnaît que ça ne doit pas être très agréable de voir traîner la bite de Moonie sur la table. Un appendice qu’il surnomme the Moon dong

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             «Young Man Blues», Townshend en combinaison blanche, heavy 70s, classic stuff, démembrement de Mose Allison - chant, puis gratte/Moonie, et voilà le «See Me Feel Me» emblématique, Townshed combi blanche et bête à cornes, et Moonie bouche ouverte. Puis la scène finale de Woodstock, lorsque Townshend jette sa bête à cornes pour l’offrir au public. The ‘Hooo.

             Dougal rappelle aussi un trait fondamental du caractère de Moonie : sa sympathie pour les clochards et les damnés de la terre. C’est même essentiel. Tiens, en voilà quatre dans la rue. Pas le droit d’entrer au pub voisin ? Pas de problème, les gars, suivez-moi. Droit au bar. Paf, Moonie sort l’oseille et commande une tournée of very large brandies. Quand le patron lui dit qu’après ça, il doit vider les lieux - I want you lot out, understand? - Dougal dit qu’il commet une TRÈS grave erreur - S’il avait su à qui il s’adressait, il aurait choisi de parler sur un autre ton - Moonie ne dit rien - Le pub est silencieux, et ça ressemble plus à une scène de western qu’une scène dans un pub anglais. Je vois soudain les yeux de Moonie briller. Il fixe le plateau où le patron place les verres qu’il va servir. Et quand le plateau est bien rempli de verres, Moonie le soulève et balance les verres dans le mur derrière le bar, les projectiles fracassent toutes les bouteilles et avec le plateau vide, Moonie frappe le patron sur le crâne, et ça fait DING ! - Instant chaos - Les clodos sautent et chantent. Le patron veut appeler les perdreaux. Moonie, c’est Robin des Bois.

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             Dans un hôtel, Moonie demande à Dougal de faire venir six masseuses pour faire la fête dans la chambre. Elles se foutent à poil, mais elles ne sont pas là pour baiser, Moonie veut faire la fête, alors il propose une bataille d’oreillers. Le champagne coule à flots, et Moonie essaye d’enfoncer les bouteilles vides dans le cul des masseuses, mais elles ne veulent pas. Alors Moonie propose un autre jeu. Il a un garde du corps nommé Isadore - Vous devez visualiser le contexte : il s’agit d’une chambre d’hôtel où tout est détruit, avec des plumes partout et des bouteilles de champagne vides. Le lit est écroulé, les rideaux sont en lambeaux, pas un seul meuble n’est entier, les filles sont à poil et couvertes de plumes, Moonie est aussi à poil mais sans plumes car rincé au champagne. C’est là que j’appelle Isadore dans sa chambre. ‘Isadore ?’ ‘Yeah? Dougal?’. ‘Écoute mec, tu devrais te lever et venir immédiatement. Moonie est hors de contrôle. Il est... Christ... Pour l’amour de Dieu, ramène-toi. Il a violé une femme de ménage. Je crois qu’elle est morte, man, il y a du sang qui coule de sa bouche. Et là, je commence à chialer, alors Isadore rapplique immédiatement. Il entre en trombe dans la chambre et découvre tout le bordel : la fille par terre, les jambes ouvertes, avec du ketchup plein la figure, Moonie recroquevillé dans un coin, se cognant la tête contre le mur et grognant, moi et cinq autres filles hystériques et en pleurs - Voilà le genre de coup que monte Moonie. Et chaque fois ça marche. 

             Dans un restau, Moonie fait venir 12 masseuses, leur demande d’enlever leurs knickers, de s’asseoir sur le comptoir et d’ouvrir les jambes. Alors il parle d’une voix de magicien au moment où il prépare son numéro : «Et maintenant pour votre délectation et votre plaisir, the one and only, the great, the astonishing, the astounding Moonio will perform his world famous multi-clitoral stimulation - before your very eyes and entirely without a safety net!». Puis il plonge dans la première beaver pie et titille le clito. Et il continue en allant de plus en plus vite. Les filles coopèrent in a most delightful manner

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             Jeff Stein mélange bien les époques. Après Woodstock, il revient au ramshakle d’«Anyway, Anyhow, Anywhere», Moonie en cocarde, freakout ! Puis «Substitute», dynamite !  et bien sûr c’est encore Moonie qui propulse le «Magic Bus». Et ça continue d’exploser au Rock Roll Circus avec «A Quick One While He’s Away», Moonie bombarde, the Ox bombarde, you are forgiven, Moonie bat à l’éperdue, il explose en gerbes de joie dionysiaque, il n’existe aucun batteur comparable à Moon the Loon. Absolument aucun.

             Moonie commence à faire du cinéma. Il est bon pour ça. C’est un acteur né. Le voilà sur le tournage de That’ll be The Day. Le réalisateur s’appelle Claude Whatham. Moonie joue le rôle du batteur des Stray Cats. Mais il trouve que l’ambiance est mauvaise sur le plateau. Alors il monte un coup. Il attend que Whatham demande le calme pour lancer sa première attaque. Soudain, dans la sono du plateau de tournage, une voix énorme annonce : «Les Allemands bombardent Neasden. Une bombe atomique va tomber sur Neasden. Courez immédiatement aux abris avec votre masque à gaz. Je répète...» Whatham hurle. Cut ! Cut ! Cut ! Il explose : «Find the loony ! Find the bastard !» Alors Moonie lance son deuxième raid : «N’essayez pas de me trouver. Je répète : N’essayez pas de me trouver. J’ai une mitraillette et je n’hésiterai pas à m’en servir. Je suis armé et très dangereux.» Whatham hurle de plus belle : «Trouvez-le ! Jesus-Christ, sortez-moi ce bâtard d’ici !». Alors Moonie envoie le troisième raid : «S’il y a des flics ici, sachez et que je fume un joint et que je me fais un shoot d’héro dans l’artère principale. Tous ceux qui jouent dans ce film ont la chtouille et des morpions. Chacun est prié de se rendre dans la clinique la plus proche. Toutes les filles de l’île de Wight sont des putes et elles vont enlever leurs knickers à la première occasion.» Whatham devient fou. Moonie continue : «Notez que Claude Whatham va être remplacé par un autre réalisateur. Un autre réalisateur est en route. On ne veut plus de Claude Whatham sur ce tournage parce qu’il encule le directeur de casting, ne niez pas, Claude, parce qu’on vous a vu. On vous a vu enculer le directeur de casting.» Quand on trouve enfin Moonie, tout ce qu’il trouve à dire, c’est qu’il a redonné vie à ce plateau de tournage.

             Sur le tournage de Stardust, Moonie refout le souk. La scène se déroule dans un restaurant, et soudain, il y a beaucoup d’animation. Stop the cameras !, crie le patron du restaurant. Car quelqu’un a modifié le menu affiché au mur sur la grande ardoise :

             — Fried Shit and Ships

             — Prunes and Piss

             — Bollocks on Toast

             «Inevitably, Moonie is absolutely convulsed with laughter and he can hardly stand up.»

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             Alors bien sûr, il faut voir ces deux films, That’ll Be The Day et Stardust, qui sont les deux parties d’une même histoire, celle de Jim MacLaine, interprété par David Essex. Le casting des deux films est somptueux, Ringo et Billy Fury jouent des rôles clés dans le premier, Adam Faith et Dave Edmunds dans le deuxième. Il existe une parenté entre ces deux films et Quadrophenia, car l’approche sociologique sonne juste : David Essex grandit dans un milieu working class (sa mère tient une petite épicerie et son père s’est fait la cerise). Il quitte l’école - Got enough of schooling school - pour aller zoner dans une station balnéaire - So I gave up, ran away and hitched to a roller-coaster ride in search of fish & chips & freedom - Il trouve une piaule - Two pounds ten in advance - et pour vivre, il loue des transats - I might finish up being the first British rock’n’roll deckchair selling millionaire tycoon - Il devient pote avec Ringo qui est effarant de justesse dans son rôle de Teddy boy. Et puis voici le moment de vérité : Whatman filme un groupe de rock dans une petite salle. Première apparition de Moonie au beurre derrière Stormy Tempest, interprété par l’effarant Billy Fury. On voit aussi Graham Bond au sax et certainement Manfred Mann aux keys. On voit aussi un concours de danse et Ringo fait un vrai numéro de cirque. Moonie aussi. La petite scène qu’il fait avec sa batterie vaut tout l’or du monde. Puis Jim MacLaine rentre chez sa mère, se marie et fait un gosse. Jusqu’au jour où, comme son père, il quitte sa femme, son fils et sa mère, qui n’est pas surprise. Il va s’acheter une guitare. C’est la fin du premier épisode. C’est bien de pouvoir revoir ce film, c’est l’un des grands classiques du ciné rock britannique.

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             L’idéal est de pouvoir enchaîner aussitôt avec Stardust. Jim McLaine a monté un groupe nommé Stray Cats (rien à voir avec les Stray Cats américains) avec Dave Edmunds, Moonie et deux autres mecs, et il demande à Mike Menary (l’excellent Adam Faith) de faire le road manager. Okay then, Adam Faith fait des prodiges : il finance un van plus confortable, il négocie un contrat avec un label boss interprété par Marty Wilde. Moonie fait des apparitions plus fréquentes, mais en tant que pitre, et il n’est pas aussi bon que Ringo. Il redevient le légendaire Moonie lorsqu’il bat le beurre de glam pour David Essex sur «You Kept Me Waiting» et là, on voit le beurreman physique extravagant. Magnifique plan rock. Puis on les voit en costards gris exploser la scène avec «Some Other Guy» et là tu vois Moonie battre les bras en l’air, les cheveux au vent, le groupe est #1 en Angleterre, alors Moonie bat le beurre du diable, il saute sur son tabouret, c’est un joli mélange Who/Beatles, et tout le film est monté sur le modèle de la Beatlemania, avec les girls qui hurlent et les poursuites dans la rue. Puis le groupe tombe dans les pattes d’un investisseur texan, Porter Lee Austin, et devient une grosse machine à fric. Adam Faith et le Texan misent tout sur David Essex, donc le groupe est viré. Il est arrivé la même chose à Elvis. David Essex va finir par s’isoler dans un spanish castle avec Adam Faith. Pour connaître la fin, il faut voir le film.

             Retour à Stein qui réussit à filmer les ‘Hooo en répète. Moonie chante «Barbara Ann» au chat perché, c’est un fan inconditionnel des Beach Boys et de Jan & Dean. Il porte la barbe taillée et un débardeur rayé rouge et blanc. Un journaliste lui demande de raconter la vérité. Moonie : «Tell the truth ? I can’t do that. You can’t afford me.»

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    ( Dougal  & Keith in 1977 )

             Dougal donne la clé de Moonie : «Observez bien ce mec. C’est une catastrophe ambulante. Il a un ego démesuré, complètement démesuré. Mais en plus de tout, ça, c’est un homme généreux qui a besoin d’un exutoire, et comme il ne trouve pas d’exutoire au sens conventionnel du terme, il explose all over the place into outrageous behaviour. Et dans la plupart des cas, je suis là pour ramasser les morceaux.» Voilà donc la clé de Moonie. Quand Dougal décide de quitter Moonie pour aller bosser avec Jeff Stein et devenir assistant réalisateur, ça se passe très mal. On arrive à la fin du book. Moonie commence par lui interdire de le quitter, puis il l’insulte et finit par le frapper. Dougal répond et envoie Moonie au tapis. Bing bang ptooof. Dougal parle d’un épisode traumatic. Sa décision est prise : il rentre à Londres avec Stein. Alors Moonie embauche Keith Allison pour le remplacer. Mais il reste attaché à Dougal. Peu de temps après, il envoie Keith Allison le chercher pour le faire monter dans la limo et tenter une dernière fois de le convaincre de rester à son service. Moonie commence par s’excuser. Puis, il lui propose 50 % de tout ce qu’il gagne, Dougal dit non. Alors Moonie chiale toutes les larmes de son corps. Te voilà très exactement au cœur de ce que Robert Wyatt appelait the rock bottom. La vulnérabilité.

             Moonie va casser sa pipe en bois un an plus tard. Bizarrement, les ‘Hooo vont continuer sans lui.

    Signé : Cazengler, Keith Mou

    Dougal Butler. Moon the Loon: The Amazing Rock And Roll Life Of Keith Moon. Star 1981

    Jeff Stein. The Kids Are Alright. DVD 2003

    Claude Whatham. That’ll Be The Day. DVD 2020

    Michael Apted. Stardust DVD 2019

     

    Bridge over troubled Waterhouse

     - Part Two

     

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             Sur la grande scène, l’an passé, Nick Waterhouse sortait le Grand Jeu : costard d’American corporate, section de cuivres, allure de Revue, un set taillé au cordeau, immensément pro, quasi-Daptone. Big showtime d’American showman. Par contre, dans cette petite salle havraise, il fait tout l’inverse : Nick tombe la veste, il se pointe en chemise blanche, petit fute de tergal et mocassins.

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    Et là, ça joue, sans doute plus qu’avec tout le bataclan de la grande scène. Il est fantastiquement accompagné, ça jazze sec et net au beurre, ça slappe au round midnite sur la stand-up, un petit gros keyboarde à babord, et un Texas guy gratte des contreforts à la Chet Atkins sur sa Gretsch.

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    Te voilà arrivé au royaume du groove, sans doute le meilleur groove blanc qui se puisse concevoir de nos jours. Le Nick te nique tout, il claque des gimmicks parcimonieux avec la sagesse d’un vieux blackos, il pose sa voix avec un talent surnaturel, ce mec bat tous les records du genre, il fait corps avec son groove, il se bat pied à pied avec toutes ses structures biscornues et coule au final un bronze magnifique, tu passes une grande heure au pied d’un artiste qu’il faut bien qualifier de parfait.

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             Nick Waterhouse est l’héritier direct de Roogalator, le groupe de Danny Adler qui fut l’un des groupes les plus excitants, à Londres, en 1976. Wow la gratte vert pailleté de Danny Adler ! Et l’héritier le plus direct de Nick est P.M. Warson qu’on eut la chance de voir dans la région l’été dernier, Warson dont l’idole n’est autre que James Hunter. Tous ces mecs ont des racines dans le funk et dans la mélodie, ils combinent un son qui n’est jamais putassier, ils maîtrisent la science exacte du groove black telle qu’on la trouve chez Leroy Hutson ou encore Al Green & the Hi Rhythm, un sens aigu du smooth et du rythme, eh oui, Nick Waterhouse cultive cette élégance. Il attaque son set avec «High Tiding», tiré d’Holly qui n’est pas son meilleur album, et boom il embraye sur «I Feel An Urge Coming On», groové sec dans les règles du lard fumé. Il tape dans tous ses albums, voilà qu’il tire ensuite «Santa Ana» de Promenade Blue, cet album qu’on avait trouvé si décevant.

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    Mais comme il tourne pour la promo de son petit dernier, il se montre assez insistant avec «(No) Commitment». Le cut qu’on a repéré sur The Fooler s’appelle «Late In The Garden», Nick le cale plus loin dans le set, on le repère immédiatement, car il le tape aux heavy chords de gaga angelino, c’est un heavy groove infesté de réverb et ce démon de Nick se met à sonner comme Thee Midnighters, un combo chicano quasi-mythique arraché jadis à l’oubli par Norton. Et là, tu réalises que tu as le vrai truc. L’autre gros cut du Fooler s’appelle «Hide & Seek», Nick le claque sur scène, il le prend en mode joli groove dansant, il fait la java bleue de Los Angeles et n’en finit plus de nous en boucher des coins. C’est dingue comme ce mec sait rebondir dans ses aventures.

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             Après l’affreux Promenade Blue, il revient en force avec l’excellentissime The Fooler.

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    Là, tu peux y aller les yeux fermés. On y retrouve ce cœur de set, «Late In The Garden», bien allumé aux heavy chords, c’est infesté de réverb, fantastique clin d’œil aux Midnighters - It’s a testament to all the grace & work - Pur genius. L’autre coup de maître s’appelle «Unreal Immaterial», attaqué en mode stomp. Incroyable rebondissement ! Les chœurs font «ships in bottles» et le sax chauffe ça hot. Ce genre de cut dépasse l’entendement. Wild as Nick ! Ça joue avec l’énergie du «Gloria» des Them, mais avec de la démesure. Le Nick rentre dans le chou du rap gaga and dry land lies. Il attaque ce bel album avec «Looking For A Place», un heavy groove de bonne fortune qu’il chante à la menace - You said/ You were looking fir a place - Et paf, il te passe le solo spatial de réverb dans la moiteur de la nuit. «Hide & Seek» fait partie du set, c’est un joli groove dansant, presque poppy poppah. Avec cette Beautiful Song, il fait la java bleue de Los Angeles. Il rehausse cette merveille de good time music d’espagnolades. Chez Nick tout n’est que luxe, calme et espagnolades. «Play To Win» fait aussi partie du set, encore un wild groove, du full blown Waterhousing. Ah il faut le voir groover son every gamble game ! Il y va au don’t you deal me a hand et ça swingue à coups de trompettes. Plus loin, on recroise l’excellent «It Was The Style», un heavy cha cha cha, il y ramène toute la prestance kitschy dont il est capable, il shake son ass off sur ce heavy groove de toréador. Il finit avec un «Plan For Leavin’» assez dylanex, très bizarre, très orienté, accompagné aux trompettes mariachi.

    Signé : Cazengler, Nick Water-closet

    Nick Waterhouse. Le Tétris. Le Havre (76). Le 15 novembre 2023

    Nick Waterhouse. The Fooler. Pres Records 2023

     

     

    L’avenir du rock

     - Sam Coomes is coming

     (Part One)

             Quand l’avenir du rock se fâche avec une copine, c’est qu’il a une idée derrière la tête. Il ne fait jamais rien gratuitement. S’il décide d’engager une embrouille, c’est à des fins très précises. Il faut bien le connaître pour comprendre. À ses yeux, la vie est un jeu qui peut s’apparenter à une partie d’échecs. S’il admire tant Marcel Duchamp, ce n’est pas un hasard. S’il admire tant l’adepte de Clausewitz que fut Guy Debord, ce n’est pas non plus un hasard. Dans un cas comme dans l’autre, les petites mécaniques mentales génèrent plus d’excitation que n’en générera jamais la pratique des vices. Tout joueur d’échecs sait cela. Tu n’avances pas tes pions impunément. Tu joues, tu perds, tu joues, tu gagnes, mais tu joues toujours, même si tu ne le sais pas. Prendre une décision, c’est une façon de déplacer un pion, c’est-à-dire un acte qui peut entraîner des conséquences. Mais les conséquences restent dans le jeu. La vie et la mort font partie du jeu. Tu nais, tu gagnes, tu meurs, tu perds, entre les deux, tu joues des coups, les coups que tu peux. On comprend qu’un être supérieurement intelligent comme le fut Marcel Duchamp ait pu être fasciné par les coups d’échecs. Au plus secret de sa vie intérieure, l’avenir du rock fomente de délicieux complots. Il voit très bien le moyen d’obtenir le mat en trois coups, il suffit de prendre le temps de le préparer. Premier coup : il boit l’apéro seul dans son coin avec le casque sur la tête. La copine s’énerve. «Tu te crois où ?». Deuxième coup : un peu plus tard dans la soirée, il sort et va passer la soirée en ville, sans donner aucune explication. La copine est sciée. Troisième coup : il rentre le matin à l’aube réveille brutalement toute la baraque en passant un album des Stooges, avec le volume de l’ampli à fond. La copine sort de la chambre, excédée. Elle ne lui demande même pas d’où il vient. Elle fait sa valise et annonce qu’elle se barre de cette baraque de dingue. Alors l’avenir du rock lui lance, avec un petit sourire en coin :

             — Baby Coomes back !

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             Il faut s’appeler l’avenir du rock pour oser des coups pareils. Et ça marche à tous les coups.  Sam Coomes serait ravi d’apprendre qu’il a servi les desseins de l’avenir du rock.

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             L’autre jour dans Mojo, Victoria Segal annonçait le grand retour de Quasi qui fut, t’en souvient-il, le fer de lance de la grande pop américaine des noughties avec les Guided et Yo La Tengo. Sam Coomes et Janet Weiss ont longtemps cassé la baraque avec des albums faramineux, et malgré tout ça, ils ne font toujours pas la une des magazines. Bon, une page dans Mojo, c’est mieux que rien, alors on ne va pas aller se plaindre.

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    ( Sleater Kinney )

             En dehors de Quasi, Sam Coomes accompagne maintenant Jon Spencer & The Hitmakers. Janet Weiss a battu le beurre dans Sleater Kinney jusqu’en 2019, et dans d’autres groupes encore plus underground. Ils ont tous les deux un parcours aventureux qui s’étend sur plus de 30 ans. Ils vivent tous les deux à Portland, Oregon, mais séparément. Ils savent qu’ils sont cultes, mais ils ne la ramènent pas. Sam Coomes : «A Lot of people escape our cult, or avoid it.» C’est sa façon d’en rigoler. Chaque fois qu’ils sortent un album, ils pensent qu’ils vont devenir énormes, mais heureusement, la gloire les épargne, ce qui permet à Sam Coomes de philosopher : «La musique tient plus de la quête spirituelle que du job ou de la carrière.» À la fin des années 80, au terme d’un concert de Donner Party, son premier groupe, Sam Coomes a rencontré Janet Weiss. Ils se sont mariés et installés à Portland, puis séparés en 1997. Mais ils ont su conserver le plus important : la musique, c’est-à-dire Quasi. Leur grandeur, nous dit la victorieuse Segal, est de savoir transformer «life’s bitterest twists into pop euphoria», devenant, ajoute-t-elle, «the cult band’s cult band». En plus de Sleater Kinney et de Quasi, Janet Weiss battait aussi le beurre dans Stephen Malkmus’s Jicks. Quasi accompagnait aussi Elliott Smith. Ils se sont toujours bien débrouillés pour rester au cœur d’une scène passionnante. Rien de plus intense qu’Elliott Smith et Stephen Malkmus ! Ils ont aussi accompagné, nous dit Segal, les Go-Betweens sur leur come-back album, The Friends Of Rachel Worth. Ça s’appelle un parcours prestigieux. 

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             Breaking The Balls Of History est donc le dixième album de Quasi. Au premier abord, l’album sonne un peu pop indé, mais comme Sam Coomes n’est pas avare de poudre de Perlimpinpin, il faut s’attendre à un bon régal. Première estocade avec «Queen Of Ears». Comme ce mec est bon, on lui lèche les bottes. Il ramène dans son Queen toute la modernité dont il est capable. En fait, la modernité est la botte secrète de Quasi. Puis l’album va commencer à grouiller de puces. Il te balaye la pop d’un revers de la main avec «Shitty Is Pretty», Sam Coomes fait la meilleure pop d’Amérique, une pop pleine de jus qui ne craint ni la mort ni le diable. Pur Coomes power ! Et ça repart de plus belle avec «Riots & Jokes». Janet Weiss lance cette horreur, les voilà au cul du bottom, c’est une pure décharge de printemps, Sam Coomes te travaille ça au shuffle explosif, personne n’est jamais allé aussi loin dans la prévalence de l’évanescence, les vagues de shuffle t’arrivent en pleine gueule comme des paquets de mer, et les descentes d’accords sont mirifiques ! Cette pop innervée flirte en permanence avec le génie. Et ça continue avec «Doomscrollers», heavy pop monumentale, drivée dans la fibre. Ah il faut les voir amener «Nowheresville» au petit pouet de Sam, avec le tatapoum de Janet juste derrière - Shoot-ouff-ouff/ Get it - Sam te roule ça dans sa farine. Cet album a une pêche qui donne à voir et qui donne surtout du fil aux rotors, quelle niaque, c’est du cosmic Coomes, et là tu as un killer solo flash à faire pâlir d’envie Jon Spencer. Ils tapent leur «Rotten Wrock» aux casseroles de la misère et bouclent avec «The Losers Win» qui élargit à l’extrême leur pop évangélique. Sam Coomes joue de l’orgue, mais ça prend une dimension universelle. Sam Coomes is coming ! Il veille à tout, il est bien plus puissant que Paul McCartney.    

             Signé : Cazengler, coomique

    Quasi. Breaking The Balls Of History. Sub Pop 2023

    Victoria Segal : Quasi fight back, again. Mojo # 352 - March 2023

     

    Inside the goldmine

     - Butler de rien

             Ballo venait d’un univers complètement différent, celui de la petite bourgeoisie de banlieue verte. On le sait, la banlieue verte et la banlieue rouge n’ont jamais fait bon ménage. Mais cette fois, il s’agissait de bosser ensemble. Comme on avait des clients en com ressources humaines dans les groupes bancaires, c’est Ballo qui allait au charbon pour assurer le suivi commercial. Fréquenter les DRH des groupes bancaires ne lui posait aucun problème : il venait exactement du même monde. Au café du lundi matin, Ballo racontait souvent qu’il avait passé le week-end dans un mariage de 200 personnes, et qu’il avait rempli un nouveau carnet d’adresses. Il ne fonctionnait que par réseautage et tous les gens qu’il fréquentait bossaient eux aussi dans le petit monde privilégié des tours de la Défense. Certainement pas à l’usine. À son expertise technico-commerciale, Ballo ajoutait celle des cravates. Il avait le visage très large, le cheveu coiffé et plaqué au gel, de grands yeux verts et une bouche pincée qui en disait plus sur son caractère que tout ce qu’il voulait bien nous confier. Ballo était en quelque sorte un modèle de conformisme et il ne ménageait pas ses efforts pour s’adapter aux rigueurs de notre fréquentation, on sentait en tous les cas que notre façon d’être ne le laissait pas indifférent. Il respectait surtout notre créativité, car elle était source de richesse. On le payait pour la vendre à des gens qu’on ne voulait pas fréquenter. Ballo en tirait un double avantage : d’une part, il éprouvait de la fierté à surprendre ses clients en les déroutant : le conformiste vendait de l’anticonformisme à des conformistes, et comme ça marchait à tous les coups, il en redemandait. Et d’autre part, il s’enrichissait rapidement, car il savait parfaitement bien gérer un effet boule de neige. En quelques années, cette relation extrêmement mal embouchée devint objet de fierté, car basée sur le respect mutuel, ce qui n’est pas si courant dans ce monde de brutes qu’est le monde des affaires.

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             Pendant que Ballo vendait du vent, Billy charmait sa muse à Chicago. Vu d’avion, c’est exactement le même travail de fourmi. Ballo et Billy méritent tous les deux qu’on leur consacre un peu de temps et qu’on leur rende hommage. On a découvert Billy Butler dans une extraordinaire compile Chicago Soul, The Class Of Mayfield High, le Mayfield en question était bien sûr Curtis Mayfield. Une compile Kent lui rend aussi hommage : The Right Tracks. The Complete Okeh Recordings 1963-1966. C’est bien sûr Tony Rounce qui prend Billy en charge.

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             Comme le faisait si justement remarquer Hank Williams Jr, ce n’est jamais facile de faire carrière dans l’ombre d’un very famous one. Billy Butler est le petit frère du Soul icon Jerry Butler. Billy nous dit Rounce avait la chance d’être un chanteur et un guitariste talentueux, et la malchance de vouloir entamer une carrière alors que son grand frère était à l’apogée de la sienne.  Rounce va loin lorsqu’il affirme que le petit Billy a fait some of the best Soul records ever, sous la haute autorité de géants comme Carl Davis, Curtis Mayfield et Gerald Sims. Comme chacun sait, Jerry Butler fit carrière avec The Impressions et Billy n’avait que 13 ans quand Jerry connut la gloire avec «For Your Precious Love». Carl Davis signe Billy & The Four Enchanters en 1963 sur OKeh. Pour leur première session, Billy et ses amis enregistrent «Does It Matter», un cut chouchouté par les fans de Northern Soul, mais Rounce a un faible pour «Found True Love», qui ouvre le bal de la compile. On a là une big Soul primitive avec des harmonies vocales de rêve. Globalement, Billy fait une Soul de doo-wop. Rounce prend de l’élan pour déclarer qu’avec «The Monkey Time» de Major Lance et l’«It’s All Right» des Impressions, «Found True Love» constitue le trio de choc du «Chicago Soul’s golden era». Puis, comme il fait habituellement, Rounce nous ennuie avec ses chipoti-chipotas de découvreur de bandes inédites, ce qui fait qu’on se retrouve avec des doublons («Found True Love», «Does It Matter» et «Lady Love»). Lors d’une deuxième session, Billy et ses amis enregistrent «Fighting A Losing Battle», un autre cut chouchouté par Rounce. Il n’empêche que le résultat n’est pas très probant : un an de contrat et toujours pas de hits. Carl Davis renouvelle quand même le contrat du jeune Billy qui repart à l’assaut du ciel avec une compo de Curtis Mayfield, «Gotta Get Away». En 1964, il enregistre une autre compo de Papa Curtis, «Nevertheless», un solide r’n’b de yeah yeah I love you, Billy arrose de ses chunky guitar chords, mais c’est encore un flop. Lors de la même session, il met en boîte «Tomorrow Is Another Day», la Soul de la miséricorde. Et c’est en 1965 que Billy enregistre ses deux plus grands hits, «Right Track» et «Boston Monkey» que Rounce qualifie de dance floor classics. Il a raison le Rounce, Billy devient the king of it all avec son «Right Track», pur genius d’I believe - I believe I’m on the right track - Même magie avec «Boston Monkey», the Major Lance’s compulsive dance workout. Impossible de rester assis. C’est Dave Godin et son Soul City label qui font connaître le fabuleux «Right Track» en Angleterre. Godin envisage de sortir l’album du même nom paru sur OKeh, mais son label coule. Carl Davis quitte OKeh et le contrat de Billy prend fin. Davis est nommé big boss de Brunswick à Chicago et remonte une nouvelle équipe. Billy le rejoint. Mais le temps de la belle Soul de doo-wop est révolu. Le pauvre Billy rentre dans le rang.  

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             En 1973 paraît un album de Billy Butler & Infinity, Hung On You. Big album - How should I start this conversation ? - Billy t’explose la conversation dès «I’m So Hung Up On You». C’est extrême, il pousse la Soul dans le dos pour qu’elle avance plus vite, il explose les cadences de sex on you. «I Don’t Want To Love You» tombe du ciel. Il fait de la heavy Soul de charme chaud. Billy est un Brother intense, il tartine la Soul à l’infini. Il a derrière lui des chœurs de folles, on les entend bien dans «Whatever’s Fair», puis il fait claquer l’orage dans «Storm», Billy l’attaque au heavy groove, comme dans «Season Of The Witch». C’est saturé de feeling, ça groove sous les éclairs. «Free Yourself» ? Wild as fuck. Tu comprends pourquoi Billy est recherché. Il éclate ensuite «Dip Dip I’ve Got My Hands Full» au Sénégal, c’est énorme car bien fondé - I’ve got my hands full/ Of you - Il groove le heavy r’n’b. Il va chercher les grosses orchestrations pour donner du poids à «Now You Know» et là il s’envole par-dessus les toits - I’m on your side - Billy est puissant, il peut aller très loin. Il t’allume encore la chaudière avec «You Can’t Always Tell», il est le crack des cracks, il te fait du pur jus de wild r’n’b.

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             Paru pourtant sur Curtom en 1977, Sugar Candy Lady n’est pas l’album du siècle. Billy y propose une Soul de satin jaune curtomisée. Dans «I Know The Feeling Well», des petites gonzesses chantent get yourself together en chœur. Billy se la coule douce et va danser un petit coup avec «Play My Music». Il sait gérer son destin. Il fait de la belle Soul («Feel The Magic»), mais sans magie. Pourtant tout est là : les violons, le beat, les chœurs, la wah. Encore du très beau satin jaune avec «Alone At Last (Pt1 & 2)», il est dans l’énergie de Marvin, avec de très beaux arrangements orchestraux. Il tente sa chance jusqu’au bout de la B avec «My Love For You Grows». Il a raison. Billy a du talent.

    Signé : Cazengler, chat botlé

    Billy Butler. Billy Butler & Infinity. Hung On You. Pride 1973 

    Billy Butler. Sugar Candy Lady. Curtom 1977

    Billy Butler. The Right Tracks. The Complete Okeh Recordings 1963-1966. Kent Soul 2007

     

     

    Holly ne met pas le hola

     - Part Two

     

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             Fraîchement émoulue de l’Institut Supérieur de Formation du Garage Britannique (Thee Headcoatees), Holly s’est lancée dans une carrière solo. Elle jouait sur du velours car deux labels prestigieux la soutenaient : Damaged Goods en Grande-Bretagne et Sympathy For The Record Industry aux États-Unis. Quand on a des atouts comme ceux-là en main, la partie est gagnée d’avance. D’autant qu’Holly a basé sa légende sur une autre légende, celle de Breakfast At Tiffany’s, l’extraordinaire nouvelle de Truman Capote porté à l’écran par Blake Edwards au début des sixties. Bon nombre de jeunes coqs tombèrent sous le charme d’Audrey Hepburn qui campe à merveille le rôle d’Holly. Ah, il faut voir Audrey chanter « Moon River » assise la nuit sur le rebord de sa fenêtre : pur moment de magie. Et tout l’art d’Holly l’Anglaise vient de là, de ce pur moment de bonheur cinématographique.

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             Elle entame sa carrière solo en 1995 avec The Good Things qui reste bien dans la lignée des prestigieux albums des Headcoatees. Ouverture de balda avec un « Virtually Happy » monté sur un beat tribal de Bruce Brand. Pure présence apostolique ! Le garage d’Holly reste à la fois très vinaigré et très Shangri-La. Elle enchaîne avec un « Listen » chanté du nez. On sent qu’elle brigue la couronne, et que chaque morceau est dûment réfléchi, pesé et soupesé. Belle énormité que ce « Comedy True » rampé sur le pavé. Fantastique car progressif dans la charge de trash-guitar. Ce cut fait partie des hauts lieux d’Holly. Elle frise le génie avec un « Without You » monté sur un riff très violent. Elle tape là l’un des gagas les plus explosifs d’Angleterre. Ça riffe à outrance, on se croirait presque chez les Troggs, les Kinks et tous les autres, c’est trash explosif à l’état le plus pur. Le guitar slinger s’appelle Ed Shadoogie. Le dernier big time de l’album s’appelle « Every Word », ambitieux et cavaleur, revisité par ce démon d’Ed Shadoogie. Et voilà le travail. Sur chacun des (nombreux) albums d’Holly vont se nicher systématiquement deux ou trois merveilles. Il n’est donc pas question d’en rater un, car quand on a commencé à goûter aux charmes de « Without You », on souhaite voir la suite. 

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             Un an plus tard paraît The Main Attraction. Comme prévu, deux bombes s’y nichent. À commencer par « So Far Up There », de type gaga insidieux. Voilà qu’Holly traîne dans les caniveaux. Il ne faut ni l’approcher ni lui faire confiance. Elle n’est rien d’autre qu’une traînée des faubourgs, l’une des pires, celle qui chante du nez, une sale petite garce vénéneuse. Elle sort là une pure merveille de malveillance. L’autre bombe s’appelle « King Of Everything », amené comme un hit des Walker Brothers. Holly coule là un fantastique bronze d’extrapolation du mythe sixties - You’re the king of everything and I belong to you - Tout est joué à la basse. On trouve deux autre cuts magistraux sur The Main Attraction, « I Thought Wrong » (qui sonne comme du Velvet, insistant et vénéneux) et « If I Should Ever Leave » (qu’elle chante comme un Dylan tombé dans la lessiveuse, tout est poussé dans les retranchements, même l’orchestration, et ça donne un cut étonnant de ferveur incongrue).

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             On trouve un joli duo d’antho à Toto sur Laugh It Up, paru en 1996 : il s’agit d’une reprise du « Sand » de Lee Hazlewood chanté en duo avec Brian Nevill. On sent bien qu’après le carnage des Headcoatees, Holly aspire à plus de charité chrétienne. Alors elle tape dans le boogie de Big Dix à deux reprises, d’abord avec « Mellow Down Easy », joué à la bonne insistance de Toe Rag et sablé comme chez Ike, et avec le cut final, « Hold Me Baby » dont certains passages de guitares renvoient aux early Stones. On se régale de « Don’t Lie To Me », véritablement hanté par un solo trash d’une effroyable saleté sonique. Elle tape dans Ike en B avec « Troubles On My Mind » qu’elle prend au douceâtre angélique et elle humilie un mec avec « You Ain’t No Big Thing Baby ». Les albums d’Holly sont tous passionnants.      

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             Elle enregistre Painted On l’année suivante. En plus de Bruce Brand, on aperçoit Brian Nevill et Dan Melchior dans le studio de Liam Watson. Elle attaque avec « Run Cold », un groove de suburb classique qui sent bon la négligence féminine, un fumet que Napoléon Bonaparte appréciait particulièrement. Mais on sent qu’Holly s’éparpille un peu au fil des cuts : elle va du bastringue de bord de fleuve au heavy balladif peu déterminant, en passant par la country de pacotille. Avec « A Lenght Of Pipe », elle danse devant son juke. Elle inaugure un genre nouveau, le beat des antiquaires avec « Snake Eyed » qui sonne comme un fracas de vieilles casseroles ternies et poussiéreuses, mais elle y trouve une sorte de dynamique ancienne.

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             Elle redresse un peu la barre avec Up The Empire l’année suivante. Dan Melchior et Brian Nevill l’accompagne sur la scène de l’Empire Ballroom, Bridgetown’s premier nightspot. Deux belles choses sur ce petit disque sans prétention : « Trouble On My Mind », merveilleux hit de juke, juste de ton, vrillé par un solo énorme, et « Believe Me », tapé à la ramasse par Brian Nevill et qui sonne comme un groove des bas-fonds londoniens. Il règne une très belle ambiance sur cette petite scène. On se régale aussi d’une belle version de « Big Boss Man », d’un « Look For Me Baby » bien chaud et bien ouvragé, et d’une reprise de « It’s All Over Now » bien senti. Concert de rock anglais classique des années 90. Avec cet album, on atteint le cœur de l’underground britannique le plus magique.

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             Holly semble atteindre une sorte de vitesse de croisière avec Serial Girlfriend. Elle démarre en trombe avec « I Can’t Be Twisted », pur gaga brut de Brit tiré de l’avant. Arrive un solo fatidique, du pur jus de modernité classique, furibard et dément, encore pire que le solo de « Bird Doggin’ ». On trouve un autre killer solo sur « Down Down Down », battu au fond du bois de Toe Rag par Brian Nevill et arrosé de sauce sixties. Holly adore ces ambiances moody des clubs de Soho finement parfumés dandysme. Et soudain le solo surgit ! Voilà le secret d’Holly, elle peut rameuter le pire killer solo flash de l’histoire du rock anglais. On ne sait pas qui de Dan Melchior, Bruce Brand, Ed Deegan ou George Sueret passe le killer solo, mais on s’en fout. Puis elle s’éparpille avec les autres titres, passant de la petite rumba cacochyme (« Want No Other ») au heavy blues (« Come The Day ») en passant par la BO d’anticipation merveilleusement cinéphilique (« Serial Girlfriend »). L’ultime gros cut de l’album est « Til I Get », violent, noyé de son, et demented. On s’en repaît, d’autant qu’Holly fait sa gothique à la marée montante.

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             Elle revient se jeter dans les bras de Wild Billy Childish pour enregistrer cet album fabuleux qu’est In Blood. Dans ses notes de pochette, Billy annonce : « This album uses one chord ! And it’s simple and dumb ! ». Pour lui, trois accords c’est beaucoup trop. On peut garer le gaga sur un seul accord, et il le prouve avec le stomp rural de « Step Out ». Ces deux-là taillent bien la route. Le rock anglais leur doit une fière chandelle. Le jeu de gratte de Billy compte parmi les plus radicaux de l’échiquier politique. C’est un bretteur exemplaire. Ils enchaînent avec un morceau titre bien secoué du cocotier. Dans ses notes, Billy donne une extraordinaire leçon de morale et il va même jusqu’à prophétiser : « The future belongs to the glorious amateur ! One chord, one song, one sound ! ». Ils ramonent la cheminée du rock. Attention à « Demolition Girl » : c’est un vieux beat turgescent à la Pretties, monstrueux d’allant et complètement dévastateur, une vraie saleté endémique. Billy s’énerve, il secoue la tête en jivant son tintouin, c’est d’autant plus violent que c’est cadencé - Demolition baby ! - Billy et Holly mériteraient de passer la nuit dans le grand lit royal du palais de Buckhingham. Il faut l’entendre tirer ses morves de solo. Encore du British Beat d’excelsior avec « You Move Me », puis Holly s’en va foutre le souk dans la médina avec « It’s Natural Fact ». Elle y fait sa Bessie Smith, et là, ça prend une tournure énorme, car elle glisse. Nous voilà plongés dans les conditions optimales du rock anglais, avec une Holly qui nasille sur un groove de jazz contrebalancé au riff-raff. Rock genius à l’état pur. Tout aussi terrifiant, voilà « I’m The Robber », monté sur un vieux beat connu comme le loup blanc - It’s a hold up ! Hold up your arms ! - Coups d’harp par dessus, ils sont complètement dingues. Et ils bouclent In Blood avec « Hold Me ». Coups d’harp et brandy brash au comptoir. Quelle leçon !

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             Holly s’est fait peindre le portrait pour God Don’t Like It paru en l’an 2000. C’est un album moyen. On y trouve deux beaux cuts d’antho à Toto, à commencer par « I Hear You », qui est amené au petit groove de fête foraine. Dan Melchior y joue de la guitare fantôme et crée une présence fantastique. Ça groove à la racine du mythe. Il faut ensuite attendre « Second Place » pour renouer avec le gaga gagnant et plombé de fuzz. Holly chante d’autorité et ça donne un nouveau joyau pour la couronne de l’Underground Britannique. Qui saura dire l’éclat interplanétaire d’Holly ? Puis elle fait exactement comme sur les autres albums, elle s’éparpille. Elle tape dans le tintouin bluesy avec « I Don’t Know » et ça nasille au fond du fond. Son « Nothing You Can Say » est un groove de nez pincé joué à la stand-up amateur. Elle boucle avec un petit coup d’excitation final, « Use Me », chanté en mode amateur, comme ces girl-groups qui ne savaient pas chanter, mais leur candeur finira par s’imposer sous les lampions de la postérité.

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             Elle enregistre Desperate Little Town en 2001 avec Dan Melchior. Attention, c’est bardé d’énormités. Ils attaquent avec « Directly From My Heart » dans une fantastique ambiance à la Little Richard, avec un claqué d’accords poussiéreux. Extraordinaire ! On sent le génie gaga galeux de Dan Melchior. Sur « I’ll Follow Her », Dan chante comme un démon. Il gratte son vieux débris de dobro. Il gratte un blues d’élégance suprême. Et ça continue avec « Why Don’t You Love Me », et un retour sur le sentier de la guerre. Sacré Dan, quel fouteur de souk ! Il peut raser une ville tout seul. On passe au gaga gavé avec « Lifering ». Dan Melchior a le diable au corps. La pauvre Holly suit en tirant la langue. Dan se livre à un fantastique battage d’accords et le double de tortillettes de slide. Écoutez Dan Melchior les gars, c’est lui le king of the kong, le grimpé du sommet, celui qui chope les biplans pour les broyer. Quel gaga God ! Dan revient sonner les cloches du gaga gold avec le morceau titre. Il sort toujours ces petits riffs dont on raffole. On sent bien que ce mec ne vit que pour ça. Il ne mégote pas. Il faut aussi écouter « Don’t Pass The Hat Around », un heavy blues tamisard. Toute la mud coule des doigts de Dan la bête. En plus, c’est signé Tony McPhee.

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             S’il ne fallait conserver qu’un seul album de ce personnage faramineux qu’est Holly, ce serait sans le moindre doute le Singles Round-Up paru en 2001. Sur les 24 titres compilés, on a 12 bombes. Elle attaque avec « Virtually Happy », amené comme une grosse purge de gaga grind. Elle tient bien son rang de gaga Queen et chante d’une voix incroyablement pointue, d’un pointu qui frise la délinquance. Ça sonne comme un hit sixties, mais avec le poids d’une voix en plus. « No Big Thing » est aussi un énorme hit garage - You ain’t no big thing baby ! - Pure perle rare de gaga galvaudé. Le festival se poursuit avec « My Own Sake » épais et groovy, si épais que ça devient irrespirablement génial. Elle prend aussi « Til I Get » à la violence des bas-fonds, c’est aussi furieusement embarqué qu’un vieux hit des Pretties. « Waiting Room » sonne comme le meilleur gaga gogol. Elle chante d’une voix de gras double et pèse sur ses accents avec mauvaiseté, puis elle se hisse au sommet des explosions. Tout est roulé dans une farine de fuzz. Encore un hit de juke avec « I Can Be Trusted », vrillé d’un wild killer solo flash. Sur cette compile, tout est bon, il n’y a rien à jeter. Encore un hit avec « No Hope Bar » qu’elle gère à la meilleure embardée qui soit. Tiens, encore une extravagance avec « In You », shootée de solos intraveineux, c’est dingue, et même affolant de son sale et de proto-souffle d’audace. Elle reste dans le hard beat avec « Believe #2 » chargé de son à ras-bord et vrillé par l’un des meilleurs killer solos de l’histoire du kill kill kill. Il s’appelle Ed Deegan, c’est un redoutable interventionniste. Elle ondule des hanches sur « Too Late Now » et chante d’une voix trempée comme l’acier, puis elle tape le « Sand » de Lee Hazlewood en duo avec Max Décharné. C’est Dan Melchior qui reprend l’« Your Love Is Mine » d’Ike avec elle. Ils forment un couple rempli de hargne atrocement malveillante. Dan Melchior prend le lead sur « Laughing To Keep From Crying ». Il peut chanter comme un bluesman borgne de cabane et Holly le rejoint à l’unisson du saucisson. Sacré Dan, il sait lui aussi rester en alerte rouge. On aurait aimé qu’Holly fasse ses Brokeoffs avec lui plutôt qu’avec Lawyer Dave. Puis elle duette avec son vieux compagnon de route Bruce Brand sur un « Listen » admirable de bassmatic. Le dernier cut de cette superbe compile est une reprise de Pavement, « Box Elder » qu’elle explose dans les règles du lard fumant. Ça lui va comme un gant. Elle règne sur son empire.

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             Truly She Is None Other est probablement l’album d’Holly le plus connu. C’est aussi à l’occasion de sa parution en 2003 qu’elle vint jouer à Paris, au Café de la Danse. Pas mal de très bons cuts sur cet album, à commencer par le fameux « Walk A Mile » - Walk a mile in my shoes - pur dandysme écarlate de cramoisi, comme sur la pochette. Holly brode ça à l’or fin. Elle enchaîne avec « All Around The Houses », un petit groove rantanplan qui tournicote autour des maisons. L’indomptable Sir Bald Diddley joue là-dessus et ça s’entend dans le secret des tornades. Quelle magnifique ambiance ! Joli coup de British Beat avec « Time Will Tell », bien tapé par l’ineffable Bruce Bash Brand. Voilà du bon garage anglais sur deux accords bien décidés. Holly adore se secouer le popotin sur du vieux jive de juke, en souvenir du temps béni des Headcoatees. Encore une pièce de choix avec « It’s All Me » groovité aux guitares lumineuses, d’une exemplarité sans pareil. On croise plus loin « You Have Yet To Win », un classique de twisted jukebox. Holly sait traiter la chose à l’ancienne. Il faut entendre ces claqués de guitare infectueux, ce violent solo et l’esbroufe des clap-hands. Et Sir Bald touille bien la braise. Ah le bougre ! 

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             Down Gina’s At 3 fait partie des très grands albums live de l’histoire du rock. Tout est bon là-dessus. Bruce Brand et deux membres des Greenhornes accompagnent Holly : Jack Lawrence et Eric Stein. Ça commence vraiment à chauffer avec « Lenght Of Pipe », drivé au bassmatic. Quand tu as un mec comme Jack Lawrence à la basse, ça s’entend. Il sait groover. Eric Stein passe un killer solo furibard. Elle tape ensuite dans le beau « Walk A Mile »  de l’album précédent. Plus loin, elle bascule dans l’heavy blues avec « Further On Up The Road » et on revient au gaga gut avec « Won’t You Got Out ». Jack Lawrence joue ça à la mortadelle du petit cheval, il nous swingue ça à la barbaresque. Voilà comment on joue le gaga gold : au swing, comme le jouaient les Groovies. Killer solo d’Eric le viking. On notera la violence de la montée dans « Nothing You Can Say », digne des pires tensions de la Guerre Froide. On tape là dans l’inexorable. Derrière Eric et Holly, Jack Lawrence et Bruce Brand veillent au grain du grind. Quel gang ! Ça explose d’un côté et Jack Lawrence reste de marbre. On revient aux Headcoatees avec « No Big Thing ». Admirable ! On se croirait dans un album de rêve. Et ça continue comme ça jusqu’au bout avec « Run Cold » gros gaga-mambo de Londres qu’ils font rissoler à coups de killer solos, et « Shot Down Explosion », dans une version définitive. Boom ! Ça explose.

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             Slowly But Surely est le dernier album qu’elle enregistre en tant qu’Holly. The Bongolian vient donner u petit coup de main au shuffle. Holly jazze « My Love » jusqu’à l’oss de l’ass. Elle bénéficie d’un joli son de stand-up, rond et profond, et même carrément vulvique - My love is a deep blue sea - Avec « Dear John » on comprend qu’Holly prend une direction plus rootsy. Elle s’intéresse aux racines de l’Americana, ce qui est parfaitement absurde, de la part d’une Anglaise aussi anglaise qu’elle. Elle revient heureusement au gaga guilleret avec « In Your Head », arrosé de piano gadget par le petit Nasser Bouzida. Holly retrouve ses marques dans le bon vieux gaga gig à la noix de coco, mais prise entre deux feux : le balancement des hanches et le solo trash. Elle renoue avec le succès et sauve un album assez mal embouché, mal foutu et mal pensé. Plus loin, elle chante « Through Sun & Wine » avec la voix de Vanessa Paradis. C’est horrible de candeur factice. C’est vrai qu’il faut faire l’effort d’entrer dans sa cuisine remplie de petites boîtes à sucre en fer, car ça permet de bien apprécier sa version d’« All Grown Up », d’autant que c’est bardé de solos joués à l’élastique. Encore une jolie pièce avec un « Won’t Come Between » noyé d’orgue. Holly ne fait pas n’importe quoi.

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             On trouve pas mal de hits de juke sur My First Holly Golightly Album, à commencer par « Wherever You Were » chanté au petit sucre. Holly est vénéneuse. Son cut est à la fois terrible de tenue et choquant d’irrévérence. On retrouve l’excellent « You Ain’t A Big thing ». Son « Won’t Go Out » sonne comme une vieux rumble de gaga grivois et une stand-up embarque « Nothing You Can Say ». On se régale de « Further Up The Road » joué au boogie insistant et de « Run Cold » dégoulinant de décadence. Elle tape plus loin un « My Love Is » superbe de stand-up motion et chanté d’une voix de rêve - My love for you is a mountain ride - On rêve tous d’avoir une poule qui nous dise des choses comme ça.

             On voit la suite dans un Part Three.

    Signé : Cazengler, Holy shit !

    Holly Golightly. The Good Things. Damaged Goods 1995

    Holly Golightly. The Main Attraction. Damaged Goods 1996

    Holly Golightly. Laugh It Up. Vinyl Japan 1996     

    Holly Golightly. Painted On. Sympathy For The Record Industry 1997

    Holly Golightly. Up The Empire. Sympathy For The Record Industry 1998

    Holly Golightly. Serial Girlfriend. Damaged Goods 1998

    Holly Golightly. In Blood. Wabana 1999

    Holly Golightly. God Don’t Like It. Damaged Goods 2000

    Holly Golightly. Desperate Little Town. Sympathy For The Record Industry 2001

    Holly Golightly. Singles Round-Up. Damaged Goods 2001

    Holly Golightly. Truly She Is None Other. Damaged Goods 2003

    Holly Golightly. Down Gina’s At 3. Sympathy For The Record Industry 2003

    Holly Golightly. Slowly but Surely. Damaged Goods 2004

    Holly Golightly. My First Holly Golightly Album 2005

     

    *

    Ashen nous semble un groupe de metalcore précieux. Non pas parce qu’il est français mais parce que sa production et son parcours empruntent un chemin original. Se contentent d’envoyer leurs vidéos sur les plates-formes de streaming musical, qu’elles soient payantes ou en accès libre. Le bouche à oreille suffit pour drainer les fans vers les concerts.

    Nous les suivons de près : ainsi dans notre livraison 545 du10 / 03 / 2002 nous avions chroniqué : Sapiens, Hidden, Outler. Nowhere dans la 595 du 6 juin 2023, Angel et Smells like teen spirit (reprise hommagiale à Nirvana), voici à peine trois mois, dans notre 610, le 07 septembre de cette année.

    Aux seuls titres de ces vidéos le lecteur aura compris que l’univers d’Ashen est un peu à part…

    CHIMERA

    ASHEN

    (Official Lyric Vidéo / 7 -12 – 2023)

    ( Production Out of Line Music)

    Directeur : Bastien Sablé / Effets spéciaux : Alban Lavaud / Maquillage : Jade Maret / Nails : @jessiculottes : sur son instagram Jess est aussi tatoueuse et vous intime l’ordre d’aller voir la vidéo Angel d’Ashen.

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    Clem Richard : vocal : / Antoine Zimer : guitars / Niels Tozer : guitar, additional vocals / Thibaud Poully :  bass / Tristan Broggeat : drums.

             Chimera, le titre est prometteur, instinctivement l’on pense à Gérard de Nerval, une fausse piste dès que l’on évoque le prince à la tour abolie, c’est plus complexe que cela. El desdichado souffre d’une absence, il est un trou béant, une étoile effondrée sur elle-même mais en dehors de lui. Ce que pleure Nerval c’est l’absence des Dieux, il aimerait en créer un autre, plus exactement une autre, une nouvelle, un impossible alliage qui réunirait la matière des Dieux des antiques mythologies et celle du christianisme, la Mère originelle et géologique, les vénus kallipyges préhistoriales à la diaphanéité de la Vierge catholique.

             Certains se demanderont pourquoi je présente pour évoquer cette vidéo d’Ashen une explication que je m’empresse de déclarer fausse. Pour deux raisons : la première parce que je tiens à démontrer la qualité intrinsèque de cette vidéo en la comparant à un des textes poétiques les plus brillants, en d’autres mots qui émet une lumière si vive que la nuit dans laquelle nous nous débattons paraît encore plus obscure. L’on ne peut comparer que des objets de même intensité.

             Le deuxième réside en cette constatation. Si le poème de Nerval évoque d’une manière toute nervalienne la mort des Dieux, Nietzsche aura la sienne, la Chimera d’Ashen est à regarder et à écouter comme la suite du poème de Nerval. Ne pas entendre le mot suite comme le deuxième épisode d’un récit dans lequel on retrouve plus ou moins les mêmes personnages, nos contemporains les plus immédiats parleront de Saison 1 et 2. Plutôt l’imaginer selon Aristote d’après qui toute cause engendre une conséquence.

             Les Dieux sont morts reste l’Homme. Si l’Homme ne peut plus parler aux Dieux, il ne peut s’adresser qu’à lui-même. Les âmes charitables affirmeront qu’il trouvera son bonheur à échanger avec ses semblables. Oui mais si les autres me ressemblent à quoi bon discuter le morceau de gras. Je connais déjà les réponses.  Mieux vaut s’adresser à Dieu qu’à ses saints ! Tout Homme qui se respecte ne parlera qu’à lui-même. Pas à un miroir. Pas à un clone.

             Evidemment la situation se complexifie. Relisez la troisième ligne de ce texte. Nous retombons sur nos pattes. Par la même occasion sur Nerval. Le doux Gérard en appelle aux Dieux extérieurs. L’Homme moderne ne peut susciter qu’un être qui soit non pas au-dehors de lui, mais en lui-même. L’Homme moderne engendre des monstres qui naissent et vivent au-dedans de lui. Les cliniciens nomment ce phénomène délire schizophrénique.

             Le mot délire est rassurant. Si vous délirez c’est que ce n’est pas vrai. Le problème c’est que ce délire vous coupe en deux, ou plutôt vous multiplie par deux. Coupé en deux vous êtes encore la moitié de vous deux, multiplié par deux vous n’êtes plus seul chez vous. La lutte commence. A mort. Êtes-vous sûr de la gagner.

             Après toute cette longue vidéo, vous demanderez-vous pourquoi l’on ne voit que Clem Richard ? Les quatre autres n’ont pas été retenus par le casting. Ne vous inquiétez pas dans les notes ils précisent que texte et musique sont bien l’œuvre commune de leurs cinq individualités créatrices.

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             Fond noir. Clem assis sur un tabouret. Vêtu de gris. La couleur la plus impersonnelle qui soit. Cheveux bleus. Rien à voir avec un coin de ciel bleu. Ses yeux sont dirigés vers vous. Il ne vous regarde pas. Sa voix dégobille une vomissure de sludge, quand elle redevient à peu près ( soyons gentil ) normale il chante pour lui-même, l’a l’air de réciter un mantra que lui seul peut comprendre, sa bouche se tord, l’est en pleine crise de folie, dure et pure, il hurle, ce pauvre gars dans sa cellule est à plaindre, vous aimeriez qu’on lui refile un calmant, vous vous apprêtez à téléphoner à une association anti-psychiatrique, reposez votre téléphone, c’est inutile, non il n’est pas mort la situation a changé, certes il est toujours aussi agité, mais le voici tel un empereur romain sur sa chaise curule, le plaid de pourpre qui l’enveloppe laisse entrevoir la blancheur d’un haut de toge, l’est assis sur le toit du monde, derrire lui une chaîne de montagne, des éclaire déchirent le ciel rouge sang, ce n’est plus un malade mental enfermé dans le cachot d’un asile mais le maître du monde qui hurle son mécontentement à la face du monde qui oserait lui résister, maintenant il vous regarde, évitez de regarder ses ongles effilés comme les serres d’un oiseau de proie, vous pensez à Caligula, oui c’est comme cela qu’il devait s’adresser au vil troupeau des êtres humains, il se calme sa main soutient sa tête qui s’incline, la caméra s’abaisse l’on aperçoit la plaque de marbre qui soutient son trône, horreur elle est jugée sur une pyramide de têtes de mort, un peu à la manière de Tamerlan le conquérant, (un poème d’Edgar Poe porte son nom), mais notre prince à la tour maboulie n’en veut pas à l’humanité entière, uniquement à lui-même, et plus exactement cette chimère qui l’habite, le visite de temps en temps et va jusqu’à prendre sa place, dans sa confusion il en appelle à Dieu, qui ne répond pas, à moins qu’il ne se prenne pour Dieu le taiseux, ne se prend-il pas lui-même pour Chimera, à moins que ce ne soit sa Chimera qui se prenne et pour lui et pour Dieu, trop de confusion, n’est-il qu’un gamin poignardé, égorgé par sa propre folie, ne s’est-il pas drapé dans la pourpre impériale et divine de son propre sang, qui est-il au juste, qui sera capable de le lui dire en prononçant juste son nom. Son nom juste.

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             De toutes les vidéos d’Ashen celle-ci est la plus belle, la plus violente, la plus puissante. Outre l’outrance de son vocal, Clem ne donne pas l’illusion de jouer, il est ce qu’il dit qu’il est. Il vocifère, on y croit dur comme du fer. L’on en oublie la musique, elle est là comme un fleuve de sang fertile, un sombre terreau dans lequel la voix démesurée de Clem trouve force er racine.

             Un clip de folie. Ô insensés qui croyez qu’elle n’exprime pas le plus intimement profond de ce que vous cachez en vous.

    Damie Chad.

     

     

    REBELLIONS

    ERIC HOBSBAWM

    (Editions Aden / 2011)

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    Un tel titre plaît d’emblée aux rockers. Qui risquent de déchanter. Nous ne parlerons pas de rock’n’roll mais de jazz. Pourquoi ? La réponse est à trouver dans la première partie du sous-titre :

    LA RESISTANCE DES GENS ORDINAIRES

    Attention ne pas confondre les gens ordinaires au sens où l’emploie Eric Hobsbawm avec ce que l’on nomme communément Monsieur Tout-le-Monde ou le citoyen lambda. Les gens ordinaires tels que les définit Hobsbawm ne sont pas des moutons. Ils possèdent une forte personnalité. Ils prennent fait et cause pour leurs propres goûts et leurs propres idées. A tel point qu’ils parviennent à fédérer autour de leurs jugements quelques personnes aux penchants similaires dont le rassemblement forme les embryons de ce que l’on a défini dans les années soixante-dix comme les minorités agissantes.

    Gardons-nous de tout romantisme. Les gens ordinaires ne font pas l’Histoire. Ils agissent dans les interstices. Eric Hobsbawm n’est pas un idéaliste, il est resté toute sa vie (1917-2012) un marxiste convaincu. Ce sont les lentes métamorphoses des rapports de production qui induisent les grandes ruptures historiales.

    Si Hobsbawn fut un historien respecté par les élites britanniques il ne cacha jamais ses sympathies actives pour le Parti Communiste Soviétique qu’il soutint jusqu’à l’intervention russe en Tchécoslovaquie. Par la suite il glissa progressivement à l’idée d’un communisme moins dictatorial et mena une réflexion qui posa les bases de l’élaboration des principes politiques de l’émergence de ce qui fut nommé tant aux USA qu’en Angleterre la deuxième gauche. L’on sait que cette nouvelle gauche fut le cheval de Troie de l’entrée de la pensée libérale dans les milieux politiques de gauche. Il resta toutefois jusqu’à la fin un penseur marxiste convaincu. En France on ne l’aime guère pour cela. D’autant plus que l’on peut relire son œuvre comme une pensée dans laquelle se retrouve l’ancienne coupure épistémologique fondationnelle des mouvements révolutionnaires partagés entre communisme et anarchisme.

    Ceci posé il est temps de s’intéresser à la deuxième partie du sous-titre :

    JAZZ, PAYSANS ET PROLETAIRES

             Notons que dans son livre de près de six cent pages, les chapitres dévolus au jazz ne viennent qu’en troisième position. Nous ne commenterons que ceux-ci :

    LE CARUSO DU JAZZ

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             Le titre perd son mystère quand l’on sait que Sidney Bechet (1897 - 1959) se vantait de s’être inspiré des enregistrements d’Enrico Caruso le célèbre ténor italien (1873-1921) pour mettre au point son célèbre falsetto qui fit beaucoup pour sa réputation. Hobsbwam se demande pourquoi et comment Sydney Bechet fut reconnu comme l’un des tout premiers jazzmen.

             Hobsbwam ne néglige pas les talents de Bechet, une voix reconnaissable entre mille et une maîtrise du saxophone soprano incontestable, ce ne sont pas ses qualités qui lui permirent d’être intégré dans la liste des incontournables fondateurs du jazz. L’avait un sacré défaut : son caractère, il n’était pas aimé de ceux qui ont joué avec lui. Il n’aimait pas musiciens talentueux, voulait être le maître de la formation, n’accordait pas à tout le monde son solo, son petit quart d’heure de gloire, faisait montre sur scène et en dehors d’un comportement égoïste peu plaisant… Les témoignages se recoupent, mais la jalousie n’est-elle pas aussi le premier ressort du ressentiment.

             Bechet est un créole de la New Orleans. Jusqu’à la fin de la guerre de Sécession, après laquelle ils furent remis au rang des noirs, les créoles formaient un milieu cultivé (très) relativement favorisé. Bechet a tout juste vingt ans lors de la fermeture en 1917 de Storyville le quartier sex, alcool, jeu and jazz de New Orleans. Comme la plupart des musiciens il émigrera vers le nord et l’est des Etats-Unis. C’est ainsi que le jazz devint une musique non plus régionale mais en quelque sorte nationale.

             La crise de vingt-neuf ne fut pas sans conséquence pour les musiciens de jazz. Les disques ne se vendent plus, le public se détourne du hot et porte ses préférences vers une musique moins rugueuse et davantage festive. Duke Ellington, Armstrong ne font que maigre recette. Bechet qui au début des années vingt est considéré comme un musicien de pointe ouvre un magasin de rafistolage de vêtements en 1933.

             Les petits blancs intellos jouèrent le rôle du Septième de Cavalerie pour sauver le soldat Bechet sinon perdu du moins oublié. Ces jeunes gens s’aperçurent à la fin des années trente qu’ils avaient raté les débuts du jazz. Devaient d’après eux se trouver entre Congo Square et Storyville, en plein cœur de la Nouvelle-Orléans.

             Ce mouvement antiquarianiste – de retour aux ‘’antiquités’’ du jazz toucha aussi bien les ricains que les européens. Une des figures les plus marquantes par chez nous fut Hugues Panassié. Nombreux furent les musiciens noirs qui dès les années 20 vinrent en Europe. Durant quatre ans Sydney Bechet partagea à Paris avec Joséphine Baker le succès (et même plus) de La Revue Nègre. Bechet qui s’était déjà fait expulser d’Angleterre subit le même sort par chez nous après une violente bagarre en 1928.

             En 1938 Sydney Bechet reçoit une sorte de reconnaissance américaine pour sa participation aux côtés de Count Basie, de Benny Goodman et ( bonjour le rock’n’roll) de Big Joe Turner, nous sommes dans le même mouvement de reconnaissance de l’apport de la musique noire à la culture du vingtième siècle, qui se matérialisa dans le retentissement du concert From gospel to swing organisé par John Hammond (Bob Dylan lui doit beaucoup) au Carnegie Hall in la Grosse Pomme.

             En 1949, Bechet s’installe en France, accompagné de groupes français, il devient le propagateur de ce renouveau du Jazz New Orleans, ce dixieland qui connut un énorme succès populaire qui perdure encore aujourd’hui. C’est une forme passéiste et ossifiée du jazz à l’écart de l’évolution de cette musique qui culmina dans l’explosion Be Bop et se désintégra dans la magnificence du free-jazz.

             A la fin de son article, Hobsbawm modère quelque peu les critiques virulentes par lesquelles il débuta sa présentation. L’on sent qu’il eût aimé un artiste qui soit resté tout le long de sa vie un défricheur novateur de formes sonores révolutionnaires. Idéologie et réalité ne concordent pas toujours.

    COUNT BASIE

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            Ça commence mal pour le jazz. Hobsbawm cite un extrait des mémoires de Count Basie qui s’aperçoit que les gamins qui viennent écouter le jazz n’accrochent plus, qu’ils sont en attente d’autre chose. Hobsman résume le phénomène : la musique populaire américaine vient de commettre un crime : le fils a tué le père. Le rock’n’roll a tué le jazz. Il se rattrape aux petites branches, l’article est publié en 1986, il reproche à Count ( 1904 -1984) que certes le rock a éclipsé le jazz mais que ce dernier a atteint son intronisation depuis la fin des années cinquante n’est-il pas devenu sans contestation possible la grande musique américaine classique. J’appellerais cela la consolation du pauvre. Démuni de ses biens.

             Hobsbawm reproche à Count d’être un peu frigide dans son Good Morning Blues. L’esquive un peu trop les réalités. A ses débuts le Big Band de Basie issu de Kansas City est une fabuleuse machine à rythmes, l’on joue à fond la caisse, sans partition, l’on baise à tous vents, l’on boit comme des trous, poker et whisky sont les deux mamelles du swing. Mais lors des années soixante des intellectuels s’emparent du jazz  en le qualifiant de musique révolutionnaire. Ce lumpen-prolétariat très mauvais genre est prié de ne plus porter des pantalons rapiécés, d’adopter des attitudes moins sauvages, ok pour le chic, ko pour le choc. Count débuta comme pianiste itinérant, naviguant à la petite semaine entre embauches dans un bar ou dans une tournée burlesque. Les noirs ne sont pas naturellement des accros du blues, z’aiment la danse, la baise, la bouffe, le chambard et autres saloperies du même acabit. Basie n’était même pas un grand pianiste. Tout ce qu’il savait faire c’était marquer le tempo, une fois la base établie, créait un riff (souvent inspiré d’un morceau connu) pour les sax, qui le refilaient aux trombones, qui le refilaient aux trompettes et vogue la galère, tout le monde se retrouvait, vent en poupe dans un tutti de tous les devils de l’enfer. Un baltringue qui vous foutait le feu au croupions des danseuses et des danseurs. Vingt ans plus tard, avec un super-big orchestra Basie s’est moderato, les copains lui refilent des arrangement tout faits, les musicos ont des partoches, ça rutile encore, mais ça ne brutalise plus. Le jazz s’est gauchisé, l’est devenu un objet culturel   d’intronisation. Une cause morale à défendre. Pourquoi d’après vous les rockers se sont-ils passionnés pour Rebel without a cause.

    DUKE ELLINGTON

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             Si l’on pouvait retrouver Count Basie ivre mort après un concert, ce n’était pas le cas du Duke. Certains le défendront en disant qu’il était d’une nature apollinienne et point dionysiaque. Les plus méchants assèneront qu’il ressemblait davantage à un cul-blanc qu’à un nègre. Duke issu de la petite-bourgeoisie noire fut un enfant gâté et en grandissant il se persuada qu’il était un être destiné à un destin supérieur.  Pas étonnant qu’il se considérât comme un artiste. Un compositeur, le mec hiérarchiquement situé un cran (voire plusieurs) au-dessus du chef d’orchestre.

             Entre nous soit dit, si à ses débuts il agissait en corsaire en signant les morceaux de ses musiciens il a par la suite endossé le rôle d’armateur.  Il se faisait aider par son directeur musical. Notons que ces pratiques étaient monnaie courante (et trébuchante) dans les milieux de la musique populaire américaine…

             Bizarrement sa façon de procéder, de mener son orchestre présente quelques analogies, me semble-t-il, avec James Brown, l’emmène un bout de mélodie, deux ou trois rythmes, qu’il joue au piano et les musiciens doivent se les approprier, chacun rajoute un peu, beaucoup, de soi mais en respectant le code initial imposé par le Maître. Evidemment on imagine mal Beethoven jouant son pom-pom-pom-pom au piano et demandant à son premier violon de proposer une suite… Ellington apportait une couleur inimitable qui poussait les musiciens à se dépasser. Il n’aimait guère garder les partitions, pour lui la musique se conservait par sa pratique. Dans la dernière partie de sa vie, la vogue du jazz étant dépassée, il n’hésita pas à reflouer les caisses de son very big bazar avec ses royalties.

             De fait l’orchestre d’Ellington était un peu onaniste, il jouait pour lui-même, les musiciens s’écoutaient et se répondaient. Dans la plupart du temps les danseurs se moquaient dukalement de la qualité de la musique. L’important était la danse.

             Plus tard lorsque l’orchestre visitait Europe, l’est même passé par Provins, Duke donnait aux auditeurs qui le vénéraient ce qu’ils attendaient, il l’avait spécialement un tuba qui vous sortait un son jungle à juguler un tigre mangeur d’hommes.

             L’est difficile d’inscrire Ellington dans une perspective révolutionnaire. Tant politiquement que musicalement. Sa musique serait à considérer plutôt une mise non pas en abyme mais en acmé de toutes les pratiques instrumentales noires qui l’ont précédée. Une marée d’équinoxe dont l’étale aurait atteint un niveau jusqu’à lui inégalé et insurpassable pour les nouvelles générations de musiciens jazz biberonnés à la musique classique européenne. Autre temps, autres mœurs.

    LE JAZZ ARRIVE EN EUROPE

             Le jazz a très tôt traversé l’Atlantique. Dès 1908 la comédie musicale Corindy : the origine of cakewalk est jouée à New York et à Londres. C’est son créateur Will Marion Cook qui fera venir Sidney Bechet in London. 1914 : le foxtrot fait son apparition aux States, en 1915, via la Grande-Bretagne il débarque en Belgique. En 1917 des premiers groupes de jazz font leur apparition en tant que tel sur notre continent. A la fin des années vingt des amateurs de la deuxième génération jazz commencent à développer une nostalgie des débuts du jazz qu’ils n’ont pas connus et qui engendrera un véritable revival dixieland. Au mois de novembre dernier la célèbre fête de la niflette de Provins (gâteau local) était animée par un groupe français de New Orleans.

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    ( Martial Solal + Jean Cocteau)

             Les premiers livres d’importance sur le jazz sont édités en 1926, mais l’avant-garde artistique de Jean Cocteau à David Milhaud s’intéresse à cette musique dès 1918. Le jazz fut aussi un outil émancipateur et quelque peu transgressif sous forme de danse pour l’aristocratie et la bourgeoisie anglaises. Il est vrai que dès 1900 des danses comme le boston avaient commencé à déverrouiller les attitudes guindées des corps. Les femmes en furent les premières bénéficiaires.

             En 1930 se constituent des groupes d’amateurs passionnés qui collectionnent les disques, et qui parfois se risquent à s’emparer d’un instrument. L’arrivée des disques de blues en Angleterre engendra… le rock anglais… qui ne tarda pas à déferler par un juste retour des choses aux States…

             Le jazz fut davantage accepté en Angleterre qu’en France. Accepté et joué. Certes l’impasse sur le Be bop se traduisit par le développement de groupe de jazz trad. En France, hormis une minorité de passionnés, le jazz hormis en ses débuts grâce à la danse, n’atteignit jamais à une grande popularité. Pays davantage marqué à gauche que nos voisins d’outre-Manche le blues et le jazz devinrent les musiques de minorités oppressées par l’ordre capitaliste. On les révéra, on les écouta, mais la pratique instrumentale ne suivit pas.

    LE SWING DU PEUPLE

             Ce chapitre bien plus intéressant que le précédent explore les rapports entretenus par le jazz, principalement les grands orchestres et la gauche durant les deux présidences de Roosevelt du New Deal à la fin de son deuxième mandat en 1941. Roosevelt décéda en 1945. Il y eut une alliance objective entre le jazz et la gauche américaine. Une alliance beaucoup plus culturelle que politique.  En le sens que si bien sûr les musiciens de jazz ne sont pas insensibles aux idées d’égalité raciale ils ne sont pas des militants encartés ni au Parti Démocrate, ni au Parti Communiste.  John Hammond s’avère être le symbole de cette période, il organise de nombreux concerts de jazz qui sont retransmis en direct dans tous les états et qui seront surtout écoutés par les jeunes et les étudiants. Hammond encourage la composition d’orchestres mixtes, sans trop de succès.

             De fait le jazz possède désormais pignon sur rue, mais le public ne se renouvelle pas. En 1946, sous la présidence de Truman se produit une espèce de cassure générationnelle. Par manque de public tous les grands orchestres s’arrêtent. Seul Ellington continuera sur ses propres deniers.  Le public en majorité blanc se reconnaît davantage dans cette musique qui est en train de devenir le country & western. Les grandes heures du jazz ont sonné.

    LE JAZZ DEPUIS 1960

             Ce n’est pas tout à fait vrai. Entre 1950 et 1960 le Be Bop connut une glorieuse décennie, vrai succès et fausse donne, le Be Bop est une musique métaphysique, elle parle au corps, elle parle à l’âme, elle parle de leurs misères et de leurs splendeurs, elle est la musique d’une génération née dans les années trente, un pied dans les années noires un pied sur le seuil des années heureuses. Hobsbawm consacre de nombreuses pages à la naissance du rock. Je n’insiste pas. Nous connaissons cela. Sixties et seventies seront des années économiquement opulentes.  Des millions d’adolescents sont maintenant en capacité d’acheter des disques. L’industrie du showbiz engrange des profits colossaux.

             Le public jazz se rétracte, il joue à la citadelle assiégée. Il refuse toute compromissions avec le rock. Il acceptera du bout de l’oreille Miles Davis lui reprochant sa fusion… Les artistes de jazz-rock à la Chick Correa ont beaucoup plus d’adeptes dans le public provenant du rock que des derniers résistants jazz.

             Les musiciens continuent le combat. Le Be Bop a démonté les structures du jazz, l’a mis le moteur en pièce détachées et a démontré avec brio ce que l’on pourrait attendre de chacune d’elle, il a désarticulé les structures de base du jazz, mais il n’a touché à rien. John Coltrane de son seul souffle a démantelé la tuyauterie. Ses successeurs ne la remonteront pas, ils la désintègrent, le free-jazz ne connaît plus de limite. Les nouveaux jazzmen flirtent avec la musique classique d’avant-garde, ils empruntent les sentiers du noise, ils vont loin, très loin… du public. Seule une infime minorité les suit, les autres réécoutent les disques du passé.

             Cet article est écrit en 1993, Eric Hobsbawm oublie de faire référence à son concept de rébellion. L’en oublie de citer les émeutes de Watts, les Black Panthers, l’espoir généré par la lutte et la défaite amère…

    BILLIE HOLLIDAY

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             Un court article hommagial qu’ Eric Hobsbawm écrivit à la demande de John Hammond en 1959 à la mort de Billie Holliday. Il rappelle en introduction que sur son lit de mort John Hammond lui avoue que la chose dont il est le plus fier de toute son existence fut d’avoir découvert Billie Holliday…

    *

              Ces chapitres sont intéressants, j’avoue que je m’attendais à mieux. Les trois premiers sont les mieux écrits. Trop étreint qui mal embrasse me contenterai-je d’ajouter pour les trois suivants. Trop généralistes pour que puisse s’y déployer une pensée cohérente.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

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     6

    A peine avions-nous passé les bandes plastiques rouges et blanches qui délimitaient une zone d’accès interdit le long du trottoir du Chat qui pêche un os à moelle un gros homme manifestement un commissaire de police s’interposa l’air furioso. A sa décharge je me dois de signaler la sympathique facétie du Chef qui s’était emparé du ruban et l’avait sectionné en s’aidant du clair baiser de feu de son Coronado.

             _ Messieurs reculez immédiatement, trois de mes hommes vont vous coffrer sur le champ en garde-à-vue, pour qui vous prenez vous ?

    Le visage du commissaire s’empourpra quand de son air le plus placide le Chef exhiba sa carte d’Agent Secret. Un sourire moqueur aux lèvres je lui tendis à mon tour mon sésame. A ma grande surprise il s’en saisit vivement, l’examina longuement et se tourna vers le Chef :

    _ Excusez-moi cher collègue, j’admets volontiers que mon interpellation ait été un peu rogue, je n’avais pas compris que vous m’emmeniez votre subalterne pour interrogatoire. En tant que simple policier je m’incline… que vous qui êtes d’un niveau et d’un grade bien plus élevé que le mien dans les services de sécurité de notre nation ne tente pas de soustraire des lois de notre République un de ses agents sous sa responsabilité dénote une rectitude professionnelle qui vous honore. Je vous prie de me suivre, j’ai le regret de vous avertir que les faits ne plaident pas en sa faveur.

    La scène n’était pas ragoûtante, le patron du Chat qui pêche un os à moelle était étendu nu au milieu de la salle. A ses côtés gisaient également déudés les cadavres du cuisinier et de la serveuse, c’était elle qui la veille nous avait servis, Molossa, Molossito (mon cœur se serra lorsque leurs noms surgirent dans ma pensée) et moi-même, nos entrecôtes garnies. Les assassins s’étaient amusés. Ils avaient éventré les trois malheureuses victimes. Leurs intestins avaient été prélevés ils étaient suspendus, un peu comme des guirlandes de Noël, au plafond. 

    Le commissaire se tourna vers moi :

    _ Pourriez-vous Monsieur Damie Chad, nous expliquer les motifs de cette abominable mise en scène, à toutes fins utiles je préciserai que l’équipe de rugby de la ville de Provins qui rentrait en autobus d’un entraînement nocturne vous ont vu quitter l’établissement d’un pas pressé. Pire ce matin vous êtes revenu sur les lieux de votre crime, trois témoins qui vous connaissent, Provins est une petite ville, vous ont aperçu sortir du restaurant pour vous engouffrer dans votre voiture à toute vitesse.

    Je n’eus pas le temps d’ouvrir la bouche. Le Chef me devança :

    _ Cher Commissaire, je ne peux que vous remercier pour la rapidité et les résultats de votre enquête. Nous ne sommes pas venus ici par hasard, j’ai le regret de vous apprendre que vous ne voyiez que la pointe de l’iceberg. J’ai reçu cette nuit une notification de l’Elysée qui m’enjoignait de leur amener au plus vite le sieur Damie Chad. Sachez qu’il aurait ce matin même trucidé un innocent automobiliste qui s’accrochait désespérément à son automobile que cet ignoble individu tentait de lui voler. Sous l’agent Chad se cache un des serial killers les plus monstrueux que la terre ait porté. Un être assoiffé de sang et de meurtres. Sachez que cette matinée, sur ordre, j’étais venu le chercher à Provins, en passant dans la rue il a manifesté l’envie de prendre un café dans cet établissement. Je comprends désormais ses raisons, il voulait revenir se repaître une nouvelle fois du spectacle de son triple crime. Mais ce n’est pas tout…

    Le Chef se rapproche du commissaire et lui souffle à l’oreille :

    _ Entre nous c’est encore plus grave, nous le tenons à l’œil depuis quelque temps… entre nous son rôle de tueur en série ne serait qu’une couverture… il est certainement à la tête d’une organisation terroriste ultra-secrète qui serait en train d’infiltrer nos services secrets mais aussi nos forces de police et de gendarmerie… un conseil vérifiez tous vos subordonnés, leur identité, leurs parcours leurs comportements pendant le travail et leurs fréquentations dans leur vie privée.

    Les yeux exorbités du commissaire trahissent sa sidération :

    _ Puis-je faire quelque chose pour vous aider ?  

    _ Si vos hommes pouvaient le menotter et l’attacher solidement à son siège dans ma voiture. Je le livre dans l’heure qui suit à la CIM, la Cellule d’Interrogatoire Musclé des sous-sols de l’Elysée. Soyez sûr qu’après une bonne séance nous en saurons davantage.  Pour ma part je m’empresserai de rapporter à notre Président, qui suit personnellement ce dossier, votre intervention décisive. Comme tout homme notre dirigeant n’est pas exempt de défauts, je vous l’accorde, mais il sait reconnaître, féliciter et récompenser et surtout ne jamais oublier tous ceux qui œuvrent à la sécurité de notre pays.

    7

    A peine avions nous dépassé de quelques kilomètres la ville de Provins, le Chef m’avait détaché et délivré de mon inconfortable situation. Je repris ma place de chauffeur et me hâtai de rejoindre Paris.

    Le Chef avait allumé un Coronado. Il ne disait rien, il réfléchissait. Moi aussi. Cette affaire s’annonçait mystérieuse. Un véritable guet-apens. Une machination. Il était sûr que j’avais été suivi. Par qui ? Pour quoi ? Dans quel but ? Il était fort improbable que mes chiens aient été visés pour eux-mêmes. Mais qui visait-on au juste ? Ma modeste personne, le Chef, le service, le rock’n’roll ! Par acquis de conscience je jetais un coup d’œil au rétro. Dix minutes plus tard ma conviction était faite, deux voitures à tour de rôle nous suivaient.

    La nuit était tombée. Le Chef alluma un Coronado.

    • Agent Chad c’est un peu bête, j’ai envie de faire pipi, une envie irrésistible, dès que vous apercevez un arbre solitaire au bord de la route, arrêtez-moi, je me dépêche, ne m’attendez pas, continuez votre route, revenez me prendre dans quelques minutes, j’ai mes pudeurs de jeune fille, je n’aime guère que l’on m’aperçoive faire pipi, même vous, c’est bête mais je n’y peux rien, ma mère se moquait de moi, je m’enfermais à clef dans les WC et je n’ouvrai ma braguette que lorsque je l’avais entendue descendre les escaliers. Croyez-vous que je devrais entamer une psychanalyse ?

    Nous papotâmes sur les bienfaits d’une analyse, le Chef était partisan de Lacan, personnellement je tenais pour Young, nous tombâmes d’accord pour médire de Freud…

    Je freinai brutalement pile devant un ormeau solitaire. Le Chef sortit prestement et alla se cacher derrière le tronc assez imposant de l’arbre. Je redémarrai d’un coup sec, puis insensiblement diminuai ma vitesse… De loin sur cette ligne droite j’apercevais le bout du cigare incandescent du Coronado. Une voiture vint me coller au cul, pardon au parechoc. Une autre s’arrêta juste en face de l’arbre derrière lequel urinait le Chef. Dans ma tête Je comptais à voix basse : un, deux, trois ! Les gars regretteront toute leur mort le fait d’avoir ouvert leurs portières, un trait de feu traversa le bas-côté de la route, une boule de feu explosa, le Chef avait lancé un Coronado 117 surnomme El dynamitero…

    J’accélérai à fond et effectuai sur place un demi-tour, la voiture en face à qui je venais de couper la route s’encastra instinctivement si j’ose écrire dans celle de mes poursuivants. Quelques instants plus tard le Chef traversait la route pour prendre place à mes côtés.

    • Agent Chad c’est terrible avec ces gaziers je n’ai même pas eu le temps de faire pipi !

    9

    Nous fîmes demi-tour et rentrâmes en devisant fièrement :

             _ Chef, l’on ne peut pas dire que votre envie de faire pipi a été un acte manqué !

             _ Agent Chad je suis assez fier de nous, nous avons éléminé nos ennemis, mais là n’est pas la question. Nous avons réussi à créer un nouveau concept psychanalytique qui parachève cette théorie : nous venons de créer le concept d’acte réussi. Une véritable réussite !

             _ Je garai la voiture au bas du local. A peine avions nous mis les pieds sur la première marche que des aboiements retentirent. Deux boules de poils sautèrent sur nous. Ils étaient fous de joie de nous retrouver. Nous échangeâmes mille caresses.

    Ce n’est qu’une fois en haut que nous trouvâmes l’inscription à la craie sur la porte du local

    1 à 1

    A CHARGE DE REVANCHE !

    Ces messieurs sont beaux joueurs s’exclama le Chef et il alluma un Coronado !

    A suivre…